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PRIER AVEC LE

PSAUTIER
La lettre de
saint Athanase d’Alexandrie
à Marcellin

Introduction et traduction
par Sr Pascale-Dominique Nau, OP
Texte grec dans Patrologia Graeca, Tome 27, Paris, J.-P-
Migne, 1857, pp. 12-45
Pour aliment de sa pensée, le bienheureux
Athanase choisit l’Ancien et le Nouveau Testament. Il
en médita tous les livres avec plus de soin que jamais
personne n’en a médité un seul. A ces habitudes de
contemplation se joignirent des trésors de vertu qui
augmentaient chaque jour. La science et les mœurs
brillaient ainsi chez lui d’un grand éclat et, se
fortifiant réciproquement, formèrent cette chaîne d’or
dont si peu d’hommes réussissent à tisser le double fil
précieux.

Grégoire de Nazianze,
Discours panégyrique d’Athanase d’Alexandrie, Or.
21,6
I. La lettre, sa genèse et son influence
Au 4ème siècle, à l’époque du long épiscopat d’Athanase
d’Alexandrie, l’Église sentit le besoin de remplacer les
hymnes populaires par les psaumes dans la liturgie
eucharistique1. Jusqu’à ce moment-là, les fidèles y avaient
chanté des hymnes qu’eux-mêmes avaient composés –
analogues en quelque sorte aux écrits dits « apocryphes ».
Ces textes qui répondaient à certains besoins de fidèles de
la jeune Église ne correspondaient malheureusement pas
toujours à la « règle de la vérité » – l’unité de la confession
de foi et l’interprétation juste des Saintes Écritures 2 . Ils

1
Il s’agissait d’une intensification de leur emploi, car les
psaumes étaient déjà chantés dans des cérémonies de mariages,
des funérailles et lors de célébrations eucharistiques, avec des
antiphones – introduites, selon la tradition, par saint Ignace
d’Antioche – et chez les moines. De plus, Ambroise de Milan
composa des hymnes pour être chantés à l’église et, vers 320, le
pape Sylvestre 1er fonda la première école pour la formation des
chantres. Beaucoup de cantiques datent de cette époque,
remarquables par les paroles mais beaucoup moins par la
musique.
2
Cette expression, en latin regula veritatis, vient de saint Irénée
de Lyon (2ème siècle), qui en parle 9 fois dans son grand traité
Contre les hérésies – Adversus haeresis I, 9, 4 ; I, 22, 1 ; II, 25,
1 et 2 ; 25, 3 ; 26, 1, 2 ; 27, 1 ; 28, 1 ; III, 2, 1 ; 11, 1 ; 12, 6 ; 15,

4
risquaient de déformer la foi3 et, en fait, beaucoup étaient
utilisés par des groupes hérétiques.

Le Psautier, le livre d’hymnes de l’Ancien Testament,


déjà le livre le plus cité par les auteurs du Nouveau
Testament, allaient ainsi devenir – et cela jusqu’à nos jours
– le livre de la Bible le plus fréquemment lu dans les
assemblées liturgiques.
Dans ce cadre d’un « recentrage » sur les Saintes
Écritures, Marcellin demande à son évêque comment
comprendre les psaumes. Athanase lui répond par une
lettre qui est une véritable introduction au Livre des
Psaumes ou Psautier et à la psalmodie – c’est-à-dire le
chant des psaumes – et commence par une citation de saint
Paul : « Toute l’Écriture – aussi bien l’Ancien que le
Nouveau Testament – est inspirée par Dieu et utile pour

1 ; IV, 35, 4. Voir Alexandre FAIVRE, « Irénée, premier


théologien “systématique” ? », Revue des Sciences Religieuses,
65/1-2 (1991), 11-32.
3
Athanase relève ce problème au nº 15 de cette lettre, où il dit
du Psautier : « on y trouve des paroles qui peuvent plaire au
Seigneur, avec lesquelles on peut se corriger soi-même et rendre
grâce au Seigneur, afin de ne pas tomber dans l’impiété, en
disant autre chose » (mes italiques).

5
l’enseignement » (2 Tm 3,16.17) 4 . C’est une invitation,
tout d’abord, à se mettre à l’écoute de Dieu et à se laisser
instruire, tant par l’Ancien que par le Nouveau Testament.
Mais avec cette citation Athanase annonce aussi trois
thèmes clé de la lettre que nous aborderons plus loin :
l’inspiration de l’Écriture Sainte, l’interprétation
nécessaire à l’instruction et le rôle des psaumes dans la vie
du chrétien.

Une introduction au Psautier.

La lettre à Marcellin a servi depuis le 4ème siècle, parfois


en traduction – écrite en grec, on le trouve, par exemple,
au début d’un codex (un petit livre) syriaque du
précisément 4ème siècle, qui est le premier témoin de son
emploi –, comme introduction à diverses éditions du
Psautier5. Plus près de nous dans le temps, le pape Pie X a

4
Cf. Rm 15,4 : « tout ce qui a été écrit jadis l’a été pour notre
instruction, afin que, par la persévérance et la consolation
apportées par les Écritures, nous possédions l’espérance ».
5
Cf. M.-J. RONDEAU, « L’Épître à Marcellinus sur les
Psaumes », VigChr 22(1968) 177-178, pour une présentation de
la postérité de cette lettre. Je ne répéterai pas ici l’histoire de la
transmission et des manuscrits de la lettre, car Rondeau l’a fait
magistralement dans cet article cité et il n’y a rien à y ajouter.

6
cité cette lettre de saint Athanase dans sa Constitution
apostolique Divino afflatu sur la nouvelle disposition du
psautier dans le Bréviaire romain, publié le 1er novembre
1911. Ce texte mérite d’être cité :

Les psaumes recueillis dans la Bible ont été composés


sous l’inspiration divine. Certes, dès les débuts de
l’Église, ils ont merveilleusement contribué à nourrir la
piété des fidèles, qui offraient à Dieu, en toutes
circonstances, un sacrifice de louange, c’est-à-dire
l’acte de foi qui sortait de leurs lèvres en l’honneur de
son nom. Mais il est certain aussi que, selon un usage
déjà reçu sous la Loi ancienne, ils ont tenu une place
éminente dans la liturgie proprement dite et dans
l’Office divin.
Telle est l’origine de ce que saint Basile appelle « la
voix de l’Église », cette psalmodie […] selon saint
Athanase, enseigne aux hommes « comment ils doivent
louer Dieu et quelles paroles il leur faut employer pour
le célébrer ».

Puis, le Pape continue avec une observation qui occupe


une grande place dans la lettre d’Athanase sur le Psautier
et trouve sa confirmation chez saint Augustin :

Les psaumes possèdent en outre une étonnante


efficacité pour éveiller dans les cœurs le désir de toutes

7
les vertus. « Certes, toute la sainte Écriture, de l’Ancien
comme du Nouveau Testament, est inspirée par Dieu et
utile pour l’enseignement, ainsi qu’il est écrit ;
néanmoins le livre des Psaumes, comme un paradis
contenant tous les fruits des autres livres, propose ses
chants et ajoute ses propres fruits aux autres dans la
psalmodie ». Ces paroles sont encore de saint Athanase,
qui ajoute très justement : « Je pense que, pour celui qui
chante les psaumes, ils sont comparables à un miroir où
il peut se contempler lui-même ainsi que les
mouvements de son âme, et psalmodier dans ces
dispositions ».
C’est pourquoi saint Augustin parle ainsi dans ses
Confessions : « Combien j’ai pleuré, en chantant tes
hymnes et tes cantiques, tant j’étais remué par les
douces mélodies que chantait ton Église ! Ces chants
pénétraient dans mes oreilles, la vérité s’infiltrait dans
mon cœur que la ferveur transportait, mes larmes
coulaient, et cela me faisait du bien6 ».

Athanase montrera comment le Psautier à la fois


instruit et guide ceux qui lisent ou chantent les psaumes.

6
PIE X, Constitution apostolique « Divino afflatu » sur la
nouvelle disposition du psautier dans le Bréviaire romain, Paris,
Maison de la Bonne Presse, 1912.

8
Nous avons déjà noté que l’époque à laquelle Athanase
écrivit la lettre à Marcellin était marquée par un intérêt
particulier pour le Psautier. De cet intérêt témoigne une très
grande production de commentaires 7 depuis Origène
(185-253 ?) jusqu’à saint Augustin (354-430).

265 - avant 341 : Eusèbe de Césarée (Palestine), Commentaire


sur les Psaumes
296 – 373 : Athanase d’Alexandrie, Commentaire sur les
Psaumes
313-398 : Didyme l’Aveugle (Alexandrie), Commentaire sur les
Psaumes
330-379 : Basile de Césarée (Cappadoce), Homélies sur les
Psaumes

7
Pour une liste plus complète voir l’annexe I :
Commentaires patristiques des psaumes. Cf. aussi Robert
DEVREESSE, Les anciens commentateurs grecs des Psaumes,
Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1970, coll.
Studie testi 264 ; puis Brian E. DALEY – Paul R. KOLBET, The
Harp of Prophecy : Early Christian Interpretation of the Psalms,
Notre Dame, IND, Notre Dame University Press, 2015. Pour un
approfondissement, on peut lire l’analogie dans la collection de
Migne « Les Pères dans la foi » : Les Psaumes commentés par
les Pères, Traduction et notes d’A.-G. Hamman, Paris, Éditions
J.P. Migne, 22014 mais la Liturgie des heures aussi contient de
beaux extraits.

9
335-394 : Grégoire de Nysse (Cappadoce), Sermon sur le
psaume 67 pour l’Ascension ; Sur les titres des Psaumes
345-407 : Jean Chrysostome (Constantinople), Homélies sur les
Psaumes 345-399 : Évagre le Pontique (), Scholies sur les
Psaumes

350-428 : Théodore de Mopsueste (Antioche), Commentaire sur


les titres des Psaumes
† 433 : Hésychius de Jérusalem (Israël), Commentaire sur les
Psaumes
380-444 : Cyrille d’Alexandrie, Commentaire sur les Psaumes
380-450 : Pierre Chrysologue (Ravenne), Sermons sur le psaume
94
315-367 : Hilaire de Poitiers, Homélies sur les Psaumes
339-394 : Ambroise de Milan, Commentaire sur les Psaumes
† 420 : Maxime de Turin, Sermons 45
354-430 : Augustin d’Hippone (Afrique du Nord), Enarrationes
in Psalmos
360 - v. 435 : Jean Cassien (Marseille), Conférences
347-420 : Jérôme (Rome et Bethléem), Commentaire abrégé sur
les Psaumes ; Commentaires sur les Psaumes
485-580 : Cassiodore (Ravenne - Vivarium), Commentaire sur
les Psaumes

La présentation de saint Athanase dans cette lettre8 se

8
On attribue aussi un livre d’Exposition sur les psaumes à
Athanase d’Alexandrie, qui dans l’édition de Migne (PG 27) suit

10
distingue, cependant, des autres commentaires de plusieurs
façons :
- il ne donne pas simplement un commentaire (exégé-
tiques ou spirituels) des psaumes individuels mais
bien un traité complet sur le Psautier comme tel.
- Il centre son attention sur les versets particuliers.
- Il prend les moines – un ancien – comme maître, mais
sans abandonner son souci pour une juste théologie et
l’interprétation de l’Écriture appris dans l’école caté-
chétique d’Alexandrie dont Origène fut le fondateur.

Il va sans dire que l’exégèse de psaumes a été marquée


par d’importantes évolutions depuis le 4ème/5ème siècle. En
revanche, le commentaire athanasien, auquel les biblistes
ont prêté peu d’attention, n’a guère vieilli, précisément du
fait qu’il traite de la particularité du Psautier parmi les
livres des Saintes Écritures, de l’intertextualité – voilà un
mot moderne pour décrire une réalité très ancienne9 – de
son contenu avec les autres livres, de son contenu
théologique en rapport (tacite) avec la confession de foi du
Concile de Nicée (325), son emploi dans le combat

directement l’Epistula ad Marcellinum et précède un autre


ouvrage De titulis Psalmorum. L’Expositio (en grec et latín)
couvre environ 500 colonnes et le De titulis près de 800.
9
Cf. S. RABAU, L’intertextualité, Paris, Flammarion, 2002.

11
spirituel et le chant. Ce texte est vraiment d’une grande
richesse surtout spirituelle.

Dans cette présentation, nous allons procéder en six


étapes : Nous dirons un mot de saint Athanase, rappelant
ce que nous savons de lui et ce qu’il dit de lui-même dans
cette lettre. Ensuite, nous traiterons très brièvement du
destinataire, Marcellin. Nous résumerons les qualités que
saint Athanase reconnaît au Psautier parmi les livres de la
Bible. Puis, dans l’analyse de la structure de la lettre à
Marcellin, nous ferons ressortir son contenu théologique et
l’emploi des psaumes dans les circonstances concrètes de
la vie chrétienne.

