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Bibliographie de base:

Marc QUAGHEBEUR (dir.), Papie blanc, encre noir. Cent ans de culture francophone
en Afrique Centrale (Zaïre, Rwanda, Burundi), Bruxelles, LABOR, 1992

Pierre HALEN, Le Petit Belge avait vu grand. Une littérature coloniale, Bruxelles.
LABOR, 1993

Lectures obligatoires :

Achille NGOYE, Kin-la-joie Kin-la-folie


Pie TSHIBANDA, Un fou noir au pays des blancs

Colonisation

Pouvoir (armes, argent) / Religion / Technique

Réaction due à une rencontre déséquilibrée.

Pour les occidentaux les colonisés n’ont pas de culture.

La littérature coloniale est d’abord celle des colonisateurs. Il s’agit d’une description +
des idées dépréciatives.

C’est une littérature qui s’ « inspire » de la tradition de la littérature de voyages et la


littérature exotique provenant du XVIe siècle.

Création de mythes dans la culture colonisatrice. Le mythe est d’une part une
représentation (l’acte de nommer) et une explication de l’origine (pourquoi, comment)
et la mise en récit de cette explication.

Asie Mineur – Afrique : listes de noms (généalogies) : expression de l’origine. La mise


en récit est une métaphore du pourquoi.

Ce mythe a une dimension morale qui se concrète dans les mythes du :


- ‘barbare’ (le mal)
- ‘bon sauvage’ (le bien)

______________________________________________________________________

Littérature coloniale – fin XIXe siècle

Territoires colonisés :

● Situation ● Objet
- éditeurs
- écrivains
- lecteurs
- diffuseurs (tous en métropole)
En rapport avec l’Idéologie : déterminée par le contexte géopolitique,
territoires liés étroitement à l’idéologie.
Mythes littéraires + idéologie ont une influence sur la littérature.

Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, TODOROV, 1989,
Paris, Seuil.

Todorov part de l’opposition Universalisme / Relativisme et montre une série de dérives


possibles :

Universalisme Relativisme
↓ ↓
* Ethnocentrisme * Nationalisme
On ne se pose pas la question Conscience des différences : mon
des différences. Mon discours groupe est le meilleur et doit être
est valable pour tous les autres. protégé ; idées essentielles à nous,
bon tous.

Le relativisme occupe la majeure partie de la réflexion de Todorov. Il montre que,


tenant compte des différences du départ, on peut arriver à des excès : Nationalisme et
rac(ial)isme.

Racialisme : considérer les différences, hiérarchiser, mais sans tirer des conséquences
≠ au niveau politique.
Racisme : conséquence : il faut éliminer les races inférieures.

Universalisme Relativisme
↓ ↓
* Exotisme
→ Colonialisme

L’exotisme fonctionne sur le vide. Je ne dis pas qui c’est l’autre, mais je montre la
distance avec moi. Pas de valeurs positives, définition seulement négative. Ce qui
compte c’est la différence entre moi et ce que je vois : insistance sur l’altérité de l’autre.

L’exotisme est nationalisme de façon opposée : ce qui compte c’est qu’il soit un pays
qui ne soit pas le mien : le mieux = l’autre (/nationalisme : le mieux = moi).
D’après Todorov, dans l’exotisme, l’autre est systématiquement préféré au même. Il
s’agit d’une valorisation de l’autre plutôt que d’une critique de soi. Formulation d’un
idéal.
Cela est discutable. Todorov se trompe, il ne s’agit pas exactement d’une valorisation,
au moins exclusivement. On chérit le lointain : l’inégalité, la distance créée par
l’absence historique de contact historique de contact entre cultures.
La contradiction dans ce raisonnement de Todorov :
- la connaissance est incompatible avec l’exotisme ;
- la méconnaissance est incompatible avec l’éloge des autres.
Le discours de l’exotisme est plein de formules vides dans la langue pour éviter de
caractériser l’autre (p.ex. le superlatif).

Universalisme Relativisme
↓ ↓
* Exotisme
→ Colonialisme

Le colonialisme issu de cet exotisme considère aussi la différence essentielle. On ne


garde plus que ce mythe, ce stéréotype. Ce qui est bon et à moi doit être appliqué chez
les autres.

Le nationalisme promeut la colonisation.


Il faut remplir le « vide » de la culture rencontrée avec un système politique,
économique et culturel qui est le mien. Culturellement à transmission des formes
d’expression : langue + contenus, qui remplissent le vide du point de vue « exotique ».

Texte : TODOROV, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine,
1989, Paris, Seuil, p. 297

« Idéalement, l’exotisme est un relativisme au même titre que le nationalisme, mais de


