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a. Dans ce texte, Hume réfléchit à partir d’une expérience de pensée originale. Il convient
de bien l’analyser : pourquoi prend-il appui sur une expérience imaginaire et non sur
une expérience réelle ? Que permet-elle de révéler ?
b. Quel sens donner à la formule initiale du texte « nous imaginons » ? Repérez dans la
suite du texte, le retour de ce terme, associé à celui d’invention.
c. Inférer, c’est produire un raisonnement qui à partir d’un donné initial élabore de façon
logique une conclusion rigoureuse. Quel sens donner, selon Hume, au principe de
l’inférence causale ? L’explication de texte devra se montrer attentive à cette réflexion
sur la causalité : il faut être en mesure d’expliquer ce qu’est une relation causale, une
loi nécessaire, un effet prédictible.
d. La thèse de Hume met en avant le rôle de la coutume : il ne faut pas y voir là une
réflexion sur les mœurs d’un pays. La coutume, c’est le rapport habituel que nous
avons avec le réel. Cette « coutume » s’élabore dans l’expérience régulière que nous
avons faite et continuons de faire des choses : nous nous habituons à associer telle
chose à telle autre car elles se présentent toujours ensemble. L’explication de texte doit
veiller à donner tout son sens à cette notion de coutume ainsi qu’à celle d’expérience.
e. Pourquoi Hume dit-il de la coutume qu’elle « masque notre ignorance naturelle » et
qu’elle « se cache elle-même » ? Avons-nous conscience de ce qui est habituel ?
f. Caractérisez précisément la thèse que soutient Hume et qui s’énonce en ouverture du
§ 2. On appelle empirisme la doctrine philosophique qui considère que tout ce que l’on
sait a pour origine l’expérience que nous avons et que nous faisons du réel. Prenez
bien soin d’analyser les raisons qui permettent de voir dans ce texte une position
empiriste : pour autant peut-on dire que l’expérience nous fournit tout ce qui structure la
connaissance que nous avons du réel ? Qu’est-ce qui fait problème, même dans une
perspective empiriste ?
g. Analysez le parallélisme de structure entre le § 1 (« si nous étions ») et le § 2 (« Si un
objet se présentait »).
h. Dans l’expression « il faut que cette invention soit entièrement arbitraire », il n’est pas
question d’un impératif, mais d’une nécessité à laquelle on ne peut échapper (=on ne
peut pas faire autrement qu’inventer de façon arbitraire). Analysez précisément ce qu’il
faut entendre par « arbitraire ». Si l’invention ne peut être qu’arbitraire, que ne peut-elle
pas être ?
i. La fin du texte mobilise l’expression a priori (avant et indépendamment de toute
expérience). A priori s’oppose à a posteriori (après l’expérience et à la faveur de celle-
ci). Les expériences de pensée qui structurent le texte et qui s’efforcent de penser une
position a priori relèvent d’une stratégie habile de réfutation : que s’agit-il de critiquer ?
Comment pourrait-on nommer la position philosophique que Hume rejette comme
inconsistante ?
j. Si l’origine de l’inférence causale est introuvable, quelle incidence cela a-t-il sur la
conception que l’on se fait de la science ?
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2. Élaborer le problème, la thèse et l’enjeu du texte :
les différents moments constitutifs de l’introduction
La connaissance scientifique s’efforce, pour rendre intelligible l’expérience que nous
faisons du réel, d’expliquer comment telle cause produit de façon nécessaire tel effet en
raison des lois universelles de la nature. Les lois de la physique newtonienne permettent
ainsi d’expliquer et de prédire les mouvements de tous les corps physiques.
Mais ce principe causal, qui est à l’œuvre dans toute explication scientifique, comment en
prend-on au juste connaissance ? Comment parvient-on à mettre en relation les
phénomènes du réel et à savoir que tel phénomène est cause de tel autre ? Où trouve-ton
le principe de causalité qui organise la connaissance du réel et permet l’élaboration des
lois nécessaires de la nature ?
Le problème que pose Hume est redoutable : il s’agit d’interroger le fondement même de
notre connaissance du réel et de voir dans quelle mesure nos inférences causales sont
rationnellement justifiées : que disons-nous quand nous affirmons que le mouvement
d’une boule de billard « cause » nécessairement le déplacement d’une autre boule qu’elle
heurte ? D’où nous vient une telle connaissance ?
