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Titulaire du cours

BADANG SOULANDI
(Socioanthropologue)

(INSTA)

UE :

Niveau d’études : III


Langue d’enseignement
(Français)

CONCEPTION, INSTALLATION ET MAINTENANCE DES SYSTEMES


PHOTOVOLTAIQUES
Abéché / Tchad

Année académique 2023-2024

1
INTRODUCTION GENERALE
I- Le développement et le sous-développement : essai du débat sur l’échec du développement
A. Considération préliminaire
1°) Le sous-développement
a) La théorie des cercles vicieux
b) La théorie de la domination : le sous-développement, une conséquence des échanges et de
l’impérialisme
2°) Les explications non économiques du sous-développement
a) Considération historique
b) Considération géographique
3°) Le sous-développement comme retard au développement
a) Le retard dans l’accumulation du capital
B- Le développement : essai de définition
1°) Considération théorique
a) Le développement comme idéologie
b) Le développement un problème de conceptualisation
2°) Le développement, une question de souveraineté
II- Rapport population et développement
1°) Malthus et ses épigones
a) Prise en compte de la réalité
b) La juste mesure de l’explosion démographique de l’Afrique noire
2°) Des Programmes d’Ajustement Structurel de naissance à l’anti-malthusianisme
a) Les thèses boserupiennes
b) Le planning familial : une dictature marchande
c) A la clef d’une idéologie
d) L’enfant dans l’imaginaire culturel africain
III- L’échec du développement en Afrique noire : une fatalité ?
1°) Les dynamiques exogènes
1°) La domination des pays du Centre
a) Dépendance et désarticulation
b) Colonialisme et impérialisme
2°) L’aide au développement
3°) Le développement de l’Afrique noire et le capitalisme moderne
C- L’environnement économique international
a) Les effets de la dépendance
b) Les investissements d’origine extérieure
c) La naissance du capitalisme moderne et le développement de l’Afrique Noire
3°) Les poids des dynamiques endogènes ou internes/dedans
a) Les poids des dynamiques du dedans
CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE ET COMMENTEE

2
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

- MBEMBE Achille: Nécropolitique, Paris, La Découverte, 2006.


- ---------------------, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013.
- --------------------, Politique de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2016.
- ATANGANA Nicolas : Problématique du développement en Afrique tropicale, Yaoundé, Clé, 1978.
- TEULON Frédéric : Problèmes économiques contemporains. Les pays en développement, Paris,
Hachette, 1999.
- ELA Jean-Marc : Afrique. L’irruption des pauvres, Société contre Ingérence, Pouvoir Argent,
Paris, L’Harmattan, 1994.
- …………………. : L’Afrique des villages, Paris, Karthala, 1982, 228p.
- ………………… : Le cri de l’homme africain. Question aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique,
Paris, 1980, 173p.
- FOKAM Paul K. : Et si l’Afrique se réveillait ? Paris, Maisonneuve et Larose, 2003.
- BALANDIER Georges, Sens et puissance. Les dynamiques sociales, PUF, Paris, 1988.
- MERLIN Pierre : L’Afrique peut gagner, Paris, Karthala, 2001.
- BAYART Jean-François : L’Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006.
- KANIAMA Ricardo : La chèvre de ma mère. Le secret de la prospérité finacière, Kinshasa
Gombe/RDC, ISTC, 2020.
- MOTAZE AKAM : Le social et le développement en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2009.
- PEAN Pierre : L’argent noir, corruption et sous-développement. Géopolitique, une crise, Paris,
PUF, 1989.
- SAMIR AMIN : Impérialisme et sous-développement en Afrique, Paris, Maspero, 1976.
- SAMIR AMIN, La Faillite du développement en Afrique et dans le tiers-monde, L’Harmattan, Paris,
1989.
- BRUNEL Sylvie : Le Sud dans la nouvelle économie mondiale, Paris, PUF, 1995.
- BRASSEUL Jacques : Introduction à l’économie du développement, Paris, Armand Colin, 1994.
- WILLAUMEZ (E.), 1898, Commerce et traite des Noirs aux côtes occidentales d’Afrique, Paris, A.
Impr. Nationale, 212p.
- Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN : Anthropologie et développement. Essai en socio-
anthropologie du changement social, APAD-Karthala, 1995.
- ZADY KESSY Marcel : Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne, Abidjan, CEDA,
1998.
- ZIEGLER Jean : Main basse sur l’Afrique, Paris, Seuil, 1978.
- --------------------, Destruction massive. Géopolitique de la faim, Paris, Seuil, 2011.
- -------------------, L’empire de la honte, Paris, Fayard, 2005.
- -------------------, La haine de l’Occident, Paris, Seuil, 2011.
- ------------------, Les Nouveaux maîtres du monde. Et ceux qui leur résistent, Paris, Seuil, 2002.

3
OBJECTIFS DU COURS

Ce cours vise à initier le nouvel étudiant en CIMSPV aux concepts de développement et de


son opposé le sous-développement.
- Les problèmes du développement ont été pris en considération au cours des années qui ont suivi la
seconde guerre mondiale : le refus des dépendances coloniales les a manifestés sur le plan politique ;
la nécessité d’interpréter avec rigueur les changements profonds, qui affectent alors toutes les
sociétés, a provoqué leur examen sur le plan des sciences économiques et sociales, en l’occurrence la
sociologie économique. Cette double sollicitation agit avec rapidité et nourrit une littérature
abondante.
L’information paraît abondante, mais son évaluation critique la révèle décevante.
- Des raisons sont multiples pour expliquer le sous-développement. Les unes tiennent à l’ordre des
choses. Les sociétés en développement, accédant maintenant à la modernité, constituent la large
majorité des sociétés et rassemblent les effectifs de population les plus nombreux. Elles imposent un
véritable défi scientifique en raison de leur nombre, de leur diversité et de leur état présent, qui les
fait dire « en transition ». Par ailleurs, l’urgence des problèmes n’a pas permis d’attendre que les
théories du développement économique et social soient élaborées ; la politique du développement,
qui aurait dû résulter d’une information rigoureuse et d’une élaboration théorique novatrice, s’est
fondée sur un empirisme peu propice au progrès d’un savoir scientifiquement constitué
- La troisième raison est liée aux démarches et aux bévues théoriques du développement. Elles ont
surtout eu pour but la définition et le repérage ; elles ont recherché les critères spécifiques des
sociétés du tiers-monde et ont tenté de construire des indicateurs qui permettent de mesurer leur état
de sous-développement. Elles montrent aux étudiants les pistes de solution pour sortir leur pays du
sous-développement. Ceux-ci (étudiants) doivent adopter une démarche critique sur le sens qu’on
donne aux concepts développement et sous-développement.

QUELQUES NOTIONS-CLES

 Développement : le concept de développement renvoie l’amélioration des conditions de vie des


populations, partant de l’urbanisation, de l’industrialisation, d’une alphabétisation et de la santé pour
tous voire une formation de qualité, ainsi que par la déstructuration des sociétés rurales et leur
électrification.
Jean-Pierre Olivier De SARDAN propose donc de définir le << développement >>, dans une
perspective fondamentalement méthodologique, comme « l’ensemble des processus sociaux induits
par des opérations volontaristes de transformation d’un milieu social, entreprises par le biais
d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant h mobiliser ce milieu, et reposant sur
une tentative de greffe de ressources et/ou techniques et/ou savoirs.
En un sens, le développement n’est pas quelque chose dont il faudrait chercher la réalité (ou
l’absence) chez les populations concernées, contrairement à l’acception usuelle. Tout au contraire, il
y a du développement du seul fait qu’il y a des acteurs et des institutions qui se donnent le
développement comme objet ou comme but et y consacrent du temps, de l’argent et de la
compétence professionnelle. C’est la présence d’une << configuration développementiste >> qui
définit l’existence même du développement.
On appellera << configuration développementiste >> cet univers largement cosmopolite d’experts,
de bureaucrates, de responsables d’ONG, de chercheurs, de techniciens, de chefs de projets, d’agents
de terrain, qui vivent en quelque sorte du développement des autres, et mobilisent ou gèrent à cet
effet des ressources matérielles et symboliques considérables.

4
Evitons les sempiternels débats sur << développement et croissance >>, ce qu’est le << vrai >>
développement, est-ce que le développement est un but, une mystique, une utopie, un bien, un mal,
etc. Que le développement << marche >> ou ne << marche pas >>, qu’il soit positif ou négatif,
intéressé ou désintéressé, il existe, au sens purement descriptif qui est le nôtre, car existe tout un
ensemble de pratiques sociales que désigne ce mot. Pour la socio-anthropologie du
développement, le développement n’est ni un idéal ni une catastrophe, c’est avant tout un objet
d’étude. Cette définition résolument non normative du développement * ne signifie pas bien sûr qu’il
faille se désintéresser de tout jugement moral ou politique sur les diverses formes de développement,
loin de la. Mais il s’agit d’un autre problème. La socio- anthropologie ne peut prétendre <<
intervenir >> de façon positive dans les débats moraux ou politiques autour du développement que si
elle y introduit des connaissances nouvelles et spécifiques. Elle doit donc se donner la contrainte
préalable d’étudier le développement en tant que constituant un « phénomène social » comme un
autre, au même titre que la parenté (ou la religion (telle était la position de Bastide il y a déjà
longtemps : cf. Bastide, 1971).

 Sous-développement : le sous-développement est l’opposé du développement. Il est le fait qu’une


société ne produit pas ce qu’attend sa population et est incapable d’assurer le minimum des besoins
élémentaires, voire vitaux (alimentation, santé, éducation et logement).

 Tiers-monde : le concept ‘’Tiers-monde ‘’ a une origine politique. Les économistes tiers-mondistes


(Gunter Frank, Suzan George, Samir Amin, Arghiri Emmanuel, CelsoFurtado) préconisent la voie du
‘’ développement autocentré’’. Pour eux, le tiers-monde n’est que la périphérie d’un centre constitué
par les pays développés ; les courants d’exportation et les flux de capitaux sont créés en fonction des
besoins du centre, ils sont composés de matières premières vendues selon les principes de l’échange
inégal. Du fait de la « dimension polarisante du capitalisme » (Samir Amin), l’écart de
développement entre le Nord et le Sud ne cesserait de prendre de l’ampleur. On assiste, selon la
formule de Gunter Frank, « au développement du sous-développement ».

 L’échange inégal : la thèse de l’échange inégal correspond à une réactualisation de la théorie de


l’exploitation ; elle tire ses origines des analyses de Marx (transposition à l’échelle internationale des
rapports d’exploitation entre ouvriers et patrons et de la paupérisation des prolétaires). Elle présente
l’échange entre pays développés et pays du tiers-monde comme reposant sur une profonde inégalité
trouve son origine dans les écarts de développement entre nations.

INTRODUCTION GENERALE
« Le développement, c’est la lutte contre la pauvreté ».
Le mot développement est un concept qui se confond le plus souvent à celui du progrès ou
du changement. Or, il est bien différent de ces deux termes. Et développement, toute problématique à
défendre et lié aux acteurs eux-mêmes, et ne s’entendent qu’au niveau des rapports sociaux qui les
positionnent, les classent dans l’espace social et la pratique même du développement.
S’il est un thème qui arrache la vedette à toute réflexion éprise de dignité humaine et par-là,
le leitmotiv des grandes rencontres de ce XXIe siècle finissant, c’est sans contexte celui du

5
développement, entendu comme « toute entreprise visant à l’amélioration des conditions de vie du
genre humain » et de son contraire le sous-développement. Et il l’est davantage dans les pays du
Tiers-monde en général et ceux de l’Afrique noire en particulier ; ce d’autant plus qu’ici l’on est de
plus en plus confronté aux problèmes nés des inégalités de développement et ils persistent dans
‘’l’Afrique noire’’. Il s’agit de la faim et la pauvreté qui sont les compagnes de la majorité des
habitants d’Afrique. On ne peut parler du développement lorsque la majorité des habitants mangent à
leur faim.
Toutes les cinq (5) secondes un enfant de moins de dix (10) ans meurt de faim, tandis que des
dizaines de millions d’autres, et leurs parents avec eux, souffrent de la sous-alimentation et de ses
terribles séquelles physiques et psychologiques.
Et pourtant, les experts le savent bien, l’agriculture mondiale d’aujourd’hui serait en mesure
de nourrir douze (12) milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale. Nulle
fatalité, donc, à cette destruction massive. Comment y mettre fin ?
En prenant d’abord conscience des dimensions exactes du désastre : un état des lieux
documenté, mais vibrant de la connaissance acquise sur le terrain par celui qui fut si longtemps en
charge du dossier à l’ONU, ouvre le livre. Il s’agit tout aussitôt de comprendre les raisons de
l’échecs des formidables moyens mis en œuvre depuis la deuxième guerre mondiale pour éradiquer
la faim. Puis d’identifier les ennemis du droit à l’alimentation. Pour saisir enfin le ressort des deux
grandes stratégies à travers lesquelles progresse à présent le fléau : la production des agrocarburants
et la spéculation sur les biens agricoles. Comme toujours avec Jean Ziegler, « la souffrance a un
visage, l’oppression un nom, et les mécanismes à l’œuvre sont saisis dans leur concrète ».
Mais l’espoir est là, qui s’incarne dans la résistance quotidienne de ceux qui, ont pour seul
espoir les petits métiers.
Ainsi, en tant que sous champ de la sociologie, la sociologie du développement se définit
comme étant l’étude analytique des aspects et des caractéristiques du sous-développement. La
sociologie du développement est neuve, et pourtant elle subit déjà les assauts de la contestation. Un
sociologue américain radical, André G. Frank, lui reproche de devenir « de plus en plus sous-
développée », à l’exemple des sociétés auxquelles elle prétend s’appliquer. Il l’accuse d’être de
moins en moins adéquate, « pour des raisons empiriques, théoriques et politiques ». La critique est
excessive, mais elle n’est pas sans fondement. Elle impose de procéder à une évaluation de cette
sociologie, de mettre en évidence les apports des disciplines voisines et notamment ceux de
l’anthropologie sociale et culturelle et de l’économie, de recenser les résultats acquis en matière de
théorie dynamique des formations sociales.
En fait, la sociologie de développement apparaît comme la sociologie nouvelle en cours
d’élaboration, en raison du nombre de la diversité des sociétés à considérer et de l’obligation de les
étudier principalement sous l’aspect de leur transformation structurelle.
Le sous-développement quant à lui est une notion très relative. Car il est une dichotomie
Etats développés/Etats non développés. Il est considéré comme un retard de développement du
Tiers-monde sur les pays ayant déjà accédé à la modernité ou ayant connu un état de
développement avancé. L’état de développement est considéré comme un processus de
transformation des structures d’une société liée à la croissance. Il s’agit d’un processus de longue
période s’appliquant à l’ensemble des structures économiques et sociales.

6
La question qui urge en nous est la suivante : Qu’est-ce que le développement et son contraire
le sous-développement ? Quels sont les facteurs inhibiteurs du développement ? Quelles sont les
solutions provisoires à entreprendre pour booster le développement de l’Afrique ?
La réflexion permettant l’analyse de cette problématique est articulée en quatre temps : définir le
développement et le sous-développement, le rapport population et développement, les échecs du
développement et enfin repenser le développement africain.

CHAPITRE I : LE DEVELOPPEMENT ET LE SOUS-DEVELOPPEMENT : ESSAI DU


DEBAT SUR L’ECHEC DU DEVELOPPEMENT
Les discours sur le développement abondent. L’examen du niveau de développement atteint par
les pays de l’Afrique noire atteste de ce que la croissance enregistrée au lendemain des
indépendances ne s’est pas accompagnée d’une nette amélioration des conditions de vie de la
majorité. En d’autres termes, l’ascension qu’a connue la production n’a pas eu des conséquences
logiques au niveau des structures économiques qui, malheureusement, ont stagné ou même se sont
sclérosées.
Le développement en Afrique noire contemporaine connaît une crise sans précédent. Objet
d’étude fondamental de la sociologie du développement, cette dernière est liée à la crise connue par
des questions de développement africain. Ceci est une interpellation de la sociologie pour trouver les
voies et les moyens de solutionner cette double crise (crise du développement en Afrique noire et
crise de la sociologie du développement). Il est question de mettre sur pied une épistémologie1 de la
sociologie du développement afin de définir la nouvelle approche des questions du développement
en Afrique noire contemporaine.
Refus du développement ou échec de l’Occidentalisation ? Il est question ici de l’afro-
renaissance selon la terminologie Elanienne.
En matière économique, l’Afrique fait figure de continent pauvre et marginalisé. Depuis la fin
de la guerre froide, elle apparaît comme une zone déclassée qui ne représente plus un enjeu
géopolitique et diplomatique pour les grandes puissances. En dehors des situations d’urgence qui
exigent des interventions humanitaires, plus personne ne s’intéresse véritablement au sort des 700 ou
900 millions d’hommes et de femmes qui vivent dans cette partie du monde. « Faillite du
développement » ? « Retard » ? Ou bien, plutôt, résistance des sociétés africaines, refus de se laisser
prendre au piège néolibéral, et émergence de solutions de rechange au modèle occidental de
développement ?

Pour le sociologue Jean-Marc ELA, peu d’études sur le continent laissent réellement place à
l’espoir : on ne cesse d’y répéter que « l’Afrique s’enfonce » et devient « un conservatoire des maux
de l’humanité ». L’image d’un « continent naufragé », mille fois ressassée, paraît résumer
l’ensemble des perceptions d’une Afrique qui tendrait à se confondre avec la misère, la corruption et
la fraude et qui serait la patrie de la violence, des conflits et des génocides. Des images d’apocalypse
sont projetées sur « une Afrique appauvrie dans la spirale des conflits ». En cette fin de siècle, aucun
continent n’offre un tel spectacle de désolation, de guerres et de famines que l’Afrique. (…)
Lentement, le continent noir s’en va à la dérive ».

1
Partie de la philosophie qui étudie l’histoire ; les méthodes, principes des sciences.

7
Le paradigme de la « faillite » constitue même le cadre d’analyse de l’histoire économique et
sociale de l’Afrique contemporaine, avec un accent mis sur les impasses de ce qu’il est convenu
d’appeler le développement. Comme l’observe Mme Catherine Coquery-Vidrovitch, « nous sommes
dans une période de crise cumulative » définie à la fois comme crise des processus de
développement au Sud, mais aussi dans un monde dont les interdépendances sont multiples et
devenues incontournables ; crise des modèles de développement et des idéologies qui sous-tendent
les politiques et les structures des Etats ; crise des savoirs engendrés par l’éclatement des champs du
développement et les décalages de la théorie face à des réalités mal analysées. Ce constat général est
aussi celui de Samir Amin : « Si les années 60 avaient été marquées par un grand espoir de voir
amorcer un processus irréversible de développement à travers l’ensemble de ce que l’on appelait le
tiers-monde et singulièrement l’Afrique, notre époque est celle de la désillusion. Le développement
est en panne, sa théorie en crise, son idéologie l’objet de doute. L’accord pour constater la faillite du
développement en Afrique est hélas général. »
Par ailleurs, le répit2du sous-développement de l’Afrique va être de courte durée.

A- CONSIDERATION PRELIMINAIRE
On ne peut valablement parler du développement qu’en le rapportant au sous-développement
dans lequel nous baignons, dont les causes sont multiples et variées. Elles sont à la fois économique,
politique, géographique, histoire, juridique, institutionnelle et socioculturelle.

