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Résumé du cours de philosophie 2022-2023 TG06 TG11

Structure du cours :

1)
Rappel succinct sur les méthodes de l’explication de texte et de la dissertation.
2)
Rappel de la correspondance entre notions du programme et auteurs.
3)
Les erreurs à ne pas faire sur les notions.
4)
Résumé des propos de chaque auteur.
5)
Citations des auteurs.
1)
Rappel succinct sur les méthodes de l’explication de texte et de la dissertation.

L’explication de texte :

 :
 Introduction :
 Amorce (récit autobiographique crédible où vous vous posez à vous même ce qui s’avère être
aussi le problème du texte).
 On annonce que notre problème est celui du texte.
 On indique pourquoi le problème est important.
 On indique le plan du texte en fournissant les fonctions des parties et leur découpage précis.

 Développement :
 On fait autant de parties que le texte en a selon nous.
 On fait des résumés / transitions, à la fin de chaque partie, sauf la dernière.
 On ne se contente pas de dire « ce que le texte dit » en mots simples, mais on cherche activement toutes
les intentions de l’auteur, passage après passage.

 Conclusion :
 On rappelle le problème et la réponse au problème qui est la thèse du texte.
 On montre l’impact de la thèse, si on la tient sérieusement pour vraie.
 On montre comment la thèse transfigure le récit autobiographique de l’amorce.

Il y a plusieurs méthodes acceptées. Les correcteurs sont invités par leur inspecteur académique (le ou la chef) à valider par de
bonnes notes tous les devoirs d’élèves tant que ces devoirs montrent que les candidats comprennent le texte et suivent une méthode,
quelle que soit celle-ci. Les correcteurs respectent tous cette injonction.

L’explication de texte à l’avantage de ne demander aucune connaissance d’un cours. Aucune définition ou pensée d’auteur à
connaître. L’explication demande moins d’inventivité que la dissertation. C’est l’exercice de bac à privilégier quand on aime être
guidé (le texte et la méthode nous guident) ou qu’on ne maîtrise pas le cours.

Dans l’explication de texte il faut juste montrer que l’on est un bon lecteur et non un lecteur superficiel.

La connaissance de la philosophie globale de l’auteur n’est pas requise. Il est même mal venu de tenter d’expliquer cette philoso -
phie globale. Il faut au contraire s’en tenir à l’extrait qui est fourni, et au sens inhérent à cet extrait.

On passe au moins une heure au brouillon, à décortiquer le texte et à mettre en place le plan de l’explication.

Un point qui doit structurer votre brouillon, c’est la quête du problème. Le texte est une réponse à un pro-
blème, c’est-à-dire à une question non évidente. Généralement on trouve d’abord le thème (un nom commun,
comme « l’amour », « la vérité »). Avec quelques lectures supplémentaire. On trouve la thèse (une affirmation à
propos du thème : « l’amour est impossible », « la vérité est subjective »). Enfin il suffit de mettre la thèse à la
forme interrogative pour trouver le problème (« l’amour est-il impossible ? », « la vérité est-elle subjective »). Il
faudra sans cesse relier vos explications au problème en n’hésitant pas à répéter celui-ci souvent.
Une manière de compléter ce travail au brouillon c’est de faire apparaître d’un côté « ce que dit le texte », et
d’un autre côté « pourquoi l’auteur dit-il ce qu’il dit ? ». Si vous vous tenez exclusivement à « ce que dit le
texte », cela va être pauvre et plat et vous aurez au maximum 08/20. En effet, expliquer un texte de philosophie
ne se réduit pas à le traduire en mots simples. Il faut aussi reconstruire les intentions probables de l’auteur
(« pourquoi l’auteur dit-il ce qu’il dit ? ». Passer du texte à l’auteur, c’est aussi puiser dans vos riches compé-
tences pour analyser les interactions sociales. Le texte est en effet une interaction sociale entre un auteur et un
public, mais aussi entre un auteur et des adversaires théories. Par ailleurs, l’auteur ne plane pas hors de la réali -
té, et donc il se réfère sans cesse à cette dernière.

« Ce que dit le texte »

1) Traduire en mots simples.


« Pourquoi l’auteur dit-il ce qu’il dit ?

1) Montrer que la réalité rend vraisemblable ce que dit l’auteur (Le plus simple c’est de donner un exemple favorable).
2) Montrer la structure strictement logique du texte, la structure démonstrative du texte (la partie qui s’adresse à la raison
des lecteurs).
3) Montrer les stratégies de communication avec le public, à l’œuvre dans le texte (l’auteur s’appuie dans sa stratégie, sur
les habitudes et l’émotionnel des lecteurs).
4) Montrer que le texte est une manière d’écarter des théories rivales, qui pourrait attirer les lecteurs (on n’écrit pas pour
dire ce que personne ne met en doute. C’est parce qu’il y a des mises en doute que le texte est rédigés).

À part cela, l’analyse linéaire est la plus simple et je la recommande. Il faut, au niveau du style rédactionnel,
utiliser régulièrement la forme interrogative et d’autre part, citer régulièrement des fragments de texte. On dé -
coupera le développement de l’explication en autant de parties qu’on en reconnaît dans le texte (entre 2 et 5).
Dans l’ensemble vous restez curieux, explorateur et neutre. Vous pouvez exposer fugitivement des émotions
(cela pimente le propos), positives ou négatives, à la condition expresse que cela n’abaisse pas votre curiosité et
votre réceptivité au texte.
Si vous ne comprenez pas un passage, le mieux c’est de le dire. En effet, le correcteur verra si vous contour-
nez un passage difficile. L’aveu d’ignorance montre votre conscience de ne pas comprendre, c’est un début de
sagesse dirait Socrate et le correcteur le percevra ainsi.

La dissertation
 Plan :

 Introduction :
 On commence par l’amorce : un récit autobiographique crédible où vous en venez à vous poser le pro-
blème posé dans l’énoncé.
 Vous indiquez que votre problème est aussi le problème scolairement posé.
 Vous pouvez faire les définitions des termes clefs de l’énoncé ici, ou les disséminer dans le développe-
ment.
 Vous montrez que ce problème est important.
 Vous exposez le plan de votre futur développement.
 Développement :
 Partie 1 :
 Une possibilité (c’est la manière de faire la plus simple, mais il y a d’autres manières de faire), c’est de
commencer par des propos que l’on présente comme ses convictions, mais dont on connaît les points
faibles dont se délecteront les parties 2 et 3. Bref, on commence par une partie naïve, mais dont la naïve-
té n’apparaîtra que plus tard.
 On feint l’évidence, le consensus connu de tous, l’assentiment des faits eux-mêmes.
 Comme on n’argumente que sous la pression des objections, on garde 90 % d’exposé de ces positions
naïves, et 10 % pour des objections. Cela forcera à argumenter en donnant la victoire au point de vue
naïf.
 On synthétise, en une ou deux phrases, l’essentiel de la partie.

 Partie 2 :
 On développe un point de vue alternatif à l’évidence commune défendue dans la première partie. Pour
cela on fait une ou deux objections victorieuses au point de vue naïf.
 Là encore, on laisse 10 % de place dans cette partie aux objections. Dans les réponses aux objections, on
donne la victoire au point de vue alternatif.
 De nouveau, on résume l’essentiel de la partie.

 Partie 3 :
 On trouve un point de vue à la fois différents des deux qui précèdent et nettement mieux, en terme de
profondeur.
 Parmi les méthodes pour ce saut qualitatif vers plus de profondeur, on peut s’emparer des définitions
(délaissées jusque là) ou on peut faire un détour vers plus de généralité et plus de cohérence (on s’em-
pare de concepts très généraux : le bien, la nature humaine, la connaissance, on en affirme quelque
chose, et on conclut par une réponse à notre problème).
 Par ailleurs on légitime ce nouveau point de vue par des critiques envers les deux premiers points de
vue.
 Comment votre réponse transfigure le récit autobiographique qui a constitué votre amorce.
 On maintient 10 % d’objections, mais on y répond toujours en donnant la victoire au nouveau point de
vue.
 On ne fait pas de synthèse car la conclusion suit.

 Conclusion :
 On rappelle le problème et votre réponse.
 On montre ce que change votre réponse à la vie individuelle et collective.
 On montre comment votre réponse transfigure le récit autobiographique qui était votre amorce.

2)
Rappel de la correspondance entre notions du programme et auteurs.
Vérité, science, nature, technique
(Avant les vacances de Toussaint, approximativement)
Vérité=Socrate ( - 470 à 399 av J.C.)
Science=Popper (1902 à 1994)
Nature=Les cyniques (dont Diogène 413 à 327 av J.C.)
Technique=Illich (1926 à 2002)
Conscience, inconscient, temps, langage
(Entre la Toussaint et Noël, approximativement)
Conscience=Bergson (1859 à 1941)
Inconscient=Freud (1856 à 1939)
Temps=Kant (1724 à 1804)
Langage=Austin (1911 à 1960)

Devoir, bonheur, raison, religion


(Entre Noël et les vacances de février, approximativement)
Devoir=Kant
Bonheur=Epicure (341 à 270 av J.C.)
Raison=Rousseau (1712 à 1778)
Religion=Nietzsche (1844 à 1900)

État, Justice, travail, liberté


(entre février et les vacances de Pâques, approximativement)
État=Hobbes (1588 à 1679)
Justice=Rawls (1921 à 2002)
Travail=Marx (1818 à 1883)
Liberté=Epictète ( date de naissance inconnue à 135)

Art
(Après les vacances de Pâques)
Art=révision des auteurs
3)
Les erreurs à ne pas faire sur les notions.
L'art
Il est bien venu de parler des beaux-arts mais aussi de l’art comme artifice, de l’art comme savoir faire de
l’artisan.
Il faut éviter d’affirmer que l’art est évidemment subjectif et donc qu’aucune hiérarchie des œuvres ou des
artistes n’est plus légitime qu’une autre. Cette thèse est légitime mais elle n’est pas évidente.
Dire que les artistes veulent exprimer leurs sentiments est un topos romantique devenu un cliché. Explorer
des alternatives est bien venu.
Le devoir
Concevoir le devoir comme une pression sociale extérieure, accompagnée de coûts, de sanctions, ne fait pas
consensus. Ce qui est à craindre des autres, oblige par prudence, par stratégie, mais n’oblige pas moralement.
Le devoir est l’obligation devant la représentation intérieure du bien et du mal. Faire trop bien son devoir est
d’ailleurs souvent mal vu socialement.
Concevoir une équivalence entre morale et devoir fait perdre de vue que souvent on fait le bien par plaisir,
par caractère inné ou acquis.
La justice
la justice c’est à la fois l’institution judiciaire et une notion morale. L’institution judiciaire importe moins, en
philosophie, que le principe moral de justice.
Attention avant d’identifier la justice et l’égalité. Cela marche pour quelques cas, mais pas dans tous les cas.
La nature
La nature c’est la part non transformée par l’homme de l’environnement, les divers écosystèmes. Mais il faut
aussi penser à la nature humaine en nous. Enfin, dans la perspective des sciences dures, la nature c’est l’en -
semble des phénomènes. La loi naturelle de la gravitation s’applique autant à l’objet naturel d’un tronc d’arbre
qu’à un marteau qui tombe. Pour les physiciens la nature ne s’oppose pas à l’artificiel mais l’englobe.
Notre propre nature, notre véritable moi, ce rescapé qui a miraculeusement échappé à toutes les pressions
sociales est peut-être une construction culturelle qui a fini par effacer les traces de son origine (Nietzsche).
La science
Il ne faut pas oublier les sciences humaines dans les sciences. Donc quand on réfléchit à la méthodologie des
sciences, il faut intégrer la méthodologie des sciences humaines. On peut aussi écarter les sciences humaines
des véritables sciences, mais il faut le justifier.
Insister trop sur la méthode expérimentale, fait perdre de vue les mathématiques qui fonctionnent très bien
sans le moindre besoin des expérimentations.
On peut dire que les expériences ou les démonstrations sont des preuves. Mais il est bien mieux de rentrer
dans les détails et de voir si oui ou non la science « prouve ». Popper soutient plutôt que non.
Dire que la science réfute la religion est un lieu commun qu’il faut examiner dans le détail.
Le travail
Le travail ne doit pas être réduit au travail rémunéré sur un lieu de travail. Les tâches solitaires où la per -
sonne est son patron et son client sont aussi du travail. Ranger sa chambre ou vider un lave vaisselle, même en
l’absence de parents, est un travail.
Le bonheur
Pendant longtemps et encore aujourd’hui dans de nombreuses régions du monde, l’idée que la vie devait
mener au bonheur était une thèse très minoritaire. Les hommes ont souvent pensé leur vie en terme tribaux,
traditionnels, ou religieux. L’importance de la psychologie des sentiments, liée à l’émergence de l’individua -
lisme et de l’intériorité, date d’un ou deux siècles. Avant ce qui comptait ce n’est pas ce que tu ressentais, mais
ce que tu faisais (vendre un champs, accéder à un mariage avantageux, avoir beaucoup de gens à son enterre -
ment, etc..)
Quand on dit que ce qui rend heureux un homme ne rend pas heureux un autre homme, on réfute les tradi-
tions de sagesse, la psychologie moderne et le marché du développement personnel. Il faut donc examiner la
question avec attention. La réponse n’est pas évidente.
Le fait que réaliser ses rêves rend heureux ne va pas de soi. Le rêve est une production du désir et de l’imagi-
nation, donc quelque chose qui prend assez peu en compte la réalité.
L’État
Pour de nombreuses personnes, la démocratie est à la fois le pouvoir du peuple et la protection des libertés
individuelles. Il n’y aurait entre ces deux objectifs, aucune tension. En effet le peuple serait le défenseur naturel
des libertés individuelles. Mais en fait le peuple lutte assez volontiers contre les libertés des minorités. Il arrive
même que le peuple passionnée par la race, la nation, l’empire, ou la justice, sacrifie à ses idoles les libertés de
la majorité.
Souvent on critique l’État parce qu’il ne respecte pas la volonté du peuple. Mais à mettre en avant la volonté
du peuple, on oublie que diriger l’État suppose surtout des connaissances fines sur des domaines complexes. Si
les avis du peuple sont mal informés, il ne faut pas les suivre.
Le langage
Il faut arrêter de dire que le langage sert à communiquer. Cela déplace juste le problème : qu’est-ce que com-
muniquer ?
Considérer que communiquer c’est échanger des informations, c’est réduire le langage à des échanges de
savoir. Or le langage battit des liens autant et plus qu’il échange des savoirs. Celui qui m’informe qu’il a mal
me demande surtout de lui venir en aide (Austin).
Dire que les animaux ont des langages, est possible, mais cela ne va pas de soi. Tout dépend si vous faites
une définition large ou étroite du langage. La double articulation des langues humaines n’a encore été trouvée
chez aucune espèce animale. Ce n’est pas forcément de l’orgueil humain qu’il y a une spécificité des langues
humaines.
La raison
Les romantiques ont acquis un quasi monopole sur une partie de notre imaginaire. De ce fait écouter ses sen -
timents est bien, écouter sa raison est mal. Tout le monde le dit. Mais souvent il n’y a pas conflit. Le sentiment
donne le but et la raison, donne les modalités d’atteinte du but.
Il est difficile de distinguer le raisonnable et le respect de la coutume. En fait on peut plaider la coïncidence,
ou plaider, à l’opposé, l’opposition. La coutume serait sage car ce serait une intelligence collective. De plus il
serait raisonnable de l’écouter car elle peut nous faire payer notre divergence. Mais on peut à l’inverse dire que
la coutume c’est l’aveuglement contagieux. Dans ce cas là, la véritable raison sera de s’opposer à la coutume.
La raison c’est avant tout réfléchir, être intelligent. Qui se vanterait de ne jamais réfléchir et de ne pas être
intelligent ?
La technique
Le paradigme de la technique est devenu le smartphone, un objet industriel, concentré de savoir scientifique,
mais aussi un objet d’addiction et un objet de comparaison sociale. Cependant, le silex taillé de l’homme pré -
historique est tout aussi technique. La technique c’est donc aussi l’artisanat.
Outre les objets techniques, il y a des techniques corporelles, des techniques d’expression de soi, des tech -
niques de gestion mentale, des techniques de résolution des problèmes. Il ne faut pas réduire la technique aux
objets techniques.
Éviter en ce qui concerne la technique, l’inventaire des avantages (les traitements médicaux) et l’inventaire
des désavantages (la destruction de la planète, les armements). Il faut trouver une réponse qui ne soit pas un
inventaire.
La vérité
« À chacun sa vérité » d’un côté. « La science prouve » d’un autre côté. Dites ce que vous voulez, mais
soyez cohérents ! Dire simultanément ces deux choses n’est pas cohérent !
Si la vérité est subjective, alors il n’y a pas d’injustice objective. Alors il n’y a pas de victime et de bourreau
objectifs. Le bourreau a le droit de dire qu’il est la victime, car « c’est sa vérité ».
Il est souhaitable de distinguer « la vérité » et « la réalité », bien que le langage ordinaire ne fait pas toujours
cette distinction. « La vérité » est la représentation exacte dans les mots de la réalité.
La conscience
Il faut se méfier de la formule « être conscient », qui désigne souvent la connaissance d’un phénomène social
et parle assez peu de la conscience de soi. Opposer globalement, la connaissance à l’ignorance, sort un peu du
sujet.
L'inconscient
Quoique Freud soit la théorie de l’inconscient la plus connue aujourd’hui en France, il ne faut pas croire
qu’il a le monopole du discours scientifique sur l’inconscient. Il y a des théories qui admettent une pensée in-
consciente sans refoulement, une pensée inconsciente consistant en des traitements de données dont la
conscience n’est pas avertie car elle n’a rien de meilleur à apporter. L’inconscient ce serait des tâches automati-
sées et efficaces, qui évitent de surcharger inutilement la conscience.
Attention à la formule « il est inconscient de » suivi de la dénomination d’un problème. Cela concerne l’in-
conscience mais pas l’inconscient.
La liberté
Le sentiment d’être libre, d’avoir supprimé les contraintes, n’est pas une preuve de liberté. Une fois qu’une
influence est profondément intériorisée, elle cesse d’être vécue comme contrainte.
Le fait d’agir par plaisir n’est pas une preuve de liberté. Un conditionnement réussi mène à exécuter ce qui
était prévu par ce conditionnement, dans le plaisir. La publicité commerciale vend et procure du plaisir. C’est
bien le plaisir le moteur de son action.
Le fait d’être en opposition avec la majorité n’est pas une preuve de liberté. Une pathologie mentale peut
prendre le dessus sur les processus de pression sociale. Mais alors on passe de l’esclavage envers la société, à
l’esclavage envers un trouble mental.
Le fait que l’homme ne soit pas un robot ne va pas de soit. Certes le robot n’est pas en matière organique et
il a un ou plusieurs concepteurs. Mais tout cela est assez secondaire. Ce qu’il faut examiner, c’est si chaque
action est déterminé causalement par un faisceau de causes qui, à leur tout sont déterminées par des causes an -
térieures et ainsi de suite. Il est possible que nous soyons des robots, des automates.
Le sentiment de faire de libre choix entre des alternatives, de telle manière qu’on aurait pu choisir les alter -
natives délaissées n’est pas une preuve que l’on a effectivement un libre-arbitre. On ne peut jamais prouvé que
l’alternative délaissée aurait pu effectivement être choisi. Le sentiment d’hésitation et le fait de choisir malgré
tout, à titre de preuve de la liberté, l’alternative délaissée ne prouve rien. Il se peut que l’on soit déterminé et
ignorant des causes qui nous déterminent.
Concevoir la liberté comme un état agréable, ne va pas de soi. La liberté c’est aussi l’engagement durable.
On passe de la logique de l’expérimentation, à la logique de la responsabilité. S’engager dans une relation du-
rable, c’est un véritable choix mais aussi une responsabilité envers autrui. On peut choisir de ne pas s’engager,
mais alors on est prisonnier de la superficialité.
La religion
Attention à ne pas prendre les personnes religieuses pour des débiles légers. Il faut prendre la religion
comme une option sérieuse, qui ne mérite pas d’être caricaturée.
Si l’on veut être rigoureux, l’objet central de la religion c’est plutôt le sacré que Dieu. Il y a des religions
sans dieu mais pas de religion sans sacré.
Dire que la religion c’est croire irrationnellement sans preuve, est un argument très faible. 70 % de nos
croyances viennent d’autrui et nous les acceptons sans véritable preuve. On croit qu’il y a big bang, sans preuve
personnelles, sur le fondement de preuves rapportées. Mais une preuve rapportée n’est pas une preuve faite di-
rectement par soi.
La religion s’adresse aux personnes individuelles mais elle servent aussi à organiser les sociétés.
Vous pouvez dire que les religions sont des inventions humaines, mais vous devez aussi envisagée qu’elles
sont des appels divins.
Le temps
Il y a l’expérience subjective du temps et le temps comme dimension objective des phénomènes telle que
l’évoque la physique.
Attention avec la formule « il faut vivre dans l’instant présent ». Cela passe pour une formule sage mais il
faudrait vérifier.
Vivre dans l’instant présent pour intensifier le plaisir du moment. Mais cela peut être aussi le moyen d’être
vigilant aux choix que l’instant ouvre, et qui se fermeront ensuite. Faire ce qui est adéquat, pertinent, instant
après instant.
« Vivre l’instant présent parce que la vie est brève. » est une formule paradoxale. On a l’attention divisé
entre l’instant future de sa mort et l’instant présent. C’est une piètre attention à l’instant présent.
L’expérience subjective du temps, c’est l’expérience d’une croissance suivi d’un déclin, le tout borné par une
mort inévitable. Seuls les hommes feraient une telle expérience, du fait de leur conscience. C’est aussi l’expé-
rience de l’irréversibilité des instants, qui jamais ne reviennent.
4)

Résumé des propos de chaque auteurs.


