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Book

La situation juridique des Tziganes en Suisse : analyse du droit


suisse au regard du droit international des minorités et des droits de
l'homme

SAMBUC BLOISE, Joëlle Karin

Reference
SAMBUC BLOISE, Joëlle Karin. La situation juridique des Tziganes en Suisse : analyse
du droit suisse au regard du droit international des minorités et des droits de
l'homme. Genève : Schulthess, 2007, LXVIII, 569 p.

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:81652

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Joëlle Sambuc Bloise

La situation juridique
des Tziganes en Suisse
Analyse du droit suisse
au regard du droit international
des minorités et
des droits de l’homme

Faculté de droit
de Genève

CG
Collection
Genevoise
Joëlle Sambuc Bloise

La situation juridique des Tziganes en Suisse


Analyse du droit suisse au regard du droit international
des minorités et des droits de l’homme
CG
Collection
Faculté de droit de Genève

Genevoise
Joëlle Sambuc Bloise

La situation juridique
des Tziganes en Suisse
Analyse du droit suisse
au regard du droit international
des minorités et
des droits de l’homme
Thèse n° 779 de la Faculté de droit de l’Université de Genève

La Faculté de droit autorise l’impression de la présente dissertation sans entendre émettre par là
une opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées.

Information bibliographique: ‹Die Deutsche Bibliothek›.


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partielle de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou méca­
nique, y compris photocopie et microfilm), et toutes formes d’enregistrement sont strictement
­interdites sans l’autorisation expresse et écrite de l’éditeur.

© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2007


ISBN 978-3-7255-5409-6
ISSN: Collection genevoise: 1661-8963

www.schulthess.com
Remerciements

Remerciements

Ce travail n’aurait pas vu le jour sans la présence de nombreuses person-


nes à mes côtés.
Durant mes cinq années d’assistanat au département de droit constitution-
nel de la Faculté de droit de Genève, j’ai eu le privilège de bénéficier non seu-
lement de l’expérience et de la disponibilité de tous ses membres, mais égale-
ment de conditions de travail exceptionnelles, tant d’un point de vue humain
que professionnel.
Je remercie naturellement en premier lieu mon directeur de thèse, le Pro-
fesseur Giorgio MALINVERNI, pour sa confiance, pour le temps qu’il m’a consa-
cré, pour ses conseils, mais aussi pour avoir accepté de diriger une étude au
sujet particulièrement délicat.
Mes remerciements vont également au Professeur Michel HOTTELIER,
membre du jury de thèse, qui lui non plus n’a jamais ménagé son soutien, ses
critiques constructives et ses recommandations avisées. Je ne saurais oublier ici
le Professeur Thierry TANQUEREL, membre du jury, qui m’a apporté des éclair-
cissements particulièrement pertinents et précieux. Je suis également recon-
naissante à l’égard du Professeur Bernhard WALDMANN, de l’Université de
Fribourg, pour avoir cordialement accepté de faire partie de mon jury et de
participer à l’exercice d’une soutenance de thèse genevoise. Enfin, le Doyen
Robert ROTH m’a fait l’honneur de présider mon jury de thèse.
Bien qu’il n’ait pas été membre du jury de thèse, le Professeur
Andreas AUER a toujours fait preuve d’une disponibilité et d’un point de vue
critique inestimables. Pour sa part, le Professeur Alexandre FLÜCKIGER n’a ja-
mais manqué une occasion de débattre de questions délicates et son avis a tou-
jours été le bienvenu.
Par ailleurs, tout au long de l’élaboration et de la rédaction de cette thèse,
j’ai pu compter sur les conseils et le soutien de mes collègues assistants de la
Faculté.
Mesdames Azadeh DJALILI (lic. iur., DEA), Céline GÜTZWILLER (lic. iur.,
DEA) et Amy MA FAURE (lic. iur., DEA, titulaire du brevet d’avocat), ainsi que
Messieurs Murat ALDER (lic. iur., DEA), Frédéric BERNARD (lic. iur., DEA),
Gregor CHATTON (lic. iur., DEA, LLM), David HOFMANN (dr. iur.), Sebastien
FRIES (lic. iur., DEA), Jean-Marc VERNIORY (dr. iur., titulaire du brevet d’avocat)
et Tobias ZELLWEGER (lic.iur., DEA), du département de droit constitutionnel,

V
Remerciements

ont ainsi chacun, d’une manière ou d’une autre, participé à l’achèvement de ce


travail, tout en menant de leur côté leurs propres efforts.
Parmi beaucoup d’autres assistants, Madame Anne-Sylvie DUPONT
(dr. iur., avocate au Barreau de Lausanne) ainsi que Messieurs Johan DROZ
(dr. iur.) et Stéphane GRODECKI (dr. iur., avocat au Barreau de Genève) ont éga-
lement été prêts à discuter et tenter de résoudre les obstacles juridiques et pra-
tiques divers et variés rencontrés sur le chemin.
Enfin, parmi l’ensemble des amis qui m’ont suivie et encouragée durant ce
long parcours, je tiens en particulier à remercier Mesdames Bita BERTOSSA (lic.
iur., DEA, titulaire du brevet d’avocat), Sandrine ROHMER (dr. iur.), Laura
SANTONINO (lic. iur., avocate au Barreau de Genève), et Ghislaine SCHARLY-
ISSENHUTH (lic. iur., DEA) qui ont fait preuve d’un soutien et d’une amitié iné-
branlables. Elle auront permis de faire de ces cinq années de recherche une
source d’enrichissement personnel inestimable.
Bien entendu, cette thèse n’aurait jamais pu être entamée et encore moins
terminée sans le soutien de ma famille. Je suis particulièrement reconnaissante
envers mon mari, Aldo, qui a accepté la charge de conjoint d’une doctorante. Il
a supporté les aléas du quotidien d’une doctorante, en m’apprenant à y inté-
grer le recul et la relativisation nécessaires. Mes parents, Boël et Henri-
Philippe, m’ont non seulement donné l’envie de faire des études universitaires,
mais m’ont aussi transmis le goût des défis, de l’engagement et de l’exigence.
Mon frère Nils s’est quant à lui toujours montré enthousiaste et m’a aussi cons-
tamment soutenue.
Enfin, des remerciements particuliers sont adressés ici à Monsieur le Pas-
teur May BITTEL et à sa famille. Malgré eux, leur parcours de vie personnel
s’est retrouvé au centre de cette étude, mais grâce à eux, des avancées fonda-
mentales ont pu être réalisées. Je les remercie sincèrement pour leur amitié,
leur accueil et leur confiance, ainsi que pour leurs efforts quotidiens pour faire
valoir leurs droits en toutes circonstances. J’y ai trouvé une source
d’inspiration incomparable qui m’a permis de persévérer et d’achever ce tra-
vail.

VI
Préface

Préface

En choisissant, comme sujet pour sa thèse de doctorat, le thème de la situa-


tion juridique des Tziganes en Suisse, Madame Joëlle SAMBUC BLOISE a fait
œuvre de pionnière. Elle offre en effet au public le premier ouvrage présen-
tant, sous toutes ses facettes, les problèmes juridiques que rencontre cette mi-
norité marginalisée et pendant trop longtemps victime de stéréotypes et de
préjugés.
L’ouvrage s’articule très logiquement autour de quatre parties. L’auteure
se devait de consacrer d’abord un chapitre relativement développé aux aspects
historiques de la situation des Tziganes, afin de situer l’ensemble de la pro-
blématique dans un contexte permettant d’expliquer la source et les causes des
difficultés auxquelles ils sont encore confrontés aujourd’hui.
En constatant à juste titre que la protection de cette minorité dépasse le ca-
dre exclusif de l’analyse juridique, elle montre bien le rôle ambivalent que peut
jouer le droit : instrument de répression culturelle d’une minorité pendant de
longues décennies, il se révèle être aujourd’hui un outil permettant de conférer
à cette même minorité des droits et des prétentions justiciables.
Au fil des pages de cette première partie, le lecteur assiste ainsi à un chan-
gement radical du statut des Tziganes : de marginaux asociaux, ceux-ci sont
enfin devenus des membres d’une communauté appartenant pleinement à la
société helvétique.
A quel phénomène doit-on attribuer ce revirement aussi spectaculaire
qu’inattendu ? Selon l’auteure, l’explication doit être recherchée dans l’impact
de plus en plus marqué qu’exerce sur les ordres juridiques nationaux, mais
également sur l’évolution des mentalités, le droit international des droits de
l’homme, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale bien sûr, mais surtout
depuis le début des années quatre-vingt-dix dans le domaine qui nous
concerne : Déclaration de Copenhague de l’OSCE, de 1990 ; Déclaration des
Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minorités natio-
nales ou ethniques, religieuses et linguistiques, de 1992 ; Convention-cadre du
Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales, de 1995.
Dans la deuxième partie de sa thèse, Mme SAMBUC BLOISE montre bien
comment la vulnérabilité des Tziganes confère à ces déclarations et conven-
tions un poids et une importance inégalés. Les droits collectifs, reconnus au
groupe lui-même, en tant que minorité ou en tant que peuple autochtone, doi-
vent en effet venir compléter la protection offerte par les droits individuels.

VII
Avant-propos

Après avoir montré que, dans ce domaine, l’ordre juridique interne vit dé-
sormais sous « perfusion internationale », il s’agissait encore, pour l’auteure,
de déterminer la portée que possèdent les droits fondamentaux pour les Tzi-
ganes en Suisse. Elle se devait donc de les analyser de façon à mettre en lu-
mière les effets des spécificités culturelles de cette minorité sur leur interpréta-
tion. Madame SAMBUC BLOISE consacre ici de belles pages à la portée du prin-
cipe général d’égalité et aux exigences découlant de l’interdiction de la discri-
mination pour cette communauté, qui a été – et est encore – victime d’une dis-
crimination qui peut être qualifiée de structurelle. Comme elle le dit justement
dans sa conclusion, ce type de discrimination est « un phénomène qui ne se
combat pas uniquement par l’affirmation de l’égalité en droit, mais avant tout
par la poursuite de l’égalité en fait, en démantelant ses sources au sein de la
société civile » (§2150).
La quatrième partie aborde les problèmes plus concrets, régis par le droit
ordinaire, auxquels sont confrontés les Tziganes dans leur vie quotidienne :
stationnement des caravanes, établissement d’un domicile, scolarisation des
enfants, etc.
Cette partie se caractérise par l’effort constant de l’auteure d’interpréter le
droit en vigueur de manière conforme au droit international, et d’en dévelop-
per ainsi toutes les potentialités normatives. Elle n’hésite toutefois pas, lorsque
cela s’avère nécessaire, à critiquer les solutions données par le droit positif et à
proposer des modifications législatives.
Si elle a fait œuvre de pionnière, Madame SAMBUC BLOISE n’a pas non plus
reculé devant les difficultés. En premier lieu, les Tziganes ne constituent pas
une minorité comme les autres. Le droit qui régit les ordres juridiques natio-
naux a été conçu pour les populations sédentaires. L’exercice du mode de vie
nomade leur lance dès lors un défi d’un genre inédit. La reconnaissance de ce
mode de vie en tant qu’expression de l’identité culturelle conduit à conférer
des dimensions nouvelles à des principes et à des règles classiques, conçus
dans un contexte sédentaire. L’auteure a parfaitement mis en perspective cette
nouvelle problématique et a su lui apporter des solutions originales.
Ensuite, par définition, le nomadisme ne connaît pas de frontières. L’étude
du statut juridique des Tziganes en Suisse doit dès lors prendre en compte ce-
lui des Tziganes de nationalité helvétique ainsi que celui des Tziganes étran-
gers, mais de passage en Suisse. Voilà qui ajoutait une difficulté supplémen-
taire à la tâche déjà ardue à laquelle était confrontée l’auteure.
Enfin, pour être traité de manière exhaustive, le sujet, transversal par na-
ture, requérait, de la part de l’auteure, des connaissances approfondies dans
plusieurs disciplines juridiques. Madame SAMBUC BLOISE a fourni la démons-
tration qu’elle maîtrise avec la même aisance le droit international, le droit
constitutionnel et le droit administratif. Elle est donc une publiciste accomplie.
Le lecteur appréciera bien sûr la clarté du style, la logique des subdivi-
sions, la finesse des analyses, mais il sera surtout impressionné par la passion

VIII
Préface

qui a animé l’auteure, par la manière avec laquelle elle s’est identifiée avec son
sujet et avec la cause de cette communauté trop longtemps mise au ban de la
société.
Accompagné d’une riche bibliographie et d’une documentation abondante,
l’ouvrage permet à ceux qui le souhaitent d’approfondir encore certains as-
pects du sujet traité.
Il convient donc de féliciter Madame SAMBUC BLOISE d’avoir enrichi la litté-
rature juridique sur le droit des minorités par un bel ouvrage, qui fera date, et
qui, par les solutions qu’il propose, contribuera certainement à améliorer le
statut de la communauté tzigane, à un moment où les autorités, tant nationales
qu’internationales, commencent sérieusement à s’en préoccuper et à engager
un dialogue avec elle.

Giorgio MALINVERNI

Juge à la Cour européenne


des droits de l’homme

Professeur honoraire
de l’Université de Genève

IX
X
Sommaire

Sommaire

Remerciements V
Préface VII
Sommaire XI
Table des matières XIII
Table des abréviations XXVII
Bibliographie XXXIII

Introduction générale 1
Titre premier: Perspective historique et socio-économique
Introduction 5
Chapitre I Terminologie et données statistiques 7
Chapitre II Le statut des Tziganes en Suisse, des origines
au XXème siècle 13
Chapitre III De 1900 à 1973 25
Chapitre IV Depuis 1973 53
Synthèse et conclusion 75

Titre deuxième : La protection du groupe minoritaire tzigane


en droit international et en droit suisse
Introduction 77
Chapitre I Le rôle de la dimension internationale pour la
protection des Tziganes en Suisse 79
Chapitre II Les Tziganes et le droit international des
minorités 85
Chapitre III Les Tziganes et le droit des peuples autochtones 141
Chapitre IV Les Tziganes en tant que groupe minoritaire
en Suisse 173
Synthèse et conclusion 195

XI
Sommaire

Titre troisième: La portée des droits fondamentaux pour les


Tziganes en Suisse
Introduction 199
Chapitre I La portée du droit international des minorités
pour la minorité tzigane suisse 203
Chapitre II Le principe d’égalité et la protection
des Tziganes 253
Chapitre III La portée des libertés et des droits sociaux
pour le nomadisme 321
Synthèse et conclusion 401

Titre quatrième : L’intégration des droits fondamentaux des


Tziganes dans le droit ordinaire suisse
Introduction 405
Chapitre I Nomadisme tzigane et stationnement
des caravanes 407
Chapitre II Nomadisme tzigane et établissement
d’un domicile 513
Chapitre III Nomadisme tzigane et scolarisation obligatoire 535
Chapitre IV Le statut de la langue jénisch en Suisse 547
Synthèse et conclusion 555

Conclusion générale 557

Index 561

XII
Table des matières

Table des matières

REMERCIEMENTS V
PRÉFACE VII
SOMMAIRE XI
TABLE DES MATIÈRES XIII
TABLE DES ABRÉVIATIONS XXVII
BIBLIOGRAPHIE XXXIII

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

TITRE PREMIER: PERSPECTIVE HISTORIQUE ET SOCIO-


ÉCONOMIQUE 5

INTRODUCTION 5

CHAPITRE I TERMINOLOGIE ET DONNÉES STATISTIQUES 7


A. Les difficultés terminologiques 7
B. Données statistiques 11

CHAPITRE II LE STATUT DES TZIGANES EN SUISSE, DES ORIGINES AU XXÈME SIÈCLE 13


A. L’arrivée des Tziganes en Europe 13
B. Les Tziganes et les cantons suisses du XVème au XIXème siècle 16
C. L’avènement de l’Etat moderne suisse 18
D. L’Etat fédéral de 1848 et les Heimatlos 19
1. La loi fédérale sur l’heimatlosat du 3 décembre 1850 20
2. La libre circulation des personnes et la répression du nomadisme 22

CHAPITRE III DE 1900 À 1973 25


A. La répression administrative et policière du mode de vie nomade 25
B. La répression eugénique du mode de vie nomade 30
1. La stérilisation des Tziganes en Suisse 31
1.1. La pratique de la stérilisation comme moyen eugénique 32
1.2. Les Tziganes en tant que personnes exposées à la stérilisation 35
1.3. L’indemnisation des personnes stérilisées de force par le passé 36
2. Eugénisme et destruction du noyau familial des Tziganes 39
2.1. L’Œuvre des enfants de la grand route : objectifs et activités 39

XIII
Table des matières

2.2. Les fondements juridiques de l’action de l’Œuvre des enfants de


la grand route 41
2.2.1. Les dispositions du droit de la famille 41
2.2.2. Les dispositions du droit de la tutelle 43
2.3. Détermination des responsabilités et indemnisation des victimes 44
2.4. Un génocide culturel ? 46
C. La Suisse et les Tziganes durant la Deuxième guerre mondiale 47
1. Les Tziganes face aux persécutions du Troisième Reich 48
2. La politique suisse en matière de réfugiés durant la Deuxième
guerre mondiale 49
3. L’impact de la politique d’asile de la Suisse sur les Tziganes 51

CHAPITRE IV DEPUIS 1973 53


A. L’évolution juridique du statut des Tziganes 54
1. Les premières démarches cantonales et fédérales (1977) 54
2. Le rapport du Département fédéral de justice et police (1983) 55
3. Le rapport de l’Office fédéral de la culture (1989) 56
4. La création de la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage
suisses » (1994) 57
5. La reconnaissance des Tziganes suisses en tant que minorité
nationale (1999) 60
6. La jurisprudence Bittel du Tribunal fédéral (2003) 61
B. Les Tziganes et l’affirmation de leurs droits 62
C. Le statu quo de la situation socio-économique 63
1. L’offre de places de stationnement et le mode de vie nomade 64
2. L’exercice d’un commerce itinérant 67
2.1. Le contexte socio-économique 67
2.2. L’exercice d’une profession ambulante avant le 1er janvier 2003 68
2.3. L’exercice d’une profession ambulante à partir du 1er janvier 2003 71
2.3.1. La loi fédérale du 23 mars 2001 sur le commerce itinérant 71
2.3.2. Evaluation et commentaire 72
3. La scolarisation des enfants tziganes 73

SYNTHÈSE ET CONCLUSION 75

TITRE DEUXIEME: LA PROTECTION DU GROUPE MINORITAIRE


TZIGANE EN DROIT INTERNATIONAL ET EN DROIT SUISSE 77

INTRODUCTION 77

CHAPITRE I LA DIMENSION INTERNATIONALE DE LA PROTECTION JURIDIQUE DES


TZIGANES EN SUISSE 79

XIV
Table des matières

A. Importance des sources internationales 79


B. L’activité des organisations internationales 80
C. Appréciation 82

CHAPITRE II LES TZIGANES ET LE DROIT INTERNATIONAL DES MINORITÉS 85


A. Le système de protection des droits des minorités 85
1. La légitimité du système de protection des droits des minorités 85
1.1. Les lacunes de la protection exclusivement individuelle 85
1.2. La nécessité de la prise en compte de l’existence du groupe 87
1.3. Le droit des minorités en tant que partie intégrante des droits
de l’homme 89
2. Les sources internationales protégeant les minorités en Suisse 90
2.1. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques 92
2.2. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels 94
2.3. La Convention internationale pour la prévention et la répression
du crime de génocide 97
2.4. La Convention internationale pour l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale 98
2.5. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection
des minorités nationales 101
2.6. La Convention européenne des droits de l’homme 103
2.6.1. La CEDH en tant que source de protection limitée des minorités 104
2.6.2. L’évolution récente de la jurisprudence européenne en matière
de droits des minorités 106
3. La notion de minorité 109
3.1. L’absence de définition unanime 110
3.1.1. Les principales propositions de définition 110
3.1.2. Appréciation 112
3.2. La controverse relative à l’exigence du lien de citoyenneté 113
3.2.1. Au niveau universel 113
3.2.2. Au niveau européen 115
a) La notion de « minorité nationale » 116
b) L’exigence du lien de nationalité dans le cadre de la CPMN 118
3.2.3. Appréciation 119
B. Les Tziganes en tant que minorité au sens du droit international 119
1. Les enjeux de la qualification 119
2. Les difficultés rencontrées pour qualifier les Tziganes de minorité 121
2.1. La dispersion internationale de la communauté tzigane 123
2.2. Les Tziganes en tant que minorité ethnique 124
2.2.1. La notion de minorité ethnique 124
2.2.2. L’hétérogénéité ethno-culturelle des communautés tziganes 125

XV
Table des matières

2.3. L’absence d’Etat-parent 128


2.4. L’exigence de la citoyenneté face au nomadisme transfrontalier 128
2.5. Appréciation 131
3. Les Tziganes en tant que minorité du point de vue des
organismes internationaux 132
3.1. Au niveau universel 132
3.2. Au niveau européen 133
3.2.1. Les instances politiques européennes 133
3.2.2. La Cour européenne des droits de l’homme 135
3.2.3. La pratique du Comité consultatif de la CPMN 135
C. Les Tziganes et le droit des minorités: appréciation générale 137

CHAPITRE III LES TZIGANES ET LE DROIT DES PEUPLES AUTOCHTONES 141


A. Droit des minorités et droit des peuples autochtones 141
1. La notion de « peuple » 141
2. « Peuples » et « peuples autochtones » 143
2.1. La notion de « peuples autochtones » 143
2.2. Les rapports entre les « peuples » et les « peuples autochtones » 144
3. Les rapports entre les « minorités » et les « peuples autochtones » 145
3.1. La nécessité d’un système de protection distinct 146
3.2. Les apports du droit des minorités pour les peuples autochtones 148
B. Les Tziganes en tant que peuple 149
1. La communauté internationale des Tziganes 149
2. Le facteur de l’autodétermination 151
3. Le point de vue des Tziganes 152
3.1. L’existence d’un « peuple tzigane » 152
3.2. Les objectifs recherchés 154
4. Les Tziganes et les peuples autochtones : pertinence du parallèle 155
C. La Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux
et son applicabilité aux Tziganes 157
1. L’Organisation internationale du travail 157
2. L’OIT et la protection des peuples autochtones 158
2.1. Le contexte historique 158
2.2. La Convention n° 169 de l’OIT 159
2.2.1. Généralités 159
2.2.2. Le champ d’application personnel de la Convention n° 169 161
a) Des critères objectifs : les notions de peuples « indigènes »
et « tribaux » 161
b) Un critère subjectif : l’auto-identification 163
c) Les Tziganes en tant que peuple tribal 163
2.2.3. Les dispositions de la Convention n° 169 pertinentes pour
les Tziganes 164

XVI
Table des matières

a) Le contenu matériel de la Convention n° 169 164


b) L’apport de la Convention n° 169 pour les Tziganes 167
D. Les Tziganes et le droit des peuples autochtones : appréciation générale 169

CHAPITRE IV LES TZIGANES EN TANT QUE GROUPE MINORITAIRE EN SUISSE 173


A. La minorité tzigane en Suisse 173
1. Les Tziganes en tant que minorité ethnique en Suisse 173
1.1. La position du gouvernement suisse face aux
organismes internationaux 174
1.2. Le législateur fédéral 176
1.3. Le Tribunal fédéral 177
1.4. L’administration fédérale 177
2. Les Tziganes suisses en tant que minorité nationale 179
3. Appréciation 180
3.1. Les Tziganes en tant que « minorité culturelle » 181
3.2. L’emploi du nomadisme à titre de critère pertinent 183
3.3. La protection des Tziganes étrangers 187
B. Les Tziganes, un peuple tribal suisse ? 188
1. Le champ d’application personnel de la Convention n° 169 et les
Tziganes en Suisse 189
1.1. La position des autorités 189
1.2. Appréciation 191
2. L’opportunité de la ratification de la Convention n° 169 192
2.1. La position des autorités 192
2.2. Appréciation 193

SYNTHÈSE ET CONCLUSION 195

TITRE TROISIEME: LA PORTÉE DES DROITS FONDAMENTAUX


POUR LES TZIGANES EN SUISSE 199

INTRODUCTION 199

CHAPITRE I LA PORTÉE DU DROIT INTERNATIONAL DES MINORITÉS POUR LA


MINORITÉ TZIGANE SUISSE 203
A. La facette collective du droit des minorités 203
1. La facette collective en tant qu’apport spécifique du droit des minorités 203
2. La facette collective au niveau universel 205
3. La facette collective au niveau régional européen 207
B. L’approche individualiste de la protection des minorités en Suisse 208
1. La protection des minorités en Suisse 208
1.1. La protection des minorités religieuses 210

XVII
Table des matières

1.2. La protection des minorités linguistiques 212


1.3. L’interprétation de l’article 27 Pacte II par le Tribunal fédéral 215
1.4. Appréciation 217
2. Les conséquences de l’approche individualiste pour les Tziganes en
Suisse 219
2.1. Les obstacles à l’intégration institutionnelle de la minorité tzigane 220
2.2. La conciliation des besoins des Tziganes avec la notion d’intérêt
public 223
2.2.1. Les notions d’intérêt public et de préservation de la paix
publique 223
2.2.2. L’intégration des besoins des Tziganes dans la réalisation du
bien commun 225
3. Appréciation 228
C. L’apport de la facette collective du droit des minorités pour les Tziganes 229
1. La facette collective du droit des minorités en tant que garantie de l’Etat
de droit 229
2. Les dimensions objective et subjective de la facette collective du droit
des minorités 230
2.1. Les obligations découlant de la dimension objective et
institutionnelle 231
2.1.1. L’interprétation conforme du droit interne au droit
international des minorités 231
2.1.2. L’adoption de mesures spéciales en faveur des Tziganes 232
a) La nécessité et les fondements des mesures spéciales en faveur
des minorités 232
b) Délimitation par rapport à d’autres catégories d’obligations de
l’Etat 233
c) Conclusion intermédiaire 235
2.1.3 La participation des Tziganes aux processus décisionnels 236
a) Les exigences du droit des minorités 236
b) La politique du Conseil de l’Europe en matière de participation
de la minorité tzigane 238
ba) Les recommandations du Comité des Ministres 239
bb) La création du Forum européen pour les Roms et les Gens
du Voyage 240
2.2. Les obligations découlant de la dimension subjective 242
2.2.1. Le rôle du principe de proportionnalité 242
2.2.2. L’impact de mesures individuelles sur la minorité 245
2.2.3. La prise en compte juridique des besoins économiques, sociaux
et culturels de la minorité tzigane 246
a) L’interdépendance du mode de vie nomade et des
droits économiques, sociaux et culturels des Tziganes 246

XVIII
Table des matières

b) L’intégration des droits économiques, sociaux et culturels par le


biais de la facette collective du droit des minorités 249
D. Synthèse et conclusion 251

CHAPITRE II LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ ET LA PROTECTION DES TZIGANES 253


A. Sources, notions et portée 253
1. Sources 253
2. Notions et portée 254
2.1. L’égalité de traitement 254
2.2. L’interdiction de la discrimination 256
2.2.1. La notion et ses éléments constitutifs 256
a) Le champ d’application personnel 258
b) L’exigence de la dépréciation 260
c) L’apport de motifs justificatifs 262
d) Le rôle et la nature des critères prohibés 263
2.2.2. Les notions de discrimination directe et indirecte 267
2.2.3. L’apport de la preuve d’une discrimination 269
a) Fardeau de la preuve et discriminations directes 271
b) Fardeau de la preuve et discriminations indirectes 272
2.3. Les obligations à charge des autorités découlant du principe
d’égalité 273
2.3.1. La réalisation de l’égalité en droit 274
2.3.2. La réalisation de l’égalité en fait 274
a) La notion d’égalité en fait 274
b) Les mesures positives 276
ba) La nécessité et la légitimité des mesures positives 276
bb) Les catégories de mesures positives 279
bc) Les bénéficiaires des mesures positives 280
B. Le principe général d’égalité et les Tziganes 281
1. L’importance des principes de l’égalité de traitement et de l’interdiction
de la discrimination pour les Tziganes 282
2. Les critères interdisant la discrimination des Tziganes 284
2.1. Le mode de vie 284
2.1.1. Généralités 284
2.1.2. Applicabilité à la situation des Tziganes 285
2.2. L’origine 288
2.2.1. Généralités 288
2.2.2. Applicabilité à la situation des Tziganes 292
2.3. La culture 294
2.3.1. Généralités 294
2.3.2. Applicabilité à la situation des Tziganes 295
2.4. Synthèse et appréciation 296

XIX
Table des matières

3. Les mesures et pratiques discriminant les Tziganes 297


3.1. La discrimination des Tziganes sous sa forme directe 298
3.1.1. La violation du droit à la vie ou de l’interdiction des
traitements inhumains et dégradants combinée avec l’article 14 CEDH 298
a) Les violences policières 299
b) La destruction de biens par des tiers 301
3.1.2. L’éviction de terrains de stationnement 302
3.2. La discrimination des Tziganes sous sa forme indirecte 303
3.2.1. Le stationnement de caravanes tziganes 304
a) Le raisonnement de la Cour 304
b) Appréciation 305
3.2.2. L’organisation d’une manifestation culturelle tzigane 306
3.2.3. Le placement d’enfants tziganes dans une école spécialisée 308
a) La recevabilité de la requête 308
b) Le bien-fondé de la requête 309
c) Appréciation 310
3.3. Synthèse 311
4. La réalisation de l’égalité des Tziganes 312
C. Appréciation 315

CHAPITRE III LA PORTÉE DES LIBERTÉS ET DES DROITS SOCIO-ÉCONOMIQUES POUR LE


NOMADISME 321
A. La légitimité des restrictions apportées aux droits socio-économiques 322
B. Le droit au respect de la vie privée et familiale et la protection de mode
de vie nomade 324
C. La protection juridique de la caravane tzigane et de son lieu de
stationnement 325
1. Sources et portée des droits 326
1.1. Le droit au respect du domicile 326
1.1.1. Sources 326
1.1.2. La portée du droit au respect du domicile 326
1.2. Le droit au logement 328
1.2.1. Sources 328
1.2.2. La portée du droit au logement 330
a) Le droit à un logement adéquat dans un environnement sain 331
b) La protection contre les évictions abusives 334
ba) Les exigences procédurales 334
bb) Les évictions abusives du fait de l’absence de possibilité de
relogement 335
1.3. Appréciation 338
2. La protection de la caravane tzigane et du lieu de stationnement 340
2.1. L’applicabilité des notions de domicile et de logement à la

XX
Table des matières

caravane tzigane et au lieu de stationnement 340


2.1.1. La caravane tzigane en tant qu’habitation juridiquement
protégée 340
2.1.2. Le lieu de stationnement des caravanes en tant que
domicile juridiquement protégé 342
2.2. Le droit à un logement adéquat dans le contexte du
nomadisme tzigane 343
2.2.1. La création d’un nombre suffisant de places 344
2.2.2. Le facteur environnemental 347
2.2.3. L’adéquation de l’infrastructure 349
a) L’infrastructure des aires créées durablement 349
b) L’infrastructure des lieux utilisés lors de « haltes spontanées » 351
2.2.4. Le respect de la capacité de paiement des particuliers 351
2.3. La protection des caravanes contre les évictions abusives 352
2.3.1. Les garanties procédurales contre les évictions abusives 352
2.3.2. Les évictions abusives en cas d’absence d’alternative pour
le relogement 353
2.4. La création d’un « droit au stationnement » ? 359
2.5. Synthèse et appréciation 359
D. Les garanties juridiques encadrant le voyage 361
1. La liberté de mouvement 362
1.1. Sources, titularité et portée de la liberté de mouvement 362
1.1.1. Sources 362
1.1.2. La titularité de la liberté de mouvement 363
1.1.3. La portée de la liberté de mouvement 363
1.2. La portée de la liberté de mouvement pour les Tziganes
nomades suisses 365
2. La liberté d’établissement 367
2.1. Sources, titularité et portée de la liberté d’établissement 368
2.1.1. Sources et titularité 368
2.1.2. La portée de la liberté d’établissement 368
2.2. La portée de la liberté d’établissement pour les Tziganes
nomades suisses 371
2.2.1. La possibilité de séjourner sur l’ensemble du territoire suisse 371
2.2.2. L’arrêt durable dans le lieu de son choix 374
a) La possibilité de s’arrêter durablement 374
b) L’obligation d’accepter les Tziganes domiciliés en caravane 376
2.2.3. Appréciation 377
3. La liberté économique 380
3.1. Généralités 380
3.1.1. Sources et fonctions de la liberté économique 380
3.1.2. La portée de la liberté économique 381
3.2. La portée de la liberté économique pour les Tziganes nomades 383

XXI
Table des matières

3.2.1. La liberté économique et le nomadisme tzigane 384


3.2.2. Les obligations fondées sur la liberté économique 385
a) Les obligations à charge des cantons et des communes 385
b) Les possibilités d’action de la Confédération 387
4. L’entrée, le séjour et la sortie des Tziganes nomades étrangers en transit
en Suisse 388
4.1. L’entrée sur le territoire suisse 389
4.2. Le séjour et la fin du séjour 390
4.2.1. Le séjour 390
a) Le séjour effectué pour exercer une activité lucrative
indépendante 391
b) Le séjour effectué sans exercice d’une activité lucrative 393
c) La mobilité géographique des Tziganes communautaires en Suisse 393
ca) Le droit de séjourner sur l’ensemble du territoire 393
cb) Le stationnement des caravanes en transit 394
4.2.2. La fin du séjour 395
E. Appréciation 396

SYNTHÈSE ET CONCLUSION 401

TITRE QUATRIEME : L’INTÉGRATION DES DROITS


FONDAMENTAUX DES TZIGANES DANS LE DROIT ORDINAIRE
SUISSE 405

INTRODUCTION 405

CHAPITRE I NOMADISME TZIGANE ET STATIONNEMENT DES CARAVANES 407


A. Le droit de l’aménagement du territoire et de la construction: généralités 408
1. Les buts et les principes de l’aménagement du territoire et du droit
de la construction 408
2. La répartition des compétences 410
3. Les instruments de la planification 411
3.1. Les plans 411
3.1.1. Le plan directeur cantonal 411
3.1.2. Les plans d’affectation 412
a) Les objectifs des plans d’affectation 412
b) Les catégories de plans d’affectation 413
c) Les voies de recours 414
3.2. L’autorisation de construire 415
3.2.1. L’autorisation ordinaire (art. 22 LAT) 415
a) L’exigence de l’autorisation 415
b) La notion de « construction et installation » 415

XXII
Table des matières

c) Les voies de recours 416


3.2.2. L’autorisation de construire extraordinaire (art. 24ss LAT) 417
a) Les conditions de l’autorisation extraordinaire 417
b) Planification ou autorisation dérogatoire ? 418
c) Les voies de recours 419
4. La protection des droits fondamentaux 419
4.1. La garantie de la propriété 419
4.2. Les autres droits fondamentaux 420
B. L’arrêt temporaire spontané et l’autorisation de construire 422
1. La soumission des caravanes à l’autorisation ordinaire de construire 422
2. La portée des droits fondamentaux des Tziganes 424
2.1. L’importance de l’arrêt temporaire spontané 424
2.2. Les dispositions cantonales actuelles 425
2.3. Appréciation 426
3. L’assujettissement à autorisation lors d’un arrêt durable sur des
aires de stationnement 427
4. Le stationnement temporaire spontané effectué sur une parcelle
publique 428
4.1. L’utilisation accrue du domaine public et du patrimoine
administratif 429
4.1.1. Notions 429
4.1.2. L’utilisation du domaine public et du patrimoine administratif 429
4.1.3. Le droit conditionnel à l’usage extraordinaire du domaine
public et du patrimoine administratif 430
4.2. Les haltes spontanées et l’usage accru du domaine public
et du patrimoine administratif 433
4.3. Conclusion 435
5. Appréciation 436
C. La création d’aires de stationnement en zone constructible 437
1. La planification du territoire et les droits fondamentaux des Tziganes 438
1.1. L’intégration du nomadisme dans le plan directeur cantonal 439
1.2. L’intégration du nomadisme dans le plan d’affectation 442
1.2.1. La pertinence de l’instrument 442
1.2.2. Les zones adéquates pour l’exercice du mode de vie nomade 443
1.2.3. Les critères à intégrer dans le plan d’affectation spécialisé 445
1.2.4. La révision du plan d’affectation en faveur des Tziganes
nomades 447
1.3. L’octroi d’une autorisation de construire 449
2. Le cadre juridique entourant le stationnement sur une aire 450
2.1. L’exigence d’une autorisation pour stationner 450
2.2. La qualité des aires de stationnement 453
3. Les obstacles à l’adoption de plans d’affectation 455
3.1. Les réticences des communes 455

XXIII
Table des matières

3.2. Les référendums portant sur la création d’une aire 456


3.2.1. La nature du référendum administratif portant sur des plans 457
3.2.2. L’existence d’une discrimination structurelle 458
3.2.3. La légitimité du référendum portant sur la création d’aires 460
a) Les arrêts sur la naturalisation ordinaire par les urnes 460
b) Le rôle de l’identité des bénéficiaires d’un projet de planification 461
ba) Les Tziganes en tant que bénéficiaires du projet de
planification 462
bb) Le respect des exigences démocratiques 463
c) Les effets d’un contrôle judiciaire a posteriori 464
d) Le cas particulier du canton de Genève 466
3.2.4. Synthèse 467
4. Conclusion 469
D. La création d’aires de stationnement hors d’une zone à bâtir 470
1. La jurisprudence du Tribunal fédéral 471
1.1. La création d’une aire par la voie de l’autorisation dérogatoire 471
1.2. La création de places par le biais de mesures urgentes 472
1.3. Appréciation au regard des droits fondamentaux des Tziganes 474
1.3.1. Une analyse lacunaire des possibilités du régime dérogatoire 474
1.3.2. Une analyse confuse de l’atteinte portée aux droits
fondamentaux des Tziganes 475
1.3.3. Appréciation 477
2. La possibilité d’employer la voie dérogatoire 478
2.1. L’octroi d’une autorisation dérogatoire au sens de l’article 24 LAT 478
2.1.1. La notion d’ « implantation imposée par la destination
de l’ouvrage » 478
2.1.2. L’interprétation conforme aux droits fondamentaux de l’article
24 let. a LAT 479
a) Les propositions doctrinales 479
b) Compatibilité avec la jurisprudence fédérale 480
2.2. Appréciation 481
3. La création d’aires à titre de source annexe de revenus pour des
exploitants agricoles 482
3.1. Le projet de révision de l’article 24b LAT 483
3.2. L’intérêt du projet de révision 484
3.3. Les limites du projet de révision 485
3.4. Appréciation 486
4. Conclusion 488
E. Participation et droit de recours des Tziganes et de leurs associations de
défense 489
1. Une participation lacunaire au processus de planification 490
2. La qualité pour recourir des Tziganes et de leurs associations 492

XXIV
Table des matières

2.1. La qualité pour recourir par la voie du recours en matière de


droit public 493
2.1.1. La qualité pour recourir des particuliers 493
2.1.2. La qualité pour recourir des associations 495
a) Le recours corporatif égoïste 495
b) Le recours corporatif spécial 496
2.2. La légitimation active des Tziganes 498
2.2.1. La légitimation active des Tziganes nomades 499
2.2.2. La légitimation active des Tziganes sédentarisés 501
2.3. La qualité pour recourir des associations tziganes 502
2.3.1. Le rôle du droit de recours des associations tziganes 502
2.3.2. Apports et limites du recours corporatif égoïste 503
2.3.3. Apports et limites du recours corporatif spécial 505
a) La réalisation de l’égalité des armes 505
b) Une fonction préventive 506
2.4. La qualité de « victime » au sens de la CEDH 507
3. Conclusion 509
F. Synthèse 510

CHAPITRE II : NOMADISME TZIGANE ET ÉTABLISSEMENT D’UN DOMICILE 513


A. Importance du « domicile » et particularité du nomadisme tzigane 513
B. Nomadisme et domicile civil 514
1. L’état du droit 515
1.1. Le domicile, un « centre d’existence » 515
1.2. La notion de « domicile fictif » au sens de l’article 24 CC 516
2. Evaluation du droit en vigueur à la lumière de l’article 8 al. 2 Cst. 517
3. Propositions de résolution du conflit normatif 518
3.1. L’interprétation conforme à la Constitution 518
3.2. Modification du texte législatif 520
C. Nomadisme et domicile fiscal 521
1. La notion de domicile fiscal 521
2. Le domicile fiscal des Tziganes nomades 522
D. Nomadisme et domicile politique 522
1. Le rôle du domicile en matière de droits politiques 522
2. Les solutions 524
2.1. Au niveau fédéral 524
2.2. Au niveau cantonal 525
3. Appréciation et critique 526
3.1. L’application ratione personae de l’article 3 al. 1, 2ème phrase, LDP 526
3.2. Les difficultés relatives à l’élection de la commune d’origine 528
E. Nomadisme et domicile « usuel »: le cas de Genève 530

XXV
Table des matières

1. Au regard du principe d’égalité 530


2. Au regard du droit au respect du domicile et du droit au logement 532
F. Synthèse 533

CHAPITRE III NOMADISME TZIGANE ET SCOLARISATION OBLIGATOIRE 535


A. Le droit à une éducation de base 535
B. La conciliation de la scolarisation obligatoire et de l’identité minoritaire
tzigane 536
1. Scolarisation et pratique du mode de vie nomade 536
1.1. La gestion du conflit d’intérêts 536
1.2. Les intérêts conflictuels en cause 537
1.3. Les solutions concrètes dégagées par les autorités 539
1.3.1. Les exigences découlant de la promotion de l’intérêt de l’enfant 539
1.3.2. La politique des autorités cantonales 539
a) Le développement de solutions pragmatiques 539
b) Dans le canton de Genève 541
2. L’interdiction du travail des enfants, la scolarisation obligatoire
et la transmission des savoirs traditionnels 543
2.1. L’adéquation du système scolaire aux besoins socio-professionnels
des Tziganes nomades 543
2.2. La réglementation entourant le travail des enfants 544
C. Appréciation 546

CHAPITRE IV LE STATUT DE LA LANGUE JÉNISCH EN SUISSE 547


A. La pratique du jénisch au sein de la communauté tzigane suisse 547
B. La politique de la Confédération à l’égard de la langue jénisch 548
1. Le jénisch en tant que « langue nationale non territoriale » suisse 548
2. Le soutien de la Confédération apporté à la langue jénisch sur la base
de la CLMR 549
3. La reconnaissance d’une nouvelle minorité linguistique suisse ? 551

SYNTHÈSE ET CONCLUSION 555

CONCLUSION GÉNÉRALE 557

INDEX 561

XXVI
Table des abréviations

Table des abréviations


aCC Code civil suisse, du 10 décembre 1907, antérieur à la révision du droit de
la filiation, entrée en vigueur le 1er janvier 1978 (RO 1977 264; FF 1974 II 1ss)
ACEDH Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
aCst. Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 29 mai 1874
aCst. (1848) Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 12 septembre 1848
AF Assemblée fédérale
ALCP Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté euro-
péenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des per-
sonnes, du 21 juin 1999 (RO 2002 1529 ; RS 0.142.112.681)
al. Alinéa
aLMI Loi fédérale sur le marché intérieur, du 6 octobre 1995 (RO 1996 1738 ), an-
térieure à la révision du 1e juillet 2006 (RS 943.02 ; RO 2006 2363)
ASA Archiv für schweizerisches Abagaberecht
ATF Arrêt du Tribunal fédéral
art. Article(s)
BA Archives fédérales
BIT Bureau international du travail
BO/CE Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale - Conseil des Etats
BO/CN Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale - Conseil national
BO/AG Bulletin officiel du canton d’Argovie
BO/BL Bulletin officiel du canton de Bâle-Campagne
BO/FR Bulletin officiel du canton de Fribourg
BO/JU Journal des débats du canton du Jura
BO/VD Bulletin du canton de Vaud
BO/SG Bulletin officiel du canton de Saint-Gall
BO/SH Bulletin officiel du canton de Schaffhouse
BO/SO Bulletin officiel du canton de Soleure
BO/ZG Bulletin officiel du canton de Zoug
BO/ZH Bulletin officiel du canton de Zurich
CAHMIN Comité ad hoc du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités na-
tionales
CAJ-N Commission des affaires juridiques du Conseil national
CAT Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traite-
ments cruels, inhumains ou dégradants, du 19 décembre 1984 (RS 0.105 ;
RO 1987 1307).
CC Code civil suisse, du 10 décembre 1907 (RS 210)
CDE Convention internationale relative aux droits de l’enfant, du 20 novembre
1989 (RS 0.107 ; RO 1998 2055).
CDH Comité des droits de l’homme
CE Conseil des Etats
CEDAW Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes, du 18 décembre 1979 (RS 0.108 ; RO 1999 1579).
CEDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-
tales, du 4 novembre 1950 (Convention européenne des droits de l’homme;
RS 0.101 ; RO 1974 2151).

XXVII
Bibliographie

CEDS Comité européen des droits sociaux


CERD Comité pour l’élimination de la discrimination raciale
CIERD Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de dis-
crimination raciale, du 21 décembre 1965 (RS 0.104 ; RO 1995 1164)
CESCR Comité des droits économiques, sociaux et culturels
CF Conseil fédéral
CJCE Cour de Justice des Communautés européennes
CLMR Charte européenne pour la protection des langues minoritaires ou régiona-
les, du 5 novembre 1992 (RS 0.441.2 ; RO 2003 2507)
CN Conseil national
ComCo Commission fédérale de la concurrence
CP Code pénal suisse, du 21 décembre 1937 (RS 311.0 ; RO 54 781)
CPLRE Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe
CPMN Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités
nationales, du 1er février 1994 (RS 0.441 ; RO 2002 2630)
Cst. Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18 avril 1999 (RS 101 ;
RO 1999 2556)
Cst./AG Constitution du canton d’Argovie
Cst./AI Constitution du canton d’Appenzell-Rhodes intérieures
Cst./AR Constitution du canton d’Appenzell-Rhodes extérieures
Cst./BE Constitution du canton de Berne
Cst./BL Constitution du canton de Bâle-Campagne
Cst./BS Constitution du canton de Bâle-Ville
Cst./FR Constitution du canton de Fribourg
Cst./GE Constitution du canton de Genève
Cst./GL Constitution du canton de Glaris
Cst./GR Constitution du canton des Grisons
Cst./JU Constitution du canton du Jura
Cst./LU Constitution du canton de Lucerne
Cst./NE Constitution du canton de Neuchâtel
Cst./NW Constitution du canton de Nidwald
Cst./OW Constitution du canton d’Obwald
Cst./SG Constitution du canton de Saint-Gall
Cst./SH Constitution du canton de Schaffhouse
Cst./SO Constitution du canton de Soleure
Cst./SZ Constitution du canton de Schwyz
Cst./TG Constitution du canton de Thurgovie
Cst./TI Constitution du canton du Tessin
Cst./UR Constitution du canton d’Uri
Cst./VD Constitution du canton de Vaud
Cst./VS Constitution du canton du Valais
Cst./ZG Constitution du canton de Zoug
Cst./ZH Constitution du canton de Zurich
DC Droit de la construction
DEP Droit de l’environnement dans la pratique
DFJP Département fédéral de justice et police
D.R. Recueil des décisions de la Commission européenne des droits de l’homme
DT Dispositions transitoires
et al. Et autres

XXVIII
Table des abréviations

FF Feuille fédérale
GC Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme
HRLJ Human Rights Law Journal
IJMGR International Journal on Minority and Group Rights
JAAC Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération
JT Journal des Tribunaux
LaLAT/GE Loi genevoise d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du terri-
toire, du 4 juin 1987 (RS/GE L 1 30)
LAS Loi fédérale sur la compétence en matière d'assistance des personnes dans
le besoin, du 24 juin 1977 (RS 851.1 ; RO 1978 221).
LAT Loi fédérale sur l’aménagement du territoire, du 22 juin 1979 (RS 700 ;
RO 1979 1573 )
LCI/GE Loi genevoise sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril
1988 (RS/GE L 5 05)
LComIt Loi fédérale sur le commerce itinérant, du 23 mars 2001 (RS 943.1 ; RO
2002 3080)
LCPR Loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pé-
destre, du 4 octobre 1985 (RS 704 ; RO 1986 2506 )
LDFR Loi fédérale sur le droit foncier rural, du 4 octobre 1991 (RS 211.412.11 ;
RO 1993 1410)
LDP Loi fédérale sur les droits politiques, du 17 décembre 1976 (RS 161.1 ;
RO 1978 688)
LEg Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes, du 24 mars 1995
(RS 151.1 ; RO 1996 1498)
let. / lit. Lettre
LEtr Loi fédérale sur les étrangers, du 16 décembre 2005 (entrée en vigueur le 1er
janvier 2008 (FF 2005 6885)
LF Loi fédérale
LFo Loi fédérale sur les forêts, du 4 octobre 1991 (RS 921.0 ; RO 1992 2521)
LHand Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les handicapés, du 13
décembre 2002 (RS 151.3 ; RO 2003 4487)
LMI Loi fédérale sur le marché intérieur, du 6 octobre 1995 (RS 943.02 ; RO 1996
1738 )
LN Loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse, du 29 sep-
tembre 1950 (RS 141.0 ; RO 1952 1115 )
LPE Loi fédérale sur la protection de l’environnement, du 7 octobre 1983
(RS 814.01 ; RO 1984 1122)
LPN Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage, du 1er juillet 1966
(RS 451 ; RO 1966 1694 )
LSEE Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers, du 26 mars 1931
(abrogée par l’entrée en vigueur de la LEtr) (RS 142.20 ; RO 49 279)
LTAF Loi fédérale sur le Tribunal administratif fédéral, du 17 juin 2005
(RS 173.32 ; RO 2006 2197)
LTF Loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (RS 173.110 ; RO 3005
1205)
LTr Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce, du 13
mars 1964 (RS 822.11 ; RO 1966 57)
MGC Mémorial du Grand Conseil du canton de Genève
MG-S-ROM Groupe de spécialistes sur les Roms/Tsiganes du Conseil de l’Europe

XXIX
Bibliographie

N° Numéro
OAT Ordonnance fédérale sur l’aménagement du territoire, du 28 juin 2000
(RS 700.1 ; RO 2000 2047)
OComIt Ordonnance fédérale sur le commerce itinérant, du 4 septembre 2002
(RS 943.11 ; RO 2002 3355)
OEArr Ordonnance fédérale concernant l’entrée et la déclaration d’arrivée des
étrangers, du 14 janvier 1998 (RS 142.211 ; RO 1998 194 ).
OFC Office fédéral de la culture
OFJ Office fédéral de la justice
OHand Ordonnance sur l’élimination des discriminations frappant les personnes
handicapées, du 19 novembre 2003 (RS 151.31; RO 2003 4501)
OIT Organisation internationale du travail
OJ Loi fédérale d’organisation judiciaire, du 16 décembre 1943 (RO 60 269)
OLE Ordonnance fédérale limitant le nombre des étrangers, du 6 octobre 1986
(RO 1986 1791).
OLT 1 Ordonnance fédérale 1 relative à la loi sur le travail, du 10 mai 2000 (RS
822.111 ; RO 2000 1581)
ONU Organisation des Nations Unies
OPB Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit, du 15 décembre 1986
(RS 814.41; RO 1987 338)
OSCE Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe
Pacte I Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du
16 décembre 1966 (RS 0.103.1 ; RO 1974 2151)
Pacte II Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 16 décembre
1966 (RS 0.107 ; RO 1974 2151)
PJA Pratique juridique actuelle
RDAF Revue de droit administratif et fiscal
RDS Revue de droit suisse
RFJ Revue fribourgeoise de jurisprudence
Rec. Recueil officiel des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
req. Requête
RGDIP Revue générale de droit international public
RGP Repertorio di giurisprudenza patria
RLCI/GE Règlement genevois d’application de la loi sur les constructions et les ins-
tallations diverses, du 27 février 1978 (RS/GE L 5 05.01)
RO Recueil officiel des lois fédérales
RPS Revue pénale suisse
RS Recueil systématique du droit fédéral
RS/AG Recueil systématique de la législation du canton d’Argovie
RS/AI Recueil systématique de la législation du canton d’Appenzell-Rhodes inté-
rieures
RS/AR Recueil systématique de la législation du canton d’Appenzell-Rhodes exté-
rieures
RS/BE Recueil systématique de la législation du canton de Berne
RS/BL Recueil systématique de la législation du canton de Bâle-Campagne
RS/BS Recueil systématique de la législation du canton de Bâle-Ville
RS/FR Recueil systématique de la législation du canton de Fribourg
RS/GE Recueil systématique de la législation du canton de Genève
RS/GL Recueil systématique de la législation du canton de Glaris

XXX
Table des abréviations

RS/GR Recueil systématique de la législation du canton des Grisons


RS/JU Recueil systématique de la législation du canton du Jura
RS/LU Recueil systématique de la législation du canton de Lucerne
RS/NE Recueil systématique de la législation du canton de Neuchâtel
RS/NW Recueil systématique de la législation du canton de Nidwald
RS/OW Recueil systématique de la législation du canton d’Obwald
RS/SG Recueil systématique de la législation du canton de Saint-Gall
RS/SH Recueil systématique de la législation du canton de Schaffouse
RS/SO Recueil systématique de la législation du canton de Soleure
RS/SZ Recueil systématique de la législation du canton de Schwyz
RS/TG Recueil systématique de la législation du canton de Thurgovie
RS/TI Recueil systématique de la législation du canton du Tessin
RS/UR Recueil systématique de la législation du canton d’Uri
RS/VD Recueil systématique de la législation du canton de Vaud
RS/VS Recueil systématique de la législation du canton du Valais
RS/ZG Recueil systématique de la législation du canton de Zoug
RS/ZH Recueil systématique de la législation du canton de Zurich
RSDIE Revue suisse de droit international et de droit européen
RTDH Revue trimestrielle des droits de l’homme
SECO Secrétariat d’Etat à l’économie
SJ La Semaine judiciaire
TA Tribunal administratif
TF Tribunal fédéral
UE Union européenne
UN Doc. Document des Nations Unies
v. versus
vol. Volume
ZBl. Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht
***
Nota Bene :
Les arrêts et les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sont cités
conformément à la manière employée par le Comité des publications de la Cour Tou-
tefois, par souci de clarification, nous avons rajouté l’acronyme « ACEDH » en tête.

Les arrêts et les décisions de l’ancienne Cour sont cités comme suit. Par exemple :
ACEDH Plattform « Ärtze für das Leben » c. Autriche, arrêt du 21 juin 1988, série A n°
139, § 31.

Les arrêts et les décisions de la nouvelle Cour publiés dans le recueil officiel à partir
du 1er novembre 1998 sont cités de la manière suivante, en suivant les usages du Co-
mité des publications : acronyme ACEDH, nom de l’affaire (en italique), numéro de la
requête, numéro du paragraphe (pour les arrêts), sigle de la Cour européenne des
Droits de l’Homme (CEDH), année et numéro du recueil (ex. : ACEDH Dupont c.
France, n° 45678/98, § 24, CEDH 1999-II).

Un arrêt rendu par la Grande Chambre est signalé ainsi : [GC] (ex. : ACEDH Dupont
c. France [GC], n° 45678/98, § 24, CEDH 1999-II).

Quant aux arrêts et décisions non publiés dans le recueil officiel, ils suivent le format

XXXI
Bibliographie

suivant : acronyme ACEDH, nom de l’affaire (en italique), numéro de la requête, nu-
méro de paragraphe, date de l’arrêt ou de la décision (ex. : ACEDH Dupont c. France,
n° 43568/98, § 24, 3 mai 1999).

XXXII
Bibliographie

Bibliographie

Nota bene : A défaut d’indication spécifique, les documents référencés ci-après


sont cités par le nom de leur(s) auteur(s).

A. SOURCES

I. INTERNATIONAL

1. DOCUMENTS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES

1.1. OBSERVATIONS GENERALES


COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
- Observation générale n° 3, La nature des obligations des Etats parties (art. 2, par.
1, du Pacte), du 14 décembre 1990, UN Doc. E/1991/23 (cité : Observation gé-
nérale n° 3 du CESCR).
- Observation générale n° 4, Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1, du
Pacte), du 13 décembre 1991, UN Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 (cité : Observation
générale n° 4 du CESCR).
- Observation générale n° 7, Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1, du
Pacte) : expulsions forcées, du 20 mai 1997, UN Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 (cité :
Observation générale n° 7 du CESCR).
- Observation générale n° 9, L’application en droit interne du Pacte, du 3 décem-
bre 1998, UN Doc. E/C.12/1998/24 (cité : Observation générale n° 9 du
CESCR).
- Observation générale n° 12, Le droit à une nourriture suffisante (art. 11 du Pacte),
du 12 mai 1999, UN Doc. E/C.12/1999/5 (cité : Observation générale n° 12 du
CESCR).
- Observation générale n° 13, Le droit à l’éducation (art. 13 du Pacte), du 8 dé-
cembre 1999, UN Doc. E/C.12/1999/10 (cité : Observation générale n° 13 du
CESCR).
- Observation générale n° 14, Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être at-
teint, du 11 août 2000, UN Doc. E/C.12/2000/4 (cité : Observation générale n°
14 du CESCR).
- Observation générale n° 15, Le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte), du 20 janvier
2003, UN Doc. E/C.12/2002/11 (cité : Observation générale n° 15 du CESCR).

XXXIII
Bibliographie

- Observation générale n° 16, Droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de


tous les droits économiques, sociaux et culturels (art. 3 du Pacte), du 11 août 2005,
UN Doc. E/C.12/2005/4 (cité : Observation générale n° 16 du CESCR).

COMITE DES DROITS DE L’HOMME


- Observation générale n° 18, La non- discrimination, du 10 novembre 1989, UN
Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 (cité : Observation générale n° 18 du CDH).
- Observation générale n° 23, La protection des minorités, du 8 avril 1994, UN
Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.5 (cité : Observation générale n° 23 du CDH).
- Observation générale n° 30, Obligation de présenter des rapports qui incombe aux
Etats parties en vertu de l’article 40 du Pacte, du 16 juillet 2002, UN Doc.
HRI/GEN/1/Rev.7 (cité : Observation générale n° 30 du CDH).

COMITE POUR L’ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


- Observation générale n° 8, Interprétation et application de l’article 1 § 1 et § 4
(Identification avec un groupe racial ou ethnique particulier), du 22 août 1990, UN
Doc. A/45/18, annexe V (cité : Observation générale n° 8 du CERD).
- Observation générale n° 14, Definition of discrimination (art. 1 § 1), du 22 mars
1993, A/45/18, annexe V (cité : Observation générale n° 14 du CERD).
- Observation générale n° 21, Le droit à l’autodétermination, du 23 août 1996, UN
Doc. A/45/18, annexe V (cité : Observation générale n° 21 du CERD).
- Observation générale n° 23, Les peuples autochtones, du 18 août 1997, UN Doc.
A/52/18, annexe V (cité : Observation générale n° 23 du CERD).
- Observation générale n° 27, La discrimination à l’égard des Roms, du 16 août
2000, UN Doc. A/55/18, annexe V (cité : Observation générale n° 27 du
CERD).
- Observation générale n° 30, Discrimination against Non Citizens, du 1er octobre
2004, UN Doc. A/45/18, annexe V (cité : Observation générale n° 30 du
CERD).

1.2. COMMENTAIRES, RAPPORTS


BOSSUYT Marc, Protection des peuples autochtones et des minorités et prévention de
la discrimination à leur égard – la notion d’action positive et son application pratique,
Rapport intérimaire du Rapporteur spécial, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/2001/15.

BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL, 280ème session, Conseil d’administration,


18ème question à l’ordre du jour, Rapport du Directeur général, GB.280/18 (ci-
té : Rapport du Directeur général du BIT).

BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL, L’administration de la justice, les droits éco-


nomiques, sociaux et culturels, protection des peuples autochtones et des minorités et
prévention de la discrimination à leur égard, Mémorandum du 17 juillet 2001 pré-

XXXIV
Bibliographie

senté par le BIT à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des


droits de l’homme, 53ème session, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/2001/24 (cité : Mé-
morandum du BIT, 2001).

CAPOTORTI Francesco, Etude des droits des personnes appartenant aux minorités
ethniques, religieuses et linguistiques, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1979/384/Rev.1.

EIDE Asbjörn, DAES Erika-Irene, Le lien et la distinction entre les droits des person-
nes appartenant à des minorités et ceux des peuples autochtones, Document de tra-
vail du 19 juillet 2000, préparé à destination de la Sous-Commission de la
promotion et de la protection des droits de l’homme, UN Doc.
E/CN.4/Sub.2/2000/10.

GROUPE DE TRAVAIL SUR LES MINORITES DES NATIONS UNIES, Commentaire sur la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minori-
tés nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, du 31 mars 2005, UN Doc.
E/CN.4/Sub.2/AC.5/2005/2.

KOHTARI Miloon, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant


qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, du 8 mars 2004, UN Doc.
E/CN.4/2004/48.

2. DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE


COMITE CONSULTATIF CONVENTION- CADRE POUR LA PROTECTION DES MI-
DE LA
NORITES NATIONALES,
Avis sur la Suisse, Strasbourg, 20 février 2003,
ACFC/OP/I(2003)007 (cité : Avis sur la Suisse).

COMITE D’EXPERTS DE LA CHARTE EUROPEENE DES LANGUES MINORITAIRES OU RE-


GIONALES
- Premier rapport sur la Suisse, 1er juin 2001, ECRML (2001) 7 (cité : Premier rap-
port du Comité d’Experts de la CLMR).
- Deuxième rapport sur la Suisse, 22 septembre 2004, ECRML (2004) 6 (cité :
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR).

COMMISSION EUROPEENNE CONTRE LE RACISME ET L’INTOLERANCE, Troisième rap-


port sur la Suisse, adopté le 23 juin 2003, CRI (2004) 5 (cité : Rapport ECRI).

COMMISSION EUROPEENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT, Projet de rapport


sur les non-ressortissants et le droit des minorités, du 18 septembre 2006, Etude
n° 294/2004, CDL-MIN(2006)002 (cité : COMMISSION DE VENISE).
GIL- ROBLES Alvaro, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, Rapport final sur la situaiton en matière de droits de l’homme des Roms,

XXXV
Bibliographie

Sintis et Gens du Voyage en Europe, du 15 février 2006, CommDH(2006) 1 (cité :


Rapport du Commissaire aux droits de l’homme).

GROUPE DE SPECIALISTES SUR LES ROMS/TSIGANES :


- Mémorandum préparé par le Secrétariat sur les problèmes auxquels sont confrontés
les Roms/Tsiganes en matière de logement, du 17 mars 2000, MG- S- ROM 2000 (3)
(cité : MG- S- ROM 2000 (3)).
- La circulation des voyageurs dans les pays membres du Conseil de l’Europe, du 23
juin 2002, MG- S- ROM (2002) 10 rev. (cité : MG- S- ROM (2002) 10 rev.).

3. DOCUMENTS DE L’OSCE
ORGANISATION POUR LA SECURITE ET LA COOPERATION EN EUROPE, Report on the
Situation of Roma and Sinti in the OSCE Area, La Haye 2000.

4. DOCUMENTS DE L’UNION EUROPEENNE


RESEAU U.E. DES EXPERTS INDEPENDANTS EN MATIERE DE DROITS FONDAMENTAUX,
Thematic Comment n° 3 : The Protection of Minorities in the European Union,
Bruxelles, 25 avril 2005.

5. DOCUMENTS ETRANGERS
SENAT FRANÇAIS, Le stationnement des Gens du voyage, Les documents de travail
du Sénat, Série « Législation comparée », n° LC 145, Paris, avril 2005.

II. SUISSE

1. Avis et RAPPORTS FEDERAUX


Avant- projet de loi et rapport explicatif du 6 décembre 2001 de la Commission
des affaires juridiques du Conseil national donnant suite à l’initiative parle-
mentaire relative à l’indemnisation des victimes stérilisées de force (cité : Rap-
port du 6 décembre 2001 de la CAJ- N). Disponible sur le site internet de l’Office
fédéral de la justice (http://ofj.admin.ch).

Avis de droit de l’Office fédéral de la justice :


- Avis du 22 janvier 2001, Relation entre le droit de référendum cantonal et commu-
nal (art. 39 Cst.) et l’obligation de contribuer à la réalisation des droits fondamentaux
(art. 35 al. 2 Cst.), JAAC 65 (2001) n° 35, pp. 357-363 (cité : OFJ (2001)).
- Avis du 27 mars 2002, Rechtsstellung der Fahrenden in der Schweiz hinsichtlich
ihrer Eigenschaft als anerkannte nationale Minderheit, JAAC 66 (2002) n° 50, pp.
577-608 (cité : OFJ (2002)) ;

XXXVI
Bibliographie

- Avis du 13 février 2004, Konsequenzen des Bundesgerichtsentscheids BGE 129 I


232 ff. betreffend Einbürgerungen für die Institution des Verwaltungsreferendums,
JAAC 68 (2004), n° 82, pp. 1062-1076 (cité : OFJ (2004)).

CONSEIL FEDERAL, Avis du 16 septembre 1991 relatif à l’initiative parlementaire


Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », FF 1991 460 (cité :
Avis du Conseil fédéral du 16 septembre 1991).

CONSEIL FEDERAL, Avis du 3 septembre 2003 relatif au rapport du 23 juin 2003


de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant
l’initiative parlementaire 99.451, FF 2003 5797 (cité : Avis du Conseil fédéral du
3 septembre 2003).

COMMISSION FEDERALE DE LA CONCURRENCE, Empfehlungen der Wettbewerbskom-


mission vom 7. September 1998 bettrefend Wandergewerbegesetzgebungen und
BGBM zuhanden der kantonalen Justiz- und Polizeidirektionen, Droit et politique
de la concurrence, 3/1998, pp. 446-454 (cité : Recommandations de la ComCo).

Rapport du 18 octobre 2006 du Conseil fédéral sur la situation des gens du


voyage en Suisse, Partie I : La Convention de l’Organisation internationale du
Travail sur les peuples indigènes et tribaux : conséquences d’une éventuelle ra-
tification (cité : Rapport du 18 octobre 2006 du CF, Partie I). Disponible sur le site
internet du Département fédéral de l’économie (http://www.evd.admin.ch).

Rapport du 18 octobre 2006 du Conseil fédéral sur la situation des gens du


voyage en Suisse, Partie II : Créations d’aires de séjour et de transit pour les
gens du voyage : possibilités d’action de la Confédération (cité : Rapport du 18
octobre 2006 du CF, Partie II). Disponible sur le site internet du Département fédé-
ral de l’économie (http://www.evd.admin.ch).

Rapport initial du gouvernement suisse sur la mise en œuvre de la Conven-


tion-cadre pour la protection des minorités nationales, avril 2001, ACFC/SR
(2001) 002 (cité : Rapport initial suisse relatif à la CPMN).

Rapport initial présenté par la Suisse relatif à la Charte européenne des lan-
gues minoritaires ou régionales, du 2 décembre 1999, MIN-LANG/PR (1999) 7
(cité : Rapport initial suisse relatif à la CLMR).

Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse relatif à la Charte euro-


péenne des langues minoritaires ou régionales, du 14 janvier 2003, MIN-
LANG/PR (2003) 3 (cité : Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR).

XXXVII
Bibliographie

Troisième rapport périodique présenté par la Suisse relatif à la Charte euro-


péenne des langues minoritaires ou régionales, du 24 mai 2006, MIN-
LANG/PR (2006) 3 (cité : Troisième rapport suisse relatif à la CLMR).

Rapport du 23 juin 2003 de la Commission des affaires juridiques du Conseil


national concernant l’initiative parlementaire 99.451, FF 2003 5753 (cité : Rap-
port du 23 juin 2003 de la CAJ-N).

Rapport explicatif du 22 avril 2005 relatif au projet de révision partielle du


droit de l’aménagement du territoire (cité : Rapport explicatif du 22 avril 2005).
Disponible sur le site internet de l’Office fédéral du développement territorial
(http://www.are.admin.ch).

Rapport explicatif du 10 juin 2005 relatif au projet de loi fédérale sur


l’encouragement de la culture (LEC) et révision totale de la loi fédérale concer-
nant la fondation « Pro Helvetia » (LPH) (cité : Rapport explicatif du 10 juin
2005). Disponible sur le site internet de l’Office fédéral de la culture
(http://www.culture- suisse.admin.ch).

Rapport explicatif relatif à l’avant- projet de rapport du 22 juin 2005 du Conseil


fédéral sur la situation des gens du voyage en Suisse (cité : Rapport explicatif
du 22 juin 2005). Disponible sur le site internet du Département fédéral de l’économie
(http://www.evd.admin.ch).

2. MESSAGES DU CONSEIL FEDERAL


Message du Conseil fédéral du 24 juin 1872 touchant un projet de loi sur les
élections et les votations fédérales, FF 1872 II 811.

Message du Conseil fédéral du 10 octobre 1944 sur la demande d’initiative


pour la famille, FF 1944 I 825 (cité : Message du Conseil fédéral sur la demande
d’initiative pour la famille).

Message du Conseil fédéral du 5 juin 1974 concernant la modification du code


civil suisse, FF 1974 II 84.

Message du Conseil fédéral du 24 février 1993 concernant la loi sur l’égalité en-
tre femmes et hommes (loi sur l’égalité), FF 1993 I 1163 (cité : Message du
Conseil fédéral relatif à la LEg).

Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle consti-


tution, FF 1997 I 1 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à une nouvelle
constitution).

XXXVIII
Bibliographie

Message du Conseil fédéral du 25 novembre 1996 concernant la Charte euro-


péenne des langues régionales ou minoritaires, FF 1997 I 1105 (cité : Message
du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLRM).

Message du Conseil fédéral du 19 novembre 1997 relatif à la Convention-cadre


du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales, FF 1998 I
1033 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à la CPMN).

Message du Conseil fédéral du 31 mars 1999 relatif à l’adoption de la conven-


tion du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide, FF 1999 4911 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à la Convention
contre le génocide).

Message du Conseil fédéral du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords


sectoriels entre la Suisse et la CE, FF 1999 5440 (cité : Message du Conseil fédé-
ral relatif aux accords bilatéraux).

Rapport et Message du Conseil fédéral du 20 septembre 1999, sur les instru-


ments adoptés en 1997, 1998 et 1999 par la Conférence internationale du Tra-
vail lors de ses 85ème, 86ème et 87ème sessions et sur la convention (n° 144)
concernant les consultations tripartites destinées à promouvoir la mise en œu-
vre des normes internationales du travail, 1976, FF 2000 292 (cité : Message du
Conseil fédéral relatif à la convention n° 144).

Message du Conseil fédéral du 28 juin 2000 relatif à la loi sur le commerce iti-
nérant, FF 2000 3849 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt).

Message du Conseil fédéral du 14 février 2001 concernant l’octroi d’un crédit-


cadre à la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » pour les
années 2002 à 2006, FF 2001 1490 (cité : Message du Conseil fédéral concernant
l’octroi d’un crédit-cadre pour les années 2002 à 2006).

Message du Conseil fédéral du 29 août 2001 relatif à la reconnaissance de la


compétence du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD)
pour recevoir et examiner des communications au sens de l’art. 14 de la
Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, FF 2001 5649 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à
la reconnaissance de la compétence du CERD).

Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers,
FF 2002 3469.

XXXIX
Bibliographie

Message du Conseil fédéral du 29 novembre 2002 relatif à la loi fédérale sur le


partenariat enregistré entre personnes du même sexe, FF 2003 1192.

Message du Conseil fédéral du 24 novembre 2004 relatif à la révision de la loi


sur le marché intérieur, FF 2005 421 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à
la révision de la LMI).

Message du Conseil fédéral du 2 décembre 2005 relatif à la révision partielle de


la loi sur l’aménagement du territoire, FF 2005 6629 (cité : Message du Conseil
fédéral relatif à la révision de la LAT).

Message du Conseil fédéral du 28 mars 2006 concernant l’octroi d’un crédit-


cadre à la fondation «Assurer l’avenir des gens du voyage suisses» pour les
années 2007–2011, FF 2006 2951 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à
l’approbation du crédit-cadre pour les années 2007-2011).

3. RAPPORTS CANTONAUX
Groupe de Travail du Conseil d’Etat du Canton de Berne, Die Probleme der Fa-
hrenden im Kanton Bern, Berne 1980.

B. DOCTRINE

AEMISEGGER Heinz, HAAG Stephan, Article 33, in : « Commentaire de la loi fé-


dérale sur l’aménagement du territoire », H. AEMISEGGER, A. KUTTLER, P.
MOOR, A. RUCH (éd.), Zurich 1999 (cité : AEMISEGGER/HAAG (art. 33)).

ALEXANDERSSON Martin, Statut des Rom (Tsiganes) au regard des législations na-
tionales en Europe, CAHMIN, Strasbourg 1993.

ALFREDSSON Gudmundur,
- Minority Rights in a New World Order, in : « Broadening the Frontiers of Hu-
man Rights – Essays in Honour of Asbjörn Eide », D. GOMIEN (éd.), Oslo 1993,
pp. 55-77 (cité : ALFREDSSON (1993)).
- A Framework with an Incomplete Painting : Comparison of the Framework Conven-
tion for the Protection of National Minorities with International Standards and Mo-
nitoring Procedures, IJMGR, 2000, n° 7, pp. 291-304 (cité : ALFREDSSON (2000)).
- Article 4, in : « The Rights of Minorities in Europe – A Commentary on the
European Framework Convention for the Protection of National Minorities »,
M. WELLER (éd.) (cité : ALFREDSSON (art. 4)).

XL
Bibliographie

- Round Table on « Non-citizens and Minority Rights » (Geneva, 16 June 2006) : Re-
port, Etude 294/2004 de la Commission européenne pour la démocratie par le
droit, CDL(2006)053, Strasbourg 2006 (cité : ALFREDSSON (2006)).

ALFREDSSON Gudmundur, DE ZAYAS Alfred, Minority Rights : Protection by the


United Nations, HRLJ 1993, vol. 14, n° 1- 2, pp. 1- 9.

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LXVIII
Introduction générale

Introduction générale

1. La question de la situation juridique des Tziganes en Suisse conduit


immédiatement à un premier constat: cette problématique dépasse clairement
le cadre exclusif de l’analyse juridique.
2. S’interroger sur la place – ou l’absence de place – qui est faite aux per-
sonnes possédant une tradition culturelle de nomadisme dans notre ordre ju-
ridique implique certes un examen du droit positif et une vision prospective.
Cependant, cela exige également, et sans doute avant tout, une recherche his-
torique et sociologique relative au statut des Tziganes dans notre société sé-
dentaire. Peu de problématiques démontrent sans doute aussi bien que, si le
droit positif est appelé à agir sur les rapports sociaux et à les réguler, il dérive
avant tout de ces derniers et de leur construction historique et culturelle dans
une société1.
3. L’évolution de la place des Tziganes au sein de la société et de l’ordre
juridique suisses est un exemple frappant de l’évolution qu’a connue le droit
dans notre pays au cours du XXème siècle dans le domaine de la protection
des droits de l’homme.
4. Une simple comparaison de la loi fédérale relative à la fondation
« Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », du 7 octobre 19942, et de la
circulaire du Conseil fédéral adressée aux cantons le 11 juillet 1906 concernant
« les mesures à prendre contre les Tziganes »3, illustre la transformation qui
s’est effectuée en un siècle. Tandis qu’en 1906, le Conseil fédéral espérait que
ses propositions permettraient de « préserver le plus possible [la Suisse] du
fléau des tziganes»4, il constate cent ans plus tard que la loi, en affirmant le
soutien de la Confédération à la fondation pour préserver « l’identité culturelle
de la population nomade »5, reconnaît le statut des « nomades » en tant que
« minorité culturelle suisse à part entière »6.
5. Le changement de politique est donc radical et il n’est pas difficile d’y
voir les conséquences du développement et de l’influence croissante, au cours

1
ASSIER-ANDRIEU/GOTMAN, p. 5.
2
RS 449.1 ; RO 1996 3040.
3
FF 1906 IV 308.
4
FF 1906 IV 309.
5
Art. 1er de la loi fédérale relative à la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisse », du 7
octobre 1994 (RS 449.1 ; RO 1996 3040).
6
Message du Conseil fédéral relatif à l’acceptation du crédit-cadre pour les années 2007-2011, FF
2006 2956.

1
La situation juridique des Tziganes en Suisse

des décennies, du corpus international de normes protégeant les droits de


l’homme et des minorités. Malgré cela, force est de constater que le dialogue
récemment noué entre cette communauté et les autorités demeure difficile. Les
Tziganes suisses forment encore une minorité méconnue, à l’égard de laquelle
s’exprime un nombre difficilement égalé de préjugés et de stéréotypes.
6. Ces obstacles rendent ardue la détermination exacte des enjeux de la
reconnaissance du mode de vie nomade, en tant qu’expression d’une identité
culturelle minoritaire. Malgré une activité croissante des autorités à cet effet
depuis la fin des années 1990, on peine encore à identifier précisément les be-
soins, les enjeux socio-juridiques, ainsi que les solutions matérielles et légales
pour désamorcer les conflits qui opposent encore quotidiennement la société
majoritaire et cette communauté.
7. L’objectif de cette étude est donc de déterminer la nature des relations
juridiques entre la minorité tzigane en Suisse et l’Etat, de manière à définir le
rôle et la responsabilité de la pluralité des acteurs étatiques, à chaque degré de
l’Etat fédéral, à l’égard de cette communauté particulièrement vulnérable.
8. Les obstacles à sa pleine intégration au sein de la société suisse ne sont
pas uniquement de nature politique, mais également juridique. Cependant,
nous pourrons constater que les solutions ne peuvent pas exclusivement se
développer au sein de l’ordre juridique, mais doivent être aussi le fruit d’une
volonté politique.
9. Le défi pour l’ordre juridique est élevé. Nous constaterons que d’un
point de vue historique, le droit a constitué le « bras armé » de la répression
culturelle minoritaire des Tziganes, en Suisse comme ailleurs. Dès lors, les
principaux intéressés s’en méfient. Aujourd’hui, toutefois, sous l’influence du
droit international des droits de l’homme et des minorités, il offre aussi pour la
première fois des solutions, sous la forme de prétentions justiciables.
10. Toutefois, nous constaterons que la situation socio-écononmique de
cette communauté est si délicate qu’elle ne peut se résoudre sous la simple im-
pulsion de ses membres et par le biais de l’intervention du juge constitution-
nel. Elle impose une action politique concertée pour parvenir à des résultats
concrets et à une amélioration des conditions de vie de ses membres, ainsi que
de ses relations avec la majorité.
11. Pour clarifier la nature de la situation juridique des Tziganes en Suisse
ainsi que la portée des droits et obligations existant à leur égard, nous procé-
derons en quatre étapes. Premièrement, nous poserons des jalons historiques
et socio-économiques destinés non seulement à donner à la problématique un
contexte expliquant la source des difficultés actuelles, mais également à expo-
ser les étapes ayant marqué les relations entre l’Etat et cette communauté à
travers les siècles en Suisse. Cette démarche permettra de mettre en balance

2
Introduction générale

une histoire mouvementée, d’une part, et l’évolution rapide au regard de


l’Histoire du statut officiel de cette minorité, d’autre part (Titre premier).
12. Dans une deuxième partie, nous exposerons l’importance et l’impact
des sources internationales en matière de protection des minorités et des droits
de l’homme. Ceci replacera la situation des Tziganes en Suisse dans son
contexte international.
13. Nous constaterons que les organisations internationales sont très acti-
ves dans ce domaine. En effet, les enjeux pour protéger efficacement cette
communauté à travers le continent européen sont complexes et leur compré-
hension nécessite de dépasser les frontières nationales. Une ouverture vers les
efforts que ces organisations déploient et leurs recommandations devraient
permettre de mieux définir les politiques à suivre et à mettre en œuvre au ni-
veau local (Titre deuxième).
14. Troisièment, nous analyserons la portée matérielle des sources conven-
tionnelles et constitutionnelles protégeant les Tziganes et leur communauté en
Suisse. Nous aurons l’occasion de constater les limites de l’approche actuelle
du droit suisse à l’égard de l’apport spécifique du droit des minorités. Nous
tâcherons de comprendre pourquoi la démarche classique est insuffisante en
ce qui concerne les Tziganes en Suisse.
15. Nous aurons également l’occasion de définir précisément la portée du
principe d’égalité pour cette communauté, et en particulier de l’interdiction de
la discrimination et de la réalisation de l’égalité en fait. Enfin, nous pourrons
constater que l’exercice du mode de vie nomade conduit à donner de nouvel-
les frontières à des libertés classiques bien connues dans un contexte de séden-
tarité, mais qui nécessitent une nouvelle interprétation dans le contexte spéci-
fique du nomadisme (Titre troisième).
16. Enfin, dans notre quatrième et dernière partie, nous analyserons com-
ment ces droits fondamentaux sont intégrés et mis en œuvre dans le droit or-
dinaire, en particulier dans le droit de l’aménagement du territoire. Nous tâ-
cherons d’identifier le potentiel et les limites du droit en vigueur, ainsi que du
principe de l’interprétation conforme aux droits fondamentaux de normes
créées pour encadrer le mode de vie sédentaire. Le cas échéant, nous élabore-
rons des propositions de modification lorsque cela s’avère nécessaire (Titre
quatrième).

3
La situation juridique des Tziganes en Suisse

4
Titre Premier - Introduction

Titre premier: Perspective historique


et socio-économique

Introduction

17. Notre étude débute par une partie essentiellement historique et socio-
logique. Elle permet de placer dans son contexte la situation actuelle, aussi
bien juridique que matérielle, de la communauté tzigane suisse. Elle révèle
qu’elle s’inscrit en Suisse, comme ailleurs en Europe7, dans la perspective
d’une longue tradition, faite de mésentente, d’incompréhension et
d’intolérance, ayant conduit à des pratiques destructrices. Cette analyse cher-
che à clarifier les raisons expliquant les mésententes persistantes et les diffé-
rences de points de vue qui opposent, encore aujourd’hui, la communauté tzi-
gane, la société majoritaire et l’appareil de l’Etat.
18. L’histoire des Tziganes, de leur arrivée en Europe au XVème siècle à
aujourd’hui, est marquée par une lutte pour leur survie individuelle et collec-
tive dans des sociétés qui, bien que toutes différentes les unes des autres dans
le temps et dans l’espace, ont eu en commun de rejeter les personnes exerçant
un mode de vie nomade. La sédentarité, synonyme de stabilité, de fiabilité,
s’opposait – et s’oppose toujours – au nomadisme, perçu comme quelque
chose de suspect, suscitant méfiance et opprobre.
19. Ainsi, ce n’est pas une coïncidence si le rejet historique des Tziganes se
recoupe souvent avec celui de tous les groupes sociaux jetés sur les routes par
la misère. L’étude de la gestion des migrations par les différents ordres juridi-
ques à travers les siècles s’avère instructive pour appréhender la place des Tzi-
ganes dans ces mêmes ordres. On se gardera toutefois de confondre les notions
de migration et de nomadisme, qui ne reflètent pas la même réalité pour les
personnes concernées8. En effet, la migration doit se comprendre comme un
phénomène dont les racines se trouvent dans des motifs politiques et/ou so-
cio-économiques. Les migrations des Tziganes ont pour cause les persécutions
étatiques9 dont ils font l’objet dans un pays donné, qui les poussent à quitter

7
A titre de comparaison dans des Etats voisins de la Suisse, voir, en France, l’étude commandée par
le Ministère français de l’Equipement, des Transports, et du Logement, Légiférer sur les « gens du
voyage » - Genèse et mise en œuvre d’une législation, sous la direction de Louis ASSIER-ANDRIEU et
Anne GOTMAN, Montpelier, 2002 ; en particulier, pp. 8-9. Pour l’Allemagne, se référer à Dörte MAR-
TEN-GOTTHOLD, Der Schutz der Sinti und Roma in der Bundesrepublik Deutschland als ethnische Min-
derheit gemäss Art. 3 Abs. 3 GG, Frankfurt-sur-le-Main, 1998 ; en particulier, pp. 21-35.
8
MATRAS, pp. 2-3.
9
Les raisons poussant les Tziganes à émigrer sont spécifiques et se distinguent de celles des autres
catégories de migrants. MATRAS, pp. 1-2, évoque des facteurs externes aux communautés, tels que

5
La situation juridique des Tziganes en Suisse

massivement la région. Le nomadisme est pour sa part synonyme de déplace-


ments volontaires qui poursuivent des buts économiques, culturels et fami-
liaux10.
20. Ce premier titre a pour objectif d’établir le tableau historique des rela-
tions entre l’Etat et les Tziganes en Suisse, des origines à aujourd’hui. Après un
survol des principaux faits marquants entre les XVème et XXème siècles (Cha-
pitre II), nous placerons principalement l’accent sur les événements qui se sont
produits au cours du XXème siècle.
21. Nous analyserons les mesures policières et administratives mises en
œuvre contre le nomadisme, mais également les mesures médicales et sociales,
d’inspiration eugénique, telles que la stérilisation et l’enlèvement d’enfants
tziganes à leurs familles, qui poursuivaient le même objectif (Chapitre III).
Nous terminerons cette mise en contexte par un examen détaillé de l’évolution
récente du statut officiel des Tziganes en Suisse, depuis 1973. Nous la mettrons
en perspective avec les conditions matérielles de la vie quotidienne de ces der-
niers, façonnées par des réglementations conçues par et pour des sédentaires,
mais également en analysant son influence sur la perception que les Tziganes
suisses ont de l’ordre juridique (Chapitre IV).
22. Dans un premier temps, toutefois, il convient de clarifier certains choix
sémantiques, ainsi que de présenter les données statistiques les plus importan-
tes concernant les Tziganes en Suisse (Chapitre I).

l’hostilité étatique et de la société civile à leur égard et la précarité de leurs conditions de vie, mais
aussi des facteurs internes aux groupes, comme la défiance vis-à-vis des institutions et l’absence
d’identification aux mesures gouvernementales les concernant.
10
LIEGEOIS (1994), p. 27, préfère au couple migration/nomadisme celui de nomadisme conjoncturel/
nomadisme structurel. A notre avis, la notion de « migration » est moins ambiguë et porte moins à
confusion que celle de « nomadisme conjoncturel ».

6
Titre Premier - Terminologie et données statistiques

Chapitre I: Terminologie et données statistiques

A. Les difficultés terminologiques

23. Dans une optique méthodologique et de clarification terminologique,


nous souhaitons expliquer dans un premier temps notre choix d’utiliser le
terme « tzigane ». En effet, la variété des dénominations utilisées hier comme
aujourd’hui pour qualifier les diverses communautés qui pratiquent le voyage
comme mode de vie culturel est problématique. Il n’existe aujourd’hui aucun
qualificatif créant unanimité et satisfaction, que cela soit auprès des principaux
intéressés ou auprès de la communauté scientifique.
24. Cette imprécision est renforcée par le fait que la signification et la por-
tée symbolique des termes changent selon la langue du locuteur11. Le caractère
éminemment polyglotte de la Suisse rend ainsi la tâche plus ardue encore lors-
qu’il s’agit de trouver une expression qui pourrait satisfaire le plus grand
nombre.
25. Dans cette étude, nous parlons de personnes « tziganes12 » pour dési-
gner des personnes qui forment une mosaïque de groupes ethniques et cultu-
rels13. Cette désignation ne provient pas des personnes concernées mais bien
de la société sédentaire majoritaire14. L’usage d’un seul vocable pour dénom-
mer des réalités sociales et ethniques différentes traduit la méconnaissance, la
confusion et l’amalgame ressentis par les non-Tziganes face à ces groupes15.
Nous aurons l’occasion de constater que ces difficultés sémantiques ont éga-
lement des conséquences juridiques, du point de vue de l’applicabilité du droit
international des minorités à ces communautés16.
26. On peut rapprocher cette confusion à celle engendrée par le qualificatif
« Indien » pour désigner l’ensemble des membres des Premières Nations nord-
américaines17. L’exigence de clarté et de lisibilité de cette étude nous pousse

11
HUONKER/LUDI, pp. 13-16 ; LIEGEOIS (1994), p. 37 ; Voir MARCHAND, p. 25, pour une démonstration de
l’acceptabilité du terme en français.
12
Ce terme proviendrait du mot grec « Atsinganoi », c’est-à-dire « Intouchables », désignant les
membres d’une secte de l’Empire byzantin. A travers l’Europe, on associera à cette secte les mem-
bres des communautés du voyage venus de l’Est : Tziganes en France, Zigeuner en Allemagne, Zin-
gari en Italie… Elle peut également s’écrire « Tsigane » ; HEUSS, pp. 109-110 ; LIEGEOIS (1994), p.
18.
13
HUONKER/LUDI, p. 13 ; LIEGEOIS (1994), p. 61. Voir les tableaux récapitulatifs effectués par KLIMOVA-
ALEXANDER, pp. 30-31.
14
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 31 ; MARCHAND, p. 23.
15
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 13 ; MICHON (1993), p. I-8s.
16
infra Titre Deuxième, Chapitre II, Section B, 2.
17
HUONKER (1990), p. 17.

7
La situation juridique des Tziganes en Suisse

toutefois à exclure l’énumération répétée de plusieurs noms de groupes18, et


nous avons donc opté finalement pour le terme « Tzigane », malgré son carac-
tère approximatif. Celui-ci nous semble être le moins stigmatisant en langue
française19, et a été par ailleurs adopté par de nombreuses communautés. D’un
point de vue institutionnel, il est de plus souvent utilisé par le Conseil de
l’Europe, par exemple, dans ses recommandations concernant cette commu-
nauté20.
27. Nous avons donné notre préférence à ce terme car d’autres qualifica-
tifs génériques utilisés couramment n’apportent pas plus grande satisfaction.
Bien qu’employées dans le discours officiel, les expressions « nomades » et
« Gens du Voyage » ou « Voyageurs » (Fahrende) ne seront pas utilisées systé-
matiquement, du fait qu’elles ne correspondent aujourd’hui à la réalité quoti-
dienne que d’une fraction des personnes se qualifiant de Tziganes21 ; il semble
en effet incongru d’employer un tel qualificatif lorsqu’il s’agit de traiter de
personnes entièrement sédentarisées dans la majorité des cas22.
28. On tâchera d’éviter par ailleurs l’utilisation de termes politiquement
corrects tels que « Mobile ethnische Minderheiten» (MeM), utilisés par la police
de Bâle Campagne23. En effet, ces expressions réduisent l’identité de ces com-
munautés au fait de voyager, alors que le voyage n’est que l’une des nombreu-
ses expressions de la culture des Tziganes, même s’il est vrai qu’il en est le
symbole le plus frappant et qu’il est la principale source de conflits dans les
rapports entre Tziganes et non-Tziganes24.
29. Le nom de « Rrom25 » désigne pour sa part l’une des ethnies tziganes,
et a été choisi comme « appellation générique » par plusieurs de leurs organi-

18
Les auteurs germanophones utilisent volontiers le couple « Roma und Sinti », du fait que
« Zigeuner » est extrêmement stigmatisant en allemand. Toutefois, ceci mène à notre avis à une
exclusion des personnes appartenant à d’autres clans et familles que les Rroms et Sinti, et entre au-
tres à celle des Jénisch.
19
Le terme est largement accepté et répandu en France, mais très controversé en Allemagne, où le
terme de Zigeuner signifie « brigand vagabond ». En Suisse, du fait de cette double influence, le
terme est admis par les locuteurs de langue française, et est du moins plus apprécié que celui de
Rrom, violemment rejeté du fait de son association immédiate avec les Tziganes d’origine des pays
de l’Est; voir à ce sujet MAY BITTEL, dans MICHON (1993), p. A-193.
20
Voir par exemple les Recommandations de l’Assemblée parlementaire 563 (1969) relative à la situa-
tion des Tsiganes et autres nomades en Europe et 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe.
Voir également les explications de MARCHAND, pp. 23-25.
21
KREIS, pp. 6-7.
22
Sur les conséquences néfastes d’une approche se basant uniquement sur le nomadisme, voir MI-
CHON (1997), pp. 17-18, ainsi que notre analyse approfondie sur cette question, développée ulté-
rieurement infra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A, 3.2.
23
WALDER, p. 21. Voir à titre d’exemple le rapport « Kriminalstatistik 1999» de la police bâloise, dispo-
nible sur http://www.baselland.ch/docs/jpd/statistik/kriminallage-1999_text.htm [consulté le 11
août 2006].
24
LIEGEOIS (1994), p. 35 ; MICHON (1997), p. 19.
25
Et non « Rom », bien que cette orthographe soit fréquemment utilisée ; à l’instar des termes
« Manouche » ou encore « Jénisch » dans leurs langues respectives, « Rrom » signifie « être hu-
main » en langue romani.

8
Titre Premier - Terminologie et données statistiques

sations représentatives internationales, ainsi que par l’Union européenne26. Du


fait qu’il correspond, par ailleurs, à un groupe bien précis, majoritaire dans les
pays de l’Europe de l’Est, mais qui ne l’est pas en Suisse, nous l’écarterons ce-
pendant.
30. D’autres termes communément employés tels que « Bohémien »,
« Romanichel » ou « Gitan » seront exclus en raison de leur connotation for-
tement péjorative en langue française, ainsi qu’en raison de leur aspect fonda-
mentalement erroné : ils donnent aux Tziganes une origine qui n’est pas la
leur27. En outre, le nom de « forain » désigne une profession qui n’est pas exer-
cée par les Tziganes, et doit donc être écarté.
31. Pour mieux comprendre la difficulté liée à l’usage d’un qualificatif
générique, il faut savoir que les communautés tziganes sont composées de
trois grands groupes28 : premièrement les Rroms, regroupant les sous-groupes
Lovara Kalderas, Curara et Boyasa, qui vivent principalement en Europe de
l’Est et du Sud ; deuxièmement, les Sinti, comprenant les Manouches qui
vivent en France, en Suisse, et en Allemagne ; et finalement les Kalés,
rencontrés surtout en Espagne. Ces groupes parlent des langues s’apparentant
au sanskrit. A ces communautés reconnues usuellement comme étant tziganes,
on ajoutera un quatrième groupe de voyageurs, les Jénisch29.
32. Ces derniers sont d’origine européenne et se rencontrent, entre autres,
en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Ils constituent la très grande majorité
des Tziganes suisses. Leur langue est un mélange, entre autres, d’allemand, de
sanskrit, et de yiddish. Leur origine est débattue30 : certains affirment que leur
présence en Suisse ne dépend pas de l’arrivée des Rroms provenant d’Inde31,
et qu’ils étaient originairement des sédentaires jetés sur les routes par la
Guerre de Trente Ans (1618-1648) et la misère économique et sociale endémi-
que dans les sociétés européennes du Moyen Âge32. Au contraire, d’autres
tiennent pour acquis qu’ils sont les descendants de Rroms venus d’Inde s’étant
liés à des sédentaires au cours des années.
33. La question de leur « tziganité », de la nature de leurs relations vis-à-
vis des communautés tziganes reconnues unanimement comme telles, et des
conséquences juridiques sur le plan du droit des minorités, est très discutée

26
Dans la littérature anglo-saxonne, « Roma » est considéré comme un terme politique employé à ti-
tre de nom générique ; voir ainsi KLIMOVA-ALEXANDER, p. 13.
27
Ainsi, « Bohémien » les situe comme provenant de Bohême, et « Gitan » d’Egypte ; LIEGEOIS
(1994), p. 36.
28
Pour un tableau des différentes appartenances, voir LIEGEOIS (1994), pp. 61-69; voir également MI-
CHON (1993), p. I-57.
29
Voir KLIMOVA-ALEXANDER, pp. 30-31, pour un aperçu des différentes communautés et de leur réparti-
tion géographique.
30
GSCHWEND, p. 387 ; MICHON (1997), p. 20.
31
HUONKER (1990), p. 18.
32
THODE-STUDER, pp. 89-90.

9
La situation juridique des Tziganes en Suisse

dans le monde scientifique33. Une partie de la doctrine les qualifie de « Non-


Romani Gypsy groups of non-Indian origin that have or might become subjects of Ro-
mani activism », les plaçant dans la même catégorie que les Quinquis espagnols
ou encore les Travellers irlandais et écossais34.
34. Les Jénisch se considèrent pour leur part comme Tziganes du fait de
leur mode de vie commun et de leurs valeurs35, tandis que les autres groupes
les acceptent en général36 en tant que tels37. A notre sens, il paraît nécessaire de
prendre en compte l’avis des principaux intéressés pour trancher la question :
les définitions imposées de l’extérieur ont généralement, si ce n’est comme ob-
jectif, du moins comme résultat de ne pas accorder à un groupe certaines qua-
lités, afin précisément d’en nier les particularités, et donc de ne pas lui recon-
naître certains droits y relatifs.
35. Par ailleurs, l’hésitation, voire le refus, de certains scientifiques
d’inclure par le passé les Jénisch dans les communautés tziganes tient souvent
au fait que l’image traditionnelle du Tzigane, presque iconographique, ne re-
couvre pas des individus aux yeux bleus et à la peau claire, comme peuvent
l’être les Jénisch. La part du fantasme et du mythe dans l’approche de la situa-
tion des Tziganes, souvent cristallisée par les scientifiques, doit ainsi être prise
en compte38. Au vu de la diversité des groupes considérés comme « tziganes »,
il ne nous semble cependant pas abusif de regrouper dans un premier temps
les Jénisch, les Sinti, les Manouches ou encore les Rroms sous la même appella-
tion de « Tziganes », et ce dans un souci de clarté, tout en procédant à des dis-
tinctions ponctuelles à l’occasion de certains développements, principalement
d’ordre historique.
36. Pour donner à ce rattachement une base que l’on pourrait qualifier de
scientifique, on se référera ici aux trois principales définitions développées au-
jourd’hui dans le milieu académique pour déterminer qui sont les communau-

33
HUONKER (1990), p. 17 distingue clairement entre les « Zigeuner », qu’il assimile aux Rroms, et les
Jénisch ; contra : LIEGEOIS (1994), p. 35 ; MICHON (1993), pp. I-57-58. Pour un survol des opinions
scientifiques à ce sujet, voir THODE-STUDER, pp. 87-90.
34
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 31.
35
MICHON (1993), p. I-57 ; THODE-STUDER, p. 90.
36
Il existe toutefois des Rroms qui ne reconnaissent pas les Jénisch comme étant des Tziganes. Les
différences liées à la couleur de la peau, mais aussi à la langue, et à certains tabous sont autant de
critères qui permettent selon certains de les exclure de ces communautés. THODE-STUDER, p. 91. MI-
CHON (1997), p. 20, voit, au contraire, dans les nombreux mariages entre la communauté Jénisch et
les autres communautés tziganes une preuve de l’acceptation par ces dernières des Jénisch en tant
que pairs, ce d’autant plus que les Tziganes tentent de se démarquer autant que possible des non-
Tziganes.
37
MAY BITTEL, in : MICHON (1993), p. A-193. L’association Union romani, accréditée par l’ONU, a par ail-
leurs accepté en tant que membre l’association suisse Radgenossenschaft der Landstrasse, compo-
sée majoritairement de Jénisch ; de plus, la fondation suisse « Assurer l’avenir des gens du voyage
suisse» définit les Jénisch dans ses statuts comme appartenant à une communauté tzigane :
« Mitglieder können Jenische, aber auch Zigeuner jedes anderen Stammes werden. » HUONKER
(1990), p. 17 ; HUONKER /LUDI, p. 13.
38
THODE-STUDER, p. 91.

10
Titre Premier - Terminologie et données statistiques

tés tziganes39 . Premièrement, les Tziganes forment historiquement des diaspo-


ras provenant d’une certaine région d’Inde. Deuxièmement, ce sont des com-
munautés caractérisées par une certaine culture et un certain mode de vie, in-
cluant le nomadisme bien sûr, mais également des traditions, des tabous ali-
mentaires et hygiéniques communs. Troisièmement, ces groupes ont des liens
biologiques communs.
37. Il est indéniable que les Jénisch correspondent à deux de ces trois
définitions. Il est en effet indiscuté qu’ils possèdent une langue, des coutumes
et une culture propres qui en font un groupe ethnique spécifique, distinct des
Tziganes d’origine indienne40. Dès lors, il sied de les considérer comme Tziga-
nes.

B. Données statistiques

38. Le nombre de personnes appartenant à des groupes tziganes oscille


aujourd’hui entre huit et onze millions d’individus dans l’ensemble du conti-
nent européen41. Ils se concentrent principalement dans les pays de l’ancien
bloc de l’Est, mais le Royaume-Uni en compte environ 110’000, la France
320’000, l’Espagne 700’000 et l’Allemagne 110’00042. La Suisse en recense ap-
proximativement 30’00043. Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales, dans son Avis sur la Suisse du 20 février
2003, constate qu’il n’existe en Suisse, sur cette question, que des données sta-
tistiques limitées, bien que les chiffres avancés par les autorités coïncident lar-
gement avec ceux des Tziganes. La Suisse est par ailleurs encouragée à com-
pléter ces données44.

39
Voir ainsi la définition de Peter VERMEERSCH développée dans une thèse non publiée, et reprise par
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 13. Voir également les définitions utilisées dans les documents des Nations
Unies au sujet des Tziganes, recensées par KLIMOVA-ALEXANDER, pp. 13-14.
40
GSCHWEND, p. 388 ; HUONKER (1990), pp. 15-18. Nous reviendrons sur la question de l’hétérogénéité
des communautés tziganes, infra Titre Deuxième, Chapitre II, Section B, 2.2.
41
Evaluation du Groupe de spécialistes sur les Roms/Tsiganes du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe (MG-S-ROM), http://www.coe.int. La Banque mondiale, dans son rapport Roma in an Ex-
panding Europe : Breaking the Poverty Cycle du 30 juin 2003, p. 1, établit une fourchette de sept à
neuf millions de personnes.
42
Moyennes basées sur les chiffres donnés par LIEGEOIS (1994), p. 34.
43
Sur ce total de 30'000 individus, 5'000 pratiquent plus ou moins activement le voyage et 25'000
sont d’origine Jénisch. GOLOWIN (1984), p. 62 ; MICHON (1993), p. I-58. Dans le Rapport de la Com-
mission du département fédéral de Justice et Police du 27 juin 1983, Fahrendes Volk in der Schweiz,
p. 17, le chiffre de 40'000 personnes est articulé. Au sujet de l’impact de ces statistiques sur le cer-
cle des personnes appartenant à la minorité tzigane de Suisse, voir infra Titre Deuxième, Chapitre
IV, Section A.
44
Avis du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, p. 6.

11
La situation juridique des Tziganes en Suisse

39. Plusieurs raisons expliquent la difficulté liée à l’obtention


d’informations plus précises45 : les Tziganes sont rarement recensés et beau-
coup hésitent à se déclarer comme tels, surtout lorsqu’ils sont sédentarisés, de
peur d’être mis à l’index46. De plus, certaines catégories de la population sont
qualifiées de Tziganes, alors qu’elles ne le sont pas ; enfin, dans une optique
d’assimilation, on emploie dans les textes administratifs des métaphores pour
les qualifier, afin d’éviter d’utiliser des renvois à des caractéristiques ethni-
ques, ce qui a pour effet de ne pas les faire apparaître dans les statistiques47.

45
Document MG-S-ROM (2000) 13, Les Roms et les statistiques, pp. 6-7, Strasbourg, 22-23 mai 2000.
46
DFJP (1983), pp. 16-17.
47
LIEGEOIS (1994), p. 29.

12
Titre Premier - Des origines au XXème siècle

Chapitre II: Le statut des Tziganes en Suisse,


des origines au XXème siècle

40. L’histoire des relations entre les Tziganes et la Suisse précédant le


XXème siècle est jalonnée par quatre étapes principales : premièrement,
l’arrivée des Tziganes en Europe aux XIVème et XVème siècles (A.). Deuxiè-
mement, l’établissement et la consolidation de relations heurtées entre les can-
tons suisses et cette communauté, du XVème au XIXème siècles (B.). Troisiè-
mement, la création de l’Etat moderne suisse au début du XIXème siècle (C.),
et quatrièmement, l’introduction et le développement de la politique de l’Etat
fédéral de 1848 à l’égard des heimatlos48 (D.).

A. L’arrivée des Tziganes en Europe

41. L’histoire des Tziganes en Europe a ceci de marquant qu’elle n’a ja-
mais été écrite par ces communautés elles-mêmes. Elle a été documentée et ra-
contée, depuis leur arrivée dans les régions européennes, par des non-
Tziganes, des Gadjé49. Les témoignages à leur sujet sont donc indirects, reflè-
tent l’étonnement, l’incompréhension, voire la crainte des chroniqueurs, et ra-
res sont ceux que l’on pourrait qualifier d’objectifs.
42. C’est aux XIVème et XVème siècles que remontent les premiers témoi-
gnages écrits quant à la présence et au passage de voyageurs à la peau sombre
dans nos régions. Si leur origine demeure obscure et confuse pour les non-
Tziganes pendant plusieurs siècles, les linguistes découvrent au XVIIIème siè-
cle que la langue tzigane50 puise ses racines dans le sanskrit et ses langues
sœurs du nord de l’Inde51. L’Inde est donc le pays d’origine des communautés
tziganes, qu’elles ont quitté entre les XIème et XIVème siècles à l’occasion des
conquêtes islamiques du nord de l’Inde52 ; ces racines ne sont d’ailleurs pas
contestées par les autorités indiennes53.

48
Sur cette notion, voir infra Section D, 1.
49
LIEGEOIS (1994), p. 17.
50
Ou plutôt les langues tziganes : le temps et les déplacements ont donné naissance à une variété
impressionnante de dialectes, de par l’adaptation des communautés à leur environnement. L’étude
de ces dialectes permet ainsi de reconstituer le parcours historique des groupes, du fait de
l’influence des langues extérieures sur celles utilisées parmi les Tziganes. L’influence du sanskrit et
d’autres langues indiennes demeure cependant dans tous les dialectes. LIEGEOIS (1994), pp. 43-59 ;
MARCHAND, p. 21.
51
LIEGEOIS (1994), p. 44.
52
REYNIERS (1993A), p. 10.
53
MARCHAND, p. 22.

13
La situation juridique des Tziganes en Suisse

43. Les groupes se dispersent dès le début du XIVème siècle, pour conti-
nuer sur des chemins différents durant les décennies suivantes. Des témoigna-
ges les signalent en Crète en 1322, en Serbie en 1348, en Grèce en 1397, puis en
Valachie et en Bohême. En 1407, on rapporte leur présence en Allemagne, en
1416 en Roumanie, ou encore dans les années 1420 aux Pays-Bas, en Belgique,
en France et en Italie54. Les chroniqueurs de l’époque évoquent pour la pre-
mière fois en 1418 la présence sur le territoire helvétique de nomades à la peau
foncée, que l’on croit Africains ou Egyptiens55. Cette première vague de migra-
tions56 donne lieu à la rencontre des voyageurs d’origine indienne avec les
voyageurs européens, les nomades « autochtones », tels que les Tinkler irlan-
dais, les Quinquis de Castille, et surtout les Jénisch d’Allemagne et de Suisse57.
Les groupes locaux et étrangers ne tardent pas à se mélanger et à créer pour
certains des communautés mixtes que l’on peut rencontrer aujourd’hui58.
44. Du fait de leurs capacités reconnues en matière guerrière, les Tziganes
sont invités, dans un premier temps, à prendre part aux efforts de guerre de
l’aristocratie européenne, en rejoignant le système de patronage seigneurial
des princes. Parallèlement, toutefois, les clercs et les juristes se déclarent hosti-
les à la présence des « Egyptiens », considérés comme perturbateurs de l’ordre
public ; cette hostilité se concrétisera dès lors dans la législation des Etats eu-
ropéens59.
45. L’attitude violente de rejet et d’exclusion que nous allons présenter ci-
après ne peut manquer d’interpeller et nécessite que l’on s’interroge sur ses
fondements. Il ressort que le simple fait d’être nomade – en Suisse et ailleurs
en Europe – suffit pour constituer un crime durant plusieurs siècles60. Les in-
terdictions sont parfois paradoxales, voire contradictoires : soit le nomadisme,
soit la sédentarisation, soit le simple séjour sont mis tour à tour à l’index61.
Même si aucun délit ne peut lui être reproché62, tout Tzigane risque

54
LIEGEOIS (1994), p. 22.
55
HUONKER (1990), p. 18 ; voir également F. EGGER, p. 49.
56
Il y aura par la suite quatre autres grandes migrations: au XIXème siècle, les Rroms de Roumanie
sont affranchis de l’esclavage dans lequel ils ont été tenus et 200'000 d’entre eux quittent le pays ;
la troisième vague remonte aux années 1960, au départ de la Yougoslavie et des pays du Bloc de
l’Est pour fuir les persécutions étatiques. La dernière migration date de la décennie 1990-2000 et
est à mettre en relation avec les persécutions liées à la guerre des Balkans et à la misère profonde
dans laquelle les communautés tziganes vivent en Europe de l’Est. HEUSS, pp. 114-115 ; REYNIERS
(1993A), pp. 11-12.
57
REYNIERS (1993A), p. 11.
58
LIEGEOIS (1994), p. 23 ; REYNIERS (1993A), p. 11.
59
ASSEO, pp. 16-17.
60
MICHON (1993), p. I-45 ; THODE-STUDER, p. 110.
61
MICHON (1993), p. I-70.
62
Voir par exemple les propos d’un magistrat français au début du XIXème siècle (in : LIEGEOIS (1994),
p. 129) : « Je n’ai aucune dénonciation pour délits contre ces individus mais leur position est telle
qu’ils devaient être nécessairement tentés d’en commettre, si l’occasion s’en fût présentée… Ils ne
peuvent être que dangereux.»

14
Titre Premier - Des origines au XXème siècle

l’arrestation et la sanction. Cette attitude démontre la crainte des autorités,


mais aussi de la population sédentaire en général, qui est liée à l’altérité du
mode de vie, à l’indépendance qu’il confère vis-à-vis de l’autorité et au poten-
tiel subversif qu’il semble porter en lui aux yeux de la majorité. Le traitement
socio-juridique de l’errance en général se recoupe ainsi souvent avec celui des
Tziganes.
46. En effet, on rappellera que les Tziganes ne sont pas les seuls groupes
nomades que l’on peut rencontrer en Europe jusqu’au début du vingtième siè-
cle, et que l’intolérance rencontrée à l’égard du nomadisme concerne égale-
ment d’autres catégories sociales. Ces dernières sont constituées de personnes
voyageant non pas en raison d’un mode de vie, mais par nécessité, du fait de
la misère et de l’indigence : ce sont des artisans, des domestiques, ou encore
des paysans qui deviennent itinérants et mendiants du fait de la perte de leur
revenu63.
47. Cette situation reflète la paupérisation de la société européenne de
cette époque, qui jette sur les routes des familles entières, parcourant l’Europe
à la recherche de moyens de subsistance et qu’il faut considérer comme des
populations migrantes64. L’amalgame entre les deux types de nomadisme est
complet aux yeux des sociétés sédentaires65, et tous les groupes vivant de cette
manière sont mis au ban de la société, exclus de la structure et de l’ordre juri-
dique des sédentaires, car considérés comme des « unechte Leute », dont le seul
statut les expose à des peines et des répressions telles que la torture ou la
mort66.
48. Les Tziganes d’origine indienne et les Jénisch seront particulièrement
visés et méprisés du fait de leur refus d’être intégrés dans la société domi-
nante, au contraire des autres catégories d’itinérants qui proviennent de cette
même société et qui souhaitent pouvoir y être réintégrés à terme. Les sédentai-
res sont donc perplexes face à des groupes qui refusent la sédentarisation, car
ils considèrent le nomadisme comme un état souhaité et souhaitable.
49. Du point de vue des sédentaires, il s’agira d’éradiquer ce mode de vie
nomade, que cela soit par la disparition physique ou culturelle du groupe visé,
de manière oppressive ou assimilatrice67. Tous les Etats européens concernés
par les Tziganes n’auront de cesse durant les siècles d’adopter et de promou-
voir des politiques d’exclusion ou de réclusion à leur égard. Ce n’est que très
récemment que les autorités nationales ont plutôt cherché à résoudre « le pro-
blème tzigane » par une politique d’inclusion68. Nous nous proposons de dres-

63
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 23.
64
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 370 ; REYNIERS (1993A), p. 12.
65
F. EGGER, p. 50 ; HUONKER (1990), p. 25 ; LIEGEOIS (1994), p. 121.
66
HUONKER (1990), pp. 25-26.
67
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 365 et pp. 526-527.
68
LIEGEOIS (1994), p. 120.

15
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ser ci-après un tableau exemplatif de mesures étatiques prises à l’encontre des


communautés tziganes depuis leur arrivée sur le territoire des Confédérés jus-
qu’à aujourd’hui. Ces normes et ces décisions sont d’excellents révélateurs de
la relation extrêmement heurtée et tendue entre Tziganes et non-Tziganes et
permettront de mieux comprendre les obstacles qui jalonnent la voie vers une
reconnaissance des droits de ces communautés à l’heure actuelle.

B. Les Tziganes et les cantons suisses du XVème au


XIXème siècle

50. Lorsqu’ils arrivent sur le territoire helvétique au XVème siècle, les Tzi-
ganes d’origine indienne voient leur situation sociale et juridique se recouper
et se confondre avec celle des migrants poussés sur les routes par la pauvreté.
Toute personne nomade est considérée comme étrangère, car elle n’est généra-
lement pas rattachée à un lieu d’origine suisse. En outre, les Tziganes n’ont pas
d’origine connue et identifiable, ce qui constitue un facteur aggravant.
51. Au vu de la dégradation de la situation sociale générale causée par les
guerres qui ensanglantent l’Europe, les communes suisses, à l’instar des autres
pouvoirs locaux à travers l’Europe, ne veulent se préoccuper que de « leurs »
pauvres, à l’exclusion de ceux provenant de l’étranger, pour des raisons liées
d’une part à l’ordre public, puisqu’ils sont considérés comme un danger réel
pour la société en tant que facteurs de troubles, et d’autre part à des préoccu-
pations financières69.
52. Dans le but de ne plus rendre attractifs leurs territoires, la plupart des
cantons érigent en infraction, et ce dès le XVème siècle70, la mendicité, mais
aussi toutes les professions itinérantes lorsqu’elles sont exercées par des étran-
gers71, ce qui inclut les métiers pratiqués traditionnellement par toutes les
communautés tziganes, tels que ceux des marchands ambulants, chaudron-
niers, aiguiseurs de couteaux, rémouleurs, vanniers ou encore brocanteurs72.
53. A cette volonté d’éloignement liée à des considérations de politique
sociale, il faut ajouter le protectionnisme économique des cantons-villes, initié
et entretenu par leurs guildes et corporations. Ces dernières n’apprécient pas

69
MEIER/WOLFENSBERGER, pp. 369-370 ; MICHON (1993), p. I-69
70
Voir, entre autres, la décision des patriciens zurichois du 9 septembre 1416, citée par HUONKER
(1990), p. 20. Ce protectionnisme perdurera à travers les siècles : voir l’ordonnance bernoise sur la
mendicité de 1727, citée par MEIER/WOLFENSBERGER, p. 373.
71
Le métier de marchand ambulant est par exemple assimilé à du grand banditisme par la Conférence
des cinq cantons catholiques, tenue à Lucerne le 14 novembre 1559 ; HUONKER (1990), p. 21.
72
Ces activités sont aujourd’hui considérées comme étant tout à fait régulières. Mais leur criminalisa-
tion passée, cumulée aux stéréotypes liés au vol, a eu pour conséquence qu’aujourd’hui encore la
plupart des sédentaires ne croient pas que les Tziganes gagnent leur vie de manière licite.

16
Titre Premier - Des origines au XXème siècle

l’arrivée d’étrangers vivant d’activités commerciales ambulantes, qui génèrent


une concurrence leur faisant ombrage. Il est ainsi très intéressant de constater
que, dans un premier temps, les cantons suisses sont divisés au sujet de
l’interdiction des marchands ambulants et des colporteurs étrangers : on trou-
vera d’un côté les cantons-villes, soucieux de protéger les intérêts économiques
de leur bourgeoisie, et de l’autre les cantons-campagnes, pour qui le passage
de ces mêmes étrangers répond à un véritable besoin économique73.
54. La liberté économique des étrangers itinérants n’est reconnue que du-
rant de brefs laps de temps, comme dans la région de Zurich entre 1489 et
152074. Même si certains s’inquiètent de cette restriction à la liberté économi-
que, la tendance majoritaire refuse l’applicabilité de cette liberté à ces groupes
et sanctionne durement non seulement l’exercice de métiers itinérants, mais
également la seule présence des personnes étrangères les exerçant. Les Tziga-
nes sont nommément cités dans l’énumération des personae non gratae des cor-
porations.
55. Lorsqu’ils sont arrêtés, les « criminels » nomades sont jugés et
condamnés à de lourdes peines pour des crimes et délits avoués sous la tor-
ture75. Ceux qui ne parlent pas sont envoyés aux galères, grâce à des accords
conclus avec les puissances étrangères qui entourent les cantons suisses76 ;
l’accord à ce sujet entre le canton de Berne et le Duc de Savoie en 1572 en est
une bonne illustration77. Par ailleurs, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres
nations européennes78, des « chasses aux mendiants » (« Betteljagd »), synony-
mes de rafles, sont organisées dès 1583 tant par les autorités cantonales que
par la Diète fédérale79 . Elles mènent à l’arrestation et au bannissement hors du
territoire de la Confédération et sont considérées comme le meilleur moyen à
disposition des autorités pour combattre la Zigeneurunwesen. Les récidivistes
sont également envoyés aux galères.
56. Les Tziganes sont donc considérés comme des vagabonds étrangers et
se voient appliquer les réglementations très sévères édictées à l’encontre des
« mendiants et vagabonds » étrangers, interdits de séjour sur les territoires

73
Voir la décision de Schwytz et d’Uri en 1747, citée par HUONKER (1990), p. 22.
74
Voir les séances de l’assemblée de la corporation des chaudronniers des régions de Zurich et de Lu-
cerne tenue à Baden du 6 au 19 juillet 1471, et du 23 mai 1520, citées par HUONKER (1990), pp. 22-
23.
75
HUONKER (1990), p. 32.
76
HUONKER (1990), p. 32 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 370.
77
L’accord est rapporté comme suit par les historiens de l’époque : « Der savoyische Gesandte, Herr
von Roll, übergibt seine Creditive, meldet, dass der Herzog mit Bern einen Vertrag abgeschlossen
habe gemäss welchem dieses übelbeleumundete schlechte Personen nach der Verurtheilung dem
Herzog überliefern könne, um sie einige Jahre auf die Galeeren zu tun, und stellte das Aufsuchen,
die anderen Orte möchten diesen Vertrag in den Abschied nehmen. » HUONKER (1990), p. 32.
78
LIEGEOIS (1994), pp. 123-134. Les sanctions du bannissement et des galères sont par exemple appli-
quées en France entre les XVIème et XIXème siècles.
79
HUONKER, p. 35.

17
La situation juridique des Tziganes en Suisse

communaux. Par ailleurs, leur nomadisme les condamne à une exclusion non
seulement de la part de l’Etat, mais aussi de l’Eglise, que cette dernière soit ca-
tholique ou réformée. Le pouvoir religieux est également incapable de contrô-
ler leurs mouvements et ne veut donc pas les accueillir en son sein, ce qui ren-
force leur ostracisme et leur exposition à la répression, du fait qu’ils
n’appartiennent pas à la chrétienté80.
57. Le nomadisme et le fait de ne pas être chrétien ont pour conséquence
qu’en plus des sanctions et des persécutions plus générales dues à leur associa-
tion au monde des mendiants et des vagabonds étrangers, des peines spécifi-
ques aux Tziganes sont édictées durant des siècles81. Sur le plan de la Confédé-
ration, en 1471 dans un premier temps, puis plusieurs fois par la suite,
l’interdiction d’héberger et de recevoir tout Tzigane est promulguée par la
Diète82.
58. En 1580, cette dernière préconise la torture des Tziganes, puis leur li-
bération afin que quiconque les rencontre puisse les tuer. Les cantons ne sont
pas en reste : dès le XVème siècle, à Berne, toute personne rencontrant un Tzi-
gane de plus de quinze ans – homme ou femme – est autorisée à lui trancher
une oreille ; s’il lui en manque déjà une, il doit être mis à mort sur le champ83.
En 1646, à Berne également, toute personne se voit octroyer le droit d’abattre
les Tziganes qu’elle croisera84.
59. Le XVIIIème siècle voit la fin progressive de cent cinquante ans de
chasses aux mendiants. Cette méthode commence en effet à perdre sa redouta-
ble efficacité du fait que beaucoup de responsables en charge de leur exécution
sabotent les efforts de leurs supérieurs en divulguant les dates auxquelles les
rafles doivent prendre place. Afin d’éloigner définitivement les personnes vi-
sées par ces arrestations du territoire suisse, la Diète décide alors dès 1752
d’envoyer ceux qu’elle nomme « la racaille » (Gesindel) dans les colonies fran-
çaises du Nouveau-Monde et en 1783, elle ordonne des mesures pour empê-
cher leur entrée sur le territoire helvétique85.

C. L’avènement de l’Etat moderne suisse

60. L’instauration de la République helvétique en 1798 sous l’égide du


Premier Consul Napoléon apporte à la Suisse un balbutiement d’égalité en

80
LIEGEOIS (1994), pp. 126-127.
81
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 372.
82
F. EGGER, p. 50.
83
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 372.
84
LIEGEOIS (1994), p. 127.
85
HUONKER, pp. 37-38.

18
Titre Premier - Des origines au XXème siècle

droit entre les personnes vivant sur son territoire. De nombreux heimatlos86, qui
ont perdu tout droit de cité du fait de la guerre, du bannissement ou de leur
naissance hors mariage, se voient octroyer à cette occasion le statut de citoyen
suisse, puis – au moment de la Médiation – celui de citoyen d’un canton. Le
droit de cité communal n’est toutefois pas reconnu87. Cette mesure ne concerne
pas les Tziganes, qu’ils soient d’origine indienne ou Jénisch, car leur mode de
vie nomade n’est pas dû à ces facteurs d’ordre social. Ils restent donc heimatlos.
61. L’Helvétique procède dans sa constitution de 1798 à la création de dif-
férentes catégories entre les mendiants et les nomades. Les citoyens suisses
n’ont le droit de vivre de la mendicité et de métiers itinérants que dans
l’hypothèse où ils peuvent prouver qu’ils se trouvent dans une situation de dé-
tresse et qu’ils ne possèdent aucun moyen de subsistance alternatif. Quant aux
nomades étrangers exerçant un métier itinérant, les autorités utilisent encore
en 1803, tant sous l’Helvétique que sous la Médiation, les rafles pour les expul-
ser hors du territoire88.
62. Ainsi, les interdictions et les persécutions perdurent dans les lois et les
décrets à travers les époques de la République helvétique, de la Médiation, de
la Restauration et de la Régénération. Si, pour les Tziganes, le fond ne change
pas avec l’avènement de l’Etat moderne, la mise en œuvre des mesures de
contrainte subit une nette « évolution » grâce à l’appareil d’Etat mis en place,
qui garantit une redoutable efficacité dans l’exécution des décisions89. En effet,
avant la création de l’Etat fédéral suisse, la Diète ne possède ni la légitimité, ni
les organes administratifs et d’exécution qui lui permettraient d’appliquer
concrètement ses décisions et ses concordats90. Or, cette situation change dès
1848.

D. L’Etat fédéral de 1848 et les Heimatlos

63. Pour les gouvernements européens du XIXème siècle, l’ordre établi est
mis en danger par les populations nomades91. Un moyen pour combattre ce
qui est considéré comme un fléau est de pouvoir limiter et contrôler le dépla-
cement des populations en général, de ces communautés en particulier. La

86
Nous utiliserons ici le terme allemand heimatlos, usité par les francophones du XIXème siècle, car le
sens actuel de sa traduction française (apatride) ne correspond pas au sens historique à employer
dans le contexte du XIXème siècle. Le substantif « heimatlosat » utilisé à l’époque est un germa-
nisme.
87
HUONKER, pp. 39-40 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 472.
88
MEIER/WOLFENSBERGER, pp. 419-420.
89
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 23 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 419.
90
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 527.
91
MEIER/WOLFENSBERGER, pp. 467-468.

19
La situation juridique des Tziganes en Suisse

création des Etats-nations offre les moyens logistiques de procéder à ce


contrôle qui nécessite une certaine traçabilité. Or, le fait que les Tziganes soient
heimatlos ne permet pas de leur attribuer des papiers et donc de déterminer
leur identité et leur lieu d’origine92.
64. Leur non appartenance à une nation identifiable devient ainsi un pro-
blème crucial aux yeux des autorités. Nomadisme et heimatlosat sont considé-
rés comme les deux facettes d’un même problème : s’attaquer à l’un signifie
éradiquer l’autre, et vice-versa93, à un point tel que les deux notions semblent
devenir synonymes. Le nomadisme n’est compris, en effet, que comme un pro-
blème social : à l’instar des personnes défavorisées sans domicile fixe, les
Tziganes sont considérés comme étant des asociaux de par leur mode de vie
nomade94.

1. La loi fédérale sur l’heimatlosat du 3 décembre 1850

65. Le jeune Etat fédéral helvétique de 1848 est compétent95 pour régle-
menter la situation des personnes heimatlos. Il édicte la loi fédérale sur
l’heimatlosat le 3 décembre 185096, qui ne sera abrogée que plus de cent ans
plus tard, à l’occasion de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1953, de la loi fédé-
rale du 29 septembre 1952 sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse.
Cette loi contient plusieurs dispositions qui ont un impact significatif sur les
Tziganes.
66. Les heimatlos sont définis à l’article 1 comme les personnes qui ne sont
citoyennes ni d’un canton, ni d’un Etat étranger. L’article 2 fait une distinction
entre les particuliers qui étaient auparavant déjà titulaires de la nationalité
d’un canton à la suite des mesures prises sous la République helvétique, et
ceux qui ne l’étaient pas, qualifiés alors de « vagabonds » (« Vaganten »). Elle
impose aux cantons l’octroi d’office de la bourgeoisie communale aux heimatlo-
ses présents sur leur territoire et âgés de moins de 60 ans pour les hommes,
respectivement de moins de 50 ans pour les femmes ; les personnes plus âgées
n’obtiennent que le droit de cité cantonal97.
67. Cette politique a pour conséquence que les Tziganes résidant sur le
territoire helvétique au moment de sa mise en œuvre reçoivent des papiers
d’identité qui facilitent le contrôle de leurs déplacements98. Le processus de na-

92
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 23.
93
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 472.
94
HUONKER/LUDI, p. 14 et références.
95
Article 56 aCst. (1848).
96
RS 1850 1 91ss.
97
DFJP (1983), p. 27 ; THODE-STUDER, p. 126.
98
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24.

20
Titre Premier - Des origines au XXème siècle

turalisation est très arbitraire puisque les personnes se voient conférer la na-
tionalité du canton dans lequel elles se trouvent le jour de la prise de la déci-
sion. Cela a, entre autres, pour effet que les membres d’une même famille se
retrouvent désormais avec des papiers de légitimation différents99, ce qui em-
porte de graves difficultés pratiques, principalement en matière d’exercice
d’une activité lucrative et de déplacement entre les cantons.
68. La mesure a, par ailleurs, pour but l’intégration des personnes concer-
nées dans l’ordre juridique, à travers une assimilation culturelle et sociale qui
doit aboutir à leur sédentarisation et à leur réintégration dans la
« civilisation »100. Toutefois, l’égalité en droit complète n’est pas atteinte : si les
nouveaux citoyens ont exactement les mêmes droits civils et politiques, ils
n’acquièrent pas dans l’immédiat une participation aux biens communs de la
commune (Gemeindegut) dans laquelle ils vivent, au contraire des autres habi-
tants101. En effet, ces biens communs peuvent être utilisés par les bourgeois de
la commune de la même manière que leur propriété privée : accorder ces mê-
mes privilèges aux nouveaux citoyens aurait pour conséquence une augmenta-
tion des titulaires, considérée comme une atteinte à la propriété privée des
bourgeois d’origine102.
69. Pour les communes, il s’agit désormais de supporter les coûts sociaux
supplémentaires engendrés par cette augmentation de ressortissants, qui sont
pour la plupart indigents et vivent sous le seuil de pauvreté, puisque le droit
de cité communal donne à ces derniers l’accès à l’assistance pour les pau-
vres103. Soulignons que ce sont les communes connaissant la plus grande pré-
carité financière qui sont confrontées à ces charges : la plupart des cantons ont
en effet « relocalisé » les Tziganes dans leurs communes les plus défavorisées,
en forçant la main de ces dernières par le biais du paiement de certaines som-
mes. L’acceptation des nouveaux venus par la population est ainsi rendue plus
difficile encore104.
70. Le lien direct entre naturalisation et sédentarisation se retrouve clai-
rement dans la seconde partie de la loi fédérale. Elle énonce les mesures à
prendre pour « prévenir la formation de nouveaux heimatloses »105. L’une des me-
sures les plus incisives en la matière est énoncée à l’article 19 alinéa 1 de la loi.
A teneur de ce dernier, les personnes exerçant une activité itinérante n’ont pas
le droit d’emmener avec eux – à l’intérieur de leur canton d’origine ou en de-

99
DFJP (1983), p. 9.
100
Voir le Message du Conseil fédéral relatif à la loi du 3 décembre 1850, FF 1850 III 124ss. HUON-
KER/LUDI, p. 39 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 470.
101
Art. 4 de la loi fédérale sur l’heimatlosat.
102
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 471.
103
THODE-STUDER, p. 126.
104
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24 ; THODE-STUDER, p. 127.
105
Titre de la sous-division B de la loi fédérale.

21
La situation juridique des Tziganes en Suisse

hors – les enfants en âge de scolarité, ce qui concerne tous les Tziganes se trou-
vant en Suisse.
71. Toute contravention à cette disposition est punissable d’une amende,
des arrêts ou d’un travail obligatoire. L’obligation d’aller à l’école se double de
celle de suivre des cours de religion. Une autre mesure vise à améliorer le
contrôle et la surveillance des personnes exerçant un métier itinérant :
l’obligation de posséder un permis ou une patente de travail permet de suivre
les particuliers et de limiter le territoire sur lequel ils peuvent exercer, ce
d’autant plus que ces permis sont cantonaux106.
72. Une fois ces mesures d’assimilation prises en faveur de ces groupes de
« nouveaux Suisses », il s’agit de les protéger contre l’influence nécessairement
néfaste des nomades étrangers107. Ainsi, l’article 18 alinéa 2 de la loi fédérale
prévoit l’obligation pour les cantons de renvoyer dans leur pays tous les no-
mades étrangers. Les cantons sont, en effet, encore exclusivement compétents
en matière de police des étrangers. Chaque canton demeure seul apte à décider
quels étrangers il souhaite sur son territoire, et lesquels il souhaite éloigner.
Or, l’absence de passeport, cumulé au refus des autres Etats d’accueillir des
personnes que l’on qualifierait aujourd’hui d’apatrides, rend impossible
l’expulsion des Tziganes à l’étranger et mène en réalité à un renvoi dans un
canton voisin, ce que celui-ci n’accepte pas108.
73. Soulignons que la loi sur l’heimatlosat fait figure d’exception au re-
gard des droits nationaux de l’époque des Etats voisins de la Suisse, les Tziga-
nes vivant dans ces pays n’ayant obtenu que récemment leur citoyenneté. Ce-
pendant, l’octroi de la nationalité helvétique n’a aucune influence positive sur
le respect et la préservation de leur identité culturelle ou encore de leur struc-
ture sociale, et sous cet aspect, la situation des Tziganes en Suisse et à
l’étranger est ainsi identique109.

2. La libre circulation des personnes et la répression du


nomadisme

74. Au vu de l’inapplicabilité de la réglementation liée à l’expulsion des


Tziganes étrangers, le canton d’Uri saisit, en 1872, le Département fédéral de
Justice et Police pour lui demander de prendre les mesures nécessaires pour
que les gardes-frontières limitent au mieux l’entrée des Tziganes étrangers en
Suisse, en se référant à l’article 57 aCst. (1848), qui précise que la Confédéra-

106
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 473.
107
Voir le Message du Conseil fédéral relatif à la loi du 3 décembre 1850, FF 1850 III 124ss.
108
F. EGGER, pp. 51-52.
109
MEHR, pp. 10-11.

22
Titre Premier - Des origines au XXème siècle

tion peut expulser les étrangers qui menacent la sécurité intérieure ou exté-
rieure de la Suisse.
75. L’autorité fédérale refuse d’entrer en matière sur la question, arguant
que de son point de vue, il ne s’agit pas d’un problème politique. Plus intéres-
sant encore, elle estime qu’il serait par ailleurs impossible de ne plus appliquer
à un groupe entier le principe de la libre circulation des personnes, reconnu
aux étrangers sous réserve de réciprocité par l’article 52 aCst. (1848), sous pré-
texte que certains d’entre eux commettraient des actes illicites110.
76. Peu satisfaits de cette position, une série de cantons édictent durant les
années 1877 à 1880 des dispositions visant non seulement à interdire l’entrée
des Tziganes étrangers sur leur territoire, mais également les métiers tradi-
tionnellement exercés par les Tziganes afin de se rendre peu attrayants aux
yeux de ces derniers. En 1887, les cantons conviennent d’un concordat empê-
chant toute nouvelle entrée de Tziganes sur le territoire helvétique. Le concor-
dat est ratifié par le Conseil fédéral111, autorisant dès lors les gardes-frontière à
refouler tous les groupes de Tziganes souhaitant pénétrer en Suisse.
77. En 1891, la Conférence des directeurs des polices cantonales des étran-
gers de Suisse romande décide de présenter aux autorités fédérales une re-
quête demandant que soit rendu un décret fédéral consacrant le principe d’une
non-tolérance complète des Tziganes. Cette requête reste sans suite dans un
premier temps, mais la situation évoluera en défaveur des Tziganes par la
suite, au début du XXème siècle112.
78. Ainsi, la politique des autorités fédérales change au cours du XIXème
siècle. D’une attitude réservée à l’égard d’une politique restrictive en matière
de liberté de circulation des personnes, elle se transforme lentement en une
participation et un soutien aux efforts cantonaux pour interdire de séjour les
Tziganes étrangers. Les raisons de cette évolution tiennent à plusieurs facteurs,
comme la pression exercée par les cantons pour obtenir une réglementation
fédérale en la matière, mais également la politique stricte des Etats voisins à
l’égard des Tziganes. En effet, lors de la ratification du concordat de 1887, réfé-
rence est explicitement faite à la politique d’intolérance pratiquée par les gou-
vernements prussien et bavarois en la matière113.

110
F. EGGER, p. 53 ; BA E 21/15796.
111
FF 1888 II 829.
112
WEILL-LEVY/GRÜNBERG/ISLER, p. 47.
113
FF 1888 II 829.

23
La situation juridique des Tziganes en Suisse

24
Titre Premier - De 1900 à 1973

Chapitre III: De 1900 à 1973

79. Plusieurs faits marquants jalonnent l’histoire des Tziganes en Suisse


entre les années 1900 et 1973114. Tout en s’inscrivant dans la logique de la poli-
tique d’absence de tolérance appliquée durant les siècles précédents, de nou-
velles mesures sont développées continuellement, durant ces décennies, à
l’encontre du nomadisme. Deux types de méthodes peuvent être distinguées :
la sanction administrative et policière (A.) et la sanction de type médico-social,
révélatrices d’une vision eugénique de la société (B.). Le drame de la
Deuxième guerre mondiale et son impact destructeur sur les communautés
tziganes à travers le continent européen constitue, par ailleurs, un événement
particulier dont les effets sur les relations entre la Suisse et les Tziganes méri-
tent d’être également étudiés (C).

A. La répression administrative et policière du mode de


vie nomade

80. Durant le XXème siècle, les persécutions étatiques sont désormais éga-
lement le fait de la Confédération, avec l’aide des cantons. Si les sanctions vi-
sant la destruction physique des individus sont abandonnées, on se concentre
sur des pratiques tendant à l’éloignement des Tziganes hors de Suisse, et lors-
que ceci n’est pas possible, sur des mesures ordonnant l’internement psychia-
trique et la « rééducation » sociale. La composante sociale domine la pratique
administrative, qui assimile alors systématiquement le terme de Tzigane à ce-
lui de « vagabond », « voyou », ou encore « réfractaire au travail ».
81. En 1904, le gouvernement nidwaldien interdit aux nomades
l’utilisation des transports lacustres pour aborder son territoire. A la suite de
cette mesure, la Compagnie de navigation du lac des Quatre-Cantons de-
mande au Département fédéral des postes et des chemins de fer si une telle in-
terdiction est admissible dans le cas où les personnes concernées se sont ac-
quittées du billet. L’autorité répond le 4 février 1905115 que les cantons bénéfi-
cient d’une compétence illimitée en matière d’interdiction d’entrée sur leur ter-
ritoire d’étrangers sans nationalité, ce qui est le cas des Tziganes.
82. Elle associe, par ailleurs, à des motifs d’ordre public l’interdiction
formulée par le canton. A ce titre, elle rappelle à la compagnie que la
législation fédérale en matière de transports et de navigation oblige les
entreprises de transports à se conformer aux défenses de transporter certaines
114
Cette date coïncide avec la dissolution de l’Oeuvre des Enfants de la grand-route, présentée infra,
Section B, 2.
115
BA E 21/20601.

25
La situation juridique des Tziganes en Suisse

transports à se conformer aux défenses de transporter certaines personnes. Le


Département renvoie de plus au concordat intercantonal de 1887, ratifié par le
Conseil fédéral en 1888, qui a pour effet, selon lui, que les entreprises de trans-
ports n’ont pas le droit de faire transiter des Tziganes en direction du territoire
suisse, même lorsque ces derniers ont payé leur titre de transport116.
83. Cet avis de droit est repris et distribué par une circulaire du Conseil
fédéral adressée aux cantons le 11 juillet 1906117 et qui marque un changement
net dans la position de l’Exécutif fédéral sur la question de la libre circulation
des personnes118. Le Conseil fédéral interdit aux entreprises concernées la prise
en charge des Tziganes sur l’ensemble du territoire helvétique par bateau à
vapeur ou par chemin de fer. La politique des Etats étrangers tels que l’Italie et
l’Autriche est ici également évoquée pour justifier la mesure. Le gouvernement
conclut en émettant l’espoir que les mesures de renvoi et de refoulement à la
frontière ainsi que la coopération de toutes les autorités compétentes en la ma-
tière permettront de « préserver le plus possible notre pays du fléau des tziga-
nes»119.
84. En outre, dès 1907, les autorités fédérales tentent de rallier les gouver-
nements des Etats européens pour résoudre ce qu’elles nomment la « peste
tzigane » (Zigeunerplage)120. Sous l’impulsion de l’adjoint de la division de po-
lice du Département fédéral de justice et police, Eduard LEOPOLD121, elles
proposent en 1909 un programme de naturalisation forcée, la mise sur pied
d’une commission internationale permanente ainsi que la création de registres
nationaux de Tziganes permettant l’échange d’informations.
85. L’un des aspects très instructifs de cette proposition, faite au niveau in-
ternational, est sa définition de la notion de Tzigane122. Est un Tzigane toute
personne nomade, sans domicile fixe, voyageant seule, en famille ou en bande,
qui tire ses moyens de subsistance de l’exercice du commerce itinérant, la
mendicité ou tout autre moyen contraire à l’ordre public, et dont la nationalité
ne peut être établie indubitablement sur la base de papiers d’identité officiels.
86. La constance de la définition à travers les décennies ne peut manquer
de frapper123 et démontre une fois encore que le terme recouvre toujours à
cette époque une catégorie de personnes plus large que les communautés jé-

116
F. EGGER, pp. 57-58 ; WEILL-LEVY/GRÜNBERG/ISLER, pp. 47-48.
117
FF 1906 IV 308, RO 22 367.
118
HUONKER/LUDI, p. 39.
119
FF 1906 IV 309. F. EGGER, p. 60 ; WEILL-LEVY/GRÜNBERG/ISLER, p. 48.
120
F. EGGER, pp. 62-64 ; MEHR, p. 11.
121
Eduard LEOPOLD, adjoint auprès du DFJP entre 1904 et 1915, est considéré aujourd’hui comme
l’architecte de la politique suisse en matière de Tziganes poursuivie dès 1900 ; HUONKER/LUDI, p. 39.
122
« Ausweisung der Zigeuner », rapport final de la Section de police (Leopold) du 25 octobre 1912,
BA E 21/20606.
123
Cette définition se rapproche de celle du gouvernement bavarois, formulée en 1911, citée par
HEUSS, p. 119.

26
Titre Premier - De 1900 à 1973

nisch et tziganes au sens actuel du terme. Le mode de vie suffit à classer un in-
dividu sous l’étiquette sociologique « tzigane », niant ainsi toute particularité
ethnique, culturelle ou historique aux communautés rroms, jénisch, ou sinti124.
Les efforts des autorités suisses sont cependant vains dans un premier temps,
les Etats voisins préférant traiter la question au niveau national uniquement125.
87. En 1911, un registre central, conçu sur le modèle de la Zigeunerzentrale
de la Bavière, est créé au sein du DFJP afin de recenser les données personnel-
les des Tziganes126. Ici également, c’est LEOPOLD qui est à l’origine de la me-
sure ; dans le rapport destiné à son département, il propose, entre autres, le re-
levé de mesures anthropométriques de manière systématique, ainsi qu’un ca-
talogue de dispositions très répressives, dont le renvoi en vertu de l’article 70
aCst., qui permet d’expulser les étrangers représentant un danger pour la sé-
curité intérieure de la Suisse127. LEOPOLD argumente que les Tziganes remplis-
sent cette condition du fait que leur mode de vie est en contradiction quoti-
dienne avec les lois suisses, mais également parce qu’ils sont « réfractaires à
tout ordre social et à toute autorité étatique »128.
88. Les cantons ne perdent pas de temps pour suivre les propositions de
LEOPOLD, et la Conférence intercantonale des directeurs de police décide en
1912 d’interner les Tziganes étrangers pour les identifier dans un premier
temps, puis les expulser. Les familles sont séparées : les hommes dès l’âge de
seize ans sont envoyés dans l’institution de travail obligatoire de Witzwil, tan-
dis que les femmes et les enfants sont internés dans le canton où ils ont été ap-
préhendés. Hommes, femmes ou enfants, les particuliers sont alors identifiés
minutieusement, fichés, puis refoulés129.
89. Durant la même année, le DFJP décide de ne pas suivre LEOPOLD dans
son interprétation extensive de la notion de « menace à la sécurité intérieure
du pays ». Toutefois, cette décision ne change en rien la pratique de
l’internement, de l’identification et du refoulement130. Aujourd’hui encore, on
ignore ce qu’il est advenu du registre central fichant les Tziganes, ainsi que la
nature exacte des informations qu’il contient131.
90. On se rappelle que la Suisse n’avait pas réussi à donner l’impulsion à
une coordination internationale en matière de Tziganes en 1909. Or, la Pre-

124
HEUSS, pp. 119-120 ; HUONKER/LUDI, p. 41.
125
FF 1910 II 119 ; F. EGGER, pp. 63-64 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24 ; WEILL-
LEVY/GRÜNBERG/ISLER, p. 48.
126
MEHR, p. 13.
127
F. EGGER, pp. 61-63 ; BA E 21/20602.
128
LEOPOLD, Programm betreffend Bekämpfung der Zigeunerplage, vom 3. Oktober 1911. Traduit par-
tiellement par LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 25.
129
F. EGGER, p. 67.
130
F. EGGER, p. 69.
131
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 26.

27
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mière guerre mondiale bouleverse la situation des Tziganes sur de nombreux


points. Ainsi, les politiques d’immigration deviennent très sévères et la libre
circulation des personnes est fortement restreinte132. D’une manière générale,
les étrangers sont soumis à l’obligation d’obtenir un visa dès 1917, en applica-
tion de l’ordonnance du Conseil fédéral du 21 novembre 1917 concernant la
police à la frontière et le contrôle des étrangers133, fondée sur les pouvoirs
extraordinaires qui lui ont été attribués par l’arrêté de l’Assemblée fédérale du
3 août 1914134,135.
91. En 1921, une autre ordonnance du Conseil fédéral136 impose de strictes
obligations aux étrangers se présentant sur le territoire suisse, principalement
en matière de titres de légitimation que les Tziganes étrangers, pour la plupart
apatrides, ne possèdent pas. Huit ans plus tard, le Conseil fédéral décide de
fermer les frontières aux Tziganes étrangers, ce qui ne manquera pas d’avoir
de lourdes conséquences pour ceux qui, une dizaine d’années plus tard, pour-
suivis par le régime national-socialiste, déposeront une demande d’asile en
Suisse137.
92. La fin de la Première guerre mondiale conduit pour sa part à
l’institution de nouveaux Etats-nations138, entraînant dans leur sillage la créa-
tion d’importantes minorités, ainsi que des mouvements de population incon-
nus jusqu’alors. Les minorités ayant perdu ou n’ayant jamais eu de nationalité
sont particulièrement touchées par les politiques restrictives menées par les
Etats, car elles ne bénéficient ni de la protection d’un traité international, ni de
celle d’un Etat auquel elles pourraient se rattacher, ce qui est le cas des Tziga-
nes qui ne sont pas de nationalité suisse. En outre, les Tziganes ne sont ni
considérés comme des réfugiés politiques, ni comme formant une minorité par
la Société des Nations.
93. On constate, en effet, que la seule organisation internationale qui se
préoccupe des Tziganes avant la Deuxième guerre mondiale est la Commis-
sion internationale de police criminelle, connue aujourd’hui sous le nom
d’Interpol. La Commission internationale se saisit de la question dans une
perspective de politique criminelle, en assimilant les Tziganes à des personnes

132
HUONKER/LUDI, pp. 27-28.
133
RO 1917 989.
134
RO 30, 347.
135
LUDWIG, p. 7. Au sujet des ordonnances de pleins pouvoirs des Première et Deuxième guerres mon-
diales et de leur défaut de constitutionnalité, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1585-1588; KÄ-
LIN (1999), pp. 93-123.
136
Ordonnance du 29 novembre 1921 du Conseil fédéral sur le contrôle des étrangers, modifiée le 7
septembre 1925 et le 16 octobre 1928, abrogée par l’entrée en vigueur le 1er janvier 1934 de la Loi
fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (RS 1 113 ; RS 142.20).
137
MEHR, p. 10.
138
Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie, Pologne, Finlande, Estonie, Lituanie,
Lettonie.

28
Titre Premier - De 1900 à 1973

participant à la criminalité internationale139. Elle crée en 1932 une centrale


d’informations au sujet des Tziganes (Zigeunerzentrale), puis en 1934 un Comi-
té international pour la lutte contre les Tziganes, situé à Vienne140. Cette mobi-
lisation policière internationale et la création de fichiers centraux dans les Etats
membres, regroupant photographies anthropométriques et relevés
d’empreintes digitales, auront également de graves conséquences pour les
Tziganes au moment de la Deuxième guerre mondiale.
94. En Suisse, si les mesures que nous venons d’évoquer concernent
d’abord les Tziganes étrangers, les Tziganes suisses sont aussi en proie à de
vives difficultés en matière de déplacement à l’intérieur du territoire helvéti-
que. Outre l’application continue de l’interdiction de voyager hors du canton
avec des enfants en âge de scolarité, des mesures cantonales viennent compli-
quer un peu plus encore la vie des Tziganes suisses, amenant beaucoup à se
sédentariser pour y échapper141.
95. Ainsi, un décret zurichois de 1921 reprend les interdictions et les
obligations de la loi de 1850, et interdit par ailleurs aux Tziganes originaires
d’autres cantons de traverser le territoire du canton de Zurich142. De manière
générale, la plupart des droits administratifs cantonaux prévoient la prise en
charge des personnes qualifiées de « vagabonds et fainéants », en les plaçant
dans des institutions de travail forcé. Cette privation de liberté, basée sur une
décision administrative, poursuit un but de rééducation sociale considéré
comme constituant un intérêt public légitime et prépondérant143.
96. Parallèlement à ces mesures administratives qui répriment la pratique
des nomadismes international et national, les Tziganes se trouvent confrontés
dès la fin du XIXème siècle, et ce jusque dans les années 1970, à la poursuite
par les pays occidentaux, Suisse comprise, d’une politique sociale eugéni-
que144.

139
HUONKER/LUDI, pp. 28 et 47.
140
BA E 4260 (C), 1974/34 ; HUONKER/LUDI, p. 47 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 26.
141
MEHR, p. 11.
142
THODE-STUDER, p. 128.
143
THODE-STUDER, p. 135.
144
HUONKER/LUDI, pp. 30-34.

29
La situation juridique des Tziganes en Suisse

B. La répression eugénique du mode de vie nomade

97. L’eugénisme145 est l’expression d’une volonté d’agir, au moyen des


lois de l’hérédité, sur l’espèce humaine dans sa globalité. Cette doctrine se dé-
veloppe dans le sillage d’une certaine conception de la maladie mentale, expli-
quée dès la fin du XIXème siècle par le concept de la « dégénérescence de la
race », et qui, au fil des ans, s’intègre dans le discours social et politique146.
L’eugénisme apparaît comme la réponse à ce qui est considéré de plus en plus
comme une menace pour la société.
98. De leurs origines remontant aux années 1880 jusqu’à la Deuxième
guerre mondiale, les considérations eugéniques sont concrétisées par le biais
de mesures dites « négatives », dont le but est d’empêcher la procréation de
ceux considérés comme « inaptes ». La période suivant la Deuxième guerre
mondiale voit, par contre, le développement de mesures dites « positives » vi-
sant à encourager les couples vivant dans un environnement sain, les « aptes »,
à avoir des enfants147.
99. Quelle que soit la méthode, le but de toute politique eugénique est de
parvenir, d’une part à la création d’une société biologiquement parfaite, mais
aussi à la transformation de la race humaine en tant que telle. Soulignons que,
dans cette optique, l’Etat est particulièrement sollicité, car il est appelé à
« remplacer la sélection naturelle qui ne joue plus son rôle dans la société hu-
maine »148.
100. La notion d’hygiène sociale est liée à celle d’eugénisme, sans en être
toutefois un synonyme. L’eugénisme vise « l’amélioration » générale et globale
de l’espèce humaine, la poursuite de l’idéal aryen par le régime hitlérien en
étant l’exemple le plus extrême. L’hygiène sociale a pour but de lutter ponc-
tuellement contre ce qui est perçu comme étant des déficiences sociales, mora-
les ou encore sanitaires ; la lutte contre l’alcoolisme en est un exemple. Les

145
L’eugénisme est le substantif utilisé en langue française pour désigner l’aspect socio-politique du
terme originel anglais eugenics, inventé en 1883 par Sir Francis Galton, et qui est opposé à
l’eugénique, tiré du même mot anglais, mais qui désigne une science appliquée. On soulignera
qu’eugénisme et nazisme ne sont pas nécessairement équivalents, puisque le premier précède
l’émergence du second et que l’adoption de normes promouvant des mesures eugéniques n’est pas
synonyme d’appartenance ou de sympathie avec un régime d’extrême-droite. Ceci est clairement
démontré par le fait qu’un pays comme la Suède, menant une politique de sociale-démocratie, a
stérilisé de force environ 60'000 personnes entre 1935 et 1976. HELLER/JEANMONOD, p. 21 et référen-
ces ; HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 25-29 et références. Voir également BERSIER, p. 192.
146
HELLER/JEANMONOD, p. 34.
147
HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 28-29. Voir également les mesures « directes » proposées
par le Conseil fédéral en 1944 pour lutter contre les maladies héréditaires, et qui incluent les alloca-
tions familiales et l’encouragement au mariage des familles qui ne souffrent pas d’une « hérédité
chargée », FF 1944 I 878.
148
TAGUIEFF, p. 40.

30
Titre Premier - De 1900 à 1973

deux notions s’influencent respectivement, se confondent, et les méthodes em-


ployées pour les concrétiser sont souvent identiques149.
101. Les Tziganes font partie des groupes de population concernés par le
courant eugénique plébiscité par les autorités médicales et politiques. On peut,
en effet, constater l’influence des théories eugéniques sur la manière de consi-
dérer le « vagabondage » : d’un discours traitant d’un problème policier, me-
naçant l’ordre public, on passe progressivement à une réflexion portant sur
une approche médicale et psychiatrique de ce mode de vie150. Les Tziganes
sont stigmatisés comme constituant une race de personnes congénitalement
amorales, paresseuses, asociales, faibles d’esprits, formant ainsi un groupe
marginal inférieur151. Ce sont ces raisons qui en feront d’ailleurs des victimes
particulièrement touchées par la politique aryenne destructrice du Troisième
Reich152.
102. En Suisse, le mode de vie nomade sera combattu de deux manières,
développées parallèlement et fondées toutes deux sur des considérations eu-
géniques : par la stérilisation des femmes tziganes (1.), mais avant tout par la
destruction du noyau familial, conduisant à l’acculturation des victimes, com-
mise au moyen de l’enlèvement et du placement des enfants tziganes dans des
familles sédentaires (2.).
103. Ce sont ces deux types de mesures que nous allons successivement
examiner, en prenant soin d’établir à chaque fois le contexte juridique dans le-
quel elles ont été mises en œuvre. Toutefois, si la seconde méthode procède
d’une volonté officielle claire à l’encontre des Tziganes, la première ne résulte
pas d’une politique précise et déclarée de la part des autorités suisses contre
ces derniers. Il s’agira dès lors de s’interroger sur les raisons de sa réalisation.

1. La stérilisation des Tziganes en Suisse

104. On ne peut comprendre ni traiter le sujet de la stérilisation des Tziga-


nes (1.2.) sans l’inscrire dans le cadre plus général de la pratique des stérilisa-
tions menée en Suisse au XXème siècle, au détriment des malades mentaux,
des marginaux et des asociaux (1.1.). On s’interrogera, dans un troisième
temps, sur la possibilité d’indemniser aujourd’hui les personnes stérilisées de
force par le passé (1.3.).

149
HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), p. 149.
150
HUONKER/LUDI, p. 33.
151
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 35. Sur l’appartenance des Tziganes, dénommés « vagabonds », aux
« faibles d’esprit », THODE-STUDER, p. 135. Sur l’appartenance des «vagabonds » aux « asociaux »
dans les années 1960 encore, voir BERSIER, pp. 143-144 et citations ; ce dernier auteur souligne par
ailleurs l’imprécision du terme et la grande place laissée à l’arbitraire qui en découle.
152
HUONKER/LUDI, p. 34 ; MEHR, pp. 12-13.

31
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1.1. La pratique de la stérilisation comme moyen eugénique

105. D’un point de vue médical, la stérilisation consiste, chez la femme, à


sectionner ou à ligaturer les trompes utérines, appelées également trompes de
Fallope (salpingotomie ou salpingectomie), et chez l’homme, à résectionner ou
à ligaturer les canaux déférents (vasotomie ou vasectomie)153.
106. La poursuite de la réalisation des théories de l’hygiène sociale et de
l’eugénisme conduit une partie du monde scientifique et politique suisse à
prendre, durant la première moitié du XXème siècle, des mesures juridiques et
médicales visant à éviter la naissance d’une descendance qualifiée de
« malsaine »154. Une mesure juridique à caractère « négatif » consiste par
exemple à interdire de mariage les personnes atteintes de maladies menta-
les155.
107. La stérilisation d’individus, principalement des femmes156, considérés
comme socialement « inadaptés », comme les malades mentaux, les marginaux
ou plus généralement les personnes qualifiées d’asociales157, appartient à la ca-
tégorie des mesures médicales, au même titre que l’avortement forcé ou encore
l’internement psychiatrique. La conception et la mise en œuvre de la politique
familiale suisse durant la première moitié du XXème siècle atteste de ces objec-
tifs et des mesures considérées comme idoines en la matière. La position du
Conseil fédéral en 1944 concernant la politique familiale de la Suisse158 démon-
tre que la prévention des maladies héréditaires, nécessitant tant des mesures
de prévoyance « directes » que des mesures médicales « indirectes », compre-
nant explicitement la stérilisation, en fait partie intégrante159.

153
M. LE GUEUT-DEVELAY, La stérilisation humaine volontaire, 1998, http://www.med.univ-
rennes1.fr/resped/cours/medecine_legale/sterilisation.htm [consulté le 11 août 2006].
154
BERSIER, p. 203.
155
Depuis le 1er janvier 2000, l’interdiction est formulée à l’art. 94 CC (RO 1999 1142 ; FF 1996 I 1).
Auparavant, elle était prévue à l’art. 97 al. 2 CC. Sur l’origine eugénique de cette interdiction, qui
vise à empêcher la propagation des maladies mentales, voir ATF 48 II 173, 180 B. et Z., ATF 73 I
167, 170 R. A. EGGER (1939), pp. 44-46 et HUONKER/LUDI, pp. 32-33.
156
Rapport explicatif du 6 novembre 2001 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national
relatif à l’avant-projet de la loi sur les stérilisations (ci-après : Rapport explicatif du 6 novembre
2001), p. 7 ; voir également le pourcentage approximatif rapporté par GSCHWIND, p. 70 : dans les
années 1945-1950, 97% de personnes stérilisées en Suisse sont des femmes.
157
HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), p. 21. En 1968 encore, une personne n’observant pas les règles
ou les usages communs de bienséance et de moralité, ou dont le comportement diffère de celui de
la majorité de ses concitoyens, est qualifiée d’asociale ; BERSIER, p. 132.
158
Message du Conseil fédéral sur la demande d’initiative pour la famille, FF 1944 I 825.
159
Message du Conseil fédéral sur la demande d’initiative pour la famille, FF 1944 I 825, 877 ; DUMOU-
LIN, in : HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 69-70. Pour un exemple d’argumentation eugénique
et sociale de la stérilisation des infirmes mentaux, voir la contribution d’AUGUSTE LEY, La stérilisation
et la castration des dégénérés aux points de vue eugénique et thérapeutique, Revue de droit pénal
et de criminologie, n° 6, juin 1933, pp. 561-577. Cet auteur conclut, p. 576, que « pour arriver à
une amélioration de la race, seule l’élimination des cellules reproductrices tarées constitue un pro-
cédé efficace (…) » et que dans cette optique, la stérilisation chirurgicale est un « procédé simple et
pratique ».

32
Titre Premier - De 1900 à 1973

108. La stérilisation est pratiquée dans toute la Suisse160, et ce grâce à une


étroite collaboration entre les praticiens et les autorités161, hors toute réglemen-
tation légale, à l’exception du canton de Vaud dès 1928, dont la situation sera
étudiée ci-après. Cette absence de cadre juridique, alors que la pratique admet
la stérilisation, fait d’ailleurs de la Suisse un cas quelque peu à part en Europe
continentale162 : en effet, les pays acceptant le principe de la stérilisation légifè-
rent de manière détaillée en la matière163, tandis que ceux qui la rejettent
condamnent pénalement ceux qui la pratiquent164.
109. Le manque de clarté juridique constaté en Suisse pose d’autant plus
problème que les attitudes face à cette question varient selon les convictions
personnelles, principalement éthiques et religieuses, des personnes en charge
de prendre les décisions165. Si les premiers essais menés dans le cadre de la
psychiatrie remontent aux années 1900, c’est à partir des années 1910 que la
méthode se répand à travers le territoire helvétique166.
110. Ainsi, à Zurich, entre les années 1920 et 1940, plusieurs centaines de
femmes sont stérilisées suite à une interruption de grossesse. A Bâle, entre
1920 et 1934, des stérilisations sont pratiquées sur des personnes souffrant de
troubles psychiatriques. Dans le même canton, les Directives pour la stérilisa-
tion opératoire de 1934 de la Société des médecins du canton autorisent, avec
l’accord des autorités, la stérilisation justifiée par des motifs eugéniques. En
Argovie, de 1919 à 1945, 80 stérilisations, dont plus des deux tiers sont forcées,
sont effectuées à la clinique psychiatrique de Königsfeld167.
111. En 1950, on rapportera encore le chiffre approximatif de 1’000 inter-
ventions effectuées durant l’année, sur l’ensemble du territoire suisse, et ce

160
A. EGGER (1947), p. 5 ; HELLER/JEANMONOD, p. 23. Pour une étude approfondie de pratiques cantona-
les en Suisse romande, voir GENEVIEVE HELLER, GILLES JEANMONOD, JACQUES GASSER, Rejetées, rebelles,
mal adaptées – Débats sur l’eugénisme, Pratiques de la stérilisation non volontaire en Suisse ro-
mande au vingtième siècle, Genève 2002.
161
GSCHWIND, p. 62.
162
PFENNINGER, p. 145
163
Les pays scandinaves sont les seuls à avoir légiféré de manière à légitimer la stérilisation des handi-
capés mentaux : le Danemark se dote le 1er juin 1929 d’une réglementation légale topique. La
Suède fait de même le 18 mai 1934, suivie par la Norvège le 1er juin 1934 ; BERSIER, pp. 197-199.
164
La France, par exemple, tient une position ferme à l’encontre de telles mesures, même lorsque la
personne concernée a donné son consentement à l’opération. BERSIER, pp. 202-203, rapporte qu’en
1938, la Chambre criminelle de Cassation a ainsi rejeté le pourvoi d’individus ayant stérilisé des vo-
lontaires, et que les praticiens français eux-mêmes sont par ailleurs très réticents à l’égard de cette
intervention. Avant 1933, les tribunaux allemands condamnaient les médecins ayant effectué des
stérilisations sans raisons médicales sérieuses. Le Troisième Reich voit quant à lui la création
d’autorisations légales de stériliser pour des motifs eugéniques, normes abrogées lors de la chute
du régime. Après la guerre, le cadre juridique est imprécis, mais la stérilisation pratiquée avec le
consentement de l’intéressé semble être admise ; BERSIER, pp. 200-202.
165
Problématique relevée en 1947 déjà par A. EGGER (1947), p. 15.
166
GSCHWIND, pp. 62-63.
167
Initiative parlementaire 99.451 « Stérilisations forcées. Dédommagement des victimes », déposée le
5 octobre 1999 par la Conseillère nationale MARGRITH VON FELTEN, BO CN 2000 p. 479 ; Rapport ex-
plicatif du 6 novembre 2001, p. 7.

33
La situation juridique des Tziganes en Suisse

quel qu’en soit le motif, médical ou autre168. A la suite de l’envoi d’un ques-
tionnaire relatif à la pratique de la stérilisation à tous les départements univer-
sitaires de gynécologie et de chirurgie, ainsi qu’à tous les hôpitaux cantonaux
et de district, MARTIN GSCHWIND articule dans sa thèse de 1950169 le chiffre
d’environ 700 stérilisations forcées annuelles pratiquées suivant des indica-
tions autres que purement médicales, c’est-à-dire eugéniques et/ou sociales170.
112. Son étude révèle par ailleurs que deux tiers des médecins interrogés ne
pratiquent des stérilisations pour motifs eugéniques qu’à la suite de consignes
données par un spécialiste, généralement un psychiatre. Lorsque des indica-
tions sociales sont en cause, principalement le nombre d’enfants que la per-
sonne concernée a déjà eus, trois cinquièmes des praticiens paraissent agir de
leur propre initiative, tandis que les autres se basent sur des avis spécialisés,
tels que ceux de psychiatres, de l’assistance publique, des autorités tutélaires
ou encore du médecin de famille171.
113. Il sied de préciser que nous parlons de stérilisation forcée lorsque
l’acte a été commis sans le consentement de la personne concernée capable de
discernement, ou à l’encontre d’un incapable de discernement, sans l’accord de
son représentant légal. Cette expression ne préjuge toutefois pas de l’illicéité
de l’intervention. En effet, ainsi que l’atteste la loi fédérale sur les stérilisations,
une stérilisation librement consentie peut être encore qualifiée d’illicite, et celle
effectuée sans le consentement de la personne, mais pour des raisons émi-
nemment dignes de protection, peut être considérée comme licite.
114. On relèvera que l’on considère depuis longtemps que toute pression
en vue d’obtenir le consentement du patient à un acte médical est inadmissi-
ble, en premier lieu celle d’ordre financier. Le médecin ne peut mêler rensei-
gnements thérapeutiques et éléments étrangers au traitement, comme par
exemple des indications d’ordre moral, économique ou encore social172.
115. Or, il semble qu’il ait été fréquent par le passé que des personnes dé-
pendant de l’assistance publique se soient vues menacées de ne plus obtenir de
soutien financier en cas de refus de se soumettre à une stérilisation. La lecture
des directives adressées, le 5 février 1931, par la Direction de l’assistance pu-
blique cantonale bernoise aux autorités cantonales et communales d’assistance
publique173, démontre cependant que ce genre de procédés a existé. En
l’occurrence, ces directives ont cherché à mettre fin à une certaine pratique en

168
PFENNIGER, pp. 145-146.
169
MARTIN GSCHWIND, Die Sterilisation von Menschen nach schweizerischem Recht, thèse, Bâle 1950.
170
GSCHWIND, p. 69.
171
GSCHWIND, p. 66.
172
GUILLOD (1986), p. 111. Voir déjà à ce sujet, A. EGGER (1947), pp. 8-9.
173
Circulaire concernant certaines interventions chirurgicales sur la personne de femmes, in :
« Communications officielles de la Direction de l’assistance publique du canton de Berne », n° 4, fé-
vrier 1931.

34
Titre Premier - De 1900 à 1973

matière de stérilisations de la part des centres d’assistance, en rappelant à ces


autorités qu’il étaient inadmissible d’utiliser des moyens de coercition pour
obtenir le consentement des intéressés et que des motifs objectifs importants
doivent exister pour décider de les pratiquer174.

1.2. Les Tziganes en tant que personnes exposées à la stérilisation

116. Le fait d’inclure les Tziganes dans la catégorie des personnes asociales,
voire atteintes de déficiences mentales, rend impossible la détermination du
nombre exact de Tziganes ayant souffert de stérilisations, car ils ne ressortent
pas dans les statistiques en tant que « Tziganes »175. Cependant, il apparaît
clairement qu’en sus des cas individuels où les particuliers sont accusés
d’inconduite ou encore d’ivrognerie, les personnes tziganes sont la cible de ces
mesures en raison de leur qualité de Tziganes. Premièrement, leur communau-
té poursuit et souhaite perpétuer un mode de vie considéré comme inaccepta-
ble en tant que tel. A ce sujet, l’existence du programme de l’Œuvre des en-
fants de la Grand route, examiné ci-après176, démontre qu’il existe, d’une ma-
nière plus générale, une volonté politique nationale dirigée à leur encontre.
117. Deuxièmement, les familles tziganes connaissent traditionnellement
un taux de natalité élevé177, ce qui constitue un autre motif poussant les autori-
tés d’assistance à demander la stérilisation des mères178. La position du juriste
zurichois RUDOLF WALTISBÜHL peut être citée à titre d’exemple sur ce sujet.
Dans sa thèse de 1944179, cet auteur plaide pour la stérilisation forcée des Tzi-
ganes, qu’il considère comme des individus malades, incapables de discerne-
ment, ne pensant qu’à engendrer une descendance également « tarée »180. Il
renvoie d’ailleurs explicitement aux politiques raciales allemandes des années
1930, les considérant comme des modèles à suivre en la matière181. Cette per-
ception perdure, puisque le mode de vie nomade est apparenté dans les an-
nées 1960 encore à « certaines maladies dangereuses, (qui sont) principalement
transmise(s) par les femmes»182.

174
BERSIER, pp. 205-206 ; A. EGGER (1947), p. 4. Voir également RAMSAUER, pp. 238-239, qui rapporte
des exemples de pressions financières pour obtenir le consentement à la stérilisation.
175
HUONKER/LUDI, p. 36.
176
Infra Section 2.
177
REYNIERS (1993A), p. 41.
178
L’étude menée par GSCHWIND auprès des médecins pratiquant dans des hôpitaux publics démontre
que des mesures sont prises à partir de trois, voire quatre enfants (p. 66).
179
RUDOLF WALTISBÜHL, Die Bekämpfung des Landestreicher- und Landfahrertums in der Schweiz. Eine
Untersuchung der rechtlichen und soziologischen Stellung der Nichtsesshaften in der Schweiz, thèse
Aarau, 1944. Par la suite, cet auteur a adressé publiquement des excuses à la communauté tzigane
au sujet des propos tenus dans sa thèse.
180
WALTISBÜHL, p. 121.
181
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 35 ; WALTISBÜHL, p. 159.
182
SIEGFRIED (1964), p. 13.

35
La situation juridique des Tziganes en Suisse

118. Bien que l’on ne dispose pas d’informations scientifiques ou statisti-


ques précises sur cette question, on peut estimer que la stérilisation de Tziga-
nes a cessé au plus tard au début des années 1980. En effet, à cette date,
l’Œuvre d’entraide des enfants de la Grand route n’existe plus depuis quel-
ques années et les premières études officielles, portant sur les Tziganes en tant
que groupe culturel spécifique digne de protection, sont entreprises183, ce qui
dénote un réel changement dans la perception de ce groupe. Il n’est pas exagé-
ré de penser que, dès lors, l’on n’assimile plus les Tziganes à des handicapés
sociaux, voire mentaux, que l’on souhaite stériliser.

1.3. L’indemnisation des personnes stérilisées de force par le passé

119. La pratique de la stérilisation effectuée pour des motifs ne touchant


pas à la santé de la personne soulève de nombreuses questions qui ont trait à
la licéité de telles mesures, principalement au regard de la nécessité du consen-
tement de la personne concernée vis-à-vis de l’atteinte envisagée, et des condi-
tions relatives à l’obtention d’un tel consentement. La question de l’existence
d’un intérêt prépondérant justifiant la mesure est également décisive en la ma-
tière.
120. La grande majorité des stérilisations pratiquées dans le passé ne pour-
raient plus l’être aujourd’hui. En effet, au regard des conditions posées dans la
loi fédérale sur la stérilisation, du 17 décembre 2004184, ces interventions se-
raient aujourd’hui qualifiées sans hésitation de stérilisations illicites185. Toute-
fois, jusqu’à l’adoption de cette réglementation en 2004, le cadre juridique
formel relatif aux stérilisations est resté le même d’une manière générale. Au-
paravant, aucune norme fédérale ne réglementait la question spécifique de la
stérilisation, qu’elle soit forcée ou non186.

183
Voir DFJP (1983), notamment pp. 8ss.
184
Loi fédérale sur les conditions et la procédure régissant les stérilisations (Loi sur les stérilisations ;
RS 211.111.1 ; RO 2005 2499).
185
La loi prévoit en effet strictement les hypothèses où la stérilisation des individus est admise. Selon
l’art. 4 de la loi sur les stérilisations, la stérilisation de personnes âgées de plus de 18 ans et passa-
gèrement incapables de discernement est interdite. Selon l’art. 5, al. 1, la stérilisation de personnes
âges de plus de 18 ans, capables de discernement, n’est admise que si son consentement libre et
éclairé, formalisé par écrit, a été donné. L’alinéa 2 oblige le médecin en charge de l’intervention de
consigner par écrit les éléments attestant de la capacité de discernement de la personne. A teneur
de l’art. 6, la stérilisation de personnes interdites et majeures, capables de discernement, est autori-
sée avec son consentement libre et éclairé donné par écrit, avec l’accord du représentant légal, et à
la suite d’un second avis médical que doit ordonner l’autorité tutélaire de surveillance, qui doit éga-
lement donner son autorisation. Enfin, selon l’art. 3, sous réserve de l’art. 7 al. 2, la stérilisation des
personnes de moins de 18 ans est strictement interdite. L’art. 7 prévoit les cas exceptionnels autori-
sant la stérilisation de personnes mineures ou interdites et durablement incapables de discerne-
ment.
186
Rapport explicatif du 6 novembre 2001, p. 6. Soulignons que A. EGGER (1947), pp. 14-15, et
GSCHWIND, pp. 1-2, regrettent à leur époque déjà l’insécurité juridique qui découle de cette lacune.
D’un point de vue historique, une seule norme, de droit cantonal, traitait spécifiquement de la stéri-
lisation de personnes effectuée sans leur consentement : l’art. 28bis de la loi cantonale vaudoise du

36
Titre Premier - De 1900 à 1973

121. En conséquence, c’est en raison de l’interprétation et l’application évo-


lutive des des normes générales touchant à la liberté personnelle, à la notion
de consentement libre et éclairé et celle d’intérêt public que la stérilisation des
personnes jugées « asociales » est devenue progressivement inacceptable. En
effet, ces concepts ont considérablement évolué durant les cinquante dernières
années, du fait de l’évolution notable de la protection physique et psychique
de la personne humaine, des théories scientifiques relatives à la maladie men-
tale et à la faiblesse d’esprit, et plus généralement, de ce qui heurte l’ordre pu-
blic et la morale.
122. En raison de cette évolution, la question de l’opportunité d’indemniser
les personnes stérilisées pour des motifs eugéniques par le passé a été ouver-
tement posée, bien qu’aucune demande d’indemnisation n’ait été auparavant
déposée. Prenant position sur l’initiative parlementaire de la Conseillère na-
tionale VON FELTEN 5 octobre 1999187, la Commission des affaires juridiques du
Conseil national a souligné qu’un bon nombre de victimes étaient désormais
décédées ou âgées et qu’il était urgent de s’accorder sur leur indemnisation
afin de les soulager financièrement dans leur fin de vie188.
123. Dans un second temps, toutefois, parallèlement aux débats touchant à
l’adoption de la loi sur les stérilisations, les Chambres fédérales se sont inter-
rogées sur la compétence de la Confédération pour indemniser ces personnes,
et se sont demandées s’il était juridiquement acceptable de procéder à une telle
indemnisation189.
124. Durant les débats entourant le projet de loi fédérale sur
l’indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives190, une
majorité de parlementaires a suivi l’avis du Conseil fédéral191 et a estimé que
c’était sur la base des conceptions en vigueur au moment de l’intervention
qu’il fallait déterminer si ces stérilisations avaient été pratiquées d’une ma-

14 février 1901 sur le régime des personnes atteintes de maladies mentales, adopté le 3 septembre
1928 par le législateur vaudois (RO/VD 1928, pp. 70-71.). Il fut repris aux art. 32ss de la loi du 23
mai 1939 sur les malades mentaux et autres psychopathes, et finalement abrogé en 1985 lors de
l’entrée en vigueur de la loi cantonale sur la santé publique (Loi cantonale sur la santé publique du
29 mai 1985, RS/VD 800.000.). Appliquée jusque dans les années 1970, cette norme a donné lieu à
187 autorisations de stérilisation octroyées par le Conseil de santé cantonal, organe cantonal de
surveillance des affaires sanitaires ; DUMOULIN, in : HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 67-68.
187
Initiative parlementaire VON FELTEN 99.451 du 5 octobre 1999, « Stérilisations forcées. Dédomma-
gement des victimes ».
188
Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, du 31 janvier 2000, relatif à
l’initiative parlementaire VON FELTEN 99.451, « Stérilisations forcées. Dédommagement des victi-
mes ».
189
Voir le Rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national, du 23 juin 2003, relatif
à l’initiative parlementaire VON FELTEN 99.451 « Stérilisations forcées. Dédommagement des victi-
mes » ; FF 2003 5753.
190
FF 2005 5791.
191
Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003 relatif au rapport du 23 juin 2003 de la Commission
des affaires juridiques du Conseil national concernant l’initiative parlementaire 99.451, FF 2003
5797.

37
La situation juridique des Tziganes en Suisse

nière conforme au droit ou s’il s’agissait, au contraire, de stérilisations illicites


au moment de leur commission déjà192.
125. Les débats furent nourris car les recherches n’avaient pas pu claire-
ment démontrer si ces stérilisations étaient conformes ou non au droit et à la
pratique de l’époque, puisque l’absence de décisions judiciaires topiques ne
permettait pas de se déterminer clairement193. En l’occurrence, les Chambres
fédérales ont tranché la question, en refusant finalement d’adopter le projet de
loi topique.
126. Bien que reconnaissant les objectifs eugéniques et d’hygiène sociale de
ces stérilisations, les autorités fédérales ont considéré que l’analyse juridique
portée aujourd’hui sur ces événements passés, s’étant déroulés dans un certain
climat socio-médical inacceptable aujourd’hui mais admis au moment des
faits, était anachronique. La seconde crainte portait sur la création d’un précé-
dent, qui a semblé trop problématique aux yeux d’une majorité de parlemen-
taires194.
127. Si cette solution est défendable juridiquement, le résultat peut paraître
néanmoins insatisfaisant du point de vue du sentiment de justice et de volonté
de réparation de l’injustice subie par les victimes. Ainsi, on peut se demander
si cette question n’aurait pas dû faire l’objet d’un débat sortant du cadre du
droit positif stricto sensu pour prendre place sur le terrain de l’équité. Cette so-
lution aurait permis de ne pas trancher le caractère licite ou non de ces actes, ni
de devoir gérer la question de la création d’un précédent juridique. Le choix de
cette option aurait pu d’ailleurs se fonder sur un précédent: nous pourrons
constater ci-après que c’est précisément pour des raisons d’équité et de justice
que la Confédération a indemnisé les victimes du programme de l’Œuvre des
enfants de la grand route195.

192
Le Tribunal fédéral, soutenu par la doctrine, reconnaît expressément que lors de l’examen de
l’intérêt public et de la proportionnalité d’une mesure coercitive en matière médicale, il faut prendre
en compte des valeurs éthiques et des conditions sociales qui évoluent nécessairement, et qui doi-
vent être considérées selon les conception du moment ; ATF non publié du 28 mars 2001,
4C.172/2000, consid. 5d ; ATF 126 I 112 S. ; ATF 115 Ia 234, 247 K. et S.; ATF 97 I 45, 50 X. ; HÄ-
FELIN/MÜLLER, p. 114 ; MOOR (1994, vol.1 ), p. 388 ; WYSS, p. 61, et références.
193
Voir les débats parlementaires au Conseil national, BO/CN été 2004, pp. 244-254, et au Conseil des
Etats BO/CE été 2004, pp. 262-264. Voir également le Rapport de la commission des affaires juridi-
ques du Conseil national, du 23 juin 2003, relatif à l’initiative parlementaire VON FELTEN 99.451
« Stérilisations forcées. Dédommagement des victimes » FF 2003 5759, 5758-5761.
194
Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003, FF 5798-5801.
195
Infra Section 2.3.

38
Titre Premier - De 1900 à 1973

2. Eugénisme et destruction du noyau familial des


Tziganes

128. Durant le XXème siècle, le combat de la « tare » du nomadisme ne


passe pas uniquement par la stérilisation : l’enlèvement et le placement des en-
fants tziganes est également utilisé afin de détruire ce qui est considéré comme
une inadaptation sociale, et ce en application de la théorie dite « du milieu »,
qui stipule que l’environnement peut influencer positivement les caractéristi-
ques et prédispositions de personnes héréditairement tarées196.
129. En Suisse, les fondateurs et dirigeants de l’Œuvre des enfants de la
grand route appliqueront cette théorie au détriment des familles tziganes197.
Soulignons que cette politique n’est pas une innovation : le placement
d’enfants est une pratique répandue en Suisse depuis le début du XXème siè-
cle, qui coïncide avec le développement de l’Etat social et de l’assistance so-
ciale198. Toutefois, l’Œuvre, au-delà de son action systématique par rapport à la
communauté tzigane, a cela de spécifique que sa motivation est clairement eu-
génique, et non pas uniquement sociale199.
130. Après un aperçu des objectifs et des activités de l’Œuvre (2.1.), nous
analyserons les fondements juridiques ayant permis à ses dirigeants d’agir lé-
galement (2.2.) ; nous examinerons dans une troisième étape ce qui a été entre-
pris pour dédommager les victimes (2.3.), pour finalement conclure par une in-
terrogation: commises aujourd’hui, de quelle manière les activités de l’Œuvre
seraient-elles qualifiables de génocide culturel ? (2.4.).

2.1. L’Œuvre des enfants de la grand route : objectifs et activités

131. L’Œuvre des enfants de la grand route est créée en 1926 et agit jus-
qu’en 1973. Durant sa période d’activité, elle est sous la responsabilité de la
fondation Pro Juventute, fondée en 1913, qui l’intègre dès sa création dans son
secrétariat central200. Dès 1930201, elle reçoit de substantiels financements de la

196
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 58.
197
SIEGFRIED (1964), p. 19, affirme que «(q)uand on a l’occasion d’observer les suites des (…) dérègle-
ments (causés par le nomadisme) sur des filles et des garçons de 7 ans, on n’a pas besoin de de-
mander plus loin pourquoi c’est un devoir pour l’humanité de placer de tels enfants aussi tôt que
possible dans un milieu sain ».
198
Pour une étude approfondie de la question, se référer à l’ouvrage de NADJA RAMSAUER,
« Verwahrlost » - Kindswegnahmen und die Entstehung der Jugendfürsorge im schweizerischen So-
zialstaat 1900-1945, Zurich 2000.
199
RAMSAUER, p. 191.
200
HUONKER, p. 75.
201
MEHR, p. 14, remonte à l’année 1929.

39
La situation juridique des Tziganes en Suisse

Confédération, puisque le Département fédéral de l’intérieur lui alloue dès


cette date 15’000 francs par année, et ce jusqu’en 1967202.
132. Le but affiché par ce programme est, selon les termes d’ALFRED SIEG-
FRIED, responsable de l’Œuvre et chef de la Section enfants en âge de scolarité
de Pro Juventute, « de vaincre le mal du nomadisme à sa racine »203. Le rôle et
le soutien moral de la Confédération dans le projet sont clairs et transparais-
sent dans les propos tenus en 1927 par Heinrich HAEBERLIN, Conseiller fédéral
et président de Pro Juventute. Selon le Conseiller fédéral, l’action de l’Œuvre
doit permettre de dissoudre les grandes familles de « vagabonds ». En effet,
ces familles constituent « einen dunklen Fleck in unserm auf seine Kulturordnung
so stolzen Schweizerlande bilden »204.
133. Il s’agit donc d’une action mue par une volonté de politique sociale
dont le but est de libérer « la société du fléau que représentent les familles no-
mades », considérées comme inférieures205, et dont le rattachement à des
considérations eugéniques est clair206. A cet égard, le psychiatre JOSEF JÖRGER,
directeur de la clinique psychiatrique de Waldhaus à Coire, est considéré
comme le précurseur idéologique de l’Œuvre.
134. Son travail porte dès 1905 principalement sur l’étude des Tziganes207.
Parlant de « l’envie héréditaire de voyager » comme d’une « maladie qui n’est
pas incurable »208, il propose en 1919 déjà, en sus des stérilisations forcées,
l’enlèvement des enfants nomades à leurs parents, afin que leur insertion dans
la société sédentaire, d’une part, empêche la transmission héréditaire des tradi-
tions culturelles spécifiques des Tziganes, et d’autre part, mène à la dilution
par mélange de leur patrimoine génétique dans celui des sédentaires209.
135. Durant ces cinquante années, les dirigeants de l’Œuvre organisent la
mise sous tutelle, l’enlèvement à leurs parents, et le placement dans des famil-
les d’accueil, et par la suite dans des institutions spécialisées210, de plus de
600211 enfants tziganes suisses, nomades ou sédentarisés212. Des centaines de
familles sont détruites, des milliers de personnes sont isolées culturellement et
socialement, des centaines de particuliers sont blessés psychiquement et phy-

202
THODE-STUDER, pp. 139-140.
203
Cité par GOLOWIN (1973), p. 188.
204
HEINRICH HAEBERLIN, Préface de la brochure « Kinder der Landstrasse » de la fondation Pro Juven-
tute, Zurich 1927.
205
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 34 ; THODE-STUDER, p. 131.
206
THODE-STUDER, pp. 130-131.
207
HUONKER/LUDI, p. 38 ; MEHR, p. 12.
208
JÖRGER, p. 35.
209
HUONKER, p. 68 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, pp. 56-57 et références ; MEHR, p. 12.
210
MICHON (1993), pp. I-74-I-75 ; HUONKER/LUDI, p. 45 ; THODE-STUDER, pp. 140-141.
211
THODE-STUDER, p. 144, estime que le nombre d’enfants enlevés se situe entre 600 et 730. MEHR, p.
19, énonce plus précisément le chiffre de 619.
212
GSCHWEND, p. 378 ; HUONKER/LUDI, p. 44.

40
Titre Premier - De 1900 à 1973

siquement213. Les dommages irréversibles causés par la séparation au psy-


chisme de l’enfant sont considérés, en 1964 encore, comme un moindre mal,
Alfred SIEGFRIED estimant qu’en « dernière analyse », on préférera « un être
quelque peu bizarre mais dans l’ensemble intègre et de qualité » à un être
« apparemment sain d’esprit (d’après nos observations presque tous ne le sont
pas), criminel, buveur et vagabond »214.

2.2. Les fondements juridiques de l’action de l’Œuvre des enfants de


la grand route

136. L’action de l’Œuvre peut être mise en place grâce à un cadre juridique
précis et préexistant à sa création, et seules quelques mesures peuvent être
qualifiées de manifestement illicites215. Une interprétation des dispositions du
droit de la famille et de la tutelle, en accord avec les conceptions psycho-
sociales de l’époque, a conféré aux responsables de l’Œuvre les bases légales
de leurs actions.
137. Pro Juventute dirige le placement sous tutelle des parents et des en-
fants tziganes au niveau national, et se substitue aux autorités cantonales et
communales, dans une tâche qui leur était jusqu’alors réservée. En effet, on
craint des difficultés dans la mise en œuvre du fait de l’éclatement territorial
des compétences qui nécessiterait un suivi coordonné des dossiers lors du dé-
placement des personnes concernées entre districts ou entre cantons. Ainsi, Al-
fred SIEGFRIED lui-même et ses collaborateurs deviennent les tuteurs d’une
grande majorité d’enfants216.

2.2.1. Les dispositions du droit de la famille

138. Pendant la période d’activité de l’Oeuvre, le retrait de l’enfant à ses


parents à des fins d’adoption ou de placement dans des institutions se fonde
sur les articles 283, 284 et 285 aCC217, qui constituent alors le fondement de la
protection de l’enfant en droit suisse. L’article 283 aCC oblige les autorités de
tutelle à prendre « les mesures nécessaires pour la protection de l’enfant », si
les parents « ne remplissent pas leurs devoirs (parentaux) », même en
l’absence de faute218. L’article 284 alinéa 1 aCC permet pour sa part le retrait
du droit de garde des parents et le placement de l’enfant « dans une famille ou

213
MEHR, p. 19.
214
SIEGFRIED (1964), p. 26, cité et traduit par THODE-STUDER, p. 142.
215
HUONKER/LUDI, p. 44.
216
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 29 ; THODE-STUDER, p. 129.
217
Le Code civil fut modifié en raison de la réforme du droit de la filiation, en vigueur depuis le 1er jan-
vier 1978 (RO 1977 264; FF 1974 II 1). Actuellement, les dispositions du Code civil relatives à la
protection de l’enfant sont les art. 307 à 317 CC.
218
RAMSAUER, pp. 37-38.

41
La situation juridique des Tziganes en Suisse

un établissement », si son « développement physique ou intellectuel est com-


promis »219.
139. On ne manquera pas de remarquer le caractère indéterminé de ces no-
tions, qui confère ainsi une très grande marge d’appréciation aux autorités
compétentes220. Ces deux dispositions n’ayant pas pour conséquence le retrait
de l’autorité parentale221, la possibilité de récupérer les enfants existe encore
pour les parents, bien que la doctrine de l’époque estime qu’il faille refuser
cette possibilité aux parents réclamant leurs enfants pour servir « leurs intérêts
personnels », alors qu’ils sont pris en charge par des tiers222.
140. Les responsables de l’Œuvre ont plutôt donné la préférence à l’article
285 aCC, dont l’application retire l’autorité parentale aux parents qui sont in-
terdits ou qui sont déclarés coupables de négligences graves, ce qui est no-
tamment le cas de ceux que l’on considère comme asociaux223. Au contraire
des mesures prises sous les articles 283 et 284 aCC, le retrait de l’autorité pa-
rentale a pour conséquence la mise sous tutelle de l’enfant qui acquiert alors
un domicile indépendant de celui des parents. Le for tutélaire devient généra-
lement la commune d’origine de l’enfant concerné (article 376 alinéa 2 CC),
étant donné que l’on considère qu’en tant que nomades, ces familles n’ont pas
de domicile fixe. L’enfant peut par ailleurs être placé dans une famille nourri-
cière, décision qui ne peut être prise en cas de simple retrait de la garde224.
141. L’étude historique publiée en 1998 sur l’action de l’Œuvre225 rapporte
que SIEGFRIED et ses collaborateurs font signer aux parents une déclaration par
laquelle ces derniers renoncent à tout droit sur leurs enfants, hors du cadre de
l’article 285 aCC. Les parents acceptent l’enlèvement de leurs enfants, leur pla-
cement, leur éventuelle adoption et leur changement de nom, et renoncent tant
à connaître le lieu d’accueil qu’à essayer de les revoir. Les auteurs de l’étude
soulignent que nul ne connaît à l’heure actuelle le nombre exact de ces déclara-
tions, ainsi que les conditions dans lesquelles elles ont été signées226.

219
Lors de la révision du droit de la filiation, les auteurs du projet de révision souligneront la difficulté
considérable de l’application de critères d’appréciation aussi larges ; Message du Conseil fédéral du
5 juin 1974 concernant la modification du code civil suisse, FF 1974 II 84.
220
RAMSAUER, p. 38.
221
A. EGGER (art. 284 aCC), N. 12, p. 110.
222
A. EGGER (art. 283 aCC), N. 15, p. 101.
223
BERSIER, p. 152.
224
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, pp. 47-48.
225
WALTER LEIMGRUBER, THOMAS MEIER, ROGER SABLONNIER, L’Œuvre des enfants de la grand route, Etude
historique réalisée à partir des archives de la Fondation Pro Juventute déposées aux Archives fédé-
rales suisses, Archives fédérales, Dossier 10, Berne 1998 (2000 pour la version française).
226
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 47.

42
Titre Premier - De 1900 à 1973

2.2.2. Les dispositions du droit de la tutelle

142. L’interdiction des parents ainsi que le maintien sous tutelle des enfants
enlevés, puis devenus majeurs, se basent sur les article 369, 370 et 372 CC227.
143. En premier lieu, l’interdiction des parents se fonde sur l’article 369 CC,
plus particulièrement sur la notion de « faiblesse d’esprit » (« Geistesschwäche »,
« debolezza mentale »), qui recoupe alors les personnes considérées comme
« psychopathes inconsistants » et que l’on reconnaît par leur débauche et leur
fainéantise228. August EGGER interprète cette notion comme concernant « alle
jene Abweichungen vom ‘Normalen’ treffen, welche geeignet sind, die Schutzbedürfig-
keit zu begründen »229. D’une manière générale, les personnes tziganes, qu’elles
perpétuent ou non un mode de vie nomade, sont alors considérées comme
possédant congénitalement une intelligence inférieure à la moyenne, qui justi-
fie leur interdiction230.
144. Pour sa part, l’article 370 CC énonce notamment l’ « inconduite »
(« lasterhafter Lebenswandel », « scostumatezza ») en tant que motif permettant
d’interdire un majeur. Cette notion autorise les autorités à interdire les indivi-
dus considérés comme étant des vagabonds (Landstreicher) ; en effet, le vaga-
bondage est perçu comme une activité mettant en danger la sécurité de la po-
pulation sédentaire et l’ordre public d’une manière générale231.
145. Dans son commentaire de 1929 relatif à l’article 370, AUGUST EGGER
explique également que ce terme recouvre le mode de vie des « mendiants » et
des « vagabonds », qui les met eux-mêmes en danger, ainsi que le reste de la
société, puisque le non-respect des règles de vie reconnues par tous les mène à
la criminalité. La disposition doit permettre « den Asozialen im Rechte zurückset-
zen zum Schutze der Andern ».
146. L’auteur va même jusqu’à affirmer que celui qui mène un mode de vie
déshonorant (« unehrenhaften Lebenswandel ») ne peut plus prétendre à la pro-
tection judiciaire des droits qui posent comme condition préalable
l’honorabilité du justiciable232. Une application combinée des articles 370 et 406
CC233, allant à l’encontre de la volonté du législateur234, va dans certains cas
mener au placement de Tziganes dans des maisons de correction et des pri-

227
Contrairement au droit de la filiation, les dispositions du droit de la tutelle sont demeurées les mê-
mes jusqu’à présent.
228
WALTISBUEHL, p. 69.
229
A. EGGER (art. 360 aCC), N. 38, p. 92.
230
SIEGFRIED (1964), p. 27.
231
WALTISBUEHL, p. 69 ; BERSIER, p. 145.
232
A. EGGER (art. 370 aCC), N. 42ss, pp. 123-126.
233
Article 406 CC : « Le tuteur protège l’interdit, l’assiste dans toutes ses affaires personnelles et au
besoin pourvoit à ce qu’il soit placé dans un établissement ».
234
WALTISBUEHL, pp. 70-71.

43
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sons, du fait d’absence d’alternative, car les autorités craignent les évasions
des maisons psychiatriques235.
147. Les personnes placées sous la responsabilité de l’Œuvre durant leur
minorité, mais qui passent à l’âge adulte sont, pour leur part, maintenues sous
tutelle en application de l’article 372 CC. Le tuteur peut en effet estimer qu’il
ne considère pas le pupille en question comme capable de gérer convenable-
ment ses affaires236, argument utilisé pour interdire les jeunes adultes.

2.3. Détermination des responsabilités et indemnisation des


victimes

148. Ce n’est que sous la pression médiatique237 que l’Œuvre cesse ses acti-
vités en 1973, sans que ses dirigeants soient inquiétés par les autorités. Une
enquête est toutefois ouverte et la Confédération prend alors les mesures adé-
quates pour sauvegarder les dossiers et les archives pertinents. Les responsa-
bilités dans cette affaire ne se limitent pas à celles de la fondation Pro Juven-
tute et des dirigeants de l’Œuvre. L’enquête et les rapports ordonnés par la
Confédération démontrent que tous les acteurs publics suisses – les communes
et les cantons principalement, au vu de leur rôle prépondérant en matière
d’assistance sociale, mais également la Confédération – ont participé à la dé-
marche238.
149. Il faut attendre 1986 pour que des excuses officielles soient adressées
aux victimes de l’Œuvre, par l’intermédiaire du Conseiller fédéral ALPHONS
EGLI239. Entre 1988 et 1992240, reconnaissant son soutien politique, moral et fi-
nancier à cette action, la Confédération verse environ 11 millions de francs aux
personnes concernées identifiées et s’étant présentées (environ 2000)241. Cette
somme fait office toutefois de geste de bonne volonté et non de réparation, les
autorités fédérales estimant qu’au vu de l’ampleur des torts causés aux victi-

235
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 46.
236
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 46.
237
Dans son septième numéro de 1972, le Schweizerische Beobachter publie le premier d’une série
d’articles sur l’action de l’Œuvre et le rôle de Pro Juventute, attirant ainsi l’attention du grand public
et des médias sur le sort des enfants tziganes suisses ; MEHR, p. 19, THODE-STUDER, pp. 144-151.
238
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999, en réponse à la motion 99.3297
« L’histoire vraie des orphelins suisses », déposée le 17 juin 1999 par le Conseiller national Jean-
Charles SIMON (ci-après : Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999). Concernant le
sort des enfants et des parents jénisch, «(i)l s’agissait d’un cas type de discrimination d’une minorité
en Suisse, dont une institution privée et les autorités tutélaires cantonales et communales ont été
les principales responsables. ».
239
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999.
240
La fondation chargée de réparer les torts subis par les victimes de l’Œuvre fut dissoute en 1993, le
délai pour déposer une requête en indemnisation ayant été placé au 30 juin 1992.
241
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999.

44
Titre Premier - De 1900 à 1973

mes de l’Œuvre, ils ne pourront jamais être réellement compensés matérielle-


ment.
150. Confronté en 1997 aux critiques formulées à l’encontre du fait que les
demandes d’indemnité déposées après le 30 juin 1992 ont été déclarées irrece-
vables, le Conseil fédéral répond que, selon lui, le fonds spécial de compensa-
tion en faveur des victimes de l’Holocauste, qui concerne également les Tziga-
nes, devrait être utilisé242. Cette position paraît difficilement justifiable, puis-
que les deux événements en cause ne sont pas liés et ne concernent ni les mê-
mes victimes, ni les mêmes responsables.
151. Suite à l’étude historique ordonnée par la Confédération, les cantons
sont consultés en 1999 par le Département fédéral de l’intérieur au sujet de ces
événements, et prennent alors position sur cette étude ; à cette occasion, le DFI
leur demande également de dresser le tableau de leurs relations actuelles avec
les groupes tziganes en transit sur leur territoire243.
152. D’une manière générale, les cantons réagissent positivement aux résul-
tats de l’étude historique et proposent que cette dernière soit largement rendue
publique, principalement auprès des personnes travaillant dans
l’enseignement et dans le domaine social. Onze d’entre eux244 se déclarent fa-
vorables à participer à des études ultérieures sur le rôle qu’ils ont joué dans le
cadre de cette problématique. Relativement à l’accès aux archives et aux dos-
siers se trouvant auprès des administrations cantonales, les cantons soulignent
le fait que nul ne sait exactement quel type d’information se trouve à quel en-
droit.
153. La plupart des cantons se disent prêts à participer et à collaborer à la
recherche des informations et des dossiers manquants, que cela soit par les
personnes directement concernées que par des spécialistes souhaitant effectuer
des recherches complémentaires sur le sujet. Beaucoup soulignent toutefois
l’incertitude actuelle concernant la part de responsabilité des cantons et son
impact sur le processus d’indemnisation des victimes245.
154. Pour leur part, en réaction aux conséquences de l’action de l’Œuvre,
les membres de la communauté tzigane créent, entre 1974 et 1975, les associa-
tions « Schutzbund », « Radgenossenschaft der Landstrasse » et « Pro Tzigania Sviz-
zera », afin de représenter et défendre les intérêts des Tziganes suisses. En
1985, la Radgenossenschaft est reconnue officiellement par la Confédération. Dès

242
Rapport écrit du Conseil fédéral du 16 juin 1997, en réponse à l’interpellation SEMADENI (Jénischs
suisses. Etude systématique des événements) 97.3225 du 30 avril 1997.
243
Communiqué de presse du Conseil fédéral du 12 janvier 2000 au sujet des résultats de la consulta-
tion effectuée par le Département fédéral de l’intérieur.
244
AG, AR, FR, GR, JU, SO, SZ, VS, VD, ZG, ZH.
245
Voir le résumé et l’évaluation des résultats de la consultation des cantons relative à l’Œuvre
d’entraide des enfants de la grand route du Département fédéral de l’intérieur, janvier 2000.

45
La situation juridique des Tziganes en Suisse

cette date, l’Office fédéral de la culture la subventionne et cette association de-


vient dès lors l’organisation faîtière des Tziganes en Suisse.

2.4. Un génocide culturel ?

155. Les considérations qui précèdent permettent de conclure qu’il est im-
possible de voir dans l’Œuvre des enfants de la grand route un simple
« accident de parcours » isolé dans la politique suisse en matière d’assistance
sociale, mais bien le reflet d’une démarche systématique à l’encontre des Tzi-
ganes246. Dès lors, il se justifie de suivre la doctrine lorsqu’elle analyse
l’ampleur du traumatisme que l’action de l’Œuvre a engendré auprès de ses
victimes, ainsi que ses effets directs sur la structure et la cohésion de la com-
munauté tzigane suisse, à la lumière de l’article II de la Convention internatio-
nale sur la prévention du génocide247 et de l’article 264 CP, qui le concrétise en
droit suisse248.
156. Lukas GSCHWEND conclut, en effet, que les actes commis dans le cadre
de l’Œuvre remplissent les conditions du génocide culturel249, au sens de
l’article 264 alinéa 1 lettre d CP250. Les conditions objectives de l’infraction sont
données : les victimes appartenaient à un groupe ethnique251 et les enfants ont
été enlevés à leurs parents et transférés de force au sein du groupe que consti-
tue la société sédentaire. L’élément subjectif consiste en l’intention de détruire
un groupe déterminé252 ; or, l’intégration forcée des enfants était bien le but di-
rect de l’action de l’Œuvre, et non pas uniquement un effet secondaire de
l’enlèvement des enfants, et la dissolution de la structure du groupe était
l’objectif à terme des responsables de l’Œuvre253.
157. GSCHWEND identifie Alfred SIEGFRIED et sa collaboratrice Clara REUST
comme étant les auteurs principaux de ce crime, du fait de leurs rôles de pre-
mier ordre. La qualification pénale de la participation des autres acteurs est

246
GERMANN, p. 139.
247
Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, entrée
en vigueur en Suisse le 6 décembre 2000 (RO 2002 2606 ; RS 0.311.11). Voir également la présen-
tation plus détaillée de cet instrument effectuée infra Titre Deuxième, Chapitre II, Section A, 2.3.
248
La convention du 9 décembre 1948 n’est en effet pas directement applicable et sa ratification a né-
cessité l’adoption d’une nouvelle norme pénale ; Message du Conseil fédéral relatif à la Convention
contre le génocide, FF 1999 4911, 4924-4925.
249
GSCHWEND, p. 392.
250
Art. 264 al. 1 let. d CP : « Sera puni de la réclusion à vie ou de la réclusion pour dix ans au moins
celui qui, dans le dessein de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial, religieux ou
ethnique (…) aura transféré ou fait transférer de force des enfants du groupe à un autre groupe. ».
251
Pour des développements approfondis sur cette question, voir infra Titre Deuxième, Chapitre II,
Section B, 2.2. Relevons par ailleurs que la perception des victimes qu’ont les auteurs d’un génocide
suffit à remplir la condition objective ; DE LESPINAY, p. 143.
252
Message du Conseil fédéral du 31 mars 1999, FF 1999 4911, 4922.
253
GERMANN, p. 137 ; GSCHWEND, pp. 389.

46
Titre Premier - De 1900 à 1973

plus complexe, toutefois, en raison notamment de la prolifération des interve-


nants.
158. Leur énumération est longue : le conseil de fondation de Pro Juven-
tute, qui soutenait le projet ; les autorités tutélaires cantonales, ainsi que leurs
autorités de surveillance, qui ont autorisé le retrait de l’autorité parentale et
ont accepté de désigner SIEGFRIED et REUST comme tuteurs des enfants ; cer-
tains psychiatres, qui ont justifié, et donc rendu possibles, les objectifs de
l’Œuvre254 ; la Confédération, les cantons et les communes, mais aussi les or-
ganisations privées et les particuliers, qui l’ont financée. Les rôles de chacun
restent encore pour la plupart à clarifier, au moyen de recherches approfon-
dies et détaillées, mais on peut considérer ces divers organismes comme étant
des complices, voire pour certains des auteurs indirects255.
159. Bien que le principe de l’interdiction de la rétroactivité des normes pé-
nales, concrétisé par les articles 7 CEDH et 2 CP, ne permette pas d’appliquer
les dispositions de la Convention contre le génocide aux activités de l’Œuvre,
l’importance de cette analyse et des conclusions qui peuvent en être tirées est
inestimable du point de vue des victimes et de leur reconnaissance en tant que
telles aux yeux du public. Elle engage également les autorités suisses à conti-
nuer et à approfondir les recherches scientifiques, notamment dans les archi-
ves cantonales et communales, sur cette question. L’extrême gravité des actes
commis à l’encontre des familles tziganes suisses doit ainsi pousser à continuer
le travail de mémoire initié par les auteurs du rapport de 1998.

C. La Suisse et les Tziganes durant la Deuxième guerre


mondiale

160. Tandis que les faits que nous avons reportés ci-dessus se sont déroulés
sur plusieurs décennies et ressortent d’une politique continue inscrite sur le
long terme, l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale a eu des conséquen-
ces négatives supplémentaires et particulières pour les Tziganes, que ceux-ci se
soient trouvés en Suisse ou aient souhaité y entrer.
161. L’attitude des autorités suisses envers les Tziganes durant la
Deuxième guerre mondiale doit être analysée tant à la lumière de la politique
suisse en matière d’asile en général256, qu’en rapport avec la politique restric-
tive spécifique envers les Tziganes suisses et étrangers, pratiquée, comme nous

254
Voir, au sujet du rôle de la psychiatrie dans le cadre de l’Œuvre, GERMANN, pp. 143-146.
255
GSCHWEND, pp. 385-386.
256
Pour un examen détaillé et approfondi de cette problématique, voir le rapport de la COMMISSION
D’EXPERTS INDEPENDANTS SUISSE-DEUXIEME GUERRE MONDIALE, Die Schweiz und die Flüchtlinge zur Zeit
des Nationalsozialismus, Publications de la Commission d’Experts Indépendants Suisse-Deuxième
guerre mondiale , vol. 17, 2ème éd., Zurich 2001.

47
La situation juridique des Tziganes en Suisse

l’avons constaté, bien avant le début du conflit. Nous avons déjà examiné les
différentes méthodes qui ont été développées durant les premières décennies
du XXème siècle, aussi bien sur le plan national que dans le cadre de la coopé-
ration internationale, dans le but de recenser, d’arrêter, de sanctionner ou de
tenter de « resocialiser » les personnes appartenant à des groupes tziganes.
162. Tout en gardant à l’esprit ce qui peut être considéré comme une ligne
directrice pour l’activité des autorités, nous consacrerons ce chapitre, premiè-
rement, à une vue d’ensemble de la situation des Tziganes sous le régime nazi
(1.), puis, deuxièmement, à un aperçu de la politique suisse en matière d’asile
pendant le conflit (2.), pour terminer par l’étude de l’impact de cette politique
sur les Tziganes étrangers fuyant les persécutions des autorités nazies (3.)257.

1. Les Tziganes face aux persécutions du Troisième Reich

163. Les persécutions dont font l’objet les Tziganes durant les années 1933 à
1945 sous le Troisième Reich ne sont pas le fruit du hasard, mais s’inscrivent
dans une logique de continuité avec la politique discriminatoire de la Républi-
que de Weimar258. Leur ampleur et leur aspect systématique sont toutefois ca-
ractéristiques du régime hitlérien. Nous rapportons ici les principales étapes259
ayant mené au génocide des Tziganes qui, de par son importance, n’a pas uni-
quement annihilé des individus, mais également les structures sociales, cultu-
relles et identitaires des communautés tziganes. Cette destruction menée à une
si grande échelle a eu, bien entendu, des conséquences directes sur la capacité
des survivants et de leurs descendants à perpétuer leur mode de vie tradition-
nel260.
164. Le 22 septembre 1933, la Reichskulturkammergesetz entre en vigueur en
Allemagne, excluant de la vie culturelle allemande les personnes juives, tziga-
nes ou appartenant à l’opposition politique. Le 1er janvier 1934, l’entrée en
force de la Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses mène à la stérilisation
de nombreux Tziganes. Le 15 septembre 1935, dans le cadre de la législation
raciale de Nuremberg, la Gesetz zum Schutze des deutschen Blutes und der deuts-
chen Ehre interdit le mariage et les relations extra-conjugales entre Allemands
et Juifs, interdiction étendue par la suite également aux Tziganes, classés dans
la catégorie des « asociaux ».

257
Voir à ce sujet les résultats des recherches effectuées par THOMAS HUONKER et REGULA LUDI in : Roma,
Sinti und Jenische – Schweizerische Zigeunerpolitik zur Zeit des Nationalsozialismus, Publications de
la Commission d’Experts Indépendants Suisse-Deuxième guerre mondiale, vol. 23, Zurich 2001.
258
HEUSS, p. 127 ; MARTEN-GOTTHOLD, pp. 25-27.
259
Survol historique basé sur les travaux de la COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, annexe, pp. 289-312,
de HUONKER/LUDI, pp. 53-66 et références, de LIEGEOIS (1994), pp. 131-132 et de MARTEN-GOTTHOLD
et références, pp. 27-35.
260
HUONKER/LUDI, pp. 64-65.

48
Titre Premier - De 1900 à 1973

165. En 1936, les droits politiques des Tziganes leur sont retirés, et au mois
de mai de cette année, les premiers ghettos spécifiques pour Tziganes sont
créés. Au mois de juin 1938, la police allemande procède à plusieurs rafles à
l’encontre des « asociaux », qui sont ensuite envoyés dans les camps de
concentration. A la fin de cette même année, Heinrich HIMMLER, SS et chef de
la police du Reich, ordonne, par le biais de la directive Bekämpfung der Zigeu-
nerplage, le recensement systématique des Tziganes, démarche par ailleurs faci-
litée par les efforts entrepris avant la guerre en matière d’identification et de
relevés anthropologiques. Suite à cette directive, des milliers de Tziganes sont
envoyés dans des camps de concentration, en tant que travailleurs forcés.
166. Le début de la guerre marque un renforcement des persécutions, et
l’attaque de l’Union Soviétique en été 1941 conduit à une augmentation dra-
matique du nombre de victimes d’exécutions collectives sommaires. Au mois
de juillet 1941, la « Solution finale » est décidée. A l’instar des Juifs, les Tziga-
nes se trouvant dans les Etats conquis par l’armée allemande sont systémati-
quement la cible de ces persécutions. Robert RITTER, médecin de haut rang
dans la hiérarchie du Troisième Reich, spécialisé dès les années 1930 dans la
recherche eugénique sur les Tziganes, établit en 1942 la généalogie d’environ
30’000 Tziganes afin d’identifier ceux qualifiés de « métis ».
167. Ces derniers sont également victimes de la « Sélection » décidée en dé-
cembre 1942 par HIMMLER, qui détermine qui sera déporté vers les camps de la
mort. En 1943, 22’600 Tziganes sont envoyés à Auschwitz. Beaucoup de déte-
nus tziganes sont victimes d’expériences médicales mutilantes et destructrices
qui, si elles n’entraînent pas la mort, laissent des séquelles permanentes. Entre
400’000 et 500’000 Tziganes périssent dans les camps de travail et de la mort,
tels que Auschwitz-Birkenau, Dachau ou encore Buchenwald ; certains auteurs
articulent le chiffre de 1,5 millions de Tziganes assassinés sur l’ensemble de la
période nazie261. Leur nombre exact n’est pas connu à ce jour.

