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Étape 6

Se préparer à l’explication de texte


Lire très attentivement le texte suivant :
« Nous imaginons que, si nous étions subitement introduits dans ce monde, nous
pourrions dès l’abord inférer qu’une bille de billard communique du mouvement à
une autre par impulsion, et que nous n’aurions nul besoin d’attendre la réalisation
de cet événement pour prononcer avec certitude à son sujet. Telle est l’influence de
la coutume que, là où elle est la plus forte, elle ne masque pas seulement notre
ignorance naturelle, mais elle se cache elle-même et semble ne pas intervenir,
uniquement parce qu’elle intervient au suprême degré.
Mais pour nous convaincre que toutes les lois de la nature et toutes les opérations
des corps sans exception se connaissent seulement par expérience, les réflexions
suivantes peuvent sans doute suffire. Si un objet se présentait à nous et qu’on nous
demande de nous prononcer sur l’effet qui en résultera sans consulter l’expérience
passée, de quelle manière faut-il, je vous prie, que l’esprit procède dans cette
opération ? Faut-il qu’il invente ou qu’il imagine un événement qu’il attribuera à
l’objet comme effet ? Manifestement, il faut que cette invention soit entièrement
arbitraire. L’esprit ne peut jamais trouver l’effet dans la cause supposée par la
recherche et l’examen les plus précis. Car l’effet est totalement différent de la cause
et, par suite, on ne peut jamais l’y découvrir. Le mouvement de la seconde bille de
billard est un événement absolument distinct du mouvement de la première ; il n’y a
rien dans l’un qui suggère la plus petite indication sur l’autre. Une pierre ou un
morceau de métal élevés en l’air et laissés sans support tombent immédiatement ;
mais, à considérer la question a priori, découvrons-nous rien dans cette situation
qui puisse engendrer l’idée d’une chute plutôt que d’une élévation ou de tout autre
mouvement, dans la pierre ou le morceau de métal ? »
Hume, Enquête sur l’entendement humain (1748), traduction Leroy, GF, p.88-89.

1. Se poser les questions préalables à l’explication


ordonnée et progressive du texte
Expliquer un texte, c’est en rendre pleinement intelligible l’argumentation et les enjeux.
L’explication ne peut être possible que si on interroge activement les affirmations du texte.
Les questions qui suivent sont celles qu’il faudrait sans doute savoir se poser dans les
lectures progressives que l’on fait du texte. Chaque question fait apparaître la nécessité
de réfléchir sur le sens à donner aux arguments qui structurent le texte.
Pour chaque question, vous prendrez bien soin de relire le texte ou le passage du texte
concerné.

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a. Dans ce texte, Hume réfléchit à partir d’une expérience de pensée originale. Il convient
de bien l’analyser : pourquoi prend-il appui sur une expérience imaginaire et non sur
une expérience réelle ? Que permet-elle de révéler ?
b. Quel sens donner à la formule initiale du texte « nous imaginons » ? Repérez dans la
suite du texte, le retour de ce terme, associé à celui d’invention.
c. Inférer, c’est produire un raisonnement qui à partir d’un donné initial élabore de façon
logique une conclusion rigoureuse. Quel sens donner, selon Hume, au principe de
l’inférence causale ? L’explication de texte devra se montrer attentive à cette réflexion
sur la causalité : il faut être en mesure d’expliquer ce qu’est une relation causale, une
loi nécessaire, un effet prédictible.
d. La thèse de Hume met en avant le rôle de la coutume : il ne faut pas y voir là une
réflexion sur les mœurs d’un pays. La coutume, c’est le rapport habituel que nous
avons avec le réel. Cette « coutume » s’élabore dans l’expérience régulière que nous
avons faite et continuons de faire des choses : nous nous habituons à associer telle
chose à telle autre car elles se présentent toujours ensemble. L’explication de texte doit
veiller à donner tout son sens à cette notion de coutume ainsi qu’à celle d’expérience.
e. Pourquoi Hume dit-il de la coutume qu’elle « masque notre ignorance naturelle » et
qu’elle « se cache elle-même » ? Avons-nous conscience de ce qui est habituel ?
f. Caractérisez précisément la thèse que soutient Hume et qui s’énonce en ouverture du
§ 2. On appelle empirisme la doctrine philosophique qui considère que tout ce que l’on
sait a pour origine l’expérience que nous avons et que nous faisons du réel. Prenez
bien soin d’analyser les raisons qui permettent de voir dans ce texte une position
empiriste : pour autant peut-on dire que l’expérience nous fournit tout ce qui structure la
connaissance que nous avons du réel ? Qu’est-ce qui fait problème, même dans une
perspective empiriste ?
g. Analysez le parallélisme de structure entre le § 1 (« si nous étions ») et le § 2 (« Si un
objet se présentait »).
h. Dans l’expression « il faut que cette invention soit entièrement arbitraire », il n’est pas
question d’un impératif, mais d’une nécessité à laquelle on ne peut échapper (=on ne
peut pas faire autrement qu’inventer de façon arbitraire). Analysez précisément ce qu’il
faut entendre par « arbitraire ». Si l’invention ne peut être qu’arbitraire, que ne peut-elle
pas être ?
i. La fin du texte mobilise l’expression a priori (avant et indépendamment de toute
expérience). A priori s’oppose à a posteriori (après l’expérience et à la faveur de celle-
ci). Les expériences de pensée qui structurent le texte et qui s’efforcent de penser une
position a priori relèvent d’une stratégie habile de réfutation : que s’agit-il de critiquer ?
Comment pourrait-on nommer la position philosophique que Hume rejette comme
inconsistante ?
j. Si l’origine de l’inférence causale est introuvable, quelle incidence cela a-t-il sur la
conception que l’on se fait de la science ?

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2. Élaborer le problème, la thèse et l’enjeu du texte :
les différents moments constitutifs de l’introduction
La connaissance scientifique s’efforce, pour rendre intelligible l’expérience que nous
faisons du réel, d’expliquer comment telle cause produit de façon nécessaire tel effet en
raison des lois universelles de la nature. Les lois de la physique newtonienne permettent
ainsi d’expliquer et de prédire les mouvements de tous les corps physiques.
Mais ce principe causal, qui est à l’œuvre dans toute explication scientifique, comment en
prend-on au juste connaissance ? Comment parvient-on à mettre en relation les
phénomènes du réel et à savoir que tel phénomène est cause de tel autre ? Où trouve-ton
le principe de causalité qui organise la connaissance du réel et permet l’élaboration des
lois nécessaires de la nature ?
Le problème que pose Hume est redoutable : il s’agit d’interroger le fondement même de
notre connaissance du réel et de voir dans quelle mesure nos inférences causales sont
rationnellement justifiées : que disons-nous quand nous affirmons que le mouvement
d’une boule de billard « cause » nécessairement le déplacement d’une autre boule qu’elle
heurte ? D’où nous vient une telle connaissance ?
La thèse que Hume va élaborer est résolument empiriste : le principe causal qui nous
permet d’ordonner l’expérience que nous faisons du réel et de prévoir, à l’avance, que la
boule heurtée sera mise en mouvement, ne peut pas être constitué a priori, c’est-à-dire
indépendamment de l’expérience que nous faisons du déplacement des corps physiques.
Une connaissance strictement rationnelle, qui prétendrait se constituer sans le recours à
l’expérience, ne parviendrait pas à produire la relation qui règle l’ordre d’apparition des
phénomènes. Hume se fait ainsi le défenseur d’une position empiriste : seule l’expérience
produit en nous l’idée d’un rapport réglé, régulier entre tel phénomène et tel autre qui lui
est habituellement associé. En d’autres termes, le principe de causalité est l’expression
de notre rapport habituel au réel : c’est parce nous sommes habitués à voir les corps se
mouvoir selon un certain ordre que nous faisons de cet ordre habituel l’ordre nécessaire
de la nature dans lequel les mêmes causes entraînent nécessairement les mêmes effets.
L’enjeu du texte est alors déterminant : si la connaissance des lois de la nature qui
permettent de produire des inférences causales entre les phénomènes n’est issue que de
l’expérience habituelle et contingente que nous faisons des choses, quel est alors le
fondement nécessaire et rationnel du savoir scientifique ? L’ordre élaboré dans les
phénomènes du réel n’est-il que la projection de notre expérience répétée, régulière,
habituelle du réel : ne serait-il donc jamais justifiable rationnellement, serait-il dépourvu de
toute vraie nécessité ?