façon symétriquement opposée : dans les deux cas, ce qu’on valorise n’est pas un
contenu stable, mais un pays et une culture définis exclusivement par leur rapport avec
l’observateur. C’est le pays auquel j’appartiens qui détient les valeurs les plus hautes,
quelles qu’elles soient, affirme le nationaliste ; non, c’est un pays dont la seule
caractéristique pertinente est qu’il ne soit pas le mien, dit celui qui professe l’exotisme
(…)
Les attitudes relevant de l’exotisme seraient donc le premier exemple où l’autre est
systématiquement préféré au même. Mais la manière dont on se trouve amené, dans
l’abstrait, à définir l’exotisme, indique qu’il s’agit ici moins d’une valorisation de
l’autre que d’une critique de soi, et moins de la description d’un réel que de la
formulation d’un idéal. Personne n’est intrinsèquement autre ; il ne l’est que parce
qu’il n’est pas moi ; en disant de lui qu’il est autre, je n’ai encore rien dit vraiment ;
pis, je n’en sais rien et n’en veux rien savoir, puisque toute caractérisation positive
m’empêcherait de la maintenir dans cette rubrique purement relative, l’altérité. (…)
Ici, on chérit le lointain parce qu’il est lointain : il ne viendrait à l’esprit de personne
d’idéaliser des voisins bien connus (l’anglophilie des XVIIIe-XIXe siècles n’est pas un
exotisme). Les meilleurs candidats au rôle d’idéal exotique sont les peuples et les
cultures les plus éloignés et les plus ignorés. Or la méconnaissance des autres, le refus
de les voir tels qu’ils sont peuvent difficilement être assimilés à une valorisation. C’est
un compliment bien ambigu que de louer l’autre simplement parce qu’il est différent de
moi. La connaissance est incompatible avec l’exotisme, mais la méconnaissance est à
son tour inconciliable avec l’éloge des autres ; or, c’est précisément ce que l’exotisme
voudrait être, un éloge dans la méconnaissance. Tel est son paradoxe constitutif. »
Territoires colonisés :

● Situation ● Objet
Littérature coloniale

Littérature de voyages
Littérature exotique
(même si au début elles forment
un ensemble)

Les touristes de la saison sèche en Afrique sont rejetés de l’étude de la littérature


coloniale.
Il s’agit de genres proches, liés à l’idée de territoire, mais points de vu différents sur
cette réalité lointaine.

beau = bon = bien (classiques)


(nationalisme)

mythe éthique :
- animal humain
- bon sauvage

L’universalisme est un discours qui se manifeste comme relativisme dans l’action (p.ex.
droits humains).

Littérature coloniale (définition à vérifier dans les textes) : une littérature fondée sur
un choc culturel, lié à l’exploration de territoires lointains dans le cadre d’une certaine
idéologie de la différence entre les différents groupes humains et une installation
institutionnelle, sur le mode du conflit (qui se présente comme arme contre les colonisés
mais aussi comme volonté de résoudre les sources de malentendu).

- rencontre culturelle (rapport avec la littérature de voyages et la littérature


exotique) ;
- réalité géopolitique historique, difficile à détacher de ce contexte, déterminée
par un certain nombre de motifs concernant le rapport aux autres, motifs qui
circulent en forme de mythes depuis le XVIe siècle (certains aspects de la
littérature grecque et latine) ;
- réalité géopolitique marquée par l’idéologie : universalisme / relativisme
ethnocentrisme / nationalisme
colonialisme

Textes : Pierre Lotti

1) « Qui me rendra ma vie d'Orient, ma vie libre et en plein air, mes longues
promenades sans but et le tapage de Stamboul?
Partir le matin de l' Atmïidan, pour aboutir la nuit a Eyoub faire, un chapelet, a la
main, la tournée des mosquées; s'arrêter a tous les cafedjis, aux turbés, aux mausolées,
aux bains et sur les places ; boire le café de Turquie dans les microscopiques tasses
bleues a pied de cuivre; s'asseoir au soleil, et s'étourdir doucement a la fumée d'un
narguilé; causer avec les derviches ou les passants ; etre soi-meme une partie de ce
tableau plein de mouvement et de lumière; être libre, insouciant et inconnu; et penser
qu'au logis la bien-aimée vous attendra le soir.
Quel charmant petit compagnon de route que mon ami Achmet, gai ou rêveur,
homme du peuple et poétique a l'excès, riant à tout bout de champ et dévoué jusqu'à la
mort !
Le tableau s'assombrit a mesure qu'on s'enfonce dans le vieux Stamboul, qu'on
s'approche du saint quartier d'Eyoub et des grands cimetières. Encore des échappées
sur la nappe bleue de Marmara, les îles ou les montagnes d ' Asie, mais les passants
rares et les cases tristes; -un sceau de vétusté et de mystère, -et les objets extérieurs
racontant les histoires farouches de la vieille Turquie.
II est nuit close, le plus souvent, quand nous arrivons à Eyoub, après avoir dîné
n'importe où, dans quelqu'une de ces petites échoppés turques où Achmet vérifie lui-
même la propreté des ingrédients et en surveille la préparation.
Nous allumons nos lanternes pour rejoindre le logis, -ce petit logis si perdu et si
paisible, dont l'éloignement même est un des charmes » (Calmann-Lévy, édíteur)

Mots exotiques introduits de telle façon qu’il n’est pas nécessaire de connaître la
signification exacte pour interpréter le texte.
Utilisation métalinguistique : « Attention ! Voilà un txt. Exotique », de façon
autonyme.
Le narrateur se présente comme quelqu’un qui a mené une vie en orient : liberté,
insouciance, incognito. Liberté d’être vraiment lui-même en essayant de se fondre.
Liberté car il ne doit pas respecter les règles sociales qu’il ne connaît pas, dans son pays,
il n’est pas libre car il est victime de ces règles.
Abîme – barrière entre « je » et « les autres » sur laquelle le narrateur insiste.

- mots exotiques
- point de vue du narrateur – « je » / « scène »
- description (décrire sans décrire) à énumération (deuxième paragraphe) ;
emploi hypocoristique de « petit » à « small is beautiful », obsession du petit ;
peu d’indications : « poétique », « mystère », « farouche » à mots qui ne
définissent pas ce que c’est l’autre, ils disent seulement que c’est différent (bien
ou mal)
- mise en valeur à charme par l’éloignement tout simplement.

