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Antoine Emeury

N° étudiant 24011324

4H8HPO2D séminaire pluridisciplinaire en sciences sociales M1_S2

Compte-rendu des séminaires

Hommes de loi, politique et politisation en France, XVIIe-XVIIIe siècle par Vincent Meyzie et La
politisation de la haute fonction publique, à partir du cas des conseillers présidentiels sous la Ve
République par Guillaume Cornu.

Les deux séminaires abordent sous des angles et des contextes historiques différents la
question de la politisation des élites. Ces deux approches distinctes du fait à la fois des époques mais
aussi des méthodes utilisées par les auteurs présentent néanmoins des points communs qui éclairent
sur « l’écheveau conceptuel »1 que constitue la question de la politisation. La contribution d’Yves
Déloye et Florence Haegel a mis en évidence les différentes significations du mot politisation et le
sens plurivoque qu’il peut revêtir selon l’approche historique ou en science politique. Ainsi il nous
semble intéressant de rendre compte des contenus de ces deux séances en ayant à l’esprit ce qu’ils
peuvent apporter à l’histoire des phénomènes de politisation et à la méthode pour les appréhender, au-
delà des éclairages propres aux périodes qu’ils abordent, nonobstant que ce dernier point présente
aussi un intérêt en soi. Dès lors nous proposons de présenter ce que nous retenons de chaque séance
puis de faire ressortir ce qui nous semble constituer une problématique commune aux deux travaux ;
comment appréhender la politisation des élites au travers des exemples tirés des magistrats présidiaux
sous la révolution et des conseillers présidentiels sous la Vème république ?

La politisation de la magistrature présidiale dans le contexte révolutionnaire.

Pour illustrer la thématique hommes de loi, politique et politisation au XVIIème et XVIIIème,


Vincent Meyzie2 propose une analyse des postures d’anciens magistrats de judicatures moyennes, les
présidiaux 3 , dans la tourmente de la période révolutionnaire de 1789 à 1795. L’analyse porte sur
l’étude croisée des trajectoires personnelles de certains officiers présidiaux qui permet de faire
ressortir une tendance propre au contexte spécifique de ce « temps d’orages et de révolution » pour ces
hommes dont le statut social s’est construit sous l’ancien régime et qu’ils cherchent à maintenir ou
consolider sous des formes diverses et variées dans le cadre du nouveau régime. Trois
questionnements sous-tendent la réflexion : la position de retrait de la vie politique à partir de 1793, le
temps de la terreur, les attitudes et comportements face à la liquidation des offices d’une part et la
vente des biens nationaux d’autre part. Ces trois questions permettent de décrypter les usages qui sont
fait de positions socio-politiques occupées par les protagonistes soumis à des évènements d’une
particulière intensité pendant lesquels les cartes sont redistribuées. Cette approche micro-historique
permet aussi de contrecarrer certaines idées reçus. Ainsi l’auteur démontre que le repli sur les activités
personnelles observé chez un grand nombre de notables locaux ne signifie pas forcément une
désapprobation du régime révolutionnaire chez des représentants de la noblesse de robe et de la
bourgeoisie provinciale engagés dans la première phase de la révolution (représentant à la constituante

1
DELOYE Yves, HAEGEL Florence. La politisation : du mot à l’écheveau conceptuel, Deboeck supérieur Politix, 2019/3
n°127, Pages 59 à 83

2
Vincent Meyzie est historien, professeur en histoire moderne à l’université Paris X Nanterre, spécialisé sur l’histoire sociale
et institutionnelle de l’État royal en France.
3
Le tribunal présidial
comme par exemple Menard de la Groye et Felix Faucon) Ainsi, l’exemple des magistrats du présidial
de Limoges Guillaume Grégoire de Roulhac et Jean-Baptiste Bonin suspectés de distance par rapport à
la révolution et placés en résidence surveillée à ce titre, est emblématique d’un retrait expliqué par des
intérêts personnels. Une question subsiste néanmoins sur la nature des motivations dont on peut
imaginer qu’elles soient construites pour faire face aux inquisiteurs de la Terreur face auxquels il ne
peut être opportun de faire valoir son opposition au régime.
La séquence de liquidation des offices après la remise en cause de la vénalité des charges par la loi
d’aout 1789, puis de la vente des biens nationaux (lois de mai et juillet 1790, puis celle de 1792 sur les
biens des émigrés) témoignent aussi de la position des acteurs sur le régime. La constituante a fixé le
principe d’une indemnisation des détenteurs de charges considérant le risque de se mettre à dos une
grande partie des élites moyennes du pays4. On constate que les officiers sont globalement rétribués de
façon satisfaisante du point de vue de la valorisation du capital constitué par la détention d’une charge
et que le revenu tiré de la liquidation est très souvent investi dans l’acquisition de biens nationaux.
Notons que derrière un acte de soutien au régime il y a une amélioration voire une consolidation de la
propriété terrienne ou immobilière contribuant à renforcer le statut de notable qui précédait la
révolution. Le choix d’utiliser le revenu tiré de la vente de la charge à l’acquisition de biens nationaux
permet à l’État révolutionnaire de récupérer les fonds et faire face à la situation désastreuse des
finances publiques dans les années 1790.

