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Chapitre 4 : Écrire le corps océanique silencieux

Dans Le Pays du non-dit : regards sur la Nouvelle-Calédonie, Louis-José Barbançon


s'interroge sur le silence qui caractérise depuis plus d'un siècle les relations entre les
communautés kanak, caldoches et zoreilles de Nouvelle-Calédonie :
...ici, le non-dit est une véritable institution, une
constante...incontournable. Toute la Nouvelle-Calédonie a toujours
fonctionné ainsi. Depuis toujours cette prédisposition de l'esprit à
occulter les moments douloureux du passé a régné dans ce pays et
sacrilège est celui qui ose soulever le voile sombre jeté sur les mémoires
[...] (9)

Barbançon constate que la vie calédonienne a toujours fonctionné sous un voile de


silence. Les jeunes Calédoniens ne savent rien de la "vraie colonisation" : maisons brûlées,
terres confisquées, travail forcé, Kanaks déplacés. A l'inverse, les jeunes Kanaks ne savent rien
de la vie misérable des anciens prisonniers et travailleurs forcés pendant le bagne, oubliant
qu'eux aussi ont été déplacés de leur pays d'origine (10). Pour ajouter à la complexité du silence,
la communauté caldoche considère furtivement les Zoreilles ou les "métros" comme ceux qui
bloquent leurs possibilités de promotion sociale et commerciale (109). Barbançon cite à la fois
sa mère et un Kanak interviewé qui ont déclaré, en fait, qu'on ne réveille pas les morts pour
revisiter le passé. Par conséquent, reconnaît-il, sa mère, caldoches, et l'homme kanak
contribuent tous deux au silence du pays et surtout à l'incompréhension des jeunes générations
de manière différente : l'une ne veut pas connaître le passé, l'autre ne veut pas évoquer les
anciennes querelles de clans. Ainsi, "Tous ont contribué au silence. Des générations plus tard,
cela se traduit par une double méconnaissance" ( 9). Dans ce chapitre, j'analyserai le concept
de silence et de non-dit tel qu'il apparaît dans les œuvres de Déwé Gorodé, Claudine Jacques et
Chantal T. Spitz. Diverses formes de silence ont été imposées aux auteurs autochtones et non
autochtones non seulement par l'histoire du colonialisme et la réduction au silence de la voix
autochtone, mais aussi par les traditions et les coutumes des sociétés océaniennes autochtones.
Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, la voix littéraire européenne dominante a
réduit au silence les voix des groupes autochtones tahitiens et kanaks tout au long du dix-
neuvième et de la première moitié du vingtième siècle en décrivant les groupes autochtones à
travers des perspectives occidentales. En effet, pendant des siècles, la voix européenne a été la
seule à être entendue dans les îles océaniennes en raison de l'absence de littérature (sous la
1
forme traditionnellement acceptée en Occident) dans les cultures autochtones kanak et
tahitienne. Comme le soulignent les auteurs de The Empire Writes Back,
La présence ou l'absence d'écriture est peut-être l'élément le plus
important de la situation coloniale. L'écriture ne se contente pas d'introduire un
instrument de communication, mais implique également une orientation
entièrement différente et intrusive (invasive) de la connaissance et de
l'interprétation. (82)

En effet, l'écriture, ou la "saisie des moyens de communication" (Ashcroft 82) du


colonisateur, tant en Nouvelle-Calédonie que dans les îles de la Société, a été entreprise par les
sociétés indigènes peu après l'arrivée des Européens. Louise Peltzer nous rappelle ce fait dans
Lettre à Poutaveri, où une jeune fille tahitienne, Rui, apprend à écrire auprès de missionnaires
britanniques et "écrit en retour" à Bougainville, reconquérant ainsi l'histoire coloniale par le
biais de son écriture.
Le silence qui a caractérisé la région océanienne francophone est doublé, en plus du
mécanisme colonial qui a, selon la terminologie de Robert Nicole, "bâillonné" les insulaires
francophones, par les traditions des communautés indigènes tahitiennes et kanakes qui
découragent la prise de parole en tant qu'individus. Alors que le lecteur pourrait s'attendre à
une série de dialogues et de confrontations entre l'Est et l'Ouest, entre la Métropole et la colonie,
et à des énonciations identitaires qui opposent la culture exclue à la culture dominante, les
silences qui imprègnent la littérature et la culture de la région océanienne francophone sont
beaucoup plus complexes et problématiques que ce modèle simpliste. Il faut plutôt considérer
les silences qui imprègnent les communautés de l'"intérieur vers l'extérieur", pour reprendre
une expression du recueil de Vilsoni Hereniko. Le leader politique Jean-Marie Tjibaou a
expliqué les difficultés d'adaptation des Mélanésiens au monde moderne lors d'une conférence
en France : "Nous ne sommes jamais... je ne suis jamais moi. Moi, c'est lié à l'individu. Je suis
toujours quelqu'un en référence à..." (Tjibaou 107). Comme le poursuit Tjibaou, cette
conception de l'identité toujours en référence à la communauté contribue aux malentendus
entre Kanaks et Européens, car elle impose à l'individu kanak de toujours s'adresser à la
communauté avant, par exemple, de prendre une décision, ce qui ralentit le processus de prise
de décision. L'homme kanak qui réussit, contrairement à l'Européen qui réussit, consulte
toujours son clan avant de prendre des décisions et maintient toujours des alliances. Parler en
tant qu'individu n'est pas seulement tabou, c'est aussi une marque d'échec et une trahison du
corps. Comme il le fait remarquer : "Le corps n'est pas un principe d'individuation. Le corps
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est toujours la relation" (Tjibaou 106). De même, la poétesse tahitienne Flora Devatine
remarque : "Tout cela, jusque-là insaisissable, parce que la pensée éclatée dispersée ne
s'exprime que dans son groupe, dans sa famille, en vase clos, dans la solitude et la violence de
son être et de ses corps" ( Huffer 154). Devatine révèle que les sociétés indigènes ont elles-
mêmes participé aux silences qui entourent la littérature océanienne en français, et que ce
silence est une expérience corporelle. Chantal T. Spitz affirme dans un entretien avec
l'animatrice Laurence Bacry sur Radio Grenouille à Marseille que dire "je" était "impensable"
lorsqu'elle grandissait à Tahiti : "...dans les petites communautés...on ne doit pas parler pour
ne pas déséquilibrer la communauté. Donc, on ne parle pas de nous, on parle pas de ce qu'on
ressent... donc dire 'je', c'était quelque chose d'impensable..."(86). Spitz rappelle également à
ses auditeurs que dans la structure sociale strictement hiérarchisée des anciens Tahitiens, seules
certaines personnes étaient autorisées à s'exprimer librement. Les membres des classes
supérieures et ceux de la société Ariori (un groupe de danseurs, chanteurs, poètes et historiens
itinérants) étaient capables de parler, tandis que les membres des classes inférieures ou
paysannes étaient limités par les traditions de leur propre communauté. Le silence fait donc
partie des sociétés insulaires océaniennes depuis bien avant l'arrivée des Européens et, comme
nous le verrons dans ce chapitre, il ne peut pas toujours être considéré dans un contexte négatif.
En effet, les trois auteurs de cette étude embrassent certaines formes de silence, et Spitz en
particulier nous rappelle les pouvoirs expressifs du silence. Dans Elles, terre d'enfance : Roman
à deux encres, la relation entre Victoria et Marie démontre la capacité du silence à
communiquer, par le toucher physique, lorsque les mots manquent. Pour les femmes écrivains
d'Océanie, le sujet du silence est certainement encore plus pertinent. Comme le dit la narratrice
de la romancière tahitienne Titaua Peu dans Mutismes, "Chez nous, la première chose qu'une
femme devait apprendre, après la cuisine, c'était la discrétion. Et une femme forte, digne, c'était
celle qui savait commander en silence" (86). Pendant des siècles, si le silence a été accepté
comme la norme dans les communautés M'ohi et kanak, il l'a été tout particulièrement pour
les femmes ma'ohi et kanak. Être une femme dans les sociétés océaniennes traditionnelles
signifie savoir quand et comment rester silencieuse. Titaua Porcher remarque : ".. . l ' un des
traits les plus caractéristiques de la représentation des femmes telles qu'elles apparaissent dans
les sociétés traditionnelles du Pacifique, c'est leur aptitude à garder le silence. Être femme, c'est
savoir se taire" (143). Compte tenu de l'omniprésence du silence dans la vie des femmes
océaniennes, je me demanderai, dans la dernière section de ce chapitre, si les silences présents

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dans les romans des trois écrivaines peuvent être considérés comme de la littérature féministe
ou de l'écriture féminine, étant donné que la rupture du silence est une caractéristique
fondamentale de ces genres d'écriture.

