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Introduction
I. Présentation du Texte
La Règle de saint Augustin est la plus ancienne règle connue de
l’Occident : Augustin l’a écrite en 397. Il ne faut surtout pas y chercher
une théologie de la vie religieuse telle que nous la concevons
aujourd’hui : la consécration par les trois vœux ; ou une vie monastique
du type de celle décrite par Don J. Leclercq : il la caractérise par trois
observances, la solitude, la prière, l’austérité.
Pour les moines des IIIe et IVe siècles, le plus précieux est le plus
commun. En entrant au monastère, ils ne cherchaient pas autre chose
qu’une vie chrétienne intégrale, où la charité est le bien par excellence:
ils rejoignaient le lieu ecclésial où la communion fraternelle prenait
toute sa dimension.
Augustin, en écrivant sa Règle alors qu’il s’apprêtait à quitter sa
communauté pour exercer sa nouvelle charge d’évêque, avait donc pour
seul but de rappeler à ses frères comment vivre en chrétien. C’est dans
cette optique qu’il faut lire ses préceptes. Détachés de leur contexte,
ceux-ci risquent d’apparaître comme des conseils généraux qui ne
présentent pas grand intérêt.
L’intuition fondamentale de la Règle est une vie de charité, d’unité,
modelée sur l’idéal proposé par la première communauté chrétienne
décrite dans les Actes des Apôtres. La Règle se présente comme une
école de charité. Et la vie monastique dont elle parle est à entendre dans
un sens absolument original, augustinien. Ce n’est pas la relation
disciple- Maître (idéal des règles d’Orient, de la Règle du Maître et de
la Règle de saint Benoît), mais la vie fraternelle à l’écoute de la parole
de Dieu et en tension vers Dieu qui donne sa note propre à la vie dans le
monasterium décrite par la Règle.
Il ne faut pas non plus l’oublier : la Règle appartient à la littérature
patristique qui est pétrie d’Ecriture; elle est donc avant tout
évangélique. Il est capital d’en chercher les fondements bibliques.
Comme nous le verrons, de nombreuses citations scripturaires, le plus
souvent d’ailleurs implicites, s’appellent et se complètent sans cesse.
La majorité des textes utilisés pour le commentaire de la Règle
proviennent de la prédication de saint Augustin. Beaucoup mieux que
les traités, ces textes permettent de rejoindre l’expérience d’Augustin.
2
Il est donc important pour comprendre la Règle, de lire un certain
nombre d’écrits de saint Augustin sur la vie monastique.
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Le but de l’incarnation est faire de tous les hommes le Corps du
Christ-nouvel Adam, de rassembler tous les hommes dans l’unité du
Corps du Christ, de mener la création à son achèvement.
La charité
Avant tout1 frères très chers, aimons Dieu, aimons ensuite le prochain2 :
ce sont les commandements qui nous sont donnés en premier.
1
1 Co 13, 1-3.
2
Mt 22, 37-40.
4
Idée générale et textes scripturaires
Augustin parle de la charité, cœur de la vie chrétienne.
Deux citations bibliques donnent l’essentiel de cette première
introduction à la règle : 1 Co 13, 1-3 et Mt 22, 37-40.
S., 4, 20
SERMON IV. Prêché à la fête de saint Vincent , martyr. JACOB ET
ÉSAÜ ou LES HOMMES SPIRITUELS ET LES HOMMES
CHARNELS (1).
20. Or Jacob ne recevrait pas la bénédiction s'il ne portait les
péchés qu'il ne commettait plus. Votre sainteté comprendra
comment on doit supporter les péchés. Il en est qui croient les
supporter et qui n'en parlent pas aux coupables : c'est une
dissimulation détestable. Supporte le pécheur, non en aimant le
péché qui. est en lui, mais en le poursuivant à cause de lui.
Aime le pécheur, non pas en tant qu'il est pécheur, mais en tant
qu'il est homme. Quand tu aunes un malade, ne travailles-tu pas
à chasser sa fièvre? Épargner la fièvre, ce ne serait pas aimer le
malade. Dis donc la vérité à ton frère, sans la dissimuler. Eh!
faisons-nous autre chose que de vous dire la vérité? Point de
mensonge; parle franchement; mais supporte en attendant qu'on
soit corrigé. Peut-être y a-t-il eu intervalle entre le moment où
l'on a tué les chevreaux et celui où on, s'est couvert de leurs
dépouilles : mais ce que ces actes signifient peut s'accomplir en
même temps; car tout en reprenant les pécheurs, ce qui est
comme égorger les chevreaux, le juste peut supporter avec
compassion leurs péchés, ce qui est comme en porter les
dépouilles.
Jacob a donc dans la mesure de ses forces, immolé le pécheur,
égorgé ses chevreaux. Mais il supportait les péchés d'autrui, il
les supportait avec patience et il a mérité d'être béni. C'est que
la charité supporte tout. Cette charité était dans sa mère, cette
mère figurait la charité même. En figurant tous les saints elle
figurait la charité, car il n'est aucun saint qui n'ait la charité. De
quoi me servira-t-il « de parler les langues des hommes et des
anges si je n'ai pas la charité ? Je suis un airain sonnant ou une
cymbale retentissante. Et quand j'aurais toute la foi, au point de
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transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis
rien. Et quand je connaîtrais tous les mystères et toutes les
prophéties; quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je
n'ai point la charité, cela ne me sert de rien ( I Cor. XIII, 1-7). »
Qu'est-ce donc que cette charité qui sert beaucoup lorsqu'elle
est seule et sans laquelle rien ne profite ? Ainsi c'est la charité
qui conseille Jacob; il obéit parce qu'il est fils de la charité.
Lettre 155, 13
A SON CHER FILS MACÉDONIUS 414
13. En cette vie même la vertu n'est autre chose que d'aimer ce qu'on
doit aimer; le choisir, c'est de la prudence; ne s'en laisser détourner par
aucune peine, c'est de la force; par aucune séduction, c'est de la
tempérance; par aucun orgueil, c'est de la justice. Mais que devons-nous
choisir pour notre principal amour si ce n'est ce que nous trouvons de
meilleur que toutes choses? Cet objet de notre amour, c'est Dieu : lui
préférer ou lui comparer quelque chose, c'est ne pas savoir nous aimer
nous-mêmes. Car nous faisons d'autant plus notre bien que nous allons
davantage vers lui que rien n'égale ; nous y allons non pas en marchant,
mais en aimant; et il nous sera d'autant plus présent que notre amour
pour lui sera plus pur, car il ne s'étend ni ne s'enferme dans aucun
espace. Ce ne sont donc point nos pas, mais nos moeurs qui nous
mènent à lui qui est présent partout et tout entier partout. Nos moeurs ne
se jugent pas d'après ce qui fait l'objet de nos connaissances, mais
l'objet de notre amour : ce sont les bons ou les mauvais amours qui font
les bonnes ou les mauvaises moeurs. Ainsi, par notre dépravation, nous
restons loin de Dieu qui est la rectitude éternelle; et nous nous
corrigeons en aimant ce qui est droit, afin qu'ainsi redressés, nous
puissions nous unir à Lui.
Tract.in Io. Epist. 5, 7
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« Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché ». Nous
cherchons à savoir quel péché. Car s'il était ici question de toute
espèce de péché, ce passage contredirait ces autres paroles : « Si
nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous
séduisons; et la vérité n'est pas en nous ». Que Jean nous dise
donc quel est ce péché : qu'il nous instruise; je ne veux pas dire
témérairement que ce péché est la violation du précepte de la
charité; il a dit plus haut : « Celui qui hait son frère est dans les
ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va,
parce que les ténèbres l'ont aveuglé (I Jean, II, 11) ». Mais peut-
être s'est-il expliqué plus loin et a-t-il prononcé le nom de la
charité. Remarquez-le : toute cette circonlocution aboutit
finalement à ce résultat : « Quiconque est né de Dieu ne pèche
point, parce que la semence de Dieu demeure en lui ». La
semence de Dieu, ou, en d'autres termes, la parole divine; aussi
l'Apôtre dit-il : « Je vous ai engendrés par l'Evangile (I Cor. IV,
15). Il ne peut commettre le péché, parce qu'il est né de Dieu ».
