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jLa déperdition scolaire;

un problème mondid.

Une étude préparée pour le par L.Pauli


Bureau international Département de pédagogie
d'éducation Ecole de psychologie et
des sciences de l'éducation
Université de Genève
(Suisse)
et
M.A.Brimer
School of Education
University of Bristol
(Royaume-Uni)

Unesco: BIE
Paris - Genève
1971
Etudes et enquêtes
d'éducation comparée
Titres dans cette série

La déperdition scolaire:un problème mondial


Une étude statistique de la déperdition scolaire
I -\

Publié en 1971 par


l'organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la
culture
Place de Fontenoy, Paris 7e
Imprimé par Courvoisier S.A.,
La Chaux-de-Fonds(Suisse)
O Unesco 1971
Préface

Lorsqu'en 1969, le Bureau international d'éducation devint partie inté-


grante de l'Unesco, les fonctions du Bureau furent réévaluées de façon à
mieux se conformer aux besoins actuels. La définition de celles-ci, telle
qu'elle fut adoptée par le Conseil du BIE, met l'accent sur une méthode
visant à aborder les problèmes de façon directe et propose comme critère
d'évaluation des améliorations pratiques dans le processus de l'éducation
résultant du travail effectué par le Bureau.
Conformément à cette politique, les travaux ont été entrepris selon
un ordre quelque peu modifié. A u cours des années 1969 et 1970 le BIE
mena une enquête sur le problème de la réduction de la déperdition des
effectifs scolaires. Les résultats en furent incorporés dans un bref docu-
ment de travail qui fut envoyé avant la réunion de la Conférence inter-
nationale de l'éducation (1970) et qui servit de base à la discussion lors de
la Conférence elle-même(Genève, 1,-10juillet 1970). La Conférence adopta
sur ce sujet une recommandation (No 66), dont le texte figure en annexe à
cette étude. Le rapport final de la Conférence fut publié peu après.
Cet ouvrage cherche à couvrir tout l'éventail des problèmes soulevés
par l'enquête internationale:les politiques et les problèmes, les faits et les
résultats de la recherche, les discussions et les conclusions, tels qu'ils res-
sortent du processus décrit ci-dessus.I1 devrait offrir aux éducateurs dans
les Etats membres une synthèse des connaissances actuelles en la matière
afin de promouvoir une meilleure compréhension du processus éducatif,
de susciter des améliorations ou des réformes et de stimuler des recherches
ultérieures.
O n a jugé préférable de donner à cette synthèse,tant du point de vue
de sa conception que de ses objectifs, un caractère plus professionnel
qu'administratif. C'est pourquoi le Secrétariat a chargé de ce travail deux
consultants qui, dès le début, ont été étroitement associés à cette enquête :
le professeur L.Pauli,directeur du Département de pédagogie de l’Ecole
de psychologie et des sciences de l’éducationà l’universitéde Genève,et
M.A.Brimer,chef de la Divisionde la recherche à l’Ecolede pédagogie de
l’universitéde Bristol.
Les deux auteurs ont préparé leur texte en étroite collaboration l’un
avec l’autre,d’une part,et avec le personnel du BIE,d’autre part,chacun
d’euxétantresponsable de laversion parue danssa propre langue.Lesvues
exprimées ne sont par conséquent pas nécessairement celles de l’Unesco.
Si cet ouvrage examine tous les aspects de la déperdition d‘effectifs
dans les écoles,il s’est avéré que le traitement statistique de la question
avait soulevé un intérêt considérable.Le Secrétariaten a conclu que cela
justsait un second ouvrage qui en étudierait de façonplus approfondie les
aspects méthodologiques. C‘est l’Office des statistiques de l’Unesco qui a
été chargé de l’élaborationde ce volume qui va paraître sous le titre:
Etude statistique de la déperdition scolaire.
I1 ne reste plus au Bureau international d’éducation qu’à remercier
tous les organismes officiels,les institutions et les personnes qui ont colla-
boré à cette étude,notamment les deux auteurs qui n’ont pas reculédevant
la tâche formidable qui consistait à essayer de refléter dans un si bref
ouvrage la masse des informationsréunies.Les commentairesdes lecteurs
serontnaturellementles bienvenus,et le Bureau faitle vœu que,grâce à un
échange internationald’idées,la scolarisationdes enfants du monde entier
s’en trouve améliorée.
Table
des matières

Préface

Chapitre 1 La nature du problème 9


2 Aperçu général de la littérature 25
3 Ampleur et localisation 43
4 Facteurs internes:
problèmes et remèdes 68
5 Facteurs externes :
problèmes et remèdes 93
6 L’enquête de 1969 et la Conférence de
1970 117
7 Conclusions 139

Annexe 1

Recommandation No 66 concernant
l’amélioration et l’efficacité des
systèmes d‘éducation, en particulier
par la réduction des déperditions
d’effectifs à tous les niveaux de
l’enseignement 147

Annexe 2

Bibliographie sélective:
ouvrages mentionnés
dans le chapitre 2 155
Chapitre un

La nature du problème

Le terme ((déperdition)), appliqué à l'éducation, a une résonance insolite


et les éducateurs lui reprocheront peut-êtrede dépersonnaliser ce qui est
essentiellement un processus individuel de croissance.I1 appartient à la
langue des économistes et semble assimiler l'éducation à l'industrie, où
des capitaux sont investis dans des usines,OU des matières premières sont
transformées en produits finis.I1 serait préférable de parler d'«échec sco-
laire)). I1 est toutefoisindéniableque,du point de vue des ressourceset des
dépenses d'une nation,i'éducation est la plus grande activité économique
du monde. Que gaspille-t-on?Les connaissances,les bâtiments scolaires,
le matériel dans les écoles,le travail des maîtres. Comment savons-nous
qu'il y a déperdition? Parce que les pays ne parviennent pas à atteindreles
objectifs qu'ils se sont assignés en matière d'éducation.Dans quelles cir-
constances se manifeste cet échec? Lorsque les enfants ne parviennent pas
au niveau d'instruction requis,lorsqu'ils redoublent des années d'études,
lorsqu'ils quittent l'école prématurément,lorsqu'ils ne trouvent pas d'em-
ploi au terme de leurs études.
Telles sont en quelques mots les réponses que l'on peut donner aux
questions relatives à la nature de ce problème,étant entendu qu'il revêt,
dansles Etats membres de l'Unesco, des formestrès diversesqui en compli-
quent inévitablement l'image. C'est pourquoi, bien que l'enseignement
postscolaire et l'enseignement supérieur méritent également de retenir
l'attention, le présent travail doit se limiter aux niveaux primaire et secon-
daire.Afin de mieux définir la nature précise de la déperdition scolaire aux
deux niveaux qui nous intéressent ici,il est indispensable d'examiner le
problème de plus près. O n peut considérer que la déperdition scolaire se
manifeste par l'inaptitude du système:
à dispenser un enseignement universel;
à recruter les élèves;
10 L a déperdition scolaire :un problème mondial

à retenir les élèves;


à ñxer des objectifs appropriés;
à atteindre ces objectifs.

INAPTITUDE A DISPENSER U N ENSEIGNEMENT UNIVERSEL

La Déclaration des droits de l’enfant(1959) proclame le droit de l’enfant


à l’éducation,et un pays qui ne dispense pas un enseignement à tous les
enfantsmanque à son devoir.I1 gaspille aussi une partie de ses ressources
humaines en ne les mettant pas en valeur.Cela ne signifie pas que tous ces
pays soient coupables.U n grand nombre d’entreeux ne sont pas écono-
miquement à même de donner un enseignement à tous,mais,dans la me-
sure OU ils ne le peuvent ou n’y sont pas aidés,le monde entier s’entrouve
appauvri.
I

I N A P T I T U D EA R E C R U T E R LES ELEVES
Le fait qu’enmatière d’éducationla demande est généralement plus forte
que l’offre et l’existence de prescriptions légales fixant l’âge auquel les
enfants doivent être scolarisés contribuent à diminuer l’incidence de la
deuxième source de déperdition dans l’enseignementaux niveaux primaire
et secondaire.I1 faut cependantexaminer ces formesde déperditions pour
les enfants qui ont dépassé l’âge de la scolarité obligatoire.C‘est en effet
là l’un des facteursles plus importantsdans l’enseignementpostscolaireet
supérieur.Le recrutement dans les secteursnon obligatoires d’un système
d’éducation dépend de la mesure dans laquelle les élèves et leurs familles
identifient les objectifs et le contexte de l’éducation avec leurs propres
aspirations.

INAPTITUDE A RETENIR LES BLÈVES

Cette inaptitude aussi, dans les secteurs obligatoires de l’enseignement


tout comme dans les autres,dépend de facteurs externes et internes.Les
conditions sociales et économiques sont parfois telles que l’écolene peut
retenir les enfants comme elle le voudrait. I1 y a cependant beaucoup à
faire pour adapter le système aux conditions extérieures,de façon que la
perte ne soitpas totale.En revanche,le système est beaucoup plus directe-
ment responsable des abandons en cours d’études qui se produisent par
suite d’unéchec scolaire.Etant donné qu’un système devrait être à même
de réduire ces deux causes d’abandons,celles-cisont à juste titre consi-
dérées comme des formes de déperdition.Pour de nombreux pays,néan-
L a nature du problème 11

moins,le nombre de places disponiblesdansles écolesdiminue d’un niveau


à l’autre,de sorte qu’ilserait erroné de supposer que toutes les nations ont
l’intentionde retenir, du début à la fin du système,tous les enfants initiale-
ment scolarisés.I1 est raisonnable toutefois de penser que le but poursuivi
dans un pays est de retenir tous les enfants recrutés dans un cycle jusqu’à
l’accomplissementdes objectifs de ce dernier.Une estimation de la déper-
dition devrait comprendre un indice d’abandon qui ait trait au rapport
entre le nombre d‘élèves quittant prématurément l’école et celui des en-
fants recrutés au début de chaque cycle.

INAPTITUDEA F I X E R DES OBJECTIFS APPROPRIES

Les pays diffèrent dans la manière dont ils déterminent les objectifs du
système d’éducation,dans son ensemble et pour chacun des éléments qui
le composent.Dans la plupart des cas le facteur qui exerce peut-êtrele
plus d’influencesur la déterminationdes objectifs découle de la conception
traditionnellede ceque devraitêtre une personne instruite.Lesprogrammes
et les processus pédagogiques qui,pendant des dizaines d‘années et même
pendant des siècles,ont répandu cette conception de l’hommeinstruit con-
tinuent d’exercerune influence certaine sur les buts de l’éducation.
L‘idëe qu’on se fait de la nature de l’enfance a exercé une influence
tout aussi importante sur la pédagogie moderne. La psychologie de l’en-
fant insiste sur la notion d’une éducation destinée aux enfants tels qu’ils
sont et non pas tels qu’on voudrait qu’ilsdeviennent.Avec le développe-
ment de la planificationéconomique,et à partir du moment où l’onadmet
qu’il existe un rapport entre le produit de l’éducationet les besoins de
l’économie en main-d’œuvre,un troisième facteur important est apparu
dans la détermination des objectifs de l’éducation.C‘est ce que montrait
l’un des délégués dans une déclaration faite à la Conférence de 1970:
«Dansle plan de développement,il y a un rapport étroit entre les investis-
sements et la main-d’œuvrequalifiée employée dans les divers secteurs de
l’industrie,et nous devons aujourd’hui faire face à une situation tragique
caractérisée par le chômage de personnes qui ont reçu une formation
orientée vers des emplois particuliers, la raison en étant que le rapport
entrel’enseignementet la main-d’œuvrequaliiiée a été établi sans qu’ilsoit
réellement tenu compte de l’évolution industrielle;à cela s’ajoute le fait
que la situation du commerce extérieur a des répercussions,directes ou
indirectes,sur le produit final de l’éducation)).
L’absence d’harmonie entre les exigences d’un enseignement adapté
à la personnalitéde l’enfant,à la formation d’adulteséquilibréset capables
dejugementet à la préparation de la main-d’œuvrenécessaireà l’économie
12 La déperdition scolaire: un problème mondial

traduit l’inefficacitéd’unsystème d’éducation (encore qu’ilne s’agissepas


d’une inefficacité interne). Cette troisième source de gaspillage a notam-
ment ceci de particulier qu’ellese traduitpar des symptômesde déperdition
plus apparents que les deux autres. Cependant, aussi souhaitable qu’il
puisse être de mesurer la déperdition comme si elle représentait l’ineffica-
cité,nous ne disposons pas actuellement des concepts et des instruments
nécessaires pour le faire.Et - ce qui rend difficilesles comparaisonsinter-
nationales - il appartient à chaque pays de fixer ses propres objectifs et
de déterminer s’ils ont été atteints ou non.

INAPTITUDE A ATTEINDRE CES OBJECTIFS

O n parle d’inefficacité si la productivité du système,par unité de temps,


est inférieure à ce qu’elle devrait être. Pour que cette affirmation ait un
sens,il fautla traduireen termes pédagogiques:elle signiñeque des enfants
admis dans une partie du système ne réussissent pas à atteindre le niveau
requis.Mais les pays ne déterminent pas tous de la même manière le degré
de réalisation des objectifs dans le cadre des pratiques scolaires établies.
Certainsfixent une série de seuils que l’élèvedoit franchirpour passer dans
la classe supérieure.Ces seuils peuvent être dépassés ou atteints plus rapi-
dement,mais la promotion n’en est pas pour autant plus rapide puisque
la classe correspond à une année scolaire entière et qu’elle est uniforme.
L‘école détermine si l’élève a atteint le niveau requis,soit d’aprèsle travail
fourni pendant l’annéescólaire, soit d’après les résultats à un examen de
fin d’année.Ce niveau est tel qu’unepartie seulement de l’effectif total est
censée l’atteindre.Les élèves qui ne réussissentpas à franchir ce seuil re-
doublent leur année ou quittentl’écolesi la loile permet.Le redoublement
peut être considéré comme une déperdition en ce sens que deux places par
année d’études sont requises,alors que le système n’en prévoit qu’une.
((Qu’est-ce qui a été gaspillé?)), peut-on se demander. Logiquement,il
faudrait répondre que ce sont les ressources investies au cours de la pre-
mière année et l’investissementreprésentépar la personne même de l’élève.
I1 est peu probable cependantque cette première année ait été entièrement
perdue. Si l’enfant redouble purement et simplement sa classe, il perd
également une partie de la deuxième année à refaire ce qu’ila déjà fait et
par là-mêmeà s’ennuyer.Les inconvénientsdu redoublementne résultent
pas seulement d’une répétition superflue des efforts d’enseignement et
d’uneperte de temps pour les élèves, mais aussi du fait que ces derniers
sont par la suite moins motivés.
L’existence de différences individuelles dans le rythme et le mode
d’apprentissageconduit certainspays à adopter une autre procédure pour
La nature du problème 13

h e r les objectifs,en évaluer la réalisation et prendre les dispositions dé-


coulant de cette évaluation. La première grande différence est que les
objectifs ne sont pas considérés comme uniformes pour tous les enfants
d’un âge et d’un niveau scolaire donnés. Ils sont différenciés de manière
que chaque enfant ait un rendementmaximum,par rapport au niveau an-
térieurement atteint et à son rythme d‘apprentissage.Ainsi,les enfants du
même âge se trouvent généralement groupés,mais leurs études se situent
à des niveaux différents.S’iltend à s’établirdes normesrelatives au niveau
à atteindre en fonction de l’âgedes élèves et de la durée de la scolarité,il
ne s’agitpas de seuils absolus qui décident du sort de l’élèvepour l’année
suivante.L‘évaluation,la décision et les mesures qui en découlent sont
généralement continues et ne se font pas à la fin de l’annéescolaire.I1 n’y
a guère de redoublementsdans ces systèmes,non pas parce que «la pro-
motion est automatique)), mais parce que l’apprentissageest considéré
comme continu.Néanmoins,les systèmescomme celui-là,qui ne connais-
sent pratiquement pas de redoublements,ne peuvent échapper à la plani-
fication,processus selonlequel on fixedes objectifs tant en ce qui concerne
les niveaux d’étudesque le nombre d’élèvesqui les atteignenten un nombre
donné d’annéesscolaireset à un âge déterminé.Peut-êtreest-cepar suite du
souci d’assurer un apprentissage continu que la pladcation est moins
évidente dans ces systèmes et que leur efficacité ne donne pas lieu à une
évaluation,faute de critères permettant de déterminer si les objectifs ont
été atteints. O n aurait cependant tort de supposer,parce qu’il n’estpas
aisé de déceler l’écart entre le niveau atteint et les objectifs prévus, qu’il
n’y a pas de déperdition.Elle existe en fait par suite d’un investissement
excessif de ressources,de l’insuffisancedu niveau atteint et de la diminu-
tion de la motivation des élèves. U n exemple illustrantbien le troisième de
ces facteursest fourni par les écoles où l’on s’efforcede répondre aux dií€é-
rences individuellesen créant des groupes d’enseignement théoriquement
homogènes du point de vue du niveau des élèves et du rythme d’appren-
tissage,avec toutefois pour conséquenceune diminution de la motivation
dans les groupes inférieurs et un abaissement du niveau qu’ils sont censés
atteindre.La déperdition y est mesurable,mais les méthodes d’évaluation
ne sont pas encore suffisamment au point pour que l’on puisse effectuer
une comparaisonavec les systèmes qui pratiquent une sélection par année
d’études.

BREVE ANALYSE DES SYSTEMES D’ÉDUCATION


Ces quelques remarques sur la diversité des manifestations de la déperdi-
tion scolaire met en évidence le fait que l’on ne peut définir,analyser et
14 La déperdition scolaire: unproblème mondial

comparerles déperditions que si l’on connaîtles caractéristiquesdes divers


systèmes d’éducation.Les dBérences les plus importantes dépendent de
la durée de la scolarité obligatoireet de la méthode suivie pour diviser en
classes ou étapes scolairesla période qui s’étend entre les âges de 5 à 6 ans
et ceux de 18 ou 19ans.Ces deux variables permettent de définir trois types
de systèmes.I1 existe bien entendu un grand nombre d’autres différences,
mais elles sont mineures si on les compare aux deux caractéristiques qui
aident à déterminer dans quelle mesure les systèmes sont exposés aux dé-
perditions d’effectifs scolaires.
Dans les systèmes de type A,la scolarité obligatoire s’étend sur une
période de huit,neuf ou dix ans.Pendant cette période,l’enseignement y
est continu et polyvalent; il forme un tout indivisible, indépendant de
toute méthode de sélection ou d’examen.Vient ensuite un cycle supérieur
ou secondaire,facultatif,d’une durée de trois à cinq ans,certainsétablisse-
ments préparant aux études supérieures,d’autresdonnant une formation
professionnelleou technique,d’autres encore dispensantun enseignement
commercial,agricole,etc.
Dans les systèmesde type B,la scolarité obligatoire dure huit ou neuf
ans,ou davantage;elle comprend un enseignement primaire d’une durée
de cinq à six ans et un enseignement secondaire du premier cycle qui dure
trois ou quatre ans ou va jusqu’àla fin de la scolarité obligatoire.Le pro-
gramme de l’enseignementprimaire est généralement le même pour tous;
au terme de celui-ciintervient une sélection destinée à répartir les élèves
entre des sections différentes au programme spécifique.Ainsi,vers 11 ou
12ans,les élèves sont déjà orientésvers le type d’étudesqu’ilspoursuivront
ultérieurement.La période de scolarité obligatoireest suivied’undeuxième
cycle de l’enseignement secondaire, facultatif, d’une durée de trois ou
quatre ans,dont l’organisationcorrespond à celle de la deuxième étape du
type A.
Dans les systèmes de type C,la scolarité obligatoire s’étend sur cinq
ou six ans. L’enseignement primaire occupe toute cette période qui est
suivie d’un enseignement secondaire du premier cycle,facultatif, d’une
durée de trois ou quatre ans,dont l’organisationest analogue à celle de la
deuxième étape des systèmes du type B.Dans de nombreux pays en voie de
développement,il existe des écoles professionnellesde ce niveau.Ensuite,
l’enseignement secondaire du deuxième cycle s’étend sur une période de
trois ou quatre ans et,à nouveau,son organisationest analogue à celledes
systèmes du type B.
Dans les pays en voie de développementen particulier,mais non pas
exclusivement,on distingue deux attitudes différentes à l’égard de la sco-
larité obligatoire: soit elle fait l’objet de dispositions légales mais n’est
L a nature du problème 15

qu’imparfaitementappliquée;soit la scolarisation générale esten voie de


réalisation,mais aucune loi relative à l’obligation scolaire n’a encore été
adoptée.La plupart de ces pays ont des systèmesd’éducation du type C;il
y en a quelques-unsdu type B. D’autre pays s’entiennent à une interpré-
tation stricte du principe de la scolarité obligatoire et l’appliquentavec
succès.Souvent,dans ces pays,il existe un enseignement facultatif supplé-
mentaire de deux ou trois ans que suivent 80%environ des élèves qui sans
cela auraient quitté l’école.Ainsi,même là où il n’existepas de loi ou de
disposition légale sur la fréquentation scolaire,il arrive que le pouvoir de
rétention de l’école soit supérieur à ce qu’il est dans d’autres pays où
l’obligation scolaire est prévue par la loi.
En outre,qu’ils soient ou non du même type,les systèmes diffèrent
selon l’usage qu’ils font des examens. Ceux-cipeuvent servir à certifier
que l’élève a terminé avec succès une étape scolaire;il est courant d’uti-
liser ces résultats pour l’admission à l’étape suivante.Certains systèmes
exigent pourtant un nouvel examen pour l’entrée dans le cycle suivant ou
dans une partie de celui-ci.Les arguments avancés en faveur des examens
de sélection sont les uns d’ordre pratique, les autres d’ordre théorique.
L‘argument d’ordrepratique est qu’iln’y a qu’unnombre limité de places
et qu’elles doivent être accordées à ceux à qui elles profiteront le plus.
L‘argumentthéorique est que ceux qui accèdent à l’étapesuivante doivent
avoir atteint un niveau supérieur au minimum exigé pour la fin de l’étape
précédente. Le premier de ces arguments est incontestable,mais le se-
cond est sujet à caution. Quelles que soient les raisons invoquées pour
justifier les examens, il est indubitable qu’ils ont des répercussions cer-
taines sur l’augmentationdu nombre des abandons ou des redoublements.
Malgré l’absencede données statistiques relatives à ces répercussions sur
la déperdition scolaire dans les Etats membres de l’Unesco,le sujet a une
telle importance qu’il sera traité plus en détail.Mais, auparavant,il im-
porte de bien comprendre les symptômes de base de la déperdition en
fonction des types de systèmes dans lesquels ils se manifestent.

ABANDONS EN COURS D’ETUDES


L‘analysesommaire des systèmes d’éducationmontre de manière évidente
que l’on doit faire intervenir la notion d‘étape scolaire si l’on veut
définir la notion d’abandon prématuré. Il s’ajoute à cela des raisons
-
d’ordre international;sans cette notion il serait impossible d’établir des
statistiques comparables entre Etats dotés d’un système d’éducation de
même type.Quant à la comparaisondes statistiquesétablies pour des pays
où les systèmes d’éducation sont de types différents,elle restera toujours
16 L a déperdition scolaire: un problème mondial

problématique. Pour les raisons déjà indiquées, nous entendons ici par
abandon en cours d’études le fait qu’un élève quitte l’école avant la fin de
la dernière année de l’étape dans laquelle il est inscrit.
I1 résulte de cette définition que le fait de quitter l’école après la fin
d’une étape obligatoire sans aborder l’étape suivante ne constituerait pas
un abandon en cours d’études.Si,dans un système d’éducation donné, on
estime par exemple qu’au terme d’un cycle de six ans d’enseignement pri-
maire ou de base, il suíñt que 30 % seulement des élèves du groupe d’âge
correspondant abordent le premier cycle des études secondaires, on ne
considérera pas que les 70 %qui quittent définitivement l’écoleet trouvent
un emploi appropriéont abandonné prématurément leurs études.De même,
si la politique adoptée par un pays veut que tous les enfants accomplissent
au moins neuf années d’études, mais que la moitié seulement d’entre eux
entrent ensuite dans l’enseignement secondaire, on ne peut considérer
comme déperdition scolaire l’autre moitié. D u point de vue de l’efficacité
interne du système scolaire, ils ((mettent fin» à leurs études, sans pourtant
les avoir abandonnées ((prématurément».
I1 est évident qu’un taux d’abandons élevé dans le premier cycle des
systèmes du type B ou C est très grave. Non seulement il révèle de façon
symptomatique le mauvais fonctionnement du système, mais, étant donné
que le cycle lui-même est court, les élèves qui abandonnent avant la fin
n’ont probablement pas suffisamment consolidé leurs connaissances de
base pour qu’elles résistent à l’oubli. O n sait maintenant que ceux qui
abandonnent leurs études dans les premières années de leur scolarité
risquent beaucoup plus de redevenir analphabètes que ceux qui terminent
le cycle. Il en va de même pour les abandons qui se produisent pendant
les années d’études correspondantes des systèmes de type A. E n revanche,
un abandon durant la septième ou la huitième année signiíie, il va sans
dire, une perte par rapport aux objectifs du système; pourtant il n’aura
vraisemblablement pas pour conséquence une perte totale de l’acquis
scolaire. E n général, quand les systèmes de type A ont les mêmes taux
d’abandons par année d’études que ceux des types B ou C,ils ont de fortes
chances d’être moins efficaces en matière de formation de diplômés du
premier cycle. O n voit donc qu’il faut être prudent quand on compare des
systèmes de types différents du point de vue des déperditions imputables
aux abandons en cours d’études.
Dans le second degré,la notion d’abandon revêt un caractère beaucoup
plus complexe.Le fait de ne pas achever une étape (entre 12 et 15 ans ou
15 et 19 ans) reste un signe de mauvais fonctionnement d’autant plus signi-
ficatif qu’il a été procédé à une sélection à l’entrée.E n outre, si des indices
communs peuvent être utilisés pour signaler le mauvais fonctionnement mis
La nature du problème 17

en évidence par les abandons, l’ampleur du problème et les comparaisons


entre pays sur la base de ces indices sont faussées par la diversité des sys-
tèmes,notamment par la différence des taux de scolarisation. Si - il s’agit
là d’un exemple théorique -dans deux Etats dotés de systèmes d’enseigne-
ment comparables (Bou C),le taux d’abandons au cours de la deuxième ou
troisième étape est sensiblement le même,mais que, dans le premier, le
taux de scolarisation est de 80%O, alors que, dans le second,il atteint seule-
ment 25 %, l’ampleur relative de la déperdition imputable aux abandons
n’est pas identique quand bien même,dans les deux cas, il y a perte.
Dans les pays où les systèmes scolaires sont du type B ou C,il existe
souvent, de fait, une valeur de prestige attachée à certaines sections de la
deuxième étape, même si cela n’est pas explicitement reconnu par la loi.
Les autorités scolaires et l’opinion publique admettent couramment qu’une
école secondaire classique vaut mieux qu’une école secondaire scientifique
qui, elle-même,vaut mieux qu’une école professionnelle ou préprofession-
nelle ou que les classes primaires parallèles. Un élève peut abandonner
une école considérée comme ((supérieure)) pour entrer dans une école
supposée ((inférieure)). Ce passage d’un établissement à l’autre ne peut
guère être envisagé comme un abandon au même titre que le cas d’un
élève qui quitte le systême scolaire. I1 représente un effort des systèmes
pour assouplir la répartition administrative des élèves entre des établisse-
ments de catégories différentes. Si ces systèmes peuvent prétendre avoir
adapté l’enseignement à l’élève, le transfert d’un établissement à l’autre
peut être considéré comme une forme très rudimentaire d‘orientation péda-
gogique. I1 est certain qu’un taux élevé de transferts indiquerait un mau-
vais fonctionnement du système.
Etant donné que l’abandon, tel qu’il est défini plus haut, n’est pas lié
à l’existence ou à la durée de la scolarité obligatoire, le fait de quitter
l’école avant l’âge minimal ne serait pas considéré comme un abandon, I1
découle également de cette définition que les élèves qui quittent l’école
avant la fin d’une étape, mais qui ont satisfait aux conditions exigées par
les lois sur la scolarité obligatoire en restant à l’école jusqu’à l’âge minimal,
seraient considérés comme ayant abandonné l’école en cours d’études,E n
outre, même dans les pays où l’enseignement n’est pas obligatoire, un
enfant qui a quitté l’école avant d’avoir terminé l’étape dans laquelle il
était inscrit serait classé parmi les abandons. I1 convient de noter tout ce
qu’implique la définition adoptée, étant donné que, dans certains cas, il y
a conflit avec la notion plus générale d’«abandon prématuré)). Normale-
ment, les pays où la fréquentation scolaire est obligatoire interprètent
l’abandon avant l’âge minimal comme un abandon prématuré. Le terme
d’«abandon prématuré» peut avoir aussi un autre sens dans les pays oÙ
18 L a déperdition scolaire :un problème mondial

renseignementgénéralisé va au-delàde l’âgeminimal à partir duquel on


peut quitter l’école.C‘est ainsi que,dans certains Etats où l’enseignement
peut cesser d’être obligatoire après neuf ou dix ans de scolarité,on n’en
juge pas moins désirable que tousaccomplissent les douze années d’études
offertes.
L’idée qu’il serait souhaitable d’obligertous les enfants à fréquenter
l’écolependant un nombre déterminé d’annéesne sauraitêtre appliquée de
façon universelle. La période d‘immaturité par laquelle passent les jeunes
gens avant d’entrer dans le monde des adultes est d’une durée variable
selonla complexitédu milieu culturel.Tant qu’ilsubsisterades différences
entre pays à cet égard,il est peu probable qu’onpuisse se mettre d’accord
sur la durée minimale ou optimale de la scolarité.En outre,ce n’est pas
seulementune question de maturité. Cela dépend aussi de la manière dont
une nation conçoit l’instruction au-delàd’un certain âge. L’existence de
diverses formes d‘éducation postscolaire, organisée à l’échelon national
ou local,permet de poursuivre l’enseignement au-delàde l’âge scolaire
normal. U n enseignement de ce type, lié à un emploi comportant des
responsabilités,peut légitimement être considéré comme un moyen à la
fois souple et plus efficace de poursuivre ses études.Certains contestent
ce point de vue et affirment que l’éducationpostscolaire qui recouvre par-
tiellementla période de scolarité faitdouble emploiet introduitun élément
d’imprévision dans la poursuite des études,car il est injiniment peu pro-
bable que les élèves dont la situation scolaire est tangente profitent des
possibilités d’éducation qui leur sont offertes ultérieurement.Cependant,
comme la notion d’une éducation étendue à toute la durée de la vie com-
mence à s’enracineret qu’on admet qu’il est absurde d’isoler les systèmes
scolaires de leur contexte économique et social,l’éducationpostscolaire
tend désormais à être considérée comme un élément indispensable du
système et non pas comme une opération de sauvetagedestinéeà récupérer
les élèves qui ont abandonné prématurément leurs études,

REDOUBLEMENTS

Le second symptôme important de la déperdition scolaire que nous exa-


minerons dans la présente étude,le redoublement,doit être défini soigneu-
sement.Par redoublement on entend une année passée par un élève dans
la même classe,à refaire les mêmes études que l’année précédente. I1 est
utile de rappeler ici que le principe du redoublementse fondesur plusieurs
hypothèses qui ont trait à la nature de l’apprentissagescolaire et que plu-
sieurspratiques pédagogiques en découlent.Il supposeen premier lieu que
le programme d’étudesjugé approprié pour un cycle donné - l’enseigne-
La nature du problème 19

ment primaire,par exemple -peut être fractionnéen plusieurs parties,dont


chacuneexige un an d’enseignementet devraitpouvoir être assimilée dans
ce même laps de temps par des enfants qui ont déjà maîtrisé la partie pré-
cédente. Cela implique que le mode de fractionnement correspond aux
possibilités des enfantset qu’ilest adapté à leur âge.Il supposeen deuxième
lieu que la plupart des enfants d‘une classe donnée sont intellectuellement
capables d’assimiler les connaissances requises à une cadence minimale,
tandis que le maître progresse systématiquement à travers le programme
h é . En troisième lieu,il part de l’hypothèseque le maître ou l’examina-
teur peut déterminer avec précision le niveau de connaissancesque doivent
atteindreles élèves à la fin d’une période donnée pour être capablesd’abor-
der ensemble le programme de la classe supérieure,I1 suppose,edin,que
la meilleure façon de récupérer les enfants qui n’ont pas atteint le niveau
requis à la fin de l’annéeest de leur faire recommencer entièrement cette
année.
D e ces hypothèses dérivent certaines pratiques générales. D’abord
les maîtres tendent à organiserleur enseignement de façon à pouvoir suivre
le programme h é pour l’année selon un rythme qui dépend davantage du
contenu du programme de chaque matière que de la faculté d’assimilation
de leurs élèves, qui,le plus souvent,ne leur est pas familière.Quel que soit
le rythme choisi,il sera toujours trop lent pour certains élèves et trop ra-
pide pour d’autres.Par ailleurs,les élèves subissentdes examens à la fin de
l’annéeet sont divisés en deux groupes: ceux qui réussissent et ceux qui
échouent. Les premiers passeront dans la classe supérieure,les seconds
seront peut-êtreautorisés à rester dans la même classe une année de plus,
pour tenter d’améliorer le niveau de leurs connaissances. La méthode
d’examen peut être simple et expéditive;elle peut être plus nuancée et
accorder aux élèves tangentsla possibilité de travailler encoreet de subirun
nouvel examen avant qu’on ne statue sur leur sort. Mais, finalement,le
résultat est le même: les élèves restent divisés en deux groupes: ceux qui
passent dans la classe supérieure,et ceux qui,s’ils veulent rester à l’école,
devront redoubler.
La diversité des pratiques suivies pour le passage dans la classe supé-
rieure dansl’enseignementdes premier et second degrés,dansles différents
pays du monde,est telle que,pour en donner une image exacte,il faudrait
traiter séparémentdu cas de chaque pays.I1n’estpas souhaitabled’infliger
au lecteurl’ennui d’une énumération qui contiendraitinévitablement une
bonne part de répétitionsavec des variantes relativement mineures. C‘est
pourquoi les caractéristiques des pratiques suivies en matière de promo-
tion dans les grandes régions du monde figurent au tableau ci-dessous.
20 L a déperdition scolaire :un problème mondial

Tableau 1
Méthodes utilisées en matière de promotion et de redoublement:régionset pays
déterminés

Region Promotion Redoublement Critkres de Qui décide du Nombre d’années


ou pays automatique dans les promotion redoublement? qu’un &lève peut
d’une classe classes passer dans une
à l’autre m é m e classe

Europe toutes notesscolaires conseil des 3


orientale (pas plus de professeurs
deux notes
insufisantes)
Yougoslavie (pasplus de 3
trois notes
inférieures)
Europe toutes notes maître 2
occidentale scolaires y de
compris les classe
examens
Autriche et 1 2 et notes maître 2
Rép. fed. au-dessus scolaires y de
d’Aüemagne compris les classe
examens
Belgique 1 et 2 3 et notes maître 2
au-dessus scolaires y de
compris les classe
examens
Danemark 1-7
Norvège et 1-9
Suède
Royaume-Uni toutes -
Amérique du toutes -
Nord

Amérique du - toutes notes illimiti


Sud scolaires y
compris les
examens
Brésil toutes - - -
(quelques Etats)
Equateur 1,3et5 2, 4 et 6 - -
Afrique - toutes examens école 2 ou 3
Kenya et primaire secondaire examens école 2 ou 3
Nigeria
Ethiopie (pourcentage
limité)

.
La nature du problème 21

Région Promotion Redoublement Critères de Qui décide du Nombre d’années


ou pays automatique dans les promotion redoublement? qu’un élève peut
d‘une classe classes passer dans une
à l’autre m ê m e classe

Asie - toutes examens école 1-3


Rép. de Chine primaire secondaire examens école 1-3
Japon,Corée primaire et
et Malaisie premier cycle
secondaire
Bahrain et 1-3 4 et examens école 1-3
Turquie au-dessus
Océanie toutes - - - -

Ce tableau synoptique a été établi d’après les données fournies en


réponse à un questionnaire qui faisait partie de l’enquête menée par le
Bureau international d’éducation et dont on trouvera l’analysedétaillée
au chapitre 6.Pour plus de simplicité,on n’a pas fait de différence,dans
la première colonne,entre la promotion automatiqueet la promotion pra-
tiquement automatique,étant donné que nous nous intéressons à la pra-
tique et non à la base juridique.O n a indiqué les années d’études pour
lesquelles il y a promotion automatique ou redoublement systématique.
Si les critères de promotion retenus sont conformes aux renseignements
fournis par les Etats membres, rien ne garantit que, dans certains cas,
d’autrescritères ne sont pas utilisés.Demême,les deux dernièrescolonnes
- où l’on indique la personne ou le groupe qui décide de la promotion et
le nombre d’années pendant lesquelles un élève est autorisé à rester dans
la même classe - sont établies d’aprèsles renseignements fournis par les
Etats membres,et rien ne permet d’assurerque tous les pays de la région
agissent de même.Dans la mesure où des circonstances exceptionnelles
sont connues, eiles sont indiquées séparément à propos de la région
intéressée.
U n exposé encore plus général de la diversité des pratiques en matière
de promotion les répartiraient en trois grandes catégories.Dans un pre-
mier groupe figurentles pays où le redoublement est prévu systématique-
ment danstoutesles années de l’enseignementdes premier et second degrés
et où le passage dans la classe supérieure dépend notamment d’examens
annuels,la décision étant généralement prise par le maître ou par un con-
seil de professeurs; en outre, le nombre d’années pendant lesquelles un
élève est autorisé à rester dans la même classe est limité.Le deuxième
groupe comprend les pays qui suivent une pratique analogue à celle du
22 L a déperdition scolaire: un problème mondial

premier,à cette exception près qu’ilsne précisent pas qui décide de la pro-
motion et ne limitent pas le nombre d’années qu’un élève est autorisé à
passer dans une même classe.Le troisième groupe est celui des pays où la
promotion se fait sans examen et qui ne permettent pas,sauf dans des cas
exceptionnels,le redoublement d’une année d’études.
I1 est tentant de rechercher s’il n’y a pas,dans ces systèmes de promo-
tion,une évolution,un acheminement progressif vers des méthodes d’en-
seignement individualisé qui ne considèrent pas le redoublement comme
une formevalable d’orientationet ne recourentpas aux examenspour sanc-
tionner la progression individuelle.La situation est cependantloin d’être
aussi simple.Dans de nombreux pays européens avancés le redoublement
est autorisé et les examens font partie des éléments sur lesquel se fonde
une décision de promotion.Quant aux pays qui n’autorisentpas le redou-
blement, il leur reste à démontrer,nous semble-t-il,qu’ils sont capables
d‘organiser leur enseignement de manière que le rendement interne du
système corresponde à son efficacité finale.
I1 est évident néanmoins que,lorsque la promotion dépend pour une
grande part d’un succès aux examens,cette procédure limite les passages
d’une classe à l’autre.Il est largement admis que les notes,qu’elles soient
obtenuesau coursd‘examensorganiséspar lemaître ou au coursd’épreuves
normalisées, ont une valeur relative. A u pire, elles sont l’expression de
jugements inconséquents et subjectifs formés par les maîtres sur la base
d’examensécrits peu sûrs,dont la validité n’estpas reconnue.A u mieux,
elles expriment les résultats obtenus par un élève par rapport à ceux
qu’obtiennent les enfants du même âge et de la même classe avec des
marges d’erreur connues et un pouvoir de prédiction suffisant pour le
passage dans la classe supérieure.Au pire,elles sont attribuées au hasard;
au mieux,elles permettent desjugementsabsolus- sur le niveau considéré
comme satisfaisant- définis en proportions d’élèvesadmis à passer dans
la classe supérieure.Dans aucun des deux cas elles ne tiennent compte de
la continuité de l’apprentissage,qui n’estpas divisible en unités adminis-
tratives fractionnées et purement pratiques.Ainsi,on peut reprocher aux
examens de manquer de pertinence,non pas tant en raison de leur nature
que de l’usagetraditionnelqu’on en fait.Les examens ne se justzent que
siles renseignementsqu’ilsfournissentpermettent de prendre des décisions
véritablement pertinentes quant aux mesures de caractère éducatif à
envisager à l’avenirdans l’intérêtde chaque élève.Siles examens sont con-
sidérés comme des auxiliaires et non comme des déterminants de la déci-
sion,ils peuvent être utiles. Malheureusement,ils ont tendance à prendre
le caractèredes décisions qui leur font suite.Ce n’est que lorsque celles-ci
seront véritablement prises dans l’intérêtde chaque élève que les examens
La nature du problème 23

exerceront une influence positive sur l’orientationpédagogique. Même si


l’on estime qu’unegrande partie des déperditions scolaires dans le monde
pourraient être éliminées par une simple décision administrative qui
supprimerait le redoublement pour le remplacer par la promotion auto-
matique et qui limiterait le nombre des abandonspar l’obligationscolaire,
il est clair que ces phénomènes sont en réalité l’expression d’une philo-
sophie de l’éducation et des conditions économiques aussi bien que des
habitudes culturelles.Aucun de ces éléments ne se modifie aisément et,
dans ce chapitre,nous nous sommes efforcés de démontrer pourquoi il
en est ainsi et sous quelles formes,dans les différents pays du monde, se
manifestent ces phénomènes que tous s’accordentà appeler déperdition
scolaire».
Chapitre deux

Apercu général de la littérature

Les publications consacrées au problème des déperditions d’effectifs sco-


laires reflètent inévitablement les préoccupations propres à chaque pays
et leur contenu est en étroit rapport avec les systèmes d’éducation et les
problèmes qu’ilsengendrent.Nous nous occuperons dans le présent cha-
pitre des ouvrages et articles qui ont été analysés dans le Bulletin du Bureau
international d’éducation, quatrième trimestre, 1969,en laissant de côté
tout ce qui a trait à l’enseignementsupérieur et aux techniques applicables
à la mesure des déperditions. Conformément à notre plan d’ensemble,
l’étude des ouvrages et articles sera faite par région (voir Annexe 2).
En classantainsi les référencescitées dans le Bulletin il apparaît claire-
ment que le volume des publications intéressant chaque région est fonc-
tion de l’intérêtqu’y suscitentles problèmes en cause et des moyens dont
on dispose pour les étudier.C’est d’abordpour l’Europeoccidentale,en-
suite pour l’Amériquedu Nord,que les publicationsrelatives aux déperdi-
tions d’effectifs scolaires sont les plus abondantes.C‘est pour l’mrique,
sur laquelle l’Asieet l’Amérique du Sud n’ont à cet égard qu’une faible
supériorité,qu’elles le sont le moins.Comme on le constatera à la lecture
du chapitre suivant,il est regrettableque ce soit dansles régionsdu monde
où les déperditions atteignentles taux les plus forts que,paradoxalement,
le nombre le plus faible d’étudesles concernant aient été entreprises.

AFRIQUE

Pour l’Afrique,un seul des ouvrages analysés est d’origine locale, les
autres ayant été rédigés par des Français ou des Anglais.I1 s’agitdu reste
d’unebibliographieportant surla déperditionscolairedansles pays arabes,
qui émane du Centre régionalde planification et d’administrationdel’édu-
cation pour les Etatsarabeset aétépubliéeà Beyrouth en 1969.Cette biblio-
26 La déperdition scolaire :un problème mondial

graphierécenteet fortcomplète,où la langue arabe tientla première place,


permet de se documenter sur les ouvrages qui ont trait à la déperdition
scolaire(formes,répartition,statistiques)ou aux plans etprévisionsintéres-
sant l’éducation. Elle concerne presque autant le Moyen-Orient que
l’Afrique.Dansun ouvrage paru en 1964,IsabelleDeblé analyse,sur la base
de données recueillies au Mali et en Côte-d’Ivoire,différentes méthodes
d’évaluationdes déperditions: elle attire en même temps l’attention sur
l’immensegaspillage qui résulte du fait que beaucoup d’élèvesne termi-
nent pas leurs études ou les terminent avec un certain retard.Dans un
ouvrage non daté,postérieur à 1967,elle procède à une analyse très précise
etdétailléedes systèmesd’enseignementde 14pays francophonesd’Afrique.
Elle y fournitdes statistiques qui montrent quelle a été,pendant la période
1957-1966, l’ampleur des déperditions et des redoublements dans l’en-
seignement du premier degré; en plus des causes qui peuvent tenir à la
structure ou à la dynamique du système d‘éducation,elle examine un cer-
tain nombre de facteurs connexes:temps,sexe, type d’établissement.A
l’exceptionde deux courts articles de Collins (1964)et de Cameron (1965)’
aucun autre document concernant l’Afrique n’est mentionné dans le
Bulletin. Le second de ces articles constitue une réponse au premier et
tous deux ont trait aux causes économiques et sociales des déperditions
qui se produisent dans différentesécoles et dans un instituttechnique de la
Tanzanie. O n constate,en les examinant,que les données recueillies sont
insuffisantespour qu’on puisse tirer d’utiles conclusions.
Ainsi,c’est en Afrique,vaste continent fortement peuplé où,de quel-
que manière qu’onles calcule,les taux de déperdition scolairesontles plus
élevés, que ce problème a reçu le moins d’attention.Cela s’expliquepar
bien des raisons,notamment par le souci quasi général qu’ont eu les pays
africains de faire accéder aux écoles un nombre croissant d’élèves.

