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LA NOUVELLE DROITE ET LE NAZISME.

RETOUR SUR UN DÉBAT


HISTORIOGRAPHIQUE

Stéphane François

L'Harmattan | « Revue Française d'Histoire des Idées Politiques »

2017/2 N° 46 | pages 93 à 115


ISSN 1266-7862
ISBN 9782343136066
Article disponible en ligne à l'adresse :
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politiques-2017-2-page-93.htm
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VARIA

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par Stéphane François*

Pionnière du combat identitaire en France, qu’elle a contribué


à théoriser, mais aussi à diffuser (un nombre non négligeable de
cadres identitaires actuels en sont issus), la Nouvelle Droite fut
DFFXVpHjOD¿QGHVDQQpHVG¶rWUHXQHPDFKLQHjUHF\FOHU
les thèses nazies, voire d’être une expression savante du néona-
zisme. En effet, la question des rapports, ou liens, supposés entre
la Nouvelle Droite et le nazisme et son avatar, le néonazisme, est un
thème qui réapparaît de manière récurrente chez ceux qui analysent
la Nouvelle Droite. Celui-ci revient régulièrement depuis les années
1970, à la fois parmi ses observateurs, universitaires ou militants
antifascistes, et parmi les membres d’autres tendances de l’extrême
droite. Nous proposons donc de revenir sur ce débat.
/HVSUHPLHUVjV¶rWUHSHQFKpVFLHQWL¿TXHPHQWVXUFHWWHTXHV-
tion furent les historiens Alain Schnapp et Jesper Svenbro en 1980
dans un article intitulé « Du nazisme à Nouvelle École : repère

*
Université de Valenciennes/GSRL (EPHE).
94 / RFHIP n° 46 – VARIA

sur la prétendue Nouvelle Droite »1. Il fut suivi en 1981 par l’ar-
ticle de Pierre-André Taguieff, « L’héritage nazi. Des nouvelles
droites européennes à la littérature niant le génocide »2, puis par
toute une série de textes militants dont il serait fastidieux de faire
l’inventaire dans le présent article. Cependant, nous devons préci-
ser que cette interrogation, bien qu’elle fût intéressante, n’attira
que peu de chercheurs. Mais surtout, les avis étaient partagés.
$LQVL3LHUUH0LO]DDI¿UPDLWO¶H[LVWHQFHGHFHOLHQHQGDQV
son essai sur Les Fascismes3, un point de vue partagé par Anne-
Marie Duranton-Crabol dans l’ouvrage tiré de sa thèse, Visages de
la Nouvelle Droite. Le GRECE et son histoire4, mais récusé dès
1983 par Raymond Aron :
« Sur l’ensemble, sur les idées inspiratrices de la politique, Alain
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de Benoist rappelle irrésistiblement les fascistes ou les nationaux-
socialistes (je ne l’accuse pas d’être l’un d’eux, je dis qu’il pense
souvent de la même manière qu’eux). »5
D’ailleurs, dans un premier temps, en 1972, Raymond Aron a
approuvé la démarche novatrice de la Nouvelle Droite, en particu-
lier de Nouvelle École, avant de soupçonner le GRECE d’antisémi-
tisme et d’émettre des doutes. Malgré tout, nous devons reconnaître
que ces démonstrations sont parfois loin d’être probantes. Nous
tenterons de faire le point sur ce débat.

1
Alain Schnapp et Jesper Svenbro, « Du nazisme à Nouvelle École : repère
sur la prétendue Nouvelle Droite », Quaderni di Storia, no 11, juin-juillet 1980,
p. 107-119.
2
Pierre-André Taguieff, « L’héritage nazi. Des Nouvelles droites européennes à
la littérature niant le génocide », Les Nouveaux Cahiers, no 64, printemps 1981,
p. 3-22.
3
Pierre Milza, Les Fascismes, Seuil, collection « Points », 1991.
4
Anne-Marie Duranton-Crabol, Visages de la Nouvelle Droite. Le G.R.E.C.E.
et son histoire, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques,
1988, p. 82 et p. 117-119.
5
Raymond Aron, 0pPRLUHVDQVGHUpÀH[LRQSROLWLTXH, Paris, Julliard, 1983,
p. 701.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 95

/H*5(&(VHVRULJLQHVHWOHQDWLRQDOVRFLDOLVPH

Dès le début des années 1970, certains acteurs de l’extrême droite


insistèrent eux-mêmes sur cet aspect, entérinant de facto cette idée.
Ainsi, le solidariste Michel Schneider a pu parler, à propos d’un
centre d’été du GRECE, d’une « formation national-socialiste » :
« Les cours magistraux portèrent sur les sujets suivants :
archéo-nationalisme et nationalisme d’aujourd’hui, le réalisme
biologique, l’anthropologie philosophique, Nietzsche contre
Marx, les systèmes économiques actuels et l’économie organique,
6RFLpWpHWFRPPXQDXWp5DFHHWKLVWRLUHGHO¶(XURSH>«@(Q
résumé, une formation nationale-socialiste de haute école desti-
QpHjIRUPHUGHVLQGLYLGXVG¶pOLWH>«@ª6
Cela tendrait donc à montrer une continuité, entérinée par le fait
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que des contacts avec d’anciens nazis furent noués à cette époque.
'¶DQFLHQV66DOOHPDQGV¿JXUHQW RX¿JXUDLHQW±FHUWDLQVD\DQW
été enlevés au fur et à mesure des évolutions idéologiques d’Alain
de Benoist) dans la liste du comité de patronage de la revue théo-
rique de la Nouvelle Droite, Nouvelle École : notamment, Franz
Altheim et Herbert Jankuhn. Le premier, un historien de renom
il est vrai, fut un collaborateur de Heinrich Himmler ; le second,
un archéologue, fut chargé par Himmler et Sievers, le responsable
de l’Ahnenerbe Institut (« L’héritage des ancêtres »), l’institut de
recherche de la SS, de faire des raids archéologiques en territoires
RFFXSpVHQSDUWLFXOLHUVXUOHIURQWGHO¶(VW'¶DXWUHV¿JXUqUHQW
dans ce comité de patronage : Ilse Schwidetzky et Hans Reinerth,
PDLVVXUWRXW+DQV).*QWKHUO¶XQHGHV¿JXUHVLPSRUWDQWHV
des milieux völkichHWUDFLRORJXHQRUGLFLVWHRI¿FLHOGX7URLVLqPH
Reich, qui participa à Nouvelle École jusqu’à son décès en 1969.
Des liens d’amitié furent aussi noués à titre personnel : Alain

6
Cité in Joseph Algazy, L’Extrême droite en France (1965 à 1984), Paris,
L’Harmattan, 1989, p. 152.
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de Benoist fut l’ami de l’historienne unitarienne Sigrid Hunke,


compagne de route du GRECE7. Hunke, si elle n’adhéra au parti
national-socialiste qu’en 1937, lorsqu’il fut de nouveau possible
de devenir membre du NSDAP, appartint à la direction de la
Ligue des étudiants nationaux-socialistes (Nationalsozialistischen
Studentenbunde). Elle participa aussi aux activités de l’Ahnenerbe
et elle publia des articles de nature raciologique et nordiciste dans
sa revue Germanien. Violemment antichrétienne, païenne8, elle
VH¿WFRQQDvWUHHQSDUODSXEOLFDWLRQG¶XQRXYUDJHEuropas
andere Religion: Die Überwindung der religiösen Krise9. Dans ce
OLYUHHOOHUHSULWXQHLGpHIRUJpHSDUOD66ORUVGHVRQFRQÀLWRXYHUW
avec les Églises, en particulier catholique, qui faisait de celle-ci une
religion sanguinaire, torturant et versant le sang des hérétiques, ces
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derniers devenant a contrario des défenseurs de la vraie religion de
l’Europe, c’est-à-dire à la fois ethnique et païenne. Au-delà de cela,
comme ses amis grécistes, elle défendait une vision différentialiste
et païenne des cultures et civilisations, et voyait dans le judéo-chris-
tianisme un risque d’acculturation, et donc de destruction de parti-
cularismes et d’identités. Elle promouvait en retour une forme de
pensée identitaire, insistant sur le respect des particularismes ethni-
co-religieux et défendant l’identité européenne10.