3. Élaborer l’analyse de l’argumentation à l’œuvre dans le texte : exemple


détaillé de l’analyse de la première
partie du texte de Hume (§1)

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Première partie : pourquoi croyons-nous que l’impulsion donnée à une boule de billard a
nécessairement un effet sur la boule qu’elle heurte ? Pourquoi nous attendons-nous à ce
qu’il en soit ainsi ?
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a. Comment croyons-nous qu’un extraterrestre réagirait s’il assistait à une partie de
billard ?
– Il s’agit d’une expérience de pensée : Hume invite le lecteur à élaborer un dispositif
fictionnel et à analyser les conclusions que l’on serait disposé à tirer de ce dispositif
hypothétique. L’expérience de pensée vise, pour Hume, à mettre en évidence les
mécanismes mentaux qui structurent la lecture de ce dispositif fictionnel : nous
« imaginons » tous que l’extraterrestre ne serait pas déconcerté par les mouvements
des boules et qu’il pourrait même anticiper sur l’effet produit par telle impulsion donnée
par une boule à une autre. Peut-être serait-il surpris par les choses du monde dans
lequel il est « introduit », mais il ne serait pas surpris par les lois du monde qui
l’organisent (lois du mouvement des corps).
– Cet extraterrestre qui réagit de façon si familière, c’est « nous » : « nous imaginons que
si nous étions subitement introduits… ». Le décentrement imposé par l’expérience de
pensée (comment réagirait un extraterrestre face à une partie de billard ?) est
impossible : nous concevons et analysons l’expérience de pensée à travers notre
propre expérience humaine du réel.
– La lecture de l’expérience de pensée ne révèle donc rien des réactions qu’aurait celui
qui n’a aucune expérience du monde. L’expérience de pensée à laquelle nous sommes
invités reconduit à l’expérience que nous faisons du réel : nous croyons fermement que
l’extraterrestre, comme nous, ordonnerait spontanément le réel selon le principe de la
causalité.
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b. Quelle idée nous faisons-nous de la causalité ? Comment l’imaginons-nous ?
– Il s’agit pour Hume, à partir de ce dispositif fictionnel qui reconduit à l’expérience
ordinaire, d’analyser l’ordre des croyances : il faut enquêter sur ce que « nous
imaginons » à propos de la forme causale de nos raisonnements. Que croyons-nous
faire quand nous procédons à des inférences causales ?
– Les inférences causales, ce sont les raisonnements souvent implicites que nous
produisons et qui permettent de tenir tel fait pour la cause de tel autre fait et,
réciproquement, de tenir tel fait pour l’effet nécessaire de tel autre par lequel il est
produit. Nous produisons sans effort ces inférences causales qui nous permettent de
suivre une partie de billard et d’anticiper certains effets produits par le déplacement des
boules. Nous nous représentons ces relations causales comme évidentes, naturelles.
C’est ce que tout homme serait en mesure d’observer à même le réel : le heurt d’une
boule sur une autre s’interprète spontanément de façon causale et nous ne voyons pas
comment nous pourrions nous rapporter autrement à ces faits (qui imaginerait la
possibilité que la boule s’élève en hauteur ou que le choc laisse parfaitement immobile
la boule heurtée ?)
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– Mais cette conviction que nous avons que le réel est structurellement ordonné par des
relations causales nécessaires, comment l’avons-nous ? Les faits donnent-ils d’eux-
mêmes à voir les relations de cause à effet qui les structurent ? La causalité est-elle, à
l’inverse, inscrite dans l’esprit ? Pour l’instant, Hume n’exclut aucune hypothèse : sa
démarche ne consiste pas d’abord à défaire les hypothèses intenables, mais à avancer
l’explication qu’il juge suffisante pour rendre compte de la tendance irrésistible de tout
esprit humain à constituer des relations causales entre les faits.
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c. La thèse humienne : c’est l’effet de l’habitude qui nous dispose à établir des
relations causales entre les faits.
– Si nous nous attendons à ce que le heurt d’une boule sur une autre la mette en
mouvement, si nous produisons sans effort une telle inférence causale, c’est que nous
sommes déterminés ou « influencés » par l’habitude que nous avons de voir une telle
succession opérer entre les faits du réel. Nous sommes accoutumés à faire l’expérience
de certaines successions d’événements ou de faits et c’est cette habitude, ou cette
« coutume », que nous convertissons, à notre insu, en ordre causal nécessaire et
immuable (les mêmes causes entraînent les mêmes effets) : de la régularité observée
dans le réel, nous produisons ainsi l’idée qu’il existe une loi nécessaire du mouvement
qui fait qu’un corps qui en heurte un autre produit son déplacement dans une direction
donnée.
– La force de l’habitude est contraignante : nous ne pouvons pas ne pas croire que les
relations observées régulièrement, sans qu’aucune exception ne soit venue troubler
cette répétition, ne puissent pas être nécessaires. C’est cette force de l’habitude qui
nourrit la croyance vive que le réel s’ordonne selon des lois nécessaires et se structure
donc selon des relations causales elles aussi nécessaires.
– Mais cette « coutume » qui définit la nature du réel selon le principe subjectif de la
régularité habituelle n’est-elle pas doublement ignorante ? Hume montre en effet la
double insuffisance de ce phénomène de coutume qui fait que nous construisons la
connaissance du réel selon le rapport habituel que nous en avons à travers
l’accumulation de l’expérience passée. Première insuffisance : la coutume « masque
notre ignorance naturelle ». En effet, le savoir que délivre l’expérience habituelle n’a rien
d’objectivement fondé : c’est seulement de façon subjective que nous élaborons l’idée
de liaisons causales nécessaires et nous ne savons rien de la réalité de ces relations
causales qu’élabore l’esprit quand il expérimente la régularité sans faille de certaines
relations entre les faits. En d’autres termes, sous l’effet de l’habitude, nous inventons
l’existence de lois nécessaires et de rapports de causalité qui ne font qu’occulter le fait
que nous ne savons rien de ce qui objectivement structure la nature. Seconde
insuffisance : la coutume s’ignore comme coutume. Nous croyons faire des inférences
causales valables, nous croyons qu’il serait illogique de ne pas voir dans le mouvement
de la première boule la cause du mouvement de la seconde. La dimension construite,
subjective, contingente, arbitraire de l’inférence causale que nous produisons ne nous
apparaît jamais. Nous appelons nécessité de la nature ou causalité naturelle ce qui
n’est en fait que la projection du rapport habituel que nous avons avec l’expérience. Ce
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que nous appelons savoir, c’est dès lors ce que nous nous sommes accoutumés de
croire sous l’effet déterminant de l’habitude. Nous ne méconnaissons pas seulement ce
qu’est le réel dans son objectivité, nous méconnaissons aussi la démarche qui est celle
de l’esprit : tous les raisonnements auxquels nous procédons sont déterminés par des
croyances qui n’ont jamais été mises en difficulté, qui ont toujours été confirmées et qui
dès lors servent de point d’appui à toutes nos opérations logiques.
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► Il n’y a donc pas de fondement rationnel dans notre connaissance de la nature, ni dans
l’établissement des lois nécessaires et du principe universel de causalité : le seul
fondement est subjectif et non rationnel puisque c’est la croyance habituelle que produit
en nous l’expérience répétée du réel qui est au fondement de toutes nos opérations
logiques.

Se préparer à l’exercice de la dissertation


Analyse et plan détaillé du sujet : « Une théorie scientifique est-elle une invention ou une
découverte ? »

1. Analyse du sujet : Une théorie scientifique est-elle une invention ou une


découverte ?
Le sujet présuppose que la démarche scientifique est une démarche heuristique.
« Heuristique » signifie qui trouve des faits nouveaux et qui permet l’avancement de la
connaissance. Le célèbre « eurêka » d’Archimède (« j’ai trouvé ») relève de la même
étymologie.
Le sujet formule une alternative : découverte/invention.
Découverte : dé-couvrir quelque chose qui était déjà là, mais « recouvert » (par des
préjugés, par des ignorances). Découvrir consiste à révéler une vérité qui se tenait
cachée. Le terme grec « alètheia » qui signifie « vérité » rend compte de cette conception
d’une vérité qu’on découvre, qu’on dévoile ou qu’on tire de l’oubli dans lequel elle se
tenait. L’idée de découverte semble imposer celle de méthode (comment rationnellement
parvenir à un discours vrai sur le réel).
Invention : faire apparaître quelque chose de nouveau, qui n’était pas déjà là. Dimension
créative qui peut à première vue être étonnante dans un contexte de connaissance
scientifique. L’idée d’invention semble s’articuler à celle d’imagination. On parle
spontanément d’invention davantage pour qualifier des innovations techniques ou
artistiques que pour qualifier la démarche scientifique : en quoi les lois de la gravitation
universelle seraient-elles inventées ? Le réel peut-il faire l’objet d’une réinvention et peut-
on dire d’une loi scientifique qu’elle est aussi posée ou conventionnelle qu’une loi politique
?
Ce qui est en jeu dans le sujet, c’est le statut de la théorie scientifique : comment
s’élabore-t-elle et que fait-elle ? On constate en effet que le problème est double :

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a. Y a-t-il une part d’invention imaginative ou de chance dans la démarche du savant, ou
est-elle de part en part méthodique et rationnellement réglée ? Qu’est-ce qui est inventé
? : l’hypothèse, l’expérience, la démonstration, la généralisation, l’application ? C’est
tout le problème de la démarche scientifique.
b. La théorie qui résulte de cette démarche est-elle un discours qui découvre la vérité du
réel ou est-elle un discours qui s’en tient à son statut hypothétique et qui imagine une
représentation cohérente du réel dont nous faisons l’expérience ? C’est le problème de
l’objectivité de la théorie scientifique.