1°) Le sous-développement
a)La théorie des cercles vicieux
C’est en 1953 que l’économiste Ragnar Nurkse publiant son ouvrage Problems of Capital
Formation in Under Développement Countries, (Oxford W. Press) a avancé l’argument des cercles
vicieux de la pauvreté et de la stagnation comme explication économique du sous-développement
s’entretient de lui-même. A cet égard, les pays pauvres ne peuvent sortir d’une série de cercles
vicieux qu’on peut schématiser de façon suivante :
*pauvreté-faible revenu-faible épargne-faible investissement-peu de capital-faible productivité-faible
revenu, etc.
*faible revenu-alimentation insuffisante-faible productivité- faible revenu, etc.
* faible revenu-demande faible-marchés étroits-manque de débouchés-faible investissement-basse
productivité, etc.
La rupture de ces cercles vicieux peut être provoquée selon l’auteur par un apport de ressources
extérieures. Ce qui va permettre d’accroître le stock de capital technique et la productivité et donc les
revenus et la demande et par-là l’investissement engageant ainsi le pays sur la voie du
développement économique.
En fait, l’analyse que déroule Nurkse peut difficilement être considérée comme une
explication du sous-développement, car elle peut vouloir dire ceci : les pays sous-développés sont
pauvres parce qu’ils sont sous-développés ou inversement ils sont sous-développés parce qu’ils sont
pauvres. Il s’agit ici plutôt d’une explication des difficultés de démarrage dans les contextes des pays
du Tiers-monde ou les plus pauvres. Et même pour ces sociétés, l’absence d’épargne à l’origine du
premier cercle vicieux a été mise en doute. L’on a fait remarquer l’existence d’un surplus

2
Regard en arrière, arrêt momentané de quelque chose de pénible.

8
considérable dans les sociétés les plus traditionnelles mais qui n’étaient pas orientées vers des
activités productives. Ainsi, en est-il de toutes les constructions prestigieuses (Temples, Pyramides,
etc.)laissées par de nombreuses civilisations ? Aujourd’hui dans les pays les plus pauvres, différents
éléments permettent également de constater que l’économie, est bien au-delà du niveau minimum de
subsistance et qu’une épargne potentielle existe ; puisque la population augmente rapidement et que
des dépenses improductives sont réalisées (armements, palais, voitures de luxe, etc.). En outre, on
peut constater que l’existence des cercles vicieux n’a pas empêché le développement des premiers
pays industriels qui sont partis avec peu de capital et sans aide extérieure. Avec l’économiste
camerounais Georges NGANGO, demeurera en mémoire : « Disons que l’aide extérieure qu’on ne
saurait compter exclusivement sur elle pour faire avancer le développement d’un pays ; elle peut être
une aide à la recolonisation. » Les investissements d’origine extérieure n’étant pas des œuvres de
bienfaisance. Ils sont bien loin d’être des bienfaiteurs. A ce propos Dr Paul K. FOKAM dans Et si
l’Afrique se réveillait ? affirme que : « L’aide internationale est un excellent somnifère ! »(p.90).
b°) La théorie de la domination : le sous-développement une conséquence des échanges et de
l’impérialisme
Les théories de la domination s’articulent autour du rôle joué par le commerce international et
autour du rôle néfaste de l’impérialisme.
S’agissant du rôle négatif du commerce international, on peut retenir l’hypothèse selon laquelle, le
processus de développement dans une partie du monde aurait eu comme effet, d’appauvrir les autres
parties ou en tout cas de rendre leur développement plus difficile. Le crédo libéral est ainsi mis à
mal.
Montesquieu et Adam Smith apparaissent comme deux idéologues.
 Le premier en affirmant dans son ouvrage L’esprit des lois que : « L’effet naturel du commerce est
de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble, se rendent réciproquement dépendants. Si
l’une a intérêt à acheter l’autre à intérêt à vendre ».
 Quant au second, il avance l’idée selon laquelle le développement dans un pays entraîne des effets
de diffusions favorables aux autres pays par la demande d’importation ou des investissements à
l’extérieur ; qu’ils stimulent le jeu du libre-échange, ajoute en outre ; ces effets positifs du à la
division internationale du monde.
En passant de telles idées au crible, on s’aperçoit que le commerce international ne conduit
pas automatiquement au développement. Il tend plutôt à avoir des effets retardataires et renforce la
stagnation et la régression. Le libre-échange favorise les pays avancés au détriment des pays pauvres.
C’est en tout cas l’avis développé par l’économiste Myrdal GUNNAR dans son ouvrage Asian
Grama.
S’agissant de l’impérialisme3, il s’appréhende au double niveau colonial et néocolonial. Les
puissances occidentales ont colonisé le continent noir soit directement (France) soit indirectement
(Grande-Bretagne). Après les indépendances de 1960, cet impérialisme va se transformer en
néocolonialisme ; plus économique que politique. « L’infrastructure détermine lasuperstructure »
disait Karl MARX.
La thèse marxiste qui stigmatise l’impérialisme dispose que ce dernier a entraîné le sous-
développement des pays du 1/3 monde d’un côté, la prospérité des pays du Nord de l’autre.
L’exploitation coloniale puis néocoloniale a entraîné un transfert de richesses des pays pauvres vers
les pays riches ; appauvrissant ceux-là et enrichissant ceux-ci. Le commerce triangulaire, exploitation

3
Est une politique d’expansion d’un Etat, visant à mettre d’autres Etats sous la dépendance politique, économique,
culturelle, militaire, techniquement.

9
coloniale des richesses minérales et agricoles des pays assujettis, désarticulation des économies des
pays colonisés, bas prix des matières premières issues des colonies, dégradation des termes de
l’échange expriment cet état de choses.
Les intérêts coloniaux et néocoloniaux font alliance avec les élites au pouvoir « la bourgeoisie
compradore » dont parle Jean ZIEGLER dans les pays du 1/3 monde pour maintenir une structure
féodale facilitant la poursuite de l’exploitation et empêchant tout développement économique
national qui risquerait de la concurrencer. C’est ici que l’appellation « République bananière »
inventée par le politiste Jean-François BAYART prend tout son sens pour s’appliquer aux pays du
1/3 monde, notamment ceux d’Afrique noire en particulier.
Au total, les objectifs des colonisateurs étaient multiples. La colonisation avait des objectifs
politiques (accroître la puissance des pays par l’implantation dans le monde entier, notamment en
Afrique), humanistes (apporter la civilisation à des peuples jugés archaïques). Elle repose également
sur les motivations économiques (mettre la main sur les ressources en matières premières et des
sources d’énergie inexploitées, élargir les débouchés). Comme le dit excellemment Karl Marx :
« Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe tout entier.
Il lui faut pénétrer partout, créer partout des moyens de communication. Par l’exploitation du
marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la
consommation de tous les pays » (Manifeste du parti communiste, 1848).

2°) Les explications non économiques du sous-développement


a) Considération historique
- Au plan historique,
Il se dit l’Afrique noire est restée longtemps isolée des grands foyers de civilisation et du fait
des Océans du Sahara qui la séparait du reste du monde. De sorte que selon les historiens à la fin du
XIXe siècle « la majeure partie du continent africain s’attardait encore dans les genres de vie
néolithique » (cf. Jacques Brasseul, Introduction à l’économie du développement). Ainsi, l’Afrique
ne connaissait ni la route ni l’écriture, ni de monnaie évoluée ni de culture attelée ; il y avait ni route
ni port, ni de villes avec bâtiments, ni d’eaux propres ni d’égouts. Seuls les grands empires de
l’Afrique occidentale (Ghana, Mali, Songhaï), avaient une organisation politique élaborée et des
échanges commerciaux et culturels avec les Arabes.

b) Considération géographique
- Au plan géographique,
Les facteurs y afférents4 sont également invoqués pour expliquer le sous-développement.
L’immensité du continent noir, sa massivité, le caractère peu propice à la navigation des côtes
rectilignes, ce qui empêchaient l’échange à la différence des conditions favorables trouvaient en
Méditerranée par les Phéniciens5 et Grecs et également les conditions tropicales difficiles, liées
également ou essentiellement au sol et climat. Tout se passe comme si le climat tropical avait
réellement un effet délimité sur l’activité humaine comme le soutenait Montesquieu au XVIIIe
Siècle. Oubliant, le climat froid est le plus dur et que c’est l’amélioration des techniques qui a permis
de le vaincre. Il est question ici de dire que le climat n’est pas un obstacle constitutif au
développement.
Les ressources naturelles minières notamment, peuvent varier considérablement selon les pays.
Elles peuvent constituer un atout, mais ne sauraient à elles seules expliquer le développement ou le
4
Qui apporte, qui revient ou qui se rapporte à quelque chose.
5
Syro-palestiniens.

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sous-développement. Le développement ou le sous-développement vient de l’action et de
l’organisation ou non des hommes et non du simple fait de disposer ou de ne pas disposer de
ressources naturelles. A l’opposé du pessimisme malthusien existe une tradition populationniste, le
mercantiliste Jean BODIN (1530-1596) s’est rendu à cet effet célèbre par sa formule : « Il n’est de
richesse ni de force que d’hommes ». C’est dire que le développement d’un pays est lié à la qualité
d’hommes (des hommes formés, qui ont de la matière grise) et non de matériels.
Dans cette affaire le rôle de l’Etat est déterminant en dernière analyse. L’unanimité est faite sur
l’idée selon laquelle un pays déchiré en ethnies rivales comme c’est souvent le cas en Afrique noire,
ne peut pas se développer. Un Etat insuffisamment fort et respecté, l’inexistence d’un service public
efficace, honnête et compétent trairont évidemment les difficultés majeures ou les politiques de
développement. Or, l’efficacité du service public, l’honnêteté, la compétence et l’intégrité des agents
publics sont ce qui le plus, fait défaut aux Etats du 1/3 monde en général et ceux d’Afrique noire en
particulier. De-là, à nos problèmes.

c) Une « méta-idéologie » du développement


Deux paradigmes semblent inextricablement liés, qui légitiment l’ensemble des pratiques
professionnelles des « développeurs », quelles que soient leurs orientations idéologiques, morales ou
politiques :
(a) Le développement a pour objet le bien des autres (paradigme altruiste). D’où il découle que le
développement a une forte connotation morale.
(b) Le développement implique progrès technique et économique (paradigme modernisateur).
D’où il découle que le développement a une forte connotation évolutionniste et techniciste. Tout
intervenant dans le champ du développement s’appuie peu ou prou sur ces deux paradigmes. Chacun
pense qu’il œuvre pour le bien des populations (qu’il s’agisse d’un expert de la Banque mondiale ou
d’un humble militant d’ONG), et chacun estime qu’il met au service de cette noble tâche une
compétence qui fait défaut à ces populations (qu’il s’agisse d’un savoir pointu en agro-foresterie
tropicale ou d’une formation plus diffuse et plus incertaine en « animation » ou en « travail social »).
Peu importe la façon dont chacun décline ces deux paradigmes, à quel sauce il les accommode, ou
comment il légitime la spécificité de son approche ou l’originalité de sa politique en délégitimant
ceux des concurrents. Nul n’y échappe. Ce n’est pas ici le lieu de critiquer ces paradigmes, que l’on
se bornera à constater sans émettre de jugement de valeur. Nous ne voulons en aucun cas tomber
dans le piège d’une certaine « sociologie du développement », à connotations aussi fortement
idéologiques que faiblement empiriques, qui n’existe qu’à travers la dénonciation véhémente de
l’idéologie développementiste, s’érigeant ainsi en contre-idéologie (cf. Latouche, 1986). L’important
est que le paradigme altruiste comme le paradigme modernisateur, sous des formes certes latentes,
constituent un « tronc commun » quasi incontournable de légitimations. Or cette méta-idéologie
masque en partie le fait que le développement est à la fois un marché et une arène. C’est un marché,
où circulent des biens, des services, des carrières ... I1 s’agit d’y « vendre » des projets, des slogans,
des politiques, du hardware, du software, des carrières... L’aide humanitaire est ainsi clairement
devenue un « marché », où les ONG se concurrencent et rivalisent. Bien avant cela, et à une
beaucoup plus vaste échelle, le « développement » était déjà un marché. Mais c’est aussi une
« arène ». Sur une même scène divers acteurs sociaux s’affrontent autour d’enjeux de
pouvoir, d’influence, de prestige, de notoriété, de contrôle. Toute vision altruiste et
évolutionniste du développement risque fort de masquer cet aspect des choses. Il
ne s’agit pas de nier les motivations morales des militants des ONG ou de suspecter d’hypocrisie et
d’affairisme les promoteurs de l’auto-développement. Mais ni l’arbre altruiste, ni l’arbre technique -

11
aussi réels que respectables - ne doivent masquer, pour le socio-anthropologue, la forêt du marché ou
de l’arène.

d) Les infra-idéologies : les représentations


Les « infra-idéologies » du développement, toujours chez les acteurs de la configuration
développementiste, sont formées des stocks de représentations qui structurent la perception que ces
acteurs ont du monde souhaitable et du monde réel. Deux séries de représentations co- existent en
effet, complémentaires. Les unes concernent la vision des sociétés telles qu’elles sont. Les autres
concernent la vision des sociétés telles qu’elles devraient être.
1. Les représentations du souhaitable sont plutôt explicites et normatives. Elles sont en partie
constitutives des « théories » classiques du développement. Elles portent en effet sur le sens que l’on
donne au « développement ». Il s’agit d’images du but à atteindre, de la société à bâtir : modèle de la
société américaine ; modèles « socialistes » ; modèles alternatifs, société autogestionnaire,
écodéveloppement, développement « africain », etc. Elles se réfèrent parfois à un modèle déjà
pratiqué, parfois à un modèle à inventer (utopie). Mais ces représentations dessinent les contours
plus ou moins flous, plus ou moins réalistes, du souhaitable, c’est-à-dire de la société à développer
telle qu’on espère qu’elle puisse devenir, aux yeux des penseurs ou experts du développement. Tout
projet de développement ne vise pas seulement un transfert de technologies et de savoir-faire, il
s’assortit de tentatives de transfert et de création de structures et de modes d’organisation (ou
technologies sociales), qui s’inspirent d’un idéal social à construire. Par exemple l’insistance mise
depuis un demi-siècle sur les coopératives, relayée depuis quelques années par la vogue des
associations paysannes, ne s’explique pas seulement pour des raisons techniques. On peut facilement
y lire l’influence des idéologies socialistes et chrétiennes occidentales...
2. Un autre type de représentations, lié plus ou moins au premier, porte sur la société à
développer telle qu’elle est (ou plutôt telle qu’on s’imagine qu’elle est). Nombre de ces
représentations-là sont plus implicites, mais non moins importantes. Elles sont souvent
« décrochées » des théories académiques, c’est-à-dire qu’elles continuent bien souvent à fonctionner
quand les théories académiques qui les explicitaient sont discréditées ou passées de mode. Ainsi la
perception des populations paysannes africaines comme « primitives » et « retardées » est
aujourd’hui disqualifiée comme discours public, et n’a plus d’expression universitaire, mais pourtant
continue de structurer implicitement les représentations de nombre d’opérateurs du développement
(expatriés et nationaux), même si leurs mots et leurs écrits sont autres...
Mais il y a bien sûr beaucoup d’autres types de représentations « actives ». La plupart d’entre
elles restent légitimes (A la différence du syndrome du « paysan primitif et retardé », et sont donc
exprimées, de façon explicite et parfois argumentée, dans la littérature sur le développement. Sardan
prendrait ici le cas des représentations de la paysannerie africaine et du monde rural. On peut y
dégager, entre autres, cinq « idéal-types » particulièrement caractéristiques, c’est-à-dire cinq grands
modèles stéréotypés de représentations, présents à des degrés divers et sous des formes variées dans
les propos et écrits des professionnels du développement rural. Ces modèles (parfois combinables
entre eux) sont tous largement répandus, ... et tous faux ! Pour chacun d’entre eux on peut démontrer
en bonne rigueur socio- anthropologique qu’à partir de données partielles, voire marginales, une
généralisation sélective et abusive s’opère, qui aboutit à une représentation biaisée de la paysannerie,
formée d’images enchantées ou déformées de la réalité.
Chacun de ces modèles est relayé ou théorisé par des chercheurs en sciences sociales. Ceux-ci
n’échappent pas aux représentations biaisées et a priori. Ils ne se distinguent souvent du sens

12
commun que par la sophistication des arguments et des références, tout en reprenant parfois à leur
compte les mêmes clichés ou les mêmes pré-conceptions, qu’ils contribuent à alimenter ou à
légitimer. Ces cinq modèles que nous allons passer en revue sont donc non seulement prégnants dans
la configuration développementiste, mais ils figurent aussi en bonne place dans divers écrits socio-
anthropologiques, qui seront évoqués à titre d’exemples.
.

3°) Le sous-développement comme retard au développement


Pour les tenants de cette approche, au lieu de se poser la question pourquoi le sous-
développement ? L’on devrait s’interroger sur le processus de développement lui-même. Il y a deux
siècles en effet, le sous-développement était la condition générale de l’humanité, et cela depuis
toujours. Pourquoi certains pays de l’hémisphère Nord par exemple ont-ils pu se développer pendant
que ceux de l’hémisphère Sud font du surplace piétine ? On peut avancer comme réponse que cette
transformation sans précédent du 1er groupe de pays résulte de la conjonction des différents facteurs
comme : les progrès techniques, les grandes découvertes scientifiques du XVIIIe Si7cle ; manifestent
d’abord dans le secteur agricole puis dans le secteur industrielet également les réformes comme la
libération de l’économie et le passage à l’économie de marché, en même temps que l’entreprise
privée, bref à la dynamique du capitalisme.
A partir du foyer anglais, le développement s’est diffusé au reste de l’Europe et au pays ayant
la même culture à l’instar des Etats-Unis d’Amérique et du Canada.
Dans cette perspective, le sous-développement est simplement la conséquence du fait que
cette diffusion du progrès économique et de la révolution industrielle n’a pas encore eu le temps de
se réaliser partout. Le développement étant un phénomène lent et progressif, pouvant prendre des
décennies voire siècles. C’est l’idée des partisans des théories linéaires du développement, à l’instar
de W.W. ROSTOW.
Les analyses en termes de retard insistent sur le fait que le sous-développement n’est pas une
fatalité. Elles laissent entendre que les schémas qui ont historiquement concerné les pays industriels
devraient inspirer les pays actuellement en voie de développement : il y aurait une certaine
permanence des modèles de croissance, indépendamment des changements d’environnement.
L’industrialisation dans un monde où il existe déjà des pays développés n’est pas considérée comme
chargée d’un handicap.

a) Le retard dans l’accumulation du capital


Le schéma de ROSTOW ou les modèles de Rosenstein RODAN ou de Harrod-DOMAR
définissent des stratégies de croissance fondées sur l’accumulation du capital.

 Le schéma de ROSTOW. L’économiste ROSTOW (1960) décrit le développement économique à


partir de l’enchaînement d’une série d’étapes. Il affirme que tous les pays suivent le même processus
de développement : seul le moment du décollage (take off) diffère. La révolution agricole est
présentée comme un préalable à la révolution industrielle. La variable clé du développement est le
taux d’investissement, dont la valeur doit doubler et dépasser 10% pour que le pays connaisse un
« décollage économique » (le taux d’investissement rapporte la formation brute de capital fixe à la
valeur du PIB). Dans sa conception linéaire du développement, Rostow distingue cinq (05)
principales étapes de la croissance économique :
-1ère étape, la société traditionnelle.

13
La première étape est fortement marquée par l’existence de la société traditionnelle, une société
agricole essentiellement stationnaire où la terre est la seule source de richesse. Où les sciences et les
techniques ont peu d’impact. Une société qui éprouve peu ou pas du tout le besoin de changement.
Une société où l’organisation de la production est déterminée par les traditions ancestrales. Cette
société traditionnelle a : (une organisation stable et rigide, un pouvoir politique de type féodal, une
production limitée, une attitude de crainte et non de domination à l’égard du monde physique).

-2ème étape, les conditions préalables au changement.


Ici, on note une certaine évolution dans les idées et comportements. On note une diffusion des
valeurs nouvelles favorables au progrès. Les éducations se développent, la technologie s’introduit
dans la production et la productivité s’accroît. Un Etat centralisé assure le développement des
infrastructures et un cadre juridique plus sûr. Enfin, le commerce se développe les entrepreneurs
apparaissent. Cette étape appelée la préparation du décollage (développement d’une agriculture
dégageant des surplus, mise en place d’un Etat centralisé, lente maturation de concepts nouveaux,
apparition de pressions en provenance du monde extérieur, surgissement d’entrepreneurs).
-3ème étape, le décollage.
C’est la période pendant laquelle les anciens blocages et autres résistances au changement
sont vaincus. Le taux d’investissement double et dépasse 10% de revenu national. Il y a émergence
des industries motrices avec des effets industrialisants. L’Etat joue dans un tel contexte un rôle
moteur. Le résultat, c’est que la croissance devient auto-entretenue et régulière. Cette étape de
décollage (disparition des obstacles sociopolitiques à la croissance, augmentation massive du taux
d’investissement qui doit dépasser le seuil de 10%, essor de secteurs moteurs).
-4ème étape, la marche vers la maturité.
Le progrès technique permet l’apparition d’industries plus diversifiées, le secteur agricole
libère une grande partie de sa main-d’œuvre). Autrement dit, selon la 4ème étape la marche vers la
maturité ; la technologie moderne se répand à toutes les activités économiques, l’échelle de
production augmente, les fabrications se diversifient et s’étendent à tous les secteurs notamment les
biens de production.
-5ème étape, l’âge de la consommation de masse.
Ici, les besoins essentiels sont satisfaits pour toute la population. Tandis qu’une classe
moyenne nombreuse accède à la consommation des biens durables et atteint un niveau de vie élevé.
La consommation de masse (gonflement du secteur tertiaire, diffusion des biens de consommation
durables, essor de la publicité et des techniques commerciales suscitant de nouvelles demandes).

