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L'hybridité comme identité(s) française(s) et altérité(s) dans les littératures émergeantes

en Nouvelle-Calédonie
Author(s): Raylene Ramsay
Source: Dalhousie French Studies , Spring-Summer 2006, Vol. 74/75, Identité et altérité
dans les littératures francophones (Spring-Summer 2006), pp. 413-426
Published by: Dalhousie University

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40837739

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L'hybridité comme identité(s) française(s) et altérité(s)
dans les littératures émergeantes en Nouvelle-Calédonie

Raylene Ramsay

/J s mouvement entre deux cultures et deux langues, française et Kanak, est un


0^ élément central des écrits pourtant bien différents de Jean Marie Tjibaou
(indépendantiste et « homme d'Etat » originaire de Taire linguistique cemuhi); de Déwé
Gorodé (écrivaine et Vice-présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dont la
langue maternelle est le paicî); de Pierre Gope (poète et dramaturge autodidacte qui parle
le Nengone de l'île de Maré en première langue). Ces trois Kanak écrivent en français
acceptant ainsi une certaine hybridité, pourvu qu'elle tienne compte de leur parti pris
d'insularité et de prééminence culturelle mélanésienne.
A l'intérieur du monde kanak contemporain, selon l'ethnologue Alban Bensa, la
littérature orale elle-même incorpore une certaine mixité qui relève de changements
présents dans l'environnement politique et social et de nouvelles revendications de terre
et d'autorité après « les événements » des années quatre-vingts (que d'aucuns ont vu
comme une guerre civile). Nous avons démontré, par exemple, la présence de
revendications des femmes kanakes dans la littérature orale recueillie et publiée
récemment.1 Un des contes examinés met en scène une femme qui quitte son mari la nuit
pour aller faire de la pêche au flambeau. Au lieu de travailler pour ravitailler la famille,
elle passe la nuit à danser, la tête renversée en arrière, de long en large sur la plage, au
bord de la mer. Cette « danseuse aveugle », qui sort ses yeux pour danser, les déposant
sur la rive, est punie pour sa désobéissance aux règles patriarcales - on lui vole ses yeux
et l'on les jette à la mer. Cela n'empêche que cette danseuse reste une figure de liberté et
de jouissance féminine saisissante. D'autres récits oraux, transcrits par Alban Bensa
(1982), racontent l'histoire de femmes qui choisissent leur propre mari ou refusent
d'accepter le mari désigné par les utérins, changeant des fruits qui descendent la rivière
en hommes qui s'installent avec elles et enfreignent ainsi les règles d'une société kanak
virilocale.
Nous avons montré que la plus grande partie des textes qui constituent la littérature
orale en Nouvelle-Calédonie n'existent qu'en traduction, re-écrits ou transformés par la
philosophie révolutionnaire, universaliste, et féministe de Louise Michel ; ou par
l'univers mythique d'harmonie, de permanence et de conquête de soi du pasteur
Leenhardt ; ou par l'examen ethnographique des transformations dans les structures
sociopolitiques et les chemins d'alliance d'aires linguistiques particuliers.2
Du côté européen, Nicolas Kurtovich (né en Nouvelle-Calédonie) et Claudine
Jacques (née en France mais habitant la Calédonie depuis son adolescence) mettent en
scène, eux aussi, les effets de la rencontre de deux mondes, tantôt se situant à la place du
colon ou «caldoche», tantôt s 'essayant à une identification avec l'imaginaire kanak.
Leurs textes, comme ceux de Louis- José Barbançon et d'autres descendants de bagnards
libérés ou de déportés, montrent les interférences profondes entre les deux cultures
majeures en place en Calédonie, aussi bien qu'avec celles désignées comme les « autres »
ethnies. Dans ses romans récents et son travail historique, Jean Van Mai présente, pour la
première fois, l'histoire des Calédoniens d'origine tonkinoise comme une assimilation
qui n'est que très partielle, et une Calédonie, le temps d'un contrat de travail, entre terre

1 Voir notre article « Hybridity in the Representations of the Female Body in Kanak Oral Literature: The Blind
Dancer » .
2 Voir notre article « Translation in New Caledonia ».

Dalhousie French Studies 74-75 (2006)