Vérité = Socrate

Socrate est un philosophe qui n’a rien écrit. Il fascina ses disciples et mourut tué par la démocratie athé -
nienne pour des faits qu’il n’avait pas commis. Il est aussi le père de la philosophie occidentale. Avant lui la
philosophie est très proche du discours poétique et du discours religieux. Il est le premier à donner une telle
place à la raison, au discours argumentatif. Par ailleurs il détourne pour un temps la philosophie naissante de la
connaissance du réel pour donner priorité à la vie éthique. Selon lui, bien comprise, la raison conduit à une vie
éthique. On connaît la philosophie de Socrate par Platon, son principal disciple.
Pour ce qui concerne la vérité, pour Socrate, il y a trois cas : il y a ceux qui possèdent un savoir, ceux qui
sont ignorants et le savent, enfin, il y a ceux qui sont ignorants mais croient savoir.
Il semble considérer que la première catégorie est vide, probablement parce que ce qu’on ignore surpasse
toujours énormément nos éventuelles connaissances. La seconde catégorie est présentée comme un modèle.
Socrate y range sa propre personne. Un homme conscient de sa propre ignorance n’osera pas tout bouleverser
dans la société. De plus, un tel homme est, par la conscience de son ignorance, disponible à apprendre sincère-
ment. Enfin la pire catégorie est celle des hommes qui croient, à tort, savoir. Ils sont totalement hermétique à
l’idée d’apprendre, car quand on croit savoir on ne voit pas pourquoi on serait rabaissé au statut d’apprenant.
Par ailleurs de tels hommes, sûrs de leur savoir, veulent changer les autres et la société.
Tous cela est condensé dans le dialogue nommé L’apologie de Socrate, écrit par Platon. C’est le procès par
lequel la démocratie athénienne condamne à mort Socrate. Socrate rapporte dans ce dialogue que la pythie de
Delphes a indiqué à l’un des amis de Socrate, que ce dernier était le plus sage des hommes. Socrate explique
que cet oracle l’a poussé à se demander comment quelqu’un conscient comme lui de son ignorance peut-il être
qualifié d’homme le plus sage sur terre.
Socrate considère donc, du moins dans ce dialogue, que la vérité est à ce point difficile à atteindre pour un
homme, qu’on est toujours davantage ignorant que savant. Il offre alors comme modèle de sagesse, non
l’homme qui sait mais l’homme qui sait qu’il ne sait pas. Un tel homme sera humble et donc traditionaliste, au
sens qu’il ne bouleversera pas les traditions comme le ferrait un homme convaincu d’avoir tout compris.
Dans ce texte donc, quoique Socrate se présente comme un rationaliste, il en vient à valider la tradition, par
scepticisme sur les possibilités humaines d’accéder à la vérité. Si les rationalistes n’ont pas la vérité, ils seraient
bien orgueilleux de vouloir chambouler la tradition. Dans le contexte de l’époque, il y a une vague d’innova-
tions entraînée par l’avènement récent de la démocratie à la place de l’aristocratie traditionnelle. Les sophistes
par exemple, sont des experts auto-proclamés qui vendent aux familles riches des connaissances susceptibles de
mener leurs fils au sommet de pouvoir démocratique, généralement en flattant la foule. Socrate est un anti-so-
phiste (mais aux yeux des athéniens il n’était probablement qu’un sophiste parmi d’autres).
Et la vérité alors ? Elle existe, elle est objective et non pas subjective, mais elle serait un privilège des dieux.
Dans les joutes oratoires dont Socrate raffolait tant, Socrate aborde régulièrement des hommes fiers d’un
savoir supposé, tandis que lui-même, malgré son âge avancé, se contente du statut subalterne d’élève. Il se
contente donc de les interroger sur leur prétendu savoir, pour finir invariablement par montrer publiquement
que ceux qui prétendent savoir, en fait ne savent rien. Quand rageurs, ses adversaires demandent à Socrate d’af-
firmer ce qu’il sait au lieu d’interroger les autres, il se contente de dire que personnellement il ne sait rien, mais
que par contre il sait repérer des fausses connaissances chez les autres. Le savoir que l’on ne sait rien rend donc
apte aussi à identifier l’ignorance des autres, en se faisant leur humble élève, et en demandant pour chaque af-
firmation, la justification incontestable correspondante.

Science = Popper
Popper est un épistémologue (un philosophe des sciences) important du 20ième siècle. Il a aussi écrit des
traités sur les sources intellectuelles du totalitarisme, sur les fondements de la démarche historique, sur la struc -
ture ultime du réel, etc. C’est un rationaliste acharné et un excellent connaisseur des sciences de son époque (il
fréquentait de nombreux scientifique). Il se fit remarquer d’abord en niant que la démarche expérimentale équi -
vaut à une preuve, et cela sans jamais mettre en cause la science elle-même, qu’il estimait au plus haut point.
En science, d’après Popper, il semble que l’on peut vérifier un énoncé ou réfuter un énoncé par l’observation
des faits. La vérification confirme qu’une hypothèse est vraie. Cela apprend quelque chose d’important. Dans la
réfutation (ou falsification) on apprend qu’une hypothèse est fausse. Cela apprend aussi quelque chose d’impor-
tant. Le grand public pense que la science progresse plutôt par les vérifications. L’apport des réfutations, semble
négligeable. Popper va inverser les choses : il soutient que les vérifications ne sont qu’apparentes et donc
qu’elles n’apportent rien de clair à la science. Par contre la science progresse bien, c’est incontestable, mais
uniquement par les réfutations. Comment une succession ininterrompue de réfutations (de preuve qu’une hypo-
thèse est fausse) pourrait être le moteur des sciences ? C’est comme si la communauté scientifique bruissait de
milliers d’hypothèses, incapable de savoir ou est la vérité. En éliminant de nombreuses hypothèses par réfuta -
tion, on resserre sans cesse vers un nombre plus restreint d’hypothèses. On s’approche de la vérité par élimina-
tion.
Mais alors quand il ne restera qu’un hypothèse par domaine d’étude, ne peut on pas dire que cette hypothèse
est vérifiée, quoique indirectement ? Popper soutient que la science accroît aussi son niveau de précision. De ce
fait l’hypothèse restante se scinde en des hypothèses précises mais rivales. On s’approche sans cesse de la véri -
té, mais on ne l’atteint jamais, si l’on veut être précis comme l’exige la science.
Mais pourquoi prétendre que les tests expérimentaux ne donnent pas de preuve ? Popper s’empare du très
vieux problème dit « problème de l’induction », un problème qui remonte à Platon. Les énoncés scientifiques
portent sur des catégories infinies d’évènements. Aussi patients que soit les scientifiques, et aussi riches en fi-
nancements qu’ils soient, les scientifiques ne peuvent tester l’infinité des évènements sur lesquels porte un
énoncé. S’ils testent 1000 fois sur 1000, que les cygnes sont blancs, il reste possible qu’un cygne noir existe. Il
en existe en effet en Australie, ce qu’ignoraient les ornithologistes européens, avant la découverte de l’Austra-
lie. Nous, dans la vie courante, une fois atteint ce que nous percevons subjectivement comme un « échantillon
représentatif », nous concluons que c’est prouvé et nous cessons de douter. C’est pragmatiquement efficace,
notre espèce a survécu, mais ce n’est pas scientifiquement concluant. Les standards de vérité pour la science
sont plus élevés que ceux de la vie ordinaire. Ce que nous nous percevons comme une preuve ne l’est pas pour
la science.
Donc l’expérience scientifique ne peut pas vérifier une hypothèse, c’est impossible. Mais, à l’inverse, une
réfutation suppose un seul contre exemple. Face à l’énoncé « tous les A sont B », la découverte d’un seul A qui
n’est pas B, réfute l’énoncé de départ (qui exclut toute exception). La science est donc tout à fait apte à réfuter,
mais pas à confirmer.
Popper s’empare ensuite de cette découverte, la découverte que la science progresse par réfutations et non
par confirmations, pour construire un critère de démarcation entre la science et la pseudo science. La pseudo
science ou science alternative, veut conquérir le prestige associé à la science sans se donner le mal de suivre
une méthodologie réellement scientifique. Les pseudo sciences vont exploiter l’opinion générale selon laquelle
la science procède par preuves, par confirmations.
Les véritables hypothèses scientifiques ont la forme « tous les A sont B » et n’acceptent aucune exception.
Ils sont aussi formulés avec des données chiffrées et engendre des énoncés prévisionnels d’une précision sans
cesse croissante. Ces trois contraintes : 1) haut niveau de généralité, 2) absence absolue d’exception, 3) des
énoncés prévisionnels d’une grande précision ( un chiffre à la troisième décimale diffère de la prévision, et c’est
une prévision fausse), font qu’une hypothèse s’avance courageusement vers sa réfutation probable.
Les énoncés des pseudo sciences, se protègent en 1) restreignant leur généralité, 2) en s’accommodant des
exceptions (qui ne sont plus perçues comme des réfutations) et 3) en évitant de faire des prévisions trop pré -
cises. De ce fait les énoncés pseudo scientifiques ont une durée de vie très longue. En effet ils ne sont pas réfu-
tables, car vagues, flous, ambivalents. Par exemple l’énoncé « les femmes sont douces et les hommes sont des
fonceurs » s’accommode de toutes les exceptions et peut ainsi survivre indéfiniment.
Du point de vue de la vie concrète pragmatique, les énoncés scientifiques avec leur refus des exceptions et
leur haut niveau de précision, donnent des informations très précieuses, très efficaces. Les pseudo science avec
leur ambivalence et les exceptions, donnent une saveur de sagesse mais ne donnent aucune direction de vie pré-
cise.
Tout cela veut-il dire que les scientifiques passent leur temps à essayer de réfuter leurs hypothèses et que les
cas d’accord entre la prévision et le résultat expérimental ne servent à rien ? Popper fait une petite concession :
une hypothèse que l’on a essayé en vain de réfuter plusieurs fois, une hypothèse qui sans être prouvé engendre
des prévisions conformes aux résultats expérimentaux, que doit on en dire ? Cette hypothèse n’est pas prouvée,
mais elle est corroborée, peu ou beaucoup, selon le nombre de test qu’elle a surmonté. On peut s’appuyer provi-
soirement sur des hypothèses corroborées. On passe ici de la science fondamentale, à la science appliquée, la
science des ingénieurs.
Donc la science sait ce qui est faux, mais pas ce qui est vrai. Elle progresse vers la vérité en éliminant les
hypothèses qui se présentent successivement à elle. La vérité ne sera jamais atteinte, mais on ne cesse de pro-
gresser vers elle (comme vers une asymptote) en écartant ce qui était vraisemblable mais faux. Tous les savoirs
actuellement disponibles sont faux, mais sont fortement corroborés, c’est-à-dire difficile à réfuter. Quand on
aura progressé, ces prétendus savoir apparaîtrons comme des approximations au niveau des prévisions. Mais
souvent, tout en gardant certaines prévisions, on réaménagera conceptuellement toutes les théories. Il faut bien
distinguer les prévisions, qui ont une durée de vie longue, et la théorie et les concepts. On est passé de Newton
à Einstein, en conservant beaucoup de prévisions, mais en chamboulant tout l’arrière plan théorique. En science
aussi il y a des révolutions, et pas simplement des découvertes.
Nature = Les cyniques

Les cyniques sont une école philosophique antique. On parle d’école philosophique quand des adultes, me-
nés par des maîtres, mi philosophes, mi sages, se réfèrent à un même cadre théorique. Les disciples non seule-
ment partagent un cadre théorique, mais tentent de l’appliquer dans leur vie quotidienne : ils mangent, choi-
sissent leur métier, voyage ou encore meurt, selon ce qui est prévu par l’école. En réalité tous les degrés d’im-
plication existaient. Certains adultes passaient d’école en école, juste pour goûter des expériences intellec -
tuelles, tandis que d’autres quittaient tout pour se consacrer à l’école.
Le premier cynique fut Antisthène, fondateur de l’école, et disciple, entre autres, de Socrate. Son seul dis-
ciple connu fut Diogène, le cynique le plus connu.
Les cyniques soutiennent que la nature est sage, tandis que la culture est une corruption qui éloigne de la
sagesse. Tandis que les épicuriens, une école rivale, admettront un minimum de culture malgré leur éloge de la
vie simple, les cyniques prennent pour modèle les animaux, notamment les chiens (il s’agit de chien errant sans
propriétaire connus, et aguerris à une vie quasi sauvage). Pour les cyniques les animaux sauvages, dont le chien,
suivent la nature et sont pour cela fort et heureux.
Les hommes dégénérés ont besoin de mille choses. Ils se sont habitués au luxe, qui leur devient indispen-
sable, et ils sont pris dans des jeux de rivalité qui les condamnent à avoir toujours plus en vue de soutenir une
comparaison favorable. Les hommes sont donc faible, car ils ont des désirs qui outrepassent leur pouvoir, in-
quiet de perdre tout ce qu’ils jugent indispensable, et facilement humilié du fait d’un avis défavorable à leur
égard. L’homme est malheureux, dépendant, faible. Il gaspille le temps de leur vie à des futilités comme la
science, l’art, la politique.
Pour leur part, les animaux, et les cyniques qui s’efforcent de les limiter sont autarcique. Cela signifie que
leur désir s’étendent exclusivement à ce qui est offert par la nature et par des efforts limités. Ne dépendant de
personne d’autre, les animaux et les cyniques ne flattent personne. La flatterie est très fortement méprisée par
les cyniques. Il faut suivre son petit nombre de besoins sans se soucier de l’avis des autres. Ce rejet du regard
des autres conduit au rejet de la pudeur. Les animaux ignorent la différence entre public et privé, et il se com -
portent, pour se nourrir ou pour avoir une activité sexuelle, de la même manière en privé et en public. Les ani -
maux n’ont ni pudeur, ni comparaison sociale, ni science, ni art, ni technique, ni médecine, ni cuisine ni poli-
tique, ni vêtement, ni maison et il faut les imiter.
Donc la voie tracée pour les animaux comme pour les hommes par la nature, c’est la voie de l’autarcie, de
l’autonomie, se suffire de ce qui est partout offert par la nature et ajouter ses propres efforts, juste pour se dé -
barrasser de ce que la culture à déposé en nous pour notre malheur.
En effet, de toutes écoles antiques, les cyniques sont ceux qui se méfie le plus de l’intelligence et ceux qui
croient le plus aux efforts. Outre qu’il se réclament de Socrate, ils se réclament aussi de Hercule. Hercule a une
vie simple, on lui connaît peu de possession. Et surtout comme un animal, il endure, il ne se contente pas de
plaisir facile, d’une vie de mollesse. On voit que pour les cyniques, il ne s’agit pas d’obtenir n’importe quel
bonheur. Il s’agit d’un bonheur que l’on peut dire viril, où il n’est pas question de se plaindre et de compter sur
les autres. Chacun doit faire face tout seuls aux défis de la vie.
La vie de Diogène est bien connue. On sait qu’il aimait raillé les courtisans et les membres de l’élite. Il par-
tage cela avec Socrate, mais il privilégie la moquerie là où Socrate privilégie les questions. Par ailleurs Diogène
ne propose aucune grande théorie, car ce serait accepter de participer à la culture, qu’il renie. Il vivait dans une
grande amphore, avec peu d’habits. Il n’avait pas de famille. Il était semble t-il respecté, malgré ses railleries. Il
se plongeait parfois dans la neige en hiver, pour s’endurcir. Il faisait parfois l’amour ou de masturbait devant les
gens, montrant qu’il ne faisait aucune différence entre le privé et le public. Interrogé par Alexandre, le conqué-
rant de la Grèce, il lui montre ostensiblement son mépris, au risque de la vie. Enfin il serait mort en mangeant
un poulpe cru.
Pour les cyniques, la nature ne voulait pas la culture, qui est une anomalie qu’il faut détruire. Les grecs
étaient pourtant un peuple raffiné, qui estimaient plus que tout la science, l’art et la politique. Les cyniques re-
jettent donc les valeurs dominantes, qui dégradent les hommes. Les animaux sont forts et heureux, contraire-
ment à nous, et il faut les prendre pour modèle.
Technique = Illich

