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L’altermondialisme au pluriel en Asie du Sud et de l’Est: Multiplicités, complexités et

tensions d’une mouvance citoyenne polymorphe


Par Dominique Caouette

En décembre 2005, alors qu’avait lieu à Hong Kong la 6e Conférence ministérielle de


l’OMC, une multitude d’organisations, de délégations, de marches, de drapeaux et bannières
prenaient d’assaut le cœur du porte-étendard du capitalisme asiatique. Soudainement, le
monde découvrait une militance propre, effervescente et originale, distincte en partie des autres
grandes manifestations tenues dans le passé lors de rencontres de l’OMC. En fait, cette prise
de conscience au sein du mouvement altermondialiste s’était déjà intensifiée l’année précédente
lors du IV Forum social mondial (FSM) qui avait lieu à Mumbai en Inde, en février 2004.
Cette édition du FSM reste encore aujourd’hui un moment particulier dans la courte histoire de
ces forums, entre autres pour le nombre effarant de participants, plus de 150 000, et pour la
présence massive et significative des « dalits », les intouchables, un ensemble hétérogène de
groupes sociaux et culturels considérés tout au bas du système de caste hindou. Au-delà de ces
éléments particuliers, ironie propre à Mumbai, le FSM indien, d’abord créé pour servir de
contre-forum à Davos, est confronté à ses propres contre-sommets : un contre-forum, la
Résistance de Mumbai, et deux conventions parallèles critiques du FSM, jugé trop réformiste et
modéré. Comment comprendre ce paradoxe? Quelles sont les caractéristiques propres aux
altermondialismes de l’Asie? Peut-on identifier des thèmes centraux ou des axes distincts à la
région?

Dès que l’on se penche sur l’altermondialisme en Asie, il devient important de s’interroger sur
les liens entre les sphères publique et privée. Une bonne partie de la littérature qui discute la
société civile et l’altermondialisme en Occident ou en Amérique latine prétend que cette
société se constitue dans l’espace public, en tant que lieu d’expression des demandes populaires
et politiques. En Asie, cette distinction est des plus ténues car plusieurs des États ont connu
d’importantes périodes ou dérives autoritaires au cours desquelles l’expression de dissension
publique était et reste dans certains cas beaucoup plus risquée ou dangereuse qu’ailleurs en
Europe et en Amérique du Nord. Souvent l’espace privé est le refuge de la dissension, plus
camouflée et souvent plus subtile. 1 Si aujourd’hui, les Philippines, le Bangladesh ou
l’Indonésie peuvent prétendre posséder des sociétés civiles militantes et ouvertes, les années de
dictature ou de régimes militaires ont été marquées par des formes d’organisations relativement
secrètes ou encore sous l’enceinte d’institutions religieuses. Ainsi, les épisodes d’autoritarisme
en Thaïlande ou celles du pouvoir militaire en Birmanie impliquent que la mouvance
altermondialiste se constitue dans une multitude de contextes. De plus, contrairement aux
thèses occidentales sur les liens causaux entre la présence d’une société civile constituée et la
vitalité de régimes démocratiques, dans nombres de pays de la région, les expressions publiques
des populations sont souvent organisées ou dirigées par l’État. C’est donc dans des
regroupements beaucoup plus discrets et parfois encore très localisés que l’on peut découvrir
ou imaginer découvrir la mise en place d’un discours et de pratiques que l’on pourrait associer
à l’altermondialisme. Par contre, il existe de quelques facteurs qui permettent de mieux
comprendre le développement des mouvements altermondialistes de la région.

1Pour une discussion plus approfondie, voir le chapitre de Meredith Weiss, « Civil Society and Close
Approximations Thereof », Southeast Asia in Political Science : Theory, Region, and Qualitative Analysis, Erik M Kuhonta,
Daniel Slater and Tuong Vu (dir.), Stanford : Stanford University Press, 2008 : pp. 144-170.

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De plus, en dépit de la diversité et la polymorphie phénoménale du mouvement
altermondialiste asiatique, il existe encore un nombre limité de travaux qui ont tenté
d’appréhender de manière analytique et comparative 2 . Cette situation ne saurait qu’être
temporaire car à travers l’Asie du Sud et de l’Est 3 , comme dans bien d’autres régions du
monde, on tend de plus en plus à s’organiser et à travailler autour d’objectifs, de valeurs et de
formes d’action collective propre à l’altermondialisme : accent mis sur l’horizontalisme, la
participation directe, la démocratie participative, la pluralité et la diversité des formes
d’expression politique et sociale. Si l’existence d’une gamme étendue d’organismes, de
mouvements et de réseaux transnationaux de militance basés et actifs en Asie du Sud-Est est
admise aujourd’hui, il reste à interpréter leur importance, et à comprendre leurs effets sur la
transformation sociale 4 .

Ainsi, même si on peut affirmer que l’altermondialisme en Asie du Sud et de l’Est constitue
autant une forme de réponse aux processus socioéconomiques et politiques globaux associés à
la mondialisation qu’une conséquence de la libéralisation politique relative et limitée
caractérisant certains États de la région, il demeure nécessaire de saisir les contours de celui-ci.
Ainsi, les mouvements altermondialistes propres à la région naissent d’une prise de conscience
chez les militants et militantes asiatiques d’être confrontés à des problèmes et des défis
communs, d’où l’importance d’avoir des stratégies de résistance communes. Face à des États
en pleine période d’ouverture économique, souscrivant en majorité à des politiques
néolibérales et, pour plusieurs, au milieu d’une redéfinition des équilibres politiques locaux et
nationaux, l’altermondialisme apparaît alors comme une alternative novatrice.

Souvent, les mouvements altermondialistes s’organisent autour de la mise en place de


coalitions ou de réseaux transnationaux (par exemple, Asia Pacific Research Network, Asia Pacific
Convention on People’s Food Sovereignty, Asian Peace Alliance, ou encore Migrant Forum in Asia). Ces
coalitions et réseaux sont un moyen de faire avancer les droits des citoyens, bloqués dans tel
pays, ou qui ne peuvent pas être défendus directement sur la scène nationale. Dans d’autres
cas, l’altermondialisme se régionalise ou se transnationalise pour élargir la pression politique
face à un problème commun – marginalisation des secteurs ruraux, privatisation et
libéralisation du commerce, militarisme, exclusion des peuples autochtones, etc.