1) Critique de l’approche linéaire du développement


De nombreuses critiques ont été formulées pour battre en brèche l’approche du développement
au centre de laquelle se trouve la théorie Rostowienne. On lui reproche par exemple le flou entretenu
entre les étapes, dans la mesure où certaines caractéristiques des Etats antérieurs se trouvent dans les
étapes suivantes. D’autre part, les conditions de démarrage n’étaient pas les mêmes au XVIIIe et
XIXe siècle pour les pays aujourd’hui développés et aujourd’hui pour les pays du Tiers-monde.
L’économiste Kuznets, dans Modern Economy Growth, Yalé, VI, Press, 1966, remarque que :
« Le revenu par habitant est beaucoup plus bas dans les pays pauvres aujourd’hui qu’il l’était pour
les pays développés au moment du début de leur croissance moderne ». Selon lui, « la plupart des
pays sous-développés en Afrique et en Asie et dans une bonne partie de l’Amérique Latine en 1950

14
serait à un stade de développement qui correspondrait peut-être à la période de la formation des
villages au-début du Moyen-âge européen ».
Et si l’on adopte la position tiers-mondiste, il est clair que les pays européens en 1800, n’ont
pas subi le phénomène de domination coloniale. Autrement dit, leur économie n’avait pas été
désarticulée par la rencontre des sociétés traditionnelles avec les sociétés modernes.
Enfin de compte, il y a une multitude des facteurs explicatifs du sous-développement. En soi,
aucun n’est suffisant à lui seul pour rendre compte de la situation qui prévaut. Mais la conjonction de
tous demeure déterminante.
 LES ANALYSES DE CHENERY ET DE GERSCHENKRON

 Le schéma de ROSTOW a été repris par Hollis Chenery (1962), qui propose une forte aide
internationale susceptible de suppléer, au début de l’industrialisation, à l’insuffisance de l’épargne
interne et des échanges internationaux. Cette aide doit être relayée progressivement par des
ressources dégagées de l’économie nationale grâce aux investissements réalisés.
 Gerschenkron (EconomicBackwardness in Historical Perspective, 1962)nuance la thèse de Rostow
en soulignant la diversité des parcours nationaux. Il introduit une relation de causalité entre le degré
d’arriération économique et la nature de l’industrialisation. Il défend l’idée selon laquelle les pays
retardataires (latecomers) disposent d’avantages spécifiques :d’une part, ils ont la possibilité
d’importer des technologies modernes ; d’autre part, la pression sociale provenant de l’écart avec les
pays avancés facilite les changements institutionnels et pousse les Etats à intervenir dans l’économie.
Pour Gerschenkron, plus un pays est arriéré :
Plus il est probable que son industrialisation commence par un grand sursaut, caractérisé par de forts
taux de croissance de la production manufacturière.

- Plus l’industrialisation se concentre dans les entreprises de grande taille ;


- Plus l’industrie se porte sur les biens de production aux dépens des biens de consommation ;
- Moins le secteur agricole est à même de créer des débouchés importants pour l’industrie.
Ce modèle a été critiqué : l’intervention de l’Etat peut être un obstacle au développement (cas des
Etats prédateurs) et l’importation d’un savoir-faire étranger ne garantit pas une utilisation efficace
des technologies modernes6.

B- Le développement : essai de définition


1°) Considération théorique
Le concept et la pratique du développement tels qu’on les voit à l’œuvre ont souvent montré leurs
limites, voire leurs imperfections. La recherche de nouvelles voies tant vers les nouvelles institutions
du système des nations unies que tant national en charge du développement atteste ces lacunes. L’on
a pris conscience de l’imperfection des modèles de développement actuellement en vigueur. L’on a
également pris conscience du fort accent que l’on met sur l’économisme, le productivisme et le
technicisme au détriment des véritables besoins humains et sociaux et des aspirations des
populations.

a) Le développement comme idéologie et lié aux stéréotypes

6
Frédéric TEULON, Problèmes économiques contemporains. Les pays en développement, Paris, Hachette, p.19.)

15
L’unanimité est loin d’être faite sur la définition à donner au développement. On l’assimile assez
souvent à la notion de progrès. D’une façon générale, le terme a été utilisé par l’entreprise coloniale
pour désigner et surtout légitimer ce que l’on a appelé ‘’la politique de mise en valeur’’.
Le développement a aussi fait son entrée sur la scène planétaire comme modèle tout armé exemplaire
de la réussite des pays occidentaux. Ces facteurs sont ceux qui ont fait le monde occidental
industrialisé au travers d’une expérience historique dont on postule la reproduction possible,
moyennant l’injection des biens et moyens qui auraient initialement fait défaut aux pays du 1/3
monde. Le développement est un problème de comportement ou de mentalité.

- Cinq stéréotypes

 La « communauté » villageoise consensuelle


L’Afrique des villages serait le continent du collectif, le royaume du consensus. L’individu
s’y fondrait, voire s’y dissoudrait, dans la communauté. Ce mythe tenace et largement répandu du
« collectivisme traditionnel », qui perdurerait encore aujourd’hui et sur lequel les actions de
développement devraient prendre appui, est bien illustré par les ouvrages d’un Guy Belloncle
(Belloncle, 1982,1985). Nombreux sont les sociologues ou anthropologues, européens comme
africains, qui succombent à ce mythe.
Les pratiques d’intervention en milieu rural, tant étatiques (coopératives, animation rurale)
que semi-étatiques (projets à base de groupements villageois) ou non gouvernementales (micro-
projets gérés collectivement), s’inspirent abondamment d’un tel a priori. Le « développement
communautaire » n’en est qu’une des formes, qui a succédé à bien d’autres. Des « groupements
paysans » aux « pharmacies villageoises », des coopératives aux associations rurales, les niveaux
privilégiés d’intervention des organismes de développement (publics ou ONG) coïncident en fait
avec ceux des anciennes administrations coloniales qui cherchaient déjà des « interlocuteurs
collectifs ». La valorisation systématique du niveau « collectif-villageois >> est pour une part
fortement idéologique. On a rappelé ci-dessus ce qu’elle doit à deux traditions occidentales, la
filiation chrétienne et la filiation socialiste. D’autres y ont vu la projection ethnocentrique des
expériences anglo- saxonnes de community development (Foster, 1962 : 183-1 85). Elle rejoint aussi
une mythification des institutions villageoises traditionnelles, attestée chez les premiers
administrateurs et missionnaires coloniaux, et souvent reprise depuis par des intellectuels ou des
hommes politiques africains, qui surestiment les solidarités anciennes au nom d’une Afrique de la
palabre, de la classe d’âge ou de l’entraide, en oubliant que l’Afrique d’hier était aussi une Afrique
de la guerre, de l’esclavage, du bannissement. Cette idéalisation exotique et « communautariste » des
solidarités villageoises a aliment6 tout à la fois les politiques dites du « socialisme africain », les
discours sur « l’authenticité » ou la bonne volonté militante des ONG. Elle rejoint paradoxalement
les exigences d’une commode administration des populations, qu’exprime le choix des colonisateurs
puis celui des Etats indépendants de recourir massivement à des formes collectives d’organisation en
milieu rural. Gentil (1984) a rappelé que les coopératives en Afrique sont avant tout le produit d’une
intervention de 1’Etat sur la paysannerie, Quelle que soit l’affiliation idéologique et politique des
gouvernements, l’encadrement « de masse », pour les institutions de développement comme pour
l’administration des populations, prend en considération avant tout les ensembles, les villages, les
associations, les groupements, les coopératives.
Or la réalité est tout autre. Ecran de protection face à l’administration, moyen d’ascension
d’une nouvelle élite ou au contraire mode de préservation du pouvoir des « notables » anciens, enjeu
politique et économique local, trompe-l’œil ou coquille vide, la coopérative villageoise ou le

16
groupement paysan sont rarement l’expression d’un consensus égalitaire, et en général pour fort peu
de temps. La construction d’une dynamique collective est sûrement un objectif respectable, mais elle
ne doit pas masquer à quel point c’est là une entreprise difficile, instable et sans cesse menacée. Au
sein des dispositifs de développement, on constate une surestimation des fonctions intégratrices et
communautaires des « organisations paysannes », suscitées ou courtisées comme interlocuteurs,
relais ou intermédiaires (cf. Esman et Uphoff, 1984). Elle s’accompagne d’une sous-estimation des
clivages dirigeants/membres, au sein de ces organisations.
L’idéologie du consensus villageois masque les multiples divisions et antagonismes qui
structurent les paysanneries africaines et les organisations collectives qui en sont issues, aussi
« égalitaires « qu’elles puissent paraître à première vue pour un observateur extérieur .:
contradictions de type statutaire (hommes/femmes, aînés/cadets, hommes libres/anciens esclaves,
autochtones/allochtones), compétitions liées aux facteurs de production (contrôle de la force de
travail, maîtrise du foncier, tensions agriculteurs/éleveurs) ou aux enjeux de pouvoir (chefferie,
coopérative, partis, notabilité, etc.), voire rivalités plus fluides, interpersonnelles ou mettant en jeu
des réseaux formels ou informels (voisinage, parenté, amitié et camaraderie, clientélisme,
factionnalisme, etc.). La plupart des sociétés rurales africaines étaient déjà à la veille de la
colonisation à la fois fortement hiérarchisées (cf. rapports tributaires) et fortement individualisées
(cf. rapports marchands). Aussi les interventions extérieures, aussi communautaristes qu’elles se
veuillent, sont-elles vite appropriées par des groupes ou des intermédiaires en place, même si elles ne
font pas toujours le jeu des puissants et ouvrent parfois de nouveaux espaces (cf. Marty, 1986 ; Jacob
et Lavigne Delville, 1994).

 Le paysan « petit entrepreneur » individuel


Le stéréotype inverse ne vaut guère mieux. Il est souvent alimenté par une critique justifiée du
précédent. On mise alors sur l’entrepreneur individuel, ce paysan chef d’exploitation mû par une
rationalité du profit remise à la mode par le courant néo-libéral, que les projets basés sur la catégorie
de paysan-pilote recherchent désespérément. Les sociologues ruraux ont déjà montré en Occident
même le décalage entre une telle représentation et l’histoire de la transformation des campagnes
modernes. Son inadéquation est renforcée par la multiplicité des niveaux de décision, largement
emboîtés, qui caractérise les campagnes africaines (cf. Ancey, 1975). Le chef d’exploitation (ou le
paysan-pilote) n’est qu’un niveau parmi d’autres, comme le village et l’association villageoise. Il y a
aussi le jeune ou le « cadet », l'épouse ou les épouses, les mères et les pères, le lignage, le groupe
d’âge, la confrérie religieuse, etc. Il est vrai que, contrairement à l’idéologie communautariste, la
plupart des décisions opératoires dans le domaine économique (ou dans celui de la santé) sont prises
par des individus précis, à d’autres niveaux que celui du village et de la prétendue « communauté ».
Mais ces décisions mobilisent des solidarités diverses et font appel à des intérêts multiples.
L’augmentation du rendement ou la maximisation du profit généré par l’exploitation ne sont pas
nécessairement au premier rang des préoccupations de « décideurs » paysans, dont les modes
d’action économique ne peuvent se réduire à une « logique de l’investissement » telle que celle
postulée par Popkin : « There is a unifying investment logic that can be applied to markets,, villages,
relations with agrarian elites and collective action » (Popkin, 1979 : 244).
Celui-ci fournit un bel exemple des impasses auxquelles conduit ce modèle. Souvent
convaincant quand il s’en prend à une certaine idéalisation de l’ « économie morale » paysanne (cf.
ci-dessous), c’est-à-dire lorsqu’il s’attaque aux stéréotypes des autres, il le devient beaucoup moins
lorsqu’il propose sa propre vison de la rationalité paysanne, qui apparaît comme une stéréotypisation
symétrique et inverse. Le paysan est décrit comme un « investisseur », cherchant des gains
individuels (économiques ou politiques), et soumettant tonte action collective à un calcul personnel
du rapport avantages/inconvéaients. « Village processes are shaped and restricted by individual self-

17
interest, the difficulty of ranking needs, the desire of individual peasants to raise their own
subsistence level at the expense of others, aversion to risk, leadership interest in profits and the free-
rider problem » (Popkin, 1979 : 38). Un énoncé aussi catégorique et généralisant que : « The main
motivation for assuming a leadership role is not prestige but gain » (id. : 58) montre bien en quoi il
s’agit d’un modèle préfabriqué.
De façon générale, la croyance (car au fond c’est une croyance) que l’insertion dans une
économie moderne dominée par une logique de la rentabilité et du profit implique un profil
d’ « entrepreneurs » ayant rompu avec les solidarités dites « traditionnelles » est largement démentie
par les faits. C’est encore là une conséquence de ce « grand partage » entre sociétés précapitalistes et
sociétés capitalistes, économie traditionnelle et économie moderne qui n’en finit pas de biaiser les
représentations courantes comme savantes. De Durkheim (les solidarités organiques) à Weber (la
rationalité bureaucratique) et Polanyi (la grande transformation), la société contemporaine est perçue
(à l’opposé de la société « traditionnelle ») comme régulée par des mécanismes strictement
économiques et organisationnels, relevant du marché ou de l’Etat, qui mettraient en interaction des
acteurs indépendants et rationnels maximisant leur profit sur la base de calculs monétaires ou leur
efficacité sur la base de critères purement fonctionnels-abstraits. Or tout prouve qu’au cœur même
des grandes entreprises multinationales ou des appareils administratifs occidentaux, les relations
personnelles, le clientélisme, l’ostentation, la quête du pouvoir, la corruption, les effets de mode ou
les légitimations symboliques n’ont pas abandonné la place. L’économique s’y confronte sans cesse à
du non-économique, le bureaucratique à du non-bureaucratique’ même s’il est vrai que les règles du
jeu officiel (ce qui n’est pas rien) sont concentrées sur la productivité des agents, les bilans
comptables ou les cours de la Bourse. Mieux, la recherche de profits industriels, d’une meilleure
organisation du travail ou d’avantages commerciaux n’est manifestement pas contradictoire avec ces
dimensions « non économiques » ou « non bureaucratiques » qui interviennent au cœur même du
système économique mondial et des grandes métropoles modernes.
Qu’on veuille donc bien considérer qu’en Afrique 1’ incontestable « modernisation »
s’assortit aussi de tels décalages face au modèle officiel, et même de quelques autres en supplément.
La prémisse au fond assez juste selon laquelle l’Afrique doit être analysée comme le reste du monde,
débarrassée de toute illusion communautariste, comme un continent doté d’acteurs « modernes » pas
moins rationnels que les autres (paysans y compris), aboutit en fait à des conclusions fausses (le
modèle du paysan pilote ou de l’entrepreneur néo-libéral) en raison d’une conception erronée de la
modernité qui a déjà fait faillite ailleurs. La modernité, l’entrée dans l’économie mondiale, la
recherche du profit, les logiques économiques, la maximisation des avantages relatifs, la
« marchandisation » (ce que l’on appelle en anglais commodification), tout cela n’a rien
d’incompatible avec le clientélisme, la constitution de réseaux personnels, les dépenses ostentatoires,
les investissements identitaires ou les pratiques redistributives. Si le cocktail final semble à
l’évidence nettement moins efficace en Afrique qu’ailleurs (ce qui n’est pas vrai dans tous les
domaines, comme le montre bien la bonne tenue du secteur dit informel), ce n’est pas parce que
cocktail il y a (on trouve le cocktail ailleurs), mais sans doute en raison des dosages, ou d’une rupture
de stock de certains composants (on pense évidemment à 1’éthique du service public aujourd’hui en
perdition), en général explicable par l’histoire récente (colonisation et indépendances), contrairement
à la tentation commune de recourir à une explication par la traditionnalité.

b) Le développement, un problème de conceptualisation


Il se pose ici le problème de rapport entre le contenant et le contenu pour emprunter au langage
propre aux linguistes. On a souvent posé la question du développement en terme d’objectif ou de
finalité, tels que : bien-être de l’humanité et l’accroissement exponentiel des richesses. Les Etats
auxquels incombent les devoirs du développement, ont régulièrement dans sa mise en œuvre, qualifié

18
son état sans le définir. Les Nations unies et leurs organismes spécialisés que sont : le PNUD, le
BIT, l’UNESCO, le PAM, le FAO, l’UNICEF… ont successivement parlé de développement
unifié, développement global, développement équilibré et intégré, développement autonome,
développement planétaire…dans le cadre du fameux Nouvel Ordre Economique International, des
stratégies de besoins essentiels de développement endogène, de développement durable, de
développement centré sur l’homme.
Visiblement, la référence au contenu domine la réflexion. Mais le contenant a toute son
importance ; laquelle peut à certains égards ne pas être en phase avec l’opérationnalité du contenu.
Assimiler le développement à ses objectifs ou à ses stratégies ouvre la voie à la polysémie. Or, le
concept doit être susceptible d’une définition unique relativement objective afin d’être
opérationnelle. Comment définir alors le développement ?

c) Le développement, une définition acceptée par tout le monde


Pour définir le développement, il faut se garder de considérer le 1/3 monde comme le miroir de
l’Occident, lequel lui permet d’évaluer son propre niveau de développement. Le concept
développement ne doit pas être en contradiction avec les besoins qu’éprouvent les hommes d’une
nation ou d’un continent. Le développement a vocation à transformer les sociétés humaines dans un
esprit de problèmes. Ces sociétés doivent être appréhendées dans leur globalité. Dans ces conditions,
le développement est un processus orienté, continu et irréversible de changement structurel. Le
déploiement d’un tel processus ne saurait se faire dans le vide. Il se déroule bel et bien dans un
contexte économique, politique et socio-culturel précis et historiquement connu et identifié.
Le développement est une transformation, un processus de changement structurel d’un état de
moins-être à un état de mieux-être global durable. Guy ROCHER affirme que :
« Le développement consiste dans l’utilisation des différents facteurs économiques en vue
d’élever le revenu national de hausser le niveau général de vie de la population d’un pays ou d’une
région et de favoriser le bien-être général. »
En d’autres termes le développement renvoie à la totalité des actions entreprises pour orienter
une société vers la réalisation d’un ensemble ordonné de conditions de vie collective et individuelle
jugée désirables par rapport à certaines valeurs. Il ne s’agit donc pas d’une croissance aveugle, mais
d’un progrès solidaire. Le développement est l’expression du refus d’une société à deux vitesses et
recherche du mieux vivre pour tous. Il s’agit d’un chantier de longue haleine où s’activent les
individus et des groupes qui font des essais et des erreurs, connaissent alternativement le succès et
l’échec.
Le développement apparaît en définitive comme « l’ensemble des actions entreprises par une société
ou un pays en vue d’une répartition sociogéographique juste et équitable des richesses et du bien-
être. »

2°) Le développement, une question de souveraineté


Tout développement authentique se veut centrer sur l’homme, sur ses capacités et sa
créativité. Il reconnaît les facteurs socioculturels comme facteurs déterminants.