ASIE

Après la publication,en 1966,du rapport dans lequel Brown avait exa-


miné,sur la base de donnéesfourniespar l’Unesco,quelques-unsdes pro-
blèmes de la déperdition scolaire (redoublements et abandons) dans l’en-
seignement primaire de 21 pays (dont 9 d’Asie),l’Unesco a organisé à
Bangkok,en 1966 également,un stage d’études sur la déperdition scolaire
et les abandons en cours d’études,dont le rapport final a été publié en
1967par le Bureau régionalde l’Unescopour l’éducationen Asie;la même
année, dans un numéro spécial du Bulletin du Bureau régional, on en
arrive à la conclusion que,dans les pays où le taux de la déperdition sco-
laire est élevé, les redoublements contribuent plus fortement que les
Aperçu général de la littérature 27

abandons à cette déperdition et que,de plus,ils sont fréquemment suivis


d‘abandons:on y soutient également que l’onne saurait réduire la déper-
dition scolaire au moyen d‘une seule méthode ou d’uneaction unique,car
le système d’éducationtout entier est impliqué.I1 y a notamment un cer-
tain nombre de points sur lesquels peuvent porter les efforts:la qualité de
l’enseignement;la qualité de l’inspection;le matériel d’enseignement;les
méthodes d’évaluation des programmes scolaires; les rapports entre
l’école et le milieu. Bien que la gravité des problèmes que posent dans
toute l’Asieles redoublements et les abandons ne puisse être niée, les
données sur lesquelles se fonde cette conclusion sont souvent incertaines.
O n peut citer comme contrastant avec elles les informations qui ont été
rassemblées par l’Equipe de planification de l’Unesco en Afghanistan et
dont il est fait état dans le rapport de Munier, et al. (1964). Sur la base
de renseignementsrecueillisau moyen d’unquestionnaire annuel et d’une
enquête couvrant toutes les écoles de la capitale et un échantillon des
écoles de province,l’Equipede planification en question a pu identifier les
cohortes entrées en première année en 1958/59et les suivre tout au long du
cycle primaire de six années. Les taux de passage, de redoublement et
d’abandon ont été calculés pour chaque année d’études,et l’on a estimé
que le taux de rendement du système scolaire était de 70%.
Quoi qu’il en soit,nous ne voudrions pas donner l’impressionque
les seuls problèmes qui préoccupent l’Asiesont ceux qui ont trait aux dé-
perditions résultant des abandons et redoublements.Ayant déjà résolu en
grande partie ces problèmes de déperdition, le Japon s’intéressemainte-
nant davantage à la question de l’absentéisme scolaire,que bien des pays
d’Asie jugent évidemment d’une importance mineure quand ils la com-
parent à leurs propres problèmes.I1 ressort d’une enquête menée en 1958
par le Bureau des recherchesdu Ministère de l’éducationdu Japon que le
taux d’absentéismeest passé de 1,43% en 1952 à 0,70% en 1958,les ab-
sences étant d’ailleurs dues à la maladie dans plus de la moitié des cas.
O n s’est aussi beaucoup intéressé en Asie aux causes des abandons.
Dans un ouvrage paru en 1965,Alvi étudie les causes des abandons dans
G.Khan au Pakistan.I1 cons-
les écoles primaires pour filles du district D.
tate que,dans une cohorte ayant commencé l’école en 1959/60pour finir
la 4e classe en 1963/64,les .tauxd’abandonà la fin de chacune des quatre
années en question ont été respectivementde 663 YO, 33 YO, 24,6%et 3YO.
L‘analyse des données recueillies par les écoles au moyen d’un question-
naire et d’une liste-typede réponses montre que les causes d’abandon le
plus fréquemment mentionnées sont les suivantes:la pauvreté (qui en-
traîne notamment l’emploi des enfants dans l’agriculture); une attitude
défavorable à l’égard de l’éducation des filles; l’absenced’enseignement
28 La déperdition scolaire :un problème mondial

religieux à l’école;le nomadisme;le caractère défectueux des méthodes


d’enseignement; l’hostilité des propriétaires; l’insuffisance des communi-
cations;l’échecscolaire.Des conclusionsanalogues se dégagent du rapport
(daté de 1960)qui donne les résultats de l’enquêtequ’aeffectuée à Ceylan,
au cours de la période 1950-1960, un comité chargé de déterminer les
raisons pour lesquelles certains enfants de 5 à 14ans n’étaientpas scolari-
sés. Là encore, la pauvreté est apparue comme constituant la principale
cause de non-scolarisation et d’abandon des études. Chowdhury (1965)
étudie un district du Bengale occidental;il a constaté que le taux de la
déperdition scolaire (abandonset redoublements) y est élevéet il émet l’opi-
nion que cet état de choses s’expliqueessentiellementpar des facteurséco-
nomiques et par l’indifférencedesparentsvis-à-visde l’éducation.Elizabeth
Rowe (1 966) examine les données recueillies dans cinq écoles gouverne-
mentales de Hong-Kong sur 150 enfants de 4e primaire. L’originalitéde
cette étude tient à ce que l’ons’est référé à une distinction préalablement
opérée entre deux groupes d’élèves (des bons et des mauvais) ainsi qu’à
de multiples facteursfamiliaux et scolaires.Bien que certainsdes résultats
ainsi obtenus soient assez parlants,il n’a guère été possible d‘établir de
rapport suffisamment net entre les variations constatées dans les deux
groupes pour servir de base à la détermination des mesures visant à pré-
venir l’échec scolaire.Le Bureau de l’enseignement public (Bureau of
Public Schools) des Philippines a publié une étude (sans date) sur les
abandons dans les écoles élémentaires au cours de la période 1952-1955.
I1 en ressortd’unepart que 10YOdes enfants du groupe d’âgeconcerné ne
sontjamais allés à l’écoleet que 75YOde ceux qui se sont inscrits en pre-
mière année ont quitté l’écoleavant d’atteindrela dernière année du cycle
élémentaire.Le pourcentage des abandons chez les garçons (62YO)s’avère
d’autrepart être près de deux fois plus élevé que chezles filles.L’étudemet
également en évidence le fait que les abandons sont essentiellement dus
à des facteurs économiques,bien que l’échecscolaire et les facteursfami-
liaux et sociaux aient,eux aussi,une grande importance.
Bien que redoublements et abandons aient souvent été présentés
comme étroitement liés entre eux, les études touchant les causes des re-
doublements ont été sensiblement moins nombreuses. En Thaïlande,le
Département de l’enseignement élémentaire et de l’éducationdes adultes
a publié en 1965 un rapport relatifaux élèves qui ne se présentent pas aux
examensdansles classes primaires.D’aprèsles auteursde ce rapport-dont
l’undes buts essentiels est d’éclairerle problème des redoublements -, près
de la moitié des redoublantssont des élèves qui ne se sont pas présentés à
l’examende fin d’annéepour les motifs suivants:maladie,niveau insuffi-
sant de leur travail,manque d’intérêtpour les études,défense des parents,
Aperçu général de la littérature 29

etc.Toujours en Thaïlande, une étude beaucoup plus large a été réalisée


par le Bangkok Institute for Child Study (1966). Elle a porté sur 25 000
enfantsrépartisentreun certainnombre d’écoles.Les testsde connaissances
ont fait apparaître que, pour toutes les matières, les programmes de la
lère à la 4e année prescrivaient un niveau qui n’était, en fait,jamais
atteint par les élèves. O n a en outre observé des variations régionales qui
ont été considérées comme découlant en grande partie de variables écono-
miques et sociales.En outre,on remarquait que, dans chaque classe,les
enfants plus âgés ou plusjeunes que ceux qui avaient l’âgenormal réussis-
saient moins bien que ces derniers et que les résultats obtenus par les
enfants dépendaient directement des qualiíìcations des enseignants et de
la dimension de l’école.Le rapport signale tout particulièrement le désa-
vantage dont souffrent les enfants qui parlent chez eux une langue diffé-
rente de celle qui est utilisée comme moyen d’instruction. O n en arrive
finalement à la conclusion que le redoublementdes classes ne paraît avoir
aucun avantage pour élever le niveau des résultats.
Mis à part de vagues recommandations qui n’engagentpersonne,peu
de propositions ont,semble-t-il,été faites quant aux moyens de remédier
au grave problème que pose en Asie la déperdition scolaire.Trop souvent
les recommandationsdemeurent très générales et, pour leur donner effet,
il faudrait dépenser beaucoup plus d’argent que les pays intéressés n’en
ont à leur disposition.Par exemple,lors du Stage d’études sur la déperdi-
tion et la stagnation scolaire,qui a eu lieu à New Delhi en 1968,les parti-
cipants ont critiqué le caractèrearchaïque de l’enseignementindien auquel
ils ont reproché d’avoir été jusqu’alorsprincipalement orienté vers la for-
mation d’uneélite; en vue d’améliorer le rendement des écoles,ils ont re-
commandé l’établissement d’un vaste programme tendant notamment à
familiariser les maîtres et les responsables de l’enseignementavec la péda-
gogie expérimentale; ils ont également suggéré qu’une attention parti-
culière soit apportée aux deux premières années de la scolarité obligatoire,
pendantlesquelles les échecs se révélaientparticulièrement nombreux.Une
approche plus constructive apparaît dans le rapport de Rice (1969) qui
décrit soixante centres pilotes destinés à réintégrer des enfants de 11 à
14 ans dans les circuits de l’enseignementet de l’emploi.Ces centres sont
nés d’unprojet entrepris conjointement par le Gouvernement de l’Inde et
par différentes institutions des Nations Unies pour faire face aux pro-
blèmes suivants: exode rural,difficultés qu’éprouventles enfants à s’adap-
ter aux exigences des écoles urbaines,pénurie de locaux,travail des jeunes.
L’article décrit la vie dans un de ces centres,l’école de Shahdera,dont
l’objectifest de ramenerles enfants à l’écoleafin de leur donner une forma-
tion correspondant à leur milieu et à leurs aptitudes.La moitié de lajour-
30 L a déperdition scolaire :un problème mondial

née se passe dans des ateliers;l’autreest consacrée à la formation générale.


Le centre dispose d’un conseiller d‘orientation professionnelle et le con-
tact avec la communauté reste constant.

E U R OP E ORIENTA LE

La plupart des publications d’Europe orientale qui ont trait à la déperdi-


tion scolaire, considérée en termes de redoublements et d’abandons,
viennent de la Yougoslavie. Deux études publiées en 1967,l’unepar un
organisme gouvernemental,l’autre par Capar, mettent en lumière la
gravité de la situation.Dans la première de ces études la place essentielle
revient à une projection du développementde l’éducation au cours de la
période 1966-1970, et l’on y trouve aussi des tableaux pour la période
1960-1964.La gravité du problème des redoublements,de même que les
progrès malgré tout réalisés,ressort des chffres qui montrent que le pour-
centage des élèves terminant normalement la scolarité obligatoire de huit
ans est passé de 40,2%en 1960/61à 43’8%en 1961/62,45,7 %en 1962/63
et 47’9% en 1963/64.Dans la seconde des deux études susmentionnées,
Capar fournit les indications suivantes:38% des élèves d’une génération
ne réussissent pas à terminer leur scolarité dans le temps réglementaire;
la proportion des élèves quittant prématurément l’école est à peu près la
même pour les deux sexes;enfin,du point de vue des redoublements,les
aptitudes des élèves et leur activité propre ont des effets à peu près équi-
valents,tandis que les conditions socio-économiquesdans lesquelles sont
placés leurs familles n’ont qu’une influence très générale et souvent im-
pondérable. SeEujski (1968) étudie la situation dans la province de Voj-
vodina;il en conclut que,parmi tous les enfants d’unegénération, 30%
environ ne terminent pas l’enseignement primaire. I1 constate également
que ce phénomène est principalement dû à l’insuffisance des résultats
obtenus par les élèves et aux redoublementsqui en découlent.I1 attribue
ces mauvais résultats au processus d’enseignement lui-mêmeet à des rela-
tions peu satisfaisantes entre l’école et le milieu social. MujoviC: (1968)
examine la situation au Monténégro:il constate que sur les 14261 élèves
inscrits dans la première classe de l’école primaire au cours de l’année
scolaire 1959/60, 1626 élèves (11’5%) ne se trouvaient pas dans la 8e
classe huit ans après et que beaucoup d’élèves,par suite d’un ou deux re-
doublements,n’ont pas pu terminer l’école primaire dans la période ré-
glementaire.I1 relève également que les taux de déperdition ont été beau-
coup plus élevés pour les filles que pour les garçons. Il donne les raisons
suivantes à ces déperditions:longues distances entre le foyer familial et
l’école;programmes et plans d’étudessurchargés;pénurie d’un personnel
Aperçu général de la littérature 31

enseignant qualiñé;préjugés des parents quant à la nécessité d’éduquer


les enfants,notamment les filles.
Les publications produites dans les autres pays d’Europe orientale
ne contiennent pas d’indicationsaussi nettes quant à l’existencede déper-
ditions scolaires qui poseraient un grave problème.Akolihska (1966)rend
compte de recherches portant sur la déperdition scolaire au niveau du
premier degré de l’enseignement général, effectuées dans les écoles de
Varsovie pendant la période 1959-1964;elles ont mis en évidence les faits
suivants:le taux de déperdition au cours de la scolarité obligatoire était
moins élevé à Varsovie que dans le reste du pays (0,8% à Varsovie en
1959/60contre 1,3% dans le reste du pays); ce taux était plus élevé chez
les garçons que chez les filles;les abandons étaient généralement précédés
de redoublements;à partir de l’annéescolaire 1962/63,cependant,aban-
dons et redoublements avaient diminué grâce à l’applicationde la nouvelle
procédure selon laquellel’inscriptiond’un enfant doit toujours être précé-
dée d’une enquête sur les conditions de vie qu’il trouve à son foyer;cette
enquête permetl’identificationde ce qui,dans l’environnementde l’enfant,
peut nuire au déroulement normal des études; si des conditions défavo-
rables sont relevées,on s’efforced’y porter remède.D e son côté,Budarnyj
(1966) indique que, même dans les écoles de Moscou et de Léningrad,
beaucoup d’élèves redoublent une classe. Son article traite surtout des
moyens de remédier à la situation et, notamment, des améliorations qui
pourraient être apportées à la qualité du processus ((enseignement-acqui-
sition des connaissances)). I1 rend compte de l’expériencesuivante: des
classes expérimentales furent créées dans quatre établissements pour des
élèves en provenance de diverses écoles qui devaient redoubler une classe;
le nombre d’heures consacrées à certaines disciplines fut augmenté et l’on
s’efforçad’assurer parallèlement l’étude du programme de l’année nou-
velle et lerattrapagedu retard quimotivait le redoublement.O n modifia en
outre les critères de notation de façon à stimuler davantage les élèves.A la
fin de l’année les progrès réalisés dans les classes expérimentales étaient
déjà importants;ils le furent davantage encore l’annéesuivante.L‘une des
conclusions formulées dans l’articleest qu’il peut y avoir intérêt à utiliser
le systèmedu passage ((conditionnel)) d’unélèvemédiocredanslaclassesui-
vante,à condition que sonmaître et ses camaradesl’aidentdans ses études.
Deux auteurs polonais ont analysé,en se plaçant à des points de vue
légèrement différents, les causes des échecs scolaires.Kupisiewicz (1 969)
analyse les facteurs qui,dans l’organisation,le contenu ou les méthodes
de l’enseignement,peuvent être à l’origine de ces échecs. I1 arrive à la
conclusion que beaucoup d’abandons et de redoublements pourraient
être évités si les enseignants connaissaient mieux les sciences de l’éduca-
32 L a déperdition scolaire :un problème mondial

tion et attachaient plus d’importanceà l’étudede la personnalitédes élèves


ainsi qu’à la nécessité d’avoir constamment avec eux des contacts indivi-
duels.I1 souligne l’intérêtde la méthode qui consiste à présenter les con-
naissances sous une forme qui suscite l’apparitionde problèmes que les
élèves sontincitésà résoudre;il signaleaussi qu’ilestimportantde diagnos-
tiquer de bonne heure les faiblesses des élèves et que l’applicationaux inté-
ressés de la thérapie pédagogique qui consiste à leur donner à faire chez
eux des travaux spécialement conçus pour eux tend à réduire les échecs.
Konopnicki (1966) suggère, quant à lui, certains moyens de repérer à
temps les élèves qui,autrement,feraientvraisemblablement de mauvaises
études;il identiiìe deux des facteurs qui risquent d’entraîner tôt ou tard
un échec scolaire: l’insuffisance en arithmétique d’une part et le défaut
d’aptitude à la lecture silencieuse d’autre part.
KuniCkin (1966),Demencev,et al.(1966)et Wieckowski (1968)consi-
dèrent tous trois que l’améliorationdes techniques pédagogiques constitue
le meilleur moyen à employer pour réduire les déperditions.Leurs études
montrent le rôle que peut jouer dans l’améliorationde la qualité de l’en-
seignement la méthode qui consiste à placer les élèves (prisindividuelle-
ment ou en groupe) devant des problèmes qu’ils sont incités à résoudre;
elles montrent aussi l’intérêtque présentent le contrôleet l’évaluationdes
connaissances acquises.L‘effort collectifà demander à un groupe d’élèves
en vue de la solution d’un problème est présenté comme particulièrement
utile. L’importance du contact des enseignants non seulement avec les
élèves, mais aussi avec leurs parents, est mise en évidence.

EUROPE OCCIDENTALE

En Europe occidentale comme en Europe orientale on s’est moins préoc-


cupé,danslaplupartdesétudes,d’évaluerquantitativementles déperditions
scolaires que d’endécouvrirles causeset de rechercherles moyens de remé-
dier à la situation.Trois articles montrent que les déperditionsen Europe
occidentale demeurent suffisamment importantes pour qu’il y ait lieu
de s’en préoccuper.Belser a effectué une série d’enquêtes dans les écoles
primaires de Hambourg et il a constaté que,sur 1624 élèves ayant quitté
le second cycle de l’enseignement primaire durant les années 1963-1966,
16% n’avaient pas terminé leurs études par suite de redoublements;en
outre, parmi ceux de ces 1624 élèves qui avaient terminé leurs études,
24’9% avaient redoublé au moins une classe. En France également les
redoublements ont été considérés comme posant un problème majeur.
Blot (1966),dans une étude limitée aux cinq classes de l’enseignementpri-
maire,met en évidence un taux de redoublement élevé:il a constaté que,
Aperçu général de la littérature 33

sur un effectif scolarisé de 4,9millions d’élèves,15 à 20YOavaient redoublé


au moins une classe.Dans le cadre d’uneétude plus limitée,Girard (1969)
a observé un échantillon de 17 500 élèves pendant et après les cinq années
qui ont suivi leur sortie du cycle élémentaire. I1 est arrivé à la conclusion
que,si l’on élargit l’accès à l’enseignementdu second degré sans modifìer
le contenu des études,il en résultera un accroissement du retard scolaire
et un vieillissement généraliséde la population scolaire.Il a égalementcons-
taté que le retard se compense rarement au cours du temps,mais a plutôt
tendance à s’accumuler.
Depuis dix ans,le thème qui,en Europe occidentale,a fait l’objetde
la très grande majorité des études est celui des relations entre la classe
sociale et les possibilités d’éducation.Bien qu’il s’agisse là d‘une question
qui n’est pas directement liée à celle des déperditions, son étude met en
évidence une importante tendance sociale qui n’est pas sans rapport avec
le problème des échecs scolaires.Le fait que les enfants issus de classes
sociales inférieures sont plus susceptiblesde subir un échec scolaire donne
quelques indices sur les causes qui peuvent empêcher un élève de réussir.
D e Coster (1962), Erlinghagen (1965), Clerc (1964), Jackson (1966),
Peisert (1967)’ Christoph (1968)’ Ingenkamp (1968), Boer (1968), Reuchlin
(1969) et Seid1 (1969) mettent en lumière,les uns comme les autres,l’exis-
tence d’un rapport incontestable entre la classe sociale et les possibilités
d’éducation.Outre l’identiñcationde ce rapport qui se manifeste par des
variations dans les pourcentages des divers groupes sociaux recevant une
éducation privilégiée,on définit dans ces études différents concepts desti-
nés à situer les zones administratives et géographiques où prévalent cer-
taines déficiences en matière d’éducation liées à des causes sociales.Peisert
appelle ((régionsde moindre densité culturelle))les régions dans lesquelles
la population de 16 à 19 ans ne fréquente les établissements scolaires qu’à
raison de 3,4%, alors que, pour l’ensemble de la République fédérale
d‘Allemagne, le pourcentage correspondant est de 14,sYO.Eggleston
(1967, I &II), de son côté,attire l’attentionsur l’importance des effets
que peut avoir le climat social de l’école:d’après lui,les chances plus ou
moins grandes qu’a un écolier de réussir ne dépendent pas uniquement de
la situation socio-économiquede sa famille,mais aussi du niveau de la
classe sociale qui prédomine dans la région où se trouve l’école,des
caractéristiques du groupe de pairs dans lequel il se trouve englobé et du
climat social de l’école.
Mettre en évidence et localiser les facteurs sociaux défavorables à
l’éducationne constituent qu’unpremier pas sur le chemin qui peut mener
à l’identificationdes causes directes de l’échec scolaire.Peisert (1969,le
Council for Educational Advance (1966), Jackson (1966), Girard (1963)
34 L a déperdition scolaire: un problème mondial

considèrent que l'attitude des parents à l'égard de l'écoleet l'intérêtqu'ils


portent à l'éducation tiennent une place fondamentaledans les motifs qui
incitentles enfants à bien travailler en classe et à résister aux tendances qui
pourraient leur faire quitter prématurément l'école.Dans une étude qui
porte sur la République fédérale d'Allemagne, Roeder, qui s'est inspiré
des vastes travaux entrepris en Angleterre par Bernstein,indique que plus
on descend l'échelle sociale,plus les différentes barrières linguistiques se
manifestent de façon accusée.
Pour expliquer les échecs scolaires, il est souvent fait mention de
facteurspsychologiques qui,sans être en rapport avec la condition socio-
économique, ont une grande importance. Bassi (1965), Kaiser (1966),
Kirchhoff (1965), Stienlet (1964), Geller (1965) et Gutierrez(1964) attirent
l'attention sur les rapports qui existent entre les échecs scolaires et l'insta-
bilitéémotionelle.Lesentimentde sécuritédel'enfant,le degré de stabilitéde
son foyer,les succès et les échecs qu'il a déjà connus,ses déficiences physi-
queset mentales,tels sontcertainsdes facteursqu'il fautsouvent prendre en
considérationpour rechercherles causesdesmauvaisrésultats scolaires,des
comportementsscolaires défectueux,des abandons et des redoublements.
O n constate souvent que les échecs scolaires s'expliquent par toute
une multiplicité de causes.Avanzini,par exemple,fournit une longue liste
des facteurs familiaux et scolaires dont peut dépendre la réussite ou
l'échec.Mais affirmer que l'on est en présence de causes multiples ne
permet pas de dire comment elles se combinentpour produire leurs effets,
à moins qu'on ne les étudie conjointement.Or peu de travaux ont été entre-
pris dans cette perspective et, pour la plupart, comme c'est le cas pour
Douglas (1964)et Roller (1963), ils ont consistéà manipuler les statistiques
pour tenter de vérifier certaines interactionssans toutefois se lancer dans
des études expérimentales. D e s études longitudinales comme celle de
Douglas sont cependant fort intéressantes pour mettre en évidence la
chaîne de circonstances qui,avec le temps,peuvent produire l'échec.Les
rapports sur les remèdes qui ont fait leurs preuves sont moins nombreux
que les études critiques remplies d'exhortations. Le Gall (1967) présente
l'orientation comme un moyen d'amélioration de l'adaptation scolaire.
Mais le mot ((orientation)) peut aussi signifier l'organisation de services
consultatifs dans les collectivités où l'éducation se heurte à des conditions
défavorables. Aurin (1968) indique que, dans le Bade-Wurtemberg,la
proportion des enfants continuant jusqu'au bout leurs études a augmenté
plus rapidementdansles ((régions demoindre densitéculturelle))où avaient
été institués des centres d'orientation que dans l'ensemble de la province.
La réforme des méthodes et du processus d'enseignement est égale-
ment préconisée.Bastin (1966)soutientqu'il imported'adapter l'écoleaux
Aperçu général de la littérature 35

enfants; il explique que l’éducation traditionnelle est trop livresque,


qu’elledonne trop de place aux heures de classe et pas assez aux exercices
physiques. Landmann (1967) propose pour la réforme de l’enseignement
un programme en quatre points inspiré des principesde Pestalozzi.Lobrot
(1966) voit dans l’institution d’enseignement de type traditionnel un
système bureaucratique OU le maître et l’élèvesont enserrésdans un réseau
contraignant d’obligationsformelles qui entravent l’éducation.I1 soutient
qu’il faudrait abolir la relation d’autoritéet instituer l’autogestiondans
la classe,le rôle du maître devenant ainsi celui d’un ((moniteur)). Zweifel
(1967)émet l’idée que,malgré leurs limitations bien connues,l’enseigne-
ment programmé et les machines à enseigner pourraient répondre aux be-
soins de l’enseignement secondaire et il exprime l’opinionque,même si
les échecs scolaires posent un problème réel et sérieux,c’est le problème
des inégalités sociales en matière d’éducation qui doit retenir en premier
lieu l’attention.Les causes de ces inégalités sociales et les moyens d’y re-
médier ont naturellement fait l’objet de bien d’autres publications que
celles qui sont mentionnées dans le Bulletin.

AMÉRIQUE DU NORD

En ce qui concerne l’Amérique du Nord, on a laissé de côté, dans le


Bulletin, la plupart des nombreux ouvrages et articles qui traitent des
facteurssociaux défavorables à l’éducationpour donnerune place de choix
à ceux qui portent sur le problème particulier des abandons.I1 faut égale-
ment signaler que,par rapport aux autres régions examinées jusqu’ici,il
est accordé,en Amérique du Nord,une importanceparticulière aux études
consacrées aux moyens de remédier à la déperdition scolaire.Enfin,étant
donné que les redoublementssont rares en Amérique du Nord et que les
services d‘orientation scolaire y sont nombreux,la question des redouble-
ments n’a pas été traitée.
Mais il ne manque pas aux Etats-Unis de vastes ouvrages concer-
nant les abandons en cours d’études.Dentler (1968) avait entreprisen 1963
une étude visant d’abordà déterminer les taux d’abandons respectifs dans
différentes villes, ensuite à découvrir si les variations dans ces taux
pouvaient être associées à certaines caractéristiques de l’économielocale
et de la structure sociale et, enfin,à faire une analyse comparée de l’effi-
cacité des programmes de prévention de la déperdition scolaire. I1 cons-
tate que les différences dans les taux d’abandons au niveau secondaire et
les différences dans les niveaux d’analphabétismefonctionnel des adultes
dépendent, dans les grandes villes, des différences que l’onpeut observer
dans la composition,le volume et la stabilité de la population, dans la
36 L a déperdition scolaire :un problème mondial

structure de l’emploi,le revenu personnel et les conditions de travail. Il


note égaiement que les villes dont les taux d’abandonset d’analphabétisme
sont supérieursà la moyenne sont celles qui dépensent le plus pour l’édu-
cation, l’hygiène et la santé publique et que l’on ne peut pas établir de
liens entre le caractèredes programmes éducatifs ou sociaux et les chiffres
qui correspondent au taux de la déperdition scolaire ou au taux de l’anal-
phabétisme chezles adultes.I1 émet l’opinionassezsurprenantequ’uneaug-
mentation de la croissanceéconomique des communautésurbaines devrait
se combiner à un accroissementet une diversification desassurancessociales
à l’intentiondes individus et des famillespour que puissent cesser de jouer,
dans le domaine de l’éducation,les facteursqui compromettentla sécurité
économique;il souligne à ce propos que les programmes scolaires et so-
ciaux qui cherchent à traiter directement de la prévention des abandons ou
de la suppression de l’analphabétismesont ((inopportuns sinon futiles».
Schreiber(1964)rend compte d’un projet qui,entrepris par la National
Education Association, visait à l’analyse du ((pouvoir de rétention)) des
systèmes scolaires de 128 grandes villes des Etats-Unis(villes de plus de
90O00 habitants):cette analysemontre d’une part que,pendant la période
considérée(1960-1963), la situationau niveau de la dixième année d’études
s’est améliorée et,d’autrepart,que l’importance de la déperdition dépend
de l’importance de la ville. Voss (1966) signale que les élèves qui aban-
donnent l’école en cours d‘études ne constituent pas aux Etats-Unis un
groupe homogène et qu’ilimporte de distinguer entre les abandons qui se
font à un stadeprécoce et ceux qui se fontà un stade plus avancé.I1indique
que,parmi les élèves qui quittent prématurément l’école,ceux qui ont peu
d’aptitudesle font généralement plus tôt que les élèves ((capables)). I1
distinguetrois groupes d’élèvesparmi ceux qui quittent l’école prématuré-
ment: d’abord,les élèves qui quittent l’écolesans l’avoirvoulu,à la suite
d’une crise personnelle; ensuite les enfants retardés, qui n’ont pas les
capacitésnécessairespour poursuivre des études et abandonnent en géné-
ral l’écoleavant d’entrerdans l’enseignementsecondaire;enfin,les élèves
capables,qui abandonnent leurs études avant d’avoir terminé l’enseigne-
ment secondaire bien qu’ils aient les capacités nécessaires pour faire des
études académiques.Après examen de la littérature sur les programmes
contre la déperdition scolaire qui ont déjà fait leurs preuves et ont été
évalués du point de vue statistique,Russell (1968)répartit,quant à lui,les
élèves qui abandonnent leurs études dans les trois catégories suivantes:
ceux qui ont des difficultés en milieu scolaire mais qui s’adaptentbien au
monde du travail;ceux qui ont de la peine à s’adaptertant à l’école qu’à
la société;ceux qui requièrent un traitement particulier à l’écoleet parfois
une aide extérieure à l’école.I1 souligne ensuite que,si les caractéristiques
Aperçu général de la littérature 37

semblent être communesaux jeunes qui viennent des milieux socio-écono-


miques inférieurs,elles ne sont pourtant pas spécifiques à ces milieux.
Vincent (1966) nous donne une vision plus agréable de l'avenir auquel
peuvent prétendre ceux qui abandonnent leurs études. U n certain nombre
d'élèves de sexe masculin, qui avaient abandonné leurs études en lle
classe dans trois écoles secondaires publiques de Calgary,au Canada,ont
été observés pendant une période s'étendant sur trois à six années après
cet abandon. Les constatations faites ne correspondent pas du tout à
l'idée généralement admise selon laquelle les jeunes qui quittent préma-
turément l'école constituent un fardeau pour la société.I1 s'est révélé que
beaucoup des jeunes gens en question faisaient une carrière très réussie,
tant du point de vue du niveau et de la stabilité de leur emploi que du
point de vue lucratif.Beaucoup d'entre eux avaient suivi des cours d'édu-
cation postscolaire en vue d'améliorer leur situation professionnelle et
l'on pouvait s'attendre à les voir jouer un rôle utile dans la société.L'ar-
ticle plaide en faveur d'un examen moins rigide du problème de l'abandon
en cours d'études et vise à montrer que,panni lesjeunes qui abandonnent
leurs études,certains peuvent, s'ils savent s'adapter au monde du travail,
en faire bénéficier la société et eux-mêmes.
A la suite de son étude sur la déperdition scolaire,Schreiber (1968,
1 et 2) analyse les causes du phénomène en question.I1 insiste sur la mul-
tiplicité de ces causes, qui sont en grande partie extérieures à l'école et
reflètent l'état actuel d'une société OU l'on observe un taux élevé de
chômage parmi les jeunes, une hausse constante de la délinquance,de
grandes migrations vers les centres urbains et une véritable explosion
démographique.I1 exprime l'opinion que les écoles doivent non seulement
assouplir les conditions qui favorisent le développement des attitudes et
du comportement qui sont à l'origine de la déperdition,mais encore offrir
à leurs élèves, notamment en leur donnant la motivation nécessaire,les
moyens de mieux réussir dans leurs études. Lichter (1968) a fait,pour la
période 1954-1958,une étude portant sur des garçons et filles qui,inscrits
dans des écoles secondaires publiques de Chicago, risquaient,malgré de
bonnes aptitudesintellectuelles,d'abandonner prématurémentleurs études.
Son rapport donne un aperçu des difficultés psychologiques des adoles-
cents;il y passe en revue une série de cas et indique comment peuvent se
présenter les ((profils>) des élèves qui quittent prématurément l'école et
ceux de leurs parents. Elliott (1966) a,lui aussi,cherché à identifier cer-
tains des grands facteurs qui peuvent expliquer que des élèves doués du
point de vue intellectuel quittent prématurément les écoles secondaires.
Son article met l'accent sur les causes qui ne sont pas directement liées à
la situation scolaire et notamment SUT l'importance de l'appartenanceà
38 L a déperdition scolaire :un problème mondial

une certaine classe sociale ou à un groupe minoritaire. I1 y est rappelé que


les adolescents qui appartiennent à certaines classes ont tendance à se
conformer aux normes de leur environnement.Il y est également indiqué
que la personnalité de l’élèveet l’attitudede sa famillevis-à-visde l’éduca-
tion peuvent se combiner pour conduire à l’abandon des études. Raph
(1966)et Bricklin (1967) ont,eux aussi, attiré l’attentionsur le problème
des enfants intelligents qui réussissentmal dans leurs études.
Le Bulletin signale également quelques-unes des très abondantes
publications qui traitent des facteurs sociaux défavorables à l’éducation.
Witty (1967), dans la première partie de l’Annuaire 1966 de la National
Society for the Study of Education (Etats-Unis), passe en revue les pu-
blications relatives aux problèmes que posent d’une part les enfants qui
sont en retard dans leurs études et d’autre part ceux qui sont désavan-
tagés du point de vue culturel ou social.Passow (1967)a dirigé la publi-
cationd’un ouvrage OU sontrassemblées différentes études relatives à l’édu-
cation des ((enfants désavantagés)), c’est-à-diredes enfants appartenant
aux couches sociales économiquement ou culturellementsous-développés
des Etats-Unis.O n y trouve une collection des principaux articles qui
mettent l’accentsur la nécessité d’agir et d’apporter aux problèmes en
cause des solutionsefficaces.Rees (1968), après avoir examiné ce qu’ilfaut
entendre par ((enfants désavantagés)) et ce que doivent être les «pro-
grammes d’éducation compensatrice)) destinés à ces enfants, passe en
revue les projets et activités qui ont été menés à bien dans ce domaine aux
Etats-Unis.Cervantes (1965) étudie les facteurs sociaux et économiques
qui sont à l’originedes abandonsen cours d’étudesdans les zones urbaines
des Etats-Unis,les comparaisons auxquelles il se livre portant sur des
élèves qui vivent dans des conditions socio-économiquessimilaires. I1
cherche à déterminer comment a joué, pour différents élèves, l’influence
des amis et de l’expériencescolaire et expose ses techniques et instruments
de travail.Jensen (1967)émet une idée explosiveen soutenant que l’intelli-
gence est essentiellement déterminée par des facteurs héréditaires; cela
nel’empêchepourtant pas de signaler que certainsdéficits dumilieupeuvent
réduire les possibilités d‘éducation.D’aprèslui,le plus important de ces
déficits se fait sentir dans le domaine du langage qui, chez les enfants en
cause, n’atteint pratiquement jamais, souligne-t-il,le statut d’instrument
de la pensée, mais reste toujours au niveau d’un instrument primitif de
communication et d’interactionsociale.
Les ouvrages relatifsaux moyens de remédier à la déperdition scolaire
ne manquent certes pas aux Etats-Unis.Schreiber (1964) traite des pro-
cessusd’orientationapplicablesaux élèves susceptiblesd’abandonnerleurs
études. Certains programmes visent à empêcher les abandons. Tel est le
Aperçu général de la littérature 39

cas de celui que décrit Kruger (1969)dans un article où il fait allusion à un


syndrome d’incapacité (alienation-disabilitysyndrome) et indique que les
cinq millions de dollars votés par le Congrès pour permettre aux écoles de
mettre sur pied des projets modèles serviront:à l’amélioration des rela-
tions maître-élèvenotamment par l’élargissementde la part de responsa-
bilité attribuée aux élèves dans l’organisation du travail;au développe-
ment d‘une nouvelle conception des locaux scolaires;à la revisiondu con-
tenu des programmes (afin de les mettre plus étroitementen rapport avec
la réalité quotidienne); à l’adoption de méthodes basées sur les récom-
penses en cas de réussite;à l’organisationde services nombreux et diver-
sifiés à l’intention des élèves; à la participation plus active de la famille.
Deux écoles dont le but est de récupérerlesjeunes qui auraient abandonné
prématurément leurs études sont décrites dans le Carnegie Quarterly
(1968). Ces écoles, financées par des fondations privées, reçoivent des
élèves de 16 à 21 ans et se caractérisent par des structures extrêmement
souples.Les élèves peuvent y faire,à leur propre rythme,les études dont
ils ont besoin pour compléter leur formation.L’école confère trois sortes
de certificats qui permettent l’accèsà différentes professions et l’entrée au
college. D’autres programmes visent à donner aux jeunes gens qui ont
quitté prématurément l’écolela possibilité de suivre des cours d’éducation
postscolaire qui paraissent devoir mieux leur convenir que l’enseignement
scolaire. Herzog (1966) décrit l’une des poverty prep schools qui ont été
créées à New York. Cette école donne à ceux qui la fréquentent la possi-
bilité d’apprendre un métier et de compléter leurs connaissances de base.
Elle veille à l’orientationprofessionnelle de ses élèves et cherche surtout à
leur donner confiance en eux-mêmes.Herzog indique que les résultats
ainsi obtenus sont positifs et que presque tous les élèves de l’école en
question y reçoivent une formation professionnelle complète sanctionnée
par un diplôme qui leur permettra, par la suite,de trouver un emploi et
de vivre désormais en harmonie avec la société.
Faisant contraste avec l’articleempreint d’optimisme de 1’Education
Digest (1966) où il est fait mention de dix programmes qui ont effective-
ment contribué à la diminution du nombre des abandons, l’article de
Scales (1969)rend compte d’une étude sur laquellel’auteurse fonde pour
affirmer qu’il n’y a pratiquement pas de relation entre la prévention de
l’abandonet les programmes scolairesmis au point pour assurer cette pré-
vention.Même les écoles qui disposent de programmes préprofessionnels
spécialement adaptés aux besoins supposés des adolescents qui risquent
de quitter trop tôt l’écolen’obtiennentpas,est-ilprécisé,de résultats no-
tables.O n constate cependantque la déperdition scolaire diminue dès que
l’élève est encadré solidement par des adultes qui s’occupentde lui et qui
40 L a déperdition scolaire :un problème mondial

établissent avec lui un lien personnel et affectif. Kaufman (1968) attire


l’attentionsur le coGt élevé des programmes spéciaux visant à prévenir la
déperdition scolaire. I1 signale en outre que la formation des maîtres est
souvent insuffisante et incomplète et que les critères appliqués à la sélec-
tion des élèves dont on pense qu’ils risquent de quitter prématurément
l’écolesont parfois erronés.

A M É R I Q U E LATINE

En Amérique latine,la plupart des publications qui nous intéressent ici


décriventles problèmesque pose la déperdition scolaire et visent à fournir
à ce sujet des données quantitatives.Les grands pays sont naturellement
mieux documentés sur la question que les plus petits.Dans le cas de l’Ar-
gentine on dispose,pour la dernière décennie,d’un important ensemble de
statistiques. C’est ainsi qu’Arévalo (1963)présente,telles qu’elles ont été
extraites des rapports du Conseil national de l’éducation,d’importantes
données sur les taux d’abandons et le rendement scolaire en Argentine.
Son ouvrage fournit pour les six premières années d’études(élèves de 6 à
13 ans soumis à l’obligationscolaire) des tableaux statistiques relatifs aux
inscriptions,aux enfants non scolarisés, à l’absentéisme scolaire et aux
abandons. D e son côté,le Consejo federal de inversiones (1964) traite du
problème des abandons dans un ouvrage qui contient des données statis-
tiques et où sont en outre formulées des hypothèses sur les causes des dé-
perditions scolaires (qui peuvent en particulier s’expliquer par les défi-
ciences du système scolaire lui-mêmeou par des facteurs liés aux milieux
socio-économiquesdont sortent les élèves). L’étude de l’organisation de
coopération et de développement économiques sur l’éducation,les res-
sources humaines et le développement en Argentine (1967) met l’accent
sur les aspects méthodologiquesde la planification de l’éducation et de la
main-d’œuvre.Elle traite de l’efficacitéinterne du système d’enseignement
et,en particulier,du sérieux problème des abandons et des redoublements.
Les données y sont analysées par degré et type d’enseignement. Il en
ressort que,malgré le taux élevé de scolarisation du groupe d’âge de 6 à
12 ans,un élève sur deux seulement termine l’enseignementprimaire non
sans avoir d’ailleursredoublé une classe.11 y est indiqué que,par suite des
taux élevés d’abandons et de redoublements,près de douze années-élève
environ sont nécessaires,au lieu de sept, pour produire un diplômé de
l’enseignement primaire. La situation est meilleure à cet égard dans les
écoles secondaires, mais dans l’enseignement technique et supérieur le
taux des abandons est considérable.Le secrétaire d’Etat à l’éducation et
à la culture (1969) attire l’attentionsur le faible rendement du système
Aperçu général de la littérature 41

scolaire argentin et émet l’idée que cette faiblesse pourrait tenir à une
mauvaise structure du système lui-même. Il propose dans son ouvrage
une réorganisation portant à la fois sur les programmes,sur l’articulation
des divers cycles,surla scolarité obligatoireet sur la promotion.Ilpropose
également que l’on s’efforce de déterminer les facteurs sociaux,culturels
et psychologiques qui peuvent être à l’origine de la déperdition scolaire.
Mais si des plans d’ensemble de ce genre ont été établis en vue de réduire
la déperdition scolaire,on ne trouve guère de publications en Amérique
latine qui témoignent de l’applicationde remèdes précis.
Dans le cas du Brésil, un rapport de l’lnstituto nacional de estudos
pedagogicos (1964)et un gros ouvrageen deux volumes émanant du Minis-
tère de la planification(1969)permettent de se faireune idéede la situation.
Le premier met en évidence,au moyen de tableaux statistiques,les liens
qui existent entre l’éducation et les facteurs économiques;les variables
relatives aux institutions économiques et sociales et aux institutions d’édu-
cationy sontprises en considérationet l’ontrouve une analyse des données
relatives à l’insuffisance ou à la surabondance des effectifs scolaires,aux
échecs scolaires et aux abandons en fin d’année.Dans le second ouvrage,
il est d’abord question de l’expansion et de la réforme de renseignement;
un effort est ensuitefaitpour définirles objectifs stratégiquesà viser et pour
évaluer les besoins de l’enseignementmoyen et supérieur en 1970.
A u Chili,le problème national découlant de la déperdition scolaire a
été particulièrement étudié par Hamuy Berr (1961)qui considère que ce
sont les abandons qui jouent le rôle le plus important dans cette déperdi-
tion,puisque c’est à eux qu’est dû le plus grand nombre d’analphabètes
ou d’individusn’ayantqu’uneinstructiontrès réduite.I1indiqueégalement
que, pour étudier les abandons,il a suivi pendant plusieurs années un
groupe d’élèves,en prenant note de la plus ou moins grande régularité avec
laquelle chacun fréquentait l’écoleet en relevant le nombre des promo-
tions,des redoublements et des abandons momentanés ou définitifs; il a
ainsi constatéque les facteursquiinfluaientle plus sur les abandonsétaient
les suivants:lieu de résidence,âge d’entrée en classe,niveau économique
des familles et situation géographique de l’école.
En ce qui concerne le Paraguay,Margarita Ortiz de Salcedo analyse
quantitativement le problème de la déperdition scolaire.Elle indique qu’il
y a au Paraguayun,tauxélevé de redoublements et d’abandonset que 10YO
seulement des élèves entrés en première année primaire en 1949 ont achevé
leurs études primaires. Elle indique également que des mesure sont été
prises pour déterminerles causesde la déperdition scolaire au moyen d’une
enquête portant sur quelque 490 écoles primaires. Au Pérou,le Ministère
de l’éducation a fait paraître un ouvrage en deux parties (1967)qui traite
42 L a déperdition scolaire: un problème mondial

d'abord de la structure du système d'enseignement et fournit ensuite des


statistiques dont certaines ont trait à la fréquentation scolaire et aux
abandons. I1 est également rendu compte dans cet ouvrage d'une étude
portant sur des élèves de l'enseignement primaire et moyen,qui a permis
de procéder à des comparaisons sur les causes d'abandons, au nombre
desquelles figurent les problèmes familiaux,économiques et scolaires.Le
problème de l'abandon des études à la finde l'enseignement primaire y est
considéré comme particulièrement sérieux.
Les facteurs socio-économiquesdéfavorables à l'éducation paraissent
avoir retenu particulièrement l'attention au Mexique. Les documents de
travail présentés lors d'une conférence latino-américaine,tenue à Mexico
en 1963,furent rassemblés dans un ouvrage (1964). O n y trouve notam-
ment une étude pilote spécialepréparée par l'Institutnational de pédagogie
du Mexique,qui visait à repérer les facteurs sociaux,économiques et cul-
turels, étrangers à l'école, dont les incidences affectent la formation de
l'enfant. Les analyses effectuées ont montré que le niveau socio-écono-
mique et le niveau culturel de la famille sont en étroite relation avec la
formation des enfants et avec leur rendement scolaire.D e son côte,G.de
la Peña (1968)rend compte d'une étude menée au Mexique pour déceler
les obstacles à l'instruction qui résultent de la stratification socio-écono-
mique. Elle souligne le fait que son étude, quoique incomplète,fait res-
sortir l'influence probable qu'exerce le milieu socio-économiquesur la
capacité individuelle et le désir d'étudier qu'ont les écoliers. Elle recom-
mande l'améliorationdes services de planificationscolaire et des méthodes
utilisées pour déterminer la politique scolaire.
L'ouvrage de Walker (1968) décrit de façon fort vivante les efforts
massifs de Porto Rico pour améliorer la situation déplorable résultant de
la déperdition scolaire.Le Centro de oportunidades educativas groupe 800
adolescentset adolescentesqui avaient abandonné leursétudes.Ils suivent
1à des cours adaptés à leurs talents et à leurs besoins,sans être répartis en
classes graduées.Ils résidentpour la plupart au centre même et chacun est
affecté à l'un des six principaux groupes prévus aux fins d'enseignement.
Dans chaque groupe,les programmes, qui permettent de conquérir un
diplôme secondairenormal,sontaxés sur tel ou tel des objectifs spécifiques
suivants:préparation aux professionsintellectuelles;formation technique;
formation professionnelle;études pour ceux qui n'ont pas encore choisi
de carrière;enseignement du niveau de la première année des études supé-
rieures;études postsecondaires. Ce qui fait l'originalité du centre, c'est
la grande souplesse du système qui y est appliqué,grâce à laquelle une
forte proportion des élèves ont pu mener à bien leurs études.
Chapitre trois

Ampleur et localisation

Afin de mieux comprendre la fragilitédes tentatives actuelles d'évaluation


de la déperdition,il vaut la peine de revenir sur certaines mises en garde
déjà signalées dans le chapitre un.
Toute étude comparative de l'ampleur des déperditions scolaires ne
peut être, à ce stade, que très approximative étant donné l'absence de
normes internationales applicables aux principaux aspects des systèmes
d'éducation, à leurs objectifs et à leur fonctionnement. Les objectifs
adaptés à un pays ne le sont pas nécessairement à un autre. Si leur uni-
formité n'est pas indispensable à l'établissement de comparaisons inter-
nationales,comme l'ont fort bien montré les travaux de l'Associationin-
ternationale pour l'évaluation du rendement scolaire (IEA),il est impor-
tant de savoir quels sont les objectifs d'un pays et en quoi ils diffèrent de
ceux d'autres pays, si l'onveut déterminer d'une façon valable,sur le plan
international,dans quelle mesure ils ont été atteints.D e même,l'inégalité
des ressources économiques se traduit nécessairement par de tr6s grandes
disparités dans la somme des services d'éducation assurés et dans la
répartitionde ces services.U n système d'enseignement qui desservirait par-
faitement 1 % seulement de la population d'âge scolaire ne ferait que dis-
simuler,sous une apparence d'efficacité,les déperditions qu'il subit.