12
II. Athanase, Marcellin et l’ancien

La vie d’Athanase

Saint Athanase, évêque d’Alexandrie pendant 45 ans


(328-373), nous est connu principalement comme le
défenseur de la foi orthodoxe contre l’évêque Arius (256-
10
336) et les ariens et comme le propagateur du
monachisme en Occident avec sa Vie de saint Antoine. En
revanche, relativement peu d’attention a été prêtée à son
approche de la Bible. Pourtant, ce thème est intéressant et
important, surtout pour deux raisons : d’une part, la Bible
était le fondement de sa pensée doctrinale – pas de
séparation entre Bible et théologie – et, d’autre part, les
Saintes Écritures, de l’Ancien et du Nouveau Testament,
avaient une place non négligeable dans son enseignement
pastoral. De ce dernier fait témoignent en particulier deux
textes : le Lettre festale 39 (367) qui traite du Canon des
Écritures et la Lettre sur le Psautier qui date probablement
du temps de son dernier exil, passé chez les moines.
Au moment de la naissance d’Athanase, vers 296-298,

10
Cf. Rowan WILLIAMS, Arius, Grand Rapids, Eermanns, 1987;
A. GRILLMEIER, CTC I, chapitre 2: « Arius et l’arianisme »,
Herder, 21979.

13
Alexandrie est le grand centre culturel, religieux 11 et
commercial de l’Orient. Tous ceux qui veulent approfondir
sérieusement la théologie chrétienne viennent y étudier,
notamment dans l’école fondée par Origène. Cette ville a
été marquée, en plus, par la présence de théologiens et
d’exégètes tels que Philon, Clément d’Alexandrie et, plus
tard, Didyme l’Aveugle. Cependant, si le travail exégétique
de ces hommes a fécondé la pensée chrétienne et aidé à
approfondir la lecture des Sainte Écritures, leurs tendances
philosophiques sont généralement nettement rejetées.
D’autre part, les mouvements hérétiques s’y trouvent aussi
installés, et notamment Arius (ordonné prêtre par le
Patriarche Pierre d’Alexandrie) et ses adeptes, avec qui
Athanase aura maille à partir pendant la plus grande partie
de sa vie. En effet, en raison de sa lutte contre Arius et ses
partisans, tantôt soutenus et tantôt condamnés par les
empereurs successifs, Athanase sera exilé pas moins de
cinq fois de sa ville épiscopale :
De 335 à 338, il se trouva à la cour impériale, alors à
Trèves ; de 339 à 346, il était à Rome, auprès du pape Jules
1er (canonisé) ; puis de 356 à 362, Athanase se cacha chez

11
L’Église patriarcale, qui compte plus de 100 évêques autour
du patriarche Alexandre d’Alexandrie, est très diversifiée
ethniquement et culturellement, avec des influences égyptienne,
grecque, latine et même syrienne.

14
les moines de la Thébaïde dans ces années tout comme lors
des deux autres exils en 362 et de 365 à 373. C’est dans ce
même milieu monastique qu’il avait vécu un temps dans sa
jeunesse.
Il nous sera utile de brièvement synthétiser la forme de
vie des moines 12 . Les moines anachorètes (du grec
anachōrētḗs = quelqu’un qui se retire du monde) de la
Thébaïde, en haute Égypte (dans le désert au pied des
collines au sud d’Alexandrie). Athanase donne un aperçu
de leurs lieux d’habitation dans la Vie d’Antoine, 44,2 :
« Dans les montagnes, les ermitages étaient comme des
tentes remplies de chœurs divins chantant des psaumes13 ».
Les moines vivaient le plus souvent dans la solitude
mais se rencontraient le samedi et le dimanche pour
célébrer la synaxe (l’eucharistie), prendre le repas
ensemble et écouter des conférences spirituelles. Les
autres jours, ils faisaient du travail manuel et récitaient
chaque jour l’intégralité du Psautier. Ce livre nourrissait
leur prière et les aidait à progresser dans la connaissance
de Dieu et de son dessein de salut. Plus encore, le Psautier

12
Pour une description plus approfondie, voir la Vie de saint
Antoine le Grand écrite par Athanase d’Alexandrie vers 360 pour
des moines en Occident.
13
Cité dans J.-L. VESCO, Le Psautier de David, I, Paris, Cerf,
2006, coll. « Lectoi Divina » , p.20, note 2.

15
les guidait dans leur réponse, d’une part, en les aidant à
connaître toujours mieux le cœur de l’homme – leur propre
cœur – et, d’autre part, à mener le nécessaire combat
spirituel. Il est intéressant de noter que saint Pacôme dans
la deuxième partie de sa règle indique que si quelqu’un
veut devenir moine, qu’on lui apprenne d’abord la prière
évangélique, puis la psalmodie (cf. aussi nos 16 et 17).
Athanase a reçu sa formation chrétienne intellectuelle à
Alexandrie. C’est là qu’il a aiguisé son esprit pour le
combat contre l’hérésie arienne, mais il a reçu sa formation
spirituelle – « le vrai chemin de la perfection14 » – chez ces
moines et notamment de saint Antoine, le père des
moines15, auprès de qui il a vécu un temps. Nous trouvons
un reflet de cette spiritualité et de son rapport avec
l’Écriture Sainte dans le Traité sur l’Incarnation
d’Athanase :
En plus de l’étude des Écritures et la vraie science, il
faut une vie bonne, une âme pure et la vertu selon le Christ,
pour que l’esprit, marchant dans ce sens, puisse obtenir et
saisir ce qu’il désire. Car sans une pensée pure et
l’imitation de la vie des saints, personne ne saurait
comprendre les paroles des saints (Sur l’Incarnation 57,1-

14
ATHANASE D’ALEXANDRIE, La vie de saint Antoine, prologue.
15
Saint Antoine est décédé le 17 jenvier 356, à l’âge de 105 ans.

16
2).

Enfin, la personnalité d’Athanase apparaît aussi à


travers cette lettre. Nous pouvons résumer ce qu’il révèle
de lui-même dans ce qu’il dit à Marcellin dans
l’introduction :
- Athanase aime le livre des psaumes.
- Il est proche du monachisme et se fie à un ancien pour
une introduction au psautier.
- Il est attentif au plus petit d’entre les frères de sa
communauté et tient compte de la fragilité de celui à qui il
parle – il ne parle pas d’ascétisme, au sens de discipline
corporelle, dans ce texte.
- Il reconnaît la dignité de son interlocuteur et la
recherche sincère de Marcellin
- Il prend le temps au milieu de ses grandes occupations
épiscopales pour répondre à un simple laïc et accompagner,
comme pasteur, son cheminement.

Marcellin

La question du destinataire telle que l’on traite


généralement demande une petite remarque sur la méthode
de lecture et d’analyse d’un texte. Les auteurs notent que
le nom « Marcellin » était très répandu à l’époque. Puis, ils

17
tentent d’identifier sa personne et avancent, en autres, les
hypothèses suivantes : moine, prêtre, médecin, voir évêque,
mais plus d’un conclut que nous n’en savons rien. Il me
semble que le profil de cet homme, tel qu’il apparaît dans
le texte, est à la fois intéressant et utile pour le lecteur
d’aujourd’hui. Voici donc ce qu’Athanase révèle :
– tout d’abord, Marcellin est laïc pieux ; un moine
aurait reçu le même enseignement essentiel au début de sa
vie monastique
– Athanase, l’admire pour sa prersévérance dans son
propos et dans l’ascèse. Il faut nous arrêter sur ces deux
mots qui à l’époque de cette lettre étaient déjà passés du
vocabulaire de la philosophie grecque à la philosophie
chrétienne et, un siècle plus tard, feront partie du
vocabulaire monastique. Le mot propos, en latin
propositum et en grec skopos, a été étudié dans un article
par M. Harl16 ; nous relevons ici ce qu’elle dit de l’emploi
chez saint Athanase :
– Dans une autre lettre Athanase dit que les fidèles
doivent prendre en considération « son skopos de la

16
Marguerite HARL, « Le guetteur et la cible : Les deux sens de
skopos dans la langue religieuse des Chrétiens », Revue des
Études Grecques, t. 74, fasc. 351-353, juillet-décembre 1961,
450-468. Pour S. Athanase, voir les pages 456, 460-461 et 465.

18
vérité 17 », c’est-à-dire le souci qu’il a de viser la vérité
(Harl, p. 456)
– Pour Athanase, la route de la vérité tient son skopos
vers Dieu, il faut avoir son skopos vers la vérité 18 , y
compris quand on lit l’Écriture19,
— Il offre au moins deux exemples de skopos au sens
de règle d’orthodoxie : Dans son troisième Discours contre
les Ariens, Athanase conseille de « prendre le skopos de la
foi chrétienne et de s’en servir comme d’une règle 20 » ;
puis, il affirme que les ennemis du Christ n’auraient pas
fait naufrage en ce qui concerne la foi « s’ils avaient pris le
skopos de l’Eglise comme ancre de leur foi 21 ». Cela
correspond bien à ce que nous disions, au départ, de
l’insistence sur la règle de la vérité ou de la foi.
D’autre part, skopos a aussi le sens d’image d’une cible
que l’on peut traduire en langage chrétien par « norme » –
selon laquelle on juge – ou de visée ou de modèle. Harl
écrit : « Ce dernier sens est bien attesté dans la langue
d’Athanase : “II faut, écrit-il, que nous vivions sur le

17
Ad Pall. : PG 26, 1168 D.
18
C. Gentes 30 : PG 25, 60 C ; Hist. arian. ad Mon. 79 : PG 25,
789 B.
19
Ep. ad Serap. 5 : PG 26, 689 C.
20
C. Arian. III 28 : PG 26, 385 A.
21
Ibid., 58, 445 A.

19
modèle des saints et des pères et que nous les imitions22”.
Ajoutons que le modèle par exellence est, évidemment, le
Christ lui-même (voir le nº 13 de la lettre).

Le thème de l’acèse dans la région d’Alexandrie est


traité par Jean Daniélou dans son livre sur Origène. Il nous
suffit de citer quelques lignes :

C’est donc un aspect nouveau de la vie chrétienne


d’alors que nous entrevoyons ici à travers Origène. Il
est remarquable d’ailleurs qu’il nous apparaisse chez
celui-ci comme lié à la mystique du martyre. Si l’ascèse
chrétienne s’est souvent exprimée au IIIe et au IVe siècle
dans les formes empruntées à la vie des philosophes,
cela ne lui enlève aucunement son caractère propre :
elle est essentiellement eschatologique, c’est-à-dire
qu’elle est fondée non pas, comme l’ascèse païenne, sur
le mépris du corps et la purification de l’intelligence,
mais sur l’attente de la réunion avec le Christ et sur le
caractère provisoire du monde présent, selon l’esprit de
saint Paul …23

22
Εp. ad Dracont. 4 : ΡG col. 528 B. Harl suggère aussi
ORIGÈNE, Hom. in Ez. VII, 3.
23
Jean DANIÉLOU, Origène, Paris, La Table Ronde, 1948, 27-28.

20
Ainsi, Marcellin, désireux de vivre à fond la vie
chrétienne, lit la Sainte Écriture et pose des questions sur
le Psautier à son évêque. Notons que, s’il avait été prêtre
ou évêque, il n’aurait pas eu besoin de faire cette demande
car il aurait déjà reçu, dans sa formation, l’enseignement
biblique à Alexandrie.

– Enfin, cet homme a souffert d’une maladie et se remet


doucement, mais il ne néglige pas pour autant sa santé
spirituelle.

En conclusion, nous pouvons avancer une hypothèse à


notre tour : Marcellin est probablement un bon exemple de
la fécondité de la cure pastorale de l’évêque d’Alexandrie
et aussi, pour nous aujourd’hui un bel exemple de vie
chrétienne.

21
Exergue : L’interprétation des Écritures : l’école
d’Origène

Nous venons de mentionner l’enseignement biblique à


Alexandrie et il est bon de nous y arrêter un moment, car
Athanase y a été formé, notamment à l’approche
origénienne des sens des Écritures.

Dans les premiers siècles de l’Église, la Sainte Écriture


a été comparée à une vaste forêt ou encore à une mer très
profonde24. Aujourd’hui encore, en abordant la Bible, nous
pouvons avoir le même sentiment de dépaysement, à la fois
dans l’espace et dans le temps. Nous entrons en effet dans
« les labyrinthes des mystères de Dieu25 », où Il se révèle,
fait alliance avec son peuple et nous parle, en Église et
personnellement. Face à ce défi de l’Écriture, Origène,
catéchiste à Alexandrie au 2ème siècle, a cherché à ouvrir
des voies vers l’intelligence des textes bibliques. Il l’a fait
en distinguant le sens littéral du sens spirituel, et en
insistant notamment sur le sens allégorique. Ensuite,

24
Les deux lieux sont en contraste avec les villages ou villes
habités. Pour des références, voir Henri DE LUBAC, Medieval
Exegesis, vol. 1 : The Four Senses of Scripture, Grand Rapids,
MI, T & T Clark, 1998, ch. 2, notes 1-5.
25
SAINT JÉRÔME, Sur Ezéchiel, 14, préface.