Illich est un penseur subversif. Intéressé par la religion, il est ordonné prêtre. Mais son anticonformisme crée
des tensions avec l’église et il finit par prendre l’initiative de la quitter. Il crée un centre intellectuel en Amé-
rique du sud, un lieu alternatif où l’on nourrit la pensée alternative, qui attire de nombreux penseurs en quête
d’innovation et de nombreux étudiants. Il privilégie au niveau intellectuel l’innovation, le non conformisme, et
donc refuse de s’affilier à la pensée contestataire de l’époque, le marxisme. Il va donc explorer ce qui sera par
la suite appelé l’écologie, une écologie radicale basée sur la décroissance et non sur des technologies vertes
censées permettre une croissance durable.
Le périmètre de ce qu’il nomme « technique » n’est pas le même que le notre. Pour lui la technique concerne
autant les objets techniques que les systèmes administratifs, publics ou privés. En effet dans les deux cas, on
trouve l’idée d’efficacité toujours croissante, par la sophistication. On obtient de meilleurs résultats, on obtient
nos buts, en perfectionnant sans cesse les objets techniques, de version en version, et en investissant dans les
systèmes administrés. Parmi ces derniers, il songe au système médical, au système scolaire, à l’église, au sys -
tème des transports, au système de production et de distribution des énergies et aux administrations publiques,
notamment dans les états totalitaires. Il va faire des pamphlets qui auront un réel succès, sur tous ses systèmes
administrés, dont il souhaite la dissolution.
Que ce soit les objets techniques ou les systèmes administrés au service d’une fonction (soigner, éduquer,
sauver les âmes, etc.…) Illich s’attache à montrer qu’augmenter la taille, perfectionner, tenter de rationaliser est
systématiquement un échec. On attend une augmentation de l’efficacité et en fait elle décroît. Il renoue ici avec
une très ancienne idée, celle d’un optimum que l’on peut dégrader soit par insuffisance, soit par excès. À l’in-
verse notre société tend à supposer que toute amélioration est bonne à prendre : la marche à pieds est améliorée
par le vélo, qui lui-même est amélioré par le deux roues motorisé, qui lui même est amélioré par la voiture ba-
sique qui elle-même est améliorée par la voiture bien équipée. De même on pense que l’éducation des enfants
par des non professionnels est améliorée par l’éducation par des professeurs spécialisés. Cette éducation serait
ensuite améliorée par un budget plus important et par des enseignants davantage diplômés.
Mais quel argument donne t-il ? Il semble évident qu’une voiture est préférable à un vélo dès que l’on sort
du cœur des grandes villes. De même, il semble qu’une éducation professionnalisée est préférable à une éduca -
tion bourrée de préjugés faites par des amateurs.
Pour un objet technique acheté par un particulier, tel que la voiture, le vendeur va nous faire miroiter toutes
les améliorations vis-à-vis des versions passées des modes de transports. La voiture basique semble faire gagner
un temps considérable vis-à-vis de vélo pour un trajet de 100 kms. Tout le monde est donc fortement motivé à
avoir une voiture. Mais Illich montre qu’il faut remettre la possession et l’usage de la voiture dans un réseau
d’actions et d’attitudes qui font perdre du temps et perdre de la liberté, mais qu’on ne comptabilise pas dans le
calcul comparé des vitesses des différents modes de transport. Il soutient que pour accéder à la voiture il faut
une somme importante. Il faut donc vendre pour une période longue de temps de vie, notre force de travail à un
employeur. Mais pour que cet employeur nous paie, il faut faire des études et développer des compétences qui
se vendent bien sur le marché du travail. Qui dit voiture, dit aussi garage, car les voitures actuelles ne sont répa -
rables que par des professionnels, contrairement aux vélos. Il faut aussi une assurance voiture. On peut ajouter
qu’il faut passer un permis. Enfin si notre voiture est un objet de prestige que peuvent convoiter de plus pauvre,
il faudra protéger sa voiture, peut-être la mettre dans un garage associé à notre maison. De plus, la voiture sup-
pose un réseau de routes goudronnées qui seront financées par des impôts locaux ou nationaux. Tout cela
conduit à des pertes d’argent, de temps, d’autonomie, de liberté. En ce qui concerne le temps, Illich soutient
qu’on ne peut pas aller plus vite qu’un vélo. Cette affirmation paradoxale devient crédible quand on ajoute au
temps de trajet de la voiture sur 100 kms, le temps de travail pour l’achat, le garage, l’assurance, le permis, le
temps d’étude, etc. Et le gain de liberté qu’offre le vélo vis-à-vis de la voiture est considérable ! On est libre de
réparer seul ou avec un réseau de personnes de proximité son vélo. On est libre de faire des études brèves ! On
est libre de dire ce que l’on pense à son patron, car pour les boulots alimentaires, le choix est large.
Qu’en est-il des systèmes administrés, privés ou publics. Illich s’intéresse beaucoup à la médecine et à
l’école, entre autre. Il pense que les peuples jusqu’au 18ième siècle offrent la possibilité pour chacun de se soi-
gner soi-même ou de compter sur un réseau relationnel avec des soignants qui ne sont pas passé par des études
scientifiques longues. Il y a avait aussi une philosophie diffuse d’acceptation de la maladie et de la mort. Mais à
partir du 18ième siècle, le maître mot fut la professionnalisation. Tous les savoirs médicaux traditionnels aux
mains des communautés locales vont être mis en cause, délégitimés. Les hommes sont livrés petit à petit à
l’élite que sont les médecins, au nom de l’allongement de la vie. Toutes les différences sont pathologisées. La
timidité devient une phobie sociale. Les ressources individuelles pour se soigner sont requalifiées en préjugés,
et la passivité du « patient » est exigé. Aux soignants s’ajoutent petit à petit des administratifs, et à chaque ma-
laise dans le monde médicale, on investit davantage et les hôpitaux deviennent plus gros. Certes on vit plus
longtemps, mais avant tout grâce au projet de l’hygiène. La dépendance au système professionnalisé des soi -
gnants augmente. On multiplie les examen, et donc l’anxiété dans l’attente des résultats du prochain examen.
Pour Illich, il faut faire machine arrière en déprofessionalisant la médecine (mais aussi l’éducation). Il faut
revaloriser les savoir-faire individuels et communautaires. Il faut ne pas transformer les traits de caractère en
pathologies psychiatriques. Il faut aussi que les différences de morphologie ne soient plus conçues comme des
anomalies. Il faut aussi renouer avec la philosophie de l’acceptation : s’accepter différent et accepter le vieillis-
sement et la mort. À ce prix nous recouvreront le bonheur et la liberté. C’est donc dans la décroissance tech-
nique et non dans l’accroissement technique, que s’obtiendront, la liberté et le bonheur.
Illich n’est pas un technophobe extrémiste. Il défend qu’il y a des innovations techniques réellement utiles.
Les choses se dégradent cependant en passant des premiers modèles vendus, qui apportent un réel service, vers
les modèles sans cesse complexifiés. Il dirait probablement que le premier téléphone portable était une bonne
invention, ainsi que le premier smartphone avec l’accès aux premières versions d’internet. Mais ensuite les pré-
tendues améliorations rendent les inventions trop complexes pour être aisément réparables. Les concepteurs
augmentent aussi tout ce qui peut être addictif. Ainsi les gens perdent progressivement leur liberté et aussi
s’éloignent du bonheur.
Pour ce qui est des systèmes administrés, plein de professionnels dopés avec un savoir scientifique ou pré-
tendument scientifique, il prône plutôt les relations de proximité dans des réseaux communautaires de partage
de savoirs (des savoirs basés sur l’expérience plutôt que sur la science). Il pense que le type d’homme et le type
de lien social promus par ces réseaux est préférable au type d’homme et de lien social promus par les systèmes
administrés, privés ou publics. Il pense même que du point de vue de l’efficacité, la taille des systèmes adminis-
trés engendre des effets internes négatifs nombreux. De ce fait, malgré la supériorité de la science, l’efficacité
globale des systèmes administrés tombe en dessous de l’efficacité des réseaux communautaires de partage de
savoirs.
Conscience = Bergson

Bergson est un philosophe français de la première moitié du 20ième siècle. Il a eu un large succès, surtout
auprès des femmes dont il flatte certains penchants propres à l’époque, avec le thème de l’intériorité. Il
construit sa philosophie dans un antagonisme avec la science de son époque, dont il dénonce les préjugés. On
peut dire qu’il est un lointain ancêtre des sciences alternatives, courant très important de la culture contempo -
raine.
La valeur centrale de Bergson, c’est la créativité. Il soutient que suivre des routines n’exige aucune
conscience, ni de soi, ni de ce qui est à faire. On retrouve des routines chez les animaux, dans les sociétés tradi -
tionnelles, chez les robots, dans les individus rendus indifférenciés des systèmes totalitaires, et enfin, chez les
hommes conformistes. Tous ces individus sont caractérisés par l’absence de conscience. En effet, là où il y a
des routines, la conscience comme est inutile. La conscience est en effet ce qui prépare d’éventuels choix,
d’éventuelles décisions.
Comme à son habitude, Bergson ne dit pas que du mal des routines et du conformisme. Il reconnaît que les
routines sont très efficaces et permettent notamment aux animaux de survivre depuis des millions d’années. Les
instincts (une catégorie de routine) fonctionnent très bien et remplace souvent avantageusement la réflexion
consciente. Au niveau des humains, les premières sociétés humaines étaient basées sur la tradition et les rou -
tines collectives. Aucune mise en cause n’était tolérée. Ces sociétés fondées sur le conformisme étaient très
soudées. Chaque individu était très prévisible ce qui était favorable à la coordination collective. Cela a permis à
certaines de ces sociétés, les plus conformistes, de survivre en triomphant contre la matière, les autres vivants et
les autres sociétés humaines. Ne pas se poser de question est souvent un atout.
Mais l’histoire passe. Désormais le temps est venu des sociétés innovantes, pleines d’individus originaux.
Les artistes sont aux yeux de Bergson, des précurseurs. Bergson place cela dans une visions cosmologiques où
l’univers, loin d’être crée une fois pour toute par Dieu, ne cesse de se créer en continu. Il y a alors une lutte
entre les routines, le conformisme, la répétition, d’une part, la créativité, l’originalité, l’innovation d’autre part.
La lutte est indécise et chacun est appelé à choisir son camp. L’apport possible de l’espèce humaine par rapport
aux autres animaux, c’est d’être potentiellement plus créative. Mais les hommes peuvent redevenir de simples
bêtes mues par des routines que personne ne met en cause.
Les hommes ont passé un cap, en passant de sociétés holistiques (basées sur le groupe) à des sociétés indivi -
dualistes. Mais il peuvent faire le chemin inverse comme le montre les sociétés totalitaires qui rejettent l’indivi-
dualité. Par ailleurs, au sein de l’individualisme, il y a l’individualisme égoïste, celui du marché du travail et de
la société de consommation, et il y a d’autre part l’individualisme des artistes et des maîtres spirituels. La com-
passion est une démarche d’un individu qui compatit pour un autre individu sans trop se soucier de savoir de
quel tribu il est. Donc Bergson rêve d’un dépassement de l’individualisme marchant vers un individualisme
artistique et spirituel. L’individualisme marchand reste très stéréotypé : il faut faire de l’argent et la réflexion se
limite à une démarche stratégique aveugle au sens des choses.
Dès qu’on s’apprête à faire des choix, dès qu’on délaisse les routines, la conscience apparaît qui pose les
alternatives et remet en cause les certitudes.
Cela dit, cela donne des perspectives sur la conscience en général, mais en quoi cela parle t-il de la
conscience de soi ? Pour Bergson, chacun est socialisé par son groupe d’appartenance qui lui fournit une image
stéréotypé de lui-même, associé à de multiples routines. C’est l’héritage de notre passé collectif rude qui exi-
geait le conformisme. Cette fausse conscience de soi peut rester inquestionnée toute la vie. Nous jouons alors
un rôle sans le savoir. Un des vecteurs de ce conformisme c’est le langage notamment psychologique. Un lan-
gage pauvre, plein de jugements de valeur, par lequel on nomme ce qu’on croit être notre moi en répétant ce
que les autres ont dit de nous.
Cela dit, il y a un autre moi, le moi véritable. Celui-là il faudra l’explorer seul, sans l’aide du langage psy -
chologique qui nous ramènerait malgré nous, vers notre faux moi. Les seuls aides envisagés par Bergson, dans
la conquête du véritable sont les artistes et leurs œuvres et les maîtres spirituels.
Qu’a t-on à gagner de se connaître ? Le coût de se connaître, c’est le mépris social. Les conformistes vont
exercer une pression pour qu’on renonce à être soi-même. L’avantage c’est la joie. Bergson distingue la joie du
simple plaisir. Quand on fait de sa vie quelque chose de conforme à son véritable moi, on éprouve une joie sans
pareil qui compense le mépris social.
Tout cela, il faut le noter, suit d’assez près les lieux communs romantiques. C’est peut-être pour cela que cela
nous touche si intensément. Bergson est-il si peu conformiste qu’il veut le croire ?
Bergson suppose donc qu’une humanité individualiste, mais tournée vers l’art et la spiritualité peut émerger.
La consommation de masse cessera d’être le cœur des pratiques sociales. La société acceptera les originaux au
lieu de les mépriser. Cette société sera inclusive. Tous les individus et toutes les minorités y auront leur place,
seul l’irrespect envers autrui sera proscrit. La morale ne se limitera pas à ne pas nuire aux autres, mais tout le
monde mettre du cœur à contribuer au bonheur des autres. Mais Bergson insiste ; il ne fait pas des prophéties
dont nous serions les témoins passifs. Si tout est possible, rien n’est écrit.
Dans une telle société éventuelle, le niveau de conscience de l’homme moyen sera infiniment supérieur à ce
qu’il est aujourd’hui. La plupart des hommes d’aujourd’hui ne se pose pas des questions et s’accrochent à leurs
routines. Certes Bergson croit à l’intuition, qui semble une routine plus qu’un questionnement. Mais chez lui,
l’intuition vraie n’a rien à voir avec l’immédiateté conditionnée. L’intuition vraie doit être conquise par un
questionnement préalable.
Inconscient = Freud

Freud est l’inventeur de la psychanalyse, une théorie mais surtout une pratique thérapeutique pour soigner
par l’écoute et la parole, certaines maladies mentales invalidantes. Avant de devenir un théoricien et un théra-
peute incontournable, Freud a dû surmonter beaucoup d’obstacles. On lui a reproché cette hypothèse d’un in-
conscient psychique, son pansexualisme (tout s’explique par le sexe), sa thèse selon laquelle les jeunes enfants
sont des pervers polymorphes (ils ont toutes les perversions sexuelles et ne sont pas des innocents que la vie va
pervertir) et sa volonté de soigner par l’écoute et la parole plutôt que par des traitements physiologiques notam -
ment médicamenteux.
Freud est très soucieux de défendre le caractère scientifique de sa théorie et de sa thérapie. Il s’ancre dans les
théories biologiques de son temps selon lesquelles toute forme de vie tend à maintenir la vie individuelle et à en
même temps prolonger la vie au-delà de l’individu par la reproduction. On peut cependant noter que chez lui la
reproduction consiste essentiellement dans la sexualité. Reproduire un être humain demande pourtant, non pas
cinq minutes de folie sexuelle mais une longue éducation d’au moins dix huit ans.
Freud commence à s’intéresser aux pathologies mentales faibles, les névroses (qui contrairement aux psy-
choses, semblent ne pas s’accompagner d’une destruction du cerveau et de l’intelligence). À l’époque on n’a
pas de traitement et on pratique l’internement en institution psychiatrique. Freud découvre qu’en écoutant des
patients mis sous hypnose, puis en restituant à ceux-ci ce qu’ils ont dit, la santé des patients s’améliore. Écoute
et parole peuvent soigner. Le contenu de ce qui est révélé par les patients sous hypnose, porte sur la petite en -
fance et a des conations assez explicitement sexuelles. C’est un constat récurrent dont Freud s’étonne lui-même.
Cela veut dire qu’il y a des vérités importantes, refusées par la personnalité consciente du patient, qui portent
sur l’enfance et la sexualité. Une fois ces vérités acceptées, elles sont intégrées et mènent à la guérison. Cette
connaissance de soi ne peut être obtenue seule, et elle exige la médiation d’un soignant. Freud par la suite rem-
placera l’hypnose, peu fiable selon lui, par un divan, un psychanalyse invisible du patient et peu bavard, et des
consignes invitant à associer à haute voix et sans censure tous les propos qui passent dans la tête.
Comment expliquer tout cela ? Freud pense qu’entre le corps physique non conscient et l’esprit supposé
conscient, il faut interposer un esprit inconscient. Ce qui est dans cet esprit inconscient, n’est pas accessible à la
personne, mais agit dans la vie de cette personne en provoquant des pensées, des paroles et des actes, que la
personne concernée ne comprend pas. Freud considère que l’on ne peut assécher, tarir, les contenus incons-
cients (des fantasmes). Ces contenus ont une énergie et une direction, et s’ils sont contrariés, ils vont malgré
tout s’extérioriser par des substituts du fantasme initial. Une énergie doit être convertie en actes, ou à défaut en
paroles ou en pensées.
Les bébés, comme tout individu vivant, sont réglés pour vivre et se reproduire. La sexualité est très tôt une
préoccupation des bébés comme le montre l’observation des parents et celle des professionnelles de la petite
enfance. La sexualité féconde est précoce chez tous les animaux excepté l’homme, qui a une immaturité prolon-
gée jusqu’à la puberté et au-delà. Les instincts sexuels des enfants se tournent donc vers les seuls partenaires
qu’on lui donne : ses parents. Primitivement, les petits garçons et les petites filles s’attachent à leur mère et en
font leur premier objet sexuel (car la mère a naturellement et culturellement, plus de proximité avec le jeune
enfant que le père). Ensuite filles et garçons divergent : les petits garçons interprètent la différence anatomique
fille-garçon, en considérant que la fille est un garçon castré. Les petites filles interprètent la même différence,
comme une distribution inéquitable de pénis. L’Œdipe, consistera pour les garçons à vouloir s’accaparer leur
mère contre un père qui est craint comme castrateur potentiel. Les filles veulent plutôt s’accaparer leur père.
Garçon et fille vont choisir de s’identifier au parent rival, le parent de même sexe. Cette identification entraîne
une assimilation accélérée, de la culture masculine pour le garçon et de la culture féminine pour la mère. Il
s’agit des processus de sublimation : les énergies sexuelles se tournent vers des substituts culturellement valori-
sé. On entre dans une période de latence, jusqu’à la puberté, ou l’enfant masculin ou féminin semble ne plus
avoir aucune préoccupation sexuelle, mais où il est totalement investi dans la volonté d’exceller dans un do -
maine culturel partagé avec le parent de même sexe.
L’inconscient est donc le coffre-fort où les fantasmes sexuels enfantins sont cachés de nous-mêmes et d’au-
trui. C’est cependant un coffre-fort poreux, puisque les fantasmes cherchent à faire baisser la tension de l’éner-
gie en trouvant des substituts extérieurs. Les substituts doivent avoir assez de proximité avec les fantasmes in-
conscients pour permettre une conversion. Mais d’un autre côté, les substituts doivent être assez différents des
fantasmes primitifs, pour ne pas permettre la prise de conscience. Toutes nos pensées, paroles, actes, goût, lap -
sus, tics, gestes manqués, rêves, passion, habitude, sont de tels compromis.
L’inconscient n’est pas qu’un réservoir de choses salaces. Freud insiste sur le fait que mes mécanismes de
défense, qui servent à empêcher le passage à l’acte sans déguisement et qui servent à empêcher la prise de
conscience, sont eux-mêmes inconscients : dans l’inconscient il y a donc les fantasmes enfantins et sexuels (et
notamment masochistes et sadiques) mais aussi les mécanismes de défense qui tentent de contrôler ces fan -
tasmes.
Les confirmations de tout cela sont :
1) l’observation des très jeunes enfants.
2) la guérison des patients quand ils accèdent au contenu de leur inconscient.
3) le fait que les hommes normaux n’ont pas d’explication pour de nombreux points de leur psychologie ou
de leur personnalité.
4) seule cette théorie explique le soudain et durable intérêt des jeunes humains pour la culture.
5) le rejet collectif de la psychanalyse, prouve qu’elle vise juste.
Temps = Kant

Kant est l’un des auteurs majeurs de la philosophie occidentale. Il est longtemps resté un auteur banal qui
suivait les modes de son temps. Mais un jour il tombe sur les ouvrages d’un autre philosophe, un sceptique vir-
tuose David Hume, et pour lui répondre, il va développer une philosophie novatrice, que l’on appelle la philo -
sophe critique.
Pour Hume il n’y a pas d’énoncé universelle synthétique valide. Il existe des énoncés universels analytiques
valides, comme : si « tout A est B » et « si tout B est C », alors « tout A est C ». Mais de tel énoncés sont des
énoncés purement logiques, et donc compatible avec tous les univers possibles. Par compte de tels énoncés ne
disent rien de spécifique sur notre univers spécifique.
Parmi les énoncés universels synthétiques prétendument valides il y a le suivant « tout ce déroule dans le
temps ». Comment le sait-on alors qu’on n’a exploré qu’une fraction infime du réel ? Qu’est-ce qui nous garanti
que l’on ne va pas un jour trouvé quelque chose hors du temps et hors de l’espace ? D’où vient notre confiance
dans l’universalité du temps ?
Hume est un sceptique. Il s’amuse à mettre en doute les certitudes du sens commun et de la science. Il faut
dire qu’il est doué pour cela. Kant rend hommage à la subtilité des analyses de Hume, mais il n’a aucun goût
pour le scepticisme. Il veut rendre raison des succès de la science, et pour cela il doit, entre autre, expliquer
comment les scientifiques peuvent être sûrs de l’universalité du temps.
Quand on est envahi par une odeur tenace, on cherche l’objet odorant qui peut en être la source. Mais si
notre enquête est infructueuse, on va soupçonner que l’odeur vient de notre propre corps, éventuellement sous
la forme d’un dérèglement de l’odorat. Kant suit la même logique. Si l’universalité du temps ne vient pas de
données extérieures observables, c’est probablement que le temps est une projection de l’esprit humain. Les
phénomènes ne seraient pas, en eux-mêmes, dans le temps. Ils seraient mis dans le temps par la structure de
l’esprit humain. La conséquence, c’est qu’on peut, grâce à cette hypothèse, garantir que tout ce que, nous êtres
humains, nous avons perçu, nous percevons et nous percevrons plus tard, sera dans le temps. L’énoncé « tout
est dans le temps » est validé sans attendre d’explorer tous les recoins de l’univers.
Kant dit que le temps est « une forme a priori de la sensibilité ». Il maintient au passage le même raisonne-
ment pour l’espace, qui est la seconde des deux formes a priori de la sensibilité.
Le raisonnement de Kant est astucieux et il a convaincu de nombreux philosophes. Il est aussi une solution
au problème de l’induction : peut-on, et si oui, comment, prouver des énoncés universels portant sur des catégo-
ries de phénomènes observables contenant une infinité d’éléments ? Oui si l’universalité vient de la structure
même de l’esprit humain. Les lois scientifiques du réel sont universelles, malgré qu’on n’en a jamais fini d’ex-
périmenter, car leur universalité vient de l’esprit humain.
Qu’est-ce que cela change à notre perspective sur le temps de savoir que ce dernier vient de l’esprit humain
et non de la structure du réel ? Cela veut dire que le réel en lui-même est hors du temps. Il est intemporel mais
pas éternel, car l’éternel est ce qui dure dans le temps. L’intemporalité est un concept, mais dès qu’on essaye de
l’imaginer, notre imagination ne peut sortir du temps, de la temporalité. Si Dieu existe, il est lui-même intempo-
rel et il saisit le réel de manière intemporel.
Kant pense aussi que si le temps est une structure de l’esprit humain, l’idée d’une décision qui inaugure une
série causale sans résulter elle-même de causes antérieure devient possible dans être pour autant imaginable ni
connaissable. L’idée d’un début radical, d’une décision, souvent moquée par les partisans du déterminisme cau-
sal, redevient possible. Tout ce que je fais dans ce monde apparaît dans l’espace, dans le temps et dans la causa-
lité, mais tout cela ne vaut que pour le monde conditionné par la structure de l’esprit humain. Kant parle pour ce
monde, de monde phénoménal. Mais cet interdit sur le libre arbitre ne s’applique plus au monde en soi, au
monde que Kant appelle « le monde nouménal »
le conflit entre les partisans du déterminisme causal (rien ne se produit sans cause et tout ce qui se produit
est rendu inéluctable par ses causes antérieures dans le temps) et d’autre par les partisans du libre-arbitre, est
résolu. Dans le monde phénoménal le monde observable dans lequel on vit, c’est le temps, l’espace et la causa -
lité qui structurent tout. Temps, espace et causalité viennent de la structure de l’esprit humain. Par contre dans
le monde nouménal, le monde en soi, le monde dont on ne peut rien connaître ni dire, mais aussi un monde qui
est la source du monde phénoménal, il est tout à fait possible que règne le libre-arbitre.
Les réflexions de Kant ont eu une grande postérité dans le monde des philosophes et même dans certaines
controverses scientifiques.
Langage = Austin