LES F O R M E S DE L A DBPERDITION
Bien que l'onpuisse contrôler le fonctionnement des systèmes d'éducation
en notant les changements significatifs qui interviennent,ces observations
sont d'une utilisation plus ou moins sûre.I1 faut généralement adopter une
solution intermédiaire,qui tienne compte de la relative facilité des obser-
vations,mais aussi de l'exactitude avec laquelle elles caractérisent l'aspect
étudié.C'est ainsi que les cinq types de déperdition scolaire déjà définis ne
44 L a déperdition scolaire :un problème mondial

se prêtentpas tous à une évaluationaisée et valable.Nous avons déjà men-


tionné l’impossibilitépratique d’apprécierles objectifs d’unpays.La même
difficulté se présente en ce qui concerneles deux premiers types de déperdi-
tion,à savoir l’inaptituded’un système: a) à dispenser un enseignement
universel,et b) à recruter les enfants.Dans de nombreux systèmes éduca-
tifs, il est impossiblede distinguerentre la capacité théorique d’accueildes
écoles et le nombre réel des inscrits.Le meilleur indice dont l’ondispose
donne seulement le rapport entre le nombre d’enfantsinscrits et la popula-
tion d’âge scolaire.C‘est ce qu’on appelle le ((taux ajusté d’inscription»
dans l’enseignementprimaire et secondaire,qui est donné pour de nom-
breux pays, mais non pour tous,dans les tableaux 2.5et 2.6de l’Annuaire
statistique de l’Unesco 1969. O n pourrait considérer le complément de ce
taux comme une mesure de la déperdition qui dépend des deux premières
sources.Mais on objecteraitalors qu’ilexprime uniquementce que les pays
ne cherchent pas encore à réaliser.En tout état de cause,le fait que ce taux
n’est pas connu pour de nombreux pays,pour lesquels on dispose en re-
vanche d’autresmesures de la déperdition,restreint son utilité.

Abandon. L’abandon,volontaire ou provoqué, constitue le phénomène


le plus aisément observable lorsque l’on cherche à déterminer l’incapacité
d’un système à retenir les élèves. Sa valeur est discutable;on peut en effet
estimer qu’uneinstruction,même’rudimentaire,est toujours valable et la
souplesse d’un système qui permet l’abandon avant la fin d’un cycle
d’études peut être en fait un facteur d’ajustementdes besoins en main-
d’œuvre,en particulier au niveau secondaire. Les abandons ne sont pas
nécessairement source de déperditions;en outre,ils peuvent être restreints
par la loi.Dans la plupart des pays du continent européen,en Amérique
du Nord et en Océanie,il est rare que les enfants quittent l’écoleavant la
fin de la scolarité obligatoire.Ces pays ne sont cependant pas tous en
mesure de donner à toute la population d’âge scolaire la possibilité de
fréquenter effectivement l’école;tous n’arrivent pas non plus à faire
appliquer les lois sur la scolarité obligatoire.I1 en résulte que,dans plu-
sieurs cas,un certain nombre d’enfants quittent prématurément l’école.
D e plus,la durée de la scolarité varie selon les pays. Dans plus des trois
quarts des pays considérés,elle est de huit ou neuf ans; mais il y a des
pays - comme le Portugal ou la Turquie - où elle n’est que de quatre ou
cinq ans,alors qu’auxEtats-Unis,dans certains Etats,elle a été portée à
douze ans.Dans chaque groupe d’âge,la proportion des enfants qui vont
en classe subit donc,d’un pays à l’autre,des variations qui sont très sen-
sibles dans l’enseignement primaire supérieur et dans l’enseignement
secondaire du premier cycle.
Ampleur et localisation 45

C‘est dans les groupes d’âge auxquels s’adressent les programmes


spécialisés du deuxième cycle de l’enseignementsecondaire que le pour-
centage d’élèves qui quittent l’école est le plus élevé. Toutefois,ces taux
ne permettent pas de calculer la proportion des élèves qui abandonnent
prématurément l’école sauf si on admet au préalable que tous les enfants
devraientpoursuivre des étudesàplein tempsjusqu’àl’âgede 17ou 18 ans.
D’autrepart,si l’onacceptaitle concept des cyclesd’études,on ne pourrait
déterminer les taux de déperdition qu’àpartir des statistiques des inscrip-
tions et des départs pour chacune des filières spécialisées du deuxième
cycle de l’enseignement secondaire.Mais on dispose rarement de statis-
tiques aussi complètes. ._ t

Redoublement. Le phénomène le plus significatif de l’incapacité d’un


système à atteindre ses objectifs est le redoublement.Sa valeur est, elle
aussi,discutable.O n peut en effet estimer que le redoublement est un bon
moyen de permettre à l’enfantd’effacerun échec antérieur et de le main-
tenir au niveau de l’enseignementdans les normes prévues.
I1y a en outre une différence considérableentre les pays où le passage
d’une année à l’autre est en grande partie automatique et ceux où il est
strictementréglementé.Dansles pays appartenant à lapremière catégorie-
Royaume-Uni,Australie,Nouvelle-Zélande,de nombreusesprovinces du
Canada et plusieurs Etats des Etats-Unisd’Amérique,par exemple -, où
le passage d’uneannée à l’autreest essentiellement une question d’âge,les
enfants ne redoublent guère que lorsqu’ilsont été longtemps absents de
l’école,notamment pour cause de maladie ou par suite de changements
fréquents de domicile. En revanche, dans les pays où les élèves ne sont
admis dans la classe supérieure que s’ils ont atteint ou dépassé un certain
niveau,le taux de redoublement peut être très élevé. D e plus,quand la loi
leur interdit de quitter l’école,il y a dans chaque classe une proportion
importante de redoublants,qui ne fait d’ailleurs qu’augmenter d’un bout
à l’autre du cycle considéré.
Malgréleurvaleur discutable,les abandons et les redoublements demeurent
en fait les symptômes les plus aisément quantifiables de la déperdition
scolaire.Une fois qu’on a décidé de les retenir,les problèmes méthodolo-
giques consistentà les identifier,à les chiffrer en termes internationalement
comparableset à localiser les points du système où ils se produisent.L’idéal
serait de pouvoir baser les mesures de la déperdition sur les donnéesfour-
nies par un système de dossiers statistiques individuels.Cependant, les
pays les plus développés eux-mêmesjugent cette procédure trop onéreuse
et l’onne dispose,en règle générale,que de données indiquant le nombre
d’enfantspar classe et par année.
46 L a déperdition Scolaire :un problème mondial

PREMIERES TENTATIVES DE R A S S E M B L E M E N T DES DONNEES


Diverses tentatives,assez peu concluantes dans l’ensemble,ont été faites
dans le passé pour mesurer la déperdition au moyen des seules statistiques
par année scolaire et par année d’études avec tableaux à double entrée.
Les compilations internationalesauxquelles ont abouti les estimations de
la déperditionfaites dans divers pays sont rarement complètes et reposent
sur des bases statistiques trop disparatespour être réellementcomparables.
O n trouvera ci-aprèsdes indications relatives à la nature des données ana-
lysées depuis une dizaine d’années.Si incomplètes et si peu satisfaisantes
que soient souvent ces données,elles ont néanmoins l’avantagede mettre
en évidence la gravité du problème.

Asie. Lors de la préparation d’un Stage d’études sur la déperdition des


effectifs scolaires et des abandons en cours d’études,le Bureau régional de
l’Unesco pour l’éducationen Asie a analysé toute une série de statistiques
et donné un aperçu de la façon dont les choses se présentaient au cours de
la période 1959-1965 dans les pays participant au Plan de Karachi. Cette
étude1a fait apparaître une variation très sensible du taux de ((rétention))
selon les pays. Dans certainsd’entreeux,comme la République de Chine,
la Républiquede Corée ou la Malaisie,les déperditions étaient,d’aprèsles
rapports reçus, relativement faibles; dans d’autres,au contraire,comme
la Birmanie, le Laos ou le Pakistan,elles étaient très importantes.

Afrique. En vue de la Conférence sur l’éducationet la formation scienti-


fique et technique et leurs rapports avec le développement en Afrique
(CESTA), organisée en juillet 1968 à Nairobi par l’Unescoet l’Organisa-
tion de l’Unité africaine,on a fait des estimations des taux de ((rétention))
dans les classes primaires de 22 des 35 pays de l’Afrique moyenne.2 Le
but de ces estimations était de permettre de comparerles résultats effective-
ment obtenus aux objectifs fixéslors de la Conférence $Etats africains sur
le développement de l’éducationen Afrique,tenue à Addis-Abébaen 1961.
Les taux de rétention pris pour objectifs,pour chaque année d’études,
étaient fondés sur le principe que le taux de déperdition ne devrait pas
dépasser 10% par année d’études.Si cette condition avait été réalisée,
le nombre total d’élèves inscrits aurait été de 59 en sixième année, sur
100élèves entrés en première année.Les chiffres correspondant à la situa-
1. Unesco. Stage d’études SUT la déperdition scolaire et les abandons en cours
d‘études. Rapport final.Bangkok, Bureau régional pour l’éducation en Asie, 1967.
2. Unesco. Objectifs et réalisations de l’éducation à l‘échelon régional 1960-196s.
Paris, Unesco, 1968. (Document Unesco-OAU/CESTA/Réf.2)
Ampleur et localisation 47

tion réelle montrent que,sur 100 éièves inscrits en 1960 en première année,
32 seulement étaient arrivés à la sixième année d’études en 1965.Le taux
moyen de déperditions annuelles avait été de 21 %et non pas,comme on
l’avait souhaité,de 10%. Les écarts entre les 22 pays considérés n’appa-
raissent naturellement pas dans ce taux moyen. Ils étaient considérables,
et seuls trois pays approchaient de l’objectiffixé.
O n note dans le même document une contradiction entre le taux
élevé d’abandonset l’augmentationmarquée des effectifs de l’enseignement
primaire (35 YO)pour la période considérée,en dépit du fait que le nombre
des inscriptionsen première année n’augmentaitque de 20 %. L‘étude des
données disponibles sur les redoublementsdans quelques pays a montré
que chaqueclasse comprenait beaucoup de redoublants et l’ona pensé qu’il
fallaitprobablementvoir là l’unedes causesde l’accroissementdes effectifs.

Amérique latine. I1 ressort de diverses études antérieures3 portant sur


des pays d’Amériquelatineque,pendant la période de 1950 à 1960 environ,
les taux de déperdition ont été si élevés que,d‘une manière générale,25 %
seulement des enfants inscrits en première année arrivaient jusqu’à la
sixième année. Les statistiques relatives au redoublement ont été établies
plus irrégulièrement et il n’estpas possible de se faireà cet égard une image
d’ensemble de la situation.Une étude entreprise au Venezuela6 indique
les pourcentages de promotion,de redoublement et d’abandon pour une
période de 5 ans;mais cet exemple n’est peut-êtrepas typique des rapports
qui peuvent exister entre ces facteurs.
De 1956 à 1965,les effectifs des écoles primaires,des écoles secon-
daires et des universités ont, pour l’ensemble de l’Amérique latine,
augmenté d’environ 60YO,le pourcentage d’accroissement de la popula-
tion,au cours de la même période,n’atteignantpas la moitié de ce chiffre.
Cette augmentation n’a cependant pas été la même dans les trois niveaux
de l’enseignement.Les effectifs de l’enseignementprimaire ont augmenté
de 57,6YO,ceux du secondaire de 110,6YO, et ceux du postsecondaire de
92,3%. Malgré cet accroissement rapide des effectifs des deux derniers
cycles, les pourcentages d’élèves inscrits appartenant au groupe d’âge

3. Brown, R.I.A survey of wastageproblems in elementary education.Bangkok,Bu-


reau régional de l’Unesco pour l’éducation en Asie, 1966. 142 p.
4. Institut d‘étude du développement économique et social. Development prospects
for education in 19 Latin American countries (1960-1970).Paris, 1962.
5. Unesco. Evolution de la situation de l‘éducation en Amérique latine - 1956-1965.
Santiago, Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation, 1966. (Document Unesco/
MENEDECAL/6)
6. Unesco. Educación y economia en Venezuela.Paris, 1963.
48 L a déperdition scolaire: un problème mondial.

intéressé restent inférieurs à ceux des régions plus avancées; malgré la


proportion peu élevée d’élèvesfréquentant l’enseignement secondaire,le
nombre des abandons en cours d’études demeure important.Le taux de’
rétentiondansl’enseignementsecondairegénérala varié entre 15%et 60%
pour les ((cohortes apparentes)) dont les études secondaires ont pris fin
entre 1960 et 1963.

Estimation du coût

Pendant ces dix dernières années,caractérisées par le développement de


l’éducation,l’expansion des systèmes scolaires a constitué une lourde
charge financière pour tous les gouvernements et plus particulièrement
pour ceux des pays en voie de développement.I1 semble que,de façon gé-
nérale,le montant des dépenses ait augmenté à un rythme que ne justifie
pas la seule augmentationdes effectifs scolaires et de la durée de la scola-
rité. Autrement dit,le coût unitaire de l’éducations’est accru.
Une telle augmentation des coûts unitaires a des causes nombreuses
dont la plupart sont sans doute liées à l’améliorationde l’enseignement
(multiplication des bureaux d’orientation et des services psychologiques;
amélioration du matériel,de l’équipement et des bâtiments) et, parallèle-
ment,à un relèvementdes salairesdes enseignantset à un effort soutenu en
vue de perfectionnerleur formation.Ces mesures se sont traduites par une
amélioration qualitative,mais elles ont été coûteuses.
I1 est toutefois certain que de nombreux pays ne seront bientôt plus
en mesure de continuer dans cette voie s’ils ne tirent pas plus de profit de
leurs dépenses. La Conférence de Nairobi de 1968 a constaté que la plu-
part des pays africains étaient loin d’avoir atteint les objectifs qu’ils
s’étaient fixés à Addis-Abéba en 1961,et il ne fait pas de doute que,
arrivésà lalimitede leurs possibilitésfinancières,il ne leurfailleaujourd’hui
améliorer le rendement de leurs investissements et éliminer tout ce qui
limite l’efficacitédu système éducatif.
Par ailleurs,il est incontestableque dans beaucoup de pays,l’accrois-
sement du coût unitaire de l’éducation provient en partie, non pas de
l’amélioration ou du développement du système éducatif, mais bien
plutôt des déperditions qu’il subit sous la forme de redoublements et
d’abandonsen cours d’études.D u fait de ces déperditions,il faut, à un
groupe d’élèves donné,plus d’années-élèvepour aller jusqu’auterme d’un
cycle ou pour atteindre un certain niveau d’instructionque le minimum
nécessaire. Toute place occupée par un redoublant entraîne un surcroît
de dépenses, qui pourrait être évité si les élèves progressaient norma-
lement.
Ampleur et localisation 49

De plus, dans un pays où les moyens en matière d’éducation sont


restreints, ces déperditions ont pour effet de limiter le nombre de places
disponibles pour d’autres enfants qui ne sont pas encore scolarisés et sont
peut-êtreplus doués que ceux qui redoublent ou abandonnent prématuré-
ment leurs études. Les dépenses qu’impliquent les constructions scolaires,
l’équipement, le matériel et le personnel enseignant nécessaires pour ins-
truire des élèves qui abandonneront leurs études avant même d’avoir
atteint le stade de l’alphabétisme fonctionnel ou qui redoublerontplusieurs
classes avant d’arriver au terme d’un cycle scolaire, constituent donc l’un
des obstacles majeurs au progrès de l’éducation.
I1 n’est pas possible de chiffrer, même approximativement, le coût
global de la déperdition en termes financiers; tout indique néanmoins que
ce coût est élevé et que, dans beaucoup de pays, il représente en fait une
part importante du budget de l’éducation. Sans regarder de trop près les
méthodes employées ni les données à partir desquelles les chiffres ont été
obtenus, il est intéressant d’examiner certaines des estimations du coût
brut de la déperdition dans certaines régions. Dans le rapport final du
Stage d’études sur la déperdition des effectifs scolaires et les abandons en
cours d’études, mentionné plus haut, on précise que la déperdition sous
forme de redoublements et d’abandons a coûté au minimum cent millions
de dollars par an aux 17 pays d’Asie participant au Plan de Karachi. L‘am-
pleur du problème varie considérablement d’un pays à l’autre. Si la
moyenne est de 8 %, le coût de la déperdition peut aller jusqu’au 25 %du
budget de l’éducation de certains Etats.
Pour ce qui est de l’Amérique latine, on a estimé à 1584 millions de
dollars le montant total des dépenses consacrées à l’enseignement de tous
les niveaux, public et privé, pour l’année 1960 et évalué à 1140 millions de
dollars, soit 72% de cette somme, le montant consacré à des élèves qui
n’avaient pas terminé le cycle d’études entamé. Ce montant global se dé-
composait comme suit:plus de la moitié (53,8%)pour l’enseignement pri-
maire où, avec un pourcentage de diplômés de 10%seulement,le coût de
chaque diplômé de fin d’études était de 4,125 fois supérieur à ce qu’il
aurait dû être; 30,5% pour l’enseignement secondaire, le coût de chaque
diplômé étant 3,975 fois supérieur à ce qu’il aurait dû être; et 15,7 %pour
l’enseignement supérieur où le coût était 2,15 fois supérieur au montant
optimal.O n a estimé que, au niveau primaire,on pourrait doubler le pour-
centage de diplômés, c’est-à-dire le porter à 20%, pour une dépense
presque équivalente.
50 Lu déperdition scolaire: un problème mondial

L'ENQUÊTE UNESCO :BIE D E 1969170

Telles sont donc les estimations de la déperdition avant l'enquêteeffectuée


en 1969/70 par l'une~co.~ L'enquête de 1969, c o m m e nous l'appellerons
désormais, est particulièrement importante pour plusieurs raisons:
premièrement, parce qu'elle prouve qu'il est possible de rassembler, à
l'échelle internationale et sur une base commune, des données utiles por-
tant sur une m ê m e période; deuxièmement, en raison de la méthode
utilisée; et, troisièmement, pour les conclusions que l'on peut en tirer.
Cinquante-huit des 148 Etats membres et Territoires qui ont répondu au
questionnaire ont été en mesure de donner des renseignements qui re-
posent sur des bases suffisamment larges pour que leur analyse soit justi-
fiée. Mais, bien que les données fournies l'aient été sous une forme fonda-
mentalement semblable, les différences existant entre les politiques d'édu-
cation, la structure des systèmes d'éducation et les conditions socio-éco-
nomiques empêchent toute comparaison directe. Les mêmes raisons mili-
tent contre la mise en commun de renseignementspour des groupes de pays.

La méthodologie
Les études antérieures souffraient d'imperfections méthodologiques qu'a
su éviter l'enquête de 1969 et qui ne permettaient pas d'aboutir à la défi-
nition d'indices reposant sur des données normalisées. Les qualités et les
défauts de l'enquête de 1969 ont une seule et même origine: la simplicité
des données sur lesquelles elle repose. Chaque pays a indiqué, pour autant
d'années qu'il lui était possible entre 1960/61et 1967/68,les effectifs au
début de l'année, par année d'études, si possible par sexe, ainsi que le
nombre de redoublants. O n avait donné du redoublant la définition sui-
vante: «l'élève qui reste dans la m ê m e classe et fait le m ê m e travail que
l'année précédente)). A partir des taux réels de redoublement et de dimi-
nution de la cohorte - ces deux éléments étant considérés comme les com-
posantes de la déperdition - d'une année à l'autre,on a déduit un taux qui
rende compte,le mieux possible, de la tendance observée. I1 est rare qu'un
pays ait fourni des données suffisantes pour qu'on puisse suivre une co-
horte pendant toute la durée d'un cycle permettant des redoublements
multiples. C'est pourquoi ces taux dérivés ont été appliqués à une cohorte
hypothétique de 1000 élèves. I1 a fallu accepter certaines hypothèses qui
semblent plausibles mais ne peuvent être directement vérifiées. L a pre-
mière de celles-ciconsiste à tenir pour acquis que les mêmes taux de re-

7. Unesco: BIE.Etude statistique de la déperdition solaire. Paris, 1971. (Etudes et


enquêtes d'éducation comparée)
Ampleur et localisation 51

doublements et d’abandons s’appliquent aux redoublants et aux nouveaux


inscrits. La seconde est que les élèves qui entrent dans la classe terminale
d’un cycle et ne la redoublent pas sont effectivement arrivés au bout de ce
cycle. Cette hypothèse a été rendue nécessaire par suite du manque de ren-
seignements que l’on a sur les proportions d‘élèves qui terminent avec
succès cette dernière année. Malgré les limitations dues à ces hypothèses
et au manque d’informations relatives au degré de validité des méthodes
utilisées pour le rassemblement et la mise en forme des données, l’adoption
de cette méthode représente un progrès considérable dans le domaine de
l’étude internationale de la déperdition scolaire.

Un exemple. La première conséquence,et la plus importante,de l’applica-


tion des taux dérivés d’abandon et de redoublement est la construction du
diagramme de «flux» d’une cohorte hypothétique de 1000 élèves avec
possibilité de redoublements multiples. Le diagramme donne un exemple
du comportement d’une cohorte de ce genre. Le flux intéresse l’enseigne-
ment du premier degré en Algérie; il est fondé sur des séries chronologiques
réelles allant de 1963/64à 1968/69.L‘Algérie a été choisie comme exemple
i 2 3 4 5 6

1964165
235

i065/66

1966167

1967/6ô

Diagramme montrant le flux d’une cohorte de lo00 garçons et fdles algériens


(d’origine urbaine et rurale à la fois) dans le premier degré de l’enseignement;
basé sur des données portant sur les années 1963/64à 1967/68.
52 La déperdition scolaire: un problème mondial

parce qu’elledispose pour cette période,en dépit de circonstances peu fa-


vorables,de statitisques d’une très grande valeur.
Une fois établi le Aux de la cohorte,on peut l’utiliserpour mesurer
l’incidence,sur chaque tranche de 1000 élèves d’unecohorte,de certains
événements: redoublements, abandons, promotions et progression. En
traitant chaque année comme si elle avait le même poids que les autres,
on peut considérer l’apport(input) total au passage de la cohorte à tra-
vers tout le cycle comme le nombre total ((d’années-élève)). Le produit
(output) de passage de la cohorte est le nombre de diplômés du cycle com-
plet, multiplié par le nombre d’années d’études accomplies. Lorsqu’on
divise le premier chiffre par le second,le rapport inputloutput obtenudonne
la mesure du rendementdu système.D u reste,le rapportinverseest parfois
appelé indice de rendement.O n peut ventiler la différence entre Z’input et
l’output entre les deux éléments représentés respectivement par les diplô-
més et les abandons.Le profil des abandons et des promotions et le taux
de redoublement et de progression pour les diverses années d’études du
cycle révèlent les points où la déperdition est la plus grave. Les taux de
promotion montrent le nombre d’élèves sur 1000 qui terminent avec
succès chaque année d’études,alors que les taux de progression indiquent
le nombre d’élèvesqui passent dans la classe suivantepar rapport à l’effec-
tif initial.Les indices permettent donc non seulement d’obtenir une esti-
mation globale de la déperdition,mais ausside la localiser dans le système.
Au cours du débat qui a eu lieu à la Conférence internationale de
l’éducation de 1970,on a exprimé certains doutes quant à l’intérêtde ces
indicespour des pays qui désirentidentifierles facteursliés à la déperdition
des effectifs. C’est ainsi qu’un délégué a demandé si la méthode employée
permettait de faire un diagnostic sur l’effet de facteurs tels que le sexe,
l’âge,la situation socio-économiqueet la répartition régionale.O n lui a
répondu que l‘enquêtede l’Unescoavait déjà montré cette possibilité.Pour
de nombreux pays,on a établi des indices distincts pour les garçons et les
filles et, pour certains,on a m i s en évidence les différencesentre régions
urbaines et régions rurales.En d’autrestermes,on peut établir des indices
pour n’importe quel type de variable à propos de laquelle on dispose
d’informations:les indices n’ont pas été considérés jusqu’ici comme se
prêtant à un examen de l’interaction des facteurs,mais rien ne s’opposeà
ce que l’onfasse des études utilisant le flux de la cohorte comme base de
l’analysede l’interaction des facteurs.
Le premier degré de l’enseignementen Algérie, déjà présenté dans le
diagramme de ñux fournit un exemple de la capacité descriptive des
indices (voir tableaux 1-4).
Ampleur et localisation 53

Tableau 1
Algérie: La première partie du tableau montre l'investissement unitaire en
années-élèveet le rapport ((input-output)); la seconde fait une distinction entre
la part relative d'abandons et de diplômésdu point de vue de la déperdition. Les
cohortes ont été établies sur la base des taux observés entre 1963/64et 1967/68
pour le premier degré de l'enseignement (urbain et rural).

Total Garçons Filles

Investissement unitaire en années-élève (durée normale des


études) ................................................ 13,3 12,6 15,6
Rapport «input/output»................................. 2,2 2,1 296

Nombre total Totai des Total des Excédent (en O/,) Places absorbées par
d'années-élève années-élève ann&-élève imputable: les abandons mais
investies par non effectives en excédent effectives
1000 élkves (n'aboutissant (aboutissant i la
pas i la promotion promotion)
ou l'obtention aux aux
d'un diplôme) abandons diplômés

4.946 1.555 2.720 82,2 17,s 1.165

Tableau 2
Algérie: Eleves sortants répartis selon le nombre d'années redoublées pour le
premier degré de l'enseignement (urbain et rural). Les cohortes ont été établies
sur la base des taux observés pendant la période comprise entre 1963/64et
1967/68.

Nombre d'années Sorties Répartition en pourcentage


redoublées Totai Garçons Filles Totai Garçons Filles

O 96 90 72 25,9 22,s 24,2


1 124 139 96 33,4 35,3 32,2
2 93 104 78 25,l 26.4 26,2
3 58 61 52 15,6 15,5 17,4
4et t -
Total 371 394 298 100,o 100,o 100,o
54 La déperdition scolaire: un problème mondial

Tableau 3
Algérie:Profilde promotion et d'abandon, et taux de transition pour le premier
degré de l'enseignement (urbain et rural). Les cohortes ont été établies sur la
base des taux observés pendant la période comprise entre 1963/64 et 1967/68.

Année Promotion (année 1 = lOa0) Abandon Taux de transition


d'études Total Garcons Filies Total Garçons Filies Total Garçons Filles

1 1000 1000 1000 144 124 163 - - -


2 856 876 837 171 198 203 85,6 87,6 83,7
3 685 678 634 80 55 95 80,O 77,4 15,7
4 605 623 539 102 110 106 88,3 91,9 85,O
5 503 513 433 132 119 135 83,l 82,3 80,3
6 371 394 298 - - - 73,8 76,8 68,8
Total - - - 629 606 702 - - -

Tableau 4
Algérie: Taux de redoublement, de promotion et d'abandon pour le premier
degré de l'enseignement (urbain et rural). Les cohortes ont été établies sur la
base des taux observés pendant la période comprise entre 1963/64et 1967/68.

Année T a w d e Total Garçons Fill-


d'études 1963164 1967168 1963164 1967168 1963/64 1967/68

Redoublement 113 105 116 108 110 102


1 Promotion 771 825 786 802 764 845.
Abandon 110 70 98 90 126 53
Redoublement 309 110 301 103 320 120
2 Promotion 641 840 559 877 671 830
Abandon 50 50 140 20 9 50
Redoublement 272 175 277 166 265 187
3 Promotion 665 726 690 740 622 705
Abandon 63 99 33 94 113 108
Redoublement 251 203 247 192 256 222
4 Promotion 668 680 693 704 624 639
Abandon 81 117 60 104 120 139
Redoublement 240 173 247 167 227 185
5 Promotion 629 621 650 657 603 580
Abandon 131 206 103 176 170 235
Redoublement 262 197 270 194 247 202
Sorties 738 803 730 806 753 798
Ampleur et localisation 55

Il convient de se rappeler que la période visée par ces tableaux a été


une période critique pour l’Algérie.Immédiatementaprès l’indépendance,
le fonctionnement du système d’éducation a souffert de difficultés évi-
dentes (notamment la pénurie de personnel enseignantpendant la période
de reconstruction). Le tableau 1 permet de formuler les observations les
plus générales sur le rendement du système. Le rapport inputloutput
indique que le nombre effectif d’élèves sortants a coûté plus du double
d’années-élèveque le minimum requis.Ce coût est de 2,lpour les garçons
et de 2,6 pour les ñlles. Le tableau 1 montre également qu’il a fallu en
moyenne 13,3 années-élèvepour produire chaque diplômé au lieu des six
années-élèveprévues.La moyenne fut de 12,6 années-élèvedans le cas des
garçons et de 15,6dansle cas des filles.La secondepartie du même tableau
permet aussi de distinguer la part relative des abandons et des diplômés
dans la déperdition. O n y introduit l’idée d’années-élèvenon effectives,
c’est-à-diredu nombre de places par année occupées par les élèves de la
cohorte sans qu’ily ait promotion ou obtention d’un diplôme.L‘excédent
d’années-élèvepour 1000 élèves algériens était de 2720; 82,2% étaient
imputables aux abandons et 17,8% aux diplômés. I1 convient de noter
toutefoisque,sur ces années-élèveen excédent absorbéespar les abandons,
1165 (42,8%)ont été effectives,c’est-à-direqu’elles ont abouti à une pro-
motion. L‘avantage réel qu’a tiré l’économie des abandons a donc peut-
être été supérieur à la perte totale qui leur est imputée.
Le tableau 2 indique le nombre de diplômés qui ont redoublé, en
fonctiondu nombre d’années de redoublement.C‘est pourquoi on ne pré-
cise pas les années d‘études au cours desquellesles redoublementsont eu
lieu.I1 apparaît que 74,1% de la cohorte ont dû redoubler une année ou
plus. Une comparaison de la répartition en pourcentage des garçons et
des filles montre que les nombres relatifs de «sortants» par rapport aux
nombre de redoublementssont presque égaux. Ce qui revient à dire que,
en s’attachantau nombre de «sortants»,le redoublement ne profite pas
plus à un sexe qu’àl’autre.
Le tableau 3 indique,pour les 1000élèves de la cohorte,les fréquences
prévisibles de promotion et d’abandon pour chaque année d’études ainsi
que le taux de progression.Le chiffre le plus alarmant est peut-êtrecelui
qui montre que 629 élèves sur 1000 (606 garçons sur 1000et 702 filles sur
1000) ont abandonné leurs études avant la fin du cycle.Le tableau 4 in-
dique les taux observés en 1963/64 et 1967/68 seulement, les taux des
années intermédiaires ayant été cependant utilisés pour évaluer le rende-
ment scolaire.La présentation des données de deux années séparées dans
le temps fait apparaître la variabilité des indices et suscite une tentative
d’explicationdes principaux changements.Pour les deux années scolaires
56 La déperdition scolaire: un problème mondial

considérées, le redoublement a été plus élevé dans les années d’études


postérieures à la première classe.Alors que les abandons et les redouble-
ments ont diminué au cours de l’année suivante,les abandons ont en fait
augmenté au cours des troisième,quatrième et cinquième années.
Pour plus de renseignements sur la différence entre les écoles ur-
baines et rurales,il faut se reporter aux tableaux 5 et 6 qui indiquent le
profil de promotion et d’abandonainsi que les taux de transition pour les
élèves du premier degré en Algérie.

Tableau 5
Algérie : Ecoles urbaines, premier degré. Profil de promotion et d‘abandon,et
taux de transition (%).

Année Promotion (année 1 = 1000) Abandon Taux de transition


d’études Total Garçons FiUes Total Garçons Filles Total Garçons Filles

1 lo00 1000 1000 152 161 140 - - -


2 848 839 860 75 114 90 84,8 83,9 86,O
3 713 725 770 95 60 115 91,2 86,4 89,5
4 618 665 655 143 134 145 81,7 91,7 85,l
5 535 531 510 105 99 111 78,9 79,8 77,9
6 430 432 399 - - - 80,4 81,4 78,2
Total - - - 570 568 601 - - -

Tableau 6
Algérie: Ecoles rurales, premier degré. Profil de promotion et d’abandon, et
taux de transition (%).

Année Promotion (année 1 = 1000) Abandon Taux de transition


d’études Total Garçons Filles Total Garçons Filles Total Garçons Filles

1 loo0 loo0 loo0 138 108 193 - - -


2 862 892 807 306 206 354 86,2 89,2 80,7
3 556 686 453 66 101 76 64,5 76,9 56.1
4 490 585 377 49 83 51 88,l 85,3 83,2
5 441 502 326 131 137 116 90,O 85,8 86,5
6 310 365 210 - - - 70,3 72,7 64,4
Total - - - 690 635 790 - - -

I1 convient de souligner qu’aucours de la période 1963/64à 1968/69,


l’Algériea connu de nombreuses migrations internes,principalement des
zones rurales vers les zones urbaines, ainsi qu’une très forte expansion
Ampleur et localisation 57

scolaire. Cet exemple tend donc davantage à illustrer l'interprétation des


indices qu'à formuler un énoncé proprement dit de l'efficacité réelle des
systèmes d'enseignement dans les deux types de zones considérées. I1
existe de toute évidence des différences considérables entre ces deux types
de zones.N o n seulement la déperdition est généralement plus élevée dans
les écoles rurales, mais on note aussi que, pour les filles, la déperdition est
beaucoup plus forte dans les régions rurales que dans les régions urbaines.
L'une des principales raisons à cet état de choses semble être l'ampleur du
taux d'abandon au cours de la deuxième année d'études, année pendant
laquelle 354 filles sur 1000 dans les régions rurales, contre 90 dans les
régions urbaines, ont quitté l'école. D u reste, 453 sur 1000 seulement
atteignent la troisième année d'études dans les régions rurales contre 770
dans les régions urbaines.

Répartition par régions

Les tableaux statistiques résultant de l'enquête


Rapport (c inputloutput >>.
de 1969 sont du plus haut intérêt, et il est difficile d'en rendre convenable-
ment compte en quelques lignes. De plus, les indices ne peuvent pas être
comparés d'un pays à l'autre ni être combinés sans risque d'erreurs. Les
régions délimitées par l'Unesco sont des continents et les 58 pays pour
lesquels on dispose de données ne sont pas toujours représentatifs de leur
région. Il est toutefois souhaitable d'avoir quelques indications sur la ré-
partition de la déperdition et le tableau 7 montre la moyenne et la four-
chette des rapports inputloutput constatés dans chaque groupe de pays
pour le premier degré de l'enseignement.

Tableau 7
La moyenne et la fourchette des rapports (<input/output»pour le premier degré
de l'enseignement relevés dans chaque groupe de pays répartis par régions.

Moyenne Fourchette

18 pays africains 2,oo 1,24-3,55


13 pays latino-américains 1,90 1,53-2,42
13 pays asiatiques 1,31 1,003-2,48
11 pays européens 1,20 1,OO-1,56

I1 est nécessaire de se souvenir de la signification de ces indices lors-


qu'on examine le tableau. Le rapport inputloutput moyen pour les pays
africains indique que l'enseignement du premier degré est à 50YOinefficace
58 La déperdition scolaire: un problème mondial

en raison des redoublementset des abandons.La répartitiongéographique


de la déperdition met en reliefnon seulement la différence entre les pays
développés et les pays sous-développés,mais aussi l'inégalité de leurs
investissements dans l'enseignement.Les rapports moyens pour l'Europe
et l'Asiesont inférieurs aux rapports les plus faibles pour l'Afrique et
l'Amérique latine,et le rapport européen le plus élevé est plus faible que
la moyenne pour les pays africains et latino-américains.
Ces rapports ne portent que sur les enfants qui fréquentent l'école.
I1 faut se rappeler que beaucoup d'enfants n'ont pas même la possibilité
d'abandonner leurs études ou de redoubler.On dispose,pour le dévelop-
pement de l'enseignement, d'un indice utile,à savoir le «taux ajusté d'in-
scription)) pour les premier et second degrés de l'enseignement(voir p.44).
Les valeurs moyennes de ce pourcentage pour les pays susmentionnés
sont: 40 pour les pays d'Afrique, 63 pour les pays d'Amérique latine,
63pour les pays d'Asie,78pour les pays d'Europe.La déperdition est donc
généralement plus forte dans les régions où l'enseignement est moins dé-
veloppé.
O n observe Ia même structure générale de la répartition régionale de
la déperdition dans le second degré.

Tableau 8
La moyenne et la fourchette des rapports «input/output»,pour les premier et
second cycles de l'enseignement secondaire,relevés dans chaque groupe de pays
répartis par régions.

ler cycle du Ze degré 2e cycle du 2e degré


Moyenne Fourchette Moyenne Fourchette

13 pays africains 133 1,15-1,79


10 pays africains 1,72 1,08-2,59
7 pays latino-américains 1940 1,32-1,51
6 pays latino-américains 1,lS 1,13-1,32
12 pays asiatiques 1,20 1,002-2,06
8 pays asiatiques 1,28 1,002-3,23
10 pays euro&ns 1,20 1,09-1,65
3 pays européens 1,21 1,13-1,24

Les différences ne sont pas aussi considérables dans le second degré


et les valeurs moyennes ne sontpas non plus aussi élevées,bien que ce soit
sans doute en grande partie dû à la sélection impitoyable opérée par la
déperdition des effectifs dans le premier degré.
Ampleur et localisation 59

Si l'on veut réduire la déperdition,sa localisation dans le système


revêtuneimportancecrucialeet,en simpliñantàl'extrême,on peut chercher
à savoir si les symptômes de la déperdition sont plus apparents au début
ou à la fin d'un cycle.Cela peut fournir la clef de l'identiíìcationdes prin-
cipaux facteurs en cause. O n peut associer un taux d'abandon élevé au
début du premier degré à une fausse attitude de l'enfantet de sa famille
envers l'école et de l'école envers l'enfant et la communauté. O n peut
également l'associer à l'existencede sociétés à prédominance rurale où
i'enfant peut être utilement employé par la famille.U n taux d'abandon
plus élevé vers la fin du premier degré risque davantage de correspondre
à l'acceptation par la famille d'un niveau d'alphabétisation tout juste
suffisant pour assurer le minimum vital.Parmi les 49 pays qui ont indiqué
le nombre des abandons pendant les diverses années d'études, 15 des
17 pays africains, les 13 pays d'Amérique et 8 des 10 pays asiatiques ont
enregistré le taux d'abandon le plus élevé au cours de la première année
d'études,alorsque 8 des 10pays européens ont enregistréleur taux d'aban-
don le plus élevé au cours de l'avant-dernièreannée d'études (la dernière
année pour laquelle les abandons sont enregistrés). I1 est peut-êtrebon de
noter ici que ces observations ne reflètent pas seulement l'existence ou
l'absencede la scolarité obligatoire.Les pays en question admettent les
abandons dans le premier degré soit parce que les sanctionslégales n'exis-
tent pas, soit parce qu'elles ne sont pas appliquées.

Variations zone urbainelzone rurale. O n peut vérifier s'il s'agit en partie


d'un phénomène d'opposition entre l'économie agricole et l'économiein-
dustrielle en considérant les pays pour lesquels on dispose de renseigne-
ments distincts surles zonesurbaines et les zonesrurales.Pourles sixpaysà
propos desquels l'enquêtede 1969 fournitde telles données,sil'on combine
le nombre d'abandons pour 1000 &ves au cours des deux premières
années et au cours des deux dernières années d'études, on obtient le
tableau suivant:

Tableau 9
Total des abandons pour 1000 élèves dans six pays

Zones urbaines Zones rurales

Deux premières années d'études 1324 3087


Deux dernières années d'études 808 887
60 L a déperdition scolaire :un problème mondial

X2est significatifdans ce tableau au-delàdu niveau 0,001.En d’autres


termes, il y a davantage d’abandons dans les zones urbaines au cours des
deux dernières années d’études et dans les zonesrurales au cours des deux
premières années d’études que ne pourraient l’expliquer des variations
aléatoires d’abandonspar années d’études.
Lorsque,pour lesmêmespays,on dressele tableaudes redoublements,
le résultat est le suivant:

Tableau 10
Total des redoublementspour 1000élèves dans six pays

Zones urbaines Zones rurales

Deux premières années d‘études 3086 4210


Deux dernières années d’études 756 501

X2est significatifau-delàdu niveau 0,001.Ce résultat vient à l’appui


de l’hypothèseselon laquellel’incidencedes abandonsest liée au caractère
urbain ou rural des écoles.
O n pourrait s’attendre à trouver un écart similaire entre les taux
d’abandon pour les garçons et pour les filles;ainsi,par exemple,dans les
communautés agricoles,les a les seraient plus facilement réabsorbées par
la famille après avoir abandonné leurs études, mais telle hypothèse se
trouve compliquée par le fait de la diversité des pratiques dans les com-
munautés en matière de statut reconnu aux filles. En fait, lorsqu’on
examine les chiffres d’abandonsdans les 33 pays qui fournissentdes don-
nées distinctes pour les garçons et pour les filles,on constate que les 8pays
asiatiqueset 11 pays africains sur 12 ont un nombre d’abandonsplus élevé
pour les filles que pour les garçons,alors que dans 6pays d’Amérique du
Sud sur 8 et 4pays européens sur 5 les abandons ne présentent pas autant
de variations.Lorsqu’il y a davantage d’abandons chez les m es dans un
contexte traditionaliste,on s’attendraità constater surtout ce phénomène
dans les communautés rurales,moins influencéespar les conceptionslibé-
rales de l’éducationdes ñlles.En revanche,on s’attendraità ne pas trouver
de variation dans les communautés qui accordent traditionnellement un
traitementégal aux filles.Malheureusement,on ne dispose de données sur
les abandons par sexe,dans les zones urbaines et dans les zones rurales,
que pour un pays d’Afrique (Tableau 11) et quatre pays d’Amérique du
Sud (Tableau 12).
Ampleur et localisation 61

Tableau 11
Total des abandons pour loo0 élèves,par sexe et par zonesurbaines ou rurales,
dans un pays d‘Afrique.

Zones urbaines Zones rurales

Garçons 568 635


Filies 601 790

Dans ce tableau,X2est significatif au niveau de 5%:plus de garçons


abandonnent leurs études dans les zones urbaines et plus de filles aban-
donnent leurs études dans les zones rurales que ne l’expliqueraient des
variations aléatoires.De plus, davantage de filles que de garçons aban-
donnent leurs études dans les zones rurales- l’écartest important - ce qui
n’est pas le cas dans les zones urbaines.

Tableau 12
Total des abandonspour 1000élèves,par sexe et par zonesurbaines ou rurales,
dans quatre pays d’Amérique du Sud : Colombie, République Dominicaine,
Guatemala et Panama.

Zones urbaines Zones rurales

Garçons 1762 3349


Filles 1651 3322

X2n’est pas significatif;il est donc impossible de rejeter l’hypothèse


selon laquelle il n’existeraitaucun rapport entre les abandons,le sexe et le
milieu urbain ou rural. Il est intéressant de noter que,dans les zones
urbaines, davantage de garçons que de fillesabandonnent leurs études et
que l’écartest important,alors que ce n’est pas le cas en milieu rural.
I1 faut prendre certaines précautions lorsqu’oninterprèteles tableaux
ci-dessus,surtout quand ils se réfèrent à des données concernant plusieurs
pays. Tout d’abord,les observations que l’on compare ne sont pas di-
rectes;elles dériventen effet de l’examend‘une cohorte théorique.Ensuite,
il s’agitde fréquencesrelatives ce qui a pour effet d’éliminerles différences
en valeur absolue entre les pays et les groupes combinés.La justification
de l’emploide ces contrôlesde significationdans ces conditions est d’ordre
pratique,en ce sens qu’ilest souhaitable de mettre à l’épreuvedes hypo-
62 La déperdition scolaire: un problème mondial

thèses en dépit du fait que les données ne sont pas tirées d’observations
directes dans des conditions d’échantillonnage connues.Malheureusement,
les renseignements relatifs au second degré ne sont pas suffisants pour
qu’on puisse formuler des hypothèses analogues.