Synthèse :
* Importance du sujet de l’énonciation à MOI
* Emplois métalinguistiques de mots «étrangers » (énumérations…)
* Usage de l’adjectif « petit » - fréquent + synonymes, emploi non descriptif mais
hyporistique.
* Termes qui désignent des réalités mystérieuses, exotiques : qui renvoient à une
altérité non décrite : « mystère », « farouche »
* Éloignement et distance – charme, manière d’évoquer la distance culturelle. Équation
locale, topologique de l’attitude exotique.
2) La Cité interdite

« D'abord, la grande muraille noire, la muraille babylonienne, les remparts


surhumains d'une ville de plus de dix lieues de tour, aujourd'hui en ruines et en
décombres, á moitié vidée et semée de cadavres. Ensuite une seconde muraille, peinte
en rouge sombre de sang, qui forme une autre ville forte, enfermée dans la première.
Ensuite une troisième muraille, plus magnifique, mais de la même couleur sanglante,
muraille du grand mystère celle-ci et que jamais, avant ces jours de guerre et
d'effondrement, jamais aucun Européen n'avait franchie ; nous avons dû aujourd'hui
nous y arrêter plus d'une heure, malgré les permis signés et contresignés ; à travers les
serrures d'une porte farouche, qu'un piquet de soldats entourait et que des madriers
barricadaient par.derrière comme en temps de siège, il a fallu menacer, parlementer
longuement, avec des gardiens intérieurs qui voulaient se dérober et fuir. Une fois
ouverts les battants lourds, bardés de ferrures, une autre muraille encore est apparue,
séparée de la précédente par un chemin de ronde, où gisaient des lambeaux de
vêtements et où des chiens traînaient des os de mort, nouvelle muraille toujours du
même rouge, mais encore plus somptueuse, couronnée, sur toute sa longueur infinie,
par des ornements cornus et des monstres en faïence jaune d'or. Et enfin, ce dernier
rempart traverse, des vieux personnages imberbes et singuliers, venus a notre rencontre
avec des saluts méfiants, nous ont guidés a travers un dédale de petites cours, de petits
jardins murés et remurés, où végétaient, entre des rocailles et des potiches, des arbres
centenaires ; tout cela séparé, caché, angoissant, tout cela protégé et hanté par un
peuple de monstres, de chimères en bronze ou en marbre, par mille figures grimaçant la
férocité et la haine, par mille symboles inconnus. Et toujours, dans les murailles rouges
au faîte de faîence jaune, les portes derrière nous se refermaient : c'était comme dans
ces mauvais rêves ou des séries de couloirs se suivent et se resserrent, pour ne vous
laisser sortir jamais plus.
Maintenant, après la longue course de cauchemar, on a le sentiment, rien qu'à
contempler le groupe anxieux des personnages qui nous ont amenés, trottinant sans
bruit sur leurs semelles de papier, le sentiment de quelque profanation suprême et
inouïe, que l’on a dû commettre a leurs yeux en pénétrant dans cette modeste chambre
close. »

Le premier texte : idéalisation nostalgique.


Dans ce deuxième texte apparaît l’angoisse, le sang (le rouge), la mort, qui apparaît un
peu aussi dans le premier texte (mausolées, sacrifice jusqu’à la mort). La mort est un
élément récurrent dans la littérature exotique : jeu morbide.
Il y a toujours quelque chose de morbide dans le texte exotique : vide au lieu de
description.
Termes qui se répètent : « mystère », « farouche », l’idée d’inconnu, l’idée de petitesse :
« vieillards », « semelles en papier », « trottiner », « sans bruit », attitude timide.
Extrêmes exclusivement, et rien au milieu à description au vide du texte exotique.

Il s’agit d’un texte tératologique : Tératologie exotique (les vieillards sont des monstres
aussi).

3)