Austin est un linguiste, un spécialiste du langage. Il est l’inventeur d’une sous discipline de la linguistique, la
pragmatique ou théorie des actes de langage. Dans « pragmatique », il y a « pragma » qui signifie en grec, ac-
tion. De même dans la formule « acte de langage », il y a acte. Que signifie cette insistance sur l’action, alors
que le sens commun oppose plutôt les paroles et les actions ?
Austin a en fait découvert qu’une partie, faible ou importante, de ce que nous faisons avec nos phrases,
consiste à engendrer de nouveaux rapports type de liens. Le cas emblématique, souvent repris, est celui du
maire qui prononce dans une salle municipale en regardant une femme et un homme, vous êtes mari et femme.
Le maire avec son statut et en des lieux et des places appropriés, par des paroles précises, engendre une nou -
velle situation statutaire. Est-ce un cas rare, ou bien est-ce que de nombreuses phrases engendre des liens nou -
veaux au lieu de décrire et d’expliquer le réel ?
Du point de vue des gens ordinaires, et du point de vue des linguistes avant Austin, la vocation première des
phrases du langage est de dire fidèlement le réel, et d’être, par cela, vraies. Le langage serait là pour décrire
avec vérité et pour expliquer avec vérité. Quand le langage n’est pas vrai, il serait une manipulation, une ruse
une tromperie. Il se peut aussi que les phrases soient fausses involontairement comme il arrive quand un igno -
rant s’exprime. Comme on le voit tout tourne autour de la vérité, comme si les gens avaient pour seule préoc -
cupation, comme les scientifiques, le savoir, la connaissance, la vérité. Dans ce cadre, la réalité est déjà là et le
langage tente de la dédoubler avec des mots.
Mais plein de phrases ne fonctionnent pas du tout comme cela : une question n’est ni vraie ni fausse, sans
être une manipulation. Une demande d’aide n’est ni vraie ni fausse, sans être une manipulation. Un accord n’est
ni vrai ni faux, sans être une manipulation. Une salutation n’est ni vraie ni fausse, sans être une manipulation.
Ce qui caractérise toutes ces phrases, tout ces actes de langage, c’est qu’il agissent sur le réel, ils l’augmentent,
au lieu de simplement parler vrai sur un réel fixe.
On oppose ici les phrases constatives qui disent la réalité sans la modifier, et les phrases performatives qui
engendrent, ou tentent d’engendrer une nouvelle réalité. Car les hommes ne sont pas principalement des êtres
théoriques qui recherchent la vérité. Ils sont surtout des êtres sociaux qui doivent remanier sans cesse les liens
entre eux. Avec Austin, l’homme paraît moins un théoricien qu’ un être de relation.
Cette théorie des phrases performatives a permis d’enrichir ces débats de manière inattendue.
Dans les débats philosophiques sur la nature de l’intériorité et de l’esprit, il était convenu que les énoncés de
psychologie ordinaire dit sincèrement, à la première personne du singulier, révélaient l’intériorité de la per-
sonne qui s’exprimait. Quelqu’un qui disait sincèrement : « j’ai mal », était en train de décrire grâce à un œil
mental infaillible, un objet mental appelé douleur, occupant un lieu mental : l’intériorité. Mais on occultait tota-
lement le fait que dire « j’ai mal », est presque toujours un appel à l’aide. On passe d’une description mentale
mystérieuse, à quelque chose de simple et de concret : une demande d’aide. Ce type d’analyse renouvelée sur
les phrases de psychologie ordinaire à la première personne du singulier, finit par suggérer que le mentalisme,
la théorie d’un esprit mystérieux et subtil attaché au corps, serait un mythe collectif né du fait que l’on inter -
prète des phrases performatives comme des phrases constatives.
Prenons les débats occidentaux sur la nature des femmes, ou la nature des personnes noires. Depuis des
siècles en occident, ces débats se font dans une ambiance sérieuse, éventuellement bienveillante, à propos des
femmes ou à propos des personnes noires. Ceux qui disent que les femmes sont sensibles mais ne sont pas intel-
lectuelles, ni capable d’actions engagées et fortes, s’appuient sur de nombreux faits. Souvent les personnes dont
on parle approuve ce qu’on dit d’elle. Les femmes vont confirmé leur dégoût pour ce qui trop intellectuel, trop
scientifique, trop engagé aussi. Mais ces discours, qu’ils viennent des hommes ou des femmes sont ils bien des
descriptions et les explications ? N’est-ce pas un rituel éventuellement validé par des scientifiques où l’on dit
aux femmes ce qu’elles doivent être et ce qu’elles ne doivent pas être ? En passant du constatif au performatif,
on comprend mieux ce qui est en jeu. Les hommes et les femmes prescrivent aux femmes ce qu’elles doivent
être. On engendre un réel au lieu de décrire un réel préalable. Une célèbre spécialiste des théories du genre,
Judith Butler, a beaucoup œuvré sur la nécessité de de plus parler de la nature des femmes, en bien ou en mal,
car tout discours sur la nature des femmes est juste un ensemble déguisé de prescriptions.
Prenons maintenant la formule de la révolution française : « les hommes naissent libres et égaux en droit».
Cette phrase était conçue par les révolutionnaires comme un constat scientifique et non comme un choix collec -
tif de principes. Ils s’appuyaient sur l’antique théorie selon laquelle il y a deux droits : le droit positif inventé
par les hommes et variant selon les sociétés et le droit naturel antérieur au droit positif et universel. Le droit
positif devrait ensuite se régler le plus possible sur le droit naturel. Mais depuis le 19ième siècle, de nombreux
théoricien du droit ont soutenu que seul les hommes par des accords entre eux engendraient du droit. Il n’y au-
rait que du droit positif. Cela voudrait dire que les révolutionnaires français soutenus par le peuple français, on
décidé de tenir les hommes pour libres et égaux. C’est une invention collective et une invention inverse : « les
hommes naissent dépendants, contraints et inégaux » était tout aussi possible. Les révolutionnaires ont voulu
mettre à l’abri des critiques leurs choix, en inventant la fiction d’une nature qui veut la liberté et l’égalité. Une
fois de plus un énoncé performatif est maquillé en énoncé constatif.
Le langage engendre et remanie les liens sociaux plus qu’il ne dit la vérité. Le langage est autant et plus per -
formatif qu’il n’est constatif. Ce n’est pas la vérité qui compte, mais la qualité des relations entre les hommes.
Devoir = Kant

Kant est l’auteur de référence sur le devoir. Il est celui auquel on se réfère quand on veut défendre la morali -
té d’une société laïque, d’une société sécularisé. Il œuvre contre ceux qui pensent que seul une référence à Dieu
peut fonder solidement une morale. Il œuvre aussi contre ceux qui cherchent à fonder la société sur quelque
chose de moins sévère que le devoir, par exemple les plaisirs, les désirs, les sentiments.
Kant ne croit pas à la possibilité de fonder la société sur des sentiments bons, ou mauvais mais capables de
rentrer dans un système profitable à tous. Il pense aussi que la référence à Dieu ne peut plus avoir la place cen -
trale qu’elle a souvent eu.
Le point de départ de Kant est une vision finaliste. Que ce soit Dieu ou la nature, rien de ce qui existe dans la
nature à titre d’organe ou de faculté, n’est sans but. L’homme a une faculté qui le distingue des animaux : la
raison. En cherchant à quoi peut bien servir la raison, on saura du même coup, quelle est la destination de l’es -
pèce humaine.
Kant envisage deux buts possibles pour la raison : faciliter le bonheur ou rendre possible la moralité. Il sou-
tient (contre des auteurs comme Epicure) que ceux chez qui brille le plus la raison sont plus malheureux que
ceux chez qui la raison brille le moins. Dit autrement, les gens simples, peu réfléchis, sont en moyenne plus
heureux que les gens très intelligents. Donc la destination de la raison est moral et la finalité des hommes c’est
d’être moral. Kant ne nie pas que le but subjectif de nombreux hommes c’est d’être heureux, mais il distingue
cela du but objectif qui est d’être moral. Notons que cela signifie que la morale n’est pas là pour que j’aide le
bonheur des autres. C’est plutôt l’alternance bonheur / malheur, chez autrui, qui n’est là que pour que brille des
actes moraux.
Ensuite Kant soutient que ce qui rend un acte moral, c’est la qualité de l’intention et non les effets béné-
fiques. Si un actionnaire investit pour s’enrichir dans un laboratoire pharmaceutique qui trouve un vaccin per-
mettant de sauver des millions de personnes, dont de nombreux enfants, l’acte n’est pas moral. À l’inverse si un
homme très peu social se force à encourager avec une maladresse qui le rend inefficace, une personne en diffi-
culté, l’acte est moral.
Ensuite Kant cherche ce qu’est une bonne intention, exactement. Il reconnaît deux possibilité : la bonne in-
tention c’est l’action faite par devoir, par principe ou bien la bonne intention c’est l’action motivée par un bon
sentiment. Les bons sentiments peuvent être la gentillesse, la compassion, la solidarité, l’estime pour autrui, le
sentiment d’injustice, etc.… Kant ne distingue pas entre les bons sentiments, innés, dont on hérite sans effort,
des bons sentiments acquis, mais toujours sans effort personnel, et des bons sentiments acquis grâce à un travail
sur soi-même.
Aux yeux de Kant le bon sentiment (constant, le trait de caractère ou inconstant) n’est pas mérité. C’est un
coup du sort. Il y a des gens qui sont généreux depuis l’enfance et ils font le bien comme ils respirent, sans ef-
fort. Par ailleurs, agit par bon sentiment, c’est se soulager, se faire du bien. C’est une forme d’égoïsme. Celui
qui, par sentiment généreux, aide autrui, se fait avant tout du bien.
Donc un acte est moralement bon quand il est accompli par sens du devoir. Plus précisément, il y a une part
de bonté dans un acte quand une part de la motivation de cet acte est d’agir par devoir. Kant est conscient que
généralement la motivation morale apparaît mêlée à d’autres motivations.
Quel est le rapport entre le devoir et le plaisir ? Pour Kant quand on décortique le sens du devoir on y dé-
couvre un respect pour l’idée d’une loi universelle (une loi sans exception) légiférant parmi les hommes dans
une humanité transfigurée ou le malheur et la nuisance envers autrui n’auraient plus court. Tout homme, même
le plus corrompu, a du respect pour cette idée d’une humanité transfigurée même s’il s’empresse d’ajouter que
cela n’arrivera jamais. Cette idée d’une humanité transfigurée et ordonnée pas des lois justes, plaît et déplaît à
la fois. Elle déplaît notamment car chacun est humilié de ne pas se sentir à la hauteur. L’homme qui agit par
devoir sait qu’il n’en fait jamais assez. C’est un peu comme un militant féministe ou écologiste qui sait qu’il ne
sera jamais à la hauteur de ses idéaux. Comme cette idée d’une humanité transfigurée et ordonnée nous humilie
en même qu’elle nous fascine, le devoir m’est jamais totalement plaisant. L’homme qui agit par devoir sera
toujours conscient qu’il est ambivalent et que c’est humiliant. Les hommes peuvent s’efforcer d’être des anges,
mais ils resteront en tension, jamais en paix avec eux-mêmes.
Agir par devoir c’est se demander « la maxime de mon action (ma motivation) est-elle susceptible de devenir
une loi universelle de l’humanité (une humanité régénérée) ». Dit plus simplement « qu’est ce qui se passerait si
tout le monde en faisait autant (en parlant de l’intention).
On voit que pour Kant, la moralité ne consiste pas à s’adapter aux mœurs de mon époque. La maxime « oui
mais aujourd’hui on a pas le choix », il la récuse. L’homme moral, mais homme, donc incomplètement moral,
aura une partie de lui qui travaille comme avant-garde, comme éclaireur, de cette humanité transfigurée, seule -
ment possible. Il ne s’agit pas de tout reporter sur l’état de la société, la nature humaine, les décideurs. Il s’agit
d’être en partie un précurseur. On ne se demandera pas « que font les autres », mais « que dois je faire qui, si
j’étais imité par tous, ferait de ce monde un monde profondément meilleur ». Mais être en ce monde un précur-
seur d’un monde meilleur peut me coûter en partie ma réussite sociale en ce monde actuel.
Kant atténue cependant cette opposition entre bonheur personnel et moralité en signalant, que l’un de mes
devoirs consistera à prendre soin de moi, parce que « on m’a confié à moi-même ». De même que Kant désap-
prouve le suicide, de même il considère qu’on ne doit pas laisser le malheur envahir sa vie. Le bonheur est donc
à la fois une tendance égoïste, et un devoir. Kant signale au passage que les hommes malheureux perdent en
partie la capacité de s’occuper de leurs devoirs envers autrui. Kant soutient aussi que notre capacité à agir par
devoir doit sans cesse batailler et trouver des compromis avec notre égoïsme animal. On ne peut pas agir en
permanence et à 100 % par devoir. Mais personne ne peut non plus décréter que c’est impossible. C’est un men-
songe que l’on se fait à soi-même.
Quels sont les devoirs concrets ? Ceux qui passent le test de ce que Kant appelle l’impératif catégorique :
« la maxime de mon action est-elle susceptible de devenir une loi universelle de l’humanité ? ».
La motivation au vol, au mensonge, au meurtre ne passent pas ce test. La motivation à développer ses talents
passe ce test. La motivation à aider passe ce test. Le vol est non universalisable, car généralisé il détruit la pro -
priété, et donc, paradoxalement, détruit le vol. Une société où chacun laisserait ses talents pourrir serait, elle
possible, mais ne serait pas attractive.
La liste des devoirs concrets est donc plus ou moins notre liste actuelle. Mais il n’y a plus de référence à la
volonté de Dieu, ni de référence à la tradition, ni de référence à la volonté de la nature. Les devoirs concrets
restent les mêmes mais le fondement est renouvelé. Le fondement, c’est l’impératif catégorique.
Bonheur = Epicure