7
Michel Marmin, « Note liminaire », in Collectif, Liber amicorum Alain de
Benoist, Paris, Les Amis d’Alain de Benoist, 2004, p. 7.
8
Sur les thèses de Sigrid Hunke, cf. Horst Junginger, « Sigrid Hunke: Europe’s
new Religion and its Old Stereotypes », http://homepages.uni-tuebingen.de/
gerd.simon/hunke.htm. (consulté le 01/01/2013.). Il s’agit du texte d’une inter-
vention à un atelier de travail organisé par l’université de Tübingen en 1997 :
« Neo-Paganism, “voelkische Religion” and Antisemitism II: The Religious
Roots of Stereotypes ».
9
Sigrid Hunke, Europas andere Religion: Die Überwindung der religiösen Krise,
Vienne et Düsseldorf, Econ Verlag, 1969.
10
Sigrid Hunke, « Kampf um Europas religiöse Identität », in Pierre Krebs (éd.),
Mut zur Identität. Alternativen zum Prinzip der Gleichheit, Struckum, 1988,
p. 75-104.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 97

(OOHHXWXQHLQÀXHQFHQRQQpJOLJHDEOHPDLVGLVFUqWHDXVHLQ
du GRECE. L’un de ses livres, La Vraie religion de l’Europe11, fut
traduit et publié en 1985 par le Livre-club du Labyrinthe, la maison
d’édition de celui-ci. En outre, elle participa, à partir de 1986, aux
activités du Thule Seminar du franco-allemand Pierre Krebs, païen
militant, ex-membre du GRECE, théoricien identitaire dont les
idées sont proches du national-socialisme12. Alain de Benoist lui
rendit hommage en 1999 lors de son décès dans un article intitulé
« Sigrid Hunke : Elle avait retrouvé la vraie religion de l’Europe »13.
Il existe donc bien des liens, mais la nature de ceux-ci reste globale-
ment obscure comme le fait remarquer Pierre-André Taguieff, l’un
des meilleurs connaisseurs de la Nouvelle Droite :
« Je n’ai jamais réussi à savoir, par exemple, quels types de
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contacts Alain de Benoist avait eu avec tel ancien collaborateur
de Goebbels en Amérique du Sud, pourquoi et quand il est devenu
membre de la Northern League dirigée par l’idéologue raciste
Roger Pearson, ligue véritablement néo-nazie, quels avaient été
précisément ses rapports avec le Nouvel Ordre Européen (NOE)
fondé en 1951 par les nazis René Binet et Gaston-Armand
Amaudruz, puisqu’il était “docteur en biologie honoris causa” de
l’Institut supérieur des sciences psychosomatiques, biologiques et

11
Sigrid Hunke, La Vraie religion de l’Europe. La foi des « hérétiques », Paris,
Livre-club du Labyrinthe, 1985.
12
Pierre Krebs défend un « ethno-socialisme », antimatérialiste, fondé sur
le « réalisme biologique », c’est-à-dire sur le racisme biologique théorisé par
Dominique Venner dans les années 1960, lors de l’aventure d’Europe-Action.
Dans une conférence datant de 2013, il se pose en éveilleur « de l’âme de notre
race et [en gardien] de son sang » HWDI¿UPHTXH© La révolution identitaire
– son nom l’indique – sera d’abord une révolution du Sang et du Sol [souligné
par lui]. Le Sang est l’alpha de la vie d’un Peuple et de sa culture mais il peut
devenir aussi l’omega de sa dégénérescence et de sa mort si le peuple ne respecte
plus les lois naturelles de son homogénéité. Le sol est le corps spatial du Sang
dont il importe de circonscrire les frontières et d’assurer la protection. », cf.,
3LHUUH.UHEV©/¶DYqQHPHQWGHO¶HWKQRVRFLDOLVPHªKWWS¿HUWHVHXURSHHQQHV
hautetfort.com/tag/pierre+krebs. Consulté le 14/06/2016.
13
Alain de Benoist, « Sigrid Hunke : Elle avait retrouvé la vraie religion de
l’Europe », Éléments, no 96, novembre 1999, p. 39-40.
98 / RFHIP n° 46 – VARIA

raciales de Montréal, créé à Barcelone en 1969 par les dirigeants


du NOE, quand et pourquoi il avait rompu avec ces milieux,
etc. »14
Comme le très raciste Amaudruz15, qui se présentait lui-même
comme un ancien de la division Charlemagne, les dirigeants de
cet « institut » étaient tous d’anciens de la fameuse unité SS de
volontaires français : les « raciologues » Jacques de Mahieu16
(mais dont l’appartenance à la division Charlemagne est plus
qu’hypothétique) et René Binet, l’auteur en 1950 d’une Théorie du
racisme17TXLLQÀXHQoDOHPRXYHPHQW(XURSH$FWLRQGXGpIXQW
Dominique Venner. Cette piste ouverte ne fut, malheureusement,
jamais exploitée entièrement. Concernant l’autre personne impor-
tante mentionnée par Pierre-André Taguieff, Roger Pearson, il
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s’agit d’un raciologue nordiciste et eugéniste britannique. Il fonda
en 1957 à Londres la Northern League (Ligue nordique). Il s’agit
GRQFG¶XQH¿JXUHLPSRUWDQWHGHO¶H[WUrPHGURLWHUDFLDOLVWHTXLIXW
non seulement le responsable de la Northern League, mais aussi
celui du Council on American Affairs, ainsi que celui de la World
Anti-Communist League, cette dernière structure recyclant d’an-
ciens nazis, tel le SS Otto Skorzeny, ou des fascistes comme Horia
6LPD3HDUVRQIXWHQHQ¿QOHIRQGDWHXUHQGXJournal of
Indo-European Studies, devenu depuis une revue de référence
dans le domaine des études indo-européennes. Son objectif était

