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RAPPORT DE LA CONSULTATION NATIONALE AU SENEGAL SUR LA

DIMENSION SOCIALE DE LA MONDIALISATION

Le mardi 27 août 2002 s’est tenue à l’hôtel Savanna la consultation nationale au Sénégal sur

les conséquences sociales de la mondialisation co-organisée par le CODESRIA et le BIT.

C’est la deuxième d’une série de 18 consultations nationales et régionales initiées par la

Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation qui cherche à se doter de

données et d’instruments d’analyse. Cette consultation a enregistré la participation

d’universitaires, de personnalités de la société civile, du monde syndical, du secteur privé, du

gouvernement, de la magistrature, des media, etc.

La consultation s’est déroulée en une journée : dans la matinée a eu lieu la cérémonie

d’ouverture et la séance plénière où trois communications ont été présentées, suivies de

débats ; dans l’après midi, les travaux ont continué en atelier avec une séance plénière de

restitution des discussions des ateliers.

I – LA CEREMONIE D’OUVERTURE

Lors de la cérémonie d’ouverture de la consultation nationale sur la mondialisation, quatre

importantes allocutions ont été respectivement prononcées par Messieurs Adebayo Olukoshi,

Secrétaire exécutif du Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales

en Afrique (CODESRIA), Assane Diop, Directeur exécutif du Bureau international du travail

(BIT), Yoro Deh, Ministre de la fonction publique, de l’emploi et du travail du Gouvernement

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du Sénégal et président de séance, Aurélio Parisotto du Secrétariat de la Commission

mondiale sur la dimension sociale de la Mondialisation.

Pour Monsieur Adebayo Olukoshi, le marché du travail est aujourd’hui en déréglementation

dans beaucoup de pays. Cette remarque fondamentale met en exergue l’objectif de la

consultation nationale et le sens de l’implication du CODESRIA. Le CODESRIA se trouve

naturellement interpellé par la consultation nationale qui vise un échange de vues entre

chercheurs, politiques et société civile ; du reste, l’institution a initié la réflexion depuis 1995

avec la mise en place d’un groupe multinational de travail sur la mondialisation et les

politiques sociales et a récidivé avec le choix du thème de la 9ème Assemblée générale du

CODESRIA. L’introduction, dans le plan stratégique 2002-2006, d’une nouvelle formule

d’échanges entre les différents segments de la société à travers les dialogues de politique

générale témoigne aussi de cet intérêt qui motive l’implication du CODESRIA dans un

« débat pour tirer meilleure partie de la mondialisation », avec comme objectif la formulation

de propositions concrètes à envoyer à la Commission mond iale sur la dimension sociale de la

mondialisation.

Monsieur Assane Diop, Directeur exécutif du BIT, abondera dans le même sens en indiquant

qu’il s’agit effectivement d’alimenter la réflexion pour une maîtrise de la question complexe

de la mondialisation afin qu’elle profite à tous. Il est évident aujourd’hui que le déficit de

travail décent constitue le point faible de l’économie mondialisée et « chaque homme et

chaque femme doivent accéder à un travail décent et productif dans des conditions de liberté,

d’équité, de sécurité et de dignité comme l’indique la déclaration de Philadelphie ». Il faut

comme le rappellera Monsieur Assane Diop « dépasser les violences, les attitudes instinctives

pour atteindre un consensus pour une mondialisation avec des normes sociales inclusives ».

L’OIT a qualité pour inclure dans ses décisions toute disposition pertinente.

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Le ministre sénégalais Yoro Deh, affirmera que l’OIT, conscience sociale de l’humanité, a

choisi de se mettre à l’avant garde de la lutte contre la pauvreté. Pour lui «la libéralisation des

échanges et des capitaux, la mobilité internationale des personnes, les innovations

technologiques, en particulier les progrès accomplis dans le domaine des Nouvelles

Technologies de l’Information et de la Communication, dessinent les contours d’un nouveau

monde qui se caractérise par des changements importants dans les paradigmes du

développement économique et social». Bien que génératrice de progrès, l’intégration

économique mondiale n’en est pas moins porteuse de bouleversements économiques, sociaux

et culturels. A ce titre, l’implication des acteurs directs et périphériques du monde du travail

est devenu un impératif incontournable. Il faut, avec les consultations nationales, parvenir à

bâtir un consensus social sur les mesures d'accompagnement de la mondialisation, pour la

promotion du travail décent, du bien-être harmonieux des peuples.

