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Colonialisme, racisme et ethnologie en Nouvelle-Calédonie

Author(s): Alban Bensa


Source: Ethnologie française , Avril - Juin 1988, nouvelle serie, T. 18, No. 2, Ethnologie
et racismes (Avril - Juin 1988), pp. 188-197
Published by: Presses Universitaires de France

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Colonialisme, racisme
et ethnologie
en Nouvelle-Calédonie Alban Bensa
Université Paris V

« Les Européens nous ont empêché d'être »grade, signe indubitable de leur infériorité. Beran-
Jean-Marie Tjibaou ger-Feraud (1800) assurait, selon Cohen (1981,
p. 334) « que le gros orteil des Africains -fort
large - pouvait se mouvoir indépendamment des
autres beaucoup plus que ne le pouvait celui de
Le racisme fait corps avec la colonisation; avecl'homme blanc ».
elle, par elle, il s'impose, se fortifie, s'exacerbe. En Les Indochinois posséderaient une particularité
ce sens, l'entreprise coloniale se distingue d'unephysique analogue puisque, selon Boulanger
simple guerre de position. Il ne suffit pas de se(1887 : 106-107) « [...] la Providence s'est montrée
donner du courage en insultant l'ennemi. L'atta- prévoyante en donnant à l'Annamite [...] un pied
que, la spoliation puis l'asservissement ou la unique qui ne se trouve nulle part et se caractérise
négation des autochtones ont besoin pour se jus- par un gros orteil isolé des autres doigts. Un peu plus,
tifier d'un attirail intellectuel et juridique plus et ce pied devenait la patte palmée des animaux
radical. Tout comme certaines institutions (l'école,aquatiques [...] ».
la famille, les partis politiques, etc.) « fonctionnent Quant aux Kanak, non seulement ils n'échap-
à l'idéologie » (Althusser, 1976), la société colo- pent pas au « jugement par l'orteil » mais ils se
niale fonctionne au racisme, scheme générateur trouvent en outre, comme nous le développerons
des pratiques de ségrégation par lesquelles, jus- plus loin, séparés du reste de l'humanité. Ainsi,
qu'au dernier souffle, elle se perpétue. Leenhardt (1947 : 1 1), se référant fort sérieusement
D'un bout à l'autre des possessions françaises à Sarasin (1922), n'hésite pas à écrire à leur sujet :
d'outre-mer (aujourd'hui réduites à quelques « L'anthropologie a montré comment le Néo-Calé-
« départements » et « territoires »), pour ne s'en donien a, dans sa structure physique, son squelette
tenir qu'à ce cas, une même langue de bois, des et ses muscles, des détails qui rappellent ceux de
origines de la colonisation à nos jours, n'a cessé del'homme de Neanderthal et sont parfois plus primitif s
vilipender les colonisés. Indissociable des intérêts que ceux de cet homme de la préhistoire. Leur
du colonisateur et, si j'ose dire, taillé sur le même mâchoire carrée, leurs orbites, leurs pieds avec les
patron, le portrait-robot imaginaire du colonisé orteils courbés, - ce qui explique pourquoi aujour-
(Memmi, 1966) est exportable sous toutes les lati-d'hui ils frappent le ballon defoot-ball avec les doigts
tudes. Caractéristiques physiques, attitudes, sans se les fouler - maintes autres particularités ont
mœurs, etc, sont vues à travers un seul prisme, amené Sarasin à voir en eux un groupe divergent de
cadre préconçu de toute observation, de toutecelui qui aboutit à l'Homo sapiens ».
expérience, à tel point que sous le regard du Moins curieux, mais beaucoup plus répandus,
colonisateur rien ne distingue fondamentalement les thèmes souvent associés de la gourmandise, de
Africains, Maghrébins, Antillais, Indochinois, Po- la paresse et de l'indigence intellectuelle servent
lynésiens, Malgaches ou Kanak. d'argumentation centrale au bréviaire du mépris
que brandissent jusqu'à nos jours les contempteurs
de tout colonisé. Les esclaves noirs des Antilles
sont ainsi stigmatisés par Mazeres (1814) : «Le
siège de leur âme est proprement dans leur physi-
que. » (cité par Cohen, 1981). La même idée est
I Les stéréotypes coloniaux développée par l'Abbé Henry (1910 : 9, in J. Bazin,
1987 : 88) à propos « du » Bambara : « s'accroupir
Les chapitres du sottisier colonialiste sont peu sous un arbre feuillu et y passer la journée dans un
nombreux mais parfois inattendus. Par exemple, long bavardage ou un demi-sommeil est son rêve et
tous les colonisés présenteraient un orteil rétro- fait son bonheur ».