2 Il existe cependant quelques exceptions, entre autres, Loh, Francis, « Les ONG et les mouvements sociaux en
Asie du Sud-Est », Mondialisation des résistances : L’état des luttes 2004, (sous la dir.) Laurent Delcourt, Bernard
Duferme, et François Polet. Paris : Éditions Syllepse, 2004 : pp.41-55; Piper, Nicola et Anders Uhlin, dir. 2004,
Transnational Activism in Asia: Problems of Power and Democracy, Londres : Routledge; et Caouette Dominique,
« Penser et développer le militantisme transnational : l’action globale des citoyens en Asie du Sud-Est », dans La
citoyenneté dans tous ses états. Sous la direction de Jane Jenson, Bérengère Marques-Pereira et Eric Remacle.
Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2007 : pp. 151-175; et Barria, Susana (avec Nelson O.J.) « Main
debates around the WSF 2004 in Mumbai », Critical Engagement (CACIM’s Publication Programme, no.4 (August
2008).
3 L’Asie est un immense espace géopolitique, parler de l’altermondialisme en Asie est une tâche colossale (et sans

doute impossible) qui dépasse largement l’ambition plus modeste de ce chapitre. Ainsi, je tenterai de saisir les
contours de l’altermondialisme au sein de deux sous-régions asiatiques, soit l’Asie du Sud (les sept pays entre le
Pakistan à l’ouest et le Bangladesh à l’est) ainsi que l’Asie de l’Est, regroupant les onze États situés entre les deux
géants de l’Asie, l’Inde et la Chine.
4 Voir N. Piper et A. Uhlin (dir.), Transnational Activism in Asia, et le dernier numéro de Development intitulé « The

Movement of Movements », vol. 48, n° 2, juin 2005, et Francis Loh, « Les ONG et les mouvements sociaux en
Asie du Sud-Est » dans Clara Algranati et al., Mondialisation des résistances : l'état des luttes 2004, Paris, Éditions
Syllepse, 2004, p. 41-55.

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Quelle société civile?
Parler d’altermondialismes asiatiques implique saisir les spécificités de la région. La première,
c’est la variété de régimes politiques, allant du socialisme d’État au Vietnam, à l’arrivée au
pouvoir des anciens guérilleros maoïstes au Népal, en passant par des formes semi-autoritaires
de gouvernance, comme celles présentes en Malaisie ou à Singapour. La seconde dimension,
c’est le rôle particulier des différentes identités religieuses qui coexistent, non seulement entre
les États de la région, mais également au sein de ceux-ci. Soulignons ici que l’Indonésie est le
pays qui regroupe le plus grand nombre de musulmans au monde, ou que les Philippines, la
Malaisie, Singapour et l’Inde sont tous des États où cohabitent plusieurs grandes religions. Ces
identités religieuses constituent un facteur d’importance dans la formation des mouvements
sociaux de chacun des contextes nationaux. Par exemple, aux Philippines, il existe un
important dédoublement d’organisations de la société civile qui œuvrent dans des secteurs
sociaux différents, mais à partir de fondements religieux distincts, en général chrétiens ou
musulmans, alors que d’autres organisations ou réseaux se définissent comme laïcs ou
multiconfessionnelles.

Autre dimension essentielle et propre à cet espace particulier, c’est l’immense diversité
d’identités ethniques et culturelles. Seulement aux Philippines, il existe plus de 83 langues et
dialectes alors qu’en Indonésie on parle de plusieurs centaines, tout comme en Inde. Dans ce
contexte polyglotte à l’extrême, une bonne partie du militantisme de la société civile au-delà
des frontières fonctionne en anglais. Ainsi, lorsque l’on considère des organismes ou
mouvements associés à l’altermondialisme, on y découvre que la majorité des documents, des
publications ou des déclarations lors de forums publics sont rédigés en anglais.

L’héritage des luttes politiques pour la démocratie et la liberté d’expression


Il est possible de proposer que le militantisme asiatique qui rejoindra éventuellement les
mouvements altermondialistes, produits de l’après guerre froide et de la mondialisation, tire ses
origines de mouvements politiques de résistance à l’autoritarisme et aux luttes politiques en
faveur de la démocratie et de la paix. Ainsi, que ce soit en Asie du Sud, en particulier en Inde
et au Bangladesh, ou encore en Asie du Sud-Est, les racines historiques d’un nombre important
d’organisations et de parcours militants proviennent des luttes pour la démocratie politique et
la fin de l’autoritarisme.

Sur ce point, l’exemple d’ARENA est éclairant. ARENA, ou le Réseau régional asiatique pour
de nouvelles alternatives (Asian Regional Exchange for New Alternatives), a été fondé en 1980 à la
suite d’une consultation auprès d’universitaires et de membres de communautés religieuses
engagées qui ont admis à l’époque qu’il n’était pas possible de faire de la recherche critique
dans plusieurs des universités de la région. Le but est donc de regrouper des « militants
intellectuels » prêts à collaborer à la production de résultats de recherche et de concepts
pertinents pour les mouvements sociaux en Asie. Depuis sa création, ARENA a toujours eu
une approche pan-asiatique. Il se définit aujourd’hui comme un programme interdisciplinaire
d’études et de recherches en coopération sur l’Asie et regroupe des d’universitaires, des
intellectuels, des militants, des écrivains et des artistes impliqués dans une panoplie
d’organisations de la société civile. ARENA a entre autres participé à la formation de l’Alliance
asiatique pour la paix en 2003 et de l’Alliance populaire de Hong Kong sur l’OMC en 2005. 5
5 Voir : http://www.arenaonline.org/content/view/17/54/ (consulté le 1 février 2010).