Un consensus le plus large possible sur une nouvelle forme de globalisation sans exclusion,

une mobilisation de nouvelles énergies par un effort de dialogue essentiel pour que le travail

de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation soit ancré dans les

préoccupations des populations, telles sont les exigences de la Consultation nationale

rappelées par Monsieur Aurélio Parisotto. Après avoir précisé que la série de consultations a

commencé en Afrique, Monsieur Parisotto dira à l’attention des participants que «le temps des

propositions est venu…il nous faut entendre votre voix ».

II – PLENIERE DE LA MATINEE

Trois communications ont été présentées à la reprise des travaux lors de la séance plénière

présidée par Monsieur Amady Ali Dieng, économiste :

- L’impact des aspects globaux de la mondialisation avec un accent particulier sur les

relations nord-sud par le Professeur Moustapha Kassé de l’Université Cheikh Anta Diop,

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- Régionalisme et mondialisme par le Professeur Makhtar Diouf de l’IFAN Cheikh Anta

Diop,

- L’impact de la globalisation au niveau local par Dr Maréma Touré, sociologue.

II.1 - L’impact des aspects globaux de la mondialisation avec un aspect particulier sur

les relations nord-sud

Pour le Professeur Moustapha Kassé, la mondialisation peut être considérée comme une

menace ou une chance mais elle engage l’avenir de la planète et suscite des débats passionnés.

Même s’il s’agit d’un concept flou, on peut le cerner à partir de quelques interdépendances :

- celle des marchés avec la disparition des frontières ;

- celle par la production avec la décomposition internationale des processus productifs ;

- celle financière avec l’interconnexion des places financières mondiales

- celle des NTIC qui favorisent la mobilité, la flexibilité des capitaux et des services ainsi

que les savoirs qui voyagent plus facilement.

Si des champs entiers de l’activité humaine se sont mondialisés, on note paradoxalement une

montée grandissante de la pauvreté alors que le monde n’a jamais produit autant de richesses.

On peut en effet affirmer que la mondialisation est asymétrique et a produit trois dualités :

- la première concerne la fracture socia le au sein de l’économie mondiale, entre nations

mais au sein d’un même pays, fracture qui voit les riches devenir plus riches et les pauvres

plus pauvres ;

- la deuxième dualité, entre le travail et le chômage, montre un fossé grandissant entre

exclus et inclus : « quand on regarde le monde, on a l’impression de vivre dans des

sociétés de chômage» ;

- la troisième dualité regarde l’impuissance de l’Etat dans l’interdépendance alors que ses

missions n’ont jamais été aussi fortes qu’aujourd’hui.

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Les africains semblent avoir trouvé une solution au travail en informalisant le système.

En constatant la pauvreté de masse et la défaillance du système productif, le Professeur Kassé

s’est demandé s’il était possible d’arriver à une mondialisation maîtrisée. Pour lui, il faut sans

doute un système de régulation plus performant, il faut certainement de la croissance mais

surtout un nouveau partenariat pour le développement.

II.2 – Régionalisme et Mondialisme : nouveau mondialisme en Afrique

Le Professeur Makhtar Diouf a débuté sa présentation par une affirmation mettant en

connexion les concepts : l’ajustement structurel est partie intégrante de la mondialisation et le

régionalisme est partie intégrante de l’ajustement structurel et de la mondialisation.

L’interrogation principielle a consisté à se demander si le régionalisme et le mondialisme sont

des notions conflictuelles ou complémentaires? Si d’après Jacob Viner le regroupement

régional conduit à de mauvaises allocations des ressources à l’échelle de l’économie

mondiale, les pères de l’Europe quant à eux, défendront une toute autre position rendant le

régionalisme compatible avec le mondialisme. Le régionalisme est aujourd’hui perçu comme

complémentaire au mondialisme. Depuis 1990, plusieurs regroupements régionaux ont

émergé ou se sont consolidés et élargis (Mercosur, Coopération Asie-Pacifique, l’Union

européenne …) ; l’intégration est perçue comme un garde fou pour se prémunir des retombées

de la mondialisation.

Pour le cas spécifique de l’Afrique, de nouveaux termes de référence ont été définis dans

l’Initiative Transfrontières entre la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International et la

Banque Africaine de Développement. L’intégration régionale en Afrique doit se faire selon

deux modalités :

- le renforcement de l’intégration des marchés avec une approche à géométrie variable,

- une plus grande ouverture vers l’extérieur.