Ethnologie française, XVIII, 1988, 2

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La Nouvelle-Calédonie 189

A propos des indigènes de la Nouvelle-Calédo-


une des positions les plus basses. Augustin Ber-
nie, les allusions à l'anthropophagie conduisent,
nard à qui nous devons, à la fin du siècle dernier,
plus d'un demi-siècle après les débuts de ladeuxcoloni-
études de géographie, l'une sur l'Algérie,
l'autre
sation, le R.P. Pionnier (1911 : 15), à pousser plus(de compilation) sur la Nouvelle-Calédo-
avant la caricature du sauvage gourmand nie, se livre ainsi à une saisissante distinction :
: « Les
yeux brillent d'un feu sombre. Les lèvres, épaisses et et Annamites ne sont pas des sauvages,
« Berbères
bestiales, ne s 'entr 'ouvrent que pour découvrir deuxseulement, à certains égards, des barbares,
ce sont
formidables rangées de dents. Ce jeu de physionomie
ce qui est assez différent. [...] Fort empêchés d'être
n'est pas un sourire; c'est le rictus hideux dunomades
fauve par la configuration de l'île et l'absence de
qui songe à sa proie, et, d'avance s'en régale ».
troupeaux, les Canaques n'en sont pas moins, cela
Soixante-dix ans plus tard, les Kanak ne sont
est évident, dans un état social bien inférieur à celui
toujours pas exemptés de ces défauts. Le desgéogra-
nomades de l'Arabie ou du Maghreb ». (ibid. :
phe J.P. Doumenge (1982 : 455) considère 298).
que « la
société traditionnelle était un univers de survie. Bien En-deçà de l'apparence (le type physique, la
manger représentait la forme suprême de bien-être. » nudité) et des mœurs perçues ou imaginées, les
Ces réflexions n'ont pu, semble-t-il, qu'inspirer critères d'évaluation - ou plutôt de dévalua-
la revue militaire Debout les Paras (n° 97 : VII) qui, tion - qui fondent l'opinion que se font les
en 1985, présente ainsi les Mélanésiens : « [..?] la dominants des colonisés renvoient, de façon com-
tradition qui consiste à ne chercher qu'à survivre, plexe, au type de politique coloniale mis en œuvre
c'est-à-dire à ne déployer que l'activité strictement (colonie de peuplement, assimilation ou relégation
nécessaire pour subsister, sans autre ambition que de des autochtones, administration directe ou indi-
dormir après avoir mangé, n'est malheureusement recte) et, selon les cas, au degré de résistance
pas tombée en désuétude [...] ». démographique, culturelle ou militaire que l'ins-
Ces stéréotypes, et quelques autres que nous tallation brutale des envahisseurs européens a pu
n'énumérerons pas ici, se retrouvent d'un bout à rencontrer. Ainsi, par exemple, si dans l'Algérie
l'autre des colonies françaises et traversent, imper- soumise par les Français, les Berbères sont un peu
turbables, les siècles comme les couches sociales. mieux considérés que les Arabes, c'est en vertu de
On les repère dans les discours de tous les colo- leurs « aptitudes » au combat : « [...] le Kabyle,
niaux, qu'ils soient commerçants, éleveurs, mis- [...], au contraire de l'Arabe impuissant à réduire la
sionnaires, administrateurs, ou « scientifiques ». moindre bicoque, [...], sait profiter de tous les acci-
Derrière la banalité de l'idéologie, sa généralité, dents de terrain pour se couvrir et harceler son
percent toutefois divers degrés d'appréciation des ennemi [...] Il attaque résolument les obstacles de
populations dominées. A l'intérieur d'un même défense par la sape et le feu à l'aide des fascines »
territoire sous tutelle, les colonisateurs vont distin- (Pomel, 1871 : 56-60, cité par Lucas et Vatin, 1982 :
guer des gens jugés « plus sauvages », « moins 133).
primitifs » ou « plus évolués » ; étiquetages pou- Plus largement, n'est-ce pas la résistance armée
vant d'ailleurs varier selon les époques ou les des populations d'Algérie - près de sept années
auteurs. On opposera ainsi, en Algérie, les Arabes de guerre aux débuts de la colonisation - qui
aux Berbères ou, en Nouvelle-Calédonie, les gens conduisit les idéologues français à assigner la
du sud de l'île à ceux du nord; ceux de la « société arabe » au stade intermédiaire dit « bar-
Grande-Terre aux habitants de l'archipel voisin bare » dans la hiérarchie (sauvages, barbares,
des Loyauté : « [...] Les tribus du sud, Manongoe et
civilisés) couramment utilisée au xixc siècle ?
Touarous, sont plus sauvages et plus cruelles, de A l'inverse, le peu d'efficacité militaire des
autochtones de Nouvelle-Calédonie face à un
même que leur langue est plus rude et leur peau plus
foncée ». (Bernard, 1894 : 215). occupant plus puissant en moyens de destruction
Dans cette logique, les érudits et autres « spécia-
a suscité, à bon compte chez les chantres de l'ex-
listes » de nos colonies - hantés sans doute pansion
par française en Oceanie, un sentiment de
le souci de classer, héritage des sciences naturel-
supériorité absolue. Il est vrai que toutes les révol-
les - s'exerçaient à comparer les divers peuplestes indigènes, à l'exception peut-être de l'Insurrec-
placés sous domination française. Si les colonisés,
tion de 1878 !, furent matées rapidement et sans
toujours et partout, sont considérés comme infé-grandes difficultés par les corps expéditionnaires
rieurs, il en est, aux yeux de nos savants coloni-
français. Quelques centaines de soldats tout au
sateurs, qui sont plus inférieurs que d'autres. plus
Sur suffisaient à réduire les rebellions kanak. Le
ce gradimètre de la dévalorisation, les Kanak
moindre soulèvement donnait même lieu à des
occupent au sein de l'empire français d'outre-mer
campagnes de répression de plusieurs mois sans

