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Pierre-Louis Gali

Afghanistan, la guerre sans fin ?


Afghanistan : 650.000 km². 36M hab. Etat multiethnique comptant des Pachtounes (40-50%) qui s'étendent
dans le Sud et l’Est, des Tadjiks au Nord-Est, des Turkmènes et Ouzbeks au Nord-Ouest, ainsi que des
Aymaks dans l’Ouest, des Hazaras chiites dans le Centre, et une minorité baloutche au Sud. La région
afghane a toujours été une zone géostratégique majeure, à la croisée des mondes perses, trucs, indiens, dont
l’intérêt s’affirme surtout lors du « Grand Jeu ». Les rivalités géopolitiques en Asie centrale qui opposent la
Russie tsariste et l’Empire britannique conduisent à la constitution de l’Afghanistan comme entité politique,
fin XIXème : un Etat-tampon inféodé à la diplomatie britannique, et séparé de l’Empire des Indes par la
ligne Durand. Ce n’est qu’en 1919 qu’il deviendra indépendant. A partir de 1979, l’Afghanistan devient le
théâtre de guerres successives, engagé dans un engrenage mortifère par lequel chaque guerre entraîne la
suivante.

A. La guerre contre les envahisseurs soviétiques, 1979 – 1992 : Coup d'Etat communiste d’avril 1978
emmené par le PDPA (Parti démocratique populaire d’Afghanistan) de Nour Mohammed Taraki, contre la
jeune République, encore en construction, qui a défait la Monarchie afghane (1973). Le régime de Taraki est
déstabilisé et menacé par des soldats mutins dans l’Ouest, soutenus par la jeune théocratie iranienne. Il est
également menacé par le « programme afghan » de la CIA, lancé à l’été 1979 pour structurer et former
l’opposition moudjahidine, en collaboration avec l’intelligence pakistanaise, chargée de la logistique et de
l’entraînement des moudjahidines en territoire pakistanais. Ces moudjahidines sont pour l’essentiel des
pachtounes, islamistes. Le régime peine à s’implanter en raison de la radicalité du leader communiste Taraki,
qui est assassiné en septembre 1979 sur ordre soviétique. Pour sauver le communisme afghan de cet
extrémisme, les forces soviétiques fomentent un coup d’Etat en décembre 1979, qui porte l’opposant
historique de Taraki au sein du PDPA, Babrak Karmal. Les forces soviétiques – 100.000 hommes –
s’emparent des points stratégiques et des grandes villes. L’armée afghane se disloque : une moitié se plie au
désarmement imposé par l’envahisseur ; l’autre s’engage dans la résistance et gagne les montagnes pour y
rejoindre les moudjahidines. A partir de l’invasion soviétique, le « programme afghan » de la CIA
commence les livraisons d’armes, en transit par le Pakistan et distribués dans l’Est afghan via Peshawar. La
résistance est ainsi armée, et logistiquement établie dans les zones tribales pakistanaises. Les groupes
moudjahidines restent segmentés par ethnie, avec des soutiens et des doctrines divers : le Jamiat-e-Islami de
Ahmed Massoud, composé de Tadjiks, n’est pas soutenu par le Pakistan et se détache des autres groupes par
sa modération ; les mouvements composés d’Hazaras – chiites – sont soutenus par l’Iran. Les financements
américains de la CIA n’auraient ainsi constitué que le quart des financements étrangers de la résistance
moudjahidine, s’adressant particulièrement au pachtoune Hekmatyar, fer de lance des services pakistanais et
de la CIA.
Pour les Soviétiques, la guerre se trouve être un bourbier militaire, comme l’a été le Vietnam pour les
Américains, mutatis mutandis. Les autochtones conservent le contrôle sur les campagnes par leur maîtrise
des techniques de guérilla et des méthodes (contre-)insurrectionnelles, importées d’Indochine française.
Dans l’incapacité de l’emporter militairement, Gorbatchev annonce le retrait de ses troupes en 1988.
L’Armée rouge aura complètement quitté le territoire en 1989. Cette guerre aura fait 5M de réfugiés hors du
pays.