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Si depuis sa formation, ARENA cherche à renforcer et à soutenir les organisations de la
société civile en mettent l’accent sur la transformation sociale et la recherche de la paix et de la
justice sociale, sa perception de ce rôle a évolué peu à peu, à mesure que changeait la façon
dont ses membres percevaient l’Asie. Comme le soulignait deux de ses collègues à la fin des
années 1990 : « Auparavant l’Asie était un lieu de ralliement des luttes anti-impérialistes. On ne
la voit plus ainsi; l’Asie étant maintenant le nouveau centre des activités économiques
mondiales, les gens veulent cerner cette problématique et le sens qu’elle apporte 6 ».

Il existe aussi plusieurs parallèles avec la situation en Inde. Comme les tensions entourant
l’orientation à donner au Forum social de Mumbai ont illustré démontré, les traditions
politiques et le passé politique des militants constituent d’importants éléments d’explication
pour saisir l’organisation du contre-sommet Résistance Mumbai et des deux rassemblements
tenus à l’extérieur du FSM, soit la Convention contre la mondialisation impérialiste et la guerre
ainsi que la Convention contre l’impérialisme en 2004. 7

Extrait de l’appel à la participation du Comité de la Résistance de Mumbai (septembre 2003)

« Mumbai Resistance 2004 Contre la Globalisation et la Guerre Impérialistes »

1. MR-2004 est un événement prévu du 17 au 20 janvier 2004 qui se déroulera à Mumbai


(Bombay) parallèlement au Forum Social Mondial (FSM). C’est un événement international,
faisant partie du processus de construction d’un solide mouvement mondial anti-impérialiste,
qui cherche à emmener les gens du monde, y compris ceux assistant au FSM, au-delà des
limites « d’une pensée réfléchie et du débat » vers une résistance organisée contre la
globalisation et les guerres impérialistes. Il est basé sur des prémisses claires et non-ambigües.
MR-2004 se considère comme une continuation des traditions militantes établies dans les
mouvements contre la globalisation et les guerres qui ont pris une nouvelle intensité après
Seattle. MR-2004 a été conçu lors du Camp International, Thessaloniki Resistance 2003, en
Grèce en juin 2003. Il a pris une forme plus concrète suite à une décision du Groupe
International de Coordination de la Ligue Internationale des Luttes Populaires, ILPS, (une
coalition de plus de 100 organisations de lutte populaire originaires de différentes régions du
monde), qui, lors de son meeting aux Pays-Bas du 18 au 20 juillet 2003 a décidé d’organiser un
événement en même temps que le FSM « co-sponsorisé par d’autres groupes pour consolider
et fortifier le mouvement anti-impérialiste », et ultérieurement grâce à des discussions avec
d’autres organisations internationales et indiennes.

2. MR-2004, se tenant à Mumbai, cherche en particulier à faire avancer le mouvement anti-


impérialiste en Inde, en tant que partie intégrante de la mobilisation internationale contre la
concentration grandissante des forces capitalistes à travers le globe et les ravages de leur
globalisation impérialiste. Ceci porte sérieusement préjudice à la structure socio-économique
de tous les pays du monde en voie de développement, dévastant gravement les moyens
d’existence des peuples, et en réalité les privant même du droit de vivre.

6 Entrevue avec Jeannie Manipon, directrice générale, et Titos Escuetas, agent de programme, ARENA, Hong

Kong, 5 décembre 1998.


7 Voir, Barria with Nelson, « Main debates around the WSF 2004 in Mumbai », p. 8-13.

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3. MR-2004, considérant futile la présentation sans forme d’ « un autre monde possible » du
FSM, cherche à définir concrètement une autre structure socio-économique, construite sur la
base de l’indépendance, avec une rupture totale avec tous les contrôles, domination et
asservissement instaurés par l’impérialisme et les institutions du système capitaliste mondial -
telles que la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, les compagnies transnationales, etc. MR-2004
croit que la prospérité et la croissance en Inde, comme dans les autres pays sous-développés,
ne peuvent être atteintes qu’à travers une économie indépendante, évoluant vers un véritable
ordre social. Il est d’avis que cela ne peut être obtenu que par le combat, et non par des débats
interminables et souvent dénués de sens.

Source: http://www.attac.ch/geneve/spip.php?article40

Ainsi, ces évènements ont regroupé différentes factions de partis communistes régionaux et
nationaux s’articulant autour d’une ligne maoïste et qui, jusqu’à maintenant, restent très
critiques face au soi-disant réformisme ou pluralisme associé au FSM.

Saisir les interactions entre dynamiques locales et transnationales


Un deuxième élément déterminant qui explique les variétés des altermondialismes de la région
est de faire ressortir les dynamiques d’interaction entre la militance locale et transnationale.
Qu’il s’agisse des militants intellectuels des organismes membres de l’APRN, ou encore du
Migrant Asian Forum, tous et toutes sont venus à la mouvance altermondialiste transnationale
après avoir fait de la sensibilisation au niveau local et national. En fait, beaucoup ont gardé des
racines dans leurs propres luttes nationales, affirmant que l’engagement dans la sensibilisation
et les activités de plaidoirie de politiques au niveau régional ne les dissuadent aucunement
d’agir à un autre niveau. En fait, dans la plupart des cas, les militants altermondialistes sont
capables et intéressés à créer des jumelages et des coalitions entre différents types d’acteurs
agissant à différents niveaux (local, national, régional, international), de façon à pouvoir réagir à
des contextes politiques variés, en offrant à chacun une gamme différente de possibilités
politiques.

Les diverses formes de militance altermondialiste génèrent ainsi des identités partagées souvent
enracinées dans une même compréhension des problèmes. Elles débouchent aussi sur des
campagnes et des propositions communes qui peuvent être mises de l’avant lors des
rassemblements régionaux et internationaux, et mises en œuvre à la fois à l’échelle nationale et
de la région. La Déclaration sur la souveraineté alimentaire (ci-dessous) de 2004 constitue un
exemple intéressant de l’émergence d’une compréhension commune.

