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RENÉ
DEKKERS

BRUYLANT
BRUXELLES

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ISBN 2-8027-0285-8
LISTE DES SOUSCRIPTEURS

Advokatenkantoor Boonen, Antwerpen.


Afdeling Romeins recht en rechtsgeschiedenis (college De Valk)
van de Katholieke Universiteit Leuven.
Annales du Notariat et de l'enregistrement, Fondation Hau-
champs, Bruxelles.
Banque nationale de Belgique, Bruxelles.
Biblioteca della Scuola di Perfezionamento m diritto civile
dell'Università di Camerino.
Biblioteca dell'Istituto universitario Europeo, San Domcnico di
Fiesole.
Biblioteca del Senato della Repubblica Italiana, Roma.
Bibliotheek van de Rechtsfaculteit van de K. U. Leuven.
Bibliothek des Max-Planck-Instituts für ausländisches und
internationales Privatrecht, Hamburg.
Bibliothèque du Barreau de Bruxelles.
Bibliothèque de l' Academia Belgica, Rome.
Bibliothèque de la Cour de cassation de Belgique.
Bibliothèque de la Faculté de droit de l'Université de Neu-
chàtel.
Bibliothèque Léon Graulich, Université de Liège.
Bibliothèque nationale et universitaire, Section droit, Stras-
bourg.
Bibliothèque du Palais de la Paix, La Haye.
M. André BRUYNEEL, Professeur à la Faculté de droit de
l'U.L.B., Bruxelles.
M. Hélène CASMAN, Docente V.U.B., Deurne.
C.N.R.S. - Bibliothèque, section générale Institut de recherches
juridiques et comparatives, Ivry.
<< DE BANDT & VAN HECKE>>, Avocats, Bruxelles.

M. de CONINCK van NoYEN, Advokaat, Aalst.


M. Jacques CONRARDY, Avocat, Expert à la Commission pour
la révision du Code pénal, Huy.
M. Christian DEcoux, Auditeur à la Cour des comptes,
Bruxelles.
M. Robert DEKKERS, Brasschaat.
M. Guy DEPUIS, Vice-Président de la Chambre nationale des
huissiers de justice, Charleroi.
VI LISTE DES SOUSCRIPTEURS

M. Luc EEMAN, Notaris, Lebbeke.


M. Raoul FRANQUET, Accountant-belastingconsulent, Deurne-
Antwerpen.
M. Paul GEVAERT, Advokaat, Brugge.
M. G. GYSENS, Advokaat, Sint-Truiden.
M. Jokela HEIKKI, Professor University of Helsinki, Helsinki.
Institut für internationales und ausländisches Recht und
Rechtsvergleichung der Freien Universität Berlin.
Instituut voor Rechtsgeschiedenis der Rijksuniversiteit te
Utrecht.
Istituto di Diritto privato - Facoltà di Giurisprudenza dell'
Università di Padova.
Istituto di Diritto privato e processuale, Pavia.
KoKUSAI SHOBO, Tokyo.
The Library of Parliament, Helsinki.
M. Guy LERCANGÉE, Secrétaire général de l'U.C.B., Bruxelles.
M. Michel MAGITS, Docent V.U.B., Herent.
M. Thomas MARRIOTT, Legislation Manager Norwich Union
Insurance Group, Norwich.
Max-Planck-Institut, Europ. Rechtsgeschichte, Frankfurt.
McGill University Law Library, Montréal.
M. Paul MousEL, Avocat-avoué, assistant au Centre universi-
taire de Luxembourg, Luxembourg.
Baron N OTTEBOHM, Berchem.
Mme Catheline PÉRIER-d'IETEREN, Docteur en histoire de l'art,
Bruxelles.
M. Michel PIRE, Juriste, Linkebeek.
M. Guido SEDEYN, Advokaat, Ieper.
Séminaire de droit de l'Université Miséricorde, Fribourg (Suisse).
Stadsbibliotheek Antwerpen.
Staatsbibliothek Berlin.
Universitaire Instelling Antwerpen, Wilrijk.
Universitätsbibliothek Freiburg.
M. A. VAN DEN BosscHE, Notaris, Vorselaar.
M. Richard VAN HECKE, Advokaat, Gent.
M. J. VAN HoEYLANDT, Procureur des Konings, Gerechtshof,
Antwerpen.
M. Theo VERSEE, Ere-raadsheer in het Hof van cassatie, Gent.
V.U.B. Centrale Bibliotheek - Rechten, Brussel.
HULDE AAN RENÉ DEKKERS

Voor de Vrije Universiteit Brussel zal de naam van René


DEKKERS ongetwijfeld verbonden blijven aan de langzame maar
onomkeerbare ontvoogding van de Vlaamse Vrij zinnige Rechts-
wereld, met als hoogtepunt de oprichting van de nederlandstalige
leergangen in de dertiger jaren aan de toenmalige Université Libre
de Bruxelles. Naast de rol die hij als hoogleraar, als wetenschaps-
mens, als academisch beleidsman met zoveel inzet en toewijding
vervulde, behoorde hij inderdaad tot diegene die met overtuiging
ijverde voor de mogelijkheid de eigen taal te kunnen hanteren in
de studie van het recht of in de toebedeling ervan. Talrijk zijn de
jonge Vlaamse Juristen geweest die in Gent of Brussel zijn colleges
gelopen hebben en daar de stempel ontvingen van deze minzame,
hartelijke professor, die naast zijn kennis en wetenschap zoveel
menselijke hoedanigheden liet aanvoelen, dat men alleen geboeid
kon zijn.
De veelzijdigheid, die René DEKKERS, als jurist ten toon
spreidde, werd de basis van zijn ruim en veel omvattend curriculum
aan de VUB : Romeins recht, Burgelijk recht, Rechtsvergelijking,
het Recht der Oosterse Landen ; geen invalshoek was hem uiteindelijk
onbekend en zijn sterke gerichtheid op de rechtsvergelijking bij-
brengen aan collega's en studenten was een steeds aanwezige onder-
toon.
Zijn onderwijs was voor ons allen verhelderend, krachtig gebun-
deld tot de essentie zelf van elke materie. Hij schuwde de overladen
programma's en was één der eersten om het "the more we teach,
the less they learn" te ondervoelen en er zich tegen af te zetten. Het
recht teruggebracht tot zijn kerngedachte in de collegezaal ; het
recht te boek gesteld tot in het belangrijke detail voor jurist in de
praktijk. Een allesbehalve tegenstrijdige visie van een groot peda-
goog.
Meer nog dan zijn vakmanschap werd de student. de collega
getroffen door zijn humanisme, zijn mensgerichtheid die als een
rode draad door het leven van René DEKKERS heen de constante
richtbaken blijft. Het recht wou hij als een instrument om zwakken
2 VOORWOORD

te beschermen ; de rechter wou hij zien als een progressief, ma,at-


schappij betrokken iemand; de student als een wissel op de toekomst,
die steun en vertrouwen verdient in de voorbereiding van de komende
generatie ; het leven als een sportieve uitdaging, waarin optimisme
en zelfvertrouwen behulpzame troeven zijn om het geluk te kennen.
De hulde, die in dit werk gebracht wordt, is dan ook een al te
beperkte uiting van ons aller dankbaarheid aan Professor René
DEKKERS, de vriend.

B. DE SCHUTTER,
Rector.
IL INCARNAIT LA JEUNESSE

Jeune d'esprit, il l'était. Faisant, à un premier stade, éclater


les caàres du droit romain et du droit civil belge auxquels sa forma-
tion le destinait, il révélait aux étudiants de candidature émerveillés
les horizons sans limites du droit privé des peuples. Se tournant
ensuite vers ce monde que constituent les pays de l' est, il les abordait
à l'approche de la cinquantaine, apprenait le russe de manière
à avoir un accès direct aux sources juridiques et entraînait à sa
suite nombre de disciples séduits par son enthousiasme. Enfin
poursitivant son itinéraire vers les mondes nouveaux de notre
siècle, René Dekkers abordait la Chine au crépuscule d'une carrière
d' enseignant et de chercheur qui s' est étendue sur qiw.rante ans
pendant lesquels il n' a jamais perdu le contact avec le droit civil
belge; il avait ainsi repris la succession d' Henri De Page dans la
rédaction du Traité élémentaire de droit civil auquel leurs noms
sont désormais attachés.
Jeune de corps, également. Elégant, portant droit, nous le voyions
marcher de son domicile, proche de l' Université, vers son bureau
de ce pas rapide que certains d' entre nous, ses cadets de vingt ans,
avions de la peine à suivre. Et si cette silhouette sportive était
familière à nombre d'entre nous, mains nornbreux sans doute
étaient ceux qui connaissaient le tennisman ou le footballeur.
Longtemps membre à part entière de l' équipe de la Faculté de Droit,
René Dekkers n' était plus sur le terrain qu'un équipier acharné
à vair triompher les rouge et blanc. Cet engagement personnel se
doublait d'ailleurs depuis 1940 d'une inlassable activité pour la
promotion du sport à l' Université à une époque ou le Oommissariat
aux Sports n'existait pas avec l'infrastructure dont il dispose
aujourd'hui.
Enfin, il était jeune de cmur. Et sans doute était-ce là l' aspect
le plus secret d'un homme droit, généreux, enthousiaste et fidèle.
Droit au sens originel du mot, n'ayant que dédain pour toutes les
compromissions dont la vie nous accable, refusant d' être proposé
aux plus grands honneurs dès lors qu'il estimait que la moindre
tacke ternissait la distinction dont il aurait pu faire l' objet. Géné-
4 IL INCARNAIT LA JEUNESSE

reux dès ses débuts dans la carrière universitaire, puisqu'il n'hési-


tait pas en 1934 à donner une fraction de la bourse qui le faisait
vivre afin de permettre le développement de la Oonférence d' agréga-
tion qui naissait à l' époque. Généreux aussi de son temps pour
tous ceux qui avaient besoin de ses conseils. Enthousiaste, face
aux táches les plus ingrates, comme celle de Recteur de l' Université
oificielle du Congo assumée de 1966 à 1970 dans un pays en proie
aux plus grandes diificultés économiques. Dévoué à l'Université
ou il avait étudié, et ce surtout dans les heures sombres de 1941
lorsqu'il accepta la mission délicate de l'aider dans ses relations
avec le pouvoir occupant. Fidèle à l'égard de ceux auxquels il don-
nait son amitié, quelles que soient les vicissitudes avec lesquelles
ils étaient confrontés et les réactions de tiers face à ces vicissitudes.
C' est dire que ce 22 octobre, une part substantielle de la jeunesse
qui permet à notre Mai.son d'être ce qu'elle est s'en est allée à
jamais.

Jacques V ANDERLINDEN,
Président de la Faculté de Droit.
BIBLIOGRAPHIE
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partie), Bruylant, 1942, t. VI, p. 1-617.
1943. -- Avec DE PAGE : Traité de droit civil. Les privilèges, Bruylant,
1943, t. VII, p. 1-325.
- Avec DE PAGE : Traité de droit civil. Les hypothèqnes légales,
Bruylant, 1943, t. VII, p. 551-597.
- Avec DE PAGE : Traité de droit civil. La transmission des
droits réels immobiliers, Bruylant, 1943, t. VII, p. 857-1018.
- Avec DE PAGE : Traité de droit civil. La prescription, Bruylant,
1943, t. VII, p. 1019-1230.
- Avec DE PAGE : Traité de droit civil. La responsabilité dn con-
servateur des hypothèques, Bruylant, 1943, t. VII, p. 843-857.
- « Droits de l'usufruitier sur les dividendes distribués par les
sociétés par actions », Reviie pratique du notariat belge, 1943,
p. 434-436.
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1946, ll46 p.
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honoraire à la faculté de droit (13 mai 1863-ll janvier 1944) •>,


Rapport sur l'année académique 1939-40 à 1944-45, Bruxelles,
1947, p. 212-213.
Compte rendu de : P. PIERRET, Le Sénat,us-consuUe velléien,
Antiquité Olassique, 1947, XVI. p. 407-408.
- << Note sur les troubles de voisinage, Revue cr,itique de juris-
prudence belge, 1947, p. 70-80.
- << Réparations d'entretien nécessitées par cas fortuit. Partagc

des frais entre le nu-propriétaire et l'usufruitier >>, Revue critique


de jurisprudence belge, 1947, p. 291-303.
« Notice sur la vie et les travaux de Frédéric Leperre », Rapport
de l'année académique 1946-1947, p. 113-ll4.
- << Notice sur la vie et les travaux de Louis Josserand », Rapport

de l'année académique 1946-1947, p. 106-108.


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Weekblad, 1946-1947, col. 145-150.


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Compte rendu de : A. MAGDELAIN, Auctoritas principis, Revue
belge de philologie et d'histoire, 1948, p. ll61-1164.
Des ordalies en droit romain », Revue internationale de8 droits
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de l'Antiquité, 1948, p. 55-78.


Compte rendu de : FERNAND DE V1sscHER, Le régime romain
de la noxalité, Revue belge de philologie et d'histoire, 1948, p. 263-
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- <<Conséquences du concubinage quant aux biens >>, Revue cri-
tique de jurisprudence belge, 1948, p. 106-120.
1949. - Institutes du droit romain, Liège, 1949.
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Willink (Vereniging voor vergelijkende studie van het recht
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Vlaamse Academie voor Wetenschappen, Klasse der Letteren,


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1954. - << Des attributs de la tutelle >>, Revue critiq_ue de jurisprudence
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dence belge, 1954, p. 100-111.


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- « Le corps humain et le droit. Aspects philosophiques •• in :
Travaux de l'Association Henri Oapitant (Journées Belges), 1975,
t. XXVI, Dalloz, p. 1-5.
- Par Léon Ingber et sous la direction de R. DEKKERS, P. Foriers,
Ch. Perelman : L'Egalité : V. 4, Etudes publiées par le Centre
de philosophie du droit de l'ULB, Bruylant, 1975, 375 p.
1976. - « A l'est bien du nouveau•• in : Mélanges Jean Baugniet,
Bruxelles, 1976, p. 157-170.
1977. Par Léon Ingber et sous la direction de R. DEKKERS, P. Foriers,
Ch. Perelman : L'Egalité : V. 5, Etudes publiées par Ie Centre
de philosophie du droit de l'ULB, Bruylant, 1977, 333 p.
ROMEINS RECHT
EN RECHTSGESCHIEDENIS


DROIT ROMAIN
ET HISTOIRE DU DROIT


ROMAN LAW
AND LEGAL HISTORY


René Dekkers als rechtshistoricus
DOOR

J. GILISSEN
HOOGLERAAR AAN DE VRIJE UNIVERSITEIT
BRUSSEL

EN
R. FEENSTRA
HOOGLERAAR AAN DE RIJKSUNIVERSITEIT
TE LEIDEN

René Dekkers is zijn wetenschappelijke en universitaire loop-


baan begonnen als Romanist (1). Nadat hij in 1932 aan de Uni-
versité libre te Brussel zijn doctorsgraad in de rechten - volgens
de toen in België geldende regels zonder verdediging van
een proefschrift - had behaald werd hij op 22-jarige leeftijd
aldaar tot assistent voor de cursus Romeins recht benoemd. De
bedoeling was dat hij Georges Cornil als professor in dit vak
zou opvolgen. Doordat Jean Van Rijn zich tijdelijk met het
doceren van de cursus belastte, kreeg Dekkers de gelegenheid
zich voor te bereiden op het behalen van de graad van geaggre-
geerde voor het hoger onderwijs in het Romeinse recht en de
rechtsvergelijking. Deze graad verwierf hij in 1935 met een
proefschrift, getiteld La fiction juridique, Etude de droit romain
et de droit comparé (Paris 1935), waarvan hieronder nog sprake
zal zijn. Op 1 oktober 1936 werd hij tot docent aan de Brusselse
Universiteit benoemd, eerst alleen voor de· Franse cursus "Insti-
tutes de droit romain", kort daarop ook voor de Nederlandse
cursus over deze materie; in 1941 werd hij gewoon hoogleraar.
Na in 1945 eerst tijdelijk te zijn aangesteld werd hij in 1946

(1) Biografische gegevens hebben wij voornamelijk ontleend ae.n J. LIMPENS, ,,In
memoriam Prof. Dr. René Dekkers (27 november 1909 - 22 oktober 1976)", in Jaarboek
[van de] Koninkliike Akademie van Wetenschappen, LeUeren en Schone Kunsten van
België, 39 (1977), p. 353-376. Zonder de daarin voorkomende bibliografie is dit "In
memoriam" ook verschenen in Rechtskundig Weekblad, 40 (1976-1977), kol. 2433-2448.
Vgl. verder F. RIGAUX, ,,René Dekker&, 1909-1976", in Journal des Tribunaux, nr. 4982
(22-1-1977), p. 67-70.
24 J. GILISSEN EN R. FEENSTRA

aan de Rijksuniversiteit Gent gewoon hoogleraar in de Instituten


van het Romeinse recht en in de Pandecten ; in 1956 werd hij
daar tevens, als opvolger van Kluyskens, belast met een aantal
colleges in het burgerlijk recht en in het burgerlijk procesrecht.
Hij heeft de genoemde leeropdrachten voor het Romeinse recht
niet tot het eind toe behouden. Te Brussel stond hij de Franse
cursus af in 1957, de Nederlandse in 1958; te Gent droeg hij
het Romeinse recht in 1960 over.
Hoewel Dekkers meer dan twintig jaren het Romeinse recht
onderwezen heeft en ook na deze periode nog wel incidenteel
daarover iets gepubliceerd heeft, komt hij - afgezien van een
enkele uitzondering - in zijn wetenschappelijke publicaties
eigenlijk slechts in de eerste vijf jaren van zijn academische
loopbaan (1932-1937) als een min of meer traditioneel Romanist
naar voren. In deze tijd verschenen behalve zijn reeds genoemde
aggregaatsthesis over La fiction juridique zijn monografie La
lésion énorme, lntroduction à l'étude des sources du droit (Paris
1937) en een artikel Les actions utiles en droit romain clas-
sique (2). Alleen dit artikel is zuiver Romanistisch; de beide
boeken bevatten daarnaast nog andere elementen.
Zijn werk over de fictie presenteert zich in de titel als een studie
over Romeins recht en rechtsvergelijking. De bronnen van het
Romeinse recht dienen als uitgangspunt, zowel voor het metho-
dische eerste gedeelte (,,Qu'est-ce que la fiction juridique1") als
voor het beschrijvende tweede gedeelte (,,L'muvre de la fiction").
In beide gedeelten komt ook kort de latere rechtsontwikkeling
aan de orde, grotendeels met de bekende flinke sprong van
Justinianus naar Pothier en de codificaties van de 19e eeuw
(tot deze laatste beperkt zich ook vooral de rechtsvergelijking).
De middeleeuwse juristen komen er slecht af : ,,Malheureusement
Ie législateur de 1804 fut inspiré davantage par les idées des
commentateurs que par celles des juristes romains. La rétro-
activité, comme Ie fictus possessor, comme la traditio ficta, comme
tant d'autres superfluités, nous viennent du moyen age, d'esprits
manquant de force et de fraîcheur, enchaînés, après la décadence,
à des textes illustres" (p. 56). Pothier heeft deze ideeën gelega-
teerd aan de gehaaste wetgever van 1804 : ,,Nous nous en accom-
modons assurément. Mais Ie moment n'est-il pas venu de réagir

(2) In Revue de l'Univeraité de Bru:i:eUes, 41 (1936), p. 232-245.


RENÉ DEKKERS ALS RECHTSIDSTORICUS 25

contre cette passivité, de remonter aux vraies sources, et de ne


consentir à manier que des concepts qui nous paraissent évi-
dents ?" (p. 58). De ware bronnen zijn uiteraard de teksten van
het klassieke Romeinse recht, die in hun zuivere vorm moeten
worden hersteld. Hier toont Dekkers zich een volledig adept
van de nieuw-humanistische school van beoefenaren van het
Romeinse recht, waarvan hij de voornaamste auteurs ook citeert.
In de nieuwste historische monografie over de fictio iuris (van
F. Todescan (3)) wordt Dekkers' boek dan ook nog met ere
geciteerd voor het Romeinse recht. Men vindt het daar tevens
geplaatst in het kader van werken van schrijvers die hun aan-
dacht aan de fictie in het moderne rechtsdenken gewijd hebben ;
daarbij wordt het genoemd naast een artikel van Dekkers' leer-
meester G. Cornil zonder dat echter opgemerkt wordt dat dit ,
artikel juist naar aanleiding van Dekkers' boek geschreven is
en daar grote waardering voor toont (4).
In La lésion énorme heeft Dekkers zich tot taak gesteld een
geschiedenis te schrijven van de bekende lex secunda (C. 4, 44, 2),
de constitutie van keizer Diocletianus die ten grondslag ligt aan 'I!
alle teksten over laesio die men vanaf de middeleeuwse schrijvers
je
tot en met de nog geldende codificaties kan aantreffen : ,, ... La
matière même de la lésion ne nous intéresse pas directement.
Celui qui voudrait étudier ce problème au point de vue social,
ou économique, ou moral, ou politique, ne trouvera pas grand' -
chose dans ce travail" (p. 13-14). Dekkers roept zelfs uit :
"l'histoire des sources n'est-elle pas la forme la plus sûre de
l'histoire du droit ?" ; even verderop zegt hij : ,,la matière de
la lésion n'est au fond qu'un prétexte, une occasion particulière-
ment favorable ... notre but est d'essayer d'apporter une contri-
bution à l'histoire des sources" (p. 14; cursivering van Dekkers).
De bronnen waaraan Dekkers hier zoveel gewicht toekent zijn
voornamelijk die van na Justinianus. Het aan het eigenlijke
Romeinse recht gewijde eerste hoofdstuk (,,La genèse de la loi
seconde") - dat geheel in de nieuw-humanistische traditie
betoogt dat Justinianus de tekst van Diocletianus geïnterpoleerd

(3) F. TonESCAN, Diritto e realtà, Storia e teoria della fict,io iuria [ = Pubblicazioni
della Facoltà di giurisprudenza dell' Università di Padova, 81], Padova 1979.
(4) ToDESCAN, op.cit., p. 402-403; de volledige titel van het artikel is: G. CORNIL,
"Réflexions sur le röle de la fiction dans le droit, à propos d'un livre nouveau", in
Archives de philosophie du droit et de sociologie iuridique, 6 (1936), fase. 3-4, p. 28-42.
26 J. GILISSEN EN R. FEENSTRA

heeft - vormt niet meer dan een vijfde gedeelte van het boek.
De rest is gewijd aan bronnen uit de middeleeuwen en uit de
Nieuwe Tijd. Van de minachting voor de "esprits manquant
de force et de fraîcheur" uit de middeleeuwen blijkt hier niet
veel meer ; hun meningen worden met dezelfde objectiviteit als
die van juristen uit andere tijden weergegeven. In zijn slotpara-
graaf schrijft Dekkers : ,, ... l'histoire ne se soucie guère de con-
clusions. Pour être bien faite, elle ne peut s'en soucier. Elle ne
veut qu'évoquer le passé, que décrire le vrai : libre à chacun
de nous d'en tirer les enseignements qu'à ses yeux il comporte"
(p. 164; cursivering van Dekkers).
Deze belangstelling voor de na-Justiniaanse bronnen heeft
Dekkers reeds een jaar na La lésion énorme gebracht tot een
werk waarin hij niet meer een dogmatisch voorwendsel behoefde
te gebruiken om zich ermee bezig te houden : Het Humanisme
en de rechtswetenschap in de Nederlanden (Antwerpen-'s Graven-
hage 1938) (5). Dit boek behandelt leven en werken van een
vijftal Nederlandse juristen uit de 16e eeuw: Nicolaas Everaerts,
Wigle van Aytta, Gabriel vander Muyden, Jacob Reyvaert en
Mattheus van Wesembeke. In zijn inleiding worden "de behoefte,
tot de bronnen terug te keeren, en tevens de wensch, onze
historische kennis met een letterkundige en als het ware een
psychologische aan te vullen" als de belangrijkste drijfveren voor
zijn onderzoek genoemd (p. XIV). Dekkers beklemtoont hier dat
men de theorieën van de middeleeuwen en van de moderne
tijden niet uit het oog mag verliezen : ,,Het komt er ... niet
alleen op aan, het historisch wetenschappelijk romeinsch recht
te kennen : het is ook noodzakelijk te weten, hoe het romeinsch
recht begrepen werd ten tijde van Pothier ... " (eveneens p. XIV).
Hij vraagt zich wel af of hij zich tot "zuivere romanisten" had
mogen beperken, maar verontschuldigt zijn keuze door te
bekennen "dat de kansen, om me te vergissen, op het gebied
van het romeinsch recht misschien geringer zijn dan elders"
(p. XIV).
Dit boek is ongetwijfeld de meest waardevolle bijdrage die
Dekkers aan de wetenschap van de rechtsgeschiedenis geleverd
heeft. Weliswaar heeft het voornamelijk een beschrijvend karak-

(5) In de "Vle.amsche Rechtskundige Bibliotheek, uitgegeven door het Rechlakundig


Weekblad, onder leiding van Prof. Mr. R. Victor".
RENÉ DEKKERS ALS RECHTSHISTORICUS 27

ter en gaat het niet diep op de problemen in, maar het geeft
een bijzonder levendig beeld van deze juristen door de vele
uittreksels uit hun werken (6). Enkele "bijproducten" uit zijn
onderzoek publiceerde Dekkers later nog in artikelvorm (7).
Met Het Humanisme heeft Dekkers ook de eerste stap gezet
op het gebied van de bibliografie der rechtswetenschap, waarop
hij zich tenslotte een blijvende naam zou verwerven door zijn
in 1951 verschenen Bibliotheca belgica juridica, Een bio-biblio-
graphisch overzicht der rechtsgeleerdheid in de Nederlanden van
de vroegste tijden af tot 1800 (Brussel 1951) (8). Dit werk was
bestemd als een "Vorarbeit" voor een grote "Geschiedenis van
het Belgisch recht" in meerdere delen ; in een eerste deel zou
Dekkers de rechtsleer en de rechtspraak, de eerste auteur van
deze bijdrage de gewoonte en de wetgeving behandelen. Dit
project was door hem aangekondigd in een Academie-mededeling
Over de geschiedenis van het oud-Belgisch recht (Brussel 1949) (9).
De Bibliotheca belgica juridica is ongetwijfeld een onmisbaar
instrument voor alle beoefenaren van de Nederlandse en Bel-
gische rechtsgeschiedenis geworden en zij wordt ook in het
buitenland veelvuldig gebruikt. Het is natuurlijk gemakkelijk
om op een dergelijke onderneming kritiek uit te oefenen : iedere
gebruiker zal met betrekking tot een of meer juristen die hem
interesseren al snel onvolledigheden of onjuistheden kunnen
ontdekken. Als echter in aanmerking genomen wordt dat het

(6) Zie de bespreking door H. F. W. D. FISCHERin Tydskrif vir Hedendaagse Romeins-


Hollandse Reg, 3 (1939), p. 241-245. Waardering naast enige kritiek vindt men ook
in de bespreking door H. Corno in Zeitschrift der Savigny-Stiftung Jür Rechtsgeschichte,
Romanistische Abteilung, 59 (1939), p. 697-700.
(7) Zie bijv. ,,Mudaeus als schrijver", in Oudheid en kunst, Algemeen Tijdschrift
voor Kempische geschiedenis, 30 (1939), p. 61-78 (in aflevering 3-4; ook afzonderlijk
als boek verschenen onder de titel De humanist Gabriel Mudaeus Brechtanus (1500-
1560), aldaar p. 26-46; de tekst komt grotendeels overeen met het desbetreffende
gedeelte uit het hoofdstuk over Mudaeus in Het Humanisme); ,,Voorzitter Nicolaas
Everaerts (1462-1532)" in Rechtskundig Weekblad, 12 (1948-1949), kol. 1281-1286;
,,Les topiques du président Everaerts", in Logique et analyse, Nouvelle série, 6 (1963),
p. 485-490(voornamelijk uittreksel uit het desbetreffende hoofdstuk in Het Humanisme).
In dit verband mag ook genoemd worden zijn artikel "François Van den Zype (Zypaeus),
1578-1650", in Biographie Nationale, 27 (1938), kol. 475-480.
(8) Verhandelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen,
Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, Jaargang XIII, nr. 14.
Een voorlopige lijst van de door hem te behandelen juristen publiceerde DEKKERS
onder de titel "Oud-Nederlandse juristen", in Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 18
(1950), p. 291-311.
(9) Mededelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen,
Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, Jaargang XI, nr. 9.
RENÉ DEKKERS. - 3
28 J. GILISSEN EN R. FEENSTRA

werk door één man in drie jaar tijd tot stand gebracht is past
de criticus grote bescheidenheid. Dekkers zelf heeft in zijn inlei-
ding zijn werkwijze zeer nauwkeurig verantwoord en als men
maar rekening houdt met de beperkingen die hij zichzelf heeft
opgelegd kan het werk in vele opzichten nuttig zijn. Het voor-
naamste bezwaar blijft dat betrouwbare en onbetrouwbare bron-
nen door elkaar gebruikt zijn : het werk berust niet alleen op
autopsie of moderne catalogi van bibliotheken, maar tevens op
biografische verzamelwerken en oude catalogi. In dit opzicht
verschilt het van het - overigens geheel anders opgezette - werk
van A. A. RoBERTS, A South African Legal Bibliography (Preto-
ria 1942), waarin zeer veel oud-Nederlandse juristen behandeld
worden ; het blijft bijzonder te betreuren dat Dekkers blijkbaar
van dit werk geen kennis heeft kunnen nemen (10). De moed
die Dekkers heeft opgebracht om zijn Bibliotheca te publiceren
moet echter ons respect blijven afdwingen.
Toen Dekkers aan de eerste auteur van deze bijdrage een
presentexemplaar van zijn Bibliotheca zond, voegde hij er een
brief bij waarin hij een nieuwe richting van zijn wetenschappelijk
werk aankondigde: ,,Au moment ou je te présente le fruit d'un
travail que je ne considérais que comme préparatoire, je viens
t'apporter, je le crains, une légère déception ; j'ai perdu !'enthou-
siasme que j'éprouvais, il y a trois ans, pour les études d'ancien
droit belge. Ou plutöt, je me suis plongé depuis quelques semaines
dans des études de droit comparé qui m'ont fait sentir que
telle était, décidément, ma véritable voie. A cela s'ajoute que
j'éprouve constamment l'infériorité résultant de ce que je n'ai
pas de préparation d'historien .... Les recherches doivent être
confiées à d'autres qu'à moi ; des hommes comme Godding,
comme Maes, comme Roggen me semblent tout indiqués".
Tevergeefs poogde de eerste auteur Dekkers over te halen het
gepland gemeenschappelijk werk voort te zetten; hijzelf moest
nochtans bekennen de gedane belofte niet te hebben vervuld,
daar hij, om reden van andere taken, slechts een algemeen
overzicht van de homologatie van de Belgische costumen had
kunnen publiceren. Dekkers antwoordde hem dat zijn beslissing
definitief was : ,,Pour mener à bien un travail purement (ou

(10) Vgl. J. Th. DE SMIDT in zijn bespreking in Tiidachrift voor Rechtaguchiedenia,


20 (1952), p. 494-497, waar ook op enkele andere detailpunten kritiek te vinden is.
RENÉ DEKKERS ALS RECHTSHISTORICUS 29

principalement) historique, il me faudrait une formation que


je n'ai pas. Le droit romain a beau occuper une grande place
dans notre passé, l'on ne peut pas l'isoler du reste. Or, dès que
je pénètre dans des archives, dès que j'essaie de déchiffrer des
manuscrits médiévaux, je sens mon insuflisance. Si j'avais la
sensation d'être le seul qualifié pour mener quand même à bien
cette entreprise, j'apprendrais la paléographie, et le reste. Mais
je vois autour de toi des jeunes qui feraient cela mieux que moi.
Je répète : ma voie n'est pas là. Depuis janvier, je vois clair
dans mon propre esprit : je désire employer mon bagage roma-
niste et civiliste pour me lancer dans le droit comparé; je veux
appliquer la maxime célèbre du grand von Jhering, ,,durch das
römische Recht, aber über dasselbe hinaus".
Wij hebben hierboven gezegd dat Dekkers in zijn weten-
schappelijke publikaties - afgezien van een enkele uitzonde-
ring - eigenlijk slechts in de jaren 1932-1937 als min of meer
traditioneel Romanist naar voren komt. Toen de tweede auteur
van deze bijdrage in de zomer van 1945 voor het eerst een bezoek
aan Fernand De Visscher bracht, duidde deze laatste zijn collega
Dekkers reeds aan als iemand die "geen echt Romanist" was.
Dat neemt niet weg dat Dekkers in de eerste jaren na de oorlog
actief meehielp bij de bevordering van de Romanistische weten-
schap in België en in internationaal verband. Hij nam deel aan
de oprichting van het "Centre beige de droit romain", dat de
stoot gaf tot de uitgave van de Collectio bibliographica opernm ad
ius romanum pertinentium (eerst door L. CAES en R. HENRION,
later alleen door L. CAES). Voorts was hij in de beginjaren ook
betrokken bij de "Société d'histoire des droits de l'antiquité",
die thans meer algemeen bekend is als de S.I.D.A. (Société inter-
nationale d'histoire des droits de l'antiquité) of ook nog wel een-
voudig als "Société De Visscher". Op het tweede internationale
congres van deze Société in 194 7 (het eerste had in 1945 plaats-
gevonden) hield hij een voordracht, Des ordalies en droit r01nain;
deze studie waarvan naast een Franse (11) ook een Nederlandse
versie (12) gepubliceerd werd, vormt een van die uitzonderingen
waarop hierboven gedoeld werd; hier toont Dekkers zich wel

(Il) Revue internationale des droits de Z'antiquité, 1 (1948), p. 55-78.


(12) ,,Godsoordelen in het Romeins recht?", in Rechtskundig Weekblad, 12 (1948-
1949), kol. 1153-1168.
30 J. GILISSEN EN R. FEENSTRA

degelijk nog als een "echt Romanist". Hetzelfde mag ook nog
gezegd worden van enkele kleine studies over het bezit : de
grondgeachte daarvan werd eerst in een kort artikel in het
Rechtskundig Weekblad ontvouwd (13); daarna verscheen een
uitgewerkte Nederlandse versie in een Academie-mededeling
onder de titel Hoe juristen een leer opbouwen : het bezit (14) en
tenslotte een Franse versie daarvan, getiteld Reciperare posses-
sionem (15). Minder "echt Romanistisch" is reeds (16) Des méfaits
de la stipulatio, een artikel dat hij in 1950 publiceerde (17).
Nadien treft men, afgezien van Over het ontstaan van het Romeinse
testament uit 1955 (18) en Le fait et le droit dans la procédure
classique romaine (19), eigenlijk geen studies meer aan waarin
het Romeinse rechts anders dan tot - soms oppervlakkige
vergelijking gebruikt wordt.
Onder deze laatstgenoemde categorie rekenen wij behalve de
aan het Romeinse recht gewijde passages in zijn Le droit privé
des peuples uit 1953 - waarover hieronder meer - ook de
uittreksels uit dit werk die in hetzelfde jaar 1953 verschenen (20).
Verder noemen wij (21) zijn Academie-mededeling De regulis
iuris (22) (1958), Le concept de la propriété dans les droits de

(13) ,,Over de verhouding van bezit tot eigendom", in Rechtskundig Weekblad, 10


(1946-1947), kol. 145-150.
(14) Mededelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen,
Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, Jaargang XI, nr. 4
(Brussel, 1949).
(15) In Studi in memoria di Emilio Albertario, I, Milano, 1953, p. 143-166. De over-
drukken hieruit waren reeds in 1950 gedistribueerd, toen Albertario nog leefde; deze
dragen op het omslag dan ook de titel "Studi in onore di Emilio Albertario" en als
zodanig is het artikel in de bibliografie bij LrMl'ENS (zie hierboven noot 1) opgevoerd.
(16) Onbekend bleef ons zijn gepolycopieerde cursus Instituten van het Romeins
recht (Gent, 1949), vermeld in de bibliografie bij LIMl'ENS. Grotendeels populariserend
is zijn causerie "Jésus et ses disciples <levant la loi romaine", gepubliceerd in Revue
de l'Université de Bruxelles, Nouvelle série, 1 (1948-1949), p. 360-358.
(17) In Revue internationale des droita de l'antiquité, 4 (1960) [= Mélanges Fernand
De Visscher, III], p. 361-386.
(18) In Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 23 (1965), p. 21-30 (opgedragen aan de
nagedachtenis van E. M. Meijers).
(19) In Le Fait et Ze Droit, Etudes de logique iuridique (Travaux du Centre national
de recherches de logique), Brussel, 1961, p. 15-26 (Dialectica, 16 (1961), [n° 3-4 : Le
fait et Ie droit], p. 347-358.
(20) ,,Epitomae", in Archives d'histoire du droit oriental - Revue internationale
des droits de l'antiquité, 2 (1953), p. 163-193 (beschrijving van de eigenschappen van
een tiental rechtsstelsels uit de oudheid).
(21) Zijn artikel "Droit grec et histoire du droit", in Revue internationale des droits
de l'antiquité, 3• série, 3 (1956), p. 107-118, is slechts een vrijwel geheel resumerende
recensie van L. GERNET, Droit et société dans la Grèce ancienne (1955).
(22) Mededelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen,
RENÉ DEKKERS ALS RECHTSHISTORICUS 31

l'antiquité (23) (1960), Kongolees recht en Romeins recht (24) (1966)


en De bruidschat naar Kongolees en naar Romeins recht (25) (1966).
Ternauwernood rechtsvergelijkend is tenslotte Le droit romain
et les nouveaux Etats (26) (1963).
Aan de geschiedenis van het oud-Belgische recht heeft Dek-
kers weinig studies gewijd; zijn reeds vermelde Het Humanisme
en de rechtswetenschap in de Nederlanden en zijn Bibliotheca
belgicajuridica vormen zijn belangrijkste bijdragen op dit gebied.
Op een breder vlak, tevens rechtshistorisch en rechtsvergelijkend,
situeert zich zijn Le droit privé des peuples, dat in 1953 verscheen,
nauwelijks twee jaar na zijn Bibliotheca ; vier jaar later verscheen
een Spaanse editie ervan (27). Dekkers streefde in dit werk naar
een universele geschiedschrijving van het privaatrecht, naar een
schets van de evolutie ervan bij alle volkeren, in alle tijden. Hij
heeft het ingedeeld in drie delen: caractères, destinées, dominantes.
Het eerste deel is een samenvatting, in enkele zinnen of
hoogstens enkele bladzijden, van elk van de 79 rechtsstelsels
die in de wereldgeschiedenis bestaan hebben : van Egypte en
Babylonië tot Rome en Italië, van de Kelten en de Germanen
tot Frankrijk en België, van China en de Mongolen tot de Sovjet-
Unie. De rechtsstelsels van de volkeren zonder schrift worden
echter niet ontleed, evenmin als de meeste actuele rechtsstelsels.
Dekkers beperkt zich tot de beschrijving van de rechtsevolutie
bij die volkeren die rechtsoptekeningen nagelaten hebben, tot
en met de codificatie van hun recht. Dekkers heeft altijd, in
al zijn boeken, gebruik gemaakt van een eenvoudige en klare
stijl; hij bezat de kunst zich uit te drukken in korte en bondige
zinnen, die ingewikkelde problemen gemakkelijk deden begrijpen.

Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, Jaargang XX, nr. l
(1958).
(23) In Rapports généraux au V• Oongrès international de droit comparé, Bruxelles
4-9' août 1958, I, Bruxelles, 1960, p. 11-16.
(24) In Rechtskundig Weekblad, 29 (1965-1966), kol. 1025-1058; ook in het Frans
onder de titel "Droit congolais et droit romain", in Bulletin trimestriel du Oentre d'étude
des problèmes sociaux indigènes, Lubumbashi, 1965, nr. 71, p. 1-56 (niet gezien, even-
min als de Spaanse versie in Boletin Mexicano de derecho comparado, 1971, p. 3-52).
(25) In Rechtskundig Weekblad, 29 (1965-1966), kol. 1521-1526; ook in het Frans
onder de titel "La dot en droit congolais et en droit romain", in Revue iuridique du
Congo, 1965, p. 242-249 (niet gezien).
(26) In Mélanges Philippe Meylan, Lausanne, 1963, p. 71-76.
(27) Brussel, Editions de la Librairie encyclopédique, 1953; in het Spaans : El
Derecho privado de los pueblos, Madrid, Revista de derecho privado, 1957, 625 p. De inlei-
ding ervan verscheen ook in de Revue de droit international et de droit comparé, 1954,
p. 52-55.
32 J. GILISSEN EN R. FEENSTRA

Dit heeft hij ook gedaan bij de beschrijving van die tientallen
rechtsstelsels waarvan hij de voornaamste rechtsbronnen en
kenmerken analyseerde.
In het tweede deel van zijn boek - destinées - trachtte hij
de verspreiding van het privaatrecht in de wereld te ontleden.
Hij onderscheidde negen grote rechtsstelsels die de andere hebben
beïnvloed en zelfs soms beheerst en overheerst. Dit rechtshisto-
risch gedeelte is het kortste, amper 30 pagina's ; het is een buiten-
gewoon heldere synthese van de grote stromingen in de evolutie
van het privaatrecht in de wereld ; maar het is zo kort dat de
meeste ideeën niet uitgediept en genuanceerd konden worden.
Het derde deel - dominantes - is onbetwistbaar het belang-
rijkste en het meest originele. Hier heeft Dekkers een soort
rechtsfilosofie opgebouwd door de hoofdtrekken van de evolutie
ervan te beschrijven : wat is recht, hoe ontstaan rechtsregels, hoe
wordt het recht overgedragen, hoe evolueert het recht : van
bovennatuurlijk naar rationeel, van privaatrecht naar publiek-
recht, van strafrecht naar burgerlijk recht, evolutie naar indivi
dualisme, naar emancipatie, naar liberalisme, naar eenvormig-
heid, naar zachtmoedigheid, enz. Hijzelf schreef in zijn inleiding
dat zijn doel was "d'extraire du matériel historique des idées
directrices, en les illustrant par des exemples topiques; de
fournir une échelle des valeurs juridiques, débarrasser le droit
de ses entraves nationales, pour ne plus voir que la pensée, le
phénomène". We waren in de jaren '50 in de tijd van de pheno-
menologie in het wijsgerig denken; Dekkers schreef dat zijn
boek zou zijn "une phénoménologie juridique, mais constamment
basée sur les faits ; disons plus clairement : une philosophie de
l'histoire comparée au droit" (28).
Men had de hoop kunnen koesteren dat Dekkers, bezield door
een dergelijke rechtshistorische vergelijkingsmethode, een actief
lid zou geworden zijn van de "Société Jean Bodin pour l'histoire
comparative des institutions" die toen, precies in de jaren '50,
de wereldrechtsgeschiedenis als haar studieterrein ging beschou-
wen. Hij deed het niet; hij meed de bijeenkomsten van de

(28) Van het laatste hoofdstuk van de Droit privé des Peuplea verscheen een Neder-
landse en een Italiaanse versie : ,,Historische rechtswetenschap", Mededelingen van de
Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van
België, Klasse der Letteren, Jaargang XV, nr. 6 ( 1953) ; ,,Scienza storica del diritto"
in Annali della Univeraità di Macerata, a cura della Facoltà giuridica, 24 (1960), p. 1-19.
RENÉ DEKKERS ALS RECHTSHISTORICUS 33

"Société Jean Bodin" nog meer dan die van de "Société De


Visscher". Paradoxaal was dan ook zijn aanstelling tot voorzitter
van het Comité van de Congressen dat ter gelegenheid van de
Universele Tentoonstelling van 1958 te Brussel ingesteld werd.
In het slotwoord van zijn Droit privé des peuples, waarin hij
zich afvraagt of het recht gedetermineerd is, heeft Dekkers
zijn visie op de rechtsevolutie op uitstekende wijze samengevat :
"C'est qu'en dépit de toutes les corrélations, il subsiste dans
l'élaboration et dans l'évolution du droit une marge d'impondé-
rables. Et c'est là qu'apparaissent tantöt Ie choix, tantöt la
routine, tantöt Ie sentiment, - tantöt même !'arbitraire, ou
Ie hasard. Les institutions juridiques rappellent un peu les pions
d'un échiquier, qui, quoique doués chacun de mouvements bien
définis, se prêtent à des jeux inextricables .... En dépit de l'esprit
de géométrie qui l'anime, Ie juriste n'est pas encore un automate.
Il demeure homme. Or, tout ce qui est humain restera toujours,
par quelque aspect, incalcuiable".
Les fiançailles des mineurs
dans l 'ancien droit néerlandais
(1580-1809) (*)

PAR

H. ANKUM
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ D'AMSTERDAM

1. - Les fiançailles, telles qu'elles sont connues dans les


droits européens modernes, ont leur origine historique dans les
sponsalia (1) du droit romain (2). Cet acte préalable à la conclu-
sion d'un mariage consiste en promesses réciproques faites par
deux personnes de sexe différent par lesquelles elles s'obligent
à se marier ensemble à un moment futur (3). Les fiançailles ont
été adoptées au cours du douzième siècle par le droit canonique
et plus tard par les différents systèmes de droit en Europe.

2. - Celui qui étudie les fiançailles sub specie aeternitatis


peut constater qu'elles ont eu et ont toujours des effets juridiques
très divers dans les différents systèmes juridiques. Pour en donner

(•) Nous employons dans cette étude les mêmes abréviations des sources et des
travaux cités que dans les Etudes sur le statut juridique des enfants mineurs dans
l'histoire du droit privé néerlandais à partir du treizième siècle, qui ont été publiées
dans T.v.R., 44 (1976), p. 294-328, 45 (1977), p. 117-153, 46 (1978), p. 203-249 et 47
(1979), p. 295-317. Je me permets de renvoyer à la liste des sources et travaux cités
d'une manière abrégée, ajoutée comme Annexe I à ma première étude; voir T.v.R.,
44 (1976), p. 329-330. Une dernière étude consacrée à l'incapacité des mineurs concer-
nant les actes juridiques en général sera publiée dans T.v.R., 51 (1983).
( 1) Dans la plupart des textes romains Ie mot sponsalia a la signification d'une
promesse unilatérale de se marier avec l'autre partie; cf. par exemple la fameuse
définition de Florentin au D. 23.1.1. : «Sponsalia sont la mention et la promesse de
la conclusion d'un mariage &. Nous savons cependant par AuLu-GELLE (Noctes Atticae,
4.4) que normalement deux promesses de mariage étaient données au même moment.
(2) Cf. J. GAUDEMET, « L'originalité des fiançailles romaines >>, dans Iura, 6 (1955),
p. 47 ets.(= Etudes de droit romain, III, Napoli, 1979, p. 21 ets.= Société et mariage,
Strasbourg, 1980, p. 15 et s.). Cet auteur a montré que l'institution des fiançailles,
comme un acte préalable à et nettement distinct de la conclusion du mariage n'a existé
ni dans !'ancien droit grec ni dans les droits germaniques.
(3) La conclusion d'un mariage valable a toujours été possible sans que des fiançailles
eussent eu lieu.
36 H. ANKUM

une idée au lecteur je les énumère, sans les approfondir, par


ordre d'importance décroissante de leurs effets.
Dans le droit canonique de la fin du douzième siècle à 1917
et dans l'ancien droit néerlandais jusqu'en 1809, celui qui avait
fait une promesse de mariage et qui refusait de l' exécuter pouvait
être forcé à contracter mariage. Dans le droit anglais jusqu'en
1971 la partie coupable de << breach of promise >> pouvait être
condamnée au paiement des dommages-intérêts qui étaient cal-
culés d'après l'intérêt positif de la partie lésée ; celle-ci était
mise dans la situation financière dans laquelle elle aurait été
après la conclusion du mariage. Dans la plupart des autres droits
civils européens, comme les droits français, beige et allemand,
la partie qui a rompu sa promesse de mariage doit payer des
dommages-intérêts calculés d'après l'intérêt négatif de la partie
lésée ; celle-ci doit être mise dans la situation financière qui
aurait été la sienne si les fiançailles n'avaient jamais eu lieu.
Telle est aussi la réglementation du droit néerlandais à partir
de 1838 : l'action en paiement des dommages-intérêts ne peut
cependant être intentée que si la déclaration du mariage a eu
lieu devant }'officier de l'Etat Civil et si celle-ci a été suivie de
la publication des hans. Dans l'ancien droit romain la partie
refusant de tenir sa promesse de mariage pouvait être condamnée
à payer une somme d'argent si une stipulatio poenae avait été
faite. Enfin, dans Ie droit romain à partir du premier siècle
avant notre ère, les fiançailles avaient une série d'effets de droit
civil et criminel d'une importance restreinte (4).

3. - Au cours du douzième siècle Ie droit canonique faisait


une distinction nette entre les sponsalia de futuro (matrimonio),
les fiançailles, et les sponsalia de praesenti (matrimonio), le consen-
tement des parties par lequel Ie mariage était conclu. Les sponsa-
lia de futuro étaient considérés comme obligatoires (5). << Chaque

(4) Je n'en mentionne que quelques-uns ici : un fils n'avait pas Ie droit de se marier
avec la sponsa de son père comme un père n'avait pas Ie droit de se marier avec la
fiancée de eon fils; on était intitulé à intenter l'actio iniuriarum à la base d'une injure
faite à l'égard de sa fiancée; la lex Julia de fundo dotali était aussi applicable à des
aliénations faites par un sponsus; les fiancés qui avaient des contacts sexuels avec des
autres pouvaient être poursuivis pour adulterium.
(5) Cf. sur les effets des verba de futuro en droit canonique A. EsMEm, Le mariage
en droit canonique, I, 2• éd., par R. GÉNESTAL, Paris, 1929, p. 151 et s. et II, 2• éd.
par R. GÉNESTAL et J. DAUVILLIER, Paria, 1935, p. 422 ets., ainsi que J. DAUVILLIER,
Le mariage dans le droit classique de Z'Eglise depuis le décret de Gratien (1140) jusqu'à
la mort de Clément (1314), thèse Paria, p. 40 et s. et p. 129 et s.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 37

fiancé pouvait contraindre l'autre fiancé à contracter (mariage)


et avait pour cela une action en justice, par laquelle il demandait
que son sponsus lui fût adjugé >> (6). Quelques autorités ecclé-
siastiques (p. ex. Thomas de Aquino et Ie pape Lucius III)
étaient d'avis qu'il fallait plutöt monere que cogere celui qui
refusait de remplir sa promesse, non seulement parce que la
coactio était contraire au principe du droit canonique, selon
lequel Ie mariage est conclu par Ie consentement des parties au
moment des sponsalia de praesenti, mais aussi parce que selon
Lucius III << coactiones difficiles soleant exitus frequenter ha-
bere >> (7). A partir du pape Alexandre III la plupart des autorités
ecclésiastiques ont formulé la règle selon laquelle Ie fiancé récal-
citrant peut être forcé - sous peine d'excommunication ou
par contrainte par corps - à contracter mariage. Cette règle a
été en vigueur jusqu'à 1917 : l'art. 1017, al. 3 du Codex iuris
canonici a décrété que Ie fiancé qui rompt les fiançailles sans
cause raisonnable peut être condamné au paiement de dommages-
intérêts.
L'auteur d'une excellente monographie sur l'histoire du droit
matrimonia! aux Pays-Bas (8) a trouvé quelques sources à la
fin du quinzième et au début du seizième siècle qui montrent
que la règle selon laquelle Ie fiancé refusant d' exécuter sa pro-
messe pouvait être contraint à contracter mariage était appliquée
dans nos régions.
Après la Réforme et la déclaration de déchéance du roi
Philippe II, les autorités séculières ont pris le pouvoir de légiférer
et de rendre la justice en matière d'affaires matrimoniales. Elles
ont suivi le principe de la force obligatoire des fiançailles (9).

(6) A. EsMEm, op. cit., I, p. 151/2.


(7) Luc. 111, cap. 17, X de spons. IV, I.
(8) L. J. VAN APELDOORN, Geschiedenis van het Nederlandsche Huweliiksrecht, Amster-
dam, 1925, p. 46.
(9) Voir sur les effets juridiques des fian9ailles dans !'ancien droit néerlandais de la
période réformée : VAN APELDOORN, cité à la note précédente, p. 77 et s., P. J. IDEN·
BURG,« Eenzijdige verbreking van verloving•, dans Tijdskrif vir hedendaagse Rom.-Holl.
Reg, 1946, p. 153 et s., DE BLÉCOURT-FISCHER, Kort Begrip, p. 69, G. C. J. J. VAN
DEN BERGH, Volksgericht en strafrecht (Bijdr. en Meded. der volkskunde-commissie van
de Kon. Ned. Akad. v. Wetenschappen, 111), Amsterdam, 1966, p. 14-17; R. C. VAN
SCHAARDENBURG, « Beloften trouw zijn>, dans Advokatenblad, 1968, p. 385-391; VAN
DEN BERGH, G. C. J. J., dans G. C. J. J. VAN DEN BERGH et autres, Staphorst en zijn
gerichten, verslag van een juridisch-anthropologisch onderzoek (Publikaties over volks-
recht, V), Meppel, 1980, p. 202-216; et A. Fl. GEHLEN, Het notariaat in het tweeherig
Maastricht, thèse Nimègue, Assen, 1981, p. 175-178 et la littérature mentionnée par
les trois derniers auteurs.
38 H. ANKUM

A partir des deux dernières décennies du se1z1eme siècle on


pouvait demander I' exécution des promesses de mariage devant
les juges séculiers. Quand il n'y avait pas de cause raisonnable
pour la dissolution des fiançailles, ils condamnaient Ie fiancé
récalcitrant à participer à la conclusion du mariage in facie
ecclesiae, devant Ie tribunal, ou devant les commissaires des
affaires matrimoniales qui existaient dans beaucoup de grandes
villes. Sur base d'une telle sentence Ie demandeur pouvait faire
enfermer Ie fiancé récalcitrant en prison ou (à ses propres frais)
dans une auberge jusqu'au moment ou ce dernier consentait à
se marier, ou faire désigner par les juges un représentant du
récalcitrant avec qui Ie mariage était conclu. En Frise, Ie fiancé
quine voulait pas tenir sa promesse pouvait être arrêté et conduit
à l'église ou à la mairie pour participer à la cérémonie de la
conclusion du mariage. On peut trouver dans les sources une
masse immense de procédures dans lesquelles l'exécution d'une
promesse de mariage a été demandée. La partie demanderesse
était très souvent une femme. Dans une grande partie des cas
la demande n'avait pas de succès. C'étaient des problèmes de
preuve (10) qui en étaient la cause. Souvent il n'y avait pas de
preuve écrite et - puisque les promesses de mariage étaient
souvent données pendant des moments intimes - pas de témoins.
Pour ne pas donner à des femmes de moralité douteuse ou d'une
situation sociale moins élevée la possibilité de se faire adjuger
comme époux des (jeunes) hommes de bonne famille, les juges
refusaient généralement à la demanderesse Ie droit de prêter
serment. Les juges, surtout les échevins, donnaient au contraire
au défendeur la possibilité de prêter un serment purgatoire.
L'effet en était sans doute que les mésalliances dont je viens
de parler n'étaient pas créées. On acceptait cependant simultané-
ment que des femmes respectables, mais naïves qui avaient reçu
une promesse de mariage orale ne parviennent pas à faire respec-
ter leur droit. La Haute Cour de Hollande et Zélande n'acceptait
aucun serment dans des procédures concernant les promesses
de mariage (11). Dans beaucoup de cas la demanderesse ajoutait

( l 0) Voir sur des problèmes de preuve dans les procès concernant les fiançailles
Ant. MATTHEUS, De Probationibus Liber, Traj. ad Rhenum et Neomag. Batav. 1752,
I, 20, VI, 35 et VIII, 22, Arntzenius, II, I, 9 et H. BROUWER, De Jure Connubiorum,
Amstelodami 1665, I, 23 : • De Probatione Sponsalium •·
(Il} C'était au moins Ie principe suivi par la Haute Cour au 18• siècle, comme il
ressort des décisions concernant les fiançailles rapportées par BIJNKERSHOEK et PAUW
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 39

à la demande de contracter mariage une demande subsidiaire


concernant le paiement d'une somme d'argent servant de pretium
virginitatis et de dotatio, une pension alimentaire pour l'enfant
né des contacts intimes avec le défendeur et le remboursement
des frais d'accouchement. Dans beaucoup de cas ou la demande
primaire fut rejetée, la demande subsidiaire fut accordée. Bien
que beaucoup d'anciens auteurs suivissent l'idée des canonistes
médiévaux selon laquelle spiritualia non capiunt restimationem,
dans la pratique judiciaire des condamnations à payer des
dommages-intérêts avaient lieu dans certains cas ou le :fiancé
récalcitrant ne pouvait plus être contraint à participer à la célé-
bration du mariage, puisqu'il s'était déjà marié avec quelqu'un
d'autre et dans d'autres cas ou le demandeur se contentait
d'exiger une somme d'argent de l'autre :fiancé et ne le forçait
pas à J'exécution de sa promesse.
Non seulement celui qui avait reçu une promesse de mariage
avait le droit de demander la conclusion du mariage mais il
avait aussi le droit de s'opposer à ce que le :fiancé se marie
avec quelqu'un d'autre. La publication des hans de mariage
était précisément faite pour donner la possibilité entre autres
à celui qui avait reçu une promesse de mariage de s'opposer à
la solennisation d'un mariage du :fiancé avec un tiers (12). Si
une telle promesse pouvait être prouvée, le mariage du :fiancé
avec ce tiers ne pouvait avoir lieu.
Le<< Wetboek Napoleon ingerigt voor het Koningrijk Holland>>
de 1809 a beaucoup limité les effets des fiançailles. L'art. 47
prescrit encore à titre de principe, que l'un peut forcer l'autre
à remplir sa promesse sur base des fiançailles. Mais venant à
l'élaboration pratique de ce principe, l'art. 132 ne donne la
possibilité selon laquelle un représentant serait nommé pour
participer à la conclusion du mariage au lieu du fiancé récalci-
trant, qu'au cas ou la publication des hans a eu lieu. L'art. 135
enfin donne à celui à qui une promesse de mariage a été faite,

dans leur Obaervationes Tumultuariae (Novae). Nous étudierons les décisions qui ont
trait à. des fiançailles dont une ou les deux parties étaient des mineurs ei-dessous dans
ce travail.
(12) Voir p. ex. art. 3 de la« Politieke Ordonnantie• des Etats de Hollande de 1580
qui dit que la publication des bans d'un mariage doit avoir lieu • teneynde een yegelicken
die eenige letselen ofte hindernissen, 't zy van bloede, swagerschap, ofte voorgaende
beloften, waardoor 't houweliek egeenen voortganok en sonde behooren te hebben, wil
voorwenden, 't selve mach doen ... •·
40 H. ANKUM

la possibilité de faire opposition à la célébration du mariage du


fiancé avec un tiers seulement au cas ou il peut prouver cette
promesse par un acte écrit.
Le Code civil français entré en vigueur aux Pays-Bas en 1811
a mis fin à ces e:ffets - déjà limités - des fiançailles. Le Code
civil néerlandais de 1838 déclare expressément, en s'opposant à
l'ancien droit néerlandais, que les promesses de mariage ne
donnent pas lieu à une demande de contracter mariage ni à une
demande en dommages-intérêts. L'alinéa 2 de l'article 113 don-
nait la réglementation d'une action en dommages-intérêts dont
nous avons déjà résumé les conditions et le contenu au § 2.
Quand un nouveau droit des personnes et de la famille fut mis
en vigueur en 1970, rien ne changea, puisque les dispositions de
l'article 113 ont été reprises totalement dans l'article 49 du
nouveau livre I du Code civil.

4. - Les considérations présentées ci-dessus doivent nous


servir d'introduction au vrai sujet de cette étude, écrite en
hommage au romaniste et civiliste belge, qui par sa bibliographie
des juristes des anciens Pays-Bas (13) a apporté une contribution
importante à la science de l'histoire du droit néerlandais. Dans
le cadre d'une série d'études dédiées au statut juridique des
enfants mineurs dans l'histoire du droit privé néerlandais (14)
je veux traiter ici des problèmes juridiques qui concernent les
fiançailles des mineurs dans l'ancien droit néerlandais de 1580
à 1809.
Durant la période étudiée, les mineurs étaient en Gueldre les
jeunes filles qui n'ont pas encore atteint l'age de 18 ans et les
garçons qui n'ont pas encore atteint l'age de 20 ans et dans
presque toutes les autres régions des Pays-Bas septentrionaux
les personnes agées de moins de 25 ans (15).
Vu les ages précoces de 12 (pour les jeunes filles) et 14 ans
(pour les garçons) qui donnaient aux jeunes gens le droit de se

(13) R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, Brussel, 1951.


(14) Nous avons cité ces études dans la note (*) au début de ce travail.
(15) Voir mon étude, Cessation de la minorité •, dans T.v.R., 44 (1976), p. 297 ets.
Tous les anciens auteurs étaient d'accord que les enfants émancipés ou ayant obtenu
des lettres de venia aetatis devaient être considérés comme des mineurs en ce qui
concerne la nécessité du consentement à leur mariage. Cf. mon étude , Le mariage et
les conventions matrimoniales des mineurs•, dans T.v.R., 46 (1978), p. 222. Pour les
fiançailles on les considérait également comme des mineurs; cf. Arntzenius, II, I, 12.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 41

marier (16), les fiançailles des personnes mineures (17) étaient


fréquentes dans !'ancien droit néerlandais. Nous traiterons
d'abord des promesses de mariage faites par un mineur (ce §
et les § 5-7), puis nous étudierons les promesses de mariage
faites à un mineur ( § 8 et 9).
Dans Ie droit des provinces néerlandaises de la période étudiée,
les normes concernant la nécessité du consentement aux fian-
çailles des mineurs ont été dérivées en premier lieu des règles qui
concernent la nécessité du consentement au mariage des mineurs.
Nous devons donc résumer d'abord ces dernières.
A la différence du droit canonique et sous l'influence de l'église
protestante, les législateurs provinciaux ou locaux ont demandé
sous peine de nullité du mariage l'autorisation des deux parents
(en Frise: du père) ou du parent survivant et partout (sauf dans
la plus grande partie de la Hollande) celle des tuteurs et/ou des
proches parents au mariage des personnes mineures (18). Dans
la plupart des régions on considérait comme mineurs en ce qui
concerne Ie droit matrimonia! tous ceux qui étaient mineurs
selon les normes générales du droit privé, c'est-à-dire normale-
ment ceux qui n'avaient pas encore atteint l'age de 25 ans.
Dans quelques régions, à savoir en Hollande, en Zélande, dans
la province d'Utrecht entre 1584 et 1659 et dans les pays de la
Généralité à partir de 1656, les jeunes filles qui avaient atteint
l'age de 20 ans étaient considérées comme majeures en ce qui
concerne la réglementation du consentement à leur mariage.
Dans quelques régions, les enfants majeurs pouvaient se marier
librement; dans la plus grande partie des anciens Pays-Bas
septentrionaux les majeurs avaient besoin d'une autorisation pa-

(16) Pour tous les détails concernant la réglementation juridique des mariages et
contrats matrimoniaux je renvoie, pour limiter Ie nombre des notes, une fois pour
toutes à mon étude publiée dans T.v.R., 46 (1978), p. 203-249.
(17) VAN DER KEESEL, Praelectiones, I, p. 180 et Thes. se!., 52, a soutenu, que
seuls les mineurs pubères étaient capables de se flaneer. Je n'ai pas trouvé cette
restriction à la capacité de donner des promesses de mariage ailleurs. On était d'accord
sur ce point, que Ie père ou un tuteur ne pouvait jamais contracter des fiançailles au
nom d'un mineur à l'encontre de sa volonté. VAN DER KEESEL, Thes. se!., 52, l'a
formulé clairement « nee parentes po impuberibus aut minoribus liberis, sponsalia cum
ejfectu contrahere possunt •>. Cf. aussi VAN DEN BERGH, Staphorst, cité à la note 9, p. 204.
(18) A titre d'exception une telle autorisation n'a pas été nécessaire à Vianen, dans
Ie pays de Ruremonde et à Culemborg jusqu'en 1680. En Gueldre, et en Frise pour
les enfants se trouvant sous puissance paternelle, on ne faisait pas de distinction entre
les enfants mineurs et majeurs dans ce sens que les juges n'avaient en principe pas Ie
droit d'apprécier les motifs du refus du consentement, ce qu'ils avaient pour les majeurs
dans toutes les régions ou les majeure avaient besoin d'une autorisation à leur mariage.
42 H. ANKUM

rentale, mais Ie magistrat ou la Cour pouvait autoriser Ie mariage


si les parents avaient refusé leur consentement sur base de motifs
déraisonnables.
Comme pour les contrats matrimoniaux, qui sont également
un acte préalable et intimement lié au mariage, on a formulé
pour les fiançailles des mineurs d'une manière générale (19) la
règle selon laquelle les mineurs ont besoin pour leurs fiançailles
de l'autorisation des personnes qui doivent donner leur autori-
sation au mariage (20). Les mêmes personnes devaient clone
consentir à leurs fiançailles et à leur mariage (21). Si l'autorisation
de ces personnes faisait défaut, les promesses de mariage données
par des mineurs étaient nulles. Les mineurs ne pouvaient pas
être contraints à la conclusion du mariage sur base d'une telle
promesse de mariage nulle, même après que Ie mineur était
devenu majeur, et celui, à qui Ie mineur s'était fiancé ainsi, ne
pouvait s'opposer à la conclusion d'un mariage de ce dernier
avec quelqu'un d'autre. La règle mentionnée et Ie principe de la
nullité (22) des promesses de mariage faites sans l'autorisation

(19) Nous n'avons trouvé qu'une exception dans les Utrechtache Oonaultatiën III,
1, 21 et s. Les auteurs de eet avis du 27 février 1609 soutiennent que les Etats
d'Utrecht ont exigé dans leur ordonnance sur le mariage Ie consentement des parents
au mariage, mais pas aux fiançailles, qu'une interprétation extensive ne s'impose pas,
en premier lieu puisque les effets du mariage sont plus graves que ceux des fiançailles
et en second lieu puisqu'un mariage de ce mineur ne peut avoir lieu sur base de ces
fiançailles contre la volonté de ses parents, leur consentement étant toujours nécessaire
au mariage. Les auteurs de eet avis ne parlent pas de l'incapacité des mineurs en
général et ils oublient qu'un mineur devenu majeur peut être condamné à contracter
mariage sous réserve du droit des parents de refuser leur consentement et des juges
d'apprécier les motifs de leur refus.
(20) Nous avons trouvé cette règle, formulée brièvement par VAN DER KEESEL,
Thea. sel., 50, comme suit : • Sponsalia clandestina, sine voluntate eorum, quorum
consensus ad nuptias requiritur, contracta a minoribus . . . non . . . valent ... • entre
autres dans les travaux des auteurs suivants : BROUWER, De Jure Oonnub., I, 15, 2,
qui prétend pourtant d'une manière inexacte qu'une restitutio in integrum était tou-
jours demandée pour toute sécurité; BIJNKERSHOEK, Quaest. Jur. Priv., I, II, III;
A. MATTHAEUS, De Probationibus, cap. VI, n. 34; ARNTZENIUS, Il, I, 12, et P. BoRT,
Nagelaten Werken, Utrecht, 1745, p. 134. Par une construction artificielle, ce dernier
auteur en vient au même résultat : il écrit que les promesses de mariage faites sans
consentement des parents sont censées être faites sous la condition d'un tel consen-
tement; si les parents refusent à consentir aux fiançailles, ces • sponsalia non subsistunt •·
(21) En certains lieux ou pour les mariages des mineurs une autorisation n'était
pas nécessaire à peine de nullité, on ne pouvait pas baser la nullité des fiançailles faites
par des mineurs seuls sur Ie régime concernant la conclusion du mariage. Nous avons
dans les Utrechtsche Oonsultatiën II, 46, un avis juridique de l'année 1662 concernans
une promesse de mariage faite Ie 22 octobre 1660 par une jeune fille née le 26 novembre
1638. L'auteur de !'avis basait la nullité de cette promesse sur la règle générale des
c Handvesten• de la ville de Culemborg de 1647, selon laquelle les contrats des per-
sonnes mineures, o'est-à-dire des personnes de moins de 22 ans, sont nuls.
(22) Quelques auteurs soutiennent que les mineurs devenus majeure, ou leur père
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 43

requise ont été appliqués - comme nous Ie verrons au § 5


avec une grande fréquence. Ils ont été exprimés rarement dans
les lois ou dans les coutumes écrites (23). On les trouve exprimés
d'une manière implicite dans l'art. 1 de l'ordonnance du 15 mai
1689 concernant Ie mariage de la ville de Groningue (24) :
<< Alle trouwbeloften tusschen twee voljarige personen of

minderjarigen met consent van haer ouderen of de langstlevende


van dien of derselver voorstanderen ingegaen, sullen van soo-
daene kracht zijn dat men daer van sonder wille van sijn weder-
partij niet mach afwijcken ... Maer soodaene trouwbeloften
moeten naegekomen, 't beloofde houwelyck voltrocken en kan
de onwilligen door ingijselinge en apprehensie daertoe geconstrin-
geert ende gedwongen worden>>.
En Frise on trouve une exception au régime selon lequel ceux
qui doivent donner leur autorisation au mariage, doivent égale-
ment donner leur autorisation aux fiançailles des mineurs, pour
Ie cas d'une promesse de mariage faite sans autorisation de son
tuteur par un mineur dont les parents sont morts. Bien que la
jurisprudence à partir de la fin du seizième siècle, et Ie législateur
à partir de 1723 aient exigé Ie consentement du tuteur au mariage
d'un tel mineur, ce consentement n'était pas nécessaire pour
ses fiançailles (25). Ulrik Huber était pourtant d'avis qu'il était

ou tuteur, peuvent demander une restitutio in integrum oontre une promesse de


mariage, sans préciser - comme Ie font tous les autres auteurs et toutes les sentenoes
judiciaires, que j'ai trouvés - que la restitutio in integrum est seulement nécessaire
aux cas 011 des fiançailles ont été conclues par un mineur avec Ie consentement de ses
parents ou tuteurs (voir infra, n° 7). Ces auteurs dont !'opinion est restée isolée et qui
ont soutenu cette opinion exceptionnelle non seulement pour les promesses de mariage,
mais aussi pour tous les autres actes du mineur sont GROENEWEGEN, De legibus abro-
gatis, Ad Cod. 5, 1.1.1, n. 2, VAN LEEUWEN, Censura forensis, I, I, XI, 13 ainsi que
Rooms-Hollanda Regt, IV, 25, 2 et VOET, Comm. ad Pand, Ad D. 23.1, n. 17. BROUWER,
De Iure Connub., I, 15.2 écrit expressément que la promesse de mariage fa.ite par un
mineur seul est nulle, mais qu'une restitutio in integrum est demandée quand même
maioris cautelae gratia.
(23) De quelques sources, dans lesquelles on trouve les mots « beloftenis •• on pour-
ra.it croire qu'elles contiennent des réglementations des fiança.illes des mineurs. Ce sont
l'Ordonnance sur le mariage de la villa de Deventer de 1582, éditée par W.G. ZEYLSTRA
dans Vers!. en Med. Overiiss. Recht en Geschiedenis, 50 (1934), p. 35 et s. art. 5; le
«Landrecht• d'Overijssel de 1630, II, I, 1 et le c Landrecht• de Drenthe de 1718,
Meppel 1718, III, I, 1. Si !'on regarde ces sources de plus près, on constate pourtant
qu'elles contiennent des normes concernant les sponsalia de praesenti des mineurs.
(24) Cette ordonnance est incorporée dans Corpus der Groninger Regten, Groningue,
1725.
(25) Ulr. HuBER, Heedensdaegse Rechts-geleerdheyt, I, 5, 60-63. Zach. HUBER, Obser-
ootiones Rerum in suprema Frisionum Curia iudicatarum, I, Leeuwarde, 1723, I, 2, 17.
RENÉ DEKKERS. - 4
44 H. ANKUM

<< onweerdig de deftigheyt der Roornsche wetten >> que les mineurs

puissent être forcés à se marier sur base d'une promesse de


mariage faite par eux seuls (26).
Comme on le sait, Charles V a disposé dans l'article 17 de
l'Edit du 4 octobre 1540, que celui, qui épousait un mineur
(garçon de moins de 25 ans, jeune fille de moins de 20 ans) sans
le consentement de leurs père et mère, ou au décès de ceux-ci,
de la majorité de leurs << vrienden en magen>> des deux cötés
ou du magistrat de leur dornicile, ne pourrait bénéficier de la
part du mineur d'aucun avantage patrimonia!. Cette disposition
est restée en vigueur jusqu'en 1809. On s'est demandé si cette
peine patrimoniale devait être appliquée aussi à celui qui s'est
fi.ancé avec un mineur sans que ce dernier ait reçu Ie consente-
ment nécessaire. Grotius (27) a probablement répondu à cette
question d'une manière affirmative. Van der Keesel (28) a sou-
tenu que Charles V visait les mariages clandestins mais pas les
fiançailles clandestines, et il ajoute (29) que Ie législateur << tacite
indicat consensum parentum vel cognatorum ante consummatum
matrimonium impetratum tollere vitium sponsalium clandestino-
rum », ce qui n'aurait pas été possible si les fiançailles des mineurs
sans consentement avait déjà été menacées de la peine de l'Edit.
L'opinion de Van der Keessel nous semble conforme à !'ancien
droit des provinces septentrionales; nous n'avons en e:ffet jamais
trouvé une application de l'article 17 de l'Edit de 1540 à des
fi.ançailles clandestines.
Revenant au principe de la nullité des promesses de rnariage
données par un mineur (30) sans Ie consentement des personnes

(26) HuBER, op. cit., I, 5, 63 raconte que • d'Heeren van de Juridische ~'aculteit •
(de Franeker) et lui-même avaient donné en septembre 1684 un avis conoernant une
promesse de mariage faite par un jeune homme sans parents de 18 ans, dans lequel
ils avaient soutenu, que ce garçon ne devait pas être contraint à exécuter sa promesse.
(27) GROTIUS, Inleidinge, I, 8.3, ou il parle d'une personne qui • trou-belofte ofte
huwelick aengaet •· Il me semble pourtant possible que Grotius n'ait pensé qu'aux
sponsalia de praesenti et qu'il ait employé les deux mots cités comme des synonymes.
(28) VAN DER KEESEL, Praelectiones, I, p. 178 et 332/4 ainsi que Thea. sel., 50.
(29) VAN DER KEESEL, Praelectiones, I, p. 178.
(30) Nous ne traiterons pas ici les problèmes juridiques concernant les fiançailles
des personnes majeures, qui étaient considérées comme valables comme toutes autres
conventions. Souvent un majeur qui s'était fiancé sans Ie consentement de ses parents
refusait plus tard de remplir sa promesse en soutenant que ses parents n'étaient pas
d'accord avec son mariage. Des auteurs et des sentences du 17• siècle ont soutenu
et décidé qu'une telle personne qui se soumettait à la volonté de ses parents ne
pouvait pas être condamnée à participer à la célébration du mariage; cf. p. ex.
GROENEWEGEN, De Zegibus abrogatis, Ad Cod. 5, 1, 1.5, n. 3 et BROUWER, De Jure
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 45

qui doivent consentir à son mariage, nous devons encore, avant


d'aborder au § suivant l'étude de son application dans la pratique
judiciaire, rechercher quel en était le motif. Nous crayons qu'il
a été formulé le plus nettement par Bijnkershoek (31). En
soutenant la nullité d'une promesse de mariage donnée par une
personne mineure sans l'autorisation de ses parents, il écrit qu'il
serait faux de dire que les mineurs puissent se flaneer valable-
ment tout seuls, puisque les États avaient exigé cette autorisa-
tion seulement à leur mariage. Bijnkershoek poursuit que !'opi-
nion selon laquelle les fiançailles des mineurs sans le consente-
ment des parents sont valables à la différence du mariage, aurait
comme conséquence que les fiancés cacheraient leur promesse
de mariage jusqu'au début de la majorité de la partie mineure,
l'autre partie demandant à ce moment une action pour exécution
de la promesse. Alors s'ils ne sont pas d'accord avec le choix
de leur enfant, les parents devront donner les raisons de leur
refus, qui ne sont pas toujours approuvées par les juges, tandis
que l'enfant serait toujours tenu par sa promesse, même s'il
s'est repenti de la décision qu'il a prise pendant sa minorité.
De cette manière on pourrait éluder facilement la disposition de
l'article 3 de la << Politieke Ordonnantie>> et une promesse serait
valable après la fin de la minorité, qui n'aurait pas été valable
durant la minorité quand les parents avaient des objections.
C'est pour cela que pour Bijnkershoek les fiançailles des mineurs
ayant des parents sont nulles sur base de l'esprit de la disposition

Oonnub., I, 13, n. 7 et Ja première sentence de Ja Haute Cour de Hollande et Zélande


du 27 mai 1651 rapportée par VAN LEEUWEN,Rooma-HoU. Regt, IV, 25,3 dans !'affaire
d'Alida Koninks contre Gerard Bikker; après la mort de ses parents Ja Haute Cour
a condamné quand même dans une quatrième sentence de révision du 23 février 1656
Gerard Bikker à épouser Alida Koninks in facie ecclessiae (cf. VAN LEEUWEN, op. cit.,
IV, 25, 3). Les auteurs de la seconde moitié du 17• et du 18• siècle étaient presque
tous d'avis qu'un fiancé majeur ne pouvait se soustraire à sa promesse de mariage
en voulant obéir à ses parents. L'autre fiancé pouvait Ie citer et demander sa parti-
cipation à la conclusion du mariage et citer les parents de son fiancé pour Ja pormettre,
ou ce dernier pouvait citer ses propres parents et leur demander de consentir au
mariage. En Hollande Ja première méthode était préférable pour Ie fiancé qui voulait
que Je mariage eût lieu, puisque dans le cas d'une procédure entre l'autre fiancé et
ses parents il n'y avait pas de possibilité d'appel si les juges approuvaient Jes raisons
du refus des parents. Cf. VAN LEEUWEN, Rooma-Holl. Regt, IV, 25, 3 et 4; VOET,
Oomm. ad Pandect., ad D. 23, l, n. 16; BOEL, ad Loenium, cas. 55, p. 348 ets.;
VAN DER KEESSEL, Praelectiones, 1, p. 184 et 186, et Thea. sel., 54, ainsi quelessentences
de la Haute Cour de Hollande et Zélande du 2 mai 1732, 13 février 1737 et 10 octobre
1737, voir BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., 111, 2690 et IV, 3009 et 3047.
(31) BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., I, 348 dans ses considérations concornant Jes dis-
cussions préalables à la sentence de la Haute Cour du 2 novembre 1707.
46 H. ANKUM

de l'article 3 P.O., si les parents n'y ont pas consenti. On peut


dire selon nous d'une manière générale que le principe de la
nullité des fiançailles faites par des mineurs sans le consentement
de ceux qui doivent consentir à leur mariage, a été accepté pour
donner le maximum d'effet à la règle selon laquelle les mineurs
ont besoin à peine de nullité du consentement à leur mariage de
leurs père et mère, et - presque partout - de leurs tuteurs
et proches parents.

5. - Dans la pratique judiciaire la nullité d'une promesse


de mariage faite par un mineur sans le consentement des per-
sonnes qui doivent consentir à son mariage a joué un röle
(décisif) dans trois types de procédures :
1) Un fiancé (A) cite l'autre (B) devant le tribunal ou devant
les commissaires des affaires matrimoniales et demande que la
promesse de mariage de B soit exécutée et que ce dernier soit
condamné à participer à la célébration du mariage in facie
ecclesiae ou devant le <<gerecht>> à la mairie. A titre de défense B
soutient qu'il était mineur au moment des fiançailles, que les
personnes devant consentir à son mariage n'ont pas consenti à
ses fiançailles, que sa promesse de mariage est par conséquent
nulle, et que le demandeur doit donc être débouté de sa demande.
La plupart des demandeurs sont des jeunes filles et souvent
une action subsidiaire pour défloration a été ajoutée, par laquelle
la demanderesse exige une somme d'argent comme<< dotation >>,
ainsi que le remboursement des frais d'accouchement et une
alimentation pour l'enfant, né à la suite des prétendus contacts
intimes.
2) Deux personnes (B et X) ont fait publier les hans de leur
mariage. Une autre personne (A) demande que cette publication
soit arrêtée et s'oppose à ce que ce mariage entre B et X ait lieu,
puisque B lui a fait une promesse de mariage antérieure à celle
faite par B à X. A titre de défense B soutient qu'il était mineur
au moment de ses fiançailles avec A, que les personnes qui doivent
consentir à son mariage n'y ont pas consenti, que la promesse
de mariage qu'il a donnée à A est par conséquent nulle et que
rien ne s'oppose donc à son mariage avec X.
3) Un mineur (B), qui s'est fiancé avec A sans l'autorisation
requise, assisté par son père ou tuteur, ou devenu entretemps
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 47

majeur, ou bien un parent ou tuteur de B cite A devant Ie tribunal


des échevins ou devant les commissaires des affaires matrimo-
niales et demande que les juges prononcent la nullité de la
promesse de mariage donnée par B à A et décident que B est
libre de (se flaneer et de) se marier avec quelqu'un d'autre.
Avant d'aborder au § 6 quelques problèmes juridiques plus
compliqués concernant des promesses de mariage faites par des
mineurs, je donne quelques exemples des procédures indiquées.
Une jeune fille à Sommelsdijk a fait à l'age de 16 ans une
promesse de mariage écrite à Jason van der Hove. Bien qu'il
lui ait promis plus tard de lui restituer l'acte de la promesse
et de la libérer de sa promesse, Jason changeant d'avis veut la
faire condamner à contracter mariage quand même. L'auteur
d'un avis dans les << Hollandse Consultatiën >> (32) écrit que Ie
droit ne Ie lui permet pas et qu'il doit restituer à la jeune fille
l'acte contenant la promesse de mariage en sa possession.
Dans un cas rapporté par Loenius (33), Eva Nagels avait cité
son fiancé, appelé par Loenius N.N., devant les commissaires
des affaires matrimoniales pour être condamné à participer à la
célébration de mariage. Les juges d' Amsterdam rejetaient la
demande et permettaient au jeune homme de se marier avec
quelqu'un d'autre. La demanderesse allait en appel de cette
sentence auprès de la Cour de Hollande qui rejetait !'appel Ie
10 février 1622. Pour bien comprendre la décision de la Cour,
il faut savoir que la législation matrimoniale municipale à
Amsterdam était différente de la législation provinciale générale
dans ce sens, que les mineurs y devaient obtenir en cas de mort
de leurs père et mère Ie consentement à leur mariage de leurs
grands-parents, de leurs frères et soours majeurs et de leurs
oncles et tantes et à défaut de ces proches parents de leurs
tuteurs. La Cour confirmait la sentence des juges inférieurs en
décidant que la promesse de mariage de N. N. qui était un mineur
sous tutelle ne l'obligeait pas à contracter mariage vu la contra-
diction de ses tuteurs et elle ajoutait :
« Dat ook sodanige hijmelijke trouwbeloften van de jonge
luyden (hoewel geen ouders hebbende) nog staande onder
voogden, buyten consent van haare voogden gedaan, niet en

(32) Holl. OonsuU., I, 119.


(33) LoENIUS, Decia. en Observ., cas. IV.
48 H. ANKUM

conveniëerde roette waardigheyt en eerbaarheid van het huwelijk


't welk niet sonder kennis en consent van de voogden of vrinden
(daar geen ouders en zijn) behoort te worden gecontraheert ... >>.
Une jeune femme, appelée Gaia par Bynkershoek, grace à qui
nous connaissons !'affaire (34), soutient en 1705 <levant les éche-
vins de Rotterdam et plus tard <levant la Cour de Hollande,
qu'elle avait reçu en 1698 une promesse de mariage de Maevius
et demande que Maevius contracte mariage avec elle. Les éche-
vins et la Cour avaient fait droit à la demande, après que Gaia
ait confirmé sous serment que la promesse de mariage avait
bien eu lieu, malgré les dénégations de Maevius qui soutenait
qu'il avait 23 ans au moment des fiançailles et que sa mère n'y
avait pas consenti. Selon la Haute Cour aucune prestation de
serment n' était permise. La plupart des conseillers considéraient
les fiançailles comme prouvées; ils étaient tous d'avis que la
promesse de mariage faite par Maevius sans Ie consentement
de sa mère était nulle. La Haute Cour annulait donc Ie 2 no-
vembre 1707 les sentences des échevins de Rotterdam et de la
Cour de Hollande.
En se basant sur une promesse de mariage de 1733, que
Henriëtta Van Slangenburgh lui avait donnée, un jeune homme
cite la mère de Henriëtta, la veuve du pasteur Van Slangenburgh
<levant les échevins de Kampen (35) en demandant, que<< Hen-
riëtta van Slangenburghe sal worden gecondemneerd na de
wetten deser landen te trouwen ende dat hare moeder ... mede
sal worden gecondemneerd sulx te gehengen en te gedogen ... >>.
Les échevins déboutent Ie demandeur de sa demande en janvier
1736 à condition que la mère de Henriëtta prête serment qu'elle
n'avait pas consenti à la promesse de mariage que Henriëtta
avait faite au demandeur. Madame Van Slangenburgh a prêté
serment Ie 21 janvier 1736 (36) (37).

(34) BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., I, 348.


(35) Cf. J. NANNINGA UITTERDIJK, « Een procedure tot nakoming van trouwbelof-
ten 1677 », dans Bijdragen tot de geschied. van Overijssel, 14 (1907), p. 281.
(36) H. W. J. GELINK a étudié les sentences des échevins de Kampen concemant
les promesses de mariage entre 1682 et 1806 dans son travail « Procedures over ver-
breking van trouwbeloften te Kampen•• dans Verslagen en Meded. v. Overijsselsch Regt
en Geschied., 30 (1914), p. 67 et s. Il observe (p. 70) que les actions en exécution de
promesses de mariage étaient parfois rejetées à cause du défaut du consentement
patemel. (L'auteur aurait dû écrire : « à cause du défäut du consentement parental t).
(37) J'ajoute comme dernier exemple de procédure de la première catégorie une
sentence prononcée au 17• siècle par la Cour de Frise dans la procédure entre• J ancka
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 49

Les procédures de la troisième catégorie, ou un des parents (38),


ou un tuteur du mineur, ou ce dernier après le début de sa majo-
rité, intente une action pour que les juges prononcent la nullité
d'une promesse de mariage faite par lui sans consentement,
ont été également très nombreuses. J'en fais suivre quelques
exemples.
En 1655 un étudiant de l'Université de Groningue comparaît
devant le sénat de son université (39) et demande que le sénat
déclare nulle la promesse de mariage qu'il a faite sans le consente-
ment de ses tuteurs. Le sénat jugeant comme forum privilegiatum
prononce la nullité demandée, mais lui impose en même temps
de payer une amende, parce qu'il a agi derrière le dos de ses
tuteurs.
Dans une procédure qui a eu lieu au dix-huitième siècle devant
les échevins de Kampen (40), une jeune fille mineure assistée
de sa mère intente une demande primaire en exécution d'une
promesse de mariage contre un jeune homme, dont les initiales
étaient J. J. L'avocat du défendeur soutient : << quod actore non
probante reus absolvendus et quod ab initio non valet tractu temporis
non convalebit, de minderjarigheid van den verweerder allege-
rende ten tijde wanneer de gesustineerde conversatie en impreg-
natie soude wesen gepleegd ... >>. Les échevins rejetèrent non
seulement la demande primaire, mais également la demande
subsidiaire à condition que Ie défendeur prête Ie serment purga-
toire. On constate ici les effets inéquitables d'une pratique judi-
ciaire qui permet au jeune homme de prêter serment, mais pas
à la jeune fille.
Enfin j'ai trouvé beaucoup de procédures de la dernière caté-

Claaes dochter Impetrant in cas van trouwe Contra Jocchum Feitkens Gedaagde.,;
la demande de Jancke en exécution de la promesse de mariage faite par Jocchum fut
rejetée, puisque les sponsalia étaient • clandestina, sine eius matris consensu •; of.
G. NAUTA, De Decisiën van het Hoff van Frieslandt, éd. par A. Kann, Leeuwarde, 1779,
p. 395/6.
(38) Le formulaire de W. VAN ALPHEN souvent consulté : Papegay ofte formulier-
boek, La Haye, 1642, I, p. 4 contient un modèle d'une requête adressée à la Cour de
Hollande, par laquelle Ie père d'une fille mineure, qui s'était fiancée sans son consen-
tement avec un jeune homme, lequel partit pour l'Allemagne, après avoir dit ouverte-
ment qu'il empêcherait un mariage éventuel de la jeune fille avec quelqu'un d'autre,
demande pour sa fille mandement pour pouvoir intenter une action contre Ie jeune
homme, pour que la Cour lui défende d'empêcher un mariage éventuel de la jeune
fille et déclare qu'elle n'est pas liée à lui sur base d'une promesse de mariage.
(39) Cf. H. O. FEITH, «Trouwbeloften•• dans Groningsche Volksalmanak voor 1891,
Groningue, 1890, p. 52.
(40) Cf. GELINK, cité à la note 36, p. 72.
50 H. ANKUM

gorie dans un registre, qui fait partie des archives judiciaires


d' Amsterdam, Ie << huwelijkskrakeel-register >> qui contient des
décisions prises en des affaires matrimoniales entre 1584 et 1811.
J'ai déjà attiré dans une étude précédente (41) l'attention des
historiens du droit privé sur ce registre intéressant. Maintes fois
Ie père, la mère ou un tuteur d'un mineur, ou ce dernier devenu
majeur, a demandé aux commissaires des affaires matrimoniales,
qu'ils prononcent la nullité d'une promesse de mariage faite par
lui durant sa minorité. Je donne un exemple du début et de
la fin de la période pendant laquelle ces commissaires ont exercé
à Amsterdam la juridiction en matière matrimoniale.
La mère de Lodewijk Rem avait cité à comparaître devant
les commissaires des affaires matrimoniales Ie 21 septembre
1599 (42) la jeune fille Maeijken Wickart, avec laquelle son fils,
qui a 19 ans au moment de la procédure, s'était fiancé sans son
consentement. Les commissaires, après avoir entendu les deux
parties, déclarent Ie 21 septembre 1599 la promesse de mariage
faite par Lodewijk nulle et de nulle valeur.
Plus de deux siècles plus tard David Orobio de Castro, un
jeune homme majeur habitant à Amsterdam, a cité Ie 15 novem-
bre 1810 mademoiselle Ester, fille majeure de Jacob Barsilay,
à comparaître Ie lendemain devant les commissaires des affaires
matrimoniales pour faire annuler par eux la promesse de mariage
qu'il a faite à la défenderesse Ie 25 août 1810, quand il était
mineur (43.) Ester se défend en ce qui concerne la demande
principale et intente une demande reconventionnelle pour que
David soit condamné à se marier avec elle. Après que les parties
eussent pris différentes conclusions les 23 et 30 novembre 1810,
les commissaires décident Ie 8 février de l'année suivante (44)

(41) J. A. ANKUM, • De privaatrechtshistoricus en de rechtstoepassing•• dans


VM OVR, Nr. 2 (1980), p. 92.
(42) Voir pour cette affaire !'Annexe ajoutée à cette étude, supra, p. 68.
(43) Voir pour cette affaire Archives Municipales d'Amsterdam, Archives Judiciaires
Nr. 3077, c Huwelijkskrakeel-register •• fol. 114 et 115.
(44) On trouve la sentence au fol. 115 vo. (cf. la note précédente) : • Commissarissen
verklaren den eisscher in conventie, gedaagde in reconventie bevoegd en gerechtigd
om de acte van Trouwbelofte, door hem eisscher in conventie en gedaagde in recon-
ventie aan de gedaagde in conventie, eisscheresse in reconventie op den 25 Augustus
1810 na het eindigen van de Sabbath ten overstaan van den Notaris Barend Blomman
Johanneszoon en Getuigen alhier gepasseerd, te herroepen; verbreecken mitsdien de
voorsz. acte en ontheffen hem, eisscher in conventie, gedaagde in reconventie van de
vervulling derzelve en ontzeggen alzoo de eisscheresse in reconventie, gedaagde in
conventie haar eisch in reconventie gedaan ... t.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 51

que Ie demandeur principal a Ie droit de révoquer l'acte notarial


contenant la promesse de mariage et annulent eet acte, puis
ils rejettent la demande reconventionnelle de la jeune femme.
On voit par cette affaire que les demandes en annulation de
promesses de mariage pour cause de minorité du demandeur
ont été intentées et adjugées jusqu'à la mise en vigueur du
Code civil français.
Pour :finir ce rapport de quelques cas de la jurisprudence je
dirai quelques mots sur l' affaire décidée en dernière instance
par la Haute Cour de Hollande le 3 février 1722 (45). Un étudiant
mineur de l'Université d'Utrecht s'était fiancé en secret avec
la fille de celui dont il avait loué une chambre, et il avait même
fait avec elle un voyage en Angleterre. Revenu, il se soumet à
la volonté de sa mère, qui s'oppose à un mariage (vraisemblable-
ment, comme il est souvent Ie cas, à cause de la différence sociale
entre la jeune fille et son fils) et son obéissance est si grande
qu'il demande même à la Haute Cour de Hollande une condam-
nation volontaire concernant sa déclaration, selon laquelle il
n'aura plus jamais de contacts avec la jeune fille et qu'il ne lui
donnera jamais une nouvelle promesse de mariage. Trois con-
seillers voulurent lui accorder la condamnation volontaire deman-
dée, mais les quatre autres conseillers s'y opposèrent. La Haute
Cour refusa la << willige condemnatie>>, parce qu'elle voulait lui
laisser la possibilité d'exécuter sa promesse après la mort de
sa mère et de légitimer ainsi !'enfant dont la fille était enceinte
d'après des rumeurs.

6. - Dans les procédures dont nous avons traité au § précé-


dent on n'a pas eu de doutes concernant la décision qui devait
être prise sur base de la norme juridique mentionnée au § 4.
Aux anciens juristes de la province de Hollande (46) se sont
présentées encore deux complications juridiques concernant des
promesses de mariage faites par des personnes mineures. Ces
deux complications sont les suivantes :
a) dans la plus grande partie de la Hollande Ie consentement

(45) Cf. BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., II, 1814.


(46) La deuxième question a été posée également dans les autres régions, men-
tionnées oi-dessus au n° 4, ou les jeunes filles qui avaient atteint l'ê.ge de 20 ans
n'avaient pas besoin du oonsentement de leurs parents ou tuteurs à leur mariage. Nous
nous bornons ioi à l'anoien droit hollandais.
52 H. ANKUM

au mariage des personnes de moins de 25 ou 20 ans n'était exigé


que pour celles dont les deux parents ou l'un d'eux étaient en
vie (47). Le problème s'est posé de la validité des promesses
de mariage faites par ces mineurs et
b) dans toute la province les jeunes :filles agées de plus de
20 ans n'avaient pas besoin du consentement de leurs parents
oude leurs tuteurs à leur mariage. Le problème s'est posé, de la
validité des promesses de mariage faites par des jeunes filles
entre 20 et 25 ans.
Examinons brièvement ces deux problèmes.
Ad a : Selon le droit général de la Hollande les mineurs dont
les deux parents étaient morts n'avaient pas besoin du consente-
ment de leurs tuteurs à leur mariage. On ne pouvait donc dériver
la nullité des promesses de mariage faites par des mineurs sans
le consentement de leurs tuteurs de la nullité du mariage des
mineurs conclu sans l'autorisation des tuteurs, puisqu'un tel
mariage était valable. Il y avait beaucoup d'incertitude sur les
effets juridiques des :fiançailles faites par des personnes plus
jeunes que 25 ou 20 ans sans Ie consentement de leurs tuteurs.
Selon quelques auteurs et décisions judiciaires ces :fiançailles
étaient valables ; selon d'autres auteurs et sentences judiciaires
ces fiançailles étaient nulles. Bijnkershoek (48) a soutenu d'abord
la première opinion, à partir de 1740 la seconde. C'est cette
dernière qui a prévalu (49). Les arguments qui ont été invoqués
en faveur de l'une et de l'autre opinion ont été bien résumés
par Bijnkershoek et Van der Keessel qui ont opté pour la seconde

(47) Exceptionnellement ces mineurs devaient obtenir dans quelques grandes villes,
entre autres à Amsterdam et à Leyde, Ie consentement de leurs tuteurs ou de leurs
proches parents à leur mariage. Nous nous bornons dans ce § au droit général de la
province.
(48) Cf. BtJNKERSHOEK, Obs. Tum., IV, 3193 et Quaest. Jur. Priv., I, II, III.
(49) Voir VAN LEEUWEN dans son avis publié dans Bellum Juridicum ofte Oorlogh
der Advocaten, Utrecht, 17 43, cas. 93 et la sentence de la Haute Cour du 11 février
1676; BROUWER, De Jure Connub., I, 15, 2; BIJNKERSHOEK, cité à la note précédente
et VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 182-184 et Thes. sel., 53. Je cite à titre d'exemple
VAN LEEUWEN dans son avis cité et VAN DER KEESSEL, Thes. sel., 53: VAN LEEUWEN,
l. c., p. 648 : « Dat verweerder als geweest zynde minderjarig, sich met niemandt heeft
kunnen verlooven, ten ware sulcks wierde geapprobeert, geratificeert ende voor goedt
gekeurt van de Voogden van den Verweerder ... » et VAN DER KEESSEL, Thes. sel., 53:
«Minorum sponsalia sine tutorum consensu contracta ipsos invitos non obligant, etiamsi
non impetraverint in integrum restitutionem. » VAN ZURCK, Codex Batavus, Houwelijk,
§ III, n. 3 et P. BoRT, Nagelaten Werken, p. 133 étaient d'avis que les mineurs
devaient demander une in integrum restitutio contre leurs promesses de mariage.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 53

opinion (50). Je me borne ici à l'essentiel. Ceux qui soutenaient


que les mineurs pouvaient se flaneer librement et que les pro-
messes de mariage faites par eux étaient pleinement valables,
invoquaient l'article 3 de la << Politieke Ordonnantie>> qui exige
seulement que les mineurs aient obtenu Ie consentement de
leurs parents à leur mariage. Ils raisonnent : puisque les mineurs
dont les parents sont morts peuvent se marier valablement sans
avoir besoin d'aucun consentement, ils sont également capables
de conclure seuls des fiançailles valables, puisque, comme le
formule clairement Van der Keessel (51) << illi, cui licet id quod
plus est, debeat quoque licere quod minus est>>. Les partenaires
de l'opinion opposée soutiennent au contraire qu'on ne peut
déduire du fait que le droit n'a pas donné aux tuteurs d'un
mineur Ie droit d'empêcher Ie mariage de son pupille, que le
principe général de la nullité des actes juridiques fait par un
pupille sans le consentement de son tuteur (52) ne serait pas
valable (53). Comme les pupilles ne peuvent obliger leur personne
et leurs biens seuls par aucun acte juridique, ils ne peuvent
faire valablement des promesses de mariage sans Ie consentement
de leurs tuteurs. On ne peut contester cette opinion en se basant
sur Ie fait que les mineurs qui ont atteint l'age de 14 ou 12 ans
sont capables de faire seuls un testament, puisque Ie testament
est un acte révocable qui n'a des effets juridiques qu'après la
mort du testateur. Il serait inacceptable de considérer les pro-
messes de mariage faites par un mineur seul comme valables,
tandis que tous ses autres contrats, qui sont d'une importance
beaucoup moins grande sont nuls (54).

(50) On peut déduire des considérations de Bijnkershoek, qu'une jeune fille de 20


à 25 ans devait selon lui o btenir Ie consentement de ses tuteurs à peine de la nullité
de ses fiançailles.
(51) VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 182.
(52) Nous traiterons de ce principe général, qui a des racines dans Ie droit autochtone
et dans Ie droit romain et auquel on a reconnu un certain nombre d'exceptions, dans
notre dernière étude sur Ie statut juridique des mineurs dans l'histoire du droit privé
néerlandais, qui sera publiée dans T.v.R., 51 (1983).
(53) VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 184 écrit à ce propos : • Nam quod salubriter
pro utilitate minoris est introductum, illud duriore interpretatione contra ipsius commo-
dum non est producendum ad severitatem ... t.
(54) Il est curieux de noter que VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 184 invoque tout
court en faveur de son opinion la décision de la Cour de Hollande du 10 février 1622,
que nous avons mentionnée supra, p. 47; elle concerne un pupille vivant à Amsterdam,
011 Ie consentement des proches parents ou tuteurs était obligatoire au mariage des
mineurs, et 011 l'on pouvait par conséquent appliquer la règle générale concernant les
fiançailles des mineurs que nous avons formulée au § 4. La discussion, à laquelle
VAN DER KEESSEL prit part et que nous avons résumée plus haut dans Ie texte (voir
54 H. ANKUM

A titre d' exemple nous dirons quelques mots sur une procédure
qui a eu lieu devant la Haute Cour en 1740 (55). Une jeune fille,
appelée par Bijnkershoek Gaia, s'était fiancée à l'age de 16 ans
avec A, Ie fils de B, un de ses quatre tuteurs dans la maison
duquel elle habitait. Puis elle alla habiter ailleurs et elle se
:fiança avec Gaius. Gaia et Gaius citèrent A et B devant la Cour
et demandèrent qu'elle prononce la nullité des :fiançailles qui
avaient eu lieu entre Gaia et A. La Cour annula ces :fiançailles.
La Haute Cour confirma cette sentence Ie 26 juillet 1740; elle
décida que les fiançailles entre Gaia et A étaient nulles puisque
B n'aurait pu donner son consentement et que Ie consentement
des trois autres tuteurs n'avait pas été prouvé.
Ad b : Comme écrit ci-dessus, Ie deuxième problème concer-
nait les jeunes filles entre 20 et 25 ans. Elles n'avaient pas besoin
du consentement de leurs parents ou tuteurs à leur mariage.
Quels étaient les effets des promesses de mariage faites par elles
sans Ie consentement. de leurs parents ou tuteurs?
L'auteur d'un avis incorporé dans les Hollandse Consulta-
tiën (56) et Ie conseiller Boel (57), qui consacrait à ce problème
des considérations très larges, tenaient Ie raisonnement, selon
lequel la<< Politieke Ordonnantie>> n'exigeait que Ie consentement
des parents au mariage d'une jeune fille qui n'avait pas encore
atteint l'age de 20 ans. Les fiançailles des filles qui avaient
atteint l'age de 20 ans mais pas encore l'age de 25 ans étaient
donc, selon eux, parfaitement valables et rien ne s'opposait
d'après eux à ce que la jeune fille soit condamnée à contracter
mariage. L'opinion dominante n'était pourtant pas telle. Par
une sentence de la Cour de Hollande prononcée en 1632 (58) et

p. 53) regardait les mineurs qui n'avaient pas besoin du consentement de leurs tuteurs
à, leur mariage,
(55) Cf. BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., IV, 3193 et Quaest. Iur. Priv., I, Il, III.
(56) Hollandse Oonsultatiën, IV, 139, avis de N. BAKKER daté du 11 mars 1611;
il s'agit d'une jeune fille qui s'est fiancée sans Ie consentement de ses tuteurs.
(57) BOEL, ad Loenium, cas. 55, p. 362 et s., qui traite du cas d'une jeune fille
qui s'est fiancée sans Ie consentement de ses parents.
(58) Sentence de la Cour de Hollande du 8 juillet 1632 dans la procédure entre
Aaltje Barents et sa mère contre Jan Jansz. de Vijg. Ce dernier avait cité Aaltje
devant les échevins de Hoorn en demandant qu'elle soit condamnée à. participer à. la
célébration de son mariage avec lui. Les échevins condamnèrent Aaltje à, contracter
mariage. La Cour annula cette sentence parce qu'Aaltje, qui était agée de plus de
20 ans, mais de moins de 25 ans au moment ot'l elle se fiança, n'avait pas obtenu
Ie consentement de sa mère. Cf. LoENIUs, cas. 55, p. 343.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 55

une autre de la Haute Cour prononcée en 1714 (59) (60) il a été


décidé que la promesse de mariage faite par une jeune fille entre
20 et 25 ans sans Ie consentement de son parent survivant est
nulle. Concernant une pupille du même àge, qui n'a pas obtenu
Ie consentement de ses tuteurs à ses fiançailles, la Haute Cour
a rendu la même décision par des sentences de 1745 (61) et
1762 (62). Des auteurs de grande autorité, comme Bijnkers-

(59) Sentence de la Haute Cour de Hollande du 23 février 1714; cf. BIJNKERSHOEK,


Obs. Tum., I, 1028. Sempronius a cité Gaia et sa mère devant les échevins de Cralingen
et demandé que Gaia soit condamnée à contracter mariage avec lui sur base d'une
promesse de mariage et que sa mère soit condamnée à donner son consentement. Les
échevins et après eux Ie collège des • mannen » du pays de Schieland et la Cour de
Hollande ont rejeté sa demande. La Haute Cour a confirmé ces trois sentences, parce
que Sempronius ne pouvait prouver que Gaia, qui avait au moment des fiançailles
plus de 20 et moins de 25 ans, avait obtenu Ie consentement de sa mère. La Haute
Cour n'avait pas de doute, qu'une telle fille « non recte se obligat in nuptias ». Elle avait
Ie droit en vertu de !'art. 3 de la « Politieke Ordonnantie » de demander à sa mère
d'exposer les motifs de son refus mais • in caeteris rea est relicta iuri communi ».
(60) La Haute Cour s'est occupée du même problème dans sa sentence du 15 juin
1758; cf. PAUW, Obs. Tum. Nov., II, 666. Gaia, qui habitait au Surinam se fiança sans
Ie consentement de sa mère avec Maevius quand elle avait presque 25 ans. Puis, rien
no s'est passé pendant quatre ans. Après ces années, sa décision lui déplaisant, Ge.ia
demanda à Maevius la restitution de la promesse de mariage écrite. Maevius refusa
cette demande et intenta une demande reconventionnelle primaire, afin que Gaia soit
condamnée à se marier avec lui, et une demande reconventionnelle subsidiaire, afin
que les juges déclarent que Gaia n'aurait pas Ie droit de se marier aveo quelqu'un
d'autre durant la vie de sa mère et qu'elle devait se marier aveo lui après la mort de
sa mère. Les juges du Surinam rejetèrent la demande principale et la, demande reoon-
ventionnelle primaire et adjugèrent la demande reoonventionnelle subsidiaire. Gaia
demanda la révision de oette sentenoe par les Etats-Généraux; oeux-oi transmirent
l' affaire à la Haute Cour. Cinq des dix conseillers considéraient les fiançailles de Ge.ia
comme va.Ie.bles raisonnant sur base de l'art. 3 de la « Politieke Ordonnantie » des
Etats de Hollande de 1580, qui était en vigueur au Surinam en vertu d'un placaet
des Etats-Généraux de 1629. Les oinq autres conseillers étaient d'avis que les fian-
9ailles étaient nulles, suivant sur oe point la sentenoe de 1714 dont j'ai traité à la
note précédente. U n des cinq derniers oonseillers pensait que Ge.ia avait ratifié sa
promesse de mariage par son silenoe pendant quatre ans. La majorité des conseillers
oon:idéraient dono oette promesse comme va.Ie.bie. La Cour annula la sentence des juges
du Surinam et oondamna Gaia à contra.eter mariage aveo Maevius.
(61) Sentence de la Haute Cour du 5 novembre 1745; of. PAUW, Obs. Tum. Nov.,
I, 136. Dans la ville d'Enkhuizen la publication des bans de mariage venait d'avoir
lieu pour la pupille Maevia et Titius. Sempronius s'y opposa, soutenant que Maevia
était fiancée avec lui. Celle-oi cita Sempronius devant la Cour demandant que sa
promesse de mariage à Sempronius soit déclarée nulle par manque du consentement
de ses tuteurs, de sorte qu'elle pourrait se marier avec Titius. La Cour déoida Ie
4 juin 1745 en faveur de Maevia. La Haute Cour confirma oette sentenoe. Tous les
conseillers, exoepté un, étaient d'avis que la promesse de Maevia, faite après qu'elle
avait atteint l'àge de 20 ans, était nulle puisqu'elle était toujours mineure.
(62) Sentenoe de la Haute Cour du 6 mars 1762; cf. PAUW, Obs. Tum. Nov., II,
822. Gaia, une pupille àgée de plus de 20 ans, s'était fianoée à l'insu de sas tuteurs
avec Titius. Quelques jours plus tard, elle regrettait déjà oette déoision et elle demanda
avec ses tuteurs, à la Cour de Hollande, l'annulation de cette promesse de marie.ge.
Titius se défendit et demanda que Ge.ia soit condamnée à se marier aveo lui. La Cour
déoida le 31 juillet 1766 en faveur de Titius. Gaia appela de cette sentenoe auprès
de la Haute Cour et demanda qu'une restitutio in integrum soit prononoée contra sa
56 H. ANKUM

hoek (63) et Van der Keessel (64), se sont exprimés dans le même
sens pour les jeunes filles de 20 à 25 ans qui ont fait des promesses
de mariage sans le consentement de leurs parents, de leur parent
survivant ou de leurs tuteurs. Le fait que ces jeunes filles
peuvent citer leurs parents et exiger d'eux qu'ils consentent à
leur mariage ou qu'ils fassent savoir les raisons de leur refus,
ne les a pas privées du droit d'invoquer le principe général de
la nullité des actes juridiques faits par elles. Ni ces filles mineures
ni les pupilles de 20 à 25 ans ne sont capables d'obliger leur
personne ou leurs biens par un acte juridique. Il faut - selon
les Cours et les auteurs hollandais - appliquer cette norme
générale aux promesses de mariage faites par les jeunes filles en
question.
A titre de conclusion, nous pouvons dire que nous retrouvons
dans les cas compliqués traités dans ce § la tendance des juristes
et des juges des dernières 150 années de l'Ancien Régime à
restreindre le nombre de cas ou une promesse de mariage pouvait
mener à la condamnation d'une partie récalcitrante à contracter
mariage.

7. - Toujours à propos des promesses de mariage faites par


un mineur, nous devons étudier maintenant la promesse faite
par un mineur avec le consentement de ses parents ou tuteurs.
S'il la regrette plus tard, le droit lui donne-t-il la possibilité de
s'opposer à une telle promesse? Lors de la réception du droit
romain dans les dernières décennies du quinzième siècle, l'ancien
droit des provinces septentrionales a repris du droit romain la
restitutio in integrum (appelée en ancien néerlandais << relief >>)
que les cours peuvent prononcer contre tous les actes juridi-

promesse de meriage. La Haute Cour tenait cette restitutio pour superflue, puisque
tout ce que les mineurs font sans autorisation de leurs tuteurs est ipao iure nul. Il
n'y a pas de raison - selon la Haute Cour - de faire une exception à ce principe
pour les fiançailles. La Haute Cour annula par conséquent la sentence de la Cour.
(63) Voir BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., I, 1028 pour les filles dont les parents ou l'un
d'eux sont encore en vie et Quaest. Jur. Priv., I, II, III pour les pupilles; cf. supra,
note 50.
(64) VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 186-192 et Thea. sel., 55 et 56, ouilrésume
clairement Ie droit de son temps : «Filia . . . 20 annis maior, quae nondum impl,eta
aetate legitima, sine parentis, cuius in potestate est, consensu sponsalia contraxit, etiam
non adhibita in integrum restitutione consilium mutare potest ... » (55). • Quae parentibus
orbata puella 25 annis minor, post impletam 20 annorum aetatem, sine tutoris consensu
sponsalia contraxit, ab iis quoque recedere potest, (56).
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 57

ques (65) faits par un mineur avec Ie consentement de son père


ou de ses tuteurs, par lesquels il a été lésé (66). On a appliqué
cette possibilité au moins pendant les deux derniers siècles de
I' Ancien Régime à des promesses de mariage faites par un
mineur avec Ie consentement de ses parents ou de ses tuteurs.
Quelques auteurs parlent de la possibilité d'une restitutio in
integrum contre les promesses de mariage des mineurs sans
préciser qu'il s'agit des :fiançailles faites avec Ie consentement
de leurs parents ou tuteurs (67). Puisque les promesses de mariage
sans ce consentement étaient considérées comme nulles, la majo-
rité (68) des auteurs (69) et la jurisprudence (70) des Cours ont
limité l'application de la restitutio in integrum au cas des :fian-
çailles qui ont eu lieu avec Ie consentement des parents ou
tuteurs. La demande en << relief >> peut être faite par Ie mineur
assisté de son père ou de ses tuteurs, ou par Ie mineur devenu
majeur pendant les quatre ans qui font suite à son 25e anniver-
saire. On ne peut pas dire - comme Van der Keessel (71) l'a
bien vu - que la restitutio in integrum soit superflue, puisque
pour la prononciation de la restitution en entier il faut qu'il y
ait une juste cause et que cette cause puisse aussi motiver Ie
refus des parents à donner leur consentement au mariage. Si
les parents sont morts, ils ne peuvent plus empêcher que leur
enfant soit condamné à contracter mariage et en second lieu il
est vraisemblable que les juges accepteront plus vite certains

(65) On a toujours fait une exception pour les mariages, pour lesquels une possi-
bilité de • relief • a été exclue.
(66) Je me permets de renvoyer à la dernière étude sur Ie statut juridique des enfants
mineurs dans l'histoire du droit privé néerlandais, que j'espère publier dans T.v.R.,
51 (1983).
(67) Voir GROENEWEGEN, VAN LEEUWEN, BROUWER et VOET, cités à la note 22 et
VAN ZURCK, Codex Batavus, Houwelijk, § III, n. 3. P. BoRT, Nagelaten Werken, p. 133
parle même d'une manière explicite d'une restitutio in integrum au cas oû un « minor ...
sponsalia contraxit sine consensu tutorum •·
(68) Le conseiller Boel, ad Loenium, cas. 55, p. 364 a nié complètement la possi-
bilité d'une restitutio in integrum contre les fiançailles des jeunes filles entre 20 et
25 ans, qu'il considère pour les matières matrimoniales comme des majeures.
(69) Voir par exemple BIJNKERSHOEK, Quaest. Jur. Priv., I, II, III et Obs. Tum.,
III, 3193 et VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 190-192 et Thes. sel., 56: • Quae
parentibus orbata puella 25 annis minor ... adversus sponsalia, quibus tutoris auctoritas
accessit, in integrum restitui potest •·
(70) Voir par exemple les sentences de la Haute Cour de Hollande du 26 juillet
l 740 et du 6 mars 17 62 dans lesquelles la Haute Cour oonsidéra que les jeunes filles
mineures en question auraient eu besoin d'une restitutio in integrum au oas oû Ie
consentement de leurs tuteurs à leurs promesses de mariage avait pu être prouvé;
cf. BrJNKERSHOEK, Obs. Tum., IV, 3193 et PAUW, Obs. Tum. Nov., II, 822.
(71) VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 186.
r
58 H. ANKUM

faits comme cause de la lésion du mineur qui demande la resti-


tutio in integrum contre sa promesse de mariage que comme
motif du refus du consentement des parents.
Une opinion qui est restée isolée mais qui est assez intéressante
pour être signalée ici est celle de Pauw (72), qui était d'avis
que la restitutio in integrum était même superflue au cas ou
un mineur s'était fiancé avec le consentement de ses tuteurs.
Même dans ce cas Ie mineur devait avoir Ie droit de se libérer
de sa promesse. << Cum enim ad contrahenda sponsalia non requi-
ritur consensus tutorum, non video>> - écrit-il - << quod maius
momentum in eorum consensu sponsalibus possit accedere cum vel
absque eo sint firma >>. Pauw reconnaît qu'il est plus convenable
de se flaneer avec le consentement de ses tuteurs, mais il ne croit
pas que ce consentement donne une plus grande valeur à la
promesse de mariage du mineur.
Un problème enfin qui s'est posé aux Cours qui devaient
décider de la demande en << relief >>, et dont les auteurs se sont
occupés (73), est celui de la preuve du dommage subi par Ie
mineur à cause de la promesse de mariage. Le simple fait que
le mineur ne voulait plus se marier avec son fiancé n'était pas
suffisant pour prouver la lésion. Il fallait faire admettre aux
juges par exemple que par Ie seul caractère du fiancé le mineur
sera lésé durant Ie mariage. Une jeune fille mineure, qui pouvait
prouver qu'elle était maltraitée par son fiancé ou qu'elle avait
constaté que son fiancé ne l'aimait pas, mais qu'il voulait l'épou-
ser pour son argent, pouvait sans doute obtenir la restitutio in
integrum. Bijnkershoek écrit, en parlant de ce problème de
preuve, que l'inégalité de la situation sociale ou l'inégalité de
richesse étaient à peine des faits qui pourraient mettre obstacle
au mariage entre les fiancés. On ne peut pourtant s'empêcher
de supposer qu'elles ont joué un röle pour rendre vraisemblable
que le mineur serait lésé durant le mariage. Sans doute les Cours
étaient-elles plus enclines à annuler les fiançailles quand de telles
inégalités leur étaient présentées.

8. - Puisqu'elles ont causé peu de problèmes juridiques


quant à la minorité d'une des parties, nous pouvons être beau-

(72) Voir PAUW, Obs. Tum. Nov., II, 822.


(73) Cf. BROUWER, De Jure Connub., I, 15, 5 et 9; BrJNKERSHOEK, Quaest. Jur.
Priv., I, II, III et VAN DER KEESSEL, Praelect., I, p. 186.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 59

coup plus bref sur les promesses de mariage faites à des mineurs.
Comme nous l'avons fait pour les promesses par lesquelles des
mineurs se sont engagés, nous parlerons d'abord des cas ou Ie
mineur a agi sans, puis (au § 9) de ceux ou il a agi avec Ie consen-
tement de ses parents ou tuteurs.
Maintes fois nous trouvons des procédures en exécution des
promesses de mariage faites à un mineur, ou Ie mineur, assisté
par un de ses parents ou par des tuteurs (74) demande la condam-
nation de son fiancé à contracter mariage (75). Il n'est pas
toujours clair si ses parents ou tuteurs ont donné leur consente-
ment aux fiançailles.
Au cas ou ce consentement n'a pas été donné, Ie problème
s'est posé de savoir si, vu l'incapacité juridique des mineurs,
la promesse de mariage faite à une personne mineure était valable.
Les auteurs qui s'en sont occupés (76) ont répondu à cette
question d'une manière affirmative. En se basant sur des textes
du Corpus Iuris ils ont soutenu que les mineurs ne sont pas
totalement incapables puisqu'ils peuvent faire des actes par
lesquels ils rendent leur situation meilleure ; ils ne peuvent
s'obliger par un acte juridique à quelqu'un d'autre, mais ils
sont capables de se faire promettre une prestation par d'autres.
Cette prestation peut être celle que quelqu'un se mariera avec
eux.
On peut trouver dans les sources plusieurs cas ou un des
parents ou un tuteur intente une demande en exécution d'une
promesse de mariage donnée à une fille mineure qui n'était dans
les circonstances intimes ou la promesse était donnée, pas assistée

(74) La mineure Elsje Berends, qui intenta la dernière demande en exécution d'une
promeese de mariage, subsidiairement en dommages-intérêts pour défioration, <levant
les échevins de Hasselt et Hasselerambacht, fut déboutée de sa demande après quatre
ans au cours desquels elle était devenue majeure, puisqu'elle aurait dû être assistée
de son tuteur à cöté du tuteur procédural qui l'assista déjà. Cette affaire est un des
neuf procès concernant des promesses de marie.ge et de défioration étudiés par
G. C. J. J. VAN DEN BERGH dans Staphorst en ziin gerichten, cité à la note 9, p. 202-210,
!'affaire d'Elsje Berende à la p. 206.
(75) Voir par exemple Ie procès <levant les échevins de Kampen au 18• siècle entre
une jeune fille assistée de sa mère et J. J.; cf. supra, note 40. Souvent un procès pour
exécution de promesses de marie.ge avait lieu entre deux parties mineures assistées
par leurs pères ou tuteurs; cf. par exemple la procédure précédant la sentence de la
Haute Cour de Hollande du 21 décembre 1712 (cf. BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., I, 919)
et Ie procès engagé en 1800 entre les pères des fiancés mineurs <levant les échevins
de Hasselt et Hasselterambacht; voir VAN DEN BERGH, Staphorst en ziin gerichten,
p. 204.
(76) Cf. par exemple BROUWER, De Jure Oonnub., I, 15, 4.
RENÉ DEKKERS. - ó
60 H. ANKUM

de ses parents ou tuteurs et qui n'avait pas non plus reçu leur
consentement plus tard. Je donne comme exemple une procédure
qui a eu lieu à la fin du dix-huitième siècle devant les échevins
de Kampen (77). En 1797 un père comparut devant ces échevins
en faveur de sa fille mineure Derkje. Il déclara plein d'indignation
qu'un certain Willem W. venait souvent chez lui, ou il avait
été reçu<< zeer vriendelijk en gulhartig>>, et que personne n'aurait
jamais pensé que ce Willem venait avec des motifs douteux
concernant Derkje. Il continua en soutenant que Willem avait
réussi avec beaucoup de peine à séduire Derkje dans l'étable de
sa mère et que ce Willem avait profité plus tard encore maintes
fois de la faiblesse de sa fille. Cette romance au milieu des vaches
ne resta pas sans effets et quand Derkje indiqua ·wmem comme
le père de l'enfant qui naquit peu après, il n'y avait personne
pour douter de sa parole. Le père demandait la célébration du
mariage et d'une manière subsidiaire une somme d'argent pour
défloration. Le procès se termina d'une manière peu satisfaisante
pour la fille séduite. Le père fut débouté de ses deux demandes
après que Willem eût prêté le serment purgatoire.

9. - Sans complications juridiques concernant la minorité


étaient les cas ou une promesse de mariage avait été donnée
à une personne mineure, assistée par ses parents ou tuteurs qui
étaient d'accord avec ces fiançailles.
Je me borne à résumer une procédure concernant une telle
promesse, qui a eu lieu dans la ville de Gorkum en 1582 (78).
Jan Haemel, tuteur de Jenneken, fille mineure de feu Daniel
van Eck avait intenté cette demande en exécution d'une pro-
messe de mariage faite par un noble de Gorkum, appelé Henrick
Colff. Le tuteur a soutenu que le défendeur, Henrick Colff, avait
osé poursuivre Jenneken, respectable jeune fille mineure par
tous les moyens et pratiques «omme mitte zelve tzijnder begeerte
en de appetyt, synen wille ende vleeselyke luste te doen ende
te gebruycken >>. Elle avait selon son tuteur résisté pendant
longtemps à ses avances; elle s'était même réfugiée à Breda et
à Bois-le-Duc chez son oncle et sa tante et parce que Colff ne

(77) Cf. H. W. J. GELINK, • Procedures over verbreking ven trouwbeloften te Kam-


pen•• dans Versl. en Meded. v. Overiisselsch Regt en Geschied., 30 (1914), p. 71.
(78) Cf. L. M. RoLLIN CouQUERQUE, « Een huwelijk in de zestiende ·eeuw •• dans
VM OVR IV (1899), p. 56-67.
LES FIANÇAILLES DES MINElJRS 61

voyait pas de moyen << omme syn vleesselycke wellust te blus-


schen ofte synen wille te gecrygen >>, il lui avait donné en présence
de son oncle et de sa tante une bague avec des diamants en
déclarant expressément qu'il ne la quitterait jamais et qu'il la
considérait comme son épouse. Plus tard il avait confirmé cette
promesse envers la fille et son père à Gorkum par serment et
par une déclaration écrite. Il demandait pourtant un délai de
dix mois pour arriver à la division de la succession de son
père avec ses frères et sreurs. Après cette période - pendant
laquelle Ie père de Jenneken est décédé - Ie tuteur de la jeune
fille demanda aux échevins de condamner Colff à solenniser dans
Ie temple Ie mariage promis avec Jenneken van Eck et à la
prendre publiquement pour épouse (<< voir syn echte huysvrouw >>).
Colff nia toute promesse de mariage. Les échevins considéraient
les faits allégués comme prouvés et après avoir pris !'avis « van
zekeren geleerden practizijn en Mr. in rechte>>, ils décidèrent Ie
21 avril 1582 que Ie défendeur serait tenu d'épouser Jenneken
dans Ie temple. Le tuteur fut alors muni de cette sentence et
d'un ordre d'arrêt (<< vangbrieh); Ie défendeur continua cepen-
dant à se soustraire à ses devoirs envers la fille. Six semaines
après, Jenneken comparut avec un procureur devant les échevins,
soutint qu'elle avait donné naissance à un fils de Colff, souligna
sa situation misérable et demanda l'exécution de la sentenoe
des échevins, et plus précisément que les échevins fassent arrêter
et enfermer Colff en prison (« cipiershuis >>) aux frais de Jenneken
ou dans une auberge à ses propres frais. L'exécution n'ayant
pas été faite, Ie procureur répéta la demande Ie 16 juin 1582
et exprima la menace qu'il irait à La Haye pour se plaindre du
<< drossart » négligent. Le 12 août il protesta encore une fois pour
déni de justice. Enfin Colff fut arrêté et enfermé dans une
auberge. Cinq jours plus tard, Jenneken comparut elle-même
toute seule devant les échevins; Ie procureur n'avait pas osé se
présenter devant Ie tribunal craignant des représailles de la part
de Colff. Jenneken déclara qu'elle craignait que la liberté laissée
à Colff dans l'auberge fût trop grande pour Ie mener à exécuter
la sentence des juges. Elle demanda que Colff soit mis en prison !
Toujours pas de mariage. Plus de trois ans plus tard en décembre
1585 Ie « drossart >> de Gorkum fut convoqué devant la Cour
de Hollande. Il y fut réprimandé oralement pour son << oogluikinge
of conniventie>> (indulgence) envers Henrick Colff et la Cour
r

62 H. ANKUM

lui ordonna d'administrer plus scrupuleusement la justice. Le


(( drossart >>, sans doute impressionné, dut prendre alors des
mesures sérieuses, parce qu'enfin Ie mariage entre Jenneken et
son fiancé récalcitrant eut lieu. Dans un acte du 20 mars 1587
écrit par Jan Hamel, qui avait été Ie tuteur de Jenneken, celui-ci
rend compte de sa gestion de tutelle envers Henrick Colff (( als
wettig man ende voicht >> de son ancienne pupille. Tandem bona
causa triumpkavit. Les problèmes de !'affaire que je viens de
décrire n'étaient pas juridiques ; ils étaient plutöt sociologiques.
Les autorités de Gorkum ont eu à peine Ie pouvoir d'imposer
les normes juridiques en vigueur à ce représentant des potentiores.

10. - Pour les ruptures de fiançailles des mineurs les mêmes


normes étaient en vigueur que pour les promesses de mariage.
Quand elles avaient été faites sans Ie consentement des parents
ou tuteurs elles étaient nulles. Quand elles avaient été faites
avec un tel consentement, les mineurs qui s'en repentissaient
pouvaient demander une restitution en entier en ce qui concerne
cette rupture; pour l'obtenir ils devaient prouver qu'ils étaient
lésés. Un affaire assez amusante d'une rupture de fiançailles
faites par deux personnes, dont l'une était mineure, s'est terminée
par une sentence de la Haute Cour de Hollande et Zélande en
1741. Elle nous a été rapportée par Bijnkershoek (79).
Un jeune mineur, appelé par Bijnkershoek Maevius, avait
fait en juillet 1738, apparemment avec Ie consentement de ses
parents, une promesse de mariage à une femme, appelée Gaia,
qui avait presque trente ans. Maevius rompt les fiançailles au
mois de décembre de la même année. On n'a pu tirer au clair si les
parents de Maevius avaient consenti à cette rupture. La Haute
Cour a admis que Maevius avait obtenu ce consentement. Gaia
n'était pas charmée à l'idée de passer les fêtes de Noël dans la
solitude; pour se consoler elle s'est fiancée le même jour - le
19 décembre 1738 - avec quelqu'un d'autre, appelé par Bijnkers-
hoek Titius. Après quelques temps Gaia préféra de nouveau son
premier fiancé (prisca Venus rediit apud Gaiam), et Maevius
revint également à son premier amour. Les deux antagonistes
amoureux, Maevius et Titius, ont cité Gaia devant le tribunal
des échevins de La Haye, et ont demandé la condamnation de

(79) BIJNKERSHOEK, Obs. Tum., IV, 3250.


LES J<'IANÇAILLES DES MINEURS 63

Gaia à exécuter la promesse de mariage qu'elle avait donnée


successivement aux deux. Maevius, le premier amant, cita la
proverbe romain : prior temporis potior iuris ! Le second amant,
Titius, soutint cependant que cette règle ne pouvait s'appliquer
dans ce cas, puisqu'il n'y avait plus deux promesses de mariage,
la première ayant été rompue. Maevius, pas intimidé par cette
argumentation demande la restitutio in integrum contre la rupture
des fiançailles, faite par lui avec le consentement de ses parents.
Après avoir gagné deux procès <levant les échevins de La Haye
et <levant la Cour de Hollande, Maevius a gagné définitivement
sa cause amoureuse <levant la Haute Cour de Hollande. Cette
Cour annula la rupture de la promesse de mariage que Maevius
avait faite en décembre 1738 avec le consentement de ses parents
par laquelle il avait été préjudicié et condamna Gaia, trois ans
après qu'elle s'était fiancée avec lui, le 28 juillet 1741, à conclure
un mariage avec Maevius. Avec ce << happy end>> nous terminons
notre rapport sur les fiançailles des mineurs dans l'ancien droit
néerlandais avant la codification.

11. - Pour finir, nous voulons encore <lire quelques mots


sur les promesses de mariage des mineurs dans le Code Napoléon
institué pour le Royaume des Pays-Bas (1809), dans les projets
d'un code civil qui l'ont précédé et dans les projets d'un nouveau
code, qui ont précédé le code civil néerlandais de 1838.
Sur base de l'art. 28 des << Algemene Grondbeginselen» de la
Constitution de 1798 une commission fut constituée pour la
codification du droit civil et du droit criminel (80). Cette commis-
sion, souvent appelée d'après son membre le plus agé la Com-
mission Cras, n'a jamais présenté d'une manière officielle un
projet de code civil entier. La commission a pourtant envoyé en
1804 au<< Staatsbewind>> un projet de loi concernant le mariage
(<< ontwerp-Echtordening >>) rédigé par l'un de ses membres,
P. Wierdsma (81). Ce projet avait été précédé par un avant-

(80) Voir Bronnen van de Nederlandse Codificatie sinds 1798, I, Stukken va.n a.lge-
mene aard, de gedrukte ontwerpen van 1804 en hun voorgeschiedenis, collectionnés
par H. Aa, édités par J. Th. de Smidt et A. H. Huussen Jr. (Werken OVR, III, 22),
Utrecht, 1968, p. XII.
(81) Voir Bronnen van de Nederlandse Codificatie sinda 1798, II, Huwelijks- en
Huwelijksgoederenrecht tot 1820, édité par A. H. Huussen Jr. (Werken OVR, III, 22),
Bussum, 1975, p. xr.
64 II. ANKUM

projet de Wierdsma et par un avant-projet et un projet du


livre I (82) de la Partie I, dans laquelle une réglementation du
mariage avait été incorporée (83), qui étaient de la main d'un
autre membre de la commission, C. H. Gockinga. A cause de la
critique de la Haute Cour ce projet de la commission de 1798 n'est
jamais devenu loi. Le projet de Gockinga (1799/1800) contient
une section de 55 articles (84) consacrée aux promesses de
mariage. Les fiançailles gardent dans son projet leur caractère
obligatoire (cf. art. 19 et 20). L'art. 2 de cette section dispose
que ceux qui ont le droit de conclure un mariage sont capables
de faire des promesses de mariage (85). Selon l'article 17 les
mineurs ont besoin du consentement à leurs promesses de mariage
de leurs parents, grands-parents ou tuteurs (86). Rien n'a été
précisé sur la question de savoir si les mineurs peuvent demander
restitution en entier contre des promesses de mariages qu'ils ont
faites avec le consentement de ceux qui doivent consentir à leur
mariage. Wierdsma a insisté pour que ce point soit précisé (87).
Dans le projet sur le droit matrimonia! que Petrus Wierdsma
a rédigé en 1800 on trouve un premier chapitre intitulé « Van
trouwbeloften>> qui contient 59 articles (88). Selon l'article 2,
tous ceux qui sont capables de s'obliger et de se marier, peuvent
faire des promesses de mariage. Pour faire de telles promesses,

(82) Salon un plan de systématique du code fait en avril 1801 Je livre I est devenu
Je livre Il; cf. Bronnen van de Nederlandse Codificatie sinds 1798, II, p. 31, note *.
(83) Cf. Bronnen van de Nederlandse Codificatie sinds 1798, II, p. X•XI. Voir sur ces
projets A. H. HuussEN, De codificatie van het Nederlanse huweliikBrecht 1795-1838 (La
codification du droit du mariage aux Pays-Bas 1795-1838), thèse Leyde, Amsterdam,
1975, p. 143-186.
(84) Voir Bronnen van de Nederlandse Codificatie sinds 1798, II, p. 32-42.
(85) Huussen a retrouvé aux Archives de l'Etat à La Haye les remarques faites
par Jes membres de Ja sous-commission du Droit civil sur les projets de Gookinga et
de Wierdsma et il Jes a éditées dans J'ouvrage cité à Ja note 81. Wierdsma a observé
qu'il préférerait la rédaction suivante : « Tous ceux qui sont capables de s'obliger pour-
ront faire des promesses de mariage, à moins que la loi ne leur ait interdit de le faire 11.
Parmi les personnes à qui la loi a imposé une telle interdiction Wierdsma voulait
inolure les mineurs qui n'ont pas obtenu Je consentement de ceux dont il leur faut le
consentement à leur mariage; voir Bronnen, II, p. 32/3. Dans son propre projet il e.
réalisé cette idée dans !'art. 2 du ohapitre I; voir Bronnen, Il, p. 94.
(86) WIERDSMA (Bronnen, II, p. 36) a fait remarquer qu'il est préférable de rédiger
l'article de me.nière à éviter des répétitions, par exemple ainsi : • il est nécessaire pour
les promesses de mariage que Jes pe.rties mineures e.ient obtenu Ie consentement de ces
personnes, sans Ie consentement desquelles un mariage ne peut être oontracté •· C'est
ce qu'il a fait en effet dans son propre projet, chapitre 1, e.rt. 7; cf. Bronnen, II, p. 95.
(87) De.ns !'art. 56 du chapitre I de eon projet Wierdsma a incorporé une dispo-
sition refusant aux mineurs Ie. possibilité de deme.nder une restitution oontre ces
promesses de mariage; cf. ei-dessous, p. 65.
(88) Voir Bronnen, II, p. 93-115.
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 65

les mineurs ont besoin d'après l'article 7 du consentement des


personnes sans le consentement desquelles ils ne peuvent con-
tracter mariage. L'article 23 dispose que les promesses de mariage
des mineurs faites sans ce consentement sont nulles. Par l'article
suivant le rédacteur s'éloigne de l'ancien droit hollandais, sans
doute sous l'influence du droit naturel qui a toujours mis l'accent
sur le libre consentement des parties au moment du mariage.
Cet art. 24 prévoit que les promesses de mariage des mineurs
sont même nulles et donc qu'elles ne les lient pas contre leur
volonté, s'ils ont obtenu plus tard Ie consentement requis. La
même idée de l'importance de la volonté des parties contractantes
se retrouve dans l'article 43 concernant la rupture des fi.ançailles.
Après avoir exprimé dans l'article 42 le principe selon lequel
toutes les promesses de mariage peuvent être annulées par
consentement mutuel, Wierdsma s'est écarté encore une fois de
l'ancien droit en disposant dans l'article 43 qu'une telle rupture
des fiançailles peut avoir lieu par les mineurs sans Ie consente-
ment, même contre la volonté de ceux qui ont consenti à leurs
fi.ançailles (89). Une dernière différence du droit de la République
concerne la restitution en entier contre les fiançailles. L'article 56
dispose d'une manière explicite, que les mineurs ne peuvent
demander ~ herstelling >> sur base de leur minorité contre les
promesses de mariage qu'ils ont faites avec le consentement de
ceux qui doivent consentir à leur mariage. Dans l'ancien droit
néerlandais cette règle était déjà en vigueur pour les mariages
conclus avec Ie consentement requis.
L'avocat d'Amsterdam Joannes Van der Linden a fait dans
les années 1807-1808 un projet d'un code civil entier, qui conte-
nait aussi une codification du droit commercial et du droit de
la procédure civile. Ce projet n'est pas devenu loi. Il contient dans

(89) Dans l'art. 31 de son avant-projet Wierdsma avait encore exigé Ie consente-
ment des parents, etc. à la rupture de fiançailles, comme l'avaient fait tous les anciens
juristes; cf. BUp1'a, n• 10. Cet article avait été critiqué par Cras et par tous les autres
membres de la sous-commission du Droit civil. Bien révélatrice pour les vues que
même les juristes de la République Batave avaient encore sur Ie mariage est la
remarque de Bondt, qui disait qu'il ne voyait auoun obstacle à accepter la disposition
selon laquelle les parties mineures pouvaient rompre librement leurs fian9ailles, même
contre la volonté de leurs parents, • puisqu'il s'agit ici principalement d'une affaire
des personnes et seulement d'une manière accessoire des biens et des intérêts pécu-
niaires ». Apparemment ces derniers intérêts jouaient un röle plus qu'accessoire, quand
il était question de la conclusion d'un mariage.
66 H. ANKUM

le titre II du livre I une section de 25 articles (90) sur les pro-


messes de mariage. Le rédacteur s'est inspiré beaucoup du projet
de Wierdsma, mais il n'a pas repris beaucoup de dispositions
qui lui semblaient trop détaillées. Cette impression est conforme
à celle que Cerutti a formulée pour le droit de famille en
entier (91). Parce qu'il n'a pas accepté quelques nouveautés de
Wierdsma, il est plus près de l'ancien droit. Dans ses articles 1
et 3 il a copié littéralement les articles 2 et 7 de son précurseur.
Comme Wierdsma l'avait fait dans l'article 23, Van der Linden
a exprimé dans son article 10 le principe de la nullité des fian-
çailles contractées sans le consentement requis. Il y ajouta que
le consentement obtenu plus tard rend les fiançailles valables
sans pourtant préciser - comme l'avait fait Wierdsma - que
la partie mineure ne peut être contrainte à la conclusion du
mariage dans ce cas. Enfin Van der Linden reprend dans l'ar-
ticle 20, la règle que les fiançailles expirent par le consentement
mutuel ayant pour objet l'annulation des fiançailles ; en n'exi-
geant pas le consentement des parents, etc. à cette rupture faite
par des mineurs, il se rallie ici apparemment au projet de
Wierdsma.
Cette sélection critique faite par Van der Linden parmi les
dispositions rédigées par Wierdsma est devenue d'une importance
directe pour la pratique. C'est que Ie << Wetboek Napoléon
ingerigt voor het Koningrijk Holland >> de 1809 a repris mot
pour mot dans ces articles 40, 42, 48, 1° et 51, 5° toutes les dispo-
sitions concernant les promesses de mariage des mineurs du
projet de Van der Linden. Après deux ans ce << Wetboek Napo-
leon >> a été remplacé par le Code civil français, qui est muet sur
les fiançailles.
Après le départ des Français, une sous-commission du code
civil de la Commission pour la législation nationale, que le

(90) Cf. J. VAN DER LINDEN, Ontwerp Burgerlijk Wetboek 1807/1808, réédition par
J. Th. de Smidt, Amsterdam, 1967, p. 13-16.
(91) Voir F. F. X. CERUTTI,'« Het ontwerp Burgerlijk Wetboek van Joannes van der
Linden (1807) •• dans OpsteUen over recht en rechtsgeschiedenis aangeboden aan B. H. D.
Hermeadorf, Deventer, 1965, p. 52 : • Van der Linden heeft in belangrijke mate op
de voorontwerpen gesteund ... •· Après avoir mentionné un nombre de sujets, pour
lesquels il a constaté une grande influence des projets de la commission Cras, Cerutti
écrit (p. 53) : • In het familierecht zijn de materiële verschillen evenmin groot maar
wel is daar door het weglaten van gedetailleerde uitwerkingen soms sterk gecompri-
meerd•·
LES FIANÇAILLES DES MINEURS 67

<• Souvereine Vorst>> avait nommée en avril 1814, a élaboré dans


le cours de cette année un projet de code civil basé sur le << Wet-
boek Napoleon>> (92). Les articles que ce projet a consacrés aux
promesses de mariage des mineurs sont identiques à ceux du
<< Wetboek Napoleon>> (93). En décembre le << Souvereine Vorst>►

a décidé qu'un nouveau projet d'origine néerlandaise devait être


fait. Le projet de 1814 fut mis de cöté et une nouvelle sous-com-
mission de droit civil fut nommée, composée de Kemper, Reuvens
et Bijleveld (94).
Dans le projet de code civil de 1816, rédigé par ces trois
juristes, les promesses de mariage n'ont des effets qu'au cas ou
la publication des hans a eu lieu (95). Ces effets ont été conservés
dans le projet de 1820 (96), dans lequel on a encore souligné la
différence avec !'ancien droit néerlandais en soulignant dans
l'article 145 que la loi ne donne pas d'effets civils aux promesses
de mariage. Nous avons déjà vu au § 3 quel est le domaine
d'application très limité de l'article 113 du Code civil néerlandais
de 1838. Ce code ne donne pas plus que le Code civil français
de force obligatoire aux fiançailles. C'est ainsi qu'on peut expli-
quer !'absence de règles spéciales concernant les fiançailles des
mineurs. Cette abolition de la force obligatoire des promesses
de mariage fut sans doute conforme à des idées de droit naturel
et de la révolution française acceptées aux Pays-Bas dans les
premières décennies du dix-neuvième siècle. Elle a pourtant
privé l'historien du droit de la possibilité de poursuivre pendant
le dix-neuvième siècle l'étude de la stabilité et de la variabilité
des sentiments amoureux des jeunes gens et des conflits entre
ces sentiments et la protection par les parents et tuteurs des
intérêts patrimoniaux et sociaux des familles, dont la jurispru-
dence des deux derniers siècles de I' Ancien Régime concernant
les fiançailles des mineurs nous a donné tant d'exemples vivants.

(92) Cf. Bronnen van de Nederlandse Codificatie, Il, p. xrv.


(93) Cf. Bronnen, Il, p. 347.
(94) Cf. Bronnen, II, p. xv.
(95) Cf. HuussEN, De codificatie van het Nederl,and,se huwelijksrecht, cité à la note 83,
p. 229. Les fia.ncés avaient encore Ie droit de contraindre J'autre partie à contractei-
mariage ou de demander des dommages-intérêts si Ja publication des hans de Jeui-
mariage a.vait déjà eu lieu.
(96) Cf. HUUSSEN, op. cit., p. 236.
68 H. ANKUM

ANNEXE

Archives municipales d'Amsterdam


Archives Judiciaires Nr. 3053, << Huwelijksk.rakeel-register >>, sen-
tence des commissaires des affaires matrimoniales du 21 sep-
tembre 1599.

Lodewijk Rem
Maeijken Wickart
Op den xXIen Septembris 1599 compareerde voor Dirk Rose-
krans, J. Thomas ende D. Pieter Schaep, commissarissen,
Maeijken Machiels, weduwe Joris Rem, moeder van Lodewijk
Rem, dewelke hadde gedaen verdachvaerden Maeijken Wickart,
jonge dochter mit de welke zij verstaen hadde, dat de voor-
noemde hare Zone hem mit trouwe verbonden hadde, twelke
de voornoemde Lodewijk Rem mede comparerend verclaerde
alzoo te wesen. Ende de moeder verclaerde voorts, dat hare
zone nu ter tijt noch geen negentien jaeren oudt is ende dat
zij in dit voorseide huwelijk noyt hadt gewilt ende alsnoch niet
en wilt consenteren. Insinuerende ende concluderende daeromme,
Dat de voorschreven trouwe doer chare sone aen de dochter
gedaen voor nul ende van egeener waerden verklaert ende hij
daer van geabsolveert zal worden. De voornoemde Maijken
Wickert verclaerde, dat de voornoemde Lodewijck en haer niet
allene mit handen ende mont trouwbelofte gedaen, maer oock
tot bevestinghe van dien trou ringen ende een brieff bij sijne
hande ondertekent gegeven hadde, concluderende oversulcks,
dat hij gehouden zal wesen de trouwe mit haer te voltrecken
naer behooren. Commissarissen, partijen aen weder zijden
gehoort ende opt gene ter materie diende gedecideerd, verclaren
de gedane trouwbeloften voor nul ende van egeener waerden.
De belangstelling in de Zuidelijke Nederlanden
voor de
Verklaringen van de rechten van de mens
uit de
tijd van de Franse revolutie
DOOR

:FRANS DE PAUW
HOOGLERAAR AAN DE VRIJE UNIVERSITEIT
BRUSSEL

Wie op zoek gaat naar de Nederlandse - in de tijd zelf


"nederduits" genoemde - vertalingen van de vier Franse
Déclarations de droits, die in de loop van de staatsrechtelijke
gedachtenstroom van de Franse Revolutie (1789-1795) tot stand
kwamen (1), komt tot de ontdekking dat deze fundamentele

( 1) Voor de tekstuitgaven van de Franse Verklaringen verwijzen we naar volgende


werken:
- .ALFARic, P., ,,Les déclarations frança.ises des droits de l'homme", in: Cahiers
l,aiquee, 1954, n°• 23-24 (Paria, Cercle parisien de la ligue française de l'enseigne-
ment). Dit·is een uitgave van alle teksten, voorzien van een inleiding, vergelijkingen
en uitleg. Bestemd voor het middelbaar onderwijs.
- AULARD, A., en MmKINE-GUETZÉVITCH, B., Lea Déclarationa d,ee droita de l'homme.
Textee constitutionnels concernant les droits de l'homme et les garanties des
libertés individuelles dans tous les pays, Paris, Payot, 1929. Hiervan bestaat een
Réimpression de l'édition de Paris, 1929, Aaien, Scientia Verlag, 1977. Het bevat
een wetenschappelijke uitgave van de Franse teksten, met zorgvuldige verwijzing
naar de officiële vindplaatsen en besprekingen, varianten en uitleg.
- CAPITANT, R., ,,Anthologie des textes français relatifs aux droits de l'homme", in:
Annuaire français des droits de l'homme, vol. 1, 1974, p. 1-98. Bevat uittreksels
uit juridische, religieuse en politieke teksten.
]'ENET, A., Les liberté8 publiquee en France. Documents pour une théorie générale.
Paris, Presses universitaires de France, 1976 (Collection Thémis). Bevat alle teksten
sedert 1789 tot nu, echter zonder kritisch apparaat. Bestemd voor het universitair
onderwijs.
De rechten van de mens worden aan de Franse universiteiten behandeld in de
colleges Libertés publiques. De Franse handboeken over dit onderwerp bespreken de
verklaringen soms vrij uitvoerig : Cl. Colliard (Précis Dalloz), J. Mourgeon en
,J. P. Théron (Mémentos Thémis), J. Rivero (Collection Thémis), J. Robert (Précis
Domat), J. Roche (Mémentos Dalloz).
70 F. DE PAUW

teksten in de Oostenrijkse Nederlanden op de voet werden gevolgd


en niet alleen in de oorspronkelijk Franse versie, maar ook in
het Nederlands, werden gedrukt en verspreid.
Het einde van de achttiende eeuw is de tijd van de revoluties
in de hele westerse wereld, die in 1770 met de opstand der
Verenigde Staten begint en die zowel in de Noordelijke als in
de Zuidelijke Nederlanden voelbaar is.
De Zuidelijke Nederlanden hadden geen absoluut dieptepunt
op kultureel vlak bereikt, zoals wel meer werd beweerd : de
kunst werd beoefend, de filosofische literatuur was er bekend,
werken van Voltaire, Montesquieu, Rousseau bevonden zich in
de huisbibliotheken (2) en het ontbrak niet aan belangstelling
voor het politieke gebeuren in het buitenland.
De revolutionaire geest en de nieuwe ideeën drongen binnen
in de Oostenrijkse Nederlanden in een periode die onmiddellijk
aan de Franse revolutie voorafgaat (1772-1789), wat kan worden
aangetoond aan de hand van de dagbladen (waaronder zes
nieuwe) die het internationale nieuws (de Amerikaanse Revolutie,
de Hollandse patriottenstrijd, het voorspel tot de Franse· Revo-
lutie, de Engelse politieke discussies in het Lagerhuis) ver-
slaan (3), en van nieuwe boeken die op de markt worden gebracht
en die in particuliere bibliotheken worden aangetroffen (4).
In Vlaanderen verscheen één groot nieuwsblad : De Gazette
van Gend, Met privilegie van Zyne Majesteyt den Keyser en

Van de recente werken die speciaal aandacht schenken aan de historische ontwik-
keling van de rechten van de mens zijn vooral de volgende van belang :
- DEL VECCHIO, G., La déclaration françaiBe des droits de l'homme et du citoyen dans
la révolution françaiBe, Paris, L.G.D.J., 1968 (bevat teksten met rechtsfilosofisch
commentaar).
- ERMAC0RA, F., Menschenrechte in der sich wandelnden Welt. Bd. l : Historische
Entwicklung der Menschenrechte und Grundfreiheiten. Wien, Oesterreichische
Akademie der Wissenschaften, 1974.
- OESTREICH, G., Geschichte der Menschenrechte und Grundfreiheiten im UmriBz, Ber-
lin, Duncker und Humblot, 1968.
- SAMWER, S.-J., Die französiBche Erklärung der Menschen- und Bürgerrechte von
1789-1791. Hamburg, Hansischer Gildenverlag, 1970.
- SANDWEG, J., Rationales Naturrecht als revolutionäre Praxis. Untersuchungen zur
,,Erklärung der Menschen- und Bürgerrechte" von 1789. Berlin, Duncker und Hum-
blot, 1972.
(2) VANDEN BERGHE, Y., .,De Nederlanden in het tijdvak der grote revoluties",
in : Ons Erfdeel, 14de jg., nr. 3, 1971.
(3) TASSIER, S., Les démocra.tes belges de 1789, Bruxelles, :M. Lamertin, 1930, p. 47
e.v.
(4) Ibidem, p. 60 e.v.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 71

Koning (5), dat elke maandag en donderdag de belangrijkste


binnen- en buitenlandse gebeurtenissen samenvatte onder vaste
rubrieken zoals : Duydsland, Engeland, Vrankryk, Nederlanden,
Polen, Italien ... De Amerikaanse en de Franse revolutie werden
daarin vrij uitvoerig behandeld.

DE VERKLARING VAN DE RECHTEN VAN DE MENS


EN VAN DE BURGER VAN 26 AUGUSTUS 1789

De beroemde Déclaration des droits de l' homme et du citoyen


werd op 26 augustus · 1789 door de Assemblée constituante in
Parijs goedgekeurd, dit is op het ogenblik waarop de Brabantse
omwenteling in volle voorbereiding was (april-oktober 1789) (6).
Het opstellen van deze tekst werd door de Gazette van Gend van
nabij gevolgd. Op donderdag 27 augustus 1789 (nummer LXIX)
verscheen als bericht uit Parijs :
"In de Lands-Vergaderinge van den 20. dezer heeft men, naer
vele debatten over de voorgestelde Verklaeringe van de Rechten van
den Mensch, de preambule daer van aengenomen in dezer voe-
gen : ... "
waarop de Nederlandse vertaling van de tekst van de preambule
en van de eerste drie artikels ·volgt. Hetzelfde nummer van de
krant publiceert ook, met korte uitleg, de artikels vier tot zes
die door de Constituante van 21 augustus werden goedgekeurd.
In het volgende nummer van de Gazette van Gend, van maandag
31 augustus 1789 (nummer LXX), verschijnen dan de overige
artikels zeven tot zeventien. Alleen bij artikel tien (vrijheid van
mening) werd de discussie die over "de Vryheyd van meyningen
in het stuk van Gods-dienst" was gevoerd, kort samengevat.
Het is wel merkwaardig dat reeds vijf dagen na de stemming
de volledige tekst van de beroemde Verklaring in het Nederlands

(5) VANDENBERGHE, Y., Jacobiinen en Traditionalisten. De rea.oties van de Brugge.


lingen in de Revolutietijd (1780-1794), 1972. (Pro Civitate, Historische Uitgaven, 32),
p. XLVI, 109 en 131.
De Gazette van Gend verscheen "tot Gend voor Jan Meyer, met Privilegie, en word
uytgegeven by Judocus Begyn, Boek-Drukker en Verkooper op d'Appel-Brugge in
den Engel".
Jan Meyer genoot het Keizerlijk privilegie van 16 september 1771 tot 3 juli 1794.
Zie VANDERHAEGHEN, F., Bibliographie Gantoise, Recherches sur la 1Jie et l,es travaux
des imprimeurs de Gand, Gand, E. Vanderhaeghen, 1862, t. IV, p. 131.
De K.B. bezit de jaren 1778-1793, V.H. 27.675 B.
(6) TASSIER, S., Les démocrates, op. cit., p. 87 e.v.
72 F. DE PAUW

dank zij de krant is verspreid! Dit alles gebeurde omstreeks het


ogenblik waarop Jean André VAN DER MEERSCH aanvaardde het
patriottenleger aan te voeren (30 augustus 1789) (7). Zijn samen-
zwering met Frans V 0NCK stond natuurlijk niet in de krant te
lezen. In die dagen publiceerde ook de Brusselse Gazette des
Pays-Bas de oorspronkelijke Franse tekst met uitvoeriger com-
mentaar (in hoofdzaak ook over de godsdienstvrijheid) dan die
van de Gazette van Gend (8).
De tekst van de eerste Verklaring van 26 augustus 1789 werd
later, bij wijze van inleiding, toegevoegd aan de eerste Franse
grondwet : die van 3 september 1791. Een vlugge uitgave van
deze Franse grondwet in het Nederlands zal opnieuw de belang-
stelling voor het revolutionaire staatsrecht in onze streken bewij-
zen. Toch is de Brabantse Omwenteling dan al mislukt, en is
het Oostenrijkse gezag hersteld (Eerste Oostenrijkse Restauratie,
10 december 1790 - 6 november 1792). De lezers van de Gazette
van Gend konden de opzienbarende gebeurtenissen in Parijs,
zoals de vlucht en de gevangenneming van de Koning, de voor-
bereiding van deze Gondwet, de discussies en de aanvaarding
van de grondwet door Koning Louis XVI op 13 september 1791
in vrij uitvoerige verslagen lezen :
,,Morgen beginnen de beraedslagingen op de revisie van de Consti-
tutie . . . In de aenstaende maend A ugusti heeft men veel gewigtige
tydingen te verwachten ... " (LXII, 4 augustus 1791).
,,De geheele Constitutie (waer van wy t' zynen tyde alle de gede-
creteerde Artikelen in hun geheel ofte het hoofdzaekelyk deel hebben
medegedeylt) is eergisteren in de Lands- Vergaderinge gelezen ... "
(LXIV, 11 augustus 1791).
"Binnen vier dagen zal de Constitutie ganschelyk afgedaen zyn
en overgegeven worden aen den Koning, die van dien oogenblik af
alle vryheyd zal genieten ... " (LXVII, 22 augustus 1791).

(7) Ibidem, p. 136.


(8) Gazette des Paya-Baa, avec privilège de Sa Majeaté l'Empereur et Roi. A Bruxel-
les, chez M. de Villebon, rue de la Magdelaine (K.B., V.B. 7845 A, L.P.).
N• 61, du Jeudi 27 Aoîtt 1789, p. 384-385 : .,La discussion sur les droits a com-
mencé dans la séance de l'assemblée nationale ... " (p. 384) : goedkeuring van de eerste
drie artikels.
N• 62, du Dimanche 30 Aoîtt 1789, p. 391-394 : behandeling van de artikels 4
tot 12.
N• 63, du Jeudi 3 Septembre 1789, p. 401 : behandeling van de artikels 13 tot 17.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 73

De aanvaarding van de Constitutie door de Koning "geheel


geschreven door de eygene hand van Zyne Majesteyt" werd integraal
vertaald (maandag 19 september 1791).
Precies drie weken later, is de als Jacobijn bekend staande
drukker Joseph BOGAERT al klaar met een uitgave van de vol-
ledige vertaling van de Constitutie (9) die bij zeven Vlaamse
boekhandelaars te koop is.
In het Byvoegsel tot de Gendsche Gazette van 3. October 1791
(LXXIX) verschijnt immers de volgende aankondiging :
"By Joseph Bogaert, Boek-Drukker op de groote Merkt tot
Brugge, is te bekomen : DE FRANSCHE CONSTITUTIE,
DOOR DE LANDS- VERGADERINGE AAN DEN KONING
OVERGEGEVEN OP DEN 3. SEPTEMBER 1791. EN DOOR
ZYNE GEMELDE MAJESTEYT OP DE PLECHTIGSTE
WYZE BEZWOREN EN BEKRACHTIGD; in het Neder-
duydsch vertaeld na het oorsprongelyk Afdruksel der Nationale
Drukkerye van Parys, prys 7 stuyvers. Men kan de zelve ook
bekomen tot Gend by : t' Servrancx, Gebroeders Gimblet en Fernand,
tot Kortryk by Gambar Zoon, tot Oostende by Scheklewaert, tot
Thielt by Stevens, tot Eecloo by van Han, en tot Loven by de Bois."
De vertaling die wij als bijlage I afdrukken werd overgeno-
men uit deze uitgave van Joseph BOGAERT.

DE VERKLARINGEN
UIT DE TIJD VAN DE CONVENTIE :
DE "DÉCLARATION GIRONDINE" (16 FEBRUARI 1793)
EN
DE "DÉCLARATION MONTAGNARDE" (24 JUNI 1973)

De Grande Déclaration heeft de ineenstorting van de Franse


monarchie niet overleefd, maar verdween samen met de eerste

(9) De F'ranache Constitutie, Door de Lands-Vergadering aen den Koning overgegeven


op den 3 September 1791, en door zyne gemelde Majesteyt op de plegtigste wyze bezworen
en bekragtigt. Vertaeld na het oorspronglyk afdrukzel der Nationale drukkerye van
Parys. Zyn te toop tot Brugge, By Joseph Bogaert, Boekdrukker en Boekverkooper,
op de groote Markt, 1791, (K.B., V.H. 2679 A, in-8°).
De progressieve drukker Joseph Bogaert was lid van de Jacobijnse Club te Brugge.
Hij stichtte er een Oabinet littéraire dat een grote bibliotheek bezat die ook op
30 tijdschriften geabonneerd was. Zie over hem: VANDENBERGHE, Y., Jacobijnen en
Traditionalisten, op. cit., p. LXII, 109, 115, 131-132, 197, 288, 290 en 338. Zie ook
noot 10 en 18.
74 F. DE PAUW

Franse grondwet van 1791. De eerste Franse Republiek kwam


tot stand op 10 augustus 1792. De Conventie heeft twee grond-
wetsteksten uitgewerkt. Ze begonnen beide met een verklaring
over de mensenrechten. De eerste luidde : Déclaration des droits
naturels, civils et politiques des hommes, de tweede : Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen.

1. De Constitution girondine werd opgesteld van 11 oktober


1792 af en werd aan de Conventie voorgelegd op 15 en 16 februari
1793, maar alleen de Verklaring is ooit in stemming gebracht
{26 april 1793). In die periode werden de Oostenrijkse Neder-
landen een eerste maal door de Fransen ingenomen. De bezetting
begint met de overwinning van Generaal DuMOURIEZ (Jemappes,
28 oktober 1792) en eindigt met zijn nederlaag (Neerwinden,
18 maart 1793). De "bevrijding" van België gaat gepaard met
een poging om een Belgische Republiek op te richten en het
Franse Ministerie van Buitenlandse Zaken (Minister LEBRUN)
nam daartoe de eerste voorbereidende maatregelen. Te Brussel
begon op 20 november 1792 een Agence française met haar
discrete taak : het oprichten van een Belgische Republiek
bespoedigen. Haar agenten lieten zich niet onbetuigd bij de
propaganda van de nieuwe revolutionaire gedachten : één onder
hen verspreidde geschriften "propres à étendre la doctrine des
Droits de l'homme" (Charles METMAN), een andere zag in de
propaganda voor de Rechten van de Mens een edele en mooie
taak (Pierre CHEPY), een derde verspreidde de teksten van de
Verklaring (Alexandre CouRTOIS) (10).
In volle Franse bezetting werd de Girondijnse Constitutie te
Brussel en Luik in het Frans uitgegeven, voorzien van een
merkwaardig bericht, waarin de aanhechting bij Frankrijk in het
vooruitzicht werd gesteld :
"Comme la nouvelle Constitution Française, ce Code de la Raison
et de l'Humanité qui doit faire le bonheur de tant de Peuples, ne

( 10) TASBIEB, S., Hiat-Oire de la Belgique sous l'occu-pation française en 1'192 et 1'193.
Bruxelles, Falk, 1934, p. 121-127.
Courtois had zich in een brief aan minister Lebrun van 21 december 1792 erg
vleiend uitgelaten over de werking van de Jacobijnse Club te Brugge, het Genootschap
der Vrienden van Eendragt, Vryheyd en Gelykheyd, waartoe ook drukker Joseph
Bogaert behoorde. Zie V AND EN BERGHE, Y ., J acobijnen en Traditionaliaten, op. cit.,
p. 345.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 75

peut qu'inspirer un grand intérêt dans les Pays qui demandent leur
réunion à la France, et qui vont se soumettre aux mêmes Loix,
l' Editeur croit rendre un service agréable à tous les Citoyens, en
leur offrant cette Constitution dans sa nouveauté, telle qu' elle a
été rédigée par le Comité de Législation, et qu'elle sera probable-
ment confirmée par la Convention Nationale. C' est dans la Séance
du 16 Février qu'on en afini la lecture. L'Assemblée l'avoit entendue
avec le calme de la satisfaction, et a aussi-tót rendu un Décret
pour l'impression, la distribution aux Députés, et l'envoi aux
Départemens. Tous les Citoyens de la République sont invités de
concourir au grand ouvrage de l' examen de cette Constitution, et
les Observations, que l'on fera parvenir à la Convention Nationale
sur eet objet, seront imprimées aux frais de la N ation." (Il)
De Gazette van Gend, die in deze periode van Franse bezetting
bleef verschijnen, vanzelfsprekend echter zonder de woorden
Met privilegie van Zyne Majesteyt den Keyzer en Koning, berichtte
uitvoerig over deze nieuwe Franse Constitutie. Het nummer van
21 februari 1793 (XV) geeft een goede samenvatting van "den
Oonstitutioneelen Act, voorgegaen door eene nieuwe V erklaeringe
van de Rechten van den M ensch in 33 artikelen in welke word
uitgeleyt den waeren zin van de woorden V ryheyd, Gelykheyd,
Eygendom, Souvereyniteyt, V eyligheyd en W ederstand aen de ver-
drukkinge ... "
In het Vervolg der Gendsche Gazette van den 28. februari 1793
(XVII) werd een verslag opgenomen van een merkwaardige
vergadering van het "Volk der Stad en onderhoorigheyd van Gend",
samengeroepen door de Franse commandant van de stad FER-
RAND, ,,ten eynde van te beraedslagen en te stemmen op de regeerings-
wyze die aen Oost Vlaenderen dienstig is". Nationaal Commissaris
van Oost-Vlaanderen Alexander CoURTOIS, lid van de Agence
française, zoals we gezien hebben, liet er op 22 februari 1793
een commissie aanduiden, onder wie een zekere J. ANTHEUNIS
die een V erklaering van de Rechten des mensch ende des burgers
blijkt te hebben uitgegeven (12). Het verslag vervolgt : ,,COUR-

( II) Oonatitution de la République françoise. Rédigée par le Comité chargé de ce


travail, et présentée à la Oonvention Nationale le 15 Février 1793, l'an 2•. de la Répu-
blique. A Liège, Chez Ie Citoyen Tutot, Imprimeur-Libraire, Place St.-Paul. Et à
Bruxelles, Chez les Citoyens Tutot, Frères et Soours, rue Longue des Bouohers.
M.DCC.XCIII. (K.B., V.H. 2685 A, in-24°).
(12) Vermeld door VANDEBHAEGHEN, F., Bibliographie gantoise, op. cit., t. VI,
RENÉ DEKK~JRS. - 6
76 F. DE PAUW

TOIS heeft eene welsprekende en vaderlandsche redenvoeringe


gedaen op den politiquen staet van Belgis, op het gewigt der rechten
en plichten, die de borgers gingen oeffenen en vervollen, en zonder
in het minste invloed te hebben op de meyningen, heeft hij geëyndigt
door eene zielroerende afbeeldinge van de algemeyne Vryheyd".
De pas verkozen voorzitter van de Commissie, de jurist Jacobus
MEYER, antwoordde : ,,Gy hebt van de Rechten des Volks gespro-
ken als eenen M ensch, die de zelve heeft weten te verdedigen;
sedert langen tyd hebt gy verdient de achtinge der Vlaemingen door
uwe overtuygende welsprekendheyd".
Op deze vergadering, twee maanden vóór de terugkeer van
de Oostenrijkse troepen, besloot men tot de "departementaire
vereeniginge met V rankryk" : ,,alle de ermen zyn opgerecht, en
alle stemmen roepen Vivat Vrankryk!U Wy zyn Fransche!!! Den
President herhaelt zelf dit geroep, en hy groet Vrankryk uyt naem
der Vlaemingen".
Hetzelfde deed zich drie dagen later voor te Brugge waar een
volksvergadering zich uitsprak over de annexatie van Brugge
bij Frankrijk (25 februari 1793) ( 13).
Op maandag 29 april 1793 verschijnt de Gazette van Gent
(nummer XXXIV) opnieuw met de vermelding Met privilegie
van Zyne Majesteyt den Keyzer en Koning : de Oostenrijkers zijn
weer meester in de stad! Zij bericht uit Parijs : ,,De overweginge
van de Rechten van den M ensch is den 19. begonst ... ".

2. Nadat de strijd tussen Girondins en Montagnards in de


schoot van de Conventie in het voordeel van deze laatsten was
verlopen (2 juni 1793) werd vlug een nieuwe grondwet ontworpen
(La Oonstitution Montagnarde) voorafgegaan door een nieuwe
Verklaring (de derde!), die reeds op 24 juni 1793, na een korte
discussie, werd gestemd. Op dat ogenblik zijn de Zuidelijke
Nederlanden sedert drie maanden opnieuw onder Oostenrijks
gezag (Tweede Oostenrijkse Restauratie, 18 maart 1793) ! Op
8 juli 1793 maakt de Gazette van Gend (LV) melding van deze
nieuwe grondwet : ,,Terwyl de Conventie in de Zittinge van den
24. dezer den opstel van den nieuwen Oonstitutioneelen Act aennam
onder groote toejuychingen, ... ".

p. 246 : Editions de André-Benoît I Stéven, sans date : Verklaering van de rechten


des mensch ende des burgers ... door J. J. A. (Jacques-J. Anteunis), Burger van Gend.
(13) VANDENBERGHE, Y., Jacobijnen en Traditionalisten, op. cit., p. 304-305.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 77

Een Nederlandse vertaling hiervan heb ik echter (nog) niet


kunnen vinden, wel twee te Brussel respectievelijk in 1793 en
1794 voor verschillende uitgevers gedrukte teksten (14). Deze
grondwet werd weliswaar in Frankrijk door een overweldigende
meerderheid door middel van een referendum goedgekeurd
(10 augustus 1793), maar de toepassing ervan werd tot het
bereiken van de vrede uitgesteld. Zij werd echter vervangen
door de Constitutie van het jaar III, nog vóór zij kracht van
positief recht had verkregen !

DE VERKLARING VAN DE RECHTEN


EN PLICHTEN VAN DE BURGER '
UIT DE CONSTITUTIE VAN HET JAAR 111
(22 AUGUSTUS 1795)

Dank zij de slag bij Fleurus (26 juni 1794) vallen de Oosten-
rijkse Nederlanden een tweede maal in Franse handen. Na zes
maanden van aanvankelijk harde bezetting begon het Comité
de Salut Public belangstelling te tonen voor de aanhechting van
het veroverde gebied. In de loop van deze tweede Franse bezet-
ting verliest de Terreur in Frankrijk haar macht (27 juli 1794)
en groeit de République des notables (1795-1799).
De discussie in de Conventie over een nieuwe grondwet die
de bourgeoisie aan de macht zal brengen, wordt gevoerd van
23 juni tot 22 augustus 1795. Deze Oonstitution de l'an III, die
het Directoire inluidt, waaraan een (vierde) Verklaring van de
rechten en een (eerste) Verklaring van de plichten van de burger
voorafgaat, werd aan een plebisciet onderworpen en op 23 sep-
tember 1795 voor aanvaard verklaard. Een paar dagen later
worden de Oostenrijkse Nederlanden samen met Luik, Stavelot-
Malmédy en Bouillon bij Frankrijk geannexeerd (1 oktober
1795) en begint het Directoire haar werkzaamheden (27 oktober
1795).

(14) Constitution de la République française, Précédée de la Déclaration des Droits


de l'Homme, et suivie du Rapport du Comité de Constitution et du Procès-Verbal
d'acceptation par Ie Peuple Français. A Paris; Et se trouve à Bruxelles, Chez Emm.
Flon, Imprimeur-libraire, rue de la Putterie. L'an Ile. de la République une et indivi-
sible, 1793. (K.B., III 64006 A5, in-8°).
Constitution de la République française. A Bruxelles, Chez Ie citoyen F. Hayez,
imprimeur, rue des Escaliers, 1794 (K.B. II 7712 A, in-8°).
78 F. DE PAUW

De Franse staatsinrichting en de Franse wetten zouden slechts


geleidelijk ten uitvoer gelegd worden. Te Brussel werd onmid-
dellijk een Conseil du Gouvernement opgericht (waartoe ook de
Gentse jurist Jacobus MEYER, van wie we al gesproken hebben,
behoorde), die de commissarissen van de Conventie en van het
Directoire van advies zou dienen. Deze Raad heeft gedurende
zijn kort bestaan (20 september - 20 november 1795) (15) de
Constitutie van het jaar III te Brussel in zijn registers opge-
nomen op 14 vendémiaire, jaar IV (6 oktober 1795) zoals wordt
vermeld in de Franse en Vlaamse uitgaven van de tijd.
Aan uitgaven van deze laatste Constitutie heeft het niet ont-
broken : zij verschenen, voorzien van het zegel van de Répu-
blique Française met de woorden Liberté, Egalité, in het Frans
en misschien in het Nederlands te Brussel (16), in beide talen
te Gent (17) en te Brugge in het Nederlands (18). De Verklaring
die de inleiding uitmaakt van deze in de negen ingelijfde depar-
tementen geldende Grondwet werd ook afzonderlijk uitgegeven
in een merkwaardig tweetalig brochuurtje, waarbij tekst en ver-
taling en regard naast elkaar staan (19). Hieruit drukken we
onze tweede bijlage af.

(15) VEBHAEGHEN, P., La Belgiquo aO'U8 la dominationfrançaise, 1792-1814, Bruxelles,


Goemaere, Paris, Pion, 1922, t. II, p. 9. J. Meyer stelde als vluchteling te Parijs een
republikeins programma op : Points et articles pour Ie salut de la Belgique, ibidem,
p. 569.
(16) Constitution de la République française. A Bruxelles, Chez G. Huyghe, Impri-
meur-Libraire, Marché aux Fromages. Vendémiaire, an IV, p. 46 : ,,Consigné dans les
registres du Conseil du Gouvernement. Bruxelles, Ie 14 Vendémiaire, an 4e.". (K.B.,
III 38.899 AI, in-8° en K.B., V.B. 2750 A 5bis, in-8•).
De K.B. bezit een Nederlandse versie in een geschonden exemplaar, waarvan de
eerste twee bladzijden ontbreken : Verklaering der rechten en plichten van den mensch
en van den borger [en] Constitutie, waarin p. 34 wordt vermeld : ,,Ingeschreven in
de registers van den bestieringsraad. Brussel den 14 Vendémiaire, vierde jaar. Inge-
schreven in de registers van de generaele Administratie van het Arrondissement van
Oost en gereserveert Vlaanderen. Gend den 15 Vendémiaire, vierde jaar der Republiek"
(K.B., II 89.484 A, n• 9, in-8°).
(17) VANDERHAEGHEN, F., Bibliographie gantoise, op.cit., vermeldt int. IV, p. 368:
Constitution de la République Française. A Gand, De l'Imprimerie de l'Administration-
générale d'Arrondissement de la Flandre Orientale et Réservée. Et se trouve, Chez
A. B. Stéven, Imprimeur de ladite Administration. In-8°, 62 p. Consigné dans les
registres de l'administration générale d'arrondissement de la Flandre-Orientale, Ie
15 vendémiaire an IV (7 octobre 1795).
Constitutie der fransche republiek. In-8°, 35 p. Traduction de la pièce précédente
(vergelijk met noot 16).
Hij vermeldt ook, p. 369 : Catéchisme de la déclaration des droita de l'homme.
In-18°. En français et en flamand.
(18) Constitutie van de Fransche Republyke Aengenomen door het Volk. Vertaald
na het Afdrukzel der nationaele Drukkerye van Parys. Tot Brugge, Uyt de Drukkery
van J. Bogaert en Zoon, in de Kuypers-straet, s.d. (K.B., III 67 .332 A, in-18°).
(19) Déclaration des droits et des devoira de l'homme et du citoyen. An IV. S.l.s.e.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 79

CONCLUSIE

Bij wijze van conclusie kunnen we stellen dat onze speurtocht


naar de Nederlandse vertalingen van de Verklaringen van de
Rechten van de Mens uit de tijd van de Franse Revolutie die
voor de Zuidelijke Nederlanden werden gedrukt, het duidelijk
heeft gemaakt dat de inhoud van de Verklaringen en van de
Constituties die ze hebben opgenomen, in de Zuidelijke Neder-
landen tot gemeengoed was gemaakt (20).
Ook in de Noordelijke Nederlanden was dit het geval (21).