Que Jean nous l'explique : voyons en quel sens l'enfant de Dieu
ne peut pécher. « En cela, on reconnaît les enfants de Dieu et les
enfants du démon. Quiconque n'est pas juste, n'est point lié de
Dieu, non plus que celui qui n'aime pas son frère ». Nous
voyons maintenant, à n'en pas douter, pourquoi il dit : « Non
plus que celui qui n'aime pas son frère ». La charité est donc la
seule marque distinctive entre les enfants de Dieu et ceux du
démon. Que tous fassent sur eux le signe de la croix; que tous
répondent Ainsi soit-il ; que tous chantent : Alleluia ; que tous
reçoivent le baptême, qu'ils entrent dans les églises, qu'ils
bâtissent des basiliques. Rien, si ce n'est la charité, ne distingue
les fils de Dieu des fils du démon. Ceux qui ont la charité, sont
nés de Dieu; ceux qui ne l'ont pas, ne sont pas ses enfants.
Précieuse marque, distinction inestimable. Possède ce que tu
voudras, si tu n'as pas la charité, le reste ne te sert de rien. Que
le reste te fasse défaut, mais que, du moins, tu aies la charité, et
tu auras accompli la loi. « Car celui qui aime son prochain,
accomplit la loi », dit l'Apôtre, « et l'amour est la plénitude de la
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loi (Rom. XIII, 8, 10) ». Je considère la charité comme étant cette
perle précieuse que l'Ecriture nous montre recherchée par un
marchand : « Cet homme, ayant trouvé une perle d'un grand
prix, vend tout ce qu’il possède et l'achète ( Matth. XIII, 46)». Cette
perle d'un grand prix, c'est bien la charité, sans laquelle rien de
ce que tu possèdes ne peut t'être de quelque utilité, et qui te
suffirait à elle seule, lors même que tu ne possèderais rien autre
chose. Aujourd'hui, tu ne vois Dieu que par la foi; plus tard, tu
le verras réellement. Si nous l'aimons, lors même que nous ne
pouvons encore le contempler, que sera-ce lorsque nous le
verrons de nos yeux ? Mais à quoi devons-nous consacrer tous
nos soins? A aimer nos frères. Tu peux me dire : Je n'ai pas vu
Dieu; peux-tu me dire : Je ne vois pas l'homme? Aime ton
prochain; car si tu aimes le prochain que tu aperçois, tu verras
aussi Dieu, parce que tu verras la charité même; et que Dieu
habite en ton coeur.
Tr. in Io. Epist. 7, 7.8
7. « Dieu a fait paraître son amour pour nous ». Voilà pour nous
un motif d'aimer Dieu. Pourrions-nous l'aimer, s'il ne nous avait
aimés le premier ? Si nous étions lents à l'aimer les premiers,
soyons, du moins, empressés à le payer de retour. Il a été le
premier à nous aimer ; et nous ne l'aimons pas de même. Il nous
a aimés, quoique pécheurs, mais pour nous délivrer de nos
fautes ; il nous a aimés, quoique pécheurs, mais il ne nous a pas
réunis pour nous donner occasion de pécher. Il nous a aimés,
bien que nous fussions malades; mais s'il nous a visités, c'était
afin de nous guérir. « Dieu est donc amour. Dieu a fait paraître
son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le
monde, afin que nous vivions par lui ». Le Sauveur a dit lui-
même : « Personne ne peut donner une plus grande preuve
d'amour que de sacrifier sa vie pour a ses amis ». Et la preuve
que le Christ nous a aimés, c'est qu'il est mort pour nous.
Comment le Père nous a-t-il témoigné son affection ?En
envoyant son Fils unique mourir pour nous; aussi, Paul nous
dit-il : « S'il n'a pas épargné son propre Fils, et s'il l'a livré à la
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mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il pas après nous
l'avoir donné (Rom. VIII, 32) ? » Le Père a livré le Christ; Judas l'a
aussi livré ; n'ont-ils pas, en quelque sorte, agi l'un comme
l'autre ? Judas a été un traître; s'ensuit-il que Dieu le Père en ait
été un ? Non, dis-tu. « Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il
l'a livré pour nous tous ». Ces paroles ne sont pas de moi, elles
sont de l'Apôtre. Non-seulement le Père a livré son Fils, mais il
s'est lui-même livré. Le même Apôtre dit encore : « Il m'a aimé
et s'est livré pour moi » (Galat. II, 20). Puisque le Père a livré son
Fils, et que le Fils s'est livré lui-même, qu'a fait Judas ? La
tradition du Christ a été le fait du Père, comme elle a été le fait
du Fils, et aussi celui de Judas : de la part de tous trois, acte
unique; mais quelle différence entre le Père qui livre son Fils, et
le Fils qui se livre lui-même, et le disciple Judas qui livre son
maître? Le Père et le Fils ont agi par charité ; Judas s'est conduit
en traître. Vous le voyez; il ne suffit pas devoir ce que fait un
homme, il importe surtout de savoir quelles sont ses intentions
et sa volonté. Nous voyons concourir au même acte, d'un côté,
Dieu le Père, de l'autre, Judas nous bénissons Dieu le Père; nous
maudissons Judas. Pourquoi bénir le Père et maudire Judas?
Nous bénissons la charité, nous maudissons l'iniquité. Le Christ
a été livré ; quel immense avantage, en a retiré le monde? En
livrant son Maître, Judas a-t-il songé à coopérer à ce bienfait ?
Dieu s'est proposé de nous sauver en nous donnant de quoi nous
racheter ; Judas a voulu s'approprier la somme d'argent pour
laquelle il a vendu le Christ: Le Fils a eu en vue le prix qu'il a
donné pour nous, et Judas a en vue le prix qu'il a retiré de son
forfait. La différence d'intention a fait la différence d'action.
L'acte était un ; mais si nous pesons la diversité des intentions
qui l'ont produit, nous l'aimerons sous un rapport, et, sous
l'autre, nous le condamnerons : nous le glorifierons sous un
point de vue ; sous l'autre, nous le détesterons. Tant vaut la
charité ! Remarquez-le, elle seule établit une différence entre
les actions humaines; elle seule les distingue les unes des autres.
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8. Ce que nous venons de dire s'applique à des actions de même
nature. S'il s'agit d'actions de nature différente, nous
reconnaîtrons, par exemple, que la charité rend un homme
sévère, et que l'iniquité en rend un autre flatteur. Un père frappe
son enfant, un corrupteur l'approuve. A ne considérer que les
coups et les flatteries, où est celui qui ne recherchera pas les
caresses et n'évitera pas les coups ? Mais considère les
personnes et, tu le verras, les coups sont l'effet de la charité, et
les flatteries celui de l'iniquité. Faites bien attention à ceci : les
actions humaines se discernent les unes des autres par le
principe de la charité. Beaucoup peuvent se faire, qui aient les
apparences de la bonté et qui, néanmoins, ne soient pas le fruit
de la charité. Les épines mêmes ne fleurissent-elles pas ?
Certains actes, au contraire, semblent durs et cruels, qui se font,
par motif de charité, pour le règlement des moeurs. Une fois
pour toutes, on t'impose un précepte facile : Aime, et fais ce que
tu voudras. Soit que tu gardes le silence, garde-le par amour;
soit que tu cries, élève la voix par amour ; soit que tu corriges
autrui, corrige-le par amour ; soit que tu uses d'indulgence, sois
indulgent par amour; aie dans le coeur la racine de l'amour, et
de cette racine il ne pourra rien sortir que de bon.
De Trin., VIII, 8, 12
12. Que personne ne dise : Je ne sais quoi aimer. Qu’il aime son frère et
il aimera l’amour même. En effet, il connaît mieux l’amour qui le fait
aimer, que le frère qu’il aime. Il peut donc connaître Dieu mieux qu’il
ne connaît son frère; beaucoup mieux, parce que Dieu est plus présent;
beaucoup mieux, parce qu’il est plus intime; beaucoup mieux, parce
qu’il est plus certain. Embrasse le Dieu amour, et tu embrasseras Dieu
par l’amour. C’est cet amour qui unit tous les bons anges et tous les
serviteurs de Dieu par le lien de la sainteté, nous unit à eux et entre
nous, et nous rattache tous à lui. Donc plus nous sommes exempts de la
bouffissure de l’orgueil, plus nous sommes remplis d’amour et de quoi,
sinon de Dieu, est rempli celui qui est rempli d’amour? — Mais, diras-
tu, je vois la charité, je la découvre autant que possible des yeux de
l’esprit, et je crois à l’Ecriture qui me dit: « Dieu est charité, et qui
demeure dans la charité demeure en Dieu » (Jean IV, 16 ); mais si je
vois la charité, je ne vois pas en elle la Trinité. — Eh bien! tu vois la
Trinité, si tu vois la charité. Je ferai mes efforts pour t’en convaincre;
seulement qu’elle daigne elle-même nous assister, afin que la charité
nous mène à quelque bon résultat.