La thèse que Hume va élaborer est résolument empiriste : le principe causal qui nous
permet d’ordonner l’expérience que nous faisons du réel et de prévoir, à l’avance, que la
boule heurtée sera mise en mouvement, ne peut pas être constitué a priori, c’est-à-dire
indépendamment de l’expérience que nous faisons du déplacement des corps physiques.
Une connaissance strictement rationnelle, qui prétendrait se constituer sans le recours à
l’expérience, ne parviendrait pas à produire la relation qui règle l’ordre d’apparition des
phénomènes. Hume se fait ainsi le défenseur d’une position empiriste : seule l’expérience
produit en nous l’idée d’un rapport réglé, régulier entre tel phénomène et tel autre qui lui
est habituellement associé. En d’autres termes, le principe de causalité est l’expression
de notre rapport habituel au réel : c’est parce nous sommes habitués à voir les corps se
mouvoir selon un certain ordre que nous faisons de cet ordre habituel l’ordre nécessaire
de la nature dans lequel les mêmes causes entraînent nécessairement les mêmes effets.
L’enjeu du texte est alors déterminant : si la connaissance des lois de la nature qui
permettent de produire des inférences causales entre les phénomènes n’est issue que de
l’expérience habituelle et contingente que nous faisons des choses, quel est alors le
fondement nécessaire et rationnel du savoir scientifique ? L’ordre élaboré dans les
phénomènes du réel n’est-il que la projection de notre expérience répétée, régulière,
habituelle du réel : ne serait-il donc jamais justifiable rationnellement, serait-il dépourvu de
toute vraie nécessité ?
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Première partie : pourquoi croyons-nous que l’impulsion donnée à une boule de billard a
nécessairement un effet sur la boule qu’elle heurte ? Pourquoi nous attendons-nous à ce
qu’il en soit ainsi ?
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a. Comment croyons-nous qu’un extraterrestre réagirait s’il assistait à une partie de
billard ?
– Il s’agit d’une expérience de pensée : Hume invite le lecteur à élaborer un dispositif
fictionnel et à analyser les conclusions que l’on serait disposé à tirer de ce dispositif
hypothétique. L’expérience de pensée vise, pour Hume, à mettre en évidence les
mécanismes mentaux qui structurent la lecture de ce dispositif fictionnel : nous
« imaginons » tous que l’extraterrestre ne serait pas déconcerté par les mouvements
des boules et qu’il pourrait même anticiper sur l’effet produit par telle impulsion donnée
par une boule à une autre. Peut-être serait-il surpris par les choses du monde dans
lequel il est « introduit », mais il ne serait pas surpris par les lois du monde qui
l’organisent (lois du mouvement des corps).
– Cet extraterrestre qui réagit de façon si familière, c’est « nous » : « nous imaginons que
si nous étions subitement introduits… ». Le décentrement imposé par l’expérience de
pensée (comment réagirait un extraterrestre face à une partie de billard ?) est
impossible : nous concevons et analysons l’expérience de pensée à travers notre
propre expérience humaine du réel.
– La lecture de l’expérience de pensée ne révèle donc rien des réactions qu’aurait celui
qui n’a aucune expérience du monde. L’expérience de pensée à laquelle nous sommes
invités reconduit à l’expérience que nous faisons du réel : nous croyons fermement que
l’extraterrestre, comme nous, ordonnerait spontanément le réel selon le principe de la
causalité.
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b. Quelle idée nous faisons-nous de la causalité ? Comment l’imaginons-nous ?
– Il s’agit pour Hume, à partir de ce dispositif fictionnel qui reconduit à l’expérience
ordinaire, d’analyser l’ordre des croyances : il faut enquêter sur ce que « nous
imaginons » à propos de la forme causale de nos raisonnements. Que croyons-nous
faire quand nous procédons à des inférences causales ?
– Les inférences causales, ce sont les raisonnements souvent implicites que nous
produisons et qui permettent de tenir tel fait pour la cause de tel autre fait et,
réciproquement, de tenir tel fait pour l’effet nécessaire de tel autre par lequel il est
produit. Nous produisons sans effort ces inférences causales qui nous permettent de
suivre une partie de billard et d’anticiper certains effets produits par le déplacement des
boules. Nous nous représentons ces relations causales comme évidentes, naturelles.
