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Communication internationale et communication interculturelle

c­ ommunes aux deux domaines en question. D’un côté, le chercheur


ne peut se soustraire de l’équation qui le place en présence de ses inter-
locuteurs. D’un autre côté, les sujets, eux, ne peuvent se réduire à de
simples répondants à l’enquête et au questionnaire administrés par le
chercheur. C’est donc affirmer que, sur le plan éthique et théorique, le
retour du chercheur sur soi, sa réflexivité, est un impératif ­philosophique
qui engage les deux champs.
En troisième lieu, l’effort (épistémologique) de compréhension
du monde des sujets implique la contextualisation (méthodologique)
de ce monde, sa mise en valeur dans, et non en dehors de, toute sa
complexité (théorique).
En quatrième lieu, et sur un plan beaucoup plus concret : dans le
contexte actuel de mondialisation des rapports économiques, politiques,
technologiques et militaires, mondialisation des rapports de force contre
« le terrorisme » ou contre « l’impérialisme », on ne peut plus faire l’éco-
nomie des enjeux qui lient ou qui défont les rapports entre les popula-
tions de la planète. En d’autres mots, se pencher sur le phénomène
d’intégration des immigrants dans un pays d’immigration, c’est inévi-
tablement retourner au regard que les premiers portent sur les rapports
du second avec leur milieu de départ.
Ainsi, ontologiquement, il n’y a pas d’international sans l’inter-
culturel, son pendant, ni d’interculturel sans l’international, son miroir.
Par conséquent, nous pouvons traduire ces quatre lieux de rencontre à
travers les éléments qui suivent, tels qu’illustrés par des auteurs ou des
ouvrages que nous considérons communs et incontournables aux deux
domaines :
• La prise en compte du contexte ;
• la communication comme rituel ;
• la figure de l’étranger et l’entre-deux thématique ;
• la posture de l’ethnographe ;
• l’être ici, l’être là-bas ;
• les compétences des intervenants.

2.1. La figure de l’étranger et l’entre-deux thématique


Écrits par Alfred Schütz, respectivement en 1944 et 1945, L’Étranger et
L’Homme qui rentre au pays sont deux essais fondamentaux à la compré-
hension de cette figure. L’immigrant, qu’était Schütz d’ailleurs depuis
son exil d’Allemagne vers les États-Unis en 1940, est celui qui a été élevé
dans un « modèle culturel » donné, « allant de soi », et qui, du jour au
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lendemain, doit tout remettre en question. C’est-à-dire, remettre en


question toutes les « recettes » de la vie quotidienne qu’il a intériorisées
et partagées avec les gens de sa terre natale.
Mais, l’étranger n’est pas uniquement l’immigrant. Il est aussi
l’exilé, le soldat, l’immigré, celui qui rentre au pays après plusieurs
années d’absence. D’ailleurs, c’est ce qui rend ces deux essais pertinents
dans les deux champs interculturel et international.
Qu’il soit dans l’un ou l’autre cas, l’étranger est un individu dont
le regard sur le monde qui l’entoure est neuf, distant et critique. Ainsi,
Schütz évoque trois caractéristiques de l’étranger : son objectivité, l’ambi­
guïté et l’ambivalence de sa loyauté envers son milieu d’accueil (nou-
veau pour l’immigrant, ancien pour l’homme qui rentre au pays) et sa
position d’entre-deux cultures. L’étranger a ainsi perdu ses repères, ses
« recettes » d’antan et tente d’injecter son expérience passée aux repères
et aux recettes du nouveau milieu. De là émergent son objectivité et sa
distance critique face au monde qui l’entoure. L’étranger se laisse moins
manipuler et conditionner par les idoles de la nouvelle tribu.
L’immigrant est placé entre deux vies sociales différentes : il
­ ’accepte pas la totalité du nouveau modèle culturel comme « attitude
n
naturelle » et appropriée de vivre, mais ne peut adopter, dans sa totalité,
le mode de son milieu d’origine. Souvent, s’il ne devient pas un être
marginal, exclu de l’une et de l’autre culture, il devient un être hybride,
un entre-deux, qui évolue à la frontière des deux.
Quant à l’homme qui rentre au pays, on peut y retrouver les deux
cas de figure inversés de l’immigrant : il ne reconnaît plus son milieu
d’origine, en raison de son expérience de l’ailleurs, expérience à laquelle
ses contemporains n’ont pas participé. Il ne le reconnaît pas non plus
du fait que l’expérience de ses contemporains pendant son absence lui
a aussi échappé. Ainsi, si l’immigrant doit s’attendre à être mal compris
et à devoir appréhender la nouvelle culture avec ses propres recettes,
l’homme qui rentre au pays, lui, doit s’attendre à replonger dans la
familiarité. Il croit « retourner » chez lui, mais constate vite la rupture,
la frontière expérientielle qui le sépare de ses anciens cadres culturels.
Il n’a plus accès à ce « système de pertinences » des autres.
Ce fut le cas d’Ulysse, tout comme c’est le cas du vétéran de
guerre ou du soldat qui revient du front, souligne Schütz. C’est égale-
ment le cas de l’immigrant qui revient dans son pays d’origine, ou celui
qui revient dans sa ville ou village natal, après plusieurs années
­d’absence, ou encore celui qui revient dans son pays après un long
séjour à l’étranger. Ils font tous face à la rupture de leurs cadres culturels
et de la routine quotidienne.
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Goûter donc à l’étrangeté, aux ruptures des cadres et des systèmes