*
* *

Vermeld door DE WEERDT, D., Bibliographie rétrospective des publications officielles


de la Belgique 1794-1914, Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1963, p. 18, nr. 89.
Een exemplaar bevindt zich in het Algemeen Rijksarchief te Brussel.
(20) Ook buiten de Oostenrijkse Nederlanden was de invloed van de Verklaring van
1789 merkbaar. In het prinsbisdom Luik werd in het land van Franchimont een gelijk-
aardige Verklaring aangenomen (16 september 1789) waarvan zelfs een Nederlandse
vertaling werd gemaakt. Het kleine graafschap Bouillon was het enige vorstendom
waarin een eigen Verklaring naar Frans model was goedgekeurd (19 februari 1791).
Zie hierover : GILISSEN J. en MAGITS M., Les déclarations de droits dans l'histoire
du droit des provinces belges, in : Rapports belgee au IX• Oongrès international de
droit comparé, Bruxelles, Centre interuniversitaire de droit comparé, 1974.
(21) Boscx, J., Nederlandse vertalingen van Franse wetten en werken van Franse
juristen in de jaren 1810-1813, in : Tiidsehrift voor Rechtsgeschiedenis, dl. XXV,
afl. IV, 1957, p. 345-384: ,.Vertalingen van Franse constituties hadden de inhoud
ervan tot gemeengoed van het Nederlandse publiek gemaakt" (p. 351). Hij vermeldt
Nederlandse vertalingen van de constituties van 1793 et 1795.
80 F. DE PAUW

BIJLAGE I

DÉCLARATION VERKLAERING
DES DROITS DE L'HOMME DER REGTEN
ET DU CITOYEN VAN DEN MENSCH
EN VAN DEN BURGER

[ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NA- [26 AUGUSTUS 1789]


TIONALE CONSTITUANTE LE 26 AOUT
1789, ACCEPTÉE PAR LE ROi LE
3 OCTOBRE SUIVANT, ET PROMUL·
GUÉE LE 3 NOVEMBRE]

Les représentants du peuple De Representanten van het


français, constitués en Assemblée Fransch Volk, uytmaekende de
nationale, considérant que l'igno- Lands-Vergadering, overwegende
rance, l'oubli ou le mépris des droits dat de onwetentheyd, de vergeting
de l'homme sont les seules causes of misagting van de regten des
des malheurs publics et de la cor- mensch de eenigste oorzaek zyn
ruption des gouvernements, ont van de openbaere rampen, en van
résolu d'exposer, dans une Décla- de ongeregeltheyd der bestieringen,
ration solennelle, les droits natu- hebben besloten in eene plegtige
rels, inaliénables et sacrés de verklaering de natuerlyke, onver-
l'homme, afin que cette Déclara- anderlyke en geheyligde regten des
tion, constamment présente à tous mensch uyt-te-leggen, ten eynde op
les membres du corps social, leur dat deze verklaering, gestadig voor-
rappelle sans cesse leurs droits et gehouden aen alle de Leden van
leurs devoirs; afin que les actes du het burger-gemeente, hun gestadig
pouvoir législatif et ceux du pou- hunne regten en verbintenissen
voir exécutif, pouvant être à chaque zoude indagtig maeken ; op dat de
instant comparés avec le but de acten van de wetgevende Magt, en
toute institution politique, en soient de gene van de uytwerkende Magt
plus respectés; afin que les récla- t'aller oogenblikken konnende ver-
mations des citoyens, fondées dé- geleken worden met het oogwit van
sormais sur des principes simples alle staetkundige instelling, des te
et incontestables, tournent toujours meer zouden geëerbiedigt worden,
au maintien de la Constitution et en op dat de vertooningen der bur-
au bonheur de tous. gers, voortaen steunende op een-
voudige en onbetwistelyke grond-
beginzelen, altyd zouden strekken
tot handhaeving der Constitutie,
en tot geluk van alle.
En conséquence, l'Assemblée na- Vervolgens de Lands-Vergade-
tionale reconnaît et déclare, en ring herkend en verklaard, in de
présence et sous les auspices de tegenwoordigheyd, en onder de be-
l'Etre suprême, les Droits suivants scherming van het opperste Wezen,
de l'Homme et du Citoyen. de volgende regten van den Mensch
en van den Burger.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 81

ARTICLE PREMIER EERSTEN ARTIKEL

Les hommes naissent et demeu- De Menschen worden geboren en


rent libres et égaux en droits. Les blyven vry en gelyk in regten. De
distinctions sociales ne peuvent burgerlyke onderscheyden mogen
être fondées que sur l'utilité com- niet anders dan op het gemeyn nut
mune. gegrondvest wezen.
2. - Le but de toute association Il. Het oogwit van alle staet-
politique est la conservation des kundige vermaetschapping is de
droits naturels et imprescriptibles behoudenis van de natuerlyke en
de l'homme. Ces droits sont la onveranderlyke regten van den
liberté, la propriété, la sûreté et la mensch. Deze regten zyn de vry-
résistance à l'oppression. heyd, den eygendom, de beschut-
ting, en den wederstand tegen de
verdrukking.
3. - Le principe de toute sou- 111. Het begin van alle opper-
veraineté réside essentiellement magt berust wezentlyk in de Natie.
dans la Nation. Nul corps, nul Geen Corps, geenen mensch kan
individu ne peut exercer d'autorité eenig gezag oeffenen, ten zy het
qui n'en émane expressément. zelve uytdrukkelyk van haer komt.
4. - La liberté consiste à pou- IV. De vryheyd bestaet in alles
voir faire ce qui ne nuit pas à te mogen doen 't welk geen hinder
autrui; ainsi l' existence des droits doet aen andere. Vervolgens de
naturels de chaque homme n'a de oeffening der natuerelyke regten
bornes que celles qui assurent aux van elken mensch heeft geene
autres membres de la société la andere paelen als deze, die aen de
jouïssance de ces mêmes droits. andere Leden der 't samenleving
Ces bornes ne peuvent être dét,er- het gebruyk der zelve regten ver-
minées que par la loi. zekeren. Deze paelen mogen niet
anders als door de wet aengewezen
worden.
5. - La loi n'a le droit de dé- V. De wet heeft geen ander regt
fendre que les actions nuisibles à als de daeden te verbieden die
la société. Tout ce qui n'est pas schaedelyk zyn aen de 't samen-
défendu par la loi ne peut être leving. Alles het gene niet verboden
empêché, et nul ne peut être con- is door de wet, kan niet belet
traint à faire ce qu'elle n'ordonne worden, en niemant kan gedwongen
pas. worden te doen het gene zy niet
gebied.
6. - La loi est l'expression de VI. De wet is de uytdrukking
la volonté générale. Tous les ci- van den algemeynen wille; alle
toyens ont droit de concourir per- burgers hebben regt om in persoon,
sonnellement ou par leurs représen- of door hunne Representanten, de
tants à sa formation. Elle doit être zelve te helpen maeken. Zy moet
la même pour tous, soit qu'elle de zelve zyn voor alle, 't zy dat
82 F. DE PAUW

protège, soit qu'elle punisse. Tous zy beschermt, 't zy dat zy straft.


les citoyens, étant égaux à ses yeux, Alle burgers voor haere oogen ge-
sont également admissibles à ·toutes lyk zynde, zyn van gelyken ·aen-
dignités, places et emplois publics, nemelyk tot alle weerdigheden,
selon leur capacité et sans autre plaetzen en openbaere bedieningen,
distinction que celle de leurs vertus volgens hunne bekwaemheyd, en
et de leurs talents. zonder ander onderscheyd, als het
gene van hunne verdiensten en
begaeftheden.

7. - Nul homme ne peut être VII. Geenen mensch mag be-


aocusé, arrêté ni détenu que dans schuldigt, opgehouden of in hegte-
les cas 'déterminés par la loi, et nis gesteld worden, ten zy in de
selon les formes qu'elle a prescrites. gevallen bepaald door de wet, en
Ceux qui sollicitant, expédient, exé- volgens de wyze die zy voorge-
cutent ou font exécuter des ordres schreven heeft. Deze die wilkeurige
arbitraires doivent être punis, mais beveelen verzoeken, verzenden,
tout citoyen, appelé ou saisi en uytvoeren of doen uytvoeren, moe-
vertu de la loi, doit obéir à }'in- ten gestraft worden, maer allen
stant; il se rend coupable par la burger ontboden of aangehouden
résistance. uyt kragt van de wet, moet zeffens
gehoorzaemen, en zynen tegen-
stand maekt hem pligtig.

8. - La loi ne doit établir que VIII. De wet moet geene straffen


des peines strictement et évidem- vaststellen ten zy de gene volstre-
ment nécessaires, et nul ne peut kelyk en klaerlyk noodig zyn, en
être puni qu'en vertu d'une loi niemant mag gestraft worden, ten
établie et promulguée antérieure- zy uyt kragt van eene wet, inge-
ment au délit, et légalement appli- steld en afgekondigt voor het be-
quée. gaen der misdaed, en wettiglyk
daer aen toegepast.

9. - Tout homme étant présu- IX. Allen mensch voor onpligtig


mé innocent jusqu'à ce qu'il ait gehouden wordende tot dat hy
été déclaré coupable, s'il est jugé pligtig verklaard is, indien men
indispensable de l'arrêter, toute noodzaekelyk oordeeld dat by aan-
rigueur qui ne serait pas nécessaire gehouden worde, moet alle streng-
pour s'assurer de sa personne doit heyd, de gene onnoodig zoude
être sévèrement réprimée par la loi. wezen om zig meester te maeken
van zynen persoon, strictelyk door
de wet verboden worden.

10. - Nul ne doit être inquiété X. Niemant moet voor zyne ge-
pour ses opinions, même religieuses, voelens, zelf in materie van Gods-
pourvu que leur manifestation ne dienst, ontrust worden; mits dat
trouble pas l'ordre public établi par hunne openbaering het publiek or-
la loi. der, vastgesteld door de wet, niet
stoord.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 83

ll. - La libre communication XI. De vrye openbaering der


des pensées et des opinions est un gepeyzen en goetdunkens is een der
des droits les plus précieux de dierbaerste regten van den mensch;
l'homme; tout citoyen peut donc allen mensch mag dan vryelyk
parler, écrire, imprimer librement, spreken, schryven en drukken, mits
sauf à répondre de l'abus de cette verantwoordende voor het mis-
liberté dans les cas déterminés par bruyk dezer vryheyd, in de gevallen
la loi. uytgedrukt door de wet.

12. - La garantie des droits de XII. De verzekering der regten


l'homme et du citoyen nécessite van den mensch en van den burger
une force publique; cette force est brengt de noodzaekelykheyd mede
donc instituée pour l'avantage de van eene openbaere Magt. Deze
tous, et non pour l'utilité particu- Magt is dan ingesteld voor het nut
lière de ceux auxquels elle est con- van alle, en niet voor het bezonder
fiée. nut van deze, aen de welke de
zelve is vertrouwt.

13. - Pour l'entretien de la for- XIII. Voor het onderhoud der


ce publique, et pour les dépenses openbaere Magt en voor de on-
d'administration, une contribution kosten der bestiering, is er eene
commune est indispensable. Elle gemeyne contributie noodig, de
doit être également répartie entre welke gelykelyk moet verdeeld
tous les citoyens, en raison de leurs wezen tusschen alle de burgers, na
facultés. maete van hunne middelen.

14. - Tous les citoyens ont Ie XIV. Alle burgers hebben het
droit de constater par eux-mêmes, regt om door hun zelven, of door
ou par leurs représentants, la néces- hunne Representanten, de nood-
sité de la contribution publique, de zaekelykheyd der gemeyne contri-
la consentir librement, d'en suivre butie te bewyzen, daer in vryelyk
l'emploi et d'en déterminer la quo- toe-te-stemmen, haer gebruyk na-
tité, l'assiette, Ie recouvrement et te-speuren en deszelfs aendeel, ver-
la durée. deeling, herstelling en duerzaem-
heyd te bepaelen.

15. - La société a Ie droit de XV. De societeyt heeft het regt


demander compte à tout agent pu- om aen allen publieken Amptenaer
blic de son administration. rekening van zyne bediening te
vraegen.

16. - Toute société dans la- XVI. Alle societeyt, by de welke


quelle la garantie des droits n'est de regten niet verzekerd zyn, en
pas assurée, ni la séparation des de scheyding der magten niet be-
pouvoirs déterminée, n'a point de paeld is, heeft geene Constitutie.
Constitution.

17. - La propriété étant un XVII. Den eygendom een on-


droit inviolable et sacré, nul ne schendbaer en heylig regt zynde,
peut en être privé, si ce n'est lors- kan niemant daer van berooft wor-
84 F. DE PAUW

que la nécessité publique, légale- den, ten waere de openbaere nood-


ment constatée, l'exige évidem- zaekelykheyd, wettiglyk aenge-
ment, et sous la condition d'une toond zynde, zulks klaerlyk ver-
juste et préalable indemnité. eyscht, en onder voorwaerde van
eene regtmaetige en voorgaende
schaedeloos-stelling.

(Uit : AuLARD, A. en MIRKINE· (Uit : De Fransche Oonstitutie,


GUETZÉVITCH, B., Lea Déclarations Brugge, By Joseph Bogaert, 1791,
des Droits de l'Homme, Paris, Payot, p. 3-7. Zie noot 9.)
1929, p. 15-18.)
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 85

BIJLAGE II

DÉCLARATION VERKLAERINGE
DES DROITS ET DES DEVOIRS DER RECHTEN EN PLICHTEN VAN
DE L'HOMME DEN MENSCH EN VAN DEN BORGER
ET DU CITOYEN [Grondwet van 5 fructidor
[C0NSTITUTION DU 5 FRUCTID0R Jaer III, 22 augustus 1795]
AN III, 22 A0UT 1795.]

Le Peuple Français proclame, en Het Fransche Volk verkondigt,


présence de l'Etre-Suprême, la dé- in tegenwoordigheyd van het
claration suivante des droits et des Opper-Wezen, de volgende ver-
devoirs de l'homme et du citoyen. klaeringe der rechten en plichten
van den mensch en van den borger.

DROITS RECHTEN
Article Premier Eersten Artiekel

Les droits de l'homme en société De rechten van den mensch m


sont : la liberté, l'égalité, la sûreté, versaeming, zyn : de vryheyd, de
la propriété. gelykheyd, de veyligheyd, den ey-
gendom.
Il. La liberté consiste à pouvoir II. De vryheyd bestaet in te
faire ce qui ne nuit pas aux droits mogen doen het géne aen de rech-
d'autrui. ten van een ander geen schaede
toebrengt.
111. L'égalité consiste en ce que 111. De gelykheyd bestaet hier
la loi est la même pour tous, soit in, dat de wet eene en de zelve is
qu'elle protège, soit qu'elle punisse. voor een-ider, het zy in 't bescher-
men, het zy in 't straffen.
L'égalité n'admet aucune distinc- De gelykheyd herkent geen
tion de naissance, aucune hérédité onderscheyd van geboorte, geene
de pouvoirs. erfenis van machten.
IV. La sûreté résulte du con- IV. De veyligheyd volgt uyt de
cours de tous pour assurer les samenwerkinge van alle, om de
droits de chacun. rechten van elk in 't bezonder te
verzekeren.

V. La propriété est le droit de V. Den eygendom is het recht


jouir et de disposer de ses biens, van zyne goederen, zyne inkom-
de ses revenus, du fruit et son tra- sten, de vruchten van zynen arbeyd
vail et de son industrie. en van zyne vernuftigheyd te ge-
bruyken en te vervremden.

VI. La loi est la volonté géné- VI. De wet is den algemeynen


rale exprimée par la majorité ou wil uytgedrukt door de meerder-
86 F. DE PAUW

des citoyens ou de leurs représen- heyd 't zy der borgers, 't zy van
tants. hunne verbéelders.

VII. Ce quine [n'est] pas défen- VII. Het géne door de wet niet
du par la loi ne peut être empêché. verb6den is, mag niet belet worden.
Nul ne peut être contraint à faire Niemand mag gedwongen wor-
ce qu'elle n'ordonne pas. den te doen het géne déze niet
beveelt.

VIII. Nul ne peut être appelé VIII. Niemand mag voor het
en justice, accusé, arrêté, ni détenu, recht gedaegt, beschuldigt, aenge-
que dans les cas déterminés par la vat nog vastgehouden. worden, dan
loi, et selon les formes qu'elle a in de gevallen door de wet bepaelt,
prescrites. en volgens de wyzen door déze
voorgeschreven.

IX. Ceux qui sollicitent, expé- IX. Die de welke willekeurige


dient, signent, exécutent ou font acten vraegen, afveerdigen, teeke-
exécuter des actes arbitraires, sont nen, ten uytvoer brengen ofte doen
coupables et doivent être punis. brengen, zyn plichtig en moeten
gestraft worden.

X. Toute rigueur qui ne seroit X. Alle strengheyd, die niet noo-


pas nécessaire pour s'assurer de la dig zoude zyn om zig van den
personne d'un prévenu doit être persoon van eenen beschuldigden
sévèrement réprimée par la loi. te verzekeren, moet straf door de
wet betoomt worden.

XI. Nul ne peut être jugé XI. Niemand mag gevonnist


qu'après avoir été entendu ou léga- worden dan naer overhoort of wet-
lement appelé. telyk geroepen te zyn.

XII. La loi ne doit décerner que XII. De wet moet geene straffen
des peines strictement nécessaires stellen dan de géne stiptelyk noo-
et proportionnées au délit. dig en in evenmaet met het mis-
daed zyn.
XIII. Tout traitement qui XIII. Alle behandeling de welke
aggrave la peine déterminée par la de straffe door de wet bepaelt,
loi est un crime. zwaarder maekt, is een misdaed.
XIV. Aucune loi, ni criminelle, XIV. Geene nog crimineele, nog
ni civile, ne peut avoir d'effet civiele wet mag eene te rug wer-
rétroactif. kende kracht hebben.
XV. Tout homme peut engager XV. Allen mensch mag zynen
son temps et ses services, mais il tyd en zyne diensten aanbesteden;
ne peut se vendre, ni être vendu; maer hy kan zig niet verkoopen,
sa personne n'est pas une propriété nog verkogt worden; zynen per-
aliénable. soon is geenen vervremdbaeren ey •
gendom.
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 87

XVI. Toute contribution est éta- XVI. Alle schatting word opge-
blie pour l'utilité générale; elle doit legd voor 't gemeyn nut; zy moet
être répartie entre les contribuables, onder alle de géne die de zelve
en raison de leurs facultés. moeten opbrengen, verdeylt wor-
den in even réden van hunne
middelen.
XVII. La souveraineté réside es- XVII. Het opper-gezag berust
sentiellement dans l'universalité wezentlyk in de ganscheyd der bor-
des citoyens. gers.
XVIII. Nul individu, nulle réu- XVIII. Geenen ondeeligen per-
nion partielle de citoyens, ne peut soon, geen gedeeltelyke vereening
s'attribuer la souveraineté. van borgers, mag zig het opper-
gezag toeeygenen.
XIX. Nul ne peut, sans une délé- XIX. Niemand mag, zonder
gation légale exercer aucune auto- eene wettelyke volmagtiging eenig
rité, ni remplir aucune fonction gezag oefenen, nog eenige open-
publique. baere bediening bekleeden.
XX. Chaque citoyen a un droit XX. !deren borger heeft een ge-
égal de concourir immédiatement lyk recht van middelyk of onmid-
ou médiatement à la formation de delyk te staen over het maeken
la loi, à la nomination des représen- van de wet, en over de benoeming
tants du peuple et des fonction- van zyne verbéelders en van de
naires publics. openbaere bedienaers.
XXI. Les fonctions publiques ne XXI. De openbaere bedieningen
peuvent devenir la propriété de mogen den eygendom niet worden
ceux qui les exercent. van de géne de zelve bekleeden.
XXII. La garantie sociale ne XXII. De versaemings-verze-
peut exister si la division des pou- kernisse kan niet bestaen indien de
voir[s] n'est établie, si leurs limites verdeeling der machten niet inge•
ne sont pas fixées, et si la respon- stelt is, haere paelen niet zyn uyt-
sabilité des fonctionnaires publics gedrukt en de verantwoordelyk-
n'est pas assurée. heyd van d'openbaere bedienaers
niet verzekert is.

DEvoms PLICHTEN
Article Premier Eersten Artiekel

La déclaration des droits con- De verklaering der rechten be-


tient les obligations des législa- vat de verpligtingen der wetgevers:
teurs : le maintien de la société de handhaeving van de versaeming
demande que ceux qui la compo- vereyscht, dat de géne die de zelve
sent connoissent et remplissent éga- uytmaeken, van gelyke hunne plig-
lement leurs devoirs. ten kennen en volbrengen.
II. Tous les devoirs de l'homme II. Alle de plichten van den
88 F. DE PAUW

et du citoyen dérivent de ces deux mensch en van den borger spruyten


principes gravés par la nature dans uyt déze twee grond-beginsels, die
tous les creurs : de natuer in alle herten heeft ge-
prent.
<< Ne faites pas à autrui ce que « Doet aen een ander niet, het
» vous ne voudriez pas qu'on vous »géne gy niet zoud willen dat aen
)) fît. » u gedaen worde.
» Faites constamment aux autres » Doet geduergilyk aen een ander
»le bien que vous voudriez en »het goed, het géne gy van hem
»recevoir. » » zoud willen ontfangen. t

III. Les obligations de chacun III. De verpligtingen van ider


envers la société consistent à la omtrent de versaeming bestaen in
défendre, à la servir, à vivre sou- haer te verdedigen, in haer te die-
mis aux lois, et à respecter ceux qui nen, in onderworpen aen de wetten
en sont les organes. te leven, en in ontzag toe te draegen
aen de géne door wie de zelve uyt-
gesproken worden.

IV. Nul n'est bon citoyen, s'il IV. Niemand is goeden borger is
n'est bon fils, bon père, bon frère, 't dat hy geenen goeden zoon, goe-
bon ami, bon époux. den vader, goeden broeder, goeden
houwelyks-genoot is.

V. Nul n'est homme de bien s'il V. Niemand is eerlyk-man die


n'est franchement et religieusement niet openhertig en getrouwelyk de
observateur des lois. wetten onderhoud.

VI. Celui qui viole ouvertement VI. Den génen, opentlyk de wet-
les lois, se déclare en état de guerre ten overtréed, verklaert zig in staet
avec la société. van oorlog met de versaeming.

VII. Celui qui, sans enfreindre VII. Den génen, die zonder de
ouvertement les lois, les élude par wetten opentlyk t'overtréden, de
ruse ou par adresse, blesse les inté- zelve door arglistigheyd of behen-
rêts de tous ; il se rend indigne de digheyd te leur stelt, schend de
leur bienveillance et de leur estime. belangen van alle ; hy maekt zig
onwêerdig van iders goedwilligheyd
en van iders achting.
VIII. C'est sur le maintien des VIII. 'T is op de handhaeving
propriétés que reposent la culture der eygendommen, dat berusten
des terres, toutes les productions, den akkerbouw, alle voortbrengin-
tout moyen de travail, et tout gen, alle middel van werk, en ge-
l'ordre social. heel de schikking der saemen-
leving.
IX. Tout citoyen doit ses ser- IX. Allen borger is zyne dien-
vices à la patrie et au maintien de sten verschuldigt aen het vader-
la liberté, de l'égalité et de la pro- land, en aen de handhaeving van de
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 89

priété, toutes les fois que la loi vryheyd, van de gelykheyd, en van
l'appelle à les défendre. den eygendom, alle ryzen dat hy
door de wet geroepen word om de
zelve te beschermen.

La République Française est une De Fransche Republiek is een en


et indivisible. overdeelbaer.
L'universalité des citoyens fran- De ganscheyd der fransche bor-
çais est le souverain. gers is den souvereyn.

ETAT POLITIQUE DES CITOYENS. POLITIBKEN STAET DER BORGERS

Tout homme né et résidant en Allen man, geboren en woonagtig


France, qui, ägé de vingt-un ans in Vrankland, den welken, ten vol-
accomplis, s'est fait inscrire sur le len een-en-twintig jaer oud, zig in
registre civique de son canton, qui den borgerlyst van zyn canton
a demeuré depuis pendant une heeft doen aenschryven; den wel-
année sur le territoire de la Répu- ken een jaer geduerende op het
blique, et qui paie une contribution grondgebied der Republiek ge-
directe, foncière ou personnelle, est woont héeft, en den welken, eene
citoyen français. onmiddelyke grond, of persoone-
lyke contributie betaelt, is franschen
borger.
Sont citoyens, sans aucune con- Zyn borgers zonder eenige voor-
dition de contribution, les français weerde van contributie, de fran-
qui auront fait une ou plusieurs schen, die eene ofte véele veldtog-
campagnes pour l'établissement de ten ten voordele van d'oprechtinge
la République. der Republiek gedaen hebben.
L'étranger devient citoyen fran- Den vremdeling word franschen
çais, lorsqu'après avoir atteint l'äge borger, alswanneer hy, naer den
de vingt-un ans accomplis, et avoir ouderdom van een-en-twintig jae-
déclaré l'intention de se fixer en ren ten vollen bereykt te hebben,
France, il y a résidé pendant sept en het inzicht van zig te huysves-
années consécutives, pourvu qu'il y tigen in Vrankland verklaert te
paye une contribution directe, et hebben, aldaer verbleven héeft ten
qu'en outre il y possède une pro- tyde van seven achter-een-volgen-
priété foncière ou un établissement de jaeren, mits dien hy'er betaelt
d'agriculture ou de commerce, ou eene onmiddelyke contributie, en
qu'il ait épousé une française. dat hy'er daeren-boven eenen
grond-eygendom, of een oprechting
van akker-bouw bezit, ofte dat hy
zig met eene fransche door 't hou-
welyk héeft verbonden.
Les citoyens français peuvent De fransche borgers alleen mogen
seuls voter dans les assemblées hunne stemme geven, in d'eerste-
primaires, et être appelés aux lycke (primaire) vergaederingen, en
90 F. DE PAUW

fonctions établies par la constitu- tot de bedieningen door de consti-


tion. tutie ingestelt, geroepen worden.

L'exercice des droits de citoyen De oeffening der borger-rechten,


se perd: word verloren :
1° Par la naturalisation en pays 1° Door inlyving als inboorling
étranger; in een vremd land;
2° Par l'affiliation à toute cor- 2° Door de verbondentheyd met
poration étrangère qui supposeroit alle vremde corporatie de welke
des distinctions de naissance, ou onderscheyd van geboorte zoud
qui exigeroit des vamx de religion ; ontstellen, of geestelyke geloftens
zoud vereysschen.
3° Par l'acceptation de fonctions 3° Door de aenvêerding van be-
ou de pensions offertes par un gou- dieningen of van pensioenen door
vernement étranger; eene buytenlandsche regéering op-
gedraegen.
4° Par la condamnation à des 4° Door verwyzing tot lyf-of-
peines affiictives ou infamantes, eerschende straffen, tot weder-her-
jusqu'à réhabilitation. stelling.

L'exercice des droits de citoyen De oeffening der borger-rechten


est suspendu : word opgeschort :
1° Par l'interdiction judiciaire 1° Door't gerechtelyk verbod ter
pour cause de fureur, de démence, oorzaek van woede, van zinneloos-
ou d'imbécilité; heyd of van slapzinnigheyd.
2° Par l'état de débiteur failli, 2° Door den staet van gefailléer-
ou d'héritier immédiat, détenteur, den schuldenaer, of van onmidde-
à titre gratuit, de tout ou partie lyken erfgenaem, aenhouder, by
de la succession d'un failli; gift, van het al of gedeelte der op-
volging van eenen gefailleerden.
3° Par l' état de domestique à 3° Door den staet van geloonden
gages, attaché au service de la per- dienstbode, als lyf en huysknecht.
sonne ou du ménage;
4° Par l'état d'accusation; 4° Door den staet van beschul-
diging.
5° Par un jugement de contu- 5° Door een vonnis by verstéek,
mace, tant que le jugement n'est zoo lang het vonnis niet is te niet
pas anéanti. gedaen.

L'exercice des droits de citoyen De oeffening der borger-rechten


n'est perdu, ni suspendu que dans word nog verloren nog opgeschort
le[s] cas exprimés dans les deux dan in de gevallen in de twee
articles précédens. voorgaende artiekels uytgedrukt.
Tout citoyen qui aura résidé sept Elken borger die zeven achter-
RECHTEN VAN DE MENS IN DE ZUIDELIJKE NEDERLANDEN 91

années consécutives hors du terri- een-volgende jaeren buyten het


toire de la République, sans mission grond-gebied der Republiek zal ge-
ou autorisation donnée au nom de woont hebben, zonder zending, oft
la nation, est réputé étranger; il ne magtiging in den naem van't fran-
redevient citoyen français qu'après sche volk gegeven, zal als vremde-
avoir satisfait aux conditions pres- ling gehouden worden, hy word
crites par l'article dixième. niet weder franschen borger dan
naer aen de voorwêerden, door den
tienden artiekel voorgeschreven, te
hebben voldaen.
Les jeunes gens ne peuvent être De jongelingen mogen op den
inscrits sur Ie registre civique, s'ils borgerlyst niet aengeschreven wor-
ne prouvent qu'ils savent lire et den is't dat zy niet bewyzen dat
écrire, et exercer une profession zy lezen en schryven, en een hand-
mécanique. werk oeffenen konnen.
Les opérations manuelles de De akker-bouw 's hand-werken,
l'agriculture appartiennent aux behooren onder de beroepingen van
professions mécaniques. hand-werk.
Cet article n'aura d'exécution Dezen artiekel zal geen uytvoe-
qu'à compter de l'an douzième de ring hebben dan te beginnen met
la République. het twelfste jaer der Republiek.

(Volledige nadruk van het tweetalig exemplaar uit het Algemeen Rijks-
archief : Déclaration des droits et des devoirs de l'homme et du citoyen,
An IV, s.l.s.e. Zie noot 19.)

RENÉ DEKKERS. - 7
La « condictio indebiti »
et l' erreur dans Ie droit de Justinien
PAR

H. GASPART-JONES
CHARGÉ DE COURS À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

1. - Le principe fondamental suum cuique tribuere (1) que


les Romains paraissent avoir appliqué de toute antiquité, allait
avoir pour conséquence la prohibition de l'enrichissement sine
causa, dépourvu de cause légitime (2). Quoique dégagé longtemps
après la règle dont il découle, ce corollaire, admettant dans ce
cas de façon générale la répétition, paraît cependant déjà établi
avant notre ère. Un fragment d'Ulpien repris au Digeste et
rapportant l'opinion des veteres est très explicite à eet égard :
Perpetuo Sabinus probavit veterum opinionem existimantium
id, quod ex iniusta causa apud aliquem sit, posse condici ... (3).
Diverses techniques ont toutefois été employées, souvent
simultanément, par le droit romain pour sanctionner l'enrichisse-
ment sans cause : actions de bonne foi, formule pétitoire, restitu-
tion en entier, actions utiles, actions in factum, mais surtout
la condictio. A l'époque classique, l'existence de la condictio est
acquise, et sans doute sa formule variait-elle selon l'objet de la
créance qu'elle sanctionnait : certa pecunia, certa res d'abord,
incertum quelque peu après (4). De toute évidence, la variété
des objets auxquels la condictio pouvait être appliquée a amené
certains jurisconsultes classiques déjà à tenter d'élaborer une
théorie de l'action en répétition (5). Néanmoins, il faudra at-

(1) D. 1, 1, 10, 1.
(2) D. 12, 6, 14 - D. 12, 6, 66 - D. ó0, 17, 206: Jure naturae aequum est
neminem cum aUerius detrimento et iniuria fteri locupletiorem - D. 23, 3, 6, 2.
(3) D. 12, ó, 6. Cf. PLAUTE, Asinaria, 171-172 : Diabolus : Dedi equidem quod mecum
egisti. Oleaereta : Et tibi ego misi mulierem. Par pari datum lwstimentumst, opera pro
pecunia.
(4). KASER, Das röm. Privatrecht, t. 2, 1975, p. 422, § 270, III, 1.
(5) D. 12, 6, 65, Paulus lib. 17 ad Plautium : In summa, ut generaliter de repetitione
94 H. GASPART-JONES

tendre la codification de Justinien pour se trouver en présence


d'une matière profondément repensée et nettement mieux struc-
turée, encore que n'offrant pas en tous points la clarté souhaitée.
Dans Ie Corpus iuris civilis, l'enrichissement sans cause est
sanctionné principalement par cinq condictiones différentes (6).
La condictio indebiti (D. 12, 6 - C. 4, 5) est l'action en répétition
de l'indu, prenant tantöt la forme d'une condictio certae pecuniae
si l'indu consiste en une somme d'argent, tantöt celle d'une
condictio certae rei s'il porte sur une chose non fongible, tantöt
enfin celle d'une condictio incerti s'il s'agit de répéter un incertum,
par exemple un engagement, une servitude prédiale (7). La
condictio causa data causa non secuta (D. 12, 4), appelée aussi
ob causam datorum (0. 4, 6) sanctionne l'enrichissement résultant
d'une prestation effectuée en vue d'un hut licite et futur qui
ne s'est pas réalisé, par exemple une constitution de dot en vue
d'un mariage qui n'a pas eu lieu. La condictio ob turpem causam
(D. 12, 5 - C. 4, 7) s'intente lorsque l'enrichissement résulte
d'une prestation accomplie en vue d'une cause qui n'est déshono-
rante que pour Ie seul accipiens, par exemple afin d'éviter la
commission d'un délit par ce dernier (chantage, menace de rapt,
d'homicide). La condictio ob iniustam causam (D. 12, 5) ou ex
iniusta causa (C. 4, 9) sanctionne l'enrichissement provenant
d'un acte immoral prohibé par la loi, telle la perception d'intérêts
usuraires. Et enfin, la condictio sine causa (D. 12, 7 - C. 4, 9),
au sens étroit de l'expression, est octroyée dans quelques hypo-
thèses d' enrichissement sans cause non sanctionnées par les
condictiones précédentes, notamment lorsque le titre de la créance
se trouve encore aux mains du créancier après l'extinction de
la dette.
Dès lors, au VI e siècle, la condictio indebiti apparaît comme
l'une des espèces de condictiones sine causa au sens large de
l'expression, et Ie payement indu, solutio indebiti, n'est qu'une
des variétés de payements sine causa (8).

tractemus, sciendum est dari aut ob transactwnem aut ob causam aut popter condictionem
aut ob rem aut indebitum : in quibus omnibus quaeritur de repetitione.
(6) CuQ, Manuel, 1928, pp. 541-546; GmARD, Manuel, 1929, pp. 648-662; KAsEB,
op. cit., t. 2, pp. 422-423, § 270, III, 1.
(7) D. 12, 6, 22, 1.
(8) En ce sens, DE PAGE, Traité élém., t. 3, 1967, p. 9, no 4, qui attribue au
préteur un röle qu'il n'a pas eu en matière de condictwnes. La solutio indebiti est un
payement sine causa retinendi, et non sine causa dandi. Voir à ce propos : ScnwABz,
<< CONDICTIO INDEBITI » ET ERREUR 95

2. - Bien que le propos de cette étude ne soit pas de faire


un examen exhaustif de la condictio indebiti telle qu'elle se
présente dans le droit de Justinien, qu'il me soit permis cepen-
dant de rappeler succinctement, dans la mesure ou cela s'avère
indispensable pour l'intelligence des développements qui sui-
vront, qu'entre autres conditions d'existence, la condictio indebiti
requiert un payement et une erreur. D'une part, un payement,
à savoir une prestation exécutée en vue d'éteindre une obligation,
mais dans son sens le plus large : qu'il s'agisse non seulement
de l'exécution volontaire d'une obligation de dare - transférer
la propriété d'une chose, même s'il s'agit d'une dation en paye-
ment (9) - mais encore de l'exécution volontaire d'une obliga-
tion de f(U',ere - contracter un engagement (10) - ou de celle
d'une obligation de non f(U',ere - omettre d'exiger un engage-
ment (11) - . D'autre part, une erreur, car contrairement à ce
qu'ont soutenu quelques auteurs, et parmi eux essentiellement
Solazzi (12), on tient pour acquis aujourd'hui que l'erreur du
solvens est une condition d'octroi de la condictio indebiti dès le
droit classique (13).

3. - C' est à cette dernière condition d' existence de la condictio


indebiti que sera consacrée la présente étude. Notre propos est
de déterminer, au départ des textes repris dans la codification
de Justinien, dans quelle mesure l'erreur commise par le solvens,
est << protégée >> par le droit du vre siècle : sa nature joue-t-elle
un röle dans la fixation des cas d' ouverture de la condictio
indebiti?

• Die Grundiage der condictio im klassischen römischen Recht ,, in Porschungen zum


röm. Recht, t. 5, 1952, pp. 229-230.
(9) D. 12, 6, 26, 4-6.
(10) D. 12, 6, 31. Cf. D. 12, 7, 1, pr.
(Il) D. 12, 6, 39.
(12) « L'errore nella 'condictio indebiti' ,, in Scritti di dir. rom., t. 4, pp. 99-164;
, Ancora dell'errore nella 'condictio indebiti' ,, ibid., pp. 405-447; • Le 'condictiones'
e I'errore ,, op. cit., t. 5, pp. 1-42. Ces trois articies seront cités, dans Ie cours de Ia
présente étude, respectivement : Scritti I, II et III.
(13) BIONDI, « Successione testamentaria - Dona.zioni ,, in Trattato di dir. rom.,
t. 10, 1943, p. 384, n. 6; GROSSO, recension de Soia.zzi, « L'errore nella condictio indebiti ••
in SDHI, 6 (1940), p. 416; KADEN, recension de Solazzi, « L'errore nella condictio
indebiti ,, in zss, 61 (1941), p. 477; KASER, op. cit., t. 2, p. 422, n. 13; ScHWARZ,
op. cit., pp. 17-19, 21, 65 sq; Voer, «In tema di errore ,, in SDHI, 8 (1942), pp. 83,
103, 110-lll; WUNNER, • Der Begriff causa und der Tatbestand der condictio indebiti ,,
in Romanitaa, 9 (1970), p. 466.
96 H. GASPART-JONES

4. Les intitulés des titres du Digeste et du Code relatifs à


l'erreur présentent la distinction entre l'erreur de fait et l'erreur
de droit comme la distinction fondamentale en la matière : de
iuris et facti ignorantia (D. 22, 6 - C. 1, 18). L'erreur est une
conséquence de l'ignorance, mais, dans les sources, les termes
error et ignorantia sont considérés comme synonymes et employés
indifféremment l'un pour l'autre (14).
L'intérêt de cette distinction réside en ce que, de façon géné-
rale, l'erreur de fait << ne peut nuire >> à celui qui l'a commise,
alors que l'erreur de droit, au contraire, << peut lui nuire >> :
Regula est iuris quidem ignorantiam cuique nocere, facti vero
ignorantiam non nocere ... (15).

5. - En ce qui concerne, de façon particulière, le payement


indu, la stricte application de cette règle générale doit aboutir
à ce que Ie solvens ne puisse intenter la condictio indebiti contre
I' accipiens que dans l'hypothèse d'une erreur de fait.
5.1. - Cette application est exprimée sous forme de principe
général à plusieurs reprises dans Ie Code, notamment dans une
constitution des empereurs Dioclétien et Maximien datée de 294 :
Gum quis ius ignorans indebitam pecuniam persolverit, cessat
repetitio. per ignorantiam enim facti tantum repetitionem indebiti
soluti competere tibi notum est (16).
5.2. - De surcroît, et de façon concrète cette fois, plusieurs
textes tant du Digeste que du Code appliquent avec rigueur Ie
principe de cette distinction. Ainsi, il y a ouverture à la condictio
indebiti lorsque, per errorem facti, un fidéicommis ou un legs a
été délivré (17) ou que l'héritier chargé d'un fidéicommis n'a
pas retenu la quarte Falcidie (18). Il en va de même si l'héritier
ignorait la défense insérée dans Ie testament d' exiger de lui la
caution et a fourni celle-ci (19), s'il ignorait la disposition de

(14) J'en veux notamment pour preuves les nombreux fragments qui, dans la pour-
suite d'un raisonnement précis, passant de la terminologie relativa à !'error à celle
spécifique à l'ignorance - Bi nesciat, Bi ignoret, Bi non sciret, ignorans, ignorantia,
ignoravit - et vice versa : D. 22, 6, 1, pr. - 4 - D. 22, 6, 2 - D. 22, 6, 3, pr. -
D. 22, 6, 9, 5 - D. 41, 10, 5, l - D. 42, 2, 2 etc ....
(15) D. 22, 6, 9, pr. Dans Ie même sens, pour l'erreur de fait : D. 22, 6, 8 -
D. 22, 6, 9, 2 - D. 22, 6, 9, 5; et pour l'erreur de droit : D. 22, 6, 9, 3 - D. 22, 6, 9, 5.
(16) D. 1, 18, 10. Idem : C. 4, 5, 6 - C. 6, 50, 9.
(17) C. 4, 5, 7.
(18) C. 6, 50, 9.
(19) D. 36, 4, l, pr.
<< CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR 97

demière volonté par laquelle l'acheteur ou Ie créancier Ie dispen-


sait d'exécuter son obligation et s'il a livré l'objet vendu ou
payé sa dette (20), ou encore s'il a payé quoi que ce soit en
exécution d'un testament qui se révèle par la suite falsifié ou
même primé par un codicille découvert ultérieurement et impo-
sant la réduction, voire la suppression des legs initialement
prévus dans Ie testament pour permettre la constitution de
nouveaux legs (21). La condictio indebiti est également accordée
au débiteur qui paie sa dette entre les mains d'un faux manda-
taire de son créancier (22) ou d'une autre personne que son
créancier (23), à celui qui paie un montant trop élevé à son
créancier (24) ou livre un objet différent de celui qui est dû (25),
à quiconque achète un objet inexistant (26) ou dont il est déjà
propriétaire (27).
Par contre, la condictio indebiti est refusée à l'héritier qui,
ius ignorans, n'utilise pas Ie bénéfice prévu par la lex Falcidia
à son profit (28) et au solvens qui, apparemment, ignore Ie
sénatusconsulte Macédonien (29) ou une limitation apportée par
la loi à ses engagements (30).

6. - Pourtant, quoique énoncé de façon générale et appliqué


concrètement dans les textes précités, le principe selon lequel
seule l'erreur - ou l'ignorance - portant sur un fait donne
ouverture à la condictio indebiti, se révèle loin d'être aussi établi
au VI 0 siècle que l'on pourrait Ie supposer au premier abord,
si l'on considère d'autres passages de la compilation de Justinien.
6.1. - En premier lieu, un nombre important de fragments
octroient la condictio indebiti, de façon générale, au solvens qui
a payé per ignorantiam (31), per errorem (32) ou falso existi-

(20) D. 12, 6, 26, 7.


(21) D. 12, 6, 2, 1.
(22) D. 4, 5, 8.
(23) D. 12, 6, 22, pr. - D. 13, 5, 8-9.
(24) C. 4, 5, 1, pr. - D. 12, 6, 26, 4-6 - D. 19, 2, 19, 6.
(25) D. 12, 6, 19, 3 - D. 12, 6, 32, 3.
(26) D. 18, 4, 7.
(27) D. 12, 6, 37 - D. 18, 1, 16, pr.
(28) D. 22, 6, 9, 5 - C. 6, 50, 9.
(29) D. 12, 1, 14.
(30) D. 12, 6, ll.
(31) D. 12, 6, l, l - D. 12, 6, 47 - D. 14, 6, 8 - C. 4, 5, 3, pr. (ab ignorante).
(32) D. 12, 6, 7, pr. - D. 12, 6, 16, pr. - D. 12, 6, 47 - D. 12, 6, 54 - D. 19,
2, 19, 6 - D. 35, 3, 3, lÓ - D. 44, 7, 5, 3 - C. 4, 5, l, pr. - Idem: D. 13, 5, 9
(perperam).
98 H. GASPART-JONES

mans (33), sans préciser la nature de l'erreur ou de l'ignorance


qui a entraîné Ie payement. Faut-il admettre que l'on est chaque
fois implicitement invité à se référer aux intitulés des titres du
Digeste et du Code relatifs à l'erreur? Nous verrons sous peu
ce qu'il faut en penser.
6.2. - Un second ensemble de passages nous relatent des
circonstances donnant ouverture à la condictio indebiti qui
pourraient tout autant se rapporter à un cas d'error iuris qu'à
une hypothèse d'error facti.
Ainsi, un rescrit pris conjointement par Sévère et Caracalla
oblige les publicains à restituer les sommes perçues indûment
que les contribuables ont payées per errorem (34), sans préciser
nullement si eet indu tire son origine d'une gestion peu diligente
des biens, d'une mauvaise comptabilité - erreur de fait - ou
d'une méconnaissance des dispositions fiscales - erreur de
droit - . Pomponius et Africanus accordent la condictio indebiti
à celui qui, se croyant à tort appelé à la succession - civile ou
prétorienne - du de cujus, a déjà payé une dette grevant
celle-ci (35), sans indiquer si la croyance erronée du solvens
résulte, par exemple, de la connaissance d'un testament rédigé
à son profit dans un premier temps, mais modifié ou détruit
ultérieurement à son insu - erreur de fait - ou si elle découle
de l'ignorance du droit successoral - ignorance de droit -.
De même, lorsque la répétition est permise par Javolène à
l'héritier qui a vendu et délivré ses droits successoraux sans
retenir ce que Ie défunt lui devait (36), par Ulpien et Marcellus
au mari (ou à ses héritiers) qui a restitué la dot sans prélever
Ie remboursement des impenses nécessaires effectuées par lui
sur les biens dotaux (37), par Marcianus à l'héritier qui a livré
Ie fidéicommis incendié et réparé par ses soins sans déduire Ie
montant des impenses nécessaires avancées par lui (38), est-ce à
la victime d'une erreur de fait ou à quelqu'un ignorant ses droits

(33) D. 12, 6, 15, l - D. 12, 19, 2. Cf. D. 12, 6, 26, 2 (falao credena).
(34) D. 39, 4, 16, 14.
(35) D. 12, 6, 19, l - D. 46, 3, 38, 2. Selon SoLAZZI, Scritti, II, p. 418, il
e'agirait plutöt d'error iuri8.
(36) D. 12, 6, 45.
(37) D. 25, l, 5, 2. Toue les jurisconsultes ne partageaient pas cette opinion :
... aed etai plerique negent. Selon SoLAZZI, Scritti, II, p. 442, il s'agire.it plutöt d'error
wria.
(38) D. 12, 6, 40, 1. Cf. D. 30, 58.
<< CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR 99

qu'est ouverte la condictio? Quand Pomponius et Valens auto-


risent la personne chargée d'un fidéicommis à répéter l'indu
qu'elle a payé, par exemple la quarte Falcidie à laquelle elle
avait droit (39), rien ne laisse supposer dans l'énoncé des faits
que l'action octroyée tend à réparer les conséquences d'une
erreur de fait.
Et plusieurs autres fragments abondent dans Ie même sens.
Citons-en quelques-uns parmi les plus significatifs. La condictio
est permise par Pomponius, Celse et Julien aux deux débiteurs
principaux, ou au débiteur principal et au débiteur accessoire,
qui ont trop payé pariter (40), ce qui peut signifier << à parts
égales >> - erreur de fait - ou << ensemble >> - erreur de droit - .
Africanus autorise Ie fideiussor à répéter Ie legs payé indû-
ment (41), Ulpien en fait de même pour l'héritier qui s'est engagé
vis-à-vis d'un créancier de la succession, au-delà de sa part (42),
et Paul pour celui qui, falso existimans, a donné l'usufruit d'un
de ses biens (43).
Faut-il dès lors supposer que cette absence complète de déter-
mination quant à la nature de l'erreur, oude l'ignorance, suscep-
tible de donner ouverture à la répétition de l'indu, dans les
fragments précités, s'inscrit dans un contexte de référence impli-
cite mais systématique à la distinction présentée comme fonda-
mentale en matière d'erreur par Ie Corpus? L'ensemble des textes
précités se rapporterait-il à des erreurs de fait puisqu'ils auto-
risent la répétition (44)?
Si plausible que puisse paraître cette première interprétation,
elle ne nous paraît pas pouvoir être retenue, car d'autres textes,
qu'il nous faut encore examiner, nous semblent susceptibles
d'accréditer une autre opinion, à la lumière de laquelle les der-
niers textes approchés prendront une autre signification.

6.3. - Une troisième série de passages, en effet, accordent la


condictio indebiti au solvens, mais dans des circonstances telles

(39) D. 35, 2, 31 - D. 36, 1, 70 (68), l. Cf. C. 4, 5, 7 et C. 6, 50, 9, on l'erreur


est dite Jacti.
(40) D. 12, 6, 19, 4 - D. 12, 6, 20.
(41) D. 12, 6, 38, 3. Selon SoLAZZI, Scritti, II, p. 411, il s'agit ici d'error iuris.
(42) D. 12, 6, 31.
(43) D. 12, 6, 12.
(44) Voir ce qu'écrit à ce propos : ARCHI, « Variazioni in tema di 'indebiti solutio' ,,
in Studi Arangio-Ruiz, 3 (1953), pp. 362-363.
100 H. GASPART-JONES

cette fois qu'il est difficile d'estimer que l'erreur commise ne


soit pas une erreur de droit.
Ainsi, si malgré l'existence d'un jugement sur !'affaire qui les
oppose, les parties au procès transigent et l'une d'entre elles
s'exécute en conséquence, elle pourra répéter ce qu'elle a
payé (45). Il en va de même pour le légataire d'une pension
alimentaire qui transige sur celle-ci et paye une somme dans
le cadre de ce contrat (46); pour l'héritier qui paye en exécution
d'un testament qui s'avère ultérieurement inoificiosus - con-
traire aux devoirs, partant lésant les proches - vel irritus -
nul - (47); pour le débiteur qui s'imagine à tort dans les condi-
tions d'application d'une loi accordant une action au double ou
au quadruple, et paye dès lors le double ou le quadruple de ce
qu'il doit (48) ; pour le fideiussor iure liberatus qui exécute malgré
tout son obligation (49); pour l'émancipé qui n'a pas demandé
la succession de son père dans le délai imparti par le droit hono-
raire, et paye cependant quelque dette de celui-ci (50); pour le
débiteur qui paye des intérêts dont le total excède le montant
autorisé du double (51); pour celui des héritiers d'un fideiussor
qui paye la totalité de la dette (52) ; pour le solvens qui s'exécute
malgré l'existence d'une exception perpétuelle à son profit (53) ;
pour celui qui a affirmé sous serment se dare non oportere et a
pourtant payé (54); pour le fideiussor qui a passé un pacte ne ab
eo pecunia petatur et a payé per imprudentiam (55); et pour bien
d'autres encore. Or, dans toutes ces hypothèses donnant ouver-
ture à la condictio, plus que certainement le solvens a agi dans
l'ignorance d'une disposition légale.

6.4. - Que dire encore de ce fragment d'Ulpien lib. 52 ad ed.


repris dans Ie Digeste (56), accordant la condictio indebiti à
l'héritier qui, ignorant que le testateur eût la faculté de le

(45) D. 12, 6, 23, 1.


(46) D. 12, 6, 23, 2.
(47) D. 12, 6, 2, 1.
(48) D. 12, 6, 23, 4.
(49) D. 12, 6, 59.
(50) C. 4, 5, 5.
(51) D. 12, 6, 26, pr. et 1.
(52) D. 46, l, 49, l ( ... quidam putant ... ).
(53) D. 12, 6, 26, 3 et 7 - D. 12, 6, 40, pr. - D. 23, 3, 78, 6 - D. 46, 3, 34, ll.
(54) D. 12, 6, 43.
(55) D. 12, 6, 32, 1. Cf. 12, 6, 40, 2.
(56) D. 36, 4, 1, pr.
<< CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR 101

dispenser de la cautio, a fourni celle-ci, savoir dans un cas flagrant


d' error iuris :
... si vero hoc non potuisse remitti crediderit, numquid condicere
possit qui ius ignoravit? adhuc tamen benigne quis dixerit, satis-
dationem condici posse.
Certains romanistes ont émis l'hypothèse que Ie fragment
d'Ulpien, en réalité, est l'expression d'une << décision personnelle
proposée timidement >> (57), ou d'une <<faveur>> (58). Il est indé-
niable que la formulation choisie est prudente. Cependant la
décision du jurisconsulte, loin d'être isolée, s'inscrit dans tout
un contexte.

6.5. -- Elle doit, en effet, être mise en rapport avec d'autres


textes, rédigés en termes tout à fait généraux, partant également
valables pour Ie payement indu.
Il s'agit d'abord de trois passages formulant Ie principe qu'il
ne peut y avoir d'erreur de droit reconnue que si, ayant eu
!'occasion de consulter un jurisconsulte, on a omis de Ie faire,
ou encore si l'on dispose soi-même d'une instruction juridique
suffisante :
Paulus lib singulari de iuris et facti ignorantia : Sed iuris igno-
rantiam non prodesse Labeo ita accipiendum existimat, si iuris
consulti copiam haberet vel sua prudentia instructus sit, ut, cui
facile sit scire, ei detrimento sit iuris ignorantia : quod raro acci-
piendum est (59).
Paulus lib. 2 ad Sab. : ... scientiam enim non hanc accipi,
quae iuris prudentibus sit, sed eam, quam quis aut per se habeat
aut consulendo prudentiores adsequi potest (60).
Ulpianus lib. 49 ad ed.: Scientiam eam observandam Pomponius
ait, non quae cadit in iuris prudentes, sed quam quis aut per se aut
per alios adsequi potuit, scilicet consulendo prudentiores, ut diligen-
tiorem patrem familias consulere dignum sit (61).
Il ressort clairement de ces fragments que Paul, Labéon,

(57) GmARD, op. cit., pp. 657-658, n. 6.


(58) CuQ, op. cit., p. 543, fin de la n. 14.
(59) D. 22, 6, 9, 3.
(60) D, 37, l, 10.
(61) D. 38, 15, 2, 5.
102 H. GASPART-JONES

Ulpien et Pomponius sont unanimes quant au secours qu'il


convient de porter au bon père de famille qui a cherché à s'in-
former des règles avec soin, mais qui, en dépit de sa diligence,
aurait commis une erreur de droit.
Il s'agit ensuite de deux passages de Papinien, remarquables
parce qu'ils semblent en contradiction partielle avec le fragment
de Paul qui les suit immédiatement au Digeste et énonce l'intérêt
de la distinction entre error iuris et error facti :
Papinianus lib. 19 quaestionum: Iuris ignorantia non prodest
adquirere volentibus, suum vero petentibus non nocet (62).
Papinianus lib. 1 definitionum : Error facti ne maribus quidem
in damnis vel compendiis obest, iuris autem error nee feminiis in
compendiis prodest : ceterum omnibus iuris error in damnis amit-
tendae rei suae non nocet (63).
Même si l'on admet que la portée générale du premier texte
est due à l'intervention des compilateurs (64), et que Ie second
est à coup sûr altéré (65), il n'en reste pas moins vrai que ces
passages tendent à prouver que le droit du VJe siècle reconnaît
une protection à l'error iuris lorsqu'il s'agit de réclamer son dû,
d'éviter de perdre son bien.

7. - Dès lors, si l' on rapproche les textes octroyant la condic-


tio indebiti de façon générale au solvens qui a payé per ignoran-
tiam, per errorem ou falso existimans, les sources l'accordant de
façon concrète dans des circonstances qui tantöt peuvent tout
aussi bien supposer une erreur de droit qu'une erreur de fait,
tantöt se rapportent plus que vraisemblablement à une erreur
de droit, le fragment d'Ulpien concernant à coup sûr l' error
iuris, les trois passages précisant les limites de la connaissance
juridique exigée de chacun et les deux fragments de Papinien
accordant la condictio indebiti pour réclamer son dû, il devient
indubitable que le droit de Justinien ne refusait pas systématique-
ment sa protection à l' error iuris lorsque cette erreur était la
source d'un payement indu (66).

(62) D. 22, 6, 7.
(63) D. 22, 6, 8.
(64) CuQ, op. cit., p. 543; GIRARD, op. cit., p. 657; VAN WARMELO, « Ignorsntis
iuria •• in TRG, 22 (1954), p. 18.
(65) CuQ, ibid.
(66) Cf. VAN WARMELO, op.cit., p. 32.
« CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR 103

8. - Partant, nous sommes en droit de nous poser la question


de savoir si la protection de !'error facti était, pour sa part,
absolue, ou au contraire si elle aussi était sujette à exceptions 1
La réponse à cette dernière interrogation, ce n'est pas un
fragment relatif au seul payement indu qui nous la fournit. Elle
découle d'assertions générales reprises dans Ie livre 22 du Digeste,
sous Ie titre consacré à l'erreur et à l'ignorance.
8.1. - A plusieurs reprises, et sans ambiguïté, il y est affirmé
que I'error facti ne peut nuire qu'à cette seule condition - ita
demum - qu'il n'y ait pas eu summa neglegentia (67), supina
ignorantia, neglegentia crassa ou nimia securitas (68) de la part
de celui qui l'a commise.
8.2. - Et certains textes apportent des applications indubi-
tables du principe. Ainsi, aucune excuse n'est accordée à celui
qui ignore un fait connu de tous dans la cité (69), la langue
usitée dans la contrée (70) ou encore un affichage exposé au
public et déjà remarqué par beaucoup (71). Ne sera pas non
plus excusée la croyance forgée à tort que la condition encore
pendante s'est déjà réalisée (72), qu'une personne encore en vie
est déjà décédée (73) ou qu'un filius familias quine s'est jamais
fait passer pour un pater familias en est un (74).
Les sources n'exigent pas que celui qui s'est trompé ait procédé
au préalable à une enquête scrupuleuse, ni qu'il ait témoigné
d'une curiosité extrême, de délateur (75). Mais elles prönent un
juste équilibre entre l'insouciance excessive et l'investigation
vétilleuse, savoir une attitude de bonus vir :
Paulus lib. singulari de iuris et facti ignorantia : ... et recte
Labeo definit scientiam neque curiosissimi neque neglegentissimi
hominis accipiendam, verum eius, qui cum eam rem ut, diligenter
inquirendo notam habere possit (76).

(67) D. 22, 6, 9, 2.
(68) D. 22, 6, 6.
(69) D. 22, 6, 9, 5.
(70) D. 14, 3, Il, 3.
(71) D. 14, 3, Il, 3.
(72) D. 41, 4, 2, 2.
(73) D. 41, 5, 1.
(74) D. 14, 6, 3, pr.
(75) D. 22, 6, 6 ( ... ut nee aerupuloaa inquiaüio exigenda ... neque delatoria eurioaüaa
e:,;igatur) - D. 22, 6, 9, 2.
(76) D. 22, 6, 9, 2.
104 H. GASPART-JONES

9. Il apparaît donc nettement que Ie principe selon lequel


l'erreur de fait doit être protégée connaît des exceptions, tout
comme celui qui refuse une protection à I'error iuris.
Dès lors, la distinction présentée par Ie Corpus comme fonda-
mentale, de façon générale, en matière d'erreur, ne peut, à notre
avis, être considérée comme telle en ce qui concerne Ie payement
indu : de toute évidence, ce n'est pas cette distinction qui déter-
mine I' octroi ou Ie refus de la condiotio indebiti dans Ie droit
de Justinien (77).
S'il peut déjà paraître étrange que Ie titre du Digeste consacré
à la condictio indebiti ne contienne aucun texte de principe
établissant Ie lien entre notre matière et la distinction apparem-
ment primordiale dans Ie Corpus, pareil silence revêt à coup sûr
une signification lorsque l'on constate !'abondance de fragments
dérogatoires repris dans la codification de Justinien. Ce n'est
point une inadvertance si les compilateurs ont intégré dans Ie
Corpus, sans les interpoler pour harmoniser leur substance avec
Ie prétendu droit du VIe siècle, tant de passages faisant fi de
notre distinction. Quand bien même nous connaissons les limites,
voire les défauts de la compilation de Justinien, ce serait une
outrance de supposer qu'il ne s'agit pas ici d'une attitude con-
sciente, destinée à traduire l'état du droit positif. Et dès lors
que les exceptions apportées consciemment à un prétendu prin-
cipe sont aussi nombreuses, peut-être plus encore, que ses appli-
cations, il devient impossible de soutenir que la distinction entre
error facti et error iuris dont pourtant la vocation est sans con-
teste générale, a rempli en matière de condictio indebiti, la fonc-
tion qu'on pouvait en attendre.

10. - Le problème se pose, par conséquent, de déterminer


si une autre distinction, reposant sur un autre critère, l'emporte
sur la première spécifiquement pour la matière qui nous occupe.

10.1. - Et un fragment de Paul, lib. 3 quaestionum, repris

(77) Contra : ARcHI, op. cit., pp. 336, n. 5 et 361; VASSALI, • Iuris et facti igno-
rantia •• in Studi Senesi, 30 (1914), pp. 30-31 et 54; Voer, op. cit., p. 82. Comme Ie
fait remarquer SoLAZZI, Scritti, Il, p. 418 : • dobbiarno meravigliarci che nell' intero
titolo D. 12, 6 non sia contenuta la benchè minima allusione alla differenza tra
!'error facti e !'error iuris •· L'assertion vaut pour les allusions expresses, mais Ie titre
contient plusieurs fragments protégeant !'error facti sans se référer à la nature de
l' erreur comrnise.
(< CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR 105

dans Ie livre 22 du Digeste sous le titre consacré aux preuves


et présomptions, présente un très grand intérêt pour Ie point
présent. Le texte traite de la charge de la preuve lorsqu'il y a eu
payement indu :
... qui enim solvit numquam ita resupinus est, ut facile suas
pecunias iactet et indebitas effundat, et maxime si ipse qui indebitas
dedisse dicit homo diligens est et studiosus pater familias, cuius
personam incredibile est in aliquo facile errasse. et ideo eum, qui
dicit indebitas solvisse, compelli ad probationes, quod per dolum
accipientis vel aliquam iustam ignorantiae causam indebitum ab
eo solutum, et nisi hoc ostenderit, nullam eum repetitionem
habere (78).
Sans aucune référence à la distinction entre erreur de fait et
erreur de droit, il y est affirmé que l'ignorance, partant également
l'erreur, que Ie solvens invoquerait à la base de la répétition doit
avoir sa source dans une juste cause. Pareille assertion pourrait
étayer la thèse selon laquelle une distinction entre erreur excu-
sable et erreur inexcusable détermine en réalité les cas d'ouver-
ture de la condictio indebiti. Or, un autre passage de Paul, lib.
singulari de iuris et facti ignorantia, repris au Digeste, exprime
sans doute la même idée puisqu'il décrète : . . . sciant . . . nee
stultis solere succurri, sed errantibus (79). A la vérité, cette asser-
tion fait corps avec un long développement sur la distinction
entre erreur de droit et erreur de fait, mais il faut se garder de
l'interpréter hativement et de supposer sommairement que Ie
stultus auquel on n'a point coutume de porter secours est néces-
sairement celui qui méconnaît Ie droit, car nous avons vu à
plusieurs reprises déjà que Paul lui-même n'exige pas des indi-
vidus une autre connaissance juridique que celle que peut avoir
un bonus vir (80).
10.2. - Peut-être un texte de Nératius est-il également sus-
ceptible d'accréditer la thèse de la protection de l'erreur excu-
sable en matière de payement indu, encore que l'interprétation
du texte exige la plus grande prudence. Il s'agit d'un extrait
relatif à la possession, mais dont Ie raisonnement débouche sur

(78) D. 22, 3, 25, pr.


(79) D. 22, 6, 9, 5.
(80) D. 22, 6, 9, 2 - D. 22, 6, 9, 3 - D. 37, l, 10.
106 H. GASPART-JONES

un principe général qui, à ce titre, peut concerner aussi le paye-


ment indu:
Sed id, quod quis, cum suum esse existimaret, possiderit, usuca-
piet, etiamsi falsa fuerit eius existimatio. quod tamen ita interpre-
tandum est, ut probabilis error possidentis usucapioni non obstet,
veluti si ob id aliquid possideam, quod servum meum aut eius,
cuius in locum hereditario iure successi, emisse id falso existimem,
quia in alieni facti ignorantia tolerabilis error est (81).
Le jurisconsulte précise que l'erreur du possesseur, pour ne
pas faire obstacle à la prescription, doit être probabilis, savoir
plausible, honorable. Mais quand donc une erreur serait-elle
probabilis si ce n'est lorsqu'elle est excusableî Malheureusement,
selon Ie finale du texte, Ie type même de l' error tolerabilis,
admissible - de toute évidence, les deux adjectifs sont employés
comme synonymes ici - est I'ignorantia alieni facti, en sorte
que la coïncidence entre erreur de fait et erreur excusable est
suggérée.

10.3. - Selon toutes les apparences, un fragment de Gaius


abonde dans Ie même sens que ceux de Paul et de Nératius;
en effet, il laisse entendre que, dans la majorité des cas, l'erreur
excusable mérite la protection du droit objectif :
... non impetrat post libertatem eius ullam actionem, quamvis
in pluribus aliis causis iusta ignorantia excusationem merea-
tur (82).
10.4. - A cöté de ces passages de Paul, Nératius et Gaius,
il existe sans doute quelque autre raison de penser que la distinc-
tion entre erreur excusable et erreur inexcusable jouait peut-être
un röle prépondérant dans le payement indu au VIe siècle.
D'abord, il est clair que la distinction jouit d'une certaine
importance, dans Ie droit de Justinien à tout le moins. C'est
à de nombreuses reprises, en effet, que l'on s'y réfère - appelant
l'erreur excusable tantöt iustus error, tantöt différemment - à
propos de sujets aussi variés que l'usucapion de la propriété (83),

(81) D. 41, 10, 5, I.


(82) D. 47, 4, 2.
(83) D. 41, 3, 44, 4 (non levi praeaumptione credat) - D. 41, 4, Il (nuUam i'U8tam
causam ei'U8 erroria emptor habeal).
<< CONDICTIO INDEBITI >) ET ERREUR 107

la restitutio in integrum (84), l'application du sénatusconsulte


Macédonien (85), la vente et notamment les vices cachés (86),
Ie payement des dettes de la succession par les héritiers et les
garants (87), la calomnie (88), la revendication (89), la petitio
in servitutem d'un affranchi (90), la tutelle (91) et la forclusion
de I'interdictum quod vi aut clam (92).
Ensuite, un certain nombre de fragments examinés accordent
la répétition dans des circonstances que tout laisse croire liées
à une erreur excusable du solvens (93).

ll. - Cependant, malgré ces divers éléments qui militent en


faveur de l'existence d'un rapport entre Ie caractère excusable
de l'erreur, source de payement indu, et sa protection sur Ie
terrain du droit, la distinction entre erreur excusable et erreur
inexcusable ne me paraît pas plus déterminante que celle entre
error facti et error iuris, dans Ie droit de Justinien, pour décider
de l'octroi ou du refus au solvens de la condictio indebiti.

11.1. - Nous disposons, en effet, d'un grand nombre de


textes qui autorisent Ie solvens à répéter l'indu dans des condi-
tions telles qu'il y a tout lieu de supposer que ce dernier ne
dispose d'aucune excuse pour obtenir Ie bénéfice de l'action. Il
paraît difficile de contester que les erreurs envisagées dans les
passages auxquels nous ferons présentement appel, ont été com-
mises non par de bons pères de famille, mais par des personnes
dont la distraction, la négligence, I'insouciance confinent à la
sottise. Que l'on en juge !
Suivant en cela Marcellus, Ulpien accorde la condictio au débi-
teur qui erre quant au montant de sa dette : Ie débiteur de 100
croit devoir 200 et remet en conséquence un fonds d'une valeur

(84) D. 4, l, 2 (iuatum erTorem-) D. Il, l, Il, 10 (iuato erTore) - D. 42, 6, l, 17


(iuatisBima scilicet ignorantiae cauaa allegata) - Inst. 4, 6, 33, pr. (magna cauaa iusn
erToris) - C. 4, 49, 2, l (iusto erTore).
(85) D. 14, 6, 3, pr. (non vana Bimpl,icitate deceptus).
(86) D. 18, l, 15, l (ignorantia ... quae non in supi,num hominem cadit) - D. 21,
l, 55 (non ... disaolutam ignorationem) - D. 31, 89, 7 (propter iustam ignorantiam).
(87) D. 50, 17, 42 (iuatam ... causam ignorantiam; iuatam ignorantiam).
(88) D. 48, 16, l, 3 (iuatum ... erTorem).
(89) D. 6, l, 56, l (iuatam ... ignorantiam).
(90) D. 38, 2, 16, 2 (iustam cauaam erTandi).
(91) C. 5, 38, 5 (iuatae ignorationis ratione).
(92) D. 43, 24, 15, 5 (magna et iusta cauaa ignorantiae).
(93) Notamment: D. 36, 4, l, pr. - D. 12, 6, 2, l - C. 4, 5, 8 - D. 12, 6, 26, 7.
RENÉ DEKKERS. - - 8
108 H. GASPART-JONES

de 200 à son créancier (94); Ie débiteur d'une partie de fonds


croit en devoir la totalité et verse la totalité du prix du fonds (95) ;
Ie débiteur d'une somme d'argent ou d'une quantité d'huile
s'acquitte de son obligation par une plus grande quantité d'huile
que nécessaire (96); Ie locataire tenu d'un loyer de 10, en paye
un de 15 (97).
Celse octroie l'action en répétition à celui qui s'engage à
donner 10 si une certaine chose est accomplie, notamment par
lui, et qui paye cette somme avant l'exécution de la prestation
envisagée (98). Julien et Pomponius en décident de même pour
celui qui achète un esclave ou un objet lui appartenant déjà (99).
Marcianus protège l'affranchi qu'un pacte ne operae ab eo
petantur lie à son patron et qui preste toutefois quelque service
après son affranchissement (100) ; Julien, Ie fideiussor qui a
conclu un pacte ne ab eo pecunia petatur mais qui s'est exécuté
per imprudentiam (101) et Papinien Ie fideiussor iure liberatus
qui paye cependant la dette (102).
Encore plus déconcertant, Tryphoninus accorde la répétition
au mari qui, après Ie divorce, paye une dot qu'il n'avait pas
reçue (103); Pomponius, à celui qui s'acquitte de sa dette entre
les mains d'une autre personne que son créancier (104), et Justi-
nien lui-même, dans une constitution de 530, confirme la faculté
de répéter - déjà admise auparavant par Ulpien, Marcellus,
Celse, Salvius Julianus et Papinien - dont dispose Ie débiteur
d'une obligation alternative - livrer un esclave déterminé ou
payer une somme d'argent - qui a donné en payement les deux
objets entre lesquels il devait choisir (105).
Arrêtons ici cette énumération, car s'il existe bien d'autres
fragments encore, dans Ie Corpus iuris civilis, qui protègent
l'erreur apparemment inexcusable du solvens, les citer tous serait
fastidieux autant que pléthorique.

(94) D. 12, 6, 26, 4.


(95) D. 12, 6, 26, 6.
(96) D. 12, 6, 26, 5.
(97) D. 19, 2, 19, 6.
(98) D. 12, 6, 48. Cf. D. 12, 6, 16, pr.
(99) D. 12, 6, 37 - D. 18, l, 16, pr.
(100) D. 12, 6, 40, 2.
(101) D. 12, 6, 32, l.
(102) D. 12, 6, 59.
(103) D. 24, 3, 52.
(104) D. 12, 6, 22, pr.
(105) C. 4, 5, 10, pr. - 2.
<< CONDICTIO INDEBITI >) ET ERREUR 109

ll.2. - Mais, si la compilation de Justinien protège, à de


multiples reprises, l'erreur inexcusable, au mépris d'a:ffirmations
réitérées - générales ou particulières - du principe contraire,
existe-t-il dans cette même codification des textes permettant
que l'erreur excusable cause quelque préjudice à celui qui l'a
commiseî
Il en existe indubitablement. Ainsi, deux passages relatifs à
la même hypothèse, l'un d'Hermogénien (106), l'autre de Papi-
nien (107), décident qu'un individu qui, iusto ductus errore, croit
avoir adopté ou adrogé un autre individu libre, ne peut rien
acquérir - ni possession, ni propriété, ni quoi que ce soit - par
l'intermédiaire de son prétendu adopté ou adrogé. Cette décision
pénalisant l'erreur excusable est d'autant plus surprenante que
le même fragment de Papinien précise qu'il n'en allait pas ainsi
lorsque l'acquisition était réalisée par un prétendu esclave qui
se révèle ultérieurement ingénu ou affranchi.
Dans cette même série de sources ne protégeant pas l'erreur
excusable, à notre sens, peuvent être compris plusieurs passages
qui refusent la condictio indebiti dans des hypothèses d'erreur
de droit (108), car comme le souligne judicieusement Scarlato
Fazio (109), s'il est vrai que l'ignorance de droit est théorique-
ment inexcusable puisque tout membre d'une communauté a
l'obligation de connaître le droit qui régit la communauté à
laquelle il appartient, ce principe n'est cependant valable que
dans la mesure ou cette communauté met à la disposition de
ses membres les moyens de prendre connaissance du droit en
vigueur. En sorte que ce principe, en théorie absolu, devient en
pratique relatif parce qu'il est conditionné par cette possibilité
de prendre connaissance du droit positif. Et l'auteur ajoute
encore que la règle iuris ignorantia nocet s' appliquera quand
il s'agit de l'ignorance d'un principe de droit dont la simplicité,
ou l'accessibilité des sources pour le connaître, ou la facilité
d' en prendre connaissance par le biais des experts est telle que
cette ignorance équivaut en fin de compte à l'absentéisme.
L'observation est pertinente. Il faut se rappeler la multiplicité

(106) D. 41, 2, 50, pr.


(107) D. 41, 3, 44, pr.
(108) Tels, sans doute, D. 22, 6, 9, 5 et C. 6, 50, 9.
(109) • Ignoranza della !egge [a) dir. rom.]•• in Enciclopedia del dir., 20 (1970),
pp. 4-5.
llO H. GASPART-JONES

des sources formelles en droit romain, leur inaccessibilité fré-


quente - tant sur Ie plan matériel que sur Ie plan intellectuel
par ailleurs - et ce décalage tempore! - inévitable en ces temps
reculés - entre la promulgation d'une décision législative dans
la capitale et sa réception, partant son application, dans les
provinces d'un empire aussi vaste. Autant de motifs de mécon-
naître une règle nouvelle, autant d'excuses d'ignorer un règle-
ment tant soit peu complexe.

12. - Il faut dès lors se rendre à l'évidence. Si d'abord, trois


fragments du Digeste repris respectivement de Paul, Nératius
et Gaius, ensuite plusieurs passages de la codification de Justinien
se référant à l'erreur excusable, peuvent peut-être, dans un
premier temps, amener à penser que la distinction entre erreur
excusable et erreur inexcusable a joué un röle prépondérant en
matière de payement indu au VI 0 siècle, Ie grand nombre de
textes repris à des jurisconsultes aussi divers et remarquables
que Marcellus, Ulpien, Celse, Julien, Pomponius, Marcianus,
Papinien, Tryphoninus et même Justinien, qui autorisent pour
leur part Ie solvens à répéter l'indu dans des hypothèses d'erreur
évidemment inexcusable, joint aux quelques sources refusant
leur protection dans des cas d'erreur excusable, doivent nous
détromper. Pas plus la distinction entre erreur excusable et
erreur inexcusable que celle opposant l'erreur de fait à l'erreur
de droit n'a joué un röle décisif en matière de payement indu
et de répétition au VI 0 siècle (llO).
Sans prétendre à une vocation aussi générale que la première
distinction étudiée, la distinction entre l'erreur excusable et celle
quine l'est pas a, sans conteste, retenu l'attention des compila-
teurs en bien des matières. Pourtant, nous avons constaté com-
bien nombreuses étaient les hypothèses ou une erreur du solvens,
selon toutes les apparences inexcusable, débouche néanmoins
sur une action en répétition. Par conséquent, Ie raisonnement
appliqué à la première distinction reste idoine pour celle qui
nous occupe, et l'on peut affirmer, sans crainte de se tromper,
que, pas plus que la première, la seconde distinction n'a pu
constituer Ie critère des cas donnant ouverture à la condictio
indebiti ( ll 1).

(110) Contra : CORNIL, Droit romain, 1921, p. 369; l'ERozzx, latit. di dir. rom.,
t. 2, 1928, p. 261; et, apparemment: CuQ, op.cit., p. 642; GIRARD, op.cit., p. 657.
(111) En oe sens : MAYNZ, Cours de dr. rom., t. 2, 1877, p. 496, § 277.
<< CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR lll

13. - Dès lors, est-il possible de concilier les diverses déci-


sions des sources '? Peut-on dégager des textes les éléments d'une
solution logique, rationnelle (112) '?

13.1. - Une première conclusion s'impose : telle qu'elle se


présente à nous, la codification de Justinien ne permet en aucune
façon de dégager, parmi les erreurs, une distinction qui aurait
régi la matière du payement indu au VIe siècle. Cette absence
de consécration d'une distinction ne signifie pas pour autant
que l' erreur n' était pas requise comme condition d' octroi de la
condictio indebiti (113) : il suffi.t, pour s'en convaincre, de se
rappeler le nombre considérable de sources qui se réfèrent à
l'erreur ou à l'ignorance du solvens.
Il ressort lumineusement du Corpus que l'erreur, quelle que
fût sa nature particulière, pouvait être prise en considération
pour notre matière. Par ailleurs, l'erreur qui conduit au payement
indu, à notre sens, n'empêche nullement la pleine conscience
par le solvens de l'acte juridique qu'il accomplit : elle se borne
à fausser l'appréciation par celui-ci des conséquences de l'acte,
des effets qu'il aura (114). Elle ne fait pas partie intégrante du
payement indu, mais appartient, pour reprendre une expression
de Betti, à sa << préhistoire psychologique >> (115).

13.2. - Une deuxième constatation s'impose: à la vérité, l'en-


semble des sources examinées laisse supposer qu'au VIe siècle - à
tout le moins - la condictio indebiti était accordée ou refusée,
non pas in abstracto - dans tel genre de circonstances - mais
in concreto - dans telle hypothèse particulière.
Une preuve décisive, à eet égard, nous est fournie par l'abon-
dance des fragments repris dans la codification, qui ont pour

(112) La réponse à ces questions est négative selon MAYNZ, op. cit., pp. 489 et 496,
§ 277, qui suggère toutefois que «la matière repose sur un principe de rigoureuse
justice et d'impérieuse équité •· Nous verrons sous peu ce qu'il faut penser de cette
dernière opinion.
(113) Telle est l'interprétation de SoLAZZI, Scritti, II, pp. 405 et 407.
(114) BETTI, « v• errore (dir. rom.)•• in Nov. Dig. Ital., 6 (1964), pp. 660-665,
oppose «l'errore sulla dichiarazione o errore ostativo • - telles les erreurs in negotio,
in persona et in corpore -· qui empêche la pleine conscience de !'acte accompli, à
« l'errore nella determinazione causale• qui n'empêche pas cette pleine conscience de
!'acte et de sa signification mais qui constitue en fin de compte une erreur sur les
motifs. C'est dans cette deuxième catégorie que je place notre erreur. Cf. WUNNER,
op. cit., pp. 481-483. Voir aussi: Voc1, L'e"ore nel dir. rom., 1937, pp. 17 et 23;
ZILLETTI, La dottrina dell'e"ore nella storia del dir. rom., 1961, p. 164 sq.
1115) Op. cit., p. 662.
112 H. GASPAR'l'-JONES

seule fonction de trancher la question de l' octroi éventuel de


l'action en répétition dans une espèce déterminée.
Nous connaissons la préférence marquée des jurisconsultes
romains pour les énumérations, et les exemples, plutöt que pour
les assertions de principe. Mais la profusion des textes relatifs à
notre sujet est telle qu'elle ne peut s'expliquer par cette seule
prédilection. Si la matière avait été régie par une règle générale,
quel besoin auraient eu les compilateurs de reprendre, sous Ie
titre idoine mais ailleurs aussi, une multitude de textes, le plus
souvent relatifs à une circonstance précise 1 Se seraient-ils refusés
à énoncer le principe général dominant la matière s'il avait existé,
au risque de faire régner dans les esprits un climat d'incertitude,
voire d'insécurité juridique 1 Par contre, dans l'hypothèse inverse
ou aucune règle générale n'existait, disposer du plus grand
nombre possible de passages relatifs à la question devenait fort
utile afin qu' aussi fréquemment que permis, une solution pût
être recherchée dans les textes. Telle a sans doute été la motiva-
tion qui a poussé les compilateurs à reprendre à leur compte
ce grand nombre de fragments des divers jurisconsultes qui
s'étaient intéressés au problème. Et, en face d'une telle politique,
il devient fatal qu'une vision globale cohérente est exclue, car
tout principe général dégagé de certains textes, se voit aussitöt
contredit par d'autres : la confrontation de !'ensemble des frag-
ments relatifs à la condictio indebiti réduit à néant l'hypothèse
qu'une règle eût jamais pu jouir d'un caractère général.

14. - Mais si, selon toute vraisemblance, c'était donc m


concreto, cas par cas, en fonction des faits de la cause, qu'était
tranchée au VIe siècle notre question, il me semble que quelques
passages du Digeste permettent de trouver une explication de
cette situation.
Rappelons-nous, en premier lieu, ces fragments généraux con-
damnant l'enrichissement sans cause :
Pomponius lib. 21 ad Sabinum: Nam hoc natura aequum est
neminem cum alterius detrimento locupletiorem (116).
Papinianus lib. 8 quaestionum : Haec condictio ex bono et

(116) D. 12, 6, 14.


(< CONDICTIO INDEBITI >) ET ERREUR 113

aequo introducta, quod alterius apud, alterum sine causa deprehen-


ditur, revocare consuevit (11 7).
Pomponius lib. 9 ex variis lectionibus : Jure naturae aequum
est neminem cum alterius detrimento et iniuria fieri locuple-
tiorem (118).
Songeons ensuite à ce texte d'Ulpien qui énonce un principe
tout à fait général et connexe à notre sujet :
In re obscura melius est favere repetitioni quam adventicio
lucro (119).
Souvenons-nous enfin de ces passages de Paul, Papinien,
Ulpien et Celse qui accordent la répétition ex bono et aequo (120),
naturali aequitate (121), benigne (122), ou qui la disent natu-
ralis (123).
L'enrichlssement sans cause, certes, est contraire à I'aequitas,
au ius naturale. Or, la condictio, notamment indebiti, est la princi-
pale technique pour Ie sanctionner. Il va de soi que, pour des
raisons de sécurité juridique, elle ne peut être octroyée systéma-
tiquement, dans tous les cas: cela encouragerait les actes incon-
sidérés, les comportements irréfléchis. Dès lors, il convient de
rattacher les cas d'ouverture de l'action à un critère.
Les compilateurs, dans un premier temps, ont peut-être songé,
puisque Ie payement indu suppose une erreur, à une distinction
déterminante parmi les erreurs. Ils se seraient alors tournés vers
cette distinction objective qu'ils tentaient précisément de mettre
en évidence, qui oppose l'erreur de fait à l'erreur de droit, sans
parvenir d'ailleurs à la dégager pleinement d'une autre distinc-
tion, plus subtile il est vrai, plus subjective aussi, qui oppose
l'erreur excusable à celle qui ne l'est pas. Cette manière d'envi-
sager la matière aurait été d'autant plus séduisante qu'ils se
trouvaient en présence d'un nombre important de textes de
jurisconsultes susceptibles d'étayer pareil critère.
Malheureusement, les compilateurs se sont également trouvés

( 117) D. 12, 6, 66.


(118) D. 50, 17, 206.
(119) D. 50, 17, 41, 1.
(120) D. 12, 6, 65, 4 - D. 12, 6, 66 - D. 12, 1, 32.
(121) D. 12, 4, 3, 7.
(122) D. 36, 4, 1, pr.
(123) D. 12, 6, 15, pr.
114 H. G.ASPART-JONES

confrontés à quantité de fragments de jurisconsultes antérieurs


qui ne s'accordaient pas avec cette façon de penser, et qui, à
bien y réfléchir, ne leur ont pas semblé non plus à négliger ou
à écarter, dans la mesure ou Ie rattachement général de la prohi-
bition de l'enrichissement sans cause à l'équité et au droit
naturel, leur a paru tout naturellement susceptible de justifier
l'octroi, dans ces derniers cas, des techniques de sanction qui
en découlent. Or, cette dernière démarche procède d'une confu-
sion, car il n'y a aucune commune mesure entre I'aequitas clas-
sique, qui motive la condamnation de l'enrichissement sine causa,
et l'équité telle qu'on l'entend au VJe siècle, tout imprégnée
qu'elle était alors de benignitas, d'humanitas, de caritas, c'est-
à-dire de valeurs chrétiennes qui ont débordé du domaine reli-
gieux pour envahir Ie champ d'application du droit (124). Con-
fondue désormais avec Ie ius naturale, et même sans doute avec
les préceptes fondamentaux de la religion chrétienne (125), cette
nouvelle équité ne connaît plus de véritables limites et constitue
ce que l'on peut appeler << una perniciosa giustizia del caso
concreto>> alléguée à l'appui de toute solution juridique si origi-
nale, voire fantaisiste fût-elle (126).
Dès lors, en notre matière, cette nouvelle compréhension de
l'équité allait se révéler << pernicieuse >> : elle a détourné les compi-
lateurs de la véritable recherche d'un critère général, d'une
règle directrice déterminant les cas d'ouverture de la condictio
indebiti. Guidés par Ie principe logique, de bon sens qu'en cas
de difficulté à départager deux plaideurs, il vaut mieux favoriser
Ie demandeur qui réclame son dû que Ie défendeur désireux de
conserver un gain inattendu, venu de l'extérieur - in re obscura
melius est favere repetitioni quam adventicio lucro (127) - leur
nouvelle appréhension de l'équité en tant que justice du cas
particulier leur a sans doute paru toute désignée et suffisante
pour justifier l'octroi de l'action en répétition, ou son refus,
selon les cas. C'était Ie triomphe de << l'équité particulière >> sur
<< l'équité générale >>. De là, cette coexistence dans la compilation

de textes, repris en grand nombre car destinés à servir d'exemples


ou de modèles, et dont la confrontation ne permet aucune vision

(124) GuARINo, « v 0 equità (dir. rom.)•• in Nov. Dig. Ital., 6 (1964), p. 624.
(125) GUARINO, ibid.
(126) GuARINo, ibid.
(127) D. 50, 17, 41, 1.
<< CONDICTIO INDEBITI >> ET ERREUR 115

de synthèse cohérente, mais conduit inévitablement aux contra-


dictions, car toute règle générale, tirée d'une distinction parmi
les erreurs, éventuellement dégagée de certains fragments, se
voit, au nom de << I' équité particulière >> sans doute, contredite
par d'autres passages. C'est, en fin de compte, Ie recours abusif,
fait au VJe siècle, à un concept dévié de sa fonction véritable,
qui est la cause des incohérences en matière de payement indu
dans Ie Corpus iuris civilis, qui a empêché les jurisconsultes de
Justinien de cerner Ie type d'erreurs susceptibles de déboucher
sur la condictio indebiti.
Histoire et système
dans la méthode de Savigny
PAR

J. GAUDEMET
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE DROIT,
o'EcONOMIE ET DES SCIENCES SOCIALES
DE PARIS

Comment Ie fondateur de << l'école historique >> a-t-il pu écrire


Ie << System des heutigen römischen Recht >> î Comment Savigny
peut-il être à la fois revendiqué par les Pandectistes, théoriciens
dogmatiques, indifférents aux mutations de l'Histoire, et par
les << Germanistes >> historiens du droit allemand, qui Ie suivent
depuis les brumes des << Sippen >> jusqu'à l'éblouissement des
<< Lumières >> î Interrogation que je me suis souvent posée et

pour laquelle les pages qui suivent souhaiteraient apporter quel-


ques éléments de réflexion. Entreprise qui ne va pas sans inquié-
tude, car plusieurs ont déjà rencontré cette question (1) et il y a
toujours quelque risque à vouloir scruter la pensée d'un grand
Maître.
Notre enquête sera naturellement tributaire de ceux qui ont
déjà écrit sur Savigny. Mais elle voudrait surtout tenter de
rechercher les raisons profondes de cette apparente contradiction,
ou de cette synthèse, en interrogeant l'homme et son ceuvre.

(l) L'un des meilleurs connaisseurs de l'oouvre de Savigny, H. ComG, déplorait


encore tout récemment !'absence d'un grand travail d'ensemble sur Savigny (« Savigny
und die deutsche Privatrechtswissenschaft •• in lus Commune, VIII, 1979, 9).
Mais de nombreuses études d'objet limité lui ont été consacrées. On citera en
particulier les articles d'Hermann KANTOR0WICZ, parus entre 1911 et 1937 et réunis
dans ses Rechtshistorische Schriften, publiés par l'Université de Fribourg en Brisgau
(1970), 397-465; deux études de Fr. WIEACKER, reproduites dans Gründer u. Bewahrer
(Göttingen, 1959), 107-161; H. THIEME, • Savigny und das deutsche Recht&, ZSS.,
Germ. Abt., 80 (1963); MARINI (G.), Savigny e il metodo della scienza giuridica, Pisa,
1967 (nous n'avons pu consulter son livre Friedrich Carl von Savigny, Napoli 1978 qui
consacre un chapitre à , la storia e il sistema &) ; P. CARoNI, • Savigny und die Kodi-
fikation &, ZSSt. Germ. Abt., 1969, 97-178; H. JAEGER,« Note savignienne I •• Arch.
de philosophie du droit, XIX, 1974, 407-424; BRETONE, Tradizione e unificazione
giuridica in Savigny (1976) et les co=unications présentées au« Max Planck Institut
für europäische Rechtsgeschichte & de Francfort, à !'occasion du deux centième cente-
naire de la naissance de Savigny, en 1979, publiées dans lus Commune, VIII, 1979.
118 J. GAUDEMET

l. - L'HOMME ET LE CADRE INTELLECTUEL

Savigny naît à Francfort en 1779. Il meurt à Berlin, agé de


quatre-vingt-deux ans, le 25 octobre 1861. Il appartenait à une
famille protestante fortunée qui, en 1630, avait dû quitter la
France et était passée au service des princes de l' Allemagne du
Sud-Ouest. Aristocrate de naissance, il gardera toute sa vie un
sentiment de supériorité, qu'il ne cherchera guère à masquer (2).
Son caractère propre, sa culture, sa qualité de professeur et ses
hautes fonctions politiques ne pourront que fortifier cette atti-
tude.
Politiquement, c'est un conservateur, défenseur du régime
féodal auquel il est lié. Il se montre fermement opposé aux
principes de la Révolution française, tout en se prévalant de
l'idée de liberté (3). De la domination étrangère de la France
révolutionnaire et impériale, eet allemand conserve un mauvais
souvenir, qui ne sera pas sans contribuer à ses jugements sévères
à l'égard des institutions et de l'enseignement juridique français.
Son opposition au Code civil est célèbre. Elle n'était pas d'ordre
seulement scientifique. Suivre ce Code serait << ein Schritt vor-
wärts >>. Ses préférences (non sans réserves) vont plutöt au
<< Preussiches Landrecht >> de 1794, dont il apprécie la fidélité

au droit romain, alors que l' << Allgemeine bürgerliches Gesetz-


buch >> autrichien de 1811, parce qu'il ne fait pas suffisamment
référence au droit romain, est presqu'aussi mal vu que le Code
français.
Conservateur par tempérament, Savigny est un homme de
système, ayant pour la construction logique un goût prononcé.
En 1804, Friedrich Creuzer (4) écrit de lui : << C'est un grand
homme, une nature absolument systématique >>.
Telles étaient les tendances dominantes de celui qui, au prin-
temps de 1795, à l'age de seize ans, s'engage dans des études
juridiques encore largement dominées en Allemagne par l'école
du droit naturel et l'reuvre de Christian Wolff (5).

(2) Sévère à son égard, H. KANTOROWICZ (Was iat una Savigny ?, op. cit., 402), lui
dénie Ie qualifi.catif de « Romantique • et dénonce chez lui « das Olympiertum des
späteren Goethe • et • die kühle Geheimrätlichkeit des hohen preussischen Beamten •·
(3) Como, op. cit., 18.
(4) Philologue et professeur d'histoire à Heidelberg de 1804 à. 1845, cf. infra.
(5) Sur l'opposition de Savigny au droit naturel, cf. THIEME, op. cit., ZSS., Germ.
Abt., 80 (1963), 22, n.57.
HISTOIRE ET SYSTÈME 119

Etudiant à Marburg de 1795 au printemps de 1799, Savigny


passe son semestre d'hiver 1796-1797 à Göttingen, ou il suit
l'enseignement de Gustave Hugo. Auteur d'un << Lehrbuch der
Geschichte des römischen Rechts>>, Hugo, l'un des patriarches
du romantisme allemand, par l'attention qu'il porte à l'histoire,
se détache du courant dominant (6).
Au cours d'un voyage d'étude à Iéna, haut lieu du romantisme
allemand, en 1799-1800 Savigny entre en contact avec Schelling
et les frères Schlegel, qui lui feront grande impression.
Mais c'est essentiellement à lVIarburg que Savigny s'initie au
droit, avant tout au droit romain, objet fondamental de l'en-
seignement, et qu'il tiendra toujours pour l'accomplissement
le plus parfait du droit. Marburg appartenait alors à ces villes
d'Allemagne que dominaient leur Université, la science et Ie
prestige de ses maîtres. Celui à qui Savigny gardera toujours
une dette de reconnaissance et qu'il appellera << mon excellent
maître>>, Weiss, s'oppose au courant dominant du << jus natura-
lisme >> pour mettre en évidence les aspects historiques du droit.
w·eiss s'attache à l'étude des sources du droit et, parlant des
glossateurs, fait découvrir à ses élèves Ie droit romain du Moyen-
Age. Savigny écrit sous sa direction, en six semaines, mais après
avait fait un cours sur Ie sujet, son premier livre important
<< Das Recht des Besitzes >> (1803). L'ouvrage connut immédiate-

ment un grand succès. Thibaut, son futur adversaire dans Ie


débat sur la codification, en loua les mérites.
Dès 1800, Savigny avait présenté une Dissertation, pour se
préparer à un enseignement de droit pénal, de concursu delictorum
formali. S'il y trouvait }'occasion de réflexions philosophiques
dans la ligne du droit naturel, il y faisait aussi une large place
à des développements de droit romain, qu'il reprendra dans Ie
Tome V du << System >>.
Devenu professeur, Savigny reste fidèle à Marburg ou il
enseigne jusqu'en 1808, non sans quelques absences pour Vienne,
Munich ou Paris.
Mais ce sont les contacts établis à Heidelberg qui vont surtout
contribuer à son orientation scientifique. Heidelberg est alors

(6) Son Lehrbuch des Naturrechts als eine Philosophie des positiven Rechts (1797),
sans rompre avec l'école du droit naturel, introduit la perspective historique et fait
appel aux traditions juridiques popule.ires.
120 J. GAUDEMET

l'un des premiers foyers du romantisme allemand et de l'étude


historique des sciences sociales. A l' arrière plan de ce mouvement
d'idées, on retrouve le << Sturm und Drang >> de la fin du XVIIIe
siècle, le préromantisme allemand avec les grands noms de
Novalis (t 1801), Schlegel, Jean-Paul, mais surtout l'influence
de Herder (t 1803) qui, à plusieurs reprises (7), avait développé
ses idées sur l'évolution des organismes sociaux.
A Heidelberg, Savigny se lie avec Joseph Görres, qui découvre
la littérature populaire à travers des chansons que Brentano et
Arnim recueilleront quelques années plus tard (8). En 1807
Görres publie << die deutschen Volksbücher >>. Savigny entre en
relations épistolaires avec un autre maître d'Heidelberg, le philo-
logue Creuzer, spécialiste de mythologie grecque et romaine. Son
goût de la recherche historique avait incité Creuzer à préparer
un recueil des Fragmenta historiorum graecorum, qu'il ne pourra
malheureusement pas mener à bonne fin. A Heidelberg encore,
Savigny rencontre Karl Salomon Zacchariae von Lingenthal (9).
Celui-ci travaille à son Manuel de droit civil français qui, un
demi-siècle plus tard, sera pour Aubry et Rau le point de départ
de leur << Traité de droit civil >>, encore classique en France
aujourd'hui. Le manuel de Zacchariae, rédigé en allemand,
paraîtra à Heidelberg en deux volumes en 1808.
Dans ce cercle, ou se retrouvent philosophes, philologues,
historiens, juristes, Savigny découvre un monde intellectuel nou-
veau, celui de la jeune école historique allemande, qui s'attache
aux diverses manifestations de la vie sociale, langue, littérature,
religion, droit et entend les étudier dans leur développement
historique.
Jeune professeur à Marburg, Savigny compte bientöt parmi
ses élèves, Jacob Grimm (entre 1802 et 1804), puis son frère
Wilhelm (depuis 1803). A peine moins agés que lui (10), les frères
Grimm se lient d'amitié avec leur jeune professeur.
Fondateur de la linguistique et de l'étude des antiquités juri-

(7) Idées sur la philosophie de l'histoire de l'Humanité (1784-1791), Lettre• sur lea
progrès de l'Humanité (1793-1797).
(8) En 1778-1779, Herder avait déjà réuni des « chansons de tous les peuples ,,
grandes • poésies primitives •• qu'il trouvait dans la Bible, chez Homère, Shakespeare
ou Ossian.
(9) Père de Karl Eduard (1812-1894), Ie grand byzantiniste, éditeur des Basiliques.
(10) Jacob, né en 1785, n'a que six ans de moins que Savigny.
HISTOIRE ET SYSTÈME 121

diques germaniques, Jacob Grimm développe les idées lancées


par Herder dès 1767, dans ses << Fragments sur la littérature
allemande >>, ou il écrivait que << le génie de la langue est en même
temps le génie de la littérature d'un peuple >>. Allant plus loin
dans cette voie, Grimm affirme que des liens intimes unissent
la langue, les usages et le droit d'un peuple, car tous plongent
leurs racines dans cette terre commune de<< l'esprit du peuple >>.
S'employant à retrouver les expressions diverses de eet esprit
populaire, Jacob Grimm est l'un des premiers à avoir fait du
droit germanique l'objet d'une étude historique.
Cette perspective scientifique assure l'unité des reuvres de
Grimm, malgré la diversité de leurs objets : les<< Contes >> (1812),
encore célèbres aujourd'hui, les << Légendes allemandes>> (1816),
la<< Grammaire allemande>> (1828), que Savigny accueillera << avec
une joie indicible >>, l'<< Histoire de la langue allemande>> {1848)
et le << Dictionnaire allemand >> {1854).
Nostalgique du passé, profondément attaché à la terre ances-
trale, Grimm tient la philosophie, la langue (11), la littérature
ou Ie droit pour des créations continues de l'histoire du peuple.
Par là il donne à la perspective historique la première place dans
l'étude des sciences humaines. Pour Grimm, l'Histoire est un
<< processus naturel>>. Elle << conserve >> l'acquis, car rien du passé
ne se perd, mais les formes se renouvellent. Considérant Ie présent
comme Ie fruit du passé, Grimm affirme par là même l'absolue
nécessité pour ce présent de connaître Ie passé.
L'admiration du passé s'allie chez Grimm à un attachement
profond à sa patrie germanique. C'est pour en mieux connaître
l'esprit profond qu'il entreprenait son enquête historique, à la
recherche du sentiment populaire qui s' exprime à la fois dans la
langue, la littérature, les coutumes et Ie droit.
Attiré par l'Histoire, Grimm a de la réalité historique une
conception que l'on retrouvera chez Savigny et plus encore chez
Ihering. Il considère les phénomènes sociaux comme des orga-
nismes vivants. Pour lui, Ie langage est << un organisme vivant
parmi d'autres organismes>>. Le droit lui aussi est << produit
organique de la vie populaire>>. Images, on même rapproche-
ments qui ne vont pas sans danger et qui incitent à user d'une

(11) Alfred DuFoUR, • Droit et langage dans l'école historique du droit ,,, Archive•
de philosophie du droit, XIX (1974), 151-180.
122 J. GAUDEMET

terminologie abusive, reprise au vocabulaire de la biologie :


naissance, développement, transformation, apogée, dégénéres-
cence, mort. lei encore on retrouve un schéma romantique qui
remonte à Herder.
Dans son admiration enthousiaste pour les antiquités germa-
niques, Grimm, se séparant en cela de Savigny, refuse de faire
place à une notion de progrès dans l'histoire du droit. Tout au
contraire, il oppose à la richesse originelle, l'appauvrissement
de la maturité. S'il reconnaît, avec Savigny, l'éminente qualité
technique du droit romain, poussé par son nationalisme, il lui
reproche, << défaut fondamental >>, d'être un droit étranger. << Il ne
s'est pas formé, pas développé sur notre sol>>. La réception du
droit romain, contrairement à ce que pense Savigny, a fait vio-
lence à l' évolution organique du droit germanique. Toutefois,
ainsi qu'il Ie déclarera au premier congrès des Germanistes,
réuni à Francfort en 1846, on ne peut songer << à extirper du
droit allemand des éléments d'origine romaine qui y ont été
reçus >>. Ce serait << un purisme excessif >>.
Telles sont les vastes perspectives de celui que Giuliano Marini
a qualifié de << poète de l'école historique >>, alors que Savigny
en sera bien plutöt Ie théoricien.
A cette invitation au culte de l'Histoire dans Ie foyer du
romantisme littéraire et scientifique de Heidelberg, Savigny
ajoutera !'apport plus classique de l'école de Weimar.
En 1804 il épousait Kundegunde Brentano, sreur aînée de
son ami Ie poète Clemens Brentano. L'autre sreur de Clemens,
Bettina, épouse d'Achim von Arnim (12), témoignait pour
Goethe, sexagénaire, d'une admiration sans limites. Par les
Brentano, c'est un autre monde intellectuel que découvre Sa-
vigny, dominé par la haute stature du vieux Goethe.
Double influence romantique et classique, qui s'exerce sur lui
et qui, sans doute, contribuera à la complexité de l'reuvre de
celui qui sera revendiqué à la fois par les Historiens et par les
Pandectistes.
Esprit méthodique, Savigny ne sépare pas Histoire et Sys-
tème. Dans ses << Juristische Methodenlehre >> (13), ou s'expriment

(12) Amim publie en 1806-1808, aveo Clemens Bretano, un recueil de chansons


popule.ires qu'exploiteront Görres et Jacob Grimm.
(13) Il s'agit de notes prises par Jacob Grimm au cours de méthode juridique
HISTOIRE ET SYSTÈME 123

ses premières réflexions méthodologiques, il écrivait : << Alles


System führt auf Philosophie ein. Die Darstellung eines bloss
historischen Systems führt auf eine Einheit, auf ein !deal, worauf
sie sich gründet hin, und dies ist Philosophie >>.
Mais eet esprit classique et méthodique, pour qui l'Histoire
débouche sur Ie << System >>, reste imprégné des courants roman-
tiques de Marburg et d'Heidelberg, en quête de l'<< ame popu-
laire>>, élément d'unité et d'explication de toutes les sciences
humaines.
Dualisme de tendances qui reparaît constamment dans l'reuvre
de Savigny (14), vers laquelle il nous faut maintenant nous
tourner.

Il. - LA << SCIENCE DU DROIT >> (RECHTSWISSENSCHAFT)

Quelle représentation du Droit propose Savigny1 Comment


en conçoit-il l'étude 1 Telles sont les questions qui se posent à
nous.
I : LE DROIT - Dans l'reuvre de jeunesse, que constituent
les << Juristische Methodenlehre >>, Savigny ne distingue pas Ie
droit de la loi. Le droit n'émane que de la loi : le juge ne fait
qu'appliquer Ie droit. Il ne Ie crée pas. Et pas davantage la
pratique quotidienne. Donc pas de création jurisprudentielle ou
coutumière. Le droit se réduit à la loi. Par la suite Savigny
reconnaît, au contraire, que Ie droit naît aussi de la vie sociale.
Mais, dans un cas comme dans l'autre, Ie droit est un fait histo-
rique. << La loi est donnée en un temps déterminé et à un peuple
déterminé >>. En réaction contre l'école du droit naturel, Savigny
se refuse à tenir Ie droit pour Ie produit d'une raison universelle.
Cette sensibilité historique, aiguisée par ses maîtres Weiss et
Hugo et par ses amitiés avec les philologues et les historiens,
évoque aussi des ascendances plus lointaines, celles de Montes-

professé par Savigny à Marburg dans Ie semestre d'été 1802, puis dans Ie semestre
d'hiver 1802-1803. Elles ont été publiées par Gerhard WESENBERO en 1951, mais
avaient déjà été utilisées par KANTORowrnz, dans un article de 1933, reproduit dans
les Rechtahist. Schriften (457-463) et par H. THIEME. Elles sont analysées par MARINI,
Savigny, 48 sq.
(14) Confusion du droit et de l'histoire dans un •historicisme• qui trahit Ie véri-
table esprit historique, si !'on suivait la vive critique de H. KANTOROWICZ dans eon
Mémoire de 1911, Was ist uns Savigny? (reproduit dans les Rechtshistorische Schriften,
397-417).
RENÉ DEKKERS. - 9
124 J. GAUDEMET

quieu, de Gibbon oude Burke, des grands romanistes humanistes,


Cujas ou Godefroy, qu'il connaît et apprécie, non sans réserve
cependant.
Puisque le droit est phénomène historique, sa formation
s'inscrit dans l'Histoire. Loin d'être le fait discrétionnaire d'un
législateur, il résulte d'un processus organique, que Savigny
évoque dans son célèbre appel de 1814 << Von Beruf unserer
Zeit >>. lei encore reparaît la double tendance savignienne.
Le droit s'est d'abord développé dans la conscience collective
du peuple : << Der eigentliche Sitz des Rechts ist das gemeinsame
Bewustsein des Volkes >>. Il en va de même pour la langue, les
mamrs, la constitution politique : << Das Recht nämlich hat kein
Daseyn für sich. Sein Wesen vielmehr ist das Leben der Menschen
selbst, von einer besonderen Seite ausgesehen >> (15).
Ultérieurement, le droit s'élabore dans des groupes (<< Stände >>)
spécialisés, pour devenir :finalement l'oouvre des juristes. C'est
alors le <<Juristenrecht>>.
Antinomie entre l'appel au fondement populaire et l'idée d'un
droit de savants, qui répond au dualisme du droit populaire
germanique et du droit romain des grands jurisconsultes, mais
aussi à la complexité de la personnalité de Savigny, dominée
par la conscience aristocratique de la supériorité du savant,
mais marquée par les idées de ses amis de Heidelberg sur l'impor-
tance des traditions populaires et de la communauté nationale.
Savigny n'a pas été sans percevoir !'antinomie des fondements
qu'il attribuait au droit. Il tente de s'en expliquer à propos
des trois étapes de formation du droit que l'on vient de rap-
peler (16). << Als solcher abgesonderter Stand erscheinen nunmehr
auch die Juristen. Das Recht ... nimmt eine wissenschaftliche
Richtung und wie es vorher im Bewusstsein des gesammten
Volkes lebte, so fällt es jetzt dem Bewusstsein der Juristen

(15) Von Beruf ... II et 30. Si la notion du• Volksgeist • apparaît déjà ioi, Ie mot
n'est pas employé. Savigny l'utilise pour la première fois, mais à plusieurs reprises,
dans le T. l du « System • paru en 1840. H. KANTOROWICZ en l9ll (Was iat una
Savigny ?, op. cit., 400) rapproche l'expression de • !'esprit de la Nation •• dont parlait
Montesquieu (Esprit des Lois, XIX, 5) mais fait grief à Savigny d'avoir tra.hi la
pensée plus mesurée du président au Parlement de Bordeaux, qui soumettait au
contröle du législateur l'impulsion populaire. Dans un article publié en 1912 (Volks-
geist und historischen Rechtaachule, op. cit., 435-456). H. Kantorowicz revient sur !'ori-
gine de cette expression, utilisée par Regel dès 1793.
(16) Von Beruf, 12.
HISTOIRE ET SYSTÈME 125

anheim, von welchen das Volk nunmehr m dieser Funktion


repräsentiert wird >> (17).
Les juristes deviennent ainsi les << représentants >> du peuple,
les meilleurs interprètes de la conscience collective dans laquelle
le droit plonge ses racines. D'ou cette conséquence, qui constitue
l'un des points essentiels de la doctrine de Savigny, la science
du droit contribue à la formation du droit.

II : ETUDE DU DROIT - Pour désigner la science du droit


Savigny utilise tour à tour les termes de << Rechtswissenschaft >>,
<< Jurisprudenz >>, << Gesetzsgebung >>.
En 1806, dans son compte rendu du<< Lehrbuch der Geschichte
des römischen Rechts >> de Hugo, il déclarait à propos de la
science du droit : << Elle n'est pas autre chose que l'Histoire
juridique >> (18). Or ce droit, objet de la << Rechtswissenschaft >>,
ne peut être que Ie droit romain, que Savigny enseigne à
Landshut de 1808 à 1810, puis à Berlin depuis 1810.
Non qu'il ignore le droit germanique, découvert grace à ses
amis de Heidelberg. En 1808 Karl Friedrich Eichhorn publiait
une << Deutsche Staats-und Rechtsgeschichte >> et c'est avec lui
que Savigny fonde en 1815 la << Zeitschrift für geschichtliche
Rechtswissenschaft >>, dont la publication se poursuivra jusqu'en
1850.
Mais Savigny ne concède au droit germanique qu'un röle
modeste, celui de fournir quelques règles locales particulières.
Toute sa réflexion est tournée vers Ie droit romain, essentielle-
ment vers Ie droit privé romain qui constitue Ie << droit romain
actuel >>. Car, observe-t-il, Ie droit privé n'a connu à Rome et
depuis la ruïne de la Rome antique qu'une évolution historique
très réduite. C' est encore le droit des grands jurisconsultes clas-
siques qui reste Ie droit commun général en Allemagne. Et, par
cette affirmation, Savigny dépassait la formule de Hugo << Das

-
römische Recht ist unser Naturrecht >>.
S'attachant à l'étude de la << science juridique >>, Savigny la

(17) Cf. également dans Ie T. I du System, la présentation du •Juristenrecht•


comme principal support du • Volksrecht •·
(18) Formule que réprouve H. KANTOROWICZ (Was ist uns Savigny ?, op. cit., 402)
qui reproche à Savigny d'avoir • confondu la partie avec Ie tout », car l'approche
historique n'est que l'une des voies, parmi bien d'autres, pour appréhender Ie phéno-
mène juridique.
126 J. GAUDEMET

suit des juristes romains jusqu' à son époque et on a pu dire des


huit volumes du << System >>, parus entre 1840 et 1848, qu'ils
étaient comme l'achèvement de la réception du droit romain
en Allemagne (19).
C'est en tout cas un développement logique, ou l'Histoire a
sa place, que présente l'reuvre scientifique de Savigny, depuis Ie
livre de jeunesse, << Das Recht des Besitzes >> (Giessen 1803) aux
huit volumes du << System >> (20), en passant pas l'<< Histoire du
droit romain au Moyen-Age >>, préparée lors d'un studieux séjour
parisien qui conduisit Savigny dans les dépöts des bibliothèques,
et dont les deux premiers volumes paraissent en 1815-1816.
Déjà dans le << Traité de la Possession >> apparaît Ie lien entre
l'étude historique des sources et Ie besoin de systématisation.
L' exégèse des textes romains tend à mettre en évidence une
notion fondamentale, clef de tout Ie régime de la possession. A
la di:fférence des théoriciens de l'école du droit naturel, Savigny
ne part pas de principes généraux d'ou se déduirait un certain
nombre de règles. Il prend en considération les solutions données
par la jurisprudence romaine pour en dégager, par une méthode
inductive, les principes de l'institution.
Le concept central, qui domine toute la notion romaine de
la possession, est la volonté de posséder (<< Besitzwillen >>), l'ani-
mus possidendi. Donnée subjective, qui se combine avec Ie fait
matériel de la détention. L'importance décisive de I'animus se
retrouve aussi bien lorsqu'il s'agit de l'acquisition de la possession
que des conditions de sa perte ou de la notion connexe de quasi-
possession.
Prenant en compte l'importance décisive que Savigny attribue
à eet élément volontaire, certains de ses interprètes ont cru
pouvoir déceler en cela une influence, de la philosophie de
Kant (21). Sans nous engager dans des discussions auxquelles
cette opinion a donné lieu, nous retiendrons seulement, ce qui
répond à notre interrogation première, Ie lien que, dès sa première
reuvre, Savigny instaure entre l'étude historique et la systéma-
tisation. Lien qui sans doute répondait à son génie propre, mais

(19) H. TnmME, op.cit., 18.


(20) Dans la Préface, Savigny précisait « J'ai conçu Ie plan de eet ouvrage au
printemps de 1835. J'en ai entrepris la rédaction à. l'automne de la même année •·
(21) Sokolowski en 1907; Tagethoff en 1952.
HISTOIRE ET SYSTÈME 127

qui renouvelait, par l'appel à l'Histoire, !'esprit systématique


de l'école de droit naturel.
L'orientation historique est naturellement beaucoup plus accu-
sée dans l'<< Histoire du droit romain au Moyen-Age >> (22). Dans
sa préface, Savigny en attribue l'inspiration à son << excellent
maître Weiss >>, tout en reconnaissant sa dette envers Niebuhr,
son << honorable ami >>, Eichhorn et son << ami >> Jacob Grimm, qui
<< a puisé pour moi dans un grand nombre de bibliothèques et
surtout à Paris >>.
L'<< Histoire du droit romain au Moyen-Age >> prend pour point
de départ Ie Ve siècle et les lois romano-germaniques et suit Ie
sort du droit romain en Occident jusqu'à la fin du xve siècle.
C'est incontestablement l'reuvre la plus historique de Savigny.
La Préface expose largement les principes de la méthode histo-
rique et, au cours des volumes, Savigny donne l'édition critique
de textes jusque-là peu connus (23).
La double vocation du juriste est clairement proclamée dans
la réponse au libelle de Thibaut, sur la nécessité d'une codifica-
tion allemande (24), Ie fameux << Vom Beruf unserer Zeit für
Gesetzsgebung und Rechtswissenschaft >> (Heidelberg, 1814). Le
juriste, au gré de Savigny, doit posséder à la fois << Ie sens histo-
rique >> pour saisir la spécificité de chaque époque, et !'esprit de
système pour replacer chaque notion dans un ensemble.
C'est pourquoi dans les << Juristische Methodenlehre >> (25), il
reprochait à Cujas de n'avoir << aucun système en vue>>, de
<< restituer et d'interpréter l'ancienne jurisprudence et de se
bomer à reconstituer les écrits de tel ou tel juriste>> (26).
Les Humanistes du droit romain << ont négligé la systématisa-
tion, parce qu'ils n'ont pas traité ces matériaux comme un tout>>.
On s'explique dès lors que, lorsqu'il proposait à Frédéric

(22) Savigny y travaille dès 1799. Le premier volume paraît en 1816, quelques
mois après Ie Vom Beruf et Ie sixième volume de la première édition est publié
en 1831 (Ie septième de la seconde en 1860). KANTOROWICZ (• Savigny and the histo-
rica! School of Law, Rechtshistorische Schriften, 431) a supposé que Ie pamphlet de
1814 était peut-être destiné à fournir une introduction à cette grande ceuvre.
(23) Tels que la « Glose des Institutes • de Turin et les Exceptiones Petri au
Tome II.
(24) • Über die Notwendigkeit einer allgemeinen bürgerlichen R<,chts für Deutsch-
land • (Heidelberg, 1814).
(26) Analysées par G. MARINI, Savigny, 48 sq.
(26) P. 28.
128 J. GAUDEMET

Guillaume III de nommer Savigny à la chaire de droit romain


de Berlin en 1810, Guillaume de Humboldt ait loué, chez Ie
fondateur de l'école historique, << sa tendance philosophique >> (27).
C' est finalement dans Ie << System >> et la Préface qu'il en donne
en septembre 1839 que Savigny marque Ie plus nettement Ie
double objectif qu'il assigne à la science du droit. La Préface
commence par affirmer << un riche héritage >> et, soulignant la
continuité du droit, reconnaît Ie tribut qu'il doit au passé. Mais
elle ajoute aussitöt qu'il est nécessaire de << soumettre cette masse
d'idées à un nouvel examen et de remettre leur vérité en ques-
tion >>. Savigny entend par là non la critique textuelle de l'histo-
rien qui s'efforce de restituer avec Ie maximum de sécurité !'image
du passé. Il s'agit d'une << critique rationnelle >>, critique des
<< erreurs >> et << confirmation des vérités >>. L'étude critique n'est

pas faite dans une perspective historique, cherchant à reconsti-


tuer avec exactitude un droit du passé, en expliquant les solu-
tions juridiques par Ie milieu historique ou elles ont vu Ie jour.
Parce que Ie droit romain reste un droit vivant, encore appli-
cable, la critique porte sur la valeur juridique de ses solutions.
Elle doit dégager << les idées fausses et les vraies doctrines>>,
relever dans les institutions romaines celles qui sont << mortes et
étrangères au droit actuel >>.
Curieuse méthode historique, qui juge Ie passé en fonction du
présent et décide, en se référant à des critères de valeur, dictés
par !'époque ou !'opinion personnelle, ce qui doit être gardé et
ce qu'il faut rejeter.
Dans une telle perspective, l'étude critique des sources n'a
plus guère de place. Sans en méconnaître l'importance, Savigny
en laisse Ie soin à d'autres. L'étude du droit romain n'en doit
pas moins être très poussée. Et c'est pour Savigny !'occasion de
marquer son mépris pour les romanistes français de son temps.
Il faut, dit-il, dépasser cette << connaissance élémentaire >> qu'of-
frent les << Compendium d'Institutes ou les cours des écoles de

(27) Cf. sur cette lettre SCHAFFSTEIN, ZSS., Germ. Abt., 1955, 163/164; KRYSTUFEK,
dans un article publié en tchèque en 1962, a parlé, à propos de Savigny, d' << histo-
ricisme a-historique • (cf. son article : « La querelle entre Savigny et Thibaut •• RHD,
1966), entendant par là que Savigny ne rattache pas son étude historique du droit
aux autres manifestations de l'histoire humaine (histoire politique, économique, sociale,
intellectuelle). L'histoire du droit n'est vue que comme l'enchaînement de données
juridiques. Elle est repliée sur elle-même, dans une perspective de stricte technique
juridique.
HISTOIRE ET SYSTÈME 129

droit en France>> (p. XXVI}. Jugement sévère, que corrige un


peu cette réserve : si les juristes français sont << évidemment
inférieurs à nous pour la connaissance du droit romain, ils sont
supérieurs dans l'art de l'appliquer au droit moderne>>, de l'uti-
liser pour << éclairer et compléter Ie code civil >> (p. XXVIII}.
Le propos du << System >> est de faire une étude << sérieuse >> du
droit romain, non par seule curiosité historique, mais pour servir
aux praticiens. Le droit romain demeure encore, en ce milieu
du XJXe s., Ie droit commun de l'Allemagne. On ne sera donc
pas surpris de la finalité pratique donnée à l'étude historique.
C'est d'ailleurs parce qu'il reste droit applicable, que Ie droit
romain mérite d'être étudié, non en vertu d'une quelconque
« supériorité >> de ses principes par rapport aux droits du Moyen-
Age ou des Temps modernes.
Savigny déplore l'ignorance réciproque, qui, à ses dires, existe-
rait dans l'Allemagne du milieu du XJXe s., entre théoriciens
et praticiens du droit. Rupture qu'il attribue au Code prussien,
qu'il apprécie peu, trop prolixe et trop axé sur la pratique, à
son gré. Quel modèle, au contraire, offraient les juristes romains,
à la fois théoriciens et hommes de pratique. C'est par cette
merveilleuse alliance des deux attitudes que la jurisprudence
romaine est << de la plus haute importance pour l'étude du droit
actuel >>, et non pas pour la raison << très précaire >> de sa persis-
tance comme droit applicable dans certains pays. Si elle n'était
justifiée que par cette considération contingente, Ie motif tom-
berait avec la publication de codes modernes.
Si tel est Ie hut, la méthode doit montrer les liens grace aux-
quels toutes les notions du droit << constituent une unité >>. Car
<< tous les rapports de droit forment un seul corps organique >>
(p. xxxvr). Ainsi Ie souci de l'unité, de la cohérence, du<< système >>
l'emporte sur celui de la reconstitution historique. Option qui
s' explique puisque les fins pratiques I' emportent sur la spéculation
théorique. Et cependant, cette même Préface proclame et justifie
l'existence d'une << école historique >>. Le mot << a été employé
par moi et par d'autres >> et d'entreprendre la défense de cette
« école >> dont Thibaut, l'adversaire de 1814, vient de faire la
critique (28). En mettant en avant << l'une des faces de la

(28) • Über die sogenannte historische und nicht-historische Rechtschule •• Archiv


für civilist. Praxis, XXI, 1838.
130 J. GAUDEMET

science >> (l'élément historique), elle n'entend pas négliger les


autres, mais << réhabiliter un élément négligé >>.
On a reproché à l'école historique sa méconnaissance de !'esprit
du siècle, son asservissement au passé et << surtout de fonder la
tyrannie du droit romain au détriment du droit germanique >>.
Voilà Ie grand débat et Savigny de répondre : Il n'y a pas domi-
nation du droit romain, mais prise en considération de toute
l'histoire du droit, dans laquelle Rome occupe, en fait, la place
maîtresse. Ce quine signifie pas le refus d'éliminer ce qui, dans
le droit romain, n'est que<< partie morte >>. Au mois d'août 1848,
après<< la tempête qui vient d'éclater sur l'Europe >> (et son élimi-
nation du ministère), dans la Préface du Tome VIII, Savigny
revient sur le röle et la place qu'il faut donner au droit romain.
<< L'esprit de nationalité >> a joué contre le droit romain et contre
les Romanistes, qui font figure de mauvais patriotes. Une doc-
trine se répand qui serait «tentée de croire que désormais Ie
droit allemand est le seul admissible en Allemagne >>. Savigny
s'inscrit en faux contre une telle affirmation. Le droit romain
est si profondément entré dans le droit de l' Allemagne qu'il
appartient lui aussi à la tradition et qu'il ne saurait donc être
rejeté. La seule question est donc de savoir s'il sera accepté
passivement comme un joug ou si, reconnaissant clairement la
place qui doit être la sienne, on le fortifiera en l'enrichissant.
Pour Savigny, l'admission du droit romain doit se faire sans
réserve, car il se situe entre les vastes abstractions du droit
naturel et les procédés de pure technique d'une pratique dépour-
vue d'esprit scientifique. Dans une telle perspective, il ne saurait
y avoir de confl.its entre le droit romain et Ie droit germanique.
Tous deux s'apportent un appui mutuel et tout progrès de l'un
est bénéfique à l'autre.
L'évocation de ces débats doctrinaux nous conduit, pour clore
ce propos, à rappeler brièvement l'héritage de Savigny.

*
* *
Le << System >> ne connut qu'un médiocre succès de librairie et
la méthode qui y était mise en reuvre ne suscita pas un rapide
enthousiasme. Les Préfaces du T. I et VII pas plus que les
positions conservatrices du << Methodenlehre >> ne provoquèrent
HISTOIRE ET SYSTÈME 131

pas de grands débats. Ce qui fit époque ce fut surtout la riposte


au programme de Thibaut, Ie << Vom Beruf >>.
On a dit les profondes divergences qui opposaient Savigny à
Thibaut. Derrière Ie débat sur l'opportunité d'une codification
et l'hostilité de Savigny aux idées qui viennent de France,
reparaît chez Savigny le souci de laisser Ie droit évoluer. Comme
il l'écrit à Hugo, il faut << sauver la science contre les codes >>.
Autant qu'une entreprise d'un pouvoir arbitraire, indifférent aux
aspirations du génie d'un peuple, Savigny redoute la sclérose
d'un droit codifié, donc figé et c'est pour sauver la créativité
de la science du droit qu'il s'oppose à la codification.
D'autres critiqueront les positions de Savigny et souvent pour
des raisons très différentes, les Hégéliens, plus tournés vers des
recherches comparatives dans une perspective d'une histoire
universelle du droit (29), soucieux de développer une philosophie
de l'Etat et du droit (30) ou les Germanistes préoccupés de
sauvegarder la place du droit germanique (31).
Devant les attaques de ces derniers, Savigny garde Ie silence.
Il estime en effet que romanistes et germanistes ont un röle à
tenir. Ce sont là en effet les deux families qui poursuivront dans
les deux voies ouvertes par Savigny et qu'il avait voulu conci-
lier. Mais il s'agira alors d'écoles différentes qui développeront
l'une la systématisation, l'autre la recherche historique.
La systématisation s'accentue déjà avec Ie principal disciple
de Savigny, Puchta que Ie Maître avait désigné pour lui succéder
dans son enseignement à Berlin. Puchta présente Ie droit romain
d'une façon beaucoup plus dogmatique, !'exposant dans une
construction savante qui se développe dans une suite de déduc-
tions logiques. Il s'agit d'une élaboration de juriste, conduite
dans un esprit rationnel et systématique. On est loin du röle
que Savigny attribuait aux juristes qui, comme représentants
du sentiment populaire, devaient élaborer Ie <<Juristenrecht>>.
Cette tendance ira en s'accentuant chez les Pandectistes alle-
mands du XIX 0 siècle pour aboutir aux trois volumes du

(29) Par exemple Eduard GANS (1797-1839), dont l'Erbrecht in der weltgeschicht·
Zichen Entwicklung (1824-1835) tente un essai d'histoire universelle du droit.
(30) K. MARX, Das philosophische Manifest der historischen Rechtsschule.
(31) Parmi eux Georg BESELER (1809-1888), qui polémique contre Puchta dans son
pamphlet • Volksrecht und Juristenrecht t, ou Bluntschli (1808-1881), d'origine suisse,
professeur à Zurich, Munich, Heidelberg.
132 J. GAUDEMET

<< Pandektenrecht >> de Windscheid. Relayant !'universalisme juri-


dique des théoriciens du droit naturel du XVIIIe siècle, les
Pandectistes fondent un nouvel universalisme sur la perfection
technique du droit romain. Déjà Puchta écrivait : << Das römische
Recht sei das den Nationen gemeinsame Weltrecht geworden>>.
Dans l'autre direction, les adeptes de l'école historique, qui
mettent en avant Ie mythe du << Volksgeist >> et se montrent
volontiers nationalistes. On trouve parmi eux les<< germanistes»,
premiers historiens des lois, des coutumes et des statuts de
I' Allemagne médiévale, mais aussi, et seuls ils nous intéressent
ici, des romanistes qui s'engagent résolument dans l'étude histo-
rique du droit romain, allant dans cette voie plus loin que
Savigny et renonçant à sa recherche des systèmes. On rappellera
seulement les noms de Rudorff (1803-1873), élève et ami de
Savigny, qui tente la première reconstitution de !'Edit du pré-
teur, et Dirksen (1790-1868), auteur d'un classement des frag-
ments des XII Tables, que nous conservons encore aujourd'hui.
Le rayonnement del'<< école historique >> de Savigny se fit sentir
hors des états allemands. Il est sensible dans les pays nordiques
(Danemark, Suède) comme en Hongrie (32).
En France, au contraire, << l'école historique >> ne connut pas
grand succès. Il faut attendre les dernières décades du XIXe siècle
pour qu'elle s'affirme dans les Facultés de Droit (33) et que Ie
nom de Savigny soit invoqué, Ie plus souvent à propos de son
hostilité à la codification, et de rappeler sa controverse avec
Thibaut; ou, à propos de sa définition de la possession, et on lui
oppose alors celle de Ihering. Méconnaissance qui tient peut-être
d'abord au peu d'aptitude des juristes français du XIXe siècle
à lire l'allemand (cette barrière était beaucoup moins sérieuse
dans les pays nordiques ou en Europe centrale). L'obstacle sera
cependant progressivement levé par les traductions des ceuvres
de Savigny (34).

(32) Pal H0RVÁTH, Vergleichene Rechtsgeschichte (Budapest, 1979), p. 107-115; 132-


137.
(33) L'Institut de France avait fait figurer Savigny au nombre de ses membres
étrangers.
(34) L' • Histoire du droit romain au Moyen Age• est traduite dès 1830 par
Ch. Genoux. Mais le • Traité de la possession • n'est traduit (sur la demière édition
allemande) qu'en 1845 par Ch. Faivre d'Audelange, avocat à la Cour royale de Paris.
Genoux fait paraître de 1840 à 1860 les huit volumes de la traduction du • Traité de
droit romain ». Les professeurs de droit romain ne s'étaient pas proposés pour cette
täche.
HISTOIRE ET SYSTÈME 133

Plus fondamentale était sans doute la place très différente


faite au droit romain en France. A la différence de I' Allemagne,
la France, depuis Ie Code civil de 1804, ne tenait plus Ie droit
romain pour source positive du droit. Une étude du droit romain
à des fins pratiques immédiates n'avait donc pas de sens et, du
coup, la finalité donnée par Savigny à cette étude se trouvait
sans objet. Si l'enseignement du droit romain avait été maintenu
dans les programmes universitaires depuis !'empire, c'était pour
en faire une sorte d'introduction au Code civil. Institutes et
Digeste étaient envisagés << dans leurs rapports avec Ie droit
français >> (35). Relations dont Savigny admirait qu'elles fussent
si bien exposées, tout en déplorant la médiocrité des reuvres des
romanistes français (36).
De l'exemple de Savigny, seule aurait pu être reprise l'impul-
sion donnée à l'étude historique, dans une perspective dégagée
de toute utilisation pratique immédiate. Mais, malgré quelques
tentatives éphémères et quelques exceptions notoires (37), l'His-
toire n'eut pas grande place dans la culture juridique française
pendant les trois premiers quarts du XIXe siècle (38).
On s'explique dès lors que Ie nom et l'reuvre de Savigny soient
longtemps demeurés peu connus (39). Seuls, ou presque, en
mesuraient l'intérêt quelques esprits curieux, sensibles à !'apport
de l'Histoire (40) mais qui font quelque peu figure d'isolés, tels
Klimrath, à Strasbourg (41), ou Edouard Laboulaye, fondateur
en 1855 de la << Revue historique de droit français et étranger >>
qui avait publié en 1842 un << Essai sur la vie et les doctrines
de Fr. Ch. de Savigny >>.

(35) Loi du 22 Ventöse an XII, organisant Jes études de droit.


(36) Supra, 128-129.
(37) Par exemple Ie Droit public et administratif romain (2 vol. Paria, 1862) oouvre
d'un des maîtres du droit administratif au milieu du XIX• siècle, professeur à Dijon,
SERRIGNY.
(38) Cf. Alejandrino FERNANDEZ-BARREIRO, Los estudios de derech,o romano en
.Francia despues del Oodigo de Napoleon (Roma-Madrid, 1970).
(39) Aucune référence à Savigny dans Ie livre qu'un professeur de droit parisien,
P. BRAVARD VEYRIÈRES, consacre en 1837 à l'Etude et l'enseignement du droit romain.
Il en dit Je déclin et l'indifférence croissante des étudiants.
(40) ORTOLAN (1802-1873) professeur de droit romain à Paria avait dès 1827 insisté
sur l'importance d'une étude historique du droit romain, mais il ignore Savigny. Au
contraire Ch. J. Barthélémy GIRAUD (1802-1881) témoigne de J'influence de Savigny
dans son étude présentée en 1830 pour Je concours à Ja chaire de droit civil d'Aix.
(41) Dans sa Thèse de doctorat Essai sur l' étude historique du droit.
Pourquoi l' « usucapio » des immeubles
durait-elle deux ans?
PAR

J.-H. MICHEL
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

Le droit romain, dès l'état Ie plus ancien que nous pouvons


saisir dans les sources, à savoir avec la loi des XII Tables,
connaît un double système dans les modes originaux d'acquérir
la propriété, c'est-à-dire les moyens qui permettent à une per-
sonne de devenir propriétaire d'une chose sans maître ou, du
moins, d'une chose <lont Ie maître précédent ne joue, en tant que
tel, aucun röle dans l'acquisition de la propriété par Ie nouveau
propriétaire. En effet, dans Ie droit romain coexistent I'occupatio,
l'occupation, d'une part, et I'usucapio, d'autre part, qui corres-
pond à notre notion moderne de la prescription acquisitive.

1. - L'occupatio, que nous continuons d'appeler occupation,


consiste à acquérir la propriété en vertu de ce que nous nommons
aussi Ie droit du premier occupant. Elle se limite de nos jours,
et depuis I' ancien droit romain, aux choses qui, de toute évidence
et de science certaine, sont sans maître, c'est-à-dire les biens
visiblement abandonnés sans esprit de retour par leur précédent
propriétaire, - c'est sur ce déguerpissement, donnant lieu à
occupation, que se fonde !'industrie des chiffonniers - , et aussi
les biens qui, de façon tout aussi manifeste, ne peuvent encore
avoir de propriétaire, j'entends tous les éléments de la vie
sauvage : gibier, poissons, fruits ou minéraux.
Le propre de l'occupation est de conférer aussitöt la propriété
de la chose sans maître à celui qui s'en empare par la chasse,
la pêche, la cueillette ou la récolte. Envisagées dans cette perspec-
tive, I'occupatio en droit romain, l'occupation, en droit moderne,
constituent l'intrusion ou la survivance, dans une civilisation
plus avancée, de la préhistoire sous son aspect Ie plus éloigné
de nous, je veux dire Ie paléolithique.
136 J.-H. MICHEL

Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de relever au passage que


ce n' est pas la nature même de la chose qui la rend susceptible
d'occupation, mais la manière dont elle est produite: des sangliers
d'élevage, les truites d'un vivier, des perles de culture ou les
pierres d'une carrière appartiennent évidemment au propriétaire
de I' exploitation et sont, dès lors, soustraites à I' occupation.
C' est donc bien Ie mode de production qui est déterminant sur
ce point.

2. - L'usucapio, au contraire, qui consiste à devenir Ie pro-


priétaire d'une chose par l'usage qu'on en fait (usus), après un
an pour un meuble, après deux ans pour un immeuble, ne confère
la propriété que par l'écoulement du temps, et à la condition
d'avoir acquis la possession du précédent titulaire. L'usucapio
s'applique par excellence à ces choses particulièrement impor-
tantes ou prestigieuses que sont les esclaves, les grands animaux
domestiques et la terre, ces biens que les Romains, depuis les
origines, ont appelés res mancipi, << les choses mancipables >>, du
nom de !'acte juridique (mancipium, puis mancipatio) particu-
lièrement archaïque et formaliste qui sert à en transférer solen-
nellement la propriété. Alors que les biens susceptibles d'occu-
pation relèvent essentiellement de techniques primitives comme
la chasse, la pêche ou la cueillette, qui remontent à la plus loin-
taine préhistoire, I'usucapio, au contraire, figure primordiale de
notre prescription acquisitive, vaut pour les techniques de pro-
duction et les formes de richesses liées à l'élevage et à l'agriculture
qui sont apparus avec Ie néolithique et se sont affirmés avec Ie
travail des métaux, c'est-à-dire, selon les régions de notre ancien
continent, à partir d'une date qui varie entre 8000 et 3000 avant
notre ère.
De cette observation initiale, dont l'évidence n'a d'égale que
la simplicité, on pourra conclure sans hésiter que l'historien du
droit ne saurait rendre compte de !'origine et de l'évolution des
institutions juridiques en s' enfermant dans Ie seul domaine étroit
qui paraît être Ie sien au départ, mais qu'il doit, aussi souvent
qu'il est nécessaire, sortir du cadre de la technique juridique et
embrasser du regard !'ensemble de la société dont il veut com-
prendre l'organisation et Ie fonctionnement. En d'autres termes,
l'histoire du droit ne saurait jamais être qu'une histoire globale.
Le lecteur voudra donc bien ne pas s'étonner si, tout au long
L' (< USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 137

du présent exposé, et sans jamais perdre de vue le droit romain


qui est au centre de mes préoccupations, je fais des incursions
répétées dans l'histoire des techniques matérielles, dans l'histoire
sociale et même, en dehors du monde romain, dans l'univers
inépuisable de l'ethnologie juridique.

3. -- La prescription d'un an, qu'elle soit acquisitive ou


extinctive, est très largement répandue à travers la plupart des
systèmes juridiques, au point qu'elle apparaît en quelque sorte
comme naturelle, - ce qui ne signifie rien dans les sciences
sociales - , ou, plus exactement, comme infiniment commode
à tous égards, - ce qui est déjà plus satisfaisant pour nos
méthodes. La prescription de deux ans, en revanche, reste très
exceptionnelle. Il est difficile d'en trouver des exemples dans
d'autres systèmes juridiques (1), et l'importance qu'elle a prise
dans Ie droit romain archaïque et classique doit trouver une
explication (2) puisque c'est la propriété immobilière qu'elle fait
acquérir aux citoyens romains sur les terres d'Italie.
Pour saisir !'origine et la signification de I'usucapio de deux
ans, dans !'ancien droit romain, il faut, selon moi, faire appel à
l'évolution des techniques agricoles (3) dans l'Italie de la fin de
}'époque royale et du début de la République et, plus spéciale-
ment, à l'introduction de la jachère biennale. Je pars de l'hypo-
thèse que la jachère biennale et l'usucapio de deux ans pour le
sol ont dû apparaître à peu près simultanément, la jachère
précédant l'usucapio qu'elle suscite, vers Ie VIe ou Ie Ve siècle,
dans Ie centre de I'Italie et, notamment, dans Ie Latium. Je vais
donc m'efforcer de rassembler les éléments qui peuvent rendre

(1) La prescription de deux ans manque totalement chez Jakob GRIMM, Deutsche
Rechtsaltertümer, réimpr., Berlin, 1956, t. 1, pp. 306-309, alors que le délai d'an et jour
est abondamment attesté et qu'apparaissent, comme cas isolés, des durées de 3 à
100 ans, toujours avec l'addition d'un jour.
(2) A ma connaissance, le seul romaniste à rattacher l'usucapio de deux ans à la
jachère biennale est Paul CoLLmET, • Iusta causa» et « bona fides », Mélanges Four-
nier, Paris, 1929, pp. 71-85, spécialement p. 74.
(3) Sur l'idée générale que la propriété du sol naît avec un certain degré de dé-
veloppement agricole, voir par exemple Max SoRRE, Les fondements de la géographie
humaine, t. 2, Paris, 1968, p. 66.
L'hypothèse avancée ici m'a été suggérée initialement par la lecture d'un mémoire
de licence, présenté à l'Université libre de Bruxelles (Faculté des Sciences politiques,
sociales et économiques) par M. Anselme RuYuxu, en 1965, Lexique des principaux
termes iuridiques rwandais, ou apparaissent diverses prescriptions courtes liées à des
pratiques agricoles ou pastorales.
138 J.-H. MICHEL

cette hypothèse vraisemblable, sinon évidente, et ceux aussi qui


permettent de mesurer l'étape que ces innovations ont repré-
sentée dans l'évolution de l'agriculture antique et dans l'histoire
du droit romain.

4. - Tout d'abord, quelle est la fonction de la jachère bien-


nale? Dans le bassin de la Méditerranée, au climat chaud et
sec en été, la jachère sert non seulement à reconstituer les
principes nutritifs du sol, mais aussi à emmagasiner l'humidité
nécessaire à la récolte suivante (4). En réalité, il s'agit surtout
de limiter autant que possible l'évaporation, inévitable si le sol
durcit et se craquèle, et, en même temps, de détruire les mau-
vaises herbes qui épuisent inutilement le sol et l'humidité qu'il
contient (5).
Pour éviter que Ie sol trop sec ne se crevasse, pour éliminer
aussi les mauvaises herbes, il n'est qu'un seul moyen : labourer
le sol, et même à plusieurs reprises, pendant l'année de jachère.
On voit par là, d'une part, que la jachère est liée au labour,
donc à l'araire (6), et, d'autre part, que la jachère est active
puisque le paysan laboure son champ pendant l'année qu'elle
dure. On aperçoit aussitöt ce que la première observation im-

(4) K. D. WHITE, Roman Farming, Londres, 1970 (Aspects of Greek and Roman
.Ufe), p. 113 (et notes 13-14, pp. 474-475), pp. 118-120 et 173-178, qui cite CATON,
De agric., 35, 2, VARRoN, Rest. rust., 1, 44, 2-3 et 3, 16, 33, ainsi que PLINE
L'ANCIEN, 18, 187. Sur la notion de dry farming, p. 173.
(5) PLINE L'ANcrnN, 18, 175 Ubi siccae et graves aestates, terra cretosa et gracilis,
utilius inter solstitium et autumni aequinoctium aratur. • Là ou les étés sont secs et
pénibles, la terre poussiéreuse et légère, il est plus utile de labourer entre Ie solstice
et l'équinoxe d'automne. » 176 Prius quam ares proscindito. Hoc utilitatem habet quod
inverso caespite herbarum radices necantur. • Avant de labourer, brise les mottes. Ceci
a l'avantage, en retournant Ie gazon, de tuer les racines des mauvaises herbes. »
Sur les conditions particulières du dry farming en !talie, voir Géographie générale
(Ene. de la Pléiade), Paria, 1970, pp. 1146-1148, et Géographie régionale, 1975, pp. 12-13
(carte) et 18-21.
(6) D'ou Ie conseil de CATON, De agric. 61 Quid est bene agrum colere? Bene arare.
Quid secundum? Arare. Quid tertium? Stercorare. • Comment bien cultivar son champ?
Bien labourer. En second lieu? Labourer. En troisième lieu? Fumer. • Le rapport
entre la charrue et la jachère se voit clairement dans Ie franç. jachère, du gaulois
gansko, • branche, charrue », dérivé ganskaria, « jachère »; en ancien liégeois geskerez
(du dér. en -aricius), «Ie mois de la jachère, juin »; en ancien français gascherer,
• donner Ie premier labour à une terre pour la laisser reposer une année » ; W. voN
WARTBURG, Franz. etym. Wörterbuch, t. 4, 1952, v 0 gansko (gaul.), pp. 53-54.
Le lien entre l'araire et la jachère est souligné chez Ie philosophe soviétique du
droit Piotr. STOUTCHKA, La funzione rivoluzionaria del diritto e dello stato, trad. ital.
par Umb. CERRONI, Turin, 1967, p. 30-31.
Le progrès que l'araire marque sur la houe est souligné en latin par l'expression
ad rastros ree redit (TERENCE, Heaut., v. 931), • on en est réduit aux houes •; ÜTTO,
Römische Sprichwörter, n° 1508.
L' << USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 139

plique dans l'histoire de l'agriculture, - le lien entre jachère


et araire - et ce que la seconde apporte touchant l'usus ou
l'usucapio du droit romain : même pendant l'année de jachère,
le paysan romain manifeste son droit de propriété ou sa posses-
sion en labourant son champ.

5. - Mais l'introduction de la jachère dans l'agriculture du


Latium me paraît également liée à la situation démographique
de l'Italie centrale à cette époque. Cette innovation de la tech-
nique agricole devait répondre sans doute à la nécessité d'ac-
croître Ie rendement du sol pour faire face à l'augmentation de
la population. En effet, au moment ou, les champs disponibles
étant tous occupés, on passe du surplus de terres cultivables à
la surcharge de la population, Ie seul progrès possible réside
désormais dans l'amélioration des techniques agricoles. A mon
sens, c'est d'ailleurs dans la même conjoncture qu'apparaît la
propriété individuelle du sol.
Ce qui serait essentie} pour mon propos, ce serait de disposer
d'indications sûres relativement à la date ou la jachère biennale
s'est introduite en Italie. Sur ce point, je dois à la vérité de dire
que je suis loin de compte. Même si elles s'accordent assez bien
avec mon hypothèse, d'un point de vue chronologique, les affir-
mations des modernes me paraissent loin d'être démontrées avec
la rigueur qu'exige une saine méthode. Pour M. Emilio Sereni,
qui s'est fait l'historien du paysage rural en Italie, la jachère
serait d'origine grecque (7) : c'est à partir de la Grande-Grèce
qu'elle se serait répandue plus au nord, à travers l'Italie, à
}'époque étrusque pour le Latium (8).
Cette datation me conviendrait assez, mais elle manque d'argu-
ments qui la fonderaient sérieusement et je ne m'y attarderai
pas davantage, sinon pour signaler que c'est dans Ie courant du
ve siècle avant notre ère que se situe l'introduction du triticum
en Italie, le froment apte à la panification, par opposition au
far (9), consommé en bouillie ou sous forme de galettes. Je cite

(7) Déjà chez HoMÈRE, Iliade, 18, v. 541 (dans la description du bouclier d'Achille)
et Odyssée, 5, v. 127; HÉSIODE, Théogonie, v. 971 et Travaux ... , vv. 460-464.
(8) Emilio SERENI, Histoire du paysage rural italien, trad. franç. L. GRoss, Paris,
1964, pp. 33-35.
(9) Pendant les feriae (voir note suivante), il est permis de piler l'épeautre au
mortier, technique plus primitive que la mouture : far pinsere, CoLUMELLE, 2, 21, 3
cité par P. BRAUN, op. cit., p. 99). Il suffit de rappeler au surplus Ie róle du far
RENÉ DEKK>;RS. - 10
140 J.-H. MICHEL

ce dernier fait pour montrer combien l' époque de transition entre


la période royale et la République a dû être un moment d'intense
transformation de l'agriculture latine, voire italique.

6. - A ces données, malheureusement peu sûres, qui nous


viennent de l'histoire de l'agriculture, je voudrais joindre des
éléments, moins précis chronologiquement, mais matériellement
plus assurés, même si, à première vue, ils paraissent un peu
inattendus pour un historien du droit. Je veux parler du témoi-
gnage que nous fournissent, sur la technique agricole des Romains
à l'aube de leur histoire, les tabous nombreux qui marquaient
les feriae Latinae et qui ont été étudiés de manière approfondie
par notre collègue M. Pierre Braun dans un long article de
I'Année sociologique, en 1959. Son hypothèse de travail tient en
deux phrases (10) :
<< Les tabous des feriae sont Ie moyen par lequel la tradition

et la loi religieuse protègent un rêve collectif : Ie retour à I' Age


d'or, transfiguration mythique d'un passé réel... Pendant les
feriae, il est permis de se livrer aux activités relevant d'une
technique archaïque ; il est interdit de faire appel aux techniques
modernes. >>
Par contraste avec les activités prohibées pendant les fêtes,
celles qui sont autorisées nous font remonter à l'age du bronze,
qui est celui de Saturne, inventeur des rudiments de I'agriculture
la plus primitive en Italie. La chasse et la pêche sont permises
sans restriction, mais on ne peut ni domestiquer les animaux,
ni labourer avec l'araire. Il n'y a pas de clötures, donc point de
propriété privée du sol, mais on peut brûler les taillis, ce qui
atteste une agriculture de semi-nomades fondée sur les brûlis,
lesquels supposent une rotation des cultures sur plusieurs années
et aussi un surplus de terres exploitables lié à un faible peuple-
ment.

dans la conjarreatio qui fait acquérir au mari la manua sur l'épouse (GAIUS 1, 112).
De même encore, chez IsrnoRE DE SEVILLE, Orig. 17, 3, 5 Far ... apud antiquos enim
molarum usus nondum erat, sed Jrumentum in '['ila missum Jrangebant. • Les anciens
n'employaient pas encore les meules, mais écrasaient Ie blé dans un mortier. •
(10) Pierre BRAUN, Les tabous des « feriae ~. L'année sociologique, 3• série, 1959
(paru en 1960), pp. 49-125, spécialement pp. 62 et 64. Page 60 : les Satumales sont
antérieures à la fondation de Rome, d'après MACROBE (Saturnales, l, 24, et 36); c'est
à Satume qu'on attribue l'agriculture, la greffe des arbres fruitiers, la faux et la
fumure du sol.
L' << USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 141

7. - Il n'est pas facile de dater cette époque heureuse,


d'abord parce que la synthèse apparemment cohérente desferiae
n'exclut pas la coexistence d'éléments inégalement anciens et
anachroniques, et aussi parce que l'apparition des premières
armes de fer a pu précéder de plusieurs siècles la diffusion géné-
ralisée de ce métal incomparable dans l'agriculture. Par exemple,
le soc de fer, pour l'araire, est sans doute fort tardif. Tout ce
que l'on peut dire, en admettant les environs de 800 avant notre
ère pour l'introduction du fer en Italie, c'est que l'agriculture
de Saturne a au moins subsisté jusqu'à cette date et, probable-
ment, quelques siècles encore, selon les régions, et beaucoup
plus tard même pour les cantons les plus reculés et les plus
archaïques.
Le tableau descriptif des feriae latines et ses implications
chronologiques, hélas imprécises, conviennent donc parfaitement
à l'hypothèse dont on essaye ici de mesurer la vraisemblance
et procurent à tout Ie moins un élément sûr : de l'enquête de
M. Pierre Braun, il est permis de conclure que la jachère biennale
en Italie doit être postérieure à l'age du bronze, donc se placer
nécessairement dans l'age du fer, c'est-à-dire au plus töt à partir
du VIIIe siècle avant notre ère.

8. - Nous allons quitter à présent l'Italie antique puisque,


provisoirement, elle n'a plus rien à nous apprendre et nous
tourner vers l'ethnologie juridique et les institutions des sociétés
sans écriture, non sans nous interroger d'abord sur ce que j'appel-
lerais volontiers la sociologie du développement agricole, en
essayant de ramener le problème à un modèle commode.
Pour une population donnée, établie sur un territoire déter-
miné, il n'existe que deux situations possibles. Ou bien les res-
sources naturelles de ce territoire nourrissent les hommes qui
y vivent de chasse, de pêche ou de cueillette ; ou bien les produits
naturels du sol ne suffisent pas à couvrir les besoins des habitants
qui sont contraints soit de s'exiler, au moins en partie, soit de
tirer du sol, par leur industrie, plus qu'il ne fournit naturelle-
ment, c'est-à-dire, depuis Ie néolithique, de pratiquer l'élevage et
l'agriculture. Il va de soi que ce modèle schématique néglige un
problème fondamental et non résolu : est-ce l' accroissement de
population qui oblige à l'innovation technique ou, inversement,
142 J.-H. MICHEL

est-ce l'augmentation de la production, résultant de techniques


nouvelles, qui entraîne Ie développement démographique 1
Quoi qu'il en soit de ce problème de causalité, l'hypothèse
pastorale est simple. Pour revenir à l'histoire des institutions,
l'élevage donne lieu, dans Ie droit, tout simplement à la propriété
du bétail, mais non point à celle du sol sur lequel il va paître,
les propriétaires de troupeaux se contentant de droits de par-
cours et de vaine pature ou, à la limite, à la jouissance collective
de la terre (11). La solution agricole, elle, est plus complexe :
on y trouve divers niveaux dans Ie progrès technique et, par
conséquent, dans Ie développement des institutions juridiques,
sans oublier que l'opposition tranchée entre élevage et agricul-
ture, pasteurs et cultivateurs, n'est pas entièrement fondée d'un
point de vue historique et aussi fonctionnel. L'élevage et l'agri-
culture apparaissent en même temps au néolithique et les popu-
lations qui les pratiquaient ont toujours entretenu des rapports,
même quand elles ne se mêlaient pas.

9. - Pour distinguer commodément les divers stades du


développement agricole et les liens qui les unissent aux concepts
juridiques, l'exemple de l'Indonésie d'avant la colonisation méri-
terait de devenir classique par la variété des sociétés qu'elle
comportait et la richesse des observations qu'elle autorise,
puisqu'à la fin du siècle dernier encore on y trouvait cóte à cöte
la chasse et la cueillette, l'agriculture la plus archaïque, des
groupes humains qui pratiquaient l'irrigation ou l'assèchement
des terres, la féodalité et les grands propriétaires fonciers exploi-
tant des fermiers, locataires et métayers, ou des journaliers
agricoles (12). Au risque de simplifier à l'excès, je me risquerai
néanmoins à esquisser à grands traits Ie tableau général que eet
immense pays me paraît offrir à l'historien du droit et qui, me
semble-t-il, autorise à imaginer une sorte d'échelle du développe-
ment agricole dont les étapes successives pourraient être les
suivantes.

10. - Tout d'abord, la situation du paléolithique : la chasse,


la pêche, la cueillette qui connaissent l'appropriation instantanée

(11) Texte caractéristique : Jakob GRIMM, Deutache RechtsaU. (op. cit.), t. 2, p. 7.


(12) H. BERKUSKY, « Das Bodenrecht der primitiven Stämme Indonesiens •• Zeit-
8chrift für vergleichende Rechtawissenachaft, 29 (1913), pp. 46-73.
L' << USUCAPIO >) DES IMMEUBLES 143

du produit naturel par celui qui s'en empare, c'est-à-dire Ie régime


de l'occupation décrit plus haut. A ce tableau trop simpliste,
l'Indonésie et d'autres régions du monde apportent un complé-
ment d'information qui impose un correctif important : la cueil-
lette peut s'accompagner de la jouïssance privative des arbres
qui produisent certains fruits sauvages. (lei un point de termino-
logie qui n'est pas à négliger : si je parle de jouïssance, c'est
pour éviter les équivoques ou les erreurs que pourrait comporter
le terme, trop précis pour nous, de propriété).
Ensuite vient l'agriculture la plus primitive, pratiquée à la
main au moyen de la houe, sorte de jardinage qui appartient
souvent aux femmes, les hommes continuant de se livrer aux
activités traditionnelles (chasse, pêche, voire guerre). Dans ce
système hybride, Ie jardinage ne joue encore qu'un röle d'appoint,
et la jouïssance privative d'un lopin de terre est du même ordre,
pour les institutions, que celle d'un arbre fruitier sauvage dans
le stade décrit précédemment. D'autre part, il subsiste évidem-
ment un large surplus de terres utilisables.
L'étape suivante, et qui va être décisive, est celle ou la culture
et l'élevage deviennent l'élément principal, sinon exclusif, du
système de production. L'agriculture, très rapidement, pour uti-
liser des surfaces plus considérables et un sol plus riche, recourt
aux semailles sur brûlis, qui vont exiger bientöt l'araire et l'atte-
lage. A ce moment, l'agriculture, comme l'élevage du gros bétail,
va devenir !'apanage de l'homme et le restera définitivement.

11. - A ce stade, l'ethnologie juridique, en Indonésie et


ailleurs, relève que l'appropriation privative du sol, la jouïssance
individuelle du champ se fondent sur l'entretien constamment
maintenu de la terre, même si l'on tient compte de la rotation
normale dans l'usage des champs, qui dure plusieurs années et
peut aller jusqu'à sept ans. Il n'empêche ; Ie principe est con-
stant : celui qui cultive est tenu pour titulaire ; celui qui néglige
la culture perd tout droit. Et nous retrouvons ainsi ce qui
constitue à coup sûr une constante universelle des droits archaï-
ques : nul ne reste titulaire d'un droit qu'il n'exerce pas, alors
que Ie postulat de nos droits modernes est que nul ne peut exercer
un droit qu'il ne possède pas (13).

(13) Michel ALLIOT, dans Ethnologie générale (Ene. de la Pléiade), Paria, 1968,
144 J.-H. MICHEL

Il est inutile de préciser que, dans cette économie agraire qui


pratique la culture sur brûlis, il n'y a pas encore appropriation
durable du sol et qu'a fortiori il n'existe aucune notion de pro-
priété perpétuelle de la terre. Toute jouissance reste fragile, étant
liée à l'usage effectif. Il convient cependant de remarquer, parce
que cette précision nuance Ie tableau ainsi décrit, que même
cette jouissance provisoire, fondée sur la pratique continue de
la culture, est cessible entre vifs et transmissible à cause de mort.
On voit ainsi, dans ce système archaïque, se préparer progres-
sivement des institutions qui s'épanouiront pleinement dans la
suite.

12. - Car, au cours de cette étape d'agriculture mi-nomade,


mi-sédentaire, un nouveau seuil va apparaître qui transformera
profondément, radicalement même, les données de la production
et, par conséquent, les institutions elles-mêmes. C'est Ie moment
ou, pour Ie groupe humain envisagé - et dont les dimensions
peuvent varier dans l'espace comme pour Ie chiffre de la popu-
lation - , Ie territoire, de vaste à l'excès qu'il était, va devenir
trop exigu pour Ie nombre d'hommes qu'il porte et qu'il devrait
nourrir. Alors, au surplus de terres utilisables succède la surcharge
de la population, à laquelle il n' est que deux solutions possibles :
ou la migration d'une partie du groupe, ou l'accroissement de
la production, ce qui suppose Ie progrès de la technique agricole
ou pastorale.
En quoi peuvent consister les améliorations possibles de l'agri-
culture (celles de l'élevage étant beaucoup plus incertaines)1
Il y a, d'abord, l'introduction de l'araire et de l'attelage, déjà
évoquée; il y a diverses formes nouvelles de ce que j'appellerai
non point une agriculture intensive, - Ie terme prêterait à
confusion avec des notions trop modernes -, mais plutöt une
agriculture active, presque agressive, en tout cas plus perfection-
née, et qui s'assigne pour tache de faire produire au sol plus qu'il
ne porte naturellement. Ces procédés sont variés et il est di:fficile
d'en dresser la liste exhaustive. J'en mentionnerai trois, à titre

p. Il 92. L'historien du droit romain aperçoit aussitót que la possession présente


toutes les caractéristiques d'une institution archaïque, alors que la propriété répond,
à tous égards, aux exigencee d'une notion moderne. Voilà qui suffit à démontrer que
la poeeeesion eet antérieure à la propriété.
L' << USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 145

d'exemple : la fumure du sol; l'assèchement de terres maré-


cageuses et l'irrigation des sols trop secs, qui requièrent l'un et
l'autre des travaux hydrauliques; enfin, la jachère biennale,
dont on mesure Ie progrès qu'elle représente si on la compare
aux brûlis renouvelés sur un même terrain après plusieurs années
seulement.

13. - A partir du moment ou l'exploitation du sol exige des


soins prolongés, une attention soutenue, un entretien constant,
et aussi une prévoyance à plus longue échéance, en un mot, dès
que l'agriculture dépasse dans Ie temps la période qui va des
semailles à la récolte, elle suppose une prévision qui va au-delà
de l'année solaire et elle amène les hommes à prendre en considé-
ration des délais plus langs. En d'autres termes, et pour traduire
ce phénomène dans Ie langage juridique, c'est Ie progrès de
l'agriculture, lié lui-même à l'accroissement de la population et
à la limitation de la surface exploitable, qui oblige à passer de
la notion très élémentaire de jouïssance provisoire du sol au
concept techniquement plus élaboré et, surtout, plus abstrait de
propriété durable du sol.
Marx déjà attribuait à l'introduction de l'araire l'invention
de la propriété (14). Je dirai plutöt, en ce qui concerne Ie droit
romain, que c'est l'apparition de la jachère biennale, consécutive
à l'emploi de l'araire, qui explique l'invention de la propriété
quiritaire du sol. Et c'est à dessein que j'use du terme d'inven-
tion : la propriété, dans la technique sociale, est une invention
au même titre que l'araire dans les instruments aratoires ou la
jachère biennale parmi les techniques agricoles. Si la propriété
privée du sol est apparue dans les institutions, avec l'araire et
la jachère biennale dans l'agriculture, c'est parce que l'institution
nouvelle de la propriété était plus efficace au même titre que
l'araire ou la jachère. On voit, par là, que Ie droit, de la même
manière que les techniques matérielles, joue un röle dans la
production et c'est aussi pourquoi il évolue à mesure que se
transforment les moyens de production.

(14) Voir P. STOUTCHKA, op. cit., pp. 30-31. Marx avait été !'auditeur de Fr. von
Savigny en 1836-1837 (Maximilien RuBEL, dans Karl MABx, <Euvres, t. J•r, Paria,
1965 [Bibl. de la Pléiade], p. LVIII), et il se considère, à !'issue de ses études, avant
tout comme un juriste. (Ibid., p. 271 : • Ma spécialité, c'est la jurisprudence, &)
146 J.-H. MICHEL

14. - Pour Ie juriste, comme pour l'historien du droit, quelle


est la frontière entre la jouissance individuelle et la propriété
proprement diteî C'est que la jouissance est limitée dans Ie
temps et se perd par non-usage, tandis que la propriété est
perpétuelle et ne s'éteint point par non-usage.
D'autre part, avec Ie passage de la jouïssance provisoire à la
propriété durable, l'effet de l'écoulement du temps sur les insti-
tutions juridiques va s'inverser. Pour employer notre termino-
logie moderne, au risque d'un certain anachronisme, je dirai que,
d'extinctive qu'elle était, la prescription va devenir acquisitive.
Au lieu de perdre mon droit pour n'en avoir fait aucun usage
pendant un temps déterminé, je vais désormais pouvoir devenir
titulaire d'un droit nouveau que je n'avais pas jusqu'à présent,
et Ie point extrême atteint, sous ce rapport, par la technique
juridique est bien constitué par la propriété romaine, parvenue
jusqu'au monde moderne et qui, d'une part, peut être acquise
par prescription acquisitive (un an ou deux, jusqu'à la fin du
Haut-Empire) et, d'autre part, une fois acquise, l'est à titre
définitif et perpétuel.

15. - De la sorte, nous revenons tout naturellement au droit


romain, dont nous ne nous sommes éloignés que pour mieux Ie
comprendre à la lumière d'autres systèmes juridiques tenus pour
plus archaïques, et sans doute est-il temps de citer, sous la forme
qu'a transmise une source indirecte, la règle que la loi des
XII tables énonçait en matière de prescription acquisitive pour
les immeubles, laquelle constitue en définitive Ie seul moyen
véritable de prouver Ie droit de propriété. La loi disposait :
Usus auctoritas fundi biennium; ceterarum rerum omnium annv,us
est usus (15).
Le terme d'usus, à !'initiale, paraît bien être mis en évidence
par Ie législateur décemviral. La riehesse sémantique de ce mot
va jusqu'à l'équivoque, et c'est bien ce qui en fait tout l'intérêt
à nos yeux. Au sens premier, et Ie plus général, usus est l'emploi
qui est fait d'une chose et, même dans cette acception non teeh-
nique étrangère à la langue du droit, usus s'applique parfaite-
ment à l'usage individuel et privatif que fait d'un arbre celui
qui en cueille les fruits ou à l'emploi que fait d'un lopin de

(15) Loi des XIl Tables 6, 3; C10ÉBON, Topiques, 4, 23.


L' << USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 147

terre la femme qui y cultive son jardin, tout comme Ie paysan


qui laboure son champ avant de l'ensemencer ou pendant I'année
de la jachère.
Dans un système de droit archaïque, ou Ie droit de jouïssance
provisoire ne dure que tant qu'il est exercé, I'usus est l'usage
qui sauvegarde Ie droit. Mais avec la naissance de la propriété
et l'inversion de la prescription, qui d'extinctive devient acqui-
sitive, I'usus est l'activité qui, prolongée pendant Ie temps néces-
saire (un ou deux ans), fera naître Ie droit de propriété perpétuel.
C'est parce que Ie terme d'usus était équivoque que les Romains
l'ont remplacé, postérieurement aux XII Tables, par celui
d'usucapio, et c'est d'ailleurs parce qu'ils disposaient de ce
vocable nouveau et précis qu'ils ont pu, à la fin de la République,
appeler usus Ie droit réel d'usage apparu à ce moment.

16. - Quant à l'auctoritas, c'est la qualité de I'auctor et aussi


la garantie qu'il apporte à un acte juridique, voire la part qu'il
prend à Ie créer. C'est Ie cas, en droit privé, pour la garantie
d'éviction due par Ie vendeur à l'acheteur; c'est Ie cas aussi de
I'auctoritas du tuteur qui valide un acte du pupille << qui rend
sa condition pire >>. En droit public, Ie même terme d'auctoritas
s'applique à la ratification par Ie sénat d'une loi votée devant
les comices.
Dans notre texte des XII Tables, auctoritas désigne Ie röle,
décisif à lui seul, que l'usage de la chose, que nous appelons
possession, pourvu qu'il soit prolongé pendant Ie délai légal d'un
ou de deux ans, joue dans l'acquisition et dans la preuve du
droit de propriété. Relativement aux modes dérivés d'acquérir
la propriété (mancipation, in iure cessio, tradition), I'auctoritas
est la garantie procurée par l'aliénateur à l'acquéreur et qui
fonde Ie droit du nouveau propriétaire. Pour Ie mode original
d'acquérir la propriété que constitue la prescription acquisitive,
I'auctoritas qui fonde la propriété réside uniquement dans I'usus
qui, à lui seul et sans intervention du propriétaire précédent
autre que Ie transfert de la possession, crée et prouve à la fois
un nouveau droit de propriété.

17. - Troisième terme digne d'intérêt dans notre texte des


XII Tables : fundus, pour les lexicographes latins et les juriscon-
sultes romains, s'oppose, d'une part, à locus, terrain isolé, et,
148 J.-H. MICHEL

d'autre part, à ager, étymologiquement parcours du bétail,


notamment dans l'expression ager publicus, et, enfin, à aedes,
batiment construit sur un fonds. Je crois pour ma part que
fundus, l'exploitation agricole, a dû désigner, à une époque
ancienne qui est celle qui nous intéresse, les terres d'un seul
tenant mises en valeur par une famille ou, ce qui revient au
même, par un pater familias.
Nous pouvons maintenant traduire, en voyant, dans usus et
auctoritas, soit deux nominatifs, dont Ie second est attribut dans
une phrase nominale dépourvue de verbe copule et en faisant
de biennium un accusatif de temps, ce qui donne : << L'usage
est la garantie d'un fonds au bout de deux ans. >> Ou bien, ce qui
est également possible, mais peut-être plus diffi.cile grammati-
calement, en faisant dépendre Ie génitif usüs d'auctoritas, alors
sujet et complété d'un second génitif, qui n'est pas exclu en
latin, ce qui se traduit alors : << La garantie qui consiste dans
l'usage est, pour un fonds, une période de deux ans. >>

18. - Je voudrais encore ajouter deux observations qui, sans


améliorer la vraisemblance de l'hypothèse proposée ici, me parais-
sent mériter malgré tout quelque attention. La première porte
sur deux faits isolés qui semblent indiquer que, dans la suite de
l'histoire du droit romain, on a pu garder quelque souvenir et
l'une ou l'autre survivance d'un état ancien des institutions ou
la jouïssance privative du sol était provisoire et pouvait se perdre
par non-usage.
Tout d'abord, il est intéressant de rappeler qu'à la fin de la
République, les Romains se souvenaient encore que, dans les
siècles précédents, les censeurs punissaient sévèrement Ie citoyen
qui n'apportait pas tous les soins requis à l'entretien de ses
champs. Pline !'Ancien et Aulu-Gelle sont formels sur ce point :
l'agriculteur négligent était déshonoré et rangé parmi les citoyens
sans avoir, exclus des comices centuriates (16).
D'autre part, sous Ie Haut-Empire encore, il n'est pas impos-
sible que ce soit une réminiscence du régime appliqué très
anciennement aux terres cultivées qui ait inspiré une disposition
particulière de la lex Manciana, valable pour les terres d'Afrique
et qui nous est connue par l'inscription d'Henchir Mettich, en

(16) AULU-GELLE, 4, 12; PLINE L'ANcmN, 18, 3, ll.


L' << USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 149

Algérie, datant de 117 de notre ère. Le but de cette décision


impériale, dont nous ne pouvons savoir si elle régissait tout
!'Empire ou valait seulement pour les domaines impériaux, était
d'assurer la mise en valeur de terres en friche par les avantages
qu'elle concédait à !'exploitant non propriétaire. L'article 14
dispose (17) :
« (Perte du droit de !'exploitant.) A celui qui a fait ou aura
fait passer une surface de l'état d'inculture à l'état de culture
et qui y a ou aura planté une batisse et qui aura cessé et persisté
de cesser de la cultiver, Ie droit d'exploiter est conservé et
demeurera conservé sur cette surface ou a existé Ie droit d'exploi-
ter, tout Ie temps que cette surface a cessé ou aura cessé d'être
cultivée, sous la réserve que ce temps ne dépasse pas les deux
années qui suivront Ie jour ou la culture aura cessé. >>

19. - Ma seconde observation touche la manière dont s'insère


dans l'histoire des débuts de la République romaine l'hypothèse
par laquelle j'attribue à l'introduction de la jachère biennale
la règle des XII Tables sur la prescription acquisitive de deux
ans pour les immeubles. Je crois que, si elle est admise, mon
explication cadre parfaitement avec ce que nous savons de
l'histoire économique, sociale et politique de Rome dans la
première moitié du ve siècle avant notre ère.
Des dix-sept tribus qui, - selon la date traditionnelle, en
494 - , s'ajoutent aux quatre tribus urbaines, une seulement
a reçu une appellation géographique. C'est la tribu Orustumena,
qui doit son nom à la ville de Orustumerium, prise par les Romains
quelques années plus töt. Les seize autres tribus rustiques sont
toutes désignées par des gentilices de grandes gentes patriciennes
et, compte tenu du caractère territoria! des tribus rustiques,
dont chacune correspond initialement à un canton ((pagus) de
la campagne romaine, il est vraisemblable d'admettre que Ie
territoire de la tribu a été à l' origine Ie terrain de parcours réservé
à une gens patricienne, que nous sommes ainsi habilités à ima-

(17) Chr. CotrnT01s, L. LESCHI, Ch. PERRAT, Ch. SAUMAGNE, TableUea Albertini.
Actes de l'époque vandale (fin du V• siècle), Pa.ris, 1952, p. 132 : (Ei qui su)perjiciem
ez inculto ezcoluit ezcoluer[it... in qua ... ] aedificium deposuit posuerit ei(q)ue qui
(colere eam) deaierit perdeaierit, eo tempore quo ita ea superjiciea coli deait desierit, (in)
ea (superficie) quo fuit fuerit ius colendi, (id ius), dumtazat biennio prozimo ez (ea) die
• qua die• colere deaierit, servatur, aervabitur.
150 · J.-H. MICHEL

giner composée de grands éleveurs de bétail (18), et c'est à ces


zones rurales que correspondrait la forme initiale de l' ager
publicus.
D'autre part, en ce qui concerne la plèbe, le fait que les deux
édiles plébéiens, créés aux cötés des tribuns en 494 également -
plus d'un siècle avant les édiles curules institués en 366 seule-
ment - , siégeaient au temple de Cérès, sur l'Aventin, semble
indiquer que la plèbe, rassemblant les sectateurs de la déesse
des récoltes, devait, au moins hors de Rome, être faite de paysans
adonnés à l'agriculture plutöt qu'à l'élevage. S'il en est bien
ainsi, la règle de la loi des XII Tables organisant l'acquisition
de la propriété du sol par l'usucapion de deux ans peut apparaître
comme une conquête des cultivateurs plébéiens, arrachée aux
patriciens grands éleveurs de bétail et, à ce titre, moins intéressés
que des laboureurs à la propriété foncière privative et indivi-
duelle.

20. - Dans cette perspective, on le voit, l'usucapion s'inscri-


rait logiquement dans la lutte entre patriciens et plébéiens, qui
elle-même prendrait de la sorte une signification économique et
sociale, se rattachant alors à l'évolution technique des moyens
de production et aux transformations du régime de la propriété
au début de la République romaine. Celle-ci, en d'autres termes,
naîtrait avec l'araire et la jachère biennale ou, pour mieux dire,
en tenant compte de la nécessaire médiation humaine, c'est-à-dire
politique, sociale et juridique, la République romaine serait la
société d'agriculteurs - grands, moyens ou petits, la question
est ouverte - qui viennent d'apprendre à se servir de l'araire
et, surtout, à pratiquer la jachère biennale et qui, pour tirer
de ces nouveaux moyens de production toute l'effi.cacité qu'ils
offrent, inventent parallèlement, dans Ie droit romain, la notion
nouvelle de la propriété du sol à la fois individuelle et per-
pétuelle.