C’est ce que tout homme serait en mesure d’observer à même le réel : le heurt d’une
boule sur une autre s’interprète spontanément de façon causale et nous ne voyons pas
comment nous pourrions nous rapporter autrement à ces faits (qui imaginerait la
possibilité que la boule s’élève en hauteur ou que le choc laisse parfaitement immobile
la boule heurtée ?)
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– Mais cette conviction que nous avons que le réel est structurellement ordonné par des
relations causales nécessaires, comment l’avons-nous ? Les faits donnent-ils d’eux-
mêmes à voir les relations de cause à effet qui les structurent ? La causalité est-elle, à
l’inverse, inscrite dans l’esprit ? Pour l’instant, Hume n’exclut aucune hypothèse : sa
démarche ne consiste pas d’abord à défaire les hypothèses intenables, mais à avancer
l’explication qu’il juge suffisante pour rendre compte de la tendance irrésistible de tout
esprit humain à constituer des relations causales entre les faits.
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c. La thèse humienne : c’est l’effet de l’habitude qui nous dispose à établir des
relations causales entre les faits.
– Si nous nous attendons à ce que le heurt d’une boule sur une autre la mette en
mouvement, si nous produisons sans effort une telle inférence causale, c’est que nous
sommes déterminés ou « influencés » par l’habitude que nous avons de voir une telle
succession opérer entre les faits du réel. Nous sommes accoutumés à faire l’expérience
de certaines successions d’événements ou de faits et c’est cette habitude, ou cette
« coutume », que nous convertissons, à notre insu, en ordre causal nécessaire et
immuable (les mêmes causes entraînent les mêmes effets) : de la régularité observée
dans le réel, nous produisons ainsi l’idée qu’il existe une loi nécessaire du mouvement
qui fait qu’un corps qui en heurte un autre produit son déplacement dans une direction
donnée.
– La force de l’habitude est contraignante : nous ne pouvons pas ne pas croire que les
relations observées régulièrement, sans qu’aucune exception ne soit venue troubler
cette répétition, ne puissent pas être nécessaires. C’est cette force de l’habitude qui
nourrit la croyance vive que le réel s’ordonne selon des lois nécessaires et se structure
donc selon des relations causales elles aussi nécessaires.
– Mais cette « coutume » qui définit la nature du réel selon le principe subjectif de la
régularité habituelle n’est-elle pas doublement ignorante ? Hume montre en effet la
double insuffisance de ce phénomène de coutume qui fait que nous construisons la
connaissance du réel selon le rapport habituel que nous en avons à travers
l’accumulation de l’expérience passée. Première insuffisance : la coutume « masque
notre ignorance naturelle ». En effet, le savoir que délivre l’expérience habituelle n’a rien
d’objectivement fondé : c’est seulement de façon subjective que nous élaborons l’idée
de liaisons causales nécessaires et nous ne savons rien de la réalité de ces relations
causales qu’élabore l’esprit quand il expérimente la régularité sans faille de certaines
relations entre les faits. En d’autres termes, sous l’effet de l’habitude, nous inventons
l’existence de lois nécessaires et de rapports de causalité qui ne font qu’occulter le fait
que nous ne savons rien de ce qui objectivement structure la nature. Seconde
insuffisance : la coutume s’ignore comme coutume. Nous croyons faire des inférences
causales valables, nous croyons qu’il serait illogique de ne pas voir dans le mouvement
de la première boule la cause du mouvement de la seconde. La dimension construite,
subjective, contingente, arbitraire de l’inférence causale que nous produisons ne nous
apparaît jamais. Nous appelons nécessité de la nature ou causalité naturelle ce qui
n’est en fait que la projection du rapport habituel que nous avons avec l’expérience. Ce
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que nous appelons savoir, c’est dès lors ce que nous nous sommes accoutumés de
croire sous l’effet déterminant de l’habitude. Nous ne méconnaissons pas seulement ce
qu’est le réel dans son objectivité, nous méconnaissons aussi la démarche qui est celle
de l’esprit : tous les raisonnements auxquels nous procédons sont déterminés par des
croyances qui n’ont jamais été mises en difficulté, qui ont toujours été confirmées et qui
dès lors servent de point d’appui à toutes nos opérations logiques.
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► Il n’y a donc pas de fondement rationnel dans notre connaissance de la nature, ni dans
l’établissement des lois nécessaires et du principe universel de causalité : le seul
fondement est subjectif et non rationnel puisque c’est la croyance habituelle que produit
en nous l’expérience répétée du réel qui est au fondement de toutes nos opérations
logiques.
