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Dès que l’on se penche sur l’altermondialisme en Asie, il devient important de s’interroger sur
les liens entre les sphères publique et privée. Une bonne partie de la littérature qui discute la
société civile et l’altermondialisme en Occident ou en Amérique latine prétend que cette
société se constitue dans l’espace public, en tant que lieu d’expression des demandes populaires
et politiques. En Asie, cette distinction est des plus ténues car plusieurs des États ont connu
d’importantes périodes ou dérives autoritaires au cours desquelles l’expression de dissension
publique était et reste dans certains cas beaucoup plus risquée ou dangereuse qu’ailleurs en
Europe et en Amérique du Nord. Souvent l’espace privé est le refuge de la dissension, plus
camouflée et souvent plus subtile. 1 Si aujourd’hui, les Philippines, le Bangladesh ou
l’Indonésie peuvent prétendre posséder des sociétés civiles militantes et ouvertes, les années de
dictature ou de régimes militaires ont été marquées par des formes d’organisations relativement
secrètes ou encore sous l’enceinte d’institutions religieuses. Ainsi, les épisodes d’autoritarisme
en Thaïlande ou celles du pouvoir militaire en Birmanie impliquent que la mouvance
altermondialiste se constitue dans une multitude de contextes. De plus, contrairement aux
thèses occidentales sur les liens causaux entre la présence d’une société civile constituée et la
vitalité de régimes démocratiques, dans nombres de pays de la région, les expressions publiques
des populations sont souvent organisées ou dirigées par l’État. C’est donc dans des
regroupements beaucoup plus discrets et parfois encore très localisés que l’on peut découvrir
ou imaginer découvrir la mise en place d’un discours et de pratiques que l’on pourrait associer
à l’altermondialisme. Par contre, il existe de quelques facteurs qui permettent de mieux
comprendre le développement des mouvements altermondialistes de la région.
1Pour une discussion plus approfondie, voir le chapitre de Meredith Weiss, « Civil Society and Close
Approximations Thereof », Southeast Asia in Political Science : Theory, Region, and Qualitative Analysis, Erik M Kuhonta,
Daniel Slater and Tuong Vu (dir.), Stanford : Stanford University Press, 2008 : pp. 144-170.
Ainsi, même si on peut affirmer que l’altermondialisme en Asie du Sud et de l’Est constitue
autant une forme de réponse aux processus socioéconomiques et politiques globaux associés à
la mondialisation qu’une conséquence de la libéralisation politique relative et limitée
caractérisant certains États de la région, il demeure nécessaire de saisir les contours de celui-ci.
Ainsi, les mouvements altermondialistes propres à la région naissent d’une prise de conscience
chez les militants et militantes asiatiques d’être confrontés à des problèmes et des défis
communs, d’où l’importance d’avoir des stratégies de résistance communes. Face à des États
en pleine période d’ouverture économique, souscrivant en majorité à des politiques
néolibérales et, pour plusieurs, au milieu d’une redéfinition des équilibres politiques locaux et
nationaux, l’altermondialisme apparaît alors comme une alternative novatrice.
2 Il existe cependant quelques exceptions, entre autres, Loh, Francis, « Les ONG et les mouvements sociaux en
Asie du Sud-Est », Mondialisation des résistances : L’état des luttes 2004, (sous la dir.) Laurent Delcourt, Bernard
Duferme, et François Polet. Paris : Éditions Syllepse, 2004 : pp.41-55; Piper, Nicola et Anders Uhlin, dir. 2004,
Transnational Activism in Asia: Problems of Power and Democracy, Londres : Routledge; et Caouette Dominique,
« Penser et développer le militantisme transnational : l’action globale des citoyens en Asie du Sud-Est », dans La
citoyenneté dans tous ses états. Sous la direction de Jane Jenson, Bérengère Marques-Pereira et Eric Remacle.
Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2007 : pp. 151-175; et Barria, Susana (avec Nelson O.J.) « Main
debates around the WSF 2004 in Mumbai », Critical Engagement (CACIM’s Publication Programme, no.4 (August
2008).
3 L’Asie est un immense espace géopolitique, parler de l’altermondialisme en Asie est une tâche colossale (et sans
doute impossible) qui dépasse largement l’ambition plus modeste de ce chapitre. Ainsi, je tenterai de saisir les
contours de l’altermondialisme au sein de deux sous-régions asiatiques, soit l’Asie du Sud (les sept pays entre le
Pakistan à l’ouest et le Bangladesh à l’est) ainsi que l’Asie de l’Est, regroupant les onze États situés entre les deux
géants de l’Asie, l’Inde et la Chine.