22
d’autres exégètes liés à l’école d’Alexandrie – notamment
Jérôme, Ambroise de Milan et Augustin – ont précisé et
popularisé cette distinction en Occident. Enfin, au Moyen
Âge, l’auteur d’un vers repris dans le Catéchisme de
l’Église catholique a clairement décrit les quatre sens de
l’Écriture : « Littera gesta docet, quid credas allegoria /
Moralis qui agis, quo tendas anagogía – Le sens littéral
enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire, le
sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut
tendre » (CEC nº 118).
Approfondissant aujourd’hui, nous pouvons dire ceci
au sujet des 4 sens de l’Écriture : le sens littéral, qui est la
base du sens spirituel 26 , raconte – dans le contexte
spécifique des différentes époques de rédaction – l’histoire
d’Israël (AT), de Jésus et des origines de l’Église (NT). Ces
récits font, surtout depuis le début du 20e siècle, l’objet
d’importantes recherches scientifiques, historico-critiques,
d’un travail exégétique qui « apprend… à se mettre en face
du texte, à le respecter, à essayer de lui faire dire ce qu’il
veut dire27 ». Cependant, Benoît XVI, suivant Dei verbum

26
SAINT JÉRÔME, Sur Ez. 38, 1 ss. ; 41, 23 ss. ; 42, 13 s. ; Sur
Marc 1, 13-31 ; Ep. 129, 6, I ; puis saint THOMAS D’AQUIN, S. th.
Iª, q. 1, art. 10, ad 1. Cf. aussi BENOÎT XV, Spiritus Paraclitus à
l’occasion du XVe centenaire de la mort de saint Jérome, nº 54.
27
Jacques GUILLET - Ch. EHLINGER, Habiter les Écritures, Paris,

23
12, a souligné qu’il est essentiel de dépasser ce niveau de
lecture pour découvrir « ce que l’Esprit Saint nous dit
aujourd’hui à travers les mots du passé »28. S. Jérôme, à
son époque, avait déjà dit la même chose dans un langage
imagé : « chaque passage des livres divins à une écorce
vive et chatoyante, la moelle en est plus douce encore. Qui
veut goûter l’amande brise l’écorce29 ».
Les 3 sens spirituels représentent ce passage de la
lecture littérale de la Bible vers les profondeurs de la Parole
de Dieu, inspirée aux auteurs bibliques par l’Esprit Saint.
1. Le sens allégorique ou typologique, se trouve déjà
dans le Nouveau Testament. Jésus lui-même y recourt dans
le discours du pain de vie (Jn 6), quand il dit qu’il est « le
pain descendu du ciel » et fait le lien avec la manne que
Dieu donna aux Hébreux (Jn 6,31 ; cf. Ex 16,15). Puis, en
Lc, ouvrant l’intelligence des disciples sur la route vers
l’Emmaüs, pour qu’ils comprennent les Écritures, « en
commençant par Moïse [la Torah] et par tous les prophètes,
il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le

centurion, 1993, p. 281.


28
Cf. BENOÎT XVI, Réflexion à l’ouverture de la 6ème
congrégation, 6 oct. 2008, cité dans : D. Auzenet, Beauté et
richesse de la Parole de Dieu, Nouan-le-Fuzelier, Eds des
Béatitudes, 2009, p. 14.
29
SAINT JÉRÔME, Ep. 58, 9, 1.

24
concernait ». En effet, les deux Testaments pointent vers le
Christ 30 , l’annoncent et le font connaître comme le
Sauveur envoyé par Dieu pour conduire ceux qui le
reçoivent à la plénitude de la vie. Sur cette même ligne, on
rencontre l’interprétation typologique chez saint Paul :
Adam est la figure du Christ (cf. Rm 5,14) et chez S. Pierre :
le déluge est la figure du baptême (1 P 3,20-21). Ainsi, ce
sens coïncide avec la vertu de la foi – quid credas – qui naît
de la prédication (cf. Rm 10,17).
2. Le sens moral ou tropologique indique la réponse
appropriée – qui agis – à cette prédication dans la diversité
des circonstances et des relations interpersonnelles, avec
Dieu, avec autrui et dans la société. Il s’agit d’une réponse

30
SAINT BONAVENTURE, dans son Breviloquium dit, par
exemple, ceci : « L’origine de l’Écriture ne se situe pas dans la
recherche humaine, mais dans la divine révélation qui provient
du Père des lumières, de qui toute paternité au ciel et sur la terre
tire son nom. De lui, par son Fils Jésus Christ, s’écoule en nous
l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses
dons à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée et,
par la foi, le Christ habite en nos coeurs. Telle est la connaissance
de Jésus Christ de laquelle découle, comme de sa source, la
fermeté et l’intelligence de toute la sainte Écriture » (La liturgie
des heures, Office des lectures, temps ordinaire, lundi de la 5ème
semaine). Pour l’allégorie chez S. Paul, voir Ga 4,24 où il parle
de l’allégorie des deux alliances.

25
d’amour à l’amour de Dieu Créateur et Sauveur, comme le
Christ l’indique en Mt 22,40 31 . La Bible non seulement
raconte mais elle engage les lecteurs32. On y rencontre des
enseignements éthiques explicites – par exemple, le
Décalogue (Ex 34 et Dt 4), la Loi de sainteté (Lv 17-26) et
dans le Sermon sur la montagne (Mt 5,17 ss.) – mais aussi
des récits comme celui de David et Bethsabée (2 S 11-12)
ou la parabole des dix talents (Mt 25,14-29). – Ainsi, en
stimulant le discernement, la conversion du cœur et
l’action à la lumière de la charité, ce sens informe la vertu
théologale de charité.
3. Le sens anagogique (du grec anagogikos = élévation)
montre la direction et le but qu’est le Royaume de Dieu.
Or, précisément parce que le Royaume, déjà inauguré par
le Christ par sa présence dans le mystère de l’Église, est
encore en devenir au milieu de nous (cf. Lc 17,21), ce sens
est à la fois mystique, car il implique une entrée progressive
dans le mystère de Dieu Trinité, et eschatologique du fait
qu’il parviendra à son plein épanouissement dans la paix et
la joie de la vie éternelle. Ainsi, il correspond à la vertu
théologale de l’espérance.

31
Cf. aussi Ga 5,14.
32
Selon Dom Célestin CHARLIER, La lecture chrétienne de la
Bible, Paris, Eds de Maredsous, 1964, p. 36 : « Le génie de la
Bible est un génie d’engagement et d’engagement religieux ».

26
La Commission biblique internationale, dans son
document sur l’interprétation de la Bible dans l’Église33, a
consacré un paragraphe à encore un autre sens : le sensus
plenior, qui n’est pas sans susciter des problèmes. Il est
défini comme le sens le plus profond, voulu par Dieu et
inspiré par l’Esprit Saint, mais que l’auteur humain n’a pas
clairement exprimé34. On découvre son existence quand un
passage est approfondi à la lumière d’autres textes
scripturaires qui l’utilisent ou dans son rapport avec le
développement interne de la révélation 35 . Le problème
réside dans « le risque d’une lecture subjective privée de
toute validité », s’il manque le contrôle nécessaire. C’est
alors l’occasion de souligner qu’il faut toujours interpréter
les textes bibliques en Église. Nous avons mentionné
l’importance donnée à la « règle de la vérité » au 4e siècle

33
COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interpretazione della
Bibbia nella Chiesa, 1993, § 3:
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/pcb_d
ocuments/rc_con_cfaith_doc_19930415_interpre
tazione_it.html.
34
Loc. cit.
35
C’est le cas par exemple d’Is 7,4 lu en lien avec Mt 1,23, ou
encore de la définition du péché originel à Trente qui révèle le
sensus plenior de Rm 5,12-21, où Paul parle des conséquences
du péché d’Adam pour l’humanité.

27
et il en va donc de même aujourd’hui.
Il nous faut garder l’enseignement sur les sens à l’esprit
en lisant la lettre à Marcellin.

L’ancien

De même que l’on a avancé des hypothèses pour tenter


d’identifier le destinataire de cette lettre, on a posé des
questions sur l’identité de l’ancien qui avait présenté le
psautier à Athanase. Certains auteurs ont suggéré qu’il
n’est qu’une figure de la plume d’Athanase alors que
d’autres l’ont cherché parmi les moines de la Thébaïde.
Comme dans le cas de Marcellin, nous n’en savons rien.
Mais nous pouvons être sûrs d’une chose : il représente aux
yeux d’Athanase et pour son lecteur, un représentant
éminent de la culture monastique. De plus, sachant
qu’Athanase a passé un certain temps chez les moines dans
sa jeunesse et qu’il fut donc naturellement initié à la
psalmodie par un abba, nous pouvons imaginer que
l’ancien dont Athanase rappelle la conférence sur les
psaumes36, qui s’est gravée dans sa mémoire et dans sa vie,

36
Il serait d’ailleurs intéressant de comparée du point de vue
littéraire la lettre à Marcellin avec les Collationes ou
Conférences des Pères de Scété écrites par Jean Cassien quelques

28
fut son « maître de novices ».
Nous pouvons résumer en quelques lignes l’essentiel de
l’approche monastique au Psautier. Tout d’abord, la
récitation des psaumes n’est pas limitée à la liturgie. Si,
comme S. Pacôme l’a demandé, l’aspirant à la vie
monastique apprend à psalmodier dès son arrivée, c’est
parce que la récitation du psautier occupe la majeure partie
du jour et de la nuit du moine. En effet, chacun le récite
tout entier chaque jour, y trouvant :
- La méditation sur l’histoire du salut
- La contemplation de Dieu et de l’œuvre de la Sainte
Trinité
- Sa propre image, comme dans un miroir et
- Une aide efficace dans le combat spirituel

Ce sont là les clés de lecture qu’Athanase transmet dans


la lettre à un fervent laïc. De fait, si la vie monastique est
en quelque sorte un lieu pour des spécialistes de la vie
spirituelle chrétienne, ce que les moines enseignent est
aussi utile pour les chrétiens dans le monde. Mais Athanase,
qui a sans doute lui-même pratiqué cette approche du

décennies plus tard, car dans les deux cas nous trouvons le même
genre de mise en scène pour transmettre le meilleur de la doctrine
monastique.

29
Psautier, ne fait pas que transmettre l’enseignement de
l’abba ; il l’élabore et l’actualise, l’adaptant aux besoins de
la pastorale de l’époque où il écrit. Car il s’agit d’une
approche du texte biblique qui est aussi vivante que l’écrit
biblique lui-même.

30
III. Le Psautier au centre de l’Écriture

Sainte

Les moines, et Athanase avec eux, donne une si grande


importance au Psautier parce que ce livre occupe la place
centrale dans l’Écriture Sainte, composée de l’Ancien et du
Nouveau Testament. Ce livre est comme un jardin où l’on
trouve des choses contenues dans d’autre livres mais aussi
des trésors qui lui sont spécifiques37. Notons qu’il s’agit de
la Septante (souvent indiquée par le sigle LXX), c’est-à-
dire traduction grecque de la Bible effectuée à Alexandrie
vers 270 av. J.-C. C’est cette version qui devint la Bible des
chrétiens dont le « canon » était en voie de consolidation à
l’époque de l’épiscopat de S. Athanase38. L’accès au texte
était facilité par le codex. En effet, à la différence des juifs,
les chrétiens n’utilisaient pas les rouleaux des écritures
mais le codex – l’ancêtre du livre inventé à Rome au 2ème
siècle – qui était plus facile à transporter, consulter et, en
temps de persécution, à cacher.

37
Chapitres 1 et 10-13.
38
Voir l’extrait de sa lettre festale 000 ici à la fin de ce volume.

31
IV. La structure générale et analyse du

contenu

de la Lettre sur le Psautier

Voici le plan :
• 1-9 : Salutation. Première Partie : La spécifi-
cité du Psautier parmi les livres de la Bible et
son contenu théologique
• 10-13 : Deuxième partie : L’appropriation des
psaumes par celui qui les prie
• 14-26 : L’usage des versets des psaumes (clas-
sifiés selon des thèmes) dans la vie quotidienne
• 27-33 : Comment bien comprendre et chanter
les textes. Salutation finale.

Les deux Testaments et le contenu théologique du


Psautier

L’histoire de la création et l’histoire du salut. Cela


l’amène à mettre en relief des textes qui parlent de
l’économie divine, c’est-à-dire l’action de Dieu dans le
monde et à faveur de l’homme. Dans cette perspective, il
développe la théologie trinitaire, en mettant les projecteurs

32
d’abord sur le Dieu le Père, ensuite sur le Fils qui et Dieu
et, enfin, sur l’Esprit Saint.

1. Dieu se révèle. Le Symbole de Nicée

(325)
Cette première section est centrée sur le Dieu trine et un
confessé par l’Eglise. Elle structurée – mais non limitée –
par le Symbole rédigé en 325 par les pères conciliaires
réunis à Nicée pour condamné Arius et l’arianisme :

1. Le visage du Père

Je crois en un seul Dieu,


le Père Tout-Puissant,
Créateur du ciel et de la terre,
et de toutes les choses visibles et invisibles.