Facteurs âgelclasse. Une étude parallèle de la répartition par âge des


enfants de chaque classe a été faite dans l’enquête de 1969 et on a pu
obtenir des données portant soit sur l’année scolaire 1967/68, soit sur
l’année 1968/69,pour 8 pays d’Afrique, 9 pays d’Asie,12 pays d’Amérique
et 13 pays d’Europe. Des renseignements relatifs à des années scolaires
antérieures ont également été communiqués mais, étant donné qu’ils
couvraient une gamme beaucoup plus large d’années non comparables,
il n’en est pas tenu compte ici. O n a calculé l’âge médian et l’âge modal
pour la première et la dernière année d’études du premier degré dans
chaque pays et on les a comparés avec l‘âge normal prévu par le système.
Avant de poursuivre, quelques mots d’avertissement sont nécessaires.
On a demandé dans l’enquêtede fournir des données relativesau début
de l’année scolaire et d’indiquer si la situation avait changé de manière
significative.Toutefois, étant donné la date à laquelle les renseignements
ont été rassemblés par rapport au commencement de l’année scolaire, on
peut prévoir que les enfants seront en moyenne plus âgés que l’âge normal
d’admission au début de l’année d’études. Si par exemple des enfants ne
commencent la première année d’école qu’après leur sixième anniversaire,
au début de l’année scolaire ils auront de 6 ans à 6 ans 11 mois et, six mois
après, la moitié des enfants environ auront de 7 ans à 7 ans cinq mois, la
moyenne étant d’environ 6 ans 1 1 mois et demi.Etant donné que l’enquête
traite de l’âge d’admission, il est probable que la répartition par âge sera
celle du début de l’année scolaire. Cependant, il existe de grandes diffé-
rences de pratique d’un pays à l’autre et même à l’intérieur d’un pays en
ce qui concerne l’admission des enfants dans la première année d’études de
sorte qu’il serait imprudent de considérer une différence de moins d’un an
par rapport à l’âge normal comme significative d’un retard.
U n autre aspect de la répartition par âge mérite de retenir l’attention.
D u point de vue du maître, l’hétérogénéité de l’âge des enfants qui com-
posent une classe pose des problèmes d’enseignement particuliers et re-
quiert en général une compétence plus grande.Pour une classe déterminée,
l’âge modal est l’âge le plus fréquent dans cette classe et la proportion
d’enfants qui ont cet âge fournit une indication d’homogénéité de l’âge
dans la classe.
Dans le tableau 13 on trouve sept éléments d’information pour chacun
des quatre groupes régionaux de pays pour lesquels on dispose de données
Ampleur et localisation 63

analysables. Les renseignements fournis dans le tableau (selon la m ê m e


numérotation) sont les suivants:

1. Fourchette des écarts entre l'âge médian et l'âge normal dans la pre-
mière année du premier cycle (l'âge médian est toujours supérieur à
l'âge normal).
2. Fourchette des écarts entre l'âge médian et l'âge normal dans la der-
nière année du premier cycle.
3. Coefficient de corrélation par rang de Spearman pour l'écart entre l'âge
médian et l'âge normal dans la première et la dernière année du premier
cycle.
4. Fourchette des pourcentages d'enfants qui ont l'âge modal dans la
première année du premier cycle.
5. Fourchette des pourcentages d'enfants qui ont l'âge modal dans la
dernière année du premier cycle.
6. Pourcentage moyen d'enfants qui ont l'âge modal dans la première
année du premier cycle.
7. Pourcentage moyen d'enfants qui ont l'âge modal dans la dernière
année du premier cycle.

Tableau 13
Différences d'âge dans la première et la dernière année d u premier cycle dans
quatre groupes régionaux de pays.

Afrique Asie Ambrique du Sud Europe

0,37-2,24 0,4&1,48 0,50-1,85 0,51-0,88


0,67-3,73 0,58-2,88 0,91-2,34 0,53-0,95
0,79 0,83 0,67 0,73
21,7-68,7 32,7-83,7 27,7-57,l 51,l-96,0
19,7-52,2 21,3-79,0 20,0-48,2 37,l-90,9
54,O 45,3 38,l 77,5
29,8 34,9 29,l 62,9

Pour chacun des quatre groupes de pays, l'écart entre l'âge médian
et l'âge normal s'accentue de la première à la dernière année d'études. Dans
le groupe des pays d'Europe, nulle part l'âge médian n'est supérieur de
plus d'un an à l'âge normal, qu'il s'agisse de la première ou de la dernière
année. Dans tous les autres groupes (6pays d'Afrique sur 8'6 pays d'Amé-
rique sur 12,5 pays d'Asie sur 1 i), on trouve des pays où l'âge médian est
64 L a déperdition scolaire: un problème mondial

supérieur d’au moins un an à l’âgenormal pour la première année.Pour


la dernière année,6 des 8 pays d’Afrique enregistrent des âges médians
supérieurs d’au moins deux ans à l’âgenormal,et un seul enregistre un
écart de moins d’un an. Parmi les pays d’Amérique, 9 sur 12 enregis-
trent un écart d’au moins un an et 7 des 11 pays d’Asiesont dans le
même cas.
Les coefficients de corrélationpar rang pour l’écartentre l’âgenormal
dans la première et la dernière année sont tous significatifs et semblent
montrer que le retard cians la première année est dans une large mesure
responsable du retard plus important constaté pendant la dernière année.
Les pourcentages médians d’enfants qui ont l’âgemodal décroissent pour
tous les groupes de pays de la première à la dernière année,ce qui semble
montrer que les problèmes posés par les groupes d’âges hétérogènes
s’aggraventd’année en année. D e plus, le pourcentage des élèves de la
classe qui ont l’âgemodal tend à être peu élevé dans les pays où l’écart
entre l’âgemédian et l’âgenormal est le plus grand. Cet écart est évidem-
ment lié à la déperdition: dans les 24 pays pour lesquels on dispose de
données concernant le rapport inputloutput et la répartition par âge dans
les classesprimaires,les coefficientsde corrélationpar rang entrece rapport
et cet écart sont de 0,61 et 0,68,pour la première et la dernière classe
respectivement.

LES IMPLICATIONSP O U R DE FUTURES ENQUETES


Des questions aussi complexes que celles qui viennent d’être examinées
représentent le point extrême que l’on peut atteindre en partant des
données de l’enquête de 1969. Si les observations sur lesquelles elle se
fonde étaient plus détaillées pour chaque pays, on pourrait répondre à
une gamme de questionsbeaucoup plus étendue sansmodifier les méthodes
utiliséesjusqu’àprésent.La technique et les observations dont l’ondispose
actuellement suscitent des questions du genre de celles-ci:

Ampleur relative de la déperdition. Quelle proportion des ressources in-


vesties par 1000élèves accomplissant un cycle donné est-ellegaspillée par
rapport au rendement escompté?
Ampleur absolue de la déperdition. Quelle est la perte totale pour le pays,
représentéepar l’ampleur relativedeladéperditionmultipliéepar lenombre
de milliers d’enfants de la cohorte considérée?
Localisation structurale de la déperdition. Dans quelles années du cycle la
déperdition est-ellela plus forte?
Ampleur et localisation 65

Différenciation des sources de déperdition. Quelle proportion de la déper-


dition,dans chaque année d’études,est-elle imputable aux abandons et aux
redoublements respectivement?
Variation de la déperdition selon le système. Dans la mesure OU les systèmes
sont comparables du point de vue des ressources et de la structure, existe-
t-il des différencesentre les groupes de pays en ce qui concerne l’ampleur
relative, les sources et la localisation de la déperdition?
Variation de la déperdition selon la région. Existe-t-ilà,l’intérieurd‘un pays,
des différences entre des régions géographiquement ou socialement dis-
tinctes en ce qui concerne l’ampleur relative, les sources et la localisation
de la déperdition?
Variation de la déperdition selon l’école.Existe-t-il,dans une même région,
des écarts entre les taux de déperdition pour des écoles dont les caracté-
ristiques sont différentes?
Variation de la déperdition selon l’enfant. Existe-t-ildans
, un même pays
ou dans des pays différents, des écarts entre les taux d’abandons et de
redoublements pour des enfants qui présentent des caractéristiques
différentes?

Les réponses à ces questions offriraient le plus grand intérêt pour tous
les pays du monde. Elles permettraient de déterminer la gravité du pro-
blème de la déperdition des effectif‘sdans l’enseignement et de localiser cette
déperdition matériellement et structuralement.I1 faudrait encore répondre
à certaines questions relatives à la planification des actions à entreprendre
pour remédier à la situation. Dans la mesure où la déperdition est im-
putable au mauvais fonctionnement de certaines parties du système, les
gouvernements ne peuvent agir que sur les éléments qu’il est en leur pou-
voir d’améliorer. Aussi longtemps qu’il n’est pas possible d’analyser la
déperdition au niveau de chaque école et, de préférence, de chaque année
d’études dans chaque école, le gouvernement n’est pas très bien équipé
pour planifier son action et en prévoir le coût.
La méthode utilisée pour l’enquête de 1969 présente encore un autre
défaut. L a déperdition a été évaluée en fonction du nombre d’années-
élève que coûtent les redoublements et les abandons. Or,en ce qui con-
cerne le rendement interne du système scolaire, bien que ce soient des
phénomènes commodes à observer, ils ne représentent pas les faits les plus
directement manipulables. C‘est lorsqu’on doit décider si l’enfant remplit
ou non les conditions requises pour être admis à passer dans la classe
supérieure qu’on atteint le moment critique. O n peut agir de façon efficace
66 L a déperdition scolaire :un problème mondial

sur les taux de déperdition en modifiant le taux de passage. Quant aux


mesures à prendre en cas d'inaptitude à remplir les conditions requises
pour entrer dans chaque classe,elles représentent le second élément qui
mérite d'êtreexaminé.En planiñant l'actionqui vise à réduire les taux de
déperdition on devrait mettre l'accent sur toutes les mesures dont l'objet
est d'empêcher le redoublement d'une classe dans sa totalité ou d'em-
pêcher l'enfant d'abandonner ses études à la suite d'un échec. Pour ce
faire il y a lieu de distinguer les abandons qui sont la conséquence d'un
échec scolaire des abandons volontaires,sans rapport avec le fonction-
nement du système. Ces abandons volontaires sont généralement impu-
tables à des facteurs externes,dont l'école doit tenir compte en prenant
d'autres initiatives sociales et économiques.Ce n'est que si l'on connaît
l'ampleur et la localisationde cette forme d'abandon qu'on pourra prendre
des mesures appropriées.
Ces remarquesne sauraientêtre interprétéescomme visant à diminuer
l'enquête de 1969 et les conclusions que l'on peut en tirer. Pour obtenir
des renseignements plus positifs, qui contribueraient à résoudre le pro-
blème de la déperdition scolaire,il faudrait une rénovation des méthodes
que les pays emploient actuellement pour recueillir les données fournies
par leurs écoles. O n peut espérer que, si ce renouvellement se fait,les
observations enregistrées permettront des comparaisons entre des pays
qui diffèrent par leur manière de faire passer leurs objectifs dans les insti-
tutions scolaires,ainsi que par la nature de leur échec à atteindre ces buts.
Ces pays pourraient alors peut-être discuter des objectifs eux-mêmesen
vue d'améliorer le sort de l'humanité tout entière.
Chapitre quatre

Facteurs internes:
problèmes et remèdes

Pour faciliter l’analysedes causes des déperditions et les remèdes qu’elles


appellent,il est commode de distinguer entre les facteurs internes du
système d’éducation et les facteurs externes. O n doit cependant se de-
mander si ces deux types de facteurssont réellementindépendants et, dans
quellemesure toutce qui se passe à l’intérieurde l’écolen’estpas influencé,
voire même déterminé,par les facteursexternes.Nous sommesconvaincus
que c’est le cas et notre étude ne saurait ignorer ce fait.
Par ailleurs,il ne s’agit point de dresser ici l’inventairede tous les
systèmes scolaires défectueux ni de faire le bilan des mérites et des insuffi-
sancesde chacun d’entreeux.I1 est en effet bien évident que la construction
d’un modèle idéal,à partir de l’additiondes mérites, relèverait de la pure
utopie et ne ferait que prolonger une traditionpédagogique dont le défaut,
et non le moindre,résidedans l’illusionqu’ilpeut exister une sciencepéda-
gogique indépendammentdes réalités sociales,politiques et économiques.
I1 convient aussi de s’interrogersur l’intérêtde notre étude.Peut-elle
apporter quelque chose de nouveau? Les nombreux ouvrages publiés
depuis le début de ce siècle n’ont-ilspas traité de toutes les causes du
mauvais fonctionnementdes systèmes scolaireset,parallèlement,proposé
des remèdes? Les quelque soixante recommandations adoptées par la
Conférence internationale de l’éducation n’ont-ellespas attiré l’attention
sur des problèmes fondamentaux et mis en évidence des solutions pos-
sibles pour améliorer l’efficacitéde l’enseignement?En fait,on n’avaitpas
mesuré l’ampleur des déperditions;on savait plus ou moins confusément
qu’elles existaient, mais n’était-cepas un phénomkne normal inhérent à
tout système d’éducation?Par ailleurs,on doit s’étonnerdu peu d’impact,
surla réalitéscolaire,de tousles écrits des psychologuesoudespédagogues,
de toutes les recommandations formulées par des groupements interna-
tionaux. Pourquoi ce hiatus entre la théorie et la pratique? Pourquoi
68 La déperdition scolaire :un problème mondial

est-il si difficile de changer l’école? Nous croyons que le scepticisme face


aux opinions, aux idées, si générales soient-elles,de même que le poids de
l’histoire de l’éducation sont à même d’expliquer ces difficultés. E n effet,
dans un monde dominé par la science et la technique, on demande que les
transformations de l’école reposent sur des faits établis scientifiquement
et non sur des impressions. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un alibi
pour conserver le statu quo,cela paraît normal. Or,la recherche pédago-
gique ne s’est guère occupée du problème des déperditions. E n fait, à l’ex-
ception de quelques rares pays, elle ne possède pas les moyens nécessaires
pour s’attaquer à des questions essentielles, elle en est encore souvent au
stade du travail artisanal et son champ d’activité se limite fréquemment à
des améliorations de détail. Il est probable aussi qu’elle manque de m o -
dèles scientifiques interdisciplinaires et qu’elle demeure en marge des
données économiques,sociales et politiques. D’autre part, ne suffit-ilpas,
pour comprendre le rôle de l’histoire,de se rappeler qu’en Europe l’école
primaire est issue des ((écoles des pauvres)) ou des ((écoles de charité))?
O n estimait, au début du 19e siècle, que cles hommes de la classe
ouvrière - celle qui tire sa subsistance du travail de ses bras - ont bientôt
besoin du travail de leurs enfants; et les enfants eux-mêmes ont besoin de
prendre de bonne heure la connaissance, et surtout les mœurs du travail
pénible auquel ils se destinent. Ils ne peuvent donc pas languir longtemps
dans les écoles. I1 faut qu’une éducation sommaire,mais complète en son
genre, leur soit donnée en peu d’années ...) )
Bref, la véritable éducation n’est possible que pour l’élite.Certes
aucun ministre de l’éducation ne pourrait aujourd’hui soutenir de teiles
idées. Mais est-ce bien certain que beaucoup de gens d’école - de l’école
primaire à l’enseignement supérieur - ne pensent pas secrètement que la
grande masse des élèves n’a pas besoin d’une éducation très poussée, que
l’échec est normal et que les mauvais élèves seront formés par le dur travail
de l’usine ou des champs?
A u terme de ces quelques remarques initiales, il va être procédé à
l’analyse des principaux facteurs internes de la déperdition.

1. Texte de 1800, cité par Antoine Prost,dans L’enseignement en France de I800 à


1967. Paris, Armand Colin,1968.
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 69

LES MODES DE SELECTION


L‘enquête de 1969 demandait à chaque Etat membre des informations sur
les règlements de promotion et d’examen en vigueur dans l’enseignement
primaire et secondaire. Une première étude des réponses révèle une
extrême diversité: à côté de dispositions très simples, on a souvent affaire
à des règles si complexes que, faute de connaître le système scolaire en
question, on a quelque peine à les interpréter correctement. E n examinant
plus attentivement les données, on découvre cependant qu’il est possible
de les ramener au schéma suivant:

Promotion

Elle dépend uniquement des appréciations données par les maîtres au


cours de l’année.
Les résultats d’un examen de fin d’année sont seuls pris en considération.
O n combine les résultats de l’année et ceux de l’examen dans des propor-
tions variables d’un pays à l’autre.
O n prévoit parfois que les examens sont trimestriels ou semestriels. Dans
certains pays, les appréciations des maîtres sont combinées avec les
résultats obtenus à des épreuves d’inspecteurs ou de chefs d’établisse-
ment. Là encore, les proportions varient de cas en cas.
I1 arrive aussi que, là où l’examenest décisif, il n’est prévu que pour cer-
taines matières ; seules les appréciations des maîtres comptent pour
les autres.

Passage d’un cycle à un autre


Les appréciations des maîtres sont seules prises en considération.
La décision dépend uniquement d’un examen.
C o m m e pour la promotion, on combine les appréciations des maîtres
avec les résultats de l’examen.
Les deux dernières dispositions sous Promotion))s’appliquent aussi dans
ce cas.
Dans plusieurs pays, il y a un examen à la fin d’un cycle, mais l’entrée
dans le suivant dépend d’un deuxième examen.
Qu’il s’agissedes appréciations des maitres ou des résultats d’examen,
les règlements prévoient le plus souvent une moyenne générale minimale
et des moyennes minimales dans certaines matières - la langue maternelle
(ou langue d’enseignement), les mathématiques, la religion, par exemple.
I1 arrive fréquemment que des disciplines (musique,dessin, modelage, etc.)
ne soient pas du tout prises en considération.En revanche,on prévoit des
70 La déperdition scolaire :un problème mondial

appréciationsrelatives à l’ordre,à la conduite ou à l‘assiduité au travail,


qui peuvent décider d’une promotion ou de l’admission dans un cycle
supérieur.
En résumé,quel que soit le mode utilisé,tout revient à traduire par
un nombre l’acquisition d’une certaine connaissance et à prévoir des
opérations arithmétiques pour combiner ces nombres.
Quel rapport y a-t-ilentre cette comptabilitéet lesprocessus d’uppren-
tissage?
D e nombreux psychologues affirment qu’apprendre ((c’est doter
l’organisme de propriétés fonctionnelles nouvelles», c’est changer de
façon continue,c’est un processus dynamique et non statique.I1 est vrai
que les mécanismes d’apprentissage sont à maints égards mal connus,
mais rien,dans l’étatactuel de nos connaissances,ne permet de découper
l’évolution continue de l’individu en tranches plus ou moins arbitraires
et de procéder au cours ou à la fin de ces tranches d’éducation à des
contrôles.Que veut-on?Saisir un état momentané? Contrôler la capacité
de réciter des phrases? Peut-être.Mais quels liens peut-on établir entre
cette performance verbale et une connaissance durable? Espère-t-on
mesurer un pouvoir créateur? Toute tentative d’introduire une mesure
arithmétique dans le cours d’unapprentissage ne repose-t-ellepas sur une
méconnaissance totale de l’évolution et de la construction de l’intelli-
gence? Et,quand bien même le procédé de contrôle serait valable, que
signifie le nombre qu’on va attribuer à la performance de l’élève?Quelle
est sa validité? Depuis plusieurs décennies,de nombreuses recherches ont
montré combien l’appréciationchiffrée était contestable;la note dépend
du correcteur,elle varie avec le temps: à quelques jours,à quelques se-
maines de distance,un correcteur ne donne que rarement la même note
à la même épreuve. Le plus souvent, l’échelle adoptée est subjective,
fortement liée la personne du maître,à son état d’esprit.
Le cloisonnement des disciplines conduit à une succession de me-
sures,comme si la personnalité de l’élève pouvait être morcelée, appré-
hendée en pièces détachées, comme si les divers apprentissages n’agis-
saient pas les uns sur les autres. Et les compétences des maîtres varient
avec les matières enseignées,ce qui donne immanquablement aux notes
des validités différentes. Par ailleurs,les matières enseignées se prêtent
plus ou moins bien à un découpage en tranches et à une appréciation des
performances. N’est-ilpas significatifqu’on ait souvent renoncé à mettre
des notes de dessin,de musique et,de façon générale,à mesurer toutes les
activités manuelles et créatrices?
Admettons un instant que le parfait correcteur existe: la promotion
d’un de ses élèves va dépendre de la moyenne exigée par le règlement.Or,
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 71

selon quel critère a-t-onfixé cette moyenne? N'est-il pas curieux de cons-
tater que,dans deux pays voisins,OU les conditions culturelles sont com-
parables,les moyennes minimales sont différentes, sans compter que les
échelles imposées par les autorités centrales ne sont pas comparables;et
pourquoi,dans deux pays OU la langue d'enseignement est la même,suffit41
de franchir la frontière pour passer d'une échelle 1-6 à une échelle 1-20?
Les nombreux séminaires ou congrès nationaux ou internationaux
ont mis en évidence le fait qu'il n'y a pas un seul psychologue ou péda-
gogue qui n'en ait pleinement conscience et qui ne proclame que les notes
sont fort problématiques. Et,pourtant, on continue à décider de l'avenir
des élèves à l'aidede cette méthode contestable.Pourquoi s'étonner dès
lors de l'ampleur des déperditions?
Mais la comptabilité scolaire a encore d'autres effets sur les systèmes
d'éducation. O n assiste en effet à un déplacement des finalités: ce n'est
pas l'épanouissement d'une personnalité qui compte,mais avant tout la
capacité d'apprendre des choses mesurables.Et l'enseignement lui-même
est conçu en fonction de cette nécessité; ce qui était en quelque sorte
secondaire devient primordial,la note chiffrée est une fin en soi.Les opé-
rations de contrôle l'emportent souvent sur l'enseignement et constituent
pour l'élève comme pour le maître une menace permanente.Celui qui a
vécu,dans une école,la fin d'une année scolaire sait quel état de tension
créent pour l'administrateur,les maîtres et les élèves les dernières épreuves
et leur correction, le calcul des moyennes, l'établissement des bulletins
annuels et les conférences des enseignants qui vont appliquer les règle-
ments. L'école est devenue une usine à fabriqueret à transcrire des notes;
l'enseignement a dû céder la place à la comptabilité. Et ces notes dont
chacun connaît la relativité sont devenues des tabous.Une note inscrite
dans le registre de l'écolene saurait être modifiée,le maître qui le propo-
serait encourrait la désapprobation de ses collègues et de ses supérieurs.
D e même,la discussion de cas limites - dans les écoles où l'on n'applique
pas le règlement à la lettre - conduit à des débats aussi dramatiques que
comiques. A u nom de quoi convient-ild'accorder la promotion à un
élève dont la moyenne est inférieure d'un dixième de point à la norme
prévue? Question dramatique,car onjoue l'avenird'un individu,comique
lorsque l'on sait que l'erreur attachée à chaque note est sans commune
mesure avec un dixième de point.

Les examens

Tout ce qui vient d'être dit des notes chiffrées s'applique aux apprécia-
tions des examens écrits ou oraux. Il faut toutefois souligner le fait que
72 La déperdition scolaire :un problème mondial

les circonstances rendent encore plus problématique la valeur des cota-


tions. Les correcteurs ne disposent que d'un temps limité, la durée des
interrogations orales est chronométrée. Pour les maîtres,les élèves et les
parents, l'examen crée un état de tension souvent si insupportable que de
nombreux psychiatres ont dénoncé son effet néfaste sur l'hygiène mentale.
U n tel état est peu propice à une appréciationobjective des performances des
élèves, on tombe en fait dans l'arbitraire et nombreuses sont les études qui
le montrent clairement. Dans les épreuves écrites, le choix des questions
relève du pur hasard; l'appréciation du travail de l'élève dépend autant de
la présentation, de l'écriture que du contenu; l'anonymat que certains
défendent comme une garantie d'équité conduit à une déshumanisation
inquiétante, l'élève n'est plus une personne, mais un numéro. Les inter-
rogations orales dépendent elles aussi de multiples variables: le ton du
maître, son calme ou sa nervosité, la façon de poser les questions, de
suggérer les réponses, le souci de faire bonne impression sur les experts.
Le comportement du candidat joue, lui aussi, un rôle décisif: rapidité de
réaction, habileté à percevoir les intentions de l'interrogateur, blocage.
De plus, le fait que souvent l'élève doit tirer au sort une question montre
bien qu'on a affaire à une loterie. Toutes ces constatations sont connues,
et pourtant on confie à ces méthodes douteuses le soin de décider de
l'avenir de générations entières d'enfants ou d'adolescents. Est-ilétonnant
que les élèves deviennent contestataires?
Quelle que soit la fragilité des notes, plus contestable encore, semble-
t-il, est la nature m ê m e des examens: ne sont-ilspas un procédé de sélec-
tion aveugle à l'état pur? O n crée de toutes pièces une situation artiíìcielle:
à une date et à une heure fixées à l'avance, il s'agit pour l'élève, de resti-
tuer une matière ou plus exactement un fragment de connaissance. O n dit,
bien sûr, que les connaissances emmagasinées ne comptent guère, on veut
en réalité mesurer la capacité de réflexion. Affirmation souvent gratuite,
il s at de lire quelques centaines de questions pour découvrir que le ré-
sultat de l'examen se joue sur ce qui a été appris.L'élève sait plus ou moins
confusément qu'il convient d'imiter les maîtres pour réussir,de reproduire
ce qui a été enseigné plutôt que de faire preuve d'originalité. I1 y a évidem-
ment des différences entre les examens de l'école primaire et ceux de
l'école secondaire.Dans le premier cas, l'enfant ne fait que reproduire des
matières plus ou moins bien assimilées, dans le second, les réactions de-
viennent plus subtiles: il essaie de dire ou d'écrire ce qui sera valorisé par
le système. Peu importe le rôle formateur de l'éducation,il s a t de savoir
calculer, combiner, imiter, d'être sûr de soi. L'émotif, le maladroit,
l'hésitant, celui qui parle ou écrit mal, risque toujours d'être éliminé,
quelles que soient ses capacités.
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 73

E n résumé, l’examen développe chez l’individu un état d’esprit, un


comportement et des habitudes qui sont la négation de tout ce qu’on peut
lire dans les textes officiels sur les finalités de l’éducation. Sans compter
que maîtres et parents l’utilisent constamment comme une menace pour
stimuler l’enfant ou l’adolescent, créant ainsi un climat de peur qui est
à lui seul déjà un facteur de déperdition. Quel rapport existe-t-ild’ailleurs
entre les examens et l’exercice d’une profession?

LES REGLEMENTS
Nous avons déjà fait en passant quelques remarques à propos des règle-
ments de promotion ou d’examens;il vaut la peine d’y revenir. Quelle en
est la fonction? D’une part, ils établissent une norme à laquelle doivent
se soumettre tous les maîtres, d’autrepart ils représentent pour les parents
une sorte de contrat: si votre enfant obtient tel résultat, il est promu, ou
il a droit à tel diplôme. Pour les maîtres, le règlement sert de protection
vis-à-vis des parents; pour ces derniers il garantit le fonctionnement
équitable du système. Formellement, un maître ne prend pas de décision
quant à l’avenir d’un élève, il applique les dispositions légales. De leur
côté, même s’ils sont insatisfaits, les parents ne peuvent réagir que si les
règles prévues n’ont pas été respectées.O n conçoit aisément qu’un système
d’éducation ne puisse fonctionner sans un minimum de règles. Ce qui
est contestable, c’est l’élaboration de ces textes qui conduisent à un dé-
placement des finalités de l’éducation:il importe non pas de se former,ou
d’apprendre à apprendre, mais de remplir les conditions fixées dans les
lois scolaires.Or,la majeure partie des prescriptions en matière de promo-
tion ou d‘examens sont arbitraires,elles ne reposent que rarement sur des
recherches sérieuses. Pourtant, compte tenu de la quantité de travaux
accumulés dans les archives des écoles ou des ministères, il serait facile
d’analyser la validité des normes fixées, de s’interroger sur leur rôle face
aux déperditions. Quand dans un pays - selon l’enquête statistique de
l’Unesco de 1969 c’est très fréquemment le cas - les déperditions touchent
50 %, 60% ou plus de la population scolaire, on ne peut en conclure que
les règlements sont bien établis et que les élèves sont des cancres.Bien plus,
on doit se demander si ce mode de faire ne met pas en péril le fonctionne-
ment même de l’économie du pays et si la passivité des parents durera sans
que jamais il n’y ait de réaction. Ni les responsables de l’économie d’un
pays, ni la population adulte ne s’interrogent sur la valeur et la significa-
tion des règlements, ils les ont admis comme une inéluctable fatalité. C‘est
ce qui explique en partie pourquoi rares sont les administrateurs scolaires
qui les mettent en cause. Seule une prise de conscience des parents pourrait,
14 L a déperdition scolaire: un problème mondial

dans l’étatactuel des choses,amener des changements.Malheureusement,


les parents ont eux-mêmes été conditionnés par le système scolaire,il
arrive même que,là où l’école cherche à innover,elle se heurte à la résis-
tance des aînés qui comprennent mal pourquoi ce qui était valable pour
eux ne s’appliqueraitpas à leurs enfants.

LES VICTIMES DU SYSTEME


La presse quotidienne,tout comme les revues spécialisées dans le domaine
de l’éducation,parle souvent des qualités que devra posséder l’adultede
1990ou de l’an 2000.11devra être capable de s’adapterà des circonstances
aujourd’huiimprévisibles,il changera plusieurs fois de profession et devra
faire preuve d’initiative,quel que soit son métier; ce qui comptera,c’est
son pouvoir créateur,inventif,son audace,son courage,sa persévérance.
Comme on ignore quelles connaissances seront utiles dans 20 ou 30 ans,
on insiste sur l’importancedes méthodes de travail,la possibilité de tirer
parti, de trier et de critiquer les informationsfourniespar tous les moyens
de communication.Or,fait étrange,l’école tourne le dos à cet avenir.
L’assujettissementde l’élève au système de cotation engendre chez lui une
série de mécanismes qui,tant sur le plan du comportement que sur celui
du raisonnement,entravent son développement.La note polarise l’élève
sur un résultat qu’il faut atteindre à n’importe quel prix: recettes, devi-
nettes,tricheries,tous les moyens sont bons.O n valorise rarement le rai-
sonnement,le cheminement que l’élève a suivi pour répondre;ainsi se
développent des habitudes contraires à tout idéal de formation de l’indi-
vidu:paralysé par la crainted‘être incapablede fournirlaréponse attendue,
l’élève court au plus pressé et répond n’importe quoi. Si la chance lui
sourit,tant mieux! Pour évaluer un travail, on compte les fautes sans
prendre en considération tout ce qui est correct;ainsi l’élève ne peut que
perdre des points.Toute appréciationest centréesur l’échec;on décourage
au lieu de valoriser l’effortfourni pour surmonter une difficulté. Quant à
la capacité de créer, d’inventer,elle ne joue qu’un rôle insignifiant;pour
réussir,il vaut mieux se conformer aux normes courantes.Ajoutons que
la nécessité de mettre fréquemment des notes conduit les maîtres à ima-
giner de véritables questions pièges. I1 y a les épreuves d’orthographe
célèbresoù l’on a accumulé par plaisir les traquenards,il y a les problèmes
de mathématiques aux situations irréelles,à rebours du bon sens.
Si quelques parents - le plus souvent appartenant à des professions
libérales - critiquentle système de sélection,la majorité de la population
l’accepte.Bien plus, on joue le jeu,on récompense les bonnes notes, on
sanctionne les mauvaises. O n répète avec plaisir qu’un enfant est le meil-
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 75

leur de sa classe,que tel autre a brillamment réussi un examen;on dit par


ailleurs que celui qui a échoué est peu doué. Personne ne s’interrogesur
le caractère arbitraire de ces appréciations:la vie n’est-ellepas un vaste
système de sélection? La presse, elle aussi,emboîte le pas en mettant en
évidenceceux qu’elleappelle les élèves brillants.Sousla pression de l’auto-
rité des maîtres et des parents, les élèves ne peuvent qu’intérioriser les
normes en vigueur,ils sontpris dans un processusinexorable quifaitpartie
des mécanismes d’intégrationde l’enfantdans la société ...immobile.Bien
des élèves deviennent complices du système: s’ils réussissent,ils croient
à leurs ((dons))et trouvent normal que d’autres échouent; les déperdi-
tions ne les émeuvent pas. L‘opinion publique n’a-t-ellepas les mêmes
réactions?

L’ORIENTATION SCOLAIRE: REMEDE ou PALLIATIF?

En un certain sens on a pris conscience de l’aspectarbitraire de la sélection


fondée sur les modes habituels d’évaluation.Aussi les autorités scolaires,
pour remédier à la situation,ont-ellescréé des offices d’orientationsco-
laire et professionnelle,des offices médico-pédagogiquesou des services
de psychologie scolaire. Les premiers tentent de déterminer quel type
d’école un élève doit fréquenter et subsidiairement quelle profession con-
vient le mieux à ses possibilités.Les deuxièmess’occupent d’unepart d’en-
fants retardés physiquement ou mentalement,d’autre part d’élèves mo-
mentanément perturbés par la vie familiale ou des problèmes scolaires.
Quant aux troisièmes,ils réunissent,en un seul organisme,les activités
dévolues aux deux premiers. Si les services de psychologie sont le plus
souvent installésdans les bâtiments scolaires mêmes,les autresoffices sont,
selon les pays,plus ou moins étroitement rattachés à une école ou à un
groupe d’écoles; il arrive parfois que l’orientation scolaire et profession-
nelle dépende du ministère du travail,de l’industrie ou de l’économie.A
regarder de près le fonctionnementde ces divers services, à lire la littéra-
ture spécialisée dans ce domaine,on en vient à se demander dans quelle
mesure l’école,incapable de contrôler des phénomènes ou des perturba-
tions qu’ellecrée en grande partie,ne confie pas à ces offices spécialisésle
soin de réadapter l’enfantau système scolaire responsable de sa désadap-
tation? U n psychologue-orienteurpeut-ilvraiment tenir compte unique-
ment des résultats qu’ila recueillis pour conseiller un élève? Son sens des
réalités ne l’amène-t-il pas tout naturellement à orienter non pas tellement
selon les possibilités recensées qu’en fonction de la nature et des caracté-
ristiquesdu système scolaire,donc des défautsde ce système qu’ilconnaît?
On ne sauraitle lui reprocher,mais,dans ces conditions,quel remède ap-
76 La déperdition scolaire: un problème mondial

porte le recours à ses compétences? Les critères de l’orientation ne dif-


fèrent-ilspas, en dernière analyse, des critères de sélection de l’école?
Qu’on nous comprenne bien: nous savons que les psychologues dis-
posent de techniques qui peuvent révéler chez l’élève des possibilités que
l’école ignore ou faire apparaître des défauts cachés.La difficulté ou l’inef-
ficacité du travail du psychologue tient essentiellement au fait qu’il a
rarement les moyens et l’autoriténécessaires pour que l’école tienne compte
de ses résultats. La vieille méfiance des autorités scolaires et des maîtres
n’a pas encore disparu et, par ailleurs, nombre de psychologues, si bien
préparés soient-ils dans l’emploi de leurs méthodes, ignorent tout ou
presque tout des réalités de l’enseignement. I1 suffit de consulter des plans
universitaires de formation dans plusieurs pays industrialisés pour se
rendre compte que la place faite à l’école et aux divers apprentissages
scolaires est réduite à la portion congrue. De plus, les divers services psy-
chologiques ne font que rarement partie intégrante de l’école;ils travail-
lent le plus souvent en marge de celle-ci, ce qui ne fait qu’accroître les
difficultés de collaboration avec les maîtres.
Enfin, une dernière remarque s’impose: dans quelle mesure les tests
ont-ils été conçus indépendamment des exigences habituelles, bonnes ou
mauvaises, de l’école? Certes -il faut insister sur ce fait - il s’agit toujours
d’épreuves standardisées qui n’ont pas le caractère subjectif et arbitraire
des épreuves scolaires.Et,à cet égard, le progrès est considérable; il n’en
demeure pas moins qu’on s’est souvent contenté de résoudre le problème
suivant: étant donné le contenu et le fonctionnement d’un système d’édu-
cation, comment prédire le plus valablement les succès scolaires d’un
élève? C’estpourquoi, dans l’état actuel des choses, l’orientation scolaire
est un palliatif plutôt qu’un remède.

DE QUELQUES REMEDES
Les modes d’évaluation et de promotion qui ont été analysés plus haut
représentent un aspect du mauvais fonctionnement d’un système d’éduca-
tion. Peut-on agir sur ce seul facteur? Peut-on l’isoler du reste? Nous
sommes convaincus qu’une transformation profonde de ces modes n’est
possible que si l’on rénove l’ensemble : programmes, méthodes, éva-
luation sont étroitement dépendants. E n analysant les remèdes pratiques
appliqués dans un certain nombre de pays, on ne saurait oublier que les
améliorations ont porté le plus souvent sur l’ensemble du système: les
mesures relatives aux modes d’évaluation et de sélection n’en constituent
qu’un élément.
Plusieurs ministères d’éducation estiment que leur politique scolaire
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 77

exige le maintien d'un système d'appréciation numérique lié à des règle-


ments de promotion et à des examens.
Il ne nous appartient pas de juger le bien-fondé de ces décisions. E n
revanche il est possible, dans un tel cadre, d'apporter de réelles améliora-
tions au système. Ce qui compte d'abord, c'est de substituer à une péda-
gogie de l'échec une pédagogie de la réussite. Cette rénovation se traduira
en premier lieu par l'attitude des maîtres dans le travail quotidien: au lieu
I
de comptabiliser les fautes, on mettra en évidence ce qui est correct; de
nombreux travaux de psychologues montrent en effet qu'on améliore le
rendement d'un élève en valorisant ses bonnes réponses, en tirant parti de
ses progrès, si minimes soient-ils.Les jugements négatifs - {(paresseux,
inattentif, désordonné, stupide ...» - qui visent toujours les mêmes élèves
ne sont-ils pas en partie responsables des déperditions? O n met en cause
la personnalité de l'enfant, on le blesse à propos de quelques fautes d'or-
thographe,de calculs erronés ou d'un devoir non su. O n croit fermement
que les seules stimulations valables sont faites de menaces, de blâmes ou
de sanctions. Certes, il y a longtemps que des Claparède, des Dewey ou
des Makarenko ont dénoncé tout cela, mais c'est malheureusement
encore une réalité dans de trop nombreuses classes, réalité souvent ap-
prouvée par les parents.
D e plus, au lieu de souligner les performances individuelles, on peut
attacher un grand prix au rendement d'un groupe d'élèves, voire même
d'une classe tout entière. C'est l'occasion de stimuler la solidarité et la
I
responsabilité de chaque individu à l'égard de l'ensemble. Des essais de
ce genre ont conduit les élèves à décider eux-mêmes des appréciations et,
dans certains cas,ils ont abouti à un système d'auto-évaluation. Mais il est
normal que les administrateurs tiennent à comparer les classes entre elles,
à disposer d'une vue d'ensemble: le recours à des épreuves normalisées
répond à ce besoin. Si on les propose à un grand nombre de classes de la
même année scolaire, il est possible d'établir ces comparaisons et de ren-
seigner les maîtres sur la situation de leurs élèves par rapport à celle de
leurs camarades.Ils savent alors où sont les points forts et les points faibles,
comment organiser leur enseignement pour tenir compte d'éventuelles
lacunes. Il ne faut cependant pas oublier que, si l'on veut transformer les
résultats obtenus à une épreuve normalisée en notes scolaires usuelles, on
ne dispose d'aucun critère statistique:l'échelle est fixée arbitrairement;on
peut, par exemple, prévoir que 50,60 ou 70 %des élèves obtiendront une
note égale ou supérieure à la moyenne. Cette décision dépend avant tout
de la politique scolaire et non de la pédagogie. I1 convient aussi de se
rappeler que, si l'on applique de telles épreuves à des élèves de l'enseigne-
ment secondaire du premier ou de second cycle, la population n'est plus
18 L a déperdition scolaire :un problème mondial

normale,au sens statistique du terme; on oublie souvent qu’elleest déjà


sélectionnée.
Dans plusieurs pays où un examen décide du passage d’un cycle à
l’autre,on a utilisé avec succès des épreuves normalisées appliquées à
toute la population scolaire de l’année en question et non pas aux seuls
élèves qui se sont annoncéspour le cycle suivant.O n élimine ainsi le choix
arbitraire des questions et les appréciations subjectivesdes maîtres ou des
experts. Cependant la tension due à l’examen lui-même demeure avec
toutes ses conséquences.O n objectera que de telles méthodes posent des
problèmes difficilesd’organisationet de correction.Ces difficultéspeuvent
être en grande partie supprimées par le recours à des épreuves à choix
multiples qui se prêtent à un traitement mécanique rapide.I1 est vrai qu’il
faut disposer d’un équipementapparemment coûteux,mais cette dépense,
comparée aux gaspillages financiers qui résultent des déperditions,est en
réalitéinsignifiante.Deplus,la mise surpied d’unsystème de collaboration
entre Etats permettrait à coup sûr de limiter les frais au strict nécessaire.
Les transformationsqui viennent d’êtredécrites ne sont possibles que
!si les maîtres reçoiventla préparation adéquate.I1 en sera traité plus loin.

Des améliorations plus radicales


Dans le paragraphe précédent, on a énuméré des améliorations qui ne
modifient pas de façon essentielle le système traditionnel de promotion
et d’examens.Mais il existe des solutions plus radicales qui agissent sur
l’ensembledu système.
Il vaut la peine de mentionner une expérience récente de classes sans
note menée en Belgique qui,durant l’annéescolaire 1969/70,a englobé une
vingtained’écolesde six centsélèves environ du premier cycle de l’enseigne-
ment secondaire.En fait,cette suppressionn’estque l’aboutissementd’une
suite de transformationsinternes.O n s’est efforcé tout d’abordde modifier
les relations administrateurs-maîtresd’une part, maîtres-élèvesd’autre
part,à partir de séminairesde dynamique de groupe.Parallèlement,comme
il demeure nécessaire de mesurer les connaissances acquises par les élèves
et leurs progrès intellectuels, on a prévu deux sortes d’épreuves,des
épreuves de rétention)) et des compositions qui permettent d’apprécier,
à partir de connaissances données,le pouvoir d’applicationet d’invention
des élèves. Les unes et les autres ont donné lieu à des appréciationsnon
chiffrées.U n conseilde classe a réunirégulièrementles maîtres et le psycho-
logue de l’école.I1 examinait la situation de chaque élève et discutait de
ses progrès ou de ses difficultés: quelques semaines après le début de
l‘année scolaire,chaque élève était confié à l’un des enseignants de la
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 79

classe qui devenait son tuteur.Celui-ciétait responsable de 4 ou 5 enfants


au plus;il s’efforcait,en dehors des heures d’enseignement,de les guider,
de les conseiller et de prévoir les mesures de rattrapage nécessaires.Cette t
activité était compensée par une diminution de ses heures d’enseignement.
C’est le conseil de classe qui décidait de la promotion,fondée sur l’évo-
lution de l’élève au cours de l’année,les informations du psychologue,
l’avisdu maître-tuteur.
La réussite d’unetelle expérience dépend donc,dans une largemesure,
de l’attitudedu corps enseignant,de la manière nouvelle dont il envisage
ses relations avec les élèves, de son sens des responsabilités.La fonction
traditionnellede l’éducateurest remise en question:il n’estplus protégé par
un règlement, et il devient un animateur,un guide disponible pour ses
élèves. Une rénovation de ce genre est-elle possible dans l’enseignement
primaire? Nous ne saurions pour l’instant répondreà cette question;tout
au plus peut-onprévoir que sa réalisation exigerait un travail d‘équipe des
maîtres d’unemême école,avec la collaboration d’un service de psycho-
logie scolaire convenable.
Depuis de nombreuses années, on a introduit,dans les pays anglo-
i
saxons, la promotion automatique. En fait la notion même de promo-
tion est radicalement modifiée et, avec elle, la conception de l’enseigne-
ment. L’introduction d’une sorte de libre passage d’une classe à l’autre
remplacel’hétérogénéité;mais les difficultés qu’unélève éprouvedans cer-
taines matières persistent - à moins qu’il ne s’agissede blocages dus à des
raisons affectives, souvent passagères;il arrive même qu’elles s’accrois-
sent au cours de la scolarité.
I1 convient donc de prendre toute une série de mesures qui tiennent
compte de la situation nouvelle:il faut organiser des cours de rattrapage,
permettre à l’élève d’avancer à son propre rythme,inventer des motiva-
tions qui remplacent efficacement la menace de la non-promotion.L’en-
seignement doit s’individualiser:il perd donc son caractère monolithique,
I
ce qui entraîne inévitablement des modifications de programmes et de
méthodes. La promotion automatique conduit aussi presque nécessaire-
ment à la disparition de la notion de classe au profit de l’enseignement
par niveaux, qu’on peut caractériser de la façon suivante:pour chaque
matière, on prévoit, par exemple, quatre niveaux, A, B, C et D.Des
élèves du même âge, donc théoriquement d’un degré scolaire déterminé,
peuvent suivre un programme de niveau A dans une discipline,C dans
une deuxième,B dans une troisième;suivant leur évolution,ils sont auto-
risés à passer de l’un à l’autre.O n se rend compte aisément qu’un tel sys-
tème,qui abolit les critères habituelsde sélection,exige que l’enseignement
soit totalement repensé.I1 sera traité plus loin de cette importante ques-
80 L a déperdition scolaire: un problème mondial

tion. I1 suffit pour le moment d’insister sur le fait que la disparition de la


notion d’échec, avec ses séquelles traumatisantes, représente déjà un pro-
grès considérable. O n doit cependant se demander ce qui se passe à la
sortie de l’école, comment les élèves qui se sont habitués à ces méthodes
s’intègrent dans une société où la concurrence et les rivalités de toutes
sortes jouent un rôle déterminant.Vont-ilsêtre des agents de changement?
Entrer en conflit avec la sélection traditionnelle dans les métiers?
O n peut enfin relever que les transformations qui viennent d’être
décrites s’accompagnent souvent d’une mesure plus radicale encore: la
suppression des examens du début à la fin de la scolarité,le deuxième cycle
du second degré y compris.