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190 Alban Bensa

présence de l'homme blanc, est un fait sur lequel on


que les pertes subies par les colons ou par la troupe
puissent sérieusement justifier pareilles opéra- a beaucoup écrit. La vie civilisée et la vie sauvage
tions : villages brûlés, plantations dévastées,semblent
exé- incompatibles sur le même sol. Mais cette
cutions sommaires, populations chassées des disparition
bon- n'a lieu que si le climat est favorable à la
nes terres. Les ripostes françaises aux coups race
de blanche [...]. En outre, l'extinction n'a lieu que
main désespérés des Kanak ont semblé si faciles si les indigènes sont véritablement des sauvages [...]
à nos officiers que l'un d'eux n'hésite pas à Pour se les Calédoniens [...], les conditions nécessaires
à leur disparition se trouvent réunies [...]. La Nou-
féliciter de la situation : « [..June des conséquences
velle-Calédonie présente même ce phénomène assez
de ces révoltes indigènes est qu'on s'empare aussitôt
curieux, que le climat convient mieux aux nouveaux
après de toutes leurs terres pour y installer des colons
venus qu'aux anciens occupants du sol, aux Euro-
[...] Aussi, à un certain point de vue, assez bizarre
péens
cependant, il est heureux que les indigènes fassent de qu'aux Canaques ». {Ibid. : 297 et 342).
temps en temps quelques escapades, car leurs terresPour H.-L. Rivière, militaire, chargé de la ré-
confisquées viennent aussitôt augmenter lapressionri- de l'insurrection kanak de 1878, le dé-
chesse publique et servir aux colons ». (Garnier,peuplement de la Nouvelle-Calédonie résulte
1871 : 214). d'une règle générale inhérente à toute invasion :
« [...]la grande cause de l'insurrection, la seule
pourrait-on dire, c'est l'antagonisme qu'on a vu de
tout temps du peuple conquérant et du peuple
I La stratégie de l'exclusion conquis. Il faut que ce dernier soit absorbé par l'autre
ou qu'il disparaisse. Or, ces races noires ou cuivrées,
Ceux que les conquérants français se sont plu à qu'elles soient de l'Amérique ou de l'Oceanie, ne
considérer comme les plus « primitifs », les plus s'absorbent guère. Elles diffèrent trop de la race
« sauvages » de tous leurs colonisés, se trouvent blanche par des mœurs d'instinct qui n'ont jamais
être aussi, et cela n'est pas un hasard, les plus progressé [...] » (Rivière, 1881 : 281).
fragiles et les plus démunis devant la puissance de En conséquence, pour les Européens de la fin du
feu des Blancs. Argument rédhibitoire pour les xixe siècle, il est évident que les Kanak ne peuvent
Etats guerriers de l'Europe, tout entier acquis à la en aucune manière contribuer à « l'œuvre colo-
Realpolitik des rapports de force. La France ne niale » : « Le Canaque n'est en réalité d'aucun
pouvait interpréter la faiblesse relative des Kanak secours pour la colonisation et s'éteint à l'écart [...].
que comme le signe de leur extinction prochaine. Sauf les Canaques des Loyalty, les indigènes dispa-
Le fantasme d'une disparition complète des colo- raîtront sans que la colonisation ait profité de leur
nisés, laissant ainsi le champ libre à l'occupant, est présence ». (Bernard 1894 : 304). En attendant,
propre sans doute à toute entreprise d'expansion conseille-t-on, il vaut mieux « [...] laisser les Cana-
coloniale. Mais, au sein de l'Empire français ques tranquilles sur les territoires où ils se refouleront
d'outre-mer, nulle part ailleurs qu'en Nouvelle- déplus en plus. Ils n'entraveront pas plus la colonisa-
Calédonie cette conviction n'a, semble-t-il, été tion en s'en abstrayant qu'ils ne lui viendraient en
aussi unanime et assurée. aide si on les y mêlait » (Rivière 1881 : 282).
« // est hors de doute que les indigènes de la De 1843 (installation des Maristes à Balade)
Nouvelle-Calédonie sont en voie de disparaître, jusqu'à
et la Première Guerre mondiale environ,
qu'il faudra bientôt parler d'eux au passé » (Ber- l'abondante et sinistre glose suscitée par l'efface-
nard 1894 : 295). Présentée comme une simple ment présumé des autochtones de Nouvelle-Calé-
curiosité exotique, la mort progressive et inélucta- donie s'appuie davantage sur une rumeur persis-
ble de tous les Mélanésiens prouve, selon plusieurs tante et communément acceptée que sur des don-
auteurs, qu'un processus naturel de dégénéres- nées quantitatives clairement établies. Dans cette
cence et d'extinction frappe, depuis des temps période, seules les notations ponctuelles et non
immémoriaux bien antérieurs à la conquête, cer- systématiques des missionnaires, des militaires,
taines « espèces » de l'humanité jugées inférieu- des administrateurs (installés à Nouméa) ou des
res. D'autres penseurs voient dans le « contact colons,
» pouvaient étayer l'argument d'un déclin
entre deux « races » différentes qu'induit la colo- démographique kanak considérable et irrémédia-
nisation un effet destructeur inexorable. Augustinble. En toute rigueur, il n'aurait dû être possible
Bernard soutient ce point de vue en avançant des de justifier et de commenter ce phénomène
arguments écologiques : « Le dépérissement, puis qu'après comparaison entre deux recensements
l'extinction des sauvages, notamment des indigènesfiables. Or, historiens et démographes mettent
d'Oceanie et d'Amérique, lorsqu'ils se trouvent en aujourd'hui en doute la validité des dénombre-