14
Pierre-André Taguieff, « Le chercheur, l’extrême droite et les sciences sociales :
entretien avec Pierre-André Taguieff », in Sylvain Crépon & Sébastien Mosbah-
Natanson (dir.), Les Sciences sociales au prisme de l’extrême droite, Paris,
L’Harmattan, 2008, p. 52-53.
15
Sur Gaston-Armand Amaudruz et ses idées, voir Damir Skenderovic & Luc
van Dongen, « Gaston-Armand Amaudruz, pivot et passeur européen », in Olivier
Dard (dir.), Doctrinaire, vulgarisateurs et passeurs des droites radicales au ਘਘe
siècle (Europe-Amériques), Berne, Peter Lang, 2012, p. 211-230.
16
Stéphane François, « Un raciologue argentin entre racisme biologique et
“histoire mystérieuse” : Jacques de Mahieu », Politica Hermetica, 2012,
p. 123-132.
17
René Binet, Théorie du racisme, Paris, Les Wikings, 1950.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 99

d’« unir les intérêts, l’amitié et la solidarité de toutes les nations


germaniques »18. Dans les années 1950, presque tous les groupes
nazis européens étaient d’une façon ou d’une autre en rapport avec
FHWWHOLJXH6HVEXWVpWDLHQWGp¿QLVGHODIDoRQVXLYDQWH
©>«@0HQHUWRXVOHVSHXSOHVRULJLQDLUHVGXQRUGGHO¶(XURSHHW
qui sont disséminés dans le monde à une compréhension effective
GHOHXUKpULWDJHFRPPXQ>«@>«@FRPEDWWUHODPHQDFHTXL
pèse du dehors sur notre héritage biologique et culturel : les
forces “égalitaires” du communisme et du cosmopolitisme,
soutenues par une population étrangère toujours croissante,
PHQDFHQWGHIDLUHGLVSDUDvWUHQRVSHXSOHVHWQRWUHFXOWXUH>«@
>«@FRPEDWWUHO¶LQVLGLHXVHGpFDGHQFHELRORJLTXHHWFXOWXUHOOH
GHO¶LQWpULHXUFDXVpHG¶XQHSDUWSDUO¶LPPLJUDWLRQ>«@G¶DXWUH
SDUWSDUOHVLGpHVGHVWUXFWULFHVVRLGLVDQW³SURJUHVVLVWHV´>«@ª19
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'HVPHPEUHVGX*5(&(¿UHQWSDUWLHGHOD1RUWKHUQ/HDJXH
dont Alain de Benoist, et participèrent à certains de ses colloques
ou à des manifestations organisées par des structures satellites dans
les années 1970. Il y eut même des publicités pour la revue de
la Northern League, The Northlander, dans Nouvelle École. En
RXWUHXQQRPEUHVLJQL¿FDWLIGHPHPEUHVGXFRPLWpGHSDWURQDJH
de la revue néodroitière étaient également membres de la Northern
League.

8QHDVVLPLODWLRQDXQD]LVPHjUHODWLYLVHU

De fait, une partie du discours néodroitier, en particulier celui


des premières années, peut paraître être en effet comme une
simple résurgence du nazisme : élitisme, biologisme, racialisme
et référence aux Indo-Européens. D’autant plus que certains, tel
l’indo-européaniste Jean Haudry, se référeront constamment à

18
Michael Billig, L’Internationale raciste. De la psychologie à la « science des
races », Paris, Maspero, 1981, p. 57.
19
Cité in Pierre-André Taguieff, « La stratégie culturelle de la “Nouvelle Droite”
en France (1968-1983) », in Robert Badinter (dir.), Vous avez dit fascismes ?, Paris,
$UWKDXG0RQWDOED˪S
100 / RFHIP n° 46 – VARIA

l’idéologie blubo des nazis, ainsi qu’à Günther considéré comme


une référence dans le domaine des questions indo-européennes20,
et continuellement réédité par les milieux de l’extrême droite la
plus radicale. Cette vision est en outre renforcée par le fait que le
GRECE eut en son sein des membres qui furent des néonazis, voire
d’autres qui sont (ou furent) encore proches des positions nazies,
tel Pierre Vial : son groupuscule, Terre et Peuple, a réédité en 2012
un ouvrage de Gottfried Feder, l’un des fondateurs du parti nazi
et mentor de Hitler en matière économique, Critique nationale-ré-
volutionnaire du capitalisme spéculatif21. Pour d’autres, au sein de
ODPrPHPRXYDQFHFHODHVWSOXVGLI¿FLOHjFHUQHU&¶HVWOHFDVSDU
exemple de Jean Mabire, qui, lors de son passage à L’Esprit public
(entre 1962 et 1965), présentait le nazisme comme une forme de
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romantisme22.
Mabire fut proche des idées völkisch, tout en se distinguant du
nazisme. Il ne cacha jamais son intérêt pour le « paganisme » völk-
isch et écrivit un grand nombre d’ouvrages, alimentaires mais assez
complaisants vis-à-vis du national-socialisme, dédouanant les SS
français des crimes de l’Ordre noir23. D’autre part, dans les années
1960, il se considérait comme proche des idéaux nazis, comme il le
reconnut lui-même plus tard : « Pendant quelques années, je me suis
OLYUpFRUSVHWkPHjFHUWDLQHVIRUPXOHVTXHMHQHUHQLHSDV FRPPH
beaucoup d’autres). Et dans une langue que je ne parlais pas, me
contentant de mots de passe : Gottglaubisch, Weltanchauung, Blut

20
Jean Haudry, Les Indo-Européens, Saint-Jean-des-Vignes, Éditions de la forêt,
2010. Première édition, Puf, « Que sais-je », 1981.
21
Gottfried Feder, Critique nationale-révolutionnaire du capitalisme spéculatif,
Forcalquier, Éditions de la forêt, 2012.
22
Sur le cas de Jean Mabire et plus largement de la Nouvelle Droite, cf. Nicolas
Lebourg et Jonathan Préda, « Le front de l’Est et l’extrême droite radicale fran-
çaise : propagande collaborationniste, lieu de mémoire et fabrique idéologique »,
in Olivier Dard (dir.), Références et thèmes des droites radicales au ਘਘe siècle
(Europe/Amériques), Bern, Peter Lang, 2014, p. 101-138.
23
Ibid., p. 110-111.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 101

und Boden, Ahnenerbe »24. Par contre, dès cette décennie, para-
doxalement, il prenait de la distance vis-à-vis de cette idéologie :
« Je suis trop vieux pour m’amuser des puérilités de ces hitlé-
romanes qui collectionnent les boutons d’uniformes de la
Wehrmacht ou de vieux numéros de Signal-¶DLSDVVpO¶kJHGHV
culottes courtes, des brassards et des baudriers, des dévotions
quotidiennes et vespérales devant le portrait des chefs historiques
et autres exercices favoris de ces nazis britanniques que nous a
révélé la télévision. Les groupes folkloriques m’intéressent fort
peu en ce domaine et s’assoir en rond autour d’un phonographe
pour écouter des discours gutturaux sur des disques rayés vieux
GHWUHQWHDQVPHSDUDvWXQH[HUFLFHSOXVSURFKH>GX@URPDQWLTXH
que de l’action révolutionnaire. »25
Mais dans le même texte, il se réfère à l’idéologie Blubo : « je
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SUpIqUH,VUDsOHWVD¿GpOLWpDX[ORLVGXVDQJIUDWHUQHOHWGXVRO
retrouvé »26… De fait, il semblerait plutôt que Jean Mabire fût un
nostalgique des idéaux völkisch prénazis.
Il est vrai qu’une partie des néodroitiers, et non pas l’intégralité
d’entre eux, se sont sentis proches de la SS, surtout française, plus
que du nazisme en général, en particulier dans la frange identitaire,
völkisch, de la Nouvelle Droite. Certains anciens SS français Robert
Dun (pseudonyme de Maurice Martin), Henri Fenet, Yves Jeanne,
Pierre Bousquet participèrent à un moment ou un autre de leur vie
post-Seconde Guerre mondiale aux publications et/ou aux activités
de la Nouvelle Droite. Ces liens sont particulièrement visibles avec
Marc Augier, connu sous le nom de plume de Saint-Loup, notam-
ment lors de l’hommage rendu à sa mort. Dans Rencontres avec
Saint-Loup27, un ouvrage collectif publié en 1991, différents cadres

