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QUAND EST-ON CHEZ SOI ET QUAND EST-

ON CHEZ L’AUTRE ?
ENJEUX (INTER)CULTURELS

Pr Omer Massoumou
Université Marien Ngouabi
Contexte de la communication

l Dans un essai titré La Nostalgie. Quand donc est-on


chez soi? (2013), Barbara Cassin présentait la
nostalgie comme une expérience traduisant à la fois
l’enracinement et le déracinement.
l L’enracinement et le déracinement renvoient en
effet à des rapports avec la terre ou le territoire.
Mais pas seulement.
Contexte (suite)

l Ces phénomènes se vivent aussi à travers


des liens avec la langue, l’environnement, le
temps, les hommes, les cultures…
l Être chez soi, c’est être dans sa zone de
confort; c’est affirmé une identité localisable
ou reconnaissable, c’est être enraciné dans
une culture.
Contexte (suite)

l Être chez l’autre, c’est être, a priori, dans une


zone d’inconfort, c’est être dans un espace de
la relation avec l’altérité, c’est vivre dans
l’espace de la transaction interculturelle.
l Et cet espace de la transaction interculturelle
correspond à l’espace-temps de la mobilité.
Quelle que soit la distance géographique, la
mobilité situe le sujet dans la transaction
interculturelle.
Objet et objectifs de la communication

l Pour présenter les clés de lecture ou les éléments


d’un guide de cultures congolaises, j’ai intitulé ma
communication de la manière suivante: « quand
est-on chez soi et quand est-on chez l’autre?
Enjeux (inter)culturels ».
l Ma communication porte donc sur une description
de quelques transactions culturelles. Je traite
principalement ici des Occidentaux en Afrique (au
Congo).
Problématique

l Pour des jeunes gens français ou italiens,


quelle conduite tenir face aux enjeux
culturels locaux pendant leur séjour au
Congo?
Orientations

l Il s’agit, au départ, de poser ou de spéculer


sur les identités des principaux acteurs en
présence Français, Italiens, Congolais…
l Il faut noter que l’espace identitaire est à la
fois celui de la langue, du territoire, de la
culture, de l’environnement…
Orientations (suite)

l En terres congolaises, la diversité linguistique et


culturelle d’une part et les différences des niveaux
de modernisation d’autre part imposent de penser
les rapports interculturels à travers la complexité des
expériences pratiques.
l Les expériences du déracinement comme un
espace-temps de la découverte de l’autre et de soi.
Nous allons questionner ces expériences pour
imager des postures culturelles adéquates.
Etre chez soi et penser l’autre

l Les opinions ou les représentations en vigueur au


sein d’une société sont des valeurs qu’on se
transmet de génération en génération sans parfois
apprécier leur pertinence, surtout quand on est
dans sa zone de confort.
l Avant d’être en contact réel avec l’autre, ces
opinions suffisent parfois à justifier des actions
positives ou négatives.
Etre chez soi et penser l’autre

l Deux questions peuvent être retenues pour fixer


l’orientation de notre propos:
– au sujet de l’altérité noire (congolaise), que pense le
Français ou l’Italien ?
– au sujet de l’altérité blanche (italienne ou française),
que pense le Congolais?
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Avant d’avoir un contact réel ou vivant


avec le monde noir, le jeune occidental, qui
grandit dans sa ville ou sa campagne,
reçoit, à travers son école, ses amis, sa
famille et sa société, des opinions
positives et/ou négatives sur les Noirs.
l Il est difficile de recenser ces différentes
idées parce qu’elles sont nombreuses et
variées.
l Mais des tendances peuvent être retenues.
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Les idées reçues par les Blancs au sujet de


l’Afrique et des Africains sont globalement
négatives. Ainsi, l’Afrique = terre sauvage,
d’humidité et de grosses chaleurs avec des
forêts hostiles…
– Animaux sauvage (lions, girafes, araignées,
mouches, moustiques, perroquet, etc.);
– Terre des maladies contagieuses (malaria,
maladie du sommeil, ébola, sida, bilharziose,
etc.).
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