La Convention populaire sur la souveraineté alimentaire


En novembre 2004 avait lieu la sixième Conférence annuelle de l’Asia Pacific Research Network à
Dhaka, au Bangladesh. Cette conférence portait sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire.
Comme l’expliquait un organisateur: « nous avons décidé que la conférence de l’APRN serait
préparée moins comme un événement purement de recherche universitaire, que comme un
rassemblement plus ouvert et public d’instituts de recherche et d’organismes populaires. » Il a
alors été convenu de transformer la conférence de l’APRN en un Congrès populaire sur la
souveraineté alimentaire. Un tel congrès allait mener à l’adoption d’une Convention populaire
sur la souveraineté alimentaire qui serait ensuite promue lors du Sommet mondial sur
l’alimentation + 10, prévu pour 2006. À mesure qu’avançaient les préparatifs du Congrès

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populaire, ses objectifs se sont élargis jusqu’à inclure la préparation de la 6e Réunion
ministérielle de l’OMC et d’autres ententes régionales/bilatérales, ainsi que la promotion et le
renforcement « d’initiatives et de mouvements populaires locaux et nationaux 8 ». La
conférence à laquelle ont pris part plus de 500 personnes provenant de 30 pays a ainsi
débouché sur l’adoption de la Convention populaire sur la souveraineté alimentaire ainsi que
sur une Déclaration populaire.

Convention populaire sur la souveraineté alimentaire : Déclaration de principes et


objectifs

1. Chaque être humain a un droit fondamental et inaliénable à une alimentation saine,


nutritive et culturellement appropriée. Puisque l’alimentation est essentielle à la vie, le droit
à l’alimentation est le prolongement du droit humain fondamental à la vie.

2. Les systèmes de production, de distribution et d’échange alimentaire sont une


responsabilité de première importance qui incombe à la collectivité et à la société. La
collectivité doit s’assurer d’avoir et de gérer des réserves alimentaires, des ressources stables
pour la production alimentaire ainsi qu’une distribution équitable des produits alimentaires
et de leur gestion. Elle doit d’abord donner la priorité à la majorité des petits producteurs
agricoles et aux gestionnaires locaux des stocks et empêcher l’appropriation, le contrôle des
ressources et de la production par les grandes entreprises.

3. Les politiques alimentaires doivent viser l’autosuffisance de la production alimentaire à


travers les producteurs alimentaires locaux, particulièrement par les fermiers, les pêcheurs,
les communautés autochtones, les éleveurs, etc. et non pas par les grandes entreprises. De
telles politiques donnent inévitablement priorité à la prodution alimentaire nationale, ce qui
entraîne une augmentation du revenu de la population, et non à celle de l’agriculture et la
pêche d’exportation, qui entraînent presque toujours une diminution des revenus et qui par
conséquent, contraint la population à être exploitée dans les industries agro-alimentaires
d’exportation.

4. Les programmes de production alimentaire doivent reposer sur la mobilisation de la


majorité des petits producteurs alimentaires, en particulier les groupes marginalisés
commes les femmes, les Dalits et les peuples autochtones, en leur procurant un accès aux
ressources telles que la terre, l’eau, les semences et le bétail.

5. Les politiques et les programmes alimentaires doivent assurer un accès à la nourriture, non
seulement à travers des revenus suffisants pour chacun, mais également en fournissant des
mécanismes de distribution gratuite ou subventionnée d’aliments nutritifs et culturellement
approprié à ceux qui ont des revenus insuffisants ainsi qu’à ceux qui sont touchés par des
catastrophes naturelles ou des conflits.

6. La distribution alimentaire et les programmes de production alimentaire des communautés


et des sociétés doivent être formulés et créés avec la pleine participation des populations,

8 APRN / Peoples Food Sovereignty Network – Asia Pacific (PFSNAP), « Asia-Pacific People’s Convention on
Food Sovereignty », brochure de promotion, 2004; et, http://aprnet.org/conferences-a-workshop/44-food-
sovereignty/187-the-peoples-convention-on-food-sovereignty (page consultée, le 1er février 2010)

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en assurant spécifiquement la participation des groupes de producteurs et consommateurs
marginalisés. De tels programmes doivent reconnaître et encourager les initiatives de la
population qui revendiquent leurs droits à l’accès à la nourriture et à la production
alimentaire.

7. L’alimentation est clairement liée à la nature et à l’environnement. La préservation des


ressources génétiques et de l’environnement devrait être encouragée dans la production
alimentaire, à travers des méthodes de biodiversité écologique, en fournissant un cadre de
développement technologique à la production, la conservation et la distribution alimentaire
qui s’oppose aux brevets sur le vivant et les modifications génétiques des plantes et du
bétail.

8. L’alimentation et par extension la production alimentaire comme activités humaines


fondamentales incarne les éléments clés de la culture d’une collectivité et d’une société. Un
tel rôle doit être reconnu, conservé et encouragé.
9. Une alimentation saine et nutritive doit être garantie à travers des mécanismes et des
réglementations de formulation et de mise en œuvre efficaces qui protègent et qui font la
promotion des intérêts des petits producteurs et consommateurs dans des processus
impliquant la pleine participation de la population.

10. Puisque l’alimentation assure la vie et la société, elle doit rester un élément de paix et de
coopération parmi les collectivités ainsi que parmi les nations et les sociétés. Son
instrumentalisation en une forme quelconque de domination ou de guerre par une
d’alimentation.

Les limites et crises du modèle de développement économique : Les ONG et les


mouvements altermondialistes 9
Un troisième facteur lié au développement de l’altermondialisme est celui des effets et des
contradictions de la croissance économique en Asie, surtout à la suite de la crise financière de
1997. Au moment de cette crise, le modèle de développement adopté par les Tigres de l’Asie
(Thaïlande, Malaisie, Indonésie et Philippines) est fortement remis en question. L’insertion
dans l’économie mondiale, proposée et chapeautée par l’État, apparaît alors comme un
dangereux cul-de-sac qui fragilise la souveraineté économique et politique des États.