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L’intégration-balkanisation est la stratégie appliquée aujourd’hui en Afrique : il y a une

prolifération de communautés économiques, quinze au total, ce qui est une situation unique au

monde. En réalité, cette stratégie fragilise l’intégration en Afrique. Par ailleurs, le seul

exemple de communauté par projets, la SADEC, a été remplacé par une SADEC prônant

l’intégration des marchés.

Après l’intégration horizontale, le Professeur Diouf a examiné l’intégration verticale entre

l’Afrique et l’Europe en mettant l’accent sur les mutations intervenues dans ce domaine.

L’obsolescence des accords de Lomé est consacré par l’accord de Cotonou qui voit l’Afrique

créer des zones de libre échange qui doivent discuter avec l’Union Européenne en tant

qu’entité.

L’exemple de l’UEMOA doit être revisité et son succès ré- interrogé : de quel succès s’agit- il

et pour qui ? Depuis 1996 avec le dispositif de Surveillance Macro-économique Multilatérale,

le FMI gère l’UEMOA avec la mise en place de cadres d’ajustement structurel,

l’harmonisation du taux de la TVA à 18 %. On ne peut en effet parler de l’UEMOA comme

d’une union douanière car il aurait fallu pour cela une zone de libre échange et un tarif

extérieur commun. L’harmonisation du tarif extérieur commun des pays membres à 20% est

une recommandation de l’Initiative Transfrontières qui profite aux multinationales exportant

dans la région qui se trouvent ainsi en face d’une structure, l’UEMOA, et d’un tarif : 20%.

Pour le Professeur Makhtar Diouf, l’intégration régionale est mal engagée car il fallait

commencer par l’intégration physique. L’Afrique se doit d’être vigilante aujourd’hui car tous

les documents présentés comme l’UEMOA, le DSRP, le NEPAD sont des documents

d’ajustement structurel.

II.3 – L’impact de la mondialisation au niveau local

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Madame Maréma Touré a, d’emblée, articulé son propos autour de l’exclusion des peuples et

de leurs pratiques de la mondialisation ; pour elle, les décideurs devraient avoir plus

d’humilité pour apprendre des peuples. La mondialisation est certes un processus historique

mais que nous pouvons mettre en cause. Il convient en effet de bien comprendre que le village

planétaire dont on parle à profusion est peuplé de paradoxes et de contradictions : le monde

n’est un village planétaire que pour ce qui ont les attributs pour vivre la citoyenneté mondiale.

Aujourd’hui le Marché-Providence s’est substitué à l’Etat-Providence ; la productivité et la

compétitivité sont devenues beaucoup plus stratégiques que le coût humain.

La mondialisation a entraîné la dislocation des familles et des communautés de base qui

paradoxalement se trouvent de plus en plus sollicitées pour se substituer à l’Etat. La

mondialisation a aussi engendré une clochardisation de l’économie, une dynamique

d’appauvrissement avec des disparités de genre considérables.

Nonobstant ce fait il y a une créativité en cours, qu’il faut savoir regarder, écouter. Certes le

temps est à la recherche de solution mais le temps doit aussi rester à la dénonciation. Il faut

développer une culture de la résistance : « Résister c’est aussi repenser l’Afrique comme un

endroit de la mondialisation. L’universel c’est aussi chez nous».

II.4 - DEBATS DE LA PLENIERE

Avant d’ouvrir les discussions, le Président de séance, Monsieur Amady Ali Dieng, a restitué

la quintessence des communications. Pour lui la première communication a cherché à savoir

si le partenariat est possible dans un contexte d’interdépendance qui produit de l’inégalité ; la

seconde a démontré que nous ne sommes pas sortis de l’Ajustement structurel et la dernière

nous invite à regarder du côté des pauvres.

Au regard des débats qui ont suivi la présentation des communications, quatre points focaux

semblent avoir été au cœur des préoccupations des sénégalais :

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- la mondialisation en tant que phénomène,

- la corrélation Etat, ajustement structurel et mondialisation,

- la responsabilité des Etats et des élites

- la question paysanne.