« J'aperçois, vue de dos, une petite poupée en toilette, que l'on achève d'attifer
dans la rue solitaire : un dernier coup d'oeil maternel aux coques énormes de la
ceinture, aux plis de la taille. Sa robe est en soie gris perle, son obi(1) en satin mauve;
un piquet de fleurs d'argent tremble dans ses cheveux noirs; un dernier rayon
mélancolique du couchant l'éclaire ; cinq ou six personnes l'accompagnent... Oui,
évidemment c'est elle, mademoiselle Jasmin... ma fiancée qu'on m'amène !...
Je me précipite au rez-de-chaussée, qu'habitent la vieille madame Prune, ma
propriétaire, et son vieux mari; ils sont en prières devant l'autel de leurs ancêtres. « Les
voilà, madame Prune, dis-je en japonais, les voila! Vite le thé, le réchaud, les braises,
les petites pipes pour les dames, les petits pots en bambou pour cracher leur salive!
montez avec empressement tous les accessoires de ma réception! » J'entends le portail
qui s'ouvre, je remonte. Des socques de bois se déposent à terre ; l'escalier crie sous
des pieds déchaussés... Nous nous regardons, Yves et moi, avec une envie de rire...
Entre une vieille dame, deux vieilles dames, trois vieilles dames, émergeant l'une
après l'autre avec des révérences à ressorts que nous rendons tant bien que mal, ayant
conscience de notre infériorité dans le genre. Puis des personnes d'un âge
intermédiaire, puis des jeunes tout à fait, une douzaine au moins, les amies, les voisines,
tout le quartier. Et tout ce monde, en entrant chez moi, se confond en politesses
réciproques : et je te salue -et tu me salues -et je te resalue et tu me le rends -et je te
resalue encore, et je ne te le rendrai jamais selon ton mérite - et moi je me cogne le
front par terre, et toi tu piques du nez sur le plancher; les voila toutes à quatre pattes
les unes devant les autres; c'est à qui ne passera pas, à qui ne s'assoira pas, et des
compliments infinis se marmottent à voix basse, la figure contre le parquet.
Elles s'asseyent pourtant, en un cercle cérémonieux et souriant à la fois, nous
deux restant debout les yeux fixés sur 1 'escalier. Et enfin émerge à son tour le petit
piquet de fleurs d'argent, le chignon d'ébène, la robe gris perle et la ceinture mauve...
de mademoiselle Jasmin ma fiancée... !
Ah! mon Dieu, mais je la connaissais déjà! Bien avant de venir au Japon, je
l'avais vue, sur tous les éventails, au fond de toutes les tasses a thé, avec son air bébête,
son minois bouffi, ses petits yeux percés a la vrille au-dessus de ces deux solitudes,
blanches et roses jusqu'a la plus extrême invraisemblance, qui sont ses joues. Elle est
jeune, c'est tout ce que je lui accorde; elle l'est tellement même que je me ferais presque
un scrupule de la prendre. L'envie de rire me quitte tout a fait et je me sens au coeur un
froid plus profond. Partager une heure de ma vie avec cette petite créature, jamais !
Elle s'avance souriante, d'un air contenu de triomphe, et M. Kangourou paraît
derrière elle, dans son complet de drap gris. Nouveaux saluts. La voilà à quatre pattes,
elle aussi, devant ma propriétaire, devant mes voisines...
Cependant mon air déçu n'a pas échappé aux visiteuses. M. Kangourou m'interroge
anxieux : « Comment te plaît-elle ? » Et je réponds à voix basse mais résolument : «Non
!... celle-là, je n'en veux pas... Jamais! » » Calmann-Lévy, édit.

(1) Large ceinture du costume national des Japonaises.

Raillerie exotique. Satire, ironie – effets comiques, moquerie. Éléments qu’on


retrouve :
- « petit » : bébête (diminutif enfantin), minois ;
- « extrême » : superlatifs – vide de sens, « référentiellement inaccessible » ;
- termes exotiques : « obi »
- noms des personnages : effet d’exotisme à l’envers : « kangourou » (nom
d’animal)

Éléments neufs :
- cérémonie : « cercle cérémonieux » (qui n’ajoute rien)
- énumérations longues – répétitions (qui n’ajoutent rien) à élément comique :
* comique de répétition
* comique de situation
- série de « description » pour arriver au contraire.

Tradition occidentale de l’exotisme (30+)


« japo-niaiserie »

Version populaire de l’exotisme : images, meubles faussement orientaux ;


images qui ne se correspondent pas à la réalité.

1830 à Léopold Ier


1865 à Léopold II
1876 à STANLEY
1879 à Association Internationale du Congo
1884 – 1885 Bismarck
Conférence de Berlin

Ulenspiegel – Ch. De Coster (1868)


Héros flamand qui lutte contre le pouvoir espagnol au XVIe siècle. Ville de Pamme.
Robin des Bois à la belge.
Le prototype de héros qu’on cherche pour la Belgique dès 1830. Type Egmont de
Horne : révolte contre le pouvoir de Philippe II. Coster demande dans le préface de
l’ouvrage qu’on le lise en « roman réaliste » et non pas historique.
Préface : Critique de la société belge actuelle. Pour lui le néo-romantisme anti-
esclavagiste était un mouvement dépassé.
Espagnols = bourgeois
Ulenspiegel = peuple
Il cherche à se démarquer des écrivains qui cherchent à justifier l’existence
d’une nation belge.

En France, naturalisme et symbolisme s’opposent. Le symbolisme est hermétique,


échappe au monde et ne montre aucun intérêt pour le monde réel.

En Belgique :

Naturalisme : Camille Lemmonier


Symbolisme :
- Maeterlinck (théâtre). Prix Nobel de littérature entre les deux guerres. Serres
chaudes (1881). Pas de représentation de la réalité – signes. Dans son théâtre il cherche
à faire disparaître la parole, considérée comme « sale ». Formules répétitives, figures,
postures. Il exprime sa volonté de faire un théâtre sans acteurs, dont la figure, impure,
empêche la pureté du symbole. Il s’agit de libérer le peuple du langage.
- Verhaeren (poésie). Les villes tentaculaires, Soirs. Période dépressive (la
révolution industrielle abîme la terre) ; période mélancolique (description du passé) ;
monstres industriels : espoir (poète de la puissance ouvrière). Il n’a pas peur de décrire
la réalité, il s’inspire des paysages et des éléments qu’il voit. Langage = référentiel.
- Rondenbach (« le » romancier symboliste). Bruges-la-morte : la femme du
héros est morte, la ville de Bruges fournit les motifs qui accompagnent son deuil.

Dans le naturalisme, la vie du peuple est traitée directement, même dans ses
aspects les plus sordides.
En Belgique, naturalisme et symbolisme vont la main dans la main. Il s’agit de deux
mouvements progressistes et socialistes.
Il existe une conscience de la Révolution Industrielle comme source de
bouleversement. En Belgique, cette révolution vient d’ailleurs (Angleterre). La classe
sociale de l’écrivain n’est pas responsable du phénomène.
La question coloniale est traitée du côté du naturalisme. Il s’agit d’un traitement
progressiste.
Peu de gens qui écrivent sur les colonies sont allés en Afrique. Les premiers à
évoquer la réalité coloniale vont déplacer le colonisé en Europe occidentale.

