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être, éventuellement, une réponse à 1971, nous sommes partis tous les
ce manque de ferment, de substrat ? deux en même temps : Sluzki est allé
E. Veron : Oui, je le pense. Surtout s’installer à Palo Alto, moi, je suis
que les sciences sociales étaient elles- venu à Paris.
mêmes des sciences nouvelles à l’uni- G. Dubois : A l’époque, y-a-t-il eu
versité. une filiation, une trajectoire, qui allait
M. Thonon : Au début des années 60, de Sartre à la psychanalyse, à Lacan,
vous travaillez sur l’image du corps etc. ? Ici c’était visible. Ce n’était pas
et sur la sexualité comme système de une filiation théorique, mais cela tou-
communication sociale, vous le liez chait les mêmes populations.
semble-t-il à l’influence de Merleau- E.Veron : La théorie psychanalytique
Ponty et celle de Lévi-Strauss... dominante en Argentine jusqu’à la
E.Veron : A partir de l’horizon phi- fin des années 60, était britanique :
losophique qui était au départ le mien, Mélanie Klein, Fairbairn. Après, tout
il y avait deux figures dominantes en a changé à partir de Lacan. Mais il y
France et elles l’étaient aussi en Ar- a toute une première histoire
gentine, pour la nouvelle génération psychanalytique argentine associée à
de philosophes : Sartre et Merleau- la psychanalyse anglaise.
Ponty. Merleau-Ponty meurt G. Dubois : Est-ce faire acte
prématurément. Quand j’étais encore d’individualisme que de passer de la
étudiant je souhaitais partir pour la phénoménologie à la clinique ? Est-
France avec une bourse. Je voulais ce atypique ? Y -a-t-il une logique,
venir travailler avec Merleau-Ponty. une cohérence ?
Il est mort un ou deux ans après. Je E. Veron : Au-delà du fait circons-
suis finalement venu travailler avec tanciel qu’on s’est mis à travailler ce
Lévi-Strauss. Merleau-Ponty m’avait sujet parce qu’on a eu des fonds pour
passionné quand j’étudiais la le faire, cette recherche était en Ar-
philosophie, et j’étais resté gentine quelque chose de totalement
profondement anti-sartrien. Du point nouveau. A l’époque, il y avait un
de vue de ce que je commençais à livre avec des textes de Bateson,
faire, c’est-à-dire de la sociologie, je traduit par la maison d’édition Paidos,
comprends maintenant pourquoi le livre qu’il avait écrit avec Jurgen
Merleau-Ponty était pour moi Ruesch. L’édition originale améri-
beaucoup plus intéressant que Sartre caine datait de 1951, et l’édition es-
; il était beaucoup plus proche des pagnole de 1965. Il vient d’ailleurs
sciences humaines, à la fois de la d’être traduit en français sous le titre
psychanalyse, de la linguistique et de Communication et société. Greimas
l’anthropologie. J’ai donc passé deux était complètement indigné quand j’ai
ans avec Lévi-Strauss. De retour en présenté certains résultats de notre
Argentine, je retrouve un vieil ami recherche à Urbino, en 1969. Qu’est-
psychanalyste, Carlos Sluzki. Nous ce que cette recherche qui mélange
réussissons à obtenir des fonds pour tout? Et c’était effectivement très
faire une recherche en psychiatrie mélangé, parce qu’on avait une dé-
sociale, sur la névrose comme système marche sémiologique, sémio-
de communication. Elle a duré 5 ans. structuraliste, ça c’était moi ; il y
C’est à travers cette recherche que avait une démarche psychanalytique
nous sommes entrés en contact avec inspirée de Fairbairn, ça c’était Sluzki,
l’équipe de Gregory Bateson. En et en plus il y avait le début de la
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pas grande chose à voir avec la théorie cours, ou un ensemble discursif, n’est
de Peirce. Ce qui a été important pour rien d’autre qu’une mise en espace-
moi quand je suis arrivé en France, temps de sens». Pourriez-vous com-
c’est que j’ai suivi pendant deux ou menter cette citation ? Il y a conflit
trois ans, assez régulièrement, le sé- entre une perspective marxiste déter-
minaire d’Antoine Culioli. Culioli minant d’une certaine façon et la pro-
était à l’époque l’un des rares duction et l’interprétation, et d’autre
linguistes en France qui connaissait part la circulation de sens non
Peirce. Il avait des hypothèses sur déterministe? L’hybride qui en résulte
Peirce et sur l’intérêt que Peirce est-il viable?