19
Les pays en voie de développement de plus en plus conscients de leurs richesses culturelles et
sociales, revendiquent le respect de leur identité culturelle face à l’ethnocentrisme7, à l’arrogance et à
l’évolutionnisme dont ils ont jusqu’ici souffert le martyr8.
Le vrai développement est endogène. C’est-à-dire engendrer de l’intérieur. Il se veut un
développement au service de l’homme. Il vise en premier lieu la satisfaction des besoins réels des
populations en vue de leur épanouissement.
A l’image de l’organisme vivant, qui se développe selon sa propre structure, une société pour
se développer, doit commencer par ne pas cesser d’être elle-même. Car ce qui n’existe plus ne saurait
se développer. Ensuite, le processus de développement ne doit pas conduire à la destruction, à
l’altération (destruction, falsification) ou à l’aliénation de la personnalité du peuple. Un
développement fait dans un tel contexte n’est qu’un pseudo-développement.
La vision ethnocentrique du développement principalement au service des intérêts des pays
occidentaux industrialisés et considérés comme centre du monde, son approche réductionniste qui
survalorise la production économique au détriment des autres valeurs, ont donné lieu à une
conception étriquée du développement, du progrès. La mise en œuvre de ce dernier va entraîner
dépendance permanente des sociétés de la périphérie, des déséquilibres sociaux, des aléas
économiques, l’instabilité politique et l’appauvrissement culturel et humain des pays du 1/3 monde
en général et ceux de l’Afrique noire en particulier.
Dans la perspective ci-dessus, le développement est devenu un mécanisme d’acculturation à
sens unique. Il s’agit dès lors, d’un processus qui s’accompagne d’un transfert de modèle de culture
des pays développés, industrialisés vers les pays en voie de développement, du centre vers la
périphérie. En drainant en retour d’impressionnant volume de richesses humaines. Toute chose
perpétue ce que l’économiste égyptien Samir AMIN a appelé la ‘’spécialisation internationale’’.
Il devrait y avoir autant de schémas et le modèle de développement qu’il y a des sociétés.
Dans tous les cas, il ne saurait y avoir de modèle unique de développement. L’expérience des
dernières décennies a bien montré qu’aucun modèle de développement n’est universel ni même
universalisable pour être mécaniquement généralisé ni dans l’espace ni dans le temps.la
transposabilité et la conformité des modèles existants de développement buttent ou achoppent sur les
considérations historiques propres à chaque contexte. La résolution 3201 1974 est claire et stipule :
« Le droit pour chaque pays d’adopter le système économique et social qu’il juge le mieux
adapté à son propre développement et ne souffrir en conséquence d’aucun discrimination ».
Mais trois décennies après, cette résolution des nations unies apparaît comme un vœu pieux
(mensonge) ; dans la mesure même où le développement tel qu’il se fait jusqu’ici n’est parvenu pour
l’essentiel ni des contextes réels des sociétés ni des besoins et aspiration des populations. Pourtant
vrai enjeu de tout vrai développement.
La tendance générale est ailleurs ajustement à tout prix. Au nom du développement que l’on
déclare menacer par un taux de fécondité élevé dans les pays du 1/3 monde en général et de l’Afrique
noire en particulier.
En définitive, le développement est : « un processus de long terme qui fait qu’une économie devient
plus productive et capable d’assurer les besoins élémentaires de sa population (alimentation, santé,
éducation, logement) » (Frédéric TEULON, op. cit.p.9).

7
Posture intellectuelle qui place sa propre culture au-dessus de celle des autres.
8
Témoin ou personne qui a été torturé (e) ou tué (e ) pour une cause à laquelle il ou elle s’est sacrifié(e)

20
Selon François PERROUX, le développement est : « la combinaison des changements mentaux et
sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son
produit réel global ».
Le développement permet une hausse du bien-être social, des changements dans les structures (la
qualification de la main-d’œuvre s’accroît, l’organisation de la production se complexifie) et
finalement une mutation de la société tout entière. Il passe par l’urbanisation, l’industrialisation,
l’alphabétisation et la formation, ainsi que par la déstructuration des sociétés rurales.

CHAPITRE II : RAPPORT POPULATION ET DEVELOPPEMENT


Une population nombreuse peut-elle à juste titre être considérée comme un frein au
développement d’un pays ? Ou alors l’inverse ? Au sujet de cette question, les avis sont partagés.
Les analyses théoriques sur les conséquences de la croissance démographique prennent leur source
dans le célèbre Essai sur le principe de population publié par Thomas Robert MALTHUS en
1798, ouvrage dans lequel il recherche les causes de la paupérisation d’une partie de la
population anglaise au moment de la Révolution industrielle.
1°) MALTHUS et ses épigones9

 La nécessité d’une restriction volontaire des naissances.


Le malthusianisme est la doctrine du pasteur et démographe anglais Thomas Robert Malthus. Dans
son ouvrage Essai sur le principe de population publié en 1798, Malthus constate un accroissement
de la population anglaise selon une progression géométrique. Celle-ci se traduira par un doublement
de la population tous les vingt-cinq ans ; alors que les subsides (subsistances) augmentent de façon
arithmétique (c’est-à-dire comme la série 1, 2, 3, 4, 5 etc.).
Face aux méfaits de la surpopulation, Malthus pense que les populations pauvres doivent limiter le
nombre de leurs enfants dans leur propre intérêt et adopter pour cela un seul moyen : la continence
(c’est-à-dire, abstinence des plaisirs sexuels).
En d’autres termes, dans son Essai, Malthus évoque le pouvoir multiplicateur de la population
(power of population) qui condamne l’humanité, en l’absence de freins démographiques, à la
stagnation économique (impossibilité d’accroître la quantité de subsistances disponibles par tête).
Malthus affirme que « les subsistances s’accroissent en proportion arithmétique -c’est-à-dire
comme la série1, 2,3, 4, 5, etc.- alors que la population, elle s’accroît en proportion géométrique –
c’est-à-dire comme 2, 4, 8, 16, etc.- » Quel que soit le niveau initial des subsistances et de la
population, cette dernière finira toujours par buter sur un manque de ressources alimentaires.
Selon Malthus, la croissance démographique bloque l’augmentation des ressources disponibles par
tête. La population augmentant plus rapidement que les richesses, l’ajustement se fait par la hausse
de la mortalité. C’est pourquoi Malthus recommande la restriction volontaire des naissances, soit
par le retard de l’âge au mariage soit par l’abstinence.
Le qualificatif de « malthusien » s’applique aux personnes qui prônent une telle restriction des
naissances. On parle de ‘’néomalthusien’’ pour désigner ceux qui sont favorables à la restriction par
l’usage de moyens contraceptifs (usage auquel Malthus, en tant que pasteur anglican, était opposé).

9
Successeurs sans originalité, descendants, imitateurs.

21
Par ailleurs, pour le malthusianisme, il ne convient pas de pratiquer l’assistance qui ne peut
encourager le peuple qu’à proliférer. Aux yeux de Malthus, la seule forme de solidarité sociale réside
dans le développement de l’instruction ; laquelle permet aux hommes de mieux se rendre compte
que l’augmentation de la population est source de misère. Il écrit donc à ce propos: « La difficulté
n’est pas de faire des enfants, mais les nourrir ».
Cette doctrine austère fut bien accueillie parmi la classe dirigeante anglaise. Elle fut cependant
combattue par les socialistes comme Fourier (philosophe socialiste français), Proudhon (théoricien
socialiste français 1809-1865), Karl Marx (philosophe, économiste et théoricien du socialisme
allemand 1818-1883). La pauvreté disaient-ils résulte du régime de propriété humaine et non de
l’excès de natalité. Dans ces perspectives prêchaient, le malthusianisme apparaît comme un moyen
pour les classes aisées d’éviter un douloureux partage de richesses et même les charges de charité.
S’appuyant sur les thèses malthusiennes, les adeptes du petit nombre se démarquent par leur
disposition à faire endosser aux facteurs démographiques l’ensemble des responsabilités du mal de
développement. L’on affirme allègrement que la surproduction est un frein au développement
économique des pays du 1/3 monde. De sorte que le nombre d’enfants à faire apparaît qu’en Afrique
par exemple comme un « défi » selon le terme du sociologue Jean-Marc ELA.
Si l’intégration de la variable démographique est nécessaire dans la planification du développement,
il est tout aussi impérieux de s’interroger sur la nature de ce développement anthropophobe (qui
traîne l’homme) qu’on propose à grand renfort de publicité.

a) Prise en compte de la réalité


On ne saurait nier la faveur des progrès de la Médecine dont le continent a bénéficié. L’Afrique
a connu une progression démographique considérable. Ce qui a fait dire à Dominique TABUTI
que : « L’Afrique au Sud du Sahara est une véritable bombe démographique ». Dans la même veine,
Jacques GIRI affirme dans son Afrique en panne« L’Afrique est aujourd’hui un continent qui se
remplit, qui se remplit vite, qui se remplit à une vitesse accélérée ». L’explosion démographique de
l’Afrique se présente assurément comme l’un des faits le plus marquant de l’histoire contemporaine.
Des projections onusiennes évaluent à 1,5 milliards la population africaine de 2025. Les nouvelles
statistiques estiment que la population africaine sera à 2,5 milliards d’ici 2020.
C’est également en Afrique qu’on trouve la fécondité la plus élevée de la planète. Les femmes s’y
marient généralement très jeunes (au Niger 12-14 ans, au Tchad 10-15 ans). Les femmes n’arrêtent
très souvent à procréer qu’en atteignant la ménopause10. D’où le qualificatif de ‘’lanterne rouge’’
collé à l’Afrique subsaharienne, du processus de transition démographique mondiale. Ces auteurs
affirment en substance non sans une certaine partialité que : « ces 30 dernières années, la fécondité
ne semble pas avoir beaucoup changé : le taux de natalité est restée stable à 47 à 49% par habitants».
Mais pour mieux cerner les enjeux démographiques en Afrique, il faut replacer la question dans le
cadre des déséquilibres qui caractérisent le processus de distribution de la population mondiale. La
population des pays du Nord, est vieillissante dans l’ensemble (Allemagne par exemple). C’est le
constat d’un tel vieillissement que décida par exemple la France a institué en 1980, la ‘’prime du
3ème enfant’’ pour inciter les Français à une plus grande fécondité.
Or, le village planétaire donc parle le sociologue canadien des médias Marshall Mc LUHAN s’est
étendu au moyen de transport et de communication physique. Les migrations à l’échelle
internationale sont de plus en plus faciles. Les injonctions que les pays du Nord font aux pays du Sud

10
Cessation de l’ovulation chez la femme caractérisée par l’arrêt définitif de la menstruation.

22
ne sont-elles pas l’expression de leur peur d’être envahie par des immigrants venant du Sud ou de
l’Afrique.
Le contrôle de naissance est la nouvelle forme de racisme à laquelle on conditionne de plus en
plus l’aide internationale.
La Banque mondiale (BM), qui avec ses Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) est passée
maîtresse dans l’art d’imposer une certaine manière de Programme Structurel de Naissance (PSN)
aux familles du Sud, n’a pas tout à fait raison d’inféoder l’amélioration sensible des conditions de vie
au ralentissement de l’accroissement démographique.
Il n’est pas ici question d’ouvrir les vannes de la procréation en série. Reconnaissons que ce n’est pas
tant le nombre, du reste regroupé, qui fait problème que la juste répartition des richesses. Pour se
développer, un pays n’a pas nécessairement besoin de bloquer sa fécondité. On se demande d’ailleurs
si en développant la contraception et le contrôle de la fécondité ne suivent pas automatiquement.
Si son lit est prolifique (fécond) n’est-ce pas parce que le pauvre n’a rien à faire et ne compte que sur
ses enfants, surtout dans ses vieux jours, dans un univers où la protection sociale est une vue de
l’esprit.

b) La juste mesure de l’explosion démographique de l’Afrique Noire


Un regard froid sur la situation de l’Afrique révèle un continent sous-peuplé par rapport aux
autres continents. La population tchadienne par exemple n’est en rien comparable à celle d’un pays
comme la France qui a une superficie trois (03) fois plus petite que celle du Tchad.
Démographiquement parlant, le Tchad, le Gabon, la Guinée Equatoriale sont des nains à côté de la
France. On peut alors s’interroger sur la bonne foi et la sincérité d’un René DUMONT qui pense
que : « Si elle veut survivre, l'Afrique Noire qui était déjà mal partie en 1960, doit donc se mobiliser
pour limiter les naissances ».
Il ne faut pas faire perdre de vue le fait que tous les discours qui mettent l’Afrique à limiter les
naissances et une production des anciennes métropoles coloniales. L’occident a ponctionné l’Afrique
pendant la Traite négrière (esclavage). Le pouvoir colonial a encouragé l’appropriation pour les
besoins de l’indigénat11 et travaux forcés. Comment comprendre dès lors ce revirement subit. N’est-
ce pas parce que l’Afrique n’intéresse plus, puisqu’elle est déclarée sur le plan international. On
investit de plus en plus en Asie du Sud-est actuellement plus porteuse.
La population en tant que telle est un concept vide de contenu dans la mesure où une minorité a le
contrôle quasi-exclusif mais presque toutes les ressources. En même temps qu’il y a une corruption
massive de richesses. On note paradoxalement un fort accroissement de la pauvreté.
Combien d’hommes, de femmes et d’enfants en deçà du seuil de pauvreté, dans des taudis et
bidonvilles sans accès à l’eau potable, à l’éducation, ni au service de santé minimum voire trouver
une petite quantité de nourriture ? Vivent-ils nécessairement ce calvaire parce qu’ils sont nombreux ?
Dans un système où la gestion des ressources fabrique des exclus, la limitation des naissances n’est
pas en soi un argument suffisant pour favoriser le développement économique si l’on ne l’inscrit pas
dans le cadre général d’une stratégie de développement. Une juste répartition des ressources
renverrait le malthusianisme aux calendes grecques12.

11
Régime administratif qui était appliqué aux indigènes des colonies françaises.
12
Remettre quelque chose à une date qui n’arrivera jamais. Les mois grecs n’ayant pas de calendes.

23
Le débat sur l’intégration de la variable démographique dans la planification du développement en
Afrique doit être reclassé dans le contexte général des disparités socioéconomiques qui singularisent
nos économies impulsées dehors et relayées dedans et qui bloquent justement le développement.
On doit enfin relever l’intérêt débordant que l’on accorde à la fécondité. En jouant aux gémonies
(mépris public), les problèmes d’infécondité dans un continent où l’enfant occupe une place de choix
dans les représentations collectives. Et dire que, quand on y pense, c’est toujours à des coûts
prohibitifs. Combien de femmes noires en effet peuvent financièrement supporter les frais de la
fécondation assistée ?
L’Afrique n’est pas surpeuplée quoi qu’on dise.

2°) Des Programmes d’Ajustement structurel de naissance à l’anti-malthusianisme


Le malthusianisme se distingue essentiellement par son obsession à limiter à tout prix les
naissances. Il apparaît à la fois comme un réductionnisme et un pessimisme. Il ne reconnaît à la
croissance démographique que le rôle ingrat d’épuisement des ressources. Ne convient-il pas que
l’on relativise un tel pessimisme ?

a) Les thèses boserupiennes


Ester BOSERUP dans The Conditions of Agricultural Growth (1965) a montré comment la
« pression » (la croissance) démographique entraîne une réorganisation de la collecte et de la
production des vivres. Par elle, cela n’a aucun sens d’analyser séparément les ressources vivrières et
l’évolution de la population : c’est la taille de la population (et donc le niveau de la demande de
subsistance) qui conduit à des modifications dans les modes d’exploitation des terres.
Une population clairsemée n’éprouve aucune incitation à changer le système d’utilisation du sol. Ce
n’est que lorsque la pression démographique devient excessive par rapport au système en vigueur
que celui-ci est abandonné. Pour Ester BOSERUP, « la croissance démographique joue donc un
rôle moteur dans le changement des techniques ; elle exerce une pression créatrice ». A la « trappe
malthusienne13 », elle oppose la « trappe à faible densité » de population (une population peu dense
n’est pas initiée à promouvoir le progrès technique).Les thèses boserupiennes restent d’actualité.
L’accroissement démographique peut servir de catalyseur à l’innovation et au changement au double
plan technologie et de l’organisation économique. Ester BOSERUP montre par exemple que la
croissance démographique est facteur de changement. Dans le modèle qu’elle développe, BOSERUP
montre que la croissance démographique est une condition nécessaire de changement et de
recouvrement en des techniques plus intensives en agriculture notamment (cas de la Chine).
Il s’agit pour les anti-malthusiens, de démontrer que la population, au lieu de diminuer la
production ; l’accroîtrait sous l’effet des changements techniques et de l’intensification des méthodes
culturales.
L’invention et l’innovation étant le fruit de l’intelligence humaine. Plus les individus sont
nombreux plus les capacités inventives et innovantes sont grandes. Une population qualitativement
importante implique davantage de connaissances et davantage de possibilités de recherche et de
créativité. La croissance démographique peut donc être un facteur de développement économique.

13
Ressources alimentaires insuffisantes.

24
En reconnaissant les effets transformateurs de l’augmentation de la population sur le milieu physique
et leur impact sur les ressources comme l’eau ou l’espace, on peut toutefois soutenir que ces effets ne
sont pas nécessairement négatifs en dernière analyse.
b) Le planning familial : dictature marchande du nombre ?
 Les conférences mondiales sur la population
Les controverses relatives à l’impact des phénomènes de population se retrouvent au niveau
des orientations démographiques retenues par les pays en développement et affichés lors des
différentes conférences mondiales sur la population (organisées par l’ONU).
En sus, on ne saurait parler de ‘’planning familial’’ sans rappeler quelques dates historiques.

 En 1967, sous les auspices14avec l’appui de l’ONU, le FNUAP, qui en est devenu l’organe spécialisé
en charge des questions population (formation des démographes, contrôle de la population). Depuis
trois décennies voire un peu plus, cet organisme est aux premières loges 15 des questions
démographiques internationales.
 En 1974, se tient à Bucarest en Roumanie la première conférence internationale sur la population.
C’est au cours de cette dernière qu’apparaissent les concepts de : contrôle de naissance et de
planning familial (planification familiale).L’on y voyait le moyen le plus indiqué dans l’optique
d’un ralentissement durable de la croissance démographique à l’échelle mondiale.
En effet, les pays du Tiers-monde –sous l’impulsion de l’Algérie et de la Chine- ont refusé de
raisonner en termes d’explosion démographique, pour au contraire opposer le concept
d’autorégulation par la croissance économique (« la meilleure pilule, c’est le développement », selon
la formule de Houari BOUMEDIENE).
 En 1984, se tient à Mexico la 2ème rencontre du genre. Les recommandations retenues à l’issu de ce
sommet vont largement inspirer les politiques démographiques nationales et internationales.
En sus, il apparaît que la peur d’être submergés par les problèmes liés à une croissance
démographique débridée a entraîné un changement d’attitude de la part des pays du tiers-monde. Ces
pays s’engagent, dans une déclaration commune, à mettre en œuvre des politiques de limitation des
naissances.
 En Egypte, en 1994, a repéré cette alerte dont le regard sera intensivement tourné vers les pays du
1/3 monde en général, ceux d’Afrique noire en particulier.
In fine, lors de la dernière conférence du Caire (1994), le climat est loin d’être consensuel. Cette
conférence fait à nouveau apparaître les divergences entre les partisans des politiques de contrôle
généralisé des naissances et les mouvements religieux (chrétiens et musulmans) qui s’y opposent
totalement. Néanmoins, les pays participants insistent sur le fait que la planification familiale doit
être accompagnée d’un ensemble de réformes sociales (développement de l’éducation et des soins
médicaux maternels et infantiles) et, surtout, d’un effort de promotion de la femme
Somme toute, un tissu de mise en demeure de limiter les naissances. Sans vouloir faire le bilan des
démarches ci-dessus rappelées, il convient de formuler quelques interrogations : Comment
comprendre par exemple que plus de 30 ans après la première sonnette d’alarme et tous les
avertissements qui l’ont suivi, l’Afrique soit toujours « la lanterne rouge du processus de transition
démographique mondiale », avec le taux de fécondité le plus élevé de la planète ? selon les termes de
Karen Foote, Kenneth Hill et Linda Martine. Que l’Afrique soit restée presque sourde et inexistante
aux injonctions des grands de ce monde. Peut-il être considéré comme un endettement gratuit ?
Quelle place l’enfant et surtout une lignée nombreuse occupe-t-il dans l’imaginaire culturel des

14
Sous la protection de quelqu’un ou de quelque chose.
15
Etre bien placé pour voir, pour suivre le déroulement d’un événement.

