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Module : Histoire de la littérature négro-africaine

Niveau : L1
Semestre 1
Prof : BALLO Drissa

Travaux dirigés
Texte 1 : Nègre
Ce que 1'on peut affirmer d'une manière certaine, c'est que le Nègre diffère essentiellement de
1 1'espece blanche, non seulement par la coloration de la peau et par les différences anatomiques
que nous avons déjà signalées, mais encore par des penchants autant physiques qu'intellectuels.
Dans 1'espece nègre, le cerveau est moins développé que dans 1'espece blanche et les
circonvolutions sont moins profondes et les nerfs qui émanent de ce centre pour se répandre
dans les organes des sens sont beaucoup plus volumineux. De là un degré de perfection bien
plus prononce dans les organes ; de sorte que ceux-ci paraissent avoir en plus ce que
l’intelligence possède en moins. En effet, les nègres ont l’ouïe, la vue, 1'odorat, le goût et le
toucher bien plus développés que les Blancs. Pour les travaux intellectuels, ils ne présentent
généralement que peu d'aptitude. Mais ils excellent dans la danse, 1'escrime, la natation,
1'équitation et tous les exercices corporels. (...) Leur tact est d'une subtilité étonnante, mais
parce qu'ils sentent beaucoup, ils réfléchissent peu : tout entiers à leur sensualité, ils s'y
abandonnent avec une espèce de fureur. (...) Mais cette supériorité intellectuelle, qui selon nous
ne peut être révoquée en doute, donne-t-elle aux Blancs le droit de réduire en esclavage la race
inférieure ? Non, mille fois non. Si les Nègres se rapprochent de certaines espèces animales par
leurs formes anatomiques, par leurs instincts grossiers, ils en diffèrent et se rapprochent des
hommes blancs sous d'autres rapports dont nous devons tenir grand compte. Ils sont doués de
la parole, et par la parole, nous pouvons nouer avec eux des relations intellectuelles et morales.
Nous pouvons essayer de les élever jusqu'à nous, certains d'y réussir dans une certaine limite.
Leur infériorité intellectuelle, loin de nous conférer le droit d'abuser de leur faiblesse, nous
impose le devoir de les aider et de les protéger.

Pierre Larousse, In Grand Dictionnaire universel du XXe siècle (1865)

Questions :

1. Relevez dans le texte tous les stéréotypes qui font de l’Homme noir un être primitif et
qui justifient l’expansion coloniale en Afrique noire.
2. L’entreprise coloniale, telle que présentée par Pierre, a-t-elle pour mission de ramener
le Nègre à la civilisation ?

Texte 2 : La raison nègre


On l’a dit souvent, le Nègre est l’homme de la nature. Il vit, traditionnellement, de la
terre et avec la terre, dans et par le cosmos. C’est un sensuel, un être au sens ouverts, sans
intermédiaire entre le sujet et l’objet, sujet et objet à la fois. Il est sons, odeurs, rythmes, formes
et couleurs ; je dis tact avant que d’être l’œil, comme le Blanc européen. Il sent plus qu’il ne
voit ; il se sent. C’est en lui-même, dans sa chair, qu’il reçoit et ressent les radiations qu’émet
tout existant-objet. É-branlé, il répond à l’appel et s’adonne, allant du sujet à l’objet, du moi au
Toi, sur les ondes de l’Autre. Il meurt à soi pour renaître dans l’Autre. Il n’est pas assimilé, il
s’assimile, il s’identifie à l’Autre, ce qui est la meilleure façon de le connaître.
C’est dire que le Nègre n’est pas dénué de raison, comme on a voulu me le faire dire.
Mais sa raison n’est pas discursive ; elle est synthétique. Elle n’est pas antagoniste ; elle est
sympathique. C’est un autre mode de connaissance. La raison nègre n’appauvrit pas les chose,
elle ne les moule pas dans des schèmes rigides, éliminant les sucs et les sèves ; elle se coule
dans les artères des choses. Elle en éprouve tous les contours pour se loger au cœur vivant du
réel. La raison européenne est analytique par utilisation, la raison nègre, intuitive par
participation.

