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« Transporte ! Transporte !

» Tous ceux qui ont voyagé un jour à Bali connaissent cette


litanie qui fait aussi partie du charme de l'île indonésienne... Litanie entonnée à l'unisson par tous
les propriétaires de 2 roues, voiture et de tout ce qui roule proposant pour quelques milliers de
roupies (1000 roupies = 0,08 €) toujours négociables de vous emmener où vous voulez. Pour le
dernier trajet qui devait nous emmener de notre hôtel au Nord de l’île à l'aéroport Denpasar
(2h30 de trajet selon Google Maps – 3h30 minimum selon les locaux), je décidais de confier
l'organisation de ce transfert à la réception de l'hôtel en précisant bien que nous étions 5, avec
bagages et planches de surf, voulant m'éviter ainsi la négociation du tarif et la déconvenue de
voir arriver un véhicule trop petit.

A l’heure dite, nous retrouvons notre chauffeur, Brandon1et son 4x4 aux dimensions
généreuses, en bon état par rapport aux standards locaux et, fait rarissime, doté de ceintures de
sécurité (en état de marche). Le véhicule est aussi équipé de barres de toit et Brandon possède
les sangles adéquates pour y attacher des planches de surf, nous évitant ainsi le sketch habituel
consistant à aller quémander quelques bouts de ficelle à la réception de l’hôtel au moment du
départ pour attacher les planches directement sur le toit de la voiture…

Le gars est avenant, malin et très organisé. En moins de 5 minutes, le contact est passé et
la voiture est correctement chargée. Volubile, Brandon s’exprime dans un anglais parfait et sans
accent (fait plutôt rare à Bali). Nous apprenons qu’il a appris l’anglais au contact d’amis surfeurs
australiens qui l’ont même invité à passer un peu de temps à surfer sur la côte ouest australienne.
Ainsi, contrairement à beaucoup de ses confrères chauffeurs balinais, notre chauffeur avait
bourlingué en tant que touriste en dehors de Bali et des îles proches qu’il connaissait comme sa
poche.

Ancienne figure locale du surf, Brandon a utilisé ses relations dans ce milieu pour
construire, au fil des années, une clientèle internationale quasi exclusivement composée de

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Nous avions rencontré Brandon lors d’un séjour à Bali. Une belle rencontre comme les voyages en amènent
souvent. Ce cas lui est dédié.

Cas Brandon, le Transporteur (Laurent Bourgeon, Carole Donada & Claire Péron ©2021) – page 1
surfeurs. Avec sa parfaite connaissance des spots de surf qu’abrite notamment l’île de Bali,
Brandon amène ses clients dans les endroits les plus propices en fonction des conditions météo
du moment.

Ayant vite compris que nous étions français, Brandon ponctuait toutes ses phrases par un
« mon pote » car il prenait des cours de français. Pourquoi ? Parce qu'à Bali, il y a, selon lui, de
plus en plus de surfeurs français. « J’adore les français et les Suisses car ils sont toujours prêts à
multiplier les activités et à découvrir les différents spots de l’île et des îles avoisinantes ». Son
expérience lui a aussi montré que ces touristes sont moins enclins à négocier que les surfeurs
d’autres nationalités qui cherchent toujours à grappiller quelques roupies. Enfin, ils viennent sur
l’île pendant leurs vacances de juillet et d’août alors que les australiens ou les japonais viennent
en décembre-janvier.

En discutant de notre séjour, nous lui apprenons que nous avons également séjourné sur
Lombok, l’île voisine et nous conversons sur les différences entre les deux îles. Brandon nous livre
alors son analyse : « Bali, mon pote, c’est fini, c’est mort… Il y a trop de monde, tout est devenu
trop cher, à commencer, par l’immobilier ! Et bientôt, ça posera des problèmes car les locaux
n’auront plus les moyens de vivre décemment… Lombok, l'île voisine, dans peu de temps avec la
construction de l’aéroport international, ressemblera à Bali... » Non, d’après, Brandon, il faut aller
à Sumbawa. La faune marine y est exceptionnelle, la flore fantastique, les locaux accueillants et
les vagues parfaites, sans personne et on peut y acheter des terrains sur la plage pour une
bouchée de pain. Sumbawa, c’est là qu’il faut aller ! Il dit pouvoir nous y emmener en moins de
15 heures, ferry, voiture, ferry puis encore voiture. Sumbawa, c’est là qu’il faut investir ! Il connaît
des locaux qui seraient prêts à vendre des terrains mais il n’a pas d’argent. « Je travaille 14h par
jour avec des touristes, je pars avec eux plusieurs jours sur les îles, je ne vois pas ma fille grandir
et malgré ça je n’y arrive pas. J’ai des contacts avec des européens ou des australiens qui ont de
l’argent et qui me disent vouloir investir ici. Moi, je n’ai pas la première roupie ». Toutefois, il
n’est pas si facile d’être investisseur étranger en Indonésie car la loi impose d’être associé avec
un indonésien.

Nous lui demandons comment il a vécu la période post attentat (2002) où les touristes ne
venaient plus. C’était terrible ! Mais, j’ai pu surfer tranquille nous répond-t-il avec sourire. Il
explique ensuite que depuis ce temps, beaucoup de petites agences des tours opérateurs locaux
ou des hôtels ont fait faillite. Ils ont été repris par des plus gros qui occupent désormais le marché.
« Tu vois, le propriétaire de l’hôtel où vous étiez, c’est un de ceux-là. Il a 5 hôtels maintenant…je
le connais bien et je pense qu’il va continuer ». Le Sud de Bali est occupé par les très gros acteurs
internationaux, des clubs et des resorts gigantesques qui contrôlent toutes les activités
touristiques de leur zone. Le Nord, plus difficile d’accès, est encore sauvage et les structures sont
plus modestes à l’instar de l’hôtel que nous avions choisi. Brandon explique aussi qu’avec la

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reprise il essaye de rattraper la situation en augmentant un peu ses prix (« comme tout le monde
ici ! ») mais surtout en proposant des parcours personnalisés sur plusieurs jours. Il a également
ajouté une corde à son arc et acquis du matériel vidéo semi-professionnel pour proposer à ses
clients de filmer leurs exploits « surfistiques ».

Après quelques instants de silence, il dit : « Tu sais mon pote, moi je suis un entrepreneur
mais je ne suis pas allé à l’école comme toi. La gestion ? Je ne sais pas ce que c’est. Le business
oui ! ». Et entre deux « mon pote », il nous tend sa business card sur laquelle on peut lire
« Brandon The Transporter »…

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