25
peuples d’Afrique ? Suffit-il d’avoir un enfant pour que l’on en soit satisfait ? La société ne nous
fait-elle pas discriminer entre garçon et fille ? Comment faire adopter la limitation des naissances
dans un contexte où l’on se préoccupe peu ou prou du tout de la protection sociale ? Les enfants étant
dans un tel environnement, une espèce de l’assurance-vieillesse pour leurs géniteurs. Comment faire
admettre le contrôle de naissance dans un système où la couverture sanitaire demeure un pari, une
gageure16. La survie des enfants étant encore une vraie loterie17 pour nombre des familles africaines.
Que dit et pense-t-on de la femme sans maternité dans les sociétés d’Afrique Noire ?

c) A la clef d’une idéologie


Reconnaissant autre demeurant que la procréation est le reflet de phénomène complexe où
s’imbriquent le social, le culturel, le religieux, le politique et l’économique. Et toute publicité ou tout
discours sur le planning familial doit tenir compte de ses pré-requis que l’on a malheureusement
tendance à ne prêter, à ne considérer que par prétérition18.
Le planning familial apparaît comme une réactualisation de l’approche malthusienne des questions
démographiques. Les théologiens parleraient d’une «ressuscitation19 » de Malthus. L’on se fonde sur
l’hypothèse d’un monde fini en faisant des limites physiques et biologiques de la planète, les
contraintes ultimes à la croissance démographique et aux changements économiques et sociaux.
Au niveau des Etats Unis d’Amérique (USA), l’on prévoit pour les 40 prochaines années une
augmentation de la population équivalente à celles des deux (02) dernières millions d’années. Ce qui
rend impossible, tout phénomène d’adaptation du milieu dans un délai aussi bref. L’on pense que
cette progression géométrique de la population résulte d’une reproduction anarchique, qu’il s’agit de
maîtriser et de freiner au plus vite, si on ne veut pas assister à la « catastrophe humaine » selon les
termes de PALOMA, AGRASOT, Dominique TABUTIN et Evelyne THILGES dans leur
conclusion collective à l’ouvrage intitulé Intégrer population et développement. L’on doit donc là,
une situation de déséquilibre entre la demande en ressource et les disponibilités effectives,
déséquilibre rétablisable par un contrôle strict des naissances ; puisque l’offre diminue alors que la
demande augmente.
Pas besoin qu’on revienne sur les avantages qu’offre aux pays sous-développés la pression
démographique.

d) L’enfant dans l’imaginaire culturel africain


Les Africains ont de l’enfant une représentation assez-forte. La passion qu’ils en ont a tellement
la peau dure qu’il est difficile de modifier leur attitude en matière de procréation.
Contrairement aux sociétés occidentales où il peut être une option laissée à l’appréciation souveraine
au convoi. L’enfant est en Afrique un fait social et même ‘’un fait social total’’ selon l’expression de
Marcel MAUSS. En effet, par rapport à la procréation, on peut dire que les couples ont des comptes
à rendre à la société. Et toute infécondité est subie comme une frustration, un mauvais sort, une
injustice du ‘’Ciel’’.
Non seulement il faut avoir des enfants, beaucoup d’enfants, mais également des enfants qui
ressemblent à leurs parents, surtout à leurs pères. L’on comprend donc les hésitations les uns et les

16
Absurdité, une folie. Un projet irréalisable, insensé.
17
Mot néerlandais loterij, veut dire jeu de hasard.
18
Figure de style qui consiste à dire quelque chose que l’on dit vouloir taire.
19
Résurrection.

26
autres à intégrer la dimension adoptive de la procréation comme un moyen d’apaiser le martyr des
couples sans enfants et conséquemment celui des enfants sans parents orphelins ou abandonnés.
En outre, parce que les couples doivent des comptes à la société par rapport à leur procréation, ceux
qui n’ont pas d’enfants sont constamment traqués psychologiquement. La « chèvre émissaire »étant
ici la femme. Les pressions sont tellement fortes que même les conjoints les plus résistants finissent
par céder. Soit l’on se sépare soit le mari prend une deuxième (02) épouse très souvent en violation
de la forme sous laquelle fut conclue la première union. Comme poids en Afrique, seule la femme est
stérile. D’où certaines femmes sont prêtes à dépenser toutes leurs fortunes parce qu’elles sont à la
recherche de l’enfant. Elles font de nombreux va et vient entre la médecine moderne ou cartésienne
et les charlatans que j’appelle les ‘’médecins Arias’’ (savent tout faire, soignent toutes sortes de
maladie). L’enfant apparaît comme le socle sur lequel repose l’amour et l’harmonie du couple,
lequel s’en trouve stabilisé et renforcé. A cause de leurs enfants, de nombreuses femmes se résignent
à continuer de cohabiter avec leurs bourreaux de maris. Pour le bien des enfants, la famille du mari
trouve presque toujours un modus vivendi20 qui s’occupera de la place de la femme en cas de litige
conjugal. Mais il suffit ne suffit généralement pas d’avoir un enfant pour que le problème soit
résolu ; encore faut-il qu’il soit du sexe souhaité.

CHAPITRE III : L’ECHEC DU DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE NOIRE : UNE


FATALITE ?
Quand on observe la situation des pays d’Afrique Noire, 57 ans après leurs indépendances
respectives, le constat est clair. L’Afrique continue d’être en panne comme le disait Jacques GIRI.
Cette Afrique qui était déjà mal partie au moment de son indépendance, continue de connaître le
problème de développement.
La réflexion sur les défis de développement de l’Afrique est motivée par le ‘‘paradoxe
africain’’. Nous appelons le ‘‘paradoxe africain’’, la situation d’une Afrique à la fois riche en
ressources naturelles et affamée, vivant au rythme d’incessantes crises armées. Il s’agit, en effet, du
paradoxe du riche qui est en même temps pauvre. Comment comprendre cela ? Comment
comprendre et expliquer toutes ces contradictions et conflits qui plongent le continent dans un état
léthargique et de pauvreté ? L’Afrique serait-elle victime de ces ressources économiques ? Pour le
sociologue suisse Jean Ziegler, la pauvreté et les misères de l’Afrique trouvent le plus souvent leurs
fondements dans l’idéologie des seigneurs du monde1 qui règnent sur l’univers autant par leurs
énoncés idéologiques que par la contrainte économique ou la domination militaire qu’ils exercent.2
Le continent semble de ce point de vue, être pris dans le tourbillon des intérêts économiques,
politiques et géostratégiques des puissances impérialistes occidentales3. L’Etat et les institutions
politico-administratives se disloquent, les nations africaines se désagrègent et la fracture sociale, de
jour en jour, devient très profonde. Le continent se trouve plombé; presque dans tous les pays sévit la
pauvreté et, le progrès au sens réel d’épanouissement des peuples africains y reste une vue d’esprit.
Or, dès 1960, les indépendances de la plupart des pays africains apparaissaient comme un
idéal pour les Africains. Ces évènements historiques avaient été accueillis avec beaucoup
d’enthousiasme, car, l’accès à la souveraineté politique, apportait en même temps que la liberté des
peuples africains, les conditions indispensables du progrès et de l’unité du continent. Les leaders de
la première heure, ceux-là mêmes qui ont conduit leur pays à l’indépendance se fixèrent trois
objectifs fondamentaux : construire la nation au niveau de chaque Etat, sortir le continent du sous
développement et enfin, réaliser son unité.

20
Un terrain d’entente.

27
L’Afrique devait en effet, se doter des nations fortes au-delà des diversités ethniques ou
régionales, mettre en place les fondements de son unité au plan politique, économique, social et
culturel et, bannir du continent la pauvreté et la misère. Bref, l’Afrique devait amorcer la voie du
progrès et se hisser au niveau du développement des pays capitalistes du Nord. Tels ont été les défis
que se lancèrent les Africains dès 1960.
Mais cet optimisme va s’estomper progressivement au fil des années ; l’Afrique à la fois
marginalisée dans le concert des nations et confrontée aux difficultés de toute sorte dont les coups
d’états, les guerres civiles et les calamités naturelles —la famille, les maladies ‘‘la tuberculose, le
paludisme, le sida et la fièvre d’Ebola etc…’’, les séismes, les inondations etc. — va, un peu partout,
faire face à des régimes autoritaires méprisant et écrasant. La situation du continent va s’exacerber à
la suite de l’austérité imposée par les organismes financiers extérieurs désireux de maîtriser et de
mieux freiner l’endettement.
Le tableau des cinquante années d’une Afrique dite souveraine est sombre : une Afrique
meurtrie et essoufflée, malade de la gestion non rationnelle et égoïste de ses ressources économiques
par ses dirigeants ; une Afrique affamée qui attend toujours le ‘‘messie occidental’’, une Afrique
vidée de ses ressources humaines et intellectuelles à travers le phénomène de l’immigration, enfin, il
s’agit d’une Afrique recolonisée par l’occident impérialiste.
L’on peut à juste titre se demander si cette situation catastrophique dans laquelle baigne
l’Afrique Noire est-une fatalité ? Quels sont les niveaux de responsabilité dans une telle débâcle ?

1°) Les dynamiques exogènes


A- La domination des pays du centre
a) Dépendance et désarticulation
 Dépendance
La dépendance est le résultat d’une domination exercée par les pays du Centre. Ces derniers
influencent les décisions prises dans les pays du Tiers-monde, ils exercent également des actions de
coercition. La dépendance est :
- commerciale. Les exportations sont concentrées sur un nombre limité de matières premières. Les
cours de ces dernières sont fixés sur les bourses des pays occidentaux (New York, Chicago,
Londres) ;
- technologique. Les savoir-faire restent contrôlés par des multinationales étrangères ;
- financière. L’endettement place les Pays en Voie de Développement (PED) sous l’autorité des pays
riches et des organisations internationales contrôlées par ces derniers. Samir Amin présente la dette
du tiers-monde comme un« drainage meurtrier » réalisé au profit des banques occidentales.
Celso FURTADO (Théorie du développement économique 1967) estime que la dépendance
des PED à l’égard des pays occidentaux développés va en s’accentuant. Dans l’économie
périphérique, les modifications du système productif sont induites de l’extérieur : les exportations de
matières premières permettent de diversifier la consommation de la minorité prospère des PED. La
norme de consommation des pays du centre s’impose à la périphérie ; alors que l’accumulation
productive dans ces pays est très lente et que les techniques de production restent contrôlées par des
acteurs extérieurs. La bourgeoisie locale a intérêt à maintenir de très fortes inégalités de revenu ; ces
inégalités sont nécessaires pour reproduire le profil de consommation défini par le centre.

 La désarticulation

28
La désarticulation est l’état d’une économie dont les secteurs ne sont pas complémentaires.
Chaque branche d’activité dépend pour son approvisionnement d’entreprises étrangères et n’utilise
pas de consommations intermédiaires susceptibles de stimuler la production des autres branches de
l’activité économique domestique. A côté d’un secteur traditionnel, mais les activités modernes n’ont
pas d’effets sur le reste de l’économie et ne jouent pas leur rôle de diffusion du progrès technique et
des gains de productivité. Dans quelques grandes villes, les grands ports ou hinterlands (arrière-
pays), la désarticulation se manifeste notamment par l’existence de quartiers prospères sans relation
avec le reste du territoire. Les grandes firmes exportations sont présentées par les tiers-mondistes
comme des enclaves sans relation avec l’économie interne du pays.

b) L’esclavage, le Colonialisme et l’Impérialisme


Pour les économistes tiers-mondistes, la colonisation a été le premier obstacle au
développement économique de la périphérie. L’Antillais Frantz FANON, Les damnées de la terre,
1961 insiste sur le traumatisme colonial lié à la déculturation des peuples de couleur : « Misère du
peuple, oppression coloniale et inhibition de la culture sont une seule et même chose. »21 En effet, le
sous-développement de l’Afrique noire est beaucoup plus lié aux séquelles de l’esclavage et de la
colonisation. C’est un problème psychanalytique, qui a pour remède la psychanalyse et recadrage des
êtres dont la chair fut faite marchandise.
Certes, les indépendances politiques sont acquises depuis les années 1960, mais les liens de
dépendance économique sont encore présents aujourd’hui et la déstabilisation des pays colonisés a
été durable.

 Le colonialisme
Les pays européens sont accusés d’avoir pillé les pays de la périphérie lors de la période
coloniale. Ainsi, les chemins de fer indiens ont été construits avec de l’acier importé d’Angleterre,
alors que la métallurgie locale aurait pu se développer. L’Angleterre a également étouffé la
concurrence des textiles indiens, comme le disait un gouverneur britannique cité par Marx : « Les
ossements des tisserands blanchissent les plaines de l’Inde. » En France, Jules Méline –Président du
Conseil de 1896 à 1898- pouvait dire « il faut décourager par avance les tentatives industrielles qui
pourraient se faire jour dans nos colonies, obliger en un mot nos possessions d’Outre-mer à
s’adresser exclusivement à la Métropole pour leurs achats de produits manufacturés et à remplir, de
gré ou de force, leur office naturel de débouchés réservés à l’industrie métropolitaine ».
Les débouchés coloniaux n’ont pas joué un rôle décisif dans le développement de l’occident.
Mais si l’effet du colonialisme a été très modeste sur la prospérité des métropoles, la concurrence des
produits occidentaux a pu, elle, être catastrophique pour les industries locales naissantes de la
périphérie. Selon Paul Bairoch : «L’Occident n’avait pas besoin du tiers-monde, ce qui n’est pas une
bonne nouvelle pour le tiers-monde ». Ainsi, l’organisation par la France –au cours de la période
coloniale- d’un commerce triangulaire entre le territoire métropolitain, l’Indochine et les colonies
d’Afrique a eu des effets pervers sur les systèmes de culture locaux. Les productions vivrières
traditionnelles africaines ont été évincées par la vente de riz cochinchinois à bas prix, alors que les
agricultures locales étaient spécialisées dans des cultures de rente (l’arachide au Sénégal par
exemple). Les pays africains ont acquis des spécialisations commerciales régressives et sont devenus
dépendants sur le plan alimentaire.
En Afrique, la traite des Noirs (commanditée par les pays européens, mais souvent organisée par les
Africains eux-mêmes) a laissé de profondes séquelles qui se traduisent encore aujourd’hui par la

21
F. Teulon, op.cit. p.23.

29
persistance des clivages et antagonismes ethniques. Achetés par des planteurs, les esclaves étaient
considérés comme des meubles (absence de personnalité civile et juridique) et traités comme des
bêtes de somme. L’esclavage a été aboli en 1831 par la Grande-Bretagne, en 1848 par la France, en
1860 par les Pays-Bas et en 1872 par l’Espagne.

 L’impérialisme
Il représente la domination économique et politique délibérée exercée par les pays riches sur
les pays pauvres. L’impérialisme a d’abord pris la forme du colonialisme, mais l’indépendance
politique des pays du tiers-monde ne met pas un terme aux phénomènes de domination. Cette
indépendance est plus formelle que réelle : les pays du tiers-monde disposent d’une souveraineté
politique, mais en réalité ils sont dépendants. Ils ne sont plus soumis à un contrôle direct d’une
métropole mais à un contrôle plus insidieux qui se manifeste au travers des décisions prises par
leFonds Monétaire International ou la Banque Mondiale.
Lors de la période coloniale, des ressources étaient transférées des colonies vers les métropoles
(extraction de matières premières, exploitation des plantations). De nos, selon les économistes tiers-
mondistes, ce transfert de richesses se poursuit : il prend la forme du service de la dette, de la
détérioration des termes de l’échange et des droits sur la propriété intellectuelle. Le Nord utiliserait
l’absence de cohésion politique des pays du tiers-monde pour en tirer des avantages économiques.

2°) Le problème de l’aide au développement


A la suite de la réussite du plan Marshall (1947-1953) destiné à soutenir financièrement les
pays européens affaiblis par la guerre, on pouvait penser dans les années 1960 qu’une aide accrue
aux pays les plus pauvres de la planète leur permettrait de rattraper leur retard. Aujourd’hui, de
nombreux éléments montrent que l’aide au développement est en crise.
Depuis, avec la crise de l’endettement des années 1980 et les crises financières des années 1990, les
priorités ont été bouleversées : l’aide accordée par les organisations internationales a été détournée
de son objectif prioritaire qu’est le développement de long terme, pour devenir une aide d’urgence.
L’aide au développement peut être publique ou privée. Elle est apparue après la seconde guerre
mondiale, au moment de l’indépendance des pays africains et asiatiques.

Définition et apparition de l’aide au développement.

 L’aide publique au développement (APD). Elle comptabilise uniquement les concours d’organismes
officiels dont le but est de favoriser le développement économique et d’améliorer le niveau de vie
des populations (les aides militaires et les aides à l’exportation sont exclues). Ces concours doivent
comporter un élément de libéralité au moins égal à 25% (cet élément est égal à 100% pour un don).
L’aide peut être libérale (d’Etat à Etat) ou multilatérale (accordée par les organisations
internationales). Elle revêt trois formes :
- Les dons, c’est-à-dire des transferts financiers sans contreparties de remboursement. Ces dons
représentent de l’assistance technique (rémunération d’enseignants ou d’experts), de l’aide
alimentaire ou des financements pour des investissements ;
- Les prêts bonifiés (c’est-à-dire qui bénéficient d’une bonification d’intérêt consentie par rapport aux
taux habituels du marché) ;

30
- Les annulations de dettes (les procédures d’annulation de la dette visent à reconnaître que les
difficultés de remboursement des pays du 1/3 monde correspondent à une crise de solvabilité, ce qui
signifie qu’une partie de cet endettement ne sera jamais remboursée. Au-delà d’un certain niveau
d’endettement, les créanciers ont eux-mêmes intérêt à un allègement de la dette : la réduction de son
encours augmente les chances d’un meilleur respect des engagements de la part du débiteur)
 L’aide privée. Elle est versée par des associations ou organismes qui ne dépendent pas des Etats : les
organisations non gouvernementales (ONG), comme, par exemple, Médecins du Monde, Action
internationale contre la faim (AICF), Croix rouge, Handicap International (HI)…
Cette aide est un complément utile à l’APD, mais elle est d’un montant nettement inférieur (de
l’ordre de 10% du total de l’aide).
Les organisations internationales et l’aide au développement. En dehors du Fonds Monétaire
International et de la Banque Mondiale, il faut signaler le rôle des organisations qui dépendent de
l’ONU, et celui des banques régionales de développement.
Nonobstant, pour mieux comprendre ce qui arrive aux pays de la périphérie (Tiers Monde), nous
sommes obligés de convoquer le plus prolifique sociologue suisse Jean ZIEGLER. Dans son dernier
livre, L’empire de la honte, Paris, Fayard, 2005, un véritable réquisitoire contre la dette l’auteur
montre que l’aide au développement est la cause de la faim et de la malnutrition des Etats du Tiers
Monde. Comme l’écrit Ziegler : « Quiconque meurt de faim meurt assassiné. Et cet assassin a pour
nom la dette ». Il souligne comment la violence subtile de la dette s’est substituée, sans transition, à
la brutalité visible du pouvoir colonial et représente aujourd’hui le principal instrument de
domination des pays du Sud. Il y dénonce l’absurdité meurtrière des « logiques » économiques et
l’hypocrisie du discours dominant : l’obsession du remboursement de la dette ne répond en effet à
aucune rationalité bancaire. C’est plutôt le geste visible de l’allégeance au système, et un mécanisme
qui permet aux créditeurs (gouvernements des pays industrialisés, institutions financières
internationales, banques privées et publiques) d’imposer leurs choix et leurs priorités en matières du
politiques sociales et économiques.
« L’empire de la honte », c’est donc celui des sociétés capitalistes transcontinentales privées qui
constituent, selon Ziegler, de nouvelles féodalités qui n’ont rien à envier aux anciennes.
L’empire de la honte n’est pas un ouvrage sur le capitalisme et cette manie bien européenne de tout
ramener à la révolution française peut faire sourire, mais c’est sur la question de la dette et de la faim
– et sur les liens étroits qui les unissent - que Ziegler a quelque chose à apporter.
Le livre de Ziegler est plus pertinent qu’une famine aiguë a sévi au Niger, pays où 30% du budget est
consacré au service de la dette alors que seulement 20% l’est aux services sociaux.
.- les organisations de l’ONU sont :
 La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) gère un programme
mondial d’aide alimentaire.
 Le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) a été créé en 1966 pour financer
et coordonner des programmes d’assistance technique.
 Le FIDA (Fonds International de Développement Agricole) a été créé en 1976. Il a pour vocation
d’accroître les productions agricoles dans les pays pauvres.
 Les banques régionales, ces banques ont deux missions : 1) Lever des fondsdestinés à financer des
réformes structurelles et des projets économiques ; 2) fournir une assistance technique à des pays
appartenant à une zone géographique précise. Elles ont été créées sur les trois continents à l’image de
la Banque mondiale: la Banque africaine de développement (BAD), Banque interaméricaine de
développement (BID), Banque asiatique de développement (BAD).