Partant du premier récit de la création dans la Genèse,


Athanase relit dans le psaumes, l’histoire de la création,
l’élection du peuple hébreux et sa libération d’Égypte avec
l’envoi de Moïse et d’Aaron suivi des plaies. Il continue en
rappelant la Tente de la rencontre et l’appel à l’action de

33
grâce et la louange, puis, la vie dans la Terre promise
jusqu’au retour de l’exil babylonien.
Ici, ce qui nous intéresse surtout la théologie
d’Athanase, c’est-à-dire son portrait de Dieu, sur l’arrière-
fond du premier article du Symbole de Nicée-
Constantinople (conciles célébrés en 325 et 381). Dieu est
Créateur et Père, proche de son peuple qu’il accompagne
et guide sur son chemin dans l’histoire. Il le soutient, mais
permet que le malheur frappe ceux qui s’opposent à son
projet pour son peuple. Nous verrons plus loin cette image
contrastée, où apparaissent la toute-puissance, la
domination, l’amour et la rétribution, développée avec plus
de nuances dans les rapports concrets avec les hommes.
Dans cette section de son introduction au Psautier,
Athanase montre par des exemples comment lire les
psaumes en relation avec l’Ancien Testament. Deux
approches complémentaires ressortent : d’abord, sa lecture
se tient au niveau du sens littéral (pour l’explication de ce
terme, voir l’encadré suivant) du texte des Psaumes et des
passages des autres livres, pour dégager les faits dont Dieu
et son peuple sont les protagonistes principaux. Ensuite,
notant le rapport entre le Psautier et les autres écrits, il fait
appel à l’intertextualité. Concrètement, le verset qui
évoque une figure ou un événement renvoie en fait à toute
l’histoire et son contexte dont un autre livre traite plus en
détail. Athanase met ce genre de rapport en lumière, mais

34
il laisse au lecteur le travail de la découverte du même type
de rapport entre d’autres psaumes (« historiques ») et récits
de l’Ancien Testament. En s’appliquant à ce travail, on
découvre toujours plus le vrai visage nuancé du Dieu qui
se révèle à son peuple, le visage du Dieu qui est présent et
proche de celui qui le prie en psalmodiant.

2. Toute l’Écriture parle du Christ

Et en un seul Seigneur Jésus-Christ,


Fils unique de Dieu, engendré du Père,
c’est-à-dire de la substance du Père.
Dieu de Dieu, lumière de lumière,
vrai Dieu de vrai Dieu ;
engendré et non fait, consubstantiel au Père ;
par qui toutes choses ont été fait au ciel et sur la terre.
Qui pour nous autres hommes et pour notre salut,
est descendu des cieux,
s’est incarné et s’est fait homme ;
a souffert et est mort crucifié sur une croix,
est ressuscité le troisième jour,
est monté aux cieux,
et viendra juger les vivants et les morts.

35
Dans la deuxième section, la lecture est centrée sur
la prophétie dans les psaumes ou, mieux dit, dans des
versets de psaumes. Cette lecture est fondée dans le
Nouveau Testament de deux façons : tout d’abord par
l’entretien de Jésus avec les disciples sur le chemin
vers Emmaüs, où « commençant par Moïse et par tous
les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures
ce qui le concernait » (Lc 24,27). Cette lecture de
l’Ancien Testament, et notamment des psaumes, est
appliquée par les auteurs du Nouveau Testament. Car,
c’est dans les Christ que les Écritures sont accomplies
et qu’elles deviennent compréhensibles 39 . Mais
notons comment les psaumes sont cités dans les écrits
néotestamentaires. Il ne s’agit que très rarement de
plus d’un ou deux versets qui servent pour donner une
valeur spéciale et élucider un fait dans la vie de Jésus,
pour « mettre en évidence le mystère de sa personne
et de sa fonction rédemptrice 40 ». Les Pères de
l’Église aussi ont naturellement appliqué cette
méthode de lecture et cette façon de citer les psaumes.

39
Cf. J.-L. Vesco, Le Psautier de Jésus, vol. I, Paris, Cerf, 2012,
chapitre 1: « Les Écritures Saintes dans le Nouveau Testament »,
pp. 41 ss.
40
P. GRELOT, Le mystère du Christ dans les Psaumes, Paris,
Desclée, 1998, p. 8.

36
Ces textes du Psautier – et aussi d’autres livres de
l’Ancien Testament – dits Testimonia sont importants
parce qu’ils ont aidé à formuler la foi chrétienne. On
en trouve des petites collections chez la majorité des
Pères des premiers siècles, pour qui les Testimonia
constituaient une base de données pour la prédication
et la catéchèse41.
Athanase, au début de la section qui traité du Fils42,
centre son attention sur la lecture prophétique, en
observant que presque chaque psaume exprime ce qui
se trouve dans chez les Prophètes, de même que
certains reflètent le contenu historique d’autres livres
de l’Ancien Testament.
Les citations des testimonia psalmiques
d’Athanase suivent l’ordre de ce que Symbole dit du
Fils. Mais, de plus, leurs l’interprétation est appuyée
sur des textes des Evangiles et quelques thèmes liés
sot inroduits.

41
Cf. Jean DANIÉLOU. Études d’exégèse judéo-chrétienne, Les
testimonia, Paris, Beauchesne,1966.
42
M.-J. Rondeau, dans l’article déjà cité (n. 4), traite largement
de la christologie de la lettre à Marcellin, comparant ses
expressions avec celles que l’on trouve dans d’autres écrits
d’Athanase.

37
Nous devons nous contenter d’un survol 43 en
indiquant les thèmes, relevant les versets cités et la
référence au Nouveau Testament de ceux qui y
apparaissent, et ajoutant quelques courtes
remarques44.

L’avènement du Sauveur
Ps 49,2-3 45 . Ce verset ne se trouve pas dans le
Nouveau Testament, mais comme ses auteurs,
Athanase applique au Christ des versets qui parlent de
Dieu.
Ps 117,26-27 – Mt 21,9 ; 23,39.
Il est le Verbe du Père
Ps 106,20 – Mt 8,8, avec la citation de Jn 1,14.
Verbe est le Fils de Dieu
44,2 – Ce verset ne se trouve pas cité dans le
Nouveau Testament, mais la tradition chrétienne
l’interprète ce psaume comme une évocation des

43
Dans l’introduction un autre petit volume sur l’Exposition sur
les psaumes de S. Athanase, je reparlerai de cette petite
collection importante de versets.
44
Tout ce passage mérite une étude approfondie qui dépasse
notre intention dans cette brève introduction à la Lettre à
Marcellin.
45
La numérotation et les citations sont de la Septante.

38
noces du Roi-Messie avec ou l’Église. Les versets 3 à
10 sont appliqués au Messie et les versets 11 à 17 à la
Reine. L’interprétation christologique du psaume
entier fut, depuis Origène, à la fois importante et
controversée 46 . Ici, en quelques lignes, Athanase le
cite trois fois.
Progéniture du Père, il est son Verbe et sa Sagesse
109 – Mt 22,44 ; Hé 1,13 ; 6,5 ; 10,12-13 ; 1 P 3,22
Le Christ allait lui-même venir
44,7-8 – Le v. 7 est adressé au Fils de Dieu en
Hébreux 1,8-9. Athanase, dans son Premier discours
contre les Ariens, associe les versets 7 et 8 au même
thème47, et cette citation conduit à la mise en garde
contre le docétisme qui suit.
Afin que personne ne pense qu’il vient en
apparence

46
Pour un aperçu de l’emploi de ce psaume dans les écrits des
Pères et écrivains ecclésiastiques avant t chez Origène, voir
Ronald E. HEINE, « Origen on the Christological Significance of
Psalm 45 (44) », Consensus 23/1 (1997), 21-37, esp. pp. 22-23 :
http://scholars.wlu.ca/consensus/vol23/iss1/2.
47
ATHANASE D’ALEXANDRIE Premier discours contre les
Ariens, trad. De l’Archimandrite Cassien :
http://orthodoxievco.net/ecrits/peres/athanase/ariens1.pdf
(consulté le 7.01.2019) et PG 26, 114 C - 115 A.

39
86,5 – Ga 4,26 ; Ep 5,22-23.
L’Incarnation du Verbe et sa naissance d’une
vierge
44,11-12 – Ce verset n’apparaît pas avec ce sens
dans le Nouveau Testament, mais nous nous trouvons
ici dans le contexte de l’initiation de la tradition de
son interprétation mariologique.
Le complot des Juifs, sa mort et sa souffrance pour
nous sauver
2,1-2 – Ac 4,25-28 ; Ap 19,19
21,16-19 – Jn 19,28
87,8 – Les Pères ont associé ce verset à la descente
aux enfers48.
68,5 – Jn 15,25
71,4.12 –Les traditions juive et chrétienne voient
dans ce psaume le portrait du Roi-Messie.
Son ascension corporelle
23,7.9 – 1 Co 2,8 [v. 8]
46,6 – « Dieu monte parmi l’acclamation »
Il siège à la droite du Père
109,1 – voir la remarque ci-dessus.

48
Voir Placide DESEILLE, Les Psaumes. Prières de l’Eglise, en
ligne : https://www.pagesorthodoxes.net/bible/psautier.htm
(consulté le 11.01.2019).

40
La perdition du diable
9,5-6 – « tu fais périr l’impie ». Le sens est encore
plus fort que la deuxième partie de Ps 109, 1.
L’affirmation ne se trouve pas dans le Symbole, mais
elle est essentielle pour la tradition monastique et pour
Athanase. Car la lutte n’est pas contre des hommes
mais contre le diable qui veut conduire l’homme à sa
perte49.
Il a reçu tout jugement du Père
71,1-2 – voir ci-dessus.
49,4.6 – en Jésus les psaumes s’accomplissent
81,1 – idem.
L’appel des nations
46,2 – Hymne eschatologique – le premier des
« psaumes du Règne »
71,9-11 – voir ci-dessus.

49
Dans la Vie de saint Antoine le Grand, la lutte du saint contre
le démon est constant, du début jusqu’à la fin.

41
3. L’Esprit inspire toute l’Écriture

Et au Saint Esprit.

Après avoir montré comment le Psautier parle du Père


et du Fils, Athanase explique que l’Esprit Saint parle dans
le Psautier tout comme dans les autres livres de la Sainte
Écriture50. En effet, pour le saint Patriarche d’Alexandrie,
les Saintes Ecritures sont « symphonie de l’Esprit » (nº 9) ;
l’annonce commune à tous les livres et l’harmonie qui
est son œuvre. Saint Athanase va ici plus loin que l’article
de la foi concernant de le Saint Esprit et nous puvons
reconnaître ce qui fera plus partie de notre Credo, c’est-à-
dire du Symbole de Nicée-Constantinople, rédigé par les
pères conciliaires dans la capitale de l’empire d’Orient en
381, quelques années seulement après la mort de saint
Athanase. Le nouvel article sur le Saint-Esprit dira :

Nous croyons au Saint-Esprit

50
Pour une étude approfondie du nº 9 de la lettre, voir SIEBEN,
HERMANN JOSEPH, « Athanasius über den Psalter. Analyse seines
Briefes an Marcelliuns », dans: ID., « Manna in Deserto ».
Studien zum Schriftgebrauch der Kirchen väter, Cologne,
Koinonia-Oriens, 2002, pp. 14 ss. L’auteur présente aussi des
détails intéressants concernant les images et analogies utilisées
par Athanase – par exemple, la symphonie, le jardin, le miroir.

42
Seigneur et vivifiant,
qui procède du Père,
doit être adoré et glorifié avec le Père et le Fils,
qui a parlé par les saints prophètes.

Notons, cependant, aussi que la place accordée au Père


et à l’Esprit est moindre – comme dans le Symbole de
Nicée (325) – que celui donné au Fils : cela s’explique
justement par le contexte théologique de cette lettre
rédigée une cinquantaine d’années après le Concile dédiée
à la divinité du Fils et sa consubstantialité avec le Père où
Athanase était présent comme prêtre. Mais pour Athanase,
l’importance de l’Esprit n’est pas moindre. Le cardinal
Congar nous éclaire dans le cadre des discussions avec
Sérapion au sujet de la divinité de l’Esprit51 :

[Athanase] ne parle du rapport enter l’Esprit et le Père


qu’à travers son rapport au Fils : c’est entièrement sur
la base de sa théologie christologique qu’Athanase
fonde et défend la divinité de l’Esprit. […] Appliquant
le schéma linéaire-dynamique, du Père par le Fils dans
l’Esprit, Athanase écrit : « le Père est lumière, le Fils
son éclat, l’Esprit celui par lequel nous sommes

51
Cf. ATHANASE D’ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion sur la
divinité du Saint-Esprit, trad. J. Lebon, Paris, Cerf, 1947, SC 15.

43
illuminés » ; « le Père étant source et le Fils étant appelé
fleuve, on dit que nous buvons l’Esprit ». Et ainsi de
suite pour tout ce qui concerne la communication de la
vie divine52.

L’Esprit est ainsi le maître de communication et


d’intelligence qui inspire les prophètes et les auteurs
bibliques mais aussi les lecteurs.