"Quand l'Oral se confronte enfin à l'Ecrit"


Selon Paul Zumthor, "Le texte oralisé, dans la mesure où, par la voix qui le porte, il
engage un corps, répugne plus que le texte écrit à toute perception qui le dissocierait de sa
fonction sociale et de la place qu'elle lui confère dans la communauté réelle" (Le Roman
autochtone 27). Parce que la littérature orale a une fonction sociale très spécifique dans les
communautés kanak et ma'ohi, et qu'elle nécessite en effet un engagement corporel, il est souvent
difficile pour le lecteur occidental ou même caldoche de pouvoir en discerner la signification.
Comme le remarque Sylvie André, lorsque les légendes et les mythes, qui font partie intégrante
des traditions orales, sont transcrits, ils semblent souvent appartenir davantage au genre de la
littérature enfantine, réduits à un contenu merveilleux auquel les adultes peuvent difficilement
adhérer (33). Cette tendance à considérer la littérature orale transcrite comme inférieure à la
littérature "adulte" conventionnellement acceptée a contribué au silence qui hante les littératures
autochtones kanak et tahitienne, de nombreux mythes et légendes ayant été relégués dans le
domaine de la littérature pour enfants. Cependant, des auteurs autochtones ont récemment
constaté que l'écriture était le seul moyen de préserver leurs traditions orales alors que leurs
sociétés se modernisent de plus en plus. Terii, le personnage de Spitz, prononce ainsi : "Le rêve
transmis d'oralité se meure faute de mémoire et nous devons lui redonner vie par l'écriture" (201).
La nature orale de la littérature produite par les auteurs indigènes d'Océanie témoigne de la
résilience de la tradition orale qui, bien qu'elle ait désormais besoin d'être transcrite pour assurer
la mémoire vivante de la parole, donne vie au texte écrit. Le titre du recueil Sous les cendres
des conques de Gorodé annonce essentiellement la vision tragique de l'auteur sur le déclin de la
tradition orale. Tiré d'un vers du poème "Aubade", le titre rappelle au lecteur kanak l'instrument
traditionnel, la conque, utilisé pour rassembler le clan lors des réunions, et les cendres des feux
qui brûlaient pendant les réunions nocturnes, symbole de l'unité et de la pérennité de la tradition
orale. Peter Brown remarque cependant que les "cendres des conques" elles-mêmes suggèrent
que "les moyens de réunir le clan ont été détruits. La voix de la conque s'est tue, symbolisant la
dispersion des clans eux-mêmes et la perte de leur culture" (xxiii). Tout au long du recueil,
Gorodé évoque continuellement le silence imposé à sa culture orale par le mécanisme colonial.
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Dans le poème "Derrière les murs", elle écrit : "les paroles refoulées de/générations écrasées
violentées humiliées/dans le silence glacial des caveaux coloniaux" (15). Dans "Tant de fois",
elle déplore la "parole emprisonnée" et la "voix inerte" (24) de son île. La parole est souvent
qualifiée d'"étranglée", les mots "dispersés" (20), les cordes vocales "étouffées" (39). Pourtant,
grâce à sa poésie et aux descriptions des violents militaires français, elle parvient à déstabiliser
les récits coloniaux et à leur opposer un contre-récit qui rompt efficacement le silence qui,
pendant plus d'un siècle, a empêché la communauté kanak de se faire entendre. Dans "Aubade",
elle construit une image poétique de la lutte continue pour faire revivre une voix kanake et insiste
sur le fait que cette voix n'a pas été rendue complètement silencieuse : "la réticence rétive du
mot galvaudé/la lumière séditieuse du verbe interdit/le premier cri de l'inédit/l'amère rosée de la
parole brisée" ( 25). En effet, les qualités d'oralité que dégagent ses œuvres permettent à une
voix kanak de rejoindre ce qu'Édouard Glissant appelle une "poétique de l'univers" : "Quand
l'oral affronte enfin l'écrit, les misères accumulées secrètes soudain parlent ; l'individu sort du
cercle étroit. Il rejoint, par-delà toute dérision vécue, un sens collectif, une poétique de l'univers,
où chaque voix compte, où chaque vécu explique" (Discours 13). Publié en 1996, le recueil
d'aphorismes de Gorodé, Par les temps qui courent, aborde également la notion de silence, la
fragilité d'une culture orale et la préoccupation de l'auteur pour la capacité et la liberté de parler.
Le recueil met l'accent sur la forme poétique, de nombreux mots affichant eux-mêmes des
images, rappelant les Calligrammes de Guillaume Apollinaire, insistant peut-être sur la liberté,
la créativité et le mouvement - les qualités physiques - associés à la parole. D'ailleurs, sur la
page de titre de Par les temps qui courent figure l'aphorisme "La parole est l'enfant de l'Homme".
Les premières pages du livre d'aphorismes indiquent les rôles conflictuels et complexes que le
fragile concept de silence a joué tout au long de l'histoire kanake. Gorodé rappelle au lecteur
que, par peur d'offenser les autres, de donner une mauvaise impression ou de heurter la coutume,
"Les moulins/à paroles/ne tournent plus/devant/le concerné" (9). Pourtant, l'auteur reconnaît
que d'un silence nourricier peuvent naître des mots : "la parole est le fruit du silence". Elle
encourage le peuple kanak à affirmer sa voix et à sortir de l'ombre, les dernières lignes de
l'aphorisme en caractères gras : "Le silence ne veut rien dire" et "On te coupe/la langue/tu as
perdu/ta langue ? alors, parle !"(7). Tout en invitant à rompre le silence kanak et à faire entendre
les voix kanakes dans le canon littéraire calédonien qui s'élargit, elle met en garde contre les
dangers que la liberté d'expression peut parfois entraîner, le plus souvent dans l'arène politique,
en tant que forme d'esquive ou d'occultation de la vérité : "On se drogue aussi/de mots/pour

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oublier/le monde" (8). Gorodé rappelle ainsi la précarité de la notion de liberté d'expression dans
une société dont la parole et l'action sont régies par des règles coutumières.
Dans Hombo, transcription d'une biographie, alors que Chantal Spitz donne une voix
aux membres les plus marginaux de la société, l'élément crucial qui contribue au ton silencieux
du roman est, comme dans Sous les cendres des conques de Gorodé, la perte de la tradition
orale. Lorsque les parents de Hombo lui donnent un nom européen au début du roman, la famille
est "face au silence de l'oubli" (15), essentiellement condamnée à une vie de silence puisqu'elle
choisit les traditions de ceux qui tentent de dévaloriser la parole. L'outil "européen", l'écriture,
est accusé d'être le coupable de la réduction au silence de la société tahitienne : "... l'homme
blanc leur avait appris l'immobilité des paroles figées dans les cahiers par l'écriture parce que
disait-il la chose consignée reste alors que la chose parlée s'envole [...] ils avaient étouffé la
créativité des paroles en les mutisant" (30). Mahine, le grand-père de Hombo, craint que son
petit-fils ne soit encombré par cette mise au silence de l'oralité tahitienne et tente de renforcer
le pouvoir de la tradition en récitant des chants de bienvenue en reo ma'ohi lorsqu'un membre
plus âgé de la société visite le village. Mahine se donne également pour mission de transmettre
la tradition orale : lors des soirées passées avec son petit-fils, il raconte le folklore oral et les
légendes des origines du peuple tahitien et du monde. Comme l'observe Sylvie André dans Le
Roman autochtone dans le Pacifique Sud : Penser la continuité, les histoires que Mahine
raconte à Hombo semblent être des citations non explicites de l'ouvrage de Teuira Henry,
Ancient Tahiti, une histoire des mythes, légendes et folklore tahitiens que Henry a enregistrée
à partir des notes recueillies par son grand-père lorsqu'il était révérend à Tahiti au cours du dix-
neuvième siècle. André remarque que Spitz réorganise la tradition recueillie afin de lui donner
une apparence de continuité depuis la création de l'île (45). L'auteur transcrit les mythes et
légendes souvent enfermés dans la littérature enfantine dans un roman destiné à un public adulte
et voué à donner la parole aux sans-voix de la société tahitienne : les adolescents, les plus
éloignés de la tradition. Spitz redonne vie au folklore oral qui, pour beaucoup de Tahitiens
contemporains, a été réduit au silence par le passage du temps et la primauté de la littérature
écrite, refusant que la tradition orale tahitienne reste sous le voile du silence.
Dans le même esprit, Spitz juxtapose le récit oral de la création tahitienne, écrit en reo
ma'ohi, au récit chrétien de la création écrit en français dans L'Île des rêves écrasés. En outre,
le premier roman de l'auteur tahitien relate les relations amoureuses de trois couples, et ce n'est
pas un hasard si le seul couple qui réussit dans le roman adopte la communication orale.
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Tematua, de retour de la Première Guerre mondiale où il a combattu pour la France, aide Emere,
la fille du Britannique Charles Williams et de la Tahitienne Toofa, à retrouver les mots perdus
dans le "silence qui a entouré l 'histoire de sa naissance" (56) :
...paroles venues de l'aube du temps de leurs pères, et qu'il lui offre à
elle, venue d'ailleurs. Paroles qu'elle fait siennes, avec son esprit formé à l'école
étrangère, musique qu'elle laisse pénétrer son cœur et courir dans ses veines, la
rendant malgré elle à son origine, demie que ses parents ont voulu plus papa'a
que ma'ohi. (57)