2 C’est dire la sensibilité de l’Homme noir, sa puissance d’émotion. Mais ce qui saisit le
Nègre, c’est moins l’apparence de l’objet que sa réalité profonde, sa surréalité ; moins son signe
que son sens. L’eau l’émeut parce qu’elle coule, fluide et bleue, surtout parce qu’elle lave,
encore plus parce qu’elle purifie. Signe et sens expriment la même réalité ambivalente.
Cependant, l’accent porte sur le sens, qui est la signification non plus utilitaire, mais morale,
mystique du réel : un symbole. Il n’est pas sans intérêt que les savants contemporains eux-
mêmes affirment la primauté de la connaissance intuitive par sym-pathie. « La plus belle
émotion que nous puissions éprouver, écrit Einstein, c’est l’émotion mystique ». C’est là le
germe de tout art et de toute science véritable.
Léopold Sédar Senghor « L’esthétique négro-africaine », Liberté I, pp. 202-203.

I. Activité de compréhension :
1. Qu’est-ce qui, selon Senghor, caractérise l’attitude du Nègre à l’égard du monde ? En
quoi diffère-t-elle de celle du Blanc européen ?
2. Comment comprenez-vous : « C’est être sensuel… sujet et objet à la fois » ?
3. Vous fondant sur le deuxième paragraphe, classez en deux colonnes les mots et
expressions qui caractérisent d’une part la raison nègre, de l’autre la raison
européenne.
4. Quel est, selon Senghor, l’avantage du mode de connaissance nègre sur le mode de
connaissance européenne ? Partagez-vous cette opinion ?
5. « La raison nègre n’appauvrit pas…cœur vivant du réel ». Montrez que les images
contenues dans cette phrase expriment admirablement le fonctionnement des deux
modes de connaissance.
6. Définissez : signe, sens et symbole.
II. Activité de production
En dix lignes, montrez que la littérature africaine est une lutte pour la reconnaissance
culturelle de l’Homme noir.

Texte 3 : Le contexte historique de la Négritude


Les critiques de la Négritude ne tiennent pas toujours compte du contexte historique au
sein duquel ce mouvement a vu le jour. On a même protesté contre la manifestation presque
exclusivement poétique de la Négritude. C’est oublier que la Négritude, particulièrement dans
les années 30, fut avant tout l’affaire des écrivains noirs. C’est perdre de vue la signification
profonde que le Groupe de « l’Etudiant Noir » a voulu conférer à cette entreprise. Il ne s’agissait
ni plus ni moins que de répondre à l’insolence de l’Europe qui prétendait avoir colonisé
l’Afrique, terre de barbarie, et de vouloir combler un vide culturel par sa civilisation, sa foi et
ses idéaux démocratiques et humanitaires. Mais déjà, on s’interrogeait sur le bien-fondé de la
colonisation, sur l’accomplissement de cette mission, sur l’écart entre les promesses et les
réalisations. L’affaire du « Batouala » qui devait situer Maran parmi les initiateurs de la
négritude, avait lancé un des thèmes les plus féconds de ce mouvement : le procès de la
colonisation. Subitement, l’Afrique devint le centre de toutes les préoccupations. Il eut en
France des contre-Batouala et des témoignages irréfutables sur la situation coloniale sous la
plume des Gide et Morand. De l’évènement, la colonisation reçut un coup très rude dont elle se
remit très vite. On l’avait placé sous son jour véritable, on la savait désormais en question. Les
écrivains noirs n’oublieront jamais l’exemple de ce précurseur de la Négritude qui l’a dite un
jour plus « raciste qu’humaniste ». Mais Maran, à ses risques et périls, avait oser protester,
porter des accusations.
Si l’œuvre de Maran eu la répercussion que l’on sait, c’est que, outre la qualité
3 d’administrateur de ce dernier, l’affaire du « Goncourt », l’Afrique suscitait un intérêt croissant.
Et cela, parce que l’on assistait à une véritable réhabilitation culturelle du continent noir,
conduite par des chercheur européens. On découvrait et on comprenait mieux l’art nègre, qui
donnait un souffle nouveau à l’art cubiste, et des travaux de portées considérable sur l’histoire,
les langues et les religions d’Afrique étaient portés à la connaissance du public.
Mieux, tout cela avait trouvé un écho retentissant au sein des communautés noirs
disséminées dans le monde. En Haïti, aux U.S.A., à Cuba, en France parmi les étudiants
martiniquais. Toute la diaspora noire avait été plus ou moins touchée par ces évènements. Avant
les Africains, les autres Noirs, de par le monde, jetèrent un regard attentif à leur particularité et
parlèrent de valeurs africaines. Tous se disent disposés à retrouver leur africanité, à l’utiliser
pour s’affirmer. C’est du fond de l’humiliation que le Noir se découvre Noir, qu’il exalte le
fonds africain et se prépare au combat futur. C’est là, incontestablement, une dimension de la
Négritude. Qu’importe le nom, que l’on parle « d’indigénisme » en Haïti, « de Négrisme » à
Cuba, « de Renaissance nègre » à New York, l’essentiel est que ce qui lie tous ces mouvements
constitue le ciment de la Négritude. Aussi, la Négritude, née de la conjonction de tous ces
mouvements, atteste-t-elle un caractère universel ou pour le moins pan-nègre, mais ne s’insère
dans aucun mouvement européen. Ni surréaliste, ni communiste, lors même que l’on reconnaît
des rencontres avec l’esthétique surréaliste et que la dialectique marxiste ne laisse pas
indifférent.