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4 1 4 Ray lene Ramsay

d'accueil et terre d'exil.3 Jusqu'à la


l'hybridité est vécue dans l'espoir d'u
L'hybridité, terme péjoratif ré
caractérise donc tous les auteurs et textes littéraires néo-calédoniens. Les cas ne sont
pourtant pas partout pareils et comportent des degrés différents d'acceptation des
modèles européens et du sentiment d'appartenance à la France, ainsi que des degrés
d'altérité qui transforment la langue française ou contestent la culture dominante de
l'intérieur. L'interface ainsi créée peut être plus ou moins fléchie vers la culture d'origine
(ou de choix) ou plus ou moins influencée par la culture dominante. Elle consiste en plus
ou moins d'efforts de subversion ou de volonté de renverser le pouvoir de l'autre culture
française et de la nommer « altérité » : en plus ou moins de désir de céder à sa séduction,
de s'y identifier, de l'épouser ou de la tenir à distance.
Selon le caractère de l'interface, l'hybridité peut prendre plusieurs figures,
ressemblant aussi bien au va et vient constant entre des mondes différents dans une
tentative d'identification de soi à l'autre, dont parle Luce Irigaray, qu'au monstre de
carrefour cosmopolite, étranger à lui-même de Julia Kristéva, ou au « troisième » espace
créatif où l'on trouve du nouveau à partir de la rencontre des deux cultures de Homi
Bhabha, ou à « l'indécidabilité » du terrain de l 'entre-deux chez Derrida. Si notre étude
se sert de ce concept d'hybridité pour tenter d'élaborer une description des identités et
des altérités à l'intérieur d'une littérature néo-calédonienne dite émergente, c'est aussi
afin de montrer que c'est à partir de singularités et au pluriel que se constitue ce qui est à
la fois une littérature « nationale » kanake et /ou calédonienne, une littérature française, et
une littérature francophone.
Selon l'universitaire Hamid Mokaddem, le Caldoche est né en partie de la rébellion
contre la Haute Administration française. Un Calédonien est donc un Métropolitain qui
est devenu un hybride ou un Océanien qui se définit par ce qu'il n'est plus, c'est-à-dire,
un « Zoreille » qui sait tout. Aujourd'hui encore, dit-il, le Calédonien est encore le
descendant de Jean Mariotti qui se définissait comme « un sauvage qui a reçu l'éducation
d'un civilisé ». Il est le descendant du colon libre de Koné ou Voh qui ne se mélangeait
pas avec le « libéré » de Pouembout. Selon Jean-Pierre Devillers « II faut noter tout de
même que le métissage biologique est très important mais que le métissage culturel est
inexistant. Moi, j'ai des cousins noirs qui disent, et cela fait souvent rire, à tort d'ailleurs,
« nous, les Blancs... » mais ils ont raison de dire cela car ils ont toujours été élevés en
milieu européen, ils raisonnent comme des Européens, ils ont des intérêts européens ; ils
ne sont absolument pas canaques » (Devilliers, 236) Les textes de Nicolas
Kurtovich illustrent, donc, l'art d'un petit nombre d'écrivains « caldoches »
contemporains de mettre le masque de l'autre, Kanak, l'art de voir par ses yeux et
partager son monde, mais tout en parlant par sa propre bouche.
En quoi consiste donc cette « littérature néo-calédonienne » que l'on pourrait peut-
être se hasarder à appeler « nationale » au lendemain de la décision par la France de
donner le statut de « pays » d'outre-mer à cet ancien « territoire »? Dans le cadre de
l'autonomie politique grandissante inscrite par les Accords de Nouméa de 1998 et le
référendum sur l'indépendance programmé pour 2018, ce «pays» ne pourrait-il pas
s'attribuer le statut de pays francophone distinct de la France malgré le fait qu'il continue
d'être hanté par le legs des structures et des mentalités de la colonisation ? Il est pourtant
vrai aussi que les trois provinces (du Sud, du Nord et des Iles) nouvellement créées
restent bien différentes les unes des autres. Tjibaou trouverait ses origines dans le Nord ;
Gope dans les îles, tandis que Kurtovich, Barbançon et Jacques représenteraient la
blanche Nouméa - la Province Sud. A l'époque de l'agrandissement de l'Europe, de la
mondialisation et du développement de la Francophonie, et bien après l'arrivée des

3 Dans "Chân dang" : les Tonkinois de Calédonie au temps colonial, et Fils de Chân Dang.

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Identité et altérité 415

travailleurs sous contrat de


à la fin du dix-neuvième si
l'indépendance de l'Algérie,
pays francophones, par exem
Déwé Gorodé et l'interface
Ni bicéphale, ni entre-deux
Déwé Gorodé est née en 194
du pays Paicî. Elle est donc,
Nord, mais comme Tjibaou,
philosophie au Lycée La Pe
faisant partie du premier
L'apprentissage de Gorodé en
tout comme sa poétique en
l'œuvre des poètes de la Né
pasteurs protestants, elle es
l'indépendance avec les Fo
envoyé par les Maristes pou
prêtre, avait précédé son c
ethnographie avant de déco
temps à faire la navette en
intermittentes, en tant que
en tant qu'écrivaine franco
Ouessessant) et son clan en b
terre dans son jardin. Il est
d'occuper les nouveaux bur
indépendantiste, et était re
Culture et des Jeunes, Ave
Mme Thémereau en 2004.
Dans les quelques entretiens qu'elle a accepté de donner, Gorodé - l'auteur de
deux recueils de poésie (Sous les Cendres des Conques et Pour dire le vrai) d'un volume
d'aphorismes (Par les temps qui courent), d'une pièce inédite (Kénaké 2000), et de trois
recueils de nouvelles ou de contes, dont un, Le Vol de la Parole, a été écrit en
collaboration avec Weniko Ihage - avoue avoir des rapports avec la langue dite du
colonisateur qui sont des rapports de « perversité ». L'unique écrivaine kanake publiée
lance un défi considérable à son lectorat en l'obligeant à faire un travail culturel en
profondeur pour comprendre ses nombreuses références au monde kanak, ses
fonctionnements, sa mentalité, ses mots. En même temps, Gorodé ne semble pas accepter
volontiers que ses interlocuteurs suggèrent que sa langue ne soit pas « française ».
Dans Utê Mûrûnû et d'autres de ses nouvelles, Gorodé trace l'histoire de son pays
d'un point de vue résolument kanak. L'histoire européenne n'est présentée qu'en
filigrane, une ombre indirecte et souvent mortifère, sans grande pertinence pour le
quotidien des femmes, leur souci du maintien de la transmission de la vie et de la culture
et leur volonté d '«être » avec la terre, et avec les ancêtres. Il y a des échos de la révolte de
1878 et sa répression sanglante par l'administration coloniale par ses effets indirects, car
l'arrière grand-mère, Utê Mûrûnû, dans sa vallée Paicî, a été le butin de guerre des tribus
traîtres. La première guerre est évoquée comme un combat contre les soldats de
« Guillaume » dans les pays lointains et froids des « autres », les non Kanak ou
« Popwaalé ». Utê Mûrûnû raconte la vie de cinq générations de femmes, toutes appelées
Utê Mûrûnû, mêmes et différentes, dans des contextes historiques qui changent, mettant