21. - Or on ne s'intéressera jamais assez à la propriété


romaine, jamais on ne s'emploiera assez à en percer les origines,
l'évolution et la signification, car il est sans doute peu de notions

(18) Par exemple Max KA.SER, Eigentum und Beaitz, 2• éd., Cologne-Graz, 1956,
p. 237 et note 27.
L' << USUCAPIO >> DES IMMEUBLES 151

juridiques qui aient été d'une telle conséquence dans la suite


des temps et il en est peu assurément qui aient été à ce point
originales et fécondes. Notion juridique née dans une société
de paysans et d' agriculteurs, la propriété quiritaire constitue
probablement la conception la plus poussée de l'appropriation
individuelle et privative. A eet égard, Ie Code civil n'a pas tort
de définir la propriété << Ie droit de jouir et de disposer des choses
de la manière la plus absolue >>.
C'est ainsi qu'à la suite de la renaissance du droit romain au
moyen age, la notión romaine de propriété a nourri, à travers
les temps modernes, la réflexion politique et idéologique des
adversaires de la féodalité et, après avoir été diffusée univer-
sellement outre-mer par la colonisation européenne, elle a triom-
phé définitivement, jusqu'à notre époque du moins, avec les
révolutions bourgeoises qui ouvrent la période contemporaine.
C'est pourquoi je suis profondément convaincu que nous n'avons
pas fini de méditer sur la prodigieuse destinée d'une invention
suscitée, il y a deux millénaires et demi, par l'introduction de
l'araire et de la jachère biennale, dans une petite société agricole
de l'antiquité méditerranéenne, promise, il est vrai, à un avenir
sans autre exemple dans l'histoire.
Oud recht, goed recht?
DOOR

R. C. VAN CAENEGEM
PROFESSOR AAN DE RIJKSUNIVERSITEIT
TE GENT

De titel van deze bijdrage toont aan in welke dubbele optiek


ze werd geschreven : een geschiedkundige - zoals men van een
rechtshistoricus kan verwachten - en een moraalfilosofische -
wat niet misplaatst is in de huldebundel voor een geleerde die
zich steeds voor het recht in al zijn aspecten en dimensies heeft
geïnteresseerd. Vooraleer onze discussie over het goede recht in
het verleden aan te snijden past het, in dekkersiaanse trant, de
prealabele vraag te stellen of goed recht überhaupt denkbaar is.
Er zijn inderdaad civilisaties en denkstromingen die het recht
voor een (noodzakelijk 1) kwaad houden en "goed recht" voor
een contradictio in terminis. Aldus werd in het klassieke China
het recht "op zijn best als een noodzakelijk kwaad aangezien",
werd "de sociale orde er niet gebaseerd op de rechten van het
individu maar op zijn plichten", ,,genoot het beroep van jurist
er een slechte faam (zodat de rechtskenner in het geheim werd
geconsulteerd)" en beweerde een oud spreekwoord dat "de staat
goed bestuurd werd wanneer de trap van de school versleten
was en er gras groeide op die van het gerechtshof" (1). Aldus
ook zagen de extreme revolutionairen ten tijde van de puriteinse
opstand tegen de Engelse koning Karel I "het recht als de
vijand", want, schreef G. Winstanley (c. 1609-na 1660) : ,,the
laws of kings have always been made against such acts as the
common people were most inclinable to" en "the best laws that
England hath are yokes and manacles, tying one sort of people

(l) R. DEKKERS, ,,Le droit chinois", in Encyclopaedia Universalis, II, Parijs, 1970,
bl. 382-383. Zoals men weet, werd ten tijde van de Franse revolutie een voorstel
gedaan om naast de verklaringen van de rechten van de mens en de burger, ook
melding te maken van zijn plichten, doch reeds op 4 aug. 1789 werd besloten dit
niet te doen (R. C. VAN CAENEGEM, Over koningen en bureaucraten. Oorsprong en
ontwikkeling van de hedendaagse staatsinstellingen, Amsterdam, Brussel, 1977, bl. 304).
154 R. C. VAN CAENEGEM

to be slaves to another" en hij vroeg zich af, met een beroep op


de rede en de aequitas, of "all laws that are not grounded upon
equity and reason, not giving a universa! freedom to all, hut
respecting persons, ought not to be cut off with the King's
head" (2). De wetten als jukken en handboeien! Kon men
grafischer uitdrukken dan het recht geen bevrijdende maar een
verslavende, oppressieve factor is 1 Ook op onze dag weerklinkt
die bewering en wordt geklaagd dat "de bestaande wetgeving
het toe strekt een status quo te handhaven en dienvolgens elke
bevrijding van de mens te verhinderen" (3). Anderen echter zijn
overtuigd van het tegenovergestelde en geloven in de bevrijdende
werking van het recht. Aldus Sir Edward Coke (1552-1634), de
grote verdediger van het Common Law tegen het Stuart absolu-
tisme, in dezelfde eeuw als Winstanley; aldus ook Lacordaire
(1802-1861), die het gevleugelde woord uitsprak "entre Ie fort et
Ie faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère" (4).
Niet alleen wordt betwijfeld of het recht wel goed kan zijn,
men vindt ook grote civilisaties die het recht als een apart en
eigen geheel van normen niet eens kennen. De wereld van de
Islam bijv. wordt gekenmerkt door de fusie (die westerlingen
geneigd zijn te bestempelen als confusie) van recht, godsdienst
en moraal : de Koran is tegelijk metafysische revelatie, ethische
gedragsnorm en gereveleerd wetboek (5). IJdel is in die wereld
de vraag of recht goed is of slecht, noodzakelijk of overbodig,
want het maakt integraal deel uit van de aan de Profeet gedane
revelatie van een tijdloze waarheid en universeel gedragspatroon.
De westeuropese traditie is sterk verschillend van de islami-
tische : waar deze geconcentreerd en één is, is gene multiform

(2) C. HILL, The Century of Revolution 1603-1714, Londen, 1974, bi. 157 (Cardinal
edition) (lste uitg. 1961).
(3) Aldus R. QUINNEY, ,,The Ideology of Law. Notes for a radical alternative to
legal oppression", in Issues in Criminology, 1972, n° l, bi. 1 volg., geciteerd in
M. STORME, Het recht als bevrijding. Voordracht gehouden aan de Rijksuniversiteit te
Leiden, Zwolle, 1975, bi. 6 (Thorbecke-Colleges, 1).
(4) Geciteerd door M. STORME, loc. cit.; onze Gentse collega onderzoekt in zijn
Thorbecke-college verschillende gebieden van het maatschappelijk leven waar het recht
in recente jaren een bevrijdende werking heeft gehad. Het is van belang in deze dis-
cussie zorgvuldig het wettenrecht van het gewoonterecht te onderscheiden, het eerste
kan een bevijdende werking hebben, waar het tweede oude onderdrukking in stand
houdt. Zo bijv. voorziet recente Chinese wetgeving de vrije keuze van de aanstaande
echtgenoten, waar het gewoonterecht het accent legde op de ouderlijke wil (DEKKERS,
Droit chinois, bi. 384).
(5) R. DEKKERS, Le droit -privé des peupks, Brussel, 1953, bi. 147-151.
OUD RECHT, GOED RECHT? 155

en verscheiden. Niet alleen worden in het Westen godsdienst,


moraal en recht onderscheiden (zodat zelfs binnen de religieuze
sfeer theologie, moraal en kerkelijk recht tot aparte disciplines
zijn uitgegroeid), maar de juridische categorie zelf is door
verscheidenheid gekenmerkt, waar gewoonterecht, kanoniek
recht, Romeins recht en natuurrecht - om alleen de belang-
rijkste op te sommen - naast elkaar hebben gebloeid.
Hoewel de westeuropese traditie, zoals we hebben gezien, het
antijuridisme wel heeft gekend, is ze toch overwegend rechts-
vriendelijk : het recht wordt als een "bonum in se" beschouwd
en positief gewaardeerd. Ten bewijze kan men aanvoeren de
talrijke stadskeuren en grondwetten van het Magna Carta type,
die in de loop der eeuwen - vaak na harde strijd - zijn afgekon-
digd en het verlichtingsenthousiasme voor de codificatie. Het
geloof in het recht en de overtuiging dat geen inspanningen te
groot zijn om beter recht te vinden en in plechtige documenten
vast te leggen, is één van de constanten van de Europese geschie-
denis (6). Het is dus redelijk uit te gaan van het standpunt dat
recht althans op sommige gebieden en in sommige perioden een
positieve factor is geweest, zonder te beweren dat het die rol
steeds en overal heeft gespeeld. Gaat men uit van de veronder-
stelling dat goed recht bestaat, dan stelt zich dadelijk de vraag
of "het goede" denkbaar en definieerbaar is dan wel of alles
relatief is en goed of slecht, naargelang het standpunt dat men
inneemt of de belangen die men verdedigt. De mens heeft in zijn
lange geschiedenis vaak "slecht recht" bestreden om het door
goed recht te vervangen of het bestaande goede recht nog "beter
te maken" (7) en daarbij klaarblijkelijk gehandeld in de over-
tuiging dat goed en slecht recht categorieën waren die men
onmiskenbaar kon onderscheiden en herkennen. Doch is goed
recht zoals de waarheid, een epifenomeen van wisselende maat-
schappelijke verhoudingen en even relatief en efemeer als deze

(6) Zie over het constitutionalisme VAN CAENEGEM, op. cit., bi. 252 volg. en over
de stadsrechten : Vrijheden in stad en op het platteland van de XIe tot de XIVe eeuw,
Brussel, 1968 (Pro Civitate, Historische Uitgaven in-8°, nr. 19), en Album Elemér
Mályusz, Brussel, 1976 (Etudes présentées à la Com. internat. Rist. des Assemblées
d'Etats, LVI).
(7) Zo kregen de Bruggelingen in 1127 van de nieuwe graaf van Vlaanderen, Willem
Clito, het voorrecht "eigenmachtig en vrij hun gewoonterecht van dag tot dag te
corrigeren en te verbeteren volgens de hoedanigheid van tijd en plaats" (uitg.
H. PmENNE, Histoire du meurtre de Charles Ie Bon, Comte de Flandre, par Galbert de
Bruges, Parijs, 1891, cap. 53, bi. 87).
RENÉ DEKKERS. - 11
156 R. C. VAN CAENEGEM

laatsten? En is het goede recht iets anders dan de uitdrukking


van de wil van de dominerende sociale laag en een instrument
ter verdediging van haar belangen (8)1
De skepsis van sommige auteurs neemt niet weg dat velen
in het verleden en ook op heden geloven in categorieën als
slecht, goed en beter recht en zich ook hebben ingespannen om
beter, rechtvaardiger en adequater recht tot stand te brengen.
Gevraagd naar een definitie van "goed recht" zullen velen het
filosofische antwoord schuldig blijven en ook wij zullen ons
eerder op het historische dan het wijsgerige pad begeven en
liever de vraag stellen : welke van de vele rechtssystemen die
de samenleving heeft gekend worden door de rechtshistorici voor
de beste gehouden? Wie anders dan de professionele geschied-
schrijvers van het recht is best geplaatst om die vraag te beant-
woorden, aangezien zij door hun specialisatie voortdurend in
contact zijn met het bonte rechtsverleden, in de meest diverse
landen en tijdperken?
De leek die zich met die vraag tot de rechtshistorici richt
wacht echter een grote verrassing en een flinke teleurstelling,
want dit soort probleem komt juist niet aan bod in de huidige
rechtsgeschiedenis. Deze sluit zich op in het descriptieve, bestu-
deert met grote precisie de bronnen en de literatuur, besteedt
natuurlijk ook veel aandacht aan de inhoud en evolutie van de
normen, maar onthoudt zich van waardeoordelen (al vallen over
het oude strafrecht wel eens woorden als "onmenselijk" en
"barbaars"). De jurist echter die zich tot de rechtshistoricus
wendt met de vraag, niet wat de regels en de terminologie, de
bronnen en de etappes van opkomst en ondergang waren van
bijv. het leenrecht, maar of dit laatste een sociaal-positieve
of een negatieve rol heeft gespeeld, die zal lang en, vrezen we,
tevergeefs zoeken in de nochtans onoverzienbare literatuur die
aan de feodaliteit is gewijd (9). Kan de geschiedenis haar rol
van magistra vitae spelen zonder ooit een waardeoordeel uit te
spreken en is het juist dat de rechtshistorici, per definitie best
geplaatst om vragen daaromtrent te beantwoorden, ze discreet

(8) Zie de kritiek van STORME, op.cit., bi. 6-7 op F. RmAu:x, lnlroduction à la science
du droit, Brussel, 1974, bl. 382.
(9) Zie een selectie in F. L. GANSHOF en R. C. VAN CAENEGEM, Les institutionsféodo-
vassaliques, Brussel, 1972 (Introd. bibliogr. à l'hist. du droit et à l'ethnologie juridique,
o.l.v. J. GILISSEN, B/8).
OUD RECHT, GOED RECHT Î 157

ontwijken en aan niet-professionelen en minder bevoegden over-


laten (10)?
Deze constatatie is geen verwijt, maar kan toch niet zonder
enige verwondering worden gemaakt. Waarom laten de rechts-
historici zich niet in met de beoordeling van de door hen zo
grondig en gedetailleerd bestudeerde rechtsstelsels? We vermoe-
den dat hier verschillende factoren in het spel zijn. Er bestaat
bij de historici, en niet alleen die van het recht, een afkeer van
het waardeoordeel en de daarmee verbonden subjectiviteit, als
iets dat oncontroleerbaar en dus onwetenschappelijk is. Ook
dient toegegeven dat het in onze tijd zeer moeilijk, zoniet onmoge-
lijk lijkt tot een consensus te komen over het aan te wenden
criterium. Zelfs waarden die de publieke opinie schijnen te
enthousiasmeren, blijken bij nader toezien geen zo eenvoudig
criterium te bieden als het er op het eerste gezicht uitzag. Zonder
stil te staan bij fundamenteel verschillende opties, die het recht
nu eens beschouwen als een middel om God's rijk te verwezen-
lijken en de in wezen verdorven mens naar de verlossing te
leiden, dan weer als een middel om op deze aarde en voor de
van nature goede mens "the greatest happiness for the greatest
number" te realiseren, moeten we constateren dat de gelijkheid
van de mensen bijv. geen oncontroversieel ideaal is. Soms wordt
het principe van de ongelijkheid gehuldigd op basis van het
ras (11), soms maakt de grondwet een onderscheid tussen de
massa van het volk en de elite die tot de eenheidspartij behoort
aan wie de leidende functies worden voorbehouden (12). Doch
zelfs waar de gelijkheid in rechte wordt geproclameerd, bestaan
vaak zulke economische ongelijkheden dat ze een karikatuur

(10) De discretie ligt hierin dat de meeste rechtshistorici niet eens het probleem
stellen. Het is uitzonderlijk dat een geleerde als Prof. P. Rassow uitdrukkelijk ver-
klaart dat het niet de taak is van de historicus een oordeel uit te spreken en schrijft :
"Wir Historiker kennen keine glückliche oder unglückliche Geschichte, so etwas
ist geschichtsphilosophisch schlechthin unbegründbar", in 1. JENNINGs, Die Umwand-
lung van Geschichte in Gesetz, Keulen en Opladen, 1965, Diskussion, bl. 33 (Arbeits-
gemeinschaft für Forschung des Landes Nordrhein-Westfalen. Geisteswissenschaften,
Heft 101).
(11) Zie bijv. J. GILISSEN en M. MAGITS, Zuid-Afrika, Brugge, 21978 (Actuele
Geschiedenis, 2).
(12) Art. 126 van de Sovjet Grondwet van 1936. Het aantal leden en kandidaat-
leden van de Communistische Partij is in de Sovjet Unie langzaam gestegen van 0,3 %
in 1924 tot 6 % in de jaren 1971-74 (M. LESAGE, Les régimea politiquea de l'URSS
et de l'Europe de l'Eat, Parijs, 1971, bl. 340).
158 R. C. VAN CAENEGEM

wordt - men denke bijv. aan het probleem van de proces-


kosten (13).
Rond de veelgeprezen vrijheid ontbreekt het evenmin aan
controversen. Men maakt het onderscheid tussen de liberale,
19e eeuwse vrijheid en de reële, en spreekt van de "moeizame
weg" van de eerste naar de tweede (14). Elders wordt geen derge-
lijk onderscheid gemaakt en wordt elke vrijheid van optreden
ontzegd aan wie de regeringspolitiek niet steunt. Zo accepteerde
de Grondwet van de Chinese Volksrepubliek van 1949 - in
tegenstelling tot de Sovjet Constitutie - het meerpartijen-
stelsel, doch voegde er de voorwaarde aan toe dat alle partijen
het principe van de socialistische opbouw moesten huldigen.
Daarbij schreef Mao Tse Tung : ,,in het huidige stadium, dat
van de socialistische opbouw, wordt het volk gevormd door alle
sociale klassen en lagen en alle maatschappelijke groepen die
die opbouw steunen en er aan meewerken, terwijl alle maatschap-
pelijke krachten en groepen die zich verzetten tegen de socia-
listische revolutie, die vijandig staan tegenover de socialistische
opbouw of zich inspannen om hem te saboteren de vijanden
zijn van het volk" (15). Het is niet alleen in de politieke arena
dat de houdingen tegenover de vrijheid sterk variëren, ook op
het vreedzamere gebied van het burgerlijk proces - waar we
hoogstens met "geciviliseerd geweld" te maken hebben - bestaat
onenigheid over de vrijheid van de partijen en de passiviteit
van de rechter. Dat vnl. in de communistische wereld de rol van
de rechter in het civiele proces veel groter is dan bij ons is bekend,
maar weinigen weten dat reeds twee eeuwen geleden, in het
Pruisen van Frederik de Grote, een zeer belangwekkende poging
in die zin werd ondernomen, in het Eerste Boek van het Corpus
Juris Fredericianum "Vonder Prozessordnung" van 26 april 1781.
Hier stond het officium judicis centraal, d.w.z. dat de Offizial-
maxime triomfeerde en de advokaten als Assistenzräte officiële
medewerkers werden van de rechtbanken, i.p.v. gehonoreerde
pleiters in dienst van de partijen (16). Hoe het in de huidige

(13) STORME, op.cit., bi. 17 noemt "het Pro Deostelsel in een vrije markt-economie
een mystificatie", en verwijst naar M. CAPPELLETTI, Liberté individuelle et iustice sociale
dans le procès civil italien, in Festskrift till Per Olaf Ekelöf, Stockholm, 1972, bi. 202
volg.
(14) ST0RME, op. cit., bi. 20.
(15) DEKKERS, Droit chinoiB, bi. 384.
(16) Het experiment was geen blijvend succes, zie R. C. VAN CAENEGEM, ,,History
OUD RECHT, GOED RECHT? 159

wereld staat met de vrijheid van opinie en met name van de


pers, kan iedereen nagaan in de Jaarboeken van het Pers-Insti-
tuut van Zürich. En wie zou denken dat er toch een consensus
moet bestaan over het grote principe van de bescherming en
heiligheid van het menselijk leven en hier eindelijk een universeel
hanteerbaar criterium voorhanden is, zal worden teleurgesteld
zodra hij kennis neemt van de zeer uiteenlopende opinies in
het abortus-debat.
Biedt de rationaliteit van het recht wellicht een betere kans
als universeel criterium te dienen bij de beoordeling der rechts-
stelsels? De trend van het irrationele naar het rationele is
opvallend in de Europese geschiedenis in het algemeen - Max
Weber heeft er zelfs één van de dominanten van de Europese
civilisatie in gezien - en in de rechtsgeschiedenis in het bijzonder.
Het is betekenisvol dat de eerste sectie in het kapitel Sens de
l' évolution in Dekkers' Droit privé des peuples de titel draagt Du
surnaturel au rationnel (bl. 307-328) (17). Doch ook hier is de
consensus moeilijk haalbaar. In een groot deel van de huidige
wereld, vnl. in de landen van de Islam, wordt precies de. laïci-
sering van het openbare leven in het algemeen en van het
rechtsleven in het bijzonder bekritiseerd en een terugkeer gewenst
naar een recht en een levenswijze van religieuze inspiratie en
gebaseerd op heilige boeken en bovennatuurlijke revelatie. Ook
waar dat niet het geval is, bestaat geen unanimiteit over wat
rationeel is en wat niet. De uitschakeling van bovennatuurlijke
leidraden en religieuze dogma's als factoren in het openbare
leven, betekent op zichzelf nog niet dat alles voortaan rationeel
wordt geregeld. Met name kan betwijfeld worden of regime's die
gevestigd zijn op en in dienst staan van bepaalde dogmata van
geschiedfilosofische aard wel rationeel zijn en in welke mate :
elke niet-bovennatuurlijk geïnspireerde ideologie is daarom nog
niet rationeel.
In het licht van deze overwegingen is het begrijpelijk dat
de rechtshistorici zich niet graag wagen aan vragen over het

of European Civil Procedure", in International Encyclopedia of Oomparative Law, XVI,


2, Tübingen, 1973, bi. 92-93.
(17) In de Titel 111, L'évolution du droit waar gezocht wordt naar de zin van de
evolutie en enkele fundamentele trends worden genoemd, nl. Du surnaturel au rationnel,
Du privé au public, Du pénal au civil, De !'externe à !'interne, De l'actuel au Jutur,
Vers !'individualisme, Vers l'émancipation, Vera le libéraliame, Vers l'homogénéité en
Vers la mansuétude.
160 R. C. VAN CAENEGEM

goede recht in het verleden : het objectieve en wetenschappelijke


houvast hiervoor is moeilijk te vinden. Wellicht doen we er beter
aan na te gaan wat de mens in het verleden zelf over de kwaliteit
van zijn recht heeft gezegd. Zijn daarover uitspraken te vinden
en in welke zin? Nu ontbreekt het inderdaad in de geschiedenis
niet aan beoordelingen door de tijdgenoten van het recht waar-
onder ze leefden. In de enkele bladzijden die ons hier ter beschik-
king staan kunnen we maar een greep doen uit verschillende
landen en periodes, zonder dat van een exhaustief overzicht of
een omvattende typologie spraak kan zijn (hier ligt o.i. nog een
groot onderzoeksveld braak).
De eerste, zeer algemene constatatie die zich hier opdringt, is
dat men in sommige perioden gelukkig is geweest met het vige-
rende recht en er met fierheid en zelfgenoegzaamheid over
schreef. Zo is er de bekende uitspraak in Cicero's De Oratore
(I, 44, 197) over de superioriteit van het recht van de Romeinen.
,,Hoezeer onze voorgangers de overige volkeren in rechtsgeleerd-
heid overtroffen, schrijft hij, zult ge zeer gemakkelijk inzien,
wanneer ge u de moeite getroost onze wetten te vergelijken
met die van hun Lycurgos of Draco of Solon, want het is niet
te geloven hoe het hele burgerlijke recht, buiten dit onze, onbe-
holpen en haast belachelijk aandoet" (18). Het recht van de
niet-Romeinse volkeren en met name het Griekse recht wordt
hier als "paene ridiculum" afgedaan! Deze negatieve houding
t.o. van het Griekse recht is een westeuropese traditie geworden
en tot op heden gebleven (19). Even bekend is, in de Europese
Middeleeuwen, het werk dat Chief J ustice Sir John Fortescue
in 1470 of 1471 heeft geschreven ter verheerlijking van het
Common Law (dat hij vnl. vergeleek met het door hem minder
geapprecieerde Franse recht) en dat de sprekende titel kreeg
De Laudibus Legum Anglie (20). Aan kritiek op het slechte vige-
rende recht heeft het evenmin ontbroken en met name in de

(18) Vertaling van R. DEKKERS, De Regulis Juris, Brussel, 1958, bi. 4 (Mede-
delingen Kon. Vl. Acad. v. Wetenschappen, Lett., XX, l), waar men ook een onder-
zoek van de gegrondheid van Cicero's uitspraak vindt.
(19) Zie de bemerkenswaardige beschouwingen in H. E. TROJE, Europa und grie-
chiaches Recht, Frankfurt, 1971 (inaug. rede).
(20) Beste uitg., met vertaling, door S. B. CHRIMES, Cambridge, 1942. Fortescue
was politiek actief en bracht enkele ja.ren in ballingschap door in Frankrijk. Zo maakte
hij kennis met vreemde rechtsstelsels en zijn De Laudibus was vooral een compara-
tieve studie van het staatsrecht van Engeland en Frankrijk, alsook een eenvoudig
exposé van de fundamentele elementen van het Common Law.
OUD RECHT, GOED RECHT Î 161

ue en 12e eeuw, toen onder impuls van de Gregoriaanse Hervor-


ming, van de stedelijke emancipatie en van de herleving van
het Romeinse recht, de oude feodale orde aan kritiek werd onder-
worpen en met name het recht aan een grondige hervorming
toe was. De frontale aanval op het slechte gewoonterecht van de
postkarolingische wereld werd ondernomen door Gregorius VII,
die zijn naam aan de Gregoriaanse Hervorming heeft gegeven.
De paus ontkende niet dat de door hem bekritiseerde superiori-
teit van de keizer over de kerk een realiteit was en op oude
gewoonten steunde, doch hij beweerde dat die gewoonten in
strijd waren met de wetten van de primitieve kerk en ontzegde
aan onrechtmatige gewoonten elke rechtskracht : ,,Christus, zo
schreef hij, heeft niet gezegd 'Ik ben de gewoonte', maar 'Ik
ben de waarheid'"; met name de kerkelijke investituur door
leken werd door hem eenpessima consuetudo genoemd (21). Rond
die tijd werd de strijd tegen het "slechte gewoonterecht" ook
door de Franse monarchie aangevat. Waar de koningen aanvan-
kelijk eerder dispensie hadden verleend van de toepassing van
sommige costumiere regels, ging vooral Lodewijk VI over tot
de regelrechte afschaffing van de pravae consuetudines, die soms
werden gecontrasteerd met de "goede", legitieme of "redelijke"
gewoonteregels (welke alleen verdienden geconfirmeerd te worden
door de kroon) (22). Veel van de afgeschafte "slechte gewoonten"
hadden betrekking op overdreven lasten die drukten op personen
en goederen (23). De invloed van de kerkelijke rechtsleer op dit
onderscheid en op de strijd tegen de malae consuetudines is wel
bekend (24), zoals ook duidelijk is dat vele van de vroegste
veroordelingen en afschaffingen van "onredelijke costumen" ten
voordele van kerkelijke instellingen zijn gebeurd (25). Sommige
12e eeuwse auteurs, die hun twijfels hadden over de morele

(21) G. D. LADNER, .,Two Gregorian Letters. On the Sources and Nature of


Gregory VIl's Reform Ideology", in Studi Gregoriani, 5, 1956, bi. 225-235.
(22) Zie bijv. het optreden van Lodewijk IX beschreven door A. GouRoN, .,Liber-
tas hominum Montispessulani". Rédaction et diffusion des coutumes de Montpeliier, in
Annales du Midi, 90, 1978, bi. 302.
(23) Fr. OLIVIER-MARTIN, .,Le roi de France et les mauvaises coutumes au moyen
age", in Zeitachrift der Savigny-Stiftung fiir Rechtsgeschichte, G.A., 58, 1938, bi. 108-
137; Y. BoNGERT, .,Vers la fonnation d'un pouvoir législatif royal (fin XI•• début
XIII• siècle)", in Etudes offertes à Jean Macqueron, Aix-en-Provence, 1970, bi. 132-133.
(24) S. BRIE, Die Lehre vom Gewohnheitarecht. Eine historisch-dogmatische Unter-
auchung, 1. Teil : Geschichtliche Grundlegung, bis zum Ausgang des Mittelaltera, Breslau,
1899; R. WEHRLÉ, De la coutume dans le droit canonique, Parijs, 1928.
(25) Aldus OLIVIER-MARTIN, op. cit., bl. 134.
162 R. C. VAN CAENEGEM

gevolgen van het groeiend succes van het Romeinse recht, hielden
het Corpus Juristen goede dat het meehielp in de strijd tegen
de irrationele bewijsmiddelen, een erfenis van de vroege Middel-
eeuwen. Radulfus Niger bijv., die in Engeland schreef tegen het
einde van de regering van Hendrik II (1154-1189), noemde de
godsoordelen een pravus ritus judiciorum, een "slechte proce-
dure", die alleen maar verdiende afgeschaft te worden (26). Ook
het zoëven genoemde voorrecht dat de Bruggelingen hun gewoon-
terecht mochten "corrigeren" gaf impliciet toe dat dit gewoonte-
recht voor kritiek vatbaar was.
De strijd tegen het slechte recht, dat moest afgeschaft of
gecorrigeerd worden, was een belangrijke factor in de rechts-
geschiedenis. Dat onze voorouders aldus hebben geageerd moet
ons niet verwonderen, want ook heden ervaart men dikwijls
dat het gemakkelijker is bepaalde normen en situaties af te
keuren dan nieuwe en betere concrete oplossingen voor te stellen :
dikwijls is het even duidelijk waar men tegen is, als onduidelijk
waar men voor is. Laten we dus nagaan uit welke inspiratiebron
de critici in de loop der tijden hebben geput om nieuw - en
naar men dacht of hoopte - beter recht in te voeren. Een
vluchtig onderzoek leidt al dadelijk tot de constatatie dat in
het Europese verleden twee verschillende houdingen elkaar
hebben opgevolgd. In de eerste fase gold als goed recht het oude,
primitieve, oorspronkelijk-zuivere recht, dat in recente tijden
door misbruiken allerhande was gecorrumpeerd. Goed recht intro-
duceren betekende dan terugkeren naar de zuivere bronnen van
het ware recht uit de tijd voor de corruptie, m.a.w. de toekomst
lag in het verleden en "revolutie" werd letterlijk opgevat als
het "terugwentelen", het "terugdraaien" van de klok der geschie-
denis naar de vroegere situatie, waarbij het oudste recht het
beste was. Deze retro-visie heeft in Europa gedomineerd tot in
de loop der 17 8 eeuw. Ze is dan stilaan vervangen door de huidige
opvatting, die vanaf de 188 eeuw de overheersende is geworden,
dat slecht recht het product is van voorbijgestreefde ontwikke-
lingsstadia en dus de plaats moet ruimen voor resolute inno-
vaties, gedicteerd door de rede en het geloof in de vooruitgang.

(26) E. RATHBONE, ,,Roman Law in the Anglo-Norman Realm", in Studia Gratiana,


11, Bologna, 1967 (= Collectanea S. Kuttner, !), bi. 256-257; H. KANTOBOWICZ, ,,An
English Theologian's view of Roman law : Pepo, Irnerius, Ralph Niger", in Medieval
and Renaissançe Studies, 1, 1941, bi. 237-251.
OUD RECHT, GOED RECHT? 163

Hier ligt de toekomst in de toekomst en kan het recht niet


nieuw genoeg zijn : de vlucht in de toekomst heeft de vlucht in
het verleden vervangen en het woord "revolutie" heeft een
toekomstgerichte i.p.v. een conservatieve betekenis gekregen.
Ook hier is het niet moeilijk een greep uit de Europese geschie-
denis te doen en enkele voorbeelden te citeren. Het treffendste
is wel de "herleving van de rechtscultuur" (27) in de tijd van
de glossatoren. Historisch gezien kwam dit merkwaardige feno-
meen hierop neer dat Europa in de 12e eeuw, bij het verlaten
van de ijzeren eeuwen van de feodaliteit en met het doel een
modern recht op te bouwen, beroep heeft gedaan op het rechts-
systeem van een sinds eeuwen verdwenen beschaving, opgetekend
in het wetboek van een Byzantijnse keizer uit de 6e eeuw. En
alsof dit nog niet genoeg was, werd deze terugkeer ad fontes in
de }6e eeuw door de humanistische school van het Romeinse
recht - waaraan de hier gecommemoreerde geleerde een belang-
wekkend boek heeft gewijd (28) - nog eens overgedaan, met
een veel grondiger filologische en historische kennis dan ooit te
voren (29).
Het waren echter niet alleen de geleerden die naar het verleden
teruggrepen, ook het volk wilde op zijn manier, met opstand
en geweld, terugkeren naar het oude recht, telkens als de vige-
rende normen zijn geduld hadden uitgeput. Ook hier doen we
een greep uit de talrijke voorbeelden die in de geschiedenis voor
het grijpen liggen. Bij de boerenopstanden van de 14e eeuw - in
Vlaanderen, Frankrijk en Engeland - was de terugkeer naar
het goede oude recht één van de leidmotieven van de ontevreden
bevolking (30). Hetzelfde was het geval in de grote Duitse
boerenopstand van de }6e eeuw, waar de terugkeer naar het
oude recht een fundamenteel motief was van de goed gearticu-
leerde lijsten van eisen en grieven die tot ons gekomen zijn (31).

(27) Benaming ontleend aan het klassieke, zij het thans sterk verouderde werk
van W. ENGELMANN, Die Wiedergeburt der Rech,tskultur in Jtal,ien durch, die Wissen-
schaf!Ziche Lehre, Leipzig, 1938, Beste overzicht thans : Handbuch der Quellen und
Literatur der neueren europäischen Privatrechtageschichte. Erster Band : Mittelalter (1100-
1500). Die gelehrten Rechte und die Gesetzgebung, herausg. v. H. COING, München, 1973.
(28) R. DEKKERS, Het humanisme en de rechtswetenschap in de Nederlanden, Ant-
werpen, 1938.
(29) Zie thans H. TROJE in CoING, op. cit., II, 1977, bi. 615-796.
(30) F. W. N. HuoENHOLTZ, Drie boerenopstanden uit de veertiende eeuw, Haarlem,
1949.
(31) P. BLICKLE, Die Revolution von 1525, München, Wenen, 1975; G. FRANZ, Der
deutache Bauernkrieg, Darmstadt, 1972 1 •
164 R. C. VAN CAENEGEM

En toen, later in dezelfde eeuw, de stad Gent in opstand kwam


tegen Filips II, was de eerste eis van de oproerige Calvinistische
gemeente de restauratie van de stedelijke constitutie die door
Karel V was afgeschaft (32). Opvallend is ook dat de puriteinse
revolutionairen in de 17e eeuw de terugkeer eisten naar de vrije
en representatieve constitutie van de Angelsaksische periode en
de uitschakeling van het perverse recht dat onder het "Norman-
dische juk" was geïntroduceerd door tyrannieke koningen (33).
Even opvallend is dat precies rond diezelfde tijd en in hetzelfde
milieu van de puriteinse antimonarchisten een ander thema
begon te weerklinken, dat beroep deed, niet op (zeer betwistbare)
historische antecedenten, maar op de rede en de onvervreemd-
bare rechten van de mens. Hierbij werd de historische experiëntie
eigenlijk irrelevant want, zo verklaarden ze : ,,Whatever our
forefathers were, or whatever they did or suffered, or were
enforced to yield unto, we are the men of the present age, and
ought to be absolutely free from all kinds of exorbitancies,
molestations or arbitrary power" ; precedenten gingen over-
boord, want "reason hath no precedent, for reason is the fountain
of all just precedents" (34). Hier sloeg men de weg in die de
1se eeuw resoluut zou bewandelen, de weg van de door de rede
geleide innovatie, de modernisatie van het recht in functie van
het nut (Bentham's utility-principle) en bevrijd van de banden
der traditie.
Het is tijd om te concluderen. Het moge waar zijn dat de
rechtshistoricus het moeilijk vindt goed en slecht recht te defi-
niëren, de denkers, leiders en volksmassa's van het verleden
hebben daar nooit enig probleem mee gehad. Wat slecht recht
was stond hun zeer duidelijk voor ogen, ook als ze niet zo gemak-
kelijk akkoord gingen over het nieuwe recht dat zijn plaats
moest innemen : in de ontwikkeling van het recht is de strijd
tegen het slechte recht een krachtiger impuls geweest dan de
inzet voor het nieuwe. Hierbij sluit de constatatie aan dat vele
omwentelingen wel het beoogde negatieve doel - de verdwijning
van het bestaande stelsel - hebben bereikt, maar uiteindelijk
tot nieuwe regimes hebben geleid die sterk afweken van wat de

(32) V. FRIS, HiBtoire de Gand depuis les origines jusqu'en 1913, Gent, 1930 1 , bi. 211.
(33) HILL, op. cit., bi. 156-157.
(34) HILL, op. cit., bi. 158.
OUD RECHT, GOED RECHT ? 165

vernieuwers aanvankelijk hadden bedoeld : de Terreur en de


Napoleontische politiestaat waren wel erg verschillend van de
constitutionele monarchie naar Brits model, die de leiders van
1789 voor ogen had gestaan.
Dat het onberekenbare in de geschiedenis zo vaak een rol
heeft gespeeld zal alleen hem verwonderen die het wijze woord
heeft vergeten waarmee onze betreurde leermeester zijn Droit
privé des peuples heeft besloten: ,,Tout ce qui est humain restera
toujours, par quelque aspect, incalculable".
On comparing early and primitive law
BY

G. C. J. J. VAN DEN BERGH


HOOGLERAAR AAN DE RIJKSUNIVERSITEIT
TE UTRECHT

I gladly take the opportunity to contribute some lines to this


volume dedicated to the memory of René Dekkers, who by his
imaginative work in many fields of legal science contributed
much to its advancement. Many of his studies show an open
mind for new aspects and developments. When teaching law
in Lubumbashi (Elisabethstad) in 1959 and 1965, the interest
his African students showed for Roman law inspired him to
comparative studies of early Roman and Congolese customary
law (Dekkers, 1965 b : 5). He published two studies, both in
a French and a Dutch version, one on Congolese and early Roman
law in genera! (Dekkers, 1965 b; 1966 a) and one on Congolese
bridewealth and Roman dos (Dekkers, 1965 a; 1966 b). I will
cite only the French version in this article. The experience
inspiring Dekkers was about the same which motivated the
founders of legal anthropology a century before, men like Lewis
Henry Morgan and Henry Sumner Maine. In fact the same atti-
tude was expressed already by père Lafitau (1724), who professed
that just as ancient authors made him understand the Iroquois,
so the practices of this people could explain many things in the
ancient authors (Stein, 1980 : 18). Looking at the primitive
with a knowledge of (early) Roman law, or vice versa, one cannot
help to be struck by likenesses which seem to demand scientific
explanation and at the same time suggest that dark spots in
our knowledge of early law might be illuminated by anthropo-
logical data from primitive tribes.
The studies of Dekkers give me reason to return to a question
which has puzzled me for many years. In 1965 I pleaded for
the comparative use of materials from other primitive cultures
in the study of early Roman law, although I was aware of the
168 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

dangers inherent in the kind of sweeping generalisations for


which early comparative legal history was justly criticised (van
den Bergh, 1965 : 3 with note 7). By 1974 I had become much
more critica! : ,,It may be illuminating for the historian of law
to see how primitive African legal systems work, hut such data
only permit conclusions on the assumption that either both
cultures are related or are in the same stage of development.
Proof of the first assumption inevitably leads into a petitio
principii, that of the second is impossible". Nevertheless I did not
wish to deny then the enormous importance of the materials,
collected by modern social anthropology, for legal historians
(van den Bergh, 1974 : 22 with note 25; cfr. van den Bergh,
1979 a : note 26). Such "sic et non" statements make clear that
the problem remained unsolved throughout. What is the use of
ethnographical materials for the study of early law, what is the
validity of comparisons, is it possible to fill the gaps in our
historica! knowledge with anthropological data î I do not claim
to have solved the problem in the meantime, hut I hope these
lines will contribute something to a discussion which has gone
on for at least a century and which, by the way, is not restricted
to legal history (Leroi-Gourhan, 1961 : 240; Thomas, 1963).
Apart from Dekkers, the theoretica! problems involved in
comparing early Roman and primitive law have been discussed
by Geoffrey MacCormack (1969 a; 1969 b; 1971 ; 1978 b) and
recently by Uwe Wesel (1980). Naturally our theme is closely
linked with the idea of legal evolution, of which Peter Stein has
treated the story (1980). Our problem must be placed in the
wider context of the methodology of legal history (for a recent
survey see Wieacker, 1980 a). I cannot give a comprehensive
treatment of all that is involved here.
Till now theoretica! discussion has hardly been impressive.
Some of the founders of modern (legal) anthropology, Bachofen,
Morgan and Maclennan for instance, made use of (pre- )historie
and ethnological material for the construction of their theories
in a rather free and theoretically naive way. Essentially the same
must be said of A. H. Post andJ. Kohier, who underthe influence
of Darwin and Spencer tried to build a sociology oflaw "on the
basis of the results of biology" (Post, 1884 : VIII). Their "ethno-
logische Jurisprudenz" was constructed inductively with data
from each and every quarter of the world (Post, 1884 : V).
EARLY AND PRIMITIVE LAW 169

More specific, critica! and at that time theoretically acceptable


was the comparative method of Henry Sumner Maine and the
school of historica! jurisprudence which developed partly under
his influence, although it criticised his findings on many points
(Maitland, Vinogradoff, Pollock, Kovalevsky et al., see Stein,
1980 : 86ff. ; Krader, 1966 : 3ff.). Their comparisons, inspired
by the brilliant achievements of historica! linguistics, restricted
themselves to a group of peoples which, on account of their
genetically related languages, were presumed to have had related
cultures too : the Indo-European cultures.
When this line of research was abandoned, in the beginning
of the thirties, history of law and anthropology went separate
ways for quite a time. In accordance with the structuralist
paradigma (cfr. van den Bergh, 1979 b : 22ff.) structure-func-
tionalism with Radcliffe-Brown decidedly turned its back on
history (Thomas, 1963 : 3; Lewis, 1968 : XIII; Gilissen, 1979 :
40, note 1; Wesel, 1980 : 72). At the same time, leading studies
in early Roman law in that period (e.g. Kaser, 1949; Lévy-
Bruhl, 1960) tried a reconstruction on the basis of extant source
material alone, without comparative use of ethnographical data
from contemporary primitive peoples (Kaser, 1949 : 8; Lévy-
Bruhl, 1960 : VIII; cfr. van den Bergh, 1965 : 3; Michel, 1979 :
104). Hägerström's magical interpretation of Roman law, based
on anthropological generalisations, was unanimously rejected
out of hand (MacCormack, 1969 b : 153 ff.). Only in the mid
sixties a new rapprochement of history of Roman law (as well
as history in genera!, cfr. Thomas, 1963 : 3) towards social
anthropology began (Dekkers, 1965; 1966; van den Bergh, 1965;
MacCormack, 1969; 1971; 1977; 1978; Michel, 1979; Wesel,
1979; 1980). Shortly before anthropologists had begun to take
a new interest in history (legal as well as genera!). Evans-
Pritchard lead the way (1961 ; Kroeber, 1963; Gluckman, 1965;
Krader, 1966; Lewis, 1968; Pitt, 1972; Blok, 1975; 1977;
Brunt, 1977). So it may be the right time now to discuss the
fundamental theoretica! issues involved in comparative method ;
I will do that from the point of view of the legal historian.
Dekkers (1965 a : 243) distinguishes, just as Maine (1861 : 76)
did, only two stages of legal development : the initia! stage in
which kinship is the main organisational principle of society (Ie
droit initia!, familial) and the developed stage in which states
170 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

exist (le droit évolué, étatique). Comparisons are only allowed


between legal systems which are in the same stage of develop-
ment. But the variety of kinship systems is so immense, that the
distinction between kinship-based societies and societies with
distinct politica! organisation cannot support comparisons. Wesel
thinks the decisive similarity between early and primitive socie-
ties is to be found in their position with regard to the three
principal stages of development he envisages : hunting and food
gathering societies - segmentary agricultural societies - socie-
ties with monocratie power structures. He believes conclusions
from anthropology may be drawn in history (or vice versa) when
"es neben dieser grossen Übereinstimmung noch mehr Parallelen
gibt, die das rechtfertigen" (Wesel, 1980 : 75). Now this criterion
is not very specific either.
Everybody reading himself into history and anthropology will
have experienced "erstaunliche Parallelen" (Wesel, 1980 : 76 ;
in the same sense already Goguet, 1758, cited by Stein, 1980: 21),
hut as a rule that experience is a poor basis for historica! research.
Epistemologically it seems rather naive to trust our feeling of
astonishment, though this may have been the starting point
for much thinking. We do not perceive single facts or isolated
phenomena, hut configurations, organised wholes, to which we
attribute symbolic meaning and which we try to read as a
message. Moreover, our perceptions are interpreted in the matrix
of previous experiences, and that could not be otherwise. The
analogies we perceive between two configurations hardly ever
form a perfect, point to point correspondence. Something as
elusive as a family-likeness is enough to arouse astonishment
and set off theorizing. More often than not detailed research
brings out that the astounding parallels are caused by our mode
of perception and vanish into thin air on close scrutiny.
But apart from being defective, perceptions have often been
ethnocentrically biased. Evolutionistic thinking about history
and development of human societies quite unconsciously took an
idealized view of contemporary, ordered, modern, complex,
developed, industrialized, urbanized, bourgeois liberal society as
its central point of reference. All societies not fitting that image
were either early, primitive, undeveloped, anarchie, retarded,
or degenerating, decaying, disintegrating, decadent. Just as the
word "primitive", all these terms are not only "highly ambi-
KATl-l II!\\<\ 1 :::ss1rr:-•-c !_ ;::• 1\/EN
î _, ·soL ' ':•D

EARLY AND PRIMITIVE LAW 171

guous", hut may also "conceal the uncritical acceptance of


certain presuppositions and help to strengthen those assump-
tions" (MacCormack, 1978 a : 200; cfr. Kop, 1980, 155ff.). In
all of them scientific beliefs, liberal politica! ideas and moral
prejudices are mixed in a peculiar way and in varying degrees.
,,Non-rational" may mean anything from "not organised accor-
ding to economie purpose" to "pre-scientific". And "pre-scien-
tific" in its turn may mean either "not cognizant of the laws
of cause and effect" or "being lead by irrational and base
instincts" (cfr. MacCormack, 1978 a : 199; for "rational" see
also Atkinson, 1978 : 125ff.).
In this frame of mind there was no hesitation to compare
early ancient societies with primitive ones (Morgan, 1877 :
V-VII, 8) or even with the lower strata of modern society, the
,,primitives among us". As an example I only cite Felix (1886 :
II, 14) :
"Dass man in primitiven Zuständen die Geltung des gegebenen
W ortes nicht kennt, erscheint als selbstverständlich. Begegnen
wir heutzutage bei den niederen Volksklassen nicht selten die
Schwierigkeit, den Gedanken zu fassen dass eine Zusage ernstlich
hinde".
Now the idea that the lower classes are the primitives of our
own society may not be fashionable any longer, hut comparisons
between early and primitive law are made, as usual, without
much theoretica! reflexion (see e.g. Thomas, 1963 : 8 ; Diamond,
1971 : 3; MacCormack, 1971 : 225; Wesel, 1980 : 75ff. ; hut
see MacCormack, 1978 a; 1978 c : 179).
It is also the conviction of Dekkers that knowledge from
Congolese law may clarify dark spots in early Roman law
(1965 b: 7). The idea that law is either initial or developed leads
to an amazing foreshortening of history : Dekkers claims, we
know Congolese law "from the beginnings or at least from
precolonial times,, (1965 a : 242). His seems much the same
outlook as professed by Goguet in 1758, stating that "we may
judge of the state of the ancient world for some time after the
deluge, by the condition of the greatest part of the new world
when it was first discovered" (cited after Stein, 1980 : 21). The
question whether derivations are allowed, is answered in one
sentence, which may be no more than a petitio principii :
RENÉ DEKKERS. - 12
172 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

"Pareille audace est-elle permiseî Je le pense, à en juger par


le succès de tant d'épreuves analogues".
To legitimate this conviction Dekkers refers to his Le droit privé
des peuples (1953), which taught him the eternal likeness of
human inventions. Man resembles himselfin all times and places.
The choices he can make, when confronted with the problems
of life, are not unlimited. And the same causes generally produce
the same effects (loc. oit.). Here Dekkers expresses a mixture of
naturalistic and structure-functionalistic beliefs which is wide-
spread (see e.g. Wieacker, 1967 : 426; von Benda-Beckmann,
1979 : 56) and which, by the way, is not surprising. After all
natural law and structure-functionalism share some fundamental
scientific beliefs. I will come back to that presently. But first
let us discuss one of Dekkers's examples.
Even at first sight Dekkers viewed an evident difference
between Congolese bridewealth and Roman dos (which both can
be brought under the Dutch word "bruidschat" and in this
respect suggest comparability) : they go in opposite directions
(Dekkers, 1965 a : 245). Bridewealth is given by the lineage of
the man to the lineage of the wife, dos is given by the father
of the bride (or someone else) to her husband-to-be. But here we
have a much more fundamental difference than just a change
of direction. Both institutions apparently represent totally diffe-
rent forms of social organisation and economie conditions.
First of all it seems doubtful whether generalizations about
"Congolese" bridewealth are justified. In the territory concerned
there are found segmentary lineage systems of all possible
variety : patrilineal, matrilineal and mixed, combined with
patrilocality or matrilocality in various combinations, in societies
with or without chiefs and kings (Dekkers, 1965 b : 10). As far
as we have data about the early Romans they seem to have a
patrilineal and patrilocal system (cfr. MacCormack, 1978 c :
193). Moreover they already had monocratie politica! structure
(,,kings"). So we might compare them only with societies having
the same overall structure.
In Zaïre - as in many other African countries - bridewealth
is given by the lineage of the man to the lineage of the wife, in
the first place in order to compensate the last lineage for the
loss of the children the wife can bear (Roebel, 1966 : 345 ; Wesel,
1980 : 135), and sometimes also for the loss of the working
EARLY AND PRIMITIVE LAW 173

capacity of the woman herself. When bridewealth is paid and


childbirth does not follow, Africans expect the wife's family to
substitute a younger sister without extra charge. When she leaves
her husband, as a rule bridewealth does not have to be repaid if
she has given birth to children. And in some cases children are
regarded as belonging to the wife's family as long as the agreed
bridewealth is not paid in full. Bridewealth is childprice, or,
as the Africans say : the cattle is where the children are not
(Goody, cited after Wesel, 1980 : 135).
Roman dos reflects a totally different system. There is no
ground for the contention of Dekkers (1965 a : 245) that it also
was a gift from lineage to lineage. The fact that clientes had to
contribute in the dos their patronus had to pay for his daughter,
rather militates against that contention. The clientes are not
members of the lineage of their patronus, hut his dependents
(Kaser, 1971 : 119). They do not even have to belong to his
gens. Roman dos presupposes private property. When we have
trace of it, it is a gift between private persons, given by the
father of the bride (or someone else) to her husband-to-be. lts
function is to contribute to his onera matrimonii. It becomes
his property, hut after death of the wife or dissolution ofmarriage
it must be given back. lts original function explains why in later
ages its principal aim became to guarantee an income to the
wife after dissolution of the marriage. This, by the way, made
Roman women less dependent on their husbands when they
had to contemplate divorce. Juridically dos can be regarded as
an advance payment of the daughter's patrimony. As a rule,
when her father died, it was deducted from her portion (collatio
dotis, cfr. Kaser, 1971 : 732). The duty to repay the dos after
dissolution of the marriage is affected by the presence of children,
in so far as the man may retain part of the dos for each child,
when the wife is responsible for the divorce (retentio propter
liberos : Kaser, 1971 : 338). But this is the opposite of the African
system.
To sum up, Congolese bridewealth represents a social system
that has no likeness with that of Rome. There are no traces of
African bridewealth in Rome (hut see MacCormack, 1978 c: 194),
nor of the dos system in Zaïre. Neither is really imaginable in
the other system. The wider social effects of both systems -
which can be very detrimental for women - are different too.
174 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

The duty to pay dos may put the father of daughters in debt
or may force him to keep hls daughters unmarried. The possibi-
lity of receiving bridewealth for them makes daughters assets
which sometimes can be exploited rigorously.
How, then, could information about the functions of Congolese
bridewealth shed any light on those of early Roman dos 1 I do
not intend to deny all similarity. In Rome, for instance, the fact
that dos was given, was regarded as proof that the cohabitation
of some man and woman was marriage, not concubinage (Kaser,
1971 : 80 note 37). Likewise, in Zaïre handing of bridewealth
may be regarded as proof for the existence of a marriage
(Dekkers, 1965 a : 244). But such similarity is deceptive. It
does not have to be explained in terms of structure and function.
It is especially misleading to formalize it in Western positivistic
juridical terms by stating that one of the "functions" of bride-
wealth and dos is to prove the existence of marriage. This means
mixing up cause and effect. Clearly the use of both phenomena
as proof is quite secondary.
Von Benda-Beckmann (1979 : 56) speaks about a praesumptio
similitudinis forming the basis of comparative legal research.
The same may be supposed behind most comparisons of early
and primitive law. The roots of it lie deep in the history of Euro-
pean (legal) thought. According to seventeenth century more
geometrico thinking true knowledge of society is knowledge of
causes and effects, of universally observable laws, of axioms
from which every element of the system can be deducted.
Although this idea was gradually modified and refined, and
finally given up by many positivists altogether (e.g. Roebel,
1954 : 288), it still is behind a great deal of social research. In
history of law it has had its adherents in the heyday of positivism
(see e.g. van den Bergh, 1979 a).
1. Natura! law thinking suggests that there are fundamental
needs which bring man to accept rules that apply in all societies.
In some modern positivist theories of law, like Hart's there
remains as residual element a "minimum content of natura!
law" (see MacCormack, 1978 b : 224ff.).
2. The historica! school, while criticising natura! law theories
(or rather the Enlightenment politica! aims based on them), did
not change the method of research. Historica! linguistics (the
EARLY AND PRIMITIVE LAW 175

name is misleading, see Ardener, 1973) looked for objective laws


of language development. It framed the idea of families and
smaller groups of languages which are related, develop out of
each other according to strict laws, and therefore have similar
structure. This concept was brought from the field of linguistics
to that of law by historica! jurisprudence (Krader, 1966 : 5;
Stein, 1980 : 91). It has also influenced someone like van Vollen-
hoven (1920).
3. Evolutionary thinking in legal theory could quite easily
be grafted on natural law concepts (see Stein, 1980 : lfI.).
Theories about the development of law and the state, property
and contract, as voiced in the last decennia of the nineteenth
century (Morgan, Engels, Felix) remain well within the frame-
work of natural law thinking, although that pedigree often seems
to have been forgotten (van den Bergh, 1979 c : 85:ff.).
No doubt the modern structure-functionalist paradigm is more
refined than that of seventeenth century natural law, having
integrated elements from historicist and evolutionary theories.
But many theories, even positivistic ones, share the same basic
presumptions of more geometrico thinking about society, from
the seventeenth century till our day :
1. Society is an ordered whole, a system, a state of equili-
brium;
2. The only way to explain that whole, is to take it apart
and study the working of its elements ;
3. Just as matter is made up of atoms, society in the last
resort is made up of indivisible elements : individuals ;
On these assumptions, combined with causation and function
as paradigms of scientific explanation, for natural law thinkers
there only remained two questions to be discussed :
1. What caused individuals to unite in civil societies (c.q.
states)?
2. By what mechanisms are societies held together and by
what do they reproduce themselves?
Other fundamental questions, e.g. whether society really is
an ordered whole (which seems rather doubtful at times) cannot
be discussed within this paradigm. Naturally to both questions
176 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

an immense variety of answers has been given, from the appetitus


societatis of Grotius to modern, highly sophisticated exchange
theories, from theories about the role of religion or division of
labour to theories concerning economie exploitation or social
control.
By the middle of the eighteenth century it had become clear
that such general explanations could not satisfactorily explain
the immense variety of social phenomena. Experiences from
ancient history (e.g. the rise and fall of the Roman empire)
and from foreign countries (the American lndians being the
most striking example) brought two questions of dynamics into
the discussion :
1. What causes the rise and fall, integration and desintegration
of societies 1
2. How can differences between various societies with regard
to technica! skills, economie development, culture, etc. be
explainedî
These questions lead to the formulation of evolution theories
(see Stein, 1980). The basic model of such theories is relatively
simple. Societies are supposed either to go through different
stages of development (hunting, pastoral, agricultural, commer-
cial), or through cyclinal or linear processes of growth and decay,
or both. Instead of assuming that in all societies the same basic
needs produce the same elementary rules, evolutionistic theories
allow for different roads as well as degrees of development.
Relativistic theories like that of Benedict and Hoebel go one
step further by accepting that there are many possible answers
to any basic need and that every culture shows a specific pattern
of interrelated answers. Structuralist thinking finally gave up
the aim of reconstructing the evolution of society altogether,
hut not quite the fundamental assumptions of more geometrico
thinking about society. A seventeenth century natural law pro-
fessor redivivus would certainly admire modern theories about
law as social control as an achievement, hut one can hardly
imagine that he would be amazed by them.
The ups and downs ofthis line ofresearch do not have to bother
us here (see now Stein, 1980; Capogrossi Colognesi, 1976). lts
problems are well known. For one thing, this analytica! history
of society, though inspired by a model of the natural sciences
EARLY AND PRIMITIVE LAW 177

(Stein, 1980: 26 points at "natural history" as name for biology;


cfr. Capogrossi Colognesi, 1976 : 77, 79), never succeeded in
producing hypotheses open to empirica! falsification. Nor did
it seem able to formulate laws that apply universally and still
seem anything more than truisms (cfr. Atkinson, 1978 : lll).
Historians jealously guarding the identity of their profession
have made much of that criticism. For a long time it has been
held that social phenomena could not be explained as natural
phenomena, hut only understood by interpreting them (cfr. e.g.
Seiffert, 1975 b : 108). That is, historica! sciences do not need an
analytica! hut a hermeneutical methodology (cfr. e.g. Wieacker,
1980 a: 522). Naturally strict adherence to that principle would
mean denying the possibility of formulating general laws or,
what amounts to the same, the validity of comparative data
(Seiffert, 1975 b : 143, 145). Any phenomenon can only be
understood on its own terms.
But this is a position which seems difficult to maintain now
(cfr. e.g. Patzig, 1978 : 168; Albert, 1976 : 56; Atkinson, 1978 :
102ff.). Even if there are no general laws which offer a sufficient
explanation for the fact that Justinian on December 16, 533
promulgated the Digest, every narrative about that event con-
tains a great number of assumptions and generalisations concer-
ning conditions and motives which can help to explain it. If
only through the necessity of using a language of his own, any
historian is forced to bring into his description elements which
are foreign to the events he is describing.
This is not the place to discuss the vexed question of analytica}
versus hermeneutical method (see e.g. Seiffert, 1975 a : 198ft'.;
1975 b : 89ft'. ; Albert, 1976 : 52ff. ; Apel, 1968; 1978; Wieacker,
1980 a). To say the least, it seems impossible to identify sciences
as either analytica! or hermeneutical (Albert, 1976 : 60). Choice
of method depends on definition of the problem concerned. In
the social sciences and humanities both methods are applied.
In the science of history, too, we find close cooperation of analy-
tica} and hermeneutical methods in nearly all branches (Schieder,
1977 : XXX). Hermeneutical understanding may satisfy (some-
times for ages) our curiosity concerning the causes of certain
historie events, and vice versa causal explanations may seem
to make hermeneutical guesswork superfluous. But theoretically
analytica} explanations can no more falsify hermeneutical under-
178 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

standing than the latter can make analytica! explanations redun-


dant. Historians use various kinds of explanations, and the search
for covering laws, if usually not as promising as the search for
the actors' reasons, is not altogether ahistoric (Atkinson, 1978 :
104). The ambition of looking behind the back of the actors for
the objective structures, functions and processes which can
explain their actions, remains a legitimate pursuit in history
as well as in science. And in fact history of law, as Wieacker
(1980 b : 581) rightly points out, has always been interested
rather - and now more than ever - in typical structures, such
as systems of normative propositions, institutions and mecha-
nisms of control, than in the individual events, acts and situa-
tions on which traditional idiographic history concentrates.
What remains are problems of evaluation in every specific
case. Scientific history has gradually grown more critica! as
regards the elements that may be introduced in an explanation,
and rightly so. I still believe that data from African or Asian
systems of primitive law can only be used to fill gaps in uur
knowledge of early Roman law if both systems can plausibly
be shown to have the same background conditions, e.g. belong
to the same family of legal systems, have the same overall
structure (patrilineal/matrilineal ; segmentary /monocratie), the
same ecological conditions, forms of socio-economical organisa-
tion, degree of technica! development, etc. In other words, com-
parative data can only supply necessary condition explanations,
never su:fficient condition explanations, that is, they can show
what could have been the case, not what must have (cfr. Atkin-
son, 1978 : 104). But this in itself is not enough to discredit com-
parison altogether. It is an error to think that in science only
sufficient condition explanations are allowed. Not even all natura!
sciences do conform to that ideal (Seiffert, 1975 a : 151).
But there is something more to be said in this context. Modern
theories of science often discern two stages in the process of
research (Majer, 1978; Wieacker, 1980 a: 521). In the first phase
we are beginning to realize the existence of a problem and are
trying to reduce it to a workable hypothesis. This is usually
called the context of discovery. Secondly, there is the phase in
which hypotheses are tested, in order to verify or falsify them,
and theories are built (context of justification). Now in the
context of discovery, the phase of inventio (to borrow a phrase
EARLY AND PRIMITIVE LAW 179

from the theory of rhetoric), there are no "rules". Inevitably


the hlstorian will start perceiving historica} events in the light
of hls own life experience and formulate them in a set of anachro-
nistic concepts, without being aware of this. The richer his
experience, the better for hlm. In the context of discovery
concerning, for instance, some theory on early Roman law, all
available knowledge about other legal systems, early, primitive
or what, is essential. A theory which is not based on a familiarity,
with discussions in related fields of social science is just a waste
of time. It only serves to arouse suspicions about the ideological
interest involved in formulating it.
Looking at early Roman law without knowledge of contempo-
rary social anthropology simply means that one is lead uncon-
sciously by antiquated ethnological theories which have grown
into commonplace beliefs. There is no other possibility : we
cannot interpret any text or formulate any theory without tacitly
or explicitly assuming a number of genera} conditions as well as
individual background conditions. Any theory about early Ger-
manie law, for instance, implies the assumptions that law is
an universally observable phenomenon, that legal systems reflect
economie conditions, that primitive societies have certain charac-
teristics, that data from different Germanic tribes may be com-
bined in one theory, that Tacitus is trustworthy in at least
some respects, etc.
I think the work of Dekkers has some meaning in this context.
lf hls comparisons may be criticized, one does not find in his
writings such statements as one finds, e.g., by Kaser (1964 : 335
"The natura} distrust between litigant parties must have been
much greater still in primitive times."), Tellegen (1979 : 395
"In a primitive society one normally took one's revenge by a
vendetta. As soon as laws were invented thls custom carne to
an end."), or van Eikema Hommes (1975 : 15 "In primitive
legal systems principles of equity, good faith, licit cause, guilt
and risk are lacking."). lf legal history builds its hypotheses
on such ideas, which can be falsified from any textbook of social
anthropology, one certainly cannot expect it to contribute much
to the advancement of knowledge.
The distinction between context of discovery and justification
does help us some way toward a better understanding of the
possibilities and limitations of comparative method in hlstory
180 G. C. J. J. VAN DEN BERGH

of law, but it does not solve all our problems. The use of social
anthropology in legal history is not, in most cases, to provide
us with facts unknown from our historica! sources (virtually no
historian will unconditionally accept such facts), but rather to
offer alternative schemes of interpretation with which the histo-
rian can construct his narrative. According to Thomas (1963 :
6ff.), the first lesson the historian can learn from anthropology
is a very elementary one : any topic (religion, economics, law,
etc.) must be treated in close relation with other topics and in
the context of society as a whole.
MacCormack (1969 a : 456) points out that the usual inter-
pretations of formalism, symbolism and magie in early Roman
law are based on general assumptions about the beliefs of primi-
tive man, which are falsified by modern social anthropology. In
the same way Hägerström's magical view of Roman law is
falsified (MacCormack, 1969 b : 153 ff.). In 1971 MacCormack
seems to go one step further. He claims (1971: 224) that << enforce-
ment of right >> is not the only possible viewpoint from which
to interpret the data concerning early Roman litigation, and
in fact not the most plausible one, in view of the fact that
primitive litigation, as known from Africa, as a rule does not
aim at enforcement of right but at reconciliation of parties (cfr.
Bohannan, 1967 : 53; David, 1973: 576; Strijbosch, 1980: 170).
He tries to prove that we get a more adequate and realistic idea
of early Roman litigation if we interpret it in the matrix of
<< reconciliation >>. He argues in the same way with regard to

the interpretation of ooemptio (MacCormack, 1978 c : 197, 194f).


Now what is the status of such general schemes of interpreta-
tion? It may be in order to use them for falsifying existing
theories (cfr. van den Bergh, 1974 : note 25), but no more than
the obsolete assumptions about primitive man just cited can
they be generalised as "primitive" data on which laws about
the evolution of society can be built. What is their status when
they are used for the reconstruction of early history? Apparently
they are neither facts nor theories ; they cannot be falsified in
the way hypotheses are. Maybe we judge them mainly by criteria
of economy and elegance. Do they allow us to organise all avai-
lable data in an harmonious and convincing narrative, with the
least possible number of exceptions and artificial explanations?
I will not go into the theoretica! problems that are involved
EARLY AND PRIMITIVE LAW 181

here. What seems important for the moment is to conclude


that the main contribution of social anthropology to the study
of early law may well lie in the possibilities it offers for the
falsification of generalized assumptions about primitive man, as
well as in the alternative schemes of interpretation it presents
to the legal historian (cfr. Watson, 1975 : 7). As a rule, data
from primitive peoples will not be adequate to prove that the
early Roman legal system did work in a certain way, but that
is not a su:fficient reason for ignoring them. Undoubtedly they
offer a richer and more sophisticated matrix for discussing the
question, how we might come nearer an understanding of its
working? In that light Dekkers's contribution, however defective
in some respects, remains worth remembering.

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De onuitgegeven werken
van de Vlaamse jurist Georges de Ghewiet
DOOR

G. VAN DIEVOET
HOOGLERAAR AAN DE KATHOLIEKE UNIVERSITEIT
LEUVEN

In de Bibliotheca Belgica Juridica citeerde wijlen Prof.


R. Dekkers enkele werken van Georges de Ghewiet met de opmer-
king : ,,vermeld in / nstitutions (du droit belgique) ... ". Het betrof
het "Commentaire sur la coutume de Tournay", het "Recueil
des arrêts du Parlement de Flandre. Grand répertoire de Juris-
prudence" en "Le bon juge" (1). In de eerste helft van de
19e eeuw had J. Britz de aandacht van zijn lezers reeds gevestigd
op de onuitgegeven werken van De Ghewiet, waarvan hij de
handschriften niet had kunnen terugvinden (2). G. Nypels heeft
hierover niet meer ophelderingen kunnen verschaffen in zijn
biografisch artikel (3).
In feite zijn alle, zo niet de meeste handschriften van De Ghe-
wiet bewaard gebleven. Een korte beschrijving van een belang-
rijk aantal ervan kwam reeds voor in een artikel van J. Lepreux
over de handschriften van de openbare bibliotheek van het
Frans-Vlaamse stadje Sint-Winoksbergen en in de algemene
catalogus van de handschriften van de Franse openbare biblio-
theken (4).

(l) R. DEKKERS, ,.Bibliotheca Belgica Juridica", in Verhandelingen van de Kon.


Vl. Acad. voor Wet., Lett. en Schone Kunsten van België, Klasse der Lett., jrg. XIII,
nr. 14, Brussel, 1951, p. 61.
(2) J. BRITZ, Hiatoire de la légialation et de la jurisprudence des provinces belgiques ,
Brussel, 1847, p. 3ll; ID., ,.Georges de Ghewiet, jurisconsulte de Flandre", in Revue
des revues de droit, X, 1847, p. 21-24. E. REGNARD nam deze gegevens over in zijn
bijdrage over Georges "Deghewiez" in HoEFER, Nouvelle biographie générale, XIII,
Parijs, 1855, kol. 363-364.
(3) G. NYPELS, in Biographie nationale, VII, Brussel, 1880-1883, kol. 725-727.
(4) Reeds in 1841 gaf A. J. G. LE GLAY de lijst op van de handschriften van De
Ghewiet, te Sint-Winoksbergen bewaard (Mémoire aur les bibliothèques publiques et les
principales bibliothèques particulières du Département du Nord, [Rijsel], 1841, pp. 199-
200). In 1851 beschreef J. LEPREUX die handschriften in een Notice aur les manuscrits
RENÉ DEKKERS. - 13
188 G. VAN DIEVOET

Kort na het overlijden van De Ghewiet in 1745, waren een


aantal van zijn handschriften in het bezit gekomen van Gervin
Ryckewaert, abt van Sint-Winoks en verwoed boekenverzame-
laar. Later heeft de stad Sint-Winoksbergen ze verkregen, na
de Franse Revolutie (5).
Het is bekend dat De Ghewiet in zijn I nstitiitions du droit
belgique verscheidene malen verwijst naar zijn andere werken.
Het lijstje dat door zijn vroegere biografen werd opgegeven en
dat door R. Dekkers is aangevuld met "Le bon juge" is nochtans
onvolledig. Een systematisch onderzoek van de tekst van de
Institutions levert het volgende resultaat op : 1° Commentaire
sur la Coutume de Tournai ; 2° J urisprudence du Parlement de
Flandres ; 3° Recueil des arrêts du Parlement de Flandres ;
4° Grand Répertoire; 5° Le bon juge; 6° Miscellanea (6). Al
deze werken, repertoria en verzamelingen worden bewaard in
de Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen, met uitzondering
van Le bon juge, waarvan alleen een gedrukt concept aanwezig
is (7).
In deze bijdrage worden de onuitgegeven werken, repertoria
en miscellanea van De Ghewiet in het kort beschreven, met

de la Bibliothèque de Bergues (Mémoires de la Société des Antiquaires de la Morinie, IX,


Se.int-Omer, 1851, nrs. 25-29, pp. 312-316). Een technisch betere beschrijving komt
voor in de Oatalogue général des man'II.Bcrits des bibliothèques puhliques de France.
Déparlements (XXVI, Parijs, 1897, pp. 667-669 en 671-673). Deze catalogus bevat
ook de beschrijving van de autograaf van de I nstitv.tions du droit belgique, die in de
Stadsbibliotheek van Rijsel bewaard wordt onder nr. 174 (thans 442) (XXVI, p. 124).
(5) HARRAU, Histoire politiqv.e et religie'II.Be de Bergues-Saint- Winoc dcpuis son
origine i'II.Bqv.'à nos iours, Bergues, 1912, pp. 213 en 220. Ryckewe.ert was abt van
Sint-Winoks van 1723 tot 1751. Over de lotgevallen van de kloosterbibliotheken van
Sint-Winoksbergen tijdens en ne. de Franse Revolutie, zie A. J. G. LE GLAY,
Mémoire, pp. 200-201 en J. LEPREUX, Notice, pp. 253-258.
(6)De Ghewiet vermeldt : ,,mon Comente.ire sur la Coûtume de Tournai" (lnsti-
tutions, Rijsel, 1736, pp. 53, 150, 212, 234, 260, 299, 359, 555); ,,me. Jurisprudence
du Parlement de Fle.ndres" (lnstitutions, Rijsel, 1736, pp. 8, 89, 140, 277, 522); ,,mon
Recueil des Arrêts du Parlement de Fle.ndres" (lnstitutions, Rijsel, 1736, pp. 8, 12);
"mon Grand Répertoire" (lnstitutions, Rijsel, 1736, pp. 18, 197); ,.mon Tre.ité intitulé
Ie Bon Juge" (lnstitutions, Rijsel, 1736, p. 479); ,, ... un Mémoire, que j'e.i in Miscel-
le.neis ... J'e.i !'arrêt extendu in Miscellaneis ... J'e.i une expédition de !'arrêt in
Miscelle.neis ... un des faetons que j'ai in Miscelle.neis ... une consultation ... que j'ai
in Misoellaneis ... deux Turbes, que j'ai in Miscellaneis ... j'ai une expédition in
Miscelle.neis ... J'ai une copie de l' Arrêt in Miscellaneis ... " (lnstitutions, Rijsel, 1736,
pp. 51, 65, 122, 215, 376, 471, 490, 498).
(7) Les 00'U8tumea, stils et '11.Bages de la Ville et Cité de Tournay ... commentécs par
M. Georges De Ghewiet (Bergues, Stadsbibliotheek, hss. nrs. 72-73); Jurisprudence du
Parlement de Flandre (hs. nr. 65); Arrets du Parlement recuillis par Messieurs de
Flines ... et par moi (hs. nr. 64); Grand repertoire de M. George De Ghewiet ... (hss.
nrs. 66-71); Le bon iuge (,,canevas") (gedrukt stuk in hs. nr. 72); MisceUanea (hss.
nrs. 31-55).
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWJET 189

opgave van hun inhoud en strekking, evenals van de gebruikte


methode. Vooraf worden enkele gegevens verstrekt over het
leven van de auteur en over zijn uitgegeven werken.

De auteur.
Georges De Ghewiet werd geboren te Roeselare op 24 november
1651 en werd er gedoopt op 27 november van hetzelfde jaar (8).
Zijn vader, Olivier De Ghewiet, was toen luitenant-baljuw van
de st~d Roeselare (9). Later, in 1653 of 1657, werd deze laatste
,,crickhouder" van de stad en kasselrij Veurne (10). Zijn groot-
vader, Jan De Ghewiet, was tevoren reeds schout van Roese-
lare (11). Hij behoort dus tot een familie van grafelijke ambte-
naren.
Over de studies van Georges De Ghewiet is weinig bekend.

(8) Stadsarchief van Roeselare, Parochieregisters, Doopregister 1639-1654. Tradi-


tioneel wordt opgegeven dat hij te Gent zou geboren zijn in 1651 (J. BRITZ, Histoire
de la législation, p. 306; ID., Georges de Ghewiet, p. 21; E. REGNARD, in Nouvelle
biographie générale, kol. 363; G. NYPELS, in Biographie nationale, kol. 725; R_ DEKKERS,
Bibliotheca Belgica Juridica, p. 61). In de doopregisters van de Gentse parochies is
geen Georges de Ghewiet vermeld voor het jaar 1651. De vergissing komt waarschijn-
lijk voort uit het feit dat zijn ouders, Olivier de Ghewiet en Maria de Loose, te Gent,
in de parochiekerk van Sint-Niklaas, gehuwd zijn op 27 februari l6ö0 (Stadsarchief
Gent, Parochieregister nr. 140, Huwelijksregister van Sint-Niklaas 1605-1653).
Over het leven en het werk van De Ghewiet zie ook : G. VAN DrnvoET, ,,Georges
de Ghewiet", in Nationaal biografisch woordenboek, VI, Brussel, 1974, kol. 340-347.
(9) Olivier de Ghewiet wordt als luitenant-baljuw of onderbaljuw van de stad
Roeselare vermeld in een proces voor de Raad van Vlaanderen te Gent. Hij zou op
27 juni 1651 een zekere Jonkheer Niklaas Gabriel Lernout gevangen genomen hebben
op het kerkhof te Roeselare (Rijksarchief Gent, Raad van Vlaanderen, nr. 12486).
(10) Olivier de Ghewiet wordt als "crickhouder" van de Stad en Kasselrij Veurne
vermeld in achttiende-eeuwse lijsten van die vorstelijke ambtenaren, met ingang van
het jaar 1653 (Stadsarchief Veurne, nr. 91, Liste van de krickhouders der Stede ende
Lande van Veuren en Veureneambacht) en van het jaar 1657 (Stadsarchief Veurne,
nr. 322, Registre inhoudende diversche previlegien ... , aan het einde). In de doopakte
van zijn dochter Catharina Maria op 24 augustus 1659 wordt hij "chrickouderius"
genoemd. Hierbij trad Georges de Ghewiet als peter op. Over de taak van de crick-
houder te Veurne, zie F. DE POTTER, E. RONSE en P. BoRRE, Geschiedenis der Stad
en Kastelnij van Veurne, I, Gent, 1873, pp. 84-86. Olivier de Ghewict wordt als
crickhouder van Veurne vermeld in een proces over straatschouwingen voor de Raad
van Vlaanderen in 1663-1664 (J. BuNTINX, Inventaris van het Archief van de Raad van
Vlaanderen, III, Brussel, 1966, p. 109, nr. 14931).
(11) Jan de Ghewiet, schout van de Stad en het Ambacht Roeselare, werd op
11 mei 1648 als poorter van Roeselare aanvaard (Stadsarchief Roeselare, Poorters-
boek nr. 1). In de begrafenisakte van 26 september 1670 wordt hij als "schultetus
huius oppidi" vermeld (Parochieregisters van Roeselare, Begrafenisregister 1664-1674).
In de procesbundels van de Raad van Vlaanderen komt een Jan de Ghewiet, extra-
ordinair deurwaarder van de Grote Raad, te Gistel residerende, voor in het jaar 1638
en een Jan de Ghewiet, schout van de Stad en het Ambacht Assenede, in het jaar
1648 (J_ BUNTINX, Inventaris van het Archief van de Raad van Vlaanderen, II, Brussel,
1964, p. 183, nr. 11092 en p. 246, nr. 12018; VII, Brussel, 1977, p. 106, nr. 33r,27).
Mogelijk betreft het hier ook de grootvader van Georges de Ghewiet.
190 G. VAN DIEVOET

Hij zou de graad van licentiaat in de rechten te Orléans hebben


behaald op 26 oktober 1673. In een van zijn werken schrijft
hij dat hij in 1671 te Gent in de praktijk was. Hiermee kon hij
niet bedoelen dat hij het beroep van advocaat uitoefende.
Misschien heeft hij toen gewerkt op het kantoor van een procu-
reur (12). Op 12 maart 1676 zou hij de eed hebben afgelegd als
advocaat bij de Soevereine Raad van Doornik. Hij heeft gedu-
rende meer dan een halve eeuw het beroep van advocaat uit-
geoefend, eerst te Doornik (van 1676 tot ca. 1711) en later te
Rijsel (van ca. 1713 tot ca. 1734). Eerst was hij ingeschreven
bij de Soevereine Raad van Doornik, die sedert 1686 omgevormd
werd tot Parlement van Doornik en later bij het Parlement de
Flandre te Cambrai en te Douai (13). Hij heeft de wijzigingen
in de rechterlijke organisatie meegemaakt in Vlaanderen en het
Doornikse, ten tijde van de veroveringen van Lodewijk XIV.
In de uitoefening van zijn beroep heeft hij zich steeds aangepast
aan de successen van de Franse legers. Voor een tweetalig advo-
caat was zulks een buitenkansje. Hij kon zowel de zaken uit
de Franstalige als uit de Nederlandstalige gewesten behandelen.
Na de ontruiming van een deel van de Zuidelijke Nederlanden
door Lodewijk XIV in 1709-1710, vestigde hij zich in 1711 of
1712 te Rijsel en bleef alzo onder het gezag van de Franse
koning (14).

(12) In zijn Métode pour étudier la profession d'avooot (art. 44) raadt hij de jonge
licentiaten aan om zich in de praktijk te bekwamen op het kantoor van een procureur
(lnstitutions du droit belgique, Rijsel, 1736, p. 596).
( 13) Zijn loopbaan als advocaat kan men opmaken uit de ca. 170 toespelingen
erop in zijn werk (lnstitutions du droit belgique, Rijsel, 1736, pp. 8, 18, 22, 27, 29,
32, 41-42, 43, 44, 48, 51, 68, 70, 73, 88, 88-89, 89, 90, 94, 99, 101, 103-104, 107, 112,
113, 114, 117, 121, 124, 131, 133, 137-138, 142, 146, 149, 159, 161, 163, 165, 170, 174,
177, 179, 186, 187, 195, 197, 200, 201, 206, 208, 215, 217, 219-220, 221, 222, 227, 229,
230, 233, 235, 236, 250, 255, 256, 265, 272, 273, 283, 285, 292-293, 294, 310, 321, 322,
323, 324, 326, 331, 333, 347, 348, 353, 354, 355, 364, 366, 369, 370, 371, 372, 376, 377,
378, 379, 384, 388, 391, 394, 403, 405, 406-407, 410, 410-411, 412, 420, 434, 435, 436,
437, 438, 445, 451, 454, 457, 458-459, 460, 462, 463, 464, 465, 468, 469, 472, 477, 480,
482, 483, 484, 485, 486, 501, 502, 506, 510, 514, 515-516, 519, 520, 522, 528, 529, 530-
531, 553, 559, 587) en uit zijn gedateerde memories en conclusies die bewaard worden
in zijn verzameling Miscellanea (Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen, hss. 31-55).
(14) Op 6 november 1711 kocht hij het poorterschap van Rijsel (Stadsarchief Rijsel,
Poortersboek). Hij wordt in de akte vermeld als "George de Ghewiet, ancien avocat
demeurant a Tournay". Zijn vrouw, Marie Agnes Pollet, dochter van een Rijsels koop-
man, Jean Pollet, was in 1669 geboren te Rijsel. Deze gegevens uit de genealogie
Pollet werden ons welwillend meegedeeld door het Stadsbestuur van Rijsel. In de
Jnstitutions du droit belgique laat De Ghewiet verscheidene malen blijken van zijn
bewondering voor de Franse koningen, Lodewijk XIV en Lodewijk XV (Rijsel, 1736,
pp. 5, Il, 543 en 549) : ,, ... Ie Roi Louis Ie Grand, de qui j'ai quelquefois dit à mes
amis, lorsqu'il vivoit, Qualem non vidit antiquitas, nee credet posteritas, nos miramur ...
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 191

De Ghewiet heeft de Franse Ordonnance criminelle van augus-


tus 1670 in het Nederlands vertaald. De vertaling verscheen te
Doornik in 1679 (15). In zijn Institutions schreef hij dat zijn
vertaling niet veel nut opleverde, omdat enkele jaren nadien
door de Franse koning een edict werd uitgevaardigd, waarbij
verboden werd in het rechtsgebied van de Raad van Doornik
in een andere taal dan de Franse te pleiten of te concluderen (16).
Na 1685 mochten de getuigenverklaringen zelfs niet meer in
de taal van het gewest worden opgetekend (17).
Omstreeks 1680 werd De Ghewiet benoemd tot substitut parti-
culier van de procureur-generaal bij de Soevereine Raad te
Doornik (18). Later, in 1685 en 1686, wordt hij vermeld als

cela soit réservé au règne heureux de notre Grand Monarque Louis XV . . . notre
Glorieux Monarque Louis XV ... Notre Glorieux Monarque, aujourd'hui regnant ... ".
Over de lotgevallen van de Oonaeil Souverain te Doornik en het Parlement te Doornik,
Kamerijk en Douai, zie o.m. G. M. L. PILLOT, Histoire du Parlement de Fl,andrea,
2 delen, Douai, 1849.
(15) Ordonnantie van Louis den XIV Coninck van Vranckeryck ende van Navarre,
om de criminele materien, ghegheven tot S. Germain in Laye, in de maendt van Maerte
1679 ende gheaonden aen den Souverainen Raedt van Doornycke om de aelve te doen
onderhouden ende executeeren binnen de limiten van ayn reaaort. Overgheaet, ende ghedruckt
in het vl,aemach met permiBBie van Syne Oonincklicke Majeateyt, Doornik, 1679. De ver-
ordening zelf werd te Doornik afgekondigd in 1679 (M. PINAULT DES JAUNAUX,
Hiatoire du Parlement de Tournay, pp. 52-53).
(16) Inatitutiona du droit belgique, Rijsel, 1736, p. 577. Het bedoelde edict van
Lodewijk XIV van december 1684 ontbreekt in de uitgave van de Franse koninklijke
verordeningen door DEcBUSY, IsAMBERT en JoURDAN, Recueil général des anciennea
loiB françaisea depuia l'an 420 juaqu'à l,a Révolution de 1789, deel XIX, Parijs s.d.
De Koning voerde aan dat men verplicht was voor de zaken die in eerste aanleg te
Ieper en in de andere steden van West-Vlaanderen in het Nederlands (en langue
Flamande) behandeld waren, Franse vertalingen van de processtukken te laten opma•
ken, zelfs voor zaken van gering belang en dat ongetrouwe vertalingen een gevaar
opleverden voor het leven, de eer en de goederen van de procespartijen. Om die reden
of onder dat voorwendsel werd aan alle advocaten en procureurs verboden, met ingang
van 1 maart 1685, het Nederlands nog te gebruiken voor pleidooien, conclusies en
andere procesakten en aan de rechters voor de vonnissen, op straffe van nietigheid
en vervolging wegens ongehoorzaamheid aan de Vorst (M. PINAULT DES JAUNAUX,
Hiatoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, pp. 102-103). A. CBOQUEZ
(La Fl,andre wallonne et les paya de !'intendance de Lille aoua LouiB XIV, Parijs, 1912,
p. 147) schrijft dat er twee Vlaamse raadsheren, die goed de taal en de praktijk
van hun gewest kenden, in de Soevereine Raad waren vanaf zijn oprichting, Odemaer
en Mondet, en dat de Intendant, Michel Ie Peletier, in 1682 betreurde dat zulks niet
meer het geval was.
( 17) Het Parlement de Flandre gaf de voorkeur aan de onmiddellijke overzetting
van de getuigenverklaringen in het Frans door een tolk, boven de vertaling van het
proces-verbaal (Institutions du droit belgique, Rijsel, 1736, pp. 461-462).
(18) De Ghewiet schrijft verscheidene malen in de Inatitutiona du droit belgique
dat hij aubatitut particulier van procureur-generaal de la Hamayde is geweest (Inatitu-
tiona, Rijsel, 1736, pp. 27, 86, 551 en 579). Hij vermeldt hierbij als datum 1680,
1682 en 1692. Jean de la Hamayde werd tot procureur-generaal bij de Soevereine
Raad te Doornik aangesteld op 8 augustus 1674 en is overleden in 1688. De vermelding
van 1692 berust dus op een vergissing. Misschien is 1682 bedoeld (M. PINAULT DES
192 G. VAN DIEVOET

"conseiller référendaire de la Chancellerie près le Parlement de


Flandres" te Douai. In 1734 of 1735 kreeg hij de eretitel van
dit ambt. In zijn hoedanigheid van conseiller référendaire was
hij belast met het onderzoek van de verzoekschriften tot het
bekomen van Lettres de justice of lettres de chancellerie. Hij genoot
aldus enkele geringe voorrechten in verband met de belastingen.
Het ambt was verenigbaar met het beroep van advocaat (19).
Op 22 mei 1691 huwde hij in de 0. L. Vrouwkerk te Doornik
met Marie-Agnes Pollet, dochter van Jean Pollet, koopman te
Rijsel. Zijn vrouw was de nicht van Jacques Pollet, die later
raadsheer in het Parlement de Flandre werd en bekend is als
auteur van een verzameling arresten van het Parlement (20).
De Ghewiet citeert herhaaldelijk het werk van Pollet en heeft
er veel aan ontleend voor zijn Jurisprudence du Parleme.nt de
Flandre.
Aan het eind van een lange loopbaan kreeg De Ghewiet van
Lodewijk XV de eretitel van conseiller du Roi. In enkele hand-
schriften noemt hij zichzelf "heer van Blinville". Hij is overleden
te Rijsel op 18 juli 1745 en werd er begraven in de kerk Saint-
Maurice op 20 juli daarna (21 ) .

•JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, pp. 30 en 138;


G. M. L. PILLoT, Histoire du Parlement de Flandre8, Douai, 1849, I, p. 306).
(19) Op het titelblad van de lnstitutions du droit belgique (Rijsel, 1736) staat :
,,Référendaire Honoraire en la Chancellerie", op het titelblad van hs. nr. 65 (Juris-
prudence du Parlement de Flandre) staat hetzelfde, op dat van hs. nr. 66 is vermeld :
"Referende.ire ... au Parlement de Flandre". In de lnstitutions schrijft hij over zijn
taak als "conseiller référendaire (de la Chancellerie)" (Rijsel, 1736, pp. 357, 506, 519
en 585). Hij vermeldt hierbij als datum 1685 en 1686. Het ambt van referendaris bij
de kanselarij werd te Doornik ingesteld bij het edict van Lodewijk XIV van december
1680. De eerste aanstellingen gebeurden in oktober 1681 (M. PINAULT DES JAUNAUX,
Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, pp. 67-71 en 81). De taak van
de referendaris wordt beschreven in CL.-J. DE FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de
'jYl"atique, II, Parijs, 1771, i.v. Référende.ires, pp. 525-526.
(20) Jacques Pollet (0 1645 - t 1713) was "Conseiller au Bailliage de Tournay", toen
hij op 31 oktober 1689 aangesteld werd tot raadsheer in het Parlement van Doornik
(M. PINAULT DES JAUNAUX, Histoire, Valenciennes, 1701, p. 143; G. M. L. PILLOT,
Histoire du Parkment de Flandres, I, Douai, 1849, p. 224). Hij is overleden in 1713.
Zijn werk, ArrestB du Parlement de Flandre, verscheen postuum te Rijsel in 1716
(R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 136 en M. HUISMAN, in Biogr. nat.,
XVII, kol. 914-915). Zie ook Ph. GoDDING, L'origine et l'autorité des recueils de furiB-
'Pf"Udence dans les Pays-Bas Méridionaux (Xllle-XVllle siècles), Brussel, 1970, pp. 20-
21 en n. 73 (overdruk uit RapportB belges au Vllle Congrès international de droit
com-paré, Pe8cara, 29 août - 5 septembre 1970). Van J. PoLLET wordt een handschrift
bewaard in de Koninklijke Bibliotheek te Brussel onder de titel Annotation generalle
aur les matières de droicts onder nr. 4759 (J. VAN DEN GHEYN, Catalogue des manuscrits
de la Bibliothèque Royale de Belgique, IV, Brussel, 1904, nr. 2793, p. 194).
(21) Parochieregisters Rijsel, Begrafenisregister van Saint-Maurice. In de akte wordt
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 193

De uitgegeven werken.
Buiten de Nederlandse vertaling van de Franse criminele
verordening van 1670, verschenen twee werken van De Ghewiet
in druk : het Précis des institutions du droit belgique en de I nstitu-
tions du droit belgique.
Het Précis des institutions du droit belgique, par raport princi-
palement au ressort du Parlement de Flandres verscheen, zonder
vermelding van auteur, te Rijsel in 1727. Het werd herdrukt
te Brussel in 1732, 1750 en 1759 (22). De titel ervan beantwoordt
vrij goed aan de inhoud, wat in mindere mate het geval is voor
de Institutions du droit belgique par raport tant aux XV II pro-
vinces, qu'au pays de Liège. Het Précis is niets anders dan een
eerste schets van de Institutions, die enkele jaren later verscheen.
De Ghewiet is vooral bekend als de auteur van de Institutions
du droit belgique (23). In dit werk trachtte hij een overzicht te
geven van het recht in de Nederlanden bij het begin van de
1se eeuw. Hierbij legde hij de nadruk op Vlaanderen en in het
bijzonder op de rechtspraak van het Parlement de Flandre. Hij
volgt in grote mate het plan van de Instituten van Justinianus.
Hij handelt achtereenvolgens over het recht en de bronnen van
het recht, het personen- en familierecht, het zakenrecht, de
schenkingen en testamenten, het erfrecht, de verbintenissen en
de overeenkomsten, de rechtsvorderingen, het gerecht en de
misdrijven. Niet alle onderwerpen worden even grondig bespro-
ken. Hij heeft een ernstige poging ondernomen om de rechts-
regels uit de diverse bronnen tot een geheel te verwerken :
Romeins recht, canoniek recht, Vlaams en ander gewoonterecht

hij vermeld als "George Deghewitte ... avocat du parlement et conseillier referendaire
à la chancellerie".
(22) De eerste uitgave verscheen te Rijsel in 1727 bij Charles-Louis Prevost. In de
titel van de Brusselse uitgave van 1732 (Simon t' Serstevens) is vermeld dat de tekst
van het Eeuwig Edict van de Aartshertogen van 12 juli 1611 erin is opgenomen.
Op het titelblad van de Brusselse drukken van 1750 en 1759 wordt meegedeeld dat
het boek is vermeerderd met de "Métode pour étudier la profession d'avocat". Die
,,Metode" was intussen, in 1736, verschenen in de Inatituti0111J.
(23) De eerste uitgave verscheen te Rijsel in 1736 bij Charles-Maurice Cramé
(quarto; 16 ongenummerde blz. : titelblad, opdracht aan advocaat-generaal R.-Fr.
Waymel du Parcq, inhoudsopgave; 597 blz. tekst; 59 blz. alfabetische index). Er zijn
een paar Brusselse herdrukken bekend. De eerste die bij Jean Moris verscheen, wordt
aangekondigd als "première édition in octavo, revue, corrigée et augmentée" (2 delen,
8°, VIIl-404 blz. tekst en 102 blz. inhoudsopgave, x-416 blz. tekst en 117 blz. inhouds-
opgave, privilege van 27 september 1758). Een andere is voorgesteld als "nouvelle
édition" met de vermelding "se vend à Douay chez Derbaix" (Brussel, s.d., 2 delen,
formaat in-16°, privilege eveneens van 1758).
194 G. VAN DIEVOET

uit de Nederlanden, verordeningen van de Spaanse en Franse


vorsten, rechtspraak van de Nederlandse justitieraden en van
het Parlement de Flandre. Hij is in dit opzet slechts gedeeltelijk
geslaagd. Over het recht van verscheidene gewesten, zoals
Groningen, Drente, Overijse} en Gelderland, verschaft hij bijna
geen informatie. De titel van het boek is enigszins misleidend.
De auteur geeft in dit werk veelal meer blijk van eruditie dan
van wetenschappelijk verantwoorde kennis. Het werk is bedoeld
als een beschrijving van het geldende recht en is bestemd voor
de praktijk (24).
Aan het einde van de J nstitutions is een M étode pour étudier
la profession d' avocat dans le ressort du Parlement de Flandres
afgedrukt (25). De Ghewiet wijst op de eenzijdig romeins-rechte-
lijke vorming van de studenten aan de universiteiten van de
Nederlanden. Hij wil dit verhelpen door de nieuwe licentiaten
ertoe aan te zetten hun gebrek aan kennis van het levende recht
aan te vullen door het lezen en bestuderen van een aantal
bronnen, zoals de plaatselijke costumen, de plakkaten van het
land, een goed commentaar op de costumen, door het inwinnen
van inlichtingen bij een procureur over de stijl van de rechts-
pleging, en door het bijhouden van goed geordende juridische
aantekeningen. Ten slotte raadt hij de jonge licentiaten aan
om zich op het kantoor van een advocaat en van een procureur
te oefenen in de redactie van procesakten. De Métode bevat
alleen praktische raadgevingen voor jonge afgestudeerden en
heeft niets gemeen met een werk over de beroepsplichten, zoals

(24) Het boek bevat honderden verwijzingen naar de rechtspraak en naar een groot
aantal werken van moderne auteurs. De opmerking van de uitgever van de Remarques
sur le Commentaire de M• Louis Le Grand, sur la Coutume de Troyes, à l'usage des
Pays-Bas Autrichiens et principalement du Duché de Brabant (Brussel, 1777, P- III)
is sterk overdreven : ,,De Ghewiet n'a fait qu'entasser des principes vagues et des
arrêts les uns sur les autres, sans nous donner la plus foible idée de l'esprit de nos
loix ... Je ne veux pas obscurcir Ie mérite de M. De Ghewiet, mais je soutiens que
son recueil, quelque bon qu'il puisse être, manque entierement son hut". De Remarques
zijn van de hand van Goswin de Wynants. De identiteit van de uitgever is niet
bekend. Een meer gerechtvaardigde kritiek op de titel van het werk wordt uitgebracht
door J. NAUWELAERS in zijn Histoire des avocats au Souverain Conseil de Brabant
(I, Brussel, 1947, p. 66).
(25) Institutions, Rijsel, 1736, pp. 589-597. Een ontwerp van tekst voor de Métode
is te vinden in het handschrift van de Juris-prudence du Parlement de Flandre (Stads-
bibliotheek van Sint-Winoksbergen (Bergues, Nord), hs. nr. 65, f 0 944 r 0 -946 r°). Het
handschrift van de Institutions, dat vermoedelijk gediend heeft voor de druk, bevindt
zich in de Stadsbibliotheek van Rijsel, onder nr. 174 (thans 442) (Catalogue général
des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897,
p. 124).
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 195

de Imago veri advocati van de Gentse advocaat Valentijn de


Roose (26).

De onuitgegeven werken.
Zoals hierboven vermeld bestaan de bewaarde handschriften
van De Ghewiet uit een commentaar op het gewoonterecht van
Doornik, twee geannoteerde verzamelingen van rechtspraak, een
alfabetisch ingericht juridisch repertorium, een concept voor
een werk over de rechter en een zeer uitgebreide verzameling
van adviezen en memories van advocaten en van kopijen van
werken van andere auteurs.

I. Oommentaire sur la Ooutume de Tournai.


« Les coustumes, stils et usages de la Ville et Cité de Tournay,
pouvoir et banlieu d'icelle, commentées par M. Georges De
Ghewiet avec les conférences de toutes les coustumes voisines,
et une très ample table des matières >>. Papier, 17e eeuw, twee
delen, in folio, 810 (+bladen A-K) en 824 ( + bladen A-D)
bladzijden, gegraveerd portret (hs. 72, fo F v 0 ), wapenschild
(hs. 72, p. 1 en hs. 73, fo D r 0 ) en handtekening van De Ghewiet
(hs. 72, p. 1). Frans en Latijn. 375 op 246 mm. Oude lederen
banden (27). (Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen (Bergues,
Nord), hss. 72-73).
De tekst van de artikelen van de gehomologeerde costumen
van Doornik is in de oorspronkelijke Franse versie opgenomen.
Het commentaar van De Ghewiet is meestal in het Latijn, soms
in het Frans gesteld. De tekst van de artikelen wordt telkens
voorafgegaan door een samenvatting en gevolgd door verwij-
zingen naar soortgelijke bepalingen in andere costumen, evenals
door uitvoerige aantekeningen. Bij het commentaar neemt de
auteur de volgorde van de titels, de artikelen en zelfs van de
zinsneden van de costumen van Doornik in acht.
De geciteerde costumen (statuta similia) blijken bijna alle
Vlaamse te zijn en in de eerste plaats zijn het die van Rijsel
(stad en "Salle"), Gent, Douai en Orchies. In mindere mate
verwijst hij naar die van Brugge, Ieper, Gorgue, Haubourdin,

(26) V. DE RoosE, Imago veri advocati, Gent, 1687; Io .• De ideale advocaat ... Uit
het Latijn vertaald, ingeleid en met nota's voorzien door E. VAN NuFFEL, Brugge, 1963.
(27) Gatalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départe-
ments, XXVI, Parijs, 1897, pp. 672-673.
196 G. VAN DIEVOET

Oudenaarde, Ronse, Seclin, Tourcoing en het Doornikse. Als


auteurs vermeldt hij o.m. P. Peckius (28), A. Gaill (29), Ch. du
Moulin (30), L. Charondas (31), P. van Christynen (32), B. d'Ar-
gentré (33), J. B. Buridan (34), P. Rebuffe (35), P. Stock-
mans (36), Fr. Zypaeus (37), G. Coquille (38), B. Chassaneus (39),
J. Papon (40), N. Burgundus (41). Op Gaill na, zijn het alle
Franse of Zuidnederlandse auteurs. De meeste worden vermeld
in verband met hun commentaar op het gewoonterecht van een
bepaalde stad (Parijs, Mechelen, Reims) of streek (Bretagne,
Vermandois, Nivernais, Vlaanderen).

(28) Pieter Peck of Peckius ( 0 1529. t 1589), profeBBor te Leuven, raadsheer in de


Grote Raad en lid van de Geheime Raad (R. DEKKERS, Bihliotheca Belgica Juridica,
p. 131 en V. BRANTs, in Biogr. nat., XVI, kol. 782-784).
(29) Andreas Gaill of Gail (0 1526 - t 1587), studeerde o.m. te Leuven, werd Assessor
in het Reichskammergericht en lid van de Reichshofrat te Wenen (E. DöHRING,
Geschichte der deutschen Rechtspflege aeit 1500, Berlijn, 1953, p. 395).
(30) Charles du Moulin (0 1500 - t 1566), Frans rechtsgeleerde. Schreef o.m. een
commentaar en aantekeningen op de costumen van Parijs (L. CHEVAILLER, in Diction•
naire de biographie françaiae, XII, kol. 242-245, Parijs, 1970).
(31) Louis Charondas, Ie Caron (0 1536 - t 1617). Frans rechtsgeleerde. Schreef o.m.
een commentaar op de costumen van Parijs.
(32) Paul van Christijnen (0 1553 - t 1631), advocaat en raadpensionaris van Meche-
len. Schreef een commentaar op de costumen van Mechelen (R. DEKKERS, Bibliotheca
Belgica Juridica, p. 36 en E. REUSENS, in Biogr.nat., IV, kol. 111-112).
(33) Bertrand d'Argentré (0 1519 • t 1590). Frans rechtsgeleerde. Schreef een com-
mentaar op de costumen van Bretagne (J. BALTEAU, in Dict. de biogr.fr., III, kol. 572-
574, Parijs, 1939).
(34) J. B. de Buridan (0 1585 - t 1633). Frans rechtsgeleerde. Schreef o.m. een
,commentaar op de costumen van Reims en een ander op de costumen van Verrnandois
{C. LAPLATTE, in Dictionnaire de biographie françaiae, VII, kol. 696, Parijs, 1956).
(35) Pierre Rebuffe (0 1487 - t 1557), Frans rechtsgeleerde.
(36) Pieter Stockmans (0 1608 • t 1671), professor te Leuven, raadsheer in de Raad
van Brabant, lid van de Geheime Raad. Bezorgde o.m. een verzameling geannoteerde
.arresten van de Raad van Brabant : Decisionum Curiae Brabantiae BeBquicenturia,
Brussel, 1670. Zie ook R. DEKKERS, Bihliotl,,eca Belgica Juridica, p. 166 en V. BRANTS,
in Biogr. nat., XXIV, kol. 57-66.
(37) Franciscus Zypaeus of van den Zype (0 1580 - t 1650), canonist. Schreef o.m.
Statuta omnium curiarum eccleaiasticarum provinciae MechlinienBÏB (R. DEKKERS,
Bibliotheca Belgica Juridica, p. 198; L. VERBEEK, ,.François Zypaeus (1580-1650),
juriste beige", in Tiidschrift voor Rechtsgeschiedenis, XXXVI, 1968, pp. 267-311).
(38) Guy Coquille (0 1523 - t 1603), Frans rechtsgeleerde. Schreef o.m. een com-
mentaar op de costumen van Nivernais (M. PREVOST, in Dict. de biogr. fr., IX, kol. 581-
582, Parijs, 1961).
(39) Barthélemi Chassaneus of Chasseneuz (0 1480 - t 1541), Frans rechtsgeleerde.
Schreef een commentaar op de costumen van Boergondië. (ROMAN n'AMAT, in Dict.
,de biogr. fr., VIII, kol. 714-715, Parijs, 1959).
(40) Jean Papon (0 1505 • t 1590), Frans rechtsgeleerde. Schreef, naast een verzame-
ling geannoteerde arresten van de Franse hoven, een commentaar op de costumen
van Bourbonnais.
(41) Nicolaus Burgundus of Nicolas de Bourgogne (0 1586 • t 1649), profeBBor te
.Ingolstadt, raadsheer in de Raad van Brabant. Schreef, naast andere werken, een
Tractatus controversiarum ad consuetudines Flandriae (R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica
.Juridica, p. 23).
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 197

In het eerste deel (hs. 72) is de rechtspraak van de Soevereine


Raad van Doornik blijkbaar niet meer bijgewerkt na 1675, in
het tweede deel (hs. 73) dateren de jongste arresten van het
Parlement van Doornik uit het jaar 1688. Zijn commentaar op
de Doornikse gehomologeerde costumen was vermoedelijk zijn
eerste groot werk. Hij heeft het later niet bijgewerkt, maar
heeft er wel verscheidene malen naar verwezen in zijn Institu-
tions.
Kort vóór De Ghewiet schreef Robert de Flines zijn Oommen-
tarii in consuetudines Tornacenses (42). Deze Doornikse jurist
was zeer goed geplaatst om over het plaatselijke recht te
schrijven. Hij was achtereenvolgens raadpensionaris van de stad
Doornik, procureur-generaal en lid van de Soevereine Raad
aldaar. De Ghewiet blijkt het werk van de Flines niet te ver-
melden in zijn eigen commentaar, wat hij wel herhaaldelijk doet
in zijn Institutions. Men zou de tekst van de twee commentaren
moeten vergelijken om te kunnen uitmaken of er enige beïn-
vloeding is van de ene auteur op de andere. In de Institutions
vermeldt De Ghewiet eveneens een handschriftelijk commentaar
van een zekere Cocquel op de costumen van Doornik (43).
De methode van De Ghewiet gelijkt op die van andere com-
mentatoren, in het bijzonder op die van Joannes Antonius
Knobbaert, auteur van een uitvoerig commentaar op de costumen
van de stad Gent. Knobbaert geeft ook telkens vooraf de tekst
van het artikel van de costumen en dan de verwijzingen naar
de statuta similia. De aantekeningen (observationes) volgen ook
de volgorde van de zinsneden en zelfs van de termen van de
artikelen. Er wordt eveneens verwezen naar auteurs zoals

(42) Het commentaar van R. de Flines (0 1610 - t 1673) is evenmin in druk ver-
schenen. R. DEKKERS (Bibliotheca Belgica Juridica, p. 57) vermeldt een handschrift
ervan in de Stadsbibliotheek te Kortrijk en een ander in de Stadsbibliotheek te
Bergen (Mons). Een derde handschrift wordt bewaard in de Koninklijke Bibliotheek
te Brussel onder nr. 20140 (J. VAN DEN GHEYN en E. BACHA, Gat. des mss. de la
Bibliothèque royale de Belgique, IX, Brussel, 1909, nr. 6461, p. 242). Robert de Flines
werd in 1668 benoemd tot procureur-generaal bij de Soevereine Raad te Doornik en
in 1670 tot raadsheer (M. PINAULT DES JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay,
Valenciennes, 1701, pp. 4, 12-13; G. M.L. PILLOT, Histoire du Parlement de Flandres,
Douai, 1849, I, pp. 213 en 306; II, p. 176). Zie ook A. RIVIER, in Biographie nationale,
VII, kol. 111-112).
(43) R. DEKKERS (Bibliotheca Belgica Juridica, p. 38) heeft geen andere gegevens
over Cocquel en zijn commentaar gevonden dan de verwijzing in de lnstitutions van
De Ghewiet. Zie lnstitutions, Rijsel, 1736, p. 392 : «Le Sr. CocQUEL dans son Comen-
taire Manuscrit sur la Coutume de Tournai, au tit. des Arrêts ... •·
198 G. VAN DIEVOET

Zypaeus. Ook worden historische gegevens, zoals lijsten van


hoogbaljuws, in het commentaar opgenomen (44).

2. Jurispruderwe du Parlement de Flandre.


Papier ; 18e eeuw ; in folio, 942 genummerde bladzijden, folio's
A-V en 947-970; 365 mm. op 250 mm.; gegraveerd portret van
de auteur op fo V v 0 ; Frans; oude lederen band (45). (Stads-
bibliotheek van Sint-Winoksbergen [Bergues, Nord], hs. 65).
Het werk is ingedeeld in drie delen, naar het voorbeeld van
de verzameling van rechtspraak van J. Pollet (46). In een eerste
deel zijn arresten ondergebracht over algemene juridische vragen,
in een tweede deel over vragen in verband met bepalingen van
de costumen van Rijsel, Doornik enz. en in een derde deel zijn
arresten in verband met bijzondere vragen in een alfabetische
volgorde verwerkt. De tekst van Pollet heeft als stramien
gediend. De Ghewiet heeft hieraan een groot aantal opmerkingen
toegevoegd, o.m. in verband met de oorsprong van de termen
en de instellingen, evenals meer dan 800 arresten uit de gedrukte
verzameling van M. Pinault des Jaunaux (47) en uit de hand-
schriftelijke aantekeningen, memories, commentaren en verzame-
lingen van de eerste voorzitter de Blye (48), de voorzitters

(44) Joannes Antonius KNOBBAERT, J'UIJ civile Gandenllium, hoc est 'U8'U8 mM68tJUe
eorum, in populo nati, a principe confirmati, et observationibus illuBlrati, I, Antwerpen,
1677. J. A. KNOBBAERT (t 1677) was advocaat bij de Raad van Vlaanderen te Gent
(R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 95 en de aldaar geciteerde literatuur).
(45) Oatalogue général des man'UIJcrits des biblioth&p,es publiques de France. Départe-
ments, XXVI, Parijs, 1897, p. 672.
(46) J. PoLLET, Arrests du Parlement de Flandre sur diverses questions de droit, de
coutume et de pratique, Rijsel, 1716. Zie ook voetnoot 20.
(47) M. PINAULT DES JAUNAUX, Recueil d'arr&s notables du Parlement de Tournay,
2 delen, Valenciennes, 1702 (Titelblad, voorwoord, inhoudsopgave, 404 en 510 blz.
tekst). Het werk bevat 300 arresten in chronologische volgorde van 1693 tot 1701.
Als vervolg hierop publiceerde hij Arrets notables du Parlement de Flandre (Douai,
1715). M. Pinault (0 ca. 1650 - t 1734) werd achtereenvolgens aangesteld tot raadsheer
bij het Parlement van Doornik in 1693 en tot voorzitter in 1695 (M. PINAULT DES
JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, pp. 183 en 211;
G. M.L. PILLOT, Histoire du Parlement de Flandres, Douai, 1849, I, p. 11, die 11 maart
1734 als einddatum voor zijn voorzitterschap vermeldt; R. DEKKERS, Bibliotheca Bel-
gica Juridica, p. 135). Zie ook PH. GoDDING, L'origine et l'autorité des recueils de
jurisprudence, p. 20 en n. 72.
(48) [J. B.] DE BLYE, Résolutions du Oonseil Souverain de Tournai dans les ca'UIJes
sur lesquelles sont interven'UIJ des arr&s de la Oour, Lille [1773], in Jurisprudence de
Flandres, II, Lille, 1777, pp. XXI-XXV en 369-397; [J. B.] DE BLYE, Arriltés du Oonseil
Souverain de Tóurnai, sur différens articles de l'Ordonnance Oriminelle du mois d'août
1670, Lille [1773], in Jurisprudence de Flandres, II, Lille, 1777, pp. XXVI-XXVII en
399-414. De eerste verzameling bestaat uit korte samenvattingen van arresten in
57 nummers, waarvan vele niet gedateerd zijn. De gedateerde arresten stammen uit
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 199

Mullet (49) en A. A. Dubois d'Hermaville (50), procureur-gene-


raal L. de Baralle (51), de raadsheren de Flines (52), Heinde-

de periode van 1670 tot 1686. In het tweede werkje volgt de auteur de orde van de
titels en artikelen van de Franse koninklijke verordening van augustus 1670 op de
voet. De beslissingen dateren uit de jaren 1680 en 1681. J. B. de Blye (0 1629. t 1699)
was • premier Conseiller du Bailliage de Lille », toen hij op 7 april 1668 aangesteld
werd tot eerste voorzitter van de Soevereine Raad te Doornik (M. PINAULT DES
JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, p. 3). Zie over J. B. de
Blye ook : G. M.L. PILL0T, HiBtoire du Parlement de Flandres, Douai, 1849, I, pp. 213
en 304; Il, p. 40, en A. V ANDER MEERSCH, in Biogr. nat., IV, kol. 806-807, evenals
R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, pp. 17-18. In het laatste werk wordt bij
vergissing het boek Observations et notes des anciens iurisconsultes sur le titre premier
de la Couiume de la Ohatellenie de Lüle ... (Lille, 1774, in Juri8prudence de Flandres,
VI, Lille, 1777) aan J. B. de Blye toegeschreven. Uit het onderzoek van de tekst
blijkt dat het voltooid is tussen 1759 en 1774. Er wordt meer dan zesmaal in verwezen
naar de lnstitutions van De Ghewiet (Rijsel, 1736), dan wanneer J. B. de Blye over-
leden is in 1699. Zie ook PH. GODDING, L' origine et l' autorité des recueils de iurisprudence,
p. 21 en n. 74. Een handschrift van het Recueil des arritéa et résolutions ... en van het
ltfémoire des réaolutions wordt bewaard in de Stadsbibliotheek te Rijsel onder nr. 165
(thans 661) (Cat. gén. des msa. des bibl. publ. de France. Départements, XXVI, Parijs,
1897, p. 121).
Van de Arr&s rendus au Parlement de l!'landres et de Tournay van De Blye en L. De
Baralle is een afschrift aanwezig in het Stadsarchief te Mechelen onder nr. 3813
van de bibliotheek. Zie L. TH. MAES, De bibliotheek van de Grote Raad te Mechelen,
Mechelen, 1949, p. 25 en V. HERMANS, Catalogue méthodique de la Bibliothèque de
,lfalines, Mechelen, 1881, p. 373, nr. 3813.
(49) Met "Mullet, Second Président" bedoelt De Ghewiet, Guislain Mullet (t 1677)
die raadpensionaris van de Stad Doornik was, toen hij op 9 januari 1671 aangesteld
werd tot raadsheer in de Soevereine Raad van Doornik. Op 2 oktober 1675 werd hij
bevorderd tot "Second Président" van dezelfde Raad (M. PINAULT DES JAUNAUX,
Hi8toire du Parlement de Tournay, 1701, pp. 14 en 36). Guislain Mullet wordt soms
verward met zijn zoon, Charles Albert de Mullet, auteur van de Préiugéa du Bailliage
de Tournay (R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 120). Een verzameling
arresten of aantekeningen van Guislain Mullet hebben wij niet kunnen terugvinden.
(50) [Antoine Augustin] DuBOIS D'HERMAVILLE, Recueil d'arr&s du Parlement de
Flandres, Lille, 1773, in Jurisprudence de Flandres, I, Lille, 1777, pp. 1-v1rr (voor-
woord), I•XIX (inhoudsopgave), 1-539 (tekst). De verzameling bevat 122 arresten van
de Soevereine Raad en het Parlement te Doornik uit de jaren 1682 tot 1690. De
arresten volgen op elkaar zonder enig logisch verband. Een handschriftelijk Recueil
d'arrits van Dubois d'Hermaville bevindt zich in de Stadsbibliotheek te Rijsel onder
nr. 104 van het Fonds Godefroy (thans ms. Godefroy lll) (Cat. gén. des mss. des
bibliothèques publiques de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897, p. 570). A. A. Du-
bois d'Hermaville (t 1709) was advocaat bij de "Conseil d'Artois", toen hij op
31 oktober 1689 aangesteld werd tot raadsheer in het Parlement van Doornik.
Op 7 februari 1695 werd hij voorzitter van hetzelfde Parlement. (M. PINAULT DES
JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, pp. 143 en 192).
Zie ook R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 79 en PH. GoDDING, L'origine
et l'autorité des recueils de iurisprudence, p. 21 en n. 74.
(51) [LadislasJ DE BARALLE, Recueil d'arr&s du Parlement de l!'landres, Lille, 1773,
in Jurisprudence de Flandres, Lille, 1777, II, pp. 1-xu en 1-262. De verzameling bevat
92 arresten uit de jaren 1684 tot 1693. De auteur volgt min of meer een chronologische
volgorde. Een handschriftelijk Recueil d'arr2ts par M. de Baralle is aanwezig in de
Stadsbibliotheek van Douai onder nr. 664. Het bevat 84 arresten (Cat. gén. des mss.
des bibl. pub!. des Départements, VI, Parijs, 1878, p. 395). L. de Baralle (t 1714) was
"Subdélégué de !'Intendant" te Kamerijk, toen hij op 7 december 1687 aangesteld
werd tot raadsheer in het Parlement te Doornik. Op 23 juni 1691 werd hij aangesteld
200 G. VAN DIEVOET

ricx (53), de Mullet (54), Pollet (55), Crupilly (56) en de Bur-

tot Procureur-generaal (M. PINAULT DES JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay,


Valenciennes, l 701, pp. 139 en 150). Zie ook R. DEKKERS, Bwliotheca Belgica .Juridica,
p. 9 en PH. GoDDING, L'origine et l'autorité des recueils de jurisprudence, p. 21 en n. 74.
L. de Baralle schreef ook een commentaar op de costumen van Kamerijk en het
Kamerijkse (Stadsbibliotheek van Kamerijk, nrs. 668, 1246). Zie Cat. gén. des mss. des
bibl. pub. de Fr .. Départements, XVII, Parijs, 1891, pp. 254, 470-471. Van de Arrits
rendus au Parlement de Flandres et de Tournay van L. de Baralle en J. B. de Blye
is een afschrift aanwezig in het Stadsarchief te Mechelen onder nr. 3813 van de
bibliotheek. Zie L. TH. MAES, De bibliotheek van de Grote Raad, p. 25 en V. HERMANS,
Catalogue méthodique de la Bibliothèque de Malines, Mechelen, 1881, p. 373, nr. 3813.
(52) [Séraphin] DE FLINES, Recueil d'Arr&s du Parlement de Flandres, Lille, 1773,
in .Juriaprudence de Flandrea, Lille, 1777, Il, pp. x111-xx en 263-368. De verzan1eling
bevat 71 arresten uit de jaren 1690-1702, min of meer in chronologische volgorde.
In de Stadsbibliotheek van Rijsel wordt een handschrift bewaard van Arr&a notahles
de la cour de parlement de Flandres van Séraphin de Flines, onder nr. 165 (thans 661)
(Cat. gén. des mas. des bwl. pub!. de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897, p. 121).
Séraphin de Flines ( 0 1651 - t 1703), heer van Fresnoy, zoon van Robert de Flines, was
luitenant-generaal van het baljuwschap van Doornik, toen hij op 31 oktober 1689
aangesteld werd tot raadsheer in het Parlement te Doornik (M. PINAULT DES JAUNAUX,
Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, p. 143). Zie ook R. DEKKERS,
Bibliotheca Belgica Juridica, p. 57; PH. GoDDING, L'origine et l'autorité des recueils de
jurisprudence, p. 21 en n. 74; en A. RIVIER, in Biogr. nat., VII, kol. ll2.
(53) Jan Heindericx of Hendrix, heer van Izenberge, (t na 1695) was burgemeester en
landhouder van de wet van de Stad Veurne, toen hij op 9 september 1673 aangesteld
werd tot raadsheer in de Soevereine Raad te Doornik. Op 8 oktober 1695 werd hij
opgevolgd door Martin l'Escaillet en verkreeg hij de eretitel van zijn ambt (M. PINAUL'.l'
DES JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, pp. 26 en 2ll).
Enkele dissertationes van Heindericx zijn door De Ghewiet opgenomen aan het einde
van zijn Recueil d'arrita du Parlement de Flandres (Stadsbibliotheek van Sint-Winoks-
bergen, hs. 64). Andere "dissertations, notes" of "mémoires" van Heindericx hebben
wij niet teruggevonden.
Zie ook R. DEKKERS (Bibliotheca Belgica juridica, p. 81), die als voornaam Paulus
vermeldt en als overlijdensdatum 1687, en PH. Gonnrno (L'origine et l'autorité des
recueils de jurisprudence, p. 25 en n. 91), die ten onrechte meedeelt dat een ver-
zameling rechtspraak van Heindericx in de Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen
bewaard wordt onder de nrs. 64 en 65. De Ghewiet citeert in de lnstitutions de
Mémoires van Heindericx (Rijsel, 1736, o.m. pp. 106, 140, 153, 157, 172, 175, 176
en 177).
J. Heindericx was burgemeester van Veurne van 26 juli 1672 tot september 1673.
Zijn opvolger werd aangesteld op 16 september 1673 (Stadsarchief Veurne, nr. 91,
De WeUen der Stede ende Casselrie van Veurne ... , en nr. ll4, Noticie vande absentien ... ).
(54) Charles Albert DE MuLLET (t l 713), zoon van president Guislain Mullet, was
luitenant-generaal van het baljuwschap van Doornik, toen hij op 14 november 1687
aangesteld werd tot raadsheer in het Parlement te Doornik (M. PINAULT DES JAUNAUX,
H-.stoire du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1701, p. 136). Een Rem,eil d'arrits
wordt door DE GHEWIET geciteerd in de lnstitutions (Rijsel, 1736, pp. 213 en 358)
als Recueil of Arr&s manuscrits. Wij hebben er geen exemplaar van teruggevonden.
Zie R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 120. PH. GonDING verwijst hiervoor
ten onrechte naar het hs. 41 van de Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen (L'origine
et l'autorité des recueils de iurisprudence, p. 25 en n. 91). Het hs. 41, dat deel uitmaakt
van de Miscellanea van De Ghewiet, bevat wel de tekst van de Préjugés au baillage
de Tournay, recueillis par Monsieur De Mullet, lieutenant-général (pp. 1-28). Zie Cat.
gén. des mas. des bibliothèques publ. de Franee. Départements, XXVI, Parijs, 1897,
p. 669. Een ander exemplaar van de Préjugés zou bewaard worden in de Bibliotheek
van het Jiof van Cassatie te Brussel, onder nr. 370 (R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica
.Juridica, p. 120). Een derde bevindt zich in de Stadsbibliotheek van Rijsel onder
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 201

ges (57} en van advocaat-generaal Waymel du Parcq (58). Hij


heeft ook gebruik gemaakt van consultaties en procesakten.
Verder heeft hij geput uit de gedrukte verzamelingen van arresten
van de Grote Raad van Mechelen en andere justitieraden van de
Nederlanden van du Laury (59}, Stockmans (60) en a Sande (61},

nr. 204 (thans 246) (Gat. gén. des mss. des bibl. puhl. de France. Départements, XXVI.
Parijs, 1897, p. 141).
(55) Jacques POLLET, Avis, consuUations, mémoires et avertissemens, fait et donnez
par messire Jacques Pollet, conseiller en Parlement ... , Stadsarchief Mechelen, hs. J, I, 2,
pp. 305-573 (ongenummerd). Het hs. bevat een groot aantal adviezen van ca. 1670
tot ca. 1706. Zie ook R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 136 en de voetnoten
20 en 46.
(56) Pierre François TORDREAU DE CRUPILLY (t 1702) zou aantekeningen (Anno-
tations) op de arresten van het Parlement van Doornik geschreven hebben, naar het
zeggen van DE GHEWIET (Institutions, Rijsel, 1736, pp. 48 en 103). P. Fr. Tordreau
de Crupilly was advocaat bij het Parlement en "greffier criminel pensionnaire" van de
Stad Valenciennes, toen hij op 21 april 1694 aangesteld werd tot raadsheer in het
Parlement te Doornik (M. PINAULT DES JAUNAUX, Histoire du Parlement de 'J.'ournay,
Valenciennes, 1701, p. 189). Zie ook R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica ,Juridica, p. 42.
(57) Adrien DE BURGES, zou een Recueil d'arr&s samengesteld hebben, naar het
zeggen van DE GHEWJET (Institutions, Rijsel, 1736, p. 140). Adrien de Burges was
raadsheer in het Parlement de Flandres van 1704 tot ca. 1742 (G. M. L. PILLoT,
Hiatoire du Parlement de Flandres, Douai, 1849, I, pp. 183, 192, 196 en 270; II.
pp. 161 en 193).
(58) Roland François WAYMEL DU PARCQ, Recu,eil de consuUations, Lille, 1775, in
Jurisprudence de Flandres, V, Lille, 1777, pp. 1-x1x en 1-570. Deze verzameling bevat
111 adviezen van Waymel du Parcq en van anderen. Het betreft zowel adviezen door
Waymel du Parcq verstrekt in zijn hoedanigheid van advocaat als van advocaat-
generaal. De adviezen zijn in de regel niet gedateerd. Er komen ook een paar
adviezen in voor die door De Ghewiet medeondertekend zijn (pp. 267-268 en 418-421).
Vermoedelijk bedoelt De Ghewiet in zijn Jurisprudence du Parlement de Flandre niet
deze verzameling, maar wel een ander werk dat hij in zijn Institutions (Rijsel, 1736,
o.m. pp. 121, 125, 543, 557 en 566) Remarques noemt. Wij hebben geen exemplaar
van dit werk teruggevonden. R. Fr. Waymel du Parcq (0 1664. t 1745) was advocaat
bij het Parlement te Doornik, toen hij op 10 mei 1701 aangesteld werd tot advocaat-
generaal (M. PINAULT DES JAUNAUX, Histoire du Parlement de Tournay, Valenciennes,
1701, p. 280). Hij verkreeg de toestemming om terzelfdertijd nog adviezen aan
cliënten te mogen verstrekken (G. M. L. PILLOT, Histoire du Parlement de Flandres,
Douai, 1849, I, pp. 160, 161, 281, 295, 296; II, pp. 151, 176, 177, 178).
Een handschrift van het Recueil des principales questions resouës par M essire
R. Fr. Waymel ... Duparcq ... avocat général bevindt zich in de Stadsbibliotheek van
Rijsel onder de nrs. 166-167 (thans 293-294) (Gat. gén. des mss. des bibl. puhl. de France.
Départements, XXVI, Parijs, 1897, p. 122).
(59) Remy Albert DU LAURY (0 ca. 1650. t 1716), raadsheer in de Grote Raad te
Mechelen. Auteur van La juriaprudence des Pays-Bas autrichiens, établie par les arréts
du Grand Conseil de ... Malines ... , 2 delen, Brussel, 1717. Zie R. DEKKERS, Biblio-
theca Belgica Juridica, p. 97. In verband met de verzamelingen van rechtspraak zie :
J. SIMON, Les recueils d'arréts du Grand Gonseil de Malines, in Procès-verbaux de la
Gommission royale des anciennes lois et ordonnanccs de Belgique, VIII, 1908, pp. 125-
225 en in het bijzonder pp. 139-142 (du Laury); L. TH. MAES, De Grote Raad der
Nederlanden en zijn arrestisten, in Tydskrif vir hedendaagse Romeins-Hollandse Reg,
XII, 1949, pp. 58-76 en in het bijzonder pp. 72-76.
(60) Pieter STOCKMANS (0 1608. t 1671). Auteur van Decisionum curiae Brabant-iae
sesquicenturia, Brussel, 1686, 1695, 1698, 1700 enz. Zie ook voetnoot 36.
(61) Johannes A SANDE (0 1568 - t 1638), hoogleraar te Franeker en raadsheer in
het Hof van Friesland, auteur van Theatrum practicantium, hoc est deciaiones Frisicae
202 G. VAN DIEVOET

evenals uit de handschriftelijke verzamelingen van du Fief (62),


Grysperre (63), Cuvelier (64) en de Humayn (65). Ten slotte heeft
hij dat alles aangevuld met arresten van de Raad van Artesië

aureae, sive rerom in suprema Frisiorum curia iudicatarum libri V, Groningen, 1615,
enz. Zie R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 151.
(62) Nicolas DU FIEF (• 1578 - t 1651), raadsheer in de Grote Raad van Mechelen
en lid van de Geheime Raad, auteur van Arr&s du Grand Conaeil de ... Malinea, Lille,
1773, in Jurisprudence de Flandres, Lille, 1777, III, pp. I•IV en l-220. De gegevens
over de arresten van de Grote Raad zijn ondergebracht onder trefwoorden in alfa-
betische volgorde. Vele trefwoorden zijn vrij summier behandeld. Enkele teksten zijn
overgenomen van Joh. a Sande. N. du Fief heeft nog andere verzamelingen van recht-
spraak samengesteld. Zie R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 56 en de aldaar
geciteerde handschriften. Zie ook voetnoot 82.
Over het leven en het werk van N. du Fief zie ook J. SIMON, Les recueils d'arr&s,
pp. 136-139.
(63) Guillaume DE GRYSPERRE (0 ca. 1543 • t 1622), raadsheer in de Grote Raad
van Mechelen en lid van de Geheime Raad. Auteur van een verzameling rechtspraak,
Arr&s du Grand Conaeil de ... Malines, Lille, 1774, in Jurisprudence de Flandrea,
Lille, 1777, IV, pp. 563-602. Deze verzameling bevat slechts 51 arresten, waarvan
een aantal ook in de verzameling van raadsheer Pierre de Cuvelier voorkomen. Een
handschriftelijke tekst met 51 arresten komt voor in een convoluut, hs. 661, pp. 873-
896, in de Stadsbibliotheek van Douai (niet vermeld in Cat. gén. des mas. des bibl.
publ. des Départementa, VI, Parijs, 1878, pp. 392-393). Een ander handschrift is aan-
wezig in het Stadsarchief te Mechelen : ,,Arrets rendus au Grand Conseil de Malinnes
et recoeuillis par Monsieur Grispere" (J. I, 2, pp. 1-29). Dit hs. bevat slechts 47 arresten.
Aan het einde van het register bevindt zich een Table des matierea van 8 blz. in folio.
Zie ook R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 72; PH. GoDDING, L'origine et
l'autorité des recueils de iurisprudence, pp. 22-23 en n. 81, p. 24 en n. 84 en J. SIMON,
Lea recueils d'arr&s, pp. 131-132.
(64) Pierre DE CuvELIER (t 1628), raadsheer in de Grote Raad te Mechelen, auteur
van Arr&s du Grand Oonseil de ... Malines, Lille, 1774, in Jurisprudence de Flandres,
Lille, 1777, IV, pp. I-xxxvI en l-562. Deze verzameling bevat 386 arresten in een
alfabetische volgorde. Een handschrift ervan wordt bewaard in het Stadsarchief te
Mechelen onder nr. J, 1, 3 (435 arresten). Een ander exemplaar berust op de Stads-
bibliotheek van Rijsel onder nr. 183 (thans 483) (Cat. gén. des mas. des bibl. publ. de
France, Départementa, XXVI, Parijs, 1897, p. 127). Een derde handschrift bevindt
zich in de Koninklijke Bibliotheek te Brussel onder nr. II.457 (J. VAN DEN GHEYN,
Cat. des mas. de la Bibliothèq_ue royale de Belgique, IV, Brussel, 1904, nr. 2848, p. 277-
278). Dit laatste handschrift bevat eveneens 435 arresten. R. DEKKERS (Bibliotheca
Belgica Juridica, p. 43) vermeldt nog drie andere handschriften. PH. GoDDING
(L'origine et l'autorité des recueils de jurisprudence, p. 22 en n. 81, p. 24 en n. 85
en p. 34, n. 134) vult dit lijstje nog met drie aan. Een belangrijk uittreksel uit de
verzameling - een tiende handschrift - komt voor in de Miscellanea van De Ghewiet
(Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen, hs. 31, pp. 147-286). Eon elfde handschrift
wordt bewaard in de Stadsbibliotheek van Douai onder nr. 661, pp. l-342 (Cat. gén.
des mas. des bibl. publ. des Départementa, VI, Parijs, 1878, p. 392).
Over de methode van P. de Cuvelier, zie J. SIMON, Les recueils d'arr&s, pp. 135-136.
(65) Claude DE HuMAYN (• 1581/1582. t 1639), raadsheer en procureur-generaal bij
de Grote Raad van Mechelen en lid van de Geheime Raad, auteur van Arr&s du
Grand Conaeil de ... Malines, Lille, 1773, in Jurisprudence de Flandrea, Lille, 1777,
III, pp. I-IV en l-246. Deze verzameling bevat 89 arresten. Zie R. DEKKERS, Biblio-
theca Belgica Juridica, p. 87. In het Stadsarchief te Mechelen wordt een handschrift
ervan bewaard : ,,Arrests du Grand Conseil receuillis par Monsieur de Hunnyn"
(J, 1, 2, pp. 31-274). Dit handschrift bevat eveneens 89 arresten. Een soortgelijk hs.
met 89 arresten bevindt zich in de Stadsbibliotheek van Douai onder nr. 661, pp. 777-
863 (Cat. gén. des mas. des bibl. publ. des Départements, VI, Parijs, 1878, pp. 392-393).
Over het werk van C. de Humayn, zie J. SIMON, Les recueils d'arr&s, p. 136.
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 203

uit het werk van Desmasures (66) en met vonnissen van lagere
rechtbanken. De Ghewiet deelt mee dat hij de rechterlijke uit-
spraken getoetst heeft aan de bepalingen van de verordeningen,
de costumen van Vlaanderen, Henegouwen, Brabant, Artesië
en van enkele costumen en arresten van hoven uit het Franse
koninkrijk.
Bovendien zegt hij gegevens verwerkt te hebben uit literaire
en historische werken. Vermoedelijk verstaat hij onder histo-
rische werken ook de laat-middeleeuwse coutumiers. Zo citeert
hij op enkele plaatsen de Somme rural van Jehan Boutillier, in
verband met de costumen van het Doornikse, de wederzijdse
schenkingen tussen echtgenoten bij ravestissement, de wettigheid
van kinderen, de complainte en de voogdij over kinderen (garde-
noble) (67).
De Ghewiet heeft de teksten van de auteurs van verzamelingen
van rechtspraak niet zonder meer overgenomen. Veelal geven
zij een vrij lang verhaal van de feiten en van de aangevoerde
middelen en vermelden zij, vooraan of achteraan, de datum van
het arrest, de namen van de partijen en van de verslaggever
en, bij uitzondering, die van de advocaten. De Ghewiet geeft
(66) Pierre DESMAZURES of DESMASURES (t 1638), procureur-generaal bij de Raad
van Artesië, auteur van Remarques et Obaervationa tant aur les couatumea generales du
paiia d' Arthoia et pratique y obaervée que d'autrea provincea de ces Paiia-Baa ... (uit-
treksels in de Miscellanea van De Ghewiet, Stadsbibliotheek van St.-Winoksbergen,
hs. 31, pp. 321-498). Van dit zeer uitvoerige zeventiende-eeuwse commentaar op de
costumen van Artesië, in zeven boeken, zijn of waren verscheidene afschriften, voor
het merendeel uit de 18de eeuw, bewaard gebleven : Stadsarchief Mechelen, biblio-
theek, nr. 3845 (L. TH. MAES, De bibliotheek van de Grote Raad, p. 26 en V. HERMANS,
Catalogue méthodique de la Bibliothèque de Malinea, Mechelen, 1881, p. 377); Stads-
bibliotheek van Rijsel, nrs. 187-193 (thans 505-511), 195-197 (thans 463-465) (Cat.
gén. des maa. des bibl. publ. de France. Départementa, XXVI, Parijs, 1897, pp. 129 en
134); Stadsbibliotheek van Kamerijk, nrs. 656-660 (m., XVII, Parijs, 1891, p. 251);
Stadsbibliotheek van St.-Pol; nrs. 8-10 (thans alleen nog 2 en 3) (m., IV, Parijs, 1886,
pp. 324-325). Een onvolledig afschrift uit de 17de eeuw is aanwezig in de Stads-
bibliotheek van Kamerijk onder nr. 674 (m., XVII, p. 256). Verder zijn er nog
handschriftelijke exemplaren aanwezig in de Bibliothèque nationale te Parijs (mss. fr.
nrs. 8527-8529, 18de eeuw, 3 delen, H. ÜM0NT, Bibi. nat. Cat. gén. des mea. fr. Ancien
supplément françaiB I-III, Parijs, 1895-1896, p. 233); in de Archivea départementalea
du Pas-de-Calais te Atrecht (hs. nr. 58, 18de eeuw, 5 delen, Cat. gén. des maa. des
bibl. publ. de France, LI (Mas. conaervéa dans les dé~ts d'archivea ... Supplément),
Parijs, 1956, p. 304; Collection Laroche (18J), hs. nr. 36, 17de eeuw, 7 delen;
P. SuEUR, Le Conaeil provincial d'Artoia, Atrecht, 1978, p. 19); en in de Koninklijke
Bibliotheek te Brussel (hss. nrs. 21667-21669, 17de eeuw, 3 delen, J. VAN DEN GHEYN,
E. BACHA en E. WAGEMANS, Cat. des mes. de la Bibl. Roy. de Belg., X, Ronse, 1919,
nr. 6869, pp. 90-91; hs. II 5759).
(67) G. DE GHEWIET, Jurisprudence du Parlement de Flandre, pp. 171, 176, 416,
417, 528, 608, 657, 722. Over het leven en het werk van Jehan Boutillier (• 2de kwart
van de 14de eeuw - t 1395/96), zie G. VAN DIEV0ET, Jehan Boutillier en de Somme
rural, Leuven, 1951; m., in Nat. biografisch woordenboek, 1, Brussel, 1964, kol. 244-246.
RENÉ DEKKERS. - 14
204 G. VAN DIEVOET

telkens eerst een korte samenvatting van de rechtsvraag (som-


maire), dan de verwijzing naar het arrest met de voornaamste
gegevens uit de tekst en ten slotte zijn aantekeningen (vbser-
vations).
Bepaalde instellingen worden verklaard aan de hand van een
of meer arresten van de Soevereine Raad of het Parlement van
Doornik. De Ghewiet tracht de uitspraken onder te brengen
in het geheel van de rechtspraak van de Doornikse of van andere
hoven en van de rechtsleer. Het commentaar is niet altijd op
een logische wijze opgebouwd. De compilator gaat veelal zeer
eclectisch te werk. Hij citeert een aantal auteurs, bv. de Zuid-
nederlanders Ph. Wielant, J. de Damhoudere en P. Peck, de
Fransen J. Brodeau, G. Louet, Oh. Loyseau en de Ferrière.
Dit werk is een zeer verdienstelijke compilatie van een aantal
verzamelingen van rechtspraak uit de 17e en het begin van de
1se eeuw. Het plan is niet origineel, wel de zeer talrijke aanteke-
ningen van de auteur zelf. Het kan nog met vrucht geraadpleegd
worden voor de kennis van de rechtspraak van de Soevereine
Raad en het Parlement van Doornik, voor de periode van 1668
tot 1724.
Een afschrift uit de 1se eeuw van de Jurisprudence du Parle-
ment de Flandre, zonder titelblad en zonder vermelding van de
naam van de auteur wordt bewaard in de Stadsbibliotheek van
Douai (67bis). Het bevat het Avant-propos van G. De Ghewiet,
de tekst van de Jurisprudence du Parlement de Flandre en van
de Methode p01ir étudier la profession d'avocat, evenals de alfa-
betische index. Het geschrift van de onbekende kopiist zou wel
uit de tweede helft van de 1se eeuw kunnen zijn. Er komen
geen eigendomsmerken in voor. Het afschrift bevat een vrij
getrouwe weergave van de tekst van hs. 65 van de Stadsbiblio-
theek van Sint-Winoksbergen.

3. Recueil d'arrêts du Parlement de Flandre.


,,Arrets du Parlement recuillis par Messieurs de Flines (père),
De Blie, Baralle, Heindericx, de Mullet (père), Pollet, Derman-

(67bis) Stadsbibliotheek van Doua.i, hs. 662, ,,tome I"; papier; l8de eeuw; in-folio;
4 blz. (Avant-propos) + 763 blz. (tekst) + 47 blz. (Table); 400 mm. op 260 mm.; Frans;
oude lederen band. Het werk is ten onrechte toegeschreven aan G. P. Vernimmen in
de Cat. gén. des mos. des bibl. publ. des Départements, VI, Parijs, 1878, pp. 393-394.
Hierin wordt eveneens ten onrechte vermeld dat een aantal arresten zijn ontleend
aan de verzameling van Robert de Flines, waar het Séraphin de Flines betreft.
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 205

ville et par moi. Extraits des procedures. Il y a aussi quelques


jugemens étrangers".
Papier; 18e eeuw; 715 bladzijden ; Frans ; 370 op 230 mm. ;
oude band; wapenschild van G. Ryckewaert op de binnenkant
van het voorplat (68). (Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen
[Bergues, Nord], hs. 64).
Naar de auteur meedeelt, heeft hij de meeste arresten over-
genomen uit de verzamelingen van de Flines, de Blye, de Baralle,
Heindericx, de Mullet, Pollet en "Dermanville" (A. A. Dubois
d'Hermaville). Het gaat om arresten van de Soevereine Raad
en het Parlement van Doornik en het Parlement de Flandre te
Kamerijk van 1673 tot 1713. Vermoedelijk zijn dezelfde hand-
schriftelijke verzamelingen bedoeld als in zijn Jurisprudence du
Parlement de Flandre.
De arresten zijn gegroepeerd in acht honderdtallen (centuries).
Het aantal van de vermelde arresten stemt ongeveer overeen
met dat van de Jurisprudence. De Ghewiet zegt dat hij zelf
ook enkele arresten aan de verzameling heeft toegevoegd, evenals
uittreksels uit procesakten en enkele "vreemde" vonnissen. Op
het eerste gezicht is geen logische ordening van de arresten
aanwezig. Er is evenmin sprake van een strikt chronologische
volgorde.
Het werk is voorzien van een uitvoerige alfabetische index.
Het is niet duidelijk waarom De Ghewiet, naast zijn Jurispru-
dence du Parlement de Flandre, nog deze Recueil heeft samen-
gesteld. In de Recueil gaat de juridische vraag eveneens aan de
samenvatting en de uittreksels uit de tekst vooraf. In tegen-
stelling met de Jurisprudence is deze verzameling beperkt tot
de arresten van het Parlement de Flandre en zijn voorganger te
Doornik en zijn geen arresten overgenomen uit gedrukte verzame-
lingen zoals die van M. Pinault des Jaunaux.
De Jurisprudence lijkt meer klaargemaakt te zijn voor een
eventuele druk (titelpagina, voorwoord, portret), wat minder
het geval is voor de Recueil.
Aan het einde van de Recueil zijn acht opstellen (dissertationes)
van zeer ongelijke omvang van L. de Baralle en J. Heindericx

(68) Cat. gén. des maa. des bibl. publ. de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897,
p. 671.
206 G. VAN DIEVOET

opgenomen. Het eerste en het zevende zijn van de hand van de


Baralle en handelen over de portio congrua van de pastoors en
over het gebruik in Vlaanderen in verband met de receptie van
de pauselijke bullen en breven (69). De andere worden door
De Ghewiet toegeschreven aan "Heindericx" en handelen over de
erfstelling over de hand, de reële of personele aard van de costu-
men, het "droit d'indemnité" van de vorst in verband met de
dode hand, de aard van de belastingen (tailles), de voogdij en
de hypotheek ten voordele van minderjarigen, de aanmaningen
en de tenuitvoerlegging (70). De lengte van de opstellen varieert
van 6 tot 58 bladzijden. Hoe en wanneer De Ghewiet de gelegen-
heid heeft gehad om die werkjes van de Baralle en Heindericx
over te schrijven is niet bekend.
Een achttiende-eeuws afschrift van het Recueil d' arrêts du
Parlement de Flandres, zonder titel of titelblad en zonder vermel-
ding van de auteur, is aanwezig in de Stadsbibliotheek van
Douai (70bis). Het bevat de acht honderdtallen (centuries)
arresten, de acht dissertationes van L. de Baralle en J. Heindericx
en de uitvoerige alfabetische index. Er komen geen eigendoms-
merken in voor. Het geschrift van de onbekende kopiist zou wel
uit de tweede helft van de 18e eeuw kunnen dateren. Het afschrift
bevat een vrij getrouwe weergave van de tekst van hs. 64 van
de Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen.

4. Grand Répertoire of Elucubrationes.


"Grand Répertoire de M. George De Ghewiet . . . auquel est
inserré celui de Monsieur Ie premier president de Blije".
Papier; 18e eeuw; in folio; zes delen; 471, 391, 315, 445, 312
en 182 folio's ; Latijn en Frans ; 370 op 235 mm. ; oude lederen
banden; gegraveerd portret en getekend wapenschild van De

(69) L&dislas DE BARALLE, De 1,a portion congrue des curé.a, hs. 64, pp. 485-509;
ID., Usages de FT,andres pour 1,a réception des buUes, brefz ... , hs. 64, pp. 573-630.
Over L. DE BARALLE, zie voetnoot 51.
(70) Jean HEINDERICX, Matieres des fideicomis, hs. 64, pp. 513-528; ID., Si les COU·
tumes sont reeles ou personeles, hs. 64, pp. 529-543; ID., Du droit d'indemnité et des
amortissemens, hs. 64, pp. 545-550; ID., Des tailles, de leur nature ... , hs. 64, pp. 553-558;
ID., Qui preferendi inter minores ... et de l'hipoteque des mineurs, hs. 64, pp. 561-572;
ID., Des sommations, exécutions ... , hs. 64, pp. 634-649.
(70bis) Stadsbibliotheek van Douai, hs. 662 "Tome II"; papier; 18de eeuw; in folio,
539 genummerde bladzijden; 400 mm. op 260 mm.; Frans; oude lederen band.
Het werk is ten onrechte toegeschreven aan G. P. Vernimmen in de Cat. gén. des
mss. des bi'bll. pub!. des Départements, VI, Parijs, 1878, pp. 393-394.
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 207

Ghewiet (hs. 66, f 0 6); wapenschild met spreuk van G. Rycke-


waert op de binnenkant van het voorplat in alle delen (71).
(Stadsbibliotheek van Sint-Winoksbergen [Bergues, Nord], hss.
66-71).
In dit alfabetisch ingericht juridisch repertorium van De Ghe-
wiet is een soortgelijk repertorium verwerkt van Jean Baptiste
de Blye, eerste voorzitter van de Soevereine Raad en van het
Parlement van Doornik, en van diens broeder, advocaat te
Rijsel (72). De trefwoorden zijn bijna alle in het Latijn gesteld,
de verklaringen in het Latijn of het Frans. Er komen enkele
Franse en Nederlandse rechtstermen in voor als trefwoord of
onder de hoofding De verborum significatione, zoals Ravestisse-
ment, Remploy, Sergeant en Noten en ploten, Makelaer, Vier-
schaere (73). Het repertorium bevat zowel onderwerpen van
Romeins recht, canoniek recht en gewoonterecht, als plaats-
namen in verband met het recht en de geschiedenis, enkele
persoonsnamen (Baldus, Bartolus. Justinianus, Luther), enkele
grammaticale termen (Ablativus) en vormen (A ab, qua, quo-
niam). In de verklaringen wordt veel meer verwezen naar auteurs
dan naar arresten, bepalingen van het opgetekende gewoonte-
recht of van de vorstelijke verordeningen. De lijst van de
geciteerde auteurs bevat ongeveer 340 persoonsnamen of titels
van werken (74). Het werk is blijkbaar niet voltooid. Onder een
aantal trefwoorden staat geen begripsbepaling, onder enkele
helemaal niets (75). Verscheidene bladzijden of gedeelten ervan
zijn blanco gelaten. Enkele trefwoorden zijn behandeld als in
een woordenboek, andere als in een juridische encyclopedie met
veel verwijzingen naar auteurs. Er komen veel korte Latijnse
citaten in voor, een aantal Franse en een enkele zeldzame Neder-
landse.

(71) Cat. gén. des mss. <ka bwl. publ. Ik France. Départements, XXVI, Parijs, 1897,
p. 672.
(72) Grand Repertoire, hs. 66, fo 3 r 0 •
(73) Grand Répertoire, hs. 70, f 0 26 r 0 , 70 r"; hs. 71, fo 269 r 0 -v 0 •
(74) Grand Répertoire, hs. 66, f 0 7 r 0 • 13 v 0 : ,,Authores qui in his elucubrationibus
oitantur".
(75) Er staat o.m. geen begripsbepaling bij het trefwoord Abnegatio (hs. 66, f 0 18 v 0 ),
alleen een verwijzing bij Academia (V. Universitas, hs. 66, fo 26 v 0 ) en bij Abolitio
(V. Remissio, hs. 66, fo 18 v 0 ). Er is veel plaats opengelaten voor verdere aanvulling
bij een aantal trefwoorden, bv. bij Abusus een halve bladzijde beschreven en meer
dan drie bladzijden blanco (hs. 66, fo 24 v 0 • 26 r"). Bij andere trefwoorden staat hele-
maal niets, bv. Synagoga, Synodus (hs. 70, fo 310 r").
208 G. VAN DIEVOET

Het werk is geen ordeloze opeenstapeling van citaten van


auteurs, verwijzingen naar rechtspraak of verordeningen, zoals
vele repertoria van praktizijnen uit de 17° en de 18° eeuw (76).
Het is toch niet persklaar of voltooid. Het is te weinig systema-
tisch en te oppervlakkig om ooit voor uitgave in aanmerking
te komen. Bovendien is niet altijd duidelijk wat van De Ghewiet
en wat van de gebroeders de Blye afkomstig is (77).

5. Le bon juge.
Gedrukt stuk van 8 bladzijden quarto met handschriftelijke
correcties, zonder naam van auteur, plaats of datum (78). (Stads-
bibliotheek van Sint-Winoksbergen [Bergues, Nord], ingevoegd
in hs. 72, vóór p. 9).
In de lnstitutions du droit belgique verwijst De Ghewiet naar
zijn "traité", Le bon juge. Hiervan hebben wij alleen een kort
concept kunnen terugvinden, dat hij zelf een canevas noemt (79).
In dit werk wilde De Ghewiet de plichten van een goed rechter
beschrijven, zowel op grond van de moraal als van het recht.
Hij wijst er o.m. op dat de rechter niet alleen het recht moet
kennen, maar ook veel gezond verstand moet bezitten en abstrac-
tie moet kunnen maken van zijn persoonlijke opvattingen. In
de tekst komen geen citaten voor. Op de kant zijn enkele verwij-
zingen met de hand bijgeschreven.

(76) Een aantal juridische repertoria, die bewaard zijn gebleven, zijn geen werken
in de eigenlijke zin, maar werkinstrumenten voor persoonlijk gebruik. Zulks is o.m.
het geval met drie Nederlandstalige repertoria van een Brabants jurist, Leo Jan de
Pape (0 1610 - t 1686). Een alfabetische index helpt de lezer zijn weg te vinden in de
aantekeningen die zonder enig systeem achter elkaar zijn gesteld, onder weinig zeg-
gende trefwoorden (Alg. Rijksarchief Brussel, Geheime Raad, Spaanse periode,
nrs. 1617 en 1618. Zie G. VAN DrnvoET, Leo Jan de Pape, in Nationaal biografisch
woordenboek, VIII, Brussel, 1979, kol. 669-676 en in het bijzonder kol. 673-674). Een
ander voorbeeld levert een register op dat ten minste voor een deel is samengesteld
door een Gents advocaat, Ph. F. van Meldert (• 1753 - t 1825) (Rijksarchief Gent,
Varia D, nr. 3006. Zie E. VAN NuFFEL, Het werk- en studiemateriaal van PhiliP8
Ferdinand van Meldert. Rechtspraktiziin in de 18de eeuw, in Handelingen van de
Geschied- en Oudheidkundige Kring van Oudenaarde, 1965, pp. 193-220 en 1967, pp. 13-
38 en in het bijzonder 1965, pp. 212-213). Zie ook de aantekeningen van de Gentse
advocaat Brakelman in de Miscellanea van De Ghewiet (hs. 31).
(77) In hs. 66 (f• 3 r•) verschaft De Ghewiet enige toelichting : ,,Notanda. Ubi
dicitur sic vidi sic teneo, intelligitur de Domino de Blie preside primario in parlamento
tornacensi vel de eius fratre advocato celebri Insulis nisi nota adsit ... Ubi dicitur
simpliciter sic practicatur, Insulis intelligitur nisi hec nota adsit .. . Ubi citatur
consuetudo civitatis vel baillivatus simpliciter, Insulensis est".
(78) Cat. gén. des mss. des bibl. publ. de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897,
p. 673.
(79) Hs. 72, fo G r 0 en p. 1 van het gedrukte stuk.
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 209

Le bon juge staat niet alleen in zijn genre. In de Zuidelijke


Nederlanden kan men voor die tijd verwijzen naar de werken
van enkele canonisten en moraaltheologen, evenals naar werkjes
in de aard van de J mago veri advocati van de Gentse advocaat
Valentijn de Roose (80).
6. Miscellanea.
Papier ; 17e_ 1 se eeuw ; 25 delen in folio ; een groot aantal
gedrukte stukken ingevoegd; oude banden (81). (Stadsbiblio-
theek van Sint-Winoksbergen [Bergues, Nord], hss. 31-55).
Deze zeer omvangrijke verzameling bevat zowel afschriften
van verzamelingen van rechtspraak en van collegedictaten over
Romeins recht en canoniek recht, als een groot aantal hand-
schriftelijke en gedrukte memories van advocaten.
Van de aantekeningen van Nicolas du Fief uit Doornik
( 0 1578 - tl651} op de arresten van de Grote Raad van Mechelen,

heeft De Ghewiet een groot aantal uittreksels opgenomen. Dit


afschrift beslaat 144 bladzijden in folio (82).
Het werk van Pierre de Cuvelier (tl628}, Arrests, sentences et
résolutions notables du Grand Conse_il, heeft hij eveneens gedeelte-
lijk overgeschreven. Zijn afschrift bevat 140 bladzijden in
folio (83).

(80) V. DE RoosE, Imago veri advocati ... etiam cum judic,is subintrat officium ... ,
Gent, 1687 (Ned. vertaling door E. VAN NuFFEL, De ideale advocaat, Brugge, 1963).
In de hoofdstukken XXV tot en met XXIX worden de plichten van de advocaat
beschreven, die het ambt van rechter waarneemt (Ned. vertaling, pp. 101-116).
(81), Cat. gén. des mss. des bibl. publ. de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897,
pp. 667-669.
(82) ,,Arrests et resolutions tirez des Notices de Monsieur du Fief, Conseiller
ecclesiastique au Grand Conseil a Malines et depuis au Conseil privé à Bruxelles"
(hs. 31, pp. 1-144). Het zijn uittreksels uit de Centuriae observationum van N. du Fief.
Het eerste uittreksel vangt aan met de woorden : ,.Centuria prima. Observatio 24"
(hs. 31, p. 1). Een soortgelijke reeks excerpten bevindt zich in een convoluut in de
Stadsbibliotheek van Douai onder nr. 661, pp. 345-513 (Cat. gén. des mss. des bibl.
publ. des Départements, VI, Parijs, 1878, p. 392). Een handschriftelijk exemplaar van
de Centuriae observationum van N. du Fief bevindt zich in de Koninklijke Bibliotheek
te Brussel onder de nummers 19126 en 19127 (J. VAN DEN GHEYN, Cat. des mss. de
la Bibliothèque royale de Belgique, IV, Brussel, 1904, nrs. 2843-2844, pp. 242-268).
Een ander handschrift ervan wordt bewaard in de Stadsbibliotheek van Rijsel onder
de nrs. 175 tot 178 (thans 682-685) : ,,Centuries et observations de maître Nicolas Du
Fief, Conseiller ecclesiastique au Grand Conseil de Malines" (Cat. gén. des mss. des
bibl. publ. de France. Départements, XXVI, Parijs, 1897, pp. 124-125). Een derde
handschrift ervan is aanwezig in de bibliotheek van het Stadsarchief te Mechelen
onder nr. 3750. Zie L. TH. MAES, De bibliotheek van de Grote Raad, p. 26 en V. HER·
MANS, Catalogue méthodique de la Bibliothèque de 11lalines, Mechelen, 1881, p. 367,
nr. 3750.
(83) ,,Tiré <les arrests, sentences, et resolutions notables, receuillys par Messire
210 G. VAN DIEVOET

De aantekeningen van Pierre Desmasures (tl638) over de


Goustumes générales du pays d' Arthois heeft hij ook gedeeltelijk
gekopieerd. Het afschrift bevat 178 bladzijden in folio (84).
In hetzelfde deel van zijn Miscellanea heeft hij ten slotte
aantekeningen opgenomen van de Gentse advocaat Brakelman,
uit het begin van de 17e eeuw (85). Het gaat om een alfabetisch
ingericht repertorium met Latijnse, Nederlandse en Franse
verklaringen.
In andere delen heeft hij collegedictaten over Romeins recht
en canoniek recht overgeschreven, evenals een verzameling juri-
dische adviezen, in het Nederlands gesteld, en een reeks Frans-
talige adviezen van Doornikse advocaten van het einde van de
16e en het begin van de 17e eeuw. De collegedictaten zijn van
Robert Cramet, professor te Douai in de eerste helft van de
17e eeuw (86).
Onder de overtalrijke afschriften van adviezen, processtukken

Pierre Cuvellier Mre de requestes de !'hostel du Roij catholique, et conseillier au Grand


Conseil de Malines" (hs. 31, pp. 147-286), Zie ook voetnoot 64.
(84) ,,Tiré des observations de Monsieur de Ma.zures, tant sur les Coustumes gene-
rales du paijs d'Arthois et pratique y observée que d'autres provinces de ces P&ijs-Bas,
lequel etoit procureur genera! au Conceil d'Artois" (hs. 31, pp. 321-498). Zie voetnoot 66.
(85) ,,Ces notes sont de l'avocat Brakelman a Gand, mais ont été tirées d'un
brouillon extremement vitieux par tout" (hs. 31, pp. 544-649). De trefwoorden zijn,
door elkaar, in het Latijn, het Nederlands en het Frans gesteld : Abbas, Absens, Actor,
actionari, Ackerschaede, Clachte, Enquestes, Feudum enz. Er komen verwijzingen
naar arresten van 1619 en 1622 in voor (p. 619). In 1673-1676 voerde een Antoon
Brakelman, advocaat bij de Raad van Vlaanderen, een proces over schulden tegen
burgemeester en schepenen van Hansbeke (J. BuNTINX, Inventaria van hel Archief
van de Raad van Vlaanderen, III, Brussel, 1966, nr. 16299, p. 200). Mogelijk gaat
het om de auteur van de aantekeningen.
(86) Verzameling adviezen in het Nededands (hs. 32, pp. 1-122); adviezen van
(hoofdzakelijk) Doornikse advocaten (hs. 32, pp. 123-271); collegedictaten van Robert
CRAMET(1us), professor aan de Rechtsfaculteit te Douai, over Romeins recht, o.m.
over het achtste boek van de Pandecten van J ustinianus en over de titel De in
inlegrum realilulionibua (D. IV. 1). Deze collegedictaten dateren van 1624 en 1625
(hs. 39, f• 79 r• en 104 v 0 ). Verder komen er ook verscheidene lractatua over onder-
werpen van canoniek recht in voor, o.m. van Robert Cramet(ius) over het huwelijk
(hs. 34, fo 172-300). Een is gedateerd van 19 april 1620, een ander van 8 februari
1621 (hs. 34, f• 67 v• en 167bia). Robert Cramet werd geboren te Kamerijk. Hij
promoveerde op 25 oktober 1609 tot doctor in de rechten te Dou&i en doceerde er
in het Romeinse en het canonieke recht van 1609 tot aan zijn dood ca. 1626. Hij
doceerde in de Pandecten van 1616 tot ca. 1626. Op 5 oktober 1625 werd hij aan-
gesteld tot rector van de Universiteit (P. CoLLINET, L'ancienne Facul,U de Droil de
Douai (1562-1793), Lille, 1900, pp. 58, 59, 60, 76-77, 82 en 152). In de Koninklijke
Bibliotheek te Brussel worden Romeinsrechtelijke collegedictaten van Douai uit
dezelfde periode (1617-1630) bewaard onder nr. 3304-6. Er komen fragmenten van een
leergang van R. Cramet in de Pandecten in voor (J, VAN DEN GxEYN, Catalogue des
maa. de la Bibliolhèque Royale de Belgique, IV, Brussel, 1904, nr. 2809, pp. 199-200).
Zie ook R. DEKKERS, Bibliotheca Belgica Juridica, p. 40.
DE ONUITGEGEVEN WERKEN VAN DE GHEWIET 211

en memories komen o.m. consultaties voor van doctores en profes-


soren uit Leuven en Douai, zoals Boetius Epo jr. en Nicolas du
Bois (87).
Een groot gedeelte van de Miscellanea wordt ingenomen
door de originele ontwerpen en afschriften van adviezen, con-
clusies en memories door De Ghewiet zelf opgesteld. Een aantal
stukken zijn eigenhandig ondertekend. Andere zijn in druk
verschenen (88). Het zou mogelijk zijn, aan de hand van het
bewaarde materiaal, een goed beeld te schetsen van de methode,
de eruditie en de juridische onderlegdheid van de advocaat
De Ghewiet. Zijn drukke praktijk gedurende ongeveer een halve
eeuw te Doornik en te Rijsel heeft in deze papieren meer dan
enkele sporen nagelaten.
Er zijn vrij veel verzamelingen van adviezen van al dan niet
bekende advocaten uit de 17e en de 18e eeuw bewaard gebleven,
maar zulk een omvangrijke collectie is vermoedelijk zeer zeld-
zaam. In zekere mate kan men de Miscellanea van De Ghewiet
vergelijken met de papieren van Philips Ferdinand van Meldert,
advocaat bij de Raad van Vlaanderen te Gent in de tweede
helft van de J8e eeuw (89).
Onder de overgebleven "papieren" van juristen uit de 17e en
J8e eeuw vindt men meer aantekeningen van magistraten, diplo-
maten en staatslieden, dan memories en procesakten van advo-

(87) Boetius Epo junior, uit Douai, promoveerde er op 5 november 1602 tot doctor
in de rechten en doceerde er van 1609 tot aan zijn dood in 1642 in het Romeinse
en het canonieke recht (P. CoLLINET, L'ancienne Faculté de Droit de Douai (1562-1793),
Lille, 1900, pp. 58, 59, 60, 76-77, 82, 96 en 152). De Ghewiet heeft een juridisch
advies van hem uit het jaar 1604 overgeschreven (hs. 32, pp. 476-483). Nicolas Du
Bois (0 1620 - t 1696), professor aan de Universiteit te Leuven, was theoloog en jurist
(V. BRANTS, La Faculté de Droit de l'Université de Louvain à travers ci.nq Biècks,
2de druk, Parijs-Brussel (1917], pp. 77, 86, 122 en nn. 1, 134, 241; R. DEKKERS,
Bibliotheca Belgica Juridica, pp. 19-20). In de Miscellanea van De Ghewiet komt een
juridisch advies van Nicolas Du Bois uit 1665 voor (hs. 32, pp. 464-467).
(88) Voorbeelden van ontwerpen van memories en conclusies door De Ghewiet
eigenhandig ondertekend; hs. 40, p. 21; hs. 43, p. 762; hs. 50, fo 42v0 , f 0 188v0 ,
f 0 302 v 0 , fo 360 r 0 ; hs. 51, fo 45 v 0 • Een gedrukt advies van De Ghewiet in het proces
tussen Claire-Eugenie de Homes en Albert-Joseph d'Arberg over de goederen in
Artesiê nagelaten door Cosme Spinola, waarvan een exemplaar in de Universiteits-
bibliotheek te Gent bewaard wordt (hs. nr. 825, pp. 215-218), komt ook voor in de
Miscellanea (hs. 52, fo 48 r 0 • 49 v 0 ).
(89) E. VAN NuFFEL, Het werk- en studiemateriaal van Philips Ferdinand van Mel-
dert. Rechtspraktizijn in de 18de eeuw, in Handelingen van de Geschied- en Oudheid-
kundige Kring van Oudenaarde, 1965, pp. 193-220 en 1967, pp. 13-38. In deze papieren
vindt men ook adviezen van advocaten, aantekeningen over juridische onderwerpen,
collegedictaten en verzamelingen van rechtspraak (o.m. Rijksarchief Gent, Varia D,
nrs. 3000-3001, 3002, 3003, 3005, 3007, 3012).
212 G. VAN DIEVOET

caten. Zo zijn de papieren van de hoofd-voorzitter van de


Geheime Raad, Pieter Roose en van een van zijn opvolgers
Leo-Jan de Pape, goudmijnen voor historisch en juridisch onder-
zoek (90). Onlangs is ook gewezen op het belang van de papieren
van Am. de Coriache voor de geschiedenis van onze gewesten
in de 17e eeuw(91).

Besluit.
De onuitgegeven werken, repertoria en verzamelingen van
De Ghewiet leveren niet alle hetzelfde belang op voor de rechts-
geschiedenis. Zijn commentaar op de costumen van Doornik
lijkt het meest originele werk te zijn. Zijn verzamelingen van
rechtspraak van de Soevereine Raad en het Parlement te Doornik
en van het Parlement de Flandre te Kamerijk en te Douai zijn
weliswaar weinig oorspronkelijk, maar bevatten toch gegevens
over ongeveer 800 arresten. Vooral zijn Jurisprudence du Parle-
ment de Flandre kan beschouwd worden als een synthese van
de werken van een twintigtal andere "arrêtistes". Zijn Grand
Répertoire is onvoltooid en vertoont de gebreken van vele derge-
lijke werken. Bovendien is de inhoud ervan gedeeltelijk overge-
nomen uit een soortgelijk repertorium van J. B. de Blye. De
Miscellanea zijn geen werk, zelfs geen echte compilatie, maar
eerder een verzameling "papieren" van een advocaat, een per-
soonlijke documentatie en tevens een soort archief.
De onuitgegeven werken hebben als bouwstoffen gediend voor
de Institutions du droit belgique en hebben daardoor ook een
zeker belang verkregen. De rechtshistorici die de Institutions
raadplegen, mogen niet vergeten dat zij een goed deel van de
daarin geciteerde bronnen met weinig moeite kunnen terugvinden
in de handschriften van de auteur.

(90) De papieren van Pieter Roose ( 0 1586 • t 1673) zijn in het Algemeen Rijksarchief
te Brussel ondergebracht bij het archief van de Geheime Raad (Spaanse periode,
nrs. 1500-1584), evenals die van Leo-Jan de Pape (nrs. 1607, 1609-1622, 1625-1635 en
1638-1639). De papieren van P. Roose bestaan vooral uit politieke correspondentie en
stukken in verband met de Geheime Raad. Over de papieren van De Pape, zie
G. VAN DIEVOET, in Nat. biogr. woordenboek, VIII, kol. 574-575.
(91) C. VAN DE WIEL, Repertorium van het compilatiewerk van vicaris-generaal Am.
de Coriache, in Archief- en Bibliotheekwezen in België. Inventarissen, nr. 2, Brussel,
1973. A. de Coriache (0 1600 - t 1682) heeft in zijn registers de tekst opgenomen van
meer dan 1600 akten en documenten van de l lde tot de l 7de eeuw in verband met
het Aartsbisdom Mechelen.
Pontifex iurisconsultus.
Zur Hinterlassenschaft der römischen
Pontifikaljuriprudenz
VON

F. WIEACKER
PROFESSOR AN DER UNIVERSITÄT GÖTTINGEN

I.

Die Herkunft der römischen Fachjurisprudenz aus der Ponti-


fikaldisziplin ist heute zurecht ebenso akzeptiert wie ein nach-
haltiger EinfluB der sakralen Expertenfunktion des Collegiums
(oder seiner einzelnen Mitglider) auf die Inhalte des älteren ius
civile wie auf Vorstellungsweisen und Denkformen der älteren
Fachjurisprudenz (1). Fragt man indes nach den Bedingungen
und Wirkungen dieses Einflusses im einzelnen, so macht sich
oft eine gewisse Unbestimmtheit und Allgemeinheit dieser idées
reçues geitend. Der folgende skizzenhafte Versuch, die möglichen
Antworten ein wenig zu spezifizieren und zu differenzieren, ver-
steht sich als ein bescheidener Beitrag zu jener vergleichenden
rechtshistorischen Anthropologie, die René Dekkers' Lebenswerk
so stark inspiriert und geprägt hat.
Die pontifices haben uns keine Nachrichten über ihre Denkpro-
zesse hinerlassen. Res ipsa loquitur: wir müssen aufVorstellungs-
wege und Denkschritte zurückschlieBen aus dem, was sie ent-
schieden und geförmelt haben. Und hier flieBen die Quellen

(1) Zum folgenden : JHERING, Geist Il 2 3 (1875) 390 ff. (grundlegend); JöRs, Gesch.
d. röm. Rechtswiss. I 16, 19 ff; R. KRüGER, Gesch. d. Quellen 2 (1912) 27 ff; BERGER
RE 20, 1288 ff s.v. ius (pontificium, sacrum); L. MITTEIS RPR 1 22 ff; E. NoRDEN,
Aus altröm. Priesterbüchern (Lund 1939); KASER, Altröm. lus 345 ff; F. ScHULZ,
Gesch. d. röm. Rechtswiss. 7 ff; 18 ff; 22 ff; 28 ff 39 : GIOFFREDI StDoc 13/14 (1947/8)
ll6 ff; COLI ib. 17 (1951) ll5 ff; DE FRANCISCI, Arcana Imperii Il l, 144 ff; LATTE,
RömRelgG (1960) 196 ff.u.ö; DuMÉZIL, La religion archaïque (1960) llO ff.u.ö; ÜRES•
TANO I fatti di normazione nella esperienza arcaica di Roma (1967) passim ; SCHMIDLIN,
Rechtsregeln (1973) 44 ff. J. G. WoLF in Luig/Liebs (Hsg.) Das Profil d. Juristen in
de europäischen Tradition (Etelsbach 1980) 1-24.
214 F. WIEACKER

recht unregelmäBig. Ober die sakralen Kompetenzen, Anord-


nungen und Expertisen der pontifices sind wir durch das Inte-
resse der Antiquare und die Berichte der Historiker leidlich
unterrichtet (2) ; aber dies Material antwortet nicht unmittelbar
gerade aufunsere Frage. Aus der Zeit des pontifikalen Experten-
monopols ist uns nicht ein einziges zivilrechtliches Responsum
überliefert (3) ; bei den späteren Entscheidungen der vielen
alten Juristen, die zugleich pontifices waren (4), bleibt immer der
Zweifel, daB sie gerade Zeugen der fortschreitenden Profani-
sierung sind. Was die älteste Rechtssetzung angeht, so legt die
oft weitgehende Übereinstimmung vieler als "leges regiae" über-
lieferten Kultsatzungen mit dem Zwölftafelstil (5) immerhin
nahe, daB die Redaktion der Tafeln selbst überall dort bei den
pontifices als Hütern des Schrift- und Rechtswissens lag, wo
sie nicht - wie bei den sozialen und politischen Innovationen -
offenbar auf unmittelbare Anweisung der Dezemvirn schrieben,
oder wo mit der unmittelbaren Entlehnung griechischer Vorbilder
auch der altgriehische Gesetzesstil (6) den altlatinisch-itali-
schen (7) Formelstil zurückdrängte. Die ergiebigste Quelle schei-
nen - in der vernünftigen Voraussetzung, daB sie Schöpfungen
des Kollegiums sind, dem nun einmal die Hortung öffentlichen
Schriftwissens und die Formung öffentlicher Rituale oblag -
diejenigen Geschäfts- und Klagformulare, die sich nach ihrem

(2) Die Quellen bei LATTE RRG l ff.; pontifikale Dekrete : JöRs 30 ff.; responsa:
SCHULZ 22 ff, 28 ff.u.ö.
(3) Das früheste möglicherweise das (des Ti. Coruncanius) über das iua posUiminii
des aus der karthagischen Gefangenschaft nach Rom zurückgekehrten Regulus :
Pomp D. 49, 15, 5, § 3; vgl. WIEACKER, Fg. v, Lübtow (1970) 191' 8
(4) Juristen als pontifices zusammengestellt bei KuNKEL, Herkunft u. soz. Stellung•
46 ff.
(5) Die Ûbereinstimmungen (dazu WIEACKER, Die XII Tafeln in ihrom Jahrh.;
in Entretiens Fondation Hardt XIII [Genève-Vandreuvres l 966] 327; noch zuversicht-
licher WATSON, Rome of the XII Tables (1975] 4 f.) erleichterten schon schwankende
Zuschreibungen zu den leges regiae oder den Tafeln : so zu Tab. VIII 2 a si telum
manu magis fugit quam iecit : cf. Cie. pro Tull. 21, 23 (Numa) Serv. Georg. 3, 387
in regum legwus cf. Ecl. 4, 43 : dazu etwa WIEACKER 317 A. l; ferner Tab., VIII
24 patronus si clienti fraudem fecit : einerseits Servius in Aen: ex lege XII tabulorum:
andrerseits 'Romulus' : Dion. Hal. 2, 10, 3 cf. Plut. Rom. 13 : zur Sache statt alller
WIEACKER RIDA 3 (1956) 480; zuletzt KASER RP Il ll8 u. A. 31 (mit Lit.).
(6) Hierzu statt aller WILAMOWITZ, Griech. Verskunst 31 u. A. 3 SBPreuJ3AkWis
1909, 64 ff; NoRDEN (o. 1 ) 254 ff (doch s. zu Tab. III 3: WENGER SZ 61 (1941) 372 f.);
SCHULZ, Prinzipien (1934) 5; DELZ, HeJMus 23 (1966) 82 f; WIEACKER (o. 5 ) RIDA
490 f. u. A. 75 ff; Entret. XIII 331, 351 : ders, St. Volterra 3 (1970) 780 u. A. 53.
(7) Zum Vergleich mit den Iguvinischen Tafeln (zu deren 'kommatischen' Stil
NüRDEN 327 f.) und mit der Agramer Mumienbinde WIEACKER Entret, XIII 324 ff;,
mit Nachweisen.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 215

Kontext bereits bis zur Mitte des 3. Jhs. v. Chr. ausgebildet


haben müssen. Da wir hier keine inhaltliche Beschreibung der
pontifikalen Rechtsschöpfungen beabsichtigen, steht im ganzen
ausreichendes Material für ein vorläufiges Urteil zu Gebot, auf
welchen Wegen Aufgaben, Vorstellungswelt und Technik der
pontifices in der nachmaligen "profanen" Jurisprudenz ihre
Spuren hinterlassen konnten.