2. Références mobilisables
a. Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, IV ou Méditations métaphysiques : la
« découverte » du vrai ne se fait pas au hasard, comme on recherche un trésor. On ne
doit rechercher la vérité dans les sciences que si on dispose d’une méthode permettant,
de façon assurée, de la trouver et de la connaître comme vérité indubitable.
b. Kant, Critique de la faculté de juger (voir l’étape 1 de cette séquence) : Newton
n’invente pas sa théorie comme l’artiste crée son œuvre d’art. Parce que sa démarche
est rationnelle, il découvre ce que chaque sujet rationnel aurait pu découvrir. Il n’y a
donc rien de génial dans sa découverte de la loi de la gravitation universelle : un autre
aurait pu la découvrir et chacun peut se l’approprier. L’artiste en revanche produit une
œuvre originale dont les règles de production sont originales et singulières.
c. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique (voir l’exercice 4 de l’étape 1 de cette
séquence) : pour établir une hypothèse et initier la démarche scientifique, il faut
surmonter les « obstacles épistémologiques » qui empêchent de penser le fait
scientifique. Il faut se défaire de ce qui semble évident (l’explication spontanée que
nous donnons du réel, les représentations élaborées par le langage que l’on utilise pour
parler du réel…). C’est la dimension essentiellement « polémique » de la
connaissance : rien n’est donné de soi, rien n’est d’emblée évident (ni l’hypothèse, ni
l’expérimentation, ni les outils de mesure), tout est construit par la démarche
scientifique. « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
d. Duhem, La théorie physique : aucune théorie physique ne peut prétendre accéder à
une réalité qu’elle dévoilerait ; elle doit se limiter à rechercher l’hypothèse qui
représente le plus exactement possible les phénomènes qui constituent l’expérience du
réel et qui construit un modèle rigoureux qui décrit (mais n’explique pas) les
phénomènes.
e. Popper, La connaissance objective (voir la partie C de l’étape 4 de cette séquence) :
une proposition scientifique doit pouvoir être réfutée, testée. Une proposition irréfutable
(qui se donnerait comme absolument vraie) ne peut être considérée comme
scientifique. C’est un énoncé dogmatique. Le progrès scientifique consiste moins à
accumuler des connaissances qu’à rectifier les erreurs anciennes contenues dans les
théories précédentes. La découverte scientifique permet d’approcher le réel par ses
rectifications successives.

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f. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (voir l’exercice 2 de l’étape 1 de cette
séquence) : toute théorie scientifique s’élabore autour d’un « paradigme » qui propose
un modèle d’intelligibilité du réel. Toute théorie est une invention intellectuelle qui ouvre,
de façon féconde, des voies de recherche et qui permet la découverte de faits
nouveaux (la découverte d’Uranus par Herschel).

3. Plan possible
(Les titres et les sous-titres ne sont donnés que pour faciliter ici la lecture du plan
proposé. Une dissertation, à l’épreuve écrite du baccalauréat, ne doit pas en comporter).
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1. Hypothèse 1 : la théorie scientifique est une découverte méthodique du vrai


a. Une théorie scientifique est une découverte rationnelle : elle ne doit rien au génie ou au
hasard.
Comprendre comment on « découvre » une théorie, c’est d’abord renoncer aux
légendes dorées de la science (Archimède dans son bain qui « découvre » le principe
de la poussée de l’eau sur les corps émergés ou immergés ; Newton sous son pommier
qui découvre la théorie de la gravitation universelle). Rompre avec l’imagerie qui fait du
savant un génie inspiré qui a l’intuition fulgurante de sa théorie. Rien de génial dans la
découverte scientifique : le savant construit sa théorie pour répondre aux anomalies ou
aux insuffisances d’une théorie précédente. Une théorie n’est constituée que parce
qu’un problème doit être résolu et l’effort engagé pour résoudre ce problème obéit à
une démarche méthodique : construction des hypothèses, production des instruments
de mesure permettant l’expérimentation réglée des hypothèses élaborées, définition
d’un protocole expérimental très précis, élaboration des lois qui formalisent la théorie.
Pas de place pour le hasard, la chance ou l’intuition géniale. Démarche rigoureusement
rationnelle : la théorie n’est pas, malgré l’étymologie, une « vision », mais le résultat
d’une démarche que chacun peut refaire, reprendre, expliquer ou enseigner.
b. Une théorie scientifique est une découverte du vrai.
Découvrir une nouvelle théorie, c’est renvoyer dans un passé d’erreurs les anciennes
théories qui ont prétendu décrire ou expliquer le réel de façon adéquate. Quand
Torricelli, suivi ensuite par Pascal, élabore la théorie du vide, toutes les théories
physiques qui reposaient sur l’idée que la nature a horreur du vide deviennent
hautement problématiques. Découvrir une théorie, c’est apercevoir ce qu’il y a
d’intenable dans le système explicatif des théories en vigueur : à partir de ce problème,
s’élabore un nouveau modèle d’intelligibilité qui éclaire mieux le fonctionnement du réel
et qui peut donc, mieux que les précédents, prétendre dire ce qui est. Progrès des
sciences : on élimine les théories fausses pour des théories mieux ajustées au réel,
dans toute sa complexité. Toute théorie se pense donc inévitablement vraie : elle
formule des énoncés qui correspondent au réel, qui ne sont pas en butte à la résistance
du réel comme l’étaient les énoncés scientifiques des théories antérieures.

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c. Une théorie scientifique est une découverte de faits : produire une théorie qui construit
un ensemble cohérent d’énoncés qui s’ajustent à l’expérience réglée que l’on fait du
réel, ce n’est pas seulement progresser vers la vérité, c’est aussi progresser dans la
conquête que l’on fait du réel. Une théorie, comme modèle d’intelligibilité, donne à voir
ce qu’on ne pouvait pas voir dans les autres théories qui ont précédé et qui ont été
abandonnées comme erronées : la théorie héliocentrique rend possible la découverte
de nouvelles planètes dans le système solaire, la théorie à l’œuvre dans le tableau
périodique des éléments donne à connaître des réalités qu’on n’a pas encore
constatées dans la nature ou qu’on n’a pas encore produites artificiellement.
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► Transition : Rationalité de la découverte scientifique : exclut-elle toute dimension


inventive ? Ne faut-il pas, pour forger des hypothèses, ouvrir des possibilités théoriques
inédites et audacieuses, disposer d’un esprit imaginatif et créatif ?
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2. Hypothèse 2 : l’inventivité à l’œuvre dans la science


a. La découverte de l’idée qui donnera lieu éventuellement à une théorie peut relever du
hasard, même si cela reste marginal.
Certaines découvertes majeures de la science sont des découvertes accidentelles : on
trouve par hasard quelque chose, alors qu’on ne cherchait rien de précis ou que l’on
cherchait tout autre chose. Dès lors, la découverte scientifique peut, même si cette
possibilité reste exceptionnelle, relever d’une erreur (cf. Pasteur et la vaccination), d’un
accident de manipulation ou de la dérivation imprévue d’une autre démarche de
connaissance (on cherchait quelque chose et on trouve par hasard l’idée de ce qu’on
ne cherche pas). Mais ce que l’on découvre par hasard, ce n’est encore qu’une idée ou
une intuition : avoir une idée, ce n’est, au mieux, que le premier moment de la
construction théorique.
b. La rationalité scientifique n’exclut pas une part d’imagination, elle l’impose même.
Il n’y a pas de théorie constituable sans l’élaboration préalable d’hypothèses. Or ces
hypothèses, qui sont sollicitées par le besoin théorique et pratique de résoudre un
problème, sont toujours très audacieuses : il s’agit en effet de se représenter comme
possible ce qui ne fait l’objet d’aucune expérience réelle actuelle. Le geste théorique qui
consiste à élaborer une hypothèse n’est pas seulement un geste irrévérencieux vis-à-
vis des théories admises alors comme vraies : c’est plus profondément une prise de
risque où l’on s’aventure à imaginer que soit possible ce que l’on tient pour impossible,
où l’on s’affranchit des limites actuelles du réel pour voir si ce qui est actuellement non
existant ne pourrait pas être constitué comme pleinement réel. Reprenons pour cela
l’hypothèse extrêmement inventive de Torricelli : Torricelli, à partir du problème que lui
soumettent les fontainiers de Florence, imagine une hypothèse audacieuse qui suppose
l’existence d’une force qui s’exerce sur la colonne d’eau, même si nous ne voyons rien
de cette force. Il imagine ensuite une expérimentation originale consistant à remplir un
tube d’eau qu’il s’agit de renverser dans une cuve d’eau sans faire entrer de l’air : il
s’agit à partir de là de voir si l’eau contenue dans le tube s’écoule dans la cuve jusqu’à
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s’arrêter à la limite constatée déjà par les fontainiers (10,33m). Enfin, Torricelli imagine
une version miniaturisée de son expérimentation de façon à rendre le maniement des
tubes dans la cuve plus aisé : il utilise le mercure qui est un métal 14 fois plus lourd que
l’eau pour observer la réalité d’une pression de l’air sur la surface liquide de la cuve (le
mercure contenu dans le tube s’arrêtant de descendre à 0,74m, c’est-à-dire