Quand nous aimons la charité, nous l’aimons comme aimant quelque
chose, précisément parce qu’elle aime quelque chose. Qu’aime donc la
charité, pour pouvoir elle-même être aimée? Car la charité qui n’aime
rien, n’est plus la charité. Or, si elle s’aime elle-même, il faut qu’elle
aime quelque chose, afin de s’aimer comme charité. De même que la
parole s’indique elle-même en indiquant quelque chose, et ne s’indique
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pas comme parole, si elle n’indique pas qu’elle indique quelque chose :
ainsi la charité s’aime sans doute elle-même, mais si elle ne s’aime pas
comme aimant quelque chose, elle ne s’aime pas comme charité.
Qu’aime donc la charité, sinon ce que nous aimons par elle? Or, ce
quelque chose, à prendre le prochain pour point de départ, c’est notre
frère. Et voyez avec quel soin l’apôtre Jean recommande la charité
fraternelle: « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière, et le
scandale n’est point en lui» ( Jean, II, 19). Il est évident qu’il place la
perfection dans l’amour du prochain car celui en qui le scandale
n’existe pas est parfait. Néanmoins il semble passer l’amour de Dieu
sous silence : ce qu’il ne ferait certainement pas, s’il ne renfermait Dieu
lui-même dans l’amour fraternel. Et la preuve, c’est qu’un peu plus bas,
dans la même épître, il nous dit en termes très-clairs : « Mes bien-
aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que la charité est de Dieu.
Ainsi quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu. Qui n’aime point,
n’aime pas Dieu, parce que Dieu est charité ». Ce contexte fait voir
assez clairement que, selon cette autorité d’un si grand poids, la charité
fraternelle — car la charité fraternelle est l’amour que nous nous
portons les uns aux autres — non-seulement est de Dieu, mais est Dieu
même, Ainsi donc, si notre amour pour notre frère vient de la charité, il
vient de Dieu; et il ne peut se faire que nous n’aimions avant tout
l’amour même qui nous fait aimer un frère. D’où il faut conclure que
ces deux préceptes sont inséparables. Car, puisque « Dieu est charité »,
celui qui aime la charité aime certainement Dieu; or, celui qui aime son
frère aime nécessairement la charité. Aussi l’Apôtre ajoute peu après : «
Celui qui n’aime point son frère « qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il
ne voit point » (Id., IV, 7, 8, 20. ) et la raison pour laquelle il ne voit
point Dieu, c’est qu’il n’aime pas son frère. Car celui qui n’aime pas
son frère n’est pas dans l’amour, et celui qui n’est pas dans l’amour
n’est pas en Dieu, puisque Dieu est amour. Or, celui qui n’est pas en
Dieu n’est pas dans la lumière, puisque « Dieu est lumière et qu’il n’y a
point en lui de ténèbres » (Id., I, 5 ). Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce
que celui qui n’est pas dans la lumière ne voie pas la lumière, c’est-à-
dire ne voie pas Dieu, puisqu’il est dans les ténèbres? Seulement il voit
son frère des yeux du corps avec lesquels on ne peut voir Dieu. Mais
s’il aimait d’une charité spirituelle celui qu’il voit des yeux du corps, il
verrait Dieu, qui est la charité même, de cet oeil intérieur par lequel ou.
peut le voir. Comment donc celui qui n’aime pas son frère qu’il voit,
pourra-t-il aimer Dieu, qu’il ne voit pas, et qu’il ne voit pas précisément
parce que Dieu est amour, l’amour que n’a pas celui qui n’aime pas son
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frère? Et qu’on ne demande pas combien d’amour nous devons à un
frère et combien à Dieu; nous en devons incomparablement plus à Dieu
qu’à nous, et autant à un frère qu’à nous-mêmes; mais nous nous
aimons d’autant plus nous-mêmes, que nous aimons Dieu davantage.
C’est donc par un seul et même amour que nous aimons Dieu et le
prochain; mais nous aimons Dieu pour Dieu, et nous-mêmes et le
prochain pour Dieu.
De perf. Just. Hom., 5, 11
DE LA PERFECTION DE LA JUSTICE DE L'HOMME
11e Raisonnement. « Demandons de combien de manières se commet le
péché. De deux, si je ne me trompe, c'est-à-dire en faisant ce qui est
défendu ou en ne faisant pas ce qui est commandé. Or, tout ce qui est
défendu peut être évité, comme tout ce qui a est commandé peut être
accompli. En effet, pourquoi la défense et pourquoi le commandement,
si ni l'une ni l'autre ne peuvent être observés? Et comment nier que
d'homme puisse être sans péché, quand gnous sommes forcés d'avouer
qu'il peut éviter ce qui lui est défendu, comme il peut accomplir ce qui
lui est prescrit?» le réponds que la sainte Ecriture renferme un grand
nombre de préceptes divins. qu'il serait trop long d'énumérer. Qu'il me
suffise de remarquer que le Seigneur, qui a fait sur la terre une parole
restreinte et abrégée (Rom. IX, 28), a résumé en deux préceptes la Loi
et. les Prophètes, pour nous faire mieux comprendre que tous les autres
commandements ont te même but et le même objet que les deux
suivants : «Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur, de
toute votre âme et de tout votre esprit, et vous aimerez votre prochain
comme vous-même. Dans ces deux préceptes se résument la Loi et les
Prophètes» (Matth. XXII, 40, 37).
Par conséquent, tout ce que la loi de Dieu nous commande de faire ou
d'éviter se borne à l'accomplissement de ces deux préceptes. Comme il
y a une défense générale : « Vous ne convoiterez pas» (Exode. XX, 17), il
y a une prescription générale : «Vous aimerez » (Deut. VI, 5). Ces deus
points se trouvent brièvement formulés par l'apôtre saint Paul. Voici la
défense : « Ne vous conformez pas à ce siècle » ; voici le
commandement : « Mais réformez-vous dans la nouveauté de votre
esprit» (Rom. XII, 2). C'est toujours sous une autre forme ces deux
grandes paroles: «Vous ne convoiterez pas », « Vous aimerez », l'une se
rapportant à la continence et l'autre à la justice; la première prescrivant
de s'abstenir du mal et la seconde de faire le bien. En renonçant à la
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concupiscence, nous nous dépouillons de la vieillesse, et en aimant,
nous revêtons l'homme nouveau.
Or, personne ne peut être continent si Dieu ne lui en fait la grâce; et la
charité de Dieu est répandue dans nos coeurs, non point par nous-
mêmes, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné ( Sag.
VIII, 21 ; Rom. V, 5). C'est là ce qui se fait de jour eu jour dans tous ceux
qui avancent par la volonté, par là foi et par la prière et qui, oubliant ce
qui est passé, s'efforcent de tendre vers ce qui est en avant ( 6. Philip. III,
13). En effet, si l'homme se sent faiblir dans l'accomplissement de ces
préceptes, la loi lui ordonne, non point de se gonfler d'orgueil, mais de
recourir à la grâce; et c'est ainsi gaze tout en l'effrayant, cette même loi,
jouant le rôle de pédagogue, le conduit à l'amour de Jésus-Christ.
De cat. Rud., 4, 8
8. Si donc le but essentiel de la venue de Jésus-Christ a été
d’apprendre à l’homme la portée de l’amour que Dieu avait
pour lui, afin de lui montrer à rendre amour pour amour et à
chérir son prochain, en suivant tout ensemble les préceptes et
l’exemple de Celui qui s’est rapproché le plus étroitement de
notre coeur quand il a embrassé dans son amour non-seulement
le prochain, mais les hommes les plus éloignés; si les saints
livres écrits avant son avènement n’ont eu d’autre objet que de
le prédire, et que tout ce qui a été écrit depuis sous le sceau de
l’autorité divine a raconté Jésus-Christ et fait une loi de
l’amour; il faut évidemment rattacher à la charité, non-
seulement la loi et les prophètes contenus dans le double
commandement d’aimer Dieu et le prochain, où se résumait
toute l’Ecriture au moment où parlait Notre-Seigneur, et
l’ensemble des Ecritures postérieurement composées sous
l’inspiration divine et confiées au souvenir des âges.