31
3°) Le développement de l’Afrique Noire et le capitalisme moderne

 L’environnement économique international


Le monde est devenu ce que Mc LUHAN a appelé un ‘’village planétaire’’. Avec le basculement de
la planète dans le bloc capitaliste, l’économie libérale régit le monde entier avec des effets variants
selon que l’on passe des pays du tiers-monde aux pays développés.

a) Les effets de la dépendance


La dépendance dont il est question ici s’analyse en termes économiques, politiques, voire culturels.
An plan économique, celui qui nous importe ici, cette dépendance s’exprime en termes d’inégalité
dans les échanges. Les pays du Sud sont des véritables réserves des matières premières et parfois de
main-d’œuvre que l’on utilise moins chère. En revanche, les sociétés occidentales qui détiennent le
monopole de la transformation des matières premières prélevées dans les pays du 1/3 monde en tirent
le meilleur profit. C’est ici que le concept d’ ‘’échange inégal’’. La balance des paiements dans les
pays du 1/3 monde est toujours déficitaire. Ils vendent moins cher aux pays occidentaux et achètent
en retour cher ce que ces pays produisent.

 L’échange inégal
La thèse de l’échange inégal correspond à une réactualisation de la théorie de l’exploitation ; elle tire
ses origines des analyses de Marx (transposition à l’échelle internationale des rapports d’exploitation
entre ouvriers et patrons et de la paupérisation des prolétaires). Elle présente l’échange entre pays
développés et pays du tiers-monde comme reposant sur une profonde inégalité en termes de quantités
de travail. Cette inégalité trouve son origine dans les écarts de développement entre nations. Quand
un produit fabriqué par le pays du Centre s’échange contre un produit en provenance de la
périphérie, le premier incorpore moins d’heures de travail que le second compte tenu des différences
de salaires.
Alors que la libre circulation des capitaux tend à égaliser les taux de profit au niveau international,
l’immobilité du facteur travail empêche une égalisation des taux de salaires. En conséquence,
l’échange inégal serait profitable aux pays utilisent beaucoup de capital et peu de travail et ayant des
taux de salaires plus élevés. Ces pays obtiendraient au travers de l’échange international un transfert
de surplus.

b) Les investissements d’origine extérieure


 Les firmes multinationales
Avec la mondialisation, le nouveau concept de délocalisation a fait son apparition dans les
Lexiques des sciences économiques. En elle-même, la pratique n’a rien de nouveau, on peut même
dire qu’elle existe depuis longtemps. Mais on doit relever qu’elle s’est renforcée ce dernier temps ;
de sorte que la tendance générale est à l’implantation hors de leurs pays d’origine, de nombreuses
firmes donc des succursales essaiment les pays du 1/3 monde. Ceux-ci sont des véritables paradis
fiscaux présentant des nombreux avantages pour un déploiement optimal des firmes concernées. En
s’exportant, ces firmes trouvent dans les pays d’accueil une main-d’œuvre abondante et moins chère,
des matières abondantes également moins chères, des codes des investissements plus souples que
ceux de leurs pays d’origine. Visiblement, les investissements d’origine extérieurs ne contribuent en
rien qu’au développement des pays du 1/3 monde.

c) La naissance du capitalisme moderne et le développement de l’Afrique Noire

32
Si l’on part du principe qu’aucune nation ne vit plus aujourd’hui en vase clos, on doit
normalement s’attendre à ce que les économies africaines connaissent un niveau de développement
avancé du fait du contact qu’elles ont avec les pays du Nord, véritables moules du capitalisme
moderne.

- Les caractères du capitalisme moderne


Sans remonter au déluge, nous disons d’entrée de jeu de ce qui caractérise le système capitaliste,
c’est la mentalité acquisitive, rationaliste et individualiste qui s’exerce dans le cadre d’une
organisation économique libre, fondée sur la propriété privée, des moyens de production et sur des
industries qui produisent des biens pour le marché en utilisant le travail salarié.
Dans l’’’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme’’, Max Weber définit le capitalisme moderne
comme une forme d’organisation économique qui permet la satisfaction des besoins à travers des
entreprises privées qui produisent des biens sur le marché, sur la base d’un calcul de rentabilité du
capital à investir et qu’emploie une force de travail salarié formellement libre. Cette définition
développée par Max Weber contient trois (03) éléments qui permettent de distinguer le capitalisme
moderne à la fois des formes d’’organisation économique non capitaliste et des autres types de
capitalisme.
- La 1ère dimension est celle de la satisfaction des besoins par le biais du marché. Cette distinction
permet de différencier le capitalisme moderne de l’économie domestique ou de l’économie paysanne
dans laquelle la production des biens est surtout destinée à l’autoconsommation ou à la couverture
des besoins d’une famille ou d’une communauté locale.
- 2ème, dans le régime capitaliste avancé, le calcul du capital est particulièrement développé grâce aux
mesures comptables et organisationnelles comme la comptabilité rationnelle et la séparation
juridique entre entreprise et patrimoine familial de l’entrepreneur.
- 3ème condition qui n’existe pas dans l’économie domestique et dans le capitalisme traditionnel. Il
s’agit de l’organisation rationnelle du travail salarié formellement libre.

3°) Les poids des dynamiques endogènes (du dedans ou internes)


Les obstacles économiques qui entravent le développement des entreprises en Afrique sont
nombreux : insuffisance de l’épargne intérieure, difficultés de financement bancaire, inexistence ou
mauvaise organisation des marchés financiers, faiblesse du pouvoir d’achat des populations,
étroitesse des marchés, etc. Ces obstacles liés généralement aux conditions de sous-développement
vont se doubler de contraintes sociales et culturelles qui prennent racine dans la mentalité africaine.
En Afrique, l’entreprise moderne est vécue comme la transposition d’une réalité économique et
sociale étrangère. Elle se présente alors aux yeux des populations et principalement de ses propres
salariés comme un système de production propre aux Occidentaux et sera perçue comme « l’affaire
du Blanc ». Considérée comme telle, l’entreprise moderne sera confrontée en Afrique aux résistances
liées aux traditions communautaires bâties autour d’un système de solidarité et d’harmonie sociale.
Dès lors, l’entreprise articulée autour des valeurs marchandes, des principes de rationalité et de
profit, se verra opposer d’une certaine façon, au mode de production villageois traditionnel avec ses
obligations et ses interdits.

a) Les poids des dynamiques du dedans


Les classes dirigeantes que Jean ZIEGLER appelle la « proto-bourgeoisie » ou encore la
« bourgeoisie compradore » sont les produits de la colonisation. La colonisation a mis en place des
mécanismes qui devaient assurer sa reproduction même après les indépendances formelles. Cela s’est

33
observé partout où les luttes nationalistes ont échoué au Tchad, au Cameroun, au Congo Belge
(RDC), en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso. L’on a propulsé des espèces de garçons de tous dont le
rôle sera de veiller sur les intérêts de la métropole. Or sauvegarder les intérêts de ladite métropole et
le développement local ne sauraient faire bon ménage.

 Les responsabilités de l’Etat classe dirigeante


Les classes dirigeantes africaines constituent la troisième plaie de l’Afrique. Les indépendances
formelles acquises au début des années 60, on fait émerger des proto-nations à la tête desquelles le
pouvoir colonial a mis des dirigeants acquis à sa cause, acquis à la cause de l’ancienne métropole. Il
s’agit de clore de profiteurs des indépendances dont le travail consiste à imiter l’ancien maître, à
reproduire les habitudes de consommation et les schèmes de pensées impérialistes. Ils sont les
maillons locaux d’une chaîne d’accumulation à l’échelle planétaire. Ils recherchent leurs intérêts
particuliers et égoïstes en même temps qu’ils servent les colonisateurs. De par leur construction et
leur formation, de par leur élaboration, ces classes dirigeantes sont déracinées, manque d’autonomie
sont foncièrement dépendantes vis-à-vis de l’ancien pouvoir colonial. Nullement soucieuses de
l’intérêt national, elles ne sauraient être des catalyseurs d’un vrai développement ; c’est-à-dire un
développement tourné vers le social.
A l’examen, le Centre ne se développe que parce qu’il exploite la Périphérie. Cela est loin d’être une
fatalité dans la mesure où le centre bénéficie de la complicité des dirigeants africains, par les jeux des
alliances de classes. Ces alliances de classes passent par les investissements ostentatoires et
somptueux où les dirigeants africains trouvent leur compte par l’accumulation personnelle qui sème
la désolation parmi le peuple. Tout cela ne fait que consacrer la faillite du développement.

 Les mentalités anti-développement


L’on a pris coutume d’aborder le développement en terme purement quantitatif. Or, le
développement est également une affaire de mentalité, de qualité de vie. Autrement dit, pour que le
développement puisse s’exprimer de façon optimale, il faut qu’il y ait un terrain mental propice à un
tel exercice. De sorte que certaines dispositions mentales apparaissent comme des freins au
développement. L’on doit penser ici à la mentalité mythique, à la mentalité superstitieuse, à la
sacralisation de l’espace, à l’élasticité supposée du temps.
Cependant, plusieurs facteurs inhibent le développement de l’Afrique noire ; à savoir : la pression
communautaire, le mythe du chef, la notion du temps, le poids du sacré ou du pouvoir magique et du
fatalisme, l’absence d’écriture et de la tradition orale, le culte du secret et les problèmes de
communication, le conformisme et l’exploitation du droit d’Aînesse.
- La mentalité mythique désigne la croyance aux mythes, aux récits et aux faits à caractère
populaire, merveilleux, extraordinaire ; mettant en scène des êtres et des actions plus ou moins
imaginaires dans lesquelles sont transposés les événements historiques. C’est en fait, des
représentations et des expressions symboliques qui fournissent une explication plus ou moins
irrationnelle de la réalité. A titre illustratif : Koïdom, est le mythe par lequel certains groupes sociaux
essayent d’expliquer la réussite économique des Pévé ou Ziméde Pala au Tchad. Ce qui revient à
dire que ceux qui n’ont pas de Koïdom sont condamnés à être pauvres. On sait pourtant que, la
réussite économique est le résultat d’une accumulation expérimentale et vérifiable des richesses,
même dans un contexte de pillage économique.
- S’agissant de la mentalité superstitieuse, elle qualifie un état d’esprit largement gagné par la
superstition ; c’est-à-dire un ensemble de croyance fondé sur la peur, l’ignorance, certains
événements fortuits ou une certaine transposition du sentiment animiste et qui prête à un caractère

34
prohibé ou tabou à certaines choses, à certaines pratiques. Il en est ainsi, à titre d’exemple de certains
interdits alimentaires dont on accable les femmes enceintes dans certaines aires culturelles (la femme
ne doit pas consommer les œufs, manger la viande du singe).
- L’élasticité du temps renvoie à un manque de discernement et de rigueur dans la conception du
paramètre mesurant la durée. Il s’agit ici d’une conception diffuse et souple du temps. On pense que
ce qu’on devait faire aujourd’hui peut être fait demain sans préjudice aucun et avec les mêmes effets
bénéfiques. Or, « qui remet toujours à demain trouve malheur en chemin », dit un adage africain. Le
développement se déroule en temps et sur un espace précis.
En outre, dans la culture occidentale, le facteur temps revêt un caractère primordial. La prise en
compte du temps est l’une des valeurs sur lesquelles repose la logique rationnelle de tout
gestionnaire pour réaliser ses objectifs. Le temps, c’est de l’argent et le profit qui est l’objectif de
toute entreprise ne se réalise qu’en gagnant du temps. Par exemple, le niveau de production par
heure, par jour, par mois ou par an sera un critère de performance pour l’entreprise, tandis que les
heures perdues, les absences et les retards seront des facteurs de contre-productivité.
En sus, les faux rendez-vous, le retard sous toutes ses formes, même dans les cérémonies les plus
officielles, procèdent d’un état d’esprit qui a tendance à se généraliser dans le milieu africain, au
point où on parle même de « l’heure africaine ». Existe-t-il une lune, un soleil ou une montre
spécifique aux Africains pour qu’on invente une heure africaine ? L’heure africaine dont on parle,
ne serait-elle pas celle des retardataires ? Accepterons-nous d’être en retard à vie ?
-La gestion de l’entreprise moderne repose fondamentalement sur des considérations
rationnelles. En Afrique, le pouvoir magique et du fatalisme dominent tous les esprits. Pour
beaucoup d’Africains, au contraire, la réussite sociale ou la carrière au sein de l’entreprise dépend de
l’action des forces occultes. On pense que la promotion résulte des pouvoirs du « fétichisme » ou du
« marabout » sur le chef hiérarchique. On donne alors libre cours à des pratiques magiques qui se
traduisent par des adorations et des sacrifices. Des esprits sont constamment invoqués pour obtenir
un avantage ou pour combattre un collègue ou un chef. Exemple : des étudiants vont chez leurs
seigneurs marabouts soit pour obtenir des fortes notes, soit pour nuire à leurs enseignants qu’ils
trouvent rigoureux.
Autant la pensée magique est un handicap au progrès de la civilisation africaine, autant le fatalisme
constitue un obstacle majeur. La primauté des forces surnaturelles sur l’esprit cartésien n’a pas
favorisé la dynamique de développement. A titre illustratif, il sera plus facile pour une communauté
villageoise de solliciter la protection des génies bienveillants en cas de calamité naturelle
(sécheresse, famine, épidémies, etc.) plutôt que de rechercher les causes objectives et rationnelles de
ces phénomènes pour les éviter. Pour beaucoup d’Africains, de tels fléaux ne peuvent que traduire la
colère des dieux.
-Les difficultés de l’absence d’écriture et de la tradition orale. La société africaine a une vieille
tradition de l’oralité de l’oralité. « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui
brûle », a dit l’écrivain Amadou Hampâté Ba. Lorsqu’un notable décède, c’est tout un pan des
archives de sa communauté qui disparaît. Cette image rend compte du rôle capital des anciens dans
la chaîne de transmission du savoir de génération en génération. Elle met aussi en évidence la
précarité et les limites de ce mode de transmission au sein de la communauté. Du fait que la mémoire
humaine réside difficilement à la durée, l’information subit des imperfections au cours du temps.
Sans écriture, la communication est exposée à d’importantes pertes.
-La notion du chef, le chef ou l’aîné a toujours raison. On ne le conteste pas. Il est vénéré.

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CHAPITRE IV : L’AGGRAVATION DES DESEQUILIBRES STRUCTURELS
De graves déséquilibres dans le domaine économique, politique et social. On note
particulièrement une dichotomie, opposition entre une croissance démographique rapide et une
croissance plus limitée de l’économie.
I. LES POPULATIONS TOUJOURS PLUS NOMBREUSES ET UNE URBANISATION
RAPIDE
On note au cours de cette décennie une croissance démographique naturelle soutenue.

1-Croissance naturelle soutenue


Selon les statistiques de 1991, le continent enregistrait 625millions d’habitants. Quel a été le rythme
de cette croissance de 1950 à 1990 ? Pendant ces quarante (40) dernières années, la population est
montée de taux de 78%, pour la période de 1950-1970 et de l’ordre de 85%, de 1970 à 1990. Dans le
même temps, les Africains sont passés de 8% à 12% de la population mondiale. Quant au taux
moyen d’accroissement annuel, on observe dans tous les pays, une accélération au point d’excéder
25% (ce qui est énorme).
Cette croissance naturelle de la population est due à une natalité élevée et la baisse de la mortalité.
La baisse accélérée de la mortalité est accordée à l’action médicale, à la vulgarisation des moyens
préventifs (vaccination des peuples). Les progrès se sont manifestés par la disparition de certaines
endémies telles la variole, le pian. En revanche, d’autres maladies se sont développées tel le
paludisme, le SIDA... Toutefois, l’espérance de vie est accrue pour les hommes (de 46 à 52 ans de
1975 à 1990) et pour les femmes (de 49 à 55 ans de 1975 à 1990). En somme la croissance
démographique naturelle est soutenue.

2- Une population élevée de jeunes


La proportion des jeunes de 15 ans augmente plus vite que l’ensemble de la population. Ainsi pour
l’Afrique subsaharienne, elle passe de 43,5% en 1950 à 47/ en 1980 et 48,5% en 1991. La
scolarisation et la formation de cette jeunesse constitue des préoccupations majeures pour les
Etats. Dans l’ensemble, la scolarisation primaire a évolué depuis les indépendances. Mais avec un
déséquilibre au niveau des sexes ; plus de garçons ont été scolarisés que les femmes.
L’éducation a constitué une priorité pour la plupart des Etats africains qui y ont consacré une part
importante de leurs budgets : (Tunisie, 30,5% de son budget, le Ghana 25% en 1973, la Côte d’Ivoire
presque la totalité du budget). La scolarisation secondaire a fait des progrès moindre en Afrique
noire qu’en Afrique du Nord. L’évolution a été rapide en Egypte, pays islamisé, la population des
filles scolarisées est frappante. Quant à l’enseignement supérieur, il reste limité malgré la faiblesse
des taux de scolarisation, les difficultés ne permettent pas d’employer tous les diplômés dont une
partie reste au chômage ou est contrainte d’accepter des postes sous qualifiants.

3- L’urbanisation rapide
On assiste depuis quelques années à une véritable explosion urbaine avec les taux de croissance
soutenus. La part des citadins est de 35% en 1990 et avoisine celle des ruraux. Tels est le cas de la
Libye où le taux urbain est de 70%, de la Tunisie 55%, et de la Zambie 51%. Cette population
urbaine loin d’être exclusivement alimentée par l’exode rurale, s’explique par la croissance naturelle
des enfants qui naissent en ville. La croissance des capitales politiques ou économiques s’est

36
accélérée et de véritables mégapoles sont nées (Lagos plus 10 millions d’habitants du Nigeria), le
Caire 8,8 millions soit 17% des Egyptiens.
Les conséquences e l’urbanisation sont nombreuses : une extension spatiale des villes avec tous
les problèmes de gestion ; d’augmentation ; d’équipements collectifs etc. En outre l’architecture s’est
modifiée. A côté des maisons du style colonial de villas, des zones surpeuplées et précaires existent.
On passe donc des villas des quartiers superbes aux bidonvilles des quartiers périphériques. Il en
résulte une ségrégation à la fois sociale et ethnique.
Dans le contexte de la crise actuelle, les clivages se sont accentués. Dans les villes côtières,
les femmes qui tiennent le commerce, appelées les NANA BENZ (au Bénin et au Togo) achètent des
voitures coûteuses et leur prospérité contraste avec la pauvreté des demandeurs d’emploi et de la
population flottante de mendiants. Il est né aussi un secteur informel qui s’est développé. Le tiers en
moyenne de la population urbaine vivait de petits métiers.

II- DES ECONOMIES EXSANGUES


Les économies exsangues sont vidées de toute leur vitalité, leur contenu.

1- Les fluctuations conjoncturelles


L’Afrique n’est pas un continent isolé du monde. Elle connait une grave crise à partir de 1973
à l’instar de tous les pays du monde à cause de la hausse du prix du baril de pétrole. Cette crise se
signale par un mouvement inflationniste, c'est-à-dire, une hausse galopante des prix. C’est le lot de
tous les pays du monde. Une analyse beaucoup plus fine se dégage. En effet, dans ce contexte
inflationniste, il y a des moments d’accalmie. En effet à partir de 1981, la tendance s’infléchie et très
sensible dans tous les pays industriels à cause des mesures anti- inflationnistes. En revanche dans les
pays du tiers monde, les prix continuent d’augmenter et, ce mouvement est accéléré par
l’endettement des Etats africains. On fait ressortir de cette situation que pour ce qui concerne
l’Afrique, c’est que l’économie est extravertie ; elle dépend du monde extérieur. Les bases des
échanges qui s’opèrent en Afrique depuis l’époque coloniale n’ont pas changés. L’Afrique noire
continue d’exporter les matières premières et d’importer les produits manufacturés. Or la fixation des
prix ne dépend pas de l’Afrique. Par conséquent, les revenues et les recettes que les Etats tirent des
exportations dépendent toujours des variations des cours mondiaux des matières premières (c’est à la
cours de Londres que se fixent les prix). Cette explication est à relier à l’inflation que subi le pétrole.
Certes, des accords internationaux ou bilatéraux ou encore, multinationaux ont été signés
régulièrement en vue de trouver une solution au problème de la variation des prix de matières
premières. Au niveau de la Côte d’Ivoire, la CAISTAB lutte contre les inflations des prix. Cependant
les termes de l’échange se sont toujours dégradés. Aussi, force est de constater qu’en moyenne
l’échange est devenu de plus en plus inégal, alors que les articles fournis par l’Europe grimpent
constamment. Par conséquent, c’est l’inégalité dans les termes d’échanges.
Aussi, on peut noter que l’indice des termes de l’échange est tombé de l’indice 100 en 1990 à
l’indice 96 en 1985 en 1988 l’indice a chuté jusqu’au niveau de 60. En effet, les fluctuations
conjoncturelles sont néfastes pour l’Afrique. A cette situation de conjoncture, s’ajoute une
transformation lente des secteurs d’activités.