Flemm-oso (1884), James VANDRUNEN


C’est l’histoire d’un natif des îles Fidji qui arrive en Europe et qui jette un regard
critique sur la société industrielle (≈ Lettres persanes). Même si Vandrunen a voyagé en
Afrique, il déplace l’action tant par les origines du héros comme par le lieu. Il a écrit
aussi Heures africaines (1899) – séjours en Afrique.

Gim (nouvelle) dans C’était l’été (éd. 1900), Camille LEMONNIER


On franchit un pas. L’étranger vient en Europe mais il est clairement identifiable
comme ressortissant de l’Afrique Centrale. Il est déplacé dans une famille bourgeoise
d’industriels britanniques (probablement à Londres) où il a été amené travailler comme
domestique. Il n’est pas un personnage indépendant qui jette un regard indépendant.
C’est un personnage dominé, qui occupe la position qui correspond à son rang, et qui est
considérée naturelle par la famille.
Sentiments du noir exprimés (pas commun à l’époque) d’abord par sa
fascination pour son apparence en habits de blanc, et après il devient amoureux de la
maîtresse de la maison, ce qui est une façon de s’intégrer dans le monde occidental. De
cet amour inaccessible il tombe malade et finit par se suicider (à résultat de la première
tentative d’échange entre les deux cultures : échec de la rencontre). Il est victime d’un
conflit psychologique qui finit par le détruire.
Gim – identité abstraite du civilisé ; dépourvu d’identité civile… il est une
« chose entre le singe et l’homme ». Il « acquiert » une âme, une conscience de soi au
contact des éléments « civilisés ».
Vision stéréotypée du noir. Essais de remplissage du vide mais permanence
d’une attitude particulière exotique : stéréotypes – images qui ne correspondent pas à
l’expérience individuelle, idée qui circule et rentre dans la « culture ».
La littérature coloniale ne peut pas s’empêcher de garder certains traits de la
littérature exotique.

Camille Lemonnier, Gim, dans C’était l’été…, Paris, P. Ollendorf, 1900 (2e édition), pp.
187-233, cité dans Quaghebeur, 1992, p XVII, n. 6 et p. XVIII, n. 2.

« Gim, assurément, se trouvait très beau dans l’empois, à son gré jamais assez
zinguant, de son haut col blanc qui lui tranchait la tête comme du luisant d’un coup de
cimeterre. Il n’avait jamais fini de tirer la blancheur raide de ses manchettes jusqu’à
ses ongles finement bleus. Cette fraîcheur heureuse du blanc hypnotisait sa rétine
vierge habituée aux lumières crues et plates de la savane, inhabile à réfléchir le
nuancement du prisme. Et quand ce n’était pas dans les miroirs, c’était dans les tessons
de verre, les couvercles de boîtes à sardines, dans ses boutons de manchettes en simili-
or et jusque dans le vernis de ses bottines qu’il savourait l’orgueil de s’apparaître
transfiguré, comme si son mufle de moricaud, aux mobiles reflets du démesuré col
blanc, eût définitivement acquis la blancheur grasse d’un visage européen.

(…)

S’il eût continué à vivre là-bas dans la forêt, peut-être, avec la souplesse fuselée et agile
de son torse, eût-il été le beau jeune homme noir aimé des petites guenons de la tribu,
l’ardent et fringant guerrier dansant la danse du scalp avec des bonds hauts de dix
pieds. Mais ici, le sens de la mesure déplorablement lui échappait. »

La chasse à l’ours, Lucien BODARD


Roman autobiographique français. Auteur : fils d’un diplomate qui a été en Asie.
Les colonisés provoquent le rire (par la maladresse) et la peur (sauvage).

Lucien Bodard, La chasse à l’ours, Paris, Grasset, 1985

« Le boy chinois : quand j’y repense ! Quelle n’avait pas été notre surprise à Anne
Marie et moi lorsque nous avions été le chercher à la gare ! Tout guindé en gentlemen,
jaune dans les attifements du blanc, avec son costume bleu rayé, son nœud papillon et
ses chaussures en daim, on aurait dit un défileur de carnaval. Pourtant, grand et mince,
visage sculpté dans le bois dur des jungles, des yeux de tigre et de hautes pommettes,
c’était un véritable Seigneur de la guerre. En le voyant, j’avais été tout excité, le cœur
comme un tambour : avoir l’un de ces hommes redoutables pour serviteur à la fois
m’attirait et me terrifiait. Mais dès qu’il eut endossé la vêture du valet, je fus plus
charmé qu’effrayé. Il s’était transformé en une créature séraphique qui se déplaçait
dans l’appartement tel un elfe, sans bruit, sans poids, sans cesse occupé à mille petites
choses ».
Vers 1880, l’image de l’Afrique est loin d’être positive en métropole.

Correspondance d’Afrique (recueil de lettres), WARLOMONT, éd. Max WALLER.


Warlomont, bas officier envoyé en Afrique, qui se retrouve victime d’une sorte
de piège militaire dans l’exercice de ses fonctions. Il est tué dans une embuscade. Sa
mort ne sera pas communiquée officiellement. C’est son beau-frère, Waller, qui publie
les lettres. Elles ne donnent pas une image valorisante de l’entreprise congolaise. La
valeur des lettres est exclusivement documentaire. La colonisation est une entreprise
meurtrière qui n’aboutit qu’à la mort.