52
Yves CONGAR, Je crois en l’Esprit Saint, Paris, Cerf, 41995,
p. 566.

44
4. Comment se servir du Psautier dans la vie
chrétienne

C’est à l’utilisation des psaumes – ou, mieux dit, des


versets de psaumes – dans la vie chrétienne que l’ancien
porte l’attention dans la deuxième partie de la conférence.
Athanase insiste sur le fait que « les motions de chaque
âme, qui l’a transforment et grâce auxquelles elle se corrige,
y sont marquées et décrites ». Mais avant de lire cette
deuxième partie, il vaut la peine de souligner l’ordre des
parties. Athanase a placé la partie doctrinale avant ce que
l’on pourrait appeler la partie morale. Il fait ainsi
comprendre que la manière dont on vit la vie chrétienne
dépend de la théologie, c’est-à-dire de la connaissance que
l’on a de Dieu et de son dessein pour l’humanité.
Au moment de parler de la prière dans la vie, il convient
donc de garder à l’esprit tout ce que nous avons vu sur Dieu
le Créateur, guide et protecteur de son peuple, du Fils qui
s’est incarné pour le salut de l’homme et de l’Esprit Saint
qui parle dans les Ecritures et nous aide à les comprendre53.
Ce rapport entre la théologie et la prière sera mis en
relief des siècles plus tard par le Docteur de l’Eglise et

53
Voir Hikaru TANAKA, « Athanasius as Interpreter of the
Psalms : His Letter to Marcellinus », Pro Ecclesia 21/4 (2012)
1964 ss. [Kindle].

45
Mater spiritualis sainte Thérèse d’Avila. Dans un livre
essentiel sur L’oraison thérésienne, l’auteur dit ceci :

La répugnance de Teresa pour les raisonnements, pour


les développements philosophiques ou théologiques
dans l'oraison, ne signifie pas qu'elle ait professé une
sorte d'anti-intellectualisme. Dans tous ses écrits, elle
insiste sur la nécessité d'une solide doctrine, sur la
recherche continuelle de la vérité et le rôle qu'à cet
égard doivent jouer les théologiens et les confesseurs.
Elle savait que l'amour se nourrit de la connaissance et
que l'oraison a besoin de bases dogmatiques profondes
et sûres. […] Plus on avancera dans l'oraison, plus le
besoin de doctrine se fera sentir. Mais cette information
continue des vérités de la foi est présupposée au temps
employé à l'exercice de l'oraison54.

Dans cette deuxième section, à la différence de ce qui


précède, il s’agit des psaumes dans leur entier. La liste,
suivant généralement l’ordre du Psautier, qui est dressée
présente par groupes thématiques l’emploi des psaumes
dans la vie ordinaire. On y reconnaîtra facilement les
besoins et la situation – surtout de la persécution, mais

54
Emmanuel RENAULT - Jean ABIVEN, L’oraison thérésienne,
Toulse, Éds du Carmel, 2007, p. 60.

46
aussi des tensions à l’intérieur de la famille et entre soi-
disant amis, et le péché personnel – d’Athanase et des
chrétiens de sa communauté, qui sont souvent encore les
nôtres 55 . C’est dans les psaumes que l’orant trouve la
consolation, l’assurance et la paix du cœur. Le mouvement
de la détresse à la louange confiante en Dieu apparaît
souvent.
Àthanase ne commente pas les psaumes ou leurs titres,
auxquels il réfère à plusieurs reprise ; il le fera dans son
Exposition sur les psaumes et les Commentaires des titres
des psaumes 56 . Mais grâce à la présentation simple et
ordonnée, le lecteur de la lettre n’a pas besoin de
mémoriser ce qu’il convient réciter dans telle ou telle
situation, mais ayant la liste à portée de main, trouvera
facilement les psaumes dont il a besoin. C’est une façon
d’aborder les psaumes qui ressemble un peu à la manière
dont les moines utilisaient versets psalmiques comme
prières jaculatoires mais ici l’exposition d’Athanase
conduit à une autre aspect essentiel dans le contexte

55
On peut aussi, en suivant la méthode présentée ici, se servir
par exemple des indexes thématiques donnés à la fin de certaines
éditions modernes du Psautier.
56
Comme nous l’avons déjà noté ces deux ouvrages suivent la
lettre à Marcellin au début du volume de la Patrologia Graeca
27.

47
liturgique : le chant ou la récitation.
Parlant du chant vers la fin de la lettre, Athanase
souligne avec force ceci : ce que dit la bouche doit
correspondre à l’intention de l’esprit. Et il met en garde
contre toute discordance. C’est un thème essentiel que
nous trouvons développé sur tout en Occident – où,
souvenons-nous, Athanase a passé un certain temps au
contact avec des moines. Pour cette raison, je vais
introduire ici un court exposé de la tradition qui va de saint
Augustin, maître spirituel de l’Occident, à Vatican II en
passant par la Règle de saint Benoît.

« Mens concordet voci »

« Mens concordet voci » est – avec « Lex orandi Lex


credendi » – un des grands principes de la liturgie57. Nous
rencontrons le plusieurs fois dans des textes majeurs de la
réforme liturgique de Vatican, mais elle se trouve déjà
textuellement dans la Règle de S. Benoît (RB 19,7) qui a
pris l’idée qu’elle véhicule de la Règle-Praeceptum
(RA 2,3) du Docteur de la charité, S. Augustin d’Hippone.
Dans ces lignes, nous voulons en approfondir le sens dans

57
S. ANTONI, Cours d’Introduction à la liturgie, Université
catholique de Lyon, 2017, Séquence 1, p.5.

48
l’espoir de pouvoir vivre plus pleinement la liturgie de
l’Église comme un don.
Nous allons d’abord considérer le vocabulaire et la
traduction française. Ensuite, nous allons voir les divers
contextes, depuis S. Augustin jusqu’à la Présentation
générale de la Liturgie des heures (PGLH), où ce principe
liturgique apparaît. Ce parcours nous permettra ensuite de
tenter d’en formuler une interprétation synthétique et de
proposer sa mise en œuvre dans nos célébrations
quotidiennes de la Messe et de l’office divin.

2. Le vocabulaire et la traduction

LE VOCABULAIRE

Voici en résumé les définitions de ces trois mots.


- mens (sg. nom.) signifie, selon le Gaffiot58, la faculté
intellectuelle ou l’intelligence ; la raison et le bon sens ;
l’esprit, la pensée, et la réflexion ; la disposition d’esprit ;
et le courage. L’Olivetti59 ajoute à cela encore penchant,
caractère, sentiment, opinion, avis, sagesse, colère, rage, et

58
F. GAFFIOT, Dictionnaire latin-français, G. GRÉCO, 2016,
resp. pp. 844, 364 et 1434.
59
E. et F. OLIVETTI, Grand Dictionnaire Latin, OMC, 2003.

49
intention, proposition, projet, dessein et plan.
- concordet (3º sg. prés. subj. de concordō) signifie,
selon le Gaffiot, accorder ses jugements et opinions, les
chants aux sons de la lyre, et s’accorder entre frères 60 .
L’Olivetti donne concorder, être en accord, et s’entendre.
Il est intéressant pour nous de noter que l’adjectif connexe
concors signifie, en plus d’« uni de cœur et de sentiment »,
pacifique et paisible.
- voci (sg. dat. de vōx) réfère, pour ce qui nous concerne,
à la voix humaine au chant, au langage et à la parole mais
aussi à un ordre et un commandement.

LES TRADUCTIONS

L’analyse des mots manifeste la richesse du latin mens


concordet voci et signale l’inévitable pauvreté de toute
traduction. Les traducteurs ont dû s’y accommoder surtout
dans le cas de mens, dont les acceptations s’étendent du
concept abstrait d’intelligence jusqu’au projet à mettre en
œuvre. Esprit est probablement le mot français qui s’en
rapproche le plus. Et c’est ainsi que la récente traduction
de la RB le rend. Quant au traducteur des textes du
magistère, il rend toutes les expressions de ce principe

60
Cf. AUGUSTIN D’HIPPONE, Ep. 210,2.

50
emprunté à la RB par l’âme s’accorde/s’harmonise avec la
voix.

3. De la Règle de saint Augustin à la réforme liturgique de


Vatican II
Voyons maintenant le chemin parcouru par ce grand
principe liturgique.
RA 2,3
S. Augustin, en parlant du chant des hymnes et des
psaumes, dit aux frères d’accorder leurs cœurs aux paroles
qui sortent de leurs bouches. Ils doivent se les approprier
dans un acte d’humilité. On saisit l’importance de ce
précepte quand on se souvient de la difficulté du jeune
Augustin à accepter les Saintes Écritures. Philosophe et
rhéteur, il les méprisait, avant d’y trouver la vérité : le
Christ. Il affirmera que les psaumes parlent du Chris et le
Christ prie dans les psaumes. Plus encore : « Les Écritures
sont la chair et le sacrement du Christ, sa présence parmi
nous. Ainsi, accorder son cœur au chant des psaumes
signifie accueillir le Christ et sa parole salvifique.

RB 19,7 (première moitié du VIe s.)


Les moines s’unissent pour l’office divin en présence
de Dieu et de ses anges. S. Benoît reprend l’idée du

51
précepte de la RA 61 , qui a marqué toute la spiritualité
monastique occidentale, pour conclure sur l’attitude
intérieure requise pendant l’office divin : « Alors faisons
bien attention à notre attitude » [en chantant] les psaumes,
« que notre esprit soit d’accord avec notre voix ». A. de
Vogüé donne ce commentaire : « Benoît donne une
singulière importance à l’attention, devenue chez lui
l’unique recommandation précise et l’aboutissement de
tout le chapitre62 ». Pour lui, comme pour S. Augustin, la
prière est un acte d’intériorité.

SC 11 et 90 (1963)
Après avoir parlé, au ch. I, de la présence du Christ dans
la liturgie et affirmé que c’est de « la liturgie […] comme
d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient
avec le maximum d’efficacité cette sanctification des
hommes dans le Christ », SC 11 indique l’attitude
nécessaire, la disposition intérieure, reprenant le principe
monastique et ajoutant une référence à 2 Co 6,1.

61
Il est intéressant qu’une traduction de 1689 rend cette phrase
en reprenant même le vocabulaire de la RA : « que nos cœurs
parlent de concert avec nos bouches » alors que les mots mens et
voci sont inspirés par la Règle du Maître nº 48 (cf. A. DE VOGÜÉ,
La règle de saint Benoît, vol. V, Paris, Cerf, 1977) p. 567).
62
A. DE VOGÜÉ, op. cit., 569.

52
En SC 90, où il est question de l’Office divin comme
« source de la piété et l’aliment de la prière personnelle »,
souligne encore une fois avec force – par une citation
presque exacte de RB 19,7 – cette attitude intérieure et
ajoute la nécessité d’acquérir une connaissance
approfondie de la liturgie, de la Bible et spécialement des
psaumes.

PGLH 19, 105 e 108 (1970)


PGLH 19 est un résumé de SC 11 et 90. La réflexion
sur l’attitude pendant l’Office est prolongée par des
conseils tirés de deux autres documents conciliaires sur la
recherche du Christ, la louange de Dieu et la conformité à
l’esprit « qui animait la prière du divin Rédempteur lui-
même ». Dans le nº 23, donné en note, se trouve le devoir
d’éduquer les fidèles « à l’intelligence chrétienne des
psaumes », ce qui est comparable à SC 90.
SC 105 et 108 traitent des difficultés dans la psalmodie
qui ne correspond pas toujours à nos sentiments. Deux
explications sont données dans ces numéros pour les
dissiper. SC 105, en s’appuyant sur RB 19,6-7, explique
que les psaumes sont « chantés devant Dieu ». Puis, SC
108, rappelle que la liturgie des heures est la prière de
« tout le Corps du Christ » – même quand on la célèbre seul
– et que l’orant tient « la place du Christ lui-même ». La
dernière phrase lie le texte à la dimension psychologique

53
de celui qui psalmodie, trouvant dans l’accord de l’âme
avec la voix un remède qui, dans la charité pour le prochain,
le décentre de soi.

4. Conclusion
Résumons maintenant ce que nous avons trouvé, tout
en sachant que l’étude pourra encore être prolongée.
L’étude du vocabulaire nous a montré la richesse de
l’expression mens concordet voci, qui s’étend du domaine
de l’intelligence jusqu’à l’action dans un projet en passant
par la réflexion et la disposition de l’esprit.
Chez Augustin et Benoît nous avons vu ce qu’est la
juste disposition dans la prière commune de la liturgie.
L’accord de l’esprit ou du cœur avec les paroles ou la voix
qui chante les psaumes est une marque de respect pour
Dieu et pour le Christ qui requiert l’humilité et l’accueil du
don salvifique qu’est la Parole de Dieu dans les Écritures.
Les textes du magistère ont développé la signification
dans ce sens et souligné le double travail qu’implique le
concordet - l’harmonisation. D’une part, il faut cultiver,
par l’étude, la connaissance et l’intelligence de la liturgie
reçue avec confiance comme un don, des psaumes et du
mystère divin pour y pénétrer toujours plus par la prière.
D’autre part, il faut un travail sur soi, pour participer à la
prière du Christ total – Tête et Corps –, faisant siens Ses

54
sentiments et Sa charité dans la prière et – nous pouvons
ajouter – dans une charité active, dans un projet, salvifique
pour autrui.
Ainsi, mens concordet voci est tout un programme pour
notre union, à travers l’opus Dei, avec le Christ dans son
œuvre de salut.