2. La politique suisse en matière de réfugiés durant


la Deuxième guerre mondiale

168. Suite à l’adoption par le peuple et les cantons, le 25 octobre 1925, de


l’article 69ter aCst.262, la Confédération devient compétente pour accorder ou
refuser l’asile. Le Conseil fédéral répond de la politique suisse en la matière,
ainsi que des questions relatives aux réfugiés. Cette responsabilité est étendue
de manière extensive par le régime des pleins pouvoirs, à nouveau instauré

261
HUONKER/LUDI, p. 64, et références.
262
FF 1924 II 511, FF 1925 II 450.

49
La situation juridique des Tziganes en Suisse

par l’arrêté de l’Assemblée fédérale du 30 août 1939, qui confère au Conseil fé-
déral une large compétence en matière législative263,264.
169. L’admission de réfugiés sur le territoire national est considérée à cette
époque comme une faculté appartenant à l’Etat, fondée sur sa souveraineté, et
exclusivement limitée par les traités bilatéraux relatifs à l’entraide en matière
pénale265. Durant la Deuxième guerre mondiale, aucune convention internat-
nale266 ne lie la Suisse dans ce domaine267, et il n’y a ni définition de la notion
de « réfugié » en droit international coutumier268, ni principe de non-
refoulement269 qui pourrait créer envers la Suisse une obligation internationale
d’accorder l’asile aux réfugiés civils270. Les réfugiés militaires, pour leur part,
constituent une catégorie protégée par la Convention de la Haye du 18 octobre
1907 concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neu-
tres en cas de guerre sur terre, entrée en vigueur en Suisse le 11 juillet 1910271.
Cette convention ne confère cependant pas de droit à l’asile272.
170. Du fait de l’absence de loi fédérale spécifique relative à l’asile, la loi
fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers, entrée en vigueur en
1934273, forme le cadre légal de la politique suisse en la matière. En sus du
permis de séjour (article 5), de l’autorisation d’établissement (article 6), et de
l’autorisation dite de tolérance (article 7 aLSEE274), l’article 21 aLSEE275 autorise
le Conseil fédéral à octroyer l’asile à l’étranger, dont l’autorisation d’entrer en
Suisse a été refusée, si celui-ci démontre qu’il subit des persécutions politiques.
171. La pratique et la doctrine de l’époque276 interprètent strictement la no-
tion de « persécutions politiques », en la limitant aux personnes dont l’activité
politique les soumet directement et de manière imminente à des sanctions
dans leur pays d’origine. Elle exclut de l’asile les réfugiés dont la vie est mise

263
RO 55, 781.
264
KÄLIN (1999), p. 93 ; LUDWIG, p. 11.
265
Message du Conseil fédéral du 2 juin 1924 concernant la réglementation du séjour et de
l’établissement des étrangers en Suisse par le droit fédéral, FF 1924 511. CERUTTI, p. 28.
266
ATF 126 II 145, 159, J. Spring. KÄLIN (1999), p. 23.
267
La Convention internationale sur la situation juridique des réfugiés date en effet du 28 juillet 1951
et est entrée en vigueur en Suisse le 21 avril 1995 (RO 1955 461 ; RS 0.142.30).
268
ATF 126 II 145, 159, J. Spring. KÄLIN (1999), p. 50.
269
ATF 126 II 145, 160, J. Spring. KÄLIN (1982), p. 72.
270
ATF 126 II 145, 159, J. Spring. LUDWIG, p. 10.
271
RS 11 440 ; RS 0.515.21.
272
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, pp. 21-22.
273
Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE ; RS 1 113),
abrogée par l’entrée en vigueur de la loi fédéral sur les étrangers (LEtr ; RS 142.20 ; FF 2005 6885).
274
Disposition abrogée par la modification législative du 20 juin 1986 (RO 1987 1665).
275
Disposition abrogée par l’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi fédérale du 5 octobre 1979 sur
l’asile (RO 1980 1718), elle-même abrogée par la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l’asile, entrée en
vigueur le 1er octobre 1999 (RO 1999 2253 ; RS 142.31).
276
HÄFLIGER, pp. 61-63 ; KÄLIN (1999), pp. 23-25.

50
Titre Premier - De 1900 à 1973

en danger pour des raisons raciales ou religieuses, les cas considérés comme
humainement difficiles pouvant toutefois bénéficier d’exceptions277. Par ail-
leurs, les personnes entrées sur le territoire helvétique, mais qui ne bénéficient
d’aucune autorisation, sont internées en application de l’article 14 alinéa 2
aLSEE278.

3. L’impact de la politique d’asile de la Suisse sur les


Tziganes

172. Durant la Deuxième guerre mondiale, le régime restrictif que nous ve-
nons d’évoquer est maintenu et appliqué au plus fort de l’afflux de réfugiés
fuyant les conflits et les persécutions, alors que dès la fin 1941, les autorités fé-
dérales connaissent le terrible sort réservé par le régime nazi aux Tziganes et
aux Juifs279.
173. Face à l’augmentation constante de requérants se présentant à la fron-
tière suisse, le 13 août 1942, le DFJP adresse aux directions cantonales de police
et aux commandants des polices cantonales une directive280 rappelant claire-
ment que seuls les réfugiés politiques doivent être acceptés. Malgré
l’indignation suscitée au sein de la population par l’application de cette circu-
laire281, ces instructions sont maintenues, voire rendues plus restrictives en-
core, par de nouvelles consignes adressées par le DFJP, le 29 décembre 1942,
aux autorités des douanes282.
174. Les recherches les plus récentes en la matière soulignent l’absence
frappante de documents relatifs au nombre exact de Tziganes s’étant présentés
à la frontière suisse, et a fortiori combien, parmi ces derniers, sont acceptés ou,
au contraire, refoulés. On ignore quelles sont les directives spécifiques relati-
ves au traitement des dossiers de ces réfugiés283. Il est toutefois démontré
qu’en plus d’être des réfugiés persécutés en raison de leurs origines, et non de
leurs opinions politiques, les requérants tziganes sont rangés, dès le milieu des
années 1930, dans la catégorie des étrangers « indésirables », qualificatif per-
mettant également le refoulement284. On peut dès lors conclure qu’un nombre
infime, voire nul, de Tziganes a pu trouver asile durant le conflit.

277
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, p. 135 ; HADELMAN, p. 877.
278
Disposition modifiée par l’entrée en vigueur le 1er février 1995 de la loi fédérale du 18 mars 1994
sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers (RO 1995 146, 152).
279
CERUTTI, pp. 33-36 ; COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, pp. 89-91; LUDWIG, pp. 219-231.
280
Directives de la division Police du DFJP du 13 août 1942, BA E 4001 (C) 1, vol. 259 et BA E 4300 (B)
3, vol. 20.
281
LUDWIG, p. 195 ; COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, p. 95.
282
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, p. 102 ; LUDWIG, pp. 216-219.
283
HUONKER/LUDI, pp. 67 et 80.
284
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, pp. 140-141 ; HUONKER/LUDI, pp. 69 et 80.

51
La situation juridique des Tziganes en Suisse

52
Titre Premier – Depuis 1973

Chapitre IV: Depuis 1973

175. Les décennies qui ont suivi la dissolution de l’Œuvre des enfants de la
grand route ont donné naissance à une situation paradoxale pour les Tziganes
en Suisse. D’une part, leur statut s’est transformé d’une manière radicale d’un
point de vue institutionnel, alors que d’autre part, aucune politique globale-
ment concertée, touchant concrètement aux conditions de vie des Tziganes, n’a
été élaborée en parallèle de manière à traduire ce changement d’approche.
176. Plusieurs facteurs expliquent ce décalage : le fédéralisme, tout d’abord,
puisque si les progrès se sont produits avant tout sur le plan fédéral, la résolu-
tion des obstacles ne peut se faire, en l’état actuel du droit et de la répartition
des compétences, qu’aux niveaux cantonal et communal285 ; la persistance des
préjugés, ensuite, liés à l’incompréhension face au mode de vie itinérant. On
évoquera également la suspicion réciproque entre Tziganes et non-Tziganes,
puisque l’histoire de leurs relations, dont nous avons tracé les contours, pèse
lourd lorsque les difficultés doivent être surmontées par les acteurs en pré-
sence sur le terrain, et complique considérablement la percée de réelles avan-
cées286.
177. Nous traiterons ultérieurement en détail de l’existence, du contenu et
de la mise en œuvre des obligations découlant de la Constitution fédérale et
des traités internationaux en matière de droits de l’homme et des droits des
minorités et qui engagent les autorités helvétiques, quels que soient leur ni-
veau et leurs compétences, à éliminer ce hiatus. Le présent chapitre est donc
destiné à présenter par un aperçu général l’importante évolution, à ce jour ina-
chevée, qu’ont connue les rapports entre les Tziganes et la Suisse durant ces
trois décennies, afin de mieux comprendre le contexte et les enjeux du débat
juridique que nous entamerons par la suite (A.).
178. Dans une deuxième étape, nous rapporterons ce qui peut être considé-
ré comme un aspect significatif de la transformation qui est en train de se pro-
duire dans les relations entre la communauté tzigane et l’Etat : la saisine des
tribunaux par quelques Tziganes, afin d’affirmer et de faire reconnaître leurs
droits (B.). Enfin, nous dresserons le tableau des difficultés rencontrées au-
jourd’hui par les Tziganes lorsqu’ils poursuivent leur mode de vie traditionnel
(C).

285
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450-451.
286
DFJP (1983), p. 17 ; KREIS, p. 7.

53
La situation juridique des Tziganes en Suisse

A. L’évolution juridique du statut des Tziganes

179. La période qui précède et qui suit immédiatement le démantèlement


de l’Œuvre des enfants de la grand route en 1973 marque une rupture dans la
perception qu’ont les autorités suisses des personnes tziganes et, de ce fait, en-
traîne une modification des rapports entre ces dernières et l’Etat287.
180. Ainsi, de personnes asociales et dangereuses pour la collectivité, elles
deviennent membres d’un « groupe minoritaire » dont la culture mérite qu’elle
soit mieux connue et préservée288. Plusieurs étapes marquent la transformation
du statut juridique et institutionnel des Tziganes ; parmi celles-ci, nous pour-
rons constater que si la plupart sont significatives et positives, d’autres révè-
lent l’existence de certaines incompréhensions, voire de certaines craintes, per-
sistant par rapport aux Tziganes.
181. Soulignons d’ores et déjà que nous aurons l’occasion de revenir sur
certaines de ces étapes pour les approfondir, lorsque nous analyserons de fa-
çon détaillée le statut des Tziganes suisses au regard du droit international des
minorités289, mais également lorsque nous étudierons comment le droit ordi-
naire suisse intègre leurs droits fondamentaux290. L’aperçu essentiellement
descriptif que nous effectuons ci-après a pour objectif de marquer les princi-
paux jalons de l’évolution de leur statut juridique, afin de mettre en valeur le
chemin parcouru, mais également celui qui reste à parcourir, de manière à ex-
pliquer la persistance des tensions.

1. Les premières démarches cantonales et fédérales (1977)

182. La première démarche effectuée par des autorités suisses est cantonale
et remonte à 1977. Donnant suite à un postulat, le gouvernement bernois man-
date une commission afin qu’elle détermine les mesures à prendre dans le can-
ton en faveur des Tziganes qui s’y trouvent. Premier de son genre en Suisse, le
rapport rendu en 1980 par la commission formule plusieurs suggestions visant
à faciliter l’arrêt des caravanes, le travail itinérant, les formalités administrati-
ves, l’éducation des enfants, mais aussi la promotion de la culture nomade et
la création d’un bureau cantonal chargé du suivi et de la mise en œuvre de ces
propositions291.

287
DFJP (1983), p. 2.
288
Directeur de l’instruction publique du canton de Berne, 1975, cité in : DFJP (1983), p. 1.
289
Infra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
290
Infra Titre Quatrième.
291
DFJP (1983), pp. 1-2. Le rapport original est aujourd’hui indisponible.

54
Titre Premier – Depuis 1973

183. Sur le plan fédéral, l’impulsion est donnée par deux pétitions adres-
sées à l’Assemblée fédérale, respectivement en 1975 et 1978. La première est
déposée au nom de la Radgenossenschaft der Landstrasse, mais sans que cette
dernière lui ait accordé son soutien, et la seconde par Pro Tzigania Svizzera. En
raison de sa motivation insuffisante, l’Assemblée fédérale ne donne pas suite à
la pétition de 1975292.
184. Pour sa part, la pétition de 1978 formule plusieurs requêtes : que les
autorités fédérales reconnaissent « les nomades »293 en tant que minorité so-
ciale, culturelle et politique, et l’aident à préserver ses particularités ; que la
protection contre les discriminations soit assurée ; que la création de places de
stationnement soit garantie ; que les victimes de l’Œuvre des enfants de la
grand route soient indemnisées ; que les Tziganes étrangers puissent traverser
la Suisse ; finalement, que l’on crée un bureau de conseils juridiques accessible
gratuitement par les membres de la communauté.
185. Cette seconde pétition conduit à de meilleurs résultats que la première,
puisque, suivant l’opinion de la commission des pétitions, le Conseil des Etats
approuve le 21 mars 1979 un postulat exigeant du Conseil fédéral qu’il se sai-
sisse du problème294. L’exécutif nomme alors au sein du Département fédéral
de justice et police une commission composée d’experts provenant de tous les
milieux concernés, chargée de rédiger un rapport détaillé295.

2. Le rapport du Département fédéral de justice et police


(1983)

186. Le rapport du Département fédéral de justice et police est rendu le 27


juin 1983 et transpose au plan fédéral la réflexion faite par le canton de
Berne296. Il traite également les questions de la prévoyance sociale et de
l’assistance médicale, du passage des Tziganes étrangers sur le territoire
suisse, et des dispositions pénales cantonales qui, punissant de l’arrêt ou de
l’amende la mendicité, le ramassage du bois, la voyance, ou encore le fait de ne
pas envoyer ses enfants à l’école, péjorent la situation des Tziganes nomades
dans leur vie quotidienne.

292
BO/CE, printemps 1976, p. 151.
293
« Das Fahrende Volk » ; nous citons spécifiquement la pétition, car ce terme, en mettant l’accent
sur la caractéristique du voyage, pose à notre sens un problème par rapport à la situation des Tzi-
ganes sédentarisés. Nous reviendrons en détail sur cette question, infra Titre Deuxième, Chapitre
IV, Section A, 3.2.
294
BO/CE, printemps 1979, p. 383.
295
DFJP (1983), pp. 4-5.
296
Rapport de la commission d’étude désignée par le Département fédéral de justice et police, Fahren-
des Volk in der Schweiz : Lage, Probleme, Empfehlungen, Berne 1983.

55
La situation juridique des Tziganes en Suisse

187. Par ailleurs, la commission formule les premières critiques officielles


de l’action de l’Œuvre des enfants de la grand route, dix ans après son déman-
tèlement297 ; elle souligne également le fait qu’il ne s’agit pas de créer des privi-
lèges en faveur d’une communauté au détriment du reste de la population
suisse et que les mesures à prendre ne sont pas particulièrement nombreuses.
188. Au-delà de son importance emblématique, l’impact de ce premier rap-
port fédéral est malheureusement faible. Son seul effet direct est la reconnais-
sance de la Radgenossenschaft der Landstrasse en tant qu’organisation faîtière des
associations tziganes en Suisse. Les propositions énoncées en relation avec les
difficultés matérielles rencontrées sur le terrain ne sont, pour leur part, suivies
d’aucune concrétisation298.
189. On peut, toutefois, faire un lien entre cette première prise de position
fédérale, qui dénote le changement de politique effectué, et le transfert, très
important du point de vue symbolique, du « dossier tzigane » en 1984, du Dé-
partement de justice et police à l’Office fédéral de la culture (OFC), bien que
l’aspect culturel ne soit pas prioritaire. A partir de 1987, un crédit annuel de
Frs. 250’000 est versé à l’OFC pour que celui-ci soutienne la « population no-
made de Suisse »299.
190. En 1988, deux commissions sont créées au sein du Département fédé-
ral de l’intérieur (DFI) afin de distribuer le fonds d’indemnisation de 11 mil-
lions de francs débloqués en faveur des Tziganes victimes de l’Oeuvre. Envi-
ron 2000 personnes en bénéficieriont300. Ces deux commissions sont uniques
de par la thématique qu’elles traitent : en effet, ce sont les seules à avoir été
créées afin de discuter de la situation des Tziganes ne pratiquant plus un mode
de vie nomade. Elles n’ont eu toutefois qu’un caractère éphémère et n’existent
plus aujourd’hui301.

3. Le rapport de l’Office fédéral de la culture (1989)

191. Un second rapport fédéral destiné à faire le point sur la situation des
Tziganes en Suisse est publié en 1989 sous l’égide de l’OFC302. On relèvera
qu’il s’intéresse à la portée de la liberté d’établissement dont peuvent se préva-
loir les Tziganes suisses pour se déplacer et s’arrêter dans les communes suis-
ses ; dès lors, on regrettera que la réflexion juridique ne soit pas plus poussée
et que, par exemple, la question de la liberté économique des intéressés ne soit

297
HOFMANN C., p. 14.
298
HOFMANN C., p. 14 ; Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450.
299
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 451.
300
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999.
301
MICHON (1997), p. 19.
302
MARIA-LUISA ZÜRCHER-BERTHER, Nomades parmi les sédentaires – Problèmes posés par un autre mode
de vie, édité par l’Office fédéral de la culture, Bâle 1989.

56
Titre Premier – Depuis 1973

pas soulevée. Ce rapport élabore également des propositions plus concrètes et


détaillées que celles développées par la commission du DFJP en 1983, bien
que, de l’aveu même de l’auteur, elles restent limitées à des « ébauches »303.
Cette recherche souligne, par ailleurs, que la Confédération est appelée à
s’impliquer dans ce dossier et doit prendre des mesures au niveau fédéral afin
de faire progresser concrètement la situation sur le terrain.
192. Le principal point négatif de ce second rapport consiste en
l’évacuation complète des termes « Tziganes » ou « Jénisch », au profit exclusif
de « gens du voyage » ou de « nomades », alors que le rapport de 1983 évo-
quait encore nommément les Jénisch, tout en les réduisant, il est vrai, à leur ca-
ractéristique de nomades304.
193. A partir de cette date, les démarches des autorités suisses se concen-
trent exclusivement autour de la situation des «gens du voyage », expression
désormais consacrée pour traiter de la problématique. A notre sens, l’évolution
du statut des Tziganes en Suisse se trouve dès lors faussée, car la majorité des
membres de cette communauté en est exclue puisqu’ils n’exercent plus de
mode de vie itinérant, alors qu’ils demeurent des Tziganes imprégnés des tra-
ditions socio-culturelles de leur communauté305.

4. La création de la fondation « Assurer l’avenir des gens


du voyage suisses » (1994)

194. En 1990, la question de l’accès des Tziganes nomades aux prestations


sociales est soulevée à l’occasion des délibérations relatives à la loi fédérale sur
la compétence en matière d’assistance des personnes dans le besoin306. Un pos-
tulat du Conseil national est adressé au Conseil fédéral afin que cette problé-
matique spécifique soit traitée. En collaboration avec l’OFC, la commission de
la sécurité sociale du Conseil national approuve le projet rédigé par un groupe
de travail ad hoc, et soumet le 28 août 1991 au Conseil national une initiative
parlementaire dans laquelle il est constaté que les gens du voyage suisses for-
ment une minorité « ethnique et culturelle » en Suisse qu’il importe de recon-
naître « sous une forme ou une autre »307.

303
ZÜRCHER-BERTHER, p. 95.
304
MICHON (1997), p. 19. Le caractère erroné de ce choix terminologique, ainsi que son impact sur la
définition du cercle des personnes appartenant à la minorité protégée, seront examinés en détail ul-
térieurement, à l’occasion d’une réflexion approfondie ; Infra Titre Deuxième, Chapitre Chapitre IV,
Section A.
305
Nous aurons l’occasion de souligner les conséquences problématiques de cette conception pour la
protection des droits fondamentaux des membres de cette communauté ; voir notamment infra Ti-
tre Deuxième, Chapitre IV, Section A et Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 2.
306
Loi fédérale du 24 juin 1977 sur la compétence en matière d'assistance des personnes dans le be-
soin (Loi fédérale en matière d'assistance ; LAS ; RO 1978 221; RS 851.1).
307
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 453.

57
La situation juridique des Tziganes en Suisse

195. En outre, la commission considère qu’il est indispensable d’agir dans


l’ensemble du pays pour résoudre les principaux problèmes des « nomades »
et qu’il faut, en particulier, améliorer la collaboration intercantonale et inter-
communale. Elle ne conseille toutefois pas d’octroyer à la Confédération de
nouvelles compétences, mais d’utiliser de manière optimale et coordonnée les
compétences telles que réparties à ce moment.
196. Afin de promouvoir au mieux la cause des gens du voyage suisses, il
est proposé à l’unanimité des membres de la commission de créer une fonda-
tion, par le biais d’une loi fédérale, pour aborder les « problèmes présents et
futurs des nomades » de manière efficace308.
197. Dans son avis relatif au rapport de la commission de la sécurité so-
ciale, le Conseil fédéral estime que l’initiative de la commission est « un pas
dans la bonne direction », et considère d’une part, que la fondation aura un ef-
fet positif sur l’intégration de la « minorité nomade » et, d’autre part, que la
participation de la Confédération à la recherche de solutions est nécessaire,
étant donné que les problèmes rencontrés ne peuvent être résolus par aucun
des autres acteurs309.
198. La loi fédérale concernant la fondation de droit privé « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses » entre en vigueur le 7 octobre 1994310. A
teneur de son article premier, « la Confédération soutient la fondation (…) afin
d’assurer et d’améliorer les conditions de vie et de préserver l’identité cultu-
relle de la population nomade ». Selon le Conseil fédéral, il faut interpréter
cette disposition comme signifiant que son statut de « minorité culturelle
suisse à part entière » est dès lors admis et reconnu311. Il faut relever que tant la
loi que le Message du Conseil fédéral ne parlent ici que d’identité culturelle,
alors que l’initiative parlementaire de 1991 évoque explicitement la caractéris-
tique de minorité ethnique et culturelle312.
199. La fondation est dotée d’un capital initial d’un million de francs (arti-
cle 2), et bénéficie d’une subvention annuelle d’exploitation de l’ordre de Frs.
200’000. Celle-ci se présente sous la forme d’un crédit-cadre quinquennal re-
nouvelable (article 3 alinéas 1 et 2).

308
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450.
309
Avis du Conseil fédéral du 16 septembre 1991, FF 1991 460, 462.
310
Loi fédérale du 7 octobre 1994 concernant la fondation « Assurer l'avenir des gens du voyage suis-
ses » (RO 1996 3040 ; RS 449.1). L’avant-projet de loi fédérale sur l’encouragement à la culture
(LEC), dans sa version du 10 avril 2003, prévoit dans ses dispositions finales l’abrogation de la loi
relative à la fondation (article 37 chiffre 3) ; l’article 12 alinéa 2 de l’avant-projet stipule ainsi que
« (La Confédération) peut prendre des mesures pour permettre aux gens du voyage d’avoir des
conditions de vie compatibles avec leur culture ».
311
Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF
2001 1490, 1494.
312
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 453. L’intérêt de cette qualification
est toutefois relativisé par l’utilisation de l’expression « population nomade ». Voir infra nos déve-
loppements relatifs à l’importance de ces catégorisations, Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.

58
Titre Premier – Depuis 1973

200. L’acte de fondation313 énonce pour sa part les buts de l’institution :


ceux-ci mettent l’accent sur la mise à disposition, la gestion et l’exploitation, si
nécessaire, de places fixes et temporaires pour le stationnement des Tziganes
nomades suisses, ainsi que sur l’encouragement de la collaboration intercanto-
nale et intercommunale, tant en matière d’octroi de patentes pour l’exercice
d’une activité lucrative, que d’éducation primaire, secondaire et tertiaire des
Tziganes suisses. Enfin, mandat lui est donné de concevoir des mesures géné-
rales touchant à la promotion de la « population nomade » en Suisse (article 2
alinéa 1). Afin d’atteindre ces buts, la fondation doit travailler avec les institu-
tions existantes, mais lorsque ces dernières font défaut, elle est autorisée à agir
de sa propre initiative (article 2 alinéa 2).
201. L’article 7 de l’acte de fondation prévoit la création d’un conseil de
fondation composé de onze membres, nommés par le DFI. L’étape de la nomi-
nation est délicate pour le département, qui s’emploie à pourvoir les postes
des représentants des communes et des cantons afin d’assurer le contact avec
les organismes supra-cantonaux et supra-communaux, de manière à ce que les
propositions émises par la fondation puissent exercer une influence réelle.
202. Toutefois, les Tziganes expriment dans un premier temps leur mé-
contentement, car ils ne possèdent pas la majorité absolue au sein du conseil et
exigent, dès lors, que six d’entre eux, et non cinq, soient désignés314. Le Parle-
ment refuse de donner suite à cette demande, en expliquant que la fondation
ne doit pas être perçue comme un organisme de défense des intérêts des Tzi-
ganes nomades, telle que la Radgenossenschaft der Landstrasse, mais comme une
institution visant à créer une infrastructure permettant à l’Etat et aux Tziganes
de collaborer315.
203. Cette argumentation est, à notre sens, assez surprenante, au regard de
l’intitulé de la raison sociale de la fondation, et des différents aspects de son
mandat, tels qu’énoncés dans l’acte de fondation. A leur lecture, il n’apparaît
pas que les principaux acteurs doivent se contenter de créer un forum destiné
à la collaboration, mais qu’au contraire, ils doivent prendre des mesures ten-
dant à faciliter l’exercice du mode de vie traditionnel tzigane. Il est possible
que la fondation opère activement de manière à promouvoir la situation des
Tziganes suisses, sans pour autant devenir un groupe de pression analogue à
une association privée.
204. Les derniers membres du conseil de fondation ne sont nommés qu’à la
fin de l’année 1996 et ne commencent leur travail qu’après la signature de

313
FF 1991 IV 449, 457.
314
HOFMANN C., p. 15.
315
Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF
2001 1490, 1493 ; HOFMANN C., p. 15.

59
La situation juridique des Tziganes en Suisse

l’acte de fondation, en mai 1997316. En 2006, au moment où les Chambres doi-


vent décider de reconduire le crédit-cadre octroyé à la Fondation pour les an-
nées 2007 à 2011317, le bilan de neuf ans d’activités de la fondation s’avère rela-
tivement faible. Hormis la commande d’un avis de droit concernant le manque
de places de stationnement à disposition318, et de prises de position topiques
concernant des thématiques touchant aux Tziganes suisses, la fondation n’a
obtenu que peu de résultats concrets319. Il est toutefois difficile de déterminer
si cette absence d’impact découle de son organisation interne, de ses choix po-
litiques, de son mandat ou encore de l’étendue des pouvoirs qui lui ont été oc-
troyés. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement en détail sur ses acti-
vités.

5. La reconnaissance des Tziganes suisses en tant que mi-


norité nationale (1999)

205. D’un point de vue formel, le statut de la communauté tzigane suisse


s’est transformé lors de la ratification par la Suisse de la Convention-cadre du
Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales, du 1er février
1995320, entrée en vigueur en Suisse le 1er février 1999321. En effet, la déclaration
émise dans ce contexte prévoit que constituent des minorités nationales322 en
Suisse « les groupes de personnes qui sont numériquement inférieurs au res-
tant de la population du pays ou d'un canton, sont de nationalité suisse, entre-
tiennent des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont animés de
la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notam-
ment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue ».
206. Dans son Message aux Chambres, le Conseil fédéral précise que cette
déclaration signifie que le champ personnel d’application de la CPMN inclut

316
En sus des cinq membres appartenant à la communauté tzigane, les dirigeants de la fondation pro-
viennent des organismes suivants : la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice
et police et la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales désignent chacune un re-
présentant pour les cantons ; les communes sont représentées par deux membres de l’Association
des Communes Suisses, la Confédération par l’OFC et par le Secrétariat d’État à l’économie (seco).
La fondation est par ailleurs présidée par le Conseiller d’Etat WERNER NIEDERER, chef du Département
de la justice du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures ; Message du Conseil fédéral concernant
l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF 2001 1490, 1494.
317
Message du Conseil fédéral du 10 mars 2006 relatif à l’approbation du crédit-cadre pour les années
2007-2011, FF 2006 2951.
318
Bureau d’aménagement du territoire Eigenmann Rey Rietmann, Les Gens du voyage et
l’aménagement du territoire – Rapport d’expertise, Saint- Gall 2001.
319
Werner NIEDERER, Neue Zürcher Zeitung du 9 août 2003.
320
CPMN ; RS 0.441.1 ; RO 2002 2630.
321
Voir notre analyse de cette convention, de sa portée et de son mécanisme de contrôle, infra Titre
Deuxième, Chapitre II, Section A, 2.5.
322
Au sujet de cette notion et de sa portée, voir notre analyse infra Titre Deuxième, Chapitre II, Sec-
tion B, 3.2.2.

60
Titre Premier – Depuis 1973

non seulement la protection des minorités traditionnelles suisses, mais aussi


les « autres minorités » que constituent la communauté juive et celle composée
par les « gens du voyage »323.
207. Pour les autorités fédérales, cette étape marque un tournant dans la
manière d’aborder les Tziganes suisses et les problèmes juridiques qui surgis-
sent du fait de l’exercice de leur mode de vie nomade. Nous pourrons consta-
ter qu’à ce jour, toutes les conséquences de cette consécration ne sont pas en-
core pleinement identifiées et intégrées par les autorités324. Nous aurons
l’occasion de mettre en lumière leurs hésitations et leurs contradictions appa-
rentes, qui révèlent que le processus d’intégration et de reconnaissance de la
minorité tzigane suisse et de ses membres n’en encore est qu’à ses débuts325.

6. La jurisprudence Bittel du Tribunal fédéral (2003)

208. Si la ratification de la CPMN marque une étape formelle cruciale,


l’arrêt du Tribunal fédéral rendu en 2003 dans l’affaire Bittel contre le Dépar-
tement de l’aménagement du territoire, de l’équipement et du logement et Tri-
bunal administratif du canton de Genève326 représente un jalon historique
pour la prise en compte concrète des besoins des Tziganes en Suisse327. En ef-
fet, à cette occasion, notre Haute Cour a affirmé pour la première fois que les
besoins des Tziganes nomades devaient être pris en compte par les autorités
en charge de l’aménagement du territoire dans le cadre du processus de plani-
fication328.
209. Du point de vue de la reconnaissance et de l’affirmation des droits de
la communauté tzigane, cette jurisprudence possède une importance
fondamentale tant en raison de son fond et de son impact sur le droit de
l’aménagement du territoire, que du point de vue de la nature des relations en-
tre l’Etat, ses collectivités, et cette minorité.
210. Par sa démarche et les solutions qu’elle impose, elle présente toutefois
des lacunes et se révèle, sous certains aspects, critiquable au regard de la prise
en compte effective des droits fondamentaux des Tziganes en tant
qu’individus, mais également en tant que membres d’une minorité. Ces diffé-
rents facteurs font de cet arrêt une référence essentielle pour notre problémati-

323
FF 1998 1033, 1046-1048 ; voir également le Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 95-96.
324
Infra Titre Troisième, Chapitre I.
325
Voir ainsi infra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
326
ATF 129 II 321 Bittel.
327
Pour un résumé de l’état de fait de cet arrêt, voir infra, Titre Quatrième, Chapitre I, Section D, 1.1.
328
ATF 129 II 321, 327-328 Bittel.

61
La situation juridique des Tziganes en Suisse

que, et nous aurons donc l’occasion à réitérées reprises d’étudier ses apports et
ses limites, dans le cadre de plusieurs chapitres de cette étude329.

B. Les Tziganes et l’affirmation de leurs droits

211. L’évolution du statut des Tziganes suisses que nous avons exposée ci-
dessus n’aurait certainement pas pu se faire sans l’impulsion et le travail des
intéressés eux-mêmes, de manière à faire valoir leur existence et à protéger
leur mode de vie traditionnel. Nous avons déjà évoqué la création des diverses
associations de défense des intérêts des Tziganes nomades suisses, en réaction
à l’Œuvre des enfants de la grand route, et de la participation de cinq repré-
sentants de la communauté tzigane au conseil de la fondation « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses ». Nous relèverons également la présence
de l’un de ses membres au sein de la Commission fédérale contre le racisme, et
ce depuis la création de cet organe en 1995. Cette mobilisation a ainsi poussé
les autorités à se pencher sur les différentes problématiques liées à l’exercice
d’un mode de vie itinérant.
212. La prise de conscience des autorités quant à l’existence juridique des
Tziganes suisses ouvre une nouvelle étape dans leurs relations avec l’Etat, qui
pourrait presque être qualifiée de bouleversement idéologique. Ce processus
modifie également la perception des principaux intéressés eux-mêmes, puis-
que les Tziganes suisses doivent désormais concevoir l’ordre juridique non
plus exclusivement comme un outil de répression, mais comme un levier ayant
le potentiel de faire progresser leurs conditions de vie.
213. Ainsi, la transformation de l’attitude des autorités, passée d’une ré-
flexion basée uniquement sur les problèmes pratiques rencontrés sur le terrain
à une démarche consistant à aborder ces mêmes difficultés sous un angle éga-
lement juridique, reflète l’évolution en parallèle du mode d’expression des re-
vendications des Tziganes suisses.
214. En effet, quelques familles ont commencé depuis 2001 à saisir les ins-
tances judiciaires afin de faire reconnaître leurs droits330. Il est encore trop tôt
pour parler d’une prise de conscience générale au sein de l’ensemble de la
communauté, puisque, actuellement, seule une poignée d’entre eux ont pris le
chemin des tribunaux.

329
Voir notamment infra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 1.3. et 2.2.2 ; Titre Quatrième, Chapitre
I, Section C et D.
330
Voir ainsi l’ATF 129 II 321, Bittel, les arrêts non publiés du 3 avril 2001, causes 1P.110/2001 et
1P.127/2001 ; l’arrêt du 14 mai 2001, publié in RDAF 2004 I 55 ; les arrêts du 30 juillet 2001, cau-
ses 1P.110/2001 et 1P.127/2001, l’arrêt du 8 octobre 2001, cause 1P.126/2001, publié in RDAF
2004 I 59.

62
Titre Premier – Depuis 1973

215. Toutefois, il serait faux de considérer cette démarche comme anecdoti-


que et encore moins comme anodine. Pour apprécier son aspect inédit, il suffit
de rappeler la longue histoire des persécutions dont nous avons tracé
l’esquisse : ainsi, pour un Tzigane, l’ordre juridique signifie historiquement la
menace, la contrainte, le Gadjo, c’est-à-dire le non-Tzigane. Jusqu’à au-
jourd’hui, le droit n’appartenait qu’aux sédentaires331 ; il protégeait les oppres-
seurs, il consacrait l’oppression, et il n’aménageait ni possibilités, ni sphères de
protection à l’égard des Tziganes.
216. Réussir, dans un premier temps, à dépasser cette pesante expérience
faite de persécutions étatiques menées, entre autres, au moyen de l’ordre juri-
dique, et utiliser, dans une deuxième étape, des atouts créés par ce même or-
dre constitue une véritable révolution pour la minorité tzigane suisse. Si ce
mouvement devait se généraliser, il pourrait constituer à terme un processus
analogue au mouvement d’empowerment de la communauté afro-américaine du
milieu du XXème siècle.
217. L’impact des recours ayant été déposés à ce jour sur les conditions de
vie de la minorité tzigane suisse dans leur ensemble n’apparaîtra que sur les
moyen et long termes. Nous avons toutefois déjà évoqué les conséquences
fondamentales de l’arrêt Bittel du Tribunal fédéral en 2003332.
218. Cette démarche reflète donc premièrement une certaine transforma-
tion de la perception qu’ont les Tziganes suisses d’eux-mêmes par rapport à
l’Etat. Deuxièmement, en l’absence de politiques et de législations concertées
et concrètes, auxquelles les Tziganes eux-mêmes ne croient plus aujourd’hui333,
il s’agit de la seule méthode contraignante à leur disposition pour tenter
d’apporter des changements à une situation socio-économique, qui, nous al-
lons le constater ci-dessous, n’a pas évolué de façon radicale depuis le rapport
du DFJP en 1983334.

C. Le statu quo de la situation socio-économique

219. Il est nécessaire de confronter la transformation du statut institutionnel


des Tziganes suisses avec ce qu’il convient d’appeler la réalité du terrain.
L’exercice du mode de vie nomade n’est pas compatible avec les solutions ju-
ridiques développées pour répondre aux besoins de la population sédentaire.
Le cadre légal tarde à être modifié dans le sens de l’évolution juridique dont
nous avons parlé. Les difficultés et les frictions persistent à travers l’ensemble

331
DFJP (1983), p. 27.
332
ATF 129 II 321 Bittel. Supra Section A, 6.
333
ROBERT HUBER, Président de la Radgenossenschaft, Neue Zürcher Zeitung du 9 août 2003.
334
HOFMANN C., p. 14.

63
La situation juridique des Tziganes en Suisse

du territoire helvétique, malgré la reconnaissance des Tziganes suisses en tant


que minorité. Nous allons dresser le tableau des principales sources de conflits
et la manière dont les autorités les traitent actuellement. Nous développerons
des propositions visant à les résoudre dans une partie ultérieure de cette
étude335.
220. Trois thématiques sont particulièrement délicates. Ainsi, l’absence de
places de stationnement, permanent et temporaire, se trouve au centre des
préoccupations (1.). La question de l’obtention de patentes pour exercer une
profession ambulante sera également traitée (2.). Enfin, la scolarisation
d’enfants se déplaçant une grande partie de l’année soulève aussi des problè-
mes qui doivent être discutés (3.). A l’occasion de l’examen de ces problémati-
ques, on évoquera par ailleurs celles du travail des enfants mineurs et de la
protection sociale des particuliers.

1. L’offre de places de stationnement et le mode de vie


nomade

221. Le manque de places de stationnement sur le territoire helvétique et


les difficultés rencontrées pour en créer de nouvelles constituent, sans
conteste, les points de friction les plus importants entre la communauté tzi-
gane suisse et les autorités fédérales, cantonales et communales. En effet, pour
sauvegarder leur mode de vie traditionnel, les Tziganes nomades suisses ont
besoin d’un espace vital suffisant qui n’est pas, à l’heure actuelle, pris en
compte dans l’aménagement du territoire. Il existe un lien intrinsèque entre les
déplacements des Tziganes nomades et leurs activités économiques : exerçant
des métiers ambulants336, ils dépendent donc de l’existence d’un réseau d’aires
de stationnement pour pouvoir maintenir et développer leurs professions337.
Ceci correspond à la fonction économique du voyage, qui complète sa fonction so-
ciale, en ce qu’il permet aux familles, amis et connaissances de se retrouver, de
préserver l’identité du groupe et de consolider les liens familiaux, sociaux et
culturels au sein de la communauté tzigane338.
222. Deux sortes de places de stationnement sont nécessaires : les empla-
cements fixes et les emplacements de transit. Les emplacements fixes, ou pla-
ces de stationnement permanent, sont des aires d’arrêt que les Tziganes noma-
des louent à l’année. Ils sont nécessaires durant les mois d’hiver, entre novem-
bre et février, voire durant douze mois, lorsque les enfants sont en âge de sco-
larité, et correspondent généralement au lieu de domicile légal. Quant aux

335
Infra Titre Quatrième.
336
Infra Section 2.1.
337
DFJP p. 20; LIEGEOIS, p. 79; Rapport d’expertise 2001, p. 14 ; THODE-STUDER, p. 99 ; ZÜRCHER-
BERTHER, p. 32.
338
LIEGEOIS, pp. 77-78.

64
Titre Premier – Depuis 1973

emplacements de transit, ou places de stationnement temporaire, ils sont utili-


sés lorsque les Tziganes traversent la Suisse en petits groupes pour accéder à
leur clientèle. La durée du séjour varie entre une dizaine de jours et un mois.
Lorsqu’aucune aire aménagée n’existe à l’endroit souhaité, il arrive que les fa-
milles stationnent chez des particuliers ; nous verrons que la possibilité
d’utiliser ce mode de stationnement, connu sous le nom « d’arrêts spontanés »,
est à la fois nécessaire et problématique339.
223. Mandaté en 1999 par la fondation « Assurer l’avenir des gens du
voyage suisses » pour élaborer une étude sur les Tziganes nomades suisses et
leurs besoins en matière de places de stationnement, le Bureau
d’aménagement du territoire EIGENMANN REY RIETMANN, à Saint-Gall, est sans
équivoque dans son premier rapport rendu en 2001340, et complété en 2005341 :
en Suisse, le problème causé par le manque de places de stationnement est ai-
gu.
224. En 2001, l’offre se limitait à onze aires permanentes et à 48 emplace-
ments de transit, qui offrent respectivement 205 et 530 places, et qui corres-
pondaient aux exigences de 65% de l’ensemble des personnes concernées342.
En 2005, l’offre en aires permanentes s’est légèrement améliorée, puisque dé-
sormais douze aires sont disponibles. Par contre, neuf aires de transit ont été
fermées dans l’intervalle, tandis que seulement deux nouvelles ont été créées.
Le total des aires de transit à disposition s’élève désormais à 44, du fait que les
experts incluent dans l’offre trois aires exploitées depuis des années, mais qui
ne sont pas reconnues officiellement par les autorités343. On constate ainsi une
dégradation de la situation générale, puisque les experts considèrent au-
jourd’hui que seuls 60% des Tziganes ont accès à des aires de transit, contre
65% en 2001344.
225. Selon le Bureau d’aménagement de Saint-Gall, les besoins s’élèvent en
réalité à environ 40 places fixes et 80 places temporaires. La majorité des aires
existantes nécessitent des améliorations quant à la qualité des conditions de
vie qui y sont offertes, tant par rapport au développement des infrastructures,
qu’aux prix de location, ou encore aux périodes d’ouverture345.
226. Interpellés successivement en 1987, 2000 et 2005 par la Confédération,
les cantons et les communes adoptent une attitude qui varie sensiblement face

339
Rapport d’expertise 2001, p. 6. Voir également le Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 7.
340
Bureau d’aménagement du territoire EIGENMANN REY RIETMANN, Les Gens du voyage et l’aménagement
du territoire – Rapport d’expertise, Saint-Gall 2001.
341
Bureau d’aménagement du territoire EIGENMANN REY RIETMANN, Les Gens du voyage et l’aménagement
du territoire – La situation en 2005 – rapport complémentaire, Saint-Gall 2006.
342
Rapport d’expertise 2001, pp. 21-26.
343
Mise à jour du rapport d’expertise 2006, pp. 12-18.
344
Mise à jour du rapport d’expertise 2006, p. 18.
345
Rapport d’expertise 2001, pp. 21-26.

65
La situation juridique des Tziganes en Suisse

à cette problématique. Les résultats de l’enquête effectuée en 1987 auprès des


3058 communes suisses montrent que sur 2828 réponses reçues, 2100 commu-
nes n’ont exprimé aucune opinion car elles n’avaient pas eu de contacts récents
avec des Tziganes nomades ; 78 se disaient prêtes à faire des démarches en fa-
veur de ces derniers, tandis que 650 se déclaraient contre l’aménagement du
territoire dans ce sens346.
227. En 2000, la consultation des cantons à l’occasion de la publication du
rapport sur l’Œuvre des enfants de la grand route347 a montré que les cantons
sont en grande majorité sensibles à la problématique. Cependant, les réponses
sont souvent vagues quant à la situation concrète dans les communes, les auto-
rités cantonales faisant preuve d’une grande retenue lorsqu’il s’agit
d’intervenir dans les affaires communales sur ce point. Ainsi, douze cantons
ont déclaré que des places officielles existaient sur leur territoire, sans toujours
pouvoir donner de détails. Neuf d’entre eux ont affirmé qu’aucune place
n’était à disposition, tandis que quatre disaient savoir que des arrangements
ponctuels, souvent conclus avec des particuliers, étaient courants. Un seul can-
ton ne s’est pas exprimé sur la question.
228. En 2005, la consultation des cantons a porté sur l’avant-projet de rap-
port du Conseil fédéral relatif à la situation des Tziganes en Suisse, incluant la
question de l’opportunité de ratifier la Convention n° 169 de l’OIT relative aux
peuples indigènes et tribaux348 et celle relative à la création d’aires de séjour et
de transit349. Sur cette seconde question, quatorze cantons ont considéré que
l’analyse des besoins qui y était effectuée – reprenant le rapport d’expertise
saint-gallois - était pertinente, quatre ont jugé qu’elle ne l’était que partielle-
ment, tandis que quatre autres ont estimé qu’elle ne l’était pas du tout, du fait
qu’ils ne rencontraient eux-mêmes aucune demande en la matière350.
229. Ces différentes consultations ont rappelé un problème déjà connu351 :
la majorité des réticences rencontrées auprès des autorités cantonales et com-
munales, lorsqu’il s’agit de créer des places de stationnement, est due aux
mauvaises expériences vécues au moment du passage des Tziganes nomades
étrangers, notamment en raison du fait que ces derniers voyagent en grand
nombre, et qu’ils sont moins soucieux que les Tziganes nomades suisses de la
remise en état des places au moment de leur départ. Ainsi, ces derniers doi-

346
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 23-24.
347
Résultats de la procédure de consultation des cantons au sujet de l’Œuvre des enfants de la grand
route, Berne 2000.
348
Avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, Partie I. A ce sujet, voir infra Titre
Deuxième, Chapitre IV, Section B, 2.
349
Avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, Partie II.
350
Résultats de la consultation relative à l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005,
Partie II, pp. 1-3, disponibles sur http://www.bak.admin.ch [site consulté le 2 janvier 2007].
351
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 26-27 ; Rapport de la commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 499, 452.
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 7 ; Partie II, pp. 9-10.

66
Titre Premier – Depuis 1973

vent également faire face aux difficultés et aux refus nés de l’attitude des Tzi-
ganes étrangers. L’impact des préjugés et de la méfiance est également souli-
gné par l’écrasante majorité des parties consultées352.

2. L’exercice d’un commerce itinérant

230. Avant de traiter la question de l’exercice des activités commerciales


itinérantes des Tziganes suisses d’un point de vue légal, il est nécessaire de
présenter quelques faits d’ordre socio-économique (2.1). Puis, on distinguera
entre la situation juridique actuelle, postérieure au 1er janvier 2003, et celle an-
térieure à cette date. En effet, la compétence relative à l’octroi des autorisations
permettant ce genre d’activités appartenait aux cantons jusqu’à l’entrée en vi-
gueur de la loi fédérale sur le commerce itinérant353. Nous nous pencherons
donc sur la période précédant l’adoption de cette loi (2.2.), puis nous examine-
rons cette nouvelle réglementation fédérale, sous l’angle restreint de ses impli-
cations pour les Tziganes nomades suisses (2.3.).

2.1. Le contexte socio-économique

231. Les Tziganes nomades ont toujours travaillé dans le commerce ambu-
lant de marchandises et dans le secteur des services. Traditionnellement, ils
exercent les métiers de la récupération (achat d’antiquités, recyclage, collecte
de vieux métal, etc.) et de l’artisanat ambulant (aiguisage, vannerie, rétamage,
réparation de parapluies, etc.)354. Ces professions, qui ne sont pas rattachées à
un lieu, sont intrinsèquement liées à leur mode de vie nomade : comme nous
l’avons déjà évoqué, habitat et exercice d’une activité lucrative dépendent ainsi
complètement l’un de l’autre355.
232. Comme il s’agit de professions indépendantes, les Tziganes n’ont pas
accès aux prestations de l’assurance-chômage356, ni à celles de la prévoyance
professionnelle357. Ceci a pour conséquence que, dans l’hypothèse où l’exercice
d’une activité lucrative devient impossible, seul le recours à l’assurance-

352
Résultats de la consultation relative à l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005,
Partie II, pp. 4-7, disponibles sur http://www.bak.admin.ch [site consulté le 2 janvier 2007].
353
L’entrée en vigueur de la LComIt a par ailleurs abrogé la loi fédérale du 30 octobre 1990 sur les
voyageurs de commerce (art. 20 LComIt), seule réglementation fédérale touchant au domaine des
activités lucratives itinérantes.
354
LIEGEOIS (1994), p. 93 ; THODE-STUDER, p. 99.
355
LIEGEOIS (1994), p. 97 ; Rapport d’expertise 2001, pp. 4-5 ; THODE-STUDER, p. 99.
356
Art. 2 al. 1 let. a a contrario de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage obligatoire
et l’indemnité en cas d’insolvabilité (Loi sur l’assurance-chômage ; LACI ; RO 1982 2184 ; RS
837.0).
357
Art. 2 al. 1 a contrario de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse,
survivants et invalidité (LPP ; RO 1983 797 ; RS 831.40). Les Tziganes n’exerçant pas de métiers
représentés par des organisations professionnelles, l’article 3 LPP ne trouve pas à s’appliquer.

67
La situation juridique des Tziganes en Suisse

invalidité, voire aux services de l’assistance sociale, devient possible358. Dans


leurs domaines professionnels, les Tziganes se démarquent par leur polyva-
lence, leur mobilité et leur faculté d’adaptation. Contrairement à la très grande
majorité de la population sédentaire, ils ne se spécialisent pas dans un secteur
économique précis et exercent simultanément plusieurs activités359.
233. L’économie moderne a toutefois fortement réduit l’impact et
l’importance des métiers exercés par les Tziganes nomades, puisqu’elle est ba-
sée sur une consommation des biens qui donne la priorité au remplacement
des objets défectueux, en lieu et place de leur réparation.
234. Les activités des Tziganes nomades ne répondent donc plus à la même
demande que par le passé, principalement en comparaison avec l’époque où la
société sédentaire était majoritairement rurale, car l’importance et l’utilité éco-
nomiques de leurs métiers sont dépréciées, alors que, paradoxalement, les
avantages du recyclage sont de plus en plus promus360. Ne souhaitant pas
adopter un mode de vie sédentaire, les Tziganes nomades ne vont pas recher-
cher les métiers exercés par la société majoritaire, et ils se retrouvent ainsi à
devoir combler les lacunes toujours plus limitées du marché existant. Ceci a
pour conséquence que leur revenu moyen se situe aux alentours du minimum
vital361.

2.2. L’exercice d’une profession ambulante avant le 1er janvier 2003

235. Durant les années précédant l’entrée en vigueur de la LComIt,


l’activité économique des Tziganes nomades était rendue très difficile par les
nombreux obstacles juridiques et administratifs causés par la fragmentation de
la réglementation entre les cantons362,363. Dans tous ces derniers, l’exercice du
commerce itinérant était, en effet, conditionné par l’obtention d’une autorisa-
tion, appelée également patente364.

358
Il n’est actuellement pas possible d’évaluer le nombre de Tziganes concernés en Suisse par le re-
cours aux assurances sociales, aucune recherche spécifique n’ayant été entreprise. Cependant, du
fait de la fragilité socio-économique dans laquelle se trouvent la plupart des membres de cette
communauté, on peut estimer qu’il n’est pas négligeable. LIEGEOIS (1994), p. 228, relève que dans
les pays d’Europe occidentale, les Tziganes vivent de plus en plus sous l’aile de l’aide sociale. Voir
également l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 45-46.
359
DFJP (1983), p. 32 ; LIEGEOIS (1994), p. 94 ; REYNIERS (activités économiques), pp. 48-52 ; ZÜRCHER-
BERTHER, pp. 32-34.
360
LIEGEOIS (1994), p. 97 ; MICHON (1993), p. II-112.
361
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 32-34.
362
Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit-cadre à la fondation « Assurer l’avenir des
gens du voyage suisses », FF 2001 1490, 1497.
363
La matière était alors réglementée par 51 lois et ordonnances cantonales et une loi fédérale ; Mes-
sage du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3885.
364
MEYER/BLUNIER, p. 56 ; Recommandations de la ComCo, p. 449. Soulignons que la loi fédérale sur le
commerce itinérant maintient cette obligation ; infra Section 2.3.1.

68
Titre Premier – Depuis 1973

236. Constitutive d’une restriction de la liberté économique, l’obligation de


posséder une autorisation pour l’exercice des métiers itinérants est justifiée,
hier comme aujourd’hui, par la poursuite de plusieurs intérêts publics. On
évoquera la bonne foi dans les affaires, la protection de la sphère privée des
acheteurs ou encore l’ordre public et les bonnes mœurs. La proportionnalité de
la mesure n’a jamais été contestée ; toutefois, au vu des conditions d’obtention
spécifiques exigées par certains cantons, que l’on pourrait qualifier de suran-
nées365, il est permis, à notre sens, de se demander si certains refus fondés, par
le passé, sur ces dispositions n’auraient pu être qualifiés de disproportionnés.
237. Pour le Tzigane nomade désireux d’accéder à sa clientèle à travers la
Suisse, la difficulté initiale liée au nombre de patentes à obtenir était aggravée
par l’absence de reconnaissance de ces dernières entre les cantons, et par le fait
que dans certains d’entre eux, les communes étaient compétentes pour oc-
troyer les autorisations366. On évoquera également les émoluments exigés, par-
fois très élevés367, la diversité des conditions d’octroi, ou encore le fait que cer-
taines activités étaient soumises à autorisation dans des cantons, mais pas dans
d’autres. On relèvera aussi les différentes durées de validité des autorisations,
et le simple fait que la signification de la notion même de commerce itinérant
variait selon les cantons368.
238. La complexité de la situation juridique était telle369 que certains au-
teurs n’ont pas hésité à comparer à une « traversée de la jungle » les efforts à
fournir pour parvenir à se retrouver dans ce labyrinthe administratif et juridi-
que370. Par ailleurs, étant donné que les Tziganes nomades ne se limitent pas à
l’exercice d’une seule activité économique, ils se retrouvaient face à des dé-
marches administratives démultipliées371. Ainsi, il était aisé pour les autorités
cantonales de les sanctionner pénalement pour avoir commis des infractions
aux diverses législations372, ce d’autant plus facilement que les préjugés

365
Onze cantons (AG, AR, BL, BS, GR, JU, LU, SH, TG, VD et ZG) exigeaient par exemple que le requé-
rant ne soit pas porteur d’une maladie contagieuse ou « répugnante », tandis que six d’entre eux
(AR, BS, GE, SH, TG et VD) refusaient l’autorisation à celui qui ne respectait pas l’interdiction de va-
gabondage ou d’alcoolisme ; MEYER/BLUNIER, p. 56 ; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2000, FF
2000 3849, 3854.
366
Voir l’aperçu des réglementations cantonales sur le commerce itinérant annexé au Message du
Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3890-3896.
367
Dans certains cantons, les émoluments mensuels atteignaient les milliers de francs (VS, NE) ;
MEYER/BLUNIER, p. 59. Relevons également que certaines législations prévoyaient des tarifs différents
selon que le requérant était domicilié dans le canton ou non ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 43.
368
Recommandations de la ComCo, p. 447.
369
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3851. Voir également, pour une vision
d’ensemble de la situation, la recherche effectuée par ANNEMARIE MEYER et FRITZ BLUNIER, Les profes-
sions ambulantes : 26 cantons, 26 réglementations, La vie économique, 10/1994, pp. 55-59.
370
MEYER/BLUNIER, p. 55.
371
DFJP (1983), pp. 33-34.
372
DFJP (1983), p. 33 ; MICHON (1993), p. II-117.

69
La situation juridique des Tziganes en Suisse

concernant les Tziganes pouvaient pousser les polices cantonales à appliquer


la loi d’une manière extrêmement rigoureuse373.
239. Cette situation créait à l’évidence d’énormes difficultés, que les inté-
ressés aient été Tziganes ou non-Tziganes. Toutefois, en raison de l’importance
du commerce itinérant pour la communauté des Tziganes nomades, ce fais-
ceau de normes en faisait la catégorie de la population la plus touchée par la
réglementation en vigueur374.
240. Au début des années 1990, les cantons se penchèrent sur la nécessité
croissante de parvenir à une uniformisation des procédures, par le biais d’une
loi fédérale375. L’entrée en vigueur de la loi fédérale sur le marché intérieur376,
le 1er juillet 1996, ne fit qu’accentuer ce besoin. En attendant l’élaboration d’une
telle législation, la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses »
commanda en 1998 à la Commission de la concurrence (ComCo) une expertise
sur l’impact de la LMI sur les réglementations cantonales concernant les pro-
fessions ambulantes.
241. Dans son avis de droit, la ComCo, se fondant sur les objectifs et les
dispositions de la LMI, recommanda alors aux départements de justice et po-
lice cantonaux de réviser leurs pratiques d’octroi des autorisations et de re-
connaître les patentes des autres cantons, afin de garantir l’existence d’un mar-
ché interne unifié dans le domaine du commerce itinérant377. De plus, la com-
mission proposa de ne retenir, à titre d’intérêts publics dignes de protection,
que la protection des consommateurs et la garantie de la bonne foi dans les af-
faires378. Selon la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses »,
l’impact de ces recommandations sur la pratique des autorités cantonales, et a
fortiori sur les Tziganes nomades suisses, semble toutefois avoir été inexis-
tant379.

373
ZÜRCHER-BERTHER, p. 42.
374
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3857 ; Rapport du Conseil fédéral,
Partie I, pp. 43-44.
375
En 1991, la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police déposa auprès
des autorités fédérales une demande en vue de réglementer la question du commerce itinérant au
niveau fédéral ; Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3857.
376
Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI ; RO 1996 1738 ; RS 943.02).
377
Recommandations de la ComCo, p. 454.
378
Recommandations de la ComCo, p. 451.
379
GLAUS, pp. 144-145.

70
Titre Premier – Depuis 1973

2.3. L’exercice d’une profession ambulante à partir du 1er janvier


2003

2.3.1. La loi fédérale du 23 mars 2001 sur le commerce itinérant

242. En 1996, le Département fédéral de l’économie conçoit un projet de loi


fédérale sur le commerce itinérant, envoyé aux milieux intéressés pour consul-
tation en 1999380. Le Message du Conseil fédéral est publié en juin 2000, et la loi
est adoptée par le Parlement le 23 mars 2001381. Aucun référendum n’ayant été
demandé, elle entre en vigueur le 1er janvier 2003, accompagnée de son ordon-
nance d’exécution382. La LComIt épuise la compétence de la Confédération,
conférée par l’article 95 alinéa 1 Cst. ; les cantons n’ont dès lors plus de compé-
tences résiduelles en la matière, et les réglementations cantonales sont donc
devenues caduques lors de l’entrée en vigueur de la loi383.
243. La loi maintient l’obligation de posséder une autorisation pour prati-
quer une profession ambulante (article 2 alinéa 1 LComIt), notion qui recouvre
toutes les formes de commerces itinérants jusqu’alors couvertes de manière
détaillée par les réglementations cantonales384. Cette autorisation, octroyée par
les cantons (article 2 alinéa 1 LComIt), valable pour une durée de cinq ans (ar-
ticle 9 alinéa 3 LComIt), permet à son titulaire d’exercer son activité sur tout le
territoire helvétique (articles 1 alinéa 2 lettre a et 9 alinéa 1 ab initio LComIt).
Aucune autorisation n’est nécessaire pour offrir des marchandises ou des ser-
vices lors d’une vente publique limitée dans le temps et dans l’espace et fixée
par l’autorité compétente, par exemple sur un marché385.
244. Le droit à l’obtention d’une autorisation est consacré à l’article 4 alinéa
1 LComIt, sous réserve de l’existence d’une condamnation pénale, dans les
deux années précédant le dépôt de la demande, pour un crime ou un délit à
l’égard desquels l’exercice du commerce itinérant présente un risque de réci-
dive. Pour les particuliers, les émoluments s’élèvent à Frs. 250 (article 28
OComIt). Par ailleurs, aussi bien le silence de la LComIt à ce sujet, que le fait
que la loi ne crée plus de distinctions entre les diverses professions itinérantes
liées à la vente de marchandises ou de services386, démontre qu’une seule et
même patente autorise son titulaire à exercer plusieurs activités de ce type.

380
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3859.
381
FF 2001 1280.
382
Ordonnance du Conseil fédéral du 4 septembre 2002 sur le commerce itinérant (RO 2002 3355 ; RS
943.11 ; ci-après : OComIt).
383
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3888.
384
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3862.
385
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 44.
386
La loi fait en effet une distinction entre les personnes vendant des marchandises ou des services
(article 4 LComIt), et les forains et autres exploitants de cirque (article 5 LComIt).

71
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.3.2. Evaluation et commentaire

245. Il est incontestable que cette législation fédérale soulage les Tziganes
nomades suisses, du point de vue du nombre de démarches administratives
nécessaires, et, par conséquent, également quant au risque de se retrouver en
infraction. Toutefois, deux observations tempérant ces constats positifs
s’imposent.
246. Premièrement, on remarquera que, parmi les documents que le requé-
rant doit présenter à l’autorité cantonale, figure une attestation de domicile
établie durant les douze derniers mois (articles 4 alinéa 2 lettre c LComIt et 7
alinéa 1 lettre d OComIt)387. Or, la détermination du domicile, au sens de
l’article 23 alinéa 1 CC, d’une famille tzigane voyageant durant six à douze
mois par an n’est pas évident, nous le démontrerons en détail ultérieure-
ment388. Il est ainsi regrettable qu’aucune disposition spécifique, clarifiant la si-
tuation des Tziganes nomades par rapport à cette obligation, n’ait été prévue
par le législateur389, alors qu’ils sont particulièrement concernés par cette légi-
slation.
247. Deuxièmement, la LComIt a été conçue de manière à prendre en
compte les obligations internationales de la Suisse contractées par la ratifica-
tion de l’Accord sur le commerce général des services (GATS)390. De ce fait, les
personnes ressortissantes d’un Etat partie à cet accord pratiquant une profes-
sion ambulante bénéficient, en application des principes du traitement natio-
nal et de la clause de la nation la plus favorisée, des mêmes conditions d’accès
au marché intérieur helvétique que les commerçants itinérants indigènes391.
Combiné avec l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, et notamment de
l’accord sur la libre circulation des marchandises392, le marché suisse est dé-
sormais ouvert à la concurrence importante des Tziganes nomades étrangers,

387
Les autres conditions consistent en « un extrait du registre du commerce de l’entreprise pour la-
quelle le requérant travaille ou une pièce d’identité si le requérant lui-même ou l’entreprise pour la-
quelle il travaille n’est pas soumis à l’obligation de s’inscrire au registre du commerce » (lettre a) ;
ainsi qu’« un extrait du casier judiciaire délivré par le service fédéral compétent pour le requérant
établi en Suisse (…) » (lettre b). Si le requérant est mineur ou interdit, l’accord du représentant lé-
gal est nécessaire (lettre d).
388
Voir nos développements relatifs à la notion de domicile dans le contexte du nomadisme tzigane,
dans notre Titre Quatrième, Chapitre II.
389
WALDMANN (2003), p. 704.
390
Le GATS constitue l’annexe 1B de l’Accord du 15 avril 1994 instituant l’Organisation mondiale du
commerce (RO 1995 2117 ; RS 0.632.20).
391
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3886-3887.
392
Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats mem-
bres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999 (RO 2002 1529 ; RS
0.142.112.681). Au sujet des effets de l’ALCP sur l’entrée et le séjour sur le territoire des Tziganes
nomades étrangers en transit par la Suisse, voir infra Titre Troisième, Chapitre III, Section D, 4.

72
Titre Premier – Depuis 1973

ce qui comporte le risque de fragiliser davantage une situation socio-


économique précaire des Tziganes suisses393.
248. Il est encore trop tôt pour déterminer les conséquences concrètes de la
nouvelle législation en matière de commerce itinérant pour les Tziganes no-
mades suisses. Il serait intéressant qu’à terme, une étude topique soit menée à
ce sujet, afin de déterminer quels sont ses effets, aussi bien positifs que néga-
tifs, sur cette catégorie de citoyens.

3. La scolarisation des enfants tziganes

249. La question de la scolarisation des enfants tziganes constitue un troi-


sième point de friction important dans les relations entre les Tziganes et les re-
présentants de la population sédentaire. Nous présentons, à ce stade, le
contexte socio-culturel qui permet d’expliquer les tensions existant entre les
familles tziganes et les autorités cantonales compétentes en la matière394.
250. A l’instar des politiques de l’aménagement du territoire, les program-
mes scolaires ont été conçus pour des enfants sédentaires, dont la culture est
fondée sur l’écrit, qui possèdent un système de valeurs familiales et socio-
économiques différent, et qui sont destinés à s’intégrer dans un marché éco-
nomique exigeant la plupart du temps des connaissances approfondies dans le
domaine des sciences humaines ou appliquées.
251. La question de la scolarisation d’enfants nomades est ainsi un pro-
blème à multiples facettes, certaines étant d’ordre institutionnel, d’autres
d’ordre culturel. Premièrement, les enfants concernés doivent réussir à
s’insérer dans un cursus scolaire normal, alors qu’ils changent jusqu’à plu-
sieurs fois par mois de commune395.
252. Ensuite, les structures scolaires doivent se montrer suffisamment sou-
ples pour pouvoir accueillir et intégrer dans le courant de l’année, et pour une
courte période, des enfants dont le niveau n’est généralement pas identique à
celui des enfants sédentaires du même âge396. En règle générale, les seules
structures spéciales existantes sont celles destinées aux enfants handicapés ou
déficients, et elles ne sont ainsi pas adaptées aux enfants tziganes, qui sont ce-
pendant parfois traités comme des handicapés sociaux, voire mentaux397.

393
Deuxième rapport des ONG auprès du CERD, p. 26.
394
Voir notre analyse juridique de la problématique, infra Titre Quatrième, Chapitre III.
395
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 47-48.
396
Le rapport du DFJP de 1983 indique que les cantons consultés à ce sujet affirment que les autorités
scolaires sont généralement compréhensives sur ce point. Il n’en demeure pas moins que les autres
difficultés subsistent; DFJP (1983), p. 31.
397
LIEGEOIS (1994), pp. 209-210.

73
La situation juridique des Tziganes en Suisse

253. Par ailleurs, l’attitude des Tziganes vis-à-vis des institutions scolaires
est complexe. D’une part, ces derniers expriment généralement une certaine
méfiance à l’encontre de l’école, qui a été pendant longtemps l’un des moyens
privilégiés par les autorités pour parvenir à la sédentarisation forcée des famil-
les. D’autre part, les Tziganes sont aujourd’hui conscients de la nécessité
d’alphabétiser leurs enfants. L’ensemble de leurs relations administratives
avec les autorités requiert la capacité de lire et écrire, et l’exercice de leurs acti-
vités économiques, même si elles sont traditionnelles, fait également appel à
ces connaissances398.

398
LIEGEOIS (1994), pp. 200-201 et 203-204 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 46.

74
Titre Premier - Synthèse et conclusion

Synthèse et conclusion

254. Durant leur présence séculaire en Suisse, les Tziganes ont été
marginalisés tant du point de vue socio-économique que juridique. Au fil des
siècles, les autorités ont utilisé divers procédés pour combattre la « déviance
nomade », les persécutions physiques dominant le large spectre des moyens
employés à cette fin. La naissance de l’appareil étatique moderne a permis de
poursuivre des politiques tendant à l’exclusion, la dissolution du groupe et
l’assimilation forcée des membres de cette communauté.
255. Dans ce contexte, l’ordre juridique a joué un rôle incontournable,
puisqu’il a été conçu au mieux de façon neutre à leur égard, et au pire de ma-
nière négative, en cristallisant et en légitimant des politiques discriminatoires.
Ce faisant, il a contribué à amplifier leur précarité socio-économique. Dès lors,
on ne s’étonnera pas des réticences et de la défiance exprimées par les Tziga-
nes suisses à son égard399.
256. Suite au scandale de l’Œuvre des enfants de la Grand route, ce même
ordre juridique s’est transformé en faveur des Tziganes. Cette transformation
fut radicale, fondamentalement nécessaire et importante, car elle reconnaît leur
valeur en tant qu’individus et membres d’une communauté ethno-culturelle.
Elle n’en demeure pas moins lente, imprécise et inachevée, ainsi qu’en témoi-
gnent les difficultés des autorités à appréhender complètement les conséquen-
ces de l’applicabilité du droit des minorités à cette communauté400.
257. En effet, cette évolution se heurte aux résistances conscientes et in-
conscientes de la société majoritaire. Ceci ne doit pas étonner, puisque trente
années ne peuvent effacer le cumul de quatre cents ans de préjugés. Or,
l’absence de progrès fondamentaux sur le terrain, alors que les problèmes liés
aux places de stationnement, à l’exercice d’une activité économique et de sco-
larité des enfants sont identifiés et connus depuis trois décennies, peuvent me-
ner à penser que la reconnaissance institutionnelle dont les Tziganes bénéfi-
cient n’est que symbolique.
258. Or, les symboles ne suffisent pas, car il y a urgence : les difficultés éco-
nomiques et sociales, aggravées par le manque de solutions concrètes, fragili-
sent de plus en plus cette communauté, qui a peut-être réussi à perdurer pen-
dant des siècles, mais qui est paradoxalement menacée de disparition au mo-
ment où l’on admet qu’elle mérite d’être protégée.
259. Dans la suite de cette étude, nous allons exposer les outils qu’offre le
droit international des droits de l’homme et des minorités aux Tziganes pour
concrétiser les apports de ce statut symbolique. Toutefois, nous mettrons en

399
Supra Chapitre II et III.
400
Infra Titre Troisième, Chapitre I.

75
La situation juridique des Tziganes en Suisse

lumière le hiatus entre, d’une part, la protection juridique dont bénéficient dé-
sormais les Tziganes suisses aussi bien en tant qu’individus que membres
d’une minorité401 et, d’autre part, les difficultés concrètes pour intégrer ces ga-
ranties dans le droit ordinaire402.
260. Si certains de ces obstacles exigent une modification formelle du droit
en vigueur, d’autres ne nécessitent qu’un exercice d’interprétation conforme
aux droits fondamentaux de la part des pouvoirs exécutifs et judiciaires, qui
prenne en compte les réalités du mode de vie nomade. Or, ces deux démarches
se heurtent précisément à un contexte discriminatoire trouvant ses racines
dans les étapes historiques que nous venons d’exposer. Ce contexte est particu-
lièrement fort et exige des efforts d’autant plus fermes de la part des autori-
tés403.
261. Ainsi, à ce stade de notre réflexion, nous pouvons d’ores et déjà souli-
gner que si les Tziganes disposent aujourd’hui de la capacité et des moyens de
faire valoir leurs droits, l’amélioration de leur situation ne peut être de leur
responsabilité individuelle uniquement. L’Etat est en effet engagé à agir de lui-
même pour instaurer un rapport de confiance entre les Tziganes, les autorités
et la société civile majoritaire.

401
Infra Titre Troisième.
402
Infra Titre Quatrième.
403
Infra Titre Troisième, Chapitre II.

76
Titre deuxième: La protection du
groupe minoritaire tzigane en droit
international et en droit suisse

Introduction

262. Les droits fondamentaux des Tziganes sont consacrés en Suisse par la
Constitution fédérale, les constitutions cantonales ainsi que par les nombreu-
ses conventions internationales ratifiées par la Suisse.
263. En outre, les Tziganes suisses composent également une communauté
dont l’identité culturelle se distingue sous de nombreux aspects de celle de la
majorité de la population. Ces particularités sont si spécifiques qu’elles néces-
sitent l’examen de l’applicabilité du droit international des minorités. En paral-
lèle, les Tziganes suisses s’intègrent dans le groupe plus large des Tziganes qui
se trouvent sur l’ensemble du territoire européen et qui sont confrontés, pour
l’essentiel, aux mêmes obstacles et difficultés. Cette facette conduit à
s’interroger sur l’applicabilité de la notion de « peuple » à leur égard, en parti-
culier de la notion de «peuple autochtone », et du système de protection spéci-
fique mis en place par le droit international.
264. L’importance du corpus des normes internationales, ainsi que la di-
mension transnationale de la présence des Tziganes en Europe, ont pour
conséquence qu’un examen axé exclusivement sur la protection individuelle
des Tziganes se trouvant en Suisse serait insuffisant. Ainsi, traiter des Tziganes
en Suisse sans les placer dans le contexte plus général des Tziganes sur le
continent européen n’offrirait qu’un aperçu incomplet des enjeux et des diffi-
cultés rencontrées pour affirmer leurs droits et mettre en œuvre les garanties
internationales et constitutionnelles.
265. Le présent Titre a ainsi pour objectif d’analyser si, et de quelle ma-
nière, le groupe minoritaire des Tziganes suisses lui-même peut être juridi-
quement protégé, au regard des développements réalisés dans l’enceinte des
organisations internationales. Nous commencerons par présenter l’importance
particulière de la dimension internationale pour la protection des droits fon-
damentaux des Tziganes sur le continent européen (Chapitre I). Ensuite, nous
déterminerons comment le groupe minoritaire tzigane est saisi par le droit in-
ternational, premièrement par le biais des systèmes universel et régional de
protection des minorités (Chapitre II) et, deuxièmement, par le biais de la pro-

77
La situation juridique des Tziganes en Suisse

tection des peuples autochtones (Chapitre III). Au regard de ces développe-


ments, nous établirons de quelle manière l’ordre juridique et les autorités suis-
ses qualifient le groupe minoritaire tzigane (Chapitre IV).

78
Titre Deuxième - Le rôle de la dimension internationale

Chapitre I: La dimension internationale de la


protection juridique des Tziganes en
Suisse

A. Importance des sources internationales

266. Comme pour tous les particuliers soumis à la juridiction suisse, une
prise en compte des normes internationales est requise pour garantir une pro-
tection effective des droits des Tziganes sur le plan interne. Par ailleurs,
l’approche internationale s’impose également à d’autres titres, fondés sur la
particularité de la situation juridique et factuelle des Tziganes sur le continent
européen.
267. En effet, les Tziganes forment une communauté dispersée et fragmen-
tée sur l’ensemble du continent européen404. Face à des problèmes socio-
économiques et à un contexte discriminatoire se rencontrant sur l’ensemble de
ce territoire, les organisations internationales estiment avoir pour vocation de
se pencher sur la question405. Ainsi, analyser globalement la situation des Tzi-
ganes en Europe et développer des solutions aux niveaux régional européen et
universel, est particulièrement opportun pour améliorer leurs conditions de
vie et la protection de leurs droits fondamentaux au sein des Etats.
268. Premièrement, sortir du cadre strict des ordres juridiques nationaux
pour saisir les organisations internationales permet de dépasser les conflits sé-
culaires existant entre les autorités étatiques et les Tziganes, afin de définir des
solutions efficaces.
269. Deuxièmement, le droit international et les organes chargés d’assurer
son respect possèdent la capacité, si ce n’est juridique du moins politique, de
mettre leurs Etats membres devant leurs responsabilités et leurs obligations en
matière de respect et de mise en œuvre des droits de l’homme. Ceci est vrai
pour tous les individus, quelles que soient leurs origines, mais s’avère particu-
lièrement important pour une communauté dont les membres ont été histori-
quement placés au ban de la société majoritaire et qui ne bénéficient ni de re-
lais, ni de soutiens politiques pour améliorer leurs conditions de vie.

404
Au sujet des conséquences de cette dispersion sur le statut juridique des Tziganes au regard du
droit des minorités et du droit des peuples autochtones, infra Chapitre II, Section B, et Chapitre III,
Section B.
405
Dans ce sens, voir la position du CERD: « Le Comité a pu constater que certains problèmes, comme
celui de la discrimination à l’égard des Roms, n’étaient pas spécifiques à un pays donné mais consti-
tuaient bien un problème universel». Compte-rendu analytique de la 1422ème séance du CERD, du
18 septembre 2000, UN Doc. CERD/C/SR. 1422, §3.

79
La situation juridique des Tziganes en Suisse

B. L’activité des organisations internationales

270. C’est avant tout à travers le travail et la pratique des organes en charge
de la surveillance des différentes conventions en matière de protection des
droits de l’homme que l’Organisation des Nations Unies développe son action
dans ce domaine406. Toutefois, les démarches les plus poussées prennent natu-
rellement place au niveau régional européen, avant tout dans le cadre du
Conseil de l’Europe, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Eu-
rope (OSCE) et, plus récemment, de l’Union européenne.
271. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
l’action de cette organisation internationale a un potentiel particulièrement
important pour la protection des Tziganes à travers le continent européen407.
En effet, la question de la situation des Tziganes en Europe fait coïncider trois
thématiques qui sont au cœur des objectifs de cette organisation: la protection
des minorités, la lutte contre le racisme et l’exclusion sociale. La précarité de la
situation des Tziganes dans l’ensemble des Etats membres a atteint une telle
importance qu’elle est considérée depuis 1993 comme présentant un risque
pour la cohésion sociale des Etats membres408.
272. Dans ce contexte, aussi bien l’Assemblée parlementaire409, le Comité
des Ministres410 que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (CPLR)411 du
Conseil de l’Europe se sont saisis de la question. Par ailleurs, plusieurs institu-
tions de cette organisation ainsi qu’un certain nombre d’organismes, aux objec-
tifs thématiques plus spécifiques, voire spécialement institués pour analyser la
situation de cette communauté dans les Etats membres, se sont également pro-
noncés. Ainsi, la Commission européenne contre le racisme (ECRI)412, le

406
Dans l’ensemble de notre étude, nous aurons l’occasion de nous fonder sur les observations et les
constatations de ces organes de surveillance des traités.
407
Rapport du Commissaire aux Droits de l’homme, mars 2005, §8.
408
Site de la Division « Roms et Voyageurs » du Conseil de l’Europe, http://www.coe.int [consulté le 31
octobre 2005].
409
Recommandation 1557 (2002) sur la Situation juridique des Roms en Europe; Recommandation
1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe; Recommandation 563 (1969) relative à la situation
des Tziganes et autres nomades en Europe.
410
Recommandation (2005)4 relative à l'amélioration des conditions de logement des Roms et des
Gens du voyage en Europe; Recommandation (2004)14 relative à la circulation et le stationnement
des Gens du voyage en Europe; Recommandation (2001)17 sur l’amélioration de la situation éco-
nomique et de l’emploi des Rom/Tsiganes et des voyageurs en Europe; Recommandation n° R
(2000)4 sur l’éducation des enfants Roms/Tsiganes en Europe; Recommandation (1983)1 sur les
Nomades apatrides ou de nationalité indéterminée; Résolution (1975)13 sur la situation sociale des
populations nomades en Europe.
411
Résolution 44 (1997) sur « La contribution des Roms à la construction d'une Europe tolérante »;
Recommandation 11 (1995) sur « La contribution des Roms à la construction d'une Europe tolé-
rante ».
412
Voir notamment « La lutte contre le racisme et l'intolérance envers les Roms/Tsiganes », ECRI (98)
29.

80
Titre Deuxième - Le rôle de la dimension internationale

Groupe de Spécialistes sur les Roms, Tsiganes et Voyageurs (MG-S-ROM)413,


ou encore le Coordonateur des activités concernant les Roms/Tsiganes414 ont
tous eu l’occasion de prendre position sur les différents aspects de la problé-
matique. Nous aurons l’occasion d’examiner et de prendre en considération les
propositions et recommandations de l’ensemble de ces organes et organismes
dans le cadre de notre étude.
273. L’approche de l’OSCE est étroitement liée au maintien de la sécurité et
de la paix sur le continent européen du fait du mandat de cette organisation.
Les 55 Etats membres de l’OSCE ont reconnu que les problèmes rencontrés par
les membres de cette communauté constituent une thématique touchant au vo-
let « Dimension humaine » de cette organisation, comme défini dans le Docu-
ment de Copenhague de 1990415. L’article 40 du Document de Copenhague
prévoit ainsi que les Etats condamnent toutes les formes de discrimination et
de xénophobie et que « (d)ans ce contexte, ils reconnaissent en outre les pro-
blèmes spécifiques des Roms (gitans) ».
274. La politique de prévention et d’analyse menée par l’OSCE relative aux
Tziganes dans ses Etats membres est néanmoins principalement axée sur la si-
tuation prévalant dans les pays d’Europe Centrale et de l’Est. Ainsi, tant les ac-
tivités du Haut Commissaire sur les minorités nationales que celles du Bureau
pour les institutions démocratiques et les droits de l’homme (BIDDH) se foca-
lisent sur les problèmes spécifiques rencontrés par les Roms et Sinti résidant
dans ces régions416.
275. Adopté par décision du Conseil permanent de l’OSCE du 27 novembre
2003, l’Action Plan on Improving the Situation of Roma and Sinti within the OSCE

413
MG-S-ROM (2004) 14, Activités du Conseil de l'Europe dans le domaine des Roms, Tsiganes et Gens
du voyage; MG-S-ROM (2002) 10 rev, La circulation des voyageurs dans les pays membres du
Conseil de l’Europe; MG-S-ROM (2000) 13, Les Roms et les statistiques; MG-S-ROM (2000) 5, Pro-
blèmes liés à la mobilité internationale des Roms en Europe et La récente émigration des Roms de
la République tchèque et de la République slovaque; MG-S-ROM (2000) 3, Mémorandum préparé
par le Secrétariat sur les problèmes auxquels sont confrontés les Roms/Tsiganes en matière de lo-
gement; MG-S-ROM (99) 5 rev, Les problèmes dans les domaines économiques et de l'emploi aux-
quels sont confrontés les Roms/Tsiganes en Europe; MG-S-ROM (99) 1, Logement, urbanisme et
pauvreté : problèmes se posant aux communautés Roms/Tsiganes notamment en Europe centrale
et orientale; MG-S-ROM (98) 15, Réunions des instances consultatives nationales entre
Roms/Tsiganes et gouvernements.
414
Rapport d'activités du Coordonnateur pour les questions Roms et Gens du voyage, Strasbourg,
2004.
415
Depuis le Document de la Réunion de Copenhague sur la Conférence de la Dimension Humaine de
la CSCE de juin 1990, la « Dimension humaine » constitue la troisième dimension des activités de
l’OSCE, en sus de celles touchant à la sécurité politico-militaire et celles relatives aux questions éco-
nomiques et environnementales. Les activités tombant dans le domaine de la « Dimension hu-
maine » recouvrent un champ plus large que la protection des droits de l’homme stricto sensu, pour
inclure l’Etat de droit et la démocratie, représentant ainsi l’environnement juridique et politique de
ces garanties. Voir également le site internet du BIDDH consacré à la Dimension humaine,
http://www.osce.org/odhir [site consulté le 11 août 2006].
416
Pour un aperçu de l’ensemble des activités de ces organismes, voir le Report on the situation of
Roman and Sinti in the OSCE area, La Haye, 2000, réalisé par le Haut Commissaire pour les minori-
tés nationales, notamment pp. 10-19.

81
La situation juridique des Tziganes en Suisse

Area417 met l’accent sur les principaux défis des communautés tziganes sur le
continent européen : l’interdiction de la discrimination, la participation politi-
que, l’accès à l’éducation des enfants, l’accès aux soins de santé, la situation
particulièrement vulnérable des femmes tziganes, ou encore le problème du
logement.
276. Si toutes ces questions concernent l’ensemble des Tziganes du conti-
nent européen, les efforts consentis par le BIDDH, chargé par l’OSCE de
concevoir et de coordonner les politiques en la matière418, se concentrent avant
tout sur la situation dans les pays d’Europe Centrale et de l’Est419. Du fait de
cet objectif, ces mesures et cette politique ne sont donc pas directement perti-
nentes pour la Suisse. Dès lors, nous ne les examinerons pas plus en détail.
277. Enfin, la Commission européenne considère que « [l]a manière dont
sont traités les Rom dans l’Union européenne et au-delà de ses frontières ac-
tuelles est devenue un test déterminant d’une société humaine. Ce traitement
des Rom (sic) compte aujourd’hui parmi les questions les plus pressantes des
droits politiques, sociaux et humains (sic) auxquelles se trouve confrontée
l’Europe»420. Pour l’Union européenne, l’importance de cette problématique
s’est fortement accrue depuis que son élargissement à vingt-cinq Etats mem-
bres en 2004 a fait de cette communauté la minorité ethnique421 la plus impor-
tante de l’Union422.

C. Appréciation

278. L’impact de l’action internationale et le rôle qu’elle est appelée à jouer


pour la protection des droits fondamentaux des Tziganes sont incontestables,
avant tout parce qu’elle attire l’attention des Etats sur le sort de leurs commu-
nautés tziganes pour qu’ils procèdent aux modifications législati-
ves nécessaires. En cela, le travail des organisations internationales ne peut pas
être écarté. Toutefois, son principal avantage est également sa limite.

417
PC.DEC/566.
418
Voir notamment les § 20-25 de l’Action Plan on Improving the Situation of Roma and Sinti Within
the OSCE Area.
419
La focalisation du BIDDH sur la situation des Tziganes en Europe Centrale et de l’Est transparaît ain-
si explicitement dans le document préparé par cette institution présentant ses activités concernant
cette communauté : The ODHIR contact point for Sinti and Roma – An overview, Varsovie, 2001,
notamment p. 7.
420
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 12, n° 14.
421
Au sujet de cette notion et de son applicabilité aux Tziganes en Europe, voir infra Chapitre II, Sec-
tion B, 2.2.
422
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 1, n° 1.

82
Titre Deuxième - Le rôle de la dimension internationale

279. En effet, si la problématique du respect des droits des Tziganes incite à


développer des solutions internationales, elle oblige aussi et avant tout à trou-
ver des réponses locales, sensibles aux circonstances et aux différences, et qui
dépassent également le cadre purement juridique423. La mise en œuvre et
l’adaptation des mesures appellent à une sensibilisation politique, juridique et
humaine des acteurs locaux, ainsi qu’à la création de structures de dialogue et
de collaboration entre les communautés. Ecarter cet aspect du problème
condamne à l’échec de l’application du droit international.

423
FERRER LLORET, pp. 168-169.

83
La situation juridique des Tziganes en Suisse

84
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

Chapitre II: Les Tziganes et le droit international


des minorités

280. L’applicabilité du droit international des minorités présuppose que les


Tziganes puissent être qualifiés de « minorité ». Avant de procéder à cet exa-
men (B.), nous présentons tout d’abord le système de protection des droits des
minorités lui-même (A.).

A. Le système de protection des droits des minorités

281. Après une analyse des enjeux, de la nécessité et de la légitimité de la


reconnaissance de droits spécifiques en faveur de personnes appartenant à une
minorité (1.), nous exposerons les sources internationales contraignantes en
vigueur en Suisse et pertinentes pour le droit des minorités (2.). Dans un troi-
sième temps, nous discuterons de la notion même de minorité, au sens du
droit international, et des principales controverses entourant sa définition (3.).

1. La légitimité du système de protection des droits des


minorités

282. La légitimité du système de protection des droits des minorités se


fonde sur trois constats. Premièrement, la protection conférée par le droit in-
ternational des droits de l’homme, exclusivement axés sur l’individu, est lacu-
naire (1.1.). Deuxièmement, il est nécessaire de prendre en compte juridique-
ment l’existence du groupe dans lequel se trouve l’individu (1.2.). Troisième-
ment, les droits des minorités ne forment pas un système à part, mais font par-
tie intégrante des droits de l’homme (1.3.).

1.1. Les lacunes de la protection exclusivement individuelle

283. La société internationale moderne s’est saisie de la problématique de la


protection des minorités dès le début du XXème siècle. En effet, le système mis
en place par la Société des Nations voit dans la protection internationale des
minorités un instrument indispensable pour garantir la paix entre les Etats 424.
Or, à la sortie de la Deuxième guerre mondiale, le lourd échec de la SDN, qui

424
Au sujet du système de protection des minorités consacré par la Société des Nations, voir PRITCHARD,
pp. 69-88 ; SCHODER, pp. 16-35 ; VERHOEVEN, p. 182-189. Au sujet de l’évolution antérieure à la So-
ciété des Nations de la problématique, voir VERHOEVEN, pp. 180-181, ainsi que WOLFRUM, pp. 1110-
1112.

85
La situation juridique des Tziganes en Suisse

n’a pu empêcher l’éclatement du conflit, pousse les Etats vainqueurs à changer


radicalement de perspective.
284. Le système des Nations Unies de protection des droits de l’homme
procède ainsi à une rupture par rapport au système antérieur. En effet, il pose
comme paradigme initial que le respect des différentes religions, cultures, ou
origines ethniques ne doit plus être assuré par l’octroi de droits spécifiques à
certains groupes minoritaires. Ce respect doit être garanti par l’interdiction de
discriminer les individus concernés en se fondant sur ces critères ainsi que par
l’obligation de l’Etat de respecter leurs droits fondamentaux dans le cadre de
son activité425.
285. Selon les pères de cette nouvelle doctrine internationale, il ne doit plus
y avoir d’exceptions dans l’application de la loi qui seraient fondées sur
l’invocation de particularités religieuses ou culturelles. Comme pour les révo-
lutionnaires français de 1789, la loi est destinée à s’appliquer à tous de la
même façon, garantissant ainsi une égalité parfaite entre les citoyens d’un Etat.
286. A cet objectif, touchant à la protection de l’individu, s’ajoute égale-
ment la crainte des ambitions sécessionnistes fondées sur d’éventuels statuts
différenciés : les revendications communautaristes doivent être désamorcées
par un traitement équitable. Les rédacteurs de la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948 y transposent cette conception originelle puisque
les minorités sont absentes de ce document fondateur426.
287. Cette relation dichotomique exclusive, mettant en scène uniquement
l’individu et l’Etat, ne laisse pas de place au degré intermédiaire de la réalité
sociale qu’est le groupe auquel l’individu appartient427. Cette approche indivi-
dualiste est donc remise en cause assez rapidement et des voix s’élèvent pour
qu’un certain équilibre soit trouvé entre cette vision exclusive et les revendica-
tions persistantes des différents groupes.
288. En effet, certaines situations de conflits mettant en cause des minorités
peuvent, certes, se résoudre par la lutte contre toutes les formes de dénigre-
ment, synonymes d’exclusion et d’exploitation. Toutefois, d’autres ont pour
racine une politique d’assimilation et de disparition progressive des particula-
rités identitaires, qui impose la mise sur pied de garanties permettant le main-
tien des identités propres. Entre ces deux configurations se trouvent des grou-
pes non seulement discriminés, et donc exclus, mais également confrontés à
des velléités assimilatrices de la part de l’Etat428.

425
MALINVERNI (Minorités), p. 234 ; SCHODER, p. 36 ; THORNBERRY, p. 17.
426
BOKATOLA, pp. 750-751 ; MARCHAND, p. 175 ; SCHODER, p. 36 ; VERHOEVEN, p. 190. Pour un aperçu de
l’évolution historique de la protection internationale des minorités, voir MALINVERNI (1995), pp. 523-
529 ; PENTASSUGLIA (2002A), pp. 25-35.
427
KETLEY, p. 335 ; VAN DYKE, p. 48. Ce second auteur qualifie même cette dualité exclusive
d’« illogique » ; VAN DYKE, p. 54.
428
EIDE (1996), pp. 163-164.

86
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

1.2. La nécessité de la prise en compte de l’existence du groupe

289. Sur la base de ce constat, plusieurs conclusions se sont imposées à la


communauté des Etats. Premièrement, considérer l’individu uniquement en
tant que tel, sans ses attaches à un groupe, qu’il soit religieux, ethnique ou
culturel, revient à sous-estimer l’importance de son appartenance à une com-
munauté. Refuser de situer l’individu dans le corps social ou dans le groupe
dans lequel il se meut consiste à refuser de voir que c’est également à travers le
groupe auquel il appartient que l’homme peut être considéré comme destina-
taire du droit429. A cet égard, la DUDH elle-même reconnaît la dimension col-
lective des droits de l’individu, puisqu’elle affirme que le plein développement
de la personnalité n’est possible qu’au sein de la communauté (article 29 §
1)430.
290. Deuxièmement, on a admis très tôt qu’une égalité de traitement pure-
ment formelle ne garantissait pas à elle seule la non-discrimination : des diffé-
rences dans le traitement de cas distincts sont nécessaires pour obtenir une
égalité dans les faits, et des mesures de promotion peuvent s’imposer pour y
parvenir431.
291. Or, la protection des minorités va au-delà de l’adoption de mesures vi-
sant à garantir une pleine application de la non-discrimination aux membres
des minorités432. En effet, ce système ne cherche pas uniquement à protéger ces
derniers contre les actes discriminatoires fondés sur les caractéristiques spéci-
fiques de ces groupes : l’objectif est la survie et la perpétuation de ces particu-
larités433. Ces mesures ne constituent pas des privilèges, mais doivent être oc-
troyées pour permettre aux minorités de préserver leur identité, leurs caracté-
ristiques et leurs traditions, afin de parvenir à un statut semblable à celui de la
majorité434. Dès lors, elles se révèlent être tout aussi importantes que la non-
discrimination stricto sensu pour instaurer l’égalité de traitement435.
292. Troisièmement, la protection des minorités est également imposée par
le système démocratique. En effet, le respect du pluralisme social et politique
et de son expression constitue l’un de ses piliers, voire sa raison d’être : les va-

429
LARRALDE, pp. 1248-1249 ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 47 ; VAN DYKE, pp. 48-49.
430
SUDRE (2005B), p. 93.
431
Au sujet de la notion de l’égalité de fait et de sa réalisation par le biais de mesures positives, voir
infra Titre Troisième, Chapitre II, Section 2.3.2.
432
Sur cette différence, voir également infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
433
EIDE (1992), §121 ; PRITCHARD, pp. 49-50; RAMU, p. 588 ; Sous-Commission de la lutte contre les me-
sures discriminatoires et de la protection des minorités, UN Doc. E/CN.4/52, section V.
434
PRITCHARD, p. 50.
435
Voir déjà l’arrêt Ecoles minoritaires en Albanie de la Cour internationale de justice, PCIJ Séries A/B,
No. 64, 1935, p. 17. HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L’HOMME, Fiche n° 18 ; PENTASSUGLIA (2002), pp.
90-91.

87
La situation juridique des Tziganes en Suisse

leurs démocratiques que sont la liberté, l’égalité et la non-discrimination sont


là pour garantir le respect de cette diversité436.
293. La présence de minorités au sein d’un Etat, autrement dit l’existence
d’une société pluraliste, n’entraîne pas nécessairement l’émergence de frictions
si l’Etat fait preuve de suffisamment de flexibilité pour permettre à ses diver-
ses communautés minoritaires de perpétuer leur identité collective en toute
dignité. Les conflits surgissent en raison de la partialité étatique en faveur d’un
groupe au détriment d’un autre, ou des revendications excessives d’une com-
munauté minoritaire, qui vont au-delà de ce que possède la majorité437. L’abus
de la position dominante d’un groupe au détriment des autres rompt
l’équilibre imposé par l’exigence démocratique438.
294. Enfin, les libertés individuelles des particuliers minoritaires ont pres-
que nécessairement un contexte et une dimension collectifs439. Ainsi, ce n’est
que lorsque les minorités sont en mesure d’employer leur propre langue, de
bénéficier de services qu’elles ont organisés elles-mêmes, et de prendre part à
la vie politique et économique des Etats, qu’elles peuvent commencer leur
progression vers le statut que les majorités tiennent pour acquis440. Ces divers
arguments, qui touchent tant au contenu des droits garantis qu’à des questions
de procédure ou à la philosophie même qui sous-tend la protection des droits
fondamentaux, permettent de conclure que la dimension collective des droits
de l’homme ne peut être niée et doit être protégée juridiquement441.
295. Comme nous pourrons le constater ci-après, des instruments univer-
sels et régionaux protégeant les droits de l’homme de façon générale, tels que
le Pacte relatif aux droits civils et politiques, la Convention pour l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale ou encore la Convention euro-
péenne des droits de l’homme, comportent des dispositions qui reconnaissent
l’existence de spécificités minoritaires. Ce faisant, ils mettent eux-mêmes en
lumière la relativisation de l’approche individualiste. Ainsi, les groupes natio-
naux, ethniques, raciaux ou religieux sont explicitement mentionnés dans plu-
sieurs instruments et certains d’entre eux consacrent des droits spéciaux pour
les personnes appartenant à une minorité442.

436
BENOIT-ROHMER (2002), p. 565 ; EIDE (1996), p. 159.
437
EIDE (1996), p. 163.
438
BENOIT-ROHMER (2002), pp. 565-566. Au sujet de la protection des minorités par la Cour européenne
des droits de l’homme, infra Section 2.6.
439
MALINVERNI (Minorités), p. 241.
440
HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L’HOMME, Fiche n° 18.
441
Voir nos critiques concernant la pratique suisse en la matière, infra Titre Troisième, Chapitre I, Sec-
tion B.
442
Ce sont : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (art. II), la
Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 2 et
4), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 13), le Pacte in-
ternational relatif aux droits civils et politiques (art. 27), la Convention relative aux droits de l'enfant

88
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

296. Par ailleurs, l’adoption de textes universels et régionaux traitant spéci-


fiquement des minorités illustre la nécessité de traiter de cette question443. En-
fin, ce besoin transparaît aussi dans la pratique des organes chargés de mettre
en œuvre des textes à vocation générale et ne contenant pas de dispositions
spécifiques concernant les minorités444.
297. Dès lors, l’amélioration de l’efficacité du cadre juridique mis en place
par le système de protection des droits de l’homme exige de prendre en
compte les questions spécifiques liées à l’existence des minorités. On évoquera
les problèmes touchant aux rapports entre le groupe et l’individu, aux rela-
tions entre la majorité et les groupes plus faibles, à la discrimination et
l’assimilation forcée, la position de la majorité face aux revendications politi-
ques et économiques des minorités445.

1.3. Le droit des minorités en tant que partie intégrante des droits
de l’homme

298. L’équilibre entre les droits des minorités et les droits de l’homme de-
vient possible si l’on ne les considère pas comme deux systèmes de protection
parallèles, mais au contraire intégrés l’un à l’autre, les premiers constituant
une partie des seconds446. Cette approche est notamment prônée par la
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, l’instrument le
plus récent et le plus complet en la matière447. Elle a pour conséquence notable

(art. 30), la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de
l'éducation (art. 5).
443
Voir ainsi au niveau universel : la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités
nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, la Déclaration de l'UNESCO sur la race et les
préjugés raciaux (art. 5), la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travail-
leurs migrants et des membres de leur famille. Les instruments régionaux qui énoncent des droits
spéciaux pour les minorités sont notamment la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Conseil de l'Europe), et le
Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de l'OSCE
(OSCE).
444
Voir ainsi nos développements relatifs à la Convention européenne des droits de l’homme et de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux minorités, infra Section 2.6.
445
SCHODER, p. 15. Voir également GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, §3 : « L’Assemblée générale
considère que la promotion et la protection des droits des personnes appartenant à des minorités
contribuent à la stabilité politique et sociale des Etats dans lesquels elles vivent ainsi qu’au renfor-
cement de l’amitié et de la coopération entre les peuples et les Etats. »
446
HEINTZE (art. 1), pp. 77 et 86-90 et références ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 48 ; SCHODER, p. 203 ; VA-
LETTE, p. 343.
447
Voir l’art. 1er CPMN : « La protection des minorités nationales et des droits et libertés des person-
nes appartenant à ces minorités fait partie intégrante de la protection internationale des droits de
l’homme et, comme telle, constitue un domaine de la coopération internationale. » Comp. égale-
ment le Préambule de la Déclaration des Nations Unies sur la protection des minorités, de 1992.

89
La situation juridique des Tziganes en Suisse

et fondamentale que la protection des minorités ne peut plus être considérée


comme relevant du domaine réservé des Etats448.
299. Les relations entre droits du particulier et droits du groupe sont donc
interactives : les traités internationaux en matière de droits de l’homme posent
des restrictions tant aux majorités qu’aux minorités, en imposant aux premiè-
res le respect des secondes, et à ces dernières le respect de leurs membres en
tant qu’individus449. En effet, il n’est pas acceptable de sacrifier les droits indi-
viduels des membres d’une communauté sur l’autel des besoins de celle-ci.
300. L’égalité entre les sexes, le respect de l’intégrité physique, le droit à
l’éducation, la liberté d’expression ne sont que des exemples parmi d’autres de
situations où les exigences identitaires socio-culturelles de communautés mi-
noritaires peuvent se trouver en porte-à-faux avec l’exercice des droits indivi-
duels de leurs membres. Par conséquent, l’objectif réside dans la recherche du
point d’équilibre entre la prévention de la discrimination, par le biais du prin-
cipe d’égalité entre tous, et la protection des groupes minoritaires vulnérables,
en leur permettant de défendre leur identité mais dans la mesure autorisée par
les droits de l’homme450.
301. Ce dialogue et cette interaction sont aujourd’hui clairement visibles
dans la pratique des organes chargés de la surveillance de conventions proté-
geant les droits de l’homme. Par le biais de l’interdiction de la discrimination,
ces organes ont fait évoluer la portée de ces instruments dans le sens d’une
prise en compte de la réalité minoritaire451. Néanmoins, une protection efficace
des minorités ne se limite pas à une mise en œuvre rigoureuse de la non-
discrimination : tandis que cette dernière cherche à atteindre l’égalité entre les
individus, l’objectif du droit des minorités consiste à préserver l’identité du
groupe ; ce système pose ainsi des exigences supplémentaires452.

2. Les sources internationales protégeant les minorités


en Suisse

302. Parmi les instruments internationaux ratifiés par la Suisse, nous pré-
sentons ceux consacrés à la protection des minorités et ceux qui les concernent

448
HEINTZE (art. 1), p. 81 ; KLEBES, p. 217. Cette approche est plébiscitée par la Suisse, pour qui la pro-
tection des minorités relève de la coopération internationale des Etats et ne relève pas uniquement
de leurs affaires intérieures; voir le Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 76-77.
449
EIDE (Minorities), § 2 ; SCHODER, p. 15.
450
EIDE (Minorities), § 5 ; HEINTZE (art. 1), p. 87. Pour un exemple particulièrement saillant de tension
entre les droits individuels et les droits du groupe dans le cadre de notre problématique, voir infra
Titre Quatrième, Chapitre III.
451
Concernant l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette
optique, voir PENTASSUGLIA (2002a), p. 122. Voir également infra Section 2.6.
452
PENTASSUGLIA (1999a), pp. 131-132 ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 91. Voir également infra Titre Troi-
sième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.

90
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

de manière indirecte, lorsque leur objet ou la pratique de leurs organes de sur-


veillance prend en considération et protège le facteur minoritaire. Pour réaliser
le tableau des sources applicables en Suisse en la matière, nous restreignons ici
notre champ d’examen aux traités internationaux contraignants453, en plaçant
l’accent à la fois sur leur dimension minoritaire et sur leurs mécanismes de
surveillance. L’analyse détaillée de leur portée matérielle pertinente pour les
Tziganes en Suisse sera effectuée dans le Titre Troisième de cette étude.
303. Seront étudiés ci-après le Pacte relatif aux droits civils et politiques
(1.), le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (2.), la Conven-
tion internationale pour la prévention du génocide (3.), la Convention interna-
tionale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (4), et
la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités
nationales (5). Enfin, du fait de l’évolution sensible de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme en la matière, nous présenterons éga-
lement un survol de son approche de la dimension minoritaire (6.)454.
304. En sus de ces instruments, nous ferons ultérieurement référence à la
Déclaration des Nations Unies du 18 décembre 1992 sur les droits des person-
nes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguis-
tiques455. Bien que non contraignant pour les Etats, ce texte représente actuel-
lement la dernière étape des efforts consentis par les Nations Unies pour créer
un système universel de protection des minorités. Au bénéfice d’un prestige

453
La protection des minorités est, en effet, également encadrée par plusieurs procédures de nature
extra-conventionnelle dont les résultats sont de nature éminemment plus politiques que celles se
fondant sur les traités internationaux. Au niveau universel, la nomination de rapporteurs spéciaux
ou de groupes de travail spécialisés constitue un outil permettant de prendre en compte les minori-
tés. Il en va de même des procédures de plainte fondées respectivement sur la Résolution 1235
(XLII) du 6 juin 1967 et la Résolution 1503 (XLVIII) du 27 mai 1970 du Conseil économique et so-
cial, et utilisées par la Commission des droits de l’homme et sa Sous-commission pour la prévention
de la discrimination et la protection des minorités. Le travail réalisé tant par le Groupe de travail des
Nations Unies sur les minorités ainsi que celui du Haut Commissaire aux droits de l’homme sont
également pertinents dans une optique de dialogue, de prévention et de lutte contre l’escalade de la
violence dans le cadre de conflits potentiels mettant en cause des minorités. Au niveau régional eu-
ropéen, l’OSCE a développé plusieurs mécanismes de contrôle interétatique en la matière, autour de
son programme « Dimension humaine », développé dès 1975 : ainsi les mécanismes de Vienne
(1989) et de Moscou (1991) permettent de contrôler, notamment en rapport avec le respect des
minorités, si les Etats membres de cette organisation respectent leurs engagements politiques
contractés dans le domaine des droits de l’homme. L’Office du Haut Commissaire pour les minorités
nationales est également un important instrument de l’OSCE en matière de prévention de conflits et
de dialogue. Au sujet de ces différents mécanismes politiques relatifs aux minorités, voir PENTASSU-
GLIA (1999a), pp. 133-135. Concernant les mécanismes universels : SCHODER, pp. 55-65. Concernant
l’OSCE et la protection des minorités : PENTASSUGLIA (2002A), pp. 139-143.
454
Nous n’incluons pas ici la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, du 25 juin
1992. En effet, l’objectif de cette convention du Conseil de l’Europe n’est pas la protection des mino-
rités linguistiques, mais celle du patrimoine culturel de l’Europe : elle ne crée ni droits individuels, ni
droits collectifs pour les personnes appartenant à des minorités ; Rapport explicatif sur la Charte eu-
ropéenne des langues régionales ou minoritaires, § 10-11. Nous aurons néanmoins l’occasion d’en
traiter lors de notre examen du statut de la langue jénisch en Suisse et de son impact sur la situa-
tion juridique du groupe minoritaire tzigane en Suisse, infra Titre Quatrième, Chapitre IV.
455
Ci-après, la Déclaration sur les droits des minorités. Résolution 47/135 des Nations Unies, du 18 dé-
cembre 1992.

91
La situation juridique des Tziganes en Suisse

moral et politique reconnu, la Déclaration de 1992 constitue un point de réfé-


rence pour l’interprétation des droits des minorités et les Etats qui souhaitent
s’en éloigner dans leur pratique doivent avancer des arguments particulière-
ment fondés pour légitimer leur politique456.

2.1. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

305. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II)
codifie à ses articles 6 à 27 les droits dits de la « première génération »457, ga-
rantis à tout individu458. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral qualifie ses
dispositions de directement applicables459. Le contrôle de la mise en œuvre et
du respect du Pacte II sur le plan international est assuré par le Comité des
droits de l’homme460.

456
PENTASSUGLIA (2002a), p. 114 ; SCHODER, pp. 195 et 199.
457
Les art. 6 à 11 consacrent la protection de l’intégrité corporelle, du droit à la vie et à la sûreté et
l’art. 12, la liberté de mouvement et d’établissement. Les art. 13 à 16 offrent des garanties de pro-
cédures dans le cadre du procès pénal, consacrent l’interdiction de la rétroactivité de la norme pé-
nale et le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique. Les art. 17 à 23 garantissent les li-
bertés individuelles, l’art. 24 les droits des enfants, l’art. 25 les droits politiques, l’art. 26
l’interdiction de la discrimination et l’art. 27 la protection des minorités. Pour une vision détaillée de
la portée de cet instrument, voir notamment Manfred NOWAK, CCPR-Commentary : U.N. Covenant
on Civil and Political Rights, 2ème éd., Kehl 2005, ainsi que Sarah JOSEPH, Jenny SCHULTZ, Melissa CAS-
ème
TAN , The International Covenant on Civil and Political Rights, 2 éd., Oxford 2004.
458
Le Pacte II a été adopté le 16 décembre 1966 à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations
Unies, est entré en vigueur le 23 mars 1976, et est entré en vigueur en Suisse 18 septembre 1992
(RS 0.103.2 ; RO 1993 750). Son article premier affirme le droit des peuples à l’autodétermination,
et les obligations générales des Etats découlant du Pacte sont énoncées aux articles 2 à 5.
459
La jurisprudence du Tribunal fédéral a clairement affirmé le caractère directement applicable des
normes du Pacte II, dès 1993: ATF 119 Ib 311, 318 X. ; plus explicitement encore : ATF 120 Ia 247,
255 J. BIANCHI, pp. 106-107 ; MALINVERNI (Suisse), p. 72. Pour une jurisprudence récente prenant en
considération ces garanties, voir ATF 130 II 217, 227 Wang, ATF 129 I 185, 192 X. et Y.
460
Les membres du Comité des droits de l’homme sont au nombre de dix-huit et sont élus et siègent à
titre individuel (art. 28 Pacte II). Le Comité des droits de l’homme est compétent pour recevoir et
examiner les rapports périodiques que les Etats parties doivent lui soumettre (art. 40). Pour une
description détaillée de ce mécanisme, voir NOWAK (Menschenrechtspakte), pp. 21-23. NOWAK (art.
40), N. 64, p. 748. Selon l’art. 40§4 Pacte II, le Comité transmet par ailleurs à l’ensemble des Etats
parties des « observations générales » destinées à promouvoir la mise en œuvre du Pacte. Le Comi-
té est également au bénéfice de deux compétences facultatives, soumises à l’acceptation des Etats.
Sous réserve de réciprocité, les Etats parties peuvent, premièrement, lui adresser des communica-
tions à l’encontre d’autres Etats parties (art. 41 Pacte II). La Suisse a effectué une telle déclaration,
à l’instar de 45 autres Etats parties (état au 15 décembre 2005) ; NOWAK (art. 41), N. 18-44, pp.
765-776. Deuxièmement, le Comité peut recevoir des communications individuelles de la part de
particuliers soumis à la juridiction d’un Etat ayant ratifié le Protocole facultatif n° 1 du 16 décembre
1966, ce que la Suisse n’a pas fait à ce jour. Les art. 1 à 3 du Protocole n° 1 prévoient que la com-
munication doit provenir d’un particulier relevant de la juridiction d’un Etat partie au protocole, se
considérant victime d’une violation alléguée d’une disposition du Pacte II et ayant épuisé les voies
de recours internes disponibles. La communication ne doit pas être anonyme ni ne doit constituer
un abus de droit. Enfin, elle est déclarée irrecevable en cas de litispendance devant une autre ins-
tance internationale (art. 5 al. 2 let. a du Protocole n° 1). Voir également KÄLIN/KÜNZLI, pp. 220-
223 ; NOWAK (art. 2 OP), pp. 829-842, idem (art. 3 OP), pp. 843-864. Du fait que les constatations
effectuées dans ce cadre par le Comité des droits de l’homme sont de nature juridique mais n’ont
pas de caractère contraignant, la protection offerte aux particuliers dans ce contexte est de nature
quasi-judiciaire ; NOWAK (art. 5 OP), N. 39-40, pp. 894-895.

92
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

306. L’article 27 Pacte II prévoit que « [d]ans les Etats où il existe des mino-
rités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces
minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres
membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de prati-
quer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ».
307. Aux termes de l’article 27 Pacte II, les personnes appartenant à une
minorité ont droit au respect de leur identité - qu’elle soit nationale, ethnique,
religieuse ou linguistique, ou qu’elle résulte de la combinaison de plusieurs de
ces composantes - et ont le droit de préserver les caractéristiques qu’elles sou-
haitent maintenir et développer. Bien que l’article 27 Pacte II traite des droits
des minorités dans les Etats « où il en existe », son applicabilité n’est pas sou-
mise à la reconnaissance officielle d’une minorité par un Etat. Au sens de cette
disposition, l’existence de minorités dépend de facteurs objectifs461.
308. L’article 27 Pacte II est la seule disposition universelle juridiquement
contraignante relative aux minorités462. Cette norme représente le standard
minimum de protection en la matière et influence l’interprétation d’autres ins-
truments touchant aux droits des minorités. L’inverse est également vrai : la
portée et la signification des différents éléments de cette disposition sont aussi
interprétées à la lumière des autres textes pertinents en la matière463.
309. Concernant la titularité des droits protégés, l’article 27 Pacte II ne
consacre aucun droit collectif pour les minorités en tant que groupes, mais
uniquement un droit individuel, appartenant aux membres de ces groupes, de
voir leurs caractéristiques minoritaires respectées et promues464. Sa formula-
tion a pour effet de refuser toute personnalité juridique aux minorités elles-
mêmes465. Toutefois, cette norme reconnaît aux membres d’une minorité le
droit d’exercer les garanties qu’elle confère « en commun avec les autres mem-
bres de leur groupe ». De ce fait, elle possède une certaine dimension collec-
tive466, à l’instar d’autres dispositions du Pacte II467.
310. Lors de l’examen des rapports périodiques, ainsi que par le biais des
communications individuelles faisant état de griefs relatifs à l’article 27 Pacte
II, le Comité des droits de l’homme a eu l’occasion, à maintes reprises, de

461
Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2. CAPOTORTI, § 570 ; MALINVERNI (Minorités), p. 239.
462
NOWAK (art. 27), N. 4, p. 638.
463
PENTASSUGLIA (2002), pp. 109-110.
464
Observation générale n° 23 du CDH, §1. ALFREDSSON/DE ZAYAS, p. 5 ; MALINVERNI (Minorités), pp. 239-
240 ; NOWAK (Menschenrechtspakte), p. 16 ; PENTASSUGLIA (2002b), p. 100.
465
KETLEY, pp. 332-333 et 335-336; MALINVERNI (Minorités), p. 240 ; PENTASSUGLIA (2002b), p. 100.
466
Observation générale n° 23 du CDH, §9 ; JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.03, p. 753 ; NOWAK (art. 27),
N. 36, p. 655; SCHODER, pp. 169-170.
467
Voir ainsi les art. 18 al. 1 (liberté religieuse) et 22 (liberté d’association) qui énoncent explicitement
le droit d’exercer ces droits individuels également en groupe ; NOWAK (Menschenrechtspakte), p. 16.

93
La situation juridique des Tziganes en Suisse

prendre position sur la situation des minorités se trouvant sur les territoires
des Etats parties468.
311. Rappelons que, dans ce cadre, le groupe minoritaire lui-même n’a pas
de légitimité pour agir : si des membres d’une minorité transmettent une com-
munication, le Comité des droits de l’homme exige que chacun puisse se pré-
valoir du statut de victime au sens du Protocole facultatif n°1469. Toutefois,
grâce à ce double mécanisme de surveillance, l’article 27 Pacte II présente non
seulement une importance matérielle pour les minorités, mais s’avère égale-
ment efficace de par la nature du contrôle qui est exercé sur sa mise en œu-
vre470.

2.2. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux


et culturels

312. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et cultu-


rels (Pacte I)471 codifie des droits de l’homme traditionnellement perçus
comme n’étant pas justiciables du fait de leur prétendu défaut d’applicabilité
directe472. Toutefois, tant l’organe en charge de sa surveillance, le Comité des
droits économiques, sociaux et culturels473, qu’une fraction croissante de la

468
Voir notamment les Constatations du CDH, du 30 juillet 1981, relatives à la Communication
n°24/1977 Sandra Lovelace c. Canada, et les Constatations du CDH, du 31 mars 1993, relatives aux
Communications n° 359/1989 et 385/1989, Ballantyne, Davidson et McIntyre c. Canada ; les Cons-
tatations du CDH, du 22 novembre 1996 relatives à la Communication N° 671/1995, J. Länsman c.
Finlande ; les Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communication N°
547/1993, Mahuika c. Nouvelle-Zélande.
469
Constatations du CDH, du 26 mars 1990, relatives à la Communication n°167/1984 Lubikon Lake
Band c. Canada, § 32.1. NOWAK (art. 2 OP), N. 4, p. 831 ; SCHODER, pp. 170-171.
470
PENTASSUGLIA (1999A), p. 134.
471
Adopté le 16 décembre 1966 à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies, cet instru-
ment est entré en vigueur le 23 mars 1976, en Suisse le 18 septembre 1992. L’art. 1er de cet ins-
trument affirme le droit à l’autodétermination des peuples, et les obligations des Etats découlant du
Pacte sont énoncées aux articles 2 à 5.
472
Les art. 6 à 8 énoncent les droits économiques, les art. 9 à 12 les droits sociaux, notamment en ma-
tière de droit à la santé et de protection de la famille et des conditions de vie des particuliers, et les
art. 13 à 15 les droits culturels, incluant le droit à l’éducation et le droit à la participation à la vie
culturelle.
473
Le CESCR ne bénéficie à ce jour que d’un mécanisme non contentieux pour surveiller le respect des
droits garantis par le Pacte I, à savoir l’examen des rapports périodiques. Les art. 16 et 17 Pacte I
prévoient que les Etats parties doivent remettre un premier rapport deux ans après la ratification,
puis des rapports successifs tous les cinq ans. Pour une description détaillée de cette procédure, se
référer à KÄLIN/KÜNZLI, pp. 214-219. Un Groupe de travail a néanmoins été mandaté en 2002 par la
Commission des droits de l’homme pour élaborer un projet de protocole additionnel portant création
du mécanisme de communications individuelles ; Résolution n°24/2002 de la Commission des droits
de l’homme, UN Doc. E/CN.4/2002. A l’instar du Comité des droits de l’homme, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels adopte par ailleurs des observations générales en sus des obser-
vations finales relatives aux rapports périodiques, et ce malgré le défaut de base conventionnelle
explicite dans ce sens. En l’absence de mécanisme de surveillance plus contraignant, ces observa-
tions générales constituent le moyen le plus important pour clarifier et préciser les obligations étati-
ques découlant du Pacte I ; KÄLIN/KÜNZLI, p. 218.

94
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

doctrine474 affirment que cette conception absolue n’est pas défendable. Au


contraire, cet instrument consacre à la fois des droits justiciables pour les parti-
culiers, des obligations d’agir pour les Etats parties, ainsi que des objectifs de
nature programmatique475.
313. Contrairement au Pacte II, le Pacte I ne contient aucune disposition
consacrée spécifiquement aux minorités. Toutefois, les droits qu’il garantit aux
individus possèdent une importance primordiale pour les personnes apparte-
nant à des minorités, mais également pour les minorités elles-mêmes, en parti-
culier les plus exposées socio-économiquement. Cette importance est par ail-
leurs mise en lumière par la Déclaration de Nations Unies sur les droits des
minorités de 1992 qui place particulièrement l’accent sur les droits économi-
ques, sociaux et culturels.
314. D’une manière générale, le respect et la mise en œuvre des droits éco-
nomiques, sociaux et culturels sont indispensables pour la protection des per-
sonnes appartenant à des groupes sociaux vulnérables, qu’ils constituent des
minorités ou non. La réticence exprimée par les Etats à reconnaître leur justi-
ciabilité sont dénoncées par le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels, car elles empêchent les tribunaux nationaux de protéger les droits
des groupes sociaux les plus désavantagés de la société, ce qui inclut parfois
des minorités476.
315. En effet, la vulnérabilité de certaines minorités se traduit généralement
par des conditions de vie socio-économiques plus précaires que celles ren-
contrées par la majorité, par exemple en matière d’accès aux soins de santé ou
au logement. La reconnaissance de cette précarité, une prise en compte des be-
soins particuliers de leurs membres, ainsi qu’une protection juridique accrue
peuvent donc s’avérer essentielles.
316. En outre, dans le contexte du Pacte I, la notion de culture est très large
et recoupe une série de facettes qui sont particulièrement pertinentes pour les
personnes appartenant à des minorités et qui souhaitent préserver leurs parti-

474
Voir notamment l’Observation générale n° 9 du CESCR, § 9-15. KÄLIN/KÜNZLI, p. 47 ; KÜNZLI/KÄLIN,
pp. 105-112 ; MALINVERNI (Suisse), pp. 73-78, en particulier pp. 76-77.
475
La typologie promue par le CESCR subdivise les engagements étatiques en trois catégories, en rat-
tachant à chaque droit une obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre. Cette troi-
sième catégorie est elle-même composée de trois sous-obligations supplémentaires, à savoir celle
de faciliter l’exercice du droit, de l’assurer et de le promouvoir. Voir l’Observation générale n° 14 du
CESCR, § 33 et l’Observation générale du CESCR n°16, §17. En ne voyant dans le Pacte I que
l’expression d’un programme législatif et en niant toute justiciabilité à ses normes, y compris celle
consacrant la non-discrimination, la jurisprudence du Tribunal fédéral est donc critiquable sur ce
point ; comp. ainsi ATF 130 I 113 A., ATF 126 I 240, 242 A., ATF 123 II 472, 478 H., ATF 120 Ia 1,
12 Verband Studierender an der Universität Zürich. Il sied de préciser que bien qu’élaborée dans le
contexte des droits économiques, sociaux et culturels, cette typologie trouve à s’appliquer à
l’ensemble des droits de l’homme ; VANDENHOLE, p. 187.
476
Observation générale n° 9 du CESCR, § 10.

95
La situation juridique des Tziganes en Suisse

cularités. De fait, culture et ethnicité sont des notions considérées comme étant
très proches477.
317. Ainsi, les droits culturels incluent non seulement le droit des parents
de choisir le type d’éducation qu’ils souhaitent pour leurs enfants, y compris
dans sa dimension religieuse (article 13 al. 3), mais également le droit de par-
ticiper à la vie culturelle (article 15 al. 1 lettre a)478. Pour les membres de mino-
rités, cela implique le droit d’accéder et de prendre part à la vie culturelle non
seulement de leur communauté, mais également à celle de la majorité, sans su-
bir de discrimination479, ainsi que l’impose l’article 2 al. 2 Pacte I, lu en rapport
avec ces dispositions.
318. Néanmoins, la portée l’article 15 al. 1er lettre a Pacte I pour les minori-
tés va au-delà de cette première étape puisque le concept de participation à
la vie culturelle s’avère fondamental pour les groupes minoritaires ethni-
ques480. En effet, comprise sous un angle anthropologique, la culture inclut no-
tamment le mode de vie traditionnel de ces groupes481. Le droit de participer à
la vie culturelle implique ainsi le droit, pour les personnes appartenant à ces
communautés, de préserver leurs traditions lorsqu’ils le souhaitent, ce qui
peut notamment inclure l’exercice de certaines activités économiques particu-
lières482. Du fait de sa nécessaire connotation collective, l’article 15 al. 1er lettre
a Pacte I est ainsi considéré par certains auteurs comme protégeant les minori-
tés elles-mêmes483.
319. Les dispositions du Pacte I constituent de ce fait des sources non né-
gligeables pour les minorités et leurs membres, en sus de la protection offerte
par l’article 27 Pacte II. Le Comité des droits de l’homme ne s’y trompe pas
puisqu’il a eu l’occasion d’affirmer que la protection des minorités, au sens de
l’article 27 Pacte II, trouve également ses racines dans la garantie des droits
économiques, sociaux et culturels484.

477
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, §6.
478
PRITCHARD, p. 236.
479
THORNBERRY (2002) , p. 197.
480
Et ce, que ces groupes soient des minorités ethniques stricto sensu ou des peuples autochtones.
Voir nos développements sur la distinction entre ces deux types de groupes, infra Chapitre III, Sec-
tion A, 3.
481
THORNBERRY (2002), pp. 195-196.
482
ALFREDSSON (1993), p. 63 ; PRITCHARD, pp. 246-247.
483
THORNBERRY (2002), p. 196 et références.
484
Dans ce sens, voir les Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication n°
197/1985, Ivan Kitok c. Suède, §9.2

96
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

2.3. La Convention internationale pour la prévention et la


répression du crime de génocide

320. La Convention internationale pour la prévention et la répression du


crime de génocide du 9 décembre 1948 est le produit de la volonté des Nations
Unies de réagir contre les exactions commises durant la Deuxième guerre
mondiale. Les persécutions systématiques commises à l’encontre de certains
groupes durant ce conflit ont conduit les Nations Unies à conclure qu’une pro-
tection efficace des droits de l’homme exigeait au préalable d’assurer
l’existence des minorités ethniques, raciales et religieuses485.
321. L’objectif de la Convention est la reconnaissance du génocide en tant
que crime du droit des gens. A ce titre, les Etats s’engagent à le prévenir et à le
punir pénalement (art. I). En ce qu’il définit le génocide comme la commission
d’actes ayant pour but de détruire, comme tel, tout groupe national, ethnique,
racial ou religieux (art. II), ce traité consacre l’obligation universelle des Etats
de protéger le droit à l’existence des groupes minoritaires per se486. En effet,
c’est bien le groupe lui-même qui fait l’objet du crime en question487. Cette
obligation fait aujourd’hui partie du jus cogens488.
322. Sont qualifiées de génocidaires les mesures énoncées aux lettres a à e
de l’article II de la Convention, à savoir le meurtre de membres du groupe ;
l’atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; la
soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant en-
traîner sa destruction physique totale ou partielle ; les mesures visant à entra-
ver les naissances au sein du groupe ; et enfin, le transfert forcé d'enfants du
groupe à un autre groupe.
323. A la lecture de ces différents points, on peut constater que la destruc-
tion physique des membres du groupe n’est pas un prérequis pour que l’on
puisse conclure à un génocide : la Convention s’attaque également aux métho-
des cachées d’annihilation des groupes489. Il n’est pas non plus nécessaire de
détruire entièrement une communauté pour que cet acte soit qualifiable de gé-
nocide. L’article II précise qu’une destruction partielle est suffisante, c’est-à-
dire lorsqu’une proportion significative du groupe est atteinte490.
324. La Convention sur le génocide entretient ainsi des liens étroits avec la
protection des minorités puisqu’elle protège leur droit à l’existence. Elle peut

485
LERNER, p. 149 ; STRAUSS, pp. 46-47; WHITAKER, § 22.
486
LERNER, p. 149. Voir également l’affaire Réserves à la Convention sur le génocide, Rapports de la CIJ
(1951), pp. 15-69, plus particulièrement p. 23.
487
LERNER, p. 150.
488
LERNER, p. 149. Affaire Barcelona Traction, Light and Power Co, Rapports de la CIJ (1970), § 33-34.
489
STRAUSS, p. 47.
490
Rapport du Rapporteur Spécial Ben Whitaker, « Revised and updated report on the question of the
prevention and punishment of the crime of genocide », UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6, § 29.

97
La situation juridique des Tziganes en Suisse

également être placée en rapport avec l’interdiction de la discrimination, puis-


que le génocide est le résultat le plus extrême d’une politique discriminatoire
d’un Etat à l’égard d’un groupe sur son territoire491.

2.4. La Convention internationale pour l’élimination de toutes les


formes de discrimination raciale

325. La Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimina-


tion raciale (CIEDR)492 définit la notion de discrimination raciale493. Elle im-
pose aux Etats parties plus qu’une simple obligation d’abstention en la ma-
tière, mais bien la poursuite d’une véritable politique de lutte contre toutes les
formes de discrimination raciale, y compris celles commises au sein de la socié-
té civile494. En droit suisse, la question de l’applicabilité directe des disposi-
tions de la CIEDR demeure irrésolue, le Tribunal fédéral ayant jusqu’à présent
laissé la question ouverte495.
326. La CIEDR trouve ses racines dans la lutte contre l’apartheid et la
ségrégation raciale. A ce titre, son Préambule dénonce toute politique
d’apartheid, ségrégationniste ou séparatiste puisqu’elle s’oppose à
l’affirmation des principes d’égalité et de dignité des êtres humains.

491
STRAUSS, p. 46.
492
La CIERD a été adoptée par l’Assemblée générale en 1965, est en vigueur depuis 1969 et en force
en Suisse depuis le 29 décembre 1994 (RO 1995 1164). La supervision de la CIERD relève de son
comité de contrôle, le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(CERD) A l’instar du CDH et du CESCR, le CERD est composé de dix-huit experts indépendants élus
à titre individuel (art. 8§1 CIEDR). Ce comité possède deux compétences obligatoires. La première a
trait à l’examen des rapports étatiques périodiques, selon l’art. 9 CIERD. Au sujet de ce mécanisme
dans le contexte de la CIERD, voir SPENLE, pp. 13-15. La seconde touche au mécanisme de plaintes
inter-étatiques, à teneur des art. 11 à 13 CIERD. A ce jour, aucun Etat n’a fait usage de cette fa-
culté. SPENLE, p. 16. Par ailleurs, le Comité adopte des Observations générales, chacune dédiée à un
thème particulier. En outre, à teneur de l’art. 14 CIERD, un Etat partie peut accepter, par une décla-
ration, la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers, dé-
marche entreprise par la Suisse le 19 juin 2003 ; RO 2005 87. Voir également
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2373-2379. A cette occasion, le CERD adresse des « suggestions
et recommandations » à l’Etat et au particulier concernés par le litige. Ce mécanisme offre une pro-
tection de nature quasi-judiciaire aux particuliers, les recommandations du CERD n’étant pas juridi-
quement contraignantes ; Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence
du CERD, FF 2001 5649, 5661 ; SPENLE, pp. 29-30.
493
Art. 1er CIERD.
494
Pour réaliser cette politique, les Etats doivent prendre toutes les mesures législatives, administrati-
ves et judiciaires nécessaires. Ils doivent ainsi notamment pénaliser les manifestations à caractère
raciste (art. 4), garantir l’égalité de traitement dans et devant la loi à tous les individus, sans faire
de distinctions fondées sur « la race, la couleur de la peau, l’origine nationale ou ethnique » (art. 5),
et offrir une voie de droit efficace aux particuliers en cas de violation (art. 6).
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2368-2379; KÄLIN/KÜNLZI, p. 49.
495
ATF 123 II 472, 479 H. A notre sens, le fait que la Suisse admette désormais la compétence du
CERD pour recevoir des communications individuelles au sujet de griefs tirés de la CIERD devrait
pousser le Tribunal fédéral dans le futur à admettre l’applicabilité directe de plusieurs dispositions
de cette convention.

98
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

327. Une partie de la doctrine souligne que la philosophie sous-jacente à la


CIEDR est de nature assimilatrice. En conséquence, des difficultés peuvent
surgir pour reconnaître, sur cette base, la légitimité de revendications de grou-
pes ethniques pour faire valoir leur droit à leur différence culturelle. Dès lors,
le potentiel de cet instrument pour protéger des groupes minoritaires a pris du
temps à se développer en raison de la crainte de justifier, par ce biais, des poli-
tiques ségrégationnistes de nature économique et sociale imposées par la ma-
jorité sous le prétexte du respect des différences ethno-culturelles de minori-
tés496.
328. Or, en droit international, la reconnaissance de droits en faveur des
groupes est étroitement liée au principe de non-discrimination497. En codifiant
le concept d’égalité de tous les êtres humains, et donc a fortiori des communau-
tés qu’ils composent, la CIEDR est l’un des instruments universels les plus im-
portants en matière de protection des minorités ethniques et de leurs mem-
bres498. Dans ce contexte, le travail du Comité pour l’élimination de la discri-
mination raciale démontre que ce dernier reconnaît les minorités, leur droit à
l’identité mais également l’importance de la réparation des injustices commi-
ses à leur égard499.
329. Nous avons déjà évoqué, ci-dessus, l’importance des droits socio-
économiques et culturels pour les minorités, notamment lorsque ces dernières
sont dans une position vulnérable. En conséquence, on relèvera que
l’interdiction de la discrimination a une influence plus directe sur ces garanties
que sur l’exercice des droits civils et politiques500, du fait de la réticence des
Etats à reconnaître aux droits dits de la « deuxième génération » un caractère
justiciable. Comme le démontre l’article 5 CIEDR, cette convention ne fait pas
de distinction entre ces « générations ». Ainsi que le soulignent aussi bien le
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale que le Comité des droits
de l’homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
l’interdiction de la discrimination dans la jouissance de tous les droits et obliga-
tions à la charge des Etats prend ici un poids considérable501, et en particulier
pour les membres de groupes minoritaires502.

496
THORNBERRY (2002), pp. 202-203. Voir ainsi l’art. 2§1 let. e de la Convention : « Chaque Etat partie
s’engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et mouvements intégrationnistes multiraciaux
et autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à ren-
forcer la division raciale. »
497
KÄLIN/KÜNLZI, p. 349 ; LERNER, p. 30 ; PRITCHARD, p. 237.
498
PRITCHARD, p. 237 ; SCHODER, p. 111. LERNER, p. 71, parle de cet instrument comme étant
« undoubtedly the most important instrument for the protection of groups at the international le-
vel. »
499
THORNBERRY (2002), p. 224.
500
Dans ce sens : Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence du CERD,
FF 2001 5649, 5662.
501
Au sujet de l’importance de la pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en
matière de droits économiques, sociaux et culturels, voir JOSEPH, p. 349 et THORNBERRY (2005), pp.

99
La situation juridique des Tziganes en Suisse

330. La CIEDR consacre de manière significative les droits des minorités en


tant que groupes, tant d’un point de vue substantiel que procédural, en sus des
garanties qu’elle offre aux particuliers en matière de protection contre la dis-
crimination raciale. Sous un angle matériel, les Etats parties ont l’obligation de
prendre des mesures visant à promouvoir la compréhension et le respect entre
les communautés composant leurs sociétés503. Comme le relèvent certains au-
teurs, cet instrument universel se révèle plus soucieux des groupes eux-
mêmes que ne l’est l’article 27 Pacte II, puisqu’en traitant explicitement de
« certains groupes raciaux ou ethniques », il admet d’une manière plus directe
l’existence d’une réalité sociale intermédiaire, se situant entre l’individu et
l’Etat504.
331. En outre, la pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination
raciale reflète ses préoccupations en matière de protection des minorités ethni-
ques, en faisant de cette question l’un des points essentiels en matière de lutte
contre les discriminations raciales. Ainsi, le fait que la CIERD et la pratique du
Comité distinguent entre la ségrégation arbitraire et humiliante que peuvent
subir les membres d’une minorité et l’exercice des particularités identitaires
minoritaires, démontre que cet instrument est primordial pour les groupes
minoritaires505.
332. Enfin, sous l’angle procédural, l’article 2 § 2 CIEDR impose aux Etats
parties de prendre des mesures spéciales pour promouvoir non seulement les
droits des individus mais également ceux des « groupes ethniques ». Par ail-
leurs, les autorités étatiques et les institutions publiques doivent s’abstenir de
pratiquer la discrimination raciale à l’égard d’individus ou de « groupes de
personnes ».

253-254. Dans une jurisprudence constante depuis ses constatations rendues à l’encontre des Pays-
Bas en 1984 (Constatations du CDH, du 3 avril 1987, relatives à la Communication n° 172/1984
Broeks c. Pays-Bas, et à la Communication n°182/1984 Zwaan-de Vries c. Pays Bas), le Comité des
droits de l’homme considère que l’art. 26 Pacte II, consacrant l’interdiction de la discrimination, est
un droit autonome qui doit être respecté quelle que soit la nature du droit exercé ; NOWAK (art. 26),
N. 49, p. 628. Dans son Observation générale n° 3, § 5, le Comité des droits économiques, sociaux
et culturels souligne que l’obligation de respecter le principe de non-discrimination dans la mise en
œuvre des droits garantis par le Pacte I est justiciable ; KÜNZLI/KÄLIN, p. 113.
502
PRITCHARD, p. 237.
503
En créant des organismes tels que la Commission fédérale contre le racisme (CFRa) ou encore la
Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », la Suisse estime ainsi contribuer à la ré-
alisation de cette obligation, puisque ces institutions ont notamment pour mandat la promotion de
l’entente entre les différentes communautés. A ce sujet, voir le Message du Conseil fédéral relatif à
la reconnaissance de la compétence du CERD, FF 2001 5649, 5654.
504
KETLEY, p. 339 ; THORNBERRY (2002), p. 208.
505
Comp. ainsi l’Observation générale n° 23 du CERD, relative aux peuples autochtones, § 4 : le CERD
engage les Etats à garantir le respect des particularités culturelles des peuples autochtones, à
s’assurer que leurs membres ne subissent aucune inégalité de traitement ni de discrimination ba-
sées sur leur appartenance à une telle communauté, que l’Etat leur fournisse les moyens pour pour-
suivre un développement social et économique durable en accord avec leurs coutumes et qu’il
s’assure qu’ils puissent pratiquer leurs traditions culturelles et leurs langues. THORNBERRY (2002), p.
224.

100
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

333. De plus, l’article 14 CIEDR admet la recevabilité de communications


déposées tant par des particuliers que par des « groupes » estimant faire l’objet
de violations de droits protégés par la convention, au contraire de ce que pré-
voit l’article 27 Pacte II en lien avec le Protocole additionnel n°1 au Pacte II506.
A ce jour, toutefois, aucune communication n’a été introduite par un groupe.
334. Une partie de la doctrine estime que le Comité pour l’élimination de la
discrimination raciale sera enclin à suivre une voie analogue à celle du Comité
des droits de l’homme, en exigeant que chaque membre du groupe puisse être
qualifié de victime d’une violation alléguée de la CIEDR, afin de ne pas ouvrir
la voie à l’actio popularis507.

2.5. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection


des minorités nationales

335. Premier instrument international multilatéral spécifiquement consacré


à la protection des minorités508, la Convention-cadre du Conseil de l’Europe
pour la protection des minorités nationales (CPMN), entrée en vigueur le 1er
février 1998509, est l’aboutissement d’un processus entamé suite au constat que
l’interdiction de la discrimination ne suffisait pas à lui seul à protéger les spéci-
ficités des minorités. L’objectif de la CPMN est de chercher à assurer la protec-
tion des personnes appartenant à des minorités nationales tout en respectant
pleinement les principes d’intégrité territoriale et d’indépendance politique
des Etats510.
336. L’évaluation de la mise en oeuvre de cet instrument par les Etats Mem-
bres est de la compétence du Comité des Ministres, qui est assisté par un Co-
mité consultatif511. Selon l’article 25 CPMN, les Etats contractants doivent
soumettre un rapport complet concernant les mesures, législatives et autres,
prises pour mettre en oeuvre les principes de la Convention-cadre, dans
l’année qui suit son entrée en vigueur. Ces rapports étatiques sont rendus pu-
blics et examinés par le Comité consultatif qui en effectue un contrôle très
strict, puis formule un avis. Sur la base de l’avis non contraignant du Comité

506
Voir ci-après pour une description de ce mécanisme.
507
LERNER, p. 67 ; SPENLE, p. 28.
508
MALINVERNI (1995), p. 523 ; TROEBST, p. 1.
509
A ce jour, la CPMN a été ratifiée par 36 Etats.
510
WOLFRUM, p. 1114.
511
Ce Comité est composé de dix-huit experts indépendants et impartiaux nommés par le Comité des
Ministres. Voir les art. 24 à 26 CPMN, ainsi que par la Résolution (97) 10 du Comité des Ministres.
PENTASSUGLIA (1999B), pp. 429-435, décrit précisément les qualités et la composition du Comité
consultatif.

101
La situation juridique des Tziganes en Suisse

consultatif et des commentaires de l’Etat concerné, le Comité des Ministres


adopte des conclusions, et s’il y a lieu, des recommandations512.
337. A l’instar de l’article 27 Pacte II, la CPMN ne consacre pas de droits
pour les groupes minoritaires eux-mêmes. La titularité des droits est donc li-
mitée aux individus, ces derniers voyant leurs droits individuels renforcés par
la prise en compte de leurs particularités minoritaires et de leur appartenance
à un groupe déterminé513.
338. En tant que « convention-cadre », la CPMN n’a pas été initialement
conçue pour garantir des droits directement applicables, mais pour énoncer
des principes et des lignes directrices à l’intention des législateurs nationaux,
qui doivent dès lors adopter des actes juridiques pour les mettre en œuvre514.
Toutefois, toute applicabilité directe ne doit pas être exclue a priori515.
339. En effet, plusieurs dispositions reprennent et renforcent des droits in-
dividuels consacrés par d’autres instruments, notamment par la CEDH516.
Leur justiciabilité est donc difficilement contestable. La question est plus ou-
verte concernant la nature des mesures spéciales imposées aux Etats, du fait
que ces derniers sont au bénéfice d’une importante marge d’appréciation en
raison de la terminologie assez vague du texte de la convention, qui offre une
grande flexibilité aux gouvernements517.
340. Certains auteurs soulignent que la nature non contentieuse du méca-
nisme de surveillance est un obstacle à l’efficacité de la protection garantie aux
personnes appartenant à des minorités518. Si les membres d’une minorité ne
trouvent pas de satisfaction au niveau national, la CPMN ne leur offre pas de
relais international similaire à celui de la CEDH, ni même analogue à la procé-
dure quasi-judiciaire du Protocole additionnel au Pacte II. Or, seul un méca-
nisme contentieux permettant d’examiner non seulement les questions liées à
la réalisation de l’égalité et de la non-discrimination, mais également celles
concernant la prise de mesures spéciales en faveur des minorités serait à même
de dépasser les limites relatives à la nature et au contenu des droits consa-
crés519.

512
A ce jour, le Comité consultatif a reçu 35 rapports étatiques et émis 34 avis, et a adopté des
conclusions et des recommandations concernant 29 pays (état au 8 janvier 2006).
513
ALFREDSSON (2000), p. 295 ; OFJ (2002), pp. 602-603 ; Message du Conseil fédéral relatif à la ratifi-
cation de la CPMN, FF 1998 I 1043.
514
MALINVERNI (1995), p. 532 ; TROEBST, p. 1 ; WOLFRUM, p. 1114.
515
OFJ (2002), p. 603.
516
A titre illustratif, voir les art. 4, 7, 8, 9 CPMN.
517
ALFREDSSON (2000), pp. 292-293; OFJ (2002), p. 603.
518
Pour sa part, le projet de Protocole additionnel à la CEDH ouvrant la voie de la Cour européenne
des droits de l’homme aux personnes appartenant à des minorités nationales de 1993 offrait un mé-
canisme judiciaire.
519
ALFREDSSON (art. 4), p. 152 ; ALFREDSSON (2000), pp. 291-292 ; PENTASSUGLIA (1999A), p. 145.

102
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

341. Enfin, sans entrer à ce stade dans une étude de la notion de minorité
nationale520, soulignons que la CPMN n’en offre aucune définition. En effet,
l’article 3 al. 1 CPMN se contente d’affirmer que « toute personne appartenant
à une minorité nationale a le droit de choisir librement » d’être traitée ou non
comme telle, sans pour autant préciser à quelles conditions une communauté
forme une telle minorité.
342. Dès lors, les Etats parties à la CPMN, au moyen d’une déclaration,
peuvent identifier les groupes constituant sur leur territoire des minorités na-
tionales au sens de la convention. Treize sur trente-sept d’entre eux ont actuel-
lement fait usage de cette possibilité521. Dans ce contexte, les Etats sont au bé-
néfice d’une marge d’appréciation incontestable, mais celle-ci toutefois n’est
pas sans limites. Les principes généraux du droit international public et ceux
énoncés à l’article 3 CPMN imposent, en effet, le respect de la bonne foi dans
l’interprétation du traité et interdisent que son application conduise à des si-
tuations arbitraires522.
343. Le Comité consultatif s’est réservé le droit d’évaluer la validité des dé-
clarations étatiques et n’a pas hésité à déclarer non-conformes à la CPMN cel-
les qui mènent à des distinctions arbitraires ou injustifiées entre les différentes
communautés minoritaires se trouvant sur un Etat523. En effet, selon le Comité
consultatif, soustraire a priori du champ d’application de la CPMN certains
groupes en niant leur qualité de minorité nationale peut être considéré comme
allant à l’encontre de l’objectif de cet instrument524.

2.6. La Convention européenne des droits de l’homme

344. Clef de voûte de l’acquis normatif du Conseil de l’Europe, source in-


contournable en matière de droits de l’homme au niveau régional européen, la
Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) a été ratifiée par la
Suisse en date du 28 novembre 1974525. Si la Suisse a également adhéré à onze
des quatorze Protocoles additionnels à la Convention, elle n’a toutefois pas ra-
tifié trois protocoles qui étendent de façon significative son champ

520
Voir infra Section 3.2.2., a.
521
Etat au 31 juillet 2006.
522
ALFREDSSON (2000), p. 296 ; EIDE (2006), § 5 ; HEINTZE (art. 1), p. 87 ; HEINTZE (art. 3), p. 111 ; HOF-
MANN R. (2005B), p. 1015 ; WOLFRUM, p. 1116 ; contra KLEBES, p. 216, qui estime que les Etats sont
«entièrement libres de définir [eux-mêmes] ce [qu’ils] considèrent être une minorité nationale au
sens de la Convention».
523
Voir ainsi l’Avis du Comité consultatif concernant l’Albanie relatif à l’exclusion a priori de la commu-
nauté égyptienne, ACFC/INF/OP/I (2003) 004, §17-22, ainsi que l’Avis concernant le Danemark
concernant l’exclusion a priori des Roms, ACFC/INF/OP/I(2001) 005, § 22.
524
ALFREDSSON (2000), p. 296 ; HEINTZ (art. 3), pp. 111-112.
525
RO 1974 2151.

103
La situation juridique des Tziganes en Suisse

d’application matériel526. Consacrant les droits dits de la « première généra-


tion »527, la CEDH est directement applicable en droit suisse528.

2.6.1. La CEDH en tant que source de protection limitée des minorités

345. La CEDH n’a pas pour vocation de protéger spécifiquement les mino-
rités529. Contrairement à son pendant universel, le Pacte II, le texte de la CEDH
ne contient aucune norme garantissant explicitement les droits des minorités.
En effet, la prise en compte des spécificités des minorités par le biais de
l’article 14 uniquement, consacrant l’interdiction de la discrimination fondée
notamment sur l’appartenance à une « minorité nationale »530, s’avère en soi
insuffisante pour assurer une protection équivalente à celle du Pacte II531.
346. L’entrée en vigueur du Protocole n° 12 à la CEDH le 1er avril 2005
n’apporte pas de changement quant à la protection du groupe per se532, bien
qu’on ne puisse nier que ses membres voient leur protection juridique renfor-
cée533 par la consécration de l’autonomie de l’interdiction de la discrimina-
tion534. En raison de ce silence, la CEDH a été considérée pendant très long-
temps comme n’offrant qu’une protection minimale aux membres de groupes
minoritaires, du fait qu’il n’existe aucune possibilité directe pour ces derniers
de saisir la Cour européenne des droits de l’homme en faisant valoir des griefs
tirés du droit des minorités535.
347. La Cour européenne des droits de l’homme ne nie pas la réalité de
l’existence des minorités elles-mêmes. Affirmant que « la recherche d’une

526
La Suisse n’a pas ratifié le Protocole no 1, du 20 mars 1952 (garantie de la propriété, droit à
l’instruction, droit à des élections libres et au bulletin secret), le Protocole no 4, du 16 septembre
1963 (liberté d’établissement, interdiction des expulsions collectives), ainsi que le Protocole n° 12,
du 4 novembre 2000 (généralisation de l’interdiction de la discrimination).
527
La CEDH garantit le droit à la vie (art. 2), la liberté personnelle (art. 5), le droit au respect de la vie
privée et familiale, du domicile et de la correspondance (art. 8), la liberté religieuse (art. 9), la liber-
té d’expression (art. 10), la liberté de réunion et d’association (art. 11), mais également le droit à
un procès équitable (art. 6), le droit à un recours effectif devant une instance nationale (art. 13) et
le principe de non discrimination (art. 14).
528
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 92-93.
529
BENOIT-ROHMER (2002), p. 564.
530
Sur cette notion et sa portée dans le système régional européen, voir infra Section 3.2.2., a.
531
MALINVERNI (Cadre européen), p. 52.
532
Voir ainsi LARRALDE, p. 1251, qui juge qu’en mettant « fin au caractère inutilement limité de
l’interdiction de la discrimination dans la Convention, » le Protocole n°12 ouvre un peu plus encore
la CEDH vers la protection des groupes eux-mêmes.
533
PENTASSUGLIA (2002), pp. 126-127.
534
Le Protocole n°12 garantit « la jouissance de tout droit prévu par la loi » sans discrimination, au
contraire de l’art. 14 CEDH qui protège « la jouissance des droits et libertés prévus [dans la Conven-
tion] ». Contrairement au Protocole n°12, l’art. 14 CEDH n’est ainsi pas indépendant, bien qu’il
jouisse d’une portée autonome ; SUDRE (2005), pp. 256-257. Pour les Etats ayant ratifié le Protocole
n°12, la portée de l’interdiction de la discrimination est désormais identique dans le système régio-
nal européen à celle que l’art. 26 Pacte II consacre au niveau universel ; SUDRE (2005), p. 256.
535
GILBERT (2002), p. 737 ; HOFMANN R. (2005B), p. 1011 ; WOLFRUM, p. 1109.

104
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

identité ethnique ou l’affirmation d’une conscience minoritaire, sont (…) im-


portantes pour le bon fonctionnement de la démocratie », la Cour souligne que
« le pluralisme repose aussi sur la reconnaissance et le respect véritables de la
diversité et de la dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques
et culturelles, des convictions religieuses, et des idées et concepts artisti-
ques »536. Les juges de Strasbourg estiment également que «bien qu’il faille su-
bordonner les intérêts de l’individu à ceux d’un groupe, la démocratie ne se
ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité ; elle com-
mande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite
tout abus d’une position dominante»537.
348. Par ailleurs, du point de vue de la recevabilité des requêtes individuel-
les, l’article 34 CEDH octroie aux minorités la faculté de déposer une requête
individuelle à titre de « groupe de particuliers » au sens de cette disposition538,
sous réserve que la minorité elle-même soit touchée dans ses droits de groupe.
En effet, selon une jurisprudence constante, le groupe ne peut faire valoir les
droits de ses membres et n’a qualité pour agir que s’il peut lui-même se pré-
tendre victime d’une ingérence539.
349. Dans ce contexte, tant l’ancienne Commission européenne des droits
de l’homme, que la Cour européenne des droits de l’homme ont reconnu aux
villages saamis la qualité pour agir, au titre d’« organisation non gouverne-
mentale »540. Pour une partie de la doctrine, cette jurisprudence signifie que la
Cour européenne des droits de l’homme reconnaît à tout le moins le principe
de l’existence de droits protégeant la minorité elle-même à l’égard de la majo-
rité ou d’autres minorités541.

536
ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne, § 92, CEDH 2004-I. La Cour européenne des droits de l’homme a
eu l’occasion à plusieurs reprises de rappeler le lien indissoluble entre démocratie et pluralisme, et
sur le rôle central de garant joué par l’Etat : voir l’ACEDH Parti communiste unifié de Turquie c.
Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et de décisions 1998-I, § 43 ; ACEDH Informa-
tionsverein Lentia et autres c. Autriche, arrêt du 24 novembre 1993, série A n° 276, § 38.
537
ACEDH Young, James et Webster c. Royaume-Uni, arrêt du 13 août 1981, série A n° 44, § 63.
538
Voir ainsi l’ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne, n° 44158/98, §34, 20 décembre 2001, où la Cour re-
connaît la qualité de victime à une association composée de membres de la minorité silésienne de
Pologne et faisant grief d’une violation de l’art. 11 CEDH du fait du refus des autorités polonaises
d’enregistrer leur association sous le nom de « Union of People of Silesean Nationality », fondée
dans le but de défendre les intérêts de leur minorité (§ 9 de l’arrêt).
539
ACEDH Grande Oriente D'Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie, n° 35972/97, §14-16, CEDH 2001-VII;
ACEDH Association des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus c. France, décision sur la recevabilité du
29 février 2000, n° 45053/98, §18 ; ACEDH Noack c. Allemagne, décision sur la recevabilité du 25
mai 2000, section « En droit », § 1, CEDH 2000-VI. WOLFRUM, pp. 1112-1113. Voir toutefois nos dé-
veloppements concernant la jurisprudence de la Cour relative aux recours corporatifs, infra Titre
Quatrième, Chapitre I, Section E, 2.4.
540
ACEDH Muonio Saami Village c. Suède (règlement amiable), n° 28222/95, § 12, 9 janvier 2001 ;
Décision de la Commission européenne des droits de l’homme du 25 novembre 1996, Könkama et
38 autres villages sames c. Suède, Recueil des décisions et rapports de la Commission européenne
des droits de l’homme, 87 B, D.R., p. 78.
541
GILBERT (2002), pp. 738-739 ; WOLFRUM, pp. 1113 et 1122.

105
La situation juridique des Tziganes en Suisse

350. Si la protection des groupes eux-mêmes en reste à un stade embryon-


naire, la Cour européenne des droits de l’homme laisse transparaître un chan-
gement de pratique en matière de prise en compte de l’appartenance des re-
quérants à une minorité. Certes, la Cour continue à exprimer une certaine re-
tenue envers les revendications fondées sur les particularités minoritaires, en
reconnaissant aux Etats une importante marge d’appréciation542. En outre,
d’une manière générale, l’existence de la CPMN ne pousse pas la Cour à
conclure à la présence d’un consensus européen suffisamment concret pour
qu’elle puisse restreindre cette marge à l’égard des Etats contractants543.
351. Toutefois, la jurisprudence récente révèle une évolution traduisant la
promotion des droits individuels à dimension collective, dont la finalité est
une protection indirecte du groupe minoritaire544. Comme nous allons le cons-
tater ci-après, cette transformation s’est réalisée essentiellement sur le front pa-
rallèle des articles 8 et 14 CEDH.

2.6.2. L’évolution récente de la jurisprudence européenne en matière de


droits des minorités

352. Le rattachement à un courant religieux, linguistique ou politique


minoritaire a depuis longtemps été pris en considération par la Cour
européenne des droits de l’homme. Ainsi, la jurisprudence européenne
relative à la liberté de conscience et de religion (article 9)545, à la liberté
d’expression (article 10)546, et à la liberté de d’association (article 11)547 ont
démontré qu’il s’agissait de garanties particulièrement importantes pour la
préservation des identités minoritaires. Toutefois, ces libertés pouvant être
soumises à des restrictions légitimes de la part de l’Etat, ce dernier est autorisé
à interdire, par exemple, les associations qui mettraient en danger la sécurité
publique ou nationale, y compris celles défendant les intérêts des minorités548.
353. Ce n’est que récemment que l’appartenance à une minorité ethnique
ou à un groupe menant un mode de vie distinct de celui de la population ma-
joritaire a été pris en compte à titre de facteur pertinent, marquant ainsi réel-

542
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 93-94, CEDH 2001-I. Comp. l’opinion dissi-
dente des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach et Casadevall,
§3. Voir également HOFMANN R. (2005B), pp. 1025-1026.
543
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 93-94, CEDH 2001-I. Comp. l’opinion dissi-
dente des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach et Casadevall,
§3.
544
Dans ce sens, SUDRE (2005B), pp. 99-100.
545
A titre d’exemple : ACEDH Cha’are Shalom ve Tsedek c. France [GC], n° 27417/95, CEDH 2000-VII.
546
A titre d’exemple : ACEDH Okçuoglu c. Turquie [GC], n°24246/94, 8 juillet 1999.
547
A titre d’exemple : ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne [GC], n° 44158/98, § 96 et 100, CEDH 2004-I.
548
ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne [GC], n° 44158/98, § 96 et 100, CEDH 2004-I.

106
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

lement l’ouverture de la Convention à la problématique des droits des minori-


tés549.
354. Cette évolution s’est réalisée parallèlement, à l’occasion de requêtes
déposées, d’une part, par des Tziganes anglais souhaitant pouvoir exercer leur
mode de vie nomade, sous l’angle de l’article 8 CEDH, et, d’autre part, par des
Tziganes rroms dénonçant la discrimination raciale dont ils estimaient faire
l’objet dans leurs Etats, en faisant valoir une violation de l’article 14 CEDH en
combinaison avec les articles 2 et 13 CEDH.
355. Premièrement, en 2001, dans le cadre de l’affaire Chapman c. Royaume-
Uni550, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’article 8
CEDH conférait aux membres d’une minorité le droit à ce que les autorités
prennent en considération leurs besoins spécifiques en raison de leur vulnéra-
bilité en tant que membres d’une minorité551. En l’occurrence, la Cour recon-
naît à la requérante Madame Chapman, Tzigane nomade anglaise, le droit
d’exercer son mode de vie traditionnel552, tout en y apposant immédiatement
des limites553.
356. Sur le front de l’article 14 CEDH, toutefois, la prise en compte de
l’appartenance à un groupe minoritaire demeure faible voire inexistante puis-
que la question d’une éventuelle discrimination indirecte en raison du mode
de vie nomade est écartée au profit d’une application stricte de l’égalité de trai-
tement en faveur des personnes sédentaires554.
357. En 2004 et 2005, cependant, deux arrêts mettant en cause des violences
policières ayant entraîné la mort de particuliers tziganes, les arrêts Natchova et
al. c. Bulgarie555 et Moldovan c. Roumanie556, ont pour la première fois constaté
une violation de l’interdiction de la discrimination raciale, autrement dit une

549
BENOIT-ROHMER (2001), p. 999; HENRARD (2004), p. 189 ; SUDRE (2005B), p. 99.
550
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I.
551
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 93 et 96, CEDH 2001-I. BENOIT-ROHMER
(2001), pp. 1005-1007; HENRARD (2004), p. 190.
552
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 96, CEDH 2001-I, confirmé en 2004 par
l’ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n°66746/01, §84, 27 mai 2004. HENRARD (2004), p. 189 ; HOF-
MANN R. (2005B), pp. 1017-1018 ; SUDRE (2005B), p. 100. En ce sens, la Cour a suivi la position de la
Commission européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 3 octobre 1983, G. et E. c.
Norvège, D.R. 35, p. 38.
553
Voir nos développements au sujet de ce raisonnement, infra Titre Troisième, Chapitre III, Section C,
2.3.2.
554
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 95 et 113, CEDH 2001-I. Voir nos dévelop-
pements et notre critique à ce sujet, infra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.2.
555
ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43578/98, CEDH 2005-….
556
ACEDH Moldovan et al. c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, CEDH 2005-….

107
La situation juridique des Tziganes en Suisse

discrimination fondée sur l’appartenance des particuliers à un groupe ethni-


que spécifique557.
358. L’importance de ces arrêts pour la protection des minorités est souli-
gnée par la doctrine qui considère que jusqu’à l’arrêt Natchova et al., la Conven-
tion n’offrait qu’une protection minimale aux membres de groupes minoritai-
res558. Pour les auteurs, cette jurisprudence illustre l’importance qu’a prise la
Convention pour les minorités en général et pour la communauté tzigane en
particulier559. L’évolution actuelle, qui a été lente, est donc notable bien qu’elle
demeure encore inachevée et perfectible560. A cet égard, la jurisprudence
concernant les Tziganes fait précisément ressortir les limites du recours au juge
européen en matière de droit des minorités561.
359. Certes, les affaires Natchova et al. et Maldovan démontrent que ce der-
nier n’est plus réticent à constater une violation de l’interdiction de la discri-
mination raciale en lien avec une garantie individuelle aussi fondamentale que
le droit à la vie. Toutefois, l’affaire Chapman, à la suite de l’arrêt Buckley c.
Royaume-Uni, illustre les hésitations de la Cour de Strasbourg à conclure à un
constat de discrimination indirecte562 lorsque sont en jeu des particularités
identitaires minoritaires.
360. Or, analyser l’éventuelle présence d’une discrimination à l’égard d’une
minorité exige de définir les contours d’un certain groupe – et donc de placer
l’individu dans une dimension collective – de déterminer les effets d’une me-

557
ROSENBERG (2005), p. 171 ; PLESE, pp. 109-118 ; THÜRER/DOLD, p. 2. Nous analyserons ces arrêts
dans le cadre de notre examen portant sur la portée de l’interdiction de la discrimination pour les
Tziganes, infra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.1.1.
558
HENRARD (2004), p. 187 ; HOFMANN R. (2005B), p. 1011 ; ROSENBERG (2005), pp. 172-174 ; WOLFRUM,
p. 1109. Ainsi, la Commission européenne avait affirmé très tôt que la CEDH ne reconnaît pas de
droits à une minorité en tant que telle et que la protection des membres de cette minorité se limite
à ne pas faire l’objet d’une discrimination, en raison de leur appartenance à une minorité selon l’art.
14 CEDH ; Décision X. c. Autriche, n° 8142/78, du 10 octobre 1979, D.R. 18, p. 98. Voir également
l’Affaire linguistique belge (au principal), arrêt du 23 juillet 1968, série A n°6, § 7 : la Cour de Stras-
bourg a jugé qu’une législation visant à dispenser dans les écoles publiques un enseignement dans
la langue majoritaire de la région n’est pas arbitraire et ne constitue pas une discrimination à l’égard
des locuteurs de la minorité francophone : la mesure n’est pas constitutive d’une violation de l’art.
14 CEDH à l’égard de cette minorité. Comp., en outre, la décision sur recevabilité Gorzelik et al. c.
Pologne, n° 44158/98, § 93, 96 et 100, 20 décembre 2001 : la Cour souligne dans cet arrêt
l’importance de la liberté d’association, au sens de l’art. 11 CEDH, pour les minorités. Toutefois, elle
renvoie dans un second temps à la marge d’appréciation usuelle dont bénéficie l’Etat pour légitimer
l’interdiction de certaines organisations pour des raisons de sécurité nationale, sans que le facteur
minoritaire ne joue de rôle.
559
HENRARD (2004), p. 201.
560
BENOIT-ROHMER (2001), p. 999 ; ROSENBERG (2001), p. 1018; SUDRE (2001), p. 905.
561
Sur l’importance de l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I pour la
protection des minorités de manière générale dans le cadre de la CEDH, voir BENOIT-ROHMER (2001),
pp. 999 et 1003-1004. Sur les limites de la CEDH pour la protection des minorités, voir GILBERT
(2002), p. 780.
562
Pour une définition de cette notion et une analyse approfondie de son importance dans le cadre la
protection des droits des Tziganes, voir infra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2. et Sec-
tion B.

108
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

sure étatique affectant un individu sur le groupe lui-même, et considérer que


la caractéristique problématique en cause découle de l’identité propre de la
personne. Dans ces deux arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme a
refusé d’effectuer cette démarche, en réduisant la question à un choix de vie
résultant de préférences individuelles563.
361. Ces réticences ne sont pas surprenantes puisque, précisément, elles
mettent en lumière les difficultés que connaît le système individuel des droits
de l’homme à intégrer juridiquement le facteur minoritaire, et ce même par le
biais de la garantie de l’interdiction de la discrimination. Une sensibilisation
accrue aux situations de non-discrimination indirecte devrait permettre à la
Cour de progresser sur cette question564. Toutefois, nous avons déjà démontré
que la raison d’être du droit des minorités réside dans le fait qu’il arrive que le
respect du principe de non-discrimination soit insuffisant pour prendre en
considération les besoins spécifiques des minorités565.
362. Le système individuel de protection des droits de l’homme présente
ainsi des limites que seul le droit des minorités peut dépasser566. Cependant,
pour que celui-ci puisse être appliqué aux besoins d’une communauté, cette
dernière doit être qualifiable de « minorité » au sens où l’entend ce système de
protection. Nous allons donc à présent discuter de la notion de minorité afin
de déterminer, dans une étape ultérieure, si et de quelle manière elle
s’applique aux Tziganes567.

3. La notion de minorité

363. La notion de minorité se caractérise par l’absence de définition unani-


mement acceptée (3.1.). Cette lacune trouve essentiellement ses racines dans la
controverse portant sur l’exigence du lien de citoyenneté (3.2.).

563
Ainsi, dans l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 81, la
Cour analyse le mode de vie de la requérante en le considérant uniquement comme étant
l’expression d’un choix personnel et ne faisant pas le lien avec son identité tzigane. Voir également
l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 113, où la Cour parle de
« préférences individuelles » au sujet du mode de vie de la requérante. DE SCHUTTER (1997), pp. 85-
86 ; SUDRE (2001), pp. 913-914. Voir également infra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.2.1.
564
Voir infra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2. au sujet de la notion de discrimination indi-
recte, et Section B, 3.2. au sujet de la discrimination indirecte des Tziganes, notamment dans la
pratique des juges de Strasbourg.
565
Dans le même sens, HENRARD (2004), p. 191. Voir également supra, Section 1 au sujet des particula-
rités du droit des minorités.
566
Comp. l’évaluation négative de PENTASSUGLIA quant au potentiel de la CEDH pour faire progresser les
standards de protection des minorités ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 126.
567
Infra Section B.

109
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.1. L’absence de définition unanime

364. Bien que largement employée en droit international, la notion de mi-


norité demeure encore à ce jour indéterminée, ne semblant pas trouver de dé-
finition qui rassemblerait l’unanimité. De ce fait, nul instrument conventionnel
ne la consacre formellement568. Cette lacune n’a toutefois pas empêché la cons-
titution de systèmes universels et régionaux de protection569.
365. En effet, l’indétermination juridique ne remet pas en cause la réalité de
l’existence des minorités : très tôt, il a été affirmé que la question de l’existence
d’une minorité est une question de fait et non de droit570. Toutefois, nous
pourrons constater que l’applicabilité du système de protection des minorités
aux Tziganes se heurte à l’existence de plusieurs controverses doctrinales en-
tourant la notion de minorité. Dès lors, il est nécessaire d’exposer l’essentiel de
la problématique entourant ce point.
366. Si les instruments universels et régionaux demeurent muets, la doc-
trine et la pratique des organes de surveillance ont dégagé des éléments qui se
recoupent, en raison de la conviction persistante qu’une protection efficace des
minorités n’est possible que si le concept est clarifié571. Les différents éléments
constitutifs de la notion de minorité varient en raison des difficultés liées au
choix des termes572, de la diversité des situations minoritaires qui rendent très
difficile la conception d’une définition unique573, mais également de la crainte
des Etats face au mouvement minoritaire lui-même, qui incite certains à voir
dans ce flou un signe de leur inexistence574.

3.1.1. Les principales propositions de définition

367. Au niveau universel, l’interprétation de l’article 27 Pacte II effectuée


par le Rapporteur spécial Francesco CAPOTORTI mérite d’être relevée, car sa
formulation est, pour l’essentiel, la plus répandue parmi celles qui ont été dé-
veloppées au sein des divers groupes de travail des Nations Unies au cours
des ans575,576.

568
AURESCU, §9 ; MALINVERNI (Minorités), p. 235 ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 55.
569
VALETTE, p. 340.
570
Voir l’Avis consultatif du 31 juillet 1930 de la Cour permanente de justice internationale, relatif à la
question des « communautés » gréco-bulgares (Publications de la Cour, série B, n°17, p. 22),
« L’existence des communautés est une question de fait ; elle n’est pas une question de droit ».
571
PENTASSUGLIA (2002A), p. 57. Au sujet des effets négatifs pour une communauté de la négation du
statut de minorité du fait qu’un Etat se réfère à une certaine définition de la notion qui ne permet
pas de l’inclure, voir PARK, p. 69. Sur la réalité de ce genre de pratiques à l’égard des Tziganes, voir
infra Section B, 1.
572
KOUBI, p. 415.
573
MARCHAND, p. 134 ; RAMU, p. 591 et références ; VALETTE, p. 334.
574
MARCHAND, p. 135 ; PACKER, p. 26 ; VALETTE, p. 334.
575
KETLEY, p. 333 ; MOORE, pp. 177-178 ; RAMU, pp. 591-592.

110
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

368. Selon cet auteur, une minorité est « un groupe numériquement infé-
rieur au reste de la population d’un Etat, en position non dominante, dont les
membres ressortissants de l’Etat possèdent du point de vue ethnique, religieux
ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la
population et manifestent, même de façon implicite, un sentiment de
solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou
leur langue»577.
369. Bien que largement acceptée, cette définition n’est peut-être pas la plus
appropriée, car elle ne prend pas en considération les groupes socialement mi-
noritaires alors que leurs membres forment quantitativement la majorité de la
population, telle que la population d’origine africaine en Afrique du Sud du-
rant les années de l’Apartheid578.
370. Au niveau régional européen, l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe va toutefois dans le même sens que le Rapporteur spécial CAPO-
TORTI. Dans sa Résolution 1201 (1993), cet organe propose de définir la notion
de « minorité nationale »579 comme étant «un groupe de personnes dans un
Etat qui: a) résident sur le territoire de cet Etat et en sont citoyennes; b)
entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet Etat; c) présentent
des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques
spécifiques; d) sont suffisamment représentatives, tout en étant moins
nombreuses que le reste de la population de cet Etat ou d'une région de cet
Etat; e) sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur
identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou
leur langue».

576
Au sein des Nations Unies, la question fut traitée initialement par la Sous-Commission de la lutte
contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de la Commission des droits de
l’homme de l’ONU : voir ainsi la définition élaborée lors de sa troisième session, en 1950, UN Doc.
E/CN.4/358 du 30 janvier 1950, reproduite in SCHODER, p. 38: «… from the standpoint of such mea-
sures of protection of minorities as the United Nations may wish to take, and in the light of the ex-
ceptions and complexities set out above : a) the term minority includes only those non-dominant
groups in a population which possess and wish to preserve stable ethnic, religious or linguistic tradi-
tions or characteristics markedly different from those of the rest of the population ; b) such minori-
tes should properly include a number of persons sufficient by themselves to develop such characte-
ristics ; and c) the members of such minorities must be loyal to the State in which they are natio-
nals».
577
CAPOTORTI, p. 102. Comp. avec la définition du Rapporteur spécial Jules DESCHENES, publiée en 1985:
Une minorité est « a group of citizens of a State, constituing a numerical minority and in a non-
dominant position in that State, endowed with ethnic, religious or linguistic characteristics which dif-
fer from those of the majority of the population, having a sens of solidarity with one another, moti-
vated, if only implicity, by a collective will to survive and whose aim is to achieve equality with the
majority in fact and in law. » UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1985/31, § 181.
578
MOORE, p. 178.
579
Au sujet de cette notion, voir infra Section 3.2.2.

111
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.1.2. Appréciation

371. Plusieurs points communs peuvent être dégagés des différentes


propositions élaborées au cours des ans. Premièrement, on relèvera un élément
qualitatif : cette définition se restreint aux minorités ethniques, religieuses et
linguistiques, critères qui représentent chacun un élément exprimant une cer-
taine visibilité du groupe par rapport au reste de la population et qui peuvent
parfaitement se combiner580. Cette restriction a pour but de garantir une pro-
tection juridique efficace tout en cherchant à éviter une inflation quantitative
du nombre de minorités pouvant requérir le bénéfice d’un statut spécial581.
372. Deuxièmement, on trouve un élément de non domination: constitue
une minorité la fraction de la population qui se trouve en position de faiblesse
face à un groupe socialement majoritaire, qui ne doit pas nécessairement être
plus important d’un point de vue quantitatif que la minorité en question582.
Cet élément a évolué puisque la définition de CAPOTORTI impose l’exigence de
l’infériorité numérique pour qu’une communauté soit reconnue comme une
minorité.
373. Un troisième élément est l’existence d’un sentiment de solidarité qui
pousse à vouloir conserver les caractéristiques propres au groupe concerné et à
préserver sa culture. La particularité des minorités par rapport aux autres
groupes sociaux réside précisément dans la dimension collective des spécifici-
tés les distinguant du reste de la société, mais également dans la conscience
d’appartenir à un tel groupe, en d’autres termes, dans le sentiment
d’appartenance à une certaine communauté583. Pour important qu’il soit, ce
critère subjectif n’est pas en soi décisif ni absolu et cède devant le refus éven-
tuel de l’Etat de reconnaître le groupe en question584.
374. Dans ce contexte, le choix personnel des individus concernés de se
déclarer membres d’une minorité est libre, sans être cependant discrétionnaire,
car il est encadré par les critères objectifs que nous avons exposés585. Cepen-
dant, si une personne se déclare appartenir, par exemple, à une minorité eth-
nique, le droit interne ne peut pas poser des critères si restrictifs qu’ils ont
pour résultat qu’une personne ethniquement minoritaire peut se retrouver
dans une situation où elle n’est pas considérée comme telle aux termes de la
loi586.

580
EIDE (Minorities), §90ss ; NOWAK (art. 27), N. 23, p. 648 ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 58 ; SCHODER, p.
40.
581
EIDE (Minorities), §25-26 ; MALINVERNI (Minorités), p. 236 ; RAMU, pp. 598-599.
582
GILBERT (1996), p. 162
583
RIGAUX, pp. 155-156.
584
HOFMANN R. (2005B), p. 1015 ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 68 ; WOLFRUM, p. 1116.
585
HEINTZE (art. 3), pp. 118-119 ; MALINVERNI (Minorités), pp. 238-239.
586
Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication, n° 197/1985, Ivan Kitok c.
Suède, §9.7. Le Comité consultatif de la CPMN se montre également très critique à l’égard de légi-

112
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

3.2. La controverse relative à l’exigence du lien de citoyenneté

375. Les définitions que nous avons exposées ci-dessus énoncent le critère
de la citoyenneté en tant que condition nécessaire pour reconnaître l’existence
d’une minorité. Or, ni l’article 27 Pacte II, ni la Déclaration des Nations Unies
de 1992, ni la CPMN ne posent cette exigence, ce qui peut susciter des interro-
gations sur sa pertinence587.
376. Poser cette condition particulière répond à un double objectif: premiè-
rement, dans une perspective touchant à la préservation de la paix interne et
internationale, elle cherche à garantir une certaine loyauté de la part des mem-
bres des minorités588. Ensuite, elle permet aux Etats de ne pas s’engager en fa-
veur de nouvelles minorités constituées en majorité par des étrangers, issues
par exemple de l’immigration, et de restreindre leur politique en la matière
aux communautés composées de ressortissants nationaux et donc présentant
logiquement des liens historiquement stables avec l’Etat en question589.
377. Si cette approche classique est encore dominante, elle est aujourd’hui
qualifiée de «conservatrice »590. Elle se trouve remise en cause tant au niveau
universel que régional, aussi bien par une partie de la doctrine que par les or-
ganes de surveillance du Pacte II et de la CPMN.

3.2.1. Au niveau universel

378. Au niveau universel, Asbjörn EIDE a été le premier, en 1993, à proposer


une définition ne comportant pas la condition de la citoyenneté. Selon cet au-
teur, une minorité est « tout groupe de personnes résidant au sein d’un Etat
souverain, représentant moins de la moitié de la population de la société na-
tionale, et dont les membres ont en commun des caractéristiques de nature
ethnique, religieuse ou linguistique qui les distinguent du reste de la popula-
tion»591. Il propose de remplacer le lien national par le critère de la stabilité de
la présence du groupe sur le territoire étatique592.

slations nationales qui restreignent l’applicabilité de la convention à certaines zones de leur terri-
toire, en excluant du champ d’application personnel les personnes qui n’y résident pas ; voir le 2ème
Avis du Comité consultatif relatif au Danemark, du 9 décembre 2004, ACFC/INF/OP/II(2004)005, §
17.
587
Dans ce sens, EIDE (2006), § 2.
588
Comp. VALETTE, p. 343, qui estime que le lien de loyauté ne dépend pas de la qualité de ressortis-
sant.
589
MALINVERNI (Minorités), pp. 237-238 ; PENTASSUGLIA (2002a), pp. 57-59.
590
AURESCU, § 14.
591
EIDE (Minorities), §29.
592
EIDE (Minorities), §42ss. Ce critère n’est toutefois pas synonyme d’ancrage géographique fixe sur
une fraction délimitée du territoire, mais renvoie plutôt à la stabilité de la composition du groupe et
de l’unité qui lie ses membres ; PRITCHARD, p. 182.

113
La situation juridique des Tziganes en Suisse

379. En 1994, le Comité des droits de l’homme a suivi cette proposition. Se


fondant sur une interprétation tant littérale que systématique de l’article 27
Pacte II, le Comité estime, en effet, que lue en combinaison avec l’article 2 § 1,
cette disposition ne permet pas de réduire son champ d’application aux ressor-
tissants d’un Etat et s’applique également aux groupes d’étrangers formant de
nouvelles minorités593.
380. Ce faisant, le Comité a consacré l’intégration des droits des minorités
dans le corpus des droits de l’homme, en soulignant qu’il ne s’agit pas de
droits du citoyen594. Les auteurs qui suivent l’approche du Comité soulignent
qu’elle prend en compte l’évolution de la société internationale, marquée par
les transformations et l’augmentation des phénomènes migratoires, qui
conduisent à des situations d’installation durable, sans désir de retour, ni de
naturalisation595.
381. Bien que l’interprétation du Comité des droits de l’homme soit criti-
quée par une partie de la doctrine596, elle a été suivie par d’autres organismes
des Nations Unies et est saluée par d’autres commentateurs. En effet, en adop-
tant formellement et sans réserve le 31 mars 2005 le commentaire explicatif de
la Déclaration de 1992 sur les droits des minorités597, le Groupe de Travail sur
les Minorités et la Sous-Commission de la promotion et de la protection des
droits de l’homme, adhèrent à cette approche de la notion de minorité598.
382. Aborder la question sous l’angle de la présence historique et stable des
communautés nous paraît particulièrement intéressant. Premièrement, ce cri-
tère garantit que la grande majorité des bénéficiaires des mesures découlant
du droit des minorités soient des nationaux599. Deuxièmement, il permet
d’inclure les personnes qui, bien que non-ressortissantes d’un Etat, appartien-
nent, d’un point de vue ethnique, religieux ou linguistique, à la communauté
minoritaire composée des citoyens de cet Etat600.

593
Observation générale n° 23 du CDH, du 8 avril 1994, §5.1 et 5.2. Dans ce sens, voir notamment
HEINTZE (art. 1), p. 84 ; RAMU, p. 594 ; SHAW, p. 960 ; VALETTE, p. 344.
594
Dans ce sens, NOWAK (art. 27), N. 17-18, pp. 645-646.
595
NOWAK (art. 27), N. 21, p. 647 ; VALETTE, pp. 333-334. Voir également PARK, pp. 85-88.
596
Voir notamment MALINVERNI (Minorités), p. 237 ; PENTASSUGLIA (2002A), pp. 60-61.
597
UN Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.5/2005/2. Ce commentaire fait désormais partie du « Guide des Nations
Unies relatif aux droits des minorités ».
598
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 9.
599
Dans ce sens également, ALFREDSSON (2006), § 14.
600
EIDE (2006), § 10 ; Groupe de travail des Nations Unies, §9 ; NOWAK (art. 27), N. 21, pp. 647-648 ;
PENTASSUGLIA (2002A), p. 71. Pour une illustration de cette solution intermédiaire, mettant l’accent
sur les liens historiques devant exister entre les groupes minoritaires reconnus à titre de minorité
nationale, mais permettant néanmoins à des non-ressortissants de bénéficier des programmes de
promotion s’ils partagent les caractéristiques de ces communautés, voir la solution développée par
la Norvège dans le cadre de la CPMN : Rapport initial norvégien, ACFC/SR (2001) 1, 2001, §3.1 ;
HEINTZE (art. 3), pp. 125-126.

114
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

383. Cette démarche ne consacre pas la protection des « nouvelles » minori-


tés, issues de l’immigration récente, mais conduit à l’accroissement numérique
de communautés déjà existantes et reconnues, composées de citoyens. Cette
conception reste donc compatible avec le souhait des Etats d’exclure de la pro-
tection du système des minorités les groupes formés par les travailleurs mi-
grants. Elle répond à l’exigence de nuance imposée par la transformation des
fondements de l’immigration contemporaine, qui n’offre plus à l’étranger une
alternative exclusive entre, d’une part, le retour dans sa patrie d’origine, et
d’autre part, l’assimilation complète dans l’Etat d’accueil601.
384. On relèvera, toutefois, que ni le Comité des droits de l’homme, ni le
Groupe de travail des Nations Unies ne s’oppose à une inclusion des
« nouvelles » minorités et expriment des réserves à l’égard de leur exclusion a
priori du système de protection602. Ainsi, les personnes appartenant à de nou-
velles minorités doivent également pouvoir pratiquer en groupe, avec d’autres
membres de leur communauté, leur langue ou religion minoritaire603. Cepen-
dant, les groupes minoritaires historiquement ancrés dans un Etat peuvent
avoir plus de droits que ceux arrivés récemment. L’Etat peut notamment se ré-
server la possibilité d’adopter des mesures spéciales destinées à soutenir une
minorité aux communautés historiquement implantées sur son territoire604.
385. A cet égard, EIDE propose d’appliquer la méthode employée de façon
générale dans le domaine des droits de l’homme en distinguant entre les trois
degrés d’obligations à charge des Etats : l’obligation de respecter, l’obligation
de protéger et l’obligation de mettre en œuvre les droits605. Pour cet auteur, il
importe peu qu’un particulier soit ressortissant ou non de l’Etat pour pouvoir
exiger de ce dernier qu’il respecte et protège l’expression de son identité mino-
ritaire. Par contre, on pourra se montrer plus restrictif en matière de mesures
destinées à mettre en œuvre ces droits, en distinguant entre les communautés
nouvellement constituées et celles ancrées historiquement dans un Etat606.

3.2.2. Au niveau européen

386. Nous avons pu constater que l’Assemblée parlementaire du Conseil de


l’Europe considère que les critères de la citoyenneté des membres et l’existence
de liens historiques durables sont nécessaires pour pouvoir qualifier une
communauté de « minorité nationale ».

601
VALETTE, pp. 335 et 341.
602
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 10-11 ; Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2. Voir éga-
lement ALFREDSSON (2006), § 16.
603
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 10-11 ; Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2.
604
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 10. Au sujet de la nature et de l’objectif de ce type de mesu-
res, voir infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
605
Voir par ailleurs nos développements à ce sujet supra Section A, 2.1.1.
606
EIDE (2006), § 8-10.

115
La situation juridique des Tziganes en Suisse

387. Bien que cette définition soit importante pour comprendre


l’orientation que souhaite prendre le Conseil de l’Europe sur cette question, il
est nécessaire de la placer en perspective avec la pratique du Comité consulta-
tif en charge de la surveillance de la CPMN. En effet, si les résolutions de
l’Assemblée parlementaire donnent une ligne directrice politique forte, la
CPMN, telle qu’interprétée par le Comité consultatif, possède un poids juridi-
que que les résolutions n’ont pas.
388. Avant d’analyser la position du Comité consultatif à l’égard de
l’exigence de la citoyenneté (b), il sied toutefois d’apporter quelques précisions
quant à la notion de « minorité nationale » (a).

a) La notion de « minorité nationale »

389. Absente de l’article 27 Pacte II, énoncée par la Déclaration sur la pro-
tection des minorités de 1992 et au cœur du dispositif normatif européen dans
le domaine, la notion de « minorité nationale » est ambiguë et n’a pas, a priori,
le même poids au niveau universel et au niveau régional européen. Dans le
contexte de la Déclaration sur la protection des minorités de 1992, l’expression
« minorité nationale » ne crée pas per se de nouvelle catégorie de minorité. En
effet, on considère qu’il n’existe pas de minorité nationale qui ne soit pas en
même temps une minorité ethnique, religieuse ou linguistique607.
390. Au niveau régional européen, toutefois, le concept de minorité natio-
nale prend un autre poids du fait de son emploi répété aussi bien dans la
CPMN que dans la Résolution 1201 de l’Assemblé parlementaire608. Or, dans le
contexte européen, la notion peut être abordée sous deux perspectives, tour à
tour utilisées par les Etats et alimentant une certaine confusion.
391. Selon une première approche, dite germanique609, cette expression
qualifie un groupe se trouvant sur le territoire d’un Etat, qui possède des liens
étroits avec un autre Etat, dénommé « Etat-parent ». Dans cette hypothèse, les
membres du groupe présentent les caractéristiques d’une minorité ethnique et
ont également la conviction qu’ils pourraient faire partie d’une nation ou être
rattachés à cet Etat parent. Bien qu’ils possèdent la nationalité de leur Etat de
résidence, ils appartiennent à ce que l’on appelle la « communauté nationale »
de leur Etat-parent610.

607
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES §6 ; PRITCHARD, p. 38.
608
PRITCHARD, p. 39.
609
HEINTZE (art. 1), p. 83.
610
A ce sujet, voir le Rapport de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commis-
sion de Venise) sur le traitement préférentiel des minorités nationales par leur Etat parent, CDL-INF
(2001) 19, Venise, 19-20 octobre 2001. Ce rapport souligne ainsi l’intégration de dispositions
concernant la protection de ces communautés par leur Etat-parent dans de nombreuses constitu-

116
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

392. On constate que dans la vision germanique, la dimension politique est


ainsi déterminante pour distinguer entre une « simple » minorité ethnique et
une minorité nationale611. Dans ce cadre, le cercle des personnes appartenant à
une minorité nationale est plus restreint que dans le contexte d’une minorité
ethnique612.
393. Cette vision est donc restrictive, car elle pose la condition supplémen-
taire de l’existence d’un Etat-parent613. En excluant les groupes ne possédant
aucune assise territoriale – ce qui regroupe certaines minorités linguistiques ou
religieuses, voire des minorités ethniques comme les Frisons en Allemagne –
cette conception semble incompatible avec l’objectif de la CPMN. Le Comité
consultatif se montre ainsi critique face à un Etat qui qualifie une communauté
de minorité linguistique exclusivement, en refusant de la considérer comme
une minorité nationale pour la seule raison qu’elle ne possède pas d’Etat-
parent614.
394. Cette critique est justifiée, car la CPMN, dans son Préambule et à son
article 6, fait expressément référence aux caractéristiques identitaires ethni-
ques, linguistiques, culturelles et religieuses des communautés dont elle cher-
che à protéger l’existence. Parmi les Etats parties, certains ont d’ailleurs précisé
lors de la ratification ou à l’occasion de la remise de leurs rapports initiaux que
seules les minorités telles que définies au niveau universel étaient protégées au
sens de cette convention615.
395. Ce sont donc ces qualificatifs qui doivent être pris en compte pour dé-
finir une minorité nationale au sens de la CPMN. Ceci reflète la conception
universelle de la notion de minorité, promue par le Pacte II et la Déclaration de
1992, et démontre que la CPMN ne peut pas se limiter aux groupes pouvant
constituer une « nation », ou possédant un Etat-parent616.
396. La réfutation de la thèse germanique suit la démarche qui s’est impo-
sée au sein du Conseil de l’Europe, notamment par le biais de l’adoption de la
Convention européenne sur la nationalité. Cet instrument suit une seconde
approche en définissant la « nationalité » comme le lien juridique liant une

tions de pays d’Europe de l’Est ces dernières années, ainsi que le développement de politiques acti-
ves de protection et de soutien à leur égard.
611
PENTASSUGLIA (2002A), pp. 62-63 ; PRITCHARD, p. 38 ; SCHODER, pp. 40-41.
612
PRITCHARD, p. 38.
613
MALINVERNI (Minorités), p. 244.
614
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif à l’Albanie, ACFC/INF/OP/I(2003) 004 §20, au sujet de
l’exclusion du champ d’application de la CPMN des communautés Rom et Aroumain/Valaque, du fait
de leur qualité exclusive de minorité linguistique aux yeux des autorités albanaises.
615
HEINTZE (art. 1), p. 85 ; HOFMANN R. (2005B), pp. 1014-1015. Voir la position de la Suisse dans son
premier rapport périodique, ACFC/SR/2001/002, §98. Voir également l’approche du Royaume-Uni
qui calque la définition au sens de la CPMN sur la notion très large de « racial group » au sens du
Race Relations Act de 1976 et de la jurisprudence qui en a découlé ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 66.
616
ALFREDSSON (2000), p. 296 ; HEINTZE (art. 1), pp. 84-85 et 87. Voir également la position du Haut-
Commissaire pour la protection des minorités nationales de l’OSCE, VAN DER STOEL, p. 45.

117
La situation juridique des Tziganes en Suisse

personne et un Etat, et non comme représentant son appartenance ethnique617.


Qualifiée de conception « française » de la notion de nation618, elle explique le
renvoi à l’exigence de la nationalité présente dans la définition de la « minorité
nationale » employée par la Résolution 1201 (1993) de l’Assemblée parlemen-
taire619. Cette définition n’a toutefois pas été reprise par les rédacteurs de la
CPMN620. Dès lors, il sied d’analyser si cette condition est également un prére-
quis indispensable à l’applicabilité de la CPMN621.

b) L’exigence du lien de nationalité dans le cadre de la CPMN

397. Du fait de l’absence de définition de la notion de minorité dans la


CPMN, les Etats parties bénéficient d’une large marge d’appréciation pour dé-
finir le cercle des personnes qu’ils souhaitent protéger, dans les limites des
principes généraux du droit international et des principes posés par l’article 3
CPMN622. Dans ce contexte, la plupart des Etats ayant ratifié la CPMN ont dé-
claré ne reconnaître que les communautés dont les membres possèdent leur
nationalité623. Ces déclarations sont toutefois soumises au contrôle du Comité
consultatif, qui examine leur validité au regard des principes généraux du
droit international624.
398. Par rapport à l’exigence de la nationalité, la pratique la plus récente du
Comité consultatif révèle que ce dernier n’exclut pas la possibilité d’appliquer
la CPMN aux non-ressortissants. Il emploie à cet effet une démarche « article
par article », en déterminant à chaque fois s’il est légitime d’exclure de son
champ d’application les étrangers, et ce même lorsque les Etats parties à la
CPMN déclarent n’accepter d’obligations qu’à l’égard de leurs citoyens625.

617
Voir ainsi l’art. 2 let. a de la Convention du Conseil de l’Europe sur la nationalité, du 6 novembre
1997 : « « nationalité » désigne le lien juridique entre une personne et un Etat et n’indique pas
l’origine ethnique de la personne » ; MALLOY, p. 19 ; HEINTZE (art. 1), p. 83.
618
HEINTZE (art. 1), p. 83.
619
L’Assemblée parlementaire a par ailleurs réitéré son attachement à cette vision dans sa Résolution
1735 (2006) relative au concept de nation, où elle se réfère explicitement à la citoyenneté des
membres des personnes appartenant à une minorité nationale.
620
AURESCU, § 10.
621
Dans ce sens, voir KLEBES, p. 94.
622
HEINTZE (art. 3), pp. 111-112.
623
HEINTZE (art. 1), p. 87. Voir l’exemple de l’Allemagne, qui applique la CPMN aux Danois, Serbes, Fri-
sons, Sinti et Roma de nationalité allemande.
624
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif à l’Allemagne, du 1er mars 2002, ACFC/INF/OP/I(2002)008, §
14-15. EIDE (2006), § 5 ; HEINTZE (art. 3), p. 113.
625
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif à l’Allemagne, du 1er mars 2002, ACFC/INF/OP/I(2002)008, §
18. EIDE (2006), § 6 ; HEINTZE (art. 3), pp. 124-125.

118
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

3.2.3. Appréciation

399. La démarche du Comité consultatif indique clairement qu’il ne sou-


haite pas suivre la vision restrictive prônée notamment par l’Assemblée par-
lementaire. Au contraire, le Comité consultatif semble plutôt enclin à se tour-
ner vers la pratique du Comité des droits de l’homme, en considérant qu’il est
discutable d’exclure a priori les non-ressortissants du champ d’application du
système de protection des minorités626. Ce faisant, il réduit le hiatus qui sem-
blait pouvoir se creuser entre les deux niveaux de protection, puisqu’une ap-
proche axée sur l’exigence de citoyenneté aurait notablement restreint le cercle
des bénéficiaires de la CPMN par rapport à celui, plus large, de l’article 27
Pacte II et de la Déclaration de 1992.
400. Pour déterminer à quelles conditions ce système s’applique à des non-
ressortissants, la solution développée par Asbjörn EIDE touchant à l’application
des trois degrés d’obligations à charge de l’Etat nous semble être une méthode
digne d’être approfondie et d’être prise en considération627.

B. Les Tziganes en tant que minorité au sens du droit


international

401. Après un exposé des enjeux liés à la qualification des Tziganes en tant
que minorité au sens du droit international (1.) et des difficultés rencontrées
pour ce faire (2.), nous résumerons la pratique des organismes internationaux
sur cette question (3.).

1. Les enjeux de la qualification

402. S’interroger sur l’existence juridique de la minorité tzigane ne remet


pas en cause l’existence factuelle de ces communautés, de leurs particularités
et de leur fragilité. Toutefois, cette question doit être tranchée pour pouvoir
appliquer le système de protection du droit des minorités. Or, aux yeux de cer-
tains, il ne faut voir dans les diverses facettes de l’identité tzigane que
l’expression d’un comportement économique et social marginal628, ce qui a

626
PARK, pp. 88-89.
627
Voir supra Section 3.2.1.
628
Voir la position du département roumain pour la Protection des Minorités Nationales : « Although at
first sight (the Roma-issue) seems to have ethnic accents, a closer look shows that in fact its essen-
tial dimension is the socio-economic side : not Roma as a whole is the real problem but the poor,
unqualified, unemployed, criminal Roma. Roma is not an ethnic issue but a socio-economic one with
ethnic aspect. » In : Public Policies concerning Roma and Sinti in the OSCE region, OSCE Human
Dimension Implementation Meeting, Octobre 1998, Background Paper 4, ODIHR 1998, p. 7.

119
La situation juridique des Tziganes en Suisse

pour effet que le droit des minorités et ses garanties ne peuvent pas être pris
en compte629. On constate ainsi qu’il subsiste des doutes et des hésitations sur
la réalité du statut de minorité des Tziganes et sur leur légitimité à s’en préva-
loir630.
403. Les conséquences liées à la négation du statut de minorité des Tziga-
nes sont nombreuses et importantes. Historiquement, le refus de les concevoir
en tant que groupe ethnique a créé des difficultés considérables pour leur re-
connaissance au titre de victimes du génocide nazi631. Aujourd’hui, cette réti-
cence soustrait les Tziganes aux politiques étatiques destinées à la réalisation
des quatre objectifs que le système de protection des minorités poursuit, énon-
cés notamment dans la Déclaration relative à la protection des minorités de
1992.
404. Dans un premier temps, refuser aux Tziganes la qualité de minorité si-
gnifie que la protection de leur existence en tant que groupe n’est pas garan-
tie632. Cet aspect possède plusieurs facettes : recouvrant par exemple l’accès
aux territoires et aux ressources nécessaires à la survie du groupe minoritaire,
elle est tout à fait pertinente par rapport aux difficultés rencontrées par les
Tziganes nomades pour se déplacer et stationner leurs caravanes. Elle inclut
non seulement la protection de l’intégrité physique des particuliers, mais aussi
le respect de leur culture et de leur identité633.
405. Le corollaire de cette première exigence est l’interdiction d’assimiler
les personnes appartenant à des minorités, ce qui impose de protéger et
promouvoir les conditions-cadres permettant à l’identité collective du groupe
de perdurer634. L’aperçu historique des politiques successives de répression
puis d’assimilation établi en première partie de cette étude635 démontre
l’importance de cette condition pour l’existence des communautés tziganes, y
compris en Suisse.
406. Troisièmement, le système de protection des minorités impose aux
Etats de ne pas les exclure de la société nationale, et de leur permettre de parti-
ciper à la vie de la société636. Cette dimension est capitale dans un contexte

629
MARCHAND, p. 135, citant Yaron MATRAS sur cette question.
630
BANCROFT, pp. 40-43; MARCHAND, p. 141 ; MEYER, pp. 268-269. Voir la position de l’Allemagne, qui en
1992 déclarait que les Roms se trouvant sur son territoire ne formaient pas une minorité au sens de
l’art. 27 Pacte II (UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1992/SR.52 §8) ; voir également celle des Pays-Bas qui, en
1988, affirmait lors de l’examen du deuxième rapport périodique déposé par cet Etat devant le Co-
mité des droits de l’homme, que les « Caravan dwellers were not considered as belonging to a mi-
nority » au sens de l’art. 27 Pacte II (UN Doc. CCPR/C/42/ SR.861-864, § 8-9).
631
BANCROFT, p. 42 ; FISHER, pp. 536-537 ; MEYER, p. 269.
632
Art. 1 de la Déclaration de 1992.
633
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 24.
634
MALINVERNI (Minorités), p. 243.
635
Supra Titre Premier, Chapitre II et III.
636
Art. 2 de la Déclaration de 1992. GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 25.

120
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

d’exclusion sociale, politique et économique que connaissent partout les com-


munautés tziganes, que leurs membres soient encore nomades ou qu’ils soient
sédentarisés.
407. Enfin, quatrièmement, le droit des minorités garantit que l’exercice de
leurs droits en tant que membres d’une minorité ne justifiera aucune discrimi-
nation dans les autres domaines et qu’aucun désavantage ne devra résulter de
l’exercice ou du non-exercice de ces droits637. Ainsi, le souhait, pour des Tziga-
nes nomades, d’exercer leur mode de vie traditionnel et de ne pas subir de dis-
crimination à cette occasion est confronté à de plus grandes difficultés s’ils ne
sont perçus que comme des particuliers ayant un style de vie différent, et non
comme des personnes exerçant un mode de vie culturel particulier.
408. En formant une minorité vulnérable, soumis à des discriminations et
souhaitant également préserver leur culture pour ne pas perdre leur identité,
les Tziganes sont dans la même situation que les minorités devant faire face à
des Etats non seulement partiaux en leur défaveur, mais qui cherchent aussi à
les assimiler638. Ainsi que l’affirme Angus BANCROFT, « [g]iven the extent of anti-
Romani and anti-Gypsy-Traveller feeling in European societies (…) the work of esta-
blishing their status as an ethnic minority is more vital than ever. »639.
409. En conséquence, il n’est pas surprenant que la reconnaissance du sta-
tut de minorité des Tziganes soit au premier plan des conditions posées par
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour améliorer leur situa-
tion en Europe. Cette reconnaissance a pour objectif de lever la confusion en-
tourant leur situation juridique et doit se faire en parallèle avec la consolida-
tion de leur intégration sociale, économique et politique640.

2. Les difficultés rencontrées pour qualifier les Tziganes de


minorité

410. Qualifier les Tziganes de « minorité » au sens du droit international


n’est pas une évidence, du fait des particularités que présente ce groupe et des
difficultés politiques qu’il rencontre à se voir reconnaître comme tel. Tant
l’absence d’unanimité concernant la notion de minorité que les spécificités des

637
Art. 3 de la Déclaration de 1992 et art. 3 CPMN.
638
EIDE (1996), pp. 163-164.
639
BANCROFT, p. 47. Comp. l’approche de POGANY, qui considère que l’extrême vulnérabilité socio-
économique des Tziganes d’Europe centrale et de l’Est a pour conséquence que le droit des minori-
tés peut être considéré comme un luxe pour ces derniers : face aux problèmes causés par les priva-
tions, le racisme et la marginalisation, la préservation de leur identité culturelle et linguistique ne
peut être pas être conçue comme une priorité; POGANY (2006), pp. 8-12.
640
Recommandation 1557 (2002), § 15. En outre, l’égalité de traitement tant formelle que matérielle
doit être garantie ; la langue et la culture tziganes doivent être préservées ; enfin, le racisme et la
xénophobie doivent être combattus à tous les niveaux, que cela soit à ceux local, national, régional
qu’international.

121
La situation juridique des Tziganes en Suisse

Tziganes par rapport à d’autres groupes minoritaires expliquent la présence de


ces obstacles641.
411. Certes, plusieurs éléments de la définition de la notion ne soulèvent
pas de problèmes à l’égard des Tziganes. Ainsi, où qu’ils se trouvent en Eu-
rope, les Tziganes sont en nombre inférieur par rapport au reste de la popula-
tion étatique, et leur position est clairement non dominante. Par ailleurs, la di-
versité existant au sein des communautés tziganes642 ne permet pas de remet-
tre en cause le profond sentiment de solidarité et d’appartenance à une cer-
taine communauté existant au sein des familles et des clans643. De plus, les di-
vergences existant entre les communautés s’effacent pour faire place à la soli-
darité et à l’unité lors de la survenance de tensions avec des personnes gadjé644.
412. Toutefois, auteurs et autorités ne peuvent que constater la difficulté à
pouvoir employer les qualificatifs usuels à l’égard des Tziganes : minorité eth-
nique645 et/ou culturelle646 pour certains, nationale647 pour d’autres, ou encore
minorité européenne648, voire transnationale649, les approches classiques se
heurtent aux spécificités tziganes650.
413. Cette pléthore de qualificatifs s’explique par plusieurs raisons, qui dis-
tinguent les Tziganes des autres communautés minoritaires présentes en Eu-
rope651. Premièrement, la communauté tzigane est dispersée sur l’ensemble du
continent européen (2.1.). Deuxièmement, l’hétérogénéité des communautés
tziganes suscite des doutes quant à l’existence d’une minorité ethnique (2.2.).
Troisièmement, l’absence d’Etat parent est un argument avancé pour nier la
qualification des Tziganes en tant que minorité, en particulier de minorité na-
tionale (2.3.). Enfin, la question de l’exigence de la citoyenneté apparaît égale-
ment dans ce contexte, eu égard au nomadisme transfrontalier des Tziganes
nomades vivant en Europe de l’Ouest (2.4.).

641
TSEKOS, p. 26.
642
A ce sujet, voir infra Section 2.2.2.
643
MARCHAND, pp. 138-141 ; MEYER, p. 269. Contra POGANY, qui considère qu’une fraction importante
des Tziganes d’Europe centrale et de l’Est ont perdu toute connaissance de leur histoire, de leur
langue et de culture ancestrales ; POGANY (2006), p. 15.
644
SAVELIEFF, p. 175.
645
NOBLET, p. 37 ; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne,
« La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 1, n°1.
646
Rapport initial de la Suisse, § 137-144.
647
Recommandation 1203 (1993) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, § 2.
648
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 27.
649
MEYERS, p. 297 ; WARNKE, pp. 365-366.
650
MARCHAND, p. 142.
651
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 27.

122
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

2.1. La dispersion internationale de la communauté tzigane

414. Le monde politique et les auteurs traitent du statut minoritaire des


Tziganes de deux manières : d’une manière traditionnelle, car étatique, et
d’une manière plus exceptionnelle, car globale.
415. Traditionnellement, en effet, la question des minorités s’analyse du
point de vue des Etats et de leurs politiques à l’égard des groupes composant
leur population, malgré l’évolution récente du droit des minorités, qui impose
une coopération internationale en la matière652. Dispersés à travers le continent
européen, les Tziganes sont fragmentés en groupes minoritaires dans les Etats
où ils résident653.
416. En premier lieu, la situation des Tziganes en tant que minorité doit
donc s’analyser du point de vue des autorités étatiques de chaque pays, no-
tamment pour déterminer s’ils forment ou non une minorité au sens du droit
international au sein de ces Etats654.
417. Or, le fait que les Tziganes se trouvent sur l’ensemble du territoire
européen et qu’ils sont confrontés à une discrimination et à une précarité
socio-économique dans tous les Etats d’Europe a pour conséquence qu’ils sont
considérés par les organisations internationales européennes comme formant
la plus large et la plus complexe minorité du continent européen655.
418. Ainsi, selon les termes de la Commission européenne, depuis
l’élargissement de l’UE à vingt-cinq Etats membres le 1er mai 2004, « les com-
munautés de Rom, Tsiganes et Voyageurs sont devenues la minorité ethnique
la plus importante au sein de l’Union européenne (…) »656. Pour sa part, la Re-
commandation 1203 (1993) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe affirme que les Tziganes sont considérés comme formant une
« véritable minorité européenne »657. Pour cet organe, « les Tsiganes, (…) du
fait qu’ils constituent l’une des rares minorités dépourvues de territoire en Eu-
rope, nécessitent une protection particulière »658.
419. La portée juridique de ces affirmations demeure néanmoins faible,
voire inexistante, car les instruments internationaux en matière de droit des
minorités ne leur donnent aucun effet juridique. Cette qualification ne permet
pas de contraindre les Etats à coordonner leurs politiques sur la question et à
prendre en considération la situation des Tziganes hors de leurs frontières. Du

652
HEINTZE (art. 1), pp. 89-90.
653
POGANY (1999), p. 158 ; RIGAUX, pp. 164-165.
654
MARCHAND, p. 152.
655
POGANY (1999), p. 164.
656
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 1, n° 1.
657
Recommandation 1203 (1993), §2; POGANY (1999), pp. 161 et 165.
658
Recommandation 1203 (1993), § 9.

123
La situation juridique des Tziganes en Suisse

point de vue du droit international des minorités, il est donc difficile de consi-
dérer qu’en tant que collectivité globale, les Tziganes forment « une » minori-
té659.
420. Néanmoins, ce type de déclaration souligne que, d’une manière ou
d’une autre, il est nécessaire d’aborder la question également d’une façon
transnationale660. Conscientes de ce facteur, les organisations internationales
européennes ont engagé une politique destinée à traiter la question d’une ma-
nière globale, en dépassant les frontières de leurs Etats membres. Dans ce
contexte, nous examinerons ci-après si le droit des peuples indigènes et tribaux
offre la possibilité de donner un statut juridique à cette dimension paneuro-
péenne661.

2.2. Les Tziganes en tant que minorité ethnique

2.2.1. La notion de minorité ethnique

421. Au contraire des notions de minorités religieuses et linguistiques, la


notion de minorité ethnique possède un contour imprécis et sujet à interpréta-
tion. Introduit en 1950 par la Sous-commission pour remplacer le terme
« racial »662, l’adjectif « ethnique » inclut aussi bien des considérations d’ordre
biologique et physique que culturel et historique, certains commentateurs af-
firmant même que l’ethnicité se définit par une approche large de la notion de
culture663. Sont ainsi considérés comme des critères ethniques essentiels le fait
de posséder et de vouloir préserver une langue, une culture, une histoire, des
aspirations et une identité communes664, éléments tous étroitement liés au
droit à la différence665.
422. Selon VAN DYKE, une communauté ethnique est un groupe de person-
nes possédant pour la majorité d’entre eux une origine commune, qui se per-
çoivent comme possédant une identité basée sur des caractéristiques culturel-
les communes, généralement la langue ou la religion. Selon cet auteur, ces per-
sonnes peuvent, mais ne doivent pas nécessairement, se concevoir comme
formant une nation désireuse d’accéder à l’indépendance666. A ces éléments,
on ajoutera la précision effectuée par le Comité des droits de l’homme dans

659
RIGAUX, p. 165.
660
Haut-Commissaire de l’OSCE sur les minorités nationales, Rapport du 22 septembre 1999,
RC.GAL/2/99, p. 9.
661
Infra Chapitre III.
662
CAPOTORTI, p. 34 ; MALINVERNI (Minorités), p. 243 ; PRITCHARD, p. 40.
663
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 6.
664
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 6 ; NOWAK (art. 27), N. 24, p. 649 ; PRITCHARD, p. 41.
665
HENRARD (2004), p. 191.
666
VAN DYKE, p. 32. Voir également PRITCHARD, p. 38.

124
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

son Observation générale n° 23 : la culture d’une minorité ethnique peut éga-


lement s’exprimer à travers un mode de vie spécifique667.

2.2.2. L’hétérogénéité ethno-culturelle des communautés tziganes

423. Se poser la question du caractère ethnique du groupe tzigane conduit


nécessairement à constater l’hétérogénéité de cette communauté. L’Union eu-
ropéenne la qualifie de complexe et multidimensionnelle puisque, comme
d’ailleurs pour toute communauté humaine, elle implique des différences de
langues et de dialectes, d’histoire, de culture, de religion et de classe sociale
ainsi que de statut professionnel et de niveau d’éducation668.
424. Il s’agit, en conséquence, de déterminer si cette diversité constitue un
obstacle à la reconnaissance d’une minorité ethnique tzigane, ou si, en soi, elle
n’empêche aucunement sa protection en tant que telle669.
425. En considérant la grande mosaïque des communautés tziganes de plus
près, il est possible de distinguer entre, d’une part, les personnes d’origine
rrom et sinti, provenant historiquement du nord de l’Inde, et les personnes
appartenant aux communautés nomades qui se sont créées en Europe dans le
courant du XVème siècle.
426. Rappelons que, parmi celles-ci, se trouvent les Jénischs, vivant en
Suisse, au sud de l’Allemagne et en Autriche, les Travellers irlandais et écos-
sais, ou encore les Quinqui d’Espagne670, groupes qui sont qualifiés de Tziga-
nes « autochtones »671 ou encore possédant un « territoire compact »672. Cette
distinction est par ailleurs promue par les principaux intéressés, tant par les
Rroms/Sinti que par les membres de ces communautés autochtones, de ma-
nière à éviter les risques de confusion et d’améliorer l’efficacité des politiques
requises à leur égard673.
427. Les Rroms/Sinti constituent la majorité de la communauté tzigane et
se retrouvent à travers l’Europe. Ils forment une communauté présentant des
caractéristiques linguistiques, socio-culturelles et ethniques qui se sont, certes,

667
Observation générale n° 23 du CDH, du 8 avril 1994, § 6.1.
668
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 7, n° 4.
669
Ainsi, POGANY considère que les Tziganes d’Europe centrale et de l’Est ne possèdent quasiment au-
cune identité collective. De ce fait, cet auteur estime que les catégories et les préconceptions du
droit international des minorités sont à tout le moins partiellement inapplicables à ce qu’il appelle la
plus grande et plus vulnérable minorité ethnique européenne ; POGANY (2006), p. 4.
670
BANCROFT, pp. 7-8 ; RAYKOVA, pp. 8-9.
671
BANCROFT, p. 8. Cette qualification ne préjuge en rien de l’éventuelle applicabilité ou non de la
Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux, discutée ci-après, infra Chapi-
tre III, Section C. Voir également l’avis de droit de l’OFJ (2002), p. 590, sur la qualité des Jénischs
en tant que groupe « autochtone ».
672
RAYKOVA, p. 18.
673
RAYKOVA, pp. 9 et 22-23.