à   L’imagination est donc clairement sollicitée dans l’élaboration des hypothèses


et des expérimentations : produire une théorie, c’est moins procéder méthodiquement
selon des règles assurées, que prendre des risques et oser formuler, sous la modalité
du possible, ce qui ne fait l’objet d’aucune expérience réelle actuelle.
c. La théorie comme construction libre de l’esprit.
Peut-on expliquer rationnellement l’intuition que l’on a eu qu’une hypothèse méritait
d’être élaborée et testée ? Avoir l’idée de la gravitation universelle, de la théorie de la
relativité ou de l’existence du vide : cela ne s’explique pas complètement par des
procédures rationnelles (état de la science, problèmes et anomalies rencontrées dans
les théories contemporaines…). Popper, dans la Connaissance objective, parle de
théorie « explosive » : concevoir des hypothèses théoriques inventives,
révolutionnaires, qui créent un rapport radicalement nouveau au réel, c’est manifester la
disposition naturelle de l’esprit à se projeter dans le réel et à proposer des constructions
intellectuelles risquées. Cette liberté du geste théorique est celle d’une disposition de
l’esprit. En cela, il y a proximité du savant et de l’artiste : ce n’est pas la somme des
connaissances accumulées et la maîtrise méthodique des savoirs et des problèmes qui
les traversent, qui permettent d’expliquer l’invention d’une théorie. Inventer, c’est
innover, au risque de se tromper et de voir l’hypothèse démentie par l’expérimentation
et le test du réel. L’hypothèse du phlogistique, pour rendre compte de la combustion
des corps et du fait paradoxal qu’après combustion le résidu calciné des métaux pèse
plus qu’avant combustion, était inventive, libre, audacieuse. Elle n’a certes pas résisté
au démenti de l’expérience puisque l’hypothèse de Lavoisier, qui articule combustion et
oxygénation, est bien plus satisfaisante. Mais cette concurrence d’hypothèses sur le
phénomène de combustion montre la vraie réalité de la démarche théorique : un jeu
libre et intelligent où il s’agit d’être inventif pour produire des modèles d’intelligibilité. La
science ne progresse pas linéairement, méthodiquement, rationnellement d’hypothèse
en hypothèse : elle progresse dans le foisonnement créatif, et parfois anarchique,
d’hypothèses rivales et singulières.
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► Transition : Si les théories sont des productions inventives de l’esprit, à quoi reconnaît-
on une théorie scientifique d’une élucubration inconsistante et délirante ?
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3. Hypothèse 3 : La théorie comme construction théorique rigoureuse


a. L’invention théorique peut-elle prétendre à la vérité ?
Si les théories sont des inventions libres de l’esprit, peut-on maintenir l’idée qu’une
théorie est une découverte progressive du vrai ? Inventer des théories, ce n’est certes
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pas « inventer » le réel puisque le réel est précisément ce que l’on rencontre quand on
teste la validité d’une théorie. Mais si le réel est ce qui résiste à nos élucubrations
théoriques et permet de disqualifier bon nombre d’hypothèses comme erronées ou
farfelues, il n’en reste pas moins que nous ne disposons pas de moyen de déterminer
la vérité d’une théorie qui n’aurait jamais pu être réfutée ou infirmée. Le savant, et avec
lui l’ensemble de la communauté scientifique, n’a pas le moyen de sortir du modèle
théorique qu’il conçoit pour voir la réalité en face et s’assurer que le modèle qu’il
propose est vrai. C’est toujours à la lumière d’une théorie que le réel s’envisage : il n’y a
donc jamais moyen de se prononcer sur la vérité d’une invention théorique, même
quand celle-ci semble très adéquatement s’ajuster au réel. Inventer une théorie qui
réussit et qui permet de décrire et de prédire avec succès les phénomènes du réel, ce
n’est jamais pouvoir s’arroger le droit de dire qu’on a découvert une vérité
b. Mais une théorie scientifique est une invention théorique qui se sait faillible
Une théorie scientifique est toujours en droit réfutable : inventer une théorie, comme
modèle d’intelligibilité du réel, c’est s’exposer au risque permanent de la réfutation. En
d’autres termes, concevoir des dispositifs expérimentaux qui pourraient mettre à mal la
validité d’une théorie, c’est ce que continue à faire la communauté scientifique dans son
activité de recherche et de conquête du réel. Inventer une théorie, dans sa dimension
pleinement scientifique, c’est inventer la possibilité de sa réfutation : la formalisation
théorique qu’est la loi, dans sa généralité, s’expose à tout moment à être réfutée. Cette
réfutabilité intrinsèque des énoncés théoriques, et plus précisément des lois
scientifiques, donne à comprendre ce que c’est que l’aventure inventive des sciences :
en inventant, avec toute la rigueur qui s’impose, une théorie nouvelle, on invente la
possibilité d’une infirmation ou d’une réfutation et donc on invente par là-même la
possibilité d’autre théorie qui pourrait sur les failles de la précédente poursuivre
l’entreprise d’intellection du réel. À l’inverse, une théorie non scientifique se montre
certes inventive : mais sans possibilité de résister au test du réel, sans possibilité même
de se formuler de façon à s’exposer au risque de la réfutation.

Retour
Étap sur la distinction entre droit naturel
et droit civil
(À l’étape 3-A)
Nous sommes partis des enjeux de l’opposition classique du droit et de la force, et des
ambiguïtés de l’expression droit naturel. À cette occasion, nous avons vu à quel point il
pouvait être difficile de distinguer droit et force, avec toujours le risque que la seconde ne
réduise la première à rien, tout en empruntant éventuellement ses apparences et son
vocabulaire pour en usurper le prestige.
Au cœur de ce moment, nous avons ensuite cherché à voir en quoi il était pertinent
d’opérer une distinction entre droit naturel et droit positif, pour finalement envisager
l’intérêt philosophique du positivisme juridique de Hans Kelsen, c’est-à-dire d’une certaine

11
conception de la théorie du droit, qui, à l’inverse du jusnaturalisme, prétend ne pas avoir à
recourir au droit naturel dans la description des normes juridiques.
Nous avons cherché à montrer en outre que certains des enjeux de la distinction entre
droit naturel et droit positif se retrouvaient, sous une forme différente, dans l’activité du
juge, qui s’appuie sur une diversité de sources du droit – prises dans une relation
hiérarchique : la hiérarchie des normes –, mais qui semble parfois sortir de ce cadre afin
d’intégrer des convictions morales à sa décision. Nous nous sommes alors arrêtés sur la
spécificité de l’acte de juger – la « subsomption » – et sur les difficultés afférentes à un tel
acte.

B Retour sur la question du meilleur régime


(À l’étape 3-B)
Par la suite, nous avons vu que la question de l’existence de la loi de la cité présupposait
celle du législateur (qui fait la loi ?). Ce qui nous a conduits à nous interroger sur les
institutions, et donc sur la meilleure organisation politique de celles-ci.
Il nous a cependant semblé que cette question de la détermination du meilleur régime
était piégée ; car les principales voies qui auraient dû permettre d’y répondre nous ont
semblé devoir être déconstruites : d’une part, le projet platonicien de la cité idéale (du fait
de son manque de réalisme) ; et d’autre part, la proposition contractualiste (du fait
du volontarisme dont elle s’autorise dans son appréhension des phénomènes sociaux et
historiques).
À cette occasion, nous avons pu cerner la spécificité de l’approche institutionnaliste de
Montesquieu, qui ne sélectionne pas un régime comme meilleur, mais nous pousse à
chercher la logique propre à chacun d’entre eux au regard d’un ensemble de paramètres
qui pèsent sur lui (climat, histoire, mœurs, etc.).
Tout au long de ce parcours, il nous a semblé important de faire apparaître et de
maintenir l’exigence machiavélienne : prendre les hommes tels qu’ils sont et non pas tels
qu’ils devraient être.

C Retour sur le statut de la démocratie


(À l’étape 4)
Malgré la force de l’approche institutionnaliste, qui semblait barrer dans son principe la
voie à la question du meilleur régime, nous avons mis en avant plusieurs arguments en
faveur du régime démocratique, ce qui nous a conduits à envisager plus particulièrement
ce dernier par la suite.
Il a fallu alors distinguer entre une approche formelle et une approche réelle de la
démocratie. Les deux ne s’opposent pas radicalement. Mais il est raisonnable de
reprocher à la démocratie formelle certaines insuffisances.
La démocratie formelle reconnaît des droits fondamentaux (les droits de l’homme), la
séparation des pouvoirs et la représentation en politique. Elle traite de la question de la
12
justice distributive d’une manière purement « procédurale » (par exemple à la façon de
Rawls), au risque de manquer la substance, c’est-à-dire la réalité des valeurs qu’implique
l’idée de communauté (A. MacIntyre). Mais il nous est apparu que certaines fragilités,
concernant la référence aux droits de l’homme ou la représentation en politique, pouvaient
être mises en évidence. Il nous est surtout apparu, enfin, que la démocratie réelle est un
processus qui intègre la désobéissance, la résistance, voire la révolution. La révolution
peut elle-même rendre possible une démocratie formelle minimale (c’est le cas avec
l’héritage de la Révolution Française) ; mais la révolution relève peut-être, ultimement,
d’un élan transformateur dont le dynamisme ne saurait s’arrêter à telle ou telle forme
statique de régime ou à telle ou telle disposition juridique, aussi protectrices soient-elles.
Un exemple de cet élan transformateur dont serait porteuse la révolution serait peut-être
la question écologique. On est en tout cas en droit de se demander si l’écologie politique,
c’est-à-dire la prise en compte de la problématique environnementale en politique, ne
relève pas de l’une des dynamiques dont est porteuse la démocratie réelle ; et
éventuellement même d’une dynamique de nature révolutionnaire, dans la mesure où il
serait question, aux yeux de certains, de l’exigence d’une transformation radicale du
rapport de l’homme contemporain à la nature.