2- Une lente transformation des secteurs d’activités économiques


On assiste à une lente transformation des différents secteurs d’activités. De la date des
indépendances en 1960 à nos jours, la part de l’agriculture dans le Produit Intérieur Brut (PIB) à
diminué, tandis qu’on a une augmentation de l’industrie. En revanche dans le secteur tertiaire la

37
situation est variable bien que le grandissement de ce dernier secteur où 16% de la population est
active en 1975 et 21% en 1989, le secteur abouti a une saturation. La fonction publique du secteur
privilégié du tertiaire, ne peut plus embaucher ; elle est également saturée. Le nombre de jeunes
diplômés est important et l’Etat est incapable de créer des emplois. Les entreprises privées aussi ne
peuvent pas absorber tous les jeunes diplômés.

a) L’agriculture
L’agriculture au niveau de l’Afrique est une vocation première. Cette agriculture doit prendre en
charge une population tout en exportant. Or les difficultés sont nombreuses dans ce secteur. Ce sont
les mauvaises conditions naturelles accentuées périodiquement par la sécheresse, elle-même
génératrice de famine. C’est le cas des pays du Sahel de 1973 à 1975 et de tous les pays d’Afrique
de 1983 à 1985. Cs pays sont touchés par la sécheresse. On assiste à l’usure des terres, la
dégradation des terres. Les investissements sont insuffisants pour les Etats qui ont du mal à palier ce
problème ; très endettés et incapables de résoudre les problèmes. Par ailleurs, l’aide fournie par les
ONG devient ponctuelle et ne répond toujours pas aux besoins réels des bénéficiaires.
En Afrique nous enregistrons que les efforts n’arrivent pas à assurer les besoins. L’auto-
insuffisance alimentaire n’est pas garantie ; d’où l’importation des aliments. Cependant, la croissance
de la population urbaine entraine le développement des cultures maraichères autour des villes, ceci
pour trouver une solution au problème alimentaire. Au plan industriel, c’est la carence totale.

b- L’industrie
On enregistre un déséquilibre dû essentiellement au fait qu’il faut s’adresser à l’Etranger
pour l’essentiel des produits manufacturés. La production industrielle en Afrique subsaharienne est le
plus souvent limitée à la production de quelques biens de consommation (les agro-alimentaires, les
textiles). Cette production ne couvre pas les besoins locaux.
Cependant l’industrie a progressé. En 1975, 9% : de la population active est employée, dans
l’industrie. En 1990, 13% de la population est active dans le secteur industriel. Ceci s’explique par
l’étroitesse du marché qui n’a pas trop d’audience à l’extérieur. Le bénéfice réalisé est infirme pour
les investisseurs industriels d’où le mépris du secteur.

3- Le tourisme
Du point de vue de son développement, il date de 1978. Les sites célèbres touristiques sont
légions en Afrique et bien protégés. Le cas de réserves naturels de Kenya qui attirent des milliers de
touristes. Les réserves DJOUDJ du Sénégal et du lac Malawi, les réserves du Zimbabwe (les réserves
de Mana Poal). Bref, le tourisme est une source qui génère beaucoup de devises, à travers les emplois
qu’il crée dans plusieurs pays : Côte d’Ivoire, Sénégal, Kenya, Tunisie, etc. Le recours à
l’immigration sera une porte de sortie pour les Africains. En effet, l’immigration se présente comme
l’ultime recours pour les Africains de trouver du travail. On a donc une fuite de cerveaux pour des
causes économiques et politiques.

38
CHAPITRE V: LA DEMOCRATISATION DES ETATS AFRICAINS
A la fin des années 1980, la preuve était déjà faite que les régimes autoritaires loin de
redresser la situation de leur pays, l’avaient aggravée. Une évolution nouvelle se produisit en faveur
de régime civil et une libération des institutions à partir de 1990. Cependant, on peut dire que les
états autocratiques tels la Libye et le soudan devinrent exception sur le continent.

I- LA DEMOCRATISATION
Le mouvement de démocratisation qui se fait jour en Afrique, est enclenché certes, par les
manifestations africaines, c'est-à-dire, par des mouvements internes, mais, sa source, se situe dans
l’effondrement de monde communisme en Europe orientale. Quels étaient alors les facteurs de
démocratisation du continent africain ?

1- Les facteurs de démocratisation


A l’effondrement du bloc communiste s’ajoute certaines forces internes à l’Afrique.

a) L’effondrement du communisme
Il intervient en Europe orientale après l’écroulement du mur de Berlin en 1989. Cet effondrement va
avoir des répercutions sur le processus de démocratisation en Afrique. Les pays comme le
Mozambique renoncent à l’option communiste en 1980, L’Angola en 1991. Parmi ces pays qui
renoncent au communisme, le Bénin renonce au mouvement populaire pour ne retenir que la
république du Bénin après avoir renoncé à l’idiologie communiste.
En Algérie et dans le reste de l’Afrique, le mouvement de renonciation du communisme va
s’accélérer jusqu’en 1992 Au mois de mai 1992, les représentants de 40 pays africains réunis à
Dakar, adoptent une déclaration qui affirme la nécessité des gouvernements d’assurer le passage de
la démocratie.

b) Les forces endogènes


Le rôle assuré par les forces sociales est décisif et ces forces sociales en Afrique sont multiformes.
Il y a les syndicats des travailleurs ; les associations diverses et les jeunes. Ces derniers (jeunes) sont
très actifs dans les manifestations, ne craignant pas de déclencher les émeutes. Par exemple en Côte
d’Ivoire en 1989-90 ; au Zaïre en octobre 1989 ; au Gabon en 1990 et au Mali de 1990 à 1991.

39
Toutefois à côté de ces émeutes, la contestation prit une connotation légaliste ou pacifique qui
consiste à réclamer la tenue de conférences nationale à l’instar de celle qui s’est réunie au Bénin en
février 1990 sous la présidence de l’archevêque de Cotonou Mgr DE SOUZA.
Ce mode de consultation qui semble être plus apte à traduire les aspirations des citoyens,
regroupait, aussi bien, les représentants des partis politiques, des associations, des groupements
religieux, des collectivités locales. Il fut adopté dans plusieurs pays d’Afrique et se déroula sous des
formes variées en Afrique en fonction des rapports de forces. Au Congo, les travaux durent plus de
trois (3) mois dès juin 1991. La conférence du Niger réunit à Niamey 1204 délégués le 29 juillet
1991.
A Madagascar, un forum national se tient au mois de mai 1992. Au Tchad une conférence
nationale se réunit le 15 janvier 1993. En revanche, la Côte d’Ivoire, le Kenya ne purent obtenir de
leur président respectif la tenue de ces assises populaires nationales.

2- De nouvelles bases institutionnelles


Ce qui est évident, ce sont de nouvelles constitutions élaborées et acceptées par des
référendums. La population approuve à la majorité ces institutions écrasantes.
Après la mise en place de la loi fondamentale (la constitution) ; la reforme majeure fut l’abandon du
parti unique et aussi, l’instauration du multipartisme. A la suite de quoi, de nombreuses formations
politiques et autres furent crées. Plus de 230 associations au Zaïre, 34 au Bénin (dont 21 partis
représentés à l’assemblée nationale), 42 au Cameroun, en Côte d’Ivoire, presqu’une centaine de
partis politiques.
La mise en pratique de chaque constitution aboutie à l’organisation des élections pluralistes dont le
déroulement malgré la présence d’observateurs étrangers ne fut pas toujours limpide. Les années
1990, 1992 et 1993 sont des années électorales. Si dans les pays tels (le Bénin et la Zambie), les
consultations écartèrent au pouvoir les inamovibles présidents partout ailleurs, il n’y avait pas eu de
changement. Par ailleurs la démocratisation impliquait la liberté d’expression d’où la floraison de
journaux aussi parfois cohésifs qui ne se privaient pas à critiquer et d’apporter des suggestions.
De même les caricatures furent dans cette presse, osant de s’attaquer aux hommes politiques
considérés somme intouchables. On note des tribunes de libre expression dans la presse. Il eut aussi
des systèmes associatifs qui se transformaient avec la fin du parti unique.
Aussi à la fin de 1992, la plupart des pays africains avaient renoué avec leur orthodoxie
constitutionnelle. Toutefois, l’institutionnalisation avait parfaitement fonctionnée, la mise en pratique
se fait plus lentement et non sans difficulté.

3- Des transitions fragiles


a) La mise sous l’éteignoir de la démocratie
La démocratie est malmenée, on note des tensions et la montée de l’intégrisme. Dans ce
processus de transition, on note un premier phénomène. Il s’agit de la mise sous l’éteignoir
(l’étouffement) de la démocratie. Le processus de la démocratisation n’a pas abouti dans la presque
totalité des pays africains.

- Cas du Zaïre
Dans ce pays, l’épreuve de fore engagée entre le président de ce pays désiré Mobutu, appuyé sur
l’armée et le gouvernement issu de la conférence nationale qui se poursuivit jusqu’en 1993. Ceci

40
malgré la pression de plusieurs pays occidentaux comme la France et les EU. Ceci dans un contexte
de crise généralisé et dans un contexte armé. L’ambassadeur de la France est tué le 28 janvier 1993.

- Cas de la Côte d’Ivoire


Le processus engagé le 30 Avril 1990, est stoppé en février 1992. Les paysans très déçus
s’organisent en syndicat ; cas de SYNACI, crée à l’initiative de l’opposition. Quand aux étudiants
qui avaient pris position, leur mouvement a été expédié sur le campus de YOPOUGON. Le
Président refuse de sanctionner le chef d’état major de l’armée responsable des faits. D’où l’ampleur
du mouvement contestataire de janvier 1992.
Le gouvernement décide de user de la fore et arrêta les principaux leaders, tels Laurent GBAGBO
et d’autres militants le 18 février 1992. D’où une forte émotion à l’intérieur et au plan international.
A la fin de 1992, les détenus sont amnistiés. Mais le système mis en place vit toujours.

- Cas du Togo et du Tchad


Dans ce pays Eyadema, violement contesté par le peuple en 1991, promet des réformes et
renforce son autorité en se faisant encadrer par l’armée française. Une grève générale lancée en
novembre 1992 par l’opposition, se prolongera jusqu’en janvier 1993. Les violences liées aux
représailles causèrent plusieurs morts.
Au début de février 1993, on estimait à 300.000 le nombre des habitants de Lomé qui avaient trouvé
refuge au Bénin et au Ghana. Quelque mois plus tard, en août 1993, Eyadema est réélu président
avec une faible participation électorale estimée à 30% des inscrits.
Le cas du Tchad est similaire à celui du Togo. Du décès du père à la succession du fils. La
démocratie est une foutaise disent les militaires et la population quant à elle utilise la rue comme un
espace démocratique et un laboratoire pour le changement démocratique. Seule la rue libère !

b) Processus de démocratisation, sources de tensions


Dans plusieurs pays d’Afrique, la démocratisation se déroule dans une atmosphère de tension
ethnique ou régionaliste. Tensions qui dégréneront en véritables guerres, en conflit armées.
Mais surtout au Rwanda une guerre larvée se poursuit depuis octobre1990 avec les péripéties
suivantes les actions de guérilla opposant les TUTSI aux HUTU. Il en est de même du pays proche,
l’Ouganda. Ici, l’insécurité s’installe dans deux zones (Nord et dans l’Est).
Autre pays, c’est le Niger. Une rébellion animée par les TOUAREGH est suivit d’un dialogue en
janvier 1992. En revanche au Mali, un pacte national conclu entre le gouvernement et les formations
TOUAREGH (au nombre de quatre).
Ceci, après deux années de luttes qui s’achèvent par un accord qui confère un statut
particulier au nord du pays. Dans le même temps, la guerre civile persiste au Libéria malgré
l’intervention de l’ECOMOG en application d’un accord signé à Yamoussoukro le 31 janvier 1991.
Au début de janvier 1993, le nombre de réfugiés s’élève à 185000 personnes.
En somme, ces exemples montrent que le processus de démocratisation n’est pas une mince affaire.
Le dernier exemple de la transition fragile est l’intégrisme.

c) La montée de l’intégrisme

41
C’est un danger pour la démocratisation. Ce danger est présent dans les pays du Nord tels
l’Egypte, le Maroc et l’Algérie, la lutte menée par le FIS (Front Islamique du salut) entrave le
processus de démocratisation. Cette lutte entraîne la dissolution du FIS le 4 mars 1992. Malgré l’état
d’urgence proclamé cette année là, les troubles continuent toujours. Que peut-on dire à la fin de cette
partie (transition fragile).
A la fin de l’année 1992, la démocratisation était loin de triompher partout. Mais dans plusieurs pays
le processus semblait en bonne voie. Autre changement en Afrique, c’est la réconciliation en Afrique
du Sud.

II- LA RECONCILIATION RACIALE EN AFRIQUE DU SUD


Après plusieurs années d’un régime foncièrement racial en Afrique du Sud, à partir des
années 90, l’Afrique du sud s’engage sur la voie de la réconciliation et donc la fin de l’apartheid.
Ceci se fait sans lueur.

1- La contestation de l’intégrité raciale


La lutte contre le système raciste devient de plus en plus violente dans les années 80. Cette
lutte était menée par les mouvements de contestation conduits par l’ANC crée en 1912, l’INKATA
crée en 1928 et le parti de Steve Biko, l’AZAPO. Cependant quelques années auparavant, le
gouvernement sud-africain engage des réformes sous pressions extérieures pour éliminer les aspects
les plus atroces de l’apartheid. Il engage des réformes favorables au régime et à une classe
privilégiée des Noirs, en leur accordant des droits d’association aux noirs. Or dans ce contexte
économique difficile des années 80, des grèves se font jour dans plusieurs secteurs d’activités.
Tandis qu’une guérilla urbaine se développe avec le sabotage des installations industrielles.
En 1986, les deux fédérations de syndicats africains : le COSATU (Congrès of South African
Trade Union), le CUSA-AZACTU (Concil of South Africa Azanian Confédératio Trade Union).
Outre l’action revendicative, les syndicats étaient des lieux de l’apprentissage de la politique. Ils
étaient politisés et devenaient une force pour la lutte du pouvoir. Ceci va conduire à la fin de
l’apartheid.

2- L’Afrique du Sud en guerre contre sa population noire


En effet un changement constitutionnel intervient en 1984. Ce changement loin de libérer le
régime, cristallise les divisions raciales. C’est aussi l’avènement d’un pouvoir présidentiel plus fort.
Les fondements de l’apartheid se maintiennent. D’où la réaction des jeunes plus vifs. Des jeunes à
tendances pacifiques initiés par Mgr Anglican Desmond Tutu en 1984.
Le gouvernement de BOTHA décrète l’état d’urgence, multiplie la répression et les arrestations, il
recourt à des méthodes très sadiques pour mettre fin à la vie de plusieurs militants anti-apartheid.
Aussi, en février 1987, 13000 personnes y compris les enfants sont emprisonnées à la suite de l’état
d’urgence lancé par BOTHA. Il en résulte de nombreuses morts estimés à 1200 à 1400 morts. Il eut
aussi des blessés. Les autres puissances eurent une attitude ambiguë à l’égard de cette politique. Les
USA joueront un rôle prépondérant dans l’assassinat de l’apartheid.

3- La fin de l’apartheid
FREDERIC DE KLERK arrive au pouvoir en septembre 1987. Il annone des changements
fondamentaux : il légalise l’ANC en octobre, suivit de la libération de Nelson Mandela le 11 février

42
1990 après 28 ans passés en prison. Cette nouvelle largement diffusée dans le monde entier permet à
l’Afrique du sud de sortir de son climat enclavé de diplomatie. Malgré, cela, la violence se poursuit :
2500 morts en 1991, près de 3500 en 1992.
Le 20décembre 1991 une conférence démocratique réuni dix neuf (19) partis politiques (y
compris le parti national et l’ANC). Deux concessions s’affrontent : le parti national vise à préserver
les droits des minorités et l’ANC préconise l’unité sans différence raciale à l’intérieur de l’Afrique
du Sud. Un référendum à la fin de l’apartheid est organisé par les seuls blancs en mars 1992, où
68,7% des votants répondent par l’affirmative. Quant aux négociations des futures instructions du
nouvel Etat, elles sont en cours au début de l’année 1993. Toutes les structures inégalitaires, se
pérennisent, par exemple, l’écart de revenus entre le blanc et le noir est de 6. En revanche, l’Afrique
du Sud parvient effectivement à la réconciliation raciale.

CHAPITRE VI : REPENSER LE DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE. LES VOIES DU


SOCIAL
Le social considéré comme un paradigme est ici révolutionnaire dans la mesure où il opère non
seulement un autre type de démarche pour l’étude du développement, mais aussi une autre approche
de l’Etat censée conduire ce dernier. Par conséquent, prioriser le social implique tenir compte de la
primauté des rapports sociaux dans l’étude des relations entre le haut et les bas dans la société
tchadienne actuelle. Pour ce, la classe dirigeante africaine, notamment tchadienne reste au centre des
préoccupations dans ce type d’analyse.