4 Notamment Ariette Peirano, auteure de Kanak Blanc et de Tabou Suprême, qui est originaire de la Réunion.

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ainsi en place une conception tout


définit comme récurrence, variatio
chaque quatrième génération com
homonyme est probablement « notr
Gorodé dans un entretien avec Blan
à Nouméa où Utê Mûrûnû, qui souti
mère d'un autre Dui Natei, décide d
mère Utê Mûrûnû. Enfin, son fils an
les noms de sa grand-mère.
La conception du temps mise e
seulement « traditionnelle ». Comm
Tjibaou, déclarant que « notre aveni
politique, Gorodé écrit non seulem
traditions, mais pour changer les
signalé dans une communication qu
Gorodé « Le chemin du pays, le lon
écrivains francophones, Gorodé con
si la nouvelle est fictive... j'écris da
implique. Il ne faut pas oublier que,
du point de vue Kanak » (Gorodé 19
Si les Européens se profilent au l
« grasses » ou pour être derrière la
obligatoire des Kanak pour les « pr
coutumier d 'Utê Mûrûnû] achevait
rangée de barbelés » (Gorodé 1994,
propriétés des colons des réserves in
son Code de l'Indigénat, qui oblige
dépossession depuis si longtemps (l
l'Indigénat fut en vigueur de 1894
français. La métaphore se retrouve
Jacques, Les Cœurs barbelés, une
culturel par l'amour entre un Kana
maintenant culturellement « bicép
place de l'autre ethnie, et plus tard d
rend son entreprise fictionnelle bie
« en devenir » de Jacques, le pays d
organiser son roman) qui ferait éve
de Deleuze, ne soit pas tout à fait
(Gorodé et Kurtovich, 51), retour v
kanak envisagé par Gorodé.
Le cheminement chez Gorodé, qu
« Le chemin du pays, le long chem
comme Stéphanie Vigier le démont
marche au présent. L'espace kanak
système de relations avec le paysag
les autres clans et itinéraires, plu
l'espace et le temps altèrent d'ailleu
de ses genres fictionnels (poèmes, no

5 Dans « Le chemin du pays, le long chemin


6 La phrase « Le chemin du pays, le long ch
dans le recueil de Déwé Gorodé, L 'Agenda.

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Identité et altérité 417

Les objets quotidiens dans l


renvoie à l'univers kanak. Le
lieux d'origine, généalogie, p
terriens identifient les diff
mythes et la littérature oral
constituer une charte fonc
physiques et sociaux, des che
Si ses textes peuvent déso
formation et le lecteur fini
que l'on offre aux oncles m
aux utérins pour annoncer l
indique le retour à la terre e
don et contre-don résumés
kanak (ou adì) comme trésor
« l'effet de réel », une ethn
l'utilisation constante des d
l'autre côté »), et des temps d
indicateurs de lieu dans le
l'énonciateur... dans l'esp
l'environnement. La tribu est
Vigier relève ce qu'elle ap
rétention du temps » qui fai
déplacer. Un exemple frappa
qui « semble s'être déplacé
cérémonie (de deuil pour le g
Case » se termine ainsi, « La
de grand-père, au cours de la
Si l'enracinement, la tentati
central de l'œuvre, le déra
Nouméa dans la nouvelle « B
la prostitution et le Sida, ma
tribu, comme la vieille femm
il peut y avoir une dégradatio
la nouvelle « La Saison des
apporte la malveillance, fa
prendre sa place. Cette fian
minier dégradé par l'exploita
des charlatans », un temps l
ci symbolise les liens traditi
la tribu alliée du narrateur, l
partie de la demande en m
auparavant.
Dans la tradition, les femmes kanakes ne prennent pas la parole publiquement, ne
parlent pas pour soi mais pour le groupe. Vigier suggère que la 'déterritorialisation' de la
langue française chez Gorodé est une réponse à son propre déracinement. Gorodé, voix
singulière ou voix de femme ayant un rôle public, a besoin de sortir de son cadre kanak
pour devenir écrivain « français » si elle veut représenter sa cause, et si elle veut écrire.
Tout comme « les paroles d'identité et de résistance » chez Assia Djebar, Malika
Mokaddem et Nina Bouraoui dont parle la thèse de Trudy Agar sur la contre-violence
créative dans l'autobiographie postcoloniale du Maghreb, Gorodé n'hésite pas à
introduire une certaine provocation, une contre-violence, une agression, voire une
'revanche' dans les paroles qui opèrent sa construction identitaire au nom de son peuple.