19
Idée générale et le texte scripturaires
Selon son habitude, saint Augustin a mis en tête de la Règle ce qu’il
estime l’essentiel de son propos, d’où l’importance à accorder au
premier chapitre.
Une simple lecture permet de dégager deux idées principales : Augustin
parle de la communauté et de l’usage des biens matériels.
Le paragraphe 2 est formé de trois citations bibliques : Ps 132, 1 ; Ps
67, 7 et Ac 4, 32a.
Le paragraphe 3 comporte essentiellement des citations d’Ac 4, 32b.c et
Ac 4, 35.
Le paragraphe 8 reprend Ac 4, 32a, associé à 1 Co 3, 16.
I. Ac 4, 32
En. in Ps. 93, 8
8. Mais cette liberté dans ses actions, ils n’ont pu la souffrir. Et comme
il était venu humble, comme il avait pris une chair mortelle et venait
pour mourir; non pour agir comme les pécheurs, mais pour souffrir de
leur part; comme il était venu pour agir en toute liberté, et que ces
Pharisiens ne pouvaient supporter la franchise de ses invectives, que
firent-ils? Ils le saisirent, le flagellèrent, se moquèrent de lui, le
souffletèrent, lui crachèrent au visage, le couronnèrent d’épines,
l’attachèrent à la croix, et enfin le firent mourir. Mais que dit le
Prophète de cette active confiance? « Elevez-vous, ô vous qui jugez la
terre » (Ps 93,2). Ils l’ont saisi dans son humilité, le saisiront-ils dans sa
gloire? Eux qui ont jugé un homme mortel, ne seront-ils pas jugés par
lui devenu immortel? Que dit donc le Prophète? Elevez-vous, ô vous
qui avez agi avec liberté, vous dont les invectives hardies leur étaient
insupportables , vous que dans leur malice ils ont cru faire beaucoup de
saisir et de crucifier : au lieu de vous saisir pour croire en vous, ils vous
ont saisi pour vous persécuter; ô vous donc, qui avez agi avec tant de
confiance parmi les méchants, qui n’avez redouté personne, et qui avez
souffert, « élevez-vous », c’est-à-dire ressuscitez pour aller au ciel, et
20
que l’Eglise endure avec patience ce que le chef de l’Eglise a si
patiemment enduré; « élevez-vous, ô vous qui jugez la terre, rendez leur
salaire aux superbes ». Il le rendra, mes frères. Qu’est-ce en effet qu’il
est dit ici : « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire
aux superbes? » C’est une parole prophétique, et non un
commandement téméraire. Ce n’est point parce que le Prophète a dit: «
Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre », que le Christ a obéi à son
Prophète en ressuscitant pour monter au ciel; mais c’est parce que le
Christ devait le faire que le Prophète l’a prédit. Car le Christ ne l’a
point fait parce que le Prophète l’avait prédit, mais le Prophète l’a
prédit parce que le Christ devait le faire. Il voit en esprit le Christ
humilié, mais humilié sans redouter personne, sans ménager personne
de sa parole, et il dit qu’« il agit avec liberté». Il le voit agir avec cette
confiance, il le voit saisi, il le voit crucifié, humilié, puis il le voit
ressuscitant et montant au ciel, d’où il viendra pour juger ceux-là
mêmes entre les mains desquels il a souffert tant de maux. « Elevez-
vous», lui dit alors le Prophète, « ô vous qui jugez la terre, et rendez le
salaire aux superbes ». Il le rendra aux méchants, et non aux humbles,
Quels sont les superbes? Ceux qui, non contents de mal faire, veulent
encore défendre leurs péchés. Quelques-uns, en effet, de ceux qui ont
crucifié le Christ, ont réellement opéré des miracles, quand ils se sont
séparés des Juifs pour embrasser la foi, et Dieu leur a pardonné le sang
du Christ. Ce sang du juste rougissait encore leurs mains, et déjà ce
juste lavait son sang versé. Ceux qui avaient meurtri son corps mortel
qu’ils voyaient, se sont unis à son corps spirituel ou à l’Eglise. Ils
avaient répandu ce sang qui devait être leur rançon, alla de boire cette
même rançon. Plusieurs, en effet, se convertirent ensuite aux miracles
que faisaient les Apôtres, plusieurs milliers embrassèrent la foi en un
même jour (Ac 4,4); et ils se trouvèrent si étroitement unis au Christ,
qu’ils vendaient tout leur bien pour en apporter le prix aux pieds des
Apôtres, et on le distribuait à celui qui en avait besoin; et ils n’avaient
en Dieu qu’un même coeur et qu’une même âme, eux dont plusieurs
avaient crucifié le Sauveur. Mais pourquoi Dieu ne s’en est-il pas
vengé? Parce qu’il est dit: « Rendez le salaire aux superbes», et que
ceux-ci ne voulurent pas être orgueilleux.
En voyant les miracles qui s’opéraient au nom de ce Jésus qu’ils
croyaient avoir mis à mort, ils furent émus de ces miracles, et prêtèrent
l’oreille à Pierre, qui leur déclara au nom de qui ils s’opéraient.
Serviteurs fidèles, ces hommes ne voulurent point s’arroger la puissance
de leur maître et dire qu’ils opéraient eux-mêmes ce que leur maître
21
opérait par leurs mains. Les serviteurs rendirent donc au maître la gloire
qui lui était due; ils dirent que ces merveilles que l’on admirait
s’accomplissaient au nom de celui que les Juifs avaient crucifié. Et ces
juifs s’humilièrent, et touchés au fond du coeur, troublés, ils
confessèrent leur péché (Ac 2,37); puis demandèrent conseil, en disant :
« Que ferons-nous? » Loin de désespérer de leur salut, ils cherchent le
médecin. Alors Pierre leur dit : « Faites pénitence, et que chacun d’entre
vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ 2 » (Ac 2,4).En
faisant pénitence, ils devinrent humbles, et Dieu ne leur rendit point ce
qu’ils avaient mérité. Voici en effet ce que dit notre psaume : « Elevez-
vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Or,
ceux-ci n’étaient plus de ce nombre : en eux s’était accomplie cette
parole du Sauveur à la croix: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne
savent ce qu’ils font» (Lc 23,34). « Elevez-vous, ô vous qui jugez la
terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il doit donc rendre aux
hommes ce qu’ils méritent? Oui, mais aux superbes.
22
et d’en déposer le prix aux pieds des Apôtres : ensuite on le
distribuait à chacun selon ses besoins (Ac 2,44, et 4,34). Ils vivaient
dans l’union de la charité chrétienne: aucun ne considérait
comme à lui ce qu’il possédait; toutes choses étaient communes
entre eux et ils ne formaient qu’un coeur et qu’une âme ( Ac 4,32-
35). Leurs concitoyens ne tardèrent pas à les persécuter, au
mépris de la voix du sang, si puissante sur ces esprits charnels,
et les dispersèrent. Les chrétiens trouvèrent ainsi l’occasion de
propager au loin l’Evangile et d’imiter la patience de leur
Maître : après avoir souffert pour eux avec douceur, il les
invitait à prendre un esprit de douceur et à souffrir pour lui.
S. 116, 6
6. « Et il leur dit. » Que leur dit-il? « C'est ainsi qu'il
fallait. C'est ainsi qu'il est écrit, et c'est ainsi qu'il fallait » Que
fallait-il? « Que le Christ souffrit et qu'il ressuscitât d'entre les
morts le troisième jour. » Les Apôtres furent témoins de cela;
ils virent le Christ souffrant et attaché à la croix, et après sa
résurrection ils le voyaient présent et plein de vie. Mais que ne
voyaient-il s pas? Son corps, c'est-à-dire son Église. Ils le
voyaient, mais ils ne la voyaient pas. Ils voyaient l'Époux,
l'Épouse était encore invisible. Que l'Epoux leur promette de la
voir aussi. « C'est ainsi qu'il « est écrit, et c'est ainsi qu'il fallait
que le Christ « souffrit et ressuscitât d'entre les morts le
troisième jour. » Voilà ce qui concerne l'Epoux.