Entscheidend wurde zunächst für die spezifischen A ufgaben


des späteren Fachjuristen, daB die pontifo;e,s nicht "Heilsträger"
oder "Heilsvermittler" oder auch nur Opfer- und Gebetspriester
gewesen sind, sondern Sakralexperten (8). Denn die öffentlichen
Kulthandlungen selbst (Gebete, Einholung von Vorzeichen,
Opfer, Lustrationen) vollzog~n die Magistrate oder andere Sakral-
funktionäre, die privaten der Hausvorstand. Sache der ponti-
ficies war es, sie dabei zu beraten, ggf. durch Vorprechen (praeire
verbis : u. 13 ) anzuleiten und Zweifel über einzuschlagende Ver-
fahren oder über die Wirksamkeit einer Handlung gutachtlich
zu entscheiden. In diesem Kultbereich ist der pontifex oder das
Kollegium Expert (consultus) für das kultisch Gebotene, ,,Jas",
wie er es im zivilen Bereich für das rechtlich Gebotene, das ius,
ist. Es war damit für eine lange Zukunft entschieden, daB der
Ort des professionallen Juristen nicht die Jurisdiktion, das
Urteilsgericht oder die Anwaltschaft sein würde, sondern die
überparteiliche Beratung dieser Rechtsprechnungsorgane oder
privater Personen aus eigener Sachkunde.
Unmittelbar zuständige Experten waren die pontifices für
nahezu alle Angelegenheiten des Sakralwesens (9), insbesondere
für die Auskunft über Erhaltung oder Wiederherstellung der

(8) SCHULZ 8 f; LATTE 196 f; 201 Im Gegensatz zu den jlaminea maiorea, die als
Kraftträger des Gemeindeheils durch starke Ort-, Zeit- und Handlungstabus gebunden
sind; anders a.le die Xviri aacria faciundiB im Verhältnie zu den eibylinischen Büchem
sind sie auch nicht 'Orakelpriester' : LATTE 160 u. A. 4; 398. Zur Verbindlichkeit
der gute.chtlichen und anordnenden Dekrete des Kollegiums für Magistra.le und
Senat jetzt J. G. WOLF (o. 1 a. E.) 3 ff, 20 ff.
(9) Cie. de or. 3, 134 ut ad eoa (sc. pontiflcea maximoa) de omnibus divinia et
humania rebus referretur; de leg. 2, 20 diviaque iUia aacerdoa o m n i u m pontifices,
Bingulia jlaminea aunto; eod. 2, 4 7 de aacria et feriia et sepulcria et si quid termini
numinia sit; zu dem allen MABQUABDT, Röm. Staatsverw. III 304; MoMMSEN StR Ii'
39 ff; JöBS 16; LATTE 197.
216 F. WIEACKER

pax deum, über den richtigen Vollzug oder über die Gültigkeit
eines Votums, einer consecratio, einer mortui illatio ; ferner über
Fragen der sakralen Arbeitsruhe (feriae) für Mensch und Tier,
über die Tragweite eines zufälligen (oblativum) oder eines ein-
geholten (imperativum) Vorzeichens (10) und über die Not-
wendigkeit und die geeigneten Mittel zur Entsühung einer
Verfehlung oder eines prodigium (11). Diese Kompetenzen er-
gaben sich nicht aus einem Monopol der eigenen Verfügung
der pontifices über magische Mittel, sondern aus korporativer
Tradition und persönlicher Erfahrung ; sie waren daher weder
ausschlieBliche noch erschöpfende. Gerade darum konnten die
pontifices auch für andere Anliegen und insbesondere für Zweifels-
fragen des ius civile zuständig werden.
Auch die herkömmliche Dreiteilung des fachjuristischen consuli
war bereits im kultischen Aufgabenbereich angelegt (12). Wie
der Jurist den Parteien bei rechtsgeschäftlichen Akten prospektiv
zur Hand ging (cavere), sie bei der Auswahl der einschlägigen
Klagformel beriet (agere) und ex post über Erfolg oder Fehlschlan
dieser Mittel gutachtete (respondere), so leitete von jeher der
pontifex zum richtigen Ritennvollzug an, sprach im gegebenen
Fall Magistraten oder Privaten die erforderlichen verba solemnia
vor und erteilte im nachhinein Gutachten über den richtigen
Vollzug oder die Verfehlung kultischer Handlungen und über
die Mittel zur Entsühung und richtigen Wiederholung (13).

1. Die auffallende Übereinstimmung des Weltbildes und der


Wirkungsvorstellungen der älteren J urisprudenz ruit <lenen des
sakralen Bereichs erklärt sich mehr aus der spezifischen Denk-
weise der Pontifikalreligion und aus ihren technischen Kunst-

(10) LATTE 203; zur verfassungspolitisch wichtigen Technik der fiktiven Meldung
oder der Verweigerung der Annahme obla.tiver Vorzeichen 201. Die Unterscheidung
etwa. bei Serv. in Aen, 6, 190.
(Il) LATTE 203 f.
(12) So bereits treffend JöRS 19.
(13) Zur entsprechenden Unterscheidung des prospektiven, vorbeugenden und des
na.ch Eintritt einer kultischen Störung zur Behebung erteilten Sa.kra.lguta.chten JöBS 17;
LATTE 198. In ähnlichem Sinn unterscheidet SCHULZ 20 f. ,,ka.utela.re,, und "judizielle"
Guta.chten. Zum gleichfalls vorbeugendem verbis praeire JöRs 18 f, (die Quellen 19 A l),
zum Vorma.chen ritueller Gesten Schulz 14 u. A. 9; a.llgemein Wissowa., KRR•
394, 531.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 217

schöpfungen als aus einer ursprünglichen Identität der religiones


und der rechtlichen Lebenssphäre.
Dabei steht trotz der alten profanrechtlichen Kompetenz der
pontifices die Priorität der Sakraltechnik wohl auBer Frage. Auch
bei sakralen Vorstellungen, die spezifische "juristisch" anmuten,
wie bei der eigentümlichen Auffasung des Verhältnises zu den
numina als Rechts-, ja als rechnendes Gegenseitigkeitverhält-
nis (14) und, allgemeiner, der Kulthandlungen als Mittel zu
menschlichen Zwecken, sowie bei dem strengen Formalismus
der Ritualakte hat offenbar nicht die juristische Praxis der
pontifices auf den sakralen Kernbereich zurückgewirkt, sondern
die sakrale Technik die juristische nach sich gezogen. Dafür
spricht auBer der allgemeinen Religionsvergleichung vor allem
dies : die römische Sakraldisziplin bezweckt, die Mittel zur
Erforschung des göttlichen Willens, zur Abwehr göttlicher
MiBbilligung und zur Wiederherstellung der gestörten pax deum
in ein sicheres System zu bringen (15); solche Absichten fanden
aber in den zivilrechtlichen Aufgaben des mitmenschlichen
Zusammenlebens zumindest in der (sehr frühen) Zeit keine
Entsprechung mehr, in der privatrechtliche Konflikte nicht
mehr notwendig auch als Störung des Götterfriedens empfunden
wurden.

2. Dagegen ist allerdings der oft beschriebene Formalismus


des ältesten ius civile durch die ursprüngliche Absicht der Ponti-
fikalsdiziplin begünstigt worden, jegliche Störung der pax deum
durch Verfehlung der richtigen Rituale zu vermeiden. Die juri-
tischen Formeltexte und formalen Handlungen sind daher wie
die sakralen "Wirkformen,, (16), deren Erfolg derart am richtigen
körperlichen Volzug der Wörter und Handlungen haftet, daB

(14) WISSOWA, KRR 2 40, 212 u. ö.; allgemeiner auch FOWLE, Religious Expe-
rience passim. - Fernzuhalten ist hier das (umstrittene) profanrechtliche Prinzip
der "notwendigen Entgeltlichkeit"; dazu u. ••.
(15) Zur ursprünglichen Tendenz der Pontifikalreligion auf "restlose begriffliche
Aufteilung" durch "kasuistische Differenzierung" LATTE 205 f; s.a.u. 64 •
(16) Der Begriff vor allem seit DuLCKEIT, Erblasserwille u. Erwerbswille bei Antre-
tung der Erbschaft (1934) passim (vgl. Wieacker DJZ 1935, 1304) u. bes. Fs. Schulz I
(1951) 161 ff; in der Sache bereits JHERING, Geist II 2, 470 ff; MITTEIS RPR I 255 ff.
(,,innerer Formalismus"); Rabel (u. 41 ); KASER, Altröm. lus 301 ff; RP I2 39 f. (,,Real-
formen"); GRosso, Problemi gener. attraverso il dir. rom. 2 (1967) 151 ff; etwas
abweichend wohl ScnuLZ' ,,aktionaler" Formalismus (a0 26 ff. u. ö.). - Zu den religiös-
magischen (also nicht spezifisch pontifikalen) Wurzeln DE FRANCISCI, Primordia civi-
tatis (11159) 277 ff; SANTORO, AnnPal 30 (1969) 216 ff; weitere bei KASER I 28.
218 F. WIEACKER

für eine Unterscheidung von Wille und Wort, Handlungsabsicht


und Handlungserfolg ursprünglich kein Raum bleibt (17), Auch
die unabsichtliche, ja offenbar zufällige Verfehlung der richtigen
Wirkform macht daher den gewollten Akt schlechthin hin-
fällig (18).
Daher wird solcher Verfehlung schon in sehr alten Formeln
durch den ausdrücklichen Vorbehalt der richtigen Willensmei-
nung vorgebeugt (19). Dies ist keine Umgebung, sondern ein
Kennzeichen der Wirkform selbst : durch den erklärten Vorbe-
halt wird ja die vom sonstigen Wortsinn etwa abweichende
Absicht selbst zum Inhalt des ritual geäuBerten Wortes. Freilich
bekunden diese Vorkehrungen auch die beginnende Einsicht in
die Selbständigkeit der Prozesses der inneren Willensbildung und
damit in die Verschiedenheit natürlicher und sakraler Wirkungs-
zusammenhänge - hier offenbar schon vor allen Einflüssem
griechischer philosophischer Reflexion.

3. Auch die Vorstellung einer (juristischen) Wortgefahr, wie sie


sich schon in der Bezeichung des rechtsgeschäftlichen Handelns
als cavere drastisch ausspricht, mag der Vorsicht gegen sakrales
Unheil verpflichtet sein (20). Für die (immerhin übersehbaren)
Nachteile eines fehlgeschlagenen Geschäftes und selbst eines
ProzeBverlustes allein hätte sie sich in dieser Schärfe schwerlich
ausgebildet.

(17) Dies iet - wie nicht immer beachtet, vgl. ScHULZ 29 ff; e.a. KAsER RP I 184
bei A. 32 - getrennt zu halten vonder späteren sog. 'objektiv-typischen' Auslegung,
die bereits duroh die philosophisch-rhetorische Refiexion auf den Gegensatz von 8LáVOLot
und p'lj't"6v hindurchgegangen iet.
(18) Für sakrale Akte Cie. de resp. har, 23 (sofortige Unterbrechung); das bekann-
teste Beispiel zu den feriae Latinae bei Liv, 41, 16 : JöRs 19; LATTE 211 u. A. I;
entsprechend im profanen Recht Gai IV Il, 31, s. statt aller KASER I 28. Die
Verfehlung der sakralen Handlung ist nicht nur Nichtigkeitsgrund, sondem auch zu
entsühnendes pi,aculum : Plin, n.h. 28 Il : Amob. 4, 31.
(19) WISSOWA 398 u. A. 4; NORDEN (o. 1 ) 55 u. ö.; SCHULZ 33 u. A. 5 mit genauen
Quellen, aber (34 f.) abweichenden Folgerungen auf Beg ren z u n g des frühen
Formalismus durch beginnende juristische Ratio; entfemt verwandt die Technik der
Ignorierung unerwünschter auspicia oblativa : o. 10•
(20) Oavere ('etwas gefährliches genau beobachten' : MULLER Jzn. Altit. Wörterb.
107 s.v.) bezieht sich auch im rechtsgeschäftlichen Handeln (zur prozessualen Wort-
gefahr Gai IV 11, 30) also nicht auf die Beweisgefahr nicht zugenkundiger Erklärungen
(wie im späteren Verständnis von cautio), sondem auf die drohende Nichtigkeit.
Dagegen würde eine r e 1 i g i o s e Gefahr der unrichtigen Beeidung von nicht beste-
hendem iua in einem (hypothetischen) ältesten Sakramentsprozel3 nur bestanden
haben, wenn dies pi,aculum nicht durch den Sakramentseinsatz im vorhinein entsühnt
_gewesen wäre; da13 "ein falsches Wort im Privatrecht noch grollen Schaden anrichten
kann" (JöRS 19), trifft also in diesem Sinn nicht zu.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 219

4. Der Sicherun'g des Götterfriedens gilt endlich das (allgemein


frühmenschliche) Bemühen, die Beziehungen zur Gottheit auf
ein sicheres rechtsförmiges Verhältnis, gleichsam auf einen
,,Rechtsboden", zu stellen, und zwar auf ein do-ut-des Verhältnis.
In der Pontifikalreligion zeigt sich dies besonders auffällig in
der sorgfältigen Durchbildung des Votums, d.h. des bedingten
Versprechens einer menschlichen Gegenleistung für die (vorgän-
gige !) Erfüllung einer Bitte (21). Das Votum wurde folgerecht
eine der Wurzeln der profanrechtlichen einseitigen Verpflichtung
und zugleich das Vorbild für die juristische Denkform der
Bedingung (22).
Dagegen erklärt sich der den nachmaligen Realverträgen und
der condictio zugrundeliegende Rechtsgedanke, unabgegoltener
Sachempfang ziehe Haftung (später : Verpflichtung auf Rück-
gebe oder auf den Gegenwert) nach sich (23), wohl eher aus
frühgesellschaftlichen Grunderfahrungen als aus dem spezifischen
EinfluB religioser do-ut-des Vorstellungen.

IV.

über solche besonderen Anwendungen hinaus hat allgemeiner


die pontifikale Sakraldisziplin die Auffassung des Verhältnisses
juristischer Wirkungszusammenhänge zu den "natürlichen" er-
sichtlich beeinfluBt (24). Mit der gebotenen Vorsicht (25) läBt

(21) votum als aponsi,o, qua oóligamur deo : Cie. leg. 2, 16, 41; dazu etwa KASER
RP I 169 u. A. 27 (Lit.).
(22) Zum (sakralen) oolum als Vorbild der Denkform der juristischen Bedingung
grundlegend MrrrE1s RPI 167 f; RABEL Grundzüge 171; weitere bei KAsER 1 253
A. 2 ff; ÛREBTANO NNDI 3 (1959) 1095 ffs. v. condizione. Friihe Verrechtlichung zeigt
die nüchtere Rede, der Gott schädige duroh Erfüllung der Bitte den Gelobenden, d.h.
mache ihn nun auf Vollzug haftbar (voei condemnai) : Carmina Latina epigraphica
edd. Buecheler-Lommatzsch (1895 ff.) 4; CIL Il 1531; Non. p. 276: Serv. in eol. 5, 80;
dazu LATTE 46.
(23) Zum Prinzip der "notwendigen Entgeltliohkeit" (o.1') auch im römischen
Recht SEIDL, Ägyptische Reohtsgeschichte der Saïten- und Perserzeit (156) 40 ff und
öfter; skeptisch H. J. WouP, Fs. v. F. v. Hippel (1967) 659 A. 19; SZ 90 (1973) 88 ff;
doch s.a. Fs. E. Seidl (1975) 231 ff; und KASER SZ 91 (1974) 146 ff (mit. weit. Lit.);
beide auch zur Abgrenzung gegen H. J. Wou:rs Theorie der Zweokverfügung (SZ 74
[1975) 26 ff. u. ö.).
(24) Grundlegend noch JHERINo, Geist II 2 8 (1875) 309 ff. (Gegensatz der "natür-
Iichen" und der "juristischen Auffassung"); 240 ff. (,.einnliches Element", ,,materialis-
tische Auffassung des älteren Rechts"); 504 ff. (,,anschauliches Element des For-
malen"); MITTEIS RPR I 255 ff; s.a. ScmrLZ Gesch. 35 A. 3; WIEACKER, Die
Juristische Sekunde, in : Existenz u. Ordnung, Fs. für Erik Wolf (Frankfurt 1962)
407-421; DE FRANCISCI, Primordia 277 ff; ÜRESTAN0, 1 fatti (o. 1 ), SANTORO, (o. 11 ) 153 ff;
KAsER, AJus 303 ff; zu Isolierung und Analogie u. A. 26, 27. Die im Text berührte

RENÉ DEKKERS, - 15
220 F. WIEACKER

sich dieser EinfluB so begründen: Die Pontifikalreligion betrach-


tet (hierin ältesten Religionsvorstellungen verpflichtet) als
"Ursache" des glücklichen oder unglücklichen Verlaufs der
menschlichen Dinge die Billigung oder MiBbilligung überwirk-
licher, in den Hochreligionen göttlicher Mächte. Anderseits
führen aber - da hinter dem Streben nach Erkenntnis der
Meinung der Mächte sofort auch die Absicht auf deren Beherr-
schung durch "Gotteszwang" steht - richtige Kulthandlungen
auch mit zwingender Wirkung die Billigung der Gottheit herbei.
Mit der gleichen Notwendigkeit ziehen nun auch rituell richtige
Rechtshandlungen den entsprechenden Rechtserfolg nach sich.
Wie die Sakraldisziplin einen autonomen Wirkungszusammen-
hang postuliert, der unabhängig ist von den "natürlichen"
Wirkungszusammenhängen in der sichtbaren und greifbaren
Welt der wirklichen Dinge, so werden auch rechtliche Ursachen
und Folgen als zwingende Verknüpfung "auBerweltlicher" Vor-
gänge erfahren, die zum natürlichen Zusammenhang der sozialen
Mittel und Zwecke keine unmittelbare Beziehung hat (26).
Auf der anderen Seite wird aber zufolge der notwendigen An-
schauungsgebundenheit menschlichen Vorstellens diese Grund-
beziehung auch wieder nach Analogie der natürlichen Wirkungs-
zusammenhänge aufgefaBt (27), und zwar so unbefangen, daB
man (vielleicht miBverstehend) von einer "naturalistischen" Auf-

Erscheinung wird meist im Zuse.mmenh1mg der 'magisch-archaischen' Welterfe.hrung


und -anchauung behandelt, suf die hier nicht eingegangen werden soll (eingehende
Belege bei KASER RP 20 A. 36: HÄOERSTRÖM, LÉVY-BRUHL, VAN DEN BRINK,
SANT0RO u.a.), s.a. WAAOENVOORT, ANRW I 2 (1972) 348 ff.
(25) Die Gefe.hren einer vereinfachenden und mit ihren Kerndisziplinen nicht immer
Schritt halt.enden Anwendung ethnologischer und religionspsychologischer Typologie
auf das frühe römische Recht werden nicht immer gemieden : dazu bereits KuNKEL
SZ 49 (1929) 153 ff; MACCORMACK IJ 14 (1969) 153 ff.
(26) Zu der hieraus folgenden 'Isolierung' der rechtlichen Beziehungen von der
ihnen zugrundeliegenden 'natürlichen', d.h. sozialen Realität der Lebenswelt SCHULZ,
Prinzipien (1934) 13 ff; PuoLIESE Atti Congr. Int. Soc. It. st. d. dir. I (Firenze 1967)
161 ff. (mit Hinweis auf die dadurch geleistete praktische Lebensentlastung, s.u."') :
ARcHI ib. 71 ff. (Überwindung der aus dem pontifika.len Formalismus überkommenen
Isolierung durch die metajuristischen Perspektiven und materialen Innovationen der
späten Republik); WIEACKER sz 94 (1977) l ff; einschränkend PARADISI Apologia
della storia d. dir. (1970) 331 f.
(27) Zum analogischen Charakter des 'präkausalen' Denkens a.llgemein K CAS·
SIRER, Die Formen des symbolischen Denkens ( 1922); N achweise zur Anwendung auf
'magische' Elemente des a.ltrömischen Rechts im Analogiezauber bei KASER RP I 25
A. 4; 28 A. 36; 45 u A 33; 120 A 2; doch s o. A. 25. - Getrennt zu halten ist hier
die Analogie als rechtswissenschaftlicher InduktionsschluJ3 (statt aller KASER I 213) -
obwohl in unserer Überlieferung altertümliches und wissenschaftliches Analogiedenken
oft schwer unterscheidbar sind.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 221

fassung schon der ältesten Jurisprudenz gesprochen hat (28).


Isolierung (o. 26 ) gegen die natürliche Lebenswelt und doch zu-
gleich Analogie einer selbstgeschaffenen auBerwirklichen Bilder-
welt sakraler oder juristischer Wirkungszusammenhänge zur
erfahrnen äuBeren Wirklichkeit sind also der Sakraltechnik wie
der Jurisprudenz der pontifices gemeinsam.
Diese Denkweise beherrscht die Jurisprudenz offenbar noch
lange nach ihrer Emanzipation vonder Pontifikaldisziplin. Das
Versprochenes nicht noch einmal versprochen (genauer : eine
schon einmal begründete Haftung nicht noch einmal begründet)
werden könne, also auch ein weiters Versprechen derselben Sache
ohne q'uid novi gegenstandslos sei (29); daB man sich eigene
Sachen nicht könne verkaufen (eigentlich: übereignen) lassen (30)
oder nicht mehr Recht übertragen könne als man selbst hat (31);
daB impossibilum nulla est obligatio (32), und daB endlich die
litis contestatio ein dare oportere in ein condemnari oportere verwan-
deln müsse : dies alles scheinen von Haus aus nicht bloBe Abbre-
viaturen vernünftiger Gerechtigkeits- und ZweckmäBigkeitser-
wägungen oder eingängige Appelle an jedermanns einfache
äuBere Anschauung, sondern die notwendige Konsequenz aus
dem Zwang juristischer Wirkungszusammenhänge (33). Erhalten

(28) Vom "Materie.lismus" der älteren Rechtsanschauung spricht in diesem Sinn


bereits JHERINO, Geist Il 2, 420 ff, desen 'naturhistorische Methode' (u. 38 ) indes z. T.
auf modernen Voraussetzungen beruht.
(29) Zu den verschiedenen Ursprungshypothesen BONIFACIO, La novazione nel. dir.
Rom. 2 (1959) l ff; weit, Ne.chweise bei KASER RPI 617 A. l. KASERS einleuchtendem
Gedanken (Altr. lus u. ö.), ein agere per aacramentum e aponaione sei de.re.n gescheitert,
de.J3 eidlich Versprochenes nicht noch einmal Gegenste.nd eines ProzeJ3eides sein könne.
steht freihlich die Verschiedenheit der promissorisschen und der e.ssertorischen Eides-
bindung entgegen.
(30) Zu dem (auch im älteren Barkauf wurzelnden) Prinzip ste.tt aller KASER I 549
A. 39; vgl. 490 A. 13) : zum verwandten Nichtigkeitsgrund der Nichtexistenz der
Kaufse.che - gegen de.s möglicherweise sinnvolle Interesse an Sche.denersstz wegen
Nichterfüllung - ebd. 549 A. 37, 38.
(31) Ulp D 50, 17, 54 (zur in iure ceaaio hereditatia) : ScHULZ, Cle.ssRomL 352;
v. LüBT0W, Fs. BerlinerJurFe.k (1965) 144 ff; weit. bei KASER I 512 A. 4. Zum
ontologischen Bild der körperlichen Übertre.gung eines Gegenstsndes bereits JHERINO
Ii 2, 368 f; sllgemeiner EssER (u. 40 ); einschränkend WIEACKER Z.f.d.ges. Stse.tswiss.
102 (1942) 176 ff.
(32) Cels 50, 17, 185; Ge.i 111 97 sq; vgl. such Ulp D. 50, 17, 31. Wie im Text,
:Friedrich Mommsens Unmöglichkeitsbegriff folgend, bereits RABEL, Fg. E. I. Bakker
(= Ges. Abh. 1 [1969] 469 ff); G. LoNoo, AnnMscerata 10 (1934) 213 ff; B>:TTI. lzst.•
(1960/62) 39 ff; e.nders jetzt e.ber MEDICUS SZ 86 (1969) 67 ff; zur Frage e.uch WoLI,•
SCHLÄ0ER, Die Entstehung d. Unmöglichkeitslehre (1970) 7 ff.
(33) Hiersuf zielen wohl bereits Se.vignys beke.nnte \Vorte sus dem 'Beruf': ,,Die
Begriffe eind den [römischen] Juristen wirkliche Wesen gewesen, deren De.seyn und
Genee.logie ihnen durch langen vertre.uten Umge.ng beke.nnt geworden ist." De.re.uf
beruft sich offonbe.r JHERINOS Rede vonden "Rechtskörpem" (Geist II 2, 369 A. 505;
222 F. WIEACKER

konnten sich freilich solche Vorstellungen als Faustregeln und


vulgo dicta nur, wenn sich in ihnen auch auf die Dauer einleuch-
tende Wertungen aussprachen.
Die Schöpfer dieser (im übrigen dem Laienverstand wie einem
reflektierten Gerechtigkeitswollen gleich antöBigen) Vorstellun-
gen sind die Pontifikaljuristen. Sie haben damit zugleich zum
erstenmal entdeckt, daB eine solche Formalisierung und Iso-
lierung den zweckmäBigen oder gerechten Austrag sozialer Kon-
flikte nicht notwendig behindert, sondern auch - gleichsam
als "Legitimation durch Verfahren" (N. Luhmann) - fördern
kann (34).
Mit der "Begriffsjurisprudenz" der Neueren und mit anderen
Spielarten des juristischen Formalismus (35) hat diese Betrach-
tungsweise nur den allgemeinen Zug gemein, daB sie das recht-
liche Urteil von seinem sozialen oder moralischen Grunde
unabhängig macht. Im übrigen fehlen der römischen Jurispru-
denz auf allen ihren Stufen die besonderen Voraussetzungen der
modernen Begriffsjurisprudenz eines Christian Wolff oder Puchta,
vor allem das Postulat eines geschlossenen Systems logischer
Ableitungszusammenhänge (36). Wohl aber entspricht ihr die
(mit der Begriffsjurisprudenz nicht identische) sog. naturhisto-
rische Methode (37), welche die Relationen juristischer Zustände
und Wirkungen nach Analogie der natürlichen Ontologie wie
ursächliche Beziehungen in der Welt der physischen Dinge auf-
fä.Bt. Jherings "naturhistorische Methode" berief sich daher
insoweit zurecht auf das Verfahren der römischen Juristen (38),
so verschieden im übrigen die Voraussetzungen seiner eigenen

gröber und oberfliichlioher sein Bild vom "Rechtsalphabet" : ebd. 345). Zur Unver•
meidliohkeit und begrenzten Bereohtigung eolcher Voretellungen für ein anechauunge-
gebundenee Denken WIEACKEB, JurSek (o.H); vgl. auch zu EssEB eoeben A. 31 a. E.
(34) Über die eozialpsychologischen Voraussetzungen dieser EntlBBtung, hier tief
eindringend, bereits JHEBING II 2, 471 ff. (Form als "Zwillingeschwester der Frei-
heit" vgl. auch 331 : ,,Praktikabilität des Rechts,,).
(35) Allgemeiner Überblick statt aller bei WIEACKEB, Privatrechtsgeschichte d.
Neuzeit• (1967) 433 ff. u. ö.; über Herkunft und wissenschaftstheoretieche Voraueeet-
zungen des jurietischen Formalismus 367 ff, mit. weiteren Nachweieen.
(36) WIEACKEB a0 319f. (Christian Wolff); 400 ff. (Puchta)
(37) Zu dieser, wesentlioh auf JHEBINGS "Konstruktionejurieprudenz besohränkten
naturwieeenschaftlichen oder naiv ontologiechen Methode etwa WIEACKEB JurSek o.H)
436; PGN 434 u. A. 12; SZ 86 (1969) 21 u. A. 88; Nachweiee zum hierfür para-
digmatiechen Schlüsselproblem der "Doppelwirkungen im Recht" etwa PGN 434 A. 12.
(38) JherJB I (1857) 18, 29 u. ö.; Geist (hier bes. in der noch der Konstruktione-
jurieprudenz verpfilchteten ereten Auflage I1 (1854) 29 ff; II 2, 392, doch e.a. II 2 8
(1875) 358 ff.) mit der Folgerung : ,,der Weg, den dBS römische Recht eingeschlagen
bat, iet der der Jurieprudenz schlechthin (II 2 8 312).
PONTIFEX IURISCONSULTUS 223

Bildersprache waren, die durch die Naturwissenschaft seiner Zeit


angeregt war.
Wenn kultische wie rechtliche Beziehungssysteme unabhängig
von der natürlichen Wirklichkeit und doch, zufolge der An-
schauungsgebundenheit des menschlichen Denkens, zugleich ihr
Abbild sind, so können unreale Gestalten der Handlungen und
Dinge in diesen Systemen dieselben Wirkungen hervorrufen wie
die realen. In der Sakradisziplin gilt daher die Spruchregel
simulacra pro veris accipiuntur (39). In Rechtssetzung und
Rechtsanwendung führt die gleiche Vorstellungsweise zur Fik-
tion (40), die durch Identifikation eines nur vorgestellten Sach-
verhalts mit einem wirklichen die Rechtswirkung bestehender
Rechtssätze, Spruchformeln und Geschäftrituale auf neue soziale
und wirtschaftliche Sachverhalte erstreckt.
So fingiert die Formel der Adrogation vor den Kuriatkomitien
ausdrücklich Zeugung und Geburt des Angenommen durch den
Adrogans und seine mater familias eodem iure legeque; so bereits
gewisse Spruchformeln die Zivität eines Peregrinen (41).

(39) In verschiedenen Fassungen bei Tac. ann, 6, Il (praefectus urbi) feriarum


Lalinarom caUBa durat; Arnob. adv. gent. rerum eimulacra gestarum conaecrati.a in
ritibUB : wieder anders Macrob. sat, l, ll i.f. Anwendungen etwa die Binsenmänner
als Ersatz für das Menschenopfer an den Tiber (de.zu JHERING II 2 3 567 ff); der
Sühnewidder (Tab. VIII 23 a); verwandt die e.uch im italischen Volksleben verbreiteten
'Gebildebrote' und Abbilder geheilter Gliedme.Ben und der Ane.logieze.uber (o. 17) bei
defizio eines menschlichen Abbildes. Zugrunde liegt die symbolische Identifikation,
die auch im pars pro loto-Prinzip der Sakraltechnik (LATTE 211) und den 'residuären
Formen' der Pontifike.ljurisprudenz (JHERING II 2, 509 ff.) wirkse.m ist; vgl. Cic leg"
2, 12, 31 lictores ad speciem atque uBUrpationem vetUBtaliB (MoMMSEN, StR I 68) : Gai
I 113; llB mancipatio als imaginaria venditio; II 103 olim dicis gratia propter veteris
iuris imitationem; IV 17 pars alÛJ.ua inde BUmebatur atque ea in ius adferebatur, deinde
in eam rem quaei in totam rem ... fiebat vindicatio.
(40) Aus dem groBen Schrifttum hier nur : JHERING Il 2, 528; EssER, Wert u.
Bedeutung der Rechtsfiktionen (Frankfurt 1940; de.zu WIEACKER, Ztschr. f. d. ges.
Ste.e.tsw. 102 (1942) 176 ff. R. DEKKERS, Le. fiction juridique (1935); KASER, Altr. lus
3 321 ff; ders. Zur Methode d. Rechtsfindung (Göttingen 1962) 50 A. 6; RPR I 28
(Fiktion als spätere ratione.le Abschwächung älterer Symbolhandlungen) ; PRINGS·
HEIM, St, de Francisci 4 (1956) 209 ff. (= Ges. Abh. Ii 382 ff; dazu Ke.ser IVRA
(1967) 515); GARcfA GARRIDo, AHDR 27/28 (1967/68) 305 ff; CoLACINO NNDI VII
(1961) 269 ff. s.v. fictio iuris; Weitere bei NöRR SZ 90 (1973) 422 ff (Mayer-Me.ly,
Wesel, Gue.landi). Einzelne Anwendungen : BuND, Fg. v. Lübtow (1970) 533 ff,
(Fiktion: pro non scripto habetur); WIELING SZ 87 (1970) 212 ff (Bedingungen) ; zu
conceptUB pro iam nato habetur : Lanfranchi NNDI XI (1961) 13 f s.v. nasci.lurUB,
weitere : KAsER I 2732 u. 21); zur sog. fictio legiB Oorneliae (lul D, 28, 2, 12; Iav D. 28,
3, 15; Paul D, 35, 2, 1, § l; PS 3, 46, 8) KAsER RPI 291 u. A. 23 (Lit., H. J. Wolff,
Amirante, Wesel, u.a.) - Bei BUND, Methode Juliana 122 ff. erscheint die Fiktion
e.ls Form der unentwickelten Analogie; doch beschränkt sich diese Beziehung de.rauf,
daB der fingierte Fall dem wirklichen 'ähnlich' ist, d.h. alle Elemente e.usser den fin.
gierten mit jenem identisch sein müssen.
(41) Zum Komitialtestament Geil. 15, 27 : e.llgemein KASER RP I 105 f. u. A. 6-12
224 F. WIEACKER

Vor allem in der Geschäftjurisprudenz werden durch "Nach-


formung" (42) vorhandener Rituale neue soziale und wirtschaft-
liche Zwecke verwirklicht, die auBerhalb des typischen sozialen
Grundes des nachgeformten Geschäftes liegen und damit nach
einer zuerst Jhering verdankten Beobachtung (43) das ius civile
gerade mit den Mitteln des juristischen Formalismus neuen
sozialen und wirtschaftlichen Erfordernissen angepaBt.
So wurde vermutlich beum testmatum calat1'.s comitiis zur Begrü-
Bung eines Hauserbrechts die adrogatio nachgebildet (44) und
bei der emptio familiae die mancipatio inter vivos zur Begründung
einer Testamentsvollstreckung genutzt (45); bei der emancipatio
der von den XII Tafeln miBbilligte "Verkauf" des Haussohnes
zur einverständlichen Aufhebung der patria potestas (46), und
dann wieder diese emancipatio zum Zweck der Begründung einer
neuen Hausgewalt des adoptans (47).

(mit Lit.). Sein ursprünglicher Arrogationscharakter folgt aus der auch hier bewahrten
detestatio sacrorum (Gt,ll. eod. § 3 : KARLOWA RRG II 94; CASTELLO, StDoc 33 (1967)
147 ff, anders CATALANO, Dir. augurale I (1960), der (243 f; 362 A. 33; 365 A. 40)
comilia calata für die Testamente und c. curiata für adrogatio und detostatio s. unter-
scheiden will. - Zur Fiktion der Zivität in Spruchformeln (Gai IV 37) KAsER SZ 86
(1969) 4 f; 39 ff; s.a. RZivP (1966) 45 u. A. 28.
(42) Grundlegend bereits JHERING II 2 3 529 ff. (noch als Scheingeschäft, doch
von jenem "im technischen Sinn" unterschieden); MITTEIS RP I 255 und besonders
Rabel SZ 27 (1906) 290 ff; 28, 311 ff : PuoLIESE, La simulazione etc. (1938) 57 ff;
PRINGSHEIM (o. 40 ); KASER RP I 40 I. A. 8; LIEBS, Sympotika Wieacker (1970)
111 ff.
(43) a0 528 ff: bes. 534 (,,Transaction zwischen dem forma! technischem und dem
practischen Interesse").
(44) o.u.
(45) Aus der überreichen Lit. (KASER RP I 107 A. 21; 110 u. A. 12) etwa:
LENEL, Oxford Essais in Legal History (1913) 135 ff; KUNKEL RP 309; WIEACKER,
Hausgemeinschaft u. Erbeinsetzung (Leipzig 1940) 18 ff: KAsER, Altr. lus 147 ff;
ALBANESE, AnnPalermo 20 (1949) 433 ff; v. LüBTOW, St. de Francisci I (1956) 424 ff;
R. DEKKERS TR 23 (1955) 21 ff; D16s01, Ownership 46 ff: A. WATSON, RPL :
Successions 43 ff.
(46) Statt aller KASER RP I 93; SZ 61 (1941) 180; WIEACKER, Hausgen. 15 ff;
19 ff; SOLAZZI. Studi V 261 ff; zu den Hintergründen auch GöHLER, Rom. u. Italien
(1939) 84 f; GuARINO, Origini quiritarie (1975) 254 ff. Im Text ist (gegen gewichtige
Stimmen, etwa Kaser) vorausgesetzt dall der Verwirkungssatz der XII Tafeln ernst-
liche Sanktion war und noch keinen Bezug auf die einverständliche emancipatio hatte.
Eine berüchtige Scheinemanzipation des Licinius Stolo zur Umgehung 'seines' eigenen
Ackergesetzes (Liv. 7, 16, 9) gibt, wenn glaubwürdig, einen terminus ante quem für
das erste Drittel des 4. Jhs.
(47) Gai I 134; Gell. 15, 9, 3; dazu BoNFANTE, Corso I (1925) 16 ff; PEROZZI,
Ist 2 (1929, 1946) 426 (einfache mancipatio, vindicatio in patriam potestatem; dagegen
zutreffend KASER RP I 67 A. 18, 19; mit hinweis auf Cie. fam. 1, 7, 24); KASER
sz 67 (1950) 481 ff; LAVAGGI StDoc 12 (1946) 43 ff; LONGO, Dir. di fämiglia 2 (1953)
163; WIEA0KER, Symb. Taubenschlag I (1957 = Eos, 48, 1) 124 ff; BRAN0A, Ene.
di dir. r. (1958) 579 ff; VoLTERRA, NNDI 1 227 f. adozione; ders, BIDR 69 (1966)
109 ff.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 225

Die Voraussetzung ist dabei stets, daB ritualisierte Handlungen


und Wörter als "Wirkformen" auch ohne ihren sozialtypischen
AnlaB rechtliche Wirkungen entfalten. Es kommt deshalb auch
nicht darauf an, ob das nachgeformte Ritual den neuen Geschäfts-
zweck (oft eine fiduziarische Zuständigkeitsbeschränkung eines
Rechtserwerbers) ausdrücklich oder implizit bezeichnet (wie bei
der familiae emptio oder der falucia (48)) oder aber verschweigt
(wie bei der emancipatio und der adoptio (49)). Noch Gaius'
Bezeichnung einer Sachmanzipation ohne Zuwägung des realen
Gegenwerts als imaginaria venditio (I 113 : 119 ; cf. GE 1,6,8)
versteht daher das denaturierte Geschäft ausdrücklich als un-
wirkliches Abbild des nachgeahmten Rituals.

v.

Naheliegend und durch mannigfache formale Ankläge erhörtet


ist endlich der EinfluB der Sakraldisziplin auf den formalen
Aufbau alziviler Geschäftsakte (50).
1. Einmal kennzeichnet diese Akte durchweg das gesprochene
Wort (51). Gebärden und gegenständliche Symbole sind zwar

(48) Die (erst frühklassischen) Urkunden (Bruns nr. 134 sqq. = FIRA III nr. 91 sqq;
Herculaneum bei Arangio-Ruiz, Parola del Passato 9 (1954) 66; ferner die neuen Funde
bei BovE, Labeo 19 (1973) 7 ff; nr. 19, 21, 22) nennen die causa flduciM bald aus-
drücklich, bald implizieren sie sie durch das beigefügte pactum, in dem die alte
nuncupatio (tab,. 6, l) fortlebt. Zu den Fragen s. KAsEB I 47 u. A. 47; zum Fehlen
der causa (auch) bei der (treuhänderischen) in iure cesaio ebd. 134, 415. - Bei der
emptio familiae (Gai II 104) wird die treuhänderische Beschränkung des emptor in
der Formel durch die Rückübertragung der Auftragsgewalt (mandatela) an den Testator
ausgedrückt.
( 49) Dies ergibt sich formell aus den Ritualen selbst und in der Sache daraus,
da/3 die V ollgewalt des ad-Optans sich in der rechtlichen wie sozialen Tragweite in
nichts von der vollen patria potestaa unterschied. - Allgemeiner dürfte die Zweck-
bestimmung durch zusätzliche Nuncupationen gegenüber der in den Grundritualen
die jüngere sein.
(50) Grundlegend wieder JHEBmo II 2, 441 ff. (§ 44; Haften am Wort); 566 ff.
(§§ 47-47d; Analyse der materialen Geschäftsstruktur von mancipatio,Jamiliae emptio;
in iure cessio) 587 ff; grammatischer und practische Aufbau 603 ff; ferner MITrEIS
I 255 ff; ScHULZ, Gesch. 26-38; K.AsEB SZ 59 (1939) 131 ff; Altr. lus 301 ff; RP I'
39 ff; 230 f. - Die Voraussetzung für die im Text folgenden Überlegungen ist stets,
dal3 die fraglichen Formulare von den pontifices oder doch (wie naheliegend) in der
pontifikalen TradJtion redigiert worden sind; s.u. A. 65, 66.
(51) JHEBING a0 587 ff; 60 f ff; E .. WEIJ3, Schriftlichkeit u. Mündlichkeit in d.
röm. Rechtsbildung, in Atti Congr. Int. Verona II (1953) 49 ff; SCHULZ 29 u. A. 4;
PRINGSHEIM (o.• 0 ); DE FRANCISCI, Primordia 268 ff; weitere bei KASER I 230 f. Eine
reiche Auswahl bereits bei BRISSONIUs, De formulis et solemnibus populi Romani
verbis (ed. Bach 1783).
226 F. WIEACKER

kaum weniger häufig als etwa in den germanischen Rechten (52),


treten aber niemals ohne den Halt eines verbindlichen Forme1-
spruchs auf. Noch längst nach der (frühen) Einbürgerung des
privaten Beurkundung bestehen die Juristen darauf, die Rechts-
wirkung hafte am gesprochenen Wort; selbst das mündliche
Testament überlebt und die konstitutive Skripturobligation
blieb dem ersichtlich jüngeren und dem überregionalen Kredit-
verkehr dienenden Litteralkontrakt vorbehalten. Schon die Iden-
tität der alten Termini für den sakralen und für den rechtlichen
Spruchvortrag (orare, adorare, lingua nuncupare) (53) legt nahe,
diesen später so anachronistischen Oralismus auf eine Sakral-
disziplin zurückzuführen, deren Begehungen durchaus das rituelle
gesprochene Wort beherrschte (54).

3. Die altzivilen Geschäfte sind ihrer Form nach durchweg


einseitig. Mit eimer sofort zu erklärenden Ausnahme spricht nur,
wer Sach- ader Haftungsherrschaft erwirbt ader wer sich von
einer Haftung löst (55). Der materiale Konsens ist allein dadurch
gewährleistet, daB die einseitige Erwerbs- ader Enthaftungs-
behauptung vom Gegner vor Zeugen unwidersprochen bleibt.

(52) So zutreffend SCHULZ 29. Symbolisohe Gegenstände und Handlungen bei


JHERING 564-577; vgl. ferner STROSETZKY, Antike Rechtssymbole, Hennes 86 (1956)
l ff : vieles oft tief Eindringende verstreut bei BESELER, besonders in den vier
Beiträgen: SZ 45, 396; 49,404; 51, 598; 53, 226. Vgl. IDp 28, 5, l, §§ 1-3; 28, l, 21 pr;
lul D. 29, 7, 20 u. a. (KAsER I 680 A. 22: Lit. ebd. 680 A. 17; li Nachtrag zu § 160
A. 17. - Die einzige weittragende Abweichung vom Oralismus, die konstitutive Regel-
form der Erbeinsetzung in tabulia ceriaque gehört freilich wohl bereits der PontifikeJ.
jurisprudenz, wie die tabula cerave der Fetialenfonnel bei Liv. l, 24, 6 (SCJIULZ
29 A. 7; 30 A. 1; kritisch zu ihrer sonstigen Authentizität aber LATTE 122 n. 4) zeigt.
Zum hohen Alter der Beurkundung auf W achstafeln ScHULZ 29 A. 5 (mit Berufung
auf Ed. Fraenkel); A. HEuf3, AbschluJ3 und Beurkundung v. Staatsverträgen (Klio
Beih. 27; 1934) 16 u. ö.; KASER RP I 230 A. 5; weit. lt, ebd. A. l : LIEBS,
Sympotika Wieacker (1970) 148 A. 157, skeptischer F. v. ScHWIND, Z. Frage d. Publi-
kation (1940) 14 ff; MAGDELAIN, La loi (1978) in u.a. 33, 36.
(53) Zum prozessualen (ad)orare (tab. 1, 6, 7; peroranto) VIII 16 adorat furti)
KAsER RZivP (1966) Reg ah!; zum sakralen nuncupari (Festus 176 nuncupata pecunia:
Varro l. l. 6, 60; Serv. in Aen. cum condictio ipsius augurii certa nuncupatione dicitur)
LEIFER BIDR 40 (1936/37) 182 ff; NOAILLES, Du droit sacré au droit civil (1949)
300 ff; GIOFFREDI StDoc 37 (1961) 343 ff; D.-V. SIMON sz 82 (1965) 147 ff; VAN
DEN BRINK Iua faaque 169.
(54) Gewagter erklärt ScHULZ 32 f. ihn aus dem Streben nach dam schönen Wort :
,,Man denkt : Gott hört nur auf schöne Rede" (33).
(55) Statt aller JHERING II 2, § 33; MITTEIS RP I 255 ff; KASER sz 91 (1974)
154 ff. (zur mancipatio und traditio) : RPI 39 f. u. A. 4; zur entsprechenden fonnalen
Einseitigkeit der lex publica ebd. A. 4; s. jetzt auch MAGDELAIN, La loi (1978) 29, 46 f;
sowie der späteren lex contractua (KASER 229, mit zahlreiche Nachweisen A. 24
{GEORGESCU, PLACHY, A. d'ORS, ÜANCELLI n.a.). Die Ausnahme der pollicitatio (KAsER
I 604 u. A. 46) könnte sich - wie heim se.kralen votum (o. 21 ) - aus dem typischen
Fehlen eines vemehmungs- und erwerbsfähigen Erklärungsgegners erklären.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 227

Dies könnte sich zwar schon daraus erklären, daB auch der
rechtgeschäftliche Erwerb von Sach- oder Haftungsherrschaft
ursprünglich sich als in anerkannten Riten vollzogene und hinge-
nimmene M achtbetätigung darstellt, wurde aber wohl dadurch
begünstigt, dass das menschliche Wort, das eine Gottheit ver-
pflichten oder von ihrem Zugriff lösen will, seiner Natur nach
ohne ausdrückliche Antwort bleiben muB : nur im Gedicht oder
Mythos "nickt" oder "donnert" der Gott Gewährung.
Die formale Zweiseitigkeit der sponso/stipulatio, in die jeden-
falls auch ein religioses Eidgelöbnis eingegangen ist, erklärt sich
ersichtlich aus der Notwendigkeit ausdrücklicher (bedingter)
Selbstverwünschung ; sie erhielt sich, weil die stipulatio zu den
wenigen nicht zeugenkundigen Formalakten des älteren ius civile
zählt (56). Doch kommt auch hier die Initiative des Rechtser-
werbers in der vorgängigen Frage des Gläubigers zum Ausdruck,
die übrigens in der rogatio an die alten Kuriatkomitien ihr
Gegenstück findet.

3. Nach vielen religionsgeschichtlichen Erfahrungen enspre-


chen einander magisch bindende und lösende, religios verschul-
dende und entsühnende Handlungen oft spiegelbildlich. AuBer-
wirkliche Wirkungszusammenhänge können nur auf demselben
Wege rückgängig gemacht werden wie sie hergestellt wurden.
Diesem Vorbild könnte die formale Symmetrie oder Korrespon-
denz (57) mehrerer profaner Rechtshandlungen entsprechen :
nämlich einmaJ die formale Entsprechung von Klagbehauptung
und Klagleugnung bei der Sakramtsklage in personam, von Frage
und Antwort bei der stipulatio; und zum andern die Spiegelbild-
lichkeit rechtsbegründender und rechtsauflösender Handlungen

(56) Zur entsprechenden Anwendung des Frage-Antwort-Scheme.s in den zweiseitig


verpflichtenden Konsensualverträgen (Plaut. Epich. 479 : Varro de r. rust. 2, 2, 5 und
noch D 18, l, 7, § 2; eod. 34, § 641 pr, 64 u. ö.) bereits MOMMSEN SZ 6 (1889)
435 ff. ( = JurSchr III 132); GEORGESCU, Essai d'une théorie générale des leges privatae
(1932) 113 u. ö.; J. G. WoLFF, Error im röm. Vetragsrecht (1961) 35 ff; ÜANCELLI,
Le origini del contratto consensuale di comprevendita (1963) 28 ff. Immerhin kommt
auch hier - wie bei der rogatio der Vorsitzer der Kuriat- und Zenturiatkomitien -
die Initiative des Erwerbers in der vorgängigen Frage des Käufers zum Ausdruck.
(57) Muc/Pomp D. 46, 3, 80; Ulp D 50, 17, 35; Paul eod. 153 u. ö., mit vielfachen
textkritischen Beanstandungen. Zu diesen Prinzipien JHERING II 2, 626-628 (nicht
hierher gehört die "Correspondenz der (Spruch)Formel mit den Worten des durch sie
zur Anwendung gebrachten Gesetzes,,: ebd. 632 ff); MrrTEIS RPI 273 ff; CANNATA,
Fg. v. Lübtow (1970) 439 ff; ScHMIDLIN, Rechtsregeln 74 ff; NöRR SZ 89 (1972) 52 ff;
228 F. WIEACKER

im actus contrarius (58). Auf den ersten Bliek scheint dieser


Vermutung das Gegenüber von confarreatio und diffarreatio,
nexum und solutio per aes et libram, stipulatio und acceptilatio
und noch des expensum und acceptum ferre im Litteralkontrakt
recht zu geben. Bei näheren Zusehn mehren sich indes die Zweifel
an der Ursprünglichkeit der Erscheinung (59).
Bei den überlieferten Sakralformeln ist ein ausgeführtes Sym-
metrieschema kaum erkennbar. Die diffarreatio könnte eine späte
künstliche Schöpfung sein ; ihre nähere (,,schauerliche") Gestalt
kann nur vermutet werden und enthielt als gegenseitige Verwün-
shung jedenfalls kein eigentliche spiegelndes Element. Schon
die acceptilatio, vollends der Litteralkontrakte sind verhältnis-
mäf3ig späte Formulare des entwickelten Kreditverkehrs. Und
bei der wirklich hochaltertümlichen solutio per aes et libram
ist der spiegelbildliche Begründungsakt, das rechtsgeschäftlich
nexum, nach Existenz und formaler Gestalt kontrovers (60).
Gleichwohl sind nach alledem in den ältesten Geschäftsformu-
laren urwüchsigere Gestalten des rechtlichen Sach- und Haftungs-
zugriffs einmals in den Formen der pontifikalen Formelkunst
redigiert worden.

KASEB RP 1 40, 230; KNÜTEL, Contrarius consensus 3 ff; sz 88 (1971) 67 ff; LIEBS,
Sympotika W. (1970) 111 ff.
(58) Dll,8 Symmetrieprinzip wird im Allgemeinen auf den letzteren Sinn besohränkt :
so bereits JBEBINO 626 und die soben (o. 58) genannten.
(59) Zurückhaltend KASEB (,.vielleicht nur unverbindliche Erfahrungsregel"),
KNüTEL, NöBB; ganz ablehnend Liebs (sämtliche o. 58 ). Die Fassung der Digestentexte
68
(o. ) ist jedenfalls durch die Vorliebe der Kompilatoren (und ihrer oströmischen Vor-
gänger f) für eine so suggestive Merkregel beeinflul3t, die jedenfalls zur Erhaltung einer
wirklichen regula iuris antiqui beitragen mul3te; vgl. ScBMIDLIN 74 ff. Zur Frage der
Echtheit der entsprechenden Parallelisierung von Besitzerwerb- und Verlust (Paul
D 41, 2. 8; D 50, 17, 153; Pap D. 41, 2, 46) statt aller KASEB RP I 395 A. 47
(Albertario, Siber, Wieacker, Möhler, Burdese, Knütel; für Echtheit Cannata, Mac-
Cormack, Liebs).
(60) Auf das unübersehbare nexum-Problem ist hier nicht einzugehen; s. statt
aller KABEB RP 1 166 A. 2 ff; II 575 f. (Nachtrag zu § 43 1 ). Unser Text geht (mit
KASER 43 u. bes. 166) gerade im Hinblick auf die solutio per aes et libram von der
Existenz eines Libralaktes aus, ,,mit dem jemand einem anderen die dem Wesen der
Personalhaftung eigentümliche Zugriffsgewalt auf seine Person einräumte" (aO 166),
der aber kein 'Selbstverkauf' oder auch nur 'Selbstemanzipation' war (und mit dem
der Gläubiger den Liberalschuldner unwidersprochen für nex'UB, 'verstrickt-, erklärte).
Für Symmetrie spräche es, wenn die solutio p.a.e.l. ursprünglich nu r von (rechts-
geschäftlicher) nexum-Haftung gelöst hätte, wofür immerhin die spätere Beschränkung
auf Schuld aus einem negotium per aes et libram oder ex causa iwlicati (Gai 111 173 .
certis in ca'UBÏB rell.) sprechen würde. - Weitere Anwendungsfälle des Prinzips bei
KNüTEL, Contrarius consensus 3 ff; SZ 88 (1971) 62 ff; LIEBS 122 ff; zur ademptio
legati etwa auch JHEBING II 2, 627 u. A. 853.
PONTIFEX IURISCONSULTUS 229

VI.

Die gröBte Tragweite hatte schlieBlich die Sakraldisziplin der


pontifices für die Ausbildung eines zusammenhängen juristischen
Regelwissens, d.h. einer professionellen Rechtskunde, selbst.
Schon die ersten Anfänge einer spezialisierten Rechtskunde
setzen ja ein hohes MaB von gedanklicher Abstraktion voraus.
Schon den ältesten Juristen forderte die Anwendung von Geset-
zen und Präzedenzien die intellektuelle Leistung eines Identitäts-
oder Ähnlichkeitsurteils ah, das hinter verschiedenen Sachver-
halten die gemeinsame ratio decidendi wahrnimmt (61). Ähnlich
setzte die richtige Wahl unter den überlieferten Spruchformeln
und Geschäftsformularen für den einzelnen Fall und vollends
die Redaktion neuer Formulare die prospektive Fähigkeit voraus,
die Zwecke ihrer künftigen Anwendung vorauszusehen, die geeig-
neten verba solemnia für diese Zwecke zu finden und sie, wenn
nötig, auch weiteren neuen Bedürfnissen anzupassen (62). Diesen
Fähigkeiten nun arbeitete die Sakraldisziplin vor : durch sie
erhielten - mit Worten K. Lattes - ,,Begriffe wie Analogie,
Verwirkung usf., die ursprünglich konkret-magisch gemeint
waren, eine Ausweitung ins abstrakt Gedankliche. So wurde die
Lehre von den piacula zu einem festen System entwickelt, in
dem gleichen Vorzeichen auch gleiche MaBnahmen entsprachen -
was den präjudizialen Stil pontikaler Gutachten und die Er-
schlieBung allgemeiner Regeln fördern muBte" (63).

VII.

Eine nähere Analyse der Gesetzesauslegung, der Spruchformeln


und der Geschäftformulare der pontifices im einzelnen - die

(61) ,TöRS 18 ff; 45 u. Ö.; SCHULZ 22 u. ö.; STEIN, Regulae iuris (1966), 4; SCHMID•
LIN, Rechtsregeln 3 ff. Von der hierin begründeten "Elementardogmatik" des alten
ius civile spricht in diesem Sinne recht glücklich Biondi St. Arangio-Ruiz Z (1953) 77.
(62) Von "extensiver Erstreckung" der Form redet in diesem Sinn JHERING II 2,
518, vgl. ebd. 471 ff u. o. 34 • Für die von ScHULZ 30 f. vermutete Entwioklung von
frühen biegsameren und anpassungsfähigeren Formularschöpfungen zu späterer
Erstarrung und Kononisierung bieten jedenfalls ersiohtlich komplexe und also wohl
spätere Akte ( u. nach 68 ) wie die adoptio, emptio familiae oder solutio per aes et libram
keinen Anhalt.
(63) In der Fassung des Textes naoh einer m.W. nicht publizierten Äul3erung; vgl.
aber LATTES RelGesoh 61 f. (auch zu den juristisohen Parallelen); s. a. ScHULZ 38 :
,,eine fortgeschrittene begriffliohe Abstraktion, bei völligem Fehlen (expliziter) Defi-
nitionen, abstrakter Formulierungen und rationaler Systematik".
230 F. WIEACKER

einer gröBeren Gesamtdarstellung vorbehalten bleiben muB


würde diese Skizze bestätigen. Vor allem die ältesten Formulare
geben einen eindrucksvollen Begriff von dem Grad der geistigen
Ausbildung der Pontikaljurisprudenz. So unfrei und befangen
sie auf den ersten Bliek erscheinen mögen : sie sind alles andere
als 'primitiv', vielmehr überlegte Lösungen voraussetzungsrei-
cher technischer Probleme einer Rechtskunst, deren Speziali-
sierung bereits weit fortgeschritten war. Charakteristisch ist
für sie die Spannung zwischen einem rigiden Formalismus, der
sich jeder Rücksicht auf die soziale und wirtschaftliche Tragweite
der Rechtswirkung des gesprochenen Wortes zu verschlieBen
scheint, und einem treffsicheren Wirklichkeitssinn, der mit dem
beschränkten überkommenen Formenschatz beständig neue
soziale Aufgaben löst. Entsprechend ambivalent ist das Verhält-
nis dieser frühesten Juristen zum Zwölftafelgesetz, das sich in
diesen Formularen ausspricht. lndem sie glauben oder vorgeben,
sich streng an den Buchstaben zu binden, erweitern oder über-
winden sie auf Schritt und Tritt die Schranken jener zeitge-
bundenen groBen Rechtsaufzeichnung. Diese Verbindung zwi-
schen ängstlichem Formalismus und nüchternem Realismus ist
alles andere als ein Widerspruch. Man wird darin innerste
Wesenszüge der altrömischen Art wiedererkennen : ihre be-
schränkte Vorstellungskraft und die unbeirrbare Sicherheit und
Zielstrebigkeit des Handelns vor der Tagesaufgabe, die gerade
jene Beschränktheit verbürgte.
Ein Entwicklungsprofil dieser Denkart läBt sich mangels
sicherer Datierung der Soruchformeln und Formulare schwer
gewinnen (64). Sicher schon den Dezemvirn bekannt waren die
sponsio/stipulatio und das (bereits durch nuncupationes variierte)
Libralgeschäft, insbesondere die Sachmanzipation (65) und die
solutio per aes et libram; sowie die Haussuchung lance et licio,
die vindicatio libertatis und rei und wohl auch die legis actio per

(64) Ste.tt aller Mi=EIS RP I § 15 ('Innerer Formalismus'); RABEL SZ 27 (1906)


290 ff; eod. 28, 314 ff; BuCKLAND, Fa. Kosche.ker I (1939) 16 ff; ScxuLZ 30 f. (o. 63 ).
(65) Freilich nicht notwendig die (von uns vermutete) hybride Koppelung einer
e.u.Bergerichtlichen vindicatio und eines libralen Haftungsgeschäfts in ihrem überlie-
ferten Formular; dazu bereits JxERING a0 542; ferner (oft unter abweichenden Gesiohts-
punkten) BESELER SZ 45 (1925) 414. THORMANN, Der doppelte Ursprung d. me.n-
cipe.tio (1949, Neudruck 1966) 248 ff. u. ö.; VAN DEN BRINK, lus fäsque 150 ff;
zu den Fre.gen ste.tt e.ller KABEB RP I 43 (dort e.uch seine eigenen einschlägigen
Arbeiten).
PONTIFEX IURISCONSULTUS 231

sacramentum in personam. Dezemvirale Neuerungen waren die


Erbteilungs- und Grenzscheidungsklage und andere Formen der
legis actio per iudicis arbitrive postulationem. Postdezemviral
waren die emancipatio (o. 46 ), die adoptio, welche jene voraussetzt;
und mit groBer Wahrscheinlichkeit auch die familiae emptio
sowie unzweifelhaft deren Fortbildung zum (schriftlichen und
geheimen) Erbeinsetzungstestament. Wie zu erwarten, scheinen
die kühneren und komplexeren Formeln und Formulare nach
den XII Tafeln und jedenfals später redigiert worden zu sein
als die urtümlicheren und einfacheren.
DROIT PRIVÉ
ET DROIT COMPARÉ


PRIVAAT RECHT
EN VERGELIJKEND RECHT


PRIVATE LAW
AND COMPARATIVE LAW


René Dekkers,
civiliste et comparatiste

Notre collègue, Jean LIMPENS, membre de notre comité


d'hommage, avait accepté de rédiger l'introduction à la contribu-
tion de René DEKKERS au droit civil et au droit comparé. Tout
le désignait pour cette tdche : sa réputation de civiliste, son rayon-
nement de comparatiste, ses fonctions aux universités de Bruxelles
et de Gand, sa qualité de membre de la Koninklijke Academie voor
Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, son
amitié enfin pour René DEKKERS. Unis par tant de liens dans
la vie, nos deux collègues le sont aujourd'hui dans la mort et
Jean LIMPENS n'a pu achever le texte qu'il nous avait promis.
A ussi avons-nous demandé à la Koninklijke Academie voor
Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, de
bien vouloir nous autoriser à présenter dans notre hommage une
version française de la partie consacrée au droit civil et au droit
comparé dans le texte présenté par Jean LIMP ENS à la Olasse
des Lettres de cette Société le 23 avril 1977. Le Secrétaire Perpétuel
a bien voulu accéder à notre requête et nous tenons à l' èn remercier
très vivement.

*
* *
Bien que ces ouvrages présentent Ie plus grand intérêt, la
contribution la plus remarquable de René DEKKERS à la science
du droit n'en réside pas moins dans Ie domaine du droit civil,
auquel il s'est consacré depuis 1939.
1939 ! Il a tout juste 29 ans lorsque prend Ie départ de son
incroyable collaboration au monumental Traité élémentaire de
droit civil de Henri DE PAGE. L'un après l'autre paraissent avec
une régularité étonnante : Ie droit des Biens, première partie,
Ie droit des Biens, seconde partie, les Privilèges et Hypothèques,
la Transmission des droits réels immobiliers, la Prescription,
les Successions, les Régimes matrimoniaux, pratiquement tout
entiers de sa main (en deux volumes). Des milliers de pages!
RENÉ DEKKERS. - 16
236 RENÉ DEKKERS, CIVILISTE ET COMPARATISTE

Plus de la moitié du Traité à partir du moment ou débute sa


collaboration.
Sans doute n'y a-t-il pas dans l'histoire du droit d'autre
exemple d'une production scientifique du plus haut niveau aussi
massive publiée sur une aussi courte période. Pour cela seule-
ment René DEKKERS mérite l'admiration et la reconnaissance
du monde juridique.
A sa seule modestie est dû le fait que les volumes de DE PAGE
qui ont été complètement écrits par lui n'aient pas paru sous
son nom en qualité d'auteur mais seulement en celle de colla-
borateur. Ce fut encore le cas en 1972 lors de la troisième
édition du tome IV du Traité qu'il avait complètement retra-
vaillé. Il s'opposait - témoignage émouvant de fidélité à son
maître - à ce qu'un seul mot fût modifié dans la page de garde
de l'ouvrage.
Sa connaissance du droit romain et de l'histoire du droit le
mettait dans la possibilité de cerner la problématique actuelle
au départ de son arrière-plan historique. Un exemple typique
s'en trouve dans le tome VI du Traité lors de la discussion de
la règle du transfert immédiat du risque à l'achat d'une chose
certaine.-
A l'aide des textes romains originaux, René DEKKERS montre
clairement comment cette réglementation remonte aux pratiques
commerciales romaines. Pour encourager le commerce outre-
mer, il apparaissait toujours nécessaire de libérer les vendeurs
du risque de la chose. Les règles originelles, vraisemblablement
contractuelles, selon lesquelles l'acheteur prenait le risque à sa
charge dès la conclusion du contrat, devinrent progressivement
la règle générale.
Le sens de la synthèse qui caractérisait René DEKKERS lui
permettait de ramener à leur essence même les problèmes de
technique juridique les plus compliqués et de formuler simple-
ment et clairement les solutions adéquates qu'il élaborait dans
le style et la langue concis et brillants qui lui étaient propres.
L'accent était toujours mis sur les grands traits de la matière.
Partant des principes généraux chaque point était développé de
manière soignée et complète dans ses détails pratiques et tech-
niques, cependant sans que jamais le lecteur ne soit englouti
sous l'érudition de !'auteur.
RENÉ DEKKERS, CIVILISTE ET C0MPARATISTE 237

<< Un traité >>, écrivait-il en 1971, << doit demeurer une reuvre

de synthèse, une reuvre de pensée. Il doit approfondir. Il doit


s'attacher à ce qui est durable. Discerner Ie durable du jour-
nalier, voilà la science. Le journalier vieillit vite. Ce qu'on
demande à un traité, ce sont des idées et des vues d'ensemble. >>
Il ne devait cependant pas y avoir de limite à notre éton-
nement. Pas même cinq ans après la parution du Traité, René
DEKKERS en publiait une édition abrégée aussi bien en français,
Ie Précis de droit civil (1954-1955) qu'en néerlandais, Handboek
van burgerlijk recht (1956-1958). Chacun comprenait trois forts
volumes de plus de mille pages, entièrement de sa main, alors
que d'autres auraient eu besoin d'une armée de collaborateurs.
Dans eet ouvrage, il avait l'intention de fournir aux jeunes
juristes un manuel court et pratique et en même temps de se
forger une arme dans Ie combat qu'il menait contre la surcharge
de ]'enseignement du droit.
<< J'estime >>, écrivait-il, << qu'il faut réagir contre l'envahisse-

ment. Et je vise ici, non seulement Ie droit civil belge, mais


toutes nos connaissances en général. Tous nos programmes uni-
versitaires sont devenus surchargés. On ajoute, on ajoute; c'est
facile. Mais on n'élague pas; c'est plus ardu. Le résultat c'est
que les études universitaires (et pas seulement celles-là) sont
devenues Jourdes, inutilement lourdes, d'ou des échecs de plus
en plus nombreux. Si nous n'y prenons garde, nous nous lais-
serons étouffer >>.
René DEKKERS n'était pas seulement un maître de la synthèse.
Sa propre contribution au développement du droit civil était
parfaitement perceptible. Particulièrement important fut, par
exemple, son röle dans la solution du problème de la responsa-
bilité pour les troubles du voisinage non-fautifs. A la lumière
des interminables hésitations de la jurisprudence en ce qui
concerne Ie fondement de l'indemnisation du dommage que les
chantiers et les installations industrielles apportent fréquemment
de manière inévitable, il propose de se dégager pour cette
question de Ja responsabilité civile (art. 1382 du C.C.) et de se
rattacher à une limitation raisonnée du droit de propriété
(art. 544 du C.C.). Cette manière de voir permettait de prévoir
une indemnisation de la victime sans pour autant devoir inter-
dire les activités dans lesquelles Ie dommage trouvait sa source.
238 RENÉ DEKKERS, CIVILISTE ET COMPARATISTE

En 1960, cette théorie fut sanctionnée par la Cour de Cassation


et depuis elle a été adoptée par la grande majorité de la juris-
prudence et de la doctrine.
Un autre domaine dans lequel son opinion a eu une influence
importante sur la jurisprudence et la doctrine est celui de l'annu-
lation du mariage pour dol. S'opposant à la conception tradi-
tionnelle << En mariage, il trompe qui peut >>, il établit la distinc-
tion entre Ie dol innocent que commettent les amoureux en
mettant en évidence leurs cötés les plus favorables et Ie dol
lourd, coupable, de ceux qui n'hésitent pas à celer des aspeets
essentiels. Il en concluait que Ie vieil adage, en cas de dol lourd,
ne peut déroger au principe général <</raus omnia corrumpit >>.
Cette manière de voir fut de plus en plus suivie avec l'écoule-
ment du temps.
Pleines de signification sont également ses contributions remar-
quables en matière de possession, de subrogation réelle, de
tutelle, de successions futures, de liquidation.
La technique juridique n'était pas pour René DEKKERS un
but en soi. Il était toujours conscient de la signification pratique
du droit. Ses propositions résultaient de la préoccupation de
fournir une solution aux besoins sociaux, de protéger les faibles,
d'alléger l'appareil judiciaire. Ceci apparaissait notamment de
ses propositions en ce qui concerne l'amélioration de la position
de la victime dans Ie droit de la responsabilité, aussi bien que
de ses suggestions relatives au statut de !'enfant naturel ou au
droit des régimes matrimoniaux.
René DEKKERS attendait également des juristes une solution
aux problèmes de notre temps. Il estimait qu'une jurisprudence
plus progressiste pouvait se substituer à !'inertie du législateur
dans Ie secteur du droit privé.
Il regrettait notamment que la Cour de Cassation ne traitat
pas Ie droit civil d'une manière plus << progressiste, humaine,
souple >>, mais par contre adoptat face à maint problème impor-
tant une attitude << limitative, conservative, en apparence limi-
tée à la lettre des textes >>.
Un exemple des efforts de René DEKKERS sur ce plan se trouve,
entre autres, dans sa note sur la procédure de recours de la
compagnie d'assurances contre l'assuré en cas d'ivresse au
volant. Le fait que Ie juge pénal prononce des peines séparées
pour l'ivresse d'une part et pour l'homicide par imprudence de
RENÉ DEKKERS, CIVILISTE ET COMPARATISTE 239

l'autre, implique, dit la Cour, à la lumière de l'article 65 du


Code pénal, que Ie juge établit qu'il n'y a pas de lien de cause
entre l'ivresse et !'accident. Il en résulte que Ie recours de la
compagnie d'assurances doit être rejeté. René DEKKERS réagit
très vivement à ce raisonnement trop formaliste selon lui, qui,
de manière assez singulière, venait au secours du conducteur
1vre.

Il se trouva donc ainsi à nouveau progressivement attiré vers


l'aspect comparatif du droit. De son propre aveu, il n'étudie
plus désormais les règles de droit seulement du point de vue de
leur utilité sociale, mais aussi sous l'angle de la structure de ces
règles, de leur articulation, de la mentalité qu'elles expriment.
Il examine, classifie, compare, approfondit la règle juridique
pour en dégager des notions générales.
En 1953, son travail de recherche dans ce domaine culmine
dans la publication de son Droit privé des peuples, une synthèse
comparative fantastique de l'histoire du droit des peuples les
plus importants du monde, s'étendant des Assyriens et des
Egyptiens, en passant par les Grecs, les Romains et les Incas
pour atteindre les pays modernes existant à !'époque.
Il établit, comme autrefois Montesquieu l'a fait, mais mainte-
nant au départ d'une masse incroyable de données objectives,
comment Ie droit privé évolue en fonction de son environnement,
des moyens d'existence, de !'esprit des peuples et de sa crois-
sance politique. D'abord et surtout il met en évidence les mêmes
espèces de réactions fondamentales aux mêmes situations inquié-
tantes. Les institutions du droit lui apparaissent comme les
pièces d'un jeu d'échec << <lont certains des mouvements définis
sont certes prévus mais qui sont cependant susceptibles de
destins différents >>.
René DEKKERS était un partisan convaincu de la méthode
comparative. << Si nous voulons aller avec notre temps >>, écri-
vait-il, << si nous voulons acquérir ce regard prévoyant auquel la
science du droit doit son nom latin, - juris prudentia -, nous
devons devenir des comparatistes suivant en cela l'exemple des
grands juristes de tous les temps >>.
De geschiedenis
van het gelijktijdig bestuur
in het nieuw wettelijk stelsel
DOOR

G.BAETEMAN
HOOGLERAAR AAN DE VRIJE UNIVERSITEIT BRUSSEL

INLEIDING.

1. - Een ongehuwde handelingsbekwame persoon kan alleen


de goederen van zijn vermogen besturen. Hij is tevens "onder
verband van al zijn goederen gebonden zijn verbintenissen na
te komen" (art. 7 HW). Eens gehuwd, moet - althans naar
onze geldende opvattingen - , een vaste regeling omtrent het
beheer en de beschikking over de goederen van beide echtgenoten
vastgesteld worden, zeker wanneer krachtens het wettelijk of
bedongen huwelijksvermogenstelsel of nog in feite - gewild of
niet-, onverdeelde of gebonden medeëigendom van die gehuw-
den bestaat.
Die bestuursregeling bepaalt de bevoegdheden van beheer,
genot en beschikking, m.a.w. de mogelijkheden en modaliteiten
om rechtstreeks over de goederen te beschikken, ze te beheren
en er de inkomsten van te ontvangen, maar ook sensu lato, de
mogelijkheden om ze onrechtstreeks te verbinden door de verbin-
tenissen en schulden van de echtgenoten. Die regeling heeft dan
betrekking op de onderscheiden eigen vermogens van de echtge-
noten en moet uiteraard anders zijn t.a.v. het gemeenschap-
pelijk vermogen of de onverdeelde medeëigendom van beide
echtgenoten. De uitbouw van die regeling wordt doorkruist door
bewijsproblemen verbonden aan het bestaan van onderscheiden
vermogens en door de vereisten van rechtszekerheid voor de
derde-medecontractanten van de echtgenoten. Die bestuurs-
regeling is voor alles huwelijksgebonden. In de eerste plaats
242 G. BAETEMAN

sluit ze aan bij de opvattingen die voorliggen in de persoonlijke


verhoudingen tussen de echtgenoten. Vervolgens vormen die
echtgenoten een blijvende leefgemeenschap, met al dan niet
uitgebreide gemeenschappelijke belangen, waarvan een aange-
past beleid moet mogelijk gemaakt worden. Tenslotte, indien
gelijkheid en handelingsbekwaamheid ongeacht het huwelijk als
beginselen van de echtvereniging vooropgesteld worden, moeten
de aangepaste vermogensrechtelijke mogelijkheden die de effecti-
viteit ervan verzekeren, voor handen zijn.

2. - Uit wat voorafgaat blijkt, hoe belangrijk de bestuurs-


regeling in het huwelijksvermogensrecht is en dan vooral in het
meest toegepaste en fundamentele wettelijk stelsel, dat in ons
recht een wettelijk gevolg van het huwelijk is (1).
De bestuursregeling die uitgewerkt is in het wettelijk stelsel
van de wet van 14 juli 1976 betreffende de wederzijdse rechten
en verplichtingen van echtgenoten en de huwelijksvermogens-
stelsels stoelt centraal op het gelijktijdig bestuur van beide
echtgenoten. In de regel hebben de echtgenoten dezelfde bevoegd-
heden op het gemeenschappelijk vermogen, wat met zich brengt
dat de ene of de andere over de goederen en waarden van dat
vermogen mag beschikken, er de inkomsten van kan ontvangen,
daaromtrent overeenkomsten kan afsluiten en het met schulden
bezwaren. Voor wettelijk belangrijk geachte rechtshandelingen
of voor rechtshandelingen m.b.t. belangrijk geachte vermogens-
bestanddelen, moeten de echtgenoten gezamenlijk optreden.
T.a.v. hun eigen vermogen, in beroepsaangelegenheden en om-
trent rekeningen en deposito's, krachtens het primair stelsel
bestaat het privatief of alleenbestuur van de ene of de andere
echtgenoot.
Die opdeling van de bestuursregeling in drie onderdelen met
een eigen inhoud is duidelijk een oorspronkelijk belgische oplos-
sing voor het probleem van de toekenning van gelijke bevoegd-
heden aan de beide echtgenoten, waardoor een echte inhoud
gegeven wordt aan de gelijke handelingsbekwaamheid, zonder
afbreuk te doen aan hun gemeenschappelijke belangen. De
oplossing die de belgische wetgever van 1976 heeft tot stand
gebracht, heeft inderdaad geen voorgaande in één van de noch-
(1) Cass., 10 april 1980, J.T., 1980, 560, Rev. Not. B., 1980, 471 met noot VANDER-
ELST, R.; R. W., 1980-1981, 918 met noot ERAUW ,J.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJK'l'IJDIG BESTUUR 243

tans in een vrij recent verleden herziene wetgevingen van de


ons omringende landen Nederland [1956-1970], West-Duitsland
[1957-1976], Frankrijk [1965-1970], Groot-Hertogdom Luxem-
burg [1972-1974] - behoudens dan in een zekere mate in de
hervormde italiaanse wetgeving van 19 mei 1975 (art. 180).

3. De originaliteit van die oplossing maakt dat het wellicht


van enig belang is na te gaan hoe en waar dat begrip "gelijktijdig
bestuur" van een gemeenschappelijk vermogen ontstaan is en
hoe het uiteindelijk in de loop van de lange historische en parle-
mentaire voorbereiding van de wet van 14 juli 1976 in die wet
werd opgenomen. De opzet van deze bijdrage is dus niet de.
inhoud en de draagwijdte van het gelijktijdig bestuur in het
wettelijk stelsel te ontleden en te bespreken, maar wel de oor-
sprong van de idee te vinden en de opneming in de wettekst
te schetsen. Deze studie zal aantonen welke belangrijke rol
Professor R. Dekkers daarin gespeeld heeft.

l. - DE OPVATTINGEN VAN PROFESSOR R. DEKKERS


OVER HET BESTUUR IN HET WETTELIJK STELSEL.

4. - Professor R. DEKKERS had sedert lang een bijzondere


belangstelling voor het huwelijksvermogensrecht. In 1949 ver-
schenen twee boekdelen, die het tiende deel vormen van de
"Traité élémentaire de droit civil belge" (2) : hij schreef dit
grote werk met uitzondering van de inleiding, titel V over het
stelsel van scheiding van goederen en het derde deel over de
voorbehouden goederen, delen die door Prof. H. De Page werden
geschreven.
Met betrekking tot de hervorming van het huwelijksrecht,
die toen reeds in de actualiteit stond en waarvan de doelstellingen
vaststonden, nl. de gelijkheid van de echtgenoten, de handelings-
bekwaamheid van de gehuwde vrouw en de wijziging van het
wettelijk stelsel in functie daarvan, sprak hij zich uit voor het
behoud van de gemeenschap van roerende goederen en aan-
winsten. De hervorming van de bestuursregeling moest leiden
tot een keuze ofwel een verdeling van het bestuur onder de
echtgenoten ofwel het behoud van het alleenbestuur in hoofde

(2) Bruylant, Brussel, 1949.


244 G. BAETEMAN

van de man, met dan een verminderde aansprakelijkheid van


de man en een verhoogde aansprakelijkheid van de vrouw (3).
Hij sprak zich uit voor het behoud van het bestuur van de
gemeenschap door de man alleen, maar met een aantal wijzi-
gingen te verwezenlijken door een andere interpretatie van
bestaande teksten of door wetgevende hervormingen.
Zonder ook maar één tekst te wijzigen, kon volgens Professor
R. Dekkers onmiddellijk aangenomen worden dat de man de
gemeenschap moet beheren als een goed huisvader, dat hij
rekenschap moet geven over het door hem gevoerde bestuur en
dat hij de gemeenschap vergoeding verschuldigd is voor de
gevolgen van zijn quasi-delicten. Daarenboven was er geen reden
voor handen om de vrouw het recht te ontzeggen reeds tijdens
het huwelijk vorderingen in te stellen tegen handelingen van de
man waarbij hij zijn bevoegdheden te buiten is gegaan of om
haar in bepaalde gevallen het bestuur van de gemeenschap over
te dragen met toelating van de man (4).
Wetgevende hervormingen zouden moeten toelaten dat de
vrouw, in het belang van de echtgenoten en van derden, de
echtvereniging vertegenwoordigt, zodat ze gemeenschappelijke
goederen kan verbinden, nl. wanneer ze handelt voor de behoef-
ten van de huishouding, wanneer de man afwezig is, ontzet,
veroordeeld is of wanneer hij in de onmogelijkheid is zijn wil
te doen kennen of nog, wanneer ze handelt met gerechtelijke
machtiging of meer algemeen wanneer de man belet is zijn
bevoegdheden uit te oefenen. Reeds daar zijn de eerste sporen
te vinden van de idee van het gelijktijdig bestuur van gemeen-
schappelijke goederen : het akkoord van beide echtgenoten is
niet nodig voor alle daden van beschikking, dat is enkel vereist
wanneer het gaat om goederen die van essentiëel belang zijn
voor de echtvereniging. Aansluitend bij die opvatting wordt
gesteld dat de vrouw haar eigen goederen mag besturen met
toestemming van de man en dat deze van zijn kant niet onder
een kosteloze titel mag beschikken over goederen van de gemeen-
schap (5). Ten deze verschillen de co-auteurs, H. De Page en
R. Dekkers grondig van mening : beiden waren het eens dat de

(3) DE PAGE, H. en DEKKERS, R., Traité élémentaire de droit civil beige, X.l, Bruylant,
Brussel, 1949, nr. 460, blz. 480.
(4) DE PAGE, H. en DEKKERS, R., o.c., X.l, nr. 461, blz. 480.
(6) DE PAGE, H. en DEKKERS, R., o.c., X.l, nr. 462, blz. 481-482.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 245

gelijkheid van de echtgenoten moest ingesteld worden, maar


volgens Professor H. De Page kan dat alleen langs een stelsel
met scheiding van goederen, stelsels met een gemeenschappelijk
vermogen zijn volgens hem technisch onverenigbaar met de
emancipatie van de vrouw en brengen met zich een gecentrali-
seerd vermogensbeleid in handen van de man (6), mening die
Professor R. Dekkers niet deelde.

5. - Op het principiële vlak vond Professor R. Dekkers de


bevestiging voor zijn hervormingsideeën in de prachtige histo-
rische, vergelijkende en filosophische studie, die "Le droit privé
des peuples" is (7). De emancipatie-idee - meer speciaal die
van de gehuwde vrouw t.a.v. de overheersende groep of zijn
hoofd, de man is één van de thema's rond welke de rechtsgeschie-
denis door de eeuwen heen kan geschreven worden. Ze is ook
één van de determinerende factoren voor de evolutie van het
recht.

6. -- Omdat er steeds meer en meer sprake van was die


"emancipatie" van de gehuwde vrouw te realiseren door de
hervorming van het bestaande huwelijksrecht (8) hernam Profes-
sor R. Dekkers de studie van het probleem (9). Hij sprak zich
opnieuw uit voor het wettelijk stelsel met gemeenschap, omdat
het een soort "gewoonterecht" was geworden, algemeen aan-
vaard, beleefd en gekend door de echtgenoten en in het rechts-
verkeer. De emancipatie - de deelneming van de vrouw in het
bestuur op gelijke voet met de man - moet dan ook verwezen-
lijkt worden door een hervorming van de bestuursregeling van
de gemeenschap. Ten deze werden de reeds aangehaalde wijzi-
gingen te verwezenlijken door interpretatie hernomen, maar in
zijn hervormingsvoorstel deed de auteur een stap verder : het

(6) DE PAGE, H. en DEKKERS, R., o.c., X, nr. 31 C, blz. 53 en nr. 36, blz. 105.
(7) DEKKERS, R., Le droit privé des peuples. Caractères, Destinées, Dominantes. Ed.
de la Librairie Encyclopédique, Brussel, 1953, nr. 406 e.v., blz. 398 e.v.
(8) De commissie met die opdracht, onder voorzitterschap van Procureur-Generaal
R. Hayoit de Termicourt was opgericht geworden door het Rg.B. van 14 mei 1948.
Zie daarover RENARD, Cl., ,,La réforme de statut de la femme mariée en droit beige",
Rev. int. dr. camp., 1958, blz. 57 e.v.; BAETEMAN, G., ,,De hervorming van het
huwelijksgoederenrecht in West-Europa", Verhand. Kon. Vl. Ac. Brussel, 1964, D. I,
nr. 90, blz. 133.
(9) DEKKERS, R., ,,Over de hervorming van het huwelijksgoederenrecht", R. W.,
1954-1955, 1157 e.v.
246 G. BAETEMAN

veralgemeend gezamelijk bestuur van de gemeenschap, .dat


F. Laurent voordien voorstelde (10) werd als onpractisch afge-
wezen ; het alleenbestuur door de man kon niet behouden worden
als strijdig met de gelijkheid ; op grond van een redenering bij
wege van uitsluiting, kwam het gelijktijdig bestuur van de ene
of andere echtgenoot op de voorgrond, mede wegens de maximale
zekerheid die ze aan de derde medecontractanten geeft. Steeds
uitgaande van de gelijkheid is er voor de meningsverschillen
in het bestuur tussen de echtgenoten, maar één oplossing : een
rechter zal ze oplossen.

7. - In 1958 kregen de ideeën van Professor Dekkers over


de hervorming van het huwelijksrecht der echtgenoten definitief
vorm. Ondertussen was in Nederland de Lex Van Oven van
14 juni 1956 ingevoerd. De algemene gemeenschap werd in de
Nederlandse wetgeving als wettelijk stelsel behouden, maar een
nieuwe bestuursvorm werd uitgedacht : het rechtstreekse bestuur
behoort aan de echtgenoot langs wie het goed in de gemeenschap
werd gebracht ; de schulden, het onrechtstreeks bestuur - komen
zonder onderscheid ten laste van de gemeenschap. Professor
R. Dekkers toetste zijn opvattingen aan die hervorming zowel
met betrekking tot het invoeren van de algemene gemeenschap
als wettelijk stelsel, als wat het bestuur betreft en dat dit
belangrijk was, blijkt uit de prangende vraag in de titel van zijn
bijdrage : ,, Twee kapiteins op hetzelfde schip ?" ( 11). Geïnspi-
reerd door het Nederlandse voorbeeld en door het voorstel van
F. Laurent, maar vooral steunend op de bestemming en functie
van het wettelijk stelsel - de regeling van vermogensbelangen
van de arbeidende (sensu lato) bevolking - werd de algemene
gemeenschap het voorgestelde wettelijk stelsel.
De algemene gemeenschap is voor Professor Dekkers de
vermogensrechtelijke bevestiging van het "consortium omnis
vitae". De vroeger geldende afsluitingen tussen de vermogens

(10) LAURENT, F., Avant-proiet de révision du Code Oivil. Typographie Bruylant-


Christophe et Cie. Brussel, 1882-1886, D. V., art. 1439 e.v., meer speciaal blz. 49 e.v.
Zie daarover BAETEMAN, G., o.c., 1, nr. 31, blz. 86.
(11) DEKKERS, R., ,,Pour une simplification des régimes matrimoniaux". Commu-
nication présentée au congrès de l'Union des juges de paix Ie 16 juin 1968, J.J.P.,
1968, blz. 241 e.v.; DEKKERS, R., ,.Twee kapiteins op hetzelfde schip?", R.W., 1969-
1960, 1386 e.v.; DEKKERS, R., ,.Deux capitaines sur Ie même navire?", ANE, 1960,
96 e.v.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 247

zijn niet meer verantwoord: grote fortunen en "familiegoederen"


verdwijnen mettertijd en de echtgenoten gaan leven van beroeps-
inkomsten. Wat hem bijzonder aansprak was de eenvoud van
het stelsel : geen vergoedingen, volledige rechtszekerheid van
derden en afschaffing van de bijzondere beschermingsmaatregelen
voor de vrouw, dus geen ingewikkelde vereffening en verdeling
meer. Wat het bestuur betreft, bleef hij bij zijn vroegere opvat-
tingen omtrent het gelijktijdig bestuur : het nederlandse stelsel
met gescheiden bestuur naar de oorsprong van de goederen stelt
immer onoverkomelijk bewijsproblemen met betrekking tot de
herkomst van de goederen.

Il. - DE VERDERE GESCHIEDENIS VAN DE HERVORMING


TOT AAN HET ONTWERP DEKKERS-BAETEMAN.

8. - De nieuwe ideeën omtrent de hervorming van het


huwelijksrecht der echtgenoten - algemene gemeenschap en
gelijktijdig bestuur - hadden zo onmiddellijk geen echte weer-
klank. Met enthousiasme stond ik wel aan de zijde van mijn
promotor (12), maar in de juridische middens was er een groot
scepticisme, vooral t.a.v. de algemene gemeenschap, minder
t.a.v. het gelijktijdig bestuur. In de betrokken vrouwenorga-
nisaties - o.m. de Belgische Federatie van vrouwelijk univer-
sitair gediplomeerden - was er wel een reële belangstelling.
Inmiddels was vooral door de grondige studie van Professor
Cl. Renard (13) het succes van het zweedse (1) stelsel van de
deelneming in de aanwinsten, opgenomen in een wetsontwerp
van Minister van Justitie A. Lilar in 1957 en uitgewerkt als één
van de voorgestelde wettelijke stelsels door de Commissie Hayoit
de Termicourt, gestopt.
Professor Cl. Renard had immers de technische complexiteit
van dat stelsel vooral terzake de interne verschuivingen tussen
de verschillende patrimonia, waarop dit stelsel steunt, aange-

(12) BAETEMAN, G., La réforme des régimea matrimoniaux, U.L.B., Travaux et oon-
férences de l'Université de Bruxelles, 1969, VIII, p. 169-208.
,,La réfonne des régimes matrimoniaux en Belgique", Journal des Tribunaux, 1961,
p. 381-387.
,,De hervorming van de huwelijksstelsels in Belgic", R. W., 1960-1961, kol. 1997-2016.
"De algemene gemeenschap als nieuw wettelijk huwelijksstelsel", Tijdschrift van
de Bel,gische Federatie van Vrouwelijk Universitair gediplomeerden, 1964, blz. 29-35.
(13) BENARD, Cl., Le régime matrimonia! de droit commun, C.I.D.C., Bruylant, 1960.
248 G. BAETEMAN

toond. Minister van Justitie L. Merchiers keerde terug tot de


gemoderniseerde gemeenschap van roerende goederen en aan-
winsten, met bestuur overwegend in handen van de man (14) -
het andere stelsel voorgesteld door de commissie Hayoit de
Termicourt.

9. - Met zijn opvolger Minister van Justitie P. Vermeylen


kwam een grote - zij het een tijdelijke kentering ten voordele
van de algemene gemeenschap - gelijktijdig bestuur die dan
wat de bestuursregeling betreft zal blijven nawerken. In een
voordracht voor "Les vendredis du Conseil National des Femmes
Belges" liet hij zijn belangstelling voor het stelsel van hervormde
algemene gemeenschap met gelijktijdig bestuur blijken (15).
Deze belangstelling kreeg dan vorm in een opdracht die Minister
P. Vermeylen gaf aan Professor R. Dekkers en mijzelf om een
voorontwerp van wet op te stellen, waarin dat stelsel met zijn
eigen bestuursregeling verwerkt moest zijn. Rond die tijd
vestigde Professor J. Gilissen er de aandacht op dat de algemene
gemeenschap in de middeleeuwen het wettelijk stelsel was van
de grote meerderheid van de handelssteden van Vlaanderen en
Brabant, keuze die kenmerkend is voor de strekking tot gelijkheid
van man en vrouw en tekenend voor maatschappijen met een
individualistisch recht (16).
Het gelijktijdig bestuur over een gemeenschap beperkt tot
de aanwinsten werd ook voorgesteld door Mevrouw Ernst-
Henrion, die een belangrijke rol speelde in de middens van de
vrouwelijke juristen (17).

111. - HET VOORONTWERP R. DEKKERS-G. BAETEMAN (18).

10. - Dit voorontwerp was bedoeld om de principiële her-


vorming van het huwelijksrecht der echtgenoten - gelijkheid,
( 14) MERCHIERS, L., ,,La réforme des régimes matrimoniaux. A la recherche d'un
régime légal", J.T., 1961, 63 e.v.
(15) Volgens een verslag in het dagblad Le Soir van 22 oktober 1961.
(16) GILISSEN, J., ,,Le statut de la femme mariée dans !'ancien droit beige", in
Le statut de la femme, D. II, Société J. Bodin, Brussel, 1962, 306 e.v.
(17) ERNST-HENRION, M., ,,La réforme des régimes matrimoniaux. Le régime légal",
J.T., 1962, 53 e.v.
(18) De tekst van dit voorontwerp werd met de toestemming van Minister P. Ver-
meylen gepubliceerd in de ANE, 1965, 209 e.v., gevolgd door beschouwingen van
P. MAHILLON, ,,Réflexions sur l'avant-projet de M. Dekkers en Baeteman, ANE, 1965,
218 e.v. De nederlandse tekst is verschenen in het R. W., 1965-1966, 1575 e.v.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 249

handelingsbekwaamheid en primair huwelijksstelsel van de wet


van 30 april 1958 door te trekken in het huwelijksvermogensrecht
door de invoering van nieuwe titel Vin Boek III B.W.
Zulks verklaart dat in het eerste hoofdstuk van dit vooront-
werp over de algemene beginselen, bepalingen zijn opgenomen
die eigenlijk in het primair huwelijksstelsel thuis horen : iedere
echtgenoot ontvangt, ongeacht het huwelijksvermogenstelsel zijn
beroepsinkomsten en depositorekeningen kunnen vrij geopend en
gebruikt worden. In dat hoofdstuk wordt ook de veranderbaar-
heid van het huwelijksvermogensstelsel tijdens het huwelijk
georganiseerd. Het voorgestelde wettelijk stelsel is een algemene
gemeenschap. Op de samenstelling ervan moet hier niet worden
ingegaan : de bestuursregeling is het onderwerp van dit opstel.
De algemene regel van bestuur is neergeschreven in artikel 22 :
elke echtgenoot beheert de gemeenschap, wat betekent dat "hij
mag beschikken over de gemeenschappelijke goederen en ze
belasten binnen de (verder) aangeduide grenzen.
Die grenzen zijn eensdeels een mogelijk verzet van een echtge-
noot tegen elke door de andere echtgenoot ontworpen of verrichte
daad van bestuur of beschikking of verbintenis. Wordt dat verzet
gegrond verklaard maar is de handeling reeds verleden, dan is
ze niet tegenstelbaar aan de echtgenoot die zich verzet ; wordt
de handeling verricht na het gegrondverklaren van het verzet,
dan kan ze vernietigd worden (art. 27). Anderdeels zijn er hande-
lingen die niet kunnen verleden worden dan met medewerking
van de beide echtgenoten.
Twee versies werden voorgesteld : de eerste, vrij algemeen
gesteld, luidens welke de medewerking van beide echtgenoten
vereist is, voor handelingen die de gewone behoeften van de
huishouding te buiten gaan, zodat de samenwerking beklemtoond
wordt, de tweede geeft een opsomming van belangrijke rechts-
handelingen, die grosso rrwdo overeenstemt met deze van het
huidige art. 1418 B.W. (28). Bij deze regeling wordt het zelf-
standig optreden beklemtoond : zelfstandig optreden is de regel ;
samenwerking de uitzondering. Schending van die regeling wordt
gesanctionneerd door een relatieve nietigheid die moet gevorderd
worden binnen de maand na de kennisneming (art. 29). Aan
de weigering tot medewerking kan verholpen worden door mach-
tiging van de rechtbank van eerste aanleg, die moet nagaan of
250 G. BAETEMAN

onthouding al dan niet verantwoord is (art. 30). Medewerking


is ook vereist voor schenkingen onder levenden (art. 31). Iedere
echtgenoot heeft het bestuur van het persoonlijk vermogen.

11. - Op 25 februari 1965 legde Minister P. Vermeylen bij


de Senaat het wetsontwerp neer "ter vervanging van Boek III,
Titel V. van het B.W. Huwelijkscontract en wederzijdse rechten
van de echtgenoten" (19). Bij de verantwoording van zijn keuze
van het wettelijk stelsel - een scheiding van goederen met
verrekening van aanwinsten geïnspireerd door de West-Duitse
wet van 18 juni 1957 - stipte de Minister in verband met de
algemene gemeenschap onder gelijktijdig bestuur aan dat die
bestuursvorm moeilijk op te lossen problemen kan doen rijzen.
In de eerste plaats is het beroep op de rechter bij meningsver-
schillen tussen de echtgenoten niet zonder gevaar, want het kan
leiden tot tergende interventies of tot een definitieve breuk
tussen de echtgenoten. Vervolgens kan een echtgenoot alleen
optredend, ernstige verliezen doen ontstaan lastens de gemeen-
schap en zelfs de andere echtgenoot buiten zijn weten ruïneren.
Tenslotte wordt de rechtszekerheid van derden in gevaar
gebracht door de betwistingen tussen de echtgenoten (20).
Consequent met deze voorstelling werd in het bedongen stelsel
van gewone gemeenschap (art. 100 e.v. Ontwerp Vermeylen) -
aan de man de "macht" gegeven "alleen", - terwijl hij de vrouw
vertegenwoordigt voor hetgeen haar betreft -, alle daden van
bestuur te verrichten over de gemeenschap waarvoor de wet
niet uitdrukkelijk de medewerking der echtgenoten vereist. Voor
de handelingen in het belang van het huishouden kan de vrouw
alleen optreden, zoals zij soms alleen kan besturen in bepaalde
omstandigheden of krachtens een overdracht van bevoegdheden
(art. 141 e.v.).
Een hele weg terug t.a.v. de eerste ideeën over de algemene
gemeenschap met gelijktijdig bestuur werd dus afgelegd.

IV. - DE "AMENDEMENTEN" WIGNY.

12. - Op 30 juni 1966 legde de volgende Minister van Justitie,


P. Wigny zgn. amendementen van de regering op het hiervoren

(19) Gedr. St. Sen. 1964-1965, nr. 138.


(20) Gedr. St. Sen. 1961-1965, nr. 138, blz. 6-7.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 251

besproken wetsontwerp neer. Rechtstechnisch ging het om meer


dan gewone "amendementen" (21). De inhoud ervan was immers
veelomvattend artikel I herwerkte de art. 212 e.v. B.W. door
een volledig primair huwelijksstelsel in te lassen en in art. IV
werd een nieuw wettelijk stelsel voorgesteld, ,,de wettelijke
gemeenschap". Die teksten werden voorbereid door een studie-
commissie onder voorzitterschap van de Minister zelf en be-
staande uit al degenen die terzake reeds voorstellen hadden
gedaan. Professor R. Dekkers was er en verdedigde zijn ideeën,
de algemene gemeenschap, maar vooral de door hem voorgestane
bestuursvorm. Waarom'? Omdat hij van oordeel was dat de voor-
gestelde basistekst omtrent het wettelijk stelsel - een scheiding
van goederen met een gemeenschap van aanwinsten - voor
de meeste echtgenoten die met dat stelsel huwen -- de grote
massa van arbeiders, bedienden e.a. - ofwel geen eigen vermogen
hebben bij het huwelijk en er nadien geen verkrijgen, ofwel
geen bewijzen bijhouden van de afzondering van eigen goederen,
zodat hun vermogen voor alles een gemeenschappelijk vermogen
is, en meteen het voorgestelde stelsel van scheiding van goederen
met een gemeenschappelijk vermogen eigelijk voor de meeste
echtgenoten neerkomt op een algemene gemeenschap. De be-
stuursvorm was dus "het" probleem en daar werd hij gevolgd
door de Commissie.

13. - In het primair huwelijksstelsel werd ingeschreven de


bescherming van de gezinswoning, de mogelijkheid tot het openen
en besturen van depositorekeningen, de bescherming van derden
t.a.v. bestuurshandelingen omtrent lichamelijke roerende goe-
deren, het bestuur van inkomsten en de solidariteit voor huis-
houdelijke en opvoedingsschulden, naast technische wijzigingen
en aanpassingen van reeds gekende regelingen (bijdrage in de
lasten van het huwelijk, voorlopige dringende maatregelen). Het
voorgestelde wettelijk stelsel is een scheiding van goederen met
een gemeenschap beperkt tot de aanwinsten.

(21) Gedr. St. Senaat 1965-1966, nr. 281. Gelet op de omvang van de voorgestelde
"amendementen" was die bewering eigenlijk niet juist : het document bevatte in
werkelijkheid geen "amendementen" maar een volledig nieuw ontwerp, dat eigenlijk
de synthese wilde zijn van de ideeën die totdan in de loop van de jaren gegroeid waren.
De Minister ontsnapte aldus echter aan de omslachtige voorbereidende procedure van
overleg in de ministerraad en aan een nieuwe raadpleging van de afdeling wetgeving
van de Raad van State.
RENÉ DEKKERS. - 17
252 G. BAETEMAN

In het wettelijk stelsel omvat het "beheer (nu het bestuur)


alle bevoegdheden tot bestuur (nu beheer) genot en beschikking"
(art. 30). De gemeenrechtelijke bestuursvorm is het gelijktijdig
bestuur van de ene of de andere echtgenoot. Artikel 31 luidt
immers a.v. ,,onverminderd de uitzonderingen bepaald in de
volgende artikelen wordt de gemeenschap beheerd ( = bestuurd)
door de ene als door de andere echtgenoot, die afzonderlijk de
bevoegdheid tot beheer uitoefenen, met dien verstande dat ieder
van beiden de beheersdaden die regelmatig door de andere zijn
verricht, moet eerbiedigen" (vgl. art. 1416 B.W.). Het ontwerp
stelde verder de inhoud vast van het uitsluitend bestuur (art. 32)
o.m. ten aanzien van de handelszaken en ondernemingen en van
het gezamenlijk bestuur, zij het dan dat die vorm van bestuur
een eerder beperkte inhoud had (art. 34). Tenslotte regelde het
ontwerp de overdracht van bestuursbevoegdheden en de tussen-
komsten van de rechter.
De verantwoording van die regeling steunde op drie over-
wegingen : het toebehoren van het gemeenschappelijk vermogen
aan beide echtgenoten, de vereiste, werkelijke en gelijke bestuurs-
bevoegdheden aan beide echtgenoten te geven en de structurele
opvatting waarbij uitsluitende of gezamenlijk uit te oefenen
bevoegdheden uitzonderlijk zijn en zo precies mogelijk om-
schreven moeten worden.

V. - DE VERDERE PARLEMENTAIRE VOORBEREIDING.

a) De werkzaamheden van de subcommissie (22)

14. - Door de omvang en het toch vrij technisch karakter


van het ontwerp werd een bijzondere parlementaire procedure
gevolgd : de voorbereidende studie werd toevertrouwd aan een
subcommissie van 4 leden, die in de loop van de jaren een varia-
bele samenstelling kende doordat sommige leden minister
werden of het parlement verlieten. Het stille werk binnenkamers
maakte dat naar buiten uit dan een lange periode van stilte
intrad, die uiteindelijk intern wel heel rijk aan gedachtenwisse-
lingen blijkt geweest te zijn, maar die ook uitmonde in een reactie
tegen de zover gevorderde "gelijkberechtiging". De samenvatting

(22) Gedr. St. Senaat 683 (B.Z. 1974), nr. l (bijlage).


DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 253

van de werkzaamheden is te vinden in het verslag namens de


subcommissie voor de justitie uitgebracht door de heren Baert,
Calewaert, Hambye en Van Laeys (23). Het veralgemeend
gelijktijdig bestuur van het ontwerp Wigny werd - in navol-
ging van de kritiek van de volgende minister van justitie
A. Vranckx - verworpen : ,,de Minister gelooft niet dat het
systeem doeltreffend zal werken ; door een te grote bezorgdheid
voor het beginsel is men te ver willen gaan in het zoeken naar
evenwicht ; dit beginsel moet afgestemd worden op de eisen van
het leven in gemeenschap dat de huwelijkse staat met zich
brengt" (24).
Na het onderzoek van tal van beperkende voorstellen - zowel
m.b.t. de toewijzing van bevoegdheden als de inhoud ervan - r

werd als basisregel aangenomen het beheer van het gemeenschap- ~ f~ °::
pelijk vermogen - inbegrepen de noodzakelijke daden van :; .~
beschdikking in handden van dde man_ tehletgghen. D_~kt behteer tkanf · ~
aan e vrouw wor en opge ragen m e uwe1IJ scon rac o :~ u.i J_ :n
door een gezamenlijke verklaring tijdens het huwelijk gedaan ;f r; ç : ,
ten overstaan van een notaris of door een gerechtelijke beslissing
in uitzonderlijke gevallen (art. 1419 B.W.) (25).
Die regeling is duidelijk geïnspireerd door de Franse wet van
13 juli 1965. Het gelijktijdig bestuur werd alleen behouden -
voor de handelingen die noodzakelijk zijn voor de huishouding
en voor de opvoeding van de kinderen (art. 1415 B.W.) (26).
Het is dus uitzonderlijk en heeft een beperkte draagwijdte.
Privatief of afzonderlijk bestuur bestaat voor het eigen ver-
mogen, in een zekere mate t.a.v. bedrijfsinkomsten en m.b.t.
depositorekeningen van geld of effecten op naam. Het gezamen-
lijk bestuur werd uitgewerkt in het nieuwe art. 1416 B.W. :
toestemming van beide echtgenoten is vereist voor handelingen
betreffende onroerende goederen, hypothecaire schuldvorde-
ringen, kapitalen en schuldvorderingen, nalatenschappen en
huurovereenkomsten. Verder worden in de bevoegdheden m.b.t.
handelingen om niet, het verhelpen aan de ontstentenis van
medewerking en de sanctie bij overtreding van de bestuursrege-
ling geregeld (art. 1417 e.v.).
(23) Verslag Subcommissie, blz. 141 e.v.
(24) Verslag Subcommissie, blz. 142.
(25) Verslag subcommissie, blz. 146-147.
(26) Verslag Subcommissie, blz. 152-155.
254 G. BAETEMAN

Als reactie tegen dat standpunt werd in de loop van 1973


door parlementaire oppositie wetsvoorstellen ingediend bij de
Senaat en de Kamer van Volksvertegenwoordigers die naast
andere voorstellen, duidelijk stelling ·namen voor het gelijktijdig
bestuur (27).

b) De bespreking in de Sena.atscommissie.

15. - Bij de eerste bespreking in de senaatscommissie voor


de justitie bleek zeer vlug, volgens het verslag van Senator
Hambye, dat het bestuur van het gemeenschappelijk vermogen
door de man - ook al is het heel anders geconcipieerd en een
verantwoord bestuur over een minder omvangrijk gemeenschap-
pelijk vermogen - niet aanvaardbaar werd geacht door de
vrouwelijke leden van de commissie en door degenen, die voor-
stander waren van een effectieve gelijkheid (28).
Twee amendementen werden ingediend.
Luidens het eerste amendement bestuurt ieder der echtgenoten
de gemeenschap, behoudens de in de wet gestelde uitzonderingen
van gezamenlijk of privatief bestuur ; de andere echtgenoot moet
die handelingen eerbiedigen, onverminderd ingebouwde waar-
borgen en het recht van verhaal tegen voorgenomen of verrichten
handelingen.
Het gelijktijdig bestuur voor de huishouding en voor de
opvoeding van de kinderen zou aldus vervallen. Het andere
amendement vertolkt een heel andere opvatting : in de regel
besturen de echtgenoten steeds gezamenlijk het gemeenschappe-
lijk vermogen, behoudens de gevallen waarin privatief bestuur is
voorzien (bedrijfsinkomsten en rekeningen) of gelijktijdig bestuur
in huishoudelijke en opvoedingsaangelegenheden. Beide rege-
lingen sluiten juridisch de primauteit van één echtgenoot ( = de
man) uit, maar in de eerste opvatting is gelijktijdig bestuur de
regel, die de gelijkheid en de voorrang van de autonomie beves-
tigt, terwijl in de tweede regel het gezamenlijk bestuur met
een accentlegging op de veralgemeende samenwerking geldt (29).
De bespreking van de amendementen leidde dan eerst tot

(27) Gedr. St. Senaat, 1973-1974, nr. 79, wetsvoorstel M. Th. Godinache-Lambert.
Art. 19. Gedr. St. Kamer, 542 (1972-1973), nr. l. Wetsvoorstel H. De Croo.
(28) Gedr. St. Senaat, 683. (B.Z. 1974), nr. 2. Verslag van Senator Hambye, J.,
Hierna Verlag Hambye, J. genoemd, blz. 45.
(29) Verslag Hambye, J., blz. 46.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 255

een onderzoek in de zin van de uitbreiding van de gevallen waarin


de echtgenoten samen moeten optreden (art. 1416, 0, nu 1418
B.W.) (30). Dan werd de vraag aangesneden of er ook niet aan
gedacht kon worden de handelingen die elk der echtgenoten
zonder toestemming van de andere kan verrichten op te som-
men (31).
In de volgende bespreking (32) komt duidelijk naar voor dat
de idee van het gelijktijdig bestuur als "dagelijks bestuur", veld
wint, dat economische belangrijke handelingen onder gezamenlijk
bestuur vallen en dat de sanctie op onregelmatig gestelde hande-
lingen snel en duidelijk moet zijn. Toch blijft de tweespalt om-
trent de basisregeling, gezamenlijk of gelijktijdig bestuur bestaan,
waarbij de aandacht zich dan toespitst op de lijst van de belang-
rijke handelingen (33). Aansluitend daarop wordt dan de weer-
slag van de beroepsbezigheid en de weerslag van het aangaan
van schulden voor de schuldeisers bekeken.

16. - In de daaropvolgende artikelsgewijze bespreking wordt


eerst de oorspronkelijke bestuursconceptie (art. 1415 B.W.) over-
genomen uit de amendementen Wigny (art. 30), met name het
gelijktijdig bestuur, doelgebonden - in het belang van het gezin.
Toch wordt dan nog eerst het gelijktijdig bestuur voor huis-
houdelijke en opvoedingsmogelijkheden behouden (34). Aan-
sluitend daarop wordt de bijzondere autonomie geregeld voor
de beroepsaangelegenheden : alle bestuurshandelingen daarvoor
noodzakelijk, vallen onder het privatief bestuur van de beroeps-
active echtgenoot (art. 1417 B.W.). Daarna worden in art. 1418
B.W. de belangrijk geachte rechtshandelingen opgesomd met
een nuancering in de sanctieregeling (35).
Het probleem werd nog eens hernomen bij de tweede lezing
van de teksten (art. 1415, 1416 en 1418 B.W.) (36). Weer werd
in een amendement de eerste idee van Professor R. Dekkers
voor het dagelijkse bestuur hernomen (37) : door handelingen

(30) Verslag Hambye, J., blz. 47.


(31) Verslag Hambye, J., blz. 49.
(32) Verslag Hambye, J., blz. 50.
(33) Verslag Hambye, J., blz. 52.
(34) Verslag Hambye, J., blz. 56.
(35) Verslag Hambye, J., blz. 57.
(36) Verslag Hambye, J., blz. 59.
(37) Zie hoger nr. 10.
256 G. BAETEMAN

nuttig voor de huishouding en de opvoeding van de kinderen -


kunnen beide echtgenoten afzonderlijk de gemeenschap ver-
binden ; voor andere handelingen is de toestemming van beide
echtgenoten vereist. In de verantwoording voor die opvatting
wordt eensdeels verwezen naar de gemeenrechtelijke regeling
van medeëigendom (art. 577bis B.W.), waarvan de gemeenschap
een bijzonder "geval" zou zijn en anderdeels naar de vaststelling,
dat het gelijktijdig bestuur voor degenen die met het wettelijk
stelsel gehuwd zijn, die echtgenoot bevoordeligt die de meeste
of alleen inkomsten heeft. Tegen dit voorstel wordt ingebracht
dat het in strijd komt met de regels van het primair huwelijks-
stelsel m.b.t. het privatief bestuur over rekeningen en met de
vrije beroepsuitoefening en maakt dat er in de grond maar twee
bestuursvormen meer zijn, de zgn. huishoudelijke handelingen
en de andere. Doorslaggevend om het voorstel niet aan te hou -
houden bleek echter de onzekerheid die daaromtrent voor de
derde - medecontractanten kan ontstaan (38).

17. - Daarop wordt de bestuursregeling, op basis van het


gelijktijdig bestuur, met het privatief bestuur in beroepsaan-
gelegenheden en het gezamenlijk bestuur voor belangrijke rechts-
handelingen of handelingen om niet, met de preventieve en
repressieve correctieven en in aansluiting met het primair huwe-
lijksstelsel hernomen (39).
In de daaropvolgende bespreking wordt die bestuursregeling
dan niet meer in kwestie gebracht behoudens m.b.t. technische
problemen, zoals het gezamenlijk optreden van de echtge-
noten bij een openbare verkoop van een onroerend goed (40).
Tijdens de bespreking in openbare vergadering stelde de
verslaggever het gelijktijdig bestuur voor eensdeels als een
reactie tegen de overwegende rol van de man in het bestuur
van het gemeenschappelijk vermogen - de vroegere regeling
van het B.W. herwerkt naar Frans voorbeeld door de subcom-
missie - en als een compromis tussen de leden van de commissie
voor de Justitie van de Senaat die voorstander waren van een

(38) Verslag Hambye, J., blz. 60.


(39) Verslag Hambye, J., blz. 66 e.v.
(40) Zie o.m. Gedr. St. Senaat 683 (1974-1975), nr. 8, op art. 1418 B.W. Amende-
ment Pede, J., nr. 9.
Amendement De Stexhe, P., eveneens op art. 1418 B.W.
DE GESCHIEDENIS VAN HET GELIJKTIJDIG BESTUUR 257

zo groot mogelijke zelfstandigheid van de beide echtgenoten


zelfs t.a.v. het gemeenschappelijk vermogen en diegenen die
menen dat elke echtgenoot een zeker toezicht moet behouden
op wat de andere doet en zich moet kunnen beschermen tegen
buitensporige of onvoorzichtige handelingen van de andere. Die
uiteenlopende opvattingen hebben dan geleid tot het systeem
van medewerking, het preventief toezicht en de mogelijkheden
tot nietigverklaring (41). De principiële keuze werd nog nader
toegelicht door Mevrouw N. Staels-Dompas (42).
In de Commissie voor de Justitie van de Kamer van Volks-
vertegenwoordigers werden de artikelen over het bestuur
(art. 1415-1417 B.W.) zonder bespreking eenparig aangenomen
en door de rapporteur Baert in de algemene bespreking in de
Kamer van Volksvertegenwoordigers onderschreven (43). Een
lange weg was afgelegd sedert 1958 ...

BESLUIT.

18. - Professor R. Dekkers was een eminent rechtsgeleerde :


zijn klare en duidelijke uiteenzettingen in een groot aantal
boeken en tijdschriftartikels bewijzen dit. Hij was ook een uitzon-
derlijk professor : zij die het voorrecht hadden o.m. zijn cursus
Romeins recht te volgen vergeten nooit die colleges, waarin hij
de film van de evolutie van het recht tot op heden afrolde ...
Professor Dekkers was begaan met de evolutie van het recht,
rond leidinggevende ideeën zoals de gelijkheid van alle personen
en de vereenvoudiging van het recht. Eén van die ideeën was
de gelijkheid van de echtgenoten verwezenlijkt in een hernieuwd
vereenvoudigd en maatschappelijk beleefd huwelijksrecht. Dat
nieuwe huwelijksrecht moest volgens hem steunen op een alge-
mene gemeenschap onder gelijktijdig bestuur van beide gelijke
echtgenoten. Die regeling zou beantwoorden aan zijn dubbele
bezorgdheid.
De algemene gemeenschap als wettelijk stelsel zou eenvoudig
en begrijpelijk zijn en door de meerderheid van de bevolking voor
wie het wettelijk stelsel bestemd is, effectief beleefd worden.

(41) Parl. Hand. Sen., nr. 75, 27 april 1976, blz. 1913.
(42) Ibid., blz. 1917.
(43) Volksvertegenwoordiger Baert, F., in Pari. Hand. K.v. V., nr. 131, 23 juni
1976, blz. 4240.
258 G. BAETEMAN

Op dat punt werd hij door de wetgever 1976 niet gevolgd : voor
juristen is dat stelsel echt te eenvoudig en ondervangt het niet
een aantal situaties en problemen - die een meer uitgewerkt
stelsel wel kan oplossen. Bovendien is grondig ingezien het
huidig wettelijk stelsel toch voor vele echtgenoten een algemene
gemeenschap (44).
Het huwelijksrecht moet de gelijke handelingsbekwaamheid
van de echtgenoten waar maken, ook en vooral in stelsels met
een gemeenschappelijk vermogen. Tot aan de voorstellen van
Professor Dekkers waren de juristen algemeen van mening dat
een gelijkwaardig gedeelde leiding van een gemeenschappelijk
vermogen niet mogelijk was, zeker niet wanneer dit gemeen-
schappelijk vermogen verbonden is aan een leefgemeenschap als
het huwelijk en waarbij voor de oplossing van meningsverschillen
op de rechter beroep moet worden gedaan. Professor R. Dekkers
was het daarmee niet eens.
De echte gelijkheid van de echtgenoten en de overtuiging dat
de echtgenoten samen in hun beider en in hun gemeenschappelijk
belang het gemeenschappelijk vermogen kunnen leiden, door een
permanente dialoog bracht hem tot de idee van het gelijktijdig
bestuur van het gemeenschappelijk vermogen. Die bestuursvorm
maakt de gelijkheid mogelijk en is ook weer een eenvoudige
regeling, die leefbaar is en beleefd kan worden omdat ze niet
gebonden is aan ingewikkelde onderscheiden vermogens of
bewijsregelingen.
Professor R. Dekkers heeft die idee van het gelijktijdig bestuur
geconcipieerd, aangebracht en ze verdedigd sedert 1958 in tal-
rijke voordrachten en in zijn overtuigende geschriften. Zo werd
ze gemeen goed, en ze werd in de wet van 14 juli 1976 inge-
schreven, zonder dat zelfs de naam van Professor Dekkers
vermeld werd in de parlementaire voorbereiding. De vader van
die oorspronkelijke idee, die de Belgische wetgeving een eigen
karakter en dimensie geeft, verdiende zulks nochtans : daarom
deze bijdrage.

(44) Zie Nr. 12.


Criteria of comparison of contract
law in planned and market economies (1)

BY

H. J. BERMAN
PROFESSOR OF LAw, HARVARD LAW SCHOOL

Adequate criteria for the comparison of different legal systems,


or of legal institutions which form parts of different legal systems,
cannot - it is submitted - be found within the confines of any
one of the three major schools of jurisprudence which have
competed with each other in recent centuries, namely, the posi-
tivist, the philosophical, and the historica! schools, hut can only
be found by a method which combines and transcends the tea-
chings of all three schools.
I shall test the first part of this hypothesis by considering
the comparison of contract law in planned and market economies
from the perspective of each of the three schools, in turn.

I.

The topic itself may be taken as tacitly assuming a positivist


conception oflaw. It seems to assume, first, that we can meaning-
fully identify a body of rules of law, called contract law, which
is distinct from other bodies of rules of law, such as crimina!
law, constitutional law, etc. ; and this in turn may imply that
we can meaningfully speak of law as a system of rules, of which
various fields or branches such as contract law, criminal law,
constitutional law, etc. constitute basic sub-systems. This is
the analytica! side of positivism. The topic may be understood
to assume, second, that the rules of contract law are expressions
of public policies (,,the will of the state") - that the policies

(1) This essay, which was written originally for the Second (Warsaw) Conference
of Polieh and American juriste, June 1974, is here dedicated to the memory of Professor
René Dekkers,
260 H. J. BERMAN

of a planned economy will require one body of rules of contract


law and the policies of a market economy will require another
body of rules of contract law. This is the political side of positi-
vism.
Another possible tacit assumption of the topic needs to be
noted, namely, that the phrases << contract law in a planned eco-
nomy >> and << contract law in a market economy >> are co-termi-
nous. In fact, however, a market economy is a contract economy ;
that is, in a market economy, by definition, the major economie
activities (production and distribution of goods, allocation of
resources, etc.) are carried on primarily by means of contracts
between enterprises whose basic principle of action is supposed
to be the profit motive. In a planned economy, on the other
hand, by definition, the major economie activities are carried
on primarily by means of a corps of state officials operating
under a centrally determined national economie program. In
other words, the concept << market economy >> directs our atten-
tion immediately to contracts, whereas the concept << planned
economy >> directs our attention immediately to central planning
and administration. The topic therefore seems to presuppose
that, theoretically, contract law may or may not exist in a
planned economy, and that to the extent that it does exist it
performs a function external to itself, namely, the function of
facilitating the operation of the planned economy. In a market
economy, on the other hand, contract law, in theory, must
exist ; its existence is inherent in the operation of the market
and is not an external means of making the market work.
Indeed, the more the terms of the topic are considered, the
farther apart the two sub-systems of contract law seem to be
drawn. In a market economy, the emphasis of contract law is
on the freedom of the parties to choose the contract terms ;
in a planned economy, the emphasis of contract law is on the
obligation of the parties to follow administrative regulations
and planning acts. In a market economy, it is important that
one who suffers a breach of contract be compensated for the
loss of the advantage which he expected from the contract - in
the classic case, this permits him to go out in the market and
<< cover >> by purchasing an equivalent performance elsewhere ;

in a planned economy, remedies for breach of contract serve


primarily a penal or deterrent function rather than the function
CONTRACT LAW IN PLANNED AND MARKET ECONOMIES 261

of a market regulator. The differences become even sharper


when investment contracts are taken into consideration. There
is nothing in a planned economy which can even remotely be
compared with the stock market, nor is there anything in a
market economy which can even remotely be compared with
the state planning committee - unless possibly one might want
to compare the stock market with the state planning committee.
Positivist assumptions may lead to the view that the most
that can be derived from a juxtaposition of two sub-systems
of contract law so different from each other as those of planned
economies and market economies is just that : a juxtaposition.
It is said by some that there can be no evaluation of the diffe-
rences because the two sets of legal institutions have no values
in common ; the rules of each can only be judged, according
to this view, in terms of its own values, which are essentially
those of the larger legal system of which it is a part (socialist
law and capitalist law, respectively). There are, to be sure,
similarities in many of the rules and in many of the values ;
hut these are said to be only superficial similarities. For example,
both the contract law of a given planned economy and the
contract law of a given market economy may require a party
that has broken by failing to deliver goods on time not only
to pay a sum of money for the breach hut also to deliver the
goods (and the other party to accept them). Ina market economy,
e.g., the Federal Republic of Germany, such a rule may be
thought to serve the interests of the market (although in England
and the United States a different rule, namely, that once there
is a breach the contract is, or may be, at an end, is also thought
to serve the interests of the market), whereas in a planned
economy such a rule may be thought to serve the interests of
the plan. Superficially, we may say that here similar legal devices
are being used to serve different ends, different values. However,
the similarity begins to disappear as the matter is studied more
closely. For example, in a planned economy the continuing
duty to perform the contract, despite breach of one or more
of its terms by one or both of the parties, would normally be
subject to the time-limits of the plan ; if the quarterly period
of the plan has expired, the duty to deliver may also expire.
Thus even the elementary rule of specific performance is not
the same in the two bodies of contract law. The different policies
262 H. J. BERMAN

(<< values >>) change the quality of the rule. We must therefore

judge the << market >> rule of specific performance by << market >>
criteria, and the << planning >> rule by << planning >> criteria. Compa-
rative law becomes contrastive law.
The reason that, under positivist assumptions, the comparison
of contract law in planned and market economies cannot lead
to comparative evaluations is because the assumptions them-
selves preclude agreement on values higher than those of the
given legal system. Nevertheless, one need not draw the pessi-
mistic conclusion that positivist assumptions, because they rule
out comparative evaluation, also rule out any meaningful compa-
rison, thereby reducing comparative law to a purely descriptive
science. The positivist emphasis on the efficiency of law in
implementing policies leads to the examination of foreign legal
systems in order to discover ideas and techniques in them that
might be usefully introduced into one's own system. For example,
the rules of contract law in planned economies concerning the
duties of the contract partners to cooperate with each other in
minimizing expenses and in facilitating performance are not
only of academie interest to jurists of market economies but
also suggest possible reforms of their own system. Similarly, the
careful measurement of damages in terms of benefits lost as
the result of breach, which is a prominent feature of the contract
law of market economies, may be a useful guide to jurists of
planned economies in their effort to enhance the compensatory
functions of contract remedies. The positivist may continue to
insist that the particular legal rule of one society cannot be
said to be better or worse than the particular legal rule of
another society, since the particular rule forms part of a sub-
system of rules, which in turn forms part of the legal system,
which in turn manifests the whole axiological system of the
society - which axiological system the positivist takes as a
given. Such insistence has the virtue of guarding against a too
facile concordance of particular similarities taken out of context.
At the same time, it encourages the close study of diverse legal
systems for the purpose of taking advantage of the solutions
they have found to specific problems. It is therefore not acci-
dental that the systematic study of comparative law first began
to flourish in the early 19th century just at the time when
positivism was becoming a predominant mode of legal thought.
CONTRACT LA W IN PLANNED AND MARKET ECONOMIES 263

II.

Turning to the comparison of contract law in planned and


market economies from the perspective of the philosophical
(natural-law) school of legal thought, we seem to encounter
the same first assumption that contract law is a sub-system
of rules within a larger system of rules. However, the meaning
of the phrase << system (or sub-system) of rules >> has shifted
because the rules are now viewed not primarily in terms of the
extent to which they reflect the policies of a planned or market
economy hut rather primarily in terms of the extent to which
they reflect basic principles of justice which are common to all
men at all times and places. Therefore, the jurist who starts
from the premises of moral philosophy is less interested than
the jurist who starts from the premises of politica! science in
the body of rules as such, and more interested in the concepts
and standards underlying the rules. He finds those underlying
concepts and standards, that is, the basic principles of justice,
not in the will of the lawmaker hut in the rational and moral
nature of man. Of course, justice takes account of differences
in circumstances, so that the same legal rule may be just in one
system and unjust in another. For example, restrictions on the
freedom of the parties to determine the price of goods purchased
and sold may be just in a planned economy and unjust in a
market economy, even judged by the same general standards
of justice. However, justice requires that certain legal principles
be recognized by every society, among them the principle that
contracts should be kept, that sanctions for breach of contract
should bear a reasonable relationship to the losses caused by
the breach, that a contract is invalid if it was induced by fraud
or duress, etc.
The adherent of natural-law theory is thus in a much better
position, at least initially, to engage in the comparison of legal
systems than is the positivist, since he can assert confidently
that there is a higher system of values by which to judge the
competing values of the various systems under consideration.
In practice, however, his standards of evaluation tend to be
very general, since they are derived from all human experience,
and as a result his comparisons suffer from the same generality.
In comparing the contract law of planned and market economies,
264 H. J. BERMAN

he will find that both conform, in genera!, to universally accepted


basic principles of justice. Indeed, he will be struck by the extent
to which the civil codes of various countries of planned economy
are similar in their contract rules to the civil codes of various
countries of market economy. In genera!, the contract law of
planned economies, like that of market economies, permits people
to enter into a wide variety of contracts such as contracts of
purchase and sale, personal services, construction, lease, loan,
agency, carriage, insurance, bailment, partnership, surety, gift,
bills of exchange, and others. Contract rules of offer and accep-
tance, construction of contracts according to the intent of the
parties, forma! requirements, capacity, fraud, duress,' mistake,
impossibility, and the like, are essentially the same in the law
of planned economies as in the law of market economies.
This is not to say that comparative evaluations in terms of
justice will yield no results whatever. Nevertheless, it is not
primarily with respect to their basic principles that the system
of contract law of planned and market economies differ, hut
precisely with respect to the special rules of planned economies
governing planned contracts between state enterprises, under
which many of the basic principles are specifically made inappli-
cable. The adherent of natural-law theory is thus confronted
with the prospect of comparing a special branch of contract
law ofplanned economies with the genera! contract law ofmarket
economies (which is not markedly different in its basic principles
from the genera! contract law of planned economies); or else
he must find another focus of comparison - e.g., the special
branch of contract law of market economies concerning govern-
ment contracts, which to a considerable extent also falls outside
the genera! contract law of market economies. Yet if he is to
make such a comparison - of contracts of delivery between
state enterprises in a planned economy with government procure-
ment contracts in a market economy - what criteria of evalua-
tion should he use? On the whole, these two sub-sub-systems
of law seem to be better evaluated in terms of their effectiveness
as instruments of policy within their respective legal and econo-
mie systems than in terms of common concepts and standards
of justice shared by all civilized societies.
In summary, a theory of law that evaluates systems of legal
rules according to universa! standards of justice solves one
CONTRACT LAW IN PLANNED AND MARKET ECONOMIES 265

crucial problem of comparative law, namely, it provides the


possibility of establishing criteria for comparison. When applied,
however, to the comparison of the contract law of planned and
market economies, the theory suffers from the overgenerality
of its criteria. The criteria are chiefly valuable as a check on
the extent to which the contract law of either of the systems
under consideration does not meet the standards of justice ; hut
the fact is that the general contract law of both planned and
market economies satisfies the minimum criteria, at least, of
natural-law theory, while the specific legal institutions governing
planned contracts between state enterprises - which is what
we are chiefly interested in - seem not te be susceptible to a
very, meaningful comparative evaluation by those criteria.

IJL

The third major school of legal science, the historica! school,


finds the ultimate origin and ultimate sanction of law neither
in political authority nor in reason and morals hut in the tradi-
tions, customs, and character of the community whose law
it is. In Savigny's well known words, law << is developed first
by custom and popular belief and only then by juristic acti-
vity - everywhere, therefore, by internal silently operating
forces, not by the arbitrary will of the lawgiver. >> Law, according
to this view, is not to be seen in the first instance as a body
of rules promulgated by the state, or as a body of rules reflecting
principles of justice, hut rather as a set of institutions (including
not only rules hut also other kinds of legal institutions, such
as legal procedures and rituals) expressing the historically deve-
loping legal consciousness of a people. Thus a historica! and
social-psychological dimension of law is added to the political
and moral dimensions emphasized by the other two schools,
respectively.
The historica! school is criticized by adherents of the natural-
law theory as simply another form of positivism, and by positi-
vists as simply another form of natural-law theory. In fact,
the historica} school does have something in common with each
of its rivals, and as a basis for comparative legal science it may
seem at first to suffer from the defects ofboth. Like the positivist,
the historicist seems to accept no axiological system higher than
266 H. J. BERMAN

that of the given legal system and therefore seems to provide


no basis for comparative evaluation of diverse systems. At the
same time, like the adherent of natural-law theory, the historicist
seems to judge legal institutions by the extent to which they
correspond to braad principles of justice - derived, to be sure,
from the Rechtsueberzeugung of the community rather than from
human nature or the moral order of the universe, hut neverthe-
less too general to be an effective guide to refined analysis of
specific institutions.
Despite these qualifications, the historical school has something
important to offer to comparative legal science - indeed, perhaps
more to offer than either of the other two schools. It goes beyond
them both, (a) by adding a social-historical dimension to the
analysis of both policy and morality, and (b) by relating the
analysis of the official legal rules of a community to its usages
and customs and to the juristic activity of professional legal
bodies. By thus broadening the scope of the inquiry into law,
it avoids the fallacy inherent in a mere comparison of selected
rules of one legal system with selected rules of another legal
system ; in other words, it insists that such a comparison can
only make sense if the rules are placed in the context of the legal
system as a whole and the legal system is placed in the context
of the society as a whole. It is not accidental, therefore, that
the historica! school is the precursor of various sociological
approaches to law of the 19th and 20th centuries.
More concretely, a historica! approach to comparative legal
science (as contrasted with the politica! and the moral approa-
ches) is indispensable when diverse legal institutions have similar
political and moral content. For example, there is no way of
explaining why money damages is considered to be the normal
remedy for breach of contract under English and American
law, while specific performance is considered to be the normal
remedy under French or German law, except by analysis of
the development of modes of trial in England in the Middle
Ages, the separation of the jurisdiction of the courts of common
law from the equitable jurisdiction of the Chancellor, etc. Simi-
larly, many differences between French and German contract
law are to be explained primarily by the fact that the German
Civil Code was adopted much later than the French Civil Code.
In other words, the differences have little to do with the policies
CONTRACT LA W IN PLANNED AND MARKET ECONOMIES 267

of the respective politica! authorities or with the requirements


of reason and morality and very much to do with usages and
customs and with popular belief and especially with what
Savigny called << juristic activity >>. Surely in evaluating diversities
among the legal systems of the socialist countries of Eastern
Europe, the comparatist must assign a predominant place to
historica! factors.
Not only differences hut also similarities between legal systems
may often be explained only in historica! terms - especially
where two different legal systems share elements of a common
history, including elements of a common legal history. Here
the law of commercial contracts provides an excellent example.
The sale of goods, the storage or transportation of goods, insu-
rance, financing of sales, bills of exchange - these and a wide
variety of other types of commercial transactions are governed
by the same basic legal rules in most countries of the world,
East or West, North or South. To understand and explain this,
one must know that the merchants of Europe from the 11 th cen-
tury on formed an international class, which developed its own
law, the lex mercatoria, applied by mercantile courts from Bristol
to Gdansk. The nationalization of commercial law in modern
times could not destroy its fundamentally international cha-
racter. With the increasing economie interdependence of all
countries of the world, the international community of traders
has continued to build on and develop commercial legal institu-
tions whose concepts antedate and have survived the rise of
nationalism since the 16th century. A letter of credit is governed
by the same legal rules in New York or Paria or Warsaw or
Moscow or Peking or Timbuktu. The<< silently operating forces >>
of international usage and custom continue to shape the legal
relations of traders, whether they are capitalist multinational
companies or socialist foreign trade organisations.
Thus the historica! method, as the foregoing examples show,
enables the comparatist to discern the sources oflegal institutions
which are common to otherwise radically different legal systems
as well as of legal institutions which differ among legal systems
that are not otherwise radically diverse. The importance of such
an analysis is not to be measured primarily in either politica!
or moral terms. Often it will have conservative politica! and
moral implications, especially in its emphasis upon the necessity
RENÉ DEKKERS. - 18
268 H. J. BERMAN

for the pre-existence of common traditions and a mature legal


culture in order successfully to introduce substantial change.
Y et the historica! method also has an important progressive
side ; through it the comparatist is able to formulate conditions
under which new legal institutions can be effective, and espe-
cially new legal institutions common to societies with otherwise
radically different legal systems.

IV.

It is submitted that one who seeks to compare the contract


law of planned and market economies must combine and trans-
eend the methods of all three traditional 19th-century schools
of legal thought, if he is to avoid the defects of each. He must
compare the two sub-systems of legal rules from a politica! (or
political-economic) standpoint, that is, as expressions of the
diverse policies of the two types of economy ; in so doing he will
not only deepen his understanding of the nature of the diffe-
rences between them hut he will also expose ideas and techniques
of one sub-system that may usefully be adapted to the improve-
ment of the other, and this wi.11 deepen his understanding of the
similarities between them, as well. He must also compare the
two bodies of contract law from a mora! standpoint, that is,
as expressions of universa! standards of corrective and distribu-
tive justice ; in so doing he will be able to make comparative
evaluations - to show that one is better than the other in
certain respects, or that they are both equally good or equally
bad in certain respects, when measured by a system of values
derived from the study of the nature of man. Finally, the compa-
ratist must explore the historica! foundations of contract law
in the two diverse types of economy in order to explain those
numerous and important similarities and differences which are
not due primarily to politica! (or political-economic) factors or
to mora! factors hut which arise from the historica! (including
legal historica!) development of the two societies.
By combining these three methods, it will be possible to
identify the criteria by which comparisons should be made. In
what terms the genera! contract law of a country which has
a planned economy may be compared with the genera! contract
law of a country which has a market economy and alternatively,
CONTRACT LAW IN PLANNED AND MARKET ECONOMIES 269

in what terms the law regulating economie contracts between


state enterprises in a planned economy may be compared with
government procurement contracts, or with contracts of adhe-
sion, or with the inter-branch agreements of huge industrial
corporations, in a market econorny - will depend on whether
a primarily moral or a primarily politica! or a primarily historica!
approach is taken. In what terms the balance of plan and con-
tract which is struck in a planned economy may be compared
with the ways in which tensions between the fundamental
principles of authority and reciprocity are resolved in other
legal systems - again, depends upon a combination of politica!,
moral, and historica! perspectives.
Such a three-dimensional approach not only combines hut
also transcends the traditional l 9th-century schools of legal
thought. As a method of analysis it is consistent both with
modern Marxist sociology, which stresses the interaction of
politica!, moral, and historica! factors in the development of
legal institutions, and with various modern non-Marxist socio-
logies, especially the structuralist school.
Voorwerp en grondslag van het erfrecht
DOOR

R. DILLEMANS
HOOGLERAAR AAN DE KATHOLIEKE UNIVERSITEIT
LEUVEN

Ik ben wijlen Professor René Dekkers veel verschuldigd.


Hij was de eerste (en enige) om destijds te reageren, en dan
nog in gunstige zin ook, op een overmoedige kritiek die ik mij
toen verstoutte te maken op de wijze waarop onze rechtspraak
de artikels 921 en 922 van ons B.W. toepaste (1).
Hij schreef een mooi voorwoord op mijn proefschrift "De
erfrechtelijke reserve".
Zijn manier om over recht te schrijven heeft mij steeds
geinspireerd.
Het stukje dat nu volgt gaat over twee grondvragen van het
erfrecht, waarover ik in de Belgische literatuur alleen bij profes-
sor Dekkers een indringende behandeling vond. Zij maakten deel
uit van de onderwerpen die ik mocht bespreken in het kader van
de Francqui-leerstoel (1978-1979) aan zijn Universiteit, de Vrije
Universiteit Brussel.

1. - Het erfrecht wil een vacuum opvullen dat ontstaat bij


het overlijden van een persoon m.b.t. zijn materiële omgeving.
Met onze begrippen over eigendomsrecht en gehoudenheid
tot schulden is dat een belangrijk probleem. De eigendom is een
relatie tot een persoon, die verloren gaat met het wegvallen van
die persoon, maar van "heerloze" goederen, zonder eigenaar,
houdt onze wetgever, die op ordening van het bezit gesteld is,
niet. Anderzijds nemen wij aan dat de schulden niet verdwijnen
door het overlijden van de debiteur.

(1) René DEKKERS, ,.Du confilt entre les articles 921 et 922 du Code civil", Ann.
nol., 1959, 41.
272 R. DILLEMANS

Het erfrecht behoort tot de meest "klassieke" stukken uit


ons Burgerlijk Recht. Het geeft een antwoord op een probleem
waarmee praktisch elk rechtsstelsel tot dusver geconfronteerd
bleek : wat gebeurt er bij het overlijden van iemand met diens
vermogen, met zijn goederen en zijn schulden 1
Geboorte en overlijden zijn de twee hoofdgebeurtenissen in ...
's mensen bestaan en zijn dus onvermijdelijk hoogst relevant
voor het recht.
Nochtans stelt het overlijden van een individu maar een erf-
rechtelijk probleem in een maatschappelijk stelsel waar dat
individu persoonlijke eigendom kan bezitten. Men kan inderdaad
het bestaan van een erfrecht niet losmaken van het bestaan
van privaat eigendom. Tenminste niet wanneer we het erfrecht
in de welbepaalde hoger aangegeven zin verstaan, nl. als een
zaak van overgang van goederen en schulden, zoals professor
Dekkers het zeer duidelijk en simpel wilde zien (3) - zulks in
aansluiting bij de benadering van ons Burgerlijk Wetboek dat
van het erfrecht een zakenrechtelijke overgang maakt en het
erfrecht behandelt als één (de eerste in de rij) van de wijzen
van eigendomsverkrijging, waarover zijn boek III handelt.
Misschien is er een nieuwe definitie te geven die wat ruimer is
en daarover zou ik het o.m. dan ook graag hebben in onderhavige
bijdrage.
Geen erfrecht dus zonder privaat eigendom (het weze alleen
van verbruiksgoederen). Het omgekeerde is niet noodzakelijk
waar ; privaat eigendom kan zó aan de persoon verbonden zijn
dat het hem en zijn familie niet overleeft en dat de gemeenschap
haar rechten herneemt bij het overlijden. Zulk stelsel is ons
echter in de praktijk nergens bekend ; en zelfs een stelsel van
zeer hoge fiskale overgangsrechten gaat nooit zover dat het
beginsel zelf wordt aangetast.
Het erfrecht heeft bijna altijd bestaan en in alle gemeen-
schappen (4).

(3) DE PAGE en DEKKERS, Traité élémentaire, IX Lea Succeaaiona, uitg. 1974, nr. 10
,, ... la succession est un concept purement économique exclusivement patrimonia! ...
l'hérédité ne se compose, en principe, que de droits évaluables en argent, susceptibles
d'intéreBSer les tiers ... l'hérédité n'est autre chose que Ie patrimoine du défunt".
(4) Ik steun hier op een vrij volledig onderzoek dat werd ingesteld door mijn mede-
werkster in 1974-1975, Miranti Budiharto, docente aan de Universiteit van.Parahyan-
gan te Bandung, uitgebracht in een (vooralsnog ongepubliceerde) studie onder de titel
VOORWERP EN GRONDSLAG VAN HET ERFRECHT 273

De uitzonderingen zijn precies te vinden in de maatschappij-


ordeningen waar de privaat eigendom moest wijken voor een
stelsel van gemeenschapseigendom, dat we kunnen vinden in
primitieve groepen, uit zelfverdediging, later in de feodale
maatschappij-ordening waar het publiekrechtelijk karakter van
de overgang overwoog, en thans nog gedeeltelijk in collectivis-
tische staten, waar een aantal, vaak de belangrijkste goederen
aan het privatief bezit onttrokken zijn.
Het erfrecht leunt dan ook meer dan welk ander hoofdstuk•
uit het burgerlijk recht aan bij de eigen sociale regeling van een
bepaald land. Hoewel een aantal beginselen overal terug te
vinden zijn, is het meestal toch erg "nationaal".
In zijn concrete regelingen moeten een aantal prioriteiten
worden opgesteld en een ganse hiërarchie onder de familieleden.
Het leunt dus aan de andere kant ook sterk aan bij het gezins-
recht.
En als het dan in ons land sinds de Code van Napoleon vrijwel
ongewijzigd is gebleven, wordt het thans mede in de stroom-
versnelling gegrepen waarin het ganse gezinsrecht in brede zin
is terecht gekomen de jongste jaren. Het wordt in dit decennium
grondig beroerd door reeds geruime tijd opgestoken maar thans
acuut geworden "eisen" van een nieuw ethisch· project, waar de
gelijkheid - de echte, niet die van 1789 - en de solidari-
teit - idem - vooraan staan : vandaar het ontwerp dat de
natuurlijke kinderen gelijk stelt met de wettige en de nieuwe
wet die de solidariteit tussen de echtgenoten tot na hun dood
vestigt.
Eigenlijk is zelfs de derde van de trits van idealen aan de grote
Revolutie, de vrijheid, ook op dit terrein aan de orde, nl. in
verband met de door sommigen gewenste gelijkschakeling van
de "vrije unie" met de huwelijksband, in tal van gevolgen,
o.m. op het gebied van het erfrecht.
De welbekende "gelijkheid", ,,solidariteit" en "vrijheid" dus,
alle drie tussen aanhalingstekens, wel te verstaan, een uitdaging
in een verrassende vorm en in een onverwachte context : de
familiekring, of beter, het gezin.

"Onderzoek naJ de grondslag van het erfrecht via een studie van het erfrecht in de
vei-schillende rechtsstelsels", Leuven, 1975, pro manuscripto, 58 p.
274 R. DILLEMANS

Maar op deze doelstellingen van de nieuwe wetten en wets-


ontwerpen : huwelijksvermogensrecht, erfrecht langstlevende
echtgenoot, opheffing van de discriminatie tussen natuurlijke en
wettige kinderen, ook in het erfrecht, wil ik thans niet ingaan,
wel uitdrukking geven aan de vragen die zij bij mij doen oprijzen
i.v.m. de intrinsieke bestaansvragen nopens het erfrecht : zijn
voorwerp en zijn grondslag.

2. - Het gewoon begrip van "erven", ,,nalatenschap", ,,erfe-


nis", ,,erfovergang" doelt op de overgang van een vermogen,
dat we al dadelijk moeten ruimer opstellen dan de overgang
van "goederen" ; ook de overgang van schulden is natuurlijk
bedoeld en die is principieel vaak ook in de praktijk belangrijk.
Met de eigendomsopvattingen die de onze zijn, betekent het
erfrecht een "oplossing" voor een probleem : bepaalde goederen
worden "heerloos" en zij moeten dringend opnieuw aan een
fysische of rechtspersoon verbonden worden. Zo dringend zelfs
dat onze wetgever een automatische, van rechtswege een onmid-
dellijke erfovergang voorzag, naar de suggestieve oude spreuk :
,,Ie mort saisit Ie vif".
Schulden gaan ook automatisch over, maar afzonderlijk t.a.v.
de goederen.
Onmiddellijke overgang en bruto-vererving sluiten helemaal
bij mekaar aan. In het Engels stelsel bv. is er een tussen-periode
tussen overlijden en erfovergang, tijdens dewelke de schulden
worden vereffend met het actief en eindigend in de uitkering van
een netto-actief aan de erfgenamen.
Dat de schulden ook overgaan is een regel, die maar als nor-
maal wordt ervaren, denk ik, maar waarvan het maatschappelijk
belang toch niet genoeg kan onderstreept worden. Het krediet-
wezen, de contracten en de ganse samenlevingsordening zouden
er gans anders uitzien mochten schulden uitdoven bij de dood
van de schuldenaar. In beginsel overleven zij hem en belasten
zij zijn erfgenamen.
Zij gaan over als verdeeld : zij worden volgens ons verbinte-
nissenrecht automatisch verdeeld onder de erfgenamen, door het
enkel overlijden. In de praktijk loopt het wel enigszins anders :
de rechtspraak neemt aan dat de schuldeisers van de overledene
elk erfgenaam voor het geheel van de schuld kunnen aanspreken,
zolang er niet effectief verdeeld is.
VOORWERP EN GRONDSLAG VAN HET ERFRECHT 275

Erfrecht, traditioneel dus een zaak van goederen en schulden.


Niets meer. En dan wordt nog alleen bedoeld : goederen en
schulden die voor overgang vatbaar zijn volgens de klassieke
begrippen m.a.w. eigenlijk patrimonieelrechtelijke, niet bepaald
aan de persoon verbonden vermogensbestanddelen.
Deze beperking van het voorwerp van het erfrecht sluit niet
goed aan bij de idee van de opvolging in de persoon van de erf-
later. Want hieruit volgt een ruimere opvatting van erfrecht,
begrijpend de overgang van bepaalde niet vermogensrechtelijke
rechten en verplichtingen, zoals de overgang van bepaalde func-
ties in de familie of de samenleving en van bepaalde godsdienstige
(Romeins recht) of politieke, economische en militaire verplich-
tingen (feodale periode).
Voorzeker, de Franse Revolutie heeft het erfrecht geïndividua-
liseerd en teruggehaald naar de sfeer van het privaatrecht, en,
medegeïnspireerd door haar overwegend materialistische opvat-
ting van de rechtsordening, herleid tot een overgang van goederen
en schulden ; de betreffende titel vindt men trouwens in Boek III
van het Wetboek dat de nuchtere hoofding draagt "Op welke
wijze eigendom verkregen wordt".
Erfopvolging is er daar één van (zoals het huwelijk trouwens
ook : Titel V ... ).
In andere, vooral moderne wetboeken, zal men het erfrecht
niet meer vinden onder deze titel, maar eerder als een afzonder-
lijk deel tussen het familierecht en het eigendomsrecht in (Neder-
land bv.) tenzij weer in de Angelsaksische opvatting natuurlijk,
waar het gerust onder de titel "Property" zou kunnen geschikt
worden, mocht men daar een Burgerlijk Wetboek hebben.
De Page en Dekkers zijn, bij mijn weten, de enigen in de
Belgische literatuur die het vraagstuk grondig hebben onder-
zocht en ik moge naar hun qiteenzetting verwijzen : Traité IX
(2de uitgave 1974), nrs. 10-18. Zij komen tot de slotsom dat
het maar beter is het bij de gangbare mening te houden en het
erfrecht alleen te zien als een zaak van goederen en schulden.
Het debat werd in Frankrijk geopend door het proefschrift
van P. Blonde! : La transmission à cause de mort des droits extra-
patrimoniaux et des droits patrimoniaux à caractère personnel (5).

(5) Parijs, Libr. Gén. dr. 1969, 193 blz.


276 R. DILLEMANS

Over deze twee soorten rechten gaat het inderdaad. Voor-


beelden van de eerste groep : het moreel recht van de auteur
(het recht om te bepalen of een werk wordt uitgegeven en hoe,
niet het pecuniaire aspect), het recht om een natuurlijk kind
te erkennen, en in het algemeen de rechten i.v.m. de staat van
de personen, het recht om de begrafeniswijze te bepalen, de
toegang tot intieme documenten.
Voorbeelden van de tweede groep nl. de patrimoniële rechten
waar echter het persoonlijk, of beter, het moreel aspect over-
weegt : de vordering tot ontbinding van een schenking wegens
ondankbaarheid (art. 955 B.W.) of tot herroeping van een legaat
wegens onwaardigheid (art. 1047).
Blonde! komt tot de conclusie dat meer van deze rechten
vatbaar zijn voor overgang mortis causa dan men denkt.
De Page en Dekkers geven dit wel toe, maar zij menen dat
hun overgang meestal niet via het erfrecht dan wel los daarvan
geschiedt. De vraag is dan : hoe en volgens welke regelen en
prioriteiten. En dat wordt echt moeilijk. Een "feitenkwestie",
zeggen de auteurs, afhankelijk van het soort belang dat op het
spel staat : wie is het meest aangewezen om in naam van de
decujus op te treden; het komt eigenlijk terug tot het oude
onderscheid : wie volgt hem op in zijn persoon . .. 1 Maar, dacht
ik, die noties zijn aan het veranderen, zeker al in hun toepassings-
gebied. Behoren de echtgenoot en de natuurlijke kinderen daar
nu ook niet bij 1 Men kan beide auteurs misschien volgen waar
zij - negatief dan - stellen dat de kwestie enigszins los van het
erfrecht moet worden gezien, in die zin dat een bij testament
onterfde verwante nog in aanmerking zou moeten komen voor
de uitoefening van de hier bedoelde rechten.
Omgekeerd wensen zij geen gelijkstelling met de verwanten,
van de in het testament aangeduide algemene legataris.
Maar in beide gevallen houdt men wel geen rekening met de
wens van de decujus; maar zeggen zij, deze wens heeft alleen
betrekking op de goederen. Quod probandum !
Positief zien zij - Blondel trouwens ook - plaats naast het
erfrecht, voor wat zij noemen "les droits de la parenté", die
deze rechten met hoofdzakelijk moreel belang zouden omvatten
en waar de kwaliteit van verwante die van erfgenaam moet
primeren. Maar waar het onderscheid leggen î Rechtspraak is
VOORWERP EN GRONDSLAG VAN HET ERFRECHT 277

er niet, tenzij dan het fameuze Cassatie-arrest van 3 juli 1899 (6),
in verband met de beslissing inzake begrafenis, waar de algemene
legataris moet wijken voor de wil van de familieleden. De
genoemde auteurs zijn geneigd de wettige bloedverwanten voor-
aan te stellen. Maar kan men nu nog dergelijke houding aan-
nemen t.o.v. de langstlevende echtgenoot en de natuurlijke
kinderen'? Ook zij voelen zich wel verplicht sommige "préroga-
tives de la famille" uit te breiden tot de langstlevende echtge-
noot (7).
Maar onmiddellijk blijft de vraag dan : waarom de erfrechte-
lijke categoriën en prioriteiten niet zó herzien dat zij ook geschikt
lijken om de "droits de la parenté" de juiste toewijzing te geven'?
En nu men hiermede precies doende is, zal men de assimilatie
van de vroegere onregelmatige erfopvolgers niet volledig v;1.llen '?

3. - Tenslotte hebben de nieuwe projecten de vraag naar


de uiteindelijke grondslag van het erfrecht gesteld.
Met de wetenschap dat het erfrecht overal bestaat, het weze
beperkt in voorwerp tot de verbruiksgoederen, lijkt de vraag
wel academisch, maar daarom niet onbelangrijk.
De vooruitschuiving van de langstlevende echtgenoot is van
zoveel (over)argumentering vergezeld en deze argumentering
ml zo diep graven in de fundamenten, dat men zich afvraagt
of het erfrecht als dusdanig en het erfrecht ten voordele van de
andere verwanten nog zijn zin behouden heeft'?
M.i. is er door sommige commentatoren teveel filosofische
begronding aangebracht om de mjziging ten voordele van de
langstlevende echtgenoot te staven. Deze wijziging houdt ver-
band met gemjzigde maatschappelijke toestanden. Het recht
beantwoordde niet meer aan het feit. Passen we het aan, maar
laat ons inzake de zogenaamde "horizontalisatie" niet overdrijven
en de horizon en alle perspectief niet verliezen (8).
Het erfrecht van de echtgenoot heeft inderdaad een meer-
voudige grondslag : de solidariteit, de onderhoudsverplichting

(6) PatJ., 1899, I, 321, besproken in mijn handboek Testamenten, S.W.U., 1976
(2de uitgave), nr. 164-165.
(7) DE PAGE en DEKKERS, o.c., blz. 33, in noot 2, en blz. 34.
(8) Zie L. RAUCENT, ,,Une révolution copernicienne : Ie projet de loi de réforme
des droits successoraux du conjoint survivant", J.T., 1974, 309-314.
278 R. DILLEMANS

en de affectio of de pietas (9). Maar deze blijven ook in een andere


daarom niet mindere wijze gelden voor de naaste bloedver-
wanten.
Ook op dit punt vinden we bij De Page en Dekkers een gron-
dige studie (10) : zij vinden de grondslag van het erfrecht in de
plicht van de decujus "envers la société qui lui a permis d'amasser
les biens". En hier wordt de basis van de redenering wat smal
want professor Dekkers - want hij is het voorzeker - zag
hierin een soort restitutieplicht t.a.v. de beperkte familiegroep
waaraan de welstand van de decujus mede te danken is.
Deze verantwoording blijft inderdaad eng, want velen hebben
in onze tijd waarschijnlijk meer te danken aan de inspanningen
die de collectiviteit zich getroost - maar die worden misschien
dan wel teruggeëist via de successiebelasting. Beter is waarschijn-
lijk op de algemene plicht van solidariteit over de dood keen te
wijzen.
Als positieve fundering lijkt dit nog niet zo alles overtuigend.
Ik moet toegeven tot dusver nergens een alles overtuigende
argumentering van het sociaal-filosofische soort te hebben gevon-
den. Ook niet in de verslagen van het Congres van de Franse
notarissen, 1975, dat zich nochtàns heeft uitgesloofd in die
richting (11).
En men zou met collega Heyvaert (12) inderdaad in de ver-
leiding komen de volledige afschaffing onder ogen te nemen
en de vervanging ervan door die nieuwe zich zo hoopvol aan-
dienende tak van het recht, die zijn ideaal in zijn naam draagt,
de sociale zekerheid. De verleiding wordt onweerstaanbaar voor
degenen, waartoe ik graag behoor, die de wereld als grondig
onvolkomen beschouwen zolang de gelijkheid van kansen voor
alle mensenkinderen niet is verwezenlijkt.
Ware daar niet dat jaren onderzoek en praktijk in die sector
onze hoop op een integrale oplossing van die kant hebben wegge-
nomen en ons versterkt in de mening dat collectieve zorg moet

(9' Zie M. T. MEULDERS•KLElN, in haar merkwaardig syntheserapport "Familie,


drcit ~t changement social dans les sociétés contemporaines", in het gelijknamig werk
hoger gecit., 1978, 686-751 en P. STIÉNON, .,La conception nouvelle de la familie dans
les projets de réforme belges des droits du conjoint survivant", ibid., 310-320.
(10) Traité, IX, nr. 2-9.
(11) DEAUVILLE, 1975, ,.La dévolution successorale", blz. 5-43.
(12) .,Contestatie van ons erfrecht", R. W., 1968-1969, 481.
VOORWERP EN GRONDSLAG VAN HET ERFRECHT 279

gepaard gaan met een geïntensifieerde persoonlijke voorzorg van


het individu voor zichzelf en ook voor zijn kleine groep waarin
hij zijn bestaan heeft uitgebouwd. Laat de collectiviteit bij
gelegenheid van de erfovergang ernstig haar deel nemen via een
herziene en ernstig opgevatte (anders dan thans het geval is)
erfenisbelasting. Maar laten wij de verantwoordelijkheid sprei-
den, de voorzorg promoveren en de beperkte solidariteit bevor-
deren binnen de kleine groep van hen die door afstamming of
huwelijk of anderszins geroepen zijn met mekaar op te trekken
in het leven ; en hoe intenser dat gebeurt, hoe sterker dat uit-
deint over de dood heen, waarin de meesten - gelovig in een
hiernamaals of niet - niet graag een volledig einde willen zien,
des te beter is het.
En aan wie de resultaten van het onderzoek naar de positieve
grondslag van het erfrecht (begrijpelijk) onbevredigd laten, stel
ik een ander thema voor research voor, nl. een samenleving
waarin geen erfrecht zou bestaan.
Is die werkhypothese al ernstig onderzocht'? Neen.
Schuld, risico, imprevisie en overmacht
bij de niet-nakoming
van contractuele verbintenissen.
Een rechtsvergelijkende benadering
DOOR

R. KRUITHOF
HOOGLERAAR AAN DE UNIVERSITEIT ANTWERPEN (U.I.A.)
DOCENT AAN DE VRIJE UNIVERSITEIT BRUSSEL

1. - Ter situering van het onderwerp van deze bijdrage


worden eerst enkele type-gevallen uit de praktijk aangehaald :
- Firma A verkoopt aan firma Been partij katoen. Overeen-
gekomen wordt dat de koopwaar op kosten van de verkoper in
december 1956 vanuit een Oost-Afrikaanse haven naar Hamburg
zal worden verscheept. Op 2 november 1956 wordt het Suez-
kanaal geblokkeerd ten gevolge van de militaire operaties tegen
Egypte waarvan de regering kort tevoren bovengenoemd kanaal
had genationaliseerd. De verkoper is niet bereid om op zijn
kosten de partij katoen langs Kaap de Goede Hoop naar Ham-
burg te laten vervoeren (1).
- Begin 1956 ontstaat in de firma Cockerill een looncon-
flict tussen de directie en de bedienden. De reeds lang aan-
slepende onderhandelingen worden op 14 maart 1956 onder-
broken door een stakingsaanzegging. Op 2 april leggen de
bedienden het werk neer. De arbeiders van het bedrijf - die
niet in staking waren gegaan - worden twee weken later bij
gebrek aan werk naar huis gestuurd. Op 17 mei gaan de bedienden
weer aan de slag. Drie dagen later is er weer voldoende werk
voor de arbeiders en worden deze weer aangeworven. De arbei-
ders eisen van de directie dat hun loon ook voor de periode van

(l) Vgl. Tsakiroglou and Co. v. Noblee and Thori, GmbH (1962) A.C. 93; Société
franco-tunisienne d'armement v. Sedermar SpA (1961) 2 QB 278; Carapanayoti &, C 0
v. E.T. Green, Ltd (1958) 3 All. E.R. 115; (1959) l Q.B. 131.
282 R. KRUITHOF

technische werkloosheid wordt uitgekeerd. De leiding van het


bedrijf weigert (2).
- Zentveld sluit met de N.V. Fokker een contract waarbij
hij er zich toe verbindt om voor Fl. 17 .50 per uur met een
kraanwagen een vliegtuigvleugel te verladen. Bij het heffen
van de vleugel breekt echter door een onbekende oorzaak een
bout in de kraan. De vleugel valt en wordt zwaar beschadigd.
Wie moet deze schade dragen? (3).
- Mevrouw X, operazangeres van beroep, is de contractuele
verbintenis aangegaan om in de Scala van Milaan een concert
te geven. Op de overeengekomen dag lijdt zij echter aan keel-
ontsteking en laat verstek gaan. Wie zal de geleden schade
moeten dragen?
- Voor een blindedarmoperatie laat chirurg X zich bijstaan
door een anesthesist en enkele verpleegsters. Tijdens de operatie
geeft hij één van zijn helpers de opdracht om de patiënt een
inspuiting te geven met een bepaald geneesmiddel. De betrokkene
vergist zich echter en spuit de verkeerde vloeistof in. De patiënt
overlijdt.
In de vijf bovengenoemde gevallen gaat het steeds om de
niet-nakoming van een contractuele verbintenis : de verkoper van
katoen levert de koopwaar niet af in Hamburg; Cockerill betaalt
zijn arbeiders het overeengekomen loon niet uit ; Zentveld komt
zijn verbintenis om de vliegtuigvleugel onbeschadigd te ver-
laden niet na ; de operazangeres treedt niet op ; de patiënt over-
lijdt door de verkeerde behandeling.
Er zijn natuurlijk bijzonder veel vormen van niet-nakoming.
Meestal groepeert men die echter in drie categorieën. De eerste
groep omvat alle gevallen van niet-tijdige nakoming. Men denke
bv. aan het geval dat een meubelhandelaar aan een klant een
wandkast heeft verkocht met de stellige belofte deze uiterlijk
over drie weken af te leveren, terwijl de koper meer dan twee
maanden op het meubelstuk moet wachten. De tweede groep
betreft de gevallen van niet-behoorlijke nakoming. Een voorbeeld

(2) Vgl. Wrr. Antwerpen, 19 mei 1959, Rev. Banq., 1960, 798, noot LAOASSE, A.;
Wrr. Ber. Antwerpen, 23 december 1960, R. W., 1960-1961, 950; T.S.R., 1961, 50;
J.P.A., 1962, 61.
(3) Vgl. H.R. 5 januari 1968, N.J., 1968, nr. 102; Noot KösTER, H. K., Ars
Aequi, 1969, 429 e.v.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 283

hiervan is de garagehouder die er zich toe verbonden heeft de


remmen van een auto te herstellen en die dit op zo'n uitmuntende
wijze doet dat de remmen bij het eerste gebruik volledig begeven.
Of nog : de verkoop van een kleurentelevisietoestel waarop
alleen zwart-wit beelden te zien zijn. Tenslotte zijn er de gevallen
waarin de prestatie geheel achterwege blijft. Men denke hier bv.
aan de ondernemer die er zich toe verbonden heeft een partij
boeken te vervoeren van Arendonk naar Antwerpen en wiens
auto onderweg met alle boeken uitbrandt.
Het beginsel in alle moderne rechtsstelsels is dat de schuldenaar
die in de nakoming van zijn verbintenis tekortschiet, de daardoor
ontstane schade moet dragen. In het licht van de hierboven
genoemde gevallen rijst echter de vraag of er geen uitzonderingen
op deze hoofdregel bestaan. M.a.w. is de schuldenaar nog tot
schadeloosstelling gehouden, indien er een rechtvaardigingsgrond
voor zijn tekortkoming bestaat î
Deze vraag wordt veelal bevestigend beantwoordt, zo de niet-
nakoming aan een vreem<le oorzaak, overmacht of toeval is te
wijten. Dan rijst echter onmiddellijk een nieuwe vraag, nl. wat
onder overmacht, toeval en vreemde oorzaak moet worden
verstaan. Het zoeken naar een antwoord op deze vraag is het
onderwerp van deze studie (4).
Het is in rechtsvergelijkend perspectief dat het opgegeven
probleem zal worden benaderd (5).

2. - Het begrip "overmacht" kan gekarakteriseerd worden


als "cette fausse idée claire". Op het eerste gezicht is het in het
contractenrecht een duidelijk begrip. Bij nader onderzoek blijkt
echter dat rechtsleer en rechtspraak in dit verband sterk uiteen-
lopende rechtsconstructies hebben uitgewerkt.
Het ontbreken van een algemeen aanvaarde overmachtstheorie
is ongetwijfeld de hoofdoorzaak van het gebrek aan uniformiteit

(4) De problemen i.v.m. de gevolgen van overmacht worden hier buiten beschouwing
gelaten. Het betreft niettemin een bijzonder belangrijk aspect van het vraagstuk.
Een ruime overmachtsleer is bv. veel beter te verdedigen wanneer de rechter de
bevoegdheid heeft het contract aan de gewijzigde omstandigheden aan te passen, en
dus niet verplicht is de veel radicalere beslissing te nemen het contract geheel teniet
te laten gaan.
(5) Zie ook de zeer interessante studie van VAN 0MMESLAGHE, P., .,Les clauses de
force majeure et d'imprévision dans les contrats internationaux", Rev. dr. int. comp.,
1980, 7-59.
RENÉ DEKKERS, - 19
284 R. KRUITHOF

dat de rechtspraak in zeer veel landen op dit punt kenmerkt.


Wat voor de ene rechter overmacht of toeval is, is dat voor een
andere rechter niet, en omgekeerd.
In veel landen is deze toestand aan de kaak gesteld. In ons
land schrijft R. 0. Dalcq bv. dat er geen duidelijke rechtsregels
in deze materie bestaan en dat de rechter in feite slechts kan
vertrouwen op zijn gezond verstand en zijn billijkheidsgevoel (6).
In dezelfde zin drukt de Amerikaanse auteur Corbin zich uit waar
hij schrijft dat uiteindelijk de rechter hier een beroep moet doen
op zijn "equity powers" en "must pray for the wisdom of Solo-
mon" (7).
Om enige klaarheid te scheppen zal ik proberen de talloze
opvattingen over overmacht in het verbintenissenrecht tot enkele
algemene theorieën te herleiden en daar enkele kritische kant-
tekeningen bij maken. Achtereenvolgens zullen de volgende vijf
opvattingen besproken worden : de toestemmingsleer; de theo-
rie van de ontoerekenbare onmogeliikheid; de schuldleer; de
risicotheorie; en tenslotte, de schuldleer aangevuld met het
risicobeginsel.

3. - Eerste theorie. - De toestemmingsleer. - Vooral in de


Angelsaksische landen heeft men de juridische grondslag van de
overmachtsleer vaak gezocht in de toestemming van de contrac-
terende partijen.
Volgens een eerste strekking worden partijen geacht stil-
zwijgend te hebben bedongen dat overmacht de schuldenaar
bevrijdt. De eerste maal dat deze "doctrine of the implied term"
door een Engelse rechtbank werd toegepast, was in 1863 in de
zaak Taylor v. Oaldwell (8). Caldwell had aan Taylor een music-
hall verhuurd voor vier opeenvolgende dagen en dit m.h.o. op
een reeks concerten. De zaal brandde echter kort voor de over-
eengekomen datum uit. Daar de eigenaar de zaal niet ter beschik-

(6) ,,Les principes - zo schrijft deze auteur-, pour autant qu'on puisse employer
ce terme, sont tellement incertains que !'on a parfois Ie sentiment que la notion de
cause étrangère relè•e d'un dome.ine laissé entièrement à l'appréciation du juge dµ
fond. Celui-ci paraît au surplus se fier davantage à son bon sens qu'à des règles de
droit pour définir en fait la force majeure; il admet ou non son existence pour faire
valoir la solution qui lui semble être celle que l'équité exige" (Traité de la reapon-
sabilité civile, II, Bruxelles, 1962, nr. 2741).
(7) CoRBm, On Contracta, One volume edition, 1952, § 1333, ll!0.
(8) (1863) 3 B.& S. 826. Voordien oordeelde men in Engeland dat overmacht de
schuldenaar nooit bevrijdt : Paradine v. Jane (1647) Aleyn 26. Zie infra, nr. 14.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 285

king van de huurder kon stellen, eiste deze schadevergoeding.


De Queen' s Bench weigerde dit echter op grond van de overweging
dat partijen geacht werden impliciet te zijn overeengekomen
dat de vernietiging van de verhuurde zaak de verhuurder van
zijn verbintenis zou bevrijden (9).
Reeds snel is er echter een menigsverschil opgedoken tussen
de aanhangers van de "doctrine of the implied term". Volgens
de enen moet de rechter door interpretatie tot het besluit komen
dat het impliciete overmachtsbeding overeenstemt met de werke-
lijke wil van de betrokken contracterende partijen. Volgens
anderen volstaat het echter dat de rechter vaststelt dat normale,
redelijke mensen een zodanige clausule impliciet zouden hebben
gestipuleerd (10). Het is evident dat door dit objectief element
in te brengen de wilsleer een flinke deuk wordt gegeven.
De theorie van het impliciete overmachtsbeding berust onge-
twijfeld in vele gevallen op een fictie. Partijen hebben vaak
helemaal niet aan het probleem gedacht en er noch uitdrukkelijk
noch stilzwijgend een regeling voor getroffen.
In Engeland wordt in dit verband soms volgend voorbeeld
geciteerd. Daar een tijger uit een circus is ontsnapt, ziet een
melkboer ervan af om in de betrokken wijk zijn ronde te maken.
Is het redelijk om aan te nemen dat de melkboer met elk van
zijn klanten in die wijk impliciet de afspraak heeft gemaakt dat
de melkbedeling op de zgn. ,,loslopende tijgerdagen" niet zal
plaats hebben? (11).
Juist omdat deze leer grotendeels op een fictie berust - de
wil van de partijen terzake is immers zelden te achterhalen -
biedt deze theorie de rechter geen duidelijk criterium ter onder-
scheiding van de gevallen van niet-nakoming die wél aan de

(9) ,.The principle - aldus Rechter BLACKBURN - seems to us to be that, in con-


tracts in which the performance depends on the continued existence of a given person
or thing, a condition is implied that the impossibility of performance arising from the
perishing of the person or thing shall excuse the performance. In none of these cases
is the promise in words other than positive, nor is there any express stipulation that
the destruction of the person or thing shall excuse the performance; hut that excuse
is by law implied, because from the nature of the contract it is apparent that the
parties contracted on the basis of the continued existence of the particular person or
chattel." (1863) 3 B. & S. 839.
(10) ANSON, Law of Contract, Oxford, 1975, 488-490. Zie ook F.A. Tamplin
Steamship Co. Ltd. v. Anglo-Mexican Petroleum Products Co. Ltd. (1916) 2 A.C. 397,
i.h.b. 403.
(Il) Lord SANDS in James Scott & Sons v. Del Sel (1922) S.C. 597.
286 R. KRUITHOF

schuldenaar zijn toe te rekenen en de gevallen waarvoor deze


niet aansprakelijk kan worden gesteld. Aanvankelijk werd de
"implied term"-leer in Engeland bv. beperkt tot gevallen van
absolute, fysische onmogelijkheid. Geleidelijk aan is men echter
steeds soepeler geworden en thans wordt zelfs door heel wat
rechters de imprevisieleer op deze grond erkend (12). Tot een
duidelijk standpunt zijn rechtspraak en rechtsleer echter niet
kunnen komen (13).

4. - In de meeste andere West-Europese landen heeft men


op de theorie van het impliciet beding geen beroep moeten doen,
daar de bevrijding van de debiteur in geval van overmacht er
in de wet haar grondslag vindt (zie infra nrs. 7 en 8).
Opgemerkt dient evenwel dat men in Frankrijk en bij ons
de imprevisieleer vaak aan de wilstheorie heeft proberen te
koppelen. Volgens de imprevisieleer gaat een overeenkomst teniet
of mag deze door de rechter worden aangepast, indien na het
totstandkomen van het contract zich abnormale en onvoorziene
omstandigheden voordoen die de verbintenis van één der par-
tijen in belangrijke mate verzwaren, zij het niet onmogelijk
maken. Te denken valt in het bijzonder aan de weerslag van een
plotse en belangrijke devaluatie of opwaardering van een munt-
eenheid op de koopprijs. Men beweert dat het tenietgaan van de
overeenkomst of de bevoegdheid van de rechter om het contract
in dergelijke omstandigheden te wijzigen, steunt op een impli-
ciete afspraak in die zin van de contracterende partijen (14). De
Postglossatoren noemden dit beding de Clausula rebus sic stanti-
bus. De meeste auteurs en rechtscolleges in Frankrijk en België
verwerpen deze theorie echter - terecht - op grond van de
overweging dat partijen deze hypothese veelal niet onder ogen
hebben gezien en er dus ook geen regeling voor hebben getroffen.
Kortom, de leer berust grotendeels op een fictie (15).