24
Jean Mabire, « Itinéraire païen », in Collectif, Païens !, Saint-Jean-des-Vignes,
Éditions de la forêt, 2001, p. 110.
25
Jean Mabire, « Pourquoi je ne suis pas fasciste », Magazine des Amis de Jean
Mabire, no 38, équinoxe de printemps 2013, p. 17. Première parution L’Esprit
public, septembre 1963.
26
Ibid., p. 19.
27
Collectif, Rencontres avec Saint-Loup, Paris, Les Amis de Saint-Loup, 1991.
102 / RFHIP n° 46 – VARIA

de première importance de la Nouvelle Droite comme Philippe


Conrad, Jean-Claude Valla, Michel Marmin, Pierre Vial, Bernard
/XJDQVXUSULUHQWOHVREVHUYDWHXUVSDUOHXU©IHUYHXUDI¿FKpHHQ
1991 pour les valeurs SS »28. L’un des participants, Pierre Vial en
l’occurrence, l’un des fondateurs du groupuscule identitaire Terre
et Peuple, reconnut dans son intervention que Saint-Loup était à
l’origine de son paganisme, très enraciné et ethniste du « sol et du
sang »29. Selon Jean-Yves Camus et René Monzat, l’itinéraire de
Saint-Loup
« est hautement symbolique du destin d’une génération.
L’hommage qui lui fut rendu à sa mort dans Rencontres avec
Saint-Loup par trois générations de militants (anciens SS : Henri
Fenet, Robert Dun ou collaborateurs : Goulven Pennaod, Savitri
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Devi ; fondateurs du GRECE : Philippe Conrad, Jean Mabire,
Jean-Jacques Mourreau, Jean-Claude Valla, Michel Marmin,
Pierre Vial ; et jeunes militants du FN, d’Europe-Jeunesse et de
Troisième Voie) témoigne de son rôle de père spirituel et intel-
lectuel de nombre de cadres du GRECE, et de ce qu’aujourd’hui
des militants, formés à l’écoute de ceux qui luttèrent pour une
Europe nazie, considèrent leur combat politique comme la suite
et le prolongement de celui de la SS. »30
Même Alain de Benoist, sous le pseudonyme de Fabrice
Laroche, défendit Saint-Loup dans les années 1960 dans les
colonnes d’Europe-Action31. En 2001, il reprenait dans Éléments
l’idée de Saint-Loup d’une SS « organisation oppositionnelle » à
l’hitlérisme (alors qu’en réalité la SS se voulait la garante de l’idéo-
logie nazie)32. En 2005, il le considérait comme un auteur assez

28
Jean-Yves Camus et René Monzat, Les Droites nationales et radicales en
France, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 396.
29
Ibid., p. 396.
30
Ibid., p. 68.
31
Fabrice Laroche, « Notre monde », Europe-Action, no 36, décembre 1965, p. 9.
Alain de Benoist, « Les paradoxes de la collaboration », Éléments, no 100,
32

mars 2001, p. 43.


La Nouvelle Droite et le nazisme / 103

important pour lui consacrer une notice dans sa Bibliographie des


droites françaises33. Et en 2010, il écrivait :
« la vérité oblige à dire que cet «hérétique” ne devint un maudit
TX¶DSUqVVDPRUW>«@6HVRXYUDJHVGHODGHUQLqUHSpULRGHFHOOH
du cycle des “patries charnelles”, ont en revanche quelque chose
de forcé : Saint-Loup y manifeste des ambitions “doctrinales” qui
Q¶pWDLHQW¿QDOHPHQWSDVGDQVVDQDWXUH$XPRLQVFHVSRUWLIFHW
aventurier et ce guerrier eut-il le mérite de se prononcer toute sa
vie durant pour une “Europe des peuples”, qui ne s’était jamais
confondue pour lui avec l’hégémonie allemande. Ses appels à la
formation de petites communautés idéales (La peau de l’auroch,
La république du Mont-Blanc) valent moins pour leur apologie
naïve des “lois naturelles” que par le vitalisme qu’on voit s’y
exprimer face à la médiocrité des hommes et à la violence des
éléments. »34
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De fait, c’est le côté völkisch de sa pensée qui attira la première
génération de néodroitiers. Il la développa dans une tribune parue en
1976 dans la revue Défense de l’Occident35. Saint-Loup y concevait
l’Europe comme une entité supranationale différentialiste, respec-
tant les pratiques culturelles de régions ou de provinces à l’iden-
tité forte, une idée que nous retrouvons dans la Nouvelle Droite.
Dans la mouvance extrémiste de droite, il est également célébré
comme celui qui transmit l’héritage « païen » (en fait l’idéologie
völkisch du « sang et du sol ») de la SS ainsi que le régionalisme
ethniste d’une frange de cette même SS aux générations militantes
de l’après-guerre.
Un autre SS français, Robert Dun, fut lui aussi proche durant
un temps de la Nouvelle Droite. Il publia d’ailleurs un livre

33
Alain de Benoist, Bibliographie des droites françaises, vol. IV, Paris, Dualpha,
2005, p. 675-692.
34
Alain de Benoist, « Relecture de Saint-Loup », Éléments, no 137, octobre-no-
vembre 2010, p. 9.
35
Saint-Loup, « Une Europe des patries charnelles », Défense de l’Occident
nº 136, mars 1976, p. 72-73 cité in René Monzat et Jean-Yves Camus, Les Droites
nationales et radicales en France, op. cit., p. 68.
104 / RFHIP n° 46 – VARIA

au Livre-club du Labyrinthe, une traduction d’Ainsi parlait


Zarathoustra de Nietzsche36'XQLQÀXHQoDVXUWRXWODIUDQJHOD
plus völkisch de celle-ci, en particulier Terre et Peuple de Pierre
Vial, Jean Haudry et Jean Mabire. Toutefois, ce compagnonnage
ne se limita pas à ces anciens SS. La Nouvelle Droite eut aussi des
liens avec certains anciens collaborateurs et/ou néonazis notoires,
tel Goulven Pennaod, de son vrai nom Georges Pinault. Ce dernier
assuma ses positions national-socialistes et régionalistes. Il fut aussi
un chargé d’enseignement de la linguistique celtique à l’université
de Lyon III. Il publia dans Nouvelle École et dans Études indo-
européennes, la revue de Jean Haudry. Surtout, il dirigea une revue,
Devenir européen, ouvertement « ethniste-socialiste », fondée avec
l’ex-SS de la division Charlemagne Yves Jeanne, et qui vit la colla-
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boration d’autres anciens SS français comme Robert Dun.
Au milieu des années 1980, la Nouvelle Droite eut des relations
assez poussées avec la librairie Ogmios, spécialisée dans les publi-
cations national-socialistes et antisémites au travers de sa maison
d’édition Avalon. Cette librairie était l’aspect le plus visible d’une
équipe militante proche à la fois de néonazis, d’anciens SS37, et
de la Nouvelle Droite. En effet, cette librairie fut fondée en 1986
par des proches de la tendance néopaïenne de la Nouvelle Droite.
Elle fut l’un des pôles les plus dynamiques de l’extrême droite
néopaïenne et fut dirigée par Trystan Mordrel. Ce dernier est un ex
gréciste (il collabora dans les années 1970 et 1980 à Éléments), l’un
GHVFRIRQGDWHXUVGHODIHXLOOHFRQ¿GHQWLHOOHQpJDWLRQQLVWHL’Autre
histoire6XUWRXWLOHVWOH¿OVGXPLOLWDQWEUHWRQ2OLHU0RUGUHOXQ
régionaliste racialiste qui fut proche durant la guerre du IIIe Reich,
et, après celle-ci, de l’écrivain folkiste Jean Mabire. Nous retrou-
vons aussi dans l’une et l’autre structures l’écrivain négationniste et