Qu'y a-t-il pour l'Épouse? « Et qu'on prêchât en son nom
la pénitence et la rémission des péchés à toutes les nations, en
commençant par Jérusalem. » Voilà ce que ne voyaient pas
encore les disciples. Ils ne voyaient pas l'Église répandue parmi
toutes les nations, à commencer par Jérusalem. Ils voyaient le
Chef, et sur la parole du Chef ils croyaient le corps. Ce qu'ils
voyaient les menait à la foi de ce qu'ils ne voyaient pas. Nous
leur ressemblons nous-mêmes, car noirs voyons ce qu'ils ne
voyaient pas et nous ne voyons pas ce qu'ils voyaient. Que
voyons-nous qu'ils ne voyaient pas? L'Eglise répandue parmi
23
toutes les nations. Et que voyaient-ils que nous ne voyons pas?
Le Christ vivant dans la chair. Comme en le voyant ils
croyaient ce qu'il enseignait de son corps. mystique; ainsi en
voyant ce corps croyons ce qui nous est dit du Chef. Appuyons-
nous sur ce que nous voyons les uns et les autres. Eux
s'appuient sur le Christ qu'ils voient, pour croire à la
propagation future de l'Eglise; nous nous appuyons à notre tour
sur l'Église que nous voyons, pour croire à la résurrection du
Christ Ce qu'ils croyaient s'accomplit, ce que nous croyons
s'accomplit également ce qu'ils croyaient du Chef se réalise, ce
que nous croyons du corps se réalise aussi. Ainsi, à eux et à
nous se manifeste le Christ tout entier : mais ni eux ni nous ne
l'avons vu tout entier. Ils ont vu le Chef et ajouté foi à
l'existence du corps; nous voyons le corps et nous ajoutons foi à
l'existence du Chef. Le Christ néanmoins ne fait défaut à
personne, il est complet de part et d'autre quoiqu'il lui reste
encore des membres à recueillir. Les Apôtres ont cru, et par eux
beaucoup d'habitants de Jérusalem, ainsi que la Judée, ainsi que
la Samarie. Viennent donc les membres encore séparés, que
l'édifice vienne reposer sur son fondement. « Personne, dit
l'Apôtre, ne saurait poser d'autre fondement que celui qui a été
posé, lequel est le Christ Jésus » (2 Co 3,11). Que les Juifs se
livrent à la fureur et s'abandonnent à la jalousie ; qu'on lapide
Etienne et que les vêtements des bourreaux soient gardés par
Saul, qui doit devenir l'Apôtre Paul; qu'Étienne soit mis à mort
et qu'on trouble l'Église de Jérusalem (Ac 7,67); des tisons
enflammés seront jetés ailleurs pour y porter l'incendie. Les
fidèles de l’Eglise de Jérusalem n'étaient-ils pas en effet comme
des tisons embrasés par le Saint-Esprit, quand ils n'avaient en
Dieu qu'un coeur et qu'une âme (Ac 4,32)? A la mort d'Etienne
ce bûcher fut bouleversé, les tisons, se dispersèrent et le monde
s'enflamma.
37
charité : parce que le parfum divin était descendu de la tête sur
la barbe, et la tête lui avait dit : « Aimez vos ennemis, priez
pour ceux qui vous persécutent 2». Il avait ouï de cette tête
clouée à la croix cette parole: « Mon Père, pardonnez-leur,
parce qu’ils ne savent ce qu’ils font 3 ». C’est ainsi que de la
tête le parfum était descendu sur la barbe, et quand on lapidait
ce fervent disciple, il mit le genou en terre en s’écriant : «
Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 4».
9. Ces saints étaient commue la barbe. Car beaucoup étaient
courageux et enduraient de
1. Act. VI, 51. — 2. Matth. V, 41. — 3. Luc, XXIII, 34. — 4. Act. VII, 59.
117
38
perfection, car c’est le bord qui achève le vêtement , et alors
ceux-là seraient parfaits parce qu’ils sauraient habiter en un?
Mais ceux-là sont parfaits qui accomplissent la loi. Or,
comment la loi du Christ est-elle accomplie en ces frères qui
demeurent ensemble ? Ecoute l’Apôtre : « Portez mutuellement
vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Tel
est le bord du vêtement. Toutefois, mes frères, comment
pouvons-nous comprendre que tel est le bord du vêtement, dont
parle notre psaume, et où descend le parfum ? Je ne crois pas
qu’il soit ici question des bords qui forment les côtés du
vêtement. Il y a des bords en effet sur les côtés. Mais de la
barbe, le par. fum a pu descendre sur le bord qui est près de la
tête, et où s’ouvre le passage de la tête. C’est l’état de ceux qui
demeurent ensemble: en sorte que de même que c’est par ces
bords que passe la tête de l’homme qui veut se vêtit, de même
le Christ qui est notre tête, entre chez nous par la concorde
fraternelle, afin que nous nous revêtions de lui, et que son
Eglise lui demeure unie.
1. Ephés. V, 27. — 2. Gal. VI, 2.
39
mériter, au milieu de nos iniquités? Adam vient d’Adam, et sur
cet Adam beaucoup de péchés. Qu’un homme vienne au monde,
c’est Adam qui vient au monde, un damné qui vient d’un
damné, et qui surcharge Adam par les péchés de sa vie. Or, quel
bien a mérité Adam ? Et toutefois Dieu dans sa miséricorde a
aimé, 1’Epoux a aimé cette épouse, qui n’était point belle, mais
qu’il voulait embellir. C’est donc la grâce de Dieu que le
Prophète appelle la rosée d’Hermon,
40
Ecoute Jean qui nous dit : « Quant à lui, il doit croître, et moi
diminuer 1 ». Or, voilà ce que marque leur genre de mort. Le
Seigneur fut élevé en croix, et Jean diminué de la tête. Le Christ
est donc une lumière élevée; et de là vient la rosée d’Hermon.
Mais vous qui voulez habiter ensemble, soupirez après cette
rosée, soyez-en trempés. Sans cela vous ne pourrez posséder ce
dont vous faites profession, comme vous ne pourrez avoir le
courage de le professer, si le Christ ne vous fait entendre son
tonnerre dans votre coeur. Vous ne pourrez persévérer, s’il
cesse de rassasier vos âmes, parce que cet aliment sacré descend
sur les montagnes de Sion.
41
ment ensemble? Ceux dont il est dit : « Ils n’avaient tous qu’un
même coeur et une même âme en Dieu : nul ne considérait
comme à lui lien de ce qu’il possédait, mais tous leurs biens
étaient en commun 1». Les voilà donc désignés et caractérisés
ceux qui sont figurés par la barbe, figurés par le bord du
vêtement, et qui sont au nombre des montagnes de Sion. S’il y a
parmi eux des murmurateurs, qu’ils se souviennent de cette
parole du Seigneur : « L’un sera pris, l’autre laissé 2 ».
42
haut, et nul ne l’y fera souffrir. C’est ce que nous voyons très-
bien dans le psaume suivant.
1. Act. IV, 32. — 2. Matth XXIV, 40. — 3. Ps. CXXXII, 3. — 4. Id. LXI, 5 — 5.
Matth V, 44.
En. in Ps. 4, 10
S. 272
S. 71, 35
Epist. 243, 4
S. 138, 7
Epist. 185, 36
En. in Ps. 103, 1, 4
Epist. 211, 2
C. Faust. 5, 9
De opere monach. 32 (Phil 2, 21)
En. in Ps. 99, 10-11
De civ. Dei 15, 3
De bono conj. 18, 2
S. 88, 18
De civ. Dei 19, 17
Epist. 238, 13.16
Tr. in Io. Ev. 14, 9
Tr. in Io. Ev. 18, 4
Tr. in Io. Ev. 39, 4-5
De symbolo sermo ad cat. II, 4
Epist. 170, 5
43
Chapitre II
Texte
II.1. Soyez assidus aux prières, aux heures et aux temps fixés.
2. Puisque l’oratoire est par définition un lieu de prière, qu’on n’y
fasse pas autre chose. Si l’un ou l’autre, en dehors des heures fixées,
veut profiter de son loisir pour y prier, qu’il n’en soit pas empêché par
ce qu’on y prétendrait faire.