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4 1 8 Raylene Ramsay

On pourrait proposer que le tem


constituent une critique « postcol
dominant/dominé et qu'elle tente
logique binaire du rationalisme d
Histoire de l'affrontement. Mais c
ou théorique dans ses textes : c'es
scène l'empoisonnement par la gr
Mûû, enceinte et amoureuse, po
Classée est l'histoire de la revanch
profanation de « la fille du feu » ta
L'œuvre de Gorodé se démarqu
passage dans Utê Mûrûnû qui dé
vieillards en état de lubricité» et
marquées de tabous », autant de «
coutumier (p. 21). La femme kanake
kanake à l'intérieur d'une identité collective dans un face à face avec la domination
française, et en tant que sujet féminin impliqué dans une lutte contre la domination
masculine.
Gorodé ne cherche pas, comme Mokaddem, une identité « nomade » dans une
conception composite et « rhizomique » de la culture, mais une identité de femme kanake
libre. Dans Utê Mûrûnû, elle cherche du côté de la tradition l'exemple de Kaavo, fille du
chef, qu'elle transforme en sujet - « notre princesse de légende » et modèle de femme
autonome. Cette princesse, Antigone kanake, est loin de la Kaavo/objet, personnage de la
nouvelle éponyme coloniale « primitive » de Georges Baudoux, fille de chef enlevée,
tuée et mangée, victime de la brutalité d'un guerrier concupiscent.
Nos traditions, nous dit Gorodé, sont un roc inébranlable. Ce roc n'est pourtant pas
incontournable. « On doit pouvoir décider soi-même de sa vie... Et léguer à ses enfants le
droit au choix responsable... Je cherche un chemin pour contourner le rocher. » {Utê
Mûrûnû, p. 16). Même si elles semblent être les « petites fleurs de cocotier » discrètes du
sous-titre, les héroïnes kanakes tfUtê Mûrûnû sont caractérisées par leur refus (en
l'occurrence de la polygamie et des mariages arrangés) et leur volonté d'autonomie.
Mais si, selon le travail contemporain de la sociologue Christine Salomon, la société
kanake est caractérisée pair une lutte des sexes et non pas par l'harmonie entre les
principes masculin et féminin postulée par l'ethnologue Maurice Leenhardt, la position
de Gorodé reste mitigée, enracinée dans la cause kanake du maintien du tissu
communautaire. La parité politique, imposée du dehors, lui pose un problème, au moins
dans l'état actuel de la formation politique des femmes et par rapport au peu de
prérogatives traditionnelles qui resteraient aux hommes. Ses nouvelles recherchent
surtout une manière d'être au monde en harmonie avec « l'autre femme » - notre mère,
la terre - dans le quotidien, le labeur pour les autres, la génération à venir. Cela ne
l'empêche pas, pourtant, d'emprunter, comme Tjibaou, au discours des droits et des
libertés humaines, et après avoir d'abord affirmé l'identité kanake, d'aller vers
« l'autre », et chercher « l'universel ».
La tentative de décentrer l'histoire coloniale montre paradoxalement que l'histoire
française a assez bien fonctionné. De fait, il s'agit de résoudre le problème d'un
mouvement contradictoire entre la mémoire du passé comme exil (en tant que colonisée)
et la mémoire (le remembrement) de l'histoire en tant qu'enfance, identité, communauté
et langue kanakes. La littérature calédonienne n'est pas pour autant « bicéphale », kanake
et caldoche, comme Hamid Mokaddem l'a prétendu. Dans son recueil de poèmes Sous les
cendres des conques, Gorodé ne peut arriver à la valorisation d'une vie coutumière (non
européenne et orale) qu'en parallèle à une dénonciation écrite de la conque en
«cendres » : un pays pillé, pollué par l'extraction du nickel et par la contagion de

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Identité et altérité 419

systèmes de pensée et politi


de la Coutume par « Madame
et du profit. Ces poèmes de
marxiste, et d'une pensée ra
genoux de la grand-mère »
aliment colonial par excelle
interroge certains des conce
et « coutume ».

Consensus
Comme censure
Ou encore
Consensus
Comme
Sang-sue
(Par les temps qui courent, p. 17)
Consensus
Sans conscience
n'est que ruine de soi
(d'après un certain penseur... )
(Par les temps qui courent, p. 18)
La paresse
des uns
se nourrit de la coutume
des autres
(Par les temps qui courent, p. 44)
Elle n'est
plus dans ces deux mots
où on Fa vidée
d'où on l'a vidée
« la coutume «
(Par les temps qui courent, p. 47)
Nous sommes manifestement dans une pensée qui trouve son matériel dans les deux
mondes, et veut le penser autrement, une pensée que l'on pourrait appeler hybride dans
ses figures d'une politique critique et révolutionnaire et d'une éthique féminine kanakes.
En fait, les textes de Gorodé vivraient non pas de l'opposition binaire mais d'un
entre-deux post-structuraliste plus proche du va-et-vient séducteur/ résistance à une
séduction d'Irigaray. Il faudrait figurer un tel « entre-deux » autrement que comme un
intervalle, espace de lutte entre deux cultures et deux langues, et à l'extérieur des
systèmes qui le composent. C'est aussi l'étincelle, l'échange qui se produisent lors du
contact culturel des deux systèmes. Le vol (comme aliénation) de la parole maternelle est
aussi le vol (comme envol) de la parole.
Les aphorismes du Par les Temps qui courent reprennent et transforment un genre
européen. Les personnages de la pièce Kënaké, la femme kanake, sa confidente, « Duée »
(grand-mère ou esprit) sont doublés par des personnages du théâtre grec, Antigone et sa
nourrice. Les frères ennemis sortent aussi bien du mythe grec que du mythe d'origine
paicî ou de l'histoire contemporaine de l'assassinat de Jean-Marie Tjibaou par son frère
kanak, Djubelli Wéa. Comme chez la poétesse de Vanuatu, Grace Molisa, les mots
français sont bousculés, comme chez Nathalie Sarraute les lieux communs et expressions
toutes faites sont retournés dans tous les sens, pour forcer ces mots français à « dire le
vrai », à montrer leur dissimulation, leur insuffisance à dire le silence de la langue