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a. Y a-t-il une part d’invention imaginative ou de chance dans la démarche du savant, ou
est-elle de part en part méthodique et rationnellement réglée ? Qu’est-ce qui est inventé
? : l’hypothèse, l’expérience, la démonstration, la généralisation, l’application ? C’est
tout le problème de la démarche scientifique.
b. La théorie qui résulte de cette démarche est-elle un discours qui découvre la vérité du
réel ou est-elle un discours qui s’en tient à son statut hypothétique et qui imagine une
représentation cohérente du réel dont nous faisons l’expérience ? C’est le problème de
l’objectivité de la théorie scientifique.
2. Références mobilisables
a. Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, IV ou Méditations métaphysiques : la
« découverte » du vrai ne se fait pas au hasard, comme on recherche un trésor. On ne
doit rechercher la vérité dans les sciences que si on dispose d’une méthode permettant,
de façon assurée, de la trouver et de la connaître comme vérité indubitable.
b. Kant, Critique de la faculté de juger (voir l’étape 1 de cette séquence) : Newton
n’invente pas sa théorie comme l’artiste crée son œuvre d’art. Parce que sa démarche
est rationnelle, il découvre ce que chaque sujet rationnel aurait pu découvrir. Il n’y a
donc rien de génial dans sa découverte de la loi de la gravitation universelle : un autre
aurait pu la découvrir et chacun peut se l’approprier. L’artiste en revanche produit une
œuvre originale dont les règles de production sont originales et singulières.
c. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique (voir l’exercice 4 de l’étape 1 de cette
séquence) : pour établir une hypothèse et initier la démarche scientifique, il faut
surmonter les « obstacles épistémologiques » qui empêchent de penser le fait
scientifique. Il faut se défaire de ce qui semble évident (l’explication spontanée que
nous donnons du réel, les représentations élaborées par le langage que l’on utilise pour
parler du réel…). C’est la dimension essentiellement « polémique » de la
connaissance : rien n’est donné de soi, rien n’est d’emblée évident (ni l’hypothèse, ni
l’expérimentation, ni les outils de mesure), tout est construit par la démarche
scientifique. « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
d. Duhem, La théorie physique : aucune théorie physique ne peut prétendre accéder à
une réalité qu’elle dévoilerait ; elle doit se limiter à rechercher l’hypothèse qui
représente le plus exactement possible les phénomènes qui constituent l’expérience du
réel et qui construit un modèle rigoureux qui décrit (mais n’explique pas) les
phénomènes.
e. Popper, La connaissance objective (voir la partie C de l’étape 4 de cette séquence) :
une proposition scientifique doit pouvoir être réfutée, testée. Une proposition irréfutable
(qui se donnerait comme absolument vraie) ne peut être considérée comme
scientifique. C’est un énoncé dogmatique. Le progrès scientifique consiste moins à
accumuler des connaissances qu’à rectifier les erreurs anciennes contenues dans les
théories précédentes. La découverte scientifique permet d’approcher le réel par ses
rectifications successives.
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f. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (voir l’exercice 2 de l’étape 1 de cette
séquence) : toute théorie scientifique s’élabore autour d’un « paradigme » qui propose
un modèle d’intelligibilité du réel. Toute théorie est une invention intellectuelle qui ouvre,
de façon féconde, des voies de recherche et qui permet la découverte de faits
nouveaux (la découverte d’Uranus par Herschel).
3. Plan possible
(Les titres et les sous-titres ne sont donnés que pour faciliter ici la lecture du plan
proposé. Une dissertation, à l’épreuve écrite du baccalauréat, ne doit pas en comporter).
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c. Une théorie scientifique est une découverte de faits : produire une théorie qui construit
un ensemble cohérent d’énoncés qui s’ajustent à l’expérience réglée que l’on fait du
réel, ce n’est pas seulement progresser vers la vérité, c’est aussi progresser dans la
conquête que l’on fait du réel. Une théorie, comme modèle d’intelligibilité, donne à voir
ce qu’on ne pouvait pas voir dans les autres théories qui ont précédé et qui ont été
abandonnées comme erronées : la théorie héliocentrique rend possible la découverte
de nouvelles planètes dans le système solaire, la théorie à l’œuvre dans le tableau
périodique des éléments donne à connaître des réalités qu’on n’a pas encore
constatées dans la nature ou qu’on n’a pas encore produites artificiellement.