4 Voir N. Piper et A. Uhlin (dir.), Transnational Activism in Asia, et le dernier numéro de Development intitulé « The
Movement of Movements », vol. 48, n° 2, juin 2005, et Francis Loh, « Les ONG et les mouvements sociaux en
Asie du Sud-Est » dans Clara Algranati et al., Mondialisation des résistances : l'état des luttes 2004, Paris, Éditions
Syllepse, 2004, p. 41-55.
Autre dimension essentielle et propre à cet espace particulier, c’est l’immense diversité
d’identités ethniques et culturelles. Seulement aux Philippines, il existe plus de 83 langues et
dialectes alors qu’en Indonésie on parle de plusieurs centaines, tout comme en Inde. Dans ce
contexte polyglotte à l’extrême, une bonne partie du militantisme de la société civile au-delà
des frontières fonctionne en anglais. Ainsi, lorsque l’on considère des organismes ou
mouvements associés à l’altermondialisme, on y découvre que la majorité des documents, des
publications ou des déclarations lors de forums publics sont rédigés en anglais.
Sur ce point, l’exemple d’ARENA est éclairant. ARENA, ou le Réseau régional asiatique pour
de nouvelles alternatives (Asian Regional Exchange for New Alternatives), a été fondé en 1980 à la
suite d’une consultation auprès d’universitaires et de membres de communautés religieuses
engagées qui ont admis à l’époque qu’il n’était pas possible de faire de la recherche critique
dans plusieurs des universités de la région. Le but est donc de regrouper des « militants
intellectuels » prêts à collaborer à la production de résultats de recherche et de concepts
pertinents pour les mouvements sociaux en Asie. Depuis sa création, ARENA a toujours eu
une approche pan-asiatique. Il se définit aujourd’hui comme un programme interdisciplinaire
d’études et de recherches en coopération sur l’Asie et regroupe des d’universitaires, des
intellectuels, des militants, des écrivains et des artistes impliqués dans une panoplie
d’organisations de la société civile. ARENA a entre autres participé à la formation de l’Alliance
asiatique pour la paix en 2003 et de l’Alliance populaire de Hong Kong sur l’OMC en 2005. 5
5 Voir : http://www.arenaonline.org/content/view/17/54/ (consulté le 1 février 2010).
Il existe aussi plusieurs parallèles avec la situation en Inde. Comme les tensions entourant
l’orientation à donner au Forum social de Mumbai ont illustré démontré, les traditions
politiques et le passé politique des militants constituent d’importants éléments d’explication
pour saisir l’organisation du contre-sommet Résistance Mumbai et des deux rassemblements
tenus à l’extérieur du FSM, soit la Convention contre la mondialisation impérialiste et la guerre
ainsi que la Convention contre l’impérialisme en 2004. 7
6 Entrevue avec Jeannie Manipon, directrice générale, et Titos Escuetas, agent de programme, ARENA, Hong
Source: http://www.attac.ch/geneve/spip.php?article40
Ainsi, ces évènements ont regroupé différentes factions de partis communistes régionaux et
nationaux s’articulant autour d’une ligne maoïste et qui, jusqu’à maintenant, restent très
critiques face au soi-disant réformisme ou pluralisme associé au FSM.
Les diverses formes de militance altermondialiste génèrent ainsi des identités partagées souvent
enracinées dans une même compréhension des problèmes. Elles débouchent aussi sur des
campagnes et des propositions communes qui peuvent être mises de l’avant lors des
rassemblements régionaux et internationaux, et mises en œuvre à la fois à l’échelle nationale et
de la région. La Déclaration sur la souveraineté alimentaire (ci-dessous) de 2004 constitue un
exemple intéressant de l’émergence d’une compréhension commune.
5. Les politiques et les programmes alimentaires doivent assurer un accès à la nourriture, non
seulement à travers des revenus suffisants pour chacun, mais également en fournissant des
mécanismes de distribution gratuite ou subventionnée d’aliments nutritifs et culturellement
approprié à ceux qui ont des revenus insuffisants ainsi qu’à ceux qui sont touchés par des
catastrophes naturelles ou des conflits.