(12) Zie bv. Jaclc8on v. Marine Inaurance Co. Ltd., 1874 LR 10 CP 251.
(13) Heel wat rechtspraak is ook zeer streng, zie bv. Tsakirogl,ou and Co. v. Noblee
and Thori, GmbH (1962) A.C. 93.
(14) Voor een opsomming van gebeurtenissen die tot de hier bedoelde situaties
kunnen leiden, zie ROYER, S., ,,Pacta sunt servanda en verandering van omstandig-
heden in het privaatrecht", R.M.T., 1972, 519 e.v.
(15) België : Cass., 30 oktober 1924, Pas., 1925, I, 565; Gent, 11 maart 1927,
B.J., 1928, 48; Kh. Antwerpen, 10 oktober 1919, Pas., 1920, III, 15; Rb. Brussel,
2 november 1921, B.J., 1922, 245; DE PAGE, H., Traité élémentaire de droit civil beige,
II, nr. 578; CAMPION, L., ,,La théorie de l'imprévision", B.J., 1926-1927, 97 e.v.;
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 287

5. - Een variante van de leer van het impliciete overmachts-


beding is de theorie van het wegvallen van de grondslag van het
contract. Men denke bv. aan het geval dat een aannemer er zich
toe verbonden heeft een aantal kleinere herstellingen in de
kelder van een huis uit te voeren. Een vrachtwagen rijdt kort
daarop op het huis in en beschadigt het zo zwaar dat totale
afbraak aangewezen is. De kelder is echter ongeschonden geble-
ven. Alhoewel het contract met de aannemer nog kan uitgevoerd
worden, heeft dit uiteraard geen zin meer. De "grondslag" van
de overeenkomst is weggevallen.
Deze leer heeft verdedigers gevonden in de Angelsaksische
landen, in de Bondsrepubliek Duitsland en een enkele maal ook
in Frankrijk.
Heden ten dage spreekt men in Engeland en soms ook in de
Verenigde Staten van Noord-Amerika meestal niet meer van
onmogelijke nakoming, Vis major of Act of God, maar van
Frustration of contract.
Dit wijst op de theorie dat de schuldenaar voor de niet-
nakoming van zijn verbintenis niet aansprakelijk kan worden
gesteld, indien door omstandigheden ingetreden na de contracts-
sluiting de door beide partijen gemaakte voorstelling van zaken,
die het uitgangspunt en de grondslag van hun overeenkomst
vormt, is weggevallen. M.a.w. de debiteur dient zijn verbintenis
niet meer na te komen noch schadevergoeding te betalen, indien
"the foundation of the contract" is verdwenen (16). Deze nieuwe
omstandigheden - en dat is de rechtvaardiging voor de leer -
leiden er toe dat de inhoud van de oorspronkelijke verbintenis
fundamenteel wordt gewijzigd, m.a.w. dat we in feite voor een
nieuwe verbintenis komen te staan, en dat er geen wilsover-

zie ook DECEUNINCK, P., ,,Juridische argumentatie van de theorie van de onvoorziene
omstandigheden", Jura Falconis, 1978-1979, 83-97. Frankrijk : Cass. fr., 6 juni 1921,
D.P., 1921, 1, 73; Cass, fr., 30 mei 1922, D.P., 1922, 1, 69; Cass. fr., 17 maart 1926,
S., 1926, 1, 177; J. Cl. Civil, Contrats et obligations en général, nrs. 11-12, 11 en de
verwijzingen.
In de mate dat partijen werkelijk op uitdrukkelijke of stilzwijgende wijze een rege-
ling hebben getroffen voor onvoorziene gebeurtenissen die de uitvoering van één of
meer verbintenissen uiterst bezwaarlijk of onmogelijk maken, dient uiteraard het
principe van de wilsautonomie te worden gerespecteerd.
(16) Zie o.m. ANsoN, o.c., 490 e.v.; ScHMITTHÖFF, C. M., ,,Frustration of Inter-
national Contracts of Bale in English and Comparative Law", in Studia Iuridica
Helsingiensa, Some Problems of Non-Performance and Force Majeure in International
Contracts of Bale, Helsinki, 1961, 133; SIMPSON, Law of Contracts, St. Paul, 1965, nr. 182
en de verwijzingen; CoRBIN, o.c., § 1353 e.v.
288 R. KRUITHOF

eenstemming tussen partijen bestaat m.b.t. die nieuwe verbin-


tenis (17). Belangrijk is dat de "Doctrine of frustration" de
rechtspraak o.m. in staat stelt om de schuldenaar van zijn
verbintenis te bevrijden in gevallen die bij ons onder de impre-
visieleer vallen, m.a.w. situaties waarin door onvoorziene omstan-
digheden de uitvoering van de verbintenis niet onmogelijk maar
bijzonder moeilijk is geworden. Hetzelfde geldt voor gevallen
waarin het contract elke zin heeft verloren, maar toch uitgevoerd
kan worden. Ziehier een toepassing van laatstgenoemde hypo-
these : A verhuurt aan B voor enkele uren een kamer met uitzicht
op de straat waar een koninklijke stoet zal langskomen. Door
ziekte van de Koning wordt de plechtigheid afgelast. Het huur-
contract verliest daar elke betekenis door.
In de Bondsrepubliek Duitsland is deze leer gekend onder de
benaming Geschäftsgrundlagetheorie. Wanneer de door partijen
gevormde voorstelling van de omstandigheden waaronder de
overeenkomst tot uitvoering zal komen en waarvoor zij die
contractuele regeling in het leven hebben geroepen, wegvalt, dan
kan - aldus deze leer - de uitvoering van de oorspronkelijke
overeenkomst niet meer gevorderd worden (18). In verschillende
arresten heeft het Bundesgerichtshof er de nadruk op gelegd dat
deze leer slechts toegepast mag worden "wenn das Festhalten
am unveränderten Vertrag für ihn (d.i. de debiteur, R.K.) untrag-
bare und mit Recht und Gerechtigkeit unvereinbare Folgen hätte
und deshalb unzumutbar ist" (19). In die omstandigheden is de
rechter bevoegd de overeenkomst aan te passen. Dezè leer steunt
op de §§ 157 en 242 BGB krachtens dewelke contracten te goeder
(17) ,,Frustration occurs when the law recognizes that without default of either
party a contractual obligation has become incapable of being performed because the
circumstances in which the performance is called for would render it a thing radically
different from that which was undertaken by the contract. Non haec in foedera veni.
It was not this that I promised to do" (Lord RADCLIFFE, in Davis Oontractors, Ltd.
v. Fareham U.D.O. (1956) A.C. 729). Zie voorts .ANsoN, o.c., 490-492 en de verwij-
zingen aldaar; SCBMITTHOFF, C. M., o.c., 137 e.v. Zie ook § 288 u.s. Restatement of
the Law of Oontracts : ,,Where the assumed possibility of a desired object or effect
to be attained by either party to a contract forma the basis on which parties enter
into it, and this object or effect is or surely will be frustrated, a promisor who is
without fäult in causing the frustration, and who is harmed thereby, is discharged
from the duty of performing his promise unless a contrary intention appears".
(18) De teorie werd voor het eerst naar voor gebracht door OERTMANN, P., Die
Geschäftsgrundlage. Ein neuer Rechtsbegriff, Leipzig, 1921, 262 e.v. Zie ook LARENZ, K.,
Lehrbuch des Schuldrechts, I, München, 1976, § 21; EssER, J., Schu/,drecht, Karlsruhe,
1970, l, § 36; VAN ÛMMESLAGHE, P., o.c., 24-25.
(19) BGH, NJW, 1969, 233. In dezelfde zin, zij het in iets andere bewoordingen :
BGH, BGHZ, 40, 334; BGH, NJW, 1966, 105; BGH, NJW, 1978, 2390.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 289

trouw moeten worden uitgelegd en uitgevoerd. Zij wordt er


vaak ingeroepen ter rechtvaardiging van oplossingen die bij ons
onmogelijk zijn wegens het verwerpen van de imprevisieleer (20).
Het is de moeite waard om hier te vermelden dat er ook in
Frankrijk enkele rechterlijke uitspraken aan te wijzen zijn waarin
deze theorie werd toegepast. De feiten in deze processen waren
nagenoeg steeds dezelfde. In de 19e eeuw kende men in Frankrijk,
zoals bij ons, het systeem van de uitloting voor de militaire
dienstplicht. ·werd men uitgeloot, dan kon men echter toch nog
aan de dienstplicht ontsnappen, nl. door het stelsel van de
"remplacement". Mits betaling van een grote geldsom werd men
dan door een ander vervangen. Nu kon men zich hiervoor laten
verzekeren : werd men uitgeloot, dan betaalde de verzekeraar
de som nodig voor de vervanging. Toen het militair contingent
plotseling drastisch werd verhoogd door de Franse regering,
betekende dit natuurlijk voor de verzekeringsmaatschappijen,
die op deze ontwikkeling bij de berekening van de verzekerings-
premie niet hadden gerekend, een zware verliespost. Verschil-
lende Hoven van beroep beslisten dat de verzekeringsmaat-
schappijen niet meer aan hun verplichtingen waren gebonden,
daar "la base essentielle" van het verzekeringscontract door de
verhoging van het militair contingent fundamenteel was veran-
derd (21). Het Hof van Cassatie verbrak deze arresten echter (22).

6. - Zo men de theorie van het wegvallen van de contracts-


grondslag uitsluitend wil steunen op de wilsleer - toestemming
der partijen en interpretatie van hun bedoeling - , berust zij
in talrijke gevallen op een fictie en is zij, om die reden, vatbaar
voor kritiek. Zeer vaak hebben partijen immers noch uitdrukke-
lijk, noch stilzwijgend een regeling getroffen voor het geval dat
door onvoorziene en onvoorzienbare omstandigheden de uit-
voering van het contract uitermate bezwaarlijk, onmogelijk of
totaal onredelijk wordt (23). Wezenlijke bezwaren zijn er m.i.

(20) Voor overmacht stricto sensu gelden in de Bondsrepubliek immers bijzondere


wetsbepalingen. Zie infra, nr. 7.
(21) Paris, 26 mei 1854, D.P., 1854, 2, 129; Rouen, 3 juni 1854, D.P., 1854, 2, 131;
Rennes, 12 juni 1854, D.P., 1854, 2, 131.
(22) CBSB. fr., 9 januari 1856, D.P., 1856, 1, 33; CBSB. fr., 11 maart 1856, D.P., 1856,
1, 100; Cass. fr., 2 april 1856, D.P., 1856, 1, 101; Cass. fr., 7 maart 1859, D.P., 1859,
1, 109.
(23) .,Zodra de rechter - zo schrijft S. ROYER (o.c., 529) - zich geroepen acht
290 R. KRUITHOF

echter niet om de leer voor deze gevallen te grondvesten - zoals


in de Bondsrepubliek gebeurt - op het beginsel van de uitvoering
te goeder trouw, dat in ons verbintenissenrecht tot uitdrukking
is gebracht in art. 1134, lid 3 B.W. Technisch-juridisch kan
men tegen deze oplossing echter het argument inroepen dat op
deze wijze de overmachtsleer - sensu lato - gedeeltelijk ont-
trokken wordt aan de art. 1147 en 1148 B.,v. Een regeling van
de ganse problematiek hoort m.i. dáár beter thuis (23bis).

7. - Tweede theorie. -De leer van de ontoerekenbare onmoge-


lijkheid. - Volgens deze opvatting is er slechts sprake van over-
macht wanneer de omstandigheid die als vreemde oorzaak ter
bevrijding wordt ingeroepen, de nakoming van de verbintenis
onmogelijk maakt en de schuldenaar ter zake geen fout treft.
Het is deze theorie die door de heersende rechtspraak en
rechtsleer in Frankrijk en België wordt aanvaard en toege-
past (24). Ter rechtvaardiging worden de artikelen 1147 en 1148
Code Napoléon ingeroepen. Art. 1147 B.W. luidt als volgt :
,,De schuldenaar wordt, indien daartoe grond bestaat, veroor-
deeld tot het betalen van schadevergoeding, hetzij wegens niet-
uitvoering van de verbintenis, hetzij wegens vertraging in de
uitvoering, wanneer hij niet bewijst dat het niet nakomen het
gevolg is van een vreemde oorzaak die hem niet kan worden
toegerekend, en hoewel er zijnerzijds geen kwade trouw is".
En art. 1148 voegt daar aan toe : ,,Geen schadevergoeding is
verschuldigd wanneer de schuldenaar door overmacht of toeval
verhinderd is geworden datgene te geven of te doen waartoe
hij verbonden was of datgene heeft gedaan wat hem verboden
was".

te reconstrueren wat ten tijde van het sluiten der overeenkomst in de bedoeling va.n
de contractanten heeft gelegen, of welke voorstelling zij alstoen omtrent toekomstige
feitelijke ontwikkelingen hebben gekoesterd, steekt dit gevaar (van de rechtsficties
R.K.) op". Terecht merkt schrijver daar elders over op (o.c., 526 en 525), dat "het
bewandelen van een rechte weg boven het kronkelpad der ficties" verkozen moet
worden. Ficties leiden immers tot "juridisch kunst- en vliegwerk".
(23bia) Cf. injra, nr. 23.
(24) Zie b.v. BAUDRY-LACANTINERIE, G. en BARDE, L., Traité théorique et pratique
de droit civil. Lea obligationa, I, 489 e.v.; AuBRY, C., en RAu, C., Cours de droit civil,
IV, 153-154; PLANIOL, M., RIPERT, G. en EsMEIN, P., Traité pratique de droit civil
français, VI, nr. 382; RADOUANT, J., Du cas Joruit et de la force majeure, Paris, 1920,
48-49, 194-195 en 242-243; DE PAGE, Traité, IT, nr. 599, 596; R.P.D.B., tw. Obligations,
nrs. 758 e.v.; vgl. WIGNY, P., ,,Responsabilité contractuelle et force majeure", R.T.D.O.,
193.5, .I 9-95.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 291

Ook in talrijke andere landen, w.o. West-Duitsland, Zwitser-


land en Italië, blijkt de overmachtsregeling in hoofdzaak op
deze theorie te berusten. Uit § 275 Duits Bürgerliches Gesetzbuch
(BGB) (25), art. 97 en 119, lid 1 Zwitserse Code des obligations
(O.O.) (26) en art. 1218 Italiaanse Oodice civile (O.c.) (27) blijkt
inderdaad dat de schuldenaar bevrijd is wanneer de nakoming
van zijn verbintenis onmogelijk is geworden en deze onmogelijk-
heid niet aan zijn fout is toe te rekenen.
De leer werd vóór 1960 ook in de Sovjet-Unie toegepast.
Artikel 118 van het Russisch Burgerlijk Wetboek van 1922
luidde - in vertaling - als volgt : ,,Tenzij anders is bepaald
door wet of contract, kan de schuldenaar niet aansprakelijk
worden gesteld voor de niet-nakoming van zijn verbintenis,
indien hij bewijst dat nakoming onmogelijk is geworden door
omstandigheden die hij niet kon voorkomen of die aan een al
dan niet opzettelijke fout van de schuldeiser te wijten zijn" (28).
Ook in talrijke Angelsaksische landen, zoals de Verenigde
Staten van Noord-Amerika, wordt in beginsel de leer van de
ontoerekenbare onmogelijkheid verdedigd. Zo bepaalt § 457 van
de Restatement of Oontracts van het gezaghebbende American
Law lnstitute dat "where, after the formation of a contract facts
that a promisor had no reason to anticipate, and for the occur-
rence of which he is not in contributing fault, render performance

(25) .,Der Schuldner wird von der Verpflichtung zur Leistung frei, soweit die
Leistung infolge eines nach der Entstehung des Schuldverhältnisses eintretenden
Umstandes, den er nicht zu vertreten hat, unmöglich wird. Einer nach der Entstehung
des Schuldverhältnisses eintretenden Unmöglichkeit steht das nachträglich eintretende
Unvermögen des Schuldners zur Leistung gleich".
Vergelijk echter supra, nr. 5.
(26) Art. 97 O.o. ,,Lorsque Ie créancier ne peut obtenir l'exécution de l'obligation ou
ne peut l'obtenir qu'imparfaitement, Ie débiteur est tenu de réparer Ie dommage en
résultant, à moins qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable •·
Art. 119, lid 1 G.O . .,L'obligation s'éteint lorsque l'exécution en devient impossible
par suite de circonstances non imputables au débiteur".
(27) ,,Il debitore che non esegue esattamente la prestazione dovuta è tenuto al
risarcimente del danno, se non prova che l'inadempimento o il ritardo è stato deter-
minato da impossibilità della prestazione derivanta da causa a lui non imputabile".
In feite past de Italiaanse rechtspraak echter vaak de schuldleer toe. Zie infra,
nr. 12.
(28) Zie GSOVSKI, v., Soviet Civil Law, Ann Arbor, 1948, I, 444, e.v.; OusSENK0, E.,
BooouLAVSKII, M. en LAPTEV, V., .,Quelques aspects juridiques du commerce entre
les pays de systèmes sociaux différents et les prob]èmes de la 'force majeure'", in
Studia I_uridica Helsingiensa, o.c., 292 e.v. Thans wordt echter de voorkeur gegeven
aan de schuldleer. Zie infra, nr. 13.
292 R. KRUITHOF

of the promise impossible, the duty of the promisor is discharged,


unless a contrary intention has been manifested ... " (29).

8. - Zoals gezegd, bestaan er voor de toepassing van deze


leer twee vereisten, nl. de onmogelijkheid om de verbintenis na
te komen en de niet-toerekenbaarheid daarvan aan de schulde-
naar.

9. - a) De onmogelijke nakoming van de verbintenis. - Zodra


het er op aankomt het begrip "onmogelijkheid" in dit verband
te definiëren, duiken de meningsverschillen tussen de aan-
hangers van deze leer op.
Tot degenen die een absolute onmogelijkheid noodzakelijk
achten, behoort de Franse rechtsgeleerde P. Esmein. Deze
schrijft dat de schuldenaar al zijn krachten moet inzetten voor
de nakoming van zijn verbintenis ; hij moet bereid zijn er zich
voor te ruïneren en er zijn gezondheid en leven voor in de
waagschaal te leggen (30). Het begrip "onmogelijkheid" omvat
in deze optiek enkel de fysische en wettelijke onmogelijkheid.
Een voorbeeld van fysische of materiële onmogelijkheid is het
reeds genoemde geval van de niet-levering van een verzameling
unieke oude boeken die samen met de vrachtwagen waarop ze
worden vervoerd, geheel door brand wordt vernield. Een voor-
beeld van wettelijke onmogelijkheid is de niet-nakoming door
de verhuurder van zijn verplichting de huurder het rustig genot
van het gehuurde woonhuis te vrijwaren doordat de bevoegde
overheid dit huis onbewoonbaar heeft verklaard. Gevallen van
morele onmogelijkheid, zoals ernstig gevaar voor leven, gezond-
heid, vrijheid of eerbaarheid van de debiteur, vallen - in de
veronderstelling dat het om rechtsgeldige verbintenissen gaat -
niet onder deze begripsomschrijving. Zo zal een huurder tegen

(29) Zie ook CoRBIN, o.c., § 1333, ll09-lll0; American Jurisprudence, XII, § 363,
928.
(30) ,,Il est néceBSaire et juste dans une société dont l'économie est fondée sur la
libre activité des individus, sur les échanges et Jes contrats, que Je débiteur fässe
tout ce qui est possible pour exécuter ses engagements. Il est tenu d'y consacrer la
totalité de ses ressources, de se ruiner, s'il est nécessaire pour Jes respecter ... Il est
tenu d'y consacrer Ja totalité de sa force de travail, au risque même d'y ruiner sa
santé et exposer sa vie". PLANIOL, RIPERT en EsMEIN, Traité pratique de droit civil
Jrançais, VI, Paris, 1930, nr. 382, 532.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 293

de eis tot ontruiming van het huis bij het einde van de huur,
volgens een strikte opvatting van deze leer, geen beroep mogen
doen op het feit dat hij ernstig ziek is en vervoer voor hem
levensgevaarlijk zou zijn.
Dat deze opvatting moeilijk houdbaar is, zullen weinigen nog
in twijfel durven trekken. Het gaat in deze immers om wat
De Page noemt "une des faces de l'éternel conflit de la justice
et de la sécurité" (31). De rechter staat telkens opnieuw voor
het conflict tussen twee belangen, dat van de schuldenaar en
dat van de schuldeiser, die beiden even eerbiedwaardig zijn en
naar recht, maar ook naar billijkheid tegenover elkaar moeten
worden afgewogen. En bovendien is de wet niet gemaakt voor
Übermenschen, maar geldt het beginsel "l'exécution de la loi
doit être possible à tous et en tout temps" (32). Het is dan ook
niet te verwonderen dat talrijke auteurs en rechtbanken in onze
gewesten het begrip absolute onmogelijkheid hebben vervangen
door het criterium van de normale, menselijke of praktische
onmogelijkheid (33). Hoe ver men hier mag gaan, is echter zeer
onduidelijk. Zo wordt door sommigen beweerd dat een staking
die de uitvoering van een verbintenis van de ondernemer jegens
een afnemer bijzonder moeilijk maakt, als overmacht kan
gelden (34). Anderen ontkennen dit echter (35). In het algemeen
kan men t.a.v. het Franse en Belgische recht wellicht stellen
dat rechtspraak en rechtsleer soepeler zijn geworden dan vroeger
en dat het onderscheid tussen onmogelijke nakoming en bijzonder
moeilijke uitvoering van de verbintenis vervaagt en daarmee
het onderscheid tussen de overmachtsleer en de imprevisie-
theorie (36).
Een soortgelijke evolutie is ook in talrijke andere landen

(31) Traité, II, nr. 577.


(32) P.B., tw. Bon '[Jère de familie, nr. 6.
(33) Zie o.m. DE PAGE, Traité, II, nr. 602, 601; DEKKERS, R., Randhoek van
Burgerlijk recht, II, Brussel, 1971, nr. 121.
(34) O.m. DE PAGE, Traité, II, nr. 602, 601; DEKKERS, Handhoek, II, nr. 121.
(35) Zie de talrijke verwijzingen KRuITHOF, R., ,,Werkstaking en overmacht",
T.P.R., 1965, 516-531.
(36) Zie en vgl. VANDEPUTTE, R., De Overeenkomat, Brussel, 1977, 184-185; DE
Wou-, A. L., Veranderde omatandigheden, Zwolle, 1979, 18 e.v.; KRUITHOF, R., o.c.,
538-539; VAN HoUTTE, J., ,,De bevoegdheid van de rechter om overeenkomsten te
wijzigen", R.W., 1939-1940, 1054 e.v.; Vomm, P., De l'imprévision dans les rapports
de droit privé, Nancy, 1922, 245, 253-254, 262. Opgemerkt dient evenwel dat een
gedeelte van de rechtspraak en de rechtsleer zeer streng blijft. Zie b.v. CARBONNIER, J.,
Droit civil, IV, Les obligations, Paria, 1969, nr. 75, 248 en de verwijzingen aldaar
naar de rechtspraak.
294 R. KRUITHOF

merkbaar. Zo is men er in de Bondsrepubliek Duitsland en in


Zwitserland toe gekomen om de "überobligationsmässiger oder
unverhältnismässiger Schwierigkeit" met onmogelijkheid gelijk
te stellen. Nakoming kan in zodanige omstandigheden niet meer
van de debiteur gevergd worden (,,Unzumutbarkeit" of "Uner-
schwinglichkeit") (37). Ook wordt in die landen vaak de stelling
verdedigd of toegepast dat wanneer door onvoorziene omstandig-
heden de uitvoering van de verbintenis van de schuldenaar een
overdreven inspanning zou eisen of van hem al te grote offers
zou vergen - overschrijding van de zgn. ,,Opfergrenze" - , de
schuldeiser in strijd met de goede trouw - ,,Treu und Glauben"
( § 242 BGB) - handelt, indien hij de nakoming van de verbin-
tenis desondanks eist (38).
In de Scandinavische landen aanvaardt men steeds vaker de
"economische onmogelijkheid" als rechtvaardigingsgrond voor
de debiteur (39). Als voorbeeld hiervan kan men het in de aan-
vang van deze bijdrage genoemde geval i.v.m. de sluiting van
het Suez-kanaal vermelden.
Tenslotte kunnen in deze reeks landen ook de Verenigde
Staten van Noord-Amerika worden genoemd. Daar wordt in§ 454
van de Restatement on Contracts "impossibility" op zodanige
wijze omschreven dat het ook de gevallen omvat waarin na-
koming "impracticable" is geworden door "extreme and unrea-
sonable difficulty, expense, injury or loss involved". Uit sectie
2.615, sub a van de Uniform Commercial Code blijkt dat ook
daarin het criterium onmogelijkheid vervangen is door dit van

(37) West-Duitsland : ENNECCERUS, L. en LEHMANN, H., Recht der Schuldverhält•


nisse, Tübingen, 1954, 192-193; vgl. LARENZ, K., o.c., I, 266. Zwitserland : voN TUHR, A.
en SIEGWART, P. A., Allgemeiner Teil des des Schweizerischen Obligationenrechts, II,
Zürich, 1944, 536 (.,Nur wenn die zur Erfüllung erforderliche Mühe und Aufwendung
in keinen vernünftigen Verhältnis zum W ert der Leistung steht, wird eine der
Unmöglichkeit gleichstehende 'Unerschwinglichkeit' der Leistung angenommen welche
den Schuldner von seinen Leistungspflicht befreit oder (wenn eine Befreiung des
Schuldners durch die Umstände nicht gerechtfertigt ist) eine Herabsetzung seiner
Ersatzpflicht herbeifürt" ... ) ; H. BECKER, Obligationenrecht, I, Bern, 1941, 463.
(38) Zie LARENZ, K., o.c., I, 262 en de verwijzingen aldaar. Deze auteur geeft
echter zelf de voorkeur aan een oplossing gesteund op de leer van de "Geschäfts-
grundlage" (supra, nr. 5).
(39) Economische onmogelijkheid wordt gedefiniëerd als "economie sacrifices which
were wholly outside the assumption of the parties". R0DKE, K., ,,Adjustment of
contracts on account of changed conditions", Scandinavian Studies in Law, Stockholm,
III, 1959, 159-165. Opmerkelijk in dit citaat is ook de impliciete verwijzing naar de
toestemmingsleer aensu lato. Zie supra, nrs. 3-6.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 295

"impracticability" : ,,Delay in delivery or non-delivery in whole


or in part by a seller is not a breach of his duty under a contract
for sale if performance as agreed has been made impracticable
by the occurrence of a contingency the non-occurrence of which
was a basic assumption on which the contract was made ... ".
Uit de toelichting blijkt dat ook "economie impracticability" als
bevrijdingsgrond wordt aanvaard en dat dit begrip zo ruim wordt
geïnterpreteerd dat zelfs de imprevisieleer daaronder kan worden
gebracht : ,,Increased cost alone - zo staat daar te lezen - does
not excuse performance unless the rise in cost is due to some
unforeseen contingency which alters the essential nature of the
performance ... A severe shortage of raw materials or of supplies
due to a contingency such as war, embargo, local erop failure,
unforeseen shutdown of major sources of supply or the like,
which either causes a marked increase in cost or altogether
prevents the seller from securing supplies necessary to his per-
formance, is within the contemplation of this section" (40).

10. - b) Niet-toerekenbaarheid van de verhindering aan de


schuldenaar. - Zelfs indien de nakoming van de verbintenis
absoluut of praktisch onmogelijk blijkt te zijn, dan nog is de
schuldenaar niet bevrijd, indien de omstandigheid die de na-
koming verhindert, te wijten is aan of gepaard gaat met een
fout in zijn hoofde en zonder dewelke de uitvoering van de
verbintenis geheel of gedeeltelijk mogelijk zou zijn geweest.
Hierop steunen de regels dat de vreemde oorzaak onvoorzienbaar
en onvermijdbaar moet zijn geweest en dat de schuldenaar zich
niet kan beroepen op een omstandigheid die aan zijn eigen
nalatigheid of onvoorzichtigheid is te wijten. Wanneer bv. in
het hierboven genoemde geval van de vrachtwagen die met de
boekenlading geheel uitbrandt, blijkt dat die brand geheel of
ten dele aan de nalatigheid van de vervoerder te wijten is, dan
kan deze zich niet op overmacht beroepen. Opvallend in dit
verband is dat veel auteurs in Frankrijk en in België beweren
dat de debiteur terzake niet de minste schuld, d.i. een culpa
levissima, mag treffen terwijl diezelfde auteurs elders beweren

(40) Cf. Code de commerce uniforme des Elats-Unis (Société de Jégislation compe.rée,
Ed.), Paria, 1971, 273. Zie ook American Jurisprudence, XII, tw. Contracts, § 363,
930; Mineral Park Land Co. v. Howard, 156 P. 458, 172 Cal. 289 (1916).
296 R. KRUITHOF

dat de contractuele aansprakelijkheid steunt op de culpa· levis


in abstracto (41).

11. -De belangrijkste kritiek op de leer van de ontoereken-


bare onmogelijkheid is dat het begrip impossibilitas in de zin
van absolute of fysische onmogelijkheid onhoudbaar is gebleken
en dat men, zodra deze betekenis wordt opgegeven, van de ene
onduidelijkheid in de andere valt. Het begrip normale of prak-
tische onmogelijkheid is voor zoveel interpretaties vatbaar en is
in soortgelijke omstandigheden op zoveel verschillende wijzen
toegepast geworden, dat het als overmachtscriterium veeleer
problemen schept dan oplost. Het onderscheid b.v. tussen "econo-
mische onmogelijkheid" en difficultas is zo vaag geworden dat
men er m.i. geen middel meer in kan vinden om de overmachts-
leer van de imprevisietheorie te onderscheiden. En toch pro-
beert men dat nog steeds in heel wat West-Europese landen te
doen (42).

12. -
Derde theorie. -- De schuldleer. -- Volgens de schuld-
leer - in Nederland ook wel "inspanningsleer" genoemd - is
de niet-nakoming van de verbintenis aan overmacht te wijten,
wanneer de schuldenaar ter bereiking van het overeengekomen
resultaat alles heeft gedaan wat een zorgvuldig debiteur in de
gegeven omstandigheden zou hebben gedaan. In België is deze
theorie o.m. verdedigd geworden door J. Heenen (43) en A. La-

(41) Zie b.v. DE PAGE, Traité, II, nrs. 588 en 599, B. Voor meer bijzonderheden,
zie KRuITHOF, R., o.c., 536, 540 e.v.
( 42) Om die reden acht ik de afzonderlijke regeling van de imprevisieleer in
art. 6.5.3.11 Nieuw Nederlands Burgerlijk Wetboek niet ideaal. Wél dienen de gevolgen
van overmacht senau lato - d.w.z. de imprevisieleer daarin begrepen zijnde -
gediversifiëerd te worden, m.n. door de rechter de bevoegdheid te verlenen om ·niet
alleen het contract te ontbinden, maar door hem tevens de mogelijkheid te bieden
tot een aanpassing van de overeenkomst aan de gewijzigde omstandigheden over te
gaan. Terloops weze nog opgemerkt dat ook in talrijke andere landen waar de
overmachtsleer slechts ingeroepen kan worden wanneer uitvoering van de verbintenis
onmogelijk is geworden, de sanctionering van de imprevisieleer door een afzonderlijke
wettelijke bepaling geschiedt; zie bv. art. 1467 Italiaanse C.c.; art. 388 Grieks B.W.;
art. 241 Hongaars B.W.; art. 437 Portugese Código civil. En in de Bondsrepubliek
Duitsland en in Zwitserland heeft men - wellicht om dezelfde reden - voor de
imprevisieleer een beroep gedaan op het beginsel van de uitvoering te goeder trouw.
Door dit alles wordt vaak - m.i. ten onrechte - de indruk gewekt dat 'overmacht'
en 'imprevisie' twee verschillende rechtsproblemen vormen.
(43) HEENEN, J., ,,La responsabilité du transporteur maritime et la notion de
force majeure", R.C.J.B., 1957, 87-98. Opgemerkt dient dat P. Wigny in feite de
eerste verdediger van deze theorie in ons land is geweest (,,Responsabilité contractuelle
et force majeure", Rev. trim. dr. civ., 1935, 19-95). Hij wordt hier echter niet als
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 297

gasse (44), in Frankrijk door A. Tune (45) en in Nederland door


J. F. Houwing (46). In Italië, tenslotte, werd deze leer blijkbaar
herhaaldelijk door het Hof van Cassatie toegepast (47).
Volgens deze leer steunt de contractuele aansprakelijkheid
dus uitsluitend op de fout, m.a.w. overmacht begint waar schuld
ophoudt. Indien de schuldenaar het resultaat niet heeft bereikt
dat het voorwerp is van zijn verbintenis, terwijl hij daartoe
alle inspanningen heeft geleverd die men - in het licht van de
inhoud van de verbintenis - van hem als "goed huisvader"
mocht verwachten, dan is deze debiteur door overmacht be-
vrijd (48). Het praktisch belang van deze theorie bestaat hierin
dat de als overmacht te weerhouden omstandigheid voor de
schuldenaar niet noodzakelijk geheel onvoorzienbaar of onver-
mijdbaar moet zijn geweest en de nakoming van de verbintenis
niet noodzakelijk onmogelijk behoeft te hebben gemaakt. Daar-
enboven, ook de eis dat de debiteur zich niet aan de lichtste
fout mag hebben schuldig gemaakt, wordt niet weerhouden.
Het enige criterium is of de niet-nakoming van de contractuele
verbintenis al dan niet te ·wijten is aan een fout die een goed
schuldenaar van dezelfde categorie en geplaatst in dezelfde

d11Sdanig vermeld, daar hij in de schuldleer de grondslag en de rechtvaardiging meent


te kunnen vinden voor de theorie van de ontoerekenbare onmogelijkheid. ,,Je crois
- zo schrijft genoemde auteur - que la jurisprudence traditionnelle doit être
approuvée quand elle subordonne l'existence d'un cas de force majeure à une triple
condition : impossibilité absolue d'exécution, inévitabilité, imprévisibilité" (,,La force
majeure", J.T., 1946, 377).
(44) LAGASSE, A., in Rev. Banq., 1960, 798 e.v. Zie ook KRUITHOF, R., op. cit.,
540 e.v.
(45) ,,La force majeure - zo schrijft deze auteur - est celle que ne peut sur-
monter Ie bon père de familie; elle n'e. pas à être maxima, mais majeure; elle est
une ca11Se d'exonération dès que, force d'inertie oude destruction, elle domine les forces
d'action ou de protection que Ie débiteur s'est engagé à mettre en reuvre" (,,Force
majeure et absence de fäute en me.tière contre.ctuelle", Rev. trim. dr. civ., 1945, 258,
nr. 18).
(46) HouwINo, J. F., Rechtskundige opstellen, Haarlem, 1921, 153.
(47) Zie Mwcrn, R., Delle obbligazioni in generale, Torino, 1961, 228-229 en de
verwijzingen aide.ar (,,In soste.nza il re.gionamento è questo : chi non e.dempie se
vuole essere giustificato deve provare di essersi comportato nell'eseguire la prestazione
con Ie. neceBBaria diligenza; se la prestazione è poi mancata nonobstante queste. dili-
genza, il debitore non risponde poichè egli si giustifica solo con la sue. condotta. In
altre parole la sussistenza o meno della colpa finisce con l'influire univocamente sie.
suil' imputabilità sia sull'impossibilità ad adempiere; se non c'è colpa l'imputabilità
è de. escludersi e, nello stesso tempo, ció significa che lo sforza del debitore per
vincere l'impossibilità è stato e.deguato e, quindi, l'impossibilità diviene operativa e
lo giustifica"). Opgemerkt dient evenwel dat velen in Italië - zoals elders - vast-
houden aan het begrip 'onmogelijkheid' als zelfstandig overmachtscriterium. Zie bv.
RICHTER, G. S. en VITUCCI, P., Rassegna di giurisprudenza sul Codice civile, II, !,
Milano, 1970, 239 e.v. en de verwijzingen aldaar.
(48) TuNc, A., o.c., 244.
298 R. KRUITHOF

extrinsieke omstandigheden niet zou hebben begaan (49). Dit


betekent niet dat aan de vraag of nakoming van de verbintenis
al dan niet onmogelijk is geworden, geen enkele waarde mag
worden gehecht. De beantwoording van deze vraag, zoals trou-
wens de antwoorden op de vragen of de als overmacht ingeroepen
omstandigheid onvoorzienbaar en onvermijdbaar was, kunnen
immers belangrijke elementen zijn voor de beantwoording van
de eigenlijke vraag, nl. of de debiteur al dan niet schuld treft.
Een enkel voorbeeld moge dit verduidelijken. In de aanhef
van deze bijdrage is het geval aangehaald van de arbeiders van
Cockerill die door de directie van deze firma naar huis waren
gestuurd bij gebrek aan werk ten gevolge van een staking van de
bedienden van die onderneming. De Werkrechtersraad van
Beroep te Antwerpen besliste in deze zaak dat de werkstaking
van de bedienden overmacht opleverde voor de werkgever. Maar
was nakoming in casu werkelijk onmogelijk 1 Indien de directie
aan de eisen van de bedienden was tegemoetgekomen, zou er
geen staking zijn geweest en zouden de arbeiders aan het werk
zijn gebleven. De directie zou de arbeiders ook niet naar huis
hebben moeten sturen, indien zij andere bedienden had aange-
worven, hetgeen blijkbaar niet uitgesloten was. Tenslotte, daar
de staking maandenlang voorzienbaar was, had de directie aan
de arbeiders ook een voorwaardelijke vooropzeg kunnen geven;
zij had dit zelfs nog tijdig kunnen doen op het ogenblik dat de
bediendenstaking begon. Het Hof verwierp al deze argumenten
echter op grond van de overwegingen dat men redelijkerwijze
van een onderneming niet kan vergen dat zij steeds onmiddellijk
op alle eisen van de werknemers ingaat ; dat het aanwerven van
andere bedienden wel mogelijk was maar dat de directie dit
terecht niet heeft gedaan, daar anders het conflict met de bedien-
den wellicht bijzonder scherpe vormen zou hebben aangenomen;
en dat het geven van een vooropzeg aan de arbeiders ook niet
redelijk was, daar dit tot een rechtstreeks conflict met die
arbeiders zou hebben geleid. Kortom, ondanks de voorzienbaar-
heid en de vermijdbaarheid van de staking en het feit dat nako-

(49) De juridische grondslag van deze leer wordt veelal gevonden in art. 1137
B.W., waarin slechts sprake is van de verplichting van de debiteur om aan de nakoming
van zijn verbintenis "alle zorgen van een goed huisvader te besteden". Zie CoNSTANTI•
NESCO, L. J., Inexécution etfaute contractueUe en droit comparé, Stuttgart, 1960, 222 e.v.
en de verwijzingen aldaar.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 299

ming van de verbintenissen jegens de arbeiders niet onmogelijk


was, besliste het rechtscollege - en dit op grond van de schuld-
leer - dat de onderneming niet aansprakelijk was (50).

13. - Ook in de socialistische landen van Oost-Europa is een


duidelijke evolutie in de richting van de schuldleer waar te
nemen. Dit komt o.m. tot uiting in art. 37 van de Beginselen
van Burgerlijk recht van de Sovjet-Unie van 1961 en in art. 222
van het nieuw Russisch Burgerlijk Wetboek van 1964. Hierin
wordt bepaald dat de schuldenaar die zijn verbintenis niet of
slecht heeft uitgevoerd, slechts aansprakelijk is voorzover de niet-
nakoming aan zijn fout is toe te rekenen. Het begrip "onmoge-
lijkheid" komt in deze teksten niet meer voor. Hetzelfde geldt
voor de art. 471 en 472 van het Pools Burgerlijk Wetboek van
1964.
De nadruk die heden ten dage in de socialistische landen op
de fout wordt gelegd, steunt op de overweging dat de preventieve
en educatieve rol van deze aansprakelijkheidsvorm van wezenlijk
belang wordt geacht te zijn voor de verdere uitbouw van de
socialistische staat (51).

o 14. - Vierde theorie. - De risicoleer. - De zuivere r1s1co-


theorie heeft men slechts in weinig landen met enig succes
verdedigd. Ik moge mij hier dan ook beperken tot het Engelse
recht en dat van enkele Oost-Europese socialistische staten (52).
Vóór 1863 beslisten de hoven en de rechtbanken in Engeland,
op grond van het beginsel van de bindende kracht der over-
eenkomsten - hetgeen men er vaak treffend omschrijft als
"the principle of the sanctity of contract" - , dat overmacht
de schuldenaar niet bevrijdt. De debiteur mag zich nooit op

(50) \Verkr. Antwerpen, 19 mei 1959, Rev. Banq., 1960, 798, noot LAGASSE, A.,
Werkr. Ber. Antwerpen, 23 december 1960, R.W., 1960-1961, 950.
(51) Zie DEKKERS, R., lntroduction au droit de l'Union soviétique et des Républiques
populaires, Brussel, 1963, 95. Zie ook BLAGOJEVIC, B. T., e.a., lntroduction aux droits
socialistes, Budapest, 1971, 449 en 466,
(52) Verdedigers van de risicoleer in Frankrijk waren o.m. CoLMET DE SANTERRE,
Traité des obligations, V, 486; BECQUÉ, E., ,,La responsabilité du fait d'autrui en
matière contractuelle", Rev. trim. dr. civ., 1914, 251 en 258 e.v.; MEIGNIÉ, M., Res-
ponaabilité et contrat, Lille, 1924, 24-29. De theorie wordt thans in onze gewesten alge-
meen verworpen. Zie CoNSTANTINESCO, o.c., 221; MAZEAUD, H.L. en J. en TUNc, A.,
Traité théorique et pratique de la responaabilité, I, Paris, 1965, nrs. 663-703 en de
verwijzingen.
RENÉ DEKKERS. - 20
300 R. KRUITHOF

overmacht beroepen, daar hij zijn voorzorgsmaatregelen maar


had moeten nemen door een overmachtsclausule in het contract
te bedingen. Typisch in dit verband is het befaamde arrest in
de zaak Paradine v. Jane van 1647. De feiten kunnen als volgt
worden samengevat. Paradine had aan J ane een landgoed voor
een bepaald aantal jaren verpacht. Op een bepaald ogenblik
wordt de boederij door een legermacht, geleid door de Duitse
Prins Rupert, bezet. Drie jaar lang duurt deze opvordering.
Naderhand eist de eigenaar van de huurder betaling van de
huurprijs voor die periode. De huurder weigert. Het hoogste
Engelse gerechtshof stelt de eigenaar in het gelijk op volgende
grond : indien partijen in het contract geen overmachtsclausule
ter bevrijding van de schuldenaar hebben opgenomen, kan de
rechter een zodanig beding niet ambtshalve in de overeenkomst
inlassen. M.a.w. in geval van overmacht of toeval komt het risico
voor rekening van de debiteur, tenzij partijen iets anders zijn
overeengekomen. Zoals gezegd (54), hebben de Engelse recht-
spraak en rechtsleer deze theorie geleidelijk aan laten varen.
Ook in de socialistische landen van Oost-Europa is de risicoleer
niet geheel onbekend. Zo schrijft de Tsjechische auteur V. Knapp
dat m.b.t. overeenkomsten tussen socialistische ondernemingen
de schuldenaar, ongeacht de schuldvraag, voor iedere tekort-
koming in de nakoming van zijn verbintenissen aansprakelijk
is (55). Dat deze regel ook in de Sovjet-Unie niet onbekend
was, moge blijken uit het volgende geval. Een metaalonderneming
die zijn contractuele verbintenissen jegens zijn afnemers niet
was nagekomen, beweerde dat dit niet aan haar fout was te
wijten maar aan het feit dat de overheid onvoldoende grond-
stoffen ter beschikking had gesteld. Alhoewel deze bewering
juist bleek te zijn en de niet-nakoming van de verbintenissen
van de staalonderneming aan een vreemde oorzaak was te wijten,
werd deze onderneming toch aansprakelijk gesteld (56). Opge-
merkt dient evenwel dat deze theorie thans door het merendeel
(53) (1647) Aleyn 26 (,,When the party by his own contract creat.es a duty or
charge upon hirnself, he is bound to make it good, if he rnay, notwithstanding any
accident by inevitable necessity, because he rnight have provided against it by his
contract"). Zie ANSON, o.c., 476.
(54) Su'[J1"a, nr. 3.
(55) In Force majeure et cas fortuit (Faculté internationale pour l'enseignement du
droit cornparé, Ed.), Straatsburg, 1962, 16-17.
(56) Aangehaald door LoEBER, D. A., ,,Plan and contract performance in Soviet
Law", in Law in the Soviet Society (LAFAVE, W. R., Ed.), Urbana, 1965, 148 e.v.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 301

van de Oost-Europese auteurs en rechtscolleges blijkbaar is


verlaten ten voordele van de schuldleer (57).

15. - De zuivere risicoleer wordt thans vrij algemeen ver-


worpen. Zij leidt er immers toe dat voorzichtige contractanten
overmachtsbedingen stipuleren, hetgeen in de regel betekent dat
een schriftelijke overeenkomst noodzakelijk is. Het met dit
formalisme gepaard gaande tijd-en geldverlies is in ons moderne
rechtsverkeer moeilijk te rechtvaardigen. Daar komt nog bij
dat men tot op heden geen overtuigende argumenten heeft naar
voren kunnen brengen voor de stelling dat de ganse aansprake-
lijkheidslast steeds op de schouders van de geen schuld treffende
debiteur moet worden gelegd. Integendeel, door de meesten wordt
dit - m.i. terecht - als onredelijk en onbillijk ervaren.

c 16. - Vijfde theorie. - De schuldleer aangevuld met het risico-


beginsel. - De opvatting die in de jongste tijd in onze gewesten
een groeiend aantal aanhangers telt is de schuldleer aangevuld
met het risicobeginsel. De vraag hier is natuurlijk welke gevallen
onderworpen behoren te worden aan de risicoaansprakelijkheids-
regeling. Volgens een eerste strekking biedt het begrip "vreemde
oorzaak" hier de sleutel tot de oplossing. Volgens een tweede
opvatting is dit criterium al te star en verdient het de voorkeur
om op meer pragmatische wijze de gevallen van risicoaansprake-
lijkheid te bepalen.

[ 17. - Volgens de eerste strekking is de schuldenaar slechts


f bevrijd indien hij bewijst dat de niet-nakoming het gevolg is
ri van
1
een vreemde oorzaak die hem niet kan worden toegerekend ;
): m.a.w. de uitdrukking "vreemde oorzaak" in artikel 1147 van de
·Code N apoléon betekent dat het niet alleen moet gaan om een
omstandigheid die niet aan een fout van de schuldenaar is toe
te schrijven, maar ook dat die omstandigheid "vreemd" d.i.
\Lextern" moet zijn aan de schuldenaar en aan diens onderneming.
De toepassing van deze theorie leidt er onder meer toe dat de
schuldenaar steeds aansprakelijk is in geval van insolvabiliteit
en dat hij altijd moet instaan voor de personen en zaken die
hij gebruikt voor de uitvoering van zijn verbintenis.

(57) Supra, nr. 13. Toch bestaat er nog verschil van mening over het al dan niet
bestaan van een objective aansprakelijkheidsregeling voor contracten tussen over-
heidsondernemingen. Zie o.m. BLAGOJEVIC, B. T., o.c., 481.
302 R. KRUITHOF

Deze leer heeft in Frankrijk talrijke verdedigers gevonden (58).


Ook in Nederland is de leer in de rechtsliteratuur niet onbe-
kend (59). In ons land wordt deze opvatting vrijwel unaniem
verworpen. Volgens de alhier heersende mening is de oorzaak
van de verhindering aan de schuldenaar "vreemd", wanneer
deze omstandigheid op generlei wijze aan zijn fout is toe te
rekenen (60}.
De hier besproken leer is voor ernstige kritiek vatbaar. Het
kan moeilijk geloochend worden dat de strikte toepassing ervan
tot vrij arbitraire toestanden leidt. Waarom zou bv. een vertra-
ging in de uitvoering van een bouwwerk te wijten aan abnormaal
lang durend vriesweer voor een aannemer wél als overmacht
gelden en een vertraging in de uitvoering van een beeldhouwwerk
te wijten aan de plotse ziekte van de kunstenaar niet 1 Waarom
zou een ondernemer zich niet op overmacht jegens een afnemer
kunnen beroepen, wanneer de niet-tijdige nakoming van zijn
verbintenis te wijten is aan een wilde, politieke staking die onder
zijn personeel is uitgebroken, en wél wanneer die staking ook
buiten zijn bedrijf, bv. in de vervoersector, plaats heeft (61).

18. - In het Nederlands Nieuw Burgerlijk Wetboek wordt


daarom een meer soepele regeling ingevoerd. Art. 6.1.8.1. bepaalt
dat de schuldenaar die in de nakoming van zijn verbintenis
tekortschiet, verplicht is de dientengevolge door de schuldeiser
geleden schade te vergoeden, tenzij de tekortkoming hem niet
kan worden toegerekend. Art. 6.1.8.2. voegt daar aan toe : ,,De
tekortkoming kan de schuldenaar niet worden toegerekend, in-
dien zij niet is te wijten aan zijn schuld noch krachtens wet,
rechtshandeling of in het verkeer geldende opvattingen voor
zijn rekening komt" (6lbis}.

(58) Zie o.m. MAZEAUD en TUNc, Traité, I, nr. 1566, 557-558. In de zesde uitgave
van dit werk wordt deze leer echter verworpen : II, nr. 1566. Zie ook CARBONNIER, J.,
o.c., nr. 74, 243.
(59) WERY, J., Overmacht bij overeenkomsten, Leiden, 1919; LEVENBACH, M. G.,
De spanning van de contractsband, Amsterdam, 1923.
(60) Zie o.m. DE PAGE, Traité, II, nr. 599 B; DEKKERS, Handboek, II, nr. 121.
(61) Het is opvallend dat talrijke aanhangers van deze beperkte risicoleer - waar-
onder J. Carbonnier, de gebroeders Mazeaud en A. Tune - ziekte van de debiteur
evenals stakingen in diens bedrijf als gevallen van overmacht niet uitsluiten. CAR-
BONNIBR, J., o.c., 250; MAZEAUD en TUNc, Traité, II, nr. 1588.
(6lbis) Soortgelijke bepalingen komen voor in het op 17 december 1979 door de
Benelux-Studiecommissie voor de Eenmaking van het Recht ingediende ontwerp inzake
niet-nakoming van verbintenissen.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 303

Het is evident dat dit een zeer soepele regeling is. Niets
verhindert echter onze hoven en rechtbanken thans reeds even
soepel te zijn, daar de wet de bepaling van wat onder overmacht
of toeval moet worden verstaan aan de rechtspraak heeft over-
gelaten.
Vraag is dan natuurlijk welke oorzaken van niet-nakoming,
krachtens het risicobeginsel, aan de schuldenaar moeten worden
toegerekend. In het bovengenoemde art. 6.1.8.2. van het Neder-
lands ontwerp worden drie groepen van gevallen aangeduid al
naargelang hun bron : de wet, een rechtshandeling en de in het
verkeer geldende opvattingen. Deze drie criteria kan men m.i.
ook in het Belgische recht gebruiken.
Wat de wet betreft, kan hier bv. verwezen worden naar de
uit de art. 1302 en 1929 B.W. volgende regel dat de ingebreke-
gestelde schuldenaar zich in beginsel niet meer op overmacht of
toeval kan beroepen. Te denken valt hier ook aan art. 1379 B.W.
dat bepaalt dat degene die een goed ontvangen heeft zonder
dat het verschuldigd was moet instaan voor het verlies van dat
goed door toeval, indien hij het te kwader trouw heeft ontvangen.
Het tweede criterium is de rechtshandeling, meer in het bij-
zonder de overeenkomst. Vermeld dienen hier met name de
garantiebedingen waarbij de contracterende partijen de aan-
sprakelijkheid van de debiteur tot bepaalde buiten zijn schuld
voordoende gebeurtenissen uitbreiden.
Tenslotte is er de vaagste van de drie maatstaven, nl. de in
het verkeer geldende opvattingen. Ik zou hier drie voorbeelden
van willen geven. Ten eerste, de regel Genera non pereunt of
soortzaken vergaan niet (62) ; ten tweede, de regel dat de schulde-
naar die voor de nakoming van zijn verbintenis gebruik maakt
van anderen - m.n. aangestelden en andere helpers - voor
hun gedragingen op gelijke wijze aansprakelijk is als voor zijn
eigen gedragingen ; en ten derde, dat de debiteur voor de deugde-
lijkheid moet instaan van de zaken waarvan hij bij de uitvoering
van zijn verbintenis gebruik maakt. Op deze twee laatste regels
van mogelijke risico-aafl:sprakelijkheid moge ik hier nog even
ingaan.

(62) Een tempering op grond van de theorie van de Geschäftagrundlage lijkt echter
wenselijk. Jnfra, nr. 23, voetnoot 76.
304 R. KRUITHOI<'

19. - Aansprakelijkheid voor aangestelden en andere hel-


pers. -- In de aanvang van deze bijdrage is het geval aangehaald
van de blindedarmoperatie die mislukt door de fout van één van
de verpleegsters op wie de schuldenaar, in casu de chirurg,
een beroep had gedaan. Kan die chirurg aansprakelijk worden
gesteld? De vraag is belangrijk, daar heden ten dage het meren-
deel der contractuele verbintenissen door de schuldenaar met
behulp van aangestelden en andere helpers, b.v. onderaannemers,
wordt uitgevoerd.
Nu kan men, uitgaande van de schuldleer, twee wegen op.
Ofwel beweert men dat een tekortkoming ten gevolge van het
optreden van een aangestelde slechts aan de schuldenaar kan
worden toegerekend, indien de debiteur persoonlijk een fout
heeft begaan. Ofwel verdedigt men de stelling dat een persoon-
lijke fout in hoofde van de schuldenaar niet noodzakelijk is en
dat het volstaat dat diens aangestelde of uitvoeringsagent schuld
treft. Het onderscheid tussen beide opvattingen is belangrijk.
Eist men een persoonlijke fout van de schuldenaar, dan zal
bewezen moeten worden - en ik laat het probleem van de
bewijslast hier buiten beschouwing - dat de debiteur bv. zijn
helper niet goed heeft gekozen, deze niet voldoende heeft gecon-
troleerd of hem verkeerde instructies heeft gegeven. Sluit men
zich echter aan bij de tweede mening, dan volstaat het bewijs
dat de aangestelde of helper opzettelijk of uit nalatigheid een
fout heeft begaan waardoor de verbintenis niet is uitgevoerd.
Een keuze tussen deze twee opvattingen is m.i. niet moeilijk.
Het is niet wenselijk dat bv. de aannemer die zijn verbintenissen
met behulp van anderen ten uitvoer brengt, in een gunstiger
positie wordt geplaatst dan bv. de loodgieter die zijn opdrachten
persoonlijk uitvoert. Ook vanuit het standpunt van de schuld-
eiser is de keuze tussen beide theorieën evident : deze mag toch
niet in een minder gunstige rechtspositie geplaatst worden louter
en alleen omdat de schuldenaar voor de nakoming van zijn
verbintenis· beroep doet op arbeiders, bedienden of op derden.
Het zijn deze overwegingen die m.i. een beperkte toepassing
van de risicoleer hier rechtvaardigen: de schuldenaar is aanspra-
kelijk voor de niet-nakoming van zijn verbintenis die te wijten
is aan een fout van zijn helper, zelfs indien de debiteur terzake
geen persoonlijke fout treft (63) (64).

(63) Er dient nog op te worden gewezen dat in ons recht een soortgelijke regel
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 305

De hier verdedigde leer wordt uitdrukkelijk bekrachtigd in


§ 278 West-Duits BGB (65), art. 101, leden 1 en 2 Zwitserse
C.0. (66), art. 1228 Italiaans C.c. (67) en in art. 6.1.8.3. Nieuw
Nederlands B.W. (68).

20. ~ Aan8prakelijkheid voor ondeugdelijke zaken. ~ In de


aanvang van deze bijdrage werd het geval vermeld van de kraan-
wagen waarin een bout breekt ten gevolge waarvan een vliegtuig-
vleugel die juist met de kraan werd verladen, zwaar wordt
beschadigd (69). Uit het onderzoek blijkt dat de eigenaar van
de kraanwagen geen schuld voor het ongeval treft. Moet hlj
desalniettemin de schade vergoeden 1 Ander voorbeeld, eveneens
geput uit de Nederlandse rechtspraak : een firma van onder-
houdswerken gebruikt voor het reinigen van een vloer in een
kantoorgebouw een nieuw schoonmaakmiddel dat door de fabri-

bestaat voor de buitencontra,ctuele aansprakelijkheid. Krachtens art. 1384, lid 3 B.W.


zijn meesters en aanstellers immers zonder meer aansprakelijk voor de door hun dienst-
boden en aangestelden in de uitoefening van hun bediening foutief aan derden berok-
kende schade. Ter verdediging van de verdedigde regel wordt soms ook de toestem-
mingsleer ingeroepen : partijen zouden stilzwijgend overeengekomen zijn dat de
schuldenaar zich garant stelt voor zijn aangestelden en uitvoeringsagenten. In heel
wat gevallen berust die opvatting op een fictie, daar partijen noch uitdrukkelijk, noch
stilzwijgend hiervoor een regeling hebben getroffen. Beter te verdedigen is m.i. de
vertegenwoordigingsleer : de aangestelde of de uitvoeringsagent vertegenwoordigt en
wordt vereenzelvigd met de vertegenwoordigde, d.i. de debiteur zelf.
Zie over al deze theorieën : MAZEAUD en TuNc, Traité, I, nrs. 991 en 992. Zie ook
DE PAGE, Traité, II, nr. 592; DABIN, J., noot onder Cass., 25 september 1959, R.C.J.B.,
1960, 24 e.v.
Contra : RonrÈRE, R., ,,Y a-t-il une responsabilité contractuelle du fait d'autrui" ?,
D., 1952, chron. 79.
(64) De werkstaking van personeelsleden van de debiteur valt m.i. niet onder deze
regel, daar het deelnemen aan een staking in de regel niet als een fout, maar als de
uitoefening van een recht moet worden beschouwd.
(65) ,,Der Schuldner hat ein Verschulden seines gesetzlichen Vertreters und d•Jr
Personen, deren er sich zur Erfüllung seiner Verbindlichkeit bedient, in gleichen
Umfang zu vertreten wie eigenes Verschulden. Die Vorschrift des § 276 Abs. 2 findet
keine Anwendung".
(66) ,,Celui qui, même d'une manière licite, confie à des auxiliaires, tels que des
personnes vivant en ménage avec lui ou des employés, le soin d'exécuter une obliga-
tion ou d'exercer un droit dérivant d'une obligation, est responsable envers l'autre
partie du dommage qu'ils causent dans l'accomplissement de leur travail.
Une convention préalable peut exlure en tout ou en partie la responsabilité dérivant
du fait des auxiliaires".
(67) ,,Salva diversa volontà delle parti, il debitore che nell'adempimento dell'
obbligazione si vale dell' opera di terzi, risponde anche dei fätti dolosi o colposi di
costore".
(68) ,,Maakt de schuldenaar bij de uitvoering van de verbintenis gebruik van de hulp
van andere personen, dan is hij voor hun gedragingen op gelijke wijze als voor eigen
gedragingen aansprakelijk". Een soortgelijke bepaling komt ook voor in het reeds
genoemde Benelux-ontwerp inzake niet-nakoming van verbintenissen.
(69) Cf. H.R., 5 januari 1968, N.J., 1968, nr. 102.
306 R. KRUITHOF

kant ervan als geschikt voor alle vloeren is aangeprezen. Het


middel blijkt op zichzelf wel deugdelijk te zijn, maar totaal
ongeschikt voor de betrokken vloer. De aangerichte schade is
groot. Moet de firma van onderhoudswerken deze schadelast
dragen, ondanks het feit dat haar geen schuld treft (70) 1
Vaak wordt deze vraag ontkennend beantwoord (71). In het
Nederlands Nieuw Burgerlijk Wetboek is echter volgende bepa-
ling opgenomen :,, Wordt bij de uitvoering van een verbintenis
gebruik gemaakt van een zaak die daartoe ongeschikt is, dan
wordt de tekortkoming die daardoor ontstaat de schuldenaar
toegerekend, tenzij dit, gelet op de inhoud en de strekking van
de rechtshandeling waaruit de verbintenis voortspruit, de in het
verkeer geldende opvattingen en de overige omstandigheden
van het geval, onredelijk zou zijn" (72).
Deze regel is m.i. ten volle verantwoord. De terzake bevoegde
commissie van de Nederlandse Tweede Kamer heeft er volgende
treffende rechtvaardiging voor gegeven : ,,Gezien de moderne
ontwikkeling op het gebied van de techniek, welke steeds meer
risico's doet ontstaan, wordt het meer en meer een billijke, ja
zelfs dwingende eis het risico daar te laten rusten, waar met dat
risico wordt gewerkt : in casu dus bij de schuldenaar die zijn
verbintenis uitvoert met gebruikmaking van een zaak waaraan
risico is verbonden (ondeugdelijke zaak). Ook hier moet de
schuldenaar zich niet achter anderen - leveranciers en produ-
centen - kunnen schuilhouden en ook hier dient te gelden dat
als hij, in rechte aangesproken, onschuldig meent te zijn, hij
gebruik moet maken van de mogelijkheid van vrijwaring en
dus de man die hij schuldig acht en die hij uiteindelijk beter
kan kennen dan de wederpartij, in vrijwaring moet oproe-
pen ... " (73). Aanvaardt men deze redenering, dan bestaat er
m.i. geen behoefte aan de ontsnappingsclausule van art. 6.1.8.3.a
in fine. Deze bepaling zal trouwens - gezien de terzake weinig

(70) Cf. H.R., 13 december 1968, N.J., 1969, nr. 174.


(71) Zie bv. DALCQ, Traité, I, nr. 2175; RoDIÈRE, R., noot onder Lyon, 30 november
1953, D., 1954, jur., 173; vgl. MAZEAUD, H.L. en J., Traité, II, Paria, 1970, nrs. 1394 e.v.
(72) Art. 6. l.8.3a.
(73) Voorlopig Veralag Oommiasie voor Juatitie van de Nederland,,e Tweede Kamer,
Zitting 1970-1971, Stuk nr. 7729/4, ll.
Er dient hier nog op te worden gewezen dat in ons recht een soortgelijke regel bestaat
voor de buitencontractuele aanaprakeliikheid. Krachtens art. 1384, lid l B.W. dient
de bewaarder van een zaak in te staan voor de schade die door het gebrek in die
zaak aan derden wordt berokkend.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 307

duidelijke "in het verkeer geldende opvattingen" - wellicht tot


heel wat rechtsonzekerheid leiden. Ook de verwijzing naar de
"overige omstandigheden" is verwarringscheppend. Mag daarbij
bv. rekening worden gehouden met het feit dat de schuldeiser
of schuldenaar voor het betrokken risico verzekerd is 1
-- BESLUIT

21. - Een eerste besluit dat uit de voorgaande uiteenzetting


kan worden getrokken, is dat in de meeste landen t.a.v. deze
materie grote rechtsonzekerheid heerst. Deze rechtsonzekerheid is
in belangrijke mate te wijten aan de al te casuïstische benadering
van de problematiek door rechtspraak en rechtsleer. Willen
rechtsonderhorigen in een specifieke situatie de desbetreffende
rechtsoplossing kennen, dan zijn ze bijna steeds genoodzaakt
het advies van een jurist in te winnen en moeten zij vaak bereid
zijn om het risico van een proces te lopen. Dat processen jaren-
lang kunnen aanslepen en handen vol geld kosten, is genoegzaam
bekend. Voegt men daar nog aan toe dat de uitkomst van deze
processen bijzonder onzeker is - daar sommige rechters een
eng overmachtsbegrip hanteren, terwijl anderen daaraan een
ruime betekenis hechten - , dan zal men begrijpen dat de man
in de straat niet wild entoesiast kan zijn over deze gang van
zaken en de zaak meestal maar op z'n beloop zal laten, indien
er geen al te grote geldbedragen mee gemoeid zijn.

22. - Een tweede besluit is dat nagenoeg alle besproken theo-


rieën voor kritiek vatbaar zijn.
De toestemmingsleer kan niet zonder meer aanvaard worden,
omdat de bedoeling van de partijen terzake vaak niet te achter-
halen is of omdat partijen dienaangaande helemaal geen regeling
hebben getroffen. Werkelijk houvast biedt het criterium in die
gevallen dus niet. In de mate dat men de Geschäftsgrundlage-
theorie aan de bedoeling van de partijen koppelt, berust ook
zij in ruime mate op een fictie. De toestemmingsleer heeft echter
nog een ander nadeel. Zij bevordert immers het formalisme en
de bureaucratie, daar partijen geneigd zullen zijn om schriftelijke
contracten op te stellen waarin zoveel mogelijk gevallen aan
een regeling -worden onderworpen.
De theorie van de ontoerekenbare onmogelijkheid werd afgewezen,
308 R. KRUITHOF

daar het criterium van de absolute fysische onmogelijkheid al


te zware eisen aan de debiteur stelt en om die reden onhoudbaar
is gebleken. Eens dat men dit criterium vervangt door dat van
de praktische onmogelijkheid, komt men echter van de ene
onduidelijkheid in de andere terecht en onderwerpt men de
rechtsonderhorigen aan een casuïstische en sterk uiteenlopende
rechtspraak.
De zuivere risicoleer heeft men in onze gewesten nooit aanvaard.
En terecht, want men ziet niet in waarom dit risico geheel op
de schouders van de debiteur moet worden gelegd. Deze leer
leidt er trouwens toe dat in de meeste contracten schriftelijke
exoneratiebedingen worden opgenomen. Het met dit formalisme
gepaard gaande tijd- en geldverlies is in ons moderne rechts-
verkeer moeilijk te rechtvaardigen.
De schuldleer heeft niet alleen het voordeel het probleem op
een evenwichtige manier te benaderen, maar biedt ook een crite-
rium waarmee de hoven en rechtbanken sedert eeuwen vertrouwd
zijn. Er zijn echter gevallen, zoals de schade veroorzaakt door
de fout van aangestelden en uitvoeringsagenten, de schade te
wijten aan ondeugdelijk materiaal of materieel, of het verlies
van soortzaken, waarin een regeling op basis van de schuldleer
weinig bevrediging schenkt.

23. - In welke richting dient dan een oplossing voor het


probleem te worden gezocht? M.i. biedt een combinatie van de
verschillende theorieën nog de beste perspectieven op een even-
wichtige en bruikbare regeling.
Eerst moet worden nagegaan of partijen zelf geen regeling
hebben getroffen. De theorie van de wilsautonomie kan immers
ook voor dit hoofdstuk van ons verbintenissenrecht nog steeds
als uitgangspunt worden aangenomen (74). Bedingen waarbij de
aansprakelijkheid beperkt, uitgebreid of nader bepaald wordt,
komen trouwens veelvuldig voor. Ook impliciete regelingen zijn
uiteraard mogelijk. Het gebruiken van fictieve wilsverklaringen
door de rechter schept echter, zoals gezegd, vooral rechtson-
zekerheid en is derhalve afte raden. Voor de risico's die partijen
niet in hun overeenkomst hebben verdisconteerd, dient in hoofd-

(74) De problematiek van de toetredingscontracten wordt hier buiten beschouwing


gelaten.
SCHULD, RISICO, IMPREVISIE EN OVERMACHT 309

zaak een beroep te worden gedaan op de schuldtheorie. Nagegaan


moet worden of de niet-nakoming van de verbintenis al dan niet
aan de fout van de schuldenaar te wijten is. Men bedenke echter
dat het hier gaat om de culpa levis in abstracto en niet om de
culpa levissima. Het spreekt vanzelf dat een zorgvuldig onderzoek
van aard, inhoud en strekking van de overeenkomst noodzakelijk
zal zijn om uit te maken of er een tekortkoming in de nako-
ming van de verbintenis voorhanden is en, zo ja, of die al dan
niet aan de schuld van de debiteur te wijten is. Bij de beant-
-woording van de schuldvraag kan gebruik gemaakt worden van
de leer van de ontoerekenbare onmogelijkheid. Is de nakoming
van de verbintenis onmogelijk geworden door een omstandigheid
die de schuldenaar niet heeft voorzien of niet heeft vermeden,
en die hij ook niet als "goed huisvader" behoorde te voorzien
ofte vermijden, dan zal hij in de regel niet aansprakelijk gesteld
kunnen worden. Niet steeds moet de uitvoering van de verbin-
tenis echter onmogelijk ge·worden zijn, wil de debiteur bevrijd
zijn. Het behoort immers voldoende te zijn dat door onvoorziene
en niet te vermijden omstandigheden de "grondslag" van het
contract ( Geschäftsgrundlage) is weggevallen, opdat de schulde-
naar vrijuit, zou gaan. Deze regel kan m.i. zonder meer gesteund
worden op de art. 1137, 1147 en 1148 B.W., daar de eis van "ab-
solute onmogelijkheid" daarin niet voorkomt. Een beroep op
art. 1134, lid 3 B.W. - de uitvoering te goeder trouw van con-
tractuele verbintenissen -- is dus niet onontbeerlijk, alhoewel
niet te veroordelen. Op deze wijze wordt ook de imprevisieleer
in de overmachtstheorie geïncorporeerd (75). Dat de rechter de
imprevisieleer slechts met grote omzichtigheid zou mogen toe-
passen, behoeft geen betoog. De rechtszekerheid mag niet 01mo-
dig in het gedrang worden gebracht. De ervaring in de ons om-
ringende landen toont echter aan dat de gevaren die door de
tegenstanders van deze theorie steeds weer met grote nadruk
worden ingeroepen, niet zo groot zijn. Zoals gezegd, zijn er ook
enkele gevalJen waarin de toepassing van de schuldleer - zoals
hierboven omschreven - tot ongewenste gevolgen leidt. Inder-
daad, wat de aansprakelijkheid betreft van de debiteur voor de
door de schuld van zijn aangestelden en uitvoeringsagenten
veroorzaakte schade, evenals de aansprakelijkheid voor schade

(75) Cf. VANDEPUTTE, R., o.c., 185.


310 R. KRUITHOF

veroorzaakt door de gebrekkige zaken waarvan de schuldenaar


zich voor de uitvoering van zijn verbintenis bedient, dringt een
erkenning van risicoleer zich m.i. op. Ook de regel Genera non
pereunt vindt in de risicoleer haar grondslag (76).
Deze voorschriften zijn niet onverenigbaar met ons Burgerlijk
Wetboek. Immers, de begrippen "overmacht", ,,toeval" en
"vreemde oorzaak" zijn door de wetgever niet gedefiniëerd
geworden, zodat aan de rechter een ruime beoordelingsbevoegd-
heid is overgelaten.

(76) Komt dit risico in de regel voor de debiteur, dan is dit m.i. niet meer het
geval wanneer de Geschäftagrundl,age is weggevallen. De toepassing van de imprevisie-
leer lijkt hier dan ook gerechtvaardigd.
La responsabilité des père et mère
du fait de leurs enfants mineurs ·
abstraction et réalité
PAR

F. RIGAUX
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE
DE LOUVAIN

§ 1 er. - LE DROIT EN VIGUEUR


APRÈS LA LOi DU 6 JUILLET 1977

1. - Tel qu'il a été modifié par la loi du 6 juillet 1977,


l'article 1384, alinéa 2, du Code civil est rédigé dans les termes
suivants : << Le père et la mère sont responsables du dommage
causé par leurs enfants mineurs >>. Les deux modifications appor-
tées au texte de 1804 (1) ont consisté respectivement à supprimer
la condition de cohabitation du mineur et de l'auteur dont la
responsabilité est engagée et à mettre fin à la prépondérance
du père en ce qui concerne Ie partage des responsabilités entre
les deux auteurs.
Hormis cette double solution négative, le texte nouveau n'est
pas très explicite quant au choix du critère selon lequel il y a
lieu de retenir la responsabilité de l'un ou 'de l'autre auteur ou,
le cas échéant, leur responsabilité conjointe. La proposition de
loi initiale, votée sous cette forme par la Chambre des Représen-
tants, établissait une responsabilité solidaire des deux auteurs
en raison des dommages causés par leurs enfants mineurs habi-
tant avec eux (2). Après plusieurs navettes (3), le texte actuel
a été arrêté par la Commission de la justice du Sénat (4).

(l) « Le père, et la mère après Ie décès du père, sont responsables du dommage


causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux •·
(2) Proposition de loi n° 441 de M. Albert CLAES (Doe. parl., Ch. des repr., session
1974-1975). Voy. Ie texte voté par la Chambre dans : Doe. parl., Sénat, session 1975-
1976, n° 724.
(3) Le projet amendé par Ie Sénat retourne. è. la Che.mbre ou il fut è. nouveau e.mendé
312 F. RIGAUX

2. - D'après le rapport de M. DE STEXHE commentant le


texte aujourd'hui en vigueur, la suppression de la condition de
cohabitation permet de retenir la responsabilité d'un des auteurs
<< si le fait dommageable est imputable à un défaut d'éduca-

tion » (5). Ainsi les travaux préparatoires de la loi ayant modifié


l'article 1384, alinéa 2, du Code civil entérinent clairement le
fondement assigné par la jurisprudence à la disposition ancienne.
Selon la Cour de cassation, la responsabilité établie par eet
article << requiert que le dommage ait été causé par un acte
objectivement illicite du mineur et est fondée sur la présomption
d'une faute commise par le père ou par la mère après le décès
de celui-ci, dans sa surveillance ou dans son éducation >> (6).
Alors que cette double justification donnée à la présomption
de faute des père et mère n'était pas dans la loi et avait été ima-
ginée par la doctrine et la jurisprudence, à la fois pour donner
à la présomption un fondement rationnel et pour préciser l'objet
de la preuve contraire que l'article 1384, alinéa 5 (7), ouvre au
père et à la mère, la loi du 6 juillet 1977 a implicitement introduit
dans le droit positif des notions jugées critiquables par la doc-
trine (8).

3. - En combinant les termes nouveaux de l'article 1384,


alinéa 2, du Code civil avec les solutions jurisprudentielles entéri-
nées par les travaux préparatoires de la loi du 6 juillet 1977,
il y a lieu de présenter comme suit le droit actuellement en
vigueur :
- le fait susceptible d'engager la responsabilité des père et
mère est << un acte objectivement illicite du mineur>> (9);

sur Ie rapport de Madame RIJCKMANs-CORIN (Doe. parl., session 1975-1976, n° 441/4,


du 1•r juillet 1976) et transmis sous cette forme au Sénat (Doe. parl., Sénat, session
1975-1976, n° 724/3, du 2 juillet 1976).
(4) Voy. Ie rapport de M. DE STEXHE (Doe. parl., Sénat, session 1975-1976, n° 724/4,
du 17 novembre 1976). Ce rapport a été publié avec Ie précédent rapport de M. DE
STEXHE à la Paeinomie, 1977, 891.
(5) Paeinomie, 1977, 896.
(6) Cass. (l'• ch.), 28 octobre 1971, Gauthier et Lepage e. Hoslet L. et Hoslet A.,
Pas., 1972, I, 200. Cet arrêt a été cité dans les deux rapports de M. DE STEXHE,
Pasinomie, 1977, 892, 895 et 896.
(7) • La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère ... ne prouvent
qu'ils n'ont pu empêcher Ie fait qui donne lieu à cette responsabilité •·
(8) J. L. FAGNART, • La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence (1968-
0
1975) », J.T, 1976, 604, n° 89.
(9) Voy. Ie rapport de M. DE STEXHE, Pasinomie, 1977, 895.
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 313

la responsabilité des père et mère repose sur la faute qu'ils


sont présumés avoir commise soit dans l'éducation de l'enfant,
soit dans sa surveillance ;
- l'article 1384, alinéa 5, permet aux père et mère de ren-
verser la présomption, en démontrant qu'ils ont donné à leur
enfant une bonne éducation et que Ie fait de celui-ci n'est pas
imputable à un défaut de surveillance ou qu'ils n'avaient pas
la surveillance de l'enfant au moment ou ce dernier a commis
Ie fait;
- depuis l' entrée en vigueur de la loi du 6 juillet 1977, la
responsabilité des père et mère est conjointe, il appartient à l'un
et à l'autre de se libérer de la responsabilité par la double preuve
contraire.

4. - Le système nouveau suscite trois difficultés que certaines


incohérences de la jurisprudence mettent bien en lumière.
a) En ce qui concerne les enfants sans discernement, quel est
eet acte << objectivement illicite >>, c'est-à-dire qui serait illicite
dans Ie chef d'un adulte normal?
b) Est-il réaliste en 1980, et surtout à l'égard des adolescents,
d'attribuer aux père et mère une autorité qu'un arrêt du 11 février
1946 qualifie encore d'absolue, autorité dont l'exercice correct
aurait prévenu ou empêché Ie fait dommageable (10)? Quant
au devoir d'éducation, l'influence effective des père et mère
n'est-elle pas très largement contrebalancée par l'instruction
obligatoire, les moyens de communication de masse?
c) Les difficultés suscitées par la justification traditionnelle
qui s'efforce de conjuguer éducation et surveillance se sont
accrues depuis que la loi du 1er juillet 197 4 a concentré l' autorité
parentale dans Ie chef d'un seul des auteurs. Suffit-il à l'autre
d'affirmer qu'il n'a pas la garde de l'enfant pour se décharger
de la faute liée à son devoir d'éducation? Le dualisme de la
justification traditionnelle de la présomption de faute des père
et mère - éducation et surveillance - rend celle-ci difficile à

(10) Cass., 11 février 1946 (2e ch.), Céleste Balcaen, Henri MieviB c. Rodolphe
Dewaay, Pas., 1946, I, 62. Voy. encore : Cass. (2e ch.), 6 mars 1950, Giet c. Michaut,
Pas., 1950, I, 477 : • une pleine et entière autorité laquelle, diligemment exercée, leur
aurait permis d'empêcher Ie fait qui donne lieu à responsabilité ».
314 F. RIGAUX

manier quand la garde de l' enfant a été exercée successivement


par l'un et par l'autre ou quand ils s'en partagent les attributions.

§ 2. - LA NOTION D'ACTE OBJECTIVEMENT ILLICITE

5. - Bien que la question ait parfois été controversée dans


le passé (11), pour que l'acte du mineur engage la responsabilité
de ses père et mère il n'est pas nécessaire que l'enfant soit doué
de discernement, il su:ffit que l'acte commis soit<< objectivement
illicite >>. La question a été très nettement tranchée par la Cour
de cassation à propos du dommage causé par un enfant de deux
ans qui avait posé le pied verticalement contre la paroi d'un
escalier roulant. L'arrêt est intéressant parce qu'il est relatif à
l'action dirigée contre le mineur lui-même, action rejetée par
le juge du fond qui décide légalement << qu'un enfant de deux
ans, qui n'a pas atteint l'àge de discernement, ne peut être
,rendu personnellement responsable de ses actes >> (12). En consta-
tant en outre que l'arrêt attaqué réserve expressément la question
de << la responsabilité des parents résultant de l'acte objective-
ment illicite de l'infans habitant avec eux >>, la Cour de cassation
donne très clairement à entendre que le discernement requis
pour engager la responsabilité personnelle du mineur en vertu
de l'article 1382 du Code civil, cesse d'être nécessaire pour
entraîner la responsabilité des père et mère fondée sur l'ar-
ticle 1384, alinéa 2.

6. - Il reste cependant à définir la notion d' << acte objective-


ment illicite >>. Traditionnelle dans notre droit de la responsabilité
civile, la notion consiste en l'appréciation de l'acte illicite par
référence au comportement de << l'homme abstraitement diligent,
prudent et circonspect >> (13). La faute civile se distingue par là
de la faute pénale. De Page en déduit que << l'acte de l'enfant
doit, en principe, être comparé à la conduite d'un homme normal

(11) Voy. notamment un état de la question dans : R .O. DALCQ, Traité de la rea,
ponaahilité civile (Les Novelles, Droit oivil, t. V), vol. I•• (2• éd. 1967), n° 1609-1618;
A. LAGASSE, • La responsabilité des parents d'un enfant mineur n'ayant pas atteint
l'age du disoernement •, note sous Cass., 7 mars 1959, Rev. crit. jur. beige, 1959, 21-41.
(12) Cass., 30 mai 1969 (l•• oh.), S.A. • Le Grand Bazar d'Anvera • c. SwarteU et Braet,
Pas., 1969, I, 882. Dans la doctrine, voy. notamment : X. BLANc-JouvAN, • La respon-
se.bilité de l'infans •, Rev. trim. dr. civ., 1957, 28-60.
(13) H. DE PAGE, t. II, n° 944.
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 315

placé dans les mêmes circonstances >> (14). L'absence de discerne-


ment du mineur n'aura pour effet que de rendre sa faute person-
nelle non imputable (C. civ., art. 1382), elle n'a pas d'incidence
sur la responsabilité de ses père et mère (C. civ., art. 1384, al. 2).
En alignant le comportement de tout adulte sur celui de
<< l'homme abstraitement diligent, prudent et circonspect >>, le

droit commun de la responsabilité civile atteint sans doute un


point de rupture
----z_/
entre le droit et Ia réalité sociale, entre l'opéra-
tion de la norme et Ie jeu des comportements humains que la
rationalité juridique présuppose. Toutefois, tant qu'on se limite
à l'application de l'article 1382 du Code civil, la condition d'impu-
tabilité incluse dans cette disposition élimine les distorsions trop
criantes : l'acte objectivement illicite n'est pas imputable, on
vient dele voir, à un enfant en bas age non plus qu'à un dément.
L'insertion dans Ie Code civil de l'article 1386bis mettant à
charge d'un dément une obligation de réparer détachée de toute
imputabilité a dû convaincre ceux qui en auraient douté jusque-
là, qu'une faute non imputable n'entraîne pas d'obligation de
réparer conformément à l'article 1382 du Code civil (15).

7. - La distorsion prend toute sa force quand par Ie jeu


d'une responsabilité du fait d'autrui l'acte << objectivement >>
illicite est générateur de l'obligation de réparer malgré que
I' agent matériel soit totalement privé de discernement. Il est
déjà très arbitraire d'apprécier Ie comportement d'un homme
ou d'une femme, quels que soient son age, son milieu social, sa
nationalité, son degré d'instruction, par référence au portrait-
robot de !'adulte normalement prudent. Il est al>flurde de pré-
tendre mesurer Ie caractère illicite d'un jeu d'enfants aux critères
auxquels se seraient conformés des adultes réfléchis.
Deux arrêts récents de la Cour de cassation attestent Ie désarroi
de la jurisprudence. Dans une première affaire, trois enfants

(14) R. DE PAGE, t. II, n° 944.


(15) Voy. notamment : H. DE PAGE, t. II, n° 8 914 et 915. On sait que la loi
n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs amis fin
à cette interprétation en introduisant dans Ie Code civil français un article 489-2
nouveau rédigé comme suit : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était
sous !'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation •· Voy.
notamment ·: J. J. BURST, • La réforme du droit des incapables majeurs et ses consé-
quences sur le droit de la responsabilité civile extracontractuelle •• Sem. Jur., 1970,
Doctr. 2307.
RENÉ DEKKERS. - - 21
316 F. RIGAUX

agés respectivement de cinq, sept et huit ans s'amusent à lancer


une flèche aussi haut que possible et à en suivre des yeux la
trajectoire : en retombant, la flèche blesse à l' reil un des enfants.
Dans un arrêt du 23 novembre 1972, la Cour d'appel de Bruxelles
avait rejeté l'action dirigée par la victime contre les parents des
autres enfants, pour le motif que le jeu décrit ci-dessus << ne peut
être considéré que comme un divertissement normal et innocent
pour un groupe de garçons de eet age>>. L'arrêt est cassé parce
que, << en prenant ainsi en considération le jeune age de l'auteur
de !'accident pour apprécier le caractère illicite ou non de son
acte>>, il n'est pas légalement justifié (16).
Moins d'un an plus tard, un autre arrêt de la Cour de Bruxelles
est également déféré à la Cour de cassation. Les faits étaient les
suivants : «au cours d'une réunion de louveteaux, les enfants
commencèrent à se jeter ou même simplement à lancer, sans
intention méchante, de petits bouts de bois ; ... le malheur voulut
qu' au cours de ce jeu, en soi anodin, un morceau de bois atteignit
le fils des demandeurs à l'reil et blessa celui-ci >>. L'arrêt du
18 octobre 1973 décide que, << dans les circonstances concrètes
de l'accident et du jeu en soi innocent qui en a été l'occasion
l'acte dommageable <lont question ne pourrait être qualifié de
fautif dans le chef de qui que ce soit >>. Le pourvoi est rejeté,
notamment parce que l' arrêt attaqué considère << de manière
implicite, mais certaine, que le fait dommageable ne constituait
pas un acte objectivement illicite, c'est-à-dire apprécié par
rapport au comportement d'une personne normalement pru-
dente>> (17). Il n'est pas sans intérêt de faire observer que le
ministère public avait conclu à la cassation, pour le motif que
l'acte dommageable reproché à l'enfant mineur aurait dû entrer
dans le champ d'application de l'article 1384, alinéa 2, du Code
civil, étant «la perpétration, sans nécessité, d'un fait domma-
geable que n'aurait pas commis une personne adulte normale-
ment diligente et prudente, placée dans les mêmes circon-
stances >> (18).

(16) Caes. (P• ch.), 24 octobre 1974, De Weyer et Thielemans c. 1• Baàts et Wuydts,
2° Vercammen et Wuyts et 3• Vercammen, Pas., 1975, I, 237.
(17) Cass. (P• ch.), 26 juin 1975, Lepour et Piron c. Bauchau el épouz Bauckau-
Bourguignon q.q., Pas., 1975, I, 1046.
(18) Pas., 1975, I, 1049, note I.
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 317

8. - Les solutions contraires respectivement apportées à deux


situations très semblables évoquent Ie titre donné par René
Dekkers à un article publié il y a vingt-cinq ans et critiquant
déjà Ie légalisme de la Cour de cassation : << Deux attitudes>> (19).
Sans doute n'échappera-t-il à personne que Ie motif ayant
encouru la cassation dans la première affaire est plus discret
dans la seconde : en se référant explicitement au caractère inno-
cent du jeu << pour un groupe de garçons de eet age >>, !'arrêt du
23 novembre 1972 contredit trop ouvertement les critères d'un
comportement licite pour un adulte normalement prudent. L'al-
lusion aux << circonstances concrètes de !'accident et du jeu>> qui
apparaît dans !'arrêt du 18 octobre 1973 échappe, on oserait
dire de justesse, à la cassation, l'age des louveteaux étant mani-
festement l'une et non la moindre desdites << circonstances con-
crètes ».
Même si Ie deuxième arrêt avait, comme Ie premier, été cassé,
ce ne serait pas de la bonne justice. Quel sens cela a-t-il de feindre,
à propos d'un jeu d'enfants, les règles de conduite d'un groupe
d'adultes 1 Si au cours de leur délibéré les honorables membres
de la première chambre de la Cour en venaient à se bombarder
mutuellement de boulettes de papier et qu'un d'eux fût blessé
à I'ceil, qui s'aviserait de prétendre qu'il s'agissait d'un << diver-
tissement normal et innocent >>, qui << ne pourrait être qualifié
de fautif dans Ie chef de qui que ce soit >> 1

9. - Toute la jurisprudence relative aux << jeux d'enfants >>


dont les plus innocents peuvent se révéler dommageables pour
I'un des partenaires est en porte-à-faux si l'on prétend faire
abstraction de l'age de !'agent du fait matériel, de la victime et,
Ie cas échéant, de leurs compagnons. Quel est Ie juge du fond
consciencieux qui pourrait ne pas tenir compte de cette circon-
stance essentielle 1 Hélas, ainsi qu'il résulte de la comparaison
des deux arrêts commentés, il peut Ie faire mais il ne doit pas Ie
dire.
Plus profondément, c'est la création jurisprudentielle de la
notion d'« acte objectivement illicite >>, première étape dans Ie
processus d'explication ou de rationalisation du texte législatif,
qui doit être critiquée.
(19) Ann. not. enreg., 1955, 73-80.
318 F. RIGAUX

§ 3. - LA JUSTIFICATION DE LA RESPONSABILITÉ
DES PÈRE ET MÈRE
PAR LES ATTRIBUTS DE L'AUTORITÉ PARENTALE

10. - Pourquoi les parents sont-ils tenus de réparer les dom-


mages causés par les actes illicites de leurs enfants mineurs
même dans les cas ou ces derniers n'en sont pas, vu leur manque
de discernement, personnellement responsables? La réponse à
cette question n'est pas seulement motivée par la volonté de
ü trouver à la responsabilité des père et mère une e:x:plication ration-
nelle mais aussi par la nécessité de donner un contenu aux circon-
stances qui, selon l'article 1_?84, alinéa 5, du Code civil, excluent
cette responsabilité. Pour que les père et mère puissent se justifier
en prouvant << qu'ils n'ont pu empêcher Ie fait>> dommageable,
il faut connaître les moyens mis à leur disposition pour l'em-
pêcher.
Ces moyens, ce sont les attributs de l'autorité parentale.
, Traditionnelle dans la jurisprudence beige, l'idée est imputée
au législateur. << Attendu qu'il apparaît ainsi que dans la pensée
du législateur, si le père, ou à défaut la mère, doivent répondre
du dommage causé par leur enfant mineur, c'est en raison du
fait que celui-ci est sous leur dépendance absolue, qu'ils ont sur
lui une pleine et entière autorité, laquelle, diligemment exercée
comme il se doit, leur aurait permis d'empêcher l'acte domma-
geable; qu'en n'empêchant pas eet acte, ils ont donc, saufpreuve
contraire, commis une faute qui engage leur responsabilité et
les oblige à en réparer les conséquences >> (20).

11. - L'arrêt précité exploite sur ce point les travaux prépa-


ratoires du Code civil, et notamment le rapport fait au Tribunat
par Bertrand de Greuille. Il est dès lors permis de penser que
, pour l'interprétation du texte actuel de l'article 1384, alinéa 2,
· du Code civil, la Cour de cassation se référera aux travaux prépa-
ratoires de la loi du 6 juillet 1977. Cette prévision est d'autant
plus vraisemblable que la continuité paraît totale, la jurispru-
dence de la Cour largement citée dans les rapports du sénateur
de Stexhe, faisant le relais ent~e les deux actes législatifs. Les
deux rapports font reposer la responsabilité des parents sur

(20) Ce.ss., ll février 1~46, cité note 10, Paa., 1946, I, 63.
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET M}JRE 319

l'autorité parentale (21). Pareil fondement met à charge des


tribunaux une täche écrasante, à moins que les juges ne choient
dans l'injustice, parfois l'odieux ou Ie ridicule. Selon quels critères
les juges du fond vont-ils établir la relation de causalité entre
<< l'acte objectivement illicite du mineur>> et la faute commise

par les père et mère dans l'exercice de l'autorité parentale? La


doctrine récente est, à juste titre, très critique à l'égard du
résultat qu'offre la jurisprudence (22). Reprenant la méthode
déjà suivie dans Ie paragraphe précédent, je voudrais me bomer
à la comparaison de deux arrêts de la Cour de cassation, pronon-
cés, il est vrai, à vingt-deux ans d'intervalle (23). Les deux arrêts
présentent la particularité commune d'être relatifs à la responsa-
bilité des père et mère en raison d'un crime grave commis par
un adolescent.

12. - Dans la première affaire, il s'agissait d'un jeune inci-


vique poursuivi devant les juridictions militaires pour des assas-
sinats commis pendant la guerre. Condamné par Ie juge du fond
à la réparation du dommage réclamé par la partie civile, Ie père
de l'inculpé avait fait valoir qu'il n'avait pu empêcher Ie fait,
et parce que son fils s'était enrölé à l'äge de dix-sept ans parmi
les SS allemands (devoir de surveillance) et parce qu'il avait
ensuite été << éduqué à Hanovre selon les principes nationaux-
socialistes, circonstance qui fait disparaître l'autorité des parents
ainsi que Ie lien de causalité entre la mauvaise éducation donnée
par les parents et Ie fait commis>> (devoir d'éducation).
Au-delà des vices de motivation très clairement dénoncés par
Ie pourvoi et cependant écartés par la Cour de cassation, c'est,
dans les circonstances particulières de l'espèce, Ie moralisme
abstrait de l'interprétation de la loi qui mérite les plus sévères
critiques. Le quatrième moyen du pourvoi est écarté avec la
motivation suivante : << Attendu que les termes de l'arrêt attaqué
démontrent clairement que la Cour militaire considère la mau-

(21) Voy. notamment : Pasinomie, 1977, 893, 396 : • La présomption de respon-


sabilité des parents est moins le corollaire d'un défaut de surveillance que de l'autorité
parentale ».
(22) Voy. notamment : J. L. FAGNART, loc. cit., note 8; Gérard MoYAERT, « De
aanprakelijkheid van de ouders voor de verkeersovertredingen van hun minderjarige
kinderen - wet en werkelijkheid», R. W., 1978-1979, 2292.
(23) Cass. (2• ch.), 7 mars 1949, Van Dyck et conaorts c. Etat belge, Pas., 1949, I,
185; Cass. (2• ch.), 12 janvier 1971, conaorts B ... c. T ... , Pas., 1971, I, 434.
320 F. RIGAUX

vaise éducation donnée par Ie demandeur et son défaut de


vigilance comme les causes réelles de l'indiscipline de son fils
mineur au cours de l'occupation et de tout ce qui en est résulté,
notamment l'assassinat de Lucien Gysels >>.
Dans cette affaire ou il ne fut à aucun moment allégué que
Ie père avait, d'une manière quelconque, ni autorisé ni encouragé
son fils à s'engager dans les SS, il faut juger odieux de lui imputer
la responsabilité des assassinats commis par son fils. Dans des
circonstances particulières, celles d'une occupation ennemie, cette
affaire met bien en relief Ie conflit entre l'autorité parentale et
la pression sociale, entre l'éducation familiale et la formation
qu'un adolescent reçoit de l'école, de l'armée, du milieu profes-
sionnel. Il faut n'avoir rien compris à l'occupation ennemie
pour soutenir que l'autorité exercée par un père beige sur un
adolescent de dix-sept ans aurait pu faire obstacle à !'engagement
volontaire de eet adolescent dans l'armée d'occupation. Il faut
tout ignorer de la psychologie des tortionnaires nazis pour
imputer la brutalité de ceux-ci à un vice d'éducation familiale
plutot qu'à la «formation 1> reçue dans les écoles spécialisées.

13. - La deuxième affaire concerne la responsabilité du père


pour « un horrible meurtre 1> commis par son fils, relevant du
juge de la jeunesse. La réponse donnée à l'unique moyen du
pourvoi mérite d'être intégralement reproduite.
<< Sur la première branche :
Attendu qu'après avoir constaté que le défendeur avait fait
tout ce qui était normalement en son pouvoir pour donner une
bonne éducation à son fils, et relevé les éléments dont Ie moyen
fait état, pour établir qu'il exerçait sur son enfant la vigilance
requise, et en constatant que rien dans Ie comportement de
!'enfant ne pouvait être considéré comme révélant des instincts
pervers, !'arrêt décide qu'est apportée la preuve contraire dont
résulte le renversement de la présomption de responsabilité qui
pesait sur le défendeur ;
Sur la seconde branche :
Attendu que !'arrêt, par les constatations relevées dans la
réponse à la première branche du moyen et particulièrement en
considérant que le défendeur << laissait l'enfant courir les rues le
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 321

moins possible, en dehors de classe, mais le gardait à la maison,


ou son épouse ou lui-même pouvait observer son comportement >>,
constate qu'aucun manquement d'ordre éducatifne pouvait être
reproché au défendeur ; qu'il répond ainsi de manière adéquate
aux conclusions des demandeurs ;
Qu'en ses deux branches le moyen manque en fait>>.
Nulle décision mieux que celle qui vient d'être reproduite
n'exprime Je malaise que suscite l'application des deux concepts
juridiques « devoir d'éducation >> et << relation causale entre le
vice d'éducation et l'acte objectivement illicite du mineur>> à
des situations familiales réelles, avec, notamment, l'obligation
de décider si le crime commis par le mineur est, ou non, imputable
à l'éducation qu'il a reçue de ses parents. Il est déjà difficile
pour des experts-psychiatres de se prononcer sur la responsabilité
personnelle au regard de la loi pénale de l'auteur d'un crime.
Quel spécialiste de la pédagogie ou des sciences de l'éducation
aidera-t-il le juge à démêler dans l'étiologie d'un acte criminel
le comportement des père et mère qui aurait pu ou n'a pas pu
empêcher Ie crime commis par un adolescent << soumis >> à leur
volonté? A peine est-il besoin d'ajouter que les juges en décident
sans Ie concours d'aucun spécialiste.

§ 4. - LE DOUBLE FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ


DEVOIR D'ÉDUCATION ET DEVOIR DE SURVEILLANCE

14. - Dans les numéros qui précèdent, l'accent n'a pas été
placé sur les deux composantes de l'autorité parentale: éducation
et surveillance. Un seul arrêt de la Cour de cassation (24), très
vivement critiqué par Henri De Page (25) et qui a perdu toute
autorité (26), avait concentré sur Ie seul devoir de surveillance
Ia source de Ia responsabilité des père et mère. Pour erronée
qu'elle fût, cette interprétation de la loi présentait au moins
l'avantage de restreindre les fils à démêler dans l'écheveau des
causes de l'acte objectivement illicite du mineur. Si la responsa-

(24) Cass. (2• ch.), 9 juillet 1934, Guillaume c. Alfred et Lucie Van Hecke, Pas.,
1934, I, 352.
(25) DE PAGE, t. II, n° 974.
(26) Un arrêt du 10 juillet 1950 (2• ch.), Banque financière bruxelloiae c. Mahy,
Pas., 1950, I, 828) sur les conclusions contraires du ministère public renversa la
solution de !'arrêt de 1934. Voy. notamment : P. LEGROB, • Le cumul de la responsa-
bilité des parents et des instituteurs •• R.G.A.R., 1979, 10073.
322 F. RIGAUX

bilité des père et mère est seulement liée à leur devoir de surveil-
lance, les faits qu'il leur appartient d'établir pour renverser la
présomption sont beaucoup moins nombreux : mieux circonscrits
dans Ie temps d'abord puisque Ie défaut de surveillance n'est
pertinent que pour les faits qui ont directement préparé la perpé-
tration de l'acte illicite ou sont concommitants à celle-ci; mais
aussi limités par leur nature, puisque la circonstance que !'enfant
est, même temporairement, sous« la garde >> d'une autre personne,
devrait déjà suffire à décharger Ie père ou la mère de son propre
devoir de surveillance.

15. - Sur ce point encore, les travaux préparatoires de la


loi du 6 juillet 1977 se sont expressément ralliés à l'interprétation
dominante. Les avantages de celle-ci, compte tenu de la redistri-
bution de I' autorité parentale à laquelle ont procédé les lois
du 8 avril 1965 et du 1er juillet 1974, ont été très nettement mis
en lumière dans Ie rapport de la Commission de la justice du
Sénat. Si l'on veut protéger les tiers victimes du dommage causé
par l'acte objectivement illicite d'un mineur, il faut tenir pour
responsables non pas seulement celui des deux auteurs qui avait
la garde de !'enfant au moment des faits ou qui l'hébergeait
dans l'exercice d'un droit de visite mais en même temps l'autre
auteur responsable en vertu de son devoir d'éducation.
Si la jurisprudence se laisse guider par toutes les considérations
pertinentes des travaux préparatoires et donne à la suppression
de la condition de cohabitation inscrite dans !'ancien article 1384,
alinéa 2, la portée que mérite ce changement législatif, la pré-
somption de faute des père et mère pèsera beaucoup plus lourde-
ment sur eux que dans Ie passé. Non seulement parce qu'elle
est conjointe et risque de grever Ie patrimoine de la mère dans
des cas ou celui-ci était auparavant soustrait aux poursuites des
victimes de l'acte illicite, mais aussi parce que, si les auteurs
de !'enfant ne vivent pas ensemble, !'accent placé sur Ie devoir
d'éducation ne limite pas la présomption à celui des deux auteurs
qui avait en fait la garde de !'enfant.

16. - Il y a plusieurs motifs de regretter cette insistance.


Je ne m'étendrai pas sur les raisons de fond, qui sont étrangères
au thème choisi pour cette étude. Seul un régime d'assurance
de la responsabilité civile familiale obligatoire, aont l'organisa-
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 323

tion a été annoncée par la Commission de la justice du Sénat (27),


donnera satisfaction aux intérêts en présence et à condition que
l'assurance soit gratuite pour les familles à revenus modestes.
L'éducation des enfants est une charge dont Ie contenu converge
trop avec les intérêts les plus profonds de la société pour qu'elle
soumette en outre les parents à un risque financier qui apparaît
dans certains cas considérable (28).
Jusqu'à ce que cette réforme indispensable soit réalisée, il
est à craindre que les termes nouveaux de l'article 1384, alinéa 2,
du Code civil, ne renforcent les à peu près conceptuels de la
jurisprudence antérieure. Autant il est facile de donner de la
disposition législative une justification moralisatrice en la rat-
tachant aux devoirs d'éducation et de surveillance des père et
mère, autant il est presque toujours arbitraire, surtout pour Ie
premier de ces devoirs, de statuer sur Îa demande de preuve
contraire formulée conformément à l'article 1384, alinéa 5.

17. - Certains raisonnements cependant tenus pour impec-


cables par la Cour de cassation s'enferment dans un cercle vicieux.
Il en est ainsi quand Ie défaut d'éducation du père est déduit
du caractère illicite de !'acte du mineur, alors surtout que la
faute est bénigne. Dans une affaire ou Ie juge du fond avait
constaté qu'il n'y avait pas eu manque de surveillance du père,
ce qui faisait nécessairement reposer la faute sur Ie seul défaut
d'éducation, celui-ci est déduit de la méconnaissance du code
de la route trahie par les circonstances mêmes de !'accident
litigieux (29). Admis par deux arrêts à propos d'un accident de
bicyclette dont un jeune adolescent est tenu pour responsable,
pareil raisonnement doit être jugé critiquable sur deux points.

(27) Pasinomie, 1977, 897.


Voy._notamment les propositions de Jois relatives à l'assurance obligatoire de la
responsabilité • vie privée • déposées notamment par M. DE STEXHE lui-même (Doe.
parl., S<\nat, session 1977-1978, n° 182/1) et par M. KNooPs, (Doe. parl., Ch. des repr.,
session 1977-1978, n° 321/1).
(28) Comp. dans Ie même sens : J. M. POUPART, • La loi du 6 juillet 1977 ... ••
J.T., 1977, 743.
(29) Cass. (2• ch.), 8 février 1960, Van Hoonaeker e. Strobbe et eonsorts, Pas., 1960,
1, 640. Voy. encore : Cass. (l'• ch.), 15 avril 1971, D. e. Epoux Declerc-Kuyt, en
présence de son ép<iuse B., Pas., 1971, I, 725. La Cour estime que « Ia constatation
de sérieuses lacunes dans l'éducation du fils du demandeur suffit pour justifier légale-
ment la décision attaquée •; d'après cette décision elle-même «les graves imprudences
commises par D ... au moment de !'accident, alors qu'il avait déjà atteint l'àge de
quatorze ans, indiquent, au contraire, de sérieuses lacunes dans l'éducation et la sur-
veillance •· Il s'agissait aussi d'un accident de bicyclette.
F. RIGAUX

Si la faute de conduite d'un jeune cycliste démontre à elle seule


le défaut d'éducation, on risque de donner un caractère irré-
fragable à la présomption simple de l'article 1384, alinéa 2, le
caractère illicite de l' acte du mineur démontrant à lui seul la
faute commise par son auteur. On aperçoit aussi le caractère
.aventureux de l'enchaînement causal : l'infraction est attribuée
à l'ignorance du code de la route et cette ignorance est elle-même
imputée au père qui aurait dû instruire son fils. Il n'est pas
-considéré que !'accident ait pu avoir pour cause une distraction
passagère, une mauvaise appréciation des circonstances de fait,
l' oubli de la règle ...

18. - La solution donnée jusqu'ici au cumul entre la respon-


sabilité des père et mère et une autre responsabilité du fait d'au-
trui n'est guère compatible avec le double fondement assigné à
la première. D'après un arrêt récent de la Cour de cassation, le
juge du fond décide légalement que lorsque l'enfant est «sous
la surveillance de l'autorité de l'école >>, il n'y a pas lieu à« appli-
-cation cumulative de la responsabilité des parents et de celle
des instituteurs >> (30). En affirmant en droit que lorsque la garde
de l'enfant est momentanément transférée aux «instituteurs >>,
le juge du fond << ne devait pas vérifier le défaut éventuel dans
l'éducation de l'enfant >>, la Cour constate aussi le manque de
pertinence de la présomption de faute dans l'éducation de
l'enfant, ce qui équivaut à éliminer la composante «éducation >>
de la double obligation parentale. Si la mauvaise éducation est
une des branches de la faute présumée des père et mère, elle
peut très bien se conjuguer avec la présomption de faute de
l'instituteur auquel a seule été transférée et de manière tempo-
raire l'autre branche de l'autorité parentale, à savoir la surveil-
lance. Pourquoi le comportement illicite de l'enfant à l'école ne
trouverait-il pas sa cause dans le caractère anormalement indisci-
pliné de l'enfant, qu'on peut, dans Ie système de la jurisprudence,
imputer à un défaut d'éducation des père et mèreî

(30) Cass. (2• ch.), 22 septembre 1978, E.F.D.L.P., R.G.A.R., 1979, 10076. Comp. :
Bruxelles, 2 novembre 1977, R.G.A.R., 1979, 10077 et les observations critiques de
M. Pierre LEGROS (op. cit., note 26), ibid., 10073. Pour une critique très solide du
rejet du cumul des responsabilités du fait d'autrui, voy. : R. O. DALCQ, op. cit.
•,(note 11), n•• 1646-1653.
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 325

§ 5. - REVANCHE DE LA RÉALITÉ SUR L' ABSTRACTION

19. - Les cas de jurisprudence commentés dans les trois


paragraphes précédents n'ont pas été choisis au hasard : leur
rapprochement révèle trois hypothèses très différentes d'actes
domniageables commis par un mineur : les jeux d'enfants, la
pratique d'un sport ou d'une activité dangereuse, les actes
exprimant la perversité de leur auteur et notamment les atteintes
volontaires à l'intégrité physique d'autrui (31). A l'exception,
peut-être, de la première, qui paraît coïncider avec une classe
d'age, ces trois catégories ne découpent pas des périodes distinctes
dans la vie du mineur : on a pu constater des actes de cruauté,
proprement criminels, chez d'assez jeunes enfants, encore très
éloignés de l'age de la majorité pénale tandis que certaines acti-
vités sportives (jeu de balle ou de ballon, bicyclette) sont prati-
quées de la prime enfance à l'age adulte.
Les critères jurisprudentiels de mise en reuvre de l'article 1384,
alinéas 2 et 5, du Code civil, suscitent à propos de ces trois
catégories d'actes dommageables des problèmes assez différents.
La notion d'acte objectivement illicite est, on l'a vu (supra,
n 08 5-9), inadéquate pour ce qui concerne les dommages survenus
à !'occasion de jeux enfantins. En revanche, elle s'adapte assez
correctement aux deux autres catégories d'actes, dont Ie carac-
tère illicite peut être mesuré par référence au comportement
qu'on attendrait d'un adulte << normal >>.
La justification traditionnellement donnée à la présomption
de faute des père et mère, à savoir qu'elle est un corollaire de
I' autorité parentale, ne paraît satisfaisante que sur un plan pure-
ment théorique. Les solutions qui s'en dégagent sont incohé-
rentes, les motifs retenus par Ie juge du fond permettant souvent
deux décisions diamétralement opposées. Si, par exemple, un
crime dénote la perversité de son auteur, celle-ci trouve-t-elle
sa source dans une éducation trop rigide ayant surprotégé !'enfant,
et ayant suscité une rébellion profonde ou dans une autorité
trop libéralement exercée 1 Erasme déjà se méfiait des enfants
trop sages (32). A l'égard des adolescents, il paraît arbitraire et

(31) Comp. : A. LAGASSE, op. cit., note 11, Rev. crit. jur. beige, 1959, 32-33, dis-
tinguant seulement les deux premières hypothèses.
(32) • Odi puerulum praecoci sapientia ~ (Eloge de /,a folie, XIII).
326 F. RIGAUX

injuste de prétendre décider si l'éducation donnée par les père


et mère a été telle que ceux-ci n'ont pas fait ce qui était en leur
pouvoir pour << empêcher le fait >>. Sans doute pourrait-on réserver
les cas exceptionnels d'éducation à la perversité oude criminalité
ambiante dans le milieu familial, mais l'article 1384, alinéa 2,
est alors superflu, le vice d'éducation constituant une faute
personnelle des père et mère, dont ils sont tenus en vertu de
l'article 1382 (33).

20. - Un présupposé théorique dont l'application ne conduit


qu'à l'incohérence et à l'arbitraire est lui-même moins satis-
faisant qu'il ne paraissait à première vue. Le présupposé qui
figure encore dans les arrêts de 1946 et de 1950, à savoir que
l'enfant mineur est, jusqu'à son émancipation, sous la << dépen-
dance absolue >> de ses père et mère, << qu'ils ont sur lui une pleine
et entière autorité, laquelle, diligemment exercée comme il se
doit, leur aurait permis d'empêcher l'acte dommageable >> (voy.
supra, n° 10), est tout bonnement absurde. Sans doute la Cour
de cassation se garderait-elle de répéter une affirmation aussi
péremptoire trente ans plus tard. Si, toutefois, on en nuance
l'intensité, on ne rend que plus difficile l'appréciation, cas par
cas, de ce que les père et mère étaient ou non en mesure d'em-
pêcher.
Il faudrait interroger des psychologues, des criminologues,
des spécialistes des sciences de l'éducation et leur demander s'ils
estiment possible de discerner parmi les causes de l'acte illicite
commis par un mineur celles qui relèvent de I' exercice par les
père et mère de leur double devoir d'éducation et de surveillance.
Les appréciations subjectives des juges construites sur une infor-
mation insuffisante de facteurs multiples ne satisfont certes pas
aux règles élémentaires du raisonnement judiciaire. La présomp-
tion de faute imputée aux père et mère repose sur une conception
mécaniciste de l'autorité parentale. Elle néglige totalement la
part de la causalité génétique ainsi que les autres facteurs
sociaux : influence du milieu non parental, école, mouvements
de jeunesse, moyens de communication de masse.

(33) Pour des cas d'application, voy. notamment : Cass. (2 8 ch.), 15 juin 1925,
Max et Louis Michau:c c. Bonnichon et Mercken, Paa., 1925, I, 286; 17 juin 1948
(1'• oh.), Oger c. Ruae-Hercot, Paa., 1948, I, 397.
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 327

21. - Les décisions judiciaires ayant fait application de


l'article 1384, alinéa 2, du Code civil, avec les commentaires
doctrinaux qui ont accompagné la jurisprudence, sont un excel-
lent exemple d'un effort de justification rationnelle du précepte
légal. Celui-ci est très sobre dans son libellé: l'énoncé de la règle
(alinéa 2) est péremptoire, l'exception (alinéa 5) est exprimée de
manière très souple, paraissant se référer à des circonstances
de pur fait. J urisprudence et doctrine se sont ingéniées à insérer
la double règle dans une architecture juridique complexe, la
théorie de la faute d'une part, celle de la puissance paternelle
puis de l'autorité parentale d'autre part.
On peut distinguer trois niveaux dans les procédés de rationali-
sation mis en oouvre : << le dommage causé par l' enfant mineur
suppose un << acte objectivement illicite >> ; la présomption de
faute est expliquée par les attributs de l'autorité parentale ;
celle-ci est décomposée en deux éléments, l'éducation et la sur-
veillance.
Ce triple engrenage serait parfait s'il pouvait rester à l'état
d'épure, de projet fictif d'une société qui n'existe pas. Il grince
dès qu'on prétend y introduire les rapports que la vie quotidienne
fournit au juriste. Les normes de comportement de l'adulte
<< normal >> ne sont pas adéquates pour qualifier de licites ou d'illi-

cites les actes proprement << enfantins >>. L'autorité parentale n'a
pas, Dieu merci, réussi à transformer l'enfant en robot : il n'est
pas seulement di:fficile d'apprécier quelle est, à chaque phase du
développement de l'enfant, !'attitude éducative correcte, il est
surtout impossible_de décider si un acte dommageable de !'enfant
trouve ou non sa cause dans une faute présumée de ses père et
mère (34). En troisième lieu, en superposant le devoir d'éducation
au devoir de surveillance on ajoute à des faits de négligence dans
le controle ou la garde, relativement faciles à mettre en rapport
avec !'acte illicite du mineur, !'ensemble des relations éducatives
qui ont, d'une manière d'ailleurs di:fficile à apprécier, configuré
la personnalité de l'enfant. Est-il raisonnable de prétendre retrou-
ver. dans cette éducation dont la responsabilité juridique est
depuis la loi du 6 juillet 1977 également partagée entre Ie père

( 34) Il faut en effet réserver la faute prouvée : tel le père qui confie à son enfant
mineur un objet dangereux. Mais le tiers coupable du même fait en est aussi respon-
sable que le père.
328 F. RIGAUX

et la mère, une cause suffisamment déterminante de l' acte illicite


du mineur pour engager la responsabilité de ses auteurs 1

22. - En conclusion à la présente étude, il n'y a pas lieu


de proposer un autre système de réparation du dommage causé
par les enfants mineurs. Le seul objet de ces réflexions offertes
en hommage posthume, admiratif et amical, à René Dekkers,
était !'analyse critique d'un procédé d'interprétation de la loi.
J urisprudence et doctrine se sont efforcées de rendre la loi
compréhensible pour ses destinataires, de justifier les termes
tout à fait généraux d'une disposition législative en esquissant
un portrait psychologique des agents juridiques tenus de la
respecter. Force est de constater que la science du droit tourne
Ie dos à la réalité dont les praticiens prétendaient la rapprocher.
Il est aisé de dessiner des stéréotypes détachés de toute expé-
rience vécue, tel l'adulte normal mesure de la conduite conforme
au droit, tel l'état de << dépendance absolue >> dans lequel l'auto-
rité parentale place l'enfant mineur. Pour soumettre à ces stéréo-
types des situations humaines qui n'y correspondent pas ou
guère, le juge dispose de la réalité à peu près comme bon lui
semble. Les particularités du jeu enfantin empêchent de l'intro-
duire correctement dans la catégorie << acte objectivement illicite
dans Ie chef d'un adulte normal >>. Il en résulte qu'à condition
d'éviter toute maladresse de motivation, de respecter les règles
du jeu d'adultes que constitue Ie controle de légalité, Ie juge
du fond apprécie en fait Ie caractère innocent ou illicite de l'acte
dommageable, sous l'influence, peut-être, de considérations
d'équité parmi lesquelles l'intervention éventuelle d'une com-
pagnie d'assurances joue un róle non négligeable. La même
observation vaut pour Ie caractère prétendu absolu de l'autorité
parentale. Chacun sait qu'elle n'a pas, qu'elle n'a jamais eu un
tel caractère. Néanmoins en présentant l'autorité parentale
comme un facteur déterminant de l'acte de l'enfant mineur,
. facteur ayant Ie pouvoir d'empêcher eet acte, on encourage Ie
juge à décider de manière discrétionnaire si les père et mère ont
réussi à renverser en fait la présomption de faute mise à leur
charge.

23. - Deux observations pour conclure.


La maxime d'expérience insérée dans la mécanique législative
LA RESPONSABILITÉ DES PÈRE ET MÈRE 329'

n'est pas totalement fausse, elle paraît corroborée dans certaines


circonstances, l' erreur consiste à lui reconnaître une valeur abso-
lue.
Certains actes d' enfants peuvent être déclarés illicites selon
Ie critère du comportement normal d'un adulte : l'imprudence
d'un piéton (35), d'un cycliste, Ie coup volontaire porté à un
compagnon de jeux, un acte de cruauté sont comparables aux
mêmes faits commis par un adulte. On n'en saurait dire autant
des jeux proprement enfantins (voy. supra, n° 5-9).
De même, l'autorité parentale << diligemment exercée >> est en
mesure d'empêcher oude prévenir nombre de faits dommageables
que pourrait commettre un enfant mineur. Dans d'autres cas,
on soumet Ie juge du fond à une tache impossible : la surveillance
d'un adolescent et même d'un enfant plus jeune ne saurait être
constante. Les décisions relatives aux accidents survenus dans
une plaine de jeux non surveillée ou sur la voie publique sont
nécessairement incohérentes : si les parents avaient enfermé
!'enfant dans sa chambre, ils auraient assurément empêché le
fait dommageable, mais un exercice intransigeant du devoir de
surveillance n'est-il pas incompatible avec une saine éducation?
En ce qui concerne les accidents de la route, il est arbitraire
de lier l'infraction au code de la circulation routière au devoir
d'éducation des père et mère, les juridictions de fond se parta-
geant sur le point de savoir si cette infraction révèle ou non une
lacune dans l'éducation de !'enfant. Pourrait-il en être autre-
ment1

14. - Une généralisation excessive de la maxime d'expérience


et son incorporation au fonctionnement même de la loi font
manquer Ie but qu'on prétendait atteindre. Cet objectif est
double : donner au précepte normatif une justification ration-
nelle, c'est-à-dire qui soit comprise et acceptée par les agents
juridiques - détenteurs de l'autorité parentale, tiers victimes
du dommage causé par un enfant mineur - dont le comporte-
ment ou les intérêts sont réglés par la norme ; donner aux juges
chargés d'appliquer celle-ci des directives communiquant la

(35) Voy. par exemple : Ce.ss. (2• ch.), 3 mai 1978, Delacroia: c. Grégoire et Bartra-
neUi, Paa., 1978, I, 1012, à propos du « geste impulsif qui commis par une personne-
responsable de ses actes aurait été une imprudence ;.
330 F. RIGAUX

généralité des termes de la loi à la motivation des décisions


prises à propos des situations particulières. Le deuxième objectif
paraissait d' autant plus opportun que les termes des deux dispo-
sitions législatives - les alinéas 2 et 5 de l'article 1384 du Code
civil - sont particulièrement larges. Or, comme on croit l'avoir
démontré dans la présente étude, l'abus des fausses généralisa-
tions produit des conséquences diamétralement opposées au hut
visé : la jurisprudence donne du comportement des enfants en
bas age et de l'exercice de l'autorité parentale une image contraire
à la réalité, tandis que Ie caractère inadéquat des concepts
utilisés condamne les juges du fond à l'impressionnisme juridique
qu'on prétendait éviter.
La notion fonctionnelle du vice caché ·
un faux problème?
PAR

L. SIMONT
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

1. - Les travaux préparatoires du Code civil ne sont guère


explicites quant à la notion de vice caché de la chose vendue
qui, aux termes de l'article 1641 du Code, fonde l'obligation de
garantie du vendeur.
Dans l'exposé des motifs qu'il fit au Corps législatif, Portalis
se borne à relever : << Nous n'entrons point à eet égard dans des
détails inutiles ; on se convaincra, par Ia seule Iecture du projet
qu'il ne fait que rappeler des maximes consacrées par la juris-
prudence de tous les temps, et liées aux principes de l'éternelle
équité >> (1).
Le rapport Faure au Tribunat mentionne que << Ia question
de savoir si tel ou tel vice est rédhibitoire par sa nature, dépend
singulièrement de l'usage des lieux. La loi n'a pu donner sur
cette garantie qu'une définition générale, à laquelle l'usage seul
peut appliquer les espèces >> (2); Ie même point de vue, qui snit
une référence aux << mêmes idées de justice et de morale >> se trouve
exprimé dans Ie discours de Grenier au Tribunat (3) (4).

2. - La définition de vice, telle qu'elle est énoncée par l'ar-


, ticle 1641 du Code civil fait l'objet d'une controverse dont on
rappellera l'objet, pour tenter ensuite d'en préciser les limites (5).

(I) LoCRÉ, t. VII, n° 22, p. 75.


(2) Ibid., n° 27, p. 97.
( 3) Ibid., n° 27, p. 112.
(4) LAURENT (t. XXIV, n° 280) souligne au contraire que Ie Code civil ne main-
tient pas les usages locaux sur cette matière.
(6) La présente étude sera limitée à !'analyse de la notion du vice, mais n'examinera
pas les autres conditions de la garantie (inaptitude de la chose à quel usage, caractère
occulte, antériorité, etc .... ) .
RENÉ DEKKERS. - 22
332 L. SIMONT

Dans l'interprétation traditionnelle - dite conceptuelle ou


intrinsèque - de la garantie des vices cachés, l'article 1641 ne
vise que Ie défaut structurel, inhérent à la chose vendue, ce vice
<levant en outre, pour donner lieu à garantie, satisfaire à diverses
conditions et notamment être d'une gravité telle qu'il empêche
l'usage de la chose ou Ie contrarie dans une mesure importante (6).
Cette interprétation est certainement conforme au texte même
de l'article 1641. Ce texte énonce en effet, non pas que Ie vendeur
est tenu de la garantie à raison des caractéristiques cachées de
la chose vendue qui la rendent impropres à son usage, mais des
défauts cachés de cette chose, la rendant impropre à eet usage (7) ;
les articles 1642, 1643 et 1615 à 1648 précisent quant à eux que,
par défaut, il faut entendre vice.
A la suite d'une importante étude due à un commercialiste
français, M. Zerah (8), la doctrine commercialiste beige s'est
ralliée à une interprétation plus large - dite fonctionnelle ou
extrinsèque - de la garantie des vices cachés.
Dans cette interprétation, sur laquelle se fondent, à tout Ie
moins implicitement, un nombre important de décisions rendues
en matière commerciale (9), la garantie du vendeur est due dès
lors que, la chose vendue étant même exempte de tout défaut
intrinsèque, une de ses caractéristiques occultes la rend impropre
à son usage (10).

(6) Voy. DE PAGE, t. IV, 3• éd., n°• 95, 167, 172 et 177 et spécialement la note 6
p. 131; LIMPENS, R.P.D.B., V 0 • Vente •, n•• 330 à 348; PLANIOL et R1PERT par
HAMEL, t. X, n•• 128 ets.; voy. aussi Cass. fr., ir• ch. civ., 15 janvier 1976 décidant
que la preuve de l'existence d'un vice rendant des plants de thuyas impropres à l'usage
auquel ils sont destinés ne résulte pas de ce que leur reprise a échoué, dans des
proportions anonnales, alors que Ie juge de fond précise que l'aoquéreur est , dans
l'incapaoité de définir un queloonque défaut de la chose vendue • (Bull. civil, 1976,
I, 22).
(7) Comp. toutefois GHESTIN (La notion d'erreur dans le droit positif actuel, 1971,
n° 292) pour qui Ie tenne défaut peut s'appliquer aussi bien à l'altération d'une
qualité existante qu'à !'absence d'une qualité qui aurait dû exister.
(8) La garantie des vioes oaohés dans HAMEL, La vente commerciale de marchandises,
p. 348 et S.
(9) Voy. leur relevé dans la note de Gérard oitée en note 10 et dans l'étude de Zerah
citée note 8; adde Malaurie, Encycl. Dalloz de droit commercial, V• • Vente •, n°• 363
et 364 et Enycl. Dalloz, Droit civil, V 0 • Vente •, n°• 463 et 464.
(10) VAN RYN et HEENEN, Principes, t. III, n° 1714; GÉRARD, note sous Cass.,
18 novembre 1971, oette revue 1973, pp. 612 et s. : BouRGOIGNIE, • Le traitement des
produits défectueux en droit beige : pratiques et perspeotives, • J.T., 1976, p. 489 ets.
et 505 ets. spécie.lement p. 505 et 506; Cousv, Problemen van produktenaansprakelijk-
heid, n°• 152 et 153; FAGNART, La responsabilité du fait des produits, Au service des
intermédiaires .financiers, n° 25, février-mars 1978; contra P. A. FORIERS : Garantie et
Oonformité dans le Droit beige de la Vente, étude publiée dans les actes du colloque
LA NOTION ]'ONCTIONNELLE DU VICE CACHÉ 333

3. - La Cour de cassation a donné un appui certain à cette


thèse par deux arrêts, des 18 novembre 1971 (11) et 19 juin
1980 (12) dont Ie premier aurait, selon Gérard (12bis) et
Cousy (13), Ie caractère d'un arrêt de principe consacrant la
notion fonctionnelle du vice.
Il s'agit cependant de deux arrêts de rejet, rendus en matière
de vente commerciale (14) et rédigés au surplus avec une pru-
dence caractéristique.

4. - Le premier de ces arrêts, rendus sur les conclusions


conformes de M. Ie procureur général Delange, alors avocat
général, est intervenu dans une espèce ou Ie vendeur d'un produit
bitumeux qui devait résister aux acides (et, intrinsèquement, y
résistait) fut néanmoins condamné à garantir l'acheteur parce
que Ie produit était impropre à l'usage auquel l'acheteur Ie
destinait, à la connaissance du vendeur, eet usage étant l'incor-
poration du produit dans un mélange de ciment et de sable pour
constituer une chape résistant aux acides.
La Cour de cassation rejette, comme manquant en droit, Ie
premier moyen de cassation, pris de la méconnaissance de la
notion légale restrictive du vice caché. Cette décision est fondée
sur ce << qu'eu égard à ces oonsidérations >><<!'arrêt a pu légalement
décider qu' en l' espèoe, il faut apprécier les vices cachés de la
chose vendue en fonction de l'usage auquel, à la connaissance
du vendeur, l'acheteur la destinait et qu'il n'est pas requis que
Ie vice affecte intrinsèquement la chose >>.
C' est donc eu égard aux circonstances de I' espèce (garantie
particulière pro mise par Ie vendeur, exigences spécifiques de
l'acheteur quant à l'e:fficacité de !'ensemble de la chape, l'ache-
teur ayant sollicité une étude du vendeur) que, selon la Cour
de cassation, Ie juge du fond a pu légalement appliquer en ce
cas la théorie fonctionnelle du vice caché.
Les conclusions de M. Delange avaient d'ailleurs relevé, pour

international d' Aix-en-Provence sur la vente internationale d'objets mobiliers corporele,


p. 198 et s. spécialement p. 201 et 202.
(Il) Pas., 1972, I, 258; Rev. crit. jur. beige, 1973, p. 612 et s.
(12) J.T., 1980, p. 616.
(l2bis) Op.cit., n° 7 inflne, p. 617.
(13) Op.cit., n° 153, p. 232.
( 14) C'est-à-dire conclue entre deux entreprises commerciales, au cours de l'exercice
normal de leur activité (VAN RYN et HEENEN, Principes, t. III, n° 1666).
334 L. SIMONT

conclure au re jet du premier moyen : << c' est dès lors à bon droit
que }'arrêt entrepris a fait ici application de la notion dite
fonctionnelle du vice caché, qui me paraît devoir être admise,
tout au moins lorsque les parties s'y sont nécessairement référées,
compte tenu des circonstances et conditions spéciales dans les-
quelles la vente a été conclue >> (15).

5. - L'arrêt du 19 juin 1980, quant à lui, semble faire un


pas de plus mais reste empreint d'une grande prudence.
Dans cette espèce, une briqueterie avait commandé à une
autre société la construction d'un four à briques. L'isolation
de ce four devait être assurée par la briqueterie elle-même qui
s'était procuré à cette fin, auprès d'une troisième société, un
produit réfractaire recommandé par celle-ci.
La Cour d'appel de Liège ne réforma pas la décision du premier
juge en ce qu'elle avait admis la responsabilité de la société
chargée de la construction du four mais, en revanche, déclara
non recevable comme tardive, par application de l'article 1648
du Code civil l'action en dommages-intérêts dirigée contre la
venderesse du produit réfractaire.
La lecture de l'arrêt de cassation ne permet pas de discerner
si en l'espèce Ie produit réfractaire était affecté ou non d'un
défaut intrinsèque. La question de la définition de vice caché
ne s'est en effet posée que de manière indirecte devant la Cour
de cassation.
Le premier moyen présenté au soutien du pourvoi en cassation
introduit par la briqueterie faisait grief au juge du fond d'avoir
considéré l'action intentée contre Ie fournisseur du produit
réfractaire comme une action fondée sur la garantie des vices
cachés de la chose vendue et non une action en délivrance
fondée sur Ie défaut de conformité de la chose livrée à la chose
vendue (16).
La Cour de cassation rejette ce moyen sur base d'une analyse
minutieuse des actes de la procédure.
L'appréciation de ces actes est fondée au surplus sur la double
considération << que Ie vice caché de la chose vendue qui oblige
Ie vendeur à garantie peut être un vice qui, même s'il n'affecte

( 15) Conclusions inédites citées par extrait, Rw. crit. iur. belge, 1976, p. 412.
(16) Comp., 9 octobre 1980, inédit en cause Babcock-Smulders, sur Ie premier moyen.
LA NOTION FONCTIONNELLE DU VICE CACHÉ 335

pas intrinsèquement la chose, la rend impropre à l'usage auquel,


à la connaissance du vendeur, l'acheteur la destine >>.
et
<< qu'un défaut de 'conformité' quine peut s'apprécier qu'après

l'utilisation du matériau répond à la notion de vice oaché au


sens des articles 1641 et suivants du Code oivil >>.
La filiation du premier de ces attendus avec l'arrêt du 18 no-
vembre 1971 est évidente. Il constitue la reproduction littérale
de la notice de eet arrêt publiée à la Pasicrisie. Il ne s'en déduit
pas que Ie vice non intrinsèque de la chose la rendant impropre
à son usage est, en principe, un vice rédhibitoire mais seulement
qu'il peut être un tel vice.
Le second attendu paraît à première vue énoncer une propo-
sition générale. Toutefois dans Ie contexte de l'arrêt et oompte
tenu de ce que Ie terme conformité se trouve placé entre guille-
mets, il faut, à peine de prêter une contradiction à l'arrêt, oonsi-
dérer que la proposition énoncée dans Ie second attendu ne
s'inscrit que dans les hypothèses ou la théorie fonctionnelle du
vice caché peut être appliquée.
Les conclusions inédites de Monsieur I' A vocat général Colard
sur lesquelles !'arrêt fut rendu relèvent, après avoir rappelé la
teneur de !'arrêt du 18 novembre 1971 : << Il s'agit là d'une
extension de la notion de vice caché, qui paraît unanimement
admise par la doctrine, à tout Ie moins en droit commercial >>.
Dans son état actuel, la jurisprudence de la Cour de cassation
paraît donc avoir pour portée de reconnaître la légalité de la
notion fonctionnelle du vice caché dans les cas ou les parties
s'y sont nécessairement référées, spécialement dans la matière
des ventes commerciales.

6. - Les considérations qui ont amené tant la doctrine que


la jurisprudence des tribunaux de commerce à appliquer puis
à dégager la notion fonctionnelle du vice caché sont essentielle-
ment de deux ordres.
La première est que l'obligation de garantie des vices est une
suite de l'obligation de délivranoe (17). La non conformité serait

(17) Voy. déjà PoTHIER, Traité du contrat de vente, n• 203; GÉRARD, op. cit., n° 11,
p. 260; FAGNART, op. cit., n° 4.
336 L. SIMONT

un vice lorsqu'elle se révèle après l'agréation. L'exercice du


recours de l'acheteur serait en quelque sorte prolongé après
l'agréation en raison de l'erreur qui l'a entachée (18).
La seconde est que la conception traditionnelle du vice de la
chose est insuffi.sante pour rendre compte de toutes les applica-
tions faites par les tribunaux des articles 1641 et suivants du
Code civil : l'acheteur doit recevoir protection dans tous les cas
ou, même en l'absence d'un défaut intrinsèque de la chose, une
caractéristique occulte de celle-ci (différence de qualité ou de
nature, ou d'identité, voire de poids, absence d'une qualité
promise) la rend inapte à sou usage (19).

7. - On sait qu'en matière de vente l'agréation est la recon-


naissance par l'acheteur de ce que la chose livrée est exempte
de vices apparents et conforme à la chose vendue ou la renon-
ciation par lui à se prévaloir de ce qu'elle est affectée d'un tel
vice ou d'un tel défaut de conformité (20).
S'agissant d'une manifestation de volonté, elle peut être
expresse ou tacite (21) mais ne peut intervenir qu'en connais-
sance de cause (22).
On aperçoit dès lors que, s'il fallait admettre avec Fagnart (23)
que la chose affectée d'un vice la rendant impropre à son usage
n'est pas conforme à la chose vendue, la garantie des vices cachés
serait en réalité sans objet. L'obligation du vendeur de délivrer
une chose conforme à la chose vendue suffi.rait à assurer la protec-
tion de l'acheteur. Celui-ci pourrait invoquer à l'encontre du
vendeur qu'il n'a pu, en acceptant la chose, couvrir des défauts
de conformité de cette chose qui n'étaient pas apparents au
moment de la délivrance, qu'il s'agisse d'un défaut de conformité
stricto sensu, comme Ie rendement insuffi.sant d'un appareil dans
certaines conditions de fonctionnement, ou d'un défaut de confor-
mité lato sensu comme l'existence d'un défaut caché de la chose

(18) GHESTIN, La notion de l'erreur dans le droit positif actuel, 1971, n°• 291 et 292;
LE TouRNEAU, • Confonnités et garanties dans la vente d'objets mobiliers oorporels ••
Rev. trim. dr. comm., 1980, p. 231 et s., n°• 33 et 38.
(19) GÉRARD, op. cit., n° 6; FAGNART, op. cit., n°• 4 et 6; CousY, op. cit., n° 153.
(20) DE PAGE, t. IV, 3• éd., n°• 95, 107 et lil; VAN RYN et HEENEN, Principes,
t. III, n° 1697.
(21) DE PAGE, op.cit., n° 109.
(22) Ibid., note 4, p. 151.
(23) Op. cit., n° 4.
LA NOTION FONCTIONNELLE DU VICE CACHÉ 337

la rendant impropre à son usage. Dans l'un et l'autre cas, l'inexé-


cution de l'obligation de délivrance constituerait le fondement
du recours de l'acheteur.

8. - Tel n'est pas le système du Code civil (24) ainsi qu'il


résulte à l'évidence de la réglementation détaillée que ce Code
consacre, de manière distincte, à la garantie des vices cachés (25).
Si le vendeur est tenu à la garantie des vices cachés, c'est parce
que l' acheteur ayant acheté une chose moyennant un prix normal
est en droit d'escompter qu'il pourra tirer de cette chose tout le
parti qu'il était en droit <l'en attendre.
Et si le législateur a ouvert à l'acheteur un recours supplémen-
taire contre le vendeur, distinct aussi bien de celui fondé sur
l'inexécution de l'obligation de délivrance que de celui fondé sur
la nullité pour erreur, c'est en vue de protéger l'acheteur, quine
connaît pas la chose aussi bien que le vendeur, contre la mauvaise
foi de ce dernier.
La garantie des vices cachés donne lieu à des actions spéci-
fiques (article 1644 du Code civil) et, en compensation de la
sévérité ainsi manifestée par le législateur envers le vendeur, est
soumise à un bref délai (article 1648 du Code civil) (26).

9. - Qu'en est-il des défauts de conformité occu\tes de la


chose, qui ne peuvent être décelés au moment de son retirement.
Le vendeur en est en principe responsable.
Il est en effet tenu de délivrer une chose conforme à la chose
vendue, et non pas seulement apparemment conforme à celle-ci.
Dès lors si la chose livrée est entachée d'un défaut de confor-
mité indécelable lors de la livraison, consistant par exemple en
l'absence d'une qualité qu'elle devait revêtir (27), soit parce que

(24) Voy. par contre la loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers
corporele qui assimile la garantie des vices cachés à l'obligation de délivrance (voy.
GÉRARD, « Le cadre juridique de la ve·nte commerciale internationale •• Rev. de la Banque,
1974, pp. 167 et s.).
(25) Sur ce que la responsabilité du vendeur du chef des vices apparent& se
rattache à l'obligation de garantie tout en ayant des liens étroits avec l'obligation de
délivrance, voy. DE PAGE, t. IV, 3• éd., p. 132, 198, 206 et 209; comp. VAN RYN
et HEENEN, Principes, t. III, n° 1683.
(26) Sur ces différents points, voy. DE PAGE, t. IV, 3• éd., n° 170.
(27) Il est habituellement admis que !'absence d'une qualité convenue constitue un
défaut de conformité (voy. DE PAGE, 3• éd., n° 99, 2° , P. A. FORIERS, op.cit., p. 202
338 L. SIMONT

sa nature l'implique, soit parce qu'elle a été promise par Ie


vendeur, ce dernier est en faute. Il n'a pas tenu ce qu'il avait
promis soit expressément, soit implicitement.
Mais à quelle obligation se rattache cette faute?

10. - On sait que, pour les auteurs défendant la définition


fonctionnelle du vice caché, cette faute constitue un manquement
à l'obligation de garantie des vices cachés. Le défaut de confor-
mité devient un vice caché dès lors qu'il est occulte (28).
Cette approche nous paraît illogique, sinon en soi, du moins
dans Ie système du Code civil.
Pourquoi un défaut de conformité cesserait-il d'être traité
comme tel pour être assimilé à un défaut de la chose, pour Ie
seul motif qu'il était indécelable au moment de sa livraison '?
Sans doute Ie législateur aurait-il pu réglementer d'une part
les défauts de conformité apparents et d'autre part les défauts
de conformité occultes, tout en considérant comme indifférente,
dans un cas comme dans l'autre, la question de savoir si ce
manque de conformité résultait ou non d'un défaut de la chose.
Mais tel n'est pas Ie système du Code.
La responsabilité du chef des défauts apparents se rattache
techniquement à la garantie des vices même si elle est mise en
oouvre, de manière anticipée, au moment de la délivrance, par
Ie refus de l'agréation (29).
La responsabilité particulière du chef des vices cachés est,
selon les termes mêmes de l'article 1641 du Code civil, liée à
l'existence d'un défaut caché de la chose.
Le défaut de conformité occulte de la chose nous paraît consti-
tuer, comme tout défaut de conformité ne résultant pas d'un
défaut structurel de la chose, un manquement à l'obligation de
délivrance.
C'est sur cette base que l'acheteur doit mettre en cause la
responsabilité du vendeur.

11. - A la vérité, si une certaine jurisprudence d'abord, une

in fine; compe.rez toutefois Cass., 23 novembre 1939, PaB., I 939, I, 488, spécialement
motifs, p. 492, 2° col.).
(28) Supra, n° 6 et la note 18.
(29) Supra, note 25.
LA NOTION FONCTIONNELLE DU VICE CACHÉ 339

certaine doctrine ensuite, ont appliqué puis élaboré la définition


fonctionnelle du vice caché, c'est sans doute pour assurer à
l' acheteur un recours dans des cas 011 ce recours ne paraissait
plus possible sur base de l'obligation de délivrance parce que la
chose avait été agréée.
C'est là que Ie glissement paraît s'être produit.
La règle selon laquelle l' agréation couvre la conformité de la
chose livrée à la chose vendue (30) résulte de ce que, par cette
agréation, l'acheteur a manifesté sa volonté de reconnaître la
conformité de la chose ou de renoncer à se prévaloir de sa non
conformité (31).
Mais telle qu'elle est énoncée, cette règle n'exprime que Ie
quod plerum que fit : dans !'immense majorité des cas Ie défaut
de conformité de la chose sera apparent, même si cette non
conformité résulte de }'absence d'une qualité que la chose aurait
dû comporter.
Mais si ce défaut de conformité est indécelable par l'acheteur
lors de l'agréation, il est impossible de lui prêter la volonté
d'avoir renoncé à s'en prévaloir (32).
La solution s'impose évidemment si en agréant la chose,
l'acheteur prend soin de préciser que son acceptation ne couvre
pas les défauts de conformité indécelables au moment 011 il
agrée. Mais la même solution doit prévaloir même si l'acheteur
n'a pas pris cette précaution.
La renonciation à un droit est en effet de stricte interprétation
et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre
interprétation (33), ce qui n'est évidemment pas Ie cas dans
l'hypothèse analysée.
En l' absence d'une disposition légale étendant expressément
aux défauts de conformité non apparents les effets de renoncia-

(30) Cass., 25 mars 1954, Pas., l, 656; Cass., 16 avril 1916, Pas., 1917, I,
77 motifs; DE PAGE, t. IV, 3• éd., n° 113.
(31) Supra, n° 7 et les références citées en note 20.
(32) L'e.rrêt de cassation du 6 avril 1916 (Pas., 1917, I, 77, spécialement p. 78, 2• col.
in fine) prend soin de préciser que !'arrêt attaqué a rejeté légalement l'action en
résolution de la vente pour non conformité de la chose livrée parce que la prise de
livraison de cette chose par l'acheteur • établissait implicitement la renonciation de
l'acheteur à se prévaloir des vices apparent.. de la chose livrée •· Voy. aussi MALAURIE,
Encycl. Dalloz, Droit civil, V 0 • Vente • (obligations du vendeur), n° 151.
(33) Jurisprudence constante de la Cour de cassation. Voy. notamment Cass.,
4 novembre 1977, Pas., 1978, I, 270.
340 L. SIMONT

tion qui s'attachent à l'agréation, il nous paraît juridiquement


impossible que celle-ci couvre les défauts de conformité non
décelables par l'acheteur au moment ou il agrée. Ces défauts
de conformité occultes se trouvent en dehors du champ de la
volonté manifestée par l'acheteur quand il agrée (34).

12. - Le régime des défauts de conformité occultes, ne résul-


tant pas d'un défaut caché intrinsèque de la chose, nous paraît
dès lors être le suivant.
Si l'acheteur n'a pas encore agréé expressément ou tacitement
la chose au moment ou, postérieurement à sa livraison, elle se
révèle non conforme, l'acheteur agira contre le vendeur sur base
de l'inexécution par ce dernier de l'obligation de délivrance (35).
C'est au vendeur qu'incomberait en ce cas la preuve de ce que
la chose a été agréée.
Si le défaut de conformité ne se révèle que postérieurement à
l'agréation, l'acheteur agira pareillement contre le vendeur sur
base de l'obligation de délivrance mais à charge de prouver (36)
1° que le défaut de conformité était indécelable au moment de
l' agréation ;
2° qu'il a protesté dès que ce défaut s'est révélé ou dès le moment
ou il a dû normalement en avoir connaissance (37).

13. - L'analyse proposée nous paraît respecter, mieux que


la théorie du vice fonctionnel, la cohérence du système voulu,
à tort ou à raison, par le législateur de 1804 (38).

(34) C'est pour des motifs identiques que la Cour de cassation a décidé que, en
matière de contrat d'entreprise, la réception ne couvrait pas les vices cachés autres
que ceux rentrant dans Ie champ de la garantie décennale (voy. Cass., 13 mars 1975,
Paa., 1975, 1, 708 et la note W.G. sous Cass., 18 octobre 1973, Paa., 1974, I, 185,
spécialement p. 187 et 188, 11 • col.); voy. aussi in/ra, note 39.
(35) Cette hypothèse nous paraît confirmer la nécessité d'assurer un régime unitaire
à la non conformité ne résultant pas d'un défäut structurel de la chose : comment
admettre, sans verser dans !'arbitraire, qu'un même défäut de conformité, se révélant
après la délivrance, soit traité comme un vice caché si l'agréation a eu lieu au moment
de la délivrance, et comme un manquement à l'obligation de délivrance si l'agréation
a été conventionnellement retardée et si Ie défäut de conformité s'est révélé avant
celle-ci?
(36) Sur ce que la charge de la preuve incombe à l'acheteur, demandeur à l'action
fondée sur l'inexécution de l'obligation de délivrance, voy. VAN RYN et HEENEN,
Principes, t. 111, n° 1701; HEENEN, note à la Rev. crit. jur. beige, 1952, p. 201; SIMONT
et DE GAVRE, • Examen de jurisprudence ,, Rev. crit. jur. beige, 1969, n° 26, p. 560.
(37) On observera que c'est en principe seulement que l'agréation doit se faire en
une seule fois (VAN RYN et HEENEN, Principes, t. 111, n° 1699).
(38) Si, comme l'enseigne GHESTIN (op. cit., n° 292) l'agréation de la marchandise
LA NOTION FONCTIONNELLE DU VICE CACHÉ 341

On observera aussi que cette analyse assure à l'acheteur une


protection plus complète que celle résultant de la notion fonc-
tionnelle du vice caché.
L'acheteur, agissant sur base de l'inexécution de l'obligation
de délivrance, a droit à une indemnisation complète, même si
Ie vendeur ignorait Ie défaut de conformité de la chose livrée
par lui alors que l'acheteur exerçant une des deux actions
prévues par l'article 1644 n'obtiendra les dommages-intérêts
complémentaires à la restitution du prix que s'il prouve que Ie
vendeur connaissait Ie vice. Cette dernière solution constitue
une dérogation au droit commun de la responsabilité contrac-
tuelle ce qui constitue une raison de plus de donner une inter-
prétation restrictive aux conditions d'application de la garantie
des vices cachés.
Il échet enfin d'observer que, dans !'analyse proposée, la notion
du vice caché fonctionnel ne conserverait plus guère d'utilité,
même dans Ie domaine de la vente commerciale.
D'une part en effet cette analyse fait rentrer Ie défaut de
conformité occulte non structurel dans la sphère de l'obligation
de délivrance au lieu de l'introduire, par assimilation (39), dans
celle de la garantie des vices cachés.
D'autre part, il ne se conçoit pas que, la notion du vice caché
fonctionnel fût-elle même applicable, l'acheteur puisse exercer
une des actions prévues par l'article 1644 du Code civil s'il a
agréé la chose après que Ie défaut de conformité occulte se soit
révélé. Le défaut caché, connu de l'acheteur, est traité comme
un vice apparent s'il est passé outre à la vente (40) et ne donne
dès lors pas lieu à garantie (Code civil article 1642).

14. - Résumons-nous.
a) La cause d'impropriété de la chose à son usage quine résulte
pas d'un défaut structurel de la chose ne constitue pas un vice

inapte à son usage en raison d'un défäut de conformité occulte est viciée par une
erreur de l'acheteur, n'est-il pas plus logique que cette non conformité trouve sa sanc-
tion dans l'obligation de délivrance, plutót que dans la garantie des vices cachés ....
(39) L'assimilation du défäut de conformité occulte au vice caché s'apparente au
procédé de la fiction, laquelle selon DEKKERS (La fiction iuridique, n• 135 ets.) est une
assimilation inexacte, nécessaire et limitée. Or en l'espèce l'assimilation n'est pas
nécessaire puisque la protection de l'acheteur peut être réalisée dans Ie cadre de
l'obligation de délivrance.
(40) DE PAGE, t. IV, 3• éd., n• 180.
342 L. SIMONT

de la chose, mais un défaut de conformité même si cette cause


d'impropriété était indécelable par l'acheteur lors de la livraison.
Ce défaut de conformité constitue un manquement à l'obliga-
tion de délivrance.
L'agréation de la chose ne fait pas obstacle à l'exercice par
l'acheteur de l'action fondée sur cette inexécution de l'obligation
de délivrance.
Si cette analyse était admise, elle su:ffirait à assurer la protec-
tion de l'acheteur, même dans la vente commerciale.
La théorie extensive (41) du vice caché, qui paraît aujourd'hui
généralement admise par la doctrine commercialiste (41), devien-
drait dès lors sans objet.
b) Si par contre notre analyse ne devait pas être admise, la
notion fonctionnelle du vice caché devrait être reconnue (42),
mais alors de manière générale, sans distinguer entre le droit
commun de la vente et le droit des ventes commerciales. Il ne
saurait en effet être admis que le vendeur échappe à la responsa-
bilité qu'il doit encourir du chef d'un défaut de conformité de
la chose livrée au seul motif que cette non conformité était
indécelable au moment de l'agréation (43).
c) Enfin, que notre analyse soit admise ou non, on doit nous
semble-t-il se poser la question de savoir si, en matière de vente
commerciale, il ne conviendrait pas, de lege ferenda de fondre
la notion de vice de la chose dans celle, plus large, d'atteinte
à sa conformité (44).
Pareille réforme constituerait une nouvelle manifestation de
l'originalité du régime de la vente commerciale (45) et présen-
terait l'intérêt d'assurer l'unité de ce régime en instaurant, pour
toute vente commerciale, des règles inspirées de celles que prévoit
la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers
corporels.
Bruxelles, janvier 1981.

(41) Cf. les conclusions de M. l'Avocat général Colard citées supra, n° 5.


( 42) Fftt-ce en méconnaissant les catégories établies par Ie législateur de 1804 :
voy. supra, n° 8 et 10.
(43) Voy. supra, n° 9.
(44) Voy. P. A. ForuERS, op. cit., p. 219.
(45) Sur cette originalité, voy. VAN RYN et HEENEN, op. cit., à 1667 et 1669;
GÉRARD, note précitée, n° 15, p. 624.
Responsahilité civile et assurance
PAR

A. TUNC
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE PARIS l
p ANTHÉON-SORBONNE

Les problèmes de responsabilité civile sont encore trop souvent


considérés en eux-mêmes, sans égard à l'influence qu'exercent
dans Ie fonctionnement effectif de la responsabilité civile deux
institutions aujourd'hui fondamentales : l'assurance, et la sécurité
sociale (1). Dans ces pages, écrites à la mémoire d'un esprit
particulièrement ouvert à l'observation des phénomènes contem-
porains, on voudrait, sinon examiner cette incidence dans son
ensemble, du moins présenter un tableau des rapports de l'assu-
rance et de la responsabilité civile, notamment de la responsa-
bilité civile délictuelle et quasi délictuelle (2).
Assurance et responsabilité sont des institutions concurrentes
et, semble-t-il, ennemies. L'une et l'autre, en effet, sont des
techniques de réparation d'un dommage. Mais, alors que la
responsabilité vise à faire assumer par une personne ou exception-
nellement par quelques-unes la charge d'un dommage, l'assurance
entend répartir cette charge aussi largement que possible, afin
qu'elle soit aussi légère que possible sur ceux qui devront la
supporter. La responsabilité, d'ailleurs, se rattache historique-
ment à un blame social du responsable pour une faute normale-
ment délibérée, alors que I' assurance tend à donner une sécurité
à l'encontre de risques essentiellement accidentels.
Deux institutions aussi différentes, mais aussi étroitement
concurrentes, ne pouvaient fonctionner sans interférences. Pour
n'en donner qu'un exemple particulièrement frappant, quand

(I) V. pourtant R. LIENARD et R. DALCQ, • Responsabilité, assurance et solidarité


sociale dans l'indemnisation des dommages •• Rapporta belgea au VIII• Oongrèa inter-
national de droit comparé, préfäce J. LIMPENS, 1970, p. 157 et s.
(2) Cf. J. HELLNER, • Tort Liability and Liability Insurance •• 6 Sc. St. in Law
129 (1962); B. BENGTSSON, « Contractual Liability and Liability Insurance. A com-
parative Study •• 6 Sc. St. in Law 33 (1962).
344 A. TUNC

assurance et responsabilité se rejoignent dans l'assurance de


responsabilité, Ie résultat est plus ou moins nécessairement l'effa-
cement de la responsabilité. C'est ainsi que nous continuons à
<lire que toute faute oblige son auteur à réparer Ie dommage
qui en résulte alors qu' en matière d' accidents de la circulation
(une activité qui en France blesse tous les jours 1.000 personnes
et en tue 40), on ne répond plus civilement, du fait de l'assurance
obligatoire, des conséquences de ses fautes.
Ces deux ennemis ont pourtant parfois fait cause commune :
il faut les voir se prêter un mutuel appui avant de les regarder
s'opposer.

1. - L'EXPANSION CONJOINTE DE L'ASSURANCE


ET DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

L'assurance s'est créée indépendamment de la responsabilité


civile. Elle a son origine dans Ie désir de partager les risques d'ex-
péditions maritimes. Elle ne date pourtant que du XVII 0 siècle
pour l'assurance maritime, du XVIII 0 siècle pour l'assurance
terrestre (3). Au XIX 0 siècle, la responsabilité civile a suscité
un nouveau type d'assurance : l'assurance de responsabilité, et
celle-ci est devenue un secteur fondamental de l'assurance : en
1979, en France, sur un total d'encaissement de primes de
100 milliards, la part de l'assurance automobile, largement assu-
rance de responsabilité, approchait 30 milliards et l'assurance
responsabilité civile hors automobile approchait 5,5 milliards (4).
Cette expansion de l'assurance de responsabilité ne s'est pas
réalisée sans difficulté (5). La France a sans doute été en ce
domaine à !'avant-garde du progrès. Dès 1841, Ie Tribunal de
commerce de la Seine admettait l'assurance de responsabilité
du conducteur d'un cheval, responsable de plein droit d'un
accident de la circulation en vertu de l'article 1385 Code civil.
Sa décision était approuvée par la Cour d'appel de Paris en 1845.

(3) M. PICARD et A. BEssoN, Les assurances terrestres en droit français, t. I : Le


contrat d'assurance, 4• éd. par A. BEssoN, 1975, n° 2.
(4) V. F. GENTILE, • Rapport sur l'évolution économique de l'assurance française
en 1979 •• Rev. gén. aas. terr., 1980, p. 424 et s. Comparer D. COLLIGNON et H. Bou-
CHAERT, « L'évolution des assurances au cours de l'exercice 1978 », Rev. gén. aas. terr.,
1980, p. 313 ets.
(5) Cf. A. BESSON, op. cit. (note 3), n° 353; A. TUNC, La responsahilité civile, 1981,
n°• 90-92.
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 345

Vingt ans plus tard, le gouvernement autorisait expressément


les compagnies d'assurance à couvrir la responsabilité civile. Il
fallut pourtant attendre 1876 pour que la Cour de cassation
déclare l'assurance valable même devant la preuve d'une négli-
gence et 1930 pour que la loi permette la couverture de la faute
lourde, celle de la faute intentionnelle restant seule exclue.
Aux Etats-Unis, l'assurance de responsabilité n'a guère été
admise qu'autour de 1910 et l'on a encore plaidé la question de
sa validité en 1925. En Union soviétique, l'assurance de respon-
sabilité reste bannie. Il a fallu les Jeux Olympiques pour qu'elle
soit temporairement admise en matière automobile et au seul
profit des touristes étrangers. Elle est à nouveau condamnée par
la volonté de lutter énergiquement contre le laisser-aller.
En France, non seulement l'assurance de responsabilité est
licite, mais elle est obligatoire dans des domaines de plus en plus
nombreux. La simple liste des assurances obligatoires occupe
près de vingt pages dans un manuel récent (6). Elle couvre des
activités très diverses dans le domaine des transports, des sports,
des loisirs, de l'exercice des professions, etc.
Quand elle n'est pas obligatoire, l'assurance de responsabilité
est de plus en plus spontanément contractée en réponse à l'expan-
sion de la responsabilité civile. Le << père de famille >> assure sa
responsabilité et celle des membres de sa famille. Les membres
des professions libérales s'assurent même quand ils n'y sont pas
obligés. Mais surtout les entreprises, à moins qu'elles n'estiment
pouvoir couvrir tous les risques de responsabilité que leur impose
le droit moderne, les font couvrir par une assurance (7). On voit
maintenant en France, comme depuis quelque temps déjà aux
Etats-Unis, les dirigeants de sociétés couvrir leur responsabilité
éventuelle - ou plutöt la faire couvrir par la société, c'est-à-dire
aux frais même des actionnaires qui les poursuivraient en respon-
sabilité civile.
Réciproquement, il est clair que l'assurance apporte à la
responsabilité civile un soutien puissant. On ne remarque même
plus qu'elle garantit l'efficacité de l'obligation de compenser le
dommage quand cette compensation dépasse les ressources du

(6) Y. LAMBERT-FAIVRE, Droit des assurances, 3• éd., 1979, p. 14-30. Cpr A. BESSON,
op. cü. (note 3), n° 3.
(7) Cf. Y. LAMBERT-FAIVRE, Assurance des entreprises et des profesaiona, 1979.
346 A. TUNC

<< responsable >>. C'est essentiellement pour cette raison que le

législateur multiplie les assurances de responsabilité obligatoires.


Il est non moins clair que l' assurance de responsabilité a été
et reste un facteur d'expansion de la responsabilité civile (8).
Jamais les tribunaux français n'auraient donné à l'article 1384,
alinéa 1er, Code civil l'interprétation que l'on sait s'ils n'avaient
eu le sentiment que le << responsable >> du fait de la chose est
normalement couvert par une assurance. Aujourd'hui encore,
la lecture de certaines décisions judiciaires donne le sentiment
que les juges ont cherché dans la responsabilité civile le moyen
de faire couvrir un dommage accidentel par une assurance. Des
enquêtes semblent avoir établi que 90 ¾ des piétons victimes
d'accidents de la circulation le sont à la suite d'une << faute >> de
leur part, mais qu'ils sont indemnisés dans la même proportion,
ou même à 95 %. Et la Cour de cassation proclame ouvertement
sa volonté de rendre << très exceptionnelle >> l'exonération du
gardien de la chose qui a causé un dommage (9). On ne peut
que l'en louer : les accidents de la circulation constituent le
champ de beaucoup le plus important de la responsabilité du
fait des choses; or, c'est un paradoxe tragique qu'en ce domaine,
on ne réponde plus du dommage que l'on cause à autrui, fût-ce
par une faute criminelle, mais que la responsabilité civile ne
fonctionne plus que pour rechercher si la victime n' a pas commis
quelque erreur - et qu'ainsi le droit ne décourage pas de tuer
ou blesser, mais seulement, ce qui est bien inutile, de se faire
tuer ou blesser (10).
On pourrait multiplier les exemples. On relèvera simplement
que la responsabilité des fabricants ne se serait certainement pas
développée comme elle l'a fait en France ou aux Etats-Unis (11)

(8) Cf. J. HELLNER, op. cit. (note 2), 151.


(9) Rapport de la Cour de cassation pour l'année judiciaire 1978, p. 71; Rapport
de la Cour de cassation pour l'année judiciaire 1979, p. 68.
(10) Cf. A. TuNc, op. cit. (note 5), n°• 88, 93.
( 11) Pour des études comparatives sur la responsabilité des fabricants, v. not. MILLE&
and LOVELL, Product Liability (1977); TEBBENS, International Product Liability. A Study
of Comparative and International Legal Aspects of Product Liability (1979); STUCKI
and ALTENBURGER, Product Liability : A Manual of Practice in Selected Nations
(2 vol., 1980); P. MAREE, Nouveaux développements en matière de reeponeabilité du fait
des produite en droite américains et Jrançaie (en préparation). V. aussi FACULTÉ DE
DROIT D'Atx•EN-PROVENCE, La reponsabilité du fäbricant dans les Etats membres
du Marché Commun, 1974; UNIVERSITÉ DE PARIS 1, La responsabilité des fäbricants
et distributeurs (sous la direction de c. GAVALDA), 1975; Y. LAMBERT-FAIVRE, op. cit.
(note 7), n°• 728-747; P. LE ToURNEAU, • Conformité et garanties dans la vente d'objets
mobiliers corporele», Rev. trim. dr. comm., 1980, p. 231 et s., spéc. n°• 28-52, 81-116.
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 347

si les tribunaux n'avaient considéré la possibilité pour les fabri-


cants de se protéger par une assurance.
Un éminent auteur anglais, Ie professeur J. A. Jolowicz, écrit
même que la question fondamentale que pose aujourd'hui la
responsabilité civile dans Ie domaine des dommages accidentels
est de savoir qui peut Ie plus aisément supporter les risques, soit
personnellement, soit par l'assurance (12).
Cette vue des choses peut surprendre. Elle s'intègre pourtant
dans une constatation plus générale : c'est que l'existence de
l'assurance requiert un droit de la responsabilité civile clair et
simple, dans son énoncé comme dans son fonctionnement. Le
droit de la responsabilité civile s'efforçait traditionnellement de
faire justice entre deux personnes, d'équilibrer leurs intérêts et
de peser leur comportement. Cet effort a aujourd'hui largement
perdu sa raison d'être. L'assurance permet que la charge de
compenser Ie dommage ne pèse plus sur un homme, mais sur
une mutualité. Surtout en matière contractuelle, mais même
en matière délictuelle, que la charge d'un risque pèse sur l'une
ou l'autre des parties devient donc souvent une question relative-
ment secondaire. Ce qui est essentie! est qu'elle soit clairement
attribuée, pour que Ie << responsable >> éventuel puisse se protéger
par une assurance : c'est ce qu'on a immédiatement constaté
quand on a élaboré Ie droit de la responsabilité pour dommage
nucléaire. En matière contractuelle, cette attribution s'intègre
dans !'ensemble des négociations des parties : c'est à elles à voir
qui doit Ie plus raisonnablement et qui peut Ie plus pratiquement
couvrir un certain risque, la décision ayant d' ailleurs une réper-
cussion sur Ie prix. En matière délictuelle, et surtout en ce qui
concerne les dommages corporels, l'attribution doit se faire en
fonction de critères sociaux : l'intérêt de la victime et de sa
famille et l'intérêt public même, qui postule que victime et
famille ne soient pas laissées dans la détresse, l' allègement des
coûts de fonctionnement de !'ensemble assurance-responsabilité
et, en particulier, l'allègement de la charge des tribunaux, la
prévention et, dans certains cas, Ie souci de ne pas faire supporter
à la mutualité des assurés un fardeau excessif.
On remarquera au passage que l'application de ces critères

(12) v. WINFIELD and JoLOWICZ on Tort 28-29 (11th ed. by ROGERS). Cfr G. VINEY,
Le déclin de la responsabilité individuelle, 1965, n°• 249-361.
RENÉ DEKKERS. - 23
348 A. TUNC

conduit à l'indemnisation de toutes les victimes d'accidents de


la circulation sans recherche des fautes. Si l'on veut bien voir
la réalité, à savoir que la circulation automobile ne peut s'effec-
tuer sans risques - !'American Automobile Association déclare
d'ailleurs que moins de 5 % des accidents ont une faute pour
origine ou moins de 10 % en cas de collision d'un véhicule auto-
mobile avec un obstacle fixe - , tout concourt à faire porter
la charge de ce risque par ceux qui Ie créent : Ie souci d'indemniser
les victimes, celui d'accélérer les règlements et de réduire leur
coût et celui de décharger les tribunaux. Il est vrai que la mutua-
lité des automobilistes ne doit pas supporter un fardeau excessif,
mais, en justice comme en pratique (notamment après la suppres-
sion des gaspillages actuels), on ne voit pas pourquoi elle ne
supporterait la charge des risques qu'elle crée et pourquoi elle
prétendrait, par la sécurité sociale, en faire partager la charge
aux non-automobilistes. Il est vrai aussi que, dans une activité
dont Ie coût en vies humaines et en infirmités est aussi élevé, la
prévention doit être un souci majeur. Mais, autant est dérisoire
sur Ie plan de la prévention un droit assurant l'impunité à ceux
qui créent Ie risque et nous incitant seulement à ne pas nous
faire tuer ou blesser - c'est Ie droit actuel, on l'a constaté - ,
autant on peut espérer parvenir à une certaine prévention en
aménageant l'assurance pour qu'elle n'oblitère pas entièrement
la responsabilité.
Ce souci nous conduit à examiner Ie second volet du tableau
que nous voudrions brosser.

ll. - LE HEURT DE L' ASSURANCE


ET DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

On a pu constater dès Ie début de cette étude, non seulement


l'opposition d'objectif et de technique de l'assurance et de la
responsabilité civile, mais, plus précisément, l'anéantissement
de la responsabilité civile par l'assurance dans la mesure ou
celle-ci est une assurance de responsabilité. On comprend que
eet anéantissement ne soit pas totalement admissible et que,
par conséquent, la sauvegarde d'une certaine responsabilité civile
exige que soit limité Ie domaine de l'assurance.
L'assurance peut-elle couvrir les conséquences d'une faute
pénale? On serait tenté de penser qu'une réponse négative va
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 349

de soi. Ce serait pourtant une erreur. L'automobiliste qui, par


maladresse, imprudence, inadvertance, inobservation des règle-
ments, a tué ou blessé autrui, a par là même commis un délit.
Il ne doit cependant pas être privé du bénéfice de l'assurance.
Une distinction s'impose entre les délits intentionnels et les
autres : autant l'assurance est inconcevable pour les premiers,
autant il est souhaitable qu'elle puisse couvrir les conséquences
des seconds (13).
Ce qui, à vrai dire, est inconcevable, ce n'est pas seulement
la couverture par l'assurance des conséquences d'un délit inten-
tionnel, mais, plus généralement, celle des conséquences d'une
faute dolosive, commise avec l'intention de causer Ie dommage,
qu'elle constitue ou non une infraction pénale (14). Moralement,
il serait choquant que I' on n' ait pas à répondre des conséquences
d'une faute intentionnelle. Techniquement, l'assurance ne peut
couvrir que des événements comportant un élément d'aléa.
Le législateur a été plus loin en certains domaines. Ainsi, en
matière d'accidents du travail, non seulement la faute inten-
tionnelle de I' employeur ou de ses préposés réintroduit Ie droit
commun de la responsabilité civile (15), mais l'article L. 468-3°,
2e alinéa, du Code de la sécurité sociale interdit de se garantir
par une assurance contre les conséquences de sa propre faute
inexcusable et précise que }'auteur d'une telle faute en est
responsable sur son patrimoine personnel (16). Plus récemment,
la loi du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance
dans Ie domaine de la construction a institué comme << déchéance >>
(inopposable à la victime) du bénéfice de l'assurance de respon-
sabilité << l'inobservation volontaire ou inexcusable des règles de
l'art. >> (17).
L'assurance peut aussi, par les stipulations des parties, n'offrir
à l'assuré qu'une protection partielle contre les conséquences
de sa responsabilité : elle peut contenir des clauses d'exclusion,

(13) Cf. A. BESSON, op. cit. (note 3), n° 67; Y. LAMBERT-FAIVRE, op. C'it. (note 6),
n° 119.
(14) A. BESSON, op. cit. (note 3), n°• 66-68; Y. LAMBERT-FAIVRE, op. cit. (note 6),
n°• 116-133; G. BRIÈRE DE LISLE, La faute dolosive. Tentative de clarification, D. 1980,
chr. 133; Civ., 1'• civ., 25 mars et 7 rnai 1980, D., 1981, 21 et note G. BRIÈRE DE
LISLE.
(15) v. J. J. DUPEYROUX, Sécurité sociale, 8• éd., 1980, n° 213.
(16) Ibid., n° 218.
(17) Cf. Y. LAMBERT-FAIVRE, op.cit. (note 7), n° 894.
350 A. TUNC

de limitations oude découverts. Ces clauses ne sont pas toujours


valables dans Ie cadre d'une assurance obligatoire, car elles
pourraient restreindre la protection que Ie législateur veut accor-
der aux tiers. Mais on voit aussi Ie législateur en imposer. C'est
ainsi que la loi précitée du 4 janvier 1978 exige que Ie contrat
d'assurance comporte un découvert obligatoire (18).
De même, les assureurs se sont efforcés de << personnaliser >>
l'assurance : d'accroître les primes des clients qui ont trop
souvent besoin de leur couverture et de réduire au contraire les
primes de ceux qui depuis un certain temps n'ont pas déclaré
de sinistre. Cette modulation des primes est destinée à << mora-
liser >> l'assurance, même si elle n'y réussit qu'imparfaitement
(il y a une part de malchance dans !'accident, par hypothèse).
On comprend donc que, là encore, le législateur l'ait parfois
imposée. C'est ce qu'il a fait en matière d'assurance automo-
bile (19).
Enfin, si l'assurance de responsabilité exclut la responsabilité
dans la mesure ou elle s'applique, il n'en est pas de même, en
France du moins, des autres assurances de dommages. C'est un
principe fondamental, énoncé par l'article L. 121.12 du Code des
assurances, que << l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance
est subrogé jusqu'à concurrence de cette indemnité dans les
droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait,
ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de
l'assureur >> (20).
Il ne faudrait pas croire que, de la coexistence difficile de
l'assurance et de la responsabilité civile, la première soit seule
victime. Si Ie souci d'une certaine responsabilité civile a exigé
que soit limité Ie domaine de l'assurance, on a vu, réciproque-
ment, l'assurance réduire Ie champ de la responsabilité civile.
Un exemple classique du phénomène est celui de l'indemnisa-
tion des victimes d'accidents du travail. Jusqu'en 1898, en
France, ces victimes n'ont pu espérer une indemnisation que
dans le cadre de la responsabilité civile. La loi de 1898 leur a
donné droit à l'encontre de !'entrepreneur à une indemnisation

(18) Ibid., n° 893. Cpr. A. BESSON, op.cit. (note 3), n° 179.


(19) Cf. Y. LAMBERT-FAIVRE, op. cit. (note 6), n° 313.
(20) Cf. A. BESSON, op. cit. (note 3), n°• 327-348; Y. LAMBERT-FAIVRE, op. cit.
(note 6), n°• 239-248.
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 351

automatique, mais forfaitaire et partielle. La loi de 1898 mainte-


nait encore l'indemnisation dans un cadre de responsabilité civile,
quitte à créer un Fonds de garantie pour protéger Ie salarié du
risque d'insolvabilité de l'employeur. L'immense majorité des
employeurs, cependant, se protégeaient de la responsabilité par
une assurance. Et leur responsabilité devint aussi théorique que
l'est actuellement celle de !'automobiliste quand la loi de 1905
décida qu'au cas ou !'accident était couvert par une assurance
de responsabilité, l'indemnité devrait être réclamée directement
et exclusivement à l'assureur. Aujourd'hui, l'indemnisation est
sortie du cadre de la responsabilité civile : depuis la Ioi du
30 octobre 1946, elle est prise en charge par la sécurité sociale (21).
D'autre part, quand on envisage les rapports de l'assurance
et de la responsabilité civile, il faut se garder de n'envisager que
l'assurance de responsabilité : il faut considérer aussi les assu-
rances de choses et les assurances de personnes. Or, dans certains
cas, l'assurance prise directement par une victime éventuelle
peut présenter de grands avantages sur un régime de responsa-
bilité civile même couvert par une assurance.
Il faut souligner Ie fait, car il peut être riche de conséquences.
L'avantage Ie plus évident de l'assurance directe par rapport
à l'assurance de responsabilité (que I'on peut appeler << assurance
adverse >>) est de réduire les frais et les délais des règlements.
Considérons par exemple les milliers de petites collisions qui se
produisent tous les jours entre automobilistes, n'entraînant que
des dommages matériels. L'expérience (confirmée par au moins
une enquête) montre que chacune des parties va rejeter la respon-
sabilité de !'accident sur l'autre. Les assureurs vont en faire
autant. On plaidera ou on renoncera à plaider. Mais il y aura
au moins un long échange de correspondance et, pour un résultat
d'une justice douteuse, un extraordinaire gaspillage d'énergie
humaine, d'argent et de temps. Il est évidemment beaucoup
plus économique que Ie problème soit examiné entre chacun des
assureurs et son client, surtout si l'on parvient à en éliminer la
question de la responsabilité.
D'autre part, I'assurance directe encourage l'honnêteté alors
que l'assurance adverse encourage la malhonnêteté. On a cité,

(21) Cf. J. J. DuPEYROUX, op. cit. (note 15), n° 23.


352 A. TUNC

notamment en France et en Angleterre, des assureurs qui cul-


tivent leur réputation de mauvaise foi en portant jusque devant
les juridictions les plus élevées des litiges qu'ils savent avoir
beaucoup de chances de perdre : c'est un investissement, car
leur mauvaise réputation leur permettra d'obtenir plus facilement
des transactions abusives. De leur cöté, en face d'un assureur
adversaire, que l'on espère ne plus revoir, les victimes essaient
couramment de majorer leur dommage. Un assureur et une
victime qui se connaissent et qui vont rester en rapport ont plus
de chances de négocier honnêtement et d'aboutir à un règlement
raisonnable. En ce qui concerne l'assureur, d'ailleurs, dès lors
qu'il doit indemniser ses clients, c'est sa bonne réputation, et
non sa mauvaise, qu'il doit soigner, s'il veut conserver et déve-
lopper une clientèle.
L' assurance directe permet également une meilleure répartition
des risques. Un piéton londonien ayant mis Ie pied sur la chaussée
parce que Ie trottoir était encombré, avait été renversé par un
motocycliste. Lui-même n'avait pas été blessé, mais Ie moto-
cycliste, déséquilibré par Ie choc, s'était tué. Le tribunal a
condamné Ie piéton à verser à la veuve, sa vie durant, une
rente qui représentait une fraction importante de son salaire.
On ne peut conduire une motocyclette sans courir des risques.
Le droit n'eût-il pas été plus satisfaisant s'il avait imposé au
motocycliste une assurance Ie protégeant des risques auxquels
il s'expose en même temps que des risques qu'il crée pour autrui 1
C' est pour cette raison aussi que Ie droit anglais est si réticent à
l'égard de la réparation du préjudice économique. Si l'on consi-
dère qu'un petit entrepreneur, effectuant quelque travail sur un
chemin communal, risque de couper, par ignorance, Ie cable qui
alimente en électricité une usine importante, n'est-il pas d'un
meilleur aménagement des relations sociales de demander à
!'exploitant de l'usine de faire, s'il Ie désire, couvrir par une
assurance Ie risque d'interruption dans l'exploitation (qui peut
avoir bien des causes internes ou externes à l'usine) plutöt que
de faire jouer la responsabilité civile pour ruiner, sans d'ailleurs
réaliser l'indemnisation, un petit artisan à qui on ne reproche
rien d'autre que d'avoir omis de procéder à une vérification 1
L'assurance directe, enfin, est plus souple que la responsabilité
civile, puisqu'elle permet aux victimes éventuelles de décider
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 353

elles-mêmes des cas ou elles désirent l'indemnisation, ainsi


que du montant et des modalités de celle-ci.
On comprend alors que l'assurance directe gagne du terrain
(assez rapidement même, à l'heure actuelle) aux dépens de la
responsabilité civile et de l'assurance de responsabilité civile.
En 1922, Ie législateur français, ajoutant un alinéa à l'ar-
ticle 1384 Code civil, décidait que Ie détenteur d'un bien dans
lequel un incendie prend naissance n'est responsable du dommage
causé par l'incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué
à sa faute ou à la faute des personnes dont il répond. Le détenteur
échappe donc à la responsabilité de plein droit que la jurispru-
dence française fonde sur I' article 1384, alinéa 1er, Code civil.
Ce te:xte a récemment été critiqué par la Cour de cassation (22).
La critique était légitime dans Ie cadre de l'une des espèces
citées par la Cour : les families de personnes asphy:xiées dans
un incendie n'avaient pas été indemnisées. Mais, si la portée de
ce texte était réduite aux dommages causés au:x immeubles - ce
qui est dès à présent son domaine essentie! - , la solution donnée
ne serait-elle pas raisonnable? Alors que pratiquement tous les
immeubles sont assurés contre l'incendie, ainsi d'ailleurs que
contre des risques divers, faut-il faire peser sur la ménagère qui
aura causé un incendie par un geste malheure1lX, ou sur Ie ménage
dans !'appartement duquel un court-circuit st '!era produit, la
responsabilité de la destruction d'un bloc d'immeubles?
C'est également en considérant que Ie propriétaire d'une ferme
ne manque pas de contracter une assurance contre l'incendie et
que l'e:xploitation d'une ferme ne peut se faire sans risques
d'incendie que l'ordonnance du 17 octobre 1945 sur Ie fermage,
par une disposition reprise dans l'article 854 Code rural, a fait
de l'assurance une obligation pour Ie bailleur et a supprimé tout
recours du bailleur ou de son assureur à l'encontre du preneur,
sauf en cas de faute grave de sa part. On peut regretter que la
jurisprudence n'ait pas mieux compris la justification de cette
loi et qu' elle ait donné une interprétation très large de la notion
de faute lourde afin de faire jouer Ie plus possible la responsabilité
civile (23).