125
La situation juridique des Tziganes en Suisse

diversifiées au cours des siècles du fait de la dispersion territoriale, mais qui se


sont perpétuées en fondant un sentiment affirmé de cohésion identitaire674. Si
une minorité d’entre eux est encore nomade, la grande majorité a été sédenta-
risée de force, principalement dans les Etats qui formaient l’ancien bloc de
l’Est675 ; dans ces Etats, leur caractéristique ethnique a été systématiquement
niée durant l’ère communiste, en faveur d’une approche uniquement fondée
sur le système des classes sociales676.
428. Ce n’est donc plus l’exercice d’un mode de vie nomade qui est à
l’origine de la majorité des discriminations et des difficultés dont les
Rroms/Sinti font encore l’objet aujourd’hui, mais la continuation d’une politi-
que de mise à l’écart et de refus d’intégration, notamment par la création de
ghettos ou de discrimination à l’embauche677. Comme nous l’avons déjà évo-
qué, aux yeux de la population majoritaire, qui porte sur les Tziganes généra-
lement une vision fantaisiste due au manque de connaissances à leur égard, les
Rroms/Sinti sont les « vrais » Tziganes678.
429. De leur côté, les communautés tziganes d’origine européenne forment
des groupes rattachés à certaines régions, plus petits et assez homogènes, bien
qu’ouverts également aux membres d’autres communautés. Ainsi, parmi les
Tziganes suisses, qui sont en grande majorité d’origine jénisch, se trouvent
également des Sinti.
430. Contrairement aux Rroms/Sinti d’Europe centrale et de l’Est, la volon-
té de poursuivre un mode de vie nomade est exprimée de manière plus systé-
matique. Plus que les Rroms/Sinti, ce sont ces groupes qui sont confrontés aux
réticences des Etats de leur reconnaître un statut de minorité ethnique. En ef-
fet, certains Etats ne les considèrent pas comme de « vrais » Tziganes, mais
comme des communautés socio-culturelles particulières, lorsqu’ils ne sont pas
qualifiés de groupes sociologiquement déviants, aux intentions criminelles679.
431. Le paradoxe suivant illustre les difficultés et les obstacles générés par
ces hésitations pour garantir une protection contre la discrimination raciale des
groupes tziganes autochtones. La République d’Irlande refuse de reconnaître
les Irish Travellers en tant que groupe ethnique du fait des débats entourant

674
BANCROFT, pp. 7-8 ; M EYERS, p. 269 ; RAYKOVA, pp. 5-8. Contra POGANY, qui estime que la vulnérabilité
socio-économique des Tziganes d’Europe centrale et de l’Est est telle qu’ils ne possèdent presque
plus d’identité culturelle propre suffisante pour constituer une minorité au sens du droit internatio-
nal ; POGANY (2006), pp. 8-10.
675
Notamment en Bulgarie, en ex-Tchécoslovaquie, en Roumanie ou encore en Pologne. RAYKOVA, p.
22.
676
POGANY (1999), pp. 160-161.
677
BANCROFT, p. 8. Comp. l’ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 55-59,
CEDH 2005-... faisant état de la situation socio-économique précaire et des sentiments anti-Rrom
prévalant dans notamment en Bulgarie.
678
BANCROFT, pp. 40-42.
679
BANCROFT, p. 40.

126
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

leurs origines. Par contre, en Irlande du Nord, en Angleterre et en Ecosse, les


« Voyageurs de souche irlandaise », c’est-à-dire les Irish Travellers, sont cou-
verts par les Lois sur les relations entre les races du Royaume-Uni680.
432. Que leurs membres soient Rroms/Sinti ou Jénisch, Travellers ou Quin-
qui, ces communautés possèdent leurs propres langues, une organisation so-
ciale et économique spécifique – principalement fondée autour de la solidarité
entre les générations et les membres de la communauté – leurs propres musi-
ques et coutumes, un certain mode de vie, ainsi qu’un système légal régissant
les relations entre les membres681.
433. Cette culture diverse est reconnue par l’Union européenne comme fai-
sant partie du patrimoine européen commun depuis 500 ans682. Plus encore
que par leurs origines et leur ascendance, leur sentiment de cohésion identi-
taire s’exprime par l’adhésion à ces éléments culturels qu’ils cherchent à pro-
mouvoir683. De ce fait, chacun de ces groupes peut être qualifié de minorité
ethnique au sens du droit international.
434. BANCROFT relève que contrairement aux autres minorités ethniques,
pour qui leur place structurelle au sein de la société n’est pas un critère perti-
nent, la position sociale des communautés tziganes contribue à les définir en
tant que minorité. En effet, historiquement, elles ont été marginalisées, placées
dans la périphérie sociale des sédentaires, en raison de leur mode de vie et de
leurs occupations économiques.
435. A cet ostracisme imposé de l’extérieur s’ajoute par ailleurs la volonté
des communautés tziganes elles-mêmes de maintenir une distance culturelle et
sociale avec les non-Tziganes684. Néanmoins, cette particularité sociologique
n’empêche pas de les considérer comme un groupe ethnique au sens juridique
et commun du terme685.
436. L’ethnicité des Roms/Sinti, d’une part, et de chaque communauté tzi-
gane autochtone, d’autre part, étant établie, il est possible de les qualifier de
minorités ethniques au sein des Etats dans lesquels ils se trouvent. Outre son
importance au regard du droit des minorités, cette qualification permet par ail-
leurs de les protéger contre des mesures fondées sur des motifs de discrimina-

680
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 47, n° 11.
681
MEYER, p. 269.
682
Résolution du Conseil des ministres de l'Education de la Communauté européenne, du 22 mai 1989,
relative à la scolarisation des enfants tsiganes et voyageurs (89/C 153/02). Rapport de l’assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en Europe », § 26.
683
MARCHAND, pp. 140-141 ; POGANY (1999), p. 158. Voir également le Rapport de l’assemblée parle-
mentaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en Europe », § 26.
684
BANCROFT, p. 45 ; POGANY (1999), p. 154.
685
BANCROFT, pp. 45-46.

127
La situation juridique des Tziganes en Suisse

tion raciale686. A ce jour, toutefois, tous les Etats européens n’admettent pas
cette qualité à leur égard, malgré les recommandations du Conseil de l’Europe
et de l’Union européenne dans ce sens687.

2.3. L’absence d’Etat-parent

437. Les Tziganes n’ont aucune revendication territoriale et ne possèdent


pas d’Etat-parent auquel ils peuvent se rattacher. Cette caractéristique, unique
en son genre, dans le débat entourant la protection des minorités devrait théo-
riquement faciliter leur dialogue avec les autorités étatiques, l’affirmation des
droits des Tziganes ne remettant pas en cause l’intégrité et la souveraineté
d’un Etat688.
438. Or, précisément, ce manque d’aspiration territoriale constitue l’un des
principaux obstacles pour que les interlocuteurs des Tziganes les considèrent
réellement comme une minorité689. Au lieu de permettre d’accéder à plus de
résultats sur le plan de la protection du groupe, le fait de ne pas vouloir
s’attacher à un lieu est l’un des facteurs posant obstacle au nouement d’un dia-
logue pour la reconnaissance du statut de minorité de cette communauté690.

2.4. L’exigence de la citoyenneté face au nomadisme transfrontalier

439. En soi, l’exigence de la citoyenneté n’est pas un véritable obstacle pour


pouvoir appliquer la notion de minorité aux Tziganes691. La quasi totalité des
Tziganes d’Europe possède aujourd’hui la nationalité de l’Etat dans lequel ils
se trouvent692, des cas d’apatridie existant mais étant limités et dénoncés693.

686
L’Union européenne constate que ceci n’est pas encore possible dans certains Etats membres de
l’UE, tel que l’Irlande, du fait du refus des autorités de considérer les Tziganes qui ne sont pas de
souche irlandaise comme formant une ethnie; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales »
de la Commission européenne, « La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004,
p. 47, n° 11.
687
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 16 ; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission euro-
péenne, « La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 4, n° 18.
688
Voir en outre nos développements relatifs aux prétentions des Tziganes en matière
d’autodétermination « interne », infra Chapitre III, Section B.
689
MEYER, p. 295.
690
MARCHAND, p. 157 ; MEYER, p. 268, en particulier note 12.
691
Comp. au contraire MEYER, p. 269, qui affirme – sans autre explication - que « if we delete the re-
quirement of « being nationals of the State », the Roma qualify as a minority according to Capotor-
ti’s influential definition (…) »
692
MARCHAND, p. 139 ; WORMS, pp. 191-192.
693
On rapportera ici la situation d’environ 100'000 Rroms qui devinrent apatrides de jure lors de la
transition entre la Tchécoslovaquie et la République tchèque : la loi sur la nationalité de cette der-
nière de 1993 fut en effet rédigée de façon à empêcher indirectement les Rroms de devenir citoyens
tchèques alors qu’ils possédaient auparavant la nationalité tchécoslovaque. Cette situation fut dé-

128
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

440. Dans l’hypothèse où une communauté tzigane serait entièrement


sédentarisée, l’existence de liens forts la rattachant à un territoire donné est
d’autant plus difficilement contestable694. Par contre, lorsqu’une fraction de la
communauté tzigane d’un Etat est encore nomade, certains Etats remettent en
question l’existence d’attaches suffisantes de leurs ressortissants avec leur ter-
ritoire du fait des déplacements à l’intérieur des frontières et au-delà695, même
lorsqu’ils en ont la nationalité696.
441. Or, la protection des minorités n’est conditionnée ni à la résidence fixe,
ni à la concentration de leurs membres sur un territoire délimité et l’exercice
du nomadisme n’est pas en soi un critère pertinent pour exclure une commu-
nauté697. Au contraire, le constat de l’unité du groupe en question suffit 698. De
plus, au vu de la présence séculaire des Tziganes en Europe, la question de
liens historiques avec une région n’est pas contestable, a fortiori lorsqu’il s’agit
d’analyser le statut des groupes tziganes dits « autochtones »699.
442. Toutefois, le nomadisme transfrontalier a pour conséquence que les
Tziganes qui exercent ce mode de vie se retrouvent souvent hors de l’Etat dont
ils ont la nationalité et où ils ont le plus d’attaches sociales, par exemple parce
qu’ils y passent les mois d’hiver. Une application conservatrice de la notion de
minorité a pour conséquence que dans cette hypothèse, la protection du droit
des minorités n’est plus assurée à leur égard700, alors qu’un nombre important
de personnes est concerné701.
443. Or, aux yeux du Comité des droits de l’homme et du Comité consulta-
tif de la CPMN, la condition de la citoyenneté peut être écartée dans certaines
circonstances et selon les prétentions en cause, même lorsqu’un Etat affirme
explicitement ne vouloir protéger que ses propres ressortissants702.

noncée tant par le Conseil de l’Europe que le Haut commissaire aux réfugiés des Nations Unies ;
MARCHAND, p. 139 ; MEYER, p. 295.
694
Comp. ALEXANDERSON, p. 3.
695
Voir la Recommandation n° (83) 1 du Conseil des Ministres du 22 février 1983: « Notant que de
nombreux nomades se heurtent à des difficultés en ce qui concerne leur statut juridique, particuliè-
rement en matière de déplacement et de séjour, parce qu'ils n'ont pas d'attaches suffisantes avec
un Etat déterminé sur le plan de la nationalité ou de la résidence (…) ».
696
HENRARD (2004), p. 192 ; TSEKOS, pp. 28-29.
697
Ainsi, le Comité des droits de l’homme estime que l’art. 27 Pacte II s’applique à la population ber-
bère nomade se trouvant sur les territoires marocain et algérien, malgré le refus de reconnaissance
exprimé par les autorités de ces deux pays. Voir ainsi les Conclusions du Comité des droits de
l’homme, UN Doc. CCPR/C/SR.1096, § 56 et SR. 1128, § 46, 52, 57, 61. PRITCHARD, p. 183.
698
PRITCHARD, p. 182.
699
Voir infra Chapitre IV, Section B.
700
HENRARD (2004), p. 192. Voir par ex. la décision de la Commission européenne des droits de
l’homme Kalderas Gipsies c. République fédérale d’Allemagne et les Pays-Bas, n° 7823/77-7824/77,
du 6 juin 1977, D.R. 11, p. 234.
701
POGANY (1999), p. 163.
702
Supra Section 3.2.

129
La situation juridique des Tziganes en Suisse

444. A priori, des Tziganes nomades en transit dans un Etat où se trouve dé-
jà une communauté tzigane « indigène » devraient donc pouvoir bénéficier
d’une certaine protection au regard du droit des minorités. En effet, il s’avère
que le nomadisme transfrontalier des Tziganes est précisément l’une des parti-
cularités découlant de leur identité culturelle. Il n’est pas possible de les com-
parer strictement à des touristes étrangers en vacances, à des réfugiés ou en-
core à des immigrants désireux de résider durablement dans un Etat étranger.
445. Il nous paraît ainsi contradictoire de déclarer protéger la minorité tzi-
gane et ses traditions en ne prenant pas en compte la réalité de la dimension
transfrontalière. Certes, le passage de Tziganes nomades dans un Etat étranger
n’est que transitoire. Toutefois, il requiert la prise de mesures adéquates pour
assurer que leur séjour se réalise dans le respect de leurs droits fondamentaux
et des besoins découlant de leur identité minoritaire703.
446. Dès lors, on se référera aux propositions de Asbjörn EIDE. Rappelons
que cet expert défend l’idée d’intégrer les étrangers établis depuis longtemps
aux minorités se trouvant d’ores et déjà dans un Etat et qui sont constituées
d’une majorité de citoyens. Ces étrangers ne créent donc pas une « nouvelle »
minorité, et sont en tout cas au bénéfice de la tolérance et de la protection dont
fait preuve l’Etat à l’égard de ses citoyens minoritaires, en vertu du droit des
minorités. Savoir s’ils doivent bénéficier d’éventuelles mesures spéciales se dé-
termine au cas par cas704.
447. A notre sens, cette approche permet d’inclure des Tziganes nomades
étrangers de passage dans le cercle de la minorité tzigane « indigène » de l’Etat
où ils se trouvent. Ce faisant, on leur confère une protection additionnelle à
celle dont ils bénéficient en tant que particuliers, en application du régime des
droits de l’homme et il est admis que leur transit est l’expression d’une culture
minoritaire digne de protection.
448. Toutefois, savoir s’ils peuvent bénéficier des mesures étatiques spécifi-
ques que l’Etat offre à ses ressortissants tziganes est une question qui peut res-
ter ouverte. En effet, le transit de Tziganes nomades étrangers pose essentiel-
lement la question de leur accueil et du stationnement de leurs caravanes.
Nous aurons l’occasion de revenir de façon détaillée sur les fondements juridi-
ques de l’obligation de créer des places adéquates et suffisantes. A ce stade,
nous nous contenterons de souligner que leur aménagement n’est pas uni-
quement imposé par le droit des minorités, mais également par plusieurs
droits individuels705.
449. En outre, comme nous pourrons le constater ultérieurement en analy-
sant spécifiquement la situation en Suisse, négliger de prendre en compte les

703
GILBERT (1996), p. 166 et 176-177.
704
Supra Section 3.2.
705
Infra Titre Troisième, Chapitre II et Chapitre III.

130
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

effets du passage de Tziganes nomades étrangers peut avoir de graves consé-


quences pour les Tziganes nationaux. En effet, ce transit a nécessairement un
impact sur l’état du parc de places à disposition, et donc sur les possibilités des
Tziganes nomades qui sont des ressortissants nationaux d’exercer leur mode
de vie706 et les différents droits fondamentaux qui y sont rattachés707. De plus,
la considération que porte le public à l’égard des Tziganes « indigènes » et les
relations de ces derniers avec les autorités dépendent étroitement des interac-
tions avec les Tziganes étrangers en transit.
450. Il découle de ces différents facteurs que le transit et l’accueil des Tzi-
ganes nomades étrangers doivent être pris en compte lors de l’élaboration des
politiques nationales à l’égard des minorités tziganes « indigènes ». Rien ne
s’oppose donc au rattachement des Tziganes de passage à ces communautés.
Celui-ci est souhaitable en raison de l’importance culturelle du nomadisme
transfrontalier pour l’identité tzigane. Il présente par ailleurs l’intérêt de ne
pas générer de charges supplémentaires particulières pour l’Etat du fait
qu’une gestion correcte des besoins des Tziganes ressortissants implique la
prise en considération de ceux des non-ressortissants.

2.5. Appréciation

451. Les considérations qui précèdent indiquent que les divers arguments
qui font douter de la qualité de minorité des Tziganes, au sens du droit inter-
national, peuvent être remis en cause. Ainsi, le droit des minorités est applica-
ble aux Tziganes, sédentaires ou nomades, dans leurs relations avec l’Etat dont
ils ont la nationalité. Les Etats doivent donc respecter, protéger et mettre en
œuvre des mesures à l’égard de leur communauté tzigane, qui constitue une
minorité ethnique.
452. La reconnaissance de l’ethnicité des Tziganes est fondamentale. En ef-
fet, sans cette caractéristique objective, la protection du système universel n’est
pas garantie. Ainsi, on relèvera que l’Allemagne a déclaré accepter d’appliquer
la CPMN aux Tziganes allemands, bien que selon son gouvernement, ils ne
puissent être qualifiés de minorité, car ils n’en rempliraient pas les conditions
nécessaires708. En conséquence, ils bénéficient de la protection de la CPMN,
mais non de l’article 27 Pacte II.
453. Le facteur du nomadisme transfrontalier a toutefois pour conséquence
que les Etats peuvent se retrouver confrontés à des Tziganes étrangers de pas-
sage. L’évolution de la pratique internationale en la matière démontre qu’il
n’est pas possible de les exclure a priori du champ de protection du droit des

706
Voir nos constatations supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C.
707
Infra Titre Troisième, Chapitre III.
708
HEINTZE (art. 3), p. 114 ; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission eu-
ropéenne, « La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 44, n°2.

131
La situation juridique des Tziganes en Suisse

minorités, ni de nier l’existence d’obligations à leur égard qui se baseraient sur


ce système. Le respect de leur identité culturelle et leur protection contre les
actes discriminatoires nous paraissent ainsi être difficilement contestables.
Nous avons relevé que la question de la création d’aires de stationnement des-
tinées à les accueillir est plus délicate, mais plusieurs facteurs démontrent que
leur aménagement est une nécessité qui ne se fonde pas uniquement sur le
droit des minorités. Nous aurons l’occasion d’approfondir cette question ulté-
rieurement709.

3. Les Tziganes en tant que minorité du point de vue des


organismes internationaux

454. L’examen de la prise de position de différents organismes internatio-


naux, tant au niveau universel (3.1.) que régional (3.2.), indique que la com-
munauté internationale juge non seulement que le droit des minorités est ap-
plicable à l’égard des Tziganes, mais également que la précarité de leur situa-
tion impose aux Etats de le reconnaître.

3.1. Au niveau universel

455. La pratique du Comité des droits de l’homme710, du Comité des droits


économiques, sociaux et culturels711, et du Comité pour l’élimination de la dis-
crimination raciale relative au caractère ethnique de la minorité tzigane, n’est
pas très explicite. Par actes concluants, pour ainsi dire, ces organes accordent
la qualité de minorité ethnique aux Tziganes sans pour autant les qualifier ex-
plicitement comme tels712. Ainsi, bien qu’une communication individuelle dé-
posée par un particulier membre de la minorité tzigane de Finlande ait été dé-
clarée irrecevable, sa qualité de personne appartenant à une minorité au sens
de l’article 27 Pacte II n’a pas été contestée par le Comité des droits de
l’homme713.

709
Infra, Titre Troisième, Chapitre II et Chapitre III.
710
Voir notamment les Observations finales du CDH, du 22 août 2003, relatives au deuxième rapport
périodique de la Slovaquie, UN Doc. CCPR/CO/78/SK, §11-12 et 16-20, mais également celles relati-
ves au second rapport du Brésil, du 1er décembre 2005, UN Doc. CCPR/C/BRA/CO/2, §20, où le Co-
mité des droits de l’homme s’inquiète de l’absence d’informations fournies par le gouvernement bré-
silien sur la situation de la communauté tzigane dans cet Etat et du respect des garanties offertes
par les art. 2, 26 et 27 Pacte II.
711
Voir notamment les Observations finales du CESCR relatives au rapport initial de la Grèce, du 7 juin
2004, UN Doc. E/C.12/1/Add. 97, notamment § 11 et 32.
712
PRITCHARD, p. 182.
713
Constatations du CDH, du 25 octobre 1985, relatives à la Communication n° 170/1984, E.H. c. Fin-
lande, § 5. NOWAK (art. 27), N. 26, p. 650.

132
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

456. A teneur de son article 1er, al. 1, la CIERD trouve à s’appliquer aux for-
mes de discrimination raciale qui se basent sur « la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Des caractéristiques pure-
ment socio-économiques ne sont donc pas prises en compte par cette conven-
tion qui, par son intitulé et ses objectifs, est plus restrictive sur son champ
d’application que les dispositions relatives à l’interdiction de la discrimination
intégrées dans d’autres instruments internationaux714. Dès lors, le fait que le
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’estime compétent pour
statuer sur les questions touchant à la protection des Tziganes démontre que la
dimension ethnique de ces communautés n’est pas contestée par cet organe.
457. Outre les prises de position du Comité pour l’élimination de la discri-
mination raciale à l’occasion de l’examen des rapports périodiques étatiques715,
on se référera aussi à son Observation générale n°27, du 16 août 2000, relative
à la discrimination à l’égard des Rroms716. Dans ce cadre, le Comité fait état
des discriminations raciales à l’égard des Rroms et des autres groupes de
« Voyageurs », et enjoint notamment les Etats à prendre une série de mesures
destinées à les protéger contre tout acte de violence fondé sur des motifs tou-
chant à la discrimination raciale717.

3.2. Au niveau européen

3.2.1. Les instances politiques européennes

458. En 1981 déjà, la Résolution 125 (1981) sur le rôle et la responsabilité


des collectivités locales et régionales face aux problèmes culturels et sociaux
des populations d’origine nomade du Congrès des pouvoirs locaux et régio-
naux du Conseil de l’Europe718 « invite les gouvernements des Etats membres

714
Ainsi, l’Observation générale n°8 du CERD traite exclusivement de l’appartenance à un groupe racial
ou ethnique pour déterminer le champ d’application personnel de la CIERD. Voir également
l’Observation générale n° 18 du CDH, § 6-7, concernant la portée générale de l’art. 26 Pacte II, à
opposer aux cas de discriminations spécifiques couverts par les champs d’application plus restreints
de la CIERD (discrimination raciale) et de la CEDAW (discrimination à l’égard des femmes).
715
A titre d’exemples, voir les Conclusions du CERD relatives aux douzième, treizième et quatorzième
rapports périodiques de la Bulgarie, du 16 avril 1997, UN Doc. CERD/C/SR.1205, § 16-36 ; Conclu-
sions du CERD relatives aux premier et deuxième rapports périodiques de la République tchèque, du
13 mars 1998, UN Doc. CERD/C/SR.1255, notamment § 20-22 ; Conclusions du CERD relatives aux
deuxième et troisième rapports périodiques de la Suisse, du 21 mai 2002, UN Doc.
CERD/C/60/CO/14, § 15.
716
UN Doc. A/55/18 Annexe V.
717
Observation générale n° 27 du CERD, § 12-16.
718
Etabli en 1994, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) est un organe
consultatif du Conseil de l’Europe. Composé de deux chambres, la Chambre des Pouvoirs Locaux et
la Chambre des Régions, le CPLRE compte 315 titulaires et 315 suppléants élus des pouvoirs locaux
et régionaux et de fonctionnaires directement responsables devant eux. Le CPLRE vise à assurer la
participation des pouvoirs locaux au processus d’unité européenne. Il examine l’ensemble des ques-
tions d’ordre politique concernant ces pouvoirs, les plus importantes étant l’autonomie locale et ré-

133
La situation juridique des Tziganes en Suisse

à reconnaître comme minorité ethnique les Tsiganes ». En 1993, le Haut Com-


missaire pour les minorités nationales de la CSCE affirme que « the Roma them-
selves constitute a large – if not largest – ethnic minority within a number of CSCE
participating States »719.
459. D’une manière générale, tant le Conseil de l’Europe720 que l’Union eu-
ropéenne721 reconnaissent les Tziganes à ce titre et invitent leurs Etats mem-
bres à le faire explicitement, surtout depuis que l’élargissement de cette der-
nière a eu pour conséquence d’en faire la « minorité ethnique la plus impor-
tante de l’UE »722. A cet égard, sont considérés comme tels non seulement les
Rroms/Sinti, mais également tous les autres groupes dits « Voyageurs », qu’ils
soient encore nomades ou non723, c’est-à-dire les Tinkers d’Irlande, les Jénisch,
ou encore les Quinqui d’Espagne.
460. En particulier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sou-
ligne dans sa Recommandation 1557 (2002) que les Tziganes constituent une
minorité à double titre : du fait de leur ethnie, mais également en tant que
groupe social défavorisé724. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire invite
non seulement tous les Etats parties à appliquer pleinement la Charte sociale
européenne aux Tziganes, mais également à ratifier la CPMN et la CLRM, ain-
si que le Protocole additionnel n° 12 à la CEDH. Elle incite par ailleurs les Etats
à prendre des mesures spécifiques en faveur des membres de cette commu-
nauté et à mettre sur pied des institutions ayant pour objectif la protection de
leur langue, culture, traditions et identité725.
461. Les parlementaires invitent expressément les Etats membres à
reconnaître aux communautés tziganes le statut de minorité ethnique ou
nationale, et à leur appliquer, en conséquence, la CPMN et la CLRM afin
d’améliorer leur protection juridique726.

gionale, le développement rural et urbain, la protection de l’environnement, la culture, l’éducation,


les services sociaux et la santé publique. La Suisse compte six représentants au sein de cet organe.
719
Rapport du Haut Commissaire pour les minorités nationales, « Roma (Gypsies) in the CSCE Re-
gion », CSCE 1993, p. 3.
720
Ainsi, l’Assemble parlementaire : Rapport de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11
janvier 1993, « Les Tsiganes en Europe », § 16.
721
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 65, n° 27.
722
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 7, n° 1.
723
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 7, n° 1.
724
Recommandation 1557 (2002), point 4.
725
HENRARD (2004), pp. 199-200.
726
Recommandation 1557 (2002), point 5-6.

134
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

3.2.2. La Cour européenne des droits de l’homme

462. Dans les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme rendus
sous l’angle de l’article 8 CEDH à l’occasion de requêtes déposées par des Tzi-
ganes britanniques, les juges de Strasbourg ne qualifient pas la minorité tzi-
gane, se contentant de constater leur qualité de groupe minoritaire vulnéra-
ble727. Toutefois, la reconnaissance de la dimension ethnique de cette commu-
nauté, et non pas uniquement socio-culturelle, transparaît clairement lors de la
constatation de la violation de l’article 14 CEDH pour motif de discrimination
raciale728.

3.2.3. La pratique du Comité consultatif de la CPMN

463. A la lecture des déclarations étatiques relatives au champ


d’application personnel de la CPMN, plusieurs situations se dégagent : soit les
Etats déclarent ne reconnaître en tant que minorité nationale que les Tziganes
possédant leur citoyenneté729, soit ils les excluent du champ d’application en
ne les mentionnant pas dans la liste des groupes qu’ils acceptent de reconnaî-
tre730.
464. Certains Etats ont également formulé des déclarations abstraites, ne
faisant aucune référence à une communauté, mais utilisant une liste de critères
reprenant généralement les exigences universelles, en insistant sur la citoyen-
neté731. La politique de ces Etats envers les groupes tziganes présents sur leur
territoire se détermine alors à la lecture des rapports initiaux qui reflètent la
législation nationale732.
465. Pour sa part, le Comité consultatif considère que « [...] les Rom (sic) oc-
cupent une position unique à la fois en Europe de l’Est et de l’Ouest. La plu-
part des pays européens reconnaissent les Rom en tant que minorité nationale.
Bien que ne formant pas un groupe homogène, ils partagent et conservent cer-

727
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 84, 27 mai 2004 : « La vulnérabilité qui est celle
des Tsiganes du fait qu’ils constituent une minorité signifie qu’il faut accorder une attention spéciale
à leurs besoins et à leur style de vie particulier tant dans le cadre réglementaire pertinent que lors
de la prise de décision dans chaque cas précis (…). » Voir également l’ACEDH Chapman c.
Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, §96, CEDH 2001-I.
728
ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 148, CEDH 2005-…. ROSENBERG
(2005), p. 173.
729
Allemagne, Finlande, Suède, Irlande, Royaume-Uni, Ex-République yougoslave de Macédoine, Slo-
vénie.
730
Danemark, Albanie, Pays-Bas.
731
Autriche, Estonie, Lettonie, Suisse, Luxembourg, Pologne. Ces critères incluent l’infériorité numéri-
que (Suisse), la domiciliation dans l’Etat (Estonie, Luxembourg, Autriche, Pologne), l’existence de
liens solides et durables entre les membres et l’Etat (Estonie, Luxembourg, Autriche, Suisse), la na-
tionalité de l’Etat (Estonie, Luxembourg, Pologne, Suisse), des caractéristiques ethniques, culturel-
les, religieuses ou linguistiques distinctes (Estonie, Luxembourg, Autriche, Suisse), et désir de main-
tenir la culture existante (Estonie). Voir HEINTZE (art. 3), p. 113
732
HEINTZE (art. 3), p. 112.

135
La situation juridique des Tziganes en Suisse

tains éléments communs de leur identité et constituent, de ce fait, la plus


grande minorité d’Europe. Les Rom ne peuvent bénéficier du soutien d’un
Etat-parent et [sont], dans toute l’Europe, en butte à l’exclusion sociale et [ont]
un besoin particulier de protection par la Convention-cadre. Le Comité consul-
tatif [conclut] que les personnes appartenant à la communauté rom ne de-
vraient pas être exclues a priori du champ d’application personnel de la
Convention-cadre. »733.
466. Cette prise de position s’inscrit dans la droite ligne de la pratique du
Comité consultatif qui cherche à s’assurer que les déclarations et réserves des
Etats ne sont pas discriminatoires734. Elle révèle plusieurs choses. Première-
ment, elle souligne que le Comité est particulièrement sensible aux besoins
particuliers de protection qu’ont les Tziganes à travers l’ensemble du continent
européen735. Deuxièmement, les déclarations excluant du champ de la CPMN
les communautés tzignanes ne sont pas validées par le Comité736. Troisième-
ment, on peut, à notre sens, également en conclure qu’une reconnaissance ex-
plicite de cette communauté en tant que minorité n’est pas formellement né-
cessaire pour que le Comité consultatif se penche sur sa situation et le respect
des droits de ses membres.
467. En effet, l’absence de déclaration étatique n’a pas empêché le Comité
de se prononcer, dans la grande majorité de ses Avis, sur la vulnérabilité de la
situation juridique, économique et sociale de cette partie de la population737. A
cette occasion, le Comité a invité les Etats parties qui refusent aux Tziganes la
qualité de minorité nationale à revoir leur position.
468. Toutefois, fidèle à sa ligne de conduite habituelle en la matière, le Co-
mité n’est pas allé jusqu’à affirmer que ces communautés constituent formel-
lement des minorités nationales dans les Etats qui ne les incluent pas expres-
sément, voire qui les excluent a priori738. Cette retenue est peu surprenante du
fait des enjeux politiques en cause et de la sensibilité de la question des minori-
tés pour les Etats.

733
Deuxième Avis du Comité consultatif sur le Danemark, du 9 décembre 2004, ACFC/INF/OP/II (2004)
005, §52-53.
734
HEINTZE (art. 3), p. 113.
735
HENRARD (2004), pp. 194-195.
736
Voir ainsi la situation au Danmark : cet Etat affirme que seule la minorité allemande du Jutland mé-
ridonial, excluant ainsi a priori toute autre communauté. Se montrant très critique à l’égard de cette
application très restrictive de la CPMN, le Comité a invité les autorités danoises à revoir leur position
en collaboration avec les communautés en cause. Il a ainsi considéré qu’au regard de la présence
historique d’une communauté tzigane au Danmark, on ne pouvait l’exclure a priori de du champ
d’application de la convention; Avis du Comité consultatif relatif au Danemark, du 22 septembre
2002, § 12-24, en particulier § 22. HEINTZE (art. 3), pp. 121-122.
737
Voir, inter alia, les Avis du Comité consultatif relatif à la Hongrie, du 22 septembre 2000, § 18 ; rela-
tif à la Roumanie, du 6 avril 2002, § 27 ; relatif à l’Italie, du 14 septembre 2000, §34-39. HENRARD
(2004), p. 195 ; HOFMANN R. (2005a), p. 23.
738
HEINTZE (art. 3), pp. 113 et 130.

136
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

469. Certes, on ne peut que saluer le refus du Comité d’avaliser les posi-
tions étatiques discutables au regard du principe de la bonne foi et de
l’interdiction de la discrimination. Cependant, à notre sens, il n’en demeure
pas moins que seul un changement de la politique officielle des Etats à l’égard
des minorités qu’ils ne souhaitaient pas inclure dans un premier temps est à
même de véritablement modifier leur situation et de les faire bénéficier des
dispositions de la CPMN. L’attitude critique du Comité constitue une pression
politique indéniable, mais elle demeure sans effet sans réaction formelle des
autorités.

C. Les Tziganes et le droit des minorités: appréciation


générale

470. Malgré les débats nourris à ce sujet, nous avons pu conclure qu’il
n’existe pas d’obstacles pour conférer aux Tziganes la protection du droit des
minorités. Dans chacun des Etats où ils se trouvent, ils forment en effet une
minorité remplissant les conditions pour être qualifiée comme telle. Cette qua-
lification et cette protection s’avèrent nécessaires en raison de la fragilité de
leur situation, de la précarité de leurs conditions de vie et de la discrimination
à laquelle ils sont exposés.
471. La protection universelle découlant de l’article 27 Pacte II et de la
Déclaration des Nations Unies de 1992 joue un rôle particulièrement important
dans ce contexte, et ce malgré l’existence du système régional européen insti-
tué par la CPMN. En effet, bien que ce dernier soit formellement plus déve-
loppé, aussi longtemps qu’un Etat refuse d’intégrer les Tziganes, y compris ses
propres ressortissants, dans le cercle des bénéficiaires de la CPMN, aucune po-
litique fondée sur cet instrument ne sera élaborée à leur égard739.
472. Ainsi, dépendant de la volonté des Etats, premièrement, de ratifier la
CPMN740 et, deuxièmement, de reconnaître les Tziganes au titre de minorité, le
système régional européen de protection des minorités n’offre pas encore une
protection optimale de cette communauté sur le continent européen. Certes,
l’action du Comité consultatif sur cette question doit être saluée, mais elle est
naturellement limitée au second aspect du problème, puisqu’il n’a aucune in-
fluence sur la position des Etats qui refusent de ratifier la CPMN, comme la
France par exemple. Si l’Union européenne et le Conseil de l’Europe invitent
leurs Etats membres à agir dans ce sens, leurs incitations sont de nature politi-
que et n’ont pas de caractère contraignant.

739
HENRARD (2004), p. 192 ; MEYER, p. 298.
740
Ce constat est certes également valable pour le Pacte II, mais ce dernier a été ratifié par l’ensemble
des Etats du continent européen.

137
La situation juridique des Tziganes en Suisse

473. Dans ce contexte, le système universel des Nations Unies présente un


double intérêt pour les Tziganes. Premièrement, sa définition plus large de la
notion de minorité permet plus facilement d’inclure les Tziganes étrangers de
passage dans un Etat que ne l’autorise la CPMN, du fait que le Comité consul-
tatif n’adopte qu’une démarche « article par article » en la matière.
474. Deuxièmement, le mécanisme de contrôle du Pacte II est plus efficace
et plus contraignant que celui de la CPMN, puisque le dépôt de plaintes indi-
viduelles est possible à certaines conditions. Dès lors, ce système est particuliè-
rement important pour la protection des Tziganes en tant que minorité, impor-
tance renforcée par les réticences de certains Etats à l’égard de la CPMN et de
son applicabilité aux Tziganes. Ceci souligne d’autant plus la nécessité de la
reconnaissance du caractère ethnique de la minorité tzigane.
475. A cet égard, du point de vue des Etats, une communauté tzigane –
qu’elle soit rrom/sinti, jénisch ou quinqui – est une minorité ethnique, dont la
protection juridique est renforcée par sa qualification de minorité nationale
lorsqu’un Etat ratifie la CPMN et reconnaît sa communauté tzigane à ce titre.
Ses particularités culturelles et linguistiques propres doivent donc être proté-
gées, et elle ne doit pas faire l’objet d’une assimilation forcée directe ou indi-
recte741.
476. Or, si ces minorités sont par définition fractionnées dans les Etats du
continent européen, elles ont la particularité de former en sus un plus grand
groupe, dont la dispersion territoriale lui confère une dimension internatio-
nale, paneuropéenne, qui est inédite742. Les observateurs soulignent que la si-
tuation juridique et socio-économique de ce groupe doit aussi s’analyser dans
ce contexte, non seulement en raison de sa dispersion, mais également du fait
de la réticence de certains Etats à reconnaître leurs communautés tziganes en
tant que minorité743.
477. Bien qu’il existe d’indéniables disparités dans les besoins concrets des
Tziganes selon l’Etat où ils se trouvent, ces besoins ont tous un fil rouge com-
mun quel que soit le pays où ils vivent : en Roumanie ou au Danemark, en
Bulgarie ou en Italie, le dénigrement qu’ils subissent conduit à une marginali-
sation socio-économique et à une précarité quotidienne extrêmes.
478. Soulignant le besoin de dresser une politique commune à travers
l’Europe pour améliorer cet état de fait pour toutes les communautés tziganes
du continent, certains auteurs promeuvent ainsi explicitement la reconnais-
sance des Tziganes en tant que « minorité transnationale »744. Toutefois, à

741
Voir également nos développements approfondis sur la portée matérielle du droit des minorités pour
les Tziganes en Suisse, infra Titre Troisième, Chapitre I.
742
MEYER, p. 300.
743
Dans ce sens, voir PROJECT ON EHTNIC RELATIONS (2003), pp. 8-9 et 12-13. Voir également la Recom-
mandation 1557 (2002), §6.
744
MEYER, p. 300.

138
Titre Deuxième - Le droit international des minorités

l’instar du concept de « minorité européenne » utilisé par l’Assemblée parle-


mentaire du Conseil de l’Europe745, une telle notion n’a aucune signification en
droit international à l’heure actuelle. En conséquence, il nous paraît peu effi-
cace d’axer la promotion paneuropéenne des droits de la minorité tzigane et
de ses membres sur ce concept. Il nous semble plus pertinent d’analyser
l’applicabilité de notions et de systèmes déjà existants.
479. Nous nous proposons d’examiner ci-après si, à quelles conditions et
avec quelles conséquences, il est possible de considérer les Tziganes en tant
que peuple, plus particulièrement en tant que « peuple tribal » au sens de la
Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples tribaux et indigènes.

745
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 27.

139
La situation juridique des Tziganes en Suisse

140
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

Chapitre III: Les Tziganes et le droit des peuples


autochtones

480. Après avoir exposé les éléments distinguant les notions de minorité,
de peuple et de peuple autochtone (A.), nous discuterons de la possibilité de
qualifier les Tziganes de « peuple » et de la légitimité à établir un parallèle en-
tre eux et les peuples autochtones (B.). Dans un troisième temps, nous analyse-
rons le travail réalisé par l’Organisation internationale du travail en matière de
protection spécifique des droits des peuples autochtones, et en particulier sa
Convention n° 169 relative aux droits des peuples indigènes et tribaux, ainsi
que son applicabilité aux Tziganes (C.).

A. Droit des minorités et droit des peuples autochtones

481. Pour cerner au mieux la problématique des liens pouvant exister entre
les Tziganes et le droit des peuples autochtones, il sied de préciser au préalable
la notion de « peuple » (1.), de rappeler ses rapports avec celle de « peuples au-
tochtones » (2.) et de clarifier leurs différences par rapport aux minorités et
leur système de protection (3.).

1. La notion de « peuple »

482. La définition de la notion de « peuple » n’est pas arrêtée à ce jour et la


différence entre ce qui constitue un « peuple » et ce qui forme une « minorité »
n’est pas évidente746.
483. Pour l’UNESCO, une population peut être qualifiée de « peuple » si
elle partage plusieurs dénominateurs communs, notamment une histoire, des
traditions, une identité ethnique, une culture, un langage, une religion ou en-
core un mode de vie747. En effet, d’un point de vue historique, ce concept ren-
voie à l’existence d’une communauté nationale au sens germanique de la no-
tion748, c’est-à-dire un groupe ethno-culturel homogène lié par un sentiment
commun de solidarité à un certain territoire749. Toutefois, le critère central qui
marque la différence de cette notion avec celle de « minorité » est que les
« peuples» cherchent également à parvenir à la souveraineté et à une pleine

746
GILBERT (1996), p. 167 ; PARK, p. 70.
747
UNESCO, International Meeting of Experts on Further Study of the Concept of the Rights of Peoples,
Paris, 27-30 novembre 1989. BAER, p. 254. Voir également PARK, pp. 83-84, et références.
748
Voir supra Chapitre II, Section A, 3.2.2., a.
749
PARK, p. 84 ; PENTASSUGLIA (2002B), pp. 303-304.

141
La situation juridique des Tziganes en Suisse

indépendance. D’emblée, l’autodétermination et la notion de « peuple » appa-


raissent donc étroitement liées du point de vue du droit international750.
484. A cet égard, l’article 1er al. 2 de la Charte des Nations Unies prévoit
que les nations doivent développer leurs relations sur la base du « respect du
principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-
mêmes ». Pour leur part, les articles 1 al. 1 des Pactes I et II disposent que
« [t]ous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit,
ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur déve-
loppement économique, social et culturel ».
485. L’autodétermination est associée au concept de souveraineté, c’est-à-
dire à la capacité d’un Etat d’exercer librement sa puissance sur son territoire.
Historiquement, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes possède donc
une facette dite « externe » et qui se réfère à la recherche de l’indépendance
territoriale nécessaire pour créer un nouvel Etat751. Ce droit comporte égale-
ment un élément démocratique, associé à la souveraineté populaire et à la li-
berté individuelle. Cet élément se rattache à la facette « interne » du droit à
l’autodétermination, qui octroie à un peuple le droit de choisir librement sa
destinée politique au sein d’un Etat752.
486. Telle que consacré par les articles 1 al. 1 des Pactes I et II, le droit à
l’autodétermination est non seulement un principe fondamental du droit in-
ternational, mais également un droit de l’homme753. Toutefois, seuls les peu-
ples sont titulaires de sa facette externe et non les personnes appartenant à des
minorités754. En effet, la dimension territoriale de la notion de « peuple » et de
l’autodétermination découle du contexte historique du processus de décoloni-
sation755. Cet aspect est par contre explicitement exclu du droit des minorités
qui, précisément, ne peut être employé pour porter atteinte à la souveraineté
territoriale de l’Etat sur lequel une minorité se trouve756.
487. Toutefois, la facette interne de ce droit a pris récemment un poids de
plus en plus important757. Ainsi, si l’exercice de la facette externe du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes a été limité, dans la pratique, aux populations
se trouvant sur des territoires coloniaux, ou occupés par une puissance étran-

750
GILBERT (1996), pp. 167-168 et références.
751
Observation générale n° 21 du CERD, §4 ; PARK, pp. 73-74 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 304-307. Au
sujet de ces deux facettes, voir également SUKSI, p. 201.
752
Voir notamment PARK, p. 74.
753
BAER, p. 253 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 306 ; SUKSI, p. 198.
754
Observation générale n° 23 du CDH, § 3.1. Voir également les Constatations du CDH, du 26 mars
1990, relatives à la Communication n°167/1984, Lubikon Lake Band c. Canada, § 13.3. EIDE/DAES, §
10 ; PARK, p. 70 ; PENTASSUGLIA (2002b), p. 307.
755
PARK, pp. 81-82 ; SUKSI, pp. 200-201.
756
Observation générale n° 23 du CDH, § 3.2. Comp. également l’art. 8 § 4 de la Déclaration des Na-
tions Unies de 1992. PENTASSUGLIA (2002b), p. 308.
757
Infra Section 2.2.

142
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

gère, sa dimension interne trouve plus de cas d’application du fait de l’absence


de velléités sécessionnistes qui y sont rattachées758.
488. Dans ce contexte, les droits de participation des minorités et la nécessi-
té de les prendre en compte dans une société démocratique pluraliste sont très
proches de la facette interne du droit à l’autodétermination des peuples759. La
distinction entre les deux groupes devient donc encore un peu plus subtile et
difficile à effectuer760.

2. « Peuples » et « peuples autochtones »

2.1. La notion de « peuples autochtones »

489. La notion même de « peuples autochtones» demeure à ce jour impré-


cise. Par conséquent, il est difficile de déterminer exactement quels groupes
sont aujourd’hui couverts par ce concept et peuvent se référer au système de
protection topique. Si, en français, les différents travaux des Nations Unies
dans le domaine emploient le terme de « peuples autochtones »761, l’anglais
parle de «indigenous peoples ». Pour sa part, la Convention n° 169 de l’OIT traite
des « peuples tribaux et indigènes » (« tribal and indigenous peoples »), en distin-
guant formellement entre les deux groupes762.
490. L’expression « peuple autochtone » peut ainsi être considérée, à notre
sens, comme un terme générique, regroupant les multiples situations préva-

758
BAER, p. 256-257 ; PARK, p. 81 ; TAHVANAINEN, pp. 410-417. Comp. la Résolution de l’Assemblée gé-
nérale des Nations Unies, du 19 décembre 2001, UN Doc. A/RES/56/141.
759
Nous aurons l’occasion de revenir sur la question des droits de participation des minorités ultérieu-
rement, à l’occasion de notre analyse portant sur leur portée pour les Tziganes en Suisse, infra Titre
Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3.
760
PENTASSUGLIA (2002b), pp. 315-324. Voir également Jungwon PARK, Integration of Peoples and Mino-
rities : An Approach to the Conceptual Problem of Peoples and Minorities with Reference to Self-
determination under International Law, IJMGR, vol. 13, 2006, pp. 69-93. Au sujet de la protection
des minorités par le biais du droit à l’autodétermination interne, voir en particulier EIDE/DAES, §10 ;
PARK, pp. 75-79.
761
Les Nations Unies traitent ainsi de la « Décennie internationale des populations autochtones », du
projet de « Déclaration internationale sur les droits des peuples autochtones », ou encore du Rap-
porteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations
autochtones.
762
Infra Section C, 2. Pour un aperçu synthétique des quatre principales théories relatives à la signifi-
cation et la portée de l’expression « peuple indigène », voir THORNBERRY (2002), pp. 35-41. Voir par
ailleurs la définition influente élaborée par le Rapporteur spécial des Nations Unies J. MARTINEZ-
COBO : « Indigenous populations are composed of the existing descendants of the peoples who in-
habited the present territory of a country wholly or partially at the time when persons of a different
culture or ethnic origins arrived there from other parts of the world, overcame them and, by
conquest, settlement or other means, reduced them to a non-dominant or colonial condition ; who
today live more in conformity with their particular social, economic and cultural customs and tradi-
tions than with the institutions of the country of which they now form part, under a State structure
which incorporates mainly the national, social and cultural characteristics of other segments of the
population which are predominant. » UN Doc. E/CN.4/Sub.2/L.566, §34.

143
La situation juridique des Tziganes en Suisse

lant de par le monde, que celles-ci concernent des « peuples tribaux » ou des
« peuples indigènes » stricto sensu.
491. Malgré l’absence de définition, il est possible de dégager des indices,
non cumulatifs, permettant de qualifier un groupe de « peuple autochtone». La
présence d’un lien étroit et d’ordre spirituel avec un territoire est un facteur
largement admis et répandu dans la pratique internationale763. L’existence de
caractéristiques identitaires ancestrales de nature sociale, culturelle, économi-
que et politique est un critère de poids. Le critère de la colonisation est impor-
tant, ainsi que l’existence de demandes de compensation pour des injustices
historiques commises à l’égard de ces groupes et de leurs membres. Le fait
qu’une communauté ait réussi à survivre et à maintenir son identité propre
malgré une oppression continue est également pertinent764.

2.2. Les rapports entre les « peuples » et les « peuples


autochtones »

492. A priori, la notion de « peuples autochtones » doit être traitée distinc-


tement de celle de « peuples » au sens des articles 1ers al. 1 des Pactes I et II. En
effet, l’article 1er al. 3 de la Convention n° 169 de l’OIT, examinée en détail ci-
dessous, indique explicitement que l’emploi « du terme peuples […] ne peut en
aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque na-
ture que ce soit quant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme en vertu du
droit international »765.
493. Dans ce contexte également, comprendre ce que recouvre la notion de
« peuple » est fondamental pour déterminer si les peuples autochtones peu-
vent prétendre ou non à disposer d’eux-mêmes766. Si l’on estime que non, alors
aucun « peuple autochtone » ne peut être qualifié de « peuple » au sens du
droit international767. Or, à l’instar des « peuples », les « peuples autochtones »
cherchent également à affirmer des droits collectifs, c’est-à-dire appartenant au
groupe lui-même768. Au nombre des droits collectifs reconnus, le plus impor-
tant est le droit à l’autodétermination769.
494. Pour BAER, au regard du droit à disposer d’eux-mêmes, le droit inter-
national ne fait pas de différence entre les « peuples » et les « peuples autoch-

763
TAHVANAINEN, pp. 407 et 409-410. Comp. l’art. 25 du projet de Déclaration relative aux peuples au-
tochtones, mais également l’art. 13 al. 1 de la Convention n° 169 de l’OIT, examinée ci-dessous
plus en détail.
764
BAER, p. 247 ; THORNBERRY (2002), p. 409.
765
Voir également PENTASSUGLIA (2002b), pp. 314-315.
766
EIDE/DAES, § 11-16.
767
Au sujet de cet enjeu, voir BAER, p. 254.
768
Au sujet du caractère collectif des droits des peuples autochtones, voir EIDE/DAES, § 2.c.
769
BAER, p. 254.

144
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

tones »770. De même, selon l’ancienne présidente du Groupe de travail des Na-
tions Unies sur les peuples autochtones, la seule différence entre les
« peuples » et les « peuples autochtones » est que seuls les premiers ont pu
exercer leur droit à l’autodétermination771.
495. Ainsi qu’en témoigne l’article 1er al. 3 de la Convention n° 169 de l’OIT
cité ci-dessus, les Etats se montrent très réticents à accorder la titularité du
droit à l’autodétermination à leurs peuples autochtones. On peut expliquer
cette réticence par des raisons essentiellement pratiques en rapport avec l’accès
aux territoires et aux ressources naturelles qui s’y trouvent772. Leurs arguments
se fondent sur le fait que ce droit a été consacré en droit international dans le
contexte de la décolonisation, avant que la communauté internationale ne
prenne en compte politiquement les populations autochtones773.
496. La facette interne du droit à l’autodétermination a pris récemment un
poids de plus en plus considérable et les auteurs s’appuient sur cet argument
pour démontrer qu’il n’est pas nécessaire de faire sécession pour pouvoir bé-
néficier d’une certaine forme d’autodétermination. En conséquence, il n’est pas
impossible de concilier le respect de l’intégrité territoriale des Etats et le droit
des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes, par le biais d’une autono-
mie accrue en matière décisionnelle et participative, notamment dans les pro-
cessus politiques de prise de décision774.

3. Les rapports entre les « minorités » et les « peuples


autochtones »

497. Si les notions de « peuples » et de « peuples autochtones » s’avèrent


extrêmement proches, il est par contre important de ne pas confondre celles de
« minorité » et de « peuples autochtones»775. En effet, les trajectoires histori-
ques et juridiques de la protection de ces deux catégories de groupes minori-
taires diffèrent, bien qu’elles puissent parfois se recouper776.

770
BAER, p. 255-257 et ses références aux observations du CDH relatives aux rapports périodiques de la
Norvège (UN Doc. CCPR/C/79/Add.112/1999, § 17) et du Canada (UN Doc. CCPR/C/79/Add.
105/1999, § 7). Voir également TAHVANAINEN, p. 406.
771
UN Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1996/2, § 72.
772
BAER, p. 257.
773
BAER, p. 257 ; EIDE/DAES, § 13.
774
BAER, p. 256-257 ; HENRARD (2005), p. 135 ; TAHVANAINEN, p. 412. Comp. les art. 4, 19 et 20 du pro-
jet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones.
775
THORNBERRY (2002), p. 34.
776
Pour un aperçu de l’évolution de la protection des droits des peuples autochtones, voir notamment
KETLEY, pp. 331-345 ; THORNBERRY (2002), pp. 61-114 ; VAN GENUGTEN/ PEREZ-BUSTILLO, pp. 379-390

145
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.1. La nécessité d’un système de protection distinct

498. La combinaison des difficultés rencontrées pour définir les notions de


peuple autochtone et de minorité rend impossible une distinction théorique
précise entre ces deux groupes. Le fait que la majorité des instruments et des
déclarations traitant de la problématique aient été rédigés avec une participa-
tion très variable des principaux intéressés n’est pas étranger à cette diffi-
culté777. D’une manière schématique, il est possible d’affirmer, à titre liminaire,
que si du point de vue du droit international, tous les peuples autochtones
forment des minorités, l’inverse n’est pas vrai : les peuples autochtones possè-
dent des caractéristiques que ne présentent pas toutes les minorités778.
499. En matière de revendications juridiques, minorités et peuples autoch-
tones ont des points communs. Ces deux types de groupes cherchent à main-
tenir leurs spécificités et identité culturelle ; ils se trouvent dans une position
non dominante, et souhaitent préserver leur culture, leurs coutumes, leur lan-
gage ou encore leur religion779 ; la pleine réalisation de l’interdiction de la dis-
crimination à leur égard est un objectif qui leur est commun; les mesures posi-
tives s’avèrent nécessaires pour assurer la perpétuation de leurs groupes.
500. Les deux groupes se distinguent clairement sur une série de facteurs
importants, qui justifient la mise sur pied d’un corpus de normes dédiés spéci-
fiquement à la protection des peuples autochtones. De manière schématique, si
les instruments relatifs à la protection des minorités visent à assurer un espace
de pluralisme dans la vie sociale et politique commune, les instruments
concernant les peuples autochtones ont pour but de leur aménager un haut
degré de développement autonome.
501. Ainsi, les peuples autochtones donnent un poids culturel et identitaire
de premier ordre aux questions relatives aux droits touchant aux territoires. Ils
recherchent avant tout une autonomie interne dans la gestion du développe-
ment de leur groupe, ainsi qu’une certaine souveraineté, mais n’ont pas néces-
sairement de velléités sécessionnistes. Ils souhaitent la création de normes
permettant des prises de décisions collectives et la participation systématique
aux décisions les affectant. Ils promeuvent le critère de l’auto-identification à
titre de facteur de définition du groupe. Enfin, ils cherchent à obtenir une re-
connaissance formelle des injustices auxquelles ils ont été confrontés par le
passé780.
502. Le droit des minorités place l'accent sur la participation effective à la
vie de l'ensemble de la société dont la minorité fait partie, ainsi que sur son in-

777
THORNBERRY (2002), p. 35.
778
Dans ce sens, voir ainsi Snezana TRIFUNOVSKA, One Theme in Two Variations – Self Determination for
Minorities And Indigenous Peoples, IJMGR, vol 5, 1997, p. 186.
779
THORNBERRY (2002), p. 415.
780
HEINTZE (1993), p. 312 ; KETLEY, pp. 333-334 ; THORNBERRY (2002), pp. 414-416.

146
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

clusion sociale dans le respect de sa différence. Par contre, les normes concer-
nant les peuples autochtones ont pour objectif de leur donner suffisamment de
pouvoir décisionnel propre, c’est-à-dire de parvenir à une certaine forme
d’autodétermination, tout en leur donnant la possibilité – s’ils le souhaitent –
de participer à l’ensemble de la société781. On constate ainsi à nouveau que le
critère du droit à l’autodétermination joue ici un rôle crucial pour distinguer
entre « peuples autochtones » et « minorités »782.
503. Ces revendications sont reprises dans le projet de Déclaration des Na-
tions Unies relative aux droits des peuples autochtones783, adopté le 29 juin
2006 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et qui recom-
mande à l’Assemblée générale de le suivre sur ce point784.
504. Il s’agit de l’instrument relatif aux droits collectifs des peuples autoch-
tones le plus avancé à ce jour. Son adoption par le Conseil des droits de
l’homme est un pas décisif vers l’octroi du soutien de la communauté interna-
tionale. Certes, si elle est adoptée, cette future Déclaration ne bénéficiera pas
d’une force juridique contraignante, mais son autorité morale sera incontesta-
ble. Son contenu est révélateur de l’étendue des questions soulevées par les
droits des peuples autochtones785. En l’état actuel du droit, toutefois, la
Convention n° 169 de l’OIT que nous examinerons ci-après est le seul instru-
ment international applicable786.
505. La spécificité des revendications des peuples autochtones a pour effet
que qualifier les peuples autochtones de minorités ethniques, religieuses ou
linguistiques au sens du droit international est problématique, puisque certai-
nes de leurs difficultés ne peuvent pas être résolus par les solutions dévelop-
pées par le droit des minorités787. En effet, rappelons que les droits des minori-
tés sont des droits individuels pouvant être exercés en groupe, tandis que les
revendications des peuples autochtones, à l’instar des peuples au sens du droit
international, ont une connotation essentiellement collective788. Jusqu’à un cer-
tain point, toutefois, le droit des minorités parvient à offrir quelques réponses
aux peuples autochtones789.

781
Comp. les art. 2§2 et 2§3 de la Déclaration sur les droits des minorités de 1992 et les art. 7 et 8 de
la Convention n° 169 de l’OIT. Voir également EIDE/DAES, §8.
782
BAER, p. 254.
783
UN Doc. E./CN.4/Sub.2/1994/2/Add.1.
784
UN Doc. A/HRC/1/L.3.
785
Pour un aperçu et un commentaire des dispositions de ce projet de Déclaration, voir KETLEY, pp.
343-344 ; VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, pp. 383-386. Pour une synthèse du travail des Nations
Unies sur la question, voir BAER, pp. 248-253.
786
EIDE/DAES, § 2c et § 6.
787
NOWAK (art. 27), N. 31, p. 652 ; SCHABAS, p. 119.
788
BAER, p. 254 ; EIDE/DAES, §5 et §8.
789
PRITCHARD, p. 251 ; SCHABAS, p. 119 ; SWEPSTON (2005), pp. 59-60.

147
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.2. Les apports du droit des minorités pour les peuples


autochtones

506. Tant dans ses Observations finales790 que dans ses constatations relati-
ves à des communications individuelles791, le Comité des droits de l’homme
n’hésite pas à appliquer l’article 27 Pacte II lorsque ses éléments constitutifs
sont réalisés par un peuple autochtone792. Le développement de la pratique du
Comité des droits de l’homme sur cette disposition est d’ailleurs particulière-
ment redevable des requêtes déposées par des personnes appartenant à des
peuples autochtones793.
507. Cette approche est confirmée au niveau régional, puisque la CPMN
trouve également à s’appliquer aux Saamis, bien que ces derniers soient re-
connus comme constituant un groupe indigène au sens de la Convention n°
169 de l’OIT794. Selon le Comité consultatif, en effet, la reconnaissance d’un
groupe en tant que peuple indigène ou tribal n’exclut pas ses membres de la
protection de la CPMN si ces derniers souhaitent se référer à cet instrument795.
D’après le Comité consultatif, le fait de pouvoir se prévaloir d’une certaine
forme de protection juridique découlant de la reconnaissance d’un statut spéci-
fique ne peut justifier, en soi, l’exclusion de toute autre forme de protection796.
508. Néanmoins, plus encore que les prétentions des personnes apparte-
nant à des minorités, les demandes des peuples autochtones présentent une
connotation collective et autonomiste beaucoup plus importante, que cela soit
du point de vue de leur exercice que de l’identité de leurs bénéficiaires797. En
effet, les demandes des peuples autochtones relatives à l’accès aux ressources,

790
A titre d’exemples, voir les observations finales du CDH relatives aux rapports périodiques de
l’Australie, du 24 juillet 2000, §514-518, UN Doc A/55/40, et du Brésil, du 1er décembre 2005, §6 et
§ 20, UN. Doc CCPR/C/BRA/CO/2.
791
Voir par exemple les constatations du CDH relatives aux communications suivantes : n° 24/1977,
Sandra Lovelace c. Canada, du 29 décembre 1977; n° 197/1985, Ivan Kitok c. Suède, du 10 août
1988; n°167/1984, Lubikon Lake Band c. Canada, du 26 mars 1990. Voir également SCHEININ, pp. 5-
9.
792
EIDE/DAES, § 17 ; NOWAK (art. 27), N. 29-30, p. 651.
793
NOWAK (art. 27), N. 30, p. 651 ; SCHABAS, p. 119. Voir l’Observation générale n° 23 du CDH, § 7.
794
BAER, pp. 247-248 ; THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 122. Voir ainsi l’opinion de la Suède exprimée
dans son rapport initial qui inclut dans ses minorités nationales les Saamis « who are also an indi-
genous people » ; ACFC/SR(2001)003, pp. 5-6. Comp. la déclaration de la Norvège qui affirme que
puisque les Saamis sont protégés en Norvège par la Convention n° 169 de l’OIT, la CPMN ne leur
sera pas appliquée en raison de la protection moins étendue qu’elle leur offre, bien que les autorités
norvégiennes les considèrent comme formant une minorité nationale ; Rapport initial de la Norvège,
ACFC/SR(2001)001, p. 2.
795
Avis du Comité consultatif relatif à la Norvège, du 13 février 2003, ACFC/INF/OP/I (2003) 003, §19.
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 122.
796
Avis du Comité consultatif relatif au Danemark, du 22 septembre 2000, ACFC/INF/OP/I (2001) 005,
§ 17.
797
THORNBERRY (2002), p. 414 ; VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILO, p. 380.

148
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

à leur gestion ainsi qu’en matière d’autodétermination administrative et juri-


dique ont une nature essentiellement collective798.
509. Par ailleurs, bien que la pratique du Comité des droits de l’homme au
sujet de l’article 27 Pacte II soit avant tout constituée de communications dépo-
sées par des personnes appartenant à des peuples autochtones, très peu de
communications individuelles ont connu une issue heureuse pour leurs au-
teurs. Ce constat d’échec peut notamment être attribué au fait que le Protocole
additionnel au Pacte II est conçu pour des violations commises à l’égard
d’individus, et non pour gérer des cas d’abus systématiques commis à l’égard
de groupes entiers799.
510. Cette dimension supplémentaire trace ainsi les limites de l’intérêt du
droit des minorités à l’égard des peuples autochtones, puisque ce système ne
considère pas les minorités en tant qu’entités possédant une personnalité juri-
dique800. Ceci explique les réticences des Etats à s’engager sur cette ques-
tion, puisqu’elle soulève la problématique plus générale des relations entre
l’Etat et les communautés se trouvant sur son territoire. Dans le domaine de la
codification de la protection des droits des peuples autochtones, la tâche la
plus complexe est la création de solutions juridiques permettant non seule-
ment une interface entre les institutions étatiques et les institutions tradition-
nelles de ces peuples, mais également la reconnaissance de droits collectifs801.

B. Les Tziganes en tant que peuple

1. La communauté internationale des Tziganes

511. Selon François RIGAUX, bien plus qu’une « simple » minorité, les Tzi-
ganes forment un peuple dont la particularité est non seulement d’être disper-
sé, mais également d’être sans Etat802. Nous avons pu constater que la notion
de « peuple » implique la présence d’une unité d’origine, d’histoire, de culture
et d’identité entre ses membres. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir que les
auteurs qui conçoivent le concept d’ethnie de façon restrictive, en tant que sy-

798
HEINTZE (1993), p. 316.
799
Observation générale n° 23 du CDH, § 5.3 ; Constatations du CDH, du 27 octobre 2000, relatives à
la Communication n°547/1993, Apirana Mahuika et al. c. Nouvelle-Zélande. JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN
N. 24.17, p. 761 ; PENTASSGLIA (2002b), p. 308. Voir également GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES,
§ 18.
800
Dans ce sens, THORNBERRY (2002), p. 416.
801
HEINTZE (1993), pp. 313-314 et 317.
802
RIGAUX, p. 162.

149
La situation juridique des Tziganes en Suisse

nonyme de celui de race, rejettent l’idée que les Tziganes forment « une » eth-
nie du fait de l’hétérogénéité de leurs communautés803.
512. Or, malgré certaines différences de fond entre les diverses origines des
communautés et les langues que parlent les communautés tziganes à travers
l’Europe, elles partagent de nombreux points communs historiques, culturels
et linguistiques804. Ainsi, plusieurs experts n’examinent la situation des Tziga-
nes que sous un angle global et général, constatant la diversité des groupes
tout en la rattachant à des facteurs historiques liés à leur dispersion territoriale
au cours des siècles805.
513. Une partie de la doctrine souligne la difficulté de traiter de l’existence
d’une « identité nationale » liant l’ensemble des Tziganes, allant jusqu’à la qua-
lifier d’artificielle, du fait qu’il s’agit essentiellement d’une abstraction conçue
et développée chez les non-Tziganes806. Néanmoins, elle relève son utilité po-
tentielle ainsi que l’importance et le poids que ce concept possède d’un point
de vue juridique et politique. Ces auteurs reconnaissent également sa capacité
à promouvoir la cohésion entre des communautés dont les fractures trouvent
leurs raisons dans la dispersion territoriale, les frontières étatiques et les diffé-
rentes politiques appliquées par les Etats à leur égard807.
514. Au-delà de ces considérations, on ne peut que constater la similarité
non seulement du rejet dont ces communautés font l’objet, mais aussi des pro-
blèmes qu’elles rencontrent en matière d’exclusion et de précarité socio-
économique, que cela soit dû à l’exercice du nomadisme ou à la ghettoïsation
spatiale et économique dans les anciens pays communistes808. Quel que puisse
être leur mode d’expression, l’exclusion, la ségrégation, la discrimination et
l’isolation sont ainsi des phénomènes communs rencontrés par les Tziganes
dans les pays où ils se trouvent809.
515. En outre, ces différents groupes sont considérés comme formant une
seule communauté, sans aucune distinction, lors de l’application de politiques
d’exclusion, ce qui contribue également à entretenir une cohésion commune
face à l’extérieur810. On rappellera aussi la politique de différenciation et de

803
ALEXANDERSSON, p. 2. Voir également supra Chapitre II, Section B, 2.2.2.
804
MEYER, p. 297. Voir également supra Chapitre II, Section B, 2.2.2.
805
Voir ainsi, MARCHAND, pp. 24-25, qui traite des « Tsiganes » dans leur ensemble et discute de leur
« ethnicité » d’une manière globale (pp. 143-145) ; MEYER, pp. 268-269, utilise le nom de « Roms »
pour également parler des Tziganes aux origines non-indiennes (p. 268, note 9), tout en abordant
la question de leur dimension ethnique de façon générale (p. 269).
806
POGANY (1999), pp. 157-158.
807
BANCROFT, pp. 46-47 ; POGANY (1999), pp. 156-158.
808
BANCROFT, p. 60 ; Rapport du Haut Commissaire de l’OSCE sur les minorités nationales, du 22 sep-
tembre 1999, RC.GAL/2/99, p. 1.
809
Voir les développements approfondis de BANCROFT, p. 51-77, sur la ségrégation spatiale et sociale
des Rroms et des autres groupes tziganes à travers l’Europe.
810
MARCHAND, pp. 26-27. Au sujet de l’influence cruciale des injustices historiques sur l’auto-
indentification des groupes, en particulier des Saamis et des Tziganes, voir Lukas H. MEYER, Trans-

150
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

prise de distance que l’ensemble de ces communautés s’imposent par rapport


aux non-Tziganes et qui trouve ses origines dans des tabous culturels basés sur
la notion de préservation contre la pollution sociale et culturelle811. Quelle que
soit leur diversité interne, les Tziganes tracent ainsi une ligne claire entre leurs
communautés et les non-Tziganes.
516. A notre sens, l’ensemble de ces arguments justifie de considérer les
Tziganes comme formant une seule communauté lorsque l’on tente d’établir
des politiques globales cherchant à lutter contre les préjugés à leur égard, à
améliorer leur situation socio-économique et à mettre en perspective une situa-
tion nationale par rapport à l’état de fait international. Cette communauté
peut-elle toutefois être qualifiée de « peuple », comme le propose RIGAUX812 ?
La réponse à cette interrogation se trouve dans leur capacité à pouvoir
« disposer d’eux-mêmes », c’est-à-dire à pouvoir prétendre à
l’autodétermination.

2. Le facteur de l’autodétermination

517. Nous avons déjà souligné que, contrairement aux revendications de


groupes ethniques « classiques » que l’Europe connaît sur son territoire et dans
ses anciennes colonies, les aspirations tziganes au respect de leurs particulari-
tés sont totalement exemptes d’exigences liées à la création d’un Etat souve-
rain, ou à l’accession à une autonomie administrative quelconque813.
518. Tove H. MALLOY déduit de ce constat que les droits des Tziganes, à
l’instar des droits des réfugiés, ne sont pas liés aux éléments définissant la
structure du droit international : n’ayant aucune prétention territoriale, ils ne
remettent pas en cause la définition de la souveraineté étatique. Dès lors, les
problèmes rencontrés par les autorités pour les intégrer diffèrent de ceux posés
par les communautés qui pourraient potentiellement revendiquer leur autodé-
termination. Selon cet auteur, la question de la situation des Tziganes présente
plutôt des similitudes avec l’exclusion des Américains d’ascendance africaine
et doit être traitée sous un angle socio-économique uniquement814.
519. Si l’on se fonde sur la notion traditionnelle de l’autodétermination,
axée sur sa facette externe, c’est-à-dire territoriale, l’expression du sentiment
d’apparte-nance des Tziganes à une communauté globale peine effectivement
à trouver une idéologie permettant de justifier leurs aspirations à la reconnais-

national Autonomy : Responding to Historical Injustice in the Case of the Saami and Roma Peoples,
International Journal on Minority and Group Rights, vol. 8, 2001, pp. 263-301, et notamment p.
266.
811
BANCROFT, pp. 45-46 ; POGANY (1999), p. 154.
812
RIGAUX, p. 165.
813
MALLOY, pp. 23-24 ; MEYER, p. 268. Voir également supra Chapitre II, Section B, 2.3.
814
MALLOY, pp. 24-25.

151
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sance. Toutefois, ainsi que nous allons le constater ci-après, les principaux
concernés formulent des prétentions qui touchent à la facette interne de
l’autodétermination.

3. Le point de vue des Tziganes

3.1. L’existence d’un « peuple tzigane »

520. Le débat entourant l’existence d’un peuple tzigane serait inutile si les
Tziganes eux-mêmes ne témoignaient aucun intérêt pour cette question. Or,
depuis le début des années 1990, les Tziganes cherchent à trouver une voie qui
devrait leur permettre de mieux se faire entendre, c’est-à-dire de s’exprimer
d’une seule voix.
521. En effet, leurs élites constatent, d’une part, la nécessité de respecter
leur pluralité culturelle, puisque ce sont les facteurs culturels et socio-
linguistiques qui forment la base de l’identité propre de chaque communauté
et qui s’avèrent fondamentaux en raison de l’absence de rattachement géogra-
phique. D’autre part, ils jugent nécessaire de réussir à exprimer une politique
et des besoins communs815, impératif exprimé de plus en plus systématique-
ment par les organisations internationales et les pouvoirs locaux et nationaux à
titre de condition préalable pour réaliser une coopération plus efficace avec les
gouvernements816.
522. Leurs associations représentatives ont pour objectif l’amélioration des
conditions de vie des Tziganes, la lutte contre les discriminations dont ils font
l’objet et la reconnaissance de la validité de leur identité culturelle et des
conséquences découlant de son exercice concret, principalement le respect du
voyage et de ses effets liés à l’enseignement, au travail, à la santé, aux places
de stationnement, à l’identification, ou encore à la traçabilité des personnes817.
Pour ce faire, les Tziganes cherchent à s’organiser de façon institutionnelle de
manière à obtenir des droits de participation aux divers processus de prise de
décisions qui les concernent en particulier818.
523. Deux principales difficultés se dégagent de cette situation. Première-
ment, on relèvera le besoin de concilier l’exigence moderne, politique et juridi-
que, de l’adoption d’un nom commun, pour améliorer la visibilité internatio-
nale de la communauté, et faire preuve de crédibilité. Deuxièmement, il existe
une nécessité culturelle et identitaire de maintenir au sein des communautés
tziganes une diversité perçue par l’extérieur comme une disparité, mais qui est

815
ODIHR, The ODIHR Contact Point for Sinti and Roma Issues – an Overview, Pologne 2001, p. 12.
816
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS, 2001, pp. 7 et 9.
817
KLIMOVA-ALEXANDER, pp. 14-16 et pp. 22-23.
818
MEYER, p. 296

152
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

en réalité le signe d’une société pluraliste évolutive. Les Tziganes sont ainsi
conscients des risques liés à une affirmation de leur hétérogénéité, synonyme à
la fois de menace pour leur position et de risque de fragmentation politique,
sociale et culturelle qui comporte le risque réel de disparition du groupe819.
524. Certains membres de l’élite tzigane estiment, pour leur part, que la
diversité des communautés tziganes est un fait qui ne peut être contesté. Dès
lors, vouloir les unifier et les uniformiser nierait la réalité, et il reviendrait aux
Etats et aux organisations internationales de gérer cette complexité identitaire,
culturelle et représentative820. Certains activistes intègrent la multiplicité des
identités tziganes et considèrent qu’il faut considérer le groupe dans son en-
semble comme étant ethniquement mixte, considérant le « nationalisme tzi-
gane » comme étant analogue au nationalisme américain, c’est-à-dire fondé sur
un critère volontariste821.
525. La seconde difficulté provient de la méthode de désignation des repré-
sentants tziganes eux-mêmes, des fondements de leur légitimité et de leur re-
présentativité ; dans ce contexte, on observe des tensions entre le souhait de
préserver les mécanismes traditionnels claniques et un désir de basculer défi-
nitivement dans une approche moderne, fondée sur la volonté démocrati-
que822.
526. Ces questions sont étroitement liées à l’identification du cercle des
personnes représentées et, à l’heure actuelle, il est difficile de savoir précisé-
ment si les élites actives au niveau international sont les porte-paroles des or-
ganisations auxquelles elles appartiennent, ceux des minorités ethniques ou
nationales tziganes des Etats dans lesquels elles résident, ceux d’une nation
tzigane dispersée sur le continent européen ou encore ceux d’une minorité
« transnationale » européenne823.
527. Ces hésitations relatives à la méthode à employer pour se faire enten-
dre ne remettent toutefois pas en cause le sentiment des Tziganes d’appartenir
à une communauté globale dépassant leurs familles et clans. En effet, ils
s’expriment de manière de plus en plus organisée et concertée au sein des or-
ganismes internationaux824. En outre, la création en 2005 du Forum européen
pour les Roms et Gens du Voyage825 est un indice illustrant la légitimité et la
nécessité de considérer les Tziganes en tant que communauté unique, dont les

819
RAYKOVA, pp. 10-11.
820
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), p. 7.
821
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), p. 39 ; PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 15.
822
Sur ces questions en particulier, voir PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), pp. 13-20.
823
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), p. 9.
824
Au sujet de l’activisme tzigane au sein des instances des Nations Unies, voir Ilona KLIMOVA-
ALEXANDER, The Romani Voice in World Politics – The United Nations and Non-State Actors, Alders-
hots 2005.
825
Au sujet de cet organisme créé sous l’égide du Conseil de l’Europe, infra Titre Troisième, Chapitre I,
Section C, 2.1.3, bb.

153
La situation juridique des Tziganes en Suisse

groupes qui la composent possèdent des particularités culturelles et socio-


économiques découlant de leur dispersion géographique et des pressions su-
bies depuis l’extérieur.

3.2. Les objectifs recherchés

528. S’ils n’expriment pas de réelles difficultés à se qualifier de nation826, les


Tziganes s’interrogent néanmoins sur le but qu’ils doivent aujourd'hui pour-
suivre en priorité, en hésitant entre l’obtention de leur reconnaissance globale
en tant que minorité transnationale, voire de peuple, ou en tant que minorités
nationales dans les Etats où ils résident827.
529. Certaines organisations tziganes adoptent ainsi depuis plusieurs an-
nées une démarche allant dans le sens de revendications fondées sur le droit
des peuples, incluant l’autodétermination politique, sociale et culturelle et la
proclamation d’une nation tzigane sans territoire828. Sur ce point, la nature et le
degré exacts de l’autonomie recherchée par les Tziganes demeurent imprécis
et font l’objet de débats nourris au sein de leurs organisations.
530. Certains se réfèrent à des revendications visant à obtenir une autono-
mie territoriale, d’autres à une forme d’auto-organisation extra-territoriale au-
torisant l’autonomie culturelle, d’autres encore recherchent plus simplement
un droit individuel, voire collectif, de participer au processus politique déci-
sionnel. Certaines factions aspirent uniquement au respect d’une participation
égalitaire dans la société, dans le respect de leurs caractéristiques culturelles,
ethniques ou linguistiques829. Une majorité, toutefois, s’exprime en faveur
d’une participation au sein de la société majoritaire, par le biais d’une autono-
mie culturelle830.
531. En tout état de cause, la volonté exprimée par les Tziganes de parvenir
à obtenir un statut transnational part du constat qu’une protection uniquement
fondée sur le statut de minorité nationale accélère la fragmentation de
l’identité commune831. Dans ce contexte, il est intéressant de relever l’existence
de la « Déclaration de la nation tzigane », intitulée « We, the Roma Nation, Have
a Dream » et adoptée par l’International Romani Union en juillet 2000, cherchant

826
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 12.
827
MEYER, p. 287 et 297-299. MIRGA/GHEORGHE, p.33.
828
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 670. Sur ce débat en particulier, voir également Andrzej MIR-
GA/Nicolae GHEORGHE, The Roma in the Twenty-First Century : A policy, Princeton 1997; PROJECT ON
ETHNIC RELATIONS, Roma and the Question of Self-Determination : Fiction and Reality, Princeton
2003 ; PROJECT ON ETHNIC RELATIONS, Leadership, Representation and the Status of the Roma, Prince-
ton 2001.
829
Pour un aperçu détaillé des différentes positions sur cette question, voir PROJECT ON ETHNIC RELATIONS
(2003), pp. 17-27.
830
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 19.
831
MEYER, p. 298.

154
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

la reconnaissance des Tziganes en tant que nation sans Etat, afin de faire de
cette communauté un sujet du droit international832.
532. Soutenue par la République tchèque, cette déclaration a suscité beau-
coup de critiques et commentaires. Toutefois, ces derniers ne portent pas sur le
principe même de l’affirmation de l’unité du peuple tzigane, mais sur
l’opportunité de souhaiter qu’elle soit reconnue juridiquement : pour les criti-
ques, la question essentielle n’est pas seulement liée à sa faisabilité du point de
vue du droit international, mais également sur ce qu’une telle reconnaissance
apporterait dans les faits aux Tziganes833. Nous reviendrons sur cette question
délicate834.
533. A notre sens, le concept d’autodétermination interne possède au-
jourd’hui un poids suffisamment important dans le discours concernant la
protection des « peuples » et des « peuples autochtones » pour ne pas refuser
la qualité de « peuple » aux Tziganes sur la base de l’absence de toute préten-
tion territoriale. Nous allons constater ci-après que cette revendication, cou-
plée à d’autres facteurs spécifiques, conduit à tirer suffisamment de parallèles
avec la situation des peuples autochtones pour que l’on analyse leur situation
sous l’angle du système de protection développé à l’égard de ces populations.
L’éventuelle valeur ajoutée qui pourrait en découler sera examinée dans un se-
cond temps.

4. Les Tziganes et les peuples autochtones : pertinence


du parallèle

534. Les similitudes existant entre la situation des peuples autochtones de


par le monde, d’une part, et des communautés tziganes, d’autre part, sont suf-
fisamment nombreuses pour que la question de l’applicabilité du système de
protection des peuples autochtones aux Tziganes soit examinée. En effet, les
deux problématiques illustrent l’absence de prise en considération juridique et
administrative de leurs structures culturelles, économiques, sociales et politi-
ques. Ce processus a conduit à la marginalisation et à l’exclusion de ces com-
munautés par rapport à la société majoritaire qui les entoure835.
535. La dimension ethnique et culturelle de leurs spécificités est également
un trait distinctif de ces deux groupes par rapport aux autres communautés
minoritaires, notamment celles se trouvant sur le territoire européen. Sur ce
point, la doctrine souligne précisément que la situation juridique et factuelle

832
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), pp. 33-34.
833
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), pp. 35-41.
834
Infra Section D.
835
Sur la question centrale de la marginalisation socio-économique et politique des peuples indigènes,
voir VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO ,p. 381.

155
La situation juridique des Tziganes en Suisse

des Tziganes en Europe peut être considérée comme un véritable test pour
éprouver la bonne volonté des Etats du continent à se saisir des problémati-
ques ethniques et autochtones836.
536. Peuples autochtones et Tziganes ont connu une histoire de persécu-
tions étatiques837, une précarité socio-économique particulièrement aigue, une
dépréciation de l’identité culturelle et affirment le désir de perpétuer leurs tra-
ditions et leur identité propre.
537. Juridiquement, ce parallèle est illustré par leur possibilité commune de
se référer aux normes internationales protégeant un mode de vie traditionnel
et une identité culturelle spécifique, notamment l’article 8 CEDH838, ou encore
l’article 15 Pacte I839. De plus, à l’instar de ce qu’exige la protection des droits
des Tziganes, le respect des droits des peuples autochtones sous-entend une
approche des droits de l’homme remettant en cause les catégorisations effec-
tuées traditionnellement dans le domaine, tant du point de vue de leur indivi-
sibilité et interdépendance, que de celui des rapports existants entre droits in-
dividuels et droits collectifs840.
538. A ces facteurs viennent s’ajouter le manque de représentativité politi-
que adéquate de ces communautés et l’absence de participation et de consulta-
tion dans les processus décisionnels les concernant. Dans ce contexte précis,
l’exemple des Saamis et des droits qui leur sont reconnus en tant que peuple
indigène est expressément évoqué à titre de référence pour les Tziganes dans
leur quête d’autonomie culturelle et politique transfrontière841.
539. On évoquera également les difficultés matérielles ou juridiques de ces
groupes à accéder aux tribunaux pour faire valoir leurs droits842 mais égale-

836
THORNBERRY (2002), p. 291.
837
On soulignera, par exemple, les parallèles existant entre la pratique de l’Oeuvre des Enfants de la
grand route en Suisse (supra Titre Premier, Chapitre III, Section B, 2) et la politique australienne
ayant pris place entre la fin du XIXème siècle et les années 1970 et concernant le retraits d’enfants
appartenant à la communauté aborigène et leur placement au sein de la communauté occidentale
dans une optique d’assimilation forcée. A ce sujet, la commission australienne chargée d’évaluer
cette politique a conclu qu’elle était constitutive d’une violation de l’art. II let. e de la Convention
pour la prévention du génocide ; Australian Human Rights and Equal Opportunities Commission,
« Bringing them Home, Report of the National Inquiry into the Separation of Aboriginal and Torres
Strait Islander Children from the Families », pp. 270-275. Voir également SCHABAS, pp. 121-122.
838
Voir l’analyse combinée de la situation des Saamis et des Tziganes en Europe au regard de l’art. 8
CEDH, effectuée tant par THORNBERRY (2002), pp. 297-301 que par HOFMANN R. (2005), pp. 1016-
1018. Voir également notre analyse détaillée de la portée de cette norme, infra Titre Troisième,
Chapitre III, Section B.
839
Au sujet de l’importance fondamentale de l’art. 15 Pacte I pour les droits des peuples autochtones,
du fait que la « vie culturelle » inclut la notion de « culture en tant que mode de vie traditionnel »,
voir THORNBERRY (2002), pp. 194-197. Voir également infra notre analyse détaillée de la portée de
cette norme.
840
Sur l’importance de cette approche globale pour la protection de droits des peuples indigènes, voir
VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, p. 380.
841
MEYER, p. 301.
842
Pour une description des problématiques liées aux droits de personnes indigènes et autochtones :
VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, p. 381.

156
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

ment à faire reconnaître l’ampleur des injustices historiques commises à leur


égard843. Enfin, dans les deux situations, il s’avère difficile, voire impossible,
de se restreindre aux ordres juridiques nationaux pour garantir efficacement
les droits des individus concernés et une approche juridique qui prenne en
compte tant les normes nationales qu’internationales s’impose 844.
540. Enfin, les autorités suisses ont étudié dès 2001 l’opportunité de la rati-
fication de la Convention n° 169 en analysant directement la nature des consé-
quences qu’une telle ratification aurait sur les relations juridiques entre la
Suisse et sa communauté tzigane845. Cette question se trouve précisément au
centre du débat entourant la question de la ratification et démontre qu’il est
opportun de s’interroger sur la qualité des Tziganes en tant que peuple tribal
ou indigène au sens de cette convention.

C. La Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples


indigènes et tribaux et son applicabilité aux Tziganes

1. L’Organisation internationale du travail

541. Créée en 1919, l’Organisation internationale du travail a survécu à la


disparition de la Société des Nations et est devenue la première agence à re-
joindre le système des Nations Unies en 1946. Sa structure est unique en ce
sens qu’elle est tripartite : en sus des gouvernements, elle est composée de re-
présentants du corps patronal et du corps syndical846.
542. Les objectifs de l’OIT sont l’amélioration des conditions de vie et de
travail des particuliers à travers le monde, en posant comme principe que la
paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale, et que
cette dernière nécessite notamment l’élévation du niveau du vie, la sécurité so-
ciale ou encore un niveau adéquat d’alimentation, de logement, de récréation
et de culture847. L’OIT apparaît ainsi comme un acteur de premier ordre sur la
scène internationale en matière de protection des droits économiques et so-

843
Voir ainsi Lukas MEYER, Transnational Autonomy : Responding to Historical Injustice in the Case of
the Saami and Roma Peoples, IJMGR, 2001, vol. 8, pp. 263-301 et en particulier, pp. 266-267.
844
HEINTZE (1993), p. 312. VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, p. 380, soulignent que le cadre émergent de la
protection des droits des peuples indigènes est formé par la relation interactive des procédures in-
ternationales, régionales et nationales.
845
Voir infra Chapitre IV, Section B.
846
Le Conseil d’administration est composé de 56 personnes, dont 28 représentant les gouvernements,
14 les employeurs et 14 les travailleurs (art. 7 al. 1 de la Constitution de l’OIT). L’OIT est composée
d’une Conférence générale des représentants des Etats membres, du Conseil d’administration, et
d’un Bureau international du travail, placé sous la direction du Conseil d’administration (art. 2 de la
Constitution de l’OIT).
847
Points II et III de la Déclaration dite « de Philadelphie » concernant les buts et les objectifs de
l’Organisation internationale du travail, adoptée le 10 mai 1944 par la Conférence générale de l’OIT.

157
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ciaux, faisant office de référence et de source d’inspiration dans ce domaine


pour les différents comités des Nations Unies chargés de la surveillance des
instruments universels de protection des droits de l’homme848.
543. Dans le cadre de sa mission, l’OIT adopte des conventions et des re-
commandations849 et apporte de l’assistance aux gouvernements et aux organi-
sations non gouvernementales pour les mettre en œuvre. A ce jour, 185
conventions ont été adoptées sur des sujets tels que les conditions de travail, la
protection de la maternité, la discrimination, la liberté d’association ou encore
la sécurité sociale850. La Suisse est membre de l’OIT depuis sa création en 1919,
et a ratifié depuis lors 56 conventions, dont 47 sont encore en vigueur.

2. L’OIT et la protection des peuples autochtones

2.1. Le contexte historique

544. Historiquement, l’OIT a toujours été sensible aux conditions de vie et


de travail des peuples autochtones, notamment quant aux questions touchant
à leur recrutement, aux contrats de travail et au travail forcé, et s’est montrée
active dans ce domaine bien avant les Nations Unies851. En 1957, elle a adopté
la première convention traitant de cette thématique, la Convention n° 107
concernant la protection et l'intégration des populations aborigènes et autres
populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants (Convention
relative aux populations aborigènes et tribales), ratifiée par 27 Etats, afin de
discuter spécifiquement des questions liées aux caractéristiques qui les distin-
guent des autres groupes de populations minoritaires852.
545. Cependant, durant les années 1980, la Convention n° 107 subit de plus
en plus de critiques. La formulation de ses dispositions reflète le langage de
l’époque post-coloniale et les populations protégées sont considérées comme

848
EIDE, p. 202 ; HEINTZE (1993), p. 310 ; Mémorandum du BIT, 2001, § 22.
849
Art. 19 de la Constitution de l’OIT.
850
TOMEI/SWEPSTON, p. 1. Parmi ces instruments, huit sont considérés comme étant fondamentaux et
doivent être nécessairement ratifiés par les Etats membres, ainsi que l’exige la Déclaration sur les
droits et principes fondamentaux au travail du 18 juin 1998. Ces conventions ont trait à : la liberté
syndicale (Conventions n° 87 et n° 98), l’abolition du travail forcé (Conventions n° 29 et n°105),
l’égalité (Conventions n° 111 et n° 100), et l’élimination du travail des enfants (Conventions n°138
et n°182).
851
HEINTZE (1993), p. 310.
852
De ce fait, cette convention aborde des thèmes tels que les droits relatifs à la terre, le travail et
l’éducation, dépassant dès lors le strict cadre des conditions de travail. De plus, cet instrument re-
connaît le droit de ces groupes à maintenir une identité distincte par rapport aux Etats dans lesquels
ils vivent, ce qui, au vu de sa date d’adoption antérieure aux deux Pactes internationaux des Na-
tions Unies, est progressiste en soi ; SWEPSTON (2005), p. 55. Pour une présentation générale et cri-
tique des dispositions de cette convention, voir THORNBERRY (2002), pp. 327-338.

158
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

« sous-développées »853. Par ailleurs, son article 2 pose à titre d’objectifs non
seulement la protection mais également l’intégration progressive des groupes
concernés. Bien que l’article 4 let. b de la Convention indique clairement que
cette intégration doit être modérée854, la Convention n° 107 a finalement été
considérée comme un outil de colonisation855.
546. Répondant à ces critiques, l’OIT révise la convention, après avoir
consulté les principaux intéressés, et adopte au mois de juin 1989 la Conven-
tion n° 169856. Toutefois, la Convention n° 107 demeure en vigueur pour les
Etats qui l’ont ratifiée jusqu’à ce qu’ils fassent de même avec la Convention n°
169.
547. Ensemble, ces deux instruments représentent les seuls textes juridi-
quement contraignants en vigueur spécifiquement consacrés aux droits des
peuples autochtones857 et sont donc primordiaux en la matière. Bien
qu’adoptés dans le cadre de l’OIT, tous deux présentent la particularité
d’adapter, d’une part, des garanties individuelles universelles aux besoins des
peuples autochtones et, d’autre part, d’offrir des droits spécifiques qu’on ne
trouve dans aucun autre instrument858.

2.2. La Convention n° 169 de l’OIT

2.2.1. Généralités

548. Entrée en vigueur le 5 septembre 1991 et ratifiée à ce jour par dix-sept


Etats859, la Convention n° 169 perpétue l’objectif principal de la Convention n°
107 qui est la protection des peuples indigènes et tribaux, composés de près de
300 millions de personnes de par le monde. Elle est pour sa part basée sur le
respect de leur culture, de leurs modes de vie particuliers, de leurs traditions
et de leurs coutumes860.

853
THORNBERRY (2002), pp. 327-328.
854
Art. 4 let. b Convention n° 107 : « Dans l'application des dispositions de la présente convention re-
latives à l'intégration des populations intéressées, il faudra : (…) prendre conscience du danger que
peut entraîner le bouleversement des valeurs et des institutions desdites populations, à moins que
ces valeurs et institutions ne puissent être remplacées de manière adéquate et avec le consente-
ment des groupes intéressés. »
855
KETLEY, p. 342 ; SWEPSTON (2005), pp. 55-56.
856
TOMEI/SWEPSTON, pp. 3-4.
857
Les travaux des Nations Unies dans ce domaine n’ont d’ailleurs pas encore abouti à l’adoption d’un
quelconque texte spécifique, contraignant ou non, puisque la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones demeure à ce jour au stade de projet ; UN Doc.
E/CN.4/Sub.2/1994/Add.1.
858
THORNBERRY (2002), p. 320.
859
Base de données APLIS de l’OIT, http://webfusion.ilo.org [consulté le 11 août 2006].
860
ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, p. 2.

159
La situation juridique des Tziganes en Suisse

549. Contrairement aux conventions de l’OIT consacrées aux normes fon-


damentales en matière de droit du travail, la Convention n° 169 sort du cadre
habituel de l’action de l’OIT en ne se limitant pas à ces questions, mais en ren-
voyant de façon explicite aux instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme. Dès lors, elle ne fait pas partie du noyau des textes de l’OIT qui doi-
vent nécessairement être ratifiés par les Etats membres de cette organisation861.
Comme toutes les conventions de l’OIT, la Convention n° 169 ne peut faire
l’objet ni de réserves, ni de déclarations interprétatives, à moins que ces der-
nières ne soient autorisées expressément par les textes eux-mêmes, ce qui n’est
pas le cas de cet instrument862.
550. A l’instar des autres conventions de l’OIT, la Convention n° 169 est
soumise aux mécanismes de contrôle de l’OIT863. Ainsi, elle est sujette à la sur-
veillance ordinaire de la Commission d’experts relative à l’application des
conventions et des recommandations864 par le biais de l’examen des rapports
périodiques865. De plus, les procédures de réclamation et de plainte sont éga-
lement applicables à son égard866. En effet, la constitution de l’OIT prévoit à
ses articles 24 et 25 une procédure de réclamation867 et, à ses articles 26 à 34,

861
SWEPSTON (2005), p. 57 ; Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, Partie I, pp. 8-9.
862
Voir le Mémorandum soumis par le BIT à la Cour internationale de Justice, Affaire des réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ; BIT Bulletin officiel, vol.
XXXIV, n° 3, 1951, pp. 275-315.
863
Certains auteurs les considèrent comme les plus complets existant en matière de supervision de
l’application des normes internationales en matière de droits de l’homme ; SWEPSTON (1992), p. 115 ;
THORNBERRY (2002), pp. 323-324.
864
Ci-après : la Commission d’experts du BIT (site internet de l’Organisation internationale du travail,
http://www.ilo.org, [consulté le 11 août 2006]). Cet organe est composé de vingt juristes nommés
par le Conseil d’administration du BIT, pour un mandat renouvelable de trois ans.
865
A teneur de l’article 22 de la Constitution de l’Organisation internationale du travail du 28 juin 1919
(RS 0.820.1 ; RO 1948 891), les Etats membres doivent rendre des rapports périodiques à la
concernant l’état de leurs engagements contractés sous les conventions qu’ils ont ratifiées. A l’issue
de l’examen des rapports périodiques étatiques, la Commission d’experts du BIT émet des observa-
tions, qui sont des commentaires publiés sur les questions touchant à l’application des traités, ou
des demandes directes, qui sont des questions techniques non publiées adressées directement et
exclusivement aux gouvernements concernés. La reddition et l’évaluation de ces rapports périodi-
ques constitue le système de contrôle régulier du respect des obligations étatiques ; Site internet de
l’Organisation internationale du travail, http://www.ilo.org, [consulté le 11 août 2006]. En Suisse,
depuis 2000, la Commission fédérale tripartite pour les affaires de l’OIT est chargée de la rédaction
de ces rapports périodiques. En effet, la Suisse a ratifié en 2000 la Convention n° 144 concernant
les consultations tripartites destinées à promouvoir la mise en œuvre des normes internationales du
travail, du 21 juin 1976, qui emporte, à son art. 2 al. 1 l’obligation de créer une telle consultation
tripartite (RS 0.822.724.4 ; RO 2003 1620). Voir le Message du Conseil fédéral relatif à la Conven-
tion n° 144, FF 2000 I 292, 332-334.
866
KETLEY, p. 343 ; THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16.
867
La procédure de réclamation au sens des articles 24 et 25 consacre le droit de présenter au Conseil
d’administration du BIT une réclamation contre tout Etat membre qui, selon elle, « n’aurait pas as-
suré d’une manière satisfaisante l’exécution d’une convention à laquelle ledit Membre a adhéré ». Le
Directeur général examine premièrement si les conditions de recevabilité telles qu’énoncées à l’art.
2 al. 2 du règlement concernant la procédure pour l'examen de réclamations sont respectées. Puis,
un comité de trois membres du Conseil d’administration, de composition tripartite, examine la ré-
clamation et la réponse du gouvernement en cause et transmet un rapport au Conseil
d’administration, qui effectue à son tour un examen de la plainte (comp. l’art. 3 al. 1, ainsi que les

160
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

une procédure de plainte868. Aucune de ces procédures ne peut être utilisée


par des individus isolés. La procédure de réclamation peut être entamée par
des organisations de travailleurs ou d’employeurs, tandis que le droit d’ouvrir
la procédure de plainte revient alternativement à un Etat partie à l’OIT, à un
délégué auprès de la Conférence générale des représentants des Etats mem-
bres, ou encore au Conseil d’administration lui-même869.

2.2.2. Le champ d’application personnel de la Convention n° 169

551. Cherchant à couvrir le plus grand nombre de situations possibles à tra-


vers le globe870, la Convention n° 169 ne propose pas de définition stricte de ce
que recouvrent les notions de « peuples indigènes » et « peuples tribaux ». Son
article 1er al. 1 trace le champ d’application personnel de la convention en dé-
crivant les communautés que la convention souhaite protéger871.

a) Des critères objectifs : les notions de peuples « indigènes » et


« tribaux »

552. Le champ d’application ratione personae de la Convention n° 169 est


une question de fait, relevant de l’appréciation de l’Etat partie. Néanmoins, en
vertu du principe de la bonne foi, les dispositions de la convention devraient
être appliquées à tout peuple remplissant les critères de son article premier872,
c’est-à-dire ceux relatifs aux caractéristiques soit d’un peuple tribal, soit d’un
peuple indigène. L’ensemble des éléments énoncés par l’article 1er al. 1er sont
des critères objectifs.
553. Ainsi, les caractéristiques d’un « peuple tribal » sont un style de vie
traditionnel, un mode de vie et une culture différentes des autres parties de la

art. 4, 5 et 7 du règlement concernant la procédure pour l'examen de réclamations). Au cas où la


réponse reçue du gouvernement ne serait pas considérée comme satisfaisante, le Conseil
d’administration est habilité à rendre publiques la réclamation et la réponse (comp. l’art. 8 du rè-
glement concernant la procédure pour l'examen de réclamations).
868
La procédure de plainte au sens de l’article 26 était d’abord destinée au règlement des différends
entre Etats, mais le droit de déposer une plainte a été étendu aux délégués à la Conférence; la pro-
cédure peut également être engagée d’office par le Conseil d’administration, notamment en tout
temps lorsqu’il a été saisi d’une plainte au sens des article 24 et 25 (comp. l’art. 10 du règlement
concernant la procédure pour l'examen de réclamations). Celui-ci a la faculté, après le dépôt d’une
plainte, de former une Commission d’enquête ad hoc. Le rapport de la Commission d’enquête est
ensuite soumis au Conseil d’administration. Dans un délai de trois mois, chaque gouvernement inté-
ressé dans le différend doit signifier au Directeur général du BIT s’il accepte ou non les recomman-
dations contenues dans le rapport de la Commission d’enquête. Au cas où il ne les accepterait pas, il
peut soumettre le litige à la Cour internationale de Justice (comp. l’art. 29 de la Constitution de
l’OIT), qui juge alors en dernier ressort et dont l’arrêt est définitif (comp. l’art. 31 de la Constitution
de l’OIT).
869
ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, pp. 5-6.
870
THORNBERRY (2002), p. 45; TOMEI/SWEPSTON, p. 5.
871
SWEPSTON (2005), p. 57.
872
Rapport du Directeur général du BIT, pp. 9-10, nos 14-15.

161
La situation juridique des Tziganes en Suisse

population du pays, une organisation sociale, des coutumes et des lois tradi-
tionnelles particulières873.
554. Quant au « peuple indigène », il est constitué de personnes vivant se-
lon un style de vie traditionnel, suivant un mode de vie et une culture différen-
tes des autres parties de la population du pays, qui ont une organisation so-
ciale ainsi que des institutions politiques propres et qui ont vécu historique-
ment dans la même région de façon continue, ou antérieurement à l’arrivée
d’autres populations874,875.
555. La Convention n° 169 cherche ainsi clairement à s’appliquer aussi à
d’autres peuples que ceux possédant un rapport culturel et traditionnel spéci-
fique à un certain territoire ou ayant connu la colonisation. L’expression de
« peuple tribal » est sensible, car elle est souvent associée à la notion de
« primitif » dans son sens négatif de « sous-développé ».
556. Néanmoins, si cette connotation péjorative peut effectivement ressortir
de la Convention n° 107876, elle n’est pas reprise dans le contexte de la Conven-
tion n° 169. Cette dernière reprend ce terme délicat afin de différencier entre
les peuples autochtones, qui se distinguent de la société dominante par des
traits caractéristiques culturels et structurels, formant ainsi des « sociétés dis-
tinctes », d’une part, et les peuples qui peuvent, face à des conquérants, se
prévaloir d’une présence antérieure et prioritaire sur un territoire auquel ils
sont traditionnellement rattachés, d’autre part877.
557. Par ailleurs, les deux lettres de cette disposition mettent en exergue
une autre différence entre ces deux catégories de peuples autochtones : si les
peuples indigènes possèdent certaines institutions politiques propres, les peu-
ples tribaux ne possèdent « que » des coutumes et traditions particulières878.

873
Art. 1er, al. 1, let. a : « La présente convention s'applique (…) aux peuples tribaux dans les pays in-
dépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions
sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes
ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale ».
874
Art. 1er, al. 1, let. b : « La présente convention s'applique (…) aux peuples dans les pays indépen-
dants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient
le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de
la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'Etat, et qui, quel que soit leur sta-
tut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou
certaines d'entre elles ».
875
TOMEI/SWEPSTON, p. 7.
876
Sur la notion de « peuple tribal » et « semi-tribal » au sens de la Convention n° 107, voir THORNBER-
RY (2002), pp. 43-44.
877
THORNBERRY (2002), pp. 39-40 et 43-45.
878
THORNBERRY (2002), p. 45.

162
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

b) Un critère subjectif : l’auto-identification

558. A son article 1er al. 2, la convention énonce un critère cumulatif pour
déterminer l’appartenance à de telles communautés, ne dépendant pas de la
reconnaissance étatique879 ; il s’agit d’un critère subjectif qui pose deux princi-
pes. Premièrement, la personne qui s’identifie comme appartenant à un peuple
remplissant les critères objectifs doit être reconnue comme en faisant partie.
Deuxièmement, le groupe qui estime de lui-même qu’il remplit les conditions
de l’alinéa premier doit être reconnu comme étant protégé par la convention.
En ce sens, la Convention n° 169 est le premier instrument international qui re-
connaît explicitement l’auto-identification des peuples indigènes et tribaux à
titre de critère fondamental880.

c) Les Tziganes en tant que peuple tribal

559. L’applicabilité de la Convention n° 169 aux Tziganes exige de pouvoir


qualifier ces derniers de peuple « indigène » ou « tribal ». Si l’article 14 de la
Convention traite spécifiquement des peuples nomades, les auteurs de cet ins-
trument n’avaient pas en tête l’hypothèse des Tziganes en Europe au moment
de sa rédaction, ce qui impose, dès lors, un certain travail d’interprétation881.
Le fait que BIT estime que le champ d’application personnel de la Convention
n° 169 doit être considéré comme vaste et être le plus large possible882 permet
de procéder à une telle démarche.
560. Si nous avons d’ores et déjà admis la qualité de « peuple » des Tziga-
nes, il nous paraît difficile de les qualifier de « peuple indigène » au sens de la
Convention. En effet, la condition de l’antériorité de la présence des Tziganes
sur les territoires européens par rapport aux membres des sociétés majoritaires
n’est pas remplie. Stricto sensu, leurs revendications ne sont pas territoriales et
ne portent pas sur l’usage et l’administration d’un territoire déterminé. De
plus, les Tziganes ne témoignent pas d’affinités culturelles particulières avec la
terre. Par ailleurs, on relèvera qu’ils n’ont pas été victimes de la colonisation.
561. Face à ce constat, certains commentateurs considèrent qu’il n’est pas
possible de protéger les Tziganes par le biais du système de protection des
peuples autochtones. Ainsi, même lorsque des parallèles saisissants sont effec-
tués entre la situation, l’histoire et les revendications d’un peuple indigène
unanimement reconnu comme tel, les Saamis, et celle des Tziganes, l’absence

879
Art. 1er, al. 2 : « Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un cri-
tère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente
convention ».
880
TOMEI/SWEPSTON, p. 8.
881
Dans ce sens, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 15.
882
Mémorandum du BIT, §10 ; Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 16 et 20.

163
La situation juridique des Tziganes en Suisse

de toute colonisation et de rattachement culturel ou historique à un territoire


conduit certains auteurs à ne pas les considérer comme un peuple, ni comme
une nation883.
562. Or, la Convention n° 169, en distinguant entre les peuples « tribaux »
et « indigènes » stricto sensu, offre ici une solution qui permet de sortir de
l’impasse découlant d’un accent placé exclusivement sur l’existence d’un rap-
port à la terre. Selon le Directeur général de l’OIT, «aucune disposition de la
convention ne permettrait d’exclure les gens du voyage de son champ
d’application s’ils satisfaisaient aux critères objectifs prévus au paragraphe 1 a)
de l’article 1 de la convention et s’ils remplissent le critère fondamental du sen-
timent d’appartenance à un peuple tribal »884.
563. Il nous paraît défendable de considérer que les Tziganes remplissent
les conditions pour pouvoir être qualifiés de « peuple tribal » au sens de
l’article 1, al. 1, lettre a de la Convention n° 169885. Jusqu’à présent, la pratique
relative à la Convention n° 169, ainsi que les débats entourant les peuples au-
tochtones de manière générale, se sont développés autour de la notion de
« peuple indigène », à l’exclusion de celle de « peuple tribal ».
564. En conséquence, il est difficile de trancher définitivement la question à
l’heure actuelle. Toutefois, en raison de la présence d’éléments objectifs et sub-
jectifs tendant à démontrer l’existence d’un peuple tzigane886 et des critères
employés par la Convention n° 169 pour définir la notion de « peuple tribal »,
nous suivons le Directeur général de l’OIT pour considérer qu’a priori, on ne
peut exclure que les Tziganes forment un tel peuple autochtone.

2.2.3. Les dispositions de la Convention n° 169 pertinentes pour les


Tziganes

a) Le contenu matériel de la Convention n° 169

565. Destinée à s’appliquer à un nombre indéterminé de situations nationa-


les très différentes les unes des autres, la Convention n° 169 est un instrument
à caractère programmatoire, aux dispositions imprécises887. Les Etats parties
sont donc au bénéfice d’une large marge d’appréciation pour mettre en œuvre
les obligations qui en découlent. Malgré la nature exécutoire de ses disposi-
tions, elle est néanmoins considérée par la Commission d’experts du BIT
comme l’instrument de droit international le plus exhaustif pour garantir aux
peuples indigènes et tribaux le droit de conserver leurs us et coutumes au sein

883
MEYER, p. 268 ; TRIFUNOVSKA, p. 186.
884
Rapport du Directeur général du BIT, p. 11, n° 19.
885
Dans ce sens, voir THORNBERRY (2002), p. 291.
886
Supra Section B.
887
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 10-11 ; SWEPSTON (2005), p. 689.

164
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

des sociétés dans lesquelles ils vivent, par l’établissement de droits minima
devant être reconnus et respectés par la pratique des Etats l’ayant ratifiée888.
566. Du fait de la précarité des conditions de vie matérielles et de
l’existence de situations juridiques difficiles, la Commission d’experts du BIT
estime que sa ratification entraîne potentiellement la modification des relations
entre l’Etat, la société majoritaire et les peuples indigènes et tribaux889, et que,
dès lors, son application est d’une « grande complexité » pouvant avoir des
« incidences profondes au sein même de l’ordre constitutionnel des Etats »890.
Son importance est donc significative, la doctrine n’hésitant pas à la qualifier
de « formidable instrument »891.
567. A la différence de la Convention n° 107, la Convention n° 169 utilise
expressément le terme de « peuples », alors qu’auparavant était employée
l’expression « populations », qui n’a aucune portée du point de vue du droit
international892 ; ce choix terminologique n’a donc rien d’anodin et est considé-
ré comme la démonstration de la reconnaissance de droits collectifs à l’égard
de ces groupes893.
568. Néanmoins, si la Convention n° 169 reconnaît par ce biais une certaine
personnalité juridique internationale à ces groupes, elle précise immédiate-
ment, à son article 1 al. 3, qu’il n’est pas de la compétence de l’OIT de se pro-
noncer sur le concept politique d’autodétermination, puisque son mandat ne
recouvre que les droits sociaux et économiques. De cette manière, l’OIT souli-
gne que l’objectif de la convention n’est pas de promouvoir l’autonomie ou
l’indépendance territoriale des peuples indigènes et tribaux, mais de faire naî-
tre une relation de respect entre ces derniers et les autorités étatiques894.
569. La notion de « peuple » qui est utilisée dans le cadre de cet instrument
n’a donc pas d’implication territoriale souverainiste, renvoyant à la facette ex-
terne de l’autodétermination. Cependant, cette restriction n’empêche pas la
Convention de reconnaître la facette interne de ce droit. En effet, elle pose le
principe d’auto-gestion (self-management) en faveur des communautés et af-
firme leur droit de décider de leurs propres priorités en matière économique et
sociale895.

888
Mémorandum du BIT, 2001, § 73.
889
Ainsi, la Commission d’experts du BIT souligne la capacité de la Convention n° 169 à influer sur le
droit positif des pays, en servant de point de repère pour certaines cours suprêmes du continent
américain dans le cadre de litiges opposant gouvernements et peuples indigènes et tribaux ; Mémo-
randum du BIT, 2001, § 74.
890
Mémorandum du BIT, 2001, § 73 ; Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, pp. 11-12.
891
THORNBERRY (2002), p. 417.
892
HEINTZE (1993), p. 316.
893
HEINTZE (1993), p. 315
894
HEINTZE (1993), p. 315 ; Mémorandum du BIT, 2001, §74.
895
TOMEI/SWEPSTON, p. 9.

165
La situation juridique des Tziganes en Suisse

570. La Convention n° 169 est également fondée sur le postulat que le peu-
ples autochtones ont le droit de continuer d’exister en conformité avec leurs
propres identités, de déterminer leurs priorités ainsi que leur propre rythme
de développement et la voie qu’elles souhaitent emprunter, à savoir si elles
souhaitent continuer d’exister en tant que populations distinctes ou non896.
Contrairement à la Convention n° 107, elle s’oppose ainsi à l’intégration pro-
gressive des peuples qu’elle protège897. Son objectif est de leur garantir le plus
grand degré d’autonomie socio-économique et administrative possible898.
571. S’inscrivant dans l’effort fourni par le BIT pour la promotion et la dé-
fense des droits économiques, sociaux et culturels dans le plein respect de
l’interdiction des discriminations, la Convention n° 169 souligne à son article 2
al. 2 let. b l’importance de cette catégorie de droits fondamentaux pour les
membres des peuples indigènes au sein des Etats899. Enfin, cet instrument est
profondément attaché à la reconnaissance des droits collectifs et est, à ce titre,
le premier traité formellement contraignant qui les consacre900.
572. L’approche des droits des peuples tribaux et indigènes qui est promue
par la Convention n° 169 est large. Le cœur de ses dispositions concerne la né-
cessité de respecter l’existence et les modes de vie de ces peuples et de les faire
pleinement participer aux processus décisionnels les concernant. Dans ce
contexte, l’octroi d’importants droits de participation dans un grand nombre
de domaines est l’une des caractéristiques de cette convention901.
573. Ainsi, l’article 2 al. 1er de la Convention peut être considéré comme la
clause générale de cet instrument, énonçant qu’il « incombe aux gouverne-
ments, avec la participation des peuples intéressés, de développer une action
coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de
garantir le respect de leur intégrité »902.
574. Dans ce cadre, des mesures positives doivent être prises, comme le
précise la lettre c de cette disposition : « Cette action doit comprendre des me-
sures visant à : (…) aider les membres desdits peuples à éliminer les écarts so-
cio-économiques qui peuvent exister entre des membres indigènes et d'autres
membres de la communauté nationale, d'une manière compatible avec leurs

896
Comp. l’art. 7 al. 1 de la Convention n° 169.
897
THORNBERRY (2002), p. 345.
898
SWEPSTON (2005), p. 57.
899
Art. 2 al. 2 let. b de la Convention n° 169 : « (…) promouvoir la pleine réalisation des droits sociaux,
économiques et culturels de ces peuples, dans le respect de leur identité sociale et culturelle, de
leurs coutumes et traditions et de leurs institutions. » Voir également SWEPSTON (2005), p. 60 ainsi
que L’administration de la justice, les droits économiques, sociaux et culturels, protection des peu-
ples autochtones et des minorités et prévention de la discrimination à leur égard, Mémorandum du
17 juillet 2001 présenté par le BIT à la Sous-commission de la promotion et de la protection des
droits de l’homme, 53ème session, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/2001/24.
900
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16 ; THORNBERRY (2002), pp. 345-346 et 417.
901
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16 ; THORNBERRY (2002), p. 417.
902
HEINTZE (1993), p. 316.

166
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

aspirations et leur mode de vie ». De manière plus spécifique encore, l’article 6


impose aux Etats parties de consulter les peuples indigènes et tribaux chaque
fois que des mesures législatives ou administratives pouvant les toucher direc-
tement sont envisagées. Cette consultation doit se faire au travers de procédu-
res appropriées.
575. Plusieurs dispositions sont par ailleurs consacrées à l’éducation et à la
formation professionnelle, en précisant notamment que lorsque la formation
d’application générale ne répond pas aux besoins des personnes intéressées,
des programmes et des moyens spéciaux doivent être conçus de concert avec
les peuples concernés, en prenant en compte le milieu économique, la situation
sociale et culturelle et les besoins de ces derniers (article 22 al. 2 et 3). L’article
23 impose, pour le surplus, la reconnaissance, le renforcement et la promotion
des activités traditionnelles, comme l’artisanat ou encore les industries rurales
à titre de facteurs culturels importants pour leur développement économique
et leur autosuffisance.
576. Enfin, la Convention n° 169 énonce explicitement l’existence de droits
à l’égard des territoires que les peuples indigènes occupent traditionnellement,
ainsi que le droit d’accès aux ressources naturelles en lien avec ces territoires,
de même que le respect que l’Etat doit démontrer à l’égard des relations entre-
tenues par ces peuples envers leurs territoires, ainsi que pour les modes tradi-
tionnels de transmission de la propriété (articles 13 à 19). Les contacts et la
coopération transfrontaliers entre les différents groupes indigènes et tribaux
sont par ailleurs protégés (article 32)903.

b) L’apport de la Convention n° 169 pour les Tziganes

577. Plusieurs dispositions de la Convention n° 169 s’avèrent intéressantes


pour les Tziganes. Les normes consacrées au respect de l’identité du peuple en
question et de ses coutumes sont particulièrement pertinentes. On relèvera
également les dispositions protégeant leur souhait d’autonomie en matière de
gestion culturelle et structurelle, ainsi que celles invitant à prendre en compte
les procédures traditionnelles de résolution des conflits. Le fait que cet instru-
ment invite les Etats à prévoir des formations professionnelles adaptées aux
pratiques traditionnelles pour ceux qui le souhaitent et qu’il engage à recon-
naître la valeur des activités économiques traditionnelles est aussi digne
d’intérêt en ce qui les concerne.
578. A notre sens, malgré l’absence de rattachement culturel et spirituel à
un certain territoire, la problématique du respect des spécificités culturelles
tziganes inclut néanmoins également un facteur foncier. Dans ce cadre, les
dispositions de la Convention relatives à la nécessité de partager le territoire et

903
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16.

167
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ses ressources de façon à prendre en compte les besoins des peuples indigènes
prennent également du sens. Parmi ces derniers, l’article 14 joue un rôle cen-
tral904 : il protège notamment le droit d’accès aux terres qui sont nécessaires
aux peuples pour leurs activités traditionnelles et de subsistance, qui sont el-
les-mêmes promues et protégées par l’article 23 al. 1 de la Convention905.
579. En effet, la question de la création d’aires de stationnement temporaire
ou durable a directement trait au partage du territoire entre groupes nomades
et majorité sédentaire et à son accessibilité. La raréfaction des lieux de station-
nement disponibles trouve ses racines dans une vision de l’espace orientée ex-
clusivement en faveur du mode de vie majoritaire, fondé, dans les sociétés oc-
cidentales, sur la notion de propriété foncière. Or, nous avons déjà établi le lien
direct existant entre le nomadisme des Tziganes et leurs activités économi-
ques906.
580. A titre incident, on remarquera que s’il n’y a pas, en effet, d’antériorité
du point de vue de la présence historique sur les territoires nationaux, il est
possible d’établir une analogie entre, d’une part, le statut de terra nullius attri-
bué aux territoires conquis par les puissances occidentales et, d’autre part,
l’exclusion des besoins des populations tziganes nomades lors de
l’établissement initial des normes relatives à la gestion du territoire.
581. L’importance significative de ce rapport de force relatif à l’usage des
ressources territoriales est, à notre sens, mise en lumière par le fait que le pre-
mier pas vers une reconnaissance concrète des spécificités culturelles tziganes
en Suisse a été réalisé lorsque le Tribunal fédéral a affirmé que les besoins de
ce «groupe de population » devaient être pris en compte lors de
l’aménagement du territoire907.
582. Ce faisant, le Tribunal fédéral a clairement indiqué que, tant d’un
point de vue littéral que figuré, une place devait être aménagée pour cette

904
Art. 14 de la Convention n° 169 : « 1. Les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils
occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés. En outre, des mesures
doivent être prises dans les cas appropriés pour sauvegarder le droit des peuples intéressés d'utili-
ser les terres non exclusivement occupées par eux, mais auxquelles ils ont traditionnellement accès
pour leurs activités traditionnelles et de subsistance. Une attention particulière doit être portée à cet
égard à la situation des peuples nomades et des agriculteurs itinérants. 2. Les gouvernements doi-
vent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés
occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de
possession. 3. Des procédures adéquates doivent être instituées dans le cadre du système juridique
national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples intéres-
sés. »
905
Art. 23 al. 1 de la Convention n° 169 : « L'artisanat, les industries rurales et communautaires, les
activités relevant de l'économie de subsistance et les activités traditionnelles des peuples intéressés,
telles que la chasse, la pêche, la chasse à la trappe et la cueillette, doivent être reconnus en tant
que facteurs importants du maintien de leur culture ainsi que de leur autosuffisance et de leur déve-
loppement économiques. Les gouvernements doivent, avec la participation de ces peuples, et, s'il y
a lieu, faire en sorte que ces activités soient renforcées et promues. »
906
Supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 2.1.
907
ATF 129 II 321, 328 Bittel.

168
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

communauté dans le contexte de la gestion du territoire, a fortiori au sein de la


société. Ceci s’insère dans la droite ligne de la philosophie de la Convention n°
169 qui exige, à son article 14, que soit aménagé et respecté un véritable espace
vital favorisant l’exercice du mode de vie traditionnel des peuples autochtones
et qui permette le maintien de leur culture, ainsi que leur autosuffisance et dé-
veloppements économiques908.
583. Enfin, le cœur de cet instrument de l’OIT est constitué des obligations
étatiques en matière de consultation et de participation des principaux intéres-
sés dans les processus décisionnels les concernant. Ce besoin de participation
est d’ailleurs clairement exprimé par les organisations tziganes, ce qui souligne
la pertinence et l’importance de normes contraignantes engageant les Etats à
mettre sur pied les structures nécessaires au niveau national et à les rendre ef-
ficaces.
584. La Convention n° 169 de l’OIT possède ainsi un potentiel pour les Tzi-
ganes, en particulier nomades. Nous aurons toutefois l’occasion de constater
ultérieurement que d’un point de vue matériel, le droit des minorités offre
d’ores et déjà aux Tziganes une série de garanties spécifiques qui se recoupent,
pour l’essentiel, avec ce qu’apporte la Convention n° 169909. Dans ce cadre, la
question de son intérêt concret pour les Tziganes suisses peut se poser. Nous
en discuterons ci-après, lors de notre analyse de la prise de position des autori-
tés suisses relative à l’opportunité de sa ratification910.

D. Les Tziganes et le droit des peuples autochtones :


appréciation générale

585. Un ensemble d’éléments objectifs et subjectifs permettent de considé-


rer que les Tziganes forment un peuple dispersé sur l’ensemble du continent
européen. Si l’on conçoit le droit à l’autodétermination des peuples sous un
angle traditionnel, l’absence de prétention territoriale fait perdre a priori à la
qualification de peuple tout intérêt juridique. Toutefois, la facette interne du
droit à l’autodétermination a acquis un poids et une importance qui confèrent
à la qualité de peuple un véritable intérêt pour les Tziganes puisqu’elle coïn-
cide avec les objectifs des organisations tziganes.
586. Dans ce contexte, le système de protection des droits des peuples au-
tochtones se révèle pertinent. Ceci, non seulement du fait des similitudes pou-
vant être tracées entre l’histoire des peuples autochtones et l’histoire des Tzi-

908
Dans ce sens, concernant les Tziganes en Suisse, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp.
35-36.
909
Infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C.
910
Infra Chapitre IV, Section B, 2.

169
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ganes, mais également en raison de leurs situations socio-économiques actuel-


les et de leurs objectifs communs, à savoir l’obtention d’un certain degré
d’autonomie organisationnelle. En distinguant entre « peuples indigènes » et
« peuples tribaux », la Convention n° 169 de l’OIT offre la possibilité de ratta-
cher les Tziganes à cet instrument.
587. Par ailleurs, la dimension transnationale de la présence des Tziganes
en Europe et de leur culture est un facteur à prendre en compte. C’est précisé-
ment la vision globale, transfrontalière, qui peut donner son importance à la
reconnaissance des Tziganes en tant que peuple, en l’occurrence tribal. Ce sta-
tut permet de sortir de l’impasse créée par le désir d’affirmer l’existence d’une
« minorité transnationale » ou « européenne », expressions qui n’ont aucune
portée du point de vue du droit international des minorités.
588. En outre, qualifier les Tziganes de peuple tribal permet également,
premièrement, de les aborder en tant que groupe unique bien que diversifié,
deuxièmement, d’inclure celles et ceux vivant hors du continent européen911 et,
troisièmement, de rendre mieux justice à leur présence historique – plus de
cinq cents ans – sur celui-ci.
589. Toutefois, l’application de la Convention n° 169 et de ses mécanismes
de mise en œuvre est redevable de sa ratification par les Etats. En ce sens,
l’intérêt de la reconnaissance des Tziganes en tant que peuple tribal se heurte à
nouveau, dans les faits, à la nécessité d’une reconnaissance dans chaque pays.
Il n’en demeure pas moins que dans un contexte profondément influencé par
les préjugés, mais également par les messages symboliques et politiques,
l’applicabilité potentielle d’un tel traité à cette communauté revêt une impor-
tance incontestable.
590. Cependant, il est trop tôt pour déterminer avec précision quel système
international – droit des minorités ou droit des peuples autochtones – sera à
même, dans le futur, de conférer la protection la plus efficace à cette commu-
nauté. A notre sens, il est tout d’abord nécessaire que les communautés tziga-
nes parviennent à une meilleure coordination au niveau international, par le
biais de leurs organisations internationales et au sein des institutions. Ensuite,
il reviendra à leurs membres de déterminer quel objectif ils souhaitent attein-
dre dans leurs relations avec les non-Tziganes.
591. En effet, le droit des minorités cherche à intégrer les minorités dans la
société, dans le respect de leurs particularités et en protégeant l’identité collec-
tive du groupe, en promouvant leur participation et consultation912, tandis que

911
A titre d’exemple, on relèvera que le Brésil possède également une minorité tzigane, dont la situa-
tion préoccupe notamment le CERD : celui-ci a exprimé son inquiétude face à des allégations de
discriminations que subiraient les Tziganes dans ce pays, en matière d’inscription au registre d’état
civil de leurs enfants à la naissance et d’accès à l’école ; voir les Observations finales du CERD rela-
tives au Brésil, du 12 mars 2004, UN Doc. CERD/C/64/CO/2, § 17.
912
Voir également infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3.

170
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones

le droit des peuples autochtones cherche à obtenir une véritable autonomie or-
ganisationnelle et à faire cohabiter plusieurs sociétés sur le même territoire. Du
point de vue de la place d’une communauté au sein de la société majoritaire,
ces deux mouvements poursuivent donc des objectifs divergents, bien que la
pratique du Comité des droits de l’homme et du Comité consultatif de la
CPMN démontre qu’un système de protection n’exclut pas l’autre913.

913
Supra Section A, 3.2.

171
La situation juridique des Tziganes en Suisse

172
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

Chapitre IV: Les Tziganes en tant que groupe


minoritaire en Suisse

592. Les développements qui précèdent vont nous permettre d’évaluer la


nature du statut du groupe minoritaire tzigane en Suisse. Nous analyserons
dans un premier temps sa situation du point de vue du droit des minorités
(A.), en examinant sous quelle forme le droit suisse reconnaît l’existence d’une
minorité tzigane. Dans un second temps, dans une approche prospective,
puisque la Suisse n’a pas ratifié à ce jour la Convention n° 169 de l’OIT, nous
tâcherons de déterminer si les Tziganes suisses peuvent être qualifiés de
« peuple tribal », au sens de cet instrument (B.).

A. La minorité tzigane en Suisse

593. Les difficultés rencontrées au niveau international pour appréhender


le groupe minoritaire tzigane sous l’angle du droit des minorités trouvent un
écho dans la politique suisse en la matière. Plus précisément, il existe une cer-
taine confusion dans la terminologie officielle employée pour qualifier les par-
ticularités tziganes, ainsi qu’à l’égard du cercle des personnes pouvant se pré-
valoir de ce statut.
594. Après avoir examiné si et dans quelle mesure les Tziganes sont consi-
dérés en Suisse comme formant une minorité ethnique (1.), nous détermine-
rons également comment ce cercle se recoupe avec celui de minorité nationale,
au sens de la CPMN, du point de vue de la Suisse (2.). Une appréciation per-
sonnelle conclura cette analyse (3.).

1. Les Tziganes en tant que minorité ethnique en Suisse

595. En droit interne suisse, l’unique consécration formelle de la notion de


minorité ethnique se trouve dans la constitution du canton d’Argovie et
concerne les Tziganes nomades. L’article 48 Cst./AG dispose, en effet, que
« [d]er Kanton kann in Zusammenarbeit mit den Gemeinden nichtsesshaften ethnis-
chen Minderheiten geeignete Örtlichkeiten für einen befristeten Aufenthalt zur Verfü-
gung stellen ».
596. Pour sa part, le droit fédéral ne connaît pas cette expression.
L’évolution de la position officielle des autorités par rapport aux Tziganes du-
rant les deux dernières décennies, d’une part, et les engagements contractés au
niveau international en matière de droits des minorités, d’autre part, ont

173
La situation juridique des Tziganes en Suisse

néanmoins conduit de nombreuses autorités à s’exprimer sur les spécificités


ethno-culturelles de ces derniers.
597. Nous pourrons constater que le lien avec le droit international des mi-
norités n’est pas réalisé de façon systématique et qu’une certaine contradiction
apparaît entre la position de la Suisse vis-à-vis de ses interlocuteurs interna-
tionaux et celle des autorités dans le contexte interne. Dès lors, nous présen-
tons ci-dessous les positions du gouvernement suisse face aux organismes in-
ternationaux (1.1.), celles du législateur fédéral (1.2.), du Tribunal fédéral (1.3.)
et enfin de l’administration fédérale (1.4.).

1.1. La position du gouvernement suisse face aux organismes


internationaux

598. Les différents rapports soumis durant ces dernières années par le gou-
vernement suisse aux organes de surveillance des traités internationaux que
sont le Comité des droits de l’homme, le Comité pour l’élimination de la dis-
crimination raciale et le Comité consultatif de la CPMN indiquent que les au-
torités helvétiques conçoivent que les Tziganes forment une minorité ethnique
protégée par le droit international. Leur lecture révèle non seulement
l’évolution de la position des autorités sur cette question, mais également les
hésitations quant au nombre exact de personnes constituant les Tziganes suis-
ses, nomades et sédentarisés. Les chiffres présentés ci-dessous se réfèrent cha-
que fois à ceux employés dans les documents cités.
599. Lors de la présentation de son rapport initial au Comité des droits de
l’homme en 1995, le gouvernement suisse a déclaré qu’au sens de l’article 27
Pacte II, il n’existait pas de minorités ethniques stricto sensu en Suisse, mais que
l’on pouvait considérer toutefois que les 25'000 Tziganes suisses constituaient
un groupe susceptible d’être concerné à ce titre, devenant ainsi la seule minori-
té ethnique de Suisse914.
600. On peut en conclure, premièrement, que l’ensemble des Tziganes de
nationalité suisse – sédentarisés ou nomades – est pris en considération. Ils
forment un groupe ethnique protégé par le système universel des minorités,
l’accent étant placé non pas sur l’exercice du voyage, mais sur ses spécificités
ethno-culturelles. Deuxièmement, on constate que, selon cette approche, les
Tziganes étrangers de passage n’entrent pas dans le champ d’application de
l’article 27 Pacte II aux yeux de la Suisse.

914
Rapport initial présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/81/Add. 8, du 26 mai 1995, § 488.
MALINVERNI (MINORITES), p. 244.

174
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

601. En 1998, lors de la présentation de son deuxième rapport périodique


au Comité des droits de l’homme915, le gouvernement suisse, concernant
l’article 27 Pacte II, s’est fondé sur les réflexions entreprises par la Suisse en re-
lation avec la ratification de la CPMN qui devait s’effectuer peu de temps
après916. A cette occasion, le gouvernement a affirmé que les « gens du
voyage » suisses - sans autres informations relatives à leur nombre ou à leur
qualité de nomades – peuvent être qualifiés de minorité en Suisse.
602. Dans ce rapport, les autorités ne présentent pas les « gens du voyage »
sous un angle ethnique à strictement parler, mais utilisent à leur égard le qua-
lificatif de « minorité culturelle »917. Il n’est fait nulle mention des Tziganes
étrangers, ce qui permet de conclure qu’à ce stade, les autorités fédérales ex-
cluent encore ces derniers du champ d’application de l’article 27 Pacte II.
603. La notion de minorité « culturelle » est reprise par la suite. D’une part,
dans le rapport initial de la Suisse relatif à la ratification de la Charte euro-
péenne des langues régionales et minoritaires en 1999, le Conseil fédéral indi-
que que les 30’000 « tsiganes [sic] suisses » sont des Jénisch et qu’ils sont consi-
dérés comme formant une « minorité « culturelle » et non pas comme une mi-
norité linguistique »918. Par ailleurs, quatre ans plus tard, la langue jénisch est
considérée par les autorités fédérales comme constituant une « langue natio-
nale non territoriale », au sens de l’article 1er lettre c CLMR, parlée par les 30 à
35'000 Jénisch suisses entre eux919.
604. D’autre part, le troisième rapport périodique rendu au Comité pour
l’élimination de la discrimination raciale en 2000 évoque également la dimen-
sion essentiellement culturelle de ce groupe minoritaire, mais de façon indi-
recte. En effet, le rapport traite des 25 à 30’000 « gens du voyage » suisses
comme d’une minorité distincte des minorités religieuses et linguistiques suis-
ses, sans toutefois employer le terme de minorité ethnique.
605. Selon le rapport, ils constituent une catégorie de minorité « à part ».
Bien que le gouvernement parle de la « minorité des gens du voyage », les chif-
fres employés montrent que les Tziganes sédentarisés sont inclus dans le
groupe. Le Conseil fédéral semble rattacher ces derniers à la catégorie «minori-
té culturelle », en présentant les efforts consentis par la Confédération pour

915
Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/CH/98/2, du 29 sep-
tembre 1998.
916
FF 1998 I 1033-1071.
917
Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/CH/98/2, du 29 sep-
tembre 1998, §235 et 242.
918
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 11.
919
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16 ; Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 25. Pour
une analyse plus approfondie de la situation de la langue jénisch dans le paysage linguistique suisse
au regard des engagements contractés sous l’égide de la CLMR, voir infra Titre Quatrième, Chapitre
IV.

175
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sauvegarder leur culture920. Dans ce cadre, le statut des Tziganes étrangers de


passage n’est pas évoqué.
606. Enfin, en 2001, à l’occasion du rapport initial suisse déposé devant le
Comité consultatif de la CPMN, les autorités helvétiques affirment que la pro-
tection universelle de l’article 27 Pacte II s’applique aux non-ressortissants, qui
ne peuvent se prévaloir des dispositions de la CPMN en raison de la déclara-
tion interprétative de la Suisse au sujet de l’exigence du lien de nationalité921.
La CPMN s’appliquant aux Tziganes suisses, comme nous le verrons ci-
après922, force est de constater que, dans ce rapport du moins, aux yeux du
gouvernement, l’article 27 Pacte II s’applique aux Tziganes étrangers se trou-
vant sur le territoire suisse, en reconnaissant leur droit d’exercer leur mode de
vie traditionnel et leur langue minoritaire sous les auspices de cette disposi-
tion.

1.2. Le législateur fédéral

607. Nous avons déjà évoqué le fait que le droit fédéral n’emploie pas la
notion de minorité ethnique. Ainsi, la loi fédérale du 7 octobre 1994 concernant
la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » n’utilise pas la no-
tion de minorité à l’égard de cette communauté. Si, dans son titre, elle consacre
formellement l’expression « gens du voyage », « Fahrende », « nomadi », elle
traite par la suite de la « population nomade », « fahrende Bevölkerung »,
« nomadi » (article 1er) et de la nécessité de préserver son identité culturelle.
608. Cette loi se fonde sur le rapport de la Commission de la sécurité so-
ciale du 28 août 1991 consacré à la situation des Tziganes suisses nomades923.
On peut dès lors en déduire que le législateur fédéral, dans ce cadre, en sus
d’approcher la question d’un point de vue culturel uniquement, circonscrit le
cercle des personnes concernées à celles et ceux vivant selon le mode de vie
itinérant. La dimension plus large de l’appartenance ethnique est donc ab-
sente.
609. Par ailleurs, l’article 3 al. 1er, 2ème phrase de la loi fédérale sur les droits
politiques924 précise que « les gens du voyage votent dans leur commune
d’origine ». Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur les fonde-
ments et l’opportunité de ce choix925, mais on peut constater à ce stade déjà
qu’il apparaît clairement que sont concernés ici les Tziganes exerçant un mode

920
Troisième rapport périodique présenté par la Suisse au CERD, UN Doc. CERD/C/351/Add.2, §20 et
§56-57, du 14 novembre 2000.
921
Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 101.
922
Infra Section 2.
923
FF 1991 IV 449.
924
Loi fédérale sur les droits politiques, du 17 décembre 1976 (LDP ; RO 1978 685 ; RS 161.1).
925
Infra Titre Quatrième, Chapitre II, Section C.

176
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

de vie nomade. Ici également, le législateur adopte une vision restrictive du


cercle formé par les Tziganes suisses.

1.3. Le Tribunal fédéral

610. Dans sa jurisprudence relative à différents litiges ayant trait à la créa-


tion de places de stationnement à destination des Tziganes nomades, le Tribu-
nal fédéral se réfère uniquement à la loi fédérale relative à la création de la
fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage en Suisse ». Renvoyant à
l’utilisation de l’expression « population nomade » dans la loi, il se fonde sur le
critère de l’itinérance active pour opérer une distinction entre la société séden-
taire, ou résidente, et la population nomade formée par les « gens du voyage
suisses ». Ainsi, selon les termes de notre Haute Cour, « les gens du voyage
suisses constituent, dans notre pays, un groupe de population (population
nomade, qui se distingue sur ce point du reste de la population, sédentaire)
(…) »926.
611. Cette démarche est en soi logique en raison de la nature des litiges en
cause qui ont effectivement trait au mode de vie nomade ; l’emploi de
l’expression « groupe de population » permet, de plus, de réaliser aisément un
syllogisme appliquant l’article 3 al. 3 LAT qui exige de prendre en compte « les
besoins de la population ». Toutefois, on ne peut que constater l’absence de
renvoi aux prises de position de la Suisse devant les instances internationales –
notamment sur la question de ses engagements en matière de réalisation de
places de stationnement – qui soulignent le statut de minorité des Tziganes
suisses, au sens du droit international.
612. Nous avons démontré qu’une telle reconnaissance est particulièrement
importante d’un point de vue juridique. On regrettera l’absence de prise en
considération de ce facteur par le Tribunal fédéral, et ce bien que, dans l’arrêt
Bittel, le recourant fasse explicitement grief d’une violation de l’article 27 Pacte
II927. A cet égard, nous analyserons plus en détail les fondements et les consé-
quences de cette approche restrictive exprimée par le Tribunal fédéral928.

1.4. L’administration fédérale

613. Dans son Message adressé aux Chambres en 1996 relatif à la ratifica-
tion de la CLMR, le Conseil fédéral affirme, sans autre précision quant à leur
qualité de groupe culturel ou ethnique, ni quant à l’exercice ou non d’un mode
de vie nomade, que « les tsiganes [sic] suisses ne sont ni des Roma ni des Sinti

926
ATF 129 II 321, 327 Bittel; RDAF 2004 I 59, 63.
927
ATF 129 II 321, 329 Bittel.
928
Infra Titre Troisième, Chapitre I, Section A, 1.3.2.

177
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mais des Jenich [sic] »929. Cette affirmation n’est pas entièrement correcte, puis-
qu’une fraction des Tziganes suisses est d’origine sinti.
614. Six ans plus tard, dans son avis de droit du 27 mars 2002, l’Office fédé-
ral de la justice affirme que les « gens du voyage » en Suisse constituent une
minorité ethnique et culturelle au sens de l’article 27 Pacte II, du fait que les
membres de cette communauté partagent une langue, une culture, une his-
toire, des aspirations et une identité communes930.
615. Selon l’Office fédéral de la justice, dans le contexte suisse, la notion de
« gens du voyage » décrit les différents groupes de population vivant de façon
nomade ou quasi-nomade, et qui fondent leurs activités lucratives et leur
culture sur ce mode de vie.
616. L’OFJ précise que seul le critère du nomadisme actif est pertinent pour
déterminer le caractère ethnique de la minorité, à l’exclusion de ceux de
l’origine, de l’ascendance et de la langue : par ce biais sont protégés non seu-
lement les Jénischs, considérés comme un groupe tzigane « autochtone » par
l’OFJ931, mais également les Rroms/Sinti et les autres communautés, pour au-
tant que leurs membres exercent le mode de vie itinérant.
617. Pour cet office, la nationalité per se n’est pas un critère déterminant
pour délimiter le cercle des personnes concernées. Certes, elle permet de tracer
le champ d’application de la loi fédérale relative à la fondation « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses » ; néanmoins, elle n’est pas pertinente
pour déterminer le contour de la minorité formée par les « gens du voyage ».
Pour cette raison, l’OFJ estime qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser le critère de
la nationalité ni dans la loi fédérale, ni dans le nom de la fondation932. En
conséquence, l’OFJ qualifie de minorité ethnique bénéficiant de la protection
de l’article 27 Pacte II les Tziganes nomades uniquement, quelle que soit leur
nationalité ou leur origine ethnique.
618. Enfin, en 2006, le rapport du Conseil fédéral relatif à la situation des
Tziganes en Suisse évoque le chiffre de 25'000 à 30'000 Tziganes suisses, dont
4’000 à 5'000 pratiquent le voyage. L’expression « gens du voyage » y est em-
ployée pour traiter des Tziganes nomades, qu’ils soient suisses ou étrangers,
jénisch ou rroms, tandis que le rapport parle de la « langue et culture » jénisch
lorsqu’il s’agit de distinguer la communauté jénisch des autres groupes d’un
point de vue culturel933.

929
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1118.
930
OFJ (2002), pp. 582-583.
931
OFJ (2002), p. 590.
932
OFJ (2002), p. 591.
933
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 6-7. Au vu de cette distinction, on regrettera la confusion
générée par le Conseil fédéral lorsqu’il affirme, dans son deuxième rapport auprès du CDH en 1998,
que la Suisse « a expressément reconnu les Yéniches comme une minorité au sens de l’art. 27
[Pacte II] ». Ce rapport se référant à la minorité des « gens du voyage », en ne restreignant pas à

178
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

619. Dans ce rapport, le Conseil fédéral distingue entre le groupe ethnique


formé par la communauté rrom, sinti et manouche, d’une part, et les Jénisch
d’autre part, sans autre précision quant à la qualité de ces derniers. Concernant
le caractère « ethnique » des gens du voyage pris dans leur ensemble, le rap-
port renvoie à la position de la Suisse dans son troisième rapport périodique
auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Se fondant
sur la systématique de ce rapport, il place les « gens du voyage » dans une ca-
tégorie portant spécifiquement leur nom, estimant que les Tziganes constituent
une minorité « en soi » - ni linguistique, ni ethnique –, mais envers qui la
CIERD trouve tout de même application934.

2. Les Tziganes suisses en tant que minorité nationale

620. Le droit interne suisse ne fait aucune mention du concept de


« minorité nationale ». Selon la doctrine, ceci est dû au fait qu’il n’existe pas en
Suisse de groupe minoritaire se réclamant d’une nation se trouvant dans un
autre Etat935. Cette approche renvoie à la conception germanique de la notion
de minorité nationale, telle que nous l’avons exposée ci-dessus936. Par la ratifi-
cation de la CPMN, et au travers de la déclaration émise dans ce contexte, le
gouvernement suisse a signifié qu’il ne suivait pas cette définition de la mino-
rité nationale, et qu’il se référait au contraire à l’approche française937, adoptée
au sein du Conseil de l’Europe. Ce faisant, la Suisse étend le champ
d’application de la CPMN à la communauté des « gens du voyage »938.
621. Cette déclaration souligne explicitement l’exigence de la nationalité
suisse des membres pour qu’un groupe puisse être qualifié de minorité natio-
nale au sens de la CPMN. Dans son rapport initial, le gouvernement applique

une certaine communauté, il n’est pas correct d’affirmer que seuls les Jénisch sont reconnus par la
Suisse en tant que minorité au sens de l’art. 27 Pacte II.
934
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 22-23.
935
MALINVERNI (Minorités), pp. 243-244.
936
Supra Chapitre II, Section A, 3.2.2., a.
937
A titre de rappel (voir supra Titre Premier, Chapitre III, Section 5), selon cette déclaration, consti-
tuent des minorités nationales suisses « les groupes de personnes qui sont numériquement infé-
rieurs au restant de la population du pays ou d'un canton, sont de nationalité suisse, entretiennent
des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont animés de la volonté de préserver en-
semble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou
leur langue ». Pour le gouvernement suisse, cette définition suit les éléments de la notion de
« minorité nationale » de l'art. premier du projet de protocole additionnel de l'Assemblée parlemen-
taire du Conseil de l'Europe du 1er février 1993. Elle s'inspire aussi de l'art. 2, paragraphe 1, du pro-
jet de Convention européenne pour la protection des minorités du 4 mars 1991 élaboré par la
Commission européenne pour la démocratie par le droit ; Rapport initial suisse, note 116.
938
FF 1998 1033, 1046-1048 ; Rapport initial suisse, § 95-96.

179
La situation juridique des Tziganes en Suisse

la notion à l’ensemble de la communauté des Tziganes de nationalité helvéti-


que, sédentarisés et nomades939.
622. Les différentes autorités fédérales ont également des positions
divergentes à l’égard du cercle des bénéficiaires de la CPMN. Ainsi, dans son
avis de droit de 2002, l’Office fédéral de la justice conclut que seuls les
Tziganes possédant la nationalité suisse et ayant un mode de vie culturel et
économique nomade ont le statut de minorité nationale protégée par cette
convention940.
623. On relèvera que le point de départ du raisonnement de l’OFJ est le
rapport de la Commission de la sécurité sociale de 1991, ainsi que la loi fédé-
rale « Assurer l’avenir des gens du voyage suisse » consacrée à la « population
itinérante ». Se fondant sur la concision ainsi que sur ce qu’il considère être un
manque de clarté du Message du Conseil fédéral relatif à la CPMN, l’office
juge la position du Conseil fédéral sur ce que recoupe la notion de « Gens du
voyage » est vague et appelle des précisions. Il estime donc nécessaire de clari-
fier cette imprécision, en l’occurrence en restreignant la qualité de minorité na-
tionale aux Tziganes nomades suisses941.
624. A notre sens, on se référera au rapport initial présenté au Comité
consultatif pour trancher la question. En effet, c’est ce document qui déter-
mine, au regard de cet organe, la politique de la Suisse dans le domaine. En
renvoyant à l’existence d’une communauté forte de 25'000 à 30'000 membres,
on ne peut que conclure que, pour le gouvernement, les Tziganes suisses sé-
dentarisés sont également inclus dans le champ d’application personnel de la
CPMN. Le rapport du Conseil fédéral de 2006 va dans ce sens puisqu’il affirme
que « [la CPMN] ne s’applique (…) pas aux Sinti et aux Roms étrangers, mais
aux Yénisches (sic) et aux Sinti ayant la nationalité suisse»942. La pratique d’un
nomadisme actif n’est donc pas retenue à titre de critère pertinent.

3. Appréciation

625. Ces différentes positions appellent plusieurs remarques portant sur la


qualification des Tziganes en tant que « minorité culturelle » (3.1.), sur le no-
madisme à titre de critère pertinent pour déterminer le cercle des membres de
la minorité (3.2.), et sur la protection des Tziganes étrangers (3.3.).

939
Rapport initial suisse, § 96 : « La communauté des gens du voyage compte en Suisse entre 25'000
et 30'000 personnes. Les Jenish (sic) forment le principal groupe des gens du voyage de nationalité
suisse; il existe cependant d'autres gens du voyage suisses, qui appartiennent le plus souvent au
groupe des Sinti (manouches) ».
940
OFJ (2002), p. 607 : « Die Fahrenden als Bevölkerungsgruppe mit schweizerischer Staatsangehörig-
keit und einer wirtschaftlich und kulturell auf Nichtsesshaftigkeit ausgerichteten Lebensweise gelten
als geschützte nationale Minderheit ».
941
OFJ (2002), p. 588.
942
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 25.

180
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

3.1. Les Tziganes en tant que « minorité culturelle »

626. Il est premièrement nécessaire que les autorités emploient expressé-


ment dans leurs documents officiels le terme de « minorité » à l’égard des Tzi-
ganes, et non pas uniquement ceux de « communauté» ou encore
« population ». Du point de vue du droit international, et en particulier du sys-
tème de protection des minorités, cette précision sémantique est importante.
627. On regrettera ainsi l’absence de toute référence explicite à la notion de
minorité dans la loi fédérale relative à la fondation « Assurer l’avenir des gens
du voyage suisses »943. Cette dernière a été adoptée deux ans après l’entrée en
vigueur du Pacte II en Suisse et un an avant le dépôt du rapport initial de cette
dernière devant le Comité des droits de l’homme. Elle se fonde sur le rapport
de la Commission de la sécurité sociale du Parlement, rédigé en 1991, et qui
n’avait pas évoqué le statut de la communauté tzigane au regard du droit des
minorités. Ceci explique que l’expression de minorité n’ait pas été employée
dans la loi fédérale. On pourra cependant regretter que dans son arrêt Bittel de
2003944, le Tribunal fédéral n’ait pas cherché à employer une terminologie
adaptée aux déclarations internationales faites par la Suisse lorsqu’il s’est réfé-
ré à cette législation.
628. Deuxièmement, stricto sensu, employer le terme de « minorité cultu-
relle » à l’égard des Tziganes est partiellement correct, puisque les particulari-
tés des communautés tziganes présentent visiblement une dimension de cet
ordre. « L’angle d’approche » culturel donne, en effet, sa vraie signification à la
problématique de la protection juridique des Tziganes, non seulement en lui
conférant sa nécessaire dimension collective, mais en démontrant également
que les Tziganes nomades ne peuvent pas être perçus comme des familles iso-
lées de marginaux sociaux, assimilables à des personnes sans domicile fixe, ou
à des personnes ayant choisi de vivre de façon excentrique.
629. Néanmoins, en tant que telle, cette expression n’est pas formellement
consacrée en droit international : l’identité et les spécificités culturelles d’une
communauté sont garanties par la notion d’ethnie. A nouveau, la nécessité de
clarifier toute incertitude quant à l’applicabilité du droit des minorités impose
de faire preuve de rigueur et d’employer ce terme.
630. A notre sens, la position du Conseil fédéral en 2006, qui se fonde sur le
rapport périodique suisse remis au Comité pour l’élimination de la discrimina-
tion raciale en 2000, est critiquable. En effet, l’Exécutif fédéral qualifie les Tzi-

943
Comp. toutefois le Message du Conseil fédéral relatif à l’adoption du crédit-cadre pour les années
2007-2011, FF 2006 2956 : pour le Conseil fédéral, la loi relative à la fondation « Assurer l’avenir
des gens du voyage suisses » « a reconnu aux nomades pour la première fois le statut de minorité
culturelle suisse à part entière ».
944
ATF 129 II 321, Bittel.

181
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ganes suisses de « minorité en soi », et qui n’est ni linguistique, ni ethnique945.


Or, cette approche ne prend pas en compte le fait que si le Comité s’inquiète
du sort des Jénisch, Sinti et Rroms en Suisse au regard de la CIERD946, cela si-
gnifie que ces derniers forment un ou plusieurs « groupes raciaux ou ethni-
ques » au sens de la Convention. En effet, rappelons que le champ
d’application personnel de la CIERD est exclusivement restreint aux groupes
raciaux ou ethniques. Par ailleurs, dans son Observation générale n° 27, le
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale affirme expressément
que les Rroms et les autres groupes de « Voyageurs » sont protégés par la
Convention.
631. Ainsi, cet instrument ne s’applique pas aux Tziganes suisses « quelle
que soit leur catégorie » de minorité947, mais bien parce qu’ils sont considérés
comme formant une minorité ethnique, qu’ils soient Jénisch, Sinti, Rroms ou
Manouches. A notre sens, contrairement à l’opinion du Conseil fédéral, il n’est
pas possible d’interpréter l’absence de critiques du Comité pour l’élimination
de la discrimination raciale quant à la systématique du rapport déposé par la
Suisse comme l’expression d’un accord tacite pour qualifier les Tziganes de
minorité « en soi » à qui il serait néanmoins possible d’appliquer la CIERD948.
632. Par ailleurs, le fait que la Suisse accepte d’appliquer la CLRM à la lan-
gue jénisch renforce, à notre sens, la position de la qualité ethnique des Jénisch.
Certes, le gouvernement suisse estime que le soutien accordé à cette langue
n’est qu’un aspect des efforts plus généraux consacrés à la culture tzigane949.
633. Quelle que soit la pertinence de cet argument dans le contexte de la
politique des langues de la Suisse950, il n’en demeure pas moins qu’ajoutée à la
reconnaissance d’un certain mode de vie, d’une histoire, d’origines communes,
et d’autres particularités culturelles, la reconnaissance de la langue jénisch en
tant que langue traditionnelle suisse sans territoire est importante. Elle tend à
démontrer que les Jénisch, qui composent en majorité la communauté des Tzi-
ganes de nationalité suisse, forment une minorité ethnique au sens du droit in-
ternational.
634. Le qualificatif de minorité ethnique s’applique également aux Tziganes
rroms/sinti, ou manouches, qu’ils soient suisses, étrangers, nomades ou
non951, et bien entendu également aux Jénisch de nationalité allemande ou au-

945
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 22-23.
946
Conclusions du CERD relatives aux deuxième et troisième rapports périodiques présentés par la
Suisse, du 21 mai 2002, UN Doc. CERD/C/60/CO/14, §15.
947
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 23.
948
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 23.
949
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16.
950
Voir infra Titre Quatrième, Chapitre IV, nos développements concernant la place du jénisch dans le
cadre de la politique des langues de la Suisse.
951
Le Conseil fédéral admet sans réserve le caractère ethnique des Rroms/Sinti et des Manouches ;
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 6.

182
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

trichienne. A notre sens, pour ne laisser aucun doute quant à l’applicabilité du


droit des minorités et de l’interdiction de la discrimination raciale, il est néces-
saire que les autorités suisses emploient explicitement l’expression « minorité
ethnique » à l’égard des différentes communautés tziganes. Une alternative
consisterait à utiliser le couple « minorité ethnique et culturelle », quel que soit
le mode de vie pratiqué par les personnes concernées.
635. Une fois le caractère ethnique des Jénisch établi, déterminer si ces der-
niers doivent être considérés de façon distincte de la minorité ethnique
rrom/sinti, ou s’il est justifié de les aborder d’une manière unifiée, renvoie à
l’interrogation quant au sort juridique à réserver à l’hétérogénéité incontestée
des Tziganes pris dans leur ensemble. La pratique suisse en la matière révèle
qu’aucune distinction n’est opérée sur la base de ce critère lorsqu’il s’agit de
résoudre les questions liées à l’exercice du nomadisme, par exemple. De plus,
les engagements pris en faveur de la langue jénisch sont dictés par les origines
de la majorité des Tziganes suisses952.
636. En réalité, du strict point de vue du droit des minorités, le seul facteur
pertinent est qu’un Etat, en l’occurrence la Suisse, reconnaisse la qualité ethni-
que de toutes les communautés tziganes se trouvant sur son territoire et de cel-
les qui y transitent. Pour le droit des minorités, il importe peu à ce stade qu’il
les considère comme des minorités ethniques séparées, partageant un mode de
vie protégé, ou comme une seule minorité.
637. Du point de vue de la protection juridique octroyée par ce système, il
est uniquement requis que la dimension ethnique de ces groupes soit admise,
la question de la nationalité des particuliers n’entrant par exemple en considé-
ration que dans une étape ultérieure, en relation avec l’applicabilité d’un ins-
trument tel que la CPMN, du fait de la déclaration faite par la Suisse.
638. Enfin, relevons que les principaux intéressés, notamment par la voix
de la Radgenossenschaft, expriment désormais clairement le souhait que les au-
torités suisses les reconnaissent en tant que communauté ethnique953.

3.2. L’emploi du nomadisme à titre de critère pertinent

639. Les prises de position des autorités fédérales indiquent qu’il existe un
troisième problème touchant au cercle des personnes que le droit suisse entend
protéger. Lié à l’emploi de l’expression « Gens du voyage », ce problème surgit

952
Au sujet de la place de la langue jénisch dans le cadre de la politique des langues de la Confédéra-
tion, voir infra Titre IV, Chapitre IV.
953
Voir ainsi la prise de position de la Radgenossenschaft, du 31 octobre 2005, relative à la procédure
de consultation concernant le Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, p. 2
(http://www.jenischinfo.ch [consulté le 12 avril 2006]). Voir également le Message du Conseil fédé-
ral relatif à l’approbation du crédit-cadre de la Fondation pour les années 2007-2011, du 10 mars
2006, FF 2006 2951, 2961.

183
La situation juridique des Tziganes en Suisse

en tout état de cause, que l’on accepte de qualifier les Tziganes de minorité
« ethnique» ou que l’on souhaite n’employer que l’expression de minorité
« culturelle». En effet, il nous semble particulièrement problématique que la
plupart des autorités, et notamment le législateur fédéral, considèrent la ques-
tion en réduisant la communauté tzigane à celles et ceux exerçant un mode de
vie nomade954.
640. D’une part, cette approche contredit les affirmations formulées auprès
des organismes internationaux concernant une communauté minoritaire oscil-
lant entre 25 et 35'000 personnes. Cette contradiction entre politique étrangère
et politique intérieure est problématique en soi. D’autre part, cette vision res-
trictive contredit également la volonté de sauvegarder et de promouvoir la
langue jénisch955.
641. La lecture des rapports périodiques rendus par la Suisse dans le cadre
de la CLRM indique que ce ne sont pas uniquement les Jénisch pratiquant en-
core le voyage en Suisse qui parlent cette langue et cherchent à la préserver et
à la promouvoir. Ceci reflète précisément la prise de conscience que les « gens
du voyage » ne sont pas seulement une population au mode de vie nomade,
mais que leur culture présente d’autres aspects956.
642. L’usage de l’expression « gens du voyage », utilisée originairement
pour ne pas employer des qualificatifs aux résonances douteuses, trouve donc
ses limites. On constate ainsi qu’un véritable problème de fond trouve ses ra-
cines dans un choix sémantique initial qui est erroné. En effet, le fait d’opposer
la « population nomade » à la société sédentaire a des conséquences directes
sur le statut de celles et ceux qui se sont sédentarisés, pour beaucoup malgré
eux, du fait des difficultés à pouvoir voyager mais également en raison des
problèmes administratifs, et des politiques coercitives pratiquées par le passé à
leur égard957.
643. Il nous paraît difficilement défendable de considérer qu’une personne
change d’ethnie et de culture lorsque son mode de vie, qui n’est qu’une ex-
pression de sa culture, se transforme. Ainsi, Andreas RIEDER estime que seuls
les Tziganes vivant encore selon la tradition nomade doivent être qualifiés de
minorité ethnique au sens de la CIERD958. Cette position est critiquable, car elle
implique que l’on conçoive l’origine ethnique comme étant une caractéristique
modifiable. Au contraire, il semble difficilement contestable que l’ascendance

954
Dans ce sens également, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 19.
955
FF 1997 I 1105. Voir également infra Titre Quatrième, Chapitre IV.
956
Prise de position des ONG, p. 4.
957
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 6 ; HUONKER (2003), §1.
958
RIEDER (1999), p. 164.

184
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

et l’appartenance ethnique d’une personne ne peuvent être changées ou aban-


données959.
644. Cette opinion peut même être qualifiée de choquante lorsque ce chan-
gement s’opère en règle générale contre la volonté des principaux concernés,
ce qui est le cas de la majorité des Tziganes suisses, devenus sédentaires suite
aux activités de l’Oeuvre d’entraide des enfants de la grand route960. Il faut
donc considérer qu’une personne demeure d’origine et de culture tzigane lors-
qu’elle-même ou sa famille s’est sédentarisée, mais qu’elle continue d’affirmer
son appartenance à cette communauté.
645. Beaucoup de jeunes Tziganes suisses qui ont toujours vécu de manière
sédentarisée aspirent aujourd’hui à pouvoir à nouveau vivre selon un mode
traditionnel nomade961. Ce souhait est partagé par celles et ceux qui souhaite-
raient vivre plus activement selon cette tradition962. Ceci démontre que le sen-
timent d’appartenance à un certain groupe, se définissant par des origines et
une identité culturelle communes, ne disparaît pas avec la sédentarisation963.
La perpétuation de cette identité par les Rroms/Sinti sédentarisés dans cer-
tains pays de l’Europe Centrale et de l’Est depuis des décennies démontre éga-
lement qu’il est erroné de considérer qu’à lui seul, le voyage puisse définir les
communautés tziganes.
646. La définition retenue notamment par l’Office fédéral de la justice en
2002 nous semble donc poser un problème avec un élément central et incontes-
té de la définition de minorité, qui est le sentiment d’appartenance. En effet,
rappelons que selon le Comité des droits de l’homme, les critères retenus par
les autorités pour définir le cercle des personnes appartenant à une minorité ne
doivent pas avoir pour conséquence d’exclure des individus qui y appartien-
nent objectivement et qui souhaitent l’affirmer : les Etats ne peuvent pas poser
de définition stricte964. L’article 3 CPMN va également dans ce sens.
647. Pour sa part, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale
conçoit l’auto-identification comme le premier facteur pertinent pour détermi-

959
Dans ce sens, HANGARTNER (2003A), p. 113.
960
Dans ce sens, Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 19.
961
Robert HUBER, Président de la Radgenossenschaft, in : BAK/OFC/UFC 2001/4, p. 13 : « Heute ist es
so, dass viele oder die meisten jungen Jenischen wieder zu ihrer Kultur stehen und ohne Scham sa-
gen können : « Wir sind jenischer Abstammung ». »
962
Prise de position de l’association « schäft qwant »- Transnationaler Verein für jenische Zusamme-
narbeit und Kulturaustausch du 1er novembre 2005, relative à la procédure de consultation concer-
nant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005, p. 3
(http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]).
963
Dans ce sens également, Robert HUBER, Président de la Radgenossenschaft, in : BAK/OFC/UFC
4/2001, p. 13 : « Trotz der Erziehung durch Sesshafte ist mir im Innersten das « Jenisch-sein » ge-
blieben. »
964
Communication du CDH n° 24/1977, du 29 décembre 1977, Sandra Lovelace c. Canada, §16. JO-
SEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.12, p. 757.

185
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ner l’appartenance d’un particulier à un groupe ethnique, et il revient à ceux


qui contestent ce rattachement de le prouver965.
648. En outre, l’une des principales obligations des Etats au regard des per-
sonnes appartenant à des minorités est d’empêcher leur assimilation, notam-
ment culturelle. Réduire le champ de protection aux Tziganes nomades a pour
effet indéniable d’assimiler – du moins juridiquement – ceux qui se sont séden-
tarisés à des membres de la société majoritaire.
649. Comme nous l’avons déjà soulevé, cela revient également à réduire,
dans les faits, la culture tzigane au voyage et priver ce mode de vie tradition-
nel de son contexte plus large, identitaire et historique. Cela occulte par ail-
leurs le fait que le risque d’exclusion sociale existe tant pour les Tziganes no-
mades que pour ceux devenus sédentaires966.
650. Enfin, cette approche considère de la même manière les membres la
minorité tzigane et les particuliers dont les origines ne sont pas tziganes et qui
n’ont aucun lien avec cette communauté, mais qui décideraient de vivre de fa-
çon itinérante, par choix personnel ou pour exercer un métier tel que celui du
cirque.
651. Or, en tant que minorité au sens du droit international, les Tziganes
suisses ne bénéficient pas uniquement des droits individuels qui leur offrant la
possibilité d’exercer leur mode de vie s’ils le souhaitent, comme l’interdiction
de la discrimination. Ce système offre des garanties supplémentaires, dont
l’obligation des Etats de permettre à leurs minorités de participer à la vie poli-
tique et aux décisions les concernant, ainsi que nous l’avons déjà signalé967.
652. Ce droit de devenir acteurs sur la scène politique et de faire entendre
leur voix en tant que groupe possédant un certain nombre d’intérêts et de ca-
ractéristiques distingue clairement les Tziganes nomades et sédentarisés de
particuliers appartenant à la société majoritaire, mais qui auraient choisi de vi-
vre de façon nomade. Cet aspect du droit des minorités indique clairement
qu’il est erroné de construire le cercle d’appartenance à cette minorité autour
de l’exercice actif de son mode de vie particulier. L’ensemble de ces considéra-
tions incite, dès lors, à se montrer critique face à une démarche réductrice968.

965
Observation générale n°8 du CERD. Voir également THORNBERRY (2002), p. 410.
966
Voir, sur ce point, la Décision sur le bien-fondé du Comité européen des droits sociaux du 8 décem-
bre 2004 relative à la Réclamation n° 15/2003, Centre européen des droits des Roms c. Grèce, §23.
967
Comp. l’art. 15 CPMN : « Les Parties s’engagent à créer les conditions nécessaires à la participation
effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et écono-
mique, ainsi qu’aux affaires publiques, en particulier celles les concernant. » Voir également infra,
Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3.
968
Voir également sur ce point les critiques fermes de l’association « schäft qwant »- Transnationaler
Verein für jenische Zusammenarbeit und Kulturaustausch à l’égard de la terminologie employées par
le Conseil fédéral, et exprimées dans sa prise de position du 1er novembre 2005, relative à la procé-
dure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005, pp. 1-
2 (http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]).

186
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

3.3. La protection des Tziganes étrangers

653. Les différentes prises de position des autorités fédérales indiquent


qu’il n’est pas évident de déterminer le statut exact des Tziganes nomades
étrangers se trouvant en Suisse au regard du droit des minorités. La déclara-
tion de la Suisse relative à la CPMN indique clairement que la Confédération
n’inclut pas les Tziganes étrangers dans le champ d’application de cet instru-
ment : ces derniers ne sont donc pas rattachés à la minorité nationale tzigane
suisse. En parallèle, en se fondant sur certaines des positions de la Suisse face
aux organes internationaux, ainsi que sur l’avis de droit de l’OFJ, on peut
conclure qu’aux yeux des autorités, les Tziganes nomades étrangers de pas-
sage en Suisse969 bénéficient de la protection conférée par l’article 27 Pacte II.
654. La nature et la portée des mesures de soutien et de promotion déduites
de l’article 27 Pacte II au bénéfice des Tziganes nomades étrangers de passage
ne sont pas aisément identifiables, nous l’avons déjà souligné 970. Cette diffi-
culté est illustrée par le fait que bien que la loi fédérale « Assurer l’avenir des
gens du voyage suisses » ne traite que des ressortissants suisses, cela n’a pas
empêché la Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » de
prendre également en compte la question du transit des Tziganes nomades
étrangers et de leur accueil lors de l’établissement des besoins en matière de
stationnement temporaire971.
655. Il est possible de qualifier cette législation et cette fondation
d’exemples de mesures de promotion en faveur des membres de la minorité
tzigane. Le fait que les Tziganes étrangers de passage soient inclus dans la po-
litique de la fondation n’est pas étonnant. En effet, la réalité du terrain démon-
tre que les besoins matériels des uns et des autres sont suffisamment connexes
et interdépendants pour être traités de façon globale, sans se préoccuper de la
nationalité des bénéficiaires. Cette situation factuelle est amplifiée par l’étroite

969
Selon nous, il est également important de reconnaître le rattachement de Tziganes requérants
d’asile à un groupe ethnique particulier. Dans ce contexte, la reconnaissance du caractère ethnique
de leur communauté conduit à l’application des normes protégeant contre la discrimination raciale,
et l’appartenance à une minorité spécifique sensibilise aux éventuelles situations d’exposition et de
vulnérabilité extrêmes dans leur pays d’origine. Comp. l’ACEDH Conka c. Belgique, n°51564/99, §
56-63, CEDH 2002-I, où la Cour européenne des droits de l’homme conclut pour la première fois à
la constatation d’une violation de l’art. 4 du Protocole additionnel n°1 à la CEDH, du fait de
l’expulsion collective d’un groupe de requérants d’asile rroms vers la Slovénie. Selon la doctrine, la
position extrêmement vulnérable de ces derniers semble avoir poussé les juges de Strasbourg à leur
octroyer une protection accrue ; HENRARD (2004), p. 186, note 14. Au sujet du contexte spécifique
de la migration internationale des Rroms – question liée aux persécutions de type racial et distincte
de l’exercice du mode de vie nomade traditionnel – voir l’analyse détaillée de MATRAS, § 16-17, ainsi
que les conclusions du Comité européen sur les migrations, avril 1997, publiées in : MG-S-ROM
(2000) 5. Voir également l’avis de droit de Walter KÄLIN, Die flüchtlingsrechtliche Situation asylsu-
chender Roma und Aschkali in der Schweiz, disponible intégralement à l’adresse http://www.raben-
net.ch/bods/dokumente/romagut.pdf [consulté le 9 août 2006] et notamment pp. 5-6.
970
Supra Chapitre II, Section B, 2.4.
971
Rapport d’expertise 2001, p. 46.

187
La situation juridique des Tziganes en Suisse

imbrication des conditions permettant l’arrêt des caravanes et la garantie du


respect des droits individuels civils, sociaux et économiques des particuliers.
Comme nous le constaterons ci-après, la titularité et l’exercice de ces derniers
ne dépend pas de la nationalité des particuliers et il devient rapidement diffi-
cile et artificiel de procéder à une distinction entre Tziganes nomades étran-
gers et suisses dans une perspective du droit des minorités972.
656. Ce constat nous mène à la conclusion suivante. Certes, formellement,
les Tziganes nomades en transit en Suisse n’appartiennent pas à une minorité
nationale au sens de la CPMN. Toutefois, dans les faits, les effets de cette ex-
clusion sont atténués à un double titre.
657. Premièrement, l’applicabilité de l’article 27 Pacte II à ces particuliers a
pour conséquence qu’ils forment bel et bien une minorité ethnique au sens de
cette disposition. Deuxièmement, les mesures de promotion actuellement dé-
veloppées à l’égard des Tziganes suisses incluent concrètement leurs besoins,
limités à la question de l’aménagement de places particulières973. A notre sens,
il en résulte que les conséquences concrètes de la déclaration interprétative de
la Suisse au sujet de la CPMN n’a que peu d’incidences matérielles pour les
Tziganes nomades en transit.

B. Les Tziganes, un peuple tribal suisse ?

658. Depuis 1999974, la question de l’applicabilité de la Convention n° 169


de l’OIT aux Tziganes suisses est au cœur des débats entourant l’opportunité
de sa ratification, comme le révèle en dernier lieu le rapport du Conseil fédéral
portant la situation des Gens du voyage en Suisse. Rendu public en octobre
2006, ce document fait suite au postulat 03.3426 « Eliminer les discriminations
à l’égard des gens du voyage ». L’une de ses deux parties est spécifiquement
consacrée à l’opportunité de la ratification de la Convention n° 169 du fait de
sa possible applicabilité aux Tziganes suisses975.

972
Voir ainsi infra Titre Troisième, Chapitre III.
973
Voir également nos développements relatifs à l’entrée, le séjour et la sortie des Tziganes nomades
étrangers au regard des libertés individuelles et notamment de l’accord sur la libre circulation des
personnes, infra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 4.
974
Le Conseil fédéral a eu une première occasion d’analyser la Convention n° 169 en 1991, mais a re-
fusé la ratification à cette époque pour donner priorité à l’adhésion à d’autres traités internationaux
en matière de droits de l’homme, notamment la CPMN ; Réponse du Conseil fédéral à la motion
n°99.3433 Rémo Gysin.
975
Rapport du 18 octobre 2006 du Conseil fédéral sur la situation des gens du voyage en Suisse, Partie
I : La Convention de l’Organisation internationale du Travail sur les peuples indigènes et tribaux :
conséquences d’une éventuelle ratification ; Partie II : Créations d’aires de séjour et de transit pour
les gens du voyage : possibilités d’action de la Confédération.

188
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

659. La politique constante de la Suisse consiste à ne ratifier une convention


que lorsque son droit positif est d’ores et déjà en accord avec les exigences de
l’instrument envisagé, et d’apporter le cas échéant des réserves sur les éven-
tuelles divergences constatées976. A cet égard, rappelons que l’OIT n’admet de
réserves à ses conventions que lorsque ces dernières les autorisent expressé-
ment ; la Convention n° 169 ne contenant aucune autorisation de cet ordre, sa
ratification ne saurait être accompagnée de réserves portant sur son champ
d’application personnel et excluant, par hypothèse, les Tziganes977. Dès lors, si
la Convention n° 169 est applicable aux Tziganes, mais que les autorités esti-
ment qu’elles ne sont pas en mesure de remplir les obligations qui en décou-
lent, la seule possibilité offerte aux autorités est de ne pas la ratifier.
660. Par ailleurs, en tant qu’Etat membre de l’OIT, la Suisse est tenue, selon
l’article 19 al. 5 lettre e de la Constitution de l’OIT, de faire périodiquement
rapport au Directeur général du BIT des obstacles l’empêchant de procéder à
la ratification des conventions auxquelles elle n’est pas partie. De ce fait, la né-
cessité d’examiner l’opportunité de la ratification de la Convention n° 169
s’impose en raison d’engagements internationaux et non pas uniquement pour
des motifs liés à la question du statut des Tziganes en Suisse.

1. Le champ d’application personnel de la Convention


n° 169 et les Tziganes en Suisse

1.1. La position des autorités

661. Entre 1999 et 2001, les autorités fédérales ont tout d’abord affirmé qu’il
n’était pas exclu de pouvoir considérer les Tziganes suisses comme un peuple
tribal978, puis ont fini par conclure qu’ils constituaient un tel peuple979. Cette
conclusion se fonde sur plusieurs points. Premièrement, le Conseil fédéral a
pris acte des arguments développés par le Directeur général du BIT qui estime
qu’il n’est pas possible d’exclure a priori les Tziganes du champ d’application
de la Convention n° 169980. Deuxièmement, il constate que les Tziganes suisses

976
Voir le septième rapport du Conseil fédéral sur la Suisse et les conventions du Conseil de l’Europe,
du 19 janvier 2000, FF 2000 I 1141, 1144 : « (…) une ratification n’a de sens que si la Suisse est en
mesure de respecter les engagements pris. Ces principes ont pour conséquences qu’il ne doit exister
entre une Convention et l’ordre juridique interne aucune divergence fondamentale qui ne pourrait
être couverte par une réserve (…). » Voir également FF 2004 3809, pour la confirmation de cette
pratique, dans le huitième rapport du Conseil fédéral sur la Suisse et les conventions du Conseil de
l’Europe, du 20 mai 2004. Concernant la ratification des conventions de l’OIT : FF 1986 II 937, 944 ;
FF 1974 II 1577, 1598 ; FF 1969 I 721, 729.
977
Dans ce sens, mais en se fondant sur un autre raisonnement, voir le Rapport du Conseil fédéral,
Partie I, pp. 14-15.
978
Réponse du Conseil fédéral du 24 novembre 1999 à la motion n° 99.3433 Rémo GYSIN.
979
BO/CN 2001, p. 516.
980
Rapport du Directeur général du BIT, pp. 8-14.

189
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ont affirmé leur volonté d’être considérés comme formant un peuple tribal981.
Enfin, il estime que le traitement des Tziganes dans le contexte des autres ins-
truments internationaux tend également à démontrer qu’ils remplissent les
conditions objectives de l’article 1er de la Convention982.
662. En 2006, dans son rapport, le Conseil fédéral analyse en détail
l’applicabilité des conditions objectives et subjective de la Convention n° 169
aux Tziganes. Il estime qu’il est difficile de déterminer dans quelle mesure cet
instrument est applicable à ces derniers, en raison des difficultés rencontrées
pour définir le cercle des personnes concernées, mais également pour qualifier
les Tziganes de « peuple »983.
663. Ainsi, le Conseil fédéral évoque tour à tour la question de l’inclusion
des Tziganes sédentarisés, des personnes au mode de vie itinérant mais n’étant
pas d’origine tzigane, ou encore le sort à réserver aux Tziganes étrangers de
passage en Suisse. Par rapport aux implications plus spécifiques du terme
« peuple », s’il reconnaît l’identité culturelle propre des Tziganes, l’Exécutif
doute néanmoins de l’existence d’une organisation structurelle interne suffi-
sante, en comparaison avec d’autres peuples nomades de par le monde.
664. Relevant qu’une majorité des Tziganes en Europe s’est sédentarisée, il
estime qu’il est alors difficile pour cette collectivité, prise dans son ensemble,
de parler de singularité de milieu, ou de mode de vie particulier par rapport à
la majorité sociale. En effet, si les particularismes culturels et linguistiques sont
incontestables, leurs activités économiques traditionnelles les lient nécessaire-
ment à la population majoritaire. Dès lors, loin d’être isolés, ils sont en défini-
tive intégrés au système normatif de cette dernière984. Le Conseil fédéral es-
time également que l’existence d’associations faîtières de défense des droits
des Tziganes suisses ne permet pas de pallier ce qu’il qualifie d’absence
d’organisation tribale985.
665. Aux yeux du Conseil fédéral, la question de l’inclusion des Tziganes
étrangers apparaît comme déterminante pour décider s’il est opportun ou non
de ratifier la Convention n° 169. En l’absence de pratique de l’OIT sur ce point,
il lui semble impossible de trancher la question de l’inclusion ou non des non-
ressortissants dans le cercle des bénéficiaires des droits de la Convention986. Il
souligne néanmoins que puisque l’article 14 de la Convention pose comme

981
Lettre ouverte de la Radgenossenschaft et de l’Association Action Sinti et Jenisch suisses, mars
2001 ; Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 18. Voir également la position clairement positive des
associations représentatives, notamment celle de la Radgenossenschaft, exprimée dans sa prise de
position du 31 octobre 2005 relative à la procédure de consultation concernant le Rapport du
Conseil fédéral du 22 juin 2005, p. 2 (http://www.jenischinfo.ch [consulté le 12 avril 2006]).
982
Troisième rapport périodique présenté par la Suisse au CERD, UN Doc. CERD/C/351/Add.2, p. 40.
983
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 20.
984
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 18-19.
985
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 18.
986
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 19.

190
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

condition l’existence d’un lien traditionnel entre les personnes concernées et


les terres auxquelles elles revendiquent l’accès, il est possible d’en conclure
que les Tziganes nomades étrangers ayant l’habitude de transiter par la Suisse
seraient également au bénéfice des droits reconnus aux ressortissants helvéti-
ques, notamment au titre de l’article 14987.

1.2. Appréciation

666. Les difficultés soulevées par le Conseil fédéral pour tracer le cercle dé-
finissant le peuple tribal tzigane ne sont pas nouvelles, car on constate qu’elles
sont identiques à celles prévalant dans le contexte du droit des minorités. Tou-
tefois, les réflexions ayant particulièrement trait à la qualité de « peuple » des
Tziganes doivent être traitées ici.
667. Nous avons déjà conclu qu’il était possible de considérer qu’il existait
un « peuple tzigane » dispersé sur le continent européen. Or, dans le contexte
helvétique, le fait que la majorité des Tziganes suisses ne soit pas d’origine
rrom/sinti est un facteur de poids qui renforce les doutes exprimés sur la na-
ture de peuple tribal des Tziganes de manière générale. Pour notre part, nous
avons conclu que les Jénisch pouvaient être intégrés au peuple des Tziganes,
puisque nous reconnaissons sa dimension hétérogène.
668. Quant à l’inclusion ou non des Tziganes étrangers, il est nécessaire de
procéder à une distinction. Qu’ils soient citoyens suisses ou non, les Tziganes
font partie d’un seul peuple aux caractéristiques tribales. Si elle devait ratifier
la Convention n° 169, la Suisse serait toutefois légitimée à faire une différence
formelle dans le traitement des Tziganes étrangers transitant traditionnelle-
ment par la Suisse et les autres. Toutefois, on ne peut que constater les diffi-
cultés qu’il y aurait à mettre en oeuvre dans les faits ce régime distinct entre
Tziganes étrangers « habitués » et les nouveaux venus.

987
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 35-36.

191
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2. L’opportunité de la ratification de la Convention n° 169

2.1. La position des autorités

669. Interpellé pour la première fois à ce sujet en 1999988, le Conseil fédéral


refuse alors de ratifier la Convention n° 169 pour plusieurs raisons. Il consi-
dère que cela impliquerait non seulement des obligations à la charge des col-
lectivités publiques qu’elles ne sont pas en mesure de remplir correctement à
ce jour, notamment en matière de création de places, mais également
l’adoption d’une législation spéciale obligeant la Confédération à intervenir
dans des domaines ressortant de la compétence des cantons et communes, et
garantissant aux Tziganes des « droits spécifiques (…) allant au-delà de ceux
garantis aux autres catégories de la population »989.
670. Suite à la réponse fournie par le BIT, cette prise de position est réitérée
en 2001, le Conseil fédéral répétant qu’il serait inopportun de ratifier cet ins-
trument du fait que les Tziganes suisses auraient alors « des droits subjectifs
différents [qui obligeraient les autorités à] modifier les lois sur l’aménagement
du territoire ». Cette situation risquant de remettre en cause « la paix civique »
en Suisse, l’exécutif décide cette fois encore de ne pas entamer la procédure de
ratification990.
671. Enfin, en 2006, le Conseil fédéral adopte finalement une position plus
nuancée, mais qui le pousse également à refuser la ratification. Il identifie une
série de domaines susceptibles d’être concernés par la Convention n° 169 : la
consultation et la participation des Tziganes suisses dans les procédures de dé-
cision, le travail des enfants, la création d’aires de séjour et de transit, la forma-
tion professionnelle, la scolarité obligatoire, la sauvegarde de la langue jénisch
et la lutte contre les préjugés.
672. Le Conseil fédéral constate que d’un point de vue strictement juridi-
que, la Suisse a déjà à sa charge une série d’obligations sur ces questions, qui
recoupent généralement celles résultant de la Convention. Toutefois, le gou-
vernement estime qu’en l’état, il est difficile de déterminer concrètement la na-
ture et la portée des obligations découlant de la Convention n° 169 du fait de
son caractère programmatoire, de la grande marge d’appréciation existant en
faveur des Etats et du peu de pratique et de doctrine produites en la matière991.
673. Le Conseil fédéral considère toutefois que, sous l’empire de ce traité, la
pression politique pour mettre en oeuvre ces obligations conventionnelles de

988
Motion n° 99.3433 Rémo Gysin, du 2 septembre 1999.
989
Réponse du Conseil fédéral du 24 novembre 1999 à la motion n° 99.3433 Rémo Gysin.
990
BO/CN 2001, p. 516.
991
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 52.

192
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse

façon renforcée, systématique et coordonnée - et les engagements financiers


qui en découleraient – seraient incontestables et inédits par rapport à l’état ac-
tuel992. En outre, le fait qu’il n’est pas possible d’exclure a priori que la Conven-
tion s’appliquerait également aux Tziganes étrangers de passage apparaît
comme un facteur de poids en défaveur de la ratification993.
674. La majorité des cantons et des partis qui se sont exprimés durant la
procédure de consultation partagent les conclusions du Conseil fédéral et re-
commandent de ne pas ratifier la Convention n° 169 au vu des engagements
financiers qui y seraient liés et de la situation prévalant à ce jour en matière
d’offre de places de stationnement994.

2.2. Appréciation

675. Bien que, sur le fond, la position des autorités soit demeurée constante
sur la question de l’opportunité de la ratification de la Convention n° 169, on
peut constater une évolution sensible dans leurs arguments. En 1999 et 2001,
les motifs avancés étaient non seulement liés à une crainte de créer un hiatus
entre droit international et droit interne en contractant des obligations juridi-
ques jugées nouvelles et irréalisables, mais également au refus d’octroyer des
« droits spécifiques» en faveur d’un groupe minoritaire, de peur de susciter
l’incompréhension et le mécontentement de la population majoritaire.
676. Les arguments avancés dans le rapport de 2006 sont plus nuancés. La
peur d’une mise à mal de la « paix civique » est ainsi écartée, et il est possible
de voir ici les effets de la jurisprudence du Tribunal fédéral de 2003995, qui
place les besoins spécifiques des Tziganes nomades suisses en matière de sta-
tionnement sur le même rang que les besoins de la population sédentaire996. A
travers la position du Conseil fédéral, les autorités fédérales reconnaissent déjà
avoir des obligations juridiques à l’égard des Tziganes en Suisse, mais qu’elles
ne sont pas soutenues par des mécanismes suffisamment contraignants qui
pousseraient les autorités à mettre une politique systématique de mise en œu-
vre.
677. Ce constat est correct, mais il convient de nuancer ses conséquences
directes pour les autorités suisses. Certes, les mécanismes de surveillance et de
mise en œuvre de la Convention n° 169 sont plus contraignants que ceux exis-
tant pour le Pacte II, respectivement la CPMN, puisque ces derniers ne

992
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 28 et 52.
993
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 19-20.
994
Résultats de la procédure de consultation relative à l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du
22 juin 2005, Partie I, pp. 23-27, disponibles sur http://www.bak.admin.ch [site consulté le 2 jan-
vier 2007].
995
ATF 129 II 321 Bittel.
996
Voir également infra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.

193
La situation juridique des Tziganes en Suisse

connaissent que la procédure non contentieuse d’examen de rapports périodi-


ques, alors que l’OIT connaît un système de plaintes, même si ces dernières ne
peuvent être pas déposées par des particuliers.
678. Il est donc indéniable que toute inaction politique, financière ou légi-
slative éventuelle pourrait être dénoncée de manière plus incisive que sous le
régime du Pacte II ou de la CPMN. Ce facteur est d’ailleurs souligné par le
Conseil fédéral, qui estime que le système de contrôle de l’OIT « offrirait aux
défenseurs de ces peuples des occasions supplémentaires de thématiser la si-
tuation des gens du voyage face au public national et international »997.
679. Toutefois, le caractère programmatoire de la Convention n° 169 impli-
que qu’aucun droit justiciable ne peut en être directement déduit, cet aspect
étant d’ailleurs expressément souligné par le Conseil fédéral dans son rap-
port998. La Suisse a déjà ratifié, par le passé, des instruments incluant des obli-
gations de cette nature, qui exigent du législateur et des autorités de dévelop-
per des programmes impliquant un engagement politique et financier consé-
quent, et une mise en œuvre progressive des droits, le Pacte I ou encore la
CPMN en étant des illustrations. Le fait de devoir contracter de tels engage-
ments n’est donc habituellement pas en soi un motif de refus de ratification
pour la Suisse.
680. En outre, l’article 34 de la Convention confère explicitement une liberté
et une marge d’appréciation aux Etats parties en la matière. C’est par ailleurs
précisément cet argument qui a poussé une partie des membres de l’Union des
villes suisses à recommander la ratification999. Ainsi, la marge de manœuvre
reconnue aux Etats parties devrait garantir une certaine retenue de la part des
organes de l’OIT lors de leur appréciation des progrès réalisés, dans un pre-
mier temps du moins.
681. Enfin, l’importance du facteur de l’applicabilité de la Convention
n° 169 aux Tziganes étrangers doit être relativisée. Le Conseil fédéral renvoie
dans son argumentaire au fait que, selon lui, seuls les Tziganes suisses sont au-
jourd’hui au bénéfice du droit des minorités puisque la CPMN n’est valable
que pour les seuls ressortissants des Etats1000. La ratification de la Convention
n° 169 créerait donc un véritable nouveau régime sur ce point. Or, cette posi-
tion est juridiquement discutable car elle ne prend pas en compte la protection
conférée par l’article 27 Pacte II, telle qu’interprété par les autorités suisses el-
les-mêmes devant le Comité des droits de l’homme1001, ni l’évolution de la pra-
tique du Comité des droits de l’homme et du Comité consultatif de la CPMN.

997
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 10.
998
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 10-11.
999
Prise de position de l’Union des villes suisses, du 27 octobre 2005, relative à le Rapport du Conseil
fédéral, du 22 juin 2005, pp. 2-3 (http://www.staedteverband.ch [consulté le 12 avril 2006]).
1000
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, notamment p. 19.
1001
Voir supra Section A, 1.1.

194
Titre Deuxième - Synthèse et conclusion

Synthèse et conclusion

682. Le présent Titre a montré qu’il n’était pas possible de traiter de la


question de la situation juridique des Tziganes dans un Etat donné – en
l’occurrence, la Suisse – sans analyser sa dimension collective et internationale.
683. Ainsi, le droit international des minorités trouve à s’appliquer au
groupe minoritaire tzigane et que la protection qu’il offre à ce dernier est né-
cessaire : la vulnérabilité historique, socio-économique et juridique des Tziga-
nes, où qu’ils résident, confère au droit des minorités une importance et un
poids difficilement égalés dans le domaine. Celui-ci vient compléter les garan-
ties découlant du régime universel et individuel des droits de l’homme, la ré-
alité factuelle démontrant que ces derniers ne suffisent pas. Tant le régime
universel que le régime régional européen sont concernés et se complètent.
684. Le droit des minorités trouve à s’appliquer parce que, précisément, il
est possible de considérer les Tziganes comme constituant, dans chaque Etat
où ils se trouvent, une minorité ethnique, voire nationale au sens de la CPMN
lorsqu’un Etat a ratifié cet instrument. Mais nous avons également pu conclure
que la particularité des Tziganes réside dans le fait qu’ils forment, d’un point
de vue global, un peuple qui, malgré son hétérogénéité causée par l’Histoire et
les migrations, souhaite aujourd’hui être reconnu et s’affirmer comme tel.
685. Ce facteur transnational doit être pris en compte par les Etats lorsqu’ils
réglementent les conditions d’exercice des particularités ethno-culturelles de
leurs minorités tziganes. En effet, il s’avère difficile, voire impossible, de déve-
lopper une véritable politique dans le domaine si celle-ci est axée uniquement
sur la population tzigane nationale, qu’elle soit complètement sédentarisée ou
encore en partie nomade.
686. Par ailleurs, l’aspect international n’est pas uniquement pertinent dans
le contexte spécifique de l’accueil de Tziganes nomades étrangers : il incite à
conférer à cette caractéristique une dimension juridique spécifique, en recon-
naissant que les Tziganes forment un peuple tribal au sens de la Convention n°
169 de l’OIT. Les droits collectifs – reconnus au groupe lui-même – qui décou-
lent de cette qualité viennent compléter, d’une manière qu’il reste encore à dé-
finir plus précisément, la protection offerte par les droits individuels et ceux
découlant du droit des minorités.
687. Que l’on accepte ou non de considérer les Tziganes aussi bien sous
l’angle du droit des minorités que sous celui des peuples autochtones, une exi-
gence s’impose dans tous les cas : il n’est pas possible de s’arrêter à une ana-
lyse se limitant à la situation d’individus isolés qui exerceraient des droits fon-
damentaux individuels. L’existence d’un groupe, protégé en tant que tel, et la
volonté de ses membres de le préserver et de le perpétuer doivent être pris en

195
La situation juridique des Tziganes en Suisse

considération lorsque les individus en cause affirment leur sentiment


d’appartenance à cette collectivité.
688. La relation entre le sort du groupe et le sort des individus qui le
composent est ainsi particulièrement étroite dans le cas des Tziganes : les
préjugés historiques et les réflexes discriminatoires exprimés à l’encontre du
groupe ont une influence directe sur le traitement de la situation du
particulier1002. Les obstacles et les difficultés opposés au particulier affectent la
situation du groupe dans son ensemble et renforce la précarité générale. Dès
lors, affirmer reconnaître et vouloir préserver la minorité tzigane passe par une
prise en compte concrète de son existence et de ses difficultés lorsqu’il s’agit de
prendre une décision à l’égard d’un individu.
689. Enfin tant d’un point de vue factuel que du point de vue du droit des
minorités, il n’est pas correct de restreindre les particularités tziganes à un
mode de vie particulier, le nomadisme. Avec une culture, des traditions, des
règles intra-communautaires, des langues propres, les Tziganes présentent des
caractéristiques spécifiques culturelles, certes, mais à connotation ethnique
également. Ainsi, une personne tzigane, même sédentarisée, est légitimée à
exprimer son sentiment d’appartenance à sa communauté et à bénéficier de la
protection juridique adéquate à sa situation.
690. En prenant en considération ces différents facteurs, l’analyse de la si-
tuation du groupe minoritaire tzigane en Suisse a révélé plusieurs points qui
auront des conséquences pour la suite de la présente étude. Premièrement, le
flou persiste non seulement sur la qualification du groupe tzigane au regard
du droit des minorités – minorité nationale, ethnique, culturelle ? – mais éga-
lement sur le cercle des personnes protégées – Tziganes noma-
des uniquement ? Tziganes nomades et sédentarisés ? Tziganes de nationalité
suisse uniquement ? Tziganes suisses et étrangers ?
691. Cette indétermination reflète les difficultés que rencontrent les autori-
tés suisses pour appréhender dans toute sa complexité le « phénomène » tzi-
gane. Toutefois, la particularité de la situation helvétique réside dans le vérita-
ble hiatus constaté entre la politique extérieure et la politique intérieure de la
Suisse dans ce domaine. Si, dans les rapports présentés aux différents comités
de surveillance des traités internationaux ratifiés par la Suisse, la Confédéra-
tion semble aujourd’hui reconnaître la protection universelle du droit des mi-
norités à tous les Tziganes – quelle que soit leur nationalité et leur mode de vie
– la pratique du Tribunal fédéral parle de la présence d’un « groupe de popu-
lation », composé de citoyens suisses au mode de vie distinct de celui de la ma-
jorité sédentaire.
692. Au final, la cacophonie qui découle de ces affirmations contradictoires
se cristallise dans la position des autorités face à la question de l’opportunité

1002
Dans ce sens, voir le Rapport du Commissaire aux Droits de l’homme de l’OSCE, mars 2005, § 11.

196
Titre Deuxième - Synthèse et conclusion

de la ratification de la Convention n° 169 de l’OIT. Les réticences exprimées


face à l’éventualité de nouvelles obligations internationales dans le domaine
reflètent la politique « interne », qui a des difficultés à admettre toutes les im-
plications liées au statut des Tziganes en tant que groupe minoritaire protégé
par le droit international. Ces implications ont notamment trait à la reconnais-
sance et à la formalisation de droits de participation et la prise de mesures spé-
cifiques visant à protéger le groupe, droits qui, pour certains, découlent d’ores
et déjà du droit des minorités lui-même, ainsi que nous le verrons de façon dé-
taillée ci-après.
693. La nature et la portée des engagements déjà contractés, et reconnus
dans le cadre de la politique « extérieure », sont méconnus et mal compris.
D’une manière générale, l’absence de prise en compte de la dimension interna-
tionale de la problématique est mis en lumière par la position de la Suisse par
rapport à la politique menée par le Conseil de l’Europe sur la question. Malgré
un engagement de principe affirmé au sein de cette organisation internatio-
nale, nous avons pu constater le peu de relais dont bénéficient, en Suisse, les
programmes et les prises de positions de ses différents organes et organismes
en la matière.
694. Cette situation sensible et difficile semble occulter la réalité des pro-
grès réalisés durant ces vingt dernières années pour la reconnaissance des ci-
toyens suisses tziganes en tant que membres d’une minorité nationale suisse
aux particularités culturelles à protéger et à préserver. Néanmoins, les consé-
quences de cette absence de politique clairement définie, en accord avec le
droit international et la pratique de ses instances, dépassent le simple cadre
théorique. En effet, nous constaterons qu’elle présente des effets directs tant
sur la définition et la portée des droits fondamentaux des Tziganes (Titre Troi-
sième) que sur la capacité du droit ordinaire à les intégrer et à les mettre en
œuvre (Titre Quatrième).

197
La situation juridique des Tziganes en Suisse

198
Titre troisième:
La portée des droits fondamentaux
pour les Tziganes en Suisse

Introduction

695. La diversité culturelle de la société suisse représente un défi d’un point


de vue non seulement socio-politique, mais également juridique. Les droits
fondamentaux sont, en effet, de plus en plus employés par les particuliers
pour faire valoir la légitimité de leurs spécificités culturelles1003. L’obligation
de prendre en compte ces particularités se fonde avant tout sur le respect de la
dignité humaine, consacrée en droit fédéral par les articles 7 et 8 Cst. et qui
pose notamment comme principe la protection d’autrui dans sa différence. Il
en résulte que l’Etat doit prendre en considération les divers modes de vie et
respecter les individus dans leur diversité. A cet effet, l’ordre juridique doit es-
sentiellement garantir et protéger les libertés individuelles ainsi que l’égalité
entre les particuliers1004.
696. Les droits fondamentaux peuvent avoir deux effets diamétralement
opposés sur le statut des particuliers qui les invoquent pour faire valoir leurs
différences. D’une part, un effet d’intégration qui légitime leur participation
dans les affaires publiques tout en respectant leur identité culturelle propre.
D’autre part, un effet d’exclusion, lorsque la protection recherchée a pour
conséquence de renforcer une situation de mise à l’écart1005.
697. Cet équilibre est particulièrement difficile à trouver dans la situation
d’une communauté aussi vulnérable d’un point de vue socio-économique et
culturel que celle des Tziganes. En effet, dans ce cadre, l’exclusion est déjà une
réalité. Dès lors, l’objectif est de parvenir à une intégration juridique et sociale
par le biais d’une reconnaissance effective, en valorisant les particularités
culturelles qui les distinguent de la majorité.
698. Le présent Titre a pour but de déterminer la portée spécifique que pos-
sèdent les droits fondamentaux pour les Tziganes en Suisse. Nous les analyse-
rons de façon à mettre en lumière les effets des spécificités culturelles de ces

1003
BIANCHI, pp. 109-110 ; KÄLIN (2000), p. 17.
1004
BIANCHI, pp. 110-111.
1005
BIANCHI, p. 113.

199
La situation juridique des Tziganes en Suisse

derniers sur leur interprétation. Leur mise en œuvre par le droit ordinaire
suisse et la pratique des autorités fera l’objet de notre Titre quatrième et per-
mettra de dégager le point d’équilibre théoriquement idéal entre l’intégration
et le respect des particularités.
699. Cette analyse se situe toutefois dans le contexte du droit des minorités,
tel qu’appliqué en Suisse. La capacité de l’ordre juridique suisse à prendre en
compte les particularités minoritaires tziganes sera évaluée à la lumière de la
politique et de la pratique usuelles du législateur et du juge suisses face aux
revendications des groupes minoritaires.
700. Nous pourrons constater qu’une meilleure intégration des normes et
de la pratique internationales s’avère nécessaire (Chapitre I). Après cette mise
en perspective, nous étudierons la portée du principe général d’égalité, en par-
ticulier des exigences découlant de l’interdiction de la discrimination et de la
réalisation de l’égalité en fait (Chapitre II). Enfin, nous nous focaliserons sur
les libertés individuelles et les droits sociaux qui protègent le mode de vie no-
made per se et les conditions de son exercice (Chapitre III).
701. Les différentes problématiques que nous allons aborder concernent à
la fois une pluralité de sources et un certain nombre de droits fondamentaux.
Dès lors, une remarque s’impose à titre liminaire au sujet de leur articulation.
Les rapports entre, d’une part, ces sources et, d’autre part, ces droits se déter-
minent en se fondant respectivement sur le principe de faveur et sur le prin-
cipe de la concordance pratique.
702. Le principe de faveur impose au juge national d’appliquer la source in-
ternationale ou nationale offrant la meilleure protection au titulaire d’un droit
fondamental, que cela soit en raison de son champ d’application ou en raison
de ses conditions de restriction. La qualité de la protection est déterminée par
l’interprétation des sources qu’effectuent les organes en charge de leur surveil-
lance1006.
703. Le principe de la concordance pratique permet de répondre au
concours de droits fondamentaux protégés par une même source. L’absence de
hiérarchie formelle entre ces droits impose de trouver, dans les cas d’espèce,
une solution permettant de coordonner les divergences découlant tant de leur
champ d’application que de leurs impératifs en matière de conditions de res-
triction1007. A cet effet, la doctrine souligne que les effets d’un examen cumulé
des griefs soulevés ne sont pas anodins et peuvent entraîner des exigences dif-
férentes que celles découlant de l’examen de chaque grief pris isolément1008.

1006
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 259-261; MARTENET (2005), p. 301. Voir également les art. 53
CEDH et 5 § 2 Pacte II.
1007
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 245-249; MARTENET (2005), pp. 298-301.
1008
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 251.

200
Titre Troisième - Introduction

704. Par ailleurs, l’éventuel défaut de justiciabilité d’un droit ne devrait pas
conduire le juge à refuser de prendre en considération les effets de sa portée
sur les autres griefs soulevés par le justiciable. Il est vrai que si, d’un point de
vue procédural, son absence d’applicabilité directe conduit au constat
d’irrecevabilité du grief soulevé1009, l’indivisibilité et l’interdépendance des
droits fondamentaux imposent que sa portée et sa signification soient prises en
compte lorsque l’on constate un lien entre l’état de fait et le droit invoqué, et ce
dans le cadre de la nécessaire pesée des intérêts1010. Nous pourrons constater
ci-après l’importance de cette démarche dans un contexte mettant en jeu le
droit des minorités1011.

1009
Comp. ainsi l’ATF 130 I 113, 123 A. au sujet de l’irrecevabilité d’un grief tiré de la violation de l’art.
13 al. 1 Pacte I.
1010
Dans ce sens, MARTENET (2005), pp. 299-300.
1011
Infra Chapitre I, Section C, 2.2.3.

201
La situation juridique des Tziganes en Suisse

202
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

Chapitre I: La portée du droit international des


minorités pour la minorité tzigane suisse

705. Nous avons montré que le droit international des minorités est appli-
cable aux Tziganes en Suisse1012. Il s’agit à présent d’examiner ses effets non
seulement sur leur situation juridique en tant qu’individus, mais également
sur celle de leur communauté en tant que telle. Nous analyserons, dans un
premier temps, l’apport spécifique du droit des minorités, à savoir la facette
collective de sa protection (A.). Dans un deuxième temps, nous exposerons
comment la pratique suisse intègre le facteur minoritaire. Nous pourrons cons-
tater que cette intégration est essentiellement axée sur une approche indivi-
dualiste des droits garantis par le système du droit international des minorités
(B.). A la lumière de cette analyse, nous déterminerons quelle portée spécifi-
que possède la facette collective de ce système pour les Tziganes (C.).

A. La facette collective du droit des minorités

706. Après avoir présenté ce que signifie la facette collective du droit des
minorités, en tant qu’apport spécifique de ce système par rapport aux droits de
l’homme individuels (1.), nous exposerons de quelle manière elle est prise en
considération au niveau universel (2.) et au niveau régional européen (3.).

1. La facette collective en tant qu’apport spécifique du


droit des minorités

707. Le droit des minorités replace l’individu dans son contexte collectif.
Certes, l’emploi de l’expression « les personnes appartenant à une minorité »
dans l’article 27 Pacte II, dans la Déclaration pour les minorités de 1992 et dans
la CPMN peut faire douter de la nécessité de protéger le groupe lui-même1013.
En effet, en ne reconnaissant la titularité des droits qu’aux membres, cette
terminologie entretient le doute quant à l’admissibilité d’une protection
juridique en faveur du groupe lui-même. A cet égard, l’essentiel du débat
entourant la question de l’existence de droits collectifs a trait à la possibilité ou
non de réduire les intérêts de la communauté à ceux des individus1014.

1012
Supra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
1013
Comp. notamment l’art. 2 de la Déclaration des Nations Unies de 1992 et l’art. 3 CPMN. JOVANOVIC,
pp. 628-630.
1014
KYMLICKA (1995), p. 19 ; JOVANOVIC, p. 631.

203
La situation juridique des Tziganes en Suisse

708. Or, les intérêts de la minorité doivent être pris en considération. Au


travers des manifestations culturelles communes de ses membres, par le biais
de l’histoire et des traditions qui fondent sa cohésion, la minorité elle-même
possède un droit particulier à exister qui se distingue des droits individuels de
ses membres1015. De ce fait, le droit des minorités présuppose et protège la na-
ture collective de l’identité du groupe1016.
709. Quatre obligations découlent de cette facette collective: la protection
de l’existence des minorités, leur non-exclusion, leur non-discrimination et
leur non-assimilation forcée1017. Sa protection implique donc l’établissement
d’échanges entre la minorité et la majorité sociale, mais également entre le
groupe minoritaire lui-même et l’Etat1018. Jusqu’à un certain point, la minorité
elle-même doit donc être considérée comme l’interlocuteur direct de l’Etat.
710. Si la minorité n’est pas titulaire des droits garantis par ce système, il
n’en demeure pas moins que ses intérêts et son existence doivent être pris en
compte par l’Etat lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de concerner direc-
tement ou indirectement une minorité et ses membres.
711. Une minorité possède ainsi un intérêt propre à perdurer et à être pré-
servée qui n’équivaut pas à la somme des droits de chacun des individus qui
la composent, puisque l’existence des membres n’est pas synonyme, per se, de

1015
Dans ce sens, comp. l’art. 1er de la Déclaration de 1992 : « 1. Les Etats protègent l'existence et
l'identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique des minorités, sur leurs territoi-
res respectifs, et favorisent l'instauration des conditions propres à promouvoir cette identité. 2. Les
Etats adoptent les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires pour parvenir à ces fins. »
Voir également l’art. 1er CPMN distinguant entre la protection du groupe et celle des droits indivi-
duels de ses membres: « La protection des minorités nationales et des droits et libertés des person-
nes appartenant à ces minorités (…) ».
1016
Voir notamment les Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication n°
197/1985, I. Kitok, § 9.7. Dans cette affaire, l’auteur de la communication était un ressortissant
suédois appartenant à une famille saami. Son grief portait sur les effets d’une loi suédoise qui lui in-
terdisait d’exercer les droits reconnus aux Saamis en matière d’usage de l’eau et des terres. En ef-
fet, cette loi faisait une distinction entre les Saamis appartenant à un village saami (sameby), auto-
risés à élever traditionnellement des rennes et à exploiter les ressources naturelles par la chasse et
la pêche, et ceux qui n’y appartiennent pas et qui, en conséquence, ne peuvent exercer ces activi-
tés. L’Etat suédois justifiait cette mesure par l’objectif de préserver la culture et le peuple saami en
limitant le nombre de personnes pouvant exercer les activités traditionnelles, économiquement fra-
giles, de cette minorité. Le CDH a considéré qu’il fallait analyser l’impact de cette législation sur la
capacité des individus saamis à pouvoir jouir de leur culture avec d’autres membres de leur peuple
(§ 9.3). Le Comité a exprimé sa réticence face à une norme qui peut avoir pour effet qu’une per-
sonne appartenant objectivement à une minorité ne le soit pas aux yeux de la loi, et qu’en consé-
quence, elle ne puisse exercer ses droits minoritaires avec les autres membres de sa communauté
(§9.7) Cependant, le Comité a considéré que de telles restrictions portées aux droits des individus
étaient acceptables, si elles étaient objectives, raisonnables et nécessaire pour la viabilité de la mi-
norité per se. Dès lors, le Comité a conclu à une non-violation dans le cas d’espèce, jugeant que
bien que l’auteur ne fût pas titulaire du droit d’élever des rennes, de chasser et de pêcher sur les
terres traditionnelles, il en avait cependant malgré tout la possibilité (§9.8). Dans le même sens,
voir également les Constatations du CDH, du 26 mars 1990, relatives à la Communication n°
167/1984, Lubikon Lake Band c. Canada, §32-32. PENTASSUGLIA (2002b), pp. 100-102.
1017
EIDE (Commentaire), § 23.
1018
GROUPE DE TRAVAIL DES N.U., § 29.

204
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

l’existence du groupe1019. L’interdiction du génocide culturel par l’enlèvement


et le placement d’enfants issus d’un certain groupe1020 illustre cette dualité :
bien que l’intégrité physique des enfants soit intacte, la pérennité et la survie
de la minorité elle-même sont remises en question1021.
712. La reconnaissance d’un droit propre à la minorité d’exister ne remet
pas en question la restriction de la qualité pour agir aux membres du groupe, à
l’exclusion du groupe lui-même. Cette facette collective protégeant et préser-
vant la minorité doit néanmoins être reconnue, prise en considération et res-
pectée lors de l’analyse de la situation des individus appartenant à une minori-
té, ainsi que nous le montrerons de façon approfondie ci-après1022.

2. La facette collective au niveau universel

713. Le Comité des droits de l’homme a eu l’occasion d’interpréter l’article


27 Pacte II dans son Observation générale n° 23, ainsi que dans le cadre de sa
pratique contentieuse. Le Comité met en exergue l’obligation des Etats de dé-
passer le contexte individuel pour prendre en compte l’impact que le cumul de
mesures individuelles peut avoir sur la minorité elle-même, alors qu’elles se-
raient en soi admissibles pour des particuliers pris séparément1023. Dès lors,
bien que la titularité de l’article 27 Pacte II soit réservée aux membres seuls, à
l’exclusion du groupe, le Comité considère qu’une individualisation complète
des droits qui en découlent n’est pas admissible, car cette disposition protège
la nature associative de l’identité minoritaire1024.

1019
THORNBERRY (1993), p. 57. Voir également JOVANOVIC, p. 633.
1020
Art. 5 let. e de la Convention contre le génocide.
1021
JOVANOVIC, pp. 633-634. Voir également GILBERT (art. 5), p. 173.
1022
Infra Section C, 2.2.
1023
Constatations du CDH, du 22 novembre 1996, relatives à la Communication N° 671/1995, J. Läns-
man c. Finlande, § 10.7. Dans cette affaire, les auteurs de la communication appartenaient au
Muotkatunturi Herdsmen's Committee, un groupe de Saamis. Ils contestaient le projet du gouver-
nement finnois prévoyant une exploitation forestière intense et la construction d’une route sur 3000
mètres carrés. Cette surface se situait exactement dans une zone appartenant au Muotkatunturi
Herdsmen's Committee et était employée pour faire paître les rennes en hiver, ce qui constitue
l’activité économique traditionnelle des Saamis. Après avoir évalué l’impact économique de ce projet
sur l’élevage traditionnel de rennes, le CDH a considéré que la survie de cette activité ne serait pas
mise en danger et qu’en conséquence l’art. 27 Pacte II n’était pas violé in casu. Toutefois, le Comité
a attiré l’attention de l’Etat finnois sur le fait que si, une fois mis en oeuvre, ce projet d’exploitation
forestière devait avoir des effets plus sérieux que prévus, ou si d’autres mesures plus incisives de-
vaient être adoptées ultérieurement, cette disposition pourrait être violée. Le Comité a également
rappelé que l’Etat finlandais exploitait d’ores et déjà plusieurs entreprises forestières sur les terrains
des Saamis. Prises individuellement, aucune de ces entreprises ne violait les droits du peuple saami,
au sens de l’art. 27 Pacte II. Cependant, les autorités devaient prendre en considération les effets
cumulés de l’ensemble de ces exploitations sur la capacité des Saamis à exercer leurs activités éco-
nomiques traditionnelles: cette addition de restrictions pourraient, à terme, constituer une violation
de l’art. 27 Pacte II. PENTASSUGLIA (2002b), p. 102. Voir également infra Section C, 2.2.2.
1024
PENTASSUGLIA (2002b), p. 100.

205
La situation juridique des Tziganes en Suisse

714. L’article 27 Pacte II possède ainsi une portée qui va au-delà de ce que
sa lettre peut laisser entendre, en ne se réduisant pas à une obligation négative
de l’Etat de s’abstenir d’assimiler les membres d’une minorité. Il consacre éga-
lement l’obligation de prendre des mesures de promotion en leur faveur, no-
tamment dans le domaine culturel1025. Ces mesures développent des effets
aussi bien verticalement qu’horizontalement, puisque l’Etat doit agir de ma-
nière à ce que les droits découlant de l’article 27 Pacte II soient garantis contre
toute violation provoquée par des acteurs privés1026. Elles peuvent être illimi-
tées dans le temps et elles ne créent aucune inégalité de traitement injustifiée à
l’égard des membres de la majorité de la société, aussi longtemps qu’elles
poursuivent la réalisation des droits consacrés par l’article 27 Pacte II1027.
715. La nature des limitations pouvant être apportées aux droits garantis
par l’article 27 Pacte II est particulière. En effet, sa lettre le distingue des dispo-
sitions de ce traité qui consacrent les libertés individuelles, puisqu’il n’inclut
aucune clause de limitation spécifiant que les restrictions prévues par la loi,
poursuivant un intérêt public et respectant le principe de proportionnalité sont
acceptables aux yeux de cet instrument.
716. Selon la pratique du Comité des droits de l’homme, il n’est possible de
restreindre valablement les droits d’un particulier appartenant à une minorité
qu’à la condition que la mesure soit non seulement fondée sur des motifs ob-
jectifs et raisonnables, mais qu’elle s’avère par ailleurs nécessaire pour assurer
la viabilité et le bien-être de la minorité dans son ensemble1028. Cette seconde
exigence va jusqu’à imposer au particulier appartenant à une minorité de tolé-
rer une ingérence dans ses droits individuels, jusqu’à un certain degré défini
par le respect de la proportionnalité, lorsque la législation en cause a pour ob-
jectif de protéger le groupe lui-même1029.
717. Par ailleurs, dans le contexte de l’article 27 Pacte II, la question de
l’existence d’une éventuelle marge d’appréciation en faveur de l’Etat n’est pas
un facteur pertinent: le Comité des droits de l’homme évalue la légitimité de
l’ingérence uniquement au regard des obligations découlant de l’article 27

1025
Observation générale n° 23 du CDH, §6.2. NOWAK (art. 27) N. 39-52, pp. 657-666 ; SCHODER, pp.
166-169.
1026
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.1; PENTASSUGLIA (2002b), pp. 104-108 ; SCHODER, p. 165 ;
THORNBERRY (1993), p. 184.
1027
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.2 ; MALINVERNI (MINORITES), pp. 241ss ; SCHODER, pp. 167-
168 ; THORNBERRY (1993), pp. 180ss. Voir également infra Section C, 2.1.2.
1028
Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication N° 197/1985, Ivan Kitok c.
Suède, § 9.8. Voir également Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communi-
cation N° 547/1993, Mahuika c. Nouvelle-Zélande, § 9.6. JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.19, p. 762.
1029
Constatations du CDH, du 22 novembre 1996, relatives à la Communication N° 511/1992, I. Läns-
man c. Finlande, § 9.4. SCHODER, p. 176.