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► Transition : Si les théories sont des productions inventives de l’esprit, à quoi reconnaît-
on une théorie scientifique d’une élucubration inconsistante et délirante ?
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Retour
Étap sur la distinction entre droit naturel
et droit civil
(À l’étape 3-A)
Nous sommes partis des enjeux de l’opposition classique du droit et de la force, et des
ambiguïtés de l’expression droit naturel. À cette occasion, nous avons vu à quel point il
pouvait être difficile de distinguer droit et force, avec toujours le risque que la seconde ne
réduise la première à rien, tout en empruntant éventuellement ses apparences et son
vocabulaire pour en usurper le prestige.
Au cœur de ce moment, nous avons ensuite cherché à voir en quoi il était pertinent
d’opérer une distinction entre droit naturel et droit positif, pour finalement envisager
l’intérêt philosophique du positivisme juridique de Hans Kelsen, c’est-à-dire d’une certaine
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conception de la théorie du droit, qui, à l’inverse du jusnaturalisme, prétend ne pas avoir à
recourir au droit naturel dans la description des normes juridiques.
Nous avons cherché à montrer en outre que certains des enjeux de la distinction entre
droit naturel et droit positif se retrouvaient, sous une forme différente, dans l’activité du
juge, qui s’appuie sur une diversité de sources du droit – prises dans une relation
hiérarchique : la hiérarchie des normes –, mais qui semble parfois sortir de ce cadre afin
d’intégrer des convictions morales à sa décision. Nous nous sommes alors arrêtés sur la
spécificité de l’acte de juger – la « subsomption » – et sur les difficultés afférentes à un tel
acte.
Étape 2
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Dans les exercices qui suivent, vous pouvez réutiliser les connaissances qui précédent.
L’un des objectifs de cette deuxième étape est de vous faire vous exercer à vous
approprier des connaissances et à les utiliser de façon sélective et pertinente.
Questions
1. Cherchez dans le texte les indices qui montrent que l’auteur énonce une idée qui n’est
pas la sienne, à laquelle il s’oppose.
2. Reconstituez la thèse adverse.
3. Identifiez pourquoi l’auteur rejette cette thèse.
4. Clarifiez la distinction entre identité et appartenance.
Éléments de réponse
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Le deuxième indice est la mention explicite de l’adversaire : « le raciste », à qui un certain
discours, voire une doctrine, sont clairement attribués.
Le troisième indice est l’expression de l’opposition de l’auteur : « Non,... », qui manifeste
bien son désaccord avec la thèse raciste.
2. La thèse raciste : consiste « à confondre votre identité avec l’une ou l’autre parmi vos
appartenances » ;
- elle « revient à réduire la personne à une catégorie ou l’individu à un collectif » ;
- elle « réduit le principe d’identité à la relation d’appartenance » ;
3. - elle est confuse et réductrice ;
- elle ne rend pas compte d’une distinction conceptuelle, proposée par l’auteur, entre
identité et appartenance.
4. L’identité désigne ici l’identité qualitative et psychologique, ce qui fait la singularité d’une
personne. On le comprend en repérant les termes « singulière » et « personne ». A
contrario, l’appartenance désigne un attribut collectif, général. Confondre les deux, c’est
confondre l’individu et l’espèce ou le genre, ce qui est effectivement une « faute logique ».
Questions
1. Identifiez la thèse adverse.
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2. Analysez la critique qu’en propose l’auteur.
3. Dégagez la thèse de l’auteur.
Éléments de réponse
1. Le texte s’oppose au « mythe de l’oeil innocent et du donné absolu », qui sont explicités
par l’auteur : « Tous deux renforcent l’idée, d’où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer
un matériau brut reçu par les sens, et qu’il est possible de découvrir ce matériau brut soit
au moyen de rites de purification, soit par une réduction méthodique de l’interprétation. »
La thèse adverse considère donc que la perception est immédiate, qu’elle nous livre un
monde brut, une matière vierge de toute intervention de l’esprit humain. Il y aurait d’abord
la sensation, purement physique, qui nous donne accès au monde tel qu’il est réellement,
puis, après seulement, l’interprétation forgée par l’esprit. La perception est alors réduite à
la sensation pure.