(22) Rapport de la Cour de cassation pour l'année judicia.ire 1979, p. 68-69.


(23) Cf. H. et L. MAZEAUD et A. TuNc, Traité th. et prat. de la resp. civ., t. 1, 6• éd.,
1966, n° 691-2 et note 15 et n° 706-15 et note 9.
354 A. TUNC

C'est pourtant en matière d'accidents de la circulation que


l'on voit l'assurance directe prendre une place de plus en plus
importante aux dépens de l'assurance adverse. C'est en 1965 que
les professeurs Robert Keeton et Jeffrey O'Connell demandaient
que toutes les victimes d'accidents de la circulation reçoivent
sans recherche des responsabilités une << indemnisation fondamen-
tale >> et que cette indemnisation leur soit versée Ie plus possible
par leur assureur (24). A la fin de l'année précédente, au sein
d'une commission réunie par le Garde des Sceaux, nous deman-
dions pour toutes les victimes d' accidents de la circulation une
indemnisation sans recherche des responsabilités et en principe
intégrale (sous réserve d'un plafonnement à un niveau très élevé
et de l'élimination de la plupart des préjudices non-économiques).
l'indemnisation devant venir, pour tous les occupants d'un véhi-
cule automobile, de l'assureur de celui-ci (25).
Ce projet s'est à l'époque heurté à trop d'oppositions pour
voir le jour (mais nous ne désespérons pas ... ). Les avantages
de l'assurance directe, cependant, n'ont pas échappé aux assu-
reurs français, d'autant plus que cette révolution de l'assurance
automobile faisait son chemin, aux Etats-Unis, dans les esprits
et, dans une certaine mesure, dans les lois. Pour le règlement
d'abord des accidents n'ayant entraîné que des dommages maté-
riels, ils ont mis au point une convention, ratifiée par la plupart
d'entre eux et entrée en application en 1968, qui permet l'indem-
nisation directe des parties à une collision, non pas intégrale-
ment, mais selon leur responsabilité présumée, déterminée par
des schémas de circonstances (26). En principe, les assureurs en
cause procèdent ensuite à des règlements entre eux - si, par
exemple, l'un des conducteurs est censé sans faute, son assureur
a dû l'indemniser intégralement, et donc demandera à I' autre
assureur le remboursement intégral de ce qu'il aura dû verser.
Cependant, diverses conventions professionnelles simplifient ou

(24) KEETON and O'CoNNELL, Basic Protection for the Traffic Victim. A Blueprint
for Reforming Automobile Insurance (1965).
(25) Nous avons ensuite publié à ce sujet un petit ouvrage : La sécurité routière.
Esquisse d'une loi sur les accidents de la circulation (1966).
(26) Par exemple, en cas de collision de deux véhicules roulant dans Ie même sens,
la responsabilité entière de !'accident incombe au conducteur du véhicule arrière; en
cas de collision de deux véhicules roulant sur la même voie (on serait tenté de dire :
parallèlement), la responsabilité est partagée par moitiés entre les conducteurs, etc.
v. Y. LAMBERT-FAIVRE, op.cit. (note 6), n°• 319 -321; J. BED0UR, Quand f'étais a88U•
reur, 1980, p. 169 ets.
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 355

suppriment ces recours (27). Cette convention, dite I.D.A. (pour :


«indemnisation directe des assurés >>), a été complétée par une
convention I.D.A.C. (pour: << indemnisation directe des accidents
corporels >>), entrée en vigueur en 1977 et fonctionnant de la
même manière pour les accidents ayant causé un dommage
corporel ne devant pas laisser d'incapacité permanente (28).
A l'étranger, des lois comparables à celle que nous appelons
de nos vooux ont été votées par l'Algérie en 1974, la Suède en
1975, Israël en 1976 et la Province de Québec en 1977 (29).
Elles assurent en principe l'indemnisation de toutes les victimes
sans considération des responsabilités, ce qui, pour de multiples
raisons, nous semble Ie seul système rationnel (30). Elles recou-
rent Ie plus possible à l'assurance directe, n'employant l'assu-
rance adverse que lorsqu'elle s'impose : à l'égard d'une victime
non transportée dans ou sur un véhicule automobile.
L'assurance directe peut, sans supprimer définitivement les
problèmes de responsabilité civile, en épargner le souci aux
particuliers pour en reporter la charge sur des professionnels.
C'est ainsi que la loi du 4 janvier 1978 introduit dans Ie Code
des assurances un article L. 242-1 imposant à toute personne
qui fait réaliser des travaux de batiment de souscrire avant
!'ouverture du chantier une assurance garantissant, en dehors
de toute recherche des responsabilités, Ie paiement des travaux
de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont
responsables les constructeurs, les fabricants et importateurs ou
Ie controleur technique (31).
Sans même constituer une assurance directe, l'assurance peut
supprimer le problème de la responsabilité civile lorsque cela
paraît souhaitable. Il en est ainsi en matière médicale. Une
proportion non négligeable de patients sont victimes d'erreurs
plus ou moins statistiquement inévitables. D'autres sont victimes
de véritables fautes, qui devraient en principe entraîner respon-
sabilité, mais dont la preuve est en fait très di:fficile à établir.

(27) Ibid., n°• 319-321.


(28) Ibid., n° 332-1; H. MARGEAT, « La Convention I.D.A.C. •• Rev. gén. aas. terr.,
1978, p. 5 ets.
(29) Cf. A. TuNc, Appendix to Chapter 14 : « Traffic Accident Compensation :
Law and Proposals •• in Vol. XI : Torts, de !'International Encyclopedia of Comparative
Law (1982).
(30) V. A. TuNc, op. cit. (note 5), n°• 149-156.
(31) v. Y. LAMBERT-FAIVRE, op. cit. (note 7), n°• 850-880.
356 A. TUNC

D'autres enfin présentaient une particularité que Ie médecin


ou Ie chirurgien ne pouvait raisonnablement déceler, mais qui
rendait dommageable ou mortel Ie traitement, !'examen ou
l'intervention auxquels on les soumettait. Parfois, la cause de
leur malheur restera inconnue. On peut donc penser qu'il serait
souhaitable que tout résultat anormal et fächeux d'une prescrip-
tion ou opération médicale ou chirurgicale assure à la victime
une indemnisation, étant donné que I' assureur devrait, en cas de
faute caractérisée, disposer d'un recours contre Ie praticien et
qu'un nombre d'accidents anormalement élevé pour Ie genre
d'activité du praticien devrait, lui aussi, entraîner des sanctions
à l'encontre de celui-ci, comme faisant présumer négligence ou
incompétence. Le système a été proposé aux Etats-Unis et en
France (32). Un système comparable est réalisé en Suède: depuis
1975, la sécurité sociale indemnise intégralement, comme Ie
ferait la responsabilité civile, toute victime du résultat anormal
d'un traitement, d'une médication ou d'une intervention chirur-
gicale (33).
Finalement, on sait qu'en Nouvelle-Zélande, l'assurance a
totalement éliminé la responsabilité civile pour tous les dom-
mages corporels, y compris les maladies professionnelles, les
accidents médicaux ou les dommages ayant une cause antérieure
à la naissance. L'ensemble de ces dommages est pris en charge
dans Ie cadre d'une assurance sociale (34). Le système, qui fonc-
tionne depuis 1973, s'est avéré satisfaisant. La plupart des
réformes qui lui ont été apportées ont visé à en étendre l'appli-
cation. A l'heure actuelle, pourtant, on envisage de réaliser un
certain nombre d'économies (35).
Le système néo-zélandais est à nos yeux, pour des raisons qu'il
est impossible de développer ici, Ie plus rationnel qui soit. Son
introduction dans des pays très industrialisés soulèverait pour-
tant des problèmes considérables et ne pourrait être envisagée
qu'après des études économiques qui n'ont jamais été entreprises.
Il ne saurait donc être question, nous semble-t-il, de recom-
mander son application dans un pays européen. Il n'e:Q. montre

(32) V. J. PENNEAU, Faute et erreur en matière de responsahilité médicale, 1973.


(33) Cf. A. TUNc, op. cit. (note 5), n• 31.
(34) Ibid., n•• 94-99.
(35) V. AOO Report, Sept. 1980, p. 6.
RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCE 357

pas moins d'une manière frappante combien est importante la


coexistence actuelle de la responsabilité civile et de l'assurance :
si les deux parfois se prêtent un mutuel appui, on voit ici l'assu-
rance, prise en charge et organisée par la société elle-même, se
retourner contre la responsabilité civile et lui porter un coup
mortel.
A propos des familles de droits
en droit civil comparé
PAR

J. VANDERLINDEN
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

Il y a trente ans exactement, René DEKKERS faisait chatoyer


sous nos yeux émerveillés la richesse des droits des peuples.
Aux étudiants de deuxième année suivant obligatoirement son
enseignement d' J nstitutes du Droit romain, il révélait la common
law, les droits socialistes, Ie droit chinois; aujourd'hui encore
des maximes citées par lui sont présentes à !'esprit de ceux que
tout en lui séduisait. Nous échappions ainsi pour un instant
aux reillères que cinq années d'études allaient, - elles étaient
d'ailleurs déjà pour partie en place - , renforcer sans trêve
nous obligeant à ne considérer que Ie système belge et, à la
rigueur, sa matrice, Ie système français. Ce que nous ne savions
évidemment pas, c'est que nous étions partiellement les cobayes
d'une entreprise en gestation : Ie Droit privé des peuples qui
devait paraître en 1953 (1).
Sans doute à l'expérience Ie choix des quelque 80 droits
retenus sous Ie titre << caractères >> dans eet ouvrage nous appa-
raît-il, avec Ie recul du temps et un certain accroissement
corrélatif de la connaissance, comme particulièrement arbitraire
et surtout étroitement tributaire des sources disponibles à
!'époque (2). Depuis, sans conteste, notre vision des droits
existant ou ayant existé sur la planète s'est considérablement
enrichie et affinée.
De leur c-:,té, la trentaine de pages consacrée aux << Destinées >>
mettait en évidence des << majeures >> qu'elles soient chinoise,
hindoue, mésopotamienne, gréco-romaine, germanique, islami-

( l) Bruxelles, Libre.irie encyclopédique.


(2) ldem, pp. 11-206.
360 J. VANDERLINDEN

que, universitaire, anglo-saxonne ou socialiste (3). Ce faisant


René DEKKERS n'ignorait pas que des ouvrages contemporains
du sien abordaient le même problème qu'il s'agisse du Traité
d'ARMINJON, NoLDE et WoLFF (4) ou du Traité élémentaire de
DAVID (5), lequel posait à cette occasion les premières bases de
ses Grands systèmes (6).
Depuis lors tout comparatiste de quelque réputation s'est
attaqué aux familles de droit, les plus célèbres d'entre eux
étant sans doute DERRETT (7), RoDIÈRE (8), ScHWARZ-LIEBER-
MANN VON WAHLENDORF (9) et ZWEIGERT et KöTZ (10), le
röle de ZwEIGERT étant double en sa qualité à la fois d'auteur
d'une Introduction et d'animateur de l' Encyclopedia of Oompa-
rative Law (11). Lorsqu'on reprend la démarche de ces auteurs
et qu'on la rapproche de celle de R. DEKKERS on constate
entre elles à la fois convergences et divergences.
Les convergences se situent au niveau des systèmes juridiques
contemporains ou personne aujourd'hui ne nie l'existence de cou-
rants inspirés de la common law et du socialisme soviétique,
sauf peut-être DERRETT pour le second d'entre eux dans la
mesure ou il considère qu'il manque de << la profondeur résultant
d'une maturité avérée >> (12). En cela il rejoint, quinze ans plus
tard, René DEKKERS qui se demandait dans le Droit privé des
peuples si le droit de l'Union soviétique formerait à son tour
un courant et concluait : << L'avenir seul nous le dira : car il
n'y a guère que trente ans que la source nouvelle a jailli ~ (13).
Si nous nous en tenons à ces deux courants auxquels nous
ajoutons celui dans lequel s'inscrivent Belges et Français et
pour certains, !'ensemble de l'Europe occidentale à l'exception
bien entendu de la Grande-Bretagne, nous constatons immé-
diatement toute la difficulté d'une systématique des families

(3) Idem, pp. 207-236.


(4) Traité de droit comparé, Pruis, L.G.D.J., 1950.
(5) Traité élémentaire de droit civil comparé, Paris, L.G.D.J., 1950.
(6) Les grands systèmes de droit contemporain, Paris, Dalloz, 1964.
(7) An Introduction to Legal Systems, London, Sweet and Maxwell, 1968.
(8) Introduction au droit comparé, Paris, Dalloz, 1979.
(9) Droit comparé - Théorie générale et principes, Paria, L.D.G.J., 1978.
(10) An Introduction to Comparative Law, Amsterdam, North Holland, 1977.
(Il) Particulièrement important pour notre propos est Ie volume II, chapitrt1s 1•r
et 2 de I'Encyclopedia, Tübingen - Den Haag, Mohr-Mouton, 1975.
(12) DERRETT, op. cit., p. XLV.
(13) DEKKERS, op. cit., p. 234.
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 361

juridiques. Pour la common law, en effet, la première que nous


ayons opposée à la nötre, dite romaniste ou romano-germanique
(René DEKKERS dit peut-être plus justement << universitaire >>
en soulignant Ie röle capita! des universités en Europe occidentale
depuis Ie Moyen Age) (14), Ie critère de distinction est celui des
sources du droit. D'une part un système fondé sur cette forme
particulière de la loi qu'est Ie code, et, en principe du moins aux
origines du système, une définition étroite du röle de la juris-
prudence dont l'article 5 du Code civil est Ie symbole. D'autre
part un système sans code, ou la jurisprudence prime et ou la
législation est pendant longtemps de stricte interprétation dans
la mesure ou elle déroge au << droit commun >>. Il en résulte
chez les juges des démarches intellectuelles différentes, déducti-
ves pour les uns, inductives pour les autres. Le critère de dis-
tinction est donc bien la hiérarchie des sources du droit et la
technique qui préside à leur mise en ceuvre.
Sans doute certains estimeront-ils que Ie regroupement aisé-
ment réalisé par d'autres dans la familie romano-germanique
est par trop simplificateur et proposeront-ils de distinguer en
son sein les families germanique et nordique. Tel est Ie cas pour
ARMINJON, NoLDE et WoLFF et, vingt-cinq ans plus tard pour
ZwEIGERT et KöTZ. Ces auteurs estiment en effet qu'il faut tenir
compte de différences importantes dans la démarche, Ie << style >>
diraient-ils (15), des juristes de l'Europe occidentale et ils ne
peuvent donc se résoudre à l'amalgame présenté par DAVID
et repris notamment par RomÈRE. Qu'il s'agisse de l'archétype
du juriste, de la langue législative, de la forme des jugements,
les droits allemand et français diffèrent suffisamment estiment-
ils pour constituer deux ensembles distincts. En outre, et ZWEI-
GERT et KöTZ y trouvent un argument décisif, l'histoire du droit
de chaque pays se distingue tellement de celle de l'autre qu'il y a
là un deuxième critère de distinction fondamental à prendre en
considération. Les deux spécialistes allemands plaident en effet
en faveur de l'utilisation de multiples critères pour définir les
families juridiques. Ce faisant ils rejoignent DAVID dans sa
démarche lorsqu'il aborde les droits socialistes.
En effet l'apparition des droits socialistes et surtout celle de
leur prototype, Ie droit soviétique, aux cötés de la dualité

(14) Idem, pp. 223-229.


(15) Op.cit., pp. 57-67.
362 J. VANDERLINDEN

common law / droits romano-germaniques, a certainement em-


barrassé les comparatistes, Ie droit soviétique se distinguant
essentiellement à leurs yeux du système romano-germanique
par son idéologie déclarée. Dès lors Ie critère des sources du droit
ne su:ffisait plus comme critère de distinction et il convenait
donc d'introduire un nouveau paramètre : celui de la base
idéologique (16). Elle permet de distinguer droits socialistes et
droits bourgeois. Cette démarche est sans doute compréhensible
si on se laisse aveugler par la rupture apparente voire réelle que
constitue Ie système soviétique dans nombre de ses prémisses
théoriques. Mais il faut aussi immédiatement souligner qu'une
rupture du même type n'existe de toute évidence pas entre les
droits allemand, anglais et français et qu'en conséquence l'appli-
cation de ce critère n'aurait à leur égard qu'un effet : les regrou-
per dans une seule et même famille, ce que font assez logiquement
d'ailleurs les juristes soviétiques en les qualifiant de << bour-
geois>> (17).
Comme on Ie voit, lorsqu' on aborde les systèmes juridiques
européens, la constitution des familles n'est guère chose aisée.
Mais que dire alors si on élargit Ie champ de la comparaison
pour l'étendre, comme Ie faisait René DEKKERS, à la Chine,
à l'lnde ou à l'Islam, à ces droits que RoDIÈRE considérait
comme autant de systèmes d'application dans des pays << non-
civilisés >> ou encore dans des pays extérieurs aux << parties de la
terre qui sont ou qui ont été christianisées >>; ainsi chrétienté
et civilisation se rejoignaient pour constituer un nouveau
groupement face sans doute aux << païens >> et aux << sauva-
ges >> (18). Mais Iaissons là ces distractions d'un juriste par
ailleurs éminent pour souligner seulement que I' Afrique n'a pas
place dans les << courants >> chers à René DEKKERS. Sans doute
n'avait-il pas encore eu pour elle le coup de foudre qui devait
résulter de son rectorat à Lubumbashi. Les trois systèmes
extra-européens abordés par lui se retrouvent d'emblée chez
René DAVID qui à cöté des systèmes occidentaux et socialistes,
met en évidence dès la première édition de son Traité les droits
chinois, hindou et musulman. Dans les Grands Systèmes par

(16) DAVID, Les grands systèmes, pp. 147-149.


(17) DEKKERS, op.cit., p. 234.
( 18) Op. cit., pp. 25-32.
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 363

contre, tous les droits extra-européens sont regroupés sous une


étiquette globale : droits religieux et traditionnels. Celle-ci re-
couvre aussi bien Ie droit musulman, que Ie droit hindou, les
droits de l'Extrême-Orient (Chine et Japon) et les droits de
l' Afrique et de Madagascar. Une seule impression se dégage de
cette nouvelle classification: celle d'un fourre-tout commode (19).
ZwEIGERT et KöTz procèdent de la même façon lorsqu'après
avoir examiné en trois cents pages environ les cinq familles de
l'Europe et de l' Amérique, ils expédient en un peu moins de
trente pages les droits de l'Extrême-Orient, de !'Islam et de
l'hindouisme, oubliant apparemment les droits africains au
passage. Ils s'en expliquent d'ailleurs, considérant qu'il s'agit
là d'une famille en voie d'émergence mais quine pourra à leurs
yeux être considérée comme telle qu'à la condition qu'un
nombre suffisant de traits communs puissent être mis à jour
par les spécialistes et qu'augmente l'importance de la législation
en matière de coopératives <lont l' Afrique a un urgent be-
soin (sic) (20). Il est évident que pour ces éminents compara-
tistes I' Afrique est encore, comme à l'heure de la Conférence de
Berlin, une terra incognita. Très heureusement d'ailleurs ZwEI-
GERT !'auteur se distingue de ZwEIGERT, responsable de !'Inter-
national Encyclopedia of Oom,parative Law. DAVID y fait préva-
loir ses vues et I' Afrique trouve sa place parmi les systèmes
juridiques du monde aussi bien en ce qui concerne les con-
ceptions du droit qu'en ce qui relève de leur structure et de
leurs divisions. Il faut d'ailleurs remarquer que dans ces volumes,
la common law est englobée avec les droits romano-germaniques
dans un seul groupe, celui des droits occidentaux, à tout Ie
moins pour ce qui est des conceptions du droit (21).
Pour conclure, il est évident d'une part que l'européo-, voire
l'américano- centrisme prévaut en droit comparé comme en tant
d'autres disciplines des sciences humaines. En fait les systèmes
juridiques gouvernant les relations quotidiennes de centaines de
millions d'individus (je pense à la seule combinaison des droits
africains, indiens et musulmans) sont traités en accessoires des
systèmes européens ou d'inspiration européenne. Il est d'autre

( 19) Sur la justification, discutable, de la création de ce fourre-tout, voir Les grands


systèmes, p. 449.
(20) Op. cit., p. 60.
(21) Encyclopedia, vol. cit.
RENÉ DEKKERS. - 24
364 J. VANDERLINDEN

part tout aussi clair que les << familles >> correspondent pour la
plupart à des aires géographiques et que les critères servant à
les distinguer sont établis a postériori pour justifier des diffé-
rences plus instinctives que raisonnées.
L'ensemble des regroupements de systèmes juridiques ainsi
proposés par les comparatistes me paraissent pécher, aussi
ingénieux soient-ils, par !'absence d'une dimension majeure :
celle du temps. Les comparatistes tendent en effet à considérer
les systèmes comme des entités statiques dont les traits essentiels
sont acquis dès I' origine, ou, à tout Ie moins, dès la rencontre de
certaines composantes qu'ils considèrent essentielles. Le meilleur
exemple en est sans doute !'analyse du système romano-
germanique que propose René DAVID en se basant sur !'origine
des règles matérielles qui en constituent la substance. Pour
notre collègue, il n'y a en effet pas davantage de droit dans
I'Europe du haut Moyen Age qu'il n'y en avait en Ethiopie avant
qu'il n'en codifie Ie droit civil. Ainsi qu'il Ie dit, << dans les
ténèbres du haut Moyen Age la société est revenue à un état
plus primitif. Il peut exister encore un droit .... Mais Ie règne
du droit a cessé. Entre particuliers comme entre groupes sociaux
les litiges sont résolus par la loi du plus fort, ou par l'autorité
arbitraire d'un chef>> (22). L'idée de droit renaît par contre dès
qu'au XIIIe siècle on cesse de confondre religion et morale
après qu'au XIIe ait reparu l'idée que la société doive être
régie par Ie droit. Ensuite se crée, à travers les Universités, une
communauté de culture qui conférera ses caractères au système
romano-germanique. On peut cependant s'interroger sur deux
points au moins de cette description classique et par ailleurs
difficilement contestable.
Tout d'abord est-il exact de ramener la solution des litiges
entre groupes ou particuliers avant Ie XIIe ou Ie XIIIe siècle
soit à la vendetta, soit à !'arbitraire d'un chef? Je ne Ie pense
pas. Que la vendetta existe, certes. Qu'elle menace de manière
irrémédiable les sociétés qui s'y abandonnent, indiscutablement.
Que !'ensemble des sociétés n'aient pas nécessairement des
tendances suicidaires, sans aucun doute. Dès lors si l'affrontement

(22) Op. cit., p. 33. Pour l'Ethiopie voir son " Structure et originalité du Code civil
éthiopien •• in Zeitschrift Jür ausländisches und internationalisches Privatrecht, vol. 26
(1961), pp. 668-681 et ma réaction dans mon Introduction au droit de l'Ethiopie moderne,
Paris, L.G.D.J., 1971, p. 60.
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 365

entre groupes sociaux et la loi du plus fort sont Ie dernier


recours en cas de conflit, ce n'est là qu'une mesure extrême
qu'il serait inexact de généraliser comme étant caractéristique
de !'époque. Après tout la première moitié du XXe siècle a égale-
ment de ce point de vue été marquée par des vendetta entre na-
tions dont Ie prix a été sévère. Il ne vient pas pour autant à
!'esprit de caractériser ces cinquante années comme étant celles
ou notre société est revenue à un état plus primitif. De ce
point de vue on serait même parfois tenté de dire que la marche
de l'humanité n'a cessé d'être une dégringolade depuis Ie
XIIe siècle.
Quant aux individus, à l'intérieur des groupes sociaux, ils
seraient soumis à !'arbitraire d'un chef. L'image est trop belle
dans sa sauvage simplicité. J'ai eu !'occasion de montrer com-
ment eet arbitraire du chef appartenait à une certaine vision des
<< archaïques >> ou des<< primitifs >> et comment il n'y avait pas de
chef sans sujets, !'arbitraire éventuel du détenteur du pouvoir
s'accompagnant très rapidement de la révolte ou de l'exode
de ceux qui lui sont soumis (23). La constatation faite ainsi
pour l'Afrique pré-coloniale n'a aucune raison d'être incorrecte
pour l'Europe médiévale. Ceci d'autant plus que la coutume
est présente qui règle les rapports sociaux et qui elle n'apparaît
certainement pas avec Ie XIIe ou Ie XIIIe siècle. Qu'en con-
séquence droits il y ait en Europe occidentale à !'époque comme
dans l'Ethiopie pré-davidienne semble difficile à nier.
Ensuite est-il exact de faire correspondre l'influence réelle
de la culture nouvelle que créent les universités sur !'ensemble
de la population avec le XIIe et Ie XIIIe siècle? Je ne le pense
pas davantage. S'il fallait définir !'instant privilégié de cette
mutation profonde qui n'établit d'ailleurs pas tellement un
état de droit jusqu'alors inexistant qu'elle ne définit une nouvelle
hiérarchie des sources du droit, je le situerais quant à moi à la
fin du XVe siècle lorsque se réalise la rédaction des coutumes
annoncée en France en 1454. Jusqu'à ce moment la France
reste pour l'essentiel pays de coutume et ce sont précisément
les problèmes rencontrés dans la connaissance des coutumes par
les magistrats royaux formés dans les Universités au seul droit

(23) Voir notamment mes<< Principes de droit foncier zande •• in Revue de Z'l=titut
de Sociologie, pp. 557-608, plus spécialement pp. 568-569.
366 J. VANDERLINDEN

romain qui vont justifier la rédaction. Ces coutumes, ce sont


pendant longtemps des juges locaux, seigneurs hauts et bas
justiciers, qui les appliquent et ce n'est également qu'au moment
011 l'organisation monarchique parvient à s'imposer à }'ensemble
du pays que Ie problème de la survie des coutumes, symboles
du particularisme local, est posé. Le passage d'un droit jusqu'alors
essentiellement oral en formation continue au départ du com-
portement des individus qui Ie vivent, - c'est cela la cou-
tume - , à un droit écrit figé au départ de la volonté des légistes
romanistes, - c'est cela la rédaction des coutumes -, voilà
la mutation essentielle que réalise Ie XVI 0 siècle. Si on ajoute
au processus de rédaction la sanction royale, on obtient la
prééminence d'une source : la loi. Certes cette loi est multiple
et l'unification, amorcée au XVIII 0 siècle par d' Aguesseau, ne
devient réalité qu'à l'aube du XIX 0 siècle avec les Codes
napoléoniens. Mais il n'en demeure pas moins que trois siècles
plus töt la coutume a vécu après avoir gouverné pendant des
siècles et bien avant le XII 0 la vie de l'écrasante majorité des
Français, si tant qu'ils étaient ou se savaient français à l'époque.
Sur deux points donc je tends à me séparer de DAVID. D'abord
en ce que droit il y a effectivement en France avant le XII 0 siècle,
ensuite en ce que le système romano-germanique ne devient une
réalité pour !'ensemble des justiciables qu'au début du XVI 0 siè-
cle. Et j'en viens alors immédiatement au parallèle avec
l'Ethiopie d'avant la codification. Celle-ci n'a jamais atteint
le stade de la rédaction et de l'absorption des coutumes par le
pouvoir impérial. Elle se trouve donc dans l'état de la France
capétienne avant le XV 0 -XVI 0 siècle. Les empereurs légifèrent
en effet depuis des siècles et le droit impérial est écrit pour
partie dans ces lois, pour partie dans un ouvrage de doctrine
importé d'Egypte, le Fetha Negast. Celui-ci, comparable mutatis
mutanclis aux Digesta et d'ailleurs l'héritier lointain des compila-
tions justiniennes, sert de base à l'éducation des lettrés de
l'Empire qui sont pour la plupart des ecclésiastiques et aussi à
I' administration de la justice impériale dans les cas 011 un
litige parvient jusqu'au chilot impérial. Pour le reste les peuples
de l'Empire demeurent gouvernés par leurs droits propres qui
sont oraux et issus, comme la coutume européenne médiévale,
du comportement quotidien des individus. Dans cette descrip-
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 367

tion du système éthiopien contemporain (24), c'est-à-dire des


années 1950, ne sommes-nous pas très proches de six siècles
de monarchie capétienne ? Indiscutablement oui en ce qui
concerne la structure du système juridique. Ne serait-ce dont pas
là que l'on peut retrouver au-delà des aires géographiques des
traits communs permettant de composer des familles. J'en suis
convaincu et tente dele montrer au-delà de ces deux exemples.
Ce que nous offrent aussi bien la France médiévale que
l'Ethiopie impériale, c'est un système juridique qui, défini à
travers le röle qu'y jouent les sources du droit, se caractérise par
une primauté de la coutume, la loi se réduisant en principe à
l'organisation des prérogatives de la Couronne et du domaine
royal. Cette situation caractérise toutes les structures dans les-
quelles un État se substitue progressivement à des communautés
plus restreintes à base territoriale ou surtout lignagère. La
faiblesse de l'Etat en ce premier stade de sa progression vers
le pouvoir total a pour corollaire les limites considérables qui
sont posées à l'effectivité de la législation. D'ou le champ rela-
tivement limité de la loi et le respect dont celle-ci témoigne à
l' égard de la coutume. En fait si le pouvoir central intervient ce
n'est tout d'abord que pour trancher d'éventuels conflits sur la
nature de la coutume. Dans ce cas, la loi est considérée comme
une source déclarative de la coutume et donc de droit plutöt
qu'une source créatrice de celui-ci. Mais la loi intervient égale-
ment à un stade le plus souvent ultérieur pour s'opposer aux
<< mauvaises >> coutumes; ce faisant, il n'est pas davantage
question de créer un droit nouveau, si ce n'est par élimination
d'une disposition coutumière existante et considérée comme
peu opportune.
Pareil système est également celui des Etats africains pendant
la période coloniale et, pour nombre d'entre eux qui n'ont pu
se résoudre à unifier leur droit civil (c'est dans ce domaine en
effet que les droits de l'époque pré-coloniale ont survécu), après
l'indépendance. Un Etat existe dans ces cas dont la source
juridique privilégiée est la loi, mais simultanément les rapports
les plus fréquents entre la grande masse des individus con-
tinuent à être régis par la coutume propre à chaque collectivité
préexistant à l'époque coloniale. La seule limitation à l'applica-

(24) Sur Ie droit éthiopien, voir mon ouvrage cité en note 22.
368 J. VANDERLINDEN

tion de ces coutumes est Ie cas 011 elles sont contraires à l'ordre
public, à la justice, aux bonnes mceurs, etc. (les formulations
du principe sont multiples et variées), donc 011 il s'agit de
<< mauvaises >> coutumes. Par ailleurs, malgré ce respect des

coutumes, l'Etat colonial ou indépendant ne renonce pas à


organiser la justice à travers ses magistrats. Or ceux-ci ne
peuvent connaître les coutumes en cause alors que cette con-
naissance est la condition même de leur application. Il en
résulte des projets, qui ont rarement abouti, de rédiger les
coutumes, de les sanctionner et de les inclure par là dans Ie champ
de la loi.
Et s'il fallait synthétiser les trois exemples ainsi considérés,
il semble que l'on pourrait les exprimer dans la formule :
CouTUME - Doctrine - Loi - J urisprudence. La place de la
doctrine dans la formule résulte du fait que, dès l'apparition de
l'écriture dans ces sociétés, la doctrine tend à s'emparer du champ
coutumier pour Ie décrire. Qu'il s' agisse des << commentateurs >>
dans la France médiévale, des ethnologues, des missionnaires
ou des administrateurs dans l' Afrique contemporaine, tous font
ceuvre de doctrine en ce qu'ils décrivent avec plus ou moins de
fidélité les systèmes juridiques oraux qu'ils observent. En cela
ils préparent d'ailleurs éventuellement la voie à l'absorption des
systèmes coutumiers par Ie système étatique en fournissant à
celui-ci les données de base indispensables au travail éventuel
d'unification. Cette constatation nous fournit une transition
particulièrement aisée vers une autre famille, celle caractérisée
par la formule Lor - Goutume - Jurisprudence - Doctrine.
Dans cette famille la loi est considérée comme la seule source
de droit et si la coutume existe encore à ses cötés ce n'est que
dans la mesure 011 il y est expressément fait référence dans
une situation particulière. Tel est certainement Ie système du
Code civil français qui ne laisse en principe aucune place aux
autres sources du droit que lui-même ou la coutume dans la
mesure 011 il y renvoie. Particulièrement radical est son article 5
qui, s'attaquant au particularisme entretenu par les arrêts de
règlement, dispose que : << Il est défendu aux juges de se pro-
noncer par voie de disposition générale ou réglementaire, sur les
causes qui leur sont soumises >>. Dès ce moment la jurisprudence
cesse pour toute la doctrine française classique d'être source
de droit; tout au plus lui reconnaît-on la valeur d'autorité.
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 369

Dans son interprétation des textes le magistrat est tenu au res-


pect de la lettre de ceux-ci et ainsi naît l'école de l'exégèse.
Enfin l'organisation concomitante du référé législatif fait du
législateur la source véritable de l'interprétation du Code.
Pareil système est fort proche de celui adopté par Ie législateur
soviétique. Pour citer René DAVID : << Le röle des tribunaux est
donc ... simplement d'appliquer la loi .... C'est au législateur
non aux tribunaux de créer Ie droit ... >>. Et il poursuit en
soulignant !'absence en U.R.S.S. pendant de longues années de
recl}eils de jurisprudence et Ie fait que << les ouvrages de doctrine,
jusqu'à une époque récente, se référaient à peu d'arrêts >> (25).
Enfin René DAVID constate une évolution relativement récente
du droit soviétique, évolution tendant à réserver une part plus
grande à la jurisprudence. Cette évolution en tous points sem-
blable à celle que connut dans Ie premier quart du XIXe siècle
la codification napoléonienne pour aboutir en 1837 à l'abrogation
du référé législatif. L'illusion du codificateur de tout englober
dans son reuvre voit ainsi sa vanité démontrée à plus d'un
siècle d'intervalle dans des systèmes idéologiquement antago-
nistes. Et on pourrait à première vue en conclure que l'U.R.S.S.
évolue progressivement d'une manière identique à celle dont
évolua la France un siècle plus töt. Ce n'est cependant pas Ie
cas puisque les Soviétiques procèdent régulièrement à la mise au
point d'ensemble de leurs textes de base faisant de la codification
un processus quasi-continu qui incorpore régulièrement les acquis
de la doctrine et de la jurisprudence. La loi, de la sorte, ne
vieillit pas et il est possible de lui conserver une primauté
inégalée dans d'autres systèmes contemporains.
Enfin si nous prenons l'exemple de la codification éthiopienne
de 1960, nous savons que son principal artisan espérait par la
technique même utilisée pour la rédaction du Code civil rendre
celui-ci indépendant d'autres sources du droit et notamment
de la jurisprudence à tout Ie moins dans un premier stade (26).
Il se rendait compte de la très grande difficulté d'assurer un
röle effectif de la jurisprudence dans un Etat 011 la formation
des juges était à }'époque inexistante et 011 la diffusion des
sources était rendue particulièrement difficile par toutes espèces

(25) Les grands eystèmea, pp. 243-244.


(26) DAVID, article cité en nota 22.
370 J. VANDERLINDEN

d'obstacles techniques. Dès lors si on ne voulait pas voir dé-


truire l'oouvre de codification, il était souhaitable, dans un
premier temps au moins, de concevoir le code civil comme un
ensemble autonome. L'expérience devait très rapidement mon-
trer combien les craintes de René DAVID étaient fondées lorsqu' on
vit les juridictions se livrer sur base du Code aux plus étonnants
contresens.
L'évolution constatée pour la France et amorcée pour
l'U.R.S.S. aboutit à une troisième formule, celle que j'identifierai
comme étant celle de la Lor-JURISPRUDENCE - Ooutume -
Doctrine dans laquelle les róles respectifs de la loi et de la juris-
prudence tendent à s'équilibrer, l'accès à la règle de droit ne
pouvant s'effectuer à travers l'une seulement de ces sources,
C'est dans ce sens qu'a semblé évoluer le système soviétique
depuis quelques années mais il n'est pas encore possible de dire
que Ie mouvement est irréversible.
On peut d'ailleurs s'interroger sur l'éventualité d'une évolu-
tion semblable du droit anglais contemporain et même très
immédiatement contemporain. En effet depuis la création de la
Law Oommission en 1965, celle-ci s'est engagée résolument non
seulement dans la voie d'une réforme systématique du droit
anglais, mais encore dans celle d'une éventuelle codification
de celui-ci. Cette double mission de la Commission a donné
lieu dans certains cas à des réactions désolées d'adversaires
résolus de la codification, dont il n'est pas assuré par ailleurs
que les craintes soient entièrement fondées; elles semblent en
effet résulter d'une perception quelque peu erronée du phéno-
mène de codification (27). Mais quel que soit Ie jugement de
valeur que l'on porte sur Ie programme ambitieux de la Law
Oommission, il n'en demeure pas moins que celui-ci implique
un rééquilibrage en faveur de la loi du róle respectif de celle-ci
et de la jurisprudence dans Ie système anglais. Sans doute
pouvait-on s'en rendre compte depuis quelques années déjà
dans la mesure ou Ie parlement était amené à intervenir de
plus en plus fréquemment dans les matières de droit privé et
ou il devenait délicat de se fier à la seule common law pour

(27) Voir notamment l'article de H. HAHLO dans la Modern Law Review, vol. 30
(1967), pp. 241-259, le commentaire d'un Law Commissionner, le Professeur L. C. B.
GowER aux pp. 259-262 et mon commentaire avec M. R. TOPPING dans la même
revue, vol. 33 (1970), pp. 170-176.
DES FAMILLES DE DR0ITS EN DR0IT CIVIL COMPARÉ 371

s'instruire de l'état du droit anglais. Il n'empêche que l'année


1965 constitue de ce point de vue un tournant <lont l'avenir seul
nous <lira s'il est susceptible de faire basculer le système anglais
vers les nötres.
Si tel devait être le cas, une distinction fondamentale entre
familles de droit disparaîtrait, en Europe du moins; il s'agit de
celle opposant le quadrinöme LOI - coutume - jurisprudence -
doctrine caractéristique des systèmes juridiques de l'Europe
continentale et le quadrinöme JuRISPRUDENCE - loi - doc-
trine - coutume, symbole de la common law. Ce dernier permet
de caractériser les droits que René DEKKERS appelait anglo-
saxons. Ces droits se sant développés depuis la conquête de
l' Angleterre à l'intervention des juges royaux et sans que le
législateur estime, malgré la puissance du pouvoir royal à cer-
taines époques, devoir intervenir activement dans le domaine du
droit privé pendant près d'un millénaire conférant par là même
au système une très grande stabilité.
L'héritage s'en est transmis par la colonisation anglaise à
travers le monde et la common law est sans doute aujourd'hui
davantage africaine, américaine ou asiatique qu'anglaise. C'est
<lire que si la jurisprudence accédait aujourd'hui à l'égalité avec
la loi en Angleterre, Ie quadrinöme JuRISPRUDENCE - loi -
doctrine - coutume n'en disparaîtrait pas pour autant de la
carte juridique du monde. Ainsi se maintiendrait une famille
que nombre de juristes se sont plu à rapprocher d'une autre :
la famille du droit romain, c'est-à-dire d'un système caractérisé
par l' enchaînement DOCTRINE - loi - jurisprudence - cou-
tume (28).
L'endroit n'est pas ici de présenter les traits majeurs du
système juridique romain, mais peut-être de souligner que
lorsque nous Ie définissions par Ie quadrinöme dans lequel la
doctrine tient Ie premier rang, nous nous référons à l'äge clas-
sique, marqué par la primauté des jurisprudentes <lont Justinien
nous a légué Ie reflet dans ses Digesta. Or l'histoire du droit
romain, comme la nötre, s'étend sur plusieurs siècles et on peut
se demander deux choses. D'une part si avant l'äge classique,
aux origines du droit romain, on ne s'est pas trouvé dans un

(28) Voir BucKLAND, W. W., Roman Law and Common Law, Cambridge, Cambridge
University Press, 1952.
372 J. VANDERLINDEN

age ou la source première du droit n'était pas la coutume et ou


la structure du système devait par conséquent s'exprimer sous
la forme CouTUME - loi - doctrine - jurisprudence1 D'autre
part si, après l'age classique, lorsque la source doctrinale se tarit
ou se fonctionnarise et lorsque le droit impérial tend à envahir
le champ du droit, on ne se trouve pas dans un système ou cette
fois la loi en tant qu'expression du pouvoir politique suprême
devient la source par excellence, celle qui transparaît dans le
Codex ou les Novelles. A eet égard il convient de remarquer qu'à
travers son évolution le système français, prototype de la
famille romano-germanique, n'est à aucun moment l'héritier du
système romain et n'appartient donc aucunement à la famille
romaine.
S'il est un système qui peut se rapprocher de la famille ro-
maine, voire en faire partie, en ce qu'il met en évidence la doc-
trine, c'est sans doute le système musulman. En effet s'il est vrai
qu'au-delà des écoles de commentateurs qui réunis contribuent
à constituer le Fikh il est impossible d'ignorer le Coran, il est
tout aussi vrai que les principes contenus dans le livre sacré
ne constituent en aucun cas un corpus juridique susceptible de
régler la multitude et la diversité des problèmes de droit privé
susceptibles de se poser dans l'Islam. Il est également certain
que débarquer en pays régi par le droit musulman et ignorer
l'appartenance de celui-ci à l'un des quatre grands rites risque
de mener rapidement à l'impasse. Aussi bien le praticien que le
sujet de droit sont ainsi renvoyés à la doctrine qu'elle soit
hambalite, hanéfite, malékite ou chafiïte. Comme on a pu
l'écrire, << en fait la seule source du droit islamique, se trouve
dans les travaux scientifique des juristes>> (29). Le droit musul-
man s'inscrirait donc dans un quadrinöme dans lequel, comme
en droit romain, la doctrine serait la majeure. Cependant on
peut se demander s'il ne s'agit pas là d'un trinöme en droit
musulman classique dans la mesure ou celui-ci ne connaît pas
d'autre législateur que Dieu et exclut donc en principe la
loi des hommes des sources du droit. Telle n'est plus la situation
dans les Etats contemporains se réclamant du droit musulman.
Mais, même si Ie législateur intervient aujourd'hui en matière

(29) Voir AFCHAR, H .• • The Muslim Conception of Law, >> in International Ency-
clopedia of Comparative Law, vol. II, l, pp. 84-105 et pour la citation, CHEHATA, C.,
« Islamic Law ,, in idem, vol. II, 2, pp. 138-142 et spécialement p. 139.
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 373

de droit privé, il est tout aussi vrai que la loi ne joue en cette
matière qu'un röle secondaire par rapport aux écrits des juris-
consultes.
Egalement proche de ces deux systèmes est celui du droit
hindou pré-colonial. La source formelle en est en effet formée
par les ouvrages des lettrés et penseurs brahmanes, les sastras,
donc une source doctrinale qui ne doit rien à la législation,
à la coutume ou à la jurisprudence (30). Il s'agit essentiellement
d'un droit savant présenté par un maître (sastri) au juge, encore
que celui-ci dispose d'une certaine latitude dans son application
et doive notamment s'assurer que diverses conditions soient
effectivement réunies qui permettent l'application de la règle
proposée par Ie maître. Par contre Ie droit de l'Inde moderne,
dont on envisage qu'il s'articule au départ d'un code et qui est
déjà dans de nombreux domaines du droit privé organisé par la
loi, doit être considéré comme un droit législatif dans lequel la
doctrine passe alors au second plan.
Enfin il conviendrait de dire un mot de l'insertion de cette
typologie des droits comme ceux de Chine ou du Japon. Mais
s'agit-il encore, dans Ie cas de ces pays, aux conceptions si
proches malgré certaines différences, de droit privé au sens
ou nous l'entendons 1 Bien des éléments semblent indiquer que
non (31). Les responsables de l'Encyclopedia semblent d'ailleurs
admettre cette irréductibilité des droits extrême-orientaux puis-
qu'aussi bien, ils renoncent à en présenter la structure et les
divisions dans Ie deuxième chapitre de leur volume consacré
aux systèmes juridiques. Je ne me risquerai donc pas à essayer
de faire à toutes forces entrer Ie droit chinois ou japonais tra-
ditionnel dans l'un des schémas proposés pour les autres systèmes
encore que toutes les indications que nous possédons à leur
égard pointent vers une combinaison CouTUME - doctrine -
jurisprudence - législation qui rapprocherait les systèmes des
droits africains pré-coloniaux ou du droit français de l'époque
coutumière.
La prééminence ainsi donnée à l'importance relative des
sources du droit privé comme premier critère de séparation des

(30) Voir DERRETT, J. D. M. et IYER, T. K. K.,, The Hindu Conception of Law ••


in International Encyclopedia of Oomparative Law, vol. Il, 1, pp. 107-119 et particu-
lièremont p. ll 1.
(31) Voir NoDA, Y., • The Far Eastern Conception of Law ,, in idem, pp. 120-137.
374 J. VANDERLINDEN

systèmes juridiques afin de les regrouper en familles n'exclut


nullement que d'autres critères soient également utilisés à titre
secondaire pour a:ffiner la classification des droits en familles et
sous-familles. Il est également possible que d'aucuns préfèrent
hiérarchiser les critères d'une manière différente en donnant,
par exemple, le premier rang aux idéologies comme semble le
faire DAVID. Mais ce qui nous paraît essentie! est d'une part que
les systèmes soient considérés dans une perspective historique
et donc dynamique en tenant compte des différentes étapes de
leur développement particulier et d'autre part que !'ensemble
des critères soient appliqués dans le même ordre aux divers
systèmes étudiés. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple basé
sur cinq droits, le droit français de 1804 et l'actuel, la common
law classique et celle qui s'amorce depuis 1965 et le droit sovié-
tique actuel, et deux critères seulement, celui de l'importance
des sources et celui des idéologies, pourrions-nous aboutir à
deux classifications en famille et sous-familles.
D'une part il y aurait trois familles distinctes, caractérisées
respectivement par les quadrinömes Lor - JURISPRUDENCE -
coutume - doctrine (comprenant Ie droit français actuel et la
common law en devenir d'après 1965), Lor - jurisprudence -
coutume - doctrine (Ie droit français de 1804 et Ie droit sovié-
tique) et JURISPRUDENCE - loi - coutume - doctrine (la
common law classique). Ensuite il ne serait pas nécessaire de
distinguer entre sous-familles idéologiques dans la première
famille puisque les droits qui la composent participent de la
même idéologie. Par contre, dans la deuxième famille, une dis-
tinction nette doit être faite sur Ie plan idéologique entre ses
deux composantes; il y aurait donc dans ce cas une sous-famille
capitaliste et une sous-famille socialiste.
D'autre part, en privilégiant les idéologies, il y aurait deux
familles, l'une, capitaliste, regroupant tous les droits pris à
titre d'exemple à l'exception du droit soviétique qui formerait
à lui seul (toujours dans nos exemples) la famille socialiste.
Dès lors le problème des sous-familles ne se poserait que dans la
première famille et celle-ci en comprendrait trois représentées
par les trois quadrinömes déjà cités.
Il est évident que plus on ajoute des systèmes juridiques et
plus on augmente le nombre des critères de distinction entre
familles, plus la classification est susceptible d'être affinée. Il
DES FAMILLES DE DROITS EN DROIT CIVIL COMPARÉ 375

serait d'ailleurs intéressant de prendre les critères proposés


jusqu'à présent par les comparatistes et de les appliquer systé-
matiquement aux diverses familles qu'ils nous présentent en
faisant varier leur ordre d'application aux droits considérés.
Mais c'est là un exercice que je réserve pour une autre occasion.
Alors, comme aujourd'hui, je m'efforcerai ainsi que Ie disait
René DEKKERS en concluant ses << considérations sur les sources
du droit >> dans Ie Droit privé des peuples, d'asservir Ie monde
juridique à mon esprit alors que celui-ci court après ce monde.
Langdurige overeenkomsten
Prijsbepaling, Aanpassing wegens onvoor-
ziene omstandigheden, Conflict.regeling
DOOR

W. VAN GERVEN
HOOGLERAAR AAN DE KATHOLIEKE UNIVERSITEIT
LEUVEN

1. - In deze bijdrage komen eerst enige algemene problemen


aan bod, daarna drie specifieke problemen.

ALGEMENE BESCHOUWINGEN

2. - Opsomming. - Er zijn talrijke langdurige contracten.


Bij wijze van voorbeelden uit de economische sector worden de
volgende genoemd : in verband met de produktie van goederen :
octrooi- en know-how licentie-overeenkomsten, aannemings- en
onderaannemingsovereenkomsten, engineering- en sleutel-op-dt:-
deur-contracten, industriële specialisatie- en coöperatie-overeen-
komsten, research-overeenkomsten; in verband met aan- en
verkoop : verkoopconcessieovereenkomsten, bevoorradingscon-
tracten, handelsagentuurovereenkomsten, merklicentie- en fran-
chisingovereenkomsten, onderhoudscontracten ; in verband met
de organisatie, de infrastructuur en het management van onder-
nemingen : leasingcontracten; erfpacht- en opstalovereenkom-
sten, zetbaasovereenkomsten ; syndicale- en stemafspraakover-
eenkomsten ; in verband met de financiering : kredietopenings- en
zekerheidscontracten, enz ... (1).

(l) Dit artikel werd als rapport voorgebracht op het 33ste seminarie van de Luikse
Commission Droit et Vie des Affaires, dat plaats had te Luik op 16 en 17 oktober 1980.
De Franse versie van dit artikel zal samen met de andere rapporten verschijnen in de
reeks van de genoemde Commissie. De lijst voorbeelden in de tekst van langdurige
contracten komt trouwens van de onvermoeibare initiatiefnemer van de Commissie,
Professor C. del Marmol, die mij ook een omvangrijke documentatie ter beschikking
stelde, waarvoor mijn oprechte dank.
378 W. VAN GERVEN

3. - Juridisch statuut. - De meeste van deze contracten


zijn onbenoemde contracten wier juridisch statuut niet bij wet
wordt geregeld. Soms gaat het om gemengde contracten - zo
bijvoorbeeld de aannemingsovereenkomst waarbij de aannemer
ook de materialen levert - waarin men componenten van twee
of meerdere benoemde contracten - in het gegeven voorbeeld :
huur van diensten en verkoop - terugvindt.
De onzekerheid die het juridisch statuut van onbenoemde
en/of gemengde contracten kenmerkt, is genoegzaam bekend.
Onbenoemde contracten worden, voor zover zij niet onderworpen
zijn aan uitdrukkelijke tussen de partijen overeengekomen clau-
sules, beheerst door de algemene beginselen van het contracten-
recht, eventueel door specifieke regelen betreffende een of andere
benoemde overeenkomst die bij wijze van analogie kunnen
worden toegepast. Wat gemengde contracten betreft, worden
verschillende theorieën voorgesteld : ofwel past men de regels
toe geschreven voor het component van de gemengde overeen-
komst dat veruit het belangrijkste is (absorptietheorie) ; ofwel
onderwerpt men elk component aan de eigen specifieke regelen
(combinatietheorie); ofwel behandelt men de gemengde over-
eenkomst als een volledig onbenoemde overeenkomst (theorie
sui generis). Volgens Van Hecke verdient de tweede theorie de
voorkeur tenzij één van de componenten van de gemengde
overeenkomst duidelijk overweegt (als, in het hiervoor gegeven
voorbeeld, het te leveren werk duidelijk "quantité négligeable"
is vergeleken met de geleverde materialen, of omgekeerd) in
welk geval de absorptietheorie het haalt, en onder voorbehoud
dat de bij combinatie toe te passen regelen niet met elkaar
tegenstrijdig zijn, in welk geval het contract als een sui generis of
volkomen onbenoemd contract moet worden behandeld (2).

4. - Classificatie. - Wegens de lange duur van een lang-


durige overeenkomst, wordt zij zelden ineens gesloten. Een
onderscheid dat ook wel in verband met kortdurige overeen-
komsten kan worden gemaakt, krijgt bijzondere betekenis bij
langdurige overeenkomsten, het onderscheid nl. tussen (het defi-
nitieve contract) voorbereidende overeenkomsten (soms kortweg

(2) VAN HECKE,• De la nature du contrat d'entreprise dans lequel !'entrepreneur


fournit la matière •• R.C.J.B., 1951, p. 100 e.v.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 379

voorovereenkomsten genoemd) en overeenkomsten die onderdeel


zijn van het (in wording zijnde) definitieve contract. Kenmerkend
voor een voorbereidende overeenkomst is dat zij een op zichzelf
staande overeenkomst is die verbintenissen bevat welke de latere
overeenkomst weliswaar voorbereiden maar van de in die latere
overeenkomst vervatte verplichtingen niettemin onafhankelijk
zijn. Een deelovereenkomst bevat daarentegen verbintenissen
die reeds deel uitmaken van de definitieve overeenkomst waarvan
zij de eerste etappe vormt (3).
Een voorbereidende overeenkomst kan één of meerdere over-
eenkomsten voorbereiden. In het laatste geval zal zij veelal
voorbestemd zijn om gedurende een langere periode te gelden.
Een voorbeeld van een overeenkomst die maar één definitief
contract voorbereidt, is de overeenkomst waarbij de ene partij
aan de andere een recht van voorkeur (,,right of first refusal")
toekent met het oog op een latere, eventueel te sluiten definitieve
overeenkomst. Krachtens deze voorbereidende overeenkomst
verbindt de ene zich ertoe de andere als contractspartij te nemen
als zij beslist de hoofdovereenkomst (bijv. de verkoop van een
onroerend goed) aan te gaan. Andere voorbeelden zijn te vinden
in de zgn. ,,intentieverklaringen" (,,letters of intent") die vaak
in het zakenleven worden gesloten tussen partijen die over een
definitieve overeenkomst onderhandelen. Krachtens dergelijke
intentieverklaringen worden tussen de onderhandelende partijen
wederzijdse verplichtingen aangegaan omtrent het kader waarin
de onderhandeling verloopt : verbod om terzelfdertijd met
anderen te onderhandelen, verplichting om de onderhandeling
binnen een bepaalde periode te voeren, om het confidentiëel
karakter van de uitgewisselde informatie te bewaren, om be-
paalde voorbereidende studies te verrichten, om de kosten te
delen, enz ... (4).
Een voorbereidende overeenkomst kan ook meerdere over-
eenkomsten voorbereiden. Zo bijv. de alleenverkoopconcessie-
overeenkomst gesloten tussen een fabrikant en zijn voor een

(3) Voor meer bijzonderheden, zie MoussERON et SEUBE, ,,A propos des contrats
d'assistance et fourniture", Rec. Dalloz, 1973, Chron., p. 197 e.v., p. 199.
( 4) Over de verschillende soorten intentieverklaringen en hun bindende kracht,
zie "Les lettres d'intention dans la négociation des contrats internationaux", rapport
d'un groupe de tra.va.il, Droit et pratique du commerce international (hierna D.P.0.1.),
1977, nr. 2, p. 73 e.v.
RENÉ DEKKERS. - 25

........
380 W. VAN GERVEN

bepaald territorium aangeduide distributeur, of de exclusief-


bevoorradingsovereenkomst gesloten tussen een voortverkoper,
bijv. een caféhouder of een uitbater van een pompstation, en
de leverancier van een bepaald merkartikel. Dergelijke voorbe-
reidende overeenkomsten, die men in het algemeen raamover-
eenkomsten pleegt te noemen, bevatten allerlei afspraken om-
trent het algemeen kader binnen het welk de latere definitieve
contracten, in casu koop-verkoopovereenkomsten, zullen worden
gesloten. Die afspraken kunnen bijv. betrekking hebben op de
aflijning van het territorium, het exclusief karakter van de koop-
verkooprelatie, de af te nemen en/of in voorraad te houden
hoeveelheden, de wijze van reclame, de merkbescherming, enz ... ,
zij het dat in de raamovereenkomst vaak 00k al algemene voor-
waarden zullen worden opgenomen die de latere in het kader
van de raamovereenkomst te sluiten contracten betreffen (5).
In die zin is de raamovereenkomst soms ook al ten dele een
deelovereenkomst.
Deelovereenkomsten maken, zoals gezegd, reeds deel uit van
de definitieve overeenkomst. Men kan twee soorten onder-
scheiden : enerzijds overeenkomsten die, zoals de belofte tot
contracteren, reeds alle precieze verbintenissen bevatten maar
die, om definitief te worden, alleen nog maar een wilstoestem-
ming behoeven, in het geval van een eenzijdige belofte, of de
verwezenlijking van een of andere handeling of formaliteit, in het
geval van een wederkerige belofte; anderzijds overeenkomsten
die nog niet alle tussen partijen af te spreken verbintenissen be-
vatten of die, wat de latere stadia van de overeenkomst betreft,
nog maar algemene beginselverklaringen bevatten en die dus nog
door latere overeenkomsten moeten worden aangevuld en vol-
tooid. Deze laatste soort ontmoet men uiteraard vooral bij lang-
durige overeenkomsten die bijv. betrekking hebben op de bouw
van een technisch ingewikkeld complex waarvoor de voordu-
rende samenwerking en verstandhouding van partijen vereist is.

5. - Normatieve werking van feitelijke omstandigheden. De


matigende werking van de goede trouw bij ongelijkheid van
contractspartijen. - Op zichzelf is de langdurigheid van een

(5) Daarover meer : VAN GERVEN, Leerboek Handels- en Economisch Recht, I, 1978,
p. 171 e.v.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 381

overeenkomst niet een omstandigheid die de wetgever aanleiding


heeft gegeven bijzondere rechtsregelen uit te vaardigen. M.a.w.,
kortdurige en langdurige overeenkomsten zijn aan dezelfde alge-
mene regelen en beginselen van contractenrecht onderworpen.
Dit betekent niet dat de lange duur van een overeenkomst een,
feitelijk gegeven zou zijn dat juridisch volkomen irrelevant is.
Dat feitelijke gegevens belangrijk zijn bij de interpretatie en de
toepassing van rechtsregels is wel altijd aanvaard geworden. Dat
er ook een normerende kracht kan van uitgaan, m.a.w. dat het
juridische gehalte of de intensiteit van bepaalde rechtsgevolgen
kan gedetermineerd worden door een feitelijk gegeven, is een
inzicht dat steeds meer ingang vindt (6).
Twee feitelijke situaties waarvan aldus een normerende kracht
uitgaat, nl. in verband met het zo fundamentele vereiste van
de goede trouw, zijn enerzijds de feitelijke, bijv. sociaal-econo-
mische, ongelijkheid waarin een contractspartij zich, vergeleken
met de andere, kan bevinden en anderzijds, hetgeen het onmid-
dellijke voorwerp is van dit artikel, de langdurigheid van de
overeenkomst. Het eerste feitelijk gegeven verstevigt de corri-
gerende of matigende werking van het goede-trouw-vereiste, het
tweede versterkt de constructieve of opbouwende werking van
dat vereiste.
Wat het eerste betreft, de corrigerende of matigende werking
van de goede trouw kan ik kort zijn. Er zij nochtans vooraf op
gewezen dat, ofschoon artikel 1134 B.W. uitsluitend bedingt dat
overeenkomsten te goeder trouw moeten worden ten uitvoer
gelegd, op grond van historisch onderzoek kan worden aange-
toond dat, in de geest van de opstellers van het B.W., de con-
tractspartijen aan het vereiste van de goede trouw evenzeer bij de
contractsluiting moeten voldoen (7). Een illustratie van hoe dit
vereiste van goede trouw, in acht genomen de feitelijke ongelijk-
heid van contractspartijen, bij de contractsluiting een corrige-
rende rol speelt, wordt geboden door de jurisprudentiële leer
van de gekwalificeerde benadeling. Samengevat strekt die leer
ertoe de nietigheid van een overeenkomst door de rechter te
laten vaststellen op grond van misbruik dat een van de partijen

(6) Voor meer bijzonderheden, VAN GERVEN, Beginaelen van Belgisch Privaatrecht,
Algemeen Deel, p. 283 e.v.
(7) Zie de grondige studie van ABAS, Beperkende werking van de goede trouw, 1972,
p. 73 e.v.
382 W. VAN GERVEN

bij de contractsluiting heeft gemaakt van de zwakheid, de oner-


varenheid of de noodtoestand waarin de tegenpartij verkeerde,
als daaruit een ernstige benadeling is voortgesproten (8). Een-
zelfde corrigerende rol speelt de goede trouw bij de uitvoering
van de overeenkomst : de uitoefening van een contractueel recht
dat men nochtans rechtmatig voor zichzelf heeft bedongen,
wordt als een misbruik van recht gekwalificeerd indien die uit-
oefening plaats vindt met een overdreven egoïsme, nl. zonder
rekening te houden met de belangen van de wederpartij, m.a.w.
wanneer een contractspartij van haar contractueel bedongen
overwichtspositie kennelijk misbruik maakt (9).

6. - De opbouwende of constructieve werking van de goede


trouw bij langdurige contracten. - Het is een thans algemeen
aanvaarde opvatting dat het vereiste van goede trouw de ver-
plichting inhoudt voor alle contractspartijen tot samenwerking :
"Un auteur contemporain" (Demogue wordt bedoeld), zo schrijft
De Page, ,,a, d'autre part, tiré du principe de l'exécution de
bonne foi une idée fort intéressante, et surtout prodigieusement
fertile : le principe de la collaboration entre créancier et débiteur.
Chaque contractant est obligé, par le seul fait du contrat, d'ap-
porter à son cocontractant toute l' aide nécessaire pour assurer
une bonne exécution du contrat ... " (10).
Is dit al zo bij alle overeenkomsten, dan geldt dit uiteraard
nog veel meer voor langdurige contracten. Men kan in het alge-
meen bij wederkerige overeenkomsten onderscheid maken tussen
overeenkomsten waarbij partijen over en weer uiteenlopende
belangen hebben, en overeenkomsten waarbij zij daarentegen
gelijklopende belangen hebben. Een klassiek voorbeeld van de
eerste soort is de verkoopovereenkomst : de ene partij heeft
belang bij het verkrijgen van een zaak en heeft daarvoor het
betalen van een prijs over, de andere wenst geld te verkrijgen
en is daartoe bereid de zaak af te staan. Juist omdat de belangen
van beide partijen tegengesteld zijn, komt de overeenkomst tot

(8) Daarover : DE BERSAQUES, ,.La lésion qualifiée et sa sanction", R.C.J.B., 1977,


p. 10 e.v.
(9) Over het misbruiken van contractuele rechten en bevoegdheden, zie : DE BER•
SAQUES, ,.L'abus de droit en matière contractuelle", R.C.J.B., 1969, p. 501 e.v. Zie
verder over de matigende rol van de goede trouw in het algemeen : DE PAGE, Traité,
Il, nr. 554, p. 540.
(10) DE PAGE, op. cit., nr. 469, p. 461.
LANGDURIGE OVEREENMOMSTEN 383

stand. Een even klassiek voorbeeld van de tweede soort is


de vennootschapsovereenkomst : alle contracterende partijen
hebben een gelijklopend belang, nl. door samen te werken ter
verwezenlijking van een bepaald doel, een gemeenschappelijke,
onder elkaar te verdelen winst te maken. Welnu, bij overeen-
komsten van lange duur is het tweede element, het associatie-
element, nooit volledig afwezig, ook al betreft het een overeen-
komst van het eerste type. Zo bijv. een aannemingsovereenkomst
tot het bouwen van een technische fabrieksinstallatie. De
aannemer en de bouwheer hebben ongetwijfeld tegengestelde
belangen en oogmerken bij het bouwen van de fabriek ; toch
zullen zij voor de duur van de overeenkomst nauw met elkaar
moeten samenwerken. Een ander voorbeeld vormt een alleen-
verkoopconcessie-overeenkomst. Gesloten met het oog op het
totstandkomen tussen de contractspartijen van verkoopover-
eenkomsten, heeft zij wezenlijk tot doel partijen te laten
samenwerken tot het prospecteren van een markt en het commer-
cialiseren van een bepaald produkt. De samenwerkingsverplich-
ting die bij alle overeenkomsten inherent is aan het vereiste van
goede trouw, is dus bij langdurige overeenkomsten, juist omwille
van h,et feitelijk gegeven van de lange duur, nog noodzakelijker
dan bij andere overeenkomsten en daarom ook - illustratie
van het normerende effect van feitelijke gegevens - juridisch
dwingender (11).
Uit deze bij langdurige contracten versterkte samenwerkings-
verplichting kunnen, zoals uit de rechtspraak van gewone en
scheidsgerechten blijkt, zeer concrete verplichtingen worden
afgeleid, waardoor meteen kan worden aangetoond hoe het
vereiste van goede trouw constructief werkt met het oog op
de voltooiing van wat tussen partijen overeengekomen werd.
Krachtens de goede trouw zijn partijen immers verplicht alles
in het werk te stellen om in het onzekere gebleven punten door
aanvullende onderhandelingen te verduidelijken o.m. teneinde
meningsverschillen te vermijden of bij te leggen, enz .... Er rust

(Il) De samenwerkingsplicht van contractspartijen wordt in een recente onuitge-


geven scheidsrechterlijke uitspraak op treffende manier als volgt omschreven : ,,Les
parties ... devaient être parfaitement conscientes que seule une collaboration loyale,
totale et constante entre elles pouvait éventuellement permettre de résoudre, au delà ·
des difficultés inhérentes à l'exécution de tout contrat, les nombreux problèmes résul-
tant de !'extrême complexité dans la formulation et l'enchevêtrement des engagements
litigieux ... •· Cfr rapport Horsmans, colloquium CEPANI.
384 W. VAN GERVEN

op hen als het ware een vredesplicht. Zo bijv. mag een contracts-
partij bij gelegenheid van onderhandelingen geen onaanvaard-
bare voorstellen doen om de onderhandeling te laten mislukken.
Zo werd zelfs door scheidsrechters beslist dat een contractspartij
ertoe gehouden is voorstellen te doen tot aanpassing van de
overeenkomst "pour que l' exécution du contrat ne devienne pas
manifestement inéquitable". Zo ook moeten partijen, ingeval
van overmacht waardoor de uitvoering van de overeenkomst
wordt opgeschorst, alles in het werk stellen om de gevolgen van
de overmacht zoveel mogelijk te beperken en moeten zij, wanneer
overheidsvergunningen noodzakelijk zijn, zich voor het ver-
krijgen daarvan met de nodige diligentie inzetten (12). Het komt
overigens meer en meer voor dat partijen aan deze impliciete
verplichtingen uitdrukkelijk gestalte geven door middel van
expliciete contractsclausules, waarbij de samenwerkingsverplich-
ting dan vaak nog wordt uitgebreid (13). Een voorbeeld daarvan
komt hierna ter sprake in verband met het voorkomen van
onvoorziene omstandigheden.

SPECIFIEKE PROBLEMEN

7. - Hierna worden drie specifieke problemen iets uitvoeriger


besproken, nl. de prijsbepaling, het voorkomen van onvoorziene
omstandigheden en de regeling van conflicten.

8. - Prijsbepaling. -- Het ligt voor de hand dat bij lang-


durige overeenkomsten het bepalen van de prijs moeilijkheden
meebrengt. De fluctuerende kostprijs van arbeid en materialen
en de variërende muntpariteiten maken het onmogelijk de prijzen
forfaitair voor een lange periode vast te stellen. Een oplossing
voor deze moeilijkheden kan in twee richtingen worden gezocht.
Ofwel voorziet men de forfaitair vastgestelde prijs, van een
verhogingsclausule waardoor die prijs aan een of andere index
wordt gekoppeld. Bij aannemingscontracten is dit gebruikelijk
wanneer de aanneming tegen een totale vaste prijs (marché à
forfait, à prix global) of volgens prijslijst (à bordereau de prix)

(12) Zie over al wat voorafgaat : MORIN, ,,Le devoir de coopération dans les con-
trats internationaux. Droit et pratique", D.P.C.I., 1980, nr. 1, p. 9-28, p.
(13) Ibid., p. 19 e.v.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 385

werd overeengekomen : in het eerste geval draagt de aannemer


het risico zowel wat betreft de fluctuaties in de kostprijs van
arbeid en materialen als wat betreft de reële omvang van de
werken ; in het tweede geval draagt hij alleen het risico van
kostprijsfluctuaties aangezien de forfaitaire prijs niet globaal
voor het hele werk maar slechts per eenheid arbeid of materiaal
werd vastgesteld (14). In beide gevallen kan de aannemer aan
het prijsrisico tenminste gedeeltelijk ontsnappen door de globale
prijs of de eenheidsprijzen te indexeren. Dergelijke indexerings-
clausules zijn vaak geïnspireerd door bestaande wettelijke of
reglementaire bepalingen (15).
Onder voorbehoud van bij bijzondere wet ingestelde beper-
kingen van dwingende aard (16) zijn dergelijke indexerings-
clausules geldig (17). Heeft de clausule betrekking op werken
die in het buitenland moeten worden uitgevoerd, zij het met,
althans gedeeltelijk, in België vervaardigde materialen, dan
kunnen verschillende indexclausules voorzien zijn, waarvan de
ene, die dan bijv. betrekking heeft op het in Belgische frs.
betaalbare gedeelte van de aannemingsprijs, verwijst naar de
Belgische lonen en sociale zekerheidslasten en de andere, met
betrekking tot het in het buitenland in buitenlandse munt betaal-
bare gedeelte, verwijst naar de buitenlandse loonkost.
Ofwel wordt in de overeenkomst geen vaste prijs bepaald maar
wordt overeengekomen dat de toepasselijke prijzen in de loop
van de uitvoering van de overeenkomst regelmatig zullen worden
vastgesteld aan de hand van bijv. de op het ogenblik van uit-

(14) Over beide vormen van prijsbepaling, zie art. 5, § 2 en § 3 K.B. 22 april 1977
betreffende de overheidsopdrachten voor aanneming van werken, leveringen en diensten.
(15) Zo bijv. art. l K.B. 21 oktober 1971 houdende uitvoering van de wet van
9 juli 1971 tot regeling van de woningbouw en de verkoop van te bouwen of in aan-
bouw zijnde woningen, evenals art. 53 van het in de vorige noot genoemde K.B. van
22 april 1977 en art. 13 M.B. 10 augustus 1977 houdende vaststelling van de algemene
aannemingsvoorwaarden van de overheidsopdrachten van werken, leveringen en
diensten.
(16) Zie bijv. art. 57 Wet 30 maart 1976 betreffende de economische herstelmaat•
regelen volgens hetwelk bestaande en toekomstige, industriële of commerciële con-
tracten slechts prijsherzieningsbedingen mogen bevatten voor zover zij maximum
80 pct van de eindprijs betreffen en verwijzen naar parameters die de reële kosten
vertegenwoordigen, waarbij elke parameter alleen toepasselijk mag zijn op dat
gedeelte van de prijs dat beantwoordt aan de kosten die hij vertegenwoordigt. De
bepalingen van art. 57 zijn echter niet van toepassing op overeenkomsten "met een
buitenlands element, behalve wanneer ze betrekking hebben op in België uit te voeren
prestaties (én) door personen die in België verblijven, werden gesloten" ( § 6).
(l 7) Zie de grondige studie van ScHOENTJES-MERCHIERs, De waardebeveiligings•
bedingen in het recht van de landen der EEG, 1968, 499 p.
386 W. VAN GERVEN

voering gebruikelijke prijzen. Ook deze variante komt bij aan-


nemingscontracten voor wanneer de aanneming nl. in regie (en
régie) gebeurt, hetgeen betekent dat de aannemer geen risico
neemt noch in verband met de omvang van de werken noch in
verband met de prijs, aangezien de prijs van de reëel uitgevoerde
werken zal vastgesteld worden op grond van de op het moment
van de uitvoering geldende prijzen. Een variante van deze
formule is de aanneming op grond van gecontroleerde uitgaven
(à dépenses controlées ou à remboursement) waarbij de prestaties ·
van de aannemer worden vergoed door terugbetaling van de
gecontroleerde kostprijzen vermeerderd met een vooraf overeen-
gekomen coëfficiënt uit hoofde van algemene onkosten en winst-
vergoeding. De geldigheid van dergelijke prijsclausules wordt
evenmin betwist ; zij worden trouwens uitdrukkelijk voorzien
in de reglementaire bepalingen inzake overheidsopdrachten (18).

9. - De tweede hiervoor genoemde formule van prijsbepaling


komt vaak voor in alleenverkoopconcessie- en exclusief bevoor-
radingsovereenkomsten, dit zijn, zoals al gezegd (supra, nr. 4),
voorbereidende overeenkomsten in het raam waarvan latere
aan- en verkoopovereenkomsten worden gesloten. In de raam-
overeenkomst staat dan bijv. een algemene clausule volgens
dewelke de bij latere aan- of verkoop toepasselijke prijzen de
op de dag van de levering in die streek gebruikelijke prijzen
zullen zijn voor produkten van dezelfde kwaliteit of de prijzen
die op dat ogenblik volgens de algemene verkoopsvoorwaarden,
prijstarieven of -catalogi van de leverancier zullen gelden.
In Frankrijk hebben deze clausules voorkomend in exclusief
bevoorradingsovereenkomsten, geen genade gevonden in de ogen
van het Hof van Cassatie. Bij arresten van 27 april 1971 werden
bevoorradingscontracten gesloten tussen petroleummaatschap-
pijen en uitbaters van pompstations waarin dergelijke prijsbe-
palingsclausules voorkwamen, vernietigd omdat zij, bij afwezig-
heid van een bepaalde of bepaalbare prijs, niet zouden voldoen
aan de voorschriften van de artikelen 1591 en 1592 B.W. (19).

(18) Zie het reeds genoemde art. 5, § 4 K.B. 22 april 1977. Voor meer. bijzonder-
heden, FLAMME, Traité. théorique et pratique des marchés pul)lics, I, 1969, p. 382. In
verband met private aannemingscontracten, zie : DE PAGE, Traité., IV, 1972, nr. 866
e.v., p. 993 e.v.
(19) Zie o.m. de arresten gepubliceerd in Bull. civ., 1971, IV, nr. 10.7, p. 99-101
en in DaU., 1972, Jur., p. 353 met noot GHESTIN.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 387

Volgens het eerstgenoemde artikel moet de koopprijs bepaald


zijn en door partijen worden vastgesteld; het tweede artikel
voegt daaraan toe dat de bepaling van de koopprijs niettemin
aan een derde kan worden opgedragen : indien die derde de waar-
dering niet wil of niet kan doen, is er geen koop. Prijsbepaling
door een van de contractspartijen wordt door die artikelen daar-
entegen niet toegelaten. Enige jaren later, nl. bij arresten van
11 oktober 1978, bevestigde het Franse Hof van Cassatie zijn
rechtspraak, ditmaal in verband met zogenaamde brouwerij-
contracten (20). Deze keer echter beriep het Hof zich niet op
de artikelen 1591 en 1592 B.W. maar op artikel 1129 B.W.,
volgens hetwelk het voorwerp van een verbintenis een zaak moet
zijn die tenminste ten aanzien van haar soort moet zijn bepaald.
Deze verschuiving wat de motivering betreft doet vreemd aan,
als men voor ogen houdt dat het B.W. in verband met de koop-
overeenkomst, nl. in artikel 1582, de te leveren zaak duidelijk
onderscheidt van de te betalen prijs. Zij is evenwel begrijpelijk
gelet op de concrete feitensituatie bij brouwerijcontracten : met
betrekking tot deze contracten kon het Hof de toepasselijkheid
van artikel 1591 e.v. B.W. - hetgeen de gelijkschakeling van
de brouwerij-overeenkomst met een verkoopovereenkomst impli-
ceert - niet volhouden omdat de brouwerijovereenkomst in casu
gesloten was tussen de brouwer en de caféhouder terwijl de
eigenlijke verkoopovereenkomsten met de caféhouder zouden
worden gesloten door de voor het betrokken territorium aange-
duide distributeur.
Uit deze Franse cassatierechtspraak volgt dat overeenkomsten
die een prijsclausule bevatten waarbij voor de bepaling van de
prijs verwezen wordt naar elementen die van de wil van één van
de contractspartijen afhangen, of zelfs algemener naar elementen,
zoals de lokale marktprijs, die geen precieze en objectieve refe-
rentie inhouden, nietig zijn. Doordat voor de motivering van
deze zienswijze niet meer verwezen wordt naar de artikelen 1591
en 1592 B.W. inzake verkoopovereenkomst, maar naar het alge-
mener artikel 1129 B.W., ziet het er naar uit dat deze rechtspraak
algemeen geldend is voor alle overeenkomsten bij dewelke de
prijsbepaling essentiëel is.

(20) Zie o.m. in J. Cl. Commercial, nr. 13061, p. 333 met noot LoussouABN.
388 W. VAN GERVEN

10. - De Franse zienswijze vindt geen navolging in België.


Vooreerst dient te worden opgemerkt dat de gelijkschakeling
van bevoorradingsovereenkomsten (of verkoopconcessie-overeen-
komsten) met verkoopovereenkomsten in België nooit bewust
werd verdedigd. Uit het hiervoor (supra, nr. 4) toegelichte onder-
scheid tussen voorbereidende overeenkomsten, in het bijzonder
raamovereenkomsten, enerzijds en de in het kader daarvan
gesloten definitieve overeenkomsten anderzijds blijkt overigens
dat een dergelijke gelijkschakeling een spijtige verwarring uit-
maakt. Het voorwerp van de (meestal exclusief) bevoorradings-
of concessieovereenkomst is het bepalen van het algemeen kader
binnen hetwelk leverancier en voortverkoper hun inspanningen
zullen bundelen om de verkoop van een bepaald produkt te pro-
moveren (21). De afwezigheid in de raamovereenkomst van een
prijs- of voldoend objectieve prijsbepalingsclausule is dus geen
reden tot vernietiging van de overeenkomst, aangezien arti-
kel 1591 op dergelijke overeenkomst geen toepassing vindt. Wel
kunnen, zolang geen prijs wordt bepaald, de in het kader van
de raamovereenkomst te sluiten verkopen niet geldig tot stand
komen. Dit betekent evenwel niet dat de raamovereenkomst geen
bindende kracht heeft : vanwege de contractspartij die bijv.
door onredelijke prijzen te eisen, de uitvoering van de raamover-
eenkomst onmogelijk maakt, kan door de wederpartij tenminste
schadevergoeding worden geëist.
Daarenboven geldt dat artikel 1591 B.W. in België veel libe-
raler wordt geïnterpreteerd, hetgeen dus, zoals hierboven gezegd,
van groot belang is voor het geldig tot stand komen van de in
uitvoering van de raamovereenkomst te sluiten verkopen. Zo
lijkt een clausule die expliciet of impliciet naar de bij de levering
courante of gebruikelijke prijzen verwijst - hoe weinig precies
zij ook moge zijn - te voldoen aan het bepaalbaarheidsvereiste
van artikel 1591 (22). Evenzeer is het toegelaten, krachtens
artikel 1592, de prijsbepaling aan een derde over te laten, op
voorwaarde dat die derde door de contractspartijen is aange-
wezen, ook al hebben partijen hem voor het overige geen bereke-

(21) Zie VAN GERVEN, Beginselen van Belgisch Privaatrecht, XIII, l, Ondernemings-
recht, 2de herziene druk, 1978, p. 324 e.v.
(22) Zie DE PAGE, Traité, IV, 1972, nr. 37, p. 70 e.v.; Rép. prat. dr. Belge, V 0 Vente,
nr. 164 e.v.; - zie ook PAULUS-DE-RODE, .,La détennination du prix dans les contrats
en droit beige", D.P.O.I., 1980, nr. l, p. 89 e.v.
LANGDURIGE OVEREENMOMSTEN 389

ningselementen verstrekt (23). Wat door de artikelen 1591 en


1592 in wezen verboden wordt is dat de prijsbepaling aan de
wil van één van de contractspartijen wordt overgelaten. M.a.w.,
in tegenstelling tot wat voor andere overeenkomsten geldt (o.m.
voor de aannemingsovereenkomst) (24) is de partijbeslissing
inzake verkoop uit den boze.
Blijft de vraag of dit meebrengt dat een clausule houdende
een verwijzing naar de op het ogenblik van de levering geldende
prijstarieven of -catalogi van de leverancier, aan de artikelen 1591
en 1592 voldoet. Het antwoord hangt ervan af of dergelijke
prijstarieven eigenmachtig door de leverancier kunnen worden
vastgesteld dan wel of zij, in acht genomen het concurrentiëel
karakter van de markt, afhankelijk zijn van objectieve, door
een rechter toetsbare factoren (25) : ingeval van reële mede-
dinging hangt de bepaling van de prijs niet uitsluitend af van
de wil van de leverancier zodat een verwijzing naar prijstarieven
van de leverancier die dan kunnen getoetst worden aan de op
de markt gebruikelijke prijzen, lijkt te voldoen aan het bepaal-
baarheidsvereiste van artikel 1591. Het antwoord blijft niettemin
twijfelachtig zodat de voorkeur moet worden gegeven aan een
objectievere, minder van de leverancier afhankelijke formule.

11. - Het bepalen van een prijs blijft altijd een aangelegen-
heid, ook bij langdurige contracten, t.a.v. dewelke contractspar-

(23) SIMONT en DE GAVRE, ,,Examen de jurisprudence (1969-1975), Les contrats


spéciaux", R.C.J.B., 1976, p. 368. De aanwezigheid van door partijen overeengekomen
berekeningselementen is daarentegen wel vereist, wil voldaan zijn aan art. 1591 B.W.,
als de derde niet door partijen werd a&ngewezen (cfr 'vente à <lires d'experts') : aldus
Cass., 5 juni 1953, Pas., 1953, I, 769. Met de hypothese dat niet de partijen de derde
hebben aangewezen - zodat de verkoop, wil hij geldig zijn, objectieve berekenings-
elementen moet bevatten - moet, aldus de genoemde auteurs, worden gelijkgesteld
de hypothese dat de derde werd aangewezen door een daarmee door partijen belaste
derde, bijv. de voorzitter van de rechtbank van eerste aanleg (loc. cit., p. 370), tenzij,
zo moet daar m.i. worden aan toegevoegd, dat partijen zich uitdrukkelijk hebben
akkoord verklaard, de beslissing van de door die derde aangewezen derde als een tussen
hen overeengekomen afspraak te beschouwen : infra, nr. 16. Hoe dit ook weze, bij
arrest van 21 september 1972 (Pas., 1973, I, 76; R. W., 1972-73, 895) heeft het Hof
van Cassatie beslist dat de artikelen 1591 en/of 1592 geen toepassing vinden op een
verkoopovereenkomst die geen afzonderlijke overeenkomst uitmaakt maar slechts
bijkomstig is t.a.v. een anderssoortige overeenkomst, bijv. een aannemingsovereen-
komst.
(24) Daarover : RONSE, ,,Beschouwingen over marginale toetsing", in Liber Amico-
rum Mgr. Onclin, 1976, p. 367 e.v., p. 374 en "Marginale toetsing in het privaatrecht",
in T.P.R., 1977, p. 207 e.v., p. 215.
(25) Vgl. in dit opzicht met de geldigheid van de potestatieve voorwaarde : zie
GHESTIN, ,,L'indétermination du prix de vente et la condition potestative", Dalloz,
1973, Chron., p. 293 e.v., p. 296.
390 W. VAN GERVEN

tijen tegenstrijdige belangen hebben. De samenwerking die


contractspartijen aan de dag moeten leggen bij de uitvoering
van een overeenkomst, zal derhalve op dit punt wel minder
duidelijk tot uiting komen. Toch is het mogelijk en wenselijk
zelfs inzake prijsbepaling, naar clausules te streven die partijen
tot samenwerking aanzetten. Tot voorbeeld daarvan de volgende
clausule (uit een Nederlands contract) :
"6. Price. - 6.1. The price for each contract quarter will be
negotiated during the month immediately preceding that contract
quarter, on the basis of the expected market price in The Nether-
lands during the contract quarter in question, in such a way that
Distributor will be enabled to be competitive on the Dutch Market.
6.2. If the parties fail to agree on the price for any contract
quarter, before the first day of that quarter, the price valid during
the preceding quarter or any other price agreed upon will provi-
sionally apply during that quarter. As soon as possible after the
end of that contract quarter the parties will determine the definite
price for that quarter based on the principle outlined in 6.1. and
the actual market price developments during that quarter.
Il parties still fail to reach agreement the price will be determined
by arbitration in accordance with the provisions of section ... ".

In deze clausule worden partijen twee keer aangezet tot het


bereiken van overeenstemming over de voor elk trimester toepas-
selijke prijzen : eenmaal vóór de aanvang van het trimester
op grond van de te verwachten marktprijs, eenmaal, bij ontsten-
tenis van akkoord, na afloop van het trimester op grond van de
werkelijk genoteerde marktprijs. Naast de verwijzing naar de
"marktprijs" komt een verwijzing voor naar het concurrentiëel
karakter van de overeen te komen prijzen. Geraken partijen
het niet eens, dan wordt een beroep gedaan op de algemene in
de overeenkomst voorziene arbitrageclausule. Dit laatste is, naar
Belgisch recht, voor verbetering vatbaar.
De omstandigheid dat naar arbitrage verwezen wordt, wijst
er immers op, zoals hierna nog wordt verduidelijkt (nr. 15 e.v.),
dat partijen van oordeel zijn dat een geschil voorhanden is, dat
door de (scheids)rechter aan de hand van in de overeenkomst
vervatte criteria in overeenstemming met artikel 1591 B.W. kan
worden beslecht. Zijn deze criteria niet voorhanden, dan heeft
men te doen met een onvolledige overeenkomst. De vervolledi-
ging van dergelijke overeenkomst behoort evenwel niet tot de
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 391

opdracht van een rechter, zelfs niet een scheidsrechter, trouwens


evenmin van een deskundige (26). Dergelijke taak ·kan alleen
worden toevertrouwd, zoals voorzien in artikel 1592 B.W., aan
een derde mandataris (27). Gelet op het voorgaande dient de
clausule derhalve in een of andere zin te worden aangepast : ofwel
blijft men een beroep doen op de scheidsrechterlijke procedure
maar dan dient men in de overeenkomst objectieve prijsbereke-
ningselementen op te nemen, waartoe het m.i. kan volstaan te
verwijzen naar de in de eerste alinea van het geciteerde artikel 6.2
al genoemde criteria, ofwel voorziet men in de tussenkomst van
een derde-mandataris, bijv. door te verwijzen naar het verder
genoemde reglement van de I.K.K. tot regeling van contractuele
betrekkingen (infra, nr. 15), met als opdracht de overeenkomst
inzake prijsbepaling te vervolledigen, en dan moet men in de
overeenkomst geen nadere berekeningselementen opnemen (28).

12. - Overmacht en onvoorziene omstandigheden. - Het hoeft


geen betoog dat gevallen van overmacht en onvoorziene omstan-
digheden zich vooral kunnen voordoen bij langdurige contracten.
Beide, onvoorziene omstandigheden en voorva,1len die overmacht
uitmaken, zijn met elkaar nauw verwant.
Overmacht duidt op alle redelijkerwijze niet te voorziene voor-
vallen voorgekomen na de contractsluiting die niet te wijten
zijn aan een fout van de schuldenaar en die de uitvoering van
de overeenkomst, tijdelijk of definitief, (redelijkerwijze) onmoge-
lijk maken en niet alleen maar moeilijker of kostelijker (bijv. als
die overeenkomst de levering van genus-zaken tot voorwerp
heeft : genera non pereunt). Overmacht bevrijdt de schuldenaar,

(26) De opdracht vaneen scheidsrechter verschilt immers niet van die van een rechter :
beiden hebben tot opdracht een geschil te beslechten en niet - in de plaats van de
contractspartijen - de overeenkomst te wijzigen of te vervolledigen : cfr infra, nr. 15.
Zie daaromtrent de lezenswaardige noot van Robert onder bat merkwaardige arrest
van het Parijse hof van beroep, Parijs 28 september 1976, J. Cl., Jur., 1978, nr. 18810.
Ook de tussenkomst van een deskundige is beperkt tot het berekenen van de prijs
aan de hand van in de overeenkomst vervatte elementen : zie Rép. prat. dr. bel.ge,
V 0 Vente, nr. 170.
(27) Cfr DE PAGE, Traité, IV, nr. 41, p. 76. Zie ook infra, nr. 16.
(28) Men kan de twee wegen natuurlijk ook combineren in die zin dat men eerst
voorziet in de aanduiding van een derde-mandataris ter vervollediging van de overeen•
komst, waarna men, voor het geval dat de aldus aangevulde overeenkomst niet wordt
uitgevoerd, een beroep kan doen op arbitrage : daarover Robert in zijn noot, hier-
voor geciteerd in voetnoot 26 met verwijzing naar de werkzaamheden van het Congres
van de International Bar Association in Stockholm 1976.
392 W. VAN GERVEN

d.w.z. schorst zijn verbintenis op als de overmacht tijdelijk is,


dooft ze volledig uit als ze definitief is. Bij eenzijdige overeen-
komsten moet daar niets worden aan toegevoegd. Bij wederkerige
overeenkomsten echter rijst de vraag naar het verschuldigd zijn
van de tegenprestatie. Ofschoon niet bij wijze van algemene
oplossing voorzien in het B.W., wordt algemeen aanvaard dat
de wederpartij, ingevolge het nauw verband van de over en weer
overeengekomen verbintenissen, evenmin gehouden is tot uit-
voering, hetgeen betekent dat de contractspartij die de over-
macht als bevrijdende omstandigheid inroept (d.i. de debiteur
van de onmogelijk geworden verbintenis) in feite het risico van
de overmacht draagt (res perit debitori). Een uitzondering op
deze algemene regel doet zich evenwel voor wanneer de verbin-
tenis die door overmacht onmogelijk wordt gemaakt, bestaat in
de eigendomsoverdracht van een specifiek, welbepaald voorwerp.
In een dergelijk geval is de eigendom immers van bij de contract-
sluiting, ingevolge de wilsovereenstemming tussen partijen, op
de wederpartij overgegaan. Al wordt de effectieve levering van
het voorwerp achteraf onmogelijk tengevolge van overmacht,
toch moet de wederpartij die immers al van bij de contractslui-
ting eigenaar was geworden nog de eigen prestatie, nl. de betaling
van de prijs uitvoeren (res perit domino). Tot zover een korte
samenvatting van de hoofdlijnen van de leer van de overmacht,
waaraan moet worden toegevoegd dat partijen van deze slechts
suppletieve regeling bij overeenkomst' kunnen afwijken (29).
, Onvoorziene omstandigheden maken de uitvoering van de over-
eenkomst niet onmogelijk, alleen maar moeilijker of kostelijker.
Hierin ligt het fundamentele onderscheid met overmacht. Zoals
bij overmacht moet het evenwel redelijkerwijze niet te voorziene
omstandigheden betreffen, voorgekomen na de contractsluiting,
die niet toerekenbaar zijn aan de schuldenaar. Wanneer derge-
lijke omstandigheden het evenwicht of de structuur van de over-
eenkomst (,,l'économie du contrat") zodanig aantasten of omver-
werpen dat de schuldenaar de eruit voortvloeiende verzwaring
van zijn verbintenis redelijkerwijze niet in de koop zou hebben
genomen als hij ze voorzien had (30), of anders geformuleerd :

(29) Voor meer bijzonderheden: DE PAGE, Traité, II, nr, 587 e.v, alsmede 851 e.v.;
VANDEPUTTE, De overeenkomst, p. 181 e.v.
(30) Zie DE PAGE, op. cit., nr. 574, p. 559 e.v.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 393

dat het voor de schuldeiser in strijd zou zijn met de goede trouw
de schuldenaar tegen de overeengekomen voorwaarden tot uit-
voering gehouden te achten, dan, zo is aangevoerd geworden,
zou er voor de rechter aanleiding zijn om de overeenkomst op
verzoek van de benadeelde partij te verbreken of zelfs om haar
aan de gewijzigde omstandigheden aan te passen. Afgezien van
enkele bijzondere bij wet gemaakte toepassingsgevallen heeft
deze zienswijze in België geen ingang gevonden (31). De eerbied
van de rechtbanken voor de regel pacta sunt servanda maar vooral
de terughoudendheid van diezelfde rechtbanken om regulerend
op te treden zijn daarvoor verantwoordelijk (32). Tengevolge
van deze houding wordt het risico van de onvoorzienbare omstan-
digheden, behoudens andersluidende contractuele regeling, volle-
dig ten laste gelegd van de debiteur (33), die ten allen prijze
moet uitvoeren en dit zowel bij eenzijdige contracten als bij
wederkerige overeenkomsten (in welk geval hij van de weder-
partij slechts de contractueel voorziene en bij veronderstelling
fel onvoldoende tegenprestatie ontvangt).

13. - Beide theorieën, die van de overmacht en die van de


onvoorziene omstandigheden, leiden dus, zoals ze in België
worden toegepast (d.i. wat de tweede betreft : niet wordt toege-
past) (34) tot, althans in rechte, diametraal tegengestelde oplos-
singen. Ingeval van overmacht is de debiteur niet meer gehouden
zijn verbintenis uit te voeren, bij onvoorziene omstandigheden
moet hij wel uitvoeren. Bij eenzijdige overeenkomsten geeft dit
ook in feite aanleiding tot tegengestelde resultaten : ingeval van
overmacht draagt de schuldeiser het risico ; bij onvoorziene
omstandigheden is dit de schuldenaar. Bij wederkerige overeen-
komsten daarentegen, valt het risico bij overmacht op de debi-
teur (die immers geen recht meer heeft op tegenprestatie) behalve

(31) Zie de verwijzingen bij DE PAGE, op. cit., nr. 578, p. 567 e.v.
(32) Ibid., nr. 597, p. 569 e.v. - -
(33) Niet echter bij muntontwaarding; ingevolge de veralgemeende toepassing van
de in art. 1895 B.W. voorziene oplossing (betaling van nominaal bedrag) worden de
gevolgen van de muntontwaarding ten laste van de schuldeiser gelegd. Hier zou even-
tueel aanleiding zijn om de theorie van de 'onvoorziene' ( !) omstandigheden (of een
andere op de goede trouw gesteunde theorie) die normaal bestemd is om de debiteur
ter hulp te komen, aan te wenden in het voordeel van de schuldeiser. Zie VANDEPUTTE,
De Overeenkomst, p. 186.
(34) Voor een vergelijking van het Belgisch recht met andere, uitvoerig besproken
rechtssystemen, zie VAN 0MMESLAGHE . .,Les clauses de force majeure et d'imprévision
(hardship) dans les contrats intflrnationaux", Rev. int. dr. comp., 1980, p. 7 e.v.
394 W. VAN GERVEN

wanneer zijn verbintenis bestond in de eigendomsoverdracht van


een bepaald goed (in welk geval de tegenpartij toch nog moet
presteren); bij onvoorziene omstandigheden valt het risico in
elk geval op de debiteur (die immers nog ten alle prij ze moet
presteren en daarvoor slechts een onvoldoende wederprestatie
terugkrijgt). Ofschoon de twee situaties dus, wat de rechts-
gevolgen betreft, zo verschillend zijn, kunnen zij in de praktijk
niet altijd even gemakkelijk van elkaar worden onderscheiden.
Juridisch bekeken ligt het fundamentele onderscheid _immers
hierin dat bij overmacht de uitvoering van de overeenkomst
onmogelijk, bij onvoorziene omstandigheden alleen maar (enorm)
moeilijker of duurder wordt gemaakt. Welnu, dit onderscheid
is theoretisch gemakkelijk te maken, niet echter in de praktijk
vooral als men voor ogen houdt dat er in de rechtspraak een
begrijpelijke tendens bestaat om het vereiste van de onmoge-
lijkheid bij overmacht ruim te interpreteren : ,,il faut, mais il
suffit, que l'exécution soit normalement impossible, eu égard aux
circcmstances et aux conditions de vie" (35), waardoor de twee
begrippen "onmogelijkheid" en "bemoeilijking" (van de uit-
voering) vlak bij elkaar komen te liggen.
In de (vooral internationale) contractspraktijk heeft deze
stand van zaken tot gevolg dat vaak door een ruime formulering
van de overmachtsclausule, waardoor het onderscheid tussen
onmogelijkheid en bemoeilijking van de prestatie nog meer wordt
uitgewist, ook gevallen die onder de leer van de onvoorziene
omstandigheden zouden kunnen ressorteren, als een geval van
overmacht worden beschouwd (36). Hier volgt een voorbeeld
(cursief toegevoegd) van dergelijke ruime clausule :
"17. Force majeure. - 17 .1. The obligations of each party other
than the obligations to make payments of money as provided in
this agreement shall be suspended while such party is prevented or
hindered from complying therewith, in whole or in part, by force
majeure including, but not limited to, strikes, lockouts, labor and
civil disturbances, acts of God, unavoidable accidents, laws, rules,
regulations or orders of any national, municipal or other govern-
mental agency, whether domestic or foreign, acts of war or con-
ditions arising out of or attributable to war (declared or undeclared),
shortage of necessary equipment, materials, labor or restrictions thereon,

(35) DE PAGE, op. cit., nr. 602, p. 601.


(36) Daarover meer : KAHN, ,,Force majeure et contrats internationaux de longue
durée", Clunet, 1975, p. 467 e.v.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 395

or limitations upon the use thereof, delays in transportation, or other


matters beyond the control of such party, whether similar to the
matters herein specified or not."

Onder deze clausule komen dus ook omstandigheden die de


uitvoering alleen maar hinderen zoals - zo wordt verder gepreci-
seerd - een schaarste, of beperking van het gebruik van appara-
tuur, materiaal, arbeid : dit zijn omstandigheden die, wanneer
zij aanleiding geven tot een ernstige verstoring van het evenwicht
van de overeenkomst, als omstandigheden geviseerd door de (in
België niet toegepaste) theorie van de onvoorziene omstandig-
heden dienen te worden beschouwd.

14. - Bij de regeling naar Belgisch recht van de situaties


van overmacht en onvoorziene omstandigheden kan nog een
andere bemerking worden gemaakt. Beide regelingen zijn "kin-
deren van hun tijd", in die zin dat zij volledig aansluiten bij
de individualistische ingesteldheid van de Code civil, zoals die
inzake contracten door het beginsel van de individuele wils-
autonomie werd verwoord. Beide gaan er immers van uit dat
één van partijen, meestal de schuldenaar, soms de schuldeiser,
volledig de last moet dragen van overmacht of onvoorziene
omstandigheden. Welnu, deze opvatting lijkt mij steeds minder
te verenigen met de veranderende visie die meer de nadruk legt
op de gelijkheid van, ja zelfs de solidariteit tussen contracts-
partijen in wel én wee (37), zoals die veruiterlijkt wordt in de
samenwerkingsplicht die, zeker bij langdurige overeenkomsten,
uit het vereiste van de goede trouw kan worden afgeleid (supra,
nr. 6).
Dat de solidariteitsgedachte in dit verband aan een reële
behoefte beantwoordt, blijkt trouwens uit de contractspraktijk.
Zo ontmoet men, met betrekking tot overmacht, regelmatig
contractuele clausules die aan partijen over en weer de verplich-
ting opleggen alles in het werk te stellen om de kwalijke gevolgen
van overmacht zoveel mogelijk te beperken. Een voorbeeld
daarvan is de volgende clausule :
"15.4. Les contractants doivent en cas de force majeure, faire
tous leurs efforts pour éliminer ou diminuer les diffi.cultés et autres

(37) Daarover VAN GERVEN, • Variaties op het thema misbruik", R. W., 1979-1980,
2467 e.v., 2495.
RENÉ DEKKERS. - 26
396 W. VAN GERVEN

dommages qui en résultent et tenir à ce sujet l'autre contractant


constamment au courant. S'ils ne le font pas, ils s'exposent à devoir
payer une indemnité à l'autre contractant."

Zoals hiervoor reeds aangestipt (supra, nr. 6) wordt deze


verplichting overigens reeds vaak aanvaard in arbitrale senten-
ties als een algemene plicht die, ook bij onstentenis van een
uitdrukkelijke contractsclausule, rechtstreeks uit het wettelijke
vereiste van goede trouw kan worden afgeleid. Het spreekt
vanzelf dat partijen nog verder zouden kunnen gaan en een
of andere vorm van verdeling van de uit de overmacht voort-
vloeiende lasten zouden kunnen afspreken, of tenminste de
verplichting aangaan over een dergelijke verdeling te onder-
handelen en bij niet-overeenstemming zich bij de beslissing van
een derde neer te leggen. Hierna een voorbeeld van een dergelijke
clausule (38) :
"Si la cause d'exonération sort ses effets pendant plus de
... mois, et si la poursuite de l'exécution du contrat apparaît néan-
moins économiquement possible pour toutes les parties, moyennant
une adaptation de celui-ci, les parties se concerteront immédiate-
ment pour apporter au présent contrat, en bonne foi et en équité,
les adaptations nécessaires, compte tenu des événements survenus.
Si ces négociations n'aboutissent pas dans un délai de ... mois de
la sommation adressée par une partie à l'autre de les entreprendre,
le contrat sera réadapté par un tiers, désigné conformément au
Règlement sur la régulation des relations contractuelles de la Cham-
bre de Commerce Internationale. Ce tiers statuera aux conditions
et selon la procédure prévues par ce règlement.
L'exécution du contrat ne sera pas poursuivie ni reprise pendant
cette procédure, tant que durera l'événement constitutif de cause
exonératoire."

Dezelfde solidariteitsgedachte, in de vorm van een verplichting


tot onderhandelen om tot een billijke verdeling van de lasten
te komen voortvloeiende uit onvoorziene omstandigheden waar-
door het contractuele evenwicht wordt verstoord, vindt men
evenzeer terug in speciaal met dat doel opgestelde contracts-
clausules. Een voorbeeld daarvan vindt men in een contract
voor de levering van aardgas (39) :

(38) Overgenomen uit het artikel van VAN OMMESLAGHE, op.cit., waar de clausule
staat afgedrukt op p. 54-55.
(39) Voor de volledige tekst zie KARN, ,,L'essor du non-droit dans les relations
commerciales internationales et Ie contrat sans loi", in L'Hypothèae du non-droit,
XXX• Séminaire CDVA, Luik, 1978, p. 231 e.v., op p. 254 e.v.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 397

"Section 13-9. - Hardship. When entering into this Agreement


the parties contemplate that the effects and/or consequences of
this Agreement will not result in economie conditions which are
substantial hardship to any of them; provided that they will act
in accordance with sound marketing and efficient operating practices.
They therefore agree on the following :
a) Substantial hardship shall mean if at any time or from time
to time during the term of this Agreement without default of the
party concerned there is the concurrence of an intervening event
or change of circumstances beyond said party's control when acting
as a reasonable and prudent operator such that the consequences
and effects of which are fundamentally different from what was con-
templated by the parties at the time of entering into this Agreement
(such as, without limitation, the economie consequences and effects
of a novel economicalii.y available source of energy), which conse-
quences and effects place said party in the situation that then and
for the foreseeable future all annual cost (including, without limi-
tation, depreciation and interest) associated with or related to the
processed gas which is the subject of this Agreement exceed the
annual proceeds derived from the same of said gas."

Deze clausule voorziet dan verder in de verplichting voor par-


tijen om, op verzoek van de door de omstandigheden benadeelde
partij, bijeen te komen teneinde vast te stellen of men zich binnen
de toepassingsvoorwaarden van het artikel bevindt en zo ja,
overeen te komen omtrent een wijziging van de contractsprijs
en/of de contractsvoorwaarden. Bij gebreke aan een akkoord
binnen de twee maanden zal de zaak onderworpen worden aan
een scheidsrechterlijk college (40). Na die uitspraak staat het
de niet-benadeelde partij alsnog vrij de overeenkomst te beëin-
digen waarna de wederpartij binnen de twee maanden moet
laten weten of zij met de beëindiging instemt dan wel het con-
tract op de ongewijzigde voorwaarden wenst voort te zetten (41).
(40) Juist zoals de hiervoor in nr. Il aangehaalde prijsclausule is ook deze clausule,
wat betreft de verwijzing naar arbitrage, niet van dubbelzinnigheid vrij te pleiten.
Voor zover de opdracht van de arbiters bestaat uit te maken of de toepassingsvoor-
waarden van de 'hardship' clausule voorhanden zijn, blijven zij binnen de hen toe-
bedachte rol. Zodra zij daarenboven, als blijkt dat de toepassingsvoorwaarden vervuld
zijn, als taak hebben de overeenkomst aan te passen, wordt hun meer gevraagd dan zij
als (scheids-)rechters gemachtigd zijn te doen. Zie verder, supra, nr. Il en voetnoot 28.
(41) Een ander voorbeeld van een 'hardship'-clausule vindt men bij VAN ÛMME•
SLAGHE, op. cit., p. 56 e.v. Zie ook FoNTAINE, ,,Hardship clauses", D.P.O.I., 1976,
nr. l; - 0PPETIT, ,,'L'adaptation des contrats internationaux aux changements de
circonstances : la clause de 'hardship' ", Olunet, 1974, p. 795 e.v.; - ScHMITTHOFF,
"Hardship and Intervener clauses", Journal of Business Law, 1980, p. 82 e.v. Zie
verder de clausule, in verband waarmee het Parijse hof van beroep zijn hierboven
in voetnoot 26 geciteerde arrest van 28 september 1976 wees en meteen de originele
uitspraak die in dat arrest vervat ligt; - cfr infra, nr. 15.
398 W. VAN GERVEN

Bij afwezigheid van een contractuele clausule tot regeling


van onvoorziene omstandigheden, is er naar Belgisch recht, zoals
hiervoor uiteengezet (supra, nr. 12) geen mogelijkheid voor de
debiteur om aan zijn verzwaarde verplichting te ontsnappen.
Het Belgische recht heeft op dit punt duidelijk behoefte aan
herziening. De rechtsvergelijking toont aan dat het Belgisch
recht ten achter blijft, zelfs op het Franse recht, waar dan toch
tenminste voor administratieve contracten aanpassingsmogelijk-
heden zijn voorzien (42). Het is hier niet de plaats om daar
verder op in te gaan.

15. - Regeling van conflicten en vervollediging van overeen-


komsten. - Conflicten tussen partijen omtrent de uitvoering
van een overeenkomst zullen natuurlijk frequenter voorkomen
bij langdurige dan bij kortdurige contracten. Het voorkomen
van geschillen is vanzelfsprekend een belangrijk aspect van de
samenwerkingsplicht die op de contractspartijen rust. Is dan
toch een geschil ontstaan, is het evenzeer een aspect van die
verplichting, gezien als vredesplicht (supra, nr. 6), om te proberen
het gerezen geschil bij te leggen. Langdurige contracten voorzien
dan ook vaak in een verzoeningsprocedure, eerst op het niveau
van de hogere directie van de betrokken ondernemingen, daarna
met de hulp van een door partijen aangeduide bemiddelaar of
verzoener. Daarvoor kan trouwens verwezen worden naar het
bemiddelings- en arbitragereglement van het Arbitragehof van
de Internationale Kamer van Koophandel of van het Belgisch
Centrum voor Studie en Praktijk van Nationale en Internationale
Arbitrage (Cepina). In dat geval wordt een bemiddelaar of
bemiddelingscomité aangesteld door het bestuur van bijv. Cepina,
bemiddelaar of comité dat na onderzoek en instructie van het
geschil een voorstel tot minnelijke schikking aan de partijen
kan voorleggen dat, als het • door partijen wordt aanvaard,
uitmondt in een door de bemiddelaar of het comité vastgelegd
en door partijen ondertekende overeenkomst.
Slagen partijen er niet in tot overeenstemming te komen -
waarbij eraan moge herinnerd worden dat zij zich moeten ont-
houden van onredelijke voorstellen die bijv. gedaan worden met
het oog op het doen mislukken van de onderhandelingen (supra,

(42) Voor meer bijzonderheden, VAN ÛJIUllESLAGHE, art. cit.


LANGDURIGE OVEREENMOMSTEN 399

nr. 6) - , dan zal in de overeenkomst vaak een scheidsrechterlijk


beding zijn opgenomen waarbij bijv. opnieuw kan verwezen
worden naar de hiervoor genoemde reglementen met het oog op
de aanduiding van de scheidsrechter(s) en het verloop van de
scheidsrechterlijke procedure.
Zowel de hiervoor genoemde bemiddelings- als de arbitrage-
procedure veronderstelt dat er tussen partijen een geschil is ge-
rezen. Inderdaad, arbitrage heeft betrekking, zo zegt artikel 1676
Ger. Wetboek, op een "geschil dat reeds is ontstaan of nog kan
ontstaan uit een bepaalde rechtsbetrekking", waarbij voor de
bepaling van wat daaronder moet worden verstaan, wordt
verwezen naar de bepalingen inzake dading (art. 2044 e.v. B.W.).
Daaruit blijkt dan dat onder geschil wordt verstaan het feit
dat een in haar belangen gekrenkte persoon zich actief of passief
verzet tegen de eisen die de haar krenkende persoon in dat
opzicht tegenover haar formuleert (43). Een dergelijk geschil
kan ofwel door middel van verzoening tot een oplossing worden
gebracht, eventueel vastgelegd in een overeenkomst van dading,
ofwel door middel van een gerechtelijke of arbitrale procedure
worden beslecht volgens de regelen van het recht of zelfs, wat
de laatste procedure betreft, naar billijkheid als partijen zulks
uitdrukkelijk hebben voorzien (zie art. 1700 Ger. Wetboek).
Bij langdurige contracten komt een andere hypothese evenwel
geregeld voor, zoals hiervoor reeds aangeduid (supra, nr.4, in
fine), nl. dat partijen hun overeenkomst nog moeten vervolledigen.
Als zij er dan niet in slagen tot overeenstemming te komen, staat
men niet voor een geschil in de juridische zin van het woord
maar voor een gebrek aan overeenkomst. Het onderscheid is
niet altijd gemakkelijk te maken. Neem de hiervoor besproken
hypotheses van prijsbepaling of van onvoorziene omstandig-
heden. Wat prijsbepaling betreft komt het onderscheid er m.i.
op neer te weten of de prijs al dan niet bepaald of bepaalbaar
is op grond van in de overeenkomst tussen partijen vervatte
elementen of, zoals voorzien in artikel 1135 B.W., aan de hand
van aan de overeenkomst, volgens haar aard, << door de billijkheid,
het gebruik of de wet" toegekende gevolgen. Is de prijs aldus
bepaald of bepaalbaar, dan behoort het tot de mogelijkheden

(43) DE GAVRE, Le contrat de transaction, I, 1967, p. 32 e.v.; GHEYSEN, Dading,


1966, in A.P.R., p. 27 e.v.
400 W. VAN GERVEN

en de bevoegdheid van een (gewone of arbitrale) rechter (en/of


van een deskundige (44)) de prijs te bepalen als partijen het niet
eens zijn. Moet er evenwel tussen partijen nog overeenstemming
worden bereikt over een of ander element zonder hetwelk de
prijs niet bepaalbaar is, dan heeft men te maken met een nog
te sluiten, de vroegere overeenkomst vervolledigend contract.
Geraken partijen het niet eens over de inhoud van dat vervolle-
digende contract, dan kan geen rechter, zelfs niet een scheids-
rechter (al zou hij naar billijkheid mogen oordelen), zich in hun
plaats stellen. Hetzelfde geldt in verband met onvoorziene
omstandigheden. Als partijen zoals hiervoor gesuggereerd (supra,
nr. 14) een "hardship" clausule in hun overeenkomst hebben
ingelast, behoort het tot de opdracht van de rechter na te gaan
of de voorwaarden tot toepassing van de clausule voorhanden
zijn en, zo ja, uit te maken of de overeenkomst zal worden
beëindigd dan wel aan de gewijzigde omstandigheden aangepast.
Hij mag zelfs tot die aanpassing overgaan als, alweer, de over-
eenkomst alle elementen bevat aan de hand waarvan de aanpas-
sing kan worden bepaald, zonder dat een bijkomende wilsover-
eenstemming tussen partijen vereist is (45).
De omstandigheid dat een (gewone of arbitrale) rechter
onbevoegd is om, in de plaats van partijen, een overeenkomst
te vervolledigen, belet niet dat partijen toch een derde - maar
dan niet in hoedanigheid van rechter - met die opdracht kunnen
belasten. Het betreft dan een door partijen aangestelde last-
hebber (third-party intervener) wiens opdracht erin bestaat in
naam en voor rekening van partijen een overeenkomst te sluiten.
Het nut van dergelijke aanstelling ligt voor de hand. Het is dan
ook een gelukkige zaak dat deze mogelijkheid als het ware geïnsti-
tutionaliseerd werd door het vaststellen in 1978 door de Inter-
nationale Kamer van Koophandel van een "Règlement de Régu-
lation des relations contractuelles". Voortaan kunnen contracts-
partijen, - voor het geval zij er niet in slagen overeenstemming
te bereiken in een of meer door hen aan te duiden hypotheses, -
in hun overeenkomst een clausule inlassen als volgt (46)

(44) Zie Rép. prat. dr. belge, V 0 Vente, nr. 170.


(45) Vgl. SCHMITTHOFF, art. cit., p. 89.
(46) Dit reglement is in 1978 gepubliceerd door ICC Services, S.A.R.L., 38, Cours
Albert-I•r, 75008 Paris. De hierna geciteerde clausule staat op p. 10. In de toelichting
(p. 7 e.v.) wordt erop gewezen dat het reglement voornamelijk drie situatie-types op
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 401

,,elles saisiront le Comité permanent pour la régulation des rela-


tions contractuelles de la Chambre de Commerce Internationale
(CCI) afin qu'un tiers, nommé conformément aux dispositions du
règlement de régulation des relations contractuelles de la CCI et
conduisant sa mission selon les modalités de ce règlement, prenne
en leur nom une décision qui s'imposera à elles au même titre que
Ie présent contrat."

Als variante op deze clausule wordt in het genoemde reglement


voorgesteld dat de door de derde voorgestelde oplossing voor
de contractspartijen slechts als aanbeveling zou gelden.
Het spreekt vanzelf dat een derde de hiervoor genoemde
bevoegdheid slechts kan uitoefenen wanneer zulks in de overeen-
komst werd voorzien en dat, naar Belgisch recht, zelfs de moge-
lijkheid tot aanpassing van de overeenkomst bij onvoorziene
omstandigheden, bijv. op vraag van één van partijen, contrac-
tueel moet zijn vastgesteld (supra, nr. 12 e.v.). In dit verband
moge verwezen worden naar een interessante evolutie in de
Franse rechtspraak, waarvoor ook naar Belgisch recht veel te
zeggen valt. Die evolutie bestaat hierin, dat, wanneer partijen
hebben voorzien dat zij bij nader gedefiniëerde onvoorziene
omstandigheden bij elkaar moeten komen om te proberen door
onderhandeling tot een redelijke aanpassing van de overeenkomst
te komen - maar zij voor het overige niet in de aanduiding
hebben voorzien van een derde-mandataris die in hun plaats tot
de aanpassing kan overgaan - de rechter, als partijen daar niet
in slagen, hen nogmaals ertoe mag aanzetten nieuwe onder-
handelingen aan te knopen, ditmaal echter onder begeleiding van
een door de rechtbank aangestelde onafhankelijke derde (47).
Dit is een treffende illustratie van het feit dat rechtbanken ener-
zijds bereid zijn de noodzakelijke samenwerking tussen contracts-
partijen zoveel mogelijk te ondersteunen en anderzijds, al kunnen
en mogen zij zich zelf niet in de plaats stellen van partijen met
het oog op de wijziging of de aanpassing van de overeenkomst,
zij partijen niettemin zoveel mogelijk onder druk zullen zetten

het oog heeft : vervollediging van een initiale overeenkomst, aanpassing van de over-
eenkomst aan gewijzigde omstandigheden, bijleggen van geschillen tussen partijen
die echter nog bereid zijn verder met elkaar samen te werken. Hieruit moge blijken
dat de aanstelling van een derde-mandataris mede betrekking kan hebben op con-
flictsituaties voor de oplossing waarvan ook, zoals later in de tekst aangestipt, een
beroep kan worden gedaan op een rechter.
(47) Parijs, 28 september 1976, hiervoor in voetnoot 26 geciteerd.
402 W. VAN GERVEN

en ook behulpzaam zijn om tot de met het oog op verdere samen-


werking noodzakelijke aanpassing te komen.

16. - Het in het vorige nummer gemaakte onderscheid tussen


het oplossen van een geschil waarvoor een derde - gewone
rechter of scheidsrechter - bevoegd is en het vervolledigen van
een overeenkomst waartoe partijen een derde-lasthebber kunnen
machtigen, laat toe het juiste toepassingsgebied te omlijnen van
de artikelen 1591 en 1592 B."\V. die, zoals gezegd, verband houden
met de prijsbepaling bij de verkoopovereenkomst (supra, nr.10)
en meteen de geldigheid van de hiervoor geciteerde clausule in
het licht van die artikelen.
Zoals hiervoor reeds aangestipt (supra, nr.10 ) viseert arti-
kel 1591 B.W. een in dé verkoopovereenkomst bepaalde prijs
of een aan de hand van in de verkoopovereenkomst vervatte
berekeningselementen bepaalbare prijs. Ontstaat er toch nog
een betwisting tussen partijen omtrent de prijsbepaling zoals
die uit de overeenkomst voortvloeit, dan behoort het - precies
omdat het over een zuivere betwisting en geen vervollediging
van de overeenkomst gaat - tot de bevoegdheid van een rechter,
het weze een gewone rechter dan wel een door partijen en/of
door een derde (bijv. de voorzitter van de rechtbank) aangewezen
scheidsrechter of scheidsrechterlijk college, om de prijs te
bepalen (48). Artikel 1592 B.W. voorziet van zijn kant dat de
bepaling van de koopprijs aan een derde (niet echter aan één
van partijen: supra, nr. 10) mag worden overgelaten (49). Daar-
mee wordt een derde-mandataris bedoeld die door partijen zelf

( 48) Zoals hiervoor in voetnoot 23 aangestipt, wordt met een niet door partijen
aangewezen derde (hypothese van artikel 1591 B.W.) gelijkgesteld een derde die door
een (nochtans wél) door partijen aangewezen derde (bijv. de voorzitter van de recht-
bank, deken van de orde van advocaten, het arbitragehof van de IKK, etc.) werd
aangesteld. Men kan die "tweede derde" immers niet met een (onrechtstreeks door
partijen aangewezen) onderlasthebber gelijkstellen aangezien de opdracht gegeven
aan de "eerste derde" en de opdracht door die eerste aan de tweede gegeven een
verschillend voorwerp hebben : de eerste (bijv. de voorzitter van de rechtbank) heeft
als opdracht een derde aan te duiden; die tweede heeft als opdracht de verkoopprijs
te bepalen.
(49) De Franse tekst van artikel 1592 B.W. spreekt van ,,!'arbitrage d'un tiers".
Dit is misleidend : in werkelijkheid gaat het niet over arbitrage in de zin van geschil-
beslechting - die is alleen mogelijk in het kader van artikel 1591 B.W, aan de hand
van contractueel vastgelegde elementen - maar over een door beide partijen aan één-
zelfde derde gegeven lastgeving : zie DE PAGE, Traité, IV, nr. 41, p. 75 e.v. Natuurlijk
ligt die lastgeving zelf niet vervat in d" verkoopovereenkomst maar in de daarop
volgende door de koper en de verkoper met de derde gesloten overeenkomst, : zie Rép.
prat. dr. belge, V• Vente, nr. 171.
LANGDURIGE OVEREENKOMSTEN 403

werd aangewezen. Deze derde, die geen rechter is maar zoals


gezegd een mandataris, kan als vertegenwoordiger van de con-
tractspartijen de opdracht krijgen in naam en voor rekening
van partijen eén prijs vast te stellen, ook al zijn daarvoor in
de overeenkomst geen berekeningselementen voorhanden (50).
Als mandataris heeft hij immers - in tegenstelling tot een
(gewone of scheids-) rechter - de bevoegdheid de overeenkomst
te vervolledigen. Met deze hypothese (derde mandataris aange-
steld door partijen) mag m.i. worden gelijk gesteld de hypothese,
voorzien in het hiervoor genoemde reglement van de Inter-
nationale Kamer van Koophandel, van een derde die overeen-
komstig genoemd· reglement en dus niet door contractspartijen
wordt aangewezen maar waarvan door partijen contractueel
werd aangenomen (zie de hiervoor geciteerde clausule) dat zijn
beslissing zal gelden als een tussen hen overeengekomen afspraak.
Partijen spreken dan immers op voorhand af de beslissing van
de derde als tussen hen overeengekomen te beschouwen. Ik
zie daarin niets ongeldigs. Ook voor deze hypothese geldt dus
m.i. dat in de overeenkomst geen prijsvaststellingselementen
voorhanden moeten zijn omdat het gaat over de toepassing
van artikel 1592 en niet van artikel 1591.
Uit het voorgaande moge blijken dat, bij het maken van het
onderscheid tussen artikel 1591 enerzijds, artikel 1592 ander-
zijds, de klemtoon niet zozeer ligt op het al dan niet door partijen
aangeduid zijn van de derde (scheids-)rechter in artikel 1591,
derde-mandataris in artikel 1592 maar wel op het onderscheid
tussen enerzijds geschilbeslechting door een (gewone of scheids-)
rechter en dus noodzakelijkerwijze aan de hand van in de over-
eenkomst vervatte of daaruit voortvloeiende elementen, waar-
over artikel 1591 het heeft, en anderzijds vervollediging van de
overeenkomst door een derde-mandataris van partijen en dus
noodzakelijkerwijze door hen aangeduid of, als dat niet het
geval is, wiens beslissing uitdrukkelijk, zij het vooraf, door
partijen als tussen hen overeengekomen wordt beschouwd, waar-
over artikel 1592 handelt.

(50) Cfr SIMONT en DE GAVRE, art. cit., R.C.J.B., 1976, p. 368-369. Het cassatie-
arrest van 5 juni 1953 (Pas., 1953, I, 769) dat de aanwezigheid van berekenings-
elementen in de overeenkomst verplicht stelt, heeft betrekking op artikel 1591.
LAWS
OF SOCIALIST COUNTRIES


RECHTEN
VAN SOCIALISTISCHE LANDEN


DROITS
DES PAYS SOCIALISTES
René Dekkers and socialist law
BY
J. N. HAZARD
PROFESSOR OF LAW,
COLUMBIA UNIVERSITY, NEW YORK

René Dekkers was a romantic pioneer when he initiated his


study of socialist law. In a sense he began as an impresario : a
man determined to bring scholars from Eastern Europe back
to Western European round tables after an absence of nearly
two decades and at the same time to interest Western scholars
in a field which they had ignored. He always presented himself
as a modest part-time scholar in socialist law, deferring graciously
to those whose profession it was. He saw his role as stimulating
others to expand their horizon rather than to undertake exten-
sive research himself. For him socialist law was intriguing, a
system designed to create a different, if not a better world, a
system that would ask questions which others had not asked
of contemporary society, a system that might present novel
solutions for consideration in the West, even if the system as
a whole was not acceptable. Further, great civilian that he was,
he feit that Westerners must understand the approaches of socia-
list civil law if the developing interrelationships between citizens
of East and West were to flower as he expected them to do now
that the restraints of the Stalin era had been largely removed.
He could not bring himself to believe that socialist law was to
be rejected entirely, much less ignored by Western scholars.
To aid the realization of his dream of increasing study he
created within the Institut de Sociologie of the Université Libre
de Bruxelles a Centre d'études des pays de l'Est. He began to
assemble what was to become one of the most useful specialized
libraries and reading rooms in Western Europe for socialist law;
he gathered a small staff of specialists to assist him; he made
visits to Eastern Europe and even to China, which in the
mid-1950's was a terra incognita. He began to arouse interest
408 J. N. HAZARD

with his Lettres de Ohine (1), in which he chronicled with charm


his experience as one of the first legal scholars to visit the land
of Mao Tse tung. Later he organized round tables to which he
invited legal scholars from Eastern Europe, Western Europe
and North America. He even translated himself the various
federal fundamental principles of law which were being enacted
in the late 1950's and early 1960's in Moscow (2). In the foreword
to this volume of translations he set forth his creed in a succinct
sentence, << Le rapprochement des peuples n'exige pas que l'un
imite l'autre. Mais il demande qu'ils se rencontrent, et qu'ils
se parlent à creur ouvert >>.
René Dekkers' most ambitious study of Soviet law was
published in 1963 (3), and was followed in the same year by
a companion volume on the history and law of the People's
Republic of China, written in collaboration with his specialist
on Chinese Law, M. Engelborghs-Bertels (4). His Soviet law
volume was announced as a syllabus for a new course introduced
by him in 1962-1963 at the Université de Bruxelles as a compa-
nion to an older course in the English common law. He noted
that the literature for such a course in East European law was
inadequate. For that reason he had thought it useful to furnish
to his students an informational base, adding modestly in his
Avant-propos, << j'insiste sur le premier mot : introduction >>.
Then he added, << Jamais je n'aurai la prétention ni la compétence
de donner, du droit de tous ces peuples (plus du tiers de la popu-
lation mondiale) un exposé approfondi >>. In explanation of why
he had not edited instead a collection of articles by specialists,
he said, << J'aurais pu attendre, évidemment de trouver des colla-
borateurs appropriés. Mais il eût été dommage d'attendre. Car il
me paraît urgent, au contraire, d'ouvrir les fenêtres sur des
horizons - tout proches, après tout, mais encore souvent
ignorés >>. He concluded by saying, << Il est grand temps, me

(l) R. DEKKERS, Lettres de Ohine (Bruxelles, 1956).


(2) R. DEKKERS, Principes nouveaux de droit soviétique (Bruxelles, 1961).
(3) R. DEKKERS, Introduction au droit de l'Union soviétique et des Républiques popu-
laires (Bruxelles, 1963).
(4) M. ENGELBORGHS-BERTELS et R. DEKKERS, La République populaire de Ohine,
cadres institutionnelB et réalisations. Tome I : L'histoire et le droit. A second volume
appeared in the same year authored by V. GmsBURGH, hearing the subtitle La
planification et la croissance économique, 1949-1959. Both volumes were dated Bruxelles,
1963.
THE LAWS OF SOCIALIST COUNTRIES 409

semble-t-il, d'éveiller au moins la curiosité de regarder de ce


cöté >>.
Here again René Dekkers restated his purpose : to awaken
interest in Eastern Europe, to aid understanding and, hopefully,
to contribute to minimizing conflict arising from misunderstan-
ding. He thought his mission so urgent that he plunged into
the book, although as a profound scholar of Belgian civil law,
he was reluctant to embark upon a project that could not meet
his own rigid test of scholarship. He treated Eastern European
law like an encyclopedia, defining the principal institutions
paragraph by paragraph, and adding a chronology of constitu-
tions and codes, a bibliography, and even a very brief biographi-
cal section on Marx, Engels, Lenin, Stalin and Mao Tse tung. He
refrained from synthesizing, commenting, criticizing or praising.
The reader can guess the nature of his interest from hut a few
sentences concerning the role of law, when he says :
<< Ces buts pratiques et urgents impriment au droit socialiste

une autre nature que celle du droit occidental.


Aux yeux des juristes occidentaux, Ie droit achève l'organi-
sation sociale. Il consacre l'état social existant, en rattachant à
des valeurs transcendantes : démocratie, liberté, égalité, frater-
nité. Il ferme la marche de la pensée politique, en lui imprimant
un moule durable. Il est solennel et conservateur.
Le droit socialiste, au contraire, se sait transitoire. Il veut
être au service d'un effort. A peine a-t-il formulé certaines
conquêtes sociales, que déjà il songe aux suivantes >>.
At the time of his writing, not long after Stalin's death, when
Soviet legal scholars were engaged in preparing and publishing
new statutes to open a post-Stalin era on a more humanistic
base, René Dekkers was right. Soviet law in the early 1960's
was in transition. It was a legal system in movement. It had
not yet stabilized itself. Were he writing today, he would proba-
bly have joined other Western scholars in concluding that the
pace of change has slowed : that the socialist legal system is
no longer presenting surprising novelties. The transitory stage
introduced by Nikita Khrushchev ended with his dismissal in
1964. Leonid Brezhnev and his colleagues are now supporting
a program which has culminated in the Constitution of 1977,
designed to preserve against attack from their heirs a system
410 J. N. HAZARD

which they believe admirably suited to preservation of the


system of government and the way of life which now bears the
imprint << soviet >> where comparatists conduct their studies. To
be sure there is no expectation that codes and constitutions
will endure eternally, hut the likelihood of surprise has been
reduced to a very small percentage.
René Dekkers' companion volume on China, written with
Mrs. Engelborghs-Bertels, divides the topic into two parts,
Mrs. Engelborghs-Bertels taking the politica} topics and he the
civil and penal law. The style is expository again, with a mini-
mum of commentary except in the indirect form of selection
of materials for exposition. René Dekkers' theme is that Chinese
civil law is transitional, since it is impossible to establish socia-
lism in a day. The task of law, as he sees it, is to realize progres-
sively socialist industrialization, and to transform agriculture
and commerce from capitalist to socialist forms. This makes
it possible to comment on the major contrasts with Soviet law,
notably the absence of codification in China. René Dekkers finds
no basic differences in principle manifested by this absence, hut
the reader must remember that he was writing before the ex-
change of letters in 1963 between Soviet and Chinese Communist
Party Centra} Committees. In those letters matters of principle
were raised, and the explanation of contrast in techniques based
solely upon the differences in stages of development of the two
societies was rejected.
Perhaps most arresting is René Dekkers' comment on a ques-
tion often raised by Westerners, namely can Confucian influence
still be found in China? He anticipates that the moral code of
the builders of communism will become so strong over the years
with a resulting dissipation of state restrailits into social limita-
tion on private life that Confucianism can be said to be regaining
its place. When looking specifically at the penal law he concludes
that it is socialist principles borrowed from Soviet experience,
combined with the thousand-year-old wisdom of China, which
he thinks has provided fertile soil fora penal law system placing
its accent not on repression hut on prevention, on education
and on conversion of delinquents to the principles espoused by
the new society.
Ris volume on China was written after a six week trip on
which his Lettres de Ghine had provided the preliminary report.
THE LAWS OF SOCIALIST COUNTRIES 411

After these initial studies there followed an article on << La Vie


Juridique >>, published in 1960 in a volume entitled Le régime
et les institutions de la république populaire chinoise (5). Again
he expressed his sense of inadequacy to the task in view of his
short visit and limited opportunity to observe, hut he said he
was passionately consumed by his excitement over observing an
ancient civilization passing in a few years from antiquity to
modern times. He noted that the many periodicals coming to
his desk in Brussels from China had concerned everything except
law. He compared China to France at the end of the XVIIIth cen-
tury, faced with the task of constructing a new legal system
following the abolition of the feudal régime without any possi-
bility of substituting immediately a new system of law. For
fifteen years the French had been forced to give the tribunals
autonomy in developing new law since it took time to bring
order and unity into the mixture of local customs, Royal ordon-
nances and arrêts de règlement. In addition both canon and
Roman law had to be integrated into the new order. René
Dekkers thought that the Chinese were using something of the
same method to bring unity into their law and to modernize
it, although, in his view, they were pushing the method to the
extreme.
René Dekkers described the methods being used in private
law to determine facta, traditions, ideas and possibilities. At
that time he expected a civil code finally to be drafted when
the task of fact gathering had been completed. Little did he
anticipate that in the year following his analysis a eampaign
called << anti-rightist >> would be initiated to wipe out the ap-
proach he had expected. Courts, lawyers and codes were casti-
gated, and to this day no civil code has been promulgated because
Mao Tse tung turned against the idea, and his heirs have not
had time to decide what they wish to do. The system René
Dekkers expected was turned back as the Chinese reverted to
a method of settling disputes based upon the traditional penchant
for mediation, and now applied in implementation of Maoist
rather than Confucian morality.
The round tables organized by René Dekkers to bring together

(5) Centre d'études des pays de l'est, Le régime et les institutions de la république
populaire chinoise. ,Tournée d'études, 12-16 octobre 1959, pp. 56-68 (1960).
RENÉ DEKKERS. --- 27
412 J. N. HAZARD

legal scholars from East and West in 1962, 1963 and 1965 were
particularly fruitful for those who participated from the Western
side. The first concerned trade unions, and the later ones the
law of property and civil responsibility (6). At the time they
were pioneering ventures. Meetings of this kind had been un-
known ; indeed the Eastern scholars had feit themselves isolated
because of lack of interest in their fields in the West. There
seems to have been little interest in the Soviet Union too, for
René Dekkers had to work hard to persuade Soviet scholars to
participate. Indeed at the round table on property, the Soviet
scholar who had promised to open the session with his paper
sent. a telegram the day before regretting that he could not
appear. No Soviet specialist reported in 1965. The round tables
became, therefore, studies in the law of the Eastern European
countries other than the Soviet Union.
Because no Soviet specialist carne to open the property round
table René Dekkers had to prepare overnight a paper to replace
the one expected from Moscow. He did so by telling of the intro-
ductory course he had been conducting at the University, and
then he launched into a comparison of the Code Napoléon with
socialist conceptions, emphasizing that the striking di:fference
was to be found in the variety of types of property recognized
by Eastern European civil codes, a diversity which had been
recognized even before the codes were promulgated. He thought
it worthy of note to Westerners that the law of property was
treated initially in the constitutions and thus placed in public
law. He explained this elevation as a typical aspect of Marxist
thought, which treats property law as the corner stone of all
law, even more important than public law itself. Indeed, private
and public law interpenetrate each other, and he quoted Lenin's
famous statement that << Tout notre droit est public >>.
He agreed that property law is, of course, << public >> for
Marxists, but he added, << mais, il manie dès le départ des concepts
de droit privé >>. Then he posed the question ofwhether the distinc-
tion between public and private law had been, in fact, erased,

(6) The record of each round table was published as a booklet under the titles
respectively : LeB ByndicatB danB les pays de l'eBt. Journées d'étude, 19-21 novembre
1962; Le droit de propriété dans les pays de l'est. Journées d'étude du 4 au 6 novembre
1963; La responsabilité civile dans les EtatB de l'eat. Journées d'étude du 16 au
18 novembre 1965.
THE LAWS OF SOCIALIST COUNTRIES 413

even though this was not expressed officially. His attention was
focused on the existence of consumers' goods, for which he
thought a private law foundation was still maintained to provide
a legal framework within which private citizens might possess,
use and dispose of such goods. He thought this realm of law
retained because the exploitation of man by man was absent
from consumers' goods when transactions occurred. He remarked
that even socialist legal systems have noted the difference
between producers' and consumers' goods, for they now call
the ownership of consumers' goods <<personal>> to distinguish
it from the ownership of producers' goods, which is limited to
the state and cooperatives.
René Dekkers by 1963 was fully conversant with the details
of Soviet civil law, and he exhibited his knowledge in his opening
statement to the round table. He was ready to admit that some
aspects may have escaped him, hut he was now self-confident.
He called upon his colleagues from the East at the round table
to fill in the details, hut he evidently did not expect to be refuted
on the main lines of socialist property law.
René Dekkers planned to proceed with more round tables :
indeed one was planned to study the law of public corporations,
hut the wheel of fate turned to take him to Africa, and he was
never to return with such passion to the socialist legal systems.
In the decade in which he worked in the field he changed from
a rornantic, driven by curiosity to serve as impresario, to a
scholar who knew much about Marxist-inspired law and whose
authority was recognized in both East and West. His modesty
caused him always to defer to those professionally concerned,
hut his enthusiasm and organizational skill created a forum for
meeting of East and West that had been lacking in those early
years. He made his mark in the field and contributed greatly
to the fraternization of Eastern and Western scholars from which
both groups benefitted.
De la justice populaire en Union soviétique
PAR

C. BEGAUX-FRANCOTTE
CHARGÉ DE COURS À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

LES CONCEPTIONS DE LÉNINE


POINT DE DÉPART DE L'ÉVOLUTION.

Juriste de formation, Lénine avait conçu une opinion parti-


culièrement défavorable des tribunaux de !'époque tsariste, opi-
nion conforme en tous points aux enseignements de la doctrine
marxiste, laquelle ne voyait dans les tribunaux - organes de
l'Etat - que des instruments d'oppression au service de la classe
dominante (1).
Pour Lénine, comme pour Marx et Engels, dans Ie système
des démocraties dites bourgeoises, les juges ne peuvent être
indépendants, car ils sont incapables de se départir de l'influence
de leur classe ; en outre, Ie droit et les tribunaux constituent
sans doute l'une des formes les plus insidieuses de la domination
d'une classe, car ils cachent leur véritable róle sous l'apparence
d'un concept fiatteur, celui de la justice (2).
Lorsque I'Etat dépérira - conséquence de l'abolition des
classes sociales - Ie droit et les tribunaux seront appelés à
dépérir avec lui. Toutefois, la reconnaissance par Lénine de la
nécessité de maintenir, pendant la période transitoire du socia-
lisme, une forme provisoire d'Etat, suppose également Ie maintien
des prolongements de l'Etat que sont l'armée permanente, la
police, la bureaucratie, ainsi que les tribunaux (3). D'ailleurs Ie
droit lui-même, Lénine Ie reconnaît, restera indispensable pen-
dant un certain temps : << On ne peut, écrit-il, sans verser dans
!'utopie, penser qu'après avoir renversé Ie capitalisme, les hom-

(l) LENINE, L'Etat et la Révolution. Ed. Socialea, Paria, 1972, p. 19.


(2) Voir René DEKKERS, Introduction au droit de l'Union Soviétique et des Républiquea
populairea. lnstitut de Sociologie, Bruxelles, 1971, p. 32.
(3) LENINE, op.cit., p. 15.
416 C. BEGAUX-FRANCOTTE

mes apprennent d'emblée à travailler pour la société sans normes


juridiques d'aucune sorte ... >> (4). Mais sa conception d'un << Etat
de type nouveau>> (inspiré cependant en partie de l'expérience
de la Commune de Paris) implique de la même manière des
<< tribunaux de type nouveau>>, c'est-à-dire radicalement diffé-

rents des tribunaux existant dans les régimes bourgeois (5).


A ce propos, John HAZARD écrit : (( Lenin had no blueprint
for the judicial arm of the Marxian socialist state when he
created the courts of the Russian revolution. He seems to have
been intent on establishing only a few fundamental principles :
the foremost of which were simplicity and popularity >> (6). En
effet, Lénine ne formule nulle part de projet précis à propos de
la composition des tribunaux, mais il ressort de remarques faites
incidemment, << qu'il faut faire participer activement tous les
citoyens sans exception au gouvernement du pays ... (7) et
qu'on ne se rend pas suffisamment compte que le tribunal est un
organe appelé justement à faire participer tous les citoyens sans
exception à la gestion de l'Etat (car l'activité des tribunaux est
un des aspects de la gestion de l'Etat), que le tribunal est un
organe du pouvoir du prolétariat et des paysans pauvres ... » (8).
Il ne paraît guère difficile, dès lors, d'imaginer l'idéal du juge
conçu par Lénine : c'est un citoyen parmi les autres qui est
appelé à consacrer un certain laps de temps à l'exercice de cette
fonction sociale qui consiste à rendre la justice ; il s'agit donc
essentiellement d'une fonction temporaire : ce n' est ni une profes-
sion ni une carrière, ce qui évitera la reconstitution d'une caste
de juges. Il en découle également qu'une formation juridique
ne doit pas être exigée des juges, et que leur mandat doit être
court pour permettre au plus grand nombre possible de citoyens
de participer à cette forme de gestion des affaires de l'Etat.
Ce qui va dominer le système judiciaire instauré dans la Russie
révolutionnaire, ce sont donc bien ces « idéaux de simplicité et
de popularité >> dont parle J. HAZARD (9) car ils vont se traduire

(4) LENINE, op.cit., p. 140.


(5) Samuel KucHEROV, The o,·gans of Soviet administration of justice. E. J. Brill,
Leiden, 1970, p. 3-8.
(6) John N. HAZARD,• Foreword », in KucHERov, op. cit., p. XXI.
(7) LENINE, (Euvres, tome 27. Ed. Sociales, Paris, 1961, p. 276.
(8) Idem, p. 382.
(9) John N. HAZARD, Communists and their law. University of Chicago Prees, 1969,
p. 103-126. Chap. V : • Simplicity and popularity as ideale•·
DE LA JUSTICE POPULAIBE EN UNION SOVIÉTIQUE 417

concrètement dans les principes d'organisation judiciaire énoncés


par Ie Décret n° 1 sur les tribunaux du 24 novembre 1917 (10).
Le décret n° 1 sur les tribunaux prévoit en effet que tous les
tribunaux du régime tsariste sont abolis (art. 1er), et que les
justices de paix seront remplacées par des tribunaux locaux
composés d'un juge permanent et de deux assesseurs non perma-
nents, tous élus sur base d'élections démocratiques directes
(art. 2). Le décret abolit également toutes autres institutions
existantes d'instruction, de poursuite, d'assistance judiciaire par
avocat, etc ... (art. 3). Et enfin, Ie décret précise que les nouveaux
tribunaux seront guidés dans leurs décisions << par les lois de
l'ancien régime, pour autant qu'elles n'aient pas été abrogées
par la législation révolutionnaire et qu'elles ne soient pas en
contradiction avec la conscience révolutionnaire et les concep-
tions révolutionnaires du droit >> (art. 5).
Deux décrets ultérieurs sur les tribunaux (n° 2 et n° 3) (11)
ainsi qu'un décret du 30 novembre 1918 (12) conduiront d'ail-
leurs en peu de temps à l'abrogation totale de !'ancien droit;
ils auront également pour objet d'instaurer des juridictions d'un
niveau plus élevé, permettant ainsi la mise en place d'un système
de recours contre les décisions des tribunaux populaires.
Toutefois, en ce qui concerne la composition même des tribu-
naux locaux, c'est-à-dire les tribunaux du niveau inférieur, il
faut noter que, bien que Ie Décret n° 1 insiste à deux reprises
sur la désignation des juges << par voie d'élections démocratiques
directes >> (art. 1 et 2), l'article 2 de ce même décret prévoit que
« jusqu'au moment ou ces élections pourront avoir lieu, les juges
seront provisoirement désignés par les soviets locaux des députés,
des travailleurs, soldats et paysans ... >>.
On ne peut que constater, comme l'a fait S. KucHEROV (13)
que ce << provisoire >> va durer plus de trente ans ! En effet, bien
que Ie principe de l'élection directe par le peuple ait été réaffirmé
par la Constitution de 1936 (art. 109) et par la loi d'organisation

(10) Décret N° 1 sur les tribunaux, 24 novembre (7 décembre) 1917. Sobranie Uza-
konenij RSFSR, 1917, N° 50.
(11) Décret N° 2 sur les tribunaux, 30 janvier 1918. S.U. RSFSR, 1918, N° 420
(347). Décret N° 3 sur les tribunaux, 20 juillet 1918. S.U. RSFSR, 1918, N° 589.
(12) Décret sur le tribunal populaire unique, 30 novembre 1918. S.U. RSFSR,
1918, N° 889.
(13) KucHEROV, op. cit., p. 31 et 315.
418 C. BEGAUX-FRANCOTTE

judiciaire de l'U.R.S.S. de 1938 (14), il faudra attendre la loi


électorale du 28 septembre 1948 (15) pour que ces élections
directes soient organisées et réellement appliquées.
Mais s'il y a un << délai >> dans la mise en ceuvre des principes
de 1917, les principes eux-mêmes, on peut le constater, n'ont
pas varié : ils ont été réaffi.rmés dans toutes les législations
subséquentes. Qu'il s'agisse des lois d'organisation judiciaire de
1922, 1924 ou 1938, des Constitutions de 1936 ou de 1977, ou
des principes d'organisation judiciaire actuellement en vigueur,
et qui ont été adoptés le 25 décembre 1958, tous les textes con-
sacrent le caractère fondamentalement «populaire>> des tribu-
naux locaux (16).

CARACTÉRISTIQUES ACTUELLES DE L'ORGANISATION


DES TRIBUNAUX EN UNION SOVIÉTIQUE.

Dans l'organisation actuelle des tribunaux soviétiques, ce qui


doit assurer le maintien du caractère populaire de la justice,
c' est la permanence des deux principes issus des conceptions
de Lénine : d'une part, la justice doit émaner du peuple, être
exercée par le peuple ; d'autre part elle doit être proche du peuple,
lui être accessible. Sur le plan des principes, cette double préoccu-
pation traduit toujours << les idéaux de popularité et de simpli-
cité >> dont parle J. HAZARD.

A. - La justice << populaire >> est rendue par le peuple.

Concrètement, cela signifie que les tribunaux appelés << popu-


laires >> - nom réservé, dans la hiérarchie judiciaire soviétique,
aux tribunaux locaux du niveau inférieur - sont composés
d'une part, de juges dits populaires - c'est-à-dire élus par le

(14) Loi sur la. structure judicia.ire de l'URSS, des Républiques fédérées et des
Républiques a.utonomes, 16 a.oût 1938. Vedomosti Verhovnogo Soveta SSSR, 1938,
N° ll.
(15) Loi électora.le du 28 septembre 1948. V. V.S. SSSR, 1948, N° 39.
(16) Règlement de l'orga.nisa.tion judicia.ire de la. RSFSR, 31 octobre 1922. S.U.
RSFSR, 1922, N° 902.
Principes fonda.menta.ux de l'orga.nisa.tion judicia.ire de l'URSS, 29 octobre 1924.
S.U. SSSR, 1924, N° 203.
Principes fonda.menta.ux de l'orga.nisa.tion judicia.ire de l'URSS et des Républiques
fédérées, 25 décembre 1958. V. V.S. SSSR, 1959, N° l.
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 419

peuple, parmi le peuple, et pour une durée déterminée - et d'autre


part, d' assesseurs populaires.

1. - Les juges populaires sont élus directement


par le peuple.

Depuis 1948 donc, Ie principe de << l'élection démocratique


directe des juges >> est en effet d'application, du moins en ce qui
concerne les tribunaux populaires locaux.
Mais il faut préciser que les modalités de cette << élection >>, -
que la Constitution proclame basée sur << Ie suffrage universel,
égal, direct, et Ie scrutin secret>> (art. 109 de la Constitution de
1977) - ne s'écartent pas des conceptions particulières au
système soviétique en matière d'élection, à savoir : la sélection
préalable des candidats et la présentation d'un seul candidat
par poste à pourvoir.
La première de ces règles est en effet exprimée par l'article 28
du Règlement relatif aux élections aux tribunaux populaires,
qui accorde aux organisations sociales et aux associations de
travailleurs Ie droit de présenter des candidats. Quant au second
de ces principes, il n' est écrit nulle part ; il serait même plutöt en
contradiction avec Ie texte du Règlement qui précise que << les
noms de tous les candidats doivent figurer sur Ie bulletin élec-
toral >>, et pourtant, la pratique actuelle est bien celle de la candi-
dature unique (17).
La sélection préalable des candidats par Ie Parti ou d'autres
organisations sociales peut, en l'occurrence, présenter une utilité
certaine, car en théorie, elle devrait permettre, - pour autant
qu'elle se fonde sur des critères de compétence plutöt que sur
des critères politiques - de ne retenir que les candidats ayant
les capacités et les qualités nécessaires pour exercer la fonction
de juge ; mais cette sélection préalable ne devrait pas pour
autant exclure la possibilité, pour l'électeur, d'exercer un choix
entre divers candidats qui pourraient lui être présentés par les
différentes organisations sociales ; or, tel n'est pas Ie cas puisqu'il
n'est proposé qu'un seul candidat par poste à pourvoir. Un

(17) Jean-Guy CoLLIGNON, Lea juristes en Union Soviétique. CNRS, Paria, 1977,
p. 287.
420 C. BEGAUX-FRANCOTTE

article déjà ancien, paru dans une revue juridique soviétique (18)
justifie très simplement cette pratique : on y reconnaît que Ie
règlement relatif aux élections aux tribunaux populaires prévoit
bien la possibilité d'enregistrer plusieurs candidatures par
circonscription électorale et donc d'inscrire plusieurs noms sur
Ie bulletin devote; mais on ajoute que<< étant donné les condi-
tions d'unanimité de la société soviétique, il n'est pas nécessaire
de proposer plusieurs candidats >> ; par conséquent, << au cours des
réunions pré-électorales, les électeurs se mettent d'accord pour
présenter Ie candidat qui répond Ie mieux aux exigences, et
on n'inscrit donc, en règle générale, qu'un seul nom sur les bulle-
tins ... >> (19). Si, comme Ie laisse entendre eet article, ce sont
bien les électeurs qui, lors de la réunion pré-électorale, procèdent
au choix du candidat de la circonscription, alors on peut admettre
qu'il s'agit tout de même d'une forme d'élection populaire qui
a lieu non pas au jour de l'élection proprement dite, mais bien
au moment de la sélection préalable.
Par contre, si c' est en réalité Ie Parti, ou Ie syndicat, ou toute
autre organisation sociale liée au Parti, qui est !'auteur de la
sélection, alors il est évident que la désignation des juges n'a
plus rien à voir avec une << élection populaire >> et que Ie principe
de l'élection démocratique des juges n'est plus qu'une fiction.
Nous ne possédons pas assez d'indications valables sur Ie
déroulement de ces réunions pré-électorales pour trancher entre
ces deux hypothèses, mais ce que l'on sait de l'orientation géné-
rale du système soviétique et de la prépondérance du Parti dans
tous les domaines de la vie publique nous porterait plutöt à
pencher vers la seconde de ces possibilités.

2. - Les juges populaires sont élus parmi le peuple.

En effet, aucune qualification juridique n' est légalement exigée


des candidats juges. La Constitution est muette sur ce point,
et les lois d'organisation judiciaire précisent seulement que :
<< peut être élu juge ou assesseur populaire tout citoyen de
l'U.R.S.S. jouissant du droit de vote et agé de 25 ans accomplis

(18) « Du nouveau dans la procédure des élections des juges populaires d'a.rrondis-
sement de la RSFSR •• Sovetskaia Justiciia, N° 20, octobre 1965, p. 10-12.
(19) Cité par CoLLIGNON, op. cit., p. 332 et par KucHEROV, op. cit., p. 333 (d'une
autre source).
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 421

au jour des élections (art. 29 des Principes d'organisation judi-


ciaire du 25 décembre 1958; art. 9 de la Loi d'organisation judi-
ciaire de la RSFSR du 27 octobre 1960; art. 2 du Règlement
relatif à l'élection des juges, etc ... ).
Si l'on s'en tient aux textes actuellement en vigueur, n'importe
quel citoyen, << pris parmi Ie peuple >>, peut donc en théorie être
élu juge populaire. C'est Ie maintien du système mis au point
par Lénine pour éviter la reconstitution d'une << caste de juges >>
formée de juristes.
La seule exigence prévue par la loi est donc une condition
d'age - 25 ans, depuis la réforme de l'organisation judiciaire
de 1958, 23 ans auparavant - qui répond au légitime souci de
la maturité des juges. Quant à la référence au droit devote, elle
n'a en pratique plus aucune portée restrictive puisque la privation
des droits politiques ne figure plus parmi les sanctions prévues
dans la nouvelle législation pénale ; elle indique simplement que
la possibiJité d'être juge fait partie des droits civiques du Sovié-
tique.
Signalons toutefois que Ie décret du 30 novembre 1918 avait
imposé certaines conditions pour la désignation des juges
(art. 12) :
a) Ie candidat-juge devait avoir Ie droit de voter dans les
soviets, et à cette époque-là, cette condition avait une portée
restrictive, parce que la Constitution de 1918 avait óté Ie droit
de vote à certaines catégories de citoyens ;
b) en outre, Ie candidat-juge devait avoir, soit une expérience
politique (c' est-à-dire une expérience du travail dans des organisa-
tions politiques - Parti, syndicats, soviets, comités d'usine ... )
soit une formation théorique et pratique à la fonction de juge.
Mais la Constitution de 1936 et les Principes d'organisation
judiciaire ont aboli toute condition de formation ou d'expérience,
qu'elle soit juridique ou politique, et ce principe n'a plus été
modifié depuis.
La stricte application de ce principe devrait, en bonne logique,
aboutir à ce qu'un grand nombre de juges soviétiques soient
dépourvus de formation juridique, comme ce fut Ie cas à }'époque
de Lénine : en 1923, par exemple, 10 % des juges avaient un
diplóme d' enseignement supérieur et 8 % seulement une forma-
422 C. BEGAUX-FRANCOTTE

tion juridique (20). Or les chiffres fournis par la presse soviétique


montrent qu'à l'heure actuelle, c'est loin d'être le cas. En
l'absence de toute statistique, les indications recueillies au hasard
des articles publiés dans l'une ou l'autre revue juridique sovié-
tique permettent d'observer que la proportion des juges ayant
une formation juridique supérieure a progressé, approximative-
ment, de la manière suivante (21)
1957 55 %
1960 72 %
1965 81 %
1970 88 %
1975 93 %
Sans connaître les résultats des élections de 1980, on peut
supposer que la progression se poursuit ; par conséquent, il est
permis d'affirmer qu'à l'heure actuelle, presque tous les juges
soviétiques sont des juristes diplömés.
Inscrire dans la loi cette exigence de formation juridique -
comme le réclament de nombreux auteurs soviétiques - ne
ferait donc que confirmer la situation existante . . . mais cela
détruirait le mythe - hérité de Lénine - du juge populaire
qui n'est qu'un citoyen parmi les autres, consacrant son activité
professionnelle au service public de la justice.

3. - Les juges populaires sont élus pour un mandat


d'une durée déterminée.

Dans la conception de Lénine, ce mandat devait être très


court - un an - pour permettre le renouvellement fréquent
des juges, dans le but d'éviter la fonctionnarisation de cette
activité, et pour permettre au plus grand nombre possible de
citoyens de participer à l'exercice des fonctions judiciaires. La
finalité était double : but éducatif d'une part, et politique
d'autre part, puisqu'il s'agit de la participation du citoyen à
une fonction de l'Etat.
Cependant, malgré les avantages envisagés par Lénine, le
mandat d'un an, joint à l'absence de formation juridique des

(20) Cité par KUOHEROV, op. cit., p. 81.


( 2 l) Socialiatiéeskaia Zakonnost', 1966 et 1971; Sovetskoe Goswlarstvo i, Pravo, 1970;
Sovetskaja Justicija, 1966 et 1975. Voir e.ussi CoLLIGNON, op. cit., p. 301-302.
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 423

juges, présentait de réels inconvénients sur le plan pratique,


puisqu'il revenait à exclure la possibilité d'une formation par
l'expérience, qui aurait pu compenser l'absence de connaissances
théoriques !
C'est pourquoi on peut observer un allongement progressif
de la durée du mandat, qui passe à 3 ans (art. 109 de la Consti-
tution) en 1936, et à 5 ans depuis 1958 (art. 19 des Principes
d'organisation judiciaire).
En outre, en raison précisément de la stabilité et de l'expé-
rience conférées par un mandat plus long, les élections ne seront
bientöt plus que des réélections assurées, sans surprise possible
de la part des électeurs, à partir du moment ou le candidat reçoit
l'approbation du Parti ou des autres organisations sociales char-
gées de la pré-sélection.
En définitive :
alors que, selon les principes de la justice socialiste élaborés
par Lénine, le juge populaire devrait être élu par le peuple, sans
exigence de formation juridique, et pour un terme très court,
on constate, au stade actuel de l'évolution de l'organisation
de la justice en U.R.S.S. :
que l'élection populaire du juge se limite en réalité à l'entérine-
ment d'un choix fait par Ie Parti,
que le juge a actuellement une formation juridique supérieure
dans 90 à 95 % des cas,
et que, bien qu'il soit soumis à élection tous les 5 ans, sa réélection
est en fait assurée (pour autant qu'il le veuille et qu'il conserve
la faveur du Parti).

On peu:t donc considérer qu'en réalité, le juge populaire sovié-


tique est désigné par des instances politiques, qu'il est un juriste
de formation et de profession, puisqu'il fait carrière dans cette
fonction, et que sur ces points donc, rien ne le différencie des
juges auxquels nous sommes accoutumés dans nos sociétés occi-
dentales, la principale différence consistant sans doute dans le
fait que la carrière de juge semble à la fois mal rémunérée et
mal considérée en Union Soviétique (22) !

(22) C0LLIONON, op. cit., p. 305 et 307.


424 C. BEGAUX-FRANCOTTE

4. - Les tribunaux populaires sont composés d'un juge


et de deux assesseurs populaires.

Tant la Constitution (art. 154 de la Constitution de 1977) que


les lois d'organisation judiciaire (art. 8 des Principes d'organi-
sation judiciaire de 1958) imposent deux règles essentielles : Ie
principe de la collégialité dans l' examen de toutes les affaires -
règle applicable à tous les tribunaux sans exception - et la
présence obligatoire d'assesseurs populaires aux cötés du juge
dans tous les tribunaux de première instance - donc nécessaire-
ment dans tous les tribunaux populaires locaux, puisque ceux-ci
constituent l'échelon inférieur de la hiérarchie judiciaire.
Il serait tentant de croire que l'introduction des assesseurs
populaires était fondée sur la nécessité de remédier à la tendance
des juges à << s'embourgeoiser >> et à perdre progressivement leur
caractère populaire. Mais les faits démentent cette hypothèse,
puisque l'institution des assesseurs populaires remonte à Lénine
également : c'est dès la création des tribunaux populaires qu'il
est prévu, par Ie Décret n° 1 sur les tribunaux, que ceux-ci
seront composés d'un juge permanent et de deux assesseurs non
permanents, pour lesquels une même règle est établie : tous
seront désignés par voie d'élections démocratiques directes.
Et, puisqu'il n'y a pas plus d' exigence de qualification pour
Ie juge que pour les assesseurs, la seule différence entre ces deux
fonctions réside dans Ie fait que Ie juge les exerce << de manière
permanente >>, ce qui ne signifie pas que la durée de son mandat
soit illimitée, mais simplement que dans les limites de son man-
dat, il exerce ses fonctions << à temps plein >>, alors que les asses-
seurs ont une autre activité professionnelle et ne siègent au
tribunal qu'occasionnellement: Ie décret précise que, pour chaque
session du tribunal, deux assesseurs doivent être choisis sur la
liste des assesseurs élus. L'institution des assesseurs populaires
n'a donc pas été conçue comme un remède, mais plutöt comme
une protection, une mesure préventive qui, dès Ie départ, doit
empêcher Ie tribunal populaire de verser dans Ie << juridisme )}
et de s'écarter d'une perception populaire de la justice.
A l'origine, il n'y avait donc pas grande différence entre les
juges et les assesseurs et l'on peut constater que, par rapport
à l'époque de Lénine, la situation actuelle des assesseurs popu-
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 425

laires n'a, sur Ie plan juridique, pas considérablement évolué.


Certaines règles sont même venues préciser ou renforcer les
similitudes entre juges et assesseurs. La Constitution, notam-
ment, affirme que, dans l'exercice de la justice, les assesseurs
jouissent des mêmes droits que les juges (art. 154) et les Principes
d'organisation judiciaire confirment que les mêmes règles sont
applicables aux assesseurs et aux juges en ce qui concerne les
conditions requises pour exercer ces fonctions - 25 ans et Ie
droit devote - (art. 29), Ie rappel anticipé (art. 35) et la respon-
sabilité pénale (art. 36). Cependant, Ie mandat des assesseurs
n'a plus la même durée que celui des juges et leur mode d'élection
est devenu quelque peu différent : << ils sont élus à main levée
par les citoyens réunis en assemblée sur leur lieu de travail oude
résidence, pour une durée de deux ans et demi>> (art. 152, § 2
de la Constitution de 1977).
En outre, la durée de leurs prestations est fixée à deux semaines
par an maximum, hormis les cas ou la prolongation de ce terme
s'avère nécessaire pour terminer !'examen d'une affaire com-
mencée avec leur participation (art. 31 des Principes d'organisa-
tion judiciaire). Enfin, ces mêmes Principes précisent que les
assesseurs ont droit au maintien de leur salaire habituel, pendant
la période ou ils sont libérés de leur travail pour exercer leurs
fonctions judiciaires, et que ceux qui ne sont pas salariés ont
droit au remboursement des frais liés à l'accomplissement de
leur tache au tribunal (art. 32).
Ces quelques changements ne modifient donc pas fondamen -
talement la situation des assesseurs populaires, et pourtant, sur
Ie plan des faits, l'écart s'est creusé entre Ie juge et les assesseurs,
essentiellement en raison de I' évolution de la condition du juge :
celui-ci est maintenant Ie professionnel, Ie juriste, Ie permanent,
face aux amateurs, aux temporaires que sont les assesseurs, restés
dans la grande majorité des cas des non-juristes. Cette situation
entraîne d'importantes conséquences au point de vue des rela-
tions entre Ie juge et les assesseurs. En effet, on constate que
malgré les prescriptions constitutionnelles et légales qui accordent
aux assesseurs, dans l'exercice de la justice, les mêmes droits
qu'aux juges, les assesseurs ne font en général pas usage de ces
droits et restent passifs tout au long de la procédure judiciaire;
enfin, en dépit de la possibilité théorique qu'ils ont, puisqu'ils
sont deux, de toujours faire prévaloir leur avis sur la seule voix
426 C. BEGAUX-FRANCOTTE

du juge, il apparaît que c'est très généralement !'opinion du juge


qui l'emporte et qui détermine la décision du tribunal.
Les auteurs soviétiques, qui dénoncent et déplorent cette
situation, dans la presse juridique comme dans les colonnes des
grands quotidiens (23), l'expliquent par Ie sentiment d'infériorité
et d'incompétence qu'éprouvent les assesseurs devant les connais-
sances juridiques et l'expérience du juge, sentiment renforcé par
la nécessité de se conformer à des règles de droit que, par défini-
tion, ils ne connaissent pas.
On peut se demander si l'ignorance juridique des assesseurs
est bien la seule cause de eet inconvénient, ou s'il ne provient
pas aussi du statut particulier des assesseurs, qui les différencie
des jurés par exemple, qui, bien que tout aussi ignorants du
droit, ne rencontrent pas Ie même problème. Le juré, lui, n'est
appelé à se prononcer que sur une question de fait, par conséquent
il importe peu qu'il ne soit pas juriste puisqu'il n'a pas à prendre
position sur des questions juridiques. Les assesseurs populaires
du système soviétique, par contre, qui participent au même titre
que Ie juge à toutes les phases de la procédure, et donc à toutes
les décisions que Ie tribunal est amené à prendre, sont appelés
à se prononcer sur quantité de questions juridiques pour lesquel-
les ils ne sont manifestement pas armés. Rien d'étonnant dès lors
à ce qu'ils se réfèrent en toutes choses à l'avis compétent du
juge, même lorsqu'il s'agit de questions non juridiques. De son
cöté, Ie juge qui, disciplinairement et hiérarchiquement, est seul
à répondre des décisions prises par son tribunal, est naturellement
porté à accentuer cette tendance et à imposer sa volonté, qui
présente certes l'avantage, ne serait-ce que du point de vue des
recours, d'être fondée sur des considérations juridiques.
Pour comprendre la justification de la position inconfortable
dans laquelle se trouvent les assesseurs soviétiques, il faut sans
doute remonter aux origines de l'institution et se demander

(23) E. RozANOVA et N. ÓTANKO : • Ils sont trois sur Ie banc du jugel •• Izvestija,
30 août 1960, p. 3.
« . .. trop souvent, on voit les assesseurs remplir leur fonction bouche cousue, et à
la lettre : ils sont assesseurs, eh bien ils assistent! Cela signifie qu'ils s'asseyent
volontiers sur Ie banc des juges pendant les quatorze jours requis, qu'ils font conscien-
cieusement !'aller et retour jusqu'à la chambre des délibérations, qu'ils áecouent la
tête affirmativement en signe d'accord pendant l'audience, et négativement lorsque Ie
juge leur demande s'ils ont des questions à poser. Ils estiment ainsi avoir fait leur devoir;
pour Ie reste, que Ie juge· fässe son travail, puisqu'il est !à pour cela ! •
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVI:ÉTIQUE 427

pourquoi le Décret n° 1 sur les tribunaux a supprimé le jury,


qui existait dans la justice tsariste, et l'a remplacé par des asses-
seurs populaires.
L'explication la plus immédiate consiste à admettre que ce
Décret n° 1, qui balayait tout le système tsariste d'administration
de la justice - et ceci dans le contexte d'une volonté générale
de faire table rase du passé dans tous les domaines - ne pouvait
faire d'exception pour le jury, et que s'il voulait cependant
réintroduire dans la nouvelle formule de l'appareil judiciaire un
élément de participation populaire, - idée chère à Lénine - il
se devait de le faire sous la forme d'une institution différente.
Une autre hypothèse, émise par S. KucHEROV, c'est que si
Lénine a préféré Ie système des assesseurs à celui des jurés, c'est
précisément parce que les assesseurs sont plus aisément influen-
çables par le juge, et à travers lui, par le Parti (24). Cette explica-
tion ne me paraît pas convaincante ; en effet, Lénine pouvait
difficilement, à !'époque, imaginer qu'au terme d'une évolution
d'une cinquantaine d'années, les juges seraient redevenus des
juristes dans une proportion de 90 à 95 % - les chiffres de
l'année 1923, cités plus haut, ne pouvaient pas laisser prévoir
une telle évolution. Or, s'il est vrai qu'à l'heure actuelle les
assesseurs sont particulièrement soumis à l'influence du juge,
c'est bien en raison de eet écart qui s'est creusé entre les asses-
seurs et le juge, devenu ce professionnel compétent qu'il n'était
pas du temps de Lénine, puisqu'en principe Ie juge n'y était ni
vraiment professionnel, ni beaucoup plus compétent que les
assesseurs. Il me paraît difficile de croire que Lénine ait pu miser
sur cette hypothétique distorsion entre juges et assesseurs, non
seulement parce qu'il n'a pas pu en avoir connaissance, mais
en outre parce qu'elle allait exactement à l'encontre de l'évolu-
tion qu'il souhaitait.
Il me paraît au contraire beaucoup plus vraisemblable que
Lénine ait souhaité augmenter Ie röle de l'élément populaire
dans la procédure et, de ce point de vue, la participation de
l'assesseur au déroulement de la procédure judiciaire apparaît
en théorie comme bien plus large et plus complète que celle d'un
juré, puisque l'assesseur est réellement l'égal du juge.

(24) KUCHEROV, op. cit., p. 372.


RENÉ DEKKERS. - 28
428 C. BEGAUX-FRANCOTTE

En outre, on peut relever que la formule des assesseurs popu-


laires permet à un très grand nombre de citoyens << d'exercer les
fonctions de juge >> et que cela rencontrait très adéquatement
les vues de Lénine sur la nécessité de << faire participer tous les
citoyens sans exception au fonctionnement des organes de
l'Etat >>, ainsi que ses conceptions sur la fonction éducative des
tribunaux. Ces mêmes considérations étaient intervenues, nous
l'avons dit, dans la détermination des caractéristiques du juge
populaire, mais Ie système des assesseurs permet d'en multiplier
considérablement les effets.
Les chiffres fournis par la presse soviétique montrent que pour
chaque juge, il y a environ 60 à 75 assesseurs élus qui seront
en principe renouvelés une fois sur la durée du mandat du juge ;
cela permet donc à 120 ou 150 personnes de participer effective-
ment à l'exercice de la justice en même temps qu'un seul juge.
1965 7.500 juges 500.000 assesseurs.
1970 8.000 juges 600.000 assesseurs.
1975 9.230 juges 650.000 assesseurs.
1980 9.540 juges 718.000 assesseurs (25).
Les inconvénients de la situation des assesseurs populaires ne
sont nullement ignorés en Union Soviétique; ils font l'objet de
nombreux commentaires dans la presse et différentes mesures
sont suggérées ou appliquées, pour y remédier ; plusieurs direc-
tives de la Cour Suprême ont d'ailleurs été consacrées à ce pro-
blème.
En premier lieu, il faut citer les tentatives d'inculquer aux
assesseurs populaires les rudiments de culture juridique qui
leur sont nécessaires : cours du soir, cours ou séminaires juri-
diques organisés sur les lieux de travail, manuels de vulgarisation
du droit (sous forme -de << Commentaires pratiques >> des diverses
législations), formation juridique dans les Universités popu-
laires - il y en a 3.500 en Union Soviétique (26), comme par
exemple la fameuse Université Populaire des connaissances juri-
diques de Sverdlovsk (27).

(25) Pravda, 13 décembre 1970, p. 3; Veatnik Statistiki, N° 1, Janvier 1977, p. 85


et N° 1, janvier 1981, p. 70.
(26) COLLIGNON, op. ei!., p. 289-290.
(27) N. SEMENOV et V. JAKUSEV, « L'Université populaire des connaissances juri-
diques •• Sovetakaia Juaticiia, N° 4, février 1960, p. 15-16.
DE LA JUSTIOE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 429

Parmi les modifications suggérées par les juristes soviéti-


ques (28), on peut citer par exemple l'idée d'augmenter Ie nombre
des assesseurs mais de limiter leurs pouvoirs. Il y a eu égalernent
des propositions visant à rendre les assesseurs permanents, en
remplaçant les assesseurs élus périodiquement par un tableau
de citoyens nommés de façon permanente à ce poste ; mais cette
proposition a été vivement critiquée comme risquant de conduire
les assesseurs à << un professionnalisme indésirable, un affaiblïsse-
ment de leur perception critique de tout ce qui se passe dans la
procédure judiciaire >> (29).
En outre, on peut relever une tendance à la réélection des
assesseurs populaires, en particulier lorsqu'ils ont acquis une
certaine formation juridique, ce qui leur permet de compléter
leurs connaissances théoriques par une expérience pratique pro-
longée. Il faut reconnaître que toutes ces tentatives visant à
améliorer la situation des assesseurs populaires vont dans Ie
sens d'un professionnalisme croissant, qui s'oppose à la caracté-
ristique fondamentale des assesseurs, à savoir leur << amateu-
risme >> en matière de droit.
En définitive, il apparaît donc que les assesseurs populaires
soviétiques sont enfermés dans la même contradiction que les
juges dits populaires : les compétences et l'expérience qui condi-
tionnent l'exercice effectif de leurs fonctions sont incompatibles
avec leur raison d'être, qui est de représenter Ie point de vue
populaire et donc non juriste, mais qui, en raison des obligations
de nature juridique qui leur incombent, est aussi synonyme
d'incompétence et d'absence de pouvoir réel.
Mais s'il est vrai que la présence des assesseurs populaires dans
toutes les juridictions de première instance assure Ie caractère
authentiquement populaire de l'administration de la justice,
cette garantie ne devient-elle pas purement formelle s'il apparaît
que, dans la réalité, Ie röle des assesseurs se réduit à de la simple
figuration? Le juge est !'acteur, les assesseurs ne sont que les
figurants, mais, comme au théatre ou Ie costume des figurants
détermine souvent Ie caractère de la pièce, c'est la présence
d'assesseurs dits << populaires >> qui confère au tribunal soviétique
cette étiquette si recherchée.