206
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

Pacte II, et examine notamment si les mesures ont pour effet d’interférer dans
la jouissance des droits protégés1030.
718. Pour sa part, en associant les interprétations littérale et téléologique de
la norme, la doctrine conclut que les droits de l’article 27 Pacte II ne connais-
sent pas la même logique de restriction que celle applicable aux libertés indi-
viduelles protégées par le Pacte II. Selon les auteurs, ils ne peuvent être res-
treints qu’en cas de conflit avec d’autres droits consacrés par le Pacte II et uni-
quement pour des motifs objectifs et raisonnables1031. L’interdiction de l’abus
de droit, consacrée à l’article 5 al. 1 Pacte II, est également réservée1032.

3. La facette collective au niveau régional européen

719. La dimension collective du droit des minorités est également affirmée


dans plusieurs dispositions de la CPMN. Interprétés ensemble, les articles 1er
et 3 al. 2 CPMN consacrent l’obligation de prendre des mesures assurant non
seulement la protection des individus, mais également du groupe lui-
même1033. L’article 3 al. 2, en particulier, implique nécessairement l’existence
d’un groupe et sa protection, puisqu’il précise que les individus appartenant à
une minorité doivent pouvoir exercer leurs droits minoritaires ensemble : si
l’existence de la minorité per se n’est pas garantie, cette prérogative est vidée
de toute portée1034.
720. Les articles 5 et 16 CPMN consacrent également la nécessité de garan-
tir l’existence du groupe : l’article 5 al. 1 CPMN oblige les Etats à prendre des
mesures requises pour pour que les individus minoritaires puissent maintenir,
développer et préserver leur identité culturelle1035, ce qui inclut une attitude
active de la part de l’Etat1036. L’article 5 al. 2 CPMN interdit pour sa part les po-
litiques assimilatoires qui ont pour résultat la disparition forcée de la commu-

1030
Constatations du CDH, du 22 novembre 1996, relatives à la Communication N° 511/1992, I. Läns-
man c. Finlande, § 9.4. PENTASSUGLIA (2002B), p. 104.
1031
NOWAK (art. 27), N. 53-54, pp. 666-667; PENTASSUGLIA (2002b), pp. 108-109 ; PRITCHARD, pp. 260-
261. Comp. SCHODER, pp. 177-179 qui interprète l’art. 27 comme étant « eine Schranke der Schran-
ken ».
1032
PRITCHARD, p. 261 ; SCHODER, pp. 179-180.
1033
Voir HEINTZE (art. 1), pp. 86 et 94 ; HEINTZE (art. 3), p. 134.
1034
HEINTZE (art. 3), pp. 133-134.
1035
GILBERT (art. 5), p. 157.
1036
Voir le deuxième Avis du Comité consultatif relatif à l’Estonie, ACFC/INF/OP/II (2005) 001, § 57-65,
où le Comité analyse les mesures prises par l’Etat estonien pour soutenir les cultures minoritaires.
Comp. en outre le deuxième Avis du Comité consultatif relatif à l’Italie, ACFC/INF/OP/II (2005) 003,
§ § 35, où le Comité enjoint les autorités italiennes « de se fixer pour priorité de prendre les mesu-
res nécessaires dans le domaine législatif pour assurer une protection légale aux Rom, Sinti et Gens
du voyage, afin que ces personnes puissent mieux préserver leur identité et leur culture et conti-
nuer de les développer ». Voir également PENTASSUGLIA (2002b), p. 133.

207
La situation juridique des Tziganes en Suisse

nauté1037. Enfin, l’article 16 CPMN interdit l’assimilation indirecte par le bais


du déplacement forcé de groupes de populations ou de la modification de
frontières internes1038. En outre, on soulignera que la reconnaissance du droit
de créer des écoles minoritaires, affirmé à l’article 13 CPMN, permet de renfor-
cer la protection du groupe contre l’assimilation forcée, puisqu’il garantit la
pérennité transgénérationnelle de l’identité minoritaire1039.

B. L’approche individualiste de la protection des


minorités en Suisse

721. Après une présentation de la politique suisse à l’égard des minorités


historiques présentes sur le territoire helvétique (1.), nous ferons état de ses
limites et difficultés pour parvenir à prendre en considération les caractéristi-
ques identitaires des Tziganes, dues à son approche essentiellement individua-
liste du système de protection des minorités (2.).

1. La protection des minorités en Suisse

722. Comme le souligne expressément la Constitution fédérale, par nature,


la Suisse est un Etat composite et multiculturel1040. En effet, elle est constituée
d’une pluralité de minorités linguistiques et confessionnelles, qui forment les
communautés helvétiques dites « historiques»1041 . Alémaniques,
francophones, italophones et romanches, d’une part, protestants et
catholiques1042, d’autre part, composent les communautés historiques de la
Suisse. En outre, l’arrivée puis la consolidation de groupes minoritaires
1037
Voir ainsi le premier Avis du Comité consultatif de la CPMN relatif à l’Estonie, ACFC/INF/OP/I (2002)
005, § 27 : une politique étatique visant à promouvoir uniquement la langue officielle de l’Etat peut
avoir des effets assimilatoires forcés sur les membres de minorités nationales dont la langue diffère
de celle de l’Etat. Voir également GILBERT (art. 5), pp. 172-175.
1038
Voir JACKSON-PREECE (art. 16), pp. 463-464. On relèvera ainsi que le Comité consultatif de la CPMN a
attiré l’attention de la Finlande sur les éventuelles conséquences que le projet national de fusion de
diverses municipalité pourrait avoir sur la proportion de personnes appartenant à des minorités dans
ces unités administratives, en conseillant aux autorités finlandaises d’assurer la participation de ces
personnes au processus ; Deuxième Avis du Comité consultatif de la CPMN relatif à la Finlande,
ACFC/INF/OP/I (2006) 003, § 161-162.
1039
THORNBERRY (art. 13), pp. 400 et 404-405.
1040
Art. 2 al. 2 Cst. Au sujet de la dimension pluraliste de la Suisse, voir le Rapport initial présenté par
la Suisse au Comité consultatif de la CPMN, §19-25.
1041
MALINVERNI (1998), p. 359 ; Rapport initial présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/81/Add.
8, du 26 mai 1995, § 486. Pour des repères historiques relatifs à l’évolution de la question du pluri-
linguisme en Suisse, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 630-633; WILSON (1999), pp. 107-112.
Pour un aperçu historique de l’évolution de la liberté religieuse en Suisse, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 438-444; MÜLLER (1999), pp. 80-81.
1042
Aux particuliers professant de confessions chrétiennes, il sied d’ajouter les membres de la commu-
nauté juive ; Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CPMN, FF 1998 1033, 1948.

208
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

l’arrivée puis la consolidation de groupes minoritaires d’origine étrangère a


conduit, au fil des dernières décennies, à la création de nouvelles communau-
tés de langues et de religions distinctes de celles de la population suisse1043.
723. La pratique judiciaire entourant la protection des groupes minoritaires
en Suisse s’est ainsi construite au moyen de décisions concernant des person-
nes se trouvant minorisées pour des raisons linguistiques ou religieuses. Jus-
qu’à récemment, la question de l’existence de minorités ethniques ne s’était
pas posée. En effet, c’est précisément à l’occasion des réflexions entourant le
statut des communautés tziganes que les autorités et la doctrine ont commencé
à étudier les effets juridiques de la présence de ce type de minorité en Suisse.
724. La politique usuelle de protection des minorités s’organise autour de
deux axes, le premier étant de nature institutionnelle, le second se fondant sur
la protection des droits fondamentaux des particuliers. D’un point de vue ins-
titutionnel, le système fédéral suisse offre aux minorités présentes historique-
ment en Suisse l’autonomie organisationnelle et législative nécessaire pour dé-
velopper et préserver leurs langues, leurs religions et leurs cultures.
725. Le fédéralisme assure également leur représentation politique au ni-
veau fédéral, tant par l’existence d’une Chambre des cantons au sein de
l’Assemblée fédérale, que par la participation des cantons à la formation de la
volonté fédérale. En sus, la composition des différents organes fédéraux prend
en compte les groupes minoritaires1044.
726. En ce sens, le fédéralisme est traditionnellement perçu comme étant,
en soi, une garantie importante pour la sauvegarde et la promotion des mino-
rités1045. De plus, en tant que mécanismes de consultation extraparlementaires,
les instruments de démocratie directe que sont le référendum et l’initiative po-
pulaire permettent aux minorités de participer au processus décisionnel1046.
727. Du point de vue des droits fondamentaux, l’ensemble des personnes
appartenant à des groupes minoritaires confessionnels ou linguistiques, qu’ils
soient historiquement présents ou issus de mouvements de population plus
récents, sont protégées par la liberté religieuse, la liberté de la langue, ainsi que
par l’interdiction de la discrimination. L’accent étant ainsi placé sur les droits
individuels, il importe peu, dans ce contexte, qu’un individu appartienne ou
non à une minorité au sens du droit international1047.

1043
Ainsi, en 2000, 16,6% de la population résidant en Suisse utilisait une langue non nationale contre
13,0% en 1990 et 4,5% de la population professait d’une religion qui n’est pas chrétienne, contre
2,4 % en 1990 ; Office fédéral de la statistique, Communiqués de presse des 21 décembre 2004 et
12 avril 2005.
1044
Voir en particulier sur ces différents aspects MALINVERNI (1998), pp. 360-371.
1045
BIANCHI, p. 105 ; MALINVERNI (1998), p. 372 ; WILSON (1999), pp. 193-195. Message du Conseil fédé-
ral relatif à la CPMN, FF 1998 I 1044 ; Rapport initial de la Suisse, § 38.
1046
Rapport initial de la Suisse, § 237 et 245.
1047
Voir également le second rapport de la Suisse auprès du CDH, § 235.

209
La situation juridique des Tziganes en Suisse

728. Par contre, la question s’avère pertinente pour déterminer si les sour-
ces internationales du droit des minorités trouvent également à s’appliquer. A
teneur des prises de position de la Suisse dans les enceintes internationales,
rappelons que seuls les groupes de personnes entretenant des « liens anciens,
solides et durables » avec la Suisse forment de telles minorités, à l’exclusion
des communautés nouvelles issues des migrations1048.
729. Pour déterminer si et de quelle manière le système du droit des mino-
rités influence la portée des droits fondamentaux individuels dans le contexte
suisse, nous effectuons ci-après un aperçu de la protection offerte aux groupes
minoritaires religieux (1.1.) et linguistiques (1.2.), avant d’exposer de quelle
manière le Tribunal fédéral interprète la portée de l’article 27 Pacte II (1.3.),
pour terminer par une appréciation critique (1.4.).

1.1. La protection des minorités religieuses

730. Les titulaires de la liberté religieuse sont toutes les personnes se trou-
vant sur le territoire helvétique1049 ; tant les confessions dominantes que mino-
ritaires sont protégées, ainsi que l’athéisme, l’agnosticisme ou l’indifférence re-
ligieuse1050.
731. Les articles 9 CEDH, 18 Pacte ONU II et 15 Cst. forment ensemble le
socle formel de la liberté de religion, en se concrétisant mutuellement1051. A ces
sources, on adjoindra les dispositions interdisant la discrimination fondée sur
la religion1052. A ce corpus s’appliquant à l’ensemble de la population
s’ajoutent les normes du droit des minorités que sont les articles 27 Pacte II et 8
CPMN1053, lorsqu’un particulier appartient à l’une des minorités religieuses
protégées par ce système. A ce jour, le Tribunal fédéral n’a pas eu l’occasion de

1048
Voir la déclaration suisse effectuée lors de la ratification de la CPMN : « La Suisse déclare que cons-
tituent en Suisse des minorités nationales au sens de la présente Convention-cadre les groupes de
personnes qui sont numériquement inférieurs au restant de la population du pays ou d’un canton,
sont de nationalité suisse, entretiennent des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont
animés de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur
culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue. » Lorsque les membres de ces minorités histo-
riquement présentes sont des citoyens suisses, tant la CPMN que l’art. 27 Pacte II doivent être pris
en considération, tandis que les ressortissants étrangers ne peuvent se prévaloir que de la protec-
tion universelle exclusivement ; Rapport initial de la Suisse, § 101, renvoyant sur ce point à
l’Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2.
1049
ATF 119 Ia 178 A. und M. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 461 ; MALINVERNI (Minorités), p. 238 ;
MÜLLER (1999), p. 87 ; ROUILLER, p. 946
1050
AUER (2003), p. 176 ; HÄFELIN/HALLER, N. 406 ; MALINVERNI (Minorités), p. 244 ; MÜLLER (1999), p. 82 ;
ROUILLER, p. 946.
1051
ROUILLER, p. 946.
1052
Art. 2§1 Pacte I, 2§1 et 26 Pacte II, 14 CEDH et 8 al. 2 Cst. La portée de l’interdiction de la discri-
mination basée sur la religion par rapport à la liberté religieuse reste encore à être précisée par le
Tribunal fédéral; AUER (2003), p. 179 ; RIENER/KUHN, p. 36.
1053
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1110 ; MÜLLER (1999), p. 80.

210
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

s’exprimer sur la portée de ces dispositions pour l’interprétation de la liberté


religieuse.
732. La jurisprudence du Tribunal fédéral relative aux communautés
religieuses concerne aussi bien les minorités présentes historiquement en
Suisse que les groupes apparus ultérieurement, du fait des flux migratoires
récents. Selon notre Haute Cour, la liberté religieuse possède une fonction
positive qui impose à l’Etat un devoir de neutralité, fondant un droit
justiciable. Ce droit l’oblige à protéger les communautés religieuses
minoritaires, qu’elles soient historiques ou nouvelles1054.
733. A ce devoir de protection viennent s’ajouter d’autres obligations posi-
tives. Cette catégorie d’obligations a été reconnue et définie par la doctrine et
la jurisprudence depuis plusieurs années1055 et complète les obligations classi-
ques d’abstention existant à charge des autorités1056. Leur existence est néan-
moins soumise à la possibilité de concrétiser immédiatement la prétention
formulée par un particulier1057.
734. Dans le contexte de la liberté religieuse, plusieurs litiges opposant im-
pératifs religieux et obligations légales ont été portés devant le Tribunal fédé-
ral. Celui-ci a reconnu, par exemple, le droit d’obtenir l’organisation d’un culte
musulman en milieu carcéral1058, mais non celui d’être exempté du travail
obligatoire en prison les jours de fêtes religieuses minoritaires1059. Dans le do-
maine scolaire, la liberté religieuse « implique avant tout la tolérance » et
« impose à l’école de prendre en considération les exigences découlant des
convictions religieuses des différents élèves, pour autant qu'un enseignement
bien ordonné et efficace puisse être garanti »1060. Dans ce cadre particulier, le

1054
ATF 97 I 221, 230 Neuapostolische Kirche. KIENER/KUHN, pp. 36-37; MÜLLER (1999), p. 93.
1055
Voir notamment ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth; ATF 119 Ia 28, 31 M.; ATF 107 Ia 304, 307
Fuchs ; ATF 103 Ia 369, 361 Wäffler. AUER (1986), pp. 18-20 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N.
166-167 et 783; BESSON, pp. 49-96 ; BIANCHI, pp. 102-103 ; HÄFELIN/HALLER, p. 82; MÜLLER (1999), p.
28 ; SUDRE (2005B), pp. 228-230; TSCHANNEN, p. 106. La Cour européenne des droits de l’homme re-
connaît également aux libertés consacrées par la CEDH une dimension positive, voir ainsi les ACEDH
Lopez Ostra c. Espagne, du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, § 51 ; ACEDH Airey c. Irlande, du 9
octobre 1979, série A n° 32, §25; ACEDH Marckx c. Belgique, du 13 juin 1979, série A n° 31, § 31.
1056
Au sujet de la dimension négative des obligations de l’Etat découlant des libertés, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 161 ; BESSON, pp. 64-65 ; EGLI, p. 135 ; HÄFELIN/HALLER, p. 80 ;
MÜLLER (1982), p. 47 ; TSCHANNEN, p. 106 ; TRACHSEL, p. 6.
1057
ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth; ATF 119 Ia 28, 31 M. BESSON, pp. 62-66; KIENER/KUHN, p. 35.
1058
ATF 113 Ia 394, 307-308 Koch.
1059
Une bonne organisation interne de la prison, ainsi que l’égalité de traitement avec les autres prison-
niers, s’opposent à la reconnaissance de jours de congé supplémentaires en faveur de certains dé-
tenus en raison de leur religion, ce d’autant plus lorsque ladite religion n’interdit pas elle-même de
travailler ce jour-là ; ATF 129 I 74, 82-84 X..
1060
ATF 119 Ia 178, 190, A et M; ATF 117 Ia 311, 315 E. und H.S.; ATF 114 Ia 129, 133 R..

211
La situation juridique des Tziganes en Suisse

Tribunal fédéral a reconnu le droit d’être dispensé ponctuellement1061, voire


définitivement1062, de cours à l’école publique obligatoire1063.
735. Toutefois, le Tribunal fédéral a refusé d’octroyer un droit d’être dis-
pensé de porter un casque de protection pour les conducteurs de cyclomoteurs
de religion sikh1064. Notre Haute Cour a par ailleurs nié l’existence d’un droit
justiciable à l’obtention de tombes éternelles, en accord avec les règles de
l’islam, dans les cimetières communaux, tout en laissant ouverte la question de
l’existence d’une éventuelle obligation à charge de l’Etat de prévoir des cime-
tières confessionnels spéciaux dans le cadre de la législation en matière
d’aménagement du territoire et du droit des constructions1065.

1.2. La protection des minorités linguistiques

736. Reconnue à titre de droit constitutionnel non écrit en 1965 par le Tri-
bunal fédéral1066, la liberté de la langue est consacrée à l’article 18 Cst. En tant
que droit fondamental, elle appartient à toutes les personnes physiques et mo-

1061
Un élève adventiste a obtenu le droit d’être dispensé pendant les cinq jours consécutifs de fête reli-
gieuse, le Tribunal fédéral estimant qu’il était disproportionné de lui refuser cette dispense sous pré-
texte que les élèves de confession juive ne pouvaient pas demander plus de quatre jours consécu-
tifs de congé; ATF 114 Ia 129,137-138 R. SAHFELD, p. 336.
1062
Un règlement scolaire qui se révèle trop strict à l’égard des exigences en matière de repos hebdo-
madaire pour les religions minoritaires peut s’avérer disproportionné. Dès lors, les autorités canto-
nales ne peuvent l’appliquer sans réserve sans auparavant avoir procédé à une pesée des intérêts
concrète entre l’intérêt de l’école à pouvoir garantir une organisation efficace des cours et l’intérêt
privé de l’élève à exercer sa liberté religieuse in casu ; ATF 117 Ia 311, 321 E und H.S. Les cours
de natation ne représentent qu’une fraction des cours de gymnastique et ne sont pas une discipline
scolaire indispensable dont la dispense pourrait entraîner des lacunes importantes pour un élève,
notamment en matière de recherche d’emploi. Dès lors, il s’avère disproportionné de refuser une
dispense en faveur d’une écolière mineure de religion musulmane, ce d’autant lorsque le père
s’engage à lui enseigner la natation. ATF 119 Ia 178, 195-196 A et M.
1063
Toutefois, cette tolérance est fortement restreinte à l’égard du corps enseignant, soumis au devoir
de neutralité religieuse de l’Etat: le Tribunal fédéral a ainsi considéré que l’interdiction faite à une
enseignante d’une école publique de porter un foulard répondant à ses yeux aux exigences du Co-
ran correspondait à un intérêt public important et respectait le principe de proportionnalité. En effet,
le Tribunal fédéral a jugé que le port du foulard constituait un « signe religieux fort » susceptible de
heurter la sensibilité religieuse des élèves et de leurs parents. Dès lors, il s’oppose au devoir de neu-
tralité confessionnelle de l’Etat, visant à préserver la paix religieuse, auquel est soumis l’enseignante
en tant que représentante de l’Etat. Son devoir de réserve l’emporte donc sur son droit à exprimer
son sentiment religieux par le biais du port du foulard ; ATF 123 I 296, 311-312 X. Suivant point par
point le raisonnement du Tribunal fédéral, la Cour de Strasbourg s’est montrée encore plus sévère à
l’égard de l’enseignante genevoise puisqu’elle a ultérieurement confirmé cette décision en déclarant
irrecevable le grief de violation de l’art. 9 CEDH, le jugeant manifestement mal fondé, au sens des
art. 35 § 3 et 4 CEDH ; Décision Dahlab c. Suisse, du 15 février 2001, p. 15, CEDH 2001-V.
1064
Les hommes de confession sikh ne peuvent pas se dénuder la tête en public. L’atteinte à la liberté
religieuse du recourant est proportionnée, puisqu’il a la possibilité d’enlever son turban pour mettre
son casque de protection à l’abri des regards et donc de concilier ses impératifs religieux avec ses
obligations légales découlant de l’art. 3 al. 3 OCR ; ATF 119 IV 260, 265 B.
1065
ATF 125 I 300, 309 M. KIENER/KUHN, p. 36.
1066
ATF 91 I 480, 485-486 Association de l’Ecole française.

212
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

rales, quelle que soit leur nationalité ou leur domicile1067. Elle consacre le droit
des individus de s’exprimer dans la langue de leur choix1068. Si ni le Pacte II ni
la CEDH ne la codifient en tant que droit individuel per se, ces instruments
interdisent néanmoins de procéder à des discriminations en se fondant sur le
fait de s’exprimer dans une langue particulière.
737. Le système international de protection des minorités apporte ici des
précisions supplémentaires1069. Ainsi, tant l’article 27 Pacte II et l’article 10
CPMN1070 protègent spécifiquement le droit des communautés linguistiques à
employer leur propre langue1071. Pour sa part, poursuivant un objectif culturel
et ne cherchant pas à protéger les minorités linguistiques en tant que telles, la
Charte européenne des langues régionales et minoritaires du Conseil de
l’Europe, du 25 juin 19921072, consacre la protection des langues historiques de
l’Europe menacées de disparition1073, mais ne confère aucun droit spécifique à
leurs locuteurs1074. Comme l’interdiction de la discrimination ne suffit pas à
elle seule à garantir la survie des idiomes en voie de disparition, la CLRM en-
gage les Etats parties à prendre des mesures spéciales reflétant les intérêts et
les souhaits de leurs locuteurs pour les préserver et les développer1075.
738. En tant que droit fondamental appartenant à tout individu, la liberté
de la langue n’est pas restreinte aux langues nationales suisses qui sont, selon
l’article 4 Cst., l’allemand, le français, l’italien et le romanche1076. Leurs locu-
teurs sont toutefois les seuls à pouvoir être qualifiés de minorités linguistiques
au sens du droit international. Dans ce contexte, la liberté de la langue leur ga-

1067
ATF 128 V 34, 37 Office de l´assurance-invalidité c. Commission cantonale; ATF 127 V 219, 225 A.;
ATF 122 I 236, 238 Joanne Althaus. GUCKELBERGER, p. 615.
1068
MÜLLER (1999), pp. 140-142 ; Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997
I 1112.
1069
BIANCHI, p. 106 ; MORAND (1993), p. 13 ; MÜLLER (1999), pp. 140-141 et 148-150.
1070
La CPMN comporte d’autres dispositions engageant les Etats de respecter le choix de leurs minorités
nationales à utiliser et s’exprimer dans leur langue minoritaire ; voir ainsi les art. 5, 6, 9, 11 et 14
CPMN.
1071
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 638-639.
1072
RS 0.441.2 ; RO 2003 2507. La CLMR est entrée en vigueur le 1er mars 1998, également pour la
Suisse qui a ratifié cet instrument le 23 décembre 1997. Son mécanisme de surveillance est de na-
ture exclusivement non-contentieuse, puisque les Etats parties ne sont astreints qu’à la présentation
de rapports périodiques auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe (art. 15 al. 1). Les rap-
ports sont examinés par un Comité d’Experts (art. 16), composé de personnes compétentes et de
haute intégrité, nommées par le Conseil des Minisitres à raison d’un expert par Etat-membre (art.
17 al. 1), pour une période de six ans, et dont le mandat est renouvelable (art. 17 al. 2). Sur la
base des rapports soumis par les Etats, ainsi que des informations transmises au Comité par des or-
ganismes non gouvernementaux légalement constitués dans ces Etats (art. 16 al. 2), le Comité rend
ensuite un rapport au Comité des Ministres (art. 16 al. 3).
1073
Voir le Préambule de la Charte. La CLMR ne s’applique pas à toutes les langues minoritaires présen-
tes sur un territoire car elles ne sont pas nécessairement en voie de disparition ; Message du
Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1108 ; WILSON (1999), p. 187.
1074
WILSON (1999), p. 187.
1075
Rapport explicatif de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, §10.
1076
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 634.

213
La situation juridique des Tziganes en Suisse

rantit de pouvoir utiliser leur langue dans une certaine circonscription et de ne


pas se voir imposer une seule langue officielle1077.
739. L’allemand, le français et l’italien bénéficient du statut de langues offi-
cielles de la Confédération aux termes de l’article 70 al. 1 Cst., le romanche
n’ayant ce statut que dans les relations entre ses locuteurs et la Confédéra-
tion1078. En outre, selon l’article 70 al. 2 in fine Cst., les cantons doivent prendre
en considération les « minorités linguistiques autochtones ». La disposition
constitutionnelle interdit aux cantons notamment d’opprimer ces langues lors-
qu’ils déterminent leurs propres langues officielles1079. Enfin, l’article 70 al. 3
Cst. donne mandat à la Confédération et aux cantons de promouvoir et
d’encourager les échanges linguistiques entre les différentes communautés1080.
740. Selon l’article 70 al. 5 Cst., le romanche et l’italien sont considérés
comme langues nationales minoritaires nécessitant des mesures de promotion
pour leur sauvegarde1081, ce qui souligne ainsi l’importance de telles mesures
dans le contexte de protection des minorités1082.
741. A cet égard, le Conseil fédéral a précisé lors de la ratification de la
CLRM que seuls l’italien et le romanche bénéficient des mesures de promotion
prévues par cet instrument, à l’exclusion du français et l’allemand1083. Toute-
fois, les quatre langues nationales sont au bénéfice des dispositions de la
deuxième partie de ce traité puisque le français et l’allemand peuvent égale-
ment se retrouver en situation minoritaire dans un canton1084. En sus de
s’appliquer au romanche et à l’italien, la CLRM protège également la langue
jénisch, en tant que « langue dépourvue de territoire »1085.
742. En Suisse, la particularité de la liberté de la langue réside dans le fait
qu’elle est strictement encadrée par le principe constitutionnel de la territoria-
lité1086. Ancré formellement à l’article 70 al. 2 ab initio Cst., ce principe est le

1077
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1112.
1078
KÄGI-DIENER (art. 70), p. 811.
1079
ATF 122 I 236, 242-243 Jorane Althaus. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 655. Commentaire sur la
genèse et la portée de l’avant-projet de loi sur les langues, 2001, p. 5.
1080
Parmi les mesures envisageables, on évoquera la promotion de la communication de bulletins
d’informations des agences de presse dans toutes les langues nationales, ou encore la promotion de
l’apprentissage de plusieurs langues notamment à l’école et par le biais d’échanges entre écoles ;
GUCKELBERGER, p. 623.
1081
BORGHI (2001), p. 600.
1082
BIANCHI, p. 105.
1083
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 9; Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de
CLMR, FF 1997 I 1115-1116. Voir également le Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de
la CPMN, FF 1998 1033, 1048. BORGHI (2001), p. 600.
1084
Rapport initial de la Suisse relatif à la CLMR, pp. 9-10.
1085
Rapport initial de la Suisse relatif à la CLMR, p. 11 ; Deuxième rapport périodique de la Suisse relatif
à la CLMR, p. 16. Voir en outre nos développements relatifs au statut de la langue jénisch en
Suisse, infra Titre Quatrième, Chapitre IV.
1086
MACHERET (2001), p. 376.

214
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

fruit de la jurisprudence qui l’a consacré en même temps que la liberté de la


langue1087. Selon le Tribunal fédéral, il a pour objectif de garantir
l’homogénéité des régions linguistiques en protégeant leur répartition territo-
riale traditionnelle1088. Il permet aux cantons de prendre des mesures dans ce
sens, restreignant de ce fait la liberté des particuliers, dans le respect cepen-
dant de la proportionnalité1089. Selon notre Haute Cour, en sus d’assurer une
gestion avantageuse des coûts en matière d’éducation publique, le principe de
territorialité permet de sauvegarder les langues menacées, ainsi que la paix des
langues, et donc la cohésion sociale1090.
743. Appliquant dans un premier temps strictement ce principe1091, le Tri-
bunal fédéral a infléchi sa jurisprudence suite à la critique de la doctrine1092. Il
a ainsi assoupli le principe de territorialité pour donner un plus grand poids à
la liberté de la langue, en affirmant que « l'intérêt public lié à la sauvegarde de
l'homogénéité linguistique d'une commune ne saurait, à lui seul, faire obstacle
à la garantie constitutionnelle de la liberté de la langue »1093. L’accent est dé-
sormais clairement placé sur le respect de la proportionnalité1094.

1.3. L’interprétation de l’article 27 Pacte II par le Tribunal fédéral

744. En 2003, dans un contexte mettant en cause une famille de Tziganes


suisses, le Tribunal fédéral a eu l’occasion, pour la première fois, de se pronon-
cer sur l’article 27 Pacte II. En effet, la violation de la protection de la vie cultu-
relle des minorités ethniques avait été explicitement alléguée par le recourant.
745. Devant composer avec le silence jurisprudentiel, une première partie
de la doctrine avait auparavant émis des doutes sur la justiciabilité de cette
norme, estimant que la question pouvait rester ouverte1095, tandis qu’une se-
conde la concevait de façon similaire aux autres dispositions du Pacte II1096. Le
Tribunal fédéral semble avoir suivi cette seconde voie, de façon implicite,

1087
ATF 122 I 236, 238 Jorane Althaus ; ATF 91 I 480, 487, Association de l’Ecole française de Zurich.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 668; WILSON (1999), p. 156.
1088
ATF 122 I 236, 238 Jorane Althaus; ATF 116 Ia 345, 349 Bar Amici; ATF 106 Ia 299, 302-303 Brun-
ner; ATF 91 I 480, 487 Association de l’Ecole française. HÄFELIN/HALLER, p. 152.
1089
ATF 122 I 236, 238 Jorane Althaus; ATF 121 I 196, 198 René Noth; ATF 116 Ia 345, 351 Bar Amici;
ATF 106 Ia 299, 302-303 Brunner; ATF 91 I 480, 486-487 Association de l’Ecole française.
1090
ATF 122 I 236, 240-241 Jorane Althaus; ATF 121 I 196, 199 René Noth. WILSON (1999), p. 157.
1091
Comp. ATF 116 Ia 345, 349 Bar Amici; ATF 106 Ia 299, 302-303 Brunner; ATF 91 I 480, 486-487
Association de l’Ecole française.
1092
MACHERET (2001), pp. 376-377 ; MACHERET (2005), p. 116. Voir notamment BORGHI (2001), p. 616-
617 ;WILSON (1999), pp. 158-160 et 295s.
1093
Arrêt du 2 novembre 2001, en la cause Amrein, publié in : RFJ 2001 366, 373.
1094
MACHERET (2001), p. 377.
1095
ROUILLER, p. 950.
1096
HANGARTNER (2003a), pp. 105-106 ; MACHERET (2005), p. 116, note 37 ; MALINVERNI (Suisse), p. 72.

215
La situation juridique des Tziganes en Suisse

puisqu’il n’a pas déclaré le grief irrecevable motif pris d’un défaut
d’applicabilité directe.
746. Or, si elle admet sa justiciabilité, notre Haute Cour affirme, dans la
foulée et sans autre analyse, que l’article 27 Pacte II n’offre pas plus de garan-
ties que la protection de la vie privée et familiale consacrée à l’article 8 CEDH
tel qu’il protège le mode de vie tzigane1097. En effet, le Tribunal fédéral estime,
d’une part, que les champs d’application de ces deux normes sont identiques
et, d’autre part, que leur restriction est admissible aux mêmes conditions1098. Il
fonde alors exclusivement son raisonnement sur la pratique entourant la
norme européenne, plus développée en la matière que celle du Comité des
droits de l’homme. Ceci lui permet notamment d’appliquer pleinement la
théorie de la marge d’appréciation dont disposent les Etats parties ainsi que les
conditions de restriction découlant de la clause de limitation de l’article 8§2
CEDH1099.
747. Mis en perspective avec l’interprétation qu’en fait le Comité des droits
de l’homme1100, le raisonnement tenu par le Tribunal fédéral dans l’arrêt Bittel
à l’égard de la portée de l’article 27 Pacte II est critiquable pour plusieurs rai-
sons. Tout d’abord, on peut regretter que les juges de Mon-Repos ne se soient
pas donné la peine de s’exprimer clairement sur la qualité de minorité des Tzi-
ganes. En entrant plus avant en matière sur le grief de l’article 27 Pacte II, cette
prise de position se serait imposée.
748. Ensuite, notre Haute Cour contredit la pratique du Comité à l’égard de
l’article 27 Pacte II, tant du point de vue de ses objectifs que de ses conditions
de restriction, notamment au regard de l’applicabilité de la marge
d’appréciation des Etats en matière d’aménagement du territoire lorsque sont
en cause les droits de minorités. L’approche du Tribunal fédéral ignore que
cette disposition illustre l’un des apports du Pacte II par rapport à la protection

1097
Le Tribunal fédéral se réfère ici à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH
2001-I. Voir nos développements portant sur la portée de l’art. 8 CEDH pour la protection du mode
de vie nomade et les différentes facettes qui le composent, infra Chapitre III, Sections B et C.
1098
ATF 129 II 321, 329, Bittel : « (…) [l]e recourant a invoqué plusieurs garanties constitutionnelles ou
conventionnelles, en relation avec la protection de la dignité humaine (art. 7 et 10 Cst.), la liberté
d'établissement (art. 24 Cst.), la protection de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH - cf. également
art. 13 al. 1 Cst.), ou encore la protection de la vie culturelle des minorités ethniques (art. 27 Pacte
ONU II). Par cette argumentation, il se prévaut en définitive de son droit (ainsi que de celui de sa
famille) de conserver son identité tsigane et de mener une vie privée et familiale conforme au mode
de vie traditionnel des Tsiganes, dans le respect de son domicile. D'après la jurisprudence des orga-
nes de la CEDH, ce droit peut être déduit de l'art. 8 par. 1 CEDH (…) ; il importe peu de déterminer,
en l'espèce, s'il peut encore trouver un fondement dans d'autres garanties de nature constitution-
nelle. En effet, ce droit n'est de toute manière pas absolu, la Convention et la jurisprudence euro-
péennes admettant des "ingérences" dans son exercice (cf. art. 8 par. 2 CEDH) de la part des auto-
rités publiques (…) ».
1099
Voir nos développements relatifs à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg à ce sujet, en particu-
lier infra Chapitre III, Section C, 2.
1100
Supra Section A, 2.

216
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

offerte par la CEDH, du fait précisément qu’il garantit aux personnes apparte-
nant à une minorité une couverture plus importante que la Convention1101.
749. A notre sens, tenu par le principe de faveur, le Tribunal fédéral devait
premièrement se référer à la pratique du Comité pour définir la portée exacte
de l’article 27 Pacte II. Deuxièmement, il était nécessaire d’analyser plus en dé-
tail de quelle manière la disposition universelle était à même d’offrir une
protection supplémentaire, ou du moins complémentaire, à celle de l’article 8
CEDH dans le cas d’espèce.
750. Il nous semble dès lors discutable que notre Haute Cour ait jugé que le
droit de personnes appartenant à une minorité ethnique de voir leur identité
culturelle préservée puisse être qualifié de synonyme du droit éminemment
individuel au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, on regrettera qu’elle
n’ait pas saisi l’occasion qui lui était donnée de tracer le contour des obliga-
tions existant à l’égard des Tziganes, en l’occurrence de ceux qui sont encore
nomades.

1.4. Appréciation

751. Traditionnellement, la politique suisse en matière de minorités a été


conçue et s’est développée à l’égard des membres des communautés présentes
historiquement sur le territoire helvétique, ayant participé à la création de la
Suisse contemporaine. Leurs besoins sont pris en compte dans le contrat social
moderne, tant d’un point de vue institutionnel – par le biais du fédéralisme et
de la démocratie directe – qu’en raison de l’applicabilité cumulée des systèmes
de protection des droits de l’homme et des droits des minorités.
752. Malgré les engagements internationaux reconnaissant l’applicabilité
de principe du droit des minorités, la pratique n’effectue aucun renvoi aux
sources les protégeant spécifiquement en tant que telles. La jurisprudence
concernant la liberté religieuse est illustrative puisque, dans ce contexte, le Tri-
bunal fédéral n’opère aucune distinction entre les litiges ayant trait à des mi-
norités historiques et ceux concernant de nouvelles communautés religieuses.
A notre sens, la persistance de l’approche essentiellement individualiste du
droit des minorités dans la pratique suisse est alimentée par plusieurs facteurs
qui s’influencent respectivement.
753. Premièrement, cette persistance s’explique par la difficulté à faire évo-
luer en si peu de temps une pratique bien établie au moyen d’une prise en
considération d’engagements internationaux supplémentaires ne datant que
de quelques années.

1101
KÄLIN/KÜNZLI, p. 55.

217
La situation juridique des Tziganes en Suisse

754. Deuxièmement, hormis dans les litiges mettant en cause des Tziganes,
les recourants ne font pas valoir ces griefs spécifiques. En conséquence, la pro-
tection des droits fondamentaux ne s’effectuant pas d’office, les exigences du
principe d’allégation ne permettent pas au juge constitutionnel de se position-
ner sur leur portée1102.
755. Troisièmement, une partie de la doctrine suisse exprime des doutes
quant à l’utilité d’une telle démarche. En effet, au vu des développements ju-
risprudentiels entourant la portée de la liberté religieuse, les auteurs estiment
que les exigences posées par le droit international des minorités sont d’ores et
déjà remplies à l’égard des communautés religieuses minoritaires en Suisse1103.
756. Selon ROUILLER, il n’y aurait ainsi pas de place pour une référence utile
à ce système de protection dans ce contexte spécifique. En effet, le droit des
minorités serait pleinement assuré du fait que le Tribunal fédéral interprète la
liberté religieuse comme garantissant le respect et l’intégration des minorités
confessionnelles1104.
757. Or, les litiges les plus délicats qui ont récemment mis en cause des re-
vendications religieuses minoritaires concernent une communauté, celle des
Musulmans, dont la place croissante en Suisse n’est que récente et dont les
membres ne peuvent se prévaloir que des droits fondamentaux individuels, à
l’exclusion du droit des minorités1105.
758. Pour leur part, les minorités linguistiques connaissent un régime quel-
que peu différent. Tout d’abord, les langues nationales minoritaires bénéficient
de programmes législatifs prenant expressément en compte leur qualité de
minorités et qui sont destinés à les préserver. Elles sont donc au bénéfice d’un
encadrement et d’un soutien politiques que n’ont pas les minorités religieuses.
759. Ensuite, la prééminence du principe de territorialité qui prévalait dans
la jurisprudence du Tribunal fédéral jusqu’à récemment mettait à mal la liberté
de la langue des personnes appartenant à des minorités. Dans ce contexte, cer-
tains auteurs avaient émis des doutes sur la compatibilité de la jurisprudence
fédérale avec le Pacte II et notamment avec l’obligation de protection des mi-
norités linguistiques contre l’assimilation1106.
760. En effet, dans sa pratique, le Comité des droits de l’homme donne
priorité à la liberté de la langue, face à des législations qui octroient une impor-

1102
Art. 106 al. 2 LTF: « [Le Tribunal fédéral] n’examine la violation des droits fondamentaux ainsi que
celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par le
recourant ». Dans le cadre de l’ancien recours de droit public, comp. l’art. 90 al. 1 let. b aOJ.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1944 et 2028.
1103
MALINVERNI (Minorités), p. 244; ROUILLER (2003), pp. 945-946.
1104
ROUILLER (2003), p. 950.
1105
A titre d’exemple, en relation avec la création de carrés confessionnels permanents en faveur des
membres de la communauté musulmane, voir ATF 125 I 300, M.
1106
MALINVERNI (Minorités), p. 247 ; WILSON (1999), pp. 159-160.

218
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

tance disproportionnée à la territorialité en interdisant par exemple la publicité


en langue anglaise dans les régions majoritairement francophones1107. Le ré-
cent infléchissement de la position du Tribunal fédéral a conduit un auteur à
affirmer que, sans le dire expressément et sans aucun renvoi explicite, le juge
constitutionnel a pris acte des développements internationaux en matière de
protection des minorités linguistiques et des problèmes particuliers que ces
dernières rencontrent1108.
761. Toutefois, quelle que soit la minorité en jeu, le fait que le droit des
minorités poursuive un but distinct de celui du système de protection
individuel des droits de l’homme n’a pas encore été entièrement intégré dans
la culture juridique suisse. A notre sens, ce système n’est encore conçu que
comme une source additionnelle de protection des droits individuels,
rappelant aux Etats que les différences religieuses et linguistiques doivent être
respectées et ne doivent pas être une cause de discrimination.
762. Dans la pratique du juge constitutionnel relative aux minorités, la di-
mension individuelle renforçant et réaffirmant les droits fondamentaux des
personnes appartenant à une minorité est ainsi reconnue. Par contre, de façon
erronée la facette collective qui impose à l’Etat de protéger et promouvoir
l’identité religieuse, linguistique ou culturelle des membres de minorités – et
donc a fortiori le groupe lui-même - n’est pas ou trop peu prise en compte,
comme l’illustre le hiatus entre l’interprétation de l’article 27 Pacte II du Comi-
té des droits de l’homme et celle du Tribunal fédéral.

2. Les conséquences de l’approche individualiste pour les


Tziganes en Suisse

763. La réalisation effective des garanties conférées par le statut des Tziga-
nes en tant que minorité suisse se heurte à des difficultés qui ont pour consé-
quence qu’il est nécessaire de dépasser l’approche individualiste du droit des
minorités. A leur égard, une application complète de ce dernier n’est pas seu-
lement souhaitable, mais s’avère nécessaire. En effet, il est premièrement im-
possible d’intégrer les Tziganes dans la structure institutionnelle qui garantit
la protection des minorités historiquement présentes en Suisse (2.1.) ; deuxiè-
mement, sans un véritable « réflexe minoritaire », il est ardu, voire irréalisable,
de concilier leurs besoins identitaires avec la notion d’intérêt public (2.2.).

1107
Constatations du CDH, du 5 mai 1993, relatives aux Communications n° 359/1989 et 385/1989 Bal-
lantyne et al. c. Canada; Constatations du CDH, du 15 août 1994, relatives à la Communication n°
455/1991 Singer c. Canada.
1108
WILSON (2001), p. 381.

219
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.1. Les obstacles à l’intégration institutionnelle de la minorité


tzigane

764. La Suisse a survécu à son manque de cohésion linguistique et religieux


car elle ne se définit pas au travers de caractéristiques culturelles. Fondée sur
des valeurs institutionnelles communes telles que le fédéralisme, la démocratie
et l’Etat de droit, elle a pu dépasser les divisions opposant les communautés
qui la composent. Formée de cantons lui ayant préexisté et dont les frontières
ne coïncident pas avec les barrières linguistiques et confessionnelless, elle
trouve son équilibre dans le fait que, de cette manière, les différences ne peu-
vent suffisamment se cumuler pour faire pencher la balance en faveur d’une
communauté ou d’une autre1109.
765. Or, la minorité ethnique et nationale tzigane fonde principalement son
histoire et sa culture sur une valeur, le nomadisme, qui s’oppose diamétrale-
ment à celle que partagent toutes les autres, la sédentarité. En outre, cette
communauté ne peut se rattacher à aucun canton : son territoire est la Suisse
tout entière, et peut parfois le dépasser lorsque ses membres voyagent à
l’étranger. A l’instar des groupes minoritaires issus de l’immigration, répartis
sur l’ensemble du territoire, il n’y a pas de fragmentation territoriale des forces
en présence et aucun découpage n’est possible.
766. Bien que reconnu formellement depuis une vingtaine d’années en tant
que minorité suisse, le groupe minoritaire tzigane se retrouve, dans les faits,
dans la même position que les communautés « nouvelles », issues de
l’immigration. Son histoire et ses spécificités ont soumis ses membres à des
obstacles qui ont eu pour conséquence que, jusqu’à la jurisprudence Bittel de
20031110, leurs revendications se sont heurtées aux mêmes difficultés que les
groupes allogènes.
767. Rappelons que les structures étatiques décentralisées, à l’image du
fédéralisme, sont considérées traditionnellement comme étant une garantie de
promotion et de préservation des groupes minoritaires1111. A cet égard,
l’attribution d’une assise territoriale propre, par le biais d’une structure fédéra-
liste ou régionale, est reconnue comme un moyen efficace pour assurer aux
minorités la garantie de leur existence lorsque leur concentration géographi-
que correspond aux frontières des entités fédérées. Ces dernières peuvent alors
se faire le relais politique des intérêts des minorités1112.
768. Toutefois, cette garantie n’existe pas lorsque le groupe en question est
dispersé sur un territoire dépassant les frontières d’une entité fédérée et se

1109
MALINVERNI (1998), pp. 385-386 ; Rapport initial de la Suisse, § 66.
1110
ATF 129 II 321 Bittel.
1111
BIANCHI, p. 105 ; HENRARD (2005), p. 142 ; MALINVERNI (1998), p. 372 ; WILSON (1999), pp. 193-195.
Message du Conseil fédéral relatif à la CPMN, FF 1998 I 1044 ; Rapport initial de la Suisse, § 38.
1112
MALINVERNI (1998), pp. 385-386 ; WILSON (1999), pp. 193-194.

220
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

trouve sur l’ensemble du territoire. Dans ce cadre, la structure fédéraliste ne


peut pas appréhender cette communauté et cette dernière ne possède en
conséquence ni poids, ni influence politiques1113.
769. La minorité tzigane suisse ne peut pas faire appel au relais institution-
nel et politique que le fédéralisme offre aux minorités territorialement concen-
trées. Malgré le faible nombre de ses locuteurs, en raison de la concentration
du romanche dans le canton des Grisons, cette langue profite d’une politique
de promotion et de préservation, ancrée dans la Constitution fédérale et inté-
grée dans la politique officielle des langues. A ce jour, les Tziganes suisses ne
bénéficient pas de mesures de soutien analogues visant à combler les faiblesses
politiques en lien avec leur dispersion territoriale1114.
770. En effet, si le soutien financier de la Confédération à une association
telle que la Radgenossenschaft et la création de la Fondation « Assurer l’avenir
des Gens du voyage suisses » représentent incontestablement des mesures de
promotion de la part de la Confédération1115, de tels organismes ne disposent
ni de la légitimité ni de la capacité permettant de pallier l’absence de poids po-
litique de la minorité tzigane au niveau national.
771. Par ailleurs, les mécanismes de la démocratie directe permettent, cer-
tes, à des groupements d'intérêts extraparlementaires de faire valoir leurs pro-
positions de réforme dans le processus politique. Ils se prêtent également à la
participation de petits groupes minoritaires au processus politique. Le cadre
juridique qui devrait permettre aux citoyens suisses tziganes de se faire enten-
dre politiquement existe donc bel et bien.
772. Toutefois, leur dispersion territoriale et leur faible nombre ne leur
permettent pas de peser dans la vie politique locale, alors que c’est essentiel-
lement aux niveaux communaux et cantonaux que leur voix aurait besoin
d’être entendue1116. Associés à ces facteurs objectifs, on soulignera que les pré-
jugés et les préconceptions à leur égard rendent d’autant plus théorique
l’utilisation de ces mécanismes1117.
773. Cette faiblesse est particulièrement problématique dans un contexte où
la prise en compte des besoins identitaires de cette minorité, et notamment

1113
WILSON (1999), p. 195 ; WELLER (art. 15), p. 443.
1114
Voir à ce sujet la prise de position de l’association Schinagel, du mois de juillet 2005, relative à la
procédure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005,
p. 1 (http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]): cette association sou-
ligne que le nombre de membres de la minorité tzigane de Suisse est presque équivalent à celui de
la minorité romanche (35'000, respectivement 40'000).
1115
Rapport du Conseil fédéral, Parte I, p. 27.
1116
Prise de position de l’association „Schäft qwant“- Transnationaler Verein für jenische Zusammenar-
beit und Kulturaustausch, du 1er novembre 2005, relative à la procédure de consultation concernant
l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005, p. 5.
(http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]).
1117
Dans ce sens, Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 29.

221
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ceux de sa fraction nomade, impose une action des autorités, qu’elles soient
fédérales, cantonales ou communales, et ce notamment en matière
d’aménagement du territoire. En ce sens, les obstacles liés à l’exercice d’un
mode de vie nomade sont amplifiés par la répartition des compétences entre
les différentes entités fédérées et l’Etat central1118.
774. Certes, le modèle fédéral a l’avantage d’offrir des solutions adaptées
aux conditions locales d’une manière qu’un système centralisé ne permet pas.
Par ailleurs, acceptées et conçues localement, ces solutions ont de meilleures
chances d’être mises en oeuvre et d’aboutir à des résultats concrets1119. Toute-
fois, une éventuelle compétence cadre octroyée à la Confédération, lui confé-
rant des moyens plus contraignants que ceux existant actuellement1120, permet-
trait une coordination et une gestion nationales des besoins, ainsi qu’une uni-
formisation des exigences quantitatives et qualitatives minimales.
775. L’absence de coordination fédérale est ainsi l’un des principaux fac-
teurs relevés par les expertises, ainsi que par les cantons eux-mêmes, pour ex-
pliquer les difficultés à parvenir à l’élaboration d’une politique satisfaisante
dans ce domaine1121. Au-delà de l’absence d’effets positifs sur sa représentati-
vité et son influence au sein de l’Etat fédéral, le fédéralisme se révèle être une
source supplémentaire de difficultés pour la préservation des spécificités eth-
no-culturelles de cette minorité1122.
776. Dans ce contexte, le fédéralisme ne forme pas un outil structurel et ins-
titutionnel protégeant cette communauté contre sa disparation par le biais de
son assimilation. Il est même possible de considérer que cette structure étati-
que constitue un facteur aggravant ce mouvement assimilatoire, en raison des
difficultés engendrées par la répartition des compétences pour créer un parc
d’aires de stationnement, et de l’absence de mesures destinées à contrer ses ef-
fets. On regrettera, dès lors, l’affirmation insuffisamment nuancée du Conseil
fédéral lorsque, dans son rapport initial relatif à la CPMN, il juge que la struc-
ture fédéraliste garantit aux minorités nationales une protection efficace contre

1118
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 17.
1119
Comp. ainsi la situation en vigueur en France, où depuis 1990, le législateur impose aux communes
de plus de 5000 habitants de « réserver » des terrains pour l’accueil des Tziganes nomades (art. 28
de la loi du 30 mai 1990, n° 90-449, Journal officiel du 2 juin 1990, remplacé par la loi du 5 juillet
2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, n° 2000-614, Journal officiel du 6 juillet
2000). A ce jour, les réticences des autorités locales à la mise en oeuvre de cette obligation ont
pour conséquence que l’objectif posé par la loi n’est pas encore rempli, puisqu’au 31 décembre
2004, le Ministère français de l’équipement indique que seules 20% des aires prévues sont ouver-
tes.
1120
La création de la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » a pour objectif initial la
coordination des projets de création de place.
1121
Voir notamment l’Avant-projet de rapport, Partie II, p. 12 et 21-23; Rapport d’expertise 2001, p. 29.
1122
Prise de position des ONG, p. 5.

222
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

leur assimilation1123 ; la situation de la minorité nationale tzigane n’est pas


prise en considération1124.

2.2. La conciliation des besoins des Tziganes avec la notion


d’intérêt public

777. Les notions d’intérêt public et de préservation de la paix publique


sous-tendent l’action de l’Etat lorsqu’il doit faire face aux revendications cultu-
relles divergentes issues des différentes communautés formant la société civile
(2.2.1.). Dans ce contexte, les besoins des Tziganes ne peuvent être intégrés
qu’au moyen d’une ouverture vers la facette collective du droit des minorités
(2.2.2.).

2.2.1. Les notions d’intérêt public et de préservation de la paix publique

778. Ainsi que Martin Philipp WYSS le démontre1125, l’un des objectifs de la
poursuite de l’intérêt public, au sens large, est de préserver une certaine ho-
mogénéité sociale et de limiter au mieux l’émergence de conflits au sein de la
société civile. Selon cet auteur, il s’agit de l’un des principaux aspects de
l’obligation de protection de l’Etat à l’égard de sa population. Ainsi, le consti-
tuant, le législateur voire la jurisprudence conditionnent, dans plusieurs do-
maines, l’exercice des droits fondamentaux des individus au respect des
conceptions sociales majoritaires, afin de s’assurer que cet exercice ne remette
pas en cause la paix sociale1126.
779. Un domaine comme le droit des étrangers illustre cette exigence, puis-
que la capacité de l’étranger à respecter les mœurs et les coutumes nationales,
ainsi que l’ordre public, est un facteur déterminant pour autoriser et prolonger
son séjour sur le territoire suisse1127. L’Etat, en tant que garant de la paix so-
ciale, possède dans ce cadre un véritable mandat pour parvenir à

1123
Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 146.
1124
Dans ce sens, voir l’Opinion du Comité consultatif relatif à la Suisse, ACFC/INF/OP/I (2003) 007,
§77 : « Les gens du voyage rencontrent des difficultés particulières en matière de participation aux
affaires les concernant en raison du fait qu’ils n’ont pas d’attache historique à un territoire particulier
et que, de ce fait, ils sont confrontés à une multitude d’autorités cantonales et communales lors-
qu’ils voyagent et exercent leurs activités économiques (…). »
1125
WYSS, pp. 247-259.
1126
A titre d’exemple, voir l’exercice du droit de grève, consacré à l’article 28 Cst. : le constituant fédéral
a imposé le maintien de la paix du travail en tant qu’intérêt public dont la violation rend l’exercice
de ce droit illicite (art. 28 al. 3 Cst.) ; WYSS, p. 257.
1127
Voir notamment l’art. 54 LEtr. En outre, voir l’art. 62 LEtr : celui qui, par sa conduite générale, ré-
vèle qu’il ne veut pas ou est incapable de s’adapter à l’ordre établi dans le pays peut faire l’objet
d’une mesure d’expulsion. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 515 ; Message du Conseil fédéral
concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469, 3553-3560.

223
La situation juridique des Tziganes en Suisse

l’assimilation, en facilitant les échanges entre des groupes issus de cultures dif-
férentes et en améliorant leur intégration, de façon à prévenir les conflits1128.
780. Dans la pratique de notre Haute Cour, les libertés individuelles offrent
la possibilité aux personnes appartenant à des courants sociaux minoritaires
de se défendre, jusqu’à un certain point, contre les ingérences de la société ma-
joritaire dans leurs croyances et leur mode de vie. La société pose certes des
règles générales applicables à tous, mais les droits fondamentaux permettent
d’exiger que des exceptions soient aménagées en faveur des communautés mi-
noritaires1129. Selon le Tribunal fédéral, les personnes appartenant à des cultu-
res minoritaires n’ont aucune obligation juridique de renoncer à leurs coutu-
mes et à leur mode de vie: on ne peut pas déduire du principe d’intégration
une règle les contraignant à accepter des restrictions disproportionnées à leurs
conceptions particulières1130.
781. Le garde-fou constitué par les droits fondamentaux est valable pour
tous les particuliers, qu’ils composent ou non des minorités protégées par le
droit international. Pour sa part, le droit des minorités impose des limites sup-
plémentaires à la politique générale d’assimilation, traçant ainsi une ligne en-
tre le devoir d’intégration existant à charge des membres des communautés al-
logènes et le droit à la différence des personnes appartenant à des minorités
historiquement ancrées dans un Etat. En effet, si l’objectif des droits de
l’homme est de garantir une protection juridique identique à celle des mem-
bres de la société majoritaire, celui du droit des minorités est de permettre aux
minorités de se démarquer et d’être différentes1131.
782. En Suisse, les minorités historiques sont reconnues et intégrées depuis
la création de la Suisse moderne en 1848, notamment par le biais de mécanis-
mes institutionnels, comme nous l’avons vu. Ceci a pour conséquence que le
maintien des équilibres sociaux ne remet en cause ni le contenu, ni
l’expression, ni l’existence même de ces identités minoritaires. Cette relation
entre le fait de constituer un élément de la société suisse et la possibilité
d’exprimer des particularismes identitaires transparaît clairement lorsqu’on
considère la situation des autres communautés. Ainsi, des groupes religieux
dont la présence en Suisse est récente – les Musulmans – ou qui ont été histori-
quement victimes de préjugés et de défiance – les Juifs – éprouvent plus de dif-
ficultés à pouvoir vivre leurs particularismes, en raison du fait que ces derniers
ne coïncident pas avec ce qui est conçu comme la conception sociale majori-
taire.

1128
Comp. l’art. 52 LEtr; Message du Conseil fédéral concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469,
3556-3557.
1129
WYTTENBACH/KÄLIN, p. 320.
1130
ATF 119 Ia 178, 196 A. und M..
1131
MARCHAND, p. 14.

224
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

783. L’objectif du maintien de la paix sociale n’est cependant pas complè-


tement absent du contexte du droit des minorités. Pour des raisons liées aux
conflits du passé, les minorités religieuses et linguistiques historiques se voient
généralement opposer l’intérêt public lié à la préservation de la paix entre les
religions et entre les langues lorsqu’elles souhaitent affirmer leurs particulari-
tés respectives dans un cadre sortant de ce qui est déjà admis1132.

2.2.2. L’intégration des besoins des Tziganes dans la réalisation du bien


commun

784. Seule une pleine application du droit des minorités à l’égard des Tzi-
ganes mène à ce que la notion d’intérêt public intègre les particularismes tzi-
ganes. En effet, ce système a pour objectif d’empêcher l’adaptation forcée de la
culture traditionnelle de groupes dont le mode de vie ne correspond pas aux
conceptions sociales majoritaires1133. A défaut, les besoins identitaires des Tzi-
ganes sont condamnés à ne pas être pris en compte puisqu’en tant que tels, ils
ne s’intègrent pas à ces dernières.
785. De par ce qu’elle représente et conditionne, la sédentarité constitue
une approche de la vie en société qui est fondamentalement remise en ques-
tion par le mode de vie traditionnel nomade des Tziganes et la culture qui en
découle. Si les mesures coercitives pratiquées par le passé n’ont plus cours au-
jourd’hui, la reconnaissance très récente du mode de vie tzigane n’a pas encore
eu réellement d’effet sur les la gestion des autorités de la problématique. Ainsi,
affirmer que cette minorité n’est pas encore perçue comme étant un composant
à part entière de la société civile suisse, et ce malgré sa présence historique sur
le territoire helvétique, relèverait de l’euphémisme.
786. Cette opposition est clairement illustrée par le fait que la question de la
préservation de la paix sociale et de l’ordre public persiste à dominer dans le
discours des autorités quand elles doivent identifier les besoins et les efforts à
consentir vis-à-vis des particularités culturelles tziganes1134. Ainsi, en 2001 en-
core, le Conseil fédéral affirmait explicitement qu’une protection juridique des
besoins des Tziganes nomades allant au-delà de celle offerte par les droits in-

1132
WYSS, p. 249.
1133
Voir notamment les Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communication
n°547/1993 Mahuika c. Nouvelle-Zélande, §9.4. Le CDH considère que l’art. 27 Pacte II protège non
seulement les activités économiques traditionnelles des minorités, mais également leur adaptation
aux technologies modernes. In casu, le Comité a considéré qu’un accord, accepté par une majorité
des membres de la minorité, visant à réglementer l’exploitation des activités de pêche sur
l’ensemble du territoire néo-zélandais était conforme à l’art. 27. En effet, à travers cet accord, le
contrôle effectif d’un grand nombre d’installations de pêche a été passé sous le contrôle des Maoris.
De plus, ces derniers partagent également le contrôle effectif des pêcheries industrielles (§ 9.7). Le
Comité a toutefois attiré l’attention de l’Etat que toutes les mesures affectant les activités tradition-
nelles des Maoris devaient être réalisées de manière à permettre à ces derniers de continuer à exer-
cer leur culture en groupe (§ 9.9).
1134
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 29.

225
La situation juridique des Tziganes en Suisse

dividuels mettrait précisément en danger la « paix civique » et la


« compréhension entre les gens du voyage et la population »1135.
787. En incluant pour la première fois dans la notion de « besoins de la
population » ceux de la population tzigane suisse, l’interprétation de l’article 3
al. 3 LAT réalisée par le Tribunal fédéral en 2003 acquiert une dimension
supplémentaire1136. En effet, notre Haute Cour fait ainsi directement entrer les
besoins socio-économiques et culturels de cette communauté dans les
principes régissant l’aménagement du territoire. En d’autres termes, elle
l’élève au rang de l’un des nombreux intérêts publics poursuivis par l’Etat
pour protéger cette partie du bien commun1137, en affirmant que l’assimilation
des Tziganes nomades par une sédentarisation imposée de jure ou de facto n’est
pas un objectif acceptable1138.
788. On relèvera ici la différence entre cette jurisprudence, invitant explici-
tement les autorités à intégrer les particularités culturelles des Tziganes noma-
des dans le cadre de l’aménagement du territoire, et l’obiter dictum exprimé
dans l’arrêt relatif à la création de tombes éternelles dans des cimetières com-
munaux. Dans cette jurisprudence de 1999, le Tribunal fédéral avait laissé ou-
verte la question de l’existence, pour les autorités en charge de l’aménagement
du territoire, d’une obligation découlant de la liberté religieuse de prendre en
compte les spécificités de la religion musulmane1139.
789. Pour le Tribunal fédéral, les besoins d’une communauté religieuse
nouvelle n’engagent pas l’Etat de la même manière que ceux d’un groupe mi-
noritaire considéré comme faisant partie intégrante de la population suisse.
Bien qu’il paraisse s’en défendre au vu de son interprétation restrictive de
l’article 27 Pacte II, le Tribunal fédéral, dans son arrêt Bittel de 2003, semble
ainsi s’ouvrir timidement à la dimension collective du droit des minorités,
puisque les exigences culturelles du groupe lui-même sont prises en compte.
790. Les conséquences de l’interprétation effectuée par le Tribunal fédéral
soulignent le rôle de premier plan que le juge constitutionnel est appelé à jouer
pour modifier la perception du mode de vie traditionnel nomade, et pas uni-
quement dans le cadre de la planification territoriale. Toutefois, dans un do-
maine comme l’aménagement du territoire, l’ensemble des autorités compé-

1135
BO/CN 2001, p. 516 (réponse à la motion 00.3604 « Ratification de la Convention n° 169 de l’OIT
par la Suisse »).
1136
ATF 129 II 321, 329 Bittel.
1137
Au sujet de l’aménagement du territoire en tant que « bien commun », voir MOOR (vol. 1, 1994), p.
388.
1138
Comp., en France, la jurisprudence du Conseil d’Etat affirmant que la création d’aires d’accueil pré-
sente une utilité publique allant jusqu’à permettre l’expropriation d’une parcelle afin d’en aménager.
Voir notamment la Décision du 18 juin 1997, Association de quartier la Chambrière, l’Oisonnière, la
Gemmetrie, la Moricière, req. n° 152487, confirmant une jurisprudence établie notamment par les
Décisions du 11 juillet 1984, Martin, req. n° 47909 et du 1er janvier 1985, Carrier, req. n° 40900.
1139
ATF 125 I 300, 309, M.

226
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

tentes est appelé à interpréter les notions de paix sociale, de bien commun et
d’intérêt public, en incluant les besoins particuliers des Tziganes. En effet,
ceux-ci doivent ainsi être intégrés par ces autorités dans la pesée de tous les in-
térêts en présence exigée par l’article 3 al. 1 OAT1140. Ainsi, en tant qu’autorité
politique en charge de la définition des intérêts publics que l’action de l’Etat
doit poursuivre, il revient notamment au législateur de ne pas rester inactif. La
grille d’interprétation qu’offre le droit des minorités, pris sous ses facettes tant
individuelle que collective, s’avère à notre sens indispensable pour les assister
dans ce travail d’intégration.
791. Relevons qu’a priori, tous les intérêts en présence se valent et aucun n’a
plus de légitimité qu’un autre1141. Toutefois, les intérêts que le législateur dé-
cide de promouvoir dans une loi ont un poids particulier, car ils sont
l’expression de la volonté démocratique1142. Dans ce contexte, on peut d’autant
plus apprécier l’apport de l’interprétation de l’article 3 al. 3 LAT par le Tribu-
nal fédéral : la prise en compte des besoins des Tziganes ne constitue pas un
« simple » intérêt public parmi d’autres, mais bien l’un de ceux choisis par le
législateur.
792. L’activité étatique devant nécessairement poursuivre un but d’intérêt
public1143, seule cette intégration permet de légitimer la conception et le déve-
loppement d’une politique générale et coordonnée en faveur des différents as-
pects de la culture tzigane. Elle seule offre la garantie permettant à la balance
des intérêts de pencher, dans les cas d’espèce, en faveur des Tziganes.
793. A contrario, si leurs besoins sont uniquement considérés sous l’angle de
sources de trouble à l’ordre public, ils ne peuvent pas prévaloir lors de la pon-
dération des intérêts pour la simple raison qu’ils ne sont pas placés sur la ba-
lance au même titre que les autres. Ceci est d’autant plus important que le
principe de proportionnalité possède un rôle clé dans le cadre de litiges met-
tant en cause des minorités1144.
794. Dès lors, il est particulièrement intéressant de relever les arguments de
la Commission d’aménagement du canton de Genève en avril 2003. Cette com-
mission parlementaire a dû répondre aux oppositions formulées à l’encontre
du projet de loi destiné à modifier les limites de zones dans la commune de
Versoix, afin d’aménager un lieu de stationnement alternatif à celui de la place
dite du Molard, dans la même commune.
795. Se fondant explicitement sur la nécessité de protéger la minorité tzi-
gane, au regard notamment de l’article 27 Pacte II, ainsi que la dignité hu-

1140
NÜSSLE, p. 87.
1141
NÜSSLE, p. 88.
1142
NÜSSLE, pp. 89-90.
1143
Art. 5 al. 2 Cst.
1144
Voir en particulier infra Section C, 2.2.1.

227
La situation juridique des Tziganes en Suisse

maine de ses membres, la commission souligne explicitement l’objectif


d’intérêt public que représente la création de places adéquates, et qui dépasse
l’intérêt strictement privé de la recherche de meilleures conditions de loge-
ment par les particuliers. Elle écarte donc l’argument d’une opposante qui
considère que le problème de l’aménagement d’aires ne se distinguerait pas de
celui « de l’ensemble de la population du canton » confrontée à la sévère crise
de logement de cette région de la Suisse1145.

3. Appréciation

796. La Suisse a ratifié les traités consacrant la protection des minorités


alors que la pratique judiciaire en matière de libertés religieuse et de la langue
était déjà bien établie. Les nouvelles obligations résultant de ces conventions
n’ont pas entraîné la modification de cette pratique, car jusqu’à l’affirmation
des revendications des Tziganes, cela ne s’est pas avéré nécessaire.
797. Premièrement, en effet, les membres de communautés ne possédant
pas de liens forts et historiques avec la Suisse ne peuvent pas se prévaloir du
droit international des minorités et doivent se contenter de la protection confé-
rée par les droits individuels. Deuxièmement, bénéficiant d’un relais institu-
tionnel fort qui leur offre la protection et la promotion requises par le droit des
minorités en complément des garanties individuelles des droits de l’homme,
les minorités historiques suisses n’ont pas souffert de ce statu quo de la juris-
prudence.
798. Dans ce contexte, l’utilité de la facette collective peut donc paraître
moindre, voire inexistante. Toutefois, la situation particulière de la minorité
tzigane modifie cette analyse. Les désavantages d’une approche trop restric-
tive du droit des minorités sont en effet mis en exergue lorsque l’aspect institu-
tionnel protégeant une minorité fait défaut, comme pour les Tziganes. Parallè-
lement, l’apport et l’importance de la facette collective ressurgissent.
799. Dans ce cadre, le constat effectué par le Conseil fédéral dans son rap-
port du 18 octobre 2006 illustre précisément le lien étroit entre la reconnais-
sance des Tziganes en tant que minorité et l’intégration de leurs besoins dans
la notion de bien commun et d’intérêt public. Selon les termes du Conseil fédé-
ral, « [c]hacun s’accorde aujourd’hui à penser que la protection et la promotion
du mode de vie des minorités nationales telles que les gens du voyage présen-
tent un intérêt national : il est de toute évidence justifié de protéger à l’échelle
fédérale une minorité [qui ne peut être assujettie] aux structures communales
et cantonales »1146.

1145
Rapport de la Commission d’aménagement du canton de Genève relatif au projet de loi 8836-A et à
la pétition 1418-A concernant le projet de loi, du 29 avril 2003, pp. 7-8.
1146
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 27.

228
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

800. A notre sens, face à ce constat, il est indispensable de ne plus se


contenter de l’approche individualiste du droit des minorités, qui est par ail-
leurs juridiquement contestable comme l’a illustré notre analyse comparative
de la pratique du Tribunal fédéral et du Comité des droits de l’homme. La dis-
persion territoriale de la minorité tzigane, l’impossibilité de se fonder sur les
mécanismes institutionnels existants, les besoins particuliers de cette commu-
nauté, les préjugés qui empêchent sa reconnaissance effective en tant
qu’élément de la société civile, sa vulnérabilité sociale, économique et cultu-
relle : tous ces facteurs exigent une ouverture de la politique suisse en matière
de minorités vers la facette collective de ce système de protection.

C. L’apport de la facette collective du droit des minori-


tés pour les Tziganes

801. Après avoir montré que la facette collective du droit des minorités
peut être qualifiée de garantie de l’Etat de droit au sens de la théorie suisse des
droits fondamentaux (1.), nous analyserons les différentes obligations qui dé-
coulent de sa dimension objective et institutionnelle, d’une part, et subjective,
d’autre part (2.).

1. La facette collective du droit des minorités en tant que


garantie de l’Etat de droit

802. La pratique du Comité des droits de l’homme relative à l’article 27


Pacte II souligne que les conséquences d’une ingérence étatique sur l’existence
du groupe en tant que tel s’analysent au regard du principe de proportionnali-
té et du respect des droits d’autrui. En effet, les mesures étatiques soit respec-
tent le droit des personnes appartenant à des minorités de jouir de leur
culture, soit y portent si gravement atteinte qu’elles le vident de son sens et le
nient1147. Dès lors, on ne saurait rattacher la facette collective du droit des mi-
norités à la catégorie des libertés individuelles, car les libertés sont soumises à
la triade des conditions de restriction consacrée en droit fédéral à l’article 36

1147
Voir notamment les conclusions du CDH relatives à la Communication n°1023/2001, J. et E. Läns-
man c. Finlande, du 6 novembre 2000, UN Doc. CCPR/C/83/D/1023/2001, § 10.1 et 10.3. Ainsi, les
mesures qui restreignent de façon limitée la jouissance des droits culturels protégés ne sont pas in-
compatibles avec l’art. 27 Pacte II. Le cas d’espèce concernait l’impact des exploitations forestières
prévues par l’Etat finlandais sur le rendement économique de l’élevage traditionnel des rennes pra-
tiqué par la communauté saami. Le CDH a relevé que ces exploitations pouvaient certes avoir un ef-
fet négatif, mais les expertises démontraient que le faible rendement de l’élevage traditionnel avait
d’autres causes sans rapport avec l’exploitation forestière. De plus, le Comité a jugé que malgré ces
difficultés, le nombre d’élevage demeurait élevé et qu’en conséquence, les activités étatiques
n’avaient qu’un impact limité sur la jouissance des droits culturels saamis. Dès lors, on ne pouvait
conclure à aucune violation (§ 10.3).

229
La situation juridique des Tziganes en Suisse

Cst. 1148, alors que selon le Comité des droits de l’homme, ce raisonnement ne
s’applique pas aux droits découlant de l’article 27 Pacte II.
803. A notre sens, du point de vue de la théorie suisse des droits fondamen-
taux, la facette collective du droit des minorités constitue une garantie de l’Etat
de droit1149. Encadrant la façon dont l’Etat accomplit ses fonctions à l’égard des
minorités et de leurs membres, le contenu de son activité se retrouve, en effet,
limité et conditionné. Ceci tend également à démontrer qu’il ne s’agit pas d’un
droit fondamental assimilable aux libertés individuelles, puisque ces dernières
ont pour leur part pour objectif de protéger certains aspects de l’activité hu-
maine contre l’intervention injustifiée des organes de l’Etat.

2. Les dimensions objective et subjective de la facette col-


lective du droit des minorités

804. Les droits fondamentaux possèdent deux dimensions, une subjective,


et une objective et institutionnelle1150. La première fonde les prétentions justi-
ciables des particuliers à l’égard de l’Etat à l’encontre de ses ingérences illégi-
times dans la sphère de protection de leurs droits fondamentaux1151. La se-
conde est consacrée formellement par l’article 35 al. 1 Cst. et les érige au rang
de principes organisationnels de l’activité étatique valant dans l’ensemble de
l’ordre juridique1152.
805. Si le respect de la dimension subjective est essentiellement du ressort
des autorités judiciaires et administratives, le législateur est prioritairement
compétent pour réaliser la dimension objective, qui est de nature programma-
tique1153. Toutefois, il revient également aux autres autorités d’interpréter de
façon conforme aux droits fondamentaux les normes qu’elles sont amenées à
appliquer : le principe de l’interprétation conforme à la Constitution découle
également de l’article 35 al. 1 Cst.1154.
806. En tant que garantie de l’Etat de droit, la facette collective du droit des
minorités et les obligations spécifiques qui en découlent peuvent également
être analysées sous ces deux dimensions.

1148
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 172; RIEDER (2003), pp. 42-43.
1149
Au sujet des éléments constitutifs des garanties de l’Etat de droit, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER
(II), pp. 6-10 ; TSCHANNEN (2004), p. 108.
1150
TSCHANNEN (2004), pp. 109-110 et 112.
1151
HÄFELIN/HALLER, pp. 70-71 ; SCHWEIZER (art. 35), pp. 481-482.
1152
EGLI, pp. 136-138 ; HÄFELIN/HALLER, pp. 81-84 ; KIENER/KUHN, pp. 40-41 ; SCHWEIZER (art. 35), p.
481 ; TSCHANNEN (2004), pp. 109-110. ATF 130 III 353, 355-356, A SA c. B. ; ATF 126 V 70, 74, IV-
Stelle Schwyz ; ATF 126 II 324, 327-328, Glouchkov.
1153
KIENER/KUHN, p. 40 ; SCHWEIZER (art. 35), p. 482 ; TSCHANNEN (2004), pp. 113-114.
1154
KIENER/KUHN, pp. 40-41 ; SCHWEIZER (art. 35), p. 482 ; TSCHANNEN (2004), pp. 115-116.

230
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

2.1. Les obligations découlant de la dimension objective


et institutionnelle

807. Au nombre des obligations découlant de la dimension objective du


droit des minorités se trouve le devoir d’interpréter et d’appliquer le droit in-
terne de façon conforme au droit international des minorités (2.1.1.). Deuxiè-
mement, on évoquera l’obligation des autorités de mettre sur pied une politi-
que de protection et de promotion des minorités, par le biais notamment de
mesures spéciales (2.1.2). Enfin, on y rattachera l’obligation de créer des méca-
nismes garantissant au groupe minoritaire sa consultation et sa participation
aux affaires publiques et aux questions le concernant (2.1.3.).

2.1.1. L’interprétation conforme du droit interne au droit international des


minorités

808. Le principe de l’interprétation conforme s’applique lorsque les autori-


tés en charge de mettre en œuvre le droit bénéficient d’une certaine liberté
d’appréciation. Les notions juridiques indéterminées doivent être interprétées
en accord avec le respect des droits fondamentaux. Par ailleurs, l’autorité doit
exercer son libre pouvoir d’appréciation en considérant les effets que sa déci-
sion aura sur ces garanties1155.
809. Lorsque sont en jeu des prétentions mettant en cause les besoins iden-
titaires de minorités, l’obligation d’interpréter et d’appliquer le droit ordinaire
conformément aux droits fondamentaux implique la nécessité de se référer à
l’ensemble des sources applicables en la matière ; le cas échéant, le principe de
faveur déterminera la plus pertinente dans le cas d’espèce.
810. Aussi bien les sources universelles que régionales, telles
qu’interprétées par leurs organes de contrôle, doivent être pleinement prises
en considération par les autorités appliquant le droit, y compris sous l’angle de
la facette collective des droits qu’elles reconnaissent. Ceci inclut la pratique du
Comité des droits de l’homme dans le cadre de communications individuelles,
ainsi que ses observations générales, plus particulièrement l’Observation géné-
rale n° 23 relative aux minorités. La Déclaration des Nations Unies sur les mi-
norités de 1992, ainsi que le commentaire du Groupe de travail y relatif, doi-
vent servir de source d’inspiration pour déterminer l’ampleur des obligations
et des droits existant dans le cas d’espèce.
811. Les avis du Comité consultatif de la CPMN ne doivent pas être négli-
gés par les autorités, puisqu’elles doivent respecter les engagements contractés
lors de la ratification de la CPMN. Enfin, bien que juridiquement non contrai-
gnant, le travail des organes du Conseil de l’Europe, particulièrement actifs en
matière de droit des minorités et notamment sur la question de la protection

1155
KIENER/KUHN, p. 41.

231
La situation juridique des Tziganes en Suisse

des Tziganes, ne doit pas être ignoré lorsqu’il s’agit de déterminer les besoins
en cause.
812. Dans ce contexte, on ne peut que constater l’importance de
l’information et de la formation des autorités en charge d’appliquer et de met-
tre en œuvre le droit, et cela à tous les niveaux de l’Etat.

2.1.2. L’adoption de mesures spéciales en faveur des Tziganes

a) La nécessité et les fondements des mesures spéciales en faveur


des minorités

813. Tant l’article 27 Pacte II que l’article 5 CPMN imposent à l’Etat de créer
les conditions nécessaires permettant aux minorités de maintenir et de déve-
lopper les éléments constitutifs de leur identité, notamment en instituant un
environnement favorable à ce développement1156. En particulier, l’article 27
Pacte II exige la prise de mesures de protection, dans le respect du principe de
proportionnalité et dans la limite des ressources étatiques disponibles1157.
814. De plus, l’article 12 CPMN engage l’Etat à mettre sur pied des structu-
res de recherche et d’enseignement consacrées à l’étude des traditions et iden-
tités minoritaires dans une optique de préservation et de mise en valeur de la
société pluriculturelle1158. Le législateur a ainsi l’obligation, non justiciable1159,
de mettre sur pied des politiques et des programmes. Dans ce cadre, il est au
bénéfice d’une large marge d’appréciation dans le choix des moyens à sa dis-
position1160.
815. Puisque ce sont leurs traditions et leurs spécificités culturelles dans
leur ensemble qui distinguent les Tziganes, les mesures à prendre pour créer
les conditions cadres nécessaires pour pouvoir les vivre sont plus importantes
que lorsqu’il s’agit de préserver les particularités d’une minorité religieuse ou
linguistique1161. Cette nécessité est donc imposée aussi bien par leurs particula-
rités identitaires que par l’absence des relais institutionnels dont peuvent bé-
néficier les autres minorités suisses1162.
816. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
invite explicitement les Etats à prendre des mesures spécifiques en faveur des

1156
GILBERT (art. 5), p. 157. Voir également GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 28-29.
1157
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.1, 6.2, 7 et 9. CAPOTORTI, § 217 ; RAMU, pp. 605-613 et ré-
férences.
1158
Pour une démonstration du lien indissociable entre ces deux dimensions de la promotion de
l’identité minoritaire, voir l’art. 4 de la Déclaration sur les droits des minorités de 1992. Sur la rela-
tion entre l’art. 5 et l’art. 12 CPMN, voir GILBERT (art. 5), p. 156.
1159
SCHODER, pp. 168-169.
1160
SCHODER, p. 168.
1161
GILBERT (art. 5), pp. 166-167.
1162
GILBERT (art. 5), pp. 170-171.

232
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

Tziganes et à mettre sur pied des institutions ayant pour objectif la protection
de leur langue, de leur culture, traditions et identité1163.

b) Délimitation par rapport à d’autres catégories d’obligations de


l’Etat

817. Au vu de leurs objectifs et de leur nature, il apparaît clairement que les


engagements spécifiques résultant du droit des minorités doivent être distin-
gués d’autres catégories d’obligations à charge de l’Etat.
818. Premièrement, il convient de ne pas les confondre avec les obligations
positives découlant des libertés individuelles et qui sont reconnues par le Tri-
bunal fédéral depuis plusieurs années1164, au même titre que les obligations
d’abstention existant à charge des autorités1165. Ces obligations positives fon-
dent par ailleurs des prétentions subjectives et justiciables1166.
819. Deuxièmement, la situation socio-économique vulnérable des Tziganes
et l’ancrage des préjugés à leur égard imposent la prise de mesures particuliè-
res fondées, pour leur part, sur le principe général d’égalité. A nouveau, on
distinguera entre les mesures relevant du droit des minorités et celles qui sont
destinées à réaliser l’égalité en fait de tous les individus1167.
820. En effet, il n’est pas nécessaire qu’une minorité subisse des discrimina-
tions au sein d’un Etat pour bénéficier de mesures spéciales destinées à pré-
server et à promouvoir son identité propre. Ceci illustre le fait que le respect
du principe général d’égalité n’est pas synonyme de respect du droit des mi-
norités1168. Ainsi, bien que ces deux catégories de mesures soient proches, et

1163
Recommandation 1557 (2002) relative à la situation juridique des Roms en Europe, point 15, lettre
e. HENRARD, pp. 199-200.
1164
Voir notamment ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth; ATF 119 Ia 28, 31 M.; ATF 107 Ia 304, 307
Fuchs; ATF 103 Ia 369, 361 Wäffler. AUER (1986), pp. 18-20 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N.
165-166; BESSON, pp. 49-96 ; BIANCHI, pp. 102-103 ; HÄFELIN/HALLER, p. 82; MÜLLER (1999), p. 28 ;
TSCHANNEN (2004), p. 106. La Cour de Strasbourg reconnaît également aux libertés consacrées par la
CEDH une dimension positive, voir ainsi les ACEDH Leempoel & S.A. Ed. Ciné Revue c. Belgique, n°
65772/01, § 78, 9 novembre 2006 ; ACEDH Novoseletski c. Ukraine, n° 47148/99, CEDH 2005-II, §
68-70, ; ACEDH Surugiu c. Roumanie, n° 48995/99, § 59, 20 avril 2004 ; ACEDH Lopez Ostra c.
Espagne, du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, § 51 ; ACEDH Marckx c. Belgique, du 13 juin
1979, série A n° 31, § 31; ACEDH Airey c. Irlande, du 9 octobre 1979, série A n° 32, §25.
1165
Au sujet de cette dimension négative des obligations de l’Etat, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II),
N. 161; BESSON, pp. 64-65 ; EGLI, p. 135 ; HÄFELIN/HALLER, p. 80 ; MÜLLER (1982), p. 47 ; TSCHANNEN
(2004), p. 106 ; TRACHSEL, p. 6.
1166
BESSON, pp. 62-66. ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth ; ATF 119 Ia 28, 31 M.
1167
Nous examinerons en détail la nature et la portée des mesures pouvant être prises à titre de discri-
mination positive dans notre chapitre consacré à l’interdiction de la discrimination, infra Chapitre II,
4.
1168
Observation générale n° 23 du CDH, §4 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 93.

233
La situation juridique des Tziganes en Suisse

peuvent susciter une certaine confusion1169, elles se distinguent néanmoins


d’un point de vue dogmatique par leurs destinataires, leurs objectifs et leur na-
ture.
821. Tout d’abord, les mesures ayant pour but de réaliser le principe géné-
ral d’égalité peuvent non seulement s’appliquer aux membres d’une minorité,
mais également aux personnes socio-économiquement vulnérables qui
n’appartiennent pas à une minorité au sens du droit international1170. Ensuite,
les mesures découlant du droit des minorités cherchent à créer un contexte so-
cio-culturel et économique qui permette aux différences identitaires minoritai-
res de se développer et à la minorité elle-même de perdurer. Pour leur part,
celles résultant du principe d’égalité ont pour but de démanteler les discrimi-
nations structurelles subies par certaines catégories sociales et qui entravent la
pleine jouissance des droits des individus1171.
822. Enfin, les mesures fondées sur le principe d’égalité sont temporaires :
une fois les inégalités effacées, elles doivent être abrogées, ainsi que l’exigent
notamment les articles 26 Pacte II1172, 1er, 2§2 et 4 CIERD et 4 CPMN1173. Le
droit des minorités, quant à lui, n’impose aucune limite temporelle aux politi-
ques de promotion et de préservation des groupes minoritaires1174. En effet,
des mesures ayant pour objectif la préservation de caractéristiques minoritai-
res ne peuvent pas être limitées dans le temps, car dans le cas contraire, le ris-
que d’assimilation réapparaît1175. Bien plus, une fois adoptées, elles ne peuvent
plus être abolies et deviennent des droits acquis pour les minorités concer-
nées1176.
823. Cependant, le principe général d’égalité pose une limite aux mesures
en faveur des minorités, puisque celles-ci doivent respecter les principes de
l’égalité et la non-discrimination entre les différentes minorités, d’une part, et
entre les personnes qui y appartiennent et la majorité sociale, d’autre part. Le

1169
THORNBERRY souligne que le CERD lui-même ne distingue pas toujours clairement entre les mesures
découlant du statut de minorité d’un groupe et celles s’imposant en raison de l’interdiction de la dis-
crimination ; THORNBERRY (2005), pp. 256-257.
1170
GILBERT (art. 5), p. 156 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 92.
1171
GILBERT (art. 5), p. 156.
1172
Observation générale n° 18 du CDH, § 10.
1173
Au sujet des mesures découlant de l’art. 4 CPMN, et de leur limitation dans le temps, voir ALFREDS-
SON (art. 4), pp. 149-150 et le Rapport explicatif relatif à la CPMN, § 39. Au niveau universel, voir
également l’Observation générale n° 13 du CESCR, § 32.
1174
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.2 ; EIDE (1995), pp. 87 et 101 ; CAPOTORTI, §587-588 ; JO-
VANOVIC, pp. 638-639 ; PENTASSUGLIA (2002B), pp. 91-92 ; SCHODER, pp. 167-168 ; THORNBERRY (2005),
pp. 256-257. Comp. également le texte des art. 4 et 5 al. 1 CPMN.
1175
PRITCHARD, pp. 49-50 ; RAMU, p. 603-604.
1176
JOVANOVIC, p. 639.

234
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

test du caractère « objectif et raisonnable » de la mesure spéciale en faveur


d’une minorité permet d’effectuer ce contrôle de légitimité1177.
824. La protection pleine et effective des droits des Tziganes et de leur
communauté exige la prise de mesures appartenant à ces deux catégories. Or,
il peut être parfois délicat de savoir à laquelle des deux une mesure se ratta-
che, ce qui est important, notamment en raison du caractère temporaire ou non
de la politique envisagée. A titre d’exemple, l’amélioration et l’agrandissement
du parc des places de stationnement temporaire et durable des Tziganes dé-
coulent du droit des minorités et non de l’interdiction de la discrimination. En
effet, il existe un lien intrinsèque entre la préservation du patrimoine et de
l’identité tziganes et l’aménagement de places de stationnement convenables
et sûres1178.
825. Cette relation est renforcée par le rapport étroit existant entre la créa-
tion de places et l’obligation de consulter les Tziganes, d’une part, et celle de
prendre en considération leur point de vue, d’autre part, qui découle égale-
ment du droit des minorités1179. Enfin, il serait absurde de considérer qu’une
fois les besoins des Tziganes atteints en la matière, ces places de stationnement
doivent être détruites.
826. Par contre, nous démontrerons par la suite que plusieurs obstacles à la
mise en œuvre des droits fondamentaux des Tziganes peuvent être démantelés
par le biais de l’interdiction de la discrimination, par une ouverture vers
l’interdiction de la discrimination indirecte et au moyen de mesures visant à
établir l’égalité en droit et en fait des membres de cette minorité avec la popu-
lation majoritaire, notamment par la lutte contre les préjugés et les stéréoty-
pes1180.

c) Conclusion intermédiaire

827. La dimension objective et institutionnelle de la facette collective du


droit des minorités impose la prise de mesures spécifiques visant la préserva-
tion de l’identité du groupe lui-même. Les considérations qui précèdent per-
mettent de conclure que par leurs objectifs, leur nature et leurs destinataires,
ces mesures doivent être distinguées de celles appartenant aux autres catégo-

1177
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.2. Voir également les Constatations du CDH, du 5 novem-
bre 1999, relative à la communication n°694/1996, § 10.4-10.6 : lorsque l’Etat décide d’octroyer des
subventions en faveur des écoles privées dirigées par la minorité religieuse catholique, sans faire de
même pour les établissements scolaires dirigés par d’autres minorités religieuses, il commet une
inégalité de traitement à l’égard de ces dernières. PENTASSUGLIA (2002B), p. 92.
1178
Dans ce sens, voir déjà la Résolution 13 (1975) du Comité des Ministres, du 22 mai 1975, portant
recommandation sur la situation sociale des populations nomades en Europe, point B.
1179
Voir infra Section C, 2.1.3.
1180
Voir infra Chapitre II, Section B, 4.

235
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ries d’obligations exigeant une action de la part de l’Etat. Dès lors, il est discu-
table d’affirmer que, dans l’absolu, ce système n’apporte rien de plus que les
libertés individuelles et l’interdiction de la discrimination, et que les respecter
à l’égard des personnes appartenant à des minorités signifie nécessairement
que l’ensemble de leurs droits sont respectés.

2.1.3 La participation des Tziganes aux processus décisionnels

828. Après avoir exposé ce qu’exige le droit des minorités en matière de


participation systématique des minorités aux processus décisionnels menant à
l’adoption de mesures les concernant (a), nous présenterons les recommanda-
tions et la politique du Conseil de l’Europe en la matière à l’égard des Tziganes
(b).

a) Les exigences du droit des minorités

829. La nature essentiellement programmatique des obligations découlant


du droit des minorités ne signifie pas pour autant que les personnes apparte-
nant à des minorités n’ont aucune emprise sur le processus législatif et déci-
sionnel permettant de les réaliser. La participation effective des minorités à la
vie publique en général et aux processus décisionnels les concernant est, en ef-
fet, l’un des principes clés du système de protection des droits des minorités,
ainsi que l’attestent aussi bien la Déclaration des Nations Unies sur les minori-
tés de 19921181 que l’article 15 CPMN, tous deux inspirés par le paragraphe 35
du Document de Copenhague de 1990 sur la Dimension Humaine de
l’OSCE1182.
830. La notion de participation n’est pas claire, mais il est admis qu’elle est
large, et qu’elle recouvre aussi bien une facette touchant à la participation dans
les processus décisionnels, notamment par le biais de la représentation des
minorités dans les organes de l’Etat, qu’une facette touchant à un certain degré
d’auto-contrôle et d’autonomie1183. Ceci correspond à l’objectif poursuivi par le

1181
Voir les art. 2§2, 2§3, 2§4, 2§5 et 4§5 de la Déclaration sur les minorités de 1992.
1182
§35 du Document de Copenhague : « Les Etats participants respecteront le droit des personnes ap-
partenant à des minorités nationales de participer effectivement aux affaires publiques, notamment
aux affaires concernant la protection et la promotion de l'identité de telles minorités. » Cette dispo-
sition a également servi de point de départ pour la rédaction des Recommandations de Lund de
1999 relatives à la participation effective des minorités nationales dans la vie publique et les War-
saw Guidelines to Assist National Minority Participation in the Electoral Process de 2001, rédigées
sous les auspices du Haut Commissaire sur les minorités nationales de l’OSCE. VERSTICHEL, pp. 25-
26 ; HENRARD (2005), p. 133.
1183
HENRARD (2005), p. 134. Comp. les points 17 et 18 des Recommandations de Lund de 1999. Voir
également l’analyse de Steven C. ROACH, Minority Rights and an Emergent International Right to Au-
tonomy : A Historical and Normative Assessment, IJMGR, vol. 11, 2004, pp. 411-432 et notamment,
pp. 425-426 et 429.

236
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

droit des minorités qui consiste à parvenir à une intégration des communautés
minoritaires sans les assimiler contre leur volonté1184.
831. L’octroi des droits politiques aux membres des minorités ne suffit
donc pas à réaliser en soi cette obligation. Bien plus, le droit des minorités
exige l’aménagement de mécanismes offrant un certain degré d’autonomie et
qui dépassent le simple droit d’exercer individuellement les différents droits
politiques reconnus en droit interne1185. Lorsqu’une minorité n’est pas concen-
trée géographiquement, c’est dans le domaine culturel que cette autonomie
acquiert une importance particulière1186.
832. Au niveau européen, l’article 15 CPMN affirme que les autorités doi-
vent impérativement prendre en considération l’opinion des minorités lors-
qu’elles adoptent des mesures concernant la préservation de leur identité, et ce
au moins par le biais d’une consultation. Cette inclusion dans le processus dé-
cisionnel englobe la question financière et l’allocation des ressources1187. En ce
sens, l’article 15 CPMN consacre l’étape la plus évoluée de la protection des
minorités puisqu’il instaure un régime d’intégration et de co-gouvernance. En
effet, il leur garantit une participation pleine et active dans les affaires publi-
ques, de manière à ne pas les confiner au statut d’objets de l’activité étatique,
mais bien à les transformer en sujets participant à cette activité1188.
833. Au niveau universel, la lettre de l’article 27 Pacte II demeure muette
sur la question, au contraire de la pratique du Comité des droits de l’homme.
Celui-ci traite de la participation des groupes minoritaires – qu’il s’agisse de
minorités stricto sensu ou de peuples autochtones – tant à la vie publique en
général qu’aux décisions touchant leur culture. Pour ce faire, le Comité em-
ploie aussi bien l’article 1er que l’article 27 Pacte II.
834. Sur le premier point, le Comité a notamment considéré que, dans un
processus d’autodétermination par voie électorale, il fallait interpréter l’article
25 Pacte II à la lumière de l’article 1er Pacte II. Cette démarche permet par
exemple d’évaluer la légitimité d’une définition du cercle du corps électoral
restreinte à la population indigène qui possède suffisamment d’attaches avec
le territoire en cause1189.

1184
HENRARD (2005), p. 134; THORNBERRY (1993), p.141.
1185
Dans ce sens, voir l’opinion concurrente de Martin SCHEININ annexée aux Constatations du CDH, du
6 septembre 2000, relatives à la Communication N° 760/1997 J.G.A. Diergaardt c. Namibie. Voir
également VERSTICHEL, p. 27.
1186
Point 18 des Recommandations de Lund de 1999. HENRARD (2005), p. 150.
1187
Opinion du Comité consultatif relative à l’Italie, ACFC/INF/OP/I (2002) 007, § 34. GILBERT (art. 5), p.
159 ; HENRARD (2005), p. 152.
1188
Ainsi WELLER (art. 15), pp. 429-430.
1189
Constatations du CDH, du 26 juillet 2002, relatives à la Communication N° 932/2000, Gillot c.
France. Cette affaire touchait aux conditions d’éligibilité pour pouvoir participer aux référendums or-
ganisés en Nouvelle-Calédonie, suite à l’accord dit de Nouméa passé entre le gouvernement français
et deux organisations politiques de Nouvelle-Calédonie. Ces référendums avaient pour objectif de

237
La situation juridique des Tziganes en Suisse

835. Sur le deuxième point, le Comité estime que la consultation et la


participation intensive de la minorité aux processus décisionnels aboutissant à
des mesures affectant ses droits culturels découlent également de l’article 27
Pacte II1190. Cette participation est d’ailleurs un facteur important, aux yeux du
Comité, pour évaluer par la suite le bien-fondé du grief de la violation de
l’article 27 Pacte II1191. Si le processus a fait ressortir un soutien fort et
indiscutable de la part de la minorité en faveur de ces mesures, cette
disposition est jugée respectée si une fraction du groupe les conteste1192.
Toutefois, cette consultation ne suffit pas à elle seule pour réaliser pleinement
les engagements de l’Etat au regard du droit des minorités. Lors de la mise en
œuvre de ces mesures, les autorités demeurent obligées de respecter le droit
des personnes concernées de jouir de leur culture et doivent continuer à
examiner leurs effets sur leur situation1193.

b) La politique du Conseil de l’Europe en matière de participation


de la minorité tzigane

836. La politique générale du Conseil de l’Europe relative aux Tziganes et à


leur participation suit les principes que nous venons d’exposer, notamment
dans ses recommandations touchant aux modalités du stationnement des Tzi-
ganes nomades. Les réflexions menées sur ce sujet au sein de cette enceinte in-

décider de l’auto-détermination de cette région. En raison de la loi applicable pour l’organisation de


ces référendums, les auteurs ne pouvaient prendre part à aucune des votations organisées dans ce
contexte. Bien que le Protocole facultatif n°1 au Pacte II exclue l’art. 1er de son champ
d’application, le CDH a considéré qu’il fallait examiner la validité de la restriction au droit de vote, au
sens de l’art. 25 Pacte II, à la lumière de cette disposition, puisque les référendums en cause
concernaient l’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie (§ 13.3 et 13.4). Pour déterminer la va-
lidité de l’atteinte aux droits politiques des auteurs, le CDH a analysé si les critères d’exclusion pré-
vus par la loi étaient objectifs (§ 13.6). Il a notamment jugé que le critère de la durée de résidence
sur le territoire calédonien lui-même était acceptable et non discriminatoire (§13.10-11). Le Comité
a conclu qu’au regard de l’objectif d’auto-détermination de ces référendums, il était nécessaire qu’ils
reflètent une certaine volonté identitaire. Dès lors, il a jugé acceptable de limiter le cercle des per-
sonnes éligibles aux personnes « concernées » par le futur de la Nouvelle-Calédonie qui peuvent
démontrer l’existence de liens forts avec ce territoire (§13.16 et 14.7)
1190
Observation générale n° 23 du CDH, §7. HENRARD (2005), p. 160 ; VERSTICHEL, pp. 29-30.
1191
HENRARD (2005), p. 161 ; JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.21, p. 768 ; VERSTICHEL, p. 38.
1192
Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communication N° 547/1993, Mahuika
c. Nouvelle-Zélande, § 9.6-9.8: le fait que les Maoris aient été longuement consultés, et qu’une ma-
jorité d’entre eux ait accepté les accords en matière de pêcherie, a pour conséquence qu’un accord
restreignant la jouissance des droits culturels minoritaires de certains individus peut être considérée
comme acceptable au regard de l’art. 27 Pacte II. Le Comité considère, en effet, que la Nouvelle-
Zélande a convenablement pris en considération les besoins minoritaires des Maoris. Voir également
les Constatations du CDH, du 22 novembre 1996 relatives à la Communication N° 671/1995, J.
Länsman c. Finlande, § 10.5. Le fait que le Muotkatunturi Herdsmen's Committee, auquel appartient
l’auteur de la communication, ait été consulté et n’ait pas donné de préavis négatif, a pour effet que
la mesure étatique décidant d’exploiter certaines zones forestières où l’élevage de rennes se déroule
a été prise en prenant en compte les intérêts du peuple saami.
1193
Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communication N° 547/1993, Mahuika
c. Nouvelle-Zélande, § 9.9.

238
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

ternationale sont les plus poussées à l’heure actuelle. Dès lors, nous présentons
les propositions faites en la matière par le Comité des Ministres à l’adresse des
Etats membres (ba), ainsi que la mise sur pied du « Forum européen pour les
Roms [sic] et les Gens du Voyage » (bb).

ba) Les recommandations du Comité des Ministres


837. Dans sa Recommandation (2004) 14 relative à la circulation et le sta-
tionnement des Gens du voyage en Europe, du 1er décembre 2004, le Comité
des Ministres place l’accent sur l’importance de la participation des Tziganes
aux processus entourant la conception, l’élaboration, la mise en œuvre et le
suivi des politiques et des programmes visant à améliorer leur situation en
matière de logement. Les Etats sont invités à assurer une bonne coordination
dans ce domaine entre, d'une part, les autorités compétentes et, d'autre part,
les populations et organisations tziganes actives dans ce secteur1194.
838. Le Comité des Ministres propose que soit institué, dans le respect de
l'autonomie des collectivités territoriales, un mécanisme de contrôle et d'incita-
tion afin que les autorités locales remplissent leurs obligations en matière de
création d'aires d'accueil. Le cas échéant, il faudrait prévoir la possibilité, pour
l'autorité supérieure, de se substituer aux autorités locales en cas de défail-
lance1195.
839. Les Etats devraient reconnaître aux associations représentatives la qua-
lité pour exercer les droits individuels des Tziganes devant les tribunaux, à
tous les stades de la procédure, tant en matière d’expulsion que d’interdiction
de stationnement ou encore de restriction d’accès à certains sites1196.
840. En outre, les collectivités locales doivent veiller à ce que les stratégies
territoriales de développement comprennent des objectifs concrets et claire-
ment définis ciblant les communautés tziganes et leurs besoins en matière de
logement1197. A cet égard, les autorités nationales doivent s’assurer que les
pouvoirs locaux et régionaux respectent ces obligations même lorsque les Tzi-
ganes ne résident pas en permanence sur leur territoire. De manière générale,
une politique d’éducation et de sensibilisation des administrations locales et
régionales dans le domaine de la non-discrimination devrait être instaurée afin
de garantir l’obtention de résultats efficaces1198.

1194
Recommandation (2005) 4, §6 et 8.
1195
Recommandation (2004) 14, §29.
1196
Recommandation (2004) 14, §32-33.
1197
Recommandation (2005) 4, §9.
1198
Recommandation (2005) 4, §35.

239
La situation juridique des Tziganes en Suisse

bb) La création du Forum européen pour les Roms et les Gens du


Voyage
841. L’importance de la participation des Tziganes pour le Conseil de
l’Europe est illustrée par la mise sur pied du Forum européen pour les Roms et
les Gens du voyage. Il s’agit d’une institution inédite au niveau régional euro-
péen1199, qui trouve ses origines dans le souhait de créer une assemblée consul-
tative représentant les Tziganes au niveau international, pour leur permettre
de participer au processus décisionnel au sein des organisations internationa-
les.
842. L’objectif de cette institution est de créer une instance permettant aux
Tziganes d’entretenir des liens étroits et privilégiés avec le Conseil de l'Europe.
Elle doit leur donner la possibilité de participer aux prises de décision sur des
questions les concernant et de les influencer, ouvertement et officiellement,
dans le cadre d'une relation spéciale avec le Conseil de l'Europe1200.
843. Du point de vue du Conseil de l’Europe et des organisations tziganes,
le Forum représente une réelle occasion pour les Tziganes de parvenir à un
certain degré d’autodétermination, en leur permettant de gérer eux-mêmes les
questions les touchant, ainsi que de développer des compétences de négocia-
tion directe avec les Etats membres1201.
844. La création du Forum et ses objectifs démontrent non seulement
l’importance de la participation et de la consultation des Tziganes, mais éga-
lement celle de la démarche internationale pour dégager des solutions aussi
bien globales que nationales, afin de dépasser les limites et les réticences poli-
tiques rencontrées au sein des Etats1202. Toutefois, son caractère inédit sur la

1199
Les membres du Forum sont les fédérations nationales et les organisations internationales non
gouvernementales de Roms, Sinti, Kale, Gens du voyage et autres groupes apparentés, qui dési-
gnent des délégués. Les fédérations nationales doivent regrouper 75 pour cent des structures na-
tionales représentant cette population dans le pays concerné. Le FERV est composé de deux orga-
nes : une assemblée plénière, qui discute des grandes questions concernant les populations tziga-
nes et qui établit le programme de travail du Forum, ainsi qu’un comité exécutif chargé d'effectuer
les tâches qui lui sont confiées par l'assemblée plénière (Règles de procédure du FERV, adoptées le
15 février 2005). Le mandat du FERV est d’assurer le contrôle du respect des droits fondamentaux
des Tziganes, de promouvoir la lutte contre le racisme et la discrimination, de faciliter l’intégration
de ces communautés dans les sociétés européennes et de formuler des propositions pour l'améliora-
tion de leur condition sociale. Il peut également émettre des propositions au niveau national et in-
ternational et participe à la coopération européenne visant à promouvoir les intérêts de ces popula-
tions (Site internet de la Division 3 « Roms et Voyageurs » du Conseil de l’Europe,
http://www.coe.int/T/DG3/RomaTravellers [consulté le 7 novembre 2005]).
1200
Un accord de partenariat, signé entre le FERV et le Conseil de l’Europe le 15 décembre 2004, prévoit
une contribution financière et la mise à disposition de ressources humaines par le Conseil de
l’Europe et permet au Forum d’entretenir une relation privilégiée avec les organes du Conseil qui
traitent de questions intéressant les Roms et les Gens du voyage.
1201
Rapport d’activités du Coordinateur pour les questions concernant les Roms et les Gens du voyage,
2004, p. 6 ; PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 31.
1202
A cet égard, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe estime que « Les conseils
et les compétences techniques apportés par le [FERV] seront sans doute très utiles pour que les
Etats soient mieux informés et donc mieux équipés pour s’acquitter de leurs obligations à l’égard

240
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

scène internationale a soulevé des interrogations au sein des organes du


Conseil de l’Europe au regard de sa compatibilité avec le principe de non-
discrimination par rapport aux autres minorités présentes en Europe. La ré-
ponse offerte par le Groupe de Travail chargé d’examiner la question illustre la
politique générale du Conseil de l’Europe dans le domaine de la protection des
Tziganes
845. Dans son avis, le Groupe de Travail avance plusieurs arguments dé-
montrant la compatibilité de l’existence du Forum avec l’article 14 CEDH.
Premièrement, il souligne le fait que les Tziganes se trouvent dans une situa-
tion à ce point particulière par rapport non seulement à la population majori-
taire, mais également aux autres groupes minoritaires d’Europe, que des poli-
tiques différenciées s’imposent à leur égard, incluant notamment la création
d’un organe consultatif. Cette institution constitue ainsi une mesure spéciale
permettant aux Etats membres de traiter collectivement de cette situation par-
ticulière.
846. Deuxièmement, le Groupe de Travail considère qu’un tel organe
consultatif destiné exclusivement aux Tziganes crée effectivement un traite-
ment distinct pour ce groupe. Toutefois, cette différenciation est motivée par
des considérations objectives et raisonnables, compatibles avec l’interdiction
de la discrimination. En effet, en ayant pour but principal l’amélioration de
l'exercice effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales des Tzi-
ganes, l’objectif de cet organe est de chercher à définir les moyens de répondre
au mieux à leurs besoins spécifiques liés à leur culture et à certains aspects de
leur mode de vie, notamment par le biais de la consultation systématique de
leurs représentants.
847. Dès lors, la création d’un organe composé de représentants de cette
minorité, à des fins de consultation sur des questions les concernant, est pro-
portionnée à l'objectif de répondre adéquatement à ses besoins spécifiques, ce
d’autant plus qu’il n’octroie pas d’avantages concrets à ses membres, mais ne
fait qu’offrir la possibilité aux Tziganes d’exprimer leur opinion1203.

des populations roms et des Gens du voyage. Le forum dispose aussi d'un grand potentiel pour faire
émerger la voix des Roms aux niveaux national et local. Il est aussi probable qu'il renforcera les sy-
nergies des organisations roms travaillant à ces niveaux. » Rapport du Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, § 23.
1203
Compatibilité d'un éventuel forum européen pour les Roms et les gens du voyage avec le principe
de non-discrimination dans l'art. 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, GT-
ROMS(2003)3. Voir également l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello,
Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni
[GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, avril 2003, §16-23.

241
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.2. Les obligations découlant de la dimension subjective

848. Le principe de l’interprétation conforme du droit interne au droit in-


ternational des minorités, la prise de mesures spéciales et la création de méca-
nismes spécifiques de participation relèvent de la dimension objective de la fa-
cette collective du droit des minorités.
849. Cet aspect possède également une dimension subjective pouvant être
invoquée par les membres d’une minorité devant les autorités, autrement dit,
un caractère justiciable. En effet, le groupe lui-même étant privé de toute quali-
té pour agir, ses intérêts doivent pouvoir être défendus par ses membres, afin
que les apports et l’importance de la facette collective du droit des minorités,
et en particulier l’obligation de l’Etat de préserver et de promouvoir le groupe,
ne soient pas vidés de leur sens.
850. Pour déterminer si une mesure adoptée à l’égard d’un individu intègre
correctement l’aspect collectif du droit des minorités, on analysera l’impact
d’une mesure individuelle sur l’ensemble du groupe (2.2.2.). On placera éga-
lement dans la balance l’impact qu’une restriction pourrait avoir sur la situa-
tion socio-économique du particulier et de la minorité dans son ensemble
(2.2.3.). A titre liminaire, cependant, il importe de rappeler le rôle du principe
de la proportionnalité dans le cadre de litiges mettant en cause des valeurs so-
ciales minoritaires (2.2.1.).

2.2.1. Le rôle du principe de proportionnalité

851. L’article 5 al. 2 in fine Cst. pose le principe que toute activité de l’Etat
doit être proportionnée au but visé. Ce principe est particulièrement important
dans le cadre des litiges opposant les revendications fondées sur des spécifici-
tés minoritaires et les exigences de l’ordre juridique basées sur les standards
majoritaires. C’est dans ce cadre que les tensions entre particularismes minori-
taires et valeurs majoritaires sont essentiellement résolues1204.
852. Lorsqu’il adopte des mesures restrictives à l’égard de particuliers,
l’Etat a plusieurs moyens à sa disposition pour ne pas violer leurs droits fon-
damentaux: il peut respecter leurs libertés individuelles, leur octroyer des au-
torisations dérogatoires, leur octroyer certaines prestations ou encore respecter
aussi bien l’égalité de traitement que l’interdiction de la discrimination. Dans
toutes ces situations, l’autorité doit effectuer une pesée des intérêts entre,
d’une part, celui que possède la personne ou le groupe à pouvoir exercer et vi-
vre ses particularités et, d’autres part, ce qu’exige l’intérêt public ou la protec-
tion des droits d’autrui1205.

1204
Supra Chapitre I, Section B, 1.1. et 1.2.
1205
WYTTENBACH/KÄLIN, pp. 320-321.

242
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

853. A priori, l’expression des valeurs minoritaires ne constitue qu’un inté-


rêt parmi d’autres que doivent prendre en considération les autorités lors-
qu’elles prennent de mesures restrictives. Toutefois, le juge n’est pas entière-
ment libre dans la pondération qu’il doit entreprendre. Par les choix politiques
qu’il effectue au moment d’adopter une norme, le législateur procède, en effet,
à une première pesée des intérêts qui lie tant l’administration que le juge: il
crée ainsi une hiérarchie des valeurs qui doit être suivie par les deux autres
pouvoirs1206.
854. En amont du contrôle de la proportionnalité, toutefois, le juge consti-
tutionnel doit évaluer la légitimité des intérêts publics avancés pour justifier la
restriction des libertés individuelles dans les cas d’espèce. Le Tribunal fédéral
le fait librement, avec un plein pouvoir de cognition, mais fait malgré tout
preuve de retenue car la détermination de ces intérêts publics est une question
relevant avant tout de la sphère politique1207. Le système fédéral a également
ici des conséquences, puisque le Tribunal fédéral s’en remettra au jugement
des autorités cantonales lorsque des circonstances locales jouent un rôle de
premier ordre dans le litige en cause1208.
855. Le juge doit donc aborder les intérêts publics choisis par le législateur
de façon circonspecte, même lorsque la motivation politique est indiscutable. Il
doit notamment prendre en compte le fait que toutes les libertés ne peuvent
pas être restreintes par les mêmes intérêts publics1209. En conséquence, il lui
revient de déterminer au préalable si l’intérêt avancé est valable pour limiter la
liberté en cause1210.
856. Lorsqu’il s’agit de mettre en balance les choix du législateur et les be-
soins identitaires minoritaires d’un certain groupe, l’exercice s’avère particu-
lièrement complexe du fait du grand nombre d’intérêts en présence1211. La doc-
trine a ainsi souligné l’incertitude et l’imprévisibilité qui découlent de
l’absence de règles générales et abstraites pour résoudre ces conflits, puisque
ce sont des principes et non des normes qui s’opposent.
857. La littérature insiste ainsi sur l’importance de la détermination exhaus-
tive des intérêts, de leur pondération et de leur pesée globale. A défaut d’un tel
effort de rationalisation, le risque d’arbitraire reflétant les préjugés personnels
des juges est réel1212. Cette probabilité s’avère d’autant plus élevée face aux be-

1206
MOOR (vol. 1, 1994), p. 399.
1207
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 212-215 ; MOOR (vol. 1, 1994), p. 399 ; TSCHANNEN (2004), p. 143.
1208
ATF 129 I 337, 344 A. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 215 ; MOOR (vol. 1, 1994), p. 412-413.
1209
Par exemple, la liberté de la presse ou la liberté d’association ne peuvent être restreintes que pour
des motifs de police ou pour protéger les droits des tiers ; HÄFELIN/HALLER, p. 98.
1210
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 213; HÄFELIN/HALLER, p. 98 ; TSCHANNEN (2004), p. 143 ; WYSS, pp.
201-202.
1211
MORAND (1996), p. 57.
1212
MORAND (1996), pp. 60 et 74-75.

243
La situation juridique des Tziganes en Suisse

soins d’une minorité « non traditionnelle » telle que celle des Tziganes, en rai-
son de sa vulnérabilité accrue et de son exposition aux préjugés et à la mécon-
naissance de la société majoritaire et donc des agents de l’Etat qui en sont is-
sus.
858. Il apparaît clairement que le droit international des minorités joue ici
un rôle de premier ordre. En effet, l’ensemble des dimensions de sa facette col-
lective impose au juge de donner un poids à leurs particularités minoritaires
qui s’avère plus lourd que celui reconnu aux groupes non protégés.
L’interprétation conforme au droit international imposera au juge de prendre
en compte notamment la pratique des organes internationaux sur la question
topique, tandis que l’obligation de protéger et de préserver la minorité en
cause exigera d’examiner les conséquences de la mesure sur le groupe dans
son ensemble, ainsi que nous le constaterons ci-dessous.
859. Dans le contexte de la protection des Tziganes nomades, on relèvera
l’opinion dissidente commune des juges minoritaires dans l’arrêt Chapman.
Ceux-ci mettent précisément en lumière le fait que le récent consensus euro-
péen en matière de protection des minorités impose de ne pas reconnaître au-
tomatiquement une marge d’appréciation complète en faveur des autorités, et
ce même dans un domaine gardé de l’Etat comme celui de l’aménagement du
territoire.
860. Au contraire, le facteur minoritaire confère un poids accru aux intérêts
des personnes appartenant à une minorité. La gravité potentielle d’une ingé-
rence qui interdit à une personne tzigane de continuer à vivre selon ses tradi-
tions dans un endroit donné, alors qu’il n’existe pas d’alternative légale qui
puisse lui être raisonnablement imposée, exige la présence de motifs impé-
rieux1213.
861. Ceci a par ailleurs pour conséquence qu’en l’absence d’allégation du
grief de violation du droit des minorités par le recourant, l’appartenance à un
groupe protégé par le droit international doit tout de même être intégrée dans
le cadre de l’examen de la proportionnalité. En effet, l’article 35 al. 1 Cst. rap-
pelle que la réalisation des droits fondamentaux constitue un intérêt public.
Ces garanties doivent donc nécessairement être incorporées dans la pesée des
intérêts lorsqu’elles sont concernées par la mesure1214, ce qui inclut logique-
ment le droit des minorités.

1213
Opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fis-
chbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I,
§ 3. Voir également nos développements relatifs à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en ma-
tière de protection contre les évictions lorsque des solutions de rechange en matière de logement
font défaut, infra Chapitre III, Section C, 2.3.
1214
TANQUEREL (1996), p. 193.

244
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

2.2.2. L’impact de mesures individuelles sur la minorité

862. La pesée des intérêts au sens strict exige d’examiner si les effets
concrets d’une mesure restrictive ne déploient pas des conséquences négatives
disproportionnées sur la situation du particulier1215. Lorsque la personne ap-
partient à un groupe minoritaire, la facette collective du droit des minorités
impose une analyse supplémentaire intégrant la situation de cette dernière. La
pesée des intérêts lui confère donc un poids concret.
863. Selon les circonstances, en effet, la décision prise à l’égard d’une per-
sonne peut avoir un impact sur la situation de tous les membres du groupe
auquel elle appartient et, a fortiori, sur la minorité elle-même1216. A cet égard, la
position du Comité des droits de l’homme est claire : bien qu’une atteinte
puisse être proportionnée à l’égard d’un particulier, elle peut tout de même
s’avérer problématique au regard de l’article 27 Pacte II lorsque, par un effet
cumulatif avec d’autres mesures, elle est susceptible d’avoir des répercussions
disproportionnées sur la situation de la minorité.
864. Ainsi, l’empiètement sur les droits d’une minorité de jouir de sa pro-
pre culture peut résulter de l'effet conjugué de plusieurs actes ou mesures
adoptés pendant une certaine période et dans plusieurs secteurs du territoire
occupé par la minorité. Il s’impose de prendre en compte les effets globaux de
la combinaison de plusieurs mesures sur la capacité d’une minorité de conti-
nuer à pouvoir vivre sa culture. Les autorités ne doivent donc pas se limiter à
un examen des effets de ces mesures à un moment donné, mais doivent inté-
grer leurs effets passés, présents et futurs sur la capacité des personnes minori-
taires à jouir de leur culture en association avec d'autres membres de leur
groupe1217.
865. Le cas échéant, le non-respect du principe de la proportionnalité en-
traînera, premièrement, une violation des droits fondamentaux du justiciable.
Deuxièmement, il signifiera également une violation du droit des minorités en
raison d’une atteinte disproportionnée au droit du groupe de jouir de son
identité minoritaire. Autrement dit, l’Etat a manqué à son devoir de protection
et de préservation du groupe lui-même.
866. L’analyse qui s’impose aux autorités dans ce contexte doit être distin-
guée des exigences découlant de l’interdiction de la discrimination indi-
recte1218. Comme nous le démontrerons plus en détail ci-après, ce principe
oblige l’autorité à examiner si une mesure formellement neutre a des effets

1215
HÄFELIN/HALLER, p. 100.
1216
BIANCHI, p. 105 ; KÄLIN (2000), p. 61.
1217
Constatations du CDH, du 15 avril 2005, relatives à la Communication n°1023/2001, J. et E. Läns-
man c. Finlande, du 6 novembre 2000, § 10.2; Constatations du CDH, du 22 novembre 2996, relati-
ves à la Communication n° 671/1995 J. Länsman c. Finlande, §10.7. PENTASSUGLIA (2002b), p. 102.
1218
Au sujet de la relation entre les art. 26 et 27 Pacte II, voir SCHODER, p. 164.

245
La situation juridique des Tziganes en Suisse

discriminants pour un particulier, du fait qu’il possède un ou plusieurs critères


distinctifs qui ne doivent pas être utilisés à des fins de distinction1219.
867. Bien que les deux démarches se complètent, le raisonnement est inver-
sé par rapport à ce qu’exige la facette collective du droit des minorités. Celle-ci
impose d’analyser si un acte touchant un individu a des conséquences néfastes
sur son groupe, tandis que c’est la prise en considération de l’appartenance
d’une personne à un certain groupe qui déterminera si elle subit une discrimi-
nation ou non1220. Par ailleurs, l’interdiction de la discrimination est exclusi-
vement une garantie individuelle et ne consacre donc pas de devoir de protec-
tion et de promotion du groupe en tant que tel1221. Elle impose certes de consi-
dérer l’individu avec ses caractéristiques minoritaires spécifiques, mais au
contraire du droit des minorités, elle n’oblige pas l’Etat à préserver la minorité
elle-même et à l’aider à maintenir sa propre identité1222.

2.2.3. La prise en compte juridique des besoins économiques, sociaux et


culturels de la minorité tzigane

868. Après avoir souligné l’interdépendance existant entre la protection ju-


ridique du mode de vie nomade et celle des besoins socio-économiques des
Tziganes (a), nous montrerons que la facette collective du droit des minorités
impose de prendre en considération les droits qui les consacrent lors de
l’adoption de mesures concernant les Tziganes (b).

a) L’interdépendance du mode de vie nomade et des droits


économiques, sociaux et culturels des Tziganes

869. Dans le cadre de notre analyse des sources protégeant les minorités,
nous avons souligné l’importance d’une protection renforcée de leurs droits
économiques, sociaux et culturels. Leur position non dominante a en effet pour
conséquence qu’en règle générale, les personnes appartenant à une minorité

1219
Voir nos développements relatifs à la notion de discrimination indirecte, infra Chapitre II, Section A,
2.2.2.
1220
ALFREDSSON (art. 4), p. 147. Voir, de manière plus détaillée, nos développements démontrant
l’importance de la reconnaissance de l’existence d’un groupe pour l’admission d’un cas de discrimi-
nation indirecte, infra Chapitre II, Section B, 3.2., b.
1221
HANGARTNER (2005), p. 618.
1222
Ainsi, le principe d’égalité et l’interdiction de la discrimination interdisent, par exemple, de prendre
des mesures qui ont pour but ou pour effet d’empêcher, sans motif objectif et raisonnable, les
membres d’une minorité religieuse ou linguistique de fonder une association. Pour sa part, le droit
des minorités exige des autorités qu’elles développent activement et entretiennent un environne-
ment qui permette aux membres de minorités de maintenir et perpétuer leur culture, tout en pré-
servant leur identité de groupe. A titre d’exemple, on évoquera le soutien à la création
d’associations représentatives, le soutien financier aux associations culturelles minoritaires, ou en-
core aux efforts de promotion et de diffusion d’une langue minoritaire.

246
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

sont plus vulnérables dans les domaines socio-économiques que les membres
de la majorité1223.
870. La situation des Tziganes illustre la réalité de cette vulnérabilité accrue
et donc l’importance d’une approche interdépendante des garanties juridiques
protégeant leurs besoins élémentaires. Aussi bien l’intégration sociale et éco-
nomique des Tziganes sédentarisés que celle des Tziganes nomades s’avère
particulièrement ardue.
871. Comme le démontre l’analyse effectuée par le « Groupe de spécialistes
sur les Roms [sic], Tziganes et Voyageurs »1224, aucun droit de nature économi-
que ou sociale ne peut être exercé de manière efficace si leurs titulaires ne sont
pas d’abord reconnus effectivement dans leur mode de vie particulier. En effet,
lorsque les conditions d’accès à ces droits sont conçues uniquement en fonc-
tion d’une population sédentaire, ces garanties deviennent un moyen détourné
pour pousser une population économiquement fragile à renoncer au noma-
disme. En outre, le mode de vie itinérant conditionne matériellement la réalisa-
tion des garanties économiques et sociales protégées, notamment pour accéder
à la clientèle afin d’assurer des moyens de subsistance. La possibilité de circu-
ler et de s’arrêter constitue donc un préalable nécessaire pour le respect des
droits économiques, sociaux et culturels des Tziganes nomades1225.

1223
Observation générale n° 9 du CESCR, § 10. Voir également supra Titre Deuxième, Chapitre II, Sec-
tion A, 2.2.2.
1224
Créé par le Comité des Ministres en 1995, le Groupe de Spécialistes sur les Roms, Tsiganes et
Voyageurs (MG-S-ROM) est la première et seule instance du Conseil de l’Europe établie de façon du-
rable dont le mandat est exclusivement consacré à la situation des Tziganes en Europe. Il est com-
posé de membres permanents provenant de quatorze Etats parties, mais les autres Etats peuvent
également envoyer des experts de leur propre initiative, qui auront alors le droit de vote. Tant
l’Assemblée parlementaire que le CPLRE ou encore l’ECRI ont la possibilité d’y envoyer des repré-
sentants. Le BIDDH, la Commission européenne, la Banque mondiale, le HCR, le PNUD, le Forum
européen des gens du voyage, et toute ONG compétente ayant le statut de membre consultatif au-
près du Conseil de l’Europe ont, quant à eux, la faculté de participer à titre d’observateurs. Le MG-
S-ROM est chargé d’étudier et analyser les politiques et pratiques courantes des Etats membres
concernant les « Roms, Tsiganes et Voyageurs ». Il doit par ailleurs élaborer des lignes directrices
pour le développement et la mise en oeuvre de politiques visant à promouvoir les droits des Tziga-
nes et doit suivre l’évolution de la situation de ces derniers dans les Etats membres, conformément
aux recommandations adoptées par le Comité des Ministres et en tenant compte des rapports éla-
borés par d’autres organes de suivi du Conseil de l’Europe. Le MG-S-ROM est également chargé de
conseiller le Comité des Ministres, par l’intermédiaire du Comité Européen sur les Migrations, sur les
questions relatives aux Tziganes. Il est ainsi à l’origine des trois dernières recommandations adop-
tées par le Comité des Ministres sur cette thématique. Il est également appelé à jouer un rôle
d’encouragement et de stimulus pour les activités et les initiatives en la matière. En collaboration
avec le Coordinateur des activités concernant les Roms/Tsiganes, il assume une fonction de coordi-
nation des projets sur cette question. Le Secrétariat du MG-S-ROM élabore régulièrement un docu-
ment d’information rassemblant les informations sur le travail effectués par les différents départe-
ments du Conseil de l’Europe concernés par les Tziganes. Les différents rapports rédigés par le MG-
S-ROM depuis sa création forment des sources détaillées analysant les conditions de vie et les pro-
blèmes rencontrés par les Tziganes sur l’ensemble du continent européen, quel que soit leur mode
de vie, sédentaire ou nomade.
1225
MG-S-ROM (2002) 10 rev., p. 4. Voir également nos développements sur la portée de la liberté éco-
nomique, infra Chapitre III, Section D, 3.

247
La situation juridique des Tziganes en Suisse

872. Pour sa part, le Comité des Ministres a émis une série de recommanda-
tions touchant à l’importance de la garantie et de la mise en œuvre des droits
économiques, sociaux et culturels pour les membres de la minorité tzigane, sé-
dentarisés ou nomades.
873. La Recommandation (2000) 4, du 3 février 2000, sur l’éducation des en-
fants Roms/Tsiganes en Europe, se fonde sur le constat qu’une amélioration
de la position des Tziganes dans les sociétés européennes exige au préalable
une réalisation de l’égalité des chances dans le domaine de l’éducation, ce qui
inclut la possibilité pour les enfants de familles nomades d’accéder aux écoles.
Le Comité estime ainsi que cet aspect doit être une priorité des politiques na-
tionales menées en faveur des Tziganes1226.
874. La Recommandation (2001) 17, du 27 novembre 2001, sur
l’amélioration de la situation économique et de l’emploi des Rom/Tsiganes et
des voyageurs en Europe, relève que le fort taux de chômage de longue durée
et de pauvreté que connaissent les Tziganes résulte directement de l’exclusion
sociale et de la discrimination dont ils font l’objet et qu’ils sont liés aux pro-
blèmes relatifs au logement, à l’éducation et à la formation professionnelle. Le
Comité reconnaît, par ailleurs, qu’à court terme le marché du travail offre peu
de perspectives d’emploi aux Tziganes et que la résolution de ces problèmes
économiques passe par la réalisation de l’égalité des chances dans l’accès au
marché du travail et aux activités lucratives1227.
875. Les lignes directrices de cette recommandation insistent sur la recon-
naissance et la légitimation des activités économiques traditionnelles prati-
quées par les Tziganes. De plus, elles soulignent l’importance de la formation
professionnelle, de la prise en compte des traditions et de la culture tzigane
dans la conception de ces méthodes de formation, ainsi que du rôle que peut
jouer l’homologation des compétences professionnelles liées aux métiers et à
l’artisanat traditionnels et acquises hors du cadre d’apprentissage habituel1228.
876. Enfin, dans sa Recommandation (2005) 4, du 23 février 2005, relative à
l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en
Europe, le Comité des Ministres estime que les politiques nationales en ma-
tière de logement à l’égard des Tziganes devraient être globales et fondées sur
le fait que, lorsqu’elle concerne les Tziganes, cette question a bien d'autres ra-
mifications, puisqu'elle touche à l'économie, à l'éducation, aux domaines social
et culturel, et à la lutte contre le racisme et la discrimination1229.

1226
Recommandation (2000) 4, Préambule.
1227
Recommandation (2001) 17, Préambule.
1228
Recommandation (2001) 17, §35-38.
1229
Recommandation (2005) 4, Préambule. Le Comité énumère en outre les principales difficultés ren-
contrées par les Tziganes sur cette question, à travers l’Europe : harcèlement discriminatoire,
boycotts discriminatoires, ghettoïsation, ségrégation raciale et résidentielle pour les Tziganes séden-

248
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

b) L’intégration des droits économiques, sociaux et culturels par le


biais de la facette collective du droit des minorités

877. La légitimité des mesures affectant le déplacement, l’établissement et


la protection des caravanes doit également être analysée à l’aune du respect
des droits économiques, sociaux et culturels, en raison de leur étroite imbrica-
tion avec l’exercice du nomadisme. Dans un domaine tel que l’aménagement
du territoire, la coordination matérielle des intérêts en présence impose préci-
sément à l’autorité d’évaluer la valeur objective pertinente pour un cas
d’espèce1230. Lorsque la situation socio-économique d’une minorité est aussi
sensible et vulnérable que celle des Tziganes, l’autorité doit prendre soin
d’examiner les répercussions que l’acte problématique pourrait avoir sur
l’ensemble de ces garanties, aussi bien pour le particulier concerné que pour
les autres membres du groupe en général. A notre sens, c’est uniquement en
intégrant ces facteurs socio-économiques que cette valeur objective peut être
correctement déterminée.
878. Pour illustrer les effets d’une décision d’expulsion d’un lieu de sta-
tionnement sur les droits sociaux et économiques de Tziganes vivant en cara-
vane, on peut se référer aux circonstances rapportées dans l’état de fait de
l’ACEDH Connors c. Royaume-Uni1231. L’éviction du requérant et de sa famille
du lieu de stationnement sur lequel ils avaient résidé légalement pendant
treize ans a eu des conséquences extrêmement lourdes du point de vue socio-
économique.
879. L’absence d’alternatives légales en matière de place de stationnement
dans la région les a conduits à reprendre la route dans des conditions ne per-
mettant ni de faire face aux problèmes de santé du requérant et de l’un de ses
enfants, ni de continuer la scolarisation de son fils aîné. Face à cette situation,
le couple a dû se séparer : l’épouse du requérant s’est sédentarisée pour pou-
voir garantir des soins à leur enfant, tandis que lui-même continuait à vivre en
caravane avec leur fils aîné, mais en se trouvant dans l’obligation de se dépla-
cer toutes les deux semaines en raison d’un manque de places en nombre suffi-
sant pour pouvoir s’arrêter légalement1232.

tarisés, d’une part ; manque de places de stationnement, expulsions forcées, interdiction d’accès
aux sites et difficultés à accéder à la propriété pour les Tziganes itinérants, d’autre part.
1230
NÜSSLE, pp. 91-92.
1231
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004. Voir également nos développements
relatifs à cet arrêt infra Chapitre II, Section B, 3.1.2.
1232
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 35 et 85, 27 mai 2004. La Cour de Strasbourg a
considéré que ces circonstances constituaient une ingérence grave dans le droit au respect de la vie
privée et familiale du requérant. Elle a ensuite conclu à une violation de ce droit du fait que
l’éviction n’avait pas été effectuée de manière conforme aux exigences posées par la procédure ha-
bituelle, notamment sous l’angle de l’apport de motifs justificatifs suffisants au regard de la gravité
de l’atteinte subie ; § 95. Voir également nos développements relatifs à cet arrêt, infra Chapitre II,
Section B, 3.1.2.

249
La situation juridique des Tziganes en Suisse

880. L’existence d’alternatives légales, offrant des conditions de vie


conformes aux exigences minimales pour garantir la dignité des individus, est
ainsi un facteur qui doit peser dans la balance des intérêts effectuées par les
autorités lors de leur prise de décision. Nous aurons l’occasion d’analyser plus
en détail la nature de ces exigences qualitatives et quantitatives, ainsi que les
conséquences de l’absence de possibilité de relogement sur la légitimité d’une
éviction1233.
881. Cependant, à défaut de telles alternatives, non seulement la mesure
s’avère disproportionnée pour le particulier1234, mais la faculté du groupe à
préserver son identité peut elle-même se retrouver également en péril. La re-
cherche de ces possibilités de logement alternatif ne doit pas se restreindre au
niveau local, c’est-à-dire communal, concerné dans un cas d’espèce : la pré-
sence de solutions aux niveaux cantonal et régional doit également être prise
en considération par l’autorité compétente dans sa pesée des intérêts1235.
882. Dans les ACEDH Buckley et Chapman, le refus de la Cour européenne
des droits de l’homme de prendre en considération l’ensemble des circonstan-
ces entourant ces deux affaires démontre que la réticence du juge européen à
intégrer le facteur minoritaire a pour conséquence qu’aucune violation de
l’interdiction de la discrimination indirecte n’a été admise1236.
883. En effet, seule une mise en perspective minoritaire aurait permis aux
juges de Strasbourg de constater que l’ensemble de l’ordre juridique britanni-
que générait une situation de discrimination indirecte à l’égard des deux re-
quérantes du fait de leur qualité de Tziganes1237. Or, en prenant en compte la
dimension collective du droit des minorités, il n’aurait pas été possible de
conclure, comme l’a fait la Cour, que les requérantes bénéficiaient
d’alternatives pour faire stationner légalement leurs caravanes1238. Nous au-
rons l’occasion de revenir de manière plus approfondie sur cette question ulté-
rieurement1239.

1233
Voir nos développements relatifs aux droits au respect du domicile et au logement et à leur portée
spécifique pour les Tziganes nomades, infra Chapitre III, Section C.
1234
Dans ce sens, voir l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straz-
nicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n°
27238/95, CEDH 2001-I, § 4 et 5.
1235
ATF 119 Ib 439, 440 Gesamteigentümer R. NÜSSLE, p. 92.
1236
Pour une définition de la notion de l’interdiction de la discrimination indirecte et de sa portée, voir
infra Chapitre II, Section A, 2.2.2.
1237
DE SCHUTTER, pp. 79-84 ; ROSENBERG (2001), pp. 1027-1029.
1238
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-
IV, § 81, voir le commentaire de DE SCHUTTER, pp. 79-81 ; ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC] n°
27238/95, CEDH 2001-I, § 111-113, voir le commentaire de ROSENBERG (2001), pp. 1028-1029.
1239
Infra Chapitre III, Section C, 2.3.2.

250
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités

D. Synthèse et conclusion

884. Les développements qui précèdent mettent en lumière trois points.


Premièrement, la reconnaissance des Tziganes en Suisse en tant que minorité
nationale à caractère ethnique est une véritable nécessité. Le droit des minori-
tés leur apporte une protection indispensable qui, incontestablement, n’est pas
de nature accessoire par rapport aux garanties individuelles ; au contraire, il
les complète et les renforce en offrant au groupe lui-même un espace au sein
de la société majoritaire.
885. Deuxièmement, pour que ce système déploie pleinement ses effets à
l’égard des Tziganes, et pour que cette reconnaissance ne demeure pas lettre
morte, il n’est pas possible de se référer exclusivement à son aspect individua-
liste. Une pleine intégration de sa facette collective s’impose afin de protéger et
de promouvoir la minorité tzigane elle-même, et pas uniquement ses mem-
bres. En effet, ne pouvant bénéficier des relais institutionnels qui protègent et
donnent voix aux besoins identitaires des autres minorités traditionnelles en
Suisse, la minorité tzigane est dépendante de l’application de ce second aspect
du droit des minorités. En raison de la vulnérabilité particulière de ce groupe,
notamment du fait de sa dispersion territoriale, des préjugés séculaires et de
ses particularités culturelles, cette application pleine et entière est d’autant
plus nécessaire.
886. Troisièmement, cette facette collective peut être qualifiée de garantie
de l’Etat de droit et, à ce titre, comme tout droit fondamental, elle possède aus-
si bien une dimension objective qu’une dimension subjective.
887. Sa dimension objective oblige les autorités à interpréter les normes de
manière conforme au droit international des minorités, tel qu’interprété par les
organes compétents en la matière, à adopter et à mettre en œuvre des mesures
spéciales protégeant et promouvant le groupe lui-même. Elle l’incite égale-
ment à concevoir des mécanismes permettant la participation et la consultation
de la minorité tzigane au sein de la vie publique et lors de l’adoption de mesu-
res les concernant directement.
888. Sa dimension subjective transparaît par le biais du droit d’être entendu
et de l’obligation de motiver les décisions à charge des autorités : les membres
de minorités peuvent exiger que lors de la pesée des intérêts, les autorités
prennent en considération l’impact qu’une mesure touchant à leur identité mi-
noritaire peut également avoir sur la situation juridique des autres membres
du groupe et, a fortiori, sur la minorité elle-même.
889. La combinaison des facettes individuelle et collective du droit des
minorités offre ainsi une grille de lecture permettant d’analyser et d’interpréter
les droits individuels des membres de la minorité tzigane. C’est de cette ma-
nière que nous nous proposons d’examiner la portée du principe général

251
La situation juridique des Tziganes en Suisse

d’égalité pour les Tziganes (Chapitre II) et des différents droits civils, politi-
ques, sociaux, économiques et culturels applicables lors de la pratique de
mode de vie traditionnel nomade (Chapitre III).

252
Titre Troisième - Le principe d’égalité

Chapitre II: Le principe d’égalité et la protection des


Tziganes

890. Un exposé des sources, des notions et de la portée des principes de


l’égalité de traitement et de l’interdiction de la discrimination (A.) nous per-
mettra d’analyser en détail la signification du principe d’égalité pour la protec-
tion des Tziganes (B.), avant de conclure par une appréciation générale qui
évaluera les apports et les limites de cette garantie pour les membres de cette
minorité (C.).

A. Sources, notions et portée

1. Sources

891. Le principe d’égalité est garanti par toutes les conventions internatio-
nales générales en matière de droits de l’homme, aux articles 14 CEDH, 2 al. 2
et 3 Pacte I, 2, 3 et 26 Pacte II, ainsi que par les instruments spécifiques proté-
geant certaines catégories de la population : la CIERD, la CEDAW, l’article 2
CDE, l’article 18§1 de la Convention sur les travailleurs migrants, et l’article 14
CPMN1240.
892. En droit fédéral, le principe d’égalité est ancré à l’article 8 Cst. et cons-
titue l’une des garanties de l’Etat droit consacrées par la Constitution fédé-
rale1241. Cette disposition constitutionnelle se compose de deux volets géné-
raux. L’article 8 al. 1 Cst. affirme le principe de l’égalité de traitement au sens
strict, tandis que l’article 8 al. 2 Cst. pose celui de l’interdiction de la discrimi-
nation en incluant, d’une part, une clause générale de non-discrimination et en
énonçant, d’autre part, une liste de critères « sensibles », correspondant à des
caractéristiques personnelles1242, 1243. Pour leur part, les alinéas 3 et 4 cristalli-

1240
Comp. également l’art. 7 de la DUDH et l’art. 4 de la Déclaration sur la protection des minorités de
1992.
1241
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 20 ; MÜLLER (1999), p. 395 ; PULVER, pp. 5 et 132; RIEDER (2003),
p. 42 ; SCHWEIZER (art. 8), pp. 99-100.
1242
HANGARTNER (2003A), p. 98 ; KLEIN, p. 27 ; MARTENET (2003), p. 35 ; MÜLLER (2000), p. 117-118 ; Mes-
sage du Conseil fédéral relatif à la nouvelle constitution, FF 1997 I 144.
1243
La lettre de l’art. 8 Cst. ne permet pas de déterminer précisément si l’interdiction de la discrimina-
tion se limite à concrétiser l’égalité de traitement, si au contraire elle poursuit un autre but, ou en-
core si elle en constitue le noyau dur ; MARTENET (2003), p. 3 ; PULVER, p. 126. La doctrine suisse es-
time toutefois que les deux principes constituent une catégorie juridique propre, chacun fondant des
prétentions justiciables ; KLEIN, p. 25 ; MARTENET (2003), p. 2 ; MÜLLER (2000), p. 105 ; PULVER, p.
84 ; RIEDER (2003), p. 39. Au niveau international, la question reste encore ouverte. Selon les au-
teurs, il n’est pas encore possible de déterminer si, du point de vue du droit international, ce sont
deux synonymes, ou si, au contraire, les deux notions sont deux principes distincts, aux portées dif-

253
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sent deux garanties spécifiques en matière d’interdiction de la discrimination


des femmes et des personnes handicapées1244.

2. Notions et portée

893. Nous présentons ci-après les notions de l’égalité de traitement (2.1.) et


de l’interdiction de la discrimination (2.2.), avant d’analyser les obligations à
charge des autorités qui en découlent (2.3.).

2.1. L’égalité de traitement

894. L’égalité de traitement, droit constitutionnel indépendant, garantit à


tous, Suisses et étrangers1245, le droit d’être traités de façon égale par les orga-
nes de l’Etat et ce aussi bien dans la loi que lors de son application1246. En effet,
découlant des notions de justice et de dignité, l’égalité de traitement consacre
le droit de chacun à ce que ses particularités et son autonomie soient respec-
tées1247. Elle impose par ailleurs la réalisation de l’égalité matérielle, ou de
fait1248, à laquelle nous consacrerons des développements ultérieurs1249.
895. Exprimée sommairement, la notion d’égalité de traitement contient
donc à la fois une interdiction et une obligation de procéder à une différencia-
tion. L’interdiction correspond à la conception formelle du principe et
l’obligation à sa conception matérielle1250. En effet, le principe d’égalité ne sau-
rait exiger que l’on traite de manière absolument identique tous les particuliers
ou toutes les situations, sous peine d’aller à l’encontre du principe lui-
même1251. Selon une expression désormais classique employée par la jurispru-
dence fédérale, le principe oblige de traiter différemment des situations de fait

férentes ; VANDENHOLE, p. 34 et références. La pratique des comités n’offre pas de réponse uniforme
sur ce point, mais elle affirme que l’élimination de la discrimination et la promotion de l’égalité sont
deux objectifs différents ; voir notamment l’Observation générale n° 16 du CESCR, §6-9 et §10-14 :
le Comité déduit de l’art. 3 Pacte I – qui évoque le « droit égal » de l’homme et de la femme à jouir
des droits garantis – aussi bien l’égalité de traitement dans et devant la loi que le principe de non-
discrimination. PENTASSUGLIA (2002B), p. 89 ; VANDENHOLE, pp. 83-84.
1244
Ces deux protections particulières découlent du principe d’égalité de traitement consacré à l’art. 8
al. 1 Cst. MARTENET (2003), p. 2 ; PULVER, p. 125 ; RIEDER (2003), p. 41 ; WALDMANN (2003), pp. 61ss.
1245
Une différenciation basée sur la nationalité ne se justifie que lorsque cette dernière est un critère
pertinent au regard de la problématique en cause; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 482; MAHON
(art. 8), p. 74.
1246
ATF 6, 174 Jäggi. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1027-1029 ; E. GRISEL, p. 41 ; MAHON (art. 8), p.
75 ; PULVER, p. 12 ; RIEDER (2003), pp. 42-43.
1247
RIEDER (2003), p. 42.
1248
Voir notamment MARTENET (2003), pp. 118-120, RIEDER (2003), p. 43 et WALDMANN (2003), pp. 422ss.
1249
Infra Section 2.3.2.
1250
WALDMANN (2003), pp. 63 et 65-66.
1251
ATF 6, 173 Jäggi. RIEDER (2003), pp. 43-44 ; E. GRISEL, p. 41.

254
Titre Troisième - Le principe d’égalité

qui se distinguent entre elles, et impose de traiter de manière semblable les si-
tuations identiques1252.
896. L’égalité de traitement dans la loi est violée lorsqu’un acte normatif
effectue une distinction, respectivement une assimilation, entre deux situations
analogues, sans avancer de motifs justificatifs raisonnables1253. L’égalité de
traitement devant la loi n’est pas respectée lorsque plusieurs décisions, éma-
nant de la même autorité et conformes à la loi1254, produisent des résultats
contradictoires alors que les situations sont identiques, respectivement quand
elles aboutissent à des résultats similaires alors que les situations sont différen-
tes, bien qu’analogues1255.
897. Le respect du principe d’égalité présuppose ainsi la capacité
d’identifier les critères spécifiques, objectivement raisonnables, qui poussent à
traiter différemment deux situations dans un cas d’espèce. En outre, il exige
également d’examiner si les motifs justificatifs employés pour distinguer ou
assimiler sont précisément objectifs et raisonnables1256. Ceci implique de pren-
dre en compte la réalité sociale et, en particulier, les besoins des personnes
concernées.
898. Le principe d’égalité est de ce fait une notion relative, variant dans le
temps et l’espace, mais également d’un point de vue culturel1257. Selon la juris-
prudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le caractère raisonna-
ble de ces motifs justificatifs s’évalue au regard de la légitimé du but que la
mesure poursuit par rapport à ce qu’exige une société démocratique, et de la
proportionnalité des moyens utilisés pour le réaliser1258.

1252
ATF 131 I 91, 103, Munizipalgemeinde Ausserbin ; ATF 123 I 112, 114 Rolf Himmelberger.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1030 ; MÜLLER (2000), p. 104 ; RIEDER (2003), pp. 43-44 ; WEBER-
DÜRLER, p. 5. Pascal MAHON distingue trois hypothèses : lorsque la distinction est insoutenable, car le
critère utilisé est non pertinent ; quand l’assimilation est insoutenable, car le critère de distinction
est impératif ; et finalement, lorsque tant l’assimilation que la distinction se défendent, du fait que
le critère employé est pertinent mais non impératif; MAHON (art. 8), pp. 75-76. Pour sa part, Vincent
MARTENET critique la formule du Tribunal fédéral, en la qualifiant de tautologique et de trompeuse,
du fait de sa fausse simplicité. Pour conclure au respect ou non du principe, il est, en effet, néces-
saire de procéder en deux étapes : premièrement, en déterminant si le principe d’égalité lui-même
doit s’appliquer au cas d’espèce, au moyen de l’examen de la comparabilité – et non de l’identité –
des situations ; deuxièmement, en analysant la justification avancée pour traiter de façon identique,
respectivement différente, le cas d’espèce; MARTENET (2003), p. 3.
1253
ATF 125 II 326, 345; ATF 124 I 297, 299, Luc Meylan ; ATF 123 I 112, 141 Rolf Himmelberger.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), p. 483 ; RIEDER (2003), pp. 44-45.
1254
Il n’y a pas d’égalité dans l’illégalité : le principe de la légalité l’emporte, dans la règle, sur les exi-
gences de l’égalité de traitement et il n’est pas admissible de faire valoir le grief tiré de l’art. 8 al. 1
Cst. pour exiger de bénéficier du même traitement qu’un autre administré lorsque celui-ci a profité
d’une erreur de l’autorité ; ATF 131 V 9, 20, A. ; ATF 127 I 1, 2 Martin Stoll.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1067 ; HÄFELIN/HALLER, N. 770-773.
1255
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1061-1072.
1256
SCHWEIZER (art. 8), p. 102.
1257
SCHWEIZER (art. 8), pp. 101-102.
1258
ACEDH Karner c. Autriche, n° 40016/98, § 37-41, CEDH 2003-IX ; ACEDH Sheffield et Horsham c.
Royaume-Uni, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, §75 ; ACEDH Hoff-

255
La situation juridique des Tziganes en Suisse

899. Soulignons que, dans un contexte fédéral comme celui de la Suisse, le


principe de l’égalité peut céder le pas devant les exigences posées par le fédé-
ralisme ; certains auteurs parlent ainsi de la structure fédérale comme consti-
tuant une « limite institutionnelle» au principe d’égalité1259. En effet, il n’est
pas possible de se référer à des décisions obtenues en application de droits
cantonaux différents, prises par des autorités différentes. Le test de la compa-
rabilité échoue, puisque l’égalité ne peut se réaliser que dans le domaine de
compétence d’une même autorité et d’un même système juridique. Dès lors,
une réglementation cantonale, adoptée en conformité avec la répartition des
compétences entre la Confédération et les cantons, n’est pas inconstitutionnelle
du simple fait que d’autres cantons ont adopté une autre solution1260.

2.2. L’interdiction de la discrimination

900. Après une analyse de la notion de l’interdiction de la discrimination et


de ses éléments constitutifs (2.2.1.), nous traiterons de la distinction à opérer
entre discrimination directe et discrimination indirecte (2.2.2.), avant
d’évoquer la question délicate du fardeau de la preuve en la matière (2.2.3.).

2.2.1. La notion et ses éléments constitutifs

901. Au niveau international, la CIERD et la CEDAW sont les seuls textes


formulant une définition de la discrimination : est discriminatoire tout traite-
ment distinct, exclusion ou préférence qui soit fondé sur des critères prohibés,
et ayant pour objectif ou conséquence d’empêcher la jouissance, dans des si-
tuations comparables, des droits individuels1261. Lors de l’examen de cas
concrets, les comités emploient également la définition développée par la Cour
européenne des droits de l’homme, jugée plus pragmatique 1262.
902. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
il est contraire à la CEDH de prendre des mesures engendrant une différence
de traitement à l’égard de « toute personne, organisation non gouvernemen-
tale ou groupes d’individus », si elles ne se basent pas sur des motifs justifica-

mann c. Autriche, arrêt du 23 juin 1993, Série A n°255-C, § 33. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N.
1033 et 1050; MARTENET (2003), p. 240 ; HÄFELIN/HALLER, pp. 217-218.
1259
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1056.
1260
ATF 131 I 291, 305 Hauseigentümerverband Schwyz ; ATF 125 I 173, 179 H.. Voir notamment E.
GRISEL, p. 53 ; MARTENET (2003), pp. 128-129, et références; SCHWEIZER (art. 8), p. 103.
1261
Comp. l’art. 1er CIERD et l’art. 1er CEDAW. VANDENHOLE, p. 34. Les comités de surveillance des autres
conventions des Nations Unies ont repris à leur compte cette définition ; voir ainsi l’Observation gé-
nérale n° 18 du CDH, §13 ; Observation générale n° 16 du CESCR, § 10-11. VANDENHOLE, p. 86.
1262
VANDENHOLE, p. 86.

256
Titre Troisième - Le principe d’égalité

tifs objectifs et raisonnables, ne poursuivent pas un but légitime, et sont dis-


proportionnées1263.
903. En droit constitutionnel suisse, la notion de la discrimination elle-
même n’est pas définie dans la Constitution fédérale1264. Depuis l’entrée en
vigueur de la nouvelle Constitution fédérale, le Tribunal fédéral affirme qu’« il
y a discrimination lorsqu'une personne est traitée de façon inégale en raison de
son appartenance à un groupe déterminé lequel, dans l'histoire et dans la réali-
té sociale présente, a fait l'objet de mesures d'exclusion ou a été traité comme
étant inférieur »1265.
904. La discrimination constitue ainsi une « inégalité qualifiée de personnes
se trouvant dans des situations comparables, dans le sens où elle porte préju-
dice à une personne, préjudice qui doit être considéré comme une dépréciation
ou une exclusion, parce qu’il se rattache à un critère de distinction qui consti-
tue un élément essentiel, inséparable ou difficilement séparable, de l’identité
de la personne en question »1266.
905. On peut déduire quatre points de cette définition jurisprudentielle.
Premièrement, une discrimination est la conséquence d’une inégalité de trai-
tement dite qualifiée, en raison de l’utilisation de l’un des critères énoncés à
l’article 8 al. 2 Cst. Deuxièmement, l’emploi de ces éléments essentiels de
l’identité d’une personne génère un « soupçon de différenciation inadmissi-
ble », autrement dit une présomption de discrimination.
906. Selon le Tribunal fédéral, le principe de non-discrimination n’est donc
pas synonyme d’interdiction absolue de procéder à des distinctions. Cette pré-
somption est réfragable, mais les exigences de motivation sont alors
particulièrement strictes1267. Troisièmement, le Tribunal fédéral restreint la
titularité de l’article 8 al. 2 Cst. à certaines catégories de personnes,
appartenant à des groupes sociaux particuliers, et qui requièrent une

1263
ACEDH Affaire linguistique belge (au principal), arrêt du 23 juillet 1968, §10; ACEDH Abdulaziz, Ca-
bales et Balkandali c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, §94. PENTASSUGLIA (2002B), p. 89 ; SUDRE
(2005B), p. 254 ; VANDENHOLE, p. 83. Si l’article 14 CEDH énumère une série de critères prohibés,
cette liste n’est pas exhaustive : toute discrimination est interdite, quel que soit le critère qui la
fonde ; SUDRE (2005B), pp. 254-255.
1264
Les travaux préparatoires relatifs à la nouvelle Constitution ne permettent pas de déterminer quel
contenu exact le constituant a souhaité lui donner, en laissant apparaître plusieurs approches de la
notion, sans que l’une ou l’autre soit clairement favorisée. Voir le Message du Conseil fédéral relatif
à une nouvelle constitution, FF 1997 I 144-145, qui, d’une part, affirme que seul un emploi dépré-
ciatif de l’un des critères énoncés constitue une discrimination, et d’autre part considère que ces
mêmes critères ne peuvent être utilisés pour justifier des différences de traitement. Voir également
PULVER, pp. 130-131 ; RIEDER (2003), p. 38.
1265
ATF 130 I 352, 357 X ; ATF 130 I 26, 54 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärtze, Sektion
Zürich; ATF 129 I 392, 397-398 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 223-224, Emmen; ATF 129 I
232, 239-240 Zurich ; ATF 126 II 377, 393 F.A. et A.A.
1266
ATF 130 I 352, 357 X. ; ATF 129 I 392, 397 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 224, Emmen;
ATF 126 II 377, 393 F.A. et A.A.
1267
ATF 129 I 392, 397-398 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 224, Emmen et références; ATF 126
II 377, 393 F.A. et A.A. MAHON (art. 8), p. 80 ; PULVER, p. 75.

257
La situation juridique des Tziganes en Suisse

groupes sociaux particuliers, et qui requièrent une protection spécifique1268.


Enfin, il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu une volonté de discriminer: la dis-
crimination est ainsi une notion objective, qui n’exige pas de la part du juge
l’examen de l’intention de l’autorité en cause1269.
907. Les éléments de cette définition correspondent à l’opinion de certains
auteurs1270, mais ne font pas l’unanimité parmi la doctrine. Etant donné leur
importance pour la protection juridique des Tziganes, il sied de les discuter de
manière critique. Nous traiterons donc de la question du champ d’application
personnel (a), de l’exigence de la dépréciation (b), de l’apport de motifs justifi-
catifs (c) et du rôle des critères sensibles (d).

a) Le champ d’application personnel

908. Pour le Tribunal fédéral et une partie de la littérature, l’article 8 al. 2


Cst. possède une dimension collective, protégeant celles et ceux appartenant à
un groupe social historiquement et/ou actuellement stigmatisé par certaines
mesures prises à l’égard de ses membres ; cette approche confère ainsi claire-
ment à la disposition un but de protection des minorités1271. Cette dimension
collective déploie un effet asymétrique en faveur de ces catégories de la popu-
lation1272, ayant pour conséquence de limiter le champ d’application personnel
de la norme aux seuls membres d’un groupe défavorisé, et renvoyant les per-
sonnes appartenant aux diverses majorités sociales à la protection de l’article 8
al. 1 Cst.1273.
909. Pour d’autres auteurs, ces critères représentent des caractéristiques
personnelles individuelles dont l’utilisation déprécie les personnes concer-
nées1274. Selon cette approche, il n’est pas possible de restreindre la titularité
du droit à la non-discrimination à certaines fractions de la population ; la pro-

1268
ATF 130 I 352, 357 X. ; arrêt destiné à publication du 25 janvier 2006, 1P.579/2005, consid. 8.2 ;
ATF 129 I 392, 397-398 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 224, Emmen. MARTENET (2003), p.
425.
1269
ATF 129 I 217, 223-224 Emmen ; ATF 127 III 207, 216 K.; ATF 113 Ia 107, 116 D. et W. c. Dame
A. HANGARTNER (2003A), pp. 102-103 ; MARTENET (2003), pp. 50-52 et références ; SCHWEIZER (art. 8),
p. 110 ; WALDMANN (2003), p. 364. Contra, apparemment, AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1040,
qui, en estimant que l’une des difficultés liées à la discrimination indirecte tient à ce qu’il « n’est pas
facile d’apporter la démonstration de l’intention de discriminer», laissent sous-entendre qu’une telle
intention est nécessaire. Pour sa part, PULVER, p. 140, se contente d’exprimer des doutes quant à la
possibilité d’exiger la preuve d’une volonté dépréciative.
1270
Principalement celle de Walter KÄLIN et de Martina CARONI, in : KÄLIN/CARONI, p. 77.
1271
ATF 130 I 352, 357 X. Sur cette question, voir WALDMANN (2003), p. 305.
1272
KLEIN, pp. 26-27 et 29 ; MAHON (art. 8), pp. 79-80 ; MÜLLER (2000), pp. 109 et 113-114 ; SCHWEIZER
(art. 8), p. 110.
1273
MAHON (art. 8), pp. 79-80.
1274
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1081-1082; MARTENET (2003), p. 35.

258
Titre Troisième - Le principe d’égalité

tection octroyée est nécessairement « symétrique », en ne se limitant pas à la


promotion de groupes spécifiques1275.
910. Il n’est pas possible de limiter le champ d’application personnel de
l’article 8 al. 2 Cst., en ne lui conférant qu’une dimension collective et en ex-
cluant les membres des diverses majorités sociales de sa titularité. En effet,
toute personne, y compris un hommes blanc de religion chrétienne, d’origine
suisse et bien portant, doit être protégée contre des mesures qui la déprécient
et, ce faisant, portent atteinte à sa dignité. L’article 8 al. 2 Cst. doit ainsi proté-
ger l’ensemble de la population, car une « simple » protection contre l’inégalité
de traitement injustifiée, consacrée par l’article 8 al. 1 Cst., ne permet pas de se
prévenir contre des mesures dépréciatives.
911. En outre, l’approche du Tribunal fédéral se place en porte à faux avec
la pratique internationale, qui ne restreint par la portée de l’interdiction de la
discrimination à certains groupes minoritaires1276. Néanmoins, du fait de son
lien étroit avec le principe du respect de la dignité humaine et de son interpré-
tation historique, systématique, littérale et téléologique, à certaines conditions,
il faut lui reconnaître un certain aspect asymétrique en faveur de certains
groupes1277.
912. Dans ce sens, nous suivons tant MARTENET que WALDMANN: bien que
l’effet asymétrique ne doive pas être la règle, dans certaines situations des me-
sures permettant de réaliser l’égalité matérielle des groupes historiquement et
socialement fragilisés s’avèrent nécessaires1278. En effet, c’est uniquement de
cette manière que la réalisation de l’égalité des chances, ou égalité matérielle,
des membres des groupes historiquement défavorisés devient alors possible,
par exemple au moyen de mesures positives1279.

1275
WALDMANN (2003), p. 300. A cet égard, Yvo HANGARTNER dénonce tant la dimension collective elle-
même que la protection asymétrique ; selon cet auteur, ces deux visions s’opposent à la notion de
justice, qui est le but même de la non-discrimination, puisqu’elle est indivisible. Ainsi, selon
l’approche individuelle, une personne hétérosexuelle de sexe masculin, de physionomie cauca-
sienne, et de religion chrétienne, peut également invoquer le grief de la violation de l’article 8 al. 2
Cst., ce qu’exclut l’approche collectiviste de la notion; HANGARTNER (2003A), pp. 104-105 ; HANGART-
NER (2005), pp. 618-619.
1276
Dans ce sens, HANGARTNER (2005), pp. 618-619.
1277
Contra PULVER, pp. 156-157.
1278
Voir PULVER, pp. 156-157 pour des exemples, ainsi que nos développements relatifs à la réalisation
de l’égalité en fait, infra Section 2.3.2.
1279
WALDMANN (2003), pp. 300-303 et 346-347. A notre sens, Vincent MARTENET est également tenant de
cette « troisième voie ». Se montrant également très critique de l’approche exclusivement collective,
et donc nécessairement asymétrique, il estime, d’une part, qu’elle contredit les interprétations litté-
rale, historique et systématique de la norme constitutionnelle, et d’autre part, que les tenants de
l’asymétrie confondent droit à l’interdiction de la discrimination, fondé sur l’article 8 al. 2 Cst., et oc-
troi de mesures positives, visant à réaliser l’égalité en fait, que l’on ne peut déduire de cette même
disposition. La titularité de ce droit ne saurait être limitée aux groupes historiquement dénigrés, du
fait que sa ratio legis n’est pas la correction d’erreurs commises par le passé, mais consiste en la
protection de la dignité humaine. Il est néanmoins nécessaire, pour cet auteur également, de pou-
voir envisager des mesures positives, à l’effet obligatoirement asymétrique, mais ce uniquement en

259
La situation juridique des Tziganes en Suisse

913. Par ailleurs, l’approche exclusivement « collectiviste » se pose en


contradiction avec l’article 261bis CP, adopté par le législateur fédéral pour ré-
aliser les obligations suisses contractées par la ratification de la CIERD1280.
Cette norme concrétise par la même occasion certains aspects de l’article 8 al. 2
Cst. dans les rapports entre particuliers1281. Ceci est confirmée par le fait que le
bien juridique protégé par cette norme est en premier lieu la dignité humaine,
avant même la paix publique1282. Ainsi, bien que cette disposition restreigne
les hypothèses d’incrimination à certaines formes de discrimination1283, elle
n’en demeure pas moins invocable par les individus appartenant aux
« majorités » sociales, puisque ces derniers peuvent également être pris à parti
du fait de leur appartenance ethnique, religieuse ou raciale1284.

b) L’exigence de la dépréciation

914. La dépréciation est une condition constitutive de la notion de


discrimination qui se cumule au constat d’une différence de traitement1285. Par
ce biais, la discrimination représente un jugement de valeur négatif exprimé à
l’encontre d’une personne qui se voit attribuer un statut inférieur aux au-
tres1286, ce qui porte atteinte à sa dignité1287. La dépréciation constitue donc la

faveur des catégories de la population historiquement dénigrées; MARTENET (2003), pp. 424-433.
Voir également infra Section 2.3.2.
1280
L’art. 4 let. a CIERD impose, en effet, aux Etats parties l’adoption de mesures, notamment pénales,
ayant pour objectif de lutter contre la discrimination raciale. Voir également le Message du Conseil
fédéral relatif à la ratification de la CIERD, FF 1992 III 265, 302. NIGGLI, p. 93.
1281
MAHON (art. 8), p. 82 ; PULVER, pp. 295 et 331-334 ; WALDMANN (2003), p. 638.
1282
ATF 123 IV 206, 207. CORBOZ, p. 298.
1283
La race, l’ethnie et la religion ; CORBOZ, p. 300.
1284
GUYAZ, p. 986, rappelle que la doctrine pénaliste ne restreint pas le champ d’application de l’article
261bis CP aux groupes historiquement persécutés.
1285
Voir le recensement des opinions doctrinales effectué par PULVER, pp. 84-93, en particulier pp. 84-
86, ainsi que le Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre
personnes du même sexe, FF 2003 1192, 1207. Pour sa part, Vincent MARTENET conteste que la dé-
préciation soit une condition nécessaire pour conclure à une discrimination, et affirme au contraire
qu’il ne faut prendre en compte que le résultat discriminatoire, qu’il définit comme étant « le désa-
vantage injustifié subi (…) en raison d’une caractéristique personnelle (…)». Pour l’essentiel, MARTE-
NET argumente que l’on peut conclure à l’existence d’une discrimination dès lors qu’une différence
de traitement basée sur l’un des critères suspects est injustifiée, sans qu’il y ait nécessairement dé-
nigrement. Il estime, par ailleurs, que conditionner de telle manière la constatation d’une discrimi-
nation ne prend pas en compte l’hypothèse de l’assimilation de deux personnes ou groupes présen-
tant des caractéristiques distinctes; MARTENET (2003), p. 49. Cette définition semble, par ailleurs,
s’approcher de celle du CERD, qui propose le test de la « conséquence distincte abusive » pour la
qualité discriminatoire d’une mesure; Observation générale n° 14 du CERD, § 2.
1286
AUER (2003), pp. 179-180; KÄLIN/CARONI, pp. 76-77 ; MÜLLER (2000), p. 110 ; PULVER, pp. 136 et 138.
1287
Ainsi, PULVER, pp. 134 et 136 :« Ce qui rend une distinction discriminatoire est (…) son caractère
dépréciatif», ou encore AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1076, « Le principe de non-discrimination
interdit que l’on traite différemment une personne sur la base de certains critères, lorsque ces critè-
res sont pris comme des motifs pour la déprécier», approche reprenant par ailleurs l’avis du Conseil
fédéral, in Message du Conseil fédéral relatif à la nouvelle constitution, FF 1997 I 144. Voir égale-

260
Titre Troisième - Le principe d’égalité

particularité de l’alinéa 2 de l’article 8 Cst., en conférant à ses titulaires une


protection plus importante que l’alinéa premier1288. Sans cette condition,
l’interdiction de la discrimination est assimilable à l’inégalité de traitement,
puisqu’elle se réduit à une distinction injustifiée1289. La dépréciation cristallise
ainsi la différence entre l’égalité de traitement, qui interdit les distinctions dé-
raisonnables, et l’interdiction de la discrimination, qui prohibe toute distinc-
tion dépréciative et qui ne saurait être légitimée, même par un motif raisonna-
ble.
915. Nous nous écartons toutefois de la jurisprudence du Tribunal fédéral,
et des auteurs sur lesquels notre Haute Cour se fonde, sur la question du rôle
de la dépréciation. Ces derniers estiment que la dépréciation est la consé-
quence d’un traitement inégalitaire négatif fondé sur l’un des critères de
l’article 8 al. 2 Cst. et exigent la démonstration de l’existence d’un lien de cau-
salité entre le critère sensible et le désavantage subi1290.
916. Pour notre part, nous estimons que l’interdiction de la discrimination a
pour objectif d’empêcher le dénigrement des individus et qu’elle constitue, dès
lors, une limite infranchissable pour l’activité étatique. Nous rejoignons ainsi
l’avis de Bernhard PULVER, pour qui seul compte le but ou l’effet dépréciatif ;
dès lors, le critère employé pour différencier importe peu1291.
917. Au contraire, celui-ci peut très bien être admissible, mais si l’on cons-
tate que la mesure dénigre une personne dans sa qualité d’être humain, il est
possible de conclure à une discrimination1292. Tout rabaissement de la valeur
d’un individu étant injustifiable, l’interdiction de la discrimination constitue
une limite absolue à l’activité étatique1293. Cette interprétation est comparable à
celle de Jörg Paul MÜLLER qui, en affirmant que toute dépréciation est inter-
dite, voit en l’interdiction de la discrimination le « noyau dur » de l’égalité1294.

ment WALDMANN (2003), pp. 248-259, qui conçoit également la discrimination comme une atteinte à
la dignité d’un individu en tant qu’être humain.
1288
PULVER, p. 145. Dans ce sens également, WALDMANN (2003), p. 254.
1289
PULVER, pp. 134-135.
1290
KÄLIN/CARONI, p. 77. Comp. ATF 130 I 26, 54 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärtze,
Sektion Zürich; ATF 129 I 217, 223-224 Emmen; ATF 129 I 232, 239-240 Zurich ; ATF 129 I 392,
397-398 A und Mitb. sowie G.; ATF 126 II 377, 393 F.A. et A.A. Voir également MARTENET (2003), p.
57.
1291
PULVER, pp. 182-183. Les opinions de Bernhard PULVER et Vincent MARTENET paraissent relever d’une
approche a priori irréconciliable de la notion de discrimination. En effet, le premier auteur évacue en
quelque sorte de la notion les critères suspects pour se focaliser sur l’aspect dépréciatif, tandis que
le second écarte la dépréciation pour se concentrer sur le désavantage injustifié subi lors de l’emploi
de l’un des critères sensibles. Il y a ainsi une différence fondamentale entre l’interdiction du but ou
de l’effet dénigrant promue par PULVER et celle du résultat discriminatoire que défend MARTENET.
1292
Voir également WALDMANN (2003), p. 248.
1293
PULVER, pp. 136-137, 141 et 148. Voir également MAHON (art. 8), p. 80.
1294
MÜLLER (2000), p. 112. Voir également KLEIN, p. 56. La littérature minoritaire qui écarte l’exigence de
la dépréciation ne présente pas non plus un front uni : certains interdisent en principe toute distinc-
tion fondée sur ces critères, sans évoquer la dépréciation, en voyant en l’art. 8 al. 2 une obligation
absolue de traiter de manière égale les individus, opposée à l’obligation relative consacrée par le

261
La situation juridique des Tziganes en Suisse

c) L’apport de motifs justificatifs

918. Le lien étroit entre respect de la dignité humaine et interdiction du dé-


nigrement de l’individu apparaît clairement lorsqu’il s’agit d’identifier les mo-
tifs justificatifs permettant de conclure à l’absence de discrimination. En effet,
l’article 7 Cst. rappelle que la dignité humaine est le « principe directeur de
toute activité étatique»1295. Dès lors, on ne saurait le contourner au moyen de
l’article 8 al. 2 Cst., en arguant de la poursuite d’intérêts publics prépondérants
et en démontrant que la proportionnalité a été respectée. Seule la démonstra-
tion de l’absence de dépréciation, au moyen de motifs particulièrement sé-
rieux, permet de conclure au respect de l’article 8 al. 2 Cst. : son statut de ga-
rantie de l’Etat de droit ne permet pas de lui appliquer le raisonnement valable
pour la restriction légitime des libertés individuelles.
919. Or, pour une partie des auteurs et le Tribunal fédéral, il n’y a pas de
discrimination si les autorités démontrent que le traitement inégal fondé sur
l’un des critères suspects est justifié par l’apport de motifs particulièrement so-
lides. Cette « solidité » est démontrée si la distinction a été effectuée pour pro-
téger un groupe défavorisé, si des différences de fait la justifient, et que, par
ailleurs, la mesure choisie poursuit un but particulièrement important nécessi-
tant cette différenciation. Les exigences de l’aptitude et de la nécessité doivent
également être remplies1296.
920. A notre sens, il convient de suivre une autre partie de la doctrine, qui
affirme qu’il ne saurait y avoir de justification à un traitement dénigrant : la
démonstration de l’existence d’un intérêt public et du respect de la propor-
tionnalité de la mesure ne peuvent « effacer » l’atteinte à la dignité humaine
que représente le rabaissement d’une personne. Ainsi, il appartient aux autori-

premier alinéa de la disposition constitutionnelle; HANGARTNER (2001), p. 254, dont la position est
confirmée et approfondie in : HANGARTNER (2003A), pp. 111-113. Cet auteur admet toutefois des ex-
ceptions lorsqu’un traitement identique crée une situation d’injustice, ou lorsque des mesures pas-
sagères s’imposent pour favoriser un groupe.
1295
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 144. Voir également le Message du Conseil fédéral relatif à la
nouvelle constitution, FF 1997 I 142, ainsi que MÜLLER (1999), pp. 1-2.
1296
ATF 131 V 9, 15, A. ; ATF 130 I 352, 357, X. ; ATF 126 II 377, 393 F.A. und A.A. E. GRISEL, p. 75 ;
KÄLIN/CARONI, p. 78. Comp. cette position avec celle MARTENET (2003), pp. 50 et 55, qui ne prend pas
en compte la dépréciation: seul l’apport d’un motif justificatif « qualifié » permet de conclure au
respect de l’art. 8 al. 2 Cst; il n’est pas possible de se limiter à exiger des motifs justificatifs uni-
quement « objectifs et raisonnables », le contrôle du juge se confondant alors pratiquement avec
celui effectué dans le cadre de l’interdiction de l’arbitraire. Bien plus, il s’agit de procéder à un exa-
men strict des justifications avancées. Relevons que puisque l’examen de l’existence d’un motif qua-
lifié s’effectue à l’aune de la légitimité du but poursuivi et du respect de la proportionnalité, on peine
à constater une différence dans leurs résultats entre cette opinion doctrinale et celle de KÄLIN et de
CARONI.

262
Titre Troisième - Le principe d’égalité

tés de renverser la présomption de dépréciation qui entache leur mesure, et


seule cette démonstration rendra cette dernière acceptable1297.
921. L’apport de la preuve de l’absence de discrimination ne signifie pas
nécessairement que la mesure en cause soit conforme à la Constitution : il
s’agira encore de déterminer son respect des exigences de l’article 8 al. 1 Cst., à
savoir que les motifs pour distinguer doivent être raisonnables1298. En cela,
cette démarche est plus exigeante vis-à-vis des autorités que celle du Tribunal
fédéral, puisque celui-ci conclut au respect de la Constitution lorsque des mo-
tifs objectifs et raisonnables justifient la distinction fondée sur un critère sus-
pect. Elle permet également de concevoir les deux premiers alinéas de l’article
8 Cst. non pas comme deux normes s’excluant mutuellement, mais bien
comme se complétant.
922. Enfin, soulignons que si nous plaçons l’accent sur la dépréciation et
non sur les critères sensibles, ces derniers demeurent néanmoins importants.
Non seulement ils créent une présomption de dépréciation à charge des autori-
tés1299, mais ils permettent également d’attirer l’attention de tous les acteurs
étatiques, qu’ils soient législatifs, administratifs ou judiciaires, sur la fragilité
de certains groupes sociaux ou de certaines personnes. Dès lors, nous les ana-
lysons d’une part d’afin identifier les situations où les risques de dénigrement
sont accrus, mais également parce que leur hétérogénéité n’est pas sans consé-
quence sur les exigences en matière de motifs justificatifs1300.

d) Le rôle et la nature des critères prohibés

923. A l’instar des article 14 CEDH et 26 Pacte II, l’article 8 al. 2 Cst. énonce
une série de critères prohibés, qui ne se recoupe pas complètement avec ceux
prévus dans les dispositions internationales1301. Tous ont pour trait commun
leur relation étroite avec la dignité humaine, ainsi que leur caractéristique de
qualités personnelles inhérentes à l’être humain, relevant de la sphère person-
nelle des individus1302. Leur hétérogénéité incontestable, aussi bien du point de
vue de leurs origines que de leur nature, pousse la majorité de la doctrine à en
effectuer une classification variant selon les auteurs, bien que la disposition
constitutionnelle n’en effectue aucune.

1297
MÜLLER (2000), p. 112 ; PULVER, pp. 147-148.
1298
PULVER, p. 145 ; WALDMANN (2003), pp. 258-259.
1299
Sur cette question, voir infra Section 2.2.3.
1300
PULVER, p. 183.
1301
MARTENET (2003), p. 392.
1302
MARTENET (2003), p. 392 ; PULVER, p. 186.

263
La situation juridique des Tziganes en Suisse

924. Aux yeux de cette partie de la littérature, ces classifications ont une in-
fluence directe sur les motifs justificatifs à apporter1303. En effet, elles permet-
tent d’expliquer pourquoi tant la doctrine que la jurisprudence posent des exi-
gences moins élevées pour certains critères que pour d’autres, tant par rapport
à l’exigence de l’intérêt public prépondérant qu’à celle de la proportionnalité.
Ainsi, plus un critère est considéré comme suspect, plus la présomption de dé-
préciation qui lui est rattachée est forte, et plus il sera difficile pour l’autorité
de la renverser1304.
925. Parmi les différentes approches prônées par les auteurs1305, nous sui-
vons la proposition de Bernhard WALDMANN, pour distinguer entre, d’une
part, ce qui touche aux origines d’une personne, à ses caractéristiques physi-
ques et psychiques acquises à la naissance, toutes en principe immuables, et
d’autre part, ce qui relève d’aspects liés à la vie en société, au développement
social et intellectuel, et à son expression1306.
926. La présomption de dénigrement sera très forte à l’égard des premiers
critères, voire irréfragable pour les mesures se rattachant par exemple au sexe
ou à la couleur de la peau qui n’ont pas pour but de favoriser les membres de
ces groupes1307, mais sera moindre et variera selon les cas d’espèce pour les se-
conds. Ainsi, les autorités auront plus de facilité à démontrer l’absence de dé-
nigrement de mesures se rattachant à l’âge ou à la situation sociale que pour
celles touchant la religion ou le mode de vie1308.
927. Nous nous montrons toutefois critique face à l’opinion de plusieurs
auteurs qui estiment que la caractéristique fondamentale des critères touchant
aux libertés personnelles, et qui les distingue des autres, consistent en ce qu’ils
relèvent d’un choix personnel. Sont ainsi concernés la langue, la religion, les
opinions politiques, la perception du monde, et le mode de vie. Au contraire,

1303
SCHWEIZER (art. 8), p. 113.
1304
PULVER, p. 183.
1305
Parmi les auteurs, Jörg Paul MÜLLER place la race, le sexe et la déficience physique ou mentale dans
une première catégorie, la religion, la langue et l’opinion personnelle dans une seconde, et la situa-
tion sociale dans une troisième. Selon cet auteur, ces trois ensembles relèvent de problématiques
différentes, le premier étant composé de facteurs liés à des groupes historiquement fortement dis-
criminés, le second concernant l’exercice de libertés individuelles, et le troisième touchant au do-
maine des buts et droits sociaux; MÜLLER (2000), pp. 110-117. Voir également KLEIN, p. 27, en parti-
culier à la note 97. Vincent MARTENET procède à une énumération moins compartimentée. Il exa-
mine, dans un premier temps, ce qui relève des impératifs physiologiques que sont le sexe, la cou-
leur de la peau et la race, tout en plaçant le handicap physique ou mental à part, puis, dans une se-
conde étape, ce qui touche aux libertés, pour finir avec la langue et la situation sociale, qui offrent
aux autorités une plus grande liberté d’utilisation que les autres critères en raison de la réalité juri-
dique; MARTENET (2003), pp. 400-401. Bernhard PULVER, quant à lui, n’effectue pas de catégorisation
et préfère une approche « individuelle », en examinant la portée de chaque critère, ainsi que les
nuances apportées aux motifs justificatifs, les uns après les autres; PULVER, p. 183.
1306
WALDMANN (2003), p. 672.
1307
MARTENET (2003), pp. 398-399.
1308
E. GRISEL, p. 74.

264
Titre Troisième - Le principe d’égalité

l’identité culturelle et ethnique, le sexe d’une personne ou encore sa validité


physique et mentale lui sont imposées par la nature1309.
928. Cette opinion est discutable pour plusieurs raisons. Premièrement, elle
semble donner au choix un poids qui n’est pas dénué de conséquences juridi-
ques, alors que nous estimons qu’il ne doit pas être décisif qu’un individu ait
opté pour une caractéristique personnelle1310. Comme tous les critères sensi-
bles, cette dernière est une « qualité […] très personnelle […], inhérente […] à
l’être humain », et n’est pas « modifiable […] ou l’ordre juridique ne permet
pas d’exiger des titulaires qu’ils [la] modifient »1311. La modification de ces as-
pects éminemment intimes, voire leur abandon, n’est ainsi que purement théo-
rique, et dès lors, parler de choix en la matière semble discutable.
929. Deuxièmement, différencier entre ce qui est un choix et ce qui ne l’est
pas mène à un nouveau débat doctrinal portant sur ce qui en relève ou non :
d’une manière générale, si l’identité ethno-culturelle est assurément
« imposée », comment s’exprime-t-elle si ce n’est finalement par une langue,
des traditions, voire une religion ou un mode de vie particulier ? Où s’arrête
« l’obligation », où commencent les choix ? Sans ces modes d’expression, une
telle identité signifie-t-elle encore quelque chose, sa protection a-t-elle encore
un sens ?
930. En outre, peut-on affirmer sans autre que la langue ou la religion dans
laquelle un particulier est élevé par sa famille et sa communauté constitue
pour lui – du moins jusqu’à un certain âge – un choix ? De même, l’orientation
sexuelle constitue-t-elle véritablement un choix ? Enfin, peut-on qualifier la
tradition itinérante des Tziganes transmise de générations en générations de
choix personnel découlant de l’exercice de libertés individuelles ?
931. La doctrine n’est pas unanime1312. Le fait que les Tziganes forment une
minorité ethno-culturelle dont l’identité propre et particulière doit être préser-
vée est un facteur à prendre en considération. Contrairement à d’autres indi-
vidus qui choisiraient de vivre selon un mode de vie nomade, la qualité spéci-
fique de minorité des Tziganes indique que l’exercice du nomadisme va au-
delà du simple choix personnel.
932. Dès lors, nous ne partageons pas l’analyse de Bernhard WALDMANN
sur cette question. Cet auteur englobe sous le terme de « Fahrende » tout indi-
vidu qui exerce un mode de vie nomade, Tzigane ou non. Il distingue ainsi en-
tre les mesures discrminatoires ancrées sur le mode de vie, et qui concernent
tous ceux qui l’exercent, et celles fondées sur l’identité ethno-culturelle des dif-

1309
KLEIN, p. 42 ; MÜLLER (1999), p. 411; WALDMANN (2003), p. 627.
1310
Voir également MARTENET (2003), p. 397.
1311
PULVER, p. 186
1312
Ainsi, MÜLLER (2000), p. 106, considère que le mode de vie itinérant des Tziganes est une caractéris-
tique que les personnes concernées n’ont pas librement choisie, contrairement à WALDMANN (2003),
pp. 627 et 692-693.

265
La situation juridique des Tziganes en Suisse

férentes communautés tziganes, qu’elles soient rrom, sinti ou jénisch. Cette


distinction lui permet de conclure que l’exercice du mode de vie nomade re-
présente un choix personnel appartenant à tout individu, dont l’option impli-
que de prendre ses responsabilités au sens de l’article 6 Cst., et d’en assumer
pour l’essentiel soi-même les conséquences. En conséquence, les « Gens du
voyage » ne peuvent exiger une solidarité sans faille de la part de la société
majoritaire, ni une mise à disposition gratuite et inconditionnelle de lieux de
stationnement1313.
933. Si nous adhérons à cette conclusion1314, nous n’en partageons pas la
motivation. Le fait que les Tziganes forment une minorité au sens du droit in-
ternational a des conséquences directes sur la nécessité de prendre en considé-
ration leurs besoins et d’intégrer leur communauté dans le tissu juridique et
socio-économique. L’Etat doit préserver leur identité culturelle. Les Tziganes
possèdent donc des prétentions supplémentaires à l’égard des autorités et les
exigences en matière de proportionnalité des mesures sont plus élevées.
934. En outre, nous pourrons constater ultérieurement qu’une
responsabilisation personnelle accrue est difficile à réaliser en l’état actuel du
droit et des exigences en matière d’aménagement du territoire1315. En
conséquence, il est nécessaire de distinguer entre Tziganes nomades et autres
« Gens du voyage », ceux-ci devant assumer le fait d’avoir choisi de renoncer à
leur mode de vie culturel initial – la sédentarité - pour prendre la route.
935. Enfin, on peut s’interroger sur l’influence du terme de « choix » sur
l’image que se font les membres des diverses majorités sociales des groupes et
des personnes protégés par l’article 8 al. 2 Cst. Il ne faut pas, en effet, en sous-
estimer l’impact: un choix peut être perçu comme un caprice, une excentricité,
quelque chose à laquelle on pourrait renoncer au prix d’un effort relativement
négligeable, surtout lorsque le critère en question reste méconnu de la société
majoritaire. En forçant le trait, on peut en conclure qu’en changeant de reli-
gion, d’opinion politique, de mode de vie, d’orientation sexuelle, une personne
peut éviter de subir les désagréments de mesures étatiques qui ne les prennent
pas en compte, et qu’il devient dès lors de sa responsabilité de ne pas être
discriminée.
936. Ceci est à notre sens incompatible avec le principe de l’interdiction de
la discrimination consacré dans notre ordre juridique : les critères de l’article 8
al. 2 Cst. se rattachent à ce qui constitue l’identité d’une personne, et c’est pré-
cisément l’atteinte à cette identité qui est synonyme d’atteinte à la dignité hu-
maine, et donc de discrimination. Nous avons déjà démontré que l’influence
des préjugés et des malentendus pèse lourdement sur la situation de groupes

1313
WALDMANN (2003), pp. 689-693.
1314
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, notamment Sections B, 4.2. et C, 1.2.4.
1315
Infra Titre Quatrième.

266
Titre Troisième - Le principe d’égalité

minoritaires et il importe, dès lors, de ne pas contribuer à la confusion. Seul


importe le fait qu’un critère sensible soit une caractéristique définissant objec-
tivement l’identité d’une personne, et dont l’usage comporte un risque
d’atteinte à la dignité humaine1316.

2.2.2. Les notions de discrimination directe et indirecte

937. Selon la doctrine, l’hypothèse d’une discrimination directe est réalisée


lorsqu’un acte étatique prévoit une différence de traitement qui se fonde
explicitement sur un critère prohibé sans motifs justificatifs1317. A l’opposé,
sont considérées comme indirectement discriminatoires les distinctions
« formellement neutres », selon l’expression consacrée, et qui n’ont pu être jus-
tifiées par l’autorité en cause. Elles ne se rattachent pas à l’un des critères sus-
pects et s’appliquent à l’ensemble de la population, mais leurs effets touchent
particulièrement, d’un point de vue quantitatif ou qualitatif, un groupe proté-
gé par l’interdiction de la discrimination1318.
938. C’est donc le traitement similaire de deux groupes distincts qui pose
ici problème : leur assimilation conduit à un résultat discriminatoire1319. La dis-
crimination indirecte est aussi qualifiée de discrimination dans les faits1320.
Toutefois, malgré cette qualification, elle constitue également une inégalité en
droit, à l’instar de la discrimination directe1321.
939. Ni les traités internationaux, ni la Constitution fédérale n’évoquent
explicitement les notions de discrimination directe et indirecte. Pourtant, tant
la pratique internationale que suisse reconnaissent l’existence de ces deux fi-
gures de la discrimination.
940. Au niveau universel, les différents comités de surveillance soulignent
qu’une mesure est indirectement discriminatoire lorsqu’elle a un impact dis-
tinct et injustifié sur un certain groupe1322. Au niveau européen, la Cour euro-

1316
MARTENET (2003), pp. 463 et 466.
1317
Sur la notion en droit international : VANDENHOLE, pp. 35-36. Sur la notion en droit suisse : MARTENET
(2003), p. 53 ; RIEDER (2003), pp. 95-96; WALDMANN (2003), p. 308.
1318
En droit international : JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, p. 694 ; VANDENHOLE, pp. 35-36. En droit suisse :
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1103; KÄLIN/CARONI, pp. 86-88 ; HANGARTNER (2003A), pp. 105-
106 ; MARTENET (2003), pp. 99-100 et 103 ; MÜLLER (1999), pp. 441-442 ; PULVER, p. 151 ; RIEDER
(2003), p. 102 ; WALDMANN (2003), p. 348.
1319
GILBERT (2002), p. 746 ; VANDENHOLE, p. 35. Comp. l'art. 1 CIERD qui prohibe les distinctions qui ont
pour « but ou effet » d’empêcher la jouissance des droits fondamentaux des particuliers.
1320
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1103 ; HANGARTNER (2003A), p. 122 ; MARTENET (2003), pp. 99 et
152; RIEDER (2003), pp. 150-162.
1321
En effet, la discrimination indirecte est également prohibée par le principe d’égalité au sens large ;
MARTENET (2003), pp. 100-101 et 152. En lieu et place de l’expression d’« interdiction de
la discrimination indirecte », Vincent MARTENET propose, par ailleurs, la notion d’« égalité au-delà de
la loi », car lorsque les normes sont formellement neutres, la discrimination sera constatée dans leur
impact distinct sur certains groupes ; MARTENET (2003), p. 101.
1322
Le Comité des droits de l’homme a conclu à une violation de l’interdiction de la discrimination indi-
recte en raison de l’impact injustifié et disproportionné de la législation hollandaise concernant les

267
La situation juridique des Tziganes en Suisse

péenne des droits de l’homme affirme, dans son arrêt Zarb Adami que « when a
general policy or measure has disproportionately prejudicial effects on a particular
group, it is not excluded that it may be considered as discriminatory notwithstanding
that it is not specificially aimed or directed at that group »1323.
941. Pour sa part, le Tribunal fédéral affirme qu’«il y a discrimination indi-
recte lorsqu’une norme qui – a priori – ne semble pas désavantager des groupes
spécifiquement protégés contre la discrimination, a en réalité des effets qui
portent un préjudice particulièrement lourd aux personnes appartenant à ces
groupes, et sans que cela soit justifié par des motifs objectifs»1324.
942. Le concept de neutralité formelle peut laisser croire qu’a contrario, seu-
les les distinctions employant explicitement l’un des critères sensibles peuvent
être qualifiées de discriminations directes. Or, il sied de ne pas confondre
l’hypothèse d’un acte formellement neutre et l’hypothèse d’un acte qui em-
ploie implicitement, de manière cachée, l’un des critères prohibés.
943. Dans ce second cas, on parle de discrimination directe implicte : la me-
sure intègre un standard défini par et pour le groupe social dominant, en fonc-
tion de ses propres caractéristiques. L’inégalité est alors contenue dans l’acte
lui-même et n’apparaît pas uniquement lors de son application. La mesure ne
peut être qualifiée de « neutre ». Bien plus, elle cristallise une situation de dis-
crimination qui trouve ses origines dans un certain contexte socio-culturel
prévalant dans la société majoritaire et qui est donc de nature structurelle1325.

rentes d’orphelins sur le groupe des enfants nés hors mariage avant le 1er juillet 1996. En effet, dès
cette date, les enfants nés hors mariage ont droit à cette rente, alors que ceux nés avant cette date
continuent à ne pas pouvoir en bénéficier, en étant soumis à l’ancien régime légal. Les enfants for-
ment ici un groupe indirectement touché, car à teneur de la loi, ce n’est pas le statut de l’enfant qui
est le critère déterminant, mais l’état civil du parent survivant. Constatations du CDH, du 15 juin
2004, relatives à la Communication n° 976/2001, Derksen c. Les Pays-Bas, § 9.3. Voir également:
Observation générale n° 14 du CERD, §2 ; Observations finales du CERD relatives à Madagascar,
§16. Constatations du CDH, du 22 septembre 2003, relatives à la Communication N° 998/2001, Al-
thammer et al. c. Autriche, §10.2. Observation générale n° 16 du CESCR, §12-13.
1323
ACEDH Zarb Adami c. Malte, n° 17209/02, § 80, 20 juin 2006. Voir également ACEDH Kelly et au-
tres c. Irlande, n° 30054/96, § 148, 4 mai 2001. MARTENET souligne que la jurisprudence de la Cour
est, sur ce point, encore très limitée; MARTENET (2003), p. 100. On relèvera, en effet, que ce n’est
que très récemment, avec l’arrêt Thlimmenos, que les juges de Strasbourg ont conclu à une viola-
tion de l’art. 14 CEDH lorsqu’une mesure, sans motifs objectifs et raisonnables, ne distingue pas en-
tre deux situations différentes; ACEDH Thlimmenos c. Grèce [GC], n° 34369/97, § 44, CEDH 2000-
IV. Jusqu’à cet arrêt, la Cour n’avait en effet conclu à la violation de l’art. 14 CEDH que lorsque des
Etats traitaient de façon distincte deux situations analogues, sans justification objective et raisonna-
ble; voir ainsi l’ACEDH Inze c. Autriche du 28 octobre 1987, série A n° 126, § 36. GILBERT (2002),
pp. 746-747, SUDRE (2006), p. 265. On constate, ainsi, que la jurisprudence de Strasbourg relative à
la portée de l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination est encore limitée.
1324
RDAF 2005 I 182, 203; ATF 130 I 26, 35-36 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte,
Sektion Zürich; ATF 129 I 217, 222-223 Emmen; ATF 126 II 377, 393-394 F.A. et A.A.
1325
Comp. BOSSUYT, § 25, qui ne fait aucune distinction entre discrimination indirecte et discrimination
directe implicite: « La notion de discrimination structurelle recouvre en substance toutes les mesu-
res, procédures, actions ou dispositions juridiques qui paraissent neutres à première vue par rapport
à la race, au sexe, à l’appartenance ethnique, etc., mais qui ont des conséquences négatives surtout
pour les groupes défavorisés sans raison objective. Cette forme de discrimination peut se manifester
de deux façons. On peut délibérément dissimuler ses intentions derrière des critères objectifs; ou

268
Titre Troisième - Le principe d’égalité

944. Tombent dans la catégorie de la discrimination directe implicite les


mesures qui posent des conditions qui ne peuvent être réalisées par les mem-
bres d’un groupe protégé par la disposition constitutionnelle, pour des raisons
factuelles ou juridiques1326. A titre d’exemple, on évoquera l’exigence d’être as-
treint au service militaire obligatoire pour pouvoir accéder aux forces de
l’ordre, modalité qui, nécessairement, exclut les femmes1327.
945. Si certains auteurs estiment qu’il suffit que la majorité des membres
d’un groupe ne puisse remplir cette condition pour que l’on se trouve face à
une discrimination directe implicite, une autre fraction de la doctrine affirme
que la totalité du groupe doit être pénalisée pour que l’on arrive à cette
conclusion. A notre sens, lorsqu’une norme pose certaines exigences qui ne
peuvent être remplies par une fraction importante d’un groupe social minori-
taire, et lui portent dès lors systématiquement préjudice, il nous paraît discu-
table de la qualifier de neutre et de n’y voir que le résultat d’un impact dis-
tinct1328.

2.2.3. L’apport de la preuve d’une discrimination

946. L’efficacité du droit à l’interdiction de la discrimination dépend essen-


tiellement de la question du fardeau de la preuve : seul un mode de preuve
fonctionnel permet d’assurer sa garantie réelle1329. En droit suisse, en l’état ac-
tuel de la législation, il revient en règle générale aux personnes se prévalant de
l’article 8 al. 2 Cst. de démontrer que la mesure qui les touche se fonde sur un
critère suspect1330.
947. Malgré les exigences de la maxime inquisitoire, qui impose à l’autorité
administrative de constater les faits d’office et de procéder à l’administration
des preuves1331, cette obligation présente de réelles difficultés pratiques pour la
personne concernée, hormis dans les cas de discrimination directe mettant en
cause un usage explicite d’un critère sensible1332. Or, cette dernière hypothèse
est rare, et les situations les plus fréquentes relèvent soit de la discrimination
indirecte, soit de la discrimination directe implicite.

alors on peut très bien agir de bonne foi en exigeant certaines compétences professionnelles. Mais,
dans les deux cas, on aboutit à une discrimination indirecte ou occulte. »
1326
RIEDER (2003), pp. 96 et 210-212 ; WALDMANN (2003), pp. 312 et 350.
1327
RIEDER (2003), p. 210.
1328
Comp. d’une part MARTENET (2003), p. 110-111, et WALDMANN (2003), p. 350, qui donnent à titre
d’exemple de discrimination directe cachée les exigences de taille minimale pour exercer certaines
fonctions, exigences qui là aussi excluent une majorité de femmes, et de l’autre, RIEDER (2003), p.
211, qui place cet exemple dans la catégorie des discriminations indirectes. BOSSUYT, §25, évoque
également les exigences de taille minimale qui ne sont pas nécessaires en soi pour effectuer un tra-
vail et qui prétéritent particulièrement les femmes, ou encore les Asiatiques.
1329
MARTENET (2003), p. 94 ; PREVITALI, p. 50 ; ROSENBERG (2005), p. 190.
1330
MARTENET (2003), p. 95 ; WALDMANN (2003), p. 368.
1331
MOOR (vol. 2), pp. 258-259. En droit fédéral, voir l’art. 12 PA.
1332
MARTENET (2003), p. 96.

269
La situation juridique des Tziganes en Suisse

948. Afin de pallier cet obstacle pratique, qui pénalise la mise en œuvre ef-
ficace de la norme constitutionnelle, une partie de la doctrine défend l’idée que
l’emploi direct ou indirect de l’un des critères sensibles, cumulé à la présence
d’un contexte discriminatoire, crée une présomption d’illicéité inversant le
fardeau de la preuve, en défaveur de l’autorité1333. Cette présomption est ré-
fragable, car ces critères ne sont non pas interdits, mais suspects : l’autorité
mise en cause doit pouvoir se justifier1334.
949. Cette proposition reflète le constat que poser l’exigence d’un critère de
preuve dépassant le doute raisonnable en matière de discrimination semble
« irréel, irréaliste [et] irréalisable »1335 et rend la protection offerte par la garan-
tie « illusoire et hypothétique »1336. La Cour européenne des droits de l’homme
se montre plus conservatrice, toutefois. En effet, dans les affaires Nachova et
Bekos et Koutropolos, elle considère que les carences des autorités pour enquêter
sur la présence de motifs racistes derrière des actes de violence policière1337 ne
permettent pas à elles seules de décharger du fardeau de la preuve la victime
alléguant la violation de l’article 14 CEDH1338.
950. En l’absence de législation spécifique ou de révision des lois générales
de procédure administrative tendant à renverser le fardeau de la preuve, il se
justifie de reconnaître cette faculté au juge, de façon subsidiaire, lorsque celui-
ci est appelé à mettre en œuvre l’interdiction de la discrimination1339. Il s’agira
cependant de poser quelques conditions préalables pour admettre ce renver-
sement procédural, car il est loin d’être anodin. On distinguera ici entre les
hypothèses de discriminations directes (a) et indirectes (b).

1333
KÄLIN/CARONI, pp. 78-79 ; MARTENET (2003), pp. 54-55 et 96-97; MÜLLER (1999), p. 416 ; PREVITALI, p.
50 ; PULVER, pp. 89-90 et références; RIEDER (2003), p. 95.
1334
KIENER (2000), p. 217 ; PULVER, p. 143-144.
1335
Opinion dissidente du juge Bonello relative à l’ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, CEDH
2002-IV, § 13.
1336
PLESE, p. 111 ; ROSENBERG (2005), pp. 182-185.
1337
Voir nos développements relatifs à ces deux affaires ci-après.
1338
Relevons que l’arrêt du 6 juillet 2005 de la Grande Chambre relatif à l’affaire Natchova et al. ren-
verse partiellement celui rendu par la Première section de la Cour de Strasbourg dans la même af-
faire le 26 février 2004. Dans son arrêt, la Première section avait opéré une quasi révolution en rela-
tivisant – sans encore la bannir explicitement – l’exigence en matière d’apport de preuve « au-delà
de tout doute raisonnable » lorsque le grief tiré de l’art. 14 était invoqué en rapport avec les art. 2
et 3 CEDH. En effet, la Première section conditionnait le respect de l’art. 14, pris sous son angle
procédural, à l’obligation pour les autorités d’effectuer une enquête efficace visant à rassembler les
preuves d’une éventuelle discrimination, lorsque certains indices précis et concordants vont dans ce
sens (ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie, n° 43577/98 et 43579/98, § 171, 26 février 2004) : ce
faisant, elle transférait la charge de la preuve de la non-discrimination sur l’Etat défendeur. Voir sur
cette question, l’analyse détaillée de ROSENBERG (2005), en particulier, pp. 192-194, 198 et 200.
Dans son arrêt de juillet 2005, la Grande Chambre n’a pas suivi la Première section sur ce point et a
refusé de procéder à un renversement du fardeau ; ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n°
43577/98 et 43579/98, § 157, CEDH 2005-…
1339
MÜLLER (1999), p. 447.

270
Titre Troisième - Le principe d’égalité

a) Fardeau de la preuve et discriminations directes

951. Dans le cas de situations relevant de discriminations directes implici-


tes, la doctrine propose d’exiger que la situation de fait présente à tout le
moins l’apparence d’une discrimination. La personne concernée doit rendre
ainsi cette dernière au moins vraisemblable : selon Vincent MARTENET, par
exemple, tel est le cas lorsqu’on démontre l’existence d’un « contexte discrimi-
natoire » et que l’autorité paraît avoir utilisé l’un des critères sensibles1340.
952. Pour sa part, dans sa jurisprudence relative aux naturalisations par le
biais des urnes, le Tribunal fédéral, reprenant la définition de Walter KÄLIN
et Martina CARONI, rappelle que « le rattachement [à un critère] crée […] ‘une
présomption de distinction inadmissible’ qui peut être renversée par une justi-
fication suffisante »1341. Notre Haute Cour admet également qu’il est généra-
lement difficile d'apporter « la preuve directe d’une discrimination », et que le
juge doit dès lors « fonder sa conviction sur des indices », en pouvant se
contenter « d’un haut degré de vraisemblance»1342.
953. Cette affirmation signifie qu’il est difficile d’apporter la preuve directe
de l’emploi d’un critère sensible ; lorsqu’un tel usage est rendu vraisemblable
par la personne concernée, on présumera alors de l’existence d’une discrimina-
tion. En effet, envisager que la discrimination elle-même doit être démontrée
par la personne concernée viderait de son sens la création de cette
« présomption de distinction inadmissible ».
954. Si doctrine et jurisprudence s’entendent sur la question de la vraisem-
blance, elles divergent par contre logiquement sur la nature de la preuve à ap-
porter par les autorités. En effet, les débats doctrinaux que nous avons relevés
en matière de définition de la notion de discrimination – notamment sur le rôle
des critères suspects et de la dépréciation – réapparaissent ici1343. Ainsi, le Tri-
bunal fédéral et certains auteurs exigent de démontrer que l’emploi d’un cri-
tère prohibé est justifié par des motifs objectifs et raisonnables1344.
955. Nous suivons pour notre part l’autre fraction de la doctrine, notam-
ment Bernhard PULVER : en présence d’une présomption de discrimination di-
recte, il revient à l’autorité de démontrer que la mesure n’est pas dépréciative,
au moyen de motifs particulièrement sérieux et en excluant tout renvoi à
d’éventuels stéréotypes. Le caractère raisonnable et objectif de la distinction

1340
MARTENET (2003), pp. 98-99 et références ; WALDMANN (2003), p. 371.
1341
ATF 129 I 217, 224 Emmen.
1342
ATF 129 I 217, 226 Emmen.
1343
Voir supra Section 2.2.1., b et 2.2.1., c.
1344
ATF 131 V 9, 15, A. ; ATF 130 I 352, 357, X. ; ATF 126 II 377, 393 F.A. und A.A. E. GRISEL, p. 75 ;
KÄLIN/CARONI, p. 78.

271
La situation juridique des Tziganes en Suisse

est, pour sa part, examiné dans une seconde étape, dans le cadre de l’article 8
al. 1 Cst.1345.

b) Fardeau de la preuve et discriminations indirectes

956. Dans une situation de discrimination indirecte, la doctrine souligne


que l’individu en cause doit prouver en premier lieu la neutralité de l’acte
contesté. Dans un deuxième temps, il doit rendre au moins vraisemblable
qu’en raison de l’emploi de l’un des critères de l’article 8 al. 2 Cst., son applica-
tion lui porte particulièrement préjudice. Ainsi, la preuve porte sur l’existence
de ce lien de causalité1346. La vraisemblance peut se révéler grâce à l’expérience
générale de la vie, ou encore à des expertises ordonnées par l’autorité ou ap-
portées par le justiciable1347.
957. On peut également s’interroger sur l’impact de l’existence de statisti-
ques révélant que certaines distinctions fondées sur un critère neutre péjorent
la plupart du temps un groupe bien précis de personnes protégées par la
norme constitutionnelle. A ce sujet, WALDMANN estime que le principe de la
bonne foi, au sens de l’article 9 Cst., engendre alors pour les autorités une
obligation de participation à l’administration de la preuve. Son non-respect, en
l’occurrence l’absence de prise en compte d’office de ces statistiques, conduit à
un allègement du fardeau de la preuve en faveur de l’intéressé, en réduisant
les exigences en la matière à la démonstration de l’existence d’une grande
vraisemblance1348, 1349.
958. Pour sa part, le Tribunal fédéral estime qu’il faut examiner les résultats
de l’acte litigieux : si l’on constate des différences significatives en défaveur
des membres d’un groupe spécialement protégé, la charge de la preuve est in-
versée, car une discrimination indirecte est alors présumée1350. Ces différences
peuvent être mises en lumière soit du fait de leur notoriété, soit en raison de
l’expérience générale de la vie, soit parce qu’elles sont établies ou encore parce
qu’elles sont rendues vraisemblables par l’apport de preuves statistiques ou de
constatations scientifiques1351. Une fois le fardeau de la preuve renversé, il re-

1345
PULVER, p. 143. Voir également KIENER (2000), p. 217 ; MÜLLER (1999), p. 416. Comp. MARTENET
(2003), p. 98.
1346
MARTENET (2003), pp. 101-103, estime ainsi que de cette manière, « l’impact distinct » de l’acte est
rendu vraisemblable; WALDMANN (2003), pp. 370-371.
1347
KIENER (2000), p. 217 ; WALDMANN (2003), p. 371.
1348
ATF 112 Ib 65, 67 X.
1349
WALDMANN (2003), pp. 368-371. MARTENET (2003), p. 103, précise que l’emploi de statistiques ne doit
pas occulter le fait que l’autorité doit statuer au cas par cas de l’existence ou non d’une discrimina-
tion indirecte, et qu’il faut donc faire preuve de circonspection en les utilisant.
1350
ATF 129 I 217, 223 Emmen.
1351
ATF 125 I 71, 80, Section bernoise de l'Association professionnelle suisse des infirmières et infir-
miers ; ATF 124 II 409, 428, Maya Alincic et consorts.

272
Titre Troisième - Le principe d’égalité

vient aux autorités de démontrer, à l’aide de motifs justificatifs objectivement


fondés, que la différence de traitement constatée n’est pas révélatrice d’un dé-
nigrement, conscient ou inconscient. En l’occurrence, l’autorité en cause ne
peut pas se contenter de rendre vraisemblable l’absence de dépréciation, mais
doit bien la prouver1352.

2.3. Les obligations à charge des autorités découlant du principe


d’égalité

959. Pour définir les différentes obligations à charge des autorités décou-
lant du principe général de l’égalité, nous nous fondons sur la typologie déve-
loppée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Celui-ci
subdivise les engagements étatiques en trois catégories, en rattachant à chaque
droit une obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre. Cette
troisième catégorie est elle-même composée de trois sous-obligations supplé-
mentaires : celle de faciliter l’exercice du droit, de l’assurer et de le promou-
voir1353. Or, bien qu’élaborée dans le contexte des droits économiques, sociaux
et culturels, cette typologie trouve à s’appliquer à l’ensemble des droits de
l’homme1354.
960. Nous distinguerons entre le devoir de respecter, de protéger et de met-
tre en oeuvre le principe général d’égalité. La réalisation de l’égalité en droit se
rattache à l’obligation de respect (2.3.1.), tandis que la réalisation de l’égalité en
fait englobe l’obligation de protection et de mise en œuvre (2.3.2.).
961. A titre liminaire, on relèvera qu’il est très difficile de garantir une mise
en œuvre effective de ce principe sans que soient adoptées certaines normes
minimales en la matière : l’action du législateur est cruciale dans ce do-
maine1355. Toutefois, au contraire de certains aspects de l’égalité en fait, la ré-
alisation de l’égalité en droit ne peut pas faire l’objet d’une mise en œuvre
progressive par le législateur, et il n’est pas possible d’opposer des arguments
tirés du manque de ressources disponibles pour justifier un retard sur ce point.
En effet, bien que bénéficiant d’une marge de manœuvre dans le choix des me-
sures à prendre, les Etats voient leur responsabilité immédiatement engagée en
la matière1356.

1352
KIENER (2000), p. 217. Comp. MARTENET (2003), p. 103.
1353
Voir l’Observation générale n° 14 du CESCR, § 33 et l’Observation générale du CESCR n°16, §17.
1354
VANDENHOLE, p. 187. Voir également EIDE (2006), § 7, qui applique par exemple ce schéma aux
droits des minorités.
1355
Observation générale n° 3 du CESCR, § 3. VANDENHOLE, p. 224.
1356
Observation générale n° 3 du CESCR, § 1 ; Observation générale n° 16 du CESCR, § 1 et 32. Voir
également, les Conclusions du CERD relatives au rapport de Madagascar, § 16, UN Doc.
CERD/C/65/CO/4. Voir également les Principes de Limburg relatifs à la mise en œuvre du Pacte in-
ternational relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, UN Doc. E/C.12/2000/13. VANDEN-
HOLE, pp. 64-65 et 188-189.

273
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.3.1. La réalisation de l’égalité en droit

962. L’obligation de « respecter » le principe d’égalité correspond à ce


qu’exigent la lettre des alinéas 1 et 2 de l’article 8 Cst. Comme nous l’avons dé-
jà évoqué ci-dessus, les pouvoirs législatif, administratif et judiciaire doivent
donc s’abstenir de procéder à des inégalités de traitement injustifiées et à des
discriminations à l’égard de groupes protégés. Le législateur doit ainsi abroger
tout acte normatif contraire à ces principes et les autorités appliquant le droit
doivent non seulement s’assurer qu’elles respectent l’égalité de traitement de-
vant la loi mais aussi que l’application de normes formellement neutres n’a pas
d’incidence négative sur des groupes sociaux protégés par l’interdiction de la
discrimination1357.