La parole nourrit et protège la relation, enveloppant le couple dans une sorte de cocon
protecteur qui lie leurs corps à leur terre et à leurs traditions. En revanche, la relation entre Terii,
le fils d'Emere et Tematua, et Laura Lebrun, ingénieur français, se dissout dans un silence
pesant. Terii ne répond pas aux questions de Laura sur l'histoire de sa famille ou de sa
communauté, et il est incapable d'exprimer son amour pour Laura, qui est en contradiction avec
sa haine des essais nucléaires auxquels elle est manifestement associée. Il considère son silence
comme un bouclier défensif contre les mots nocifs qui détruiront leur relation : "Le silence
s'étire et s'enroule autour de chacun pour mieux l'isoler des autres, lourd de mots que l'on ne
peut dire, ces mots que l'on doit taire pour ne pas blesser" (153) Bien que Terii embrasse le
silence qu'il considère comme protecteur, Laura, incarnation du monde occidental de la
rationalisation, estime qu'il est essentiel de parler pour exorciser sa douleur. L'incapacité du
couple à concilier le silence que s'impose Terii et le désir de parole de Laura préfigure la
destruction de la relation qui résultera du premier essai nucléaire. Chaque histoire d'amour
symbolise un moment de l'histoire du Ma'ohi parole et la transition entre la période coloniale,
la période relativement paisible du vingtième siècle avant les essais nucléaires et la modernité.
La mère tahitienne et le père britannique d'Emere symbolisent la relation stéréotypée et
éphémère entre le colonisateur européen et la vahiné exotique tahitienne. Emere et Tematua
découvrent leur passion à travers la parole, métaphore du pouvoir de l'oralité tahitienne, tandis
que l'amour de Terii se désintègre dans le silence, symbole de l'étouffement néocolonial de la
voix ma'ohi. Cependant, la jeune sœur de Terii, Tetiare, emblématisera la revitalisation de la
voix ma'ohi par l'usurpation de l'outil colonial : le texte écrit. Elle écrira pour exprimer son
malaise face aux attitudes des étrangers à l'égard de sa culture, pour exprimer sa souffrance
personnelle et celle de son peuple, et pour retracer l'histoire incomprise de la communauté.
L'écriture, ou "les mots écrits, ceux qui restent" (164), fournit un exutoire par lequel Tetiare,
sans aucun doute le porte-parole de l'auteur, peut rompre les silences qui menacent les traditions
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orales de la communauté. Spitz démontre que l'oralité a perduré malgré les dangers
d'effacement rencontrés tout au long de l'ère coloniale. En fait, les romans les plus récents des
auteurs indigènes, ainsi que les romans de Claudine Jacques, comprennent les éléments les plus
modernes de l'oralité. Les dialogues fréquents entre les personnages et les poèmes intercalés
dans les textes confèrent une qualité orale aux œuvres des écrivains océaniens de cette étude.
En particulier, L'Épave de Gorodé inclut le rap, le Kanéka (un genre de musique, similaire au
reggae, populaire parmi les jeunes en Nouvelle-Calédonie), et loue l'oralité féminine de Lila "la
conteuse". Sylvie André compare la conteuse de Gorodé à la célèbre figure du conteur antillais
dans les œuvres de Patrick Chamoiseau. Pour Chamoiseau (ainsi que pour Édouard Glissant),
le conteur est la figure qui incarne le mieux la reconnaissance de soi et l'identité antillaise - il
est le porte-parole de la communauté. De même, Lila de Gorodé raconte les légendes et les
histoires qui ancrent la communauté kanak dans son passé, mais son oralité ne se contente pas
de conserver les qualités d'une véritable parole traditionnelle, elle intègre aussi son histoire
personnelle et tragique. André remarque que le discours de Lila, tel qu'il est transcrit par
Gorodé, possède les caractéristiques mêmes du conte oral : phrases exclamatives véhémentes,
amplifications oratoires, jeux de mots et de sons, autant d'éléments qui résument la nature
créative de la tradition orale (59). De même, les personnages de Graines de pin colonnaire sont
considérés comme des "amazones de la parole" et se livrent fréquemment à des jeux de mots
ou récitent des poèmes. Le dernier roman de Chantal Spitz, Elles, terre d'enfance, est écrit dans
un style de flux de conscience avec très peu de ponctuation, rappelant la qualité fluide de la
parole. Aujourd'hui, face à la mondialisation et à la modernisation, le passage de l'oral à l'écrit
a permis à ces précieux éléments de la tradition de rester présents dans les mémoires collectives
et dans la littérature des communautés autochtones océaniennes, et de servir de base à une
énonciation textuelle de l'identité.

Rupture d'un silence imposé par la colonisation


Si la crainte d'une tradition orale effacée apparaît fréquemment dans les textes de Gorodé
et de Spitz, la réponse militante des deux écrivains indigènes au silence imposé par la présence
française en Océanie caractérise également leur littérature. En effet, le silence d'un peuple
colonisé avant qu'il ne s'exprime est un aspect distinctif de nombreuses littératures post-
coloniales, y compris dans des régions francophones comme les Antilles ou l'Afrique. La
dénonciation du mécanisme qui a menacé ce silence est, bien sûr, également un thème dominant
dans les littératures d'Océanie. Dans l'épilogue de L'Île des rêves écrasés, Spitz se lamente : "La
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folie de l'homme blanc frappe une nouvelle fois cette île tranquille, rendant déments ses habitants
qui n'ont pas su se protéger du torrent dévastateur de la modernité occidentale" (189). La
présence militaire française (ainsi que la brève présence des troupes américaines pendant la
Seconde Guerre mondiale), instrument du silence colonial, est fréquemment attaquée dans
l'œuvre de Gorodé. Dans une longue nouvelle obsédante intitulée "Affaire classée" dans
L'Agenda (1996), l'auteur critique trois étapes différentes de l'occupation européenne et
américaine de l'île, rappelant au lecteur que l'histoire kanake ne doit pas rester éclipsée et réduite
au silence par l'histoire des diverses présences militaires. Dans les trois épisodes qui composent
la n o u v e l l e , de jeunes officiers sur le point de partir pour leurs engagements militaires à
l'étranger rencontrent une jeune femme près d'un banian, dans le tronc duquel semble être sculpté
"un couple enraciné dans la douleur" (30) : les figures d'une jeune femme et d'un vieux pêcheur
d'anguilles, la jeune femme assise et en pleurs, l'homme le bras tendu vers elle.
Dans le premier épisode, un jeune officier agonise sur le champ d'honneur de Verdun
pendant la Première Guerre mondiale. L'officier, un Caldoche appelé à hériter de sa famille, se
souvient de sa rencontre avec la blanche Marguerite près du banian avant son départ pour la
guerre, les mains couvertes par d'élégants gants blancs. Après deux rencontres, le jeune officier
avait décidé que Marguerite deviendrait sa femme et avait signé les papiers indiquant qu'elle
serait son héritière s'il lui arrivait quelque chose pendant la guerre. Il se souvient qu'au moment
où son navire quittait l'île, il a remarqué que Marguerite lui faisait signe depuis le port, mais
l'image se confond avec celle d'une femme kanak qui enlève ses gants pour dévoiler ses mains
en flammes, puis s'assoit dans la même position que la figure sculptée dans l'arbre banyan.
L'officier n'y voit que le fruit de son imagination. Des années plus tard, un journaliste écrivant
un article sur les héros calédoniens qui ont péri pendant la Grande Guerre découvre que la
jeune fille à qui le jeune officier avait légué sa fortune avait exactement la même identité qu'une
fille brûlée vive dans l'incendie de sa maison familiale pendant la révolte kanake de 1878, près
de 35 ans avant le début de la guerre. Dans le deuxième épisode, un capitaine de vaisseau et
ethnographe américain rencontre Margaret, médecin militaire de San Francisco portant des
gants de chirurgien, sous le banian. Margaret lui raconte l'histoire fascinante de son affectation
à Pearl Harbor, où elle a perdu son fiancé lors de l'attaque japonaise. Suivant la trajectoire de
la première histoire, le capitaine américain met fin à ses fiançailles avec sa fiancée américaine
et fait de Margaret son héritière avant son déploiement à Guadalcanal, et comme dans le
premier épisode, il imagine voir Margaret alors qu'il est en train de mourir brûlé sur la plage.

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Plus tard, sa fiancée américaine, une journaliste, découvre que la Margaret à qui le capitaine
avait légué sa fortune était morte l'année précédente à Pearl Harbor. Dans le dernier épisode,
l'officier est un Kanak revenu dans son île avec l'armée française. Sous le banian, il rencontre
Maguy, les mains couvertes de tissus, qui lui reproche de participer à l'armée française : "Si
j'étais à votre place, cet uniforme me brûlerait la peau" (38). Après leur rencontre, le
parachutiste cède tout son argent à Maguy, la désignant comme son héritière, avant de revenir
le soir même pour la rencontrer à nouveau. Maguy accepte de l'épouser et raconte une histoire.
Cette mise en abyme explique l'apparition fantomatique des trois "Marguerite" du court récit
de Gorodé. Pendant les premières années de l'occupation française, une jeune prêtresse kanak
(prêtresse du feu, dont le corps était désigné comme tabou pour tous les hommes et toute
activité sexuelle) a été séduite par un officier blanc, une nuit, alors que les anciens ne faisaient
pas attention car ils "nouaient l'herbe de guerre" (42), préparant l'insurrection de 1878. Le
lendemain, la jeune prêtresse découvre l'officier avec Marguerite, une fille "de son pays" (42),
sous le banian même où elle s'était donnée à lui. Le grand-père de la prêtresse, un pêcheur
d'anguilles, "ne trouvait plus de paroles assez réconfortantes pour effacer la honte, apaiser la
colère de sa petite-fille, vaincre la haine qui l'avait ravagée jusqu'au mutisme absolu (43).
Ainsi, la nuit de la célébration des fiançailles entre Marguerite et l'officier français, la prêtresse
met le feu à la maison endormie, la brûlant ainsi que tous ceux qui s'y trouvent et ses propres
mains. Maguy remarque alors : "Depuis cette nuit-là, l'on m'appelle Maguy Doigts-Calcinés"
(43). En terminant son récit, Maguy touche le front et la nuque de l'officier kanak. Le
lendemain matin, à l'heure du départ de son régiment, il est découvert mort, le front et la nuque
entièrement brûlés. L'ensemble du récit est basé sur le thème de la vengeance violente d'une
offense au corps d'une femme kanak. À plusieurs reprises, la femme kanak, rendue
"absolument muette" par sa dévastation, cherche à se venger en assassinant à la fois son ancien
amant et les incarnations futures de son amant au cours d'événements marquants de l'histoire
mondiale. Raylene Ramsey voit dans le récit tri-épisodique un "écho du thème de Franz Fanon
de la réaction violente contre l'ordre colonial" et remarque que la succession de morts
mystérieuses par le feu incarne "un curieux principe d'acte de vengeance originel" (Ramsay
178). Comme le déclare Fanon dans la section intitulée "Sur la violence" de Les malheureux
de la terre, "la violence du régime colonial et la contre-violence des colonisés s'équilibrent et
se répondent dans une extraordinaire homogénéité réciproque. [...] La violence des colonisés
s'étendra en proportion de la violence exercée par le régime colonial" (3). Selon Fanon, le