(28) RAHUNOV, KAREV, STROGOVIC, ... cités par KUCHEROV, op. cit., p. 354-360.
(29) N. RADUTNAJA, « Des assesseurs parlent de leur travail •• Sovetskaia Juaticifa,
N° 17, septembre 1966, p. 16-17.
430 C. BEGAUX-FRANCOTTE

B. - Simplicité de la justice.

Cette volonté de simplicité, évidente dans les intentions de


Lénine, est donc la seconde règle qui doit déterminer l'organi-
sation judiciaire soviétique, dans le but de permettre à la popu-
lation de se sentir proche de la justice.
Si l'on pense à la simplicité des règles de droit, rappelons
qu'elle n'eut qu'une existence occasionnelle, et qu'elle résultait
moins d'une intention de simplification que de la volonté d'abro-
ger l'ancien droit et du caractère nécessairement embryonnaire
de la législation nouvelle. Cette situation, caractéristique des
débuts du régime, permet de comprendre comment, à cette
époque, la justice a pu être administrée sans inconvénients
majeurs par des juges dépourvus de formation spécialisée, mais
qui faisaient appel à leur bon sens, à leur sens de l'équité ou,
comme le souhaitait Lénine, à leur conscience révolutionnaire,
pour combler les lacunes d'une législation élémentaire. Parfois,
c'est la loi elle-même qui les y incitait, comme par exemple la
fameuse règle de !'analogie figurant dans le Code Pénal de 1922.
A l'inverse, le retour à la notion de légalité nécessite une régle-
mentation beaucoup plus précise et plus détaillée, et cette exten-
sion de la législation est en outre le corollaire indispensable du
développement économique et social d'une société moderne. Par
conséquent, les efforts remarquables qui se font depuis longtemps
en Union Soviétique pour donner une certaine connaissance des
règles juridiques aux citoyens (utilisation des media, discussion
publique des projets de lois importants, introduction du droit
dans les écoles, etc ... ) ne peuvent compenser la complexité crois-
sante de la législation, redevenue de ce fait inaccessible aux
non-juristes. Cette évolution renforce la nécessité de faire appel
à des spécialistes pour appliquer le droit et justifie donc la pro-
portion croissante de juristes qualifiés parmi les juges populaires.
En réalité, quand Lénine parlait de la simplicité qui devait
rapprocher la justice du peuple, c'est essentiellement la simplicité
de la procédure qu'il avait en vue.
Certes, il rejetait aussi l'apparat vestimentaire de certains de
nos tribunaux occidentaux, comme constituant précisément une
barrière, un obstacle aux relations entre la population et les
tribunaux - et c'est un principe que les tribunaux soviétiques
ont toujours respecté. Mais c'est principalement dans les règles
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 431

de la procédure judiciaire que Lénine recherchait la mise en


reuvre de cette simplicité. Il faut cependant reconnaître que,
si ce principe contribuait à rendre la justice accessible au peuple,
il ne s'est pas toujours révélé favorable aux intérêts des individus.
C'est ainsi par exemple que, dans un louable souci de simplifi-
cation sans doute, Ie Décret n° 1 avait aboli toutes les possibilités
de recours ; mais la nécessité de revenir sur cette décision s'est
fait sentir très rapidement et les décrets ultérieurs ont réintroduit
des juridictions de second degré pour connaître des appels
contre les décisions des tribunaux populaires.
Les règles de procédure sont donc apparues nécessaires au
respect de la légalité, à la protection des droits des citoyens, et
leur développement s'est révélé indissociable de celui des règles
de droit. Il suffit d'un coup d'reil sur les actuels codes de procé-
dure - qu'elle soit pénale ou civile - pour se rendre compte
que la complexité y est devenue la règle dominante, et que dans
ce domaine-là aussi, les directives de Lénine ne sont plus qu'un
lointain souvenir.

C. - Indépendance des juges.

L'accent mis sur les principes de << justice populaire» et de


« simplicité >> qui, théoriquement dominent l'organisation judi-
ciaire soviétique, fait passer à l'arrière-plan un autre principe, que
les conceptions occidentales considèrent généralement comme
fondamental, celui de l'indépendance des juges.
Il ne peut y avoir, en Union Soviétique, rien de comparable
à notre conception de l'indépendance du pouvoir judiciaire, pour
la raison que la doctrine soviétique ne reconnaît pas à la fonction
judiciaire Ie caractère d'un << pouvoir >> distinct des autres.
En effet, l'idée même de la séparation des pouvoirs, telle
qu'elle est formulée dans notre conception constitutionnelle clas-
sique, est rejetée par la doctrine marxiste comme un << artifice
bourgeois >> destiné à maintenir la position dominante de la classe
au pouvoir ; à !'inverse, Ie système constitutionnel soviétique
est donc fondé sur la théorie de << l'unité du pouvoir >>, qui est à
la base des Constitutions de 1936 et de 1977 et qui considère

(30) Michel MOUSKHELY et Zygmunt JEDRYKA, Le gouvernement de l'URSS. PrARses


Universitaires de France, Paris, 1959, p. 156.
432 C. BEGAUX-FRANCOTTE

que les différents aspects de la fonction étatique sont unifiés


par la poursuite d'un objectif commun. Il est donc inutile de
prévoir des mécanismes constitutionnels pour prémunir Ie citoyen
contre les abus de pouvoir des organes étatiques, puisque l'uni-
formité des intérêts individuels se traduit dans l'unité du pouvoir
de l'Etat (30). Cependant, la théorie soviétique ne nie pas la né-
cessité d'une << division du travail >> à l'intérieur de ce pouvoir
unitaire de l'Etat; l'unité n'est donc pas incompatible avec une
délimitation des compétences des divers organes de l'Etat, et par
conséquent avec l'assignation de certaines fonctions particulières
à des organes spécialisés. C'est pourquoi la Constitution sovié-
tique prévoit que << la justice est rendue uniquement par les cours
et tribunaux >> (art. 102 de la Constitution de 1936, article 151
de la Constitution de 1977). Néanmoins, la justice reste un élé-
ment constitutif de ce pouvoir d'Etat unique, poursuivant une
finalité socialiste (31 ).
S'il est donc exclu, dans la logique du système soviétique, de
concevoir l'indépendance d'un pouvoir judiciaire en tant que
tel, il faut ccpendant constater que la Constitution soviétique
proclame que « les juges et assesseurs populaires sont indépen-
dants et n'obéissent qu'à la loi >> (art. 112 de la Constitution de
1936; art. 155 de la Constitution de 1977). Quel peut être le
sens exact de cette affirmation, alors que :
1° les juges et assesseurs sont soumis à des réélections pério-
diques et risquent donc de ne pas être réélus à leur poste s'ils
n'ont pas fait ce que l'on attend d'eux;
2° aux termes mêmes de la Constitution, << les juges et asses-
seurs populaires sont responsables devant les électeurs ou les
organes qui les ont élus, ils leur rendent compte de leur activité
et peuvent être destitués par eux selon la procédure établie par
la loi >> (art. 152, § 5 de la Constitution de 1977). Ce qui signifie
que les juges soviétiques risquent leur place, non seulement à
chaque élection, mais même en cours de mandat, «s'ils n'ont
pas justifié la confiance de leurs électeurs >>.
Ceci constitue exactement }'inverse de notre système de l'ina-
movibilité des juges, qui fonde la garantie de leur indépendance

(31) ROBERT CHABVIN, Les Etats socialistes européens. Dalloz, Paris, 1975, p. 280.
H. ToEPLITZ, • L'indépendance des tribunaux, mythe ou réalité ? •• Revue de Droit
et de Légis"lation de /,a RDA, N° 2/1971, p. 44.
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 433

sur Ie vieil adage: << un juge qui craint pour sa place ne rend plus
la justice >>. Or la doctrine soviétique prend pour hypothèse de
départ qu'un << juge qui craint pour sa place>> s'efforce au con-
traire, ne serait-ce que pour conserver cette place, d'être un bon
juge, c'est-à-dire de donner satisfaction dans ses fonctions en
<< répondant à la confiance qu'on a placée en lui>>. Mais qu'attend-

on de lui en réalité? La théorie soviétique n'en fait pas mystère :


on attend du juge, en tant qu'organe du pouvoir de l'Etat, qu'il
contribue à la réalisation de l'objectif ultime de eet Etat, qui
est la construction d'une société communiste. Le professeur
S. ZIVs l'exprime sans équivoque : << Les tribunaux sont des
organes publics au service de la politique de l'Etat >> (32). Et
0. ULc précise : << The administration of law facilitates the
politica} metamorphosis of society>> (33). Ceci justifie la caracté-
ristique essentielle que la doctrine léniniste souhaite imprimer
au système judiciaire soviétique - et qui doit Ie différencier
des autres systèmes judiciaires - à savoir, Ie caractère éducatif
tant du droit lui-même que de l'activité des tribunaux. C'est
par l'exercice de cette mission éducative que Ie juge apporte
sa contribution à la réalisation de l'objectif commun.
Quant à l'indépendance des juges, dont il est question à
l'article 155 de la Constitution, elle signifie simplement que, dans
Ie déroulement d'un procès, Ie juge n'a en principe pas à redouter
l'intervention ou la pression d'un quelconque organe de l'Etat,
et qu'il n'a pas à répondre de son jugement dans chaque affaire
déterminée. Il n'est responsable que de son activité générale,
c'est-à-dire de sa contribution au service public de la justice (34),
et c'est l'appréciation de cette responsabilité qui peut avoir des
répercussions sur sa situation personnelle.
<< L'indépendance des juges et des assesseurs populaires ne

signifie en aucune manière que dans son activité, Ie tribunal


soit détaché ou affranchi de l'obligation de réaliser la ligne
générale du Parti Communiste >> (35), - tel est l'avertissement

(32) In L'Etat soviétique et le droit, sous la direction de V. TCHKHIKVADZE, Editions


du Progrès, Moscou, 1971, p. 285.
(33) Otto ULc, The iudge in a communist State. Ohio University Press, Columbus,
1972, p. x.
(34) CHARVIN, op. cit., p. 280.
(35) A. ÜRL0V, • Au sujet des principes démocratiques de la justice socialiste>>,
Sovetskaia Justiciia, N° 20, octobre 1964, p. 2. Cité aussi par CoLLIGN0N, op. cit.,
p. 329.
434 C. BEGAUX-FRANC0TTE

que le juge Soviétique peut trouver dans la presse qui lui est
destinée.
Il convient d'apporter ici une précision, c'est que, contraire-
ment à ce que pourrait faire croire le texte constitutionnel
(art. 152, § 5 précité), les comptes rendus périodiques de leur
activité que les juges doivent faire devant leurs électeurs n'ont
pas - ou n'ont plus - de lien direct avec l'appréciation politique
de leurs activités. D'après les investigations faites par J.-G. CoL-
LIGN0N, il n'est pas question d'un rapport sur leur activité
personnelle, il s'agit le plus souvent d'une sorte de conférence,
d'exposé d'intérêt général mais néanmoins en rapport avec l'acti-
vité judiciaire dans Ie district ou dans la région, qui donne au
juge l'occasion de faire comprendre la portée d'une nouvelle
législation par exemple, ou de fournir des informations sur la
situation de la délinquance dans la région et les mesures prises
pour tenter d'y remédier, ou encore d'exhorter l'auditoire au
respect de la loi (36). C'est un autre aspect de la fonction éduca-
tive du juge. J.-G. CoLLIGNON ajoute que << les auditeurs peuvent
poser des questions sur l' activité du tribunal ou du juge, mais
jamais à propos d'une affaire précise >>. Ces comptes rendus ont
plus l'allure d'un rituel que d'un controle, confirme 0. ULÖ, et
encore cette obligation n'est-elle pas très impérative (37). Ce
n'est donc pas cette circonstance-là qui menace l'indépendance
du juge, mais plutöt, semble-t-il, l'appréciation portée sur son
activité, à l' occasion de sa réélection, par les instances habilitées
à présenter les candidatures.
Des données recueillies par J.-G. CoLLIGNON, il ressort que,
lors de l'élection de 1965, 26 % des juges en fonction n'ont pas
été réélus ou, plus exactement, n'ont pas été représentés aux
suffrages de la population, puisque c'est à ce stade-là, nous
l'avons vu, que se situe la sélection, donc éventuellement la
sanction; on peut encore préciser que sur ces 26 %, 6 % avaient
renoncé volontairement à la profession de juge (sans doute
pour se consacrer à des activités plus rémunératrices et mieux
considérées) et 20 % - ce qui constitue tout de même une
proportion considérable - << n'avaient pas justifié la confiance
de leurs électeurs >> (38). Notons que ce genre de données relatives
(36) COLLIGNON, op.cit., p. 326-327.
(37) ULc, op.cit., p. 17.
(38) COLLIGNON, op. cit., p. 303.
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 435

aux élections est fourni assez régulièrement par l'une ou l'autre


revue juridique soviétique, à !'occasion des élections précisément,
mais qu'il est par contre impossible de trouver dans la presse
courante la moindre indication sur Ie nombre de rappels de juges
en cours de mandat.
Enfin, en ce qui concerne la mise en pratique de la règle consti-
tutionnelle excluant l'intervention d'autres instances étatiques
au cours de la procédure judiciaire, plusieurs témoignages tendent
à prouver que des pressions au moins existent et qu'elles sont
généralement Ie fait d'organes du Parti; toute la doctrine sovié-
tique s'élève avec force contre ces pratiques qualifiées d'illégales
et affirme qu'elles doivent être sanctionnées.
Ce que la terminologie soviétique appelle les << influences
locales >> constitue en effet, aux yeux des dirigeants soviétiques,
une pratique condamnable, parce qu'elle oppose des intérêts
particuliers, locaux, à la politique générale que les autorités
centrales tentent d'imposer aux juges. Mais il semble bien que
Ie système d'élection et surtout de réélection par Ie peuple soit
de nature à favoriser ces pressions locales. Lénine lui-même
avait bien dû apercevoir - ou pressentir - cette dépendance
des tribunaux par rapport aux facteurs locaux, car il écrit en
1922 : ... << Il est certain que nous nageons dans un océan d'illé-
galité et que l'influence locale est un des plus grands - sinon
Ie plus grand - adversaires de l'établissement de la léga-
lité >> (39). Et de fait, lorsqu'il instaure la Prokuratura, chargée
notamment de la surveillance judiciaire, il insiste sur la nécessité
d'assurer à cette Prokuratura un statut qui lui permette d'agir
<< en dépit des influences locales >> ; concrètement, cela signifie

que, pour la désignation des Procureurs, il refuse Ie principe de


l'élection populaire qu'il avait préconisé et imposé pour les juges.
Vouloir une justice rendue par Ie peuple lui-même, mais la vouloir
en même temps indépendante des pressions locales, apparaissent
comme deux exigences contradictoires, aussi bien dans Ie principe
que dans la réalité du fonctionnement de l'institution.
En définitive, l'indépendance reconnue aux juges par la Consti-
tution se limite donc à l'interdiction - théorique - de toute
intervention directe d'une instance oflicielle dans la solution d'un

(39) LENINE, • De la double subordination et de la légalité •• lettre à Staline pour


Ie Bureau Politique. <Euvres, tome 33, Ed. Socia.les, Paris, 1963, p. 370-374.
436 C. BEGAUX-FRANCOTTE

cas particulier. Mais elle est assortie d'une dépendance considé-


rable du juge envers tous les facteurs qui peuvent jouer un röle
dans sa réélection - les électeurs en principe, mais en pratique
surtout le Parti ou toute autre organisation sociale intervenant
dans la présentation des candidats. C'est ce que la doctrine
soviétique appelle << la responsabilité des juges >> : ils sont respon-
sables de leur<< contribution au service public de la justice >> (40)
et cette prescription constitutionnelle est considérée comme la
garantie du bon fonctionnement de ce secteur de l'activité éta-
tique. Les Soviétiques peuvent donc affirmer que l'indépendance
des juges existe dans leur système, puisque c'est un principe
inscrit dans la Constitution, mais que pour éviter qu'elle soit
synonyme d'irresponsabilité, elle a été complétée par Ie principe
de la responsabilité des juges, également garanti par Ie texte
constitutionnel.

CONCLUSIONS.

L'évolution des tribunaux populaires est donc parfaitement


conforme à l'évolution du droit en Union Soviétique, mais elle
s'écarte considérablement des perspectives envisagées par Lénine.

1. - Avant d'en tirer des conclusions, il paraît utile d'exa-


miner brièvement, à titre d'élément de comparaison, la situation
des juridictions de première instance dans les autres Etats socia-
listes de l' Europe de l' Est.
Dans !'ensemble, la situation de fait y est la même qu'en
Union Soviétique : les juges des tribunaux populaires sont des
juristes qualifiés qui font carrière; la plus grande différence,
c'est que la réalité n'y est pas en contradiction avec les règles
du droit positif: ce sont les Constitutions et les lois d'organisation
judiciaire qui prescrivent des conditions de recrutement et pré-
voient parfois d'autres modes de désignation que l'élection.
Dans tous ces pays en effet, les exigences de qualification des
juges, exprimées dans la législation, consistent essentiellement
dans la possession d'un diplöme d'études juridiques supérieures;
en outre, en Roumanie elles s'accompagnent de la réussite d'un
examen d'Etat, et en Bulgarie, de l'exécution d'un stage d'un
an auprès d'un tribunal, de la Prokuratura, de l'arbitrage d'Etat

(40) CHARVIN, op.cit., p. 280.


DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 437

ou dans une consultation juridique. Ces Etats se montrent donc


tous très soucieux d'assurer la qualification de leurs juges,
laquelle ne leur paraît pas incompatible avec Ie caractère popu-
laire de la justice. Les juristes est-allemands expliquent notam-
ment que, dans leur système, Ie caractère populaire est garanti
par !'origine sociale des juges, mais que cela ne dispense nullement
ceux-ci d'une solide formation juridique ; pourtant en République
Démocratique Allemande aussi, tout !'ancien appareil judiciaire
a été supprimé et !'ancien personnel éliminé, mais les mesures
nécessaires ont été prises pour organiser la formation juridique
de nouveaux juges, recrutés sur base de leurs origines sociales,
ce qui a permis de constituer en peu de temps un corps de
spécialistes d' origine populaire et titulaires des diplömes requis
par la loi, parmi lesquels il est possible de procéder à l'élection
des juges (41).
Si plusieurs pays ont donc conservé Ie système de l'élection
des juges, certains ont cependant tenté de remédier aux incon-
vénients de l'élection par un allongement sensible du mandat :
huit ans en Yougoslavie, par exemple, et dix ans en Tchéco-
slovaquie. Deux Etats seulement - la Hongrie, par la Consti-
tution de 1972, et la Pologne, par voie de dispositions dérogatoires
à la Constitution depuis 1952 et par Ie texte constitutionnel
même depuis les modifications de 1976 - ont rejeté la règle
de l'élection populaire et ont adopté Ie principe de la désignation
des juges par une insta.nee étatique pour une durée indéterminée ;
ceci ne signifie pas que les juges détiennent leurs fonctions de
manière illimitée, mais seulement << aussi longtemps qu'ils en sont
dignes >> (<< during good behaviour >>, selon la formule employée
par la Constitution américaine pour les juges à la Cour Suprême!).
Ainsi donc, dans ces Etats d'Europe de l'Est, les juges popu-
laires sont en fait dans une situation semblable à celle des juges
soviétiques ; la législation correspondante y est, par contre,
beaucoup plus proche de la réalité du fonctionnement de l'insti-
tution judiciaire. Ce n'est pas que ces régimes rejettent Ie principe
de la justice populaire, mais simplement que, n'étant pas tenus
de faire en tout la preuve de leur fidélité à Lénine, ils peuvent
utiliser d'autres moyens pour y parvenir.

(41) H. STEINER, « L'origine sociale et la structure des juges en RDA ,,, Revue de
Droit et de Législation de la RDA, N° 1/1967, p. 49-62.
438 C. BEGAUX-FRANCOTTE

2. Pour compléter eet aperçu des formes soviétiques de la


justice populaire, il est indispensable de rappeler que les idéaux
de simplicité et de popularité, atteints par ce que J. HAZARD
appelle << I'érosion des principes>> (42), ont trouvé à se réincarner,
sous l'impulsion de Khrouchtchev, dans une institution qui existe
en fait depuis les débuts du régime : les tribunaux de camarades.
Ces tribunaux avaient été établis du temps de Lénine, << pour
fournir un moyen suprêmement populaire et simple d' exercer
des pressions sociales sur des citoyens qui n'ont pas commis
de crime, mais qui ne se conforment pas aux normes de conduite
sociale souhaitée par Ie régime >> (43). Après des vicissitudes
diverses et une longue période de léthargie, ces tribunaux ont
été réinstaurés par Khrouchtchev, essentiellement pour réintro-
duire dans la justice soviétique ces qualités de simplicité de Ia
procédure et de composition populaire du tribunal qui avaient
déjà disparu des tribunaux ordinaires (44).
Les tribunaux de camarades se caractérisent en effet par leur
composition résolument non-professionnelle et non-juriste : tous
les membres en sont des << amateurs >>, élus par leurs pairs dans
la communauté ou ils travaillent ou vivent, mais ils sont néan-
moins tenus d'appliquer << Ia Iégislation en vigueur >>, ce qui n'est
pas une des moindres contradictions de cette institution qui
en comporte beaucoup d'autres.
Une des justifications de cette ambiguïté consiste à dire que,
de par la volonté des autorités, la compétence des tribunaux de
camarades est limitée à des conflits - pénaux ou civils - de
faible importance et que les mesures qu'ils sont habilités à
prendre sont réduites à de simples pressions sociales, ce qui
limite considérablement les conséquences que pourrait avoir leur
méconnaissance du droit - ce droit qu'ils ne sont pas censés
connaître, mais qu'ils sont néanmoins censés appliquer ! En outre,
il faut souligner qu'en dépit de leur appellation, ces juridi-0tions
ne sont pas considérées comme de vrais tribunaux, puisqu' elles
ne font pas partie des cours et tribunaux auxquels la Constitution
réserve Ie monopole de la justice.
Cette forme de juridiction est donc nettement populaire dans

(42) HAZARD, op. cit., p. 127.


(43) Idem, p. 117.
(44) Idem, p. ll8.
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 439

sa composition, et les membres des tribunaux de camarades ne


risquent pas de rencontrer les mêmes obstacles que les assesseurs
des tribunaux populaires, puisqu'ils ne se trouvent pas sous
l'influence d'un juge professionnel.
Cette justice des camarades devrait, semble-t-il, être consi-
dérée par la population comme plus favorable que les tribunaux
ordinaires, puisqu'au lieu de sanctions, elle n'applique que des
mesures de pression sociale (blame, mise sous surveillance ... ),
et parfois même pas de mesures du tout, s'il apparaît que le
seul fait de la comparution <levant les camarades suffit à provo-
quer les améliorations souhaitées. Or, on constate que les tribu-
naux de camarades sont généralement peu appréciés de la popu-
lation. «Pour leur incompétence, parce qu'aussi ils représentent
un organe obéissant à une conscience populaire abstraite et non
à des lois écrites, les tribunaux de camarades effraient les
Soviétiques, qui manifestent en général fortement leur préfé-
rence pour les tribunaux réguliers >>, écrit H. CARRERE n'EN-
CAUSSE (45).
Et T. FRIEDGUT précise : << In the expressed preference of
citizens for the security of a court working under defined proce-
dures and applying known and ascertainable laws, rather than
the less certain pressures of public opinion armed with many
of the prescriptive powers of law, we meet one of the problems
facing the Soviet leaders in their attempt to create a socia-
lized community which will voluntarily meet the regime's
demands >> (46).
Devant ces réticences, sans doute justifiées, la réponse natu-
relle des autorités a consisté à imprimer aux tribunaux de cama-
rades ce caractère légaliste et institutionnel qui leur faisait évi-
demment défaut, mais qui ne peut que nuire à leur essence
populaire. C'est la crainte qu'exprimait Chantal KouRILSKY
lorsqu'elle commentait une modification du Règlement des tribu-
naux de camarades intervenue en 1963 : << On peut se demander,
à la lumière des dispositions du décret du 23 octobre 1963,
destinées à accroître l'importance de ce tribunal en élargissant

(45) Hélène ÜARREBE n'ENCAUSSE, Le pouvoir confisqué - Gouvernants et gouvernés


en U.R.S.S. Flammarion, Paris, 1980, p. 239.
(46) Theodore H. FBIEDGUT, Politica! participation in the USSR. Columbia Uni-
versity, New York, 1979, p. 251.
440 C. BEGAUX-FRANC0TTE

sa compétence, en améliorant son organisation, en lui assurant


une stabilité et une technicité plus grandes, si l'institution ne
court pas Ie risque de devenir une nouvelle juridiction qui, avec
Ie temps, se rapprocherait de plus en plus des juridictions de
droit commun, perdant ainsi son caractère original >> (47). C'est
ce que confirmait René DEKKERS qui, en 1965, se demandait
également si les initiatives prises pour assurer la formation juri-
dique des mem bres des tribunaux de camarades << ne condam-
naient pas implicitement l'institution en tant que juridiction
profane >>. Et il exprimait de la manière suivante Ie dilemme
qui, selon lui, se présentait aux tribunaux de camarades : ... << ou
se rapprocher du droit, ou disparaître » (48).
De fait, Ie nouveau Règlement des tribunaux de camarades,
adopté en mars 1977 (49), confirme cette évolution qui, selon
les termes de T. FRIEDGUT, << may be seen as typifying the transi-
tion from the more ambitiously populist revolutionary partici-
pation favored by Khrushchev, to the more organized bureau-
cracy-subordinated participation that succeeded it >> (50).
Dernier refuge de la justice populaire et simple, les tribunaux
de camarades sont donc appelés à connaître le même type d'évo-
lution que les tribunaux populaires : une tendance irréversible à
la professionnalisation et à la << juridisation >>.

3. - L'étude du fonctionnement actuel de l'organisation des


tribunaux populaires soviétiques fait donc apparaître que, si les
textes légaux ont gardé intacts les principes instaurés par Lénine,
leur application conduit à une situation différente : désignation,
par le pouvoir politique, de juges professionnels possédant une
formation juridique supérieure. Dans les autres pays socialistes
d'Europe de I'Est, la situation se présente en général de la même
façon, avec cette seule différence que la législation y est plus
en rapport avec la réalité.
On peut en déduire que ce système ne diffère guère de ce qui
se pratique généralement dans les pays occidentaux. Et la simi-

(47) Chantal Kou&ILSKY, • Les récentes modifications des tribunaux de camarades


en URSS », Revue Internationale de Droit Oomparé, Paris, janvier-mars 11)64, p. 88.
(48) René DEKKERS, • Les tribunaux civiques », in Annuaire de l'U.R.S.S. 1965,
CNRS, Paris, 1965, p. 223.
(49) Règlement des tribunaux de camarades de la RSFSR, 11 mars 1977. V. V.S.
RSFSR, 1977, N° 254.
(50) FRIEDGUT, op. cit., p. 249.
DE LA JUSTICE POPULAIRE EN UNION SOVIÉTIQUE 441

larité semble renforcée par l'affirmation, de part et d'autre, d'un


même principe : celui de l'indépendance des juges. Et c'est là
pourtant que les réalités divergent, puisqu'en Union Soviétique,
l'interprétation de ce principe, dans le cadre d'un système qui
conçoit les tribunaux comme << des organes publics au service
de la politique de l'Etat >> (51), aboutit à priver le juge de toute
indépendance à l'égard des pouvoirs publics, alors qu'en Occident,
c'est principalement l'indépendance vis-à-vis du pouvoir poli-
tique que les règles constitutionnelles visent à garantir.
Dans le premier cas donc, des règles opposées recouvrent des
situations identiques, alors que dans le second, le même principe
juridique traduit des réalités différentes : l'exemple de la justice
populaire soviétique est donc très révélateur des difficultés que
présente le droit soviétique pour les juristes occidentaux qui
l'étudient ou qui l'enseignent, ainsi que des précautions avec
lesquelles il convient de manier les concepts et règles de ce droit.
L'organisation soviétique de la justice constitue un exemple
caractéristique de la combinaison des règles de droit positif, qui
régissent le fonctionnement des organes de l'Etat, avec la règle
fondamentale du röle déterminant du Parti dans tous les do-
maines de la vie publique ; cette règle - implicite jusqu'il y a
peu, mais exprimée sans équivoque dans la constitution de 1977
(art. 6) - a toujours été considérée comme admise par tous,
puisque l'unanimité de la société soviétique est fondée sur son
adhésion supposée à la poursuite de l'objectif commun que
traduit la politique du Parti. Cette combinaison présente pour
le régime de grands avantages, puisqu'elle lui permet à la fois
d' a.ffirmer sa jidélité aux principes essentiels instaurés par Lénine,
et d'infléchir ces principes en fonction des nécessités de l'évolution
politique, économique et sociale du pays.

4. - En ce qui concerne l'évolution même de la justice popu-


laire en Union Soviétique, une conclusion positive semble s'im-
poser: c'est la constatation de la place grandissante du droit dans
le système soviétique.
Certains juristes occidentaux s'en réjouissent d'ailleurs. René
DEKKERS écrivait dès 1965 : << ••• Aussi le juge soviétique est-il
devenu juriste et a-t-on multiplié les cours d'initiation à l'inten-

(51) Voir supra, note 32.


442 C. BEGAUX-FRANCOTTE

tion des assesseurs populaires ... Ohassez donc le droit, il revient au


galop1 Je le pense - et je m'en réjouirais, car la connaissance du
droit ne peut qu'y gagner ... >> (52). Et en 1978, J.-G. CoLLIGNON
peut confirmer : << Il est indéniable que, depuis quelques années,
la place que les dirigeants soviétiques entendent donner au droit,
parmi les procédés de gestion de la société qu'ils gouvernent,
est en voie de développement. C'est là probablement, parmi les
transformations qui se produisent dans l'Union Soviétique d'au-
jourd'hui, l'une des plus importantes ... >> (53).
Mais de cette première conclusion, on peut aussi, semble-t-il,
déduire un corollaire qui concerne le role croissant des juristes
dans la société soviétique. En effet, au terme d'une étude très
complète dans laquelle sont abordés tous les domaines de l'acti-
vité des juristes dans le régime soviétique - qu'ils soient avocats,
notaires, procureurs, jurisconsultes, arbitres oujuges-J.-G. CoL-
LIGNON croit pouvoir conclure que : << ••• Quel que soit l'aspect
envisagé, la politique menée actuellement à l'égard du droit et
des institutions juridiques, apparaît donc favorable à l'accroisse-
ment de la place et de l'influence des juristes dans la société
soviétique >> (54).
Cet avis motivé et récent, qui est confirmé par les données
émanant de la presse soviétique et qui rejoint les opinions émises
antérieurement par plusieurs spécialistes occidentaux du droit
soviétique, nous incite à proposer - pour ce qui concerne le
domaine plus restreint de l'organisation de la justice, qui est
celui qui nous occupe ici - de compléter la suggestion de René
DEKKERS au moyen de la formule suivante - qu'il n'eût sans
doute pas désavouée - : << Chassez donc les juristes, ils reviennent
au galop ! >>.

(52) DEKKEBS, op. cit., p. 223.


(53) CoLLIGNON, op.cit., p. 507.
(54) Idem, p. 513.
The duty to rescue in Soviet civil l.aw ·
recent developments
BY

W. E. BUTLER
PROFESSOR OF COMPARATIVE LAW,
UNIVERSITY OF LONDON

BACKGROUND

The assertion of a right to compensation for injuries sustained


while rescuing, or attempting to rescue, the life or property of
another can be traced back in Soviet judicia! practice to at
least the mid-1920s. Suit was brought in 1926 against an electric
power station in Blagoveshchensk by a widow for a death of
her husband, who perished while trying to save their son (1).
In 1928 the Ukrainian SSR Supreme Court dealt with two cases,
the first brought by a widow whose husband was killed while
averting a train crash and the second by a widower whose wife
was murdered by bandits when she attempted to prevent them
from robbing the railway station till (2). Recovery was allowed
in both instances - and doubtless there were others - hut only
on the basis of obligations arising from harm under Articles 403
and 413 of the 1922 Ukrainian Civil Code.
The right to recovery in such situations was strengthened in
1936 by the inclusion of Article 130 in the USSR Constitution,

(1) See E. N. DANILOVA, Obespechenie uvechnykh IJ poriadke sotaial'nogo strakhovaniia


i po Grazhdanskomu kodeksu (M., 1927), p. 119. The duty to rescue in Soviet criminaJ
law is beyond the scope of this essay. Most union republic crimina! codes in the Soviet
Union contain provisions punishing the fäilure to render aid to, or knowingly leaving
without aid, a person in <langer of death. The constituent elements of the offense differ
among the republic codes, as do the peneJties for violation. See H. J. BERMAN and
J. W. SPINDLER (trans!.), Soviet Griminal law and Procedure : The RSFSR Codes
(2d ed.; Cambridge, 1972); F. J. M. FELDBRUO0E, «Good and Bad Samaritans: A
Comparative Survey of Crimina! Law Provisions Concerning Failure to Rescue ••
American Journal of Gomparative Law, XIV (1966), 630; T. SAD0WSKI, et al., Good
Samaritan Laws in France, the Federal Republic of Germany, and USSR (Washington
D.C., 1976), pp. 13-17.
(2) Reported in Praktika Naivishchogo Sudu USRR IJ spavakh pokalichenikh 1923-
1929 rr. (Kharkov, 1930), pp. 10, 57.
RENÉ DEKKER8. - 29
444 W. E. BUTLER

which provided << each citizen of the USSR shall be obliged


to observe the Constitution ... , to execute the laws ... to be
honorably concerned with his social duty, and to respect the
rules of socialist community life >>. Article 131 added that a
Soviet citizen was << ••• obliged to safeguard and strengthen
social, socialist ownership as the sacred and inviolable basis of
the Soviet system ... >> (3). Whether these provisions had trans-
formed a moral duty to rescue another's person or property into
a legal obligation for which recovery would be awarded became,
and remains, a major issue in Soviet civil law (4).
The first Soviet civil law textbook published after the 1936
Constitution supported the view that Article 130 did create a
legal duty to rescue. M. M. Agarkov argued that a Soviet court,
relying upon the duty of a citizen to respect the rules of socialist
community life, should ascertain whether, for example, a person
in good health who knew how to swim and failed to render
assistance to a drowning person nearby should have done so.
The USSR Supreme Court was disposed to move somewhat
toward Agarkov's view. In a famous case brought in 1939,
the Supreme Court awarded recovery to Martsiniuk, who had
been severely burned while endeavoring to extinguish a fire in
a railway freight car on a siding where his passenger train had
stopped (5). Another well-known case brought by a widow,
Bychkova-Goncharenko, and her children for the death of her
husband, who perished while attempting to put out a warehouse
fire in Kharkov, resulted in victory for the plaintiff (6). In both
instances, however, recovery was granted for injuries sustained
by a rescuer who had undertaken to perform his constitutional
duty and not for a failure to rescue the property or person of
another, that is, who had acted voluntarily and not for an omis-
sion to act. These nonetheless were examples, if you will, of
judicia! creativity, for the civil legislation then in effect made
no express provision for recovery under these circumstances. The

(3) Translated in W. E. BUTLER (comp.), The Soviet Legal System: Selected Contem-
porary LegiBlation and DocumentB (New York, 1978), p. 77.
(4) For background on doctrinal debates of the 1940-608, see J. N. HAZARD,• Soviet
Socialism and the Duty to Rescue &, in K. H. NADELMANN, A. T. VON MEHBEN, and
J. N. HAZARD (eds.), XXth Century Comparative and ConjlictB Law (Leyden, 1961),
pp. 160-171.
(6) Reported in SotBialisticheBkaia zakonnost', no. 22 (1940), p. 41.
(6) See Sudebnaia -praktika verkhovnogo suda SSSR, no. 10 (1949), p. 27.
THE DUTY TO RESCUE 445

court proceeded from the premise of a constitutional duty to


act and, by analogy and interpretation of the civil codes, of a
necessary consequence that sustaining an inquiry while per-
forming the duty must give rise to grounds for recovery of
damages (7).
During the 1940-1950s, Soviet jurists preparing a draft of an
all-union civil code called for by the 1936 USSR Constitution
continued to debate the desirability of introducing a duty to
rescue, or a right to compensation if rescue were attempted, into
the civil law. M. 0. Reikhel' postulated a formulation that would
have imposed a duty on a citizen to notify a responsible organiza-
tion or official if he discovered someone in a dangerous situation
endangering life, health, or property, or to organize or provide
assistance himself. Failure to comply would give the person in
peril a right of suit. On the other hand, if the rescuer were injured
while giving assistance, he too would have had a right of action
under Reikhel's proposal (8).
In the event, an all-union civil code was not to be. The USSR
Constitution was amended in 1957 to make provision for the
drafting of all-union fundamental principles of legislation and
union republic codes. Moreover, many Soviet jurists were deeply
skeptical about the duty to rescue. Although the argument of
Reikhel' and others that the codi:fication of a duty to rescue
would reinforce and strengthen a principle of socialist morality
was a persuasive one, many were equally disturbed about impo-
sing civil liability for a failure to act in the absence of a duty
or of a special relationship between the rescuer and the person
or property in peril. E. A. Fleishits was unconcerned that
Article 130 of the USSR Constitution actually imposed a legal
duty to rescue. The << rules of socialist community life >>, he
suggested, were not to be enforced by the state, whereas laws
were, although courts might have recourse to such rules in
individual cases. Nevertheless, it was a large leap from the
application of rules of socialist community life involving a
speci:fic duty to their application for a failure to act, when the

(7) HAZARD, note 4 above, p. 167.


(8) See M. O. REIKHEL', • 0 vzaimopomoshchi i dobrosovestnosti v grazhdanskom
prave •• Sovetakoe goaudarstvo i pravo, no. 10 (1948), p. 63; also see S. N. LANDKOF,
• Novaia kategoriia obiazatel'stv v sovetskom grazhdanskom prave •• Nauchnye zapiaki
K ievakogo goauniveraiteta, VII ( 1948), 99-ll 3.
446 W. E. BUTLER

duty in question was not provided for by law (9). At best,


Fleishits maintained, the rules of socialist community life might
only clarify obligations ambiguously expressed in legislation. By
1960 at least one Soviet jurist was prepared to entertain the
notion that Article 130 of the Constitution ought to be developed
by the comrades' courts being formed in a number of union
republics (10). Here, he felt, the rules of socialist community life
might be fruitfully applied to the duty to rescue through the
social collective (11).

THE RESCUE OF SOCIALIST PROPERTY

Nevertheless, consensus had been achieved on one aspect of


the matter. The drafters of the Fundamental Principles of
Civil Legislation of the USSR and Union Republics, adopted
8 December 1961, incorporated Chapter 13 into the text, << Obli-
gations Arising as a Consequence of Saving Socialist Property ».
The Chapter consisted of a single Article, as follows (12) :
Article 95. Oompensation of Harm Sustained When Saving
Socialist Property.
Harm sustained by a citizen when saving socialist property
from a danger threatening it should be compensated by that
organization whose property was saved by the victim.
The procedure for compensation of harm shall be established
by union republic legislation.
The developmental cycle of a legal norm had been completed,
one commentator suggested : << ••• the obligation was recognized
at first by judicia} practice and the science of civil law, and
then regulated by a law >> (13). It was one of those principles

(9) See E. A. FLEISHITS, Obiazatel'stva iz prichineniia vreda i iz neosnovatel'nogo


obogashcheniia (M., 1951), pp. 40-44; and account in HAZARD, note 4 above, pp. 163-
165.
(10) See W. E. BUTLER, • Comradely Justice in Eastern Europe •• Ourrent Legal
Problems, XXV (1972), 200-218; BUTLER, • Comradely Justice Revised », Review of
Socialist Law, III (1977), 325-343.
(11) See P. E. ÜRLOVSKII, • K voprosu o kompetentsii tovarishcheskiich sudov v
razreshenii grazhdansko-pravovykh sporov •• Vestnik moskovskogo universiteta; pravo,
no. 2 (1960), pp. 19-20; HAZARD, note 4 above, pp. 167-168.
(12) See BUTLER, note 3 above, p. 420.
(13) P. R. STAVISSKII, Vozmeshchenie vreda pri spasanii sotsialisticheskogo imush-
chestva zhizni i zdorov'ia grazhdan (M., 1974), pp. 8-9. Also see P. E. ORL0VSKII,
THE DUTY TO RESCUE 447

of law, Stavisskii added, << ••• which demonstrates the primacy


and the humanistic principles of socialist law and the unity of
social and individual interests as one of the principles of Soviet
law >> (14). Each of the fifteen union republics in the Soviet Union
incorporated the provisions of Article 95, with appropriate modi-
fications of the second paragraph, into their respective civil
codes (15). These reforms influenced the draftsmen in Eastern
Europe to introduce similar, and in many cases broader, provi-
sions in their own codes, among them Czechoslovakia, Poland,
Bulgaria, and Hungary (16).
Although Article 95 and its counterparts in the union republic
civil codes settled the issue of whether a right to compensation
existed for a person injured while rescuing socialist property in
Soviet civil law, the scope and application of the legislation
continues to be the subject of lively commentary and debate
and the object of creative judicia! interpretation.

A. General Nature of Obligation under Article 95. Most Soviet


jurists regard Article 95 as giving civil law effect to Article 61
of the 1977 USSR Constitution, which lays down the obligation of
citizens << ••• to care for and reinforce socialist ownership ... >> (17).
While a citizen may evade the performance of actions to rescue
socialist property, perhaps by saying he did not perceive or

• 0 proekte Osnov grazhdanskogo zakonodatel'stva •• Sovetekoe goBUdaratvo i pravo,


no, l (1961), p. 96; V.A. RIASENTSEV, • K obsuzhdeniiu proekta Osnov grazhdanskogo
zakonodatel'stva •• Sovetekaia iustitBiia, no. 15 (1961), p. 8. An excellent western ana-
lysis of • tort law • in the new Fundamental Principles excluded Article 95 from
consideration, noting that civil liability for a breach of the duty to rescue has never
been imposed. See W. GRAY, • Soviet Tort Law: The New Principles Annotated ••
in W. R. LA FAVE (ed.), Law in the Soviet Society (Urbana, 1965), p. 209.
(14) STAVISSKII, note 13 above, p. 9.
(15) Art. 472, RSFSR Civil Code; Arts. 467-468, Ukrainian Civil Code; Art. 469,
Belorussian Civil Code; Art. 505, Uzbek Civil Code; Art. 466, Kazakh Civil Code;
Art. 485, Georgian Civil Code; Art. 468, Azerbaidzhan Civil Code; Art. 511,
Lithuanian Civil Code; Art. 503, Moldavian Civil Code; Art. 492, Latvian Civil Code;
Art. 482, Kirgiz Civil Code; Art. 467, Tadzhik Civil Code; Art. 474, Armenian Civil
Code; Art. 473, Turkmen Civil Code; and Art. 476, Estonian Civil Code.
(16) See, inter alia, K. PIASECKI, « Ochrana wlasnosci spolecznej przed grozaca jej
szkoda •• Nowe prawo, no. 2 (1969), p. 214; T. DYBOWSKI, « W sprawie ogolnego
obowiqzku ochrony wlasnosci spolecznej na tie przepisu art. 127, § I, K.C. •• Nowe
prawo, no. 2 (1969), p. 230; A. SZPUNAR, • Szkoda poniesiona przy ochronie Inienia
spolecznego •• Panatwo i prawo, no. 6 (1972), p. 28; A. W. RuDZINSKI, • The Duty to
Rescue : A Comparative Analysis », in J. RADCLIFFE (ed.), The Good Samaritan and the
Law (1966); J. N. HAZARD, Communiata and Their Law (1969), pp. 413-414.
( 17) Translated in BUTLER, note 4 above, p. 14. The formulation is carried over
intact from Article 131 of the 1936 USSR Constitution.
448 W. E. BUTLER

comprehend the danger, if he does act to save the property


and sustains an injury, he is entitled to sue for compensation.
Several functions of the obligation have been stressed: its com-
pensatory character in making the victim whole for undertaking
a selfless act (18); its educational purpose in nurturing in the
Soviet public a concern for the safety and welfare of the public
weal (19); and a stimulant objective of a mora! nature, encoura-
ging a citizen to act in the knowledge that his courage is both
praiseworthy and legally protected (20).
The obligation is noncontractual (21), has no relationship to
the actions of a tortfeasor, unlawful actions of any kind, or
notion of fault, and embodies no element of social censure or
condemnation. Nearly all Soviet jurists take the view that
Article 95 falls outside obligations founded on principles of liabi-
lity or responsibility. This approach implicitly rejects the pre-
mises on which earlier Soviet judicia! practice awarded recovery
in favor of rescuers ; i.e. by analogy to acts involving the causing
of harm and a duty to compensate arising therefrom (22). The
absence of elements of << wrong » or << delict >> in the conception
of rescue in Article 95 render, it is argued, the civil law concept
of responsibility irrelevant (23). A contrary and evidently mino-
rity opinion is held by V. A. Tarkhov, who maintains that
Article 95 is based on a notion of responsibility, that any inflic-
tion of harm entails responsibility, irrespective of fault (24).
A number of Soviet jurists favor a theory of risk to explain

(18) See O. S. IOFFE, « Novoe obiazatel'stvo v sovetskom grazhde.nskom prave »,


Veatnik Leningrad8kogo uni1Jersiteta; seriia ekonomiki, filosofli i prava, no. ll (1962),
pp. 94-104. Ioffe stresses, however, the moral dimension of compensation. A rescuer
is being induced to act not with an expectation of pecuniary advantage or reward but
rather with knowledge that losses or injuries suffered will be made whole. See IoFFE,
Obiazalel'sl'Vennoe pravo (M. 1975), p. 848.
(19) K. K. IAIOHKOV, Prava, voznikaiushchie 'V B'Viazi B poterei zdorov'ia (M., 1964),
p. 151.
(20) N. C. MALEIN, Vozmeshchenie vreda, prichinennogo lichnosti (M., 1965), p. 45.
(21) And hence differs from the duty to compensate for salvage at sea as le.id down
in the USSR Merchant Shipping Code and international conventions to which the
USSR is a party. See W. E. BUTLER and J. B. QmoLEY, Jr. {transl.). The Merchant
Ship-ping Oode of the USSR (1968) (1970), pp. 106-108.
(22) V. MABLOV, Obiazatel'stva iz prichinennogo vreda (Kharkov, 1961), pp. 42-43.
(23) STAVISSKll, note 13 above, p. 17.
(24) V.A. TARKHOV, Otvetstvennost' po BO'Vetskomu grazhdanskomu pravu (Saratov,
1973), pp. 427-428. For a critique of Tarkhov which isolates his interpretation of
liability from the major contending schools debating the nature of liability without
fäult (neither of which is sa.id to accept Tarkhov's view), see BTAVISSKll, note 13 above,
pp. 21-25.
THE DUTY TO RESCUE 449

the obligation that arises as a consequence of saving socialist


property. Some proceed from the risk assumed by the citizen
when he consciously acts to rescue socialist property, for which,
if injured, he should be duly compensated by the socialist orga-
nization (25). The di:fficulty with this approach is that an injured
rescuer under Article 95 is not receiving compensation for the
risk assumed but for the loss actually sustained. lf a rescuer
sustained no loss or injury, there would be no compensation
under Article 95 irrespective of the risk inherent in saving socia-
list property. The preferred view emphasizes the risk of the
socialist organization :
A socialist organization possessing the right of ownership in
or the right of operative management over speci:fic property
bears responsibility not only to the state or respectively to a
superior cooperative or social organization not merely for its
rational economie use but also for care, that is, preservation
from stealing, :fire, natural disaster, and other dangers (26).
This theory, Stavisskii contends, is consistent with the basic
principles of the 1965 Statute on the Socialist State Production
Enterprise (27) and respective charters of cooperative and social
organizations. In effect, each socialist organization bears the
burden and risk of all expenses necessary to avert danger to its
property or to struggle against such dangers. This burden and
risk is assumed by them even if the measures to rescue property
are useless, inefficient, or ineffective or if, notwithstanding
efforts to save the property, it is destroyed or damaged (28).
While the rescuer acts in the interests of both society at large
and the particular organization which owns the property, the

(25) See V. P. RASSUND0VSKII, « Vopros ob imushchestvennom riske v grazhdans-


kom prave •• Sovetakaia iustitsiia, no. 18 (1963), p. 13.
(26) STAVISSKII, note 13 above, p. 27.
(27) Translated in BuTLER, Collected Legislation of the USSR and Constituent Union
Republica (New York, 1979- ).
(28) STAVISSKII, nota 13 above, p. 27. The commentators point out that it is the
act of rescue or saving which is subject to compensation for harm and not the result
of the act. See, for example, P. I. SEDUGIN in E.A. FLEISHITS and o. s. !OFFE (ede,),
Kommentarii k GK RSFSR (2d ed., M., 1970), p. 697. Stavisskii cites a 1965 case under
Article 95 in which the chief bookkeeper of a collectiva farm was killed by thieves while
defending collective farm property. His four minor dependants were awarded the
difference between the average earnings of a breadwinner and a pension, which carne
to 67 rubles, 91 kopecks per month and exceeded greatly the value of the property
he died while protecting. STAVISSKII, note 13 above, pp. 29-30.
450 W. E. BUTLER

obligation of compensation has been placed by the legislator


on the organization.

B. Oonditions Under Which the Obligation Arises. Most com-


mentators regard four elements or conditions as essential for an
obligation to arise from the rescue of socialist property. First
there must exist a danger threatening socialist property. Some
stipulate that the danger must be real and immediate or ac-
tual (29). Others require only a possible ensuing of harmful
consequences as being sufficient (30). The reasons for the danger
are irrelevant, unless the rescuer is himself the origin of these.
If a third person or party is the source of danger to the property,
the socialist organization is still deemed to be liable under
Article 95. Under the Latvian Civil Code, and possibly under
the Kazakh Civil Code, the socialist organization could sue the
third party for reimbursement of compensation paid to a rescuer,
and there are suggestions that judicia} practice in other union
republics is moving in this direction even though the codes are
silent on the point (31).
If the rescuer himself created the danger to the property, the
genera} view is that there is no obligation on the organization
to pay compensation because the rescuer's efforts are actually
directed toward reducing the harmful consequences of his own
acts and his own financial and possibly crimina} responsibility
for them (32). The law contains no such express limitation,
however, and there is doctrinal support for allowing recovery
even in these cases if, for example, the danger were to vastly
exceed what a citizen would foresee while being slightly negligent
and he courageously risked his person and property to avert
the danger (33).
The USSR Supreme Court has stipulated that the danger
threatening socialist property saved by a rescuer must, in order
to compensate him for injury sustained in the rescue, have been
a real danger (34). To this most commentators would add that

(29) loFFE (1975), note 18 above, p. 853.


(30) STAVISSKII, note 13 above, p. 32.
(31) See STAVISSKII, note 13 above, p. 33.
(32) See V. G. VERDNIKOV and A. Iu. KABALKIN, Vozmeshchenie vreda, ponesennogo
pri B'P(UJanii sotsialisticheskogo imushchestva (M., 1963), pp. 16-17.
(33) See Lucnxov, note 19 above, p. 156.
(34) See point 23 of the Decree of the Plenum of the USSR Supreme Court of
THE DUTY TO RESCUE 451

the danger also must be immediate or actual and not imaginary ;


<< a danger which arises in the future or which existed hut ceased

to do so can not be deemed actual >> (35). Both concepts under


Article 95 seem to be identical with those employed in construing
the criminal law provisions governing necessary defense. If
a rescuer has sufficient grounds to suppose that there is a
danger to socialist property under a particular situation, then
injuries sustained, even if the danger proves to be imaginary,
may be compensated. Stavisskii cites the example of a situa-
tion in 1959 at a Black Sea port when persons on a wharf
called attention to an object being washed ashore. Someone
shouted << mine >>, and one individual braved the cold water
to tow it to shore, where it proved to be merely a drifting buoy.
The rescuer was i1l from exposure for some time and sued the
port authority. Recovery was granted (another example of pre-
Article 95 judicial practice), the court obviously influenced by
the fact that drifting mines appeared with some frequency in
these waters in the post-war years.
The second element essential for the obligation to arise is that
a citizen must perform actions directed toward saving socialist
property. Most commentators say this means particular socialist
property. Although, as we shall see below, the application of
analogy has allowed recovery in other situations involving life
and property, in a controversial ruling the RSFSR Judicial
Division for Civil Cases returned for further consideration a suit
for compensation by a savings bank employee who was wounded
in the course of a bank robbery. The lower courts concluded
that the injury was sustained when she sought to avert a threat
to her own life and not to protect bank property, and the case
was returned for further evidence as to what the employee's
actual intentions were (36).
The actions of the citizen must be voluntary and not per-
formed as a part of official or employment duties (37). This
requirement precludes firemen, guards, watchmen, members of

23 October 1963, • 0 sudebnoi prsktike po iske.m o vozmeshchenii vreds •• in Sbornik


poatanovlenii plenuma verkh-Ovnogo suda SSSR 1924-1970 (M. 1970), p. 121.
(35) STAVISSKII, note 13 sbove, p. 38.
(36) Case of Dymovs, Biulleten' verkhovnogo BUda RSFSR, no. 2 (1967), pp. 2-3.
(37) See point 23, note 34 sbove.
452 W. E. BUTLER

rescue services, certain categories of workers who are insured


by their employers through the USSR State Insurance Agency,
and the captain of a ship or commander of an aircraft.
The third element is damage or injury sustained by the rescuer
that is subject to compensation, an element also common to
ordinary tortious actions. Recovery may be had for property
damaged, including clothing and personal effects, or personal
injury, expressed in the loss to his dependants, if they are not
oapable of working, of his earnings as a breadwinner that he
would receive during his life. Moral damage, or pain and suffe-
ring, are not subject to compensation. Rescuers have in many
-0ases experienced tangible expressions of gratitude from the
organizations whose property was saved, including the receipt
of flats, aid in repairing houses, passes to pioneer camps, fuel,
food, furniture, electric appliances, and the like. Some jurists
wonder whether guidelines for non-monetary compensation
should not be given legislative sanction (38).
The final element is the existence of a causa! link between
the harm or injury sustained by the rescuer and his actions
in saving socialist property. Ioffe, for example, distinguishes
between a right to compensation for burns sustained by a rescuer
while saving socialist property and subsequent improper treat-
ment of the burns by a hospita! resulting in his death (39). But
the injury sustained need not result from the danger threatening
the property itself. Recovery under Article 95 was allowed to
a man who was electrocuted by a fallen wire while leading blinded
cattle to safety from a burning shed and to a woman librarian
who saved a lamb during a snowstorm hut was attacked by
wolves (40).

0. Subjects of the Obligation Arising When Rescuing Socialist


Property. Article 95 contemplates two parties being involved in
an obligation of the type under consideration. A rescuer may
be any citizen, irrespective of age, nationality or citizenship, or
legal capacity. Voluntary action is the key, and Article 95
applies even to voluntary members of fire brigades, people's

(38) STAVISSKII, note 13 above, p. 52.


(39) loFFE (1975), note 18 above, pp. 853-854.
(40) STAVISSKII, note 13 above, p. 53.
THE DUTY TO RESCUE 453

guards, and similar bodies. The RSFSR Supreme Court has


awarded compensation to a social fishery protection officer killed
by poachers while protecting state property (fish) (41).
The conditions under which an employee may become a
rescuer in the course of his employment are more complicated.
In addition to their genera! constitutional duty under Article 61
to protect socialist ownership, workers and employees are speci-
fically charged << to care for and strengthen socialist owner-
ship ... >> as a duty under Article 51 of the Fundamental Prin-
ciples of Labor Legislation of the USSR and Union Repu-
blics (42) and point 11 of the Model Rules for Internal Labor
Discipline (43). As noted previously, workers and employees
whose entire employment duty consists of performing rescue,
guard, watch, or similar activities are precluded from recovery
under Article 95. If, however, other workers or employees in
the course of their employment duties voluntarily risk their life
or property to save socialist property, most commentators accept
that compensation under Article 95 is appropriate. The distinc-
tion seems to be that the duty imposed by labor legislation to
care for and strengthen socialist property does not for the ordi-
nary worker or employee mean that he must risk his person
and property to do so. The courts have applied Article 95 in
such situations, reinforced in some union republics by provisions
of labor codes which prohibit management from requiring
workers to perform work representing a clear danger to life or
which is unsafe (44). Employment, then, in and of itself does
not remove rescuers from the protection of Article 95, hut many
commentators urge that the labor codes be amended to deal
more adequately with the problem (45).
The duty to pay compensation for harm sustained while
rescuing socialist property falls on the organization whose pro-
perty was saved. The concept of socialist ownership embraces,
under Article 10 of the USSR Constitution, the property of
state, collective farm, cooperative, trade union, and other social

(41) Biulleten' verkhovnogo aoveta RSFSR, no. 10 (1971), p. 8.


(42) BUTLER, note 4 above, p. 596.
(43) See Biulleten' Goaudarstvennogo Komiteta Soveta Ministrov SSSR po voprosam
truda i zarahotnoi platy, no. 12 (1972).
(44) See, for example, Article 153 of the Ukra.inian Labor Code.
(45) STAVISSKII, note 13 above, pp. 74-75.
454 W. E. BUTLER

organizations (46), and includes property held by right of owner-


ship or operative management. State ownership would include
property enumerated in Article 11 of the Constitution : land,
minerals, water, forests, and the like. The principal di:fficulty
arises in this connection with property belonging to one organi-
zation which for some reason, when the danger occurs, is in the
possession of another organization, whether by lease, rental,
consignment, or whatever. Ioffe argues that the owner should
pay compensation to the rescuer unless the possessing organiza-
tion is liable for the circumstances in which the peril to the
property arose. In the latter case, the possessor would compen-
sate the rescuer and when appropriate, seek reimbursement from
the possessor organization (48). Tarkhov would place complete
liability for compensation on the possessor (49).
Personal property entrusted to a socialist organization, such
as checked baggage on a railway, bus, or boat, raises a different
aspect of the problem. Most commentators again would regard
the possessor socialist organization as liable to the rescuer even
if rescued personal property were temporarily in its possession
on the ground that the organization has avoided possible damage
and liability to the owner (50). Stavisskii agrees with this conclu-
sion hut not the reasoning. Article 95, in his view, contemplates
the rescue of property and not the protection of interests ; he
would apply Article 95 by analogy of law in these situations (51).

EXTENSIVE INTERPRETATION OF THE DUTY TO RESCUE


UNDER ARTICLE 95

The right to compensation for the rescue of socialist property


has given rise to judicia! practice and doctrinal controversy
in several closely related areas. We consider three of these below.

A. Voluntary Actions to Prevent Damage to the Interests of a


Specific Socialist Organization. Article 95, as we have seen, refers
to the property of a socialist organization. Damage or harm

(46) BUTLER, note 3 above, p. 6; also see Articles 20, 21, 23, and 24 of the
Fwidamental Principles of Civil Legislation of the USSR and Union Republics.
(47) loll'FE (1962), note 18 above, pp. 101-102.
(48) VERDNIKOV and KABALKIN, note 32 above, p. 28.
(49) TARKHOV, note 24 above, pp. 433-434.
(50) lol!'l!'E (1962), note 18 above, p. 97.
(61) STAVISSKII, note 13 above, p. 78.
THE DUTY TO RESCUE 455

may be sustained by other economie aspects of an organization,


including production, technica!, copyright, and like, either as
a consequence of natura! disasters or of the actions of citizens
or other organizations. The case of Fursenko led to much discus-
sion in this respect. Fursenko voluntarily agreed to drive to
a state farm during a blizzard to bring back a shipment of milk
to his employer, a dairy. During the trip his vehicle left the road
and he was injured. In awarding recovery for injuries against
his employer dairy, the court stressed that the driver had acted
not in his own personal interests but << in the interests of produc-
tion, in social interests >> (52). Some commentators would extend
Article 95 in the same direction, equating to socialist property
<< other important production interests of an enterprise as well

as the life and health of its workers and employees while at


work >> (53). Soviet courts seem to have resisted such a broad
interpretation of Article 95. The Judicia! Division for Civil Cases
of the USSR Supreme Court in 1964 refused compensation under
Article 95 to a plaintiff who restored order to a public restaurant
and sustained injury, but whose actions did not save restaurant
property from damage. The interests of the restaurant had been
protected and not its property (54). Compensation in similar
cases is reported to have been awarded under normal liability
principles; many commentators regard this as unsatisfactory
and urge that Article 95 be amended to allow compensation
for rescuers who save a socialist organization from a danger
threatening its interests.

B. Voluntary Actions Performed in the Interests of Society and


the State or in Social lnterests. Actions of this nature arise parti-
cularly when citizens are serving voluntarily in various social
posts; the people's guards or people's controllers are examples.
Injuries sustained while performing selfless actions may not be
in the interests of a particular socialist organization but for the
purpose of protecting society at large. Article 95 does not extend
to such instances ; compensation of the victim is consequently
limited to benefits under pension and social security legislation

(52) Summarized in ibid, p. 55.


(53) P. I. SEnuom, • Obiazatel'stva, voznikaiushohie iz spasaniia sotsialistioheskogo
imushohestva •• SovetBkaia iuBtitaiia, no. 17 (1963), p. 4.
(54) Case ofMnatsakanian, Biulleten' verkhovrwgo suda SSSR, no. 6 (1964), pp. 31-32.
456 W. E. BUTLER

and possible damages from those who may have inflicted the
harm. Although many jurists urge the enactment of legislation
to cover these situations, Article 95 apparently has not been
used by the courts to allow recovery, the principles of analogy
and extensive interpretation being under undue strain here.

C. Voluntary Actions to Save or Prevent Injury to Hum,an Life.


Whether compensation should be awarded to citizens who sustain
injury or die while saving another has now become the principal
object of debate in this area of Soviet civil law. Despite examples
of Soviet judicia! practice since the 1930-1940's where recovery
has been allowed on one or another grounds, and assertions by
doctrinal writers that the principles of recovery had been formed
in the civil law, the legislative draftsmen did not include actions
of this nature within the scope of Article 95. For some commen-
tators that disposed of the issue (55).
Others take a different view, with some support in judicial
practice. One of the most interesting cases involved a docker
on his way home from work who answered the cries of a young
child standing in a puddle of water with a live high-tension cable
around her feet. Poltavskii leapt and threw the child clear hut
was himself electrocuted, leaving a widow and three minor
children. The electric power enterprise refused to pay compen-
sation, and the Odessa Regional Court ultimately decided to
award recovery by applying analogy of law :
<< F. A. Poltavskii perished while saving the life of a child.

Article 467 of the Ukrainian SSR Civil Code provides for compen-
sation of harm sustained while saving property. The Judicia!
Division considers that the more so should be compensated
loss sustained by a citizen while saving the life of a person. The
absence in the Ukrainian SSR Civil Code of an article regulating
compensation for harm cannot serve as a basis for rejecting the
suit. Rejection of the suit on these grounds in the opinion of the
Judicia! Division would be contrary to both the genera! norms
of civil law and the principles of communist morality,. (55).

(55) • Prevailing legislation does not provide for obligations arising from saving
the life of another person o. A. N. RoMANOVICH, in V. F. ÜHIGIR (ed.), Graz.hdanak-Oe
'fll'atJO BSSR (Minsk, 1978), II, p. 326.
(56) See P. STAVISSKII, • Muzhestvo i zakon •• lzveatiia, 30 March 1971, p. 3;
translated in J. N. HAZARD, P. B. MAoos, and W. E. BUTLER, The Soviet Legal Syatem
(3d ed.; New Yorl:t, 1977), pp. 466-468. On the protest of the deputy chairman of the
THE DUTY TO RESCUE 457

The court imposed the duty to pay compensation on the


electric power enterprise, having regard to the improper mainte-
nance of the electric wires and the lack of secondary grounding.
Stavisskii argued, when reporting the case, that it created << a
legal precedent>> because the<< Court for the first time expressly
favoured compensation for harm sustained when saving the life
of a person and applied clearly the analogy oflaw >> in the absence
of a special norm.
The application of analogy in such cases has been criticized.
Kabalkin believes the use of analogy is inappropriate << ... because
the resemblance of the relations (between socialist property and
human life) being considered is superficial and immaterial >> (57).
V. T. Smirnov has suggested that the failure of Article 95 to
provide for rescue of human life << ... is nota gap of law serving
as a ground for the application of analogy of law >> ; he regards
the duty to rescue as a high moral principle, but nothing
more (58).
lo:ffe, on the other hand, has become an outspoken advocate
of analogy in these situations : << the fact that compensation ...
is not provided for by law does not in and of itself predetermine
the question of the possibility of establishing the respective
obligation » (59). He urges the more extensive use of analogy
under Articles 4 and 472 of the RSFSR Civil Code.

* * *
Yet Stavisskii's account of judicia! practice both before and
after the introduction of Article 95 suggests that Soviet courts
continue to rely on a wide range of theories in allowing recovery
to citizens who sustain injury while rescuing Socialist property
or human life. Despite doctrinal pleas for greater use of analogy,
many courts prefer to classify cases of this kind under the obliga-

Ukrainian SSR Supreme Court, the Judicia! Division for Civil Cases struck out from
the Poltavskii case the reference to analogy of law and allowed recovery under the
rules goveming compensation for injury caused by a source of heightened danger.
This approach is criticized in STAVISSKII, note 13 above, pp. 108-110; V. v. LAZAREV,
• Ustanovlenie probelov v prave v protesesse ego primeneniia ,, Sovetakoe gosudarsevo
i 'Pl'avo, no. 2 (1973), pp. 20-25.
(57) A. Iu. KABALKIN, in V. A. RIABENTSEV (ed.), Sovetakoe grazhdanskoe 'Pl'avo
(M., 1976), II, pp. 396-403.
(58) V. T. SMmNov, in Sovelskoe grazhdanskoe 'Pl'avo (L., 1971), II, p. 403. For a
critique of this position, see STAVISSKII, note 13 above, pp. 98-100.
(59) lol!'l!'E (1975), note 18 above, p. 848.
458 W. E. BUTLER

tions for causing harm, applying in effect a lower standard of


compensation than Article 95 would allow. Others have recourse
to artificial explanations : citizens who rescued people literally
enveloped in flames from a hospita} fire ultimately were awarded
compensation on the grounds that the rescued individuals wore
hospita} clothing and that the flames might have spread to the
hospita} itself, thus bringing the case within Article 95 (60).
Accounts of this case, the Poltavskii case, and others, it is
interesting to note, frequently stress the social pressures placed
on the court to find an acceptable basis for awarding compen-
sation. The representations by collectives of working people on
behalf of heroic plaintiffs manifestly have an impact upon the
court's deliberations, at least in the opinion of the commentators.
Still, other courts do refuse to award compensation on the ground
that the law makes no provision therefor.
The materials nevertheless give the genera} impression of
greater judicia} << creativity >> in an area of law long noteworthy
for precisely that (61). While the expectation that comrades'
courts might serve as a forum for enlarging the scope of the
duty to rescue (62) has not in fact transpired, the creation and
activity of other non-state organisations (people's guards, social
inspectors) has helped increase the pressure for law reform by
highlighting the problem of rescuers who act voluntarily and
selflessly in the genera} public interest. The role for the law of
obligations in shaping or inducing affirmative behavior of a high
moral and legal character, of reinforced socialist morality and
contributing to the fashioning of << Soviet man >>, continues to be
regarded as important. Emphasis has shifted from the constitu-
tional duty to rescue as embodied in the USSR constitutions
to the application of the civil law itself; the social insurance
principles of compensation in this instance are found to be inade-
quate. Ifthe Soviet Union does decide to follow the Czechoslovak
example and award compensation to those who rescue human
life or prevent any bodily injury or impairment of health, a
social or state compensation fund may commend itself as the
best means for facilitating compensation and avoiding complex
issues of compensation analogies with various classes of delicts.

(60) STAVISSKII, note 13 above- p. 110-111.


(61) See K. B. lAROSHENKO, • Sudebnaia praktika i grazhdanskoe pravo •• in S. N.
BRATUs', Sudebnaia praktika v aovetakoi pravovoi aisteme (M., 1975), p. 121.
(62) HAZARD, note 4 above, p. 171.
Le concept de propriété sociale
en droit yougoslave
PAR

G. DESOLRE
ASSISTANT À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

L'esprit doit faire un effort pour admettre cette


réalité si simple, mais malheureusement trop neuve
pour lui : il existe, dans la civilisation moderne
deux formes de la propriété : la propriété indivi-
duelle et la propriété collective; deux jormes égale-
ment normales, également nécessaires; deux formes
que sépare une différence de nature, correspondant
à une différence dans les besoins économiques; deux
formes qu'ü serait vain, par conséquent, de ramener
à une seule, la plus ancienne sans doute, et, partant,
la plus jamüière : la propriété individuelle.
H. DE PAGE (1)

1. - Je me souviens que lors d'un des premiers cours qu'il


consacrait à l'Introduction au droit de l'Union Soviétique et des
démocraties populaires, René Dekkers expliquait la raison fonda-
mentale pour laquelle Ie régime de la propriété des moyens de
production et celui des biens de consommation étaient distincts
dans les pays de l'Est, Ie premier relevant d'un type de propriété
différent du second. Cette distinction, expliquait-il, était fondée
sur Ie caractère des moyens de production selon la doctrine
marxiste, la propriété privée de ceux-ci permettant l'exploitation
de l'homme par l'homme (l'exploitation de celui quine détient
pas les moyens de production, par celui qui les détient) (2); ainsi
que R. Dekkers Ie disait dans son explicitation orale de ce point :
les moyens de production sont des biens qui ont un caractère
<< dangereux >>.

(1) Traité élémentaire, T. V, Bruylant, 1941, n° 1155/Jis, p. 1013.


(2) R. DEKKERS, Introduction au droit de l'Union Sométique et dea Répuhliques
'fXJpulaires, Bruxelles, Editions de l'Institut de Sociologie, 1963, n° 39, p. 34.
RENÉ DEKKERS. - 30
460 G. DESOLRE

2. - La Y ougoslavie connaît, de ce point de vue, un régime


de propriété spécifique : la propriété sociale. C'est à ce concept
de propriété sociale que nous nous attacherons dans le cadre de
eet article, dont l'objet sera de mettre en évidence les aspects
les plus importants qui Ie font différer de la propriété, telle qu'on
la connaît dans les pays d'Europe occidentale, mais aussi de la
propriété telle qu'on la conçoit dans les pays d'Europe orientale.

l. - TYPES ET FORMES DE PROPRIÉTÉ

3. - Les types et formes de propriété sont toujours étroite-


ment liés aux conditions socio-économiques qui constituent la
structure d'un système social, à savoir les rapports sociaux de
production. En Yougoslavie, l'ordre social est fondé sur la pro-
priété sociale des moyens de production et sur un système d'orga-
nisation du pouvoir appelé << autogestion sociale>> et <c travail
associé». La propriété sociale est la base sur laquelle fonctionne
l'autogestion et, sans elle, il ne pourrait y avoir de système
d'association des producteurs dans et par le travail. Ceci s'ex-
prime dans la Constitution actuelle de la République Socialiste
Fédérative de Yougoslavie de la manière suivante : « La propriété
sociale, expression des rapports socio-économiques socialistes
entre les hommes, est la base du travail associé libre et de la
position dominante de la classe ouvrière dans la production et
dans la reproduction sociale tout entière, ainsi que la base de
la propriété personnelle que l'homme acquiert par son propre
travail et qui lui sert à satisfaire ses besoins et intérêts » (3).
Cette propriété sociale coexiste avec d'autres types de propriété:
propriété coopérative, propriété individuelle des citoyens.

4. - L' existence d'une typologie de la propriété en Y ougo-


slavie contraste avec le caractère d'unicité qui est celui de la
propriété dans notre droit, et qui résulte de ce que Ie Code
Napoléon a assimilé la propriété à l'objet sur lequel elle porte,
à l'instar de ce que faisait déjà Ie droit romain (4). C'est ainsi
que Ie Code établit des distinctions fondamentales ou summae
divisiones parmi les biens, mais non parmi les formes de pro-

(3) Constitution de Ja R.S.F.Y. du 21 février 1974, Principes fondamentaux, III,


1 er paragraphe.
(4) H. DE PAGE, op. cit., n° 530, p. 525 et n° 552, p. 536.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 461

priété (5). La propriété plurale (copropriété ou propriété collec-


tive) ne constitue point de forme particulière de la propriété (6).
On admet toutefois que la nature du droit portant sur les biens
composant Ie domaine public n'est pas toujours un droit de
propriété puisqu'il s'agit parfois de choses non susceptibles d'être
acquises, telles les choses communes (7). Mais on sort ici de la
sphère du droit de propriété proprement dit. Celui-ci est défini
d'une manière générale et unique par la phrase fameuse de I'arti-
cle 544 du Code : << La propriété est Ie droit de jouir et disposer
des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse
pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements >>, phrase
dont on a dit à sufilsance qu'elle exprimait mal dans nos pays
Ie contenu de ce droit comme << pouvoir d'user d'une chose et
d'en tirer toute l'utilité qu'elle est susceptible de procurer d'une
façon exclusive et perpétuelle >> (8) ou dont on a dit encore qu'il
s'agissait par là du<< droit d'user d'une chose en principe comme
on Ie juge à propos>> (9). D'autres droits occidentaux donnent
également une définition unique du droit de propriété : men-
tionnons Ie Code civil autrichien, dont on verra plus loin l'impor-
tance du point de vue de l'interprétation du droit yougoslave :
<< Considérée en tant que droit, la propriété est l'aptitude à se
comporter comme on Ie juge à propos [nach Willkür] avec la sub-
stance et les usages d'une chose et d'en exclure tout autre >> (10),
et encore : << Tout ce qui appartient à quelqu'un, toutes ses
choses corporelles et incorporelles, s' appellent sa propriété >> ( 11).

5. - La typologie du droit de propriété en Y ougoslavie


diverge également de celle qui existe en URSS et dans les pays
de l'Est.
La science juridique des pays de I'Est s'est efforcée de définir

(5) Voy. H. DE PAGE, op. cit., n° 618, p. 581 et n° 741, p. 655; voy. A. COLIN
et H. CAPITANT, Cours éUmentaire de droit civilfrançaia, T. l••, septième édition, Paris,
Dalloz, 1931, n° 653 et s., pp. 692 et s.
(6) Voy. H. DE PAGE, op. cit., n° 1136, pp. 989 et s.
(7) H. DE PAGE, op. cit., n° 787, pp. 685 et 686; A. CoLm et H. CAPITANT, op. cit.,
n° 686, pp. 725 et s.
(8) A. COLIN et H. CAPITANT, op. cit., n° 693, p. 735.
(9) H. DE PAGE, op. cit., n° 893, p. 781. Pour une critique marxiste du jus utendi
et abutendi, voy. K. MARX et F. ENGELS, L'idéologie allemande, Paris, Ed. Sociales,
1968, pp. 106-107.
( 10) Art. 354 du Code civil général. Das AUgemeine bürgerliche Gesetzbuch, Wien,
Manzsche Verlag und Universitätsbuchhandlung, 1976.
(11) Art. 353 du même Code.
4-62 G. DESOLRE

Ie droit de propriété sur le plan juridique en partant de la notion


èconomique de la propriété, l' << économique >> étant considéré
comme «déterminant en dernière instance >> (12), pour aboutir
à la propriété en tant que concept juridique et, de ce fait,
<< déterminé >> (13). La notion de propriété est ici considérée
comme ne pouvant être déterminée de façon abstraite, mais
comme devant être interprétée dans son contexte social, c'est-
à-dire historiquement (14). Dans Ie cadre de l'existence d'un
<< pouvoir », c'est-à-dire d'un système déterminé de rapports de
classes, la notion de propriété revêt des formes et acquiert un
contenu, propres aux divers systèmes sociaux (15).
Dans les pays de l'Europe de l'Est et en URSS, mais non en
Yougoslavie, la structure du système de propriété est la suivante :
1. Propriété socialiste :
1. d'Etat
2. coopérative
3. des autres organisations sociales que les coopératives (16)
2. Propriété personnelle
3. Propriété privée.
La propriété socialiste, la propriété personnelle et la propriété
privée sont considérées comme les grandes catégories - les
<<types» - de la propriété. La propriété d'Etat, la propriété
coopérative et celle des autres organisations sociales (syndicats,
partis, fronts patriotiques, organisations de jeunesse, etc.) sont
des << formes >> de la propriété socialiste. V. Knapp a exprimé

(12) Lettre de F. ENGELS à Conrad SCHMIDT, dans Etudea Philoaophiquea, Paria,


Ed. Sociales, 1968, pp. 158-161 (plus particulièrement, sur le développement du droit,
pp. 158-159 et sur le röle de l'économique, pp. 160-161).
(13) V. KNAPP, « Le droit civil et le droit de la familie. Première partie •• in B. T.
BLAGOJEVIé, W. CzACHORSKI, T. IoNASco, V. KNAPP, M. A. K:RoUToooLov, I. SzABÓ,
V.A. ToUMANOV, Introduction au:,; droita aocialistes, Budapest, Akadémiai Kiado, 1971,
p. 349.
(14) V. KNAPP, op. <nt., p. 353.
(15) V. KNAPP, ibidem.
(16) Dans le droit soviétique, le droit polonais, le droit tchécoslovaque, etc. mais
pas dans le droit chinois, albanais, roumain, ou cette forme relève de la propriété
coopérative. Voir sur la propriété des organisations sociales : P. et M. LAVIGNE, Regarda
sur la Oonstitution aométique de 1977, Paria, Economica, 1979, pp. 56 ets. et S. BBATous,
E. FLEICHITZ, R. KHALFINA, in : Principe8 de la légiBlation et de la procédure civües
en URSS. Textea légau:,; et commentairea, Moscou, Ed. du Progrès, s.d., p. 85.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 463

les traits caractéristiques des diverses catégories de la propriété


dans Ie tableau suivant (17).

Catégorie de la Caractéristiques du
Objet du droit
propriété titulaire du droit

1. Socialiste collectif moyens de production


2. Personnelle individuel moyens de consommation
personnelle
3. Privée individuel moyens de production

Cette structure est Ie produit d'une assez longue évolution


historique. Ainsi, Ie Code civil russe de 1922 distinguait simple-
ment la propriété publique, la propriété coopérative et la pro-
priété privée (18). La Constitution soviétique de 1936 distinguait
par contre la propriété socialiste ou sociale (propriété d'Etat
ou des coopératives}, la propriété privée des moyens de produc-
tion des paysans ou des artisans et la propriété personnelle des
citoyens sur les biens de consommation (19).
La Constitution soviétique actuelle et Ie droit civil de ce pays
distinguent trois formes de propriété socialiste : la propriété
d'Etat (du peuple entier}, la propriété des kolkhozes et autres
organisations coopératives et de leurs associations, et la propriété
des organisations syndicales et des autres organisations publi-
ques (20). A cöté de la propriété socialiste, Ie droit soviétique
reconnaît Ie droit des citoyens à la propriété personnelle et Je
droit des artisans à la propriété privée (21).
La forme fondamentale de la propriété socialiste est la pro-
priété d'Etat, qui est considérée comme la forme << supérieure >>
de la propriété sociale, dans la mesure ou elle correspond à une
propriété du peuple entier représenté par l'Etat (22).

(17) v. KNAPP, op.cit., p. 365,.


(18) R. DEKKERS, op. cit., n° 86, p. 68.
(19) R. DEKKERS, op. cit., n° ll0, pp. 88 et 99.
(20) Art. 10 de la Constitution de l'URSS de 1977; art. 93 du Code civil de 19G4.
Le Code Civil de la République de Russie (1964), Traduction René Dekkers, Bruxelles,
Centre National pour !'Etude des Etats de !'Est, 1964.
(21) Art. 12 de la Constitution de 1977; art. 93 et art. ll5 du Code Civil de 1964.
(22) On trouvera la critique yougoslave de cette conception dans : A. VAcié, • La
production marchande et la propriété sociale ,, in : Questions actuelles du socialisme
(Belgrade), n° 104, octobre-décembre 1971, pp. 45-66.
464 G. DESOLRE

<< Le socialisme exige que les moyens de production ne demeu -

rent plus aux mains des particuliers, car la propriété privée de


ces moyens (... ) mène nécessairement à l'exploitation du travail
d'autrui. Or, le but du socialisme est de mettre fin à cette exploi-
tation >> (23). Dans les pays du socialisme d'Etat, il en résulte
que «l'Etat socialiste est propriétaire des principaux moyens de
production >> (24) : dans ce cadre, le << sujet unique >> du droit de
propriété est Ie << peuple tout entier, représenté par son Etat
socialiste>> (25). C'est l'Etat qui, « en sa double qualité : de
titulaire du pouvoir politique et de sujet unique du fonds unitaire
de sa propriété, est, lui-même, !'instrument de l'édification du
socialisme et de son économie >> (26). L'idée de base est que
l'économie ne naît pas << spontanément >> mais qu'elle doit être
créée par une activité consciente, et que le seul garant de cette
activité est l'Etat lui-même. Une protection spéciale est réservée
notamment par le droit civil, le droit pénal et la procédure
pénale à la propriété d'Etat et, dans une mesure moindre, aux
autres formes de propriété socialiste (27).
Une des formes de la protection particulière dont bénéficie
la propriété d'Etat en URSS est !'absence de prescription valant
tant pour les biens meubles que pour les immeubles, selon l'art. 90
du Code civil de la R.S.F.S.R. et les articles correspondants
des Codes des autres républiques fédérées.
Le droit de propriété socialiste est en principe inaliénable et
insaisissable et le droit à l'action en revendication par laquelle
la propriété socialiste d'Etat est défendue est imprescriptible :
aucune usucapion ne peut lui être opposée (28).
Le Code civil de l'Allemagne de l'Est qui suit le modèle sovié-
tique, distingue lui aussi deux types fondamentaux de propriété.
Il y a la propriété socialiste (nationale, coopérative, ou encore
celle des organisations volontaires) d'un cöté, et celle des citoyens

(23) A. loNASCO, Introduction au droit civil des pays socialistes, Leuven, Katholieke
Universiteit Leuven, Faculteit der Rechtsgeleerdheid, s.d., p. 10.
(24) Idem, p. ll.
(25) Idem, p. 95.
(26) Idem, p. 97.
(27) J. JAROLIMEK, Het eigendomsrecht in Oost- en West-Europa. Een proeve van
vergelijking, Deventer-Antwerpen, Kluwer, s.d., p. 23; Voy. pour Ie droit pénal
R. SCREVENS, Les infractions da.ns les Codes Pénaux des Etats Socialistes, Bruxelles,
Centre National pour !'Etude des Etats de !'Est, 1965.
(28) A. loNASCO, op. cit., p. 109.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 465

(propriété personnelle), de l'autre. La première bénéficie d'une


protection spéciale (29). Des dispositions analogues existent dans
les autres Etats de l'Est.

Il. - DÉVELOPPEMENT DU CONCEPT


DE PROPRIÉTÉ SOCIALE EN Y OUGOSLAVIE

1. - Propriété d' Etat et propriété sociale

6. - La R.S.F.Y. connaît un système très spécifique de


droit civil. Même avant la deuxième guerre mondiale ce pays
n'avait pas de Code civil. Dans les diverses régions du pays, des
lois spéciales étaient en vigueur. Mais, bien que ces lois aient
été abrogées, de même que les règles juridiques adoptées sous
l'occupation, en 1946, Ie législateur yougoslave a admis, sous
certaines conditions, l'applicabilité des anciennes normes, aux
fins d'éviter les lacunes dans Ie droit (à condition que la matière
ne soit pas régie par de nouvelles lois et que l'application de
!'ancien droit ne soit pas en contradiction avec la Constitution
ni avec l'ordre constitutionnel nouveau) (30). L'applicabilité du
droit ancien, plus spécifiquement des règles tirées du droit autri-
chien qui avait fortement influencé Ie droit de la plupart des
régions de la Yougoslavie actuelle, joue toujours un röle impor-
tant. Des lois très importantes ont été adoptées dans Ie domaine
du droit civil, mais la Yougoslavie n'a pas - et considère comme
dépassé Ie fait d'avoir - un Code civil. Ceci distingue la Yougo-
slavie des pays est-européens qui connaissent un Code civil, tels
l'URSS, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la République démo-
cratique allemande, la Hongrie, ou, également, un Code écono-
mique, telle la Tchécoslovaquie. Toutefois, comme dans ces pays,
les principes fondamentaux du régime de la propriété sont
contenus dans la Constitution.

7. - La première Constitution de la Yougoslavie d'après-

(29) Partie II du Code civil de la R.D.A. (art. 17 et s.); pour la prescription:


art. 474 (l) du C.C. de la R.D.A. La traduction du C.C. de la R.D.A. a paru dans
Law and Legislation in the German Democratie Republio, n• 1-2, 1976.
(30) V. KNAPP, ,, Le droit civil et Ie droit de la familie. Première partie •• in :
B. T. BLA00.rnv1é, W. CzAcH0RSKI, T. loNAsco, V. KNAPP, M. A. KRouT0G0Lov,
I. SzABÓ, V. A. T0UMANOV, Introduction aux droits soci,al,istes, Budapest, Akadémiai
Kiado, 1971, pp. 344-345.
466 G. DESOLRE

guerre établissait une typologie tripartite de la propriété : pro-


priété d'Etat, propriété coopérative et propriété personnelle. Le
processus de transformation de la propriété personnelle en pro-
priété étatique devait s'effectuer par degrés, au travers de la
réforme agraire et des nationalisations (31). En ceci, elle était
conforme au modèle offert par l'U.R.S.S. à !'époque.

8. - Ce n'est qu'à partir de l'entrée en vigueur de la loi


constitutionnelle de 1953 (32) que la << propriété sociale>> fut
mise en avant - à la place de la propriété d'Etat - comme
une des bases du fonctionnement du système social yougo-
slave (33). C'était là une nouveauté, liée ainsi qu'on Ie verra
plus loin à l'instauration du système de l'autogestion. Mais dans
la mesure ou les pays de l'Est utilisent Ie terme de « propriété
sociale>> oude<< propriété socialiste>>, comme on l'a vu plus haut,
en tant que catégorie générale de la propriété, englobant la
propriété d'Etat, on ne s'étonnera pas de ce que les chercheurs,
à l'étranger, n'y virent pas de nouveauté. C'est que, tant la
propriété d'Etat que la propriété sociale qui existe en Y ougo-
slavie, ne peuvent exister que sur la base d'un acte préalable de
nationalisation. Ainsi, C. Bobrowski écrivait-il : << Pour les entre-
prises nationalisées, Ie nouveau régime ne pose pas le problème
de la propriété. C'est la gestion qui en est modifiée, mais non
les rapports de propriété, puisque c' est la société tout entière
qui reste Ie propriétaire des entreprises autonomes » (34). C'est
que la socialisation de la propriété fut précédée de sa nationalisa-
tion ~ lois sur les confiscations du 9 juin 1945 (35), sur les natio-
nalisations des entreprises privées du 6 décembre 1946 (36) et
du 29 avril 1948 (37) entraînant l'étatisation préalable des princi-
paux moyens de production. A partir des années 1953-1963
toutefois, Ie concept de propriété d'Etat cède la place à celui
de propriété sociale : en témoignent, outre la loi constitution-

(31) Majda STROBL, Ivan KRISTAN, Ciril Rrn1éiè, Ustavno provo S.F'.R. Jugoalavije,
Ljubljana, Pravna Fakulteta - D.D.U. Univerzum, 1979, pp. 52-53.
(32) Art. 4, loi constitutionnelle du 13 janvier 1953, Sluzbeni List F.N.R ..J., n° 3,
1953.
(33) STROBL, KRISTIAN, Rrn1é1é, op. cit., p. 69.
(34) C. BoBBOWBKI, La Yougoslavie Socialiste, Paris, Armand Colin, 1956,- p. 148-
149. Dans Ie même sens, J. JARDMILEK, op. cit., p. 4 et p. 14.
( 35) Sluzbeni List, no 40, l 945.
(36) Sluzbeni List, n° 98, 1946.
(37) Sluzbeni List, n° 35, 1948.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 467

nelle déjà mentionnée, la loi sur les expropriations du 25 jan-


vier 1957 (38) et celle sur la nationalisation des immeubles loca-
tifs et des terrains à bätir du 12 décembre 1958 (39), établissant
une propriété sociale et non étatique.

2. - Propriété sociale et «droit >> de propriété.


Une propriété sans sujet

9. - En 1963, la Constitution avançait un principe qui devait


nécessairement faire problème pour Ie juriste classique : << Partant
du fait que personne ne peut avoir un droit de propriété sur les
moyens sociaux de production, nul - ni la communauté socio-
politique, ni l'organisation de travail, ni Ie travailleur pris indi-
viduellement - ne peut s'approprier, en vertu d'un titre juri-
dique de propriété quel qu'il soit, Ie produit du travail social,
ni gérer les moyens sociaux de production et Ie travail social,
ni en disposer, ni enfin déterminer arbitrairement les conditions
de la répartition >> (40). Des adaptations terminologiques mi-
neures mises à part, ce texte est resté inchangé dans la nouvelle
Constitution (41). En vertu de ce principe,<< Nul ne peut acquérir
un droit de propriété sur les moyens sociaux qui sont la condition
du travail dans les organisations élémentaires et les autres orga-
nisations de travail associé ou la base matérielle de l'exercice
des fonctions des communautés autogestionnaires d'intérêts ou
des autres organisations et communautés autogestionnaires et
des communautés socio-politiques >> (42).
La loi sur Ie travail associé contient un article identique. Il
ajoute que tout acte contraire serait privé de tout effet juri-
dique (42bis).
Ces dispositions ont non seulement pour effet de s'opposer
en règle générale à l'acquisition du droit de propriété sur les

(38) Sluzbeni List, n° 12, 1957.


(39) Sluzbeni Liat, n° 52, 1958.
(40) Principes fondamentaux, III, paragraphe 2 de la Conatitution de 1963. Consti-
tution de la R.S.F.Y. Amendementa Constitutionnels, Belgrade, Prosveta, 1969.
(41) Principes fondamentaux, III, paragraphe 3 de la Constitution de 1974. Consti-
tution de la R.S.F.Y., Belgrade, Borba, 1974; Ie même texte se retrouve dans les
Conatitutiona des républiquea : voy. p. ex. les Principes fondamentaux, III, para-
graphe 4 de la Conatitution alovène de 1974. Uradni Liat SRS, n° 7, 1974.
(42) Art. 12, al. 2, Conatitution de 1974; art. 14, al. 2, Conatitution slovènP de
1974, etc.
(42bia) Art. 12, al. I••, loi du 25 novembre 1976 aur Ie travail associé, Sluzbeni
List, n° 53, 1976.
468 G. DESOLRE

moyens sociaux, c'est-à-dire la portion la plus importante de la


propriété sociale, mais aussi celui de poser la catégorie de la
propriété sociale comme l'antithèse du droit de propriété lui-
même. D'ailleurs, Ie droit yougoslave réserve l'expression «droit
ue propriété >> à la propriété des personnes juridiques sociales,
des personnes juridiques de droit privé et des citoyens (43). La
propriété sociale ne relève donc ni d'un type de propriété de
droit privé, ni non plus d'un droit de propriété de nature étatique.
Pour être plus précis encore, nous dirons que la propriété sociale,
à la différence du<< droit >> de propriété, ne présuppose pas l'exis-
tence d'un sujet juridique : il ne peut y avoir de << titulaire >> du
droit de propriété puisqu'il n'y a pas de << droit de propriété >>.
Le sujet de la propriété sociale est introuvable. C'est ainsi que
l'on parle, non pas de moyens sociaux d'une organisation de
travail associé ou d'une communauté locale, mais des moyens
sociaux dans une organisation ou dans une communauté.

10. - La propriété sociale doit, en effet, servir à permettre


l'appropriation du produit du travail sur base du travail lui-
même et non sur base d'un droit de propriété. Le produit du
travail social appartiendra à celui qui l'a créé sur base des
moyens sociaux, au moyen de son travail (44). C'est aussi sur
cette base qu'a été élaborée la loi sur Ie travail associé. M. Kiro
Gligorov, président de l'Assemblée de la R.S.F.Y. a résumé
ainsi cette conception, lors du débat sur l'adoption de cette loi
au cours de la session du Conseil fédéral et de la Chambre des
Républiques et des provinces, Ie 25 novembre 1976 : << La loi
sur le travail associé rend impossible l'hégémonie de n'importe
quel monopole dans la disposition des moyens de production
et du surtravail aussi bien privé et en propriété d'Etat que celui
du type en propriété commune>> (45).
En adoptant cette orientation, Ie législateur yougoslave s'es-
time plus fidèle par rapport à !'esprit des théoriciens du socialisme
scientifique (46). Marx fixait en effet comme objectif d'un régime

(43) Art. 78 et s., Constitution fédérale de 1974.


(44) Voir à ce sujet les paragraphes 4 et 5 du point III des Principes fondamen-
taux de la Constitution fédérale de 1974.
(45) La loi sur le travail associé, Belgrade, Bibliothèque de. l'Assemblée de la
R.S.F.Y., 1978, p. 13.
(46) Voy. E. KARDELJ, « Veliki znacak zakona o udruzenom radu •• in: Nacrt
zakona udruzenom radu, Beograd, Slobo Ljubve, 1976, p. 7-8; M. TODOROVIC, • Exposé
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 469

socialiste la propriété sociale par opposition à tout monopole de


propriété (47), tandis qu'Engels développait l'idée d'une étati-
sation-prémisse (ou << moyen formel ►>) visant à atteindre ulté-
rieurement la << prise de possession des moyens de production
par la société elle-même ►> (48).

11. --- Est-il correct de dire, comme le fait Victor Knapp,


que la propriété sociale en Yougoslavie << n'est qu'une propriété
du point de vue social, voire économique ►> (49)1 Le droit de
propriété des moyens sociaux de production n'existe pas et certes
est même formellement prohibé. Ni l'Etat, ni les firmes ou entre-
prises (organisations complexes de travail associé, organisation
de travail associé, organisation de base de travail associé) ne
sont propriétaires (50). La société en tant que telle figure en
YougosJavie comme propriétaire des biens appartenant au peuple
dans son ensemble. Le hut fondamental de cette construction
est d'éviter qu'entre les moyens de production et les travailleurs
qui les utilisent des intermédiaires ne viennent s'intercaler (51).
Mais si Ie droit de propriété n'existe pas dans ce cas (ce qui est
censé anticiper sur la théorie marxiste de l'étiolement de l'Etat
et du droit), il n'en reste pas moins que la propriété sociale reste,
aujourd'hui, encore une notion économique, socio-politique et
juridique (52).

lil. - ÛBJET DE LA PROPRIÉTÉ SOCIALE

12. - ~ Les moyens de production et les autres moyens du


travail associé, les produits du travail a.ssocié et le revenu réalisé
par Ie travail associé, les ressources servant à satisfaire les besoins
sociaux collectifs et généraux, les richesses naturelles et les lois
d'usage général sont propriété sociale ►> (53).

sur Ie projet de Constitution >>, in : Constitution de l,a R.S.F.Y., 1974, op. cit., p. 14;
A. VACié, op. cit., p. 64 et 65.
(47) K. MARX, Le Capital, Livre I, Tome 3, Paris, Ed. Sociales, 1950, p. 205.
(48) F. ENGELS, Anti-Dühring, Paris, Ed. Sociales, 1971, pp. 314 et s.
(49) v. KNAPP, op. cit., p. 357.
(50) Voy. D. LUBEN, • Les bases du système socialiste en Yougoslavie •• in : Auto-
geation, n° 8, juin 1969, p. 104.
(51) Alojzij FINzGLAR, • Social ownership in Yugoslav Law », Yugoslav Law, n° 2,
1977, p. 3.
(52) A. FINZGLAR, op. cit., p. 4.
(53) Art. 12, al. ter de la Constitution de la R.S.l<'.Y. de 1974; art. 14, a\. l•• de
470 G. DESOLRE

13. - L'objet fondamental de la catégorie de Ja propriété


sociale est constitué par les<< moyens sociaux >>. Ceux-ci sont des
biens caractérisés par une fonction socio-économique : ils sont
particulièrement protégés, dans la mesure 011 non seulement ils
font partie de la propriété sociale, mais également dans la mesure
011 nul ne peut acquérir un droit de propriété sur une grande
partie d'entre eux. << Les moyens qui sont propriété sociale, sont
la base matérielle commune pour la conservation et Ie développe-
ment ou la société socialiste et des rapports socialistes autoges-
tionnaires >>, proclame l'art. 10, al. 1er, de la loi de 1976 sur Ie
travail associé.

14. - Font aujourd'hui également partie de la propriété


sociale, les biens d'organisations telles la Ligue des Communistes
de Yougoslavie, de I' Alliance Socialiste du Peuple Travailleur de
Yougoslavie, de la Confédération des Syndicats, de I'Association
des Vétérans, de !'Alliance de la Jeunesse Socialiste et des autres
organisations sociales déterminées par la loi, comme par exempJe
la Croix-Rouge et les associations de sportifs (54).
Dans Ie système de la Constitution de 1963, les organisations
socio-politiques et Jes associations de citoyens étaient titulaires
d'un droit de propriété, par exemple des immeubles qu'ils occu-
paient (55). Aujourd'hui les organisations socio-politiques de
même que les autres organisations sociales déterrninées par la
loi utilisent des moyens sociaux : autrement dit leurs biens font
partie de la propriété sociale, tandis que les associations de
citoyens continuent, elles, à être titulaires d'un droit de propriété
sur les biens immeubles et les autres biens servant à réaliser
les intérêts de leurs membres et les objectifs pour lesquels elles
ont été fondées (56).

15. - Fait également partie de la propriété sociale, la pro-


priété des coopératives. Alors qu'auparavant (c'est-à-dire à

la Constitution de la R.S. de Slovénie, etc.; art. 10, al. 2 de la loi de 1976 sur Jo
travail associé.
(54) A. FmZGLAR, op. cit., p. 6.
(55) Art. 24, Constitution de 1963.
(56) Art. 60 et art. 79, Constitution de 1974; art. 75 de la Constitution slovène,
etc. Il est significatif que !'art. sur la propriété des associations figure au chapitre
sur les rapports de droit réel, ce qui n'est pas Ie cas pour celui concernant les rnoyens
des organisations socio-politiques.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 471

!'époque ou Ie droit yougoslave était influencé par Ie droit sovié-


tique), Ia propriété coopérative apparaissait comme une forme
spéciale de la propriété, à cöté de la propriété d'Etat (57), aujour-
d'hui Ia propriété coopérative est englobée dans la propriété
sociale (58), qui est Ie seul type de propriété existant, à cöté
de la propriété des citoyens et des personnes juridiques de droit
civil à Iaquelle l'expression << droit de propriété >> est réservée (59).

16. - Une formule originale qui vise à intégrer les travail-


Ieurs ayant été employés à l'étranger et qui désirent investir
leur épargne dans une entreprise, est l'<< organisation contrac-
tuelle de travail associé >>. Dans cette organisation, Ie travailleur
qui associe ses moyens et son travail au travail d'autres travail-
leurs et à des moyens sociaux (propriété sociale), règle par contrat
avec les autres travailleurs, les droits, les obligations et les
responsabilités des uns et des autres. Il est prévu que Ie contrat
fixe les droits du gérant (apporteur de ses moyens en propriété)
et ceux des autres travailleurs (à partir des ressources qui restent
en propriété sociale) (60).
Les agriculteurs indépendants peuvent également associer
leurs terrains et leurs moyens de travail avec les moyens sociaux
d'une coopérative agricole et en conserver Ie droit de propriété,
à moins qu'ils ne Ie cèdent par convention autogestionnaire, par
un contrat spécial ou par une vente (61).

17. - Sont considérés comme << biens d'intérêt général >>, Ie


sol, les forêts, les eaux, les cours d'eau, la mer et les cötes, les
richesses minières et les << autres ressources naturelles », les biens
<< d'usage commun >> (62) ainsi que les biens immeubles ou autres
d'une importance culturelle et historique particulière jouissant
d'une protection spéciale (63). Ils ne peuvent être aliénés de la
propriété sociale. Toutefois, un droit de propriété peut exister

(57) Guide to the Yugoslav legal system. Beograd, Institute of Comparative Law,
1977, pp. ll0-lll.
(58) A. FINZGLAR, Druzbena laatnina v iugoalovanskem pravu, Ljubljana, Slovenska
Akademija Znanosti in Umetnosti, 1977, p. 51.
(59) Guide to ... , op. cit., p. 113.
(60) Articles 303 à 319 de la loi de 1976 sur Ie travail associé.
(61) Articles 275 à 290 de la loi de 1976.
(62) Tels les routes publiques, les eaux d'usage commun, les cötes, les rives, les
débarcadères, les champs d'aviation.
(63) Art. 85 de la Constitution de la R.S.F.Y. de 1974.
472 G. DESOLRE

sur les maisons d'habitation et les logements servant à des


besoins personnels : ceux-ci peuvent donc, selon les cas, faire
partie ou non de la propriété sociale (64).
Le sol en << usage commun >>, y compris les routes secondaires,
ne peut par exemple jamais faire l'objet d'un droit de pro-
priété (65).
Il ne peut non plus y avoir de droit de propriété sur les terrains
des villes, des agglomérations de caractère urbain et des zones
prévues par les communes pour la construction de logements (66).
Le sol et les forêts peuvent être transférés à une personne
juridique socio-politique sans compensation ou avec compensa-
tion jusqu'au montant de la valeur de l'investissement qui y a
été fait. L'usage peut également en être confié à des citoyens
ou à des associations de citoyens.

IV. - LA CIRCULATION JURIDIQUE DES OBJETS


DE LA PROPRIÉTÉ SOCIALE

18. - Le droit yougoslave prévoit cependant plusieurs ré-


gimes d'usage des objets de la propriété sociale. Les moyens
sociaux, gérés par les travailleurs ou d'autres personnes actives
dans une personne juridique sociale se composent de choses,
de ressources pécuniaires et de droits matériels qui sont la
condition matérielle du travail de ces personnes ou la base maté-
rielle de la réalisation de la fonction de cette personne juridique
sociale. Ces moyens n'appartiennent pas à l'organisation ou à la
personne en tant que personne juridique : ce ne sont que «des
moyens dans une personne juridique sociale >>. Mais ils peuvent
cesser d'être des moyens sociaux, comme ils peuvent le redevenir
ou Ie devenir, sur base d'un contrat, d'un autre acte juridique
ou d'une << convention autogestionnaire (67), ou aussi sur la base
d'une décision d'un organe d'Etat ou de la loi elle-même (68).

64) Art. 78, al. 2 de la Constitution : voy. Guide to the Yugoslav Legal Syatem, op.
cit., p. 113.
{65) Cour Suprême de Bosnie-Herzégovine, 35/76, du 4 novembre 1976, Droit
Y ougoslave, n° 1, 1979, p. 61.
(66) Art. 81, al. 1•• de la Constitution de la R.S.F.Y. de 1974.
(67) Actes juridiques de type particulier passés entre les travailleurs des organisa-
tions de travail associé, les communautés locales, les communautés autogestionnaires
d'intérêts, etc. Art. 121 et s. de la Constitution de 1974; art. 586 et s. de la loi de
1976 sur Ie travail associé.
(68) Art. 266 et 269 de la loi de 1976 sur Ie travail associé.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 473

En effet, sauf exception, << les moyens sociaux relèvent du trafic


juridique >> (69). Le principe fondamental qui est à la base de
ce transfert est Ie principe romain de la traditio qui reste Ie prin-
cipe fondamental pour l'acquisition des biens sur la base d'une
transaction légale. L'article 245 du projet de loi sur Ie travail
associé prévoyait, à l'instar de notre droit, l'adoption du principe
consensuel (70), mais cette règle a disparu : c'est qu'on en est
resté au système traditionnel, inspiré du Code civil autrichien,
de l'<< Übergabe >> (71), système sur lequel se greffent les éven-
tuelles déviations à la règle. La pratique qui existe depuis des
dizaines d'années s'est rebellée contre ce qui apparaissait comme
un changement trop abrupt (72). Il en résulte que pour l'acquisi-
tion du bien l'acte juridique ne suffit pas, mais qu'il faut la
traditio.

19. - Au cas ou un bien immobilier est devenu moyen social


sans fondement légal, une protection spéciale de la propriét{
sociale intervient : le retour à son propriétaire peut être exigé
dans les cinq ans après que le propriétaire l'ait appris, ou au
plus tard dans les dix ans (trois années et cinq années respective-
ment pour les biens meubles) (73). Il s'agit d'une usucapion
spéciale favorisant la propriété sociale.
En revanche, si un bien (mobilier ou immobilier) est sorti
de la sphère de la propriété sociale, il n'y a pas d'usucapion. Si
la chose a cessé d'être moyen social sans fondement juridique,
l'organe juridique de la personne juridique sociale doit présenter
une demande pour que la chose soit rendue; à défaut de la présen-
tation de la demande par l'organe en question, les travailleurs
ou l'avocat social de l'autogestion (74) ou encore l'organe de la
communauté socio-politique (75) pourront présenter cette de-

(69) Art. 242 de la même loi.


(70) Nacrt zakona o udmzenom radu, op. cit., p. 9ó.
(71) Art. 425 et 426 du Code civil général, op. cit.
(72) Selon les explications que Ie Professeur A. FINZGLAR de l'Université de Ljubljana
a bien voulu nous donner.
(73) Art. 268 de la loi sur Ie travail associé de 1976.
(74) L'avocat social de l'autogestion est un organe autonome de la communauté
socio-politique (par exemple : l'avocat social fédéral de l'autogestion dans la Fédéra-
tion) auquel est confié Ie soin de recourir aux mesures juridiques nécessaires pour
assurer la protection sociale des droits autogestionnaires des travailleurs et de la
propriété sociale.
(75) La communauté socio-politique est une communauté territoriale dans laquelle
les travailleurs et les citoyens exercent la fonction du pouvoir et la gestion des
474 G. DESOLRE

mande (76). Il s'agit d'une action similaire à l'action pétitoire


ou l'action possessoire, qui ne vise toutefois pas à protéger un
<lroit réel, mais uniquement une situation objective (77).

20. - Les travailleurs ont, dans Ie travail associé, certains


<lroits et obligations à l'égard de l'utilisation, de la gestion et
de la disposition des moyens sociaux. Ces droits, obligations
et responsabilités diffèrent selon qu'il s'agit de «moyens de base >>
{capita! fixe) ; de << moyens pour la satisfaction des besoins
<:ommuns >>, ou de << moyens pour la satisfaction des besoins
sociaux généraux >> (78). En effet, les droits, obligations et respon-
sabilités concernant la disposition, l'utilisation et la gestion des
moyens sociaux sont réglementés par la Constitution et par
la loi, suivant la nature et la destination de ces moyens (79).
Ainsi, les «moyens de base>> ne peuvent être aliénés (80), mais
ils peuvent être déclassés (éliminés de l'utilisation comme moyens
<le base) en cas de détérioration ou d'obsolescence (81).
Mais la gestion signifie en général Ie droit de décider de
l'utilisation et de là disposition des moyens sociaux. Ce n'est
pas là un droit patrimonia!, mais dans la mise en reuvre de ces
droits, les travailleurs peuvent se presenter dans la circulation
juridique avec les moyens sociaux, par l'intermédiaire de l'orga-
nisation de travail associé et de son droit de disposition (82).

21. - C'est en règle générale l'organisation élémentaire de


travail associé qui jouit, en tant que personne juridique sociale,
du droit de disposer (83), c'est-à-dire du droit de conclure des
<:ontrats et des conventions autogestionnaires et d'effectuer

caffaires sociales (Fédération, Républiques, Provinces autonomes, communes et grandes


villes).
(76) Art. 270 de la loi de 1976 sur Ie travail associé.
(77) A. FINZGLAR, Druzbena la8tnina ... , op. ei/,., p. 51.
(78) Art. 227 et s. de la loi de 1976 sur Ie travail associé, figurant au chapitre VI
{La gestion des moyens sociaux) de la deuxième partie (Les rapports socio-économiques
,des travailleurs dans Ie travail associé) de la loi.
(79) Art. 13, al. 2, de la Constitution de 1974. Voy. aussi l'art. 231 de la loi de 1976.
(80) Art. 12, al. 2 de la Constitution.
(81) Art. 233 de la loi de 1976.
(82) Art. 243 de la loi de 1976 sur Ie travail associé (sur Ie droit des personnes
juridiques sociales en général de disposer des moyens sociaux), art. 238 de la même
loi (sur Ie droit des membres des organisations socio-politiques), etc.
(83) Martin VEDRIB, • Prava y pogledu upravljana, koristenja i raspolaganja drust-
venom sredstvima i imovinska odgovornost drustvenih-pravnih osoba •• Na§a zakonnost,
XXX, n° 5, 1976.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 475

d'autres actes dans le cadre de leur capacité d'affaires (84). Il


s'agit de la transmission des moyens sociaux à d'autres personnes
juridiques sociales (d'autres organisations élémentaires - de
base - de travail associé), et de l'aliénation de moyens sociaux
de la propriété sociale en les transférant aux citoyens, aux
associations de citoyens ou aux personnes juridiques de droit
privé en général (85). La doctrine considère ce droit comme étant
un droit «secondaire>>, c'est-à-dire non comme un véritable droit
de disposition, mais comme un droit d'exécuter un acte contenant
la disposition des moyens sociaux pour le compte de ses membres.
L'organisation du travail associé ou toute autre personne
juridique sociale répond de ses obligations avec les moyens
sociaux dont elle dispose (86). La loi détermine quels moyens
ne peuvent être soumis à une procédure d'exécution (87).

V. - PROTECTION SPÉCIALE DE LA PROPRIÉTÉ SOCIALE

22. - Ce que nous appellerons la protection spéciale de la


propriété sociale englobe notamment Ie << contröle ouvrier auto-
gestionnaire )). Ce contröle a été prévu, à la demande des syndi-
cats, dans la Constitution de 1974 (88) : il s'agit d'un contröle
pouvant s'exercer à trois niveaux - directement, par l'inter-
médiaire des organes de gestion de l'entreprise et par l'inter-
médiaire d'un organe spécial de controle ouvrier autogestion-
naire (89). L'organe spécial de contröle ouvrier autogestionnaire
controle notamment << l'utilisation responsable, socialement et
économiquement appropriée, des moyens sociaux et de la manière
d'en disposer )) (90). Ces organes ont surtout une fonction infor-
mative.

23. - Par ailleurs, les droits autogestionnaires et la propriété


sociale bénéficient d'une << protection sociale spéciale >>, qui est

(84) Art. 243 de la loi de 1976 sur Ie travail associé.


(85) A. FlNZGLAR, Druzbena lastnina ... , op. cit., p. 52.
(86) Art. 24 de la Constitution de 1974; art. 251 de la loi de 1976 sur Ie travail
associé.
(87) Art. 251 de la loi de 1976 sur Ie travail associé.
(88) Art. 107 de la Constitution de 1974.
(89) Neca JovANOV, Conception et pratique du contróle autogeationnaire ouvrier dans
le travail associé en R.S.F.Y., Paria, 2• Conférence internationale sur la participation,
Ie contröle ouvrier et l'autogestion, septembre 1977, 82 pp.
(90) Art. 556 de la loi de 1976 sur Ie travail associé.
RENÉ DERKEll.8. - 31
476 G. DESOLRE

exercée par les assemblées des communautés socio-politiques et


les organes responsables devant elles, les tribunaux, les Cours
constitutionnelles, Ie procureur public et l'avocat général de
l'autogestion (91). L'avocat général de l'autogestion peut engager
une procédure en protection de la propriété sociale ainsi que la
procédure en abrogation ou en annulation des mesures et autres
actes portant atteinte à la propriété sociale (92). L'avocat social
fédéral de l'autogestion est nommé et relevé de ses fonctions
par l'Assemblée de la République fédérative.

Vl. - RAYONNEMENT INTERNATIONAL


DE LA PROPRIÉTÉ SOCIALE

24. - Le système yougoslave d'autogestion et de propriété


sociale a eu un rayonnement international dans divers continents.
En Algérie, il a influencé le législateur à l'époque de la présidence
de M. Ben Bella, mais cette influence a aujourd'hui cédé la place
au modèle plus connu de la propriété d'Etat.
Le système de la propriété sociale, tel qu'il existe en Yougo-
slavie, intéresse également les autorités chinoises s'il faut en
croire le vice-président de l' Académie des sciences sociales de
Chine. Celui-ci écrit en effet que << les milieux académiques chinois
sont en train d' étudier la possibilité de l' évolution directe de
ces deux systèmes de propriété [propriété d'Etat et propriété
collective socialiste] vers un troisième type de propriété >> (93).
Au Pérou, les autorités militaires << progressistes >> ont, à
l'époque de la présidence du Général Velasco, institué des<< entre-
prises de propriété sociale>> (94), présentées comme le chemin
vers << une démocratie sociale de participation totale >>. Bien que
les références à l'autogestion et au système yougoslave ne man-
quassent pas dans les articles et discours des défenseurs du
projet, il s'agissait en réalité d'une propriété d'une nature diffé-
rente : la propriété appartenait à << !'ensemble des travailleurs
qui exercent leurs activités dans les entreprises de propriété

(91) Art. 129 de la Constitution de 1974.


(92) Art. 131 de la Constitution de 1974.
(93) Yu GUANGYUAN, • Une approche fondamentale de la propriété socialiste>>,
Beijing information, n° 49, 8 décembre 1980, p. 14.
(94) Décret-loi n° 20598 du 30 avril 1974 promulguant la loi sur les entreprises
de propriété sociale, El Peruano, 2 mai 1974, n° 9921, trad. fr. B.I.T., Série législative,
I 97 4, Pérou 1.
LA PROPRIÉTÉ SOCIALE 477

sociale ►>,
de sorte que c'était plutöt une sorte de propriété
coopérative. Sa place est restée très marginale dans l'économie
péruvienne et elle dépend d'un organisme d'Etat qui en étouffe
littéralement le développement (95).

25. - Cette diffusion limitée de la propriété sociale est à


mettre en parallèle avec le rayonnement mondial de l'autogestion
des entreprises d'une part, et avec le caractère limité de l'appli-
cation effective de cette formule, de l'autre. C'est que la mise
en ceuvre de ces formules présuppose la solution de deux
problèmes méta-juridiques, à savoir la suppression du capital
individuel et des rapports de production sur lesquels il se fonde
et la volonté d'éviter les solutions étatistes. Ce n'est qu'en
Yougoslavie que ces deux préconditions ont pu être réunies et
cela confirme, si besoin en est, combien le droit de chaque Etat
est en relation directe avec l'ensemble de sa structure sociale (96).
Ce principe est, évidemment, également valable pour les Etats
socialistes ou se réclamant du socialisme et pour ceux qui con-
naissent un régime socio-économique différent.

(95) Albert MEISTER · Didier RETOUR, • Pérou 1968-1980 : matóriaux sur l'expé-
rience autogestionnaire », Autogestions, n° 4, 1980, pp. 419 à 425.
(96) Borislav T. BLAGOJEVIé, , L'Autogestion en Yougoslavie (Ie cas des entre-
prises) •• Annuaire de l'U.R.S.S. et des pays socialist, .. eu,ropéens, 1975, Strasbourg,
Istra, 1977, p. 267.
Les organisations économiques internationales
dans les pays du CAEM :
évolution et perspectives
PAR

B. DUTOIT
PROFESSEUR À LA F ACULTÉ DE DROIT
DE L'UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

lNT'.RODUCTION

Les organisations économiques internationales constituent une


forme de coopération récente au sein du CAEM, puisqu'elles
ont reçu une consécration o:fficielle seulement dans Ie «Pro-
gramme complexe en vue de l'approfondissement et du perfec-
tionnement de la collaboration et du développement de l'intégra-
tion économique socialiste des Etats membres du CAEM >>, adopté
lors de la 25e session de ce dernier, tenue à Bucarest du 27 au
29 juillet 1971 (1).
A vrai dire, l'expression d'<< organisation économique interna-
tionale>> (mezdunarodnaja chozjaistvennaja organizacija) recou-
vre trois types différents de coopération. En passant de la forme
la moins évoluée à la collaboration la plus poussée on distingue
d'abord la << société économique internationale (mezdunarodnoe
chozjaistvennoe tovarisèiestvo) >>, quine possède ni personnalité
juridique ni patrimoine propre et dont l'activité se réduit à des
taches de coordination; puis l'<< union économique internationale

(1) Certes il existait déjà préalablement des organisations économiques interétatiques


auxquelles les Etats participaient comme sujets du droit des gens (cf. par exemple
« Intermetall • créée en 1964 ou • Interchim • en 1970). En outre l'idée avait été lancé<>
dès 1962 de créer, au sein du CAEM, des entreprises communes de production, d'al>ord
dans Ie cadre de la planification socialiste internationale proposée par Chruchtchev,
puis, après l'échec de ce projet, de façon plus modeste, en limitant la planification
internationale à certains secteurs. De fait quelques entreprises communes virent Ie
jour avant 1971 (cf. par exemple la firme polono-hongroise • Haldex • en 1959 011 la
société bulgaro-hongroise • Intransmach • en 1964).
480 B. DUTOIT

(mezdunarodnoe chozjaistvennoe ob'edinenie) >>, qui correspon-


drait à une société de personnes dans le droit occidental des
sociétés, et enfin l'<< entreprise commune (sovmestnoe predprija-
tie) >>, que l'on pourrait rapprocher d'une société de capitaux.
On notera que les caractéristiques de ces deux dernière formes
n'apparaissent pas toujours clairement dans la pratique. En
tout état de cause, ces organisations se fondent sur des disposi-
tions qui se rattachent au droit civil (voire même au droit inter-
national privé), mais non pas au droit international public.
L'apparition de ces organisations s'explique par l'internatio-
nalisation croissante de la vie économique qui rend évidente
la nécessité de dépasser, dans certains cas tout au moins, Ie
cadre purement national de la planification socialiste. Même si
dans la pratique ces organisations ne revêtent pas une importance
considérable (2), elles jouent néanmoins un röle indéniable dans
la prospective du développement de l'économie socialiste.

(2) Il s'avère fort difficile de déterminer précisément les caractéristiques et Ie


nombre des organisations économiques intemationales qui existent actuellement au sein
du CAEM. A partir des sources disponibles (cf. P. L0RENZ, Multinationale Unternehmen
aozialiatiacher Länder - Die intemationalen Wirtschaftsorganiaationen im RGW, Baden•
Baden, 1978, p. 55 ss.; R. BYSTRIOKY, Le droit de l'intégration économique socialiste,
Genève, 1979, p. 264-273; M. LAVIGNE, • Problématique de l'entreprise multinationale
socialiste•, Economie et Sociétés, série P, n° 24, t. XI, n°• 1-2, janv .• févr. 1977,
p. 66 ss.; W. SEIFFERT, « Zur Geltung Internationaler Verhaltenskodizes für Unter-
nehmen aus den RGW-(Comecon)Ländem •• German Yearbook of International Law -
Jahrbuch für internationalea Rechts, 1980, p. 101; Mezdunarodnye organisacii socialis-
tiè\eskich gosudarstv (Les organisations intemationales des Etats socialistes), Moscou,
1980, p. 212 ss.) il semble que !'on puisse établir la liste suivante :
a) sept uniona économiques internationales :
- Interatominstrument (1973)
- Intertextilmasch (1973)
- Interatomenergo (1973)
- Assofoto (1973)
- Interport (1973)
- Interchimvolokno (1974)
- Domochim (1974)
b) quatre entreprises communes :
- Erdenet (1973)
- Freundschaft/Przyjazn (1969)
- Haldex (1959)
- Intransmas (1964)
c) huit sociétéB économiques internationales (sans personnalité juridique)
- Medunion (1966/74)
- Interetalonpribor (1972)
- Interelektrotest (1973)
- Interkomponent (1973)
- Elektroinstrument (1975)
- Intervodootschistka ( 1977)
- Intemefteprodukt (1978)
- Interlichter (1978).
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 481

C'est ainsi que le 21 janvier 1973 la 6le session du Comité exécu-


tif du CAEM adopta des << Conditions modèles (primernye polo-
zenij a) pour la constitution et l'activité des organisations écono-
miques internationales dans les Etats membres du CAEM >> (3).
Ces Conditions modèles, loin de constituer du droit matériel, ne
liaient les parties que lorsqu'elles en avaient fait volontairement
le fondement de leurs relations juridiques. L'adoption de ces
Conditions modèles fut toutefois accompagnée d'une recomman-
dation aux Etats membres, sous forme d'une directive, leur
enjoignant de créer les conditions juridiques nécessaires au fonc-
tionnement des organisations économiques internationales, plus
précisément de les faire bénéficier au moins des mêmes conditions
que celles auxquelles sont soumises les organisations étatiques
du pays du siège (4).
En janvier 1975, la 7oe session du Comité exécutif fit siennes
des << Conditions modèles pour le financement et la tenue des
comptes des organisations économiques internationales des Etats
membres intéressés du CAEM >> (5). Dès 1973, lors de sa 6le ses-
sion, le Comité exécutif chargea les organes compétents de
présenter, pour la fin de 1975, Ie projet d'une réglementation
juridique uniforme des organisations économiques internatio-
nales. Lors de sa 74e session (janvier 1976), Ie Comité exécutif
adopta des « Conditions uniformes (edinoobraznye polozenija)
pour la constitution et l'activité des organisations économiques
internationales >> (6). Jusqu'en 1978 un << contrat type>> de consti-
tution des organisations économiques internationales, de même
qu'un «statut modèle >> auraient dû être mis sur pied (7). A notre
connaissance, ces textes n'ont pas encore vu Ie jour.
Ainsi les nouvelles Conditions uniformes de 1976 marquent-
elles Ie point actuel de l'évolution juridique des organisations

(3) La version allemande de ce texte, qui n'a été rendu public qu'en 1976, se trouve
dans l'ouvrage précité de Lorenz, p. 169 ss. Le texte russe a paru in Mnogostoronnee
ekonomiéeskoe sotrudniéestvo socialistiéeskich gosudarstv - Dokumenty za 1972-1975
(La coopération économique multilatérale des Etats socialistes - Documents pour la période
1972-1975), Moscou, 1976, p. 118 88.
(4) Cf. A. UscHAKOW, • Integration und Gemein8ame Betriebe im RGW •, Recht in
Oat und West, 1979, p. 53.
(5) Pour une traduction allemande de ce texte, cf. LoRENZ, op. cit., en note (2),
p. 177 88.
(6) Celles-ei ont fait l'objet d'une publication (en russe) en 1976 par les soins du
secrétariat du CAEM. Ce texte ne fut connu en Occident qu'à la fin de 1978.
(7) Pour ces information8, cf. LoRENZ, op. cit., en note (2), p. 28-29.
482 B. DUTOIT

économiques internationales. Dans les pages qui vont suivre


on tentera une présentation synthétique de la structure de ces
organisations , à la lumière du texte - peu connu -de 1976 (8).
Entre les Conditions modèles de 1973 et les Conditions uni-
formes de 1976 la différence ne paraît pas seulement terminolo-
gique. En effet, alors que les premières ne représentaient qu'un
canevas auquel les parties restaient parfaitement libres de se
référer ou non, les deuxièmes au contraire, même si elles se
présentent sous la forme d'une «recommandation » du Comité
exécutif du CAEM aux Etats membres, n'en deviennent pas
moins du droit matériel obligatoire dès leur acceptation par ces
derniers, à l'instar, par exemple, des Conditions générales de
livraison de marchandises (9), habillées aussi du qualificatif de
<< recommandation >>. Le caractère plus impérieux des Conditions

uniformes de 1976 (10) se traduit clairement à l'article 1er, qui


dispose que celles-ci doivent être appliquées par les Etats, dès
lors qu'ils les ont acceptées et qu'une organisation économique
internationale est créée sur leur territoire. En outre, les organes
du CAEM doivent tenir compte des Conditions uniformes dans
leurs travaux futurs relatifs à la constitution et à l'activité des
organisations économiques internationales. Enfin, l'article 89
desdites Conditions, en prévoyant l'application du droit matériel
de l'Etat du siège à toutes les questions non réglées par l'acte
constitutif ou par ces Conditions, atteste du caractère de régle-
mentation uniforme de ce texte.

§ 1. - STRUCTURE ET ACTIVITÉ
DES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES

Ainsi que nous l'avons souligné plus haut, Ie concept d'orga-


nisation économique internationale recouvre plusieurs formes de
coopération dont il s'agit de préciser maintenant les contours
respectifs.
Au centre des Conditions uniformes de 1976 comme des Condi-

(8) Il faut souligner que les Conditions modèles pour Ie financement des organisa-
tions économiques internationales de 1976 n'ont pas été abrogées par Ie texte de 1976.
(9) Sur ces Conditions, cf. 1. SzAsz, A Uniform Law on International Sales of
Goods - The CMEA General Conditions, Budapest, 1976.
(10) Cf. UscHAKOW, art. cit. en note (4), p. 53; contra : LoRENZ, op.cit., en note (2),
p. 29.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 483

tions modèles de 1973 se trouvent les unions économiques inter-


nationales (11). Celles-ei se fondent soit sur un accord inter-
national conclu entre Etats intéressés, soit sur une convention
écrite de droit civil passée entre les membres de l'union, étant
admis que eet accord international peut constituer la condition
de la conclusion d'une convention de droit civil. Quant aux
membres de l'union, seules des organisations économiques, à
l'exclusion des Etats eux-mêmes ( § 7), peuvent avoir cette qua-
lité. Le hut de l'union peut consister soit dans la coordination
de l'activité de ses membres, soit dans Ie développement d'une
activité économique propre ( § 3). Le capital initia! - non divisé
en parts - est formé des apports des membres, qui bénéfi.cient
d'un droit de vote égal, quelle que soit l'importance de leurs
apports.
Les unions économiques internationales se composent d'un
organe de direction (rukovodjascij organ), d'un organe exécutif
(ispolnitel'nij organ) et d'un organe de controle (kontrol'nij
organ), l'acte constitutif de l'organisation ou ses statuts pouvant
prévoir d'autres organes encore.
Composé de représentants de tous les membres de l'union,
l'organe de direction jouit d'une compétence exclusive dans un
certain nombre de matières énumérées au § 23 des Conditions
uniformes ; mais I' acte constitutif ou les stat uts peuvent allonger
encore la liste. Celle-ci apparaît fort longue, puisqu'elle englobe
19 chefs de compétence, alors que les Conditions de 1973 n'en
prévoyaient que 9. Parmi les plus importantes figurent notam-
ment, outre la modifi.cation des statuts, l'acceptation de nou-
veaux membres ou la création de nouveaux organes - toutes
prérogatives qui vont de soi - des compétences plus spécifi.ques.
Ainsi en va-t-il de la détermination de nouvelles directions
d'activité de l'union, de la prise de décision concernant l'étendue
de la responsabilité d'un membre pour inexécution ou mauvaise
exécution de ses obligations, de la prise de décision concernant
la coordination de l'activité des membres, de l'approbation de
la planification de l'activité de l'union, de la prise de décision
relative à l'acquisition ou à la vente de fonds fixes déterminés
et de licences.

(11) Aux §§ 5 à 34 des Conditions de 1973 correspondent les §§ 12 à 46 de celles


de 1976, avec des différences sur lesquelles nous reviendrons.
484 B. DUTOIT

Quant à la procédure de prise de décision au sein de l'organe


-de direction, les Conditions uniformes ( § 24) font obligation aux
auteurs de l'acte constitutif et des statuts de ne passer sous
silence aucune des questions suivantes : le droit de vote, le
quorum nécessaire pour la prise de décisions valables, les ques-
tions qui doivent être décidées à l'unanimité ou à la majorité
qualifiée (et laquelle), les conséquences de !'absence d'un membre
de l'union, convoqué à temps et avec l'indication de la date et
de l'ordre du jour, ainsi que les conséquences de l'abstention
lors du vote.
Il est entendu que les questions fondamentales touchant l'acti-
vité de l'union, qu'elles soient précisées dans l'acte constitutif
,ou les statuts, ou prévues expressément dans les Conditions uni-
formes, ne peuvent faire l'objet que de décisions unanimes. On
notera avec intérêt que les décisions relatives à la coordination
de l'activité économique et à la coopération des membres n'obli-
gent que ceux qui ont voté en faveur de leur adoption ( § 24,
ch. 3). La règle de l'unanimité est ici battue en brèche, sur une
question capitale, au profit d'un système plus souple permettant
.aux membres désireux d'aller de l'avant de ne pas être bloqués
par l'exigence de l'unanimité ou même d'une majorité qualifiée.
On peut se demander toutefois comment une union, composée
par exemple de quatre membres, pourrait encore fonctionner
-correctement si deux d'entre eux seulement s'entendaient sur la
-coordination de leurs activités.
En outre, l'acte constitutif ou les statuts peuvent prévoir
des garanties particulières protégeant les droits des membres
minorisés lors de décisions qui ne doivent pas être prises à
l'unanimité.
Quant à l'organe exécutif ( § 25), qui est en règle générale
constitué par Ie directeur, mais peut avoir aussi une structure
collégiale, il a pour tache essentielle de diriger l'activité écono-
mique de l'union et de veiller à l'exécution, par les membres, des
décisions (par hypothèse obligatoires) de l'organe de direction.
De plus, Ie directeur représente l'union à l'extérieur. Enfin,
l' organe de controle ( § 27) surveille l' activité économique et
financière de l'union et de ses filiales éventuelles.
Si les dispositions relatives à la fin de l'union et à la procédure
,de liquidation ( § 37) ne présentent aucun intérêt particulier, il
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 485

convient de souligner en revanche l'importance que les nouvelles


Conditions uniformes accordent aux filiales de l'union ( §§ 40-46),
alors que les précédentes Conditions ne leur consacraient qu'un
bref article ( § 34). Il est stipulé clairement aux §§ 40 et 43 que
la filiale peut constituer (mais non pas nécessairement) une
personne juridique avec un patrimoine propre et un bilan parti-
culier. La filiale est créée conformément à la législation de l'Etat
du siège, à moins que l'union elle-même dont dépend la filiale
ne se fonde sur un traité international et que la création de la
filiale ne résulte d'une décision des parties audit traité. En ce
cas, la constitution de la filiale obéira aux règles éventuellement
prévues par les signataires du traité. Quant aux statuts de la
filiale ( § 40), ils sont entérinés par l'organe de direction, après
accord avec les autorités compétentes de l'Etat du siège (12).
C' est le même organe qui nomme Ie directeur de la filiale et lui
donne décharge pour son activité ( § 42).
En ce qui concerne l'entreprise commune (§§ 47 ss.), elle ale
même fondement que l'union économique internationale (à savoir
un accord international ou une convention de droit civil).
Contrairement à ce que prévoyaient les Conditions de 1973
( § 38), les Etats ne peuvent plus devenir membres d'une entre-
prise commune. Par ailleurs, à la différence de l'union économique
internationale, l'entreprise commune n'exerce pas d'activité de
coordination. Sa structure apparaît semblable pour l' essentie! à
celle de l'union, puisqu'elle dispose des mêmes organes que celle-
ci. La di:fférence principale entre ces deux formes d'organisations
réside dans le fait que le capita! de l'entreprise commune se
compose de parts d'égale valeur, non divisibles, incorporées
dans un document et en principe non transmissibles ( § 48).
L'existence de telles parts entraîne un certain nombre de consé-
quences notamment en ce qui concerne la prise des décisions
dans l'organe de direction. En règle générale, à chaque part
correspond une voix ( § 50).
Enfin, la société économique internationale (§§ 68 ss.), qui n'a
ni personnalité juridique ni patrimoine propre et qui exerce
principalement une activité de coordination, dispose seulement
d'un organe de direction appelé << conseil >> ( § 70), à l'exclusion
de tout organe exécutif ou de controle.

( 12) Si l'union se fonde sur un traité international, les statuts de la filiale peuvent
être acceptés ou confirmés par les parties à ce traité.
486 B. DUTOIT

§ 2. - LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES


SONT-ELLES PROPRIÉTAIRES
DES BIENS QUI LEUR SONT AFFECTÉS Î

Comme leurs devancières de 1973, les Conditions uniformes


de 1976 précisent au § 30 que << l'union a le droit de posséder
(vladet') et d'utiliser (pol'zovat'sja) en son nom ses biens ainsi
que d'en disposer (pasporjajat'sja), en conformité avec leur
destination et l'objet de son activité, tel qu'il est défini dans
!'acte constitutif, de même que le droit d'acquérir et de réaliser
d'autres droits de propriété, y compris des droits portant sur
des biens immatériels >> (13).
On notera que, par cette formulation, qui rend pratiquement
et économiquement les unions et les entreprises communes
propriétaires de leurs biens (14), mais sans le dire expressément,
les auteurs des Conditions uniformes ont esquivé le fameux
problème de la propriété en droit socialiste et du même coup
fait la preuve que ce concept juridique, chargé de trop de diffi-
cultés idéologiques, peut parfaitement être abandonné (15).
Il suffira, pour situer l'importance théorique (mais non pas
pratique) du débat, de rappeler que les organisations écono-
miques internationales soulèvent la question de savoir si l'inter-
nationalisation des forces productives peut s' accommoder du
maintien de la forme juridique de la propriété étatique et natio-
nale (16). En d'autres termes, la propriété de l'Etat (ou du peuple

(13) Cette disposition s'applique aussi aux entreprises communes (cf. le renvoi du
§ 55), mais non aux sociétés économiques internationales, qui n'ont pas la personnalité
juridique.
(14) Cf. J. JAKUBOSWKI, • Miedzynarodowe zjednoczenia i przedsiebiorstwa krajow
RWPG (Unions et entreprises internationeJes dans les pays du CAEM) •• in Socjalis-
tyczna integracja gospodarcza, Warszawa, 1974, p. 155 (à propos des Conditions de 1973)
et, du même auteur, Miedzynarodowe organizacje gospodarcze krajów RWPG (Les
organisations économiques internationeJes des pays du CAEM), Warszawa, 1980,
p. 181 ss.
(15) En ce sens, cf. LORENZ, op. cit., en note (2), p. 105.
(16) Sur cette question capita.Ie, cf. Sozialistische ökonomische Integration - Grund-
lagen und Aufgaben, Berlin-Ost, 1977, p. 102 ss.; T. SARKOZY, «Alternatives of the
socialist notion of ownership &, Acta Juridica, Budo.pest, 1974, p. 411 ss.; F. MADL,
Juristische Fragen der Entwicklung einer wirtschaftlichen Integration in den Oomecon-
Ländem, Stuttgart, 1971, p. 58 ss.; Ju. SIRJAEV, • Socialisticeskaja sobstvennost' v
uslovijach ekonomiceskoj integracii stran-clenov SEV (La propriété socialiste dans les
conditions de l'intégration économique des Etats membres du CAEM) •• Voprosy
ekonomiki (Questions économiques), 1973, p. 94 ss.; A. WASILKOWSKI, «Problemy
internacjonalizacji wlasnosci w obrebie RWPG (Problèmes de l'internationalisation
de la propriété dans le cadre du CAEM) &, Panstwo i prawo (L'Etat et le droit), 1969,
p. 970 ss.; E. T. USENKO, Sozialistische internationale Arbeitsteüung und ih\"e rechtliche
Regelung, Berlin-Ost, 1966, p. 59 ss.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 487

tout entier) n'est-elle qu'un concept purement juridique et


formel, Ie sujet véritable d'une telle propriété pouvant être
une autre personne que l'Etat? Répondre affirmativement à
pareille question conduit à admettre que Ie contenu juridique
du concept de propriété ne correspondrait pas à la réalité écono-
mique, en ce sens qu'en fait serait << propriétaire >> une autre
personne que Ie titulaire apparent du droit (16bis).
Si l'on considère, avec les auteurs socialistes, que la propriété
nationale doit acquérir une forme et une qualité nouvelles grace
à l'intégration au sein du CAEM, encore sied-il de faire corres-
pondre une telle affirmation avec les impératifs idéologiques.
Or, aucune des constructions proposées à eet effet ne paraît
satisfaisante (17). Certes, la théorie dominante prétend que
l'union économique internationale ou l'entreprise commune ne
possède que la « direction opérative >> (18) sur ses biens, qui
restent la propriété des Etats concernés (19).
Mais alors comment régler juridiquement une telle propriété
commune entre Etats souverains? Quelles règles (de droit civil ?)
leur appliquer et quelle serait la nature juridique d'une telle
propriété?
Faut-il alors voir franchement, en adaptant la théorie à la
réalité, dans l'union économique internationale et dans l'entre-
prise commune les véritables titulaires du droit de propriété?
En raison du lien intrinsèque existant, dans la théorie marxiste,
entre pouvoir et propriété, admettre une telle solution équi-
vaudrait à reconnaître à l'union ou à l'entreprise commune une

(16bis) Une proscntation classique de la conception socialiste du droit de propriété


se trouve chez V. KNAPP, in International Encyclopedw of Comparative Law, vol. VI :
Property and Trust, chap. 2 : Structural Variations in Property Law, p. 35 ss.
(17) Pour une bonne présentation des solutions proposées, cf. LoRENZ, op.cit., en
note (2), p. 98 ss.
(18) Surles problèmes que soulève Ie contenu exact de ce concept, cf. E.G. PoLONSKIJ,
Pravo operativnogo upravleniia goaudarstvennym imuáéestvom (Le droit de direction
opérative de la propriété étatique), Moscou, 1980; O. S. JoFFE, Pravo i choziaistvennaia
deiatel'nost socialistiéeskich organiiacii (Droit et activité économique des organisations
socialistes), Moscou, 1979, p. 51 ss.; Ph. AuBERT DE LA RuE, Das operative Verwaltungs-
rccht sowietischer Staataunternehmen, Osteuropa, 1980, p. 207 ss.
(19) Cf. LORENZ, op. cit., en note (2), p. 99-100; A. BILINSKY, • Rechtscharakter
der zwischenstaatlichen Betriebe der RGW-Länder •, in Rechtsfragen der Integration
und Kooperation in Ost und West, Berlin-West, 1976, p. 243-244; L. RüsTER, •Der
Rechtscharakter gemeinsamer Betriebe der RGW-Länder ,, op.cit., p. 225. La question
a été discutée lors d'une conférence scientifique sur les problèmes de l'intégration
économique,iocialiste organisée à Moscou en septembre 1973, cf. Sovetskoe goaudarstvo
i pra?Jo (UEtat soviétique et le droit), 1974, p. 137 ss.
488 B. DUTOIT

autonomie dans la planification elle-même et à ébranler les


bases mêmes du système (20).
On n'insistera pas ici, en raison de leur faiblesse évidente,
sur les théories consistant à admettre une propriété socialiste
sans sujet ou à considérer que l'union ou l'entreprise commune
ne seraient que locataires des biens qui leur sont affectés, les
Etats respectifs restant propriétaires.
Sur la toile de fond de ces difficultés à faire entrer les unions
et les entreprises communes dans Ie lit de Procuste de l'analyse
marxiste de la propriété, on comprend mieux Ie sens du § 30
précité, qui constitue en réalité une sorte de << démystification >>
de la propriété. En effet, cette disposit.ion ne signifie rien d'autre
que la reconnaissance du fait que les attributs essentiels du
droit de propriété peuvent parfaitement être << internationa-
lisés >> (21) et doivent même l'être pour que l'union ou l'entreprise
commune fonctionne correctement, quels que soient les impéra-
tifs idéologiques. La propriété du reste ne constitue pas la seule
pierre d'achoppement de la théorie marxiste face à la réalité.

§ 3. - LE PASSAGE DE LA COORDINATION VOLONTAIRE


DES PLANS À UNE PLANIFICATION INTERNATIONALE
DANS CERTAINS SECTEURS

Il n'est pas sans intérêt de remarquer qu'alors que les Condi-

(20) Certains auteurs socialistes ont pourtant tenté de trouver une solution dans
cette direction. Ainsi M. KEMPER · D. MASKOW, • Probleme der Herausbildung
zwischenstaatlichen sozialistischen Eigentums bei der Errichtung gPmeinsamer Betriebe
der RGW-Staaten », Staat und Recht, 1963, p. 1212, puis M. KLANO, <<K otazce pravni
upravy majetkoveho rezimu mezinarodnich hospodarskych organizaci zrizovanych v
ramci integracniho programu RVHP (A propos de la réglementation juridique du
régime de la propriété des organisations économiques internationales créées dans Ie
cadre du programma d'intégration du CAEM) », Pravnik, 1974, p. 481 ss., ont consi-
déré que Ia propriété de I'Etat serait remplacée par Ie droit pour ce dernier de
participer à Ia direction et aux profits de l'union ou de l'entreprise commune. Quant
à A. W ASILK0WSKI, « Problemy internacjonalizacji wlasnosci w obrebie RWPG (Pro-
blèmes de l'internationalisation de la propriété dans Ie cadre du CAEM) », Panstwo i
prawo (L' Etat et le droit), 1969, p. 979 ss., il recourt à la construction du trust
(powiernictwo), Ie trustee (= l'union ou l'entreprise commune) apparaissant comme
propriétaire à l'égard des tiers, tout en étant lié Iégalement et contractuellement
envers Ie constituant du trust ( = l'Etat). De son cóté, Ie spécialiste soviétique
I. A. GRINGOL'c, dans l'ouvrage collectif Problemy funkcionirovanija sovmestnych pred-
prijatii stran SEV (Problèmes de fonctionnement des entreprises communes dans les
Etats du CAEM), Sofia, 1975, p. 237, qualifie les rapports juridiques de l'union ou
de l'entreprise commune avec ses biens de • propriété fonctionnelle (pravo celevoj
sobstvennosti) • dans ses relations extérieures, alors que dans ses rapports internes il
s'agirait de propriété commune étatique.
(21) Cf. déjà en ce sens en 1969 WAsILKOWSKI, op.cit., en note (20), p. 971 ss. et
plus tard MADL, op. cit., en note (16), p. 58 ss.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNA'l'IONALES 489

tions de 1973 ne consacraient qu'un article ( § 49) à cette question,


celle-ci fait désormais l'objet de tout un chapitre ( §§ 56-58)
dans les Conditions uniformes de 1976.
Ainsi le § 56 précise que << l'union ou l'entreprise commune
a une activité économique propre sur le fondement du plan>>.
C'est l'organe directeur de l'union ou de l'entreprise commune
qui détermine la planification de son activité économique (y
compris les indicateurs du plan et les normes), en ayant certes
en vue la coordination de ce plan avec ceux des Etats. A eet
effet, l'union ou l'entreprise commune tient compte des disposi-
tions normatives et des indications en vigueur dans l'Etat du
siège. Il est entendu par ailleurs que << l'union et l'entreprise
commune ne reçoivent pas de taches obligatoires du plan de la
part des organes étatiques du pays du siège et d'autres Etats
dont les organisations participent à l'union ou à l'entreprise
commune, sauf dans les cas ou cela est admis par un accord
international» (§ 57, chiffre 2).
Quant à la coordination des plans de l'union oude l'entreprise
commune avec ceux des Etats concernés, elle est traitée au
§ 58. Pareille coordination a lieu << dans la mesure nécessaire à
l'exécution des taches économiques de l'union oude l'entreprise
commune >>. La coordination de leurs plans quinquennaux avec
ceux des Etats concernés se réalise «dans le processus de coordi-
nation des plans d'économie nationale entre ces Etats >>. Pour
les plans annuels de l'union ou de l'entreprise commune, la
coordination s' opère << par l'intermédiaire des représentants des
Etats concernés >>.
A la seule lecture de ces textes sibyllins, il apparaît impossible
de préciser exactement comment la mise sur pied du plan de
l'union ou de l'entreprise commune, puis sa coordination avec
les plans des Etats concernés, se déroulera et selon quelle procé-
dure précise (22). Le caractère incertain de ces dispositions tend
peut-être à ménager l'avenir et à tenir compte des situations
diverses pouvant se présenter selon les Etats en cause. A tout
Ie moins les Conditions de 1976 soulignent-elles clairement la
compétence de l'union ou de l'entreprise commune en matière
de planification.

(22) Pour une solution proposée par Ie spécialiste soviétique Lusnikov, cf. LoRENZ,
op. cil., en note (2), p. 106. Sur les difficultés d'ha.rmoniser la planification interna-
tionale et la souveraineté nationale, cf. LAVIGNE, op. cit., en note (2), p. 46 ss.
490 B. DUTOIT

§ 4. - ÜOMMENT LES UNIONS


OU LES ENTREPRISES COMMUNES
EXERCENT-ELLES LEUR ACTIVITÉ Î

A. - La fixation des prix

Une condition essentielle - et non encore résolue - du


fonctionnement correct de l'union ou de l'entreprise commune
réside dans la fixation des prix des facteurs coûts et revenus (23)
de l'activité de l'organisation. A eet égard, les Conditions de
1976 n'apportent rien de nouveau. On remarquera seulement
que selon Ie § 61, alinéa 5 - contrairement au § 52, alinéa 1 des
Conditions de 1973 - les résultats financiers ne sont plus déter-
minés (nécessairement) en monnaie du pays du siège. Par ailleurs,
Je § 61, alinéa 4, dispose que les recettes et les dépenses de
l'union ou de l'entreprise commune en roubles transférables et
en valeurs convertibles sont considérées comme telles (c'est-à-
dire apparemment sans être converties en monnaie du pays
du siège) dans les plans financiers. Ce détachement de l'activité
de l'union oude l'entreprise commune par rapport à la monnaie
du pays du siège semble traduire un désir de donner à l'organi-
sation une indépendance aussi grande que possible vis-à-vis de
ce dernier.
Dans la pratique toutefois, la difficulté de fixation des prix
devrait rester la même que par Ie passé, tant que les monnaies
socialistes ne seront pas librement convertibles. C'est ainsi que
« pour calculer en roubles transférables Ie devis de construction
du complexe immobilier qui constitue à Moscou Ie siège du
Comecon, à partir des prix et tarifs en roubles soviétiques, il
a fallu 40.000 heures de travail hautement qualifié » (24). Il
y a donc tout lieu de penser que Ie mode de fixation des prix
continuera à suivre à l'avenir les solutions mixtes proposées
dans les << Conditions modèles pour Ie financement et la tenue
des comptes des organisations internationales des pays intéressés
membres du CAEM >>, de janvier 1975 (25). Pour l'essentiel, les
relations d'approvisionnement et de vente entre l'organisation

(23) Cf. LAVIGNE, op. cit., en note (2), p. 59 BS. et LORENZ, op. cit., en note (2),
p. 108 88.
(24) Cf. LAVIGNE, art. cit., en note (2), p. 61.
(25) Cf. LoRENZ, op. cit., en note (2), p. 115 et p. 180-181.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 491

et le pays du siège sont soumises aux prix (éventuellement aux


salaires) de eet Etat, alors que les rapports avec les autres Etats
concernés se déroulent sur la base du rouble transférable.

B. - La fixation des bénéfices

Une part des bénéfices de l'organisation ayant été affectée au


fonds de réserve, au fonds de roulement ou à des fonds spéciaux,
le reste doit être réparti entre les participants proportionnelle-
ment à leurs apports (26).
En quelle devise ces bénéfices seront-ils calculés et comment
pourront-ils être transférés par chaque membre dans son propre
pays? lei encore seule une convertibilité des monnaies socialistes
permettrait de résoudre correctement la qu~stion.
Selon le système prévu dans les Conditions de 1973 (§ 52,
al. 1 et 5, § 53), les bénéfices exprimés en monnaie du pays du
siège pouvaient être dépensés dans ce pays ou transférés à
l'étranger après conversion en roubles transférables (27). Mais
dans ce bénéfice n'était pas compris le profit en monnaie conver-
tible, qui était réparti proportionnellement entre les Etats con-
cernés, étant entendu que ceux-ci payeraient l'équivalent en
roubles transférables à l'organisation elle-même.
Ce système n'a pas été repris explicitement dans les Conditions
de 1976. Les changements précités tendant à détacher l'organi-
sation de la monnaie du pays du siège pourraient peut-être
avoir pour conséquence de rendre moins nombreux les cas néces-
saires de conversion de la monnaie du pays du siège en roubles
transférables. Du même coup les opérations de transfert des
bénéfices pourraient s'en trouver facilitées, dans la mesure ou
Ie rouble transférable deviendrait de plus en plus la monnaie
de l'organisation.

C. - Les crédits

Conformément au § 61, alinéas 2 et 3 des Conditions de 1976,

(26) Alors que les Conditions de 1973 ( §§ 53 et 54, al. 4) étaient explicites sur ce
point, Ie caractère proportionnel de la répartition ne figure plus en toutes lettres dans
les Conditions de 1976. Peut-être ce principe a-t-il paru trop évident pour devoir être
rappelé?
(27) Cf. LORENZ, op. cit., en nota (2), p. 89-90 et p. 122-123.
RENÉ DEKKERS. - 32
492 B. DUTOIT

l'organisation peut recevoir des crédits soit des banques du pays


du siège, soit de la Banque internationale pour la coopération
économique ou de la Banque internationale d'investissement -
les deux banques du CAEM - ou encore des Etats concernés
par l'union ou l'entreprise commune. Il suffira de remarquer que
le problème de l'octroi des crédits aux organisations économiques
internationales constitue une autre pierre de touche du système
monétaire des Etats membres du CAEM. En effet, en cas de
crédit accordé par un organisme international, l'opération n'aura
tout son sens que si le paiement se fait en monnaie convertible
et non pas en rouble transférable, tant que ce dernier ne servira
que de monnaie de compensation dans les relations bilatérales
entre Etats membres du CAEM.

D. - Droit de l'organisation économique internationale


d' agir dans le domaine du commerce extérieur

Ainsi que le prévoyaient déjà les Conditions de 1973, l'union


ou l'entreprise commune ne bénéficie pas en principe de plus
de droits, dans le domaine du commerce extérieur, que les entre-
prises nationales du pays du siège ( § 60). Ce qui signifie pratique-
ment que, dans la plupart des cas, l'union ou l'entreprise com-
mune ne pourra agir que par l'intermédiaire des organisations
compétentes du commerce extérieur du pays du siège.

E. - Imposition de l'organisation économique internationale

La situation faite aux unions et aux entreprises communes


dans le système d'imposition du pays du siège (28) doit être
réglée, tant selon les Conditions de 1973 (§ 52) que celles de
1976 ( § 62), par un accord passé entre les Etats dont les organi-
sations participent à l'union ou à l'entreprise commune. Une
exception est prévue néanmoins pour les impöts communaux
( § 62, al. 2), qui doivent être perçus en principe par l'Etat du
siège, conformément aux dispositions applicables aux organisa-
tions économiques étatiques. On remarquera que le § 62, alinéa 2,
deuxième phrase, contient une disposition nouvelle selon laquelle
<< l'union ou l'entreprise commune porte au budget de l'Etat

(28) Sur cette question, cf. B. N. PETROV dans l'ouvrage collectif Pf'oblemy funk-
cionirovaniia ... , cité en note (20) in fine, p. 147 ss.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES IN'l'ERNATIONALES 493

du siège les impöts perçus sur Ie salaire des travailleurs, confor-


mément à la législation de ce pays >>. Ainsi donc les impöts sur
les salaires doivent revenir à l'Etat du siège. Pareille solution
pourrait soulever des difficultés dans Ie cas - bien improbable
d'ailleurs - ou les unions ou les entreprises communes entraîne-
raient une certaine mobilité de la main d'reuvre dans les pays
de l'Est. En outre, selon ce système, des considérations purement
fiscales pourraient commander Ie choix du siège de l'organisa-
tion. Curieusement les problèmes de droit du travail occupent
néanmoins une place importante dans les Conditions de 1976.

§ 5. - LES ORGANISATIONS
ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
ET LE DROIT DU TRAVAIL

Alors que les Conditions de 1973 ne contenaient sur cette


question qu'un seul article ( § 59) précisant que les travailleurs
des organisations économiques internationales relevaient en prin-
cipe de la législation du travail en vigueur dans I'Etat du siège,
les Conditions de 1976 consacrent aux <c rapports socialistes
internationaux du travail >> (29) dix Jongs articles ( §§ 63 et 78-86).
Dans Ie cadre de eet exposé il n'est possible que d'en synthétiser
les grandes lignes.
Il est précisé tout d'abord (§ 63) que l'union ou l'entreprise
commune calcule ses contributions à l'assurance sociale obliga-
toire de ses travailleurs conformément à la loi du pays ou ceux-ci
exercent leur travail de manière permanente. En principe la
part de ces versements qui concerne des travailleurs n'ayant
pas leur résidence habituelle dans Ie pays de leur travail perma-
nent et qui est destinée à leur retraite est transférée à I'Etat
de la résidence habituelle de ces travailleurs.
Quant au droit du travail applicable aux travailleurs des
unions et des entreprises communes, il est déterminé par la
législation du pays ou ceux-ci exercent leur activité de façon
permanente ( § 78). Toutefois, si Ie travailleur n'a pas sa résidence

(29) A ce sujet, cf. M. ÁNDRAE, • Die rechtliche Regelung der Arbeitsverhältnisse


der Mitarbeiter internationaler Wirtschaftsorganisationen der RGW-Mitgliedsländer ,,
Aktuelle Beiträge der Staats- und Rechtswissenschaft, Heft 168, Potsdam-Babelsberg,
1977.
494 B. DUTOIT

habituelle dans le pays de son activité, sa situation est définie


dans le contrat de travail, que l'organisation doit passer en la
forme écrite (§ 79, al. 1). Des règles spéciales relatives aux condi-
tions de travail peuvent être prévues pour certaines catégories
de travailleurs, mais, si elles dérogent aux dispositions impéra-
tives de la législation du lieu de travail permanent, elles ne
peuvent être établies que par voie d'accord international ( § 79,
al. 2).
Le transfert d'un travailleur d'une union ou d'une entreprise
commune dans un lieu de travail situé dans un autre pays, au
sein de la même organisation, ne peut avoir lieu que du consente-
ment de l'intéressé (§ 80, al. 1). Les parties peuvent convenir
du maintien des droits et avantages dont ce dernier jouissait
au lieu du travail précédent, mais elles ne peuvent exclure
l'application du droit du pays du lieu du nouveau travail en ce
qui concerne la durée du travail et celle du repos ainsi que la
protection du travail. Les travailleurs, déplacés temporairement
(pour un an au maximum), avec leur accord, d'un pays à l'autre,
restent soumis à la législation du travail applicable au lieu de
leur emploi permanent (§ 80, al. 2).
Un article détaillé ( § 81) énumère les droits particuliers dont
bénéficient les travailleurs n'ayant pas leur résidence habituelle
dans Ie pays de leur lieu permanent de travail. Le souci des
auteurs des Conditions de 1976 de préciser la situation juridique
de ces travailleurs témoigne peut-être du désir de voir les orga-
nisations économiques internationales donner le branie à une
mobilité encore inconnue des farces de travail au sein du CAEM.
C'est ainsi que ces travailleurs bénéficient d'avantages non
négligeables, tels que Ie droit à une allocation exceptionnelle
du montant d'un salaire mensuel, Ie droit de recevoir une
prime mensuelle, le droit à deux jours de congés payés supplé-
mentaires par an. Les conditions de travail des personnes dépla-
cées temporairement d'un pays dans un autre, dans le cadre
de l'union oude l'entreprise commune qui les a engagées, doivent
être fixées dans Ie contrat passé à eet e:ffet ( § 82). Ce dernier
est soumis à la loi du pays dans lequel s'e:ffectue Ie travail.
Quant aux conflits du travail ( § 83), ils sont réglés conformé-
ment à la procédure prévue par la législation du pays du lieu
permanent de travail, pour les litiges nés dans les organisations
économiques étatiques de ce pays, à mains qu'une procédure
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 495

spéciale n'ait été fixée pour les unions ou les entreprises com-
munes.
En ce qui concerne l'assurance sociale(§ 85, al. 1), les travail-
leurs jouissent des droits et supportent les obligations relatifs à
l'assurance sociale obligatoire, en conformité avec la législation
du pays du lieu permanent de leur travail, telle qu'elle s'applique
aux travailleurs des organisations économiques étatiques corres-
pondantes dudit Etat. Toutefois, les pensions de retraite sont
accordées par le pays de la résidence habituelle du travailleur,
en accord avec sa législation. Il en va de même de l'assurance
décès. Est aiors considérée comme déterminante la dernièie
résidence habituelle du travailleur avant son engagement par
l'union ou l'entreprise commune ( § 85, al. 2).
L'organe qui sert une retraite à la suite du décès d'un travail-
leur de l'union ou de l'entreprise commune, consécutif à un
accident ou à une maladie professionnelle, est habilité à se
retourner contre l'union ou l'entreprise commune, en vue d'ob-
tenir Ie remboursement des sommes versées, conformément à la
législation du pays du siège de l'union ou de l'entreprise com-
mune.
Ces dispositions n'empêchent pas le travailleur (ou ses succes-
seurs) de demander à l'organisation réparation du dommage
résultant d'une atteinte à sa santé ou du décès, conformément
à la législation du pays sur Ie territoire duquel le travailleur
avait le lieu permanent de son travail au moment de la surve-
nance du dommage.
Enfin Ie § 86 prévoit une série d'autres droits <lont jouissent
les travailleurs de l'union ou de l'entreprise commune dans le
pays d'accueil : droit de bénéficier de l'aide médicale, de l'assis-
tance sociale, droit d'utiliser les logements et de recourir aux
établissements d'enseignement dans les mêmes conditions que
les citoyens du pays d'accueil travaillant dans les organisations
économiques étatiques correspondantes, exonération des charges
personnelles pesant sur ces citoyens, à l' exclusion de celles qui
sont prévues en cas de catastrophe, étant entendu que les impöts
ne sont pas considérés comme des charges personnelles au sens
de cette disposition, droit pour Ie travailleur de transférer dans
le pays de sa résidence habituelle les économies réalisées sur
son salaire, conformément à la législation sur les devises en
496 B. DUTOIT

vigueur dans le pays du lieu permanent de son travail, exonéra-


tion des droits de douane sur les objets destinés à l'usage person-
nel du travailleur oude sa famille, lors de l'entrée dans le pays
du lieu permanent de son travail ou lors de la sortie de ce pays
après la fin de son engagement.

§ 6. - LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

S'agissant tout d'abord des litiges internes ( § 39) entre l'union


et ses membres ou entre membres eux-mêmes, découlant des
rapports de membre ou liés à de tels rapports, ces différends
sont réglés conformément aux conventions internationales rela-
tives à la solution des litiges de droit civil, en vigueur entre
les Etats parties au litige. On songera notamment à la Conven-
tion du 26 mai 1972 sur le règlement arbitral des litiges de <lroit
civil qui découlent des rapports de coopération économique,
scientifique et technique (30). En l'absence de convention ou
si le litige ne tombe pas dans son aire d'application, le différend
est résolu selon la procédure prévue dans l'acte constitutif ou
Ie statut de l'organisation. En outre, ce dernier peut prévoir
que l'organe directeur de l'union ou de l'entreprise commune
est habilité à connaître d' abord de ces litiges, si toutes les parties
intéressées sont d'accord ( § 39, al. 3). En tout état de cause,
ces dispositions ne touchent pas la compétence exclusive des tri-
bunaux et autres organes étatiques pour connaître des litiges de
droit civil, telle que la prévoit la législation du pays en cause.
Toutefois, si le litige concerne l'organisation et des membres du
pays de son siège ou des membres d'un même Etat, le différend
relève de la loi du seul Etat concerné.
En ce qui concerne les litiges externes ( § 67), c'est-à-dire ceux
qui opposent l'union ou l'entreprise commune aux organisations
économiques ou à d'autres personnes juridiques du pays du
siège, ils sont résolus selon la procédure prévue par la législation
de ce dernier Etat. Il est intéressant de relever que la précision
qui figurait au § 58 des Conditions de 1973 et selon laquelle
l' organisation économique internationale devait être mise sur le
même pied, pour la détermination de la compétence, que les

(30) Le texte e.Jleme.nd de cette Convention se trouve reproduit au Journe.l officie!


de la RDA (Gesetzblatt der DDR), partie I, n° 13, du 4 septembre 1972.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 497

organisations économiques nationales du pays du siège, a disparu


des Conditions de 1976. Ce changement semble signifier qu'un
stat,ut spécial pourrait être prévu pour les unions ou les entre-
prises communes.

§ 7. - A QUI EST OUVERTE LA POSSIBILITÉ


DE DEVENffi MEMBRE
D 'UNE ORGANISATION ÉCONOMIQUE INTERNATIONALE 1

A eet égard il faut noter que le § 1, alinéa 4, des Conditions


de 1973 prévoyait que << pouvaient être membres d'une organi-
sation économique internationale des participants originaires
tant des Etats membres du CAEM que de pays non membres >>.
Il était précisé encore que << la participation de membres prove-
nant d'Etats extérieurs au CAEM était permise, pour autant
qu'un tel membre reconnût les buts et les principes sur lesquels
l'organisation économique internationale se fondait ».
Dans les nouvelles Conditions de 1976 cette disposition a été
remplacée par le § 87, alinéa 3, prévoyant notamment que celles-
ci ne s'appliquent pas<< aux organisations économiques avec parti-
cipation de personnes étrangères, constituées sur le territoire
d'Etats ayant accepté les présentes Conditions uniformes, selon
les formes juridiques prévues par d'autres dispositions de la
législation nationale >>.
De ce texte obscur il semble que l'on puisse déduire que les
Conditions de 1976 ne s'appliqueraient aux entreprises mixtes
(joint ventures) avec participation de capitaux occidentaux qu'à
la condition que ces dernières soient coulées dans le moule juri-
dique des Conditions de 1976. Or, les pays de l'Est qui admettent
les entreprises mixtes leur ont consacré des lois spéciales (31)
contraignantes, qui de ce fait excluent tout recours aux Condi-
tions de 1976. L'espoir encore présent (semble-t-il) dans les

(31) Pour une bonne présentation de la situation actuelle, cf. K. SIEVEKING, • Neue
Gesetze für ausländische Kapitalbeteiligungen an gemischten Gesellschaften in Ost-
europa •• WGO, 1979, p. 21 ss., ainsi que G. FLORES0U, « Les sociétés mixtes dans
les pays socialistes », Droit et pratique du commerce international, 1978, p. 243 ss. Par
un décret n° 535, du 25 mars 1980, publié au Journal officie! (Drzaven Vestnik) du
28 mars 1980, la Bulgarie vient de se doter d'une loi sur les entreprises mixtes.
S'agissant de la situation en URSS, cf. D. A. LOEBER, • Capita! Investment in Soviet
Enterprises 1 Possibilities and Limits of East-West Trade », Adelaide Law Review,
1978, vol. 6, n° 3, p. 337 ss.
498 B. DUTOIT

Conditions de 1973 d'utiliser celles-ci comme base juridique


commune aux organisations économiques internationales socia-
listes et aux entreprises mixtes paraît bien avoir été abandonné,
peut-être en raison du fait que l' article 1er, alinéa 4, précité était
resté lettre morte. Aussi bien les Conditions de 1976 tireraient-
elles la conclusion d'une situation de fait et consacreraient-elles
désormais la séparation définitive du régime juridique de ces
deux types d'entreprises.
Il est vrai que Ie § 87, alinéa 3, précité pourrait aussi être
interprété en ce sens que les pays de l'Est ne connaissant pas
de dispositions spéciales sur les entreprises mixtes (par exemple
l'URSS) pourraient faire l'économie de telles lois et se référer
directement aux Conditions de 1976, pour autant bien évidem-
ment que le partenaire occidental soit d'accord. Mais une telle
pratique paraît hautement improbable.

§ 8. - LE DROIT MATÉRIEL SUBSIDIAIBEMENT APPLICABLE


AUX ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES

A la différence des Conditions de 1973, le nouveau texte de


1976 contient une disposition ( § 89) sur Ie droit matériel subsi-
diairement applicable. Ce qui atteste la différence de nature des
deux documents et Ie caractère, certes non directement contrai-
gnant, mais néanmoins de droit uniforme, des Conditions de
1976. La conception << civiliste >> de l'union et de l'entreprise
commune paraît ainsi confirmée, à l'encontre de !'analyse ratta-
chant l'organisation économique internationale au droit inter-
national public.
Selon le modèle des Conditions générales de livraison de
1968/1975 (dans la teneur de 1979), qui prévoient comme droit
subsidiairement applicable la législation du pays du vendeur
(§llO), les Conditions uniformes de 1976 précisent que c'est
le droit matériel du pays de leur siège qui s'applique aux unions,
aux entreprises communes et à leurs filiales. Quant aux sociétés
économiques internationales, elles se voient appliquer Ie droit
matériel de l'Etat du membre auquel a été confiée la conduite
des affaires de l'organisation, pour autant que l'acte constitutif
n'ait pas prévu l'application du droit matériel d'un autre pays.
LES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES 490

EN GUISE DE CONCLUSION

Malgré l'importance des Conditions uniformes de 1976 briève-


ment résumées dans les pages qui précèdent, aucune union ou
entreprise commune (32) n'a été constituée, à notre connaissance,
sur Ie fondement de ce texte depuis 1976. Cela ne saurait trop
étonner si l'on songe aux difficultés structurelles liées à la réalisa-
tion de l'intégration en régime socialiste.
Les Etats de l'Est demeurent écartelés entre leur désir légitime
de dépasser Ie cadre national de leur économie et la quasi-
impossibilité d'y parvenir sans remettre en cause les fondements
du système et toucher aux sourcilleuses souverainetés étatiques.
Dans cette perspective, les Conditions de 1976 apparaissent -
peut-être est-ce là leur importance principale - comme un essai
de solution de ce problème, à un niveau micro-économique, dans
quelques secteurs choisis. Les organisations économiques inter-
nationales introduiraient entre leurs membres un comportement
commandé par les lois du marché (minimisation des coûts et
maximisation du profit), soulevant ainsi la questiondelacompa-
tibilité d'éléments planifiés et de composantes d'économie de
marché dans un même système.
Sur le plan politique, l'efficacité des organisations économiques
internationales, liée à l'introduction de la convertibilité des
monnaies supposant elle-même une réforme du système des prix
et du commerce extérieur, pourrait asseoir la position des autres
Etats membres du CAEM face à l'URSS.
Pour !'instant, les Conditions uniformes de 1976 n'existent
que sur Ie papier comme une sorte d'incantation juridique déga-
geant en pointillé le cadre légal dans lequel pourrait se mouvoir
l'évolution économique des pays de l'Est, s'ils parvenaient à se
dégager de leur carcan idéologique. De ce point de vue, il appa-
raît moins étonnant de constater que les Conditions uniformes
de 1976 ne s'appliquent pas (encore) que de découvrir la minutie
de leurs dispositions qui semblent exorciser l'avenir.

(32) Seules trois • sociétés économiques internationales , (sans personnalité juri-


dique), à savoir• Intervodootschistka » (1977), • Internefteprodukt • (1978) et« Inter-
lichter • (1978) paraissent avoir été créées depuis 1976. Cf. SEIFFERT, art. cit., en
note (2) et la revue Aussenhandel (Moscou), 1979, n° 8, p. 14-15. Par ailleurs il n'a
pas été possible de déterminer quels Etats membres du CAEM auraient déjà e.ccepté
les nouvelles conditions de 1976.
La société chinoise contemporaine
PAR

M. ENGELBORGHS-BERTELS
ÜHARGÉ DE COURS À L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES

Comme aux temps des Lumières, la Chine reste encore souvent


décrite sous les traits du terrain ou existe (ou ou s'édifie) la
société idéale à construire chez soi. Parfois aussi, mais il s'agit
du même phénomène d'ignorance des réalités, la Chine est
présentée comme Ie pays qui administre la preuve des erreurs
à éviter.
La documentation publiée en Chine ne facilite pas la tache
de l'observateur à la recherche de données de fait. Elle est en
effet, actuellement comme dans le passé, coulée de manière à
servir les buts poursuivis par les dirigeants chinois et son ambi-
tion n'est jamais d'atteindre l'objectivité mais toujours de tirer
la leçon d'un événement ou d'une situation.
Ceci renforce Ie poids du passé dans l'étude du présent, déjà
si marqué par l'héritage de trois millénaires d'histoire ininter-
rompue.

Quelqiws éléments relatifs au róle particulier de l'histoire


dans la civilisation chinoise.

Le passé doit servir Ie présent, disent les dirigeants actuels


de la République populaire de Chine, en utilisant une formule
de feu Ie Président Mao. La force et la valeur de l'héritage font
que la modernisation de la Chine n'est conçue que sous forme
du renforcement de ce fonds grace à l'emprunt de techniques
mises au point à l'étranger.
C'est la voie qu'a empruntée Ie Japon après 1860 et c'est ce
que voulaient les réformateurs chinois de la fin du 19° siècle.
C'est ce que recherchait toujours Ie mouvement qui s'est exprimé
dans les grands honds en avant de 1958, dans la révolution
502 M. ENGELBORGHS-BERTELS

culturelle de 1966 et son dernier en date des sursauts pendant


Ie règne de la << bande des quatre>>. Toutefois, l'action exercée
par la pensée scientifique sur l'organisation du pouvoir politique
a, cette fois, été perçue. Il fallait donc, pour éviter son effet
délétère sur Ie fond authentiquement chinois en matière de
gestion de la société, l'empêcher d'agir et la rejeter. Ce refus
a déterminé la fermeture du pays, son repli sur soi, afin de ne
pas compromettre l'indépendance nationale ni l'identité cultu-
relle de la Chine. Il a aussi conduit à l'interdiction de toute
participation aux décisions des scientifiques et des experts, des
hommes qui considèrent que la politique ne peut être aux postes
de commandement dans tous les domaines. Jamais n'a été refusée
de manière aussi totale la théorie de la convergence qui doit
aboutir à l'intégration de la société chinoise dans l'humanité
tout entière sans sauvegarder ses particularités propres ni affir-
mer sa supériorité.
La fermeture de la Chine à toute stimulation extérieure et la
destruction de tout facteur d'innovation interne sont à présent
rendues responsables de la vulnérabilité du pays, incapable de
résister seul à l'encerclement et à une guerre d'agression et dont
les produits ne peuvent concurrencer ceux de l'étranger. Le
retard accumulé doit être rattrapé au plus vite.
Encore une fois, cependant, la modernisation à entreprendre
porte sur l'appareil de production, sur les outils de connaissance
et de défense, mais non sur Ie mode d'organisation politique ni
sur les valeurs fondamentales héritées du passé. La directive
utilisée précise en effet que le passé doit servir Ie présent comme
l'étranger doit servir le national.
Il est étonnant que des matérialistes, marxistes de surcroît,
puissent concevoir que la transformation des techniques et des
connaissances scientifiques n'entraînera pas de modification dans
les superstructures. Ceci résulte de ce que les Chinois considèrent
les valeurs de leur civilisation comme des éléments éternels,
appelés à étendre par rayonnement leurs bienfaits à !'ensemble
des sociétés humaines. Il y a donc, dans la philosophie politique
de la Chine, permanence d'éléments transcendants; c'est le cas
pour cette éternité de leurs valeurs culturelles, c'est aussi le cas
en ce qui concerne Ie postulat de l'universalité des contradictions
dont la juste solution n'est qu'à la portée d'un gouvernement
vertueux et détenteur du savoir, et qu'on ne peut donc contester.
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CONTEMPORAINE 503

Le matérialisme dialectique impliquerait au contraire que les


transformations, puisqu'elles sont universelles, touchent égale-
ment les rapports entre les hommes et les valeurs qui les unissent.
Si, comme Confucius et Mao Tse-tung l'ont constaté, jamais
on ne traverse deux fois la même rivière, rien n'est immuable.
Seul peut subsister le lit de la rivière, mais l'eau qui la forme
est à chaque instant différente, dans sa composition et dans les
rapports qui lient entre eux ses composants ....
De cette permanence dans l'avenir des valeurs chinoises découle
la fiction en vertu de laquelle le progrès continu enregistré dans
les techniques chinoises ne s'est jamais traduit par des trans-
formations dans la superstructure. Le pouvoir détenu par les
fonctionnaires-lettrés est parvenu en effet à filtrer ce qui avait
droit de cité dans la société officielle. N'a pu y pénétrer ni se
généraliser que ce qui ne portait pas atteinte à la philosophie
politique du régime et à l'organisation du pouvoir. Ce qui pouvait
en miner la continuité a été rejeté dans l'ombre, à la périphérie
de la bonne société. Des conceptions inorthodoxes pouvaient
amener un perfectionnement des moyens de production, diversi-
fier les taches et les groupes sociaux, contribuer à enrichir la
société ou à mieux satisfaire ses besoins, mais sans qu'elles
soient reconnues et sans donc pouvoir rider l'image de l'adhésion
unanime des Chinois aux bons principes et aux convenances,
sans pouvoir émettre de fausse note dans l'ordre de bien-être
et d'harmonie imposé par l'Empereur et ses mandarins (là, tout
n'est qu'ordre et beauté, calme ... et conscience de ses devoirs).
Toutes les ceuvres de la littérature officielle, les travaux
d'histoire, de philosophie et les classiques littéraires ont un
même caractère pédagogique, universalisant et moralisateur. Il
leur faut livrer une vision corrigée de la réalité, réinterpréter
les faits réels de manière à inspirer à leurs lecteurs la bonne
conduite à suivre, stigmatiser les erreurs à ne pas reproduire,
vanter les résultats favorables qu'obtient un comportement con-
forme aux rites.
L'objectivité n'a jamais été qu'une préoccupation vaine dans
la tradition de l'école des lettrés chinois. Elle est considérée par
les marxistes, détenteurs du pouvoir actuellement, comme l'indif-
férence bourgeoise à l'égard des exigences de la révolution. La
vérité réside dans l'appropriation d'une description aux objectifs
contemporains des gouvernants. Aucune discipline intellectuelle
504 M. ENGELBORGHS-BERTELS

ne peut prétendre échapper au système politique et ne pas le


servir.
C'est en écho à pareille conception qu'en République populaire
de Chine, tout doit servir le peuple, toute action et toute pensée
sont appréciées en fonction du service qu'elles rendent et les
intérêts véritables du peuple sont pris en charge par des gouver-
nants vertueux, savants et sages, guides et pédagogues. Ces
responsables forment à présent le comité permanent du bureau
politique du Comité central du Parti communiste chinois, déten-
teur de tous les pouvoirs qu'il exerce au nom de la classe ouvrière,
comme le faisaient anciennement les membres du conseil des
ministres et du grand Secrétariat de l'Empereur, au nom de
l'intérêt de la communauté civilisée.
De cette nécessité de servir, provient la disparité considérable
qui existe entre l'enchaînement des faits et la chronique qu'en
rédigent les lettrés, engagés dans l'administration et intéressés
à la permanence du régime en place.
Les cadres supérieurs du Parti communiste chinois sont non
seulement les successeurs des fonctionnaires lettrés de l'Empire ;
ils imposent !'orthodoxie avec d'autant plus de sûreté que leurs
directives expriment les lois scientifiques du développement
socialiste. Leur sphère d'action s'est, de plus, considérablement
étendue car elle englobe à présent toutes les activités écono-
miques, sociales et culturelles. Toutes les formes d'expression
littéraire, artistique sont en effet intégralement soumises à la
dictature du prolétariat, c'est-à-dire aux objectifs du Parti com-
muniste chinois.
Cette inquisition inscrite dans la Constitution du 17 janvier
1975, n'est abolie dans les textes actuels et dans le programme
des quatre modernisations et d'émancipation des esprits, qu'en
matière de sciences expérimentales et de technologie d'applica-
tion. Il faut adopter tout ce qui peut contribuer au dévelop-
pement des forces de production et rejeter tout ce qui risque
d'ébranler l'ordre et la stabilité de l'organisation politique. Les
limites à la libéralisation sont clairement énoncées en mars 1979:
il ne peut y avoir reconnaissance de la pluralité de conceptions
politiques ni de droits de l'homme mais sont, par contre, d'ordre
public la suprématie de direction du Parti communiste chinois,
!'engagement dans la voie socialiste, la dictature du prolétariat
et la fidélité au marxisme-léninisme et à la pensée de Mao (selon
l'interprétation qu'en donnent les dirigeants actuels).
LA SOCIÉTÉ CIDNOISE CONTEMPORAINE 505

Quel,q_ues exemples de disparité entre les réalités


et l'image qui en est déduite.