3. Quand vous priez Dieu avec des psaumes et des hymnes, portez
dans votre cœur ce que profèrent vos lèvres.
4. Ne chantez que ce qui est prescrit ; ce qui n’est pas indiqué pour
être chanté ne doit pas être chanté.
Idée générale
Dans le deuxième chapitre, Augustin aborde la question des prières
communes.
Citations bibliques
Dans le premier paragraphe, nous trouvons une citation de Rm 12, 12,
mais légèrement modifiée : l’assiduité à la prière est devenu l’assiduité
« aux » prières : le pluriel montre que la Règle se situe à un niveau
pratique.
Au troisième paragraphe, Augustin cite Ep 5, 19. Il faut noter
particulièrement l’usage des psaumes.
Plan du chapitre
Le plan du chapitre est simple à déterminer. Après avoir parlé des
prières en général dans le premier paragraphe, Augustin traite de
l’oratoire dans le deuxième.
Dans le troisième paragraphe, il indique quelles sont les prières
utilisées. C’est le paragraphe le plus important du chapitre, car il se
penche sur l’intériorité, élément essentiel dans la spiritualité
augustinienne.
44
Le quatrième paragraphe donne des conseils pour des problèmes
concrets qui nous échappent en grande partie, car Augustin n’en fait
mention dans aucune de ses œuvres.
La lettre à Proba, (lettre 130, 18) peut nous éclairer sur les temps et les
moments à consacrer à la prière.
Saint Augustin a commentés tous les psaumes : c’est donc à ses homélies
sur les psaumes qu’il faut se référer pour comprendre la façon doit on doit
les chanter.
Pour l’intériorité, il est utile de lire le Tr. in Io. Ev. 23, 6, En. in Ps. 18, s. 2,
1, En. in Ps. 145, 6, En. in Ps. 37, 14, S. 80, 7.
45
Chapitre III
Texte
III.1. Domptez votre chair par le jeûne et l’abstinence dans la
nourriture et la boisson, autant que la santé le permet. Celui qui ne
peut pas jeûner doit à tout le moins ne pas prendre de nourriture en
dehors de l’heure des repas, sauf en cas de maladie.
2. A table, jusqu’à la fin du repas, écoutez la lecture d’usage sans bruit
et sans discussions. Que votre bouche ne soit pas seule à prendre
nourriture ; que vos oreilles aussi aient faim de la parole de Dieu.
5. Les malades ont besoin de moins pour ne pas être chargés par la
nourriture. Aussi doivent-ils être spécialement traités ensuite pour se
rétablir plus rapidement, fussent-ils originaires de la plus extrême
pauvreté dans le siècle ; leur récente maladie leur laisse les mêmes
besoins qu’aux riches leur genre de vie antérieur. Une fois leurs forces
réparées, qu’ils reviennent à leur plus heureuse façon de vivre, celle
qui convient d’autant mieux à des serviteurs de Dieu qu’ils ont moins
46
de besoins. Revenus à la bonne santé, que la volupté ne les retienne
pas là où la nécessité les avait placés en raison de leur faiblesse. Mieux
vaut en effet avoir besoin de moins que d’avoir plus.
Idée générale
Le troisième chapitre traite des divers problèmes rencontrés par le
réfectoire commun et élargit à d’autres domaines la question des
différences entre les frères qui rendent leurs besoins différents.
Citations bibliques
Le troisième chapitre comporte trois citations bibliques importantes :
Ga 5, 24 ; (§ 1). Mt 4,4 (§ 2) ; 1 Tm 6, 6 (§ 5).
Vocabulaire augustinien
Les mots mis en couleur dans le texte permettent de repérer le
vocabulaire qui doit être pris en compte dans le troisième chapitre :
- Heureux : § 3.4.5.
- Jeûne, abstinence : § 1.
- Santé : § 1.3.5.
- Faibles, malades, maladie : § 1.3.5.
- S’abaisser, travailleurs : § 4.
- Riches, pauvres : § 4. 5.
- Besoins : § 5.
Symétrie du texte
Le chapitre III est englobé dans une grande inclusion délimitée par deux
mots : santé et maladie.
Un mot est répété trois fois : « heureux » : le bonheur est bien l’enjeu
du chapitre. Et dans le dernier paragraphe, « besoins » est utilisé quatre
fois : nous avons là un rappel des fondements posé dans le premier
chapitre : Ac 4, 35.
Plan du chapitre
Le premier paragraphe traite des modalités concrètes concernant la
nourriture : jeûne, abstinence, déjeuner.
Le deuxième paragraphe traite de la lecture.
47
Les troisième et quatrième paragraphes s’arrêtent sur le cas des
anciens riches : faibles au niveau de la santé (§ 3) et délicats, car
habitués au confort (§ 4).
Le cinquième paragraphe prend le cas des malades.
Sermons de carême
Les conseils donnés par Augustin à ses fidèles pendant le Carême
éclairent les prescriptions de la Règle :
Pour tous ces sermons, voir : https://www.bibliotheque-
monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/augustin/sermons/index.
htm
S., 205
S., 206
S., 207
S., 208
S., 209
S., 210
S., 211
Travail
Augustin est le premier auteur à avoir écrit un traité sur le travail des
moines. Il est donc nécessaire de le connaître pour comprendre les
brèves notations sur ce sujet contenues dans la Règle.
De opere monachorum, 25, 32.33
De opere monachorum, 21, 25
48
49
Chapitre IV
Texte
IV.1. Pas de singularités dans votre habit ; ne cherchez pas à plaire par
vos vêtements, mais par votre manière de vivre.
3. Dans votre démarche, votre maintien, tous vos gestes, que rien de ce
que vous faites ne choque quelqu’un ; mais que tout s’accorde avec la
sainteté de votre état.
4. Que vos yeux, même s’ils tombent sur une femme, ne se fixe sur
aucune. En vos allées et venues, il ne vous est pas défendu de voir des
femmes ; ce qui est coupable, c’est de les convoiter, ou de vouloir
provoquer la convoitise chez autrui. La convoitise s’éprouve et se
provoque non seulement par un sentiment secret, mais aussi par le
regard. Ne dites pas : mon cœur est pur, si vos yeux ne le sont pas.
L’œil impur, dénonce un cœur impur. Quand, même sans paroles,
l’échange des regards manifeste l’impureté des cœurs, chacun se
délectant en l’autre selon la concupiscence de la chair, les corps ont
beau demeurer intacts de toute souillure, la chasteté, quant à elle, a fui
loin des mœurs.
5. Celui qui fixe ses yeux sur une femme et se complaît à se savoir
regardé par elle ne doit pas s’imaginer qu’on ne le voit pas lorsqu’il
agit ainsi ; il est parfaitement vu de ceux dont il ne se doute pas. Mais
passerait-il inaperçu et ne serait-il vu de personne, que fait-il de Celui
qui d’en haut lit dans les cœurs, à qui rien ne peut échapper ? Doit-on
croire qu’il ne voit pas, parce que sa patience est aussi grande que sa
perspicacité ? Que l’homme consacré craigne donc de Lui déplaire, et
il ne cherchera pas à plaire coupablement à une femme. Qu’il songe
que Dieu voit tout, et il ne cherchera pas à regarder coupablement une
femme. Car c’est précisément en cela que la crainte de Dieu est
50
recommandée par l’Écriture : L’oeil qui dévisage est en abomination
au Seigneur.
7. Si vous remarquez chez l’un d’entre vous cette effronterie des yeux
dont je parle, avertissez-le tout de suite, pour empêcher le progrès du
mal et qu’il soit corrigé au plus tôt.
11. S’il nie, c’est alors qu’il faut lui opposer d’autres témoins ; ainsi,
devant tous, il ne sera pas seulement convaincu par un seul, mais
confondu par deux ou trois.
13. Ce que j’ai dit des yeux qui ne doivent pas fixer, doit être de même
soigneusement et fidèlement observé pour toute autre faute à
découvrir, prévenir, dénoncer, confondre et punir, la haine des vices
s’y associant à l’affection pour les personnes.
14. D’autre part, on peut être avancé dans le mal jusqu’à recevoir
clandestinement de quelqu’un lettres ou cadeaux. A celui qui l’avoue
de lui-même on pardonnera, et on priera pour lui ; celui qui sera pris
sur le fait et convaincu sera plus sévèrement puni selon la décision du
prêtre ou du responsable.