8 APRN / Peoples Food Sovereignty Network – Asia Pacific (PFSNAP), « Asia-Pacific People’s Convention on
Food Sovereignty », brochure de promotion, 2004; et, http://aprnet.org/conferences-a-workshop/44-food-
sovereignty/187-the-peoples-convention-on-food-sovereignty (page consultée, le 1er février 2010)
10. Puisque l’alimentation assure la vie et la société, elle doit rester un élément de paix et de
coopération parmi les collectivités ainsi que parmi les nations et les sociétés. Son
instrumentalisation en une forme quelconque de domination ou de guerre par une
d’alimentation.
Cette crise a joué un rôle de catalyseur. À partir de la fin des années 1990, on assiste à une
nouvelle phase de mobilisation des classes moyennes de ces pays, souvent regroupées autour
d’ONG, qui jouent souvent un rôle d’infrastructure et d’appui logistique significatifs pour les
mouvements altermondialistes asiatiques émergents. Ainsi, la mise en place de regroupements
de militants, d’ONG et de réseaux régionaux de plaidoirie, tels Focus on the Global South et le
Asia Pacific Research Network (APRN), devient un moyen pour étendre globalement une pression
politique par rapport à des problèmes communs affectant une grande partie des citoyens :
pauvreté grandissante, marginalisation des secteurs ruraux, privatisation des services publics,
libéralisation du commerce, déréglementation, militarisations, etc. Dans le cas du Réseau
9Une partie importante de l’analyse présentée ici s’inspire du texte de Francis Loh, « Les ONG et les mouvements
sociaux en Asie du Sud-Est », Mondialisation des résistances : L’État des luttes 2004, Forum des alternatives, Forum
Tiers Monde et le Centre tricontinental (coord.). Paris : Éditions Syllepse, 2004 : pp. 41-55.
Les ONG ne sont pas nouvelles ou étrangères à la région. Une première génération d’ONG
était apparue autour des années 1970, face à l’émergence de gouvernements autoritaires et la
mise en place de lois martiales. Cette génération avait milité pour la défense des libertés civiles
et des politiques de développement économique plus inclusives. Dans les années 1980 et
surtout 1990, sous l’influence de l’Occident et des nouveaux mouvements sociaux (féministes,
pacifistes, pour la défense de l’environnement, etc.), la formation d’une grande variété d’ONG
s’accélère. Celles-ci sont renforcées par des classes moyennes de plus en plus critiques des
politiques étatiques ayant menées à la crise, et soutenues par un financement des pays du Nord.
Aujourd’hui, la région abrite un nombre impressionnant d’ONG et de think tanks de la société
civile.
Il existe deux grands axes de travail et d’intervention au sein des ONG de l’Asie du Sud-Est, le
premier caractérise celles présentes à Singapour et en Malaisie, où l’accent est mis non pas sur
la démocratisation mais surtout sur les enjeux de développement économique et de
consommation. Comment s’assurer que l’État dirigiste mette en place des politiques capables
d’assurer une augmentation et une redistribution de la richesse, tout en s’assurant que les
dimensions sociales, de santé publique et de développement soient pris en considération? Le
deuxième axe, qui s’articule et vient s’ajouter à ce premier axe, est constitué autour de
demandes de participation politique et sociale à travers une plus grande démocratisation de la
vie publique. C’est notamment le cas des ONG philippines, thaïlandaises et indonésiennes qui
font face à des régimes répressifs ou arbitraires. Pour mieux comprendre comment se déploie
et se développe ce mouvement d’ONG, il est utile d’en identifier les caractéristiques à partir
des quatre États où les ONG sont les plus présentes et qui ont été touchés par la crise
financière de 1997, soit les Philippines, la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie.
Philippines
Les Philippines se démarquent de l’ensemble des pays de la région par son nombre et par la
diversité de ses ONG. En cela, il y a sans doute l’Inde, et peut être le Bangladesh, qui possède
un tel niveau d’organisations indépendantes ou semi-indépendantes et largement soutenues par
des agences de financement étatique et non-étatique de l’Occident. En 1995, on estimait déjà à
70,000 le nombre d’ONG toutes catégories confondues. 10 La grande majorité d’entre elles
fournissait des services dans les zones rurales et urbaines les plus pauvres, que ce soit en terme
d’appui pour le développement de services, d’infrastructures de base ou de micro-crédit. De
plus, un grand nombre d’entres elles étaient soutenues ou avaient bénéficié dans le passé du
soutien de membres ou de communautés religieuses catholiques. Plusieurs appartenaient aussi,
directement ou indirectement, aux différentes tendances politiques de la gauche philippine
(maoïste, social-démocrate, marxiste léniniste ou socialiste), particulièrement fragmentée depuis
le milieu des années 1990. De plus, un grand nombre de ces ONG sont en lien avec différents
mouvements sociaux, soit en fournissant un appui institutionnel ou en jouant un rôle de
10
Loh, « Les ONG et les mouvements sociaux… », p.43.