Dès lors, l’analyse permet de comprendre que l’engagement politique des notables locaux
s’inscrit avant tout dans le prolongement des parcours initiés sous l’ancien régime qu’il soit conduit au
retour à la terre, aux études physiocratiques, à l’écriture et/ou à la gestion du patrimoine familial. Ainsi
l’auteur conclu que « les évènements révolutionnaires, souvent traversés avec discrétion ou dans une
posture de repli, permettent aux ex-officiers de justice de conforter leur statut de notables locaux »

La politisation des conseillers du président sous la Vème république.

Guillaume Cornu est doctorant en science politique au sein de L’ISP et prépare une thèse sur
les conseillers présidentiels sous la Vème république et en particulier les membres des premiers
cabinets de l’Élysée sous la présidence du Général de Gaulle en 1959 et 1962. Le séminaire a porté sur
la question de la politisation des conseillers du président et sur l’interrogation de la construction
progressive du rôle de ces conseillers débouchant sur une problématique fondamentale : qui gouverne
sous la Vème république ?
Guillaume Cornu rappelle que la question du rôle des conseillers de cabinets est concomitante à
l’histoire de la République et que la question des entourages des politiques usant des fonctions comme
tremplin de carrière pour accéder aux postes de la haute fonction publique est une antienne de
l’histoire politique de la république5. La vie des cabinets présidentiels ou ministériels peut être
appréhendée comme un système de cour tel que la décrit Norbert Elias dans lequel sont mis en jeu des
phénomènes de dons et contre-dons consistant notamment à viser les hautes fonctions administratives
pour les conseillers passant par un cabinet. Dès lors émerge la question de l’autonomie du politique et
de l’administratif et de la frontière entre ces deux champs d’activité professionnelle ainsi que la
question de l’évolution du rapport entre ces deux pôles sous la Vème république : les conseillers
contribuent-ils à « l’administratification » du politique ou au contraire à la politisation de
l’administratif ? Le principe du concours mis en place au début de la IIIème république dans la
décennie 1870 a conduit à une certaine professionnalisation du corps administratif, consolidée dans les
années 1950 avec la création de l’ENA, mais n’a pas constitué une frontière étanche entre le monde
4
Cf. rapport du député Pierre-François Gossin à la constituante en 1790.
5
Bertrand de Jouvenel La république des camarades paris 1914
politique et la haute fonction publique du fait notamment des nominations aux fonctions par le tour
extérieur6. On retient aussi les transferts de membres de cabinets au profil initialement technocratique
vers les fonctions électives (maires, parlementaires) ainsi que vers des fonctions ministérielles. Cela
commence sous la présidence Pompidou (ex : Jacques Chirac, Édouard Balladur) et se consolide sous
la présidence de François Mitterrand (ex : Ségolène Royal, Élisabeth Guigou, François Hollande).
Enfin Guillaume Cornu observe l’évolution du présidentialisme français et renforcement de l’Élysée
dans le dispositif exécutif avec le contrôle par le cabinet du président de la nomination des conseillers
ministériels sous la présidence Sarkozy (dans le cadre de « l’ouverture » à des ministres venant de la
gauche ; cabinets de Fréderic Mitterrand à la Culture et de Bernard Kouchner au quai d’Orsay).

En guise de conclusion : Comment étudier le phénomène de politisation des élites ?

On retient avec intérêt de ces deux séminaires une indication sur la méthode d’analyse des
phénomènes de politisation autour de trois points-clés.