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colonisé ne peut se venger du colonisateur que par le biais de la violence, qui devient une "force
purificatrice" (51) : "La violence peut ainsi être comprise comme une médiation parfaite. Le
colonisé se libère dans et par la violence" (44). Cependant, à la fin du court récit de Gorodé, le
lecteur découvre que cette tentative de vengeance par la violence, la tentative de faire entendre
au colonisateur la voix du colonisé, a échoué. L'officier français chargé de l'enquête sur la mort
de son soldat kanak, pressé de rentrer en Métropole, rejette toute enquête sur la mort de
l'homme kanak. Alors que d'autres insistent, suggérant qu'il est peut-être nécessaire, au regard
de la politique de l'île, d'enquêter sur ce décès, l'officier répond : "Enfin, messieurs, c'est
insensé, voyons ! Vous n'allez pas vous y mettre, vous non plus [...] Non, non et non. Affaire
classée, j'ai dit. Je suis désolé, messieurs, ce sont les ordres. Affaire classée" (44). Le texte de
Gorodé n'est pas simplement l'histoire d'une réaction ethnique violente à l'histoire du
colonialisme et de l'occupation militaire (comme le remarque Ramsay, la présence américaine
symbolise les attraits du matérialisme et du mâle européen). Cette histoire nous rappelle
également que les histoires spécifiques de la résistance kanake au colonialisme ont été
occultées par les grands récits de guerres mondiales et d'héroïsme militaire : la grande
insurrection de 1878, qui a finalement entraîné un déclin dévastateur de la population kanake,
est reléguée au second plan. Tragiquement, la violence des représailles est passée sous silence.
La voix de la femme kanak, qui tente désespérément de se faire entendre à travers l'assassinat
méthodique de militaires français ou américains, est étouffée lorsque l'armée française refuse à
nouveau d'enquêter sur l'assassinat de l'officier kanak.

Le silence au Pays du non-dit


Si les premières œuvres de Chantal Spitz et de Déwé Gorodé dénoncent les présences
militaires européennes et américaines et affichent des tendances nationalistes et marxistes, les
deux auteures autochtones considèrent également l'écriture comme un moyen de redonner
dignité et expression à leurs communautés, en écrivant vers l'Autre pour faciliter la
compréhension et encourager le dialogue. Diffuser la vérité, évoquer sans détour les effets du
colonialisme, les relations délicates entre les communautés kanak et caldoches après avoir frôlé
la guerre civile, et les inquiétudes que lui inspire l'idée d'un retour nostalgique à la coutume,
sont autant de préoccupations dans l'œuvre de Gorodé, y compris dans son travail en
collaboration avec Nicolas Kurtovitch. Dire le vrai tente donc de franchir les frontières
périlleuses qui empêchent les communautés caldoches et kanakes de se regarder en face et de

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dialoguer. L'écriture, bien qu'elle ne se substitue pas à la parole ni aux traditions orales, s'avère
un outil efficace pour rompre le silence et faire face à ses propres craintes, ainsi qu'à celles de
la communauté, d'être mal comprise et mal représentée, en particulier pendant la période qui
précède et qui suit immédiatement les Evénéments. Comme elle l'écrit dans " la peur ", les
Kanaks ont ressenti " La peur de souffrir/la peur de dire/la peur d'écrire/la peur d'oser " (46),
mais elle encourage l'écriture en dépit d'une peur qui imprègne le corps : "la peur qui ne veut
pas dire son nom/la peur au ventre/la peur au cœur/la peur au corps" (47). Si elle craint la
réaction potentielle de la communauté kanak à cette démarche de collaboration avec le
Caldoche Kurtovitch, elle écrit néanmoins pour faire connaître ce que d'autres n'ont pas osé
révéler. Dans "écrire", elle écrit : "écrire/une île/un pays/où les êtres étaient/où les êtres étaient
sans être/où les êtres sont sans être/sans dire/sans vie/sans voie/sans voix/sous la chape
de/silence/et en coupe réglée de/la pensée unique"(10). Gorodé se donne pour mission de
rompre ce silence inspiré par la peur en écrivant et en transcrivant la terre, dont la voix parle à
la place de l'homme : "écrire/une île/un pays/où/la terre/et/la pierre/parlent/à la place de l'être/à
la place de l'homme/à la place de la femme/pour dire/la place de l'enfant/à/naître"(11). De
manière significative, l'auteur reconnaît qu'elle doit écrire pour donner une existence au peuple
kanak, leurs traditions orales ne s'étant pas avérées un moyen suffisamment puissant pour
affirmer leur voix et leur identité dans un monde où l'écriture a été privilégiée par rapport à la
parole. Pourtant, elle assimile l'écriture à la parole lorsqu'elle s'interroge dans un autre poème
du même recueil intitulé "l'autre" : "Mais que serait l'autre/que serait l'humain/sans signe/sans
langue/parlée ou écrite?/que serait l'homme/sans parole ?"(19). En effet, par l'écriture, elle tend
un rameau d'olivier et accepte celui que lui tend Kurtovitch, qui s'excuse au nom de la
communauté calédonienne : "En tout premier lieu/accorde-nous/ton pardon/d'avoir
été/inhumain/d'avoir été/en ne songeant qu'à avoir/votre terre" (32). Le poème qui donne son
nom au recueil, "dire le vrai", aborde le silence du peuple kanak, non seulement comme un
effet du colonialisme, mais aussi comme une conséquence des malentendus entre les
communautés kanak, caldoches et zoreilles. L'auteur tient à dire la vérité et à empêcher les
autres de parler à sa place, que ce soit en tant qu'individu ou en tant que membre de la
communauté kanak. Elle dit la vérité à ceux qui n'ont pas voulu l'écouter : "au béton d'un
regard/au clos des yeux fermés/au sort du mauvais œil/au masque des œillères" (68). Le but
ultime de Gorodé, dans ce poème, est de lever les voiles, qu'ils soient imposés par d'autres ou
par lui-même, de libérer une voix kanake afin que les gens puissent parler pour eux-mêmes,

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plutôt que d'être parlés pour eux : "casser la voix des/on parle pour toi" (66). Son intention est
de réinsérer une voix et une présence kanakes dans une Nouvelle-Calédonie où elle craint qu'en
restant silencieuse, elle ne " pour/mine de rien/nous/réduire à rien " (67). Alors que Gorodé
tente de rompre les silences entre les communautés kanak et caldoches, le premier recueil de
nouvelles de Claudine Jacques, publié en 1996, deux ans seulement avant la signature des
accords de Nouméa, s'intitule à juste titre Nos silences sont si fragiles. Composé de sept courts
récits, ce recueil révèle la capacité de l'auteur à percevoir le monde à partir de ses espaces
secrets et cachés, et qu'en effet, en Nouvelle-Calédonie, le silence est fragile et, lorsqu'il est
brisé, peut facilement conduire à la catharsis - ou, plus souvent, à la catastrophe. Les titres de
plusieurs récits indiquent eux-mêmes que le recueil tente de révéler les histoires muettes qui
imprègnent l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, en particulier lorsque ces silences entourent le
corps de la femme. "L'alibi", "La faute" et "Secrets amers" dévoilent tous les secrets des viols
ou des relations violentes, et révèlent à quel point la communauté devient complice du silence
qui entoure la violence et le corps de la femme. Dans "L'alibi", Joseph couvre à son insu le viol
d'une jeune fille par son ami Marco et est ainsi forcé de reconnaître, avec le lecteur, qu'il a
contribué à ce crime innommable, tandis que dans "Secrets amers", le silence qui entoure le
meurtre brutal de sa femme par Tomass est rompu et sert de catalyseur au meurtre de son propre
fils.
Dans " La faute ", toute la communauté calédonienne est plongée dans le silence, ne
voulant pas, ou peut-être simplement incapable, d'exprimer les dangers qui guettent les femmes
vivant seules dans la brousse. En effet, au début du récit, en voyant Nana, seize ans, faire des
courses avec sa mère, un vieil homme veut l'avertir de faire attention, mais ne trouve pas les
mots : "Mais lui-même ne comprend pas les pensées qui se bousculent dans sa tête, il ne saurait
formuler clairement l'impression terrible qui lui serre le cœur à chaque fois qu'il l'aperçoit" (38).
Lorsque Ron aperçoit Léa, la mère de Nana, il est déterminé à la poursuivre, tandis que sa
cousine Camille se rend compte que le fait d'amener Ron et son frère à aider à empêcher
l'abattage de leurs troupeaux pourrait s'avérer désastreux : "La venue de Ronald et de Nelson ne
va-t-elle pas ranimer la souffrance, bouleverser l'ordre établi et rompre le silence installé autour
de leur passé ?" (41). Comme le prédit Camille, la présence des frères rompt le silence qui a
maintenu leur famille intacte et a rendu Léa "sauvage et exigeante" ( 58). Cette rupture, en fait,
oblige Léa à déplacer Nana et elle-même à Nouméa. Elle parvient ainsi à préserver un silence
protecteur qui permet aux deux femmes d'aller de l'avant, alors que la rupture du silence dans la