2. L’abondance des négations, l’emploi d’adverbes comme « plutôt que » indique l’opposition
de l’auteur à cette thèse. L’auteur propose deux arguments qui réfutent la thèse adverse :
- « l’oeil innocent est aveugle et l’esprit vierge vide ». Goodman veut dire que notre
sensation n’est pas indépendante de notre esprit. Elle est déjà structurée par l’esprit qui lui
donne forme. En effet, nous percevons le monde à travers des catégories que nous lui
appliquons : la catégorie « objet », celle de « vivant », etc. Réciproquement, ces catégories
ne sont pas purement théoriques, elles ne sont pas le produit d’un esprit abstrait, détaché
de l’expérience du réel. Elles n’ont elles-mêmes de sens qu’appliquées à la réalité
concrète. La perception est indissociablement sensation et jugement rationnel ;
- « on ne peut distinguer dans le produit fini ce qui a été reçu et ce qu’on a ajouté » :
lorsque nous formons un jugement sur le réel, que nous en tirons une connaissance, il est
impossible de séparer ce qui viendrait de l’objet perçu, qui serait passivement reçu par les
sens, et ce qui viendrait de notre analyse, activement forgée par notre esprit. De plus, notre
jugement est lui-même façonné par notre culture, notre éducation, nos préjugés. Il n’est
jamais une analyse pure de l’objet, mais engage une certaine part de subjectivité.
3. Goodman, philosophe américain du XX siècle, s’oppose à l’idée d’une perception
e
naturelle, brute. Au contraire, nous fabriquons nos perceptions, nous faisons un tri dans les
sensations et nous construisons des interprétations de ce que nous voyons. En fonction de
quoi interprétons-nous le réel ? Quel rôle joue notre appartenance culturelle dans cette
interprétation ? C’est l’enjeu de ce texte.
3. Analyser un paradoxe
« Nous partons d’un fait économique actuel. L’ouvrier devient d’autant plus pauvre
qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume.
L’ouvrier devient une marchandise au prix d’autant plus bas qu’il crée plus de
marchandises. La dévalorisation du monde humain va de pair avec la mise en
valeur du monde matériel. Le travail ne produit pas seulement des marchandises ; il
se produit lui-même ainsi que l’ouvrier comme une marchandise dans la mesure où
il produit des marchandises en général. Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci :
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l’objet que le travail produit, son produit, se dresse devant lui comme un être
étranger, comme une puissance indépendante du producteur. (...). L’appropriation
de l’objet se révèle à tel point être une aliénation que, plus l’ouvrier produit d’objets,
moins il peut posséder et plus il tombe sous la domination de son propre produit, le
capital. Toutes ces conséquences découlent du fait que, par définition, l’ouvrier se
trouve devant le produit de son propre travail dans le même rapport qu’à l’égard
d’un objet étranger. S’il en est ainsi, il est évident que plus l’ouvrier se dépense au
travail, plus le monde étranger, objectif, qu’il crée en face de lui devient puissant,
plus il s’appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il
possède en propre. »
Karl Marx, Manuscrits de 1844, pp.108-109, trad. fr. J.P. Gougeon, Paris, GF-Flammarion, 1996.
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– Plus le travailleur produit, plus le propriétaire capitaliste s’enrichit et plus le travailleur
lui-même s’appauvrit. L’inégalité entre les revenus des salariés et des patrons ne cesse
de croître. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus
pauvres.
– Le travailleur n’est qu’un maillon de la chaîne de production ; il ne possède pas les
moyens de production ni le produit de son travail. Il n’exploite pas le produit ; c’est lui
qui est exploité par le patronat. Au final, il produit du capital puisqu’il contribue à
l’enrichissement du propriétaire du capital.
– Le travailleur est dominé par le capital, il n’est pas maître de son travail. Cet
asservissement déshumanise l’ouvrier et transforme le monde du travail en monde
hostile, étranger au travailleur, où il ne peut s’épanouir ni réaliser ses aspirations ou ses
talents personnels.
Conclusion
Réduire un être humain, un sujet rationnel, à un objet, c’est lui faire subir une
objectivation. On refuse au sujet ses propriétés essentielles, qui le caractérisent comme
sujet humain, et, en faisant cela, on le traite comme un objet.
Cela suppose une aliénation de l’individu, qui est rendu étranger à son essence humaine,
étranger aux propriétés essentielles dont on l’a privé. Cette aliénation est une
déshumanisation. Le sujet n’est plus lui-même, il devient autre, un être privé de liberté, de
volonté et de la faculté de consentir.