Cette crise a joué un rôle de catalyseur. À partir de la fin des années 1990, on assiste à une
nouvelle phase de mobilisation des classes moyennes de ces pays, souvent regroupées autour
d’ONG, qui jouent souvent un rôle d’infrastructure et d’appui logistique significatifs pour les
mouvements altermondialistes asiatiques émergents. Ainsi, la mise en place de regroupements
de militants, d’ONG et de réseaux régionaux de plaidoirie, tels Focus on the Global South et le
Asia Pacific Research Network (APRN), devient un moyen pour étendre globalement une pression
politique par rapport à des problèmes communs affectant une grande partie des citoyens :
pauvreté grandissante, marginalisation des secteurs ruraux, privatisation des services publics,
libéralisation du commerce, déréglementation, militarisations, etc. Dans le cas du Réseau

9Une partie importante de l’analyse présentée ici s’inspire du texte de Francis Loh, « Les ONG et les mouvements
sociaux en Asie du Sud-Est », Mondialisation des résistances : L’État des luttes 2004, Forum des alternatives, Forum
Tiers Monde et le Centre tricontinental (coord.). Paris : Éditions Syllepse, 2004 : pp. 41-55.

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Tiers-Monde (Third World Network), les militants tentent de développer des propositions
susceptibles de remplacer l’ordre du jour néolibéral orthodoxe considéré comme l’un des facteurs
clé de la crise. À mesure que l’Asie s’est intégrée à l’économie mondiale et que chaque État a
été lié et affecté par les processus mondiaux, la militance altermondialiste s’est peu à peu
transnationalisée.

Les ONG ne sont pas nouvelles ou étrangères à la région. Une première génération d’ONG
était apparue autour des années 1970, face à l’émergence de gouvernements autoritaires et la
mise en place de lois martiales. Cette génération avait milité pour la défense des libertés civiles
et des politiques de développement économique plus inclusives. Dans les années 1980 et
surtout 1990, sous l’influence de l’Occident et des nouveaux mouvements sociaux (féministes,
pacifistes, pour la défense de l’environnement, etc.), la formation d’une grande variété d’ONG
s’accélère. Celles-ci sont renforcées par des classes moyennes de plus en plus critiques des
politiques étatiques ayant menées à la crise, et soutenues par un financement des pays du Nord.
Aujourd’hui, la région abrite un nombre impressionnant d’ONG et de think tanks de la société
civile.

Il existe deux grands axes de travail et d’intervention au sein des ONG de l’Asie du Sud-Est, le
premier caractérise celles présentes à Singapour et en Malaisie, où l’accent est mis non pas sur
la démocratisation mais surtout sur les enjeux de développement économique et de
consommation. Comment s’assurer que l’État dirigiste mette en place des politiques capables
d’assurer une augmentation et une redistribution de la richesse, tout en s’assurant que les
dimensions sociales, de santé publique et de développement soient pris en considération? Le
deuxième axe, qui s’articule et vient s’ajouter à ce premier axe, est constitué autour de
demandes de participation politique et sociale à travers une plus grande démocratisation de la
vie publique. C’est notamment le cas des ONG philippines, thaïlandaises et indonésiennes qui
font face à des régimes répressifs ou arbitraires. Pour mieux comprendre comment se déploie
et se développe ce mouvement d’ONG, il est utile d’en identifier les caractéristiques à partir
des quatre États où les ONG sont les plus présentes et qui ont été touchés par la crise
financière de 1997, soit les Philippines, la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie.

Philippines
Les Philippines se démarquent de l’ensemble des pays de la région par son nombre et par la
diversité de ses ONG. En cela, il y a sans doute l’Inde, et peut être le Bangladesh, qui possède
un tel niveau d’organisations indépendantes ou semi-indépendantes et largement soutenues par
des agences de financement étatique et non-étatique de l’Occident. En 1995, on estimait déjà à
70,000 le nombre d’ONG toutes catégories confondues. 10 La grande majorité d’entre elles
fournissait des services dans les zones rurales et urbaines les plus pauvres, que ce soit en terme
d’appui pour le développement de services, d’infrastructures de base ou de micro-crédit. De
plus, un grand nombre d’entres elles étaient soutenues ou avaient bénéficié dans le passé du
soutien de membres ou de communautés religieuses catholiques. Plusieurs appartenaient aussi,
directement ou indirectement, aux différentes tendances politiques de la gauche philippine
(maoïste, social-démocrate, marxiste léniniste ou socialiste), particulièrement fragmentée depuis
le milieu des années 1990. De plus, un grand nombre de ces ONG sont en lien avec différents
mouvements sociaux, soit en fournissant un appui institutionnel ou en jouant un rôle de

10
Loh, « Les ONG et les mouvements sociaux… », p.43.

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facilitateur ou de leadership. Reconnues officiellement dans la Constitution de 1987 adoptée
après la fin de la dictature de Marcos, elles sont devenues depuis un acteur incontournable au
niveau de la gouvernance municipale, et récemment, au sein des processus électoraux dans
lesquels plusieurs ONG sont impliquées à travers les postes attribués à ce secteur au niveau des
conseils municipaux et des unités de gouvernance locale. Troisième élément de cette large
mouvance, une grande partie des ONG participent à différentes coalitions thématiques et
sectorielles au niveau régional, en particulier dans les domaines agricoles et de réformes
agraires, des pêcheries, des luttes ouvrières, au niveau des médias indépendants, ou encore
autour des grands enjeux comme la dette et le développement. En fait, plusieurs de ces
réseaux et coalitions occupent une place prépondérante dans la coordination des organisations
de la société civile, comme c’est le cas par exemple du Conseil de l’Asie du Sud-Est pour la
sécurité alimentaire et le commerce équitable (SEACON) ou encore le Comité de plaidoirie de
l’Asie du Sud-Est (SEACA).