2.3.2. La réalisation de l’égalité en fait

963. Si l’on suit la typologie du Comité des droits économiques, sociaux et


culturels, la réalisation de l’égalité matérielle correspond aux obligations de
protection et de mise en œuvre du principe d’égalité. Cette seconde obligation
possède elle-même trois autres subdivisions: le devoir de fournir les moyens
pour réaliser l’égalité, de la promouvoir et de prêter assistance à sa réalisa-
tion1358. Après avoir présenté la notion de l’égalité en fait (a), nous traiterons
de la question des mesures positives requises pour respecter les trois facettes
de cette seconde obligation (b).

a) La notion d’égalité en fait

964. L’égalité en fait est réalisée lorsque, d’une part, les discriminations
existant entre les individus sont éliminées (réalisation de l’obligation de pro-
tection, correspondant à l’effet dit horizontal des droits fondamentaux1359) et
que, d’autre part, on démantèle les discriminations dites structurelles, ou sys-
tématiques (réalisation de l’obligation de mise en œuvre)1360. La discrimination
structurelle désigne les mesures discriminatoires qui ne sont pas directement
imputables à des actes juridiques ou matériels étatiques, mais qui sont le fait
de la société civile et des institutions, en étant issues d’un contexte socio-
culturel majoritaire1361.

1357
Voir les art. 2§1 let. d, 4, 5, et 6 CIERD. Observation générale n° 16 du CESCR, § 18 ; Observation
générale n° 27 du CERD, §1. VANDENHOLE, p. 187.
1358
VANDENHOLE, p. 188. Observation générale n° 16 du CESCR, § 17.
1359
Au sujet de l’effet horizontal des droits fondamentaux en droit suisse, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 124-136.
1360
WALDMANN (2003), pp. 388-390. Observation générale n° 16 du CESCR, § 19-21.
1361
A ce sujet, voir notamment Päivi GYNTER, On the Doctrine of Systemic Discrimination and its Usabili-
ty in the Field of Education, IJMGR, vol. 10, 2005, pp. 45-54, en particulier pp. 46-49.

274
Titre Troisième - Le principe d’égalité

965. Tendant ainsi à assurer une égalité sociale réelle, l’égalité en fait com-
plète l’égalité en droit qui, par définition, ne peut pas être dirigée contre les at-
teintes causées par les stéréotypes et préjugés prévalant dans la réalité quoti-
dienne. Autrement dit, si les exigences découlant de l’égalité formelle impo-
sent d’adapter le droit à la diversité sociale, l’égalité matérielle tente de corri-
ger les inégalités sociales elles-mêmes1362. En cela, elle est donc nécessaire pour
atteindre les objectifs d’équité, de justice et de protection de la dignité humaine
qui sous-tendent le principe général d’égalité1363.
966. La lutte contre la discrimination structurelle exige ainsi de prendre en
compte la situation des groupes les plus vulnérables et exposés de la société.
L’attention est portée non pas sur la situation d’individus isolés, mais sur
l’existence de situations permanentes, qui conduisent à un état de répression et
de marginalisation1364.
967. Dès lors, la poursuite de l’égalité matérielle ne concerne pas unique-
ment, ni nécessairement, les personnes appartenant à une minorité au sens du
droit international. Premièrement, l’interdiction de la discrimination couvre un
nombre de groupes sociaux vulnérables plus large que ceux concernés par le
droit des minorités, comme les femmes, les homosexuels ou encore les person-
nes handicapées. Deuxièmement, les membres de certaines minorités, comme
la minorité romande en Suisse, ne souffrent pas d’inégalités sociales structurel-
les.
968. Cependant, les membres d’une minorité comme les Tziganes sont sou-
vent confrontés à des inégalités matérielles qui se fondent sur des stéréotypes
ou des préjugés ancrés au sein de la société majoritaire et exprimés à l’égard de
la communauté à laquelle ils appartiennent. Ils seront donc susceptibles d’être
au bénéfice à la fois des mesures découlant du droit des minorités1365, et qui vi-
sent la protection de leur groupe, et de celles exigées pour parvenir à la réalisa-
tion de leur égalité en fait par rapport aux membres de la majorité sociale.

1362
GYNTER, p. 49.
1363
CHEVALLIER, pp. 418-419 et 423 ; MARTENET (2003), p. 121 ; WALDMANN (2003), pp. 422-423. En tant
que mandat et règle programmatique, la réalisation de l’égalité matérielle constitue à première vue
une simple faculté d’agir pour l’autorité législative. Elle n’est donc pas a priori justiciable en soi,
contrairement à l’égalité en droit qui relève avant tout du juge constitutionnel. Cette absence de
justiciabilité conduit d’ailleurs MARTENET (2003), pp. 120 et 122, à nier à l’égalité matérielle une exis-
tence juridique autonome similaire à celle de l’égalité en droit. Cependant, selon cet auteur, certai-
nes situations de discrimination peuvent conduire à reconnaître l’existence d’une véritable obligation
à charge du législateur dont la très mauvaise voire la non-exécution prolongée peut justifier
l’intervention limitée du juge constitutionnel ; MARTENET (2003), p. 118-119, et références, notam-
ment MÜLLER (1999), p. 448 et SCHWEIZER (art. 8), p. 112. Voir également WALDMANN (2003), p. 513.
Nous rejoignons ici la thèse de cet auteur qui affirme qu’en raison de son rattachement à la dimen-
sion objective de l’interdiction de la discrimination, consacrée à l’article 35 Cst., tous les organes de
l’Etat, ainsi que les personnes privées exécutant des tâches publiques, sont tenus de réaliser
l’égalité matérielle dans le cadre de leurs attributions ; WALDMANN (2003), pp. 512-513.
1364
GYNTER, pp. 46 et 50-51.
1365
Voir supra Chapitre I, Section C, 2.1.2.

275
La situation juridique des Tziganes en Suisse

b) Les mesures positives

969. Après avoir discuté de la nécessité et de la légitimité de la prise de me-


sures positives dans le cadre de la réalisation de l’égalité matérielle (ba), nous
donnerons l’exemple de différentes catégories de mesures positives (bb), avant
de traiter de leurs bénéficiaires (bc).

ba) La nécessité et la légitimité des mesures positives


970. Afin de respecter l’obligation de protection du principe d’égalité, les
autorités doivent adopter des réglementations, de nature civile et pénale, qui
transposent l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination dans
les rapports entre privés1366. L’adoption de ce type de législation constitue une
mesure positive, puisqu’elle exige une action de l’Etat. Ce n’est cependant pas
cette catégorie d’actes qui suscite la majorité des débats, mais plutôt ceux re-
quis pour démanteler les discriminations structurelles au moyen de
l’obligation de mise en œuvre.
971. Pour réaliser l’obligation de mettre en œuvre l’égalité en fait, il peut
s’avérer nécessaire de prendre des mesures spéciales temporaires, qui, en pos-
sédant une finalité redistributrice, compensatrice ou correctrice, se révèlent
être le moyen privilégié pour parvenir à cet objectif1367. Cette notion est donc
large et regroupe un important catalogue de mesures plus ou moins souples
en faveur de personnes identifiées comme étant discriminées1368. Selon la défi-
nition proposée par le Rapporteur spécial Marc BOSSUYT, « [l]’action positive
consiste en un ensemble cohérent de mesures, de caractère temporaire, visant
spécifiquement à améliorer la situation des membres d’un groupe cible dans la
société à un ou plusieurs égards, afin d’assurer leur égalité effective avec les
autres groupes. »1369
972. Au bénéfice d’une grande marge d’appréciation, les autorités, et en
premier lieu le législateur, cherchent par le biais de ces mesures à apporter des
corrections à une réalité sociale discriminante pour certains groupes1370. Toute-
fois, en raison de la rupture de l’égalité en droit qu’elles opèrent, certains au-
teurs estiment qu’elles ne devraient être que des réponses exceptionnelles et
conjoncturelles à des enjeux politiques majeurs1371.
973. En droit international, textes conventionnels, pratique et doctrine
convergent pour affirmer que les Etats ont l’obligation de mener une action

1366
Observation générale n° 16 du CESCR, § 19-20, VANDENHOLE, p. 187. Pour une analyse approfondie
de cette question, voir WALDMANN (2003), pp. 399-422.
1367
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1104-1105 ; CHEVALLIER, p. 419 ; VANDENHOLE, p. 188.
1368
AUER (1993), p. 1337 ; KLEIN, pp. 89-90. Voir la synthèse établie par PULVER, pp. 318-319, mais éga-
lement, de façon plus approfondie, la présentation effectuée par WALDMANN (2003), pp. 439-474.
1369
BOSSUYT, § 7.
1370
KLEIN, p. 88 ; MARTENET (2003), p. 120 ; WALDMANN (2003), p. 439 ; WALDMANN (2005), p. 952.
1371
CHEVALLIER, p. 428.

276
Titre Troisième - Le principe d’égalité

constructive permettant de garantir le « plein exercice » des droits reconnus et


qu’ils doivent prendre des mesures pour instaurer l’égalité de fait entre les
groupes de la société, ainsi qu’adopter des programmes d’action positive dans
certaines circonstances1372. Cette obligation découle ainsi de « l’effet utile » des
droits protégés, qui implique que l’action positive peut s’avérer être le meil-
leur moyen, dans certains cas, pour donner pleinement effet aux droits garan-
tis1373.
974. L’article 2§2 CIERD impose la prise de mesures destinées à réaliser
l’égalité de facto de groupes raciaux défavorisés et qui doivent permettre leur
intégration au sein de la société majoritaire, sans pour autant conduire à une
assimilation par le biais de la perte de leur culture1374. Selon le Comité pour
l’élimination de la discrimination raciale, ces mesures, permettant d’assurer le
développement adéquat et la protection de certains groupes raciaux ou de par-
ticuliers qui y appartiennent, sont obligatoires si les circonstances l’exigent, no-
tamment si les disparités constatées sont persistantes1375. L’élément minoritaire
apparaît ici clairement : l’article 2 § 2 CIERD n’a pas pour bénéficiaires les par-
ticuliers isolés, mais bien le groupe lui-même ou les personnes qui lui appar-
tiennent1376.
975. A teneur de l’article 4 CPMN, des « mesures adéquates » sont néces-
saires dès lors que l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination
se révèlent inefficaces pour la protection des minorités. Leur caractère
« adéquat » signifie à la fois qu’elles doivent permettre la réalisation de
l’égalité pour les minorités, mais aussi qu’elles doivent respecter le principe de
proportionnalité, afin d’éviter la violation des droits d’autrui, notamment
l’interdiction de la discrimination1377. On constate ici que l’égalité en droit en-
toure l’égalité en fait : si ces deux volets se complètent, ils se limitent aussi mu-
tuellement1378.

1372
Comp. ainsi les art. 1§4, 2§2 et 3 CIERD, l’Observation générale n°5 du CERD, l’Observation géné-
rale n° 4 du CDH, § 2, l’Observation générale n° 18 du CDH, § 10, l’Observation générale n° 16 de
CESCR, §15. BOSSUYT, § 76-82 ; CAHN, p. 2.
1373
BOSSUYT, § 82 et références.
1374
STRAUSS, p. 111.
1375
Conclusions du CERD relatives au rapport des Etats-Unis, UN Doc. A/56/18, § 399. Dans ce sens
également, THORNBERRY (2005), note 96, p. 256 ; VANDENHOLE, p. 207. Voir également l’Observation
générale n° 18 du CDH, § 10.
1376
STRAUSS, p. 113.
1377
Rapport explicatif de la CPMN, p. 27, § 9. ALFREDSSON (art. 4), p. 148.
1378
WALDMANN (2003), pp. 465-472. Comp. la position des tenants de la protection asymétrique de
l’article 8 al. 2 Cst. qui estiment que le désavantage subi par les différentes majorités sociales ne
peut être constitutif d’une discrimination à leur égard, puisqu’elles ne bénéficient pas de la protec-
tion de cette norme ; elles ne peuvent faire valoir qu’une inégalité de traitement au sens de l’article
8 al. 1 Cst., qui, dans ce cadre, est justifiée par des motifs raisonnables ; voir ainsi notamment
KLEIN, pp. 92-93 et MÜLLER (1999), p. 415. Concernant les critères que doivent remplir les mesures
positives pour être considérées comme valables du point de vue constitutionnel, voir MÜLLER (1999),
p. 450-452.

277
La situation juridique des Tziganes en Suisse

976. Les sources internationales insistent ainsi sur le caractère temporaire


de ces mesures, qui doivent être abrogées une fois leurs objectifs atteints, et sur
l’importance du respect du principe de proportionnalité, notamment sous
l’angle de la nécessité et de leur aptitude à résoudre la situation effective du
groupe visé. Par ailleurs, on prendra également soin de ne pas porter atteinte
au principe de non-discrimination en portant préjudice à d’autres personnes et
en recourant à des classifications interdites pour justifier ce préjudice1379.
977. En droit suisse, la question des mesures positives fait essentiellement
l’objet de débats doctrinaux, tandis que les autorités fédérales n’ont traité de la
problématique que sous l’angle de la réalisation de l’égalité entre hommes et
femmes. En 2000, en effet, le constituant fédéral a rejeté une initiative tendant à
améliorer la représentation féminine dans les organes et l’administration fédé-
rale1380.
978. Pour sa part, le Tribunal fédéral a jugé que l’instauration de quotas vi-
sant à promouvoir le nombre de femmes est en théorie admissible si la mesure
se fonde sur une base légale suffisante, en principe formelle, et que la propor-
tionnalité est respectée. Ainsi, la tension entre le principe de l’égalité formelle
entre hommes et femmes et les mesures législatives ayant pour objectif la réali-
sation de l’égalité matérielle des femmes doit être résolue par une stricte ana-
lyse in casu du principe de proportionnalité1381.
979. La doctrine suisse n’est pas unanime sur la question de la nécessité
d’une base constitutionnelle explicite pour que le législateur puisse prendre de
telles mesures. Une partie de la littérature estime que cet ancrage constitution-
nel n’est pas nécessaire, considérant que l’article 8 al. 2 Cst. suffit pour fonder
un mandat législatif général dans ce domaine1382. D’autres auteurs affirment,

1379
Comp. l’art. 2§2 CIERD. Voir également les conclusions du CERD relatives au rapport des Îles Fidji,
UN Doc. CERD/C/62/CO/3, § 15, ainsi que l’Observation générale n° 16 du CESCR, § 15. BOSSUYT, §
74-75 ; STRAUSS, p. 113 ; VANDENHOLE, p. 207.
1380
FF 2000 2814. Au sujet de l’initiative, voir le Message du Conseil fédéral du 17 mars 1997 concer-
nant l’initiative populaire « Pour une représentation équitable des femmes dans les autorités fédéra-
les (Initiative du 3 mars), FF 1997 III 489.
1381
Arrêt du 19 janvier 2006, cause 2P.277/2004, consid. 3.2; ATF 131 II 361, 373-374 Balmelli; ATF
125 I 21 Grüne Bewegung Uri; ATF 123 I 152 Kanton Solothurn. Dans le cadre de l’examen de la
proportionnalité, le Tribunal fédéral distingue entre les quotas flexibles, donnant la préférence aux
femmes à qualifications égales ou équivalentes à celles des hommes, et les quotas fixes, qui accor-
dent la préférence aux femmes, indépendamment de leurs qualifications, en raison du seul critère
du sexe. Dans l’ATF 123 I 152, 169-171 Kanton Solothurn, de tels quota fixes ont été qualifiés de
contraires au principe de proportionnalité.
1382
MÜLLER (1999), p. 448 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 112 ; WALDMANN (2003), p. 423 ; WYSS, p. 195. Comp.
MARTENET (2003), pp. 120-122, qui estime que l’article 2 al. 2 et 3 Cst. peut fonder des mesures po-
sitives souples affectant peu la situation juridique des personnes n’en bénéficiant pas, tandis que
l’adoption de mesures plus restrictives exige l’existence de bases constitutionnelles claires, comme
les articles 8 al. 3, 2ème phrase et 8 al. 4 Cst. Sur ce point, WALDMANN (2003), pp. 513-514, n’exige
qu’une base légale formelle explicite.

278
Titre Troisième - Le principe d’égalité

au contraire, que seules des normes telles que les articles 8 al. 3, 2ème phrase, et
8 al. 4 Cst., autorisent ce genre de mesures1383.
980. A notre sens, tant les engagements internationaux de la Suisse présen-
tés ci-dessus que la dimension objective de l’interdiction de la discrimination
incitent à suivre les premiers auteurs. En effet, l’article 35 al. 3 Cst. impose à
l’Etat d’adopter des normes spécifiques transposant dans les relations entre
particuliers les droits et obligations découlant des droits fondamentaux. En ce
sens, la réalisation de l’égalité en fait découle de la dimension objective et pro-
grammatique de l’interdiction de la discrimination1384. Dès lors, la poursuite de
l’égalité matérielle oblige les autorités à prendre des mesures contre les déni-
grements subis par certains groupes de personnes au sein de la société ci-
vile1385.
981. L’adoption d’une nouvelle base constitutionnelle n’est requise que
pour attribuer un nouveau domaine de compétences à la Confédération dans
lequel elle sera légitimée à adopter de telles mesures, et non pour l’autoriser à
en adopter dans le cadre de la réalisation de ses compétences déjà existantes.
En conséquence, dans le cadre de la répartition des compétences prévues aux
articles 3 et 42ss Cst., les législateurs fédéral et cantonaux peuvent adopter des
législations spécifiques afin de respecter leurs obligations découlant de l’article
35 al. 1 Cst. Une action du législateur est nécessaire : elles ne sont pas déducti-
bles directement de la Constitution1386.

bb) Les catégories de mesures positives


982. Les mesures destinées à éliminer les discriminations structurelles peu-
vent être plus ou moins contraignantes. Parmi les mesures moins pénalisantes
pour les membres des majorités sociales, on trouve les aménagements institu-
tionnels à effectuer dans le domaine de l’organisation judiciaire et de la procé-
dure administrative : ces dernières doivent être modifiées de sorte à pouvoir
être saisies de situations relevant de dénigrements factuels.
983. En effet, lorsque les voies procédurales ne permettent pas la saisine
des autorités pour trancher des litiges tombant dans cette catégorie de discri-

1383
E. GRISEL, N. 138 ou encore HÄFELIN/HALLER, p. 220, affirment que l’article 8 al. 2 Cst. ne contient
aucune obligation générale en matière de réalisation de l’égalité en fait. En cela, ces derniers au-
teurs sont rejoints par le Tribunal fédéral (voir ainsi ATF 126 II 377, 392 F.A. et A.A.).
1384
Comp. HÄFELIN/HALLER, pp. 222 et 226-227, qui estiment qu’en soi, l’interdiction de la discrimination
consacrée à l’art. 8 al. 2 Cst. ne comporte aucun mandat de réalisation de l’égalité en fait, et que
seul l’art. 8 al. 3 Cst., touchant à l’égalité entre hommes et femmes, engage le législateur sur ce
point. Ces auteurs se fondent sur une comparaison de la lettre de ces deux alinéas, l’alinéa 3 étant
le seul à affirmer explicitement que « la loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait» des hommes et
des femmes. A notre sens, cette interprétation est trop littérale et ne prend ni en considération l’art.
35 al. 3 Cst. et les conséquences de la dimension objective de l’interdiction de la discrimination, ni
les engagements internationaux de la Suisse.
1385
MÜLLER (1999), p. 447 ; PULVER, pp. 314-318 ; WALDMANN (2003), p. 422-423 ; WALDMANN (2005), p.
952.
1386
PULVER, p. 320 ; WALDMANN (2003), p. 513.

279
La situation juridique des Tziganes en Suisse

minations, elles contribuent à la perpétuation de ces dernières. Le problème


délicat de la résolution des tensions pouvant surgir entre les exigences de la
démocratie directe et le respect des droits fondamentaux, et notamment de
l’interdiction de la discrimination, s’inscrit directement dans cette perspec-
tive1387.
984. Dans la catégorie des mesures institutionnelles, on peut également
penser à la création de postes de médiateurs spécialisés en la matière. On évo-
quera, en outre, la mise sur pied de campagnes d’information dans les médias
ou d’éducation dans les écoles pour s’attaquer aux préjugés conscients ou in-
conscients, ou encore la création d’organismes traitant de thématiques spécifi-
ques en matière de discrimination1388. Des mesures d’intégration des person-
nes d’origine étrangère sont aussi envisageables1389.
985. Les mesures qui ont pour résultat de rompre l’égalité en droit en favo-
risant l’égalité des chances d’un certain groupe discriminé, par exemple par le
biais de quotas, sont les plus incisives à l’égard des membres des majorités so-
ciales et donc, de manière peu surprenante, sont celles dont la légitimité est la
plus débattue. Perçues comme portant atteinte au respect de l’égalité en droit
ou à celui d’autres droits fondamentaux de la majorité sociale, les désavanta-
ges qu’elles génèrent sont cependant strictement encadrés par le principe de
proportionnalité1390. Par ailleurs, comme nous l’avons constaté, les conventions
internationales exigent qu’elles soient limitées dans le temps1391.

bc) Les bénéficiaires des mesures positives


986. En raison de leurs buts et conséquences, ces mesures contraignantes ne
peuvent pas s’adresser à n’importe quel groupe de personnes. Leur objectif
premier est de remédier aux besoins de groupes requérant une protection spé-
ciale du fait de leur discrimination délibérée ou spécifique subie dans le passé,
et dont les effets se font encore sentir aujourd’hui, de manière à offrir à leurs
membres la place qu’ils auraient occupée sans ces injustices.
987. Il s’agit ainsi de s’attaquer aux désavantages systématiques et particu-
lièrement pénibles que ces personnes rencontrent dans leur quotidien, du fait

1387
Cette question est notamment au centre des débats entourant la question de la constitutionnalité de
la naturalisation ordinaire par le biais du vote à l’urne. Sur ce point voir notamment Andreas AUER et
Nicolas VON ARX, Direkte Demokratie ohne Grenze ?, PJA 2000 pp. 923-935, ainsi que les avis de
droit de l’OFJ en 2001 (JAAC 65 [2001] n° 35) et en 2004 (JAAC 68 [2004] n° 82). Voir également
WALDMANN (2003), pp. 448-455. Cette question est importante pour notre problématique, voir nos
développements à ce sujet, infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section C, 3.2.
1388
ALFREDSSON (art. 4), p. 150 ; PULVER, pp. 318-319.
1389
Pour un aperçu des différentes mesures adoptées au niveau fédéral pour lutter contre certaines
formes de discrimination factuelle, se référer à PULVER, pp. 334-346. Pour des exemples des diffé-
rentes mesures positives envisageables pour la mise en œuvre de l’égalité en fait, voir WALDMANN
(2003), pp. 439-474.
1390
WALDMANN (2003), pp. 469-471.
1391
Pour rappel, voir notamment l’art. 1§4 et l’art. 2§2 CIERD.

280
Titre Troisième - Le principe d’égalité

qu’elles possèdent l’un des critères sensibles prohibés, tout en s’assurant de ne


pas générer, par la même occasion, de nouvelles injustices sociales1392. En ce
sens, la poursuite de l’égalité matérielle n’est pas un devoir général de parve-
nir à l’égalité de fait de tous les individus composant la société : elle découle
de la dimension partiellement asymétrique1393 de l’article 8 al. 2 Cst.1394. Du fait
de son obligation de faciliter la mise en œuvre de l’interdiction de la discrimi-
nation, l’Etat doit adopter des mesures contraignantes destinées à pallier le fait
que, pour des raisons qu’elles ne contrôlent pas, ces personnes ne peuvent
exercer ce droit avec les moyens dont elles disposent1395.
988. Pour identifier un groupe légitimé à en bénéficier, deux conditions
doivent être remplies. Premièrement, le groupe en question doit faire preuve
d’une certaine homogénéité et donc être clairement identifiable1396. Il doit exis-
ter une certaine solidarité à l’intérieur de ce groupe et ses membres doivent
eux-mêmes se définir comme étant discriminés.
989. Deuxièmement, il faut que les désavantages subis atteignent un certain
degré d’intensité et de systématique : ces deux aspects ne doivent pas être éva-
lués uniquement à l’aune de la jurisprudence éventuellement rendue à l’égard
de la discrimination de ce groupe, mais également au regard des désavantages
recensés statistiquement et dans les faits1397. Le constituant fédéral a, à ce jour,
reconnu explicitement la nécessité de créer ce type de mesures en faveur de
deux groupes, celui des femmes et celui des personnes souffrant de déficiences
physiques ou psychiques1398.

B. Le principe général d’égalité et les Tziganes

990. Il s’agit à présent d’identifier les critères susceptibles d’être employés


pour discriminer les Tziganes (2.). Nous enchainerons avec une analyse de me-
sures et pratiques discriminatoires à l’encontre de Tziganes ayant fait l’objet
d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (3.). Nous
concluerons par une analyse des mécanismes requis pour parvenir à la réalisa-
tion de l’égalité en fait des Tziganes (4.). A titre liminaire, toutefois, nous
commencerons par souligner l’importance de la garantie générale de l’égalité

1392
WALDMANN (2003), pp. 462-465.
1393
Voir supra Section 2.2.1., a.
1394
BOSSUYT, § 21, § 74 ; WALDMANN (2003), pp. 456-457.
1395
VANDENHOLE, p. 188. Au sujet de la portée de l’obligation de faciliter la mise en œuvre d’un droit, voir
sur ce point la position du CESCR dans plusieurs de ses observations générales, notamment
l’Observation générale n° 14, § 37.
1396
WALDMANN (2003), p. 463. A noter toutefois que l’homogénéité ne doit pas être parfaite, du moins
aux yeux du CERD, 577ème Réunion (1982), UN Doc. CERD/C/SR.577, p. 29. STRAUSS, pp. 111-112.
1397
BOSSUYT, § 10 ; VANDENHOLE, pp. 207-208 ; WALDMANN (2003), p. 463.
1398
Voir ainsi les art. 8 al. 3, 2ème phrase et 8 al. 4 Cst. respectivement. WALDMANN (2003), pp. 462-463.

281
La situation juridique des Tziganes en Suisse

pour la protection des Tziganes en tant qu’individus et en tant que minorité


(1.).

1. L’importance des principes de l’égalité de traitement et


de l’interdiction de la discrimination pour les Tziganes

991. Bien que le droit des minorités et le principe d’égalité poursuivent


deux objectifs bien distincts1399, on ne peut que rappeler l’importance que ce
dernier possède pour les minorités, et de manière générale pour tout groupe
social vulnérable.
992. Le principe d’égalité contient plusieurs éléments essentiels pour la
protection des minorités : premièrement l’égalité des individus devant la loi et
une protection similaire par la loi; deuxièmement l’interdiction de la discrimi-
nation du fait de l’appartenance à une minorité; enfin, l’introduction de mesu-
res adéquates permettant la réalisation complète et effective de l’égalité entre
membres de la majorité et de la minorité1400.
993. On soulignera également son rôle fondamental en matière de protec-
tion des droits économiques, sociaux et culturels des individus, et en particu-
lier ceux qui appartiennent à des groupes sociaux vulnérables. A travers les
exigences du principe d’égalité, la mise en œuvre de ces garanties est renforcée
malgré la faiblesse de leur protection judiciaire, due à la réticence des autorités
nationales à reconnaître leur justiciabilité1401.
994. Le droit des minorités précise la portée des principes d’égalité et de
non-discrimination vis-à-vis des communautés protégées, en soulignant que
leur réalisation peut requérir des mesures positives en faveur du groupe lui-
même. Les articles 1 § 4, 2 § 2 CIERD et 4 al. 2 CPMN obligent les Etats à pren-
dre les mesures nécessaires pour promouvoir l’égalité dans les faits des per-
sonnes appartenant à des minorités dans tous les domaines de la vie économi-
que, sociale, politique et culturelle, en prenant soin de préciser que ces mesu-

1399
Voir supra Titre Deuxième, Chapitre II, Section A, 1. Voir également les explications de la Sous-
Commission des Nations Unies pour la Prévention de la Discrimination et la Protection des Minorités,
relatives à son mandat : « 1. Prevention of Discrimination is the prevention of any action which de-
nies to individuals or groups of people equalité of treatment which they may wish. 2. Protection of
minorities is the protection of non-dominant groups which, while wishing in general for equality of
treatment with the majority, wish for a measure of differential treatment in order to preserve basic
characteristics which they possess and which distinguish them from the majority of the population…
[if] a minority wishes for assimilation and is barred, the question is one of discrimination» ; UN Doc.
E/CN.4/52, Section V.
1400
ALFREDSSON (art. 4), pp. 141-142.
1401
Voir cependant les Conclusions du CERD relative à la Communication n° 31/03, L.R. et al c. Slova-
quie, UN Doc. CERD/C/66/D/31/2005, dans laquelle le CERD s’est prononcé sur les mesures prises
par des autorités locales en Slovaquie en matière de logement, en l’occurrence l’abandon d’un pro-
jet de construction d’habitations à loyer modéré en faveur de Tziganes, suite à une pétition de la
population locale. Selon la doctrine, cette décision constitue une étape importante pour la recon-
naissance de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels ; JOSEPH, p. 349.

282
Titre Troisième - Le principe d’égalité

res ne doivent pas être perçues comme des actes discriminatoires à l’égard de
la majorité1402.
995. Par les garanties qu’il offre aux personnes tziganes prises individuel-
lement, le principe général d’égalité, et en particulier l’interdiction de la dis-
crimination, constitue donc l’un des piliers de la protection de la minorité tzi-
gane en tant que telle1403. Du fait des préjugés et des stéréotypes, toutefois,
l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination sont les droits fon-
damentaux individuels les plus malmenés à l’égard des Tziganes. Leur respect
fait ainsi l’objet de la majorité des questions et de recommandations du Comité
consultatif de la Convention-cadre sur les minorités, en relation avec l’article 4
CPMN1404.
996. Pour leur part, le Conseil de l’Europe, l’Union Européenne et l’OSCE
rappellent systématiquement à leurs Etats membres l’importance fondamen-
tale de ces droits à l’égard des Tziganes, en invitant les Etats à modifier leurs
législations et à sensibiliser leurs agents dans ce contexte1405.
997. En particulier, on renverra à la Recommandation de politique générale
n° 3 de la Commission européenne contre le racisme (ECRI)1406 relative à la
lutte contre le racisme et l'intolérance envers les Roms/Tsiganes, du 6 mars
1998, consacrée spécifiquement aux formes modernes de discrimination dont
sont victimes les Tziganes1407.
998. En sus d’une série de propositions relatives au démantèlement effectif
des pratiques et législations discriminatoires, la Commission souligne tour à
tour l’importance de l’accès à l’école pour les enfants, de l’adaptation du maté-
riel pédagogique pour que la culture et l’identité tziganes soient revalorisées,
du respect du mode de vie nomade et la création d’un cadre juridique adéquat

1402
GILBERT (1996), p. 180-181 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 89.
1403
SCHODER, p. 49 ; WALDMANN (2003), p. 433.
1404
ALFREDSSON (art. 4), p. 146. Voir ainsi les avis du Comité consultatif sur l’Irlande, ACFC/INF/OP/I
(2004) 003, 2003, §34-43, sur la Serbie-Monténegro, ACFC/INF/OP/I (2004) 002, 2003, §39-44, sur
la Suisse, ACFC/INF/OP/I (2003) 007 2003, § 28 et sur la Lituanie, ACFC/INF/OP/I (2003) 008 2003,
§32-34.
1405
Voir supra Titre Deuxième, Chapitre I.
1406
L’ECRI a été instituée par le Conseil de l’Europe sur la base de la Déclaration et le Plan d’action
adoptés le 9 octobre 1993 à Vienne par le premier Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement
des Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle est composée d’experts juristes, politologues, histo-
riens, sociologues, et anthropologues. Les membres sont désignés à raison d’un par Etat partie du
Conseil de l’Europe (art. 2 al. 1 du Statut de l’ECRI) et siègent à titre individuel, de façon indépen-
dante et impartiale (art. 2 al. 3 du Statut de l’ECRI). Son objectif est de lutter, sous la direction du
Conseil de l’Europe, contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. Travaillant à la
fois sur des thèmes à portée générale que sur des sujets touchant chaque pays en particulier, elle
émet des recommandations à l’attention des Etats membres. L’ECRI est également autorisée à ef-
fectuer des visites dans ces Etats, à l’occasion desquelles elle étudie l’ordre juridique et la pratique
étatique pour ce qui a trait à ses domaines de compétence ; Comité d’experts sur les questions rela-
tives aux minorités nationales, Activités du Conseil de l’Europe intéressant les travaux du DH-MIN,
du 9 mars 1998, DH-MIN (98) 2, pp. 7-8.
1407
CRI (98) 29.

283
La situation juridique des Tziganes en Suisse

en matière de domicile et d’urbanisme, de la sensibilisation des médias dans le


rôle qu’ils possèdent dans la propagation des préjugés, ainsi que la formation
du personnel de l’administration et de la justice pour qu’ils soient plus à même
de saisir les enjeux spécifiques entourant les problèmes rencontrés par les Tzi-
ganes.

2. Les critères interdisant la discrimination des Tziganes

999. A titre liminaire, rappelons que la diversité des origines ethniques des
Tziganes ainsi que le fait que la plupart sont sédentarisés, imposent de ne pas
se limiter à l’identification d’un seul critère de rattachement pour qualifier les
éventuelles situations discriminatoires auxquelles ils peuvent être confrontés.
Certains des développements qui vont suivre peuvent être mis en parallèle
avec le débat portant sur la qualification des Tziganes en tant que minorité du
point de vue des autorités suisses1408.
1000. Les Tziganes sont concernés par trois critères sensibles : le mode de vie
(2.1.), l’origine (2.2.) et la culture (2.3.). Les deux premiers sont expressément
énoncés par l’article 8 al. 2 Cst., et la non-exhaustivité de cette disposition, dé-
montrée par l’emploi de l’adverbe «notamment »1409, permet à notre sens d’y
inclure le troisième. En tant que caractéristique personnelle relevant de
l’identité d’un être humain qui le distingue d’autrui et dont on ne peut exiger
qu’il la modifie1410, nous allons montrer qu’il est justifié de faire entrer la
culture per se dans la liste de ces critères.

2.1. Le mode de vie

2.1.1. Généralités

1001. Le critère du mode de vie recouvre une notion floue, aux contours lar-
ges. Mentionné explicitement à l’article 8 al. 2 Cst., il distingue ce dernier des
sources internationales en matière d’interdiction de la discrimination, puisque
ces dernières ne l’énoncent pas expressément1411. Pour sa part, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme, concevant de façon extensive la vie privée et
familiale au sens l’article 8 CEDH, interprète cette disposition comme proté-
geant également le mode de vie1412. Dès lors, le grief de violation de l’article 14

1408
Supra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
1409
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1083 ; MÜLLER (1999), p. 419 ; PULVER, pp. 137 et 184-185; RIEDER
(2003), p. 36.
1410
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1081; MARTENET (2003), p. 35 ; PULVER, p. 142.
1411
MÜLLER (2000), p. 117 ; WALDMANN (2003), p. 633.
1412
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 73, CEDH 2001-I. BENOIT-ROHMER (2001),
pp. 1003-1004 ; SUDRE (2005B), pp. 372-373.

284
Titre Troisième - Le principe d’égalité

CEDH peut être invoqué lorsqu’une ingérence dans le mode de vie d’un re-
quérant est constatée.
1002. Le droit suisse partage cette conception. Bernhard PULVER définit ce
critère comme recouvrant « la manière dont une personne mène sa vie, no-
tamment dans les domaines privés et, en particulier, intimes [et se réfère éga-
lement] à l’expression extérieure […] des choix personnels élémentaires d’un
individu », afin de ne pas lui conférer une portée trop étendue qui le rendrait
inutilisable1413. La protection du mode de vie dans le cadre de l’article 8 al. 2
Cst. a ainsi également un lien étroit avec le droit au respect de la vie privée et
la liberté personnelle, consacrés respectivement aux articles 13 et 10 Cst.1414.
1003. La lecture des travaux préparatoires révèle que la caractéristique du
mode de vie a pour but premier de protéger l’orientation homosexuelle. La
Constitution ne désigne pas cette dernière explicitement afin de ne pas étendre
la protection constitutionnelle à toutes les préférences sexuelles, dont celles
punissables pénalement comme la pédophilie, mais également pour ne pas res-
treindre ce critère à ces questions sensibles1415. Il est ainsi admis que celui-ci
protège l’union libre, mais aussi la vie en communauté d’habitation1416.

2.1.2. Applicabilité à la situation des Tziganes

1004. Le rapport entre le critère du « mode de vie » au sens de l’article 8 al. 2


Cst. et les Tziganes, plus précisément les « Gens du voyage », a été examiné
pour la première fois à l’occasion des débats parlementaires relatifs à la nou-
velle Constitution1417. Au sein de la doctrine, Jörg Paul MÜLLER est le premier
auteur à y rattacher clairement la tradition d’itinérance des Tziganes, en
19991418. Cependant, parallèlement, ce même auteur affirme que cette caracté-
ristique, à l’instar de celles de l’origine et de la situation sociale, se rapporte à
des groupes que l’on ne peut clairement identifier comme ayant été menacés,

1413
PULVER, p. 267.
1414
Ces garanties feront l’objet d’un examen approfondi, infra Chapitre III. Par ailleurs, pour importante
que soit cette relation, il nous semble trop restrictif de suivre WALDMANN en ne rattachant à l’article 8
al. 2 Cst. que les aspects couverts par les libertés individuelles; WALDMANN (2003), pp. 634-636 ;
WALDMANN (2005), p. 950.
1415
BO/CN 1998 656. HANGARTNER (2001), pp. 252-254; MAHON (art. 8), p. 84 ; MÜLLER (2000), p. 122 ;
PULVER, p. 268 ; WALDMANN (2003), p. 633.
1416
HANGARTNER (2001), p. 252 ; PULVER, p. 269 ; WALDMANN (2003), pp. 635-636.
1417
Voir, par exemple, la position du Conseiller national PELLI, BO/CN 1998 p. 656. Voir, également,
l’intervention de la Conseillère nationale VALLENDER, BO/CN 1998 p. 692, qui renvoie explicitement
sur ce point à la jurisprudence rendue par la Cour de Strasbourg relative à l’article 8 CEDH, dans le
cadre de l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, du 15 septembre 1996, Rec. 1996-IV.
1418
MÜLLER (1999), p. 426 et MÜLLER (2000), p. 122.

285
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ni par le passé, ni actuellement1419. Or, cette position est surprenante au vu de


l’histoire des Tziganes, qui démontre visiblement le contraire1420.
1005. La doctrine quasi unanime s’exprimant au sujet des Tziganes suit cette
approche1421, en n’y apportant que rarement des réserves ou des compléments,
notamment quant au fait que ce critère ne protège contre les discriminations
que celles et ceux vivant encore de façon traditionnelle1422.
1006. Selon Bernhard WALDMANN, l’objectif de l’utilisation de l’expression
de « Gens du voyage » (« Fahrende ») est d’empêcher la discrimination, fondée
sur un critère d’appartenance ethnique ou raciale, entre les différents groupes
pratiquant le voyage1423. Cette approche suit le courant qui emploie un terme
générique pour ne pas énoncer à chaque fois le nom des différentes ethnies tzi-
ganes afin d’éviter le terme de « Zigeuner »1424.
1007. Par ailleurs, ce même auteur interprète la notion de « Fahrende» comme
regroupant toutes les personnes ayant opté d’exercer leur droit de choisir le
mode de vie qui leur plaît, en l’occurrence le nomadisme. Il confère ainsi la
protection inconditionnelle de l’article 8 al. 2 Cst. aux « Jenisch, Sinti und Ro-
ma », qui se voient touchés dans leur identité ethnique et culturelle par des
mesures qui discriminent leur mode de vie. A ceux-ci, il oppose les personnes
nomades « die nicht einer spezifischen ethnischen Gruppierung angehören »1425, en
n’accordant leur rattachement à cette disposition que lorsqu’elles peuvent faire
valoir que leur nomadisme est étroitement lié à l’un des aspects de leur liberté
personnelle. A contrario, il exclut du champ de protection de la norme constitu-
tionnelle celles et ceux qui ne voyagent que pour exercer leur liberté économi-
que1426, tels que, par exemple, les forains ou les gens du cirque.
1008. Pour soutenir sa position concernant le manque de pertinence de
l’appartenance ethnique ou raciale, WALDMANN renvoie à la définition juridi-
que du terme « Gypsies » telle qu’énoncée par The Caravan Sites Acts britanni-
que de 1968, qui évoque les « persons of nomadic habit of life, whatever their race or

1419
MÜLLER (2000), p. 117.
1420
On rappellera ici également la persécution dont ont fait l’objet les homosexuels sous le Troisième
Reich.
1421
Ainsi AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1099 ; MAHON (art. 8), p. 84 ; MARTENET (2003), pp. 67 et
414 ; PULVER, p. 267 ; RIEDER (1999), pp. 164-165 ; WALDMANN (2003), pp. 689-706. Relevons que
SCHWEIZER (art. 8), p. 116, n’évoque pas la situation des Tziganes.
1422
Ainsi, RIEDER (1999), pp. 164-165, et PULVER, pp. 269-270, évoquent d’autres critères de rattache-
ment possibles mais se concentrent par la suite sur les questions liées au nomadisme.
1423
WALDMANN (2003), p. 689.
1424
On ne manquera pas cependant de souligner que, d’une part, cet auteur semble vouloir utiliser
« Fahrende » à la place de « Zigeuner », terme générique ne recouvrant pas seulement les noma-
des, mais qu’à d’autres occasions, il évoque spécifiquement et uniquement les « Sinti und Roma »
(WALDMANN (2003), p. 586), ou encore le triplet « Jenisch, Sinti und Roma » (WALDMANN (2003), p.
653) .
1425
WALDMANN (2003), p. 653.
1426
WALDMANN (2003), p. 690 ; WALDMANN (2005), p. 951.

286
Titre Troisième - Le principe d’égalité

origin […] »1427. Définissant juridiquement la notion de «gypsy » au sens du


droit britannique, l’objectif de cette législation est principalement d’interdire la
distinction entre Rroms, Kalé ou Sinti, mais également d’inclure les personnes
ayant opté pour ce mode de vie sans toutefois intégrer une communauté tzi-
gane, comme, par exemple, les individus dénommés « New Age Travellers »1428.
1009. Cependant, la même disposition exclut expressément les individus
voyageant pour des raisons professionnelles, comme ceux travaillant dans un
cirque : «[are not included] members of an organized group travelling showmen, or of
persons engaged in travelling circuses, travelling together as such »1429. Parallèle-
ment à cette acception juridique, le droit anglais connaît également une défini-
tion dite « ethnique » des « Gypsies » : ainsi, tant les Rroms que les Tinkers ir-
landais ont été reconnus comme constituant des groupes ethniques au sens de
la Race Relations Legislation, respectivement en 1989 et 20001430.
1010. Cette approche de la notion de « Gens du voyage » est trop spécifique
au droit britannique pour pouvoir être reprise directement en droit suisse. En
effet, rappelons que tant le critère du mode de vie que le terme de « Gens du
voyage » ont été développés en Suisse pour inclure uniquement les Jénisch,
Sinti, Rroms et autres groupes tziganes pratiquant le voyage .
1011. Dans une seconde étape, le critère du mode de vie a été introduit à
l’article 8 al. 2 Cst., afin de protéger notamment cette fraction de la popula-
tion : leur relation est donc indiscutable. « Diluer » le champ d’application per-
sonnel du critère du mode de vie est dès lors critiquable, surtout lorsqu’il
s’agira d’examiner ultérieurement les effets de l’article 8 al. 2 Cst. sur
l’interprétation de la législation fédérale et cantonale en matière
d’aménagement du territoire et de droit des constructions1431.
1012. Le rattachement au mode de vie a été confirmé, dans un troisième
temps, par l’administration fédérale, par le biais des avis de droit de 2001 et
2002 de l’Office fédéral de la Justice traitant de la protection juridique des Tzi-
ganes en Suisse1432. Pour sa part, le Tribunal fédéral, s’exprimant sur la protec-
tion juridique offerte à la tradition nomade des Tziganes, a limité aux libertés
individuelles son examen du mode de vie itinérant, en restreignant de plus son
analyse à la portée de l’article 8 CEDH, sans examiner si les garanties offertes
par le droit interne suisse pouvaient éventuellement apporter une dimension

1427
WALDMANN (2003), p. 689.
1428
Voir les extraits du Report on the Provision and Condition fo Local Authority Gypsy/Traveller Sites in
England (Octobre 2002), par le Bureau du Vice Premier Ministre britannique (ci-après : Extraits du
rapport britannique 2002), reproduits dans l’ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai
2004, § 56ss, notamment §57.
1429
WALDMANN (2003), p. 689, note 457.
1430
Extraits du rapport britannique 2002, § 57 in fine.
1431
Infra Titre Quatrième, Chapitre I.
1432
OFJ (2001), p. 364 et OFJ (2002), p. 591.

287
La situation juridique des Tziganes en Suisse

supplémentaire à la problématique1433. Toutefois, saisi précisément de la ques-


tion, le Tribunal fédéral ne devrait pas s’écarter de l’approche proposée par la
doctrine et l’administration fédérale.
1013. Il est incontestable que la tradition d’itinérance des Tziganes doit être
protégée par l’article 8 al. 2 Cst au titre du « mode de vie ». En effet, il s’agit là
du principal critère en cause lors de l’examen des conflits surgissant entre au-
torités et Tziganes nomades. On ne saurait toutefois s’en contenter, car, comme
nous allons le constater ci-dessous, le rattachement à d’autres caractéristiques
rend non seulement la présomption d’illicéité des mesures prises à leur en-
contre encore plus forte1434, mais permet également de couvrir des aspects de
leur culture autres que le nomadisme.

2.2. L’origine

2.2.1. Généralités

1014. A l’instar du mode de vie, le critère de l’origine appelle à être mieux


défini et précisé. Aussi bien l’étendue de son champ d’application que ses rap-
ports avec la race, la nationalité, et la culture ne sont pas clairs et ne font pas
l’unanimité au sein de la doctrine.
1015. Certains auteurs définissent ce critère de façon restrictive, en interpré-
tant l’article 8 al. 2 Cst. à la lumière de l’article 4 al. 1, 2ème phrase, aCst.1435. Se-
lon cette approche, la notion n’a qu’une portée géographique, interdisant la
discrimination fondée sur le lieu de provenance1436.
1016. Une autre partie de la littérature s’accorde pour ne pas restreindre la
notion d’origine à ces considérations d’ordre géographique, mais pour la
concevoir largement, en incluant également sous ce critère les dépréciations
fondées sur les racines d’une personne, qu’il faut comprendre ici tant d’un
point de vue biologique (hérédité, ascendance) que sociologique (racines eth-
niques et culturelles)1437.
1017. Ces nombreuses facettes, qui se réfèrent aux différents aspects ratta-
chant l’individu à un groupe de population spécifique, incitent certains au-
teurs germanophones à utiliser, en lieu et place du critère de l’origine,
l’expression d’«identité ethnique et culturelle » (ethnisch-kulturelle Identität).

1433
ATF 129 II 321, 326-327, Bittel.
1434
PULVER, p. 271.
1435
L’article 4 al. 1 aCst. prévoyait que la Suisse ne devait connaître « ni sujets, ni privilèges de lieu, de
naissance, de personnes ou de familles ».
1436
AUER/HOTTELIER/MALINVERNI (II) N. 1084 ; MAHON (art. 8), pp. 81-82 ; MÜLLER (2000), p. 118.
1437
E. GRISEL, p. 76 ; KÄLIN/CARONI, p. 68 ; PULVER, p. 190 ; WALDMANN (2003), pp. 579-586. Sans être
aussi exhaustif sur la question de ce qui se rattache à l’origine, MARTENET (2003), p. 398, voit éga-
lement un lien entre origine et appartenance ethnique.

288
Titre Troisième - Le principe d’égalité

Sous cette notion générale, ces auteurs englobent tous les aspects précédem-
ment évoqués et y incorporent également les éléments constitutifs du critère
de la « race », par ailleurs explicitement énoncé à l’article 8 al. 2 Cst.1438.
1018. Cette expression est en effet préférable à celle de « race »1439. Certes, le
droit international conçoit celle-ci comme une notion large, définie selon son
acception sociologique et non scientifique1440, et couvrant dès lors une pluralité
de conflits fondés sur les préjugés et une dépréciation1441. Elle possède toute-
fois une importance fondamentale du point de vue de l’histoire de la non-
discrimination, de son rapport étroit avec la construction idéologique qu’est le
racisme et de son acceptation et ancrage au sein des consciences individuelles.
Dès lors, on ne s’étonnera pas de sa persistance dans l’ordre juridique suisse,
aussi bien en droit constitutionnel qu’en droit ordinaire, et ce en raison de
l’influence internationale, principalement de la CIERD.
1019. La discrimination raciale est sans doute celle qui porte le plus grave-
ment atteinte à la dignité humaine, comme l’illustre la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme, qui affirme que cette forme de dis-
crimination est si grave qu’elle est synonyme de traitement dégradant au sens
de l’article 3 CEDH1442. Ces différents facteurs font donc de la race un critère a
priori incontournable au moment de traiter de la non-discrimination1443.
1020. En droit constitutionnel suisse, il est néanmoins nécessaire de s’y réfé-
rer avec précaution et de l’interpréter le plus strictement possible, en la limi-
tant aux caractéristiques morphologiques des individus1444. Le texte de l’article
8 al. 2 Cst. distinguant explicitement entre race et origine, les deux notions

1438
KÄLIN/CARONI, pp. 68 et 75; WALDMANN (2003), pp. 579-586. SCHWEIZER (art. 8), p. 114, affirme que la
notion d’origine « überschneidet sich mit jenem der Rasse ». Pour sa part, tenant également d’une
définition étendue de l’origine, PULVER traite distinctement de la race ; s’il s’interroge dans un pre-
mier temps sur la pertinence du lien entre ethnie et origine, comprise au sens de provenance géo-
graphique, cet auteur conclut que puisque l’ethnie doit être entendue comme l’appartenance à un
« groupe de personnes ayant très souvent une origine géographique, une histoire et/ou une ascen-
dance communes », il se justifie tout de même de la rattacher à ce critère; PULVER, pp. 191-192.
1439
Rappelons que le terme de « race » est en soi controversé, et que son usage est extrêmement criti-
quable du fait de son absence de fondements scientifiques objectifs, puisque dans une perspective
biologique et anthropologique, il n’existe qu’une seule race humaine; MÜLLER (2000), p. 118 ; PULVER,
pp. 213-216 ; STRAUSS, p. 6.
1440
STRAUSS, p. 25.
1441
L’art. 1 al. 1 CIERD renvoie aux caractéristiques physiques apparentes d’une personne, ainsi qu’à
son appartenance ethnique et à son origine ; Observation générale n° 14 du CERD, § 2. STRAUSS, p.
26 ; THORNBERRY (2005), p. 250.
1442
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), req. n° 41138/98 et 64320/01, § 111, CEDH 2005-…(extraits).
Voir nos développements relatifs à cette jurisprudence, qui concernait des Tziganes roumains, infra
Section 3.1.1. Voir déjà East African Asians c. Royaume-Uni, Rapport de la Commission européenne
des droits de l’homme, du 14 décembre 1973, DR 78, p. 62.
1443
MAHON (art. 8), p. 82 ; MÜLLER (1999), p. 420 ; PULVER, pp. 213-214 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 115 ;
STRAUSS, pp. 8 et 24-25.
1444
Soulignons que WALDMANN (2003), pp. 580-582, rattache à l’ethnie également un certain nombre
d’aspects physionomiques, ce qui justifie à ses yeux la possibilité d’englober la race dans
l’expression « identité ethnique et culturelle ».

289
La situation juridique des Tziganes en Suisse

doivent donc être clairement différenciées. Ceci est rendu possible par la for-
mulation de la disposition, qui énumère un nombre de critères suspects que le
droit international rattache quant à lui à la race1445,1446 .
1021. Une interprétation stricte ne signifie donc pas une protection juridique
amoindrie. Au contraire, elle garantit un droit absolu à la non-discrimination
fondée sur la physionomie. Cette démarche restrictive et pointue a également
pour avantage de faire perdre à un terme objectivement discutable et imprécis
sa prééminence dans les débats concernant la discrimination1447.
1022. Enfin, malgré l’éventualité que la nationalité d’une personne ne coïn-
cide pas avec ses origines nationales initiales, il n’en demeure pas moins que
les deux notions sont étroitement liées. La nationalité d’une personne n’est pas
expressément énumérée par l’article 8 al. 2 Cst., alors que la thématique du
traitement des étrangers par rapport aux nationaux ne peut être écartée. La
doctrine n’est pas unanime quant à son rattachement à l’un des critères prévus
par la disposition constitutionnelle, notamment quant à son rapport avec celui
de l’origine.
1023. Selon une première approche, origine et nationalité sont synonymes, la
seconde pouvant être intégrée à la première1448. On peut considérer, en effet,
que puisqu’en principe, la nationalité découle de l’origine géographique ou
héréditaire (acquisition par le droit du sol, respectivement par le droit du
sang), il s’agit là de l’une de ses « expressions les plus directes […] [consistant
en l’une de ses] cristallisations les plus évidentes » et qu’il est donc logique de
l’y rattacher1449.
1024. Un second mouvement doctrinal s’oppose à cette acception, en affir-
mant que la discrimination fondée sur la nationalité d’une personne ne saurait
être interdite par le biais du critère de l’origine, motif pris que si le rapport ju-
ridique qu’un particulier entretient avec un Etat est modifiable, ce n’est pas le
cas de l’origine1450. Se fondant également sur l’article 1 al. 2 CIERD, ces auteurs
déduisent de l’exclusion du traitement différencié entre ressortissants et non-

1445
PULVER, pp. 214-215 ; WALDMANN (2003), p. 580 ; contra MÜLLER (2000), pp. 118-119, qui suit
l’approche internationale et interprète le critère de la race tel qu’énoncé à l’art. 8 al. 2 Cst. comme
étant une notion générale englobant la discrimination fondée sur l’apparence physique, la langue, et
l’origine. WALDMANN (2003) (ibidem) conçoit pour sa part la CIERD comme comprenant à la fois une
définition large et une définition stricte de la race.
1446
STRAUSS, p. 25.
1447
PULVER, pp. 215-216.
1448
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1084; MAHON (art. 8), p. 82. MARTENET (2003), p. 471, se montre
plus circonspect, estimant qu’ « il ne semble pas exclu que l’interdiction des discriminations fondées
sur « l’origine » soit interprétée de façon à offrir, dans certains cas du moins, une protection parti-
culière aux étrangers.»
1449
PULVER, pp. 192-193.
1450
KÄLIN (1998), p. 572 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 114. Pour autant, cette partie de la littérature ne ratta-
che pas la nationalité à un autre critère, voire rejette explicitement son intégration à l’article 8 al. 2
Cst., considérant que le silence de cette norme à ce sujet ne peut être contourné au moyen de son
caractère non-exhaustif; KÄLIN/CARONI, p. 72.

290
Titre Troisième - Le principe d’égalité

ressortissants du champ d’application de cette convention que l’on ne saurait


parler de discrimination dans ce cas, ce d’autant plus qu’il est indisputé qu’un
Etat est habilité dans certaines situations à traiter différemment ses nationaux
et les étrangers se trouvant sur son territoire1451.
1025. Pour sa part, dans sa jurisprudence la plus récente sur ce sujet, le Tri-
bunal fédéral rattache l’interdiction de discriminer les étrangers par rapport
aux citoyens suisses au critère de l’origine nationale, sans utiliser expressé-
ment le terme de « nationalité ». En effet, s’exprimant au sujet d’une initiative
populaire communale visant à favoriser ces derniers au détriment des étran-
gers en Ville de Zurich, notre Haute Cour affirme explicitement que les
« Ausländer sollen gegenüber Schweizern oder auch unter sich nicht diskriminiert
werden »1452.
1026. Il apparaît ici clairement que l’appartenance à une certaine nationalité
peut constituer un critère sensible pouvant mener à une discrimination1453. En
rappelant ensuite que toute différence de traitement entre étrangers et Suisses
n’est pas nécessairement contraire au droit, le Tribunal fédéral distingue ainsi,
correctement à notre sens, entre la question du champ d’application du critère
lui-même et la question de l’admissibilité de la distinction effectuée1454.
1027. A notre sens, rejeter la nationalité en tant que critère suspect est discu-
table pour plusieurs raisons. Ainsi, on rappellera que la CIERD n’est pas com-
plètement neutre à l’égard de la nationalité, puisque son article 1 al. 3 interdit
de procéder à des distinctions entre non-ressortissants d’un Etat, en excluant
certaines nationalités tout en en admettant d’autres, et ce y compris sur des

1451
KÄLIN/CARONI, pp. 72-74; RIEDER (1999), p. 163 ; PULVER, p. 204 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 114.
1452
ATF 129 I 392, 398 A und Mitb. sowie G. Voir également l’ATF 114 Ia 8, 12-14 Guerino Gaioni : lors
de l’octroi d’un permis de chasse, exiger une redevance plus élevée à des chasseurs étrangers éta-
blis dans un canton constitue une discrimination fondée sur le critère de la nationalité qui est injusti-
fiée. En effet, la nationalité des chasseurs est sans rapport soutenable avec le droit concédé par la
délivrance du permis. Certes, la nature régalienne du droit de chasse autorise un canton a faire une
distinction entre résidents et non résidents, mais non entre Suisses et étrangers.
1453
Comp. Bernhard WALDMANN, qui doute de la qualité de critère suspect de la nationalité en affirmant
qu’une distinction fondée uniquement sur la nationalité ne peut avoir pour effet de dénigrer un indi-
vidu dans sa qualité d’être humain. Selon cet auteur, la discrimination à l’égard d’étrangers se fonde
en réalité sur des considérations ethniques, raciales, culturelles ou encore religieuses. A ses yeux, il
importe de distinguer clairement entre discrimination des étrangers, xénophobie et racisme, et il es-
time que les différences de traitement opérées sur la base de la nationalité doivent être étudiées à
l’aune de l’art. 8 al. 1 Cst. et non de l’alinéa 2 ; WALDMANN (2003), p. 579. A notre sens, il existe
néanmoins des situations où une distinction, respectivement une assimilation, fondée sur la nationa-
lité uniquement présente un risque réel de dépréciation. A titre d’exemple, on évoquera l’absence
presque absolue de droits et de garanties de contrôle judiciaire dans le domaine de la législation
suisse sur les étrangers qui, dans la règle, laisse à l’autorité compétente une complète liberté
d’appréciation en matière d’octroi d’autorisation de séjour (comp. l’art. 4 LSEE). En n’offrant pas aux
étrangers de garanties de l’Etat de droit sur cette question, cette législation porte ainsi atteinte à
leur dignité et il est indéniable à notre sens que seule la nationalité entre ici en ligne de compte.
Dans ce sens, voir MARTENET (2003), p. 472, qui estime avec raison que le Tribunal fédéral « est te-
nu d’examiner attentivement les différences de traitement dont sont victimes les étrangers en raison
du risque que ces différences présentent pour leur dignité […] », ainsi que PULVER, pp. 207-209.
1454
PULVER, pp. 192-193.

291
La situation juridique des Tziganes en Suisse

questions touchant aux domaines encore réservés aux Etats comme la naturali-
sation1455, les conventions bilatérales de réciprocité en la matière étant réser-
vées1456. De plus, il nous semble qu’il y a ici confusion entre la détermination
du champ d’application de l’article 8 al. 2 Cst. et l’examen de la validité de la
distinction opérée1457, c’est-à-dire la détermination de l’existence ou non d’une
dépréciation1458.

2.2.2. Applicabilité à la situation des Tziganes

1028. Interprété tel que nous le proposons, le critère de l’origine, au sens de


l’article 8 al. 2 Cst., trouve à s’appliquer de plusieurs manières à la situation
des Tziganes. En tant que minorité ethnique formant un « groupe racial » au
sens de l’article 2 al. 2 CIERD, l’ensemble des Tziganes, suisses ou étrangers,
nomades ou sédentarisés, jénisch, sinti ou rrom, peuvent se voir touchés par
une mesure discriminatoire fondées sur leurs origines tziganes1459.
1029. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rendue
au sujet de violations de dispositions conventionnelles commises dans un
contexte de discrimination raciale va également dans ce sens, puisque certai-
nes victimes de ces violations étaient des Rroms sédentarisés1460. Ce critère doit
donc être appliqué à tous les Tziganes se trouvant sur le territoire suisse1461.
1030. Ainsi, l’origine permet avant tout de renforcer la protection juridique
de deux groupes de Tziganes: les Tziganes non-jénisch, premièrement, puis-
que leurs origines ethniques les stigmatisent particulièrement aux yeux de la
société sédentaire, qui voit en eux l’archétype des « Gitans »1462. Les Tziganes

1455
Dans ce sens, voir l’Observation générale n° 11 du CERD sur les non-ressortissants, § 1.
1456
KÄLIN/CARONI, p. 73. On pensera ici aux différentes clauses existant en droit international traitant de
la question du traitement des non-ressortissants que sont le traitement minimal réciproque, la
clause de la nation la plus favorisée et le traitement national ; MARTENET (2003), p. 518.
1457
PULVER, pp. 192-193.
1458
Conformément à leur approche de la discrimination, Walter KÄLIN et Martina CARONI estiment que la
nationalité constitue en elle-même des « sachliche Gründe » qui justifient le traitement différencié.
En conformité avec celle que nous défendons, l’apport de motifs objectifs et raisonnables ne permet
pas encore d’exclure l’absence de dénigrement de la personne ou du groupe considéré dans un cas
d’espèce.
1459
PULVER, pp. 269 et 271 ; RIEDER (1999), p. 164; STRAUSS, p. 276 ; WALDMANN (2003), pp. 639 et 689-
670. Voir également l’Observation générale n° 27 du CERD ainsi que les Observations finales de ce
même comité, relatives au premier rapport périodique rendu par la Suisse en application de l’article
9 CIERD, CERD/C/304/Add.44 (1998), p. 62.
1460
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, CEDH 2005-… (extraits) ; ACEDH Natchova et
al. et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 168, CEDH 2005-… ; ACEDH Moldovan c.
Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §139-140, CEDH 2005-… (extraits). Voir également in-
fra Section 3.1.1.
1461
Contra RIEDER (1999), p. 164, qui estime que seuls les Tziganes vivant encore selon la tradition no-
made doivent être qualifiés de membres d’une minorité ethnique au sens de la CIERD. Voir notre
critique de cette position supra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section 3.2.
1462
MARTENET (2003), p. 398, souligne le caractère particulièrement suspect du critère de l’origine pour
effectuer des distinctions « entre des citoyens suisses ou […] sur la base de l’appartenance ethni-
que ».

292
Titre Troisième - Le principe d’égalité

étrangers de passage en Suisse, deuxièmement, à qui l’on oppose souvent leur


nationalité pour leur refuser l’arrêt de leurs caravanes, alors qu’ils se trouvent
légalement sur le territoire helvétique, les autorités choisissant de distinguer
clairement entre Tziganes suisses et étrangers1463. Cette situation est, par ail-
leurs, illustrative de l’hypothèse où la nationalité est utilisée en tant que critère
fondant une présomption de discrimination1464.
1031. Ainsi, la situation d’un Tzigane étranger rrom, sinti ou manouche est
encore plus fragile que celle d’un Tzigane suisse dont l’ascendance est jénisch,
puisque le premier est, de fait, confronté à un manque de places de stationne-
ment plus aigu que le second, en raison de la politique de nombreuses com-
munes à leur égard.
1032. Admettre l’existence du lien des Tziganes avec le critère de l’origine
permet de les rattacher à une caractéristique personnelle dont l’usage entraîne
une suspicion accrue, plus forte que l’emploi de celui du mode de vie. Au-delà
de la protection conférée par l’article 8 al. 2 Cst., le rattachement des Tziganes
au critère de l’origine ethnique est également important du point de vue du
droit pénal, et donc de la protection des Tziganes dans leurs relations avec
d’autres particuliers.
1033. En effet, le critère du mode de vie à lui seul ne permet pas d’interdire
les actes discriminatoires privés à l’égard des Tziganes. C’est uniquement par
le biais du critère de l’origine ethnique que l’article 261bis CP permet de proté-
ger les Tziganes contre les comportements discriminatoires de personnes pri-
vées, puisqu’il érige en infraction la discrimination commise « envers une per-
sonne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, eth-
nique ou religieuse » (alinéa 1er)1465.
1034. Limiter la caractéristique de membres d’un groupe ethnique aux seuls
Tziganes encore nomades conduirait ici à un résultat absurde, voire choquant.
Une telle solution aurait pour conséquence que celles et ceux aujourd’hui sé-
dentarisés ne pourraient se prévaloir de cette norme, alors que, par hypothèse,
ils seraient la cible de comportements répréhensibles remplissant les éléments
objectifs et subjectifs de cette disposition.

1463
Dans le canton de Nidwald, par exemple, la commune de Stans ne met sa place de stationnement
temporaire qu’à disposition des Tziganes « indigènes ». Voir également les interventions parlemen-
taires au sein du parlement zougois, BO/ZG du 18 novembre 2003, p. 2518-2520.
1464
Et ce, même si l’on suit la théorie de l’apport de motifs objectifs et raisonnables permettant de
conclure à l’absence de discrimination.
1465
ATF 130 IV 111, 118 X.; ATF 128 I 218, 222, X.. CORBOZ, p. 300 ; WALDMANN (2003), p. 638 et réfé-
rences.

293
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.3. La culture

2.3.1. Généralités

1035. Au vu de notre interprétation large de la notion d’origine, recouvrant


l’ascendance non seulement ethnique mais également culturelle, on peut
s’interroger sur la pertinence d’une réflexion portant sur la « création » du cri-
tère de rattachement de la culture. En énonçant explicitement des critères tels
que l’origine, la religion, la langue, et dans notre cas, le mode de vie, l’article 8
al. 2 Cst. met l’accent sur différentes facettes de la notion de culture, ce qui
pourrait mener à la conclusion qu’il n’est pas nécessaire de reconnaître la
culture en tant que telle1466.
1036. Or, à notre sens, cette énumération démontre au contraire l’importance
de la culture prise pour elle-même1467 : en effet, on peine à trouver un élément
lié plus fortement à l’identité intime d’une personne. Pour reprendre la défini-
tion proposée par Vincent MARTENET de la notion de critère sensible, il s’agit
d’une caractéristique personnelle se rattachant objectivement à l’identité d’un
individu, et dont la méconnaissance ou l’ignorance de l’autorité à son égard
inclut un risque accru d’atteinte à la dignité humaine1468.
1037. En tant que telle, du fait de cette dimension fortement identitaire, la
culture possède ainsi un potentiel incontestable pour être une source de dis-
crimination1469. Les stéréotypes et l’ignorance peuvent causer de graves attein-
tes à la dignité personnelle, ce qui renforce, à nos yeux, la nécessité de protéger
ce critère de façon plus affirmative et explicite1470. Dans le contexte
d’immigration que connaît la Suisse, une partie de la doctrine voit en la culture
un moyen efficace de combattre la discrimination à l’égard des étrangers1471.
1038. A notre sens, la provenance et l’ascendance culturelles doivent être
rattachées à la notion d’origine, comprise comme recouvrant l’identité ethno-
culturelle d’un individu. Par contre, l’exercice et l’expression d’une certaine
culture nécessitent d’être protégés de façon plus explicite, en érigeant cette ca-
ractéristique au rang de critère sensible devant faire l’objet d’une attention par-

1466
MÜLLER (1999), pp. 428-429 ; WALDMANN (2003), pp. 585-586. Jörg Paul MÜLLER propose ainsi de re-
connaître de lege lata l’interdiction de la discrimination fondée sur les particularités culturelles.
Bernhard Waldmann (2003) estime pour sa part que les aspects qui ne sont pas énoncés expressé-
ment sont protégés implicitement par l’art. 8 al. 2 Cst. ; WALDMANN (2003), p. 586.
1467
GROUPE DE FRIBOURG, p. 9; MÜLLER (1999), p. 428.
1468
MARTENET (2003), pp. 463 et 466.
1469
Dans ce sens, voir la position de Jörg Paul MÜLLER, in : MÜLLER (1999), pp. 412, 428-429, et in : MÜL-
LER (2000), p. 124.
1470
MARTENET (2003), pp. 467 et 469.
1471
MÜLLER (1999), p. 429 ; MÜLLER (2000), p. 124. Concernant les rapports entre l’identité culturelle
(rattachée à l’origine) et l’immigration, voir également WALDMANN (2003), pp. 594-600. Walter KÄLIN
et Martina CARONI, p. 67, pour leur part, semblent limiter l’interdiction de la discrimination des
étrangers aux aspects culturels expressément énoncés par l’article 8 al. 2 Cst.

294
Titre Troisième - Le principe d’égalité

ticulière des autorités lorsqu’elles légifèrent, appliquent ou contrôlent


l’application du droit. Cette distinction justifie, à notre sens, de distinguer en-
tre la caractéristique de « l’identité ethno-culturelle » et celle de la culture stric-
to sensu.

2.3.2. Applicabilité à la situation des Tziganes

1039. L’importance de la dimension culturelle pour traiter des diverses ques-


tions juridiques touchant à la situation des Tziganes n’est plus à établir. En ef-
fet, nous avons déjà démontré que le nomadisme tzigane s’incorpore à un en-
semble plus large de traditions constituant une culture spécifique1472.
1040. Dans la notion de « culture tzigane » doivent être inclus la préserva-
tion et la perpétuation des langues jénisch et romani, mais également le patri-
moine musical, artistique et artisanal, qui se sont développés au fil des siècles.
Les traditions orales, l’organisation économique, sociale et juridique sont aussi
concernées et doivent être protégées, en interdisant leur dénigrement1473. Le
critère de la culture permet ainsi aux Tziganes sédentarisés d’être perçus
comme appartenant à une minorité au sens du droit international, en somme,
de se voir reconnaître juridiquement en tant que Tziganes. Il est ainsi erroné de
considérer que seuls ceux vivant encore de manière nomade constituent un
groupe sociologiquement distinct du fait de leur culture, de leur histoire ou
encore de leur langue1474.
1041. Les obstacles rencontrés pour pouvoir exercer le nomadisme peuvent
ainsi relever non seulement de la discrimination fondée sur le mode de vie ou
l’origine, mais également sur la culture. Le simple fait de ne pas considérer la
question sous cet angle peut déjà être considéré comme étant en soi un déni-
grement, car cela revient à faire l’impasse sur la réelle signification de la pro-
blématique, en la réduisant à une question de choix de vie, de domicile, ou en-
core d’autorisation de construire1475. Le rôle de la méconnaissance, de
l’ignorance et des stéréotypes est ici indiscutable.
1042. Au sein de la doctrine suisse, seul Bernhard WALDMANN décrit les
« Sinti und Roma »1476 comme un groupe de personnes reconnaissables égale-
ment sous l’angle de leur identité culturelle implicitement protégée par
l’article 8 al. 2 Cst. pour ses facettes autres que leur langue, leur religion et leur

1472
GLAUS, pp. 144-145. Voir également le postulat zurichois PRELICZ-HUBER/WEBER n° 314/2004, du 23
août 2004 : ces deux députés enjoignent le gouvernement cantonal à agir afin que « die Fahrenden
in der Ausübung ihrer Kultur nicht länger diskriminiert werden ».
1473
GLAUS, p. 146.
1474
Contra RIEDER (1999), p. 164.
1475
Voir l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Stránická, Loren-
zen, Fischbach et Casadevall, relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95,
CEDH 2001-I, § 3.
1476
Selon nous, ce couplet recouvre l’ensemble des groupes tziganes, car l’auteur qualifie également les
Jénisch de groupe ethno-culturel spécifique ; WALDMANN (2003), p. 653.

295
La situation juridique des Tziganes en Suisse

représentation du monde. Pour cet auteur, ces aspects-là sont, en effet, cou-
verts par la notion d’identité ethno-culturelle1477.
1043. Au vu de ce qui précède, nous pouvons conclure que l’ascendance tzi-
gane d’une personne est couverte par le critère de l’origine, tandis que
l’expression de la culture tzigane, qu’il s’agisse du voyage, de la langue ou des
activités économiques traditionnelles, doit être protégée par le biais du critère
de la culture. Elever cette dernière au rang de caractéristique sensible offre aux
traditions tziganes une protection complète contre la discrimination.

2.4. Synthèse et appréciation

1044. Le fait que l’interdiction de la discrimination des Tziganes puisse se


fonder sur une pluralité de critères a plusieurs conséquences. Tout d’abord,
rappelons que ce cumul conduit à ne pas restreindre la protection conférée par
l’article 8 al. 2 Cst. aux Tziganes nomades, jénisch et suisses. Ainsi, le critère de
l’origine permet de prévenir les discriminations fondées sur l’appartenance à
un groupe ethnique spécifique1478.
1045. Au-delà de sa dimension unificatrice, l’apport principal de cette ap-
proche plurielle est de souligner l’importance fondamentale que revêt le no-
madisme pour l’identité d’une personne tzigane, en tant qu’élément culturel
autour duquel gravitent les autres traditions, et ce qu’il soit effectivement vécu
ou qu’il ne fasse plus que l’objet de souvenirs familiaux. Le regain d’intérêt à
l’égard du voyage des jeunes générations issues de familles sédentarisées dé-
montre le rôle fortement identitaire du voyage.
1046. Bien que n’étant qu’une facette parmi d’autres de la culture tzigane,
elle-même multiforme du fait de l’hétérogénéité des communautés, sa place
centrale a pour effet que la multitude de barrières posées à son expression,
d’une part, et les discours et actes de mépris prononcés à l’égard de ceux qui le
vivent ou l’ont vécu, d’autre part, touchent directement à l’identité personnelle
des Tziganes, et donc à leur dignité.
1047. Enfin, en replaçant le voyage dans un contexte dépassant clairement le
simple choix de passer sa vie sur les routes, le rattachement du nomadisme des
Tziganes à ses dimensions ethniques et culturelles souligne également
l’importance de la reconnaissance, du respect et de la préservation des autres
aspects traditionnels, tels que la langue ou l’organisation socio-économique.
1048. Au vu de la méconnaissance et des préjugés de la société majoritaire à
l’égard des us et coutumes tziganes, ce redimensionnement leur confère, pour

1477
WALDMANN (2003), p. 586. Soulignons ici que pour cet auteur, on peut aussi rattacher la discrimina-
tion subie par ces deux ethnies de Tziganes au critère de la «race », interprété restrictivement en le
limitant aux caractéristiques physiques externes.
1478
PULVER, p. 270 ; WALDMANN (2003), pp. 689-690.

296
Titre Troisième - Le principe d’égalité

ainsi dire, leurs lettres de noblesse. Cette qualification juridique peut mener, à
terme, à la reconnaissance concrète de la valeur de cette minorité aux yeux de
la société sédentaire et, par la même occasion, de sa fragilité et de la nécessité
de la préserver. Ce processus de valorisation représente ainsi une importante
première étape pouvant conduire au démantèlement des stéréotypes persis-
tant au sein de la société majoritaire.
1049. Au regard de l’article 8 al. 2 Cst. lui-même, ce cumul de critères a pour
conséquence de rendre éminemment sensibles et suspectes les mesures prises
par les autorités qui sont amenées à légiférer ou à statuer dans les domaines
concernant l’itinérance traditionnelle tzigane. Ainsi, ces dernières doivent se
montrer très attentives au risque élevé de discrimination de certains de leurs
actes. Par conséquent, les distinctions ou les assimilations effectuées par ces
derniers doivent être présumés dépréciatifs1479.

3. Les mesures et pratiques discriminant les Tziganes

1050. Dans son rapport relatif à la situation des Tziganes en Europe1480, le


Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe relève que les sen-
timents anti-tziganes sont si fortement ancrés dans la société majoritaire que la
discrimination à leur égard est généralement tolérée et n’est pas considérée
comme illégale. La précarité et la vulnérabilité socio-économique et juridique
des Tziganes, quel que soit l’Etat en cause, trouvent ainsi essentiellement leurs
fondements dans la difficulté, voire la réticence ou même encore le refus, des
autorités d’appliquer pleinement aux Tziganes les exigences découlant de ces
garanties1481.
1051. Pour sa part, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a
eu l’occasion d’affirmer à de nombreuses reprises que la discrimination de facto
subie par les Tziganes dans la jouissance de leurs droits économiques, sociaux
et culturels a pour conséquence que leur marginalisation économique perdure.
Cette situation a également pour effet qu’en cas de crise économique, cette mi-
norité se retrouve particulièrement affectée1482.
1052. Pour illustrer des situations de discrimination directe (3.1.) et de dis-
crimination indirecte (3.2.) que peuvent rencontrer les Tziganes, nous présen-

1479
PULVER, p. 270.
1480
Rapport final du Commissaire aux droits de l’homme sur la situation en matière de droits de
l’homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe, Strasbourg, février 2006, Comm-
DH(2006)1.
1481
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, § 13-14.
1482
Observation générale n° 27 du CERD, § 27-33. Voir également les Conclusions du CERD relatives
aux rapports de la Finlande, UN Doc. CERD/C/304/Add. 7, § 10, de la République tchèque, UN Doc.
CERD/C/304/Add. 109, §9, de la Bulgarie, UN Doc. CERD/C/304/Add. 29, §8. Voir également VAN-
DENHOLE, p. 98.

297
La situation juridique des Tziganes en Suisse

tons ci-après plusieurs affaires ayant été portées devant la Cour européenne
des droits de l’homme1483.
1053. Ces cas d’espèce illustrent comment un contexte de discrimination ra-
ciale généralisée à leur égard influence le respect de leurs droits fondamentaux
individuels. Ils mettent en exergue les obstacles que connaissent les Tziganes
pour faire valoir le respect de ces droits. Ils soulignent également les difficultés
que connaît une autorité judiciaire, en l’occurrence la Cour de Strasbourg,
pour parvenir, d’une part, à un constat de violation substantielle de
l’interdiction de la discrimination, d’autre part, à une violation de
l’interdiction de la discrimination indirecte.

3.1. La discrimination des Tziganes sous sa forme directe

1054. La violation de l’interdiction de la discrimination sous sa forme directe


a été constatée par la Cour européenne des droits de l’homme en rapport avec
le respect des garanties de procédure, dans des affaires mettant en cause des
violations du droit à la vie ou de l’interdiction des traitements inhumains et
dégradants (3.1.1.), ainsi que dans un litige portant sur l’éviction d’une famille
de Tziganes nomades de leur place de stationnement (3.1.2.).

3.1.1. La violation du droit à la vie ou de l’interdiction des traitements


inhumains et dégradants combinée avec l’article 14 CEDH

1055. Dans son Observation générale n° 27 consacrée à la discrimination à


l’égard des Tziganes, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale
met l’accent sur l’obligation des Etats parties de défendre la sécurité et
l’intégrité physique des Tziganes. Les Etats doivent notamment garantir
l’action rapide et efficace des forces de l’ordre et des autorités judiciaires lors
d’actes de violence raciste commis à leur égard, et en assurant que leurs au-
teurs ne bénéficient d’aucune impunité1484. Le Comité souligne également
l’importance de mesures garantissant que la police ne fasse pas un emploi illé-
gal de la force lorsque des Tziganes sont arrêtés et détenus1485.
1056. Cette prise de position reflète des situations de discrimination repor-
tées notamment par la Commission européenne contre le racisme dans ses
rapports rendus au sujet de certains Etats1486, et confirmées par la jurispru-

1483
Au niveau universel, le CDH n’a pas encore eu l’occasion d’être saisi de communications déposées
par des particuliers tziganes faisant grief de la violation de l’art. 26 Pacte II à leur égard. Il n’est
donc pas possible d’effectuer une comparaison entre la pratique de cet organe et de la Cour euro-
péenne des droits de l’homme.
1484
Observation générale n° 27 du CERD, § 12.
1485
Observation générale n° 27 du CERD, § 13.
1486
Voir ainsi notamment le deuxième rapport de l’ECRI relatif à la Grèce, du 27 juin 2000, § 26-27,
ainsi que le troisième, du 8 juin 2004, § 105-106.

298
Titre Troisième - Le principe d’égalité

dence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, les juges de Stras-
bourg ont conclu à plusieurs reprises à la violation des articles 2 et 3 CEDH,
pour manquement aux obligations en matière de garanties de procédure en re-
lation avec des affaires mettant en cause des Tziganes. Ces derniers avaient été
soit victimes de violences policières1487 (a), soit victimes de violences et de des-
truction de leurs biens par la population1488 (b).

a) Les violences policières

1057. Dans les affaires Natchova et al., d’une part, et Bekos et Koutropolos,
d’autre part, qui mettaient en cause des violences policières, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme a affirmé que la violence raciste constitue une
atteinte particulièrement grave à la dignité humaine, qui impose aux autorités
une vigilance et une réactivité accrues. Les autorités ont ainsi le devoir
d’ouvrir une enquête approfondie sur la présence possible de motifs racistes
ayant engendré des actes violents de la part d’agents de l’Etat ; à défaut d’une
telle enquête, elles ne respectent pas leurs obligations au regard de
l’interdiction de la discrimination1489.
1058. Confrontée au grief de violences racistes, la Cour considère que
l’article 14 CEDH est matériellement violé lorsqu’elle peut établir que le ra-
cisme a été le facteur causal déterminant pour expliquer la violence des agents
de l’Etat1490. Dans ces deux affaires, toutefois, la Cour n’a retenu la violation de
l’article 14 CEDH que dans son aspect procédural : elle n’a pas constaté de vio-
lation substantielle, en estimant qu’il n’avait pas été démontré que les actes de
violence policière avaient bel et bien été motivés par des considérations racis-

1487
Violences policières ayant entraîné la mort, qualifiées de violation du droit à la vie au sens de l’art. 2
CEDH: ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, CEDH 2002-IV ; ACEDH Natchova et al. c. Bul-
garie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, CEDH 2005-… Violences policières qualifiées de traitements
inhumains et dégradants au sens de l’art. 3 CEDH : ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n°
15250/02, CEDH 2005-… (extraits); ACEDH Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998,
Recueil des arrêts et décisions, 1998-VIII; concernant ce dernier arrêt, voir également le commen-
taire de ROSENBERG (1999), pp. 392-393.
1488
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, CEDH 2005-…(extraits).
1489
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 69-75, CEDH 2005-… ; ACEDH ACEDH Nat-
chova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 158-164, CEDH 2005-… Comp. toutefois
l’ACEDH Osman c. Bulgarie, n° 43233/98, § 88-91, 16 février 2006 : selon la Cour de Strasbourg, le
fait que les requérants – des Bulgares d’origine turque – aient été insultés par les forces de l’ordre
en étant traités de « Tziganes » n’exigeait pas l’ouverture d’une enquête sur l’attitude raciste des
auteurs, du fait que les propos injurieux ne faisait pas référence à l’origine ethnique réelle des re-
quérants. L’absence de contexte de discrimination générale à l’égard des Bulgares turcs a égale-
ment pesé sur la conclusion de la Cour de Strasbourg. A notre sens, ce raisonnement est très
contestable. En effet, il est difficile de nier le caractère raciste et dénigrant d’une insulte utilisant le
nom d’une ethnie, aussi bien à l’égard de la personne insultée que de l’ethnie en cause, ce d’autant
plus quand cette dernière souffre d’un statut particulièrement vulnérable au regard de la discrimina-
tion dans l’Etat en question, comme le relève elle-même la Cour de Strasbourg dans cet arrêt (§
90).
1490
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 64, CEDH 2005-…

299
La situation juridique des Tziganes en Suisse

tes1491. Or, la Cour estime qu’en matière de violences racistes, il est difficile de
se contenter de l’apport de la preuve d’un résultat discriminatoire et qu’au
contraire, l’apport de la preuve de la volonté subjective de l’auteur de l’acte est
nécessaire1492.
1059. Malgré cette conclusion en demi-teinte, ce constat de violation procé-
durale représente une évolution de sa jurisprudence, puisqu’en 2002 encore,
dans son arrêt Anguelova touchant également à des violences policières ayant
entraîné la mort d’un Tzigane bulgare, la Cour n’avait conclu à aucun man-
quement à l’article 14 CEDH. En effet, malgré l’aspect éminemment sérieux
des arguments avancés par la requérante, l’absence de preuve établie au-delà
de tout doute raisonnable avait alors constitué un obstacle dirimant aux yeux
des juges1493.
1060. Cette approche extrêmement restrictive avait d’ailleurs suscité de vi-
ves critiques de la part de la minorité dissidente de la Cour, qui avait dénoncé
la persistance de « [l’]incapacité [de la Cour] à établir un lien entre des abus
physiques et l'origine [tzigane] » des victimes, malgré les rapports concordants
des organisations non gouvernementales et internationales sur ce point1494.
1061. Incidemment, on relèvera que dans l’arrêt Assenov, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme a constaté une violation du droit au recours in-
dividuel au sens de l’ancien article 25 al. 1 CEDH1495, car la victime et sa fa-
mille avaient fait l’objet de pressions de la part des autorités en vue de les dis-
suader de saisir les instances conventionnelles. Les juges ont expressément mis
en avant la relation entre l’importance et le poids de ces pressions et
l’appartenance des victimes à la minorité tzigane, reconnaissant que c’est le

1491
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 63-68, CEDH 2005-… ; ACEDH Natchova et
al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 155-157, CEDH 2005-…..
1492
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 65, CEDH 2005-… ; ACEDH Natchova et al. c.
Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 157, CEDH 2005-… Au regard des éléments constitutifs
de l’art. 8 al. 2 Cst. dégagés par le Tribunal fédéral, où la motivation subjective derrière l’acte de
l’autorité n’est pas pertinente, on peut estimer que notre Haute Cour ne parviendrait pas à une
conclusion similaire.
1493
ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, §163-168, CEDH 2002-IV. Dans cet arrêt, le fils de la
requérante était décédé au poste de police, à la suite de son arrestation pour tentative de vol. La
requérante a fait valoir que les policiers se référaient de manière réitérée aux origines tziganes de
son fils, et que les actes des autorités bulgares devaient placés dans le contexte plus large de ra-
cisme et d’hostilité systématique à l’égard des Tziganes en Bulgarie, dénoncés par de nombreuses
ONG. La Cour de Strasbourg a admis que l’établissement d’une preuve „au-delà de tout doute rai-
sonnable“ pouvait résulter d’un faisceau d’indices suffisamment graves, répétés et concordants.
Bien que qualifiés de „sérieux“, les arguments de la requérante n’ont pas conduit la Cour à admettre
que la preuve avait été établie au-delà de tout doute raisonnable. Voir également l’ACEDH Velikova
c. Bulgarie, n° 41488/98, §94, 2000-VI: dans cet arrêt, la Cour de Strasbourg avait également sou-
ligné que les autorités n’avaient pas procédé à toutes les enquêtes nécessaires qui auraient pu
éclaircir la situation. Toutefois, elle avait jugé que dans ce cas non plus, la requérante n’avait pas
apporté de preuve suffisante.
1494
Opinion dissidente du juge Bonello relative à l’ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, CEDH
2002-IV, § 5.
1495
Correspondant à l’art. 34 CEDH depuis l’entrée en vigueur du Protocole additionnel n°11.

300
Titre Troisième - Le principe d’égalité

statut vulnérable de ce groupe qui avait permis aux autorités d’exercer ces
contraintes1496.

b) La destruction de biens par des tiers

1062. L’ACEDH Moldovan a trait à l’incapacité des autorités bulgares à par-


venir, durant plus de dix ans, à réparer la violation des droits des requérants.
Ceux-ci avaient été victimes, en raison de leurs origines tziganes, de la destruc-
tion de leurs logements et de leurs biens par la population de leur village1497.
Du fait que ces événements s’étaient produits avant l’entrée en vigueur de la
CEDH en Roumanie en 1994, la Cour européenne des droits de l’homme n’a
pas pu les examiner directement1498. Cependant, les obstacles et les carences
des autorités pour dédommager subséquemment les requérants ont conduit la
Cour à conclure à une violation l’article 8 CEDH1499.
1063. Par ailleurs, la Cour a constaté que les requérants avaient été directe-
ment confrontés à différents stades de la procédure à des remarques à carac-
tère ouvertement raciste à leur égard. Elle a également constaté que les autori-
tés avaient explicitement refusé d’octroyer une pleine et entière indemnisation
aux requérants en raison de leurs origines tziganes. L’attitude générale des au-
torités avait été de ce fait si discriminatoire et si attentatoire à la dignité hu-
maine des requérants qu’elle pouvait être assimilée à un traitement dégradant
au sens de l’article 3 CEDH1500.
1064. En outre, aux yeux de la Cour, le comportement discriminatoire des
autorités a également joué un rôle décisif dans la lenteur des procédures qui
constituait, par ailleurs, une violation de l’article 6 § 1 CEDH1501. En effet, la
Cour a conclu à une violation de l’article 14 en rapport avec l’article 6, en
considérant qu’il apparaissait clairement de l’affaire que si les requérants
n’avaient pas été d’origine tzigane, leur demande en réparation aurait été trai-
tée dans de plus brefs délais par les autorités roumaines. En conséquence,
l’attitude des autorités constituait une inégalité de traitement dénuée de fon-
dements objectifs et raisonnables1502.

1496
ACEDH Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Rec. 1998-VIII, §169-171. Voir
également l’état de fait de cet arrêt, § 50-53, évoquant la campagne de presse dénonçant
l’assignation de l’Etat bulgare à Strasbourg par des « activistes tsiganes » ayant « trompé Amnesty
International ». ROSENBERG (1999), pp. 394-396.
1497
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, § 139, CEDH 2005-… (extraits).
1498
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, § 102, CEDH 2005-… (extraits).
1499
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, § 109, CEDH 2005-… (extraits).
1500
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §108-114, CEDH 2005-… (extraits).
Rappelons, à cet égard, que la Cour qualifie la violence raciste d’affront particulier à la dignité hu-
maine, qui exige de la part des autorités une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse ; ACEDH
Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 63, CEDH 2005-… ; ACEDH Natchova et al. c. Bulga-
rie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-…..
1501
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §129-131, CEDH 2005-… (extraits).
1502
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §139-140, CEDH 2005-… (extraits).

301
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.1.2. L’éviction de terrains de stationnement

1065. Dans l’arrêt Connors, le requérant attaquait la réglementation britanni-


que appliquée à la procédure d’éviction des places de stationnement officielles
gérées par les autorités en faveur des Tziganes. Celle-ci prévoit, en effet, que
les autorités n’ont pas à fournir de motifs justificatifs lorsqu’elles décident
d’évacuer un lieu de halte1503. Par ailleurs, le requérant s’était vu refuser le
droit de saisir un tribunal pour contester les mesures ordonnées à son
égard1504. Les juges de Strasbourg ont conclu que les garanties procédurales
n’avaient pas été respectées à l’égard du requérant lors de l’éviction sommaire
de son terrain de stationnement, entraînant une violation de l’article 8
CEDH1505.
1066. Les juges ne se sont pas exprimés sur le bien-fondé de l’éviction elle-
même, estimant que leur rôle se limitait à déterminer si le cadre légal avait of-
fert une protection formelle suffisante au recourant1506. Selon les termes de la
Cour, le cas d’espèce touchait à « the policy of procedural protection for a particular
category of persons », le requérant exigeant que lui soient appliquées les mêmes
procédures que celles en vigueur pour les logements habituels et les autres ter-
rains de stationnement de caravanes, y compris ceux gérés par des privés tzi-
ganes1507.
1067. La Cour a relevé le lien étroit existant entre le caractère sommaire de la
procédure d’éviction et la qualité de Tzigane du requérant et de sa famille. Elle
a rejeté les arguments du gouvernement relatifs à la nécessité de pouvoir faire
recours d’une manière générale à l’éviction sommaire en la matière, en esti-
mant qu’il n’était pas démontré que l’application des procédures habituelles
poserait des obstacles insurmontables à une gestion adéquate de ce type de

1503
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 92, 27 mai 2004.
1504
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 23 et 92, 27 mai 2004
1505
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004. Bien que la Cour de Strasbourg recon-
naisse aux Etats une large marge d’appréciation en matière de politique sociale et économique,
cette marge est plus restreinte lorsque sont en cause des droits fondamentaux pour l’identité et
l’intégrité personnelle des particuliers ; ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004,
§ 82 ; ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, série A n° 109, § 55 ; ACEDH
Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n°28957/95, § 90, CEDH 2002-VI.
1506
Pour la Cour, les Etat bénéficient d’une marge d’appréciation en matière de politique de logement
qui a pour effet qu’elle respecte les intérêts publics et les objectifs qu’ils poursuivent. Toutefois,
dans ce contexte, la Cour s’estime légitimée à analyser si les individus ont accès à des garanties
procédurales suffisantes. Dans le cas contraire, elle considère que la marge d’appréciation des auto-
rités n’a pas été respectée; ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 82-84, 27 mai 2004.
Nous analyserons ultérieurement de manière détaillée la portée de la jurisprudence de la Cour pour
la protection du logement, en particulier dans le contexte des caravanes tziganes; infra Chapitre III,
Section C, 2.2.
1507
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 85-86, 27 mai 2004.

302
Titre Troisième - Le principe d’égalité

terrains1508. Les juges ont ainsi conclu que le contexte spécifique du noma-
disme tzigane n’exigeait pas de réglementation spéciale sur ce point1509.
1068. Dès lors, on regrettera que la Cour de Strasbourg ait jugé qu’aucune
question complémentaire ne se posait au regard de l’article 14 CEDH dans
cette affaire1510. En effet, on peut considérer qu’un tel traitement distinct injus-
tifié, se fondant sur le mode de vie particulier des personnes concernées, cons-
titue une discrimination directe, in casu du requérant et de sa famille, mais éga-
lement, d’une manière plus générale, des Tziganes vivant encore de manière
traditionnelle.
1069. Les juges n’ont pas manqué de souligner que le gouvernement britan-
nique portait une part de responsabilité dans les difficultés rencontrées par les
Tziganes à pouvoir vivre leur mode de vie nomade de manière active. Ils ont
également mis en exergue le fait qu’en parallèle, ceux qui souhaitaient arrêter
leurs caravanes de manière durable sur des terrains gérés par les autorités
étaient exclus des garanties habituelles en matière de procédure d’éviction1511.
1070. En somme, la Cour a tout d’abord estimé que du fait de leur mode de
vie et de leur culture, les Tziganes ne peuvent pas être assimilés à des person-
nes appartenant à la majorité sociale et culturelle. Ensuite, elle a conclu que le
cadre juridique entourant l’exercice de leur mode de vie rendait ce dernier par-
ticulièrement difficile à vivre et les soumettait à des incertitudes inadmissibles
en matière de jouissance de leurs droits individuels les plus fondamentaux. Il
s’agit là d’une situation de discrimination directe au sens de l’article 14 CEDH
que la Cour européenne des droits de l’homme aurait pu et dû constater expli-
citement.

3.2. La discrimination des Tziganes sous sa forme indirecte

1071. Contrairement à sa pratique en matière de garanties procédurales, la


Cour européenne des droits de l’homme fait preuve d’une « frilosité cer-

1508
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 88-89, 27 mai 2004. Ainsi, la Cour de Strasbourg
n’a pas été convaincue qu’un tel procédé était nécessaire pour pouvoir offrir un certain nombre de
places suffisantes pour faire face aux besoins des Tziganes nomades, du fait que la majorité des
Tziganes vivant de manière traditionnelle en Grande-Bretagne ne voyagent presque plus. Les juges
n’ont pas non plus considéré que la lutte contre les comportements anti-sociaux imposait de telles
mesures, ce d’autant plus que ce risque existe également dans les logements habituels et les autres
types de terrains de stationnement. Enfin, le fait que les frais de location du terrain aient atteint in
casu le double de ceux exigés pour des logements habituels tenus par l’Etat a rendu nul l’argument
des autorités consistant à affirmer que les coûts engendrés par des procédures devant les tribunaux
risqueraient d’être répercutés sur les tarifs de location des places, et qu’en conséquence la commu-
nauté tzigane dans son ensemble risquerait d’être prétéritée par la perte des avantages liés à des
frais de location peu élevés.
1509
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, §94-95.
1510
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 97.
1511
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 94 in fine.

303
La situation juridique des Tziganes en Suisse

taine »1512 pour reconnaître les formes moins évidentes de la discrimination


dont font l’objet les Tziganes. On peut, en effet, observer cette réticence à la
lumière d’affaires mettant en cause le cadre juridique entourant le stationne-
ment de caravanes tziganes (3.2.1.), l’organisation de manifestations culturelles
tziganes (3.2.2.) et le placement d’enfants tziganes dans des écoles spécialisées
pour enfants handicapés (3.2.3.).

3.2.1. Le stationnement de caravanes tziganes

1072. Dans l’arrêt Chapman, la requérante avait acquis un terrain situé dans
une zone agricole de haute valeur paysagère et souhaitait pouvoir y établir sa
caravane. Elle avait décidé d’opter pour cette solution après avoir passé plu-
sieurs années à devoir se déplacer, sous la pression des autorités, entre des ai-
res d’accueil officielles temporaires et des sites non officiels. Les autorités lui
refusaient toutefois le permis d’aménagement nécessaire en raison de la nature
du terrain acquis1513. Elle invoquait une violation de l’article 8 CEDH, ainsi que
l’article 14 CEDH en combinaison avec cette première disposition.

a) Le raisonnement de la Cour

1073. La Cour a commencé par reconnaître que le droit au respect de la vie


familiale de Madame Chapman, protégé par l’article 8 CEDH, subissait une
ingérence. En effet, elle a jugé que la vie en caravane faisait partie intégrante
de l’identité tzigane de la requérante et que les mesures portant sur le station-
nement des caravanes influençaient sa capacité à la conserver1514. En 1996 en-
core, dans sa jurisprudence Buckley, la Cour avait restreint son examen de la
problématique à une question de respect du domicile1515. Il découle de l’arrêt
Chapman qu’une mesure étatique doit s’analyser non seulement à l’aune de la
prise en compte des spécificités minoritaires, mais également au regard de
l’attention portée sur les motifs avancés pour légitimer l’ingérence1516.
1074. Toutefois, dans une seconde étape, la Cour a conclu au respect de cette
disposition, en estimant que l’ingérence était proportionnée au but légitime
poursuivi, à savoir la protection de l’environnement1517. Pour parvenir à cette

1512
ROSENBERG (1999), p. 389.
1513
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 10-16, CEDH 2001-I.
1514
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 73, CEDH 2001-I.
1515
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 76. Comp. l’opinion
dissidente du juge Pettiti. Pour une critique de l’approche restrictive adoptée par la Cour à cette oc-
casion, voir DE SCHUTTER, p. 77 ; SUDRE (2001), p. 910.
1516
MORAWA, p. 103.
1517
Au sujet de cette analyse, voir notre critique infra Chapitre III, Section C, 2.3.

304
Titre Troisième - Le principe d’égalité

conclusion, la question de l’existence ou non d’une situation de discrimination


à l’égard des Tziganes s’avère centrale dans le raisonnement de la Cour.
1075. En effet, au stade même de son analyse de l’article 8, la Cour affirme
que les situations des Tziganes et des non-Tziganes sont si similaires en ma-
tière d’accès au logement qu’elles n’exigent pas de procéder à une distinction
entre ces deux groupes de population. Les juges ont ainsi estimé que Madame
Chapman se trouvait dans une situation analogue à celle des personnes « qui
ne peuvent continuer à habiter dans des lieux ou des maisons qui leur plai-
sent »1518.
1076. La majorité de la Cour a par ailleurs considéré que, d’une manière
générale, les Tziganes « ne sont pas traités plus mal que tout non-Tsigane (sic)
qui souhaite vivre dans une caravane et n’apprécie pas d’habiter dans une
maison »1519. Au contraire, effectuer une telle différenciation « soulèverait des
problèmes substantiels au regard de l’article 14 de la Convention ». En effet,
les non-Tziganes ne sont pas autorisés à pallier le manque de logements à leur
disposition par la construction d’habitations en zones protégées en droit de
l’environnement1520. De ce fait, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer
un régime distinct aux Tziganes stationnés illicitement et qu’en conséquence,
l’ingérence subie par la recourante au regard de l’article 8 poursuit un but légi-
time et est proportionnée.
1077. Enfin, se fondant explicitement sur ce constat de non-violation de
l’article 8, la Cour conclut dans une dernière étape au respect de l’article 14, en
affirmant qu’elle ne constatait pas que les « mesures prises contre la requé-
rante étaient dénuées de justification objective et raisonnable »1521.

b) Appréciation

1078. L’arrêt Chapman appelle plusieurs remarques au regard de


l’interdiction de la discrimination. Tout d’abord, en craignant de prétériter les
non-Tziganes en distinguant leur situation de celle des Tziganes, les juges de
Strasbourg se sont montrés plus sensibles à la situation abstraite des premiers
qu’à celle, concrète, des seconds1522. Cette interprétation ne prend pas en
compte le fait que l’appartenance de la requérante à la minorité tzigane – cons-
tatée par la Cour elle-même - a pour conséquence qu’elle ne se trouve pas dans
une situation comparable à celle d’une personne appartenant à la majorité so-

1518
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 113, CEDH 2001-I.
1519
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 97, CEDH 2001-I. Pour une critique de cette
assimilation, voir SUDRE (2001), p. 913.
1520
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 95 et 129, CEDH 2001-I.
1521
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 129-130, CEDH 2001-I.
1522
ROSENBERG (2001), p. 1030.

305
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ciale. En effet, les difficultés qu’elle rencontre pour trouver un lieu de station-
nement ne sont pas analogues à celles que connaissent les sédentaires pour
pouvoir trouver un logement1523.
1079. Ensuite, l’analyse du grief de violation de l’article 14 CEDH laisse ap-
paraître quelques contradictions. Alors que la Cour affirme quelques considé-
rants auparavant que l’on ne saurait appliquer de régime distinct aux Tziganes
et qu’il était légitime de traiter ces derniers de manière similaire aux non-
Tziganes, elle constate malgré tout la présence de motifs objectifs et raisonna-
bles justifiant l’inégalité de traitement dont a fait l’objet la requérante1524.
1080. Enfin, de manière surprenante, le grief de violation de l’article 14
CEDH perd, dans cet arrêt, toute dimension autonome : considérant que dès
lors que la restriction apportée à l’article 8 était légitime, l’inégalité de traite-
ment était motivée objectivement et raisonnablement, la Cour vide de son sens
la portée autonome de l’article 14.

3.2.2. L’organisation d’une manifestation culturelle tzigane

1081. Dans la décision sur la recevabilité en l’affaire The Gypsy Council et al. c.
Royaume-Uni1525, les requérants faisaient grief d’une violation des articles 8, 11
et 14 CEDH en raison du refus des autorités d’autoriser la tenue d’une foire
traditionnelle aux chevaux. Concernant l’article 8 CEDH, ils ont fait valoir que
cette foire était un événement social et culturel particulièrement important
pour les Tziganes britanniques et qu’elle faisait donc partie de l’expression de
leur identité culturelle minoritaire1526.
1082. La consécration, un an auparavant, du « standard Chapman » n’a pas
trouvé de suite dans cette décision. Pourtant, des éléments identitaires cultu-
rels minoritaires étaient incontestablement en cause et ils exigeaient des juges
qu’ils étudient la question au moyen de cette grille d’analyse1527. Or, tout
d’abord, la Cour n’examine pas le grief tiré de l’article 8 CEDH. Ensuite, elle
déclare manifestement mal fondé celui basé sur l’article 11 CEDH au motif
qu’organiser la foire en prévoyant des conditions logistiques de sécurité et
d’ordre plus strictes n’aurait pas nécessairement empêché les troubles à l’ordre
public qui étaient prévisibles1528. Ce faisant, elle n’attache aucune attention

1523
Opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenezen,
Fischbach et Casadevall, relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH
2001-I, §8. HENRARD (2004), p. 187 ; MORAWA, p. 102 ; ROSENBERG (2001), pp. 1024-1033 ; SUDRE
(2001), p. 913.
1524
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 129, CEDH 2001-I
1525
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002.
1526
Voir l’état de fait de la décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n°
66336/01, 14 mai 2002.
1527
MORAWA, pp. 104-105 et 109.
1528
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002,
partie II, A, 1.

306
Titre Troisième - Le principe d’égalité

particulière au besoin de prendre en compte l’identité minoritaire des requé-


rants et n’examine pas avec une attention accrue les motifs justificatifs avancés
par les autorités1529.
1083. Dans ce contexte, la conclusion de la Cour relative à l’article 14 CEDH
n’est pas surprenante. Considérant que toute personne intéressée à participer à
la foire, quelle que soit son origine, n’a pas pu participer à cette manifestation
et estimant que la décision des autorités n’était motivée par aucune intention
discriminatoire, ni n’avait de tels effets, les juges ont également rejeté ce grief
comme étant manifestement mal fondé1530.
1084. Or, puisque cette foire est un événement culturel tzigane, la majorité
des personnes intéressées aurait été d’origine tzigane, comme l’ont souligné les
requérants et comme l’ont reconnu les autorités compétentes, qui ont admis
que la décision de refus aurait un impact « disproportionné » sur des Tziga-
nes1531.
1085. Tout en reconnaissant que les droits fondamentaux de ces derniers
étaient atteints, les autorités locales ont jugé qu’elles devaient avant tout faire
primer l’ordre public et prévenir toute perturbation dans la vie quotidienne de
la communauté. Les autorités judiciaires les ont suivies, puisqu’elles ont
considéré que les pouvoirs locaux devaient bénéficier, sur ce point, d’une
pleine liberté d’appréciation1532.
1086. En conséquence, il est difficilement contestable que, dans ses effets du
moins1533, l’interdiction a eu un effet négatif particulièrement lourd pour le
groupe tzigane. Il eut été dès lors bienvenu d’examiner de manière plus appro-
fondie si elle était justifiée par des motifs objectifs et raisonnables, et ne pas se
limiter à l’argument du maintien de l’ordre public1534.

1529
Par ailleurs, le raisonnement de la Cour de Strasbourg est également sujet à caution même si l’on
élimine le facteur identitaire minoritaire de la problématique : l’interdiction complète d’une manifes-
tation est la mesure la plus incisive qui puisse être ordonnée ; MORAWA, p. 109.
1530
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002,
partie II, A, 2.
1531
Le rapport des autorités, cité par MORAWA, p. 99, énonce : « Whilst the Order may disproportionate-
ly impact on gypsies and travellers in respect of this event, it is not in itself discrimantory in that it
applies equally to any person trespassing or intending to trespass within the area to which the Or-
der applies. »
1532
Voir les documents cités par MORAWA, p. 99, absents de l’arrêt de la Cour.
1533
Les documents produits par les autorités devant la Cour de Strasbourg laissent transparaître les
peurs et les préjugés de la population locale ; MORAWA, note 49, p. 105 et p. 109.
1534
MORAWA, pp. 104-105

307
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.2.3. Le placement d’enfants tziganes dans une école spécialisée

1087. L’affaire D.H. et al. c. République tchèque1535 montre qu’il est délicat de
constater l’existence d’une ségrégation systématique cachée qui transparaîtrait
par le biais de statistiques.
1088. Les requérants, des Tziganes tchèques mineurs représentés par
l’organisation European Roma Rights Center, invoquaient une violation de
l’article 14 CEDH en relation avec l’article 2 du Protocole n° 1, consacrant le
droit à l’instruction1536. S’étant trouvés durant plusieurs années dans des écoles
spécialisées destinées à des enfants présentant des déficiences intellectuelles,
ils estimaient que leur placement avait été effectué en suivant une pratique
établie ayant pour effet une discrimination raciale de facto à l’égard des enfants
tziganes. Selon eux, celle-ci se traduisait par l’existence de deux systèmes sco-
laires distincts, à savoir les écoles spéciales pour les Tziganes, d’une part, et les
écoles primaires « ordinaires » pour la population majoritaire, d’autre part.
1089. Avant d’analyser le bien-fondé de ces griefs (b), on relèvera, dans un
premier temps, que la question de l’existence d’un contexte de discrimination
généralisé à l’égard des Tziganes en République tchèque a eu un effet direct
sur la recevabilité de la requête (a).

a) La recevabilité de la requête

1090. Le gouvernement tchèque avait soulevé l’exception préliminaire de


non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 CEDH. Il
considérait, en effet, que les requérants n’avaient ni saisi les organes
d’inspection scolaire, ni déposé d’action en protection des droits de la person-
nalité fondée sur le code civil1537.
1091. Pour leur part, les requérants soutenaient qu’il n’existait aucun recours
effectif, disponible et suffisant pour faire valoir le grief tiré de la discrimination
raciale dans le contexte de l’éducation, car la République tchèque n’avait au-
cune législation antidiscriminatoire stricto sensu. De plus, ils argumentaient
qu’il existait une pratique administrative ne sanctionnant pas le racisme et que

1535
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, 7 février 2006.
1536
Comp. les Observations finales du CDESC relatives à la République tchèque, du 5 juin 2002, UN
Doc. E/C.12/1/Add.76, § 23 : le Comité affirme être « profondément inquiet » au regard de la sur-
représentation d’enfants tziganes dans les écoles spécialisées destinées aux enfants souffrant
d’handicaps mentaux. Pour le Comité, cela a pour conséquence de perpétuer la discrimination de
cette communauté, ainsi que les retards en matière d’éducation et les stéréotypes à l’égard de leurs
capacités mentales.
1537
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 28, 7 février 2006.

308
Titre Troisième - Le principe d’égalité

le contexte de haine raciale rendait inefficace les hypothétiques voies de re-


cours à disposition1538.
1092. La Cour a considéré que cette question était étroitement liée au fond
de l’affaire et que la requête revêtait une importance considérable mettant en
cause des enjeux sérieux. Elle a toutefois jugé inutile d’examiner la question de
la recevabilité, en raison du fait que quant au fond, elle parvenait à un constat
de non-violation de l’article 14 CEDH, combiné avec l’article 2 du Protocole
additionnel n° 11539.

b) Le bien-fondé de la requête

1093. D’après les requérants, les disproportions statistiques concernant le


nombre des enfants tziganes placés dans les écoles spéciales – 80 à 90% des en-
fants dans certaines écoles - ne pouvaient s’expliquer que par de nombreuses
années de ségrégation raciale et par la persistance des préjugés à l’encontre des
Tziganes1540. Cette pratique avait, par ailleurs, des conséquences très domma-
geables, puisque la formation acquise était substantiellement inférieure à la
normale et que seules des places d’apprentissage étaient alors ouvertes pour la
formation secondaire, ce qui contribuait à perpétuer les préjugés sur les capaci-
tés intellectuelles des Tziganes1541.
1094. Bien que se déclarant inquiète au vu des statistiques avancées et re-
connaissant que l’éducation des enfants tziganes restait à parfaire en Républi-
que tchèque, la Cour a jugé néanmoins qu’on ne saurait conclure, dans les cir-
constances d’espèce, à la présence de mesures discriminatoires à l’égard des
requérants. Elle a donc débouté les requérants1542.
1095. Dans son opinion concordante, le juge Costa a précisé qu’il avait eu
lui-même de sérieuses hésitations à se rallier à la majorité, mais que le doute
l’avait emporté en faveur de l’Etat. Selon lui, ce doute portait sur la démonstra-
tion d’une ségrégation systématique avérée. En effet, bien que les statistiques
aient été troublantes, il n’en demeurait pas moins que les écoles spéciales
n’accueillaient pas seulement les enfants d’origine tzigane et que les tests psy-
chologiques effectués pour décider du placement des enfants étaient de nature
objective1543.

1538
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 29, 7 février 2006.
1539
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 30-31, 7 février 2006.
1540
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 39, 7 février 2006.
1541
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 36, 7 février 2006.
1542
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 52-53, 7 février 2006. Le 19 juillet 2006,
la Cour a accepté le renvoi de cette affaire devant la Grande Chambre, suite à la demande des re-
quérants ; communiqué de presse du 19 juillet 2006.
1543
Opinion concordante du juge Costa relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, §1 et 3-4.

309
La situation juridique des Tziganes en Suisse

c) Appréciation

1096. Dans son opinion dissidente, le juge Barreto est parvenu à la


conclusion inverse et a considéré que l’Etat tchèque lui-même avait reconnu
l’existence de la pratique discriminatoire dénoncée. En effet, se référant aux
explications développées par les autorités tchèques dans leur rapport périodi-
que soumis au Comité consultatif de la CPMN, il souligne que les tests psycho-
logiques menés sur les enfants ont été conçus pour la population majoritaire et
ne tenaient pas compte des particularités culturelles et linguistiques des Tzi-
ganes. Ceci a eu pour effet de conduire aux disproportions statistiques consta-
tées1544.
1097. Pour le juge Barreto, l’incapacité de l’Etat à prendre en compte les dif-
ficultés rencontrées par les élèves pour suivre une éducation normale en raison
de leurs particularités culturelles ou linguistiques doit être qualifiée de discri-
minatoire, a fortiori lorsque les mesures ont pour effet de creuser leur handicap
social1545. L’interdiction de la discrimination impose que l’Etat prenne des me-
sures permettant de combler les différences et qui ne doivent en tout cas pas
les aggraver1546.
1098. L’approche du juge Barreto s’avère plus conforme aux standards posés
par la Cour dans sa jurisprudence Thilmennos que ne le sont les conclusions
des juges majoritaires1547. En effet, la discrimination indirecte se constate lors-
qu’il n’existe aucun motif justificatif objectif et raisonnable légitimant les effets
négatifs d’une mesure touchant d’une manière disproportionnée un certain
groupe.
1099. Or, dans l’arrêt D.H. et al., les statistiques des requérants – confirmées
par les autorités – démontrent l’existence de cette disproportion négative.
Celle-ci n’est pas légitimée par des motifs acceptables puisque les tests psycho-
logiques expliquant ce résultat sont eux-mêmes discriminatoires, car ils ne sont
pas adaptés aux particularités culturelles et linguistiques des enfants tziganes

1544
Opinion dissidente du juge Barreto relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, § 2. Voir également les §38-39 de l’arrêt sur la nature des tests.
1545
Opinion dissidente du juge Barreto relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, § 4.
1546
Opinion dissidente du juge Barreto relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, § 5.
1547
Comp. les conclusions de la Cour de Strasbourg dans cette affaire et la position du CERD relative à
la pratique en matière de placement d’enfants tziganes dans des écoles spéciales, et l’importance de
la sensibilisation des enseignants et des professionnels de l’éducation aux particularités identitaires
des enfants tziganes ; Observation générale n° 27 du CERD, § 17-18 ; Observations finales du
CERD relatives à la Hongrie, 2003, § 386. THORNBERRY (2005), p. 259. Voir également sur cette
question les opinions du Comité consultatif de la CPMN relatives à la République tchèque
(ACFC/INF/OP/I (2002) 001, 2001, § 61), la Croatie (ACFC/INF/OP/I (2002) 003, 2001, § 49), et la
Hongrie (ACFC/INF/OP/I (2001) 004, 2000, § 43). THORNBERRY (art. 12), pp. 388-389.

310
Titre Troisième - Le principe d’égalité

tchèques. La marginalisation socio-économique qui s’ensuit contribue par ail-


leurs à perpétuer les stéréotypes et préjugés de la société majoritaire1548.
1100. A titre de comparaison, la prise de position du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels sur cette question est intéressante1549. Faisant
preuve de moins de réticence que le Cour européenne, le Comité affirme être
« profondément inquiet » au regard de la sur-représentation d’enfants tziganes
dans les écoles spécialisées destinées aux enfants souffrant d’handicaps men-
taux. Pour le Comité, cela a pour conséquence de perpétuer la discrimination
de cette communauté, ainsi que les retards en matière d’éducation et les sté-
réotypes à l’égard de leurs capacités mentales.

3.3. Synthèse

1101. Tous les états de fait rapportés dans la jurisprudence que nous venons
d’exposer ne décrivent pas le quotidien des membres de la minorité tzigane en
Suisse. Ceux-ci ne sont notamment pas confrontés à un contexte aussi violent
que celui que connaissent les Tziganes en Bulgarie, par exemple, que cela soit
de la part de la population majoritaire que des agents de l’Etat. A priori du
moins, la jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l’homme
dans les affaires mettant en cause des Tziganes nomades au Royaume-Uni
s’avère dès lors plus intéressante pour analyser la situation prévalant d’une
manière générale en Suisse.
1102. Toutefois, les exigences posées par la Cour de Strasbourg en matière
d’enquête approfondie pour établir l’existence d’un contexte de discrimination
raciale peuvent être transposées sans difficulté en Suisse1550. Ces affaires met-
tent notamment en lumière que la qualité de Tzigane d’une personne peut en-
gendrer à son égard des attitudes violentes, des réactions de rejet, ou encore la
relativisation, voire la négation, de la réalité des dommages et des ingérences
subies, et ce tant de la part de la population que des autorités. Elles indiquent
également que les Tziganes peuvent rencontrer des difficultés à faire reconnaî-
tre le tort subi devant les instances nationales en raison des préjugés à connota-
tion raciste: les stéréotypes peuvent être si fortement ancrés et répandus qu’il
devient impossible ou du moins difficile de les voir, de les admettre et de les
dépasser.

1548
THORNBERRY (art. 12), p. 392.
1549
Observations finales du CDESC relatives à la République tchèque, du 5 juin 2002, UN Doc.
E/C.12/1/Add.76, § 23.
1550
Comp. également les Conclusions du CERD relatives à la communication Dragan Durmic,
n° 29/2003, du 8 mars 2006 : le CERD a conclu à une violation de l’art. 6 CIERD (droit à une pro-
tection judiciaire effective de leurs droits), car les autorités de Serbie-Monténégro n’avaient pas en-
quêté sur les allégations de discrimination raciale dont faisait état le requérant, d’origine tzigane.
Celui-ci avait été refusé à l’entrée d’une discothèque alors que ses compagnons, non-Tziganes,
avaient été acceptés, alors même qu’ils n’étaient pas non plus au bénéfice d’une invitation et que
tous étaient habillés et se comportaient correctement.

311
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1103. Dans l’arrêt D.H. et al., nous avons pu constater la réticence de la Cour
à se fonder sur des statistiques, même officielles, pour conclure à une violation
de l’article 14 CEDH lorsque la preuve d’une discrimination directe n’a pas été
apportée. Or, le contexte discriminatoire que connaissent aujourd’hui les Tzi-
ganes, en particulier en Suisse, n’est pas explicite.
1104. Il s’exprime avant tout par le biais de mesures formellement neutres,
mais lorsque la sédentarité est employée à titre de standard majoritaire, le
contexte s’avère directement – mais implicitement – discriminatoire. En toute
hypothèse, on ne saurait sous-estimer ni le poids et l’importance des préjugés,
ni celui des statistiques, et encore moins ce qu’enseigne l’expérience générale
dans le cadre des relations entre Tziganes et non-Tziganes.
1105. La prise en compte de ces facteurs devrait permettre de faciliter
l’apport si ce n’est de la preuve formelle, du moins de l’existence d’un ratta-
chement vraisemblable à l’un des critères suspects qui qualifient les membres
des différentes communautés tziganes. La démarche est éminemment délicate
et il est indiscutable que les autorités nationales sont plus à même de
l’effectuer qu’une instance internationale, que cela soit la Cour européenne des
droits de l’homme ou un comité des Nations Unies. Ceci rend d’autant plus
important le rôle de la sensibilisation des autorités nationales et locales, puis-
que l’effectivité de l’enquête en dépendra.

4. La réalisation de l’égalité des Tziganes

1106. L’obligation de respecter le principe d’égalité, autrement dit de réaliser


l’égalité en droit, exige d’abroger ou de modifier des législations et pratiques
directement et indirectement discriminatoires à l’égard des Tziganes, et no-
tamment celles qui ont pour conséquence de restreindre leurs libertés de mou-
vement, d’établissement ou encore économique1551.
1107. Dans le contexte suisse, l’adoption de la loi fédérale sur le commerce
itinérant, par exemple, illustre la mise en œuvre de cette obligation spécifique,
puisqu’en offrant une solution unifiée en matière d’acquisition de patentes de
commerce, valant pour toute la Suisse, la LComIt démantèle la discrimination
indirecte subie par les Tziganes jusqu’à son adoption.
1108. En effet, la situation juridique qui prévalait antérieurement – obliga-
tion d’obtenir une patente dans chaque canton où l’on souhaitait exercer un
commerce itinérant – avait une incidence négative sur la situation économique
des Tziganes nomades en Suisse ainsi que sur leur liberté de mouvement1552.
Ceux-ci étaient touchés plus que quiconque au sein de la population, précisé-

1551
Voir l’Opinion du CERD, du 1er novembre 2000, relative à la Communication N° 13/1998, Anna Kop-
tova c. Slovaquie, §10.3, UN Doc. CERD/C57/D/13/1998.
1552
Se référer à notre Titre Premier pour nos développements relatifs à cette problématique.

312
Titre Troisième - Le principe d’égalité

ment en raison de leur mode de vie traditionnel et de leur culture, sans que
des motifs objectifs et raisonnables pussent justifier cette atteinte particulière.
La cause de la discrimination étant juridique, il s’agissait bien d’un problème
touchant au respect de l’égalité en droit1553.
1109. Toutefois, les difficultés juridiques rencontrées pour la réalisation et la
mise en œuvre de l’égalité formelle en faveur des Tziganes, notamment sous
l’angle de l’interdiction de la discrimination indirecte, trouvent principalement
leurs fondements dans la perception faussée et stéréotypée qu’a la majorité so-
ciale à leur égard.
1110. En conséquence, il est particulièrement important de s’attaquer égale-
ment à la discrimination structurelle et aux préjugés présents au sein de la so-
ciété civile à l’égard de tous les Tziganes présents en Suisse, qu’ils soient no-
mades ou sédentarisés, de nationalité helvétique ou non. Au vu de cette situa-
tion, les obligations de protection et de mise en œuvre rattachées au principe
général d’égalité imposent aux autorités de prendre une série de mesures des-
tinées à s’attaquer à cette réalité des faits.
1111. Nous avons conclu ci-dessus que pour être bénéficiaires de mesures
positives stricto sensu, selon la terminologie de WALDMANN, également appe-
lées mesures spéciales temporaires dans le cadre des conventions internationa-
les, les Tziganes doivent répondre à une série de critères qui sont, à nos yeux,
remplis1554.
1112. En effet, en tant que minorité au sens du droit international, les Tziga-
nes sont aisément identifiables en tant que groupe1555, dont les membres sont
solidaires. Par ailleurs, leur vulnérabilité sociale est attestée et les désavantages
subis atteignent un certain degré d’intensité et de répétition systématique, ain-
si que l’attestent tant la pratique internationale que les faits et les statistiques.
Dès lors, ils sont légitimés à être destinataires de ce type de mesures1556.
1113. Pour leur part, les organes internationaux n’éprouvent aucune diffi-
culté à parvenir à cette conclusion, puisqu’ils soulignent l’importance des me-
sures positives en faveur des Tziganes, y compris celles plus contraignantes,
tant du point de vue de leur situation générale1557 qu’en ce qui concerne leur
situation en Suisse précisément1558.

1553
Comp. PULVER, p. 343, qui semble considérer que l’adoption de la LComIt doit être rattachée à la ré-
alisation de l’égalité en fait.
1554
Supra Section A, 2.3.2., b.
1555
L’homogénéité du groupe en question ne doit pas être parfaite aux yeux du CERD ; CERD, 577ème
Réunion (1982), UN Doc. CERD/C/SR.577, p. 29. STRAUSS, pp. 111-112 souligne ainsi que les Tziga-
nes peuvent donc également être intégrés dans cette catégorie de groupes particulièrement expo-
sés. Voir également WALDMANN (2003), p. 463.
1556
Dans ce sens, voir WALDMANN (2003), p. 463.
1557
Voir l’Observation générale n° 27 du CERD, § 2 et 32 notamment, mais également ses conclusions
relatives aux rapports périodiques des Etats, par exemple UN Doc. CERD/C/65/CO/6, §13 (Portu-
gal); UN Doc. CERD/C/304/Add.7, §25 (Finlande). A ce sujet, voir VANDENHOLE, p. 210. Dans le

313
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1114. Parmi ces organes, le Comité pour l’élimination de la discrimination


raciale s’est préoccupé de cette question de plusieurs manières. Premièrement,
à l’occasion de l’examen des rapports périodiques des Etats membres dont une
fraction de la population est tzigane. Deuxièmement, lors de plaintes déposées
par des Tziganes dans le cadre de la procédure de communications individuel-
les. Troisièmement, il a publié l’Observation générale n° 27, consacrée spécifi-
quement à la discrimination des Tziganes. Dans cette dernière, il émet de
nombreuses recommandations touchant une série de mesures à prendre dans
plusieurs domaines qui peuvent servir d’exemples en la matière.
1115. Le Comité invite ainsi à lutter contre les violences raciales, qu’elles
soient le fait de la population ou des forces de police1559 ; à améliorer les condi-
tions de vie des Tziganes nomades et sédentarisés, en luttant contre les prati-
ques discriminatoires en matière d’accès au logement ou au travail ou encore
en mettant suffisamment de places de stationnement à disposition des Tziga-
nes nomades1560 ; dans le domaine de l’éducation, en luttant par exemple
contre le racisme anti-tzigane à l’école, en évitant la ségrégation des enfants
tziganes ou encore en incorporant dans le cursus scolaire des éléments présen-
tant la culture tzigane1561 ; dans le domaine des médias, en étant sensible aux
incitations à la discrimination anti-tzigane qui pourraient y transparaître ou
encore en sensibilisant les professionnels de la branche à la question1562 ; en
matière de participation à la vie publique, enfin, en favorisant la participation
et la consultation des Tziganes aux échelons locaux et nationaux de la politi-
que mais également en sensibilisant les Tziganes eux-mêmes à l’importance de
leur participation1563.
1116. Dans plusieurs de ses Conclusions relatives aux rapports étatiques, le
Comité recommande aux Etats d’adopter et d’appliquer des stratégies, des
plans d’actions ou encore des programmes qui se saisissent de la question de

contexte de l’article 26 Pacte II, le CDH admet également qu’il est nécessaire de prendre ce genre
de mesures en faveur des Tziganes, alors que sa pratique est beaucoup plus restrictive et sélective
que celle du CERD sur cette question ; UN Doc. CCPR/CO/80/DEU, §21 (Allemagne); UN Doc.
CCPR/CO/78/PRT, §20 (Portugal). VANDENHOLE, pp. 223-224. Au niveau régional, se référer notam-
ment à la Recommandation de politique générale n° 3 de l’ECRI, à la Recommandation (2005) 4 du
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, § 18-22 et à la Recommandation 1557 (2002) de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, § 15 let. c, d, e, f.
1558
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif au rapport initial de la Suisse, § 28 et 37 ; comp. également
le troisième rapport de l’ECRI concernant la Suisse, du 27 juin 2003 (CRI [2004] 5), §49-50.
1559
Observation générale n° 27 du CERD, § 12-17.
1560
Observation générale n° 27 du CERD, § 27-35.
1561
Observation générale n° 27 du CERD, § 17-26 .
1562
Observation générale n° 27 du CERD, § 36-40.
1563
Observation générale n° 27 du CERD, § 41-45.

314
Titre Troisième - Le principe d’égalité

la discrimination des Tziganes dans des domaines tels que l’emploi,


l’éducation et le logement1564.
1117. En matière d’interdiction de la discrimination, les Etats doivent pro-
mouvoir la tolérance à l’égard des Tziganes et lutter activement contre les pré-
jugés et les stéréotypes négatifs1565. Dans ce cadre, le Comité invite les Etats à
concevoir des formations à l’attention des membres des corps policier, judi-
ciaire et administratif dont l’activité les conduit à interagir avec les Tziga-
nes1566.

C. Appréciation

1118. Le principe d’égalité est un principe directeur de l’ordre juridique


suisse et est l’un des piliers de la protection des droits de l’homme au niveau
international. La réalisation des obligations de respect, de protection et de mise
en œuvre qui lui sont rattachées doit permettre de protéger la dignité humaine
de tous les individus composant la société. Le fait qu’ils possèdent certaines
caractéristiques éminemment personnelles – qu’elles soient de nature physique
ou culturelle – doit être pris en considération, d’une part, et ne doit pas leur
porter préjudice, d’autre part.
1119. L’Etat a ainsi l’obligation de faire en sorte que sa propre activité ré-
ponde à ces exigences. Il doit également prendre les mesures nécessaires pour
que les particuliers n’y portent pas atteinte, et doit agir de manière à ce que les
préjugés et les stéréotypes existant à l’égard des personnes historiquement et
sociologiquement vulnérables soient à terme démontés.
1120. Au vu de leur histoire et des obstacles qu’ils rencontrent encore au-
jourd’hui pour faire reconnaître la valeur de leur identité propre au sein de la
population et auprès des autorités locales, cette garantie de l’Etat de droit a
donc une importance centrale pour les Tziganes: leur mode de vie, leurs origi-
nes et leur culture ne doivent pas être une cause de dénigrement à leur égard,
synonyme d’atteinte à leur dignité humaine.
1121. L’efficacité d’un droit fondamental s’évalue toutefois à l’aune de sa
justiciabilité, autrement dit de sa capacité à pouvoir être contrôlé et mis en
œuvre par les autorités judiciaires. On constate que dans certaines situations,
un grief en soi justiciable, tel que celui de violation de l’égalité en droit par un
acte étatique, se heurte à de sérieuses difficultés pour pouvoir déjà être consi-

1564
UN Doc. CERD/C/63/CO/11, §23 (Royaume-Uni); UN Doc. CERD/C/62/CO/9, § 10 (Slovénie); UN
Doc. CERD/C/63/CO/4, §13 (République tchèque). Voir également l’Observation générale n° 27 du
CERD, §4.
1565
UN Doc. CERD/C/64/60/6, §15 (Espagne); UN Doc. CERD/C/63/CO/5, §16 (Finlande); UN Doc.
CERD/C/304/Add.91, §16 (France).
1566
UN Doc. CERD/C/63/CO/4, § 16 (République tchèque).

315
La situation juridique des Tziganes en Suisse

déré comme recevable. En effet, lorsqu’une décision particulière ou un acte


normatif précis n’est pas en cause, mais bien un complexe de plusieurs nor-
mes, la portée du contentieux individuel trouve ses limites pour plusieurs rai-
sons.
1122. Premièrement, si les stéréotypes à l’égard d’un groupe particulier sont
particulièrement bien ancrés au sein de la société, l’ordre juridique se montrera
non seulement imperméable aux spécificités d’un groupe particulier, mais la
saisine d’une autorité de contrôle administrative ou judiciaire sera certaine-
ment inefficace pour résoudre le conflit.
1123. Outre le risque des préjugés des agents de l’Etat chargés d’effectuer
l’examen de conformité, les autorités de contrôle voient leur capacité de sanc-
tion limitée par l’ensemble de l’ordre juridique. En effet, celui-ci, en se mon-
trant insensible à certaines particularités, ne leur offre pas toujours la possibili-
té de redresser la situation pour la rendre conforme au droit constitution-
nel1567.
1124. Deuxièmement, les particuliers se heurtent à des obstacles procédu-
raux: dans l’hypothèse d’un recours concret dirigé contre une décision fondée
sur une norme jugée discriminatoire par le recourant, le contrôle par voie
d’exception effectué par l’autorité ne peut porter que sur les normes fondant
directement la décision attaquée. La structure normative plus générale qui, par
hypothèse, renforce la nature discriminatoire de la mesure attaquée, ne peut
faire l’objet d’un contrôle préjudiciel.
1125. L’opinion dissidente du juge Pettiti relative à l’arrêt Buckley illustre
clairement cette problématique. Selon lui, Madame Buckley et sa famille
étaient prises dans un « cycle infernal » du fait de l’accumulation de règles
administratives qui rendent impossible pour des Tziganes nomades la conci-
liation d’un logement, d’une vie sociale, d’une intégration scolaire, d’une part,
et des mesures d’urbanisme, de droit des constructions, de protection de la na-
ture, d’aménagement foncier, de santé publique et de sécurité routière, d’autre
part. Pour le juge dissident, « pour suivre les exigences disproportionnées
d’une administration ou d’une réglementation, une famille risque de se placer
en infraction avec d’autres règles. Une telle accumulation déraisonnable n’est
pratiquée en fait à l’encontre des familles tsiganes (sic) que pour leur interdire
de vivre dans certaines régions »1568.
1126. Troisièmement, l’absence de contrôle constitutionnel efficace des lois
fédérales consacrée à l’article 190 Cst. constitue un obstacle supplémentaire à

1567
Comp. RIEDER (1999), p. 160, qui estime que lorsque la discrimination indirecte est causée par
l’ensemble du système juridique, elle perd sa justiciabilité directe. A notre sens, il y a là confusion
entre justiciabilité et effectivité du droit en question.
1568
Opinion dissidente du juge Pettiti. Voir également l’opinion dissidente commune des juges Pastor
Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman
c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 4.

316
Titre Troisième - Le principe d’égalité

la résolution judiciaire des conflits dont l’origine se situe dans une norme fédé-
rale. En effet, si le Tribunal fédéral accepte de contrôler la constitutionnalité
des lois fédérales, il n’est pas en mesure de sanctionner les éventuelles viola-
tions de la Constitutions qu’il pourrait constater1569.
1127. Dans ce domaine, l’absence d’indépendance de l’article 14 CEDH et la
réserve de la Suisse sur la portée de l’article 26 Pacte II restreignent fortement
l’apport du contrôle de conventionnalité développé par le Tribunal fédéral et
qui lui permet de refuser d’appliquer une loi contraire à un traité protégeant
des droits de l’homme1570. Or, le droit actuel, encore essentiellement axé sur les
besoins des sédentaires, possède un réservoir important de conflits potentiels
avec l’interdiction de la discrimination fondé sur le mode de vie nomade et les
exigences du droit des minorités. Saisi de griefs fondés sur les articles 8 al. 2
Cst. et 27 Pacte II, le Tribunal fédéral n’est donc pas actuellement en mesure de
sanctionner les éventuelles violations contenues dans la législation fédérale.
1128. Face à la situation factuelle et socio-culturelle des Tziganes, ces obsta-
cles ne sont pas confinés au domaine théorique. Ces différents facteurs illus-
trent l’importance de la réalisation de l’égalité en fait et donc le rôle de la prise
de conscience politique de l’existence de discriminations structurelles. En effet,
lorsque l’égalité en fait n’existe pas en raison des préjugés, une pleine égalité
en droit est potentiellement irréalisable, l’inverse étant également vrai.
1129. Ces facteurs démontrent également le poids d’une prise en compte
pleine et entière du droit des minorités pour une communauté telle que les
Tziganes. Les obligations découlant de ce système, telles que nous les avons
analysées1571, viennent renforcer le principe d’égalité et soulignent la nécessité
d’une politique étatique active ne se limitant pas à une abstention de la part
des autorités étatiques. Dans le contexte suisse, il est d’ailleurs possible de rat-
tacher la création et le financement de la Fondation « Assurer l’avenir des gens
du voyage suisses » dans la catégorie des mesures positives destinées à sensi-
biliser le grand public et les autorités sur les problèmes rencontrés par la mi-
norité tzigane en Suisse1572.
1130. De plus, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme concernant des requérants tziganes met en lumière les réticences des
juges de Strasbourg pour conclure à une violation matérielle de l’article 14
CEDH. Cette jurisprudence fait ressortir les limites consubstantielles du sys-
tème de protection individuelle des droits de l’homme pour parvenir à plei-

1569
Selon la formule désormais classique du Tribunal fédéral, « Art. 191 BV statuiert in diesem Sinne ein
Anwendungsgebot, kein Prüfungsverbot » ; ATF 129 II 249, 263 X. ; ATF 125 III 209, 216 X. ; ATF
123 II 9, 11 C.
1570
Au sujet du contrôle de conventionnalité, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1882-1888.
1571
Supra Chapitre I.
1572
PULVER, p. 342.

317
La situation juridique des Tziganes en Suisse

nement protéger les communautés minoritaires dont les caractéristiques iden-


titaires exigent la reconnaissance des besoins du groupe.
1131. Les arrêts de la Cour que nous avons examinés le démontrent : le fait
de ne pas intégrer la dimension collective minoritaire lors de l’analyse portant
sur la présence d’une discrimination indirecte ne permet pas d’effectuer cor-
rectement le raisonnement. En effet, les conséquences d’une mesure sur le
groupe lui-même ne sont pas analysées, ou alors de manière lacunaire.
1132. Or, constater l’existence d’une discrimination indirecte exige au pré-
alable, premièrement, la reconnaissance de l’existence d’un certain groupe et
de ses caractéristiques, deuxièmement, l’analyse des effets sur le groupe lui-
même d’une réglementation affectant un individu, troisièmement, le constat
que la caractéristique en cause ne découle pas d’un choix mais de l’identité
propre de la personne. La jurisprudence Chapman1573 expose cette problémati-
que, puisque le lien apparaît clairement dans cet arrêt entre, d’une part,
l’approche restrictive de la nature de la problématique in concreto et, d’autre
part, son refus de conclure à la violation de l’article 14 CEDH1574.
1133. Par ailleurs, la jurisprudence Gypsy Council1575 met en lumière les limi-
tes du « standard Chapman » lorsque le droit au respect de la vie privée et fa-
miliale d’un requérant n’est pas directement en cause, mais que ce dernier
invoque son identité culturelle minoritaire dans le cadre de l’exercice d’un
autre droit, dans le cas d’espèce la liberté de réunion.
1134. L’arrêt Gypsy Council révèle en effet que la Cour européenne des droits
de l’homme ne veut pas – ou ne peut pas – appliquer la règle des « besoins
minoritaires spécifiques » hors du contexte restreint de l’article 8 CEDH. Cette
limitation distingue ainsi fondamentalement la CEDH du Pacte II, puisque
l’article 27 Pacte II offre pour sa part une grille de lecture spécifique de tous les
droits individuels des personnes appartenant à une minorité. Seule la pratique
ultérieure de la Cour européenne des droits de l’homme sera à même de
confirmer ou d’infirmer cette analyse. Il nous semble néanmoins que tel
qu’utilisé actuellement par la Cour européenne des droits de l’homme, et au
vu de la retenue de cette dernière vis-à-vis de l’article 14 CEDH, l’article 8
CEDH ne peut pallier l’absence d’une véritable norme consacrant le droit des
minorités au sein de la CEDH.
1135. Enfin, si l’arrêt D.H. et al.1576 traite du problème délicat de la prise en
compte de statistiques indiquant l’existence d’une différence de traitement

1573
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I.
1574
DE SCHUTTER, pp. 79 et 85-87 ; SUDRE (2001), p. 913. Nous renvoyons également à nos développe-
ments relatifs à l’importance de la prise en compte de la facette collective du droit des minorités
dans le cadre de la pesée des intérêts pour pouvoir déterminer si les droits des personnes apparte-
nant à une minorité sont concrètement respectés, supra Chapitre I, Section C, 2.2.
1575
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002.
1576
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, 7 février 2006.

318
Titre Troisième - Le principe d’égalité

suspecte, il met également en lumière le rôle fondamental du droit des minori-


tés dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation des enfants. En cela, il
possède aussi un intérêt de fond pour la situation en Suisse, bien qu’elle ne
connaisse pas ce genre de structures éducatives1577.
1136. Comme l’analyse THORNBERRY, l’émergence des écoles spéciales doit
être mise en corrélation directe avec l’échec des Etats en matière d’éducation
des Tziganes. L’incapacité des Etats à prendre en considération et à promou-
voir la culture et la langue tziganes dans le domaine de l’éducation conduit à
l’acculturation des enfants et à leur perte de confiance dans leur propre identi-
té. Les troubles et les difficultés d’apprentissage qui s’ensuivent mènent à la
création de ces écoles spéciales. Celles-ci, par ailleurs, ne leur permettent pas
d’acquérir les connaissances de base nécessaires pour réussir au sein de la so-
ciété majoritaire, ce qui contribue à perpétuer la marginalisation socio-
économique et culturelle, et par la même occasion les préjugés1578.
1137. Ce cercle vicieux discriminatoire ne peut être brisé qu’au moyen des
efforts que l’Etat doit consentir en raison du droit des minorités pour soutenir
et préserver la culture minoritaire tzigane de manière à réaliser l’égalité en fait
de ses membres. Ces efforts passent notamment par sa valorisation dans le
domaine de l’éducation, tant envers les principaux concernés qu’envers les en-
fants appartenant à la majorité. A nouveau, la sensibilisation et l’information
de la population majoritaire est un facteur crucial pour parvenir au démantè-
lement de préjugés particulièrement bien ancrés dans la conscience collective
majoritaire.

1577
Voir nos développements infra Titre Quatrième, Chapitre III, Section B, 1.3.
1578
THORNBERRY (art. 12), p. 392.

319
La situation juridique des Tziganes en Suisse

320
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

Chapitre III: La portée des libertés et des droits


socio-économiques pour le nomadisme

1138. L’exercice du mode de vie nomade tzigane est encadré par plusieurs
libertés et droits sociaux et économiques individuels, qu’il ne faut pas écarter
au profit d’une analyse exclusivement axée sur le droit des minorités et du
principe d’égalité1579. Ceci apparaît d’autant plus important que l’approche
traditionnelle du droit des minorités est de nature individualiste et que la ré-
alisation de l’égalité en fait des Tziganes s’avère être encore politiquement sen-
sible.
1139. Dès lors, l’objectif de notre analyse est double : elle vise tout d’abord à
dresser le tableau complet des enjeux juridiques que pose l’exercice du mode
de vie traditionnel tzigane. Ceci permet d’identifier l’ensemble des facteurs
devant être pris en considération au moment où les autorités envisagent de
prendre des mesures concernant cette minorité, qu’elles soient répressives ou
au contraire destinées à faciliter leur mode de vie.
1140. Ensuite, cet examen rappelle, s’il le faut encore, qu’avant même de
former une minorité protégée par le droit international et devant bénéficier de
mesures spécifiques de protection, les Tziganes nomades, suisses ou étrangers,
sont des particuliers, titulaires de droits individuels. L’atteinte portée à ces ga-
ranties doit ainsi nécessairement être légitimée sous peine de se transformer en
violation.
1141. Après avoir apporté quelques précisions au sujet de la légitimité des
restrictions pouvant être imposées aux droits à connotation socio-économique
(A.), nous rappellerons que le mode de vie nomade est, en tant que tel, protégé
par le droit au respect de la vie privée et familiale (B.). Par ailleurs, la protec-
tion de ce mode de vie demeure théorique si ni le moyen permettant le voyage,
la caravane, ni le lieu de stationnement n’est protégé en tant que tel. Plusieurs
libertés et de droits sociaux entrent donc ici en considération (C.). Enfin, le
respect des droits fondamentaux des Tziganes pratiquant le nomadisme im-
plique logiquement la possibilité même de voyager. Ceci signifie non seule-
ment pouvoir se déplacer, mais également pouvoir s’arrêter. Ces deux facultés
sont également garanties par un certain nombre de droits fondamentaux en
Suisse (D.).

1579
Comp., mutatis mutandis, l’analyse d’Adriano PREVITALI relative au droit à la mobilité des personnes
handicapées, en tant que garantie protégée à la fois par la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.)
et l’interdiction de la discrimination des personnes handicapées (art. 8 al. 4 Cst.), in: Adriano PREVI-
TALI, La LHand et les barrières architecturales, arrêt du Tribunal fédéral du 20 décembre 2005
(1A.65/2005, à paraître dans le Recueil officiel), Droit des constructions 2006, pp. 58-60, p. 60.

321
La situation juridique des Tziganes en Suisse

A. La légitimité des restrictions apportées aux droits


socio-économiques

1142. Aucun des droits que nous examinons ci-après1580 n’offre de protection
absolue. En effet, leur exercice peut être légitimement restreint par les condi-
tions posées par l’article 36 Cst., c’est-à-dire par une base légale suffisante, un
intérêt public pertinent et le respect du principe de proportionnalité.
1143. Selon le Tribunal fédéral, bien que conçue pour s’appliquer aux liber-
tés individuelles, cette triade peut néanmoins trouver une application analogi-
que aux droits sociaux1581. Cette jurisprudence s’analyse à la lumière de la pra-
tique du Tribunal fédéral à l’égard des droits sociaux, qui s’avère très restric-
tive.
1144. En effet, partant du concept que les droits sociaux nécessitent des
prestations de l’Etat pour être mis en œuvre, et considérant que le juge n’a pas
la compétence d’ordonner de lui-même l’octroi de prestations, notre Haute
Cour considère qu’en l’absence de concrétisation législative, les droits sociaux
ne peuvent fonder que des prétentions minimales de la part de l’Etat1582. Dès
lors, lorsque le législateur adopte des mesures concrétisant ces droits, le
Tribunal fédéral se réfère par analogie à l’article 36 Cst. pour déterminer si
elles sont compatibles avec le contenu minimal de ces garanties1583.
1145. A ce stade, rappelons que nous opposons la pratique très restrictive du
Tribunal fédéral, qui écarte par principe la mise en œuvre des droits sociaux
de son champ de compétence en renvoyant au législateur, et la démarche
nuancée du Comité des droits économiques, sociaux et culturels à l’égard de la
nature des obligations découlant du Pacte I1584. La nécessité de démontrer une
plus grande souplesse à l’égard de la distinction entre les obligations décou-
lant des droits civils et politiques, d’une part, et droits économiques, sociaux et
culturels, d’autre part, est par ailleurs illustrée par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme.
1146. Celle-ci doit composer entre son souhait de se limiter à protéger les
droits civils et politiques, comme l’impose la lettre de la Convention, et son ob-

1580
A savoir, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect du domicile, le droit à un
logement adéquat, la liberté de circulation, la liberté d’établissement et la liberté économique.
1581
ATF 131 I 166, 176-177 X.; ATF 129 I 12, 20 V.
1582
ATF 131 I 166, 176-177 X .; ATF 129 I 12, 20 V. ; ATF 121 I 367, 373 V..
1583
ATF 131 I 166, 176-177 X.; ATF 129 I 12, 20 V. Le Tribunal fédéral se réfère ici à l’opinion de An-
dreas AUER, Giorgio MALINVERNI, et Michel HOTTELIER, afin de justifier son renvoi à l’art. 36 Cst. Toute-
fois, ces auteurs n’appliquent pas cette disposition ; bien plus, ils considèrent qu’en principe, elle
n’est pas utilisable et ils préfèrent faire une analogie avec la démarche employée à l’égard des ga-
ranties de l’Etat de droit et qui a pour conséquence que soit une mesure respecte le minimum ga-
ranti, soit elle ne le fait pas ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 31.
1584
Pour rappel, voir la pratique du Tribunal fédéral à l’égard du Pacte I, notamment ATF 130 I 113 A.,
supra Titre Deuxième, Chapitre II, Section A, 2.2.

322
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

jectif d’assurer l’effectivité de ces droits. Sa pratique reflète l’impossibilité


d’une démarche fondée sur l’étanchéité de ces catégories de droits, puisque la
Cour adjoint désormais à de nombreux droits civils et politiques des obliga-
tions de nature économique et sociale1585.
1147. Ainsi, la jurisprudence de la Cour rendue dans des affaires mettant en
cause des droits possédant une facette socio-économique révèle que celle-ci ne
s’interroge pas sur la possibilité ou non d’appliquer la démarche traditionnelle
de restriction à l’égard de ce type de droits. Lorsqu’elle reconnaît une dimen-
sion sociale à l’une des dispositions de la Convention, elle emploie sans diffi-
culté les conditions usuelles de restriction que sont la consécration légale de la
restriction, la poursuite d’intérêts légitimes, et la nécessité de la mesure dans
une société démocratique pour évaluer le bien-fondé de l’ingérence1586.
1148. Ayant des réticences semblables au Tribunal fédéral pour reconnaître
au juge des pouvoirs étendus en matière de prestations étatiques dans le do-
maine social au vu de sa compétence ratione materiae, la Cour européenne des
droits de l’homme exprime sa retenue en reconnaissant une importante marge
d’appréciation aux Etats dans le domaine des politiques sociale et économique.
1149. Ainsi, la Cour de Strasbourg respecte le choix du législateur national
pour déterminer ce que représente l’intérêt général, à moins que cette évalua-
tion soit manifestement dénuée de tout fondement raisonnable1587. La Cour
renvoie à la dimension fondamentalement subsidiaire du mécanisme conven-
tionnel en considérant qu’il ne lui appartient pas de déterminer en quoi pour-
rait consister une politique optimale en matière sociale1588.
1150. A cet effet, l’étendue de la marge d’appréciation octroyée aux Etats au-
ra essentiellement des conséquences sur l’évaluation de la proportionnalité de
la mesure pour le particulier. Elle dépendra du cas d’espèce et la Cour prendra
en particulier en compte l’intensité de l’ingérence étatique dans la sphère per-
sonnelle du requérant1589.
1151. La jurisprudence du Tribunal fédéral et celle de la Cour européenne
des droits de l’homme permettent de conclure que le juge, soucieux de respec-
ter les prérogatives du législateur en matière de politique sociale, fera preuve
d’une plus grande retenue à l’égard d’une mesure touchant à un droit dont la
réalisation exige une intervention et un engagement financier de l’Etat, que

1585
Dans ce sens, ROMAN, p. 276. Voir infra Chapitre III, Section C.
1586
Comp. les clauses de restriction prévues aux articles 8§2, 9§2, 10§2 et 11§2 CEDH.
1587
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, §82 ; ACEDH Immobiliare Saffi c. Italie
[GC], n° 22774/93, § 49, CEDH 1999-V ; ACEDH Mellacher et autres c. Autriche, arrêt du 19 dé-
cembre 1989, série A n° 169, § 45.
1588
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 97 et 100, CEDH 2003-VIII ; ACEDH Po-
well et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A n° 172, § 44; ACEDH James et au-
tres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A n° 98, § 46.
1589
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 82 ; ACEDH Hatton et autres c.
Royaume-Uni, [GC] n° 36022/97, §§ 103 et 123, CEDH 2003-VIII.

323
La situation juridique des Tziganes en Suisse

face à une atteinte qui ne met pas en cause les deniers publics, et ce, quelle
qu’en soit la source formelle.
1152. Toutefois, l’applicabilité du droit des minorités à la communauté tzi-
gane en Suisse a également un impact sur les conditions des restrictions appor-
tées à leurs droits individuels, notamment socio-économiques, en particulier
lors de l’analyse de la pesée des intérêts en présence et la proportionnalité de
la mesure au sens strict1590. Dès lors, le juge prendra garde à ne pas oublier la
dimension minoritaire d’un cas d’espèce pour déterminer si l’ingérence subie
par un Tzigane dans ses droits économiques, sociaux ou culturels entre dans la
marge de manœuvre du législateur en matière de politique sociale, ou si elle
s’avère à ce point disproportionnée qu’elle ne peut pas être qualifiée de légi-
time.

B. Le droit au respect de la vie privée et familiale et la


protection de mode de vie nomade

1153. En droit suisse, le droit au respect de la vie privée et familiale est pro-
tégé par les articles 13 al. 1 Cst., 8 CEDH et 17 Pacte II. C’est avant tout autour
de l’article 8 CEDH que la notion du respect du « mode de vie » tzigane s’est
développée, pour désigner l’itinérance traditionnelle des Tziganes, première-
ment dans le cadre de l’ACEDH Buckley en 19961591 puis, de façon plus appro-
fondie, dans l’ACEDH Chapman en 20011592.
1154. A l’instar des effets de la jurisprudence abondante de la Cour de Stras-
bourg sur les notions de « vie privée et familiale » dans le domaine du regrou-
pement familial en matière de droit des étrangers1593, les arrêts des juges euro-
péens sont donc appelés à avoir un profond impact sur l’interprétation des
normes pertinentes pour les Tziganes nomades en Suisse. Ainsi, la décision de
principe rendue par le Tribunal fédéral en 2003 révèle l’importance de la juris-
prudence Chapman pour les autorités helvétiques1594.
1155. Dans ce contexte, nous rappellerons ici l’importance du « standard
Chapman », qui pose la nécessité de donner une « attention spéciale » aux be-
soins des Tziganes dans le cadre de l’article 8 CEDH. Nous avons d’ores et dé-
jà relevé que les arrêts Chapman et Gypsy Council1595 étaient décevants puisque,

1590
Supra Chapitre I, Section C, 2.2.
1591
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 88.
1592
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 96, CEDH 2001-I.
1593
Sur cette question, voir Philip GRANT, La protection de la vie familiale et de la vie privée en droit des
étrangers, Bâle, Genève, 2000, notamment pp. 536-539.
1594
ATF 129 II 321, 326-327Bittel.
1595
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002.

324
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

s’ils consacrent formellement ce principe, ils ne lui ont pas octroyé de subs-
tance concrète1596. Une partie de ce contenu matériel a toutefois été précisée
par l’arrêt Connors1597, qui a permis de mieux définir la portée des obligations
positives découlant de l’article 8 CEDH dans le contexte minoritaire tzigane.
1156. Ainsi, nous suivons CAHN pour affirmer que l’arrêt Connors, sous
l’angle du droit au respect du mode de vie nomade, oblige les autorités à
s’assurer du respect de plusieurs obligations à l’égard des Tziganes noma-
des1598. Premièrement, l’Etat doit prévoir un cadre réglementaire et factuel
permettant l’exercice du mode de vie tzigane. En particulier, il est nécessaire
de porter une « attention spéciale » à leurs besoins du fait de leur position vul-
nérable en tant que minorité.
1157. Deuxièmement, ce cadre ne doit pas rester lettre morte, et il sied de dé-
finir clairement les responsabilités des diverses autorités et de les répartir.
1158. Troisièmement, il ne doit pas y avoir d’obstacles s’opposant arbitrai-
rement à l’utilisation de ce cadre. Son efficacité doit être notamment évaluée à
l’aune des éventuels bénéfices qui en découleront en faveur des Tziganes.
1159. Enfin, au sein de ce cadre, il est nécessaire de s’assurer que les droits
fondamentaux individuels soient effectivement garantis.

C. La protection juridique de la caravane tzigane et de


son lieu de stationnement

1160. Parce qu’elles symbolisent leur mode de vie identitaire, parce que leur
stationnement se trouve au centre des conflits les opposant à l’Etat et à la so-
ciété majoritaire, mais également parce qu’elles constituent tout simplement
leurs logements et donc le cœur de leur vie privée et familiale, il importe de
porter une attention particulière à la protection juridique des caravanes des
Tziganes nomades. En outre, en raison du fait qu’il serait artificiel d’opérer
une distinction stricte entre les conditions environnementales entourant la ca-
ravane et son lieu de stationnement, nous nous proposons de les traiter en
même temps.
1161. A cet effet, nous commencerons par déterminer la portée des différents
aspects du droit au respect du domicile et du droit au logement. Après avoir
exposé les sources et la portée générale de ces droits, telles que définies par les

1596
Voir nos développements relatifs à la décision Gypsy Council et sur le refus apparent de la Cour de
Strasbourg à appliquer ce standard dans le contexte d’une autre disposition conventionnelle, supra
Chapitre II, Section B, 3.2.2.
1597
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004.
1598
CAHN, pp. 7-8. Cet auteur considère toutefois que ces mesures relèvent de l’action positive décou-
lant de l’interdiction de la discrimination.

325
La situation juridique des Tziganes en Suisse

instances internationales (1.), nous examinerons leur signification spécifique


pour la protection juridique de la caravane tzigane et de son lieu de station-
nement, en prenant en considération l’influence du droit des minorités et de
l’interdiction de la discrimination pour leur interprétation (2.).

1. Sources et portée des droits

1.1. Le droit au respect du domicile

1.1.1. Sources

1162. Consacré aux articles 17 Pacte II, 8 al. 1 CEDH et 13 al. 1 Cst., le droit
au respect du domicile, au sens commun d’habitation1599, est souvent assimilé
au droit au respect de la vie privée, du fait des liens étroits existant entre ces
deux facettes de la liberté personnelle1600. En tant que telle, toutefois, sa portée
présente des spécificités intéressantes dans le cadre du nomadisme tzigane.

1.1.2. La portée du droit au respect du domicile

1163. Le droit au respect du domicile – ou droit à l’inviolabilité du domicile


– protège la sphère privée du particulier dans sa dimension spatiale, en lui ga-
rantissant un espace qu’il peut maintenir à l’écart de l’intrusion de tiers. Du
point de vue du droit suisse, est titulaire de ce droit toute personne possédant
la maîtrise factuelle de l’habitation dans laquelle elle se trouve1601. Selon la
doctrine et le Tribunal fédéral, aussi bien la ratio legis de ce droit que celle de la
violation de domicile au sens de l’article 186 CP ont pour conséquence qu’un
occupant illégal d’une habitation peut se prévaloir tant de ce droit constitu-
tionnel que de la protection de la norme pénale1602.
1164. Dans sa fonction classique, le droit au respect du domicile protège
contre les perquisitions policières sans bénéfice d’un mandat, ainsi que contre
toute mesure illicite de contrôle de la part de l’autorité et contre tout acte ayant
pour conséquence de perturber l’occupation de l’habitation1603. Selon le Tribu-

1599
Au sujet du domicile au sens de lieu de rattachement juridique à une autorité territoriale au sens de
23 CC, infra Titre Quatrième, Chapitre II, Section B.
1600
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 405 ; MÜLLER (1999), p. 118.
1601
VON GUNTEN, p. 106. Cet auteur considère qu’il n’est pas possible d’employer la terminologie des
droits réels pour limiter la titularité de ce droit au possesseur au sens des droits réels ; VON GUNTEN,
pp. 107-109.
1602
VON GUNTEN, pp. 110-112. ATF 128 IV 81, 84 L. ; SJ 1992 389, 393, A., P. et W ; ATF 112 IV 31, 34
E. c. Fa. R. AG .
1603
HÄFELIN/HALLER, p. 117 ; MAHON (art. 13), p. 128 ; MÜLLER (1999), pp. 118-119 ; THÜ-
RER/AUBERT/MÜLLER, p. 703.

326
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

nal fédéral, cette garantie ne vise qu’à assurer la protection du domicile contre
les interventions illicites des pouvoirs publics1604.
1165. Cette approche restrictive n’est que partiellement conforme à la prati-
que européenne développée autour de cette notion. En effet, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme reconnaît certes que le droit au respect du do-
micile tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre les ingérences illégi-
times de l’autorité. Toutefois, sa portée dépasse ce cadre strict, qui correspond
au devoir d’abstention de l’Etat1605. En effet, pour la Cour, ce droit est particu-
lièrement important puisqu’il protège aussi bien la sécurité de l’individu que
son bien-être personnel.
1166. Selon les juges de Strasbourg, le droit au respect du domicile englobe
non seulement la protection d’un certain espace physique, mais également la
jouissance, en toute tranquillité, de cet espace. Les atteintes au droit au respect
du domicile ne sont pas uniquement matérielles ou corporelles, comme
l’irruption d'une personne non autorisée, mais peuvent aussi être immatériel-
les ou incorporelles, tels que les bruits, les émissions, ou encore les odeurs. A
certaines conditions que nous développerons ci-dessous, la Cour considère
que ces atteintes peuvent priver une personne de son droit au respect du do-
micile du fait qu’elles l'empêchent de jouir pleinement de celui-ci1606.
1167. Dans cette perspective, la Cour reconnaît à l’article 8 CEDH une di-
mension environnementale, en rattachant à la protection du domicile le prin-
cipe d’un droit à ce que celui-ci se trouve dans un environnement sain. De ce
fait, faisant ici appel aux obligations positives qu’elle dégage pour assurer
l’effectivité des droits garantis1607, la Cour confère à la protection du domicile
une facette socio-économique qui offre à l’article 8 CEDH une certaine ouver-
ture vers le droit au logement, analysé ci-après1608.

1604
ATF 115 Ia 207, 209 Emile Vittoz; ATF 103 Ia 455, 458 Hasler. La notion d’intervention illicite ren-
voie ici aux exigences posées par le droit pénal et le droit des poursuites et faillites : est illégale
toute intrusion domiciliaire qui n’en respecte pas les prescriptions formelles. Comp. également la
position du CDH relative à la portée de l’art. 17 Pacte II, dans son Observation générale n° 16, § 1-
4.
1605
ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, du 24 novembre 1986, série A n° 109, § 47 et 55-58. SUDRE (2005B),
p. 400.
1606
ACEDH Moreno Gómez c. Espagne, n° 4143/02, § 53, CEDH 2004-…; ACEDH Hatton et autres c.
Royaume Uni , n° 36022/97, § 96-97, 2 octobre 2001 (confirmé par la Grande-Chambre, dans son
arrêt du 8 juillet 2003, § 96-98); ACEDH Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil
des arrêts et décisions 1998-I, § 57; ACEDH López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, sé-
rie A n° 303-C, § 51 ; ACEDH Powell et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A n°
172, § 40. MARGUENAUD, pp. 223-224. Contra toutefois VON GUNTEN, pp. 85-86, qui considère que le
droit à l’inviolabilité du domicile ne protège que contre les immissions matérielles, à l’exclusion de
toute immission immatérielle.
1607
SUDRE (2005B), pp. 400-401.
1608
ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, série A n° 109, p. …, § 55. SUDRE
(2005B), pp. 405-406.

327
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1.2. Le droit au logement

1.2.1. Sources

1168. Le droit au logement n’existe pas en tant que tel en droit fédéral
suisse : l’article 41 al. 1, let. e, Cst. affirme que les autorités étatiques s’engagent
à ce que « toute personne en quête d’un logement puisse trouver, pour elle-
même et sa famille, un logement approprié à des conditions supportables ». Se
trouvant dans la catégorie des buts sociaux, cette disposition ne confère au-
cune prétention justiciable aux particuliers, ainsi que le précise explicitement
l’article 41 al. 4 Cst. Certaines constitutions cantonales garantissent également
expressément le droit au logement à titre de but social1609.
1169. En droit international, l’article 11 al. 1 Pacte I affirme que « les Etats
parties (…) reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffi-
sant pour elle-même et sa famille, y compris (…) un logement suffisant[…]
(…) »1610. La portée du droit au logement peut être dégagée principalement des
prises de position du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, en
tant qu’organe chargé du contrôle de cette convention, et du Rapporteur spé-
cial de la Commission des droits de l’homme sur le droit à un logement adé-
quat en tant que composant du droit à un niveau de vie suffisant.
L’interdiction de la non-discrimination dans ce contexte permet également de
dégager un certain nombre d’obligations en la matière.
1170. La pratique de la Cour européenne des droits de l’homme tend à re-
connaître à l’article 8 CEDH une certaine dimension qui, au travers le respect
du domicile et de la vie privée et familiale, protège les conditions de vie entou-
rant le logement des particuliers. Cette disposition s’avère donc être également
une source pertinente en la matière. Toutefois, la Cour distingue, première-
ment, entre les situations tombant dans le champ d’application de l’article 1er
du Protocole additionnel n° 1, et celles relevant de l’article 8. En effet, pour les
juges de Strasbourg, cette seconde disposition touche des droits dont
l’importance est primordiale pour l’individu puisqu’elle concerne son identité,
son intégrité psychique et physique, ses relations avec autrui et sa place dans
la société1611.

1609
Voir ainsi notamment les art. 25 Cst./AG, 17 Cst./BL, 22 al. 1 Cst./JU, art. 22 Cst./SO. A souligner
que l’art. 10A al. 1er Cst./GE affirme que « le droit au logement est garanti ». La doctrine n’est pas
unanime quant à sa portée exacte: ainsi, CHATTON, p. 8, considère qu’il s’agit là de la consécration
d’un droit individuel, tandis que AUER (1999), p. 88, n’y voit que l’affirmation d’un principe dépourvu
de justiciabilité.
1610
Voir également l’art. 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du 10 décembre 1948.
Au sujet du lien étroit entre le droit à un logement décent et un niveau de vie suffisant, voir LAM-
BERT, p. 47.
1611
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 82 ; ACEDH Pretty c. Royaume-Uni,
n° 2346/02, §32, CEDH 2002-III; ACEDH Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n° 28957/95,

328
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1171. Deuxièmement, l’article 8 CEDH ne protège que certaines facettes du


droit au logement: pour les juges de Strasbourg, la Convention ne garantit que
les conditions de vie entourant les logements existants et non la possibilité
d’en obtenir un1612.
1172. Enfin, bien que la Suisse n’ait pas ratifié cet instrument, on se référera
à l’article 16 de la Charte sociale européenne révisée de 1996 à titre de compa-
raison. Il prévoit qu’« [e]n vue de réaliser les conditions de vie indispensables
au plein épanouissement de la famille, cellule fondamentale de la société, les
Parties s’engagent à promouvoir la protection économique, juridique et sociale
de la vie de famille, notamment par le moyen de prestations sociales et familia-
les, de dispositions fiscales, d’encouragement à la construction de logements
adaptés aux besoins des familles, d’aide aux jeunes foyers, ou de toutes autres
mesures appropriées ».
1173. Pour sa part, l’article 31 CSE énonce qu’« [e]n vue d'assurer l'exercice
effectif du droit au logement, les Parties s'engagent à prendre des mesures des-
tinées à favoriser l'accès au logement d'un niveau suffisant; à prévenir et à ré-
duire l'état de sans-abri en vue de son élimination progressive; à rendre le coût
du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suf-
fisantes». Aux yeux du Comité européen des droits sociaux, cette disposition
vise à lutter contre les effets nocifs de l’état de sans-abri pour la sécurité et le

§90, CEDH 2002-VI; ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, série A n° 109,
§ 55.
1612
Comp. également l’ACEDH Velosa Barreto c. Portugal, arrêt du 21 novembre 1995, série A n° 334,
§ 24, où la Cour de Strasbourg entre en matière sur le grief du requérant qui conteste une mesure
étatique qui ne lui permet pas de se défaire du bail qui le lie à son locataire : la Cour de Strasbourg
considère que l’art. 8 CEDH ne confère pas de droit à la jouissance exclusive de son foyer. Comp. la
position en droit suisse DE VON GUNTEN, pp. 100-101, qui va dans le sens de la Cour de Strasbourg, et
celle de SALADIN, p. 111, qui considère que la reconnaissance d’un droit à l’accès à un logement est
une condition matérielle préalable pour la pleine réalisation du droit à l’inviolabilité du domicile. Voir
également ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 99 : « Il importe
de rappeler que l’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile, pas
plus que la jurisprudence de la Cour. Il est à l’évidence souhaitable que tout être humain dispose
d’un endroit où il puisse vivre dans la dignité et qu’il puisse désigner comme son domicile, mais il
existe malheureusement dans les Etats contractants beaucoup de personnes sans domicile. La ques-
tion de savoir si l’Etat accorde des fonds pour que tout le monde ait un toit relève du domaine poli-
tique et non judiciaire ». ROMAN, p. 274. Pour une critique, voir BENOIT-ROHMER (2001), pp. 1009-
1010 ; SUDRE (2001), p. 914. Du fait que cette jurisprudence concernait une famille de Tziganes,
voir également notre critique de cette affirmation dans le contexte du nomadisme tzigane et des dif-
ficultés rencontrées pour l’exercer, infra Section 2.2. Voir par ailleurs ACEDH Marzari c. Italie, § 101,
où la Cour de Strasbourg ne constate aucune violation de l’art. 8 CEDH lorsqu’une personne handi-
capée est expulsée de logements adaptés à son handicap. ROMAN, pp. 273-274. Comp. également
l’ACEDH Velosa Barreto c. Portugal, arrêt du 21 novembre 1995, série A n° 334, § 24, où la Cour de
Strasbourg entre en matière sur le grief du requérant qui conteste une mesure étatique qui ne lui
permet pas de se défaire du bail qui le lie à son locataire : la Cour de Strasbourg considère que l’art.
8 CEDH ne confère pas de droit à la jouissance exclusive de son foyer. Comp. la position en droit
suisse DE VON GUNTEN, pp. 100-101, qui va dans le sens de la Cour de Strasbourg, et celle de SALADIN,
p. 111, qui considère que la reconnaissance d’un droit à l’accès à un logement est une condition
matérielle préalable pour la pleine réalisation du droit à l’inviolabilité du domicile.

329
La situation juridique des Tziganes en Suisse

bien-être des individus, afin de les intégrer dans la société et d’abolir les iné-
galités socio-économiques1613.

1.2.2. La portée du droit au logement

1174. La consécration constitutionnelle suisse du droit au logement apparaît


plus limitée que la protection internationale, tant formellement que matériel-
lement. Formellement, tout d’abord, puisque la Constitution fédérale ne voit
dans le droit au logement qu’un but et non un droit social. Matériellement en-
suite, puisqu’elle n’évoque que la question de l’accès à un logement convena-
ble, et non celle de la jouissance du logement existant et des conditions maté-
rielles qui l’entourent. Il importe, dès lors, de se tourner vers la pratique inter-
nationale pour tracer le contour exact de ce droit.
1175. En tant que tel, le droit au logement fait partie du noyau des droits de
l’homme. En effet, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a
établi dans son Observation générale n° 4 que le droit à un logement fait partie
des droits économiques, sociaux et culturels dérivés du droit à un niveau de
vie suffisant, et possède ainsi une importance fondamentale pour la jouissance
de tous les autres droits protégés par les deux pactes internationaux1614.
1176. Pour les instances internationales, du fait de ses liens étroits avec la di-
gnité humaine, le droit au logement signifie plus précisément le droit à un lo-
gement adéquat, notion qui dépasse la simple possession d’un bien et la sim-
ple accession à un toit, pour inclure au contraire un lieu offrant sécurité, paix
et dignité à ses habitants1615, autant d’aspects sur lesquels il apparaît difficile,
voire impossible, de transiger.
1177. En analysant plus précisément sa portée, nous pourrons constater que
sa mise en œuvre est avant tout du ressort du législateur, du fait de la nature
des mesures qui s’imposent pour sa réalisation. Toutefois, certaines de ses fa-
cettes sont justiciables pour l’individu et leur non-respect est susceptible d’être
sanctionné par le juge.
1178. Nous analyserons premièrement le droit à ce que le logement soit adé-
quat et se trouve dans un environnement sain (a), puis le droit à ce que ses ha-
bitants soient protégés contre les évictions abusives (b).

1613
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation collective n° 27/2004, Co-
mité européen des Roms c. Italie, § 18.
1614
Observation générale n° 4 du CESCR, § 9.
1615
Le concept de « droit à un logement adéquat » tel que développé au sein des Nations Unies a été
repris par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à titre de standard en la matière. Comp.
ainsi la Recommandation n° (2005) 4 du 23 février 2005, ainsi que son annexe, « I. Définitions ».

330
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

a) Le droit à un logement adéquat dans un environnement sain

1179. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels souligne que la


notion d’ « adéquation aux besoins » est fondamentale pour le droit au loge-
ment. Elle recouvre le principe du respect de la capacité de paiement des parti-
culiers, en exigeant des Etats parties la mise à disposition de structures de lo-
gement qui permettent aux plus démunis d’obtenir un toit adéquat1616. Elle
englobe également des facteurs sociaux, culturels et environnementaux1617, qui
sont par ailleurs protégés en eux-mêmes par des droits spécifiques, et qui pré-
sentent des liens étroits avec le droit au logement1618.
1180. Ainsi, l’état de l’environnement immédiat du logement est crucial
pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et ce tant dans
une optique sociale et économique que sanitaire. Il ne doit pas être construit
sur ou à proximité de sources de pollution, ce qui ici place cette garantie dans
un rapport étroit avec le respect du droit à la santé, consacré en particulier à
l’article 12 § 2 let. b Pacte I1619. De plus, l’habitation doit se trouver dans une
zone proche de lieux permettant l’exercice d’activités lucratives et offrant des
prestations médicales et scolaires1620.
1181. Par ailleurs, le logement doit présenter un certain espace et une infras-
tructure de base couvrant les besoins minimaux1621. Cette infrastructure recou-
vre notamment l’accès permanent à des ressources communes comme l’eau,
l’électricité, le chauffage, des installations sanitaires ou encore un système
d’évacuation des déchets1622. On retrouve ici les exigences posées par le Comi-
té en matière de respect du droit à la santé et du droit d’accès à l’eau, garantis
par les articles 11 et 12 Pacte I1623. Le Comité considère qu’elles font partie des
obligations fondamentales immédiatement applicables que l’on peut rattacher
à ces deux autres droits1624.
1182. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme affirme que le
logement est un « besoin social fondamental»1625. Lorsque le logement existe, si
la qualité de vie d’une personne pâtit directement et gravement du bruit ou
d'autres formes de pollution, la Cour estime qu’une question peut tout de
même se poser sous l’angle de son droit au respect de son domicile et de sa vie

1616
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8, let. c.
1617
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8.
1618
Comp. la Recommandation n° (2005) 4 du Comité des Ministres, § 11.
1619
Comp. l’Observation générale n° 14 du CESCR, § 15.
1620
Observation générale n° 4, § 8, let. f.
1621
Observation générale n° 4 du CESCR, § 7.
1622
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8, let. b.
1623
Observation générale n° 14 du CESCR, § 11 ; Observation générale n° 15 du CESCR, § 8.
1624
Observation générale n° 14 du CESCR, §43, en particulier let. c.
1625
ACEDH Mellacher et autres c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A n° 169, § 208. ROMAN,
p. 253.

331
La situation juridique des Tziganes en Suisse

privée1626. Se voir privé d’une pleine jouissance de son domicile suffit à consta-
ter l’ingérence : la santé de la personne ne doit donc pas nécessairement être
atteinte1627.
1183. Cependant, lorsque sont avancés des griefs relatifs à la salubrité de
l’environnement du logement, l’atteinte doit constituer une véritable ingérence
dans la sphère intime de la personne concernée, posséder un minimum de
gravité et ne pas être négligeable par rapport aux risques inhérents à la vie
dans une ville moderne1628.
1184. La casuistique des juges de Strasbourg sur cette question révèle que les
constats de violation de l’article 8 CEDH ont tous été rendus lorsque les autori-
tés nationales n’ont pas respecté les exigences posées par leur propre droit in-
terne1629. Par contre, lorsque celui-ci a été correctement appliqué, la Cour se
contente d’examiner si l’Etat a ménagé un juste équilibre entre les différents in-
térêts qui s’opposent. Dans ce contexte, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient
pas de déterminer en quoi pourrait consister une politique optimale en matière
de logement1630.
1185. Se fondant sur la marge d’appréciation des Etats, la Cour refuse ainsi
d’accorder un statut spécial aux « droits environnementaux » des particuliers,
ni à l’environnement en tant que tel1631. Néanmoins, elle étudie l'ensemble des
éléments procéduraux, notamment le type de politique ou de décision en jeu,
la manière dont les points de vue des individus ont été pris en compte tout au
long du processus décisionnel, ainsi que les garanties procédurales disponi-

1626
Ce glissement de l’art. 8 CEDH vers le droit à la protection d’un environnement sain a débuté au
moyen du droit au respect du domicile avec l’ACEDH Powell et Rayner c. Royaume-Uni, du 21 fé-
vrier 1990, série A n° 172, § 44 en 1990, pour ensuite être rattaché au droit au respect de la vie
privée et familiale avec l’ACEDH Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des ar-
rêts et décisions 1998-I, en 1995, pour enfin revenir vers le droit au respect du domicile avec
l’ACEDH Moreno Gomez c. Espagne, n° 4143/02, CEDH 2004-… en 2004; MARGUENAUD, pp. 218-219
et 222-223.
1627
Voir ainsi ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni, n° 36022/97, §96, 2 octobre 2001 (confirmé par la
Grande-Chambre, dans son arrêt du 8 juillet 2003, § 96, CEDH 2003-VIII); ACEDH Guerra et autres
c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 227, § 57; ACEDH López
Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, § 51; ACEDH Powell et Rayner c.
Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A n° 172, § 40.
1628
ACEDH Fadeïeva c. Russie, n°55723/00, §70-71, CEDH 2005-….
1629
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 120, CEDH 2003-VIII ; ACEDH Guerra et
autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 25-27; ACEDH
López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, §§ 16-22.
1630
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 97 et 100, CEDH 2003-VIII; ACEDH Po-
well et Rayner c. Royaume-Uni , arrêt du 21 février 1990, série A n° 172, p. 19, § 44; ACEDH James
et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A n° 98, § 46.
1631
ACEDH Fadeïeva c. Russie, n°55723/00, § 68, CEDH 2005-...; ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni
[GC], n° 36022/97, § 104 et 122, CEDH 2003-VIII; ACEDH Kyrtatos c. Grèce, n° 41666/98, § 52,
CEDH 2003-VI. MARGUENAUD, p. 221. Au vu de ses arrêts Buckley et Chapman, la position de la Cour
de Strasbourg sur cette question est paradoxale, puisqu’à cette occasion, elle a bel et bien rattaché
la protection de l’environnement lui-même à la protection des „droits d’autrui“ pour restreindre le
droit au respect de la vie privée et familiale de familles tziganes, infra Section 2.3. Voir également
MARGUENAUD, p. 228.

332
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

bles1632. Les obligations positives déduites par la Cour de l’article 8 CEDH sont
donc ici de nature procédurale et non substantielle1633.
1186. Lorsqu’un litige met en cause le logement d’un particulier et des ques-
tions d’environnement touchant à l’aménagement du territoire, la Cour de
Strasbourg considère également que l'Etat jouit d'une marge d'appréciation
étendue. Dans ce contexte, en effet, les plans d'aménagement urbain et rural
impliquent l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire des autorités nationales.
1187. Ici, encore plus qu’ailleurs, la Cour estime ne pas pouvoir substituer
son propre point de vue sur ce que pourrait être la meilleure politique en ma-
tière d'aménagement foncier, ou encore les mesures individuelles les plus adé-
quates dans les affaires ayant trait à ce domaine.
1188. Toutefois, elle admet que les intérêts de la communauté doivent être
mis en balance avec le droit de l’individu et de sa famille au respect de son
domicile, puisque celui-ci concerne sa sécurité et à son bien-être personnel.
Dans ce cadre, la Cour examine à nouveau avec attention quelles ont été les
garanties procédurales à disposition de l'individu pour déterminer si l’Etat n’a
pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire1634.
1189. On relèvera que le Tribunal fédéral a intégré la jurisprudence euro-
péenne dans sa pratique, en admettant également que les effets nuisibles d’une
installation polluante constituent une ingérence dans le droit au respect de la
vie privée et familiale des personnes qui vivent à proximité.
1190. Lorsque la source est une ligne électrique à haute tension, notre Haute
Cour considère que les intérêts des particuliers sont pris en considération au
moment de l’adoption des plans d’aménagement pertinents. Le Tribunal fédé-
ral estime que les garanties découlant de l’article 8 CEDH sont respectées, car à
ce stade, si les droits des propriétaires affectés sont atteints, le droit fédéral
leur offre la possibilité de prétendre à une indemnité d’expropriation par-
tielle1635.
1191. Enfin, pour le Comité européen des droits sociaux, l’importance cen-
trale du logement pour les familles a pour conséquence que, sur la base de
l’article 16 CSE, les autorités doivent prendre leurs besoins en compte lors de
l’adoption de leurs politiques en la matière, de manière à garantir une offre
quantitativement et qualitativement suffisante dans ce domaine1636. Par ail-
leurs, l’article 31§1 CSE impose aux autorités de fournir à l’ensemble de la po-
pulation présente sur son territoire un logement adéquat qui soit sûr d’un

1632
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 104 et 122, CEDH 2003-VIII.
1633
MARGUENAUD, p. 222.
1634
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 101, CEDH 2003-VIII; ACEDH Buckley c.
Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 74-77.
1635
ATF 129 II 420, 431-432, A. et B.
1636
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation collective n°15/2003, Co-
mité européen des Roms c. Grèce, §24.

333
La situation juridique des Tziganes en Suisse

point de vue sanitaire, c’est-à-dire qui possède toutes les infrastructures mini-
males nécessaires, qui ne soit pas surpeuplé et qui soit protégé par la loi1637.

b) La protection contre les évictions abusives

1192. La protection contre les évictions abusives est l’une des facettes du
droit au logement dégagées par le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels1638. Cette garantie justiciable1639 est ainsi couverte par le biais de
l’article 11 Pacte I pour le Comité.
1193. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme la rattache au
droit au respect du domicile lato sensu1640, ce qui souligne encore une fois les
liens étroits qui unissent droit au logement et droit au respect du domicile. On
distinguera entre la dimension formelle de cette protection, qui octroie des ga-
ranties procédurales aux particuliers mis en demeure de quitter leur habitation
(ba), et sa dimension matérielle, qui pose des limites à l’exécutabilité des me-
sures d’éviction en cas d’absence de possibilité de relogement (bb).

ba) Les exigences procédurales


1194. Au sens du Pacte I, l’éviction forcée se définit par l’expulsion perma-
nente ou temporaire, contre leur volonté, d’individus, de familles ou de com-
munautés de leurs maisons ou des terres qu’elles occupent, sans qu’elles puis-
sent accéder à toute forme de protection juridique. Cette garantie ne couvre
donc pas les évictions effectuées de force en accord avec la loi en vigueur et en
conformité avec les normes des deux Pactes1641. Dans ce contexte, l’adoption
d’une législation efficace contre les expulsions forcées est un prérequis néces-
saire pour garantir une véritable protection en la matière1642.
1195. Se fondant sur le concept de « matrice des pertes » développé par la
Coalition internationale Habitat et du Réseau pour le droit au logement et à la
terre, le Rapporteur spécial sur le droit du logement souligne les conséquences
néfastes qu’une éviction forcée peut avoir sur la vie des personnes concernées.
Doivent ainsi notamment être pris en considération les dommages matériels et
immatériels causés par la perte de l’habitation, de la parcelle de terrain, éven-
tuellement du contenu du logement, de l’infrastructure, de l’hypothèque ou
d’autres pénalités de crédit.

1637
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation collective n° 27/2004, Co-
mité européen des Roms c. Italie, § 35.
1638
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8.
1639
Voir la pratique du CESCR telle que rapportée par CRAVEN, pp. 339ss ; KÜNZLI/KÄLIN, p. 128.
1640
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 68 et § 92, 27 mai 2004; ACEDH Larkos c. Chypre
[GC], n° 29515/95, § 28, CEDH 1999-I. SUDRE (2005B), p. 406. Voir également infra Section aa.
1641
Observation générale n° 7 du CESCR, § 3.
1642
Observation générale n° 7 du CESCR, §9; KOHTARI, § 16.

334
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1196. Doivent également être imputés les frais liés au logement provisoire,
aux taxes administratives et aux frais de justice, au logement de remplacement,
aux coûts de réinstallation et de transport. Les effets sur la santé physique et
affective ne doivent pas être négligés et peuvent être entre autres induits par la
perte d’espace vital, par les tracasseries administratives, par les conséquences
sur l’unité de la famille, sur l’éloignement de la communauté ou encore sur la
vulnérabilité accrue face à de nouvelles violations1643.
1197. Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, les garan-
ties procédurales entourant l’éviction doivent comprendre plusieurs points :
une consultation effective des intéressés doit avoir été organisée ; un délai de
préavis raisonnable a dû être communiqué à toutes les personnes concernées ;
toutes les informations nécessaires sur l’expulsion à venir et sur le relogement
envisagé ont dû être transmises ; des représentants du gouvernement doivent
être présents lors de l’expulsion, ce qui est particulièrement nécessaire lorsque
sont concernés des groupes de personnes ; il doit être possible d’identifier tous
les agents de l’autorité qui exécutent l’arrêté d’expulsion ; il est interdit de pro-
céder à l’éviction par mauvais temps ou de nuit, sauf consentement des inté-
ressés ; les recours prévus par la loi doivent être accessibles ; enfin, une aide
judiciaire doit être octroyée si nécessaire1644.
1198. Dans sa pratique relative au respect du domicile et à la protection
contre les évictions, la Cour européenne des droits de l’homme insiste égale-
ment sur l’importance de l’existence de garanties procédurales et de leur res-
pect pour pouvoir juger de la légitimité des expulsions1645.
1199. Enfin, aux yeux du Comité européen des droits sociaux, l’article 31§2
CSE exige des Etats qu’ils s’assurent que les évictions sont justifiées et exécu-
tées dans des conditions respectant la dignité des personnes concernées. De
plus, toute éviction doit être susceptible de recours et il est nécessaire d’offrir
une aide juridique à ceux qui souhaitent saisir les tribunaux1646.

bb) Les évictions abusives du fait de l’absence de possibilité de


relogement
1200. En sus des garanties procédurales sus-mentionnées, le droit à un lo-
gement adéquat impose des obligations supplémentaires, de nature matérielle,

1643
KOHTARI, § 68.
1644
Observation générale n° 7 du CESCR, §15; KOHTARI, § 17.
1645
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 83, 27 mai 2004; ACEDH Chapman c. Royaume-
Uni [GC], n° 27238/95, § 92, CEDH 2001-I; ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre
1996, Rec. 1996-IV, § 76. Voir également ACEDH Larkos c. Chypre [GC], n° 29515/95, § 22-32,
CEDH 1999-I, où la Cour de Strasbourg a constaté la violation de l’art. 14 CEDH en rapport avec
l’art. 8 du fait qu’en tant que locataire d’un immeuble appartenant à l’Etat, le requérant n’était pas
protégé contre l’éviction à la fin de son bail.
1646
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation collective n° 27/2004, Co-
mité européen des Roms c. Italie, § 41.

335
La situation juridique des Tziganes en Suisse

dont le non respect a pour conséquence que des évictions qui sont en soi licites
deviennent abusives du fait qu’elles constituent une ingérence disproportion-
née dans les droits des personnes concernées.
1201. En effet, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels consi-
dère également que lorsqu’un individu, une famille ou une communauté ont
été expulsés de leur logement, l’Etat a à sa charge un devoir de relogement, et
ce même lorsque l’occupation des lieux était illicite. Ainsi, les autorités ont
l’obligation de mettre les personnes expulsées au bénéfice d’un logement de
substitution adéquat avant de procéder à l’exécution de la mesure1647. Cette ré-
installation doit avoir lieu à une distance raisonnable du lieu précédent, avec
une infrastructure suffisante et adéquate1648.
1202. La Cour européenne des droits de l’homme tient un raisonnement si-
milaire, mais semble poser des exigences moins strictes à l’égard de l’Etat. En
effet, pour juger de l’adéquation de l’hébergement de rechange, elle met en ba-
lance les besoins particuliers de l’individu au vu de ses exigences familiales et
de ses ressources financières, et l’intérêt public poursuivi in casu par l’Etat
pour légitimer l’expulsion, en lui accordant, le cas échéant, une marge
d’appréciation plus ou moins importante1649.
1203. Imposer cette obligation aux autorités restreint donc l’exécutabilité de
procédures d’expulsion ordonnées à l’égard d’occupations illicites
d’immeubles. Or, ceci revient à admettre que le champ d’application du droit
au respect du domicile et du droit au logement s’étend aux individus occupant
des logements de manière illicite.
1204. En Suisse, la doctrine n’est pas unanime sur cette extension1650. Les au-
teurs s’exprimant en faveur d’une telle inclusion soulignent que du point du
vue des droits fondamentaux, le droit au respect du domicile ne doit pas se li-
miter à se référer aux rapports de droit privé existant entre un particulier et
son habitation, mais doit également prendre en compte la réalité des faits.
1205. En effet, les garanties constitutionnelles et conventionnelles cherchent
à protéger l’intimité et la vie privée des individus qui peuvent naître et se dé-
velopper également dans un domicile établi illicitement. Il importe avant tout
que des indices objectifs démontrent qu’un lieu appartient à la sphère privée

1647
Voir notamment KOHTARI, §77 et les Observations finales du CESCR relatives au Royaume-Uni, UN
Doc. E/C.12/1/Add. 19, §17. Voir également, en Belgique, l’ordonnance du Tribunal de première ins-
tance de Namur, du 11 mai 1994, qui a jugé qu’une expulsion en soit licite mais annoncée sans of-
fre de solution alternative concrète au locataire était contraire à l’art. 23 de la Constitution belge qui
garantit le droit à un logement décent, et ce malgré le caractère non justiciable de cette disposi-
tion ; voir LAMBERT, pp. 50-52.
1648
Observation générale n° 7 du CESCR, §16; Observations finales du CESCR, du 19 décembre 1994,
relatives à la République dominicaine, E/C.12/1994/15, §11. KOHTARI, § 16.
1649
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 103-104, CEDH 2001-I.
1650
Ainsi, MÜLLER (1999), p. 122, note 20, est favorable à l’application de l’art. 13 al. 1 Cst., tandis que
BREITENMOSER (1986), pp. 271 et 275 et SCHWEIZER (2001), N. 27, s’y opposent.

336
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

d’un individu. En conséquence, il n’importe pas, au stade de l’examen du


champ d’application, que l’immeuble soit occupé sans droit1651.
1206. La jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de
l’homme semble aller également dans ce sens. En effet, la Cour attache à la
protection du domicile la notion de bien-être et de protection de la jouissance
de son habitation1652. Dès lors, elle reconnaît l’existence d’une ingérence dans
ces garanties même lorsque le logement a été créée illicitement. Bien que refu-
sant de constater la violation de l’article 8 CEDH en faveur de personnes se
posant volontairement en infraction avec la loi, elle accepte toutefois d’entrer
en matière sur ce grief.
1207. La Cour se montre toutefois ensuite très sévère avec les requérants
sous l’angle de la légitimité du but poursuivi par les autorités et de la nécessité
de la mesure d’éviction1653. Sur ce dernier point, cependant, on relèvera que,
dans des affaires récentes mettant en cause la destruction d’habitations cons-
truites illégalement, la Cour a donné gain de cause à des requérants qui
avaient bénéficié durant de nombreuses années de l’inaction – et donc de la to-
lérance factuelle – des autorités nationales1654.
1208. On relèvera par ailleurs la position du Tribunal fédéral dans le cadre
de l’occupation d’un immeuble par des squatters et de la question de leur éva-
cuation par les forces de police. Notre Haute Cour a jugé que bien qu’étant des
occupants illicites, leur expulsion peut être suspendue, et ce même si l’on
considère que l’Etat a une obligation positive d’assurer le respect de la garantie
de la propriété, au sens de l’article 26 Cst., du propriétaire de l’immeuble.

1651
Voir MÜLLER (1999), p. 122, ainsi que sa note 20 et ses références doctrinales.
1652
Voir notamment ACEDH Moreno Gomez c. Espagne, n° 4143/02, §53, CEDH 2004-… et supra Sec-
tion 1.2.2.
1653
ACEDH Oneryildiz c. Turquie , n° 48939/99, § 142, 18 juin 2002; ACEDH Chapman c. Royaume-Uni
[GC], n° 27238/95, § 82, 102 et 105, CEDH 2001-I ; ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25
septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 52-54. Dans cette dernière affaire, on relèvera que le gouverne-
ment britannique niait l’existence d’une ingérence dans les droits de Mme Buckley, jugeant que l’art.
8 CEDH ne protège que les domiciles « légalement établis » (§52). La Cour n’a pas retenu cet ar-
gument.
1654
Ces affaires ont été rendues sous l’angle de l’art. 1 Protocole n°1 : ACEDH Oneryildiz c. Turquie, n°
48939/99 , n° 48939/99, § 141, 18 juin 2002, confirmé par la Grande-Chambre : ACEDH Oneryildiz
c. Turquie [GC] n° 48939/99, §106 et 127, CEDH-2004…: la construction entreprise par l'intéres-
sé s'avérait contraire à la réglementation en matière d'urbanisme. Cependant, nonobstant cette
contravention et l'absence d'un titre quelconque portant sur la parcelle occupée, la Cour de Stras-
bourg a considéré que le requérant était bien matériellement propriétaire de l’habitation qu'il avait
construit ainsi que de tous les biens ménagers et personnels qui pouvaient s'y trouver. Depuis 1988,
il vivait dans cette habitation, sans jamais avoir été inquiété par les autorités, grâce à quoi il avait
assuré l'hébergement de ses proches, ce qu’il faut analyser comme une tolérance implicite de l’Etat.
Les manquements de ce dernier à son égard constituent donc une violation de l’art. 1 Protocole n°1.
Voir également ACEDH Osman c. Bulgarie, n° 43233/98, §96-97, 16 février 2006 : les requérantes
ne pouvaient se considérer propriétaires du terrain occupé. Toutefois, les autorités avaient toléré
son occupation depuis 1983, et les requérantes avaient bâti et fait usage des constructions en ques-
tion pendant plusieurs années, sans être inquiétées par les autorités. Pour la Cour de Strasbourg,
ceci signifie une reconnaissance de facto de l’intérêt patrimonial des requérants tenant à leurs cons-
tructions.

337
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1209. En effet, il est nécessaire de pondérer la gravité de l’atteinte pour le


propriétaire, d’une part, et l’ensemble des circonstances entourant le cas
d’espèce, d’autre part. Dans ce cadre, les autorités compétentes bénéficient
d’un large pouvoir d’appréciation, et la nécessité d’assurer la paix sociale, no-
tamment en cas de crise aiguë du logement, peut les conduire à devoir tolérer
la présence de squatters au lieu d’employer la force1655.
1210. On constate ainsi qu’aux yeux du Tribunal fédéral, une évacuation,
même si elle est en soi justifiée, doit tout de même être réalisée dans le respect
du principe de proportionnalité et, dans certaines circonstances, les autorités
compétentes ont la latitude nécessaire pour pouvoir légitimement décider de
surseoir à son exécution.
1211. A notre sens, la jurisprudence des différentes instances, nationales et
internationales, montre que les habitations créées ou occupées illicitement
tombent dans le champ d’application du droit au respect du domicile et du
droit à un logement adéquat.
1212. L’Etat est certes légitimé à prendre des mesures pour rétablir une si-
tuation qui soit conforme aux exigences du droit privé, mais il est toutefois te-
nu par les exigences de la proportionnalité. Le respect de ce principe doit
notamment s’évaluer au regard de la possibilité de relogement des personnes
concernées, et une situation de pénurie et d’absence d’alternatives est un fac-
teur primordial qu’il convient de prendre en considération. Du fait de
l’importance de ce critère dans le cadre de notre problématique, nous aurons
l’occasion de revenir sur cette question ci-après1656.

1.3. Appréciation

1213. Notre aperçu de la portée du droit au respect du domicile et du droit


au logement démontre qu’ils recouvrent ensemble une série de droits, dont
certains sont justiciables et d’autres non. Leur éventuel défaut de justiciabilité
n’enlève toutefois rien à leur caractère contraignant à l’égard des autorités, no-
tamment du législateur, en charge de les réaliser.
1214. Au nombre des facettes justiciables et fondant des obligations
d’abstention se trouvent le droit à l’inviolabilité du domicile et la protection
contre les évictions illicites. Pour la Cour européenne des droits de l’homme,

1655
ATF 119 Ia 28, 31-32 M. EGGER-ROCHAT, pp. 388-389. Il sied toutefois de relever qu’en l’espèce, le
propriétaire de l’immeuble a obtenu gain de cause car étant au bénéfice d’un jugement exécutoire
ordonnant l’évacuation de son immeuble, il avait droit à l’appui des forces de l’ordre pour réaliser
son exécution et que, partant, le refus de coopération du Procureur général était arbitraire; ATF 119
Ia 28, 32-34 M. Comp. cet arrêt à l’ACEDH Scollo c. Italie, du 28 septembre 1995, Série A n° 315-C
, § 30-31 : la Cour européenne juge conformes à la poursuite de l’intérêt général des mesures légi-
slatives qui suspendaient l’expulsion de locataires en attendant que des solutions pour les reloger
dans des conditions adéquates soient trouvées.
1656
Infra Section 2.3.

338
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

les autorités ont également une obligation positive et justiciable à protéger le


droit à une certaine qualité de vie dans la jouissance de son domicile. Ceci in-
clut, pour l’Etat, l’obligation de protéger les particuliers contre les immissions
matérielles et immatérielles, y compris celles du fait de tiers.
1215. En tant que droit économique et social, le droit au logement ne fonde
pas de droit justiciable si l’on suit l’approche conservatrice. A notre sens, il
sied au contraire de se référer aux différentes catégories d’obligations existant
à charge des autorités développées par le Comité des droits économiques, so-
ciaux et culturels : les obligations de respecter, de protéger et de mettre en
oeuvre ce droit, cette dernière englobant elle-même l’obligation d’en faciliter
l’exercice, de l’assurer et de le promouvoir1657.
1216. Dès lors, en sus de la protection additionnelle que le droit au logement
offre contre les évictions illicites, le devoir qui incombe aux autorités de
s’assurer que toute personne expulsée de son logement, y compris de manière
licite, puisse être relogée doit être qualifié de justificiable. Son non respect
vide, en effet, de son sens l’obligation de respecter le droit au logement.
1217. Certes, il faut considérer que le droit à l’obtention d’un logement se
rattache au devoir d’assurer ce droit et donc impose la prise de mesures politi-
ques qui dépassent le cadre judiciaire. Toutefois, lorsque l’intervention de
l’Etat a pour conséquence qu’un particulier perd son toit, il semble défendable
de pouvoir exiger des autorités compétentes une solution de substitution qui
respecte les standards qualitatifs minimaux posés par le droit international. Le
cas échéant, une autorité judiciaire doit pouvoir conclure à la violation de ces
garanties en raison de l’inaction des autorités.
1218. Par ailleurs, il nous semble difficilement soutenable qu’un particulier
ne puisse faire constater par un juge les éventuels manquements des autorités
en matière d’infrastructures sanitaires minimales encadrant son logement.
L’atteinte à la dignité humaine et au droit à la santé que constituent des condi-
tions de vie insalubres, l’absence d’accès à de l’eau potable, à l’électricité et
l’évacuation des déchets exige, à notre sens, qu’une autorité judiciaire puisse
statuer sur la légitimité des ingérences subies par les individus.
1219. Enfin, nous rattachons également à l’obligation de respecter le droit au
logement, et donc de s’abstenir d’y porter atteinte, le devoir de ne pas créer de
logements sur ou à proximité de zones polluées.

1657
Comp. notamment les Observations générales n°12, 13, et 14 du CESCR, notamment § 33 de
l’Observation générale n° 14.

339
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2. La protection de la caravane tzigane et du lieu de


stationnement

1220. Après un examen de l’applicabilité de la notion de domicile à la cara-


vane tzigane et à son lieu de stationnement et de ses conséquences (2.1.), nous
analyserons la portée du droit à un logement adéquat se situant dans un envi-
ronnement sain dans le contexte spécifique du nomadisme tzigane (2.2.). Dans
un troisième temps, nous traiterons de la protection des caravanes contre les
évictions abusives (2.3.), et enfin nous discuterons de l’opportunité de recon-
naître un « droit au stationnement » spécifique (2.4.).

2.1. L’applicabilité des notions de domicile et de logement à la


caravane tzigane et au lieu de stationnement

2.1.1. La caravane tzigane en tant qu’habitation juridiquement protégée

1221. Dans les divers Etats du continent européen, l’assimilation de la cara-


vane tzigane à une habitation protégée en tant que domicile n’est pas une évi-
dence. En conséquence, les garanties spécifiques offertes par ce droit ne sont
pas nécessairement considérées comme acquises à leur égard. Ainsi, dans son
rapport de 2006, le Commissaire européen aux droits de l’homme relève qu’un
Etat du Conseil de l’Europe sur cinq ne les considère pas comme des domiciles
protégés par le droit pénal1658. Il n’est alors pas surprenant de constater que le
Comité des Ministres invite explicitement les Etats membres à conférer aux ca-
ravanes tziganes le même statut et la même protection juridique que les habita-
tions usuelles1659.
1222. De la même manière que l’absence de possibilités de stationnement
peut contraindre les Tziganes nomades à renoncer à leur mode de vie tradi-
tionnel, le refus d’assimiler un domicile mobile à un logement pour la percep-
tion de certaines prestations sociales peut les inciter fortement à choisir
l’habitat sédentaire. Or, un tiers des Etats interrogés par le Groupe de Spécia-
listes sur les Roms, Tsiganes et Voyageurs sur cette question appliquent cette
politique. Ce moyen est d’autant plus efficace en raison de la situation socio-
économique vulnérable d’une minorité dont les membres dépendent souvent
de ce genre de soutien financier. Dès lors, la différence de traitement des Tzi-
ganes nomades fondée sur leur type d’habitat peut également constituer un
moyen efficace pour les faire renoncer à leur mode de vie1660.
1223. Les caravanes des Tziganes doivent donc bénéficier de la protection of-
ferte au domicile par les normes nationales et internationales. En effet, si une

1658
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme, § 37.
1659
Recommandation (2004) 14, § 12.
1660
MG-S-ROM (2002) 10 rev., p. 11.

340
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

caravane n’est pas assimilée juridiquement à un domicile, le droit à


l’inviolabilité de celle-ci se trouve compromis1661. En conséquence, ses oc-
cupants ne sont pas au bénéfice d’une protection contre les interventions illé-
gales et discrétionnaires des pouvoirs publics1662 et ce droit à la sûreté est donc
mis en péril. Or, ce défaut de protection peut aussi être un moyen de pression
tendant à faire abandonner aux Tziganes leur mode de vie, pour s’assurer la
protection de la loi dans le cadre d’un domicile fixe et traditionnel1663.
1224. Face à ce constat, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a dé-
veloppé plusieurs propositions. Il incite les Etats membres à garantir aux Tzi-
ganes nomades le droit à la propriété et aux aides sociales au même titre
qu’aux sédentaires, quel que soit leur type d’habitation.
1225. Il les invite à offrir, sur les aires qu’il gère, un loyer et des charges
d'occupation qui soient justes et proportionnés, ainsi que la sécurité de rési-
dence. Il leur recommande d’appliquer en tous points aux caravanes de Tziga-
nes nomades les mêmes garanties que celles existant pour le domicile séden-
taire, notamment en matières juridique et sociale1664.
1226. Le droit suisse interprète largement la notion de domicile au sens de
l’article 13 al. 1 Cst. En effet, puisque ce n’est pas l’habitation en tant que chose
qui est protégée par le droit au respect du domicile, mais bien un élément es-
sentiel pour l’épanouissement de la personnalité de l’individu, il n’est pas né-
cessaire que l’habitation concernée soit une construction au sens strict1665. Il est
donc possible d’intégrer dans cette notion toutes sortes de logements tempo-
raires, comme une tente par exemple, lorsque l’on peut constater la présence
d’indices, comme la durée ou l’intensité de l’utilisation, démontrant qu’ils sont
utilisés à des fins relevant de la sphère privée1666. Une roulotte employée huit à
douze mois par an à titre de logement tombe donc dans cette définition1667.
1227. Les normes internationales ne disent pas autre chose que le droit
suisse. Le champ d’application de l’article 17 Pacte II recouvre tous les types
d’habitation, permanente ou provisoire, fixe ou amovible; les caravanes sont
donc comprises dans cette approche large1668. Pour sa part, la jurisprudence de

1661
MG-S-ROM (2002), p. 11.
1662
ZUFFEREY (2001), p. 762.
1663
MG-S-ROM (2002) 10 rev., point 1.2.2., ba).
1664
Recommandation (2004) 14, §8.
1665
VON GUNTEN, p. 51.
1666
BREITENMOSER (art. 13 al. 1), p. 201 ; MAHON (art. 13), p. 128 ; MÜLLER (1999), pp. 121-122 ; VON
GUNTEN, p. 51.
1667
Dans ce sens, voir l’arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 6 avril 2004, causes
A/1278/2003-GC et A/1439/2003-GC, p. 14: „Du moment qu’elles servent à l’habitation des gens du
voyage, [des] caravanes doivent être considérées comme des maisons d’habitation dont le regrou-
pement constitue plusieurs logements“.
1668
NOWAK (art. 17), p. 302.

341
La situation juridique des Tziganes en Suisse

la Cour européenne des droits de l’homme inclut expressément les roulottes


tziganes dans la notion de domicile au sens de l’article 8 CEDH1669.

2.1.2. Le lieu de stationnement des caravanes en tant que domicile


juridiquement protégé

1228. La qualification du lieu de stationnement des caravanes tziganes en


tant que zone protégée par le droit au respect du domicile et le droit au loge-
ment est une question importante. D’une manière générale, la protection du
domicile s’étend au sol et aux alentours immédiats d’une habitation lorsqu’ils
sont délimités par une clôture clairement reconnaissable1670. Cette extension
aux lieux de halte des caravanes tziganes n’est a priori pas évidente.
1229. Premièrement, contrairement aux parcelles entourant en règle générale
des habitations construites en dur, le terrain entourant chaque caravane, voire
chaque campement, n’est pas nécessairement clos. Il peut donc être difficile de
savoir jusqu’où le périmètre juridiquement protégé s’étend1671.
1230. Deuxièmement, lorsque les personnes concernées pratiquent un no-
madisme actif et ne demeurent pas en un seul endroit, ces lieux sont appelés à
changer, ce qui n’est pas le cas des terrains entourant les maisons usuelles. En
conséquence, non seulement le cadre environnemental se modifiera, mais éga-
lement les liens juridiques existant entre la personne concernée et les différents
terrains sur lesquels elle décide de s’arrêter. D’un éventuel statut de proprié-
taire d’un terrain, elle peut passer à celui de locataire d’un autre, voire de rési-
dente sans autorisation sur un troisième.
1231. Ainsi, dans le contexte du nomadisme tzigane, les conditions factuelles
et juridiques encadrant l’exercice et le respect des droits en cause hors de
l’habitation stricto sensu sont amenées à changer au gré des déplacements et,
dès lors, on peut s’interroger sur la possibilité d’inclure les lieux de halte dans
le champ d’application de ces droits.
1232. Or, cette extension de la protection juridique existant à l’égard de la
caravane per se à son environnement immédiat est particulièrement impor-
tante, sous peine de vider de leur sens les droits qui protègent le domicile et la
possibilité d’en jouir en toute quiétude pour ses habitants. En effet, il est diffi-
cilement contestable qu’un certain nombre de leurs aspects fondamentaux
pour garantir l’adéquation du logement, tels que la protection contre l’éviction
abusive, l’évacuation des déchets ou l’accès à l’eau et l’éclairage, sont étroite-
ment liés au terrain de stationnement.

1669
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I; ACEDH Buckley c. Royaume-
Uni, arrêt du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV. SUDRE (2005B), p. 375.
1670
NOWAK (art. 17), p. 302 ; TRECHSEL (1997) p. 693 ; VON GUNTEN, p. 50.
1671
Voir ainsi VON GUNTEN, pp. 50-51, qui estime que des terrains qui ne sont pas clairement délimités
ne peuvent être protégés par le droit au respect du domicile.

342
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1233. Dès lors, nous ne pouvons que souscrire à la position du Comité des
Ministres sur cette question. Dans le contexte du nomadisme tzigane, celui-ci
définit tout d’abord la notion de « logement» comme incluant non seulement
les caravanes mais également les lieux de stationnement1672. Ensuite, il invite
les Etats membres à reconnaître qu’un certain périmètre autour d’une caravane
fait partie intégrante du domicile de ses habitants1673.
1234. Le lien étroit existant entre le lieu de stationnement et la protection du
logement et du domicile est particulièrement bien illustré par l’affaire
Connors1674. En effet, dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme
juge que le fait d’expulser une famille tzigane d’un lieu de stationnement per-
manent consiste, dans les faits, à les priver de leur logement1675. La Cour
considère ainsi que ce n’est pas seulement la caravane elle-même qui doit être
conçue comme le logement des Tziganes, mais également l’endroit où ils
stationnent1676.

2.2. Le droit à un logement adéquat dans le contexte du


nomadisme tzigane

1235. Les éléments constitutifs que nous avons dégagés de la portée générale
du droit à un logement adéquat se situant dans un environnement sain témoi-
gnent de l’importance particulière de cette garantie pour la protection des
droits des Tziganes nomades. D’une manière générale, on constate un manque
de terrains de stationnement appropriés dans tous les pays membres du
Conseil de l’Europe, Suisse comprise. Lorsqu’ils existent, il sont logiquement
surpeuplés, mais également souvent sous-équipés.
1236. Dans ce contexte, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe in-
vite les Etats à mettre sur pied une politique coordonnée en matière de loge-

1672
Voir également la Recommandation (2005) 4, chiffre I : « on entend par « logement » différents
modes d'habitation tels que les maisons, les caravanes ou les mobile homes ou les sites de halte ».
1673
Recommandation (2004) 14, § 34.
1674
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004.
1675
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 85, 27 mai 2004.
1676
Comp. sur ce point la Décision n°94-359 du Conseil constitutionnel français, du 19 janvier 1995,
concernant la constitutionnalité de la loi relative à la diversité de l’habitat (JO du 21 janvier 1995, p.
1136). L’article 7 de la loi relative à la diversité de l’habitat avait modifié l’article L. 302-7 du Code
de la construction et de l’habitation en prévoyant que les sommes non investies par les communes
dans la réalisation de logements sociaux seraient notamment allouées dans la création de terrains
d’accueil des Gens du Voyage. Ce faisant, le législateur français intégrait les aires d’accueil dans une
loi sur l’habitat. Le Conseil constitutionnel va lui donner raison, en combinant le principe de dignité
avec les dispositions des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution française de 1946. Il dé-
clare que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent devient un objectif
à valeur constitutionnelle ». En rattachant les aires d’accueil à cette loi, le législateur prend en
compte l’article 28 de la loi du 31 mai 1990 qui impose un schéma départemental prévoyant les
conditions spécifiques d’accueil des Gens du Voyage. Ce faisant, le logement se retrouve réaffirmé
dans son lien avec la dignité, en tant que signe distinctif de la personne humaine, qui peut y « or-
ganiser sa vie privée et mener une vie familiale normale».

343
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ment à l’égard des Tziganes. Les autorités nationales, régionales et locales doi-
vent faire en sorte que chaque individu bénéficie de toutes les conditions né-
cessaires à la pratique de son mode de vie, en fonction des ressources disponi-
bles et des droits des tiers, dans le cadre juridique relatif aux constructions, à
l'aménagement du territoire et à l'accès à des terrains privés1677.
1237. Outre les recommandations du Comité des Ministres, on se référera
également au Mémorandum préparé par le Secrétariat sur les problèmes auxquels
sont confrontés les Roms/Tsiganes en matière de logement, du 17 mars 20001678, ré-
alisé par le Groupe de Spécialistes sur les Roms, Tsiganes et Voyageurs. Ce
rapport expose en détail la situation prévalant actuellement dans les pays
membres du Conseil de l’Europe et formule une série de recommandations1679.
La jurisprudence pertinente du Comité européen des droits sociaux1680 peut se
montrer également utile pour délimiter précisément la signification du droit
au logement dans le contexte du nomadisme tzigane.
1238. Le respect du droit à un logement adéquat à l’égard des Tziganes im-
pose la création de places de stationnement en nombre suffisant (2.2.1.). En-
suite, il exige que ces places répondent à certains critères qualitatifs, par rap-
port à leur environnement (2.2.2.), leur infrastructure (2.2.3.) et le respect de la
capacité de paiement de leurs utilisateurs (2.2.4.). Ce sont donc aussi bien des
exigences quantitatives que qualitatives qui sont imposées aux Etats1681.