– Les Africains sont vus comme des grands


enfants avec de grosses lèvres, des gros
nez épatés, ils sont alcooliques,
paresseux, voleurs, menteurs,
malhonnêtes, ont plusieurs femmes et
enfants et parlent un français maladroit
avec accent.
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Ces idées assez classiques sur les Noirs sont


plutôt négatives et sont en partie véhiculées à
travers des canaux divers: les livres, les films,
la réalité…
l On pense à :
– Tintin au Congo d’Hergé;
– Voyage au Congo d’André Gide;
– Retour à Brazzaville, une vie au Congo de Jean de Puytorac;
– Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad;
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Au début de la BD de Tintin au Congo,


l’ambiance est marquée par le caractère
sauvage du pays où on va.
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l On parle de la chasse au
lion,
l on prévoit des
moustiquaires,
l il y a des images de
girafes,
l le chien de Tintin, après
avoir été béqueté par un
perroquet, craint la
psittacose, maladie
contagieuse transmise par
les perroquets.
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Dans Voyage au Congo d’André Gide, l’image


de la femme noire est plutôt négative:
– « la quantité d’enfants est inimaginable. Je tâche de les
dénombrer; à cent quatre-vingt. Je m’arrête pris de vertige, ils
sont trop » (p. 41).
– « Hier au marché, vente à la criée de viande d’hippopotame
(…) Foule grouillante, beaucoup de discussions, de disputes
entre femmes surtout » (p. 44).
– « (…) la rencontre que nous fîmes d’un groupe de femmes
(…) Nombre d’entre elles allaitent en travaillant » (p. 95).
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Dans Retour à Brazzaville, une vie au Congo


l A N’Kassa, village proche de Matoko, Makambo cause avec Fornelli
qui affirme:
– « Les nègres d’ici ne sont pas mauvais. Il faut se méfier des
Mongo du Congo belge, ce sont des voleurs impénitents. Les
autres, chapardeurs comme partout. Tu les connais aussi bien que
moi. » (p. 197).
lMakambo rencontre un Belge qui lui dit:
– « Vous connaissez les M’Bongo? Une sale race. Leur terre se
trouve entre le fleuve et l’Oubangui. C’est là que la guerre m’a pris.
Je travaillais pour une de ces sociétés disparues avec la guerre. En
pleine brousse. Les nègres? Des sauvages parmi les sauvages qui
se bouffaient entre eux. » (p. 202).
Préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l Ces idées ont, travers le temps, évolué.


Hergé, de son vrai nom Georges Remi
affirme par exemple, lors d’une interview
réalisée par Camille Bichler à la radio France
culture (23/01/19) la nature colonialiste mais
assumée des acteurs des années 30 quand
il est invité à dessiner Tintin au Congo.
=> préjugés au sujet sur l’altérité noire (congolaise)

l « Alors, j’ai fait "Tintin au Congo" sans grand


enthousiasme. Si je devais réécrire "Tintin au
Congo" aujourd’hui, cela serait très différent.
Mais tout a évolué et changé, moi aussi j’ai
changé. Tintin reporter est un miroir, d’ailleurs
tout journaliste est une espèce de miroir qui
reflète les événements qu’il va regarder. Tintin
a été le miroir de ce que la plupart des gens
pensaient du temps de la Russie bolchevique.
Quant à l’idée colonialiste, pratiquement tout
le monde a été colonialiste. Cela ne posait pas
de problème, le Blanc avait été créé pour
apporter la civilisation aux autres. Tintin n’était
pas raciste mais il était colonialiste comme
tout le monde l’était à l’époque. » Georges
Remi
Préjugés des Congolais au sujet sur l’altérité blanche