36
Robert Dun (traduction et commentaires de), Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait
Zarathoustra, Paris, Livre-club du Labyrinthe, 1983.
Ainsi, Robert Dun y signa en 1986 la traduction du Mythe du ਘਘe siècle d’Alfred
37

Rosenberg sous le pseudonyme d’Adler von Scholle.


La Nouvelle Droite et le nazisme / 105

néonazi Olivier Mathieu, imposé au cercle « Études et recherches »


du GRECE par Alain de Benoist selon Robert Steuckers38. Certains
QpRSDwHQVQRUGLFLVWHVIUpTXHQWqUHQWDXVVLOHVGHX[VWUXFWXUHV(Q¿Q
Alain de Benoist préfaça longuement (60 pages) en 1987 un ouvrage
publié par Avalon, Les Exploits chevaleresques de Messire Goetz
de Berlichingen à la main de fer écrits par lui-même'H%HQRLVW¿W
d’ailleurs la même année, un voyage en Iran avec Trystan Mordrel.
/DSROpPLTXHGHOD¿OLDWLRQGHOD1RXYHOOH'URLWHHWGXQDWLR-
nal-socialisme fut aussi alimentée enfin par l’utilisation très
récurrente dans les publications de la Nouvelle Droite d’œuvres
artistiques nazies, en particulier des statues d’Arno Breker et/ou de
peintures völkisch, entérinant l’idée d’une fascination pour l’art de
FHUpJLPH$OODQWGDQVFHVHQVLOVHPEOHUDLWHQ¿QTX¶HQ$ODLQ
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de Benoist ait publié, sous le pseudonyme de Mortimer Davidson
– mais l’affaire n’est pas encore éclaircie –, un ouvrage en plusieurs
volumes sur l’art du IIIe Reich, Kunst in Deutschland 1933-194539,
chez Grabert Verlag, soulevant de nouveau des suspicions de néona-
zisme, car cet éditeur est très connu pour ses publications révi-
sionnistes et apologétiques du IIIe Reich. En effet, cette maison
d’édition fut fondée par l’ancien nazi Herbert Grabert, un néopaïen
qui travailla pour Alfred Rosenberg. Depuis le décès du fondateur
HQFHWWHPDLVRQG¶pGLWLRQDpWpUHSULVHSDUVRQ¿OVTXLFRQWLQXH
avec une ligne éditoriale similaire. Malgré cet inventaire à charge,
il n’est pas possible de considérer que la nouvelle droite fut une
RI¿FLQHQD]LHFDUFRPPHOHUHFRQQDvW+HQU\5RXVVR
« La nouveauté tient à ce que les intellectuels du GRECE ou
dans sa mouvance, loin de renouveler l’expérience de la “science
nazie”, ont tenté, dans un tout autre contexte, de faire lien avec des
DYDQFpHVVFLHQWL¿TXHVUpHOOHVHWUHFRQQXHV>«@(QH[WUDSRODQW

38
Robert Steuckers, « L’apport de Guillaume Faye à la “Nouvelle Droite” et petite
histoire de son éviction », http://robertsteuckers.blogspot.com/2012/01/lapport-
de-guillaume-faye-la-nouvelle.html. Consulté le 26 février 2012.
39
Mortimer G. Davidson, Kunst in Deutschland 1933-1945. Eine wissenschaftli-
che Enzyklopädie der Kunst im Dritten Reich, Tübingen, Grabert Verlag, 1991.
106 / RFHIP n° 46 – VARIA

des découvertes scientifiques importantes, ils cherchent à


remettre sur pied l’idée d’un “peuple indo-européen” originel,
euphémisme pour désigner l’existence d’une “race originelle”. »40
Surtout la nouvelle droite n’a jamais fait, à l’exception de
quelques-uns de ses membres, dans l’antisémitisme métaphysique
et délirant qui caractérise le national-socialisme41. Par contre, elle
a eu dans les années 1970, comme point commun avec le nazisme
un discours raciste42 consubstantiel d’une volonté incessante d’amé-
liorer la race43.

8QHUHODWLRQFRPSOH[HHQWUHODQRXYHOOHGURLWHHWOHQD]LVPH

Des commentateurs ont pu parler à ce sujet d’« entreprise de


recyclage » des vieilles idées racistes de l’extrême droite, en parti-
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culier des thèses raciales et eugénistes du début du එඑe siècle, dont
certaines, il faut le souligner, ont été élaborées par des médecins
juifs44SRVDQWXQHFHUWDLQHGLI¿FXOWpjOHVFODVVHUGDQVOHVFDWpJR-
ULHVGHVVFLHQWL¿TXHVQD]LVRXGHVWKpRULFLHQVGXQDWLRQDOVRFLD-
lisme. En se référant à ces positions, les premiers théoriciens de
la nouvelle droite se plaçaient dans la continuité des eugénistes et

40
Henry Rousso, Le Dossier Lyon III. Rapport sur le racisme et le négationnisme
à l’université Jean Moulin, Paris, Fayard, 2004, p. 63-64 et 66.
41
Sur ce point, voir Johann Chapoutot, La Loi du sang. Penser et agir en nazi,
Paris, Gallimard, 2014.
42
Cf. Stéphane François, Au-delà des vents du Nord. L’extrême droite française,
le Pôle nord et les Indo-Européens, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2014.
43
Johann Chapoutot écrit d’ailleurs à ce sujet : « Le racisme est en effet érigé
par le Parti, puis par l’État nationaux-socialistes, au rang d’ “heuristique”
universelle. Jamais le terme de vision du monde (Weltanchauung) n’a été plus
adéquat) ». Johann Chapoutot, « National-socialisme », in Pierre-André Taguieff,
Dictionnaire historique et critique du racisme, Paris, Presses universitaires de
France, 2013, p. 1219.
44
Cf. Benoît Massin, « Préface aux deux volumes », in Paul Weindling, L’Hygiène
raciale et eugénisme médical en Allemagne. 1870-1933, Paris, La Découverte,
1998, p. 52-53.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 107