Texte proposé pour une explication


« Les exigences de la vie en une société organisée n’interdisent à personne de penser,
de juger et, par suite, de s’exprimer spontanément, à condition que chacun se contente
d’exprimer ou d’enseigner sa pensée en ne faisant appel qu’aux ressources du
raisonnement et s’abstienne de chercher appui sur la ruse, la colère, la haine : enfin, à
condition qu’il ne se flatte pas d’introduire la moindre mesure nouvelle dans l’État, sous
l’unique garantie de son propre pouvoir. Par exemple, admettons qu’un sujet ait montré
en quoi une loi est déraisonnable et qu’il souhaite la voir abroger. S’il prend soin, en
même temps, de soumettre son opinion au jugement de la souveraine Puissance (car
celle-ci est seule en position de faire et d’abroger des lois), s’il s’abstient entre-temps de
toute manifestation active d’opposition à la loi en question, il est – au titre d’excellent
citoyen – digne en tout point de la reconnaissance de la communauté. Au contraire, si son
intervention ne vise qu’à accuser les pouvoirs publics d’injustice et à les désigner aux
passions de la foule, puis, s’il s’efforce de faire abroger la loi de toute manière, ce sujet
est indubitablement un perturbateur et un rebelle. »
Spinoza, Traité des autorités théologique et politique (= Traité théologico-
politique)  in Spinoza, Œuvres  complètes, trad. R. Caillois, M. Francès et R. Misrahi, éd. Gallimard, Bibliothèque
de la Pléiade).

Étape 2

S’exercer à réfléchir (toutes séries)


Espace

13
Dans les exercices qui suivent, vous pouvez réutiliser les connaissances qui précédent.
L’un des objectifs de cette deuxième étape est de vous faire vous exercer à vous
approprier des connaissances et à les utiliser de façon sélective et pertinente.

A Travailler sur un texte philosophique : la méthode par des exercices

1. Identifier la thèse adverse


« De scandaleuses injustices et une misère insoutenable naissent, d’une simple
faute de logique, souvent commise, qui consiste à confondre votre identité avec
l’une ou l’autre parmi vos appartenances. Par la première, singulière, vous êtes
vous-même et nul autre. Par les secondes, toujours collectives, vous faites partie
des français ou des algériens, bruns ou chauves, mâles ou femmes, blancs ou
noirs…
Que dit le raciste ? Il vous traite comme si votre identité s’épuisait en l’une de vos
appartenances : pour lui, vous êtes noir, ou mâle, ou catholique, ou roux. Cela
revient à réduire la personne à une catégorie ou l’individu à un collectif. Non,
vous ne faites pas que partie de tel pays, de cette religion ou de votre sexe. [...]
Le racisme réduit le principe d’identité à la relation d’appartenance, liens pour
lesquels la logique et les mathématiques écrivent deux signes différents. Pitié :
n’usez pas du terme identité, quand il s’agit de culture, de langue ou de sexe,
puisque, là, il signifie l’appartenance : cette faute devient vite crime. »
Michel Serres, « Qu’est-ce que l’identité ? », Le Monde de l’éducation, de la culture
et de la formation, janvier 1997.
espace
La difficulté de l’analyse d’un texte philosophique tient souvent à l’identification des thèses
en présence. Très souvent, le texte ne présente pas seulement la thèse de l’auteur, mais
aussi la thèse adverse, qu’il faut avant tout repérer pour comprendre comment l’auteur s’y
rapporte.

Questions
1. Cherchez dans le texte les indices qui montrent que l’auteur énonce une idée qui n’est
pas la sienne, à laquelle il s’oppose.
2. Reconstituez la thèse adverse.
3. Identifiez pourquoi l’auteur rejette cette thèse.
4. Clarifiez la distinction entre identité et appartenance.
Éléments de réponse

1. Le premier indice est l’abondance du vocabulaire péjoratif et négatif : « scandaleuses »,


« insoutenable », « faute logique », « crime ».

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Le deuxième indice est la mention explicite de l’adversaire : « le raciste », à qui un certain
discours, voire une doctrine, sont clairement attribués.
Le troisième indice est l’expression de l’opposition de l’auteur : « Non,... », qui manifeste
bien son désaccord avec la thèse raciste.
2. La thèse raciste : consiste « à confondre votre identité avec l’une ou l’autre parmi vos
appartenances » ;
- elle « revient à réduire la personne à une catégorie ou l’individu à un collectif » ;
- elle « réduit le principe d’identité à la relation d’appartenance » ;
3. - elle est confuse et réductrice ;
- elle ne rend pas compte d’une distinction conceptuelle, proposée par l’auteur, entre
identité et appartenance.
4. L’identité désigne ici l’identité qualitative et psychologique, ce qui fait la singularité d’une
personne. On le comprend en repérant les termes « singulière » et « personne ». A
contrario, l’appartenance désigne un attribut collectif, général. Confondre les deux, c’est
confondre l’individu et l’espèce ou le genre, ce qui est effectivement une « faute logique ».

2. Analyser comment l’auteur construit sa thèse à partir


de la critique de la thèse adverse
« C’est toujours vieilli que l’œil aborde son activité, obsédé par son propre passé et par
les insinuations anciennes et récentes de l’oreille, du nez, de la langue, des doigts, du
cœur et du cerveau. Il ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et doté de sa
propre énergie, mais comme un membre soumis d’un organisme complexe et capricieux.
Besoins et préjugés ne gouvernent pas seulement sa manière de voir mais aussi le
contenu de ce qu’il voit. Il choisit, rejette, organise, distingue, associe, classe, analyse,
construit. Il saisit et fabrique plutôt qu’il ne reflète ; et les choses qu’il saisit et fabrique, il
ne les voit pas nues comme autant d’éléments privés d’attributs, mais comme des objets,
comme de la nourriture, comme des gens, comme des ennemis, comme des étoiles,
comme des armes. Rien n’est vu tout simplement, à nu. Les mythes de l’œil innocent et
du donné absolu sont de fieffés complices. Tous deux renforcent l’idée, d’où ils dérivent,
que savoir consiste à élaborer un matériau brut reçu par les sens, et qu’il est possible de
découvrir ce matériau brut soit au moyen de rites de purification, soit par une réduction
méthodique de l’interprétation. Mais recevoir et interpréter ne sont pas des opérations
séparables ; elles sont entièrement solidaires. La maxime kantienne fait ici écho : l’œil
innocent est aveugle et l’esprit vierge vide. De plus, on ne peut distinguer dans le produit
fini ce qui a été reçu et ce qu’on a ajouté. On ne peut extraire le contenu en pelant les
couches de commentaires. »
Nelson Goodman,  Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles,
[1968] traduit de l’anglais par J. Morizot, Paris, Hachette, 2005.

Questions
1. Identifiez la thèse adverse.
15
2. Analysez la critique qu’en propose l’auteur.
3. Dégagez la thèse de l’auteur.
Éléments de réponse

1. Le texte s’oppose au « mythe de l’oeil innocent et du donné absolu », qui sont explicités
par l’auteur : « Tous deux renforcent l’idée, d’où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer
un matériau brut reçu par les sens, et qu’il est possible de découvrir ce matériau brut soit
au moyen de rites de purification, soit par une réduction méthodique de l’interprétation. »
La thèse adverse considère donc que la perception est immédiate, qu’elle nous livre un
monde brut, une matière vierge de toute intervention de l’esprit humain. Il y aurait d’abord
la sensation, purement physique, qui nous donne accès au monde tel qu’il est réellement,
puis, après seulement, l’interprétation forgée par l’esprit. La perception est alors réduite à
la sensation pure.
2. L’abondance des négations, l’emploi d’adverbes comme « plutôt que » indique l’opposition
de l’auteur à cette thèse. L’auteur propose deux arguments qui réfutent la thèse adverse :
- « l’oeil innocent est aveugle et l’esprit vierge vide ». Goodman veut dire que notre
sensation n’est pas indépendante de notre esprit. Elle est déjà structurée par l’esprit qui lui
donne forme. En effet, nous percevons le monde à travers des catégories que nous lui
appliquons : la catégorie « objet », celle de « vivant », etc. Réciproquement, ces catégories
ne sont pas purement théoriques, elles ne sont pas le produit d’un esprit abstrait, détaché
de l’expérience du réel. Elles n’ont elles-mêmes de sens qu’appliquées à la réalité
concrète. La perception est indissociablement sensation et jugement rationnel ;
- « on ne peut distinguer dans le produit fini ce qui a été reçu et ce qu’on a ajouté » :
lorsque nous formons un jugement sur le réel, que nous en tirons une connaissance, il est
impossible de séparer ce qui viendrait de l’objet perçu, qui serait passivement reçu par les
sens, et ce qui viendrait de notre analyse, activement forgée par notre esprit. De plus, notre
jugement est lui-même façonné par notre culture, notre éducation, nos préjugés. Il n’est
jamais une analyse pure de l’objet, mais engage une certaine part de subjectivité.
3. Goodman, philosophe américain du XX  siècle, s’oppose à l’idée d’une perception
e

naturelle, brute. Au contraire, nous fabriquons nos perceptions, nous faisons un tri dans les
sensations et nous construisons des interprétations de ce que nous voyons. En fonction de
quoi interprétons-nous le réel ? Quel rôle joue notre appartenance culturelle dans cette
interprétation ? C’est l’enjeu de ce texte.

3. Analyser un paradoxe
« Nous partons d’un fait économique actuel. L’ouvrier devient d’autant plus pauvre
qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume.
L’ouvrier devient une marchandise au prix d’autant plus bas qu’il crée plus de
marchandises. La dévalorisation du monde humain va de pair avec la mise en
valeur du monde matériel. Le travail ne produit pas seulement des marchandises ; il
se produit lui-même ainsi que l’ouvrier comme une marchandise dans la mesure où
il produit des marchandises en général. Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci :
16
l’objet que le travail produit, son produit, se dresse devant lui comme un être
étranger, comme une puissance indépendante du producteur. (...). L’appropriation
de l’objet se révèle à tel point être une aliénation que, plus l’ouvrier produit d’objets,
moins il peut posséder et plus il tombe sous la domination de son propre produit, le
capital. Toutes ces conséquences découlent du fait que, par définition, l’ouvrier se
trouve devant le produit de son propre travail dans le même rapport qu’à l’égard
d’un objet étranger. S’il en est ainsi, il est évident que plus l’ouvrier se dépense au
travail, plus le monde étranger, objectif, qu’il crée en face de lui devient puissant,
plus il s’appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il
possède en propre. »
Karl Marx, Manuscrits de 1844, pp.108-109, trad. fr. J.P. Gougeon, Paris, GF-Flammarion, 1996.