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La Nouvelle-Calédonie 191

ments de la population kanak au xixe siècle 2. En


souveraineté politique. Même alors, elles continue-
outre, le second comptage de population (leront
pre-à mener une vie obscure et retirée, sans que les
mier datant de 1885) ne survient qu'en 1906. Dèsy prêtent la moindre attention. Et ceci s 'expli-
blancs
lors, le large consensus que rencontre au xixc siècle
que fort bien, car ces gens sont condamnés à mourir.
l'idée d'une extinction rapide des plus anciens
Le Canaque ne travaille guère pour les blancs.
occupants de l'archipel semble moins le produit Retranchée derrière son orgueil silencieux et farou-
d'enquêtes globales irréfutables qu'une extrapola-che, la tribu, chaque année moins nombreuse, se
tion idéologique à partir d'observations éparses, retire dans les montagnes, loin des plaines usurpées
traitées comme des preuves de la disparitionpar iné-
la race étrangère. Parfois, des descentes sanglan-
luctable des « races inférieures ». Mettant pour laproduisent et alors on aide la fatale évolution
tes se
première fois en évidence ce décalage entrepar lesquelques massacres et déportations collectives.
données démographiques accessibles et les dis- Inutile de s'en occuper. Quand tout sera fini, toutes
cours (désirs ?) des colonisateurs durant soixanteles terres seront disponibles » (Person, 1953 : 208).
ans (1853-1914), D. Shineberg (1983 : 42), remar- Sans indigènes, pas de politique indigène; ou
que que « les intellectuels ont adopté ce modèle plutôtde une simple politique d'attente. La croyance
déclin catastrophique au xijc siècle sans examen en uneet marginalisation naturelle des Mélanésiens
sans protestation ». jusqu'à leur effacement complet de l'histoire et de
L'originalité culturelle (perçue comme « sauva-la géographie du pays conquis s'est imposée à la
gerie ») des Kanak, leur faible potentiel de résis-
législation française avec la force de l'évidence. La
tance militaire et l'expérience, partagée parcréation
de des Réserves, l'application du Code de
nombreux colons arrivant alors en Nouvelle-Calé- l'Indigénat et l'importation de main-d'œuvre vien-
donie, d'une quasi-extermination des aborigènes dront donner corps à cette vision en creux du
peuple kanak.
d'Australie, ont conduit les Français du Pacifique
Sud à faire du darwinisme social un modèle expli-Fossile humain destiné à mourir aux confins de
la colonie, la population autochtone se verra
catif général, en parfait accord avec les intérêts
conquérants de l'époque. Cette idéologie de l'ex-assignée à résidence dans des « tribus ». Ce type
tinction des Mélanésiens définit la forme très de solution, unique dans l'histoire de la France
particulière prise par le racisme, de 1853 à d'outre-mer,
nos consacre une longue période de spo-
jours, dans cette colonie française : un racisme liations foncières. A chaque nouveau décret, la
d'anéantissement qui n'a jamais envisagé les Réserve
Ka- - officiellement présentée comme un
nak que comme des non-êtres. Le racisme n'est coup d'arrêt aux accaparements anarchiques de
pas, en l'occurrence, comme le définit Memmi terres - se trouve redéfinie dans son statut et sa
(1974) : « valorisation... de différences biologiques,
superficie. Tout au long du xixe siècle, les contours
réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur de
et cet
au ultime espace concédé aux Kanak seront
détriment de la victime » mais aussi pure négationprogressivement codifiés et restreints jusqu'à ce
que les mesures de cantonnement les stabilisent...
d'autrui, refus de vivre signifié à tout un peuple.
Dans l'imaginaire des coloniaux, les Kanak ontau été
plus juste. De 1862 à 1897, près d'une dizaine
d'emblée exclus avant d'être dominés, gommés de
d'arrêtés ou de lois tentent de légitimer et d'affiner
l'avenir avant d'être asservis, voués au néantleetprocessus
à par lequel les Mélanésiens sont expul-
la mort avant d'être exploités. Ainsi, Marc sésLepuis relégués loin de leurs territoires originels.
Goupils, colon en Nouvelle-Calédonie de 1894 à texte à l'autre, la reconnaissance d'un droit
D'un
1904, peut tranquillement écrire dans son journal
indigène n'est benoîtement avancée que dans les
intime publié en 1928 : « Les Canaques disparaî-
limites des besoins fonciers toujours croissants de
la colonie.
tront sans avoir compris à quel titre la race blanche
s'était installée parmi eux, ni en quels termes Ainsi
elle expropriés par étapes de leurs sites tradi-
entendait vivre avec eux ». tionnels, les Kanak sont « parqués » (selon le
Cette morbide philosophie, qui traite les Kanakterme même des arrêtés), aux franges des intérêts
comme quantité négligeable, constitue la toile de coloniaux, dans de véritables mouroirs garantis
fond idéologique de toute l'histoire de l'entreprisepar l'Etat. La politique de cantonnement parie,
coloniale. A tel point que Y. Person, commentant sans le dire explicitement, sur une baisse démo-
un demi-siècle de colonisation, constate avec graphique inexorable de la population kanak.
quelque étonnement : « [...] le fait le plus notable Dans cette perspective, les colonisateurs peuvent
sera l'absence persistante de toute politique indigène espérer à terme s'approprier la totalité du pays;
[...]. Il faudra de nombreuses années pour que toutes mais un pays vide, dépourvu de cette précieuse
les tribus reconnaissent au gouverneur une certaine main-d'œuvre à bas prix que consomme goulu-

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192 Alban Bensa

ment tout système colonial. Comment concilier Astreints au régime de travail forcé temporaire,
spoliation foncière, relégation d'une population les Mélanésiens ne constitueront jamais une force
jugée en déclin et exploitation rentable de detravail
la force
aussi importante et régulière que celle
de travail ? Cette contradiction a conduit le colo- fournie par la main-d'œuvre étrangère au pays.
nialisme calédonien à associer l'enfermement dans Cette situation résulte moins, contrairement à ce
les Réserves à un régime de corvées permettant qui a été souvent avancé, d'une résistance cultu-
d'extorquer à la population kanak, aussi mourante relle au salariat que de la mise en place des Ré-
qu'on puisse alors la penser, une certaine plus-serves dans le cadre d'une colonisation de peuple-
value en travail, au profit des colons et du secteur ment encline, par définition, à nier jusqu'à la
public. Les réquisitions, dès 1863, de « personnel présence même d'une société autochtone.
indigène » sur les chantiers de Port-de-FranceHier comme aujourd'hui, le véritable volant de
(Nouméa) seront systématisées, en 1871, par main-d'œuvre de la colonisation néo-calédonienne
« l'instauration de la corvée qui officialise et régu- demeurera constitué par des travailleurs asiati-
larise les pratiques antérieures » (Dauphiné, 1975 : ques, néo-hébridais, indiens, wallisiens, auxquels
42), puis par l'application du Code de l'Indigénat s'ajouteront de 1864 à la fin du siècle, les libérés
(1887). Cette réglementation obligeait les Kanak à du bagne de Nouméa. Ces immigrés, souvent
travailler pour le compte de l'Etat et des colons recrutés de force, ont été soumis à une législation
(fermiers ou propriétaires de mines). Avec un distincte du régime des corvées appliqué à la seule
salaire équivalent à la moitié ou au quart des population kanak. Employés sous contrat par leurs
traitements versés pour le même travail aux maîtres ou patrons, ils connaissent des conditions
non-Kanak, les Mélanésiens devaient verser un d'embauché et de labeur qui relèvent de la surex-
impôt dit « impôt de capitation ». En outre, le ploitation, typique du capitalisme européen nais-
Code de l'Indigénat, appliqué jusqu'en 1946, in- sant. Comme les ouvriers français du début du xixe
terdisait de sortir des Réserves sans autorisation siècle (Noiriel, 1986) les travailleurs immigrés en
préalable de la gendarmerie et sanctionnait dure- Nouvelle-Calédonie ne bénéficiaient d'aucune
ment (prison, amendes, ateliers disciplinaires)protection les juridique ou sociale face à des em-
comportements jugés illicites, tels la nudité, ployeurs quant à eux très organisés et défendus
l'ébriété, le port d'armes traditionnelles hors des (Winslow 1988 : 7). Cette population déracinée a
tribus, la « sorcellerie »... {cf. Saussol, 1979; Dau- connu un taux de mortalité élevé. Par exemple, L.
phine, 1987). Gasher (1975 : 14) note qu'entre 1874 et 1882,
La mort annoncée du peuple kanak n'incite pas 1.221 Néo-Hébridais, sur un total de 5.148 - soit
les législateurs du xixe à prévoir, dans l'économie 24 % - meurent au travail. Mais la politique
générale de cette réglementation sévère, les mesu- d'immigration compense rapidement ces pertes et
res d'assitance médicale, fiscale, sociale, pouvant accroît la colonie, tandis que les Kanak s'étei-
assurer la reproduction de la force de travail. Il gnent, pense-t-on, aux marges du système.
convient de laisser les morts enterrer les morts. En somme, l'économie de la Nouvelle-Calédo-
Cette charge restera longtemps confiée à l'écono- nie s'est pendant près d'un siècle (1853-1946)
mie vivrière des « tribus ». Si une prime à la appuyée sur une double structure. La force de
natalité est versée aux Kanak en 1909, il faudra travail kanak a été ponctionnée par un système de
attendre 1925, moment où une reprise de la démo- corvée qui s'apparente à un féodalisme d'Etat. Au
graphie des Réserves est enregistrée, pour que même moment, des populations recrutées à l'ex-
s'amorce une politique de protection de la térieur de l'archipel ont fourni l'essentiel de la
main-d'œuvre mélanésienne. Aux yeux de l'Admi- main-d'œuvre dans le cadre d'un capitalisme
nistration, cette question reste d'autant plus péri- « classique ». Les idéologies véhiculées par l'un et
phérique que l'essentiel de la puissance de travail l'autre système ne se superposent pas. L'idéologie
utilisée par la colonie est fournie par une popula- d'exclusion et d'anéantissement, au principe du
tion immigrée non kanak. Ainsi, analyse D. Win- racisme anti-kanak, demeure le corollaire imagi-
slow (1987 : 1) : « After New Caledonia was an- naire d'une pratique de conquête quasi-totale et
nexed by France in 1853, the native Kanaks did not d'un mode d'exploitation colonial d'allure féo-
participate in the socio-economic development of the dale. En revanche, le « racisme de classe » dont les
Territory; rather they served as a cheap labour travailleurs immigrés en Nouvelle-Calédonie ont
reserve, working mainly on public works and été in et sont encore victimes renvoie à l'exploitation
agriculture. The Kanaks remained marginal as the toute capitaliste d'une population intégrée de
colony became dependant on imported contract la-force aux plus bas échelons de la hiérarchie so-
bourers ». ciale3.