B. Guerres civiles et victoire des talibans, 1992 – 2001 : Après le départ soviétique, le gouvernement
communiste se trouve seul engagé dans la lutte contre les moudjahidines, bien que ceux-ci montrent déjà des
dissensions entre islamistes intégristes, derrière Hekmatyar, et les modérés du Jamiat-e-Islami. La chute de
l’URSS ampute les aides financières accordées à Kaboul, qui permettaient au régime de financer son armée
contre la rébellion. Dépassé, le régime communiste s’effondre au printemps 1992 sous la pression des
insurgés coalisés dirigés par Massoud. Après la prise de Kaboul, les rebelles vainqueurs s’accordent pour
former un gouvernement provisoire – représentant les différents groupes et donc les différentes ethnies. A
l’exception de la mouvance intégriste de Hekmatyar, qui s’inscrit immédiatement en dissidence des autres
mouvements rebelles. C’est le début de la guerre civile. Au deux parties prenantes initiales – gouvernement
intérimaire de Massoud et dissidence intégriste de Hekmatyar – va bientôt s’ajouter une troisième : un
mouvement spontané d’étudiants pachtounes en théologie, issus des madrassas – écoles coraniques – de la
province de Kandahar (Sud), défenseurs d’une application totale de la charia. C’est ce mouvement qui
émerge en 1994 que l’on appellera « Taliban ». Soutenus par l’Arabie saoudite puis le Pakistan, ce sont ces
fondamentalistes qui s’emparent de Kaboul et instaurent leur pouvoir à partir de 1996.

Dès 1996, la guerre civile se poursuit entre le pouvoir taliban, et l’ancienne coalition moudjahidine qui se
reforme autour de Massoud dans l’Alliance du Nord. Hekmatyar, effacé, se rallie implicitement aux
Talibans. Ceux-ci contrôlent la quasi-totalité du pays, à l’exception du Nord-Est, le territoire tadjik originelle
de Massoud et des insurgés de l’Alliance du Nord. Le régime des Talibans va alors accueillir, et soutenir des
organisations terroristes, notamment dans les zones tribales de l’Est – à la frontière avec le Waziristan
pakistanais. A commencer par les réseaux Al-Qaida de Oussama Ben Laden. Quelques poncifs à éviter :
- Non, la CIA n’a pas financé les Talibans, qui n’existent pas encore lors du « programme afghan »
(1979 – 1992). Certes, certains éléments des forces intégristes de Hekmatyar, soutenus par les Etats-
Unis pendant la guerre contre les Soviétiques, rallieront les Talibans, mais sont minoritaires.
- Non la CIA n’a pas financé Oussama Ben Laden. Déployé au Pakistan et dans les zones tribales
frontalières (i.e Waziristan) au début des années 1980, il est d’abord chargé d’allouer les fonds
saoudiens à la résistance afghane d’obédience wahhabite. Il forme ensuite des légions arabes,
recrutant des volontaires dans le monde arabe pour mener le jihad en Afghanistan.

C. L'intervention des Etats-Unis – OTAN, 2001 – 2014 : Les attentats du 11 septembre changent la donne.
Les Américains lancent un ultimatum aux Talibans pour procéder à l’extradition de Ben Laden. Ils sont
appuyés par la résolution n°1333 du Conseil de sécurité, qui exige cette extradition. Face au refus afghan, et
alors que les affrontements font rage entre Talibans et Alliance du Nord, les Américains lancent l’opération
« Liberté immuable » dès octobre 2001, avec l’appui de troupes britanniques et de l’assistance logistique
française. En cinq semaines, les talibans sont renversés et repoussés vers Kandahar, tandis que la percée de
l’Alliance du Nord emmène les Tadjiks à Kaboul. C’est dans ce contexte militaire qu’est engagée la FIAS
(Force internationale d’assistance et de sécurité), sous l’égide de l’OTAN, et mandatée par la résolution
n°1386 du Conseil de sécurité de l’ONU, en décembre 2001. Un gouvernement transitionnel est mis en
place, sous la présidence de Hamid Karzai, mais il ne contrôle guère plus que Kaboul. Le conflit s’étend
bientôt au Pakistan, quand les talibans investissent les zones tribales frontalières du Waziristan, à partir de
2005 – 2006. On entend alors parler dans l’administration américaine d’une zone « AfPak » pour désigner
les régions montagneuses et tribales qui s’étendent le long de la ligne Durand. Riche de la culture du pavot,
et donc du trafic d’opium (60% de la production mondiale), la guérilla talibane se montre difficile à
combattre, notamment dans les zones montagneuses de l’Est, où elle rencontre d’importants succès. On
pense notamment à l’embuscade de la vallée de l’Uzbin, en août 2008, qui entraîne la mort de 21 Français
engagés dans la FIAS. Avec une situation mitigée sur le plan militaire et une instabilité chronique, les forces
de l’OTAN établissent dès 2010 leur volonté d’un retrait au plus tard en 2014.