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famille de Ronald et Nelson détruit toute possibilité de réconciliation avec la femme qui a été
violée par leur père.
Dans les nouvelles et les romans de Claudine Jacques, les secrets de famille occupent
en effet une place de choix. Dans "Mensonges", une nouvelle de La Chasse et autres nouvelles,
Alicia, onze ans, ment pour démêler les secrets de son passé des silences de sa famille, avant de
découvrir que celle-ci lui a menti, jusqu'à changer son nom. En convainquant sa grand-mère de
lui révéler la vérité, elle réfléchit aux mensonges qui l'entourent :
Toutes ces femmes qui l'entourent de leur ombre menteuse lui ouvrent
autant de voies mystérieuses, de profondeurs insondables où sa force neuve
s'épuise et se perd dans un océan de doutes et de malheur. Ne pas savoir pour
être préservé, disait sa grand-mère tout à l'heure. Mais alors ce serait ne vivre
qu'à moitié, avec le sentiment d'avoir oublié une partie de soi ailleurs. (165)

Reconnaissant qu'Alicia est au bord de la découverte de la vérité, quelle que soit sa


participation à cette découverte, sa grand-mère lui révèle que sa mère était une femme kanak,
une femme " qui n'était pas de leur monde " (162). Comme le note Béniéla Houmbouay dans
l'introduction au troisième recueil de nouvelles de Jacques, C'est pas la faute de la lune, l'auteur
suscite une réflexion chez ses lecteurs calédoniens, et en écrivant des histoires de mensonges,
de rumeurs, elle contribue à "rendre possible le dialogue dont les communautés humaines du
Territoire ont tant besoin, pour s'ouvrir les unes aux autres et pour s'accueillir les unes et les
autres" (8). Déwé Gorodé raconte une histoire similaire d'ascendance secrète dans Graines de
pin colonnaire. Une orpheline, Estella ("Tella"), est "adoptée" par une famille kanake, mais ne
comprend jamais pourquoi de nombreux adultes la qualifient de "sans famille car" (88). A la
fin de son récit, lorsqu'elle retrouve Eddy, un ancien amant avec lequel le mariage aurait été
impossible, celui-ci lui révèle qu'elle est la fille d'un soldat américain et d'une popwaalé (femme
blanche) morte en couches. Les Kanaks n'ayant pas encore la nationalité française sous le
régime de l'indigénat à l'époque où le couple tente de l'adopter, ils ne peuvent légalement le
faire, d'autant plus que Tella est à moitié popwaalé, et s'arrangent donc avec le responsable
catholique de l'orphelinat pour l'adopter illégitimement. Eddy déclare : "En fait, tous ces vieux
étaient de mèche, et nous, on n'en savait rien" (120). Le récit fictif de Gorodé met à jour de
nombreux récits passés sous silence pendant la période coloniale et révèle à quel point les deux
populations de l'île étaient complices de ce silence. Pour Jacques et Gorodé, retrouver les
histoires cachées permet à leurs personnages de reconstruire leur passé et de rompre le silence
qui interdit aux communautés calédoniennes, qu'elles soient d'origine européenne ou
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mélanésienne (ou les deux), de parvenir à un véritable dialogue constructif. Dans Les Cœurs
barbelés, Jacques explore et expose l'équilibre complexe entre un silence destructeur et un
silence protecteur auquel les histoires de Nos silences sont si fragiles font allusion. Le roman
tente de retrouver ce qui a été perdu dans le silence historique et l'obscurité qui empêchent les
différentes classes et ethnies de Nouvelle-Calédonie de travailler ensemble pour former un
destin commun au cours des années qui ont précédé les Accords de Matignon. Jacques
démontre que l'incapacité à articuler les silences historiques a failli entraîner une guerre civile,
une possibilité que de nombreux Calédoniens, tant Kanaks que Caldoches, ont redoutée à juste
titre lors de l'apogée des Evénéments, l'affaire traumatisante d'Ouvéa. Le vers libre qui ouvre le
roman révèle l'énigme qui tourmente les personnages : "Le paradoxe est là, infernal et subtil.
Faut-il s'ouvrir ou se fermer ? Se taire ou parler ? Se livrer ou s'armer ? Espérer seulement ?".
(9). Tout au long du récit, l'auteur insère en italique des discours et des poèmes authentiques
pertinents, qui révèlent tous à quel point le pays est en effet un "pays du non-dit" - ces extraits
tentent une discussion, mais comme le révèle la relation ratée entre les deux personnages
principaux, un dialogue dans lequel chaque voix est entendue et comprise est toujours
insaisissable. L'extrait du discours d'ouverture du festival Mélanesia 2000 de Jean-Marie
Tjibaou apparaît au moment où Sery accepte de s'engager pour la vie dans le débat
indépendantiste kanak : "La non-reconnaissance qui crée l 'insignifiance et l'absence de
dialogue culturel ne peut amener qu'au suicide ou à la révolte" (43). Tjibaou met en garde contre
le silence débilitant qui s'est transformé en absence, mais Sery reste incapable d'entendre la voix
de Caldoche. L'auteur offre néanmoins un espace textuel à cette voix, puisque les lettres
(fictives) d'anciens prisonniers et travailleurs forcés accompagnent les voix kanakes intercalées
tout au long du roman dans des extraits en italique, dévoilant les voix séquestrées dans l'histoire
de l'ancienne colonie pénitentiaire. Dans le récit des Cœurs barbelés, la communauté caldoche
est en équilibre sur la corde raide du silence protecteur et destructeur. Lorsque Malou arrive en
brousse pour rendre visite à ses parents (elle vit chez sa grand-mère à Nouméa tout en
poursuivant sa scolarité et sa formation d'institutrice), elle se souvient qu'avec le changement
de climat de Nouméa à la brousse, il y a aussi un changement de conventions, et qu'il faut
nourrir et respecter le silence pour le pénétrer :
Ici, en brousse, on se tait, on attend.
Il faut saisir l'instant des confidences et des aveux. Rare. Sentir le
problème, renifler le non-dit, voir l'inexprimable, deviner l'inexplicable. Ne pas
se tromper de silence. Être à l'écoute de mots qui ne seront jamais prononcés.
Entendre l'inaudible. Respecter le temps du secret et celui de la parole. (69)
15
La famille de Malou est en fait enveloppée de silence, isolée dans une maison pleine de
secrets et d'interprétations erronées. Malou reconnaît qu'elle ne doit pas s'attendre à être
enveloppée de paroles et d'explications, comme elle l'est avec sa grand-mère à Nouméa, et
accepte le silence comme faisant partie de la vie en brousse. Le lecteur se rend compte que le
silence s'infiltre encore plus profondément dans l'histoire de la famille de Malou, car son père
jure à sa mère qu'il ne laissera jamais ses enfants savoir que leur ancêtre était un prisonnier
violent, et son frère craint de confier que sa petite amie est en partie kanake. Bien qu'elle ne
découvre jamais l'histoire violente de ses ancêtres, Malou est bientôt submergée par le silence
qu'elle avait accepté auparavant : "Il n'y a pas de paix dans ce mutisme obscur où rôdent les
secrets, où flâne l'inquiétude, où tournent les pourquoi, les comment" (87), et, dans une fuite
temporaire du silence oppressant, alors qu'elle se promène seule dans la brousse, elle perd
volontairement sa virginité au profit d'un étranger. Bien que l'ouverture d'esprit et la naïveté de
Malou concernant les tensions raciales qui imprègnent l'île soient révélées lorsqu'elle insinue à
son frère que le cœur n'a pas de couleur (104) en l'encourageant à révéler la vérité sur sa relation
à ses parents, elle finit par se rendre compte que le maintien d'une relation mixte dans les années
1980 en Nouvelle-Calédonie exige de vivre avec un silence qui semble imperméable. Elle
reconnaît que si elle et Sery se parlent en français, ils ne parlent pas la même langue, les mêmes
mots n'ont pas le même sens, les implications du discours de Sery lui sont inaccessibles : "Et
pire encore lorsque l'autre possède une langue interdite derrière celle de l'échange. Toute cette
ombre complexe au revers des mots parlés, ce relief derrière l'écriture, cette pensée taboue,
impénétrable, héritée des profondeurs du temps" (212). Alors qu'il tente de l'informer sur ses
coutumes kanakes, Sery ne peut s'empêcher de cacher à Malou toutes les faiblesses et les
dérives de sa culture : "Il n'avait voulu lui montrer que les bons côtés, ceux qui honorent un
peuple et s'était enfoncé dans le mensonge par omission. Il en avait un peu honte, mais moins
que s'il eût dû avouer cette vérité-là" (173). En fait, Sery ne s'ouvre jamais complètement à
Malou, et après avoir mis fin à leur relation, même avec un enfant entre eux, maintient la pensée
que "Un couple mixte...il y a un fossé entre nous..." (278). Pourtant, l'ami kanak commun de
Sery et de Malou le ramène à la raison lorsque, après la signature des accords de Matignon,
Sery persiste à penser que le silence résultant du fossé culturel ne peut être comblé. Nylane lui
fait la leçon :
- Je ne veux pas t'écouter ni te suivre sur ce chemin. A l'heure de
la paix, quand les hommes de bonne volonté se serrent la main et inventent,
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malgré les différences, un avenir multiracial, toi Sery, tu restes prisonnier de tes
a priori et de tes complexes...tu nous rabâches l'histoire du colonialisme...tu
es...tu es....
Elle martelait les syllabes en haussant la voix :
- Ré-tro-gra-de. (278)

Malou quitte Lifou, où elle vivait et travaillait, pour se rapprocher de Sery et de leur fils
Timothée, laissant malheureusement son fils à Sery et à son clan. Sery, repenti, arrive chez elle
et y trouve une lettre l'informant qu'un jour, un "jour d'indifférence" (282), ils pourront peut-
être se pardonner l'un à l'autre. Dominique Jouve remarque que cette triste conclusion d'un
roman écrit rétrospectivement (entre 1997 et 1998, juste avant les accords de Nouméa) révèle
une Claudine Jacques pessimiste, car les personnages restent marqués par leur histoire et
fracturés par leurs expériences individuelles, incapables de franchir les barbelés métaphoriques
qui séparent les Kanaks et les Caldoches, tout comme les barbelés fixent les frontières entre les
"stations" conquises et la terre kanake ("Conférence").