Intelligence,programmes et méthodes
Modifier les règlements de promotion ou d’examens est chose relativement
aisée, mais quelle est la portée réelle d’une telle mesure? Prenons un
exemple: si l’on prévoit qu’un élève est promu lorsque sa moyenne géné-
rale est supérieure ou égale à 4 (dans une échelle de 1 à 6,où 6 est la note
maximum), on peut décider, si l’on veut diminuer le nombre des échecs,
qu’il suffira désormais d’une moyenne inférieure pour passer dans la classe
supérieure. Les élèves repêchés par cette décision auront-ils atteint un
meilleur niveau de formation? I1 est permis d’en douter si l’on n’agit pas
parallèlement sur le contenu et la forme de l’enseignement. Nous faisions
plus haut une remarque analogue à propos de la promotion automatique.
I1 convient donc d’examiner maintenant ce qui se passe jour après
jour à l’intérieurde l’école et de se demander d‘abord sur quelle conception
de l’intelligence repose l’instruction traditionnelle.
Une première constatation s’impose:lorsque, au 19e siècle,on a ins-
titué dans plusieurs pays industrialisés l’enseignement primaire obliga-
toire, on a utilisé des modèles connus, fournis le plus souvent par quelques
types d’écoles privées, généralement entre les mains des diverses églises.
E n créant un enseignement laïque, on n’a guère innové en matière de pro-
grammes et de méthodes;fait significatif,la majeure partie du vocabulaire
qui qualifie le travail intellectuelde l’enfant a gardé un contenu moral! A u
cours des dernières décennies, l’extension de l’éducation à tous les pays n’a
pas entraîné de changements importants.Notons cependant que pour des
raisons historiques, d’ailleurs fondamentalement diErentes, les Etats-
Uniset l’URSS ont créé des systèmes scolaires qui, dans une large mesure,
échappent à l’analyse critique ci-dessus.
D e plus, tout le travail de l’école repose sur une certaine conception
de la psychologie de l’enfant, qui n’est que rarement formulée explicite-
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 81

briser les résistances des élèves n’existait pas, ceux-ciauraient déserté


l’écoledepuis longtemps.N’est-ce pas une explicationpartielle du nombre
des abandons dans les cycles d’enseignementnon obligatoires?En recou-
rant à la force,on obtient leur silence,mais au prix de déperditionsconsi-
dérables.Or i1 existe une réalité enfantine dont nous ne tenons pas compte
pour concevoir notre enseignement.Il y aura bientôt quatre siècles que
82 L a déperdition scolaire :un problème mondial

« O n ne cesse de criaillerà nos oreilles(d’enfants)commequi verseraitdans


un entonnoir et notre rôle (d’enfants)ce n’est que redire ce qu’on nous a
dit.Je voudrais que (le maître) corrigeât ce point et que,dès l’abord,selon
la portée de l’âme qu’ila en main,il commençât à la mettre sur la piste,
lui faisant goûter les choses,les choisir et les discerner d’elle-même,quel-
quefois lui ouvrant le chemin,quelquefois le lui laissant ouvrir.))
Quatre cents ans,et rien ou presque rien n’a changé. L‘encyclopé-
disme,et par là le recours à la mémoire,demeure au cœur même de l’en-
seignement,de l’écoleprimaire à l’université.
L’école véhicule une certaine conception épistémologique relative à
la nature du savoir à transmettre.En effet,le développementdes connais-
sances est conçu,aussi bien au niveau de l’individu qu’à celui de l’espèce
humaine,comme un processuslinéairequicomprendl’ajoutsuccessifd’une
série de savoirs dont la somme représente la culture.Nous disons qu’il
s’agitd’unprocessus linéaire,car,dans cette optique,les nouvelles acqui-
sitions représentent un pas en avant vers la connaissance sans jamais
éclairer sous un nouveau jour ce qui a été vu précédemment.Ainsi,tout
savoir revêt un caractère d’absolu.Les vérités se succèdent au cours de
l’évolutionde l’humanité,comme pour l’enfantau fur et à mesure qu’il
avance dans sa scolarité,mais elles n’en perdent pas pour autant leur ca-
ractère de vérité absolue,il n’entre pas dans la logique du système de les
relativiser;la culture est figée une fois pour toutes.
Lesconséquencesde cet état de chosessur l’enseignementsont claires.
Tout d‘abord au niveau de la détermination du contenu, l’accent est
essentiellement porté sur tout ce qui relève des faits et semble présenter
par là un caractèreincontestable.Par cette valorisation excessivedu «fait»,
on escamote systématiquement tout ce qui touche à sa réelle interpréta-
tion,tout ce qui pourrait permettre la véritable compréhension d’un pro-
cessus et non pas seulement son aboutissement.D u même coup on élude
tout le problème de l’interdisciplinarité:pris en eux-mêmes,les faits relè-
vent de domaines bien différents, rien ne les relie entre eux. Aussi com-
pose-t-ondes programmes qui juxtaposent une série de matières, elles-
mêmes subdiviséesen une série de chapitresbien distincts,des programmes
qui n’ont rien à envier aux encyclopédies.I1 en résulte que les méthodes
les plus usuelles se caractérisent par le recours constant au verbalisme et
à la mémoire.I1 y a trente-cinqans déjà que Jean Piaget,ancien directeur
du Bureau internationald’éducation,écrivait dans le tome XV de L’Ency-
clopédie franqaise (1 5.26.11) :
a L‘usage presque exclusif que fait du langage l’éducationtraditionnelle,
dans l’actionqu’elle exerce sur l’élève,implique que l’enfant élabore ses
conceptsde la même manière que nous,et qu’ainsi s’établisseune corres-
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 83

pondance terme à terme entre les notions du maître et celles de l’écolier.


Or,le verbalisme,cette triste réalité scolaire - prolifération de pseudo-
notions accrochées à des mots sans significations réelles - montre assez
que ce mécanisme ne joue pas sans difficultés et explique l’une des réac-
tions fondamentales de l’écoleactive contre l’écoleréceptive.
La chose est aisée à comprendre.Les concepts adultes,codifiés dans
le langage intellectuel et maniés par des professionnels de l’exposé oral
et de la discussion, constituent des instruments mentaux qui servent
essentiellement,d’unepart à systématiserles connaissancesdéjà acquises,
et d‘autrepart à faciliterla communicationet l’échangeentre les individus.
Or,chezl’enfant,l’intelligencepratique domine encore Iargement I’intelli-
gence gnostique;la recherche prime le savoir élaboré et, surtout,l’effort
de la pensée reste longtemps incommunicable et moins socialisé que chez
nous ... N
Submergé par l’emploide mots,de formules et de notions incompré-
hensibles,l’enfant docile ne dispose que d’une seule méthode: apprendre
par cœur. Remarquons que souvent le maître l’exige et qu’on rencontre la
formule imprimée au haut de certaines pages de manuels en usage actuel-
lement.A-t-onjamais fait l’inventairede la collection de textes appris par
cœur par un enfant durant ses cinq ou six premières années d’école?Qu’en
reste-t-il?Quelle est la signification de ces efforts dans la formation d’un
homme?
Face à la situation actuelle,on devrait se demander comment il se fait
que, durant ces trois dernières décennies au cours desquelles la science et
la technique ont évolué de façon extraordinaire,il semble que rien ou
presque rien ne se soit passé à l’école. Il est pourtant indéniable que la
psychologie de l’enfant et de l’adolescent a fait des progrès,de même que
la sociologie de l’éducation.Même si tous les problèmes que pose à cet
égard l’enseignement n’ont pas encore trouvé de réponse, ce qu’on sait
suffit déjà à apporter des changements fondamentaux.
Nous ne saurions ici, en quelques pages, analyser la totalité de ces
apports, aussi nous contenterons-nousde rappeler le résultat primordial
des travaux de l’une des grandes écoles de psychologie moderne, celle de
Je an Piaget. Dans son ouvrage Psychologie et pédagogie, on trouvera les
idées directrices nécessaires à une rénovation de l’enseignement. Que
dit-ilde l’intelligence?
«Lefait essentiel qui contreditles survivances de l’empirismeassociation-
niste et dont l’établissementa renouvelé nos conceptions de l’intelligence,
est que les connaissances dérivent de Z’acfion,non pas dans le sens de
simples réponses associatives,mais en un sens beaucoup plus profond qui
est celui de l’assimilationdu réel aux coordinations nécessaires et géné-
84 L a déperdition scolaire :un problème mondial

rales de l’action.Connaître un objet,c’est agir sur lui et le transformer,


pour saisir les mécanismes de cette transformation en liaison avec les
actions transformatriceselles-mêmes.Connaître,c’est donc assimiler le
réel à des structuresde transformation,et ce sontles structuresqu’élabore
l’intelligenceen tant que prolongement direct de l’action.
Que l’intelligence dérive de l’action..., aboutit alors à cette consé-
quence fondamentale: même en ses manifestations supérieures,où elle
ne procède plus que grâce aux instruments de la pensée, l’intelligence
consiste encore à exécuter et à coordonner des actions,mais sous une
forme intériorisée et réflexive [...I. I1 en résulte que,à tous les niveaux,
l’intelligenceest une assimilation du donné à des structuresde transforma-
tions, des structures d’actions élémentaires aux structures opératoires
supérieures,et que ces structurationsconsistent à organiserle réel,en acte
ou en pensée,et non pas à le copier simplement.» 2

La mise en évidence de l’action de l’élèven’est pas nouvelle, mais


l’apport de Jean Piaget consiste avant tout dans le faisceau de preuves
expérimentales sur lesquelles il fonde ses affirmations.Pourquoi,dès lors,
l’école- mis à part l’enseignementaux enfants de 4à 7 ans - ignore-t-elle
le rôle de l’action? Maîtres et administrateurs s’accordentpour déclarer
que le programme ne le permet pas, car elle prend du temps.Mais le mo-
ment n’est-ilpas venu d’élaguerles programmes,de se demander,à partir
des buts assignés à l’éducation,ce qui est véritablementformateur? Certes,
il y a au départ les connaissances de base: lire, écrire, calculer.I1 est déjà
caractéristique qu’on ne dise pas non plusparler et voir à une époque où,
d‘une part, la capacité de s’exprimer,de défendre ses idées jouent un si
grand rôle et où,d’autre part,l’imageprend plus de place que le texte.I1
importe,dès le début de l’école,d’accorder une place importante au lan-
gage oral et de ménager le temps nécessaire à l’analysecritique des images
qui s’offrentde tous côtés à l’enfant.
Ces connaissancesde base doivent se fonder surle vécu et l’environne-

I
ment de l’enfant.Or,il est frappant de découvrir que,dans de nombreux
pays,l’apprentissagede la lecture se construit sur des mots que l’enfant
ne comprend pas,qui ne représentent rien pour lui:l’analysede manuels
de lectures récents que l’on trouve dans la bibliothèque du Bureau inter-
national d’éducationle prouve de façon évidente!Par ailleurs,il est essen-
tiel que la genèse du nombre et des opérations élémentaires repose sur les
manipulations de l’enfant: point n’est besoin d’un matériel coûteux,les
objets les plus simples dont dispose chaque élève y suffisent,à condition
que le maître sache suggérer ou inventer les actions structurées qui pré-

2. Piaget,Jean. Psychologie et pédagogie. Paris, Denoël,1969.p.48-50


Facteurs internes: Problèmes et remèdes 85

parent et conduisent à la découverte des notions de base. Le temps con-


sacré à l'action, dans les premières années d'apprentissage, apparaît
souvent comme du temps perdu;en réalité, l'enseignement,dans la suite
pourra se faire plus rapidement,on évitera de répéter sans cesse des con-
naissances fondamentales mal assimilées et, autre gain essentiel, on ne
courra plus le risque de décourager la majorité des élèves.
Apprendre à lire,c'est bien.Encore faut-ildonner à l'élève l'occasion
de lire ensuite des livres qui l'intéressent.O n apprend à écrire en écrivant,
non pas des exercices de grammaire,mais des textes qui se rapportent à la
vie quotidienne,qui décrivent,plus ou moins longuementsuivantl'âge, des
expériences réelles.La vie scolaire doit sans cesse puiser dans tout ce qui
touche l'enfant et non pas demeurer étrangère à la réalité vécue jour après
jour.Autre fait curieux,pourquoi les problèmes d'arithmétique ignorent-
ils ce dont on parle constamment au foyer:le prix réel des denrées de pre-
mière nécessité,celui du loyer,l'évolution des salaires,le rendement des
cultures,les prix de vente au marché? O ù apprend-onà calculer le mon-
tant des impôts,les primes d'assurances sociales,les prestations corres-
pondantes?
A partir des acquisitions fondamentales,il importe désormais de dé-
velopper les méthodes de travail:
savoir observer,
savoir s'informer,
savoir innover,
savoir analyser,
savoir critiquer,
et non plus simplement savoir.Il faut éveiller et maintenir la curiosité,
la capacité de chercher,d'expérimenter et d'inventer.
Dans l'enseignementélémentaire,l'encyclopédie se donne libre cours,
plus particulièrement dans trois disciplines:la géographie, l'histoire et
l'introduction aux sciences naturelles.A quoi rime l'énoncé des matières
que l'on trouve à ce niveau-làdans tous les programmes? Que veut-on?
Que peut-ilrésulter de la mémorisation de noms difficilesde personnages,
de lieux ou de mots savants? Pourquoine pas accorder une place centrale
à l'étudedu milieu,selon les conceptions exposées par Robert Dottrens?
L'enfant découvrirait que ces disciplines se rapportent d'abord à la
vie courante,qu'elles lui permettent de découvrir et comprendre ce qui se
passe autour de lui.Non seulement,on renouvellerait ainsi des enseigne-
ments souvent ennuyeux,mais on enrichirait en même temps l'apprentis-
sage de la langue et les mathématiques élémentaires,on détruirait le mor-
cellement des matières et leur découpage arbitraire.
86 L a déperdition scolaire: un problème mondial

Une grande partie de ce qui a été dit plus haut concerne aussi l’en-
seignement secondaire. Ne devrait-il,en effet, pas être par excellence
le lieu d’apprentissage des méthodes de travail? Or,la tradition de l’Eu-
rope occidentale,qui a servi de modèle à de nombreux pays en voie de
développement,a conduit à un encyclopédisme sur-développé.La culture
y apparaît comme une juxtaposition de matières sans lien et on doit se
demander sérieusement si les programmes ne font pas qu’éduquer les
esprits à se suffire d’une certaine superficialité. Quel type d’élèves peut
supporter cette accumulation de matières, cette obligation d’obtenir des
résultats suffisants dans des disciplines qui, en réalité,ne les intéressent
guère? Qui leur reprocherait de tenter de se tirer d’affaire en essayant de
faire le minimum nécessairepour ne pas s’attirertrop d’ennuis? Seuls des
élèves privilégiés parviennent, avec l’aide de leur milieu, à faire face.
Les autres abandonnent,et c’estau-delàde l’enseignementobligatoire que,
dans les pays industrialisés, les déperditions deviennent spectaculaires.
Soyons francs: personne ne s’intéresse à tout et personne ne possède de
dons universels;nous avons de la répugnance pour les sujets qui nous sont
étrangers.Qui donc s’appliquerait volontiers à ce qui lui déplaîtnaturelle-
ment, lorsqu’il y a tant d’autres choses à faire? O n travaillerait plus
joyeusement et plus intensément si l’on pouvait renoncer à s’occuperdes
matières qui nous laissent indifférents afin de se vouer entièrement à celles
qui nous intéressent.Et il serait possible d’avoir des programmes mieux
adaptés à nos intérêts. Qu’on interroge des professeurs d’université:s’ils
enseignent dans des facultéslittéraires,que leur reste-t-ilde l’enseignement
des sciences qu’ils ont connu à l’écolesecondaire? Les scientifiques qui
n’ont pas eu l’occasion d’approfondir,par un séjour à l’étranger,les lan-
gues vivantes, sont-ilscapables de les lire et de les parler?
L’organisation de l’enseignement secondaire en URSS ou aux Etats-
Unis devrait nous inciter à des réflexions salutaires,même si des traditions
respectables ne permettent pas d’adopter sans autre des solutions com-
parables. Faut-ilen effet que les pays en voie de développement conti-
nuent à organiserleur enseignement du second degré selon des modèles dé-
passés?
L’analyse des programmes conduit naturellement à une refonte des
méthodes dont le principe essentiel devrait aller de sui. I1faut accorder une
place primordiale à l’activitéde l’enfantet faire disparaîtredu même coup
la leçon type:le maître parle,l’élève écoute - ou n’écoutepas - et répète.
Ce postulat suppose tout naturellement la coopération des enfants,parti-
culièrementapte,comme l’écritJean Piaget,((à favoriserl’échangeréel de
la pensée et la discussion, c’est-à-diretoutes les conduites susceptibles
d’éduquer l’espritcritique,l’objectivitéet la réflexion discursive.D u point
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 87

de vue moral,elle aboutit à un exercice réel des principes de la conduite et


non pas seulement à une soumission extérieure.» 3
Partisan des méthodes basées sur une appréhension du réel déve-
loppement de l’intelligencecomme de la totalité de la personnalité de
l’enfant,il donne une réponse au problème de l’autorité du maître: il
démystifie le type de contrainte inhérent à l’école traditionnelle tout en
démontrant les possibilités d‘un ordre de relations qui se place à un
échelon supérieur.a Bien entendu,saufquelquescasextrêmes,les méthodes
nouvelles d’éducationne tendent pas à éliminer l’actionsociale du maître,
mais à concilier avec le respect de l’adultela coopération entre enfants et
à réduire,dans la mesure du possible,la contrainte de ce dernier pour la
transformer en coopération supérieure.))

Les manuels posent des problèmes dans une certaine mesure contra-
dictoires:d’une part,les pays en voie de développement se plaignent de
l’insuffisance de leurs manuels, de l’impossibilité dans laquelle ils se
trouvent, faute de ressources,de les renouveler fréquemment et de les
I
adapter a u conditionsrégionalesde.l’école;d’autrepart,on a de plus en
plus souvent le sentiment que, dans les pays industrialisés,les manuels
sclérosent l’enseignement; plus exactement ils empêchent l’évolution des
méthodes et fixent les connaissances pour de nombreuses années. Une
récente enquête relative à des manuels d’histoire a révélé qu’une page
contient en moyenne une douzaine de noms propres que l’élève ne peut
que mémoriser ou ignorer.Une autre recherche actuellement en cours sur
des manuels de physique a déjà permis de découvrir une trentaine de
définitions de termes nouveaux répartis sur cinq pages. Précisons qu’il
s’agit d’ouvrages récents. En feuilletant les manuels de lecture de pays
africains francophones,nous y avons lu de nombreux mots qu’unenfant
de six ans ignore et qui proviennent d’un vocabulaire usuel en Europe.
De même,dans des livres d’arithmétique destinés à des pays d’Afrique
ou d’Asie,nous avons rencontréles problèmes de prix d’achatet de vente
et les calculs de bénéfice qui encombrent les manuels européens.Certes,
le livre est un auxiliaire indispensable du maître qui ne peut tout savoir
ni improviser la succession des leçons;il donne par ailleurs a u ministères
de l’éducation une relative garantie à propos des matières étudiées.Mais
n’est-cepas aussi un oreiller de paresse,une façon d’encourager le verba-
lisme et l’absencede tout esprit de recherche?

3. Op. cit. p.263.


4. Op. cit. p.264.
88 La déperdition scolaire :un problème mondial

Nest-il pas possible de concevoir des manuels qui suggèrent divers


types d’activités,différentes méthodes de travail,stimulent l’imagination,
signalent des sources d’information à la portée des élèves, proposent la
construction d’objetspropres à illustrer une leçon à partir d’un matériel
peu coûteux et immédiatement accessible?

La préparation des enseignants


Tout ce qui vient d’être dit dans ce chapitre met directement en cause la
formation des maîtres et leur recyclage. I1 est évident, tout d‘abord,
que les déperditions leur paraissent normales. Certes ils ont assisté au re-
doublement et à l’abandonde nombreux camarades,mais, tout compte
fait,même s’ils ont pu être heurtés ici ou là par une décision des autorités
scolaires,il pensent que le système n’est pas si mauvais puisqu’ils ont
obtenu leur diplôme.Valorisés par leur réussite,ils imaginent sans peine
qu’ilssontplus douésque ceux qui ont disparuen cours de route.D e plus-
et nous pensons particulièrement aux maîtres de l’école primaire - leur
formation a été essentiellement encyclopédique: on s’est efforcé de leur
donner des notions sur tout;aux branches de culture générale on a ajouté
une initiation à la psychologie et à la pédagogie,des cours de didactique.
O n exige souvent qu’ilsaient des aptitudes plus ou moins développées en
dessin,en musique,en travaux manuels et en éducation physique. Enfin,
leur initiation à la pratique pédagogique se déroule dans des classes tra-
ditionnelles - à quelques exceptions près - dont les titulaires sont connus
pour leur fidélité au système. I1 serait étonnant qu’en entrant dans la
carrière les jeunes instituteurs aient envie d’innover.
Philip Coombs,dans son ouvrage intitulé La crise mondiale de I’édu-
cation5,analyse le problème des maîtres sous un autre angle. Selon lui,
l’enseignement,contrairement aux industries,est 6 la fois consommateur
et producteur de main-d’œuvrede haute qualité.Sil doit alimenter con-
venablement les autres consommateurs,et de mieux en mieux à chaque
génération, il lui faut récupérer chaque année une part suffisamment
grande de ses meilleurs produits afin d’assurerla qualité de la récolte sui-
vante.Or,lorsqu’ilveut réserver et sélectionnerune fraction de sa produc-
tion, l’enseignement entre en compétition avec toutes les autres entre-
prises.I1 est nettement désavantagé et dispose la plupart du temps d’une
proportion élevée de candidats de deuxième choix parce que ses concur-
rents plus riches font la loi en matière de salaire.

5. Coombs, Philip. La crise mondiale de l’éducation.Paris, Presses universitaires de


France, 1968. 322 p., diagr., fig., bibi. (Collection SUP)
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 89

O n ne peut analyser ici cet aspect du problème,qui est étroitement lié


aux besoins d’un pays en cadres compétents,aux ressources disponibles
et par conséquent au développement économique.Il est probable qu’une
modificationradicale de la formation des enseignants permettrait d’amé-
liorer cette situation,bien qu’il ne faille pas se faire trop d’illusions:dans
de nombreux Etats la position sociale du maître se dévalorise de plus en
plus. Cette lente et réelle dégradation d’uneprofession clé pour l’avenir
d’une nation mérite de retenir l’attention des autorités et devrait faire
l’objet d‘enquêtessociologiques sérieuses.
Indépendammentdes mesures d‘ordre administratif nécessaires pour
lutter contre les déperditions (voir p.76-78) une rénovation fondamentale
de la formation peut seule briser le cercle vicieux des déperditions: des
maîtres qui ont subi durant leur scolarité le régime des redoublementset
des abandons vont nécessairement installer dans leur classe ce système.A
titre indicatif,examinons ce que pourrait être une école normale modèle.
En premier lieu,il conviendrait de déterminer la quantité minimum
de connaissances indispensableset, par conséquent,de bannir tout ency-
clopédisme.U n maître ne peut apprendre à un moment déterminé tout ce
dontil aura besoin;en revanche,il faudraitaccorder une place importante
(plus de la moitié du temps disponsible) aux méthodes de travail,à la re-
cherche de documentationet d’information,à la connaissance et à l’ana-
lyse critique des matériaux ainsi recueillis.Dans la mesure du possible,on
recourrait aux sources les plus variées :livres, diapositives,films,magné-
tophones,radio et télévision. Avec l’aidede l’Etat,les élèves-maîtresse
constitueraient une bibliothèque personnelle qu’ils emporteraient dans
leur classe: il existe actuellement,dans plusieurs langues, des livres de
poche qui apportent des informations scientifiques sur les sujets les plus
variés. Les dépenses nécessitéespar un tel équipementparaissentminimes
en regard du gaspillage économique dû aux déperditions. L‘étude du
c
milieu jouerait un rôle privilégié :point de départ d’enquêtessur le terrain,
elle conduirait à une prise de conscience de la situation économique et
sociale d’unerégion,permettrait la rédaction de rapports,l’élaborationde
documents, la construction de modèles que les intéressés utiliseraient
ultérieurementdansleur enseignement.Danstoutesces activités,il s’agirait
de tirer au mieux parti du pouvoir inventif et créateur des étudiants et de
stimuler la curiosité et l’espritde recherche.
En deuxième lieu,à la place de l’espritde compétition,on dévelop-
perait le sens de la collaboration et des responsabilités en divisant les
étudiants en groupes qui se verraient confier des tâches précises; à une
direction autoritaire,on substitueraitun régimede coopération et de parti-
cipation.I1 va de soi que,dans une telle perspective,le mode usuel d’éva-
90 L a déperdition scolaire: un problème mondial

luation du travail et des résultats n’a plus de sens et qu’on devrait par-
venir,par étapes,à une auto-évaluation.Est-ceutopique? Les expériences
de travail en groupes réalisées dans l’espritdécrit ci-dessusmontrent que
ce projet est réalisable à condition de choisir avec soin les enseignants-
animateursd’unetelle expérience,et de les préparer à cette tâche nouvelle.
Il ne sert à rien de dire et de répéter que les maîtres devraient être des
guides, des conseillers,des hommes qui stimulent et encouragent leurs
élèves,s’ils ne peuvent pas,dans leur temps de formation,vivre pleinement
une expérience communautaire dans une ambiance qui leur apprenne ce
que devrait être le climat de leurs futures classes.
En troisième lieu,une formation psychopédagogique efficace serait
vécue, illustrée jour après jour par ce qui vient d’être dit. Le fossé qui
existe habituellement entre les cours de psychologie,de pédagogie et de
didactique que reçoiventles normaliens et ce qu’ilsvivent quotidiennement
est tel qu’ildévalorise,à coup sûr,ces enseignements.I1 importedonc que
théorie et pratique,au sein même de l’école,ne se contredisent pas. D e
plus, une initiation à la recherche pédagogique remplacerait efficacement
de nombreuses leçons détachées de tout contexte pratique. I1 semble
par conséquent indispensable qu’un collège-pilotesoit rattaché à l’école
normale;la formation pratique n’est en effet concevable que dans des
classes d’avant-gardeet la méthode usuelle, qui consiste à confier les
élèves-maîtresà des enseignants chevronnés, connus pour leur attitude
conformiste,ne peut que former des instituteurs conservateurs,aptes au
mieux à reproduire le système des déperditions.
Enfin,il serait souhaitable que lesjeunes diplômés,lors de leur entrée
en fonction,soientsuivis,guidés,encouragés par des inspecteurscapables
d’êtredes animateurs et non des éteignoirs comme c’est le cas si fréquem-
ment. Peut-êtreconviendrait41d’associer à cette tâche un psychologue et
les professeurs de pédagogie et de didactique de l’école normale afin
d’assurer,durant les premières années, le maximum de continuité entre
la formation et la pratique. Diverses expériences montrent que cela est
possible si les administrateurs d’écolecomprennent que l’intérêtde l’en-
seignement passe avant leurs prérogatives.

CONCLUSIONS

Le lecteur trouvera dans le chapitre 6 une analyse sommaire de tous les


facteurs internes.C‘est pourquoi,il n’a été traité ici que de ceux qui pa-
raissent les plus importants.Nous aurions pu examinerle rôle possible des
méthodes audio-visuelles,mais, outre qu’elles exigent un équipement
souvent coûteux, nous estimons que, dans l’état actuel des recherches
Facteurs internes: Problèmes et remèdes 91

pédagogiques quiles concernent,elles n’apporterontpas la solutionmiracle


que certains imaginent. Rappelons à ce propos une autre remarque de
Jean Piaget:
((L‘image,le film,les procédés audio-visuelsdont toute pédagogie voulant
se donner l’illusiond’êtremoderne nous rabat aujourd‘hui les oreillessont
des auxiliaires précieux à titre d’adjuvants ou de béquilles spirituelles,et
il est évident qu’ils sont en net progrès par rapport à un enseignement
purement verbal.Mais il existe un verbalisme de l’image comme un ver-
balisme du mot et, confrontées avec les méthodes actives,les méthodes
intuitives ne font que substituer,lorsqu’elles oublient le primat irréduc-
tible de l’activitéspontanée et de la recherchepersonnelle ou autonome du
vrai,ce verbalisme plus élégant et plus raffinéau verbalisme traditionnel.»6
Revenons à la realité:quellesque soientles réformes entreprisesdans
un proche avenir,il est certain que les taux de déperdition ne diminueront
que lentement.Nombre d’enfants et d’adolescents quittent l’école après
avoir reçu une formation incomplète ou totalement insuffisante.I1 n’est
de remède A cette situation que dans la mise sur pied d’une éducation
des adultes inscrite dans la réforme des systèmes d’éducation qui doit
promouvoir l’éducationpermanente.Non seulement on parviendra ainsi
à combler en partie les lacunes dues aux déperditions,mais on pourra agir
sur les parents,en faire des collaborateurs actifs dans cette lutte contre le
gaspillage des potentiels inemployésde la jeunesse.

6. Op.cit. p.111.
Chapitre cinq

Facteurs externes:
problèmes et remèdes

C’est uniquement pour clarifier cet exposé que nous avons dissocié le
système d’éducation de son contexte économique et social global. I1 est
évident qu’une telle simplification est incompatible avec une étude sur
l’efficacitéde l’école,mais il est tout aussi clair qu’il est difficile,dans le
cadre de l’enseignementofficiel,de donner un contenu autre que théorique
à cette notion,car il est plus aisé de prendre en considération les projec-
tions, à l’intérieur du système, du contexte économique et social que sa
réalité extérieure.Par sa forme même,d’ailleurs,la question visant à dé-
terminer les facteursextérieursqui contribuentaux déperditionsd’effectifs
scolairespostule que toute déperditionse constatedanslecadredu système.
O n a signaléles déperditions dues au fait que le système entier s’adapte
mal à son contexte. Le milieu de l’école,ses mécanismes sociaux, de-
viennent parfois tout à fait étrangers à la société qu’ils sont censés servir,
à supposer qu’ils aient jamais vraiment répondu à ses besoins.L’inadap-
tation des bâtiments,du matériel,des livres et des programmes d’études
est quelquefois évidente,mais d‘autresfacteurs sont tout aussi importants
aux yeux des usagers:durée et nombre des cours quotidiens; nombre de
jours de classe par semaine;nombre,durée et répartition des trimestres;
variation de tous ces facteursen fonction de l’âge;caractèreplus ou moins
libre des rapports élèves-maîtres; mode d’élaboration et de révision du
règlement appliqué aux élèves et au personnel enseignant; accessibilité de
l’écoleaux parents et aux membres de la communauté;participation de
l’écoleà la vie de la communauté.Chercher bien au-delàde l’environne-
ment immédiat de l’écoleles causes de déperdition est une entreprise qui
peut se heurter à des difficultés particulières.
Il peut y avoir un danger à élargir le cadre d’un problème jusqu’au
point où il devient impossible de le traiter isolément. O n pourrait,par
conséquent, se contenter de signaler que les facteurs qui contribuent
94 L a déperdition scolaire :un problème mondial

directement à la déperdition trouvent leur origine dans les limitations


sociales et économiques de la nation. Mais un sentiment d’impuissance
risque alors d’empêcher toute action: aussi longtemps que l’économie
nationale n’aura pas atteint un certain niveau et que les profits ne seront
pas largement distribués,on ne pourra presque rien faire. D e même,le
progrès qui amène les nations à garantir la liberté et le respect de l’indi-
vidu, notamment des enfants,dans un milieu où leur protection et leur
bien-être social se trouvent assurés,demande du temps - ce temps qui
semble seul capable de rendre les circonstances plus propices à une ré-
duction des déperditions d‘effectifs scolaires.
Si l’onne veut pas attendre que les choses s’arrangenttoutes seules,
il faut planifier. Les plans de développement permettent de coordonner
l’utilisation des ressources nationales en fonction d’objectifs à court
terme qui font partie d’un plan général. C’est surtout au moment de la
ventilationdes crédits disponiblesque l’enseignementrisque d’êtrenégligé,
car les planificateurssont plus enclins à reconnaître l’importancede l’en-
seignementtechnique pour la formation d’unemain-d’œuvrequalsée,par
exemple, qu’à admettre que l’enseignementgénéral améliore la compé-
tence nationale dans son ensemble en permettant la diversification des
techniques et de l’apprentissage.Les profits économiques qu’on peut
attendre de l’enseignement général sont rarement discernables à court
terme; ils sont pourtant sans aucun doute considérables à l’échelle d‘une
génération. Même lorsque l’Etat alloue des ressources à l’enseignement
pour en permettre l’extension,celles-cine sont pas toujours suffisamment
adaptées aux processus dynamiques de la société.
Comme exemple de la complexité de ces formes sociales,nous cite-
rons le cas des anciens territoires coloniaux,qui restent fréquemment à la
merci de leur histoire. Ainsi qu’il a été relevé lors de la Conférence inter-
nationale de l’éducation (1970):((Parents et enfants se conformentencore
à un modèle périmé, qui ne permet plus d’accéderà l’emploi,et refusent
pourtant l’enseignement technique qui reste pour eux une solution de
rechange insuffisante». A u temps de la domination coloniale,l’entréedans
les services administratifs subalternes était encouragée parce que néces-
saire.Cela supposait une préparation,notamment des études;il en résul-
tait une sécurité et un pouvoir personnel considérables.Aussi cherchait-on
à faire des études,ou du moins à acquérir tel ou tel diplôme,pour le pres-
tige social qu’ilsconféraient et semblaientmême garantir.I1y a longtemps
que l’affluence des candidats,prenant parfois la forme d’un phénomène
de dilution,a dévalué ce type de carrière,qui conserve cependant son
attrait,puisqu’ilexiste toujours,en pratique,un niveau supérieur de quali-
fication pour y accéder.
Facteurs externes: problèmes et remèdes 95

O n arrive tôt ou tard au point où le diplôme le plus élevé attire un trop


grand nombre de candidats et cesse d’assurer une position sociale en
rapport avec sa difficulté. La désillusion peut apparaître,entraînant même
le mécontentement public, mais les masses qui n’ont pas encore eu la
possibilité de faire cette expérience continuent à exiger ce type d’études,
qui ne mène en fin de compte qu’auprofessorat.La dynamique de ce pro-
cessus persiste longtemps après que les réalités qui l’ont créé ont disparu,
et le système maquille ses propres insuffisances.Moins il y a d’élus,moins
le véritable but de l’éducationest compris,plus le processus de l’éducation
apparaît comme une gigantesque loterie nationale dotée de prix peu nom-
breux mais mirifiques,la seule erreur étant de ne pas prendre de billet.
Plus les processus éducatifs s’apparentent à des rites incompréhensibles,
plus ils résistent au changement.Les pays OU existe une situation de ce
genre peuvent, par exemple,avoir besoin d’un grand nombre de techni-
ciens de l’agriculture,mais les écoles censées former ceux-ciservent uni-
quement à réintégrerle système orthodoxe,seulevoie possible et désirable
aux yeux des élèves.
I1 n’y a toutefoispas toujours coïncidence entre l’enseignementortho-
doxe,hérité de l’époquede la colonisation,et les aspirations des autoch-
tones. Ainsi, au Sénégal,on note un refus systématique d’apprendre la
langue des anciens colonisateurs,qui est la langue d’instruction.O n pré-
tend en effet que 90% de la population parle l’arabe et les parents, qui
craignent que leurs enfants ne deviennent des étrangers,les retirent de
l’écoleaprès deux ou trois trimestres. Cette méfiance envers l’école n’est
d’ailleurs pas le fait des seuls pays en voie de développement et peut se
manifester au sein de minorités assez importantes,à faible revenu, dans
des sociétés riches.

CAUSES DISCERNABLES

La pauvreté relative
La pauvreté est indubitablement l’unedes caractéristiquesles plus étroite-
ment liées à l’abandonen cours d’études et au redoublement.I1 convient
cependant de distinguer entre pauvreté absolue et pauvreté relative. La
pauvreté absolue entraîne la malnutrition,la sous-alimentation,les mau-
vaises conditions de logement,le travail des enfants,et tous les maux qui
en découlent.Le lien qui existe entre la pauvreté et les mauvais résultats
scolaires reste cependantle même dans les pays développés et les pays en
voie de développement,même si la pauvreté extrême dans les premiers est
parfois l’équivalentde la richesse dans les derniers.Bien que la pauvreté
96 La déperdition scolaire: un problème mondial

relative soit parfois la résultanted’autresvariables,il est indéniablequ’elle


a un effet par elle-même.Le sentiment de dégradation que fait naître chez
un individu l’idéequ’il est inférieur aux autres par les biens et le pouvoir
d’achat est terrible, mais moins désastreux cependant que celui qu’il
ressent quand il se rend compte que son travail est rémunéré au taux le
plus bas autorisé par la société.La seule façon de conserver sa dignité à
ses propres yeux est alors de trouver place dans une communauté de per-
sonnes qui luiressemblent et de s’inventerune vie et des valeurs aussiindé-
pendantes que possible de celles de la société en général. I1 y parvient en
rejetant en partie les valeurs du reste de la société,particulièrement celles
qui n’ont pas une importance économique directe. On assiste même par-
fois à une inversion de ces valeurs,l’intéressé se glorifiant de défier les
règles et les conventions sociales.Parce qu’elles sont parmi les plus facile-
ment reconnaissables,les institutions de type conventionnel tendent à
servir de cible à cette hostilité. L’école est un des bastions de la société;
synonymed’échecpersonnel,elle représenteaussi une menace d’aliénation
pour les enfants.O n voit donc que la pauvreté relative est un phénomène
plus grave que la pauvreté absolue,qui n’exclutpas,au sein d’uneécono-
mie de subsistance,des attitudes extrêmementpositives envers l’éducation.
La pauvreté relative peut engendrer des différences de classe,mais
elle correspond souvent aussi à une structurede classes de type tradition-
nel.Dans les deux cas,les classes se distinguent les unes des autres par des
différencesd’attitudequi,au fil des générations,influencentprofondément
et sous tous ses aspects la manière d’éleverles enfants:langue,comporte-
ment,façon de se vêtir,d’envisagerle travail et les loisirs,centresd’intérêts
et motivations.Or,tous ces éléments ont une importance capitalepour la
réussite à l’école.

La langue maternelle. La langue est peut-êtrele facteur essentiel et il con-


vient d’établir une distinction entre une connaissance insuffisante de la
langue maternelle et une connaissanceinsuffisante de la langue d’enseigne-
ment -problème qui sera traité plus loin.La difficultéla plus fréquente est
la connaissanceinsuffisante de la langue maternelle que l’onretrouve dans
tous les pays sans distinction:le langage est limitépar l’environnement,la
syntaxeest simple et non complexe,le vocabulaire est réduitet la structure
linguistique du sens est plutôt fixe que variable. Quant les enfants com-
mencent à aller à l’école,les modèles du langage sont déjà si nettement
arrêtés qu’il est difficile de les modifier. Les efforts qui ont été faits aux
Etats-Unispour améliorer le langage parlé d’enfantssocialementdésavan-
tagés n’ontpermis d’obtenir que des améliorations limitées,à court terme,
qui disparaissentdès que cesse l’enseignementspécial.Elles semblent con-
Facteurs externes: problèmes et remèdes 97

sister surtout en l'acquisition d'un vocabulaire spécifique et de certaines


tournures de la langue des classes plus riches. Si les classes sociales ne se
distinguaient les unes des autres que par des caractéristiques linguistiques
orales, on pourrait penser que la faculté d'apprendre ne s'en trouverait pas
affectée.Mais le lien très étroit qui existe entre le langage et la pensée prouve
qu'il y a plus qu'une simple distinction de classe. Le bon fonctionnement
de la pensée est presque entièrement assuré par le langage, qui joue le rôle
d'une série d'actions mentales impliquant des catégories entières de no-
tions et d'expériences étalées dans le temps.L'assujettissement du langage
à l'environnement entrave le développement de sa fonction de régulation,
inhibant toute anticipation mentale sur les événements extérieurs. Ainsi,
les enfants qui commencent leurs études avec une carence linguistique de
cet ordre ne sont pas seulement handicapés sur le plan de la compréhension
et de l'expression linguistique, mais dans leur aptitude même à aborder et
à cultiver des modes plus abstraits de pensée.

Les types de comportement. Les types de comportement associés chez


l'adulte à la pauvreté relative infiuent également sur la conduite des enfants,
m ê m e si ceux-ci n'imitent pas directement leurs aînés. Le milieu matériel
a, lui aussi, le plus souvent un retentissement sur certains aspects du com-
portement enfantin. L'univers de la pauvreté relative est celui des taudis,
des zones urbaines, où la population est extrêmement dense et les condi-
tions de vie insalubres. La nette distinction entre travail et loisirs, qui
caractérise les adultes, se retrouve chez les enfants. Le travail terminé,
l'adulte recherche la détente totale en se complaisant dans l'inactivité.Les
enfants sont très souvent abandonnés à eux-mêmes, sans surveillance et
sans valeurs établies pour les guider. Lâchés dans un milieu surpeuplé et
relativement désorganisé, au décor souvent délabré, ils se tournent vers
des activités de destruction et se cherchent un code d'action systématique
dans le comportement de leurs pairs. C'est ainsi que la moralité du gang
l'emporte sur la moralité traditionnelle et que l'éthique du groupe se
trouve rigoureusement respectée. E n l'absence de tout processus d'induc-
tion bien défini de la société des adultes, le gang crée son propre processus
inductif qui veut que l'individu donne la preuve de sa maturité par un
acte audacieux. Bien entendu, cette épreuve, qui lui permettra d'être
accepté par le groupe, consistera à défier les usages traditionnels de la
société, à l'image de l'antagonisme qui existe entre la société des adultes
et le monde qui les a rejetés.Les activités antisociales des enfants ne sont
pas réprouvées par les adultes qui ont plus souvent tendance à les protéger
contre les châtiments que la société veut leur infliger pour leurs méfaits
qu'à leur faire prendre conscience de leur faute. Ce sentiment de culpa-
98 La déperdition scolaire: un problème mondial

bilité est d’ailleurs fort peu répandu dans les groupes de ce genre. S’ilest
remplacé,en tant que sanction,par la honte, c’est en partie parce que
l’individun’a guère l’occasion d’être face à lui-mêmeet par conséquent
de prendre réellement conscience de l’opprobre social,et en partie parce
que la société elle-même a plus tendance à codiñer sa morale en autant
d’actes interdits qu’à inculquer la notion de responsabilité personnelle.
I1 convient donc de voir dans la conduite délinquante un comportement
conforme aux mœurs de la société marginale,même s’il contredit les lois
et les codes couramment appliqués dans la société en général.
Parce qu’ilsles considèrent comme des formesinstitutionnelles d’une
société ennemie à exploiter,parents et enfants ont une réaction négative
à l’égard des écoles. L‘absentéisme,l’indiscipline et le dénigrement des
valeurs scolaires sont socialement admis. Avoir redoublé plusieurs fois
une classe devient un exploit qui ne le cède qu’àl’abandonpur et simple
des études à un âge aussijeune que possible! Pour extrême qu’ellepuisse
paraître,cette mentalité n’est que trop commune dans les classes pauvres
des sociétés opulentes.I1 ne faudrait d’ailleurspas croire que la situation
soit entièrement négative. La vie sociale de ces enfants est très riche;le
manque de surveillance des adultes leur permet d’avoir,très jeunes,une
activité autonome et, malgré son caractère sordide,l’environnement offre
de multiples possibilités.Ces contrastes,nulle part plus marqués que dans
les sociétés riches,se retrouvent fréquemment aussi dans les aggloméra-
tions urbaines des pays sous-développés.La situation à Calcutta et à New
York n’est pas sans présenter des points communs.

Attitudes et intérêts. Les attitudes envers l’écolesont étroitement liées aux


facteurs dont il vient d’être question. Les différences de comportement
s’expliquent par des différences d’attitude.I1 n’est cependant pas sans
intérêt d’examiner un peu plus attentivement certaines réactions parti-
culières des parents envers l’école.Celles-cisont certainement déterminées
par leur expérience personnelle de l’enseignement: en toute probabilité
l’écoleleur a laisséle souvenir d’un régime contraignant qui leur a imposé,
à des fins incompréhensibles,des activités qui les ont toujours dépassés et
ne leur ont jamais été d’aucun profit. Pour eux,ni les maîtres ni l’école
n’ont changé: la classe est toujours une sorte de prison où des rangées
d’élèves doivent écouter, sous peine d’être punis, des grandes personnes
venues des beaux quartiers,qui se désintéressentcomplètement de ce que
pensent ou voudraient faire les enfants.En tant que parents,ils ne pensent
pas vraiment que l’écolepuisse apporter quelque chose à leurs enfants;ils
la considèrent plutôt comme un moyen commode de se débarasser d’eux
pendantles heures où leur garde poseraitde réels problèmes.S’illeur arrive
Facteurs externes: problèmes et remèdes 99

de se rendre à l’école,ils y sont mal reçus ou traités avec condescendance.