1) La classe dirigeante tchadienne : un égoïsme exacerbé22


La classe dirigeante tchadienne est un véritable parasite dans la société globale. Elle n’a d’assise
nationale que sa position rentière, prébendale et néopatrimoniale au sein de l’appareil d’Etat. En
réalité, c’est une superstructure qui est loin de représenter une bourgeoisie nationale autonome. C’est
pourquoi MOTAZE AKAM appelle en d’autres termes, « proto-bourgeoisie ». Ce qui a souvent
échappé à l’analyse de cette classe, c’est sa donne psychosociologique : son comportement au
sein de la société globale et ses impacts négatifs et nocifs sur le développement
national. En termes clairs, la classe dirigeante tchadienne, assimilable à plus d’un titre au
gouvernement est d’un égoïsme exacerbé. L’on peut initier, certes, une sociologie des égoïsmes
contemporains, mais l’auteur d’un égoïsme exacerbé : la classe dirigeante ou le gouvernement ne
donne rien au pays, qui, paradoxalement lui donne tout. Il explique dans L’Etat et les Hommes,
comment l’accès au gouvernement est un accès à des positions de rentes et prébendes, mais aussi
d’honneur et de prestige, d’éclat et de dignité. Les membres de la classe dirigeante sont par
conséquent riches, « bourgeois » sans pour autant se constituer en une bourgeoisie nationale
autonome et dynamique. Leurs position et impact sur les processus d’accumulation au Tchad se
traduisent non par une reconnaissance tout au moins envers le pays dont les richesses les ressourcent
spécialement, mais par une méconnaissance absolue de ce dernier sur tous les plans : l’égoïsme
exacerbé. L’auteur s’illustre par quatre phénomènes qui constituent de véritables fractures du social
au Tchad, voire au Cameroun : la santé publique, l’éducation nationale, la recherche scientifique
nationale et la vie quotidienne de la classe dirigeante.

a) La santé inégale
Pour tout pays au monde, la santé est primordiale. Ceci s’explique le plus simplement possible :
si l’on n’est pas en santé, l’on ne peut pas travailler, l’on ne peut rien faire d’autre que d’attendre
mourir. Ailleurs, notamment dans les pays avancés, on va chez le médecin pour se faire soigner, car

22
Motaze AKAM, Le social et le développement en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 138.

43
trois personnes sur cinq ont chacune son médecin suivant au quotidien les problèmes de sa santé.
Dans les pays sous-développés, la sociologie de la santé a montré combien ce secteur est
extrêmement important pour les « acteurs » du développement, mais seuls, cinq ministres sur cinq
ont chacun son médecin traitant, et le plus souvent à l’étranger (l’Occident, selon le sens commun).
Au Tchad ou au Cameroun, les évacuations sanitaires qui ont lieu vers les métropoles occidentales ne
concernent qu’une infime minorité de hauts fonctionnaires ou des protégés de la classe dirigeante.
L’impression qui se dégage dans ces pays et qui traduit une certaine réalité est que les professionnels
de la santé et la classe dirigeante semblent ignorer complètement ce qu’il faut entendre par la santé
publique. Le rappel vaut la peine : la santé publique est la santé des populations. C’est-à-dire les
populations rurales (pastorales, agricoles), informelles qui n’ont cessé de constituer la principale
force de travail dont la classe dirigeante se nourrit au Tchad et au Cameroun. Bref, les ruraux et les
urbains, les salariés et les non salariés, le chef de l’Etat et les ministres, voilà les populations. Mais la
santé publique au Tchad et au Cameroun, c’est « une horreur, un mouroir » selon l’expression
akamienne. C’est le centre de cristallisation des contradictions et des inégalités sociales de tout
genre. C’est la matrice polarisante de la société tchadienne actuelle.
Un important projet de recherche impliquant l’IRD, le CEAN, révèle au Tchad comme au
Cameroun non seulement une santé publique fortement secouée par la crise, mais aussi les
balbutiements d’une tentative de décentralisation comme solution à cette dernière. Par
décentralisation du système de santé, il faut entendre ceci :
« Un ensemble de techniques visant par l’autonomisation des structures de santé, à
transformer profondément le comportement dysfonctionnel du personnel sanitaire médical,
considéré comme étant à la source de la crise du système de santé »23
Le personnel de la santé publique considéré comme étant à la base de la crise sanitaire n’est
qu’un bouc émissaire. Au Tchad, la classe dirigeante affiche un mépris incommensurable, une
désolidarisation et une désaffiliation envers tout ce qui concerne le populaire et le social.
Quelques données suffisamment éloquentes l’attestent à propos de la santé au Cameroun. De 170
pour mille en 1960 à 65 pour mille en 1991, le taux de mortalité infantile est remonté à 77 pour mille
en 1998 et celui de mortalité néo-natale a transité de 33,1 à 37,2 pour mille.
Un autre bilan de la santé publique révèle : 456 personnes pour 1 lit d’hôpital, en ville, 1 médecin
pour 11.000 habitants, l’infirmier pour 2081 habitants, 1 aide-soignant pour 3.000 habitants. Pour
45.000 habitants, il faut compter un hôpital et un centre de santé pour 12.000 habitants, soit 1 lit pour
400 habitants. La dépense publique de la santé est alors évaluée à 2000 FCFA par habitant, le
budget de la santé représentant 4 % du budget national en 1999-2000, plus de 60% de la population
se tourne ainsi vers le secteur informel pour des soins curatifs où prolifération des médicaments eux-
mêmes informels et douteux les tuent sans vergogne. Car en dernière analyse, les ménages déjà
appauvris par le système supportent eux-mêmes le gros des dépenses sanitaires dans un Etat qu’ils
ont toujours contribué à soutenir et dont les membres du gouvernement n’arrivent jamais à penser à
un solidarisme générant des structures de couverture en terme de sécurité sociale, primordiale pour
les populations des grands pays occidentaux où se font pourtant soigner nos détenteurs du pouvoir
Le système de santé en Afrique centrale, notamment au Tchad et au Cameroun est le centre de la
polarisation sociale : 10% des plus pauvres de la population ne dépenseraient que 5,4 dollars contre
90,4 pour les 10% les plus riches, tandis que 20% de la population restent exclus des soins de santé.
En outre, quand le médecin payé jadis à 180.000 FCFA (ce qui représente déjà rien au Tchad et au

23
Voir à propos, Jean-François Médard : « Décentralisation du système de santé publique et ressources humaines au Cameroun », in
Motaze Akam, op.cit., p.141.

44
Cameroun) se retrouve à 250.000 FCFA au Tchad et à 90.000FCFA (bien moins de 154 euros par
mois) depuis 1994, il faut dire par là que c’est l’augmentation au Tchad et l’effondrement même du
système de santé par la classe dirigeante en créant des médecins malades des salaires. C’est
l’aggravation des maladies du système social dont sont victimes les personnels et que Bernard Hours
dénote déjà avant Médard. Les dirigeants affirment souvent que les systèmes sanitaires africains sont
performants et nombre hôpitaux de référence (la Renaissance de N’Djamena) et hôpitaux généraux et
que leurs gouvernements ont consenti d’importants efforts au plan sanitaire.
A y regarder de plus près, l’échec patent lié au problème de santé en Afrique n’a d’égal que du
sadisme et du cynisme aux yeux du petit peuple. Si le système africain, notamment tchadien ou
camerounais était aussi performant avec un personnel formé et compétent, pourquoi se faire traiter
tout le temps à l’étranger ? Les chefs d’Etat africains n’ont-ils pas honte de privatiser et de rendre
dépendante leur propre santé en se faisant soigner en Occident après plus de soixante ans
d’ « indépendance » ?
Dans les pays où l’on meurt encore du paludisme parce que les populations croupissent sous la
misère et sont incapables de s’acheter un seul comprimé de quinine, alors que les suppôts faisant
office de leurs dirigeants ont garanti leur santé en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis, aux frais du
contribuable et au grand dam des majorités dominées, comment ne pas accepter que l’Afrique refuse
le développement ? Les classes dirigeantes africaines auxquelles il ne manque pas des moyens pour
moderniser et rendre populaires et sociaux les systèmes de santé de leur pays prendraient-elles jamais
conscience qu’elles sont concernées au premier chef pour faire sortir l’Afrique et les Africains
qu’elles n’ont cessé de sucer et de presser au quotidien comme une orange, de la misère du monde ?
Prennent-elles conscience un seul instant qu’elles sont comptables devant la postérité et l’histoire
africaines, voire mondiales ? Est-ce Emmanuel Macron qui demande au président tchadien de ne pas
rendre le système de santé de son pays aussi performant que ceux qui sont l’objet de sa tentation en
Occident, de ne pas se faire soigner dans son pays ? Si c’est le cas, est-il obliger de l’accepter ?
Seulement, le président et ses ministres n’iront jamais dans les hôpitaux de leur pays et a fortiori,
résoudre les importants problèmes qui s’y posent.
Au lieu de donner au peuple des structures sanitaires viables et fiables, pourvues de remèdes et
médicaments, d’un personnel adéquat, dotées de systèmes de contrôle et de suivi où l’impunité fait
place à la punition contre les délinquants sanitaires, la classe dirigeante a préféré encourager un
système permissif et de gabegie parce que la santé au pays, c’est pour les autres. Son égoïsme
exacerbé est patent par le fait que son compte sanitaire étant bon en Occident, elle n’a plus de souci
pour les hôpitaux, les dispensaires, les centres de santé de misère et de la mort réservés au peuple
entretenant pourtant son train de vie. La santé, comme d’autres espaces publics au Tchad, au lieu de
produire des types variés de mutualités pour diverses couvertures sociales populaires initiées et
encouragées par la classe dirigeante, fait plutôt montre d’un pôle de « fabrication » des inégalités
criantes, de l’argent secret, des hommes (feymen) et des fortunes occultes. C’est ce que Akam la
santé sans le social. La même logique égoïste commande le rapport de la classe dirigeante à
l’éducation.

b) L’éducation de misère et les misères de l’éducation


L’éducation est un sujet aussi vaste que le monde. Notre vie personnelle en dépend ; mais aussi
les joies et les souffrances collectives. L’éducation peut conduire à la joie, à la paix et à la sérénité
intelligente. L’éducation est une chaîne sans fin.
En sociologie, l’éducation a toujours occupé une place de choix et il existe une sociologie de
l’éducation radicalement opposée à ce qu’on appelle communément sciences de l’éducation. La
sociologie de l’éducation véhicule deux sens de cette dernière : la bonne éducation et l’éducation

45
nationale. Le premier sens renvoie à l’apprentissage de certains comportements, règles, normes,
valeurs par l’enfant. Tandis que le second est relatif à la culture des techniques et sciences. La
société moderne tend toujours à banaliser et à instrumentaliser l’éducation en la réduisant à un stade
dont l’aboutissement est la recherche du travail ; ce qui fausse sa philosophie. Les deux sens évoqués
signifient que l’éducation procure à l’individu les moyens pour l’intégralité de son épanouissement ;
elle est une recherche permanente pour permettre de voir clair en soi et autour de soi par le décodage
et le déchiffrage du monde environnant. En sociologie, l’école l’une des grandes matrices de
l’éducation, est essentiellement conservatrice parce qu’elle permet très facilement la reproduction
des systèmes d’enseignement comme l’ont montré Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu’en même temps, la fonction première de l’école est la
diffusion des connaissances, leur partage et leur transmission. Sa quintessence même, c’est à
apprendre à lire et écrire, donner des sentiments et un goût à la lecture et à l’écriture, préparer l’esprit
à l’enthousiasme de l’innovation et la création, comprendre plus qu’apprendre, la compréhension
étant déjà en soi un apprentissage. Il s’agit de comprendre qu’on peut les changer ; c’est là où l’école
et l’éducation doivent cultiver l’esprit critique c’est là aussi que les régimes dictatoriaux, tyranniques
et obscurantistes (notamment en Afrique) font tout pour les détruire. La transmission du savoir et
l’apprentissage introduisent la dimension pédagogique de l’éducation. Leur réalisation se fait par des
activités collectives tels que les ateliers introduits par Charlemagne lui-même (ateliers d’art dans les
monastères) aussitôt qu’il créa l’école du palais, les cours, les conférences, les débats, l’initiation à
l’informatique, les échanges linguistiques, les activités culturelles et la pratique de plusieurs types de
sports. L’éducation est à la fois le passé, le présent et le futur d’une société.
Au Tchad, c’est le mépris égoïste de la classe dirigeante qui s’observe à l’égard de ce secteur,
alpha et oméga, de tout pays qui se respecte. Car, l’impression qui se dégage de la situation est que
le pouvoir refuse l’éducation à la jeunesse dont il dit pourtant être « le fer de lance de nation ». Un
seul mot résume l’éducation tchadienne depuis les deux dernières décennies : la médiocrité.
L’imagination populaire a déjà créé au Tchad un néologisme local partant de ce mot pour exprimer
son règne dans les lieux sociaux présumés être des pôles d’excellence, d’une certaine « sainteté »
d’esprit comme l’éducation nationale : la médiocratie. Pôle d’excellence et d’une « sainteté »
présumées, l’espace éducationnel est plutôt aujourd’hui le pôle de cristallisation de la médiocrité
impulsée par la classe dirigeante.
Il y a dès lors une politisation des examens scolaires. Notamment le baccalauréat est devenu un
instrument de campagne et de propagande électorale pour le parti au pouvoir. Le mécanisme : baisser
le plus possible la moyenne pour faire réussir le plus de candidats afin de contenter et ces derniers
ayant l’âge électoral, et les parents d’élèves et amener le plus grand nombre à voter pour le président
en exercice. Le baccalauréat tchadien, diplôme naguère prestigieux, a perdu de sa valeur réelle et
symbolique pour devenir nul aujourd’hui. Et cela se comprend que les Universités occidentales
fassent actuellement une mise à niveau à nos jeunes frappant devant leurs portes, chose jamais
connue par les générations précédentes ! La dégradation du baccalauréat a introduit une véritable
« galère » scolaire dans l’éducation nationale tchadienne : le niveau des étudiants admis en première
année de l’Université depuis la décennie 90 a drastiquement baissé, la délinquance scolaire liée au
fait de mépriser et de brocarder des enseignants s’est généralisée jusqu’à aboutir au meurtre des
enseignants. Car l’élève n’a plus besoin de déférence envers l’enseignant puisqu’il sait que quel que
soit le cas, et par la bénédiction/complicité du pouvoir, il aura son diplôme. Le niveau des étudiants
de première année a alors été d’une médiocrité inédite, certains n’arrivant même pas à écrire
correctement le terme baccalauréat ! Et quoi de plus normal que les enseignants du Supérieur
s’interrogent sur le niveau des étudiants nouvellement sortis des classes de Terminales et ignorant
les articulations orthographiques du terme baccalauréat tel que cela arrive régulièrement d ans
les universités tchadiennes actuelles ? Cette politisation des examens n’a pas épargné les autres
diplômes tels que le CEPET, le BEPCT.

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On peut ajouter à ce malaise, l’invasion des faux diplômes. « L’enseignement, c’est la
malédiction dans ce pays » comme marmonnent les professeurs du Tchad. Les arriérés de salaire ne
sont pas en reste. Tout ceci, dans une insouciance totale de la classe dirigeante dont les enfants
fréquentent dans les lycées français et anglais, voire américains et autres. Et il en est de même pour
l’Enseignement Supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation.

c) L’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation : la honte de


l’Etat

C’est le secteur qui a fait développer les grandes puissances, par contre en Afrique, c’est le
secteur de la clochardisation. Le domaine de recherche est l’épine dorsale de tout développement :
agricole, industriel, technique, commercial, etc. Fonctionnant sur les mêmes logiques que celles des
lycées et collèges, les Universités d’Etat tchadiennes sont des universités de misère. Tout y existe,
sauf les Universités elles-mêmes. Dans cet ordre d’idées, tout y manque. L’Université tchadienne est
au grand dam des étudiants et quelques enseignants qui y croient encore, le centre de concentration
de la perversité. Perversité entendue comme conséquence émanant d’un régime qui s’est détourné de
la formation optimale des hauts cadres de son pays. Le président parle des locaux dans les
Universités où les enseignants manquent systématiquement là où s’asseoir pour écrire, où ils
s’égosillent, faute de micros, dans le tumulte et le brouhaha des étudiants à longueur des journées
dans les réduits suffocants et étouffants, manquant d’aération et tenant lieu de salles de cours. Il parle
d’enseignants performants dans les Universités où ces dernières sont clochardisés, toujours endettés
« au quartier » (pas à la banque parce qu’elle n’en peut plus…), toujours confrontés à la survie c’est-
à-dire obligés de donner quotidiennement un plus pour tenir le coup comme on dit, à cause des
minables salaires. Il parle d’enseignants que la vieille génération dont les membres sont devenus
professeurs sur tapis vert, c’est-à-dire sans moindre publication et par la complicité d’un temps où ils
étaient les seuls, jurent permanemment de bloquer dans les grades inférieurs. Au vu de ce qu’il gagne
par mois, l’enseignant supérieur sous ce régime est incapable de se constituer une bibliothèque
personnelle, chose extrêmement grave et tragique pour un professionnel ou « travailleur du
cerveau ». Des Universités où les bibliothèques, les restaurants, le téléphone, le net, bref
l’infrastructure véritablement universitaire fait défaut ne sont autre que des « éléphants blancs ».
L’émergence et la dynamique de la mafia au Tchad, et surtout avec l’introduction de la langue
arabe et le recrutement des professeurs en cette langue, d’où on a vu le parachutage des enseignants
du primaire à l’université, tendent à déclasser l’Université et l’école aujourd’hui dans leurs fonctions
de reproduction des inégalités sociales. Les propos ci-dessus dénotent une rupture entre l’institution
universitaire décadente et la société qui la produit. En effet, à quoi bon perdre son temps dans un lieu
qui mère les professeurs et promet le chômage aux jeunes dans un pays où pourtant tout est à refaire,
autrement dit où on ne doit pas manquer de travail ? Ces discours renvoient effectivement à une
réalité sociologique qui traduit non seulement le bel avenir de l’anomie dans la société tchadienne,
mais aussi celui d’un processus d’abroutissement social généralisé. La tentation du feyman ou de la
mafia par l’étudiant pose le problème d’un modèle social dans une société qui a perdu les repères.
L’étudiant a tôt fait de comparer non seulement sa situation, mais aussi celle de son professeur à
celle du mafieux qu’il trouve meilleure. La mafia, produit de la société tchadienne par elle-même
prospère aujourd’hui sous son regard impuni.
Ce qui est dit pour l’Université vaut mieux pour la recherche. Cette dernière exige pour son
fonctionnement, fût-il minimal, une mobilisation des fonds énormes et du matériel scientifique et de

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recherche. Concernant plus spécifiquement la recherche en sciences sociales, il est à la fois
paradoxal, marrant et honteux de dire que c’est un membre influent de la classe dirigeante alors
ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation le Pr.
Mackaye Hassan Taïsso qui a rendu le secteur à champ de manioc.
Ce qu’il faut comprendre en dernière analyse est que : instituts de recherche, centres de
recherche, laboratoires de recherche, formation des chercheurs, connexion Université-Recherche
brilleront par leur inexistence pendant le temps que durera le pouvoir actuel. La classe dirigeante
s’occupe d’elle-même et non des autres.

CONCLUSION GENERALE
La conclusion dont nous nous apprêtons à tirer, nous amène à nous poser toujours la question
de savoir : qu’est-ce que le développement ? Comment expliquer le sous-développement du Tiers-
monde ? Doit-on avec raison, l’attribuer à l’explosion démographique de cette partie de la planète
terre ? Le sous-développement de l’Afrique Noire n’est-elle pas psychanalytique (c’est-à-dire lié aux
séquelles de l’esclavage et de la colonisation ? Le paradigme du Banquet des ressources qui prévaut
depuis Malthus et que les néomalthusiens ont prolongé, suffit-il pour expliquer les pannes du
développement dans les pays du 1/3 monde en général et en Afrique noire en particulier ? Doit-on
comme des perroquets de la forêt vierge, imiter la voix de nos maîtres : ‘’l’Afrique est un
conservatoire des maux de l’humanité ?’’
Voilà rappeler de façon brève les principales questions que nous avons essayé d’interroger
tout au long de cette discussion que nous nous apprêtons à boucler.
Il ressort de nos analyses que :
1) Le développement a vocation à transformer les sociétés humaines dans un esprit de progrès. Dans la
perspective d’une telle hypothèse, il peut être défini comme un processus orienté, continu et
irréversible de changement structurel.
2) La conduite des opérations de développement ne se fait pas dans le vide, mais bel et bien dans un
contexte économique, politique et socioculturel.
Trois facteurs expliquent que le développement calqué sur le modèle européocentrisme a voulu
mettre entre parenthèse l’Afrique.
3) On ne peut pas véritablement expliquer le sous-développement de l’Afrique en attribuant à son
explosion démographique sans pêcher par idéologie. Le malthusianisme ou le néomalthusianisme
peuvent expliquer la misère d’une population dans un contexte de carence en ressources. Or, tel ne
semble pas encore être le cas de beaucoup des pays africains. Certains chercheurs ont même avancé
l’hypothèse d’une Afrique pauvre, bien qu’étant assise sur une montagne de richesses (un mendiant
assis sur un tas de diamant, le cas du Tchad qui demande toujours de l’aide). Le problème de
l’Afrique est vraisemblablement celui du partage et de la juste répartition des richesses, jusque-là
confisquées par une minorité.
4) Il ne s’agit pas de nier la situation de très forte densité démographique caractérisant certaines régions
de l’Afrique. Mais il s’agit de cas isolé que l’on peut résoudre en pratiquant une bonne politique
d’intégration démographique continentale projet cher aux pairs du panafricanisme. L’autre solution
consisterait à former qualitativement les ressources humaines en vue de leur participation optimale
aux missions de développement. Le confort intellectuel à cet égard le capital le plus précieux dans
toute entreprise de développement.

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5) Tout vrai développement doit être centré sur l’homme en tant qu’il est l’acteur et le destinataire de ce
qui est entreprise. Cette démarche doit être valable même dans le contexte nouveau de la
mondialisation où l’on voudrait faire passer les intérêts matériels avant le capital humain.
En sus, lors de la proclamation de la République populaire de Chine en 1949, MAO ZEDON déclare
que « Les Chinois ne seront plus jamais un peuple d’esclaves ».Cette déclaration est forte de sens et
a permis aux Chinois de se battre bec et ongle pour leur liberté et leur indépendance économique. La
volonté d’indépendance économique se traduit par la résolution de « compter sur ses propres
forces ». Dans les années 1950 et 1960, ces stratégies de repli menées par de nombreuses nations en
développement –qui venaient d’accéder à l’indépendance- ont freiné leur intégration dans le
commerce mondial.
Du fait de cette inégalité et du risque d’appauvrissement des pays du tiers-monde, les
économistes tiers-mondistes préconisent des stratégies de développement autocentré(ou de
« déconnexion » par rapport au commerce international) : les pays du tiers-monde doivent
s’affranchir des contraintes du marché mondial et se développe en restant maîtres de leurs ressources
naturelles (refus des investissements directs et des multinationales).
Nous devons plaider pour le développement africain. Le développement africain est cette
manière qui révolutionne les recherches sur le développement partant de nos réalités. Exemple : un
africain doit avoir pour terrain de recherche l’Afrique et la mise sur pied des transferts de
technologies vers les sociétés rurales.

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