Thaïlande
Au sein du royaume des Thaïs, les ONG sont beaucoup moins nombreuses, moins de mille.
Beaucoup naissent au moment d’un premier épisode de démocratisation relative à la suite du
mouvement de protestation étudiante et ouvrière pour la démocratie, entre 1973 et 1976. Le
retour des militaires et de l’autoritarisme à partir de 1976 et jusqu’au début des années 1990 a
contraint l’expansion de ces organisations jugées trop indépendantes de l’État. Par contre,
dans certains domaines particuliers, tels que les droits des peuples autochtones et des
communautés montagnardes, la condition de travail des femmes et des enfants, l’accès au
logement ainsi que la dénonciation des excès de l’industrie touristique (notamment la
prostitution, la pédophilie, les maladies transmises sexuellement et la traite des personnes), les
ONG thaïes sont très actives, remplaçant parfois les services de l’État, souvent défaillants.
Plusieurs de ces organisations participeront aux manifestations populaires du début des années
1990 contre les coups militaires et certaines seront même impliquées dans la rédaction de la
nouvelle Constitution de 1997. Enfin, il faut souligner qu’un nombre important
d’organisations qui oeuvrent auprès des exilés et réfugiés birmans ayant fuit la junte militaire
sont basées à la frontière birmano-thaïlandaise et constituent un noyau d’organisations de
toutes sortes qui militent pour les droits des minorités ethniques et une démocratisation du
régime birman 11 .

Indonésie
Contrairement aux deux États précédents, l’émergence des ONG et des mouvements
populaires associés à l’altermondialisme en Indonésie connaît son véritable essor autour de la
crise financière et des demandes de changement politique et de destitution du ‘Nouvel Ordre’
de Suharto (1966-1998). Aujourd’hui, on dénombre plusieurs milliers d’ONG dans le pays,
nombre d’entre elles ont des racines historiques qui datent de la résistance aux abus et à
l’arbitraire des trente années de la dictature de Suharto. Il faut aussi souligner que la répression
massive et très violente des militants du Parti communiste indonésien entre 1965 et 1966—au
cours de laquelle on a estimé qu’entre 500 000 et un million de partisans et de sympathisants
ont été exécutés ou ont disparu—a longtemps paralysé et ralenti le développement de ces
organisations. On comprend alors que la militance hors étatique ait été contrainte et limitée à

11 Pour avoir une idée de ce noyau particulier d’ONG et d’organisations communautaires, consulter le site des

Amis canadiens de la Birmanie (http://www.cfob.org/links.html) ou de la Coalition pour une Birmanie libre


(http://www.freeburmacoalition.org/).

L’altermondialisme au pluriel en Asie du Sud et de l’Est: / page 9 de 14


des enjeux apolitiques ou peu sensibles, tel que la prestation de services (eau, éducation, soins
de santé primaire) aux groupes sociaux marginalisés ou encore la mise sur pied de coopératives,
de centres de développement rural et de technologies appropriées. D’autres prédécesseurs du
mouvement associatif et altermondialiste contemporain sont issus des luttes pour les droits de
la personne et les détentions arbitraires. Enfin, les organisations musulmanes 12 , tolérées sous
Suharto, ont également joué un rôle de pionnier dans la mise en place d’organisations
autonomes ou semi-indépendantes de l’État.

Après le départ de Suharto en 1998, ces organisations seront également des terreaux fertiles
facilitant la création de nouveaux partis politiques avec le retour d’élections plus libres. Dans
cette même lignée, la création d’organismes pour une presse alternative et indépendante, tout
comme de groupes d’observation des processus électoraux, tel que le Centre d’information et
d’action (PIJAR), le Comité indonésien pour l’observation électorale et l’Alliance des
journalistes indépendants, caractérise la période plus récente. Plus discrète, mais non moins
importante, la constitution d’une mouvance altermondialiste indonésienne enracinée dans les
milieux ouvrier, autochtone et paysan s’organise graduellement depuis le début des années
2000. Aujourd’hui, par exemple, le Secrétariat du mouvement paysan transnational Via
Campesina est basé à Jakarta.

Malaisie
Quatrième ‘Tigre’ de l’Asie du Sud-Est, cet État relativement prospère mais aussi semi-
autoritaire héberge un peu plus d’une centaine d’ONG, de mouvements de défense des droits
de la personne et de droits des consommateurs. La relative minceur de ce secteur associatif et
indépendant tient en partie au fait que le Parti au pouvoir, l’Organisation nationale des Malais
unis (UMNO) et son alliance nationale, la Barisan nasional, ont su exercer une hégémonie
relativement efficace et toujours présente, surtout dans les campagnes. À ce contrôle politique
et au nombre de contraintes juridiques et policières, entre autres celles contenues dans l’Acte
de sécurité interne (ISA) qui limitent l’expansion d’activités citoyennes indépendantes, s’ajoute
les divisions organisationnelles fondées sur l’appartenance ethnique (malaise, chinoise, ou
tamoul). En même temps, les concessions économiques et les programmes sociaux mis en
place par le gouvernement malais durant le boom économique entre 1980 et la crise de 1997,
ont ralenti l’expansion de mouvements sociaux critiques ou radicaux. Ainsi, nombre d’ONG
se concentrent plutôt autour des attentes et des enjeux propres à la classe moyenne en
émergence : consommation, environnement, droits des femmes. Ces demandes se retrouvent
au cœur d’organisations comme l’Association des consommateurs de Penang (CAP),
l’Association malaise pour la nature, la Voix pour les Malais, la Société nationale pour les droits
de la personne (Hakam), ou encore au sein de collectifs de journalistes indépendants comme
celui du mensuel Aliran.

Depuis la crise de financière de 1997 à laquelle s’est greffée une crise politique, les
mouvements sociaux et les ONG malaises restent prudents mais de plus en plus vocaux, alors
que les élections de 2008 ont confirmé les tendances d’une polarisation et d’une fragmentation
graduelle du monopole politique de l’UMNO. Tout comme pour l’Indonésie, les mouvements
religieux musulmans plus orthodoxes (ou fondamentalistes) sont de plus en plus présents et

12
Mentionnons entre autres l’Association des intellectuels musulmans (ICMI), la Nahdatul Ulama (NU),
organisation enracinée dans les milieux ruraux et autour des écoles religieuses, et l’organisation Muhammadiya, plus
urbaine et issue de milieux plus aisés.