1. Une approche socio-historique :

S’interroger sur la politisation des élites nécessite de croiser une approche historique, replaçant les
comportements dans un cadre évènementiel spécifique (La période de la Terreur et les lois sur les
offices et les biens nationaux, le processus de montée en puissance de l’autorité présidentielle sous la
Vème république), avec une approche sociologique des élites qui consiste à rechercher et analyser les
freins et motivations des acteurs selon leurs propres intérêts et les règles animant le groupe social
auquel ils appartiennent (optimisation patrimoniale avec la vente des offices et l’acquisition des biens
nationaux, protection et consolidation du statut de notable sous la révolution, gestion de la carrière
dans la haute fonction publique ou la politique, accession à des postes ciblés sous la Vème république)

2. L’analyse des trajectoires personnelles :

C’est au travers de l’analyse des trajectoires personnels des acteurs que s’éclairent les tendances. A cet
égard, les sources utilisées dans les deux analyses reposent en grande partie sur des éléments privés
qui attestent des positions personnelles des protagonistes. Ainsi Vincent Meyzie a travaillé notamment
sur les livres de raison 7 des anciens magistrats et Guillaume Cornu examine les correspondances
privées des conseillers et leurs mémoires ou les notes confidentielles. On citera à titre d’exemple la
correspondance entre Jacques Kosciusko-Morizet et Vincent Auriol particulièrement éloquente sur la
notion d’entraide professionnelle à l’issue du mandat présidentiel en 1957 et représentative des dons et
contre-dons dans la relation entre le conseiller et l’ancien président. Les trajectoires singulières des
membres du cabinet du président de Gaulle sont aussi emblématiques de la poursuite d’objectifs
personnels et de perception la fonction de conseillers comme un passage vers d’autres « cieux ».

3. La question de la fidélité :

Enfin il semble que la question de l’arbitrage entre la fidélité à un régime (la monarchie
constitutionnelle puis la Convention) ou à un « patron » (les conseillers à l’égard de leur président,
6
Le tour extérieur permet à l’exécutif de nommer une personne à un poste dans les grands corps de l’État (Conseil d’État,
Inspection des finances, Cour des comptes, Quai d’Orsay…). La nomination est décidée en conseil des ministres et n’est pas
conditionné par la détention de titres universitaires.
7
Le livre de raison est un recueil de données privées notamment patrimoniales contenant parfois des éléments comptables et
financiers ainsi que des considérations sur le contexte d’acquisition et de gestions des biens immobiliers, des terres et autres
actifs patrimoniaux.
ministre) et les intérêts personnels puisse constituer aussi une explication des attitudes de politisation.
Ainsi en est-il des retraits de la vie politique de certains anciens magistrats sous la Terreur. On peut
déceler dans le contexte spécifique de la période révolutionnaire un décalage entre l’engagement
politique national et les logiques de socialisation et de notabilité locale. Dès lors les retraits peuvent
être momentané comme le montre l’exemple de Louis Malet de Fois et de Claude Dupuy qui après un
repli sur leur domaine privé réinvestissent la scène politique sous le Consulat, ils peuvent être
définitifs comme celui de François Ruben dont le repli s’explique plus par des difficultés d’insertion
au réseau local de notabilité qui amenuise sa carrière pendant la période révolutionnaire.

La question de la fidélité politique à la personnalité servie par les conseillers est aussi un sujet central
de l’analyse de la politisation des conseillers sous la Vème République. Les exemples de Jacques
Narbonne, Pierre Lelong, André de Lattre et Jean Mélo, traités sous l’ange de leur « horizon
d’attente », sont représentatifs d’une certaine émancipation sur la base de considérations d’intérêts
propres et mettent en évidence que, dès 1959, le passage en cabinet est perçu comme une antichambre
vers des postes dans la haute fonction publique plus conformes aux intérêts de carrière des individus.
Encore plus éloquent sur le sujet de la fidélité, sont les prises d’autonomie d’anciens conseillers
devenus ministres qui s’émancipent dans leur fonction ministérielle par rapport à leur ancien mentor.
Sur ce registre l’ancien secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de Georges Pompidou, Michel
Jobert, devenu ministre des affaires étrangères constitue d’après Guillaume Cornu un modèle de cette
prise d’autonomie.

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