des raciologues de la première moitié du එඑe siècle dont les thèses


furent reprises partiellement et de façon déformée par les nazis. En
ce sens, les néodroitiers ne sont pas des disciples, ou des continua-
teurs, de la politique raciale nazie.
De fait, les néodroitiers se placent également dans une autre
¿OLDWLRQLQWHOOHFWXHOOHG¶RULJLQHDQJORVD[RQQHHWQRQSOXVDOOH-
mande, des théoriciens de l’eugénisme, du darwinisme social,
de la sociobiologie et de la psychologie dite évolutionniste. Ils se
SODFHQWDXVVLGDQVOD¿OLDWLRQGHO¶DQWKURSRORJLHSK\VLTXH F¶HVWj
dire raciale) anglo-saxonne. Ainsi, l’une de leurs références en ce
domaine fut l’anthropologue Carleton S. Coon (il fut président de
O¶$VVRFLDWLRQDPpULFDLQHG¶DQWKURSRORJLHSK\VLTXH TXL¿WSDUWLHGX
comité de patronage de Nouvelle École jusqu’à son décès en 1981.
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Ces penseurs anglo-saxons ont cherché, dans la première moitié du
එඑe siècle à séparer l’idée de race du racisme. Ils ont entrepris de
sauver l’étude de la première tout en combattant le second. Ce fut
le cas de l’anthropologue américaine Ruth Benedict qui défendit
dans les années 1940 les études de la race. Celle-ci, dans Race and
Racism, publié pour la première fois en 1942, y écrivait que la race
HVWXQHFODVVL¿FDWLRQEDVpHVXUGHVWUDLWVKpUpGLWDLUHVFRQVWLWXDQW
XQGRPDLQHGHUHFKHUFKHVFLHQWL¿TXHWDQGLVTXHOHUDFLVPHHVWXQ
GRJPHFRQWUDLUHjWRXWHGpPRQVWUDWLRQVFLHQWL¿TXH
L’un des apports de la nouvelle droite fut de faire la synthèse
entre le racialisme du début du එඑe siècle, notamment dans sa
composante psychologique, et l’eugénisme, qu’elle contribua à sortir
du discrédit dans lequel il était depuis 1945, distinct du racialisme,
théorisé par des médecins et psychologues libéraux conservateurs
comme Hans Eysenck, un Allemand naturalisé Britannique à la
suite de l’avènement du régime nazi, qui soutenait l’infériorité
intellectuelle des populations noires. Comme l’ont montré Benoît
Massin et André Pichot, l’eugénisme est né et s’est développé dans
108 / RFHIP n° 46 – VARIA

les milieux libéraux45, de gauche comme de droite, dans des démo-


craties (États-Unis, Grande-Bretagne, Suède), avec pour objectif
l’amélioration de la race. Par conséquent, des personnes pouvaient,
dans les années 1930, se dire « antiracistes », combattre le racisme
nazi et faire la promotion de l’eugénisme et/ou de l’inégalitarisme
racial. En effet, l’« eugénisme positif », esquissé par Francis Galton
et développé dans les années 1900, se proposait d’améliorer les
qualités héréditaires d’une population par le choix des meilleurs
« procréateurs », et cela à chaque génération. De fait, en ce qui
concerne cette question, les néodroitiers s’appuient sur des réfé-
rences souvent empruntées au monde anglo-saxon qui n’ont rien
à voir avec le fascisme d’avant-guerre, mais qui sont au contraire
plutôt proches de certaines pensées de droite d’avant 1914.
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La question des relations entre le nazisme et la nouvelle droite
est donc complexe. Elle l’est d’autant plus que les néodroitiers, à
l’exception de quelques individus, n’ont jamais fait explicitement
l’éloge du régime nazi ou de Hitler, au contraire des groupes ouver-
tement néonazis, même s’ils réutilisèrent des idées/thèses formu-
lées par certains nazis… Ainsi, au pire moment des règlements de
compte entre Robert Steuckers et Alain de Benoist, le premier n’a
jamais accusé le second de nazisme, mais éreinte au contraire le
journaliste René Monzat46 :
« L’anti-fasciste professionnel sans profession bien établie, l’inef-
fable “René Monzat”, a eu beau jeu de dénoncer cette bimbelo-
terie dans Le Monde, le 3 juillet 1993. Ce triste garçon, dont la
jugeote n’a certainement pas la fulgurance pour qualité princi-
pale, concluait au “nazisme fondamental” du GRECE, parce de
Benoist, qui n’est ni un nazi, ni rien d’autre que lui-même, rien

45
Benoît Massin, « Préface », in Paul Weindling, L’Hygiène raciale, op. cit.,
p. 40-44 ; André Pichot, Aux Origines des théories raciales. De la Bible à
Darwin, Paris, Flammarion, 2008.
46
René Monzat est l’auteur d’un ouvrage qui éreinte la nouvelle droite, la consi-
dérant comme l’héritière du national-socialisme : Enquête sur la droite extrême,
Paris, Le Monde éditions, 1992.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 109

d’autre que sa propre égoïté narcissique, s’était copieusement


“sucré” en vendant des “tours de Yule” en terre cuite – modèle
SS himmlérien – à ses ouailles, en multipliant le prix de base de
son grossiste allemand par dix. »47
Par contre, des néodroitiers se réfèrent fréquemment à des
personnes qui furent des nazis, mais dont la qualité des travaux
a largement dépassé le cadre restreint du microcosme nazi ou
néonazi comme le juriste Carl Schmitt, le sculpteur Arno Breker,
ou la réalisatrice Leni Riefenstahl, à l’exception notable de Hans
).*QWKHUTXLUHVWDFRQ¿QpGDQVFHPLFURFRVPH
La principale référence intellectuelle de la nouvelle droite à
FRPSWHUGHOD¿QGHVDQQpHVUHVWHOD©5pYROXWLRQFRQVHUYD-
trice » allemande dont est issu le nazisme, qu’Alain de Benoist a
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fait connaître en France en 199048, avec une collection dirigée chez
un éditeur radical, Pardès, entre 1990 et 199349, après avoir traduit

47
Robert Steuckers, « Les pistes manquées de la “Nouvelle Droite”. Pour une
critique constructive », http://robertsteuckers.blogspot.com/2011/11/pistes-
manquees-de-la-nouvelle-droite.html. Consulté le 26 février 2012.
48
Sur cet intérêt, voir son témoignage, « La Révolution conservatrice en France »,
http://www.alaindebenoist.com/pdf/la_revolution_conservatrice_en_france.pdf,
consulté le 30/11/2013.
49
Alain de Benoist a notamment fait traduire en français le livre important d’Ar-
min Mohler, La Révolution conservatrice en Allemagne (1918-1932), Puiseaux,
Pardès, 1993. Parmi les autres auteurs traduits, nous trouvons Carl Schmitt (Du
politique. « Légalité et légitimité » et autres textes politiques), Ernst Niekisch
(Hitler –Une fatalité allemande et autres récits nationaux-bolcheviks), Arthur
Moeller van den Bruck (La Révolution des peuples jeunes), Werner Sombart
(Le socialisme allemand) et une étude sur Heidegger (Silvio Vietta, Heidegger.
Critique du national-socialisme et de la technique). Par la suite, Benoist fera
traduire, chez d’autres éditeurs (Krisis, Les Amis d’Alain de Benoist), des textes
de Schmitt (0DFKLDYHO&ODXVHZLW]'URLWHWSROLWLTXHIDFHDX[Gp¿VGHO¶KLV-
toire, 2007 ; Guerre discriminatoire et logique des grands espaces, 2011), un
ouvrage de Friedrich-Georg Jünger (Les Titans et les dieux. Mythes grecs, 2013)
et publiera en 2014 un essai, 4XDWUH¿JXUHVGHOD5pYROXWLRQ&RQVHUYDWULFH
allemande. Werner Sombart, Arthur Moeller van den Bruck, Ernst Niekisch,
Oswald Spengler.
110 / RFHIP n° 46 – VARIA