Max Waller, « Préface », dans Warlomont, Ch. Correspondance d’Afrique, Bruxelles,


Ve Monnom, 1888 (posth.), cité dans Quaghebeur, 1992, p. XXI.

« Nul ne connaîtra toute la vérité sur ce qui attend en terre d’Afrique les malheureux
qui vont y chercher la gloire ; l’État du Congo ne rend pas ses morts, de peur qu’ils ne
parlent peut-être, et le vent de la mer immense n’apporte point jusqu’à nous la plainte
suprême de ceux qui agonisent. Ont-ils longtemps souffert ? On ne le sait pas, on ne le
saura jamais. Ont-ils crié : Maman ? On ne le sait pas, on ne le saura jamais. Ont-ils
dit : Mon Dieu ? On ne le sait pas, on ne le saura jamais ; leur voix monte vers le soleil
qui les foudroie, pour redescendre vers la terre qui les empoisonne, et rien ne reste
d’eux que cette tombe du cœur où fleurit douloureusement leur bien-aimé souvenir. »

L’art moderne – Edmond PICARD


Revue littéraire et politique, progressiste et naturaliste. Edmond Picard a visité
l’Afrique en 1898 à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer Makadi (port) –
Léopoldville (Kinshasa). Ce chemin de fer est l’orgueil de l’époque ; la première ligne
de chemin de fer avait été belge aussi.
Il dénonce les conditions d’exploitation de la colonie, mais il est victime de la
description stéréotypée.
Nature et espace – description et organisation des villages, d’autres thèmes
qu’on retrouve dans les textes :
- dénonciation crue (stéréotypes – sauvage)
- valorisation de la nature
« serres chaudes » - Picard retrouve les éléments de cette poésie symboliste
(œuvre de Maeterlinck)
Pour Picard il y a la possibilité d’une véritable rencontre, mais pas faisable dans
le cadre offert par la colonisation, et ses aspects commerciaux principalement.

Edmond Picard, En Congolie, troisième édition suivi de Notre Congo en 1909,


Bruxelles, Ve Ferdinand Larcier, 1909, pp. 97-99, cité dans Quaghebeur, 1992. XXXIII-
XXXIV.

« Incessamment nous rencontrons ces porteurs, isolés ou en file indienne, noirs, noirs,
misérables, pour tout vêtement ceinturés d’un pagne horriblement crasseux, tête crépue
et nue supportant la charge, caisse, ballot, pointe d’ivoire, manne bourrée de
caoutchouc, baril la plupart chétifs, cédant sous le faix multiplié par la lassitude et
l’insuffisance de la nourriture, faite d’une poignée de riz et d’infect poisson sec,
pitoyables cariatides ambulantes, bêtes de somme aux grêles jarrets de singes, les traits
contractés, les yeux fixes et ronds dans la préoccupation de l’équilibre et de l’hébétude
de l’épuisement. Ils vont et reviennent ainsi, par milliers, organisés en un système de
transport humain, réquisitionnés par l’État armé de sa force publique irrésistible, livrés
par les chefs dont ils sont esclaves et qui raflent leur salaire, trottinant les genoux
ployés, le vendre en avant, un bras levé en soutient, l’autre s’appuyant sur un long
alpenstock, poudreux et sudorant, insectes échelonnant par les monts et par les vaux
leur processionnaire multitude et leur besogne de Sisyphe, crevant au long de la route,
ou, la route finie, allant crever du surmenage dans leur village.

(…)

Ces villages, je les ai vus, habités encore, là où l’avancée de l’œuvre européenne n’est
à présent qu’une vague et discrète venue d’ingénieurs isolés et inoffensifs, étudiant les
passages sans la turbulence de l’armée terrassière et l’effroi qui bruisse autour d’elle.
Je les ai vus dans leur riant et idyllique décor, dans l’élégance inconsciente et
l’esthétisme instinctif de leur organisme. Au milieu d’un bois, au profond d’un bois, de
l’épais tissu d’un bois cousu de lianes pleurantes, unissant les cimes au sol par leurs
sarmenteuses guirlandes. Les ananas foisonnent, serrés comme l’herbe. Des sentiers
dessinent un labyrinthe sous les feuillures, incessamment brisés et contournés en pistes
de gibier. Leurs longues torsades mènent à la clairière centrale où seuls les bananiers
producteurs de vin que le nègre taille d’une encoche d’écoulement comme on vrille un
tonneau plein, enveloppent les cases et les ombragent de leurs aristocratiques verdures
de serre chaude européenne. »

On a affaire à des témoignages basés sur des voyages. De la figure du noir en


Europe on passe peu à peu à la rencontre du noir sur ses terres.
De la même façon que Gim rencontre l’occident par la passion amoureuse, c’est
souvent l’émotion sensuelle qui déclenche l’intérêt pour la personne dans la littérature
coloniale. C’est le cas de :

Voyage à Bakana (éd. 1930 – retard de la diffusion de la question coloniale. Pas


tellement d’intérêt pour les colonies en métropole), COUROUBLE

Léopold Courouble, Le Voyage à Bakana, dans En plein soleil. Les Maisons du juge. Le
Voyage à Bakana, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1930, pp 87-88.

« Le bivouac est établi dans une clairière, sur un terrain rapidement débroussaillé, à
l’ombre d’un gigantesque fromager.