Écriture féminine ? Les femmes rompent le silence


Si toutes les femmes écrivains de ce projet s'attaquent aux silences qui répriment
l'identité et tentent de s'engager dans un dialogue ouvert permettant aux voix des différents
groupes ethniques d'Océanie de se faire entendre, il est pertinent, dans le cadre de cette étude,
de se demander si leurs tentatives de dialogue mettent également l'accent sur un espace pour la
voix de la femme en particulier. L'une des caractéristiques de la littérature féminine, qu'il
s'agisse de littérature féministe ou d'écriture féminine, est l'insistance sur la rupture d'un silence
imposé par les paramètres phallocentriques du langage. Comme l'affirme Hélène Cixous dans
Le Rire de la Méduse, parce que les femmes ont toujours été conceptualisées à travers le regard
des hommes, elles doivent écrire pour libérer une voix féminine unique. Bien que Cixous
reconnaisse que les femmes ne peuvent être définies de manière catégorique, à l'instar des
affirmations de Luce Irigaray dans Ce sexe qui n'en est pas un, elle exhorte les femmes à écrire
dans un contexte collectif afin de rompre les frontières érigées par le discours masculin. Cixous
et Irigaray insistent toutes deux sur le fait que l'on ne peut écrire sur les femmes sans y insérer
la voix de la femme elle-même, et que tout discours qui exclut la voix de la femme est en fait
un discours du silence, une censure de la voix de la femme ainsi que de son corps. Cixous met
en parallèle la voix de la femme et son corps : "À censurer le corps on censure du même coup
le souffle, la parole" (43). Pour Cixous, l'écriture est un exercice corporel et aide les femmes à
17
réaliser leur voix : "En vérité, elle matérialise charnellement ce qu'elle pense, elle le signifie
avec son corps" (44). Pour Béatrice Didier, l'écriture féminine est aussi une littérature du corps,
"une écriture du Dedans : l'intérieur du corps, l'intérieur de la maison" (37). La suite de ce
chapitre sera consacrée à la question de savoir si les écrits de Gorodé, Jacques et Spitz peuvent
être considérés comme une écriture féminine océanienne, un type d'écriture qui rompt le silence
auquel les femmes ont été soumises en ce qui concerne leur corps et leur esprit.
Pour Déwé Gorodé, rompre le silence des femmes kanakes en particulier est l'un des
objectifs les plus importants de son œuvre et de sa vie de femme kanake. En 1982, Déwé Gorodé
participe à la création du "Groupe de femmes kanakes exploitées en lutte", un groupe
indépendantiste autonome et féministe composé d'une soixantaine de femmes kanakes.
L'objectif du GFKEL est d'exposer et de dénoncer la pratique des viols collectifs, mais le groupe
est rapidement mis à l'écart par le FLNKS et met fin à ses activités en 1986. Malgré l'échec du
GFKEL, une base a été créée pour qu'une voix forte de femme kanak émerge dans les années
1980 et résonne continuellement au cours des trois décennies suivantes. Bien qu'elle ait déclaré
ne pas s'identifier au mouvement féministe, qui, dans les années 1970, était principalement
occidental, les romans de Gorodé traitent spécifiquement de la condition de la femme kanake.
Comme nous l'avons vu dans le deuxième chapitre de ce projet, Gorodé dénonce constamment
les crimes sexuels perpétrés contre les femmes kanakes, qui ont contribué à les empêcher de
s'exprimer. Dans L'Épave, par exemple, Lila, qui dénonce sans crainte la prédation sexuelle qui
reste un crime innommable, est violemment violée et assassinée pour avoir osé rompre le silence
qui entoure le viol et la violence domestique. Dans le troisième chapitre du roman, intitulé "Lila",
Tom et Léna visitent le corps de Lila à la morgue la nuit précédant les funérailles. Tom se
souvient de la longue tirade de Lila, dans laquelle elle fait l'éloge de Kanaky, des écoles
populaires kanaks et de la lutte des Kanaks pour l'indépendance, mais dans laquelle elle critique
également ceux qui réduisent essentiellement les femmes kanakes au silence, pensant qu'elles
ne peuvent pas parler pour elles-mêmes. Elle note au début de sa diatribe qu'elle lit le journal
"pour m'informer, mais aussi pour fermer leur gueule à tous les connards qui pensent qu'on ne
pense pas parce qu'on est une femme kanak malfamée !". (63). Elle insiste : "les hommes, ils ont
toujours tout eu. À commencer par la parole" (70), mais elle explique que son penchant pour la
narration provient de son expérience des années 1980, lorsqu'elle passait du temps dans sa tribu
à apprendre auprès de conteuses plus âgées, et qu'elle est maintenant devenue une conteuse
"parce que c'est ma manière à moi d'être debout" (68). Parce qu'elle dénonce la violence qui

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règne au sein de la communauté kanak et qu'elle dit ce que personne n'a voulu énoncer jusqu'à
présent, Lila est violée et assassinée, laissée étranglée dans l'océan. Le poème d'adieu qui
accompagne son enterrement, fruit d'une collaboration entre tous les amis de Lila, est en fait un
éloge de sa réputation en tant que symbole d'une oralité spécifiquement féminine, même s'il pose
la question de savoir pourquoi les autres communautés de l'île ont tendance à ne pas voir ou
entendre les voix kanakes exclues : "pourquoi ici/les exclus/sont tous/bruns ou noirs" (83). La
section intitulée "L'épitaphe de Lila" exprime les lamentations de sa vie solitaire et appauvrie et
de sa mort brutale : "oralité/feminine/de femme/mal famée/affamée (83). Ses amis louent son
franc-parler : "Lila/fleur/d'oralité" (83) et souhaitent que la justice soit rendue grâce à la
rétractation des récits : "et d'une histoire/à l'autre/que justice/soit faite/à la fin" (83). Malgré les
souhaits de ses amis de découvrir les coupables et de venger la vie de Lila, la voix de la conteuse
est rendue éternellement silencieuse, tout comme les voix des autres personnages féminins
principaux du roman. La conclusion de L'Épave de Gorodé montre à quel point les personnages
féminins sont plongés dans le silence, complètement soumis aux hommes et incapables de parler
au-delà des contraintes des traditions kanakes et chrétiennes. Gorodé révèle également
l'insatisfaction de nombreuses femmes kanakes concernant le système de rétribution dans les
clans, puisque jusqu'aux années 1990, les affaires de viol et d'inceste n'étaient pas entendues par
le système judiciaire calédonien, mais plutôt traitées en interne.
La voix des femmes kanakes s'en trouve d'autant plus marginalisée que les coupables
de viols et de violences domestiques dans les clans kanaks risquent, plutôt qu'un séjour en
prison, une série de passages à tabac dont ils peuvent facilement se remettre. Gorodé affirme
ainsi, par le silence de la voix de la femme dans L'Épave, que, comme l'affirme Gayatri
Chakravorty Spivak, "le subalterne ne peut pas parler" (Spivak 104). En effet, la citation
ironique tirée d'Ajax de Sophocle sur la page de dédicace du roman annonce le thème du roman
: "La parure des femmes, c'est le silence" (5). Bien que réduites au silence dans son premier
roman, les femmes de Gorodé sortent de leur position de subalternes et peuvent parler dans ses
deux romans les plus récents, Graines de pin colonnaire et Tâdo, Tâdo, wée ! ou "No more
baby" (plus de bébé). Comme les personnages principaux de Graines de pin colonnaire sont en
fait tous des femmes, considérées comme "les Amazones de la parole", le roman de Gorodé
témoigne d'un optimisme continu et d'une détermination à insérer la voix d'une femme kanak
résistante dans la littérature croissante de la Nouvelle-Calédonie. Comme dans la novella "Ûte
Mûrûnû, petite fleur de cocotier", dans Graines de pin colonnaire, les hommes font des