D. La dernière guerre d’Afghanistan ? : Avec le départ de la FIAS, seule reste la jeune République
afghane et ses nouvelles forces armées, ainsi que 13.000 militaires et conseillers de l’OTAN au sein de la
mission d’assistance et de conseil « Resolute Support » à partir de 2015. La guerre se poursuit, avec un
appui aérien américain conséquent sur les zones talibanes, et des renforts de troupes annoncés par Trump en
2017 (4000 hommes). Alors que la situation n’évolue plus sur le terrain, un cessez-le-feu est conclu en juin
2018 entre l’armée afghane et les Talibans. Depuis le désengagement partiel de 2014, les Etats-Unis étaient
en retrait politiquement et diplomatiquement – laissant au gouvernement le soin de négocier avec les
insurgés. Mais l’été 2018 est l’occasion d’une nouvelle rupture pour l’administration Trump qui engage des
pourparlers avec les Talibans à Doha. Ces discussions aboutissent le 28 février 2020 à la conclusion d’un
accord entre Talibans et administration Trump, portant sur un retrait complet des troupes américaines sous
quatorze mois, et l’ouverture de négociations de paix avec le gouvernement afghan. Ces négociations
s’ouvrent le 12 septembre 2020, à Doha, en présence de Mike Pompeo – Secrétaire d’Etat américain. Des
affrontements continuent d’avoir lieu, en vue de solidifier les positions des deux parties dans des
négociations qui s’annoncent complexes et qui se dessinent comme un partage du pouvoir plus que comme
un accord de paix. Les Talibans, qui occupent une position militaire dominante aujourd’hui, sont bien
décidés à récupérer les principaux portefeuilles ministériels. Plusieurs questions restent alors en suspens, et
dont la réponse définira le futur de l’Etat afghan : Le retour au pouvoir des Talibans pachtounes respectera-t-
il le jeu démocratique ? Peut-il susciter une contre-insurrection chez les ethnies minoritaires pratiquant un
islam modéré, comme les Tadjiks ? Les Talibans sauront-ils adopter une attitude ferme vis-à-vis des réseaux
fréristes et jihadistes pour ne pas reproduire leur premier exercice du pouvoir (1996-2001) qui a mené à
l’intervention de l’OTAN ? Le nouveau gouvernement pourra-t-il et saura-t-il pacifier les régions tribales de
la zone AfPak, où les forces pakistanaises sont en lutte contre les réseaux islamistes du Waziristan ?
Annexe – Carte de l’Afghanistan

Bibliographie indicative :
- Z. Brzezinski, Le Grand Echiquier
- G. Chaliand, L’impasse afghane
- https://www.lefigaro.fr/international/afghanistan-vers-un-retour-des-talibans-au-pouvoir-20200917
- https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/29/afghanistan-signature-d-un-accord-
historique-entre-les-etats-unis-et-les-talibans_6031351_3210.html
- J. Lévesque, L’URSS en Afghanistan, de l’invasion au retrait : https://books.google.fr/books?
id=ebbGiiMnL-UC&pg=PA143&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

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