Après le repas, je descends au ruisseau. Il rit, il jase, murmure et chante selon son
caprice de ventriloque aux milles petites voix. Tandis que j’écoute et contemple, perdu
dans une extase que prolonge et parfume la fumée de mon cigare, une femme, écartant
les lianes, apparaît au bord de l’eau avec un vase de terre… Elle est grande, souple,
drapée dans un pagne aux vives couleurs qui laisse à découvert ses épaules
magnifiques. La tête ronde, que les cheveux crépus coiffent comme d’une sorte de
masque sarrazin, porte sur un cou de statue antique.

Et la figure, éclairée de profonds yeux – des yeux sans cils comme ceux de Mona Lisa –
est très douce, mélancolique, sans le nez épaté ni les lèvres retroussés en groin de
l’Africaine.
Autour de ses poignets et des fines chevilles serpentent de gros fils de laiton.

Cependant elle s’arrête, gazelle surprise, un peu effarouchée de ma présence. Soudain,


elle se décide. D’un joli geste, elle relève son pagne, découvre ses jambes nerveuses,
s’avance dans l’eau fine et puise au courant.

Et quand là-bas, sur la zila, elle s’en retourne, le buste projeté en avant, le bras gauche
arrondi en anse pour soutenir l’amphore posée sur sa tête, j’éprouve un émoi singulier.

Un désir, mon premier désir tressaille dans ma chair… »

Udinji (1905), Charles CUDELL / Alfred CUDELL (agent de la compagnie du Kasai,


1875-1908)
C’est l’histoire d’un ingénieur de mines du nom Jean Hornu (ville dans Hainaut
appelé Grand-Hornu : idéale de ville ouvrière, de nos jour c’est un Centre d’Art
Contemporain). Chargé par la compagnie Luluarienne d’explorer une région du Congo
pour vérifier s’il y a la possibilité d’y installer des mines. Juste avant le passage de
l’État Indépendant du Congo à être une colonie belge. C’est Léopold II qui gère le
territoire.
Conditions identiques à la rencontre de Courouble, ou presque. « Vénus
africaines » de Courouble : statuettes qui représentent des femmes : fertilité, de la plus
pure tradition latine.
Hornu rencontre Udinji, qui représente l’innocence de la jeune femme (voir
réaction d’Udinji face aux gens qui passent en pirogue : elle rend pas le salut). Proche
de la conception européenne de la jeune femme : pudeur, timidité…
L’idille de Hornu et Udinji ressemblerait à celui de Paul et Virginie (Bernardin
de St. Pierre) si le roman s’était arrêté là : amour idéalisé entre deux adolescents sur une
île tropicale. Mais Udinji est la fille d’un roi (Tambwé), chef de la tribu qui peuple cette
région que Hornu est censé prospecter. Udinji est déjà promise à un valereux guerrier de
la tribu (Lukussu). Il semble que dans un dialecte bantou : lukussu = grand oracle.
Les deux Lukussu (celui de Courouble et celui de Cudell) sont des personnages
révélateurs : chez Cudell d’une révélation politique : à 13 ans, Udinji avait fait un rêve :
elle épouserait un roi venu d’ailleurs. Tambwe, après avoir fait la connaissance de
Hornu, décide de rompre la promesse faite à Lukussu. But économique, commercial.
Jean Hornu se trouve premier successeur d’un roi local pour avoir épousé sa fille.
Tambwé est empoisonné par des opposants et Hornu devient roi, ce qui est favorable
pour les intérêts de la compagnie qu’il représente.
Il a un intérêt pour pacifier la région à commerce. Il est aussi profondément
épris d’Udinji. Lorsqu’il finit sa mission, il rentre en Belgique et il décide de quitter la
femme à laquelle il n’est pas marié officiellement.
Du point de vue de l’influence sur l’individu et du point de vu géopolitique –
mythe qu’on retrouve du roi blanc : par union matrimonial hérite d’un territoire.
Particularité : défense du retour de l’Afrique aux noirs passé le temps des colonies par la
descendance.
Description scientifique de territoires inconnus pour évangéliser et développer le
commerce avec l’objectif final de permettre aux gens de vivre selon les règles de
l’occident.
C’est un roman à caractère initiatique : Jean guidé par Udinji dans la région qu’il
doit prospecter.
Dimension individuel, géopolitique et institutionnelle (normes sociales et légales
du mariage, p.ex.) dans le conflit colonial.
La séparation entre Hornu et Udinji est très dure. Hésitations.

Missive d’Afrique : C. A. Cudell, Udinji, Bruxelles, Lacomblez, 1905, pp. 211-216.

« Une halte dans la brousse, le 21 mars 1904.