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1. Exégèse : analyse critique
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Dans ce texte, Ricoeur s’interroge sur l’intervention du psychanalyste dans le rapport à
soi. Quel est le rôle du psychanalyste ? En quoi consiste une thérapie ? Comment peut-on
ainsi se libérer des désirs et des représentations inconscientes ?
Questions
1. Commentez le vocabulaire utilisé par Ricoeur pour désigner le rapport à soi :
« empire », « reconquérir », « relève », « triomphe », « despote », « serviteur d’une
liberté à restaurer »
2. Quel est le principe de la cure psychanalytique ? Qu’est-ce qui lui donne sa légitimité et
la justifie ?
3. Expliquez la phrase : « La maladie n’est point la faute, la cure n’est point la morale ».
4. Comment Ricoeur déduit-il du premier paragraphe sa définition de l’éthique comme
« réconciliation du moi avec son propre corps et avec toutes les puissances
involontaires » ?
Éléments de réponse
2. Dans ce texte, l’argumentation de l’auteur part d’un constat : il arrive que les conditions
d’un rapport à soi sain et harmonieux ne soient pas réunies. Il arrive que le sujet ne soit
pas maître de lui-même, et c’est dans ce type de situation que l’intervention d’autrui,
l’analyste, semble justifiée. Nous pouvons avoir besoin d’aide pour remettre de l’ordre dans
notre vie mentale, pour clarifier nos pensées et nos désirs.
3. L’argument de Ricœur explique que lorsque nous sommes malades, notre propre effort
pour guérir peut être stérile : cet effort renforce le trouble au lieu de l’atténuer, parce que le
sujet est en situation d’aliénation, étant en partie étranger à lui-même. L’auteur met ainsi
l’accent sur le fait que le malade n’est pas responsable de sa maladie et critique la
confusion entre le registre médical et le registre moral. Le malade n’est pas coupable de
son mal-être, qui est involontaire. Ricœur interroge ainsi la part du volontaire et de
l’involontaire dans les psychopathologies. De même, le thérapeute n’est pas un
moralisateur qui donnerait des leçons de morale au patient et lui dirait ce qu’il doit faire. Il
n’est pas non plus une figure d’autorité destinée à poser un diagnostic et à expliquer au
malade les ressorts de sa vie mentale.
4. Le propos de Ricœur est donc négatif : une bonne partie du texte nous met en garde
contre de mauvaises interprétations de la psychanalyse et de son rôle : voilà ce que n’est
pas la psychanalyse. Mais alors en quoi consiste-t-elle ? L’explication de Ricœur se
présente par contraste avec les malentendus sur la psychanalyse. Le psychanalyste aide
le malade à se comprendre : il « dénoue » sa conscience à travers son écoute neutre et
bienveillante ; il est un médiateur dans la reconquête de la liberté et de la maîtrise de soi,
dans la réconciliation des différentes instances du sujet.
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B Travailler sur la dissertation
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Si je m’en tiens à la conception classique du sujet comme unité consciente, l’idée de se
mentir à soi-même n’a pas de sens. Pour qu’un tel phénomène soit possible, il faudrait
qu’il y ait en moi-même deux personnes, moi et un autre à qui je peux mentir. Cela nous
conduirait à faire l’hypothèse d’un sujet divisé en plusieurs personnes qui pourraient être
en conflit (Freud). Le sujet nous amène à donc à étudier la structure du sujet et la
question de savoir s’il est un ou divisé.
La réponse varie en fonction des individus. Pour ma part, je vois en premier lieu un canard.
Puis, je m’attarde sur l’oeil et je décèle aussi le lapin ! Je vois donc la même figure tout
d’abord comme un lapin, puis comme un canard. Elle change d’aspect et pourtant, c’est la
même image, que je perçois différemment.
Le langage me permet de donner plusieurs descriptions de la même image. Mais est-ce qu’il
n’y a là que des façons de parler ? Lorsque je décris la figure comme un canard, c’est parce
que je vois vraiment un canard. Et ensuite, je ne me contente pas de changer de mots : je
vois vraiment un lapin. Ma propre perception se modifie : l’image change d’aspect, autre
chose m’apparaît.