19
apparitions éphémères dans la vie des personnages féminins, tandis que les femmes
entretiennent des amitiés durables et inscrivent les récits de leur vie dans des lettres et des
journaux intimes. Ses personnages féminins sont déterminés à rompre les silences de la
communauté. Tany insiste sur le fait que Tella ne doit pas avoir peur de vivre sa "vraie vie"
(114) et que pour faire face à ses peurs, elle doit les affronter par la parole : "Il faut parler avant,
il faut combler le silence complice et chanter dans le noir pour évacuer la peur et la
confrontation qui, on le sait, peuvent mener à la catastrophe" (116). De même, dans Tâdo, Tâdo,
wéé ! ou "Plus de bébé", Tâdo et de nombreuses femmes de sa famille n'ont pas peur de
s'exprimer et de participer à la vie politique. Lorsqu'elle réfléchit à son discours lors du
rassemblement politique évoqué dans le troisième chapitre de ce projet, où elle encourage
d'autres femmes à s'exprimer, "même en tremblant" (87), contre la violence des hommes, Tâdo
se rend compte que la libération de ses paroles ressemble à un accouchement : "Elle compare
les sentiments de libération, de renaissance et de renouvellement de soi qui coulent en elle
depuis cette prise de parole, à ce que doit être la délivrance de l'accouchement pour les mères"
(90-91). C'est à ce moment-là que Tâdo reconnaît sa ferveur à parler en public : "Ce feu, c'est
celui de la parole trop longtemps confisquée et qui lui brulait les entrailles depuis plus
longtemps encore" (91). Son désir de parler est, de manière significative, une sensation
corporelle, similaire à celle décrite par Cixous et Didier. Le roman de Gorodé, à travers la figure
révolutionnaire de Tâdo, raconte la période des Evénéments qui s'est avérée être une période
d'illumination politique pour les femmes, au cours de laquelle elles ont commencé à combler
le fossé entre les sexes qui les empêchait de participer aux discussions : "Elles pénètrent
ensemble, pour la première fois, la sphère politique dévolue aux hommes porteurs de la parole
du clan, de la case et du pays" (186). En fait, le roman de 2012 retrace à la fois l'évolution de
la résistance kanake et, plus particulièrement, la progression de la participation des femmes
kanakes aux activités coutumières et politiques. Le roman récapitule essentiellement le
processus de rupture du silence des femmes kanakes, vu à travers le point de vue de la femme
kanake, et conclut dans une ère, comme le montrent les explications élogieuses du printemps
arabe, dans laquelle la voix de la femme et les voix de ceux qui étaient auparavant marginalisés
sont libres. Les deuxième et troisième romans de Gorodé adoptent une vision beaucoup plus
positive de la condition de la femme dans les sociétés kanakes que son premier roman, et offrent
un exutoire à une voix kanake plus affirmée. De même, si Les cœurs barbelés de Jacques donne
la parole aux communautés caldoche et kanak, aux hommes comme aux femmes, il est

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important de noter que si le discours et les actions politiques des hommes du roman conduisent
à la signature des accords de Matignon, ce sont les femmes dont les actions parlent fort pour
mettre fin au silence qui sépare les communautés ethniques. En effet, la mère de Sery insiste
pour que Malou vive avec elles lorsqu'elle apprend qu'elle est enceinte du fils de Sery. Bien
qu'elle ait d'abord rejeté la femme blanche, elle remarque : "Maintenant l'enfant a effacé la
honte" (237). En tant que "femme encanaquée" (239), Malou est acceptée par les femmes du
clan, les figures du roman qui embrassent véritablement l'Autre communauté. Claudine Jacques
fait souvent peser sur les épaules des femmes le fardeau de rompre les silences qui fracturent
les communautés. Dans L'Âge du perroquet-banane, par exemple, le personnage à travers lequel
l'histoire est racontée est une femme, c'est elle qui raconte les histoires qui ancrent les sages et
les enfants dans leur mémoire, et c'est elle qui est prête à sacrifier sa vie à la fin du roman, en
insistant sur le fait qu'elle colonisera le "mana" de l'homme cannibale afin d'assurer un avenir
éclairé au territoire. Dans la mangrove de Nouméa, la voix d'Emma continuera à vivre dans son
manuscrit, envoyé pour aider d'autres femmes battues à la fin du roman. Les romans de Jacques,
comme ceux de Gorodé, utilisent la voix de la femme pour témoigner à la fois du silence d'une
voix ethnique et de l'oppression de la voix de la femme, et reconstruire les histoires fracturées
des communautés kanak et calédonienne à travers une perspective féminine. Comme l'indiquent
ses récits de viols, cependant, malgré les progrès réalisés au cours des dernières décennies de
négociations politiques et d'accords de paix, la rupture du silence concernant le corps des
femmes reste un défi. Le deuxième roman de Jacques, L'Homme-lézard, publié en 2002, explore
le silence qui entoure le corps de la femme et, comme Hombo de Spitz, utilise des adolescents
comme représentants d'une histoire refoulée. Situé un peu plus d'une décennie après la
conclusion de son premier roman, le drame se déroule autour de l'enquête sur un meurtre et
adopte les caractéristiques d'un roman policier, puisque la narration qui suit les différents
personnages détermine les informations auxquelles le lecteur a accès. Le narrateur omniscient
à la troisième personne suit les trajectoires croisées d'un ensemble de personnages tragiques.
"Nassirah la silencieuse" a été violée et battue à plusieurs reprises par son père et vit avec
Erwann, qui ne cesse de sortir de prison, et sa grand-mère adoptive. Enok, un artiste
toxicomane, vit dans un squat et crée la sculpture terrifiante qui donne son nom au roman.
Mandela, la jeune sœur d'Enok, doit retarder ses études pour aider son frère indigent en
travaillant dans un snack-bar, et la métisse à trois visages Siwel-Lewis-Tash, dealer,
propriétaire et séducteur de Mandela, se suicide à la fin du roman. Ces personnages suscitent

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véritablement la pitié et la compassion du lecteur, car ils sont, comme le remarque Dominique
Jouve, l'incarnation des "misérables" de Victor Hugo ("Conférence"). En suivant Nassirah, la
narration met constamment l'accent sur l'impossibilité d'énonciation que suscite la victime de
viol et d'inceste. Elle est insaisissable, à la fois pour elle-même et surtout pour les personnages
masculins. Enok doit se dire qu'il ne sera jamais l'amant de Nassirah car "il y a dans la façon
d'être de Nassirah quelque chose qui s'holocauste et se sacrifie" (161). Lorsqu'elle découvre que
son père a été assassiné, elle se rend à l'endroit où il a été retrouvé et se rend compte, en
contemplant les fleurs en plastique à y placer, qu'"elle n'avait pas su choisir la couleur de son
deuil" ( 70). Incapable de choisir la couleur de son deuil, elle ne peut que verbaliser ce qui lui
est arrivé au jeune et innocent Mandela. Le narrateur suit les pensées de Nassirah après qu'elle
se soit surprise à faire cette révélation spontanée :
- Il me violait.
Le mot glissa de sa bouche comme un serpent qu'elle aurait recraché, il
prit toute sa réalité puis s'enfuit dans l'herbe. Elle le prononçait enfin ce mot maudit,
ce mot tabou qu'elle gardait au fond de son ventre. Elle osait en parler à Mandela
qui lui saisit les mains.
- Je suis souillée, tu comprends, tachée. (99)

Alors qu'elle a du mal à exprimer son passé tragique et à négocier ses sentiments d'amour
et de haine pour son père incestueux, Nassirah est finalement capable de se connecter, seulement
physiquement, avec Enok. Au chapitre XXVI, elle entre dans sa maison du bidonville alors qu'il
est allongé, inconscient, en train de se désintoxiquer après une nuit de forte consommation
d'alcool et de drogues. Nassirah se déshabille et s'allonge avec Enok, excitée par l'absence de
menace dans son membre mou et endormi : "Il n'y avait aucune agressivité dans cette virilité-là.
Ni horreur" (185). La silencieuse Nassirah est attirée par l'incapacité similaire d'Enok à parler, et
reste avec lui (jusqu'à ce qu'elle croie qu'il est le meurtrier de son père) après qu'il a été abattu et
paralysé à partir de la taille dans une tentative d'échapper à l'escalade des tensions ethniques lors
des affrontements de Saint-Louis et d'Ave Maria, au cours desquels sa sœur Mandela a été
accidentellement assassinée. En fait, cet accident entrave temporairement l'élocution d'Enok et,
comme le remarque Lusia, la femme qui finira par épouser Enok, Nassirah ne semble désirer
Enok que lorsqu'il est silencieux, handicapé, plutôt qu'en bonne santé : "On dirait que c'est mieux
ainsi. Qu'elle préfère..." (212). Comme le remarque Lewis-Siwel-Tash, le personnage qui se révèle
être le meurtrier du père de Nassirah à la fin du roman, pour les personnages de L'Homme-lézard,
"C'est facile de se réfugier dans le silence" (213). Alors que Nassirah se réfugie dans le silence,
les efforts de Mandela pour combattre le silence qui entoure la violence masculine restent
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inefficaces dans la représentation tragique que Jacques donne de la vie des oubliés, ces membres
marginaux de la société calédonienne qui habitent les squats de Nouméa. Mandela, qui rejoint un
groupe de femmes kanakes tentant de réduire l'alcoolisme, la toxicomanie et la violence
masculine, et qui souhaite faire entendre sa voix, devient l'agneau sacrifié du roman, une figure
prometteuse de l'émancipation féminine réduite au silence. En effet, tous les personnages sont des
figures misérables et tragiques, réduites au silence par leur position marginale dans la société.
Dominique Jouve remarque que "la romancière [...] pointe du doigt le refoulé, les misères que
chacun profère oublier ou passer sous silence" ( "Conférence" n.p.). Cependant, le fait d'amener
des personnages représentatifs de la jeunesse marginalisée de Nouvelle-Calédonie au premier
plan du roman donne une voix à ces mêmes personnages et rompt le silence des membres souvent
oubliés de cette communauté diverse et dynamique. Bien que la majeure partie du roman de
Jacques puisse représenter un présent tragique, Enok et Lusia sont en mesure de concevoir un
enfant avant qu'il ne passe le reste de sa vie paralysé et en prison. Il est significatif que le couple
nomme leur fille Nassidéla. Combinant les noms de la silencieuse Nassirah et du supprimé
Mandela, cet enfant représente un espoir pour l'avenir de la voix des femmes en Nouvelle-
Calédonie. Contrairement à Déwé Gorodé et à l'instar de Claudine Jacques, Chantal T. Spitz
emploie des personnages des deux sexes comme personnages principaux de ses romans. Dans
L'Île des rêves écrasés, Emere, Tematua, Terii et Laura sont les héros du roman, dans Hombo, les
personnages principaux et les figures de l'oralité sont des hommes, et dans Elles, terres d'enfance,
les personnages centraux sont tous des femmes, ce qui est, comme Spitz le commente dans son
entretien avec Laurence Bacry, une complication supplémentaire importante de son dernier
roman. Cependant, les seuls personnages qui prennent la plume dans les œuvres de Spitz sont des
personnages féminins : Laura Lebrun et Tetiare dans L'Île des rêves écrasés, Victoria et sa nounou
dans Elles, terres d 'enfance. Plusieurs critiques se sont interrogés sur la pertinence du féminisme
dans ce premier roman, qui se concentre principalement sur la question de l'identité et la nécessité
d'une voix tahitienne dans le canon francophone. Lise Briec observe que si Toofa et Charles
Williams s'engagent dans la relation stéréotypée fétichisée par des écrivains tels que Loti et
Gauguin, la femme tahitienne utilise sa position de mère d'un enfant à moitié blanc pour s'élever
dans les rangs de la société. Spitz utilise cette relation comme un outil pour subvertir le récit
colonial stéréotypé. Contrairement à la Rarahu du récit de Loti, Toofa n'apparaît pas comme une
jeune fille naïve et déséquilibrée, mais plutôt comme une jeune femme déterminée, indépendante
et ambitieuse (Briec 96). Emere suit les traces de sa mère qui s'oppose aux conventions sociales