pouvait avoir, cela m’a aidé à faire E.Veron : Il y a là à la fois un
une lecture opératoire, et non pas problème général et un problème spé-
typologique, de Peirce. Si on se libère cifique. Le problème général est celui
de l’interprétation purement du mélange de deux modèles. Une
typologique des signes et si on consi- description en amont et une
dère que c’est une pensée opératoire, description en aval du processus de
alors cela devient très important. J’ai circulation de sens peuvent être faites
développé cet aspect en France dans avec une démarche sociologique, qui
les années 70, dans mon séminaire à pose moins de problèmes. Par contre,
l’Ecole des Hautes Etudes. la question de la circulation, c’est-à-
P.Tupper: Vous disiez être plus pré- dire de ce qui se passe entre la pro-
occupé par l’étude de l’objet que par duction et la reconnaissance, c’est là
la théorie. N’y- a-t-il pas une influence où, manifestement, un modèle
de la théorie sur le choix de l’objet à déterministe ne marche pas. Pour
analyser? avancer il faut réviser et l’amont et
E.Veron : Je ne rejette pas la théorie, l’aval. Au fond, réviser ce qui est une
je rejette l’orthodoxie théorique. La description du contexte socioculturel
théorie est indispensable, tu ne peux de la communication. On peut diffi-
pas t’en passer. Mais je n’ai aucun cilement se borner à une sociologie
scrupule à bricoler avec la théorie. En descriptive qui parle du contexte
même temps, dans le courant des socio-économique. La question de
années 70 j’étais vaguement marxiste. l’espace-temps du sens, en revanche,
Ca se sent dans tous mes écrits de est un problème spécifique qui m’a
l’époque. Il y a une façon de poser les toujours intéressé, parce qu’il me
problèmes d’analyse des discours semble que la plupart des théories ne
marquée par la conceptualisation tiennent pas compte de la matérialité
marxiste, quand je parle des condi- du sens. Avant toute autre chose, le
tions de production, par exemple. Il signe est une configuration senso-
s’agit donc d’un modèle déterministe. rielle. Dans ce contexte, je m’inté-
Je pense maintenant que la circula- resse au corps aussi, au rôle des con-
tion du sens n’est pas déterministe et figurations sensorielles-matérielles
c’est très embêtant, parce que il y a là dans le fonctionnement du sens.
un mélange de modèles qui, à terme, G. Dubois : C’est la contrainte tech-
ne marche pas. nique du système physiologique, qui
B.Darras : Je reprends une citation constitue une contrainte pour le sens
issue de votre recueil sur La Sémiosis ?
sociale : «Quel que soit le support E.Veron : Non, il ne s’agit pas de
matériel, ce que nous appelons dis- physiologie. Mon problème com-
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plus dans les sciences dures. philosophie, mais tout dépend des
B. Darras : N’est-ce pas là le pro- contraintes que l’auteur s’est donné
blème majeur des années 80 ? La dès le départ. Moi, ce qui m’intéresse
disparition des grandes théories c’est la construction de théories à
généralisantes ou unifiantes serait le travers un travail sur des choses
résultat d’une incapacité à articuler concrètes. Je suis capable de passer
le singulier, le local et le général au des heures à analyser une émission de
complexe. Le général s’est montré télé. Tout le monde ne le ferait pas. Il
trop pauvre pour rendre compte de la y a des gens qui trouvent ça
compléxité. La résistance du singulier complètement inintéressant, moi ça
et du local a mis en déroute le général m’amuse beaucoup. A condition de
et réintroduit le complexe. travailler à partir de concepts, sinon
E. Veron : Il y a un peu de ça dans vous ne pouvez amorcer la moindre
l’évolution du milieu intellectuel, analyse.
mais je ne dirais pas que ça décrit ma P. Tupper : Une sorte d’empirisme
situation personnelle. Il y a toujours s’est imposé dans les années 80.
des articulations qui se font et qui Aujourd’hui, je dois être performant
permettent certaines généralisations, parce que je dois gagner, l’attitude
et soudain vous découvrez, en devient tout à fait pragmatique.