55
V. Conclusion
Nous allons conclure cette brève introduction en citant
trois caractéristiques principales de l’exégèse chrétienne
des psaumes aux premiers siècles, relevées dans The Harp
of Prophecy : Early Christian Interpretation of the
Psalms 63 . Ce faisant, nous comprendrons facilement
comment la lettre à Marcellin, avec sa spécificité, est bien
dans cette ligne et y a contribué :

- Il était supposé, avant tout, que Dieu est la réalité ul-


time, au-delà de l’expérience humaine ordinaire mais
à l’œuvre dans toute l’histoire humaine, y compris
dans la composition et l’interprétation du texte scrip-
turaire.
- Depuis Origène, on suppose que ces Écritures inspi-
rées constituent un seul livre, qui raconte ensemble
l’unique histoire de la création, la pédagogie, le juge-
ment et le salut dont Dieu-Trinité est l’unique auteur.
- Enfin, la Bible ne réfère pas seulement au monde de
l’auteur et ne présente exclusivement son intention
« originale » : elle nous impliquait également… Il

63
Brian E. Daley, S.J. - Paul R. Kolbet (éds), The Harp of
Prophecy : Early Christian Interpretation of the Psalms, Notre
Dame, IND, University of Notre Dame Press, 2015, pp. 13-15.

56
convient donc reconnaître également sa place dans
nos vies.

57
Lettre

de notre père saint Athanase,

Patriarche d’Alexandrie,

à Marcellin

Sur l’interprétation des psaumes

1. Salutation et introduction64

Je t’admire, cher Marcellin, ta constance àa suivre le


Christ. Tu les supportes admirablement l’épreuve actuelle
et toutes les souffrances qu’elle comporte65, sans négliger
l’ascèse. Ayant demandé à celui qu m’a apporté ta lettre
comment tu passes ce temps après ta maladie, j’ai appris
que tu médites sur toute les divines Écritures, t’attachant

64
La meilleure édition grecque, qui tient compte notamment de
celle des Bénédictins de St. Maur, est encore celle de PG 27, 12-
45 publiée en 1857. C’est le texte utilisé ici. Les sous-titres et les
soulignement en gras ont été ajoutés pour aider le lecteur à se
retrouver facilement dans le texte.
65
2 Tm 3,16

58
spécialement au Psaumes et essaies de comprendre le sens
profonde de chacun. Je t’en félicite. Moi aussi j’aime
beaucoup ce livre, comme d’ailleurs toute l’Écriture Sainte.
Avec cette disposition, j’ai rencontré un savant ancien66.
Or, je veux t’écrire ce qu’il m’a dit, Psautier en main.
Son discours éloquent est plein de grâce et d’instruction. Il
disait ceci :

2. Le Psautier parmi les Livres Saints

Mon fils, toute notre Écriture – aussi bien l’Ancien que


le Nouveau Testament – est « inspirée par Dieu et utile
pour l’enseignement 67 », comme il est écrit. Mais le
Psautier demande à ceux qui le prient une grande attention.
En effet, chaque livre de l’Écriture présente et expose son
enseignement particulier. Par exemple, le Pentateuque
parle de l’origine du monde, des actes des Patriarches, de
la sortie d’Israël ud pays de l’Égypte et de la promulgation
de la Loi ; le Triteuque 68 , relate le partage de la terre
promise, les actes des Juges et la généalogie de David ; les

66
Dans la littérature monastique de l’époque, le terme
« ancien » désigne un moine qui a atteint la maturité spirituelle.
67
2 Tm 3,16.
68
Les livres de Josué, des Juges et de Ruth.

59
livres des Règnes69 et des Paralipomènes70 racontent les
faits des Rois, ceux ‘Esdras71 la libération de l’esclavage,
le retour du peuple et la construction du Temple et de la
ville ; les Prophètes annoncent les prophéties concernant la
venue du Sauveur, rappellent les commandements et
réprouvent ceux qui les transgressent et font des prophéties
pour les nations. Quant au Psautier, ce livre est comme un
jardin où l’on trouve toutes ces choses pour qu’on les
chante ; et, de plus, il présente son propre enseignement en
forme de psaumes.

3. Les Psaumes et le Pentateuque

Par exemple, l’enseignement propre de la Genèse est


chanté dans le psaume 18: « Les cieux racontent la gloire
de Dieu, et le firmament annonce l’œuvre de ses mains72 »
et au psaume 23 : « Au Seigneur la terre et toute sa richesse,
le monde et tous ses habitants. Lui-même l’a fondé sur les
mers 73 ». Aux psaumes 77 et 113 sont chantés avec les
paroles suivantes les évènements relatés dans l’Exode, les

69
Dans la Septante, 1 et 2 Samuel et 1 et 2 Rois.
70
Dans la Septante, les livres des Chroniques.
71
Les livres d’Esdras et de Néhémie.
72
Ps 18,1.
73
Ps 23,1.

60
Nombres et le Deutéronome : « Quand Israël sortit
d’Égypte, la maison de Jacob de chez un peuple étranger,
Juda devint son sanctuaire, Israël son domaine74 » (v. 1-2).
Les mêmes faits sont encore chantés das le psaume 104 :
« Il envoya Moïse son serviteur, Aaron son élu. Il mit en
eux les paroles de ses signes et de ses prodiges en terre de
Cham. Il envoya les ténèbres, et il enténébra, et ils
résistèrent à ses paroles. Il changea leurs eaux en sang et
fit périr leurs poissons. Leur terre fit se lever des
grenouilles dans les appartements de leurs rois. Il dit et les
taons et les moustiques vinrent dans toutes leurs
contrées75 ». On voit bien, d’ailleurs, que l’ensemble de ce
psaume et le psaume 105 parlent des mêmes choses. Quant
au sacerdoce et à la Tente, le psaume 28, chanté pendant la
fête des Tentes, dit : « Apportez au Seigneur, fils de Dieu,
apportez au Seigneur de jeunes béliers, apportez au
Seigneur gloire et puissance76 ».

4. Les Psaumes et le Triteuque

Le psaume 106 ranconte les vicissitudes de Josué, fils

74
Ps 113,1-2.
75
Ps 104,26-31.
76
Ps 28,1-2.

61
de Nun, et des Juges, en ces termes : « Ils ont fondé des
villes pour y habiter, et ils ont ensemencé des champs et
planté des vignes77 ». En effet, à l’époque de Josué, la terre
promesse fur doné au peuple. Le même psaume, faisant
référence au livre des Juges, répète souvent que « dans leur
angoisse, ils ont crié vers le Seigneur et Lui les sauva de
leurs craintes 78 ». De fait, en ce temps-là, quand les
Israélites criaient, Dieu suscitait des juges et sauvait le
peuple de ceux qui les affligeaient. Ce qui concerne les
Rois est chanté d’une certaine façon dans le psaume 19, où
il est dit : « Les uns comptent sur leurs chars et les autres
sur leurs chevaux mais nous mettons notre confiance dans
le nom du Seigneur, notre Dieu. Eux, pris dans le filet, sont
tombés, mais nous, nous nous sommes relevés et nous
restons debout. Seigneur, sauve le roi et exauce-nous au
jour où nous t’invoquons79 ». Puis, ce qui concerne Esdras
est chanté au psaume des montées 125 80 : « Quand le
Seigneur ramena les capitfs à Sion, nous étions comme
consolés81 », et de nouveau au psaume 121 : « Je me suis
réjoui quand on m’a dit : “Nous irons à la maison du

77
Ps 106,36-37.
78
Ps 106,6.13.19.28.
79
Ps 19,7-9.
80

81
Ps 125,1.

62
Seigneur”. Nos pieds se tenaient sur tes parvis, Jérusalem.
Jérusalem est bâtie comme une cité où tout ensemble ne
fait qu’un. C’est là que montèrent les tribus, les tribus du
Seigneur, en témoignage pour Israël82 ».

5. Les Psaumes et les prophéties concernant le Verbe

Presque chaque psaume fait référence à ce qu’ont dit les


Prophètes. Le psaume 49 parle de l’avènement du Sauveur
et sa venue comme Dieu en ce termes : « Le Seigneur,
notre Dieu, viendra et se manifestera ; et il ne se gardera
pas le silence83 » et le psaume 117 dit : « Béni soit celui
qui vient au nom du Seigneur. Nous vous avons bénis
depuis la maison du Seigneur. Le Seigneur Dieu nous a
illuminés84 ». Or, que celui qui vient est le Verbe du Père,
cela est chanté au psaume 106 : « Il envoya son Verbe et
les guérit ; et Il les libéra de leurs corruptions85 ». Celui qui
vient est Dieu et c’est le Verbe qui est envoyé. Sachant que
ce Verbe est le Fils de Dieu, le psalmiste fait résonner la
voix du Père au psaume 44 : « Mon cœur a proféré un

82
Ps 121,1-4.
83
Ps 49,2-3.
84
Ps 117,26-27.
85
Ps 106,20.

63
Verbe bon86 » et encore au psaume 109 : « Du sein, avant
l’étoile du matin, je t’ai engendré87 ». De qui d’autre, en
effet, pourrait-on dire qu’il est « généré du Père » sinon son
Verbe et sa Sagesse ? Sachant qu’il est celui à qui le Père a
dit : « Que la lumière soit, et le firmament, et toutes
choses88 », le Psautier ajoute : « Par le Verbe du Seigneur,
les cieux ont été créés et, par le souffle de sa bouche, toute
leur puissance89 ».

6. La venue du Christ

N’ignorant pas que le Christ allait lui-même venir, le


Psautier en parle d’abord précisément au psaume 44 :
« Ton trône, ô Dieu, est pour les siècles des siècles ; le
sceptre de droiture, le sceptre de ton règne. Tu as aimé la
justice et haï l’iniquité. C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a
oint d’une huile d’allégresse de préférence à tes
compagnons90 ». Et pour que personne ne pense qu’il vient
en apparence, au psaume 86, le Psalmiste déclare qu’il se
fera homme et que par lui tout a été fait : « Sion, notre

86
Ps 44,2.
87
Ps 109,3.
88
Gn 1,3-26.
89
Ps 32,6.
90
Ps 44,6-7.

64
Mère, dira : “Un homme, un homme est né en elle et le
Très-Haut lui-même l’a fondée 91 » ; c’est comme s’il
disait : « Et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui et le
Verbe s’est fait chair 92 ». Voilà pourquoi, sachant qu’il
allait naître d’une vierge, il ne le passa pas sous silenc,
mais déclara aussitôt au psaume 44 : « Écoute, fille, et vois,
tend l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père,
car le roi a désiré ta beauté93 ». Ces paroles sont sembables
à celles que Gabriel a prononcées : « Réjouis-toi, pleine
de grâce, le Seigneur est avec toi !94 ». Puis, après l’avoir
appelé Christ, il indique immédiatement sa naissance
humaine d’une vierge, en disant : « Écoute, fille 95 ».
Gabriel appelle certainement Marie par nom parce qu’il
n’a aucun rapport avec la naissance, mais David l’appelle
à juste titre « fille » parce qu’elle est de sa descendance.

7. Le complot des Juifs et la Passion

Après avoir dit qu’il se ferait homme, le Psalmiste

91
Ps 86,5.
92
Jn 1,1.2.14.
93
Ps 44,10-11.
94
Lc 1,28.
95
Ps 44,10.

65
montre logiquement qu’il est passible dans la chair96. Au
psaume 2, prévoyant le complot des Juifs, il chante :
« Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples médité
des choses vaines ? Les rois de la terre se sont dressés et
les princes se sont assemblés contre le Seigneur et son
Christ97 ».
Puis, au psaume 21, le Sauveur lui-même fait connaître
la façon dont il mourra : « Tu m’as conduit dans la
poussière de la mort. Une meutte de chiens m’a entouré,
l’assemblée des méchants m’a assiégé. Ils ont percé mes
mains et mes pieds, compté tous mes os, ils m’ont regardé
et observé, ils ont partagé entre eux mes vêtements et jeté
le sort pour ma tunique98 ». En parlant de ses mains et de
ses pieds percés, que signifie-t-il d’autre que la Croix ?
Après avoir enseigné toutes ces choses, il ajoute que le
Seigneur souffre non à cause de lui-même mais à cause de
nous. Et, de nouveau, en sa personne, il dit au psaume 87 :
« Sur moi s’est déversé ta fureur99 » et au psaume 68 : « Ce
que je n’avais pas volé, devrais-je le rendre ?100 ». Il n’est
pas mort, en effet, parce qu’il était coupable, mais il a

96

97
Ps 2,1-2.
98
Ps 21,15-18.
99
Ps 87,8.
100
Ps 68,5.

66
souffert pour nous et pri sur lui la colère provoquée par
notre transgression, comme le dit Isaïe : « Lui-même a pris
nos faiblesses101 » et comme il est dit au psaume 137 : « Le
102
Seigneur me récompensera ». De même, l’Esprit
l’affirme au psaume 71 : « Il sauvera les fils des pauvres et
humiliera le calomniateur, car il a libéré le pauvre de la
main du puissant et l’indigent qui était sans aide103 ».