Mohamadou Kane, « Négritude et littérature »,


Colloque sur la Négritude, Dakar, 12-18 avril 1972, pp.62-63.
I. Activité de compréhension :
1. Qu’est-ce que l’art cubiste ?
2. Expliquez le passage suivant : « C’est du fond de l’humiliation que le Noir se
découvre Noir »
3. Dressez la liste des convergences qui favorisèrent la naissance de la négritude.
4. Parmi, ces convergences, laquelle vous semble la plus importante ? Pourquoi ?
5. La naissance de la Négritude s’explique-t-elle par ces seules convergences ?
II. Activité de production :
Faire un exposé dont le thème est : « La dénonciation du colonialisme à travers Batouala de
Réné Maran »

Texte 4 : Partir.

Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-


panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
4
mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?

Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais


orage. Je
dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les
pluies,
humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de
l’œil des mots

en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres


précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne
comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.
Et vous fantômes montez bleus de chimie d’une forêt de bêtes traquées de machines tordues
d’un jujubier de chairs pourries d’un panier d’huîtres d’yeux d’un lacis de lanières découpées
dans le beau sisal d’une peau d’homme j’aurais des mots assez vastes pour vous contenir
et toi terre tendue terre saoule
terre grand sexe levé vers le soleil
terre grand délire de la mentule de Dieu
terre sauvage montée des resserres de la mer avec
dans la bouche une touffe de cécropies
terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu’à
la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en
guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des
hommes

Il me suffirait d’une gorgée de ton lait jiculi pour qu’en toi je découvre toujours à même
distance de mirage – mille fois plus natale et dorée d’un soleil que n’entame nul prisme – la
terre où tout est libre et fraternel, ma terre.

Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir… j’arriverais lisse et jeune dans
ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J’ai
longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que
parler, c’est pour vous que je parlerai ».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de
celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :


« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en
l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est
pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… »

I. Activité de compréhension :

1. Dans la première strophe, à quoi se réfère le poète quand il parle d’ « hommes-


5 hyènes » et d’ « hommes-panthères »
2. Qu’y a-t-il de commun entre un homme-juif, un homme-cafre, etc. ?
3. Dans la sixième strophe, déterminez la raison pour laquelle le poète veut partir.
4. Dans cette dernière strophe, Césaire définit la mission de l’écrivain noir. Quelle est-
elle ?

II. Activité de production :

Commentez du point de vue stylistique l’expression : « Ma bouche sera la bouche des


malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du
désespoir. »

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