2.2.1. La création d’un nombre suffisant de places

1239. Le droit à un logement adéquat exige qu’un nombre suffisant de sites


de stationnement soit mis à la disposition des Tziganes nomades1682. Le lien
étroit entre le respect de cette garantie et l’existence d’une offre suffisante en la

1677
Recommandation (2005) 4, §3.
1678
MG-S-ROM (2000) 3.
1679
Voir également le rapport du Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux
et plus particulièrement l’aperçu comparé de la situation dans le domaine des conditions de loge-
ment des Tziganes dans différents Etats membres de l’UE, pp. 49-52.
1680
En application de l’art. 7, §1 et 2 du Protocole de 1995, l’organisation non gouvernementale
« Centre européen des droits des Roms » a déposé trois réclamations collectives, respectivement
contre la Grèce (Réclamation n°15/2003, Centre européen des droits des Roms c. Grèce, enregis-
trée le 4 avril 2003), l’Italie (Réclamation n° 27/2004, Centre européen des droits des Roms c. Ita-
lie, enregistrée le 28 juin 2004) et la Bulgarie (Réclamation n° 31/2005, Centre européen des droits
des Roms c. Bulgarie, enregistrée le 22 avril 2005). A ce jour, le Comité s’est prononcé sur le bien-
fondé des réclamations formulées contre l’Italie (Décision sur la bien-fondé du 7 décembre 2005 re-
lative à la Réclamation n° 27/2004, Centre européen des droits des Roms c. Italie) et contre la
Grèce (Décision sur le bien-fondé du 7 février 2005 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre eu-
ropéen des droits des Roms c. Grèce).
1681
Voir la Recommandation (2004) 14, §8 et §22-23 ; Recommandation (2005) 4, §33-34.
1682
Comp. ainsi l’arrêt du 7 novembre 1995 de la première chambre civile de la Cour de Cassation, Ville
de Grenoble c. consorts Vicedomini-Duverts: aux yeux du droit français, « le droit à l’accueil des
Gens du Voyage dans les communes de plus de 5000 habitants est l’adaptation à cette population
particulière du droit au logement, consacré principe général du droit par la constitution et mis en
œuvre par une loi particulière d’ordre public », à savoir la loi du 31 mai 1990.

344
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

matière est mis en avant par l’ensemble des différentes instances du Conseil de
l’Europe1683. Le Comité des Ministres, notamment, insiste sur la nécessité
d’intégrer les facteurs de l’évolution démographique et de la fréquence des
passages pour évaluer ces besoins. L’accueil des Tziganes nomades étrangers
doit également être pris en compte par le biais de la création de plus grandes
places d’arrêt1684.
1240. L’existence d’un nombre suffisant de lieux de halte est un prérequis
nécessaire pour que la marginalisation sociale, économique et culturelle des
Tziganes puisse être progressivement réduite. Rappelons qu’en sus de l’impact
que cela implique sur les conditions de logement, devoir se contenter de sta-
tionnements illégaux affecte tous les aspects de la vie des principaux intéres-
sés, de la capacité des enfants à aller à l’école à celle des adultes à pouvoir
exercer leurs droits politiques, en raison du risque permanent de devoir quitter
les lieux de façon précipitée1685.
1241. Selon le Comité des Ministres, l’aménagement de ces lieux de station-
nement devrait se faire en tenant compte des sites utilisés traditionnelle-
ment1686. En outre, le stationnement licite ne doit pas être restreint aux haltes
sur des sites gérés par les autorités : il est nécessaire d’offrir une pluralité
d’options en la matière1687. Dans ce contexte, on s’interrogera sur la conven-
tionnalité d’une mesure sanctionnant pénalement par une peine de six mois
d’emprisonnement, d’une amende de 3’750 Euros et par la confiscation des
véhicules motorisés, tout stationnement, même temporaire, s’effectuant sans
autorisation sur un terrain public ou privé, lorsque la collectivité locale met à
disposition une aire d’arrêt1688.
1242. Il est également important que les législations et les règles en matière
d'urbanisme permettent à ceux qui ont acquis leur propre terrain d’y station-
ner leur caravane1689. Relevons que ces terrains privés sont, en règle générale,
non constructibles du fait qu’ils sont les seuls dont le prix est abordable pour
les membres de cette minorité.
1243. Comme nous le montrerons ultérieurement, les autorités doivent faire
preuve d’une certaine tolérance à l’égard de l’utilisation de ce type de terrain
pour aménager une aire lorsque aucune alternative n’est à disposition1690. Par

1683
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme, § 36 et 39 ; Deuxième rapport de l’ECRI sur
l’Irlande, doc. CRI(2002)3, § 71-72; Troisième rapport de l’ECRI sur la Suisse, doc. CRI(2004)5, §
47 ; Avis du Comité consultatif de la CPMN relatif à l’Irlande, ACFC/INF/OP/I(2004)003, § 48-57.
1684
Recommandation (2004) 14, §23-24.
1685
Dans ce sens, OSCE, p. 117.
1686
Recommandation (2004) 14, §22.
1687
Recommandation (2004) 14, §25.
1688
Art. 322-4-1 du Code pénal français, inséré par Loi nº 2003-239 du 18 mars 2003, art. 53 1º Jour-
nal Officiel du 19 mars 2003.
1689
Recommandation (2004) 14, §27. MG-S-ROM (2000) 3.
1690
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section D, 2.

345
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ailleurs, nous présenterons également des solutions ayant pour objectif de


rendre licite l’arrêt temporaire spontané, c’est-à-dire hors d’un site prévu à cet
effet1691.
1244. Par ailleurs, on relèvera ici la jurisprudence du Comité européen des
droits sociaux rendue à l’égard de réclamations collectives déposées pour dé-
noncer les conditions de logement dans des campements tziganes en Italie et
en Grèce. Pour le Comité, la mise en œuvre des articles 16 et 31 CSE envers les
Tziganes nomades implique que leur soient offerts suffisamment de lieux de
stationnement, qui plus est adéquats, comme nous le verrons ci-dessous1692.
1245. Le Comité considère que les obligations découlant de l’article 16 CSE
dans ce contexte sont similaires à celles déduites par la Cour européenne des
droits de l’homme de l’article 8 CEDH, plus précisément l’obligation positive
des Etats d’accorder une attention spéciale aux Tziganes et de faciliter leur
mode de vie1693.
1246. En soi, cette comparaison est discutable: rappelons que si, dans l’arrêt
Chapman, la Cour analyse effectivement la question de l’accès à un lieu de sta-
tionnement adéquat sous l’angle de l’accès à un logement, elle refuse néan-
moins d’imposer à l’Etat une obligation de fournir de telles places au motif que
l’article 8 CEDH ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir une ha-
bitation1694. Le Comité européen des droits sociaux va donc en réalité plus loin
que la Cour de Strasbourg.
1247. Toutefois, nous ne pouvons que souscrire à son raisonnement relatif à
la portée du droit au logement. En effet, bien que la démarche restrictive de la
Cour européenne des droits de l’homme soit compréhensible du fait du champ
d’application limité de la Convention, elle est critiquable dans son résultat. On
peut remettre en cause la pertinence de la consécration d’une obligation de
protéger ce mode de vie minoritaire si une forme minimaliste de droit à l’accès
à un logement sous la forme d’une création de lieux de stationnement n’est pas
reconnue dans le même temps1695.
1248. Cependant, on peut s’interroger sur la position que tiendrait la Cour
face à la destruction de places de stationnement licites dans une optique de ré-
affectation dans un but tiers, sans qu’aucune solution de rechange ne soit of-
ferte. A notre sens, une telle hypothèse serait clairement analysée par le Comi-

1691
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B.
1692
Concernant l’art. 16 CSE et le nombre suffisant de places, voir la décision sur le bien-fondé du 8 dé-
cembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre européen des droits des Roms c. Grèce, §
25. Concernant l’art. 31 CSE dans ce contexte, voir la décision sur le bien-fondé du 7 décembre
2005 relative à la Réclamation n° 27/2004, Centre européen des droits des Roms c. Italie, § 34-37.
1693
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Grèce, § 20 et 25.
1694
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 99, CEDH 2001-I.
1695
Dans ce sens également, ROMAN, p. 274.

346
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

té des droits économiques, sociaux et culturels ou le Comité européen des


droits sociaux comme constituant violation du droit au logement. La combi-
naison du standard Chapman et de sa jurisprudence Oneryildiz c. Turquie1696
peuvent laisser penser que la Cour européenne des droits de l’homme par-
viendrait, dans ce cadre, à une conclusion identique.
1249. Certes, dans l’affaire Oneryildiz, ce sont bel et bien les habitations des
requérants elles-mêmes qui ont été détruites, tandis que notre hypothèse
concerne les lieux de stationnement et non les caravanes elles-mêmes. Toute-
fois, l’obligation à charge des Etats d’accorder une attention particulière aux
besoins des Tziganes exige de sanctionner des mesures péjorant une situation
d’ores et déjà fragile. La Cour européenne des droits de l’homme pourrait dif-
ficilement ne pas reconnaître que les conditions de vie et de logement d’un
Tzigane nomade ne sont pas gravement perturbées au motif que sa caravane
est toujours intacte.

2.2.2. Le facteur environnemental

1250. En matière d’offre de places de stationnement, les Etats ont également


des obligations de nature qualitative, puisque le droit au logement signifie
plus précisément le droit à un logement adéquat. Ainsi, les autorités doivent
prendre premièrement en compte les conditions environnementales entourant
ces places. En règle générale, les terrains de stationnement se trouvent dans
des zones insalubres ou écologiquement dangereuses, c’est-à-dire sur les bor-
dures d'autoroute, à proximité de décharges ou encore en zones industrielles,
et éloignées des centres villes.
1251. Du fait que ces zones sont normalement impropres à la construction, la
création de haltes de stationnement en ces endroits place les Tziganes qui y vi-
vent dans une situation d’extrême vulnérabilité lors d’inondations, de glisse-
ments de terrains, de pollutions industrielles, ou encore de la surélévation des
nappes phréatiques. Les conditions de vie sont ainsi déplorables.
1252. Dès lors, les autorités doivent mettre fin à toute politique ou initiative
à l'échelon national, régional ou local visant à créer des sites inadaptés et des
zones dangereuses1697. En conséquence, il revient aux autorités de veiller à ce
que ces lieux de halte soient situés dans des zones constructibles selon les lois
en vigueur, et dans un environnement écologiquement sain1698.

1696
ACEDH Oneryildiz c. Turquie [GC], n° 48939/99, CEDH 2004-… : la Cour de Strasbourg a condamné
la Turquie en raison de la destruction d’un bidonville pour violation de l’art. 1 du Protocole n°1. Voir
également l’ACEDH Hasan Ilhan c. Turquie, n° 22494/93, 9 novembre 2004, dans lequel la destruc-
tion de la maison du requérant et de sa famille a constitué une violation combinée de l’art. 8 CEDH
et 1 du Protocole n°1. ROMAN, p. 275.
1697
Recommandation (2005) 4, §5. Comp. la description des conditions environnementales entourant
les campements tziganes dans plusieurs pays de l’UE effectuée par le RESEAU U.E. DES EXPERTS INDE-
PENDANTS EN MATIERE DE DROITS FONDAMENTAUX, pp. 49-50.
1698
Recommandation (2005) 4, §48.

347
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1253. Dans ce contexte, la situation prévalant dans le campement du Molard,


dans la commune de Versoix (GE) doit être jugée comme étant non conforme à
ces exigences. Les risques élevés et avérés d’inondation de ce terrain avaient
conduit les autorités à refuser l’octroi d’un permis de construction pour une
porcherie industrielle, la parcelle étant considérée comme non constructible.
Toutefois, faute d’alternative à disposition, c’est à cet endroit que les familles
tziganes qui stationnaient auparavant dans le canton au lieu-dit de la Queue
d’Arve ont été relogées en 1966 lorsque les autorités ont décidé de transformer
ces terrains en zones industrielles. Ces familles s’y trouvent toujours, dans
l’attente de la mise à disposition de nouvelles places1699. A nos yeux, le dépla-
cement de ces familles vers un lieu impropre à l’habitat a constitué une ingé-
rence disproportionnée dans leurs droits.
1254. Par ailleurs, les Etats devraient se doter d'instruments permettant aux
Tziganes de faire face à des événements soudains, tels que des catastrophes na-
turelles ou des épidémies qui touchent souvent de façon disproportionnée les
groupes vulnérables, vivant en habitat précaire, tels que la minorité tzigane1700.
1255. Ainsi, si l’on interprète d’une façon générale le droit au logement
comme un droit garantissant aux individus un lieu de vie sûr et salubre, et que
les roulottes tziganes sont des habitations per se, on ne peut dès lors que dé-
duire une obligation à charge des autorités compétentes de faire en sorte que
ces caravanes ne se retrouvent pas forcées à s’arrêter sur des lieux invivables et
dégradants.
1256. Enfin, il faut relever le lien étroit existant entre la situation géographi-
que des campements, d’une part, et la ségrégation et la vulnérabilité socio-
économiques des Tziganes, d’autre part. En effet, lorsque les lieux de station-
nement se trouvent à l’écart du cœur des activités sociales et économiques, le
phénomène de marginalisation dans d'autres domaines de la vie s’accroît. Leur
mise à l’écart géographique est un obstacle à l'accès aux services sociaux de
base, au marché de l'emploi, à l'éducation et aux services de santé1701.
1257. En conséquence, il importe que non seulement les lieux choisis ne
constituent pas un danger pour l’intégrité physique de ceux qui s’y arrêtent
mais qu’également, ils ne contribuent pas à perpétuer leur exclusion. Cette
lutte contre l’exclusion sociale des Tziganes est d’ailleurs au cœur du raison-
nement du Comité européen des droits sociaux en la matière1702.

1699
Voir le MGC du 16 mars 2000, interpellation urgente IU 828 MEYLL. En 2003, le terrain dit « de la
Bécassière », dans la commune de Versoix, a été déclassé aux fins de construction d’une nouvelle
place de stationnement fixe. A cette date, il doit encore être aménagé pour pouvoir être investi. Voir
également infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section D, 1.3.
1700
MG-S-ROM (2000) 3, § 13.
1701
Observation générale du CERD n° 27, § 30-33 ; MG-S-ROM (2000) 3, § 24-25 ; KOHTARI, p. 64.
1702
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Grèce, § 23.

348
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

2.2.3. L’adéquation de l’infrastructure

a) L’infrastructure des aires créées durablement

1258. Il est particulièrement important que les autorités intègrent le facteur


de l’adéquation des infrastructures lorsqu’elles créent des sites d’accueil ou
lorsqu’un terrain, même employé illicitement, est utilisé pour accueillir des ca-
ravanes sur le long terme. A cette fin, il est nécessaire d’inclure les principaux
intéressés dans les projets, car leur défaut de consultation et de participation a
pour conséquence que lorsque des places sont aménagées, elles ne sont sou-
vent pas appropriées à leurs besoins1703.
1259. Ayant pour vocation d’être des lieux d’habitat, les aires de stationne-
ment doivent être créées pour durer et doivent donc être convenablement
équipées avec les installations sanitaires nécessaires, y compris l’accès à
l’électricité et le ramassage des ordures1704. En particulier, au risque de violer
l’interdiction de la discrimination en matière de jouissance du droit à l’eau et à
la santé au sens de l’art. 11 et 12 Pacte I, les Etats doivent assurer aux Tziganes
nomades un approvisionnement adéquat en eau sur leurs sites de stationne-
ment traditionnels ou désignés par les autorités1705.
1260. La salubrité et la décence des conditions de vie sont par ailleurs si fon-
damentales qu’elles doivent s’imposer y compris dans un contexte de station-
nement illicite sanctionné. C’est ce qui résulte de la jurisprudence du Tribunal
administratif genevois : cette autorité s’est fondée sur la nécessité de garantir
des conditions d’hygiène élémentaire pour confirmer la décision du Départe-
ment des constructions, des technologies et de l’information d’octroyer une au-
torisation de construire dérogatoire au sens de l’article 27 LaLAT/GE à Mon-

1703
MG-S-ROM (2000) 3, § 33. Comp. ainsi, en France, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nan-
cy, 3° chambre, du 4 décembre 2003, Commune de Verdun, N° 98NC02526. La Cour a confirmé le
raisonnement de juges de première instance en considérant que la création d’une aire de station-
nement ne répondant pas aux exigences qualitatives de la loi du 31 mai 1990 a pour effet que
l’obligation des autorités découlant de cette réglementation n’est pas respectée. La responsabilité de
la commune est donc engagée lorsque les conditions d'aménagement minimales, notamment sur le
plan sanitaire, ne sont pas remplies et la collectivité doit donc indemniser le requérant du préjudice
moral qui en découle.
1704
MG-S-ROM (2000) 3, § 14. Comp., en France, le référé du Tribunal grande instance de Montauban,
du 3 mai 2002, Mairie de Montauban c. M. Georges C. et autres. Le tribunal rappelle que ces aires
d’accueil ayant une vocation d’habitat, la mairie de Montauban n’a pas respecté les exigences sani-
taires et les conditions de sécurité auxquelles doivent répondre les aires d’accueil et de stationne-
ment des Tziganes nomades en application de la loi du 31 mai 1990, et de la loi du 5 juillet 2000 re-
lative à l’accueil et à l’habitat des Gens du Voyage. En outre, le tribunal a rappelé que l’obligation de
fournir aux Tziganes nomades une aire d’accueil présentant des capacités suffisantes découle de
l’art. 8 CEDH, en ce qu’il s’agit ici de respecter le mode de vie nomade, le droit au respect de leur
vie privée, de leur vie familiale et de leur domicile.
1705
Observation générale n° 15 du CESCR, § 16 let. e. Henri SMETS, Reconnaissance et mise en oeuvre
du droit à l’eau, RTDH 2002, pp. 837-852, p. 850.

349
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sieur Michaël Bittel qui souhaitait pouvoir raccorder son terrain aux collecteur
d’eaux usées1706.
1261. L’instance cantonale a souligné qu’il résultait de l’arrêt du Tribunal
fédéral de 20031707 que Monsieur Bittel quitterait son terrain de stationnement
illégal dès lors que l’aire de stationnement officielle en cours de construction
au lieu-dit « La Bécassière » serait terminée. Il a également relevé que
l’installation prévue était de nature temporaire et aisément démontable. Le
Tribunal administratif en a conclu que non seulement il existait un impératif
d’intérêt public et privé important – la garantie de conditions de vie décentes -,
mais également que le principe de proportionnalité était respecté in casu. Ceci
justifiait « pleinement » une dérogation, alors même que la construction en
cause n’était pas conforme à la zone agricole, Monsieur Bittel n’étant pas agri-
culteur1708.
1262. Du fait de la vulnérabilité et de la marginalité de cette communauté,
les Etats ont ainsi l’obligation immédiate d’adopter des programmes
d’approvision-nement en eau à leur égard1709. En outre, les éventuelles barriè-
res physiques ou les clôtures entourant les aires de stationnement ne devraient
pas porter atteinte à la dignité des personnes ni à leur liberté de mouvement
par un phénomène de ghettoïsation. L’accès aux infrastructures scolaires et de
santé doit être par ailleurs aisé et rapide1710.
1263. Ainsi, le Comité européen des droits sociaux a constaté qu’en Grèce,
les conditions environnementales et de sûreté entourant des campements tem-
poraires, destinés à disparaître, ainsi que leurs commodités n’étaient pas satis-
faisantes. Il a conclu à une violation de l’article 16 CSE en raison de l’inaction
des autorités locales pour sélectionner des sites appropriés, mais également du
fait de leur réticence à procéder aux nécessaires travaux d'infrastructure, ce qui
a pour conséquence que les Tziganes disposent d'un nombre insuffisant de si-
tes de campement appropriés1711.
1264. En outre, dans sa décision sur le bien-fondé relative à une réclamation
collective déposée contre l’Italie, le Comité a conclu à une violation combinée
des articles 31 et E (interdiction de la discrimination) CSE en constatant que
l’Etat italien ne mettait pas suffisamment de places présentant les infrastructu-
res adéquates à disposition des Tziganes vivant en caravane sur son territoire.

1706
Arrêt du TA/GE, cause ATA/448/2006 du 31 août 2006, Commune de Céligny c. Monsieur Michael
Bittel, p. 10.
1707
ATF 129 II 321 Bittel.
1708
Arrêt du TA/GE, cause ATA/448/2006 du 31 août 2006, Commune de Céligny c. Monsieur Michael
Bittel, pp. 10-11.
1709
Observation générale n° 15 du CESCR, § 37 let. h.
1710
Recommandation (2005) 4, § 33-34.
1711
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Grèce, § 46-47. Voir également la Résolution ResChS(2005)11, adop-
tée par le Comité des Ministres le 8 juin 2005.

350
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

Le Comité a également considéré que l’inaction du gouvernement italien pour


s’assurer que les autorités locales remplissaient leurs propres obligations en la
matière constituait, en soi, une violation de ces dispositions1712.

b) L’infrastructure des lieux utilisés lors de « haltes spontanées »

1265. Par définition, les haltes dites spontanées sont réalisées hors d’aires de
stationnement prévues à cet effet, qu’elles soient gérées par les autorités ou des
particuliers, tziganes ou non1713. L’objectif de ce type d’arrêt est de permettre le
stationnement temporaire sur l’ensemble du territoire helvétique sans qu’il
soit nécessaire d’aménager une aire1714. Il en résulte que dans cette hypothèse,
le raccordement aux services d’eau et électricité ne peut pas être prévu à
l’avance. Le caractère temporaire de l’utilisation du lieu rend toutefois inutile
la mise sur pied d’installations durables.
1266. Traditionnellement, les haltes spontanées s’effectuent sur le terrain de
propriétaires fonciers avec l’accord de ces derniers, généralement dans le cadre
d’une relation de confiance établie au cours des années. Le propriétaire met
alors à disposition ses réseaux d’eau et d’électricité et l’évacuation des déchets
se fait avec sa collaboration. Ces arrêts peuvent aussi être réalisés sur une par-
celle appartenant à l’Etat1715. Dans ces circonstances, l’accès à l’eau et
l’électricité, ainsi que l’évacuation des déchets, se fait suite à des négociations
entre les parties en cause.

2.2.4. Le respect de la capacité de paiement des particuliers

1267. L’adéquation des places de stationnement se juge également à l’aune


du respect de la capacité de paiement des futurs utilisateurs1716. En effet, les
loyers exigés ne doivent pas être prohibitifs. Le cas échéant, proposer de nou-
veaux lieux de halte trop chers en alternative à une place de stationnement illi-
cite ou inappropriée risque de vider de son sens l’effort consenti pour trouver
des solutions adéquates, puisque les principaux concernés ne pourront pas se
permettre de les utiliser.

1712
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation n° 27/2004, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Italie, § 34-37.
1713
Nous examinerons ultérieurement sur quels droits fondamentaux ce type de halte se fonde (voir in-
fra Section D) ainsi que la nature du cadre légal qui s’impose pour le légitimer (infra Titre IV, Chapi-
tre I, Section B).
1714
Au sujet de l’importance de la possibilité de stationner temporairement sur l’ensemble du territoire
suisse, voir infra Section D, 2.2.
1715
Voir infra Titre IV, Chapitre I, Section B, 4., nos développements relatifs à l’utilisation accrue du
domaine public et du patrimoine administratif dans ce contexte.
1716
En Suisse, l’Association des Gens de la Route juge acceptable un tarif variant entre 4 et 7 francs par
jour, par place, le plafond de 12 francs étant acceptable lorsque les infrastructures sont particuliè-
rement bonnes; Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 9, note 12.

351
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.3. La protection des caravanes contre les évictions abusives

1268. Pour traiter de la question des évictions abusives de caravanes tziga-


nes de leur lieu de stationnement, nous distinguerons ici également entre les
garanties procédurales contre les évictions abusives qu’offrent le droit au res-
pect du domicile et le droit au logement (2.3.1.) et celles de nature matérielle
en cas d’absence de possibilité de relocalisation des caravanes sur un terrain
adéquat (2.3.2.).

2.3.1. Les garanties procédurales contre les évictions abusives

1269. Rappelons qu’à teneur des exigences internationales pertinentes, sont


qualifiées d’abusives les évictions exécutées sans que certaines garanties de
procédure minimales soient effectivement respectées. Dans le cadre du noma-
disme tzigane, le respect des points suivants est impératif. Les autorités doi-
vent discuter au préalable avec la communauté ou la personne en cause, un
délai de notification raisonnable doit être communiqué, toutes les informations
pertinentes doivent être transmises aux personnes concernées, des garanties
précises doivent être offertes concernant les modalités de l’expulsion elle-
même, des voies de recours effectives doivent être à disposition, et une assis-
tance juridique gratuite doit être mise à disposition pour les particuliers indi-
gents1717.
1270. Or, même lorsque l’ordre juridique offre une protection juridique aux
caravanes et des garanties procédurales en cas d’expulsion, l’attitude de cer-
taines autorités locales à l’égard des caravanes stationnées de façon illicite peut
les exposer à une absence complète de protection. A titre d’illustration, on se
référera à un cas de destruction par le feu d’un campement de caravanes de
Tziganes rroms d’origine roumaine, ordonnée par le maire d’une commune
française et exécutée par une dizaine d’agents de l’Etat, en raison du caractère
illicite du stationnement et de l’insalubrité des conditions de vie1718.
1271. La pratique de la Cour européenne des droits de l’homme va égale-
ment dans le sens d’une protection pleine et entière des Tziganes vivant en ca-
ravanes. En effet, l’arrêt Connors illustre une situation où la législation britan-
nique applicable aux sites de stationnement pour caravanes tziganes n’a pas

1717
Comp. dans ce sens la Recommandation du CdM n° R (2004) 14, §30. Voir également l’Observation
générale du CESCR n° 7, § 15 in fine. Comp. également la conclusion de violation de l’art. 31§2 CSE
à laquelle est parvenu le Comité européen des droits sociaux à l’encontre de l’Italie du fait que le
gouvernement italien n’a pas pu apporter la preuve que les évictions ordonnées à l’encontre de
campements tziganes avaient respecté les exigences de garanties de procédure en la matière ; Dé-
cision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation n° 27/2004, Centre européen
des droits des Roms c. Italie, § 42.
1718
Libération des 16 et 17 janvier 2006 ; Le Nouvel Observateur des 18 et 19 janvier 2006. Le 15 mai
2006, le maire en question a été condamné à une peine de six mois de prison avec sursis et 5000
euros d’amende; Libération du 16 mai 2006.

352
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

été jugée conforme à ces exigences minimales, puisqu’elle instaurait un régime


séparé en la matière, concernant spécifiquement le stationnement de caravanes
tziganes sur une place gérée par les autorités, et qui avait pour effet de priver
les personnes concernées des garde-fous procéduraux usuels pour pouvoir
contester leur expulsion1719.
1272. Cette affaire touchait à l’éviction de sites légaux, mais les expulsions
de terrains occupés illicitement qui sont ordonnées et exécutées par les forces
de police sans qu’aucune autorité judiciaire ne puisse être saisie en amont ou
en aval ne sont pas non plus conformes à ces garanties procédurales1720.
1273. Les pouvoirs conférés aux autorités locales pour procéder à des expul-
sions des campements non autorisés doivent ainsi être étroitement contrôlés
pour veiller à ce qu’ils ne soient pas utilisés abusivement1721. On relèvera ainsi
avec intérêt la décision, en France, de la Cour d’appel de Toulouse, qui a
considéré qu’un délai de 24 heures laissé aux occupants de caravanes station-
nant irrégulièrement avant l’expulsion ne se justifiait pas, car ce trouble, mani-
festement illicite, n’était pas subordonné à la notion d’urgence. La Cour
d’appel a donc laissé aux recourants un délai de huit jours à compter de la si-
gnification de l’arrêt1722.

2.3.2. Les évictions abusives en cas d’absence d’alternative pour le


relogement

1274. En l’état actuel, dans l’ensemble des Etats du continent européen, les
Tziganes nomades sont confrontés à d’extrêmes difficultés pour accéder à des
lieux de stationnement légaux, en raison de l’hostilité générale à leur égard.
Cette opposition entraîne le blocage de tout développement et de toute mise
en oeuvre efficace d’une politique concrète en matière de création de places de
stationnement.

1719
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 94, 27 mai 2004. En effet, les occupants de lieux
d’accueil gérés par les autorités ne bénéficient que d’une protection limitée en matière d’expulsion.
A teneur de la loi, leur expulsion est soumise aux règles d’éviction sommaire, les autorités n’ayant
aucune obligation de justifier leur décision par des motifs pouvant être contrôlés par un tribunal im-
partial et indépendant.
1720
Selon le Groupe de spécialistes sur les Roms et Voyageurs, seul un quart des Etats ayant répondu à
l’enquête internationale organisée par ce groupe exige qu’une autorité judiciaire soit saisie. Dans les
autres Etats, les forces de police interviennent de leur propre initiative. MG-S-ROM (2002), p. 16.
Voir également l’Observation générale n° 7, § 3: „The term "forced evictions" as used throughout
this general comment is defined as the permanent or temporary removal against their will of indivi-
duals, families and/or communities from the homes and/or land which they occupy, without the
provision of, and access to, appropriate forms of legal or other protection [c’est nous qui souli-
gnons]“.
1721
Deuxième rapport de l’ECRI sur l’Irlande, CRI(2002)3, § 72; Rapport du Commissaire européen aux
droits de l’homme, § 40.
1722
Arrêt de la première chambre civile de la Cour d’appel de Toulouse, n° 2001/01246, du 26 juillet
2001, Mme A., Consorts B. c. Commune C.

353
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1275. Les importantes lacunes dans ce domaine ont pour conséquence que
les principaux concernés se retrouvent quasi systématiquement dans une si-
tuation contraire au droit en vigueur quand ils s’arrêtent et s’exposent à des
sanctions administratives, voire pénales. En étant généralement contraints à
stationner de manière illicite, les Tziganes nomades sont donc particulièrement
exposés à des évictions a priori légales, où ils ne peuvent faire valoir la protec-
tion de leurs droits fondamentaux1723.
1276. Or, la pression que cette situation exerce sur les principaux concernés
est suffisamment forte pour pousser nombre d’entre eux à renoncer à leur
mode de vie et à se sédentariser1724. Le devoir des autorités d’offrir une alter-
native de relogement qui soit adéquate et conforme au mode de vie des per-
sonnes en cause prend ainsi une importance considérable. Cette exigence de
relogement des Tziganes nomades sur des lieux de stationnement, conformes
aux standards minimaux et ne devant pas entraîner de ségrégation supplé-
mentaire, est soulignée par tous les organismes internationaux ayant analysé
cet aspect de la problématique1725.
1277. Le Groupe de spécialistes sur les Roms, Tziganes et Voyageurs (MG-S-
ROM) propose que sous réserve d’une menace grave et imminente pour
l’ordre public, toute expulsion d’un Tzigane nomade soit subordonnée à
l’autorisation préalable d’un juge, après constatation de la réunion de trois
conditions cumulatives : l’illégalité du stationnement, l’existence de places suf-
fisantes dans les aires d’accueil existant dans la zone concernée, ainsi
que l’équipement suffisant et le bon entretien de ces aires1726.
1278. La solution proposée par le MG-S-ROM, que nous venons d’exposer,
implique des autorités qu’elles tolèrent la perpétuation de situations contraires
au droit et qu’elles protègent des particuliers qui sont conscients de l’illégalité
de leurs actes. Nous avons constaté ci-avant que si la Cour européenne des
droits de l’homme accepte l’existence d’une ingérence dans les droits de re-
quérants occupant illicitement un logement, elle se refuse, en règle générale, à
avaliser cette infraction et à constater une violation lorsque l’Etat ordonne sa

1723
JACKSON-PREECE (art. 16), p. 473.
1724
Comp. notamment la situation de la famille Connors, ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01,
27 mai 2004, § 35.
1725
Voir notamment le deuxième rapport de l’ECRI sur l’Irlande, CRI(2002)3 § 71-72; Rapport du Com-
missaire européen aux droits de l’homme, § 40 ; Recommandation du CdM 2004 (14), § 30 ; Re-
commandation du CdM 2005 (4), §26 ; Décision sur le bien-fondé, du 8 décembre 2004, du Comité
européen des droits sociaux relative à la Réclamation collective n°15/2003 Centre européen des
droits des Roms c. Grèce, §50-51 ; Observation générale n° 27 du CERD, §30-31; OSCE, pp. 110-
111.
1726
MS-G-ROM (2002) 10 rev., p. 32. Voir également la recommandation de l’ONG Gypsy and Traveller
Law Reform Coalition consistant à prévoir plus de sites et à instaurer un moratoire sur les évictions
jusqu’à ce que les besoins en matière de sites de transit aient été comblés. GYPSY AND TRAVELLER LAW
REFORM COALITION, Social Exclusion and Gypsies and Travellers –with a focus on forced move-
ment/experiences of Gypsies and Travellers living on « unauthorised encampments », Brighton
2005, pp. 7-9.

354
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

cessation et prend des mesures visant à rétablir une situation conforme au


droit. Elle applique également ce raisonnement à des caravanes stationnées de
manière illicite.
1279. Dans leur arrêt Buckley, les juges de Strasbourg se sont référés à leur
jurisprudence Gillow1727 pour affirmer qu’ayant exprimé son intention d’établir
son domicile sur ce terrain, la requérante Jane Buckley pouvait bénéficier de la
protection du droit au respect du domicile et que les mesures étatiques qui
avaient pour objectif de l’évacuer de cette parcelle s’analysaient comme une
ingérence dans ses droits1728. Se fondant sur ce précédent, la Cour est parvenue
à la même conclusion dans l’arrêt Chapman1729.
1280. Toutefois, en application de leur pratique restrictive, les juges se sont
ensuite montrés très stricts envers les requérantes, tant dans l’arrêt Buckley que
dans l’arrêt Chapman. Les deux terrains en cause se trouvant dans des zones
protégées et non constructibles, l’arrêt de caravanes sur ces parcelles était
contraire au droit. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que
la protection de l’environnement faisait partie des buts légitimes que pouvait
poursuivre l’Etat, en la rattachant à la protection des « droits d’autrui »1730.
Dans les deux cas, également, elle a jugé que ce but devait primer l’intérêt des
requérantes1731.
1281. Or, l’élément déterminant a été précisément le fait que selon une majo-
rité des juges, les requérantes avaient à disposition des alternatives pour pou-
voir stationner ailleurs leurs caravanes. C’est donc ce facteur qui a été la clé
permettant à la Cour européenne des droits de l’homme de conclure que
l’ingérence qu’elles subissaient en se voyant refuser le droit de rester sur leurs
terrains agricoles était proportionnée au but légitime poursuivi1732.
1282. Le raisonnement de la Cour dans cette affaire met donc en lumière
l’importance du principe de proportionnalité et d’une analyse concrète et ré-
aliste des alternatives à disposition dans chaque cas d’espèce. L’examen de la

1727
ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, du 24 novembre 1986, série A n° 109, p. 19, §46.
1728
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV §53-54.
1729
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 78, CEDH 2001-I.
1730
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, notamment § 104; ACEDH
Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, §62-63, Rec. 1996-IV. Nous avons déjà ex-
primé nos doutes quant à la légitimité de rattacher la protection de l’environnement à la
« protection des droits d’autrui » dans le contexte de la Convention, étant donné la position néga-
tive de la Cour de Strasbourg quant à la reconnaissance d’un droit à un environnement sain déduc-
tible de l’art. 8 CEDH ; voir supra Section 1.2.2.
1731
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 115, CEDH 2001-I; ACEDH Buckley c.
Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, § 84, Rec. 1996-IV.
1732
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 103, CEDH 2001-I : « Il est une autre
considération pertinente dont les autorités nationales en premier lieu doivent tenir compte : si au-
cun hébergement de rechange n’est disponible, l’ingérence est plus grave que dans le cas contraire.
De même, plus l’hébergement de rechange convient, moins est grave l’ingérence découlant de
l’obligation imposée à l’intéressé de quitter l’endroit où il est installé. » Voir également KRENC, p.
107. Comp. ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, § 81, Rec. 1996-IV.

355
La situation juridique des Tziganes en Suisse

situation que la majorité des juges a réalisé dans ces deux affaires se prête en
l’occurrence à la critique, ainsi que l’ont souligné une minorité des juges et cer-
tains auteurs1733.
1283. Dans l’arrêt Chapman, par exemple, la Cour a, en effet, considéré que
bien que le manque de sites officiels fût attesté, il était possible d’exiger de la
requérante d’utiliser des sites non officiels ou de se rendre hors du comté sur
un site officiel ayant des places à disposition1734. D’une manière très discutable,
elle a conclu à l’existence d’alternatives acceptables parce que la requérante
n’avait pas produit de renseignements quant à sa situation financière, quant
aux critères géographiques qui lui paraissaient essentiels, ni sur les recherches
qu’elle aurait menées pour trouver un autre lieu de stationnement1735.
1284. Or, l’adéquation d’une solution de relogement doit s’analyser non
seulement par rapport à la situation concrète de l’intéressé, et notamment sa
capacité financière, mais également en considérant des facteurs objectifs. Si
l’on se réfère aux critères du Comité des droits économiques, sociaux et cultu-
rels, pour qu’une réinstallation soit valable et exigible envers les personnes
concernées, elle doit notamment avoir lieu à une distance raisonnable du lieu
précédent et posséder une infrastructure suffisante et adéquate1736. Ce sont là
des critères objectifs qui doivent s’analyser sans la collaboration des intéressés.
1285. Dans ce contexte, on rapportera l’opinion dissidente individuelle du
juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman. Constatant que les autorités britan-
niques ont failli à leur obligation consacrée par le droit interne de créer des
capacités d’accueil suffisantes, le juge Bonello considère qu’il n’est pas légitime
de sanctionner des particuliers se retrouvant obligés de violer le droit en vi-
gueur pour pouvoir exercer leurs droits fondamentaux en raison des défaillan-
ces des autorités publiques1737.
1286. Estimant que ces manquements ont provoqué ceux commis par Ma-
dame Chapman, le juge Bonello conclut que cette dernière se trouvait dans une
situation comparable à un état de nécessité. A ses yeux, il n’est pas défendable
de considérer que les autorités ont pris des mesures « prévues par la loi »

1733
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, §82, 102, 105, CEDH 2001-I. Cette évaluation
de la réalité des faits est cependant critiquable, ainsi que le soulignent certains juges minoritaires
dans leur opinion dissidente commune : voir l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridrue-
jo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c.
Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, §4-6. Voir également ROSENBERG (2001), pp. 1028-
1029. Voir déjà les critiques de la minorité des juges dans l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt
du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV, et notamment l’opinion minoritaire du juge Pettiti constatant
le manque de places officielles et l’impossibilité pour la requérante de s’installer ailleurs.
1734
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 111, CEDH 2001-I.
1735
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 112-113, CEDH 2001-I.
1736
Observation générale n° 7 du CESCR, §16; Observations finales du CESCR, du 19 décembre 1994,
relatives à la République dominicaine, E/C.12/1994/15, §11. KOHTARI, § 16.
1737
Opinion dissidente individuelle du juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC],
n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 4 et 6.

356
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

puisque elles-mêmes n’ont pas respecté leurs obligations légales à l’égard de la


communauté de la requérante1738.
1287. Cette opinion dissidente illustre le fait qu’il est discutable que l’Etat
puisse se fonder sur l’illégalité du stationnement pour pouvoir péjorer les
conditions de logement d’ores et déjà précaires des membres de cette minorité,
alors qu’il se montre lui-même réticent ou incapable de remplir ses propres
obligations en la matière à l’égard de cette partie de la population1739.
1288. Sur ce point, l’autre fraction minoritaire de la Cour européenne des
droits de l’homme a également exprimé ses doutes quant à la proportionnalité
d’une telle expulsion, lorsque les autorités n’ont pas encore adopté de mesures
adéquates pour faire concilier le mode de vie traditionnel tzigane avec le droit
de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme1740.
1289. Que l’on juge la base légale contraire à la Convention, ou que l’on pré-
fère qualifier de disproportionnée la mesure d’expulsion du lieu de stationne-
ment, le résultat est identique: sanctionner un stationnement illicite, alors
qu’aucune possibilité de réinstallation légale respectant le mode de vie no-
made n’est offerte en échange, constitue une violation du droit au respect du
domicile, de la vie privée et familiale et du droit à un logement adéquat. Seule
la présence d’intérêts prépondérants dirimants s’opposant à l’arrêt de carava-
nes en un lieu doit pouvoir justifier l’action de l’autorité1741.
1290. A cet égard, et à titre d’inspiration, on relèvera avec intérêt la juris-
prudence des tribunaux français. Ainsi, la Cour de Cassation française affirme
qu’en l’absence de terrain communal aménagé conformément aux exigences
de la loi du 31 mai 1990, le maire ne peut interdire légalement le stationnement
de caravanes sur aucun point du territoire communal, et pas uniquement sur
la voie publique. En effet, « le droit à l’accueil des Gens du Voyage dans les
communes de plus de 5000 habitants est l’adaptation à cette population parti-
culière du droit au logement, consacré principe général du droit par la consti-
tution et mis en œuvre par une loi particulière d’ordre public »1742.
1291. De même, la Cour d’appel de Bordeaux a reconnu valable
l’ordonnance de référé du Tribunal de Grande instance d’Angoulême qui au-

1738
Opinion dissidente individuelle du juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC],
n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 5 et 7. A cet égard, la jurisprudence Bittel du Tribunal fédéral consa-
cre, selon nous, en droit suisse une obligation analogue en intimant aux autorités compétentes de
prendre en considération les besoins de la communauté tzigane nomade lorsqu’elles aménagent le
territoire ; ATF 129 I 321, 327-328 B.
1739
JACKSON-PREECE (art. 16), p. 473 ; Observation générale n° 4 du CESCR, § 3 ; OSCE, p. 117.
1740
Opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fis-
chbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I,
§5 in fine et 9.
1741
Dans ce sens, BENOIT-ROHMER (2001), p. 1011, ainsi que WALDMANN (2004), pp. 960-961.
1742
Arrêt de la première chambre civile de la Cour de Cassation, du 7 novembre 1995, Ville de Grenoble
c. consorts Vicedomini-Duvert.

357
La situation juridique des Tziganes en Suisse

torisait le maintien de caravanes sur un terrain occupé illicitement, faute de


possibilité de relogement. Pour la Cour, « comme l’a indiqué avec justesse le
premier juge, aucune solution satisfaisante n’a pu être proposée aux intimés
pour leur permettre de stationner leurs caravanes, alors que celles-ci consti-
tuent leur habitation. Dans ces conditions le droit au logement ayant une va-
leur constitutionnelle au même titre que le droit de propriété, le trouble invo-
qué ne peut être qualifié de manifestement illicite »1743.
1292. Enfin, la Cour administrative d’appel de Nancy a estimé que lorsque
les aires créées par les autorités ne répondent pas aux exigences sanitaires mi-
nimales, les obligations de la commune découlant de la loi du 31 mai 1990 ne
sont pas respectées. En conséquence, le maire n’est pas légitimé à interdire le
stationnement de caravanes hors de ces aires inadaptées quand des Tziganes
nomades s’installent sur des terrains non autorisés pour échapper à ces condi-
tions insalubres1744.
1293. Par ailleurs, on relèvera avec intérêt les conséquences de l’arrêt Bittel
de 2003 sur cette question. Le Tribunal fédéral, ayant confirmé le caractère illi-
cite du stationnement durable de caravanes situées sur un terrain privé se
trouvant dans une zone impropre à la construction, a malgré tout intimé aux
autorités chargées de surveiller la remise en l’état des lieux de respecter stric-
tement le principe de proportionnalité.
1294. En effet, il a jugé indispensable de prendre en considération l’impact
de chacune des mesures d’exécution sur la vie privée et familiale des recou-
rants. Il a notamment indiqué que lors de l’exécution de la remise en état, il se-
rait nécessaire de distinguer entre les ouvrages indispensables à l’habitation de
ceux qui ne l’étaient pas1745.
1295. Ceci a eu pour conséquence que le département compétent a ordonné
en juin 2003 à Monsieur Bittel de démolir dans un délai de 90 jours les cons-
tructions autres que les caravanes. Les autorités cantonales lui ont également
indiqué que dès la mise à disposition par l’Etat de Genève d’un emplacement
approprié alternatif, Monsieur Bittel et sa famille auraient 60 jours pour éva-
cuer définitivement la parcelle litigieuse1746. Cet emplacement est actuellement
en cours d’élaboration au lieu-dit « La Bécassière » sur le territoire de la com-
mune de Versoix, ce qui a pour conséquence qu’à ce jour, Monsieur Bittel et sa
famille se trouvent encore sur leur terrain privé.

1743
Arrêt de la première chambre, section C, de la Cour d’appel de Bordeaux, du 14 novembre 2002, Ri-
vière, Perdon et al. c. Syndincat mixte développement agglomération Angoulême.
1744
Arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy, 3° chambre, du 4 décembre 2003, Commune de
Verdun, N° 98NC02526.
1745
ATF 129 II 321, 330-331 Bittel.
1746
Voir l’état de fait de l’arrêt du TA/GE, ATA/448/2006, du 31 août 2006, cause Commune de Céligny
c. Monsieur Michaël Bittel, p. 3.

358
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

2.4. La création d’un « droit au stationnement » ?

1296. La recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe


invite les Etats membres à reconnaître l’existence, à l’égard des Tziganes no-
mades, d’un véritable « droit au stationnement ». Le Comité propose que cette
garantie soit inscrite dans un acte national dont le niveau normatif ne peut être
inférieur à celui de la loi et qui doit être assimilé au droit à un logement dé-
cent1747.
1297. Cette reconnaissance présenterait l’intérêt de mettre en exergue les be-
soins et les droits spécifiques des Tziganes nomades, en regroupant l’ensemble
des garanties que nous avons présentées ci-dessus en une seule. Toutefois,
pour être souhaitable et intéressante en soi, une telle démarche est à notre sens
risquée en l’état de la situation politique et factuelle encore dominante à
l’égard des Tziganes.
1298. Premièrement, en effet, toutes les garanties que nous avons présen-
tées1748 sont déjà au bénéfice d’un ancrage formel dans de nombreuses sources
du droit et bénéficient d’une pratique de plus en plus fournie ; leur solidité et
leur légitimité ne sont donc plus à démontrer alors qu’une fois reconnu, le
« droit au stationnement » aurait certainement de la peine à s’imposer dans un
premier temps. Deuxièmement, cette recommandation comporte également le
risque d’envoyer un mauvais message aux autorités tant politiques que
judiciaires, à savoir qu’il serait nécessaire de consacrer un nouveau droit pour
que les besoins et les spécificités des Tziganes nomades bénéficient d’une
protection juridique.
1299. En conséquence, parce qu’elle serait forte et importante d’un point de
vue symbolique, la consécration d’un « droit au stationnement » en faveur des
Tziganes, qui engloberait tous les aspects que nous avons développés, serait en
soi très intéressante. Toutefois, elle devrait être considérée comme
l’aboutissement de la mise en œuvre et du respect des droits des Tziganes no-
mades et non comme une condition à remplir au préalable.

2.5. Synthèse et appréciation

1300. Les développements qui précèdent ont mis en exergue l’importance


des garanties qu’offrent le droit au logement et le droit au respect du domicile
dans le contexte du nomadisme tzigane. Leurs différentes facettes posent des
standards minimaux, quantitatifs et qualitatifs, en matière de places de sta-
tionnemen,t qui doivent être atteints pour que soit respecté le droit à un loge-

1747
Recommandation (2004) 14, §20 et § 28. Voir également MGS-ROM (2002) 10 rev.
1748
A savoir : le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect du domicile, le droit à
un logement adéquat.

359
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ment adéquat des Tziganes nomades. Elles exigent que des garanties procédu-
rales minimales soient respectées lors d’expulsions, mais également que les au-
torités fassent preuve de retenue en la matière lorsqu’une éviction en soi licite
peut avoir des conséquences extrêmement négatives pour les personnes
concernées, en raison d’absence d’alternatives pour les reloger de manière
convenable.
1301. Au vu des carences généralisées en matière de stationnement des Tzi-
ganes nomades dans les Etats du continent européen, Suisse comprise, la
réalisation de ces standards semble difficilement réalisable sans la mise sur
pied d’une politique appropriée en la matière, combinée à des campagnes
d’information et de sensibilisation coordonnées par les autorités nationales
compétentes.
1302. Dans ce contexte, notre analyse a souligné le rôle fondamental que
jouent le droit des minorités et le principe général d’égalité pour la protection
des droits des Tziganes, en particulier nomades. Tant ce système que ce prin-
cipe offrent une grille de lecture indispensable pour déterminer, d’une part, les
besoins et les lacunes en matière de ressources à disposition et, d’autre part, les
effets que peuvent avoir des mesures législatives, administratives et judiciaires
sur le groupe lui-même, mais aussi sur ses membres, en raison de leur appar-
tenance à cette communauté.
1303. En sus de ce qu’exige la mise en œuvre pleine et efficace du droit au
logement et du droit au respect du domicile eux-mêmes, il sied ainsi d’ajouter
les obligations que nous avons dégagées de la facette collective du droit des
minorités et du principe général d’égalité1749. De ce fait, la pression juridique et
politique pour que les autorités agissent et développent des solutions s’accroît.
1304. A titre de rappel, en effet, la création de places de stationnement fait
partie des mesures spéciales permettant de sauvegarder l’identité ethno-
culturelle de la minorité tzigane. Le droit des minorité exige également la par-
ticipation et la collaboration systématique des Tziganes aux mesures suscepti-
bles de les concerner1750.
1305. Rappelons par ailleurs qu’une mise en perspective globale des effets
des mesures s’impose, en prenant en compte la situation de la minorité sur
l’ensemble du territoire suisse, ainsi que les besoins socio-économiques de ses
membres, et en cessant de perpétuer leur ségrégation géographique et sociale
en les contraignant à stationner à l’extérieur des réseaux sociaux et économi-
ques1751.

1749
Supra Chapitre I, Section C, 2.1.2. et Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.3.2.
1750
Supra Chapitre I, Section C, 2.1.3.
1751
Supra Chapitre I, Section C 2.2.3. Au sujet des rapports entre la liberté économique des Tziganes
nomades et la possibilité de voyager et de stationner sur l’ensemble du territoire, voir infra Section
D, 3.2.

360
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1306. Ceci est bien entendu important lorsque des autorités planifient la
création de places. Cela s’avère d’autant plus nécessaire lorsque des évictions
de lieux de stationnement illicites sont envisagées. En effet, l’estimation de
l’existence d’alternatives pour reloger les personnes concernées ne peut se faire
correctement si la réalité factuelle et juridique de la situation de la minorité
n’est pas correctement évaluée.
1307. En outre, la proportionnalité d’une telle mesure pour le particulier doit
également être jugée à l’aune de ses effets sur la situation générale du groupe
puisque, comme nous l’avons démontré, le maintien des membres d’une mi-
norité dans une situation socio-économique vulnérable a nécessairement des
conséquences négatives sur la préservation de la communauté elle-même1752.
En effet, lorsque la seule alternative licite et acceptable est la sédentarisation, il
paraît difficile de considérer, d’une part, que l’ingérence est proportionnée
pour l’individu et, d’autre part, que la culture traditionnelle tzigane est respec-
tée et protégée par l’Etat.
1308. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, si la Cour euro-
péenne des droits de l’homme avait pleinement intégré le facteur minoritaire
dans son analyse et s’était montrée sensible au contexte indirectement discri-
minatoire généré par une législation ne prenant en compte que les besoins des
sédentaires, il lui aurait été alors difficile de considérer que les situations des
requérantes résultaient de leur simple « préférence individuelle »1753 et de
conclure à l’existence d’alternatives de relogement acceptables et raisonnable-
ment exigibles1754.

D. Les garanties juridiques encadrant le voyage

1309. Le déplacement des caravanes d’un lieu à un autre et leur arrêt – au-
trement dit, le voyage lui-même – est protégé par la liberté de mouvement (1.)
ainsi que par la liberté d’établissement (2.) A ceci, nous adjoignons la liberté
économique (3.). Dans une quatrième section, nous traiterons séparément du
régime encadrant l’entrée, la circulation, le séjour, l’exercice d’une activité éco-
nomique et la sortie des Tziganes nomades étrangers en transit en Suisse (4.).

1752
Supra Chapitre I, Section C, 2.2.3.
1753
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, p. 1294, § 81, Rec. 1996-IV; ACEDH
Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 112-113, CEDH 2001-I.
1754
Opinion dissidente du juge Pettiti relative à l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre
1996, Rec. 1996-IV ; opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens,
Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n°
27238/95, CEDH 2001-I, § 6. ROSENBERG (2001), pp. 1028-1030 ; SUDRE (2001), pp. 913-914.

361
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1. La liberté de mouvement

1310. Après avoir déterminé les sources et la portée de la liberté de mouve-


ment (1.1.), nous analyserons de quelle manière cette garantie protège le
voyage des Tziganes nomades en Suisse (1.2.).

1.1. Sources, titularité et portée de la liberté de mouvement

1.1.1. Sources

1311. Historiquement, la liberté de mouvement constitue le premier aspect


reconnu et protégé de la liberté personnelle; elle lui confère sa dimension spa-
tiale1755. Bien que sa portée ait été essentiellement développée dans le contexte
des mesures de privation de liberté, elle ne se restreint pas aux actes privant
l’individu de toute possibilité de mouvement1756. En effet, elle s’étend égale-
ment aux mesures qui se contentent de limiter son déplacement et qui portent
donc atteinte à la liberté de circuler sur un territoire donné1757. Notre problé-
matique concerne ce second aspect.
1312. Si certaines facettes de la liberté personnelle, comme le libre choix
d’une activité professionnelle, ne sont que subsidiaires par rapport à d’autres
droits fondamentaux, la liberté de circulation forme un droit à part entière1758.
Dans ce contexte, la liberté de circulation est consacrée spécifiquement par
plusieurs sources, internes et internationales.
1313. En droit interne, la liberté de mouvement est formellement ancrée à
l’article 10 al. 2 Cst. Au niveau international, à teneur de l’article 12 §1 ab initio
Pacte II, « [q]uiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit
d’y circuler librement (…) » 1759. La seconde partie de cette disposition consa-
cre le libre choix du lieu de résidence et elle renvoie dès lors à la problémati-
que de la liberté d’établissement, examinée ci-après1760. Pour sa part, l’article 5
let. d, point i CIERD rappelle qu’à l’instar des autres droits fondamentaux,

1755
BAUMANN, p. 508.
1756
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 344-345 ; BAUMANN, p. 508 ; HÄFELIN/HALLER, p. 108 ; MÜLLER
(1999), p. 32.
1757
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 369; BAUMANN, pp. 505-506. ATF 125 I 257, 260 J. H.; ATF 116 Ia
149, 151 X.. Voir cependant MÜLLER (1999), pp. 32-42 qui ne considère cette liberté que sous l’angle
de l’interdiction de l’emprisonnement injustifié, ainsi que SCHWEIZER (2001), p. 700.
1758
Message du Conseil fédéral relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 1, 150-151. BAU-
MANN, p. 507.
1759
Le système régional européen garantit également la liberté de circulation, aux art. 2 et 3 du Proto-
cole additionnel n° 4, que la Suisse n’a pas ratifié.
1760
Infra Section 3.

362
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

chacun doit pouvoir jouir du droit de circuler librement à l’intérieur d’un Etat
sans subir de restriction fondée sur la discrimination raciale1761.

1.1.2. La titularité de la liberté de mouvement

1314. Etant rattachée à la liberté personnelle, la liberté de mouvement est un


droit de l’homme dont la titularité n’est pas restreinte aux ressortissants suis-
ses1762. Toutefois, en Suisse, sa portée s’avère plus limitée lorsque ce sont des
étrangers qui s’en prévalent. En effet, à teneur de l’article 24 al. 2 Cst., seuls les
citoyens suisses ont le droit de quitter et d’entrer en Suisse en tout temps et, se-
lon l’article 25 al. 1 Cst., sont protégés contre l’expulsion et l’extradition. Les
questions touchant au franchissement de la frontière concernent ainsi la liberté
de circulation lorsque l’objectif de la démarche n’est pas de séjourner ou de
prendre un domicile en Suisse1763.
1315. Pour entrer sur le territoire suisse, les ressortissants étrangers peuvent
se voir opposer des restrictions supplémentaires en la matière, y compris, par
ailleurs, en matière de circulation à l’intérieur même du pays, une fois qu’ils y
ont été admis. L’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des per-
sonnes a toutefois modifié le régime applicable lorsque les étrangers sont res-
sortissants communautaires1764. Nous analyserons les effets de cet accord ci-
après1765, pour nous concentrer dans un premier temps sur la portée de la li-
berté de circulation des Tziganes nomades helvétiques sur le territoire suisse.

1.1.3. La portée de la liberté de mouvement

1316. Tant le Comité des droits de l’homme que le Tribunal fédéral souli-
gnent que la possibilité de circuler est une liberté individuelle fondamentale
pour le développement personnel et entretient des liens étroits avec d’autres
droits garantis1766. Selon le Comité des droits de l’homme, cette liberté consa-
cre la faculté de se déplacer sans contrainte sur l’ensemble du territoire des en-
tités fédérées d’un Etat fédéral. Elle inclut le droit de se mouvoir, mais égale-
ment de demeurer en un endroit librement choisi : aucun but ou motif particu-
lier ne doit être avancé pour exercer ce droit1767.

1761
Voir également l’art. 2 du Protocole additionnel n° 4 à la CEDH, non ratifié par la Suisse.
1762
ATF 123 I 221, 226 Demokratische Jurist/Innen der Schweiz et renvois. BAUMANN, pp. 512-513 ; MA-
HON (art. 10), N. 6.
1763
BAUMANN, p. 530 ; SCHWEIZER (2001), p. 700, note 19 et références.
1764
Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats mem-
bres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999 (ALCP ; RS 0.142.112.681 ;
RO 2002 1529).
1765
Infra Section 4.
1766
Observation générale n° 27 du CDH, § 1. ATF 124 I 170, 171 B. ; ATF 106 Ia 277, 280 Groupe Ac-
tion Prison.
1767
Observation générale n° 27 du CDH, § 5.

363
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1317. La pratique et la doctrine suisses ne disent pas autre


chose, puisqu’elles considèrent que cette garantie offre la possibilité, d’une
part, de quitter un endroit et, d’autre part, de se rendre à un autre endroit pré-
cis, hors toute contrainte et obstacles étatiques, qu’ils soient directs – par le
biais d’une arrestation par exemple – ou indirects – au moyen d’ordres ou
d’interdictions1768.
1318. En outre, le Tribunal fédéral reconnaît également l’existence d’une in-
gérence dans la liberté de mouvement lorsqu’un groupe de personnes souhai-
tant se réunir dans le but d’exercer certaines activités spécifiques se voit inter-
dire l’accès à un lieu public, et ce même si, prises individuellement, ces per-
sonnes ne se verraient opposer aucune interdiction1769.
1319. Si le droit de transiter par un lieu précis est couvert par le champ
d’application de la liberté de mouvement, la possibilité de s’y attarder à son
gré ne l’est pas. Toutefois, comprise dans sa dimension négative, la liberté de
circuler doit s’interpréter comme conférant au particulier en déplacement le
droit de ne pas se retrouver, contre sa volonté, en un tout autre endroit que ce-
lui qu’il prévoyait d’atteindre initialement1770.
1320. Par ailleurs, si la liberté de circulation est restreinte lorsqu’on empêche
un particulier de se rendre à un certain endroit, le Tribunal fédéral juge qu’il
n’y a pas lieu de constater une ingérence si le déplacement de cette personne
est rendu difficile, ou impossible, uniquement de façon temporaire du fait de
signalisations ou d’obstacles. Une interdiction complète d’accéder de façon
motorisée à une commune ne constitue aucune atteinte à la liberté de mouve-
ment des particuliers, puisque ceux-ci ont encore la possibilité de s’y rendre
par d’autres moyens de locomotion1771.
1321. Le Comité des droits de l’homme se montre particulièrement critique à
l’égard des exigences législatives ou administratives obligeant les individus à
obtenir l’approbation des autorités locales du lieu de destination pour pouvoir
s’y installer1772. Dès lors, tout déplacement forcé, toute interdiction d’accès ou
de séjour sont prohibés, sous réserve du respect des conditions usuelles de res-
trictions, telles que prévues à l’article 12 § 3 Pacte II. Celles-ci doivent toutefois
elles-mêmes respecter les autres garanties du Pacte II, notamment les principes

1768
ATF 130 I 369, 373 S.; arrêt destiné à publication du 25 janvier 2006, 1P.579/2005, consid. 5.2.
Des consignes d’accès ou des mesures en vue de créer une zone interdite portent atteinte à cette
liberté : ATF 82 I 235, 238. L’existence d’éventuelles mesures de remplacement est une question
s’examinant au niveau du principe de la proportionnalité, ATF 128 I 327, 345 Botta et consorts.
BAUMANN, pp. 508-509; SPOENDLIN, p. 37.
1769
Arrêt destiné à publication du 25 janvier 2006, 1P.579/2005, consid. 5.2 : l’interdiction faite à un
groupe de personnes de se réunir dans l’enceinte de la gare de Berne et ses environs, afin de
consommer de l’alcool, constitue une ingérence dans la liberté de mouvement.
1770
BAUMANN, pp. 510-511
1771
ZBl (99) 1998 379, 385; ZBl (96) 1995 508, 510, 515. Voir également BAUMANN, p. 527.
1772
Observation générale n° 27 du CDH, § 17.

364
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

d’égalité de traitement et de non-discrimination (article 26)1773, mais également


le droit des minorités (article 27).

1.2. La portée de la liberté de mouvement pour les Tziganes


nomades suisses

1322. L’importance de la liberté de mouvement pour les Tziganes est indis-


cutable. La liberté de circulation et son corollaire, la possibilité de s’arrêter lé-
galement en un lieu donné, possède un poids si important dans la problémati-
que du respect du mode de vie traditionnel tzigane que nous pouvons parler
ici du noyau essentiel de ce dernier1774. En effet, c’est essentiellement à l’aune
de son respect et du cadre entourant son exercice que peut être déterminée la
réalité de la situation juridique et factuelle des Tziganes nomades.
1323. Ainsi, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe se fonde sur le
postulat que les Tziganes souhaitant vivre selon leur mode de vie traditionnel
devraient avoir les possibilités légales et pratiques de le faire, en se fondant sur
les libertés de circulation et d'établissement, en sus de leur droit à la préserva-
tion et au développement de leur identité minoritaire. Le Comité des Ministres
considère que, pour permettre l'exercice du droit à la circulation et au station-
nement des Tziganes nomades, des garanties juridiques cohérentes doivent
être offertes pour assurer leur liberté de circulation1775.
1324. On évoquera également le rapport relatif à La circulation des voyageurs
dans les pays membres du Conseil de l’Europe du 23 juin 20021776. Ce rapport for-
mule des propositions pour l’amélioration et l’harmonisation des conditions
juridiques entourant le mode de vie traditionnel nomade, sur la base d’un bi-
lan portant sur les pratiques législatives, réglementaires et administratives en
matière de libre circulation des Tziganes nomades dans dix-neuf Etats mem-
bres, dont la Suisse. Il rappelle que le nomadisme est le support matériel des
droits économiques et sociaux des membres de la minorité tzigane qui le pra-
tiquent activement. Il établit ainsi un lien explicite entre la protection de leur
liberté de circulation et la possibilité d’exercer ce mode de vie1777.
1325. Les difficultés matérielles ou juridiques liées au stationnement que les
Tziganes nomades rencontrent portent atteinte à la liberté de circulation. En ef-
fet, ces obstacles les empêchent d’accéder, du moins légitimement, à une majo-
rité du territoire helvétique et entravent donc leur libre circulation1778.

1773
Observation générale n° 27 du CDH, § 7, 11, 18.
1774
STEINBERGER/KELLER, p. 4.
1775
Recommandation (2004) 14, Préambule.
1776
MG-S-ROM (2002) 10 rev.
1777
MG-S-ROM (2002) 10 rev., p. 4.
1778
Dans ce sens, WALDMANN (2003), p. 692, qui y voit également une violation de l’interdiction de la
discrimination.

365
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1326. Felix BAUMANN considère que l’absence de lieux de halte constitue une
atteinte à la liberté d’établissement des Tziganes nomades suisses et non à leur
liberté de circulation. Selon cet auteur, l’absence de places n’entrave pas leur
faculté d’accéder à certaines communes mais rend uniquement matériellement
impossible leur séjour prolongé sur leur territoire1779.
1327. Contrairement à BAUMANN, sans sous-estimer l’importance de la liber-
té d’établissement dans ce contexte1780, nous considérons que la liberté de cir-
culation est tout de même restreinte en l’absence de sites à disposition. En ef-
fet, savoir qu’en telle ou telle commune, il n’existe aucune possibilité de sta-
tionnement licite peut avoir pour conséquence que les Tziganes nomades vont
éviter la région en cause pour ne pas devoir se retrouver en conflit avec les au-
torités compétentes s’ils doivent s’arrêter, et ce même pour une nuit.
1328. L’absence de complaisance de la majorité des autorités locales face à
des arrêts illicites, voire la franche hostilité de certaines d’entre elles, sont des
facteurs suffisamment connus au sein de la communauté nomade pour que
celles et ceux qui ne souhaitent pas s’exposer au risque de telles tensions évi-
tent les régions problématiques. A notre sens, dans ce contexte, l’ingérence
dans la liberté de circulation est alors indéniable. En outre, cette situation illus-
tre également l’importance de solutions juridiques légalisant le stationnement
temporaire, hors des places spécifiquement créées à cet effet1781. Nous aurons
l’occasion de développer ultérieurement des propositions en la matière1782.
1329. En sus de cette restriction causée par l’absence de places, d’autres hy-
pothèses illustrent les limitations apportées à la liberté de circulation des Tzi-
ganes nomades en Suisse. Le Tribunal fédéral a reconnu que le fait d’empêcher
un particulier d’accéder durablement à une ville constituait une atteinte à sa
liberté de mouvement1783. Dès lors, nous sommes en présence d’une ingérence
lorsque des autorités cantonales redirigent des colonnes de caravanes tziganes,
afin de les empêcher de parvenir à un endroit déterminé, en les sommant de se
rendre dans autre canton1784.
1330. De même, lorsque des digues sont construites aux sorties des autorou-
tes, ou des poutrelles sont placées à l’entrée des places, afin de les rendre inac-

1779
BAUMANN, p. 530.
1780
Infra Section 2.
1781
Comp. la situation engendrée par la législation néerlandaise en vigueur entre 1968 et 1999 qui pré-
voyait cinquante sites officiels imposés, alors que les besoins faisaient état de 3000 places, et inter-
disait le stationnement des caravanes en tout autre endroit. Il était également interdit de quitter un
site si une place ne s’était pas libérée ailleurs. La loi fut abrogée en 1999 et les municipalités furent
désignées responsables de la création de places de stationnement, opération rendue néanmoins dif-
ficile en raison de l’opposition des populations locales; RESEAU D’EXPERTS UE SUR LES DROITS FONDAMEN-
TAUX, p. 52.
1782
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B.
1783
ATF 130 I 369, 373 S.
1784
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 27-28.

366
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

cessibles aux caravanes, la liberté de mouvement des personnes concernées est


restreinte, voire vidée de son sens, puisque le simple transit par certaines com-
munes devient alors impossible1785.
1331. Certes, le Tribunal fédéral juge que l’interdiction formelle à tout accès
motorisé dans une commune n’entre pas dans le champ d’application de la li-
berté de circulation. Or, on relèvera que le fait de devoir tracter des caravanes
empêche l’emploi de tout autre moyen de locomotion pour se déplacer sur le
territoire suisse : le vélo, ou encore le train, ne sont pas envisageables lorsque
des Tziganes nomades souhaitent déplacer leurs caravaness.
1332. En outre, on emploiera la grille de lecture du droit des minorités et de
l’interdiction de la discrimination. Ces obstacles matériels ont un impact dis-
proportionné sur les membres nomades de la minorité tzigane, puisque leur
mode de vie s’exprime par l’emploi de véhicules qui, face à ces obstacles, de-
viennent inutilisables. Non seulement leur liberté de circulation subit une
grave ingérence, mais au regard de l’interdiction de la discrimination, les Tzi-
ganes nomades sont ici touchés de manière dispropotionnée dans leur mode
de vie1786.
1333. Enfin, soulignons que l’existence d’une signalétique claire et unifiée au
niveau européen, se trouvant à l’approche de lieux de halte et indiquant que
des places de stationnement existent et sont à disposition, joue un rôle impor-
tant dans le cadre de la liberté de circulation des Tziganes nomades1787. Or, les
autorités locales se montrent en règle générale réticentes pour donner ce genre
d’indications, afin de ne pas se montrer attractives à l’égard des convois de
passage, notamment étrangers.

2. La liberté d’établissement

1334. La liberté d’établissement est aujourd’hui considérée comme un


« élément du système » composé par les droits fondamentaux. Elle présente
notamment des liens étroits avec la liberté de mouvement, puisque le droit de
s’établir ou de séjourner dans un endroit, puis de le quitter, promeut la libre
circulation des personnes. Elle constitue également une condition préalable
nécessaire au plein exercice d’autres libertés, comme la garantie de la propriété
ou la liberté économique, puisqu’elle permet au justiciable de changer libre-

1785
BO/FR du 15 septembre 2004, intervention du député François ROUBATY: « Ces dernières années, les
gens du voyage s'arrêtent où ils veulent. Sur la commune de Givisiez, une digue a été construite;
plus de possibilités. Sur les places d'arrêt de Fillistorf, des poutrelles ont été placées à l'entrée des
places, inaccessibles pour les caravanes. A Vaulruz, une digue a aussi été construite à la sortie de
l'autoroute pour empêcher l'accès aux caravanes. »
1786
Comp. l’exigence légale imposée en France aux Tziganes nomades de pouvoir produire, à tout mo-
ment, un « permis de voyage » pour avoir l’autorisation de circuler sur le territoire national ; Rap-
port de la Direction générale Emploi et Affaires sociales de la Commission européenne, p. 43.
1787
Recommandation (2004) 4, §23, let. iii.

367
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ment de domicile1788. Ainsi, cette garantie est devenue une composante du


marché intérieur suisse et, dans ce cadre, permet de s'opposer aux exigences
administratives cantonales et communales qui restreindraient sans justification
la mobilité des administrés et de leurs activités1789.
1335. Après avoir déterminé les sources et la portée de la liberté
d’établissement (2.1.), nous analyserons de quelle manière cette garantie pro-
tège le voyage des Tziganes nomades suisses (2.2.).

2.1. Sources, titularité et portée de la liberté d’établissement

2.1.1. Sources et titularité

1336. Aux termes de l’article 24 al. 1 Cst., la liberté d’établissement est garan-
tie à tous les citoyens suisses, à l’exclusion des étrangers. Selon la lettre de cette
disposition, il s’agit non pas d’un droit de l’homme mais d’un droit du ci-
toyen1790.
1337. Cette approche est un peu différente de celle de l’article 12 § 1 Pacte II,
in fine, puisque celui-ci pose le principe du droit à un libre établissement pour
tout individu, ressortissant ou non de l’Etat en cause, et qui se trouve légale-
ment sur le territoire d’un Etat. En conséquence, la Suisse a émis une réserve
lors de la ratification du Pacte, en raison des exigences du régime ordinaire du
droit des étrangers, qui prévoit que les autorisations de séjour et
d’établissement délivrées aux étrangers ne sont valables que pour un can-
ton1791.
1338. Toutefois, l’entrée en vigueur de l’ALCP a partiellement modifié ce ré-
gime restrictif en faveur des ressortissants communautaires. La question du li-
bre choix en matière de lieu de séjour étant également pertinente dans le
contexte du transit en Suisse des Tziganes nomades étrangers, nous discute-
rons ultérieurement des effets de l’ALCP sur la situation juridique des Tziga-
nes nomades d’origine communautaire dans ce contexte particulier1792.

2.1.2. La portée de la liberté d’établissement

1339. La liberté d’établissement confère à ses titulaires la possibilité de


s’établir et de séjourner en n’importe quel lieu du pays, c’est-à-dire n’importe
quelle commune. En effet, d’une importance fondamentale au sein d’un Etat

1788
MAHON (art. 24), p. 205 ; ZUFFEREY (2001), p. 755.
1789
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), NN. 752-753 ; MAHON (art. 24), pp. 206-207 ; MÜLLER (1999), pp.
151-152 ; ZUFFEREY (2001), p. 759. Nous reviendrons ci-après sur les liens entre liberté
d’établissement et liberté économique des Tziganes, infra Section 3.
1790
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 769.
1791
RO 1993 747.
1792
Infra Section 4.

368
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

fédéral, cette liberté est conçue comme ayant aussi bien une portée intercanto-
nale qu’intracantonale1793.
1340. D’une manière générale, la notion d’«établissement» signifie effectuer
un arrêt, en un lieu déterminé, durant une certaine période de temps. Le terme
peut être compris au sens strict comme au sens large. Stricto sensu, il signifie
créer un « domicile », au sens de l’article 23 al. 1 CC, bien qu’il faille souligner
qu’un établissement de longue durée n’emporte pas nécessairement sa créa-
tion, car il est possible de posséder plusieurs lieux d’établissement en même
temps, au contraire du domicile1794. Lato sensu, le terme est synonyme de
« séjour », c’est-à-dire un arrêt qui est plus long qu’un simple passage sur le
territoire1795.
1341. On se référera au droit cantonal pour déterminer les situations ratta-
chables au « séjour » et celles qui sont qualifiables « d’établissement »1796. Ain-
si, la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés associe
l’établissement exclusivement au fait de créer un domicile, toute autre forme
de présence étant qualifiée de séjour1797.
1342. Tout obstacle juridique ou matériel ne permettant ni de s’établir à un
endroit, ni d’y rester une fois établi, ni d’y séjourner, ni de le quitter constitue
une ingérence dans cette liberté1798. Ainsi, la liberté d’établissement subit éga-
lement une restriction lorsque le prix du terrain ou les loyers d’habitation dans
une région deviennent si prohibitifs pour une fraction de la population qu’elle
ne peut envisager de s’y installer1799.
1343. Dans sa facette négative, ce droit interdit à l’autorité communale
d’expulser les citoyens suisses de son territoire. En outre, ceux-ci ne doivent se
voir opposer aucun obstacle à leur intention de quitter leur commune de do-
micile, ni à leur souhait de revenir ultérieurement1800. Le fait d’être à
l’assistance publique ne peut donc pas empêcher un citoyen suisse de s’établir
dans une commune. En conséquence, ni un canton ni la commune de domicile
ne peut refuser sur son territoire ni expulser un Confédéré devenu indésirable
du fait de son indigence1801.

1793
ATF 128 I 280, 282 B.; ATF 108 Ia 248, 249 Schwemmer. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 754 ;
BAUMANN, p. 529-530 ; MAHON (art. 24), p. 205 ; ZUFFEREY (2001), p. 756.
1794
RDAF 1995 253, 255.
1795
ATF 93 I 17, 23 Storck ; ATF 42 I 303. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 772 ; MAHON (art. 24), p.
206 ; ZUFFEREY (2001), pp. 754-755 ; ZÜRCHER-BERTHER, pp. 18-19.
1796
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 767 ; ZUFFEREY (2001), p. 755.
1797
Comp. ainsi les art. 4 et 5 de la loi sur le séjour et l’établissement des Confédérés, du 16 décembre
1983, RS/GE F 2 05.
1798
ATF 113 V 22, 32 H.. MÜLLER (1999), pp. 155-156 et 164-165.
1799
MÜLLER (1999), p. 164.
1800
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 774.
1801
Voir la loi fédérale sur la compétence en matière d’assistance des personnes dans le besoin, du 24
juin 1977 (RS 851.1; RO 1978 221), qui détermine la collectivité compétente pour prendre en

369
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1344. La liberté d’établissement présente certaines particularités par rapport


aux autres libertés, du point de vue des restrictions admissibles. Selon certains
auteurs, les restrictions applicables aux autres libertés individuelles ne sont
pas valables à son égard, notamment lorsqu’elles sont fondées sur des motifs
de police1802.
1345. Ainsi, le Tribunal administratif du canton de Genève considère que
l’éventuelle nature illicite du mode d’habitation n’a aucun effet sur la liberté
d’établissement d’un Confédéré. Même lorsque le comportement d’un squatter
confédéré porte atteinte de manière grave et imminente à l'ordre public, dès
lors que ce dernier a établi dans les faits son domicile sur le territoire canto-
nal1803, l’autorité ne saurait se fonder sur la clause générale de police pour lui
refuser l’octroi d’un permis d’établissement attestant formellement de sa prise
de domicile dans le canton.
1346. Un tel refus, qui contredit l’obligation pour l’autorité de fournir ces
documents ancrée à l’art. 7 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement
des Confédérés, est donc constitutif d’une violation de la liberté
d’établissement1804.
1347. En conséquence, une collectivité est contrainte d’accorder
l’établissement à tout citoyen suisse et doit établir et délivrer les actes nécessai-
res pour ce faire: le canton d’origine doit octroyer un acte d’origine à celui qui
en fait la demande et le canton d’établissement doit délivrer l’autorisation
d’établissement, respectivement de séjour, requise par la loi1805.
1348. La pratique révèle que les seules ingérences légitimes à la liberté
d’établissement sont celles qui, dans certaines circonstances restrictivement
admises, obligent un citoyen suisse à résider dans une collectivité et qui
l’empêchent d’aller s’établir ailleurs1806. Les mesures qui s’opposent à son éta-

charge les indigents qui ont changé de domicile ou sont sans domicile en Suisse. Voir également
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 776; HÄFELIN/HALLER, p. 189 ; ZUFFEREY (2001), p. 763.
1802
HÄFELIN/HALLER, p. 169.
1803
Le Tribunal administratif réserve en effet les cas de domicile fictif au sens de l’art. 24 CC, ou
d’utilisation du domaine public, dès lors qu’il juge que dans ces deux hypothèses, aucun domicile
n’est établi ; Arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 11 avril 1984 Dame L., SJ
1985 5, 11.
1804
Arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 11 avril 1984 Dame L., SJ 1985 5, 10-11.
1805
Comp. ainsi les art. 5 et 6 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés, du 16
septembre 1983.
1806
En matière de liberté d’établissement, l’essentiel de la pratique du Tribunal fédéral porte sur la légi-
timité de l’obligation imposée aux fonctionnaires de résider dans la collectivité où ils travaillent, sur
la base du rapport de droit spécial existant entre ces derniers et l’Etat. Alors que cette obligation
porte une atteinte grave, voire supprime, la liberté d’établissement des intéressés, le Tribunal fédé-
ral considère, de façon surprenante et critiquée par la doctrine, que l’existence d’intérêts publics
particulièrement importants permet de pallier l’éventuelle absence de base légale expresse allant
dans ce sens. ATF 106 Ia 28 Nievergelt. Pour une critique de cette jurisprudence, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 778-779, qui la qualifient «d’insoutenable au regard du principe
de la légalité ». Voir également HÄFELIN/HALLER, p. 169 ; ZUFFEREY (2001), p. 762.

370
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

blissement ou à son séjour sont, pour leur part, toutes considérées comme illé-
gitimes.
1349. Dès lors, on peut se demander si les cantons ont une quelconque
marge de manœuvre dans ce contexte. A tout le moins, il semble difficilement
contestable qu’une mesure visant à empêcher la venue d’un Confédéré ou à
l’expulser ne pourra faire appel à la clause générale de police et devra néces-
sairement se fonder sur une base légale formelle expresse, poursuivre un but
d’intérêt public précis qui ne saurait être de nature financière, et respecter
strictement le principe de proportionnalité, en prenant en considération
l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.
1350. Enfin, relevons que traditionnellement, la liberté d’établissement est
conçue en droit suisse comme une liberté classique, imposant un devoir
d’abstention de la part de l’Etat, à l’exclusion de prestations positives. La doc-
trine énonce ainsi l’impossibilité d’en déduire le droit à l’obtention de soutiens
financiers à la mobilité estudiantine, ni de subventions en matière de construc-
tion, d’acquisition de logements ou encore d’infrastructures pour le trans-
port1807. Nous examinerons ci-après la compatibilité de cette vision avec
l’exercice de cette liberté par les Tziganes nomades.

2.2. La portée de la liberté d’établissement pour les Tziganes


nomades suisses

1351. La liberté d’établissement recouvre tant l’hypothèse d’un arrêt tempo-


raire que celle d’un arrêt de longue durée sur l’ensemble du territoire suisse.
Dans le contexte du nomadisme tzigane, ces deux cas de figure prennent une
signification particulière en raison du manque de places de stationnement.
1352. En effet, les difficultés rencontrées pour pouvoir stationner de façon
légale dans une commune, voire dans un canton, temporairement - de quel-
ques jours à quelques semaines (2.2.1.) – ou durablement – de quelques mois à
plusieurs années (2.2.2.) – ont d’importantes conséquences pour l’exercice de
ce droit. A la lumière de ces considérations, nous tâcherons de déterminer
l’ampleur des obligations existant à charge des autorités dans ce domaine au
vu de la portée générale de la liberté d’établissement (2.2.3.).

2.2.1. La possibilité de séjourner sur l’ensemble du territoire suisse

1353. Comme nous l’avons d’ores et déjà établi ci-dessus, tout obstacle, ma-
tériel ou juridique, s’opposant à la possibilité de s’arrêter dans une commune
constitue une atteinte à la liberté d’établissement, et ce même pour une courte
durée.

1807
ZUFFEREY (2001), p. 753.

371
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1354. La liberté d’établissement des Tziganes nomades suisses de passage


dans une commune subit une ingérence, qualifiable de grave, lorsque non
seulement font défaut des places pouvant les accueillir, mais que, par ailleurs,
il n’existe aucune alternative permettant de s’arrêter temporairement et légale-
ment sur le territoire communal1808. En effet, c’est bien l’impossibilité de sé-
journer légalement dans une commune qui engendre cette grave restriction, et
non pas l’absence d’aires officielles de stationnement en tant que telle.
1355. Dès lors, deux conclusions s’imposent. Premièrement, le respect de la
liberté d’établissement des Tziganes nomades suisses n’exige pas que toutes
les communes de Suisse créent des aires appropriées. Ceci est corroboré par les
rapports d’experts faisant état des besoins minimaux en la matière. En effet,
seules trente nouvelles places de transit officielles doivent être créées, en pre-
nant en considération des impératifs géographiques, économiques et démo-
graphiques1809. Il revient donc avant tout aux cantons, en collaboration avec
leurs communes, de coordonner la création de ces aires.
1356. Deuxièmement, la création de ce parc de places ne signifiera pas en-
core que toute atteinte à la liberté d’établissement des Tziganes nomades suis-
ses aura disparu, ni même qu’elle sera désormais qualifiable de légère. Les ci-
toyens suisses ont le droit de séjourner sur l’ensemble du territoire helvétique.
En conséquence, considérer que les Tziganes nomades suisses devraient néces-
sairement et exclusivement employer les places officielles de transit pour pou-
voir arrêter leurs caravanes signifierait que l’exercice de leur droit de séjourner
légalement dans toute autre commune continuerait à être impossible. Leur li-
berté d’établissement subirait alors toujours une grave ingérence malgré
l’amélioration significative de leur situation au niveau national1810.
1357. L’obligation réside donc dans le développement de solutions permet-
tant le stationnement légal sur le territoire d’une commune1811. C’est pour cette
raison que les haltes dites « spontanées » doivent être consacrées légalement
dans leur principe1812. Jusqu’à ce que toutes les places requises soient créées,
toutefois, les carences en la matière seront d’autant plus importantes et, a for-
tiori, l’atteinte à la liberté d’établissement demeurera d’autant plus grave.

1808
BAUMANN, p. 530 ; SAMBUC/SAMBUC BLOISE, p. 10 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 19. Voir également le Rapport
du Conseil fédéral, Partie I, p. 37.
1809
Supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 1.
1810
Comp., en France, la Décision du Conseil d’Etat, du 20 juin 1965, Ministre de l’Intérieur c. dame
Veuve Vicini: « Un préfet porte une atteinte illégale à la liberté individuelle en interdisant de façon
permanente et absolue le stationnement et le séjour des nomades sur tout ou partie du territoire
d’un département ; ainsi que par la suite et en l’absence de circonstances exceptionnelles, le préfet
des Alpes-Maritimes ne pouvait interdire totalement le stationnement et le séjour des nomades sur
le territoire de 79 communes du département ».
1811
Comp. la position de WALDMANN, qui estime également que toutes les communes n’ont pas
l’obligation de créer des places, mais qui par contre considère que les droits fondamentaux sont
respectés lorsqu’un plan d’affectation en prévoit au niveau cantonal; WALDMANN (2003), p. 702;
WALDMANN (2004), p. 958.
1812
Voir nos développements infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B.

372
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1358. Tant l’interdiction de la discrimination que l’application du droit des


minorités font qu’il est très difficile, voire impossible, de comparer la situation
des Tziganes nomades à celle des personnes vivant dans des habitations
conventionnelles se heurtant à la pénurie de logement prévalant dans certains
cantons, notamment à Genève. En effet, les difficultés rencontrées par ces per-
sonnes pour pouvoir se loger ne mettent pas en cause leur identité minoritaire
et ne les empêchent pas de poursuivre leur mode de vie protégé et reconnu.
1359. En outre, si ces obstacles rendent difficile l’établissement dans une cer-
taine ville voire un certain canton, ils ne l’interdisent pas de manière absolue :
leur mode de vie ne les rendant pas dépendant du déplacement et du station-
nement de leur habitation, ces personnes ont toujours la possibilité d’y séjour-
ner dans un hôtel ou chez des amis.
1360. En effet, bien qu’extrêmement tendu, le marché du logement évolue et
des offres sont susceptibles d’apparaître. De plus, ces pénuries ne forcent pas
les personnes sédentaires à devoir se contenter de séjourner ou de résider dans
quelques dizaines de communes sur l’ensemble du territoire suisse : les alter-
natives qu’elles ont à disposition ne les condamnent pas à l’immobilisme lors-
qu’elles ne souhaitent pas prendre le risque d’opter pour un logement illicite.
1361. Enfin, si l’action de l’Etat apparaît comme une véritable nécessité pour
permettre l’exercice du mode de vie nomade tzigane, on rappellera que cette
action ne doit pas nécessairement se traduire par la création d’aires : la possibi-
lité de stationner sur l’ensemble des communes suisses peut être garantie dès
lors que le cadre légal autorise le stationnement hors d’aires prévues à cet effet.
En conséquence, dans ce cadre, l’obligation d’agir de l’Etat à l’égard des Tzi-
ganes nomades n’engage pas automatiquement les finances publiques.
1362. On rappellera également le rapport étroit entre la possibilité de séjour-
ner à court terme quelque part et la garantie de la libre circulation de tous les
individus sur l’ensemble du territoire. Nous aurons par ailleurs l’occasion de
constater les liens étroits entre la liberté d’établissement et la liberté économi-
que d’une manière générale et pour les Tziganes nomades en particulier1813.
1363. Verrouiller, ou du moins rendre particulièrement complexe, l’accès lé-
gal à la majeure partie du territoire national, au motif de l’existence d’un parc
officiel comprenant le nombre minimal requis de places de transit, nous paraît
d’autant plus problématique au regard de la liberté d’établissement. Par ail-
leurs, les associations de défense d’intérêts des Tziganes mettent également en
avant le risque de ghettoïsation des membres nomades de la minorité tzigane
en cas de limitation du stationnement aux aires officielles1814.

1813
Infra Section 3.
1814
Prise de position de l’association jénisch Transnationaler Verein für jenische Zusammenarbeit und
Kulturaustauch relative à la procédure de consultation portant sur la révision partielle de
l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, p. 3. (http://www.humanrights.ch [consulté le 12
avril 2006]).

373
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2.2.2. L’arrêt durable dans le lieu de son choix

1364. Dans l’hypothèse de l’arrêt durable des caravanes, il sied de distinguer


entre les questions touchant aux possibilités matérielles en matière de station-
nement durable (a) et celle ayant trait aux obligations des autorités à l’égard
des Tziganes établis dans une commune (b).

a) La possibilité de s’arrêter durablement

1365. L’arrêt des caravanes sur une place de stationnement durable


s’effectue pour passer les mois d’hiver. A teneur de la définition que donnent
doctrine et jurisprudence de la notion de séjour, bien que plus long que la halte
à des fins de transit, ce type d’arrêt n’en demeure pas moins a priori un séjour
et non un établissement, en raison de son caractère non permanent. Toutefois,
ainsi que nous le verrons ultérieurement, les caractéristiques du nomadisme
tzigane, combinées à l’exigence d’un domicile au sens des articles 23ss CC, ont
pour effet que puisque ces haltes hivernales se font chaque année au même
endroit, il est possible de conclure à l’existence d’un établissement emportant
la création d’un domicile légal1815.
1366. En outre, les familles tziganes nomades souhaitant scolariser leurs en-
fants de manière régulière, ainsi que les personnes âgées, abandonnent tempo-
rairement ou définitivement l’exercice du nomadisme actif et veulent s’établir
en un lieu fixe. Toutefois, ne souhaitant pas pour autant renoncer à leur mode
de vie traditionnel, ces familles cherchent à pouvoir continuer à vivre dans
leur caravane sans devoir prendre un appartement1816. Elles ont donc égale-
ment besoin de lieux de stationnement durable et utilisent les aires prévues
pour l’arrêt des caravanes en hiver1817.
1367. Rappelons qu’il existe actuellement douze aires de séjour permanent
sur l’ensemble du territoire suisse et que les rapports d’experts font état d’un
besoin de vingt-neuf aires supplémentaires pouvant accueillir dix caravanes
chacune1818. Dans ce cadre, les restrictions à la liberté d’établissement causées

1815
Voir nos développements relatifs à la notion de domicile au sens de l’art. 23 CC dans le contexte du
mode de vie nomade, infra Titre Quatrième, Chapitre II, Section B.
1816
Comp. WALDMANN (2004), p. 960, qui estime que dans l’arrêt Chapman, la requérante avait aban-
donné son mode de vie nomade du fait qu’elle ne se déplaçait plus depuis plusieurs années, bien
qu’elle continue à vivre dans une caravane. Cette appréciation ne prend pas en considération que
l’exercice de l’identité culturelle traditionnelle tzigane ne se limite pas à un nomadise actif: la néces-
sité de places de stationnement durable, notamment pour les personnes âgées, démontrent que ne
plus voyager ne signifie pas chercher à adopter le mode de vie de la population majoritaire séden-
taire.
1817
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 7.
1818
Mise à jour du rapport d’expertise 2006, p. 26. Voir également supra Titre Premier, Chapitre IV,
Section C, 1.

374
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

par l’absence de sites officiels à disposition pour l’arrêt durable sont particuliè-
rement graves par rapport aux exigences posées par le droit des minorités.
1368. Il existe ainsi une tension insoluble entre la possibilité d’exercer libre-
ment sa liberté d’établissement, d’une part, et les garanties offertes par le sys-
tème du droit des minorités, d’autre part, notamment en matière de droit au
maintien de son identité culturelle et d’interdiction de la discrimination. En ef-
fet, s’ils acceptent de vivre en appartement, rien n’empêche des Tziganes suis-
ses de s’établir dans une commune.
1369. Sans solution de rechange, s’ils veulent pouvoir librement s’établir, les
Tziganes doivent renoncer à leur mode d’habitat traditionnel, ainsi qu’aux ré-
seaux familiaux habituels. Pour celles et ceux qui s’y refusent, les conditions de
vie sur les sites surchargés peuvent être pénibles, voire poser des problèmes de
salubrité et de risque pour l’intégrité des personnes et des biens.
1370. Or, en matière de stationnement durable, toutes les communes n’ont
pas non plus l’obligation d’aménager des lieux de halte. Par contre, elles doi-
vent offrir la possibilité de stationner légalement, sur le long terme, en un en-
droit du territoire communal. Il est donc également important de développer
d’autres solutions que la création de places officielles. En effet, force est de
constater que, même avec une augmentation du nombre de places adéquates
pour atteindre les besoins minimaux, les Tziganes qui souhaitent pouvoir
continuer à vivre en suivant leurs traditions en matière d’habitat ne peuvent
pas exercer leur droit de choisir librement une commune pour pouvoir s’y éta-
blir durablement.
1371. Toutefois, il est plus difficile de développer des alternatives légalisant
le stationnement hors des aires prévues à cet effet que dans celui des arrêts
transitoires. En effet, la durée de ce type d’arrêt a pour conséquence que le ca-
dre juridique est sensiblement différent dans ce contexte par rapport à ce que
nous avons exposé ci-devant en matière de séjour temporaire.
1372. L’unique option permettant de pallier les manques en la matière, mais
également la seule permettant d’offrir des garanties logistiques équivalentes,
consiste à ce que des particuliers – Tziganes ou non - puissent acquérir et amé-
nager des terrains privés dans le but d’y stationner des caravanes. Au regard
de l’aménagement du territoire et du droit des constructions, cette alternative
ne peut se réaliser que dans certaines conditions, plus complexes que dans le
cadre du stationnement temporaire hors d’une aire destinée à cet effet, que
nous détaillerons ultérieurement1819.
1373. En conséquence, nous pouvons conclure que, dans l’hypothèse de
l’arrêt durable, la création d’aires de stationnement adéquates, en nombre et
qualité suffisantes pour répondre aux besoins des Tziganes nomades suisses,

1819
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section D.

375
La situation juridique des Tziganes en Suisse

prend un poids sensiblement plus important que dans le cadre du stationne-


ment transitoire.

b) L’obligation d’accepter les Tziganes domiciliés en caravane

1374. La liberté d’établissement interdit à l’autorité communale d’expulser


des Tziganes suisses sédentarisés mais vivant encore en caravane, et ce même
lorsqu’ils sont tombés à la charge de l’assistance sociale. Elle interdit égale-
ment à la commune de refuser la domiciliation formelle des Tziganes suisses
qui y résident depuis des années ou qui souhaitent s’y établir.
1375. Ces constats ne relèvent pas de l’évidence, car les Tziganes suisses ren-
contrent encore des obstacles lorsqu’ils souhaitent exercer leur liberté
d’établissement alors qu’ils vivent en caravanes, et ce même lorsqu’ils ne pra-
tiquent plus un nomadisme actif. Ces difficultés sont illustrées par le cas sui-
vant, qui a fait l’objet d’une prise de position de l’Ombudsman du canton de
Bâle-Campagne en 2000.
1376. Vivant depuis de nombreuses années dans la même commune mais
toujours en caravane, Madame X, citoyenne suisse, avait atteint l’âge de la re-
traite et souhaitait toucher sa rente AVS. Par le passé, elle s’était annoncée à de
nombreuses reprises au contrôle de l’habitant de sa commune, mais à chaque
fois ce dernier avait refusé de la porter au registre des habitants, au motif que
le mode de vie des Tziganes empêchait par définition la création d’un domicile
légal1820.
1377. Dans sa prise de position, l’Ombudsman a indiqué aux autorités com-
munales qu’en tant que ressortissante helvétique, Madame X bénéficiait de la
liberté d’établissement. A ce titre, toute commune et tout canton était dans
l’obligation de l’autoriser à s’établir sur son territoire. Bien qu’étant tzigane vi-
vant en caravane, Madame X n’avait plus quitté cette commune depuis des
années.
1378. Aux yeux du médiateur, il était donc incontestable qu’elle avait choisi
d’exercer son droit fondamental de s’y établir, au sens de l’article 24 al. 1 Cst.,
ainsi que d’y créer son domicile, au sens de l’article 23 CC1821. Dès lors, ne pas
accepter, par principe, l’inscription de Tziganes suisses au contrôle de
l’habitant équivaut à leur nier la possibilité de s’établir formellement sur le ter-

1820
A titre incident, cette pratique n’aurait pas permis à la commune en cause de contourner la LAS si la
requérante était par hypothèse tombée dans le besoin. En effet, même en refusant de considérer
que Mme X était domiciliée dans cette commune, celle-ci aurait tout de même été chargée de son
assistance, puis l’art. 12 al. 2 LAS impose à la commune de séjour de prendre en charge les person-
nes dans le besoin sans domicile.
1821
Rapport annuel de l’Ombusdman du Canton de Bâle-Campagne, 2000, point 9
(http://www.baselland.ch [consulté le 12 avril 2006]).

376
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

ritoire communal, ce qui doit être qualifié de violation de la liberté


d’établissement1822.
1379. Par ailleurs, l’Ombudsman rappelle que la protection conférée par
l’article 24 al. 1 Cst. interdit aux communes d’expulser les citoyens suisses, en
renvoyant notamment aux considérants d’un arrêt non publié du Tribunal
administratif du canton de Bâle-Campagne du 9 mai 1990, dans une affaire
mettant en cause la même commune et des Tziganes nomades que les autorités
ne voulaient plus sur leur territoire en raison de leur indigence1823.
1380. L’Ombudsman admet que les communes puissent évacuer d’un ter-
rain des caravanes tziganes stationnant de façon illicite pour les renvoyer sur
un site permettant de s’arrêter conformément aux exigences posées par
l’aména-gement du territoire. Du fait que le cas d’espèce ne posait pas ce pro-
blème, puisque Madame X stationnait légalement sa caravane, le médiateur est
resté muet sur la question de l’ampleur des obligations de la commune lorsque
aucune place adéquate n’existe sur son territoire.
1381. Or, à teneur des considérations de l’Ombudsman, conformément à la
portée intracantonale de la liberté d’établissement, un renvoi sur un terrain si-
tué dans une autre commune entre en conflit avec l’obligation d’accepter tout
Confédéré qui déclare vouloir s’établir sur le territoire communal.
1382. Dès lors que l’illicéité du logement ne peut avoir aucune influence sur
le droit de résider dans une collectivité, un renvoi de caravanes stationnées il-
légalement vers une autre commune, voire canton, constitue également une
ingérence grave dans la liberté d’établissement des Tziganes suisses vivant en
caravanes. Les autorités ont certes la latitude d’ordonner le déplacement des
caravanes sur un lieu de stationnement licite, mais en l’absence d’un tel site
sur leur territoire, elles ne peuvent exiger leur départ sans restreindre grave-
ment cette garantie.

2.2.3. Appréciation

1383. Dans le contexte de l’exercice du mode de vie nomade, le renvoi des


caravanes tziganes vers d’autres communes ou cantons est incompatible avec
l’obligation de s’abstenir d’entraver l’exercie de la liberté d’établissement des
particuliers. En effet, lorsque des autorités ordonnent à des Tziganes d’ores et
déjà arrêtés sur le territoire, provisoirement ou durablement, de le quitter en
raison du caractère illicite de leur stationnement, il faut conclure à une ingé-

1822
Relevons que cette pratique communale violait également le droit cantonal supérieur. En effet, la
Gesetz über Niederlassung und Aufenthalt du canton de Bâle-Campagne, du 20 mars 1972 (RS/BL
111) impose aux citoyens suisses désireux de s’établir dans une commune de s’annoncer dans les
quatorze jours depuis leur arrivée au contrôle communal de l’habitant (art. 1 et 2), sous peine d’une
amende de 5000.- (art. 18). Parallèlement, l’autorité a l’obligation de délivrer l’autorisation
d’établissement à tout citoyen suisse et ne peut ni la refuser, ni la retirer (art. 5).
1823
Arrêt du 9 mai 1990 du Tribunal administratif du canton de Bâle-Campagne.

377
La situation juridique des Tziganes en Suisse

rence dans la liberté d’établissement qui viole le devoir classique d’abstention


à charge de l’Etat.
1384. Toutefois, c’est l’inaction des autorités communales en matière de dé-
veloppement des solutions permettant le stationnement temporaire et durable
des caravanes qui a pour conséquence que les Tziganes nomades suisses ne
peuvent pas librement séjourner ou s’établir sur l’ensemble du territoire helvé-
tique. Dès lors, quand une commune est incapable d’offrir une solution de sta-
tionnement légal à des Tziganes en transit, ou qui souhaitent s’établir tout en
continuant d’habiter en caravane, la restriction de la liberté d’établissement
trouve ici ses racines dans la passivité des autorités1824.
1385. En conséquence, plusieurs conclusions s’imposent. Premièrement, per-
mettre l’arrêt légal de courte et de longue durée des caravanes tziganes trouve
également sa source dans la liberté d’établissement. Si l’on ne saurait exiger de
chaque commune qu’elle crée des places de stationnement temporaire et
durable, il n’en demeure pas moins que la possibilité, pour les Tziganes
nomades suisses, de transiter ou de s’établir doit tout de même être possible
dans toutes les communes de Suisse1825.
1386. Nous développerons ci-après1826 les solutions juridiques qui sont envi-
sageables, mais il est d’ores et déjà possible d’affirmer que si la mise sur pied
du parc officiel de places exigera sans aucun doute plusieurs années, les modi-
fications législatives et réglementaires offrant des alternatives peuvent, pour
leur part, être réalisées dans de brefs délais.
1387. Néanmoins, il semble difficile de déduire de cette obligation une
prétention justiciable. Il convient dès lors de la rattacher au devoir de réaliser
les droits fondamentaux de l’article 35 al. 1 Cst., autrement dit à la fonction
objective de la liberté d’établissement. Néanmoins, son inexécution joue un
rôle fondamental dans le contexte de la seconde obligation.
1388. Celle-ci a trait à l’attitude que les autorités doivent adopter lorsque des
Tziganes nomades suisses souhaitent transiter ou s’installer, respectivement
lorsqu’ils se trouvent d’ores et déjà arrêtés sur le territoire et que les autorités
envisagent des les expulser du lieu de stationnement. Ces mesures doivent né-
cessairement répondre aux exigences de restriction de l’article 36 Cst.
1389. Premièrement, quelles que soient les circonstances de l’espèce, il nous
semble difficile d’affirmer que les intérêts s’opposant au stationnement illicite

1824
Comp. les Conclusions du CERD relatives à la communication Anna Koptova c. République slovaque,
n° 13/1998, du 8 août 2000, § 10.1 : un arrêté municipal qui n’accepte pas de citoyens d’origine
tzigane sur son territoire ou qui prévoit leur expulsion inconditionnelle en cas de stationnement illi-
cite est contraire à l’art. 5 let. d (i) CIERD (liberté d’établissement et de circulation sans discrimina-
tion).
1825
Dans ce sens, voir le Rapport d’expertise 2001, pp. 28 et 39, ainsi que le Rapport du Conseil fédé-
ral, Partie II, pp. 8-9.
1826
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section C.

378
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

de caravanes en un endroit déterminé puissent être sauvegardés par


l’expulsion de l’ensemble de la collectivité en cause. Dans l’hypothèse où cette
solution serait malgré tout jugée valable, l’acte de refus ou d’expulsion ne doit
pas pouvoir se fonder sur la clause générale de police. En effet, l’atteinte à la
liberté d’établissement elle-même est trop grave pour que l’on puisse faire
l’économie d’une base légale formelle spécifique et précise.
1390. En outre, la clause générale de police est difficilement voire entière-
ment inapplicable dans ce contexte. Premièrement, son emploi n’est justifié
que s’il existe un danger grave et imminent, qui était imprévisible, et qui ne
peut être contré par d’autres moyens. En effet, la jurisprudence exclut dans la
règle l’emploi de cette clause lorsque les situations de danger n’ont pas été
réglementées alors qu’elles étaient reconnaissables1827. A notre sens,
l’hypothèse du stationnement de caravanes doit être qualifié de reconnaissable
puisque les collectivités doivent prendre en compte cette question et doivent
adopter des mesures permettant d’accueillir des Tziganes suisses vivant selon
leur mode de vie traditionnel.
1391. Ensuite, rappelons que les principes généraux du droit administratif
s’appliquent également à la clause de police, en particulier le respect de la
proportionnalité. Celle-ci exige une pesée attentive des intérêts en présence1828.
Dès lors, ces principes doivent être strictement suivis par les autorités même
lorsqu’elles jugent dangereux et imprévisible le stationnement illicite de cara-
vanes tziganes, et qu’elles estiment que seule une intervention immédiate
pourrait empêcher la survenance de ce péril.
1392. Par analogie avec la tolérance que peuvent afficher des autorités face
aux squatters d’un immeuble lorsqu’il existe une crise aiguë du logement,
l’absence de possibilités légales en matière d’arrêt doit être impérativement
prise en considération. Dans ce contexte, le fait que les autorités en cause
n’aient pas rempli leurs propres obligations découlant non seulement du droit
des minorités, mais également de la liberté d’établissement elle-même, doit
également pencher en faveur des Tziganes intéressés.
1393. A notre sens, si des alternatives en matière de stationnement existent
dans une autre commune, un renvoi pourrait alors être considéré comme ac-
ceptable au regard du principe de la proportionnalité. Toutefois, certaines
conditions doivent être alors remplies : la distance entre les deux endroits ne
doit pas être trop importante et il est nécessaire de s’assurer que les possibilités
pour s’arrêter à cet endroit existent concrètement, c’est-à-dire qu’il y ait effec-
tivement des places à disposition.

1827
ATF 130 I 369, 381 G.; ATF 126 I 112, 118, S.; ATF 121 I 22, 27-28 Anouk Hasler; ATF 111 Ia 246,
248 Parti socialiste vaudois. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 207.
1828
ATF 111 Ia 246, 248 Parti socialiste vaudois. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 207.

379
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1394. En outre, on sera plus strict à l’égard de mesures expulsant des cara-
vanes d’ores et déjà installées à un endroit que lors de l’accueil de nouveaux
arrivants. Il faudra également se montrer plus sévère dans le contexte de
l’établissement que lors d’un simple transit : les conséquences sont moins
lourdes pour les intéressés qui ne souhaitent que séjourner temporairement
dans une commune.
1395. Ainsi, il nous semble dans tous les cas disproportionné d’exiger de
Tziganes suisses vivant encore en caravane, mais ne voyageant plus, qu’ils se
rendent dans un autre canton pour élire domicile. On relèvera par ailleurs que
lorsque l’arrêt durable est effectué pour scolariser des enfants, même un chan-
gement de commune au sein du même canton peut entraîner de sérieuses dif-
ficultés pour les intéressés.

3. La liberté économique

3.1. Généralités

1396. Après avoir énoncé les sources et les fonctions de la liberté économi-
que (3.1.1.), nous tracerons les grandes lignes de sa portée (3.1.2.).

3.1.1. Sources et fonctions de la liberté économique

1397. En droit suisse, la liberté économique possède trois fonctions1829. Dans


sa fonction individuelle, la liberté économique consacre à l’article 27 Cst. un
droit individuel, dont sont titulaires aussi bien les citoyens suisses que les
étrangers, des restrictions supplémentaires fondées sur la police des étrangers
pouvant toutefois leur être apportées1830.
1398. La fonction institutionnelle, ancrée à l’article 94 al. 1 Cst., pose le prin-
cipe de la liberté économique que David HOFMANN qualifie de garantie de
l’Etat de droit1831. Ce principe consacre un certain système économique, basé

1829
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 897-912; HOFMANN D., pp. 9-15 et 79ss.
1830
Voir la jurisprudence concernant la question de la titularité de la liberté économique pour les étran-
gers dès 1982, ATF 108 Ia 148 Werner. Le Tribunal fédéral considère depuis 1997 que l’étranger ti-
tulaire d’un permis de séjour peut se prévaloir de cette liberté pour autant qu’il ait droit au renou-
vellement de son permis et que les mesures de limitation ne lui soient pas applicables ; ATF 125 I
182, 198 IATA. Pour une critique de cette jurisprudence restrictive, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER
(II), N. 933. Voir également HOFMANN D., pp. 53-55.
1831
HOFMANN D., pp. 80-82. Exprimant des réserves sur la thèse de cet auteur, le Tribunal fédéral est ré-
ticent à reconnaître que l’art. 94 al. 1 Cst. puisse fonder, en soi, un droit au justiciable. En l’état, il
laisse toutefois la question ouverte ; arrêt du 26 janvier 2006, cause 2P.83/2005, consid. 2.3. Comp.
l’arrêt du 6 septembre 2004, cause 2P.134/2003, consid. 5.2, où le Tribunal fédéral s’est montré
plus catégorique en considérant que sous réserve d’exceptions, l’art. 94 al. 1 Cst. ne confère aucun
droit au justiciable.

380
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

sur la libre concurrence et l’absence d’intervention de l’Etat dans


l’économie1832.
1399. Enfin, dans sa fonction fédérative, la liberté économique garantit à
l’article 95 al. 2 Cst. la libre circulation des biens, des services et des activités
lucratives sur l’ensemble du territoire suisse, en consacrant l’objectif de la créa-
tion d’un marché intérieur1833. Il existe ainsi un lien étroit entre la liberté éco-
nomique et la liberté d’établissement : les obstacles à un libre établissement
peuvent fortement porter atteinte à la liberté économique, en particulier pour
les personnes exerçant une profession indépendante1834.

3.1.2. La portée de la liberté économique

1400. La fonction fédérative de la liberté économique a été concrétisée par


l’adoption de la LMI qui, à son article 2, garantit aux personnes établies en
Suisse le droit justiciable d’exercer leur activité dans toute la Suisse et
d’accéder au marché sur tout le territoire, sans discrimination1835. A ce jour,
toutefois, la LMI n’a pas eu les effets escomptés en matière d’unification du
marché intérieur1836.
1401. En effet, lorsque l’établissement ou le séjour est effectué en vue
d’exercer une activité lucrative, le Tribunal fédéral a considéré que la liberté
d’établissement n’a pas de portée indépendante face à la liberté économique
dans ce contexte. Donnant priorité au principe du fédéralisme, il a exclu la li-
berté d’établissement du champ d’application de la LMI, en considérant qu’il
n’est pas possible de se fonder sur cette loi pour obtenir l’autorisation de
s’établir afin d’exercer son métier1837.
1402. Ensuite, les conditions de restrictions posées par l’ancien article 3
LMI1838, combinées à l’approche fédéraliste du Tribunal fédéral, permettaient
aux cantons et communes de profiter d’une importante marge de manœuvre
en matière de limitation d’accès au marché, qui n’a pas été remise en cause par
la jurisprudence, car, à ce jour, peu de justiciables ont saisi les instances judi-
ciaires pour faire valoir leurs droits1839.

1832
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 903-908 ; HOFMANN D., pp. 11-13.
1833
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 909-912 ; HOFMANN D., pp. 13-15.
1834
ZUFFEREY (2001), p. 754 et p. 759.
1835
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 918; BIAGGINI, p. 791 ; VALLENDER, pp. 355-356.
1836
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 428.
1837
ATF 125 I 276, 279 X.; ATF 125 I 322, 325 S. HOFMANN D., p. 504.
1838
L’art. 3 al. 1 aLMI disposait que les cantons et communes du lieu de destination peuvent restreindre
l’accès au marché des offreurs externes, lorsque trois conditions cumulatives sont respectées: elles
s’appliquent de la même façon aux offreurs locaux, elles sont indispensables à la préservation
d’intérêts publics prépondérants, et elles répondent au principe de proportionnalité ; Message du
Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 428.
1839
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 429-430.

381
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1403. Face à ce bilan insatisfaisant, les Chambres ont partiellement révisé la


loi, de manière à apporter les correctifs nécessaires1840. Elles ont notamment
étendu à l’établissement commercial le libre accès au marché selon les pres-
criptions de lieu de provenance (article 2 al. 4 LMI nouveau) et ont durci les
conditions de restriction de l’article 3 en élevant les exigences de la propor-
tionnalité, de manière à donner la priorité au principe du marché intérieur sur
le principe fédéraliste1841.
1404. Pour sa part, dans sa fonction individuelle, la liberté économique
consacre pour le particulier le droit de choisir toute activité privée tendant à
l’obtention d’un gain ou d’un revenu1842, d’y accéder et de l’exercer pendant
une durée librement déterminée et à l’endroit qu’il souhaite1843. Ainsi, elle
s’oppose notamment à toute mesure étatique empêchant ou rendant particu-
lièrement difficile l’entrée sur le marché des individus souhaitant exercer leurs
activités1844.
1405. Le droit individuel à la liberté économique possède également une
importance essentielle dans le contexte de l’utilisation accrue du domaine pu-
blic. En effet, lorsque ce type d’usage s’avère nécessaire pour exercer une cer-
taine activité lucrative, et quand le but du domaine public le permet, cette ga-
rantie fonde un « droit conditionnel » à l’octroi d’une autorisation permettant
cette utilisation, dont le refus constitue une ingérence devant être légitimée par
les conditions de l’article 36 Cst.1845.
1406. Pour leur part, les restrictions admissibles à la liberté économique1846
doivent non seulement répondre aux exigences de l’article 36 Cst., mais éga-
lement respecter le principe d’égalité des concurrents1847, découlant du prin-

1840
Modifications adoptées le 16 décembre 2005, FF 2005 6981.
1841
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 437. HOFMANN D., p. 505-
506. La révision a introduit la reconnaissance des certificats de capacité selon la procédure de re-
connaissance de l’UE (art. 4 al. 3bis LMI), ainsi qu’un droit de recours de la Commission de la
concurrence (art. 9 al. 2bis LMI); Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005
421, 437-438 et HOFMANN D., p. 506-513.
1842
ATF 100 Ia 169, 175 Stump. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 939-943 ; BIAGGINI, p. 781 ; HÄFE-
LIN/HALLER, p. 187 ; HOFMANN D., p. 11.
1843
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 944-947 ; VALLENDER, p. 356. ATF 128 I 92, 94; ATF 128 I 19, 29.
1844
BIAGGINI, p. 782. ATF 124 I 107, 113; ATF 123 I 201, 209; ATF 123 I 12.
1845
ATF 119 Ia 445, 447 Circus Gasser Olympia AG; ATF 121 Ia 129, 135, Margot Knecht ; ATF 121 Ia
279, 282 Circus Gasser Olympia AG. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 951; BELLANGER (Domaine
public), pp. 51-53 ; BIAGGINI, p. 784-785 ; HOFMANN D., pp. 74-78.
1846
Nous suivons ici la démarche de David HOFMANN qui s’éloigne de la méthodologie du Tribunal fédéral
pour distinguer entre l’analyse des mesures dérogeant au principe de la liberté économique, d’une
part, et de celles restreignant la liberté économique, d’autre part ; HOFMANN D., pp. 100-101 et 126.
En raison de notre problématique, nous nous concentrons sur ces dernières et nous renvoyons donc
à cet auteur pour une analyse approfondie du régime des dérogations au principe de la liberté éco-
nomique ; HOFMANN D., pp. 126-145.
1847
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 976. Voir toutefois HOFMANN D., p. 99, qui estime que cette condi-
tion n’apporte rien de plus du fait que le principe de la liberté économique exige, en soi, que cette
égalité soit respectée.

382
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

cipe de neutralité concurrentielle de l’Etat, qui exige que les concurrents di-
rects soient traités de la même manière1848. A l’exclusion des motifs fiscaux1849,
tout intérêt public peut être invoqué pour légitimer une restriction à la liberté
économique1850 : peuvent être ainsi avancés des motifs touchant à la protection
de l’ordre public lato sensu1851, mais également le respect de l’aménagement du
territoire1852 ou encore de l’environnement1853.
1407. Enfin, la doctrine est divisée quant à la nature des obligations décou-
lant de cette liberté. Suivant l’approche restrictive du Tribunal fédéral1854, cer-
tains auteurs ne lui confèrent qu’une nature protectrice à l’encontre des ingé-
rences de l’Etat, à l’exclusion de toute prestation positive telle que l’octroi de
subventions ou de droit à l’obtention d’une autorisation de travail pour les
étrangers. Ils considèrent ainsi que le droit conditionnel à l’octroi d’une autori-
sation d’usage accru du domaine public ne doit pas être qualifié de prestation
positive, mais correspond au contraire à l’obligation de l’Etat de s’abstenir de
s’ingérer dans l’exercice de la liberté économique des particuliers1855.
1408. Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI et Michel HOTTELIER soulignent
que la jurisprudence du Tribunal fédéral néglige le fait qu’en raison de la por-
tée institutionnelle de cette garantie, l’Etat est bel et bien obligé de définir et de
promouvoir certaines politiques dans ce domaine, qui exigent de nombreuses
mesures actives de sa part, telle que la mise en œuvre et la réalisation de la li-
berté d’accès au marché1856.

3.2. La portée de la liberté économique pour les Tziganes nomades

1409. Après avoir démontré la pertinence de la liberté économique dans le


contexte du nomadisme tzigane (3.2.1.), nous procèderons à une appréciation

1848
ATF 123 II 16, 35, X. HOFMANN D., p. 95.
1849
HOFMANN D., p. 121.
1850
Du fait que nous suivons la méthodologie défendue par David HOFMANN, nous considérons que les
motifs de « politique économique » ne doivent pas être analysés dans le contexte de l’art. 36 al. 2
Cst. et des restrictions apportées à la liberté économique en tant que droit individuel, au sens de
l’art. 27 Cst., mais dans celui des dérogations apportées au principe de la liberté économique, au
sens de l’art. 94 al. 1 et 4 Cst. HOFMANN D., p. 121 et note 969.
1851
ATF 125 I 322, 326 S.
1852
ATF 111 Ia 93, 100, Schweizerische Kreditanstalt ; ATF 1P.500/2002, du 9 janvier 2003, consid. 5.2.
1853
ATF 125 I 182, 199 IATA.
1854
ATF 130 I 26, 40 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte ; ATF 125 I 161, 166, M.
1855
BIAGGINI, pp. 784-785. Voir également ATF 126 I 133, 140: le refus d’une autorisation d’usage ac-
cru du domaine public est analysé, dans ce contexte, comme constitutif d’une ingérence dans la li-
berté économique.
1856
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 952. L’adoption de la LMI est ainsi un exemple de mise en œuvre
de l’obligation de permettre cet accès libre au marché. Voir également HÄFELIN/HALLER, p. 189, qui
nient l’existence d’obligations positives découlant de la fonction individuelle de cette liberté, mais qui
réservent toutefois les obligations des autorités en matière de réalisation de sa fonction institution-
nelle.

383
La situation juridique des Tziganes en Suisse

de la nature des obligations à charge des autorités fondées sur cette liberté, no-
tamment dans le contexte du processus d’harmonisation du marché intérieur
suisse (3.2.2.).
1410. Soulignons que les Tziganes nomades étrangers en transit sont tous
des ressortissants communautaires. Dès lors, nous examinerons ci-après les
conditions de l’exercice de leur liberté économique dans le contexte spécifique
de l’ALCP1857.

3.2.1. La liberté économique et le nomadisme tzigane

1411. Comme pour tous les individus qui peuvent s’en prévaloir, la liberté
économique des Tziganes nomades implique que ces derniers puissent exercer,
sans restriction illégitime, leurs activités lucratives. Nous avons déjà eu
l’occasion de présenter les activités lucratives traditionnelles des Tziganes en
Suisse, ainsi que l’évolution des exigences administratives en matière d’octroi
de patentes pour exercer du commerce ambulant sur l’ensemble du territoire
suisse1858. Nous nous focalisons ici sur le lien existant entre la possibilité de sé-
journer sur l’ensemble du territoire suisse et la faculté d’exercer ces métiers in-
dépendants, autrement dit, d’exercer sa liberté économique.
1412. Cette relation est particulièrement étroite, voire indissociable. En effet,
l’activité itinérante est au cœur de l’existence économique des Tziganes noma-
des1859. Ceci implique que les marchés potentiels où ils seraient à même
d’écouler leurs produits et d’offrir leurs services soient proches de leurs lieux
d’habitation et de production.
1413. Autrement dit, leurs aires de halte doivent se trouver à proximité de
leur clientèle, qu’elles soient prévues pour le transit uniquement ou pour le sé-
jour durable1860. D’un point de vue économique, il est donc nécessaire que le
stationnement transitoire soit possible tant dans les régions urbaines que rura-
les, du fait de la globalité des réseaux commerciaux entretenus par ces der-
niers. Par ailleurs, on relèvera qu’une aire de transit est considérée comme
économiquement acceptable lorsque le séjour est possible pendant un mois1861.
1414. Ce rapport entre nomadisme et activité économique est d’ailleurs si
étroit qu’il a des conséquences directes sur la nature des zones qui peuvent
être utilisées pour aménager des places de stationnement temporaire et dura-
ble1862.

1857
Infra Section 4.
1858
Supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 2.
1859
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 6.
1860
Dans ce sens, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 35 et Partie II, p. 7.
1861
Rapport d’expertise 2001, p. 18.
1862
Voir nos développements à ce sujet infra, Titre Quatrième, Chapitre I, Section C, 1.2.2.

384
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1415. Par ailleurs, le lien intrinsèque entre le nomadisme et l’exercice des


métiers traditionnels illustre l’importance d’une offre souple en matière de
possibilités pour le stationnement. En effet, les réseaux d’échanges économi-
ques des Tziganes nomades varient d’une année à l’autre en fonction de la
demande de leur clientèle. Dès lors, la possibilité d’effectuer légalement des
arrêts hors des aires officielles se révèle être d’une importance primordiale
puisque la limitation du séjour et de l’établissement à certains endroits im-
muables est également susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la
liberté d’établissement1863.
1416. La liberté économique renforce donc le droit de circuler, de séjourner
et de s’établir des Tziganes nomades suisses sur l’ensemble du territoire, que
nous avons déjà déduit de la liberté de circulation et de la liberté
d’établissement. Or, pour étroit qu’il soit, le lien entre liberté économique et
exercice du nomadisme n’est pas exclusif. En effet, l’itinérance traditionnelle
tzigane ne poursuit pas uniquement un objectif économique, mais remplit bien
d’autres fonctions, notamment familiales et sociales, qui doivent nécessaire-
ment être prises en compte. En conséquence, il importe de ne pas restreindre
l’analyse de la question de l’accès au territoire à la liberté économique.

3.2.2. Les obligations fondées sur la liberté économique

1417. Au vu des considérations qui précédent, il sied de s’interroger sur la


nature exacte des obligations étatiques existant à l’égard des Tziganes noma-
des sur la base de la liberté économique. Nous analyserons dans un premier
temps les obligations à charge des cantons et communes (a), puis, dans un se-
cond temps, les possibilités d’action de la Confédération (b).

a) Les obligations à charge des cantons et des communes

1418. A notre sens, les difficultés générées par l’absence de possibilités de


stationnement peuvent être analysées comme constituant des obstacles en ma-
tière d’accès à un libre marché dans le domaine des services qu’offrent les Tzi-
ganes nomades de par leurs activités lucratives. En effet, sans possibilité de sé-
jour ou d’établissement légal, ces derniers ne sont pas en mesure d’exercer
leurs activités dans certaines communes, voire cantons. Dès lors, il est diffici-
lement contestable, à notre sens, que dans le domaine des activités économi-
ques des Tziganes nomades, le marché intérieur demeure entièrement fracturé
à leur égard.
1419. En conséquence, peut-on voir dans la liberté économique une source
supplémentaire fondant l’obligation des cantons et des communes de prévoir

1863
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 9.

385
La situation juridique des Tziganes en Suisse

des possibilités de stationnement légal ? Si l’on peut se montrer hésitant à re-


connaître une telle portée positive à la fonction individuelle de la liberté éco-
nomique, on se montrera plus enclin à la rattacher à la fonction fédérative de la
liberté économique.
1420. Celle-ci exige d’ores et déjà des autorités qu’elles contribuent à réaliser
l’homogénéisation de l’espace économique intérieur suisse, y compris à l’égard
de cette catégorie particulière de prestataires de services. Dans ce cadre, que
l’on analyse la situation au regard de l’article 3 LMI actuel, ou de la disposition
révisée, il paraît difficile de pouvoir conclure à une restriction légitime, au sens
de la LMI, de l’accès au marché de la part des autorités cantonales et commu-
nales.
1421. En effet, on peine à voir de quelle manière les prestataires d’offres lo-
caux sont confrontés aux mêmes limitations que ceux venant de l’extérieur,
puisqu’ils ne connaissent pas de difficultés à pouvoir se trouver sur un terri-
toire donné1864. En outre, à supposer que l’admette que les normes de
l’aménagement du territoire, de l’environnement et de l’ordre public consti-
tuent des intérêts publics ne pouvant être préservés que par l’éloignement de
Tziganes nomades du territoire1865, la question de la proportionnalité de ces
impossibilités de séjour se pose clairement.
1422. En effet, le séjour dans une collectivié est une condition matérielle né-
cessaire pour pouvoir exercer une activité itinérante. Dès lors, s’il est rendu
impossible à moins de violer la loi, on doit conclure à la présence d’une restric-
tion disproportionnée à la liberté économique1866. Force est donc de constater
que, dans le domaine des activités économiques des Tziganes nomades, la
LMI, et a fortiori la fonction fédérative de la liberté économique, n’est pas res-
pectée à l’égard de ces derniers en raison de l’impossibilité de séjourner de
manière légale.
1423. On relèvera que le Tribunal fédéral a jugé qu’un règlement communal
attribuant l’ordre de priorité des stands d’une fête foraine organisée sur le
domaine public sur la base du critère de provenance des marchands itinérants
n’était ni conforme à l’article 27 Cst., ni à l’article 3 LMI, car elle ne respectait
pas l’égalité entre concurrents directs. Le Tribunal fédéral a ainsi déclaré in-
constitutionnel tout système ayant pour effet de ne donner, dans les faits, au-
cune chance aux commerçants « non locaux » (sic) d’accéder au marché, ce qui
revient à les en écarter systématiquement1867.

1864
Comp. les art. 3 al. 1 let. a aLMI et 3 al. 1 let. a LMI.
1865
Comp. les art. 3 al. 1 let. b aLMI et 3 al. 1 let. b LMI.
1866
Comp. les art. 3 al. 1 let. c aLMI et 3 al. 1 let. c LMI, à lire avec les art. 3 al. 2 let. c aLMI et art. 3
al. 2 let. c LMI.
1867
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 3.

386
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1424. Enfin, le fait que la liberté économique puisse créer un droit condi-
tionnel à l’usage accru du domaine public prend une importance particulière.
En effet, dans certaines circonstances, cette faculté devrait offrir une option
permettant le stationnement temporaire spontané sur un lieu rattaché au do-
maine public ou au patrimoine administratif1868.

b) Les possibilités d’action de la Confédération

1425. Dans un contexte où le fédéralisme est la principale source d’obstacles


à l’exercice du nomadisme tzigane, le fait que, dans ce domaine, la Confédéra-
tion bénéficie, sur la base de l’article 95 al. 2 Cst., d’un pouvoir étendu pour ré-
aliser le marché intérieur en démantelant les barrières au libre accès au mar-
ché, présente un intérêt particulier1869.
1426. A ce jour, cet objectif n’a pas encore été pleinement réalisé, mais on
peut s’interroger sur les potentialités de cette base constitutionnelle pour per-
mettre à la Confédération de coordonner une politique nationale, de façon à
s’assurer que soit constitué un réseau minimal de places de transit et de sta-
tionnement durable, répondant aux besoins économiques des Tziganes noma-
des suisses1870.
1427. Certes, une action ciblée de la Confédération, axée précisément sur la
question du stationnement des Tziganes nomades, serait certainement la solu-
tion la plus efficace, mais également la plus difficile à obtenir dans les faits.
1428. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir si la révision de la LMI, et
notamment son durcissement à l’égard des exigences en matière de propor-
tionnalité des mesures restrictives, aura des effets positifs dans ce domaine.
Notamment, on peut s’interroger sur le contenu de la jurisprudence du Tribu-
nal fédéral s’il devait être saisi dans le futur d’un recours de Tziganes nomades
faisant grief d’une violation de leur liberté économique, puisqu’il est désor-
mais tenu de donner un plus grand poids au principe du marché intérieur par
rapport au principe fédéraliste.
1429. Relevons que ce ne serait pas la première fois que la fonction fédéra-
tive de la liberté économique et la LMI serviraient à améliorer les conditions de
l’exercice du nomadisme tzigane par le biais d’une intervention de la Confédé-
ration. Ce sont en effet les exigences posées par la réalisation du marché inté-
rieur qui ont poussé le législateur fédéral à adopter la LComIt en 2003, sur la

1868
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B, 4.2.
1869
ATF 130 I 156, 164 Canton de Genève. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 912 ; HOFMANN D., p. 71.
1870
On soulignera qu’en l’état, la LMI ne fonde aucune prétention en matière de libre établissement
dans un canton puisque les justiciables demeurent assujettis aux conditions fixées par les législa-
tions cantonales quand ils souhaitent s’établir pour exercer leurs activités ; ATF 125 I 276, 279 X.
HOFMANN D., p. 72.

387
La situation juridique des Tziganes en Suisse

base de l’article 95 al. 1 Cst. Cette loi avait pour objectif d’abroger les régle-
mentations cantonales en matière d’autorisations pour exercer du commerce
itinérant qui prétéritaient particulièrement la liberté économique des Tziganes
nomades suisses, et par la même occasion leur libre circulation sur le territoire
suisse1871.
1430. Or, les restrictions cantonales et communales au libre accès au marché
font perdre l’essentiel de l’intérêt de l’adoption de la LComIt. A notre sens, s’il
n’y a effectivement plus d’obstacles juridiques à l’exercice du commerce itiné-
rant sur l’ensemble du territoire suisse, les obstacles matériels sont encore suf-
fisamment lourds pour invalider les effets positifs de l’unification de la procé-
dure d’autorisation en matière de commerce itinérant.

4. L’entrée, le séjour et la sortie des Tziganes nomades


étrangers en transit en Suisse

1431. Le nomadisme transfrontalier des Tziganes itinérants est une question


importante lorsqu’il s’agit de dresser un tableau complet des questions entou-
rant la gestion du mode de vie nomade par l’ordre juridique suisse. Dès lors, il
sied de clarifier le régime juridique en vigueur à l’égard de leur entrée, de leur
séjour et de leur sortie du territoire suisse.
1432. Comme nous l’avons brièvement évoqué ci-devant, les étrangers sont
soumis à des restrictions supplémentaires en matière de liberté de circulation,
de séjour et d’établissement que les citoyens suisses. Depuis l’entrée en vi-
gueur en 2002 de l’ALCP, la réglementation applicable est toutefois distincte
selon qu’ils sont ressortissants communautaires ou non.
1433. Les Tziganes étrangers de passage en Suisse et qui pratiquent un mode
de vie nomade traditionnel sont de nationalité allemande, italienne ou fran-
çaise1872. Nous allons donc analyser cette problématique sous l’angle des règles
qui régissent le statut des ressortissants communautaires. Celles-ci sont pré-
vues pour l’essentiel par l’ALCP, la législation ordinaire du droit des étrangers
étant au demeurant applicable à titre subsidiaire, lorsque l’ALCP est muet sur
un point ou que la loi prévoit un régime plus favorable1873.
1434. Il sied de distinguer entre les questions entourant l’entrée de Tziganes
nomades communautaires en transit sur le territoire helvétique (4.1.) et celles

1871
Voir supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 2.3.
1872
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 40. Dans ce contexte, il importe de souligner que nous ne
traitons ici que des Tziganes étrangers qui pratiquent un mode de vie nomade et qui transitent par
la Suisse dans ce contexte. Dès lors, ne sont pas concernés les Tziganes étrangers présents en
Suisse à d’autre titre, en tant que requérants d’asile ou d’immigrés économiques, et qui provien-
nent, pour leur part, d’Etats tiers. Comp. ainsi le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 7, note 47.
1873
Art. 1er LSEE. ATF 130 II 493, 497 X. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 424 ; HOFMANN D., p. 406 ;
NGUYEN, p. 340.

388
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

ayant trait à leur libre circulation, à leur séjour et à leur départ une fois la fron-
tière franchie (4.2.).

4.1. L’entrée sur le territoire suisse

1435. Selon le régime ordinaire de la législation en matière de droit des


étrangers, les ressortissants étrangers doivent être munis d’un passeport vala-
ble et d’un visa pour pouvoir entrer en Suisse, quel que soit l’objectif de leur
séjour. En outre, ils ne doivent présenter aucun danger pour la sécurité de la
Suisse, ni faire l’objet d’une interdiction personnelle d’entrée sur le territoire,
et doivent présenter des garanties financières minimales1874.
1436. Sous l’ALCP, les ressortissants UE/AELE1875, ci-après « ressortissants
communautaires » bénéficient d’un régime fondamentalement distinct du ré-
gime ordinaire en matière d’entrée et de sortie du territoire suisse1876. A teneur
de l’article 3 ALCP, ils sont au bénéfice d’un véritable droit d’entrée, dès lors
qu’ils produisent une pièce d’identité valable, à l’exclusion de tout autre do-
cument1877. Tant les travailleurs salariés, les indépendants que les personnes
sans activité lucrative d’origine communautaire sont soumis à l’ALCP1878.
1437. Dès lors, contrairement au régime ordinaire, les clauses d’ordre public,
énoncées exhaustivement à l’article 5 de l’annexe I de l’ALCP, ne forment plus
des exigences dont le respect conditionne l’octroi du droit d’entrée – et subsé-
quemment de séjour – des ressortissants communautaires. La question de
l’interdiction d’entrée n’est donc plus pertinente pour pouvoir être légitimé à
pénétrer en Suisse1879.
1438. La présentation de garanties financières minimales attestant de la
capacité de l’étranger de se prendre en charge et la preuve d’une couverture
d’assurance-maladie suffisante ne peuvent plus être exigées. Sur ces deux der-
niers points, toutefois, les personnes inactives forment une exception à ce prin-

1874
Art. 1er de l’ordonnance concernant l’entrée et la déclaration d’arrivée des étrangers, du 14 janvier
1998 (OEArr ; RS 142.211 ; RO 1998 194). Comp. toutefois l’art. 4 OEArr qui énumère les cas de li-
bération de l’obligation du visa. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 465 ; NGUYEN, pp. 161-170.
1875
Les Etats parties à l’Association européenne de libre échange (AELE) ont par ailleurs amendé la
Convention instituant cette organisation de façon équivalente. Les règles prévues par l’ALCP peu-
vent donc être appliquées mutatis mutandis aux ressortissants des Etats membres de l’AELE ; FF
2001 4792. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 420.
1876
Depuis le 25 septembre 2005, l’ALCP s’applique également aux dix nouveaux Etats membres ayant
accédé à l’UE le 1er mai 2004 ; FF 2004 5523 et 6685. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 422.
1877
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 429 ; HOFMANN D., p. 405 ; NGUYEN, p. 337. Voir également l’art.
1§1 al. 1 de l’annexe I-ALCP.
1878
Art. 1 let. a et d ALCP ; voir également les art. 2 et 24 de l’annexe I-ALCP.
1879
NGUYEN, pp. 354-355.

389
La situation juridique des Tziganes en Suisse

cipe puisque, le cas échéant, elles peuvent se voir refuser l’entrée si elles ne
sont pas en mesure d’apporter ces garanties1880.
1439. En outre, l’article 3 de l’annexe I de l’ALCP prévoit le principe du re-
groupement familial en faveur des membres de la famille1881 des ressortissants
communautaires au bénéfice d’un droit d’entrée en Suisse. Ceci est valable
même si les membres de la famille sont citoyens d’un pays tiers, pour autant
qu’ils soient titulaires d’une autorisation de séjour dans un Etat partie. Ces
derniers ont ainsi le droit d’obtenir le visa éventuellement requis par le régime
ordinaire, du fait de leur nationalité, et de pénétrer sur le territoire suisse 1882.
1440. Des développements qui précèdent, nous pouvons conclure que le
droit d’entrée sur le territoire suisse est garanti aux Tziganes nomades com-
munautaires souhaitant transiter par la Suisse. Ce droit est étendu aux mem-
bres de leur famille au sens de l’article 3 al. 2 de l’annexe I-ALCP, y compris
pour celles et ceux qui auraient éventuellement une nationalité non commu-
nautaire. A ce sujet, au vu de du rôle des liens familiaux et de la forte solidarité
existant entre les générations au seins des familles tziganes, on ne peut que
souligner l’importance de pouvoir inclure, dans le cercle familial, les ascen-
dants à charge et les enfants jusqu’à 21 ans.

4.2. Le séjour et la fin du séjour

4.2.1. Le séjour

1441. La liberté d’établissement, au sens de l’article 24 al. 1 Cst., n’appartient


qu’aux Suisses. Les ressortissants communautaires sont néanmoins au bénéfice
d’un régime d’autorisation qui leur donne la possibilité de séjourner et de cir-
culer librement sur l’ensemble du territoire suisse1883. Le type d’autorisation de
séjour octroyée varie selon qu’une activité lucrative est exercée ou non, ainsi
que selon la nature de cette dernière (salariée ou indépendante) et d’après le
statut de son bénéficiaire (frontalier ou non). Dans tous les cas, ces titres sont

1880
NGUYEN, p. 355. Voir ainsi l’art. 6 ALCP et l’art. 24 de l’annexe I-ALCP.
1881
Le cercle de ces membres est défini par l’art. 3 al. 2 de l’annexe I-ALCP : il comprend le conjoint et
leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge (let. a), les ascendants et ceux du conjoints qui
sont à charge (let. b). Si le ressortissant communautaire est étudiant, seuls son conjoints et leurs
enfants à charge peuvent bénéficier du regroupement familial (let. c).
1882
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 439-440. Voir également NGUYEN, p. 356, concernant le statut des
membres de la famille qui ne sont pas des ressortissants communautaires, et notamment leur droit
à l’obtention d’un visa lorsque les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour au sens de l’ALCP
sont remplies.
1883
Les conditions entourant l’établissement stricto sensu continuent de relever du régime ordinaire de
la LSEE, le cas échéant par les traités bilatéraux existant en la matière. Voir ainsi l’art. 5 OLCP.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 430 ; HOFMANN D., p. 406 ; NGUYEN, pp. 359-360.

390
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

de nature constatatoire, car le droit de séjour existe indépendamment de


l’octroi de l’autorisation1884.
1442. Pour déterminer à quel régime juridique est assujettie la présence des
Tziganes communautaires, nous nous focaliserons sur les ressortissants com-
munautaires, non frontaliers1885, effectuant de brefs séjours en Suisse, dans une
optique d’exercer ou non une activité lucrative indépendante1886. En effet, les
Tziganes étrangers en transit ne restent généralement que quelques jours en
Suisse. De plus, à l’instar des Tziganes nomades suisses, ceux de nationalité
étrangère sont des indépendants qui exercent des métiers artisanaux1887.
1443. Dès lors, nous distinguerons entre la réglementation applicable aux
courts séjours à l’occasion desquels une activité économique indépendante est
exercée (a), et celle valable lorsqu’aucune activité lucrative n’est déployée (b).
Nous conclurons pas quelques mots au sujet de la mobilité géographique des
Tziganes nomades communautaires sur le territoire suisse et les possibilités
d’accueil à leur égard (c).

a) Le séjour effectué pour exercer une activité lucrative


indépendante

1444. Les articles 4 ALCP et 2 de l’annexe I-ALCP octroient non seulement le


droit de séjour sur le territoire suisse, mais également le droit d’accès à une ac-
tivité économique. Garantissant tant le libre accès que le libre exercice de cette
activité à toute personne physique, ces dispositions ont également pour consé-
quence d’élargir le champ d’application personnel et spatial de la liberté éco-
nomique, au sens de l’article 27 Cst., quelle que soit l’activité exercée1888.
1445. Lorsque des Tziganes nomades communautaires entrent en Suisse
pour exercer l’un de leurs métiers indépendants, ils sont soumis au régime ap-
plicable aux prestataires de services transfrontaliers. En effet, les Tziganes no-
mades étrangers en transit exercent des activités qui entrent dans la notion
large de « services », recouvrant les activités commerciales, artisanales et les

1884
NGUYEN, pp. 358-359.
1885
Comp. les art. 7 § 1 et 13 § 1 de l’annexe I-ALCP : est qualifié de frontalier le ressortissant commu-
nautaire « qui a sa résidence sur le territoire d’une partie contractante et qui exerce une activité […]
sur le territoire de l’autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour,
ou au moins une fois par semaine. » Ce cas de figure est en l’occurrence inapplicable aux Tziganes
nomades.
1886
Pour un aperçu détaillé de la nature juridique et de la typologie des différentes autorisations de sé-
jour octroyées sous le régime de l’ALCP, voir NGUYEN, pp. 358-391. Voir également
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), NN. 430-438.
1887
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 40 ; Partie II, p. 7.
1888
HOFMANN D., pp. 406-408.

391
La situation juridique des Tziganes en Suisse

professions libérales »1889, sans pour autant s’établir sur le territoire helvéti-
que1890.
1446. Le régime prévu à l’article 5 ALCP impose de déterminer, dans un pre-
mier temps, si les Tziganes nomades communautaires bénéficient du droit de
fournir leurs services, au sens de l’article 5 § 1 ALCP, autrement dit, s’ils jouis-
sent de la libre circulation des services. En effet, à teneur de l’article 5 § 2
ALCP, si l’intéressé a le droit de fournir ses services, il est alors titulaire d’un
droit de séjour.
1447. De ce fait, seul l’aspect économique des règles ordinaires du droit des
étrangers lui est alors applicable, à l’exclusion de celui touchant à la police des
étrangers. En l’occurrence, dès lors que la durée des prestations effectuées par
des Tziganes nomades communautaires en transit ne dépasse pas 90 jours par
année civile, ils sont au bénéfice du droit de les fournir et donc du droit de sé-
journer en Suisse1891.
1448. Depuis le 1er juin 2004, la Suisse et ses partenaires communautaires
sont entrés dans la deuxième phase d’application de l’ALCP, qui en compte
trois au total1892. Avant cette date, le droit de séjour pour les prestataires de
services fournis sur une période inférieure à 90 jours n’était pas acquis ex lege.
En effet, ils demeuraient soumis à l’obligation d’obtenir une autorisation de sé-
jour de courte durée, analogue à celle de l’article 13 let. d OLE1893. Dès cette
date, cette exigence est non seulement tombée, mais les prestataires de services
ont également été libérés des limitations qualitatives imposées durant la pre-
mière phase d’application de l’ALCP, aux termes des articles 5 §4 ALCP et 10 §
2 de l’annexe I-ALCP1894.
1449. A teneur de l’article 20 § 1 ALCP, à l’instar des autres prestataires de
services communautaires, les Tziganes nomades en transit bénéficient du ré-
gime de libéralisation partielle des services prévue par l’ALCP1895. En effet, ils
peuvent désormais exercer leurs activités lucratives sans devoir requérir
d’autorisation, ni pour fournir leurs services, ni pour demeurer en Suisse, lors-
que leur temps de présence sur le territoire helvétique ne dépasse pas 90 jours
par année. Ils sont toutefois assujettis à une obligation de déclaration1896.

1889
Message du Conseil fédéral relatif aux accords bilatéraux, FF 1999 5490, 5618.
1890
Dans ce sens également, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 44.
1891
NGUYEN, pp. 382-383.
1892
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 447.
1893
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 434 ; NGUYEN, p. 384.
1894
A teneur de l’art. 10 § 2 ALCP, ces limitations donnaient la priorité au travailleur intégré sur le mar-
ché du travail interne et exigeaient de procéder à un contrôle des condition de salaire et de travail.
Sur ce point, NGUYEN, pp. 385-386, souligne la difficulté pour établir ces comparaisons dans le do-
maine de la prestation de services fournie par des indépendants.
1895
HOFMANN D., pp. 408-409 .
1896
NGUYEN, pp. 384-387. Voir également AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 434.

392
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

b) Le séjour effectué sans exercice d’une activité lucrative

1450. Comme nous l’avons déjà évoqué, les ressortissants communautaires


n’exerçant aucune activité lucrative ont un droit de séjour sur le territoire
suisse. En raison du caractère particulièrement bref des séjours des Tziganes
nomades en transit, nous nous concentrons ici sur les conditions entourant le
séjour ne dépassant pas trois mois successifs1897.
1451. Dans cette hypothèse, le régime de l’ALCP est muet. Il est donc néces-
saire de renvoyer aux règles ordinaires du droit des étrangers. L’article 10 al. 1
LEtr prévoit qu’aucune autorisation de séjour n’est nécessaire pour les person-
nes entrées légalement sur le territoire, sans activité lucrative, et qui ne demeu-
rent pas plus de trois mois de suite en Suisse1898.

c) La mobilité géographique des Tziganes communautaires en


Suisse

1452. Après avoir posé le principe du droit de séjour et de la liberté de circu-


lation sur l’ensemble du territoire suisse pour les Tziganes nomades commu-
nautaires en transit (ca), nous analyserons les contraintes logistiques devant
être prises en considération en matière de stationnement des convois de cara-
vanes étrangères (cb).

ca) Le droit de séjourner sur l’ensemble du territoire


1453. Aucune disposition de l’ALCP ne traite spécifiquement de la mobilité
géographique des prestataires de services, ni de celle des inactifs non soumis à
l’obligation de posséder une autorisation de séjour1899. Face à ce silence, on se
référera aux normes générales en la matière que sont les articles 7 let. b ALCP
et 20 § 3 de l’annexe I-ALCP, qui prévoient que le droit de séjour s’étend sur
l’ensemble des territoires des Etats parties1900. Par ailleurs, le principe de
l’interdiction de la discrimination, consacré à l’article 2 ALCP, garantit aux res-

1897
Le régime des personnes inactives est couvert par les art. 3 de l’annexe I-ALCP (membres de la fa-
mille bénéficiant du regroupement familial), art. 4 de l’annexe I-ALCP (ressortissants demeurant
dans un Etat partie après la cessation de leurs activités lucratives), 5 § 3 ALCP et 23 de l’annexe I-
ALCP (destinataires de services). En sus de ces normes couvrant des situations particulières, il faut
également se référer à l’art. 24 de l’annexe I-ALCP. Celui-ci encadre les conditions du séjour des
inactifs qui sont en mesure de subvenir à leurs besoins financiers et en matière d’assurances socia-
les. Voir NGUYEN, pp. 392-394.
1898
Ce régime reprend celui instauré par la LSEE ; comp. ainsi l’art. 2 LSEE. NGUYEN, pp. 170-171 et
393.
1899
Art. 24 § 7 de l’annexe I-ALCP a contrario.
1900
NGUYEN, p. 386 ; voir également p. 145.

393
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sortissants communautaires le même traitement que les citoyens suisses en


matière de libre circulation sur l’ensemble du territoire helvétique1901.
1454. Ainsi, les Tziganes nomades communautaires en transit jouissent
d’une pleine égalité de traitement en matière de séjour et de circulation par
rapport aux citoyens suisses. En conséquence, les développements que nous
avons effectués ci-dessus, relatifs à la libre circulation des Tziganes nomades
suisses sur le territoire helvétique et à leur droit de séjourner dans toutes les
communes du pays, sont valables à leur égard, sans qu’il soit possible de leur
apporter des restrictions juridiques supplémentaires. Des contraintes matériel-
les supplémentaires encadrent toutefois les conditions du stationnement des
caravanes en transit.

cb) Le stationnement des caravanes en transit


1455. Le nomadisme tzigane ne peut s’exercer que si non seulement la libre
circulation est juridiquement garantie, mais aussi matériellement possible.
Nous venons d’établir qu’à l’égard des Tziganes nomades communautaires, le
droit consacre cette libre circulation. A présent, il convient d’analyser les
conditions concrètes de leur séjour en matière de stationnement de leurs cara-
vanes.
1456. Premièrement, les Tziganes nomades suisses doivent bénéficier d’une
offre adéquate dans le domaine du stationnement temporaire, mais également
durable. Deuxièmement, pour répondre à leurs besoins en matière de droit de
séjour sur l’ensemble du territoire, des solutions alternatives aux aires officiel-
les doivent être élaborées1902. Toutefois, à l’égard des convois étrangers de
caravanes de passage, la question se pose différemment.
1457. En effet, seule une offre suffisante en matière de places de transit doit
être constituée, à l’exclusion de places de stationnement durable. De plus, ces
convois sont de taille beaucoup plus importante que ceux des Tziganes noma-
des suisses, puisqu’ils comprennent entre trente et cinquante véhicules.
1458. Leur stationnement pose donc des questions logistiques différentes
pour les autorités communales et qui imposent nécessairement la création de
places possédant les infrastructures requises1903. De plus, l’emplacement géo-
graphique de ces aires diffère de celles destinées aux Tziganes nomades suis-
ses, puisqu’elles doivent notamment se trouver le long des axes autoroutiers
empruntés pour traverser la Suisse1904.
1459. Dans ce contexte, il n’est pas possible de développer des solutions al-
ternatives permettant un stationnement de courte durée hors des aires spécifi-

1901
NGUYEN, p. 347.
1902
Supra Section 2.2.
1903
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 6-7.
1904
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 10.

394
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

quement prévues à cet effet. De plus, celles qui sont destinées aux Tziganes
nomades étrangers doivent être distinctes de celles prévues pour les Tziganes
nomades suisses : les deux types d’offres se complètent et sont nécessaires
l’une et l’autre.
1460. A teneur des rapports d’expertise, il n’existe actuellement que neuf
grandes aires de transit à destination des Tziganes étrangers de passage ; les
rapports évaluent les besoins en la matière à vingt aires au total : à l’heure ac-
tuelle, l’offre n’atteint donc pas la moitié du nombre requis1905. Or, le station-
nement illicite hors de ces aires a des effets particulièrement lourds sur la ges-
tion du mode de vie nomade d’une manière générale en Suisse. En effet, nous
avons déjà eu l’occasion de souligner que ce sont avant tout les conflits générés
par les arrêts illicites des convois étrangers qui créent les réticences des autori-
tés locales à accueillir les Tziganes nomades suisses1906. C’est pour cette raison
que le facteur de l’accueil des Tziganes nomades étrangers fait partie inté-
grante de la politique que les autorités sont appelées à développer à l’égard de
la communauté tzigane suisse1907.
1461. En conséquence, la nécessité de créer des places de stationnement ap-
propriées, qui découle non seulement de la nature brève de leur séjour, mais
également de la taille importante de leurs convois, a pour effet que les possibi-
lités matérielles de séjour des Tziganes communautaires en transit sont néces-
sairement plus restreintes que celles des Suisses. Cette restriction apportée à
leur liberté de circulation ne sera toutefois proportionnée que lorsque le nom-
bre minimal de places répondant spécifiquement à leurs besoins logistiques
aura été atteint.

4.2.2. La fin du séjour

1462. Nous avons conclu qu’en tant que ressortissants communautaires de-
meurant moins de trois mois en Suisse, les Tziganes nomades étrangers en
transit ne sont pas assujettis à l’obligation de posséder un titre de séjour. Dès
lors, lorsqu’elle n’est pas volontaire, la fin de celui-ci ne peut pas prendre la
forme d’une révocation du titre de séjour ou d’un refus de prolongation1908.
Seule demeure l’hypothèse des mesures d’éloignement du territoire, applica-
bles à l’égard de tous les étrangers, qu’ils soient communautaires ou non1909, et
valables pour l’ensemble de la Suisse1910.

1905
Rapport d’expertise 2001, pp. 24ss ; Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 9-10.
1906
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 9.
1907
Voir ainsi les travaux entrepris par la Fondation « Assurer l’avenir des Gens du voyage suisses »,
rapportés dans le Message du Conseil fédéral du 10 mars 2006 relatif à l’octroi d’un crédit de finan-
cement pour les années 2007-2011, FF 2006 2957-2960.
1908
Art. 23 al. 1 OLCP a contrario. Comp. également l’art. 6 al. 6 de l’annexe I-ALCP.
1909
FF 1999 VI 5617. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 442.
1910
Art. 24 OLCP.

395
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1463. Toutefois, en tant qu’entrave à la libre circulation des personnes,


l’éloignement n’est admis que dans les conditions fixées par l’ALCP, c’est-à-
dire uniquement pour des motifs prévus par le droit communautaire, à savoir
l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique, tout en précisant
qu’une seule condamnation pénale n’est pas suffisante en soi pour légitimer le
renvoi1911. Ainsi, selon le Tribunal fédéral, l’éloignement fondé sur des motifs
de sécurité publique implique la présence d’une menace réelle et présentant
une certaine gravité1912.

E. Appréciation

1464. Le présent chapitre a démontré l’apport nécessaire des libertés indivi-


duelles en tant que sources de protection du mode de vie traditionnel nomade.
De par leur portée spécifique, elles permettent d’affiner et de détailler la na-
ture de la protection juridique existant à l’égard du mode de vie itinérant des
Tziganes dans le cadre du droit des minorités.
1465. Il ressort de notre analyse que cet apport particulier n’est pas évident à
déterminer. Droit au respect du domicile, droit au respect de la vie privée et
familiale, droit à un logement adéquat, liberté de mouvement, liberté
d’établissement, liberté économique : toutes ces garanties ont certes fait l’objet
de jurisprudences nationales et internationales abondantes qui ont fait évoluer,
à travers les années, leur portée et la nature des droits et obligations à charge
des autorités. Celles-ci ne peuvent généralement plus se contenter d’une atti-
tude passive et doivent au contraire adopter une démarche active pour respec-
ter leurs engagements.
1466. Toutefois, jusqu’à récemment, ces pratiques ne traitaient pas de
l’hypothèse du nomadisme tzigane. Dès lors, basées sur un contexte séden-
taire, elles n’ont pas eu l’occasion de définir ce que ces différentes garanties
peuvent apporter à des particuliers vivant de façon itinérante. En conséquence,
les différentes conclusions auxquelles nous sommes parvenue doivent encore
être testées et confirmées à l’avenir.
1467. Nous avons montré que tous les éléments nécessaires à la pratique du
nomadisme sont protégés par une ou plusieurs libertés individuelles qui ap-
portent chacune des éléments complémentaires. Saisies de la question, les au-
torités – législatives, administratives ou judiciaires – ne peuvent pas se conten-
ter de résoudre le problème en ne l’abordant que sous un seul angle
d’approche.

1911
NGUYEN, p. 621.
1912
ATF 130 II 493, 498 X. ; 130 II 176, 182 X. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 442.

396
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

1468. Chaque liberté en cause offre des garanties particulières qui doivent
être prises en considération lorsque des mesures de soutien, ou au contraire
restrictives, sont envisagées ou doivent être analysées a posteriori. En ce sens,
chacune constitue une source importante qui ne doit pas être écartée au profit
de la seule interdiction de la discrimination ou du droit au respect de la vie
privée et familiale.
1469. Ainsi, la création de places de stationnement doit non seulement ré-
pondre aux exigences quantitatives et qualitatives du droit à un logement adé-
quat, mais doit également être réalisée de manière à ce que la liberté économi-
que de leurs occupants soit respectée en leur permettant d’exercer leurs activi-
tés lucratives et leur garantissant l’accès au marché. L’éviction d’un terrain de
stationnement doit non seulement répondre aux conditions posées par le droit
à un logement adéquat, mais les autorités communales en cause doivent éga-
lement veiller aux conséquences qu’un renvoi sur un terrain dans une autre
commune peut avoir sur la liberté d’établissement et la liberté de circulation
des intéressés.
1470. De même, on constate que la pratique habituelle donne priorité à la li-
berté économique face à la liberté d’établissement lorsque toutes deux sont en
cause. Or, le fait que l’itinérance traditionnelle tzigane inclut, mais ne se limite
pas à des objectifs économiques, ne permet pas de faire l’impasse sur la se-
conde. En effet, le cas échéant, une partie de la problématique – par exemple
les impacts sociaux et familiaux liés à l’impossibilité de séjourner ou de
s’établir– est alors occultée.
1471. Nous avons pu constater que ces libertés présentent des liens si étroits
dans le contexte du nomadisme qu’il est souvent difficile de déterminer la-
quelle conditionne l’exercice de l’autre. En effet, les obstacles matériels qui
empêchent, par exemple, d’accéder physiquement à une commune, voire à un
canton, au moyen d’une caravane constituent, dans un premier temps, une in-
gérence dans la liberté de mouvement des intéressés, puis, par ricochet, dans
leur liberté d’établissement et leur liberté économique1913.
1472. Par ailleurs, lorsque des places de stationnement sont fermées, ou
converties en camping, ou que des terrains occupés illicitement sont évacués et
que, faute d’alternative, les principaux concernés doivent quitter la commune
concernée, voire le canton. Si ce sont en premier lieu le droit à un logement
adéquat et la liberté d’établissement qui sont alors remis en cause, la liberté
économique et la liberté de mouvement sont elles aussi immédiatement res-
treintes.
1473. Une autre raison pousse à ne pas restreindre l’analyse d’un cas
d’espèce à un grief. Bien qu’ayant de nombreux points communs dans le
contexte de la jurisprudence européenne, les garanties offertes par le droit au

1913
BAUMANN, p. 530, note 197.

397
La situation juridique des Tziganes en Suisse

respect du domicile, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit


au logement doivent être clairement distinguées dans le contexte du mode de
vie traditionnel tzigane.
1474. En effet, les enjeux de ces garanties sont distincts et leurs poids respec-
tifs face aux intérêts publics qu’on peut leur opposer diffèrent. Ainsi, lors de la
pesée des intérêts, la protection du domicile cède systématiquement face aux
impératifs de l’aménagement du territoire1914. Au contraire, l’inclusion de la
protection de la vie privée et familiale dans l’équation modifie les exigences à
l’égard des autorités1915.
1475. L’ensemble des facteurs qui composent l’exercice du mode de vie no-
made sont donc protégés par des libertés individuelles bien connues de la pra-
tique et du législateur. Selon la théorie classique des libertés, toute ingérence
doit être légitimée, sous peine de se transformer en violation1916. Les raisons
avancées par les autorités locales qui refusent le stationnement de caravanes
démontrent que le stationnement illicite de celles-ci est en règle générale tou-
jours considéré uniquement sous l’angle du trouble à l’ordre public.
1476. L’autre versant de la problématique, à savoir l’exercice d’un mode de
vie juridiquement protégé par un nombre considérable de droits fondamen-
taux, n’est pas pris en considération dans la majorité des cas. La nécessité de
résoudre le conflit en respectant les exigences de l’article 36 Cst., et notamment
le principe de proportionnalité, n’est donc logiquement pas encore entré dans
les moeurs. De fait, l’intérêt et l’apport des libertés individuelles pour le no-
madisme demeurent, pour l’essentiel et dans le quotidien des principaux inté-
ressés, lettre morte.
1477. Le changement d’approche qui s’impose ne pourra être induit que par
une meilleure sensibilisation et information des acteurs concernés. Ce constat
renvoie à nos développements relatifs à l’importance d’une pleine application
du droit des minorités pour l’intégration des besoins culturels de la minorité
tzigane et pour parvenir à un renversement de perspective dans l’approche de
la problématique1917. Il met également en avant l’intérêt de campagnes
d’information, dans le cadre de la lutte contre les discriminations, visant à dé-
manteler les préjugés1918.
1478. En outre, on ne saurait négliger l’impact que peut avoir l’intervention
du juge constitutionnel sur cette pratique : les importantes conséquences de
l’arrêt Bittel1919 en matière d’aménagement du territoire témoignent des effets

1914
Voir l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions
1996-IV, §76 et § 84.
1915
ROSENBERG (2001), pp. 1026-1027.
1916
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 146.
1917
Supra Chapitre I, Section B, 2.
1918
Supra Chapitre II, Section B, 4.
1919
ATF 129 II 321 Bittel.

398
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques

qu’une seule décision de principe peut avoir dans le cadre de notre probléma-
tique. Pour parvenir à ce résultat, cependant, les principaux intéressés doivent
connaître leurs droits et saisir les tribunaux, ce qui n’est pas non plus encore
entré dans leurs propres habitudes. Dès lors, un travail d’information et de
sensibilisation doit également être effectué auprès des membres de la minorité
tzigane suisse.

399
La situation juridique des Tziganes en Suisse

400
Titre Troisième - Synthèse et conclusion

Synthèse et conclusion

1479. L’objectif du présent Titre a été de déterminer la portée, pour les Tzi-
ganes en Suisse, du droit des minorités, d’une part, et des droits individuels,
d’autre part. L’applicabilité du droit des minorités aux Tziganes suisses
s’avère ainsi un complément nécessaire pour garantir la protection pleine et
entière des droits des membres de cette communauté, et en particulier celles et
ceux vivant selon leur mode de vie nomade.
1480. En effet, le droit des minorités pose le principe de la protection du
groupe minoritaire lui-même et impose en conséquence des obligations parti-
culières à l’Etat pour que la minorité puisse trouver sa place au sein de la so-
ciété civile et de l’ordre juridique de l’Etat dans lequel elle évolue, à travers no-
tamment la consultation et la participation systématiques de ses membres aux
processus qui la concernent.
1481. Du fait de l’histoire particulière de la minorité tzigane suisse par rap-
port aux autres minorités historiques helvétiques, le droit des minorités, dans
ses dimensions objective et subjective, est loin de constituer une source annexe,
analogue au système individuel des droits de l’homme. Bien plus, elle offre à
cette communauté le socle indispensable pour faire admettre la validité de ses
spécificités identitaires, reconnaître ses besoins et intégrer la société civile.
1482. Il est donc nécessaire d’appliquer à l’égard des Tziganes aussi bien sa
facette individuelle que collective, ainsi que d’adopter des mesures destinées à
soutenir leur communauté et à perpétuer leur identité. Il faut prendre en
considération l’impact de mesures individuelles sur le groupe dans son en-
semble et ne pas analyser un cas d’espèce en ne voyant dans l’expression de
l’identité minoritaire qu’une simple préférence personnelle1920.
1483. Nous avons également pu constater l’importance primordiale du prin-
cipe général d’égalité, et notamment de l’interdiction de la discrimination,
pour la protection juridique des Tziganes en général, et de ceux pratiquant le
nomadisme en particulier. Exigeant des autorités qu’elles soient sensibles aux
cas de discriminations indirectes, mais aussi à celles directes cachées, cette ga-
rantie de l’Etat de droit prend également une signification particulière dans le
cadre de notre problématique, lorsqu’elle vise à lutter contre la discrimination
raciale.
1484. Formant un groupe minoritaire extrêmement vulnérable, ayant fait
l’objet de politiques et de pratiques discriminatoires par le passé, mais toujours
victimes de stéréotypes et de préjugés portant atteinte à leur dignité humaine,
les Tziganes suisses doivent bénéficier de l’ensemble des mesures qu’impose le
principe général d’égalité. Parmi celles-ci se trouvent également des mesures

1920
Supra Chapitre I, Section C, 2.2.2.

401
La situation juridique des Tziganes en Suisse

positives permettant de réaliser l’égalité en fait des membres de cette minorité,


condition préalable à la réalisation de leur égalité en droit.
1485. Ainsi, les lacunes juridiques et matérielles en matière de possibilités de
stationnement légal empêchent les Tziganes nomades suisses de jouir de leur
liberté d’établissement, du fait de leur mode de vie, de la même manière que
les sédentaires. Par ailleurs, si les autorités doivent veiller à démanteler les dis-
criminations structurelles existantes, elles doivent également éviter d’en créer
de nouvelles, en étant par exemple sensibles aux risques de ségrégation liés à
la création de places de stationnement se situant à l’écart des réseaux socio-
économiques1921.
1486. Si le droit des minorités et le principe général d’égalité s’appliquent à
l’ensemble de la minorité tzigane suisse, nous avons pu établir que les droits
des membres de la fraction nomade de cette communauté étaient également
protégés par de nombreux droits individuels. Les ayant interprétés à l’aune
des spécificités du nomadisme, nous avons pu conclure que les autorités
avaient, dans ce contexte aussi, une série d’obligations à l’égard des Tziganes
nomades.
1487. En conséquence, leurs caravanes, mais également le terrain où elles
stationnent, doivent être pleinement considérés comme des lieux d’habitation
et doivent être protégés comme tels par le droit au respect du domicile. Selon
le droit à un logement adéquat, l’évacuation de terrains occupés, illicitement
ou non, doit répondre aux exigences imposées par la pratique internationale
en matière d’éviction d’immeubles de sédentaires. Il est notamment indispen-
sable que des alternatives en matière de relocalisation soient concrètement
disponibles et acceptables. En effet, l’Etat doit s’assurer que les conditions de
logement respectent les garanties minimales en matière de salubrité et
d’infrastructures1922.
1488. En outre, plusieurs libertés individuelles protègent le fait même de
voyager. Les libertés de mouvement, d’établissement et économique garantis-
sent aux Tziganes suisses nomades la possibilité de se déplacer, de travailler,
de séjourner et de s’établir dans n’importe quelle commune de Suisse, sans que
la structure fédérale de la Suisse ne soit un obstacle.
1489. A cet effet, nous avons eu l’occasion de souligner l’importance du
maintien, et même de la consécration légale, des haltes dites « spontanées »,
hors des aires officielles, avant tout de manière à concrétiser la liberté
d’établissement des Tziganes suisses, mais également pour éviter tout phéno-
mène de « ghettoïsation » des membres nomades de la communauté tzigane
suisse. Depuis l’entrée en vigueur de l’ALCP, cette liberté de circulation et de
séjour est également reconnue aux Tziganes communautaires en transit.

1921
Supra Chapitre II, Section B, 4.
1922
Supra Chapitre III, Section C, 2.2. et 2.3.

402
Titre Troisième - Synthèse et conclusion

1490. Or, les difficultés matérielles et juridiques rencontrées pour pouvoir


stationner légalement une caravane s’opposent à un exercice de ces libertés
sans écueil disproportionné. Les effets de la combinaison du droit des minori-
tés, du principe général d’égalité et des libertés individuelles transparaissent
dans la nécessité, pour les autorités, de faire preuve de tolérance dans certaines
situations de stationnement illicite. En effet, nous avons eu plusieurs fois
l’occasion de défendre l’idée que, dans certaines circonstances, lorsque des in-
térêts dirimants ne s’y opposent pas, les autorités compétentes devraient faire
preuve de retenue lorsqu’elles envisagent d’évacuer un terrain pour mettre fin
à une violation du droit1923.
1491. Cet argument est extrêmement délicat et ne peut être employé qu’avec
prudence. A notre sens, il est toutefois théoriquement admissible et il se justifie
de l’employer du fait que l’on se trouve dans un contexte où tant le droit des
minorités que le principe général d’égalité imposent des obligations strictes à
l’égard des autorités. En effet, celles-ci doivent prendre des mesures pour
permettre aux Tziganes nomades de vivre selon leur identité traditionnelle de
manière licite.
1492. A l’instar du juge BONELLO dans son opinion dissidente à l’arrêt Chap-
man1924, nous considérons que si un particulier est au bénéfice du droit
d’exercer son mode de vie protégé sans subir de discrimination, il ne doit pas
être sanctionné lorsqu’il le fait de manière illicite en raison des manquements
des autorités à son égard. Bien sûr, cette tolérance n’est pas applicable en tou-
tes circonstances, par exemple s’il existe des alternatives objectivement et sub-
jectivement acceptables, ou si des intérêts contraires dirimants s’opposent ca-
tégoriquement à cette solution. Toutefois, dans ce contexte également, une pe-
sée particulièrement attentive des intérêts en présence s’impose.
1493. Droit des minorités, principe général d’égalité, libertés individuelles :
les Tziganes suisses, et en particulier ceux qui exercent leur mode de vie tradi-
tionnel, sont au bénéfice d’un nombre important de garanties qui protègent
leur identité minoritaire. Sans une mise en oeuvre concrète, toutefois, cette
protection juridique importante et renforcée ne présente que peu d’utilité.
Dans la quatrième et dernière partie de cette étude, nous allons donc analyser
de quelle manière il est possible de les concrétiser.

1923
Notamment supra Chapitre III, Section C, 2.3.2.
1924
Opinion dissidente individuelle du juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC],
n° 27238/95, CEDH 2001-I.

403
La situation juridique des Tziganes en Suisse

404
Titre quatrième:
L’intégration des droits fondamentaux
des Tziganes dans le droit
ordinaire suisse

Introduction

1494. L’objectif du présent Titre est de déterminer de quelle manière les dif-
férents droits fondamentaux que nous avons analysés sont intégrés dans le
droit ordinaire suisse. Nous tâcherons d’identifier les lacunes et le potentiel
que la législation en vigueur possède pour les réaliser de façon satisfaisante. A
cet effet, nous avons sélectionné plusieurs problèmes saillants, mettant en
cause l’intégration de l’identité minoritaire tzigane dans l’ordre juridique.
1495. Nous débuterons par un examen approfondi de la question centrale et
délicate du stationnement des caravanes tziganes au regard du droit de
l’aménagement du territoire et du droit des constructions (Chapitre I). Nous
continuerons avec une étude de la compatibilité de l’exigence de posséder un
domicile avec l’exercice du mode de vie nomade (Chapitre II). Nous analyse-
rons ensuite de quelle manière la scolarité obligatoire des enfants cohabite
avec les exigences culturelles des Tziganes, en particulier nomades (Chapitre
III). Enfin, nous étudierons le statut de la langue jénisch dans le contexte de la
politique linguistique de la Confédération (Chapitre IV).

405
406
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

Chapitre I: Nomadisme tzigane et stationnement


des caravanes

1496. Nous avons conclu que l’exercice serein du mode de vie nomade des
Tziganes exige au préalable que le stationnement des caravanes puisse être ef-
fectué légalement sur le territoire de l’ensemble des communes suisses1925. Le
nœud et la clé de la problématique résident donc dans l’adaptation des normes
en matière d’aménagement du territoire et du droit des constructions. En effet,
l’aménagement du territoire a pour principal objectif de parvenir à une utilisa-
tion du sol qui permette d’articuler de façon convenable la multitude des re-
vendications formulées à son égard1926.
1497. Ce n’est toutefois qu’avec la jurisprudence Bittel du Tribunal fédé-
ral1927 que les revendications des Tziganes nomades en matière d’usage du sol
ont acquis en Suisse une légitimité jusqu’alors inconnue1928. Une fois le prin-
cipe de la prise en compte des besoins des Tziganes nomades posé et admis, il
reste à déterminer quel sens concret il convient de lui donner au regard de la
répartition des compétences entre les différentes collectivités, ainsi que des ins-
truments en matière d’aménagement du territoire et du droit des construc-
tions.
1498. La problématique est complexe et ne peut être résolue d’une seule ma-
nière. En effet, les problèmes juridiques diffèrent selon que sont en cause les
conditions entourant la création de nouvelles places, ou qu’il s’agit de gérer
une situation de stationnement hors d’un lieu prévu à cet effet. En outre, dans
certains cantons, les normes générales en matière de construction sont complé-
tées par des dispositions touchant spécifiquement le stationnement des roulot-
tes tziganes ; nous les examinerons donc également pour déterminer leur ap-
port aux règles générales.
1499. Nous commencerons par rappeler les grands principes régissant le
droit de l’aménagement du territoire et du droit des constructions (A.). Dans
une seconde étape, nous examinerons dans quelles circonstances les caravanes
tziganes peuvent être qualifiées de « constructions », au sens de l’article 22
LAT, et à quelles conditions elles peuvent être soustraites à l’assujettissement à
l’autorisation de construire (B.). Troisièmement, nous traiterons de la question
de la création d’aires de stationnement, en déterminant de quelle manière les
instruments de la planification doivent prendre en compte les droits fonda-
mentaux des Tziganes (C.), puis en analysant à quelles conditions il est envisa-

1925
Supra Titre Troisième, Chapitre III.
1926
MOOR (Introduction), N. 81-89 et 108; SCHMID, p. 15 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 19.
1927
ATF 129 II 321 Bittel.
1928
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2.2.

407
La situation juridique des Tziganes en Suisse

geable d’aménager des aires hors d’une zone à bâtir (D.). Enfin, nous discute-
rons de la participation et du droit de recours des Tziganes dans le cadre du
droit de l’aménagement du territoire (E.).

A. Le droit de l’aménagement du territoire et de la


construction: généralités

1. Les buts et les principes de l’aménagement du territoire


et du droit de la construction

1500. L’aménagement du territoire englobe la réglementation de l’utilisation


du sol et la coordination de toutes les activités ayant une incidence spatiale.
Les articles 75 alinéa 1 Cst., ainsi que 1 et 3 LAT, expriment premièrement ses
buts, soit une utilisation judicieuse et mesurée du sol, une occupation ration-
nelle du territoire et la séparation entre zones constructibles et non constructi-
bles1929. Deuxièmement, ils posent ses principes directeurs, soit la protection
du milieu naturel, la création et le maintien du milieu bâti, le développement
de l’ensemble du pays et le maintien des sources d’approvisionnement1930.
Buts et principes s’imposent lors de l’adoption de tout acte ayant un impact
sur l’organisation du territoire1931.
1501. Les buts et les principes régissant l’aménagement du territoire doivent
être pris en considération aussi bien dans l’acte de planification lui-même que
lors de l’application concrète du droit, en offrant une grille d’interprétation
pour les normes indéterminées ou en encadrant la marge d’appréciation de
l’autorité compétente1932. C’est à leur aune que le processus de définition des
zones à bâtir, au sens de l’article 15 LAT, doit notamment s’effectuer1933. Toute-
fois, leur importance est relativisée par le fait que plusieurs principes et buts
poursuivent des objectifs contradictoires. Dès lors, ils ne peuvent pas être pris
en compte de manière absolue, mais uniquement par le biais d’une pesée at-
tentive des intérêts1934.

1929
HÄNNI (2002), pp. 81-85 ; RUCH (Einleitung), N. 7-10 ; TSCHANNEN (art. 1), N. 12-14; ZEN-
RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 19-22, ainsi que pp. 50-62. Voir également le commentaire de l’art. 1 LAT
effectué par WALDMANN/HÄNNI.
1930
HÄNNI (2002), pp. 81-82; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 59-61 ;
1931
HÄNNI (2002), p. 80 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 3), N. 3-4 ; TSCHANNEN (art. 1), N. 6 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-
ECABERT, p. 50.
1932
HÄFELIN/MÜLLER, N. 357-358 ; HÄNNI (2002), p. 86 ; JOST (2000), p. 34 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT,
pp. 54-57.
1933
Arrêt du 13 août 2001, cause 1P.218/2001 ; ATF 115 Ia 350, 353 Itin AG ; ATF 114 Ia 364, 368 Ob-
felden. FLÜCKIGER (art. 15), N. 14 ; JOST (2000), p. 33.
1934
JOST (2000), pp. 34-35.

408
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1502. Ainsi, une pluralité d’intérêts publics et privés disparates coexistent et


doivent être intégrés dans les processus décisionnels touchant à
l’aménagement du territoire. Les intérêts à prendre en compte à tous les stades
de la planification et de l’autorisation de construire sont donc multiples et
complexes1935. A titre d’exemple, l’environnement au sens large doit être pré-
servé1936 et les lieux d’habitation doivent être protégés contre les atteintes qui
peuvent leur nuire1937.
1503. L’article 3 de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin
20001938 souligne l’importance de la pesée des intérêts. Ainsi, l’autorité qui bé-
néficie d’une marge d’appréciation doit « déterminer les intérêts concernés »
(let. a), apprécier « ces intérêts notamment en fonction du développement spa-
tial souhaité et des implications qui en résultent » (let. b), et fonder sa décision
« sur cette appréciation, en veillant à prendre en considération, dans la mesure
du possible, l’ensemble des intérêts concernés »1939.
1504. En outre, la pluralité des intérêts en cause, des réglementations ainsi
que des autorités susceptibles d’être concernées par un seul projet, a pour
conséquence que sa réalisation exige la délivrance d’un nombre important de
décisions séparées, rendant la procédure complexe1940. Afin d’éviter la surve-
nance de décisions contradictoires ou lacunaires, la LAT1941 impose aux autori-
tés de procéder à une coordination aussi bien matérielle1942 que formelle1943
lors de l’adoption des plans d’aménagement et de l’octroi des autorisations de
construire1944. Le principe de coordination permet ainsi d’assurer une applica-

1935
MOOR (Introduction), N. 86-87.
1936
On entend ici la protection du sol, de l’air, de l’eau, de la forêt et du paysage ; voir TSCHANNEN (art.
1), N. 27-28.
1937
On entend ici les atteintes causées par la pollution de l’air, le bruit ou les trépidations. Comp. les
art. 1er al. 2 let. a et art. 3 al. 3 let. b LAT. GRIFFEL (2001), p. 274 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p.
300.
1938
OAT (RS 700.1 ; RO 2000 2047).
1939
HÄNNI (2002), pp. 86-88. Voir également WALDMANN/HÄNNI (art. 3), N. 4.
1940
HÄNNI (2002), pp. 436-437 ; MOOR (introduction), N. 108-110.
1941
Mais également la législation en matière de droit de l’environnement : voir entre autres la LPE, la
LPN ou encore la LFo ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 301-302.
1942
Comp. les art. 2 al. 1er, 7 al. 1er et 3 LAT qui exigent que les plans d’aménagement respectent les
buts et principes directeurs de l’aménagement du territoire et concordent entre eux.
1943
Les art. 25a al. 1 et 33 al. 4 LAT qui exigent la désignation d’une autorité chargée de la coordina-
tion des « décisions », c’est-à-dire tous les actes nécessaires à l’implantation ou à la transformation
d’une construction ou d’une installation, ce qui inclut les autorisations, les approbations, les conces-
sions et les décisions préparatoires ; TANQUEREL (2001), p. 119 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 303-
304.
1944
MOOR (introduction), N. 130-132 ; RUCH (Einleitung), N. 15-16 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 297,
et 300-301. Au sujet de la coordination matérielle, voir en particulier la contribution d’André JOMINI,
Coordination matérielle : l’approche de la jurisprudence du Tribunal fédéral, DEP 19 (2005), n°5,
pp. 444-464.

409
La situation juridique des Tziganes en Suisse

tion harmonisée du droit matériel, mais également une simplification et une


accélération des procédures1945.

2. La répartition des compétences

1505. L’aménagement du territoire est une obligation qui incombe à toutes


les collectivités suisses. Elle découle implicitement de l’article 75 Cst., mais
aussi explicitement de l’article 2 al. 1 LAT1946. L’article 75 al. 1er Cst. prévoit
que la responsabilité échoit principalement aux cantons, dans le respect ce-
pendant des directives établies par la Confédération, dont le mandat, limité
aux principes, a été notamment concrétisé par l’adoption de la LAT1947.
1506. Dans ce cadre, les collectivités disposent de différents instruments de
planification. La Confédération se fonde, à teneur des articles 13 LAT et 14ss
OAT, sur des conceptions et des plans sectoriels pour exercer ses activités
ayant un impact sur le territoire1948. Pour leur part, tous les cantons ont pro-
mulgué une législation mettant en œuvre la LAT. Ils ont également dû définir
un plan directeur (articles 6 à 12 et 35 al. 1 let. a LAT), et ont réparti les compé-
tences entre eux-mêmes et leurs communes1949. Enfin, les articles 2 et 14ss LAT
imposent aux cantons d’établir des plans d’affectation.
1507. A teneur de l’article 2 al. 3 LAT, les autorités qui sont directement
concernées par un problème particulier bénéficient d’une marge
d’appréciation qui limite le pouvoir d’examen des autorités supérieures char-
gées de l’aménagement du territoire, notamment lorsqu’elles approuvent les
plans adoptés par les autorités inférieures1950. A cet égard, leur pouvoir
d’examen porte essentiellement sur la légalité de la planification et de façon
limitée sur son opportunité, selon le droit applicable.

1945
GRIFFEL (2001), p. 363.
1946
TSCHANNEN (art. 2); ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 63.
1947
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1014 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 23-25.
1948
GRIFFEL (2001), p. 274.
1949
Voir également nos développements relatifs aux plans directeurs cantonaux, infra Section 3.1.1.
1950
ATF 121 I 245, 248 B.; ATF 112 Ia 281, 285-286 Hombrechtikon. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 67-
68.

410
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

3. Les instruments de la planification

3.1. Les plans

3.1.1. Le plan directeur cantonal

1508. Les articles 6 à 12 LAT et 4 à 13 OAT, ainsi que le droit cantonal


d’exécution et différentes directives fédérales, régissent le plan directeur can-
tonal. Par le biais de cet instrument programmatique de gestion de l’espace, les
cantons délimitent d’une manière générale la vocation du sol, sans toutefois en
préciser impérativement l’affectation1951. Le plan directeur définit le cours que
devrait suivre dans le futur l’aménagement du territoire cantonal, en incluant
l’état et le développement souhaité de l’urbanisation, des transports et com-
munications, de l’approvisionnement ainsi que des constructions et installa-
tions publiques. Il possède essentiellement une fonction de coordination1952. En
l’adoptant, les autorités cantonales sont liées par les buts et principes de
l’aménagement du territoire, par les conceptions et les plans sectoriels de la
Confédération, et doivent prendre en considération les plans directeurs des
cantons voisins1953.
1509. En gérant les conflits d’intérêts publics en présence, le plan directeur
est ainsi l’instrument le plus important pour la coordination de l’ensemble des
obligations des autorités en la matière1954. La pesée des intérêts effectuée à ce
stade demeure néanmoins incomplète, du fait que les plans directeurs ne
prennent pas en compte les intérêts privés, puisque la détermination de ces
derniers relève des plans d’affectation1955.
1510. N’étant ni un acte normatif, ni une décision, le plan directeur est un
acte sui generis1956. Comme le précise l’article 9 al. 1 LAT, il ne lie juridiquement
que les autorités1957, et ne crée donc ni droits ni obligations pour les particu-
liers1958. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue dans le cadre de
l’ancien recours de droit administratif, seules les communes peuvent les atta-
quer abstraitement, par la voie d’un recours en matière de droit public1959. Au

1951
TSCHANNEN (Art. 6-12), N. 6-10 et 19-22 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 105-106.
1952
TSCHANNEN (Art. 6-12), N. 7 ; WALDMANN/HÄNNI (Art. 6-12), N. 7-8.
1953
JOST (2000), p. 35.
1954
GRIFFEL (2001), p. 274.
1955
HÄNNI (2002), pp. 99-100 ; HEER, p. 20 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 116.
1956
HÄNNI (2002), pp. 97-99 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 107-108.
1957
HÄNNI (2002), p. 98 ; RUCH (2005), p. 329.
1958
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2021 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 114-115.
1959
Arrêt 1P.110/2001, du 30 juillet 2001, consid. 2b; ATF 119 Ia 285, 294 Winterthur ; ATF 111 Ia
129, 130 Wiesendangen. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2021 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 34), N. 75.

411
La situation juridique des Tziganes en Suisse

contraire, les particuliers ne peuvent les attaquer que de manière indirecte, lors
d’un recours dirigé contre un plan d’affectation1960. Il est nécessaire d’attendre
la future pratique du Tribunal fédéral dans le cadre du recours en matière de
droit public pour savoir si cette ligne sera maintenue.
1511. Les plans directeurs doivent être réexaminés et modifiés périodique-
ment, afin de les adapter. L’article 11 LAT prévoit qu’après chaque modifica-
tion, le Conseil fédéral les approuve s’ils sont conformes au droit fédéral, et
s’ils tiennent notamment compte des tâches de la Confédération et des cantons
voisins qui ont un effet sur l’aménagement du territoire.

3.1.2. Les plans d’affectation

a) Les objectifs des plans d’affectation

1512. Les plans d’affectation attribuent une certaine destination aux diffé-
rentes sections du territoire et permettent précisément de déterminer quelles
zones sont constructibles ou non1961. Dans l’écrasante majorité des cantons, ce
sont les communes qui sont compétentes pour adopter les plans d’affectation,
l’exécutif communal se chargeant de leur élaboration, tandis que leur adoption
et modification incombent au pouvoir législatif, ce qui peut comporter la parti-
cipation du corps électoral communal1962.
1513. Lorsqu’elles adoptent des plans d’affectation, les autorités compéten-
tes doivent tenir compte aussi bien des buts et principes généraux de
l’aménagement du territoire que du plan directeur. En conséquence, si le projet
envisagé est important, elles doivent adopter une vision régionale, et non pas
uniquement locale, pour évaluer les besoins, les conditions d’équipement et les
effets du projet1963.
1514. Les plans d’affectation doivent définir en détail l’ensemble des intérêts
en présence1964 au moyen d’une pesée globale, qui doit être effectuée aussi bien
lors de l’adoption du plan que lors de ses modifications ultérieures1965.

1960
ATF 119 Ia 285, 289-290 Winterthur ; ATF 113 Ib 299, 302 Puidoux. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I),
N. 2021.
1961
HÄNNI (2002), p. 142 ; Rapport d’expertise 2001, pp. 35-36 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 123.
1962
Les cantons-villes se réservent la compétence en la matière, en ne prévoyant qu’un préavis commu-
nal. A titre d’exemple, voir l’art. 16 al. 3 de la loi genevoise d’application de la loi fédérale sur
l’aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LaLAT ; RS/GE L 1 30). MOOR (Introduction), N. 139 ;
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 189.
1963
ATF 120 Ib 436, 454, Crissier. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 62.
1964
Ces derniers recouvrent notamment le maintien des terres arables, la protection de l’eau, la garantie
d’un espace vital suffisant pour la faune et la flore, ou encore la protection contre le bruit et la pure-
té de l’air. Voir, à ce sujet, les développements détaillés de JOST (2000), pp. 170-334.
1965
ATF 123 I 175, 183, 188 Bäumle ; ATF 123 II 88, 93 Rickli; ATF 119 Ib 480, 486 Schwerzenbach.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 827 ; GRIFFEL (2001), p. 275 ; FLÜCKIGER (art. 15), N. 25 ; HAL-
LER/KARLEN, N. 256 et N. 399 ; JOST (2000), p. 167

412
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1515. Dans ce contexte, un plan d’affectation peut prendre des options diffé-
rentes de celles prévues dans le plan directeur lorsqu’elles sont de moindre
importance, qu’elles sont objectivement justifiées et qu’une modification pré-
alable de ce dernier n’est pas raisonnable. Il peut aussi le contredire lorsque de
nouvelles connaissances justifient de changer de politique, mais aussi lorsque
le plan directeur apparaît comme contraire au droit lors de la procédure
d’adoption du plan d’affectation1966.

b) Les catégories de plans d’affectation

1516. Il existe deux catégories de plans d’affectation : les plans d’affectation


généraux et les plans d’affectation spéciaux1967.
1517. Répondant aux exigences de l’article 14 LAT, les plans d’affectation
généraux identifient les différentes zones du territoire, l’alinéa 2 de cette dis-
position exigeant que soient au moins définies les zones à bâtir, les zones agri-
coles et les zones à protéger. Selon l’article 18 LAT, les cantons sont toutefois
libres de prévoir d’autres types de zones, de manière à répondre à des besoins
spécifiques, comme les zones d’habitation, les zones industrielles, ou encore
les zones de camping, par exemple1968. Quelques cantons ont défini les diffé-
rents types de zones de manière exhaustive, d’autres laissent une marge de
manoeuvre aux communes pour les préciser1969.
1518. Pour leur part, les plans d’affectation spéciaux possèdent un degré de
détail, d’individualisation et de concrétisation impossible à obtenir avec le
plan d’affectation général1970. On distinguera entre le plan d’affectation locali-
sé et le plan d’affectation spécialisé. Le premier, appelé généralement plan de
quartier ou encore plan de site, est employé pour définir la réglementation ap-
plicable à un territoire délimité. Le second se réfère à un projet de construction
ou d’installation spécifique, qui a des effets particuliers sur l’environnement et
l’aménagement du territoire, comme la création d’une carrière ou d’une dé-
charge par exemple1971.

1966
RUCH (2005a), p. 330 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 116-117 et jurisprudence citée.
1967
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 125-126.
1968
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 8.
1969
Rapport d’expertise 2001, p. 27.
1970
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 100.
1971
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 105-130 ; HÄNNI (2002), pp. 223 et 225-227 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT,
pp. 125-126. Au sujet de l’option entre l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé et l’octroi d’une
autorisation extraordinaire au sens des art. 24ss LAT, voir infra Section 3.2.2, b.

413
La situation juridique des Tziganes en Suisse

c) Les voies de recours

1519. Les plans d’affectation lient non seulement les autorités, mais égale-
ment la population1972. En conséquence, leur adoption doit se faire dans le res-
pect de la protection juridique (art. 33ss LAT) et de la participation démocrati-
que (art. 4 LAT). Ainsi, les exigences découlant du droit d’être entendu ont
pour effet que cet instrument peut faire l’objet d’une contestation, par exemple
par le biais d’une opposition, auprès des autorités communales par les per-
sonnes démontrant un intérêt juridique ou de fait susceptible d’être lésé1973.
1520. Pour sa part, l’article 33 al. 3 let. a LAT, reprenant les exigences posées
par l’article 111 al. 1 LTF, impose aux cantons de prévoir que la qualité pour
recourir soit reconnue dans les mêmes limites que pour le recours en matière
de droit public devant le Tribunal fédéral1974. Ainsi, aussi bien le propriétaire
touché par la mesure que tout tiers possédant un intérêt digne de protection et
particulièrement atteint possède la qualité pour agir1975.
1521. Ces particuliers ont ensuite la qualité pour recourir devant l’autorité
cantonale compétente1976, l’article 86 al. 2 LTF imposant aux cantons de prévoir
que la dernière instance cantonale soit judiciaire1977. On relèvera que si
l’autorité cantonale n’a pas approuvé le plan communal1978, ou lorsqu’elle
adopte un plan d'affectation en se substituant à la commune, voire crée une
zone spécifique1979, une commune a également qualité pour recourir en raison
de l’atteinte portée à son autonomie1980.
1522. Au niveau fédéral, la voie du recours en matière de droit public, au
sens des articles 82ss LTF, est ouverte contre la décision de dernière instance
cantonale. En effet, le recours au Tribunal administratif fédéral est exclu, car il

1972
Art. 14 al. 1 et 21 al. 1 LAT. TANQUEREL (art. 21), N. 15 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 4.
1973
Au sujet de cette notion, voir infra Section E, 2.1.1.
1974
Art. 33 al. 3 let. a LAT, tel que modifié le 1er janvier 2007 par l’entrée en vigueur de la loi fédérale
sur le Tribunal administratif (LTAF ; FF 2005 3875). WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 2a. Voir égale-
ment LUGON/POLTIER/TANQUEREL, p. 121.
1975
Art. 89 al. 1 LTF. WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 29a. Il sied de relever qu’en sus de cette légitimation
active générale, l’art. 89 LTF octroie également, à son alinéa 2, let. a à d, une légitimation active
spéciale à certains organismes et autorités. Comp., sous l’ancienne organisation judiciaire fédérale,
les conditions similaires posées par l’art. 103 let. a aOJ ; TANQUEREL (2001), p. 116. Sur la notion
d’intérêt digne de protection, voir nos développements infra Section E, 2.1.1.
1976
Art. 33 al. 3 let. b LAT.
1977
Cette obligation concrétise le droit de l’accès au juge, au sens de l’art. 29a Cst. ;
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1978. WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 80a, (art. 34), N. 75. Repre-
nant les exigences imposées aux cantons par l’art. 98a aOJ en matière de recours de droit adminis-
tratif, cette obligation ne devrait pas engendrer de difficultés majeures pour les cantons ayant déjà
adapté leur organisation judiciaire ; LUGON/POLTIER/TANQUEREL, p. 110.
1978
Arrêt du 30 juillet 2001, cause 1P.127/2001, consid. 2b ; ATF 119 Ia 300, 301 Zauggenried.
1979
Arrêt du 30 juillet 2001, cause 1P.127/2001, consid. 2b ; ATF 114 Ia 291, 292 Bütikofer; ATF 111 Ia
67, 68-69 Trimbach.
1980
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 699.

414
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

ne s’agit pas d’une décision émanant d’une autorité énoncée à l’article 33


LTAF1981.

3.2. L’autorisation de construire

1523. L’autorisation de construire est un instrument indispensable pour


l’aménagement du territoire, car il s’agit de l’outil le plus important pour met-
tre en œuvre les plans d’affectation1982. Elle constitue une condition préalable à
la création ou la modification de constructions et d’installations. La LAT
énonce les principes fondamentaux relatifs à son obtention à ses articles 22 et
24 et suivants, tandis que les droits publics cantonaux sont les principales
sources des prescriptions matérielles en matière de construction1983. On distin-
guera l’autorisation ordinaire, au sens de l’article 22 LAT (3.2.1.), de
l’autorisation extraordinaire, au sens des articles 24ss LAT (3.2.2.), toutes deux
étant des autorisations dites de police1984.

3.2.1. L’autorisation ordinaire (art. 22 LAT)

a) L’exigence de l’autorisation

1524. L’article 22 al. 1 LAT dispose que la création ou la transformation de


toute construction ou installation nécessite une autorisation. A teneur de
l’alinéa 2, l’autorisation est délivrée si le projet est conforme à l’affectation de
la zone (lettre a) et si le terrain est équipé (lettre b) ; il est également nécessaire
de respecter les prescriptions cantonales ou communales en matière de cons-
tructions (alinéa 3). D’un point de vue procédural, l’article 25 al. 1er LAT pré-
voit que la délivrance d’une autorisation ordinaire est réglementée par le droit
cantonal, dans le cadre des exigences minimales fixées par la LAT, le droit fé-
déral et cantonal pouvant poser d’autres conditions1985.

b) La notion de « construction et installation »

1525. L’article 22 al. 1 LAT ne précise pas ce que les notions de


« construction et installation » recouvrent, laissant à la jurisprudence le soin de
le faire. Ainsi, le Tribunal fédéral les définit comme étant « tous les aménage-
ments durables créés par la main de l’homme, qui sont fixés au sol et qui ont

1981
A mettre en relation avec l’art. 86 al. 1 let. d LTF. BELLANGER (2006), pp. 51-52 ; WALDMANN/HÄNNI
(art. 34), N. 73 ; LUGON/POLTIER/TANQUEREL, pp. 112-113.
1982
MOOR (Introduction), N. 93 ; RUCH (art. 22), N. 6.
1983
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 372.
1984
HÄNNI (2002), pp. 306-307 ; RUCH (art. 22), N. 10 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 207-208.
1985
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 211-212.

415
La situation juridique des Tziganes en Suisse

une incidence sur son affectation (…) »1986. Le critère décisif consiste à déter-
miner si, selon l’expérience générale de la vie, l’établissement de la construc-
tion ou de l’installation en question a de telles incidences sur l’aménagement
du territoire que l’intérêt public ou celui des voisins impose un contrôle pré-
alable1987.
1526. Les droits cantonaux détaillent l’article 22 LAT, par le biais de disposi-
tions d’exécution au sens de l’article 33 al. 2 LAT. On relèvera que les cantons
ont la possibilité d’exempter certaines catégories de petites constructions de
l’exigence d’autorisation. Ils peuvent également faciliter la procédure
d’obtention de l’autorisation en vertu du principe de proportionnalité. En ou-
tre, le droit cantonal peut soumettre à autorisation les constructions et installa-
tions affranchies par le droit fédéral1988.

c) Les voies de recours

1527. Il découle de l’article 33 al. 2 LAT et de la LTF que les exigences procé-
durales évoquées en matière de plans d’affectation sont également valables
pour les autorisations de construire fondées sur la LAT et sur les dispositions
cantonales et fédérales d’exécution1989. Ainsi, l’autorisation de construire peut
faire l’objet d’un recours, le droit fédéral exigeant qu’une autorité judiciaire
cantonale assure en dernière instance le contrôle de la décision1990.
1528. En outre, la qualité pour agir devant les instances cantonales doit être
en tout cas identique à celle ouvrant la voie d’un recours en matière de droit
public. En conséquence, il résulte de l’article 89 al. 1 LTF que toute personne
pouvant démontrer qu’elle est particulièrement atteinte par la décision dans
l’un de ses intérêts dignes de protection possède la légitimation active1991.
1529. La voie du recours en matière de droit public est ensuite directement
ouverte contre la décision de dernière instance cantonale. En effet, le recours
au Tribunal administratif fédéral est ici également exclu, du fait qu’il ne s’agit
pas d’une décision émanant d’une autorité énoncée à l’article 33 LTAF1992.

1986
ATF 123 II 256, 259, Schweizer Heimatschutz gegen Pilatus-Bahn-Gesellschaft; ATF 120 Ib 379, 384
Gentechnologie und Mitbeteiligte gegen Ciba-Geigy AG; ATF 119 Ib 222, 226; ATF 118 Ib 1, 9. ZEN-
RUFFINEN/GUY -ECABERT, p. 214.
1987
ATF 120 Ib 379, 384 Gentechnologie und Mitbeteiligte gegen Ciba-Geigy AG; ATF 114 Ib 312; ATF
119 Ib 222, 227.
1988
HÄNNI (2002), p. 308 ; RUCH (art. 22), pp. 2-3; TANQUEREL (2001), p. 114 ; ZEN-RUFFINEN/G UY-E CABERT,
p. 213 et pp. 226-227.
1989
WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 18 et 70.
1990
WALDMANN/HÄNNI (art. 34), N. 75 ; ZEN-RUFFINEN/GUY -ECABERT, p. 686.
1991
Sur la notion d’intérêt digne de protection, voir nos développements infra Section E, 2.1.1.
1992
A lire en relation avec l’art. 86 al. 1 let. d LTF. Sous l’empire de l’ancienne jurisprudence organisa-
tion judiciaire fédérale, la jurisprudence du Tribunal fédéral a tenté de définir ce que recouvrait la

416
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

3.2.2. L’autorisation de construire extraordinaire (art. 24ss LAT)

a) Les conditions de l’autorisation extraordinaire

1530. Les articles 24 à 24d LAT énoncent les hypothèses de dérogation à la


conformité de l’affectation de la zone. Le régime de l’autorisation extraordi-
naire, ou dérogatoire, relève exclusivement du droit fédéral1993.
1531. L’article 24 LAT traite des autorisations extraordinaires octroyées pour
de nouvelles constructions et installations prévues hors d’une zone constructi-
ble1994. Tandis que l’autorisation ordinaire au sein d’une zone à bâtir concrétise
la planification sur laquelle elle se fonde, l’autorisation extraordinaire porte at-
teinte au principe constitutionnel de la séparation entre zones constructibles et
non constructibles. Dès lors, elle doit respecter des exigences strictes pour être
valable1995. Selon l’article 24 LAT, deux conditions cumulatives doivent être
respectées : l’implantation des constructions ou installations envisagées est
imposée par leur destination (lettre a)1996, et aucun intérêt prépondérant ne
doit s’y opposer (lettre b)1997.
1532. Le respect de la première condition est évalué à l’aune de critères ob-
jectifs et de simples intérêts personnels ou financiers ne sont pas pertinents. De
plus, l’autorité compétente doit prendre en compte l’existence de solutions al-
ternatives1998. La seconde impose une pesée globale des intérêts en présence,
aussi bien publics que privés, et qui prenne en compte les buts et principes de
l’aménagement du territoire au sens des articles 1 et 3 LAT, ainsi que les objec-
tifs posés par le reste du droit ordinaire1999. Dans ce contexte, les exigences sus-

notion de décision fondée sur la LAT et ses prescriptions d’exécution, la question étant cruciale pour
déterminer si la voie du recours de droit administratif était ouverte ; TANQUEREL (2001), pp. 114-115.
En raison de l’entrée en vigueur de la LTF et de l’instauration du recours unifié en matière de droit
public, cette question a perdu son importance, puisque cette voie est ouverte contre toute décision
fondée sur du droit public fédéral ou cantonal, émanant d’une autorité désignée à l’art. 86 al. 1 LTF.
1993
La construction hors d’une zone à bâtir est ainsi l’un des rares domaines du droit des constructions
et de la planification régi dans sa quasi totalité par le droit fédéral, aux art. 16 à 16b, 24 à 24d, et
37a LAT et aux art. 33 à 43 OAT. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 254.
1994
Les art. 24a à 24d et 37a LAT traitent des autorisations concernant des travaux sur des construc-
tions et installations existantes.
1995
MARTI, pp. 356-357.
1996
Arrêt du 1er février 2005, causes 1A.161/2004 et 1P.363/2004, consid. 2 ; ATF 129 II 63, 68 Cham-
péry ; ATF 124 II 252, 255 Mühlberg. WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 8-12. Au sujet de la notion
d’implantation imposée par la destination de l’ouvrage, voir infra Section D, 2.1.1.
1997
A ce sujet, voir WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 21-25.
1998
SJ 2005 I 237, 241 ; ATF 123 II 499, 508 Reinach ; ATF 123 II 256, 261 Schweizer Heimatschutz.
WALDMANN (2005), pp. 782-783 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 21 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p.
262.
1999
ATF 117 Ib 28, 31 Samnaun ; ATF 115 Ib 473, 486 Reihnaubund. HALLER/KARLEN, N. 717 ; GRIFFEL
(2001), p. 276 ; MARTI, p. 357 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 272-273.

417
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mentionnées en matière de coordination matérielle et formelle doivent égale-


ment être respectées par les autorités compétentes2000.

b) Planification ou autorisation dérogatoire ?

1533. Lorsqu’un projet est susceptible d’obtenir une autorisation extraordi-


naire, mais qu’il possède une certaine envergure et importance2001, les autorités
compétentes ont l’obligation de l’insérer dans une procédure de planification,
en adoptant un plan d’affectation spécialisé2002. Cette obligation découle de
l’article 2 al. 1 LAT2003 et, dès lors, la question de la nécessité d’adopter un plan
spécialisé en lieu et place d’une autorisation dérogatoire doit être examinée
avant toute chose2004. La procédure de planification assure, en effet, une meil-
leure coordination des intérêts en jeu, ainsi que la participation de la popula-
tion2005.
1534. Ce type de plan d’affectation spécialisé crée une zone spéciale, au sens
de l’article 18 LAT, qui n’est pas rattachée à la zone à bâtir2006. En effet, elle ne
répond pas aux exigences de l’article 15 LAT2007 et doit, au contraire, respecter
matériellement les conditions de l’article 24 LAT2008. A défaut, on assisterait à
la création d’une petite zone à bâtir isolée, en violation du principe du regrou-
pement des constructions2009. En conséquence, seules les constructions et ins-

2000
GRIFFEL (2001), p. 276. Voir également supra Section 1.
2001
Pour trancher entre les deux alternatives, on se référera aux buts et principes de l’aménagement du
territoire (art. 1 et 3), au plan directeur cantonal (art. 6 à 8) et à l’importance du projet, par rapport
aux exigences des art. 4 et 33 LAT. Le critère de l’impact environnemental est particulièrement im-
portant dans ce contexte. Ainsi, si un projet est susceptible de faire l’objet d’une étude d’impact sur
l’environnement, la voie de la planification devient obligatoire ; BRANDT/MOOR (art. 18), N. 132 et
136 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 27 ; WIDMER-DREIFUSS, pp. 138-139.
2002
Arrêt non publié du 31 mars 2006, cause 1A.246/2005, consid. 2.3. ; ATF 129 II 321, 329 Bittel ;
ATF 120 Ib 207, 212 Wangen. BRANDT/MOOR (art. 18), N. 131 ; MARTI, p. 358 ; WALDMANN/HÄNNI (art.
2), N. 27 ; WIDMER-DREIFUSS, p. 138 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 257-263. Voir également infra
Sections C, 1 et D, 1.
2003
MARTI, pp. 357-358 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 31.
2004
ATF 129 II 321, 326 Bittel ; ATF 117 Ib 270, 278 WWF ; ATF 116 Ib 53, 53-54 Egg und Oetwil.
2005
ATF 116 Ib 50, consid. 3a, Chrüzlen. MARTI, pp. 356-358 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 27.
2006
WALDMANN/HÄNNI (art. 18), N. 5.
2007
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 102 ; WIDMER-DREIFUSS, pp. 160-161. Cet auteur souligne qu’il n’existe pas
d’accord unanime quant à la dénomination de ce type de zone spécialisée ; ibidem, p. 162. Rappe-
lons qu’à teneur de l’art. 15 LAT, appartiennent à la zone à bâtir les « terrains propres à la construc-
tion » qui soit sont « déjà largement bâtis » (let. a), soit « seront probablement nécessaires à la
construction dans les quinze ans à venir et seront équipés dans ce laps de temps » (let. b).
2008
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 2.
2009
ATF 124 II 391, 393-394, Ersigen ; ATF 121 I 245, 248 Wangen ; ATF 113 Ib 225, consid. 2c,
Lommiswil. BRANDT/MOOR (art. 18), N. 4 ; MARTI, p. 359 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 30 ; WIDMER-
DREIFUSS, pp. 165-166 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 262. Au sujet du principe de regroupement
des constructions, voir FLÜCKIGER (art. 15), N. 17-18.

418
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

tallations spécifiquement prévues dans le plan d’affectation spécialisé peuvent


y être aménagées2010.
1535. La jurisprudence récente admet toutefois qu’un projet d’une impor-
tance moindre, destiné à être implanté en zone non constructible, peut bénéfi-
cier d’une mesure de planification spécialisée sans devoir nécessairement ré-
pondre aux exigences de l’article 24 LAT, aussi longtemps que les buts et prin-
cipes de l’aménagement du territoire prévus dans la LAT sont respectés. Dans
ce cas, la parcelle en cause est rattachée à la zone à bâtir. Dès lors, cette modifi-
cation des zones est licite et ne constitue pas un contournement des exigences
de l’article 24 LAT, et ce même si le projet en cause ne respecte pas la condition
de l’implantation imposée par les circonstances2011.

c) Les voies de recours

1536. En matière de voies de recours, la procédure est identique à celle de


l’octroi d’une autorisation ordinaire de construire. Ainsi, selon ce que prévoit
le droit cantonal, la décision peut faire l’objet d’une opposition, puis d’un re-
cours devant une autorité judiciaire cantonale de dernière instance. Au niveau
fédéral, la voie du recours en matière de droit public, au sens des articles 82ss
LTF, est ouverte2012. Dans le cadre d’une demande d’octroi d’autorisation dé-
rogatoire en vertu des articles 24 à 24d LAT, l’article 34 al. 2 in fine LAT confère
explicitement la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral aux cantons et
aux communes2013.

4. La protection des droits fondamentaux

4.1. La garantie de la propriété

1537. L’aménagement du territoire et le droit des constructions touchent


principalement la garantie de la propriété, au sens de l’article 26 Cst.2014. En ef-
fet, les normes de l’aménagement du territoire et du droit des constructions

2010
ATF 124 II 391, 393-394, Ersigen ; ATF 115 Ib 508, 514 Sempach. MARTI, p. 359 ; TSCHANNEN (art.
2), N. 33 ; WIDMER-DREIFUSS, pp. 160-163 et 164 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 262.
2011
1A.246/2005 Urteil vom 31. März 2006 consid. 2.3 ; ATF 124 II 391, 393 Ersigen ; ATF 121 I 245,
248 Wangen. WIDMER-DREIFUSS, pp. 165-166. Pour une critique, voir WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N.
30 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 263.
2012
Art. 86 al. 1 let. d LTF. Comp. l’art. 31 LTAF.
2013
WALDMANN/HÄNNI (art. 34), N. 41a.
2014
RUCH (2005b), p. 543.

419
La situation juridique des Tziganes en Suisse

limitent les possibilités d’utilisation d’un bien-fonds par son propriétaire, no-
tamment en définissant les zones constructibles2015.
1538. A l’instar des autres libertés, la garantie de la propriété ne peut être
restreinte sans respecter les exigences de l’article 36 Cst.2016. Si le droit de
l’aménagement du territoire et des constructions constitue la base légale néces-
saire exigée par l’article 36 al. 1 Cst., une mesure doit également poursuivre un
intérêt public et être proportionnée.
1539. Nous avons relevé ci-dessus que l’aménagement du territoire poursuit
un nombre important d’intérêts publics, qui peuvent s’avérer contradictoires,
et qui sont évalués et sélectionnés lors de l’établissement des plans
d’affectation. Au regard de l’article 36 al. 2 Cst., les principes et les buts de
l’aménagement du territoire constituent donc des intérêts publics2017. Les exi-
gences découlant de la coordination matérielle ont pour conséquence qu’il est
difficile de contester l’absence d’intérêt public sous-tendant une mesure plani-
ficatrice2018. Toutefois, les circonstances peuvent évoluer et avoir pour effet
qu’une mesure de planification n’est plus justifiée par un intérêt public pré-
pondérant. Dès lors, la garantie de la propriété n’est plus respectée2019.
1540. Dans ce contexte, nous avons déjà souligné l’importance de la pesée
des intérêts pour déterminer la légitimité d’un acte de planification in concreto.
C’est au regard de cette pesée que la condition de la proportionnalité de
l’atteinte sera respectée ou non2020.

4.2. Les autres droits fondamentaux

1541. Outre la garantie de la propriété, d’autres droits fondamentaux peu-


vent également être restreints par des mesures de planification2021. Il y a encore
quelques années, la doctrine n’identifiait que trois autres droits fondamentaux
remis en cause de manière secondaire par l’aménagement du territoire: la li-
berté d’établissement, le principe d’égalité et la liberté économique2022.
1542. Plus récemment, les conséquences de la planification sur la liberté reli-
gieuse ont également été analysées, en raison de l’augmentation du nombre de
personnes vivant en Suisse pratiquant un culte minoritaire. Ainsi, la liberté re-

2015
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 821 ; JOST (2000), pp. 363-364.
2016
JOST (2000), pp. 365-368 et références.
2017
ATF 129 II 321, 329 Bittel. WALDMANN (2005), p. 953.
2018
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 825-828.
2019
ATF 121 II 317, 348 Jeanneret. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 828; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT,
p. 45. Au sujet de la notion d’évolution sensible des circonstances, voir également infra Section C,
1.2.4.
2020
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 829-831.
2021
WALDMANN (2005), p. 783.
2022
TANQUEREL (1988), pp. 76-77 et références.