8. L’ascension et l’intronisation du Christ. La


vocation des nations

C’est pourquoi, le Psautier prédit aussi son


ascension corporelle dans les cieux et proclame au
psaume 23 : « Princes, élevez vos portes ! Élevez-
vous, portes éternelles ! et le roi de la gloire
entrera104 » et au psaume 46 : « Dieu monte parmi les
acclamations, le Seigneur au son de la trompette105 ».
Au psaume 109, son intronisation est annoncée : « Le
Seigneur a dit à mon Seigneur : “Siège à ma droite jusqu’à

101
Mt 8,17 ; cf. Is 53, 4.
102
Ps 137,8.
103
Ps 71,4.12.
104
Ps 23,7.
105
Ps 46,5.

67
ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds106 ».
Au psaume 9, il déclare aussi à haute voix la perdition du
diable : « Tu t’es assis sur un trône, toi qui juges avec
justice. Tu as menacé les nations et l’impie a péri107 ». Le
Psautier ne cache pas qu’il a reçu du Père toute la faculté
de juger. Au psaume 71, il prédit qu’il viendra comme juge
de tous : « Dieu, donne au roi ton jugement et ta justice au
fils du roi, pour juger ton peuple avec justice et tes pauvres
selon le droit108 ». Au psaume 49, il dit : « Il convoquera
le ciel et la terre pour juger son peuple. Les cieux
annonceront sa justice ; le juge c’est Dieu 109 ». Et au
psaume 81 : « Dieu est dans l’assemblée des dieux. Au
milieu d’eux, il juge110 ».
D’autre part, on peut aussi apprendre la vocation des
nations dans le Psautier, mais surtout au psaume 46 :
« Toutes les nations, battez des mains, acclamez Dieu avec
des cris d’allégresse 111 » et au psaume 71 : « Tous les
Éthiopiens se prosterneront devant Lui, et ses ennemis
lécheront la poussière. Les rois de Tharsis et les îles

106
Ps 109,1.
107
Ps 9,4-5.
108
Ps 71,1-2.
109
Ps 49,4-6.
110
Ps 81,1.
111
Ps 46,1.

68
offriront des présents. Les rois d’Arabie et de Saba
apporteront des offrandes. Tous les rois de la terre
l’adoreront, toutes les nations le serviront112 ».
Toutes ces choses sont chantées dans les psaumes tandis
qu’elles sont annoncées séparément dans chacun des autres
livres.

9. L’Ecriture : Une symphonie composée par


l’Esprit

L’ancien disait encore ne pas ignorer que chaque livre


de l’Écriture contient en particulier une annonce
concernant le Sauveur, l’annonce commune à tous les
livres et l’harmonie qui est l’œuvre de l’Esprit. Or, de
même que l’on peut trouver dans le Psautier ce qui se
trouve dans les autres livres, ainsi on trouve souvent aussi
dans les autres ce qui est propre au Psautier. De fait, Moïse
écrit un cantique113, Isaïe chante114 et Habacuc prie avec
un cantique115. De plus, on trouve dans chaque livre des
prophéties, des préceptes et des récits. Le même Esprit les

112
Ps 71,10-11.
113
Cf. Ex 15,1-18.
114
Cf. Is 42,1-9.10-17 ; 49,1-6 ; et ailleurs.
115
Cf. Hab 3,1-19.

69
anime tous et chacun, selon le don reçu, dispense et porte
à la plénitude la grâce qui lui a été donnée, qu’il s’agisse
de la prophétie, de la loi, du souvenir d’un évènement
historique ou du don des psaumes. Car le seul et meme
l’Esprit, qui confère chaque don, est par nature indvisible
et tout entier présent dans chacun. Cependant, pour chacun,
il y a des manifestations et des distributions diverses116 et
chacun dispense, comme l’Esprit l’a promis, la parole
selon la nécessité du moment. Ainsi, comme je l’ai déjà dit,
parfois Moïse, le législateur, prophétise et chante et les
Prophètes, dadns leurs prophéties, donnent parfois des
préceptes : « Lavez-vous, purifiez-vous117 ». « Ôte de ton
cœur de la malice, Jérusalem 118 » ; d’autres fois, ils
racontent des faits historiques : par exemple, Daniel
raconte l’histoire de Suzanne119 et Isaïe celle le Rabchaqé
et Sennachérib120. De la même façon, le Psautier, dont le
propre est le chant – c’est-à-dire de chanter à voix haute ce
qui est dit en forme narrative dans les autres livres –
comme je le disais, donne dans quelque passages des

116
Cf. 1 Co 12,4-7.
117
Is 1,16.
118
Jr 4,14.
119
Cf. Dn 13.
120
Is 36-37.

70
préceptes : « Laisse la colère, abandonne la fureur121 », et
« Évite le mal et fais le bien ; recherche la paix et poursuis-
la122 ». Et, parfois, il raconte le cheminement d’Israël et
prophétise au sujet du Sauveur, comme cela a été dit plus
haut.

10. La grâce propre du Psautier

Reconnaissons, donc, dans tous les livres cette grâce


reçue de l’Esprit ; on la trouve en chacun, la même en tous,
comme le besoin le réclame et comme l’Esprit le souhaite.
Le plus et le moins n’importent pas dans ce besoin, puisque
chacun remplit son ministère et le porte à son plein
accomplissement. Cependant, le Psautier a encore quelque
grâce propre qui mérite une attention spéciale ; en plus des
différents points qu’il a en communs avec les autres livres,
il possède en propre cette caractéristique merveilleuse : les
motions de chaque âme, qui l’a transforment et grâce
auxquelles elle se corrige, y sont marquées et décrites.
Ainsi, quelqu’un d’inexpérimenté, qui veut y puiser et
s’instruire, peut se former soi-même par ce qui y est écrit.
Dans les autres livres, en effet, on entend seulement la loi

Ps 36,8.121 Ps 36,8.
122
Ps 33,15.

71
ordonnant ce qu’il doit faire et ce qu’il faut éviter ; on y
écoute les prophéties annoncent seulement la venue du
Sauveur et on s’attache aux récits par lesquels on peut
connaître les actes des rois et des saints. Mais dans le
Psautier, on apprend davantage. Le lecteur y perçoit et
apprend connaître les motion de son âme, et après avoir
reconnu les passions qui le font souffrir et le tiennent
prisonnier, il peut trouver dans ce livre un modèle de ce
qu’il doit dire. Ainsi, il ne se contente pas seulement
d’écouter distraitement ; il y apprend aussi comment il faut
parler et agir pour guérir sa passion. Bien sûr, il y a aussi
dans les autres livres des paroles qui interdisant le mal,
mais celui-ci indique en plus comment il faut s’en écarter.
Il prescrit, par exemple, de faire pénitence. Or, faire
pénitence, c’est cesser de pécher. Le Psautier indique à la
fois comment faire pénitence et ce qu’il faut dire en vue de
la pénitence. Paul, de son côté, a dit : « La tribulation
produit dans l’âme la constance, la constance une vertu
éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance, et l’espérance ne
déçoit pas123 », mais dans les psaumes est écrit et expliqué
comment il faut supporter les tribulations et ce que l’affligé
doit dire pendant et apèrs le tribulations, et comment
chacun est éprouvé, et quelles doivent être les paroles de

123
Rm 5,3-5.

72
ceux qui espèrent dans le Seigneur. Il est dit aussi de rendre
grâce en toute circonstance, mais ce sont encore les
psaumes qui enseignent à ceux qui rendent grâce ce qu’ils
doivent dire. Ailleurs on entend que « ceux qui veulent
vivre dans la piété seront persécutés 124 », mais nous
voyons dans les psaumes ce qu’il faut dire en fuyant la
persécution et quelles paroles doivent dire à Dieu les
persécutés et ceux qui ont été libérés de la persécution. On
nous recommande de bénir le Seigneur et de le célébrer,
mais les psaumes nous indiquent comment louer le
Seigneur et par quelles paroles nous pouvons Le célébrer
convenablement. Pour chaque cas, l’on pourrit trouver un
chant divin adapté à nous, à nos motions intérieures et à
notre situation.

11. Des chants écrits pour chacun de nous

Il y a encore dans les psaumes ce fait merveilleux : dans


les autres livres, on lit ce que les saints disent au sujet d’une
situation particulière et l’on apprend les circonstances dans
lesquelles les auteurs ont écrit ; quant à ceux qui les
écoutent, il s’y sentent étrangers aux récits qui ne font que
susciter l’émerveillement, l’émulation et le désirent de les

124
2 Tm 3,12.

73
imiter. Par contre, celui qui prend en main le Psautier
parcourt, avec admiration et vénération, les prophéties
concernant le Sauveur, comme dans les autres livres de
l’Écriture, mais il lit les autres psaumes comme si ces
paroles étaient les siennes. Celui qui les écoutent, tout
comme celui qui les récite, est rempli de componction,
comme s’il les disait lui-même et ses sentiments
s’accordent aux paroles des cantiques comme si elles
étaient les siennes. Pour le dire encore plus clairement, il
n’hésite pas de répéter les mêmes choses, comme le faisait
le bienheureux Apôtre125.
La majorité des paroles dans les Ecritures ont été dites
par les patriarches. Moïse parlait et Dieu lui répondait. Élie
et Élisée, assis sur le mont Carmel, invoquaient le Seigneur
et disaient sans cesse : « Vivant est le Seigneur devant qui
je me suis tenu aujourd’hui !126 » Les paroles prononcées
par les autres saints Prophètes concernent, en premier lieu,
le Sauveur, mais beaucoup d’autres concernent les nations
et Israël. Cependant, personne ne dirait jamais les paroles
des patriarches comme si elles étaient siennes, ni n’oserait
dire et imiter les paroles de Moïse ou celles d’Abraham au
sujet de son serviteur, d’Ismaël, ou du grand Isaac, même

125
Cf. Ga 1,9.
126
1 R 17,1.

74
s’il y en avait quelque nécessité et besoin. Personne non
plus, s’il souffrait avec ceux qui souffrent et était saisi par
le désir de quelque chose de meilleur, ne dirait comme
Moïse : « Manifeste-toi à moi !127 » ou encore : « Si tu leur
remets leur péché, remets-le ! Si tu ne le remets pas, efface-
moi de ton livre, celui que tu as écrit !128 » Enfin, personne
ne se servirait jamais des paroles des Prophètes pour
blâmer ou louer quelqu’un qui accomplit ce qu’ils ont
blâmé et loué ; et personne ne dirait jamais comme Elie
cette parole : « Vivant est le Seigneur devant qui je me suis
tenu aujourd’hui129 ». Il est clair que le lecteur de ces livres
ne dit jamais leurs paroles comme si elles étaient siennes,
mais bien comme celles des saints et de ceux dont il est fait
mention.
En revanche, voici le fait extraordinaire des psaumes :
celui qui les récite – à l’exception de ceux qui contiennent
des prophéties concernant le Sauveur et les nations –,
prononce ces paroles comme les siennes propres. Chacun
les psalmodie comme si elles avaient été écrites pour lui,
et ils les parcourt et les reçoit non comme si un autre les
disait ni comme si elles parlaient d’un autre, mais pour lui-

127
Ex 33,13.
128
Ex 32,32.
129

75
même, parlant de soi et se les appliquant. Quelles que
soient les paroles prononcées, il les présente à Dieu comme
si lui-même les composait et comme si elles venaient de
lui. Celui qui les chantes ne redoute pas celles paroles
comme celles des Patriarches, de Moïse et des autres
Prophètes, mais il est assuré, au contraire, en les disant
qu’elles ont été écrites pour lui et parlent de lui.
En effet, les psaumes contiennent aussi bien les actions
de celui qui a gardé les commandements que ceux de celui
qui les a transgressés. Tout homme peut inévitablement s’y
retrouver, et chacun dit ces paroles écrites pour sa situation,
soit comme quelqu’un qui a gardé les commandements,
soit comme quelqu’un qui les a transgressés.

12. Un miroir de l’âme

Il me semble que, pour celui qui les chante, les psaumes


deviennent comme un miroir dans lequel il peut s’observer
et reconnaître les motions de son âme, et il les récite avec
ces sentiments. De même, celui qui écoute la récitation
reçoit le cantique comme s’il était dit pour lui et, confondu
par sa conscience, est pris de componction, se repent, ou
bien, entendant parler de l’espérance en Dieu et de la
protection accordée aux croyants, se réjouit de ce qu’une
telle grâce lui soit accordée par et commence remercier
Dieu.

76
Donc, quand quelqu’un chante le 3, réfléchissant sur ses
propres afflictions, il considère comme siennes les paroles
de ce psaume ; et, alors il exprime sa confiance en Dieu et
sa prière en récitant les psaumes 11 et 16. Il chante le
psaume 50 comme s’il prononçait les propres paroles de sa
pénitence. Quand il chante les psaumes 53, 55, 56 et 141,
il le fait, non comme si un autre était persécuté, mais
comme souffrant lui-même la persécution et il s’approprie
ces paroles adressées au Seigneur.
Ainsi, chaque psaume est composé et dit par l’Esprit
pour que nous comprenions – comme je l’ai déjà dit – les
motions de notre âme et disions chaque psaume comme s’il
parlait de nous, comme nos propres paroles, pour nous
rappeler nos motions intérieures et corriger notre mode de
vie. Ce qu’a dit l’auteur des psaumes peut nous servir de
modèle et d’exemple.