Incapables de contribuer en aucune manière à son fonctionnement,ils ont
de la difficulté à comprendre un programme d’étudesqui ne ressemble pas
à celui qu’ils ont suivi autrefois.Ils n’ont que mépris pour le groupe de
parents qui collaborent avec les enseignants au sein des associations de
parents d’élèves et estiment qu’ils cherchent simplement à se faire valoir
aux yeux des autorités. Ils aiment en outre avoir l’occasion,en tant
qu’adultes,d’affirmer leur indépendance par rapport à la direction de
l’école et faire valoir leurs droits chaque fois qu’onsollicite leur autorisa-
tion pour l’organisation d’activités extrascolaires. Des attitudes aussi
enracinées sont difficiles à assouplir,quels que soient les efforts déployés
par le personnel enseignant pour tenter d’obtenir la collaboration des
parents.
L‘orientation des intérêts dépend étroitement des attitudes adoptées.
O n pourrait d‘ailleurs définir les attitudescomme un faisceau cohérent de
sentiments convergeant vers une série déterminée d’objets,et les intérêts
comme l’attirance ressentie par l’individupour telle ou telle activité ou
forme de participation dans un domaine préalablement délimité par les
attitudes.O n peut dire d’unindividu qu’il s’intéresse à quelque chose s’il
manifeste son attirance pour cette chose soit en prenant des décisions qui
la privilégient par rapport à d’autres,soit en lui consacrant spontanément
une partie importante de son temps. L‘intérêt est caractérisé par le désir
d’en apprendre plus et par une recherche active de nouveaux exemples
dans le domaine choisi.Dans la mesure où ils adoptent des attitudes né-
gatives envers l’éducationet se montrent fortement enclinsà un comporte-
ment anti-social,les groupes qui vivent dans une pauvreté relative ont des
centres d’intérêts correspondants.On a déjà souvent fait remarquer que
des enfants qui se désintéressent totalement du travail scolaire peuvent
avoir une connaissance très poussée des différentes marques et des diffé-
rents modèles d’automobiles,ou passer des heures à collectionner des
boîtes d’allumettes.De tels centres d‘intérêts,quand ils existent,consti-
tuent au moins un point de départ pour les enseignants,mais les membres
des groupes dont nous parlons actuellement ne manifestent généralement
d’intérêtsuivi pour rien et on ne peut guère espérer mieux qu’uneattention
superficielle pour une nouveauté.Très vite l’élève passe à autre chose ou
il se crée une diversion qui luipermet de le faire.L‘apathieet le manque de
concentrationsontles caractéristiquesdu comportementdesindividusdont
le seuil d’attention reste faible.

Les motivations. C‘est la possibilité d’une réussite ou d’un échec - les


avantages de la réussite et la gravité des conséquences de l’échec- qui
100 L a déperdition scolaire: un problème mondial

incite à l’effort. Or il semble que les motivations fondamentales, dans ce


domaine, apparaissent très tôt dans la vie de l’enfant et dépendent du
degré d’autonomie qui lui est accordé et des réactions positives ou néga-
tives du milieu social. O n peut déjà distinguer, à l’âge de trois ans, les
enfants prédisposés à la réussite ou à l’échec.L’enfant prédisposé à l’échec
évite de participer à des activités compétitives. Quand il s’y trouve mêlé,
il est généralement peu sûr de lui et, s’il réussit, souhaite vivement recom-
mencer dans les mêmes conditions. S’il échoue, au contraire, il s’efforce
par divers moyens de faire oublier son incompétence manifeste :en préten-
dant, par exemple,qu’il a en réalité réussi ou en accusant l’autre de tricher
et en cherchant à contrôler les exercices futurs de manière àréussir lui aussi.
L‘enfant prédisposé à la réussite est heureux de ses succès, mais ce senti-
ment n’est jamais excessif. S’il échoue, il l’accepte sans commentaire et
n’en est pas vraiment perturbé. I1 semble que cette prédisposition à la
réussite ou à l’échecs’explique par la façon dont a été élevé l’enfant, selon
que l’adulte accueille le succès avec satisfaction et l’échec avec compréhen-
sion, ou le succès sans manifester d’intérêt et l’échec avec impatience. Cer-
tains parents sont difficiles à contenter et certains enfants ne savent jamais
si leurs parents sont satisfaits ou non. Si cette motivation fondamentale
n’est pas fermement établie chez le futur élève, ses premières expériences
scolaires orientent ou conñrment généralement les tendances existantes.
Chez les enfants issus des couches de la population à faible revenu, les
premiers échecs n’ont que trop tendance à renforcer les attitudes néga-
tives préalables envers l‘école et il est presque impossible de corriger cette
réaction par la suite,étant donné que l’habituded’éluder les difficultés est
prise et que les raisons de faire un effort ont disparu.
Ce qui vient d’être dit des enfants issus de couches sociales à faible
revenu n’est pas censé s’appliquer à tous, ni même être caractéristique.
Nous nous proposions simplement de décrire les attitudes négatives envers
l’école que l’on retrouve assez fréquemment chez les élèves relativement
pauvres et qui les différencient des élèves des classes privilégiées. Bien
entendu, beaucoup d’enfants appartenant à ces groupes sont de bons
élèves et bien des parents font d’énormes sacrifices pour permettre à leurs
enfants de s’instruire;mais ce qui nous intéresse, c’est de cerner les pro-
blèmes qui se posent et non pas tellement de nous féliciter de la manière
dont certaines personnes parviennent à triompher de l’adversité.

Education religieuse et conservatisme. Après avoir esquissé les caractéris-


tiques des groupes qui ont adopté une attitude soit positive soit négative
envers l’éducation, il convient de parler de tous ceux qui, dans le
monde, ont en cette matière une attitude neutre, notamment dans ces
Facteurs externes: problèmes et remèdes 101

vastes territoires dont la population est restée rurale ou nomade, où


les écoles ne comptent guère et où l'enseignement se trouve mis en ques-
tion. O n y trouve cependant parfois un type d'école traditionnelle, souvent
lié à l'enseignement religieux, mais dont l'archaïsme ou la sclérose em-
pêchent la récupération par l'enseignement &Etat. Les écoles de ce type
s'efforcent de sauvegarder la langue, le dogme et le rituel religieux. Les
programmes sont essentiellement consacrés à l'étude de la littérature an-
cienne et tendent à faire de la mémorisation une vertu cardinale. Il arrive
que l'alphabétisme soit considéré comme moins important que l'écriture,
et une bonne mémoire c o m m e préférable à l'intelligence. L'enseignement
est confìé aux religieux, eux-même défenseurs de la loi, pénétrés de la né-
cessité de ne jamais s'écarter des rituels anciens. O n comprend aisément
pourquoi l'enseignement d'Etat moderne ne peut les utiliser.
L'enseignement religieux de type ancien est en grande partie fondé
sur la connaissance du monde tel qu'il était autrefois, et certains de ses
préceptes, quelle qu'ait pu être jadis leur sagesse, sont aujourd'hui tout à
fait périmés: conduite à suivre pour garder son rang au sein de la société
où l'on est né, prescriptions relatives aux périodes d'abstinence, attitude
à adopter envers les enfants handicapés physiquement. Le savoir périmé
qui est ainsi transmis comprend notamment des explications magiques de
phénomènes naturels et des récits d'exploits légendaires de démiurges, en
contradiction directe avec les découvertes de la science.Mais cet enseigne-
ment a surtout pour but d'inculquer des idées philosophiques qui per-
mettaient autrefois de supporter l'hostilité de l'environnement, qu'il
s'agisse d'un fatalisme selon lequel tout est prédéterminé ou d'un opti-
misme irréaliste qui veut que les dieux soient apaisés par des actes rituels.
U n enseignement religieux de ce type a pour lui tout le poids de la tradi-
tion;il est cautionné par les membres les plus âgés de la communauté et,
par suite de l'habitude, fait partie intégrante de la vie quotidienne. E n fait,
un de ses buts essentiels est de se perpétuer et m ê m e d'empêcher le change-
ment. I1 prône l'action indirecte sur l'environnement, si ce n'est la passi-
vité, et s'oppose en cela à l'enseignement moderne conçu pour notre
époque technologique. Ainsi,on connaît au Nigeria l'indifférence à l'égard
de l'enseignement occidental de certains groupes religieux parmi lesquels
la scolarisation est faible et le taux d'abandons en cours d'études élevé.
E n particulier, on y encourage les mariages précoces qui ont pour effet
d'interrompre les études secondaires.

Les enfants et Zu société. L'enseignement religieux traditionnel, qui s'est


généralement adapté, au fil des siècles, au mode de vie de la communauté
à laquelle il s'adresse, peut donner quelques leçons à l'enseignement
102 La déperdition scolaire: un problème mondial

d’Etat.L‘absentéisme est toléré,l’horaire est moins strict et l’instruc-


tion est plus étroitementliée à la vie de la communauté.Le système officiel
d’éducation doit y tenir compte de la coutume qui veut que les enfants
commencent à travailler,d‘une façon ou d‘une autre,à partir de l’âge de
six ans environ.Denombreuses tâches ménagères ou agricoles sont acces-
sibles aux enfants,ce quiest un atoutpour l’économielimitéede la famille.
La saison des moissons a une importance capitale. C’est l’époque de
l’année où il faut engranger les récoltes avant que le temps ne se gate,si
l’on ne veut pas perdre le fruit du travail de la saison précédente,l’enjeu
n’étant rien de moins que la différence entre une alimentation suffisante
et la famine.En outre,ce genre de travail n’est pas considéré comme une
exploitation de l’enfant,mais comme une forme particulière d’éducation
quile familiariseavec les connaissanceset les techniquesquiluipermettront
plus tard de devenir un meilleur cultivateur.
Dans les communautés de ce type,les enfants sont aimés pour eux-
mêmes,mais aussi appréciés en tant que travailleurs futurs, même s’ils
représentent autant de bouches supplémentaires à nourrir.L’enfancey est
brève; dès que possible, on demande à l’enfant d’aider à la maison, au
marché,dans les champs.Les adultes règnent sur la vie domestique et les
enfants leur sont strictementsubordonnés.Ils doivent rester silencieux en
présence de leurs aînés,les traiter avec respect et jouer modérément. Le
jeu est en effet considéré comme un passe-tempsplein de complaisance et
une forme de paresse.Les jeux d’imitation qui ressemblent à un appren-
tissage sont préférés aux jeux d’imaginationet aux jeux traditionnels,les
chants et les danses aux manifestations d’une exubérance spontanée. La
curiosité indiscrète est réprimée, les activités d’exploration et les expé-
riences découragées.
Ces attitudes restent les mêmes à l’école où, malgré leur formation,
les enseignants continuent à maintenir les enfants dans leur état de subor-
dination,comme la communauté le leur demande.Les méthodes pédago-
giques modernes,qui se fondent sur des concepts qui font de l’enfantle
centre d‘intérêt principal,qui encouragent un comportement spontané et
qui libéralisent les rapports entre les enfants et les adultes,sont d’inspira-
tion tout à fait contraire.C‘est pourquoi il est presque aussi difficile d’ini-
tier les enfants à l’activitélibre que d’apaiserla méfiance des parents.

L’évolution des sociétés. Dans une société de ce type,le changement prend


la forme d’un cataclysme. Les idées politiques se répandent parmi les
jeunes,la révolution et la guerre bouleversent le mode de vie traditionnel,
la prospection des ressources minérales saccage le paysage, la circulation
moderne remplit les villages d’un vacarme assourdissant et le ciel du
Facteurs externes: problèmes et remèdes 103

sifflement des avions.La force qui contribue le plus à faire éclater l’ordre
établi est peut-êtrel’obstinationpolitique de la jeunesse qui compromet
le maintien de la société.Au cours de la Conférence,on constata avec une
certaine inquiétude que les étudiants se mêlent souvent de questions poli-
tiques sans avoir la maturité nécessaire pour le faire.Leur absentéisme et
les destructionsde matériel scolaire auxquellesils se livrent sont d’ailleurs
imités par des enfants qui n’ont pas plus de neuf ou dix ans. Des forces
sociales comme celles qui se sont manifestées avec violence dans certaines
sociétés opulentes de diverses parties du monde sont à l’œuvre.La faute
revient peut-êtreen partie à l’ancienne génération,qui n’a pas su trans-
mettre aux suivantesdes valeurs dignes de respect.Mais,quelles que soient
les causes,un des reproches les plus fréquents des jeunes est que les géné-
rations précédentes font preuve d’hypocrisie et adoptent une attitude dic-
tatoriale en refusant de partager les pouvoirs qu’ellesdétiennent avec les
jeunes.Or ceux-ciexigent de participerplus étroitementà la prise des déci-
sionset aux activités d’administration,notamment en matière d’éducation.

L e manque d’instruction chez les parents. U n des facteurs qui contribue le


plus fortement à isoler l’écolede la communauté est le manque d’instruc-
tion des parents. Quand ceux-cin’ont pas été à l’écoleou si, malgré une
certaine scolarisation,ils sont restés analphabètes,il n’existeaucune base
qui permette aux enseignants de leur faire comprendre leurs propres buts
et activités.L’enfant qui ne reçoit aucun appui de ses parents,parce qu’ils
ne comprennent pas ce qu’ilfait,vit dans deux mondes sans communica-
tion,entre lesquelsil luifautchoisir à certainsmoments cruciaux.Comme
on le charge de s’occuper d’enfants plus jeunes ou d’aideraux travaux
des champs,l’écolier ne peut suivre les cours régulièrement.L‘adulte qui
n’ajamais été à l’écolea du mal à comprendrela nécessitéd’une fréquen-
tation assidue.Pourquoi la scolarité n’aurait-ellepas, comme les autres
travaux, ses périodes critiques d’activité intense, entrecoupées d’autres
périodes où une attention épisodique serait suffisante? Pourquoi les en-
fants seraient-ilsheureux en classe? Ne devraient-ilspas au contraire y
être astreints à des travaux manifestement laborieux? S’ils ne sont pas
fatigués quand ils rentrent à la maison,n’est-cepas le signe que le temps
passé à l’écolea été gaspillé?I1 est également difficilede saisirl’intérêtd’un
programme d’étudesdiversifié.Apprendre à connaître des pays lointains,
à étudier le fond d’océansqu’on n’ajamaisvus, à s’exprimerpar la pein-
ture et la musique, tout cela semble sans rapport avec l’existence d’un
enfant. Ce n’est pas que les parents soient hostiles à l’école:ils ne par-
viennent pas à comprendre en quoi l’essentielde ce que les enfants ap-
prennent pourra leur être utile.
104 L a déperdition scolaire :un problème mondial

L a pauvreté absolue

Nous avons examiné dans ce chapitre les effets de la pauvreté relative;si


nous n’avonspas encore parlé de ceux de la pauvreté absolue,de la misère,
c’est qu’ils ne sont pas directement liés à des attitudes déterminées à
l’égardde l’éducation,mais qu’ilspeuvent coïncider avec certaines d’entre
elles ou toutes ensemble. La pauvreté absolue est restée le fait de sociétés
où le travail vise essentiellement à assurer la survie du groupe.O n la ren-
contre dans l’agriculture de subsistance ou parmi les travailleurs non
qualifiés de grandes villes. Ceux qu’ellesfrappent connaissent une vie très
dure,faite de fatigue,de sous-alimentation,de malnutrition et de maladie,
et ignorent les loisirs et les distractions.

Les mauvaises conditions de vie. A ce tableau vient généralement s’ajouter


un logement dans des taudis,mal protégés contre les intempéries,insa-
lubres et démunis des services essentiels.Ces logements misérables sont le
plus souvent surpeuplés,des familles entières vivant couramment dans
une seule pièce. Toutes les activités de la vie courante se déroulent dans
le même espace réduit,il n’ya pas de vie privée possible et le moindre geste
de l’un gêne tous les autres.Pour obtenir de l’eau,les occupants de ces
logements doivent très souvent aller la chercher loin de chez eux,ce qui
favorise évidemment la malpropreté. Pour se chauffer, ils doivent re-
courir aux systèmes les plus primitifs qui les obligent à aller ramasser du
bois et à vivre dans des atmosphères enfumées. Pour s’éclairer,ils n’ont
que la lampe à pétrole,qui fatigue les yeux, et doivent donc interrompre
tous leurs travaux au coucher du soleil.
La maladie,qui trouve là des conditionsidéales,est encore favorisée
par la sous-alimentation.La nourrituredisponible est soit distribuée selon
la coutume,soit donnée en priorité à ceux qui sont censés en avoir le plus
besoin pour pouvoir eux-mêmesproduire des aliments.I1 est assezcourant
de voir le chef de famille partager la partie la plus substantielledu repas
avec sa femmeen laissantles enfants se disputer les restes. La malnutrition
peut être due à d’autresfacteurs et notamment à l’ignorance des parents.
Les bébés sont souvent nourris au sein jusqu’à la naissance de l’enfant
suivant,même si le lait de la mère ne contient plus les éléments nutritifs
indispensables.Mais leur nourriture est souvent encore plus pauvre par
la suite: dans beaucoup de sociétés,l’enfant,après avoir été brutalement
sevré, reçoit une alimentation à base d’hydratesde carbone et d’eau con-
taminée et est ainsi voué au déficit protéique et à la dysenterie. Dans ces
conditions,les enfants qui atteignent l’âgescolaire après avoir survécu à
tous les risques de maladie commencent leur scolarité avec un organisme
Facteurs externes: problèmes et remèdes 105

affaibli qui les prédispose à l’inertie,à la passivité et à l’inattention.Les


régions du monde qui connaissent ces conditions de misère extrême sont
également celles où sévissent de graves maladies endémiques qu’il est
difficile de prévenir. O n y rencontre très fréquemment la malaria, la
bilharziose,le choléra,les fièvres typhoïdes,les vers parasites et des in-
fections oculaires qui entraînentla cécité.Plus une population vit dans des
conditions insalubreset pénibles,plus elle risqued’être frappée par une ou
plusieurs de ces maladies. I1 convient de souligner que l’ignorance des
règles de nutrition et des causes de maladie est aussi dangereuse pour la
santé que la dureté des conditions de vie.

Lu désunion des familles


La misère crée toujours un milieu familial déplorable,mais celui-cipeut
également être imputable à d’autres causes.Outre les facteurs matériels,
la sécurité affective que trouve l’enfantdans sa famille est l’une des meil-
leures garanties contre les risques d’échec scolaire.Les enfants qui s’adap-
tent mal à l’enseignementet qui présentent des troubles de comportement
sonttrès souventissusdefamillesdésunies.Cettedésunion revêt desformes
très diverses:elle peut être due à l’abandondu foyer par le père ou par la
mère, à l’absenceforcée du père obligé de travailler au loin ou à la mort
de l’undes parents.Elle revêt également des formes plus insidieuses dans
les foyers polygames par exemple,où la femme supplantée par une rivale
auprès du mari doit assurer entièrement sa propre subsistance et celle de
ses enfants. Cette désunion des familles a des conséquences particulière-
ment graves si elle intervient quand l’enfantest encore en bas âge.O n dit
souvent que le bébé séparé de sa mère pendant une maladie ou au moment
où celle-cidonne naissance à un autre enfant subit un traumatisme,mais
il semble probable que l’absencedu père au moment où l’enfants’éveille
au monde extérieur peut avoir des conséquences presque aussi graves,
quoique différentes. Le rôle du père et celui de la mère sont complémen-
taires dans le processus de socialisationdurant lequel l’enfantapprend à
se différencier de sa mère et quitte la période purement égocentrique.II y
a évidemment bien d’autres facteurs‘familiauxdéfavorables tels que la
maladie mentale de la mère, l’alcoolisme du père ou l’incapacitétotale de
l’un des parents. A l’autre extrême,le fait de «couver» exagérément un
enfant et de faire preuve à son égard d’uneindulgence excessive peut cons-
tituer un handicap tout comme d’exiger trop de lui du point de vue des
résultats scolaires.
106 La déperdition scolaire: un problème mondial

Les diflérences entre sexes

Les différences entre les résultats des garçons et des filles constituent un
phénomène presque universel. La raison principale est, semble-t-il,que
les parents les destinent à des rôles différents et qu’onles prépare peu à
peu,de manière souvent insensible,à jouer leurs rôles respectifs.Ce sont
généralement les filles qui, sur le plan de l’éducation,pâtissent de cette
différenciation.L‘écartentre garçons et fillesest évidemmentplus ou moins
grand selon le niveau culturel,Sous sa forme la plus anodine,la différence
de traitementpeut consister à offrir des poupées aux filles et des autos aux
garçons;dans les cas extrêmes pourtant, on en arrive à imposer le régime
du «purdah»aux très jeunesfilles,à les fianceret à les marier alors qu’elles
ne sont encore que des enfants et à leur donner un apprentissage tradi-
tionnel pour les préparer à leur rôle d’épouses.
Les récits qu’ellesentendent,les jeux auxquels elles s’adonnentet les
descriptions imagéeset idylliquesqu’onleur fait de l’avenir qui les attend,
tout concourt à leur donner,bien plus qu’augarçons,une idéeprécise du
rôle qu’elles seront appelées à jouer. Cet endoctrinement est si efficace
qu’elles vont jusqu’à cacher leurs aptitudespour les mathématiquesou la
mécanique ou leur sens de l’espace,de peur de paraître moins féminine et
de perdre ainsi leur attrait pour le sexe opposé.Plus la pression exercée
par la société est forte,plus les différencesentre les sexes apparaissenttôt.
I1semblebien que l’onse trouve là en présence d’unevariable de comporte-
ment et non pas d’une variable physiologique puisque, dans les pays en
voie de développement,où l’on met plus ouvertementl’accentsur les fonc-
tions ménagères de la femme et OU les mariages précoces sont monnaie
courante,la puberté intervient en moyenne deux ans plus tard que dans
les pays les plus développés où les différences d’aptitudes entre les sexes
se manifestent plus tardivement et où l’on incite moins les femmes à
sacrifier les activités professionnelles au mariage. Toutefois,même dans
les pays développés, les différences de résultats scolaires entre les sexes
sont telles que, à l’âge de 13 ou 14 ans, les garçons sont généralement
supérieurs aux filles en mathématiques,dans les spécialités techniques et
dans les travaux mécaniques. A partir de cet âge, les filles font preuve
d’une certaine aversion à l’égard de la représentation sous forme de dia-
grammes, du raisonnement mathématique abstrait et de l’interprétation
géométrique et graphique.I1 est vrai que les différences que l’on constate
entre les sexes au point de vue de l’acquisitiondu langage paraissent dues
au fait que le développement sensori-moteurintervient plus tôt chez les
filles qui,en général,sont supérieures pour la plupart des aptitudes lin-
guistiques, sauf la compréhension orale,mais il n’y a pas de raison de
Facteurs externes: problèmes et remèdes 107

croire pour autant que les différencesde résultats scolaires entre les sexes
proviennent de différences organiques.

La langue d'enseignement
Abstraction faite des raisons de santé et des conditions de vie, la mauvaise
connaissancede la langue d'enseignement constituele plus grave handicap
dont puisse souffrir un enfant à l'école. Dans le monde, des millions
d'élèves se trouvent dans cette situation pour diverses raisons.Dans les
anciens territoires coloniaux,la langue de la puissance coloniale est géné-
ralement celle que l'enseignementa adoptée.C'est un principe dû non pas
à une volonté d'imposer à la population autochtone une autre langue que
la sienne,mais au fait qu'il aurait été trop difficile d'élaborer des manuels
dans la langue indigène,pour tous les niveaux de l'enseignement jusqu'aux
plus élevés. Dans bien des cas,on a conservé la langue véhiculaire après
l'indépendance parce qu'il n'y avait pas d'autre solution possible dans
l'immédiat.En Afrique, en Amérique du Sud et en Extrême-Orient,il
existe parfois,à l'intérieur du même pays,un si grand nombre de langues,
souvent réparties sur de très petites distances,que leur utilisation dans
l'enseignement entraînerait des difficultés insurmontables. O n a parfois,
comme en Inde,érigé en langue véhiculaire l'un des parlers autochtones,
mais rares sont les pays où l'on a pu généraliser l'emploi des langues ver-
naculaires dans tout l'enseignement.Au Mexique,par exemple,il y a plus
de 50000 villages, peuplés de plus d'un million d'habitants, OU l'on ne
parle pas la langue nationale.En faitle problème ne consistepas seulement
à améliorer l'enseignementde la langue à l'école. I1 s'agit bel et bien d'uni-
fier, grâce à une langue commune,les cultures coexistant dans une même
nation,que les langues vernaculaires continuent ou non à être parlées.

Q U E L Q U E S MESURES P O U R REMEDIER A CETTE SITUATION

Ilfaut introduire des changements


Les mesures à court terme sont impuissantes à supprimer la plupart des
causes de la déperdition extérieures à l'enseignement. Etant donné que
ces causes sont elles-mêmesle reflet d'un malaise ou d'un retard de l'éco-
nomie et de la société,il ne peut évidemment pas y avoir de remède à
court terme. O n ne saurait donc surestimer l'importance des plans de
développement si l'on veut que, dans le cadre de la politique générale
d'amélioration, l'enseignement reçoive non seulement une part des dé-
penses publiques qui soit à la mesure des bienfaits qu'apporte son expan-
108 La déperdition scolaire: un problème mondial

sion, mais aussi les moyens complémentairesindispensables pour amé-


liorer son efficacitéactuelle.Mais les textes légaux ne sauraientà eux seuls
assurer le succès d’un plan. Toute tentative de contrainte par voie législa-
tive est condamnée à être stérile puisque ceux qui en font l’objet ont tou-
jourslaressourced’appliquerla loidans salettre tout en en rejetantl’esprit.
I1 est certes difñcile de modiñer les mobiles des actes humains,mais on
peut,en employant les méthodes voulues,amener les hommes à infléchir
les objectifs vers lesquels les poussent ces mobiles. Les grands moyens
d’information ont un rôle primordial à jouer à cet égard;les campagnes
lancées à l’échelonnational,les rassemblements populaires, les affiches,
les expositions et les programmes radiophoniques, les journaux, sont
utiles, mais si l’on ne veut pas que ces changements soient purement
éphémères,il faut d’abord les introduire dans les communautés dont le
modèle de comportement individuel et familial tend à être le plus imité.
Quand bien même il faudrait des dizaines d’années pour qu’elle
aboutisseaux réformeset aux améliorations fondamentales indispensables,
l’action directe peut être extrêmement efficace lorsqu’elleest spécialement
axée sur les problèmes les plus critiques de l’enseignement dans le pays
considéré.Etant donné que chaque pays doit faire face à des problèmes
différents tant par leur nature que par la forme sous laquelle ils se présen-
tent,c’està l’échellede chacun d’eux que doivent être effectuées les études
diagnostiques sur les principales données de la situation.L‘organisation
des campagnes en faveur de l’éducation et la définition des priorités
doivent également être dictées par la recherche du résultat maximum.I1
en découlera sans doute parfois des conflits entre plusieurs objectifs con-
tradictoires.O n peut par exemple imaginer que,dans un pays,le problème
d’enseignementle plus grave concerneune minorité de nomades,alors que,
pour la majorité de la population,il est vraiment nécessaire d’éduquerles
adultes pour leur faire comprendre les fonctions de l’école.Si le coût des
programmes exigés dans ces deux domaines est presque équivalent et que
le pays en question ne puisse se permettre de les entreprendretous les deux
à la fois, l’administration devra renoncer, pendant quelque temps au
moins,soit à offrir la moindre éducation aux nomades, soit à améliorer
le taux de fréquentation scolaire de la majorité de la population.I1 n’y a
pas de réponse rationnelleà un dilemmede cetype.C’està laconsciencedes
hommes politiques et des administrateurs qu’il appartient de le trancher.
O n peut cependanttenter de deviner dans quel sens la décision serait
prise. Dans un pays où l’instructionn’estpas encore généralisée et OU la
déperdition d’effectifs est forte pendant les deux premières années de la
scolarité, on déciderait selon toute vraisemblance d’accorder la priorité
à la réduction de cette déperdition et de différer l’aide au groupe mino-
Facteurs externes: problèmes et remèdes 109

ritaire.En revanche,dans un pays développé où l’enseignement est obli-


gatoire pour tous,où la déperdition d‘effectifsest faible,mais où le pour-
centagede redoublementsest élevé surtoutà cause des enfants des groupes
minoritaires,on déciderait probablement de s’attaquerau problème de la
minorité.
En règle générale,il ne faut lancer de campagne nationale que si l’on
a fait au préalable des études indispensables et que celles-ciont montré
l’efficacité des moyens envisagés. Il est bon de s’inspirer des méthodes
modernes de commercialisation et des techniques industrielles d’emploi
des ressources humaines. Le «produit» doit avoir une signiñcation,une
forme et une apparence qui le rendent attrayant. Son ((emballage)) doit
être commode et agréable.Les ((tâches ) )doivent être adaptées aux carac-
téristiques des ((ouvriers». Pour réaliser ces conditions,il est indispensable
de faire une étude approfondie des communautés représentatives,puis de
mettre au point et d’effectuerun certain nombre d’enquêtes-pilotes, afin
de dégager divers éléments.I1 serait optimiste de croire que l’on puisse
recourir à un plan de recherche prédéterminé pour déceler les effets indi-
viduels et conjugués des diverses parties des programmes, mais il est
possible d‘établir des comparaisonsqui permettraient d’élaborerun projet
mieux adapté à son objet.Les études doivent obligatoirementêtre à court
terme, l’objectif étant de mettre sur pied des programmes valables dans
un délai d’un an.

Exemples de programmes d’action directe

Ce bref aperçu méthodologique montre de façon évidente que,même si


les dimensions de la présente étude nous permettaient de traiter en détail
tous les problèmes évoqués,il nous serait impossible de présenter des pro-
grammes types qu’ilsuffirait ensuite d’appliquer.I1 tombe sous le sens en
effet que les causes de la déperdition constituent rarement un phénomène
isolé. Dans presque tous les cas,on se trouve en présence d’une série de
variables interdépendantes qui sontliées aux facteursfondamentauxd’une
situation donnée. C‘est pourquoi les exemples de programmes concrets
qui figurent ci-aprèsn’ont pas d’autre ambition que de donner une idée
très générale du genre d’action que l’onpourrait entreprendre.

En s’attaquant aux écoles de prestige. Nous étudierons d’abordle cas des


pays dont la population a une attitude positive mais erronée en ce sens
qu7ellesouhaite un type d’éducation qui ne correspond pas aux besoins
de la société en matière d’emploi.Pour remédier à cette situation, la
politique à suivre consiste non pas à résister aux aspirations populaires
110 L a déperdition scolaire: un problème mondial

ou à les heurter de front,mais à exercer une influence sur elles en modi-


fiant progressivement les caractéristiques des établissements d’enseigne-
ment les plus renommés.Dans une zone donnée,les écoles qui jouissent
du plus grand prestige auprès des parents et quipassentpour dispenser aux
élèves la meilleure formation serviraient d’instrumentspour modifier les
conceptions du public. O n pourrait par exemple envisager d’amener un
établissement secondaire de type classique à inclure dans son enseigne-
ment des cours de science rurale et diverses disciplines techniques qui
formeraient partie intégrante du plan d’étudesgénéral et constitueraient
également des matières facultatives dans les programmes à options.Des
ressources particulières en matériel et en personnel seraient affectées à
l’enseignementde ces disciplines dans l’écoleconsidérée et les enseignants
s’efforceraienten même temps d’expliquer aux parents les avantages de
la nouvelle formule et de leur montrer les possibilités offertes à leurs en-
fants.En outre,en donnant aux élèves qui suivraient ces cours des facilités
particulières pour entrer dans les institutions d’enseignement supérieur
où ils poursuivraient leurs études et en leur offrant à la fin de celles-cides
débouchés intéressants, on contribuerait à orienter le public vers des
objectifs réalistes,tout en conservant les apparences d’un système d’en-
seignement classique. Le choix d’établissements jouissant d’un grand
prestige se justifie par le fait que l’enseignement s’engage généralement
assez vite sur la voie tracéepar ces écoles et que le processus d’innovation
est ainsi plus naturel que si l’oninvitait en même temps tous les établisse-
ments à procéder sans délai aux réformes indispensables.Cela est parti-
culièrement vrai dans les pays où l’enseignementprivé est très développé.

Une expérience américaine. C‘est aux Etats-Unisqu’ontété mis en œuvre


les programmes les plus ambitieux,les plus onéreux et les plus perfection-
nés en vue d’atténuerle handicap que subissent,surle plan de l’instruction,
les groupes les plus défavorisés de la société. L‘opuscule A study of our
nation’sschools (publié par le Bureau d’éducationdes Etats-Unisen 1970)
dresse le bilan des efforts récemment déployés dans ce sens.Il décrit ce
qu’il faut bien appeler l’échecgénéral de ces efforts au regard des résultats
escomptés,surtout si l’onconsidère l’importancedes ressources engagées.
Selon le point de vue que l’on adopte,on peut envisager plusieurs aspects
de cet échec. Cependant,le plus grave est incontestablement que l’onn’a
pas réussi à gagner l’appuide la communauté déshéritéequi reste méfiante
et envisage le but visé avec un scepticismemêlé d’hostilité.I1 faut évidem-
ment tenir comptedu fait queles préjugésraciaux compliquent le problème
de la pauvreté relative. Cependant,quand bien même il s’agiraitlà d’une
situation extrême,il existe en fait,ailleurs dans le monde,des oppositions
Facteurs externes: problèmes et remèdes 111

de race et de caste analogues.En d’autrestermes,lorsqu’unesociété com-


prend des groupes minoritaires qui,pour des raisons historiques ou par
suite de circonstancesparticulières,sont voués aux tâches les plus ingrates
et les plus mal rétribuées,il tend à s’établirune corrélation de plus en plus
étroite entre la pauvreté et l’appartenanceà une race,à une caste ou à une
religion. Une fois que ce processus est déclenché,ce n’est pas un seul pré-
jugé que l’onest amené à combattre:non seulement la majorité s’estime
fondamentalement supérieure,mais la minorité, de son côté,se juge mé-
prisée,exploitée et traitée avec condescendance.O n a notamment eu tort,
semble-t-il,aux Etats-Unis,de concevoir les programmes comme s’ils
s’adressaientexclusivement aux personnes éclairées et libérales de chaque
groupe;il est en effet facile pour celles-cide se comporter comme s’il n’y
avait aucune différenceentre les individuset de traiter les préjugés comme
s’ils n’existaient que dans l’imagination.Lorsqu’ils sont profondément
ancrés dans les coutumes,les esprits et la façon de vivre en général,il ne
suffit pas pour les vaincre que quelques personnes veuillent les ignorer ou
les déclarent dénués de fondement.
Pour obtenir le résultat recherché,tout au moins pour augmenter les
chances de succès,il aurait été préférable de donner aux militants des
groupes minoritaires la possibilité d’élaborer leurs propres programmes,
en leur offrant,s’ils le désiraient,les ressourcesindispensableset une aide
technique,mais en laissant la responsabilitédes décisions à ceux qui,aux
yeux de leur groupe,expriment avec le plus de force le ressentiment contre
le reste de la société.La tolérance à l’égard d’autrui n’est possible que
lorsque l’on est parvenu au respect de soi-même,et une minorité ne peut
acquérir un sentiment de responsabilité à l’égard de l’ensemble de la
sociétéque si elle travaille elle-mêmeà l’élaborationet à la mise en œuvre
des mesures qui visent à lui préparer un avenir meilleur.
Ceux qui ont la bonne volonté et les aptitudes techniques indispen-
sablespour élaborerles programmes d’aidesociale voulus ont évidemment
du mal à se dessaisir de cette responsabilité au profit de personnes qu’ils
saventmoins compétentes et en tous cas moins bien intentionnées.Cepen-
dant,même avec la certitude que les ressources seront dans une certaine
mesure mal utilisées et que le programme d’enseignementservira en partie
à inculquer des préjugés aux élèves, il est indispensable de donner aux
groupes minoritaires une chance de rétablir leur situation,si l’on veut
favoriser leur adaptation sociale.Les erreurs commises et les ressources
mal utilisées seront elles-mêmes loin d’être inutiles puisqu’elles auront
concouru à détourner des buts antisociaux les énergies disponibles dans
le milieu considéré pour les orienter vers des fins constructives.I1 semble
qu’onait commis une autre erreur importante aux Etats-Unisen élaborant
112 L a déperdition scolaire: un problème mondial

des programmes qui visent à remédier à certaines inégalités plutôt qu’à


obtenir rapidement des résultats concrets.I1 y a là deux optiques totale-
ment différentes.En effet, dans le premier cas,on tente d‘abord de déter-
miner quelles sont,au point de vue des pratiques suivies et des moyens
matériels,les caractéristiquesde l’enseignementdans les zonesbourgeoises
où les élèves obtiennentgénéralement les meilleurs résultatset l’on cherche
ensuite à généraliser dans tous les programmes d’instructionpréscolaire
et scolaire celles de ces caractéristiquesqui font apparemment défaut dans
les zones moins favorisées. I1 est assez normal que cette méthode, qui
procède d’une conception un peu simpliste des choses,ne donne pas les
résultats souhaités,car il est vain de vouloir faire un condensé des règles
de conduite et des éléments matériels caractéristiques du mode de vie
d’unecertainecommunauté et d’espérerensuite qu’uneautre les adoptera
et les assimilera tels quels.Pour atteindre le but souhaité,il est indispen-
sabled’examinerde plus près les raisonsdu handicap dont souffrele groupe
considéré sur le plan de l’enseignementet de s’attaquerdirectement à ces
causes elles-mêmes.I1 n’estpas étonnant, par exemple,que les groupes
minoritaires envisagent avec hostilité les efforts déployés en vue d‘incul-
quer à leurs enfants les habitudes de langage qui caractérisent les classes
privilégiées,alors qu’ilfaudraittenter de remédier directementaux limites
et aux ambiguïtés du parler naturel de ces enfants.
Plus qu’un exemple, nous avons voulu donner un bref et rapide
aperçu critique des solutionsappliquéesaux Etats-Unis-en nous fondant
surtoutsurles discussionstenues sousles auspicesde la FondationDitchley
(Angleterre), avec la participation d’éminents spécialistes américains de
l’éducation et des sciences sociales qui collaborent aux projets destinés
à combattre la misère et ses conséquences sur le plan de l’éducation-, et
ces considérations devraient donner une idée suffisamment nette de la
conception qui devrait inspirer les programmes en faveur des catégories
relativementdéfavoriséespour que des exemples concretssoient superñus.

Un programme pour l’Asie.Le Stage d‘études sur la déperdition des effec-


tifs scolaires et les abandons en cours d’études(réunien 1966par l’Unesco
pour la région de l’Asie)a mis au point un certain nombre de projets
intéressants à titre d’exemple.L‘un de ceux-cis’appliquaità une région
agricole habitée par une population neutre à l’égard de l’éducation.Ses
éléments essentiels étaient un plan d’études qui faisait une grande place
aux questions agricoles,l’organisation d’équipes scolaires de travail et le
passage automatique d‘une classe à l’autre dans le premier cycle de l’en-
seignementprimaire.L’objectifultime de ce projet étaitde réduireladéper-
dition des effectifs et l’absentéismedus au faitque les parentsretirentleurs
Facteurs externes: problèmes et remèdes 113

enfants de l’école à des périodes régulières du cycle saisonnier pour les faire
travaillerdans les champs.11 visait donc à résoudre un problème évoqué lors
de la Conférence lorsqu’on signalait qu’en Ethiopie la déperdition d’effec-
tifs scolaires se produisait en grande partie pendant la saison des moissons.
Les objectifs concrets du projet étaient les suivants: aider les écoles
à retenir leurs élèves en fixant les vacances en fonction des nécessités
saisonnières de l’agriculture dans la région; adapter les programmes
d‘études aux besoins pratiques de la vie rurale; réduire les abandons en
cours d’études et l’absentéisme;rendre l’écoleplus sympathiqueà la popu-
lation en la transformant en une équipe de travail agricole à certaines
périodes de l’année;libérer le premier cycle de l‘enseignement primaire
de l’obligation de préparer les élèves à d’autres niveaux d’instruction de
façon qu’il serve essentiellement à apprendre aux enfants à lire et à compter
(alphabétisation fonctionnelle) et qu’il soit axé sur les problèmes de la vie
rurale. O n a reconu que, pour réaliser ces objectifs, il était indispensable
de donner aux maîtres une formation particulière et des possibilités de
perfectionnement en cours d’emploi, et de prendre des mesures pour les
inciter à rester dans les zones rurales. Ce projet prévoyait également une
étape préparatoire au cours de laquelle des discussions interministérielles
auraient pour objet d’assurer en fonctionnement harmonieux du système
et en particulier de déñnir un accord sur le niveau que devraient avoir
atteint les élèves à la fin du premier cycle, de façon à harmoniser les ob-
jectifs. O n envisageait également des enquêtes préliminaires sur la struc-
ture sociale et les types d’organisation du travail dans les zones retenues,
ainsi que le choix d’une zone témoin à titre de comparaison.
Etant donné que le projet devait avoir une valeur expérimentale, on
estimait que la région choisie devait être caractérisée par un taux élevé de
déperdition et avoir une population composée essentiellement d’agricul-
teurs sédentaires. Cette zone devait comprendre de 30 à 50 écoles. Le
document présenté décrivait également un certain nombre de mesures
préparatoires et des méthodes expérimentales possibles. Ce projet mérite
inconstablement d’être mis à l’essai, car il peut montrer la voie à suivre
pour assurer une meilleure adaptation de l’enseignement à la communauté.

Pour faire face aux besoins de la communauté. U n point de vue différent


fut également exprimé lors de la Conférence: la déperdition des effectifs
scolaires est un phénomène inévitable dans certaines sociétés où le fossé
entre les exigences de l’éducation et les aspirations de la communauté est
trop grand.Le problème consiste à récupérer les enfants une fois qu’ils ont
abandonné l’école:il convient donc d’examiner de plus près ce qu’ils font
après leur départ prématuré et peut-être aussi de considérer qu’ils sont
114 L a déperdition scolaire :un problème mondial

entrés à l'école de la vie. Dans cette perspective,l'enseignement organisé


devrait adapter ses services de façon à les rendre plus accessibles aux
enfants qui ont volontairement abandonné.O n releva également que l'on
sous-estimaitsouvent les difficultés économiques des familles dans les-
quelles on constate un taux élevé d'abandons en cours d'études. Bien des
établissements sont encore payants et les parents doivent en outre prendre
à leurs frais l'achat des uniformes scolaires,des manuels et le coût du
transport à l'école.Plus l'enfant grandit,plus les parents sont tentés de
le retirer, car les frais de scolarité augmentent et le travail de l'enfant au
foyer,au marché ou à la ferme,leur fait de plus en plus défaut.
C'est la situationde pauvreté absolue qui est la plus difficileà soulager
par des moyens autres que l'action économique et sociale directe.Les
mesures prises pour y remédier comprennentle relogement,le reclassement
des travailleurs,les subventions au logement,le versement d'allocations
aux titulaires des revenus les moins élevés, les mesures de réhabilitation
des familles et l'organisation de services médicaux gratuits.
Toutes ces mesures tendent à créer chez les bénéficiaires un sentiment
de dépendance à l'égard d'autrui et à instituer des méthodes bureaucra-
tiques d'administration. En règle générale,elles ne sont pas de nature à
favoriserle concours actifdesfamilles,car celles-cis'habituent progressive-
ment à faire éternellementla queue,à subir la mauvaise humeur de fonc-
tionnairestatillons et à dépendrede la charité des autres.Elles restent très
souvent ignorantes de leurs droits. En dépit de leurs conditions de vie
très pénibles,il arrive souvent qu'elles ne se rendent pas compte de la
sordidité de leur misère. Sous l'effet de l'habitude,leur condition leur
paraît supportable et elles y trouvent même certainsagréments. Cela peut
les amener à ne pas vouloir changer de maison,de travail ou de mode de
vie, et surtout à refuser de perdre la présence de leurs enfants.
Tout plan d'action, quels que soient les crédits qui lui sont affectés,
doit tendre à susciter chez les groupes intéressés une volonté collective de
travailler eux-mêmesà l'amélioration de leur sort.I1 est essentiel que les
responsablesde la mise en œuvre de ces projets fassentpreuve de patience
et de tolérance à l'égard de ce qui peut parfois paraître du gaspillage.
L'objet de l'éducation des adultes doit être moins de leur apprendre à lire,
à écrire et à compter que de leur donner des aptitudesqui leur permettront
de contribuer eux-mêmesà l'améliorationde leur condition.O n ne peut
amener les familles à envoyer leurs enfants à l'école et à les y laisser que
si on leur a démontré au préalable l'utilitéde l'éducation.Toutepolitique
qui tendrait à séparer le problème de l'éducation des enfants de celuide la
misère extrême de certainsgroupes seraitvouée à l'échec et il seraitabsurde
d'envisager des projets qui isoleraient l'enseignement de son contexte.
Facteurs externes: problèmes et remèdes 115

L‘école inculque depuis longtemps l’hygiène aux enfants et, dans les
pays où sévissentles affections endémiques,elle leur apprend les méthodes
de prophylaxie et leur fait étudier l’histoire naturelle des organismes res-
ponsables des maladies.En distribuant des repas dans les écoles,on s’est
efforcé de lutter contre la sous-alimentationet la malnutrition. En dépit
de toutes ces mesures il ne semble pas que l’enseignement ait réussi à
modifier directement les habitudes de vie en dehors de l’école.Même les
étudiants qui ont suivi des études de biologie à l’universitéreprennent les
habitudes familiales traditionnelles lorsqu’ils se retrouvent dans leur
village. O n ne se rend pas suffisamment compte que la connaissance
objective des causes du mauvais état de santé et de maladie ne suffit pas à
rendre les individus conscients des risques qu’ils courent eux-mêmes.Les
listes d’interdictions sont encore moins efficaces pour inculquer des habi-
tudes d’hygiène.I1 serait indispensable que les écoles offrent la possibilité
de simuler les conditions d’un mode de vie hygiénique. Il conviendrait
d’instituer,en particulier dans les établissements d’enseignement secon-
daire,des foyers modèles où filles et garçons s’initieraient ensemble aux
tâches quotidiennes telles que l’entretien d’une maison, la cuisine et les
soins aux tout jeunes enfants. Cette méthode aurait pour avantage non
seulementd’inculquer un certainnombre de connaissancespratiques,mais
aussi d’amenerles filles et les garçons à mieux se comprendreet à adopter
une attitude positive à l’égard de la répartition du travail au foyer. I1
importe que ces foyers modèles, dont l’installation n’est pas coûteuse,
soientconçus avec réalismeet qu’ils ne soientpas dotés de moyens dispro-
portionnés par rapport à ceux des famillesdont sont issus les enfants,car
ils risqueraient alors d’être considérés comme un état de choses idéal et
inaccessible.Les écoles peuvent également contribuer à la réalisation des
programmes de la médecine sociale et préventive,avec lesquels les plans
d’hygiène scolaire devraient être étroitement coordonnés.
Les rapports de causalitéque nous avons cru discerner entre bien des
facteurs étudiés dans le présent chapitre et la déperdition d’effectifs sco-
laires reposent sur un certain nombre d’hypothèses pour lesquelles nous
n’avonspu avancer comme preuves que des exemples particuliers.Avant
d’attribuercette déperdition à tel ou tel facteur ou telle combinaison de
facteurs,la rigueur scientifique voudrait que l’on détermine expérimen-
talement la corrélation supposée. Cependant,étant donné qu’il est indis-
pensable d’agir le plus rapidement possible,il faut renoncer à l’étapedu
diagnostic pour passer immédiatement à l’étude des mesures propres à
remédier aux situations qui,d’après les études communautaires,semblent
bien être à l’originedu malaise dans le domaine de l’enseignement.
Chapitre six

L’enquêtede 1969
et la Conférence de 1970

LE s T R A V A U x P R ÉP A R AT O IR ES

En aofit 1968,le Secrétariat du BIE adressait aux Etats membres un pre-


mier questionnaire sur la déperditiondes effectifs scolaires dansl’enseigne-
ment primaire et secondaire.La Conférencegénérale de l’Unesco décidait
en octobre de la même année que le thème de la conférence de 1970 serait
élargi de façon à englober l’enseignement supérieur. Conformément à
cette décision,le Secrétariat a adressé aux Etats membres un deuxième
questionnaire sur les déperditions dans l’enseignement supérieur.Au pre-
mier questionnaire répondaient 78 Etats membres, au second 53.Paral-
lèlement à ces deux enquêtes,le Bureau des statistiques de l’Unesco en-
voyait un questionnaire sur les effectifs scolaires par année d’études,afin
de procéder à une analyse quantitative des déperditions.Le chapitre 3 de
cette étude y est consacré; l’Unesco prévoit par ailleurs la publication
d’un ouvrage qui traitera spécialementde cet aspect.lNous nous attache-
rons donc plus particulièrement maintenant à mettre en évidence les prin-
cipales caractéristiques des réponses aux deux premiers questionnaires.
Nous nous inspirerons du document de travail élaboré par le Secrétariat
du BIE avec l’aide de M.G.Parkyn (Nouvelle-Zélande) et des deux
auteurs du présent ouvrage.Signalons qu’en novembre 1969 une première
rédaction a été soumise à l’analysecritique d’un groupe d‘experts.