Idée générale
Dans le quatrième chapitre de la Règle, Augustin traite des diverses
relations que les frères entretiennent avec l’extérieur : sortie à l’église,
etc.
Un élément retient longuement Augustin : les regards. Y a-t-il moyen
plus rapide et efficace pour nouer une relation ? Les regards nous
renvoient à l’intériorité. Ils sont aussi l’occasion de faire réfléchir les
frères sur le devoir de la correction fraternelle, c’est-à-dire sur l’entraide
que les frères doivent porter à celui qui est malade.
Citations bibliques
Les paragraphes 4 et 5 sont bâtis autour de citations bibliques
concernant la chasteté : Mt 5, 28 (§ 4) ; Mt 15, 19 (§ 4) ; 1 Jn 2, 16 (§
4) ; 1 Co 7, 22 (§ 5) ; Pr 27, 20 (§ 5).
Les paragraphes suivant reprennent Mt 18, 15-17 (§ 7-8).
Augustin ne fait pas une citation littérale de Mt 18, 15-17. Il est donc
important, pour comprendre la règle, de comparer les deux textes, avec
leurs convergences et leurs divergences.
52
Comparaison de Mt 18, 15-17 et de la Règle IV, 7-14
Vocabulaire augustinien
Le vocabulaire tourne autour de verbes qui concernent les relations,
autour du regard et autour de la correction fraternelle.
53
Se faire remarquer (§ 1), sortir (§ 2), démarche (§ 3), sortir (§ 4),
recevoir des présents (§ 14).
Yeux, l’œil impur (§ 4. 13) ; regard (§ 4) ; fixer ses yeux, se savoir
regardé, l’œil qui dévisage (§ 5) ; effronterie des yeux (§ 7).
Symétrie du texte
Le mot « yeux » est utilisé au paragraphe et au paragraphe 13. Ce qui
permet de délimiter une large inclusion qui délimite le chapitre.
Le mot « yeux » se retrouve au paragraphe 7 et détermine une « sous-
inclusion » délimitant deux parties : dans la première le vocabulaire du
regard est abondant : œil, regard, yeux ; dans la deuxième, prédomine le
vocabulaire qui a trait à la correction fraternelle.
Plan du chapitre
Les paragraphes 1-3 traitent des relations avec l’extérieur en général.
Les paragraphes 4-6 traitent d’un point particulier concernant le
comportement dans les sorties.
54
Les paragraphes 7-14 s’arrêtent sur la correction des fautes graves dont
l’effronterie des regards est un exemple.
I. Les regards
Sermon 56, 12
Sermon 132, 3
55
Chapitre V
Texte
V.1. Laissez vos vêtements en un, ou d’autant qu’il en faudra pour les
secouer et les défendre contre les mites. De même qu’une seule dépense
vous nourrit, qu’un seul vestiaire vous habille.
Si possible, ne vous préoccupez pas des effets que l’on vous procure
selon les exigences des saisons, ni de savoir si vous recevez bien le
vêtement que vous aviez déposé ou au contraire celui qu’un autre avait
porté, — à condition toutefois qu’on ne refuse à aucun ce dont il a
besoin.
Si cette distribution provoque parmi vous contestation et murmures, si
l’on se plaint de recevoir un vêtement moins bon que le précédent, si
l’on s’indigne d’être habillé comme un autre frère l’était auparavant,
jugez vous-mêmes par là de ce qui vous manque en cette tenue sainte
qui est celle de l’intime du coeur, vous qui vous chicanez pour la tenue
du corps. Si toutefois l’on condescend à votre faiblesse en vous rendant
vos anciens habits, rangez cependant toujours en un seul lieu, sous une
garde commune, les effets que vous déposez.
2. Que personne ne travaille pour soi ; mais que tous vos travaux se
fassent pour le bien commun, avec plus d’empressement, de constance
et de zèle que si chacun en particulier s’occupait exclusivement de ses
propres affaires. La charité en effet, comme il est écrit, ne recherche
pas son intérêt ; cela veut dire qu’elle fait passer ce qui est commun
avant ce qui est propre, et non ce qui est propre avant ce qui est
commun. Plus vous aurez souci du bien commun avant votre bien
particulier, plus vous découvrirez vos progrès. Dans l’usage de toutes
ces choses nécessaires qui passent, que la charité qui demeure
l’emporte sur ce qu’utilise la nécessité qui passera.
56
4. Au responsable de régler comment les vêtements seront lavés, soit
par vous-mêmes soit par des blanchisseurs. Il ne faut pas qu’un souci
excessif de propreté dans les habits provoque quelques taches
intérieures dans l’âme.
8. Le soin des malades, de ceux qui doivent retrouver leur forces après
la maladie et de tous ceux qui, même sans fièvre, sont plus ou moins
affaiblis, sera confié à l’un d’entre vous, qui aura à demander lui-même
à la dépense ce qu’il jugera nécessaire pour eux.
10. Pour les livres, une heure, chaque jour, sera fixée pour les demander
; en dehors de cette heure, aucune demande ne sera honorée.
11. Ceux qui s’occupent des vêtements et des chaussures les remettront
sans délai à ceux qui, en ayant besoin, viendront les leur demander.
Idée générale
Augustin parle dans ce chapitre de la vie quotidienne au monastère :
les vêtements et les chaussures, le travail, les cadeaux, les bains, les
malades, les livres. Comment se comporter dans ces diverses nécessités
57
matérielles de la vie au monastère, pour en faire l’expression du coeur
unique ?
Citations bibliques
Ps 132, 1 : § 1
Ac 4, 35, b : § 1. 3. 5. 11
1 Co 12, 31; 13, 5.8-13 : § 2
1 Co 7, 31 : § 2
Vocabulaire augustinien
En un
Bien commun
ce qui est propre
chercher son intérêt
charité
ce dont on a besoin
qui en aurait besoin
la nécessité
le responsable
Symétrie du texte
« En un »et « en un seul lieu » délimitent une petite inclusion qui
définit le premier paragraphe.
« Commun » sert de mot crochet entre le paragraphe 1 et le
paragraphe 2 et sert aussi à délimiter une inclusion qui englobe les
paragraphes 2 et 3. Ce mot est d’ailleurs plusieurs fois répété dans cette
partie, mis en opposition avec propre, particulier.
Le mot « responsable » sert de mot crochet entre les paragraphes 3 et
4. Il se retrouve aux paragraphes 5 et 7.
Le mot « besoin » rattache le paragraphe 3 au paragraphe 5 et
détermine une inclusion entre le paragraphe 5 et le paragraphe 11, à
l’intérieur de laquelle le vocabulaire utilisé met l’accent sur la maladie,
la santé, la faiblesse, et tous les autres domaines dans lesquels les frères
peuvent avoir des besoins.
58
Tous les paragraphes de ce chapitre abordent des questions
concrètes, mais le paragraphe 2 tranche sur les autres : il donne un
enseignement capital pour la spiritualité augustinienne.
Plan du chapitre
Le premier paragraphe indique comment les frères doivent se
comporter vis-à-vis des vêtements. « En un », rappel du début du
premier chapitre indique que ce comportement est directement en lien
avec l’idéal d’unité de la communauté.
59
De doct. christ., I, 4, 4
En. in Ps. 34, s. 1, 6
60
61
62
Chapitre VI
Texte
VI.1. Pas de disputes ; ou alors mettez-y fin au plus vite ; que votre
colère ne se développe pas en haine, d’un fétu faisant une poutre, et
rendant votre âme homicide. Vous lisez en effet : qui hait son frère est
homicide.
Idée générale
La charité qualifie les moindres actions des frères. Aussi tout ce qui
pourrait la blesser doit trouver au plus vite un remède dans le pardon
63
mutuel. La vocation même des frères — l’âme et le cœur uniques —
l’exige. Augustin consacre donc un chapitre de la Règle au pardon
mutuel. Il rappelle ainsi indirectement le primat de la charité, but de la
vie dans le monastère. C’est elle qui doit présider à toutes les relations
entre les frères. Le Seigneur ne nous a-t-il pas demandé d’aimer notre
prochain comme nous-mêmes ?
Citations bibliques
1 Tm 2, 8 : « Je veux que les hommes prient en tout lieu sans colère
ni dispute ».