Epicure est un philosophe grec de l’antiquité. Il est le fondateur de l’école philosophique que l’on appelle
l’épicurisme ou le jardin. Cette dernière dénomination fait référence aux bâtiments liés à un jardin où Épicure
réunissait ses disciples, à Athènes. Le jardin était un moyen de se nourrir les disciples et de les initier à la vie
simple. Ce qui choquait les contemporains d’Epicure, c’est qu’Epicure faisait l’éloge du plaisir, se désintéres-
sait de la politique, mais aussi des arts et des sciences. Enfin il acceptait indistinctement dans sa communauté
des esclaves et des hommes libres, des athéniens et des étrangers et surtout des hommes et des femmes. Il a été
très vite accusé de vivre avec ses disciples une vie dissolue, ce qui était une calomnie. Les épicuriens se regrou -
paient en communauté dans tout l’empire macédonien puis dans tout l’empire romain. La tradition épicurienne
est demeurée vivante de son fondateur au passage de l’empire romain au christianisme. Les chrétiens ont été
assez hostiles vis-à-vis de l’épicurisme ce qui a contribué à sa disparition.
Epicure considère que le but de la vie est le bonheur. Mais il considère que le bonheur est un type de plaisir,
une sérénité due à l’absence de manque. Donc il fait aussi du plaisir, du moins un certain type de plaisir, le but
de la vie.
Il rejette ceux qui donnent à l’homme un but différent du plaisir, comme honorer les dieux, servir la patrie,
faire son devoir (# Kant), ou atteindre les vérités ultimes. Il rejette symétriquement ceux qui recherche les plai -
sirs intenses, les plaisirs de la foule. Épicure se conçoit comme adoptant un juste milieu.
Pourquoi faudrait-il chercher le plaisir ? Pour Épicure cela se justifie parce que la nature enseigne aux ani-
maux et aux bébés qu’il faut poursuivre le plaisir et fuir la douleur. Comme tous les philosophes antiques à l’ex-
ception des sophistes, Épicure considère que la nature est plus sage que les hommes et qu’il faut donc la suivre.
Il faut donc chercher les plaisirs. Mais pourquoi faudrait il chercher les plaisirs calmes, la paix, la sérénité, la
plénitude et non les plaisirs vifs et agités.
Les plaisirs vifs sont dénommés par Épicure, « plaisirs cinétiques ». les plaisirs doux et calmes sont dénom-
més « plaisirs catasmématiques ».
les plaisirs cinétiques :
quand on a un manque physiologique ou psychologique, le plaisir pris à le combler sera d’autant plus intense
que le manque sera important. Epicure conçoit un peu le corps comme un sac caractérisé par le manque d’un
type d’atome (on peut penser aux analyses biochimique de sang qui peuvent révéler une carence). Il faut une
activité pour combler ce manque, activité qui est aussi un déplacement d’atomes de l’extérieur vers l’intérieur.
L’activité va être plaisante à proportion du manque.
Les plaisirs cinétiques concernent des gens qui sont donc en déséquilibre. Une personne qui passe sa vie à
avoir des manques, puis à les combler pour une brève période, avant d’avoir de nouveau un manque (sur le mo-
dèle d’un tonneau percé), aura beaucoup de plaisirs cinétiques. Ces plaisirs sont 1) intenses, 2) bref (le temps de
combler le manque ou de croire qu’on est en train de le combler, 3) populaire (la foule est composée de gens
peu équilibrés qui vont sans cesse passer d’un manque à un « remplissage » fugace, 4) rivaux (ce qui remplit
fugacement nos manques est rare et donc met les hommes en rivalité), 5) mêlé, impur (tous ses plaisirs vifs co -
habitent avec des malaises non résolus ou des malaises entraînés par la quête de ses plaisirs) et 6) racontables
(un plaisir vif suppose un évènement qui le provoque. Les plaisirs vifs sont donc propices à des récits.
Les plaisirs vifs seraient bons s’ils menaient au bonheur, mais ce n’est pas le cas. Ils éloignent de la sérénité
ou ils sont des symptômes de cette absence de sérénité. Il faut procéder tout autrement pour être heureux. Empi -
ler toute sa vie des plaisirs vifs ne mène pas au bonheur, ne rend pas « bien dans sa peau ».
Les plaisirs catasmématiques :
Les plaisirs catasmématiques ont les propriétés inverses à ceux des plaisirs cinétiques : ils sont 1) doux, 2)
durables (il n’y a pas de phénomène de lassitude, ni d’extinction physique du plaisir), 3) peu populaires (ceux
qui sont sereins sont moins enviés que ceux qui font le tout de monde ou sont des artistes célèbres), 4) ils in-
citent au partage et non à la rivalité (celui qui est serein n’empêche en rien les autres de le devenir, ce qui n’est
pas le cas pour la célébrité ou la richesse), 5) ils sont purs, sans ambivalence (celui qui est bien dans sa peau ne
menace pas son avenir, ni ne cache sous le tapis ses problèmes), 6) ils ne sont pas racontables (on est bien dans
sa peau sans évènement déclenchant).
Pour atteindre ce plaisir de la plénitude, de la sérénité, du « être bien dans sa peau », Épicure considère qu’il
faut résoudre ses peurs. La véritable cause du malheur, c’est la peur. Les peurs sont très variées, mais heureuse -
ment elles peuvent être classées en quatre grandes catégories traités par quatre types de remède.
Les quatre grandes catégories de peur sont les suivantes :
1) Les peurs superstitieuses portant sur les phénomènes naturels et leurs causes supposées, les dieux.
2) Les peurs portant sur la mort.
3) Les peurs de ne pas être heureux.
4) Les peurs de souffrir.
Les quatre remèdes sont concentrés dans le tetrapharmakon :
1) Les dieux ne sont pas à craindre.
2) La mort n’est rien pour nous.
3) Le bonheur est facile à se procurer.
4) La douleur est facile à supporter.
La peur de la nature et des dieux et son remède, la certitude que les dieux ne sont pas à craindre :
Pour Epicure les hommes sont effrayés par les phénomènes physiques et physiologiques dont ils ne com-
prennent pas la nature et les causes. Suivant la tradition de l’époque, ils attribuent aux Dieux des maladies et les
phénomènes naturels, surtout s’ils sont inhabituels. De plus, dans la conception du paganisme grecs, les dieux
sont capricieux, procéduriers et impulsifs.
Aujourd’hui, en France, ces peurs superstitieuses, n’ont pas la même intensité car la culture scientifique a
pénétré toutes les couches de la population. Il faut cependant signaler que certains migrants non éduqués en
France peuvent ne pas avoir reçu la même culture scientifique. Par ailleurs, les milieux sensibles à la critique
contre la science, et à la promotion d’une science alternative succombe parfois à des superstitions à propos de
leur alimentation ou de leur maquillage, notamment.
Le remède à la peur de la nature et des dieux c’est 1) la culture scientifique matérialiste et atomistique, 2)
une véritable piété où l’on ne projette pas les déséquilibres propres aux êtres humains ordinaires, sur les Dieux.
Épicure prend beaucoup de soin à montrer que les phénomènes naturels, maladies comprises, viennent des
atomes et non des dieux. Tout s’explique par les atomes, le détail des explications étant secondaires. La grande
caractéristique des atomes, c’est qu’ils n’ont aucune colère aucune haine. Si je tombe malade ce n’est pas parce
que j’ai négligé un rite important. Guérir la peut par la connaissance scientifique, une connaissance générale,
qui ne rentre pas dans les détails.
La seconde ligne de défense contre la peur, c’est l’étude de la psychologie des dieux. Les dieux sont des vi-
vant immortels et bienheureux. Ils sont sereins, bien dans leur peau et donc ils n’ont aucune motivation possible
à se mêler aux affaires humaines en exigeant des rites ou une vie morale. Il n’y a donc aucune attitude des dieux
visant à entrer en rapport, bienveillant ou malveillant, avec les hommes. Donc rien à craindre ni à espérer des
dieux. Ils existes, les rêves et les mythes en témoignent, mais ils se contentent d’être heureux dans leur lointain
coin de l’univers.
La peur de la mort et son remède, la compréhension que la mort ne change rien à la vie heureuse :
Soit on a peur de la mort de ceux qu’on aime, soit on a peur de la vie après la mort, soit on a peur de la mort
comme raccourcissement d’une vie heureuse.
Ceux qui ont peur de la mort des gens qu’ils aiment, craignent qu’ils leur manquent, ou craignent que les être
aimés vivent mal leur mort, en en souffrant pendant l’agonie ou pendant la vie après la mort.
Quand on a compris que la vie simple procure tout ce qu’il faut, on comprend qu’on peut vivre sans ceux
qu’on aime. L’attachement amoureux est un luxe inutile pour Épicure. Il n’est pas besoin d’être amoureux et
que l’amoureux soit vivant et disponible, pour être heureux.
Il est aussi inutile de s’en faire pour ce que va vivre l’aimé avec sa mort. Il n’y a pas de vie après la mort, et
l’agonie ne nous laisse pas dépourvu de ressources psychologiques. Si l’aimé est un épicurien, tout se passera
bien. S’il n’est pas épicurien, il ne fallait pas l’aimer, car on ne peut rien pour quelqu’un qui ne s’aide pas lui-
même dans son rapport à sa propre mort.
En ce qui concerne la peur pour son sort après la mort la réponse est simple : il n’y a rien après la mort et
donc rien à craindre. La perception, la douleur et le plaisir supposent la coopération du corps (composé de gros
atomes solides) et de l’âme (composée d’atomes fins, véloces et lisses). À l’instant de la mort, le dernier souffle
expulse une partie de l’âme et le composé corps / âme est aussitôt mis en déséquilibre et perd la capacité à la
sensibilité (perception, douleur et plaisir). Ainsi au moment du décès, au moment du dernier souffle, toute
conscience, toute sensibilité, disparaît. Ainsi le soi conscient et la mort ne se croisent pas. Il n’y a aucune expé-
rience présente de sa propre mort. C’est donc l’absence de vie après la mort qui doit nous rassurer.
Reste la peur de la mort comme terme anticipé d’une vie heureuse. Pour Épicure, on ne vit pas le passé, on
ne vit que l’état mental présent. On peut cependant vivre un événement passé ou futur, mais en passant par la
médiation d’un souvenir présent ou d’une anticipation présente. Les états mentaux ont une extension limitée, on
ne peut donc vivre distinctement (et au présent) toute notre vie (d’où la vanité d’empiler les événements réus -
sis), on peut juste vivre de manière diffuse notre vie comme non empêchée, sans obstacle. Les dieux immortels
vivent distinctement et au présent leur environnement immédiat et de manière diffuse, leur vie comme non em -
pêchée, sans obstacle. L’homme mortel et sage vit distinctement et au présent, son environnement immédiat ou
un souvenir agréable qui le remplace. Il vit aussi de manière diffuse sa vie comme non empêchée, sans obstacle.
Être mortel ou immortel ne change rien. La mort n’est donc pas un mal.
La peur de ne pas parvenir à être heureux et la solution autour de la vie simple :
C’est la catégorie de peur, évoquée par Épicure, qui est la plus évidente et vivace, aujourd’hui. Comme, pour
les contemporains, il faut pour réussir sa vie être heureux, cela met une pression terrible. Nous considérons faci-
lement qu’il y a énormément de conditions pour être heureux : être en bonne santé, être amoureux, réaliser
toutes ses passions, être quelqu’un de cool, être populaire, vivre des expériences de vie exceptionnelles, etc.…
Les moyens à mettre en œuvre sont d’avoir des amis, d’avoir un corps superbe, de ne pas être timoré en terme
d’expérience de vie, d’être attirant pour les autres, d’être intelligent, d’être cultivé, de réussir ses études, etc.
Épicure pense que l’essentiel c’est de ne pas avoir peur, et notamment peur de ne pas être heureux. Si je suis
indifférent au jugement des autres, excepté pour le jugement de mes très bons amis, je m’ôte une énorme pres-
sion. Il faut aussi comprendre que mes passions sont des symptômes de déséquilibre. Au lieu de les servir, il
faut les détruire. Ma passion pour les voyages est un symptôme de ma dépendance au jugement des autres et un
symptôme de ma croyance qu’on peut vivre au présent toute la vie.
Celui qui est serein (vis-à-vis de la nature et des dieux, de la mort, du bonheur et de la douleur) n’a plus be -
soin d’une vie compliquée. Épicure développe une théorie des désirs substitutifs (un peu comme chez Freud).
Celui qui n’accepte pas sa mort, se met à vivre en accéléré pour compenser la brièveté de la vie. Ou alors il va
chercher à se protéger de la mort en devenant une personne puissante. Ou alors il voudra être immortel non pas
biologiquement mais dans la mémoire des hommes, il voudra être célèbre. Il peut aussi chercher à s’immortali -
ser par des enfants.
Cette théorie des désirs substitutifs, notamment substitutifs à l’immortalité, permet de comprendre pourquoi
un homme serein en viendra à une vie simplifiée. Par ailleurs la vie simple, crée moins de souci, moins de ten -
sion relationnelle, moins de menace pour la santé du corps. La vie simple résulte de la sérénité et procure la
sérénité. C’est un cercle vertueux.
Quel est le contenu précis de la vie simple ? Il ne faut pas se priver de ce dont l’absence crée la mort ou une
souffrance physique : il faut manger, s’hydrater, se vêtir se loger. Il ne faut pas non plus se priver de ce qui est
nécessaire à l’équilibre de vie : de véritables amis et la philosophie (qui se pratiquera collectivement avec les
amis. Elle ne sera pas une discussion de divers systèmes, mais un approfondissement de la voie épicurienne).
Par contre il faut absolument renoncer à tout ce qui est compliqué : l’attachement amoureux, le goût pour l’art,
le goût pour la nourriture sophistiquée, le goût pour le savoir complexe. Épicure admet entre ce qui est à garder
(les désirs naturels et nécessaires) et ce qui est à rejeter (les désirs non naturels et non nécessaires), une catégo -
rie intermédiaire (les désirs naturels non nécessaires) : il s’agit de s’autoriser des choses qui ne compliquent pas
la vie à petite dose, mais qui, devenues obsessionnelles nuiraient aux bonheurs : il s’agit des choses que l’on
fait pour diversifier les plaisirs mais sans être accro : un voyage de temps en temps, un bon repas de temps en
temps, une histoire amoureuse de temps en temps. Mais tout cela doit être réversible et on y veillera en aména -
geant des « périodes sans » et malgré tout heureuses (sans voyage, sans bon repas, sans histoire amoureuse.
La peur de la souffrance et la découverte que toute souffrance est supportable :
Épicure distingue les souffrances mentales et les souffrances physiques. Mais il soutient ensuite que toute
souffrance mentale est une anticipation, réaliste ou irréaliste, d’une souffrance physique. Il invite alors ceux qui
éprouvent une souffrance mentale à aller au bout de leur scénario d’angoisse pour découvrir une souffrance
physique supportable ou ….. aucune souffrance physique. Il suffit de répéter « et puis, et puis » et de faire se
dérouler le scénario jusqu’à la scène finale qui est la source d’angoisse véritable.
Celui qui a pour souffrance mentale la peur de mourir découvre en fin de compte que la souffrance présent
de la mort est impossible, car sensibilité et mort s’excluent mutuellement. Celui qui souffre de la peur de la soli-
tude découvre qu’être seul n’est pas vraiment douloureux si on n’y mêle pas d’imagination. Celui qui souffre de
l’éventualité d’être malade découvre qu’être malade est certes douloureux, mais toujours dans une mesure sup-
portable.
Donc la souffrance mentale repose sur l’éventualité d’une souffrance physique insupportable, c’est-à-dire, à
la fois longue et intense.
Voyons justement le problème de la souffrance physique. Pour Épicure la souffrance physique est l’agression
d’un organe. Il y a deux stratégies : si la souffrance est peu intense, elle pourra être longue, mais elle sera sup-
portable si on choisit de se distraire, par exemple en revivant un souvenir agréable. Dans le cas où la souffrance
est intense, l’organe est en voie de destruction : soit on perd l’organe et la souffrance qui résidait en lui, soit on
s’évanouit et la douleur cesse, soit enfin on meurt (la mort n’est pas un bien mais ce n’est pas un mal). Le résul-
tat c’est que la souffrance longue et intense n’existe. La bonne nouvelle est donc qu’il ne faut pas avoir peur de
la souffrance.
Épicure a donc soutenu que le bonheur est possible, mais qu’il suppose de suivre une méthode et donc de ne
pas se laisser influencer, ni par ses intuitions, ni par l’opinion commune, les deux étant suivis par tous, sans
résultat. Cette méthode consiste à identifier les grandes peurs qui nous gâchent la vie et à leur apporter le re -
mède qui à chaque fois leur correspond (et qui tourne autour de la vie simple). Les hommes ont beau différer,
leurs peurs sont au fond communes et les solutions existent. Les solutions sont résumées dans le tetrapharma-
kon.
Raison = Rousseau

Rousseau est un auteur très innovant mais pas toujours méthodique et cohérent. Il voit l’homme comme un
être qui émerge progressivement ce qui implique à ses yeux que les premiers hommes ont une sensibilité mais
pas de raison. La raison se développe par la vie sociale, qui, elle aussi n’est pas l’état natif des hommes qui
commencent leur histoire commune en étant des solitaires. 1) La raison permet de planifier le rapport aux
choses en vue de l’avenir. C’est une qualité. 2) Mais la raison permet aussi d’entrer dans un rapport stratégique
vis-à-vis d’autrui, c’est-à-dire mentir, manipuler et paraître. Dans ce cas c’est un défaut. 3) La raison permet
aussi d’établir un plan en vue de conquérir la vérité. C’est une qualité. 4) Enfin la raison permet d’établir des
règles justes pour une société afin que personne ne soit lésé. C’est de nouveau une qualité.
Quand Rousseau dit du mal de la raison, c’est de cette raison qui sert à l’homme habile à profiter des
hommes moins habiles. Dans ce cas, le sentiment est préférable à la raison. Le sentiment peut guider vers au-
trui. Rousseau croit que les hommes éprouvent de la compassion et de la solidarité. Il s’agit d’impulsions al -
truiste que l’on perd plutôt en devenant un homme habile. Chacun de nous à une tendance acquise à une attitude
stratégique vis-à-vis d’autrui et une attitude innée à la compassion et à la solidarité. Au niveau social, les nobles
et les bourgeois suivraient la raison, la raison stratégique. À l’inverse, les sauvages, les paysans, et, dans une
moindre mesure, les ouvriers, écoutent leurs sentiments et leurs cœurs. Rousseau se range résolument du côté
des gens simples. Il fustige les autres philosophes des lumières, dont il se fait progressivement les ennemis,
d’être corrompus par la raison stratégique.
La spontanéité juste des sentiments est aussi évoquée à propos de la conscience morale. La conscience mo-
rale, contrairement à la raison consultée à propos du bien, donne des réponses immédiates et objectivement cer -
taine. Contrairement à la figure du sage antique usant de sa raison, Rousseau préconise d’écouter sa conscience
morale qui guide infailliblement les gens les plus simple, sans besoin de réfléchir. On peut parler d’un certain
anti-intellectualisme chez Rousseau.
Rousseau va jusqu’à trancher certaines controverses théologiques telles que l’existence d’une âme, l’éven-
tualité d’une damnation éternelle ou l’existence de Dieu, par le sentiment. Les paysans, alors massivement ca -
tholiques, auraient grâce au sentiment plus de lucidité que les érudits, c’est-à-dire que les philosophes des lu-
mières.
Rousseau cependant, légitime totalement la raison lorsqu’il songe au contrat social et aux lois qui suivront.
Les hommes cherchent une manière de vivre ensemble avec des contraintes et des avantages qui pèsent égale -
ment sur tous. Chacun accepte un sacrifice, s’il est partagé par tous. Chacun accepte des lois si elle sont choi-
sies par tous et s’appliquent à tous. La raison devient ici décentrement de soi, prise en considération des autres.
La raison s’oppose à l’égocentrisme.
En ce qui concerne la science, Rousseau oppose plutôt la sensation à la raison. Il pense qu’on apprend
d’abord la réalité par des sensations, et que la raison n’intervient qu’en soutien, de manière secondaire. On re -
trouve ici le débat classique entre les rationalistes, dont une figure centrale sera Descartes, et les empiristes,
dont les figures centrales seront Locke et Newton.
Au total, Rousseau s’oppose plutôt à la raison, au nom des sentiments, de la conscience morale et des sensa-
tions. Mais il conserve à la raison une part centrale dans le domaine institutionnel et politique. Ce n’est pas en -
core un auteur romantique, mais c’est un auteur préromantique.
Religion = Nietzsche

Nietzsche est un auteur inventif et provocateur. Il vit à une époque où le christianisme est encore vigoureux
quoique très discrédité dans les milieux intellectuels. Nietzsche s’évertue à montrer que ceux qui ont pris une
nette distance avec le christianisme, reste à leur insu des propagateurs du programme chrétien. Les progressistes
, tels que les libéraux, des socialistes et les anarchistes, sont en fait des chrétiens qui s’ignorent. Le christia-
nisme s’exprime par sa culture et ses valeurs, plutôt que par sa théologie.
Nietzsche pense que les peuples indo-européens, ont commencé dans l’inégalité, la violence et l’insouciance.
Vainqueurs et vaincu communiaient dans l’acceptation des lois cruelles de la vie. Les massacres étaient fré-
quents et l’esclavage était une institution acceptée de tous. À un moment, sur trois ou quatre siècles, des re -
mises en causes ourdies par les victimes, se font entendre : c’est Socrate, c’est Bouddha, c’est Jésus, pour ce qui
est des figures les plus connues. Ces remises en causes passent par l’invention d’un monde inversé, un monde
de paix et de récompense pour les humbles, et de souffrance pour les forts. Cet usage nouveau de l’imaginaire,
ne provoque pas de réaction de l’élite car les règles de la vie sociale sur terre, ne sont pas remise en cause. Mais
cet imaginaire s’accompagne de valeurs nouvelles, qui petit à petit vont se répandre, jusqu’à, pour ce qui est de
l’occident, la prise de pouvoir du christianisme sur l’empire romain.
À l’origine « bien » signifiait la réussite, le succès, l’excellence. Avec les esclaves, avec les victimes,
« bien » , « faire le bien », commence à signifier : aider autrui, porter secours. Il en sera de même pour toutes
les valeurs anciennes qui seront confrontées à des valeurs opposés et rivales.
La morale des maîtres, la morale de vie. La morale des esclaves, la morale religieuse.

Ce qui est « bien » c’est de gagner, d’être Ce qui est bien c’est de faire du bien à autrui, de ne
« classe ». pas lui faire du mal.
Il est normal de traiter mieux ceux qui ont plus de On doit traiter de la même manière tout le monde.
valeur.
Les serviteurs sont utiles, mais les maîtres n’ont Les élites sont acceptées si elles sont utiles.
pas à l’être.
La vie fait que tout le monde n’a pas les mêmes Il faut que les chances de chacun soient égales.
chances.
La vie est absurde et il faut l’aimer telle qu’elle La vie est acceptable s’il y a un sens, un but, tel
est. que le progrès ou le paradis.
Il est normal de souffrir et de faire souffrir. Personne ne devrait souffrir. Tout le monde doit
être aidé par la société.
Ceux qui sont les petits, les humbles, la foule, Les petits, les humbles, la foule, sont sacrés.
valent moins que l’élite.
Chacun prend sa part à proportion de ses qualités, Chacun devrait avoir la même part.
de ses forces.
Dans l’élite, il est normal d’être reconnu par ses Il faut être populaire, célèbre.
égaux et on est indifférent à ce que pense la foule.
La vie réussie est la vie « classe », la vie où l’on Ce qui compte c’est que dans ce monde privé qu’est
domine soi, les autres et la vie. l’esprit, il y ait plein de petits plaisirs.
L’élite doit régner. Le peuple doit régner.
Mépriser les médiocres est normal. Personne ne doit être méprisé, discriminé.