II.4.1 Sur la mondialisation

Des voix sceptiques ou franchement pessimistes se sont faits entendre par le biais d’une

condamnation sans appel de la mondialisation à l’instar du syndicaliste Iba Ndiaye Diadji

pour qui « une mondialisation humaine est impossible » ou encore de Massokhna Kane,

ancien ministre de l’Intégration africaine ; pour ce dernier « la mondialisation n’est pas bonne

pour l’Afrique, elle n’est pas bonne pour les pauvres ». Youssoupha Wade, ancien Président

du Conseil National du Patronat, exprimera sans doute avec plus de vigueur la réalité de la

mondialisation : « la mondialisation est un combat inégal, une mort programmée. Quand on

parle de noble art avec la boxe c’est parce que chacun boxe dans sa catégorie. Il ne peut y

avoir de partenariat dans des conditions d’inégalité. Il faut résister et faire plus que résister. Il

faut réfléchir sur les formes de résistance. La résistance c’est aussi la réflexion pour atteindre

le développement ». Makhtar Diouf, l’un des conférenciers de la plénière, ira dans le même

sens dans sa réponse, en restituant la dynamique historique de la mondialisation. La

mondialisation est en effet un projet qui remonte au XIXème siècle et dont l’exécution la plus

forte a été la fin de la guerre froide et les nouvelles technologies de l’information et de la

communication. La mondialisation a ses maîtres d’œuvre tapis dans l’ombre : la Commission

trilatérale, le Forum de Davos, le Club de Rome. Le FMI, la BM et l’OMC sont ses agents

d’exécution pour l’Afrique. L’Afrique est le continent le plus vulnérable du points de vue des

effets catastrophiques de la mondialisation et c’est le continent où on l’accepte le plus. Pour

Moustapha Kassé, il s’agit de savoir de quelle Afrique nous parlons ? L’Afrique est déjà

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marginalisée du point de vue de la production, des revenus. C’est un fait que nous sommes

déjà déconnectés de la mondialisation , les inégalités sont fortes et le seront davantage.

Ces propos ne doivent pas signifier la passivité de l’Afrique par rapport à la mondialisation.

Karim Dahou, chercheur à ENDA/tiers-Monde, attire l’attention sur le fait que les sociétés

africaines ne sont pas passives par rapport aux chocs extérieurs, elles les utilisent pour

produirent de l’inégalité ; il y a des inégalités qui traduisent des rapports de force internes aux

sociétés africaines. Même si on est face à l’échec d’un modèle de développement et à des

initiatives privatives, la mondialisation constitue tout de même l’ouverture d’espaces

d’autonomie à des catégories sociales qui étaient dominées. Des marges de manœuvre

existent ; il en est ainsi du NEPAD qui est une réponse à des politiques de développement qui

se limitent à la question de la réduction de la pauvreté.

II.4.2 L’Etat, l’Ajustement structurel et la mondialisation

Le deuxième point fort des débats a concerné les rapports entre la mondialisation,

l’ajustement structurel et la question de l’Etat car ce dernier sert d’intermédiaire entre

différents niveaux : supranational, national et infranational.

Le fait de discuter de mondialisation sociale a amené les participants à s’interroger sur

l’articulation entre les conséquences de l’ajustement structurel et la mondialisation.. A-t-on

évalué la prise en charge des dimensions sociales des politiques d’ajustement structurel ?

Même si on les a évaluées, il semble qu’on n’en ait pas tiré toutes les conséquences. Que

visent l’Ajustement structurel et la mondialisation ? L’Afrique peut-elle se passer de

l’ajustement structurel ? De quel ajustement a-t-elle besoin ? Peut-on dire que le politique a

les moyens d’inverser aujourd’hui la tendance et en fin de compte quel est l’impact des

différents sommets et réunions sur la situation des populations africaines ? La mondialisation

ne signifie-t-elle pas simplement la neutralisation des droits des travailleurs ?

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Pour Maïmouna Kane, magistrate, les programmes d’ajustement structurel ont entraîné la

prolétarisation des Etats africains qui sont devenus des marionnettes aux mains des bailleurs

de fonds comme le montre l’exemple de la Sonagraine.