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420 Raylene Ramsay

maternelle, la langue d'affect


absences. De nouvelles formes
retournent les «outils du maî
l'avons proposé ailleurs, tirer la
de la tribu, (et dans son cas, de
peut-être l'aspect le plus importa
ni entre-deux ». 7

Jean-Marie Tjibaou : une éthi


Ou les images du partage des
Jean-Marie Tjibaou, née en 19
Séminaire de Paita, ordonné p
sociologie à l'Université Cathol
un doctorat en ethnographie à
et rentrant dans son pays en
président de l'Union Calédonie
nouveau, le F.N.L.K.S. (le Fron
novembre 1984, Tjibaou faisait,
européennes et sa famille élar
chez lui, dans ses champs. Son
derrière l'extraordinaire archi
contre-don) de la France.
S 'identifiant dans un entretien
mélanésien, selon des catégori
159-160), Tjibaou a aidé à créer
son invention de formules et d
entretiens et poèmes, postulen
identité est située du côté de la c
et future, pure et hybride. Le
impuissance, et la reconnaissan
culture et de ses valeurs perd
kanak, crée l'image saisissante
barbelés, à la recherche de leur
possédés, qui ont perdu la parol
vie, revendiquer le sang des ma
que la culture française (Tjibaou
son pays, Tjibaou avait aussi
L'organisation de Melanesia 200
2000 artisans et 50,000 spectat
Calédonie s'adressaient aux deux
Tjibaou, qu'il pouvait partage
française, mais qu'il était imp
propre culture. La pièce de thé
scène au festival met en scène l
de l'échange cérémonial des igna
de la spiritualité mélanésienne.
avec les Européens dans l'espoir
la légitimité politique est insc
premier homme, l'ancêtre
stratégiquement, des peuples h

7 Lors de la communication donnée le 2

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Identité et altérité 421

Gorodé, Kënaké 2000 ou KN


avait
rejeté le festival cultur
tard, met Tjibaou lui-même d
En 1983 Jean-Marie Tjibao
qui a produit les notions de l
(caldoche et Kanak). En 19
biographes ont remarqu
« l'autodétermination » et du « caractère sacré et inaliénable des droits kanaks » et
comprenaient aussi la liberté, l'égalité, et la fraternité - des valeurs républicaines et
« universelles ».
Même le concept de la culture traditionnelle était influencé par la culture française.
La conception de la culture traditionnelle, a dit Tjibaou, était trop archéologique et c'est
la culture contemporaine qui serait la culture traditionnelle de demain. Toutefois, le
Kanak qui y participerait se reconnaîtrait encore non comme individu mais par les liens,
le lien avec la mère, avec le groupe, et avec le corps qui est le sang. La culture de demain
serait communautaire, le partage fraternel des ignames.
Dans cette guerre d'images où Tjibaou insistait sur le fait que « nos ancêtres » ne
sont pas les Gaulois et mettait de l'avant certains termes-clefs de la présence kanak,
coutume et consensus, il devait contrer l'effet des images de sauvage, de raciste ou de
terroriste présentées par ses adversaires, membres du R.P.C.R. (Rassemblement pour la
Calédonie dans la France). Si l'image de Caldoches armés de fusils et sans culture,
descendants de bannis et de bagnards, rejetés par la France figurait dans son répertoire,
Tjibaou était capable de se mettre dans la peau des assassins de ses frères morts dans une
embuscade le 5 décembre 1984 et de comprendre leur peur de perdre le monde qu'ils
avaient connu, l'année 1984 a aussi vu un « oui massif à la France » par la voix du
référendum. (Les indépendantistes ont boycotté le vote).
A la place de la patrie une et indivisible et de valeurs universelles qui ont été ainsi
encensées, les images politiques offertes par Tjibaou parlaient de la mixité, « Deux
drapeaux, un seul peuple » ou la poignée de main historique entre Jacques Lafleur et
Jean-Marie Tjibaou en présence de Michel Rocard en 1989 qui a scellé les Accords de
Matignon. Ces images ont probablement provoqué le coup de feu mortel de
l'indépendantiste radical, Wéa Dujbelli, à Ouvéa. Dans Kënaké 2000, Gorodé fait de cette
mort un sacrifice quelque peu mystique, et Tjibaou prend le statut de sauveur- martyr, un
héros qui fait avancer l'histoire. Le journaliste Jean-Marie Colombani parle d'ailleurs du
cours de l'histoire interrompu. Gorodé le figure aussi comme « un numéro » ou un
« star », mythe ou légende pour temps contemporain. François Burck, qui a suivi Tjibaou
à la tête de l'Union Calédonienne écrit sur ce « phare » qu'il est resté un symbole
d'espoir, de dignité et d'ouverture vers l'autre. Certaines analyses de ces ennemis
suggèrent que c'était le goût pour ce qui était français qui a perdu le Kanak.
La remarque critique de Jacques Lafleur, parlant de la difficulté de négocier avec un
homme qui était « prisonnier d'une langue qu'il n'avait pas complètement maîtrisée »
(Lafleur, 137) semble donc plutôt une contre-vérité. Le pari politique de Jean-Marie
Tjibaou, était de proposer des images hybrides de l'Etat futur qui allaient dans le sens du
multiculturalisme. Le retour à la tradition est un mythe, a-t-il déclaré dans une de ses
formules 'mixtes' ou paradoxales, images linguistiques qui ont fini par marquer
l'histoire. « Notre avenir est devant nous » Et plus tard, « L'Indépendance, c'est de bien
calculer les interdépendances» (Tjibaou 1996, 179). Selon Aimé Césaire, Tjibaou a
montré au monde une autre manière d'arriver à la décolonisation, le chemin Kanak.8 Par
la voie de ces images hybrides, des interdépendances.