Il y a donc deux systèmes rivaux de valeurs, deux morales rivales. Les religions morales (islam, judaïsme,
christianisme, bouddhisme, hindouisme, etc.) proposent des valeurs contraires à la vie, et elles ont partout
triomphé. C’est la décadence, le règne de la populace, de la foule, des victimes et de la culpabilité. Les grandes
religions moralisantes ont été à l’initiative de tout cela.
Une des originalités de la théorie de Nietzsche sur la religion, c’est qu’il dit qu’une religion peut triompher
en forçant ses adversaires à penser à partir du même logiciel. Le christianisme par exemple est plus une culture
qu’une théologie et un culte. Nietzsche soutient que les héritiers du siècle des lumières, notamment, les libé-
raux, les utilitaristes, les socialistes, des anarchistes, tous plus ou moins anti-chrétiens, suivent l’essentiel de la
culture chrétienne : le peuple doit diriger, l’égalité doit régner, il ne faut discriminer personne, les élites doivent
être utile ou disparaître, chacun doit être aidé. Les réformateurs se succèdent par vague successive, en revendi-
quant d’intégrer des contingents toujours nouveaux d’exclus : les minorités chrétiennes, puis les juifs, puis les
ouvriers, puis les femmes, puis les descendants des colonies, puis les porteurs d’handicap, puis les minorités
sexuelles, puis les générations futures menacées par les crises écologiques, puis les animaux, etc. c’est le logi -
ciel chrétien qui veut cela, c’est la culture chrétienne qui veut cela, alors même qu’en France, très peu adhèrent
à la théologie chrétienne ou pratique un culte chrétien.
Ce que veut Nietzsche, c’est qu’on en finisse vraiment avec la religion chrétienne car nous n’avons été dé -
christianisé qu’en apparence. Il faut restaurer les valeurs de la vie : l’inégalité, la violence, l’insouciance mo-
rale, l’acceptation de la souffrance. Il attendait pour cela les surhommes et il pensait être l’un d’eux, un éclai -
reur. Les nazis ont tenté de revendiquer son héritage, mais Nietzsche est foncièrement élitiste, il ne supportait
pas le populisme des ancêtres artistiques du nazisme, les adulateurs de Wagner, qu’il a fini par détesté. Le na-
zisme est trop attaché à une rhétorique du peuple. Nietzsche se sent davantage attiré par l’avant-garde artistique,
à condition de ne pas y décelé un désir d’être populaire.
Si les religions anti-vie sont à proscrire, une religion qui éveillerait au désir d’être vivant, d’être triomphant,
est accepté par lui. Les religions restent un formidable outil pour forger une culture. Nietzsche à écrit Ainsi
Parlait Zarathoustra, livre qu’il conçoit comme une anti bible.
État = Hobbes

Thomas Hobbes est un philosophe tenu pour l’initiateur de la philosophie politique moderne. Il inaugure ce
qu’on appelle la théorie contractualiste de l’État. C’est-à-dire que l’État est légitimé en tant que représentant de
la volonté du peuple. Auparavant on évoquait plutôt la nature comme fondement de l’État, la volonté de Dieu
ou la tradition.
La nature désignerait certains hommes ou certaines lignées d’homme, pour commander tandis que les autres
seraient désignés par la nature pour obéir. Suivre l’ordre voulu par la nature serait alors profitable à tous. L’ar-
chétype c’est la famille patriarcale. L’enfant serait, invité par la nature à obéir à son père. La femme serait invi -
té par la nature à obéir à son époux, l’esclave domestique serait invité par la nature à obéir au chef de famille.
Le pouvoir central reposerait sur le père, par la volonté de la nature. Chacun (le père, la mère, l’enfant, l’es -
clave) aurait les qualités naturelles pour exercer son rôle, mais n’aurait pas les qualités pour exercer les autres
rôles. Au niveau des communautés politiques, certains chefs de famille auraient vocation, d’obéir, tandis que les
aristocrates, et surtout la famille royale, auraient naturellement vocation à diriger. À chaque fois les différents
statuts s’accompagnent de qualités différentes.
Une autre piste pour légitimer le pouvoir c’est l’idée que chacun doit obéissance à Dieu, qui est notre créa-
teur et notre bienfaiteur commun. Dieu va ensuite déléguer son pouvoir à des hommes auxquels on devra obéir
comme à Dieu. Dieu par Jésus, a institué une ou des églises. Pour ce qui est de l’église catholique, le pape, les
archevêques et les évêques sont les représentants de Dieu sur terre, même s’ils exercent directement que le pou -
voir spirituelle. Ils peuvent, pour certains, sacrer les rois, c’est-à-dire faire qu’à leur tour, ceux-ci deviennent
représentant de Dieu sur terre.
Enfin, il arrive que le pouvoir soit légitimé par la tradition. On a pris l’habitude collective de nommer le pou-
voir politique en suivant une certaine procédure, et l’ancienneté de cette procédure suffit implicitement pour la
légitimer. L’idée implicite c’est qu’il y a une sagesse des générations passées, sagesse confirmée par l’absence
de remise en cause de la part des générations intermédiaires.
Pour Hobbes le véritable fondement d’un État légitime, c’est un pacte social, un contrat social. Chacun s’en -
gage oralement auprès de tous les autres, à renoncer à sa liberté naturelle au profit d’un détenteur du pouvoir
(qui peut être un homme seul, un groupe d’homme, ou même l’ensemble du peuple), à condition que chacun
des autres en fasse autant.
“La seule façon d'ériger un pouvoir commun, c'est de confier le pouvoir et la force à un seul homme, ou à
une assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela
revient à dire : désigner un homme ou une assemblée, pour assumer la personnalité du peuple; et que chacun
s'avoue et se reconnaisse comme l'auteur de tout ce qu'aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la
paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, et que chacun, par conséquent, soumette
sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. La multitude, ainsi
unie en une seule personne, est ainsi appelée République. Telle est la génération de ce grand Léviathan” Le Lé-
viathan
Il y a donc premièrement l’état de nature. Un état de misère et de violence. Puis un contrat social par lequel
toute la population décide de quitter l’état de nature. Puis comme résultat du contrat social, une société civile
avec un État institué et un chef de l’État.
Tout d’abord, Hobbes écrit à un moment où il y a des guerres civiles, tant en Angleterre, son pays, qu’en
France où il écrit. Pour lui le danger majeur n’est pas la tyrannie, la dictature, mais la guerre civile. Il va donc
s’attacher à montrer que sans un État fort, auquel ne s’oppose ni contre-pouvoirs, ni corps intermédiaires, ni
droit religieux, ni loi naturelle, ni conscience morale, la paix est impossible. Il devient donc le philosophe poli -
tique qui promeut et légitime le pouvoir absolu.
À l’état de nature, avant l’institution de l’État et de son ou ses dirigeants, les hommes vivent sans loi, sans
autorité. Hobbes rejette avec constance l’idée d’une entente spontanée des hommes, idée que l’on retrouve no-
tamment chez les anarchistes.
Est-ce que les hommes n’écoutent pas leur conscience morale ? Peut-être, mais comme les diverses
consciences ne disent pas la même chose, cela va plutôt être un facteur de désaccord. N’y a t’il pas une sociabi -
lité naturelle qui poussent les hommes à se réunir et à s’entendre ? Non car a plupart des hommes ont du déplai-
sir à vivre avec les autres hommes. Est-ce qu’il n’y a pas des lois naturelles sur lesquels les hommes peuvent
s’entendre ? Pour Hobbes de telles lois naturelles n’existent pas. N’y a t-il pas la claire volonté de Dieu ? Les
texte inspirés sont lus de manière divergente selon les spécialistes des écritures. N’y a t-il pas une tradition orale
ou écrite qui unifie les hommes ? Chacun l’interprète à sa manière et l’écoute peu quand il est pris par ses désirs
et ses émotions.
« Donc toutes les conséquences du temps de guerre, où chacun est l’ennemi de chacun, sont les mêmes que
celles du temps où les humains vivent sans autre sécurité que celle procurée par leur propre force, ou leur
propre ingéniosité. Dans une telle situation, il n’y a de place pour aucune entreprise parce que le bénéfice est
incertain, et, par conséquent, il n’y a pas d’agriculture, pas de navigation, on n’utilise pas les marchandises im-
portées par mer, il n’y a ni vastes bâtiments, ni engins servant à déplacer et déménager ce qui nécessite beau -
coup de force ; il n’y a aucune connaissance de la surface terrestre, aucune mesure du temps, ni arts ni lettres,
pas de société ; et, ce qui est pire que tout, il règne une peur permanente, un danger de mort violente. La vie
humaine est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève. » Le Léviathan
Les hommes sont des êtres de passion (au sens préromantique) qui s’agressent par rivalité, par méfiance et
par fierté. Chacun agresse le premier, s’il le peut, pour avoir l’avantage. Chacun a une convoitise illimitée, car
c’est en acquérant plus qu’il entend garantir ses maigres possessions de départ.
Des hommes qui vivent cette expérience de l’état de nature ou de la guerre civile, veulent absolument en
sortir. Le désir de paix, de paix civile, est plus important que le désir de liberté, central chez Rousseau. S’ils
instaurent un pouvoir limité, avec des contre pouvoirs, cette multiplicité des pouvoirs sera une nouvelle occa-
sion de guerre civile. Si le pouvoir est tenu par un texte fondamental, une constitution, il y aura toujours des
hommes pour opposer la constitution au pouvoir. Si on maintient une priorité du religion sur le politique et donc
un droit de désobéir, c’est préparer une future guerre civile. Si on instaure, implicitement ou explicitement le
droit de désobéir quand le pouvoir est injuste, les factieux s’en empareront.
Il faut donc que l’État et son ou ses chefs, reçoivent un pouvoir absolu, sans limite et sans condition. Un tel
État fera ce qu’on espère de lui : il produira, par sa puissance sans égal, la paix. Il matera toute faction. Un tel
pouvoir sans rivaux fera que, ne craignant rien, il fera prospérer son bien, le pays et sa population. Ce qu’on
n’obtient pas par les contre-pouvoirs, on l’obtient par la psychologie. Celui qui règne sans partage placera son
orgueil dans la prospérité du pays et de sa population. Hobbes souhaite une société libérale, ou règne la diversi-
té religieuse et l’entreprenariat économique. Mais il ne faut pas inscrire cette liberté dans des lois fondamen-
tales qui donneront des justifications à la désobéissance. Le devoir d’obéissance est total. Le détenteur du pou-
voir n’est pas contractant, il reçoit son pouvoir d’un don collectif de la population, et sans contre partie.
Justice = Rawls

Rawls est un auteur américain de philosophie politique. Il peut être rangé du côté des démocrates américains,
c’est-à-dire que tout en étant libéral, il insiste sur les libertés sociales. Les libertés sociales sont ces libertés qui
exige une action invasive et coûteuse de l’État : droit à la santé, droit à l’éducation, droit à la retraite. Contraire-
ment aux libertés classiques (droit d’expression, droit de réunion, droit d’entreprendre, etc.), les libertés so-
ciales imposent que l’État ne soit plus uniquement un arbitre, mais qu’il soit aussi un prestataire.
Rawls se demande si l’aide aux plus démunis est juste. Aucun tort ne semble leur avoir été fait, si leur mal -
heur vient de l’absence de chance naturelle ou de l’absence de chance économique. Les aider est-ce juste (ce
qui est juste on peut l’exiger) ou bien est-ce plutôt bon (ce qu’on reçoit par bonté on ne peut l’exiger).
Rawls imagine un test, sous forme d’expérience de pensée, afin d’établir un consensus sur ce qui est juste.
Chacun est invité à imaginer une situation appelée « position originelle » : il est au ciel, en attente de son incar-
nation. Il ignore sa race future, ses préférences sexuelles futures, son genre, son état de santé futur, le niveau
économique de la future famille qui va l’accueillir, ses qualités et défauts futurs, etc. Cette ignorance est dé-
nommée « voile d’ignorance ». Il nous est alors demandé de statuer, en pure égoïste, mais sous « le voile
d’ignorance », sur les grands principes de justice qui régneront sur notre future société.
Chacun, dans cette situation, cherche les règles de justice sociale les plus favorables à son bonheur. S’il favo-
rise un groupe social au détriment des autres groupes sociaux, et que, ensuite, il ne s’y « incarne » pas, il se
condamne à une vie difficile. Le principe retenu, c’est qu’il faut que les règles de justice favorise au mieux les
groupes les plus désavantagés, tout en maintenant un niveau élevé de liberté collective. Chacun se dit : « au
pire, je suis une femme, noire, handicapée, avec une préférence sexuelle de lesbienne, avec peu de qualité et
beaucoup de défauts, et qui se retrouve dans une famille pauvre ». Je vais m’arranger pour qu’une telle situation
reste compatible avec la réalisation de projets de vie complexe et dispendieux, pour, dans ce pire des cas, mon
bonheur reste possible. C’est le « max min » : le maximum possible pour ceux qui ont le minimum.
Chacun dans la position originelle demande en premier:
1) l'extension la plus grande possible de liberté égale pour tous.
2) En second 2) chacun veut une stricte égalité de chance dans l'accès aux différentes positions sociales qui
pourraient servir son futur projet de vie.
3) En troisième 3) chacun veut que les diverses inégalités soient au profit des groupes sociaux les plus dé-
favorisés (où chacun craint de s'incarner dans la position originelle). Ces trois préférences permettent d'optimi -
ser (sous contrainte de l'ignorance de nos futures capacités et désirs) nos chances de réaliser notre projet de vie.
Les points 2) et 3), unis, sont appelés par Rawls « principe de différence ». L'ensemble des trois points
constitue la structure d'une juste constitution nationale.

Rawls pense par ce raisonnement montrer que l’État providence à l’américain est juste. Un des points clefs
de son raisonnement, c’est que nos qualités, innées et acquises, ne sont pas le fruit de notre mérite, mais simple-
ment le fruit de la chance. Si quelqu’un devient brillant à force de travailler, Rawls considère que le point de
départ c’est une persévérance qui vient de la chance, éventuellement renforcé par un milieu social favorable. La
société doit réduite la loterie de la nature et soutenir ceux qui sont moins doués. Outre la loterie de la nature, la
loterie des milieux sociaux, il y a la loterie économique. Ceux qui s’enrichissent ont souvent bénéficié de ten -
dances économiques dont ils ne sont pas les auteurs.

En ce qui concerne la production et la distribution des biens et des services, Rawls compte plutôt sur le sys-
tème capitaliste modéré par la redistribution opéré par l’État providence. Si chaque groupe social recevait au-
tant, la motivation serait nulle, et au moment de la redistribution, tous serait déçu. Si on doit partager 6 billes
entre trois groupes sociaux de manière égalitaire, chacun recevra 2 billes : pas de jaloux. Mais supposons que
stimulé par la peur du chômage et l’espoir de l’enrichissement, les 6 billes deviennent 12. le groupe le plus dé-
favorisé reçoit 3, et les autres 4 et 5. Le groupe social perdant peut jalouser les autres et revendiquer l’égalité.
Mais s’il regarde non plus la hiérarchie, mais son pouvoir économique de réaliser ses projets de vie, il voudra
rester dans ce système capitaliste. Donc il faut garder les inégalités économiques qui enrichissent tout le monde.
Par contre les inégalités économiques qui ne servent plus de motivation, comme un chef d’entreprise qui gagne
tellement que cela ne le motive pas plus que s’il divisait par deux son salaire, il faut les supprimer.

Donc récapitulons :
dans la position originelle, on veut s’assurer une vie future heureuse. Une vie future heureuse ce sera réaliser
des projets de vie dont, du fait du voile d’ignorance, j’ignore le contenu.
1) Je veux que le minimum de projet de vie soit interdit (le projet de vie sadique). Je veux une société très
généreuse en liberté.
2) Je veux que tous les statuts (chanteur, médecin, chef de l’État) soit ouvert à tous sans discrimination, car
je serais peut-être membre d’un groupe menacé de discrimination. Je veux que si je travaille à mes rêves, le
succès soit possible.
3) Comme je peux tomber dans le groupe social le plus défavorisé, je veux que ce groupe social, tout en
étant défavorisé, soit le mieux loti possible sans porter atteinte aux libertés et aux inégalités stimulantes.
La justice sociale ne consiste donc pas à laisser chacun recueillir les fruits de ses efforts et de la chance. Ce
n’est pas parce que personne n’a nuit à une personne malheureuse qu’elle n’a rien à réclamer à la société. Nous
avons tous signé pour une société qui compense les injustices du sort et même qui donne une seconde chance à
ceux qui ont « foiré » leur vie. La société doit compenser les injustices de la nature, les injustices de la condi -
tion économique de départ, et les injustices de la loterie économique. Il n’est pas vrai que le marché du travail
ou le marché des investisseurs, récompense les méritants. Il y a une grande part de hasard, et les gagnants ne
gagnent jamais sans l’aide omniprésente de toute la société.
Travail = Marx

Marx est un philosophe, un économiste, un sociologue, un historien et un agitateur politique. A son époque la
société était polarisée entre des ouvriers et les bourgeois. Les paysans restaient les plus nombreux, mais leur
groupe social était sur le déclin. Quand on naissait dans un groupe social, on en changeait difficilement. Il n’y
avait pas de droit du travail, pas de sécurité sociale, pas d’école gratuite, pas de caisse de retraite et presque pas
de droit syndical. L’État, et notamment la police, était clairement au service de la classe bourgeoise.
Dans le milieu des économistes, il y avait deux théories de la valeur d’échange des biens et des services.
Pour les uns la valeur d’échange, approximativement le prix, mesure le désir collectif pour un bien ou un ser -
vice. Pour d’autres, la valeur d’échange, le prix, mesure le travail social incorporé dans un bien ou un service.
Marx appartient à ce second camp, celui de « la valeur travail ». il semble que la théorie économique dominante
actuelle, s’est plutôt ralliée à la théorie de « la valeur désir ».
Pour Marx, c’est le travail qui engendre la valeur. Il soutient même que le prix mesure la durée de travail
incorporé à un bien ou un service. Si le travail engendre la valeur, la classe ouvrière a une place centrale qui
contraste avec la faible part de revenu qu’elle reçoit.
Pour Marx, le salariat, introduit pas le capitalisme repose sur une hypocrisie : en théorie l’ouvrier salarié est
sur un pied d’égalité avec l’employeur patron, au moment de la négociation du contrat de travail et donc du
salaire. Mais en fait le capitalisme garde une réserve perpétuelle de chômeurs susceptibles de prendre la place
de l’ouvrier. Celui-ci est donc condamné à un contrat de travail désavantageux et à un salaire faible. Les ou-
vriers sont de plus en plus en rivalité car ils sont substituable les uns aux autres. En effet, en ce mécanisant, la
production retire la dextérité à l’ouvrier et la place dans la machine. Les ouvriers se retrouvent en rivalité avec
des femmes et des enfants, et cela fait baisser les salaires.
Les propriétaires des entreprises ne font pas ce qu’ils veulent : ils doivent augmenter leur taille ce qui permet
d’augmenter la production et de diminuer les coûts de production individuels. La mécanisation n’est donc pas
un choix. Il faut y passer ou disparaître.
La condition des travailleurs c’est donc dégradé quand on est passé de l’artisanat à l’industrie. L’artisan maî -
trise tout le processus de production contrairement à l’ouvrier qui ne connaît qu’une infime fraction de ce qu’il
contribue à produire. Il y a perte de compétence et perte de sens.
Cela dit, où mène la concurrence entre les entreprises ? Par secteur, il n’y aura bientôt qu’une entreprise, un
monopole privé. Les anciens artisans, et les anciens entrepreneurs, deviendront des ouvriers de base. Les mi-
grants et les pays non européens, finiront par être intégrés au capitalisme mondial. Il y aura une foule de tra-
vailleurs rivaux. Cependant cette rivalité sans espoir finira par se muer en solidarité. Les gens se définiront par
le fait d’être travailleurs. Le genre, la religion ou la nationalité deviendra secondaire. Les entreprises qui ont
besoin d’exploiter les travailleurs ne pourront les associer à la consommation. La classe bourgeoise, décimée
par la concurrence interne, ne pourra consommer assez. Crise de surproduction et lutte des travailleurs unis,
produiront la fin du capitalisme.
Le capitalisme laisse au communisme ses entreprises. Dans le nouveau régime, tout appartient à l’État. Les
entreprise sont nationalisée. Le problème apparemment, c’est le motivation des travailleurs, qui n’ont ni la pers-
pective de l’enrichissement, ne la perspective du chômage. Marx soutient que les rivalités et l’égoïsme ne sont
pas dans la nature humaine mais qu’elles viennent d’une adaptation au système capitaliste. Après une période
de transition, les travailleurs œuvreront pour l’intérêt général.
Les gens recevront selon leurs besoins, cela afin de tenir compte des enfants, des vieillards et des malades.
Chacun travaillera selon ses capacités. Des changements de poste seront possibles, pour introduire de la diversi-
té. Simultanément, la mécanisation continuera et ferra que le temps de travail humain nécessaire par unité de
bien et de service, ne cessera de diminuer. La société communiste sera une société de loisir où chacun pourra
réaliser sa passion.
Liberté = Epictète

La méthode de l'oral en philosophie:

Si votre moyenne générale du baccalauréat, toutes matières comprises et coefficientées, se trouve au dessus de 8/20 et en dessous
de 10/20 vous irez à l'oral. La plupart des fois, où l'on va à l'oral, on a le bac, mais après un peu de stress, et un écart de 3 à 5 jours
pour faire la fête.