La dette constitue un handicap très lourd qui permet aux pays riches de tenir les pays pauvres

en laisse et les rencontres du G8 n’ont pas pour objectif d’aider les pays pauvres mais bien de

conforter leur domination sur le monde. Par ailleurs, même si le système est injuste, il n’a

jamais était aussi réglementé qu’aujourd’hui ; cependant les règles n’ont pas été fixées par les

pays africains. Il y a une asymétrie dans le démantèlement des barrières tarifaires et, si les

subventions ne sont pas interdites, l’ajus tement structurel reste malgré tout la proposition

fondamentale faite à l’Afrique. Parce que l’ajustement structurel est impopulaire, on le

propose sous d’autres formes, par le biais d’autres canaux comme l’UEMOA. Cette

organisation dont on vante aujourd’hui les réussites n’est rien d’autre qu’un instrument

d’ajustement structurel. Le passage de la TVA de 10 à 18% ne peut créer que de nouveaux

pauvres. Il y un problème de dissolution des souverainetés nationales lisible à travers les

programmes d’ajustement structurel et la mondialisation comme le montre la suppression de

la subvention pour les engrais imposée au Sénégal par la Banque Mondiale avec le

Programme d’ajustement structurel de 1986 malgré l’imploration du gouvernement de Habib

Thiam. En fait le dépérissement de l’Etat est bel et bien programmé par les accords de

Cotonou qui insistent plutôt sur le renforcement des ONG. Mais à y regarder de plus près, ces

accords de Cotonou peuvent faire imploser toutes les expériences d’intégration régionale dans

cette partie de l’Afrique.

Les conséquences de l’Ajustement structurel et de la mondialisation peuvent se traduire par

l’image que les pays africains offrent aujourd’hui au monde : des souks, des dépotoirs pour

tous les biens de consommation dont l’Occident n’a plus besoin (voitures, friperie,

électroménager…).

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Toutes les responsabilités sont-elles imputables à l’extérieur, aux bailleurs de fonds, aux pays

riches ?

II.4.3 Responsabilité des Etats et responsabilité des élites

Le débat a permis de mettre en exergue la question de la responsabilité interne des Etats et

celle des élites. Amady Ali Dieng, président de séance, dira avec une certaine crudité que les

africains ne sont pas des fantoches, posant ainsi la question des alliances qui était déjàsous-

jacente dans les propos de Karim Dahou. La géographe Salimata Wade se demandera même

de quelle légitimité pourraient se prévaloir les membres de la consultation nationale, qui font

partie de l’élite, pour donner des recommandations. Au nom de qui pourraient- ils le faire

concluant ainsi son propos par un « je peux parler en mon nom, je ne peux parler au nom de

quelqu’un d’autre». Son refus de faire des recommandations repose sur le fait que les

participants à la consultation nationale font partie de ce segme nt de la population le mieux

connecté au monde qui ne vit pas nécessairement la face hideuse de la mondialisation.

D’aucuns comme Jacques Faye ont parlé de défaite des intellectuels sénégalais en prenant

appui sur le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP).

L’ancien ministre de l’intégration africaine, Massokhna Kane, a donné l’ampleur de la

responsabilité interne des Etats en indiquant que les pays africains ont signé les accords de

Marrakech sans avoir une idée précise du contenu de ces accords. Le niveau de compétence

des délégations envoyées dans ce genre de rencontre du fait du clientélisme politique a été

décrié. La complexité des négociations de ce type exige une parfaite maîtrise des règles du jeu

et la stabilité des délégations qui y participent pour qu’il y ait une capitalisation de

l’information. Les pays africains de ce point de vue doivent se prendre au sérieux.

II.4.4 La question paysanne

Le débat a sans doute été influencé par l’actualité de la question au Sénégal avec la situation

critique du monde rural. Nonobstant cet aspect conjoncturel, on peut convenir avec Jacques

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Faye, ancien directeur de l’ISRA, qu’il s’agit là d’une question fondamentale ; comme l’a

souligné, «au cœur des problèmes du Sénégal, il y la question paysanne car les paysans au

Sénégal produisent 70% des richesses. C’est la première question de notre pays ».

L’agriculture est même considérée comme le domaine où se dispute le combat le plus féroce

aujourd’hui mais aussi celui qui permettra à l’Afrique de s’intégrer. Il importe toutefois de

préciser que le paysan sénégalais n’a pas envie de reproduire le modèle américain de

production et de consommation. Chaque pays peut choisir un modèle de développement en

accord avec ses valeurs

Sur cette question paysanne, on notera aussi la défaite de l’UEMOA qui, dans son document

agricole, a accepté la déprotection la plus importante de son agriculture ; en clair, ce que

l’UEMOA a accepté est beaucoup moins que ce que l’OMC permettait.