Il n’y a pas une seule manière de voir l’image et on ne se trompe pas quand on voit un lapin
plutôt qu’un canard. On peut faire tour à tour les deux expériences perceptives. Voir un lapin
n’est pas une erreur de la perception, une illusion optique.
L’exemple montre que la perception ne dépend pas seulement de la culture du sujet
perceptif, ni de son jugement, qui le conduit à décrire l’objet comme canard ou lapin. La
perception peut varier au niveau sensoriel lui-même. Il ne s’agit pas de juger l’image comme
ceci ou cela, mais bien de la voir comme un lapin ou un canard.
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Red cube de Isamu Noguchi, à New York.
► Décrivez précisément ce que voyez. Votre expérience correspond-elle à ce qu’analyse
Alain dans le texte ci-dessous ?
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« On soutient communément que c’est le toucher qui nous instruit, et par constatation
pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n’en est rien. Je ne touche pas ce dé
cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et
lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est
cubique. [...] Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles
ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales
en même temps. Mais pourtant c’est un cube que je vois, à faces égales, et toutes sont
également blanches. Et je vois cette chose même que je touche. [...] Je reconnais six
taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d’admettre que c’est là une
opération d’entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair que,
parcourant ces taches noires, et retenant l’ordre et la place de chacune, je forme enfin, et
non sans peine au commencement, l’idée qu’elles sont six, c’est-à-dire deux fois trois, qui
font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette
autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main
et pour l’oeil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà
une fonction d’entendement. »
Alain, Eléments de philosophie, livre I, « De la connaissance par les sens »
I, éd. Gallimard,1941.
Questions
1. De quel exemple s’agit-il dans le texte ? De quoi est-il l’exemple ?
2. Analyser la formulation de cet exemple : comment est-il développé ? Est-il l’illustration
d’un argument qui le précède ? Ou vient-il avant l’argument ? Comment s’insère-t-il
dans la stratégie argumentative du texte ?
3. À quoi sert cet exemple ? Qu’apporte-t-il à la réflexion ?
Éléments de réponse
Le texte porte sur l’exemple d’un dé cubique. Plus précisément, il nous décrit l’expérience
perceptive d’un objet en particulier : le dé. Il s’agit d’une expérience concrète et ordinaire que
chacun peut faire en observant un objet aussi banal que le dé. Un exemple doit prendre le
temps de décrire précisément une expérience.
Le texte commence par énoncer la thèse adverse : notre connaissance vient de la perception
qui est pure sensation. Le rôle de l’exemple va permettre de réfuter cette thèse qui n’est autre
que l’opinion commune. Quoi de plus efficace que l’exemple d’une expérience que tout le
monde peut faire pour surmonter un préjugé ?
Pour développer l’exemple, Alain part de la sensation pure : que voyons-nous exactement ? Il
s’oppose à l’idée, pourtant évidente, que nous percevons un dé. Ce que nous percevons
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précisément, par le toucher notamment, ce sont des arrêtes, des plans, etc. La sensation ne
nous livre pas le dé, mais une multitude d’apparences et d’aperçus sentis : surfaces lisses,
pointes, etc.. Il faut faire la synthèse de toutes ces informations sensorielles, tactiles et
visuelles, pour parvenir à l’idée de l’objet. Tous ces éléments me permettent de reconnaître
un objet dont j’ai déjà le concept, que je connais déjà : un dé. Si je ne savais pas ce qu’est un
dé, je ne pourrais pas percevoir un dé. Percevoir, c’est donc reconnaître l’objet senti : cela
implique aussi bien la sensation que le jugement. La perception est donc une opération
intellectuelle, un acte de l’esprit.
L’exemple, parce qu’il renvoie à une expérience ordinaire et universelle, a une portée
générale. Il a une fonction pédagogique : nous aider à comprendre la réflexion à partir d’un
cas particulier simple. Il a aussi une fonction démonstrative : c’est de son analyse qu’Alain tire
sa thèse. Il a enfin une valeur critique : celle de permettre de réfuter l’opinion commune.
Questions
1. Analysez la formulation de l’exemple du chien psychopathologique : qu’indique
l’expression « Supposons que » ?
2. Expliquez le rôle des concepts de comportement, d’éducation et d’habitude dans
l’exemple.
3. Que montre l’exemple de la distinction mental/comportement ?
4. Pourquoi utiliser une expérience de pensée et non un exemple réel ?
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Éléments de réponse
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