Il faut choisir deux matières en cherchant à avoir le plus grand écart d'amélioration entre la note obtenue à l'écrit et la note espé -
rée à l'oral, le tout en tenant bien sûr compte du coefficient. Par exemple, si vous aimez la littérature et vous avez eu 13/20 et espérez
au mieux 14/20 à l'oral, et supposons que le coefficient de la littérature soit de 4, vous gagnez 1 x 4, ce qui est peu si vous avez en
tout 27 points à rattrapez pour avoir une moyenne générale de 10/20 et donc le bac. On ne choisit donc pas uniquement selon son
goût (il y a un calcul réaliste à faire pour choisir ses matières).

Si votre calcul vous mène à choisir la philosophie, vous serez interrogé par le correcteur sur un extrait d'une page, d'une page et
demi, pris librement par le correcteur dans le livre d'Epictète. Vous arrivez au préalable avec votre liste officielle délimitant le texte
étudié (liste distribué à la fin de l'année) et l’œuvre étudiée, en version papier. Proposer un second exemplaire à l'examinateur pour
qu'il puisse lire les passages dont vous parlez, est bien vu.

Une fois que l'examinateur vous a attribué un extrait, vous avez de 20 à 30 minutes pour le préparer, généralement au fond d'une
salle de classe pendant que l'examinateur interroge le candidat qui vous précède. Il faut jeter ses idées principales sur une feuille,
afin que quelques mots brefs aident à rappeler ce qui vous semble important dans l'ordre souhaité. L'objectif est toujours d'expliquer
le texte, mais cette fois en évoquant votre connaissance de l'auteur et de l'ouvrage, alors que l'explication de texte à l'écrit ne présup-
posait aucune connaissance de l'auteur. Il faut cependant garder le caractère polémique de tout texte philosophique, c'est-à-dire le
nourrir d'objections et de questions suivies de réponses de l'auteur expliquée par vous.

L'examinateur vous appelle. Généralement vous lisez à voix haute l'extrait, vous présentez en deux phrases l'auteur et en une
phrase l'ouvrage, et vous commencez une explication suivie, dans l'ordre chronologique, en faisant intervenir ce que vous savez de la
doctrine de l'auteur, mais aussi en gardant cette dynamique des objections, des questions et des exemples, afin d'éviter de tomber
dans la récitation « somnifère ». la présentation de l'auteur et de l'ouvrage dure de 1 à 3 minutes, environ, l'explication linéaire doit
durer de 10 à 20 minutes, la discussion avec l'examinateur sur votre explication dure de 5 à 10 minutes. Mais cette structure reste
souple.

L'examinateur sait au moment de votre départ la note qu'il va vous mettre. Il est libre de vous la communiquer ou pas. Personnel -
lement je demande au candidat le nombre de points qui lui manque, la note qu'il a eu à l'écrit en philosophie et le nombre de point
qu'il a déjà gagné, éventuellement, dans son oral de l'autre discipline qu'il a choisi. Par contre je ne donne pas la note que j'envisage,
car elle n'est pas précisément arrêtée au moment du départ du candidat.

Généralement, les élèves qui passent l'oral, s'ils ont fait un choix réfléchi des deux matières de l'oral et s'ils ne tombent pas dans
le mutisme ou la provocation, ont leur bac. S'il manque quelques points, le conseil qui clôt l'oral pourra les ajouter, sauf si le livret
évoque des comportements d'irrespect du candidat envers ses enseignants de l'année.

Présentation d'Epictète et des entretiens dont De la liberté est extrait. Pour une durée de 1 à 2 minutes:

Epictète ( 50 - 135) est un esclave grec affranchi qui est devenu un enseignant de la philosophie stoïcienne. Il a acquis une réputa -
tion de grande sagesse et valorisait plus la cohérence entre la vie et la théorie, que la théorie pure sans souci d'application pratique.
Il se présente donc comme un maître se sagesse. Quoiqu'il n'est pas laissé d'écrit, une partie de ses cours a été retranscrit par l'un de
ses disciples, Arrien. En tant que stoïcien, il prône la droiture morale plutôt que la vie de plaisirs.

Les Entretiens dont De la liberté est extrait sont la retranscription des dialogues entre Epictète et ses élèves, après des séances
d'exposés doctrinaux sans dialogue, qu'Arrien n'a pas conservées. Epictète répond à ses élèves qui sont des adultes qui viennent le
voir contre paiement, et il les rudoie volontiers afin de les motiver à s'orienter vers la sagesse. L'abondance et la vigueur de ses ré -
ponses montrent que de nombreux élèves ne comprenaient pas ce qu'est la sagesse ou ne la désiraient pas.

De la liberté montre que la liberté n'est pas une situation sociale enviée, être riche, puissant, célèbre, mais une attitude mentale
alliant courage et détachement. Il faut s'occuper de ce qui dépend de nous, notre vie intérieure faite de croyances, désirs, émotions,
habitudes, humeurs. Notre triomphe est alors assuré. Quand à la vie extérieure, matérielle et sociale, il faut s'en remettre à la provi-
dence. On ne cessera pas pour autant d'agir, mais on agira avec soin pour le bien apparent, près à un revirement éventuel, et donc
sans attachement à un quelconque but. Cette attitude mentale, bien comprise, et mise en œuvre, mène à la liberté intégrale.