Qu’est-ce qu’un paradoxe ?


Le paradoxe est un énoncé qui semble contenir une contradiction, ou qui contredit le sens
commun, le raisonnement ordinaire.
« Qu’est-ce qu’un paradoxe, sinon une vérité opposée aux préjugés du vulgaire ? »
Diderot, XVIIIe siècle.

Méthode pour dénouer un paradoxe


Pour comprendre le paradoxe, il faut d’abord repérer les apparentes oppositions qui le
composent, les termes de la contradiction, puis comprendre les préjugés ou opinions
communes auxquels il s’oppose et, enfin la vérité qu’il exprime.

Repérer les termes de la contradiction


Dans le texte, l’indice grammatical des contradictions est la locution « d’autant plus ».
– devenir plus pauvre ≠ produire plus de richesse ;
– abaissement du prix (de l’ouvrier devenu lui-même marchandise) ≠ hausse de la
production de marchandises ;
– dévalorisation de l’homme ≠ valorisation des biens matériels ;
– l’objet dépend du travail du producteur ≠ l’objet est indépendant du producteur ;
– appropriation de l’objet ≠ aliénation de l’objet ;
– produire plus ≠ posséder moins ;
– être l’auteur d’un produit ≠ être dominé par le produit ;
– le produit de son propre travail ≠ un objet étranger ;
– travailler plus ≠ s’appauvrir ;
– « monde étranger, objectif » ≠ « monde intérieur ».

Comprendre les préjugés dénoncés par le texte


– le travailleur s’enrichit en travaillant plus. Plus on produit, plus on gagne d’argent ;
17
– le travailleur augmente sa valeur en produisant plus de richesse. Son salaire va
augmenter s’il produit plus ;
– l’augmentation du confort matériel, de la consommation, permet l’épanouissement de
l’être humain. Il vit de façon plus digne ;
– le producteur crée un objet. L’objet dépend donc de lui et on reconnaît la valeur ajoutée
au produit par son travail ;
– plus l’homme travaille, plus il peut accéder à la propriété et posséder d’objets. Car il
récolte d’abord les fruits de son travail, son salaire qui lui appartient et lui permet de
s’approprier toute sorte de biens. Ce salaire est à la mesure de son effort et de la
qualité de son travail ;
– plus on produit/travaille, plus on peut posséder de choses ;
– quand on travaille, on récolte les fruits de l’objet produit : les bénéfices de l’objet
fabriqué et vendu. On est maître d’exploiter le produit de son travail ;
– le travailleur est maître des fruits de son travail ;
– plus on travaille, plus on s’enrichit (travailler plus pour gagner plus) ;
Le travailleur contrôle sa production, exploite les objets qu’il fabrique.

Comprendre les énoncés exprimés


– L’accroissement de la production entraîne l’appauvrissement du travailleur. Pourquoi ?
Parce que le salaire n’augmente pas en fonction de la production ; c’est le capital qui
s’enrichit grâce au bénéfice, pas le travailleur.
– L’économie productiviste transforme le travailleur lui-même en marchandise. On parle
bien d’un « marché du travail ». Le prix de cette marchandise baisse lorsque la
production augmente, car il dépend du rapport entre l’offre et la demande, et non de la
productivité.
– L’économie capitaliste nous rend matérialistes, car la productivité des industries nous
donne accès à une consommation de masse, au confort matériel. Nous pensons de
plus en plus à consommer au lieu d’entretenir notre vie intellectuelle, morale, affective,
etc.. C’est une vie appauvrissante, qui nous déshumanise en nous éloignant de la
culture au profit de la jouissance matérielle, quasi-animale (manger, consommer, se
divertir)
– Le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur : le salaire ne tient pas suffisamment
compte de la valeur que le travail ajoute au produit ou à la productivité, et qui permet de
vendre à un certain prix pour faire des bénéfices. Le produit est séparé du travailleur,
rendu étranger au producteur, « aliéné », de sorte que le travailleur ne jouit pas des
fruits de son travail. Les bénéfices iront pour une large part au propriétaire du capital, au
patronat.
– Le travailleur qui produit plus ne voit pas son salaire proportionnellement augmenté. Il
ne s’enrichit pas et ne peut pas accéder à la propriété.

18
– Plus le travailleur produit, plus le propriétaire capitaliste s’enrichit et plus le travailleur
lui-même s’appauvrit. L’inégalité entre les revenus des salariés et des patrons ne cesse
de croître. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus
pauvres.
– Le travailleur n’est qu’un maillon de la chaîne de production ; il ne possède pas les
moyens de production ni le produit de son travail. Il n’exploite pas le produit ; c’est lui
qui est exploité par le patronat. Au final, il produit du capital puisqu’il contribue à
l’enrichissement du propriétaire du capital.
– Le travailleur est dominé par le capital, il n’est pas maître de son travail. Cet
asservissement déshumanise l’ouvrier et transforme le monde du travail en monde
hostile, étranger au travailleur, où il ne peut s’épanouir ni réaliser ses aspirations ou ses
talents personnels.

Conclusion
Réduire un être humain, un sujet rationnel, à un objet, c’est lui faire subir une
objectivation. On refuse au sujet ses propriétés essentielles, qui le caractérisent comme
sujet humain, et, en faisant cela, on le traite comme un objet.
Cela suppose une aliénation de l’individu, qui est rendu étranger à son essence humaine,
étranger aux propriétés essentielles dont on l’a privé. Cette aliénation est une
déshumanisation. Le sujet n’est plus lui-même, il devient autre, un être privé de liberté, de
volonté et de la faculté de consentir.

4. Comprendre la structure de l’argumentation


« Dès lors si la conscience ne peut faire sa propre exégèse1 et ne peut restaurer
son propre empire, il est légitime de penser qu’un autre puisse l’expliquer à elle-
même et l’aider à se reconquérir ; c’est le principe de la cure psychanalytique. Là où
l’effort ne fait qu’exalter l’impulsion morbide, un patient désenveloppement des
thèmes morbides par l’analyste doit faire la relève de l’effort stérile. La maladie n’est
point la faute, la cure n’est point la morale. Le sens profond de la cure n’est pas une
explication de la conscience par l’inconscient, mais un triomphe de la conscience
sur ses propres interdits par le détour d’une autre conscience déchiffreuse.
L’analyste est l’accoucheur de la liberté, en aidant le malade à former la pensée qui
convient à son mal ; il dénoue sa conscience et lui rend sa fluidité ; la psychanalyse
est une guérison par l’esprit ; le véritable analyste n’est pas le despote de la
conscience malade, mais le serviteur d’une liberté à restaurer. (...) L’éthique en effet
n’est jamais qu’une réconciliation du moi avec son propre corps et avec toutes les
puissances involontaires ; quand l’irruption des forces interdites marque le triomphe
d’un involontaire absolu, la psychanalyse replace le malade dans des conditions
normales où il peut à nouveau tenter avec sa libre volonté une telle réconciliation. »
Paul Ricoeur, Philosophie de la volonté,
tome 1 : « Le Volontaire et l’involontaire », 1950 , Éd. Aubier, pp.375-376.

19
1. Exégèse : analyse critique
espace
Dans ce texte, Ricoeur s’interroge sur l’intervention du psychanalyste dans le rapport à
soi. Quel est le rôle du psychanalyste ? En quoi consiste une thérapie ? Comment peut-on
ainsi se libérer des désirs et des représentations inconscientes ?

Questions
1. Commentez le vocabulaire utilisé par Ricoeur pour désigner le rapport à soi :
« empire », « reconquérir », « relève », « triomphe », « despote », « serviteur d’une
liberté à restaurer »
2. Quel est le principe de la cure psychanalytique ? Qu’est-ce qui lui donne sa légitimité et
la justifie ?
3. Expliquez la phrase : « La maladie n’est point la faute, la cure n’est point la morale ».
4. Comment Ricoeur déduit-il du premier paragraphe sa définition de l’éthique comme
« réconciliation du moi avec son propre corps et avec toutes les puissances
involontaires » ?
Éléments de réponse

2. Dans ce texte, l’argumentation de l’auteur part d’un constat : il arrive que les conditions
d’un rapport à soi sain et harmonieux ne soient pas réunies. Il arrive que le sujet ne soit
pas maître de lui-même, et c’est dans ce type de situation que l’intervention d’autrui,
l’analyste, semble justifiée. Nous pouvons avoir besoin d’aide pour remettre de l’ordre dans
notre vie mentale, pour clarifier nos pensées et nos désirs.
3. L’argument de Ricœur explique que lorsque nous sommes malades, notre propre effort
pour guérir peut être stérile : cet effort renforce le trouble au lieu de l’atténuer, parce que le
sujet est en situation d’aliénation, étant en partie étranger à lui-même. L’auteur met ainsi
l’accent sur le fait que le malade n’est pas responsable de sa maladie et critique la
confusion entre le registre médical et le registre moral. Le malade n’est pas coupable de
son mal-être, qui est involontaire. Ricœur interroge ainsi la part du volontaire et de
l’involontaire dans les psychopathologies. De même, le thérapeute n’est pas un
moralisateur qui donnerait des leçons de morale au patient et lui dirait ce qu’il doit faire. Il
n’est pas non plus une figure d’autorité destinée à poser un diagnostic et à expliquer au
malade les ressorts de sa vie mentale.
4. Le propos de Ricœur est donc négatif : une bonne partie du texte nous met en garde
contre de mauvaises interprétations de la psychanalyse et de son rôle : voilà ce que n’est
pas la psychanalyse. Mais alors en quoi consiste-t-elle ? L’explication de Ricœur se
présente par contraste avec les malentendus sur la psychanalyse. Le psychanalyste aide
le malade à se comprendre : il « dénoue » sa conscience à travers son écoute neutre et
bienveillante ; il est un médiateur dans la reconquête de la liberté et de la maîtrise de soi,
dans la réconciliation des différentes instances du sujet.