8 Cité dans L'ADCK, 9.

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422 Raylene Ramsay

Pierre Gope. Ou est le droit? R


Dans la pièce de Pierre Gope,
plainte auprès du tribunal fr
coutumière, n'avait pas voulu
droit se trouve-t-il du côté du sy
pour viol? Ou bien se situe-t-i
sacrifie à l'harmonie du groupe
de l'agression contre elle pour p
exclue du groupe kanak à cause
sur la tombe de sa mère malgré
l'épousant. La solution du rec
entièrement retenue chez Gope.
Cette pièce de théâtre didacti
passer une leçon sociale sur la v
Jouée en français en plein air
parlers populaires comme les
hommes) déteignent sur les sc
comiques (les policiers françai
brousse la nuit). Pierre Gope p
constitué par les structures de s
sert est, donc, dénaturalisé. L
langues autochtones de la Caléd
y compris ceux des caldoches
représentée.
Dans Ou est le droit? c'est la jeune femme, Corilen, qui, comme dans le roman The
Whale Rider de Witi Ihimaera s'acquitte du rôle traditionnel de héros, reprenant un topos
important de la littérature contemporaine dans le Pacifique. Effet de la prise de parole par
les femmes dans la société moderne européenne, la jeune fille peut assumer le manteau
de «chef» traditionnellement réservé aux nommes.
Deux autres pièces, Le Dernier Crépuscule et Les Dieux sont borgnes (cette dernière
a été écrite en collaboration avec le « caldoche » Nicolas Kurtovich), recherchent des
solutions aux problèmes d'actualité posés par le pouvoir, des chefs aussi bien que des
autorités européennes. Dans leur mise en scène critique et humoristique, le capitaine
Cook, (le grand explorateur) qui se révèle être un dieu aussi borgne que tous les autres,
non seulement parce qu'il accepte à la fin d'assumer le rôle du dieu Lono, mais aussi
parce-qu'il ne peut pas s'empêcher de revenir par la suite à Hawaï, où il trouvera la mort.
Gope renverse les situations de pouvoir par la farce, par exemple, en faisant jouer le rôle
de Cook par un Noir, ou en lui jouant des tours. Le chef kanak qui prend la place de
l'usurpateur, et qui décide de vendre des droits de pêche à une pêcherie privée, laissant
tomber le projet d'une usine appartenant à toute la communauté est vu comme, lui aussi,
corrompu par le pouvoir.
Dans ces pièces, dont la dernière a été jouée pour un public français au Festival
d'Avignon en 2003, le personnage historique de Cook est cannibalise (mais fait partie, de
la tradition de la Nouvelle-Calédonie), le français est déterritorialisé mais rendu
accessible à tous, et les perspectives sur le pouvoir et la justice sont renversées par Gope
pour construire des configurations d'idées et de structures mixtes. Les solutions sont
recherchées par des personnages noirs du côté de la conscience des enjeux du pouvoir et
de la réconciliation des deux systèmes, mais souvent dans la grosse farce. Si Gope
cherche une société contemporaine plus juste pour le Kanak, il ne la trouve pas, donc,
dans l'adoption telle quelle de la justice européenne, mais dans la recherche d'une plus
grande égalité dans les deux sociétés, représentées comme à la fois distinctes et