Les questionmires
Etablir une formuled’enquêtequi tienne compte aussi bien de la diversité
des systèmes d’éducation que des politiques sociales, économiques et
1. Unesco: BE. Elude statistique de la déperdition scolaire. Paris, 1971. (Etudes
et enquêtes d‘éducation comparée)
118 L a déperdition scolaire: un problème mondial

scolaires apparaît au premier abord comme une gageure. Le fait que


78 Etats membres ont répondu au premier questionnaire semble montrer
que le Secrétariat a su poser des questions pertinentes, adaptées aux
diverses situations existantes. Le dépouillement des réponses oblige
cependant à nuancer cette première affirmation.Le problème des déper-
ditions est complexe: si la notion de redoublement est relativement
simple,il n’en va pas de même du phénomène désigné par le mot «aban-
don».Le premier chapitre de cet ouvrage analyse en détail cette notion
et met ainsi en évidence les diverses interprétations possibles du phéno-
mène. O n doit donc regretter que le questionnaire n’aitpas été accom-
pagné d’une définition du problème qui aurait grandement facilité la
tâche des services de l’enseignement chargés de rédiger les réponses. Par
ailleurs, nulle part on ne demande d’informationssur la scolarité obli-
gatoire,le cas échéant sur l’absencede dispositionslégislatives y relatives;
or,le nombre élevé des abandons donne lieu à des interprétations diffé-
rentes selon qu’ils se produisent avant ou après la fin de la scolarité obli-
gatoire.I1fautenfin remarquerque le schéma adoptédans le questionnaire
orientait en quelque sorte les réponses et que,dans une certaine mesure,
il pouvait en résulter une perte d’informationsintéressantesparce qu’elles
n’entraient pas dans le cadre proposé.
La formule d’enquêteidéale n’existecertainement pas,mais on doit
se demander si, à l’avenir,un groupe d’experts de diverses régions du
monde ne devrait pas participer à la préparation d’un tel document. I1
convient en effet,pour parvenir à un maximum d’efficacité,de tenir mieux
compte de la diversité des Etats membres et d’éviter les questions aux-
quelles un petit nombre seulement peuvent répondre. Ne serait-ilpas
opportun,dans certain cas,de distinguer entre pays en voie de développe-
ment et pays industrialisés,voire même de prévoir des schémas différents
selon les régions du monde?
Le questionnaire relatif à l’enseignementsupérieur n’a pas rencontré
le même écho que le premier.Non seulementles réponses (53) sont moins
nombreuses, mais elles comportent souvent maintes lacunes. S’il existe
suffisamment d’analogies dans les systèmes scolaires du premier ou du
deuxième degré pour que les ministères de l’éducationnationale puissent
répondre à un questionnaire identique,les différences au niveau de l’en-
seignement supérieur sont telles d’une université à l’autre,même à l’inté-
rieur d’un seul pays,qu’on ne saurait espérer des réponses satisfaisantes.
O n peut même se demander si des questionnaires différents selon l’orga-
nisation de l’enseignement supérieur n’auraient pas rendu l’enquête plus
efficace. Quoi qu’il en soit,un fait est certain:on ne dispose pas,dans de
nombreux cas,d’informationsprécises sur les déperditionsdans l’enseigne-
L’enquête de I969 et la Conférence de I970 119

ment supérieur,même dans les pays les plus avancés en matière d’édu-
cation.

L e document de travail de la Conférence


I1comprenaitcinq chapitres:lepremier contenaitun exposédesproblèmes;
le deuxième,plus technique,traitait de la mesure et de l’étendue des dé-
perditions; le troisième décrivait succinctement les divers systèmes de
sélection et de promotion en vigueur actuellement. L’analyse des causes
et celle des remèdes constituaient la matière des deux derniers chapitres
dont nous allons extraire les idées qui nous semblent importantes. Bien
que nous ayonsdéjà procédé à une étude systématiquedes facteursinternes
des déperditions (chapitre 4),nous avons tenu à rappeler brièvement quel-
ques-unsdes thèmes développés précédemment afin de mettre en évidence
le matériel dont disposaientles délégués avant l’ouverturedes débats.Cela
permettra de mieux comprendre certaines interventions et d’expliquer,
jusqu’à un certain point,le contenu de la recommandation adoptée par la
Conférence.
Causes des déperditions
Les réponses relatives aux causes des déperditions révèlent une situation
relativement grave:il s’agit surtout d’une énumération d’opinions,d’im-
pressions et rarement de faits contrôlés,justifiés par des recherches scien-
tifiques.Or,l’efficacitédes remèdes dépendra largement de la validité des
causes.En réalité,il semble qu’on ne soit pas au clair sur le processus des
causalités et qu’on espère confusément qu’en proposant telle ou telle
mesure,on provoqueral’améliorationvoulue.Des conclusionsdu chapitre
consacré aux causes nous extrayons ce qui suit:

Dans la plupart des Etats,l’éducationnationale est devenue,sur le plan


économique,l’unedes plus grandesentreprises.Mais au siècle de l’énergie
nucléaire,de l’électronique et des avions supersoniques,cette entreprise
fonctionne avec des moyens artisanaux désuets. Elle est le plus souvent
mal adaptée aux besoins de notre époque:dans de nombreux pays indus-
trialisés,les systèmes d‘éducationdemeurent profondément marqués par
les conceptionsqui,au XIX siècle,ont présidé à leur création.On a,certes,
procédé à des retouches,à quelques transformations de détails,mais les
changements fondamentauxsont exceptionnels.Bien plus, ces systèmes
ont été transplantés dans les pays en voie de développement sans subir de
modifications essentielles,sans qu’ily ait véritablement d’ajustement aux
besoins et aux motivations des populations intéressées.
120 L a déperdition scolaire :un problème mondial

Les facteurs internes. I1 dépendent avant tout des lois scolaires ou même
plus simplement des administrations:leur mise en place,leurs modifica-
tions sont le plus souvent décidées sur des bases empiriques. Le moment
semble venu de prévoir des recherches qui démontreraient ou non le rôle
qu’ilsjouent dans les déperditions.I1 paraît indispensable de coordonner
ces recherches sur le plan international et de diffuser leurs résultats non
seulement parmi les enseignants mais aussi parmi les administrateurs et
les autorités responsables des décisions.

L e passage d’une année à l’autre. Les statistiques,qui font apparaítre la


grande diversité d’âge parmi les élèves d’une même classe dans les sys-
tèmes où le passage d‘une année à l’autre s’effectue selon les méthodes
traditionnelles et les résultats de tests normalisés qui révèlent la grande
disparité des résultats obtenus par les élèves à tout âge, confirment ce
qu’on savait déjà:c’est que la capacité d’apprendrevarie beaucoup selon
les enfants. En conséquence,là où un système d‘enseignement reposant
sur le postulat qui veut que les élèves entrés à l’école au même âge pro-
gressent au même rythme en suivant un programme scolaire déterminé
n’est applicable que si le minimum de connaissances exigé pour accéder
à la classe supérieure est si bas que tous les élèves sont capables de l’assi-
miler,à moins d’être mentalement déficients.
Dans la pratique, la somme de connaissances que les élèves sont
censés acquérir dans la plupart des systèmes à passage réglementé est
souvent calculée en fonction des capacités de l’élève moyen,ou même de
l’élève plus doué que la moyenne,c’est-à-direde celui dont on pense qu’il
pourra accéder à l’enseignementsecondaire sélectif.Dans ces conditions,
l’échec d‘une proportion importante des élèves fait partie intégrante du
système;et ces échecs ont eux-mêmespour conséquence des départs pré-
maturés ou des redoublements.
Ces échecs dépendent étroitement de la manière d’apprécierle travail
et le rendement des élèves, des conditions de passage,éventuellement des
résultats d’examen de fin d’année.

Les programmes et les méthodes. Aujourd’hui l’homme ne vit plus à


l’échelle locale. L’essor de la technique, le développement rapide des
moyens de communication et des moyens d‘information contribuent
largement à donner à l’actualitémondiale une place de premier plan.Ceci
est particulièrementvrai pour les pays fortement industrialisés.Dans de
nombreux pays, le système des valeurs n’a pas évolué et les institutions
existantes,plus particulièrementla famille et l’école,se trouvent souvent
incapables de répondre aux nouveaux besoins. L‘école dans la majorité
des cas continue à diffuser une formation traditionnelle,de par son con-
tenu et de par ses méthodes.
Les programmes se caractérisent par leur encyclopédisme. Lorsqu’il
devientindispensablede faire appel à de nouvelles matières,on greffe sur
L'enquête de 1969 et la Conférence de 1970 121

le vieux tronc quelques notions nouvelles, mais rarement la totalité du


programme est revue en fonction de nouvelles priorités. Le plus souvent
le souci d'actualiser l'enseignement se marque dans quelques branches
seulement. Les méthodes d'enseignement laissent,elles aussi, beaucoup
à désirer. Largement tributaire de la nature encyclopédique des pro-
grammes,elles restent essentiellement basées sur le didactisme.Dans un
tel cadre la liberté d'initiative de l'enseignement se trouve extrêmement
réduite.
Cette inadaptation de l'école aux conditions présentes se marque de
plus en plus chez les enfants par un désintérêt pour tout ce qui est con-
naissance scolaire,parfois même par un refus de la connaissance tout
court.Cette absence de motivations se répercute gravement sur les résul-
tats scolaires.Elle se retrouve chez nombre d'enfants, quelle que soit leur
origine sociale. Ses conséquences sont cependant beaucoup plus graves
chez les enfants défavorisés sur le plan socio-culturelqui,contrairement
à certains camarades,ne disposent pas d'un encadrement familial per-
mettant de répondre aux exigencesde l'école grâce à des acquis extérieurs.
Les enseignants.L'insuffisance de la préparation des enseignants est citée
souvent comme une cause importante.I1 semble que si la formationcul-
turelle et scientifique laisse à désirer dans un certain nombre #Etats, on
est, en revanche, unanime pour déplorer l'aspect superficiel,empirique,
inadaptéde la préparationpsychopédagogique.Lescandidatsà l'enseigne-
ment ont appris au cours de leurs études que les échecs sont chose nor-
male, nécessaire. Pourquoi adopteraient-ils un autre point de vue lors-
qu'ils deviennent maîtres?
L'inadaptation croissante des systèmes d'éducation aux conditions
actuelles rend de plus en plus difficile le métier d'enseignant. C'est au
niveau de la relation maître-élèveque,dans de nombreux pays,un confiit
aigu se développe :l'enseignant à qui incombela tâche de transmettreune
culture dont la finalitéest confuse et problématique,devientpour les élèves
le symbole de la contrainte. Désemparé devant une opposition que sou-
vent il ne comprend pas,il recourt à des méthodes coercitives pour main-
tenir son autorité.Le conflit ne fait alors que s'aggraver et peut se réper-
cuter profondément sur la personnalité des élèves et sur celle des maîtres.
Le fossé existant entre le contenu de l'enseignement et les intérêts et
les aptitudes des élèves s'approfondit au fur et à mesure que l'on descend
les échelons de la hiérarchie scolaire (section théorique,section technique,
section pratique). Les difficultés rencontréespar les enseignants sont donc
plus ou moins grandes selon les sections.Par conséquent les sections ne
jouissent pas d'un attrait égal. La ville exerce aussi plus d'attirance pour
l'enseignant que la campagne.Dans bien des pays ces valeurs correspon-
dent en gros à la hiérarchie des postes d'enseignant. I1 s'ensuit que les
enseignants les moins formés se voient régulièrement attribuer des postes
qui,au contraire,requerraient les plus solides qualifications.
122 L a déperdition scolaire :un problème mondial

Les critères de sélection. I1 y a peu de temps encore, la position sociale


dépendait essentiellement de facteurs extrascolaires. Actuellement, c'est
à l'école qu'incombe de plus en plus la tâche d'opérer une sélection socio-
professionnelle.
Dans de nombreux pays, les campagnes entreprises pour une démo-
cratisation des étudesont largement contribué à répandre l'idéeque l'école
pouvait être un canal d'ascension sociale.Or,cet espoir est en grande par-
tie contredit par laréalité des faits; pour s'en rendre compte,il suffitd'exa-
miner des statistiques concernant les pourcentages de retards et d'échecs
scolaires, selon les provenances socio-culturelles.Dans certaines écoles
les sections hiérarchisées sont un reflet des couchessocialesexistantes.
C e s faits posent pour l'école, de manière très directe,le problème du
choix des critères de sélection.L'appréciation quantitative du rendement
des élèves constitue le principal critère en vigueur dans la majorité des
systèmes scolaires.D e plus en plus remis en cause,ce système d'apprécia-
tion donne lieu à deux sortes de critiques:il est arbitraire,caractère qu'une
connaissance de la docimologie ne suffit pas à supprimer totalement. Il
polarise l'élève sur un chiffre ...L'élève est axé sur la réponse seulement et
non sur le problème posé. I1 développe ainsi toute une série de mauvaises
habitudes de pensée (recette, devinette, etc.) par crainte de ne pas satis-
faireaux normes.Quand on pense,d'une part,que le vocabulaire pédago-
gique est en partie commun avec celui de la morale (faute,devoir,bon,
mauvais), que le tableau scolaire est ainsil'objetd'un jugement de valeur,
que,d'autre part,l'avenir scolaire se joue sur des chiffres, cette polarisa-
tion de l'élève sur le résultat s'explique aisément.
Ces critiques visent aussi bien les systèmes de sélection basés sur le
principe de l'examenque les systèmes de sélection basés sur l'appréciation
du travail en cours d'année. Cependant,la sélection opérée sous la forme
d'examen apparaît de loin comme la plus arbitraire et la plus aliénante
pour l'élève qui est acculé à jouer son avenir en quelques heures seule-
ment.Il va sans dire que de telles conditionscréent un climat d'anxiété qui
ne permet pas à l'élève de {(donner le meilleur de lui-même)).

Les facteurs externes. On peut en relever trois qui sont fondamentaux:


a) les différences individuelles,inévitables;
b) la connaissance insuffisante de la langue d'enseignement, qui est un
facteur très importantdans une école dispensant un savoir essentielle-
ment verbal; cette connaissance insuffisante peut provenir soit de
l'origine sociale,soit du fait que la langue maternelle de l'enfant est
différente de celle enseignée à l'école;
c) le niveau socio-culturelde la famille,dont l'influenceaugmente au fur
et à mesure que le niveau scolaire s'élève, ce qui explique que l'accès
aux degrés supérieurset à l'enseignement universitaire est quasi fermé
aux couches sociales défavorisées.
L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 123

Les mesures visant à réduire les déperditions


I1 n’est peut-être pas inutile de rappeler que les problèmes de déperdition
ne se posent pas tout à fait de la m ê m e facon dans tous les pays.I1 existe
certes des points communs entre eux,mais la nature et la structure globale
des déperditions sont en réalité spéciíiques dans chaque pays. C’est pour-
quoi il est indispensable, pour déterminer les mesures efficaces et écono-
miques à prendre dans un pays, de bien analyser les caractéristiques du
problème des déperditions tel qu’il se pose à lui. Le texte qui suit,égale-
ment extrait du document de travail,est tiré cette fois du chapitre sur les
mesures visant à réduire les déperditions.
Toutefois,de nombreux pays auront sans doute à examiner et à résoudre
un problème important avant de pouvoir entreprendre utilement une
étude précise sur le problème des déperditions en soi.Ils devront en effet
se demander quels sont le niveau et la nature de l’éducationdont ils ont
besoin et qu’ilspeuvent se permettre. Comme on l’adéjà fait observer,il
est fort possible que parmi les pays où le problème des déperditions est le
plus grave,beaucoup ne soient pas en mesure de continuer à accroître la
proportion d’enfants scolarisés s’ils parviennent à retenir à l’école les
nombreux enfants qui la quittent aujourd’hui prématurément. Ces pays
seront peut-êtreobligés de faire un choix difficile entre l’éducationcom-
plète du pourcentage actuel d’enfants scolarisés et l’éducation partielle
d’un pourcentage plus grand d’enfants. Quel que soit le niveau d’en-
seignement considéré,ce choix sera peut-êtreindispensable; qu’ils’agisse
de l‘enseignementprimaire,secondaire ou supérieur,il influera de manière
profonde sur la politique nationale en matière de sélection,de redouble-
ments,d’abandons et d’exclusion,et il déterminera dans une très grande
mesure le genre de problèmes à étudier en priorité et auxquels il faudra
affecter de toute urgence des crédits de recherche.
Les tendances en matière depromotion.Les vertus de redoublementse sont,
en fait,révélées illusoires: en soi,le redoublement ne peut éliminer les
causes qui font que l’élève n’obtientpas de résultatssatisfaisants.L’enfant
qui doit redoubler une classe parce qu’il apprend lentement n’apprendra
probablement pas plus vite en redoublant et sera sans doute obligé de
redoubler encore. Lorsqu’on veut réduire le nombre des redoublements,
on a le choix entre plusieurs solutions qui,en fin de compte,se ramènent
à deux grandes tendances: ou l’on maintient la norme de passage en
vigueur et l’on exclut de l’écoleles élèves qui sont incapablesde l’atteindre
(cette exclusionpeut d‘ailleursse faire a priori par une sélection rigoureuse
à l’entrée des divers niveaux), ou l’on adapte les normes de passage à
l’éventailréel des capacités des élèves.
II importe de noter à ce stade que le fait d’abaisser les normes de
passage n’entraîne pas nécessairement une baisse du niveau atteint par
124 L a déperdition scolaire :un problème mondial

les éleves des divers groupes d‘âge. O n peut s’attendre,bien entendu, à


un fléchissementdu niveau moyen des différentes classes si l’onabaisse le
seuil de passage dans la classe supérieure.I1 semble toutefois que,dans les
pays qui ont appliqué au stade de l’écoleprimaire un régime de progres-
sion quasi automatique,le niveau moyen atteint aux différents âges se soit
élevé au cours des vingt dernières années dans certaines matières fonda-
mentales telles que la lecture.
Dans cette optique, il semble que la promotion automatique soit la
solution vers laquelle tendenttous les systèmes scolaires dès qu’ils sont en
mesure d’accueillir tous les enfants d’une collectivité.I1 est évident que
l’onne peut appliquer le principe de l’automaticitédu jour au lendemain
et qu’il faut procéder par étapes - ce qui permet par la même occasion de
modifier la formation du personnel enseignant et d’adapter les pro-
grammes, les méthodes et les installations scolaires.
L’introductionde nouvelles méthodes d’évaluation est un élément clé
de l’évolution vers la promotion automatique;nous allons tenter de dé-
crire brièvement le processus selon lequel cette évolution se fait et les
changements essentiels qu’il implique.
U n premier changement se fait par lepassage de l’examen externe,qui
exige des résultats d’un niveau défini et qui est dirigé par des inspecteurs
ou des chefs d’établissement,à l’appréciation interne, qui se fonde sur
l’appréciation objective des résultats de l’enfant par rapport à ceux de
ses camarades et sur une appréciation subjective de l’effet global qu’aurait
la décision de le faire redoubler.
Le deuxième palier se situe lorsque,à la promotion fondée sur les ré-
sultats, on substitue la promotion automatique,appellée parfois promotion
en fonction de l’âge.
Elle suppose d‘ordinaireque les élèves de chaque classe suivent effective-
ment le même programme commun,mais que de grandes différences de
niveau sont admises entre les résultats individuels. Souvent aussi, les
éIèves sont groupés en fonction de leurs capacités,la classe étant divisée
en plusieurs sous-groupes,ou des classes complètes étant constituéespour
chaque niveau d’études,chacune correspondant à un niveau de capacité
différent. Généralement,ces classes ont des programmes différents pour
les matières principales,de sorte qu’en calcul ou en lecture,par exemple,
les résultats des élèves d‘une classe de «lents» appartenant à un niveau
d’études donné peuvent être inférieurs à ceux des élèves de la classe de
((rapides))du niveau inférieur.
En poussant l’évolution à son terme, on passe enfin de la promotion
automatique à la progression continue des connaissances, où chaque enfant
avance à son propre rythme.
L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 125

Dans un tel système, le concept d’«année d’études)) en tant que base


d’organisation ou de groupement des élèves n’aura plus saplace.On pourra
encore l’appliquer au niveau des résultats atteints par chaque sujet, mais
on ne pourra s’en servir pour désigner celui de la classe dans laquelle il
se trouvera.En fait, il ne sera même plus nécessaire de placer l’élève dans
une classe au sens traditionnel du terme. Les élèves seront groupés de
manière différente selon les domaines d’études et l’acquisition d’un grand
nombre des connaissances fondamentales se fera par l’exécution de
tâches scolaires assignées en propre à chaque élève.
Mesures concernant l’infrastructure. Contentons-nousd’énumérer les prin-
cipales propositions des Etats membres:
Extension du réseau scolaire principalement dans les zones rurales; éta-
blissements du premier degré dans les pays en voie de développement, et
du second degré dans les pays industriellement avancés.
Développement des établissements préscolaires, principalement dans les
quartiers populaires des grandes agglomérations et dans les zones rurales.
Développement des foyers d’accueil qui s’occupent des enfants pendant
que les parents travaillent.
Développement des moyens de transport gratuits et des systèmes de
ramassage scolaire,afin de permettre au plus grand nombre, quel que soit
le lieu de résidence,d‘accéder aux établissements scolaires.
Amélioration de l’équipement (matériel didactique, laboratoire, biblio-
thèque,etc.).
Diminution prioritaire des effectifs là où le besoin s’enfait le plus ressentir.
Développement des services d‘hygiène et de médecine scolaire.
Création et/ou extension des services sociaux (cantines,distribution gra-
tuite d’aliments, de vêtements, etc.).

ModiJications de la forme de l’enseignement. La conception de l’école de


base doit être repensée dans la perspective d’une éducation permanente.
L’école de base ne peut plus être terminale pour personne, l’évolution
rapide de la société nécessitant pour tous un effort continu dans l’acqui-
sition de nouvelles connaissances.
D’autre part, afin de supprimer la coupure qui existe entre l’école enfan-
tine et l’école primaire, il conviendrait de rattacher les trois premières
années d‘enseignement primaire à la dernière année de l’enseignement
préscolaire, de manière à créer une première unité scolaire. A l’inté-
rieur de cette école,l’enfantacquerrait les notions de base. Les quatrième,
cinquième et sixième années d’enseignement primaire pourraient consti-
tuer la deuxième unité scolaire.Enfin, la troisième unité, qui s’étendrait
de la septième à la neuvième année d‘études, verrait l’introduction de
programmes différenciés à l’intérieurd’une même classe.
126 L a déperdition scolaire :un problème mondial

Dans une première étape d'application,la promotion serait automa-


tique à l'intérieurde chaque unité;il seraitpossible par la suite de suppri-
mer les classes.

Pour conclure ce rapide examen du document de travail,nous ne pouvolis


que citer intégralement la dernière page :

A l'égard des facteurs de la déperdition,on pourra envisager une série de


stratégies, qui pourront se combiner et s'articuler selon les conditions
propres à chaque pays:
Action sur l'organisation et l'articulation du système scolaire.La ré-
organisation des systèmes de promotion en vue de réduire les redouble-
ments devrait être envisagée compte tenu de la possibilité d'établir des
cycles de durée différente.Si certaines expériences au cours desquelles on
a adopté directement la promotion automatique ont été couronnées de
succès,il seraitpeut-êtrepréférable, dans certains pays,de supprimerpar
étapes les obstacles à la promotion,en commençant éventuellement par
le passage de la première à la deuxième année d'études. I1 conviendrait
d'envisager une organisation plus rationnelle de l'année scolaire et de ses
subdivisions.Il faudrait organiser l'ensemble de l'enseignement au-delà
du niveau élémentaire en fonction des besoins de l'emploi et des aspira-
tions individuelles.
L'adaptation des programmes scolaires aux différences individuelles
et à l'aptitude à s'insérer dans la collectivité accroîtrait la motivation,
répondraitmieux à l'attentedu corpsenseignantet réduiraitpar conséquent
le nombre des abandons.
La formation et le perfectionnement des maîtres,orientés vers la mise
au point de stratégies et de méthodes particulières d'enseignement et vers
la création d'attitudes plus appropriées,contribueraient à réduire les dé-
perditions dues à l'incapacité d'acquérir les aptitudes fondamentales.
Les organismes de santépublique,de protection sociale et d'éducation
des adultes pourraient tous faciliter l'entrée et l'assiduité de l'enfant à
l'école.La préparation préscolaire liée à l'élargissement de l'expérience,
en particulier à l'acquisition et au développement du langage,réduirait
sensiblementles déperditions non seulement en première année d'études,
mais aussi dans les années ultérieures.
I1 faudrait supprimerle divorce entre la culture de l'école et celle de la
collectivité en encourageant la participation des parents à la vie de l'école
et en essayant de faire connaître les objectifs et les pratiques de l'école
publique.
I1 convient de bien mesurer les contraintes exercées par le niveau de
développement économique et social sur le succès des efforts déployés
dans le domaine de l'éducation;c'est ainsi qu'il ne faut pas consacrer une
part disproportionnée des ressources dont on dispose à la résolution des
L’enquête de 1969 et la conférence de 1970 127

délicats problèmes de minorités sans tenir pleinement compte des consé-


quences qui en découlent pour le reste du système d’éducation.

LA CONFERENCE
D u discours d’ouverture de Monsieur René Maheu, Directeur général de
l’Unesco,nous extrayons le passage suivant:

«Un système d‘enseignement peut être considéré comme efficace dans la


mesure où il reçoit tous les enfants scolarisables,satisfaitleurs aspirations
individuelleset cellesdeleursparents,formedes travailleursen fonctiondes
besoins quantitatifs et qualitatifs du développement économique et dis-
pense une instruction conforme à un modèle social accepté et aux valeurs
culturelleset spirituellestraditionnelles,mais aussi répond aux besoins de
transformation humaine que comporte toute dynamique historique.C‘est
ce qu’on peut appeler l’efficacitéexterne.J’aiestimé qu’au stade actuel il
convenait de renoncer à un thème aussi vaste et aussi complexe et sujet à
tant d’interprétations idéologiquesdifférentes,pour ne retenir que l’aspect
sur lequel la Conférence générale avait mis l’accent,à savoir l’efficacité
interne des systèmes d’enseignement, autrement dit la nécessité d’amé-
liorer le rendement de ces systèmes en réduisant les déperditions d’effec-
tifs, lesquels se manifestent à la fois par les abandons et par les redouble-
ments.
Ce phénomène des déperditions d‘effectifs, bien que très répandu,n’a
fait que rarementl’objetd’études statistiquesprécises,et encore la métho-
dologie de celles-cireste-t-ellelargement à créer. Ses causes,socio-éco-
nomiques autant qu’éducatives,sont mal connues et les travaux sur la
base desquels des mesures pourraient être prises pour remédier à la situa-
tion actuelle sont à peine ébauchés. Or il est d’autant plus urgent de re-
chercher des solutions que les taux de déperditionentraînent un gaspillage
énorme alors que la plupart des pays du monde doivent faire face à l’ex-
plosion démographique et aux exigences de la démocratisation de l’en-
seignement à tous les niveaux. Ainsi on découvre que l’expansion quan-
titative dans laquelle presque tous les Etats sont engagés de manière irré-
versible requiert l’accroissement de l’efficacité des systèmes,c’est-à-dire,
en dernière analyse,une amélioration qualitative.Bien loin de s’opposer,
comme tant d’économistes d’inspiration malthusienne plus ou moins
désintéressée voudraient le faire croire,l’expansion et l’amélioration,la
quantité et la qualité,la démocratisation et le rendement de l’éducationse
commandent l’un l’autre.Et peut-êtreest-ce là l’intérêtmajeur du thème
retenu. Situé dans cette zone-charnièreoù quantitatif et qualitatif sont
indissolublement liés,le phénomène des déperditions,en nous révélant de
manière brutale le mauvais fonctionnementdes systèmes,force à l’analyse
des causes et à la recherche des solutions dans une optique interdiscipli-
128 La déperdition scolaire: un problème mondial

naire qui débouche à la fois sur la planification et sur la rénovation de


l’éducation.
Certes votre Conférence ne saurait espérer épuiser l’examen d’un tel
problème. La session qui s’ouvre aujourd’hui pourrait essentiellement
s’attacher- et ce serait, à mon sens, accomplir un grand pas en avant -
à en identifier les principaux éléments,à définir de grands axes de recherche
et esquisser une méthodologie pour des études plus poussées qui devront
être effectuées dans le cadre concret des différents systèmes d’éducation.
Le Secrétariat s’est borné à préparer un texte récapitulant les éléments
pertinents du document de travail.C‘est à la Conférence elle-même,utili-
sant dans la mesure qu’elle jugera souhaitable les indications contenues
dans ce texte et celles qui se dégageront de ses débats, qu’il appartiendra
d’élaborer une recommandation en vue de guider l’action des gouverne-
ments et les travaux des chercheurs.) )

Après l’allocution de M.Maheu, le travail de la Conférence a commencé


par deux séances plénières, suivies de séances de commission. U n grand
nombre de déléguées ont pris la parole,décrivant l’expériencede leurs pays
respectifs, faisant des remarques sur le document de travail et proposant
les mesures qui leur semblaient les mieux à même de remédier au problème
des déperditions.
I1 ne s’agit pas ici pour nous de relater dans le détail chaque inter-
vention, ni de faire un choix arbitraire parmi les délégations qui ont
parlé; nous nous limiterons à relever tout ce qui a apporté une perspective
nouvelle à la problématique posée dans le document de travail.
Nous avons toutefois établi une distinction entre pays, non pas arbi-
trairement une fois encore, mais bien parce que les délégations des pays
en voie de développement ont à juste titre souligné maintes fois que le
problème des déperditions se pose différemment selon que l’on se trouve
dans un pays industrialisé ou dans un pays en voie de développement.

Problèmes des pays industrialisés


Considérations générales

La cause principale des déperditions résiderait dans le fait que l’on tend à
considérer l’enfant fait pour l’école plutôt que l’école faite pour l’enfant;
l’école est conçue non comme un lieu où il est facile d’apprendre,mais où il
est facile d’enseigner,voire d’inspecter. La notion d’échec y est consub-
stancielle au système.
Dans une étude effectuée en mars 1970 dans les deux premières classes
d’une école primaire en France, dans une région mi-rurale, mi-urbaine,
on a cherché à déterminer les causes des redoublements, qui sont à la fois
L’enquête de I969 et la Conférence de I970 129

d’ordre matériel et psychologique. Nous avons jugé intéressant d’en


publier in extenso les résultats.
Causes matérielles
Redoublementdû : Y
O
à des classes surpeuplées 17,8
à l’absenced’une année préparatoire 10
à des absences prolongées (14jours à 2 mois) et au fait que le
maître, surchargé,n’apu aider à rattraper le retard accumulé 27
à des changements trop fréquents d‘école 14,2
à des changements trop fréquents de maître dans une école 20,2
(Certaines catégories se recouvrent)

Causes psychologiques
Redoublementdû: YO
au fait qu’unélève au Q.I. trop bas n’apas été dirigé tout de
suite vers un enseignement spécial 31
au fait qu’un élève vient d’unefamille d’immigrants 18,8
à un manque de maturité 16,8
à 1’environnement familial 16
à la fatigue ou à divers autres motifs 14,6

I1 a été signalépar ailleurs que,s’ils le pouvaient,beaucoup de jeunes


quitteraientl’écoleavant la fin de la scolaritéobligatoire,indépendamment
des facteurs d’échec ou de redoublement.Une enquête menée à ce propos
a montré des variations frappantes entre ce que les jeunes veulent et ce
que leurs éducateurs pensent qu’ils veulent. O n a demandé à des élèves
entre 13 et 16 ans,à leurs parents et à leurs maîtres, ce qu’ilsattendaient
de l’école.Ce qui primait pour les élèves, c’était d’apprendre quelque
chose d’intéressantmais surtout d’utile,qui leur permette d’apprendreun
bon métier. Les parents,eux,mentionnaient aussi l’importancede la for-
mation en vue d’un métier futur,mais insistaient sur le fait que l’écoledoit
apprendre à bien parler, à bien écrire,etc. Quant aux maîtres, ce qu’ils
jugeaient essentiel, c’était le rôle de l’école dans la formation de la per-
sonnalité et du caractère de l’élève,son indépendance et son comporte-
ment vis-à-visde ses tiers.Cetteenquêtenousreliedirectementau problème
des parents et des enseignants, dont l’importance est majeure dans le
contexte des déperditions.
Lesparents évaluent trop souventle rendement del’éducationd’après
les résultats aux examens, qui pour eux représentent quelque chose de
tangible,de concret.
130 L a déperdition scolaire :un problème mondial

O n a parlé des enseignants comme de ces «gens qui se sont trouvés


tellement bien dans l’institution scolaire qu’ilsont choisi d‘y rester)). O n
a dit d’eux,qu’ils avaient tendance à se considérer comme des «élus»,
comme appartenant à la «race bénie)). L’argument ((puisque j’ai réussi,
moi ...», révèle une attitude anti-démocratique qui fait obstacle à l’en-
seignement de masse.
Il importe de garder présents à l’esprittous les facteurs inconscients
qui entrent dans les relations maître-élèves,notamment la difficulté pour
le maître de dépasser les méthodes utilisées lors de sa formation,ce qui
a pour effet de ralentir les mesures envisagées,quelque bonnes qu’elles
soient.D e plus,former des maîtres est une chose,mais les voir appliquer
ce qu’ils ont appris,une fois confrontés à la réalité,en est une autre.

L’importance de la langue maternelle, de la lecture et de (


(l’écoleparallèle».
Dans les premières classes de l’école primaire tout le problème du redou-
blement est lié à l’apprentissage de la lecture qui,à son tour, dépend de
la langue maternelle de l’enfant,parfois différente de celle que l’onenseigne
à l’école.Pour beaucoup,notamment pour les parents,le but de l’appren-
tissage de la lecture,c’est de pouvoir lire n’importe quoi,un journal,un
article,etc. La lecture n’est en fait qu’une question de différenciation des
lettres.
Le pédagogue,lui,a une ambition différente: apprendre à lire, ce
n’estpas seulementêtre capable de lire un message,mais aussi de l’écrire;
la prononciation dépend d’une compréhension critique du texte,ce qui
une fois encore,met l’accent sur le rôle de la langue maternelle.D u fait
qu’on lit plus vite, qu’on écoute et qu’on parle plus vite qu’on écrit, il
ressort que l’on apprend à parler en écoutant,mais aussi beaucoup en
regardant.a L‘écoleparallèle))en est une conséquencedirecte.Les grands
moyens d’information,la télévision notamment,prennent de plus en plus
d‘importance. Lors d’une enquête menée dans un arrondissement de
Paris,on a découvert que les enfants au début de l’école primaire regar-
daient la télévision jusqu’à 24 heures par semaine,soit plus longtemps
qu’ils ne voyaient leur maître. Si la langue des parents est différente de
celle de l’école,l’enfant apprend le langage de la télévision: l’écolen’a
plus le monopole de l’enseignement.

Solutions proposées et remarques


Avant de décrire les domaines précis dans lesquels des mesures ont été
proposées, il faut mentionner un point qui a été mis fréquemment en
avant lors de la Conférence:il est absolumentindispensable d’agir sur les
L'enquête de 1969 et la Conférence de 1970 131

mentalités en même temps que sur les structures. L'opinion publique en


général et les parents en particulier ont, à propos de l'école, des idées
déterminées, voire même des préjugés. Or tout changement structurel ne
portera ses fruits que si les parents participent activement à l'évolution de
l'école. I1 importe donc de modiñer l'idée que se fait de l'école l'opinion
publique. Les grands moyens d'information de masse doivent être utilisés
au maximum pour renseigner sur les nouvelles méthodes pédagogiques
et expliquer le but nouveau de l'école. Dans certains pays où dominent les
régions rurales, il est nécessaire d'entreprendre une action de propagande,
des réticences envers l'école pour les diverses raisons déjà énoncées s'y
faisant souvent sentir.
Remèdes contre la déperdition.L'une des premières mesures proposées,en
relation directe avec ce qui vient d'être dit, est de convaincre les parents
qu'un redoublement n'est pas une catastrophe.L'école n'est pas la mesure
de toute chose et il y a des gens qui échouent à l'école et réussissent très
bien dans la vie. Cela ne résout d'ailleurs rien,car il faudrait expliquer les
raisons de l'échec à l'école (échec de l'élève ou échec de l'institution) et
de la réussite sociale (réussit-on parce qu'on a des qualités sociales?
qu'est-ce que la réussite?). I1 ne faudrait toutefois pas que cette idée,
même si elle contient une part de vérité, diminue l'efficacité des effets
entrepris pour lutter contre les déperditions.
Pour faire face au problème des redoublements, certains moyens ont
été envisagés :suppression de la division par cycle; diminution du nombre
d'élèves par classe; garantie de la promotion sans examen.
Dans le cas des abandons, les mesures suivantes sont appliquées dans
divers pays: création de postes d'enseignants dans toutes les localités où
il y a au moins 7 élèves; amendes aux parents qui ne se plient pas au prin-
cipe de la fréquentation obligatoire de l'école pour leurs enfants; amendes
très fortes aux chefs d'entreprises qui engagent des jeunes au-dessous de
16 ans; participation financière des entreprises à des cours du soir ou par
correspondance pour ceux qui n'ont pas leur certificat d'études; pour ces
mêmes personnes, complément de formation lors du service militaire;
création de résidences temporaires pour étudiants défavorisés.
L'enseignement et les méthodes. I1 est faux de considérer l'éducation élé-
mentaire comme une éducation supérieure d'un niveau inférieur. Ce sont
les méthodes de l'école maternelle qui devraient inspirer l'éducation élé-
mentaire. Une des solutions au problème des déperditions résiderait dans
un tronc commun, qui permettrait par la suite un choix libre, ou dans une
structure verticale, c'est-à-dire diversSée, de l'enseignement primaire, où
les changements de direction seraient possibles.
132 L a déperdition scolaire :un problème mondial

L'éducation permanente est jugée nécessaire.I1 faudrait notamment


développer le système des cours du soir pour ceux qui, pour quelque
motif que ce soit,ont été obligés d'interrompre leurs études.
L'accent a également été mis sur un enseignement qui valorise le
travail manuel tout autant que le travail intellectuel et qui inculque la
notion de la dignité du travail, tout en contribuant au changement des
mentalités et à l'élimination d'un certain élitisme.
Les progrès psychomoteurs doivent aller de pair avec les progrès
intellectuels;ilest essentieldedispenserauxenfantsune éducationphysique
régulière et adaptée, à considérer du reste comme l'un des éléments de
l'éducation totale.
Enfin,pour éviter la pré-déterminationsociale,cause d'échecs nom-
breux, il a été recommandé de généraliser l'enseignement préscolaire
gratuit et, à l'école primaire,de donner la priorité A la langue maternelle
et aux mathématiques,plutôt qu'au savoir verbal encyclopédique.
O n ne saurait assez mettre l'accent sur l'importance du maître, et
nous retiendrons ici deux propositions dignes d'intérêt. La première, en
rapport avec le manque de personnel qualifié et le besoin urgent qu'on en
a, recommande de former des enseignants sur le tas, de préciser leur
statut et de valoriser leur profession.La seconde est liée à l'action sur les
mentalités: les maîtres doivent être formés de façon à être au courant de
tous les problèmes psychologiques, sociologiques, raciaux, que pose
l'éducation. Tout est possible dans le domaine de l'éducation si le maître
est lucide et conscient du processus qu'il utilise.

Promotion et sélection. Les solutions proposées varient selon les besoins


des pays concernés. Nous nous contenterons de relever trois remarques.
Premièrement,on a déceléune contradictionentrela promotion auto-
matique, qui suppose un enseignement individualisé,et l'enseignement
démocratique,l'enseignement de masse, que certains préconisent; les
deux systèmes sont matériellement incompatibles,pour des raisons évi-
dentes de temps,de moyens,etc.
Deuxiemement,dans un pays qui a réussi à éliminer dans une large
mesure la déperdition (3,3% en 1969 pour tout l'enseignement), on con-
sidère la promotion automatique comme mauvaise, parce qu'elle fait
baisser le niveau,alors que les examens et les redoublementsaugmentent
le niveau des connaissances. O n envisage le redoublement comme un
problème principalement pédagogique:si le maître sait intéresser et déve-
lopper l'élève, celui-cine redouble pas. L'échec n'est plus celui de l'élève,
mais celui de l'institution ou de l'éducateur.
Troisièmement, un pays a fait l'expérience du remplacement des
L’enquete de 1969 et la Conférence de 1970 133

méthodes traditionnellesde sélection par des méthodes qu’iljuge beaucoup


plus humaines,en adjoignant à la sélection par les notes un système d’ob-
servation et d’orientation(installations psychomédicales et autres).
Une remarquefort pertinentepermet de conclure:quelle que soitl’urgence
du problème considéré,il est dangereux de faire des changements sans
expérimentation préalable.Ce sont toujours les élèves qui en souffrent,et
l’on va ainsi à l’encontredu but fixé.

Les problèmes particuliers des pays en voie de développement


Dans les pays en voie de développement,le problème des déperditions se
complique par la présence de facteurs dont l’influence est encore loin
d’avoir été neutralisée.
Ces facteurs ne jouent pas partout le même rôle et n’expliquentpeut-
être pas les taux variables des déperditions.Cependant,dansla plupart des
pays,l’action de ces facteurs se combine et rend plus difficile la recherche
de solutions.
Les séquelles de la colonisation. Dans les pays anciennementcolonisés,on
peut dire que la déperdition est due au choix de l’école,qui se voulait
élitiste et cherchait à former des administrateurs.Etant donné que beau-
coup de ces pays n’ont accédé à l’indépendanceque depuis peu,les struc-
tures scolaires n’ontpu encore être modifiées entièrement;les progrès sont
rares,le système scolaire est inadapté et contribue à la formation d’oisifs.
La langue enseignée dans les écoles est souvent celle des anciens colo-
nisateurs; pour beaucoup de gens, en particulier pour les paysans, le
langage est indissociabledes souvenirsde la colonisation;pour des raisons
psychologiques compréhensibles, ils refusent catégoriquement de l’ap-
prendre.Par craintede perdre leur personnalité ouleursvaleurs culturelles,
on voit beaucoup de parents en milieu ruralretirer leursenfants de l’école
au bout de 2 ou 3 ans.La pluralité des ethnies et des langues parlées peut
aussiavoir des conséquencessur ladéperdition:lechoix,souventarbitraire,
d’une langue officielleobligatoiredansles écolesincite parfoisles minorités
linguistiquesà refuserde laisser ou même de mettre leurs enfants à l’école.
Le facteur décisif est celui du manque de ressources. L’explosion
démographique,qui a résulté de l’améliorationdes conditions de vie, ne
simplifie pas le problème.

Conséquences de l’interaction de ces divers facteurs


L e gaspillage et l’ineficacité. Certains pays,qui consacrent le quart de leur
budget à l’éducation,arrivent à des taux de déperdition de 90% dans
134 L a déperdition scolaire: un problème mondial

l’enseignementprimaire.Il y a à cela deux raisonsessentielles.La première


est que l’écolereste encore élitiste et est inadaptée à la situationréelle;elle
applique une sélectionqui va à l’encontredes besoins du pays;la seconde
est la pénurie d’enseignants et le bas niveau de leur formation.I1 ne sert
pourtant à rien de former des maîtres qui,pour se conformer aux possi-
bilités du système,réduisent les effectifs au terme de l’année scolaire et
((jettent les élèves dans la rue)).
L e manque de place dans les écoles. La déperdition provient aussi du fait
qu’on ne peut pas faire entrer dans les niveaux supérieurs tous les élèves
qui ont réussi en primaire. Dans un pays, sur 34 O00 candidats aux exa-
mens sanctionnant l’entréeau niveau du secondaire,on n’enprendra que
7400,soit moins du quart.
Cette inadaptation de l’infrastructure peut s’expliquerpar l’accroisse-
ment spectaculairede lapopulation scolaire.U n pays d’Amériquecentrale,
par exemple,a 2 290 000élèves dans les écoles,sur une population totale
de 8 millions d’habitants.