Thaïlande
Au sein du royaume des Thaïs, les ONG sont beaucoup moins nombreuses, moins de mille.
Beaucoup naissent au moment d’un premier épisode de démocratisation relative à la suite du
mouvement de protestation étudiante et ouvrière pour la démocratie, entre 1973 et 1976. Le
retour des militaires et de l’autoritarisme à partir de 1976 et jusqu’au début des années 1990 a
contraint l’expansion de ces organisations jugées trop indépendantes de l’État. Par contre,
dans certains domaines particuliers, tels que les droits des peuples autochtones et des
communautés montagnardes, la condition de travail des femmes et des enfants, l’accès au
logement ainsi que la dénonciation des excès de l’industrie touristique (notamment la
prostitution, la pédophilie, les maladies transmises sexuellement et la traite des personnes), les
ONG thaïes sont très actives, remplaçant parfois les services de l’État, souvent défaillants.
Plusieurs de ces organisations participeront aux manifestations populaires du début des années
1990 contre les coups militaires et certaines seront même impliquées dans la rédaction de la
nouvelle Constitution de 1997. Enfin, il faut souligner qu’un nombre important
d’organisations qui oeuvrent auprès des exilés et réfugiés birmans ayant fuit la junte militaire
sont basées à la frontière birmano-thaïlandaise et constituent un noyau d’organisations de
toutes sortes qui militent pour les droits des minorités ethniques et une démocratisation du
régime birman 11 .
Indonésie
Contrairement aux deux États précédents, l’émergence des ONG et des mouvements
populaires associés à l’altermondialisme en Indonésie connaît son véritable essor autour de la
crise financière et des demandes de changement politique et de destitution du ‘Nouvel Ordre’
de Suharto (1966-1998). Aujourd’hui, on dénombre plusieurs milliers d’ONG dans le pays,
nombre d’entre elles ont des racines historiques qui datent de la résistance aux abus et à
l’arbitraire des trente années de la dictature de Suharto. Il faut aussi souligner que la répression
massive et très violente des militants du Parti communiste indonésien entre 1965 et 1966—au
cours de laquelle on a estimé qu’entre 500 000 et un million de partisans et de sympathisants
ont été exécutés ou ont disparu—a longtemps paralysé et ralenti le développement de ces
organisations. On comprend alors que la militance hors étatique ait été contrainte et limitée à
11 Pour avoir une idée de ce noyau particulier d’ONG et d’organisations communautaires, consulter le site des
Après le départ de Suharto en 1998, ces organisations seront également des terreaux fertiles
facilitant la création de nouveaux partis politiques avec le retour d’élections plus libres. Dans
cette même lignée, la création d’organismes pour une presse alternative et indépendante, tout
comme de groupes d’observation des processus électoraux, tel que le Centre d’information et
d’action (PIJAR), le Comité indonésien pour l’observation électorale et l’Alliance des
journalistes indépendants, caractérise la période plus récente. Plus discrète, mais non moins
importante, la constitution d’une mouvance altermondialiste indonésienne enracinée dans les
milieux ouvrier, autochtone et paysan s’organise graduellement depuis le début des années
2000. Aujourd’hui, par exemple, le Secrétariat du mouvement paysan transnational Via
Campesina est basé à Jakarta.