l La question à se poser est celle de savoir si


les Congolais ont développé des idéologies
au sujet de l’altérité blanche.
l La réponse est probablement oui et non.
Mais l’absence de texte majeur, à l’image par
exemple du Code noir tend à faire croire qu’il
n’y a pas de pensée issue des institutions de
ces territoires.
Préjugés sur l’altérité blanche

l Pour les Congolais, les Blancs étaient


considérés, lors des premiers contacts, au
temps ancien, probablement au Moyen âge,
comme des revenants, des parents morts,
partis à mpemba et qui revenaient (cf. Le
Feu des origines d’Emmanuel Dongala).
Préjugés sur l’altérité blanche

l Les Blancs sont premièrement perçus


comme les ressortissants du Portugal
désigné par le mot Poto en lingala ou Putu
en kituba.
l Moto ya poto
l Muntu ya putu
Préjugés sur l’altérité blanche

l Avec la colonisation, le Blanc est par la suite


perçu comme Français ou Belge et les deux
Congo se différencient ainsi:
– Congo français, la république du Congo;
– Congo belge, la république démocratique du Congo.
Préjugés sur l’altérité blanche

l Le Congo français est supposé avoir reçu la


culture française et le Congo belge a reçu la
culture de la Belgique.
l On dit à Kinshasa, bourgmestre, septante,
nonante, etc. comme en Belgique.
l On dit Brazzaville maire, de soixante-dix,
quatre vingt dix comme en France.
Préjugés sur l’altérité blanche

Le Blanc a imposé son modèle


de vie et il est appelé modèle
(Mundele en kituba ou
mondele en lingala).
Il est perçu comme un être
supérieur par sa science, ses
techniques et ses
technologies.
Le Blanc a imposé sa culture,
son mode de vie et le
Congolais l’a adopté de façon
souvent approximative.
Vivre au Congo, espace de transactions culturelles

l Quand le Blanc arrive au Congo, il se


retrouve inévitablement dans un espace de
la relation avec l’altérité, il vit dans l’espace
de la transaction interculturelle.
l Cet espace est marqué par des hommes,
des langues, des géographies singulières et
toute une histoire (commune).
Vivre au Congo, espace de transactions culturelles

l Pour tenter de rompre avec


le modèle occidental, le
président Mobutu interdit les
prénoms chrétiens et le port
du costume en RDC et au
bénéfice de l’authenticité et
de l’abacos (abas le
costume).
Espace de transactions culturelles

l Si les choses ont considérablement changé,


la relation occidentaux-africains ou
français/italien-congolais n’est pas une
relation égalitaire.
l Les NTIC (particulièrement avec les
communications téléphoniques) réduisent les
distances entre les populations.
Espace de transactions culturelles

l Les plates formes des télévisions permettent


à l’accès aux mêmes informations en Afrique
comme en Europe.

l Il existe une inégalité dans les performances


des institutions et cette inégalité touche la vie
des individus ou des citoyens.
Espace de transactions culturelles

l En conséquence quand un jeune français ou


italien se retrouve au Congo français ou au
Congo belge, il bénéficie de l’efficacité du
système étatique de son État.
l Les actions portées par les États européens
et/ou les Organisations non gouvernementales
(Ong) bénéficient donc de la capacité
d’organisation, de mise en œuvre de ces pays.
Espace de transactions culturelles

l Cette réalité détermine plusieurs attitudes


souvent contradictoires vis-à-vis des Blancs.
l Les Blancs sont :
– la réponse à tout;
– La cause de nos échecs.
Espace de transactions culturelles

l Si le Blanc est la réponse à tout, il peut nous


apporter :
– la modernité,
– les usines,
– les autoroutes,
– les écoles et universités modernes,
– la démocratie,
– les hôpitaux,
– les loisirs,
Bref tout ce qu’on a parfois désigné ici par la « petite Suisse ».
Espace de transactions culturelles

l Alors pourquoi il ne le fait pas?