Spengler dès 198050 et Carl Schmitt en 198551. De fait, à partir de


1980, la nouvelle droite a consacré une énorme production litté-
raire (articles, livres, brochures) aux différents aspects, courants
et acteurs de cette « Révolution conservatrice ». Le premier article
de Benoist sur cette thématique date de 1977, avec un texte sur
Friedrich Georg Jünger, paru dans Éléments52, suivi en 1979 d’un
autre sur Thomas Mann53. Depuis cette époque, la revue scienti-
¿TXHGHOD1RXYHOOH'URLWHNouvelle École a consacré des numéros
à Martin Heidegger (1982), à Carl Schmitt (1987), à Ernst Jünger
(1995), à Oswald Spengler (2010-2011), sans compter des articles
sur ce sujet disséminés dans les différents volumes. Nous pourrions
faire le même exercice avec la revue d’Alain de Benoist, Krisis,
créée en 1988. De fait, comme l’écrit Olivier Dard, « la “Révolution
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conservatrice” est sans doute une des inspirations majeures du
discours néo-droitier de ces dernières années »54. La nouvelle droite
¿WEHDXFRXSSRXUIDLUHFRQQDvWUHFHFRXUDQWLQWHOOHFWXHODXUHVWHGH
l’extrême droite française55, à l’exception des nationalistes-révolu-
tionnaires qui lisaient déjà quelques auteurs de celle-ci depuis les
années 1970.

50
Oswald Spengler, Années décisives, Paris, Copernic, 1980 ; Écrits historiques
et philosophiques, Paris, Copernic, 1982.
51
Carl Schmitt, Terre et mer, Paris, Le Labyrinthe, 1985.
52
Alain de Benoist, « Friedrich Georg Jünger », Éléments, no 23, automne 1977,
p. 19-20.
53
Alain de Benoist, « Un “révolutionnaire conservateur” : Thomas Mann », Le
Figaro Magazine, 10 mars 1979, p. 74-75.
54
Olivier Dard, « Contribution à l’étude des réceptions françaises de la
“Révolution conservatrice” allemande : l’exemple de la douvelle droite », in
Pierre Béhar, Françoise Lartillot & Uwe Pushner (dir.), Médiation et conviction.
Mélanges offerts à Michel Grunewald, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 64.
55
Voir Michael Böhm, « Alain de Benoist, premier révolutionnaire-conservateur
authentique », in Thibault Isabel (dir.), Liber amicorum 2 Alain de Benoist, Paris,
Les Amis d’Alain de Benoist, 2014, p. 29-43. Si le texte est ouvertement hagiogra-
phique, il n’en reste pas moins très intéressant sur le parcours d’Alain de Benoist.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 111

L’« inventeur » de la « Révolution conservatrice » allemande,


le Suisse Armin Mohler56, devint d’ailleurs un ami proche d’Alain
de Benoist dans les années 1970 et Benoist écrivit dans la revue
de Mohler, Criticon, cofondée avec Caspar von Schrenck-Notzing.
De Benoist devint aussi l’ami d’un héritier direct de la « Révolution
FRQVHUYDWULFHªO¶HWKQRDQDUFKLVWH+HQQLJ(LFKEHUJTXL¿QLWSDUVH
positionner idéologiquement à l’extrême gauche57, et qui, ultérieu-
rement et paradoxalement, se mit à contester la validité du concept
de « Révolution conservatrice »58. De fait, la thématique révolu-
tionnaire-conservatrice apparut, y compris dans sa variante völk-
isch, dans les publications grécistes au début des années 1980, pour
devenir une référence théorique importante durant cette décennie59 :
selon Alain de Benoist, le recours à cette nébuleuse allemande des
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années 1930 permet « de conjuguer libération nationale et révolu-
tion nationale dans une optique identitaire, sans tomber pour autant
dans le biologisme sommaire du racisme nazi »60. Du fait de cet
intérêt, certains universitaires américains virent dans la Nouvelle

56
Armin Mohler, La Révolution conservatrice en Allemagne (1918-1932), op. cit.
Pour une critique de ce concept, cf. Stefan Breuer, Anatomie de la Révolution
conservatrice, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1996.
Cf. Stéphane François, La Modernité en procès. Éléments d’un refus du monde
57

moderne, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2013, p. 88-89.


58
Henning Eichberg, « Der Unsinn des “Konservativen Revolution”. Uber
Ideengeschichte, Nationalismus und Habitus », Wir Selbst. Zeitschrift für natio-
nale Identität, no 1, 1996, p. 5-33.
59
Sur cette importance théorique, voir aussi Stéphane François, Les
Néo-paganismes et la Nouvelle Droite. Pour une autre approche (1981-2006),
Milan, Archè, 2008, p. 66-67. Voir aussi Jean-Yves Camus, « Nouvelle droite »,
in Pierre-André Taguieff (dir.), Dictionnaire historique et critique du racisme,
3DULV3UHVVHVXQLYHUVLWDLUHVGH)UDQFHSYRLUHQ¿Q.XUW/HQN
Günther Meuter & Henrique Ricardo Otten, Les Maîtres à penser de la Nouvelle
Droite, Montréal, Liber, 2014.
60
Olivier Dard, « Contribution à l’étude des réceptions françaises de la
“Révolution conservatrice” allemande : l’exemple de la douvelle droite », op.
cit., p. 72.
112 / RFHIP n° 46 – VARIA

Droite une continuité du mouvement allemand, tel Elliot Neaman61.


Ce point de vue est d’ailleurs partagé par des proches du principal
intéressé62.
&HSHQGDQWXQDQFLHQJUpFLVWH¿JXUHLPSRUWDQWHGHVSUHPLqUHV
années de cette école de pensée63 et vulgarisateur, auprès des
grécistes de la première génération, des auteurs de la « Révolution
conservatrice », le journaliste italien Giorgio Locchi a pu dire que
celle-ci n’était rien sans le nazisme64, que le national-socialisme en
était une partie intégrante65. Mais il est vrai que Locchi avait des
sympathies pour le nazisme et promouvait l’idée, déjà identitaire,
d’un empire européen blanc, aux peuples ethniquement proches et
« liés par le sang », pour reprendre son expression. Il faut également
garder à l’esprit que Mohler chercha à s’engager dans la SS – il fut
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refusé – durant la guerre, avant de devenir dans les années 1950 le
secrétaire d’Ernst Jünger. Le débat n’est donc pas clos.