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La Nouvelle-Calédonie 193

vait, en conséquence, qu'exacerber le discours


I Un racisme radicalise raciste et inciter à l'exclusion forcenée de toute
hypothèse qui, dans la société calédonienne, ac-
corderait aux autochtones une place au moins
Notons qu'un tel contexte historique explique équivalente à celle des communautés (européenne,
pourquoi la reconnaissance d'une strate sociale océanienne, asiatique, etc.) immigrées du Terri-
métisse, intermédiaire entre Kanak et non-Kanak toire. Le retour du refoulé, à savoir l'expression
(Européens et assimilés), n'est pas apparue en politique des Kanak, engendre une répétition de
Nouvelle-Calédonie. Repoussés institutionnelle- l'histoire. Un siècle et demi après la prise de
ment hors du champ de développement de la possession de l'archipel par la France, la violence
colonisation, les Kanak ne pouvaient espérer raciste anti-kanak actuelle renoue avec les fantas-
s'intégrer, ne fut-ce que modestement, à la société mes conquérants et meurtriers des premières dé-
calédonienne globale. De fait, l'enfant issu d'un cennies de la colonisation. Discours et pratiques
mariage mixte devient soit « kanak », soit « euro- hostiles aux Mélanésiens refont surface, quasi
péen », selon le côté de sa parentèle ayant décidé identiques, « enrichis » toutefois des élucubra-
de l'élever. Mais à l'inverse de la situation antil- tions pseudo-scientifiques qu'autorise l'éloigne-
laise, par exemple, aucune signification particu- ment relatif de la période des premiers contacts.
lière n'est attachée à la couleur de la peau. Seuls On se plait ainsi souvent à arguer que les Kanak
le statut juridique et corrélativement l'apparte- ne sont pas les premiers occupants de l'archipel (B.
nance culturelle (la langue, l'éducation familiale, Pons, Sénat, 1986).
etc.) établissent de façon quasi irrévocable l'appar- La falsification de l'histoire sous-tend toujours
tenance à l'une ou l'autre des communautés, sans les idéologies racistes. Dans son prolongement
qu'aucune catégorie « métisse » ne soit reconnue. réapparaissent les coups de gomme rageurs et
Dans ces conditions, le racisme en Nouvelle- autres dénis d'existence. Pour exclure et faire
Calédonie prend une tournure très radicale. Il disparaître, il faut rabaisser, déconsidérer, mépri-
bannit les Kanak, les disjoint de la société calé- ser. « Les singes au zoo » ont écrit en 1984 les
donienne globale et, à la limite, souvent franchie « loyalistes » sur les murs de Nouméa avant de
hélas, les expulse hors de l'espèce humaine. traiter de « primate » dans la presse locale, le
L'idéologie raciste ne connaît ici aucune grada- leader indépendantiste kanak Jean-Marie Tji-
tion, aucune nuance, mais fonctionne d'un bloc en baou...4.
proclamant une incommensurable différence en- Il serait fastidieux et pénible d'établir la longue
tre, d'un côté tous les Kanak, et de l'autre les liste des insultes racistes proférées publiquement
Européens, riches ou pauvres, citadins ou brous- ou publiées très officiellement en Nouvelle-Calé-
sards, métissés ou non. Cette dénégation de la donie, d'autant que pour ce Territoire d'Outre-
réalité mélanésienne dans un territoire où aujour- Mer, la loi anti-raciste de 1971 n'a jamais été
d'hui les Kanak représentent près de 45 % de la ratifiée.
population, relève du refoulement. Tant que la L'idéologie coloniale en Nouvelle-Calédonie,
situation (Réserves, code de l'Indigénat, margina- profondément anti-kanak, n'est pas résiduelle ou
lisation, etc.) peut nourrir l'illusion que la société marginale, mais au contraire dominante et active.
kanak n'existe pas, l'idéologie raciste s'impose Si rien ne vient s'y opposer, elle se déploie dan-
comme une évidence à la conscience européenne gereusement. En la faisant sienne, la récente poli-
locale. « Ici, nous sommes tous un peu racistes » tique calédonienne de la France (1986-1988) a mis
affirmait R. Laroque ancien maire de Nouméa en évidence la logique meurtrière du discours
(L'Express, 1985). raciste.
Dès lors, si les Kanak, sortant du rôle de simple Souvent tempérée, depuis la dernière guerre, par
figurant dévalué que la colonie leur assigne, affir- l'Administration (parisienne) des Territoires d'Ou-
ment leur présence, leur identité et toute leur tre-Mer, l'idéologie raciste anti-kanak a exercé,
dignité d'acteurs sociaux à part entière, le retour l'espace de deux années, une forte pression sur
du refoulé dans la lumière de l'actualité déclenche l'Etat. L'exaltation officielle de la négation des
chez les coloniaux un renforcement de la censure Kanak a produit les effets auxquels il fallait s'at-
de l'autre consubstantielle à l'idéologie raciste. tendre : l'acquittement des assassins avérés de dix
La colonie européenne n'a fait sienne l'histoireMélanésiens (affaire de Hienghène), et une reprise
des Mélanésiens que sur le mode de la forclusion. des tensions en Nouvelle-Calédonie. Le point
L'irruption d'un nationalisme kanak, de plus en culminant de la collusion parfaite entre l'idéologie
plus actif ces dernières années (1984-88), ne pou- coloniale locale et celle du gouvernement français