13. L’exemple du Seigneur

C’est encore la grâce que le Sauveur nous a faite :


devenu homme pour nous, il a non seulement offert son
propre corps à la mort pour nous, afin de nous affrinchir
tous de la mort, mais voulant nous montrer sa façon de
vivre céleste et agréable à Dieu, il s’est donné lui-même en
exemple pour que nous ne soyons plus facilement trompés
par l’ennemi, puisque nous aurons le gage de notre

77
protection, à savoir la victoire qu’il a remportée pour nous
sur le diable. C’est pourquoi il a non seulement enseigné
mais aussi pratiqué ce qu’il a enseigné, pour que chacun,
l’entendant parler et le considérant comme une image, le
reçoive comme son modèle et l’entende dire : « Apprenez
de moi car je suis doux et humble de cœur130 ». On ne
saurait trouver un enseignement plus parfait sur la vertu
que celui que le Seigneur a montre en sa propre personne.
La résignation, l’amour de tous, la bonté, le courage, la
miséricorde, la justice – tout se trouve réalisé en lui, et ainsi
celui qui contemple la vie humaine du Seigneur131 a tout
ce qu’il faut pour savoir parfaitement ce qu’est la vertu.
Saint Paul le savait bien quand disait : « Devenez mes
imitateurs comme je le suis moi-même du Christ 132 ».
Chez les Grecs, les législateurs n’ont que la faculté pour
faire parler ; mais le Seigneur, le vértaible Seigneur de
l’univers, qui prend soin de toutes ses œuvres non
seulement légifère mais se donne lui-même en exemple,
pour que ceux qui le souhaitent aient la force d’agir. C’est
pourquoi, avant sa venue parmi nous, il l’a fait retentir par
l’intermédiaire de ceux qui chantaient les psaumes, afin

130
Mt 11,29.
131
Le texte grec dit « cette vie humaine », mais le texte latin
précise : « la vie humaine du Seigneur ».
132
1 Co 11,1.

78
que, de même qu’il a montré en lui-même le modèle de
l’homme à la fois terrestre et céleste, chacun qui le désire
puisse apprendre des psaumes les motions et les sentiments
de son âme et y trouve comment les guérir et corriger.

14. Apprendre à se conduire

S’il faut donner des preuves encore plus persuasives,


nous pouvons dire que toute la divine Écriture est maîtresse
de vertu et de la vraie foi, mais que le livre des psaumes
offre en plus l’image de la conduite de l’âme. Celui qui se
présente devant le roi soigne son attitude et ses paroles
pour ne pas être rejeté comme étant maléduqué. Ainsi, à
celui qui court pour acquérir la vertu et veut savoir
comment le Sauveur s’est conduit pendant sa vie dans la
chair le divin livre rappelle, à travers la lecture, d’abord
quels sont les motions de l’âme, puis forme et instruit ceux
qui s’appliquent à ces paroles.
On doit noter, premièrement, dans le Psautier, les
différents genres de psaumes : il y a des psaumes
historiques, exhortatifs, prophétiques, et d’autres qui ont la
forme de supplications ou de célébration.
Les psaumes qui présentent des récits historiques sont : 18,
43, 48, 49,72, 76, 77, 88, 106, 113, 126, 136.
Les psaumes en forme de prière : 16, 67, 89, 101, 131, 141.
Les psaumes en forme de dialogue, supplication et

79
demande : 5, 6, 7, 11, 12, 15, 24, 27, 30, 34, 37, 42, 53,
54, 55, 56, 58, 59, 60, 63, 82, 85, 87, 137, 139, 142.
Le psaume 138 est en forme de dialogue et exprime
l’action de grâce.
Les psaumes suivantes sont uniquement dialogal : 3, 25, 68,
69, 70, 73, 78, 79, 108, 122, 129, 130.
La louange s’exprime dans les psaumes 9, 74, 91, 104, 105,
106, 107, 110, 117, 135, 137.
La louange et le récit historique sont présentés ensemble
dans les psaumes 9, 74, 105, 106, 117, 137.
La louange est jointe à la célébration et la narration au
psaume 110.
Le psaume 36 est une exhortation.
On trouve des prophéties dans les psaumes 20, 21, 44, 46,
75.
Annonce et prophétie sont unies dans le psaume 109.
L’invitation et l’exhortation sont esxprimées dans les
psaumes 28, 32, 80, 94, 95, 96, 97, 102, 103, 113.
L’invitation est en forme d’hymne dans le psaume 149.
La vie vertueuse est décrite aux psaumes 104, 111, 118,
124, 132.
Les psaumes 90, 112, 116, 134, 144, 145, 146, 148, 150
sont des psaumes de louange.
Les psaumes 8, 9, 17, 33, 45, 62, 76, 84, 114, 115, 120, 121,
123, 125, 128, 143 sont des psaumes d’action de grâce.
La béatitude est proclamée par les psaumes 1, 31, 40, 118,

80
127.
Un autre psaume, le 107, montre le désir de celui qui prie
et son chant.
Le psaume 80 exhorte au courage.
Les psaumes 2, 13, 35, 51, 52 dénoncent les impies et ceux
qui méprisent la Loi.
Le psaume 4 est une invocation.
Il y a des psaumes de supplication, comme les psaumes 19
et 63.
On trouve des paroles d’exultation dans le Seigneur aux
psaumes 22, 26, 38, 39, 41, 61, 75, 83, 96, 98, 151133.
Les psaumes 57 et 81 visent à susciter la honte.
Des paroles de joie sont exprimées dans les psaumes 47 et
64.
La jubilation et la résurrection sont chantées dans le
psaume 65.
Un autre, le 99, aussi contient uniquement des paroles de
jubilation.

15. L’ordre des psaumes

Puisque les psaumes sont dispoés dans cet ordre, on

133
Ce psaume 151 « de David au moment d’affronter Goliath »
se trouve dans la Septante.

81
peut trouver dams chacun – comme je l’ai déjà dit – les
sentiments et l’état de son âme ainsi que le modèle et
l’enseignement qui se trouvent en chacun ; de même, on y
trouve des paroles qui peuvent plaire au Seigneur, avec
lesquelles on peut se corriger soi-même et rendre grâce au
Seigneur, afin de ne pas tomber dans l’impiété, en disant
autre chose. Car, ce n’est pas seulement de nos oeuvres,
mais aussi de toute parole oiseuse que nous avons à rendre
raison au Juge134.
Si donc tu veux proclamer quelqu’un heureux, tu as déjà
les paroles le faire et connais les raisons ainsi que ce
que tu dois dire dans les psaumes 1, 31, 40, 111, 118 et
127.
Si tu veux blâmer le complot des Juifs contre le Sauveur,
tu as le psaume 2.
Si tu es persécuté par les tiens et que beaucoup se dressent
contre toi, dis le psaume 3.
Si tu es affligé, invoque le Seigneur et si tu veux rendre
grâce après avoir été exaucé, récite les psaumes 4, 74 et
114.
Ensuite, si, voyant que des méchants veulent te tendre des
pièges, tu veux que ta supplication soit entendue, lève-
toi à l’aube et chante le psaume 5.

134
Cf. Mt 12,36.

82
Si, ayant senti la menace du Seigneur, tu en es troublé, tu
peux réciter les psaumes 6 et 37.
Si certains ont tenu conseil contre toi, comme Ahitophel135
contre David, et que quelqu’un te l’annonce, récite le
psaume 7 et mets toute ta confiance en Dieu qui te
délivrera.

16. De la louange

Si, voyant la grâce du Sauveur répandue partout et le


salut du genre humain, tu veux acclamer le
Seigneur, récite le psaume 8.
Si tu veux chanter « le chant du pressoir » 136 pour
rendre grâce au Seigneur, tu as ce même psaume 8
et le psaume 83.
Pour la victoire sur l’ennemi et le salut de la création,
sans te glorifier toi-même, mais convaincu que ce
fut l’œuvre du Fils de Dieu, récite le psaume 9,
dont nous avons déjà parlé.
Si quelqu’un veut sérieusement te troubler, fait
confiance au Seigneur, et récite le psaume 10.
Quand tu vois l’orgueil d’un grand nombre et la
méchanceté qui se répand, et il n’y a plus rien de

135
Cf. 2 S 15,12.
136
C’est le titre de ces deux psaumes dans les LXX.

83
saint chez les hommes, refuge-toi dans le Seigneur
et dis le récite le psaume 11.
Les ennemis continuent-ils leur complots ? Ne te
décourage pas comme si Dieu t’avait oublié, mais
invoque le Seigneur en chantant le psaume 12.
Quand tu entends des gens blasphémer contre la
Providence, ne t’associe pas à leur impiété, mais
prie à Dieu en récitant les psaumes 13 et 52.
Enfin, si tu veux savoir qui sera citoyen du royaume
des cieux, récite le psaume 14.

17. La prière contre les adversaires

Tu as besoin d’une prière contre tes adversaires et


ceux qui assiègent ton âme, ; chante les psaumes
16, 85, 87 et 140.
Mais si tu veux apprendre comment Moïse priait, tu
as le psaume 89137.
As-tu été délivré de tes ennemis et libéré de tes
persécuteurs ? Chante, toi aussi, le psaume 17.
Admires-tu l’harmonie de la création, la grâce de la
Providence qui se révèle en elle et les préceptes
sacrés de la Loi ? Chante les psaumes 18 et 23.
Quand tu voies les affligés, console-les en priant et
leur disant les paroles du psaume 19.

137

84
Est-ce que tu t’aperçois que le Seigneur te guide et te
conduit ? Réjouis-toi et récite le psaume 22.
Des ennemis t’entourent-ils, toi ? Élève ton âme vers
Dieu et dis le psaume 24, alors tu verras les
pécheurs réduits à rien.
Les ennemis t’attendent-ils, les mains seulement
pleines de sang, cherchant à te violenter et à te faire
périr ? Ne remets pas le jugement à un homme –
toutes les affaires humaines sont suspectes –, mais
considère Dieu comme le seul juge, car Lui seul est
juste, et dis les paroles des psaume 25, 34 et 42.
Si les ennemis se font plus violents, telle une armée,
te méprisant comme si tu n’avais pas encore reçu
l’onction et voulant donc te faire la guerre, ne
crains pas, mais chante le psaume 26.
Puisque la nature humaine est fragile, si ceux qui tu
dressent d’embûches sont impudents, ne leur prête
pas attention, mais crie vers Dieu en disant les
paroles du psaume 27.
Et si tu veux apprendre comment offrir ton action de
grâce au Seigneur, récite avec intelligence
spirituelle le psaume 28.
Et enfin, quand tu renouvelles ton foyer de ton âme,
où tu reçois le Seigneur, et la maison de tes sens,
dans laquelle ton esprit habite corporellement,
rends grâce et dis le psaume 29 et le psaume
graduel 126.

85
18. Dans la presécution

Lorsque tu te vois détesté et persécuté par tous tes


parents et amis à cause de la vérité, ne te décourage
pas ne prête attention ni à eux ni à toi-même ; et si
tu aperçois que tes connaissances t’évitent, n’en
sois pas troublé, mais retire-toi et, tournant vers les
choses à venir, récite le psaume 30.
Voyant les baptisés rachetés de cette génération
corrompue et admirant l’amour de Dieu, chante
pour ceux-ci le psaume 31.
Puis, quand tu voudras réciter les psaumes avec
beaucoup d’autres personnes, rassemblant les
hommes justes et droits, dis, toi aussi, le psaume
32.
Quand tombé sur des ennemis et réussis à t’enfuir
prudemment de leurs ruses, si tu veux rendre grâce,
convoque les hommes doux et, avec eux, chante le
psaume 33.
Et si tu aperçois les impies rivaliser de méchanceté,
ne pense pas que la méchanceté est en eux par
nature, comme disent les hérétiques, mais dis le
psaume 35 et tu verras qu’eux-mêmes portent la
responsabilité de leur péché.
Si tu vois les méchants commettre beaucoup
d’iniquités et s’élever contre les petits, et si tu veux
exhorter d’autres à ne pas s’occuper d’eux ni à les
envier, parce qu’ils disparaîtront rapidement, dis,
pour toi et pour les autres, le psaume 36.

86
19. La vigilance sur toi-même

Mais toi aussi, si tu as décidé de veiller sur toi-même,


et tu vois que l’ennemi t’attaque – c’est, en efet,
précisément à ce moment que ses attaques
devinnent plus virulentes – et si tu veux te préparer
au combat contre lui, chante le psaume 38.
Et si, quand les ennemis t’attaquent, tu supportent les
afflictions et veux apprendre à tirer profit pour
grandir en patience, récite le psaume 39.
Si, voyant les nombreux pauvres et mendiants, tu
veux les prendre en pitié, tu peux louer ceux qui en
ont déjà eu pitié et inciter les autres à en avoir pitié
en disant le psaume 40.
Puis, si brûlant de désir pour Dieu, tu entends les
ennemis t’insulter, ne te trouble pas, mais
considérant que le fruit d’un tel désir est immortel,
console ton âme en mettant ton espérance en Dieu,
soulage-la et adoucis pour elle les peines de cette
vie en récitant le psaume 41.
Quand tu veux garder continuelement le souvenir des
bienfaits de Dieu envers les pères lors de la sortie
d’Égypte et de la traversée du désert, et de la bonté
de Dieu et de l’ingratitude de ces hommes, et de
combien Dieu fut bon et et les hommes ingrats, tu
as les psaumes 43, 77, 88, 104, 105, 106 et 113.
Puis, te réfugiant auprès de Dieu, libéré des
tribulations qui t’étaient survenues, si tu veux
rendre grâce à Dieu et parler de sa bonté pour toi,
tu as le psaume 45.

87
88

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