Epictète et l'extrait "De la liberté", support d’un éventuel oral de rattrapage au deuxième tour en phi-
losophie :
Epictète dans cet extrait des Entretiens qu'il avait avec ses élèves entend montrer: 1) qu'il existe une voie
unique pour être en permanence libre. 2) Que ceux qui croient n'être jamais ou rarement esclaves, le sont en fait
toujours, et fatalement, tant qu'ils tournent le dos à la seule voie véritable vers la liberté.
L'idée générale c'est que la liberté c'est n'être empêché par rien, c'est réaliser tous ses désirs consécutifs. L'es-
clavage, à l'inverse, c'est être empêché, entravé, limité. C'est avoir des désirs qu'on ne peut réaliser. L'obstacle
majeur auquel il se heurte, c'est qu'à son époque être libre et être esclave sont des statuts sociaux concrets. Un
homme qui n'a pas le statut juridique d'esclave a du mal à entendre qu'il est malgré tout esclave. Le point de
départ, la liberté c'est ne pas être empêché, est finalement plus facile à être accepté aujourd'hui qu'à l'époque
d'Epictète. Là où la divergence apparaît, c'est qu'Epictète va soutenir qu'il y a deux méthodes pour combler
l'écart entre le désir et la réalité: Accroître sa puissance pour tordre la réalité afin qu'elle suive les contours de
nos désirs. Ou bien, au contraire, changer ses désirs pour approuver, acquiescer tout ce qui arrive au fur et à
mesure que cela arrive.
La première méthode, celle du sens commun, est un échec pour Epictète, car le pouvoir humain sur les
choses telles que sa santé, sa réputation, l'amour des autres, la richesse, la survie, la réalisation des rêves, l'es -
time des puissants, etc.. est limité. Les histoires héroïques de triomphe dont nous sommes abreuvés au point de
les confondre avec la réalité, sont menteurs ou parcellaires. La convergence des désirs et de la réalité est rare,
éphémère, et elle demande souvent des comportements indignes d'un homme: supplier, flatter, pleurer, etc.....
La seconde méthode, celle d'ajuster nos désirs aux faits, consiste à vouloir ce que Dieu ou la nature veut.
Est-ce possible et souhaitable de se résigner ainsi, de ne plus avoir de désir, d'attachement, de rêve ? Epictète
récuse le terme de "résignation" qui signifie "accepter une part de réalité que l'on n'aime pas par impuissance à
la changer". Selon lui il faut accepter et même collaborer à la part de réalité qui ne dépend pas de nous, car
Dieu ou la nature (les stoïciens les distinguent ou les confondent selon les moments) sait mieux que nous ce qui
est bien. Moi je désire spontanément être en bonne santé, mais Dieu a besoin de moi malade à ce moment de
l'histoire, car il a une vue bien plus élargie que la mienne. Moi je veux que cette personne que j'aime même aus -
si, mais Dieu a prévu autre chose pour cette personne et pour moi, et pour cela, il faut qu'elle ne m'aime pas. Il y
a donc deux raisons de collaborer au réel: il est meilleur que ce que je désire (mon désir est une hypothèse sur
ce qui va m'épanouir, et cette hypothèse est généralement fausse) et il est fatal (Epictète et les stoïciens croient
au destin). Comment concevoir le désir comme une hypothèse et non comme une poussée à satisfaire ? Suppo-
sons un élève désirant une formation sur parcoursup et arrivant à ses fins. Un autre élève ne désire pas vraiment
une formation mais s'y résigne. Il se peut qu'interrogé six mois après, celui qui a vu son désir comblé trouve que
cette formation ne lui convient absolument pas tandis que le second ne changerait pour rien au monde. Leurs
désirs et leurs aversions à l'un et à l'autre étaient faux.
Les termes pour dire cette vision du réel que soutient Epictète seront "la providence" et "une vision fina-
liste". "La providence" signifie que tout est pour le mieux dans l'univers, et que le mal est due à une interpréta-
tion étroite des situations qui ne résulte pas à une vision plus élargie. Il faut cependant agir, et non seulement
contempler, car Dieu agit à travers l'action des hommes. "Une vision finaliste", c'est dire que tout, absolument
tout, a un but, un rôle, rien n'est là bêtement et inutilement. Pour Epictète ce n'est pas une foi mais une vision
scientifique des choses (il admet cependant que le sens des détails de la réalité peut nous échapper, mais la
connaissance du sens global suffit).
Il est donc souhaitable de désirer ce que Dieu désire et fait. Mais est ce possible ? Pour Epictète, s'il ne nous
appartient pas de contrôler le monde extérieur, les forces de la nature, les situations sociales enviées, la santé, il
nous appartient de croire ce que l'on sait vrai et de vouloir ce que l'on veut. Il nous appartient donc de quitter les
croyances communes pour les croyances vraies. Il nous appartient aussi de changer nos désirs et de ne pas sim -
plement faire semblant, pour soi et pour les autres, de les changer. En changeant nos manières et penser, et en
décidant fermement de changer nos anciens désirs, on arrive à aimer et à désirer ce que Dieu et la nature
veulent. C'est la voie du détachement, de l'approbation du réel, de la gratitude pour avoir été invité dans cette
vie.
Il y a donc deux parties de la réalité que tout oppose: la partie extérieure de la réalité, belle, car agencée par
Dieu, sur laquelle nous n'avons aucun contrôle. Et d'autre part la réalité intérieure, constituer de la faculté de
croire et de la faculté de vouloir, sur laquelle nous avons un total contrôle, quoique pas toujours immédiate-
ment. Nous devons croire ce qui est vrai et qui s'avère, bien compris toujours beau, et ne pas croire ce qui est
faux ou douteux (Descartes s'est beaucoup inspiré des stoïciens sur ce point là). Du fait que nous voyons, mais
pas toujours immédiatement, la beauté des choses, nous voulons la réalité telle qu'elle est. Nous sommes ainsi
toujours contenté par la réalité, et nous cessons de vouloir la modifier avec nos désirs et nos aversions. Ainsi
tout nous convient et cela même quand nous tombons malade, quand nos proches meurent, quand les personnes
aimées ne nous aiment pas, quand nous sommes injustement opprimés, etc... Comme la liberté c'est n'être en
rien empêché, nous sommes entièrement libres.
Au passage, Epictète insiste pour dire que l'on n'est pas esclave des personnes qui ont autorité sur nous, mais
bien esclave de nos désirs que ces personnes ont le pouvoir de réaliser ou de frustrer. L'empereur est le maître
de la réputation, de la vie et des possessions de tout le monde. Il semble ainsi régner sur tout le monde, en ré-
gnant sur les moyens de réaliser ou de contrarier les désirs de tous. Mais si un sujet de l'empereur est détaché
sur sa vie, sa richesse, sa réputation, aussitôt il est libérer de l'empereur et de tous les maîtres, petits et grands,
qui avaient pouvoir sur lui. La hiérarchie, les autorités, n'existent que pour ceux qui ne sont pas maître de leurs
désirs.
Art = révision de tous les auteurs
Socrate – Popper – les cyniques – Illich – Bergson – Freud – Kant – Austin – Kant
(bis) – Épicure – Rousseau – Nietzsche – Hobbes – Rawls – Marx -Epictète
Socrate :
Socrate qui aime interroger les élites et les ridiculiser en public pour leur ignorance, est en contact des poètes
et des musiciens qui, dans les conceptions de l’époque, sont tenus pour des personnes inspirées habités par les
dieux. Il connaît aussi les artistes de commande que sont les artistes peintres ou sculpteur (ceux qui imitent le
réel), moins valorisés par les conceptions de l’époque, et que l’on range plutôt parmi les artisans.
Il est difficile de savoir ce que Socrate pense des artistes qui font des représentations du réel. Comme ils ne
font pas clairement partie de l’élite nouvelle, et que Socrate ne prend ses cibles que dans l’élite, on ne connaît
pas sa position. Pour ce qui est des artistes inspirés (musique et poésie), il leur reproche surtout de ne pouvoir
expliquer leur pouvoir créateur. Les dieux leur donnent des pouvoirs mais ils ne leur donne pas l’explication de
leurs pouvoirs. Les artistes inspirés ne sont pas aussi près des dieux que cela. Socrate sait qu’il ne sait rien. Il en
sait donc plus que les artistes qui s’enorgueillissent d’une proximité avec les dieux qu’ils n’ont pas vraiment.
S’ils étaient si aimés des dieux, ceux-ci leur auraient expliqués leurs pouvoirs créatifs.
Par ailleurs, les artistes inspirés ont une inspiration inconstante, en dents de scie. S’ils étaient possesseurs de
leurs pouvoirs créatifs, ils ne subiraient pas cette inconstance. Encore une fois, voilà une élite qui s’enorgueillit
de qualité qu’elle n’a pas vraiment. Comme les artistes se perçoivent comme des hommes d’exception, ils s’au-
torisent à proposer des changements radicaux à la société. Ils devraient être plus modestes, et moins innovants.
Popper :
La pensée de Popper sur l’art et les artistes m’est inconnue. Il est simplement contre les sciences alternatives,
les pseudo-sciences, alors qu’elles attirent souvent les artistes. Les artistes aiment transposer leur créativité ar -
tistique dans le domaine des hypothèses scientifiques. Par contre l’esprit artistique goûte peu les longues et exi -
geantes procédures de vérification. Pour Popper, les scientifiques admettent d’être contrariés, c’est-à-dire que
les théories parfois hégémoniques sont finalement fausses. Cette acceptation de la contrariété, de la réfutation
de nos conviction, n’est pas au cœur de l’éthique des artistes.
Cela dit, la démarche artistique fonctionne parfois par essai et erreur. L’artiste a un objectif à atteindre (ob-
jectif qui diffère des objectifs du public non initié), un objectif interne à sa communauté d’artistes partageant
un même genre (graphique, musical, etc..). La communauté et l’artiste lui-même fait des hypothèses sur le
meilleur moyen d’obtenir l’objectif, et par essai et erreur, l’artiste et sa communauté progresse. Une telle ap-
proche où il importe d’accepter ses erreurs et ses demi succès, colle bien à la théorie de Popper. Il y ait question
d’essais et erreurs et non d’inspiration mystique ou de sentiments à communiquer.
Les cyniques :
Les cyniques sont partisans de la vie animale, la vie prévue pour les hommes par la nature, avant que ceux-ci
s’en éloignent et soient corrompus par la société. La critique contre le luxe, englobe une critique de l’art. L’art
est inutile et il crée une dépendance, comme producteurs d’œuvres d’art ou comme consommateurs d’œuvres
d’art. Il faut créer des contre habitudes et réapprendre la vie sans art. Les animaux sont heureux et ils n’ont pas
d’art.
Illich :
je ne connais pas pensée d’Illich sur l’art. C’est cependant quelqu’un qui refuse la dichotomie entre profes -
sionnel et foule des consommateurs. Il rejette cela dans la médecine, dans l’enseignement, dans les moyens de
transport, entre autres. Donc, en ce qui concerne les artistes, il œuvrera pour un art où chacun est créateur et où
l’idolâtrie des grands artistes, des grands professionnels, cesse. Il ne faut pas que les grands professionnels de
l’art accaparent les capacités artistiques et rende le public passif. Illich militera pour une créativité partagée par
tous, ou pour des artistes locaux, dans une logique de circuit court. Il ne faut pas chercher l’artiste rêvé dans la
télévision ou sur internet. L’artiste véritable c’est soi-même ou le petit artiste de scène que l’on va voir en quit -
tant internet et la télévision.
Le danger c’est l’industrie du divertissement qui cherche à créer une dépendance, et qui pour cela investit
d’énormes moyens. Plus il y a de moyens techniques, plus l’écart entre amateurs et professionnels se creuse.
Chacun est alors déçu de ses propres productions, et devient un consommateur passif. De ce point de vue l’in-
dustrie du cinéma ou du jeu vidéo engendre plus de passivité que la littérature ou la peinture.
Bergson :
Bergson a une théorie philosophique de l’art. Pour lui, l’univers n’est pas créer une fois pour toute. Il conti-
nue à se créer, et l’homme a cette vocation. De ce fait les artistes, l’avant-garde la plus créative de l’humanité,
sont les plus pleinement humain. Être humain c’est créer, c’est engendrer un monde nouveau.
Cette tendance à la créativité est combattue par une tendance à la survie. Pour survivre collectivement, les
hommes ont dû développer un conformisme qui leur permet de se coordonner en situation vital comme la
guerre, les épidémies ou la chasse. Le conformisme doit donc être remercié car il a permis la survie des sociétés
humaines. Mais désormais, ce conformisme freine l’émergence de l’originalité, de la créativité. Les premiers
artistes, ont donc été moqués, méprisés, censurés. Leur inaptitude à l’action concrète a été notamment mise en
cause.
L’artiste extériorise ses sentiments par ses œuvres d’art. Il touche les sentiments des spectateurs, les invitant
à être eux-mêmes, à être authentique. L’artiste, en ayant le courage d’être lui-même, donne ce courage pour les
autres personnes. Les artistes sont une avant-garde, et guident les hommes d’une vie conformiste, qui a été utile
mais n’est plus désormais d’actualité, vers une vie authentique.
La vie authentique consiste à percevoir, à l’intérieur de soi et à l’extérieur de soi, ce que sont réellement les
choses, avant de transmettre cette expérience par les œuvres d’art. Dans la vie conformiste, on ne voit pas les
choses et les sentiments tels qu’ils sont, on les voit au travers de filtres imposés par la société et à son avantage.
On classe des choses extérieures, naturelles et artificielles, et on finit par voir ce classement (qui suit les catégo -
ries du langage) à la place des choses elles-mêmes. Pour l’intériorité il en est de même. Notre vie intérieure est
répertoriée, classée, et finalement on se réfère à ce classement (qui suit le langage psychologique) , plutôt que
l’on consulte nos vrais sentiments. L’artiste est le premier à s’émanciper des classements généraux, pour rétablir
les choses extérieures et intérieures, dans leur singularité mouvante (chaque chose est unique et changeante).
L’artiste initie ensuite le public.
Freud :
Freud développe la théorie de la sublimation à propos de la création artistique. Le terme « sublimation »
vient de l’alchimie. Il s’agissait de transformer le plomb en or. Les artistes transforment le plomb de leurs fan-
tasmes inconscients, fantasmes infantiles, sexuels et sadiques, en l’or de grandes œuvres d’art socialement valo-
risés.
Ce dynamisme des pulsions investies dans des fantasmes (des scenarii de réalisation de désirs) explique le
caractère impérieux de la création pour les artistes. Chez Freud, les pulsions sont chargés d’une énergie, la libi-
do, et cette énergie qui est produite en continue par le corps, exige d’être « brûlée », par des pensées, des pa-
roles et des actes. Si on essaye de résister à ce flot de libido sans lui offrir d’exutoire, la libido s’empare du
corps et créer des symptômes qui seront les ultimes exutoires. L’artiste se protège de la maladie et de la folie, en
créant ses œuvres.
Les exutoires aux pulsions, aux fantasmes, à la libido, doivent maintenir la censure. Il faut que ni l’entou -
rage, ni la personne humaine, ne sache quel fantasme inconscient alimente la création d’une œuvre. Cela ex-
plique pourquoi les artistes créent, mais ignorent pourquoi et comment ils créent. Ils n’ont pas d’explication de
leur créativité.
Les artistes ont des fantasmes propres à eux, et des fantasmes universels. Parmi les fantasmes les plus uni -
versels, il y a le complexe d’Œdipe : le désir pour le garçon, de tuer son père et de posséder sexuellement sa
mère. Sophocle, le tragédien antique athénien, a su exprimer ce fantasme universel dans la tragédie Œdipe Roi.
Du fait de cette universalité, un vaste public est touché par cette pièce, sans pouvoir expliqué pourquoi. Les
grandes œuvres d’art seraient des œuvres qui expriment, et expriment bien, ces grands fantasmes universels qui
structure l’esprit humain.
Kant :
Kant place au cœur de la philosophie la science et la morale, et cette dernière surtout. Il a l’intuition qu’il y a
un rapport entre beauté et moralité, mais quel type de rapport ? Peut-être que seuls des gens immoraux peuvent
être de grands artistes ? Peut-être que penser esthétiquement le réel rend insensible à l’immoralité des choses ?
Non, Kant va soutenir que la même disposition d’esprit qui mène à voir la beauté mène à être sensible à la mo -
ralité.
Tout d’abord, Kant est plus sensible à la beauté dans les choses naturelles, qu’à la beauté dans les choses
artistiques. Il voit beaucoup de vanité, d’égocentrisme, dans le milieu de l’art, autant chez les artistes que chez
les possesseurs ou admirateurs d’œuvres d’art.
Voilà comment il conçoit l’expérience de la beauté :
1) j’ai un sentiment d’attrait ou de répulsion vis-à-vis de quelque chose.
2) j’examine, clairement ou confusément mon sentiment. Je me demande si ce sentiment reflète mes besoins
qui sont particuliers, non universalisables, ou s’il reflète mon humanité, quelque chose d’universalisable au sein
de l’espèce humaine. Par exemple si je repère que mon attrait ou ma répulsion reflète juste mes désirs d’adoles -
cent, mâle, français, d’une famille peu fortunée, en quête de loisirs « explosifs », je ne m’attend pas à trouver
un accord chez une grand-mère, du Ghana, riche, épris de calme. Dans le cas où mon sentiment semble moins
particulier, plus universel, j’envisage un accord avec cette grand-père, du Ghana, riche et éprise de calme. Là
j’ai envie de parler de beauté ou de laideur, et non plus de besoins particuliers.
3) supposant que mon attrait ou ma répulsion vienne de mon humanité et non de ma particularité, j’attends
un accord possible avec les autres, quelle que soient leurs différences. Car chacun est à la fois différent et sem-
blablement humain.
4) l’espoir d’un accord sur le beau ou sur le laid, me donne envie de partager, de convaincre. Parfois l’accord
des immédiat. Parfois l’accord émerge après le partage. Parfois l’accord n’a simplement pas lieu. Dans ce der -
nier cas, j’ai le désagrément de découvrir que je n’ai aucun argument, et encore moins de preuve.
Kant parle pour la beauté (et la laideur) d’une universalité sans concept, c’est-à-dire d’une attente d’un ac-
cord universel, sans preuve pouvant contraindre à cet accord. Kant sait qu’il n’y a aucune œuvre qui montrerait
un accord universel statistiquement démontrable. Il ne dit pas que la beauté est ce qui est universellement ap-
précié. Il dit simplement que dans l’expérience de la beauté, chacun se dépouille mentalement de ses particula -
rités et tente d’atteindre l’universel humain en lui.
Le lien entre moralité et beauté est le suivant : dans la moralité chacun se décentre de lui, se met à la place de
tous les autres. La moralité c’est agir selon une règle que l’on croit universalisable : « qu’est-ce qui se passerait
si tout le monde en faisait autant » ou « agit de telle manière que la maxime de ton action puisse également être
une loi universelle de l’humanité ». La beauté fonctionne comme la moralité, elle est un décentrement de mes
particularité au profit de l’universel en moi. La beauté est le symbole de la moralité, selon Kant.
Les gens trop centrés sur leurs besoins particuliers, seraient inaptes à accéder à la beauté. Ils n’aimeront pas
la nature, ou l’aimeront afin de combler leurs petits besoins du moment. De même, une personne trop autocen -
trée n’aimer pas les œuvres d’art, ou les aimera pour combler leurs divers besoins psychologiques. Les grandes
œuvres d’art invitent à un décentrement, à atteindre la couche universelle de nous-mêmes.
Austin :
j’ignore la théorie de l’art de Austin. Cependant, l’art moderne a repris le couple constatif / performatif. Il
s’agissait pour les œuvres d’art de ne plus être cantonnées dans la représentation du réel (le constatif), mais de
s’engager dans l’engendrement du réel (le performatif). Les artistes ne cherche plus à dire la vérité, comme s’y
efforce les scientifiques, mais d’inventer un monde nouveau. Ce monde nouveau ne serait pas cantonné à l’ima-
ginaire, mais il serait une transfiguration efficace et effective du réel. En affirmant « ceci est une œuvre d’art »,
à propos d’un urinoir, Marcel Duchamp reconfigure la catégorie d’œuvre d’art. Ainsi les artistes s’émancipent
de l’impératif de vérité. Ils sont « vrais » non pas en imitant le réel, en surface ou en profondeur, mais en décré -
tant ce qu’ils veulent à propos du réel. Reste pour eux à être entendus et repris. Ainsi un nouveau réel est artifi -
ciellement engendré.
Epicure :
Épicure est pour la vie simple, mais cependant pas la vie animale promue par les cyniques. Il classe les dési -
rs selon trois catégories : les désirs à poursuivre coûte que coûte (désirs naturels et nécessaires), les désirs à
rejeter coûte que coûte (les désirs non naturels) , et les désirs entre deux (les désirs naturels et non nécessaires) ,
à poursuivre avec modération pour la variété, à condition de ne pas engendrer de dépendance.
L’art fait partie des désirs naturels mais non nécessaires, les désirs auxquels on peut goûter avec parcimonie
à condition qu’il ne fasse pas plus de mal que de bien. L’art fait plus de mal que de bien quand, pour y accéder,
il faut travailler avec excès (musée à l’étranger, peinture coûteuse, stage d’initiation à payer, etc.) . Quand l’ac -
cès ou la connaissance de l’art devient l’occasion de comparaisons sociales (l’art = moi, et toi non) potentielle -
ment orageuses avec autrui. Surtout si on a besoin d’une pratique intensive de l’art, où d’un accès intensif aux
œuvres d’art, on va rentrer dans le souci, car réunir toutes les conditions pour accéder à l’art va surpasser ce
qu’on peut effectivement contrôler. Quand nous n’aurons plus accès à l’art, nous serons dans la souffrance. Épi-
cure préconise l’art de l’abstinence brève programmée. On se donne une semaine ou un mois sans art. Si on le
vit bien, on peut revenir à l’art conscient, que, sans lui on demeure heureux. Si on ne supporte pas cette absti -
nence brève, on est devenu « addict », il faut rentrer dans un protocole de détachement.
L’art n’est donc pas nécessaire au bonheur. C’est une chose complexe dont on peut se passer.
Rousseau :
Rousseau a un temps voulu être compositeur de musique. Il a composé quelques morceaux. Il est aussi au-
teur de théâtre, une de ses pièces a été jouée à la cour du roi. Il a aussi conçu un système de notation en mu -
sique. À l’époque on insistait beaucoup sur les règles et sur la raison, en musique et au théâtre. Rousseau pro -
meut plutôt la sensibilité, qu’il associe volontiers aux gens simples, les paysans en premier lieu. Les gens
simples font de l’art populaire dans leurs fêtes, loin de la cour et des salons parisiens. Dans cet art populaire, les
sentiments s’expriment simplement.
Le couple antagoniste « sincérité # hypocrisie » organise toute son approche de l’art. Quand l’art est sophis-
tiqué, qu’il passe par la dissimulation des vrais sentiments, Rousseau s’y oppose. Par exemple, à Genève, les
théâtres étaient interdits. Les autres philosophes des lumières, notamment Diderot et Voltaire, plaidaient pour la
réouverture des théâtres à Genève, ville calviniste qui craignait que l’art corrompe les mœurs. Rousseau, qui
pourtant a fuit Genève et a un temps rejeté son propre calvinisme, va au contraire défendre l’interdiction des
théâtre. Il n’y voir que l’art de jouer ce qu’on n’est pas, autant du côté des comédiens que du côté des specta -
teurs. Il oppose au théâtre, la fête populaire.
À l’époque des artistes sont au service de l’aristocratie et de la bourgeoisie, et ils produisent des œuvres sur
commande, en flattant leurs mécènes. Ils taisent leur conviction propre et feignent d’endosser celles de leurs
commanditaires.
Dans son programme éducatif L’Émile, Rousseau montre comment le précurseur idéal protège aussi long-
temps que possible son élève des œuvres d’art. Émile n’aura qu’un livre : Robinson Crusoé de Defoe. Il s’agit
d’apprendre tout de la nature, comme le fait Robinson, et rien, ou presque, des hommes. Les œuvres d’art n’ap-
prennent rien de bon et de vrai.
L’art est donc, le règne de l’apparence, au détriment de la sincérité. L’artiste s’adapte à ceux qui le payent. Si
on veut trouver un art authentique, il faut le trouver chez les non professionnels, notamment dans les fêtes po -
pulaires, où le plaisir d’être ensemble domine sur le plaisir de la dissimulation des intentions.
Nietzsche :
Nietzsche était autant artiste que philosophe et il écrit singulièrement bien. Son premier livre porte le titre
L’Origine de la Tragédie. Il y parle de la tragédie antique grecque. Il innove sur plusieurs points, notamment en
considérant que la tragédie grecque est déjà sur le déclin à l’époque de Sophocle, Euripide et Eschyle est déjà
sur le déclin par rapport à la Grèce archaïque, dont on ne possède que les œuvres attribuée à Homère, L’Iliade
et L’Odyssée. Par ailleurs, il voit deux sources à l’art grec, la source apollinienne et la source dionysiaque.
Apollon est le dieu sage de la belle apparence. Dionysos est un Dieu fou, et violent. La belle œuvre serait la
synthèse de ces deux influences.
La figure de Dionysos restera omniprésente chez Nietzsche, jusqu’à la fin de sa vie consciente. Il consi -
dère que l’art doit davantage être fou que sage. On passe donc d’une théorie de l’équilibre entre sagesse et folie,
à une théorie qui penche exclusivement vers la folie. Cependant Nietzsche gardera toujours un mépris pour les
œuvres uniquement « déjantées », sans contrôle.
Les œuvres d’art dionysiaques, sont celles qui professent l’absurdité de la vie. Elles ne sont pas morali-
santes, ni pleine d’espérance. C’est justement les attitudes mentales que Nietzsche réprouve. Il rejette aussi l’af-
fliction, la haine du réel et de la vie. Il cherche donc des œuvres qui sont un grand « oui » approbateur à la vie,
sans condition. Il parle de nihilisme affirmatif : il s’agit de proclamer la réalité, la vie n’a aucun sens, tout en
proclamant sa joie de vivre. Dans un jeu chacun sait que ce n’est pas important et cela n’empêche pas de jouer.
Nietzsche ne croit pas à la relativité du goût en art : il y a le bon goût et le mauvais goût. Toutes les
œuvres qui sont chrétiennes d’inspiration dévalorisent la vie, ou ne l’accepte qu’à condition de la doubler d’un
paradis ou d’un progrès sur terre. Toutes les œuvres désespérées et désespérantes montre un attachement mi -
nable à un sens de la vie qu’elles ne voient plus. Pour Nietzsche il faut séparer les œuvres selon qu’elles
donnent un goût à la vie sans besoin de mensonge ou qu’elle dégoûtent de la vie ou bien l’accepte sous condi -
tions.
Dans cette perspective, qu’elle est la place de l’individualité de l’artiste et de celui du spectateur ?
Nietzsche remet volontiers en cause l’individualité, soit parce que nous sommes une conjonction passagère
d’instincts, soit parce que nous sommes un exemplaire transitoire d’une culture ou d’une race. L’individualité
n’est pas réel, et il reproche notamment au christianisme, d’insister sur l’individualité : qui souffre ? L’individu.
Qui est responsable de ses actions ? L’individu. Mais si le christianisme est faux, l’individualité aussi. Sans
individualité, tout devient léger.
Donc derrière les œuvres d’art, il y a des instincts, favorables à la vie ou pas, et des cultures, elles aussi
favorables ou pas. Il n’y a pas derrière les œuvres d’art d’individualité.
Hobbes :
J’ignore la théorie de l’art de Hobbes. Cela dit, Hobbes pense qu’il ne faut aucun contre-pouvoirs. Pour se
faire craindre de tous et ainsi éviter que les hommes ne craignent entre eux, le pouvoir a le droit d’user tous les
moyens efficaces. L’objectif est avant tout d’éviter la guerre civile.
Donc chez Hobbes l’État a le droit de censurer qui il veut en art, et de financer qui il veut en art. L’art sera
un art officiel, ou un art non officiel toléré tant qu’il ne gêne pas. Si les artistes tentent de s’organiser en contre-
culture, l’État a le droit et le devoir d’intervenir. Par ailleurs l’État peut utiliser l’art pour sa propagande.
Hobbes pense que l’homme est une créature de passion (au sens préromantique) plutôt qu’une créature de rai-
son. L’art peut engendrer des perceptions substitutives et provoquer méthodiquement les passions utiles pour
faire craindre l’État et respecter la paix.
La paix collective est en effet bien plus importante que la liberté artistique.
Rawls :
Pour Rawls, le premier principe que tous les hommes choisiraient dans la position originelle, c’est une
société où il y a le maximum de liberté égale pour tous. Chacun veut se préserver les chances de réaliser ses
projets de vie (qu’il ne connaît pas encore dans la position originelle) et pur cela il faut une société qui n’inter -
dit que les projets de vie nuisibles à autrui. Donc ce choix collectif libéral implique la liberté en art, tant en tant
que producteur d’œuvres qu’en tant que consommateur d’œuvres.
Il y a aura juste des interdits pour les œuvres qui font promotion du racisme ou de la pédophilie, par
exemple.
Ensuite les gens acceptent, dans la position originelle, certaines inégalités. Il y aura des gens qui ne seront
pas artistes professionnels et d’autres qui le seront. Il faut cependant qu’il n’y ait pas d’héritiers ni de discrimi -
nation. Tout le monde doit pouvoir essayer d’être artiste professionnel. Il réussira s’il a à la fois du talent et de
la chance. Ensuite que les inégalités de statut dans le monde de l’art soit au profit du groupe le moins favorisé :
les consommateurs d’œuvres d’art, peu fortuné et peu éduqué. En effet, chacun est près à accepter un sort déce -
vant dans le domaine de sa passion que serait l’art, à condition qu’un accès régulier aux œuvres d’art et aux
artistes reste possible. Il faut que ceux qui ne sont pas au sommet de l’art puisse garder un bon espoir de réaliser
le projet de vivre autour de l’art.
Soit ces trois conditions : 1) un art libre, 2) un art où chacun peut envisager de réussir, 3) un art dont les
inégalités de statut bénéficient à ceux dont l’accès aux œuvres et aux artistes est le plus problématique. Un tel
art est juste dans une société juste.
Marx :
Marx oppose le grand artiste qui transmet à son œuvre les caractéristiques de sa personnalité et l’ouvrier à
la chaîne, dont aucun aspect de la personnalité n’apparaît dans le produit fini. Son rêve, c’est que dans une so -
ciété communiste avancée, chacun puisse s’exprimer dans son travail et son œuvre, comme le fait l’artiste.
Cela dit, Marx croit en la mécanisation de la production et il ne croit pas qu’on puisse revenir au temps de
l’artisanat, où chaque travailleur était en partie un artiste. La productivité du travail humain va augmenter grâce
à la mécanisation sans cesse plus poussée que vont mettre en place les très grosses entreprises, relayé par l’État
communiste, après la révolution. Pour la même quantité de bien et de service, un temps toujours plus limité de
travail humain sera nécessaire. Cette réduction du temps de travail humain ne sera pas convertie en chômage
mais en temps de loisirs. Dans ce temps de loisirs, les hommes seront, s’ils le veulent, des artistes amateurs.
Tant que l’État communiste est en lutte contre des États capitalistes ou contre des forces internes capita-
listes, il faut que les artistes servent le régime, qu’ils participent à la propagande du régime. Ils seront du côté
des opprimés, des travailleurs, et œuvreront à les glorifier. L’art doit porter un message progressiste. L’art pour
l’art est une option bourgeoise.
Epictète :
Epictète est un stoïcien, mais il revient en partie à l’origine cynique du stoïcisme. Il a une vie très dénu -
dée, sans toutefois remettre en question l’ordre social de son temps. Selon lui, chacun sert l’univers en servant
sa société. On sert sa société en accomplissant bien son rôle social, là où l’univers nous a placé. Personne ne
choisit son statut social et ses caractéristiques innées. Il faut faire avec, pour le bien de la société et le bien de
l’univers.
Un accès régulier aux œuvres d’art et aux artistes peut constituer ou pas, un aspect de mon rôle social. Si
c’est mon lot, à moi de bien jouer mon rôle. Si mon lot c’est ne pas avoir accès à l’art dans ma vie, à moi de
bien jouer mon rôle, sans le mettre en cause.
Il ne faut pas exiger et se plaindre. Il faut prendre les choses comme elles viennent, conscient qu’il y a un
pilote, une intelligence qui circule partout et que cette intelligence fait mieux les choses que moi-même je ne les
ferrais à sa place.
L’art contribue à la société et à l’univers, mais à égalité avec de nombreuses pratiques, de nombreux mé-
tiers.
5)
Citations des auteurs.
SOCRATE : le plus sage d’entre vous, c’est celui qui, comme Socrate, reconnaît que sa sagesse n’est rien.
L'Apologie de Socrate écrit par Platon
POPPER :« Une théorie qui n'est réfutable par aucun évènement qui se puisse concevoir est dépourvue
de caractère scientifique. » Conjectures et réfutations de Popper.
LES CYNIQUES :« A Athènes, on appelait Diogène "Diogène-le-chien" car il léchait le visage de ceux qui
lui offraient à manger, aboyait contre ceux qui ne lui donnaient rien et mordait ceux qui l'insultaient. » Sen-
tences des philosophes illustre écrit par Diogène Laërce
ILLICH : “Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil.” Une Société sans École d’Ivan Illich

BERGSON : « Nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent: la pensée demeure in-
commensurable avec le langage. » Bergson, Sur les données immédiates de la conscience
FREUD : « Le moi n'est pas maître dans sa propre maison ». Introduction à la psychanalyse.
KANT : “ le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent
aux choses comme une détermination objective ” Critique De La Raison Pure
AUSTIN : Voici des exemples d’énoncés performatifs :« Je jure de dire la vérité », « Je te baptise », « Je
parie sur ce cheval », « Je t'ordonne de sortir », « Je vous promets de venir ». Quand dire, C’est faire de John
Austin

KANT : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme
principe d’une législation universelle » Prolégomènes à la métaphysique des mœurs de Kant
EPICURE : « Les dieux ne sont pas à craindre ; la mort n’est rien pour nous ; le bonheur est facile à se
procurer, la souffrance est facile à supporter . » Tetrapharmakon
ROUSSEAU : « A quoi bon chercher notre bonheur dans l'opinion d'autrui si nous pouvons le trouver
en nous-mêmes ?".Discours sur les sciences et les arts de Jean-Jacques Rousseau
NIETZSCHE : "Qu'est-ce qui est bon ? Tout ce qui élève en l'homme le sentiment de la puissance [...]
Qu'est-ce qui est mauvais ? Tout ce qui provient de la faiblesse." L'antéchrist de Nietzsche

MARX : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » L'idéologie allemande de Marx
RAWLS : “nous ne méritons pas notre place dans la répartition des dons à la naissance, pas plus que
nous ne méritons notre point de départ initial dans la société” Théorie de la justice de Rawls
HOBBES : « L’homme est un loup pour l’homme » De Cive de Hobbes
EPICTETE : “Ce n'est pas par la satisfaction du désir que s'obtient la liberté, mais par la destruction
du désir.” Le manuel d’Épictète

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