Ces discussions lors de la plénière de la matinée ont permis à un certain volontarisme de

s’exprimer de façon très nette et sans doute inspiré par les interrogations cruciales du

syndicaliste Mody Guiro : « Quelles solutions pour que la mondialisation servent les

pauvres ? Comment inverser la tendance aujourd’hui ? Quel est l’impact de cette

mondialisation sur notre propre culture africaine, sur nos valeurs ? Comment se battre ?». A

ces questions, les propos de Madame Maréma Touré semblent apporter une réponse sans

équivoque : «il faut lutter, s’organiser, résister. Le mouvement anti- mondialisation est en train

de devenir une institution et c’est un défi à la société civile africaine. Cependant on ne peut

sans sortir du côté de l’Afrique si quelque chose n’est pas fait du côté de la dette ».

III – ECONOMIE DES DEBATS DANS LES TROIS GROUPES DE TRAVAIL

Dans l’après midi, les travaux ont repris en atelier, avec pour chaque groupe de travail des

termes de référence bien spécifiés. Chaque groupe devait en son sein désigner un président,

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un rapporteur pour les besoins de la restitution des débats à la séance plénière. L’économie de

ces débats est restituée dans ce qui suit, ainsi que les recommandations.

III .1 - Groupe de travail n°1 : Aspects économiques

Président : Mody Guiro

Rapporteur : Elhadji Alioune Diouf

La réflexion du groupe de travail a tourné autour de trois interrogations :

-Quelles mesures au niveau des politiques multilatérales ?

-Quelles mesures au niveau des politiques domestiques ?

-Quelles mesures au niveau des secteurs locaux de la production touchés par la

mondialisation ?

1° - au niveau des politiques multilatérales :

- L’amélioration de l’accès au marché des pays développés avec la suppression des

barrières tarifaires, des barrières non tarifaires, la suppression de la progressivité des

droits de douane sur certains produits agricoles transformés et sur certains produits

industriels.

- L’élimination des subventions qui dérèglent les marchés agricoles en maintenant

artificiellement des surproductions qui contribuent à la baisse drastique des produits

agricoles.

- La suppression des dérogations sur les produits textiles : l’Accord multifibre comme

l’Accord sur le textile et les vêtements de l’OMC maintiennent toujours des quotas alors

que c’est le domaine où l’Afrique et le Sénégal ont des potentialités intéressantes à

développer.

- La suppression des rigidités pour la commercialisation des services

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- La révision des niveaux de sauvegarde et de protection de nos économies face aux

produits dont les prix sont manipulés par des techniques de dumping.

2° Au niveau des politiques domestiques

- La réorientation des politiques sectorielles : il faut une agriculture et une industrie qui

puissent transformer la production agricole par une modernisation de l’agriculture

paysanne et par la valorisation des ressources de base en ciblant des marchés extérieurs

non concurrentiels.

- La mise en place de politiques plus dynamiques dans le domaine des services.

- Les investissements pour la croissance et la question de l’Investissement Etranger Direct : il

faut opérer les restructurations nécessaires de nos marchés afin de rendre attractifs certains

secteurs importants pour notre développement économique comme l’agriculture, l’industrie et

les services.

- La technologie de l’information et de la communication : il faut améliorer la qualité des

ressources humaines, multiplier les services d’accès et réduire les coûts d’accès à

internet ; renforcer les capacités dans le e-commerce.

- Il faut œuvrer pour l’annulation de la dette car elle hypothèque les possibilités d’épargne

publique nationale.

- La pauvreté : la faillite des systèmes de protection a entraîné la « soukisation » du pays et la

paupérisation des masses populaires de telle sorte qu’il faudrait envisager des politiques

correctrices pour améliorer les coûts sociaux de l’ouverture, atténuer les effets de la

mondialisation.

3° Secteurs locaux de la production touchés par la mondialisation

La déprotection de notre économie consécutive à la mesure de libéralisation commerciale a

désorganisé de manière significative certains secteurs importants comme celui de

l’agriculture, l’agro-industrie avec comme exemple saillant le secteur laitier où toutes les

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unités industrielles ont fait faillite. Ainsi, Nestlé n’est pas loin de se convertir à l’importation ;

le secteur avicole, la biscuiterie-confiserie, la pêche ne sont pas épargnés.