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194 Alban Bensa

semble avoir été atteint récemment quand l'inter- a réellement ni futur ni passé... tout le passé et
vention de l'armée, se substituant à la frange la
l'histoire se traduisent par cette idée de recommen-
plus extrémiste de la population européennecement, de de répétition, de renouvellement, [...]»
Nouvelle-Calédonie, a eu pour effet, dans un (Leenhardt, 1947 : 111 et 115).
contexte électoral interne à l'hexagone, la mort Enfermés dans les Réserves avec interdiction
tragique de dix-neuf Kanak à Ouvéa. L'idéologie d'en sortir sans autorisation, les Kanak sont juri-
raciste calédonienne a ainsi pesé pendant deux ans diquement contraints à l'immobilisme, à l'a-tem-
sur l'appareil gouvernemental français. Jacques poralité. Maintenus en marge de l'évolution du
Chirac, Premier Ministre, n'allait-il pas, en mai 88, pays colonisé, ils ne peuvent construire leur avenir.
jusqu'à laisser échapper cette formule, à propos Les définir comme a-historiques par nature revient
des Kanak impliqués dans les événements d'Ou- à tirer argument « scientifique » d'une situation
véa : « ...la barbarie de ces hommes, si l'on peut les politique particulière. Une même démarche pré-
appeler ainsi » (Le Monde, 1 mai 1988). side à la construction des conceptions mélanésien-
nes de l'espace. Les Kanak n'ont jamais accepté
d'être regroupés dans des périmètres restreints et
atomisés, encore moins d'être identifiés à ces
espaces de fortune dessinés par les intérêts colo-
niaux. L'ethnologie de Maurice Leenhardt fait
I L'ethnologie et le fait colonial pourtant de cette conjoncture une essence. « L'es-
pace [pour les kanak], se révèle ainsi sans dimensions
propres; il est essentiellement qualitatif. Il est discon-
Tout travail scientifique attaché à la compré- tinu aussi » (Leenhardt, 1947 : 62). Les apprécia-
hension de la société kanak s'est trouvé confronté tions de l'ethnologue ne peuvent, sur ce point, que
au colonialisme et au racisme dont les Mélanésiens conforter les préjugés des colonisateurs.
sont victimes. Les conditions de vie des autochto- La colonisation se pense comme un déborde-
nes, telles que l'administration coloniale les a ment, un déferlement nécessaire, un excès. Les
successivement circonscrites et pensées, ont in- Européens, trop riches, trop puissants pour se
fluencé, en Nouvelle-Calédonie comme en Afri- contenter de leurs territoires d'origine, doivent se
que, les théories avancées par les anthropologues 5. répandre sur la terre, imposer partout leur gran-
L'ethnologie néo-calédonienne d'avant 1950, deur. Ils décrètent en retour, la faiblesse, les
l'œuvre de Maurice Leenhardt6, apparaît travaillée manques, des civilisations qu'ils colonisent. Mau-
par des forces contradictoires. Certes, le mission- rice Leenhardt intériorise cette idéologie quand il
naire-ethnologue a publié des documents ethno- définit, de bonne foi, les Kanak en termes de
graphiques indispensables à toute recherche sur la carences : « [...] dans un monde en dehors du temps,
société kanak d'aujourd'hui (cf. Leenhardt, 1930, puisque sans profondeur, il n'y a ni passé ni futur.
1932, 1937) et développé une protestation Tant qu'il ignore la profondeur, le Mélanésien ne
constante contre les injustices frappant les Méla- peut donc avoir de notion claire de l'espace, [...]. On
nésiens. Mais son souci de réhabiliter les Kanakoublie trop souvent cette carence des notions élémen-
tout en cautionnant l'œuvre civilisatrice de l'Eu-
taires d'espace et de temps chez les primitifs, et l'on
rope (cf. Clifford, 1982) l'a conduit, notammentcherche à leur mentalité des explications plus psycho-
dans Do Kamo (1947), à des interprétations logiques
qui ou philosophiques. Mais l'impotence concep-
portent la marque de la situation coloniale où elles
tuelle des Mélanésiens observés actuellement, dimi-
s'inscrivent. Ainsi quand l'idée d'un dépérisse-nue au fur et à mesure que diminuent ces carences »
ment de leur civilisation exclut les autochtones de (Leenhardt, 1947 : 229).
l'histoire de la colonie, Maurice Leenhardt pro- L'anthropologie philosophique de Maurice
jette à son insu cette opinion sur sa théorie de laLeenhardt, nettement distincte de son ethnogra-
conception kanak du temps. phie, croit dégager les assises psychosociologiques
L'auteur de Do Kamo étaye ses arguments avec« du Canaque fondamental », sorte d'archétype de
des considérations linguistiques qu'aucune appro-« l'homme primitif ». Mais les conditions objecti-
che scientifique ne pourra par la suite retenir (cf. ves de l'observation font subrepticement retour au
Rivierre, 1980) : « Les langues mélanésiennes n'ex- cœur même du sujet étudié : la place assignée aux
priment pas le temps. Le temps reste indifférencié. Et Kanak par la colonisation définit les cadres de la
par un jeu de morphèmes, comme celui qui exprimeméditation que Leenhardt pense mener librement.
la durée, elles situent l'action, le sujet vers lavant : Les catégories mélanésiennes de temps, d'espace,
de corps, de personne, de mythe, etc., ainsi éla-
l'avenir; vers l'arrière : l'aspect accompli. Mais il n 'y