travaillant sur la culture interne d’une E. Veron : Je n’accepte pas l’opposi-
entreprise en termes de tion entre le pragmatique et le non
communication, qu’il y a un problème pragmatique. Je pense que la théorie
très voisin de ce que vous avez traité est partout. Elle est dans le concret.
en analysant la communication sur le En ce qui me concerne, c’est une
Sida. Il y a des passages d’un pro- expérience fortement associée à la
blème à un autre. recherche appliquée. Toute la culture
M. Thonon : Le concept même de est dans un pot de yaourt, c’est mon
théorie est-il toujours intéressant, fi- point de vue. Quand tu commences à
nalement ? Vous disiez tout à l’heure interroger les gens sur les pratiques
que vous souhaiteriez arriver à une alimentaires, tu as toute l’anthropo-
théorie, dans le même temps vous logie dedans. Vous ne pouvez pas
dîtes qu’elle serait partielle, fragmen- imaginer les discours que les gens
taire, provisoire, etc ? peuvent tenir sur, par exemple, les
E. Veron : Il y a trois états de la aliments pour chiens. C’est étonnant.
théorie. Il y a un état qui est la théorie B. Darras. : C’est la grande spirale
en pleine liberté. Personnellement, de la sémiosis, C’est tout le dévelop-
ça ne m’intéresse pas du tout. Proposer pement de la sémiosis à travers n’im-
ce genre de théorie c’est plutôt un porte lequel de ses objets. Il reste
acte d’expression que de réflexion. quand même que cette sémiosis
Si un intellectuel en vue écrit un très illimitée, qu’inaugure Peirce, connait
beau livre en racontant comment il la fracture, l’arrêt, et à sa façon la
voit le monde aujourd’hui, c’est très limite. Ne serait-ce qu’au moment où
bien , merci, mais ça ne m’intéresse elle s’épuise dans la reproduction de
pas. ses propres fins. Il y a, comme vous le
Une théorie soumise à une restriction disiez, une sorte de dimension fractale
forte, logique ou autre, ça peut être de n’importe quel objet, le tout de
très intéressant. On peut avoir beau- l’humanité, le tout de sa culture, le
coup d’idées en lisant un bouquin de tout de sa pensée, c’est à la fois vrai
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E. Veron : Très labile et très limitée plus universelles et plus stables. Com-
en même temps. On a vécu pendant ment cela va-t-il se passer ?
très longtemps, au niveau de la re- E. Veron : Ce sont deux problèmes
cherche appliquée, sur l’idée, bien différents. Le premier problème
purement marketing, qu’il faut concerne le dispositif que l’on met en
essayer de trouver la meilleure place et qu’on appelle une marque.