Dans le secteur industriel, les industries mécaniques éprouvent des difficultés importantes.

III.2 - Groupe de travail n°2 : Aspects relatifs à l’emploi et à la migration

Président : Youssoupha Wade

Rapporteur : Penda Mbow

Ce groupe qui devait se pencher sur l’impact de la mondialisation sur le travail et la vie des

gens a circonscrit la question de la circulation des biens et des personnes comme étant le

problème fondamental. Les politiques d’ajustement structurel sont au cœur de la

mondialisation. Le travailleur est confronté à la flexibilité de l’emploi, à la baisse du pouvoir

d’achat et au blocage des salaires. On note ainsi une absence de création d’emplois et une

absence de prise en charge des besoins de base. Avec le dépérissement de l’Etat, on renonce

aux formations qualifiantes et à la formation continue. En se désengageant l’Etat se décharge

sur les collectivités locales.

La mise en corrélation de l’émigration et du travail a permis de mettre en exergue les points

suivants :

- Les pauvres vont vers la richesse ; la libéralisation favorise l’émigration d’où la nécessité de

convoquer l’accompagnement normatif tel que prôné par le BIT.

- Le renforcement de la réglementation en matière d’émigration favorise la clandestinité et

installe une catégorie de travailleurs dans la précarité. Le groupe recommande la création

d’une zone franche avec une réglementation plus flexible, la promotion d’un environnement

institutionnel juridique de l’entreprise pour favoriser les investissements productifs et la

création d’emplois durables. La promotion des normes internationales du BIT pour les

travailleurs migrants, l’encadrement des travailleurs migrants pour que leurs pays d’origine en

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profitent, la création d’une Agence nationale pour la productivité ont été recommandés par le

groupe de travail.

- Par rapport à l’éducation et à la fuite des cerveaux, le groupe recommande deux mesures :

d’une part, une délocalisation des centres de formation et d’autre part, une intégration des

structures de formation qui favoriserait la mise en commun des moyens.

- La discussion de l’impact de la mondialisation sur les femmes a permis de constater la

précarité des femmes par rapport à la migration, le détournement d’une institution sociale

comme le mariage (pour l’obtention de papiers par exemple), la prolétarisation des femmes et

l’accroissement de la prostitution. La recommandation principale par rapport aux femmes

concerne surtout le renforcement des capacités manageuriales et entreprenariales des femmes

pour qu’elles conservent les entreprises qu’elles ont elles mêmes monté.

- Il a enfin été proposé de rendre plus performantes les structures de santé et surtout de lutter

pour éradiquer les grandes endémies comme le Sida et le paludisme.

En conclusion le groupe de travail a considéré que pour mieux aider le Sénégal à s’attaquer

aux défis de la mondialisation, les institutions internationales devraient rationaliser leurs

conditionnalités, aider l’Etat à se doter d’une fonction publique efficace, avec des agents bien

formés et correctement rémunérés, mettre en place un environnement juridique et judiciaire

adéquat pour sécuriser les investisseurs, protéger les droits des citoyens, donner des moyens

aux corps de contrôle du secteur public et parapublic, renforcer les moyens destinés à

l’éducation, à la formation et à la santé, restructurer le système de retraite, sécuriser le

paiement des pensions, mettre en place des stratégies de lutte contre la pauvreté, promouvoir

les investissements privés nationaux et étrangers pour créer des emplois, renforcer

l’intégration régionale.

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III.3 - Groupe de travail n°3 : Aspects relatifs à la gouvernance, à l’intégration et à la

démocratie

Président : Maître Massokhna Kane

Rapporteur : Madame Salimata Wade

le groupe de travail En passant en revue les objectifs assignés par la Consultation nationale,

le groupe de travail a rajouté la culture au champ à couvrir et qui regardait les aspects relatifs

à la gouvernance, à l’intégration et à la démocratie. Par ailleurs, les membres du groupe se

sont interrogés sur le postulat que la mondialisation était positive et bénéfique pour tout le

monde ; ceci a conduit à une réserve sur la formulation des questions contenues dans le

document de travail et surtout à l’évacuation des questions 4 et 5. En effet, les acteurs de la

mondialisation ne sont pas seulement les pays riches mais surtout des multinationales

organisées, qui ont des stratégies bien définies et qu’elles cherchent à mettre en œuvre. Tous

les pays riches n’ont pas le même degré d’implication dans le processus : il y a les USA et les

autres. Il ne faut pas non plus perdre de vue que ce sont les riches qui ont mis au point le

système pour faire des profits et on leur demande d’aménager des conditions supportables

pour des pays pauvres comme le Sénégal.