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en refusant de se marier pour gravir les échelons sociaux et en épousant un Tahitien. Laura Lebrun
est une femme française divorcée, qui travaille aux côtés d'hommes et les commande dans un
domaine où les femmes ingénieurs étaient rares dans les années 1970. De manière significative,
le roman se termine par la décision de Tetiare d'inscrire les traditions et les récits oraux dans
l'écriture, une figure féminine puissante déterminée à rompre le silence qui empêche le monde de
voir véritablement la communauté tahitienne. En effet, Laura et Tetiare sont les seules
représentantes des écrivains dans le roman, deux femmes indépendantes déterminées à faire la
différence dans leurs sociétés respectives. On peut donc considérer que L'Île des rêves écrasés
soutient de nombreux éléments d'un programme féministe, le tout dans le contexte de l'objectif
principal du roman, à savoir l'affirmation d'une identité spécifiquement tahitienne.
Elles, terre d'enfance : Roman à deux encres est un portrait intime de la relation d'une
jeune femme avec les femmes de sa vie, qui contribuent toutes à son sentiment d'identité, de
connaissance de soi et d'estime de soi. Le dernier roman de Spitz, plus psychologique et écrit de
manière plus spirituelle, adopte les perspectives de deux narratrices qui osent dire "je" : une jeune
fille "mixte", Victoria, que ses parents élèvent à l'occidentale et qui ne parle que le français, et la
nounou de Victoria, Marie, qui ne parle que le tahitien et donne à Victoria, qu'elle appelle "Aia",
un aperçu du monde indigène tahitien. En effet, il s'agit littéralement d'un roman à "deux encres".
Les courts chapitres de Marie, toujours intitulés 'Aia, sont typographiquement juxtaposés aux
longs chapitres de Victoria dans une encre brune et une police distincte. Ses phrases sont staccato,
mais elles suivent une trajectoire linéaire et utilisent la ponctuation française traditionnelle, tandis
que les chapitres numérotés et titrés de Victoria sont écrits à l'encre noire, sa syntaxe se
caractérisant par de longues phrases en forme de flux de conscience et une absence subversive de
ponctuation. Les différents styles et "encres" avec lesquels chaque femme écrit emblématisent le
silence qui enveloppe leur relation : "nous restions à la lisière des mots" (95). Pourtant, elles
trouvent la communication possible dans le contact corporel : "Marie me touchait dans une maison
où les corps cohabitaient se croisaient s'éludaient" (96). Alors que la relation de Victoria avec
Marie est caractérisée par un silence nourricier, communicatif, bien qu'involontaire, le silence qui
caractérise sa relation avec "elles", sa mère et sa grand-mère, est imposé, car elles insistent sur le
fait que les femmes de leur famille ne pleurent pas, qu'elles restent debout, qu'elles ne se plaignent
pas : "J'ai vite appris à ne pas pleurer ni me plaindre. J'ai vite appris le silence" (49). La lutte de
Victoria contre les silences de sa famille permet de mettre l'accent sur sa lutte avec le langage,
car elle est incapable de comprendre l'interdiction de parler la plus douloureuse : l'interdiction qui

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lui est imposée au sein de sa propre famille immédiate. Bien pire que l'imposition de la langue
française par le système scolaire colonial et l'interdiction du reo ma'ohi, la famille perpétue l'effort
colonial pour faire taire la voix tahitienne en refusant de transmettre la langue indigène à la jeune
génération. Elle déclare : "cette interdiction de parole m'ancrait dans une transparence
flamboyante qui aggravait le chaos de mes incompréhensions cette condamnation au mutisme me
nouait dans une obscurité sinistre qui augmentait le non-sens de mon alentour" (47). Comme dans
son premier roman où elle accusait les Ma'ohi d'être des "singes savants", Spitz accuse les familles
tahitiennes de refuser de transmettre la tradition aux jeunes générations. Alors que la famille de
Victoria est capable de parler le reo ma'ohi, il lui est interdit de répondre dans la même langue.
Pour elle, le reo ma'ohi est une langue insaisissable, parlée avec tout le corps :
que j'aurais voulu dire qui restait imparlée mutisée
d'interdictions définitive
que j'ondulais insonore clandestine dans mon
corps allongée la nuit dans le noir
une langue charnelle charnue que je caressais
dans tous mes silences qui ourlait mes noirceurs une
langue familière farouche...(61)

La disjonction qu'elle ressent dans la langue se traduit par une incompréhension


corporelle, et jusqu'à ce qu'elle puisse parler le tahitien plus tard dans sa vie, elle se sent presque
physiquement divisée. Les mots interdits du reo ma'ohi sont "des mots qui nous lient aux
absences nous relient à nous-mêmes nous allient l'un à l'autre des mots auxquels nous confions
notre humanité flageolante" (272). Sans accès à ces mots, elle est incapable d'articuler son être.
En écrivant son histoire personnelle et en apprenant la "langue de libération" (Pensées 154)
auprès de Marie, elle accède aux mots de son peuple, aux mots des "elles" qui la relient à sa
terre. En fin de compte, le roman lui-même est l'articulation d'une subjectivité jusqu'alors muette,
une subjectivité personnelle, fragile, unique et accessible uniquement par le biais de la langue
tahitienne. Dans ce roman, Spitz ne se bat pas seulement pour une voix expressément ma'ohi,
elle encourage aussi une rupture du silence spécifiquement féminine. Ce sont les femmes qui
parlent dans le récit, les nombreuses "elles", alors que le roman ne parle que des hommes. Robert
Nicole remarque dans The Word, The Pen, and The Pistol que l'absence de la voix masculine
ma'ohi dans les récits des femmes "est un moyen de leur refuser leur pouvoir patriarcal habituel"
(197). Alors que les personnages masculins parlent rarement, de nombreuses "elles" du récit, en
particulier Marie et Victoria elle-même, réussissent à dire "je" pour tenter de rompre les silences
qui enveloppent l'éducation de Victoria. Cette rupture du silence par des narrateurs
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exclusivement féminins permet de lire le dernier roman de Spitz comme de l'écriture féminine.
Les travaux de Chantal Spitz révèlent que la langue, l'écriture et la production d'une
littérature qui exprime une conscience ma'ohi permettront au peuple ma'ohi de se reconnecter à
lui-même et d'articuler les silences de 150 ans d'histoire ma'ohi, mais ils révèlent également à
quel point c'est la voix de la femme qui permet ces articulations de l'identité. De manière
significative, ce sont des femmes écrivains, telles que Chantal Spitz, Déwé Gorodé et Claudine
Jacques, qui brisent le silence, ébranlent les idées traditionnelles sur ce qui peut et ne peut pas
être écrit dans un roman, sur ce que les femmes peuvent et ne peuvent pas dire, et créent un
canon littéraire océanien en français. Actuellement, les femmes écrivains en Polynésie française
sont plus de 60 % que les hommes, ce qui pourrait être lié aux statistiques de l'éducation : en
2003, les femmes étaient 66 % plus nombreuses que les hommes au n i v e a u d u premier
cycle universitaire, bien que les hommes soient plus nombreux que les femmes dans la
population totale (André, Le Roman autochtone 245-6). En rompant le silence et en écrivant les
histoires de leur peuple, les femmes océaniennes redéfinissent leur réalité, elles démythifient
leur existence ; elles refusent leur propre marginalisation, selon leurs propres termes. Déwé
Gorodé, Claudine Jacques et Chantal T. Spitz écrivent pour parler, écrivent à la place de la
parole, pour rendre la parole aux Océaniens, hommes et femmes. Comme le souligne Spitz dans
"Écrits clandestins", il s'agit de "publier pour revendiquer une originalité mutisée" (Pensées 93).

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