He 5, 21-22 : "Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne
commettras pas de meurtre ; celui qui commet un meurtre en répondra
au tribunal. Et moi je vous dis : Quiconque se met en colère contre son
frère en répondra au tribunal ».
He 7, 3 : « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’oeil de ton
frère, mais à ne pas voir la poutre qui est dans le tien ? »
1 Jn 3,15 : « Quiconque hait son frère est un homicide ».
He 5, 23-24 : « Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te
souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande,
devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère » (demander
pardon à celui qu’on a offensé).
He 6, 12 : « Comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs »
(pardonner à celui qui nous a offensé).
Col 3, 13 : « pardonnez-vous mutuellement ».
Rm 5, 5 : « L’amour de Dieu a été répandu en nos cœurs par le
Saint-Esprit qui nous fut donné ».
Vocabulaire augustinien
- La colère qui devient haine comparée à la paille qui devient poutre.
- L’amour charnel et l’amour spirituel.
Symétrie du texte
On trouve de nombreuses répétitions :
- au paragraphe 2 : blessé, blessures pardon, pardonner.
- au paragraphe 3 : pardon.
Plan
Dans le premier paragraphe, Augustin constate que les disputes sont
inévitables.
64
Dans les deux paragraphes suivants, il indique le remède à y
apporter : le pardon mutuel. Le paragraphe 3 aborde le cas particulier de
ceux qui ont la responsabilité de plus jeunes qu’il faut distinguer des
frères.
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Chapitre VII
Texte
VII.1. Obéissez au responsable comme à un père, et plus encore au
prêtre qui a charge de vous tous.
3. Quant à celui qui est à votre tête, qu’il ne s’estime pas heureux de
dominer au nom de son autorité mais de servir par amour. Que
l’honneur, devant vous, lui revienne d’être à votre tête ; que la crainte,
devant Dieu, le maintienne à vos pieds. Qu’il s’offre à tous comme un
modèle de bonnes œuvres. Qu’il reprenne les turbulents, encourage
les pusillanimes, soutienne les faibles ; qu’il soit patient à l’égard de
tous. Empressé lui-même à observer cette règle de vie, qu’il en impose
le respect. Et bien que l’une et l’autre soit nécessaire, qu’il recherche
auprès de vous l’affection plutôt que la crainte, se rappelant sans cesse
que c’est à Dieu qu’il aura à rendre compte de vous.
4. Quant à vous, par votre obéissance ayez pitié de vous sans doute,
mais plus encore de lui ; car, parmi vous, plus la place est élevée, plus
elle est dangereuse.
Idée générale
Augustin aborde une question capitale pour une communauté : les
relations entre les frères et le responsable, c’est-à-dire l’obéissance et
l’autorité.
Citations bibliques
He 13, 17 : « Obéissez à vos chefs (praepositus). »
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Mt 20, 25-28 : « Les ayant appelés près de lui, Jésus dit : “Vous savez
que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les
grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi
vous: au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera
votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, sera
votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour
être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une
multitude”. »
Jn 13, 14-15 : « Si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le
Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux
autres. »
Tt 2, 7 : « Offrant en ta personne un modèle de bonne conduite. »
1 Th 5, 14 : « Nous vous y engageons, frères, reprenez les
désordonnés, encouragez les craintifs, soutenez les faibles, ayez de la
patience envers tous. »
He 13, 17 : « Obéissez à vos chefs [...] car ils veillent sur vos âmes,
comme devant en rendre compte; afin qu’ils le fassent avec joie et non
en gémissant, ce qui vous serait dommageable. »
Vocabulaire augustinien
Le responsable (praepositus) est celui qui est placé devant pour
conduire la communauté. Ce terme est employé par Augustin aussi bien
pour l’évêque que pour celui qui gouverne un monastère. Toutes les
citations bibliques qu’il utilise pour parler du responsable sont
d’ailleurs celles que l’on trouve dans ses sermons à propos de l’évêque.
Il ne faudrait pas en déduire que le responsable d’un monastère joue un
rôle parallèle à celui de l’évêque, comme dans la Règle de saint Benoît.
Mais dans tout groupe humain, il faut quelqu’un qui dirige pour
maintenir l’unité. C’est là ce qui est commun à l’évêque et au
responsable d’un monastère.
Observer, est aussi un mot important : il renvoie aux
commandements qui tiennent une place essentielle dans la vie
chrétienne.
« Heureux » est aussi un mot typique d’Augustin : sa morale est une
morale du bonheur, mais il ne faut pas se tromper sur ce qui procure le
bonheur.
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Symétrie du texte
« Obéissance » qui revient au premier paragraphe et au quatrième,
délimite une inclusion. Les deux paragraphes intermédiaires parlent du
responsable de la communauté ; ils sont eux-mêmes délimités par
inclusion : « observation » au paragraphe 2 et « observer » au
paragraphe 3.
« Responsable » (ou celui qui est à votre tête) sert de mot crochet
entre le premier et le deuxième paragraphe.
Plan
Les paragraphes 1 et 4 — les plus courts — abordent la question de
l’obéissance.
Tout le reste du chapitre est consacré au responsable : c’est à lui
qu’Augustin adresse les plus longues recommandations.
La vertu d’obéissance
Tr. in Io. Ev. 19, 10 25, 16 ; 99, 1
De Trin. XIII, 17, 22
En. in Ps. 71, 6
En. in Ps. 1, 1
En. in Ps. 103, s. 3, 9
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De civ. Dei XIX, 14
Jn 13, 14-15
S., 91, 5
S., 146, 1
En in Ps. 126, 3
En in Ps. 66, 10
Tt 2, 7
S., 46, 9
En in Ps. 39, 6
1 Th 5, 14
S., 340, 1
En in Ps. 132, 12
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Chapitre VIII
Texte
VIII.1. Puisse le Seigneur vous donner d’observer tout cela avec
amour, comme des amants de la beauté spirituelle, exhalant par votre
vie bonne la bonne parfum du Christ, non comme des esclaves sous le
régime de la loi, mais en hommes libres sous le régime de la grâce.
Idée générale
Après avoir consacré sept chapitres de sa Règle aux divers éléments
qui structurent la vie apostolique telle qu’il la conçoit, Augustin donne
quelques conseils sur la façon dont il faut utiliser la Règle pour qu’elle
porte du fruit.
Citations bibliques
2 Co 2, 15 : « Nous sommes bien, pour Dieu, la bonne odeur du
Christ. »
Rm 6, 14 : « Le péché n'aura plus d'empire sur vous, puisque vous
n'êtes plus sous la loi mais sous la grâce. »
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Mt 6, 12-13 : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons
remis à nos débiteurs. Et ne nous soumets pas à la tentation. »
Vocabulaire augustinien
« Beauté » est un mot cher à Augustin.
Nous trouvons trois couples de termes, crainte – amour (incomplet
dans la règle) ; Sous la loi - sous la grâce ; esclavage – liberté.
Le miroir est un terme paulinien utilisé pour parler du symbole de la
foi, de l’Ecriture et aussi de la Règle.
L’association de Mt 6, 12 à Mt 6, 13 revient souvent aussi dans les
écrits de l’évêque d’Hippone.
Symétrie du texte
« Observer », utilisé en VIII, 1, reprend Règle I, 1 et délimite ainsi
une vaste inclusion : toute la règle a pour but de déterminer les
commandements qui sont à observer.
Plan
Le premier paragraphe indique la disposition fondamentale pour
observer la Règle. Augustin situe dans leur vraie dimension tous les
préceptes qu’il vient de rappeler aux frères : les observer est un don de
Dieu, une grâce.
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En. in Ps. 118, s. 14, 4
En. in Ps. 118, s. 10, 6
Non comme des esclaves sous la Loi, mais comme des hommes
libres sous la grâce
Tr. in Io. Ev. 41, 10
C. duas epist. Pelag., 2, 9, 21
De natura et gratia, 57, 67
Epist., 145, 5
Le miroir
S., 49, 5
De speculo, préface
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Plan de la Règle
Après avoir analysé chaque chapitre de la Règle pour en déterminer la
structure, il nous est possible de proposer un plan pour l’ensemble de la
Règle. Autant chercher un plan strict peut conduire à une impasse,
autant ne voir dans la Règle qu’une juxtaposition de préceptes est
erroné.
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