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La Nouvelle-Calédonie 195

borées épousent, sur le mode savant, les que qui arrache les Kanak aux stéréotypes de la
contours
d'une image toute spontanément coloniale primitivité
« du » pour les reconnaître dans leurs poten-
Kanak : une conception « ténue » de l'espace, tialités créatrices de toujours.
une
« absence de temps », une ignorance de son La situation
pro- coloniale et raciste infligée aux
pre corps, une conscience « mythique » du Kanak,
monde, depuis cent-trente-cinq ans, par la domina-
une personnalité faiblarde7,... bref une tion française n'a cessé de travailler l'ethnologie
identité
négative implicitement opposée, sinon par néo-calédonienne
Leen- dans sa théorie et sa pratique.
hardt lui-même du moins par ses lecteurs, Au sein d'un univers politique qui nie l'existence
à celle
des colonisateurs. Ces derniers, a contrario, se des autochtones comme peuple et comme culture,
doteront de tous les avantages : un sens de l'espace la moindre attention à leur civilisation et à leurs
(les terres des Kanak) et du temps (celui de la problèmes est jugée subversive et éventuellement
conquête outre-mer), une individualité forte, celle réprimée 8. Le contexte colonial confère au travail
du citoyen pionnier français, imbu d'un insolent de l'ethnologue une portée doublement militante :
sentiment de supériorité sur les Mélanésiens. par ses publications, le chercheur porte témoi-
Ceux-ci sont d'autant moins crédités d'un « moi » gnage, linguistiquement et culturellement, des
qu'ils n'accéderont que tardivement (en 1946) à la gens que la colonie et une grande partie de l'opi-
citoyenneté (état civil, droit de vote, etc.). nion de son pays méprisent et marginalisent; par
Après la seconde guerre mondiale, l'abolition sa pratique de terrain, le même chercheur, cô-
du Code de l'Indigénat (1887-1946) autorise les toyant une population spoliée et humiliée, se voit
Kanak à circuler de nouveau librement. Il n'est pas dans l'obligation morale de protester contre tant
fortuit que l'ethnologie mette alors l'accent sur le d'injustices et, plus globalement, contre le colonia-
dynamisme de la société autochtone (Guiart, lisme et le racisme qui frappent ses amis.
1953). Au piétinement circulaire du « temps my- Malgré ces difficiles conditions d'exercice, il est
thique » succède l'histoire complexe des clans puis remarquable que l'ethnologie néo-calédonienne,
celle du mouvement indépendantiste. L'hypothèse de Maurice Leenhardt à nos jours, à peu d'ex-
d'un espace indéfini et purement qualitatif est ceptions près, ait constamment développé une
remplacée par l'évidence d'une spatialité itiné- critique plus ou moins radicale du système colo-
rante ou rayonnante (Bensa, et Rivierre, 1982) et nial. L'efficacité de cet engagement est en revan-
bientôt par la prise en compte des incessantes che moins probante.
revendications foncières (A. Saussol, 1979). S'il demeure exact, comme le note Marc Auge
L'ethnologie découvrira peu à peu l'historicité (1979) qu'il suffit qu'une anthropologie soit vraie
structurelle de la société kanak. Les récits de pour qu'elle soit « subversive », l'expérience
tradition orale, par exemple, loin de caractériser prouve que la portée de l'argument ethnologique
une pensée mythique a-temporelle, se révèlent contre l'idéologie colonialiste s'avère extrêmement
- au terme d'une étude fouillée de leurs contextes faible. Pourquoi ? Le discours anthropologique est
d'énonciation - être les vecteurs essentiels d'une aussi discrédité que les sociétés auxquelles il
réflexion politique prenant en charge le passés'applique.
et Une alternative en forme d'ultimatum,
l'avenir des groupes (Bensa et Rivierre, 1982,à gauche comme à droite, le rejette d'emblée : soit
la société étudiée a préservé l'essentiel de ses
1988). A l'instar de ces habiles constructions,
structures originelles, et, proclame-t-on alors, son
véritables « mythistoires », porteuses des straté-
gies d'un clan, d'un lignage ou d'un individu, asservissement
les à la modernité impérialiste est
épopées nationales esquissées par les leaders in-inévitable, voire justifié; soit cette même société
dépendantistes kanak inscrivent les narrations s'est radicalement transformée depuis belle lurette
modernes dans une logique polémique et compéti- et les ethnologues qui, accuse-t-on, la font malgré
tive {cf. Bensa, 1987). tout survivre par leurs écrits jugés passéistes ou
Attentive à ce souci mélanésien « d'habiter le même mythomanes, s'opposent à l'émancipation
temps » (Tjibaou, 1981), l'ethnologie contempo- complète de ces « primitifs » révolus. Kanak ou
raine décèle dans la « tradition » kanak une forte prolétaire, il faut choisir.
propension à penser le mouvement, le change- Les méthodes et concepts de l'anthropologie,
aussi spécifiques et éprouvés que mal connus du
ment, l'histoire, comme l'attestent la grande varia-
bilité des institutions d'une région à l'autre, l'at-
grand public, récusent sans peine cette dichotomie
trait pour l'étranger et le nouveau (Haudricourt, simpliste et irréelle, véritable Diktat de l'ethnocen-
1964) ou la recherche de modèles sociaux prenant trisme européen9. L'ethnologie empêche-t-elle
en compte le fait colonial {cf. Charte du FLNKS, pour autant les idéologues de tout bord de tourner
1987). Ainsi se renouvelle une perspective théori-en rond ? Certainement pas. Les travaux des cher-