20
B Travailler sur la dissertation

1. Dégager les présupposés d’un sujet : Suis-je le mieux placé pour me


connaître ?
Un présupposé est une idée ou une thèse qui est impliquée dans la formulation même du
sujet. Que faut-il avoir déjà admis pour poser la question du sujet ?
Présupposé 1 : Je peux me connaître.
Présupposé 2 : Je suis bien placé pour me connaître. Sinon, la question de savoir si je
suis le mieux placé, ne se poserait pas. Le mieux est un superlatif de bien.
Présupposé 3 : par rapport à qui pourrais-je être le mieux placé ? L’énoncé du sujet est
tronqué, il en manque un élément, qui est sous-entendu et qu’il faut restituer : suis-je
mieux placé que les autres pour me connaître ?
espace
Repérer les présupposés d’un sujet permet de comprendre la question posée dans sa
globalité, de la reconstituer de façon plus précise et complète. A partir de ces trois
présupposés, nous savons que nous allons aborder :
1. Le problème de la possibilité de la connaissance de soi : est-ce vraiment possible de se
connaître ? Y a-t-il place pour une connaissance de soi en première personne ? Puis-je
être à la fois sujet et objet de connaissance ?
2. La question du privilège du sujet, de l’accès à soi-même par introspection : est-ce que
l’introspection me permet d’être en meilleure position de me connaître ? Est-ce qu’elle
permet une connaissance de soi immédiate et infaillible ?
3. La question de la connaissance de soi en troisième personne, par autrui : autrui n’est-il
pas aussi bien placé, voire mieux, que moi, lui qui m’observe du dehors, de manière plus
objective ?

2. Repérer un paradoxe dans l’énoncé du sujet


► Peut-on se mentir à soi-même ?
Repérer un paradoxe (étape 2-A/3) dans le sujet – quand il y en a un –, nous aide à
problématiser une question. En effet, nous pouvons mettre au jour des éléments
d’opposition qu’il faudra ensuite étudier pour tenter de résoudre la contradiction
apparente. Le paradoxe peut être une contradiction logique ou bien une idée qui s’oppose
à l’opinion commune.
Dans ce sujet, le paradoxe est flagrant et il permet d’énoncer la difficulté du sujet. En
effet, le verbe « mentir » n’est pas un verbe réfléchi. Dans le langage usuel, on ment à
quelqu’un, aux autres. Cela signifie que l’on connaît la vérité et qu’on la dissimule à autrui.
Mais si je me mens à moi-même, cela signifie que je cache la vérité que je connais… à
moi-même, qui la connais ! Comment peut-on en même temps savoir et ignorer la vérité ?
Il y a là une contradiction.

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Si je m’en tiens à la conception classique du sujet comme unité consciente, l’idée de se
mentir à soi-même n’a pas de sens. Pour qu’un tel phénomène soit possible, il faudrait
qu’il y ait en moi-même deux personnes, moi et un autre à qui je peux mentir. Cela nous
conduirait à faire l’hypothèse d’un sujet divisé en plusieurs personnes qui pourraient être
en conflit (Freud). Le sujet nous amène à donc à étudier la structure du sujet et la
question de savoir s’il est un ou divisé.

3. Argumenter une thèse


► Thèse : Nous pouvons maîtriser le temps
Un des aspects de la dissertation est de savoir soutenir ou réfuter des thèses au moyen
d’arguments. Un argument est une raison de soutenir une thèse. Pour proposer une
réponse finale à la question posée, il faut examiner les différents aspects problématiques
du sujet et confronter les différentes manières d’y répondre. Chaque partie va donc
discuter une thèse qui est elle-même problématique et mérite d’être examinée. Pour ne
pas disqualifier d’emblée la thèse d’une partie, encore faut-il lui donner du crédit, la
prendre au sérieux en cherchant comment la justifier.
Pour trouver des arguments en faveur de l’idée que nous pouvons maîtriser le temps, il
faut d’abord s’interroger sur le sens même de cette thèse : que peut vouloir dire
« maîtriser le temps » ?
En un premier sens, ce serait tirer profit du temps, le faire fructifier, par opposition à
l’expression « perdre son temps ». C’est ce que l’on fait en réglementant et en ordonnant
le temps de travail dans le système économique de production des richesses. Le temps
est mesuré, segmenté, contrôlé. L’ouvrier pointe en entrant et en sortant de l’usine ; le
temps de travail est soumis à une cadence imposée. Mais dans ce cas, qui décide
vraiment de mon emploi du temps ? En dehors du temps « libre », ne suis-je pas esclave
d’un temps contrôlé par les employeurs et les machines ?
En un deuxième sens, bien différent, « maîtriser le temps », ce serait en jouir. Cette idée
nous ramène à la thèse défendue par le philosophe grec Épicure dans l’Antiquité. Il
critique ceux qui vivent dans la nostalgie du passé ou la crainte du futur. Il faut vivre avec
son temps, c’est-à-dire au présent et rechercher le plaisir en chaque instant.
En un troisième sens, il s’agirait de s’approprier le temps. On peut s’approprier le temps
passé par le souvenir, le temps présent par l’action, et le temps futur par l’imagination,
l’utopie ou les projets.
Enfin, la maîtrise du temps serait simplement sa mesure, la possibilité de le quantifier, de
le connaître en physique.
Tous ces arguments méritent d’être développés, approfondis à l’aide d’analyses
d’exemples, mais aussi discutés pour rendre compte de leur portée et de leurs limites.

C Engager l’analyse d’exemples et savoir les insérer dans un


questionnement ou un raisonnement
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1. Réfléchir à partir d’une image

Duck-Rabbit optical illusion by American psychologist Joseph Jastrow (1899).


► Que voyez-vous ? Que représente l’image ?
« Lorsqu’on voit quelque chose, il peut non seulement y avoir différentes façons de dire
ce qu’on voit, mais la chose peut aussi être vue de différentes façons, être vue
diversement. (…) Les cas les plus flagrants sont, sans aucun doute, les cas dans lesquels
(comme dans l’exemple du canard-lapin de Wittgenstein), une image ou un diagramme
est conçu de manière spéciale, de sorte qu’il peut être vu de différentes manières –
comme un canard ou comme un lapin, comme une figure convexe ou comme une figure
concave ou quoi que ce soit. Mais ce phénomène se produit aussi naturellement, pourrait-
on dire. Un soldat verra autrement les évolutions compliquées des hommes en armes
dans la cour réservée à la parade que quelqu’un qui ne connaît rien au sujet du drill ; un
peintre, ou à tout le moins un peintre d’un certain type, peut fort bien voir une scène
autrement que quelqu’un qui ignore tout des techniques de la représentation picturale.
Ainsi, les différences dans la manière de décrire ce qui est vu proviennent-elles très
souvent, non pas simplement de différences dans notre savoir, dans la finesse de nos
facultés discriminantes, dans notre propension à nous exposer, ou dans notre intérêt pour
tel ou tel aspect de la situation totale ; elles peuvent aussi provenir du fait que ce qui est
vu est vu différemment, vu comme ceci plutôt que comme cela. Et parfois il n’y aura pas
qu’une seule manière correcte de décrire ce qu’on voit, pour la bonne raison qu’il
n’existera pas de manière correcte de le voir. »
J.L. Austin, Le langage de la perception, Chapitre IX, (1962),
traduit de l’anglais par P. Gochet, Paris, Vrin, 2007.
espace

► En vous aidant du texte d’Austin, analysez l’image :


– Quelle figure reconnaissez-vous en premier ? Que se passe-t-il ensuite ?
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– Expliquez la différence entre « différentes façons de dire ce qu’on voit » et « voir de
différentes manières ».
– Est-ce le jugement qui vous fait identifier un canard sur l’image ? Est-ce votre culture ?
– Y a-t-il une bonne manière de voir et de décrire l’image ? Peut-on se tromper si on voit
un lapin plutôt qu’un canard ?
– A quoi sert cet exemple ? Que montre-t-il ?
Éléments de réponse

La réponse varie en fonction des individus. Pour ma part, je vois en premier lieu un canard.
Puis, je m’attarde sur l’oeil et je décèle aussi le lapin ! Je vois donc la même figure tout
d’abord comme un lapin, puis comme un canard. Elle change d’aspect et pourtant, c’est la
même image, que je perçois différemment.
Le langage me permet de donner plusieurs descriptions de la même image. Mais est-ce qu’il
n’y a là que des façons de parler ? Lorsque je décris la figure comme un canard, c’est parce
que je vois vraiment un canard. Et ensuite, je ne me contente pas de changer de mots : je
vois vraiment un lapin. Ma propre perception se modifie : l’image change d’aspect, autre
chose m’apparaît.
Il n’y a pas une seule manière de voir l’image et on ne se trompe pas quand on voit un lapin
plutôt qu’un canard. On peut faire tour à tour les deux expériences perceptives. Voir un lapin
n’est pas une erreur de la perception, une illusion optique.
L’exemple montre que la perception ne dépend pas seulement de la culture du sujet
perceptif, ni de son jugement, qui le conduit à décrire l’objet comme canard ou lapin. La
perception peut varier au niveau sensoriel lui-même. Il ne s’agit pas de juger l’image comme
ceci ou cela, mais bien de la voir comme un lapin ou un canard.