l La réponse est toute simple: il ne le veut pas.
l Donc, c’est par la volonté du Blanc que nous
n’avons pas tout ce qu’il faut pour bien vivre.
Et de là, s’explique en partie le sentiment
anti-français ou anti-belge ou anti-blanc.
Espace de transactions culturelles

l Les Blancs qui viennent sont considérés


comme des personnes qui apportent la
modernité.
l Si vous êtes au Congo pour accompagner un
village dans la construction d’un édifice par
exemple, vous êtes de facto un Blanc doté du
pouvoir de résoudre tous nos problèmes.
l Il n’est pas exclu qu’un Congolais vous
demande une aide dans une démarche
d’obtention de visa.
Espace de transactions culturelles

l On parvient à la question des transactions


culturelles dans le contexte actuel.
l Nous allons questionner les expériences
des uns et des autres et imager les postures
culturelles adéquates.
Quelles postures culturelles ?

l Expérience 1
– Des jeunes français viennent au Congo pour une
mission de 6 à 10 mois pour réhabiliter une école
primaire dans un village.
– Toutes les autorisations officielles sont obtenues
mais pour la mise en œuvre de leur projet ils n’ont
pas prévu des présents pour le chef du village.
– => d’après vous, qu’est-ce qui risque d’arriver?
Quelles précautions culturelles doit-on prendre?
Quelles postures culturelles ?

l Expérience 2
– Vous êtes au Congo pour travailler sur le renforcement des
capacités d’un service administratif (gouvernance,
logistique…)
– Vous constatez que le responsable qui, vous accueille, est
toujours en costume sur mesure, possède des véhicules
de luxe, qu’il manque des notions de base, qu’il s’absente
quand il est question des points importants, qu’il est plutôt
apte à vous inviter à des loisirs et qu’il est proche du
pouvoir politique.
l => Culturellement qu’est-ce qui explique cette
réalité? Et que faire ?
Quelles postures culturelles ?

l Expérience 3
l Vous êtes en séjour au Congo pour travailler
dans un service administratif.
– Vous constatez que presque tous les agents
arrivent toujours en retard au bureau (le service est
supposé ouvrir à 7 heures mais les agents arrivent
à 9 heures ou 10 heures).
– => Est-ce dans la culture des Congolais d’être
en retard ou d’autres explications sont à
trouver?
Quelles postures culturelles ?

l Expérience 4
l Dans le cadre de votre mission, vous constatez que
des Congolais recrutés volent des biens de la
structure. Par exemple pour le cas de la
réhabilitation de l’école, des ouvriers vont disparaître
des matériaux.
l Ce comportement relève-t-il d’un trait culturel?
l Quels sont les éléments de lecture de ce
comportement ?
Quelles postures culturelles ?

l Expérience 5
l Dans le cadre votre projet, vous avez à travailler
dans une région peu touchée par la modernité et
vous recourez à un interprète qui vous accompagne.
l Arrivée dans le village ou dans la région de votre
mission, vous réalisez que votre interprète n’est pas
accepté par les villageois ou n’assure pas bien les
traductions.
l => Selon vous, quelles données culturelles n’ont
pas été prises en ligne de compte?
Conclusion

l La lecture que je viens de faire est partie


de la question de l’enracinement et du
déracinement de tout sujet qui se met en
mobilité.
l L’enracinement est premièrement
territorial et fixe une identité mais on se
rend compte qu’il est aussi linguistique,
environnemental, culturel…
Conclusion (suite)

l De son milieu, on se construit une opinion de


l’autre et cette opinion, à travers l’histoire, a soit
été consolidée soit infirmée.
l J’ai énuméré quelques préjugés pour déterminer le
regard de soi sur l’autre, le regard du Français ou
de l’Italien sur le Congolais et inversement.
Conclusion (suite et fin)

l A partir de 5 expériences où aspects culturels et


contraintes sociologiques, financières…
s’entremêlent, j’ai présenté les réponses
possibles aux enjeux interculturels pour des
occidentaux en séjour au Congo.

l Je vous remercie

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