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Identité et altérité 423

inextricablement imbriquées
des chefs; au moyen d'un 'aut
Claudine Jacques : médiation
Claudine Jacques, métropoli
essaie de donner une voix à to
aux immigrés les plus réc
l'indépendance de ce pays en
surtout au moment de « la b
Chinois) arrivés comme consé
récits et romans montrent to
pendant un siècle et demi, da
du coté biologique que cultur
chez les petits colons. Ces his
la terre, par exemple - des br
en représentant les contextes h
à ce lien avec la terre et aux relations avec l'autre dans les deux communautés. Dans les
récits du recueil Nos Silences sont si fragiles Jacques présente surtout des personnages
métis et les drames autour de leur appartenance. « Des vies de chemin de croix » présente
Anna, une jeune Kanak, rejetée par sa tribu pour avoir donné naissance à la fille d'un
jeune militaire français reparti en France. « II n'y a rien de bon dans ces êtres-là », disent
les vieux. Plus tard, Anna se met en ménage avec un Wallisien, Louis, qu'elle aime - les
Wallisiens qui font partie des six pour cent de Polynésiens dans le pays entrent ainsi en
littérature pour la première fois - mais sa fille, maintenant devenue une belle
adolescente, se laisse séduire par Louis. « Lydia la blanche l'avait trahie. Que pouvait-on
attendre d'une fille au sang mêlé ? » (Jacques 1996, 16) Anna chasse les fautifs mais
Lydia revient, enceinte avant seize ans et honteuse comme sa mère avant elle. Une nuit
dramatique de cyclone violent, Anna décide d'outrepasser les idées reçues. Cette fois elle
acceptera sa fille et l'enfant qu'elle attend. L'enfant à venir, même métissé, appartiendra
à une famille qui l'aime. Les préjugés sociaux contre le métissage sont attaqués à
nouveau dans « Mensonges » qui raconte la découverte par une jeune fille, Alicia, qu'elle
est née d'une mère noire et qu'elle s'appelle aussi Kaléa. Décidée à quitter son père blanc
qui voulait que sa mère cache ce secret, Kaléa partira à la recherche de cette femme des
îles et assumera son identité de métisse.
Jacques, qui a vécu elle-même en couple avec un jeune intellectuel kanak, pasteur,
s'intéresse surtout aux possibilités et aux limites du métissage culturel par la rencontre
amoureuse ou le mariage. Dans « Nagar », 9 une histoire d'amour passionnelle entre Julia,
une blanche de Nouméa et Mathew, un Noir, la relation permanente est ressentie comme
impossible par la Calédonienne ; les réactions possessives et violentes du Ni-Vanuatais
rendent cet amour tragique pour le couple. « L'Homme qui venait d'ailleurs » met en
scène un seul mariage mixte et un métissage d'enfants réussi. Il raconte la vie d'un
patriarche blanc qui a épousé une femme kanak et vit dans son monde entouré
d'affectueuses et nombreuses descendances. Toutefois, il a souffert un moment du fait
qu'aucun de ses enfants vivants ne lui ressemble.
Le premier roman de Jacques, Les Cœurs Barbelés suit la relation sexuelle
« interdite » entre Malou, jeune fille blanche, née en brousse, et Séry, jeune ingénieur
noir, mettant en scène leur ébats amoureux et la résistance de leurs familles, caldoche et
kanake à cette relation mixte. La question posée dans ce roman « la nuit peut-elle
rencontrer le jour » (Jacques 1998, 39) et restée sans réponse est reprise dans le deuxième
roman de Jacques, L 'homme Lézard, inspiré de la merveilleuse sculpture en bois de Dick

9 Dans le recueil Ce ne sont que des histoires d'amour.

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424 Raylene Ramsay

Bone exposée au Centre Tjibaou


tentatives rarement réussies d
kanak. Le croisement permanen
mène pas aux unions mixtes qu
Snack « Chacun sa culture, chac
Car la faute (le lézard) fait part
pour Jacques, sa deuxième moit
amour vient compliquer et anim
davantage du côté de l'alcool, de
la foi en soi. Dans les deux ro
l'amour physique coup de foudre
ethnies mais ne suffit pas à fr
l'homme noir ou à chasser le lézard..
Au niveau de la thématique le corps amoureux de la femme, reste à la fois la seule
possibilité d'un métissage égal et pose encore problème. Dans les nouvelles du recueil,
C'est pas la faute de la lune, Jacques expérimente le passage d'un monde à l'autre par
l'écriture du merveilleux.
Dans sa tentative de servir de médiateur entre les cultures, Jacques devient ici un
conteur de « petites histoires calédoniennes » inspirées de l'écoute des contes kanak et de
leur vision d'un monde perméable aux forces de la nature et aux esprits, y compris les
esprits des ancêtres. Ses techniques narratives relèvent pourtant du polar européen.
Comme le dit le pasteur Béniéla Houmbouy dans sa préface, elle sert d'interprète,
essayant de transmettre la façon de voir le monde kanak avec « charité » et
« modération».10 Un jeune homme qui enfreint un tabou disparaît transformé en arbre et
n'est libéré que par l'intervention de son oncle maternel. « C'est pas la faute de la lune »
raconte la mue apeurée en poisson-tortue d'un jeune homme blanc, Jean-Christ.
« Myriapode » est un récit d'épouvanté décrivant l'angoisse d'un boucher de Nouméa qui
précède la découverte d'un énorme mille-pattes. Le passage d'un monde à l'autre figure
dans « Céleste » chez les apprenties-sorcières, les sœurs veuves, Wapata et Wahaja, qui
s'en vont faire un tour aérien pour découvrir la lointaine Nouméa. Une belle jeune fille
wallisienne prise en stop, dont le jeune motard tombé amoureux se révèle être un esprit,
mort il y a dix ans. Mélange de contes de fées, de récits d'horreur et d'histoires kanakes,
ces petites histoires calédoniennes relèvent plus d'un entrecroisement que d'un vrai
métissage.
Marina Warner qui a travaillé sur les mythes, la magie, et les métamorphoses,
identifie les différentes cultures par leur conception de ce qui rend la personne humaine -
leur conception de ce qui fait animer la statue, la machine. Ecoutons Gorodé, « Nous, on
ne dit pas les morts, d'ailleurs. On peut dire les autres (c'est une traduction queje donne)
ou ceux qui nous éduquent... ils sont partout, ils sont là, là ou je m'assois, peut-être
qu'ils sont en train de m'écouter, là » (Gorodé 1998, 79).
Les histoires de Gorodé (Où vas-tu MM, Une affaire classée, Une Dame dans la
nuit) qui mettent en scène une rétribution fantastique et souvent apparemment excessive,
et la part d'aléatoire dans les agissements du sort qui n'entrent pas facilement dans les
catégories européennes du fantastique restent, en quelque sorte, un défi au rationalisme
ou au logo-centrisme du lecteur européen.11
Si dans Les Cœurs Barbelés, Jacques tisse des morceaux de textes littéraires et
historiques en italiques - poèmes, interview avec Naisseline sur la formation des
Foulards Rouges, compte rendu de l'assassinat d'un jeune broussard de 17 ans ou des