de pertinence, dans un cas comme dans l’autre, fait partie des compé-
tences essentielles à la compréhension de l’autre. Par ailleurs, cette rup-
ture qui peut s’opérer dans des micromilieux étrangers au chercheur au
sein même de sa propre société, a l’avantage de changer les perceptions
de ce dernier qui verra la vie, la sienne et celle des autres, autrement.
C’est ainsi que l’entre-deux thématique devient une plaque
t­ ournante pour les deux domaines de recherche : l’altérité, l’étrangeté
et la figure de l’autre, soit-il un autre proche ou un autre lointain, font
partie de cet entre-deux.
L’Altérité constitue, pour ainsi dire, le noyau dur de tout
­ uestionnement interculturel et international. Car si dans la commu-
q
nication internationale l’autre désigne ceux et celles qui vivent dans un
autre pays, il désigne, dans la communication interculturelle, des por-
teurs de cultures différentes en interaction au sein d’un même pays,
d’une même société. Mais, et c’est là le nœud de notre argument, le
mécanisme de construction de l’autre demeure le même dans les deux
cas. Il repose sur l’imagination hostile ou affectueuse (sans juger de
l’arrière-fond philosophique de cette hostilité ou de cette affection)
déclenchée par la « découverte » de l’inconnu.
En communication interculturelle, la figure emblématique de
l’étranger prend surtout la forme de l’immigrant, traité sous plusieurs
angles considérés séparément ou ensemble : celui qui a émigré de son
pays d’origine, celui qui s’intègre à la société d’accueil ou celui qui
retourne à l’occasion dans son pays natal. Il prend aussi, hélas, la figure
de ses descendants, considérés comme des hybrides face à leur identité
et dont l’angle de traitement est souvent celui de leurs allégeances ou
conflits identitaires et culturels. Parallèlement, cette figure peut aussi
être celle de l’enclavé qui passe de génération en génération dans son
huis clos culturel, pas tout à fait immigrant ni complètement citoyen
(aux yeux des autres), à la fois inclus et exclus.
En communication internationale, la figure emblématique de
l’étranger prend la forme de l’indigène, de l’autochtone que l’on vou-
drait découvrir, dont on souhaite scruter les conditions de vie, la culture,
les problèmes d’ajustement face aux nouvelles technologies ou, la
­plupart du temps, ses réactions face aux changements, son (sous-)
­développement. Également, on peut vouloir examiner une petite com-
munauté minoritaire dans ses relations avec la majorité ou l’État. C’est
ainsi que le rôle et les actions des organismes locaux et internationaux,

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