L’altermondialisme au pluriel en Asie du Sud et de l’Est: / page 10 de 14


visibles. Ceux-ci procèdent d’une logique organisationnelle et idéologique autre qu’étatique,
politique ou encore d’ONG, et pourraient être considérés comme étant en compétition avec la
mouvance régionale altermondialiste. 13

Bilan régional
Ce bref survol des organisations de la société civile de l’Asie du Sud-Est permet d’une part
d’établir que l’influence de ce mouvement reste mitigée car les États de la région arrivent en
général à les contrôler, les contraindre ou les coopter. De plus, le financement externe
constitue une variable importante et qui peut être parfois une source de tension. On se
souviendra que les dirigeants de Focus on the Global South avaient refusé une contribution
d’OXFAM sur la base d’un différend politique et idéologique face aux négociations
multilatérales sur le commerce. 14

Par ailleurs, les regroupements régionaux asiatiques qui s’identifient à l’altermondialisme se


consolident autour de deux axes principaux : le renforcement de la démocratie à travers la
région et la mise en œuvre de politiques de développement équitable. Cette convergence se
traduit par la création de réseaux de plaidoirie régionaux, autour des droits humains et
sociaux 15 . En parallèle et en pleine progression surtout depuis le 11 septembre 2001 et la mise
en place de lois anti-terroristes et l’invasion de l’Iraq et de l’Afghanistan par le gouvernement
étatsunien et les autres puissances occidentales, des coalitions pacifistes se sont formées à
travers la région, dont l’Alliance asiatique pour la paix (Asian Peace Alliance) et le Consensus de
Jakarta. Établies respectivement en 2002 et en 2003 avec la participation de plusieurs réseaux
asiatiques mais également internationaux, ces coalitions proposent de définir une alternative
pacifique et inclusive pour la région.

Reflet de l’intégration des économies asiatiques à l’échelle planétaire, les travailleurs et


travailleuses migrantes se sont aussi dotés d’organisations et de coalitions régionales, tel que le
Forum asiatique sur la migration (Migrant Asian Forum) et l’Alliance international des migrants
(International Migrant Alliance) au sein desquelles un grand nombre de regroupements sont
présents. Plusieurs de ceux-ci se préoccupent de la situation particulièrement précaires des
femmes migrantes, entre autres le Forum Asie-Pacifique sur le développement, la loi et les
femmes (Asia Pacific Forum on Women, Law and Development) en Thaïlande, Tenaganita et la
Coordination de recherche action sur le SIDA et la mobilité (CARAM-Asia).

Un autre enjeu de mobilisation régionale et altermondialiste est celui des droits des peuples
autochtones qui constituent à la fois un groupe social important et hétérogène. Seulement
dans les zones frontières du massif central de l’Asie de Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Laos,

13
Voir entre autres, Sidel, John T. Riots, pogroms and Jihah : Religious violence in Indonesia, Ihaca : Cornell University
Press, 2006; Abuza, Zachary, Militant Islam in Southeast Asia : Crucible of Terror, Boulder : Lynne Rienner Publishers,
2003.
14 Pour comprendre les positions respectives, voir

http://www.maketradefair.com/en/index.php?file=30052002111119.htm (consultée le 1er février 2010)


15
Mentionnons par exemple le Forum culturel asiatique pour les droits humains et le développement (Asian
Cultural Forum on Human Rights and Development), le Réseau de recherche de l’Asie-Pacifique (Asia-Pacific Research
Network), le Réseau Tiers-Monde (Third World Network), la Coalition des ONG asiatiques pour la réforme agraire
et le développement rural (Asian NGO Coalition for Agrarian Reform and Rural Development), la Coalition populaire
pour la souveraineté alimentaire (People's Coalition for Food Sovereignty) et le Réseau d’action sur les pesticides de
l’Asie-Pacifique (Pesticide Action Network – Asia and the Pacific).

L’altermondialisme au pluriel en Asie du Sud et de l’Est: / page 11 de 14


Vietnam, Cambodge et Chine), on compte près de 130 millions de ce que les États considèrent
comme des minorités ethniques. 16 Ceux-ci, tout comme pour les Dalits en Inde, constituent
habituellement les groupes sociaux les plus marginalisés dans les États asiatiques et encore peu
organisés au niveau d’actions collectives concertés et ouverte. Au niveau régional, les
organisations présentes dans différents États se sont également donnés des expressions
transnationales pour exercer des pressions sur les organisations multilatérales régionales et
internationales, entre autres Tebtebba (Centre international des peuples autochtones pour
l’éducation et la recherche sur les politiques publiques), et en particulier pour résister au grands
projets hydroélectriques, que ce soit au Népal avec le projet du barrage Arun III ou en Inde
avec le barrage Narmada.

Tentative de synthèse
Si comme on vient de le voir, il est quasi-impossible d’établir une synthèse précise des
différents visages de l’altermondialisme en Asie du Sud et de l’Est, quelques réflexions
s’imposent tout de même. Tout d’abord, l’idée de ‘valeurs asiatiques’ telles que défendues par
certains politologues et hommes politiques semblent vide de sens pour comprendre comment
évoluent et se sont constitués les organisations, réseaux et mouvements qui composent les
altermondialismes asiatiques. De même, l’idée d’une société civile aux caractéristiques
communes et conformes à la tradition libérale semble elle aussi inadéquate pour saisir la
diversité, la multiplicité et les tensions qui caractérisent ces altermondialismes. Il faut plutôt
voir du côté des dérives autoritaires et des résistances démocratiques pour saisir la mise en
place des premières organisations de la société civile. Par la suite, le modèle de développement
économique axé sur les exportations et la libéralisation, ainsi que sa profonde remise en
question à partir de la crise de 1997, ont contribué à la mise en place d’organisations locales,
nationales et régionales regroupées autour d’un discours et de pratiques critiques du
néolibéralisme dominant. En parallèle, l’insertion grandissante des économies de la région au
sein de l’économie mondiale et l’accélération des flux et processus transnationaux (migration,
agroalimentaires, contaminations écologiques, industries d’extraction, militarisation et
concentration des activités économiques au sein de grands consortiums) ont amené les
militants et militantes pour la justice sociale de la région à développer différentes plateformes
régionales de plaidoiries et d’action collective.