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cheurs en sciences humaines n'influencentpeut guère à tout le moins s'attacher à dénoncer l'op-
pression.
les opinions et décisions politiques concernant les Cette attitude morale, qui devrait,
sociétés colonisées. Mettre scientifiquement commeen nous y engage Michel Leiris (1951), pro-
longer toute pratique de l'ethnologie en situation
lumière leur irremplaçable apport au patrimoine
culturel mondial et affirmer politiquement coloniale,
leur ouvre un autre débat.
Quelle éthique pour l'anthropologie ? Faire
droit ou respect et à l'autodétermination n'induit
pas ipso facto la réforme ou l'abolition desœuvre
insti-d'anthropologue, n'est-ce pas autant éluci-
tutions qui génèrent le racisme. D'autant queder l'in-
les causes du racisme que combattre ses effets,
analyser des sociétés étouffées par le colonialisme
térêt privilégié accordé d'ordinaire par l'ethnolo-
gue aux groupes et populations dominésque ne lutter
lui contre un tel système, etcì Mais à
donne pas nécessairement les moyens théoriques quelles conditions le discours anthropologique
d'une analyse globale de la société coloniale. A peut-il avoir une portée politique ? Confrontée à
défaut, pour combler cette lacune, de se consacrer la triste actualité du colonialisme français, l'ethno-
éventuellement à l'histoire et à la sociologie du logie des sociétés kanak de Nouvelle-Calédonie
système d'ensemble où « son terrain » prend invite à penser ensemble science, morale et politi-
place, l'ethnologue, fort de ses connaissances que et, par là même, pose, de façon aiguë, la
approfondies du peuple colonisé et débiteur en- question de la place et du rôle de l'ethnologue
vers lui d'une dette amicale et professionnelle, dans la cité.

A.B., Paris, mai 1988.

aucun autre ethnologue, français ou étran-


mographiques calédoniennes, cf. Rallu
I Notes (1985). ger, n'a publié de recherches sur la Nou-
velle-Calédonie, {cf. Bensa et Bourdieu,
1 . L'insurrection kanak qui fit près de 2 000
morts du côté mélanésien et 200 chez les
3. L'histoire économique et politique de la 1985).
Nouvelle-Calédonie est ainsi comparable à
Européens, inquiéta beaucoup les autorités
celle qu'observait Tocqueville (1836) en 7. « II ignore son corps [...] Son moi n'a pas
coloniales. Le commandant Rivière chargé Amérique : d'un côté des autochtones, les de fixité. Comment pourrait-il se poser et
de la répression n'a, quant à lui, jamaisIndiens, exilés au sein de leur propre pays décréter : ceci est ici, devant, derrière, là ? »
accordé foi aux capacités militaires deset voués à l'extinction; de l'autre, une popu- (Leenhardt, 1947 : 109).
Kanak de l'époque. Il achève sa relation de
lation noire importée, étroitement liée au
l'insurrection par ces réflexions laconiquesfonctionnement
: d'une machine esclavagiste 8. M. Leenhardt, sous la pression des Euro-
« D'autres insurrections pourront éclater, péens locaux, dût quitter le Territoire. J.
que font tourner pour leur compte les colons
elles ne seront pas plus redoutables que d'origine européenne. Sur le continent amé- Guiart a vu, en 1985, sa maison de Nouméa
celle-ci où les sauvages, incapables de mena-ricain, comme dans l'archipel calédonien au incendiée par les « loyalistes », etc.
cer sérieusement un établissement bien
xixe siècle, deux formes de racisme, expres- 9. Par exemple, à propos des Indiens des
gardé, n 'ont été en somme que de parfaits sions de deux types de pratiques coloniales,
assassins en brousse... il sera toujours aisé de Andes, des ethnologues remarquent fort
vont logiquement stigmatiser « l'Indien » et justement : « Opposer Indien à paysan n'a
comprimerle mouvement » (Riviere, 1881« :le Nègre » de façon distincte. Le premier,
282). guère de sens. Tout individu en effet peut
écarté du processus de développement être situé à la fois par rapport à son mode
2. « A cette époque, le mot recensement qu'imposent les envahisseurs est destiné, d'insertion économique et par rapport à son
n'avait pas la même signification que de nos comme les Kanak, à disparaître prochaine- mode d'insertion culturel. Non seulement
jours, nous pensons que c'était plutôt un ment. Le second, comme les immigrés l'un n'exclut pas l'autre, mais encore l'une
dénombrement bien particulier, puisque non-européens ou les bagnards de Nou- va obligatoirement avec l'autre. Ce qui est
l'on se contentait de compter uniquement velle-Calédonie, est partie prenante, mais ici en question, c'est la manière dont l'insertion
les hommes à cause du paiement de l'impôt, à titre d'esclave, du système colonial. (Toc- économique et l'insertion culturelle jouent
ensuite ceux qui étaient de moindre impor- queville, 1836, T.I., chap. X.). conjointement dans une situation spécifi-
tance, les femmes et les enfants » (Villa- que : dans la création de syndicats, de partis,
4. cf. Les Nouvelles Calédoniennes, Nou- d'associations. C'est comment l'un et l'autre
geois, 1981 : 5). méa, le 22.11.86.
D. Shineberg, historienne, pousse, dans un facteurs se combinent, ou plus exactement,
article décisif, plus loin la critique des re- 5. cf Amselle et M'bokolo, 1985. peuvent être combinés pour expliquer la
censements de la population mélanésienne naissance d'une révolte paysanne-indienne,
antérieurs à celui de 1901 : « Ces soit-disant 6. Plusieurs voyageurs, militaires, mission- et comment les organisations paysannes-in-
recensements n'ont jamais été faits avec naires, nous ont laissé des notations ethno- diennes utilisent-elles tantôt l'appartenance
l'intention d'un dénombrement sérieux » graphiques précieuses. Mais seul M. Leen- ethnique, tantôt la qualité de paysan, tantôt
(Shineberg, 1983 : 40). hardt s'est attelé à un projet scientifique deles deux, pour mobiliser leurs troupes ».
Pour une analyse récente des données dé- longue haleine. Dans la période 1905-1946, (Bouysse-Cassagne & autr., 1984, p. 36-37).

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