concordance possible entre l’offre et Par rapport à ce problème, il faut
la demande. En fait, lorsqu’un changer de niveau. Il y a un méta-
ajustement fort est obtenu, cette com- niveau à trouver, dans lequel la
munication ne sert strictement à rien. marque n’est plus un ensemble
La communication commerciale, qui d’images, mais une façon d’être au
réussit à structurer un discours pour monde. L’exemple le plus simple est
qu’il corresponde parfaitement à ce celui de l’identité individuelle. Si tu
que les gens attendent, produit des regardes une photo de toi-même il y
campagnes que les gens oublient. La a dix ans, il n’y a pas un seul code de
communication qui peut avoir une ta personne qui soit le même. Tu as
certaine efficacité c’est la complètement changé de coiffure, de
communication qui travaille les façon de t’habiller, etc., et pourtant il
tensions et les décalages. y a une continuité d’identité. Avant,
B. Darras : Qui travaille sur les écarts, les marques construisaient des vête-
mais par sur les identités. ments, maintenant il faut construire
E. Veron : Sur certaines aspérités de des identités dans le temps.
la réception. B. Darras : On retrouve ici le pro-
B. Darras : Le problème c’est qu’on blème étudié par Francisco Varela
ne sait jamais sur quelle aspérité on sur l’autonomie, comment se consti-
va s’accrocher... tuer une identité tout en étant en chan-
E. Veron : A chaque fois on essaie de gement perpétuel...
le comprendre. E. Veron : Au début, on parlait de
P. Tupper : Le cas Benetton est un marques planétaires, identiques par-
bon exemple ... Il y a là un décalage tout, capables d’être autonomes par
énorme. rapport aux contextes culturels parti-
E. Veron : C’est un peu extrême, culiers, etc. On est revenu de cet
mais je ne connais pas la réflexion optimisme. Il est clair que tel type de
stratégique qui a été faite en amont. produit en Allemagne est imprégné
En tout cas, cette sorte d’idéologie de d’un sens qu’il n’a absolument pas en
l’ajustement parfait est en train d’être France... A un moment on s’est dit,
remise en question. C’est clair, par toutes les marques deviendront
exemple, dans la réflexion sur les comme Coca-Cola, qui est
marques. Avant, le problème était de universelle, qui n’est même plus
définir tout un univers particulier de américaine. Ca fait partie du
la marque, son territoire, ses valeurs, patrimoine de l’humanité. Je crois
ses codes, et cela devait durer 5, 10 que cet optimisme là est retombé. On
ans. Maintenant ce n’est plus le pro- est beaucoup plus prudent aujourd’hui
blème. Il faut construire des marques sur ce problème.
qui se définissent par le changement M. Thonon : On ne sait toujours pas
permanent. pourquoi dans l’ensemble des
P. Tupper :Dans la perspective euro- produits et marques américaines,
péenne, les marques vont devoir être “Coca-cola” ou “MacDonald” sont
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Eliséo Veron
est né en Argentine. Docteur d'Etat es Lettres et Sciences Humaine. Il est Professeur des
Universités (Université de Paris VIII) en Sciences de l'Information et de la
Commmunication
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Buenos-Aires
- Conducta, estructura y comunicacion(Comportement structure et communication),
Buenos Aires, Editorial Jorge Alvarez, 320 p., 1968
- (Recueil sous sa direction)Lenguaje y comunication social (Langage et communica-
tion sociale), Buenos Aires, Nueva Vision, 230 p., 1969
- (en collab. avec C.E. Sluzki)Comunicacion y neurosis (Communication et névrose),
Buenos Aires, Editorial del Instituto, 336 p., 1970
- (recueil sous sa direction) El proceso ideologico (Le processus idéologique), Buenos
Aires, Tiempo Contemporaneo, 400 p., 1971
- Conducta, estructura y communicacion, Buenos Aires, Tiempo Contemporaneo, 400
p., 1972
- Imperialismo, lucha de clases y conocimiento : 25 anos de sociologia en Argentina
(Impérialisme, lutte de classes et connaissance : 25 ans de sociologie en Argentine),
Buenos Aires, Tiempo Contemporaneo, 110 p., 1974
- A produçao de sentido (La production de sens), Sâo Paulo, Editora Cultrix-Editora da
Universidade de Sâo Paulo, 238 p. 1980
et à Paris
- Construire l'évènement. Les médias et l'accident de Three Miles Island, Paris, Editions
de Minuit, 180 p, 1981
- (en collab. avec M. Levasseur) Ethnographie de l'exposition. l'espace, le corps et le
sens, Paris, Centre Georges Pompidou, Bibliothèque Publique d'Information, 220 p.,
1984
- (en collab. avec Erix Fouquier) Les spectacles scientifiques télévisés. Figures de la
production et de la réception. Ministère de la Culture-La Documentation Française,
Paris, 190 p., 1986
- en collab. avec Silvia Sigal) Peron o muerte. Los fundamentos discursivos del
fenomeno peronista (Peron ou la mort). Les fondements discursifs du phénomène
péroniste) Buenos Aires, Editorial Legasa, 250 p., 1988
- Espaces du livre, paris, Bibliothèque Publique d'Information, Centre Georges
Pompidou, 100 p., 1989.
Il a publié près d'une centaine d'articles en espagnol, anglais, français, italien et portugais.
En dehors de France et d'Argentine, il a donné des cours, conférences et séminaires dans
des universités et des institutions de recherche de nombreux pays (Etats-Unis, Mexique,
Colombie, Venezuela, Brésil, Pérou, Uruguay, Chili, Espagne, Italie, Pays-Bas, grande-
Bretagne, Portugal, Suisse).
Dans le domaine de la recherche appliquée, il a travaillé pour des entreprises telles que
: Apple Computers France, Peugeot, Renault, le groupe Marie-Claire, Hachette Groupe
Presse, Paris Match, Elle, la RATP, la SNCF, et pour des administrations et institutions
telles que le Centre Georges Pompidou, le Ministère de la Santé, le Ministère de la
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