420
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

ligieuse d’individus dont les préceptes imposent l’existence de tombes éternel-


les est restreinte par le refus d’adopter un plan d’affectation prévoyant la créa-
tion d’un cimetière confessionnel2023. Dans ce contexte, l’interprétation et la
mise en œuvre des normes de l’aménagement du territoire et du droit des
constructions doivent être effectuées en accord avec les exigences de l’article 35
Cst., et dans le respect de l’article 36 Cst.2024.
1543. Nous avons montré ci-avant que l’incapacité de faire stationner léga-
lement leurs caravanes portait non seulement atteinte au respect de la liberté
d’établissement, de la liberté économique et du principe d’égalité des Tziganes
nomades, mais également à leur droit d’exercer collectivement leur identité
culturelle minoritaire, leur droit au respect du domicile, leur droit à un loge-
ment adéquat et leur liberté de circulation2025. On rappellera, à cet égard, que
dans son arrêt Chapman, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné
que les décisions étatiques touchant au stationnement des caravanes tziganes
influencent directement les droits protégés des Tziganes au regard de l’article
8 CEDH2026.
1544. En effet, dès lors qu’arrêter une caravane dans une commune ne peut
se faire sans violer le droit de l’aménagement du territoire et des constructions,
cela implique que ce faisceau de normes porte atteinte à ces garanties, soit en
interdisant explicitement le stationnement de caravanes, soit en ne prévoyant
aucune exception en leur faveur.
1545. Dans son arrêt Bittel, le Tribunal fédéral affirme que les garanties dé-
duites des droits fondamentaux protégeant le mode de vie nomade des Tziga-
nes sont « concrétisées au moyen de mesures de planification »2027. Pour pou-
voir être qualifiées de bases légales valables, toutefois, ces mesures ne doivent
pas en elles-mêmes consacrer de discrimination à l’égard du mode de vie no-
made, en procédant aux distinctions nécessaires par rapport aux exigences dé-
coulant du mode de vie sédentaire2028.
1546. En outre, ainsi que l’impose l’article 36 al. 2 et 3 Cst., elles doivent
poursuivre un intérêt public et être proportionnées, non seulement vis-à-vis de
l’atteinte causée aux droits de leurs destinataires directs, mais également à
l’égard de l’impact qu’elles engendrent sur la situation de la minorité tzigane
dans son ensemble2029. C’est à l’aune de ces exigences que nous analysons ci-

2023
KIENER/KUHN, p. 38 ; RUCH (2005b), p. 543 ; WALDMANN (2005), p. 783.
2024
WALDMANN (2005), p. 783.
2025
Supra Titre Troisième, Chapitres I, II et III.
2026
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, §72, CEDH 2001-I. Voir également l’avant-projet
de rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 5.
2027
ATF 129 II 321, 330, Bittel. BOVAY, p. 96.
2028
Voir supra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2.
2029
Voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2.2.

421
La situation juridique des Tziganes en Suisse

dessous les réglementations en matière d’aménagement du territoire et du


droit des constructions.

B. L’arrêt temporaire spontané et l’autorisation de


construire

1547. Une caravane qui stationne sur un terrain est normalement qualifiée
de « construction », la durée de l’arrêt étant toutefois un facteur à prendre en
considération pour parvenir à cette qualification (1.). Face à l’importance de
l’arrêt temporaire spontané pour l’exercice du mode de vie nomade, nous ana-
lyserons de quelle manière les droits fondamentaux des Tziganes peuvent in-
fluencer le droit cantonal et communal pertinent (2.). Nous examinerons éga-
lement le régime applicable à l’arrêt durable effectué sur une aire prévue à cet
effet (3.). Enfin, nous traiterons des réglementations additionnelles à prendre
en considération lorsque l’arrêt spontané se fait sur un terrain rattaché au do-
maine public ou au patrimoine administratif de l’Etat (4.).

1. La soumission des caravanes à l’autorisation ordinaire


de construire

1548. Le Tribunal fédéral définit la notion de « constructions et installa-


tions » comme étant « tous les aménagements durables créés par la main de
l’homme, qui sont fixés au sol et qui ont une incidence sur son affectation
(…) »2030. Selon une jurisprudence datant de 1973, il est conforme au droit fé-
déral d’appliquer aux caravanes le même régime que les bâtiments implantés
sur le sol, et donc de les soumettre à autorisation, au-delà d’un certain nombre
de jours. En effet, lorsqu’elles restent « longtemps » stationnées sur un même
emplacement, les caravanes remplissent les mêmes fonctions qu’un bâtiment
ordinaire, car elles sont alors des constructions « destinées principalement à
être employées à des fins d’habitation fixe en un certain endroit »2031.
1549. Le cas d’espèce ayant conduit à cette jurisprudence ne laissait pas de
place au doute, car la personne concernée avait installé sa caravane sur son ter-
rain depuis plusieurs années2032. Or, notre notre Haute Cour avait rejeté expli-
citement l’argument de la recourante qui comparait sa situation à celles des
« forains ». Selon le Tribunal fédéral, « les roulottes de forains et autres ne sont

2030
ATF 123 II 256, 259, Schweizer Heimatschutz gegen Pilatus-Bahn-Gesellschaft; ATF 120 Ib 379, 384
Gentechnologie und Mitbeteiligte gegen Ciba-Geigy AG; ATF 119 Ib 222, 226 WWF; ATF 118 Ib 1, 9
Misoxer Kraftwerke. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 214. Supra Section A, 3.2.1, b.
2031
ATF 99 Ia 113, 120 Rinderknecht. WALDMANN (2003) p. 695.
2032
ATF 99 Ia 113, 120-121 Rinderknecht.

422
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

pas considérées comme des bâtiments, car de tels véhicules ne peuvent pas
être comparés à celui de la recourante en raison de leur mode d’utilisation : ils
ne sont pas dépendants d’un lieu déterminé »2033.
1550. Deux conclusions s’imposent. Premièrement, ce n’est pas la qualité de
caravane qui est pertinente au regard du droit des constructions. Un ouvrage
mobilier ou facilement déplaçable est soumis à autorisation dès qu’il est consi-
déré comme étant fixé au sol2034.
1551. C’est donc bien la durée du stationnement qui fera ici la différence
pour déterminer la situation de la caravane par rapport à l’exigence du permis
de construire2035. Une jurisprudence ultérieure a par ailleurs confirmé que le
stationnement d’une caravane, en un endroit déterminé, pour une durée dé-
passant la période usuelle pour des vacances de courte durée, exigeait
l’obtention d’une autorisation de construire2036.
1552. En règle générale, le droit cantonal a repris ce critère de la durée de
stationnement. Dans les mesures cantonales détaillant l’article 22 LAT, toute
caravane arrêtée sur un terrain pour un certain temps est en principe considé-
rée comme une construction soumise à autorisation lorsqu’elle stationne hors
d’une place de camping reconnue comme telle2037. Dans ces circonstances, pas-
sé un certain délai, l’arrêt de caravanes tziganes hors d’une aire de stationne-
ment sans autorisation de construire est illégal, quand bien même le proprié-
taire du terrain y consentirait2038.
1553. Or, le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence Rinderknecht, opère une
distinction entre Tziganes nomades, d’une part, et sédentaires vivant en cara-
vanes, d’autre part. L’arrêt indique clairement que la recourante n’étant pas
« foraine ou autre », elle ne va pas employer sa caravane comme une personne
appartenant à la communauté tzigane.
1554. Il ressort de cette jurisprudence que des caravanes – appartenant ou
non à des Tziganes nomades – qui ne restent pas longtemps au même endroit
ne doivent pas être assimilées à des bâtiments traditionnels, assujettis à une
autorisation2039. Dans ce contexte, les droits fondamentaux des Tziganes, et no-
tamment l’interdiction de la discrimination, la liberté de circulation, la liberté
économique et la liberté d’établissement, poussent à l’ouverture et à une inter-
prétation qui ne soit pas trop stricte par rapport à l’obligation d’assujet-
tissement à l’autorisation de construire.

2033
ATF 99 Ia 113, 121 Rinderknecht.
2034
ATF 123 II 256, 259, Schweizer Heimatschutz. RUCH (art. 22), p. 14.
2035
RUCH (art. 22), p. 14.
2036
ATF 100 Ib 482, 490-491 Bucher. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 215.
2037
Voir, par exemple, l’art. 20 al. 2 let. a de l’ordonnance valaisanne sur les constructions, du 2 octobre
1996 (RS/VS 705.100).
2038
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 13 ; Rapport d’expertise 2001, p. 26.
2039
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 216.

423
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2. La portée des droits fondamentaux des Tziganes

2.1. L’importance de l’arrêt temporaire spontané

1555. La soustraction des caravanes tziganes à la nécessité de l’autorisation


de construire est une solution idéale pour gérer la question du stationnement
temporaire spontané des Tziganes de passage. En effet, il est particulièrement
important de consacrer la légitimité de ce type d’arrêt en sus de
l’aménagement d’aires de stationnement. Rappelons que deux facteurs impo-
sent cette solution.
1556. Premièrement, l’état actuel du parc de places à disposition en Suisse
est insuffisant. Deuxièmement, nous avons établi que toutes les communes
n’ont pas l’obligation d’aménager des lieux de halte temporaire et qu’il revient
en premier lieu aux cantons de coordonner la création d’aires, en collaboration
avec les communes2040. La liberté d’établissement et la liberté de mouvement
des Tziganes nomades sur l’ensemble du territoire suisse impliquent toutefois
de pouvoir s’arrêter légalement dans toutes les communes de Suisse. Dès lors,
seule la possibilité de faire des haltes spontanées de manière légale garantit le
respect de ces droits fondamentaux. Cette option permet de prévenir le risque
de ghettoïsation et de ségrégation de cette communauté, prohibé par
l’interdiction de la discrimination2041.
1557. Traditionnellement, ce type de halte concerne des familles ou de grou-
pes de Tziganes suisses revenant régulièrement aux mêmes endroits et étant
bien connus dans la région. Les arrangements avec les propriétaires fonciers
portent notamment sur l’accès à l’eau et à l’électricité, les dates de réservation,
les endroits utilisables, l’attention à porter à l’environnement, les déchets à
éliminer2042.
1558. On relèvera qu’aussi bien le Conseil fédéral que l’Union des Villes
suisses soutiennent cette alternative, en invitant les législateurs cantonaux à
adapter le droit des constructions aux besoins des Tziganes nomades, en rem-
plaçant l’éventuelle interdiction complète des haltes improvisées, agréées par
le propriétaire du terrain, par une simple limitation de cette pratique dans le
temps2043. La raison de ce soutien tient avant tout au fait qu’en sus de mettre
en œuvre les droits fondamentaux des Tziganes nomades, cette solution a

2040
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section D, 2.2.1. et 2.2.2, a.
2041
Voir nos développements relatifs à la portée de la liberté de mouvement et de la liberté
d’établissement, supra Titre Troisième, Chapitre III, Sections D, 1.2. et D, 2.2.
2042
BO/FR du 25 mars 2003, p. 368.
2043
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20 ; Prise de position de l’Union des villes suisses, du 27 oc-
tobre 2005, http://www.staedteverband.ch, p. 3. Voir également le BO/AG du 18 novembre 2003,
p. 2520 et BO/JU du 19 mai 2004, p. 303, où les parlementaires soulignent que lorsque toutes les
parties en cause font preuve de bonne volonté, la situation ne devient pas nécessairement conflic-
tuelle, ce qui rend cette option acceptable.

424
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

pour effet positif d’abaisser les coûts imposés à la collectivité en lien avec la
création de nouveaux lieux de stationnement2044.

2.2. Les dispositions cantonales actuelles

1559. Dans certains cantons, toutes les roulottes, qu’elles appartiennent à des
Tziganes ou à des sédentaires, sont exemptées d’autorisation de construire2045.
D’autres ont déjà adopté des dispositions créant des exceptions explicites en
faveur des caravanes tziganes en leur permettant de stationner sur des terrains
privés, avec l’accord du propriétaire, et parfois celui de la commune, sans être
assujetties à l’autorisation de construire2046. La durée de stationnement sans
autorisation varie alors, selon les cantons, entre quelques jours2047 et quelques
mois2048. Parfois, l’appréciation est laissée à l’autorité compétente qui doit in-
terpréter des notions juridiques indéterminées telles que « installation prolon-
gée » de caravanes hors des terrains autorisés2049.
1560. On constate ainsi dans quelques cantons l’existence d’une réglementa-
tion spécifique concernant les Tziganes. A Schwytz, tandis l’article 70 al. 1er de
la Planungs- und Baugesetz, du 14 mai 19872050, interdit le stationnement de ca-
ravanes hors d’un camping pour plus de 48 heures, l’alinéa 2 prévoit que les

2044
Prise de position de l’Union des villes suisse, du 27 octobre 2005, http://www.staedteverband.ch, p.
3.
2045
Comp. l’art. 6 al. 1 let. d de la loi cantonale d’Appenzell-Rhodes intérieur sur die Raumplanung,
Umweltschutz und Bauwesen, du 19 janvier 1993 (RS/AI 713.100), qui fixe le seuil à deux mois.
2046
Voir l’art. 6 al. 2 du Décret jurassien concernant le permis de construire du 11 décembre 1992
(RS/JU 701.51).
2047
Voir ainsi les quatre jours fixés par l’art. 27 al. 1 de la loi vaudoise sur les campings et caravanings
résidentiels, du 11 septembre 1978 (RS/VD 935.61). Après cette période, tout stationnement né-
cessite une autorisation de construire de la part de l’autorité communale, au sens de l’art. 68 let. h
du règlement d’application de la loi sur l’aménagement du territoire et les constructions, du 19 sep-
tembre 1986 (RLATC; RS/VD 700.11.1). Comp. par contre la limite de 20 jours prévue pour les ca-
ravanes par l’art. 39 let. g de la Bauverordnung du canton d’Appenzell-Rhodes extérieures, du 2 dé-
cembre 2003 (RS/AR 721.11), exécutant l’art. 93 al. 2 let. e de la loi cantonal sur die Raumplanung
und das Baurecht, du 12 mai 2003 (RS/AR 721.1). Aucun accord de principe de la part de la com-
mune n’est exigé dans ce cas. On soulignera qu’avant 2003, la limite de stationnement sans autori-
sation de construire se situait à 14 jours dans ce canton ; voir le Rapport d’expertise 2001, p. 37.
2048
Comp. l’art. 5 al. 1 let. k du Décret bernois concernant la procédure d’octroi du permis de cons-
truire, du 22 mars 1994 (RS/BE 725.1) : l’arrêt de caravanes est possible jusqu’à six mois, avec
l’accord du propriétaire du terrain et de la commune. L’art. 4 de la Campingverordnung du canton
d’Appenzell-Rhodes intérieures, du 12 juin 1973 (RS/AI 1019), autorise pour sa part le « camping »
sur le terrain d’un privé, avec son accord, pendant au plus un mois par an, et sous réserve qu’aucun
intérêt public prépondérant ne s’y oppose. L’art. 71 al. 1 de la loi fribourgeoise sur l’aménagement
du territoire et des constructions, du 19 mai 1983 (RS/FR 710.1), autorise l’implantation de carava-
nes hors d’une zone affectée au camping et caravaning jusqu’à un mois, sous réserve de l’accord de
l’autorité communale (art. 170 al. 2 de la loi cantonale). L’art. 170 al. 3 de la loi permet en outre
aux communes d’interdire ce type de stationnement.
2049
Comp. l’art. 78 let. l de la loi saint-galloise über die Raumplanung und das öffentliche Baurecht, du
6 juin 1972 (RS/SG 731.1) ou encore l’art. 54 al. 2 let. h de la Baugesetz du canton de Schaffhouse,
du 1er décembre 1997 (RS/SH 700.100).
2050
RS/SZ 400.100.

425
La situation juridique des Tziganes en Suisse

autorités compétentes peuvent autoriser les Tziganes nomades à arrêter leurs


caravanes sur un terrain adapté, mais hors d’une aire prévue à cet effet. Dans
le canton de Lucerne, le régime ordinaire de l’article 174 de la Planungs- und
Baugesetz, du 7 mars 19892051, interdit le camping pour plus de trente jours sans
autorisation de construire. Toutefois, l’article 177 dispose que le Conseil com-
munal peut autoriser des Tziganes nomades à stationner au-delà de cette pé-
riode sur le terrain d’un particulier, avec son accord, sans exiger d’autorisation
de construire.
1561. Au regard de l’égalité de traitement, ce type de réglementation parti-
culière ne nous semble pas poser de problème, puisque les Tziganes nomades
et des sédentaires en vacances ne sont pas dans une situation similaire. Les
premiers exercent leur mode de vie culturel minoritaire et doivent pouvoir ac-
céder à l’ensemble du territoire suisse et les seconds ont à disposition des ter-
rains de camping adéquats et en nombre suffisant. Dès lors, une disposition
qui offre un régime d’exception plus favorable aux caravanes tziganes est à no-
tre sens non seulement légitime du point de vue de l’égalité de traitement,
mais même s’impose en raison de la différence entre les deux situations.

2.3. Appréciation

1562. La généralisation d’un régime d’exception à l’autorisation de cons-


truire lors d’un arrêt spontané serait bienvenue. Une telle démarche de la part
des autorités cantonales et communales compétentes contribuerait, à notre
sens, à mettre en œuvre leurs obligations découlant du droit des minorités et
des droits fondamentaux individuels des Tziganes.
1563. Il nous paraît cependant important que cette exception porte sur une
période de temps suffisamment longue pour que l’arrêt puisse être employé de
manière à exercer une activité lucrative2052. Au vu des motifs économiques qui
sous-tendent le nomadisme tzigane, ce facteur ne peut pas être écarté. Une du-
rée minimale d’un mois2053 nous semble ainsi être raisonnablement exigible
pour toutes les parties en cause, non seulement du point de vue de l’exercice
d’une activité lucrative, mais également au regard du droit des construc-

2051
RS/LU 735.
2052
Comp., en France, la décision du Conseil d’Etat, du 2 décembre 1983, Ville de Lille c. Ackermann.
Les autorités n’ont pas le droit d’interdire le stationnement de caravanes tziganes pour une durée
inférieure au temps minimum nécessaire pour les Tziganes nomades. Lorsque les besoins des Tzi-
ganes nomades ne peuvent être satisfaits en raison d’une durée limitée de stationnement et d’un
nombre de places insuffisant et qu’en outre, il leur est interdit de stationner sur le rester du terri-
toire communal, l’autorité abuse de son pouvoir.
2053
La rentabilité économique d’un stationnement temporaire est atteinte à partir d’un mois ; Rapport
d’expertise 2001, pp. 14 et 17.

426
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

tions2054. On rappellera que la limite a été fixée à deux mois en Appenzell-


Rhodes intérieures, ou encore à six mois dans le canton de Berne.
1564. Enfin, on relèvera que n’étant pas assujetti à l’obtention d’un permis
de construire, le stationnement temporaire spontané est admissible aussi bien
dans une zone à bâtir que dans une zone non constructible2055. Ne nécessitant
aucune infrastructure et étant limité dans le temps par définition, il ne peut
être assimilé à la création d’une place durable2056 qui, pour sa part, exige une
autorisation de construire pour pouvoir être aménagée. La question de savoir
s’il est nécessaire que cette autorisation de construire soit ordinaire, ce qui im-
plique la présence d’une zone constructible, ou si au contraire il est envisagea-
ble d’obtenir une autorisation dérogatoire au sens des articles 24ss LAT, est
examinée ci-après2057.

3. L’assujettissement à autorisation lors d’un arrêt durable


sur des aires de stationnement

1565. Au-delà d’une certaine période, une caravane installée sur un terrain
est assujettie à une autorisation de construire. Il est également nécessaire de
prévoir un régime légal particulier en faveur des caravanes tziganes arrêtées
sur une aire de stationnement durable pour les mois d’hiver.
1566. Les tentes et caravanes de sédentaires ne sont soumises à aucune auto-
risation de construire lorsqu’elles sont installées sur un terrain de camping au-
torisé, et ce quelle que soit la durée de leur présence2058. En conséquence, un
régime similaire mutatis mutandis doit être appliqué aux caravanes tziganes
stationnant durablement sur une aire prévue à cet effet.
1567. Dans le cas contraire, il existe un risque important de discrimination,
puisqu’il nous semble difficile d’avancer des motifs justificatifs démontrant
qu’une telle mesure ne porte pas atteinte à la dignité des Tziganes vivant selon
leur mode de vie traditionnel. De plus, on peut égaleemnt conclure à une iné-
galité de traitement, puisque le fait d’arrêter un camping-car durablement
dans un camping est suffisamment semblable au fait de stationner une cara-
vane tzigane sur une aire qui est destinée à cette minorité pour qu’une diffé-
rence de traitement soit injustifiée.

2054
Voir également les propositions du Rapport d’expertise 2001, p. 45.
2055
L’art. 24 LAT n’entre en effet pas en ligne de compte dès lors que l’on n’est pas en présence d’une
construction ou installation au sens de l’art. 22 LAT et du droit cantonal qui met en œuvre cette dis-
position ; WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 2. Voir également le Rapport d’expertise 2001, p. 33.
2056
Rapport d’expertise 2001, p. 45.
2057
Infra Section D.
2058
Comp. l’art. 78 let. l a contrario de la loi saint-galloise über die Raumplanung und das öffentliche
Baurecht, du 6 juin 1972 (RS/SG 731.1).

427
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1568. A titre d’exemple, le canton de Vaud dispose d’une réglementation


spécifique à l’égard des terrains de caravaning résidentiel, définis par la loi
comme étant les emplacements « aménagé[s] en vue de recevoir des caravanes
résidentielles, telles mobilhomes, installées de manière permanente et servant
d’habitation secondaire »2059. Dans ce contexte, l’article 33 al. 1 de la loi canto-
nale dispose que toute « nouvelle implantation d’une nouvelle caravane rési-
dentielle est soumise à l’autorisation municipale préalable », qui tranche suite
à l’examen d’un dossier complet. L’alinéa 2 permet à la commune de mettre à
l’enquête publique cette demande d’autorisation. Dès lors, on peut considérer
que cette autorisation s’apparente à un permis de construire.
1569. Il importe de prévoir une réglementation spécifique à l’égard des ca-
ravanes tziganes arrêtées pour plusieurs mois sur une aire de stationnement
durable. En effet, le fait qu’elles soient employées à titre d’habitation princi-
pale dans le contexte de l’exercice d’un mode de vie minoritaire protégé, ainsi
que le fait qu’elles ne soient pas installées de manière permanente justifie de
ne pas les assimiler aux caravanes résidentielles appartenant à des sédentaires.
En outre, il nous paraît disproportionné d’exiger d’une famille tzigane, reve-
nant chaque année pour les mois d’hiver vers son lieu de stationnement régu-
lier, qu’elle doive à chaque fois déposer une demande d’autorisation à la
commune s’apparentant à un permis de construire.
1570. Ces différents facteurs justifient de généraliser de l’adoption de nor-
mes spécifiques, applicables aux aires de stationnement durable. On pourrait
ainsi prévoir d’octroyer à leurs utilisateurs une autorisation de stationner qui
serait valable pour une durée indéterminée et qui pourrait être présentée cha-
que année lors du retour des caravanes au même endroit.
1571. De même, l’assujettissement à une autorisation est justifié lorsqu’il est
destiné à durer plus d’un an, par exemple pour des familles décidées à scolari-
ser à l’année leurs enfants, ou pour des personnes âgées ne souhaitant plus
voyager. Cependant, il nous paraît nécessaire que les conditions d’obtention
soient facilitées et dépendent exclusivement de facteurs liés à la gestion des
ressources à disposition.

4. Le stationnement temporaire spontané effectué sur une


parcelle publique

1572. L’arrêt temporaire spontané de caravanes tziganes sur le domaine pu-


blic, ou sur des installations appartenant au patrimoine administratif, corres-
pond à un usage accru de ces biens publics. L’exclusion du champ
d’application de l’article 22 LAT ne soustrait pas les caravanes à la réglementa-

2059
Art. 28 de la loi vaudoise sur les campings et caravanings résidentiels, du 11 septembre 1978
(RS/VD 935.61).

428
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

tion applicable en la matière. Dès lors, après un bref rappel des règles entou-
rant ce type d’usage (4.1.), nous déterminerons de quelle manière il peut
s’appliquer au stationnement temporaire spontané de caravanes tziganes (4.2.).

4.1. L’utilisation accrue du domaine public et du patrimoine


administratif

4.1.1. Notions

1573. Le domaine public, le patrimoine administratif et le patrimoine finan-


cier de l’Etat constituent les biens de l’Etat2060. Entrent dans le domaine public
les biens n’ayant pas de finalité particulière, et qui sont donc ouverts à tous,
gratuitement, sous réserve qu’une base légale spéciale ne prévoie le
contraire2061. Font partie du domaine public dit « naturel » les biens créés par
la nature et qui ne sont pas soumis à la propriété privée, tandis que les ouvra-
ges créés par la main de l’homme dans un but d’intérêt général, tels que les
routes, les places et les ponts, forment le domaine public dit « artificiel »2062.
1574. Appartient au patrimoine administratif tout bien sur lequel l’Etat a la
maîtrise complète que que peuvent utiliser les autorités, mais également un
cercle restreint de particuliers, pour accomplir une tâche publique2063. Entrent
dans cette catégorie les écoles publiques, les parkings, les bâtiments de
l’administration, ou encore les casernes2064.

4.1.2. L’utilisation du domaine public et du patrimoine administratif

1575. Jurisprudence et doctrine ont développé des règles en matière d’usage


du domaine public qui trouvent également à s’appliquer à l’utilisation du pa-
trimoine administratif2065, sous réserve du respect de quelques exigences sup-
plémentaires que nous examinerons ultérieurement. Elles distinguent ainsi en-
tre l’usage normal, ou ordinaire (Gemeingebrauch) l’usage accru, ou extraordi-
naire gesteigerter Gemeingebrauch), et l’usage exclusif (Sondernutzung) de ces
biens.
1576. Le domaine public est employé de façon normale lorsque son utilisa-
tion est soit conforme à son affectation, soit lorsqu’elle ne pose pas d’obstacles

2060
HÄFELIN/MÜLLER, p. 496.
2061
HOTTELIER, pp. 123-124 et références ; TRACHSEL, p. 270. ATF 101 Ia 477.
2062
HOTTELIER, pp. 124-125 ; MOOR (vol. 1) 1994, p. 12. SJ 2001 I 557, 561-562.
2063
ATF 107 II 44, 48 Regionalspital St Maria ; ATF 103 II 227, 233-234 Zehtner Armierung.
2064
A. GRISEL, pp. 525-526 ; HÄFELIN/MÜLLER, p. 497 ; HOTTELIER, p. 126 ; KNAPP, p. 387.
2065
HÄFELIN/MÜLLER, p. 497; JAAG, pp. 162-165 ; KNAPP, pp. 393-394. Contra A. GRISEL, p. 543. Comp.
également MOOR (vol. III), p. 324, qui considère que, puisqu’il est nécessaire de faire fonctionner le
patrimoine administratif pour qu’il réponde à son affectation, il ne peut pas être directement utile à
des tierces personnes qui ne cherchent pas à l’employer ordinairement. Dès lors, cet auteur consi-
dère que les règles qui régissent son usage se distinguent de celles concernant le domaine public.

429
La situation juridique des Tziganes en Suisse

à la réalisation des buts initiaux prévus des rues ou des places, et qu’elle ne re-
quiert pas de contrôle ou de surveillance spéciale2066. Reste également dans
l’usage commun la mise à contribution individuelle du domaine public qui
n’emploie pas d’installation particulière2067. Au demeurant, on considère que
l’utilisation du patrimoine administratif est ordinaire lorsqu’elle est conforme
aux objectifs et à l’affectation du bien en cause et aux éventuelles activités qui
y sont réalisées : son utilisation est donc plus restreinte que lorsqu’il s’agit du
domaine public2068. Selon le Tribunal fédéral, les autorités doivent lui donner
la priorité2069.
1577. A l’opposé, l’usage exclusif du domaine public et du patrimoine ad-
ministratif prive, temporairement ou définitivement, les tiers de leur emploi en
faveur de particuliers désignés. L’individu qui en bénéficie se retrouve ainsi
dans la possibilité d’exclure autrui de tout usage de la chose en cause. Dès lors,
l’Etat doit lui octroyer une concession, à des conditions strictement réglemen-
tées2070.
1578. Entre ces deux extrêmes, on conclut à un mode accru d’utilisation du
domaine public lorsqu’une utilisation commune n’est plus possible, ou encore
quand elle va au-delà de l’affectation initiale de la chose et qu’un contrôle po-
licier s’impose, et qu’elle empêche les tiers d’en faire un usage commun ou ex-
clusif2071. De façon analogue, le patrimoine administratif est employé de ma-
nière extraordinaire lorsque des personnes privées s’en servent temporaire-
ment dans un but qui ne correspond pas à son affectation originale2072. Selon la
nature du bien employé, un usage extraordinaire, voire privatif, peut être donc
admis2073, sous réserve toutefois qu’un retour à un usage normal soit garanti
en tout temps2074.

4.1.3. Le droit conditionnel à l’usage extraordinaire du domaine public et


du patrimoine administratif

1579. Puisqu’il va au-delà du mode habituel d’utilisation, respectivement de


l’affectation initiale du bien en cause, l’usage extraordinaire du domaine pu-

2066
ATF 100 Ia 392, 396 Komitee für Indochina. TRACHSEL, p. 270.
2067
HÄFELIN/MÜLLER, pp. 508-509 ; MALINVERNI (2004), p. 28.
2068
HÄFELIN/MÜLLER, p. 497 ; JAAG, pp. 162-163.
2069
ATF 127 I 84, 89 P.
2070
HÄFELIN/MÜLLER, pp. 497-498 et 513-515 ; JAAG, pp. 164-165.
2071
ZBl 2006 254, 260 ; ATF 100 Ia 131, 137 Pirovano ; ATF 88 I 18, 24 Verband der Wasserfahrer. HÄ-
FELIN/MÜLLER,
pp. 507-508 ; TRACHSEL, p. 270.
2072
HÄFELIN/MÜLLER, p. 497 ; JAAG, pp. 163-164.
2073
KNAPP, p. 393, distingue ainsi correctement selon nous entre le souhait d’utiliser les locaux de
l’administration pour tenir une réunion n’ayant aucun rapport avec cette dernière, et l’organisation
de cette réunion dans les locaux d’une université.
2074
JAAG, pp. 163-164. Comp. KNAPP, p. 393, qui affirme que « l’utilisation normale des locaux ne doit
pas être perturbée ».

430
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

blic et du patrimoine administratif est conditionné par l’obtention d’une auto-


risation préalable, pour laquelle une taxe peut être exigée. L’autorisation pour
usage accru est qualifiée de sui generis par le Tribunal fédéral, et se distingue
donc de l’autorisation de police, car au-delà de la protection des biens publics,
elle permet la « coordination et la détermination d’un ordre de priorité des dif-
férents usages des choses publiques »2075.
1580. Cette autorisation peut être exigée par l’autorité compétente sans
qu’une base légale particulière ne soit nécessaire. Selon l’article 664 al. 1 CC,
les biens du domaine public sont soumis à la haute police des cantons. Ceux-ci
peuvent en principe en réglementer librement l’usage qu’en font les particu-
liers2076. Pour le Tribunal fédéral, l’Etat bénéficie dès lors d’un monopole de
fait sur ses biens et peut s’appuyer sur sa qualité de propriétaire pour imposer
cette exigence, en se fondant sur le pouvoir général de police et, en consé-
quence, sans devoir respecter le principe de la légalité2077.
1581. Or, il est désormais admis par la jurisprudence que l’exercice de nom-
breux droits fondamentaux peut nécessiter l’emploi extraordinaire du do-
maine public et du patrimoine administratif, ce qui influence fortement la ré-
glementation en la matière2078. Ainsi, la doctrine souligne le lien indiscutable
entre le domaine public et la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.),
la liberté d’opinion et d’information (art. 16 Cst.), la liberté de réunion (art. 22
Cst.), les droits politiques, mais également la liberté économique2079.
1582. Constatant l’existence de ce rapport, le Tribunal fédéral reconnaît au-
jourd’hui que l’exercice des droits fondamentaux confère un droit conditionnel
à l’obtention d’une autorisation permettant d’utiliser de façon extraordinaire le
domaine public2080. Un raisonnement identique est appliqué par analogie lors-
que le patrimoine administratif est concerné, à la condition cependant que
l’Etat soit au bénéfice d’un monopole de fait qui a pour effet que l’exercice des

2075
ATF 126 I 133, Stadt Zurich; ATF 124 I 267 Verein gegen Tierfabriken Schweiz. HÄFELIN/MÜLLER, p.
510 ; MALINVERNI (2004), p. 27 ; SAXER, p. 249.
2076
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 2.2. HOTTELIER, p. 130.
2077
ATF 125 I 209, 222 Decaux. Cette clémence du Tribunal fédéral à l’égard des autorités en matière
de légalité reflète une approche du domaine public remise en cause par les développements en ma-
tière d’exercice des droits fondamentaux sur le domaine public, comme nous le constaterons ci-
après.
2078
Arrêt destiné à publication du 18 avril 2006, cause 2P.89/2005, consid. 2.2 ; ATF 130 I 26, 40 Ver-
band Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte, Sektion Zürich ; ATF 126 I 250, 255 A. X. und B. X.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 685. Sur l’historique de l’évolution de la jurisprudence du Tribunal
fédéral en la matière, voir HOTTELIER, pp. 136-140, MALINVERNI (2004), pp. 34-36, et de façon détail-
lée, SAXER, pp. 79-120.
2079
Arrêt destiné à publication du 18 avril 2006, cause 2P.89/2005, consid. 2.2.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 952 ; HOTTELIER, pp. 130-131 et 136 ; MÜLLER (1999), p. 211 ;
TRACHSEL, p. 269.
2080
ATF 126 I 133, 140 Stadt Zurich ; ATF 127 I 164, 167. HÄFELIN/MÜLLER, p. 512.

431
La situation juridique des Tziganes en Suisse

droits fondamentaux en cause ne peut s’effectuer autrement2081. Selon la doc-


trine, lorsque des alternatives ne faisant pas appel au patrimoine administratif
existent, l’obligation de l’autorité d’octroyer l’autorisation n’est pas aussi
stricte que dans le cas contraire2082.
1583. En effet, ce droit conditionnel, par définition, n’est pas absolu. Ainsi, le
droit de manifester – qui découle de la liberté de réunion – ne permet pas
l’utilisation d’un lieu public précis, à une heure précise, mais signifie pouvoir
utiliser un endroit public, mis à disposition par les autorités compétentes, qui
se prête au but de la manifestation2083. Du fait que les bénéficiaires seront au
bénéfice d’un avantage particulier par rapport au public en général, les autori-
tés doivent évaluer la légitimité de leur requête sur la base de critères objectifs
et raisonnables, en prenant garde de respecter l’égalité de traitement et
l’interdiction de l’arbitraire, et en procédant à une pesée complète des intérêts
en présence2084.
1584. Lorsque l’autorisation est refusée, l’administré subit une atteinte à la
liberté mise en cause et cette ingérence doit respecter les conditions de l’article
36 Cst.2085. Pour cette raison, la doctrine se montre critique à l’égard de la ju-
risprudence fédérale qui persiste à considérer que le principe de l’autorisation
préalable ne doit pas figurer dans une loi et que le pouvoir de police suffit2086.
La doctrine souligne que, dans ce contexte, l’examen de la proportionnalité du
refus de l’autorisation joue un rôle clé lors de l’analyse2087.
1585. Par ailleurs, la liberté de réunion exige que les manifestations sponta-
nées, exigeant un usage accru du domaine public, puissent avoir lieu alors
même qu’il est matériellement impossible d’obtenir une autorisation. Pour
admettre ce type de manifestation, l’impossibilité doit être objective et les or-
ganisateurs doivent malgré tout informer les autorités compétentes. Celles-ci
pourront alors tout de même peser les risques concrets existants pour l’ordre
public, d’une part, et l’intérêt légitime des manifestants à s’exprimer dans
l’urgence, d’autre part2088.

2081
ATF 127 I 84, 89 P. Voir également ZBl 93/1992 40, 43ss ; Arrêt du 19 mars 1980, Unité juras-
sienne Péry-La Heutte, consid. 3. HÄFELIN/MÜLLER, p. 498.
2082
JAAG, p. 164.
2083
ATF 127 I 84, 89 P. HANGARTNER (2003B), p. 1466 ; HÄFELIN/MÜLLER, pp. 498 et 510 ; JAAG, pp. 165
2084
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 2.2 ; ATF 127 I 164, 170 Partei der
Arbeit. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 686; HÄFELIN/MÜLLER, pp. 498 et 511-512 ; JAAG, p. 165.
2085
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 2.2 ; ATF 126 I 250, 255 A. X. und
B. X.; ATF 121 I 279, 292 Circus Gasser Olympia. HÄFELIN/MÜLLER, p. 512 ; HOTTELIER, p. 138.
2086
Voir notamment les critiques d’AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 702-704; HÄFELIN/MÜLLER, pp. 509-
510 ; HOTTELIER, p. 139. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une vio-
lation de la liberté de réunion en jugeant que le refus d’octroyer une autorisation pour une réunion
ne se fondait sur aucune base légale ; ACEDH Djavit An, du 20 février 2003, §65-67, CEDH 2003-
III.
2087
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 708.
2088
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 694.

432
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

4.2. Les haltes spontanées et l’usage accru du domaine public et du


patrimoine administratif

1586. La recherche de solutions permettant de faire stationner pour une


courte durée et légalement des caravanes en l’absence d’aire de stationnement
pousse à s’interroger sur les possibilités qu’offre l’utilisation extraordinaire du
domaine public et du patrimoine administratif2089.
1587. Si des familles tziganes s’arrêtent sur une place publique, le domaine
public est concerné. Si l’arrêt a lieu sur un parking public ou sur une parcelle
appartenant à la collectivité, c’est alors le patrimoine administratif de l’Etat qui
est employé. Ce faisant, ces familles utilisent ces biens d’une manière qui ne
correspond pas à leur affectation initiale, puisque pendant une certaine pé-
riode, elles y vivent et travaillent. Par ailleurs, elles emploient des caravanes,
installations particulières, et elles empêchent les tiers d’utiliser ces endroits de
façon normale, en conformité avec leurs buts initiaux.
1588. En conséquence, elles en font un usage extraordinaire, soumis à auto-
risation2090. Le montant de la taxe administrative usuellement exigée pour
l’obtention de l’autorisation devrait pouvoir être abaissé sur la base de
l’interdiction de la discrimination, sous peine de pénaliser les Tziganes noma-
des en raison de leur mode de vie. En effet, on constate que le fait qu’ils doi-
vent faire plus souvent appel à un usage accru du domaine public que des sé-
dentaires a pour conséquence que les coûts exigés sont plus lourds à supporter
pour eux que pour d’autres catégories de la population2091.
1589. Du fait que, pour les Tziganes nomades, cet emploi accru a pour objec-
tif de pouvoir exercer une série de droits fondamentaux, nous suivons la doc-
trine s’étant exprimée à ce sujet pour leur reconnaître un droit conditionnel à
obtenir des autorités une autorisation pour utiliser le domaine public ou le pa-
trimoine administratif, afin de pouvoir s’arrêter spontanément dans une com-
mune2092.
1590. Aussi bien le droit à l’exercice d’un mode de vie nomade que la liberté
d’établissement, la liberté de mouvement, mais également la liberté économi-
que imposent de parvenir à cette solution, a fortiori lorsque l’on place la pro-
blématique dans le cadre du droit des minorités. A cet égard, Markus SCHEFER
considère que dans son résultat, la jurisprudence Bittel du Tribunal fédéral re-
connaît l’existence d’un tel droit conditionnel, du fait que les autorités ont

2089
Dans ce sens, ZÜRCHER-BERTHER, p. 19, et de manière indirecte, le Rapport d’expertise 2001, p. 37.
2090
Comp. ainsi l’ATF 108 Ia 111, 113, où le fait de parquer une voiture toute la nuit ou durant une
grande partie des heures de travail constitue un usage accru du domaine public.
2091
WALDMANN (2003), p. 692.
2092
Dans ce sens, WALDMANN (2003), p. 692 ; WALDMANN (2005), pp. 953 et 959. Voir également GLAUS,
pp. 144-146 ; MARTENET (2003), p. 67 ; RIEDER (1999), p. 169.

433
La situation juridique des Tziganes en Suisse

l’obligation de faciliter le mode de vie nomade et de le prendre en considéra-


tion2093.
1591. Ce droit étant conditionnel, les Tziganes nomades désireux de pouvoir
s’arrêter temporairement sur un territoire communal ne peuvent pas le faire
sur n’importe quel lieu public, à n’importe quelle condition. Pour les Tziganes
nomades, ce droit signifie pour l’essentiel que les autorités communales doi-
vent tenter de trouver une solution.
1592. Toutefois, ces autorités ont la possibilité de refuser certains lieux que
préféreraient peut-être les principaux concernés, pour désigner un endroit se
trouvant en zone à bâtir, offrant une protection minimale contre les immis-
sions sonores, aussi bien pour les Tziganes concernés que pour le voisinage.
Elles peuvent également exiger que des garanties soient présentées en matière
de remise en état. Par contre, un refus catégorique fondé sur une réglementa-
tion interdisant par exemple tout camping sur le domaine public est dispro-
portionné, tant au regard des libertés individuelles en cause que par rapport à
l’interdiction de la discrimination2094.
1593. A notre sens, Bernhard WALDMANN se montre trop restrictif lorsqu’il
considère que la prétention qui découle du droit conditionnel à l’usage extra-
ordinaire du domaine public peut être limitée aux lieux spécifiquement amé-
nagés pour l’arrêt de caravanes et qu’à défaut de telles places, les autorités
n’ont pas d’obligation d’accueil2095.
1594. En effet, cette approche vide premièrement cette solution juridique de
son intérêt en tant que moyen permettant le stationnement temporaire sponta-
né. A notre sens, il est également envisageable d’employer des infrastructures,
telles que des parkings, des préaux d’école ou des terrains de sport, qui sont
disponibles et qui peuvent être utilisées quelques jours par les Tziganes en
transit sans que leur usage normal en soit prétérité du fait, par exemple, des
vacances scolaires2096.
1595. La nécessaire pesée des intérêts que les autorités doivent réaliser
prendra en considération le poids des droits fondamentaux en cause. Un refus
de principe d’accepter des caravanes désireuses de stationner quelques jours

2093
SCHEFER, p. 113.
2094
WALDMANN (2003), p. 693, qualifie à juste titre ce type de réglementation de discriminatoire en rai-
son de l’assimilation injustifiée qu’elle opère, du fait qu’elle ne prend pas en considération
l’existence du mode de vie protégé des nomades. Considérant que ce genre de règles n’est pas neu-
tre, il préfère ainsi cette qualification à celle de discrimination indirecte proposée par Andreas RIE-
DER, in : RIEDER (1999), pp. 167-169.
2095
WALDMANN (2005), p. 953.
2096
JAAG, pp. 163-164.

434
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

en utilisant le domaine public ou le patrimoine administratif, à défaut


d’alternatives, apparaît en conséquence disproportionné2097.
1596. Rappelons qu’eu égard à l’atteinte portée aux libertés économique, de
circulation et d’établissement, l’existence d’une aire de stationnement tempo-
raire dans une commune voisine ne justifie pas a priori tout refus d’accepter
des caravanes sur son territoire2098. Ainsi, non seulement ce lieu doit être effec-
tivement disponible, mais il ne doit pas être trop éloigné de la commune visée
initialement. A notre sens, un refus n’est conforme aux droits fondamentaux
que si les circonstances valant au moment de l’analyse de la situation d’espèce
excluent toute possibilité d’arrêt temporaire sur le territoire communal. Cette
décision doit être prise en respectant les exigences posées par l’article 36 Cst.
1597. Lorsque l’endroit envisagé est une infrastructure appartenant au pa-
trimoine administratif et qu’initialement elle n’est pas destinée à l’arrêt de ca-
ravanes, on rappellera que l’obligation d’octroyer une autorisation est moindre
quand l’activité que l’on souhaite exercer peut s’effectuer par des moyens pri-
vés2099.
1598. Dans le contexte de l’arrêt spontané temporaire, seule l’option du sta-
tionnement sur un terrain privé, avec l’accord du propriétaire, entre ici en
considération. On ne peut la prendre en compte que si la législation applicable
dans la commune concernée autorise ce type de halte. Si c’est le cas, encore
faut-il, à notre sens, que l’alternative soit concrètement envisageable et pas
uniquement d’un point de vue théorique. Cet état de fait donne une plus
grande marge d’appréciation aux autorités lors de la pesée des intérêts en pré-
sence, mais ne leur permet pas de refuser a priori d’entrer en matière sur la
demande.

4.3. Conclusion

1599. Le droit conditionnel à un usage extraordinaire du domaine public ou


du patrimoine administratif peut se concevoir comme une solution de re-
change en l’absence d’aires spécifiques destinées au stationnement temporaire
sur le territoire d’une commune. Il représente, à notre sens, une option intéres-
sante tant pour les Tziganes nomades que pour les communes. Les premiers
voient la possibilité de s’arrêter sur l’ensemble du territoire suisse se réaliser,
tandis que les secondes ont là un moyen de mettre en œuvre leurs obligations
en matière d’accueil temporaire spontané des caravanes tziganes.

2097
Comp. ainsi l’art. 9 du règlement genevois d’exécution de la législation fédérale sur la circulation
routière, du 30 janvier 1989 (RS/GE H 1 05.1) qui interdit le parcage des caravanes sur les places
de parc et les voies publiques d’un certain nombre de communes du canton de Genève pour plus de
24 heures, dimanches et jours fériés non compris.
2098
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section D, 1.2., 2.2. et 3.2.2.
2099
Supra Section 4.1.3.

435
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1600. Dans ce cadre, la difficulté est de nature temporelle : comment peut-on


parvenir à concilier la notion d’arrêt « spontané » avec l’exigence du dépôt de
demande d’autorisation à l’autorité compétente ? Ainsi, peut-on estimer que le
transit de caravanes par une commune déterminée peut, voire doit, être prévu
suffisamment à l’avance pour que l’on puisse exiger que les Tziganes de pas-
sage déposent en temps voulu une demande d’autorisation d’usage extraordi-
naire? A notre sens, une commune ne peut refuser d’entrer en matière sur cette
demande sous prétexte que les délais exigés par la loi pour déposer la requête
n’ont pas été respectés.
1601. Adopter une approche aussi formaliste signifierait vider de son sens la
solution du droit conditionnel à un usage extraordinaire pour les haltes spon-
tanées de caravanes. Dès lors, le pragmatisme impose de n’exiger des Tziganes
nomades qu’un devoir d’annonce à l’autorité, de façon à pouvoir discuter avec
cette dernière des possibilités envisageables sur le domaine public, le patri-
moine administratif ou encore sur un terrain privé. Si le principe de propor-
tionnalité ne permet pas d’exiger des communes de trouver une solution en
toute circonstance, ni aux Tziganes de mettre les autorités devant un fait ac-
compli, il impose toutefois aux autorités de chercher une solution.
1602. Seule la présence d’intérêts contraires dirimants, s’opposant à un arrêt
en un quelconque lieu du canton, justifierait de refuser d’octroyer une autori-
sation d’usage extraordinaire d’une partie du domaine public ou d’une infras-
tructure relevant du patrimoine administratif. L’existence d’une aire de sta-
tionnement temporaire se trouvant dans une commune proche pourrait éga-
lement être un facteur autorisant la commune à exprimer son refus.
1603. Dans ce cadre, et à condition que le déplacement sur cette aire ne de-
mande pas un effort trop important pour les principaux concernés, selon la
distance et l’heure dans la journée, l’atteinte à la liberté de circulation qui en
découlerait pourrait être qualifiée de proportionnée. Il est toutefois nécessaire
que les autorités communales s’assurent que cette aire soit concrètement dis-
ponible.

5. Appréciation

1604. Les possibilités de stationner temporairement et de façon spontanée en


toute légalité varient aujourd’hui complètement d’un canton à l’autre, voire
d’une commune à l’autre. En raison de son importance pour un exercice serein
du mode de vie nomade, et de sa dimension complémentaire à l’offre en ma-
tière d’aires de stationnement, une généralisation de cette faculté sur
l’ensemble du territoire suisse s’impose. Il revient aux autorités compétentes
de modifier les normes applicables en matière d’assujettissement à
l’autorisation de construire, d’une part, et qui entourent le stationnement de
caravanes hors d’une zone prévue à cet effet, d’autre part.

436
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1605. Consacrer cette possibilité ne revient toutefois pas à octroyer un blanc-


seing en faveur des Tziganes. Le droit cantonal peut exiger de ces derniers
qu’ils s’annoncent à la commune, dans une optique de police et de gestion des
intérêts en présence. Toutefois, les autorités ne peuvent pas refuser aux Tziga-
nes nomades de stationner sur le territoire communal sans la présence
d’intérêts publics prépondérants.
1606. Ainsi, le fait qu’un propriétaire privé soit d’accord d’accueillir des
Tziganes en transit est un facteur que la commune doit prendre en
considération et le simple fait que des voisins expriment leur désaccord de
principe ne constitue pas, à notre sens, un facteur pertinent pour justifier un
refus communal. Cependant, la présence d’une aire de stationnement
temporaire à une distance raisonnable et qui a des places disponibles en
nombre suffisant peut être un argument valable. A nouveau, il sied d’analyser
concrètement la situation en cause et de ne pas opposer un refus de principe.

C. La création d’aires de stationnement en zone


constructible

1607. Une aire de stationnement constitue une installation qui est soumise à
une autorisation de construire et, dès lors, elle doit en principe se trouver en
zone à bâtir. Pour le Tribunal fédéral, les autorités compétentes doivent pré-
voir des zones appropriées ou adapter les zones à bâtir existantes de manière à
aménager les infrastructures requises2100.
1608. Selon le Tribunal fédéral, en effet, il résulte de l’article 3 al. 3 LAT que
les besoins des Tziganes nomades en matière d’aires de stationnement doivent
être pris en considération par les autorités en charge de l’aménagement du ter-
ritoire2101. Doivent être interprétés dans ce sens aussi bien l’obligation générale

2100
ATF 129 II 321, 327-328 Bittel.
2101
ATF 129 I 321, 327-328 Bittel. WALDMANN (2005), p. 953. Voir également nos développements supra
Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.2. Comp., en France, l’interprétation effectuée par le
Conseil d’Etat de la portée de la loi du 31 mai 1990 qui impose aux communes de plus de 5000 ha-
bitants de réserver des terrains permettant le passage et le séjour des Tziganes nomades. Pour le
Conseil d’Etat, cette loi n’a pas le caractère d’une réglementation en matière d’aménagement et
d’urbanisme. En conséquence, l’obligation d’accueil n’est pas opposable aux documents de planifica-
tion et les communes ne doivent pas nécessairement prévoir, lors de leur adoption, modification ou
révision, de terrains réservés à cet effet ; Décision du 12 décembre 1997, Ehrard et autres. Toute-
fois, aussi longtemps qu’un département ne possède pas de schéma départemental d’accueil ap-
prouvé au sens de l’art. 1er de cette loi, une commune de plus de 5000 habitants demeure dans
l’obligation de réserver des terrains aménagés à cet effet ; Décision du 10 décembre 2001, Com-
mune de Saint-Jean-de-Lurz c. M. Menschel et al.. En effet, comme le confirme la première chambre
civile de la Cour de Cassation, en droit français, « le droit à l’accueil des Gens du Voyage dans les
communes de plus de 5000 habitants est l’adaptation à cette population particulière du droit au lo-
gement, consacré principe général du droit par la constitution et mis en œuvre par une loi particu-
lière d’ordre public » ; arrêt du 7 novembre 1995, Ville de Grenoble c. consorts Vicedomini-Duverts.

437
La situation juridique des Tziganes en Suisse

de planification (art. 2 LAT), que les plans directeurs cantonaux (art. 6ss LAT),
ou encore les plans d’affectation (art. 14ss LAT)2102.
1609. Selon la jurisprudence, il est en principe exclu d’appliquer la procé-
dure d’autorisation dérogatoire au sens des articles 24ss LAT à des caravanes
installées durablement sur un terrain non constructible2103. Le Tribunal fédéral
considère que la création d’une aire de stationnement s’inscrit dans le cadre de
l’obligation spéciale de planifier à charge des autorités face à certains types de
constructions et installations2104. La voie de la planification est donc en prin-
cipe la procédure à suivre pour créer et aménager de nouvelles aires de sta-
tionnement2105.
1610. Dès lors, il s’agit de déterminer de quelle manière les droits fondamen-
taux des Tziganes peuvent être intégrés par les autorités à chaque étape de
cette procédure afin de créer des aires de stationnement dans la zone à bâtir
(1.). Puis, nous analyserons le cadre juridique entourant le stationnement des
caravanes sur ces aires (2.). Enfin, nous identifierons les obstacles qui expli-
quent les difficultés constatées pour parvenir à la création d’aires par le biais
de la procédure de planification (3.). Malgré la position du Tribunal fédéral,
nous examinerons ultérieurement si, et à quelles conditions, il est envisageable
d’en aménager hors d’une zone constructible2106.

1. La planification du territoire et les droits fondamentaux


des Tziganes

1611. A ce jour, deux cantons ont édicté une disposition constitutionnelle to-
pique engageant les autorités cantonales et communales compétentes à trouver
des solutions pour l’arrêt des Tziganes nomades sur leur territoire. Ainsi,
l’article 109 Cst./BL prévoit que « Kanton und Gemeinden helfen Fahrenden bei der
Suche nach Standplätzen», et l’article 48 Cst./AG dispose que «der Kanton kann
in Zusammenarbeit mit den Gemeinden nicht-sesshaften ethnischen Minderheiten
geeignete Örtlichkeiten für einen befristeten Aufenthalt zur Verfügung stellen».
1612. La norme argovienne est plus restrictive que la disposition bâloise,
puisque la coopération entre canton et communes n’est prévue que pour les
places destinées aux arrêts temporaires. Le constituant argovien donne la pos-
sibilité aux autorités compétentes de garantir juridiquement le séjour de courte
durée aux Tziganes, en leur conférant l’obligation d’agir pour développer des

2102
HANGARTNER (2003b), p. 1466.
2103
Voir toutefois nos développements infra Section D.
2104
ATF 129 II 321, 328 Bittel. Comp. ATF 115 Ib 148, 150 Bäretswil. B RANDT/MOOR (art. 18), N. 131-
132 ; MOOR (art. 14), N. 84.
2105
Dans ce sens, voir notamment le Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20.
2106
Infra Section D.

438
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

solutions. Cette disposition ne crée toutefois pas de droit directement applica-


ble : il revient au législateur argovien d’adopter une réglementation mettant en
œuvre cette disposition2107. Bien qu’il sied de saluer cette initiative du consti-
tuant argovien, on regrettera néanmoins son silence à l’égard des places de sta-
tionnement durable.
1613. Nous examinerons ce que les autorités compétentes peuvent, voire
doivent, entreprendre dans le cadre du plan directeur cantonal (1.1.), dans le
cadre du plan d’affectation (1.2.), puis lors de l’octroi de l’autorisation de cons-
truire (1.3.). Enfin, nous analyserons le cadre juridique encadrant le stationne-
ment de caravanes sur une aire destinée à cet effet (1.4.).

1.1. L’intégration du nomadisme dans le plan directeur cantonal

1614. Au cours des dernières années, plusieurs législateurs cantonaux se


sont saisis de la question du stationnement des caravanes tziganes en
l’intégrant dans le plan directeur cantonal. En l’état actuel, il s’agit des cantons
d’Argovie, de Bâle-Campagne, des Grisons, du Jura, de Soleure, du Valais, de
Vaud et de Zoug2108.
1615. Les autres cantons demeurent à ce jour inactifs sur ce point, parfois vo-
lontairement, à l’image du Conseil d’Etat du canton de Fribourg, qui ne sou-
haite pas imposer la création de places aux communes, car ce sont elles qui
sont compétentes pour mettre à disposition des terrains2109. Dès lors, malgré
une modification récente, le nouveau plan directeur cantonal fribourgeois est
resté muet sur cette question2110.
1616. Or, le rôle du plan directeur en matière de coordination de l’espace est
fondamental pour l’aménagement de nouvelles aires de stationnement2111. En
effet, en permettant d’identifier les autorités compétentes pour réaliser un pro-
jet, les moyens à disposition, ou encore les délais de réalisation et la prise de
mesures conservatoires, il constitue un outil particulièrement important, ce
d’autant plus lorsque aucune place n’existe encore. Le caractère obligatoire du
plan directeur à l’égard des autorités en charge de l’aménagement du territoire

2107
BO/AG du 17 mars 1998, pp. 765-766. EICHENBERGER, pp. 169-170.
2108
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12 ; Rapport d’expertise 2001, p. 29ss ; SEIDEL, p. 56. Voir
également le Rapport de la Commission de l’aménagement du canton de Zoug, du 29 octobre 2003,
pp. 5 et 17. Comp. le projet initial qui prévoyait pour sa part « Der Kanton und die Gemeinden si-
chern gemeinsam die Standplätze für die Fahrenden und schaffen mindestens einen Durchgangs-
platz. »
2109
BO/FR du 25 mars 2003, p. 394. Voir l’art. 37 de la loi cantonale sur l’aménagement du territoire et
des constructions, du 9 mai 1983 (LATeC ; RS/FR 710.1).
2110
Rapport n°139 du 14 juin 2004 du Conseil d’Etat fribourgeois au Grand Conseil sur le postulat
n°216.02 Antoinette B ADOUD concernant le stationnement des gens du voyage.
2111
Dans ce sens, voir le Rapport d’expertise 2001, p. 35 ; WALDMANN (2004), p. 957.

439
La situation juridique des Tziganes en Suisse

contribue à attirer l’attention de ces dernières sur les besoins de la population


tzigane et leurs obligations découlant de l’article 3 al. 3 LAT2112.
1617. Par l’intermédiaire du plan directeur, les cantons peuvent prévoir le
principe d’un certain nombre de lieux de stationnement et coordonner les ef-
forts communaux pour l’adoption de plans d’affectation idoines2113. Ils peu-
vent s’engager explicitement à affecter des zones à cet effet. Ils peuvent égale-
ment décrire comment leurs prescriptions en matière d’affectation et de cons-
tructions pourraient se concilier avec les besoins des Tziganes. S’ils ne modi-
fient pas leur plan directeur, les cantons devraient motiver dûment les raisons
qui justifient cette option2114.
1618. Selon l’article 7 al. 1er LAT, les plans directeurs cantonaux ont égale-
ment pour objectif de coordonner la collaboration intercantonale. Ils présen-
tent donc aussi un intérêt certain dans une optique de planification et de ges-
tion régionale et nationale du parc de lieux de halte pour les caravanes tziga-
nes.
1619. Ainsi, les consultations effectuées auprès des autorités compétentes
soulignent l’importance de cet aspect collaboratif, en raison du besoin ressenti
par tous les partenaires concernés de parvenir à établir une politique dépas-
sant le cadre communal et cantonal. En conséquence, la transcription des be-
soins des Tziganes nomades dans le plan directeur correspond à une nécessité.
1620. Pour certains cantons, l’intégration dans le plan directeur cantonal
d’une mention relative à la création d’aires de stationnement est synonyme
d’exécution de leurs obligations à l’égard des Tziganes2115. A notre sens, une
telle approche est trop restrictive, pour plusieurs raisons.
1621. Rappelons, en effet, qu’à teneur de l’article 75 al. 1 Cst., il appartient en
premier lieu aux cantons d’aménager le territoire. Ce sont donc eux qui doi-
vent élaborer les principales mesures et lignes politiques, afin que notamment
les besoins de la population, au sens de l’article 3 al. 3 LAT, soient pris en
considération. En conséquence, une simple mention du principe de la création

2112
Rapport d’expertise 2001, p. 62. Comp. la position de RUCH par rapport à l’intérêt du plan directeur
en matière de liberté religieuse ; RUCH (2005B), p. 546.
2113
Comp. la situation dans la ville de Wil (SG) : Deux familles de Tziganes suisses avaient établi leur
résidence d’hiver depuis 1977 dans cette ville. L’aire de stationnement de la première famille se
trouvait depuis près de trente ans en zone agricole. Le lieu de stationnement de la seconde avait dû
être modifié plusieurs fois au fil des ans en raison de projets de construction sur les terrains qu’elle
avait successivement occupés. La dernière parcelle mise à disposition par les autorités se trouvait
en zone industrielle, et l’autorisation dérogatoire qui permettait leur stationnement était destinée à
arriver à échéance le 1er août 2006. Le plan directeur de Saint-Gall exigeant que les autorités trou-
vent des solutions, le canton a endossé une fonction de coordination et a assumé les coûts décou-
lant de l’aménagement des places. Les autorités communales ont finalement décidé de classer les
deux parcelles utilisées à l’heure actuelle afin de rendre le stationnement conforme à la zone. Com-
muniqué de presse de la ville de Wil, du 13 juillet 2005, http://wap.stadtwil.ch/news [consulté le 8
août 2006].
2114
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20.
2115
Voir ainsi la position du canton du Jura, BO/JU du 19 mai 2004, p. 303.

440
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

de places de stationnement dans le plan directeur ne saurait remplir la totalité


des mandats constitutionnels et législatifs imposés aux cantons à l’égard de
cette catégorie de la population.
1622. Deuxièmement, le plan directeur permet de clarifier une situation sou-
vent floue, où les collectivités et les autorités se renvoient la responsabilité
pour trouver une solution. Il en désigne clairement les autorités compétentes
pour régler les problèmes, pour fixer les délais et les moyens à employer pour
parvenir à la réalisation de places2116.
1623. Troisièmement, l’interdiction de la discrimination indirecte impose
également aux autorités d’adapter les lois cantonales d’aménagement du terri-
toire et du droit des constructions pour que celles-ci n’aient pas un impact né-
gatif disproportionné sur les Tziganes pratiquant un mode de vie nomade.
Nous avons déjà pu constater que parmi ces dernières se trouve la soustraction
à l’assujettissement à l’autorisation de construire2117.
1624. Enfin, on relèvera que la Confédération a la possibilité d’intervenir sur
le contenu des plans directeurs de deux manières qui prennent toutes deux
une importance significative en raison du champ d’action limité de la Confé-
dération vis-à-vis des compétences cantonales et communales2118.
1625. C’est premièrement à l’occasion de l’examen des nouveaux plans di-
recteurs cantonaux, soumis à l’approbation du Conseil fédéral selon les articles
11 LAT et 10 à 13 OAT, qu’elle peut encourager formellement les autorités can-
tonales à prendre en considération, dans cet instrument, la question de la créa-
tion d’aires de stationnement temporaire et durable2119.
1626. Cette démarche a été entamée en 2001, et permet à la Confédération de
contribuer à une généralisation de la création de places, en poursuivant ses
propres obligations de promotion et d’intégration des droits fondamentaux
des Tziganes suisses2120. En 2003, le Conseil fédéral a ainsi posé comme condi-
tion préalable à son approbation du plan directeur cantonal saint-gallois

2116
Art. 5 al. 2 let. a OAT. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 112.
2117
Rapport d’expertise 2001, p. 54 ; WALDMANN (2005), p. 954. Voir également supra Section B, 2.
2118
Le fait que la constitution fédérale n’octroie aucune compétence à la Confédération pour régler spé-
cifiquement la question de l’aménagement de places pour les Tziganes suisses a pour effet que les
plans sectoriels et les conceptions qu’elle est habilitée à adopter ne peuvent intégrer ce facteur ;
Rapport d’expertise 2001, p. 35.
2119
Dans ce sens, WALDMANN (2004), p. 957. A titre d’exemples, voir le Rapport d’examen du plan direc-
teur du canton de Saint-Gall du 3 décembre 2002, p. 9, le Rapport d’examen du plan directeur du
canton de Berne du 19 mai 2003, p. 15, ou encore le Rapport d’examen du plan directeur du canton
de Zoug du 11 avril 2005, p. 12, présentés par l’Office fédéral du développement territorial. Ces
rapports de synthèse sont élaborés sur la base de l’art. 10 al. 2 OAT et sont soumis ensuite au
Conseil fédéral, dont la décision n’est pas susceptible de recours ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 120.
2120
Dans ce sens, Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20 ; Rapport d’expertise 2001, p. 61.

441
La situation juridique des Tziganes en Suisse

l’adoption de mesures touchant à l’aménagement de lieux de halte permanente


et transitoire2121.
1627. Deuxièmement, la Confédération peut influencer le contenu des plans
directeurs cantonaux par le biais des Directives concernant l’établissement des
plans directeurs rédigées par l'Office fédéral du développement territorial2122.
Le Conseil fédéral voit dans ces directives un moyen pour pousser les cantons
à agir à leur niveau. Il propose ainsi que l’office compétent les adapte dans ce
sens et qu’il encourage les cantons à prendre des mesures au niveau de cet ins-
trument. A cet effet, cet office pourrait édicter des instructions et des recom-
mandations2123.
1628. On rappellera toutefois que le plan directeur cantonal est un instru-
ment à la portée limitée pour les Tziganes, du point de vue de la mise en œu-
vre effective de leurs droits fondamentaux, puisqu’il ne crée aucune prétention
justiciable pour les particuliers et qu’il ne peut prévoir que les conditions
d’application à l’affectation d’une place de stationnement2124. L’adoption de
plans d’affectation spécialisés est ainsi nécessaire.

1.2. L’intégration du nomadisme dans le plan d’affectation

1629. Après avoir exposé la pertinence du plan d’affectation pour la création


d’aires de stationnement (1.2.1.), nous présenterons les zones adaptées à cet ef-
fet qui doivent être prévues dans un plan d’affectation général (1.2.2.), avant
de donner un aperçu des principaux facteurs pertinents qui devraient être in-
tégrés dans un plan d’affectation spécial (1.2.3.). Enfin, nous examinerons la
légitimité d’une demande de régularisation a posteriori d’une situation
contraire au droit de l’aménagement du territoire, par le biais d’un classement
(1.2.4.).

1.2.1. La pertinence de l’instrument

1630. Selon le Tribunal fédéral, le plan d’affectation apparaît comme


l’instrument de planification privilégié pour prévoir la création de places de
stationnement temporaire ou durable en faveur des Tziganes2125. Dans le
contexte de cette procédure, notre Haute Cour considère toutefois que la réali-
sation des droits fondamentaux des Tziganes ne constitue que l’un des nom-

2121
FF 2003 458 (dans la version allemande de la Feuille fédérale uniquement). WALDMANN (2004), p.
957.
2122
Se fondant sur l’art. 8 OAT, cet office a ainsi publié Le plan directeur cantonal, Guide de la planifica-
tion directrice, Berne 1997.
2123
Avant-projet de rapport, Partie II, p. 20 ; Rapports d’experts 2001, p. 61.
2124
BO/FR du 25 mars 2003, p. 395. WALDMANN (2004), p. 957.
2125
ATF 129 II 321, 328 Bittel ; SJ 2005 I 529, 534-535.

442
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

breux intérêts se trouvant dans la balance et, a priori, ne bénéficie d’aucun


poids particulier.
1631. Or, cette appréciation est lacunaire au regard de la portée de la dimen-
sion collective du droit des minorités et de la réalisation du principe d’égalité.
En effet, toutes deux imposent la prise de mesures spécifiques destinées à per-
pétuer dans le temps l’identité culturelle tzigane, respectivement de parvenir à
la réalisation de leur égalité de fait. Dès lors, elles confèrent un poids particu-
lier aux besoins des Tziganes en matière de stationnement, distinct de celui
d’autres intérêts privés2126.
1632. La jurisprudence Bittel2127 a notamment pour résultat que les autorités
compétentes assument des obligations en matière de création de places même
lorsque le plan directeur cantonal demeure muet sur ce point2128. Les lacunes
du plan directeur en la matière ne constituent donc pas un obstacle infranchis-
sable. En conséquence, une modification préalable du plan directeur cantonal
n’est pas nécessaire pour planifier l’aménagement de places de stationnement,
bien qu’elle soit au demeurant souhaitable, en raison des apports que nous
avons relevés ci-dessus2129.
1633. Par contre, lorsque le plan directeur traite de la création de ces aires,
l’article 9 al. 1 LAT lie les autorités compétentes pour l’adoption des plans
d’affectation. En outre, lorsque le droit cantonal l’autorise, le canton peut
adopter les plans d’affectation nécessaires pour pallier l’inaction des commu-
nes qui ne mettent pas en œuvre certains objectifs en matière de planification,
au nombre desquels se trouve la création de places de stationnement2130. Enfin,
l’instrument du plan d’affectation est intéressant en raison de l’évaluation ré-
gionale des besoins et des effets du projet que doivent effectuer les autorités
communales lors de son adoption.

1.2.2. Les zones adéquates pour l’exercice du mode de vie nomade

1634. Le plan d’affectation général distingue entre la zone à bâtir et la zone


non constructible. De plus, il identifie ou crée les zones qui, à l’intérieur de la
zone à bâtir, sont adéquates pour la création d’aires de stationnement. De ce
fait, bien qu’aucune garantie ferme ne puisse être offerte quant à la réalisation

2126
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2. et Chapitre II, Section B, 4.
2127
ATF 129 II 321, Bittel.
2128
RUCH (2005b), pp. 546-547.
2129
Supra Section 1.2.
2130
WALDMANN (2004), p. 957. Comp. ainsi l’art. 25 de la loi cantonale fribourgeoise sur l’aménagement
du territoire et les constructions, du 9 mai 1983 (RS/FR 710.1), qui autorise le département canto-
nal compétent à établir des plans d’affectation cantonaux pour atteindre un certain nombre
d’objectifs, lorsque la réalisation de ces buts ne peut être atteinte par la voie des plans d’affectation
communaux.

443
La situation juridique des Tziganes en Suisse

d’un projet déterminé, ce type de plan offre des perspectives plus précises que
le plan directeur quant à leur réalisation effective.
1635. Les rapports d’expertise indiquent qu’actuellement les aires de séjour
et de transit existantes sont situées dans tous les types de zones2131. Or, une
majorité de ces aires ne sont pas conformes aux zones dans lesquelles elles se
trouvent en raison du mode de vie tzigane qui fait des caravanes tant un lieu
d’habitation qu’un lieu de travail.
1636. En effet, les zones destinées exclusivement à l’habitation sont exclues
du fait des immissions sonores causées par les activités économiques des Tzi-
ganes. De même, les zones industrielles posent un problème eu égard aux nui-
sances que subiraient les occupants de caravanes stationnant dans une aire qui
y serait aménagée. En outre, les Tziganes n’utilisant pas leurs caravanes pour
camper et se délasser, mais pour y vivre et travailler, les zones de camping et
de délassement ne sont pas non plus adaptées, puisque seules les construc-
tions conformes à ces buts peuvent y être autorisées selon la procédure ordi-
naire de l’article 22 LAT2132.
1637. Ce type de zone n’étant pas principalement consacré à l’implantation
d’habitations, mais à la préservation de la nature et du paysage, aucune aire
destinée à accueillir les Tziganes nomades ne peut y être aménagée, dès lors
que les caravanes ne constituent pas des constructions nécessaires aux activités
de loisirs des sédentaires. Dans ce contexte, l’obtention d’une autorisation dé-
rogatoire au sens des articles 24ss LAT demeure réservée2133.
1638. Une zone mixte d’habitation et d’artisanat peut s’avérer pertinente
puisque les perturbations générées par l’activité des Tziganes, bien
qu’existantes, n’en demeurent pas moins limitées2134. De même, les autorités
peuvent employer la zone de bâtiments et aménagements publics destinée à
accueillir des constructions d’utilité publique dans la zone à bâtir2135. Enfin,

2131
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12. Le Rapport d’expertise de 2001 indique par exemple que
les emplacements permanents qui existent actuellement sont situés pour certains dans la zone spé-
ciale destinée à l’aéroport, en zone de détente, ou encore en zone d’exploitation forestière, tandis
que les aires de transit se retrouvent en zone agricole ou encore dans la zone réservée à des bâti-
ments et aménagements publics ; Rapport d’expertise 2001, pp. 20 et 22 ainsi que 26-27.
2132
WALDMANN/HÄNNI (art. 22), N. 53.
2133
ATF 118 Ib 503, 506-507Thalwil. BRANDT/MOOR (art. 18), N. 11 et 48 ; Rapport d’expertise 2001, p.
36. Voir également infra Section D.
2134
Au sujet de ce type de zone, voir WALDMANN/HÄNNI (art. 18), N. 11. Comp. également WALD-
MANN/HÄNNI (art. 22), N. 37-38, au sujet des constructions autorisées dans les zones mixtes.
2135
Rapport d’expertise 2001, pp. 36-37. Au sujet de ce type de zone, voir BRANDT/MOOR (art. 18), N.
21 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 18), N. 19-20. Comp. la situation dans le canton de Genève : tous les
projets développés par les autorités cantonales et communales ont trait au déplacement de l’aire de
stationnement permanent existant depuis 1966 sur le terrain du Molard, dans la commune de Ver-
soix. En effet, ce dernier étant considéré comme impropre à cette fonction du fait de son exiguïté,
des difficultés d’accès et de son insalubrité, la commune de Versoix et le canton de Genève ont ten-
té depuis 1986 de trouver une alternative offrant des conditions de vie acceptables. Après seize
échec, le législateur genevois a adopté, le 16 mai 2003, la loi n°8836 modifiant les limites de zones
de la commune de Versoix, en créant au lieu dit « La Bécassière » deux zones, une première « zone

444
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

l’article 18 LAT permet au canton de créer des zones d’affectation répondant à


des « besoins spécifiques », ce qui peut inclure ceux des Tziganes nomades2136.
Ainsi, le canton d’Argovie2137 ou encore le canton de Bâle-Campagne2138 ont
adopté ce type de plan.
1639. L’article 23 LAT autorise le droit cantonal à prévoir des exceptions
permettant la construction d’ouvrages hors de la zone adaptée, mais à
l’intérieur de la zone à bâtir. A teneur de l’article 25 al. 1er et 3 LAT, les autori-
tés cantonales sont compétentes pour adopter une réglementation prévoyant
les conditions matérielles d’octroi d’autorisations dérogatoires2139.
1640. Les cantons qui ont adopté ce type de réglementation prévoient
qu’elles sont conférées en cas de nécessité et si aucun intérêt public ou privé
prépondérant ne s’y oppose2140. Dans ce contexte, nous montrerons ultérieu-
rement que lorsque le droit cantonal ne prévoit aucune zone permettant le sta-
tionnement de caravanes tziganes, les droits fondamentaux des Tziganes no-
mades devraient pouvoir fonder un droit conditionnel à l’octroi d’une autori-
sation de construire dérogeant à la conformité de la zone à bâtir2141.

1.2.3. Les critères à intégrer dans le plan d’affectation spécialisé

1641. Le plan d’affectation spécialisé est l’instrument de planification le plus


détaillé en matière d’aménagement de lieux de halte. En effet, pour un terrain
déterminé et désigné, il définit notamment son équipement, ses voies d’accès
ou encore le cahier des charges.
1642. Or, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’existait pas, dans tous les cas,
d’obligation d’adopter un plan d’affectation spécialisé pour créer une aire de

4B affectée à l’habitation des forains et des gens du voyage » et deuxième rattachée à la catégorie
des « zones des bois et forêts ». Les deux périmètres en question étaient auparavant inclus dans la
zone agricole du plan général d’affectation genevois. Affectée uniquement aux caravanes
d’habitation, cette nouvelle zone 4B présente la particularité d’être exclusivement destinée au relo-
gement des forains et Tziganes se trouvant sur le terrain du Molard. Tant la réalisation de
l’emplacement lui-même que des installations annexes qui permettent de l’aménager sont, en outre,
déclarées d’utilité publique, permettant par ce biais l’acquisition, par voie d’expropriation, des im-
meubles et des droits nécessaires à leur réalisation ; art. 1 al. 2 et 3 de la loi n° 8836 ; SJ 2005 I
529, 530 ; Rapport de la Commission d’aménagement du canton relatif au projet de loi PL8836-A du
29 avril 2003, p. 2.
2136
Voir l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12 ; Rapport d’expertise 2001, p. 37.
2137
BO/AG du 18 novembre 2003, p. 2520.
2138
Communiqué de presse de la Direction des constructions et de la protection de l’environnement du
canton de Bâle-Campagne du 20 avril 2004 : le canton a adopté une « Zone spéciale pour les Tzi-
ganes ».
2139
L’art. 23 LAT ne suffit pas, en soi, pour fonder une prétention visant à l’octroi d’une telle autorisa-
tion ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 256.
2140
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 256-257.
2141
Infra Section 1.3. A ce sujet, voir WALDMANN (2004), p. 959. Comp. RUCH (2005b), p. 554, au sujet
de la possibilité d’obtenir, sur la base de la liberté religieuse, une dérogation à la conformité de la
zone, dans une zone à bâtir, pour des constructions cultuelles lorsque le plan de zones ne prévoit
rien à leur égard.

445
La situation juridique des Tziganes en Suisse

stationnement. Certes, dans l’arrêt Bittel, le Tribunal fédéral a indiqué qu’un


plan d’affectation spécialisé s’imposait dans le cas d’espèce. Par contre, dès
lors que la réglementation du plan général d’affectation est suffisamment
claire, les éventuelles questions afférant au droit fédéral de l’environnement
peuvent être résolues au stade de la modification du plan de zones, voire, ulté-
rieurement, lors de la procédure d’autorisation de construire2142.
1643. Toutefois, lorsqu’un plan spécialisé est adopté, les aires de stationne-
ment tant temporaire que permanent doivent être planifiées de manière à ce
qu’aussi bien l’habitat que l’exercice d’une activité lucrative y soit autorisés.
Sur une aire d’arrêt fixe, le travail à l’année doit être possible, tandis que les
utilisateurs d’aires de transit doivent pouvoir y exercer leurs activités en tout
cas jusqu’à un mois2143.
1644. Selon le type d’aire envisagée, le contenu du plan d’affectation doit
changer. Ainsi, les expertises indiquent qu’un emplacement permanent doit
permettre l’accueil de dix caravanes au moins. Du point de vue de son lieu
géographique, on rappellera l’importance de la proximité des centres urbains,
pour que l’exercice de la liberté économique, du droit à l’accès aux soins et du
droit à l’éducation des enfants en âge de scolarité ne soit pas rendu trop diffi-
cile2144. En outre, ces lieux de halte doivent être situés de manière à ce que les
immissions causées par les activités économiques des Tziganes ne soient pas
incompatibles avec les exigences de quartiers purement résidentiels.
1645. Lorsqu’il est créé par le biais de la planification, un emplacement tem-
poraire doit également pouvoir accueillir au minimum dix caravanes2145. Par
ailleurs, l’impact de la création de site de halte sur le trafic induit est naturel-
lement un facteur important à prendre en compte.
1646. Ici aussi, on distinguera entre stationnement durable ou temporaire.
Ainsi, une aire d’habitation à l’année ne provoquera pas le même accroisse-
ment de trafic sur le réseau routier local qu’une aire de transit. Relevons que
selon le Tribunal fédéral, dans le cadre de la création d’un lieu de stationne-
ment durable, l’analyse du respect des exigences fédérales en matière de pro-
tection contre le bruit, au sens de l’article 9 OPB, peut être réalisée à l’occasion
de la procédure d’autorisation de construire2146.

2142
SJ 2005 529, 541.
2143
Rapport d’expertise 2001, pp. 14 et 17.
2144
Memorandum MG-S-ROM (2000) 3 ; SIEDEL, p. 56. Dans ce sens également, Rapport d’expertise
2001, p. 16.
2145
Rapport d’expertise 2001, p. 19.
2146
SJ 2005 I 529, 540.

446
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1.2.4. La révision du plan d’affectation en faveur des Tziganes nomades

1647. Selon la doctrine, il n’est pas possible de déduire des droits fondamen-
taux un droit justiciable permettant d’exiger des autorités qu’elles adoptent un
plan d’affectation comprenant des mesures spécifiques2147. Ainsi, pour Bern-
hard WALDMANN, le propriétaire tzigane d’une parcelle inadaptée pour le sta-
tionnement de caravanes ne peut pas exiger des autorités qu’elle soit classée
de manière à la rendre conforme au droit2148. A notre sens, cette affirmation
mérite toutefois d’être nuancée, au regard de la légitimité des propriétaires
fonciers de demander, dans certaines circonstances, à ce que le plan
d’affectation de leur terrain soit révisé.
1648. En effet, dans son arrêt Bittel, le Tribunal fédéral a jugé qu’en toute
hypothèse, la parcelle du recourant ne pouvait pas être employée pour faire
stationner des caravanes du fait des impératifs découlant de la législation fédé-
rale en matière de protection des eaux et des forêts2149. Se fondant sur ce cons-
tat, le Tribunal fédéral a affirmé qu’il était « exclu de régulariser la situation du
recourant moyennant l’adoption préalable d’un plan d’affectation »2150. A
contrario, il semble possible de considérer que, dans d’autres circonstances, il
aurait été envisageable d’examiner la question de la régularisation a posteriori,
par le biais d’une planification adéquate, de la situation du recourant.
1649. Une telle démarche va certes à l’encontre des principes de la force
obligatoire des plans, qui limite la faculté d’usage du propriétaire découlant de
son droit de propriété2151, et de leur stabilité, synonyme de sécurité juridique,
qui sont consacrés à l’article 21 al. 1 LAT2152. L’article 21 al. 2 LAT pose toute-
fois en contrepoint le principe de l’adaptation obligatoire des plans lorsque les
circonstances se sont sensiblement modifiées et qu’une révision s’avère néces-
saire2153.
1650. Dès lors, bien qu’en principe le plan d’affectation ne puisse être atta-
qué que par la voie d’un contrôle direct, le Tribunal fédéral admet son contrôle
préjudiciel dans certaines circonstances2154. Or, la loi n’octroie aux particuliers
aucun droit d’initiative pour réviser un plan : le droit cantonal ou communal
confère cette faculté aux autorités, la population étant cependant parfois légi-
timée à lancer une pétition ou une initiative populaire.

2147
HÄNNI (2002), p. 510 ; RIEDER (1999), pp. 172-173 ; WALDMANN (2004), p. 958. Comp. également
mutatis mutandis KIENER/KUHN, pp. 636 et 643.
2148
WALDMANN (2004), p. 958.
2149
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
2150
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
2151
TANQUEREL (art. 21), N. 10 et 18.
2152
TANQUEREL (art. 21), N. 12-13.
2153
TANQUEREL (art. 21), N. 14 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 13-14.
2154
ATF 127 I 103, 106 Lausen, ATF 120 Ia 227, 233 Pully, ATF 106 Ia 383, 385-386 Zuoz. TANQUEREL
(art. 21), N. 25-26 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 23 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 187.

447
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1651. Cette ouverture vers le contrôle incident du plan a donc pour effet de
consacrer, par voie jurisprudentielle, un droit d’initiative en faveur des parti-
culiers pour lancer la procédure de révision2155. Un propriétaire foncier est no-
tamment légitimé à requérir la révision du plan applicable à sa parcelle lors-
que l’on constate une évolution « sensible » des circonstances ou une modifica-
tion des dispositions légales2156. Dans ce cas, plusieurs facteurs doivent être
pris en considération.
1652. Le degré de l’atteinte portée aux intérêts en présence est un critère im-
portant2157. Les changements de comportements et l’apparition de nouveaux
besoins, notamment en matière de logement, qui n’avaient pas été intégrés au
moment de la planification, pèsent aussi dans la balance2158. Les principes gé-
néraux de l’aménagement du territoire découlant de l’article 3 LAT constituent
également des motifs importants justifiant la révision d’un plan2159.
1653. Lorsqu’ils sont significatifs, ces changements ont pour effet que le plan
d’affectation relatif à une parcelle ne poursuit plus d’intérêt public2160. C’est
donc bien le défaut d’intérêt public, l’une des conditions exigées par l’article 36
Cst. pour légitimer l’atteinte à la garantie de la propriété, qui justifie cette re-
quête opposée au principe de la stabilité des plans2161. On rappellera qu’en
tant que mesure portant atteinte à un ou plusieurs droits fondamentaux, un
plan d’affectation doit également respecter le principe de proportionnalité
sous peine de violer les droits fondamentaux atteints2162.
1654. Au regard des différents droits fondamentaux concernés par la possi-
bilité de créer une aire de stationnement, la nécessité de réviser un plan peut
s’avérer d’autant plus nécessaire pour un propriétaire tzigane. La précarité
particulière des conditions de vie de la minorité tzigane en Suisse, ainsi que les
exigences découlant du droit des minorités, sont des facteurs oeuvrant en fa-
veur d’une ouverture vers une régularisation a posteriori d’une aire créée en
violation avec la conformité de la zone.
1655. En effet, l’intérêt public reconnu à la protection de la minorité tzigane
par le biais du respect des besoins minimaux de ses membres, ainsi que le res-
pect de la proportionnalité, qui exige d’analyser l’impact particulier d’une me-

2155
TANQUEREL (art. 21), N. 52-53 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 22 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 187.
2156
L’adoption de nouvelles normes ou une modification de la jurisprudence exigent de procéder à une
révision ; TANQUEREL (art. 21), N. 38; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 15.
2157
TANQUEREL (art. 21), N. 34.
2158
ATF 124 II 391, 396 Ersigen. TANQUEREL (art. 21), N. 35 et N. 44.
2159
WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 20, et références jurisprudentielles à la note 54.
2160
ATF 121 II 317, 345, Aéroport de Cointrin; ATF 120 Ia 227, 231-233, Pully. TANQUEREL (art. 21), N.
26; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 16 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 187.
2161
A ce sujet, ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 182-184.
2162
WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 8.

448
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

sure de planification sur la situation concrète d’un individu, au regard des cir-
constances d’espèce, s’imposent aux autorités et doivent être pris en compte.
1656. Ces critères sont renforcés par le fait que ce n’est que depuis l’arrêt Bit-
tel de 2003 que la LAT est interprétée en faveur de l’intégration des besoins des
Tziganes lors de l’aménagement du territoire. En conséquence, l’écrasante ma-
jorité des politiques d’aménagement du territoire en Suisse n’a pas encore pris
en considération cet intérêt et nous pourrons constater ci-après qu’il existe de
nombreux obstacles s’opposant à une amélioration rapide de la situation2163.
1657. Les développements récents de la jurisprudence fédérale et de la poli-
tique des autorités à l’égard de la minorité tzigane et de ses besoins constituent
une « évolution sensible des circonstances ». Ce constat devrait permettre à un
propriétaire foncier tzigane de requérir des autorités, de manière incidente,
qu’elles envisagent la modification du plan d’affectation qui touche sa parcelle.
En soi, cette ouverture ne signifie pas nécessairement que le particulier obtien-
dra ce qu’il souhaite, puisque les conditions légales devront être remplies. Par
exemple, si la parcelle se trouve hors d’une zone à bâtir, le respect des exigen-
ces matérielles de l’article 24 LAT devra être assuré pour que la révision soit
envisageable2164.
1658. Sans pour autant garantir de résultat inconditionnel aux propriétaires
privés tziganes ayant acquis un terrain non constructible pour y aménager une
aire durable de stationnement, cette ouverture vers le contrôle indirect du plan
d’affectation présente l’intérêt incontestable de contraindre les autorités à se
préoccuper de la problématique de la création d’aires en nombre et qualité suf-
fisants. La pesée des intérêts qui s’imposera dans ce contexte permettra de
prendre en considération les impératifs découlant des droits fondamentaux et
il n’est pas exclu qu’elle conduise à une régularisation du cas d’espèce.

1.3. L’octroi d’une autorisation de construire

1659. Nous avons constaté qu’une aire de stationnement doit en principe se


trouver dans une zone spécifique qui lui est adaptée, se situant à l’intérieur de
la zone à bâtir générale2165. Toute zone constructible n’étant pas, en soi, utilisa-
ble pour la création d’une aire de stationnement, l’autorisation ordinaire de
construire, au sens de l’article 22 LAT, ne peut être délivrée que si l’ouvrage
est conforme à la zone2166.

2163
Infra Section 3.
2164
TANQUEREL (art. 21), N. 50. Voir également supra, Section A, 3.2.2., a et infra Section D, 2.1.
2165
WALDMANN (2004), p. 959.
2166
HÄNNI (2002), pp. 191-192 ; RUCH (2005b), p. 559 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 227.

449
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1660. Le droit cantonal peut toutefois prévoir l’octroi d’une autorisation de


construire dérogeant à la conformité de la zone, au sens de l’article 23 LAT2167.
Dans ce contexte, il devrait être envisageable de déduire des droits fondamen-
taux des Tziganes un droit conditionnel à l’obtention de cette autorisation dé-
rogatoire, lorsqu’il n’existe aucune zone adéquate à proximité et qu’aucun in-
térêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose2168.
1661. Lorsqu’un terrain se trouve dans une zone adéquate, ou qu’une déro-
gation au sens de l’article 23 LAT a été accordée, la création et l’aménagement
d’une aire de stationnement suivent les règles ordinaires de l’autorisation de
construire au sens de l’article 22 LAT. A cet effet, l’article 22 al. 2 let. b LAT
exige que le terrain prévu pour la création d’un lieu de halte soit équipé, au
sens de l’article 19 al. 2 LAT2169. Il est ainsi nécessaire d’assurer la connexion
du terrain aux conduites d’eau et d’énergie, mais également sa desserte par
des voies d’accès2170.

2. Le cadre juridique entourant le stationnement sur une


aire

1662. Lorsqu’une aire a été aménagée dans une zone adaptée, la question du
stationnement de caravanes ne se pose pas sous l’angle de sa légitimité, mais
sous celui des conditions entourant l’utilisation des aires. Au regard des garan-
ties conférées par les droits fondamentaux, il sied de déterminer s’il est accep-
table d’exiger une autorisation pour leur utilisation (2.1.), ainsi que les critères
qualitatifs qu’elles doivent offrir (2.2.).

2.1. L’exigence d’une autorisation pour stationner

1663. Nous avons d’ores et déjà établi que des caravanes stationnant
temporairement ne devaient pas être assujetties à un permis de construire, que
cela soit à l’intérieur ou hors d’une aire de stationnement2171. De même, nous
avons expliqué pourquoi nous jugeons problématique d’exiger une
autorisation de construire pour un stationnement durable, durant les mois
2167
HÄNNI (2002), pp. 193-194 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 228.
2168
WALDMANN (2003), p. 697 ; WALDMANN (2004), p. 959.
2169
HÄNNI (2002), p. 192 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 19), N. 30-31; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 256. La
notion d’équipement est une notion de droit fédéral, au sens de l’art. 19 al. 1 LAT. Cette disposition
qualifie un terrain d’équipé lorsque des voies d’accès qui le desservent sont adaptées à son utilisa-
tion prévue, et qu’aucun frais disproportionné ne doit être engagé pour l’alimenter en eau, en éner-
gie et pour évacuer les eaux usées ; WALDMANN/HÄNNI (art. 19), N. 18-28 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-
ECABERT, pp. 317-319 et 322-324.
2170
L’équipement de la parcelle est une condition d’affectation d’un terrain en zone à bâtir, ainsi qu’une
condition d’octroi de l’autorisation de construire; ZEN-RUFFINEN (2005), p. 790 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-
ECABERT, pp. 317-335.
2171
Supra Section B, 2.

450
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

construire pour un stationnement durable, durant les mois d’hiver, sur une
aire destinée à cet effet2172. Nous examinons ci-dessous s’il est envisageable
d’exiger une autorisation dite « de camping ».
1664. Lorsque l’aire de stationnement est une place gérée par l’Etat, il est ac-
ceptable de prévoir un règlement d’utilisation, précisant par exemple les
conditions et les tarifs pour occuper les places. Appartenant au patrimoine
administratif de l’Etat, il est normal que des règles définissant l’usage normal
de ce type d’équipement public soient posées et respectées.
1665. Dans ce cadre, on peut admettre l’obligation de payer une taxe, ainsi
qu’un devoir de s’annoncer à l’autorité chargée de ces aires, dans une optique
de gestion optimale des ressources à disposition. Il importe que seuls des critè-
res liés à une gestion correcte des ressources à disposition soient pris en
compte, à l’exclusion de toute exigence supplémentaire qui aurait un effet di-
rectement ou indirectement vexatoire.
1666. Le principe d’égalité de traitement exige que les normes réglementant
l’usage de ces lieux soient spécifiques à l’égard du mode de vie minoritaire
tzigane. Ainsi, il n’est pas justifié que l’on y applique sans autres les règles va-
lables dans les campings à l’égard des sédentaires passant des vacances en ca-
ravanes, ni celles encadrant le stationnement de caravanes hors d’un site de
camping.
1667. En 2001, le Conseil d’Etat vaudois a édicté un arrêté destiné à créer en
urgence une aire de stationnement temporaire. Ce projet n’a toutefois pas vu le
jour, pour des raisons que nous examinerons ultérieurement2173. Cette tenta-
tive avortée est cependant intéressante car elle illustre, à notre sens, les pro-
blèmes qui surgissent lorsque aucune réglementation spécifiquement adaptée
au stationnement de caravanes tziganes n’existe.
1668. En effet, du fait que le droit vaudois ne traite le stationnement de cara-
vanes que sous l’angle du camping de sédentaires, il était prévu que le station-
nement des Tziganes nomades sur le projet d’aire soit soumis aux règles en vi-
gueur pour le camping hors des sites prévus à cet effet2174. A teneur de l’article
27 al. 1 de la loi vaudoise sur le camping-caravaning résidentiel, du 11 sep-
tembre 19782175, « le camping occasionnel, hors des places autorisées, n'est
permis qu'avec l'assentiment du propriétaire du fonds ou, le cas échéant, du
fermier ou du locataire. Pour une durée de plus de 4 jours, l'autorisation de la
commune est requise. »
1669. D’autres cantons connaissent également ce régime. A titre d’exemples,
l’article 2 de la Campingverordnung du canton d’Appenzell-Rhodes Intérieures,

2172
Supra Section B, 3.
2173
Infra Section D, 1.2.
2174
Voir également le quotidien La Cote, du 31 mai 2001.
2175
RS/VD 935.61.

451
La situation juridique des Tziganes en Suisse

du 12 juin 19732176, ou encore l’article 2 de la Campingverordnung du canton


d’Uri, du 12 juin 19612177, prévoient que toute parcelle mise à disposition pour
l’accueil régulier de caravanes ou de tentes est qualifiée de terrain de camping.
1670. Pour sa part, l’article 71 al. 1 de la loi sur l’aménagement du territoire
et les constructions du canton de Fribourg, du 9 mai 19832178, n’autorise l’arrêt,
pour plus d’un mois, que sur une zone affectée au camping-caravaning.
L’alinéa 2 précise que le plan créant cette zone n’est approuvé que s’il existe un
besoin touristique dûment justifié.
1671. Il découle de ce type de réglementation que ce sont les normes en ma-
tière de camping qui s’appliquent aux parcelles sur lesquelles stationnent ré-
gulièrement des caravanes. Or, rappelons que le camping, en tant que moyen
de délassement, et l’utilisation que font les Tziganes de leurs caravanes sont
incompatibles2179. En considérant que des caravanes ne peuvent être em-
ployées que pour faire du camping, ces normes rendent illégitime tout autre
usage de ce type d’habitation. Cette exclusion injustifiée du cas spécifique du
nomadisme tzigane nous apparaît contraire à l’interdiction de la discrimina-
tion2180.
1672. Le projet avorté du Conseil d’Etat vaudois souligne cette incompatibi-
lité entre le délassement et le mode de vie nomade et la reconnaît implicite-
ment, ce qui soulève de nouvelles difficultés au regard des exigences de
l’article 8 Cst. Premièrement, du point de vue de l’égalité de traitement, le pro-
jet considérait que le stationnement de caravanes tziganes sur une aire
d’accueil équivaut à un stationnement « sauvage », alors que, précisément, la
création d’une aire de halte officielle doit avoir pour résultat de légitimer
l’arrêt. A notre sens, le stationnement doit être qualifié de légal, dès lors qu’il
s’effectue sur une aire prévue à cet effet et est conforme aux exigences de la
LAT.
1673. Le projet du Conseil d’Etat vaudois avait pour objectif d’aménager des
places destinées à l’accueil des caravanes tziganes. On peine dès lors à voir les
motifs objectifs et raisonnables justifiant d’assimiler le stationnement de cara-
vanes à du « camping sauvage » lorsque les caravanes s’arrêtent sur un lieu
conçu dans ce but.
1674. Ensuite, par une interprétation a contrario de l’article 27 al. 1 de la loi
vaudoise sur le camping-caravaning, on constate que le régime de
l’autorisation n’est pas appliqué à des sédentaires passant des vacances sur un
terrain de camping pendant plus de quatre jours. Le fait de persister, ici aussi,

2176
RS/AI 1019.
2177
RS/UR 70.2331.
2178
RS/FR 710.1.
2179
Supra Section 1.2.2.
2180
Au sujet des notions de discrimination directe et indirecte, voir supra Titre Troisième, Chapitre II,
Section A, 2.2.2.

452
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

à soumettre à autorisation toute utilisation d’une caravane hors d’un contexte


vacancier sur un terrain de camping, autrement dit hors du mode de vie de la
population sédentaire majoritaire, dénote une vision de la question qui est
problématique non seulement au regard de l’interdiction de la discrimination,
mais aussi de l’article 27 Pacte II.
1675. En effet, alors que nous avons constaté ci-dessus que l’on assimilait le
mode de vie nomade à du camping, le fait d’exiger des Tziganes une autorisa-
tion pour séjourner sur un terrain qui leur est attribué revient à les traiter
moins bien que des campeurs sédentaires s’arrêtant sur un terrain de camping.
A nouveau, aucun motif objectif et raisonnable ne justifie cette dépréciation
rattachée au mode de vie des Tziganes.
1676. Cette vision faussée de la situation a pour conséquence, premièrement,
que lorsque le droit cantonal ne contient aucune réglementation traitant en
particulier du stationnement des caravanes tziganes, la création de ces terrains,
même par la voie de la planification, ne facilite pas la situation de ces derniers
d’un point de vue administratif et pose encore des problèmes au regard de
l’interdiction de la discrimination. Deuxièmement, elle n’offre aucune assu-
rance aux Tziganes, puisque l’autorité a toute latitude pour leur refuser cette
autorisation.
1677. Dès lors, nous estimons que l’égalité de traitement et l’interdiction de
la discrimination imposent que les autorités ne puissent exiger l’octroi d’une
autorisation de police pour pouvoir s’arrêter ou rester au-delà d’une certaine
période sur une aire de stationnement2181. Certes, dans une optique de gestion
des ressources à disposition, on admettra un devoir de s’annoncer à l’autorité
en charge de l’aire. Si des places sont à disposition, celle-ci ne devrait pas pou-
voir refuser le stationnement des nouveaux arrivants.

2.2. La qualité des aires de stationnement

1678. Le rapport d’expertise de 2001 souligne que l’essentiel du parc de pla-


ces existant à ce jour en Suisse doit être amélioré qualitativement. Pour procé-
der à son évaluation, il se réfère à quatre critères : l’infrastructure, le prix de
location, l’insécurité juridique quant au devenir du lieu au regard du droit de
l’aménagement du territoire, et la période d’ouverture. Lors de nos dévelop-
pements relatifs aux exigences posées par le droit à un logement adéquat dans
un environnement sain, nous avons conclu que ces facteurs permettent préci-
sément de déterminer si cette garantie fondamentale est respectée à l’égard des
Tziganes nomades2182.

2181
Les autorités ont toutefois le droit de veiller à ce que l’arrêt sur une aire de transit ne soit pas si
long qu’il devienne permanent.
2182
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.2.

453
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1679. Le rapport conclut que sur 48 aires de transit existant actuellement,


une seule peut être qualifiée de « bonne ». Toutes les autres présentent des
manquements, cumulant généralement plusieurs lacunes, en premier lieu du
point de vue de la qualité des infrastructures mises à disposition et de
l’absence d’assurance quant à la pérennité du lieu en raison de son inadéqua-
tion vis-à-vis du droit de l’aménagement du territoire2183.
1680. Au sujet de la période d’ouverture des aires de transit, les expertises
indiquent que celles existant actuellement connaissent des régimes très varia-
bles. Ainsi, beaucoup d’entre elles ne sont pas ouvertes, ou alors uniquement
partiellement ouvertes, durant la période de l’année où les Tziganes nomades
voyagent2184. Ceci réduit donc les possibilités d’utilisation.
1681. Or, il est contradictoire de créer des places si elles ne peuvent pas être
utilisées conformément à ce que leur raison d’être impose. Il est donc impor-
tant que les places de stationnement permanent soient à disposition toute
l’année, et celles destinées au transit durant la période de voyage. En outre, il
est nécessaire que les aires créées ou désignées pour le stationnement transi-
toire soient consacrées exclusivement à l’accueil de Tziganes nomades, et non,
par exemple, aux sédentaires passant des vacances en camping2185.
1682. De plus, sur onze emplacements permanents, seulement trois sont ju-
gés comme étant « bons », tandis que sept aires sur les huit autres souffrent
également de l’absence de sécurité juridique, ce qui hypothèque leur avenir2186.
Or, cette insécurité est particulièrement problématique dans le contexte du sta-
tionnement permanent, puisqu’elle ne permet pas d’offrir aux particuliers
concernés de garanties en matière de respect du domicile. Nous aurons égale-
ment l’occasion d’analyser ultérieurement l’impact de cette incertitude lors de
notre analyse consacrée à la conciliation de l’exigence du domicile et de
l’exercice d’un mode de vie nomade2187.
1683. Les différentes lacunes du parc de places existant ont pour résultat
qu’on peine à pouvoir parler de respect du droit à un logement adéquat dans
ces circonstances. Les exigences qui en découlent imposent une amélioration
qualitative des places existantes. Elles offrent également une série de critères à
prendre en considération par les autorités en charge de la planification lors-
qu’elles envisagent de créer une nouvelle aire de stationnement.

2183
Rapport d’expertise 2001, pp. 23-24.
2184
Rapport d’expertise 2001, pp. 22-23.
2185
Le Rapport d’expertise indique ainsi que parmi les aires existant d’ores et déjà, près d’une place de
transit sur cinq n’est disponible que sur demande et qu’elle est autrement utilisée à d’autres fins ;
Rapport d’expertise 2001, p. 23.
2186
Rapport d’expertise 2001, p. 21.
2187
Infra Chapitre IV.

454
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

3. Les obstacles à l’adoption de plans d’affectation

1684. D’un point de vue théorique, il est incontestable que l’hypothèse du


stationnement effectué sur une aire de halte, située dans une zone à bâtir, illus-
tre la situation « idéale », tant au regard des normes de l’aménagement du ter-
ritoire et du droit des constructions qu’en raison de la sécurité juridique qui en
découle, synonyme de pérennité pour les lieux concernés. Avant même l’arrêt
Bittel de 2003, le rapport d’expertise de Saint-Gall préconisait en 2001 que les
aires d’accueil dans des zones répondent à l’objectif de leur utilisation et sui-
vent la procédure ordinaire du droit des constructions2188.
1685. Or, la réalité du terrain rend cette procédure inadéquate lorsqu’il s’agit
de dégager des solutions à court et moyen termes. Les obstacles à l’adoption
de plans d’affectation trouvent leurs racines dans les réticences financières et
politiques des communes (3.1.), d’une part, et dans l’utilisation, dans certaines
communes, du référendum administratif pour l’approbation des plans
d’affectation (3.2.), d’autre part.

3.1. Les réticences des communes

1686. Les difficultés pour adopter des plans d’affectation sont de nature fi-
nancière, premièrement, car en raison de la répartition des compétences opérée
généralement par le droit cantonal, la création d’aires d’accueil relève de la
responsabilité des communes. Or, celles-ci estiment pour leur part que de tels
aménagements – et les coûts y relatifs – sont des tâches appartenant au can-
ton2189. Elles affirment être démunies lorsqu’elles sont confrontées à la situa-
tion et en appellent au canton pour agir, en équipant le territoire cantonal2190.
1687. Les obstacles sont aussi juridiques, car pouvant faire l’objet d’une op-
position, puis d’un recours, de la part de tout particulier pouvant démontrer
l’existence d’un intérêt digne de protection, la réalisation de ce type de plans
est mise en échec, ou tout du moins retardée2191. On rappellera, par ailleurs,
que quand le droit cantonal le permet, lorsque le canton décide d’adopter un
plan d’affectation en se substituant à une commune, ou quand il crée lui-même
une zone spécifique, les communes ont également qualité pour s’opposer2192.

2188
Rapport d’expertise 2001, p. 32.
2189
BO/FR du 25 mars 2003, p. 369 ; BO/JU du 19 mai 2004, p. 302.
2190
BO/FR du 25 mars 2003, pp. 368-369.
2191
A titre d’exemple, voir le recours de droit administratif déposé par des riverains contre la loi n° 8836
adoptée le 16 mai 2003 par le Grand Conseil genevois modifiant les limites de zones du territoire de
la commune de Versoix pour créer une zone 4B affectée au stationnement des Tziganes nomades.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours ; SJ 2005 529.
2192
Supra Section A, 3.1.2., c.

455
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1688. La fréquence de ce type d’opposition est d’ailleurs si importante


qu’elle fait douter certaines autorités cantonales de l’opportunité, eu égard aux
besoins des Tziganes nomades, de la formalisation de la création des aires de
stationnement. Ainsi, le canton d’Argovie connaît une série de places de
stationnement « officieuses », « discrètement » utilisées par les Tziganes
nomades en transit2193.
1689. D’une manière générale, les autorités cantonales constatent que lors-
qu’elles approchent les communes en vue de créer des zones spéciales par le
biais de la procédure de planification, ces dernières opposent leur refus2194. Pa-
radoxalement, l’insécurité juridique des places existantes – qui, rappelons-le,
est l’un des paramètres qualitatifs négatifs touchant la quasi-totalité des pla-
ces2195 - garantit, aux yeux des autorités concernées, l’existence de ces lieux de
halte2196.

3.2. Les référendums portant sur la création d’une aire

1690. Les difficultés les plus importantes pour parvenir à l’approbation des
plans d’affectation créant des places de stationnement surgissent lorsque le
droit applicable prévoit la participation du peuple pour l’adoption des plans
nécessaires2197. Dans ce cadre, le peuple n’exprime pas sa volonté politique,
d’une manière libre, mais agit en tant qu’organe de l’Etat, dans le contexte
d’une procédure administrative et des règles applicables en la matière2198.
L’approbation électorale ne modifie pas la place hiérarchique de l’acte adopté.
L’ensemble du droit supérieur, y compris les droits fondamentaux, doit être
respecté et la liberté de vote ne légitime pas le résultat d’un scrutin contraire à
ces garanties2199.
1691. Or, les débats touchant aux naturalisations ordinaires par le biais des
urnes ont illustré les difficultés pouvant surgir lorsque le souverain s’exprime
en tant qu’autorité administrative et que des droits fondamentaux individuels

2193
Rapport d’expertise 2001, p. 32.
2194
Rapport d’expertise 2001, p. 32. Plus spécifiquement, dans le canton de Bâle-Campagne, voir le
communiqué de presse de la Direction des constructions et de la protection de l’environnement, du
20 avril 2004. Dans le canton de Genève, sur quarante-cinq communes consultées par le canton
pour créer une aire de stationnement, quarante-trois ont répondu non, puis une s’est rétractée pour
des raisons économiques car une industrie de luxe refusait la proximité de caravanes tziganes.
Seule la commune de Versoix a accepté ; voir le MGC, séance du 16 mars 2000, interpellation IU
828 MEYLL. Pour le canton de Fribourg, voir également le quotidien La Gruyère, du 24 novembre
2005.
2195
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.2.
2196
Rapport d’expertise 2001, p. 32.
2197
BO/AG du 19 mars 1998, p. 766 ; OFJ (2001), p. 361.
2198
ATF 129 I 232, 240 Zürich. Voir également AUER/VON ARX, pp. 924-925; OFJ (2004), p. 1066 ; WALD-
MANN (2003), pp. 449-455.
2199
ATF 129 I 217, 224-227 Emmen, ATF 129 I 232, 240, 247, Zürich. TANQUEREL (2006), pp. 562-563.

456
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

sont susceptibles d’être atteints par la décision soumise au vote populaire.


Dans certains cas, les exigences démocratiques et les obligations découlant de
l’article 35 Cst. peuvent s’opposer de manière insoluble. Cette tension devient
particulièrement problématique lorsqu’il existe un risque de discrimination
systématique, autrement dit de discrimination structurelle2200.
1692. Après avoir déterminé la nature du référendum portant sur la création
de places de stationnement (3.2.1), nous discuterons de l’existence d’une situa-
tion de discrimination structurelle existant en Suisse à l’égard de la minorité
tzigane (3.2.2.). Dans un troisième temps, nous analyserons ses conséquences
sur la légitimité des référendums populaires organisés pour avaliser les projets
de création de places, notamment au regard de la jurisprudence du Tribunal
fédéral portant sur la naturalisation ordinaire par la voie des urnes (3.2.3).

3.2.1. La nature du référendum administratif portant sur des plans

1693. Les référendums communaux organisés en vue de l’approbation des


plans d’affectation tendant à modifier les limites de zones ou à créer des places
de stationnement sont qualifiés de référendums administratifs2201. Les auteurs
distinguent le référendum administratif individuel et celui à portée générale.
Le premier touche les intérêts individuels d’un particulier, tandis que le se-
cond porte sur un objet concernant l’ensemble de la collectivité, d’une manière
analogue à une norme générale et abstraite2202. Selon la doctrine, les référen-
dums portant sur les plans d’affectation qui nous intéressent doivent être rat-
tachés à la seconde catégorie2203.
1694. On peut toutefois discuter de la portée nécessairement « générale »
d’un acte de planification. En effet, lorsque le plan en cause est un plan
d’affectation spécial, lié à un projet déterminé, sa précision et son détail font
que son adoption ou son refus ont des conséquences de nature individuelle. En
effet, le propriétaire du terrain et/ou un nombre restreint de tiers intéressés
par le projet en cause voient leur situation juridique touchée2204. La doctrine
souligne qu’à l’instar des référendums relatifs à des concessions, leurs effets
peuvent être analogues à ceux d’une décision individuelle et concrète2205.
1695. Dans l’hypothèse, assez rare à ce jour, où le projet en cause touche le
terrain d’un propriétaire privé tzigane, la nature individuelle de l’acte est diffi-

2200
Sur cette notion, voir supra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2.
2201
AUER/VON ARX, pp. 927-928 ; TANQUEREL (2006), p. 564.
2202
AUER/VON ARX, pp. 927-928; OFJ (2004), p. 1065 ; OFJ (2001), pp. 368-369. Pour une critique de
cette dichotomie et de ses effets sur la démocratie directe, voir HANGARTNER (2004), p. 14.
2203
WALDMANN (2004), p. 956.
2204
On relèvera, à cet égard, qu’en raison de la précision de ce type de projet, son adoption ou son re-
fus est qualifié de décision; RDAF 1995, p. 88. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 124-125 et 676.
2205
HANGARTNER (2004), p. 14 ; TANQUEREL (2006), p. 565. Voir également NÜSSLE, p. 231-232. Comp.
toutefois l’avis de droit de l’OFJ qui estime que lors de l’adoption d’un acte de planification, aucun
individu n’est atteint directement dans sa situation juridique; OFJ (2004), p. 1074.

457
La situation juridique des Tziganes en Suisse

cilement discutable. Dans le cas plus courant où le projet de plan concerne une
aire créée et gérée par les autorités, nous constaterons ci-après que tout Tzi-
gane nomade peut être qualifié de « tiers intéressé » à l’adoption d’un plan
d’affectation, général ou spécial, puisqu’il porte sur la création d’un lieu de
stationnement qu’il pourrait utiliser lors de ses déplacements2206. Certes, cette
situation concerne un groupe de personnes, et non pas quelques particuliers
isolés et indentifiables individuellement. Toutefois, on constate que, dans ce
cadre bien particulier, le cercle de personnes concernées est large, entre 2'500 et
3'000 personnes, mais demeure toutefois limité, défini et identifiable.
1696. Cette hypothèse se trouve à mi-chemin entre une situation strictement
individuelle, lorsque le projet touche le terrain d’un propriétaire privé, et une
situation véritablement générale, où un nombre indéterminé de personnes non
identifiables est concerné par la mesure de planification. Elle se distingue par
rapport à la modification d’un plan d’affectation général portant sur la créa-
tion d’une zone de délassement, ou encore à l’adoption d’un plan d’affectation
spécial prévoyant un terrain de camping. En effet, dans ces cas, un nombre in-
connu de sédentaires en vacances sont potentiellement intéressés par le projet
d’aménagement, ce qui lui confère un caractère général incontestable. Lorsque
l’on projette la création d’une aire de stationnement de caravanes tziganes, ce
n’est pas l’ensemble du corps électoral qui voit sa situation juridique particu-
lièrement affectée par le refus ou l’acceptation du plan, mais bien les membres
d’une certaine minorité2207.

3.2.2. L’existence d’une discrimination structurelle

1697. Bernhard WALDMANN souligne que quelques cas isolés de votations


ayant un résultat négatif, où l’on soupçonne que les stéréotypes et les préjugés
expliqueraient le refus populaire, ne permettent pas encore de conclure à
l’existence d’une discrimination structurelle. Une certaine fréquence et une
certaine systématique sont requises pour parvenir à ce constat2208.
1698. Pour cet auteur, il est nécessaire d’atteindre le seuil d’un nombre mi-
nimal de refus dans chaque commune où la population est appelée à
s’exprimer sur des projets touchant à l’aménagement de places. Il n’est donc
pas possible, à ce jour, de parvenir à cette conclusion dans le contexte des Tzi-
ganes. Le cas échéant, il reviendrait au législateur d’agir en modifiant la loi
pour apporter des mesures correctrices de nature procédurale2209.

2206
Voir infra Section E, 2.2.
2207
Comp. AUER/VON ARX, p. 928.
2208
WALDMANN (2003), pp. 448-449 notamment ; WALDMANN (2004), p. 955. Voir également HANGART-
NER/KLEY, NN. 335ss.
2209
WALDMANN (2003), p. 449 ; WALDMANN (2004), p. 955.

458
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1699. En se focalisant sur des exigences statistiques pour conclure à une dis-
crimination systématique, l’approche de cet auteur est trop restrictive, à notre
sens. Elle ne prend pas suffisamment en considération le fait que la mise en
œuvre d’autres droits fondamentaux individuels dépendent du résultat positif
de ces référendums populaires.
1700. Plus important encore, le droit des minorités impose que les personnes
appartenant à une minorité au sens du droit international puissent jouir de
leur identité culturelle et, par ricochet, que la survie du groupe lui-même ne
soit pas remise en cause. Ces obligations ne permettent pas d’attendre que l’on
soit parvenu à un certain seuil statistique de refus systématiques pour évaluer
s’il devient nécessaire d’agir pour trouver une solution alliant nécessité de
planification et protection de l’identité culturelle minoritaire tzigane.
1701. On peut se demander si le critère de la statistique est tout simplement
réaliste : il sous-entend qu’un nombre important de projets de planification
soient entrepris et lancés par les autorités communales. Or, la réalité politique
veut que les autorités communales refusent d’entreprendre des démarches, car
elles anticipent l’opposition de la population, ou abandonnent toute tentative
après avoir essuyé un premier échec populaire, ou alors attendent plusieurs
années avant de recommencer. Cet état de fait a pour conséquence que ce fac-
teur n’est pas utilisable à notre sens.
1702. Le critère statistique fondé uniquement sur le résultat des votations
nous semble en outre trop formaliste. De plus, cela revient à négliger le fait
que l’existence de statistiques n’est que l’un des moyens pour mettre en lu-
mière les inégalités significatives subies par les membres d’un groupe spécifi-
quement protégé. En effet, leur notoriété ou l’expérience générale de la vie
permettant également de les rendre vraisemblables2210.
1703. En l’occurrence, on peut considérer comme étant de notoriété publique
que les Tziganes sont discriminés au sein de la population sédentaire et qu’une
majorité de cette dernière ne voit pas d’un bon œil la création de places de sta-
tionnement dans son voisinage. L’existence d’un contexte discriminatoire est
d’ores et déjà avérée à leur égard2211.

2210
ATF 125 I 71, 80, Section bernoise de l'Association professionnelle suisse des infirmières et infir-
miers ; ATF 124 II 409, 428, Maya Alincic et consorts.
2211
Dans ce sens, voir l’avis de droit de l’OFJ (2001), p. 361 ; MARTENET (2003), p. 98. Voir également
les commentaires ayant suivi la votation négative organisée à Versoix en juin 2000, et notamment
ceux de L. Moutinot, chef du Département de l'aménagement, équipement et logement, in : La Tri-
bune de Genève du 26 juin 2000; A. Rességuié, ancien maire de Versoix et conseiller administratif,
in : Le Temps du 23 juin 2000; P. A. Monnet, conseiller municipal, in : La Tribune de Genève du 26
juin 2000.

459
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3.2.3. La légitimité du référendum portant sur la création d’aires

1704. Le refus populaire d’un acte de planification prévoyant la création


d’une place n’a pas uniquement un impact sur l’interdiction de la discrimina-
tion. Les conséquences négatives de ce refus sont très lourdes et touchent les
personnes concernées d’une façon particulièrement aiguë en raison de
l’ensemble des droits fondamentaux concernés et de l’importance du noma-
disme pour l’identité minoritaire tzigane.
1705. A notre sens, les intérêts qui s’opposent dans ce contexte dépassent la
tension usuelle qui peut exister entre la participation de la population et le
respect du droit de propriété de propriétaires de terrains2212. L’impact particu-
lier sur la situation des membres de la minorité tzigane pousse à s’interroger
sur la possibilité de soustraire au vote populaire les projets visant à créer une
zone pour l’accueil de caravanes, ou visant à aménager concrètement des pla-
ces de stationnement. Dès lors, il sied de déterminer s’il est envisageable de
faire une analogie avec la question de l’inconstitutionnalité de la naturalisation
ordinaire par la voie des urnes.
1706. Après une synthèse de la jurisprudence du Tribunal fédéral de 2003 re-
lative à la naturalisation ordinaire par la voie des urnes (a), nous examinerons
le rôle que peut jouer l’identité des bénéficiaires d’un projet de planification
sur l’issue du scrutin (b), avant de discuter de l’efficacité des effets d’un
contrôle judiciaire a posteriori (c). Enfin, nous discuterons du cas particulier du
canton de Genève (d).

a) Les arrêts sur la naturalisation ordinaire par les urnes

1707. Les deux arrêts du Tribunal fédéral de 2003 concernant la naturalisa-


tion ordinaire par le biais du vote populaire2213 ont traité de la légitimité de
l’organisation d’un référendum administratif à portée individuelle2214. L’article
29 al. 2 Cst. imposant que toute décision administrative soit motivée, le Tribu-
nal fédéral a conclu à une violation de cette garantie. En effet, il est impossible
de connaître la motivation du corps électoral expliquant le résultat du scru-
tin2215.
1708. En sus de ce premier écueil, le Tribunal a conclu que l’on pouvait éga-
lement constater l’existence d’une forte présomption de discrimination à
l’égard des candidats à la naturalisation qui appartenaient à une certaine reli-

2212
Au sujet de cette tension dont l’appréciation relève d’un « jugement de valeur » entre tenants de la
participation et défenseurs de la propriété foncière, voir TANQUEREL (1988), pp. 77-78.
2213
ATF 129 I 217 Emmen ; ATF 129 I 232 Zurich .
2214
Au sujet de cette qualification, voir AUER/VON ARX, p. 928
2215
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich ; ATF 129 I 212, 231 Emmen.

460
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

gion ou qui provenaient de certains pays. L’absence de motivation ne permet-


tant pas de justifier cette différence de traitement suspecte, le Tribunal fédéral
a également conclu à une violation de l’article 8 al. 2 Cst.2216.

b) Le rôle de l’identité des bénéficiaires d’un projet de planification

1709. Selon Bernhard WALDMANN, il n’est pas possible d’appliquer la juris-


prudence sur les naturalisations aux référendums organisés pour adopter un
plan d’affectation concernant l’accueil de Tziganes nomades. Se fondant sur le
régime distinct à appliquer aux deux référendums administratifs à portée in-
dividuelle et générale, il conclut que la jurisprudence sur les naturalisations
n’est pas transposable dans ce contexte, car poursuivant un intérêt général,
l’adoption ou le refus de ce type d’acte ne nécessite pas de motivation indivi-
duelle2217.
1710. Nous avons constaté ci-dessus que dans certaines situations, des plans
d’affectation spéciaux ont une portée de nature individuelle2218. Nous avons
également vu que la création de places de stationnement touche la situation
d’un groupe délimité de personnes et non pas seulement une poignée
d’individus. Nous penchons, pour notre part, pour un rattachement à la caté-
gorie des référendums individuels, mais à notre sens cette question peut rester
ouverte en l’état. En effet, un autre critère justifie de remettre en cause la légi-
timité de l’organisation d’un référendum administratif dans le contexte de no-
tre problématique : le rôle de l’identité des bénéficiaires d’un projet de planifi-
cation pour la détermination de la volonté du corps électoral.
1711. A la suite de l’Office fédéral de la justice, Thierry TANQUEREL men-
tionne plusieurs critères qui, dans le cadre de la planification, permettent de
renoncer à l’obligation de motiver le résultat sorti des urnes, et ce même lors-
que l’on admet que l’acte en cause peut être assimilé à une décision indivi-
duelle et concrète.
1712. Premièrement, l’identité du bénéficiaire, ou des tiers intéressés, n’a
normalement aucune importance lors de l’adoption de plans d’affectation spé-
ciaux, a fortiori dans le cadre d’un plan d’affectation général. Au contraire, c’est
le contenu et la nature du projet en cause qui importent. Ainsi, un refus popu-
laire porte certes atteinte à la situation juridique de la personne concernée,
voire de tiers, mais ne le touche pas dans son identité propre ni dans sa dignité
humaine.

2216
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich ; ATF 129 I 212, 231 Emmen. HANGARTNER (2004), p. 13 ; TANQUEREL
(2006), pp. 563-564 ; WALDMANN (2004), p. 956.
2217
WALDMANN (2004), p. 956. Voir également OFJ (2004), pp. 1074-1076.
2218
Supra Section 3.2.1.

461
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1713. Deuxièmement, la procédure d’adoption du plan a permis aux per-


sonnes concernées d’être entendues. En outre, il est possible de reconstruire a
posteriori, dans le cadre d’un recours, la motivation qui a pu conduire une ma-
jorité de votants à refuser ce plan, puisque l’on peut se référer aux études
d’impact et aux rapports établis lors de son élaboration2219.
1714. A notre sens, la situation est différente lorsque la création de places de
stationnement pour les Tziganes nomades est en jeu. À supposer que l’on
considère que le nombre de personnes concernées est trop important pour par-
ler d’acte individuel, le fait que ce dernier touche les droits des membres d’une
minorité vulnérable et historiquement rejetée modifie le raisonnement juridi-
que.
1715. L’appartenance à une minorité nationale, dont la satisfaction des be-
soins culturels et identitaires dépend de l’adoption de plans d’affectation spé-
cialisés, distingue ainsi le cas des Tziganes nomades d’autres hypothèses, où
l’identité du bénéficiaire d’un plan d’affectation serait connue et serait la cause
d’un refus de la population. La dimension individuelle de l’acte – dans le sens
où l’individu et ses droits fondamentaux ont une importance de premier plan
dans les enjeux de la problématique – ressort ici clairement à notre sens.
1716. Certes, le projet d’implantation d’une entreprise d’armement pourrait
pousser une partie de la population à refuser, pour des raisons de principe,
l’adoption du plan d’affectation nécessaire. Toutefois, dans un tel exemple, il
nous semble difficile d’admettre que la dignité humaine des responsables de
l’entreprise est atteinte, et que l’on puisse conclure à un rejet fondé sur l’une
des caractéristiques protégées par l’article 8 al. 2 Cst. des personnes concer-
nées. Le respect d’un droit aussi fondamental pour la personne qu’est l’accès à
des conditions de logement décentes ne serait pas remis en cause par un refus
populaire.

ba) Les Tziganes en tant que bénéficiaires du projet de planification


1717. La réalité du terrain démontre que l’identité des futurs utilisateurs
d’un projet d’aire de stationnement est déterminante pour le corps électoral. Le
contexte discriminatoire spécifique et reconnu qui existe à l’égard des Tziganes
a pour effet que c’est bien parce qu’un plan d’affectation concerne l’arrêt de ca-
ravanes de Tziganes que la probabilité de refus est extrêmement élevée.
1718. Dans ce cadre, l’identité des bénéficiaires du projet est clairement un
critère de premier ordre qui joue un rôle fondamental dans l’élaboration de la
volonté du corps électoral. Le risque d’atteinte à la dignité humaine des per-
sonnes concernées est donc significatif. Cet état de fait distingue notre problé-
matique d’autres situations où les électeurs refuseraient un projet de planifica-

2219
OFJ (2004), pp. 1072-1073 ;TANQUEREL (2006), pp. 564-565. Voir également ATF 129 I 212, 241-242
Zurich ainsi que le commentaire d’HANGARTNER (2004), p. 16.

462
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

tion en ne se fondant pas uniquement sur des motifs juridiques, mais émo-
tionnels ou politiques2220.
1719. Certes, le lieu choisi ou les options d’aménagement définies dans le
projet lui-même peuvent être discutables et fonder des raisons objectives et lé-
gitimes expliquant un rejet. Toutefois, le contexte discriminatoire a pour effet
qu’il existe un risque avéré qu’un nombre important, voire majoritaire, de voix
négatives ait pour cause des motifs inacceptables au regard de l’obligation,
pour toute autorité, de réaliser les droits fondamentaux dans le cadre de son
activité.
1720. A notre sens, le fait que l’identité des bénéficiaires d’un plan
d’affectation joue un rôle pour la création de la volonté populaire a pour effet
de personnaliser l’objet de la votation, et ce même si l’on juge que le cercle des
personnes concernées est si large que l’on doive parler de référendum admi-
nistratif général.
1721. Ce constat devrait conduire à appliquer, si ce n’est directement, du
moins par analogie, les règles dégagées par le Tribunal fédéral à l’égard du ré-
férendum administratif individuel. Or, la jurisprudence Emmen démontre clai-
rement qu’on ne peut pas renoncer à l’obligation de motiver une décision lors-
que, non seulement le débat porte sur l’identité de certaines personnes distinc-
tes, mais qu’en sus, il existe une présomption de discrimination, en raison des
préjugés exprimés à l’égard des Tziganes ou à l’égard de certaines nationalités
ou religions2221.
1722. Ainsi, du fait qu’il présente les mêmes risques et les mêmes lacunes
que le référendum portant sur la naturalisation ordinaire, le référendum ad-
ministratif portant sur des mesures d’aménagement destinées à l’accueil de
Tziganes nomades ne devrait pas être organisé. En soi, cette soustraction au
vote du peuple peut être qualifiée de mesure correctrice de nature procédu-
rale2222.

bb) Le respect des exigences démocratiques


1723. Notre conclusion conduit à un résultat délicat. En effet, l’objet de la vo-
tation demeure toujours une mesure d’affectation qui, en soi, n’est pas diffé-
rente des autres actes de planification pouvant être soumis au vote populaire.
Une soustraction au vote du corps électoral des plans visant spécifiquement les
places de stationnement des Tziganes crée donc une situation particulière. Si
nous avons montré qu’elle se justifie a priori du point de vue des exigences des
droits fondamentaux, elle peut paraître plus problématique au regard des exi-

2220
TANQUEREL (2006), p. 565.
2221
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich.
2222
Au sujet de ce type de mesures en tant que solution aux conflits pouvant surgir entre démocratie
directe et droits fondamentaux, WALDMANN (2004), p. 952.

463
La situation juridique des Tziganes en Suisse

gences démocratiques applicables en matière d’aménagement du territoire, dé-


coulant de l’article 4 LAT.
1724. Le fait que les plans d’affectation soient soumis au double régime ad-
ministratif et démocratique conduit ainsi un auteur à affirmer qu’il est impos-
sible d’appliquer exclusivement les règles de l’un au détriment de l’autre. Dès
lors, même lorsqu’un plan d’affectation spécial est si détaillé qu’il est assimila-
ble à une autorisation de construire, cet auteur rejette l’idée de ne pas soumet-
tre les plans d’affectation spéciaux aux conditions de l’article 4 LAT et, le cas
échéant, au vote populaire. L’importance des règles démocratiques est no-
tamment illustrée par la nécessité d’adopter un plan d’affectation, et non une
autorisation dérogatoire, lorsque le projet dépasse une certaine ampleur2223.
1725. Soustraire les projets de création de places au vote populaire ne sous-
entend pas nécessairement renoncer au régime démocratique à l’égard de ces
plans d’affectation. Bien que les exigences de participation et d’information de
l’article 4 LAT ralentissent la réalisation de places de stationnement, elles ne
s’opposent pas en elles-mêmes à celles posées par les droits fondamentaux. Au
contraire, correctement appliquées à l’égard de la minorité tzigane suisse, elles
donnent l’occasion d’intégrer leurs besoins lors de l’élaboration du projet et de
favoriser leur participation, ce qui est important au regard du degré lacunaire
de la participation actuelle2224. C’est uniquement l’étape du corps électoral qui
pose un problème insoluble, pour les raisons évoquées ci-dessus.
1726. Il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche serait très sensible
d’un point de vue politique. Dès lors, pour déterminer s’il s’agit de l’unique
solution envisageable pour garantir la protection des droits fondamentaux des
Tziganes, il convient d’analyser l’efficacité du contrôle judiciaire a posteriori.

c) Les effets d’un contrôle judiciaire a posteriori

1727. Nous avons déjà évoqué ci-dessus le fait que dans le contexte d’une
votation portant sur un plan d’affectation, les éventuels problèmes découlant
de l’impossibilité de connaître la motivation du corps électoral sont suscepti-
bles d’être corrigés ultérieurement, à l’occasion du contrôle effectué par le
juge. Dans un contexte « normal », les exigences de l’article 29 al. 2 Cst. sont
donc remplies a posteriori.
1728. A notre sens, lorsque l’identité des bénéficiaires possède le poids que
nous décrivons dans le contexte des Tziganes nomades, cet effet guérisseur ne
fonctionne pas. En effet, il ne s’agit plus uniquement d’un problème de respect
du droit d’être entendu et de l’obligation de motiver une décision. Dès lors que

2223
NÜSSLE, p. 232-234.
2224
Voir infra Section E, 1.

464
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

l’interdiction de la discrimination entre en considération, il devient délicat, à


notre sens, de se contenter d’une reconstruction basée sur l’existence d’intérêts
prépondérants contraires, fondés sur l’aménagement du territoire ou encore la
protection de l’environnement.
1729. Dans le cadre d’un litige portant sur l’aménagement d’aires de sta-
tionnement, le juge peut être confronté à deux hypothèses, selon les griefs in-
voqués par le recourant2225.
1730. Si celui-ci invoque une restriction illégitime portée par le refus de
planification à ses différents droits individuels interprétés à la lumière du droit
des minorités2226, le juge constitutionnel peut procéder à une analyse basée sur
l’article 36 Cst. Prenant en compte les circonstances du cas d’espèce, y compris
le contenu et la nature du projet en cause, il pourra effectuer une pesée des in-
térêts en présence.
1731. Dans ce contexte, le juge pourra conclure qu’aussi bien l’intérêt public
à intégrer les besoins de la population tzigane2227, que les exigences découlant
de la proportionnalité, et notamment l’impact du refus sur la situation de la
minorité tzigane dans son ensemble2228, n’ont pas été respectées in casu. Il peut
également parvenir à une conclusion inverse selon les circonstances.
1732. Un éventuel constat de violation signifiera que le refus sera annulé et
que le projet de planification pourra suivre son cours. Cette hypothèse a
l’avantage de garantir le respect des droits fondamentaux des Tziganes, sans
remettre en cause le principe de la soumission du projet à la sanction popu-
laire dans les communes qui la connaissent.
1733. Par contre, la situation se complique dans le cas, très probable au
demeurant, où le recourant invoque l’interdiction de la discrimination. Celui-ci
peut argumenter que le refus populaire a conduit à un résultat discriminatoire,
fondé sur le rejet de son mode de vie, et qui perpétue une situation de discri-
mination structurelle à son égard, en tant que membre d’une minorité faisant
l’objet de préjugés.
1734. Or, face à un contexte social laissant transparaître l’existence haute-
ment vraisemblable d’une discrimination, l’article 8 al. 2 Cst. impose l’apport
de motifs justificatifs pour renverser la présomption qui en découle. Cette dé-
monstration est impossible sans motivation et la présomption ne peut pas être

2225
Nous analyserons ci-après quelles sont les personnes physiques et morales qui possèdent la qualité
pour recourir contre le refus d’acceptation d’un plan d’affectation spécial prévoyant la création d’une
aire de stationnement ; infra Sections E, 2.2. et 2.3.
2226
Voir, pour l’essentiel, nos développements supra Titre Troisième.
2227
Au sujet du rattachement de ces besoins à la notion d’intérêt public, voir supra Titre Troisième,
Chapitre I, Section B, 2.2.2.
2228
Au sujet de l’analyse de l’impact d’une mesure de planification sur l’ensemble de la minorité tzigane,
voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2.2.

465
La situation juridique des Tziganes en Suisse

renversée. Dès lors, le juge n’aura d’autre choix que de conclure à une viola-
tion de l’article 8 al. 2 Cst.2229.
1735. On constatera ainsi qu’il importe peu, en réalité, que les raisons ayant
motivé une majorité du corps électoral aient été réellement ou non de nature
discriminatoire. Le simple fait qu’il soit impossible d’apporter les motifs justi-
ficatifs pouvant renverser la suspicion extrêmement forte de discrimination
suffit à rendre problématique une telle procédure au regard des impératifs dé-
coulant de l’article 8 al. 2 Cst., qui exigent des autorités qu’elles éliminent tou-
tes les sources de discrimination structurelle2230.

d) Le cas particulier du canton de Genève

1736. Avant de conclure, il convient d’analyser le cas particulier du référen-


dum communal organisé dans le canton de Genève. Dans ce canton, l’autorité
compétente pour toute modification des limites de zones est le législateur
cantonal2231. Les communes concernées par des mesures de planification sont
consultées lors de l’ouverture de l’enquête publique et donnent leur préavis
sur les mesures envisagées sous la forme d’une délibération. Celle-ci peut faire
l’objet d’un référendum populaire2232.
1737. Toutefois, le préavis communal n’ayant aucun effet contraignant vis-à-
vis des autorités cantonales2233, le résultat d’une éventuelle votation ne produit
pas d’effets juridiques et ne peut pas être attaqué par le biais d’un recours
pour violation des droits politiques2234. Un recours contre ce résultat est donc
irrecevable faute d’objet attaquable2235.
1738. Bien que non contraignant, le poids politique de ce type de référen-
dum administratif est considérable pour les autorités cantonales2236. Or, dans

2229
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich. OFJ (2004), p. 1067.
2230
Comp. le raisonnement de Bernahrd WALDMANN relatif à la naturalisation par la voie des urnes :
s’opposant à la démarche d’Andreas AUER et de Nicolas VON ARX, cet auteur estime qu’au regard de
l’art. 8 al. 2 Cst., ce procédé doit être aboli non pas en raison de l’impossibilité de connaître la moti-
vation du peuple – car en matière de discrimination, la volonté n’est pas un facteur pertinent -, mais
en raison de l’obligation incombant aux autorités de démanteler les sources de discrimination qui se
trouvent au sein de la société ; WALDMANN (2003), pp. 453-454. Comp. AUER/VON ARX, pp. 928-929,
suivis par KIENER (2000), p. 220.
2231
Art. 15 al. 1 et 2 LaLAT/GE.
2232
Art. 16 al. 3 LaLAT/GE et art. 30 al. 1 let. q et 33 de la loi genevoise sur l'administration des com-
munes, du 13 avril 1984 (LAC/GE ; RS/GE B 6 05). Le référendum peut être déposé dans un délai
de 60 jours à compter de la réception des observations, à teneur de l’art. 16 al. 3 LaLAT/GE. RDAF
2004 I 55, 57.
2233
Comp. l’art. 16 al. 4 LaLAT/GE qui prévoit qu’après la phase de préconsultation portant sur l’avant-
projet de loi tendant à modifier les limites des zones, le Conseil d’Etat se contente d’auditionner le
conseil administratif ou le maire de la commune ayant donné un préavis négatif.
2234
RDAF 2004 I 55, 57.
2235
ATF 109 Ia 217, 225 ; RDAF 2004 I 55, 57.
2236
ATF 104 Ia 226, 233 Fauquex. TANQUEREL (1988), p. 84.

466
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

une telle hypothèse, le Conseil d’Etat est certes politiquement sous pression,
mais sa responsabilité demeure entière au regard, notamment, de ses obliga-
tions découlant de l’article 35 Cst.2237.
1739. La nature de l’acte par lequel le Conseil d’Etat renonce à soumettre un
projet de modification au Grand Conseil pour donner suite à ce préavis néga-
tif2238 demeure encore indéterminée. Selon le Tribunal fédéral, il est douteux
qu’il constitue une décision, mais du fait que les justiciables n’ont pas la légi-
timation active pour pouvoir reprocher au Conseil d’Etat de ne pas s’être écar-
té de ce résultat, voire de ne pas l’avoir annulé en vertu de son pouvoir de
surveillance sur les communes2239, la question peut rester ouverte2240.
1740. Cette jurisprudence a été rendue suite au recours déposé par un Tzi-
gane suisse contre le résultat négatif du référendum communal de Versoix
(GE) organisé le 25 juin 2000, d’une part, et contre la décision du Conseil d’Etat
de donner suite à ce résultat. A cette occasion, en effet, le Conseil d’Etat avait
décidé de suivre le préavis négatif exprimé par le corps électoral communal,
en considérant notamment que « la situation qui résult[ait] du vote mis en
cause [était] certainement regrettable mais sa légalité [était] indiscutable »2241.
1741. Or, nos développements relatifs à l’existence d’une discrimination
structurelle remettent en cause cette appréciation de la conformité au droit su-
périeur du résultat de la consultation populaire. En outre, les obligations dé-
coulant du droit des minorités, en particulier en matière de préservation et de
soutien à l’identité minoritaire, auraient dû conduire le Conseil d’Etat à consi-
dérer que des intérêts prépondérants s’opposaient à la prise en compte du ré-
sultat du vote populaire. Dans ce contexte, seuls des intérêts objectifs, liés à
l’impact du projet sur l’environnement par exemple, devraient être pris en
considération, à l’exclusion de considérations politiques en lien avec
l’opportunité de principe de créer une aire de stationnement sur le territoire
cantonal.

3.2.4. Synthèse

1742. Continuer de soumettre au peuple un plan d’affectation, général ou


spécial, qui a trait à l’accueil de caravanes tziganes, peut conduire à la situa-
tion juridiquement et politiquement insatisfaisante d’une suite de décisions
judiciaires concluant à une violation de l’article 8 al. 2 Cst. du fait de l’absence
de motifs justificatifs renversant la présomption de discrimination.

2237
TANQUEREL (1988), p. 77.
2238
Comp. l’art. 16 al. 4 LaLAT/GE.
2239
Comp. l’art. 67 let. b LAC/GE qui prévoit que le Conseil d’Etat annule toute délibération du conseil
municipal prise en violation des lois et règlements en vigueur.
2240
RDAF 2004 I 55, 57-58.
2241
RDAF 2004 I 55, 57.

467
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1743. Ainsi, le contrôle judiciaire a posteriori ne présente qu’une efficacité li-


mitée face aux obligations des autorités découlant de l’interdiction de la dis-
crimination. En effet, s’il permet certes de sanctionner un acte discriminatoire,
il ne peut pas empêcher la survenance ultérieure de situations similaires, car il
n’en a pas la vocation. Dans ce contexte, seule une action politique est suscep-
tible d’être réellement satisfaisante du point de vue de la réalisation des droits
fondamentaux.
1744. En effet, le fait que cela soit précisément la qualité de Tzigane des
bénéficiaires qui suscite le rejet impose de trouver une solution qui n’accorde
pas aux stéréotypes et aux préjugés l’espace suffisant pour contrecarrer les
projets visant à améliorer la situation de cette minorité nationale.
1745. Pour pouvoir obtenir les motivations exigées par l’interdiction de la
discrimination, il est nécessaire que ce soit une autre autorité que le peuple qui
ait le dernier mot en matière d’approbation de plans concernant le stationne-
ment de caravanes tziganes. Cette modification de la procédure ordinaire dans
le cas spécifique de la création de places de stationnement découle également
d’autres obligations.
1746. Premièrement, l’article 3 al. 3 LAT impose aux autorités en charge de
l’aménagement du territoire de trouver des solutions permettant de prendre
en considération les besoins de cette minorité. La réalisation de cette obligation
est mise en échec, ou est rendue extrêmement ardue, lorsque le peuple se pro-
nonce sur les projets élaborés par les autorités.
1747. Ensuite, il est certes incontestable que la soustraction de ces objets au
vote populaire normalement prévu constitue un traitement particulier en fa-
veur de la minorité tzigane. Toutefois, ce type de mesures correctrices peut
être rattaché aux mesures spéciales permanentes imposées par les articles 27
Pacte II et 4 al. 2 CPMN pour permettre à une minorité de pouvoir perpétuer
son identité culturelle2242.
1748. Cette démarche est donc juridiquement acceptable, mais naturellement
très difficile à mettre en place et à réaliser d’un point de vue politique. En effet,
il reviendrait au législateur cantonal2243 de modifier dans ce sens les lois canto-
nales d’application de la LAT. Une solution envisageable consisterait par
exemple à prévoir dans la loi, une fois pour toutes, que la création d’aires de
stationnement est soustraite au vote populaire. Légitimée par le processus dé-
mocratique, cette modification législative consacrerait la réalisation de l’égalité
en droit et en fait des membres de la minorité tzigane et représenterait une
avancée remarquable pour leur protection.

2242
A ce sujet, voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
2243
NÜSSLE, p. 234, renvoie au législateur fédéral pour modifier la LAT, mais sa proposition s’inscrit dans
l’hypothèse d’une soustraction des plans d’affectation spéciaux assimilables aux autorisations de
construire à l’ensemble du processus démocratique prévu à l’art. 4 LAT.

468
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1749. Au vu de l’exemple offert par les arrêts sur les naturalisations par les
urnes, mais également au regard des conséquences de l’arrêt Bittel sur la situa-
tion des Tziganes, seule une jurisprudence claire du Tribunal fédéral, souli-
gnant le conflit entre l’article 8 al. 2 Cst. et le vote populaire dans ce contexte,
sera à même de susciter la réaction politique requise.
1750. Enfin, la situation diffère quelque peu lorsque le résultat du référen-
dum n’a aucun effet contraignant à l’égard de l’autorité qui adopte le plan
d’affectation en cause, comme à Genève. Dans ce cadre, le préavis négatif ex-
primé par le corps électoral ne devrait pas être suivi en raison de l’existence
d’une discrimination structurelle, mais également parce que le droit des mino-
rités donne aux besoins des Tziganes nomades un poids particulièrement im-
portant.
1751. Nous avons constaté que tout recours formulé dans ce contexte est ir-
recevable. Dès lors que le correctif judiciaire est ici indisponible, la prise de
conscience de l’autorité politique à l’égard de ses obligations légales, constitu-
tionnelles et conventionnelles envers la minorité tzigane s’avère d’autant plus
importante.

4. Conclusion

1752. La création d’aires de stationnement par la voie de la planification est


non seulement nécessaire en raison des exigences légales découlant de l’article
3 al. 3 LAT, mais est aussi importante afin d’intégrer formellement la minorité
tzigane dans le tissu social. C’est de cette manière que le réseau minimal de
lieux de stationnement temporaire et durable, tel que décrit par les expertises,
doit être mis en place, de façon à garantir sa pérennité et d’asseoir sa légitimi-
té. Les doutes exprimés par certains cantons à l’égard de l’opportunité
d’employer la voie « officielle » pour créer des places en raison de l’opposition
politique sont certes à prendre en considération, mais ne doivent pas remettre
en cause la nécessité d’intégrer les besoins de cette fraction de la population
suisse.
1753. Pour importante et nécessaire qu’elle soit, la voie de la planification est
toutefois insuffisante, du moins à l’heure actuelle. En tant que telle, elle ne
permet pas de pallier, à court et moyen termes, le manque de places à disposi-
tion. Les obstacles que nous avons mis en avant – au nombre desquels figure
l’opposition de la population sédentaire – démontrent que le Tribunal fédéral
aurait dû faire preuve de plus de nuances lorsqu’il a affirmé qu’il n’y a
« aucun motif de considérer (…) que ces démarches [i.e. la création d’aires par

469
La situation juridique des Tziganes en Suisse

la voie de la planification] seraient systématiquement vouées à l’échec sur le


territoire national »2244.
1754. Or, si un échec systématique n’est pas assuré, la probabilité de réussite
demeure extrêmement faible, ainsi que les expertises fédérales le démontrent.
En outre, même lorsque le processus aboutit à un résultat positif, la durée de la
procédure est suffisamment longue pour que des alternatives temporaires
soient nécessaires.
1755. L’exemple de la commune de Liestal (BL) est intéressant, car il illustre
la durée minimale nécessaire lorsque aucun obstacle particulier ne s’oppose à
la création d’une place. La procédure aura duré plus de cinq ans, si l’on inclut
le début des négociations entre le canton et les autorités pour trouver une par-
celle adéquate, aboutissant à l’acceptation en mai 1999 de la modification du
plan de zone par le conseil municipal, suivie de son approbation populaire en
novembre 1999, et enfin l’aménagement des infrastructures entre le début de
l’année 2003 et avril 20042245. A l’opposé, on relèvera l’exemple du canton de
Genève, pour qui il aura fallu près de vingt ans pour parvenir au déclassement
d’une zone et à l’adoption d’un plan d’affectation spécial pour remplacer le
site du Molard, dans la commune de Versoix2246.
1756. Si elle doit être formellement plébiscitée et encouragée, la procédure
de planification doit néanmoins être complétée par la voie dérogatoire. En ef-
fet, considérer que seules les aires créées par cette voie sont légitimes
condamne une majorité de Tziganes nomades à devoir continuer à exercer du-
rant plusieurs années, voire des décennies, leur mode de vie de manière illi-
cite. Ceci contribue à aggraver leur marginalisation sociale, à perpétuer les
conflits entre la population majoritaire et cette minorité et entretenir leur mé-
fiance à l’égard de l’ordre juridique et des autorités.

D. La création d’aires de stationnement hors d’une zone


à bâtir

1757. Pour déterminer la légitimité d’aires de stationnement créées hors


d’une zone à bâtir, nous commencerons par analyser la jurisprudence du Tri-
bunal fédéral rendue sur cette question depuis 2001, afin de comprendre dans

2244
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
2245
A ce sujet, voir le communiqué de presse de la Direction de la construction et de la protection de
l’environnement du canton de Bâle-Campagne, du 20 avril 2004.
2246
Voir l’intervention de Laurent MOUTINOT, Conseiller d’Etat du canton de Genève, dans le MGC du 16
mai 2003, relatif au projet de loi PL 8836-A. Comp. également, en ville de Berne, le résultat positif
en 1997 de la votation populaire organisée au sujet de l’affectation d’un terrain situé à Buech, après
vingt ans d’études et de projets infructueux ; SANCAR-FLÜCKIGER, pp. 33-36. Voir également à ce su-
jet, le Message du Conseil fédéral relatif à l’octroi d’un crédit-cadre pour la Fondation « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses » pour les années 2001-2006, FF 2001 1583, 1589.

470
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

quelles circonstances exactement la voie de la planification s’impose (1.). Dans


une seconde étape, nous examinerons de quelle manière une aire de station-
nement est susceptible de remplir les conditions de l’article 24 LAT et dans
quelles circonstances la voie de l’autorisation dérogatoire devrait être admise
(2.). Enfin, au regard de la révision partielle en cours de la LAT, nous étudie-
rons l’hypothèse particulière de la création d’aires par des agriculteurs, à titre
de source annexe de revenus (3.).

1. La jurisprudence du Tribunal fédéral

1758. Depuis 2001, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de prendre plusieurs


fois position sur la légitimité de la création d’aires de stationnement au moyen
de procédures dérogeant à la voie de la planification ordinaire. En 2003, il a
rendu son arrêt de principe en la matière, l’arrêt Bittel (1.1.). Par ailleurs, en
2001, il avait déjà eu l’occasion de prendre position sur le projet de création
d’aires par le biais de mesures urgentes dans le canton de Vaud (1.2.). Nous
conclurons par une appréciation au regard des droits fondamentaux des Tzi-
ganes (1.3.)

1.1. La création d’une aire par la voie de l’autorisation dérogatoire

1759. Michaël Bittel, membre de la communauté tzigane suisse, avait acquis


en 1999 un terrain agricole dans la commune de Céligny (GE) afin d’y loger sa
famille, qui vivait auparavant au lieu-dit le Molard, dans la commune de Ver-
soix (GE). Sans requérir les autorisations de construire sollicitées, il avait pro-
gressivement aménagé des chemins et une place pour caravanes, transformé
un ancien hangar et construit la « nouvelle église tsigane de Céligny », consti-
tuée d'une série de containers posés sur des plots, ainsi qu'un chalet en bois.
Plusieurs caravanes et roulottes avaient été par ailleurs installées sur cette par-
celle.
1760. Entre 1999 et 2002, le département cantonal de l’aménagement, de
l’équipement et du logement avait ordonné une série de mesures administrati-
ves enjoignant au recourant de remettre en état la parcelle. En 2000, Michaël
Bittel avait par ailleurs déposé une demande d’autorisation de construire pour
un projet visant, d’une part, à exploiter une pépinière et, d’autre part, à pou-
voir habiter provisoirement sur le reste de la parcelle. Le département a refusé
d’octroyer cette autorisation.
1761. Selon les autorités genevoises, le projet ne respectait pas les exigences
légales en matière de construction et de protection des eaux et des forêts, et les
conditions n’étaient pas remplies pour bénéficier d’une autorisation déroga-
toire. Le recourant a alors successivement saisi la Commission cantonale de re-

471
La situation juridique des Tziganes en Suisse

cours en matière de constructions, puis le Tribunal administratif, pour enfin


déposer un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral2247.
1762. Dans son arrêt, ce dernier a jugé que l’importance de l’impact des in-
frastructures réalisées par le recourant sur sa parcelle nécessitait un classement
par le biais de la modification du plan d’affectation spécialisé2248. Ainsi, il a
considéré que les aménagements et l’équipement du terrain effectués par le re-
courant étaient incompatibles avec la procédure d’autorisation dérogatoire2249.
1763. Ce cas d’espèce traitait de la création d’une place de stationnement par
un particulier. Néanmoins, nous avons d’ores et déjà souligné qu’à cette occa-
sion, le Tribunal fédéral a également pris soin d’indiquer aux autorités compé-
tentes que lorsqu’elles souhaitent aménager elles-mêmes des places, elles ne
peuvent le faire que sur des terrains à bâtir, et doivent, le cas échéant, procéder
à la modification du plan d’affectation idoine2250.

1.2. La création de places par le biais de mesures urgentes

1764. Avant son arrêt Bittel de 2003, le Tribunal fédéral avait eu l’occasion,
en 2001, d’évaluer la légitimité de mesures d’urgence prises par le canton de
Vaud pour créer provisoirement trois terrains de stationnement2251.
1765. Se fondant sur les articles 5 et 7 Cst., l’article 36 al. 2 LAT et l’article 5
de la loi vaudoise du 4 décembre sur l’aménagement du territoire et les cons-
tructions2252, le Conseil d’Etat vaudois avait, le 8 janvier 2001, pris un « arrêté
relatif à la création de trois aires provisoires de stationnement temporaire pour
les gens du voyage ».
1766. Les motifs de cet arrêté étaient énoncés à son article premier, à savoir
le « manque avéré d’aires de stationnement pour les gens du voyage sur le
territoire cantonal, (...) la récente dégradation des relations entre la population
et les gens du voyage, ainsi que (les) risques importants pour la sécurité
publique et pour la propriété qui en [découlaient]».
1767. A teneur de l’article 2, trois aires furent désignées sur le territoire can-
tonal, dont deux étaient propriétés du canton, et une propriété de la commune
de Nyon. L’article 3 disposait que les Tziganes nomades étaient autorisés à
utiliser ces aires pendant les mois de mars à novembre pour de courts séjours.
L’article 4 comportait une dérogation aux procédures ordinaires de la LATC,

2247
ATF 129 II 321, 322-323 Bittel.
2248
ATF 129 II 321, 328-329 Bittel. Voir également le Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 5-6.
2249
Au sujet de la problématique existant entre l’option du plan d’aménagement et de l’autorisation ex-
ceptionnelle, voir ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 257-263 ainsi que supra, Section A, 3.2.2., b.
2250
ATF 129 II 321, 327 Bittel ; voir également SJ 2005 I 529, 534-535. Voir supra nos développe-
ments, Section C, 1.
2251
Arrêt du 30 juillet 2001, cause 1P.110/2001.
2252
LATC ; RS/VD 700.11.

472
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

puisqu’il prévoyait que ces aires pouvaient être aménagées de « manière pro-
visoire, sommaire et réversible ».
1768. L’article 5 chargeait pour sa part le département cantonal compétent,
le Département de la sécurité et de l’environnement, d’engager les procédures
ordinaires au sens du droit cantonal pour obtenir dans un délai maximal de
trois ans la planification adéquate et les permis de construire nécessaires pour
chaque aire prévue2253. L’article 6 prévoyait que l’exploitation et la gestion de
ces places seraient assurées par les services cantonaux.
1769. Saisi d’un recours par l’une des communes concernées, mais égale-
ment d’un second déposé par des membres de la minorité tzigane, le Tribunal
fédéral a qualifié cet arrêté « d’insolite », du fait qu’il recoupait, dans ses diffé-
rentes dispositions, plusieurs types de mesures et de prescriptions en matière
d’aménagement du territoire2254.
1770. Il a ainsi conclu que l’article 3 n’était pas une norme générale et abs-
traite qui définirait précisément les modalités d’usage des places envisagées, et
ne créait donc ni droits ni obligations pour les particuliers qui seraient suscep-
tibles d’affecter leur situation juridique. Pour le Tribunal fédéral, cette disposi-
tion fournissait de simples indications générales de manière à préciser l’objet
des autorisations de construire à venir2255.
1771. En outre, l’article 4 devait être qualifié d’autorisation dérogatoire au
sens des articles 24ss LAT, prise implicitement par le Conseil d’Etat vau-
dois2256. Il a par ailleurs jugé que l’article 5 de cet arrêté contenait « sous l'angle
du droit de l'aménagement du territoire [des] mesures équivalant à celles pou-
vant être adoptées dans le cadre du plan directeur cantonal (cf. art. 8 LAT) ou
dans une procédure débouchant sur l'établissement d'un plan d'affectation
cantonal ou communal (cf. art. 14 ss LAT) »2257. Il a considéré que cette disposi-
tion constituait en réalité une ordonnance interne, destinée au Département
cantonal de la sécurité et de l’environnement, qui ne créait pas d'obligations à
la charge des tiers ou des communes concernées2258.
1772. Notre Haute Cour a jugé que l’ensemble de ces mesures avait pour ef-
fet que la création de ces aires de stationnement ne suivait pas la procédure
usuelle, et qu’en conséquence, cet arrêté ne valait pas planification. Elle a esti-
mé qu’il n’était pas admissible d’aménager des aires de stationnement par le

2253
Pour le texte complet de l’arrêté, voir RDAF 2004 I 59, 60.
2254
RDAF 2004 I 59, 61.
2255
RDAF 2004 I 59, 63-64.
2256
Arrêt du 3 avril 2001, cause 1P.110/2001, consid. 2 et 3 b.
2257
Arrêt du 3 avril 2001, cause 1P.110/2001, consid. 2.
2258
Arrêt du 30 juillet 2001, 1P.110/2001, consid. 2 bb.

473
La situation juridique des Tziganes en Suisse

biais de mesures urgentes dérogeant au processus de planification. Elle a donc


invité les autorités cantonales à suivre le régime ordinaire en la matière2259.

1.3. Appréciation au regard des droits fondamentaux des Tziganes

1773. Selon Benoît BOVAY, la jurisprudence rendue en 2001 et 2003 au sujet


des aires créées en dérogation à la procédure de planification ne laisse pas de
place à la critique. Pour cet auteur, le Tribunal fédéral rappelle que, « comme
dans tout autre domaine du droit, voire dans tout système logique », les aires
destinées aux Tziganes nomades doivent « être prévues dans les règles de base
ou générales, soit les plans d’affectations, plutôt qu’autorisées au coup par
coup (...). Le principe de base est celui de la légalité et de la conformité des
constructions aux zones (...) »2260.
1774. Or, face à une situation de pénurie en matière d’aires de stationnement
et de difficultés pour créer de nouvelles aires, une appréciation plus nuancée
de la légitimité du régime dérogatoire s’impose. Le Tribunal fédéral, dans ses
arrêts rendus en 2001 et 2003, aurait dû prendre une position plus claire au su-
jet de la situation effective des Tziganes eu égard aux difficultés rencontrées
pour arrêter leurs caravanes, en examinant de façon plus attentive les possibili-
tés de la voie dérogatoire. A nos yeux, sa jurisprudence est lacunaire du point
de vue des possibilités offertes par le régime dérogatoire (1.3.1.) et confuse par
rapport à l’examen de la validité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux
des Tziganes (1.3.2.).

1.3.1. Une analyse lacunaire des possibilités du régime dérogatoire

1775. A la lecture de l’arrêt Bittel, on constate que le Tribunal fédéral n’entre


pas en matière sur l’applicabilité des conditions de l’article 24 LAT. Confor-
mément à sa jurisprudence qui exige de poser au préalable la question de la
nécessité d’une planification, il exclut immédiatement la voie de l’autorisation
dérogatoire, en estimant que les aménagements du recourant sont trop impor-
tants pour examiner si les conditions de l’article 24 LAT sont remplies ou
non2261. Puis, après une analyse très sommaire de la situation, il conclut qu’au
vu des circonstances, il serait en tout état de cause impossible d’adopter un
plan régularisant les installations du recourant2262.
1776. Ces conclusions appellent plusieurs remarques. Tout d’abord, c’est sur
la base des circonstances du cas d’espèce et de ses conclusions négatives à
l’égard du recourant que le Tribunal fédéral affirme que, d’une manière géné-

2259
Arrêt du 30 juillet 2001, 1P.110/2001, consid. 2 c, cc. BOVAY, p. 98.
2260
BOVAY, p. 96.
2261
ATF 129 II 321, 328 Bittel.
2262
ATF 129 II 321, 330 Bittel.

474
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

rale, la création d’une aire de stationnement doit nécessairement s’effectuer en


zone à bâtir, par la voie de la planification2263.
1777. Or, ce sont la taille et l’importance des installations in casu qui ont
poussé notre Haute Cour à exclure la voie de l’autorisation dérogatoire. A
contrario, le Tribunal fédéral serait entré en matière sur les conditions de
l’article 24 LAT si elles avaient eu une importance moindre. Il n’est donc pas
possible de nier sans autre examen toute légitimité à la voie de l’autorisation
dérogatoire pour aménager des aires2264.
1778. Ensuite, rappelons que dans sa jurisprudence usuelle en la matière, le
Tribunal fédéral n’exige pas que tout projet se trouvant hors de la zone à bâtir,
et qui possède une certaine taille et importance, soit classé en zone constructi-
ble par le biais de l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé. Au contraire,
nous avons pu constater que les zones spéciales créées de cette manière ne
peuvent pas être rattachées à la zone à bâtir au sens de l’article 15 LAT. Ceci a
pour effet que le projet doit remplir les conditions de l’article 24 LAT2265.
1779. Toutefois, pour que cette hypothèse soit envisageable, un examen de
l’article 24 LAT est nécessaire, ce qui n’a pas été fait dans l’arrêt Bittel. Or, nous
constaterons ci-après qu’une interprétation conforme de l’article 24 LAT aux
droits fondamentaux des Tziganes permet, dans certaines circonstances,
d’appliquer cette disposition aux aires de stationnement2266.

1.3.2. Une analyse confuse de l’atteinte portée aux droits fondamentaux des
Tziganes

1780. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner que le Tribunal fédéral n’a
pas su, dans l’arrêt Bittel, intégrer correctement le droit des minorités, en parti-
culier sa facette collective2267. A notre sens, il a également réalisé une analyse
confuse de l’atteinte portée aux droits fondamentaux individuels des Tziganes.
Dans cet arrêt, notre Haute Cour a premièrement conclu que le refus
d’octroyer une autorisation dérogatoire constituait une restriction admissible
des droits fondamentaux du recourant, sans examiner plus en avant si les
conditions de l’article 36 Cst. étaient respectées, alors qu’une analyse attentive
du respect du principe de proportionnalité semblait s’imposer dans ce
contexte.
1781. Dans un second temps, toutefois, le Tribunal fédéral indique aux auto-
rités cantonales de ne pas ordonner la démolition des installations nécessaires
à l’habitation du recourant et de sa famille, en attendant qu’une véritable aire

2263
Voir supra Section C, 1.
2264
Voir infra nos développements Section D.
2265
Supra Section A, 3.2.1., b.
2266
Infra Section D.
2267
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section A, 1.3.2.

475
La situation juridique des Tziganes en Suisse

soit construite. Ainsi, le canton doit faire preuve de retenue en raison des
conséquences engendrées par une expulsion sans alternative pour le recourant
et sa famille. Autrement dit, sans vouloir en donner l’impression, le Tribunal
fédéral cherche ici à garantir le respect du droit à un logement adéquat du
Monsieur Bittel2268.
1782. En effet, le Tribunal fédéral a dû prendre en compte l’absence effective
de zones appropriées pour l’arrêt des caravanes du recourant dans le canton
de Genève, a fortiori dans la commune de Versoix. Il évoque les efforts consen-
tis par les autorités cantonales genevoises pour trouver une solution en ma-
tière de stationnement durable et il renvoie aux deux projets de modification
des limites de zones sur la commune de Versoix2269. Or, il ne pouvait que cons-
tater qu’en l’état, ces projets n’avaient pas donné de résultat concret.
1783. En effet, le projet dit « des Hôpitaux », datant de 1999, a été abandonné
suite au préavis négatif émis par le corps électoral communal en juin 2000. Le
second, dit « de la Bécassière », a été mis à l’enquête publique en 2002. Le plan
d’affectation a été adopté par le Grand Conseil en 20032270 et a fait l’objet d’un
recours de droit administratif et d’un recours de droit public en 2005, déclarés
respectivement mal fondé et irrecevable par le Tribunal fédéral2271. La réalisa-
tion de cette place n’est toujours pas achevée à ce jour et l’aire n’est pas encore
disponible pour ses futurs utilisateurs. Au vu de ces projets, notre Haute Cour
estime que les autorités remplissent leurs obligations à l’égard des Tziganes au
regard des articles 2 et 3 al. 3 LAT.
1784. Aux yeux de la doctrine, cette conclusion signifie que les Tziganes
nomades ne bénéficient que d’un droit général de pouvoir disposer d’une zone
d’utilisation qui leur serait destinée2272. Ainsi, Yvo HANGARTNER déduit de
cette jurisprudence que, quelles que soient les circonstances, l’Etat n’a pas
d’obligation de trouver d’alternative lorsqu’un stationnement est jugé illicite.
En effet, bien que le devoir de planifier le territoire en prenant en compte les
besoins des Tziganes soit rattachable aussi bien à la dimension objective que
subjective des droits fondamentaux, les particuliers ne peuvent exiger direc-
tement de l’Etat qu’il mette à leur disposition des aires de stationnement. Ce-
lui-ci en a la faculté, mais pas l’obligation2273.
1785. Cette approche est critiquable. Si l’on reconnaît une obligation à
charge des autorités en matière de planification, il faut alors également traiter

2268
Voir également nos développements supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.3.2.
2269
ATF 129 II 321, 328-329 Bittel.
2270
Loi n° 8836 du canton de Genève, du 16 mai 2003, modifiant les limites de zones sur le territoire de
la commune de Versoix (création d’une zone 4B affectée à l’habitation des forains et des gens du
voyage et d’une zone des bois et forêts situées au lieu dit « La Bécassière ») et déclarant d’utilité
publique la réalisation des équipements nécessaires à l’aménagement de cette zone.
2271
SJ 2005 529.
2272
SIEDEL, p. 56.
2273
HANGARTNER (2003B), pp. 1466-1467.

476
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

de la question des conséquences d’une inaction ou d’un échec des autorités en


la matière.
1786. En particulier, on doit s’interroger sur les devoirs des autorités face à
une situation concrète de stationnement illicite, alors qu’aucune mesure de
planification n’a été encore réalisée dans les faits et qu’il n’existe aucune alter-
native à disposition qui soit acceptable au regard du droit à un logement adé-
quat, protégé, rappelons-le, par les articles 8 CEDH et 11 Pacte I notamment.
En 2001, les juges minoritaires de la Cour européenne des droits de l’homme
dans l’arrêt Chapman avaient déjà soulevé cet enjeu2274.
1787. L’opinion de la doctrine méconnaît en outre les conséquences concrè-
tes de l’arrêt du Tribunal fédéral de 2003 pour le recourant et sa famille.
Comme pour Madame Chapman en Grande-Bretagne, il s’imposait de prendre
en compte le contexte matériel et juridique ayant abouti à la création de cette
aire privée par Michaël Bittel à Versoix.
1788. D’une manière quelque peu confuse, car le raisonnement n’a pas été
réalisé dans le contexte d’une analyse des droits fondamentaux du recourant,
c’est ce que le Tribunal fédéral a fait, en suspendant l’exécution de l’expulsion
du terrain. Dans les faits, sans vouloir l’admettre explicitement, le Tribunal fé-
déral a jugé qu’au regard de l’état de nécessité et de la situation inextricable
dans lesquels se trouvait Michaël Bittel et sa famille, une éviction de son ter-
rain porterait atteinte de façon disproportionnée à ses droits fondamentaux.

1.3.3. Appréciation

1789. Le respect des droits fondamentaux des Tziganes nécessite d’admettre


la prise de mesures urgentes, temporaires, destinées à pallier les lacunes ac-
tuelles. Pour cette raison, on peut regretter que le Tribunal fédéral, dans ses ar-
rêts de 2001, n’ait pas mieux pris en considération la situation particulièrement
problématique que connaissent les Tziganes, ainsi que la volonté expresse du
Conseil d’Etat vaudois de développer une solution transitoire, en attendant
que la procédure ordinaire de planification aboutisse2275.
1790. La jurisprudence établie du Tribunal fédéral reconnaît aux autorités
cantonales une marge d’appréciation certaine pour pouvoir décider, dans les
cas limites, si elles souhaitent appliquer la procédure de planification ou de
l’autorisation dérogatoire2276. Dans le contexte de la création d’aires de station-
nement, il est nécessaire d’admettre que ces autorités peuvent trancher en po-
sant dans la balance des intérêts les exigences du droit des minorités et des

2274
Comp. l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Stránická, Loren-
zen, Fischbach, Casadevall dans l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, CEDH 2001-I.
2275
Voir l’art. 1er de l’arrêté du Conseil d’Etat vaudois du 8 janvier 2001.
2276
ZBl 2005 369, 372-374, et le commentaire d’Arnold MARTI, p. 379. Voir également MARTI, p. 359.

477
La situation juridique des Tziganes en Suisse

droits fondamentaux individuels. Les obligations résultant de l’article 35 Cst.


imposent une telle démarche.
1791. A notre sens, au vu des circonstances particulières prévalant actuelle-
ment, et dans l’attente d’une normalisation de la situation, il serait ainsi judi-
cieux de reconnaître aux autorités une liberté d’action dans ce domaine à
l’égard de projets privés, mais aussi lorsque elles-mêmes souhaitent créer une
aire officielle. Outre l’exemple vaudois susmentionné, on soulignera que
d’autres cantons ont créé ces dernières années des places de stationnement
permanent dans des zones non constructibles, par le biais de la procédure dé-
rogatoire de l’article 24 LAT. Tout en plébiscitant les solutions fondées sur la
planification, le Conseil fédéral considère qu’une interprétation large des arti-
cles 24ss LAT, conformes aux droits fondamentaux des Tziganes, peut être in-
téressante, voire « judicieuse », à titre de « première phase test » dans une op-
tique de création de nouvelles aires2277.

2. La possibilité d’employer la voie dérogatoire

1792. Dans le contexte de la création d’aires de stationnement, l’octroi d’une


autorisation dérogatoire au sens des articles 24ss LAT est envisageable de deux
manières. Premièrement, il faut l’admettre lorsqu’il n’existe aucune alternative
à disposition des propriétaires privés, respectivement des autorités, au moyen
d’une interprétation conforme au droit des minorités et aux droits fondamen-
taux de l’article 24 LAT (2.1.). Deuxièmement, des exploitants agricoles peu-
vent envisager d’accueillir des Tziganes nomades de passage dans une optique
d’exercer une activité accessoire non agricole, au sens du projet de révision en
cours de l’article 24b LAT (2.2.).

2.1. L’octroi d’une autorisation dérogatoire au sens de l’article 24


LAT

1793. L’article 24 LAT admet les constructions hors de la zone à bâtir quand
leur implantation est imposée par la destination de l’ouvrage (let. a) et lors-
qu’elles sont adaptées aux besoins qu’elles doivent satisfaire (let. b).

2.1.1. La notion d’ « implantation imposée par la destination de l’ouvrage »

1794. La notion « d’implantation imposée par la destination de l’ouvrage »


possède deux aspects : un premier aspect, dit positif, prévoit que l’ouvrage ne
peut remplir sa fonction qu’à la condition d’être réalisé sur un lieu précis hors
de la zone constructible. Certains impératifs particuliers imposent donc sa

2277
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12. Voir également le Rapport d’expertise 2001, p. 29.

478
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

construction à un endroit déterminé. Un second aspect, dit négatif, implique


que l’ouvrage ne peut être réalisé dans une zone à bâtir en raison des immis-
sions qu’il génère2278.
1795. La réalisation de l’article 24 let. a LAT est évaluée à l’aune de critères
objectifs et de simples intérêts personnels ou financiers ne sont pas pertinents.
En outre, l’autorité compétente doit prendre en compte l’existence de solutions
alternatives2279. Toutefois, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’aucune al-
ternative n’est à disposition; il suffit que cette implantation se révèle être plus
avantageuse qu’une autre, en raison de motifs particulièrement importants2280.

2.1.2. L’interprétation conforme aux droits fondamentaux de l’article 24


let. a LAT

a) Les propositions doctrinales

1796. Dans le contexte d’une pénurie reconnue en matière de places de sta-


tionnement, plusieurs auteurs s’expriment en faveur d’une certaine ouverture
vers le régime dérogatoire des articles 24ss LAT. Ainsi, du fait de l’inévitable
longueur des procédures et de leur issue indéterminée, Wolf SIEDEL considère
que la réalisation des droits fondamentaux des Tziganes doit permettre l’octroi
d’autorisations dérogatoires2281. Bernard WALDMANN estime également qu’une
interprétation conforme de l’article 24 LAT aux droits fondamentaux s’impose
lorsqu’il existe un risque avéré que les exigences légales et une stricte applica-
tion de la légalité ne servent qu’à empêcher la mise sur pied d’installations qui
ne sont pas souhaitées pour des motifs politiques2282.
1797. Pour cet auteur, quand aucune zone constructible adéquate n’est à
disposition dans la région, l’interdiction de la discrimination et le droit à
l’exercice d’un mode de vie nomade, au sens de l’article 8 CEDH, doivent in-
fluencer l’interprétation de l’article 24 let. a LAT2283. A ces sources, nous ajou-
tons ici l’apport du droit des minorités et des mesures qu’il impose pour per-
mettre la perpétuation de l’identité du groupe.
1798. Selon cet auteur, bien que l’implantation d’habitations indépendantes
hors de la zone à bâtir ne soit normalement pas imposée par leur destination,
les obligations résultant des droits fondamentaux permettent de rattacher une

2278
Arrêt du 1er février 2005, cause 1A.161/2004, consid. 2 ; ATF 129 II 64, 68 Pro Natura. WALDMAN
(2005), p. 781 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 10; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 266-267.
2279
Supra Section A, 3.2.2, a
2280
ATF 123 II 499, 509 Reinach. WALDMANN (2005), pp. 785-786 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 267-
268.
2281
SIEDEL, p. 56.
2282
WALDMAN (2005), p. 783, note 22 ; WALDMAN (2004), pp. 959-960; WALDMANN (2003), p. 229. Voir
également HANGARTNER (2003B), p. 1467.
2283
Dans ce sens également, au sujet de la liberté religieuse et de la construction de bâtiments de culte
hors d’une zone à bâtir, voir KIENER/KUHN, p. 39.

479
La situation juridique des Tziganes en Suisse

aire de stationnement à la facette négative de cette notion, en l’absence


d’alternatives disponibles en zone constructible. Rappelons que l’absence
d’alternatives est un facteur crucial à double titre, puisqu’il doit également
conduire les autorités à faire preuve de tolérance et de souplesse face à des si-
tuations à première vue incompatibles avec le droit en vigueur2284. Ainsi que
l’exige l’article 24 let. b LAT, aucun intérêt prépondérant ne doit toutefois
s’opposer à cette implantation2285.

b) Compatibilité avec la jurisprudence fédérale

1799. Ces propositions doctrinales offrent des perspectives très intéressan-


tes. Elles exigent, cependant, que l’on ne s’en tienne pas à la jurisprudence ac-
tuelle du Tribunal fédéral relative à la facette négative de l’article 24 let. a LAT.
Au contraire, il faut élargir sa portée de manière à ne pas se focaliser sur les
immissions à proprement parler, mais sur la raison et l’objectif de
l’implantation de l’aire de stationnement hors d’une zone constructible : garan-
tir le respect du mode de vie nomade en l’absence d’autres possibilités.
1800. Cet élargissement est nécessaire car si l’on applique l’approche tradi-
tionnelle qui pose le critère des immissions générées par l’ouvrage, on devrait
alors conclure que des caravanes produisent des immissions si importantes
que leur utilisation impose leur implantation hors d’une zone constructible.
Or, la jurisprudence Bittel laisse une place résiduelle à la procédure de
l’autorisation dérogatoire, mais uniquement dans l’hypothèse où les infras-
tructures seraient moins importantes que celles réalisées par Michaël Bittel2286.
1801. En effet, le Tribunal fédéral considère que « [l]e projet [du recourant]
n'est pas comparable à celui de l'installation d'une caravane ou d'un bungalow,
pour une famille nucléaire, sur un petit terrain (…) ». Ceci signifie a contrario
que si Michaël Bittel s’était contenté de faire stationner les caravanes de sa fa-
mille proche – il reste encore à définir ce que le Tribunal fédéral entend par
« famille nucléaire » dans le contexte culturel tzigane – il n’aurait pas été exclu
a priori d’entrer en matière sur l’octroi d’une autorisation dérogatoire.
1802. Dès lors, une première conclusion s’impose: la création d’une aire de
stationnement, de taille et d’importance réduites, est susceptible de faire l’objet
d’une autorisation dérogatoire, sous réserve de l’existence d’intérêts contraires
dirimants, ainsi que le prévoit l’article 24 let. b LAT.
1803. Deuxièmement, ainsi que nous l’avons d’ores et déjà souligné, le fac-
teur de la taille n’exclut pas en soi l’implantation hors de la zone à bâtir. Cer-

2284
Voir notamment nos développements supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.3.
2285
WALDMANN (2005), p. 783 ; WALDMANN (2004), pp. 959-960. Voir également l’avant-projet de rapport
du Conseil fédéral, Partie II, p. 12.
2286
Dans ce sens, voir WALDMANN (2005), p. 783, note 22.

480
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

tes, ce critère impose l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé – et nous re-
trouvons ici le problème des obstacles à son adoption2287 – mais la zone ainsi
créée n’est pas rattachée à la zone à bâtir, et la validité du projet est jugée à
l’aune du respect matériel des conditions de l’article 24 LAT2288.
1804. Dans un contexte de pénurie d’aires à disposition, et face à l’absence
d’alternatives disponibles en zone constructible, la création d’une aire de sta-
tionnement d’une taille importante hors d’une zone à bâtir est donc envisa-
geable, moyennant l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé respectant
l’article 24 LAT. Cette possibilité est d’autant plus intéressante pour les pro-
priétaires privés tziganes, mais également pour les autorités à la recherche de
solutions, que les garanties à présenter en matière d’équipement, au sens de
l’article 19 al. 1 LAT, sont moindres hors d’une zone à bâtir.
1805. Certes, un projet effectué sous le régime de l’autorisation dérogatoire
doit posséder un certain équipement, puisque l’article 24 LAT constitue une
exception à l’article 22 al. 2 let. a LAT exclusivement. Les autres conditions de
l’article 22 LAT doivent donc être respectées2289. Toutefois, hors d’une zone à
bâtir, les autorités compétentes doivent respecter le principe de proportionna-
lité et se montrer moins strictes à l’égard de cette exigence2290.
1806. Dans l’arrêt Bittel, le Tribunal fédéral a jugé que la parcelle du recou-
rant était « largement inconstructible », en raison des impératifs découlant de
la législation fédérale sur la protection des eaux et des forêts2291. Se fondant sur
ce constat, il a considéré qu’il était « exclu de régulariser la situation du recou-
rant moyennant l’adoption préalable d’un plan d’affectation »2292.
1807. Le caractère sommaire de ce considérant a déjà été critiqué. Toutefois,
notre proposition ne contredit pas nécessairement cet arrêt dans son résultat,
car les intérêts prépondérants découlant de la protection des eaux et forêts au-
raient certainement mis en échec la condition de l’article 24 let. b LAT.

2.2. Appréciation

1808. Pour une partie de la doctrine, en excluant la voie de l’autorisation dé-


rogatoire pour plébisciter celle de la procédure de planification, la jurispru-
dence du Tribunal fédéral en matière de création d’aires de stationnement est
entièrement justifiée. Selon Benoît BOVAY, en refusant de passer par la voie de
l’autorisation dérogatoire, le Tribunal fédéral nie aux Tziganes, mais égale-

2287
Supra Section C, 3.
2288
Supra Section A, 3.2.2, b.
2289
WALDMANN/HÄNNI (Vorbemerkungen Art. 24ss), N. 6 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 320-321.
2290
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 321.
2291
ATF 129 II 321, 330 Bittel. Voir également supra Section 1.1.
2292
ATF 129 II 321, 330 Bittel.

481
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ment aux autorités, le bénéfice d’une « discrimination positive » les autorisant


à déroger aux procédures ordinaires. Cet auteur se réfère à l’incompréhension
que « de telles faveurs » susciteraient au sein de la population majoritaire2293.
1809. Or, le droit des minorités, l’interdiction de la discrimination indirecte
et la réalisation de l’égalité en fait conduisent au contraire à favoriser
l’autorisation exceptionnelle, si les circonstances l’exigent et le permettent, par
le biais d’une interprétation conforme de l’article 24 let. a LAT.
1810. Même si elle n’est que résiduelle et doit demeurer exceptionnelle2294, la
possibilité d’appliquer la procédure dérogatoire est importante en soi, a fortiori
aussi longtemps que la phase actuelle d’acceptation et d’intégration des be-
soins de la minorité tzigane ne sera pas achevée.
1811. Si l’arrêt Bittel possède une importance fondamentale pour cette re-
connaissance, il n’en demeure pas moins que sa réalisation effective ne pourra
se faire que sur le moyen à long terme. D’ici là, refuser toute possibilité
d’application du régime dérogatoire revient à faire supporter aux Tziganes
nomades l’entier des manquements des autorités à leurs obligations découlant
de l’article 35 Cst., ce qui n’est pas défendable2295.
1812. Au demeurant, la « solution dérogatoire » ne laisse pas indifférentes
les autorités fédérales. En effet, parmi les mesures envisagées en matière
d’aménagement du territoire pour favoriser le stationnement des Tziganes
nomades, le Conseil fédéral propose de modifier les articles 24ss LAT de façon
à prévoir explicitement des exceptions à l’interdiction de construire hors des
zones à bâtir pour les nouveaux emplacements de transit créés à titre tempo-
raire2296.

3. La création d’aires à titre de source annexe de revenus


pour des exploitants agricoles

1813. La création d’aires destinées au stationnement temporaire sur le ter-


rain d’exploitants agricoles est une alternative particulièrement importante et
intéressante à la création d’aires officielles. En effet, les Tziganes nomades
suisses entretiennent généralement de bonnes relations avec les agriculteurs. Il
existe ainsi historiquement une pratique traditionnelle d’arrêt temporaire
spontané sur des terrains agricoles avec le consentement du propriétaire. Ce-

2293
BOVAY, pp. 97-98.
2294
WALDMANN (2004), p. 960.
2295
Dans ce sens, WALDMANN (2004), p. 960. Voir également l’opinion dissidente commune des juges
Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Stránická, Lorenzen, Fischbach et Casadevall, ainsi que celle ind-
viduelle du juge Bonello, relatives à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, CEDH 2001-I.
2296
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20.

482
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

pendant, cette pratique a été mise à mal en raison des normes en matière de
droit des constructions ou encore de camping2297.
1814. Dès lors, les associations tziganes expriment leur intérêt dans le projet
de révision de l’article 24b LAT en cours. Ils y voient la possibilité de faire
coïncider à la fois les intérêts des entrepreneurs agricoles et ceux des Tziganes
nomades, en permettant de développer une nouvelle solution pour créer des
aires permanentes2298. Toutefois, nous allons constater que si le concept envi-
sagé s’avère théoriquement très intéressant pour ces derniers, les détails de sa
mise en oeuvre suscitent des réserves.

3.1. Le projet de révision de l’article 24b LAT

1815. A teneur de l’article 24b al. 1er LAT actuel, les entrepreneurs agricoles
ont la possibilité de mettre en place, à certaines conditions, une activité acces-
soire non agricole dans des bâtiments existants, mais seulement à condition
que la survie de leur entreprise dépende de ce revenu complémentaire2299. La
réglementation s’applique donc aujourd’hui uniquement aux exploitations qui
se trouvent dans une situation financière critique. Le projet de révision de la
LAT apporte des nouveautés sur ce point, afin d’élargir le cercle des entrepri-
ses habilitées à exploiter ce genre d’activités2300.
1816. Le nouvel article 24b al. 1erbis LAT prévoit que « les activités accessoi-
res qui sont, par leur nature, étroitement liées à l’entreprise agricole peuvent
être autorisées indépendamment de la nécessité d’un revenu complémentaire;
des agrandissements mesurés sont admissibles lorsque les constructions et ins-
tallations existantes sont trop petites »2301.
1817. Cette modification entraîne donc deux nouveautés. Premièrement, le
critère de la situation financière critique ne serait désormais plus que partiel-
lement retenu : il ne demeure valable que lorsque l’activité envisagée ne pos-
sède pas de rapport étroit avec l’entreprise agricole, afin de préserver au
mieux la séparation entre zone à bâtir et zone non constructible2302. A contrario,

2297
Rapport d’expertise 2001, p. 18. Voir également la prise de position de l’association jénisch schäft
qwant, relative à la procédure de consultation portant sur la révision partielle de l’aménagement du
territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3 (http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]). Voir
également supra Section B.
2298
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant, relative à la procédure de consultation por-
tant sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2299
Art. 24b al. 1er LAT : « Lorsqu’une entreprise agricole ne peut subsister sans un revenu complémen-
taire, les travaux de transformation destinés à l’exercice d’une activité accessoire non agricole pro-
che de l’exploitation dans des constructions et installations existantes peuvent être autorisés.
L’exigence découlant de l’art. 24, let. a, ne doit pas être satisfaite. »
2300
Projet de révision de la LAT, FF 2005 6651.
2301
Cette modification entraîne également celle des art. 36 et 37 OAT.
2302
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6638.

483
La situation juridique des Tziganes en Suisse

les activités qui présentent ce genre de lien peuvent être désormais exercées
par des entreprises financièrement viables2303. Pour le Conseil fédéral, une
« activité accessoire non agricole proche de l’exploitation » inclut la possibilité
de mettre à disposition des chambres d’hôtes ou de dormir dans le foin, mais
ne recouvre pas les activités liées directement ou indirectement à l’agriculture
qui ne dépendent pas nécessairement de l’existence d’une entreprise agri-
cole2304.
1818. Deuxièmement, les agrandissements nécessaires seront autorisés s’ils
demeurent mesurés et si le volume existant n’est pas suffisant pour exercer les
activités envisagées. A cet égard, le Conseil fédéral propose de fixer, à l’article
40 al. 2 bis OAT une limite maximale de 100 m2 de surface brute de plan-
cher2305.
1819. L’article 27a du projet autorise expressément les cantons qui ne sou-
haitent pas faire usage de tout ou partie des nouvelles possibilités offertes par
le droit fédéral de prévoir des conditions plus restrictives dans la loi ou dans
les plans. Ainsi, les cantons peuvent notamment décider de limiter l’exercice
d’activités accessoires aux bâtiments existants, sans permettre d’agrandis-
sements2306.

3.2. L’intérêt du projet de révision

1820. Le Conseil fédéral estime que la gestion d’une aire de transit par des
exploitants agricoles pourrait être considérée comme une « activité accessoire
non agricole », assimilable à la création de chambres d’hôte. Ainsi, un agri-
culteur pourrait déposer une demande d’autorisation pour l’aménagement
d’une aire de transit et n’aurait pas à prouver que l’implantation de ces équi-
pements est imposée par leur destination2307.
1821. Pour les associations de défense des intérêts des Tziganes également,
le développement de « l’agritourisme » possède un potentiel intéressant pour
le stationnement temporaire de caravanes hors des aires officielles prévues à
cet effet. L’Association tzigane pour la coopération et l'échange culturels voit
dans l’autorisation de pratiquer l’agritourisme une possibilité réelle permet-
tant d’augmenter les emplacements disponibles pour les Tziganes nomades
sur l’ensemble du territoire. A ses yeux, la révision serait susceptible

2303
Soulignons néanmoins que la possibilité de créer une activité accessoire non agricole ne s’applique
pas aux exploitations agricoles les plus petites. Dans le cadre de la révision, cette possibilité de-
meure réservée aux entreprises agricoles au sens de la loi fédérale sur le droit foncier rural, du 4
octobre 1991 (LDFR ; RO 1993 1410; RS 211.412.11).
2304
L’ordonnance apportera également des éléments de précision à cet égard ; Message du Conseil fé-
déral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6643.
2305
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6643-6644.
2306
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6647.
2307
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 13.

484
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

d’autoriser les paysans à offrir légalement, et contre rémunération, des empla-


cements pour six roulottes au maximum2308.

3.3. Les limites du projet de révision

1822. Pour pouvoir être applicable à l’accueil de caravanes tziganes, le projet


de révision de l’article 24b LAT exige des précisions.
1823. Premièrement, aucune référence explicite à l’accueil des Tziganes no-
mades n’est faite dans la loi, alors que cette révision aurait été l’occasion de
consacrer explicitement leurs besoins et ainsi de faire un pas supplémentaire
vers l’intégration de ces derniers dans l’ordre juridique. Cette lacune a été sou-
lignée par plusieurs organismes ayant pris part à la procédure de consulta-
tion2309. Le Conseil fédéral en a pris note et a indiqué que les
« préoccupations » des Tziganes nomades seraient mieux prises en compte à
l’occasion de futures modifications, voire dans le cadre de la révision complète
de la LAT2310.
1824. Deuxièmement, ce silence peut avoir des conséquences négatives
concrètes pour l’accueil des Tziganes nomades. Les associations tziganes ex-
priment ainsi la crainte que sans disposition traitant explicitement du station-
nement temporaire des caravanes, les allégements proposés en faveur des en-
trepreneurs agricoles entraînent en réalité une péjoration de la situation pour
les Tziganes nomades.
1825. En effet, l’accueil de Tziganes nomades sur un terrain agraire entre
dans la définition de la notion d’activité accessoire non agricole, car il est effec-
tué moyennant un certain loyer. Toutefois, les entrepreneurs agricoles qui met-
tent aujourd’hui à disposition leur terrain le font de façon spontanée, sans
aménagements spéciaux. En conséquence, les observateurs se demandent si la
révision de la LAT aurait alors pour effet inattendu d’entraîner l’obligation de
suivre les exigences posées par la loi, c’est-à-dire d’obtenir une autorisation
dérogatoire au sens de la LAT afin d’aménager les infrastructures requises.
1826. C’est ce que craignent les associations tziganes, qui estiment que le cas
échéant, l’accueil de Tziganes nomades par des agriculteurs ne pourrait plus
s’effectuer souplement, puisqu’elle serait formalisée et imposerait des travaux
d’aménagement pour les paysans.
1827. Selon ces associations, les exploitants qui accueillent occasionnelle-
ment des Tziganes de passage risquent de ne plus le faire étant donné les

2308
http://www.agriculture.ch [site consulté le 15.8.2006].
2309
Le Parti socialiste, les Verts, la Radgenossenschaft, la Fondation « Assurer l’avenir des gens du
voyage suisse », schäft qwant, l’Association suisse pour les droits de la personne. Office fédéral du
développement territorial, Evaluation de la procédure de consultation, Berne, septembre 2005, p. 5.
2310
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6640.

485
La situation juridique des Tziganes en Suisse

contraintes administratives et financières. Aux yeux des organisations tziga-


nes, il est ainsi particulièrement important de laisser la possibilité aux exploi-
tants agricoles de choisir entre une mise à disposition temporaire de leur ter-
rain, d’une part, et la construction d’une aire de dimension réduite destinée à
un accueil répété, par le biais des articles 24ss LAT2311, d’autre part.
1828. Par ailleurs, dans l’hypothèse où certains exploitants décideraient de
faire usage de cette nouveauté en faveur des Tziganes nomades, les activités
envisagées ne peuvent prendre place que dans les installations et constructions
existantes, ce qui laisse ouverte la question de l’applicabilité aux caravanes tzi-
ganes. Le Conseil fédéral souhaitant limiter à 100 m2 la surface maximale pou-
vant être nouvellement bâtie, les associations de défense des intérêts des Tzi-
ganes soulignent qu’il existe un risque important d’inadéquation avec l’espace
requis pour l’arrêt de plusieurs caravanes2312. En outre, les cantons peuvent
apporter des limitations supplémentaires, qui peuvent avoir pour conséquence
de rendre complètement inapplicables ces nouveautés au stationnement des
caravanes.

3.4. Appréciation

1829. On ne peut que regretter que le projet de révision de la LAT soit resté
muet sur l’hypothèse du stationnement de caravanes tziganes, car une fois en-
core, l’incertitude juridique qui en découle ne favorise pas une amélioration de
la situation des Tziganes nomades, voire risque de la péjorer. Une interpréta-
tion du projet d’article 24b LAT conforme aux droits fondamentaux est donc
nécessaire.
1830. Toutefois, une telle interprétation ne devrait concerner que la création
d’aires de stationnement temporaire, destinées à perdurer, sans pour autant
exclure la possibilité du stationnement temporaire spontané effectué avec
l’accord du propriétaire, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui2313. Dans ce cas, la
première hypothèse est assimilable à la création durable de lieux de halte, tan-
dis que la seconde entre dans la catégorie des offres légitimant les haltes spon-
tanées. Cette préoccupation illustre bien la nécessité de distinguer entre la
question de l’arrêt spontané et temporaire – non soumis à autorisation de cons-
truire – et la création d’aires permanentes de stationnement. En tout état de
cause, il serait judicieux que les dispositions topiques de la LAT intègrent ex-

2311
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant, relative à la procédure de consultation por-
tant sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 3-4
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2312
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant relative à la procédure de consultation portant
sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2313
Voir supra Section B, 2.

486
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

plicitement la question de la création par des exploitants agricoles de petites


aires destinées aux caravanes tziganes2314.
1831. Dans ce sens, nous rapportons ici les propositions de modification lé-
gislative effectuées par l’association schäft qwant (en allemand uniquement, les
nouveautés sont indiquées en gras)2315 :
1832. Art. 24b al. 1bis LAT (projet) :
Der nichtlandwirtschaftliche Nebenbetrieb muss in bestehenden Bauten und
Anlagen eingerichtet werden, die für die Landwirtschaft nicht mehr benötigt
werden. Steht dafür in den bestehenden Bauten und Anlagen kein oder zu
wenig Raum zur Verfügung, so dürfen massvolle Erweiterungen zugelassen
werden. Kleine Standplätze für das fahrende Volk (maximal 6 Wohn-
wagen) dürfen in sinnvoller Nähe zu den bestehenden landwirtschaf-
tlichen Einrichtungen betrieben werden. Vorschriften über den Betrieb
von Campingplätzen kommen dabei nicht zur Anwendung. Der Bunde-
srat regelt die Einzelheiten.

1833. Art. 40 al. 2bis OAT (projet) :


Steht für die Einrichtung eines nichtlandwirtschaftlichen Nebenbetriebs in
den bestehenden Bauten und Anlagen kein oder zu wenig Raum zur Verfü-
gung, so dürfen Anbauten mit einer Bruttogeschossfläche von insgesamt
höchstens 100 m2 zugelassen werden. Im Freigelände sind Standplätze für
das fahrende Volk bis maximal 6 Wohnwagen zugelassen. Die Errich-
tung eines Standplatzes für das fahrende Volk wird auf die Fläche der
übrigen zulässigen Erweiterungsbauten nicht angerechnet.

1834. Art. 42 al. 3 OAT (projet) :


Ob die Identität der Baute oder Anlage im Wesentlichen gewahrt bleibt, ist
unter Würdigung der gesamten Umstände zu beurteilen. Sie ist jedenfalls
dann nicht mehr gewahrt, wenn die zonenwidrig genutzte Fläche um mehr
als 30 Prozent erweitert wird; Erweiterungen innerhalb des bestehenden Ge-
bäudevolumens werden nur zur Hälfte angerechnet. Die Erweiterung ausser-
halb des bestehenden Gebäudevolumens darf 100 m2 nicht überschreiten. Die
Fläche von Standplätzen des fahrenden Volkes darf maximal für 6
Wohnwagen bemessen werden und wird auf andere Erweiterung aus-
serhalb des bestehenden Gebäudevolumens nicht angerechnet.

2314
Office fédéral du développement territorial, Evaluation de la procédure de consultation, Berne, sep-
tembre 2005, p. 12.
2315
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant relative à la procédure de consultation portant
sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).

487
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1835. Les associations de défense des intérêts des Tziganes souhaitent ainsi
ne pas prétériter les exploitants agricoles désireux d’accueillir des Tziganes en
empiétant sur leurs possibilités d’exercer un autre type d’activité accessoire
non agricole, offrant un rendement plus régulier que l’accueil sporadique de
quelques familles tziganes. Ces propositions ont également le mérite de ratta-
cher la création de places de stationnement transitoire sur un terrain non cons-
tructible au régime dérogatoire des articles 24ss LAT. De ce fait, elle consacre
formellement sa légitimité juridique, tout en ne pénalisant pas les propriétaires
agricoles.

4. Conclusion

1836. Au vu de la pénurie d’aires de stationnement durable et temporaire,


une interprétation conforme au droit des minorités et aux droits fondamen-
taux de la LAT impose une certaine ouverture vers le régime dérogatoire des
articles 24ss LAT.
1837. Ainsi, la problématique de la conciliation entre les besoins des Tziga-
nes nomades et les impératifs de l’aménagement du territoire doit être abordée
de manière réaliste, en prenant en considération les obstacles s’opposant à la
procédure en matière de planification. En l’absence d’alternatives, aussi bien
les propriétaires privés tziganes que les autorités doivent pouvoir employer la
voie de l’autorisation dérogatoire.
1838. Dans ce contexte, la position actuelle du Tribunal fédéral permet
d’aller dans ce sens, puisqu’elle concède qu’au regard de l’article 24 LAT, il est
possible d’entrer en matière sur les aires se limitant à l’accueil d’une « famille
nucléaire »2316. Cette ouverture sous-entend toutefois une interprétation
conforme aux droits fondamentaux de l’article 24 LAT, et en particulier de sa
lettre a. Cette interprétation est envisageable et mériterait d’être prise en
considération par les autorités compétentes et le juge.
1839. Eu égard au critère de la « famille nucléaire » tzigane, les propositions
des associations relatives au projet d’article 24b LAT donnent une indication
précise du nombre moyen de caravanes voyageant ensemble, à savoir six. En
tenant compte des différences culturelles entourant la conception de la famille
proche, on ne saurait concevoir la « famille nucléaire » tzigane comme se limi-
tant au couple de parents et aux enfants dont ils ont la charge. Bien plus, il sied
de se référer également ici au nombre de six caravanes.
1840. Enfin, la jurisprudence constante du Tribunal fédéral à l’égard des
plans d’affectation spécialisés concernant des projets spécifiques hors de la

2316
ATF 129 II 321, 328 Bittel.

488
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

zone à bâtir indique que le facteur de la taille n’est pas en réalité un obstacle
s’opposant à toute implantation d’aires de stationnement hors du milieu bâti.
1841. Si l’on préfèrera effectivement le choix de la zone constructible pour
une aire de grande taille, la situation précaire, le constat d’urgence et la diffi-
culté à trouver une parcelle en zone à bâtir doit également conduire à exami-
ner l’option du plan spécialisé, conforme aux exigences de l’article 24 LAT.
Dans cette hypothèse, la seule réserve que l’on peut émettre réside dans le fait
qu’en conséquence, les obstacles liés à la voie de la planification réapparais-
sent.

E. Participation et droit de recours des Tziganes et de


leurs associations de défense

1842. Lors de notre analyse relative à la portée du droit des minorités pour
les Tziganes en Suisse, nous avons mis en avant la nécessité de leur consulta-
tion systématique lors de la mise sur pied et la réalisation de mesures visant à
promouvoir et protéger leur identité culturelle, de façon à leur conférer une
certaine autonomie en la matière2317. Cette participation est particulièrement
requise dans le cadre du processus de la planification et peut s’effectuer en
amont, par le biais de la consultation des Tziganes, et en aval, par la possibilité
de recourir contre les actes portant atteinte à leurs droits fondamentaux.
1843. Or, il n’existe actuellement aucun mécanisme spécifique destiné aux
Tziganes. Leur participation et leur consultation ne peuvent s’effectuer que par
le biais des moyens ordinaires existant aux niveaux communal, cantonal et fé-
déral. En outre, la qualité pour agir dans les procédures d’opposition et de re-
cours est construite autour de deux postulats.
1844. D’une part, on considère que les personnes qui saisissent les instances
de recours sont dans la règle des particuliers isolés, cherchant à défendre leurs
intérêts individuels, qu’ils soient juridiques ou de fait. D’autre part, on cherche
à garantir une protection juridique efficace aux justiciables, tout en prenant
garde de restreindre le cercle des titulaires de la légitimation active de manière
à ne pas ouvrir la voie à l’action populaire2318.
1845. Ainsi, la possibilité de faire entendre les besoins de la minorité tzigane
en tant que groupe doit s’insérer dans ce cadre pour pouvoir être prise en
considération par le juge constitutionnel. Il est donc nécessaire de déterminer

2317
Voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3., et comp. les développement de MOORE rela-
tifs à l’accession des Irish Travellers à un certain degré d’autonomie et d’auto-détermination cultu-
relles sur la base du droit international des minorités ; MOORE, pp. 176 et 188-189 notamment.
2318
ATF 130 II 514, 516 X. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2035 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 691.

489
La situation juridique des Tziganes en Suisse

s’il existe une solution médiane et acceptable, à mi-chemin entre l’action indi-
viduelle et l’action populaire.
1846. Dans un premier temps, nous constaterons que dans les premières
étapes du processus de planification, les mécanismes participatifs et consulta-
tifs en vigueur ne sont employés que de manière limitée à l’égard des Tziga-
nes. En conséquence, leur participation souffre de ces lacunes2319(1.). Ensuite,
nous examinerons comment les conditions entourant la reconnaissance de la
qualité pour agir permettent aux Tziganes (2.), ainsi qu’à leurs associations de
défense (3.), de faire valoir leurs griefs tirés des droits fondamentaux.

1. Une participation lacunaire au processus de


planification

1847. Dans le domaine de l’aménagement du territoire, les articles 4 et 33


LAT posent des standards minimaux en matière de participation et
d’information2320 de la population2321. L’article 4 LAT oblige les autorités en
charge de l’aménagement du territoire à prévoir la participation de la popula-
tion à l’élaboration des plans prévus par la LAT2322, afin de garantir que ses be-
soins soient pris en considération, ainsi que l’exige l’article 3 LAT2323.
L’éventuelle sanction démocratique qui peut venir conclure la procédure
donne également au corps électoral la possibilité de participer au processus
décisionnel2324.
1848. Si la Confédération exprime son intérêt et sa préoccupation sur la
question de la participation des Tziganes, ses compétences restreintes en ma-
tière d’aménagement du territoire ont pour résultat que son activité se limite à

2319
Contra l’Union des villes suisses, dans sa prise de position du 27 octobre 2005, relative à la procé-
dure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral pp. 1-2
(http://www.staedteverband.ch, [consulté le 12 avril 2006]).
2320
RDAF 1999 I 45, 59 : si les cantons sont libres d’établir à leur convenance l’étendue de la participa-
tion démocratique à l’élaboration des plans de zones, « le poids politique d’une décision de la portée
du plan communal d'affectation des zones et l'imprécision de la loi inhérente à la complexité et à la
multiplicité des cas qu'elle est destinée à régler supposent une participation adéquate de la popula-
tion à son élaboration ». Voir également ATF 124 I 40, 43. WALDMANN/HÄNNI (art. 4), N. 3 ; NÜSSLE,
p. 128.
2321
La notion de « population » est comprise ici dans un sens large, dépassant aussi bien le cercle du
corps électoral de la région concernée par la planification envisagée que celui des personnes ayant
la qualité pour recourir au sens de l’art. 33 LAT ; MUGGLI (art. 4), N. 13; NÜSSLE, p. 130. Au sujet des
différents aspects de cette participation, et notamment de ses fondements et objectifs, voir Thierry
TANQUEREL, La participation de la population à l’aménagement du territoire, Genève 1988.
2322
C’est-à-dire notamment les plans directeurs cantonaux et les plans d’affectation ; voir MUGGLI (art.
4), N. 16-19.
2323
NÜSSLE, p. 127.
2324
MUGGLI (art. 4), N. 3-9. La participation au processus de planification prévue par l’art. 4 LAT garantit
que la population puisse s’exprimer à un moment donné. L’éventuelle sanction du corps électoral
dépend uniquement du droit cantonal; WALDMANN/HÄNNI (art. 4), N. 2 ; NÜSSLE, pp. 127-128.

490
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

encourager leur capacité à s'exprimer de manière appropriée et efficace, par le


biais de son soutien financier à l'Association de gens de la route2325.
1849. Par ailleurs, il n’est pas aisé de déterminer quelles politiques prévalent
en la matière aux niveaux cantonal et communal. Les autorités fédérales esti-
ment que la consultation des Tziganes est peu répandue, du fait de l’absence
de volonté politique à qualifier de pertinents les projets en faveur de cette mi-
norité2326. En pratique, on ne constate aucun emploi systématique des méca-
nismes participatifs en faveur des Tziganes, du fait d’une sensibilité politique
encore trop limitée aux intérêts de la population sédentaire. La volonté politi-
que fait ainsi encore défaut2327.
1850. Pour plusieurs cantons, le dialogue « non bureaucratique » est favori-
sé. Pour le canton d’Argovie, la collaboration officieuse, écartant les voies pro-
cédurales, entre les départements de l’intérieur et de la construction, d’une
part, et les Tziganes suisses, d’autre part, permet de parvenir à de bons résul-
tats.
1851. Dans d’autres cantons, les autorités sont divisées quant à la méthode à
employer pour parvenir à des résultats. Certains parlementaires estiment qu’il
n’est pas envisageable d’imposer aux communes l’aménagement des places :
les autorités cantonales doivent privilégier le dialogue et la négociation, car
dans les faits il faudra de toute façon collaborer avec les forces de l’ordre et les
autorités communales. D’autres députés affirment qu’en dernier recours, la
désignation forcée de places serait peut-être la seule solution2328. Le Conseil
d’Etat fribourgeois, pour sa part, préfère la négociation, considérant que sans
la collaboration de toutes les parties, aucun résultat ne peut être atteint2329.
1852. Une formalisation de la participation systématique de toutes les asso-
ciations défendant les intérêts des Tziganes en Suisse s’avère nécessaire dans
les procédures de consultation portant sur les programmes et mesures requis
en matière de création de places de stationnement2330.
1853. On pourrait ainsi envisager la création de procédures institutionnali-
sées visant à éclaircir les besoins concrets, sur le territoire cantonal concerné,

2325
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 29.
2326
L'enquête menée auprès de quelques cantons par l’administration fédérale pour réaliser l’avant-
projet de rapport du Conseil fédéral n’a pas donné de résultat concluant ; Rapport du Conseil fédé-
ral, Partie I, p. 29.
2327
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 29-30.
2328
BO/FR du 25 mars 2003, pp. 368-369.
2329
BO/FR du 25 mars 2003, pp. 394-395.
2330
Dans ce contexte, on constatera que toutes les associations représentatives, y compris celles créées
par l’OFC lui-même, ne figuraient pas sur la liste des organisations consultées par la Chancellerie fé-
dérale dans le cadre de la procédure de consultation relative à le Rapport du Conseil fédéral du 22
juin 2005. A ce sujet, voir la prise de positon de l’association “Schäft qwant“ – Transnationaler Ve-
rein für jenische Zusammenarbeit und Kulturaustausch, du 1er novembre 2005, concernant le Rap-
port du Conseil fédéral du 22 juin 2005, pp. 4-5.

491
La situation juridique des Tziganes en Suisse

des communautés tziganes nomades qui ont l’habitude d’y transiter. Une solu-
tion plus pertinente encore consisterait à inclure de façon systématique les as-
sociations représentatives des Tziganes présentes en Suisse. Combinée à un
renforcement de la collaboration de la Confédération et des cantons avec la
Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », ceci devrait per-
mettre de garantir la légitimité de ses représentants par rapport aux membres
de la minorité2331.
1854. Le renvoi aux associations peut être la solution la plus appropriée. En
effet, les réticences des autorités locales s’expliquent également par leurs diffi-
cultés à concevoir les Tziganes comme constituant un groupe à consulter, faute
d’interlocuteur clairement identifiable. Le nomadisme actif renforce cette im-
précision et augmente les obstacles à une consultation effective2332. La création
de sections cantonales pourrait donc s’avérer nécessaire.
1855. Le gouvernement zurichois souligne à cet égard que c’est bien
l’absence d’interlocuteur officiel organisé au niveau cantonal qui a pour
conséquence que, jusqu’à présent, les Tziganes nomades n’ont pas été consul-
tés sur les projets les concernant et ce, bien que le droit cantonal impose de les
entendre quand leurs intérêts sont particulièrement touchés par une mesure, à
l’instar de tout autre particulier2333.
1856. La clé de la question de la participation réside donc dans la communi-
cation de l’information et dans la prise de contact entre autorités et organisa-
tions de défense des droits des Tziganes. Nous constaterons ci-après que
l’éventuelle reconnaissance d’un droit de recours spécial en faveur de ces asso-
ciations aurait également des conséquences en amont de la procédure et garan-
tirait leur consultation systématique et obligatoire lors de l’ouverture de toute
procédure pertinente pour la création de places de stationnement2334.

2. La qualité pour recourir des Tziganes et de leurs


associations

1857. Pour déterminer la portée du droit de recours des Tziganes (2.2) et de


leurs associations (2.3.) contre des mesures de planification, il sied, au préala-
ble, d’analyser les conditions entourant la reconnaissance de la qualité pour
recourir par la voie du recours en matière de droit public (2.1.). Dans une qua-

2331
Dans ce sens, voir l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 19.
2332
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 29-31. Voir également la prise de position de l’Union des
villes suisses, du 27 octobre 2005, relative à la procédure de consultation concernant l’avant-projet
de rapport du Conseil fédéral p. 2 (http://www.staedteverband.ch, [consulté le 12 avril 2006]).
2333
Prise de position du Conseil d’Etat du Canton de Zurich, du 19 octobre 2005, relative à la procédure
de consultation concernant le Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005
(http://www.regierungsrat.zh.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2334
Infra Section 2.3

492
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

trième étape, nous ferons une incursion dans le contentieux de la CEDH pour
déterminer quelles personnes – physiques ou morales – sont légitimées à se
qualifier de « victime » au sens de l’article 34 CEDH (2.4).

2.1. La qualité pour recourir par la voie du recours en matière de


droit public

1858. Après avoir analysé la qualité pour recourir des particuliers (2.1.1.),
nous examinerons celle des associations (2.1.2.).

2.1.1. La qualité pour recourir des particuliers

1859. Dans le domaine de l’aménagement du territoire, rappelons que


l’article 33 al. 3 let. a LAT, en relation avec l’article 111 al. 1 LTF, impose aux
cantons de reconnaître aux particuliers une qualité pour recourir devant les
instances cantonales qui soit identique à celle octroyée pour le recours en ma-
tière de droit public devant le Tribunal fédéral, au sens des articles 82ss
LTF2335. Sont ainsi concernés les recours formulés contre l’adoption ou le refus
d’adopter un plan d’affectation, et contre l’octroi ou le refus d’octroyer une au-
torisation ordinaire ou dérogatoire de construire2336.
1860. Dans le cadre du recours en matière de droit public, au sens des arti-
cles 82ss LTF, la qualité pour recourir des individus est prévue à l’article 89 al.
1 LTF. Cette disposition pose trois conditions cumulatives : le particulier doit
avoir pris part à la procédure devant l’autorité précédente, ou avoir été privé
de le faire (let. a)2337, il doit être particulièrement atteint par l’acte attaqué (let.
b) et il doit posséder un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa
modification (let. c). Ces exigences ont pour but d’éviter l’action populaire, qui
permettrait à tout individu de s’attaquer à n’importe quelle décision en invo-
quant la défense d’intérêts généraux2338.
1861. Le critère de l’intérêt digne de protection exigé par la lettre c signifie
qu’un particulier subit une atteinte causée par la décision attaquée pouvant
être supprimée par son annulation ou sa modification. Autrement dit, l’intérêt
du recourant doit être pratique, en ce sens que sa situation de fait ou de droit
doit être influencée par le sort de la cause2339. A l’instar de ce qui était exigé

2335
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2050.
2336
Supra Sections A, 3.1.2, c, 3.2.2, c, et 3.2.3., c.
2337
Au sujet de cette condition désormais explicitement énoncée par la loi et résultant de la pratique à
l’égard de l’intérêt digne de protection, voir BELLANGER (2006), pp. 61-63.
2338
ATF 121 II 176, 177 Leisinger-Bolleter ; ATF 118 Ia 46, 51 Verein Scientology Kirche Zürich ; ATF
112 Ib 154, 158 Obfelden. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2035 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 1999 ;
TANQUEREL (1996), p. 57 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 174.
2339
ATF 127 V 80, 82 Roche Pharma; ATF 124 II 297, 304 Glattfelden; ATF 116 Ib 321, 323-324 Nieder-
lenz ; ATF 113 Ib 225, 228 Lommiswil. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 697 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p.
171.