61
Elliot Neaman, « A New Conservative Revolution? Neo-nationalism,
&ROOHFWLYH0HPRU\DQGWKH1HZ5LJKWLQ*HUPDQ\VLQFH8QL¿FDWLRQªLQ:HUQHU
Bergmann, Rainer Herb & Hermann Kurthen (éd.), Antisemitism and Xenophobia
LQ*HUPDQ\DIWHU8QL¿FDWLRQ, Oxford/New York, Oxford University Press, 1997,
p. 191-194.
62
Voir Michael Böhm, « Alain de Benoist, premier révolutionnaire-conservateur
authentique » art. cit., et dans le même ouvrage, Luc Pauwels, « La révolution
conservatrice », in Thibault Isabel (dir.), Liber amicorum 2 Alain de Benoist,
Paris, Les Amis d’Alain de Benoist, 2014, p. 259-298.
63
Il a, par exemple, co-écrit avec Alain de Benoist, le fameux numéro de
Nouvelle École sur « L’Amérique » (no 27-28, hiver 1975-1976) sous le pseudo-
nyme d’Hans-Jürgen Nigra. Il a aussi largement rédigé les numéros sur Wagner
(Nouvelle École, no 30, 1976 et no 31-32, 1978). Plus largement, il a participé aux
WUHQWHSUHPLHUVQXPpURVGHFHWWHUHYXH HQWUHHW ,ODHXXQHLQÀXHQFH
intellectuelle sur Alain de Benoist, Pierre Vial, Robert Steuckers, Guillaume Faye
HW3LHUUH.UHEVDYDQWGHVHEURXLOOHUDYHFOHSUHPLHUDXVXMHWGHO¶DI¿UPDWLRQ
ethnique et de l’ethnopluralisme au début des années 1980, et de s’éloigner du
GRECE.
64
Giorgio Locchi, L’Essenza del fascismo, La Spezia, Il Tridente, 1981, p. 60.
65
Cette idée était déjà présente chez Edmond Vermeil, dans son Doctrinaires
de la révolution conservatrice allemande 1918-1938, Paris, Nouvelles Editions
Latines, 1948.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 113

&RQFOXVLRQ

Nous devons garder à l’esprit que les thèses grécistes ont été
reprises par des milieux fort éloignés de ses positions idéologiques :
un certain nombre de thèmes développés par la Nouvelle Droite ont
été retraduits, radicalisés et réutilisés par des groupuscules d’ex-
trême droite, notamment néonazis, dans une optique différente, ou
opposée, de celle du GRECE, comme le reconnaît Pierre-André
Taguieff :
« Si, à bien des égards, le modèle du “néo-racisme” culturel et
différentialiste permet d’éclairer l’argumentation de la “Nouvelle
droite” jusqu’au milieu des années 1980s, il convient d’insister
sur un processus souvent observé en histoire des idées : les repré-
sentations et les arguments forgés par le GRECE dans les années
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1970 lui ont progressivement échappé, étant repris, retraduits et
exploités par des mouvements politiques rejetant l’essentiel de sa
“vision du monde”. Il s’agit donc d’éviter d’attribuer au GRECE
les avatars idéologiques et politiques de certaines composantes de
son discours, et plus particulièrement de son discours des années
1970. »66
8QHDXWUHGLI¿FXOWpSRXUOHFKHUFKHXUUpVLGHGDQVOHIDLWTXH
les discours néodroitiers ont été réutilisés/recyclés par différents
groupuscules nordicistes occidentaux contemporains. Des grou-
puscules qui ne partagent pas pour autant, bien au contraire, la
vision du monde de la Nouvelle Droite. La récupération et la défor-
mation des idées grécistes sont particulièrement visibles dans le
cas des nationalistes-révolutionnaires et des identitaires. Ainsi, le
magazine identitaire et néonazi, racialiste et antisémite, 5pÀpFKLU
et Agir, dont les animateurs se considèrent comme les disciples de
Saint-Loup et de Terre et Peuple des anciens grécistes Pierre Vial,
-HDQ0DELUH GpFpGpHQ HW-HDQ+DXGU\DI¿UPHIDLUHSDUWLH
de la « Nouvelle Droite païenne »67. Nous ne pouvons donc pas

66
Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite, op. cit., p. VIII.
67
5pÀpFKLUHW$JLU, nº 14, printemps 2003, p. 57.
114 / RFHIP n° 46 – VARIA

considérer la nouvelle droite dans son ensemble comme relevant


du néonazisme, ni qu’elle est une résurgence de celui-ci. Ainsi,
3LHUUH0LO]DFRQWUDLUHPHQWjFHTX¶LODI¿UPDLWHQHVWLPH
actuellement que le discours de la nouvelle droite des années 1980
n’est pas une nouvelle version « plus ou moins aseptisée du natio-
nal-socialisme ». En effet,
« Les éléments de référence, écrit-il, ne manquent pas : une
conception de l’histoire reliée au mythe aryen, un néo-paganisme
rejetant l’héritage judéo-chrétien, une raciologie fondée à la fois
sur l’anthropologie physique, la “psychologie des peuples” et la
théorie des “génies créateurs de civilisations”, l’attachement au
passé nordique de l’Europe, à l’esthétique wagnérienne, à un
hellénisme repensé par la culture allemande (la statuaire d’Arno
Breker occupe une place de choix dans le “musée imaginaire”
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de la Nouvelle Droite), etc. : tout cela est présent dans les deux
cultures politiques, mais avec des différences d’intensité et
d’intentionnalité telles qu’il serait inexact et injuste de réduire
la pensée néo-droitière de cette époque à une résurgence du
nazisme parée des oripeaux de la respectabilité. »68
La nouvelle droite se place, outre la filiation « révolution-
naire-conservatrice », plutôt dans celle de l’anthropologie raciale
anglo-saxonne : ses militants se réfèrent à un courant à la fois
progressiste et inégalitaire de l’ethnologie développé en Occident
au එංඑe siècle, comme l’a mis en évidence Michael Billig dans un
ouvrage important, L’Internationale raciste. De la psychologie à
la « science des races », paru en 198169. Selon lui, Nouvelle École
était « fermement mariée à la tradition de la science de la race et
GHODSROLWLTXHGHODUDFH>HWPpODQJH@OHVYLHLOOHVWUDGLWLRQVGHOD
science de la race (incluant Günther et autres théoriciens nazis)
avec celle des héritiers actuels de Galton »70. Cette question du

68
Pierre Milza, L’Europe en chemise noire. Les extrêmes droites européennes
de 1945 à aujourd’hui, Paris, Fayard, 2002, p. 206.
69
Michael Billig, L’Internationale raciste, op. cit.
70
Ibid., p. 125.
La Nouvelle Droite et le nazisme / 115

racialisme est très importante car elle marquera profondément la


vision qu’auront par la suite les observateurs de la nouvelle droite,
mais aussi certains militants d’extrême droite. En effet, celle-ci a
du mal à se débarrasser de l’image de théoriciens racialistes. Pour
une raison légitime, d’ailleurs : le racialisme est encore défendu
par certains dissidents (Faye, Vial, Haudry notamment). Pourtant,
les références national-socialistes ont progressivement disparu de
la nouvelle droite, à l’exception notable de la tendance identitaire,
nordiciste et néopaïenne, que nous avons appelé ailleurs « folk-
iste »71. Elles se retrouvent par exemple chez Pierre Krebs, actuel
compagnon de route du groupuscule identitaire Terre et peuple.
Krebs édite tous les ans un petit almanach, très luxueux, à l’esthé-
tique très national-socialiste : runes, soleil noir SS, représentations
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de divinités germano-scandinaves et celtes, photos de statues de
Breker, photos de nazis et d’identitaires comme Pierre Vial, etc.
Au-delà de la question néodroitière, le nordicisme reste une réfé-
rence importante constante de l’extrême droite, des néodroitiers
proches des courants dits identitaires aux néonazis.

71
Cf. Stéphane François, Au-delà des vents du Nord, op. cit.

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