Mon cher Frans,

Je te trace la présente au crayon, tant bien que mal sur mon genou, et je crois,
ma parole, que je pleure en écrivant.
Il y a trois heures que j’ai quitté définitivement le village de Tambwé, et mes
hommes, couchés ci et là à l’ombre, prennent un court repos bien gagné. Quant à moi,
j’ai le cœur affreusement serré ; durant cette première étape que je viens d’accomplir
en tippoy, ma pensée a souffert un tel chemin de croix de tristesse et d’incertitude qu’il
faut que je m’épanche dans une bonne lettre amicale.
Ma pauvre petite Udinji ! J’y étais décidément plus attaché que je n’imaginais !
Je sais bien que cela passera, que lentement, à mesure que l’Europe luxueuse et
grisante s’emparera de moi, la jolie Mukamai, la maison, le village, s’estomperont dans
un nuage d’oubli. C’est même parce que je connais l’instabilité de mes sentiments et ma
faiblesse de caractère devant les entraînements du retour, c’est même pour cela que je
me suis astreint à abandonner Udinji.
Mais combien le devoir est parfois dur à accomplir ! Si tu l’avais vue, ma brave
mignonne poupée ! Si tu avais suivi, mon cher Frans, si tu avais suivi l’agonie de cette
âme pendant nos trois derniers jours ! Je voyais dans ses yeux peu à peu grandir un
affolement et je sentais sa pensée tendue vers cet unique souci de la décroissance des
heures.
Hier, elle n’a pour ainsi dire plus parlé ; par moments, elle me regardait avec
un désespoir infini : j’ouvrais les bras et elle s’effondrait contre ma poitrine, dans une
débâcle de sanglots. Alors la bienheureuse existence que depuis six mois m’a créée
cette adorable jeune femme, le charme de nos jours, l’ivresse de nos nuits, tout cela me
remontait en l’esprit, et l’âme éperdue de chagrin et d’amour, j’éprouvais des velléités
de crier :
Ne pleure plus ! Nargue à mes chefs ! Nargue à l’Europe ! Nargue à tout ! – Je
ne pars pas ! Nous irons à l’orée de la forêt hospitalière – au bord de la rivière dont le
flot clair chante si doucement – chercher quelque oasis parfumée ; nous y vivrons côte
à côte, demandant à la féconde nature vierge notre pain quotidien ; et bientôt les
enfants joufflus gambaderont autour de nous et notre rêve d’amour nous aura faits les
premiers colons de l’idéale colonie patriarcale que le Congo réserve à ceux qui croient
en lui !
… Je me demande, mon cher Frans, si ce n’eût point été la vraie sagesse d’agir
ainsi ! Mais le devoir ! Ce même devoir qui me force à quitter la pauvre Udinji, il
m’impose aussi de rentrer en Europe et je sais trop, si je descends au fond de ma
conscience, le piètre usage que j’ai fait de mon précédent congé pour n’avoir pas un
peu peur de cette Europe ensorceleuse où l’argent glisse entre les doigts et où la vie,
pour cet enfant prodigue qu’est « l’Africain », semble une absinthe évocatrice
d’extraordinaire et dont, même ivre-mort, on ne se sent pas rassasié.
Tu te doutes de ce que fut notre suprême nuit : nuit de larmes, nuit d’étreintes
folles. À l’aube, Udinji, blottie contre moi, de nouveau m’a supplié de l’emmener,
proposant de sa personne les sacrifices les plus fous, offrant de disparaître dès que
nous débarquerions « dans mon pays », avec cette intuition bien féminine de mes
appréhensions.
Crois-moi, j’ai dû faire appel à toute ma force de caractère et me cramponner à
mon irrévocable décision ! Udinji m’a jugé horriblement cruel et brutal ; cette âme
primitive ne soupçonne pas quels enfers sont nos villes de civilisés, sous quel joug de
préjugés nous y vivons. Même convaincu, pénétré des meilleurs intentions, ne
commetrais-je pas une infamie en arrachant cette enfant de la nature à la confraternité
et à la candeur de son milieu ? À supposer même que je trouve en moi l’énergie de la
fidélité, mais le qu’en dira-t-on, mais lui, mais toi, mais tout le monde me détournera de
ma folle passion ! Et cette Négresse, fille de roi, quelle autre issue aura-t-elle que de
livrer son corps admirable au lupanar ?...
Les dernières heures ont fui très vite. J’ai usé mon énervement à réitérer à
Mampuia, nommé chef du poste d’achats, les fastidieuses recommandations vingt fois
redites. Je pars tranquille sous ce rapport : Mampuia est un homme de confiance, d’une
honnêteté à toute épreuve, et j’ai la certitude, lorsque je reviendrai à Tambwé en
voyage d’inspection, de retrouver la factorerie en plein essor.
Ô ce voyage d’inspection ! C’est la bouée de sauvetage à laquelle s’est
raccrochée Udinji ; elle va vivre un an, deux ans, dans l’expectative de ce retour. Celui
fait une consolation, l’éventualité, il semble que cela ferme le vide immense que mon
départ crée autour d’elle ! Le droit d’attendre, n’est-ce point déjà une vague réalisation
de l’espérance ?
Kasongo et les principaux habitants de Tambwé m’ont solennellement
accompagné jusqu’au boma. Ces braves gens étaient véritablement émus de mon départ
et j’ai vu deux grosses larmes dans les yeux de Kasongo. Le grand chef m’a juré de
veiller sur la factorerie et de faire tout le possible auprès de ses bilolos, afin de faire
s’augmenter la production de caoutchouc et d’ivoire. »

Hornu a gardé la conscience de son prochain départ, il considère peut-être tout


ça comme aventure mais… douleur, rhétorique de deux mondes incompatibles. Système
de valeurs hiérarchisées où les uns (les blancs) sont capables de s’adapter à une réalité
nouvelle, tandis que les autres (les colonisés) ne le sont pas.
Il craint de ne pas pouvoir respecter son amour pour elle une fois en Europe. Il
craint aussi la vie qu’elle pourrait mener : préjudices : il croit qu’elle ne trouvera pas
son équilibre en Europe. Il ne la croit pas capable de s’adapter (il est victime d’un
préjudice).
Il fait une description ambiguë de l’Europe : d’une part il critique les mentalités
et d’autre il est attiré par la vie qu’il y avait abandonnée.
Ses alternatives : rester en Afrique, amener Udinji, abandonner Udinji.

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