Malaisie
Quatrième ‘Tigre’ de l’Asie du Sud-Est, cet État relativement prospère mais aussi semi-
autoritaire héberge un peu plus d’une centaine d’ONG, de mouvements de défense des droits
de la personne et de droits des consommateurs. La relative minceur de ce secteur associatif et
indépendant tient en partie au fait que le Parti au pouvoir, l’Organisation nationale des Malais
unis (UMNO) et son alliance nationale, la Barisan nasional, ont su exercer une hégémonie
relativement efficace et toujours présente, surtout dans les campagnes. À ce contrôle politique
et au nombre de contraintes juridiques et policières, entre autres celles contenues dans l’Acte
de sécurité interne (ISA) qui limitent l’expansion d’activités citoyennes indépendantes, s’ajoute
les divisions organisationnelles fondées sur l’appartenance ethnique (malaise, chinoise, ou
tamoul). En même temps, les concessions économiques et les programmes sociaux mis en
place par le gouvernement malais durant le boom économique entre 1980 et la crise de 1997,
ont ralenti l’expansion de mouvements sociaux critiques ou radicaux. Ainsi, nombre d’ONG
se concentrent plutôt autour des attentes et des enjeux propres à la classe moyenne en
émergence : consommation, environnement, droits des femmes. Ces demandes se retrouvent
au cœur d’organisations comme l’Association des consommateurs de Penang (CAP),
l’Association malaise pour la nature, la Voix pour les Malais, la Société nationale pour les droits
de la personne (Hakam), ou encore au sein de collectifs de journalistes indépendants comme
celui du mensuel Aliran.
Depuis la crise de financière de 1997 à laquelle s’est greffée une crise politique, les
mouvements sociaux et les ONG malaises restent prudents mais de plus en plus vocaux, alors
que les élections de 2008 ont confirmé les tendances d’une polarisation et d’une fragmentation
graduelle du monopole politique de l’UMNO. Tout comme pour l’Indonésie, les mouvements
religieux musulmans plus orthodoxes (ou fondamentalistes) sont de plus en plus présents et
12
Mentionnons entre autres l’Association des intellectuels musulmans (ICMI), la Nahdatul Ulama (NU),
organisation enracinée dans les milieux ruraux et autour des écoles religieuses, et l’organisation Muhammadiya, plus
urbaine et issue de milieux plus aisés.
Bilan régional
Ce bref survol des organisations de la société civile de l’Asie du Sud-Est permet d’une part
d’établir que l’influence de ce mouvement reste mitigée car les États de la région arrivent en
général à les contrôler, les contraindre ou les coopter. De plus, le financement externe
constitue une variable importante et qui peut être parfois une source de tension. On se
souviendra que les dirigeants de Focus on the Global South avaient refusé une contribution
d’OXFAM sur la base d’un différend politique et idéologique face aux négociations
multilatérales sur le commerce. 14
Un autre enjeu de mobilisation régionale et altermondialiste est celui des droits des peuples
autochtones qui constituent à la fois un groupe social important et hétérogène. Seulement
dans les zones frontières du massif central de l’Asie de Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Laos,
13
Voir entre autres, Sidel, John T. Riots, pogroms and Jihah : Religious violence in Indonesia, Ihaca : Cornell University
Press, 2006; Abuza, Zachary, Militant Islam in Southeast Asia : Crucible of Terror, Boulder : Lynne Rienner Publishers,
2003.
14 Pour comprendre les positions respectives, voir
Tentative de synthèse
Si comme on vient de le voir, il est quasi-impossible d’établir une synthèse précise des
différents visages de l’altermondialisme en Asie du Sud et de l’Est, quelques réflexions
s’imposent tout de même. Tout d’abord, l’idée de ‘valeurs asiatiques’ telles que défendues par
certains politologues et hommes politiques semblent vide de sens pour comprendre comment
évoluent et se sont constitués les organisations, réseaux et mouvements qui composent les
altermondialismes asiatiques. De même, l’idée d’une société civile aux caractéristiques
communes et conformes à la tradition libérale semble elle aussi inadéquate pour saisir la
diversité, la multiplicité et les tensions qui caractérisent ces altermondialismes. Il faut plutôt
voir du côté des dérives autoritaires et des résistances démocratiques pour saisir la mise en
place des premières organisations de la société civile. Par la suite, le modèle de développement
économique axé sur les exportations et la libéralisation, ainsi que sa profonde remise en
question à partir de la crise de 1997, ont contribué à la mise en place d’organisations locales,
nationales et régionales regroupées autour d’un discours et de pratiques critiques du
néolibéralisme dominant. En parallèle, l’insertion grandissante des économies de la région au
sein de l’économie mondiale et l’accélération des flux et processus transnationaux (migration,
agroalimentaires, contaminations écologiques, industries d’extraction, militarisation et
concentration des activités économiques au sein de grands consortiums) ont amené les
militants et militantes pour la justice sociale de la région à développer différentes plateformes
régionales de plaidoiries et d’action collective.