Solutions proposées
Le rôle de l’école.Plus encore qu’ailleurs,l’école dans les pays sous-déve-
loppés doit donner une formation pratique et assurer la garantie de
l’emploi.Ii a été relevé que le but de l’éducation n’étaitpas seulement de
développer l’homme,mais aussi d’augmenter la main-d’œuvre.Les me-
sures suivantesont été proposées: éducation de masse avec,pour ceux qui
réussissent,la garantie de l’emploi;éducation technique généralisée;for-
mation à la vie pratique dans les écoles secondairesen liaison étroite avec
le village ; enseignement rural à fonction économique et sociale.
Le problème des régions rurales se pose de façon aiguë, et l’école
peut jou‘errrt-ir6Ieimportant en introduisant de nouvelles méthodes dans
les campagnes et en expliquant aux paysans traditionalistes l’avantage
d‘une modernisation et de l’éducation en général.Fort d’une grande ex-
périence dans ce domaine,un pays estime qu’ilne suffitpas d’entreprendre
des campagnes d’alphabétisationdans les zonesrurales;l’établissementde
((zones de culture)) doit suivre si l’on ne veut pas que les ex-analphabètes
oublient tout ce qu’ils ont appris.
Les déperditions. Pour revenir plus précisément au problème des déperdi-
tions,on a noté que,dans les pays en voie de développement,la lutte prin-
cipale se situe à l’école élémentaire et dans les régions rurales principale-
ment; la création d’un enseignement préscolaire généralisé pourrait
s’avérerprofitable.
L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 135

A cela il est objecté que l’on ne saurait créer cet enseignement tant
que toute la population d’âge scolaire ne fréquente pas l’école primaire.
O n a parlé de l’instauration d’un système de récupération pour ceux
qui redoublent plus de trois fois ou qui abandonnent l’école: quatre
heures par jour prises SUT leur horaire de travail en usine sont consacrées à
l’éducation, de sorte qu’ils ont la possibilité de continuer à étudier,tout en
occupant un poste dans la production.
L‘importance du maître est à nouveau mise en évidence. On recom-
mande notamment la création de centres spéciaux de formation et de recy-
clage.

Education et développement. I1 y a une très forte relation entre l’éducation


et le développement;un taux trop élevé de déperdition peut, à long terme,
signifier un ralentissement,voire même un arrêt du développement. L‘Etat
subit des pertes appréciables lorsqu’on oblige l’élève à être bon ou moyen
dans toutes les branches.
Les propositions suivantes ont été faites: en plus de la part du budget
national,consacrer 1 %des impôts payés par chaque citoyen à l’éducation;
faire des plans d’utilisation optimum des ressources; établir une liaison
très étroite entre l’école,le milieu d’origine des élèves et les institutions
civiques;restructurer les matières en fonction de la vie de la communauté;
prévoir des programmes d’alimentation scolaire. Les mesures à prendre
varient bien sûr selon les besoins et surtout selon les ressources de chaque
pays ; cependant, la bonne volonté, l’enthousiasme, sont plus importants
que les conditions matérielles. Citons en conclusion de cette analyse, la
déclaration suivante : ((L‘éducation est un facteur essentiel de progrès
social et la precondition du développement des sociétés modernes. Elle est
le plus profitable des investissements sociaux)).

LA RE C O M M ANDATI O N

Faire adopter une recommandation par une assemblée de plus de 200 délé-
gués relève plus de la diplomatie que de la pédagogie.E n effet,le problème
des déperditions revêt tant d’aspects différents d’un continent à un autre,
voire même d’un pays à son plus proche voisin, qu’il importe de trouver un
dénominateur commun sans pourtant renoncer à l’essentiel:l’amélioration
et l’efficacité des systèmes d’éducation. Ceux qui, pendant des mois, ont
dépouillé les réponses des Etats et préparé le document de travail ne
pouvaient, en juillet 1970, qu’être déçus par le texte adopté. Il manquait
de mordant, semblait placer toutes les causes sur le même plan et proposer
des remèdes peu originaux. L’Annexe 1 en contient le texte intégral.
136 La déperdition scolaire: un problème mondial

A vrai dire,à six mois de distance,notre avis est plus nuancé,les 28


articles consacrés aux mesures pratiques pour réduire les déperditions
passent bien en revue tous les aspects d’un système d’éducation qui
doivent être améliorés. C‘est tout le fonctionnementde l’écolequi est mis
en question,même si cela n’estpas dit explicitement.Dès lors,il ne saurait
être question d’originalité,mais bien de rénovations,celies que les grands
maîtres de la pédagogie ont tenté de promouvoir depuis de nombreuses
décennies.
Par ailleurs, une recommandation peut-elle établir une hiérarchie
parmi les remèdes proposés? Il appartient à chaque pays de décider des
mesures prioritaires,de retenir celles qui le concernent plus particulière-
ment,car il n’y a pas de solutionuniverselleau problème des déperditions,
si étroitement dépendant de la politique culturelle,économique et sociale
d’un Etat.Aussi paraît-ilsuperflude procéder ici à une analyse détaillée
des divers articles, d’autant plus que nous avons essayé, dans les deux
chapitresprécédents,de mettre en évidence le rôle des principaux facteurs.
Bornons-nousdonc à dégager quelques idées directrices.
Toute politique scolaire qui tend à réduire les déperditions dépend
d’abord des finalités assignées à l’éducation(art.4). Or,bien souvent,les
textes officiels relatifs aux objectifs sont rédigés en termes généraux,
imprécis:ils donnent l’impression d’avoir été ajoutés après coup, en tête
des lois,des règlements ou des programmes.A notre avis,la réponse à la
question:((Quel type d’homme veut-onformer?))commande,à la fois,le
choix des structures scolaires,le contenu des programmes,les méthodes
et le mode d‘évaluation du travail des élèves.
De nouvelles finalités ne sauraient d’ailleurs plus se concevoir en
dehors du concept d’éducation permanente (art.5). Encore faut4 ne pas
entendre par là une espèce de complément aux systèmes d’éducation ac-
tuels,mais bien une conception nouvelle qui exige une refonte totale de
l’école.Nous ne saurions assez insister sur le rôle et l’importance de ces
réflexions préalables à toute rénovation, sur la nécessité d’inventer de
nouveaux modèles. Rares sont les systèmes d’éducation structurés et
pensés jusque dans les détails à partir d’objectifsprécis et complets: on a
plutôt l’impressiond’avoiraffaire à un ensemble de pièces placées les unes
à côté des autres,sans lien organique et sans rapport avec les buts pro-
posés.La multiplicité des embranchementsdans les structuresscolaires,de
même que l’évolution des programmes, n’illustrent que trop bien cette
situation:il est évidemmentplus aisé de procéder à des réformes de détail
que de rénover l’ensemble.Ces quelques remarques valent aussi pour la
mise en œuvre de la recommandation par les ministères de l’éducation;il
serait vain de croire que l’application d’unemesure prévue par tel article
L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 137

ou tel alinéa isolé puisse entraîner une amélioration effective. Les com-
mentaires qui suivent n’ont de signification qu’éclairéspar les réflexions
précédentes.
L‘importancedes premières années d’école est mise en évidence par
les articles 13(e), 17,18,19 et 20. A-t-onfait systématiquement l’inventaire
du nombre de sons,de signes et de mots qu’un enfant doit assimiler en
2 ou 3 ans pour savoir lire, écrire et maîtriser les notions de base de
l’arithmétique?2La difficulté de ces apprentissages est accrue par le fait
que souvent la langue d’enseignementn’est pas la langue maternelle.Dans
les pays où ces deux langues sont identiques,le vocabulaire de l’école
cependant diffère de celui des familles d’ouvriers ou de paysans, ce qui
donne à l’élève l’impressiond’apprendre une nouvelle langue. Que l’en-
seignement préscolaire représente un progrès est indubitable à condition
qu’il ne tente pas de commencer prématurément les apprentissages de
base, mais se contente de les préparer par des exercices sensori-moteurs
adéquats et le développement du langage oral. O n doit se demander si,
dans les pays où le manque de ressourcesne permet pas de mettre sur pied
ce type d’enseignement,il ne serait pas indispensable de réserver un temps
suffisant,au début de la scolarité,à cette préparation.
Les articles 3,6,7,9,13(g), 21,22,24,25 et 26 traitent de l’évolution
des méthodes et du contenu des programmes: inutile de résumer ici, le
contenu du chapitre 4,qui leur est consacré. Insistons néanmoins sur le
fait que, à l’intérieurdu système scolaire,tout se tient et qu’une action
efficace concerne rarement des éléments isolés.
O n peut s’étonner qu’un seul article (art.8) se rapporte au rôle des
enseignants:il est vrai que les considérants mentionnent la recommanda-
tion de 1966 sur la condition du personnel enseignant,mais celle-cine fait
aucune allusion aux déperditions, aux innovations nécessaires dans la
formation des maîtres en vue de les préparer à leur intervention dans la
lutte contre les redoublements.
Mentionnons encore les articles 10,11, 12,14 et 15,qui font appel
à une meilleure coopération des divers responsablesde l’école:éducateurs,
administrateurs,psychologues, médecins et assistantes sociales et à leurs
relations avec les parents,à l’importance de l’information réciproque des
uns et des autres.Tous ceux qui œuvrent dans un système d’éducation sont
solidairement responsables de son efficacité,vis-à-visdes familles et de
l’opinionpublique.

2. L’introduction de la mathématique moderne à l’école primaire n’apporte guère


d‘amélioration à cet égard, car elle entraîne une augmentation du nombre des signes
à mémoriser.
Chapitre sept

Conclusions

C’est à dessein que dans le chapitre précédent, nous n’avons pas analysé
la dernière partie de la recommandation adoptée par la Conférence. E n
effet, les neuf derniers articles (31 à 39) proposent diverses mesures qui
nous apparaissent comme autant de remarques finales à la présente étude.

BTU DES sTATIsTIQUEs


Nous avons longuement étudié cet aspect du problème dans le chapitre 3.
Ce qui retient l’attention, c’est d’une part l’absence ou l’insuffisance des
statistiques scolaires et, d‘autre part, la diversité des méthodes utilisées
pour les rassembler,avec toutesles lacunes qu’elles comportent,qui rendent
difficile toute comparaison ou prise de conscience de l’ampleur du phéno-
mène ((déperdition».
I1 importe donc de normaliser et d’organiser le rassemblement des
données et, à cette fin, I’Office des statistiques de l’Unesco doit jouer un
double rôle: proposer des modes de calcul des taux d’abandon et de re-
doublement et aider les bureaux et les centres régionaux à mettre en place,
sur le terrain, les équipes de spécialistes. Que l’on recoure d’emblée aux
techniques modernes semble indispensable. O n objectera que cela peut
entraîner pour les Etats membres des dépenses élevées: or, en fait, s’il est
nécessaire que les données de base soient rassemblées dans chaque pays de
façon exacte et selon des méthodes éprouvées, l’évaluation peut très bien
être codée à des offices spécialisés:les techniques à disposition permettent
de réduire à un petit volume le matériel à transmettre à un centre de calcul.
Ce qui est vrai à l’échelon des grandes entreprises commerciales peut sans
autre s’appliquer au domaine de l’éducation.
Si important qu’il soit de déterminer des taux nationaux, il faut
cependant insister sur la nécessité de disposer de données locales et
140 L a déperdition scolaire :un problème mondial

régionales:la situation dans les villes diffèrede celle des zones rurales; il
est certain aussi que,dans une agglomération,il faut distinguer les quar-
tiers les uns des autres;certaines régions campagnardes sont plus défavo-
risées que d'autres. Pour être efficaces,les remèdesdoivent tenir compte de
ces différenceset on ne saurait trouver des solutions uniformément appli-
cables à l'ensembled'un pays.
Par ailleurs si, pour plusieurs délégués, la promotion automatique
apporte une solution définitive - ou presque - au problème,d'autres ont
émis de sérieux doutes à ce propos et posé des questions pertinentes:
a) si,dans le cadre de la scolarité obligatoire,les déperditionsont disparu,
que se passe-t-ilau cours des études ultérieures et, plus particulière-
ment, comment évolue le taux des abandons?
b) comment les adolescents libérés de l'écoles'intègrent-t-ilsdans la vie
économique du pays?
Alors que la seconde question se rapporte à l'efficacité externe du
système et exige des enquêtes sociologiques,la première,en revanche,vise
le fonctionnement de l'écoleelle-même: la promotion automatique con-
duit-elleà une autre attitudedes élèves et des parents face aux divers types
d'études postérieures à la scolarité obligatoire? En d'autres termes, le fait
de ne pas avoir été perturbé par des échecs donne-t-ilaux adolescents le
désir d'acquérir une formation aussi complète que possible?
I1reste enfin un domaine dont la Conférence s'est peu occupée: celui
de l'enseignement supérieur.Bien que la Conférence générale de l'Unesco
ait décidé d'inclure l'universitédans l'enquête,force est de constater que
les Etats membres n'ont pas voulu ou n'ont pas pu répondre de manière
satisfaisante,et le document de travail a révélé l'insuffisance des données
quantitatives sur les déperditions à ce niveau.Nous avons déjà signalé la
complexité du problème et mis en cause le questionnaire lui-même.
Le problème demeure entier et on ne saurait en sous-estimer la
gravité.L'université et les institutionsdu même niveau grèvent lourdement
les budgets :le coût unitaire des études supérieures peut,selon les facultés,
être dix fois plus élevé que celui de l'enseignement secondaire. A juste
titre, on se pose la question du rendement des investissements:même si un
étudiant qui abandonne l'université après quelques semestres se trouve,
face à la société,dans une situation totalement différente de l'élève qui a
quitté l'école primaire, il n'en demeure pas moins que les dépenses con-
sentiespar la communauté en Vue de sa formation sont gaspillées dans une
large mesure. Qu'une analyse systématique des déperditions dans l'en-
seignement supérieur soit devenue nécessaire paraît évident du point de
vue de ?Etat,mais on ne sauraitoublier que les autoritésuniversitaires sont
Conclusions 141

souvent peu favorables à ce genre d’enquête; elles y voient souvent une


atteinte à leur autonomie et même une possibilité de diminuer leur liberté
d’action et d’enseignement.A défaut d’enquête au niveau national, ne
pourrait-onpas se limiter à l’étude de quelques établissements choisis par
le gouvernementet obtenir ainsi des informationsà partir d’unéchantillon
qui devrait être significatifausens statistique du mot.
I1 serait non seulement nécessaire de connaître,dans chaque faculté,
quelles sont les années où les abandons se produisent,mais aussi quelles
sont les disciplines qui entraînent le plus d’échecs.I1 vaudrait la peine de
mettre ces diverses données en relation avec la situation économique des
étudiants et le travail à temps partiel.
O n pourrait enfin se demander dans quelle mesure les études anté-
rieures jouent un rôle dans la réussite à l’université.L’Office des statis-
tiques de l’Unesco devrait établir des modèles qui permettraient d’éviter
d’inutiles tâtonnementset de comparer les résultats à l’intérieurd’un pays
ou entre pays où l’enseignement supérieur est conçu et organisé de façon
analogue.

ETUDES, RECHERCHES ET EXPERIENCES


Depuis quelques années,chaque fois que l’on se heurte à une difficulté
dans le domaine de l’éducation,on réclame des recherches.Tout se passe
comme si l’on espérait ainsi trouver des solutionsplus ou moins miracu-
leuses;là où l’école a échoué, on attend des instituts spécialisés la dé-
couverte des moyens qui redresseront la situation.O n méconnaît ainsi les
caractères spécifiquesde la recherche pédagogique,sa place dans les insti-
tutions scolaires et les moyens dont elle dispose.
La pédagogie expérimentale est une science relativement jeune qui
n’est nullement comparable aux sciences exactes ou naturelles, même si
elle s’efforcede recourir à des méthodes propres à toute recherche scienti-
fique.Elle est par essence interdisciplinaire et doit sans cesse tenir compte
de la psychologie de l’enfantet de l’adolescent,de la sociologie et de la
conception éthique et politique de l’hommedans la société à laquelle il
appartient.Quand un chimiste tente de réaliser la synthèse d’un produit
déterminé,une fois qu’ila imaginéun procédé,la chaîne de réactions né-
cessaires et le type des appareils qu’il utilisera,son intervention dans le
déroulement de l’expériencese limite à des actions précises qui peuvent
toutes être décrites et mesurées exactement. Son état d’esprit,ses senti-
ments personnels ne jouent aucun rôle. Dans les scienceshumaines,l’ex-
périmentateur n’estjamais neutre face au sujet et celui-cin’est pas passif,
il peut constamment modifier le déroulement de l’expérience.O n s’efforce
142 La déperdition scolaire: un problème mondial

évidemment, pour éliminer l’effet du comportement individuel, de prévoir


un grand nombre de sujets et au besoin de changer d’expérimentateur.O n
obtient ainsi des résultats «moyens» valables pour un petit nombre de
sujets; mais l’action pédagogique ne concerne pas seulement un individu
moyen, en quelque sorte idéal, eile concerne un groupe. Face aux déper-
ditions, on doit précisément se demander si l’échec de l’école, dans une
certaine mesure, ne tient pas au fait qu’elle est conçue pour un élève-type.
La recherche pédagogique, qu’elle soit l’affaire d’instituts universi-
taires ou de services spécialisés, demeure souvent en marge de l’école.Les
administrateurs scolaires à tous les niveaux sont mal informés sur les
travaux et les résultats, les enseignants de leur côté se méfient des cher-
cheurs qui n’ont guère de contact avec la vie quotidienne d’une classe
d’enfants ou d’adolescents. La psychologie semble encore plus suspecte
aux maîtres d’école qui s’interrogent sur la validité des recherches qui
traitent l’enfant comme un objet de laboratoire, le placent dans des situa-
tions qui paraissent sans rapport immédiat avec l’enseignement. Le senti-
ment est fréquemment renforcé par la nature des cours donnés dans les
écoles normales ou dans les centres de formation psychopédagogique des
futurs maîtres secondaires.
I1 faut enfin souligner que, compte tenu des budgets attribués à la
recherche scientifique en général, les moyens disponibles dans le domaine
de l’éducation demeurent insuffisants:la recherche pédagogique apparaît
comme un parent pauvre. N’est-ce pas le signe révélateur du scepticisme
qui règne à son sujet aussi bien dans les milieux universitaires que parmi
les autorités, voire même les ministères de l’éducation?
L’ampleur des déperditions exige des solutions nouvelles : il s’agit
moins d’augmenter le nombre des laboratoires de pédagogie que de créer
des écoles expérimentales où les chercheurs en pédagogie, en psychologie et
en sociologie collaboreraient étroitement avec les enseignants. I1 faut, en
effet, associer les maîtres à la recherche: non seulement ils connaissent
mieux les aspects pratiques de la vie scolaire, mais c’est l’occasion de les
sortir de la routine,de les stimuler, de leur confier des responsabilités dans
la bataille engagée contre les déperditions. De par leur situation, ils sont
l’élément moteur, on ne fera aucun progrès si l’on ne les convainc pas que
programmes, méthodes, évaluation, doivent changer, que le climat de la
classe est décisif pour l’avenir des élèves. Dans cette optique, il est évident
que la formation des maîtres doit en premier lieu susciter des recherches:
ce qu’il faut d’abord créer, ce sont les écoles normales expérimentales dont
nous avons déjà parlé à la fin du chapitre 4. Là encore, soulignons
l’importance du travail en équipe multidisciplinaire ;les candidats-maîtres
doivent être très tôt incorporés dans les groupes de recherche,se former en
Conclusions 143

prenant une part active aux travaux en cours. Mentionnons enfìn qu’il
existe un domaine où des recherches qui échappent à l’analysecritique
faite plus haut, peuvent être organisées rapidement et sans grands frais:
celui de l’évaluationet des examens.Nombreuses sont les administrations
scolaires qui conservent dans des archives des compositions d’examens;
on pourrait constituer des échantillons significatifs et les faire évaluer par
une dizaine d’experts difîérents à deux reprises, à six mois d’intervalle
environ, on recueillerait ainsi des données statistiques précises qui per-
mettraient de faire comprendre,de façon irréfutable,la relativité de toute
évaluation et, en particulier,de celle des notes d’examens.A partir des
registres ou des fichiers de résultats de divers types d’écoles,il serait pos-
sible d’étudier la validité des règlements de promotion ou d’examen:de
telles recherches de nature statistique ne poseraient guère de problèmes
méthodologiques.En attendant des réformes fondamentales- indispen-
sables-, de tels travaux permettraient de modifier les règlements à partir
de données établies scientifiquement.
Revenons au texte de la recommandation:chercher les causes - ar-
ticle 33 - revient à essayer des remèdes.L‘apprentissage de la lecture par
exemple crée, semble-t-il,des perturbations qui se répercutentau coursdes
premières années d‘école.Pour vériñer cette assertion,on essaierad‘autres
méthodes dont on mesurera les effets:si l’on arrive à des conclusionsposi-
tives on aura ainsi trouvé une solution.Précisons à propos de cet exemple
qu’il ne s’agit pas d’une simple question de technique pédagogique: la
collaboration des psychologues,la connaissance de l’environnement de
l’enfantet de son vocabulaire joueront un rôle décisif dans la construction
des méthodes. Ce qui vient d’être écrit à propos d’un moment précis
de la carrière scolaire pourrait être répété pour toutes les autres étapes.
I1 est possible que les chercheurs,préoccupés par la pureté scientifique
de leur travail, hésitent à entreprendre des expériences qui mettront
en cause plusieurs variables:mais on doit se demander si la situation du
laboratoire est transposabledans la classe et si, en fait,il n’estpas impos-
sible d’agir sur une ou deux variables isolées. En particulier, le maître
change d’une classe à l’autre et, avec lui,la qualité de la relation avec les
élèves;même sil’on parvenait à appliquerdes programmes et desméthodes
rigoureusement identiques - ce qui est déjà problématique - le fait que
maîtres et élèves soient différents modifie de façon essentielle les données
du problème.Nous sommespar conséquent convaincus qu’ilfautinventer
de nouveaux modes de recherche à l’intérieur même des classes,ce qui
exige la prise en considération de la variation de plusieurs facteurs qu’il
conviendra d’analyser aussi systématiquement que possible.
L‘article 34 traite à nouveau de la question des priorités (voir art.4).
144 L a déperdition scolaire :un problème mondial

Nous ne saurions assez insister sur la nécessité de réflexions à ce propos.


Que celles-ci mettent en cause une conception politique et éthique de
l’homme est évident et à aucun moment la pédagogie expérimentale ne
doit ni ne peut l’oublier;sinon elle court le risque de travailler en dehors
de toute réalité politique et sociale. O n doit même se demander si ses
travaux ne pâtissent pas de l’absencede modèle théorique et si elle n’estpas
ainsi condamnée à s’occuperde faitsisolés,sans efficacitéréelle faute d’un
cadre général.
L‘article35 revient à la notion de promotion automatique.I1 est in-
dispensableque l’on recueille des informationsscientifiquessur les mesures
connexes qu’elle implique: enseignement par niveaux et non plus par
classe,rattrapage,recyclage des maîtres.

c o o P ÉRAT Io N I N T E R NAT IO N A LE

La tâche qui incombe aux ministères de l’éducationface aux déperditions


est d’une telle importanceque seule une véritable coopération entre Etats
membres peut permettre de prendre des mesures efficaces. Que les orga-
nisationsinternationalesdoivent assumer une large part d’initiative et de
responsabilités est bien évident: il faut à tout prix éviter une dispersion
des efforts,assurer un échange constant des informations et des résultats
des recherches,mettre à la disposition des pays qui le demandent des
experts qualifiés. Encore faut-ilque ces derniers soient préparés à leur
tâche, capables d’innover et de tenir compte des situations propres aux
pays concernés: n’a-t-onpas transplanté dans les pays en voie de déve-
loppement des programmes et des méthodes appliquées dans les pays
industrialisés sans même s’interroger sur leur efficacité dans les pays qui
les ((exportaient)) et encore moins dans ceux qui les ((importaient))?

LE R E C O U R S A L’ÉDUCATION P E R M A N E N T E

Quelle que soit la rapidité de réaction des gouvernementsface à la gravité


du problème, quelle que soit l’efficacité des mesures prises, il faut être
réaliste:les déperditions se manifesteront durant plusieurs années encore.
Des adolescents quitteront l’écoleà divers niveaux,après avoir reçu une
éducation incomplète,et iront grossir les rangs de leurs aînés qui auront
suivi le même chemin. Dans les pays en voie de développement, cela
signifie,pour beaucoup d’entre eux,le retour à l’analphabétisme,qui se
trouvera ainsi renforcépar les sous-produitsde l’école.Dans tous les pays
concernés par le phénomène,on continuera à lancer dans la vie desjeunes
gens aigris, inadaptés, plus ou moins profondément perturbés par leur
Conclusions 145

scolarité ratée; il n’est pas dit que la jeunesse supportera longtemps


encore une telle situation sans réagir d’unemanière ou d’une autre. Par
ailleurs,on ne peut qu’être frappé par la passivité et aussi l’impuissance
des parents.
Y a-t-ilune solution ou faut-ilsimplementattendre l’effet des mesures
proposées? Nous sommesconvaincus qu’une double action est nécessaire:
transformer les systèmes scolaires et, parallèlement, créer ou dévelop-
per l’éducationdes adolescents et des adultes.C’est précisément ce que
réclamentles promoteursde l’éducationpermanente.Celle-cin’atteindrasa
pleine efficience qu’aumoment OU les écoles de base primaires et secon-
daires auront évolué, mais rien n’empêche qu’on mette en place, dès
maintenant, des formations postscolaires en s’efforçant d’atteindre
d’abordles adolescents sortis de l’écoleet victimes des déperditions,ainsi
que les parents des élèves malmenés par le mauvais fonctionnement du sys-
tème.Il est évident que l’éducation permanente concernera tôt ou tard
l’ensemblede la population,mais,comme il paraît impossible de prévoir
sa mise sur pied sous sa forme la plus générale dans un avenir proche, il
est nécessaire de s’occuper dès maintenant des milieux les plus menacés.
I1 est superñu de décrire ici ce que doit être l’éducation permanente ou,
selon la dernière formule à la mode, l’éducation récurrente: nombreux
sont les ouvrages qui s’y rapportent.Aussi allons-nousnous limiter à en
mettre en évidence quelques aspects en rapport avec notre thème.
Il imported’abord de créer des centres d‘éducation postscolaire dans
de petites communautés rurales ou urbaines, après avoir analysé les
besoins immédiatsen matière de formation:les programmes ne devraient
pas être conçus dans une administration,ils devraient être élaborés sur
place de manière aussi souple que possible.(Acet égard,les expériences de
Bertrand Schwartz dans des centres de mineurs des environs de Nancy
méritent de retenir l’attention.)I1 n’yaurait pas d’enseignantsau sens tra-
ditionnel du mot, mais des animateurs, des hommes ou des femmes qui
auraient reçu une formation suffisante pour exercer ces fonctions,et qui
y consacreraientquelques heures par semaine à côté de leur emploiprinci-
pal.Les responsablesd’une vingtaine de centresd’éducation,par exemple,
dépendraient d’un organisme régional chargé d’assurer la formation et
le perfectionnement continu des animateurs plusieurs fois par trimestre,
selon les besoins.
O n pourrait de même prévoir que les entreprises agricoles,indus-
trielles ou publiques, possèderaient leur propre organisation, non pas
seulement pour assumer un perfectionnement professionnel,mais pour
consolider et améliorer les connaissances de base ou,de façon plus géné-
rale,pour élever le niveau culturel de leurs employés.
146 La déperdition scolaire: un problème mondial

Par ailleurs,là où existe un réseau suffisant de télévision,il serait


possible d’augmenterla place accordée à l’éducationdans les programmes:
lorsqu’on prend conscience du nombre d’heures consacrées à des émis-
sions plus ou moins enrichissantes, on ne peut qu’être alarmé par la
place minimum réservée à la formation des adolescents et des adultes.
Certes la télévision n’a de valeur formative que si les spectateurs sont
encouragés,stimulés à en tirer profit, mais ne serait-cepas là le rôle des
centres dont nous parlions plus haut?
O n objectera que l’on manque des ressources nécessaires.Dans de
nombreux pays industrialisés,il s’agit d’une question de priorité. Dans
les pays en voie de développement,c’est une affaire de coopération inter-
nationale, de choix fondamentaux dans l’aide qu’apportent les grandes
organisations ou les Etats.
En définitive,il s’agitde savoir si,face à la crise mondiale de l’éduca-
tion,on va continuer à sacrifier la majorité des enfants de chaque géné-
ration: plus qu’un problème pédagogique,c’est là une question de poli-
tique.
Annexe 1
Recommandation No66 concernant
l'amélioration et l'efficacité des systèmes d'éducation,
en particulier par la réductiondes déperditions d'effectifs
à tous les niveaux de l'enseignement

P REA M B U LE

La Conférence internationale de l'éducation, convoquée à Genève par l'Orga-


nisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, s'étant
réunie le ler juillet 1970 pour sa 32e session, adopte le 8 juillet 1970 la recom-
mandation suivante :

La Conférence,
Considérant l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme
(194817
Considérant la Déclaration des droits de l'enfant (1959),
Considérant la Convention et les Recommandations concernant la lutte contre
la discrimination dans le domaine de l'enseignement adoptée par la Confé-
rence générale de l'Unesco à sa onzième session (1960),
Considérant la Recommandation concernant l'enseignement technique et pro-
fessionnel adoptée par la Conférence générale de l'Unesco à sa douzième
session (1962),
Considérant la Recommandation concernant la condition du personnel en-
seignant adoptée par la Conférence intergouvernementale spéciale sur la
condition du personnel enseignant (1966),
Considérant la Déclaration des principes de la coopération culturelle interna-
tionale adoptée par la Conférence générale de l'Unesco à sa quatorzième
session (1966),
Considérant les recommandations de la Conférence internationale sur la plani-
fication de l'éducation (1968),
Considérant que nous entrons dans la Deuxième Décennie du développement,
148 L a déperdition scolaire :un problème mondial

Considérant que l'année 1970 a été proclamée Année internationale de l'éduca-


tion,
Considérant les recommandationspertinentes adoptées par la Conférenceinter-
nationale de l'instruction publique lors de ses différentes sessions,
Considérant que l'éducation a pour but non seulement d'inculquer à l'élève des
connaissances fondamentales, mais aussi et surtout de développer tous les
aspects de sa personnalité, et que les méthodes pédagogiques devraient
être adaptées à cette fin,
Considérant qu'il est indispensableque chaque élève soit mis à même d'achever
le cycle d'études qu'il a entrepris et qu'une éducation continue puisse être
assurée, dans le cadre de l'éducationpermanente, à l'élève ayant quitté pré-
maturément l'école,
Considérant que les déperditions d'effectifs posent, sous une forme ou sous une
autre, des problèmes graves dans la plupart des pays et que l'analyse sta-
tistique montre clairement l'étendue et la répartition du phénomène de la
déperdition aux différents niveaux et points des systèmes d'enseignement,
Considérant que les abandons en cours d'études correspondent souvent à une
dépense improductive et que les redoublements accroissent le coût de
l'éducation,nuisant ainsi à son amélioration qualitative et quantitative,
sans parler des troubles qu'ils peuvent occasionner pour les élèves,
Considérant que l'amélioration de l'efficacitédes systèmes d'enseignement et, en
particulier, la réduction des déperditions d'effectifs sont essentielles,d'une
part pour assurer à tous l'exercicedu droit à l'éducation et, d'autre part,
pour renforcer la contribution de l'éducation au développement social et
économique de la société,
Soumet la recommandation ci-aprèsaux Ministères de l'éducation des différents
pays :

PRINCIP ES F O N D A M E NTAUX

1. L'étude des mesures à prendre pour réduire la déperdition des effectifs sco-
laires devrait s'inscrire dans le cadre des principes suivants:
(a) Tous les aspects du contexte économique et socialet des systèmes d'en-
seignement ont une incidence sur la déperdition scolaire;
(b) Les facteurs qui contribuent à la déperdition aux différents niveaux
de l'éducation sont nombreux et diffèrent souvent d'un pays à l'autre,
notamment selon le niveau de développement.O n peut les grouper sous
les catégories suivantes:
Annexe 1 149

le milieu
(i) le foyer et la collectivité :les contraintes des conditions géographi-
ques, sociales, économiques et culturelles (éloignement de l'école,
milieu défavorisé, différenciation linguistique,sous-développement,
mentalité du public, etc.);
(ii) le système scolaire (administration, organisation, programme
d'études, nombre et qualification des maîtres, relation entre la fa-
mille et l'école,bâtiments et matériel, etc.);
la personnalité de l'enfant (facteurs physiques, mentaux, intellectuels
et moraux, motivations, etc.).
(c) Les facteurs liés à la déperdition scolaire sont généralement conjugués
et il faut étudier à la fois leur interaction et leurs effets indépendants,
en s'appuyant notamment sur les enseignements de l'expérience re-
cueiliis dans un contexte donné.
2. Le renouvellement des systèmes d'éducation,auquel conduit l'évolution de
la civilisation,doit inciter à réétudier, en fonction des caractéristiques spé-
cifiques de chaque pays, l'aménagement et le renouvellement des pro-
grammes (en particulier dans les premiers stades de la vie scolaire), le rôle
des systèmes d'évaluation et les modalités d'orientation scolaire et profes-
sionnelle en vue de réduire les déperditions scolairescomme les échecs subis
à l'entrée dans la vie active.

MESURES PRATIQUESP O U R REDUIRE L E S D ~ P E R D I T I O N SSCOLAIRES

3. I1 importe de prendre une série de mesures dont certaines, de caractère gé-


néral, visent à améliorer l'efficacité des systèmes d'éducation et à assurer
leur rénovation en les rapprochant de la vie, des besoins économiques et
sociaux, et des aspirations individuelles, alors que d'autres, d'une nature
plus spécifique, auront trait aux différentsfacteurs liés aux déperditions.
4. Il convient de définir les nouvelles finalitésassignées à l'éducation dans un
monde en cours de transformation rapide, compte tenu de la contribution
que l'éducation doit apporter au développement social, économique et
humain et de la réalisation effective du droit à l'éducation.
5. Il apparaît souhaitable de s'inspirer de la perspective de l'éducation penna-
nente qui lie l'éducation à la vie, et assure la mise à jour continue des con-
naissances, ainsi que l'articulation de l'enseignement scolaire et de l'édu-
cation extrascolaire.I1 apparaît nécessaire de réviser les structures de l'édu-
cation dans le sens d'une plus grande souplesse et d'une meilleure articula-
tion de ses différents éléments, en assurant le maximum de continuité à
l'intérieur des systèmes et en facilitant les transferts d'un type d'enseigne-
ment à l'autre et d'un niveau à l'autre.
150 La déperdition scolaire :un problème mondial

6. I1 conviendrait également de veiller à ce que le contenu de l'enseignement


s'inspire de la nécessité d'apprendre à apprendre, autant que de dispenser
l'instruction;fasse la place souhaitable aux connaissances de base; ajoute,
dans la mesure nécessaire, les matières nouvelles qui correspondent aux
progrès des connaissances et comporte une initiation à la vie pratique et à
la technologie ainsi que la formation d'attitudes utilisables sur le plan pro-
fessionnel.
7. I1 apparaît souhaitable d'améliorer constamment les méthodes d'enseigne-
ment et d'éducation en tirant parti des moyens modernes d'information et
de la technologie éducative d'une part, et en faisant appel aux résultats de
la recherche pédagogique et psychologique pour une meilleure adaptation
des méthodes aux besoins de l'enfant, d'autre part.
8. I1 apparaîtindispensabled'améliorerla formationet le recyclage des maîtres
ainsi que des mesures prises pour les conseiller,en s'attachant particulière-
ment à les préparer à leur nouveau rôle, compte tenu de la nécessité d'une
nouvelle forme de relation entre enseignants et enseignés, et d'une large
préparation à la vie.
9. I1 importe de réexaminer les procédures de sélection et de contrôle des con-
naissances et d'évaluation des résultats scolaires,en éliminant au maximum
les éléments d'arbitraire et de subjectivité; il apparaît souhaitable de s'ins-
pirer d'une attitude positive à l'égard des élèves et de tenir compte des
aspects affectifs et caractérologiques de la personnalité de chacun. A cet
égard, il semble souhaitable d'adopter des mesures pour évaluer l'efficacité
des établissements d'enseignement dans leur ensemble.
10. I1 apparaîtnécessaire de développer et d'institutionaliser les servicesd'orien-
tation scolaire et professionnelle,en vue d'assurer une large information de
l'enfant, de la famille et du public sur le système éducatif et sur les ouver-
tures qu'il comporte sur la vie et l'emploi.
11. I1 apparaît souhaitable d'assurer une étroite coopération entre administra-
teurs,pédagogues et éducateurs,psychologues scolaires,conseillersd'orien-
tation professionnelle, médecins et assistantes sociales, et parents.
12. I1 apparaîtindispensabled'assurer une liaison étroite entre l'école,la famille
et la collectivité.
13. I1 convient, en vue de compenser certains désavantages sociaux,économi-
ques ou géographiques,susceptiblesd'entraîner des déperditions,de prendre
certaines mesures, telles que :
(a) l'extension de la gratuité scolaire à tous les niveaux et l'extension et
l'amélioration du réseau scolaire, et une meilleure répartition des
établissements scolaires, en s'attachant particulièrement aux besoins
des régions rurales et des groupes minori-taires;
Annexe 1 151

(b) la création d'internats, notamment pour les enfants originaires des ré-
gions à faible densité de population;
(c) la création ou le développement de services sociaux ou l'adoption de
mesures d'aide à la famille ou à l'enfant (cantines,distribution gratuite
d'aliments ou de vêtements, ramassage scolaire ou allocations de trans-
port, foyers d'accueil pendant les heures de travail des parents, etc.);
(d) le développement des services de santé et de médecine scolaires;
b{e) le développement de l'éducation préscolaire, notamment dans les zones
rurales et dans les quartiers surpeuplés des grandes agglomérations;
(f) une plus large attribution,suivant des critères équitables, de bourses et
d'allocations diverses de scolarité et de bourses d'enseignement supé-
rieur visant à libérer les étudiants de certains travaux rémunérés peu
compatibles avec leurs études;
(g) des études surveillées facultatives après les heures de classe.
14. I1 serait souhaitable de prévoir une action systématique et permanente
d'information afin de faire prendre conscience aux parents de l'importance
de la fréquentation scolaire.
15. Il convient de prendre les mesures nécessaires pour instituer l'obligation
scolaire, en assurant les facilités qui permettront à tous les enfants de
s'inscrire à l'école et, en outre, en prévenant les abandons prévisibles et
volontaires, particulièrement quand ils résultent du travail des mineurs.
16. La création ou le développement de services de dépistage des enfants phy-
siquement ou mentalement déficients et d'établissements à leur intention
serait nécessaire.
d7.I1 importe d'améliorer l'apprentissage de la langue d'instruction en tant
que matière et instrument de connaissance.
d18. Il convient de prendre les mesures nécessaires pour éliminer les facteurs de
déperdition liés à l'utilisationcomme langue d'enseignement d'une langue
autre que la langue maternelle.
d19. I1 apparaît souhaitable d'accorder un intérêt particulier à l'enseignement de
disciplines de base qui sont parfois la cause de déperditions: la langue
maternelle et les mathématiques, par exemple.
I1 conviendrait de mettre au point les mesures propres à réduire les taux de
u'20. redoublement au cours des premières années de l'enseignement primaire,
années pendant lesquelles ils apparaissent particulièrement élevés.
152 L a déperdition scolaire :un problème mondial

21. I1 importe, en révisant le contenu de l'éducation,de faire place à des ma-


tières nouvelles,en rapport avec la vie, le milieu et le travail, afin de ren-
forcer les motivations des élèves.
22. I1 apparaît également opportun de renforcer l'intérêt de l'enfant pour
l'écolepar diverses activités scolaires hors programme ou par des activités
extrascolaires.
23. I1 conviendrait de créer des services de psychologie scolaire,ou de les amé-
liorer et notamment de redéfinir, en l'étendant,le rôle du psychologue
scolaire.
24. I1 convient de prévoir, dans les structures éducatives, des types complé-
mentaires d'éducation qui permettent aux enfants ayant abandonné leurs
études ou souffrant d'un grave retard, d'acquérir un complément de con-
naissances générales et une formationprofessionnelle ou préprofessionnelle,
afin de les réintégrer dans le système d'éducation ou de les insérer dans le
secteur productif.
25. I1 conviendrait d'étudier la possibilité et l'opportunité d'introduire dans
les établissements d'enseignement général, au niveau approprié, l'appren-
tissage des métiers ou des cours d'initiation à la vie du travail.
26. Il convient d'examiner, lors de la révision du contenu et des structures de
l'éducation, l'opportunité que l'enseignement scolaire donne à l'élève, à un
âge approprié,une expérience pratique du monde du travall, à la produc-
tion, dans le cadre d'une préparation à la vie.
27. Il faudrait améliorer les conditions matérielles de l'enseignement (notam-
ment l'équipement,le matériel pédagogique), des laboratoires et des biblio-
thèques.
28. I1 conviendrait d'éliminer le facteur important de déperdition constitué par
les classes surchargées en réduisant leur effectif en fonction d'un rapport
élèves-maîtresraisonnable,dans les pays où les circonstancesle permettent,
tout en veillant à ne pas recourir à cette mesure dans ceux OU elle aggrave-
rait la situation en matière de scolarisation.Pour ces pays, il conviendrait
que les responsables de la recherche élaborent des formules dont l'applica-
tion améliorera le rendement de ces classes, réduisant ainsi la déperdition.
29. Il importe de diffuser et de généraliser les résultats de l'expérience acquise
par les maîtres et les établissements d'enseignement qui ont réussi à réduire
très sensiblement,voire à éliminer, les déperditions.
30. I1 importe, dans la rénovation des systèmes d'éducation et l'élaborationdes
mesures particulières propres à réduire les taux de déperdition, de recon-
naître le rôle que peuvent jouer la recherche pédagogique et les sciences de
l'éducation.
Annexe 1 153

ETUDES A POURSUIVRE

I. Etudes statistiques
3 1. I1conviendraitde normaliser et d’organisersystématiquementle rassemble-
ment des données à des fins nationales. A cet effet, pour le calcul des taux
d’abandon et de redoublement et (ou) pour estimer l’efficacitédes systèmes
d’éducation,on pourrait s’inspirer,en les améliorant,des méthodes utilisées
dans l’enquête de l’Unescosur la mesure statistique de la déperdition sco-
laire (1969) et tirer parti, éventuellement, des techniques modernes de
l’informatique.
32. I1conviendraitde procéder à de nouvelles études en utilisant la méthode des
études de cas au niveau national et en faisant appel à l’aide internationale.
Si possible, l’Unescodevrait prendre l’initiativede promouvoir ces études
dans lesquelles les bureaux et centres régionaux de l’éducationpourraient
jouer un rôle actif.I1 conviendrait de faire porter les études sur les points
suivants,en prenant en considération les travaux des diverses organisa-
tions régionales:
(a) amélioration de l’exactitude de rassemblement des données;
(b) vérification de la sûreté des indices de la déperdition et des déductions
que l’on en tire;
(c) mise au point de techniques d‘évaluation de la déperdition dans les
systèmes scolaires sans redoublements ni abandons;
(d) mise au point d’indicateurs de déperditions à des fins de simulation en
fonction d‘hypotheses alternatives;
(e) examen du caractère et de l’incidencede la déperdition dans l’enseigne-
ment supérieur.

II. Etudes, recherches et expériences

33. I1 apparaît nécessaire de procéder à une mise au point des méthodologies


et à des études en profondeur sur les divers aspects du problème des déper-
ditions,notamment sur les causes de retard scolaire,le processus d’acqui-
sition des connaissances,les motivations dans des contextes et dans des
endroits divers.
34. I1 conviendraitde redéfinir les finalités et les principes de base des systèmes
d’éducation afin de veiller à ce qu’ilsretiennentdans les classesle maximum
d’élèves sans compromettre pour autant les résultats de l’enseignementen
qualité.
154 L a déperdition scolaire :un problème mondial

35. I1 conviendrait également de procéder à des études et à des recherches sur


les critères et les procédures de promotion et d'évaluation des résultats
scolaires,notamment en ce qui concerne la promotion automatique.

COOPERAT I O N INTERNATIONALE

36. Il importe de favoriser la coopération internationale dans le domaine de


l'échange d'informations,de données statistiques,de résultatsde recherches
et d'expériences, ainsi que dans le domaine de la libre circulation des tests
qui se sont avérés efficaces dans la pratique scolaire.
37. I1 serait souhaitableque les conférences régionales de ministres de l'éduca-
tion convoquées par l'Unesco étudient le problème des déperditions sco-
laires,leurs causes et les remèdes possibles.
38. I1 serait souhaitable que l'Unesco mette au point des programmes coor-
donnés pour l'étude des problèmes de déperdition,sur le plan national et
régional,auxquels seraient associés le BIE,l'IIPE,l'Institut de l'Unesco
pour l'éducation à Hambourg et les bureaux et centres régionaux.
39. Il serait souhaitableque l'Unesco mette à la disposition des Etats membres,
sur leur demande,une assistance en vue de préparer des études sur le pro-
blème des déperditionset de former des spécialistespour l'étude de ce pro-
blème.Les bourses mises à la disposition des gouvernements dans le cadre
des programmes d'aide extérieure pourraient être utilisées à cette fin. Les
Etats membres pourraient également avoir recours à l'aideextérieure pour
assurer le rassemblement et la normalisation des données statistiques.
Annexe 2
Bibliographie sélective:
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