Aujourd’hui, la région est riche et complexe tant par le nombre que par la diversité des enjeux
qui sont mis de l’avant. Face à ces forces centripètes permettant une coordination et une
agrégation des demandes et expressions altermondialistes asiatiques, il existe d’importantes
dimensions centrifuges qui permettent de comprendre pourquoi le FSM de Mumbai a eu trois
événements parallèles. D’une part, une grande partie des organisations associées à la
mouvance altermondialiste et à la société civile ne sont pas apparues dans une sorte de ‘tabula
rasa’, ou Jour O. Au contraire, beaucoup sont le fruit des efforts de militants et de partisans de
lignes politiques et idéologiques distinctes. Il faut souligner ici en particulier la variété et le
factionnalisme de la gauche et des partis communistes indiens, bangladais et philippins. Autant
ces partis ont une longue et riche histoire de luttes politiques et d’analyses critiques de la
mondialisation, autant il est difficile de mettre en place des pratiques propres aux mouvements

16
Pour étude approfondie, voir, Michaud, Jean, Historical Dictionary of the Peoples of the Southeast Asian Massif.
Lanham: Scarecrow Press, 2006

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altermondialistes tel qu’incarnées dans les forums sociaux mondiaux. 17 Ainsi, les notions
d’horizontalité, de pluralité et de démocratie délibérative restent toujours difficiles pour des
traditions politiques habituées au centralisme démocratique. De même, plusieurs ont soulevé,
et avec raison si l’on considère le bilan ici établi, la place prépondérante occupée par les ONG
et les organisations les mieux financées et capables de communiquer en anglais et bien
présentes sur la toile.

Pour arriver à une meilleure compréhension des altermondialismes asiatiques, il nous apparaît
que les démarches réflexives entreprises par le CACIM (India Institute for Critical Action – Centre
in Movement), et les études de cas par pays et bilans annuels proposés par l’équipe du CETRI
(Centre continental) constituent d’excellents points de départ. De même, la démarche
historique et institutionnelle proposée dans certains ouvrages portant sur les différentes
sociétés civiles de l’Asie, dont l’étude de Weiss sur la Malaisie 18 et la collection d’études de cas
asiatiques dirigée par Alagappa semblent heuristiques. En effet, ces études permettent déjà de
mieux saisir les trajectoires et particularités propres à des contextes nationaux tout aussi
différents que marqués par des logiques d’action collective distinctes. Évidemment, il reste
encore beaucoup à faire avant d’arriver à une compréhension précise et différenciée des
altermondialismes asiatiques.

17 Pour une analyse fort éclairante du contexte indien, voir Dash, Mamata « The World Social Forum Through the

Eyes of Movement Groups in India », Critical Engagement (CACIM’s Publication Programme), no. 6 (Août 2008).
Pour une analyse de la gauche philippine, Caouette, Dominique, « Persevering Revolutionaries : Armed Struggles
in the 21st Century, Exploring the Revolution of the Communist Party of the Philippines », Thèse de doctorat,
Cornell University, 2004.
18 Weiss, Meredith L., Protest and Possibilities : Civil Society and Coalitions for Political Change in Malaysia, Stanford :

Stanford University Press, 2006; Alagappa, Muthiah (dir.), Civil Society and Political Change in Asia, Stanford
University Press, 2004.

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Bibliographie

Alagappa, Muthiah (dir.), Civil Society and Political Change in Asia, Stanford University Press, 2004
Loh, Francis K.W. et Joakin Öjendal (dir.), Southeast Asian Responses to Globalization : Restructuring
Governance and Deepening Democracy, Copenhague et Singapour : Nordic Institute of Asia
Studies (NIAS) et Institute of Southeast Asian Studies, 2005.
Lopez Wui, Ma. Glenda et Teresa S. Tadem (dir.), People, Profit and Politics : State-Civil Society
Relations in the Context of Globalization, Quezon City : Third World Studies Center,
University of the Philippines.
Piper, Nicola et Anders Uhlin, dir. 2004, Transnational Activism in Asia: Problems of Power and
Democracy, Londres : Routledge.
Polet, François (dir.), État des résistances dans le Sud – 2007, Paris, Éditions Syllepse.
Sen, Jai, Anita Anand, Arturo Escobar, Peter Waterman (dir). The World Social Forum: Challenging
Empires, New Delhi, Viveka Foundation, 2004 (http://openspaceforum.net/twiki/tiki-
index.php?page=WSFChallengingEmpires2004)
Weiss, Meredith L., Protest and Possibilities : Civil Society and Coalitions for Political Change in
Malaysia, Stanford : Stanford University Press, 2006; Alagappa, Muthiah (dir.), Civil
Society and Political Change in Asia, Stanford University Press, 2004

Webographie
Site de réseaux ou groupes de recherches asiatiques cités ou offrant un éclairage utile ou
critique afin d’approfondir la compréhension des altermondialismes en Asie

Asian Regional Exchange for New Alternatives: http://www.arenaonline.org/


Asia Pacific Research Network (APRN): http://www.aprnet.org/index.php?start=25
CACIM: India Institute for Critical Action – Centre in Movement: www.cacim.net
Focus on the Global South: http://focusweb.org/
International League of People’s Struggles (y compris Mumbai Resistance): http://www.ilps-
news.com/
Migrant Forum in Asia: http://www.mfasia.org/
Tebtebba (Indigenous Peoples' International Centre for Policy Research and Education) :
http://www.tebtebba.org/
Third World Network (TWN), http://www.twnside.org.sg/

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