La discussion a attiré l’attention sur la tendance à l’homogénéisation des espaces qui ne

traduit pas la réalité du Nord et du Sud. Considérant que les pays riches défendent leurs

intérêts, la question est de savoir comment les pays pauvres peuvent constituer un contrepoids

pour que leurs préoccupations soient désormais mieux prises en compte. On peut changer les

objectifs et les modalités de la mondialisation et ceci revient au politique qui doit garder sa

force et ses prérogatives.

- Par rapport au rôle de l’Etat dans la mondialisation, l’attention a surtout porté sur les ONG

qui prolifèrent et affaiblissent l’Etat ; il faut éviter que les ONG se fassent instrumentaliser

contre l’Etat. Il faut repenser l’Etat, le reconstruire mais dans une dynamique de rupture :

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l’Etat postcolonial est un Etat d’accaparement avec des groupes qui ne sont pas au service de

leurs peuples. Il faut fonder un Etat de droit au service du peuple capable de prendre en

charge la dimension sociale de la mondialisation. Nos Etats doivent être mis aux normes de la

modernité mais en accord avec nos propres valeurs.

Après cette première question relative au rôle de l’Etat, le groupe de travail s’est demandé

comment donner plus de place aux organisations de la société civile, à l’Etat face au déficit

démocratique qui caractérise la mondialisation. Il faut renforcer les pouvoirs de l’Etat, ses

compétences notamment par le conseil lors des négociations internationales, nouer des

alliances stratégiques entre l’Etat et les organisations de la société civile, parfois celles du

Nord qui sont anti- mondialistes.

- Il faut redéfinir le rôle et les programmes des ONG. L’accord de Cotonou fait bien ressortir

comment le renforcement des ONG est censé suppléer l’Etat et constituer de nouveaux

partenaires préférentiels.

- Il faut développer un plaidoyer pour que les gens soient conscients des enjeux de la

mondialisation. L’Etat et les organisations de la société civile doivent aider à identifier les

moyens de communication qui permettent de toucher le plus grand nombre, ce qui rendrait

possible les débats démocratiques. Le peuple peut aider l’Etat à redéfinir ses décisions et ses

rapports avec l’extérieur

Même si les questions 4 et 5 ont été évacuées pour les raisons qui ont été évoquées plus haut,

le groupe de travail a tenu à préciser qu’il ne fallait rien attendre des pays riches en tant

qu’organisations étatiques ; il faut que les Etats du Sud s’organisent pour lutter contre la

mondialisation sauvage, résister en s’alliant aux organisations anti- mondialistes des sociétés

civiles du Nord.

- Concernant le processus d’intégration régionale, il a été noté que partout dans le monde il a

servi de garde fou à la mondialisation alors qu'il a plutôt servi à mettre sous tutelle les

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économies et les Etats africains. Il faut renforcer les organisations d’intégration régionale

mais en étant vigilants aux textes qui lient nos Etats.

En conclusion, le groupe a retenu qu’il fallait développer une culture de résistance et dans

cette perspective pour que la population puisse s’exprimer, prendre position pour s’allier avec

l’Etat ou jouer son rôle de contre pouvoir, il importe de faire un travail de communication

dans les langues nationales.

IV – CONCLUSION

En postulant la mobilité des biens, des services, mais surtout des personnes, on peut articuler

les recommandations globales autour de trois axes :

1° - la régulation internationale : revendiquer pour qu’elle soit meilleure ;

2° - la régulation de l’ordre interne : repenser nos schémas de développement, repenser l’Etat,

ses nouvelles missions dans la mondialisation car l’Etat est fragilisé par le haut mais aussi par

le bas avec l’informel ; repenser le rôle des ONG ; revoir le type d’alliance que l’Etat peut

nouer avec la société civile pour avoir un poids réel dans la mondialisation ;

3° - la solidarité : réfléchir sur comment l’organiser et autour de quoi.

La Consultation nationale pour le Sénégal sur la dimension sociale de la mondialisation a pris

fin après la restitution des travaux en atelier. Monsieur le Ministre Yoro Deh a prononcé

l’allocution de clôture.

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