2. Comprendre la fonction d’un exemple

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Red cube de Isamu Noguchi, à New York.
► Décrivez précisément ce que voyez. Votre expérience correspond-elle à ce qu’analyse
Alain dans le texte ci-dessous ?
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« On soutient communément que c’est le toucher qui nous instruit, et par constatation
pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n’en est rien. Je ne touche pas ce dé
cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et
lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est
cubique. [...] Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles
ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales
en même temps. Mais pourtant c’est un cube que je vois, à faces égales, et toutes sont
également blanches. Et je vois cette chose même que je touche. [...] Je reconnais six
taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d’admettre que c’est là une
opération d’entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair que,
parcourant ces taches noires, et retenant l’ordre et la place de chacune, je forme enfin, et
non sans peine au commencement, l’idée qu’elles sont six, c’est-à-dire deux fois trois, qui
font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette
autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main
et pour l’oeil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà
une fonction d’entendement. »
Alain, Eléments de philosophie, livre I, « De la connaissance par les sens »
I, éd. Gallimard,1941.

Questions
1. De quel exemple s’agit-il dans le texte ? De quoi est-il l’exemple ?
2. Analyser la formulation de cet exemple : comment est-il développé ? Est-il l’illustration
d’un argument qui le précède ? Ou vient-il avant l’argument ? Comment s’insère-t-il
dans la stratégie argumentative du texte ?
3. À quoi sert cet exemple ? Qu’apporte-t-il à la réflexion ?
Éléments de réponse

Le texte porte sur l’exemple d’un dé cubique. Plus précisément, il nous décrit l’expérience
perceptive d’un objet en particulier : le dé. Il s’agit d’une expérience concrète et ordinaire que
chacun peut faire en observant un objet aussi banal que le dé. Un exemple doit prendre le
temps de décrire précisément une expérience.
Le texte commence par énoncer la thèse adverse : notre connaissance vient de la perception
qui est pure sensation. Le rôle de l’exemple va permettre de réfuter cette thèse qui n’est autre
que l’opinion commune. Quoi de plus efficace que l’exemple d’une expérience que tout le
monde peut faire pour surmonter un préjugé ?
Pour développer l’exemple, Alain part de la sensation pure : que voyons-nous exactement ? Il
s’oppose à l’idée, pourtant évidente, que nous percevons un dé. Ce que nous percevons
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précisément, par le toucher notamment, ce sont des arrêtes, des plans, etc. La sensation ne
nous livre pas le dé, mais une multitude d’apparences et d’aperçus sentis : surfaces lisses,
pointes, etc.. Il faut faire la synthèse de toutes ces informations sensorielles, tactiles et
visuelles, pour parvenir à l’idée de l’objet. Tous ces éléments me permettent de reconnaître
un objet dont j’ai déjà le concept, que je connais déjà : un dé. Si je ne savais pas ce qu’est un
dé, je ne pourrais pas percevoir un dé. Percevoir, c’est donc reconnaître l’objet senti : cela
implique aussi bien la sensation que le jugement. La perception est donc une opération
intellectuelle, un acte de l’esprit.
L’exemple, parce qu’il renvoie à une expérience ordinaire et universelle, a une portée
générale. Il a une fonction pédagogique : nous aider à comprendre la réflexion à partir d’un
cas particulier simple. Il a aussi une fonction démonstrative : c’est de son analyse qu’Alain tire
sa thèse. Il a enfin une valeur critique : celle de permettre de réfuter l’opinion commune.

3. Comprendre une expérience de pensée


Watson veut développer une psychologie scientifique semblable aux sciences naturelles,
également fondées sur l’observation : le behaviorisme. Puisque l’esprit, le mental, sont
inobservables, le psychologue va étudier ce qu’il peut observer : les comportements. La
connaissance de soi et des maladies non organiques repose alors sur l’étude du
comportement.
« Tant qu’il existera des termes aussi faux que celui de « mental », je pense qu’il y
aura des maladies mentales, des symptômes mentaux et des cures mentales. (…)
J’aimerais utiliser, au lieu de troubles mentaux, maladies mentales, etc, des termes
comme troubles de la personnalité, maladies du comportement, troubles du
comportement, conflits entre les habitudes. (…)
Pour vous montrer que la « conception de l’esprit » est inutile dans les prétendues
maladies mentales, je vais faire une description fantaisiste d’un chien
psychopathologique (‘j’utilise le chien parce que je ne suis pas médecin et que je
n’ai pas le droit d’utiliser l’homme. J’espère que les vétérinaires me pardonneront.
Supposons que, sans en parler à personne, j’entraîne un chien de façon à ce qu’il
fuie la bonne viande fraîche et ne veuille manger que du poisson pourri (il existe
des exemples réels de cette sorte). (…) Il dort dans la cendre, il souille sa litière, il
urine n’importe où toutes les demi-heures. (…) Je l’emmène chez un
psychopathologiste pour chiens. Ses réflexes physiologiques sont normaux. On ne
trouve pas de lésions organiques. Le chien d’après le spécialiste est malade
mentalement, complètement fou. (…)
Tout ce qu’un chien doit faire – comparé aux autres chiens de sa race – il ne le fait
pas, et il fait tout ce qui est étranger aux chiens. Le psychopathologiste conclut qu’il
faut l’enfermer dans une institution pour chiens fous, sinon il va sauter du dixième
étage ou se précipiter dans le feu. (….)
Je mets alors le psychopathologiste dans la confidence. Il s’insurge : "Puisque vous
l’avez élevé ainsi, guérissez-le-vous-même !". (...) S’il est jeune et apprend
facilement, j’entreprends sa rééducation selon les méthodes behavioristes. Je le
déconditionne et le reconditionne à nouveau. (…)
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Au prochain concours de chiens, je pourrai l’exhiber fièrement, et son
comportement sera tellement conforme à son pelage, à son corps parfait, que nous
repartirons avec le premier prix. »
John Watson, Le behaviorisme, trad. fr. Simone Desflandres,
Centre d’Etude et de Promotion de la Lecture, 1972.

Questions
1. Analysez la formulation de l’exemple du chien psychopathologique : qu’indique
l’expression « Supposons que » ?
2. Expliquez le rôle des concepts de comportement, d’éducation et d’habitude dans
l’exemple.
3. Que montre l’exemple de la distinction mental/comportement ?
4. Pourquoi utiliser une expérience de pensée et non un exemple réel ?
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Éléments de réponse

1. « Supposons que » indique la mobilisation de l’imagination. Au lieu de décrire un exemple


réel, nous allons imaginer le cas de ce chien. Nous sommes dans le domaine
hypothétique, libéré des contraintes de l’expérience réelle.
2. Le contenu de l’expérience de pensée relate la manière dont un chien est éduqué de façon
étrange, au point de devenir « fou ». Le psychologue s’imagine forger des habitudes chez
l’animal, comme l’habitude de manger du poisson pourri. Il utilise le dressage pour
façonner le comportement de son chien : comportement de peur, de fuite, d’agression, etc.
3. L’expérience de pensée vise à montrer le rôle de l’éducation, du conditionnement de nos
habitudes, dans nos comportements. Elle montre que nous n’avons pas besoin de postuler
l’existence du mental et de recourir à une explication par le mental pour comprendre les
maladies et les guérisons. Le vocabulaire du comportement est suffisant. Pourquoi
s’embarrasser alors de notions métaphysiques qui renvoient à des objets inobservables ?
Le chien de l’expérience n’est pas « fou », il n’a pas de « trouble mental » : il est mal élevé,
conditionné de façon étrange et inhabituelle. Son comportement est anormal, par rapport à
la norme des chiens. C’est une question de dressage et non d’intériorité mentale.
4. L’expérience de pensée a plusieurs avantages par rapport à un exemple réel :
– D’abord, du point de vue éthique, Watson n’aurait pas pu conditionner un chien comme
dans l’expérience de pensée. Cette dernière évite de faire souffrir un animal réel.
– Ensuite, elle permet d’aller au bout du raisonnement, sans limites ni contraintes
matérielles. Elle explore une possibilité sans voir besoin de la réaliser dans le monde
concret.
– Enfin, l’exemple ne suffit pas à discréditer une thèse, car il peut toujours y avoir un contre-
exemple. L’expérience de pensée a une portée théorique plus générale et vise ici à réfuter
la psychologie « mentaliste » qui se fonde sur l’introspection, comme celle de Descartes.
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Elle permet à Watson de soutenir sa thèse : la connaissance de soi passe par l’étude
objective du comportement. Autrui est mieux placé pour me connaître. La connaissance
psychologique est semblable aux sciences naturelles expérimentales, dont la méthode est
l’observation extérieure.

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