493
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sous l’empire de l’ancien recours de droit administratif, le préjudice subi ne


doit pas nécessairement être juridique : il peut être de nature économique, ma-
térielle ou idéale2340. Par ailleurs, quand le grief porte sur une violation allé-
guée d’un droit fondamental, ce critère est nécessairement rempli2341.
1862. Pour sa part, la lettre b précise que les individus doivent être atteints
« de manière particulière » par la décision attaquée2342. Si le destinataire direct
d’une décision remplit incontestablement cette condition, la question s’avère
plus délicate à l’égard des parties tierces ; à leur égard, ce critère s’avère fon-
damental2343.
1863. Cette condition renvoie également à la jurisprudence développée sous
l’ancien recours de droit administratif et implique que les tiers doivent avoir
un intérêt personnel à l’admission du recours en étant actuellement, directe-
ment et concrètement touchés par la décision, de manière plus intense que
d’autres justiciables, en présentant un « rapport étroit, spécial et digne d’être
pris en considération » avec l’objet du litige2344.
1864. Dans le contexte de l’aménagement du territoire, cette problématique
s’avère essentielle au regard de la qualité pour agir des voisins d’un bien-
fonds. La jurisprudence a eu l’occasion de tracer les limites géographiques du
cercle des personnes concernées, selon des facteurs combinant la distance du
lieu et la nature des nuisances en cause2345. A cet égard, on relèvera que
l’existence d’un rapport étroit peut être reconnu envers de nombreuses per-
sonnes lorsque, par exemple, des installations touchent une région densément

2340
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2036 ; BELLANGER (2006), pp. 59-60. Comp., sous le régime du re-
cours de droit administratif, ATF 125 II 497, 499 Claude Tamborini. Voir également TANQUEREL
(2005), p. 194 et les exemples cités par cet auteur : le propriétaire d’un lieu, celui qui y réside ou
qui y travaille possède un intérêt de fait digne de protection, tandis qu’un promeneur régulier ou un
client ne l’ont pas. Dans ce sens également, voir ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 169-171.
2341
ATF 118 Ia 232, 234 Küsnacht. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2036-2037.
2342
Comp. l’art. 103 let. a aOJ qui n’incluait pas la notion d’atteinte « particulière », puisqu’il n’évoquait
que la condition de l’ « atteinte ». Toutefois, une partie de la doctrine souligne le caractère restrictif
de la jurisprudence du Tribunal fédéral à l’égard de cette condition. Dès lors, elle estime que l’art.
89 al. 1 let. b LTF ne fait que formaliser cette pratique et qu’il ne devrait pas y avoir de changement
sur ce point sous le nouveau régime; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 31a. Comp.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2038.
2343
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2042 ; BELLANGER (2006), pp. 59-60 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N.
1999-2000 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 33.
2344
ATF 130 V 560, 563 Schweizerische Bundesbahnen ; ATF 125 V 339, 342 SWICA ; ATF 125 II 497,
499 Claude Tamborini ; ATF 125 II 264, 269 Interkantonale Landeslotterie ; ATF 123 II 376, 379
Gonseth; TANQUEREL (1996), pp. 57-58 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 33 ; ZEN-RUFFINEN/ GUY-
ECABERT, pp. 694-695 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 174.
2345
ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 174-184. Ainsi, le Tribunal fédéral considère qu’il est implicite qu’un voisin
immédiat subisse une atteinte particulière (voir notamment ATF 121 II 171, 174 D. et H. ; ATF 110
Ib 145, 147 Rainer Pflum). Lorsque les fonds sont plus distants l’un de l’autre, notre Haute Cour se
base sur l’intensité et la gravité des nuisances causées par les immissions matérielles et immatériel-
les émises par la parcelle en cause pour déterminer si l’on peut constater la présence d’une atteinte
particulière ( voir notamment ATF 121 II 171, 174 D. et H. ; ATF 110 Ib 99, 102 Dr. Reiser).

494
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

peuplée par des immissions problématiques au regard du droit de


l’environnement2346.
1865. Enfin, il n’y a pas en principe d’atteinte particulière lorsque l’intérêt au
recours n’est plus actuel au moment où le Tribunal fédéral statue, car ce der-
nier doit pouvoir concrètement réparer le préjudice subi2347. Par le passé, notre
Haute Cour a toutefois renoncé à cette exigence lorsque l’intérêt public re-
quiert de trancher le problème ou si, en raison d’une durée brève, l’acte en
cause ne pourra jamais être soumis au contrôle judiciaire alors qu’il est suscep-
tible de se reproduire en tout temps dans des circonstances analogues2348. La
doctrine estime que cette exception perdurera sous le régime de la nouvelle
organisation judiciaire2349.

2.1.2. La qualité pour recourir des associations

1866. Lorsqu’une association est elle-même touchée dans ses droits par une
décision, elle est soumise aux mêmes conditions que les personnes physi-
ques2350. Le régime est toutefois sensiblement différent lorsque ce ne sont pas
ses propres droits qui sont mis en cause2351. Le recours corporatif égoïste auto-
rise une organisation à attaquer une décision afin de défendre les intérêts de
ses membres (a). Le recours corporatif spécial lui permet de défendre un but
d’intérêt public (b). Ces deux types de recours sont clairement distincts et ne
répondent ni aux mêmes exigences ni aux mêmes objectifs.

a) Le recours corporatif égoïste

1867. Le recours corporatif égoïste a été développé par la jurisprudence et


n’est donc pas prévu par la loi. A l’instar du recours des individus, il se ratta-
che toutefois à l’article 89 al. 1 LTF2352. Par ce biais une organisation agit en son
propre nom, mais pour défendre les intérêts de ses membres2353. Pour admet-
tre la titularité d’une organisation à faire usage de ce type de recours, le Tribu-

2346
HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2000 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 36. Comp. ATF 121 II 176, 178 Lei-
singer-Bolleter. TANQUEREL (1996), pp. 58-59.
2347
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2044 ; BELLANGER (2006), pp. 60-61. Voir également la pratique
rendue sous l’ancienne organisation judiciaire fédérale : ATF 128 II 156, 158 R. ; ATF 125 II 417,
419 A. A ce sujet, ZEN-RUFFINEN (2004), p. 171.
2348
ATF 128 II 156, 159 R. ; ATF 107 Ib 391, 392 Associazione ticinese. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I),
N. 2046 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2000 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 171.
2349
BELLANGER (2006), pp. 60-61.
2350
BELLANGER (2006), p. 60.
2351
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2051 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013.
2352
HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013.
2353
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2051 ; GRIFFEL (2006), p. 98 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ;
WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 45.

495
La situation juridique des Tziganes en Suisse

nal fédéral exige qu’elle remplisse quatre conditions cumulatives : elle doit
posséder la personnalité morale, la défense des intérêts de ses membres consti-
tue son but statutaire, ces derniers doivent être effectivement touchés dans
leurs intérêts, et ils doivent individuellement posséder la qualité pour recou-
rir2354.
1868. Cette dernière exigence renvoie ainsi aux conditions posées par
l’article 89 al. 1 LTF à l’égard des particuliers. De fait, le Tribunal fédéral ana-
lyse si une grande partie2355 des membres de l’association possède individuel-
lement la qualité pour recourir à la lumière de sa pratique relative aux tiers re-
courant2356, examinée ci-dessus. Lorsque ces conditions sont remplies, toute
organisation se voit reconnaître la qualité pour recourir devant le Tribunal fé-
déral. En outre, rappelons qu’en vertu de l’article 111 al. 1 LTF, elle possède
également la qualité de partie devant les instances cantonales2357.

b) Le recours corporatif spécial

1869. Lorsqu’elle agit par le biais d’un recours corporatif spécial, une asso-
ciation procède en son nom propre pour défendre un but d’intérêt public, dont
elle a le rôle de gardien2358. Du fait de cette rupture avec le principe de
l’existence d’une atteinte particulière à des intérêts individuels, ce recours n’est
possible qu’à condition que son principe et son champ d’action soient prévus
par la loi2359. A cet égard, les articles 48 al. 2 PA et 89 al. 2 let. d LTF reconnais-
sent à ces organisations la qualité pour recourir devant le Tribunal administra-
tif fédéral, respectivement le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière
de droit public2360.
1870. En droit fédéral, ce type de recours est rare et n’existe que dans cer-
tains domaines, en faveur d’associations déterminées : des organisations éco-

2354
ATF 130 II 514, 519 X.; ATF 130 I 26, 30 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte, Sek-
tion Zürich; ATF 127 V 80, 82-83 Roche Pharma. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2052 ; BELLANGER
(2006), p. 60 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ; HÄNNI (2002), p. 547 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N.
45.; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 698.
2355
Et non pas tous les membres, ni même la majorité d’entre eux; ATF 130 II 514, 519 X. HÄFE-
LIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 698. Contra BELLANGER (2006), p. 60, qui
exige qu’une majorité soit atteinte.
2356
ATF 127 V 80, 82-83 Roche Pharma.
2357
En matière d’aménagement du territoire et d’adoption de plans d’affectation cantonaux, rappelons
que dans sa version modifiée par l’adoption de la LTAF et de la LTF, l’art. 33 al. 3 let. a LAT impose
aux cantons de prévoir qu’à l’encontre des plans d’affectation « la qualité pour recourir [soit] recon-
nue dans les mêmes limites que le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral » ; ch. 64
de l’annexe de la LTAF ; FF 2006 3937.
2358
NÜSSLE, p. 102 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 205.
2359
BELLANGER (2006), p. 65 ; GRIFFEL (2006), p. 98 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013.
2360
HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 29a et 54-63.

496
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

logiques de défense de la nature (articles 12 et 12a LPN2361)2362, de


l’environnement (article 55 LPE2363), et des chemins pour piétons et de ran-
données pédestres (14 al. 1er let. b LCPR2364)2365, ainsi que des organisations
qui cherchent à lutter contre des situations de discrimination affectant un
grand nombre de personnes handicapées (article 9 al. 1 LHand2366).
1871. En outre, l’article 7 LEg confère également la qualité de partie aux as-
sociations actives en matière d’égalité des sexes, ou encore dans le domaine de
la défense des travailleurs pour pouvoir agir de manière à faire constater
l’existence d’une discrimination dans les rapports de travail régis aussi bien
par le code des obligations que par les droits publics fédéral, cantonaux et
communaux (article 2 LEg).
1872. Pour être titulaires du droit de recours spécial, les organisations doi-
vent remplir certaines conditions prévues par la loi et qui sont pour l’essentiel
comparables, quelle que soit la législation applicable2367. Elles doivent être do-
tées de la personnalité juridique et, à teneur de leurs statuts, s’occuper princi-
palement de la défense des intérêts en cause depuis plusieurs années. Elles
doivent être d’importance nationale et, enfin, être reconnues par une autorité
fédérale à ce titre2368.
1873. En outre, contrairement aux organisations agissant par le biais d’un
recours corporatif égoïste, les associations légitimées à déposer un recours spé-
cial sont limitées dans l’objet de leurs recours. On se référera aux lois fédérales
applicables pour déterminer la recevabilité de leurs actions à cet égard2369. Par

2361
Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage, du 1er juillet 1966 (LPN ; RS 451 ; RO
1966 1694).
2362
L’art. 46 al. 3 de la loi fédérale sur les forêts, du 4 octobre 1991 (LFo ; RS 921.0 ; RO 1992 2521)
renvoie par ailleurs à l’art. 12 LPN pour ouvrir notamment aux organisations pour la défense de la
nature et du paysage le droit de recours contre certaines décisions prises en vertu de la LFo.
2363
Loi fédérale sur la protection de l’environnement, du 7 octobre 1983 (Loi sur la protection de
l’environnement, LPE ; RS 814.01 ; RO 1984 1122).
2364
Loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pédestre, du 4 octobre 1985
(LCPR ; RS 704 ; RO 1986 2506).
2365
Le droit de recours des organisations écologiques fait actuellement l’objet de débats nourris portant
sur l’opportunité de son abrogation. A ce sujet, voir NÜSSLE, pp. 103-104, ainsi que Alain GRIFFEL
(2006), Das Verbandsbeschwerderecht im Brennpunkt zwischen Nutz- und Schutzinterssen, DEP 20
(2006), n°2, pp. 95-126, ou encore Thierry TANQUEREL, Les opposants à la construction, Journée de
droit des constructions 2005, pp. 185-202.
2366
Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, du 13 décembre
2002 (Loi sur l’égalité pour les handicapés, LHand ; RS 151.3 ; RO 2003 4487).
2367
Comp. les art. 12 al. 1er LPN, 55 LPE, 7 LEg et 9 LHand et 5 de l’Ordonnance sur l’élimination des
discriminations frappant les personnes handicapées, du 19 novembre 2003 (Ordonnance sur
l’égalité pour les handicapés, OHand ; RS 151.31 ; RO 2003 4501).
2368
Pour les organisations écologiques en particulier, voir ZEN-RUFFINEN (2004), p. 207-208.
2369
Comp. ainsi l’art. 12 LPN, restreignant l’objet du recours aux décisions prises en exécution de tâches
fédérales au sens de l’art. 78 al. 2 Cst. et 2 LPN, l’art. 55 LPE, limitant l’objet du recours aux déci-
sions relatives à des installations soumises à étude d’impact au sens de l’art. 9 LPE et annexe de
l’Ordonnance relative à l’étude de l’impact sur l’environnement, du 19 octobre 1988 (OEIE ; RS
814.011 ; RO 1988 1931), ainsi que l’art. 14 al. 1er let. b LCPR désignant les décisions relatives à la

497
La situation juridique des Tziganes en Suisse

ailleurs, bien que par définition, elles n’aient pas à prouver que leurs membres
possèdent un intérêt personnel à l’admission du recours, les associations doi-
vent tout de même démontrer qu’elles ont un intérêt actuel et pratique à cet ef-
fet2370.
1874. Les organisations titulaires d’un droit de recours spécial doivent
participer à l’ensemble de la procédure2371. Dès lors, les autorités compétentes
ont l’obligation de notifier à ces associations lorsqu’elles rendent une décision
susceptible de faire l’objet d’un tel recours2372. Si une procédure d’opposition
précède la prise de décision, les associations doivent également être informées
afin de pouvoir intervenir à titre de partie à la procédure2373.
1875. Enfin, en matière d’aménagement du territoire, les organisations titu-
laires d’un droit de recours en matière de protection de la nature et de
l’environnement ont la possibilité d’agir lorsque des mesures de planification
entreprises pour réaliser un mandat fédéral touchent les intérêts publics dont
elles ont la charge. Dès lors, elles ont la faculté de recourir contre les autorisa-
tions de construire dérogatoires, au sens des articles 24ss LAT2374. Dans ce
contexte, la doctrine souligne que le recours spécial a pris une importance de
premier ordre en l’absence de justiciable pouvant démontrer posséder un inté-
rêt particulier pour s’opposer à l’octroi de ce type d’autorisation2375.

2.2. La légitimation active des Tziganes

1876. A l’instar de tout justiciable, la légitimation active d’un Tzigane est ac-
quise dès lors qu’il est destinataire d’une décision affectant directement ses in-
térêts, que cela soit à l’occasion d’une éviction de son lieu de stationnement,
du refus de classer son terrain non constructible, ou encore du refus d’une au-
torisation de construire, ordinaire ou dérogatoire.
1877. La réponse est moins évidente lorsqu’il n’existe pas de destinataire in-
dividuel précis, lorsque l’impulsion de créer une aire de stationnement pro-
vient des autorités. De même, lorsqu’un Tzigane nomade est touché personnel-
lement par une décision, ou s’il s’agit d’un exploitant agricole qui souhaite

suppression d’un chemin pour piéton ou d’un chemin de randonnée pédestre figurant sur un plan.
Voir également ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 210-220.
2370
ATF 123 II 285, 286, Helvetia Nostra. ZEN-RUFFINEN (2004), p. 205.
2371
Comp. les art. 12a al. 2 et 3 LPN, 9 al. 3 LHand, 14 al. 3 et 4 LCPR, et 55 al. 4 LPE. ZEN-RUFFINEN
(2004), p. 220.
2372
Comp. les art. 12a al. 1 LPN, 9 al. 4 LHand, 14 al. 3 LCPR, et 55 al. 4 LPE. ZEN-RUFFINEN (2004), p.
220-221.
2373
Comp. les art. 12a al. 2 LPN, 9 al. 5 LHand, 14 al. 3 LCPR, et 55 al. 5 LPE.
2374
En outre, bien que la planification ne soit pas un mandat de la Confédération, ces organisations ont
la possibilité de recourir contre des plans d’affectation spéciaux lorsque ces derniers ont pour objet
des questions environnementales qui les concernent. En effet, dans cette hypothèse, des questions
se posent au regard de la LPN ou encore de la LPE ; NÜSSLE, pp. 105-106.
2375
NÜSSLE, pp. 105-106.

498
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

aménager une petite aire de transit à titre de source de revenus annexes, on


peut s’interroger sur la possibilité de reconnaître la légitimation active à des
Tziganes intervenant en tant que tiers intéressés. Dans ces deux hypothèses, il
sied de s’interroger sur l’éventuelle qualité pour recourir de tout Tzigane no-
made (2.2.1.), mais également de certains Tziganes sédentarisés (2.2.2.).

2.2.1. La légitimation active des Tziganes nomades

1878. Dans le cadre d’une procédure d’adoption d’un plan d’affectation ou


d’octroi d’une autorisation de construire en vue d’aménager une aire de sta-
tionnement, chaque Tzigane nomade suisse possède un intérêt digne de pro-
tection à l’aboutissement de la procédure. Cette approche apparaît à première
vue contradictoire avec la jurisprudence du Tribunal fédéral entourant la défi-
nition de la qualité pour agir dans le cadre de l’ancien recours de droit admi-
nistratif. Or, cette jurisprudence a toujours cherché à éviter de consacrer
l’action populaire2376, ce qui n’est ni l’objectif ni le résultat de notre démarche.
1879. En effet, chaque Tzigane nomade peut avoir l’occasion de stationner
un jour sur une aire de stationnement et de l’utiliser à l’occasion de ses voya-
ges2377. Son intérêt à sa création est donc en tout cas économique et factuel. A
notre sens, il peut être qualifié de juridique au regard des libertés individuelles
qui sont atteintes en cas de refus d’adoption du plan en cause2378, mais égale-
ment en raison des impératifs découlant de la facette collective du droit des
minorités, et de la réalisation de l’égalité en fait.
1880. Tous les Tziganes nomades suisses possèdent un rapport étroit, digne
d’attention avec tout projet de création d’aire durable de stationnement sur le
territoire suisse. En effet, face à une situation de pénurie constatée, qui porte
atteinte aux droits que leur garantit le droit des minorités et qui restreint for-
tement leurs possibilités pour circuler, s’établir, pratiquer leurs métiers et jouir
d’un logement adéquat dans des conditions acceptables, leurs droits sont
concrètement atteints en cas d’obstacles à la réalisation d’une place.
1881. Le nombre de places est si faible par rapport aux besoins réels que tout
nouveau projet concerne l’ensemble des Tziganes nomades de Suisse. De
même, l’éventuelle inadéquation du projet en cause, par exemple si le lieu de
halte envisagé est mal situé ou n’a pas les infrastructures requises, les touche
particulièrement et leur cause un préjudice réel, aussi bien matériel que juridi-
que, et non pas uniquement théorique2379.

2376
ATF 131 II 587, 588. ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 173-174.
2377
Comp. mutatis mutandis, cet intérêt digne de protection avec celui, reconnu, de la personne qui ha-
bite sur le lieu concerné, voire qui y travaille. TANQUEREL (2005), p. 194.
2378
Supra Titre Troisième.
2379
Comp. ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 170-171.

499
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1882. Ces atteintes sont spécifiques aux Tziganes par rapport au public en
général. En effet, seule la communauté tzigane est concernée, puisqu’au
contraire des Tziganes nomades, les non-Tziganes n’ont aucun intérêt propre -
juridique ou de fait - à la réalisation de places de stationnement. Autrement
dit, les Tziganes nomades sont ici touchés plus que n’importe qui d’autre au
sein de la population dans leurs intérêts dignes de protection2380.
1883. A notre sens, les trois caractéristiques cumulatives composant la
condition matérielle du lien suffisant avec l’objet du litige, à savoir le caractère
personnel, direct et spécial du rapport, sont en conséquence remplies2381.
1884. Il nous paraît plus difficile de reconnaître l’existence d’un intérêt digne
de protection en faveur de tout Tzigane nomade lorsqu’un Tzigane, proprié-
taire d’un terrain, se retrouve en conflit avec les autorités compétentes à son
sujet. En effet, lorsque cette personne envisage d’utiliser son terrain à des fins
personnelles et familiales uniquement, un refus de classement en zone cons-
tructible, un refus d’autorisation de construire ordinaire, ou encore un refus
d’autorisation de construire extraordinaire ne portent atteinte qu’à ses propres
intérêts, à l’exclusion de ceux de tout autre Tzigane.
1885. La situation est toutefois différente si le propriétaire destine également
son terrain à l’accueil de Tziganes nomades de passage qui n’appartiennent
pas à son noyau familial. Dans ce contexte, on peut également considérer
qu’ici aussi, les Tziganes nomades peuvent chacun avoir un intérêt juridique à
pouvoir utiliser ce terrain privé un jour, au gré de leurs voyages2382.
1886. Toutefois, il paraît indiscutable que dans le cadre d’un recours contre
une décision d’éviction d’un lieu de stationnement, seuls ses destinataires di-
rects possèdent la qualité pour recourir. Certes, on peut défendre l’idée que le
renvoi d’un lieu d’arrêt, sans autre alternative pour pouvoir stationner dans
une certaine commune, crée également un préjudice de nature idéale, voire ju-
ridique, à tous les Tziganes nomades. Cependant, il nous paraît ici difficile de
conclure qu’une autre personne hormis le destinataire puisse démontrer que
cette mesure la touche directement, ou qu’ils se trouvent dans un tel « rapport
étroit, spécial et digne d’être pris en considération » qu’il pourrait être considé-
ré comme un tiers recourant.

2380
Comp. ATF 123 II 376, 379 Gonseth, où le Tribunal fédéral considère que des consommateurs ré-
unis en association ne sont pas plus touchés que le public en général par une décision d’autorisation
en matière de produits à base de soja génétiquement modifié. Comp. également ATF 130 II 514,
519 SGR SSR Idée suisse, où les membres d’une association de téléspectateurs ne sont pas consi-
dérés comme étant plus particulièrement touchés par un reportage audio-visuel que le reste des té-
léspectateurs.
2381
BELLANGER (Partie), pp. 44-45.
2382
A notre sens, on appliquera mutatis mutandis le même raisonnement face à un propriétaire foncier
qui, tout en n’étant pas Tzigane, décide d’aménager une partie de sa parcelle pour l’accueil de Tzi-
ganes nomades de passage. Sur cette hypothèse, voir nos développements relatifs au projet de ré-
vision de l’art. 24b LAT, supra Section D, 3.

500
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

2.2.2. La légitimation active des Tziganes sédentarisés

1887. A priori, il est difficile de reconnaître la qualité pour agir de Tziganes


sédentarisés contre des actes de planification touchant à la création ou à
l’utilisation de lieux de stationnement. Par définition, les personnes apparte-
nant à cette fraction de la minorité tzigane ne peuvent pas être qualifiées
d’utilisatrices potentielles de ces places.
1888. A titre liminaire, on préciser quune personne tzigane qui ne pratique
plus activement le nomadisme, mais qui vit encore en caravane sans la dépla-
cer d’une aire de stationnement durable, pour des raisons liées à l’âge ou au
souhait de scolariser les enfants à l’année, ne doit pas être considérée comme
ayant abandonné son mode de vie culturel.
1889. Ce constat renforce le caractère extrêmement réducteur d’une appro-
che axée sur l’exercice actif du nomadisme. Il nous semble que l’interdiction de
la discrimination et le droit des minorités confèrent à ces personnes la légitimi-
té pour agir dans le cadre de litiges liés aux lieux de stationnement lorsqu’elles
peuvent rendre vraisemblable que si suffisamment d’aires étaient créées, il ne
serait pas exclu qu’elles reprennent un mode de vie nomade actif.
1890. Seules les personnes tziganes ne vivant plus en caravane doivent être
qualifiées de « Tziganes sédentarisés », c’est-à-dire n’exerçant plus leur mode
de vie traditionnel. La question de la reconnaissance de la légitimation active
se pose donc essentiellement à leur égard. Lors de conflits touchant à la mise à
disposition de places adéquates, l’applicabilité du droit des minorités milite
également en faveur d’une ouverture de la légitimation active de Tziganes qui
ne voyagent plus, mais qui affirment leur appartenance à cette minorité.
1891. En effet, la fraction sédentarisée des Tziganes a tout le moins un intérêt
idéal particulier à ce que les besoins identitaires socio-culturels de leur com-
munauté soient défendus. Leur intérêt peut même être qualifié de juridique en
raison des restrictions imposées à leurs droits fondamentaux du fait de la pé-
nurie de places à disposition.
1892. En effet, l’interdiction de l’assimilation est une obligation à charge de
l’Etat en vertu du droit des minorités2383 et l’absence de possibilité pour pou-
voir stationner légalement a conduit de nombreuses familles à abandonner
leur mode de vie. La condition de l’intérêt juridique et de fait est donc respec-
tée.
1893. Par rapport au caractère direct du lien étroit existant entre l’objet du li-
tige et un Tzigane sédentarisé, on examinera la situation particulière du recou-
rant, et on ne s’attachera pas uniquement au fait qu’il ne vit plus selon son
mode de vie traditionnel. En effet, la cause de sa sédentarité peut précisément
résider dans les difficultés logistiques et juridiques existantes pour exercer ce

2383
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section A, 1.

501
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mode de vie, et qu’il a soit dû l’abandonner par le passé, soit qu’il souhaiterait
pouvoir l’adopter pour la première fois.
1894. Dans ce contexte, si cette personne rend vraisemblable la reprise d’un
nomadisme actif en cas de mise à disposition d’aires en nombre et qualité suf-
fisants, elle possède à notre sens un intérêt personnel, direct et spécial par rap-
port au reste de la population à pouvoir agir dans le contexte de litiges mettant
en cause la création de places. En conséquence, dans le cadre d’une procédure
de planification touchant à la création d’une aire privé, il serait discutable
d’exclure a priori et sans autre analyse la qualité individuelle pour recourir de
tout Tzigane sédentarisé.

2.3. La qualité pour recourir des associations tziganes

1895. Avant de discuter des apports et des limites du recours corporatif


égoïste (2.3.2.) et spécial (2.3.3.) pour les organisations de défense des droits
des Tziganes, nous évoquerons dans un premier temps l’importance du droit
de recours des associations pour la mise en œuvre de leurs droits (2.3.1.).

2.3.1. Le rôle du droit de recours des associations tziganes

1896. Du point de vue du droit des minorités, la participation des organisa-


tions de défense des droits des Tziganes doit avoir lieu aussi bien en amont,
par le biais d’une consultation systématique de l’élaboration des projets de
création de places, qu’en aval, dans le cadre des contentieux qui y sont liés2384.
1897. Comme l’a démontré l’arrêt Bittel du Tribunal fédéral2385, les décisions
judiciaires sont appelées à acquérir une importance primordiale pour clarifier
les droits et les obligations de chacun en matière de stationnement de carava-
nes tziganes. Dès lors, la possibilité, pour les associations, de prendre part aux
litiges est particulièrement importante. En effet, les droits des membres de la
minorité tzigane et, par ricochet, ceux du groupe lui-même, ont de meilleures
chances d’être préservés si la qualité de partie ne se restreint pas aux individus
isolés.
1898. Cette appréciation est fondée, premièrement, sur le fait que les procé-
dures entourant la création de places par les autorités ne concernent pas des
particuliers précis, mais l’ensemble de la communauté tzigane, en particulier
celles et ceux encore nomades. Bien que nous ayons admis la légitimation ac-
tive de tout Tzigane dans ce contexte, dans la pratique, la saisine d’une autori-
té de recours par un particulier tzigane ne relève pas de l’évidence. En effet,
cela requiert une information, une organisation et une capacité de réaction que
peu de membres de cette communauté possèdent à ce jour. La dispersion terri-

2384
SEIDEL, pp. 57-58.
2385
ATF 129 II 321, Bittel.

502
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

toriale des projets, mais également des membres de cette communauté, ren-
force cette difficulté.
1899. Ensuite, dans le même ordre d’idée, les associations n’auront pas les
réticences des individus à saisir les instances compétentes, et ce même lors-
qu’un membre de la communauté tzigane est directement destinataire d’une
décision. Ce facteur est d’autant plus important en raison de la méfiance des
particuliers tziganes envers l’appareil de l’Etat et de leur méconnaissance du
fonctionnement de ses institutions.
1900. Troisièmement, les associations bénéficient de compétences et de res-
sources financières et personnelles pour mener à bien ces procédures que n’ont
pas la majorité des Tziganes en Suisse. A cet égard, le Comité des Ministres du
Conseil de l’Europe invite les Etats à adapter leurs règles procédurales et no-
tamment les conditions entourant la qualité pour recourir lors d’expulsions. Le
Comité recommande, en effet, d’autoriser les associations représentatives des
Tziganes à exercer les droits individuels des personnes expulsées de lieux de
stationnement2386.
1901. Enfin, confrontées à des associations de défense de droits de la minori-
té tzigane, les autorités compétentes auront également plus de difficultés à
continuer à ne voir, dans les questions entourant l’accueil des Tziganes noma-
des, qu’un problème de police et d’ordre public.
1902. La participation de ces associations aux litiges ne peut se faire, toute-
fois, que dans le cadre des conditions d’ores et déjà existantes entourant le
droit de recours des organisations. Or, nous allons constater que les deux types
de recours corporatifs que connaît le droit suisse présentent chacun des avan-
tages et des inconvénients dans le contexte de notre problématique spécifique.

2.3.2. Apports et limites du recours corporatif égoïste

1903. Le recours corporatif égoïste a l’avantage d’être un instrument souple,


en raison de ses origines jurisprudentielles. Il est potentiellement ouvert à un
nombre indéterminé d’associations et ne subit aucune limitation du point de
vue de son objet. Dès lors, toute association représentant les intérêts des Tzi-
ganes suisses, et dont les buts statutaires incluent explicitement leur défense,
est susceptible de posséder la qualité pour agir, quel que soit l’objet de la pro-
cédure, sans être limitée par un nombre déterminé d’années d’existence, ni par
sa reconnaissance officielle par une autorité fédérale.
1904. Cette qualité dépend de la preuve qu’une grande partie des membres
de ces associations possède la légitimation active pour déposer un recours.
Une association représentant des Tziganes suisses n’aura pas de difficultés à
prouver que chacun de ses membres a un intérêt juridique digne de protection

2386
Recommandation n° R (2004) 14, § 32.

503
La situation juridique des Tziganes en Suisse

et particulier à ce que les limites d’une zone soient modifiées, qu’une aire de
stationnement soit aménagée ou qu’une autorisation de construire soit oc-
troyée2387.
1905. Outre les mesures de planification stricto sensu, les associations sont
également légitimées à recourir contre les normes générales et abstraites desti-
nées à encadrer l’utilisation des aires de stationnement, comme les conditions
d’admission, le nombre de caravanes admises par emplacement, ou encore la
durée de stationnement2388. Ces facteurs, en effet, peuvent restreindre les
droits fondamentaux des Tziganes.
1906. Les considérations qui précèdent s’appliquent sans autres difficultés
aux associations suisses destinées à défendre les droits des Tziganes suisses.
Du fait de l’existence d’associations internationales actives dans plusieurs
Etats d’Europe pour défendre les droits des Tziganes dans chaque pays, telles
que le European Roma Rights Center, il convient de s’interroger sur leur capacité
à exercer un droit de recours corporatif égoïste en Suisse.
1907. Le Tribunal fédéral n’exige pas qu’une association soit constituée au
sens du droit suisse pour être titulaire de ce droit de recours2389. En soi, le ca-
ractère international d’une organisation de défense n’est donc pas pertinent.
La question centrale est à nouveau la démonstration de la qualité pour recourir
d’une grande partie des membres de ces associations.
1908. La seule hypothèse où cette qualité pour recourir pourrait être admise
serait celle mettant en cause une procédure de planification pour la création de
places de transit pour des Tziganes nomades étrangers. Dans ce cadre très res-
treint, une grande partie des membres d’une association internationale de-
vraient être des Tziganes nomades étrangers, dont les voyages les conduisent
régulièrement à traverser la Suisse. On pourrait éventuellement considérer
qu’une mesure de planification traitant de places de transit à leur égard les
concerne directement et les touche de façon particulière.
1909. Par contre, du fait que seul un nombre restreint des membres de ces
associations internationales sont des Tziganes de nationalité suisse, exerçant
leur mode de vie traditionnel essentiellement en Suisse, une grande partie des
membres de l’association ne subirait aucun préjudice causé par des mesures
planificatrices destinées à l’accueil de Tziganes nomades suisses. A fortiori, ce
raisonnement vaut également dans le contexte de mesures touchant un pro-
priétaire et son terrain privé.

2387
Supra Section 4.2.1.
2388
Dans ce sens, à notre avis, RDAF 2004 I 59, 64.
2389
ATF 124 II 293, 305 Flughafen Zurich. AEMISEGGER/HAAG (art. 33), N. 44.

504
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

2.3.3. Apports et limites du recours corporatif spécial

1910. Le recours corporatif spécial nécessite un ancrage législatif, est limité à


certaines associations accréditées par les autorités et ne porte que sur certains
objets. En ce sens, il s’agit d’un instrument rigide, qui n’est pas ouvert à toute
association. Pour qu’une organisation de défense des intérêts des Tziganes
puisse l’employer, le législateur doit donc nécessairement intervenir. Toute-
fois, cette forme de recours présente certains avantages qui font notamment
dire au gouvernement zurichois que cette option serait l’une des solutions à
envisager pour améliorer la participation et la consultation des Tziganes en
Suisse2390.
1911. Nous partageons cette appréciation pour plusieurs raisons. En servant
des intérêts publics généraux particulièrement importants, le recours corpora-
tif spécial poursuit deux objectifs qui justifient sa consécration d’un point de
vue théorique, mais également dans le contexte de notre problématique : la ré-
alisation de l’égalité des armes (a) et la prévention des conflits (b).

a) La réalisation de l’égalité des armes

1912. Premièrement, le recours corporatif spécial vise à réaliser l’égalité des


armes, en permettant de compenser les inégalités des forces en présence qui
existent dans certains domaines bien précis, y compris là où il est nécessaire de
lutter contre des formes de discrimination ancrées dans la société, et dont les
victimes souffrent d’une position de faiblesse difficile à renverser par leurs
propres moyens2391. Le fait que deux lois fédérales visant le démantèlement de
certaines formes de discrimination – entre les sexes et à l’égard des personnes
handicapées – consacrent ce type de recours est ainsi un indice clair de son uti-
lité potentielle pour la minorité tzigane en Suisse.
1913. C’est bien ce facteur égalitaire et non-discriminatoire qui confère à ce
type de recours sa dimension idéale : par ce biais, le législateur affirme que la
lutte contre la discrimination de certains groupes de la population constitue un
intérêt idéal qui doit être réalisé.
1914. Ce critère est particulièrement important car, à défaut, il existe un ris-
que réel que l’on considère qu’une association de défense des droits des Tzi-
ganes ne fait en réalité que défendre les intérêts privés des membres de cette
minorité, en cherchant à protéger leurs conditions de vie. Or, le Tribunal fédé-
ral refuse la qualité pour agir, au sens de l’article 12 LPN, à des associations

2390
Prise de position du Conseil d’Etat du Canton de Zurich, du 19 octobre 2005, relative à la procédure
de consultation concernant le Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, p. 3
(http://www.regierungsrat.zh.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2391
Message du Conseil fédéral relatif à la LEg, FF 1993 I 1163, 1218.

505
La situation juridique des Tziganes en Suisse

qui ne poursuivent pas exclusivement un but idéal, mais qui défendent, au


moins accessoirement, les intérêts de leurs membres, notamment leur qualité
de vie2392.
1915. En sus du facteur anti-discriminatoire, le droit des minorités et ses exi-
gences en matière de participation et de consultation systématique des minori-
tés doit également être pris en considération. On rappellera que la protection
de la minorité tzigane constitue un intérêt public reconnu2393. Dès lors, les
éventuelles hésitations qu’aurait pu susciter cette jurisprudence du Tribunal
fédéral ne devraient pas empêcher le législateur de consacrer ce recours en fa-
veur des Tziganes.
1916. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’opportunité de donner ce
type de levier en faveur d’une minorité nationale bien précise, sans faire de
même pour les autres. Cette solution est légitimée par l’absence de relais insti-
tutionnels qui, rappelons-le, ne permet pas aux Tziganes d’acquérir le poids
politique nécessaire pour que leurs besoins soient pris en considération d’une
manière autre qu’épisodique2394.
1917. Par ailleurs, aucune autre minorité suisse ne dépend autant de la pla-
nification territoriale pour perpétuer son identité socio-culturelle. L’intégration
systématique des associations tziganes au processus de planification est donc
particulièrement appropriée, ce d’autant plus qu’en l’état, ces besoins ne sont
pas encore pris suffisamment en considération. Dès lors, la reconnaissance de
ce droit de recours spécial constitue une solution intéressante.

b) Une fonction préventive

1918. Le recours corporatif spécial possède une fonction préventive. En effet,


en tant qu’épée de Damoclès, il pousse les acteurs en présence à inclure les or-
ganisations concernées dans l’élaboration des projets. Il incite à trouver des so-
lutions concertées et négociées, intégrant tous les intérêts en présence, y com-
pris idéaux, et qui permettent de ne pas finir nécessairement devant les tribu-
naux2395.

2392
Voir ainsi JT 2004 I 446, 447-448. Il sied de rappeler ici la position, en 2003, de la Commission
chargée de l’aménagement du canton de Genève qui affirme précisément que la réalisation d’aires
de stationnement est une nécessité dictée par un objectif d’intérêt public, à savoir la protection de
la minorité tzigane et le respect de la dignité de ses membres, et qu’on ne saurait confondre ce but
avec des efforts visant à améliorer les conditions de logement de la majorité de la population ; Rap-
port de la Commission d’aménagement du canton de Genève relatif au projet de loi 8836-A et à la
pétition 1418-A concernant le projet de loi, du 29 avril 2003, pp. 7-8. Voir également supra Titre
Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.2.
2393
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.2.
2394
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.1.
2395
GRIFFEL (2006), p. 104-107 ; TANQUEREL (2005), p. 191.

506
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1919. Le Conseil fédéral juge que l’inclusion immédiate d’une organisation


telle que la Radgenossenschaft dans les procédures de consultation portant sur
des questions législatives, d’aménagement du territoire ou encore sur des pro-
jets concrets de création d’aires, serait extrêmement constructive2396.
1920. Dès lors, l’obligation des autorités d’informer les organisations habili-
tées à déposer des recours spéciaux dès l’ouverture des procédures pertinen-
tes, y compris dans la phase non contentieuse, offrirait une solution concrète.
L’aspect contraignant de cette démarche est le seul moyen pour pallier les réti-
cences encore dominantes rencontrées auprès des autorités compétentes.
1921. Par ailleurs, au vu du rôle que peut jouer la modification du plan di-
recteur cantonal, l’inclusion des associations défendant idéalement les droits
des Tziganes pourrait être également importante à ce stade de la procédure.
Leur implication leur permettrait de participer activement à son élaboration à
l’image des communes actuellement et constituerait une avancée majeure en la
matière.

2.4. La qualité de « victime » au sens de la CEDH

1922. Du point de vue du contentieux de la CEDH, les deux types de recours


corporatifs que nous avons présentés présentent une faiblesse, qui nécessite
une démarche souple pour ne pas se transformer en défaut rédhibitoire. En ef-
fet, la CEDH ne reconnaît pas l’action populaire puisque l’article 34 CEDH
exige d’un requérant qu’il démontre qu’il possède un lien suffisamment direct
avec le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la violation alléguée2397.
1923. La qualité de « victime » au sens de la CEDH est une notion autonome
qui est interprétée indépendamment de ce que prévoit le droit interne2398. De
jurisprudence constante, lorsqu’une association, c’est-à-dire une « organisation
non gouvernementale » au sens de l’article 34 CEDH, dépose une requête au-
près de la Cour européenne des droits de l’homme, elle doit être elle-même
victime dans ses droits de l’acte étatique litigieux2399 : le fait de représenter les

2396
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 19.
2397
ACEDH Gorraiz Lizarraga et al. c. Espagne, n° 62543/00, § 34-35, CEDH 2004-III ; affaire Comité
des médecins à diplômes étrangers et autres c. France (déc.), n° 39527/98 et 39531/98, 30 mars
1999 ; décision de la Commission du 1er juillet 1998, Association des amis de Saint-Raphaël et de
Fréjus et autres c. France, n° 38192/97, D.R. 94-A, p. 124; décision de la Commission du 4 décem-
bre 1995,Tauira et autres c. France, n° 28204/95, D.R. 83-A, p. 112
2398
ACEDH Brudnicka et autres c. Pologne, n° 54723/00, § 26, CEDH 2005-… ; ACEDH Gorraiz Lizarra-
ga et al. c. Espagne, n° 62543/00, § 35; Décision de la Commission du 1er juillet 1998, Association
des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus et autres c. France, n° 38192/97, D.R. 94-A, p.
131 ; Décision de la Commission du 4 décembre 1995, Tauira et autres c. France, n° 28204/95,
D.R. 83-A, p. 112. SUDRE (2005b), p. 526.
2399
Voir déjà la décision de la Commission du 14 décembre 1988, Wasa liv Omsesidigt c. Suède, D.R.
58, p. 163 ; décision de la Commission du 4 juillet 1983, Association X c. France, D.R. 34, p. 213.

507
La situation juridique des Tziganes en Suisse

intérêts d’individus directement affectés par une violation alléguée de la


CEDH ne lui confère pas cette qualité2400.
1924. Toutefois, la Cour interprète de manière évolutive la notion autonome
de victime et prend en compte le fait que, de plus en plus, les particuliers
recourent à des associations pour faire valoir leurs droits individuels. Dès lors,
lorsque les recours internes ont été introduits par une association, la Cour re-
connaît la qualité de victime aux individus qui en sont membres et qui dépo-
sent leur requête en même temps que leur association lorsque leurs droits su-
bissent des ingérences directes du fait de la mesure en cause. Ainsi, la Cour
juge non seulement que dans le contexte d’un recours corporatif égoïste, les
membres de ces associations ont la qualité de victime, mais également qu’ils
ont épuisé les voies de recours internes, au sens de l’article 35 CEDH, même
s’ils n’ont pas formellement participé à la procédure nationale2401.
1925. La Cour serait donc disposée à admettre la recevabilité d’une requête
déposée par un membre d’une association ayant défendu devant les instances
suisses les intérêts des Tziganes par le biais d’un recours égoïste, tout en décla-
rant irrecevable toute démarche entreprise par l’association elle-même qui
n’aurait pas pour but de faire constater une violation de ses propres droits. Il
est en conséquence important que le particulier se constitue lui-même requé-
rant et qu’il soit un membre tzigane de l’association pour pouvoir se prétendre
victime au sens de l’article 34 CEDH.
1926. Ces conclusions sont a priori inapplicables au cas d’une association
ayant agi devant les instances nationales par le biais d’un recours spécial,
puisque normalement, par définition, ce ne sont pas les intérêts des membres
d’une organisation qui sont défendus. Or, dans le cas spécifique de la défense
associative des Tziganes, cette appréciation doit être relativisée. Certes, en rè-
gle générale, un recours corporatif spécial, à l’image de ceux existant en ma-
tière de protection de l’environnement, poursuit un but d’intérêt général qui,
logiquement, n’est pas personnel et ne pourrait coïncider
qu’exceptionnellement avec les intérêts individuels de certains membres de
l’association titulaire de la légitimation active pour l’introduire.
1927. Toutefois, à l’instar d’associations légitimées à agir en vertu de la
LHand en faveur de personnes handicapées, les organisations de défense des
Tziganes poursuivent la réalisation d’intérêts de particuliers, afin d’améliorer
leur situation personnelle et celle de leur communauté en général. L’intérêt
poursuivi n’est donc pas idéal stricto sensu.

2400
Voir notamment décision de la Commission du 1er juillet 1998, Association des amis de Saint-
Raphaël et de Fréjus et autres c. France, n° 38192/97, D.R. 94-A, p. 131.
2401
ACEDH Gorraiz Lizarraga et al. c. Espagne, n°62543/00, § 34-35 et 38-39, CEDH 2004-III. SUDRE
(2005b), p. 569. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs égale-
ment reconnu la qualité de victime de l’association elle-même, § 36, car le grief portait sur une vio-
lation alléguée de l’art. 6 § 1 CEDH, sous l’angle du respect du droit d’être entendu.

508
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

1928. Dès lors, sous réserve que les membres de l’association ne soient pas
uniquement des non-Tziganes, la jurisprudence de la Cour européenne rela-
tive aux recours corporatifs égoïste devrait également trouver à s’appliquer
aux recours corporatifs spéciaux. En conséquence, la requête devrait égale-
ment être déposée devant la Cour par des membres tziganes de ces associa-
tions, touchés dans leurs droits protégés.

3. Conclusion

1929. Le recours corporatif égoïste offre de bonnes solutions pour les asso-
ciations de défense des intérêts des Tziganes dans plusieurs hypothèses de
contentieux. Une importante fraction, voire la totalité, des membres de ces or-
ganisations possède la qualité pour recourir lorsque sont en jeu les possibilités
de stationnement de tout Tzigane nomade suisse. Ceci exige toutefois au pré-
alable que l’on interprète les notions d’intérêt digne de protection et d’atteinte
particulière à la lumière de la dimension collective du droit des minorités.
1930. D’une importance incontournable pour l’admissibilité du recours cor-
poratif égoïste, ces conclusions ont également pour conséquence que tout Tzi-
gane peut agir hors contexte associatif, seul ou avec d’autres membres de sa
communauté, contre des actes attaquables réglementant le stationnement des
caravanes. Cette possibilité est implique néanmoins un engagement financier
et des moyens, ainsi qu’une exposition publique que peu de particuliers sont
encore disposés à prendre. Ces inconvénients disparaissent précisément grâce
au recours corporatif égoïste.
1931. La reconnaissance d’un recours corporatif spécial en faveur des plus
grandes associations tziganes de Suisse aurait également l’avantage de
s’assurer que les intérêts des Tziganes soient systématiquement entendus dans
le cadre des procédures pertinentes. Elle nécessite toutefois une intervention
du législateur pour que celui-ci ancre dans la loi ce type de recours en faveur
des organisations tziganes. A cet égard, on peut s’interroger sur l’identité de
cette loi. La solution la plus aisée serait une modification de la LAT, sur la base
du modèle offert par la LPN ou la LPE.
1932. Par ailleurs, nos développements relatifs aux exigences de recevabilité
de l’article 34 CEDH indiquent que, sous réserve d’une approche très restric-
tive de la part de la Cour européenne des droits de l’homme, les associations
de défense de Tziganes seraient à même de démontrer leur qualité de victime
au sens de l’article 34 CEDH, qu’elles aient agi par le biais d’un recours égoïste
ou d’un recours spécial.
1933. En soi, admettre l’applicabilité et la pertinence de ces deux types de
recours corporatifs n’est pas contradictoire. Tous deux concerneraient
d’ailleurs certainement les mêmes associations de défense. En effet, ils ne

509
La situation juridique des Tziganes en Suisse

s’excluent pas mutuellement, voire se complètent de façon bienvenue, puisque


à la souplesse d’utilisation du premier répond la dimension de participation
systématique du second. Leur admissibilité par le Tribunal fédéral, respecti-
vement par le législateur fédéral, à l’égard de ces associations, constituerait un
important pas pour assurer une prise en considération et une mise en œuvre
des droits fondamentaux des Tziganes en Suisse.

F. Synthèse

1934. Les autorités cantonales et communales doivent aborder la question


du stationnement des caravanes tziganes et de la prise en compte des besoins
spécifiques de cette fraction de la population sous deux angles en parallèle. La
réalisation de l’un des deux aspects n’exempte pas les autorités de leurs autres
obligations. L’ensemble de ces mesures résultent de la combinaison du droit
des minorités, de l’interdiction de la discrimination et du respect des nom-
breuses libertés que nous avons identifiées au préalable.
1935. Premièrement, il est nécessaire de développer et de généraliser la
légalisation du stationnement temporaire spontané sur le territoire de
l’ensemble des communes. Ceci implique une modification des normes
cantonales et communales en matière du droit des constructions. Le droit en
vigueur doit prévoir des exceptions à la soumission à l’autorisation de
construire pour les caravanes arrêtées pour une durée minimale d’un mois. Il
convient d’adopter une réglementation spécifique à l’égard de l’arrêt des
caravanes hors d’une aire prévue à cet effet, afin de distinguer l’exercice du
mode de vie minoritaire tzigane du « camping sauvage » des sédentaires.
1936. De même, il est nécessaire de prévoir des dérogations à la soumission
à l’autorisation de construire pour des arrêts plus longs effectués sur des aires
de stationnement permanent, car il semble disproportionné d’exiger que cha-
que année, les Tziganes qui retournent sur leur aire usuelle pour passer les
mois d’hiver doivent introduire une nouvelle requête pour obtenir un permis
de construire pour quelques mois.
1937. En parallèle, les autorités doivent reconnaître l’existence d’un droit
conditionnel à l’usage accru du domaine public et du patrimoine administratif
lorsque des Tziganes en transit souhaitent s’arrêter temporairement. Elles de-
meurent légitimées à choisir le lieu de stationnement, voire à refuser
d’accueillir les Tziganes de passage, mais uniquement en opposant des intérêts
publics dirimants et objectifs, et en s’assurant que des alternatives sont concrè-
tement à disposition dans une commune voisine.
1938. Deuxièmement, l’aménagement d’aires de stationnement est néces-
saire pour créer un réseau minimal de lieux de halte temporaire et durable. Cet

510
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes

effort ne doit pas être restreint aux seules autorités cantonales chargées
d’élaborer des solutions en collaboration avec leurs communes. Un proprié-
taire privé, tzigane ou non, est également légitimé à entreprendre des démar-
ches dans ce sens. Dans ce contexte, autorités et particuliers doivent normale-
ment privilégier la procédure de planification et l’option d’une parcelle située
en zone constructible. Les droits fondamentaux des Tziganes doivent alors être
pris en considération à chaque étape du processus, par les différentes autorités
compétentes.
1939. La précarité de la situation et l’urgence reconnue pour parvenir à la sa-
tisfaction des besoins minimaux de la minorité tzigane nécessitent toutefois
une ouverture vers les zones non constructibles et la procédure dérogatoire
des articles 24ss LAT. Si l’importance du projet d’aire est réduite, cette voie
procédurale peut trouver directement à s’appliquer. En cas de projet plus im-
portant, la voie de la planification est requise, mais il est néanmoins envisa-
geable d’implanter l’aire hors de la zone constructible, sous réserve du respect
des conditions matérielles de l’article 24 LAT.
1940. Le développement de ces deux aspects permettant d’augmenter la ca-
pacité en matière d’accueil légal des caravanes tziganes peut être généralement
réalisé sans modifier formellement le droit en vigueur. Toutefois, cette absence
de modification impose un effort et une souplesse dans l’interprétation des
normes qui ne s’impose pas comme une évidence. Bien plus, il nécessite au
préalable une sensibilisation juridique et politique des autorités compétentes et
de toutes les collectivités en cause qui, en l’état, n’existe pas.
1941. Dès lors, nous ne partageons pas entièrement l’optimisme du Conseil
fédéral, qui estime que le droit fédéral en vigueur ne nécessite qu’une adapta-
tion lors de son application2402. Au contraire, il nous semble plus approprié de
chercher à inscrire formellement les besoins des Tziganes nomades dans la loi
fédérale sur l’aménagement du territoire, en suivant par exemple les proposi-
tions des associations de défense des Tziganes en matière de révision de
l’article 24b LAT2403. Il est également nécessaire d’adapter les législations et les
réglementations cantonales topiques2404. Bien que politiquement sensible, cette
démarche aurait l’avantage d’ouvrir officiellement et ouvertement le débat de
la place offerte à la minorité nationale tzigane en Suisse.
1942. Nous suivons les observations du Comité consultatif de la CPMN
lorsqu’il souligne que le fédéralisme et la répartition des compétences en ma-
tière d’aménagement du territoire engendrent, pour les Tziganes en Suisse,
une pluralité d’interlocuteurs, fédéraux, cantonaux et communaux qui rendent
particulièrement difficiles le développement de solutions locales, a fortiori glo-

2402
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 53.
2403
Dans ce sens, voir le Rapport d’expertise 2001, p. 59, qui conseille de répercuter le concept de be-
soin des Tziganes nomades dans les différentes législations applicables.
2404
Dans ce sens, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 53.

511
La situation juridique des Tziganes en Suisse

bales. La poursuite et la réalisation d’une politique efficace imposent donc non


seulement une coordination accrue au niveau fédéral, mais également une
amélioration des procédures de consultation au sein de chaque canton2405.
1943. A cet égard, les difficultés engendrées par le fédéralisme ne sont pas
seulement rencontrées dans le contexte particulier de la gestion des besoins de
la minorité tzigane. Tamara NÜSSLE souligne que, d’une manière générale, la
répartition actuelle des compétences entre Confédération, cantons et commu-
nes est le principal obstacle à la réalisation de l’un des buts de l’aménagement
du territoire, à savoir l’organisation du territoire au niveau national. Cet au-
teur estime que les arguments du fédéralisme et de la proximité géographique
avancés par les cantons sont de véritables obstacles à la mise en œuvre des
dispositions fédérales.
1944. Or, aux yeux de cette auteure, il est de la responsabilité de la
Confédération de trouver une solution fédérale pour pallier ces manquements,
car, en droit de l’aménagement du territoire comme ailleurs, le principe
fédéraliste ne doit s’appliquer que tant que les cantons remplissent leurs
obligations2406. Si cette conclusion s’impose de manière générale, elle nous
semble encore plus nécessaire dans le contexte qui nous préoccupe.
1945. Dans ce contexte, plusieurs propositions intéressantes ont été formu-
lées pour faciliter la coordination entre les différentes autorités compétentes et
les différents niveaux de l’Etat fédéral de manière à améliorer la gestion des
besoins des Tziganes nomades. La Confédération est ainsi encouragée à
conduire un travail systématique de sensibilisation et d’information auprès de
toutes les autorités compétentes, cantonales et communales2407.
1946. A la suite du Conseil fédéral et de plusieurs milieux intéressés s’étant
exprimés à ce sujet, il nous semble que la création d’un forum interdéparte-
mental destiné à examiner les options foncières à disposition pour la création
de places de stationnement serait une solution méritant d’être approfondie. Il
nous paraît également intéressant de renforcer de la coopération intercanto-
nale, par le biais d’une meilleure utilisation des ressources offertes par la
Conférence suisse des Directeurs en matière de construction, d’aménagement
du territoire et de l’environnement, mais aussi par la Conférence tripartite des
agglomérations2408.

2405
Opinion du Comité consultatif relatif à la Suisse, ACFC/INF/OP/I (2003) 007, § 76-77.
2406
NÜSSLE, pp. 108-109.
2407
Rapport du Conseil fédéral Partie II, p. 22.
2408
Voir ainsi l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 21-22 ; Prise de position du
Conseil d’Etat du Canton de Zurich, du 19 octobre 2005, relative à la procédure de consultation
concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, p. 3 (http://www.regierungsrat.zh.ch,
[consulté le 12 avril 2006]). Prise de position de l’Union des villes suisses, du 27 octobre 2005, rela-
tive à la procédure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, p. 4
(http://www.staedteverband.ch [consulté le 12 avril 2006]).

512
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

Chapitre II : Nomadisme tzigane et établissement


d’un domicile

1947. Après avoir rappelé l’importance de l’existence d’un « domicile » pour


le justiciable et la particularité du nomadisme tzigane dans ce contexte (A.),
nous examinerons l’applicabilité des articles 23ss CC à ce mode de vie (B.),
ainsi que la question de la détermination du domicile fiscal des Tziganes no-
mades. Dans un quatrième temps, nous analyserons la solution retenue par le
législateur fédéral et certains législateurs cantonaux en matière de domicile po-
litique (C.). Enfin, nous analyserons la conformité du droit genevois par rap-
port à la reconnaissance des caravanes tziganes en tant que lieu d’habitation
(D.).

A. Importance du « domicile » et particularité du


nomadisme tzigane

1948. En droit suisse, la notion de « domicile » possède plusieurs sens, dont


les implications juridiques varient selon les hypothèses. Premièrement,
l’acception usuelle du terme en langage courant recouvre l’habitation, le loge-
ment, comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir dans le cadre de notre
analyse de la portée des droits au respect du domicile et au logement2409.
1949. Deuxièmement, d’un point de vue juridique, il existe plusieurs sortes
de domiciles dont la définition varie selon les domaines du droit : on relèvera
ainsi l’existence des domiciles civil, politique ou encore fiscal. Il est possible de
les regrouper sous l’étiquette de « domiciles juridiques », l’expression de
« domicile légal » étant généralement réservée au domicile civil.
1950. La vie quotidienne des individus est intrinsèquement liée à la
détermination de leur domicile dans leurs relations avec les autorités, tant du
point de vue de leurs obligations que des prestations qu’ils peuvent faire
valoir à l’égard de l’Etat. Dans un Etat fédéral comme la Suisse, celui-ci permet
en premier lieu d’identifier la commune et le canton compétents selon les
domaines en cause2410.
1951. Sont ainsi concernées les assurances sociales, que cela soit en matière
d’assurance obligatoire dans les domaines de la maladie, l’invalidité, le chô-

2409
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.
2410
BRÜCKNER, n° 312.

513
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mage ou encore l’assurance vieillesse et survivants2411. En matière d’assistance


publique, l’article 12 al. 1 de la loi fédérale sur la compétence en matière
d’assistance des personnes dans le besoin, du 24 juin 19772412, charge le canton
du domicile de soutenir les personnes dans le besoin. Si celles-ci sont sans do-
micile, l’article 12 al. 2 désigne leur canton de séjour comme collectivité res-
ponsable, leur canton d’origine devant ultérieurement le rembourser selon
l’article 152413.
1952. Le domicile joue également un rôle clé dans le domaine fiscal, puis-
qu’il permet d’identifier les autorités compétentes en matière de taxation. En
outre, en matière de prestations administratives, les exemples sont légion. A ti-
tre illustratif, on évoquera l’établissement du permis de conduire ou encore
des papiers d’identité qui se font également au domicile des particuliers.
1953. Enfin, l’existence d’un domicile et le contrôle de l’habitant soit étroi-
tement liés. En droit cantonal genevois, par exemple, tout Confédéré non do-
micilié à Genève qui entend s’établir dans le canton, y séjourner ou y travailler
a l’obligation de s’annoncer à l’autorité dans les quinze jours après son arri-
vée2414. S’il envisage d’y séjourner sans y créer de domicile, il doit produire
une déclaration de domicile émise par la commune où il possède sa rési-
dence2415.
1954. L’importance de cette notion sur la vie quotidienne des particuliers est
donc incontestable. Or, les deux dimensions – usuelle et légale – du domicile
ne s’appliquent pas sans autre difficulté à la situation des Tziganes vivant de
façon itinérante. En effet, à ce jour, l’ordre juridique n’a pas été adapté pour
prévoir les conséquences légales de l’absence de domicile fixe, car cet état de
fait constitue une « anormalité » dans une structure sociale conçue autour de la
sédentarité. Exception notable, la législation en matière d’exercice des droits
politiques a été modifiée dans ce sens ; lors de l’examen que nous lui consacre-
rons, nous constaterons cependant que la solution dégagée est critiquable.

B. Nomadisme et domicile civil

1955. Après une présentation de l’état du droit en vigueur en matière de


domicile civil (1.), nous procéderons à son évaluation au regard de l’article 8

2411
Art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (RS 832.10 ; RO 1995 1328) ;
art. 1a al. 1 let. a de la loi fédérale sur l’assurance vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (RS
831.10 ; RS 8 451)
2412
RS 851.1.
2413
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II) N. 776 ; HÄFELIN/HALLER, N, 584.
2414
Art. 1er al. 2 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés, du 16 septembre
1983, RS/GE F 2 05.
2415
Art. 6 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés.

514
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

Cst. (2.). Enfin, nous tâcherons de déterminer si les solutions développées par
les Tziganes nomades dans la pratique rendent envisageable une interpréta-
tion conforme au droit supérieur des normes actuelles, ou si une reformulation
s’impose (3.).

1. L’état du droit

1956. Le Code civil pose les postulats de l’unité du domicile et de sa nécessi-


té : ces deux principes sont formalisés par l’article 23 al. 2 CC, qui proclame
l’interdiction de posséder plusieurs domiciles, et l’article 24 al. 1 CC, qui
consacre l’obligation d’en posséder un2416.

1.1. Le domicile, un « centre d’existence »

1957. A teneur de l’article 23 al. 1 CC, le domicile civil est le lieu où toute
personne « réside avec l’intention de s’y établir ». La jurisprudence a interprété
très tôt cette notion comme étant constituée, d’une part, de la volonté de rester
dans un endroit de façon durable, et d’autre part, de la manifestation de cette
volonté par une résidence effective dans ce lieu2417. Si les déplacements ne sont
bien entendu pas interdits, cette disposition trouve ses fondements sur la créa-
tion du centre d’existence des particuliers, qui permet de garantir au séjour
une réelle stabilité2418.
1958. On peut identifier ce lieu par différentes méthodes : en déterminant
l’endroit où la personne séjourne habituellement, c’est-à-dire où elle passe la
nuit en règle générale ; par rapport à la situation familiale, c’est-à-dire le lieu
de résidence des membres de la famille du particulier; ou encore en relation
avec la situation sociale, où les activités sociales, amicales, voire politiques de
la personne se développent ; en se référant finalement au lieu où s’exercent les
activités lucratives de l’individu2419.
1959. Ces hypothèses ne sont pas compatibles avec l’itinérance traditionnelle
des Tziganes. En effet, le cas classique sur lequel se basent les solutions juris-
prudentielles est le suivant : pour des raisons professionnelles, une personne
se voit obligée de voyager ; toutefois, elle possède ses attaches familiales et so-
ciales en un endroit déterminé, et sa famille ainsi que la plupart de ses rela-
tions sociales sont concentrées en un même lieu.
1960. Or, les membres d’une famille tzigane voyagent tous ensemble. Leurs
relations sociales et familiales se tissent et se maintiennent au gré des ren-

2416
BRÜCKNER, n° 324 ; STAEHLIN (art. 23), n° 30 ; STAEHLIN (art. 24), n°1.
2417
ATF 109 Ia 41, 52 Grenchen. SCYBOZ/GILLIERON (art. 23 CC), p. 34.
2418
SCYBOZ/GILLIERON (art. 23 CC), pp. 34-35. Voir FF 1993 III 405, 436.
2419
ARNOLD, p. 453.

515
La situation juridique des Tziganes en Suisse

contres et de leurs déplacements. Leurs relations économiques s’entretiennent


et dépendent de leurs voyages en de nombreux endroits. Dès lors, leur centre
d’existence se déplace, pour ainsi dire, avec eux : la stabilité, ratio legis de
l’article 23 CC, n’est plus territoriale, mais uniquement personnelle.
1961. A cet effet, on relèvera que pour résoudre ce problème, le Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe propose aux Etats d’autoriser la domicilia-
tion légale des Tziganes nomades chez une personne physique ou auprès
d’une association2420.

1.2. La notion de « domicile fictif » au sens de l’article 24 CC

1962. L’article 24 al. 2 CC consacre la création d’un domicile « fictif ». Aux


termes de cette disposition, le lieu où un individu « réside est considéré
comme son domicile, lorsque l’existence d’un domicile antérieur ne peut être
établie ». Cette disposition règle donc la situation où il n’est pas possible de
prouver l’existence d’un domicile antérieur, et où il est donc nécessaire de
choisir le lieu de résidence actuel2421. Or, dans le cas des Tziganes nomades, la
« résidence actuelle » ne constitue pas un séjour d’une durée suffisante per-
mettant de créer des rapports sociaux et professionnels assez étroits pour être
acceptable au sens de cette disposition2422.
1963. En tout état de cause, il nous semble difficile d’utiliser la construction
du domicile fictif au sens de l’article 24 al. 2 CC : cette hypothèse a pour objec-
tif de réglementer de façon transitoire les rapports de droit civil déterminés
par la notion de domicile, lorsque le domicile précédent a été abandonné de
façon volontaire et définitive et qu’un nouveau n’a pas encore été créé2423. Une
partie de la doctrine, toutefois, applique l’article 24 al. 2 CC à la situation des
Tziganes suisses nomades qui peuvent prouver qu’ils ont eu, un jour, un do-
micile effectif, en estimant que ce lieu fait dès lors référence2424.
1964. Cela sous-entend toutefois qu’il y ait eu un jour un tel domicile, ce qui,
nous le verrons ci-dessous, n’est pas une évidence. En outre, la solution du
domicile fictif est inapplicable du point de vue du droit fiscal2425. La détermi-
nation de la collectivité compétente pour imposer des Tziganes nomades suis-
ses doit donc s’effectuer autrement, ce qui nous paraît être un argument sup-
plémentaire pour écarter la solution de l’article 24 al. 2 CC.

2420
Recommandation R n° (2004) 14, § 16.
2421
STAEHLIN (art. 24), n° 6.
2422
ATF 119 III 54, 56 S. c. S. ; ATF 86 II 7, 10 Hirschberg. STAEHLIN (art. 24), n° 10.
2423
ATF 94 I 318, 325-326 Erben X.
2424
BRÜCKNER, n° 340 ; STAEHLIN (art. 23), n° 26.
2425
ARNOLD, pp. 451-453.

516
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

2. Evaluation du droit en vigueur à la lumière de l’article 8


al. 2 Cst.

1965. L’article 23 CC entre en conflit avec l’article 8 al. 2 Cst. en raison de son
silence à l’égard de la situation particulière des Tziganes nomades. En effet, la
loi traite de manière similaire deux situations différentes, se distinguant sous
l’angle du mode de vie des personnes concernées, qui n’est pas justifiée par
des motifs objectifs et raisonnables. Alors que l’itinérance des Tziganes est un
mode de vie reconnu officiellement par l’ordre juridique comme constituant
une spécificité distinctive, la loi envisage de la même manière la situation fa-
miliale, sociale et professionnelle des sédentaires, et celle des personnes qui ne
le sont pas.
1966. Or, seuls les membres nomades de la minorité tzigane se retrouvent
dans une situation juridique et pratique difficile à vivre au quotidien, du fait
du silence de la loi à leur égard. La norme ne prenant pas en compte
l’existence de l’itinérance culturelle, elle semble remettre en cause sa validité
du fait qu’elle ne consacre que l’hypothèse de la sédentarité. Dès lors, par son
absence de reconnaissance de leur mode de vie, elle atteint les Tziganes noma-
des dans leur dignité.
1967. A priori, du fait de la formulation neutre de l’article 23 CC, cette dis-
crimination peut être qualifiée d’indirecte. Toutefois, on relèvera que la séden-
tarité est un standard représentant clairement une caractéristique fondamen-
tale du groupe social dominant, que ne peuvent réaliser les membres d’une
certaine minorité sociale, à moins de renoncer à l’un des éléments fondamen-
taux qui constituent leur identité2426.
1968. En conséquence, il est également possible de soutenir qu’il s’agit d’une
discrimination directe, en estimant que le critère de la sédentarité est employé
ici de façon implicite. La discrimination est contenue dans la loi et cette der-
nière ne peut pas être considérée comme « neutre » car elle consacre la séden-
tarité sans prévoir d’exception ou de nuance en faveur du mode de vie no-
made
1969. Dès lors, l’article 23 CC ne respecte pas l’un des critères spécifiques de
distinction prévus à l’article 8 al. 2 Cst et doit être présumé comme portant di-
rectement atteinte à la dignité des Tziganes nomades. Seul l’apport de motifs
justificatifs démontrant l’absence d’effets négatifs sur la dignité de ces person-
nes permettrait de conclure à l’absence de violation de l’article 8 al. 2 Cst.

2426
Voir nos développements et notre prise de position relatifs à cette approche de l’interdiction de la
discrimination, supra Titre Troisième, Chapitre II, Section 2.2.2.

517
La situation juridique des Tziganes en Suisse

3. Propositions de résolution du conflit normatif

1970. Deux possibilités existent pour résoudre le conflit normatif entre


l’article 23 CC et l’article 8 al. 2 Cst. : soit on parvient à interpréter la norme de
droit civil d’une façon conforme à la disposition constitutionnelle (3.1.), soit
une modification du texte de l’article de loi s’impose (3.2.).

3.1. L’interprétation conforme à la Constitution

1971. A première vue, la lecture du texte de l’article 23 CC n’offre aucune


possibilité d’interprétation conforme au droit supérieur2427. Cependant, la prise
en compte des solutions développées dans la vie quotidienne permet peut-être
de pouvoir procéder à une telle interprétation. Dans le quotidien des Tziganes
nomades, le lieu de stationnement durable de leurs caravanes, utilisé pour les
mois d’hiver, est généralement considéré comme constituant leur domicile ci-
vil2428.
1972. Ainsi, les Tziganes nomades qui bénéficient de telles places déposent
formellement leurs papiers d’identité dans les communes où elles sont si-
tuées2429. A notre connaissance, il n’existe à ce jour qu’une seule consécration
jurisprudentielle attestant formellement de cette solution qui cherche à répon-
dre aux exigences pratiques et juridiques liées à l’existence d’un domicile ci-
vil2430.
1973. Or, cette solution ne correspond pas a priori à l’interprétation histori-
que et jurisprudentielle de l’article 23 CC, du moins si l’on adopte une appro-
che restrictive. Cependant, si l’on considère plus largement les exigences rela-
tives à la création d’un centre d’existence, on peut estimer que le fait de rester
plusieurs mois, et de façon récurrente, en un même lieu et d’y constituer des
attaches sociales, peut remplir les conditions posées par la jurisprudence en la
matière.
1974. En faisant preuve de souplesse, il est possible de désigner le lieu de
stationnement durable comme un domicile effectif au sens de 23 CC, respecti-
vement de lieu de domicile effectif antérieur au sens de l’article 24 al. 2 CC2431.
Interprétée ainsi, cette disposition se révèle être conforme au droit supérieur.

2427
Du point de vue des autorités fédérales, l’art. 23 CC est incompatible avec le nomadisme ; FF 1993
III 405, 436.
2428
ZUERCHER-BERTHER, p. 20.
2429
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 45-46.
2430
Arrêt du Tribunal administratif du canton de Zurich, du 3 août 2004, cause VB 2004.00153, in : Re-
chenschaftsbericht des Verwaltungsgerichts Zürich 2004, n° 34, p. 84.
2431
Pour la reconnaissance du lieu de stationnement d’hiver à titre de domicile au sens de l’art. 23 CC,
voir STAEHLIN (art. 23), n° 26. BRÜCKNER, n° 340, semble également pencher pour cette solution, sans

518
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

1975. La réalité des faits exige cependant de relativiser l’apport positif de


cette interprétation. Rappelons, en effet, que les statistiques démontrent que
seuls 40% des Tziganes nomades suisses bénéficient aujourd’hui d’une place
de stationnement durable. De plus, dans certains cantons, la loi ne permet pas
de désigner le lieu de stationnement de caravanes en camping comme domi-
cile du fait que, par définition, les installations qui s’y trouvent doivent être
démontables ou transportables. En conséquence, les autorités exigent des par-
ticuliers qu’ils présentent une autre adresse2432. Dans ce contexte, on peut se
demander si la désignation d’une aire de stationnement hivernal serait accep-
tée dans ces cantons.
1976. Certes, confrontées à ce manque d’aires de stationnement durables, les
familles qui n’en bénéficient pas se résignent à louer des appartements2433. A
première vue, le problème semble donc être résolu. Or, cette alternative n’est
satisfaisante que du point de vue d’une personne sédentaire. Pour les Tziganes
nomades, elle n’est qu’une réponse de fortune, voire est considérée comme
une méthode indirecte d’assimilation forcée, visant les mêmes objectifs que
celles pratiquées historiquement pour éradiquer le nomadisme.
1977. A cet égard, la politique actuelle des autorités fédérales indique
qu’habiter dans un appartement durant les mois d’hiver n’est pas considéré
comme une solution à terme. En effet, les autorités ont opté pour
l’encouragement à la création de places de stationnement durable et non pour
l’incitation à la location, afin de permettre aux Tziganes nomades suisses de
continuer à vivre selon leurs traditions2434.
1978. Ce choix permet néanmoins de constituer un domicile, par interpréta-
tion large, si ce n’est au sens de l’article 23 CC, du moins selon l’article 24 al. 2
CC. Des difficultés subsistent néanmoins pour celles et ceux qui ne souhaitent
pas quitter leurs caravanes, afin notamment de se garantir tout de même des
possibilités de mobilité, et qui se rabattent sur des stationnements illégaux. Ce-
ci entraîne des situations où il n’est pas possible de démontrer posséder ou
avoir possédé un domicile effectif.
1979. Face à cette situation quasi inextricable, beaucoup de familles déposent
leurs actes d’origine dans une commune aléatoire, afin de créer un « point
d’ancrage » juridique. Ce choix ne correspond cependant à rien réellement et il
s’agit donc d’un domicile virtuel, plus fictif encore que celui prévu par l’article
24 al. 2 CC. Il n’est pas acceptable juridiquement à strictement parler, mais il
répond à une nécessité réelle dans les relations entre familles nomades et auto-
rités.

évoquer nommément les Tziganes nomades, en désignant comme domicile effectif le lieu d’arrêt le
plus long des personnes vivant en caravane ou sous une tente.
2432
MERMOUD, p. 3.
2433
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 7.
2434
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 7ss, en particulier p. 22.

519
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1980. La désignation de la place de stationnement durable en tant que domi-


cile civil souffre donc des grandes lacunes de l’offre en la matière, ce d’autant
plus que ce type d’aires d’accueil semble être le plus difficile à développer. La
nécessité de développer des alternatives aux aires créées et gérées par les
autorités, en dégageant des solutions permettant aux particuliers d’aménager
leurs parcelles à cet effet, apparaît ici d’autant plus clairement.
1981. Malgré ces difficultés pratiques, cette solution demeure le modèle
théorique idéal. En effet, elle s’oppose à la pérennité d’une fiction tant factuelle
que juridique puisque, d’une part, elle reflète la réalité quotidienne des parti-
culiers concernés, et d’autre part, elle est celle qui s’approche le plus de la ratio
legis du domicile civil2435.
1982. Cette conclusion, nous le verrons, se répercute également sur notre ré-
flexion en matière de domicile politique. En effet, aucune solution existant ac-
tuellement ne coïncide avec le domicile politique des Tziganes nomades, puis-
que le législateur fédéral et certains législateurs cantonaux ont opté pour le
lieu d’origine des personnes concernées, comme nous le verrons ci-après2436.

3.2. Modification du texte législatif

1983. Malgré la possibilité d’effectuer une interprétation conforme à la Cons-


titution de l’article 23 CC, il est nécessaire de ne pas sous-estimer l’impact
symbolique que représente l’absence de prise en compte formelle de la spécifi-
cité nomade par cette norme. Respectivement, on ne peut que souligner la
forte reconnaissance juridique et politique qu’emporterait une telle inclusion.
1984. En effet, en liant intrinsèquement le centre d’existence d’un individu et
un point géographique déterminé, il est difficile de trouver une autre disposi-
tion qui affirme aussi fortement le concept de sédentarité. Inversement, par
leur silence, peu d’autres normes dans l’ordre juridique consacrent si catégori-
quement le refus d’un mode de vie qui détache entièrement logement et ratta-
chement territorial.
1985. Il n’est pas difficile de comprendre tant la nécessité de cette disposition
que sa formulation dans le contexte des sociétés occidentales contemporaines.
La détermination du domicile des individus est, en effet, fondamentale dans
les relations entre l’Etat et ses administrés. Au-delà de constituer une condition
préalable pour la fourniture de prestations et l’assujettissement à certaines
obligations, il permet aux autorités de gérer et de contrôler la population se
trouvant sur leur territoire. L’histoire des relations entre Etat et Tziganes no-

2435
HANGARTNER/KLEY, p. 65. Voir par ailleurs la prise de position du Conseil d’Etat du Canton de Zurich,
du 19 octobre 2005, relative à la procédure de consultation concernant le Rapport du Conseil fédé-
ral du 22 juin 2005, p. 4 (http://www.regierungsrat.zh.ch [consulté le 12 avril 2006].
2436
Infra Section C, 2.

520
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

mades démontre que c’est notamment l’impossibilité de contrôler et de gérer


cette communauté, liée à l’absence de domicile de ses membres, qui explique
l’aspect conflictuel de leurs relations, ainsi que la mise au ban de jure et de facto
de ces derniers de la société2437.
1986. Or, dès lors que l’Etat reconnaît officiellement le nomadisme comme
étant un mode de vie digne d’être perpétué, et ceux le pratiquant comme fai-
sant partie intégrante de la société civile, il n’est plus possible de garder la
même approche du domicile. En effet, à la lumière de son contexte historique
et téléologique, on peut conclure que l’article 23 CC consacre en réalité plus
qu’une inégalité de traitement par assimilation injustifiée de deux situations
distinctes. Il révèle, en réalité, l’exclusion de la société civile d’une communau-
té entière.
1987. Une interprétation large des éléments constitutifs de cette norme, tels
que dégagés par la jurisprudence, permet certes de parvenir à un résultat qui
soit acceptable au regard de l’interdiction de la discrimination. Toutefois, seule
une adaptation du texte même de l’article 23 CC traduirait et consacrerait for-
mellement les déclarations officielles de reconnaissance de ce mode de vie.

C. Nomadisme et domicile fiscal

1. La notion de domicile fiscal

1988. Les notions de domicile civil et de domicile fiscal sont théoriquement


indépendantes, mais elles se rejoignent sur leurs éléments objectifs et subjec-
tifs. Ainsi, à l’instar du domicile au sens de l’article 23 CC, l’article 3 al. 2 de loi
fédérale sur l’impôt fédéral direct, du 14 décembre 19902438, désigne le domi-
cile fiscal d’un contribuable comme étant le lieu où celui-ci possède une rési-
dence dans laquelle il souhaite s’établir de manière stable2439.
1989. Tout comme le droit civil, le droit fiscal insiste donc sur l’élément de la
stabilité, définie par la création d’un centre d’existence déterminé par
l’établissement de relations professionnelles et personnelles2440. En matière fis-
cale, face à un contribuable qui possède deux logements dans lesquels il peut
passer la nuit, l’existence d’une activité professionnelle joue un rôle plus im-
portant pour définir le domicile fiscal que pour déterminer le domicile civil2441.

2437
Supra Titre Premier, Chapitre II.
2438
LIFD ; RS 642.11; RO 1991 1184.
2439
ARNOLD, p. 452 ; NOËL, p. 406.
2440
ASA 39 (1970), p. 284 ; ASA 36 (1967), p. 103. ARNOLD, p. 453 ; NOËL, p. 406.
2441
ARNOLD, p. 454 ; NOËL, p. 406.

521
La situation juridique des Tziganes en Suisse

1990. Ainsi, lorsque le contribuable exerce une activité indépendante ailleurs


qu’à l’endroit où il passe son temps libre, le Tribunal fédéral estime que le lieu
d’imposition doit être déterminé par l’endroit où se développent les relations
professionnelles, au détriment des relations familiales2442.

2. Le domicile fiscal des Tziganes nomades

1991. Les raisonnements usuels employés pour identifier le domicile fiscal


en cas de mobilité du contribuable s’appliquent difficilement au cas des Tziga-
nes nomades. Force est de constater, premièrement, que l’habitation des Tzi-
ganes nomades ne possède pas de lien de rattachement territorial, mais per-
sonnel.
1992. Deuxièmement, le lieu de travail et celui de l’habitation coïncident.
Nous renvoyons à nos développements relatifs à la détermination du domicile
civil pour désigner le lieu de stationnement durable durant les mois d’hiver à
titre de domicile fiscal. En l’absence d’endroit fixe et stable où s’exercent les ac-
tivités professionnelles indépendantes des Tziganes nomades, la désignation
du domicile civil nous semble la solution la plus acceptable.

D. Nomadisme et domicile politique

1993. Après avoir exposé le rôle et l’importance du domicile dans le do-


maine des droits politiques, ainsi que les questions que soulève le nomadisme
tzigane dans ce contexte (1.), nous ferons le point sur l’état actuel des législa-
tions fédérale et cantonales en la matière (2.), avant d’apporter notre apprécia-
tion critique et nos propositions (3.).

1. Le rôle du domicile en matière de droits politiques

1994. La notion de « domicile politique » relève du droit fédéral : elle per-


met, premièrement, de déterminer dans quel canton et quelle commune les
Suisses de l’intérieur ont la qualité d’électeur et, deuxièmement, qui fait partie
du cercle des Suisses de l’étranger et qui appartient à celui des Suisses de
l’intérieur2443.
1995. Le lien entre exercice des droits politiques et domicile s’explique par le
principe de territorialité, qui exprime l’idée démocratique que l’on ne doit être

2442
ARNOLD, pp. 454-456.
2443
HANGARTNER/KLEY, pp. 49-50.

522
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

soumis qu’aux lois que l’on s’est soi-même données2444. La Constitution fédé-
rale affirme clairement à son article 39 al. 2, 1ère phrase, que les droits politi-
ques s’exercent « au lieu du domicile » des citoyens.
1996. A teneur de l’article 3 al. 1 de la loi fédérale sur les droits politiques2445,
ce domicile est « la commune où l’électeur habite et s’est annoncé à l’autorité
locale ». Cela correspond généralement au domicile civil, la Confédération et
les cantons pouvant prévoir des exceptions2446. Cet exercice constitue un droit
fondamental qui confère au citoyen domicilié sur le territoire communal une
prétention justiciable2447.
1997. La domiciliation des membres du corps électoral est ainsi une question
centrale en matière de droits politiques. Impliquant l’inscription des ayant-
droits dans un registre, elle permet à l’administration d’identifier l’individu
comme appartenant au corps des citoyens, et par la même occasion de déter-
miner son intégration dans une communauté territoriale qui se décline en
Suisse en trois volets : communale, cantonale et nationale.
1998. Historiquement, cette démarche s’explique par l’exigence de la créa-
tion d’un lien juridique fort entre le citoyen et le territoire. La fixation territo-
riale poursuit plusieurs objectifs : empêcher autant que possible la création
d’un corps d’électeurs « flottant », qui n’auraient que peu ou pas de liens avec
leur lieu de domicile, ainsi que maîtriser le « nomadisme électoral » qui, poten-
tiellement, pourrait transformer les différentes majorités politiques2448.
1999. Aujourd’hui, bien que les Tziganes nomades suisses soient des Suisses
de l’intérieur, leur tradition d’itinérance les rapproche de la situation des Suis-
ses de l’étranger, sans qu’il soit cependant possible de leur appliquer la même
réglementation. Ils constituent ainsi une catégorie spécifique d’électeurs qui,
jusqu’à récemment, n’était prise en compte à aucun des trois niveaux étatiques
suisses.
2000. Les Tziganes nomades étant considérés comme n’ayant officiellement
pas de domicile au sens de l’article 23 CC2449, il s’agissait de trouver une solu-
tion qui permette de respecter les garanties offertes par l’égalité de traitement
et l’interdiction de la discrimination, ainsi que l’obligation de garantir
l’exercice des droits politiques au sens des articles 34 Cst. et 25 Pacte II2450. Le

2444
HANGARTNER/KLEY, p. 64 ; MAHON (2001), § 28.
2445
Loi fédérale sur les droits politiques, du 17 décembre 1976 (LDP ; RS 161.1 ; RO 1978 688).
2446
Art. 39 al. 2, 2ème phrase, Cst. HANGARTNER/KLEY, p. 64 ; KÖLZ, pp. 7-8 ; VOUTAT/SCHORDERET, p. 23.
2447
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 32-37 ; HANGARTNER/KLEY, p. 64.
2448
VOUTAT/SCHORDERET, pp. 21-22.
2449
FF 1993 III 405, 436.
2450
HANGARTNER/KLEY, p. 50.

523
La situation juridique des Tziganes en Suisse

principe de territorialité trouve ici une exception en raison du fait que la no-
tion même de domicile ne peut pas s’appliquer2451.

2. Les solutions

2.1. Au niveau fédéral

2001. Au niveau fédéral, le Parlement a, en 19942452, introduit l’article 3 al. 1,


2ème phrase, LDP. Cette disposition stipule que les « gens du voyage votent
dans leur commune d’origine»2453. Elle illustre la faculté que possèdent Confé-
dération et cantons de prévoir des exceptions au principe de l’équivalence en-
tre domiciles civil et politique2454.
2002. L’adoption de cette solution a offert pour la première fois la possibilité
officielle pour les Tziganes nomades suisses d’exercer leurs droits politiques
fédéraux, ce qui était auparavant exclu, car la version antérieure de la loi ne
prévoyait que le renvoi au domicile civil2455. L’existence de ce motif factuel
d’exclusion n’a été reconnu et aboli que tardivement, alors que les raisons juri-
diques, initialement très nombreuses et constatées par le Conseil fédéral en
1872 déjà2456, ont disparu peu à peu, pour se réduire aux cas d’interdiction du
fait d’une faiblesse d’esprit ou d’une maladie mentale2457,2458.
2003. Au moment de la révision de la LDP, il est apparu que supprimer pu-
rement et simplement l’exigence du domicile ne constituait pas une alternative
acceptable, en raison du risque de fraude lié à la création de domiciles fic-
tifs2459. Dès lors qu’elle intègre formellement dans le corps électoral fédéral les
Suisses tziganes, cette disposition constitue une avancée remarquable pour la
reconnaissance officielle de ces derniers en tant que membres du corps électo-
ral helvétique, et, plus largement, de la société civile suisse. Nous constaterons
cependant ci-après qu’elle n’est pas entièrement satisfaisante.

2451
HANGARTNER/KLEY, p. 64-65.
2452
RO 1994 2422 ; FF 1993 III 405.
2453
On remarquera que certains auteurs n’évoquent pas du tout cette disposition et ce cas de figure ;
comp. ainsi AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 716 ; HÄFELIN/HALLER, N. 1368-1370.
2454
MAHON (2001), N. 37 ; KLEY (art. 39), N. 7.
2455
FF 1993 III 405, 436. Relevons que leur situation particulière n’était pas prise en compte aupara-
vant par la doctrine s’exprimant sur la question du domicile politique ; ainsi, KÖLZ, pp. 7-8.
2456
Message du Conseil fédéral relatif à un projet de loi sur les élections et les votations fédérales, du
24 juin 1872, FF 1872 II 811-827.
2457
Art. 136 al. 1 Cst.. HANGARTNER/KLEY, pp. 30-31.
2458
Sur l’évolution historique de la composition du corps électoral fédéral et des motifs d’exclusion, voir
VOUTAT/SCHORDERET, pp. 24-26.
2459
FF 1993 III 405, 436.

524
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

2.2. Au niveau cantonal

2004. Suite à la modification législative fédérale, certains cantons ont égale-


ment adapté leurs lois cantonales, reprenant le choix du législateur fédéral à
leur compte2460. La majorité, cependant, ne l’a pas fait et les dispositions canto-
nales qui définissent le domicile politique, ainsi que la qualité d’électeur can-
tonal et communal, ne prévoient généralement que l’hypothèse du domicile
usuel, telle que garantie par le constituant fédéral2461.
2005. Or, nous ne sommes pas ici devant un cas similaire à celui du vote des
Suisses de l’étranger, où les cantons demeurent compétents pour décider s’ils
souhaitent accorder le droit de vote cantonal et communal aux personnes pos-
sédant un droit de cité dans l’une de leurs communes2462. Les Tziganes noma-
des suisses devant être considérés comme des Suisses de l’intérieur, les can-
tons ne peuvent pas opter pour leur exclusion du corps électoral. En consé-
quence, les cantons qui demeurent silencieux sur la question violent le droit
supérieur en privant de leurs droits politiques cantonaux et communaux les ci-
toyens suisses nomades originaires de l’une de leurs communes2463.
2006. Dans ce cas, deux alternatives nous apparaissent envisageables pour
trouver une situation suivant les exigences de la Constitution et du droit inter-
national. Premièrement, les articles 8 et 34 Cst., ainsi que 25 Pacte II, étant di-

2460
Voir ainsi : art. 1 al. 2 de la Verordnung zum Gesetz über die politischen Rechte argovienne, du 25
novembre 1992 (RS/AG 131.111) ; art. 2 al. 1 de la Gesetz über die politischen Rechte du canton
de Bâle-Campagne, du 7 septembre 1981 (RS/BL 120) ; art. 3 al. 1 de la Gesetz über die Wahlen
und Abstimmungen an der Urne glaronaise, du 7 mai 1989 (RS/GL I B/22/2) ; art. 2 al. 3 de la loi
jurassienne sur les droits politiques, du 26 octobre 1978 (RS/JU 161.1) ; art. 5 al. 1, 2ème phrase,
de la Stimmrechtsgesetz lucernoise, du 25 octobre 1988 (RS/LU 10); art. 5 al. 1, 2ème phrase de la
Gesetz über die Wahlen und Abstimmungen schwyzoise, du 15 octobre 1970 (RS/SZ 120.100) ; art.
17 Cst./ZH (qui renvoie directement à la notion fédérale de domicile politique au sens de l’art. 3 al.
1, 2ème phrase, LDP) .
2461
HANGARTNER/KLEY, p. 43. Voir ainsi l’absence de disposition topique dans les législations suivantes :
art. 2 et 4 de la Verordnung über die politischen Rechte du canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures,
du 11 juin 1979 (RS/AI 121) ; art. 4 de la Gesetz über die politischen Rechte du canton d’Appenzell
Rhodes-Extérieures, du 24 avril 1988 (RS/AR 131.12) ; art. 6 de la loi bernoise sur les droits politi-
ques (RS/BE 141.1) ; art. 2 de la Gesetz über Wahlen und Abstimmungen du canton de Bâle-Ville,
du 21 avril 1994 (RS/BS 132.100) ; art. 2 et 3 de la loi fribourgeoise sur l’exercice des droits politi-
ques, du 6 avril 2001 (RS/FR 115.1) ; art. 1 et 3 de la loi genevoise sur l’exercice des droits politi-
ques, du 15 octobre 1982 (RS/GE A 5 05) ; art. 9 Cst./GR et art. 5 de la Gesetz über die Ausübung
der politischen Rechte grisonne (RS/GR 150.100) ; art. 2, 3 et 5 de la loi neuchâteloise sur les droits
politiques, du 17 octobre 1984 (RS/NE 141) ; art. 8 et 10 Cst./NW ; art. 32 Cst./SG ; art. 5 de la
Gesetz über die politischen Rechte soleuroise, du 22 septembre 1996 (RS/SO 113.111) ; art. 4 de la
Wahlgesetz schaffousoise, du 15 mars 1904 (RS/SH 160.100) ; art. 2 et 3 de la legge sull’esercizio
dei diritti politici tessinoise, du 7 octobre 1998 (RS/TI 1.3.1.1) ; art. 3 de la Gesetz über das Stimm-
und Wahlrecht thurgovienne, du 15 mars 1995 (RS/TG 161.1) ; art. 4 et 5 de la loi vaudoise sur
l’exercice des droits politiques, du 16 mai 1989 (RS/VD 160.1) ; art. 6, 8 et 9 de loi valaisanne sur
les élections et les votations, du 17 mai 1972 (RS/VS 160.1) ; art. 17 Cst./UR ; art. 2 de la Gesetz
über die Wahlen und Abstimmungen zougoise, du 23 janvier 1969 (RS/ZG 131.1).
2462
Art. 7 al. 1 de la loi fédérale sur les droits politiques des Suisses de l’étranger (RS 161.5 ; RO 1976
1805), qui ne fait que rappeler ce que la Constitution fédérale prévoit déjà (art. 3 et 40 al. 2 Cst.).
HÄFELIN/HALLER, N. 1377 ; HANGARTNER/KLEY, p. 51 ; KLEY (art. 39), N. 9.
2463
HANGARTNER/KLEY, p. 50.

525
La situation juridique des Tziganes en Suisse

rectement applicables, il serait envisageable de combler ces lacunes cantonales


par une application analogique et contraignante du droit fédéral2464.
2007. Théoriquement, une seconde approche serait envisageable, à savoir le
renvoi à la pratique officieuse désignant les aires de stationnement durable en
tant que domicile civil au sens de l’article 23 CC. Cette démarche permettrait
d’interpréter le droit cantonal lacunaire conformément à la Constitution, du
point de vue des articles 8 et 34 Cst., ainsi que par rapport à l’article 25 Pacte II.
Ceci aurait l’avantage d’offrir au moins une solution temporaire, jusqu’à ce
que les législations cantonales soient modifiées dans le sens du droit fédéral.
2008. Cependant, dans les cantons qui définissent précisément le domicile
politique en intégrant explicitement l’exigence de volonté de s’établir dans une
commune2465, cette interprétation irait clairement à l’encontre de la lettre de la
loi, et ne pourrait donc pas être employée. De plus, opter pour cette solution
conduirait à une situation extrêmement problématique, puisque les droits poli-
tiques cantonaux et communaux seraient alors exercés en un endroit, et les
droits politiques fédéraux dans un autre. Ceci irait à l’encontre du principe de
l’unité du domicile politique, exprimé à l’article 39 al. 3 Cst.2466.
2009. Si la première alternative présente l’avantage d’offrir une solution ju-
ridique unifiée tant au niveau fédéral qu’au niveau cantonal et d’être relative-
ment aisée et rapide à mettre en œuvre, nous allons voir ci-dessous que le rat-
tachement à la commune d’origine, en tant que tel, nous paraît suffisamment
critiquable pour que nous plaidions pour un consécration explicite du lieu de
stationnement hivernal.

3. Appréciation et critique

2010. Bien qu’elle apporte une réponse concrète et aisément identifiable, la


solution proposée par la LDP appelle toutefois plusieurs critiques, notamment
quant au cercle des personnes concernées (3.1.) et quant aux difficultés maté-
rielles que l’élection de la commune d’origine peut représenter (3.2.).

3.1. L’application ratione personae de l’article 3 al. 1, 2ème phrase,


LDP

2011. Exemple quasi unique de disposition fédérale expressément adaptée


pour inclure ceux que les autorités appellent les « gens du voyage », l’article 3

2464
Dans ce sens, HANGARTNER/KLEY, p. 50.
2465
Voir ainsi l’art. 3 LEDP/FR. Par contre, l’art. 1 LEDP/GE, par exemple, laisserait une place à cette
approche (« les citoyens et citoyennes (…) domiciliés dans le canton (…) »). HANGARTNER/KLEY, p. 49,
soulignent que cette exigence exclut également le vote des Suisses de l’étranger.
2466
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 716 ; KLEY (art. 39), N. 12 ; MAHON (2001), N. 35.

526
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

al. 1, 2ème phrase, LDP2467 révèle les limites de cette expression employée pour
qualifier d’une façon générale les Tziganes suisses dans leur ensemble. En ef-
fet, elle illustre la vision très étroite des autorités fédérales – mutatis mutandis,
des autorités cantonales – par rapport à ce qu’elle recouvre et ce qu’elle signifie
dans les faits.
2012. Cette restriction de la qualité de « Tzigane » aux individus pratiquant
encore le voyage n’est pas correcte d’un point de vue socio-culturel et ethni-
que. Il est très réducteur de considérer qu’un Tzigane sédentarisé ne fait plus
partie de la communauté des gens du voyage, alors que le nomadisme n’est
qu’une facette de leur culture spécifique.
2013. En outre, le concept même de « Tzigane sédentarisé » n’est pas univo-
que : une personne ne voyageant plus, mais vivant encore en caravane et ayant
besoin pour cela d’une aire de stationnement durable, fait partie des Tziganes
suivant encore leur mode de vie traditionnel, même si son nomadisme n’est
plus actif.
2014. Si l’on tient à employer la terminologie officielle, cette personne doit
donc être comptée au nombre des « gens du voyage ». Or, il ne fait aucun
doute que dans le contexte de la LDP, la notion de « gens du voyage » est em-
ployée pour s’appliquer uniquement aux Tziganes suisses vivant de façon
nomade. Dans ce cadre, il est en effet nécessaire d’interpréter cette expression
strictement.
2015. Une approche plus large signifierait que même les Tziganes ne voya-
geant plus seraient dans l’obligation d’aller voter dans leur commune
d’origine, ce qui serait conduirait à un résultat absurde. En effet, une fois éta-
blis dans une commune, vivant toujours en caravane ou dans une habitation
usuelle, les Tziganes connaissent le régime de la LDP valable pour les citoyens
« ordinaires », en votant au domicile politique établi à leur lieu de résidence. Il
n’y a aucune justification à dissocier ici les deux domiciles pour les Tziganes
ne voyageant plus, mais ce souci rationnel conduit à un constat insatisfaisant
du fait des termes employés par la loi.
2016. Dans le contexte général de la politique suisse à l’égard de la minorité
tzigane, il n’est pas possible de considérer que la communauté des « gens du
voyage » ne comporte que des personnes qui voyagent encore. Dès lors, em-
ployer cette expression dans la LDP est problématique et susicte des interroga-
tions quant aux modalités de sa mise en œuvre.
2017. En effet, une personne tzigane, vivant en caravane mais qui s’est ins-
tallée sur une aire de stationnement durable et qui ne cherche plus à voyager,
fait toujours partie des « gens du voyage ». La commune dans laquelle elle ré-
side peut-elle refuser de l’inscrire au registre des électeurs en appliquant
strictement la loi, ou peut-elle faire primer, contra legem, la solution rationnelle
du lieu de domicile? Cette personne doit-elle, le cas échéant, exercer malgré
2467
Mais également les dispositions cantonales qui ont repris formellement la solution fédérale.

527
La situation juridique des Tziganes en Suisse

lieu de domicile? Cette personne doit-elle, le cas échéant, exercer malgré tout
ses droits politiques dans sa commune d’origine ?
2018. Si l’option du lieu d’origine devait être maintenue, seule une modifica-
tion terminologique de la LDP, qui insisterait sur l’itinérance véritablement ac-
tive des particuliers, et non sur leur rattachement à une certaine minorité,
permettrait de faire coïncider la solution juridique avec la réalité socio-
culturelle de ces communautés.

3.2. Les difficultés relatives à l’élection de la commune d’origine

2019. Dans la pratique, il résulte de la solution développée par la LDP que


les Tziganes nomades suisses qui souhaitent exercer leurs droits politiques
doivent se rendre plusieurs fois par an dans leur commune d’origine. Il peut
arriver que celle-ci ne soit pas une destination prévue initialement dans leur
voyage qui poursuit, rappelons-le, des objectifs économiques et familiaux.
2020. Certes, il existe la possibilité de voter par correspondance, prévue aux
articles 5 al. 3 et 8 LDP2468. Cependant, le matériel de vote doit parvenir par
courrier aux électeurs, ce qui n’est pas une solution aisée du fait des déplace-
ments réguliers. Par ailleurs, puisque les Tziganes nomades se déplacent en
famille, l’accueil, du moins temporaire, des caravanes doit être possible, dans
la commune d’origine elle-même.
2021. Or, au vu de l’état du parc de places de transit à disposition et des
normes cantonales en matière d’arrêt hors d’aires prévues à cet effet, un arrêt
effectué de manière légale ne peut être garanti. Ainsi, pour pouvoir participer
à la vie politique suisse en tant que citoyens et pour exercer l’un de leurs droits
fondamentaux, les Tziganes nomades suisses se retrouvent généralement obli-
gés à se mettre en infraction.
2022. De plus, la solution fédérale ne prend pas en compte que les femmes
qui se sont mariées depuis 1992 peuvent posséder plusieurs lieux d’origine2469.
Face à ce cas de figure, la LDP reste muette quant à ce qui permet de détermi-
ner quelle commune doit alors être privilégiée. Or, le principe de l’unité du
domicile politique impose de définir une solution claire.
2023. Une solution envisageable serait de désigner le lieu d’origine commun
des époux. Cette possibilité répond à d’évidents aspects pratiques, puisqu’il
semblerait peu convaincant de concevoir que deux époux aillent voter en deux
lieux différents à l’occasion d’une seule votation. Néanmoins, on peut
s’interroger sur la compatibilité d’une telle hypothèse avec l’objectif de l’article
161 CC qui est de garantir l’égalité entre époux et qui permet précisément aux

2468
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 719 ; MAHON (2001), N. 40.
2469
Révision de l’art. 161 CC, selon le Chiffre II de la loi fédérale du 23 mars 1990, en vigueur depuis le
1er janvier 1992, RO 1991 1034, 1043.

528
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

épouses de conserver leur droit de cité communal et cantonal qu’elles possé-


daient en tant que célibataires. A l’égard des femmes tziganes nomades, la so-
lution pratique de la LDP vide ces derniers de toute portée concrète.
2024. Enfin, d’une manière générale, les liens entretenus avec le lieu
d’origine sont généralement moindres que ceux existant avec le domicile, ce
qui constitue, nous l’avons vu, la ratio legis de la coïncidence normale entre lieu
de vote et domicile civil. En effet, le citoyen connaît généralement mieux les
circonstances politiques de son lieu de résidence que celles prévalant là où il
possède son droit de cité.
2025. S’il s’avère qu’un Tzigane nomade suisse n’a jamais aucune raison de
transiter par sa commune d’origine, aucun lien entre eux ne peut être établi. Si
les votations fédérales ne représentent pas un problème dans ce contexte, ce
n’est pas le cas des scrutins communaux et cantonaux. Or, force est de consta-
ter que la solution promue par la LDP ne prend pas en compte ce facteur.
2026. On peut naturellement tirer ici un parallèle avec la situation des Suis-
ses de l’étranger2470, qui peuvent également exercer leurs droits politiques can-
tonaux et communaux dans les cantons et communes qui en prévoient la pos-
sibilité, et qui connaissent mal les situations politiques locales2471.
2027. Cependant, dans le cas des Tziganes nomades suisses, il s’agit de ci-
toyens helvétiques vivant la plupart du temps sur le territoire national. Malgré
leurs déplacements, ils connaissent bien la région dans laquelle ils reviennent
passer les mois d’hiver et sont bien plus au courant des enjeux politiques lo-
caux et régionaux que les Suisses de l’étranger. A nouveau, il importe de les
considérer comme des Suisses de l’intérieur dans ce contexte.
2028. Ces difficultés justifient d’autant plus d’officialiser la pratique évoquée
plus haut, qui consiste à désigner le lieu de stationnement des caravanes du-
rant les mois d’hiver comme le domicile civil des Tziganes nomades. Dès lors,
il serait à nouveau possible de faire coïncider ce dernier avec le domicile poli-
tique. Ceci se justifie d’autant plus pour celles et ceux vivant en appartement
durant les mois d’hiver, à défaut de pouvoir utiliser une place de stationne-
ment fixe. Pour ces derniers, la solution de la commune d’origine fait encore
moins de sens.
2029. Certains auteurs se montrent critiques face à cette solution, en raison
de sa contradiction avec le texte de la LDP et du fait des frais administratifs
supplémentaires engendrés, notamment du point de vue des contrôles à effec-
tuer. Par ailleurs, ils la conditionnent à la démonstration que ces places corres-

2470
Les Suisses de l’étranger exercent leurs droits politiques fédéraux dans leurs communes de vote qui
sont soit l’une de leurs communes d’origine, soit celles où ils avaient leurs domiciles antérieurs ; art.
5 al. 1 de loi fédérale sur les droits politiques des Suisses de l’étranger. Les cantons sont autorisés à
limiter le nombre de communes dans lesquelles les Suisses de l’étranger peuvent exercer leurs
droits politiques (art. 5 al. 2 LDPE).
2471
HANGARTNER/KLEY, pp. 50-51, 53.

529
La situation juridique des Tziganes en Suisse

pondent réellement aux centres d’existence des particuliers, estimant que dans
le cas contraire, elle ne peut être retenue, car elle avaliserait la constitution
d’un domicile fictif2472.
2030. Ces objections se heurtent aux exigences posées par l’article 8 Cst..
Nous venons d’évoquer les raisons qui nous poussent à critiquer le texte même
de la LDP au regard de cette norme, et de ses difficultés d’application.
L’argument de l’exigence de la réalité du centre d’existence pour la reconnais-
sance de la validité du domicile au sens de l’article 23 CC ne prend pas en
compte que cette disposition elle-même, nous l’avons également vu, est pro-
blématique par rapport à l’article 8 Cst..
2031. Ainsi, l’incapacité de l’interpréter littéralement et téléologiquement en
faveur du nomadisme impose que l’on ne se montre pas trop exigeant avec la
réalité du centre d’existence des Tziganes nomades sur leurs places de station-
nement durable. En outre, la dimension financière, limitée en l’occurrence, ne
doit pas constituer, à notre sens, un argument suffisant pour faire peser la ba-
lance contre cette solution.
2032. Enfin, à titre de dernier argument, on relèvera la nécessité d’essayer de
faire coïncider les différents domiciles – civil, fiscal, et politique. Or, le domi-
cile politique ne permet pas de fonder en tant que tel le domicile fiscal2473. Dès
lors que, pour les Tziganes nomades, ce dernier renvoie également au lieu de
stationnement hivernal, il nous paraît plus raisonnable de plaider qu’à terme
cette solution soit retenue pour le domicile politique.

E. Nomadisme et domicile « usuel »: le cas de Genève

2033. Nous avons eu l’occasion de souligner les difficultés qu’il peut y avoir
à qualifier les caravanes tziganes de domicile, au sens d’habitation. Le droit
genevois illustre cette difficulté, et se trouve en contradiction avec les exigen-
ces découlant du principe d’égalité (1.) et du droit au respect du domicile et du
droit au logement (2.).

1. Au regard du principe d’égalité

2034. En droit cantonal genevois, l’article 111 al. 1, première phrase, de la loi
sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril 19882474, s’avère
problématique au regard du principe d’égalité. En effet, cette disposition pré-

2472
HANGARTNER/KLEY, p. 51 ; voir cependant la position de ces auteurs, ibidem, p. 65.
2473
ARNOLD, p. 453.
2474
LCI/GE; RS/GE L 5 05.

530
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

voit que « l’utilisation de roulottes comme logement n’est permise qu’aux fo-
rains professionnels ».
2035. Par « forains professionnels », le droit genevois entend celles et ceux
pratiquant un métier de forain, défini notamment par le règlement sur
l’assurance-responsabilité civile des exploitants de métiers forains ou analo-
gues et d’appareils mécaniques et électriques, du 12 juin 19702475 . Pratiquent
ainsi une telle profession les particuliers exploitant un stand, des attractions,
des manèges ou des carrousels. Or, ceci ne correspond pas aux activités exer-
cées par les Tziganes nomades, qui ne sont donc pas inclus dans cette excep-
tion.
2036. Le législateur genevois a pris ainsi en compte le fait que l’activité lu-
crative des forains nécessite de faire une distinction entre ces derniers et les
personnes ne pratiquant pas ce travail. Cette activité lucrative représente ainsi
un motif objectif et raisonnable qui justifie de les autoriser à vivre en caravane
et de les traiter donc différemment de celles et ceux dont l’activité ne les oblige
pas à vivre en roulotte. Or, en définissant précisément ce qu’il entend par
« forain » et en ne créant pas d’exception similaire en faveur des Tziganes,
l’article 111 al. 1, première phrase, LCI/GE paraît les assimiler sans motifs ob-
jectifs et raisonnables aux non-forains.
2037. Ainsi, le mode de vie traditionnel des Tziganes, qui inclut par ailleurs
l’exercice de certaines activités lucratives itinérantes, n’est pas pris en considé-
ration. Le droit cantonal procède donc ici à une assimilation déraisonnable des
Tziganes nomades à l’ensemble de la population sédentaire et des non-forains.
2038. En outre, la loi ne prend pas suffisamment en compte les similitudes
existant entre les exigences professionnelles des forains et celles des Tziganes
nomades, alors qu’elles constituent une justification objective et raisonnable
pour appliquer un traitement différencié à ces derniers par rapport au reste de
la population. Au regard des exigences de l’égalité de traitement, ces disposi-
tions apparaissent problématiques.
2039. Par ailleurs, l’absence de prise en compte du mode de vie traditionnel
des Tziganes par le droit cantonal a un effet négatif sur leur dignité. Les Tzi-
ganes nomades semblent avoir été « oubliés » par les normes genevoises. Cette
présomption de discrimination paraît difficilement réfragable en l’espèce, car
le législateur cantonal a pris la peine de se pencher sur le cas des forains, qui
constituent un groupe professionnel, qui, par ailleurs, n’est pas protégé par
l’article 8 al. 2 Cst..
2040. Le critère sensible qui fonde la présomption de discrimination est ici
l’origine ethnique, et non le mode de vie itinérant, puisque l’hypothèse des fo-
rains est prévue par la loi. Il paraît douteux de ne voir ici qu’un effet indirect

2475
RS/GE I 2 03.08.

531
La situation juridique des Tziganes en Suisse

« malheureux » prétéritant les Tziganes nomades, et il nous semble qu’il faut


plutôt conclure à l’emploi implicite de ce critère2476.
2041. La lacune qui en découle a un effet dépréciatif sur les membres de
cette communauté, et il semble difficile de pouvoir apporter la démonstration
qu’aucun effet dénigrant n’existe pour les Tziganes nomades. En cela l’article
111 al. 1, première phrase, LCI/GE viole donc également l’interdiction de la
discrimination directe.

2. Au regard du droit au respect du domicile et du droit


au logement

2042. Malgré les consécrations constitutionnelles et conventionnelles du


droit au respect du domicile et du droit au logement2477, en droit cantonal ge-
nevois, les caravanes ne peuvent pas être employées en tant que logement, ou
alors dans des cas très spécifiques, qui n’incluent pas les Tziganes. Ainsi,
l’article 216 al. 3 du règlement d’application de la LCI/GE2478 précise l’article
111 LCI/GE en prévoyant que « l’utilisation des roulottes, caravanes et autres
véhicules semblables comme logement n’est permise qu’aux forains profes-
sionnels et aux personnes vivant avec eux en communauté domestique ». Or,
les Tziganes nomades ne pouvaient pas être qualifiés de « forains profession-
nels » au sens du droit genevois.
2043. L’article 111 al. 1, première phrase LCI/GE, et l’article 216 al. 3
RLCI/GE interdisent donc à toute personne, hormis aux forains profession-
nels, d’habiter en famille en caravane. Par leur formulation restrictive, ils ne
permettent aucune interprétation conforme à l’article 13 al. 1 Cst., ni aux arti-
cles 8 CEDH et 17 Pacte II2479. Partant, il faut conclure que, dans ce contexte, le
droit genevois viole les droits fondamentaux des Tziganes vivant en caravane.

2476
Voir par ailleurs la conclusion de WALDMANN (2004), p. 954, qui, sans employer l’approche de l’emploi
implicite des critères suspects, parvient également à la constatation d’une discrimination directe.
2477
Voir nos développements supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.
2478
Règlement genevois d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses, du 27
février 1978 (RLCI/GE ; L 5 05.01).
2479
Comp. toutefois l’arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 6 avril 2004, causes
A/1278/2003-GC et A/1439/2003-GC, pp. 14-15 : « Du moment qu'elles servent à l'habitation des
gens du voyage, [des] caravanes doivent être considérées comme des maisons d'habitation dont le
regroupement constitue plusieurs logements. […] Cette interprétation ne saurait être remise en
cause par les articles 216 et suivants [RALCI], en particulier par l'article 216 alinéa 3 RALCI qui
prescrit que l'utilisation des roulottes, caravanes ou autre véhicule semblable comme logement n'est
permise qu'aux forains professionnels et aux personnes vivant avec eux en communauté domesti-
que. Ces dispositions, de rang réglementaire, doivent s'interpréter conformément au droit supé-
rieur. »

532
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile

F. Synthèse

2044. Le nomadisme tzigane et l’exigence de posséder un domicile légal au


sens de 23 CC s’opposent diamétralement : alors que le nomadisme signifie
que le centre de vie et des activités des Tziganes est rattaché à leur personne, le
mode de vie sédentaire le rattache à un territoire fixe. Le développement de
solutions fictives n’étant pas acceptable sur le long terme, seul le lieu de sta-
tionnement hivernal est susceptible de faire office de point d’ancrage suffi-
samment long pour être compatible avec la ratio legis de l’article 23 CC.
2045. En l’état du droit, le nomadisme et l’exigence du domicile ne peuvent
coïncider qu’au prix d’une interprétation du texte légal conforme aux droits
fondamentaux des Tziganes, une modification de cette disposition demeurant
néanmoins souhaitable dans une optique symbolique de consécration du
mode de vie de cette minorité.
2046. L’adoption de l’une de ces deux options demeure néanmoins inutile
pour résoudre la tension actuelle si l’on ne parvient pas, au préalable, à créer
un nombre suffisant d’aires légales de stationnement durable. Aussi long-
temps que cet objectif ne sera pas atteint, la question de la domiciliation des
Tziganes nomades, et de leur accès aux prestations et droits y relatifs, demeu-
rera un problème concret et une source de tracasseries administratives et poli-
cières.
2047. Une fois ce réseau créé et une fois la solution du stationnement hiver-
nal officiellement adoptée, il sera alors nécessaire de revoir la législation en
matière de domicile politique. En l’état actuel, elle s’avère déjà critiquable, car
en sus d’être peu pratique, elle est problématique de fait de l’emploi de
l’expression « gens du voyage » au regard du cercle des personnes apparte-
nant à la minorité tzigane car peu pratique. Si le rattachement du domicile civil
au lieu d’arrêt pour les mois d’hiver doit s’imposer, l’option de la commune
d’origine perdra non seulement sa raison d’être, mais deviendra même ab-
surde, en s’opposant complètement à l’unité des domiciles civils et politiques.
2048. Enfin, des dispositions cantonales qui excluent les caravanes tziganes
de la notion d’habitation doivent être abrogées ou adaptées, afin d’éliminer la
discrimination directe qu’elles consacrent.

533
La situation juridique des Tziganes en Suisse

534
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire

Chapitre III: Nomadisme tzigane et scolarisation


obligatoire

2049. La scolarisation obligatoire des enfants tziganes nomades pose le pro-


blème particulièrement délicat de la résolution des tensions pouvant surgir en-
tre l’exercice des droits individuels de chacun et le droit d’exercer son identité
culturelle découlant notamment du droit des minorités. L’application de ce
dernier nécessite également de prendre en considération le droit collectif de la
minorité tzigane à perdurer et à préserver son identité.
2050. Après avoir posé le principe du droit à l’éducation de base pour tous
les enfants (A.), nous ferons état des difficultés culturelles et pratiques à conci-
lier cette garantie avec l’exercice du mode de vie nomade (B.).

A. Le droit à une éducation de base

2051. En Suisse, les articles 13 § 2 let. a Pacte I, 28 CDE, 19 et 62 al. 2 Cst.


consacrent le principe du droit à un enseignement de base obligatoire, suffi-
sant et gratuit2480. Ce que recouvre cette notion est encore flou2481, les auteurs
renvoyant soit au critère formel de la durée du cursus de l’école obligatoire2482,
soit au critère matériel de l’obligation de conférer aux enfants une éducation
leur permettant de s’intégrer dans la société, indépendamment des souhaits de
leurs parents2483. En disposant que l’enseignement obligatoire doit permettre la
réalisation de l’égalité des chances entre les enfants, le Tribunal fédéral semble
également aller dans ce sens2484.
2052. Tous les enfants présents sur le territoire suisse, quels que soient leur
nationalité, leur origine ou leur statut au regard du droit des étrangers, doi-
vent être acceptés à l’école publique et ont donc le droit de recevoir une ins-
truction primaire. Les autorités scolaires n’ont donc pas la possibilité de refu-
ser de scolariser des enfants tziganes nomades sous prétexte qu’ils ne reste-

2480
ATF 130 I 352, 354 X ; ATF 129 I 12, 16 V.; ATF 128 I 35, 38 M. X.. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II),
N. 1534; KIENER (2001), pp. 906-907 ; PLOTKE, p. 554 ; SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 15.
2481
Voir la recension des opinions doctrinales effectuée par PLOTKE, pp. 557-559.
2482
Ainsi notamment MAHON (art. 19), N. 6.
2483
Dans ce sens, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1539 ; BORGHI (art. 27), n° 45 ; WALDMANN
(2003), p. 705. Il sied de mettre ces dispositions en rapport avec l’art. 41 al. 1 let. f et g Cst., qui
posent comme buts sociaux les objectifs de fournir à la population une formation initiale et une
formation continue correspondant à ses aptitudes, d’une part, et d’encourager les enfants et les
jeunes à devenir indépendants et responsables, en étant intégrés socialement, culturellement et po-
litiquement ; KIENER (2001), p. 905.
2484
ATF 130 I 352, 354 X. ; ATF 129 I 12, 16 V. ; ATF 129 I 35, 38 M. X.

535
La situation juridique des Tziganes en Suisse

raient sur le territoire communal que pour une courte durée2485. A teneur de
l’article 62 al. 2, 2ème phrase, Cst., ce droit constitue également une obligation à
charge des parents qui doivent scolariser leurs enfants2486.
2053. L’article 62 alinéa 1 Cst. rappelle2487 que les cantons sont compétents
en matière d’instruction publique. Ces derniers disposent d’une grande auto-
nomie pour organiser la structure et l’encadrement scolaires2488. L’accueil des
enfants tziganes nomades dans les écoles et la gestion de leur scolarité est ainsi
de leur ressort.

B. La conciliation de la scolarisation obligatoire et de


l’identité minoritaire tzigane

2054. La tension existant entre l’obligation de donner aux enfants une éduca-
tion de base et les exigences posées par le respect de l’identité minoritaire tzi-
gane est illustrée de deux manières. Premièrement, nous allons examiner de
quelle façon les autorités scolaires s’efforcent de concilier la pratique effective
d’un mode de vie nomade avec la scolarisation obligatoire (1.).
2055. Deuxièmement, nous analyserons la compatibilité de la transmission
des connaissances et des compétences traditionnelles tziganes en matière
d’activités professionnelles avec la scolarisation obligatoire, d’une part, et
l’interdiction du travail des mineurs, d’autre part (2.).

1. Scolarisation et pratique du mode de vie nomade

1.1. La gestion du conflit d’intérêts

2056. Le Comité des droits de l’enfant, interprétant l’article 29 al. 1 let. c2489
et d2490 CDE, convient que la réalisation de ces deux dispositions peut parfois

2485
Un tel refus serait également constitutif d’une violation de l’interdiction de la discrimination, sur la
base du mode de vie ; WALDMANN (2003), p. 706.
2486
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1535; HÄFELIN/HALLER, N. 206
2487
Cette compétence est déjà déductible de l’art. 3 Cst. ; SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 5.
2488
ATF 130 I 352, 354 X. PLOTKE, p. 555.
2489
Art. 29 al. 1 let. c CDE: « Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à: (...)
inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs cultu-
relles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut
être originaire et des civilisations différentes de la sienne ».
2490
Art. 29 al. 1 let. d CDE: « Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à : (...)
préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de
compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et
groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ».

536
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire

mener à un conflit opposant des valeurs peu compatibles entre elles. Toutefois,
il souligne que leur intérêt réside précisément dans le fait qu’elles exigent une
approche pondérée et souple de l’éducation, qui permette de concilier les va-
leurs potentiellement conflictuelles de la culture de l’enfant et de la culture du
pays dans lequel il vit2491.
2057. La doctrine souligne que dans le domaine de la scolarité comme ail-
leurs, les droits fondamentaux des personnes appartenant à des communautés
minoritaires possèdent une fonction défensive à l’égard de l’Etat, contre une
assimilation culturelle et identitaire non souhaitée dans la société majori-
taire2492.
2058. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels insiste sur le
principe stipulant que l’éducation doit être disponible, accessible, acceptable et
adaptable pour tous les enfants2493. Ce quatrième critère signifie que
l’enseignement « doit être souple de manière à pouvoir être adapté aux (...) be-
soins des étudiants dans leur propre cadre social et culturel »2494.

1.2. Les intérêts conflictuels en cause

2059. La scolarisation des enfants tziganes nomades oppose schématique-


ment trois types d’intérêts : celui des enfants à recevoir une éducation et de ne
pas être discriminés en raison de leurs origines, celui des parents à pouvoir vi-
vre selon leur mode de vie nomade protégé et de ne pas subir de discrimina-
tion à ce sujet, et celui de l’Etat à scolariser les enfants2495.
2060. Il sied de s’interroger ici sur le respect de l’interdiction de la discrimi-
nation indirecte du fait que la scolarisation obligatoire crée des difficultés pra-
tiques de nature administrative et organisationnelle particulières, qui génèrent
des conflits rendant peu compatible ce mode de vie avec les contraintes de
l’école obligatoire2496. En effet, l’enfant doit en principe fréquenter l’école du
lieu où il réside, le séjour de fait étant seul décisif, et non le lieu de domicile lé-
gal2497.
2061. Dès lors, soit les parents se trouvent confrontés au moins une fois par
mois à de nouvelles autorités cantonales, soit l’enfant ne va à l’école que du-

2491
Observation générale n° 1 du Comité des droits de l’enfant, § 4.
2492
WYTTENBACH/KÄLIN, p. 320. Egalement : ATF 119 Ia 178, 196 A. und M. Voir par ailleurs nos déve-
loppements à ce sujet supra, Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 1.
2493
Observation générale n° 13 du CESCR, § 6.
2494
Observation générale n° 13 du CESCR, § 6.
2495
Judith WYTTENBACH et Walter KÄLIN qualifient ce type de conflits d’intérêts de « multipolare Grun-
drechtskonflikte » ; WYTTENBACH/KÄLIN, p. 321.
2496
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 47 ; RIEDER (1999), p. 166 ; WALDMANN (2003), p. 705.
2497
ZBl 2005 430 ; Arrêt du 29 novembre 2005, cause 2P.198/2005, consid. 1.1.1. ; ATF 129 I 12, 16 V.
BORGHI (art. 27), N. 49 ; SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 23.

537
La situation juridique des Tziganes en Suisse

rant les mois d’hiver, soit la famille reste sur une aire de stationnement dura-
ble le temps d’une année scolaire, voire de la totalité de la scolarité obliga-
toire2498. Ces difficultés poussent en règle générale les familles à arrêter leurs
caravanes durant toute la période de scolarisation, voire à se sédentariser en
abandonnant leur mode de vie2499.
2062. Or, ce n’est pas uniquement le mode de vie lui-même qui est alors re-
mis en cause : les liens étroits entre nomadisme et exercice d’une activité lucra-
tive ont pour conséquence que les exigences relatives à l’éducation des enfants
et celles relatives aux professions des parents s’opposent directement.
2063. En effet, les métiers pratiqués par les Tziganes nomades ne
s’accommodent pas de la sédentarité, puisqu’ils sont étroitement liés au mode
de vie nomade. Dès lors, il existe un risque important que les parents perdent
leur source de revenu. Ne disposant pas, en règle générale, des qualifications
nécessaires pour postuler à des emplois du troisième secteur, et pratiquant des
professions indépendantes, les difficultés économiques deviennent lourdes,
puisque les Tziganes n’ont alors pas accès aux prestations de l’assurance-
chômage2500.
2064. En outre, la scolarisation obligatoire au sein du système éducatif clas-
sique comporte un risque réel de déracinement socio-culturel des enfants par
rapport à leur famille et leur communauté. Ainsi, la formation qui y est offerte
est souvent perçue comme déformante par les parents en raison des risques
d’acculturation qu’elle possède: nombreux sont les enfants tziganes qui, ayant
suivi le cursus scolaire classique, se retrouvent déracinés au sein de leur com-
munauté, tout en continuant à être perçus comme des personnes non assimila-
bles par la société majoritaire. On ajoutera également le rejet et l’ostracisme
dont peuvent être l’objet les enfants tziganes se retrouvant dans une classe
d’enfants sédentaires et qui rendent leur quotidien très pénible2501.
2065. A priori, il existe ainsi un conflit entre le droit individuel de l’enfant à
obtenir une éducation de base équivalente à celle des autres, et le droit collectif
à la perpétuation de l’identité minoritaire tzigane. Dès lors, bien que
l’obligation de scolariser les enfants poursuive un intérêt public justifiant la
restriction des parents dans leur droit de choisir s’ils souhaitent envoyer leurs
enfants à l’école ou non, ces différents facteurs indiquent que le principe de

2498
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 452.
2499
RIEDER (1999), p. 166 ; WALDMANN (2003), p. 705 ; ZÜRCHER-BERTHER, pp. 47-48.
2500
Il résulte de l’art. 2 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas
d’insolvabilité, du 25 juin 1982 (RS 837.0 ; RO 1982 2184) que seules les personnes salariées sont
assurés en vertu de cette loi. Voir également l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie I, p.
46 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 50.
2501
ZÜRCHER-BERTHER, p. 49.

538
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire

proportionnalité est appelé à jouer ici également un rôle particulièrement im-


portant2502.

1.3. Les solutions concrètes dégagées par les autorités

1.3.1. Les exigences découlant de la promotion de l’intérêt de l’enfant

2066. Barbara WILSON souligne que le caractère obligatoire de l’école pri-


maire, combiné au droit à l’éducation, a pour conséquence que le système édu-
catif doit premièrement s’adapter aux intérêts prépondérants de l’enfant2503, et
dans un deuxième temps aux souhaits des parents2504. Cette opinion s’inscrit
en droite ligne des prises de position du Comité des droits de l’enfant, dans
son Observation générale n°12505, et du Comité des droits économiques, so-
ciaux et culturels, dans son Observation générale n° 132506.
2067. Dans un contexte de conflit culturel, la détermination de ce qui consti-
tue l’intérêt prépondérant de l’enfant n’est pas chose aisée et ne peut pas se
faire de manière abstraite. Judith WYTTENBACH et Walter KÄLIN énoncent une
série de critères pouvant servir de lignes directrices, parmi lesquels se trouvent
notamment la nécessité d’analyser l’impact du contenu de la formation offerte
par l’Etat sur la capacité de l’enfant à s’intégrer dans le monde professionnel,
mais également le risque d’une aliénation de l’enfant face à sa culture2507.

1.3.2. La politique des autorités cantonales

a) Le développement de solutions pragmatiques

2068. Il est difficile d’établir un tableau précis de la situation globale préva-


lant en Suisse, qui permettrait d’évaluer l’état objectif de la question de la sco-
larisation des enfants tziganes nomades. En effet, aucune étude détaillée n’a
été réalisée à ce jour sur ce sujet. Toutefois, du point de vue des Tziganes suis-
ses, les problèmes liés à la scolarisation des enfants sont tout à fait maîtrisables
actuellement2508.

2502
HÄFELIN/HALLER, N. 373-374.
2503
Dans ce sens, voir l’art. 3 al. 1 CDE: « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles
soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération
primordiale ».
2504
WILSON (1999), pp. 20-27, en particulier p. 27.
2505
Observation générale n° 1 du Comité des droits de l’enfant, du 17 avril 2001, Les objectifs de
l’éducation, UN Doc. CRC/GC/2001/1.
2506
Observation générale n° 13 du CESCR, du 8 décembre 1999, Le droit à l’éducation (art. 13 du
Pacte), UN Doc. E/C.12/1999/10.
2507
WYTTENBACH/KÄLIN, p.322.
2508
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48.

539
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2069. Selon l’évaluation du Conseil fédéral, la plupart des autorités scolaires


cantonales se révèlent flexibles dans ce domaine et les conflits se sont raréfiés
ces dernières années dans de nombreux cantons. Son rapport souligne que les
mesures nécessaires sont généralement déterminées de manière pragmatique
par les autorités scolaires pour concilier les exigences qui s’opposent2509.
2070. Le pragmatisme des autorités est bienvenu et reflète la concrétisation
du principe de proportionnalité. Etant donné que le droit à une éducation de
base est un droit justiciable, les autorités doivent accepter de procéder à des
adaptations. En effet, il faut permettre aux familles tziganes de parvenir à
composer entre leurs valeurs culturelles propres, d’une part, et l’acquisition de
connaissances et de compétences utilitaires nécessaires pour pouvoir interagir
avec leur environnement et la société majoritaire, d’autre part2510. De leur côté,
les parents doivent participer à l’élaboration de solutions qui permettent à
leurs enfants d’acquérir des outils pédagogiques minimaux.
2071. Dans ce contexte, il est difficilement contestable que la situation spéci-
fique de la minorité tzigane requiert de la part des institutions qu’elles fassent
preuve de souplesse en la matière2511.
2072. La solution plébiscitée par une majorité de cantons consiste à accepter
les enfants dans les classes ordinaires durant les mois d’hiver, au lieu de sta-
tionnement durable de leur famille. Incidemment, ce facteur renforce par ail-
leurs l’importance de l’existence de ce type de places en nombre suffisant. Du-
rant les mois d’été, les enfants sont dispensés de cours2512 et étudient par cor-
respondance, en recevant par la poste leurs cours, devoirs et corrigés de leurs
enseignants2513. Ce type d’enseignement engendre naturellement des lacunes
dans les connaissances et les mesures de soutien topiques visant à les combler
sont variables, selon le Conseil fédéral2514.
2073. Quant à la possibilité, pour les parents, de pouvoir prendre en charge
eux-mêmes l’éducation de leurs enfants, elle n’est pas facile à réaliser pour les
parents tziganes, au regard de la pratique des autorités en matière d’éducation
à la maison. En effet, bien qu’on ne puisse déduire de l’article 62 al. 2 Cst. de
monopole en faveur de l’école publique, les cantons ont toutefois l’obligation
de s’assurer que tous les enfants obtiennent une éducation de base équivalente

2509
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48. Voir également LIEGEOIS (1994), p. 206 ; ZÜRCHER-
BERTHER, p. 113.
2510
LIEGEOIS (1994), p. 216.
2511
WILSON (1999), p. 76.
2512
Comp. ainsi dans le canton de Vaud, pour l’année 2003-2004 : dix dispenses de cours pour plus
d’un mois (mars-juillet) ont été accordées par le département cantonal compétent à des enfants tzi-
ganes nomades en âge de scolarité obligatoire, sur la base des art. 167 et 168 du règlement de la
loi scolaire vaudoise, du 12 juin 1984 (RS/VD 400.01).
2513
Par exemple, en Ville de Berne, dans les communes de Bâle-Campagne, et dans la commune de
Versoix (GE) ; DFJP (1983), p. 32 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 113.
2514
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 47-48.

540
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire

à celle donnée dans leurs établissements scolaires2515. Ainsi, les parents qui
souhaitent prendre eux-mêmes en charge l’éducation de leurs enfants doivent
obtenir une autorisation ; dans la plupart des cantons, cette éducation doit être
donnée par des professeurs diplômés, et si les conditions ne semblent pas
remplies, les autorités compétentes peuvent ordonner le renvoi dans une école
publique2516.

b) Dans le canton de Genève

2074. Pour sa part, le canton de Genève a choisi une solution intéressante.


Les autorités scolaires ont mis sur pied un système où les enfants des familles
qui stationnent durablement sur l’aire du Molard, dans la commune de Ver-
soix, reçoivent chez eux un enseignement donné par des enseignants payés par
les familles tziganes, mais contrôlés par les services cantonaux.
2075. Le Conseil fédéral se montre critique à l’égard de cette situation, en la
jugeant comparable à la création de classes séparées pour enfants suisses et
étrangers, système qui s’avère contraire au principe d’égalité et d’interdiction
de la discrimination. Les autorités fédérales se déclarent ainsi plus favorables à
une solution où les enfants tziganes nomades sont intégrés dans le système
scolaire ordinaire2517.
2076. Si l’on ne peut que suivre le Conseil fédéral lorsqu’il refuse de créer
des classes séparées, de peur de tomber dans une situation de discrimination
analogue à celle que nous avons décrite lors de notre analyse de l’ACEDH
D.H. c. République tchèque2518, la solution genevoise présente toutefois de gran-
des similitudes avec l’enseignement à domicile que nous avons évoqué ci-
dessus. La différence réside dans le fait que ce n’est pas une famille qui
s’organise pour pouvoir scolariser ses enfants à la maison, mais plusieurs.
2077. Si le principe même de scolarisation à la maison est accepté – sous ré-
serve du respect de certaines conditions –, on doit pouvoir considérer que la
solution genevoise est acceptable, ce d’autant plus que les autorités cantonales
exercent un contrôle de la situation, et que les familles qui le souhaitent peu-
vent envoyer leurs enfants à l’école ordinaire2519. En effet, l’absence de mono-
pole étatique dans ce domaine a pour effet de rendre disproportionnée une po-

2515
SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 26. Les cantons peuvent toutefois interdire les écoles privées ; BORGHI
(art. 27), N. 39 et 50.
2516
DFJP (1983), pp. 30-31.
2517
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48.
2518
Supra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.2.3.
2519
Rapport du Conseil fédéral, Parte I, p. 48.

541
La situation juridique des Tziganes en Suisse

litique rendant l’enrôlement obligatoire des enfants tziganes nomades à l’école


publique2520.
2078. La situation à Genève n’est pas réellement comparable à la création de
classes spéciales au sein d’un établissement public, qui consacrerait le principe
de la ségrégation entre enfants tziganes et non-tziganes et qui poserait effecti-
vement de sérieux problèmes au regard du principe d’égalité et d’interdiction
de la discrimination2521.
2079. L’article 13 al. 1 CPMN oblige les Etats à reconnaître aux personnes
appartenant à une minorité nationale le droit de mettre sur pied et de gérer
leurs propres écoles, à titre d’alternative au système éducatif public2522. Cette
possibilité est conçue comme un « mécanisme de défense » des minorités face
au potentiel que possèdent les systèmes publics de ne pas prendre en considé-
ration les intérêts des minorités. La doctrine souligne ainsi que bien qu’on ne
puisse nier que ces établissements minoritaires consacrent une forme de sépa-
ration entre enfants minoritaires et majoritaires, l’élément clé qui les distingue
des classes séparées organisées par l’Etat est l’exercice de la liberté de choix
des personnes concernées2523.
2080. Certes, dans le cas de Genève, il ne s’agit pas d’écoles privées à pro-
prement parler. On peut toutefois y voir un exemple hybride d’enseignement,
à mi-chemin entre l’école à domicile, gérée par les parents, et la création d’une
école privée stricto sensu. Le fait que les autorités scolaires genevoises surveil-
lent la qualité de l’enseignement qui y est donné est, à nos yeux, le critère déci-
sif qui pousse à admettre ce type de solution.
2081. En outre, l’une des raisons de la réticence des parents tziganes à en-
voyer leurs enfants dans les écoles ordinaires est l’hostilité des autres enfants,
de leurs parents et de certains instituteurs qu’ils y rencontrent. On peut dé-
fendre l’idée qu’un enseignement à domicile, donné à plusieurs familles tziga-
nes en même temps, permet à la fois de respecter le droit à un enseignement
de base, tout en assurant que les enfants ne seront pas exposés à des situations
d’humiliation répétées.

2520
WALDMANN (2003), p. 706.
2521
LIEGEOIS (1994), p. 209 ; WILSON (1999), p. 76 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 115.
2522
Comp. l’art. 29 al. 2 CDE. Comp. également l’art. 2§4 de la Déclaration des Nations Unies sur les
minorités de 1992 qui, en posant le principe que les minorités ont le droit de créer et de maintenir
leurs propres associations, recouvre également le droit de créer des institutions scolaires propres
aux minorités; THORNBERRY (art. 13), p. 398.
2523
THORNBERRY (art. 13), pp. 395-396.

542
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire

2. L’interdiction du travail des enfants, la scolarisation


obligatoire et la transmission des savoirs traditionnels

2082. La question de la mise en oeuvre du droit à une éducation de base ne


se heurte pas uniquement à des difficultés liées directement à l’exercice d’un
mode de vie nomade. En effet, les enfants tziganes nomades sont en règle gé-
nérale intégrés très tôt dans les activités lucratives de leurs familles, non seu-
lement en raison du fait que cet apprentissage professionnel est considéré par
les Tziganes comme étant utile et nécessaire pour leurs enfants, mais égale-
ment parce que c’est un moyen essentiel pour transmettre et perpétuer
l’identité culturelle tzigane elle-même2524.
2083. Cette intégration a un double effet: premièrement, les enfants tziganes
sortent très tôt du système scolaire (2.1.), parfois même avant l’âge minimum
obligatoire, et par la même occasion commencent à travailler souvent plus tôt
que ce que n’autorise la loi (2.2.).

2.1. L’adéquation du système scolaire aux besoins socio-


professionnels des Tziganes nomades

2084. Les Tziganes suisses considèrent généralement que l’enseignement


prodigué dans les écoles ordinaires ne permet pas à leurs enfants d’acquérir
les connaissances qui leur donneront la possibilité de s’intégrer socio-
professionnellement au sein de leur communauté. En effet, les outils fournis
par l’école ne permettent pas aux enfants tziganes de parvenir à l’autonomie
recherchée pour tous les enfants scolarisés2525.
2085. En outre, les activités économiques promues par leur communauté re-
lèvent de l’artisanat, dont les techniques et le savoir-faire s’apprennent au sein
des familles depuis le plus jeune âge2526. Ces procédés pédagogiques ne sont
pas reconnus par la loi sur la formation professionnelle2527 au titre de forma-
tion professionnelle de base, reconnaissance que les Tziganes eux-mêmes ne
recherchent d’ailleurs pas à l’heure actuelle2528.
2086. Comme le Conseil fédéral l’admet lui-même, les autorités compétentes
peuvent rencontrer de grandes difficultés à peser correctement les intérêts en-
tre la nécessité de préserver le développement de l’enfant et les besoins de la
communauté, d’autant plus lorsque le bien-être de l’enfant est intimement lié à

2524
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 31-32.
2525
DFJP (1983), p. 11 ; LIEGEOIS (1994), pp. 199 et 202 ; THODE-STUDER, pp. 97-98 ; ZÜRCHER-BERTHER,
p. 48.
2526
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 44-45.
2527
Loi fédérale sur la formation professionnelle, du 13 décembre 2002 (LFPr ; RS 412.10 ; RO 2000
4557).
2528
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 45.

543
La situation juridique des Tziganes en Suisse

sa capacité d’intégration au sein de cette dernière2529. En effet, au vu des expé-


riences passées, et notamment des effets de l’Oeuvre des Enfants de la Grand-
Route, il est difficilement contestable que le bien-être de l’enfant ne passe pas
par une rupture socio-culturelle avec son milieu familial et identitaire
d’origine.
2087. En conséquence, ce n’est pas uniquement par souci de préservation de
la minorité elle-même qu’il convient d’aménager des solutions permettant aux
parents de transmettre leurs connaissances et compétences professionnelles
traditionnelles à leurs enfants : le respect de l’intégrité psychique de l’enfant et
de ses liens familiaux impose, au niveau individuel déjà, de faire preuve d’une
certaine souplesse en la matière. Des mesures trop strictes condamneraient
toute possibilité de dialogue et tout effort d’intégration de la minorité tzigane
au sein de la société civile, qui doit se faire dans le respect de son identité.

2.2. La réglementation entourant le travail des enfants

2088. Traditionnellement, et ce dès leur plus jeune âge, les enfants tziganes
se forment professionnellement auprès de leurs parents, en les aidant dans le
cadre de leurs activités. Or, la limite d’âge imposée par les normes en matière
de travail des enfants crée un obstacle non négligeable à l’instruction de la
jeune génération. Cette situation est d’autant plus problématique que, nous
l’avons vu, l’éducation et la formation « classiques » données par les écoles ne
sont pas nécessairement en adéquation avec les besoins spécifiques des com-
munautés tziganes.
2089. Le droit international érige en règle l’interdiction du travail des mi-
neurs de moins de dix-huit ans2530, des exceptions étant néanmoins possibles
selon le type d’activité envisagée. Ainsi, l’article 4 de la Convention n°138 de
l’OIT prévoit qu’en cas de nécessité et à certaines conditions, il est possible de
ne pas appliquer la convention à des catégories professionnelles limitées si son
application devait générer, dans ce contexte, des difficultés d'exécution spécia-
les et importantes. A teneur de l’article 7, entre treize et quinze ans, les mi-
neurs peuvent être employées à des travaux légers, sauf s’il existe un risque
pour leur santé ou leur développement, ou si leur assiduité scolaire est remise
en question.

2529
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48.
2530
L’art. 32 CDE interdit d’exposer les enfants de moins de dix-huit ans à l’exploitation économique et à
des travaux présentant un danger pour leur santé physique, psychique ou morale, et oblige les
Etats à fixer des âges minimum. Pour leur part, la Convention n° 138 de l’OIT du 26 juin 1973
concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi (RS 0.822.723.8 ; RO 2001 1427) impose aux
Etats la règle de l’âge de quinze ans minimum pour commencer à travailler, tandis que la Conven-
tion n° 182 de l’OIT du 17 juin 1999 concernant l’interdiction des pires formes de travail (RS
0.822.728.2 ; RO 2003 927) élève, dans ce contexte spécifique, la limite d’âge à dix-huit ans.

544
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire

2090. En droit fédéral, l’article 4 al. 3 LComIt renvoie aux dispositions topi-
ques de la loi fédérale sur le travail2531 en ce qui concerne l’âge minimum exigé
pour pouvoir exercer les métiers itinérants des Tziganes. L’article 30 al. 1 LTr
pose le principe de la limite inférieure de quinze ans, sous réserve d’exceptions
en faveur des mineurs de plus de treize ans, prévues par l’ordonnance
d’application de la loi2532. Etant donné qu’à cet âge les enfants sont soumis à la
scolarité obligatoire, les articles 52 et 53 de l’OLT 1 précisent que seules quel-
ques activités professionnelles légères leur sont permises, pendant un nombre
d’heures quotidiennes limitées, restreintes au cadre de magasins de vente au
détail et d’entreprises sylvicoles à partir de treize ans, puis étendues à d’autres
travaux légers à partir de quatorze ans.
2091. Ces professions ne recouvrant pas l’essentiel des métiers traditionnel-
lement exercés par les Tziganes, on pourrait donc a priori en conclure que seuls
les enfants tziganes ayant quinze ans révolus sont autorisés à travailler. Ce-
pendant, lorsqu’ils travaillent avec leurs parents, les jeunes gens le font dans le
cadre d’une entreprise familiale. Or, à teneur de l’article 4 LTr, ces activités
sortent du champ de la loi, les dispositions légales touchant à l’âge minimum
n’étant alors pas applicables.
2092. Toutefois, les articles 4 al. 3 LTr et 3 OLT 1 réservent l’application des
articles 29 al. 1 à 3, 30 et 31 LTr lorsque les jeunes gens travaillent dans
l’entreprise familiale conjointement avec d’autres travailleurs qui
n’appartiennent pas à la famille. Dans ce contexte, le régime ordinaire, no-
tamment en matière d’âge minimum, s’applique avec un plancher absolu de
treize ans pour certaines activités très légères2533. De même, lorsque le travail
envisagé implique l’emploi de matériel et d’outils dangereux, les jeunes de
moins de dix-huit ans ne peuvent le pratiquer2534.
2093. Ces deux hypothèses peuvent survenir dans le cadre de
l’apprentissage des compétences professionnelles traditionnelles des Tziganes,
générant un conflit entre les besoins culturels et professionnels de la minorité
et des familles tziganes, d’une part, et les exigences légales en matière de pro-
tection des droits fondamentaux des enfants dans le contexte professionnel,
d’autre part2535.

2531
Loi fédérale du 13 mars 1964 sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (Loi sur le tra-
vail ; LTr ; RO 1966 57 ; RS 822.11).
2532
Ordonnance 1 du 10 mai 2000 relative à la loi sur le travail (OLT 1 ; RO 2000 1581 ; RS 822.111).
2533
Art. 30 al. 2 LTr.
2534
Art. 47 let. a OLT 1.
2535
Voir l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 31-33.

545
La situation juridique des Tziganes en Suisse

C. Appréciation

2094. La question de la conciliation des exigences en matière de scolarisation


et de protection des droits des enfants, d’une part, et des besoins culturels et
professionnels des membres de la minorité tzigane, d’autre part, s’avère être
particulièrement délicate. Les autorités paraissent prendre acte de cette ten-
sion, et les progrès constatés en matière de dialogue avec les principaux
concernés et le développement de solutions pragmatiques en matière de scola-
risation obligatoire peuvent être salués.
2095. Toutefois, les problèmes rencontrés dans le domaine de l’activité pro-
fessionnelle des enfants de moins de quinze ans paraissent plus délicats à gé-
rer. Le manque de données et d’information pratiques sur la gestion quoti-
dienne de cet aspect de la problématique a pour effet qu’il nous paraît difficile
de dégager des solutions abstraites. Dans ce contexte également, une approche
pragmatique semble s’imposer, basée sur le dialogue entre la minorité tzigane
et les autorités, et sur l’information de ses membres. Une meilleure compré-
hension des activités traditionnelles tziganes et des modalités de l’intégration
des mineurs, mais également leur valorisation à l’extérieur de la communauté
pourraient former la base d’une résolution de ce conflit culturel complexe.

546
Titre Quatrième - La langue jénisch

Chapitre IV: Le statut de la langue jénisch en Suisse

2096. Après une présentation de la situation actuelle du jénisch en tant que


langue parlée au sein de la minorité tzigane suisse (A.), nous présenterons son
statut dans le paysage linguistique helvétique et les mesures prises par les au-
torités fédérales à son égard (B.).

A. La pratique du jénisch au sein de la communauté


tzigane suisse

2097. D’un point de vue linguistique, le jénisch est une langue tirant ses ra-
cines de l’allemand, du yiddish et du romani. Il est parlé par les communautés
jénisch de Suisse, de Belgique, d’Allemagne et d’Autriche et se distingue du
romani stricto sensu des communautés rroms/sinti2536. Le jénisch est qualifié de
"sociolecte"2537, de "dialecte ethnique de langue allemande"2538 ou encore
d'"ethnolecte"2539.
2098. Historiquement, cette langue a été développée au sein de la minorité
tzigane pour marquer sa différence avec la population majoritaire dans la-
quelle cette communauté évoluait. Dès lors, pour de nombreux Tziganes suis-
ses, le jénisch est considéré comme un langage secret, qui constitue un symbole
important de leur identité collective. Jusqu’à 2001, date de la publication du
premier dictionnaire jénisch, cette langue ne se transmettait que par oral et
n'avait jamais été écrite2540.
2099. Le caractère secret de cette langue demeure un facteur important,
ayant pour conséquence que la prise d’éventuelles mesures étatiques pour la
soutenir ou la promouvoir nécessite au préalable une concertation approfondie
au sein de la communauté elle-même. En effet, certains membres ne souhaitent
pas qu’elle sorte du cercle restreint de ses locuteurs2541. En l’occurrence, la mi-

2536
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR, p. 10. On soulignera, à la page 13 de ce premier
rapport, la confusion provoquée par une mauvaise citation du rapport initial suisse par le Comité
d’Experts, qui affirme que le gouvernement suisse reconnaît « les langues roms ».
2537
Réponse du Conseil fédéral au troisième rapport de l’ECRI sur la Suisse, du 17 juin 2003, CRI
(2004) 5, p. 33.
2538
Raymond G., Jr. GORDON (éd.), Ethnologue: Languages of the World, 15ème éd., Dallas, 2005.
2539
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 38.
2540
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 38.
2541
Réponse du Conseil fédéral du 15 septembre 2004 relative à l’interpellation 04.3347 Müller-Hemmi
du 16.06.04, Politique des minorités en Suisse, notamment pour les gens du voyage.

547
La situation juridique des Tziganes en Suisse

norité tzigane n’a pour l’instant émis aucun désir allant dans le sens de son en-
seignement dans les écoles publiques2542.
2100. Toutefois, l’existence et la pérennité de cette langue ont été mises en
danger par les politiques systématiques d’assimilation forcée qu’ont connues
les Tziganes suisses jusqu’à récemment. Ces dernières ont eu pour consé-
quence que les jeunes générations ne l’ont pas apprise en tant qu’enfants, ce
qui tendrait à faire penser que sa diffusion a diminué, voire régressé ces der-
nières années. Néanmoins, cette situation est certainement appelée à évoluer
du fait de l’intérêt croissant démontré à l’égard de cette langue par les jeunes
générations, comme de la culture jénisch de manière générale2543. Ainsi, des
échanges de vue entre la Confédération et la Radgenossenschaft der Landstrasse
ont démontré que les plus jeunes générations de Tziganes suisses sont désor-
mais de plus en plus sensibles à un apprentissage du jénisch2544.

B. La politique de la Confédération à l’égard de la


langue jénisch

2101. La langue jénisch possède un statut particulier en Suisse, au regard de


la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1.), qui a pour
conséquence que la Confédération envisage de développer une politique de
soutien à son égard (2.).

1. Le jénisch en tant que « langue nationale non


territoriale » suisse

2102. Le sort de la langue jénisch ne laisse pas indifférentes les autorités fé-
dérales. Lors de la ratification de la Charte européenne, en effet, la Suisse a
constaté que cette langue pouvait être qualifiée de « langue nationale non terri-
toriale » suisse au sens de cet instrument (article 1er let. c)2545, plus précisément
de « langue traditionnelle dépourvue de territoire »2546. En 2002, le Conseil fé-
déral a publiquement déclaré reconnaître le jénisch, au sens de l’article 3§1
CLRM, lors de l’adoption du deuxième rapport de la Suisse relatif à la

2542
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 39.
2543
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16. Voir également le Premier rapport du Comité
d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, pp. 10 et 14.
2544
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, pp. 38-39.
2545
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1118. Voir également le
site de l’Office fédéral de la culture consacré aux « Gens du voyage » http://www.bak.admin.ch
[site consulté le 12 août 2006].
2546
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16.

548
Titre Quatrième - La langue jénisch

CLRM2547. Selon le Conseil fédéral, « il ne fait ainsi aucun doute que le [jé-
nisch] est officiellement reconnu comme faisant entièrement partie du patri-
moine culturel suisse »2548.
2103. Dans le paysage plurilinguistique que connaît la Suisse, avec ses qua-
tre langues nationales, la situation du jénisch est atypique. En effet, considérée
comme étant une « langue nationale » protégée par le droit international, elle
n’est toutefois pas formellement consacrée comme telle dans la Constitution
fédérale, au contraire des autres langues nationales.
2104. A notre sens, qualifier le jénisch de « langue nationale sans territoire »,
ou encore de « langue traditionnelle», lui octroie clairement une position privi-
légiée par rapport à d’autres idiomes employés par des fractions plus
importantes de la population résidant en Suisse, comme l’espagnol, le turc ou
encore le serbo-croate, issus de l’immigration2549. Ceci signifie également que
le jénisch n’est pas considéré comme un simple dialecte car, a contrario, la
CLRM ne pourrait pas lui être appliquée (article 1er, let. a, ii).
2105. La politique de soutien que nous allons présenter ci-dessous démontre
que le jénisch, à l’instar de la minorité qui le parle, semble effectivement pos-
séder un statut particulier, à mi-chemin entre celui dont bénéficient les langues
nationales historiques de la Suisse, et celui des langues issues de
l’immigration. Nous constaterons que ce statut n’est pas très satisfaisant.

2. Le soutien de la Confédération apporté à la langue


jénisch sur la base de la CLMR

2106. La politique des autorités fédérales à l’égard de la langue jénisch n’est


pas encore précisément définie et demeure à un stade embryonnaire, appelé à
évoluer ces prochaines années. En outre, seule la Confédération est à même de
soutenir le jénisch, puisqu’au vu de la dispersion territoriale de ses locuteurs et
de la fraction extrêmement faible qu’ils représentent dans chaque canton, il est
douteux d’envisager que cette langue puisse faire partie des idiomes
« autochtones », au sens de l’article 70 al. 2 Cst., que les cantons doivent pren-
dre en considération2550.
2107. En l’état actuel, le droit fédéral des langues – tant le bloc constitution-
nel qui le consacre que le droit ordinaire qui le met en œuvre2551 – ne fait nulle

2547
Communiqué de presse du 20 décembre 2002 ; voir également le troisième rapport suisse relatif à
la CLMR, p. 39.
2548
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 37.
2549
Comp. la position de DESSEMONTET, p. 7, antérieure à la ratification de la CLMR, qui affirme que
« notre Etat central n’est pas tenu de prendre des mesures quelconques en faveur des minuscules
minorités qui parlent le jiddisch du Surbtal ou le jenisch des Tziganes ».
2550
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 655.
2551
Au sujet du droit fédéral des langues, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 642.

549
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mention du jénisch. Au moment de la ratification de la CLRM, le Conseil fédé-


ral a relevé que du fait de l’absence, à cette époque, de revendications de la
part des personnes parlant le jénisch, cette langue n’avait jamais été prise en
considération dans la politique linguistique suisse2552. Néanmoins, l’évolution
récente de la prise de conscience et des revendications au sein de la minorité
tzigane tend à démontrer que cette situation est en train de changer.
2108. Les différentes prises de position des autorités fédérales illustrent leur
souhait de parvenir à promouvoir cette langue, en application de la CLRM et
en suivant les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe2553. Ainsi, la Confédération envisage d’adopter des mesures
d’encouragement à l’égard du jénisch, qui restent à préciser, en tenant compte
des besoins et des vœux de la minorité tzigane, et en respectant leurs tradi-
tions2554.
2109. Au regard de la CLRM, les Etats doivent notamment encourager leur
utilisation dans la vie privée et publique (article 7 § 1 let. d), créer des structu-
res permettant aux non-locuteurs d’apprendre cette langue s’ils le souhaitent
(article 7 § 1 let. g) et prévoir la possibilité d’études ou de recherches sur ces
langues au niveau universitaire (article 7 § 1 let. h). Sur ces points, le Comité
d’Experts de la CLRM a constaté, dans son deuxième rapport, que ces mesures
ne constituaient pas encore des objectifs fixés par le gouvernement suisse par
rapport au jénisch2555.
2110. Dans son troisième rapport périodique relatif à la CLRM, le Conseil
fédéral a souligné que, suite à une prise de contact entre l’Office fédéral de la
culture et l’association faîtière Radgenossenschaft der Landstrasse, il est apparu
qu’une majorité de Tziganes suisses estimaient que le climat social nécessaire
pour qu’ils utilisent volontiers cette langue en public n’existait pas encore. Les
effets de l’Oeuvre de la Grand Route se font ainsi également sentir dans ce
contexte. En effet, la crainte d’être stigmatisés et d’être à nouveau opprimés
rend encore réticents une majorité des Tziganes suisses, qui souhaitent atten-
dre qu’une véritable relation de confiance ait pu être établie entre la société
majoritaire et leur communauté pour pouvoir employer leur langue sans se ca-
cher2556.

2552
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1118. Voir également le
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 11.
2553
Recommandation RecChL (2004) 5 du Comité des Ministres relative à l’application de la Charte des
langues minoritaires ou régionales par la Suisse, du 22 septembre 2004.
2554
Avant-projet de rapport, Partie I, p. 48-50 ; troisième rapport suisse relatif à la CLMR, pp. 39-41.
2555
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 11.
2556
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, pp. 39-40.

550
Titre Quatrième - La langue jénisch

3. La reconnaissance d’une nouvelle minorité linguistique


suisse ?

2111. Une langue protégée par la CLMR ne doit pas nécessairement être une
langue minoritaire au sens du droit des minorités : les deux statuts peuvent se
compléter mais ce n’est pas une nécessité. Dès lors, en sus de l’admission du
caractère national et non territorial du jénisch, on s’interrogera sur la possibili-
té de considérer que les Tziganes suisses forment une minorité linguistique, au
sens du droit international des minorités.
2112. Dans son rapport initial présenté au Secrétaire général du Conseil de
l’Europe en vertu de l’article 15 CLRM, le Conseil fédéral répond par la néga-
tive. En effet, il considère que les Tziganes suisses ne forment pas une minorité
linguistique, mais une minorité « culturelle ».
2113. Selon le Conseil fédéral, le soutien dont cette langue bénéficie ne peut
donc pas être attribué à la politique linguistique de la Suisse, mais est accordé
au titre de promotion culturelle uniquement, et dans le cadre du soutien finan-
cier que la Confédération apporte aux organisations représentatives de ses lo-
cuteurs, à savoir la Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses »
et la Radgenossenschaft2557. A notre sens, cette vision renforce le caractère hy-
bride du statut du jénisch que nous évoquions précédemment.
2114. S’exprimant précisément sur la situation de cette langue en Suisse, le
Comité d’Experts de la CLRM considère que le soutien financier d’institutions
à but culturel n’a pas le même poids et la même importance qu’une reconnais-
sance officielle, qui fait d’une langue l’expression de la richesse du patrimoine
culturel d’un Etat, au sens de l’article 7 § 1 let. a CLRM2558. Le Comité souligne
également que vouloir préserver l’identité culturelle des Tziganes suisses
d’une manière générale n’est pas synonyme de prise de mesures facilitant ou
encourageant l’emploi du jénisch lui-même. En conséquence, il encourage la
Suisse à ouvrir le dialogue dans ce sens avec les membres de sa communauté
jénisch2559.
2115. Concrètement, la position défendue par la Suisse sur cette question a
pour effet qu’une disposition comme l’article 70 al. 3 Cst., qui encourage la
compréhension et l’échange mutuels entre les diverses communautés linguis-
tiques, ne paraît pas pouvoir s’appliquer au jénisch, puisque la politique lin-
guistique suisse se concentre sur les quatre langues nationales2560.

2557
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 11 ; Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR rela-
tif à la Suisse, p. 13.
2558
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 13.
2559
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 14.
2560
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 14.

551
La situation juridique des Tziganes en Suisse

2116. L’approche des autorités fédérales est donc discutable car, en tant que
langue méconnue et atteinte par l’assimilation forcée de ses locuteurs, la fragi-
lité de l’existence du jénisch est semblable, voire supérieure, à celle du roman-
che. Par ailleurs, le contexte historique et sociologique des relations entre tzi-
ganes suisses et société majoritaire renforce cette nécessité d’intégration2561.
2117. En conséquence, des efforts accrus en matière de compréhension et
d’échanges entre les communautés seraient particulièrement appropriés, aussi
bien pour le jénisch lui-même que pour la minorité tzigane dans son ensem-
ble2562. De tels efforts devraient permettre aux membres de cette minorité de
tisser des liens de confiance avec les autorités et la majorité sociale qui font en-
core défaut. La réticence des Tziganes suisses à l’égard des initiatives de la
Confédération envers le jénisch se fonde essentiellement sur la crainte de la
stigmatisation dont ils pourraient faire l’objet. Un travail de communication et
d’échange constituerait la première étape pour permettre à terme de soulager
ces craintes.
2118. La situation est cependant susceptible d’évoluer puisque, dans le
deuxième rapport périodique suisse, le gouvernement suisse indique que
l’Office fédéral de la culture étudie la possibilité de faire figurer dans la nou-
velle loi fédérale sur les langues les conditions nécessaires à la promotion du
jénisch et aux échanges entre les communautés2563. En outre, les autorités fédé-
rales considèrent que le programme national de recherche 56, consacré à la
« Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse » et devant ser-
vir de base scientifique aux objectifs de la politique nationale linguistique,
permettra de prendre en compte les exigences de la langue jénisch, à l’instar de
celles des autres « minorités linguistiques reconnues de Suisse »2564.
2119. Si elles devaient être réalisées, ces différentes démarches tendraient à
rapprocher le statut spécial de cette langue à celui, ordinaire, des quatre lan-
gues nationales au sens de la Constitution fédérale. Toutefois, l’avant-projet de
loi fédérale sur les langues2565, soumis à consultation et ayant récolté une large
approbation, ne contenait aucune disposition consacrée au jénisch.
2120. En outre, le Conseil fédéral a finalement renoncé à présenter le projet
au Parlement en 2004, considérant le droit en vigueur suffisant2566. Cependant,
suite à une initiative parlementaire2567, le Parlement s’est saisi lui-même de la

2561
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 11.
2562
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 12.
2563
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 39.
2564
Avant-projet de rapport, Partie I, pp. 49-50. On soulignera que le programme national de recherche
51 « Intégration et exclusion », courant de 2002 à 2006, comporte pour sa part trois projets consa-
crés à l’histoire des Tziganes en Suisse.
2565
Disponible sur le site de l’OFC, http://www.bak.admin.ch [consulté le 6 juin 2006].
2566
Communiqué de presse du Conseil fédéral du 29 avril 2004 « Le Conseil fédéral renonce à la loi sur
les langues ».
2567
Initiative parlementaire Levrat, 04.429, Loi fédérale sur les langues.

552
Titre Quatrième - La langue jénisch

question pour pouvoir examiner ce projet sans l’aval de l’exécutif. A ce jour, il


est donc impossible de déterminer si cette loi sera finalement adoptée et quel
sera son contenu, en particulier du point de vue du jénisch.
2121. Que le jénisch soit considéré ou non comme une langue minoritaire en
Suisse au sens du droit des minorités, la CLRM engage les Etats parties à mo-
difier leurs politiques et leurs objectifs en faveur des langues protégées par cet
instrument. Enfin, le renforcement de la place du jénisch dans le paysage lin-
guistique suisse ne peut qu’avoir une influence directe et positive sur celle de
ses locuteurs et donc de la minorité tzigane elle-même.
2122. Ainsi que le souligne le Conseil fédéral2568, la langue jénisch joue un
rôle important pour la reconnaissance des Tziganes en tant que minorité na-
tionale au sens de la CPMN, du fait qu’il s’agit d’un élément fondamental de
leur culture et de leur identité. De ce fait, elle contribue clairement à définir
largement le cercle d’appartenance à la minorité tzigane, en incluant égale-
ment dans ce groupe celles et ceux ne vivant plus selon un mode de vie no-
made.

2568
Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse conformément à l’art. 15 CLMR, du 14 janvier
2004, MIN-LANG/PR (2003) 3, p. 35 ; Réponse du Conseil fédéral du 15 septembre 2004 à
l’interpellation 04.3347 Müller-Hemmi du 16 juin 2004, Politique des minorités en Suisse, notam-
ment pour les gens du voyage.

553
La situation juridique des Tziganes en Suisse

554
Titre Quatrième - Synthèse et conclusion

Synthèse et conclusion

2123. Le présent Titre avait pour objectif de dresser le tableau du degré


d’intégration des droits fondamentaux des Tziganes dans le droit ordinaire, en
particulier lorsqu’ils exercent leur mode de vie traditionnel. A travers notre
analyse du droit de l’aménagement du territoire, des exigences en matière de
domicile, de la tension existant entre l’identité culturelle tzigane et la scolarisa-
tion obligatoire, ainsi que de la reconnaissance de la langue jénisch, nous
avons pu parvenir à plusieurs constats.
2124. Le statut de communauté protégée par le système international du
droit des minorités ne confère ni droits, ni prétentions absolus aux Tziganes.
Imposer des restrictions à leurs droits fondamentaux n’est pas seulement pos-
sible, mais également nécessaire : cette minorité n’est précisément en marge de
la société, mais en fait partie. Elle n’est donc pas au-dessus des lois. Toutefois,
ces dernières doivent elles-mêmes respecter les normes qui leur sont supérieu-
res, et notamment celles qui exigent de prendre en compte les particularités
identitaires de cette communauté.
2125. Cette exigence peut être remplie de deux manières. Premièrement, le
droit ordinaire en vigueur offre de nombreuses possibilités d’intégrer les
droits des Tziganes. Ainsi, un effort systématique d’interprétation conforme
du droit ordinaire aux droits fondamentaux individuels des Tziganes et au
droit des minorités permettrait d’ores et déjà de parvenir à des résultats très
intéressants, notamment en matière d’aménagement du territoire et de la sco-
larisation obligatoire des enfants.
2126. A cet égard, le potentiel d’une interprétation conforme de l’article 24
let. a LAT pour l’aménagement d’aires de stationnement en est une bonne il-
lustration. D’une manière générale, la pesée des intérêts possède pour sa part
un rôle de premier plan, soit en amont, lors de la création d’écoles tziganes pri-
vées sous la surveillance de l’Etat, soit encore en aval, lors de l’examen des
effets d’un refus d’octroi d’autorisation.
2127. Toutefois, pour porter ses fruits, la démarche de l’interprétation
conforme nécessite au préalable une sensibilisation des autorités à la problé-
matique des Tziganes, du point de vue de leurs droits fondamentaux et non
pas uniquement du point de vue des troubles à l’ordre public. Force est de
constater que cette sensibilisation ne se rencontre pas encore partout.
2128. Deuxièmement, l’intégration des droits fondamentaux des Tziganes
dans le droit ordinaire exige également la révision et l’abrogation de normes
en vigueur, voire l’adoption de nouvelles. En effet, certaines d’entre elles, par
leur silence, consacraient une assimilation des Tziganes nomades aux séden-
taires, qui n’est pas justifiée au regard de l’interdiction de la discrimination.

555
La situation juridique des Tziganes en Suisse

Parmi ces réglementations, on évoquera notamment celles en matière


d’assujettissement à l’autorisation de construire des caravanes stationnées
pour une courte durée hors d’un terrain prévu à cet effet. Le droit cantonal
doit non seulement prévoir de telles exceptions, mais qu’il se justifiait égale-
ment de prévoir un régime plus favorable en faveur des caravanes apparte-
nant à des Tziganes par rapport à celles de sédentaires en vacances.
2129. Enfin, la question de la constitution d’un domicile au sens de l’article
23 CC illustre un problème particulier. Une interprétation conforme aux droits
fondamentaux permettrait théoriquement de trouver une solution adéquate
pour les Tziganes nomades, eu égard aux exigences de l’article 23 CC, en dési-
gnant les lieux de stationnement pour l’hiver à cet effet.
2130. Or, l’absence de places adéquates en nombre suffisant fragilise l’intérêt
de cette option. Ce hiatus entre l’existence d’une solution juridique idéale et sa
mise en œuvre concrète doit être reconnu par les autorités dans le développe-
ment de leurs politiques en la matière. L’exemple du domicile démontre ainsi
qu’il est dangereusement réducteur de se satisfaire d’une réponse théorique
sans émettre de réserve relative à la situation in concreto des principaux inté-
ressés.

556
Conclusion générale

2131. Notre étude a montré qu’historiquement, le droit a été employé par


l’Etat pour placer et maintenir la communauté tzigane au ban de la société.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’a jamais été question de l’intégrer dans le Contrat so-
cial cher à Jean-Jacques ROUSSEAU. Les relations conflictuelles qui ont marqué
les relations entre les autorités et la société majoritaire, d’une part, et les Tzi-
ganes, d’autre part, nourrissent aujourd’hui les préjugés et la méfiance réci-
proques, en maintenant cette minorité dans un état socio-économique précaire
et vulnérable. Bien que les torts commis par le passé soient désormais recon-
nus et dénoncés, ils influencent encore le dialogue entre cette communauté et
les autorités et entretiennent l’existence d’une discrimination structurelle à
l’égard des Tziganes.
2132. Ce dialogue s’est toutefois renforcé depuis près de dix ans et s’est ac-
cru depuis la reconnaissance formelle des Tziganes en tant que minorité natio-
nale suisse. Ce changement radical du statut juridique des Tziganes en Suisse,
de marginaux asociaux à des membres d’une communauté appartenant plei-
nement à la société suisse, s’est opéré en plusieurs étapes.
2133. Premièrement, la consécration des droits de l’homme et de la dignité
humaine de tous les individus a conduit à l’arrêt des persécutions destructrices
commises notamment à l’égard des familles, par le biais du placement des en-
fants tziganes dans des institutions. Puis, la valorisation de leur identité cultu-
relle et la protection de leur communauté en tant que telle a été réalisée par
l’octroi du statut de minorité au sens du droit international.
2134. L’application du système de protection des minorités est une véritable
nécessité pour une protection adéquate des droits des Tziganes, en Suisse
comme ailleurs. Cet outil engage les autorités à prendre des mesures de sou-
tien, visant à perpétuer et à préserver l’identité du groupe lui-même. Il replace
les Tziganes dans leur contexte ethno-culturel spécifique, en les distinguant
des autres particuliers exerçant un mode de vie nomade.
2135. Toutefois, pour remplir ses objectifs, ce système doit être correctement
employé : sa facette collective doit être pleinement intégrée dans les politiques
des autorités. La vulnérabilité et les particularités identitaires de la minorité
tzigane ne permettent pas de se restreindre à l’approche individualiste em-
ployée traditionnellement dans la pratique suisse, notamment du juge consti-
tutionnel.
2136. Au cours de notre étude, l’importance de la dimension internationale
de la problématique est apparue clairement. Les Tziganes suisses sont une mi-
norité nationale suisse, à caractère ethno-culturel. Ils appartiennent toutefois à
une communauté dispersée sur l’ensemble du continent européen, et il est

557
La situation juridique des Tziganes en Suisse

même envisageable de considérer qu’elle forme un peuple, cherchant au-


jourd’hui à affirmer son droit au respect de ses particularités, à valoriser sa
culture et à obtenir une forme d’autonomie décisionnelle.
2137. Les efforts consentis par les autorités sont récents et encore embryon-
naires, car la prise de conscience des apports des outils juridiques internatio-
naux n’en est qu’à ses débuts. De plus, la tâche est extrêmement complexe, en
raison de la dispersion géographique de cette communauté et des différences
socio-économiques, mais également culturelles, qui en découlent. Leurs spéci-
ficités par rapport à d’autres minorités, mais également par rapport à d’autres
peuples, y compris indigènes, ont pour effet qu’à ce stade, il est difficile de dé-
terminer exactement quel système de protection – des minorités ou des peu-
ples autochtones – serait à même de leur être le plus avantageux.
2138. En l’occurrence, il revient essentiellement aux principaux intéressés de
décider de quelle manière ils souhaitent se positionner au sein des sociétés
dans lesquelles ils vivent, en recherchant une meilleure intégration ou au
contraire une plus grande autonomie. Il est encore trop tôt pour pouvoir don-
ner une réponse tranchée, mais il est impossible d’exclure a priori l’une ou
l’autre alternative.
2139. Dans ce contexte, déterminer si les Tziganes suisses forment ou non un
peuple tribal, ou au contraire une « simple » minorité, importe peu au regard
des efforts qu’il reste à consentir pour améliorer leur situation socio-
économique. Tant le droit des minorités que la Convention n° 169 imposent
une protection de leur groupe, l’adoption de mesures permettant la perpétua-
tion de leur identité, une pleine réalisation de l’égalité en fait et en droit de ses
membres, la création d’aires de halte suffisantes qualitativement et quantitati-
vement, leur participation et la consultation systématiques sur les points qui le
concernent, mais également la prise en compte des besoins des Tziganes
étrangers.
2140. En réalité, ce n’est pas pour l’Etat que la question de l’opportunité de
la ratification de la Convention n° 169 représente un enjeu, puisque matériel-
lement, on ne constate aucune différence essentielle dans le degré des enga-
gements internationaux et des obligations à charge des autorités. C’est à la
communauté tzigane de Suisse que la ratification de la Convention n° 169 pose
un vrai challenge, et c’est à elle qu’il revient de s’interroger sur les conséquen-
ces sur sa place et son intégration au sein de la société majoritaire d’une mise
en œuvre de cet instrument. Il ne nous appartient pas de prendre position sur
cette question.
2141. Face au constat de l’existence de la dimension internationale et trans-
nationale de la protection des droits des Tziganes, il n’est pas surprenant que
les organisations internationales, en particulier celles régionales européennes,
se préoccupent de la question. En cherchant à élaborer des politiques globales,
coordonnées entre les Etats et destinées à améliorer la situation des Tziganes

558
Conclusion générale

dans tous les pays, leur action ne peut être ignorée. En créant le FERV, le
Conseil de l’Europe a ainsi permis aux Tziganes de devenir les interlocuteurs
des Etats au niveau international, afin qu’ils puissent donner leur opinion
quant aux mesures qui les concernent.
2142. Le droit des minorités exige que la participation de la communauté tzi-
gane soit également rendue possible aux niveaux locaux et nationaux. En
Suisse, il convient de systématiser la consultation des organisations de défense
des droits des Tziganes et de leur reconnaître la qualité pour recourir dans les
procédures portant sur des mesures affectant leur identité minoritaire.
2143. Si la consécration d’un droit de recours spécial pourrait s’avérer à
terme la meilleure solution, une première étape serait déjà franchie en inter-
prétant la qualité pour recourir des Tziganes nomades, voire des Tziganes sé-
dentarisés, à la lumière des exigences du droit des minorités. L’admission de
leur légitimation active dans le cadre de recours contre des actes touchant
leurs possibilités d’exercer leur mode de vie culturel protégé ouvrirait de nou-
veaux horizons au recours corporatif égoïste de leurs associations.
2144. Le fédéralisme et la répartition des compétences en matière de gestion
du territoire et de ses ressources ont pour conséquence que les solutions
concrètes pour développer les possibilités de stationnement légal des carava-
nes tziganes doivent se trouver au niveau communal. Toutefois, une coordina-
tion cantonale, régionale et même nationale est impérative, afin d’assurer la
concrétisation des projets d’aménagement de places. En conséquence, un en-
gagement politique, juridique et financier doit être réalisé par toutes les collec-
tivités qui sont solidairement responsables à l’égard de cette minorité.
2145. Leur responsabilité juridique découle de l’article 35 Cst. et leurs autori-
tés ne sauraient opposer des arguments d’opportunité politique fondés essen-
tiellement sur des réticences trouvant leurs racines dans des préjugés. Il est
ainsi fondamental de ne plus gérer la question de l’accueil des Tziganes no-
mades uniquement comme un problème de police.
2146. Ainsi que l’a affirmé le Tribunal fédéral, les Tziganes suisses font par-
tie de la population, leurs besoins doivent être pris en compte et leur réalisa-
tion poursuit un intérêt public légitime qui doit être soutenu. Parmi toutes les
collectivités suisses, la Confédération a à sa charge l’obligation la plus impor-
tante : s’assurer que la minorité tzigane suisse ne disparaisse pas à terme, par
un effet d’assimilation indirecte. Il lui revient donc d’encourager les autorités
locales, d’informer la population au niveau national, d’agir dans le champ de
ses compétences, de proposer des lignes directrices, voire des modifications
législatives.
2147. Au regard des droits fondamentaux impliqués dans le cadre de
l’exercice du mode de vie nomade, il est nécessaire de procéder à leur interpré-
tation en prenant en compte les besoins particuliers qui accompagnent ce

559
La situation juridique des Tziganes en Suisse

mode de vie spécifique. La liberté d’établissement et de circulation ne peuvent


pas être hypothéquées ou mises au conditionnel du fait de l’exercice d’un au-
tre mode de vie. Le respect de la dignité humaine et des conditions de loge-
ment acceptables ne peuvent pas être mis entre parenthèses dès lors que l’on
ne vit pas dans un appartement. La scolarisation des enfants ne doit pas se
faire au détriment de la disparition des savoirs traditionnels de la communau-
té et de son appauvrissement culturel. La responsabilité individuelle impose
certes au particulier de s’assumer, mais il revient également à l’Etat d’accepter
et de soutenir les différences culturelles, a fortiori lorsqu’il les reconnaît officiel-
lement et déclare vouloir les préserver et les aider à se perpétuer. Une appro-
che nuancée, donnant la priorité au principe de proportionnalité et en particu-
lier à la pesée des intérêts, s’impose. Des solutions nouvelles, inédites, doivent
être développées en partenariat avec la minorité tzigane elle-même.
2148. En outre, l’engagement des collectivités à l’égard de la minorité tzi-
gane suisse ne doit pas mener à terme à sa ghettoïsation. Ainsi, la création
d’un réseau d’aires de halte en nombre et qualité suffisants ne doit pas
conduire à exclure les Tziganes suisses du reste du territoire helvétique. Leur
marginalisation socio-économique pourrait alors s’aggraver. Il revient donc
aux autorités de développer des solutions en matière de droit de
l’aménagement du territoire et de la construction qui permettent d’effectuer un
stationnement temporaire spontané de manière légale sur l’ensemble du terri-
toire suisse.
2149. La problématique du domicile légal et de la désignation des aires de
stationnement d’hiver à cet effet illustre la difficulté centrale que l’on rencontre
pour parvenir à une réalisation effective des droits fondamentaux des Tziga-
nes. Dans ce contexte précis, leur intégration juridique, sociale et politique en
tant que membres d’une minorité nationale est dépendante d’une amélioration
significative de leurs conditions de vie matérielles. Il est indéniable que le droit
peut être interprété et modifié de façon à ce que le cadre juridique permette à
ces conditions de se développer et de s’affirmer. Toutefois, leur concrétisation
exige une volonté politique claire.
2150. Certes, jusqu’à un certain point, le juge peut sanctionner les réticences
des autorités locales, mais son efficacité demeure limitée dans des domaines
où la répartition des compétences fragmente le nombre d’interlocuteurs et
fractionne les responsabilités. En outre, la discrimination structurelle est un
phénomène qui ne se combat pas uniquement par l’affirmation de l’égalité en
droit, mais avant tout par la poursuite de l’égalité en fait, en démantelant ses
sources au sein de la société civile.
2151. A l’image du renversement de perspective qu’a connu le statut juridi-
que des Tziganes en l’espace de quelques décennies, la vision politique des au-
torités doit également se transformer pour que les progrès formels dont béné-
ficient désormais les Tziganes suisses soient enfin suivis d’effets concrets.

560
Index

Index

Les numéros renvoient aux paragraphes

-A-
Aménagement du territoire
-autorisation ordinaire de construire (22 LAT)
-principe 1524-1529
-soumission d’une caravane à l’--- 1547-1554
-exemption à l’assujettissement d’une
caravane 1547-1554 ; 1555-1564
-soumission d’une aire à l’- 1659-1661
-autorisation de construire dérogatoire (24 LAT)
-principe 1530-1536
-et création d’aires 1243 ; 1657 ; 1757-1812 ; 1836-1841 ; 1939
-autorisation de police 1565-1571
-domaine public (voir cette entrée)
-droits fondamentaux et --- (voir aussi Discrimi- 1537-1546 ; 1611-1613
nation, Droit des minorités, Droit au logement,
Droit au respect de la vie privée et familiale, Droit
au respect du domicile, Egalité, Liberté
d’établissement, Liberté économique, Liberté de
mouvement)
-planification 1607-1661
-plan d’affectation
-contenu 1512-1522
-et création d’aires de
stationnement 1629-1658
-modification 1647-1658
-obstacles à l’adoption (voir
également Référendum) 1684-1756
-plan directeur
-contenu 1508-1511
-et création d’aires de
stationnement 1614-1628
-zones adéquates (voir Aire de stationnement –
création d’une aire)

Aire de stationnement
-création d’une aire
-hors d’une zone à bâtir (voir
Aménagement du territoire – autorisa-
tion dérogatoire)
-par la voie de la planification (voir
Aménagement du territoire –
planification)
-par la voie de l’autorisation dérogatoire
(24 LAT) (voir Aménagement du terri-

561
toire – autorisation dérogatoire)
-par des exploitants agricoles 1813-1835
-zones adéquates 1414 ; 1607-1610 ; 1634-1640
-durable
-nécessitée d’un réseau suffisant
d’aires -- 1239-1243 ; 1364-1373
-lacunes 220-232
-équipement minimal de l’aire (voir également
Droit au logement) 1678-1683
-en tant que domicile 1228-1234
-temporaire (voir Arrêt temporaire hors d’une
aire)

Arrêt d’une caravane


-durable
-hors d’une aire 1488-1493
-conditions de la légitimité de
l’éviction de caravanes 879-883 ; 1200-1212 ;1243 ; 1267 ; 1268-1295 ;
lors d’un -- 1383-1395
-sur une aire
-conditions 1565-1571 ; 1663-1677
-et planification (voir Aire de stationnement –
création d’une aire)
-temporaire
-hors d’une aire
-nécessité des-- 1265-1266 ; 1357-1363 ; 1415 ; 1488-1491
1555-1564 ; 1604-1606
- licéité des—(voir également 1243 ; 1547-1554 ; 1555-1564 ; 1572-1693 ;
Domaine public) 1813-1841
-conditions de la légitimité de
l’éviction de caravanes 1200-1212 ; 1267 ; 1268-1295 ; 1383-1395 ;
lors d’un -- 1586-1603
-sur une aire
-conditions 1565-1571 ; 1677
-spontané (voir Arrêt temporaire hors d’une aire)

Assimilation de la minorité tzigane


(interdiction de l’) (voir Droit des minorités)

Associations tziganes (voir également Droit 154 ; 188 ; 211 ; 552 ; 770 ; 839 ; 1363 ; 1813-
de recours) 1835 ; 1961

Autodétermination
-et peuples 483-488 ; 517-519
-et minorités 506-510
-externe 485
-interne 485 ; 517-519
-notion 483-488

-B-
Besoins socio-économiques des Tziganes
(voir également Droits économiques, sociaux et 218-254 ; 787 ; 869-883 ; 933 ; 1040 ; 1043 ;
culturels, Liberté économique) 1047 ; 1050 ; 1305

562
Index

-C-
Cantons
-compétences en matière de création d’aires 1506 ; 1508-1511 ; 1614-1623
-obligations au regard des droits fondamentaux
des Tziganes 1559-1561 ; 1614-1623

Caravane
-arrêt (voir cette entrée)
-en tant que logement 1211-1227 ; 2033-2043
-en tant que construction
-sujette à autorisation de construire 1548-1554
-sujette à autorisation de police 1565-1571 ; 1586-1603

Comité européen des droits sociaux


-jurisprudence concernant les Tziganes 1237 ; 1244-1248 ; 1257 ; 1263-1264 ;

Communes
-compétences en matière de création d’aires 1506
-obligations au regard des droits fondamentaux 1572-1603 ; 1663-1677 ; 1686-1756
des Tziganes

Confédération
-compétences en matière de création d’aires 1506 ; 1848
-obligations au regard des droits fondamentaux
des Tziganes 1624-1628 ; 1848 ; 1944-1946

Convention n°169 de l’OIT relative aux


peuples indigènes et tribaux 548-558
-portée pour les Tziganes 554-584
-ratification par la Suisse 669-681

Convention-cadre pour la protection des mi- 336-344


norités nationale
-applicabilité aux Tziganes suisses 206-207 ; 606 ; 620-624
-Comité consultatif 337 ; 399
-portée pour les Tziganes en tant que minorité 452 ; 463-469 ;471-475 ; 598 ; 606 ; 622-624 ;
719-720 ; 813-816

Convention européenne des droits de


l’homme
-ACEDH Chapman c. Royaume-Uni
(standard « Chapman ») (voir également Droit 859 ; 882-883 ; 1072-1080 ; 1082 ; 1133 ; 1153-
au respect de la vie privée et familiale) 1159 ; 1248 ; 1285-1289
-discrimination des Tziganes (voir Discrimina-
tion)
-droit au logement (voir Droit au logement)
-évictions de terrains de stationnement 1065-1071 ; 1072-1077 ; 1198
-marge d’appréciation de l’Etat 859 ; 1148-1151 ; 1185-1188
-obligations positives à l’égard des Tziganes 733 ; 818 ; 1167 ; 1185 ; 1214 ; 1245
-respect de la vie privée et familiale (voir Droit au
respect de la vie privée et familiale)
-respect du domicile (voir Droit au respect du
domicile)

563
Convention internationale pour l’élimination 326-335 ; 823
de toutes les formes de discrimination raciale
-Comité pour l’élimination de toutes les formes de 332-335 ; 455-457
discrimination raciale
-discrimination des Tziganes 456 ; 630-631 ; 455 ; 1051 ; 1055 ; 1114-1116
-droit des minorités 330-335 ; 643 ; 974 ; 998
-portée en Suisse 326 ; 953
-portée pour les Tziganes 630-631 ; 643 ; 1028 ; 1051

-D-
Discrimination
-critères de rattachement concernant les Tziganes 999-1049
-directe
-à l’égard des Tziganes 995
-fardeau de la preuve 951-955
- jurisprudence de la CEDH 1054-1070
-notion 937-945
-en général
-critères de rattachement 923-936
-et dignité humaine 914-917
-motifs justificatifs 918-922
-notion 901-936
-indirecte
-à l’égard des Tziganes 1809
-fardeau de la preuve 956-958
- jurisprudence de la CEDH 360-363 ; 882-883 ; 1071-1100
-notion 937-945
-implicite
-à l’égard des Tziganes 1103-1105 ; 1967-1969 ; 2034-2041
-notion 942-945 ; 951
-mesures spéciales 817-826 ; 971-974 ; 998 ; 1111
-structurelle (voir aussi Egalité en fait) 1110 ; 1128 ; 1115-1117

Domaine public
-droit à l’usage accru du--- 1424 ; 1572-1603

Domicile
-droit au respect du domicile (voir cette entrée)
-domicile civil 1948-1987 ; 2044-2048
-domicile et caravane 2033-2043
-domicile fiscal 1988-1992
-domicile politique 1993-2032

Droit au logement
-notion 1174-1219
-portée spécifique pour les Tziganes 1235-1295 ; 1300-1308
-exigences qualitatives minimales 1250-1267
-exigences quantitatives minimales 1239-1249
-protection contre les évictions abusives 1268-1295 ; 1300-
-sources 1167-1173

Droit au respect de la vie familiale


-portée pour les Tziganes 1153-1159

564
Index

-ACEDH Chapman c. Royaume-Uni 356-357 ; 1072-1080 ; 1153-1159 ; 1246 ;


1285-1289

Droit au respect du domicile


-généralités 1163-1167
-particularités pour les Tziganes 1279-1280
-protection de la caravane en tant que 1221-1227
domicile
-protection de l’aire de stationnement en 1228-1234
tant que domicile
-sources 1162

Droit au stationnement 1296-1299

Droit des minorités


-assimilation de la minorité tzigane (interdiction 131-135 ; 289 ; 405 ; 475 ; 648 ; 709 ; 720 ;
de l’) (voir également Sédentarisation) 776 ; 781 ; 787 ; 1892 ; 1976 ; 2057 ; 2100 ;
2146
-en tant que garantie de l’Etat de droit 802-803
-et jurisprudence du Tribunal fédéral 722-762
-facette collective 706-720 ; 801 ; 1780 ; 1880
-approche individualiste de la facette 721-800 ; 1138
collective
-dimension objective 804-806 ; 807-812 ; 827 ; 848
-dimension subjective 804-806 ; 848-883
-mesures spéciales 813-827 ; 848
-participation 828-847
-portée spécifique pour les Tziganes 813-816 ; 828-889
-rapports avec les droits de l’homme 284-302 ; 359-363
-sources 326-335

Droit de recours
-individuel 1859-1865
-qualité pour recourir des Tziganes
-nomades 1878-1886
-sédentaires 1887-1894
-des associations
-intérêt du --- pour les Tziganes 839 ; 1896-1902 ; 1929-1933
-égoïste 1867-1868 ; 1903-1904
-spécial 1869-1875 ; 1920-1921
-et contentieux CEDH 1922-1928

Droits économiques, sociaux et culturels


(voir également Besoins socio-économiques,
Droit au logement, Education)
-applicabilité directe 313
-importance pour les Tziganes 314-320 ; 869-883 ; 1305
-restriction 1142-1152

-E-
Education
-conflits d’intérêts 250-254 ; 2054-2095
-droit à l’éducation des enfants tziganes 250-254 ; 873 ; 998 ; 1240 ; 2051-2053
-écoles séparées (minoritaires) 720 ; 2074-2081

565
-écoles spéciales 1087-1100 ; 1135-1137
-et lutte contre le racisme anti-tzigane 984 ; 998

Egalité
-en droit des Tziganes 68 ; 938 ; 959-962; 972 ; 985 ; 991-998 ; 1106-
1108; 1121 ; 1484 ; 1748
-en fait des Tziganes 959-961 ; 963-989 ; 991-998 ; 1137-1138 ;
1484-1485 ; 1809 ; 1880
-mesures spéciales en faveur des Tziganes 819 ; 969-989 ; 1111-1117 ; 1128 ; 1484
-obligation de réaliser l’égalité des Tziganes 1106-1117 ; 1137

Eugénisme
-mesures médicales (voir Stérilisation)
-notion 97-103
-Oeuvre des Enfants de la Grand Route (voir
cette entrée)

Exclusion sociale des Tziganes 272 ; 406 ; 465 ; 649 ; 874

-F-
Fédéralisme 767-769 ; 773-776 ; 1942-1946
Forum européen pour les Roms et les Gens 841-847
du voyage

-G-
Génocide
-des Tziganes sous le IIIème Reich 163-167 ; 403
-et enlèvement des enfants d’une communauté 155-159 ; 711
-notion 323-324
-sources 321-325

Gens du voyage
-limites de l’expression 26 ; 186-187 ; 601-624 ; 639-652 ; 932-934 ;
1006-1013 ; 2001-2018
-origine de l’expression 191-193

-H-
Heimatlosat (lutte contre l’) 63-73

-I-
Intérêt public
- réalisation des besoins des Tziganes en tant 777-800 ; 1731
qu’intérêt public

Interprétation conforme aux droits 787-795 ; 805 ; 808-812 ; 848 ; 858 ; 1011 ;
fondamentaux (principe de l’) (voir égale- 1154 ; 1501 ; 1542 ; 1791 ; 1796-1812 ; 1829-
ment Droit des minorités – dimension objective) 1830 ; 1836-1841 ; 1940-1941 ; 1971-1982 ;
1987 ; 2043-2045

-J-
Jénisch
-en tant que communauté tzigane 603 ; 616 ; 630 ; 634-635
-langue 603 ; 618 ; 632-633 ; 640-641 ; 741 ; 1040 ;
2096-2122

566
Index

-origines 30-36

Jurisprudence Bittel du Tribunal fédéral


-et autorisations dérogatoires (24 LAT) 1759-1763 ; 1773-1791 ; 1800-1807 ; 1811-
1812
-et droit des minorités 612 ; 627 ; 747-750
-et prise en compte des droits des Tziganes 208-210 ; 217 ; 1293-1295 ; 1497 ; 1656 ; 1811-
1812 ; 1897
-et impact sur l’aménagement du territoire 208-210 ; 1478
-et importance politique 208-210 ; 217 ; 1497
-planification d’aires de stationnement 1545 ; 1632 ; 1642 ; 1684 ; 1759-1763

-L-
Liberté de mouvement
-généralités 1311-1321
-historique pour les Tziganes 74-78
-portée spécifique pour les Tziganes 1108 ; 1322-1333 ; 1471-1472 ; 1556 ; 1489 ;
1590 ; 1603

Liberté d’établissement
-généralités 1334-1350
-portée spécifique pour les Tziganes 1326-1327 ; 1351-1395 ; 1471-1472 ; 1556 ;
1590

Liberté économique (voir également Besoins


socio-économiques)
-généralités 1397-1480
-historique pour les Tziganes 54 ; 237-249
-portée spécifique pour les Tziganes 1108 ; 1409-1430 ; 1590

-M-
Mesures de répression des Tziganes
-eugéniques (voir également Oeuvre des
Enfants de la Grand Route ; Stérilisation)
-policières et administratives 80-96
-persécutions physiques 40-62

Minorité (voir également Droit des minorités)


-culturelle (voir Tziganes)
-ethnique 332-333 ; 421-422
-nationale 389-400
-notion 364-400
-transnationale 414-420 ; 478 ; 528 ; 587
-tzigane (voir Tziganes)

-O-
Oeuvre des Enfants de la Grand Route 128-159
-bases légales des activités 136-147
-collectivités responsables 148-154
-et Convention internationale pour la prévention 155-159
et la répression du crime de génocide
-et vision eugénique de la société 128-129

567
-objectifs et activités 131-135

-P-
Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
-Comité des droits de l’homme
-portée en Suisse
-portée pour les Tziganes en tant que minorité 653-654 ; 657 ; 713-718 ; 813

Pacte international relatif aux droits écono-


miques, sociaux et culturels
-Comité des droits économiques, sociaux et 313
culturels
-droit des minorités 314-320
-portée en Suisse 313
-portée pour les Tziganes 1169 ; 1174-1175

Participation des Tziganes suisses (voir


également Droit des minorités)
-consultation
-ordinaire 1842-1856
-systématique 829-835
-droit de recours (voir cette entrée)
-utilisation des instruments de démocratie directe 771-773

Peuple
-notion 482-488 ; 492-496
-peuple autochtone 489-491 ; 492-496 ; 498-510
-tzigane
- peuple autochtone tzigane 534-540 ; 585-591
- peuple autochtone tzigane en Suisse 658-668

Place de stationnement (voir Aire de


stationnement)

Proportionnalité
-dans le processus de prise de décision 862-867
-et droits des minorités 851-867
-et évictions de terrains 1288-1295 ; 1307

-R-
Référendum populaire
-et aménagement du territoire 1693-1696
-conflit avec droits fondamentaux des Tziganes 1690-1692 ; 1697-1756

-S-
Sédentarisation des Tziganes nomades
-indirecte 776 ; 1892 ; 1976
-en tant que moyen d’assimilation forcée 68-72 ; 131-135 ; 255 ; 648 ; 787

Stérilisation
-et eugénisme 105-106
-et Tziganes 102 ; 116-118
-indemnisation des victimes 119-127

568
Index

-pratique en Suisse 105-115

-T-
Tziganes
-données socio-économiques et culturelles 211-254 ; 422-438 ; 875 ; 1411-1416 ; 2082-
2093
-données historiques en Suisse
- avant le XXème siècle 39-78
- au XXème siècle 79-254
- l’Oeuvre des Enfants de la Grand
Route (voir cette entrée)
- reconnaissance en tant que minorité 206-207 ; 620-624
nationale
-étrangers 653-657 ; 1431-1463 ; 1489
-intégration au sein de la société suisse 764-795
-origines 22-36 ; 40-49 ; 422-438
-sédentaires en tant que membres de la minorité 427-428 ; 599-606 ; 620-624 ; 639-652 ; 1028-
tzigane 1034 ; 1039-1043 ; 1044-1049 ; 1374 ; 1887-
1894 ; 2012-2013
-statistiques 37-38
-suisses 206-207 ; 592-652 ; 658-694
-en tant que minorité culturelle 626-638
-en tant que minorité ethnique 423-436 ; 455-457 ; 591-601
-en tant que minorité nationale 206-207 ; 620-624
-en tant que peuple 422-438 ; 511-540 ; 559-564; 658-694
-et nomadisme transfrontalier 439-453

569
CG
Collection
Liste des ouvrages Genevoise

Baddeley, Margareta 1994 Chappuis, Christine 1991


L’association sportive face au droit La restitution des profits illégitimes
Les limites de son autonomie Le rôle privilégié de la gestion d’affaires
sans mandat en droit privé suisse
Baddeley, Margareta (éd.) 1999
La forme sociale de l’organisation Chatton, Gregor T. 2005
­sportive Die Verknüpfung von Handel und
Questions de responsabilité ­Arbeitsmenschenrechten innerhalb
Actes de ­la Journée de Droit du sport der WTO
de la Faculté de droit de l’Université de Politisches Scheitern und rechtliche
­Genève 25 mars 1999 ­Perspektiven

Bellanger, François (éd.) 2000 Chavanne, Sylvie 1993


L’Etat face aux dérives sectaires Le retard dans l’exécution des travaux
Actes du colloque du 25 novembre 1999 de construction
Selon le Code des obligations et la norme
Bino, Maria-Antonella 2006 SIA 118
Hospitalisation forcée et droits
du malade mental Currat, Philippe 2006
Etude de droit international et de droit Les crimes contre l’humanité dans le
comparé Statut de la Cour pénale internationale

Cattaneo, Daniele 1992 Défago Gaudin, Valérie 2006


Les mesures préventives et de L’immeuble dans la LP: Indisponibilité
réadaptation de l’assurance-chômage et gérance légale
Prévention du chômage et
aide à la formation en droit suisse, droit Ducrot, Michel 2005
international et droit européen La procédure d’expulsion du locataire
ou du fermier non agricole: quelques
Chaix, François 1995
législations cantonales au regard du
Le contrat de sous-traitance en droit
droit fédéral
suisse
Limites du principe de la relativité des
conventions
Dunand, Jean-Philippe 2000 Guibentif, Pierre 1997
Le transfert fiduciaire: La pratique du droit international et
«Donner pour reprendre» communautaire de la sécurité sociale
Mancipio dare ut remancipetur Etude de sociologie du droit de la
Analyse historique et comparatiste coordination, à l’exemple du Portugal
de la fiducie-gestion
Hack, Pierre 2003
Dupont, Anne-Sylvie 2005 La philosophie de Kelsen
Le dommage écologique Epistémologie de la Théorie pure du droit
Le rôle de la responsabilité civile en cas
d’atteinte au milieu naturel Henzelin, Marc 2000
Le principe de l’universalité en droit
Favre-Bulle, Xavier 1998 pénal international
Les paiements transfrontières dans Droit et obligation pour les Etats de
un espace financier européen poursuivre et juger selon le principe de
­l’universalité
Foëx, Bénédict  1997
Le contrat de gage mobilier Hottelier, Michel 1990
L’article 26 CEDH et l’épuisement des
Gafner d’Aumeries, Sonja 1992 voies de recours en droit fédéral suisse
Le principe de la double incrimination
En particulier dans les rapports d’entraide Hottelier, Michel 1995
judiciaire internationale en matière Le Bill of Rights et son application aux
pénale entre la Suisse et les Etats-Unis Etats américains
Etude de droit constitutionnel des
Garrone, Pierre 1991 Etats-Unis avec des éléments comparatifs
L’élection populaire en Suisse de droit suisse
Etude des systèmes électoraux et de leur
mise en œuvre sur le plan fédéral et dans Jeanneret, Yvan 2002
les cantons La violation des devoirs en cas
d’accident
Gerber, Philippe 1997 Analyse critique de l’article 92 LCR
La nature cassatoire du recours de
droit public Jeandin, Nicolas 1994
Mythe et réalité Le chèque de voyage

de Gottrau, Nicolas 1999 Junod Moser, Dominique 2001


Le crédit documentaire et la fraude Les conditions générales à la croisée
La fraude du bénéficiaire, ses du droit de la concurrence et du droit
conséquences et les moyens de de la consommation
protection du donneur d’ordre Etude de droit suisse et de droit européen

Grant, Philip 2000 Junod, Valérie 2005


La protection de la vie familiale et Clinical drug trials
de la vie privée en droit des étrangers Studying the safety and efficacy of new
pharmaceuticals
Kastanas, Elias 1993 Marchand, Sylvain 1994
Les origines et le fondement du Les limites de l’uniformisation
contrôle de la constitutionnalité des ­matérielle du droit de la vente
lois en Suisse et en Grèce ­internationale
Mise en œuvre de la Convention des
Lampert, Frank 2000 ­Nations Unies du 11 avril 1980 sur la
Die Verlustverrechnung von vente internationale de marchandises
juristischen Personen im Schweizer dans le contexte juridique suisse
Steuerrecht unter besonderer
Berücksichtigung des DBG und StHG Martenet, Vincent 1999
L’autonomie constitutionnelle des
Languin, Noëlle/ 1994 ­cantons
Liniger, Miranda/Monti, Brigitte/
Roth, Robert/Sardi, Massimo/ Morand, Charles-Albert (éd.) 1991
Strasser, François Roger Les instruments d’action de l’Etat
La libération conditionnelle:
risque ou chance? Morand, Charles-Albert (éd.) 1992
La pratique en 1990 dans les cantons Droit de l’environnement:
­romands mise en œuvre et coordination

Languin, Noëlle/Kellerhals, Jean/ 2006 Morand, Charles-Albert (éd.) 1992


La légalité: un principe à géométrie
Robert, Christian-Nils
variable
L’art de punir
Les représentations sociales d’une ‹juste› Morand, Charles-Albert (éd.) 1995
peine Aménagement du territoire et
protection de l’environnement:
Lempen, Karine 2006 la simplification des procédures
Le harcèlement sexuel sur le lieu
de travail et la responsabilité civile Morand, Charles-Albert (éd.) 1996
de l’employeur La pesée globale des intérêts
Le droit suisse à la lumière de la critique Droit de l’environnement et de
juridique féministe et de l’experience l’aménagement du territoire
états-unienne
Moreno, Carlos 2002
Manaï, Dominique 1999 Legal Nature and Functions of the
Les droits du patient face à la méde- Multimodal Transport Document
cine contemporaine Morin, Ariane 2002
Mandofia Berney, Marina 1993 La responsabilité fondée sur la
confiance
Vérités de la filiation et procréation
Etude critique des fondements d’une
­assistée
innovation controversée
Etude des droits suisse et français
Oberson, Xavier 1991
Les taxes d’orientation
Nature juridique et constitutionnalité
Papaux van Delden, Marie-Laure 2002 Tanquerel, Thierry 1996
L’influence des droits de l’homme sur Les voies de droit des organisations
l’osmose des modèles familiaux écologistes en Suisse et aux Etats-Unis
Peter, Henry 1990 Tevini Du Pasquier, Silvia 1990
L’action révocatoire dans les groupes Le crédit documentaire en droit suisse
de sociétés Droits et obligations de la banque
mandataire et assignée
Pont Veuthey, Marie-Claire 1992
Le pouvoir législatif dans Trigo Trindade, Rita 1996
le canton du Valais Le conseil d’administration de la
Rohmer, Sandrine 2006 société anonyme
Spécificité des données génétiques Composition, organisation et
et protection de la sphère privée responsabilité en cas de pluralité
Les exemples des profils d’ADN dans d’administrateurs
la procédure pénale et du diagnostic Voïnov Kohler, Juliette 2006
génétique Le mécanisme de contrôle du respect
Sambuc Bloise, Joëlle 2007 du Protocole de Kyoto sur les
La situation juridique des Tziganes changements climatiques: entre
en Suisse diplomatie et droit
Analyse du droit suisse au regard du Vulliéty, Jean-Paul 1998
droit international des minorités et des Le transfert des risques dans la vente
droits l’homme internationale
Scartazzini, Gustavo 1991 Comparaison entre le Code suisse des
Les rapports de causalité dans le droit Obligations et la Convention de Vienne
suisse de la sécurité sociale des Nations Unies du 11 avril 1980
Avec un aperçu des différentes théories Werly, Stéphane 2005
de la causalité La protection du secret rédactionnel
Schneider, Jacques-André 1994 Wisard, Nicolas 1997
Les régimes complémentaires de Les renvois et leur exécution en droit
retraite en Europe: Libre circulation et des étrangers et en droit d’asile
participation
Etude de droit suisse et comparé

Schröter, François 2007


Les frontières de la Suisse : Recueils de textes
questions choisies (anciennement «Série rouge»)
Stieger-Chopard, Arlette 1997
L’exclusion du droit préférentiel de
souscription dans le cadre du capital Auer, Andreas/ 2001
autorisé de la société anonyme Delley, Jean-Daniel/Hottelier,
Etude de droit allemand et de droit suisse Michel/Malinverni, Giorgio (éd.)
Aux confins du droit
Essais en l’honneur du
Professeur Charles-Albert Morand
Chappuis, Christine/ 2006 Ouvrages collectifs
Foëx, Bénédict/Thévenoz, Luc (éd.) Présence et actualité de la constitution
Le législateur et le droit privé dans l’ordre juridique
Colloque en l’honneur du professeur Mélanges offerts à la Société suisse des
Gilles Petitpierre juristes pour son congrès 1991
à Genève. 1991
Dufour, Alfred/Rens, Ivo/ 1998
Meyer-Pritzl, Rudolf/ Problèmes actuels de droit fiscal
Winiger, Bénédict (éd.) Mélanges en l’honneur du Professeur
Pacte, convention, contrat Raoul Oberson 1995
Mélanges en l’honneur du Professeur
Bruno Schmidlin

Foëx, Bénédict/Hottelier, 2007


Michel/Jeandin, Nicolas (éd.)
Les recours au Tribunal fédéral
Démocratie directe
Foëx, Bénédict/Thévenoz, Luc (éd.) 2000 Arx, Nicolas von 2002
Insolvence, désendettement et Ähnlich, aber anders
redressement Die Volksinitiative in Kalifornien und
Etudes réunies en l’honneur de Louis in der Schweiz
Dallèves, Professeur à l’Université de
Genève Auer, Andreas (éd.) 1996
Les origines de la démocratie directe
Kellerhals, Jean/ 2002 en Suisse / Die Ursprünge der
Manaï, Dominique/Roth, Robert (éd.) schweizerischen direkten Demokratie
Pour un droit pluriel
Etudes offertes au Professeur Auer, Andreas (éd.) 2001
Jean-François Perrin Sans délais et sans limites?
L’initiative populaire à la croisée des
Knapp, Blaise/Oberson, Xavier (éd.) 1997 chemins
Problèmes actuels de droit Ohne Fristen und Grenzen?
économique Die Volksinitiative am Scheideweg
Mélanges en l’honneur du Professeur
Charles-André Junod Auer, Andreas/ 2001
Trechsel, Alexander H.
Reymond, Jacques-André 1998 Voter par Internet
De l’autre côté du miroir Le projet e-voting dans le canton de
Etudes récentes ­Genève dans une perspective
socio-politique et juridique
Schönle, Herbert 1995
Droit des obligations et droit bancaire Delley, Jean-Daniel (éd.) 1999
Etudes Démocratie directe et politique
étrangère en Suisse/
Thévenoz, Luc/Reich, Norbert (éd.) 2006
Direkte Demokratie und
Droit de la consommation/
schweizerische Aussenpolitik
Konsumentenrecht/Consumer Law
Liber amicorum Bernd Stauder
Schuler, Frank 2001 Dunand, Jean-Philippe 2004
Das Referendum in Graubünden Keller, Alexis (éd.)
Entwicklung, Ausgestaltung, Perspekti- Stein, Peter
ven Le droit romain et l’Europe
Essai d’interprétation historique,
Trechsel, Alexander/Serdült, Uwe 1999 2ème éd.
Kaleidoskop Volksrechte
Die Institutionen der direkten Demo- Manaï, Dominique 1990
kratie in den schweizerischen Kantonen Eugen Huber
1970–1996 Jurisconsulte charismatique

Trechsel, Alexander 2000 Monnier, Victor (éd.) 2002


Feuerwerk Volksrechte Bonaparte et la Suisse
Die Volksabstimmungen in den Travaux préparatoires de l’Acte de
schweizerischen Kantonen 1970–1996 Médiation (1803)
(Préfacé par Alfred Kölz)

Monnier, Victor 2003


Bonaparte, la Suisse et l’Europe
Droit et Histoire Colloque européen d’histoire
constitutionnelle pour le bicentenaire
(anciennement «Droit et Histoire», de l’Acte de médiation (1803–2003)
«Les grands jurisconsultes» et
«Grands textes») Reiser, Christian M. 1998
Autonomie et démocratie dans les
communes genevoises
Dufour, Alfred/Roth, Robert/ 1994
Walter, François (éd.) Schmidlin, Bruno/ 1991
Le libéralisme genevois, du Code civil Dufour, Alfred (éd.)
aux constitutions (1804–1842) Jacques Godefroy (1587–1652) et
l’Humanisme juridique à Genève
Dufour, Alfred (éd.) 1998 Actes du colloque Jacques Godefroy
Hommage à Pellegrino Rossi
(1787–1848) Winiger, Bénédict 1997
Genevois et Suisse à vocation La responsabilité aquilienne romaine
­européenne Damnum Iniuria Datum

Dufour, Alfred (éd.) 2001 Winiger, Bénédict 2002


Rossi, Pellegrino La responsabilité aquilienne
Cours d’histoire suisse en droit commun
Damnum Culpa Datum
Dufour, Alfred 2003
L’histoire du droit entre philosophie
et histoire des idées
Droit de la propriété Droit de la
responsabilité
Hottelier, Michel/ 1999
Foëx, Bénédict (éd.)
Les gages immobiliers Chappuis, Christine/ 2005
Constitution volontaire et réalisation Winiger, Bénédict (éd.)
forcée Le préjudice
Une notion en devenir
Hottelier, Michel/ 2001 (Journée de la responsabilité civile 2004)
Foëx, Bénédict (éd.)
L’aménagement du territoire Etier, Guillaume 2006
Planification et enjeux Du risque à la faute
Evolution de la responsabilité civile
Hottelier, Michel/ 2003 pour le risque du droit romain au droit
Foëx, Bénédict (éd.) commun
La propriété par étages
Fondements théoriques et questions
pratiques

Hottelier, Michel/ 2005


Foëx, Bénédict (éd.)
Protection de l’environnement
et immobilier
Principes normatifs et
pratique jurisprudentielle

Droit administratif
Bellanger, François/ 2002
Tanquerel, Thierry (éd.)
Les contrats de prestations

Tanquerel, Thierry /
Bellanger, François (éd.) 2002
L’administration transparente
En Suisse, les Tziganes forment la minorité nationale qui est
non seulement la plus méconnue de toutes, mais qui en outre
connaît le plus de difficultés à faire respecter ses particularités.
Ces difficultés perdurent en raison des relations historiques
complexes et heurtées entre cette communauté, la société
civile majoritaire et les autorités. Toutefois, les Tziganes suisses
peuvent aujourd’hui se fonder sur un important corpus de
normes pour affirmer leur droit à la reconnaissance et au respect
de leurs spécificités, ainsi qu’à l’exercice actif de leur mode de
vie minoritaire.

L’ouvrage débute par une perspective historique et socio-


économique des relations entre l’Etat et les Tziganes en Suisse,
afin de mesurer les progrès accomplis mais également les
efforts qu’il reste à produire. Puis, l’auteure expose les sources
juridiques pertinentes, en mettant en exergue l’importance de
l’activité des organes politiques et judiciaires internationaux
dans ce domaine. Elle examine ensuite de manière détaillée les
différents droits fondamentaux protégeant les Tziganes, aussi
bien en tant qu’individus que membres d’une minorité dont
l’Etat doit protéger l’existence. Enfin, elle analyse de quelle
manière le droit ordinaire suisse – et notamment le droit de
l’aménagement du territoire et de la construction – intègre et
met en œuvre ces obligations.

Cet ouvrage offre au public la première contribution présentant,


sous toutes ses facettes, les problèmes juridiques que rencontre
cette minorité marginalisée et pendant longtemps victime de
stéréotypes et de préjugés.

Il retiendra l’attention des universitaires et des professionnels du


droit versés dans les questions de droits de l’homme et de droits
des minorités, mais aussi toute personne pour qui la situation
des Tziganes en Suisse et en Europe présente un intérêt.

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