Aujourd’hui, la région est riche et complexe tant par le nombre que par la diversité des enjeux
qui sont mis de l’avant. Face à ces forces centripètes permettant une coordination et une
agrégation des demandes et expressions altermondialistes asiatiques, il existe d’importantes
dimensions centrifuges qui permettent de comprendre pourquoi le FSM de Mumbai a eu trois
événements parallèles. D’une part, une grande partie des organisations associées à la
mouvance altermondialiste et à la société civile ne sont pas apparues dans une sorte de ‘tabula
rasa’, ou Jour O. Au contraire, beaucoup sont le fruit des efforts de militants et de partisans de
lignes politiques et idéologiques distinctes. Il faut souligner ici en particulier la variété et le
factionnalisme de la gauche et des partis communistes indiens, bangladais et philippins. Autant
ces partis ont une longue et riche histoire de luttes politiques et d’analyses critiques de la
mondialisation, autant il est difficile de mettre en place des pratiques propres aux mouvements
16
Pour étude approfondie, voir, Michaud, Jean, Historical Dictionary of the Peoples of the Southeast Asian Massif.
Lanham: Scarecrow Press, 2006
Pour arriver à une meilleure compréhension des altermondialismes asiatiques, il nous apparaît
que les démarches réflexives entreprises par le CACIM (India Institute for Critical Action – Centre
in Movement), et les études de cas par pays et bilans annuels proposés par l’équipe du CETRI
(Centre continental) constituent d’excellents points de départ. De même, la démarche
historique et institutionnelle proposée dans certains ouvrages portant sur les différentes
sociétés civiles de l’Asie, dont l’étude de Weiss sur la Malaisie 18 et la collection d’études de cas
asiatiques dirigée par Alagappa semblent heuristiques. En effet, ces études permettent déjà de
mieux saisir les trajectoires et particularités propres à des contextes nationaux tout aussi
différents que marqués par des logiques d’action collective distinctes. Évidemment, il reste
encore beaucoup à faire avant d’arriver à une compréhension précise et différenciée des
altermondialismes asiatiques.
17 Pour une analyse fort éclairante du contexte indien, voir Dash, Mamata « The World Social Forum Through the
Eyes of Movement Groups in India », Critical Engagement (CACIM’s Publication Programme), no. 6 (Août 2008).
Pour une analyse de la gauche philippine, Caouette, Dominique, « Persevering Revolutionaries : Armed Struggles
in the 21st Century, Exploring the Revolution of the Communist Party of the Philippines », Thèse de doctorat,
Cornell University, 2004.
18 Weiss, Meredith L., Protest and Possibilities : Civil Society and Coalitions for Political Change in Malaysia, Stanford :
Stanford University Press, 2006; Alagappa, Muthiah (dir.), Civil Society and Political Change in Asia, Stanford
University Press, 2004.
Alagappa, Muthiah (dir.), Civil Society and Political Change in Asia, Stanford University Press, 2004
Loh, Francis K.W. et Joakin Öjendal (dir.), Southeast Asian Responses to Globalization : Restructuring
Governance and Deepening Democracy, Copenhague et Singapour : Nordic Institute of Asia
Studies (NIAS) et Institute of Southeast Asian Studies, 2005.
Lopez Wui, Ma. Glenda et Teresa S. Tadem (dir.), People, Profit and Politics : State-Civil Society
Relations in the Context of Globalization, Quezon City : Third World Studies Center,
University of the Philippines.
Piper, Nicola et Anders Uhlin, dir. 2004, Transnational Activism in Asia: Problems of Power and
Democracy, Londres : Routledge.
Polet, François (dir.), État des résistances dans le Sud – 2007, Paris, Éditions Syllepse.
Sen, Jai, Anita Anand, Arturo Escobar, Peter Waterman (dir). The World Social Forum: Challenging
Empires, New Delhi, Viveka Foundation, 2004 (http://openspaceforum.net/twiki/tiki-
index.php?page=WSFChallengingEmpires2004)
Weiss, Meredith L., Protest and Possibilities : Civil Society and Coalitions for Political Change in
Malaysia, Stanford : Stanford University Press, 2006; Alagappa, Muthiah (dir.), Civil
Society and Political Change in Asia, Stanford University Press, 2004
Webographie
Site de réseaux ou groupes de recherches asiatiques cités ou offrant un éclairage utile ou
critique afin d’approfondir la compréhension des altermondialismes en Asie