10 Béniéla Houmbouy, préface à C 'est pas la faute de la lune.


1 1 Toutefois, il est possible de faire une lecture à' Affaire classée (L 'Agenda pp. 22-44) comme récit indirect de
l'effraction du tabou de l'inceste et ses conséquences émotionnelles.

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Identité et altérité 425

sept kanaks (y compris les de


embuscade de Tiedanite - dan
pas non plus en profondeur a
toutefois des dialogues pour
bousculant ainsi le français de
a remplacé la phrase dans un
étrangères et d'interjection
intertextes surtout dans le
Leenhardt : le roman met ces
malgré ses innovations, il n
passer une « inassimilable d
construit des espaces et des
construit la causalité. Le livre
inclut le monde invisible, s
intelligible et ordonné.
La littérature calédonienn
Néanmoins, la plupart des tex
Calédonie - de Kanak de br
première affirmation reste l
comme une terre d'origine
s'enraciner dans la terre caléd
suite qu'ils partent inventer un
mélanges différents d' identi

University

OUVRAGES CITÉS

Agar, Trudy. La Notion de co


franco-algérienne. Ph.D. The
Bensa, Alban et Jean-Claude
Noumea: A.D.C.K. Agence de
Bensa, Alban. Les Chemins d
Devillers, Jean-Pierre. Exist
Ouvrage collectif. Nouméa :
Gope, Pierre. Où est le droit.

Gope, Pierre et Nicolas Kurtovich. Les Dieux sont b


2002.
Gorodé, Déwé et Weniko Ihage. Le Vol de la parole. Nouméa: Edipop, 2002.
Gorodé, Déwé et Nicolas Kurtovich, Dire le vrai. Nouméa : Grain de Sable, 1999.
Gorodé, Déwé. «Entretien avec Blandine Stefanson ». Notre Librairie, Revue des
littératures du sud, no 134, mai août 1998.

1994.

Ihimaera, Witi. The Whale Rider. Heinemann: New Zeala


Jacques, Claudine. Nos silences sont si fragiles. Nouméa
Sable, Collection Esprit des temps, 2001.

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426

Lafleur, Jacques. L 'Assiégé. 25 ans de vie pol


Nouvelle-Calédonie. Paris : Éditions Gallimard,
McNeish, James. « The Road to Tiendanite" in
Prose" Auckland: Godwit, 1991.
Mokaddem, Hamid. Le Lien societal calédonien. Essai de compréhension
anthropologique de la complexité calédonienne. Nouméa : Université de la Nouvelle-
Calédonie, mémoire de D.E. A. 1998
Peirano, Ariette. Kanak Blanc. Nouvelle-Calédonie : Pearl editions, 2001.

Ramsay, Raylene. "Translation in New Caledonia." In


Translation as a Tool for Change in the Pacific. Sabine
and Northampton US: St Jerome Publishers, 200. pp. 1

Littératures d'émergence et mondialisation. Paris


2004, pp. 137-149.
Salomon, Christine. « Les femmes kanakes face aux
judiciaire des années 1990 ». Journal des Anthropol

Calédonie) ». Gradhiva no 23, 1998, dossier anthr


Tjibaou, Jean-Marie et Philippe Missotte. Kanake
Papeete : Éditions du Pacifique, 1976.

Wittersheim. Paris: Editions Odile Jacob, 1996.


Vanmai, Jean. "Chân Dang" : les Tonkinois de Calé
de la Société d'études historiques de la Nouvel
Société d'Etudes Historiques de la Nouvelle-Calé

Vanmai, Jean et C.T.R.D.P. de Nouvelle-Calédonie. Centenaire de la présence


Vietnamienne en Nouvelle-Calédonie, 1891-1991. Nouméa: Centre Territorial de
Recherche et de Documentation Pédagogiques, 1991.
Vigier, Stéphanie. « Le chemin du pays, le long chemin de l'héritage ». Littératures du
Pacifique. Voix francophones contemporaines. Sylvie André et Adriano Marchetti,
éds. Rimini : Panozzo Editore, 2004, pp. 59-80.

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