Choisis parmi une infinité d'autres possibilités, trois exemples


montrent l'étendue du fossé qu'établit la version o:fficielle par
rapport à la situation concrète. Ces exemples éclairent la place
faite à l'individu dans la société chinoise et l'utilisation des idéo-
logies par les dirigeants du pouvoir.

1. L'unité de la Chine.

La déformation à laquelle aboutit la projection de l'image


idéale de la Chine historique sur l'ensemble de la population de
la République populaire de Chineest particulièrement frappante.
Elle touche non pas seulement les hétérogénéités réelles au sein
de la société chinoise proprement dite, mais plus particulièrement
les minorités nationales systématiquement présentées comme des
groupes entièrement intégrés à la société globale.
Il s'agit de groupes humains forts de 35 millions d'individus
en 1953 et de 50 à 60 millions à l'heure actuelle, non assimilés
à la culture chinoise mais qui occupent 60 % du territoire de la
République populaire de Chine, principalement toutes les régions
périphériques à la Chine historique.
Ces minorités nationales sont des sociétés d'éleveurs, de chas-
seurs, de forestiers, d'agriculteurs itinérants, soumises à l'Empire
chinois pour la plupart depuis avant l'ère chrétienne. Elles ont
gardé sous l'Empire un mode d'administration indirecte qui
confiait leur direction à des notables locaux traditionnels, placés
sous Ie controle du gouvernement central pour la garde des
frontières et des voies de communication et rendus responsables
du maintien de l'ordre. L'implantation de Chinois Han dans
leurs territoires a toujours été faible : quelques fonctionnaires,
des soldats et quelques marchands. Ce n'est qu'en période de
crise que les Han leur ont imposé un controle plus profond,
allant jusqu'à un alignement total ou jusqu'à l'explosion de
très importantes révoltes. C'est ainsi qu'éclate la rébellion tibé-
taine lorsqu'après les grands honds en avant de 1958, la confisca-
tion des biens ecclésiastiques, la fermeture des lamaseries et
l'organisation des communes populaires, les troubles suscités
parmi les Tibétains du Chinghai s'étendent au Tibet.
Le Parti communiste chinois, après avoir consolidé son assise
.506 M. ENGELBORGHS-BERTELS

sur toute la Chine historique, s'efforce de faire bénéficier les


minorités nationales des apports de Ia révolution ; ses cadres y
ajoutent des éléments propres à l'organisation sociale purement
-0hinoise et vident de sa substance la notion même d'autonomie
culturelle accordée aux minorités nationales. C'est ainsi que les
cadres du parti et du gouvernement envoyés dans les régions
autonomes n'accordent que peu de place à la religion et choquent
profondément Ieurs administrés, tous animés par des principes
religieux : Islam, bouddhisme, animisme; qu'ils s'efforcent
d'étendre les cultures céréalières et invitent à convertir en champs
de blé ou de millet les maigres prairies sur lesquelles transhument
les chevaux, les moutons, les yaks et les chameaux des Mongols,
Ouighoures, Kazakhs, Kirghises et Tibétains par exemple et à
créer des rizières dans les forêts du Yunnan, du Kweichow et
du Kwangsi.
En dédommagement, les minorités nationales pourront déve-
lopper un élevage, facile à réaliser et très rentable aux yeux des
Chinois, celui des porcs, particulièrement mal acceptés par les
Musulmans. Le peuplement doit de même être sédentarisé et
organisé en groupes qui divisent les tribus et les affinités cultu-
relles, mis en opposition les uns avec les autres. Enfin, l'admi-
nistration doit être, dans ces régions d'importance stratégique,
aux mains de cadres loyaux et sûrs, rouges et si possible experts,
ce qui sonne le glas de toute autonomie véritable : l'exercice
des pouvoirs est confié à des cadres marxistes et non à des
notables désignés en fonction des coutumes et des cultures Iocales.
Actuellement, le gouvernement de Pékin et Ie Parti commu-
niste chinois s'emploient à corriger les dégats commis par la
politique d'assimilation menée entre 1958 et 1976 avec des
variations dues à la nuance de la ligne dominante, mais les
quatres principes obligatoires imposés aux Chinois sont évidem-
ment d'application également dans les régions autonomes du
Sinkiang, du Tibet, du Ninghsia, de Mongolie intérieure et du
Kwangsi et dans tous les départements et districts dotés d'auto-
nomie.
Il reste cependant que le jeune Mongol, Tibétain, Chuang, Miao
ou Ouighoure ne peut s' élever dans la société chinoise qu' en
s'assimilant à la culture des Han, en adoptant leur langue, leurs
modes d'exploitation des ressources, leurs techniques d'encadre-
ment et leur idéologie. Il abandonne donc ses propres structures
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CONTEMPORAINE 507

familiales, tribales, son mode de vie particulier et ses valeurs


et devient ce que d'autres colonisateurs désignaient jadis comme
<< un évolué >>. Si ce jeune ne Ie fait pas, il restera un citoyen doté

de droits égaux inscrits dans la Constitution mais, en fait, de


deuxième zone parce que reliquat de l'ancien régime, ou bien
il s'engagera dans Ia résistance, ce qui Ie précipite immédiatement
dans Ie dernier cercle, en dehors du peuple.

2. La typologie sociale.
Dans la Chine impériale, quatre groupes socio-professionnels
formaient la société tout entière, celle dont on parle et qui
compte. Au sommet, les fonctionnaires-lettrés auxquels sont
assimilés les notables ruraux, auxiliaires bénévoles de l'admi-
nistration, soit une tranche qui correspond à environ 2 % de
Ia population, parmi lesquels les fonctionnaires véritables forment
une élite, forte de quelque 40.000 individus, même Iorsque la
Chine dénombre 450 millions d'habitants.
Puis viennent les paysans qui représentent pendant tout
!'Empire plus de 80 % de la population. Soumis entièrement à
l'administration pour toutes les questions d'importance politique;
ils en reçoivent protection et s'efforcent de ménager leur domaine
réservé : familie, terre, artisanat domestique et culture populaire.
Les ouvriers et les artisans, nombreux depuis que l'activité
manufacturière et commerciale s'est développée, surtout après
Ie ll e siècle, n' ont jamais droit, dans les documents officiels, à
nne place proportionnelle à leur importance réelle.
Enfin, au bas de l'échelle sociale, les marchands, toujours
méprisés, contrölés et privés de tout droit politique, mais qui
prospèrent gráce à la protection que leur accordent certains
titulaires du pouvoir.
Les autres métiers sont officiellement ignorés. Seule la littéra-
ture bourgeoise (romans, théátre) qui trouve sa clientèle et ses
commanditaires parmi les marchands et les entrepreneurs, fournit
des éléments d'information à leur propos. L'exercice d'autres
activités est toléré parce qu'il répond à des besoins à satisfaire,
mais à condition de ne pas créer des désordres sociaux ou poli-
tiques. Pour s'y adonner, il faut afficher Ie respect des principes
de la société chinoise, s'organiser en groupe dont Ie chef est
solidairement responsable vis-à-vis des pouvoirs, acheter éven-
tuellement la protection d'un notable et ne pas revendiquer Ie
RENÉ DEKKER.'!. - 33
508 M. ENGELBORGHS-BERTELS

droit à la différence. Ces corps de métier peu honorables compren-


nent par exemple les moines, les médecins, les entremetteurs,
les artistes, les mendiants, les transporteurs, les tenanciers de
tavernes et d'auberges, et aussi les soldats.
En fait, ce qui déplaît et cause de l'inquiétude, c'est que ces
groupes particuliers se fondent sur des conceptions politiques,
religieuses, philosophiques différentes de celles de la culture
confucéenne, qu'ils s'imposent par leurs compétences spécialisées,
qu'ils recherchent le profit. Or, un homme civilisé considère
les solutions techniques d'un problème comme méprisables ;
seules les solutions dues à la vertu sont dignes d'intérêt. De
même, la frugalité et l'altruisme sont les mobiles d'action de
tout bon citoyen car la recherche du profit crée, en cas de réus-
site, l'émergence de pöles de pouvoir concurrents de l'organisation
établie.
C'est cette négation du röle du profit qui a servi de terrain
propice à la thèse d'opposition aux stimulants matériels dans la
rémunération du travail et de recours à la seule mobilisation
politique. L'égalitarisme dans les revenus, mais aussi dans l'accès
aux services et à la connaissance exigée par les défenseurs de la
même thèse - la ligne révolutionnaire - a abouti à la volonté
de détruire toute petite production privée, toute gestion des
entreprises selon les principes de la rentabilité, toute ligne d'ac-
tion soucieuse de rationalité économique. Dans l'état de pénurie
traversé par la Chine, il fallait pour progresser recourir à des
réformes de structures plutöt qu'aux progrès techniques et qu'à
l'intéressement des producteurs aux résultats de leurs efforts.
Certes, Ie redressement en cours depuis la fin de 1976 cherche
à abolir l'hypocrisie qui niait l'état de fait et le jeu des lois objec-
tives, mais les obstacles à surmonter sont nombreux, redoutables
et certainement profondément enracinés dans les mentalités.
Comparée à cette classification socio-professionnelle de la
Chine ancienne, comment est composée la société contempo-
raine?
Les cadres et les fonctionnaires forment toujours une élite
d'environ 2 % de la population (18 millions). Ses membres sont
mieux formés, mieux payés (de 600 à 5.000 Y. par an) et dotés
de privilèges, ne serait-ce qu'en raison du pouvoir qu'ils exercent.
Leur röle est difficile, particulièrement aux niveaux inter-
médiaires ; recrutés depuis plus de quinze ans en fonction
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CONTEMPORAINE 509

de critères politiques, ils doivent à présent se comporter en


<< experts >> et faire appliquer par leurs administrés une nouvelle

ligne d'action dont ils redoutent les conséquences en cas de


nouveau retour à la mobilisation rouge. Leur avenir est, d'autre
part, conditionné par des réformes entreprises qui visent à
rétablir le recrutement et la promotion par des examens et des
rapports sur le résultat de leurs activités.
Le Parti communiste chinois et l'Etat ne peuvent se passer
de leurs services parce que la population doit être encadrée,
guidée et contrólée. Mais actuellement, mains de 700.000 jeunes
poursuivent des études supérieures ....
A cóté des fonctionnaires chargés de l'administration véritable,
et membres du personnel de l'Etat (et du Parti communiste
chinois), la plupart des cadres sant appelés à dépendre des unités
de production qu'ils dirigent et ils y seront jugés en fonction
de l'efficacité de leur gestion, appréciée selon Ie profit réalisé
sous leur direction.
La réorganisation de l'enseignement, qui cherche à réserver
les possibilités de formation de qualité aux éléments les mieux
<loués et les plus aptes à en tirer profit, est appelée à réduire
la mobilité sociale ascendante et à bénéficier aux enfants des
catégories sociales intellectuellement les plus favorisées.
Les paysans forment toujours plus de 80 % de la population.
Organisés en communes populaires, en grandes brigades et en
brigades de production, ils travaillent les terres collectives en
équipes sous un régime de contrats qui précisent leurs obligations
et leurs droits et prévoient des primes pour les dépassements
obtenus et des sanctions pour les prestations non réalisées.
Les revenus moyens distribués en 1979 par les brigades de
production à chaque membre s'élèvent à 80 Y. par an. S'y
ajoutent le produit des lopins privés, de l'élevage domestique,
de l' artisanat familial et des ventes opérées sur les marchés
ruraux, soit entre 25 et 40 % des revenus des ménages paysans.
Une minorité de ruraux travaillent dans des fermes d'Etat
(4 % des terres) ; dans ce secteur de la propriété du peuple tout
entier, les travailleurs ont droit à des salaires, à la protection
de la sécurité sociale et d'un régime de pension. Leurs revenus
moyens s'y sant élevés en 1979 à quelque 700 Y. par an. Ce
secteur est appelé à se développer ; ce sant des fermes d'Etat,
en effet, qui seront Ie fondement des bases agricoles modernes
510 M. ENGELBORGHS-BERTELS

à édifier pour lancer la modernisation de I' agriculture et réaliser


les hausses de productivité et de rendements grace à l'emploi
d'équipement mécanique, chimique et de techniques scienti-
fiques.
La mobilité sociale des paysans est en pratique niée par l'inter-
diction de l'exode rural et par l'obligation faite aux unités
agricoles collectives d'embaucher les membres des nouvelles
générations.
Les ouvriers restent un groupe très minoritaire : quelque
40 millions d'individus engagés dans Ie secteur de l'Etat, des
provinces et des districts et quelque 20 millions dans les entre-
prises collectives. Les premiers sont des salariés qui jouissent
de la sécurité sociale, de pensions de vieillesse, des avantages
qu'accordent les syndicats, alors que les seconds sont alignés sur
Ie régime des paysans : ils sont rémunérés en points de travail
évalués à 1 à 2 Y. par journée de travail et jouissent de lopins
privés, de la faculté de se livrer à de l'élevage et de l'artisanat
familial et de vendre Ie produit de ces activités sur des marchés
ruraux. Les postes dans !'industrie de l'Etat, des provinces et
des districts sont à présent, dans une large mesure, dévolus
de manière héréditaire : !'enfant unique d'un ouvrier peut
demander à succéder à son père s'il a acquis la formation requise.
Enfin, les indépendants, les industriels, les commerçants, les
techniciens qui n'ont pas été dépossédés après 1949 comme
collaborateurs de !'ancien régime (les membres de la bourgeoisie
bureaucratique) sont devenus des salariés de l'Etat lorsque
celui-ci a racheté leurs installations et leur équipement, moyen°
nant Ie versement de dividendes (à raison de 5 % d'intérêt annuel
pour leurs investissements). Cette restructuration des biens de
la bourgeoisie nationale était achevée en 1956 et pendant dix
ans, les intérêts de leurs capitaux nationalisés leur ont été payés.
Malgré leur röle essentie! comme conseillers dans la production
et la gestion, la littérature officielle de la République populaire
de Chine ne leur accordait qu'une place très modeste. Leur
existence a été signalée lorsque la révolution culturelle l'a dénon-
cée ; les privilèges qui leur avaient été accordés ont été critiqués,
ils ont été dépossédés de leurs fonctions, de leur traitement et
de leurs dividendes, de leurs biens personnels (logement, meubles,
épargne) et de leurs droits et ils ont été considérés, avec tous
les membres de leur famille, présents et futurs, comme des
ennemis du socialisme.
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CONTEMPORAINE 511

Depuis 1977, les membres de cette bourgeoisie nationale et


leurs descendants ont récupéré leur statut de citoyen à part
entière, leur travail ou une fonction similaire ou encore ont
été dotés d'une pension ; des arriérés de traitement et d'intérêts
leur ont été versés et ils sont invités à participer à l'effort national
de redressement, dans Ie cadre du front uni reconstitué des
quatre classes amies. Leur röle dans l'activité productrice, dans
Ie commerce et dans les échanges avec l'étranger est d'autant
plus important que la Chine connaît une très grave pénurie de
cadres compétents dans ces domaines.
Cette restauration, rendue impérieusement nécessaire pour
réussir la modernisation entreprise, n'est cependant assortie
d'aucune garantie à long terme. Elle reconduit une situation
relativement proche de celle des marchands dans la Chine impé-
riale : leurs activités lucratives étaient tolérées mais générale-
ment méprisées et soumises à l'arbitraire du pouvoir qui, périodi-
quement, procédait à des répressions ou imposait sa protection.
Tout au bas de l'échelle sociale, subsiste d'autre part une
population ignorée, repoussée, en marge : elle est formée des
opposants, des non convertis à l'idéologie dominante. Ce groupe,
estimé officiellement à 5 % de la population, est indubitablement
plus important. Les périodes de crise révèlent en effet de très
fortes proportions de citoyens non séduits par la politique suivie.
La rectification qui suit Ie mouvement des cent fleurs touche
la majorité des intellectuels en 1957; les purges opérées pendant
la révolution culturelle ont affecté jusqu'à 80 % des membres
du bureau politique et du comité central du Parti communiste
chinois, et vraisemblablement une proportion aussi forte parmi
les grands commis et les hauts techniciens de l'administration.
Les ennemis du socialisme comprennent en 1965 les anciens
propriétaires fonciers et les paysans riches dépossédés par la
réforme agraire, ainsi que leurs descendants, les contre-révolu-
tionnaires, les éléments mauvais, les droitiers et s'y sont ajoutés,
à partir de la révolution culturelle et les vagues gauchistes qui
ont pris son relais, les révisionnistes, les experts, les artistes, les
intellectuels, dénoncés comme favorables à la restauration du
capitalisme. En fait, ces individus étaient critiqués en raison
de leurs compétences dans la gestion, dans la production, dans
l'enseignement, la recherche et la création et de leur prétention à
décider en fonction des lois objectives de leur discipline propre
512 M. ENGELBORGHS-BERTELS

à ne pas abandonner toutes prises de décision à l'avant-garde


révolutionnaire et à la dictature prolétarienne qu'il fallait imposer
intégralement.
Condamnés à la rééducation, interdits dans l'administration
de l'Etat, du parti, des organisations de masse, dans les entre-
prises de l'Etat et dans les entreprises collectives comme mem-
bres réguliers, barrés dans l'accès à l'enseignement et aux services,
souvent non autorisés à contracter mariage, les membres des
« catégories noires » subissaient la condition de véritables parias
et cette condition était héréditaire, ce que n'avait pas réalisé
!'ancien régime sous lequel l'enrichissement et l'enseignement
constituaient au moins de réelles :filières d' ascension.
La seule modi:fication intervenue dans cette hiérarchie des
corps de la société chinoise concerne les militaires.
Le röle majeur de l' Armée rouge dans la conquête du pouvoir
et dans la propagation des idées du Parti communiste chinois
au sein de la population chinoise lui ont conquis une auréole
de prestige : l'armée était vraiment celle du peuple. Depuis
1949, l' A.L.P. a été chargée de missions importantes dans l'admi-
nistration et l'activité économique du pays, alors que les organes
dirigeants du Parti communiste chinois mêlaient les cadres
supérieurs de l'appareil civil et de la hiérarchie militaire, en
prolongeant la coopération réalisée pendant toutes les luttes
menées depuis 1927.
L'A.L.P. est devenue un corps privilégié en Chine; des condi-
tions de vie avantageuses étaient accordées à ses membres et
elle constituait une filière de formation et d'ascension sociale
pour ses recrues, sélectionnées sur Ie plan physique et politique
(un jeune Chinois sur 15 est appelé sous les drapeaux et y sert
pendant trois ans au moins). Démobilisés, les anciens soldats
étaient embauchés en priorité dans le secteur de la propriété de
l'Etat, ce qui leur assurait le béné:fice de barèmes et de pensions.
Le redressement qui s'opère dans tous les secteurs à partir
de 1977 a porté atteinte à l'organisation de l'armée. Son équipe-
ment doit être modernisé et la formation professionnelle de ses
cadres doit être améliorée ; un noyau formé d' engagés volontaires
deviendra une armée de métier chargée des àrmes spéciales. Il
faut que l'armée puisse assumer la défense du territoire et le
maintien de l'ordre. Les soldats démobilisés ne trouvent pas
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CON'fEMPORAINE 513

facilement du travail depuis que ce sont les compétences et les


diplömes qui deviennent les critères d'embauche.
La rupture de l' encadrement social à laquelle ont abouti les
troubles entre 1966 et 1976 rend l'intervention de l'armée à
nouveau nécessaire pour lutter contre les désordres dans les
villes, rétablir la discipline dans les unités de production, main-
tenir la cohésion entre les diverses régions pour que la décentra-
lisation intervenue dans la gestion économique ne conduise pas
à l'émergence de<< royaumes indépendants >>. Appelée à assumer
des taches qui débordent largement la sphère de ses fonctions
spécifiques, l'armée doit à nouveau apparaître comme un des
piliers de l'Etat et elle peut ainsi être amenée à faire son entrée
dans l'arène politique. Les cadres moyens et subalternes n'ont
pas, pour la plupart, les compétences requises pour faire appli-
quer les nouvelles consignes d'efficacité, mais ils sont entraînés à
imposer des ordres : mal accueillis par la population, ils bénéfi-
cient d'une nouvelle campagne de propagande en leur faveur ;
le slogan utilisé en 1967 des << trois aides et des deux militaires >>
(l'armée aide la ligne politique, l'industrie, l'agriculture; l'admi-
nistration et la formation sont militaires) refait surface en
décembre 1979 et s'impose à renfort d'appels à l'appui et à
l'amour du peuple pour l'armée.
Tous ces services méritent bien une récompense : les cadres
dirigeants maintiennent et développent encore les avantages
dont ils jouissent sans liaison avec les résultats obtenus et les
besoins de modernisation de la défense nationale risquent de
remonter dans l'ordre des priorités jusqu'ici défini de manière
à redresser l'économie en premier lieu. La population peut conti-
nuer à considérer que << comme le bon fer ne sert pas à faire des
clous, les hommes bien doués ne deviennent pas soldats >> mais
les dirigeants de l'armée populaire de libération sont hissés dans
l'échelle du prestige et du pouvoir à un niveau qui n'est mani-
festement plus inférieur à celui des fonctionnaires civils.

3. L'unanimité du consensus.
L'adhésion quasi unanime de la population à l'idéologie poli-
tique est toujours affirmée ; ainsi sont toujours ignorés délibéré-
ment Ie röle dans l'évolution de la société que jouent les caté-
gories noires et l'importance numérique des marginaux.
Certes, les réformes adoptées depuis 1977 ont abouti à réhabi-
514 M. ENGELBORGHS-BERTELS

liter les droitiers et les révisionnistes ; ces étiquettes d'infamie


ont été supprimées et tous ceux qui en avaient été affublés sont
honorés, soit à titre posthume, soit en les chargeant de responsa-
bilités; beaucoup d'entre eux siègent ainsi au conseil des mi-
nistres et au comité centra!.
Les intellectuels, les artistes, les experts, les techniciens, les
membres de la bourgeoisie nationale sont enrölés selon leur
compétence au service du régime. Il en va de même pour les
descendants des propriétaires fonciers absentéistes et des anciens
paysans riches ; ils sont autorisés à diriger les brigades agricoles
de production, pour autant qu'ils soient << rééduqués >>, c'est-à-
dire qu'ils adhèrent à la ligne d'action officielle, à savoir celle
qu'ils auraient toujours voulu appliquer : utiliser rationnellement
toutes les forces productives et rémunérer les efforts en fonction
de leurs résultats économiques.
Toutefois, d'autres exclus du peuple sont repoussés dans
l'ombre à présent : à cöté du petit nombre de non rééduqués,
les vraies têtes dures, existent les nouveaux bourgeois, les mem-
bres de l'ultra-gauche, les anarchistes, les traîtres parmi lesquels
figurent des partisans de la «bande des quatre >>, mais aussi les
contestat,aires quirevendiquent plus de démocratie et une recon-
naissance de !'individu face au pouvoir. La manière dont ils
sont arrêtés et condamnés, lorsqu'ils Ie sont, ne permet pas de
considérer que la Chine est devenue un Etat de droit, sauf à
admettre que Ie droit positif est un outil au service de la révo-
lution et qu'il doit permettre la répression des délits d'opinion
et de toute critique anti-socialiste.
En face de ces ennemis du socialisme sur lesquels s' exerce la
dictature du prolétariat, Ie peuple souverain est censé représenter
95 % de la population, soudée par une commune volonté de
réaliser les objectifs du Parti communiste chinois et une unani-
mité de soutien aux méthodes à suivre pour y parvenir, puisque
la révolution est faite dans leur intérêt. Rienne permet cependant
de comprendre la permanence de cette adhésion unanime, quels
que soient les changements intervenus dans les objectifs et dans
les méthodes, sauf à formuler l'hypothèse que les opposants à la
dernière en date des lignes abattues forment réellement la majo-
rité, satisfaite par la ligne imposée par ceux qui détiennent les
postes de commande à l'heure présente.
Les publications chinoises elles-mêmes administrent cependant
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CONTEMPORAINE 515

la preuve de ce qu'il existe beaucoup de dissidents. Les citadins


renvoyés des villes et fixés à la campagne, parmi lesquels environ
un million de jeunes déportés chaque année depuis 1966 dans
les zones rurales, à la sortie de l'école moyenne, ne sont pas
enthousiasmés par leur sort. Un grand nombre d'entre eux
reviennent dans leur ville d'origine sans y avoir été autorisés,
et y provoquent des troubles : marché noir, délinquance, reven-
dication en faveur du respect de la Constitution et des droits
de l'homme, mais aussi défi des ordres par habitude acquise
depuis 1966 et démobilisation.
Le renforcement de la légalité socialiste entrepris avec vigueur
en 1979 est destiné à perfectionner le maintien de l'ordre et à
permettre le juste degré de démocratie nécessaire à la réalisation
du programme des quatre modernisations. Il s'agit de remédier
à !'anarchie qui a régné depuis le révolution culturelle et de
réfuter la théorie selon laquelle le détenteur du pouvoir suprême
seul dit le droit, en politicien pragmatique affranchi des conven-
tions, disposé à sacrifier tout principe et qui se décrivait d'ailleurs
comme << sans loi ni ordre moral >> (ho shang ta san (1)), capable
ainsi d'imposer le totalitarisme révolutionnaire le plus intégral.
Il apparaît ainsi que dans la société chinoise contemporaine
!'individu même n'a pas conquis son émancipation. La liberté
individuelle est toujours enserrée dans les limites qu'imposent
les intérêts du peuple, tels qu'ils sont conçus par les dirigeants.
Les quatre principes d'ordre public que sont l'adhésion au socia-
lisme, à la dictature du prolétariat (de la majorité sur la minorité),
à la direction du Parti communiste chinois et au marxisme, au
léninisme et à la pensée de MAo (qui résume l'expérience de la
révolution chinoise) se réfèrent au discours sur la juste solution
des contradictions au sein du peuple de MAo TsE-tung de 1957.
A ce moment, la rectification touchait toute violation à six
normes politiques (2); la définition, au printemps de 1979, des
principes intouchables actuels exprime la même volonté de

(1) L'expression « ho shang ta san • interprétée par E. SNoW comme désignant un


moine solitaire, marchant dans la neige sous un parapluie percé, a récupéré son véri-
table sens en Occident, gràce à la mise au point de S. LEYS, dans « Images brisées ,,
Robert Laffont, 1976, p. 167.
(2) Soit toujours agir de manière à favoriser l'unité avec les minorités nationales,
ne pas dévier de la voie socialiste, ne pas violer la dictature du prolétariat, ne pas
affaiblir Ie centralisme démocratique, reconnaître la direction du Parti communiste
chinois en tout, ne rien faire qui porte atteinte à l'unité internationale et à la paix
mondiale.
516 M. ENGELBORGHS-BERTELS

réprimer la contestation, plus précisément l'insoumission de la


jeunesse, la résistance des intellectuels et la revendication en
faveur d'une plus franche libéralisation. Ces six principes, comme
les quatre d'à présent, sont si solidaires qu'ils n'en font qu'un :
la politique est l'affaire des << pères et mères du peuple >>.
L'homme continue à être façonné par le pouvoir politique
qui nie toute reconnaissance de ce que la société modernisée
puisse sécréter ses propres valeurs, différentes de celles du passé
chinois. La créativité est ainsi sacrifiée au profit de l'intégration
sociale, que facilite traditionnellement I' encadrement de la
société.
Mis dans l'impossibilité d'apprécier de manière critique les
décisions prises, l'individu n'est autorisé à aucune mobilité géo-
graphique volontaire ni à aucune mobilité sociale. La profession
tend à devenir, de fait, héréditaire, sauf par le canal de l'instruc-
tion et de l'engagement politiques qui permettent à une minorité
d'accéder à l'élite gouvernante. Le membre d'une minorité natio-
nale ne peut simultanément garder sa culture d'origine et pré-
tendre devenir citoyen à part entière. Des progrès sont cependant
enregistrés dans Ie discours ; il faut en effet réconcilier les mino-
rités nationales avec Ie régime politique chinois et garantir une
certaine autonomie culturelle, comme il faut briser l'indiscipline
des ouvriers et des paysans en leur permettant de choisir eux-
mêmes leurs chefs immédiats capables de bien organiser le travail
au sein des ateliers comme au sein des brigades agricoles.
L'individu reste en Chine intégré à un groupe de base dont
tous les membres se contrölent, se corrigent et sont solidaires.
Ce groupe élémentaire n'est plus formé par la famille ou le clan
-0e qui, dans la société traditionnelle, constituait encore un écran
protecteur contre le fonctionnaire impérial. Il s'agit actuellement
d'un groupe formé selon l'unité de travail, de résidence ou d'orga-
nisation à laquelle chacun est attaché. Ces petits groupes, reliés
hiérarchiquement à l'administration de l'Etat, aux organes de
la sécurité publique et aux pouvoirs organisateurs des entreprises,
scrutent Ie cas de chaque individu pour déterminer s'il satisfait
aux conditions pour contracter mariage, pour obtenir le divorce,
pour procréer, pour être embauché dans un poste de travail, pour
obtenir un logement et, jusqu'aux réformes de 1977, pour accéder
à l'instruction et aux établissements de santé publique. Cette
participation obligatoire à un groupe de base enröle chacun dans
LA SOCIÉTÉ CHINOISE CONTEMPORAINE .517

les mouvements politiques, de critique, d'autocritique et de


réforme et impose la façade d'orthodoxie en amenant chacun
à adopter des attitudes conformes à l'idéologie.
Aucune conduite ni aucune pensée n'est, à la limite, indifférente
à la politique et l'idéal du bon citoyen est d'ailleurs celui de la
vis bien huilée qui remplit sa fonction dans une machine, à la
place qui lui est assignée. Ce modèle, incarné par divers héros
présentés à l'émulation des masses, est le plus clairement person-
nifié par LEI FENG, dont la mémoire est glorifiée depuis 1963 ....
La modernisation, plus précisément celle du niveau scienti-
fique, menace la permanence d'une pareille conception ; Ie redres-
sement nécessite la promotion de l'individualisme, la spécialisa-
tion des fonctions selon les capacités individuelles, la recherche
du profit, du prestige, de l'autonomie, la participation aux déci-
sions, Ie droit d'exprimer librement opinions et critiques et la
stimulation des innovations. L' organisation du pouvoir politique
doit clone changer au point de dissocier savoir et pouvoir.
La République populaire de Chine n'est pas encore arrivée à
la reconnaissance de cette nécessité. Au lieu d'imposer en toute
circonstance une interprétation textuelle de ce que MA.o avait
dit et de ce que MAO n'avait pas dit, la consigne actuelle est de
permettre tout ce qui favorise le programme du gouvernement
et d'interdire tout ce qui en freine la réalisation ou s'y oppose.
Le progrès enregistré consiste à remplacer la distinction mani-
chéenne entre Ie vrai et Ie faux fondée sur la politique dans tous
les domaines par la distinction entre ce qui est utile et ce qui
est néfaste aux objectifs des détenteurs du pouvoir. Le critère
de vérité réside dans les résultats obtenus par une action, mais
cette pierre de touche reste aux mains des seuls gouvernants.
Le vrai est la préoccupation des sciences expérimentales, l'utili-
sation de la vérité scientifique est à la discrétion du pouvoir et,
comme Ie précise l'article 56 de la Constitution du 5 mars 1978,
les citoyens doivent être << pour >> la direction du Parti commu-
niste chinois, ce qui fait de !'engagement politique positif un
devoir, mais aussi un droit <lont jouissent tous les citoyens. Les
cent fleurs et les cent écoles servent uniquement à promouvoir
la culture socialiste.
La modernisation actuelle rappelle ainsi les efforts précédents
menés par les gouvernants de la Chine : il s'agit très clairement
d'emprunter les recettes d'efficacité mises au point tant en Chine


518 M. ENGELBORGHS-BERTELS

qu'à l'étranger, dans Ie but de renforcer Ie fond sinitique propre.


La fidélité à pareille ligne risque cependant de faire apparaître
Ie marxisme-léninisme et Ie résumé de l'expérience révolution-
naire chinoise qu'exprime la pensée de MA.o TsE-tung, comme
une recette à rejeter lorsque les résultats auxquels leur applica-
tion aboutit seront jugés décevants.

Mars 1980.
The Skra of Novgorod
Legal contacts between Russia and Western
Europe in the Middle Ages
BY

F. J. M. FELDBRUGGE
HOOGLERAAR AAN DE RIJKSUNIVERSITEIT
TE LEIDEN

lNTRODUCTION

For several centuries the medieval Russian city of Novgorod


housed within its walls an independent community of German
merchants. They had their own code of Iaw, called the Skra (1),
which regulated the most important aspects of their daily life,
their commercial activities, their organization and self-govern-
ment. The Skra has been studied by historians, both German
and Russián, as a source for the history of the Hanseatic League,
of German-Russian relations, of Iife in medieval Novgorod, etc.
As a legal document the Skra has usually been viewed by German
Iegal historians as an offshoot and a geographically remote
representative of the family of North German city laws (2).
It is the purpose of this paper to look at the Skra particularly
against the background of contemporary Russian Law.
In order to acquire a general perspective of the historica!
context and geographical surroundings in which the Skra func-
tioned, we propose to pay some attention first to Novgorod, its
place in Russian history, its system of government, and its

(1) The term Skra (sera, schra, schrage) itself is of German origin and is common
in medieval German law to denote amore or less genera! statutory enactment of a city.
On its etymology see pp. 2-5 of F. FRENSDORFF, • Das statutarische Recht der deut-
schen Kaufieute in Nowgorod », Abhandlungen der kön. Ges. der Wiss. zu Göttingen,
Vol. 33 (1886), 1-35, and 34 (1887), 1-55. The best edition of the text of the Skra is
by W. ScHLÜTER, Die Nowgoroder Schra in sieben F'assungen vom XIII. bis XVII. ,Jahr-
hundert, Dorpat, 1911.
(2) FRENSDORFF, Vol. l, 25-26.
520 F. J. M. FELDBRUGGE

laws, and then to Novgorod's relations with the cities of the


Hanseatic League. These introductory sections will be followed
by a discussion of the Skra itself, the various studies which exa-
mine it, its different versions, its sources, and its relations with
Russian law.

NovGoROD THE GREAT

Novgorod is situated in the North-West of Russia on an old


trade-route from the Black Sea to the Baltic Sea. The importance
of this route in prehistorie times is stressed already in the oldest
Russian chronicle, the Tale of Bygone Years, also known as
the Nestor or Primary Chronicle (3). The route runs from the
Black Sea up the Dniepr, then through a portage to the river
Lovat', which flows into Lake Ilmen. Novgorod lies at the
northern end of this lake. From Novgorod the river Volkhov
flows north into Lake Ladoga, which then is connected through
the river Neva with the Baltic Sea.
During the earliest period ofRussian history Novgorod appeari,;
as the most important northern city of the country. In those
days the Slavic tribes inhabiting the area of Kiev were called
Russians, and the population of the Novgorod area Slovenes.
These names are still used in the oldest Russian law, the so-called
Short Version of the Russkaia Pravda, enacted probably in
1016-1019 (4). The chronicles which cover the Kievan period of
Russian history, particularly the Primary Chronicle and the
First Novgorod Chronicle, show clearly the tensions which existed
between the two cities (5). More than once the prince ofNovgorod
succeeded in capturing the throne of the grand prince in Kiev.
It was the prevailing custom in the Kievan empire that brothers

(3) The Prime.ry Chronicle (Povest' Vremennykh Let or Nachal'naia Letopis') has
been published several times by the Archeographical Commission in its collection of
Russian manuscripts (Polnoe Sobranie Ruaakikh Letopiaei); most recently in 1923 (the
Hypatian text) and in 1926 (the Laurentian text). English translation by S. CBoss
and 0. SHERBOWITB-WETZOR : 'l'he Rusaian Primary Chronide, Cambridge, Mass.,
1963.
(4) Of the numerous editions of the Rusakaia Pravda I mention only the standard
edition in three volumes of the Academy of Sciences of the USSR, under the general
editorship of B. D. GREKOV, 1940-1947-1963. English translation by G. VERNADSKY
in Medieval Rusaian Lawa, New York, 1947, 26-66.
(6) The most recent edition of the First Novgorod Chronicle, with an introduction
and German translation by J. DIETZE, München, 1971; English translation (The Chro-
nicle of Novgorod) by R. MrrcHELL and N. FORBES, London, 1914, (reprint 1970).
THE (< SKRA >) OF NOVGOROD 521

and other male relatives of the ruling grand prince received


their own principalities. Upon the death of the grand prince or-
of the local ruling prince, the eldest son did not succeed, but the
principalities were redistributed among the leading members of
the ruling house, the descendants of Rurik. In this way several
of the most famous grand princes of Kiev, notably St. Vladimir-
who converted to Christianity in 988, and his son Iaroslav the
Wise, the author of the Short Version of the Russkaia Pravda,
carne to the Kievan throne through Novgorod.
Novgorod's position in Russia was greatly enhanced in the
13th Century when the Mongols conquered and devastated most
of the farmer Kievan empire (6). At that time the union achieved
under earlier grand princes of Kiev had already braken down and
the country was fragmented into a number of almost indepen-
dent principalities. During the campaign of 1237-1238 most of
the Centra! Russian cities were destroyed, but the Mongol army
of Batu turned south when it was only 100 km from Novgorod.
The fact that Novgorod and its surrounding country escaped
Mongol occupation and domination helps to explain not only
its enhanced position in 13th Century Russia, but also the compa-
rative richness of its contemporary historica! sources.
In terms of territory, Novgorod was by far the largest of the-
medieval Russian principalities. It embraced not only the entire
North-West of European Russia, but also the vast expanses
of North Russia up to the Ural mountains and beyond. North-
South trade between the Baltic and Black Sea had much dimi-
nished in the 13th Century, in connection with the occupation
of Constantinople by the crusaders, the penetration of the Vene-
tians as traders in the Black Sea, and the occupation of Southern
Russia by the Mongols. The commercial centre of gravity in
Russia had shifted to Novgorod, now primarily engaged in
East-West trade. The enormous hinterland of North Russia
provided furs and wax for export to Western Europe. Novgorod
maintained its position as a commercial centre and a powerful
principality up till the end of the Russian middle ages, when

(6) Convenient surveys of the medieval history ofNovgorod in V. 0. KLrucHEVSKII,


Sochineniia, Vol. 2 (1957), 54-104; M. N. TIKHmrmov, , Velikii Novgorod v istorii
mirovoi kul'tury •• M. N. TIKHOMIROV (ed.), Novgorod - k 1100-letiiu goroda, 1964,
23-37; K. ONASCH, Gross-Nowgorod. Aufstieg und Niedergang einer rusin"chen Stodt-
republik, Wien 1969.
522 F. J. M. FELDBRUGGE

it :finally had to bow to the supremacy of the Moscow grand


princes. In 1471 the Novgorod army was beaten by Ivan III
and in 1478 Novgorod lost its own institutions and became a
province of the Muscovite state.
In its heyday during the 13th and 14th Centuries the city
was often referred to as << the Lord N ovgorod the Great >> ; the
proud position of the city was equally reflected by the contempo-
rary saying << Who can stand against God and Novgorod the
Great1 >>.
The configuration of states among which Novgorod played
such an important role in the middle ages was far from simple.
After the breakdown of the Kievan Russian state no effective
leader remained in Russia. Russian national consciousness how-
ever remained intact, and Novgorod's neighbours should there-
fore first be divided into Russians and non-Russians. The chief
Russian neighbours were the principality of Tver and later on
the principality of Moscow, and the city of Pskov. The latter
city had originally the rank of a prigorod, a suburb, of Novgorod.
During the 12th and 13th Century the Pskovians usually followed
a course independent from N ovgorod, for instance by inviting
a ruling prince themselves and concluding their own treaties,
and finally in 1347 the mother city formally recognized the
independence of Pskov (7).
Novgorod, as mentioned, was never occupied by the Mongols,
but it did pay tribute to them for some time. In comparison
to other Russian principalities, Novgorod's relations with the
Mongols were not very intense.
On the western side Novgorod was most closely involved with
Lithuania and Livonia. The latter territory had a politically
complicated structure, of which the Teutonic Order, the arch-
diocese of Riga, the dioceses of Derpt (Dorpat, Iur'ev, Tartu),
Oesel, and Kurland, and the Hanseatic cities of Riga, Revel
(Reval, Tallin) and Derpt were the main elements. As a city
engaged in international trade, Novgorod was also in permanent
contact with other Baltic Sea states : Sweden, Denmark, and
the Hanseatic League.

(7) See Third Novgorod Chronicle, in Novgorodskie Letopisi, Ssnkt-Peterburg,


1879, 224.
THE (< SKRA ~ OF NOVGOROD 523

NovGoRon's SYSTEM OF GOVERNMENT

Originally, like other provincial Russian cities, Novgorod was


ruled by a member of the family of the Kievan grand prince,
usually a son or a brother. The prince was employed primarily
as the head of the army and was not allowed to exercize too
much influence in the city's internal affairs. Even the oldest
sources already show that Novgorod's enterprising and self-
conscious citizenry was always inclined to take a strong and
independent line with its princes. In the 13th Century the custom
of inviting a prince and dismissing him when he was not any
langer to the liking of the city became firmly embedded (8).
A contract was concluded with a new prince, who had to swear
to uphold the ancient rights and freedoms of the city. Only
in Pskov did a similar system take shape, and in fact medieval
Russia, after the fall of the Kiev, can be regarded as a loose
collection of principalities, ruled by princes of the same house,
and two republics : Novgorod and Pskov.
During the prince's absence in Novgorod, his duties were
carried out by his lieutenant (namestnik).
In the actual government of the city the most important
person was the bishop (after 1165 : archbishop). His power
rested chiefly on his generally acknowledged authority, which
allowed him to mediate in the frequent controversies which
raged in the city's internal affairs. Initially the bishop of Novgo-
rod was appointed by the metropolitan of Kiev, but since the
middle of the 12th Century it became customary for the Novgo-
rod assembly (the Veche) to elect its own bishop from the local
clergy (9).
The principal secular official was the posadnik, the mayor,
who was assisted by the tysiatskii. While the tysiatskii (thousand-
man, chiliarch) was originally a military officer, commanding
thousand men, his office embraced a number of civil, commercial,
administrative and judicia! functions, and the precise distribu-
tion of the tasks between the posadnik and the tysiatskii is a
matter of speculation. Bath offices were initially filled by appoin-

(8) KLlUCHEVSKII, 58-63; v. L. IANIN, • Problemy sotsial'noi organizatsii Nov-


gorodskoi respubliki t, latoriia SSSR (1970), No. 1, 44-54; V. L. IANIN and M. Kh.
ALESHKOVSKII, « Proiskhozhdenie Novgoroda », latoriia SSSR (1971), No. 2, 32-61.
(9) KLlUCHEVSKII, 61.
RENÉ DEKKERS. - 34
524 F. J. M. FELDBRUGGE

tees of the prince, but already in 1126 the first locally appointed
posadnik is mentioned. Three years later the First Novgorod
Chronicle relates that << Daniel carne from Kiev to be posadnik
in Novgorod >>, but from 1130 onwards the custom of electing
the posadnik remains firmly entrenched. At a somewhat later
date Novgorod also successfully enforced its right to elect its
own tysiatskii.
The city of Novgorod was divided into two sides by the river
Volkhov, the Sophia and the Merchant Side (Torgovaia Storona).
The former consisted of the Potters' (or People's) Quarter, the
Quarter Behind the Citadel (Zagorodskii Konets), and the Nerev
Quarter, the latter of the Slavno and the Carpenters' Quarters.
The quarters were each divided into << hundreds » (sotni), and
these into streets (ulitsy). These units had a certain amount
of self-government through their elected elders and councils (10).
In theory supreme power in Novgorod belonged to the Veche
or popular assembly. In practice the Council of Lords (Sovet
Gospod), which prepared the business to be dealt with by the
Veche was of more importance. This Council consisted of the
acting posadnik and tysiatskii and their predecessors. The demo-
cratie character of Novgorod's government was also tempered
by its rigid class divisions : the sources distinguish between
boyars, prominent citizens (zhitye liudi), merchants, common
citizens (chernye liudi, lit. black people), and several classes of
unfree persons. The principal city offices remained firmly in the
hands of the boyars for the entire duration of Novgorod's inde-
pendence (11).
In this way Novgorod's history is characterized by excessive
conflict and strife : between various social classes, between family
factions among the leading boyars, between the different parts
of the city. It is in this situation that the bishop emerges as
the most powerful element of conciliation.
Novgorod was not only a city-state, but also the centre of
a large empire, covering the entire northern half of European
Russia and extending even beyond the Ural mountains. It
consisted of a metropolitan area, the five fifths (piatni) adjoining
(or almost) the city territory, and the more distant volosti, of

(10) KLIUCHEVSKll, 67.


(11) KLIUCHEVSKU, 88,
THE (< SKRA >) OF NOVGOROD 525

which the Dvina Land, a vast area in north~r~ussia, was


one of the most important. The entire empire, including a number
of cities situated therein, was ruled from Novgorod. Only the
city of Pskov, as related before, succeeded in securing its indepen-
dence from N ovgorod after a lengthy struggle in 1347.
The rise of the principality of Moscow as the nucleus of a
national Russian state during the 15th Century signalled the
fall of Novgorod. A combination of economie, political and mili-
tary factors led to the loss of its independence. After its defeat
in 1471 at the Shelon' river in a battle against the Moscow army,
Novgorod's role as an independent agent in North-Eastern
Europe was over.

NüVGOROD'S LEGAL SYSTEM

The most comprehensive legislative document from medieval


Novgorod is the Charter of Novgorod (12). lts final version,
which has come down to us in a single copy, refers to the consen-
sus of the Moscow grand prince Ivan III and the archbishop-elect
and the estates of the city, and can therefore be dated in 1471,
after the battle at the Shelon' and the subsequent peace treaty
of Korostyn'. The Charter is based on previous versions, which
have not survived, hut which can to some extent be reconstructed
by eliminating the prominent position of the Moscow prince,
which for obvious reasons was written into the 1471 text. How-
ever, the Charter concerns mainly procedural law and provides
only a very fragmentary picture of the law of Novgorod as an
independent state.
The basic source of the written law of 13th and 14th Century
Novgorod must have been the Russkaia Pravda in its more
recent and extensive form, the so-called Expanded Pravda (13).
lts final compilation probably took place during the second half
of the 12th Century or the early years of the 13th Century.
This makes the final version of the Russkaia Pravda almost a
contemporary of the earliest legal documents from Novgorod

(12) Text in M. VLADIMffiSKII-BUDANOV, Khristomatiia po istorii ruaskago prava,


Vol. l (5th ed. 1899), 200-217, and in Pamiatniki Russkogo Prava, Vol. 2 (1953).
210-242, with notes, comments and modern Russian translation by A. A. ZIMIN;
English translation in Vernadsky, 83-92.
(13) Cf. A. A. ZIMIN in Pamiatniki Russkogo Prava, Vol. 2 (1953), 210.
526 F. J. M. FELDBRUGGE

and the earliest treaties concluded by the city. It would explain


to a great extent the absence of any more ambitious legislation
in the large collection of Novgorod legal sources known to us.
We may assume therefore that Novgorod's legal system during
the period of its independence was based on customary law and
the Russkaia Pravda in its Expanded Version, amended and
supplemented by ad hoc enactments (of which almost nothing
has survived) and also affected in some parts by the treaties
concluded by the city. This legal system is illustrated by a large
number of private charters (gramoty). Most of these are deeds
of sale, gifts, and testaments. Their contents are brief and they
concern chiefly certain aspects of civil law (14).
The politica! system and what may somewhat unhistorically
be called the constitutional law of Novgorod can best be studied
through the treaties which Novgorod concluded with various
Russian princes. More than twenty are available, from 1264 to
1471, and they allow us to trace the development of Novgorod's
position vis-à-vis the ruling prince, and the internal shifts inside
the city government (15).
The<< international>> treaties concluded between Novgorod and
foreign powers did in some ways affect the domestic law of
Novgorod, hut we shall return to this subject presently in the
discussion of Novgorod's relations with the Hanseatic League.

Novoo&on's TRADE wrTH THE HANSEATrc CrTrns

Trading relations between Russian and other Baltic Coast


nations go back into prehistorie times. Although the exact role
of the Varangians or Vikings in the emergence of the first historie
Russian state of Kiev is still a much-debated and politically
sensitive subject, nobody would deny that they did play a role,
in which the merchant and the mercenary commingled effort-
lessly. lndeed the earliest sources of Russian law, such as the
treaties between the K.ievan princes and Byzantium and the
Short Version of the Russkaia Pravda, are indicative of the neces-
sity to come to terms with local communities of foreign traders.

(14) The most important publication of these gramoty is in Gramoty Vclikogo Nov•
goroda i Pskova (1949), edited by S. N. Valk (cited as : GVNP).
(15) GVNP, 10-51.
THE << SKRA >> OF NOVGOROD 527

I t is not astonishing therefore that the first commercial treaty


of N ovgorod which has survived spoke of the confirmation of
the old peace (16). It thereby indicated the pattern which was
followed with almost boring regularity in the following centuries :
trade interrupted by conflict, solved by a treaty which promised
a return to the peaceful relations of the past.
This first treaty, dated between 1189 and 1199, was concluded
between Novgorod on one side and<< the sons of the Germans,
the Goths, and the whole Latin people>> on the other (17). From
subsequent treaties it is clear that this formula refers to the
Hanseatic League, led by the city of Lübeck. In other treaties
the representative of Lübeck is often named specifically, while
the designation << Goths >> or << Gothic Coast >> in treaties refers
invariably to the city of Visby. The preamble of the treaty
mentions prince Iaroslav Vladimirovich, at that moment the
ruling prince of Novgorod, << consulting with the posadnik
Miroshka, the tysiatskii Iakov, and all the Novgorodians >>.
Miroshka was the ancestor of the most prominent boyar family
of Novgorod, the Miroshkinichi, who supplied the city with
numerous posadniki and tysiatskie.
The first article of the treaty spells out the freedom of trade
to be enjoyed by the German merchants on Novgorod territory
and by the Novgorodian on German territory. The rest of the
treaty concerns mostly criminal law. It lays down fixed monetary
penalties for various offences and is close to similar provisions
of the Russkaia Pravda (18). In this context it should be remarked
that the necessity to regulate conflicts arising between the native
population and a resident foreign community of traders seems
to have been the prime moving force in the most ancient Russian
legislation. The phenomenon can already be observed in the
10th Century treaties between the Kievan prince and the Greek
emperor and in the most ancient parts of the Russkaia Pravda.

(16) GVNP, 55. Also in Pamiatniki Russkogo Prava, Vol. 2 (1953), with Introduc-
tion and Notes by A. A. ZIMIN, 124-131.
(17) On this Treaty see: K. GOETZ, Deutsch-Russische Handelsverträge des Mittel-
alters (1916), 16-18; V. S. PoKROVSKII, • Dogovor Velikogo Novgoroda s Gotlandom i
nemetskimi gorodami 1189-1195 gg. kak pamiatnik mezhdunarodnogo prava •• Pravo-
vedenie (1959), No. l, 90-100; N. A. KAZAKOVA, « Nachal'nyi tekst novgorodsko-
nemetskikh dogovorov XII-XV vv. », Vspomogatel'nye Istoricheskie Distsipliny, Vol. 6
(1974), 161-175.
(18) Cf. B. D. GREKOV, Krestiane na Rusi, Vol. l (1952), 397; POKROVSKII, 96-97.
528 F. J. :è\I. FELDBRUGGE

The inference is that purely internal Russian conflicts could


still be settled adequately in those days by reference to custo-
rnary law (19).
In the following treaty, of 1262-1263, the emphasis is on more
purely commercial matters (20). This treaty again mentions the
right of Novgorod merchants to trade on the Gothic coast, hut
most of the provisions concern the presence of German merchants
in Novgorod. This was indeed more in accordance with the actual
state of affairs, because the Russian-German trade was mostly
a matter of German merchants exporting their wares in their
own ships to Novgorod and returning with the produce of
Novgorod's vast territories to Western Europe. The Russian
trading policy of the Hanseatic League was primarily directed
at maintaining its monopolistic position on the Novgorod market.
It was only after the fall of Novgorod as an independent state
that the grand princes of Moscow succeeded in breaking this
monopoly (21).
As the Hanseatic League was effectively able to prevent, for
a long period, the appearance of commercial competitors on
the Novgorod market, a curious bilateral relationship between
the two trading partners arose. It is this relationship which
may explain the regularity of the pattern of conflict and recon-
ciliation between the League and Novgorod (22). Being both
interested in continuing trade and not having any alternative
trading partners available, the main instrument of leverage on
the other partner was the seizure of goods, ships, and crews.
This invariably prompted reprisals from the other side, resulting
in a break-off in the commercial traflic. But as long as both sides
remained interested in maintaining their trading relations, diffe-
rences were patched up after a lapse of time, through the conclu-
sion of a new treaty, which usually stipulated that everything
was to be as it always had been. Nonetheless, many subtle shifts,

(19) Cf. L. V. CHEREPNIN, Russkiefeodal'nye arkhivy XIV-XV vekov, Vol. 1 (1948),


246-247.
(20) GVNP, 56-57.
(21) Politica! and commercial relations between the Hanseatic League and Novgo-
rod are discussed at length in chapters II (78-128), IV (180-200) and VI (262-337) of
N. A. KAZAKOVA's Russko-livonskie u russko-ganzeiskie otnosheniia (1975) (cited as
KAZAKOVA).
(22) KAZAKOVA, passim, e.g., 89.
THE << SKRA >> OF NOVGOROD 529

refiecting changing interests and power positions, can be observed


in the treaties.
Among the most important treaties should be mentioned those
from 1269 (available in draft form), 1338, 1372, 1392 (the so-
called peace of Niebur), 1409, 1423, 1436, 1450, 1466, 1487
and 1514 (23). The last mentioned treaty is concluded on the
Russian side, after the incorporation of Novgorod in the Musco-
vite state, by the grand prince Vasilii III. During the earlier
period the Hanseatic side is usually represented by the envoys
from Lübeck and Visby, hut from the beginning of the 15th Cen-
tury onwards the envoys from the chief Hanseatic cities in the
Eastern Baltic area, Riga, Dorpat, and Reval replace them, a
refiection of the decreased interest of the North German cities
m the Russian trade.

THE GERMAN CouRT OF ST. PETER IN NovGoRon

The hub of German-Russian trade in the middle ages was the


German court in Novgorod, the<< hof synte Peteres to Nogarden >>,
the nemetskii dvor, as the contemporary sources have it. The
St. Peter's court was located on the Merchant Side of the city,
at the south-eastern corner of the great market square (24). It
is mentioned in the treaty of 1269 and a number of subsequent
German-Russian treaties, and also in some of the treaties between
Novgorod and the princes. The fact that the latter treaties, which
regulate the relations between the city and its elected princes,
expressly mention the German court, testifies to the considerable
importance which Novgorod attached to a clear understanding
of the position of its German business community. The formula,
v;·hich appears for the first time in the treaty with prince Iaroslav
Iaroslavovich of Tver', is repeated almost unchanged in nume-
rous subsequent treaties : << and you shall permit our brothers to

(23) Texts of the treaties from 1269 to 1466 in GVNP. Treaty of 1487 in Hansc•
recesse, Vol. 3, part 2, No. 136. Treaty of 1514 in Sobranie goswl,aratvennykh gramot i
dogovorov, Vol. 5 (1894), 55-60. A general discussion of the treaties and their contents
in M. BEREZHKOV, 0 torgovle Rusi a Ganzoi (Sankt-Peterburg, 1879), 179-224, and
(for the treaties after 1392) in KAzAK0VA.
(24) Cf. N. G. RIESENKAMPF, Der deutache Hof zu Nowgorod bis zu seiner Schliessung
durch Iwan Waaailjewitsch III im Jahre 1494 (Dorpat, 1854), 21.22; BEREZHKOV,
133-135; A. 1. N1KITSKII, Iatoriia ekonmnicheskago byta Velikago Novgoroda (1893),
111.112. S. N. ÛRLOV,, K topografii Novgoroda ,,, in M.N. TIKHOMmov (ed.), Novgorod
(see note 6), 264-285.
530 F. J. M. FELDBRUGGE

trade in the German court, and you shall not close the court,
nor appoint constables there >> (25).
The extraterritorial character of the German settlement in
Novgorod suggested by these treaties, is made more explicit in
the treaties between N ovgorod and the German cities, such as
the treaty of 1269 and particularly the treaty of 1371, which
provides, a.o. :
<< • • • juwe coplude de solen nicht stan op unser brugge to

beidentsiden vor unseme hove, unde de solen nene stocke in de


planken slaen unde en solen nenen husinge setten op unse vort
unde ok nene husinge darop [lege]ren unde neyn hor dar voren,
unde welke husinge daroppe staen oppe unser wort, de solle
gi afsetten weder. Unde juwe brodere en solen nicht copslagen
in unseme hove mit eren schiinsecken unde des gelikes op unser
bruggen, dar wi dat sulver vore gheven >> (26).
( << • • • your merchants shall not stand on our streets on either

aide of our court, and they shall not put poles in our fences,
and they shall not put buildings on our plot or leave [ ?] buildings
there, or dump garbage there, and whatever buildings are on
our plot, you shall pull them down again. And your brothers
shall not trade in our court with their bags of furs, and similarly
on our streets, for which we pay our silver. >>)
The exceptional position of the St. Peter's court can be recon-
structed from a variety of sources ; its independence from Novgo-
rod interference was considerable, although it would go too far
to regard it as a concession in the style of 19th Century European
settlements in China. One of the most effective approaches in
defining the position of the German court in Novgorod is through
an investigation of the administration of justice in mixed
German-Russian disputes.

ADJUDICATION OF GERMAN-RUSSIAN DISPUTES

Novgorod possessed a court system of considerable complexity,

(25) Treaty of 1270, GVNP, 13; the clause reappears in the treaties of 1304-1305
(ibidem, 16-17), 1307-1308 (ibidem, 20 and 22), 1326-1327 (ibidem, 28), 1371 (ibidem, •·
30), 1435 (ibidem, 36), 1456 (ibidem, 41), 1471 (ibidem, 47), and also in the Treaty
between Novgorod and the Lithuanian grand prince Kazimir IV of 1470-1471 (GVNP,
129-132).
(26) GVNP, 75.
THE (< SKRA ►> OF NOVGOROD 531

which as yet is not completely clear to scholars in all its de-


tails (27). It will have to su:ffice here to mention only the most
important courts which were of specific interest to the German
merchants. First of all there was the court of the prince, usually
presided over by his lieutenant (namestnik). This was a mixed
court where the prince's judge sat together with the mayor or
his representative, according to the traditional stipulation in
a number of treaties between Novgorod and its prince : << And
without the posadnik, prince, you shall not try cases ... ►>.
Then there were the courts of the posadnik and of the tysiatskii,
the exact relationship between their jurisdiction being unknown.
A special commercial court was presided over by the tysiatskii ;
its other members were aldermen of the Novgorod merchants.
One may assume that the bishop's court, presided over by his
own namestnik, was of less importance to the German merchants,
because it would normally deal with the usual matters of eccle-
siastical jurisdiction (to which the Germans were not subject}
and with ecclesiastical dependents.
Most of the information pertaining to the accommodation of
mixed German-Russian disputes in this system of adjudication
is to be found in the treaties of 1189-1199 and of 1269 between
N ovgorod and the German cities ; some additional light on this
question is shed by the various editions of the Skra, the internal
law of the German commercial community in Novgorod.
The main part of the Treaty of 1189-1199 is a list of serious
offences with the accompanying, fixed fines. The list itself is
an obvious adaptation of one of the oldest sections of the
Russkaia Pravda (28). Although the court which is to impose
these fines is not mentioned, it may be assumed that it is the
same as in the Russkaia Pravda, that is to say the court of the
prince.
With regard to civil cases, the Treaty provides that twelve
men are to be adduced as witnesses in disputes about debts.
This rule, both in its sense and its wording, is close to article 15
of the Short Version of the Russkaia Pravda ; the main difference

(27) KLIUCHEVSKII, 70-72; ZIMIN, in : Pamiatniki Russkogo Prava, Vol. 2 (1953),


229-243; CHEREPNIN, Russkie feoda/,'nye arkhivy, Vol. l (1948), 373-396.
(28) ZIMIN, ibidem, 124; VLADIMffiSKII-BUDANOV, KhriBtomatiia, Vol. l (1899),
108-112.
532 F. J. M. FELDBRUGGE

is that in the Russkaia Pravda the twelve men still appear as


a vestigial popular court. The archaic character of the provision
is further enhanced by the fact that it subsumes both Germans
and Goths (inhabitants of Visby) under the term variaze, Varan-
gians, a term which is not encountered in any of the later treaties,
but which is well known in the Short (oldest) Version of the
Russkaia Pravda (arts. 10, 11). Again, it is implicit in this provi-
sion that it is the court of the prince which tries such disputes
about debts.
One may conclude therefore that certain o:ffences of a serious
nature, committed by Germans, as well as at least certain civil
disputes between Germans and Russians, were subject to the
jurisdiction of the prince's court. ·
The second conclusion which the Treaty of 1189-1199 allows,
is that the German merchants were granted certain procedura1
privileges. The Treaty provided that Germans involved in law-
suits in Novgorod were not to be prevented from going home
(rubezha ne tvoriti), and that the lawsuit then was to be resumed
the next year. Also, Germans were not to be incarcerated for
debts in Novgorod (nor Novgorodians in Germany).
Similar privileges are also contained in the Treaty of 1269 (29) ;
it adds that one shall not send a sckelke (Russ. birick, an ordinary
constable) to a German, hut the bailiff of the tysiatskii (des
kertogken bode), in case of a dispute.
As a general rule for the adjudication of disputes between
Germans and Russians the Treaty of 1269 provides : «Schut
en tvist tuschen dhen Dudeschen unde dhen Nogarderen, dhe
twist sal endegen up sente Johannis hove vor deme borchgreven,
dheme hertogen unde vor dhen copluden ►>. (« If a dispute arises
between the Germans and the Novgorodians, it shall be tried
in St. John's court before the posadnik, the tysiatskii and before
the merchants. ►>) This is obviously the commercial court of the
tysiatskii and the merchants of the guild of St. John, first men-
tioned in the charter which prince Vsevolod Mstislavich granted
to the guild (30). The same court is mentioned as competent

(29) GVNP, 58-61.


(30) Text in Pamiatniki Russkogo Prava, Vol. 2 (1953), with an introduction and
comments by A. A. ZIMIN; also in Ia. N. SHCHAPOV, Drevnerusskie kniazheakie U8kwy i
tserkov' (1976), 158-165. The charter is known as the «Testament• (Rukopiaanie) of
Vsevolod Mstislavich. lts nucleus may be of 12th Century origin, but the rules con-
THE (< SKRA >> OF NOVGOROD 533

in cases of disputes between German merchants and Russian


pilots (in this case the participation of the posadnik is not men-
tioned), and again (without the participation of the posadnik)
in a clause which provides: << So wat saken to wervende hebben
van gerichtes wegene wintervart unde somervart, dhat scholen
se endegen vor dheme hertogen, dhen oldermannen unde dhen
Nogarderen unde scholen varen eren wech sunder hindernisse >>.
(<< And whatever claims winter or summer visitors have to pursue
in court, those they shall pursue before the tysiatskii, the alder-
men and the Novgorodians, and they shall go their way without
any hindrance. >>)
If a German party felt that he had not received his due from
the Russian court, his ultimate remedy was to apply to the
officials of his own community ; the latter could << blackball >> a
particular Russian, forbidding his participation in the commer-
cial activities of the German court for one year. This measure
is mentioned in various editions of the Skra (III art. 65, Illa
art. 9 [13], V art. 121, VI art. 61), and its effectiveness is con-
firmed in the Treaty of 1436 between Novgorod and the Han-
seatic League, which contains a clause providing : << Welker
Russen, de an de treppen screven zint van den Dutzschen, de
zolen se van der treppen uthdoen unde zullet myt oen koepslagen
na older wonheit >> (31 ). (<< vVhatever Russians, [whose names have
been] written down on the stairs by the Germans, they shall
take them off the stairs and they shall trade with them according
to the old customs. >>)
Disputes between Germans and crimes committed by Germans
in the German court, in which no Russians were involved,
remained outside the scope of Russian jurisdiction; this is made
quite clear by the Skra (e.g. Skra III art. 66, dealing with the
various penalties, up to death, for theft). Russians who com-
mitted crimes in the German court were handed over to the
Russian authorities (Treaty of 1269).
The legal position of the German community in medieval Nov-
gorod can therefore be summarised as far-reaching self-govern-
ment and autonomy, with limited extra-territorial effects (32).

cerning the guild of the merchants of St. ,John probably date from the second half
of the 14th Century.
(31) GVNP, 112.
(32) NIKITSKII, 132-133, comes to a similar conclusion.
534 F. J. M. FELDBRUGGE

It should only be added that the possibility to make different


arrangements on an ad hoc basis remained intact. There are
several examples (e.g. in a Treaty of 1411 and in a charter of
1417) (33) of disputes of great importance being entrusted, not
to the ordinary court, hut to a specially constitued mixed
arbitration commission.

THE lNTERNAL ÛRGANIZATION


OF THE COURT OF ST. PETER

The internal organization of the German community in medie-


val Novgorod is richly illustrated by its own constitution and
code of laws, the Skra, in its subsequent versions. Some addi-
tional information is supplied by the text of the various treaties
between Novgorod and the Hanseatic League. Of course the
regular sources for the history of the Hanseatic League, the
Hanserecesse (34), the Hansisches Urkundenbuch (35), and the
Urkundenbuch der Stadt Lübeck (36), have also much to contri-
bute. Another important source is the Liv-, Esth-, und Kurlän-
disches Urkundenbuch (37).
The peculiar character of the Hanseatic settlement in Novgo-
rod, and its differences with comparable settlements, such as
those in London and Bruges, can be explained by the unusual
.geographical and politica! conditions in which it operated.
Whereas other settlements were more or less continually inha-
bited, life in St. Peter's court was subject to a rigid semi-annual
schedule (38). During the summer Novgorod could be approached
by water by sailing up the Neva, lake Ladoga, and then the
Volkhov river. This was called watervart. Obviously in winter
only lantvart was possible. According to the Skra (IIIb art. 4,
V. art. 91) three land routes were allowed : from Riga, Reval
(Tallin), and Pernau (present-day Piarnu). This rule was based
on an arrangement with Novgorod (cf. the Treaty of 1301) (39).

(33) GVNP, 89-90, 91-92.


(34) Hanserecesse, Vols. l-3, 1870-1899.
(35) Hansisckes Urkundenbuch, Vols. 1-ll, 1876-1939.
(36) Urkundenbuch der Stadt Lübeck, 1843.
(37) Liv-, Esth- und Kurländisches Urkundenbuch, Vols. l-5 (Reval, 1853-1873),
ed. by F. G. v. Bunge.
(38) RIESENKAMPF, 27-29; NIKITSKII, ll7,
(39) GVNP, 63-64.
THE << SKRA >) OF NOVGOROD 535

It was also possible to reach Novgorod over sea in winter by


using sleds (this was called wakevart), hut this was forbidden
by the Skra (IIIb art. 4, V 91). The Treaty of 1269 already
provided that if one carne by sea, one had to leave the same
way, and the same held true for lantvart. This rule was taken
over in the Skra (IIIb arts. 2 and 3).
In summer both lantvart and watervart were possible, although
watervart would clearly be much to be preferred for merchants
coming from North Germany (40). Such merchants, making use
of lantvart in winter, would have to make sure to be in one of
the three named Baltic ports before they were closed to shipping
for a few months during the coldest part of the year.
It was, however, not so much the distinction between lantvart
and watervart which was decisive for the internal organization
of the St. Peter's court, hut the one between somervart and
wintervart. Considering that roads in North Russia became
totally unusable in spring, it was in the nature of things that
all voyages to Novgorod occurred in semi-annual waves. Mer-
chants who arrived in early summer, usually by water, had
to leave during autumn, if they did not want to waste an entire
year. The same went for winter merchants, who had to leave
before spring set in. Only exceptionally, when sudden frost or
1

thaw occurred, this schedule would be disturbed, and the Skra


had special rules covering such instances (IIIb art. 2).
As a result of all this, the German settlement had a population
which changed completely twice a year, and this obviously
called for a type of organization which was in many ways diffe-
rent from that of a permanently inhabited settlement.
The German court of St. Peter was the principal settlement
of the German merchants. There was also a << Gothenhof >>, which
originally belonged to the community of Scandinavian mer-
chants, mostly from Visby (which had a mixed German-Scandi-
navian population). In later years, when the Scandinavian
element in Novgorod's international trade had diminished to
the point of virtual disappearance, the Gothic court passed into
German possession (41).

(40) RIESENKAJIIPF, 103.


(41) RIESENKAJIIPF, 17-18; BEREZHKOV, 61 and 136. The Treaty of 1439 (GVNP,
113). speaks of« beyden Dutzschen hoven•·
536 F. J. M. FELDBRUGGE

"\Ve have already mentioned the fairly centra} location of the


German court, near the main market square on the Merchant
Side of the city of Novgorod. A reasonably detailed picture of
its physical characteristics can be gleaned from the various
sources, particularly the Skra. It was surrounded by a wooden
wall or stockade and had streets paved with wooden beams,
like the rest of Novgorod. The main building was a stone church,
the German (catholic) church of St. Peter, which was not only
used for religious services, hut also as a storehouse for goods.
There were a number of (presumably wooden) dwellings, called
stove in the Skra, and storehouses. The latter were occasionally
used for housing visiting merchants and their personnel; they are
designated as klete or potklete in the Skra, from Russian klet'
and podklet. Some other specialized buildings or rooms are also
referred to by their Russian names in the Skra, such as the
gridenisse, the guardroom and the pogribbe (pogreb), the prison.
An important factor determining many details of the legal
regulation of the German community in Novgorod was the
character of Novgorod-German trade. This was based predomi-
nantly on barter (42). The principal Russian exports were skins
and furs of various kinds and wax, the Germans imported many
different types of textiles. The Srka forbade individual German
merchants to bring in more than 1000 marks in cash (Illa
art. 11, Illb art. 6, V art. 89). On the German side, through
the numerous regulations in the Skra, trading with the Russians
was subject to many restrictions. Not a few of these were aimed
at protecting the monopolistic position of the Hanseatic mer-
chants on the market of Novgorod. German merchants, for
instance, were forbidden to engage in commission trade for
English, Flemish, or Wallonian merchants, to be in partnership
with them, or to act as brokers between them and Russian
merchants (III art. 10, IIIa art. 10[12], V art. 83).
The German community in Novgorod represented one corner
of a triangular relationship, of which the Russians and the
Hanseatic League were the other two corners. The Hanseatic
League itself was hierarchically superior to the St. Peter's court ;
as we have seen, it was the League who negotiated with the
Russians concerning the rights and the position of the court of

(42) RIESENKAMPF, 118-124; NIKITSKil, 151-155.


THE (< SKRA >) OF NOVGOROD 537

St. Peter. The League, however, traditionally said to consist


of an association of 73 cities, was by no means a monolithic body.
In its relations with the Russians there were very noticeable
shifts in power, influence, and interest through the ages. Initially,
the leading position was occupied by the city of Visby, hut very
soon this place was taken over by Lübeck. During the 15th Cen-
tury the overseas cities gradually relaxed their grip, and they
were increasingly replaced by the Baltic cities of Riga, Reval
(also called Tallin or Kolyvan'), and Dorpat (also called Iur'ev,
the present-day Tartu) (43).
The exclusive legislative competence of the League was main-
tained throughout this entire period. Various editions of the
Skra prescribe obligatory reference of legal questions not covered
by the Skra to the city council of Lübeck (II arts. 60 and 64,
III art. 68, VI art. 81), or forbid additions or emendations in
the Skra without the permission of the principal Hanseatic cities
(IV art. 117, V. art. 138, VI art. 81). Nevertheless, there are
quite a number of provisions in the Skra, especially in the later
editions, resulting from the legislative activity of the German
community in Novgorod itself. It is not at all clear whether in
all such cases the agreement of the competent Hanseatic authori-
ties was obtained. Indeed it would seem unlikely, in view of
the difficulty of communication, that the court of St. Peter did
not engage in drawing up its own regulations, especially if they
were urgently required or of a technica! nature (44). This is
obliquely confirmed by the Skra itself (V art. 2), which forbids
the Novgorod community to issue weighty and serious ordi-
nances and orders (zettynge offte bot grot offte swar) without
the consent of the Hanseatic cities.
The principal agencies of the court of St. Peter were the
aldermen and the assembly. The highest position among the
Germans in Novgorod was occupied by the alderman of the
court (olderman des hoves). Initially there was only one, from
Lübeck or from Visby, eligibility alternating between the two

(43) This development is extensively discussed in KAZAKOVA's book on Russian-


Livonian and Russian-Hanseatic relations; e.g., 340.
(44) As an example one might quote Skra V art. 117, forbidding the selling of
beer in the Gothic court; especially Skra IV-Vis rich in this type of local ordinance.
Frequently the consent of the cities is mentioned; e.g. in Skra V art. 109 : , mit
vulbort der meynen steden •·
538 F. J. M. FELDBRUGGE

cities (V art. 76). From Skra VI (art. 3) on, there were two (45).
They were elected by the merchants upon the arrival of the
somervart or wintervart. They appointed their own deputies. They
were the chief judicial and administrative officers of the commu-
nity. A certain number of administrative, judicial, and executive
duties were carried out by the two aldermen of St. Peter. They
were also appointed by the alderman of the court (46). At a
later stage the functions of alderman of the court and alderman
of St. Peter became fused. A number of lower officials and their
duties are mentioned in the Skra, such as the Hovesknecht, the
Vogt, and the Vorstender. Other specialized functions include
the inspectors of textiles (Wantvinder), of wax (Wasvinder), of
wine (Wînvinder), of honey (Honichvinder), the church guard,
the guard of the court, the nightwatchmen, and others. A special
position was occupied by the priest, who would occasionally
serve as the scribe, and to whose housing and maintenance the
Skra devotes several articles.
The highest authority within the court of St. Peter belonged
to the genera} assembly of the merchants, called the stevene.
This body, as pointed out before, exercized certain legislative
functions, took various administrative decisions, and acted as
an appeal court for judicia! decisions of other functionaries.
Occasionally, the stevene tried serious crimina! cases itself (esp.
theft). Attendance at the stevene was compulsory and absentees
were fined. Only independent merchants, who were not in the
service of other merchants, were fully-fledged members of the
,ytevene. Junior merchants, usually called knape or knechte in the
Skra, were apprenticed to senior, independent merchants. Their
relationships were regulated in the Skra, and the junior mer-
chants were certainly not without any influence or position in
the community ; they were eligible to certain offices.
Several provisions in the Skra give an impression of the nume-
rical strength of the German commercial community in Novgo-
rod. A minimum occupation of 6 merchants and 9 knechte was

(45) Skra art. 71 (= V art. 82) and Skra V 131 speak of• both aldermen o; it is
not clear whether in these cases the alderman of the court is meant, or the alderman
-0f St. Peter. Possibly the two functions had already merged at that time.
(46) According to Skra III art. l the aldermen of St. Peter were appointed by the
alderman of the court; according to Skra 1-II art. l they were elected by the genera!
assembly.
THE << SKRA >) OF NOVGOROD 539

required to keep the church open (V art. 29). When the church
had to be closed, the keys were handed over for safe-keeping
to the bishop of Novgorod or the abbot of St. George (V art. 38).
The dwelling houses in the court of St. Peter were supposed
to house no more than 30 merchants and their following (V
art. 36). With the permission of the aldermen a higher occupancy
was allowed. Otherwise the surplus would have to be housed
in the << Gothic court >> or in private houses of the Russians. When
there were 30 merchants present in Novgorod, one was obliged
to proceed to the election of aldermen (VI art. 3).
Obviously, the German population of Novgorod did not con-
sist only of merchants and their limited number of knechte.
Various kinds of craftsmen are mentioned in the Skra, and then
there must have been the crews of the ships and the personal
servants of the merchants.

THE SKRA OF NoVGOROD AND ITS DIFFERENT VERSIONS

The earliest editfon of the Skra was published in 1828 in


Kopenhagen by H. Behrmann (47). This edition is used in many
19th Century German and Russian historica! studies, together
with a somewhat later edition by G. F. Sartorius in his history
of the Hanseatic League (48). The most important 19th Century
study on the Skra is by F. Frensdorff, who devoted two long
articles to it in 1887 (49). Among the Russian works which pay
much attention to the Skra should be mentioned N. G. Riesen-
kampff's Dorpat dissertation on the German court in Novgo-
rod (50), and M. Berezhkov's monograph on Russian-Hanseatic
trade (51).
The most complete edition of all available versions of the
Skra is by W. Schlüter (52). This work, published in Dorpat
in 1911 contains an introduction which deals with diplomatie
and philological aspects of the various manuscripts, the texts
of the seven main versions, with variants, and several extensive

(47) H. BEHRMANN, De Sera van Nougarden, Copenhagen, 1828.


(48) G. F. SARTORrus, Urkundliche Geschichte des Ursprunges der deutschen Hanse,
Vols. 1-2, 1830.
(49) See note l.
(50) See note 23.
(51) See note 22.
( 52) See note l.
RENÉ DEKKERS. - 35
540 F. J. M. FELDBRUGGE

indices, together with a vocabulary. In all respects, an admirable


work.
Among modern Soviet authors it is especially N.A. Kazakova
who has "\\Titten extensively on relations between medieval
Novgorod and Western and Northern Europe, and her works
offer much which is of interest for a genera} understanding
of the historica! and economie background of the Skra (53).
The Skra, as an internal code of law for the German merchant
community in Novgorod, was enacted by the Hanseatic League,
and as circumstances changed and new problems emerged, old
provisions were rendered obsolete and dropped, and new ones
incorporated. In this way the seven principal versions, as distin-
guished by Schlüter, emerged. Of these, the first three are closely
related. The first and briefest version of the Skra consists of
a preamble and 11 articles (according to Schlüter's edition).
lts enactment occurred in the 13th Century, in all likelihood
some time after 1250. With the exception of its last provision,
it is completely incorporated in the second version, enacted in
1295 in Lübeck (the first Skra was probably drawn up in Visby).
In the second Skra, after the provisions taken over from the
first Skra, another 55 articles follow. The third Skra, with minor
changes, copies the second Skra, but has five additional articles.
It was probably enacted around the year 1325 in either Riga
or Visby. Sometime between the second and third Skra, a short
law applicable to the German community in Novgorod carne
into force. It was based in part on the first and second Skra,
but contained also a few new provisions ; Schüter designates
it as Skra Illa. A similar shorter law, designated as Skra lllb,
was drawn up by the assembly of the Hanseatic cities. Skra Illb
is dated 1346. Two of its nine articles are inspired by provisions
from Skra Illa ; the remainder are new provisions.
The fourth, :fifth and sixth versions of the Skra are also closely
related to each other, particularly the fourth and the :fifth. All
three were drawn up in Novgorod, under the guidance of the
envoys from the leading Hanseatic cities, and then submitted
for approval to the League. The fourth Skra contains a number
of borrowings from Skra I, Il, and 111, and especially from IIla
and Illb, but the vast majority of its provisions are new.

(53) See note 20.


THE << SKRA >> OF NOVGOROD 541

The fourth and fifth Skras, unlike their predecessors, bear


to a considerable extent the character of compilations and
consolidations of previously enacted incidental decrees.
Schlüter has concluded from internal evidence that editorial
work on Skra IV must have been begun after 1355 and com-
pleted before 1361. Three final provisions (arts. 117-119), dated
1370 and 1371, must have been appended subsequently.
Skra V incorporates almost the entire text of Skra IV, but
has an additional number of about thirty articles. lts initial
version was probably drawn up in 1373, hut several new provi-
sions were inserted during the following twenty years.
The sixth Skra is mainly a reworking of Skra V, with a few
additions. lts first article explains clearly the politica! and inter-
national circumstances of its enactment. After Novgorod's loss
of independence and its incorporation in the empire of Muscovy
prince, a long period of controversy between the Hanseatic cities
and Moscow ensued. The court of St. Peter was closed in 1494,
several German merchants were incarcerated by the prince, and
their goods were seized (54). The conflict was finally resolved by
the treaty of 1514 (55). As the text of the Skra (i.e. Skra V)
had disappeared from the church of St. Peter, where it was
traditionally kept, a new text was drawn up and approved by
the council of Lübeck and the other German cities.
The seventh Skra need only be mentioned as an epilogue to
the history of the court of St. Peter in Novgorod. The latter,
after its restoration in 1514, never succeeded in recapturing its
former economie vigour (56). Several times during the 16th Cen-
tury the court was occupied by the Russians. In 1541 it was
completely destroyed and sacked. An important factor in the
failure to revitalize trade between Novgorod and the North
German cities, was the new role of the principal commercial
centres in the Baltic lands, especially Reval, Dorpat, and Narva.
They had become the focal point for Russian-vVest European

(54) On this period sec : KAZAKOVA, 262-337; RIESENKAMPF, 93-98; BFJREZHKOV,


256-264.
(55) See nota 22.
(56) Even A. P. PRONSHTEIN, who in his Velikii Novgorod v XVI veke, Kha.r'kov,
1957, trias very hard to argue that the annexation by Moscow was a good thing for
Novgorod, does not succeed in demonstrating that it had a positive effect on
Novgorod's trade with Europa; cf. 128-138.
542 F. J. l\1. FELDBRUGGE

trade, and they were understandably unwilling to favour the


rehabilitation of Novgorod in this respect. In 1603 Lübeck
finally succeeded in receiving a concession from tsar Boris
Godunov for its merchants to trade in N ovgorod and several
other Russian cities, and this concession embraced the permission
to regulate the internal order among the German merchant
communities in those cities. On the basis of this concession
Lübeck, in 1604, issued the text, known as Skra VII. It applied
not only to Novgorod, but also to other German settlements
in Russian cities. It is obvious, however, from the text of
Skra VII, that its drafters had Novgorod in mind. Moreover,
Skra VII is based to a great extent on Skra VI. Unlike its
predecessors, Skra VII is written in High German. The other
Skras are written in Low German, which is closer to Dutch than
to German.
Lübeck's attempt to revive its commercial presence in Novgo-
rod did not lead to much. It appears that the court of St. Peter
gradually lost all importance and finally disappeared without
anybody really noticing. For these reasons we shall leave the
seventh Skra outside our field of attention in the rest of this
study.

SOURCES AND CONTENTS


OF THE SUBSEQUENT VERSIONS OF THE SKRA

Looking at the textual development of the subsequent versions


of the Skra, the genera! pattern, as we have seen, is that every
new Skra is based to some extent on its predecessor. This connec-
tion is particularly strong within the sequence of Skra I, II,
and III, and within the sequence Skra IV, V, and VI. The link
is much weaker between Skra III and IV. One can put this
idea in a simple formula : Sn+l = Sn + a - b. When b has a
low value, then the new Skra has taken over most of the provi-
sions of its predecessor, as is the case in the sequences Skra I-II-
III and Skra IV-V-VI. When a has a low value, then the new
Skra has added little to the text of its predecessor, as is the
case in the sequences Skra II-III and Skra IV-V-VI.
As a result of this, notwithstanding the often strong connec-
tions between immediately subsequent versions of the Skra,
the total content has been changing accumulatively. The longest
THE (< SKRA >> OF NOVGOROD 543

continuity that can be traced is between a part of art. 5 of the


first Skra and art. 130 of the fifth Skra. The rule concerns the
master merchant's responsibility for his apprentice (knape). In
the first Skra this rule says :
<< Dhar en mesterman enen knapen entfet upe v;-atervarth to

Nogarden, he ne mach in nich vorwisen, he ne brenge ene wedher,


dhar he ene entfenc, it ne si alsodan sake, dhar he ene rechte
umbe vorwissen moge. Cornet oc enem knape ungelucke to an
suke, umbe dat ne mach ene sin here nicht vorwisen >>.
A similar rule is found in Skra II and III, is missing in Skra IV,
and returns in Skra V in the following shape :
<< Vortmer dar een mesterman enen knapen entfeyt uppe de

vart to Naugarden wart, he ene mach ene nych vorwysen, he


ene brenge ene weder, dar he ene nam; id ene sy also merclike
zaeke, dar ene de here myt rechte mochte vorwysen. Isset ok
zaeke, dat deme knaepe zukedage to komen, umme dat mach
ene syn here nycht vorwysen; ok ene sal een knaepe des gheliken
van syneme heren nycht scheeden, id ene sy myt willen synes
heren>>.
As can be seen, the new rule covers any voyage to Novgorod,
not only watervart ; otherwise the main substantive alteration
is the addition of the last sentence in Skra V : a knape may termi-
nate his contract with his master only with the latter's approval.
The intervening texts of Skra II and III show clearly how this
new rule originated. They add to the last sentence of the quoted
passage of Skra I the words : << it ne si mit erer beider willen >>.
In other words, according to Skra II and III, the contract
between master and knape could be terminated in case of illness
of the latter, provided both sides agreed to this. This innovation
is generalized then, beyond the specific case of illness, in Skra V.
This example gives an impression of the mechanism of change
and growth, which has contributed to the shaping of the subse-
quent texts of the Skra. In many cases this mechanism may
explain the origins of particular provisions in the later Skras.
It does not explain, of course, the more fundamental question
of the origin of the first Skra and of any provisions in later
Skras which do not have an ancestor in a previous Skra.
The solution of this problem is best approached in a round-
about way, by looking first at the second Skra. Here we find,
544 F. J. M. FELDBRUGGE

after the almost unaltered copying of the text of the first Skra,
another 55 provisions (arts. 10-64). Of these, about forty, and
possibly a few more, have undoubtedly been taken over from
the written law of Lübeck, or, occasionally, other German cities.
This connection is firmly established by the studies of Frensdorff
and Schlüter (57). Among the remaining provisions ofthis second
part of the second Skra, there are several which have been
specifically written for the Novgorod settlement, and it would
appear pointless to look for any more distant origins. As an
example one could mention the regulation of relations between
watervare and lantvare (I art. 2), or between somervare and winter-
vare (I art. 3), and similar provisions (58).
To return now to the first Skra : none of its few provisions
(arts. l-9b) can be traced clearly to the law of Lübeck or other
Hanseatic cities. Schlüter regards Skra I as the oldest version,
based on local customary law (59). In this connection he refers
to the words from its preamble : << ••• recht, dhat van aneginne
gehalten ist unde gewesen hevet in dheme hove dhere Dhutschen
to Nogarden ... >> (<< the law that from the beginning has been
applied and observed in the court of the Germans in Novgorod >>).
These words, by themselves, do not prove that no other older
Skra preceded Skra I, because the same words are repeated in
the preambles of Skra II and Skra III - which were preceded
by earlier Skras. They do, however, suggest that Skra I is based
on a written rendering of local custom. Indeed most of the
provisions of Skra I are concerned with the most elementary
arrangements for the ordering of the affairs of the German
settlement : the election of the aldermen, the relations between
somervart and wintervart when their sojourns in Novgorod over-
lap, the convocation of the assembly (stevene), housing, the rela-
tions between master and knape, guard duty, and contributions
to the general funds. In the absence of evidence pointing in
another direction, the most acceptable assumption is that Skra I
represents essentially the fixation in writing of the most basic
organizational arrangements of the German community in Nov-
gorod, as they had emerged more or less spontaneously in the
past.

(57) See the works cited in note l.


(58) In similar vein, FRENSDORFF, Vol. 1, 25.
(59) SCHLÜTER, 8.
THE << SKRA >> OF NOVGOROD 545

When we look at the entire complex of the first three Skras,


i.e. Skra 1 (incorporated into Skra II and 111), Skra II, Skra 111
(consisting mainly of Skra Il, with the addition of a few articles
at the end of the text), and the shorter laws known as Skra Illa
and lllb (enacted resp. shortly before and after Skra III), the
following component parts can be identified :
Skra 1 (basic organizational arrangements of the court of
St. Peter, of customary law origin);
provisions borrowed from the domestic law of the Hanseatic
cities, mainly regulating the internal civil and criminal law of
the Novgorod settlement, and forming the bulk of the provisions
of Skra II and III ;
legislation specially geared to the requirements of the Novgo-
rod settlement, some of it probably based on customary arrange-
ments having emerged gradually during the development of
the settlement.
The last mentioned category includes the new provisions of
Skra III (as compared with Skra Il), and Skra llla and Illb
in their entirety.
With regard to the provisions of the first three Skras which
do not have a North German origin, the intriguing question
poses itself of possible borrowings from Russian law (60).
Russian influence is undeniable in the terminology of the Skra,
which uses a considerable number of Russian words. We have
already mentioned the names of localities, such as the pogribbe
(prison), cleit and potcleit (storehouse, cellar), and gridenisse
(guardhouse). Then there is a series of terms denoting various
types of furs and skins : troynisse, doynisse, schevenisse, popplen.
Of special importance is the occurrence of the Russian monetary
unit of kune, because it helps to link up the Russian and German
monetary systems (61). 50 kune made up one mark kune, which
is identical to the Russian grivna kun. Initially, 4 mark kune
was equal to one silver mark (grivna serebra) (62) ; in later times

(60) In line with a certain tradition of pre-revolutionary Russian scholarship, such


a possibility is rejected emphatically by NtKITSKII, 131.
(61) The currency system of the Skra is discussed at length by ScHLÜTER, 122-126
(Index).
(62) The equation of one mark silver to four mark kune (grivna kun, Mark Pfennige)
is made explicitly in the Treaty of 1229 between the prince of Smolensk and the cities
of Riga and Visby; cf. Pamialniki Ruaakogo Prava, Vol. 2 (1953), 58.
546 F. J. M. FELDBRUGGE

the silver mark had increased to 8 mark kune (this seems to


have been the case already at the time of the third Skra) (63).
On a more substantive level, the influence, not of Russian
law, hut of the Russian-German treaties may be observed in a
few instances. The concession of three land routes to the German
merchants, made in the treaty of 1301, lies at the basis of art. 4
of Skra Illb. In a negative sense the influence of the treaties
on the Skra is feit in the absence of certain provisions in the
Skra, viz. concerning those subjects which were already covered
by the Treaties. This is especially noticeable in regard of the
relations between Germans and Russians. The Skra has a few
scattered provisions in this subject, hut none of them repeat
what had already been regulated in the treaties.
Skra II-lil art. 30 deals with the case of hitting somebody's
ear : << So war ein man den andren to den oren sleit, de sal beteren
anderhalven verding silveres ... >>. Schlüter points to a parallel
in Lübeck law where orslage is mentioned together with two
other minor instances of violence against the person (64). There
is a closer parallel, however, with the Treaty of 1269, which
provides : << Slet en man dhen andern an sin ore ofte an sinen
hals, he schal eme beteren 3 verdhinge >>. This formula is also
reminiscent of the terminology of the Russkaia Pravda, which
does not envisage this particular offence, hut contains similar
formulas for related offences, such as hitting with a fist or
blunt object, pulling or pushing somebody, etc. (Short Version,
arts. 3 and 10).
One of the obscurest questions concerning the relations
between German and Russian law as reflected in the Skra is
the tariff system of fixed fines. The older Russian laws, such
as the Russkaia Pravda, the basic Russo-German treaty of 1189,
the various versions of the Skra, and the German laws in which
the earlier Skras are in good part based, all know a system of
fixed fines for particular offences. As we have mentioned before,
the system of the 1189 Treaty is clearly based on the Russkaia
Pravda. Equally, there are numerous parallels between the law
of Lübeck and the Skra on this point. It would be interesting
to know in this connection, whether the occasional deviations

(63) SCHLÜTER, 125.


(64) ScHLÜTER, 87.
THE <c SKRA >> OF NOVGOROD 547

of the Skra from its German example have been inspired by


the Russian tariff system which was prevalent in Novgorod at
the time (65). The most promising area in this respect is the
complex of assault, battery, and inflicting injuries, because it
occurs in all four sources. As an exhaustive exposition of the
problem would necessitate an explanation of the currency
systems prevalent in the regions concerned, a complete discussion
would take too much space here. In my opinion some influence
of the Russian tariff system on the system of the Skra is not
improbable, hut cannot be strictly proved.
Two factors which complicate matters in this respect are the
incertitude which surrounds the exact definition of the value
of medieval currency, and the curious fact of a general similitude
between the structure of the medieval German and old-Russian
tariff systems. This fact has been noted before in connection
with the Russkaia Pravda and has understandably given rise
to acrimonious debate with regard to alleged Germanic in-
fluences in early Russian law (66).
Another example of a legal institution which is found in
Lübeck law, the Russkaia Pravda (Short Version, art. 10), as
well as in the Skra is the requirement of two witnesses in certain
law-suits. Again, in this case, it is difficult to say with certainty
what the origin of the respective provisions in the Skra (arts. 20
and 61) is.
One of the provisions of the third Skra which is not based
on Lübeck law, art. 66, prescribes capital punishment fora thief
who has been banished from the court of St. Peter. This provision
remotely resembles a provision from the so-called Charter of
Dvina Land from 1397, which for the first time introduces
capita} punishment in Russian law for theft, at least for the
repeated commission of it (67). A similar provision occurs in
the Charter of Pskov (art. 8), the final version of which was

(65) Cf. FRENSD0RFF, Vol. 1, 16-17.


(66) Of the extensive literature on this subject I mention only S. V. IusHK0v,
Russkaia Pravda ( 1950), who devotes a special chapter to the question of possible
foreign influences on the Russkaia Pravda (pp. 352-371). In this chapter most of the
older works are cited.
(67) Text in Pamiatniki Russkogo Prava, Vol. 3 (1955), 162-164, with notes and
comments by A. A. ZIMIN and A. G. PoLIAX; also in GVNP, 144-146. English transla-
tion in VERNADSKY, Medieval Russian Laws, 57-60. See also CHEREPNIN, Vol. l, 397-
406.
548 F. J. M. FELDBRUGGE

probably enacted between 1462 and 1467 (68). Several parts of


this law, however, are of an earlier, 14th Century origin, and
art. 8 is usually considered as among these earlier elements (69).
The well-known medieval institution of reference to the autho-
rities of the mother-city is mentioned in art. 60 of Skra II and
in amore elaborate form in art. 68 of Skra III. Art. 60 provides
that if the German merchants in Novgorod are unsure about
the existence of a certain rule, they should write to the council
of Lübeck; the decision of the latter will be incorporated in
the Skra. Art. 68 addresses itself to uncertainty of the law in
.a specific law-suit ; in that case the proceedings are suspended
until the councils of Lübeck and Visby have ruled on the question
in dispute. Then the case is decided in Novgorod and the new
rule is inserted in the Skra. Apart from the many parallels in
German law, one may also point to art. 108 of the Charter of
Pskov, of which the first sentence provides : << And if any provi-
sion of the customary law is missing in this charter, the mayor
may refer the matter to Lord Pskov at the city assembly,
.advising the insertion of a new clause accordingly » (70). This
rule covers the same situation as envisaged in art. 60 of Skra II :
.an hiatus in the law, while art. 68 of Skra III embraces not
-0nly this legislative aspect, hut also the procedural one : there
is something like an intermediate cassational appeal to the
mother-cities, and this results in a decision which not only settles
the dispute, hut also adds something to the Skra. Art. 108 of
the Charter of Pskov is regarded as belonging to its oldest chrono-
logical layer (71), hut whether there is any connection with
art. 60 of Skra II is difficult to say.
We must turn now to the question of the relationship between
the first and second series of the Skra, i.e. the sequences I-II-
III-IIIa-IIIb and IV-V-VI. A comparison of the contents of
the Skras shows that :
a) about half the number of provisions from Skra I reappear

(68) Text of the Charter of Pskov, followed by a translation in modern Russian,


in Pamiatniki Ruaskogo Prava, Vol. 2 (1953), 286-324; also in 1. D. MARTYSEVICH,
Pskovakaia Sudnaia Gramota, 1951. English translation in VERNADSKY, Medieval Rua-
-Bian Lawa, 61-82. See also Iu. G. ALEKSEEV, Pskovskaia Sudnaia Gramota • •• vremia,
1980.
(69) Cf. CHEREPNIN, Vol. 1, 443.
(70) VERNADSKY's translation.
(71) ALEKSEEV, 21.
TH.E << SKRA >) OF NOVGOROD 549

in modified form in Skra IV-V ; this makes sense, if, as we


have argued, Skra I is primarily concerned with a number of
basic rules concerning the organization of the court of St. Peter,
such as the rules regulating the election of aldermen ;
b) a comparatively small number (about ten) of provisions
from Skra II-III reappear in Skra IV-V;
c) the shorter additional laws, known as Skra IIIa and IIIb
are comparatively important sources for Skra IV-V; four provi-
sions :from Skra IIIa and six from Skra IIIb return in Skra VI-V.
Altogether, borrowings from the earlier Skras account for
about 22 % of the provisions of Skra IV and for about 18 % of
the provisions of the somewhat longer Skra V. So where does the
bulk of the provisions of Skra IV-V come from î It has been
mentioned before that Skra IV-V bears very clear traces of
being a compilation of shorter enactments. Many of the latter
are still completely recognizable in that the substantive rule is
preceded or followed by words indicating that such-and-such a
decree was issued at a specific date. Some of these decrees contain
a single provision only, hut there are also clusters of provisions
which are internally related and connected with a single date.
They are often recognizable by the use of the words << Be it known
to all who shall see these letters or who shall hear them read
out ~ ( Witlik sy alle den genen de dysse schryfft seyn eder horen
lesen) at the beginning of the first provision of the fragment,
and << This decree was made in the year N after the birth of
God, on such-and-such a day>> (Dusse wilkor wart ghemaket na
godes bord ... ) at the end of the last provision. The intermediate
provisions normally begin with the word << Further >> ( V ortmer).
One of the longest and best identifiable fragments begins at
Skra V art. 10 and ends at art. 31. The Jatter provision offers
a good insight in the legislative technique of the later Skras.
It provides :
« Dat dusse olden dink vor up eyn nyghe dink vorgaddert synt,
dat schach in ener meynen stevene myt vullbort des meynen
dutschen copmans na der bord unses heren MCCCLIIII in sunte
Gregorius dage>>.
(<< And it happened in a genera! assembly with the consent
of all the German cities in the year of our Lord 1354 on the
550 F. J. M. FELDBRUGGE

feast of St. Gregory that these old rules were collected into
a new set of rules >>.)
The rules in this fragment concern two subjects : the internal
order of the German court, and the regulation of trade. They
provide much more detailed regulation of matters which were
covered in a more genera! manner in the earlier Skras. For
instance, Skra II-III contains one rule (art. 31) concerning
breaches of the peace in certain public places (the guardhouse, the
churchyard, the church, the great stove); in its place Skra IV-V
has several provisions dealing with behaviour in the church
alone (art. 10, 18, 22, 23, 25). What appears to have happened
is that on the basis of earlier laws, and perhaps customs as
well, new and more detailed customs developed, which solidified
into specific enactments. When Skra IV and V were drafted,
these specific enactments were collected and strung together
into a more comprehensive piece of legislation.
The fragment referred to in the preceding paragraph is typical
in another aspect as well. Almost all provisions of Skra IV-V
which have not been borrowed from Skra I-II-III-IIIa-lIIb fall
into the categories of either regulation of daily life and duties,
or of trade. With regard to trade regulation, the approach of
the later Skras is strongly at variance with Russian practice,
which seems to have been characterised by an almost complete
absence of such regulation in the Middle Ages. There is plenty
of evidence in medieval Russian law for the importance of com-
merce, particularly in the Expanded Version of the Russkaia
Pravda and in the Charter of Pskov, hut clearly no need was
feit to regulate the commercial activities themselves. Skra IV-V
on the contrary goes to extremes in prescribing the German
merchants of Novgorod how, and how not, to buy and sell (72).
Merchant's apprentices, for instance, in an apparent effort to
prevent smallscale trade which could be harmful to the trade
of the merchants, are forbidden to sell goods in quantities below
a certain minimum : blue yam by pounds, other textiles by
half lengths, needles by the hundred, etc. (art. 41, Skra V). The
rules for conducting trade in Skra IV-V are also indicative of
the great distrust in which the Russian trading partners were
held (73).

(72) The eame observation is ma.de by NIKITSKII, 138-140.


(73) This is also pointed out by BEBEZHKOV, 144.
THE << SKRA >> OF NOVGOROD 551

Connections with Russian law are not easily discernible in


Skra IV-V. As in previous Skras there are still many traces of
Russian terminology. In at least one case Skra V seems to have
taken account of the system of adjudication of Russo-German
disputes, as outlined in the Treaty of 1269. Skra III contained
a provision (art. 65) which dealt with injuries sustained by a
German and inflicted by a Russian, or other serious offences
against the court of St. Peter committed by a Russian (<< edder
breket he groveliken wedder den hof>>). Skra III art. 65 referred
such cases to the Novgorod court of the tysiatskii (hertoghe) and
aldermen, with the possibility of excluding the Russian offender
from the German court if no acceptable solution was reached
in the Russian court. Th~ Treaty of 1269 referred Russo-German
disputes in genera} terms to the Novgorod court, without men-
tioning the possibility of exclusion : << Schut en tvist tuschen dhen
Dudeschen unde dhen Nogarderen, dhe twist sal endegen up
sente Johannis hove vor deme borchgreven, dheme hertogen
unde vor dhen copluden >>. Skra V art. 121 repeats this rule in
rather similar terms (<< Vortmer schude jenych twyst tusschen
eme Dutschen und Russen, so sal de Dutsche dat vorfolgen na
der krusekussynge und na den breven vor deme herthogen myt
den olderluden ... >>) (74), and then adds the possibility, not of
exclusion of the Russian defendant, hut of a less drastic measure :
an official description of the dispute to be deposited with the
authorities in the court of St. Peter, in the case that the Russian
court fails to do justice to the German claim (<< • • • kan eme dar
dan neyn recht beschen ... >>).
Another, rather more remote parallel with Russian law may
be seen in the oath taken by the aldermen (Skra V art. 132),
which is reminiscent of the oaths to be sworn by Russian officials,
such as prescribed by the Charter of Pskov, arts. 2 and 5 of the
Charter of Novgorod, art. 4.
In view of what has been said before about the relationship
between Skra V and Skra VI, there is no need to add much in
respect of the sources of Skra VI. One of the very few provisions
in Skra VI which do not go back to the earlier Skras is art. 73 :

(74) The kissing of the cross (kruaekuasinge, krestnoe tselovanie) is the traditional
form of the oath in medieva.l Russia. It is often prescribed by the Charter of Novgorod,
and according to CHEREPNIN, Vol. l, 387, its specific meaning in Novgorod is the
recognition of Novgorod law.
552 F. J. M. FELDBRUGGE

insulting or injuring a Russian. One of the forms of insulting


mentioned in art. 73 is pulling a Russian's beard. This clause
is probably inspired by the special protection which Russian
law has afforded the beard since the earliest days of the Short
Version of the Russkaia Pravda (art. 8).

ÜONCLUDING REMARKS

In German legal history the Skra is usually viewed as an


offshoot of the medieval law of North Germany and this view
fits into the perspective of the Novgorod settlement as a distant
outpost of the Hanseatic League. As we have seen, this view
is largely correct with respect of the earlier versions of the
Skra (1-II-III). The more recent layers (IV-V-VI) are still
strongly connected with the main Hanseatic cities in their origins,
although they are to a much greater extent the product of local
law-creating activities.
In Russian legal history the Skra has not commanded much
attention, primarily because it was regarded as German law,
and therefore not of great interest to the history of Russian
law, and possibly also on account of its linguistic inaccessibility.
In the principal handbooks on Russian legal history the Skra
is not even mentioned.
Both views tend to look at the Skra as a legal document opera-
ting in a kind of vacuum, while in fact the raison d' être of the
German settlement in Novgorod was intense contact with its
Russian surroundings, at least in conducting commercial trans-
actions. The legal components of these contacts were the Skra
(regulating the internal affairs of the German community and
some of its relations with the Russians), the German-Russian
treaties (regulating the position of the German settlement and
most of its relations ,vith the Russians), and the domestic law
of Novgorod.
Of course, 20th Century ideas of private international law
cannot be indiscriminately applied to the relations between
Germans and Russians in medieval Novgorod. On the other
hand the question of the applicable law would certainly have
arisen in those days too. If we consider that transactions took
place in Novgorod and that disputes were tried in Novgorod
THE (< SKRA ►> OF NOVGOROD

by the Russian court, it is obvious that in principle Russian


law was applied (although, as we have seen, the treaties would
sometimes provide otherwise).
The difficulty in establishing Novgorod law on the basis of
its very defective contemporary sources has been referred to
above. To some extent this difficulty is alleviated by taking
recourse to the Charter of Pskov. This law is from the right
period, it devotes a great deal of attention to substantive private
law, and the law of Pskov (fora long time subordinate to Novgo-
rod, and similarly engaged in trade with Western partners)
cannot have been very different from the law ofNovgorod during
the same era. We have pointed to a few parallels between the
Skra and the Charter of Pskov.
The treaties between Novgorod, Russian princes and the Ger-
mans and other ·western powers are rightly considered among the
most important monuments of Russian legal history by Russian
historians. But just as the treaties are essential in achieving
a proper understanding of the Skra, so the Skra can do much
to paint in the framework outlined by the treaties. For several
centuries the German settlement in Novgorod was the most
important point of contact between Russia and Western Europe
and it is therefore not realistic to regard the Skra merely as
a trivia! by-law of a handful of merchants, tucked away in an
obscure corner of the world, in a forgotten period.
Returning to our previous observation that the Skra should
not be seen as something operating in a legal vacuum, the general
impression received when one places it in the context of contem-
porary Russian law is one of similarity. Notwithstanding a
number of different institutions, the cultural shock does not
seem to have been very strong on either side. The two legal
spheres could coexist and penetrate each other without too
much trouble because they were sufficiently germane. On this
basis they were able to agree on workable institutions and
practices, which allowed them several centuries of reasonably
peaceful relations.
Les assemhlées sur Ie lieu de résidence
des citoyens en URSS
PAR

P. LAVIGNE
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE PARIS l
PANTHÉON-SORBONNE

La Constitution (Loi fondamentale) de l'Union des Répu-


bliques Socialistes Soviétiques du 7 octobre 1977 consacre une
institution à laquelle il est fait très peu d'allusions à l'étranger :
l'assemblée sur le lieu de résidence des citoyens (en russe sobranie
po mestu zitel'tsva grazdan).
La Constitution s'y réfère dans deux articles : 48 et 149.
L'article 48 dispose : << Les citoyens de l'URSS out Ie droit
de participer à la gestion des affaires étatiques et sociales, à la
discussion et à l' adoption des lois et décisions de portée fédérale
et locale.
Ce droit est assuré par la possibilité d'élire et d'être élu aux
Soviets des députés du peuple, et autres organes électifs de
l'Etat, de participer aux discussions et aux votes de tout Ie
peuple, au controle populaire, au travail des organes étatiques,
des organisations sociales et des organes d'initiative sociale, aux
assemblées des collectifs de travailleurs et aux assemblées qui
se tiennent sur leur lieu de résidence >>.
L'article 149 est ainsi rédigé : << Les organes exécutifs et régula-
teurs des Soviets locaux des députés du peuple sont les comités
exécutifs élus par les Soviets parmi les députés.
Les comités exécutifs rendent compte au moins une fois par
an de leur activité aux Soviets qui les ont élus, ainsi qu'aux
assemblées des collectifs de travailleurs et aux assemblées qui
se tiennent sur les lieux de résidence des citoyens >> (1).

(1) Les traductions sont reprises de P. et M. LAVIGNE, Regards sur la Oonatituti<>n


soviétique de 1977, Paris, Economica, 1979, 163 p. Art. 48, p. 123; art. 149, p. 155.
RENÉ DEKKERS. -~ 36
556 P. LAVIGNE

La formulation adoptée pour la traduction fait certes un léger


problème. En effet s'agissant de la traduction en français le
texte publié en Union Soviétique (2) porte à la fin de l'article 48:
« ... aux assemblées des collectifs de travailleurs et aux assem-
blées locales >> et à la fin de l'article 149 exactement la même
formule. Les traductions de Michel Lesage (3) sont les suivantes,
à la fin de l'article 48 : « .. . aux réunions des collectivités de
travail et réunions sur les lieux de résidence >>, et à la fin de
l'article 149 : << ••• aux assemblées des collectivités de travail et
aux assemblées de citoyens sur les lieux de résidence >>. La traduc-
tion des derniers mots de l'article 48 par Guy Desolre (4) est la
suivante : << • • • ils participent à la gestion de la production et
des affaires des collectivités de travail, aux assemblées qui se
tiennent sur leur lieu de résidence >>.
Pour les lecteurs non-slavisants il est peut-être utile d'indiquer
les traductions proposées dans d'autres langues d'Europe occi-
dentale. Dans les versions soviétiques, on trouve en anglais (5) :
<< meetings of citizens at their places of residence >>, en espa-

gnol (6) : «reunion en el lugar de residencia de los ciudadanos >>.


En italien Gabriele Crespi Reghizzi (7) traduit : << assemblea nei
luoghi di residenza dei cittadini >>. Pour la langue allemande on
peut se référer à deux propositions, celle du quotidien N eues
Deutschland (8) : << Versammlung in Wohngebieten >>, et celle de
Martin Fincke (9) : << Versammlung am Wohnort der Bürger >>.

(2) Oonstitution (Loi fondament.ale) de l'Union des Républiques Socialistes Sooiétiques,


Moscou, Ed. du Progrès, 1977, 72 p. Art. 48, p. 24; art. 149, p. 62.
(3) M. LESAGE, La Oonstilution de l'URSS 7 octobre 1977. Texte et comment.aires,
Paris, La Documentation française, 1978, p. 142. Art. 48, p. 47; art. 149, p. 95.
(4) G. DES0LRE, Les 4 constitutions soviétiques (1917-1977), Paris, Savelli, 1977,
171 p. Art. 48, p. 85. Comme il s'agit ici de la traduction du projet de Constitution
(p. 73) il n'y a pas de référence possible à l'article 149, car le second alinéa de eet
article, qui comporte Ja notion d'assemblée sur le lieu de résidence ne figurait pas dans
le projet et a été ajouté, après la discussion, dans le texte promulgué; voir P. et M.
LAVIGNE, op. cit., p. 156.
(5) Oonstitution (Pundamental law) of the Union of Soviet Socialist Republica, Moseou,
Novosti Press Agency, 1977, 128 p. Art. 48, p. 46; art. 149, p. 109.
(6) Oonstilucion (Ley fundamental) de la Union de Republicas Socialistas Sovieticas,
Moscou, Ed. Progreso, 1977, 72 p. Art. 48, p. 24; art. 149, p. 62.
(7) P. B1sCARETTI DI RuFFfA et G. CRESPI REGHIZZI, La Oostituzione sovietica del
1977, Mila.no, Giuffré, 1979, 577 p. Art. 48, p. 522; art. 149, p. 544.
(8) Verfassung (Grundgesetz) der Union der Sozialistischen Sowietrepubliken, Neues
Deutschland, 15-16 Okt. 1977. Art. 48, p. 10; art. 149, p. 12.
(9) Die Verfassung des UdSSR vom 7 Oktober 1977, übersetz, Prof. Dr. Martin
FINCKE, in Jahrbuch für Ostrecht, Band XVIII, 1-2, 1977, p. 223. Art. 48, p. 249;
art. 149, p. 269.
LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE 557

La Constitution de 1977 est la première dans laquelle appa-


raissent des dispositions relatives à cette institution. En parti-
culier dans la Constitution de 1936 au << Chapitre X Droits et
devoirs fondamentaux des citoyens >> l'article 126, qui consacre
les organisations sociales et Ie parti communiste de l'Union
Soviétique, n'évoque pas Ia question. En outre lorsque Ie Pro-
gramme du Parti communiste de l'Union Soviétique du 31 octo-
bre 1961 prévoit (10) : << Le développement du système d'Etat
socialiste aura pour effet de Ie transformer graduellement en
autogestion de la société communiste qui unira les Soviets, les
organisations syndicales, coopératives et autres organisations de
masse des travailleurs >> il ne se réfère aucunement à eet organe.
Il ne faudrait pas croire pour autant que ces assemblées vont
voir Ie jour après 1977 et qu'elles sont mentionnées au Plan
d'organisation du travail d'harmonisation de la législation de
l'URSS avec la Constitution de l'URSS (11). Car ces assemblées
existent, elles ont un long passé réglementaire (I), elles sont
analysées comme des organisations d'initiative sociale (II), elles
s'articulent sur les organes locaux du pouvoir d'Etat (III).

l. - ÛRIGINES ET RÉGLEMENTATIONS DES ORGANES


REGROUPANT LES CITOYENS SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE.

Des organes regroupant les citoyens sur Ie lieu de résidence


apparaissent dans la législation soviétique à partir des années 30
en Russie. Le Présidium du Comité exécutif central panrusse
de la R.S.F.S.R. a pris Ie décret du 1er novembre 1934 approuvant
les expériences faites à Kalinin, à Toula, etc ... et recommandant
de renforcer les comités de rues, de quartier, et << de développer
l'initiative de la population pour améliorer et conserver le fonds
d'habitation et l'économie urbaine, aménager les maisons, les
cours, les rues >> (12). Ces comités devaient être surveillés par
les << groupes de députés >> des Soviets Iocaux.
L'apparition spontanée de ces organismes avant même leur
reconnaissance juridique tient vraisemblablement à deux causes.

(10) Programme ... , Deuxième partie, III, 2 • L'élévation continue du röle des
organisations sociales. L'Etat et Ie communisme•·
(11) M. LESAGE, op. cit., p. 113 à ll8.
(12) C. ANTIPIN et V. MrKHALKEVIc, Lea comités de rue dana les villes et lea villagea
(en russe), Moscou, Moskovskij rabocij, 1960, 40 p.; voir p. 7.
558 P. LAVIGNE

D'abord dans la période révolutionnaire (1917-1921) de tels


comités s'étaient créés spontanément et certains avaient ·plus ou
moins survécu en bonne intelligence avec les Soviets investis de
tout le pouvoir d'Etat et chargés de l'administration. Puis dans
la période de stabilisation économique et sociale (après 1927)
la nécessité de relais proches des habitants s'était fait sentir,
à la fois dans les secteurs d' agglomération ou les propriétaires
individuels se trouvaient désemparés livrés à eux-mêmes, et
dans les secteurs d'habitations municipales ou la construction
et même l'entretien ne fonctionnaient plus depuis dix ans.
Ces comités se sont développés après la Guerre de 1941-
1945 (13) et la théorie a commencé à en être affinée au début
des années 60, pendant que des règlements locaux étaient pris,
en particulier pour les grandes villes. Ainsi une décision n° 706,
du 4 juin 1960 du Comité exécutif du Soviet de la région de
Moscou rend exécutoire un << Règlement sur les comités de rues
dans les villes, les cités ouvrières et les localités rurales de la
région de Moscou >> (14). Mais les Comités exécutifs des territoires
ou régions jouissent d'une grande latitude dans la réglementation
édictée d'ou une diversité << regrettée >> par certains juristes (15).
Il est de règle que Ie comité soit élu par l'assemblée (sobranie)
des citoyens vivant sur le territoire délimité, convoquée par Ie
Comité exécutif du Soviet, un représentant de ce Comité exécutif
assistant obligatoirement à l'assemblée; Ie quorum est de 50 %
au moins de la population, qui s'exprime au scrutin public. Le
mandat des membres du Comité de rue est généralement d'un
ou 2 ans.
Le comité est généralement composé de 5 à 11 membres ; il
élit un président et un secrétaire ; certains présidents le demeu-
rent longtemps, on en signalait en 1960 qui étaient en fonctions
depuis 1938, 1934 ... et même 1918. Les mem bres ont des attri-
butions territoriales (par exemple un bloc) ou << sectorielles >>
(verdure, service sanitaire, travail avec les enfants).
Les réunions du comité se tiennent lorsque Ie quorum de la
moitié des membres est atteint; un procès-verbal est établi pour

(13) B. N. GABRiéIDZE et A. K. KONEV, Les comités de rues (de quartiers), (en russe),
Moscou, Juridiceskaja Lit., 1965, 72 p.
(14) Texte dans G. ANTIPIN et v. MIKHALKEVIC, op. cit., p. 32 à 37.
(15) B. N. GABRICIDZE et A. K. KONEV, op. cit.
LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE 559

chaque séance ; beaucoup de comités tiennent un << livre de


bord>>. Dans certaines agglomérations sont organisés des<< soviets
de comités de rues >> ce qui souligne bien la distinction institu-
tionnelle qui, dès !'origine, a certainement suivi Ie vocabulaire
par l'identification d'un comité (komitet) différent d'un conseil
(soviet).
Le comité rend compte à l'assemblée générale qui doit être
réunie au moins une fois par semestre ou par an ; la disposition
relative à la réunion simplement annuelle prévue dans certains
règlements serait irrégulière selon certains juristes (16) qui
d'ailleurs n'indiquent pas la source réglementaire de l'irrégularité
qu'ils invoquent.
Depuis la fin des années 60 Ie mouvement d'unification des
réglementations s'est développé toujours à propos des comités,
les assemblées n'étant en général traitées que par prétérition.
On peut signaler ainsi Ie << Règlement sur les comités de maison
dans Ie fonds d'habitation d'Etat >>, approuvé par décret du
Conseil des ministres de la R.S.F.S.R. du 9 août 1968, et Ie
<< Règlement sur les comités sociaux de bourg, village, rues,
quartiers, section, maison de la R.S.S. d'Ukraine >>, pris par Ie
Présidium du Soviet Suprême d'Ukraine Ie 17 octobre 1975 (17).
Le texte concernant la Biélorussie est particulièrement intéres-
sant. Une ordonnance du Présidium du Soviet Suprême de
Biélorussie du 1er septembre 1969 porte << Règlement sur les
assemblées générales (skhody) des citoyens, les comités sociaux
ruraux, les comités de rue et de quartier dans les villages,
hameaux et bourgs de la République de Biélorussie >> ; ce règle-
ment est destiné à compléter (18) les dispositions de la loi de
1968 sur les soviets locaux de députés de village et de bourg
de Biélorussie.
On voit apparaître ici une réglementation des assemblées
générales (skhody) des citoyens. Après la Révolution en Biélo-
russie, comme d'ailleurs en R.S.F.S.R., on n'élisait pas de Soviet
dans les petites localités rurales : Ie skhod (assemblée générale)
traditionnel en tenait lieu. S'agissant d'assemblées sur Ie lieu

(16) B. N. GABRICIDZE et A. K. KoNEV, op. cit.


(17) Cités par SuT'Ko (D.V.),• Les soviets de députés du peuple et les organisations
sociales •, Znanie, série Gosudarstvo i pravo, 1979/9, 64 p.
(18) ÓAGINA (E. P.), • Les assemblées générales de vi!lage et les formes de partici-
pation de la population au travail des soviets ,, in S.G.i.P., 1973, n° 12, p. 92-100.
560 P. LAVIGNE

de résidence on peut se demander quelle différence il y a entre


le skhod et le sobranie. Aucune dit le secrétaire du Présidium
du Soviet Suprême de Biélorussie (19); dans les documents juri-
diques on garde skhod en raison de son caractère historique,
<< les habitants des villages y sont habitués >>, mais dans les bourgs,

comme dans les villes ou les traditions historiques sont effacées


on parle de sobranie (assemblée) de citoyens.
L'assemblée élit pour 2 ans un comité social rural de 5 à 7 per-
sonnes, qui élit son président et son secrétaire, se réunit au moins
une fois tous les deux mois et rend compte à l'assemblée au moins
une fois par an .
Au total les formules de structures ont une grande similitude
à travers l'Union soviétique, mais au-delà les compétences sont
maintenant définies de façon uniformisée. Une ordonnance du
Présidium du Soviet Suprême de l'URSS du 8 avril 1968 porte
<< sur les droits et obligations fondamentaux des soviets de village

et de bourg des députés des travailleurs >> ; deux ordonnances


du même organe du 19 mars 1971 portent l'une << sur les droits
et obligations fondamentaux des soviets des députés des travail-
leurs des arrondissements >>, l'autre << sur les droits et obligations
fondamentaux des soviets des députés des travailleurs des villes
et des arrondissements urbains >> (20). Ces textes comportent
respectivement aux articles 17, 14 et 19 des dispositions relatives
aux relations de ces organes de l'administration d'Etat avec les
assemblées de citoyens. Ils ont été modifiés par une ordonnance
du Présidium du Soviet Suprême de l'URSS du 28 novembre
1978, selon la lettre et !'esprit déductibles des articles 48 et 149
de la Constitution du 7 octobre 1977.
Toujours est-il que ces assemblées mobilisent beaucoup les
citoyens et qu'il y a de nombreux comités. En 1960 dans la région
de Moscou il y avait 4000 comités de rue auxquels participaient
22000 membres élus ; la ville de Zagorsk en avait 67 pour
75000 habitants (21). Le mouvement s'est évidemment développé
avec l'expansion urbaine. Mais il faut souligner aussi que l'uni-

( 19) Ibid., p. 94.


(20) P. GÉLARD, L'administration locale en U.R.S.S., Pa.ris, P.U.F. (Dossiers
Thémis 35), 1972, donne p. 49 à 64 la traduction du texte de l'ordonnance sur les
aoviets d'arrondissement; l'article 14 relatif à la question des assemblées sur le lieu
de résidence figure à la p. 63.
(21) G. ANTIPIN et v. MIKHALKEVIC, op. cit.
LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE 561

formisation se fait dans chaque République en fonction des


traditions locales vers un modèle soviétique ; ainsi la République
socialiste soviétique d'Ouzbékie a un règlement républicain des
comités de makhallin (quartier) qui intègre les usages locaux à
la formulation fédérale.

II. - LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE


COMME ORGANISATIONS D'INITIATIVE SOCIALE.

Des controverses se sont développées, dans la doctrine sovié-


tique, sur la nature juridique des comités, et, par ricochet, des
assemblées sur le lieu de résidence. Pour en saisir la nature il
n'est pas inutile d'en rechercher les fonctions.
Compte tenu de la spontanéité originaire on peut relever
d' abord les activités les plus répandues : entretien et réparation
des trottoirs, des passages protégés, des caniveaux, de l'éclairage,
des plaques de rues, des massifs de fleurs ; mesures concernant
la réparation des immeubles ; controle des règles de sécurité
anti-incendie ; surveillance des installations de gaz et d'électri-
cité ; aide à la scolarisation ; assistance à l'ordre public (pavoise-
ment pour les fêtes, surveillance des déclarations d'état-civil,
détection des fainéants et des personnes non autorisées à rési-
dence ... ) ; aides à la scolarisation, jeux éducatifs, arbres de
Noël, musées, excursions, cercles, bibliothèques; aides aux vieil-
lards ; entretien des tombes des victimes de la guerre. Les comités
urbains organisent entre eux des concours du style << La rue la
plus verte 1>, des campagnes du type<< Pour une maison (une rue)
exemplaire 1>. Les comités ruraux participent au développement
de la << culture sanitaire 1>, installent des bains publics, réparent
les clötures, enlèvent la neige, nettoient les puits.
D'un point de vue plus juridique les comités convoquent les
assemblées, participent à des inspections sociales organisées par
le soviet local et participent aux réunions du comité exécutif sur
les questions liées à leur activité ; ils prennent part à l'élaboration
des plans d' aménagement, prennent des << mesures de pression
sociale 1> contre les fauteurs de trouble à l'ordre public, sanitaire,
etc ... du quartier.
N'étant assurément pas des organes de l'administration d'Etat,
tels qu'ils sont définis et réglementés dans la Constitution et
562 P. LAVIGNE

les lois et règlements d'application, la question qui s'est posée


aux juristes soviétiques était de savoir si l'on pouvait les consi-
dérer comme des organisations sociales, catégorie importante des
institutions soviétiques dès la Constitution de 1936 et qui
trouvent leur consécration à l'article 7 de la Constitution du
7 octobre 1977 (22).
Dans les années 60 la question a été très largement débattue.
Certains auteurs (23) ont fait la distinction entre administration
locale et autogestion, et au sein de l'autogestion entre l'auto-
gestion au sens large (autogouvernement) et l'autogestion au
sens étroit (participation des travailleurs à des fonctions de
l'administration à oóté des organes de l'Etat et en liaison avec
eux) cette dernière aboutissant à la notion d'organisations non
gouvernementales autogérées.
C.A. Jampolskaja qui, dès 1954, travaillait sur la question (24),
parlait d'organisations d'initiative de masse, puis en 1961 d'orga-
nisations permanentes soviétiques de masse près les organes de
pouvoir et d'administration.
Ju. M. Kozlov critiquant les analyses précédentes distin-
guant (25) les organisations sociales de masse, les organisations
d'initiative de masse, les organisations sociales, les organisations
d'initiative de la population, les assemblées de travailleurs
(groupes de citoyens) reprochait à certains manuels de droit
administratif de donner Ie qualificatif << de masse>> à des organi-
sations ne dépassant pas chacune 25 personnes ! Il soulignait
que dans un comité de maison on ne peut pas dire que les loca-
taires soient membres d'une organisation sociale de locataires,
ils élisent une organisation sociale qui est Ie comité. De ce fait
les assemblées sont l'expression organisée des intérêts d'un
collectif de citoyens, mais pas une organisation sociale.
Reprenant en 1975 son analyse C. A. Jampolskaja (26) dis-

(22) P. et M. LAVIGNE, op.cit.; voir p. 36 à 44, « Les orga.nisations sociales dans


Ie développement de la. démocratie soviétique », et spécia.Jement la. note (l) p. 36 pour
la bibliographie, en particulier les tra.vaux de C. A. JAMPOLSKAJA.
(23) N.A. Kuornov, La démocratie soviétique et ses Jormes (en russe), Minsk, 1961;
V. A. PERTCIK, Problèmes d'autogestion locale en URSS (en russe), Irkoutsk, 1963.
(24) C. A. JAMPOLSKAJA, Les organes de l'administration d'Etat soviétique dans l,a
période contemporaine (en russe), Moscou, A.N. SSSR, 1954.
(25) Ju. M. KozLov, Oorrélation de l'adminiatration d'Etat et de l'adminiatration
sociale en URSS, Moscou, Juridiceska.ja Lit., 1966, 216 p.; voir p. 86-87.
(26) Questions de théorie et d'histoire des organisations sociales (en russe), sous la
LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE 563

tingue les organisations sociales stricto sensu et << l'initiative


sociale locale>>, qu'elle ne qualifie ni d'organe ni d'organisation.
Le << collectih d'initiative sociale (de résidents, etc ... ) se trans-
forme en organisation sociale lorsque réuni en assemblée générale
il exprime une volonté quelconque ; << c' est Ie cas exceptionnel
oit l'assemblée n'est pas la forme de travail de l'organisation
mais la forme de l'organisation elle-même, son enveloppe exté-
rieure, créant, renforçant, constituant organisationnellement
l'initiative sociale locale >>.
La notion d'organisation d'initiative locale se développe; on
parle de 28 à 30 millions de personnes y participant dans !'en-
semble de l'Union soviétique ; la notion recouvre outre les comités
de village, de quartier, de rue, de maison (et même d'entrée
d'immeuble), les comités auprès d'institutions culturelles, les
comités de parents. << Elles apparaissent comme des associations
autogérées >> (27) qui n'ont pas de statuts mais fonctionnent sur
la base de règlements types ; on peut les dénommer organisations
d'initiative sociale : ce sont des collectifs (ou des associations)
de citoyens soviétiques (n'y participent pas les enfants et les
étrangers) dont la durée, la composition et les fonctions sont
déterminées directement par leurs membres à leurs assemblées.
Les assemblées ne sont donc pas à proprement parler des
organes (28), et comme Ie souligne C. A. Jampolskaja « c'est
peut-être Ie cas exceptionnel ou l'assemblée n'est pas une forme
du travail de l'organisation mais une forme de l'organisation
elle-même >> (29).

III. - RELATIONS DES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU


DE RÉSIDENCE AVEC LES ORGANES DU POUVOIR n'ETAT.

La Constitution de 1977 dans son Titre VI utilise la formule


<< Les fondements de la structure des organes du pouvoir d'Etat

et de l'administration d'Etat des républiques fédérées >> qui

rédaction de C.A. JAMPOLSKAJA et A.I. ScIGLIK, Moscou, Nauka, 1975, 258 p.; voir
p. 5 à 39 • La notion d'organisation sociale en URSS ».
(27) A. E. ÓIGIR, Les organisations d'initiative sociale des travaiUeurs et le développe-
ment de la démocratie socialiste (en russe), Minsk, Nauka i Tekhnika, 1975, 188 p.;
voir p. 9.
(28) P. GÉLARD, op. cit., p. 42, parle cependant d'organes d'administration consul-
tative.
(29) Ts. YAMPOLSKAYA, Social organisations in the Soviet Union, Moscou, Progress,
1975, 176 p.: voir p. 36.
564 P. LAVIGNE

englobe le Chapitre 19 relatif aux organes locaux, mais il faut


souligner que ces organes locaux sont à la fois, de pouvoir et
d'administration (30). En effet le point de départ est l'unité du
pouvoir d'Etat qui implique qu'il ne peut y avoir d'organes
d'autogestion locale distincts des organes du pouvoir d'Etat; la
fonction d'organes de l'autogestion locale a été << absorbée >> par
celle d'organes du pouvoir d'Etat dans le cas des soviets.
Du fait de cette unité du pouvoir d'Etat (31) principe fonda-
mental du constitutionnalisme soviétique la compétence des
assemblées et des comités ne peut s'exercer que sur leur espace
territoria! défini par les soviets locaux. Il en résulte qu'assistant
des organes d'Etat (les soviets) qui sont centralisés suivant le
principe du centralisme démocratique défini par l'article 3 de la
Constitution les comités ne sont pas centralisés, car il n'y a pas
de nécessité de << redoubler >> la centralisation (32). Les seules
relations concernent donc les soviets locaux.
Il ne semble pas inutile d'évoquer rapidement les relations
des comités de rue avec le conseil exécutif du soviet local pour
mieux saisir la nature des relations des assemblées. Normalement
les comités n'ont pas de compétences proprement juridiques :
on citait toutefois que les comités de résidents à Saratov pou-
vaient dresser des procès-verbaux aux personnes qui saccageaient
les espaces verts, que les comités de makhallin en Ouzbékie
pouvaient délivrer des attestations de domicile, des certificats
de vie des enfants (pour la sécurité sociale), des attestations
d'arrivée et de départ (33) et qu'en Kirghizie ils pouvaient tenir
les listes d'enregistrement des citoyens, délivrer des fiches d'état-
civil, des attestations aux retraités (34). Mais il y avait ici essen-
tiellement des survivances de vie collective non étatique au
sens moderne du terme.
Ce qui est plus significatif du caractère social c'est le «béné-
volat >> de leur fonctionnement : ils n'ont pas de base matérielle
propre, ni cotisations, ni subventions. A eet égard sont dénoncées

(30) BuT'Ko (I.F.) et KoRNIENKO (I. I.), • Les soviets locaux et les comités sociaux ••
in S.G.i.P., 1976, n• Il, p. 111-114.
(31) P. LAVIGNE, • L'unité du pouvoir d'Etat dans la doctrine constitutionnaliste
socialiste contemporaine», in Mélangea offerta à Georges Burdeau, Le Pouvoir, Paris,
L.G.D.J., 1977, p. 599 à 611.
(32) C. A. JAMPOLSKAJA, op. cit., ci-dessus note (26), p. 27.
(33) B. N. GABBICIDZE et A. K. KoNEV, op. cit.
(34) A. E. Ómm, op. cit., p. 28.
LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE 565

des « fautes >> des soviets locaux à l'égard des comités de rue :
collectes d'argent illégales pour des travaux << bénévoles >> de
<< propreté de la rue >> qui doivent être assumés par la voirie

municipale, imposition d'autorité de << corvées >> aux citoyens,


désignation d'office des membres du comité de rue en place de
leur élection, inscription de membres de comités de maison
dans le personnel rémunéré de l' administration de la maison,
etc ... (35).
Enfin la direction par le soviet est très diverse ; il n'y a aucune
<< unité des formes de direction >>. Il peut s'agir d'un conseil de

coordination et méthode (Crimée), d'une commission de coordi-


nation (Tachkent), d'une section hors cadre des comités de rues
(Volgograd), des conseils d'arrondissement pour le travail avec
la population sur le lieu de résidence (Léningrad). Mais les auteurs
valorisent le système mis en place à Moscou en 1966 des << groupes
de députés >>, formule reprise du décret du 1er novembre 1934
et bien développée ; ainsi à Moscou après la généralisation en
1974 il y avait 500 points d'appui de groupes de députés du
soviet pour surveiller << les organisations d'initiative de la popu-
lation >> (36); Ie système a été déjà adopté par d'autres grandes
villes.
Mais s'agissant des assemblées de citoyens sur les lieux de
résidence (sobranie dans les villes et bourgs, skhod dans les
régions rurales), quel est le lien qui les unit au soviet local? Il
est de droit que le soviet détient les compétences réglementaires ;
il est l'organe du pouvoir et de l'administration d'Etat. Aux
termes des actes législatifs et réglementaires fédéraux et répu-
blicains il doit toutefois << informer systématiquement la popu-
lation de son activité . . . dans les collectifs de travailleurs et
sur les lieux de résidence des citoyens >> selon la formule de
l'article 19 de l'ordonnance << sur les droits et obligations fonda-
mentaux des soviets des députés des travailleurs des villes et
des arrondissements urbains >> telle qu'elle résulte de l'ordon-
nance du 28 novembre 1978.
Les dispositions de l'article 12 de l'ordonnance << sur les droits

(35) A.E. ÓIGIR, op.cit., p. 174-175.


(36) G. B. KULIKOVA, Les fondementa démocratiques de l'activité des soviets locaux
dans le développement de la société socialiste 1959-1975 (en russe), Moscou, Nauka, 1978,
368 p.
566 P. LAVIGNE

et obligations fondamentaux des soviets de village et de bourg


des députés des travailleurs >> dans sa rédaction de l'ordonnance
du 28 novembre 1978 est plus explicite : << Pour la discussion
des questions les plus importantes touchant à la vie des citoyens,
pour l'explication aux travailleurs de la législation et des princi-
pales décisions du soviet des organes étatiques supérieurs, Ie
comité exécutif du soviet de village, de bourg convoque des
assemblées générales des citoyens vivant sur Ie territoire du
soviet de village, de bourg globalement ou de localités, rues et
quartiers particuliers, ainsi que des assembiées des représentants
des habitants du bourg, du village >>.
Quelle est alors la compétence de ces assemblées? Elle ne
peut être définie comme compétence de controle ; on pourrait
suggérer que c'est une compétence d'examen, (plutöt que de
surveillance ou d'observation) dépourvue de toute valeur juri-
dique. Ju. M. Kozlov posant la question de la nature de leurs
décisions exprime que ce sont des << appels sociaux >>, des mesures
morales et non juridiques (37). Il allait même jusqu'à dire que
les normes contenues dans les règlements relatifs à ces organismes
sont obligatoires, mais ne sont pas des normes juridiques; il
semble toutefois que, spécialement depuis la Constitution de
1977, une telle opinion ne puisse plus être soutenue.
Il faut enfin signaler que tout récemment un auteur a fait
remarquer (38) que la nouvelle loi de l'URSS promulguée en
1979 sur les modalités de rappel d'un député du Soviet Suprême
de l'URSS n'attribue pas aux assemblées sur le lieu de résidence
le droit d'initiative pour poser la question du rappel du député ;
le droit serait attribué aux organisations sociales et assemblées
générales sur Ie lieu de travail ; les assemblées sur le lieu de rési-
dence pourraient seulement en discuter ; mais cette position
serait controversée.

* * *

Ainsi la Constitution soviétique de 1977 à son chapitre 7


<< Les droits, libertés et devoirs fondamentaux des citoyens de

(37) Ju. M. KOZLOV, op. cit., p. 112 et 107.


( 38) Les collectifs de travailleurs dans le s-ystème de la démocratie socialiste BOV'iétique
(en russe), sous la rédaction de V. A. MASLENNIKOV, Moscou. Juridiceskaja Lit., 1979,
56 p.; voir p. 40.
LES ASSEMBLÉES SUR LE LIEU DE RÉSIDENCE 567

l'URSS >>, et plus spécifiquement dans son article 48 traitant du


droit de participation des citoyens à la gestion des affaires, puis
à son chapitre 19 << Les organes locaux du pouvoir et de l'admi-
nistration d'Etat >>, et plus particulièrement dans son article 149
traitant des comptes rendus des comités exécutifs des Soviets
locaux, consacre les assemblées des citoyens sur leur lieu de
résidence comme organisations d' initiative sociale et d' examen
de la gestion étatique.
Se référant implicitement aux comités de résidence, de rue,
de quartier, la Constitution les intègre au bilan des pratiques
participatives, mais, en outre, en citant expressément les assem-
blées et non les comités elle programme à la fois la participation
de masse et un élément social d'autogestion. Ces assemblées,
animées, hors des lieux et collectifs de travail, essentiellement
par des ménagères, des enseignants et des retraités (en particulier
de l'enseignement et de l'armée) ne peuvent que concourir, par
leur coopération avec eux, au déclin du pouvoir exclusif des
organes de l'administration d'Etat, et par leur progressive substi-
tution à long terme à ces institutions, à une structuration de
type autogestionnaire et écologiste développant dans la société
le moralisme aux lieu et place du juridisme.
La Ioi, Ie parti et Ie procureur
en Union soviétique
PAR

M. LESAGE
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE PARIS 1

La Constitution de l'URSS du 7 octobre 1977 a mentionné


la légalité socialiste parmi les principes de base du système
politique socialiste.
<< L'Etat soviétique, tous ses organes agissent sur la base de

la légalité socialiste, assurent la protection de l' ordre juridique,


des intérêts de la société, des droits et libertés des citoyens.
Les organisations d'Etat et les organisations sociales, les fonc-
tionnaires sont tenus d'observer la constitution de l'URSS et
les lois soviétiques >> (art. 4).
Depuis 1922, un organe centralisé est chargé de surveiller
l'application uniforme des lois par toutes les institutions existant
en URSS : la Prokuratura (1). Sa mission est définie par l'ar-
ticle 164 de la Constitution de l'URSS du 7 octobre 1977 :
«La surveillance supérieure de l'exécution stricte et uniforme
des lois par tous les ministères, comités d'Etat et départements,
par les entreprises, les établissements et les organisations, par
les organes exécutifs et administratifs des Soviets locaux des
députés du peuple, par les kolkhozes, les coopératives et les
autres organisations sociales, par les fonctionnaires, ainsi que
par les citoyens incombe au Procureur général de l'URSS et
aux procureurs qui lui sont subordonnés >>.
L' organisation et les fonctions de la Prokuratura sont actuelle-
ment fixées par une loi de l'URSS du 30 novembre 1979 (2). Cette
surveillance s' exerce par plusieurs moyens.

(l) Sur Is Prokursturs, cf. Gordon B. SMITH, The Soviet Procuracy and the Super-
vision of Administration, Sijthoff and Noordhoff, 1978.
(2) Vedomosti Verhovnogo Soveta, SSSR (en abrégé par la suite VVS SSSR), 1979,
n° 49, art. 843.
r

.570 M. LESAGE

D'abord, en ce qui concerne les activités administratives et


les activités sociales, la Prokuratura exerce la surveillance de
l'exécution des lois par les organes de l'administration d'Etat,
les entreprises, les établissements, les organisations, les fonction-
naires et les citoyens, surveillance appelée surveillance générale.
Elle effectue des vérifications et peut adresser aux administra-
tions des représentations les invitant à éliminer les illégalités
constatées. Elle présente une protestation contre les actes illégaux
des autorités locales et des ministres (3) qui obligent ceux-ci
dans les 10 jours à statuer sur la protestation. Elle engage des
poursuites contre les auteurs d'infractions pénales.
La Prokuratura exerce également une surveillance dans trois
autres secteurs : d'abord des services d'enquête et d'instruction
préalable, ensuite des lieux de détention, de détention préalable
lors de l'exécution des peines et des autres mesures à caractère
de contrainte infligées par les tribunaux, et, enfin, lors de l'exa-
men des affaires par les tribunaux.
Lénine avait voulu dès 1922 créer une Prokuratura « capable
de résister en fait aux influences locales, au bureaucratisme
local et de veiller à une application réellement uniforme de la
loi dans toute la République et dans toute la Fédération >> (4)
et la Constitution du 7 octobre 1977 précise que «les organes
de la Prokuratura exercent leurs attributions indépendamment
des organes locaux quels qu'ils soient et ne relèvent que du
Procureur général de l'URSS >> (art. 168).
Mais également dès 1922, Lénine avait exigé que la direction
centrale de la Prokuratura soit << sous la surveillance la plus
étroite et au contact Ie plus immédiat avec les institutions du
Parti qui représentent par elles-mêmes la garantie maximum
contre les influences locales et personnelles, c'est-à-dire, l'Orgburo
du Comité centra!, Ie Politburo du C.C. et la C.C.C. (Commission
-0entrale de controle)>> (5).
En 1980, dans un article sur les principes d'organisation et
de fonctionnement de la Prokuratura, A. Rekunkov, Premier
vice-procureur général de l'URSS écrit : << Le gage et la condition

(3) Les arrêtés du Conseil des ministres de l'URSS, les déorets du Présidium du
soviet suprême sont hors de sa compétence juridique.
(4) « De la double subordination et de la légalité, 20 mai 1922 •, in V. I. LÉNINE,
L'organisation de l'administration soviétique, Moscou, 1968, p. 402.
(5) V. 1. LÉNINE, Ibid., p. 402.
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR 571

sine qua non de la résolution avec succès des taches de la Proku-


ratura, fixées par la loi sur la Prokuratura de l'URSS, sont Ie
controle des organes du Parti, leur influence dirigeante. Les
organes du Parti, examinant en profondeur Ie contenu du travail
de la Prokuratura, lui accordent une aide permanente, orientent
ses forces vers Ie renforcement de la légalité socialiste et de
l'ordre juridique soviétique, vers l'augmentation de l'effectivité
des mesures prophylactiques » (6).
Si la Prokuratura est indépendante des organes locaux de
l'Etat et du Parti dans les affaires individuelles, elle collabore
avec eux, sous la direction des organes du Parti, dans l'organi-
sation de ses activités de recherche des illégalités et de prévention
des infractions.

J. - LE PRINCIPE D'INDÉPENDANCE
DE LA PROKURATURA DANS LES AFFAIBES JUDICIAIRES.

Les rapports entre les organes du Parti et la Prokuratura et


les Tribunaux ont été définis par une décision du Comité centra!
du Parti en 1954. Les organes du Parti doivent assurer la direc-
tion politique et Ie controle de l'activité des organes judiciaires
et de la Prokuratura, mais ils ne doivent pas intervenir dans
!'examen des affaires judiciaires (7). De telles interventions illé-
gales ont été dénoncées à plusieurs reprises (8).
Lors de la discussion préalable à l'adoption de la loi sur la
Prokuratura de l'URSS, un article publié dans la revue de la
Prokuratura avait proposé de consacrer dans la loi la direction
de la Prokuratura par Ie Parti. Rappelant les exigences de
Lénine de 1922 sur les relations de la Prokuratura et des organes
dirigeants du Parti (9), V. Zvirbul et S. Novikov a:ffirmaient
qu'il était << indispensable de formuler dans la loi sur la Prokura-
tura de l'URSS des normes sur Ie role de direction et d'orientation
du Parti communiste et du Soviet suprême de l'URSS dans
l'organisation et Ie fonctionnement de la surveillance par la
Prokuratura >> (10).

(6) A. REKUNKOV, « Principes d'organisation et de fonctionnement de la Prokura-


tura •, Sozialistiéeskaja zakonnost', 1980, n° 7, p. 8.
(7) Partijnaja zizn, 1954, n° 6, p. 16.
(8) Notamment Pravda 2 fév. 1965.
(9) Cf. aupra, p. 3.
(10) Socialitiéeskaja zakonnost', 1978, n° 7, p. 34.
RENÉ DJOKRER8. - 37
572 M. LESAGE

Mais Ie législateur n'a pas suivi les deux auteurs. A la différence


de l'article 1er, al. 3 de la loi sur Ie controle populaire en URSS
qui mentionne les décisions du Parti communiste de l'Union
soviétique parmi les fondements de l'activité des organes du
controle populaire, la loi sur la Prokuratura de l'URSS précise
que les organes de la Prokuratura << agissent sur la base de la
légalité socialiste, en conformité avec la Constitution de l'URSS,
les Constitutions des Républiques fédérées et les Constitutions
des Républiques autonomes et les lois soviétiques >> (art. 4) (11).
L'indépendance de la Prokuratura est assurée par son organi-
sation autonome et par Ie statut de ses membres.

1. - La structure de la Prokuratura.
Pour assurer son unité, la Prokuratura a reçu une structure
hiérarchique unifiée. Ses attributions et son organisation sont
fixées actuellement par le chapitre 21 de la Constitution du
7 octobre 1977 et la loi de l'URSS du 30 novembre 1979 sur
la Prokuratura de l'URSS.
La Prokuratura est un système unique et centralisé. Le
Procureur général de l'URSS est nommé par le Soviet suprême
de l'URSS (12). Il nomme les Procureurs des Républiques fédé-
rées, des Républiques autonomes, territoires, régions et régions
autonomes. Ceux-ci à leur tour, avec l'approbation du Procureur
général de l'URSS, nomment les Procureurs des districts auto-
nomes, des arrondissements et des villes. Tous les Procureurs
sont nommés pour cinq ans mais sont renouvelables.

(11) Loi du 30 novembre 1979, VVS SSSR, 1979, n° 49, art. 840.
( 12) La structure de la Prokuratura de l'URSS est fixée par un arrêté du Presidium
du Soviet suprême de l'URSS du 29 mai 1970. Elle comprend :
La Direction de la surveillance générale; la Direction générale de l'instruction, qui
inclut : la Direction pour la surveillance de l'instruction et de l'enquête dans les
services de l'intérieur avec le statut de Direction principale (osnovnoe upravlenie),
la Section de l'instruction (avec le statut de section principale); la Direction des Cadres;
la Section pour la surveillance de l'instruction dans les services de la sécurité d'Etat;
la Deuxième direction; la Direction pour la surveillance de l'examen des affaires pénales
par les tribunaux; la Section pour la surveillance de l'examen des affaires civiles par
les tribunaux; la Section de la surveillance de l'application des lois dans les transports;
la Section pour la surveillance du respect des lois dans les établissements de travaux
correctifs; la Section pour la surveillance de l'application des lois sur les mineurs; la
Section d'organisation et de contróle; la Section de systématisation et de propagande
de la législation soviétique; la Section de la statistique; la Section du courrier; la
Réception de la Prokuratura de l'URSS (avec le statut de section); la Direction des
affaires; la Direction financière et économique; la Prokuratura militaire générale fait
également partie de la Prokuratura de l'URSS. ( VVS SSSR, 1978, n° 23, p. 407).
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR 573

Chaque Procureur, qu'il soit d'arrondissement, de région ou


de République est Ie représentant plénipotentiaire du Procureur
général de l'URSS dans sa circonscription. Cela lui permet en
particulier d'exercer la surveillance de la légalité dans toutes
les entreprises quelle que soit I' autorité supérieure dont elles
relèvent. Il dispose à cette fin des mêmes obligations et des
mêmes moyens d'intervention que Ie Procureur supérieur (quel-
ques exceptions ont néanmoins été prévues par la Ioi). Celui-ci
peut Ie charger d'exercer telle ou telle de ses obligations propres.
Inversement, la conception soviétique des principes d'unité et
de centralisation de la surveillance par Ie Procureur signifie
égalemcnt que Ie Procureur supérieur peut exercer lui-même
n'importe quelle attribution du Procureur inférieur.
Dans Ie domaine de la surveillance générale, la Prokuratura
exerce ses activités selon des plans établis aux di:fférents niveaux.
Le plan fixé au niveau fédéral est transmis aux Procureurs des
Républiques qui à leur tour les transmettent aux Procureurs
de région et d'arrondissement et de ville. A chaque niveau, Ie.
plan fixe les taches de la Prokuratura. Par exemple, en 1979,
la majorité des Procureurs de la République de Moldavie ont
e:ffectué des vérifications de la légalité relative à Ia lutte contre
l'ivrognerie (13). Mais Ie chef de la section de surveillance géné-
rale de Ia Prokuratura de Moldavie se plaint d'un manque de
méthode qui conduit à des répétitions. Ainsi, explique-t-il, il
arrive souvent que Ie Procureur planifie telle ou telle vérification
au premier trimestre et au second trimestre, il reçoit des direc-
tives de Ia Prokuratura supérieure pour e:ffectuer une vérification
analogue. Il est impossible d'utiliser les informations précédentes,
il faut à nouveau e:ffectuer des vérifications, bien que cela ne
soit pas nécessaire. Et pendant ce temps, il est impossible d'orga-
niser d'autres vérifications importantes.
L'unité et la centralisation n'excluent pas un certain degré
de collégialité. Au contraire, la loi sur la Prokuratura de l'URSS
(art. 16, 17, 19) a étendu l'application des principes de collégialité
dans l'activité des organes de la Prokuratura, prévoyant la
formation de collèges également dans les Prokuraturas dans les

(13) N. DEMIDENKO, Chef de la Section de surveillance générale de la Prokuratura


de Moldavie,• La planification du travail dans les Prokuraturas d'arrondissoments et
de villes ,, Socialistiéeskaia zakonnost', 1980, 11° 11, p. 25-26.
574 .i\1. LESAGE

Républiques autonomes, les territoires, reg10ns, villes, reg10ns


autonomes ainsi qu'à la Prokuratura militaire principale.

2. - Le statut des Procureurs.

La Prokuratura est organisée en un véritable corps : Ie statut


de la Prokuratura prévoit la titularisation et la distinction du
grade et de l'emploi. Les grades (klassnye ciny) sont répartis
en 11 classes, 7 de conseillers de justice et 4 de juristes. Les
grades correspondent à des emplois déterminés et donnent apti-
tude à occuper les fonctions des deux classes supérieures et des
deux classes inférieures (14).
Les Procureurs et agents d'instruction doivent avoir une
instruction juridique supérieure et posséder les qualités politi-
ques, professionnelles et morales nécessaires (art. 20, alinéa Ier
de Ia loi). En RSFSR, 98 % des Procureurs et agents d'instruc-
tion ont une instruction juridique supérieure, 40 %i ont plus de
10 ans d'ancienneté dans la Prokuratura (15).
En 1970, des cours supérieurs de perfectionnement des cadres
dirigeants de la Prokuratura ont été créés, qui ont été ensuite
transformés en un << Institut de perfectionnement des cadres
dirigeants de la Prokuratura >>. 5000 cadres dirigeants de la
Prokuratura en ont suivi les enseignements, 3600 procureurs
de villes et d'arrondissements et leurs adjoints ont suivi les
enseignements d'une filiale établie à Kharkov et il est proposé
d'établir d'autres filiales pour l'Oural, la Sibérie et l'Extrême
Orient (16).
Les procureurs et agents d'instruction sont soum.is au régim.e
disciplinaire fixé par le Règlem.ent sur les récompenses et la
responsabilité disciplinaire des procureurs et agents d'instruction
de la Prokuratura de l'URSS (17). Ils peuvent faire l'objet de
sanctions disciplinaires, infligées, selon leurs fonctions, par Ie

(14) Règlement sur les grades des fonctionnaires des organes de la Prokuratura
de l'URSS, approuvé par un arrêté du Presidium du Soviet suprême de l'URSS du
28 octobre 1980, VVS SSSR, 1980, n° 45, art. 950.
(15) A. PoBEzmov, Vice-procureur de la RSFSR. ,, Le travail relatif aux cadres -
une attention permanente•· Socialiatiéeskaja zakonnost', 1980, n° 3, p. 10 à 13.
(16) B. BASKOV, Directeur d'institut, professeur. • Les dirigeants des organes de la
Prokuratura se perfectionnent •• Socialiatiéeskaja zakonnost', 1980, n° 7.
(17) Approuvé par le décret du Présidium du Soviet suprême de l'URSS du
24 février 1964.
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR 575

Procureur général de l'URSS et les Procureurs des Républiques


et régions : avertissement, blame, blame sévère, rétrogradation
de rang, rétrogradation de fonctions, révocation, licenciement
des organes de la Prokuratura avec privation de rang (art. 13).
Le Premier vice-procureur général de l'URSS relève que
<< quelques procureurs tombent sous l'influence locale, ils tentent

parfois d'atténuer Ie caractère aigu de la situation qu'ils ren-


contrent lors des vérifications, de substituer aux mesures de
réactions prévues par la loi des raisonnements généraux et qui
n'ont de caractère obligatoire pour personne ►> (18). Il existe
également des cas ou des Procureurs commettent des fautes qui
sont également sanctionnées au sein du Parti lorsqu'ils en sont
membres. Une affaire survenue en 1978 en Ouzbékistan, en
donne une illustration (19).
Une ouvrière qui avait critiqué la direction de son entreprise
avait été Iicenciée illégalement avec la complicité de toutes les
autorités saisies : administration, syndicats, Parti, tribunaux,
Prokuratura. A la suite de l'instruction effectuée par Ie comité
de controle du Parti près le Comité centra!, Ie bureau du comité
régional du Parti de Ferghana et le Comité centra} du Parti
communiste d'Ouzbebistan infligent des sanctions disciplinaires
aux responsables du licenciement au sein de l'administration,
du Parti, des syndicats (20), mais aussi de la Prokuratura et
des tribunaux. Le Président du tribunal populaire de la ville
reçoit un blame sévère, Ie Procureur-adjoint de la région un
blame et Ie Procureur de la région un avertissement.
Ces insuffisances dans l'exercice de la surveillance par la
Prokuratura peuvent s'expliquer par les liens qui s'établissent
entre les Procureurs et les organes locaux: tout en étant indépen-
dants d'eux sur le plan de l'autorité juridique, ils doivent coopérer

(18) A. REKUNKOV, « Principes d'organisation et de fonctionnement de la Proku-


ratura t, Sociali8tiéeskaia zakonnost', 1980, n° 7, p. 8.
(19 Partijnaja zizn', 1978, n° 17, p. 58.
(20) Pour l'entreprise, Ie Directeur reçoit un bläme sévère avec inscription au
dossier et est révoqué, Ie Président du comité syndical reçoit un bläme avec inscription
au dossier et est libéré de ses fonctions, Ie secrétaire de l'organisation du Parti un
bläme sévère. L'instructeur du comité de région de Ferghana en fonction à !'époque
reçoit un bläme sévère. Dans les tribunaux et la Prokuratura, Ie Présidium du
tribunal régional, au cours de la vérification effectuée par Ie comité de contröle
près Ie Comité centra! du Parti, a reconnu Ie licenciement illégal et annulé la décision
du tribunal populaire de la ville de Ferghana. L'ouvrière a été réintégrée à eon poste
précédent et indemnisée pour la période de son licenciement.
576 M. LESAGE

avec eux pour le maintien de l'ordre public et le maintien du


droit et cette collaboration s'effectue sous la direction des organes
du Parti.

Il. - ÜOOPÉRATION ET COOltDINATION

La loi sur la Prokuratura de l'URSS indique que les organes


de la Prokuratura « coopèrent avec les Soviets des députés du
peuple, les autres organes de l'Etat, les organisations sociales et
les collectivités de travail, s'appuient sur une aide active des
citoyens dans Ie domaine du renforcement de l'ordre juridique >>
(art. 4).
En dehors de la Prokuratura, 3 autres organes sont spéciale-
ment chargés de la protection du droit: le Ministère de l'intérieur,
Ie Ministère de la justice, les tribunaux. Le Ministère de l'inté-
rieur est chargé de maintenir l'ordre public et de réprimer les
infractions. Le Ministère de la justice de l'URSS, supprimé en
1962 a été rétabli en 1970. Il est responsable de l'organisation
judiciaire et de la propagande du droit. D'autres institutions
concourent au maintien de l'ordre public : patrouilles volontaires,
tribunaux de camarades, conseils pour la prévention des infrac-
tions. Mais Ie terme << organes de protection du droit » (21) est
réservé, en principe, à la Prokuratura, au Ministère de l'intérieur,
au Ministère de la justice et aux tribunaux.
Assurer le respect de la loi est une fonction également de
l'administration et des Soviets. Comni.e l'écrit, en 1978, un

(21) Ces organes ont été longtemps que.lifiés dans le vocabulaire du Parti d' « orge.nes
administre.tifs &, me.is sont de plus en plus que.lifiés me.intene.nt d' • orge.nes de pro-
tection du droit •· L'expression orge.nes e.dministre.tifs figure encore dans l'e.rrêté du
Comité centre.l du Parti du 5 e.vril 1977 • Sur le tre.ve.il des orge.nes du Parti et des
Soviets de la région d'lrkoutsk pour l'e.ocroissement du róle du service juridique dans
les entreprises de !'industrie, de l'e.griculture et de la construction à. la lumière des
décisions du XXV• Congrès du Parti (Spravocnik partiinogo rabotnika, n° 17, 1978,
p. 282), me.is elle est remple.cée par celle d'orge.nes de protection du droit dans
l'e.rrêté du Comité centre.l du Parti du 2 e.oût 1979 sur l'e.méliore.tion du tre.ve.il
pour la protection de l'ordre juridique et le renforcement de la lutte contre les
infre.otions (SPR, n° 20, 1980, p. 414). Critique.nt dans la revue l'Ete.t soviétique et
Ie droit, le livre de T. M. SAMBA, Le PCU S et les organea de protection de l'ordre -public,
A. L. KoLODKIN reproche à. l'e.uteur d'employer comme synonymes deux notions qui
doivent être distinguées : orge.nes de protection de l'ordre public, qui comprend à. la
fois les organes socie.ux (tribune.ux de ce.me.rades, etc.) de protection de l'ordre public
et les organes de l'Ete.t et orge.nes de protection du droit qui sont la Prokure.ture., le
Ministère de l'intérieur, le Ministère de la justice, les tribune.ux (Sovetakoe GolJl.<daratvo
i Pravo, 1980, n° 9, p. 199-150).
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR 577

premier secrétaire de comité d'arrondissement du Parti dans


<<Légalité socialiste >>, la revue de la Prokuratura et du Ministère
de la justice : << La lutte contre les violations de droit et pour
leur prévention est une affaire non seulement des organes de
protection du droit, mais aussi des dirigeants économiques, des
fonctionnaires du front idéologique, de toute la société sovié-
tique >> (22).
L'article 13 de la loi du 5 juillet 1978 sur le Conseil du ministre
de l'URSS qui définit les attributions principales du Conseil des
ministres de l'URSS dans le domaine de la légalité socialiste
précise que celui-ci est chargé de réaliser les mesures pour la
protection de l'ordre public, de garantir et de défendre les droits
et libertés des citoyens, d'orienter l'activité des organisations de
l'Etat, des coopératives et des autres organes pour la protection
de la propriété socialiste, de garantir l'observation de la légalité
par les ministères et Comités d'Etat de l'URSS et des autres
organes qui lui sont subordonnés.
De même, le Règlement général sur les ministères de l'URSS
du 20 juillet 1967 précise que chaque ministère assure l'applica-
tion exacte de la législation en vigueur dans les entreprises, les
organisations et établissements du système du ministère (art. 12).

1. - Les Procureurs et les Soviets

La Constitution de l'URSS charge les Soviets locaux d'assurer


le respect des lois, la protection de l'ordre public et de l'ordre
social, et celle des droits des citoyens (art. 146, al. 2) et les
di:fférentes lois sur les Soviets de villes, d' arrondissements, de
villages et de bourgs, et de régions ont précisé cette mission (23).
Le Présidium du Soviet suprême de l'URSS controle l'exercice
par les Soviets de leurs fonctions dans ce domaine. Ainsi, dans
sa séance du 6 janvier -1981, Ie Présidium du Soviet suprême
de l'URSS a examiné l'activité des Soviets des députés du
peuple de la RSS de Kirghizie et de la région de Koursk pour
l'a:ffermissement de l'ordre public et pour Ie renforcement de la

(22) Socwliatiéeskaia zakonnost', 1978, n° 6, p. 13-17.


(23) Pour la RSFSR, lois du 3 août 1979 sur les Soviets d'arrondissement (art. 28),
sur les Soviets de villes et d'srrondissements urba.ins (art. 27), sur les Soviets de villes
et de villsges (art. 23), lois du 20 novembre 1980 sur les Soviets de territoires et de
régions (art. 31).
578 M. LESAGE

lutte contre les violations du droit. Il a attiré l'attention sur


les insuffisances qu'il a relevées dans l'activité des Soviets et
des organes protecteurs du droit et sur la nécessité de renforcer
la lutte contre les infractions (24).
Les Procureurs informent les Soviets locaux en permanence
de l'état de la légalité et de l'ordre juridique dans la circonscrip-
tion, attirent leur attention sur les causes et les conditions qui
ont permis les violations de la loi et font des propositions pour
leur élimination. Chaque année, les procureurs présentent plus
de 36000 rapports aux sessions des Soviets locaux (24).
Beaucoup de Procureurs sont élus députés aux Soviets locaux.
Le Procureur général de l'URSS, fonctionnaire nommé par le
Soviet suprême de l'URSS, est lui-même député au Soviet
suprême de l'URSS et il est en même temps membre du Comité
central du Parti (26).
Le Procureur général de l'URSS est responsable devant le
Soviet suprême de l'URSS et le Présidium du Soviet suprême
de l'URSS et leur rend compte de son activité (art. 165 de la
Constitution). La loi sur la Prokuratura de l'URSS précise que
le Procureur général de l'URSS présente, au moins une fois
en co.urs de mandat, un compte rendu d'activité au Soviet
suprême de l'URSS et qu'il rend compte systématiquement de
son activité au Présidium du Soviet suprême de l'URSS (art. 6).
Ainsi, le 17 janvier 1979, le Présidium du Soviet suprême de
l'URSS a examiné la pratique de l'application et de l'observation
par les organes de la Prokuratura et de l'Intérieur, de la légis-
lation sur la protection de l'ordre juridique et la lutte contre
les infractions. Il a entendu à cette fin des rapports du Procureur
général de l'URSS, R. Rudenko et du Ministre de l'Intérieur
Chtchelokov (27). Il a insisté sur la nécessité d'utiliser e:ffective-
ment toutes les possibilités prévues par la loi de prévention des
violations de la loi, d' accentuer le röle des Soviets dans le respect
de la légalité.

(24) Pravda, 7 janvier 1981.


(25) A. REKUNKOV, Premier vice-procureur général de l'URSS. • Principes d'orga-
nisation et d'aotivité de la Prokuratura », Socialistiéeskaja zakonnost', 1980, n° 7, p. 6.
(26) Roman RuDENKO, Procureur général de l'URSS depuis 1953, était député au
Soviet suprême de l'URSS depuis 1950 et membre du Comité centra! du Parti depuis
1961 (il a été suppléant de 1956 à 1961). Il est déoédé le 23 janvier 1981. Il a été remplaoé
par le Premier Vice-Procureur général Rekunkov, élu =embre du Comité Central le
3 mars 1981 par le XXVI• Congrès du Parti.
(27) VVS SSSR, 1979, n° 4, p. 65.
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR ;:579

A la suite de cette réunion, le Procureur général de l'URSS


a indiqué que la discussion au Présidium avait déterminé pour
une longue période les orientations fondamentales dans l'activité
des organes de protection du droit et il a adopté un ordre dans
lequel il a précisé les taches de la Prokuratura. Il a en particulier
insisté sur l'accroissement de la publicité de l'activité des services
de la Prokuratura, sur l'importance des rapports des Procureurs
aux sessions des Soviets, des communications présentées lors
des réunions des collectivités de travail sur les résultats des
vérifications et de l'instruction des affaires pénales (28).
La Constitution de l'URSS du 7 octobre 1977 reconnaît au
Procureur général de l'URSS l'initiative de la loi (art. 113). Il
peut l'utiliser pour solliciter une aggravation ou une atténuation
des lois pénales. Par exemple, à la suite des discussions en
1975-1976 sur la lutte contre Ie houliganisme, il a été proposé
au Présidium du Soviet suprême de l'URSS de supprimer Ie
critère de la récidive comme base des poursuites pénales pour
houliganisme mineur (29). Mais la Prokuratura peut .aussi inter-
venir pour modifier la législation afin de mieux protéger les
droits de certaines catégories de citoyens. Ainsi en 1979, la
revue de la Prokuratura a pris position en faveur du controle
judiciaire des décisions relatives aux fonctionnaires de la nomen-
klatura. Elle a ouvert une discussion par la publication d'un
article signé par A. Iudin, Procureur de la Section de surveillance
générale de la Prokuratura et intitulé: << Il faut abroger !'examen
des litiges du travail par l'autorité hiérarchique >> (30).
En URSS, les litiges du travail des ouvriers et des employés
sont en principe examinés par les commissions pour les litiges
du travail, les comités syndicaux et les tribunaux populaires
(de ville ou d'arrondissement). Mais pour un certain nombre
de fonctions énumérées par !'annexe au décret du Présidium
du Soviet suprême de l'URSS du 20 mai 1974, les litiges relatifs
aux licenciements, mutations et sanctions disciplinaires sont
résolus par l'autorité hiérarchique au sein de l'administration.

(28) Socialiatiéeakaja zakonnost', 1979, n° 4, p. 5-7.


(29) S. I. GusEv, • La coordination de l'activité des organes de protection du
droit dans la Jutte contre les infractions o, Sovetakoe goaudarstvo i pravo, 1979, n° 6,
p. 23.
(30) Socialiatiéeakaia zakonnoat', 1979, n° 5, p. 44-46 et n° 6 à 10 pour la d.iscussion.
580 1\1. LESAGE

Ces travailleurs sont clone privés de la possibilité de défendre


leurs droits devant les tribunaux.
P. Iudin conteste cette situation en se fondant sur l'article 58,
alinéa 2 de la Constitution de l'URSS du 7 octobre 1977 qui
précise que les agissements des fonctionnaires comportant une
violation de la loi, un excès de pouvoir ou une atteinte aux droits
des citoyens peut faire l'objet d'un recours devant Ie tribunal
suivant les modalités fixées par la loi.

2. - Le Parti et les << organes de protection du droit >>

Au sein de l'appareil du Comité centra! du Parti et des comités


-centraux des Partis communistes des républiques fédérées, il
existe une << section des organes administratifs >> chargée de suivre
Ie travail des << organes de protection du droit >> et Ie Comité
-centra! adresse des directives à ces organes :
Un arrêté du Comité centra! du Parti communiste de l'Union
soviétique et du Conseil des ministres de l'URSS du 23 juillet 1966
-« Sur les mesures pour Ie renforcement de la lutte contre les
infractions >> a exigé des dirigeants des organes de la Prokuratura,
de l'intérieur, de la section d'Etat, des tribunaux de planifier
·systématiquement et de prévoir des actions communes dans Ie
domaine des problèmes les plus importants de la lutte contre
les infractions et du renforcement de l'ordre juridique (31).
En 1979, à la suite de l'adoption par Ie Comité centra! du Parti,
Ie 26 avril 1979 d'un arrêté sur l'amélioration du travail idéo-
logique et de l'éducation politique, les collèges de la Prokuratura
-et du Ministère de la justice de l'URSS et la Cour suprême de
l'URSS ont discuté des taches qui découlaient de eet arrêté
pour leurs organismes (32), mais surtout, Ie 2 août 1979, Ie Comité
centra! du Parti a adopté un arrêté << sur l'amélioration du travail
pour la protection de l'ordre juridique et Ie renforcement de la
lutte contre les infractions >> (33). Le Comité centra! demande
aux comités du Parti de renforcer Ie controle de l'activité des
-0rganes de protection du droit et charge les comités du Parti
-de réunir et de coordonner dans la lutte contre les infractions

(31) Cité dans Socialiatiéeskaja zakonnost', 1973, n° 4, p. 3-6.


(32) Socialiatiéeskaja zakonnosl', 1979, n° 8, p. 3-4.
,(33) Kommuniat, 1979, n° 14, p. 3-6.
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR 581

les forces organisatrices du Parti, de l'Etat, des organisations


sociales, des collectifs de travail, des institutions idéologiques,
de la familie et de l'école. Le O.C. considère indispensable que
dans les plans annuels et les plans à long terme des organisations
du Parti pour l'éducation communiste des travailleurs soient
inscrites des mesures complexes pour la prévention des infrac-
tions (33).
La revue Légalité socialiste a précisé les taches des << organes
de protection du droit >> pour l'exécution de l'arrêté du Comité
centra! (35). L'arrêté a été discuté lors de la réunion du Parti,
de la Prokuratura de l'URSS (Ie 27 septembre 1979), de l'appareil
du Ministère de la justice (Ie 25 septembre) et de la Cour suprême
de l'URSS (Ie 19 octobre) (36) et une conférence fédérale des
fonctionnaires dirigeants de la Prokuratura a été organisée à
Moscou pour examiner les taches de la Prokuratura découlant
de l'arrêté (37).
Les conséquences de I' arrêté pour la coordination des activités
des organes de protection du droit ont été également examinées
Ie 5 février 1980 à la Prokuratura de l'URSS lors de la conférence
ordinaire de coordination. Pour la première fois, elle réunissait
les chefs des 4 organismes concernés : Ie Procureur général,
R. Rudenko, Ie Président de la Cour suprême de l'URSS, L. Smir-
nov, Ie ministre de la Justice, V. Terebilov, Ie ministre de
l'Intérieur, N. Chtchelokov, leurs adjoints et les responsables
des appareils centraux et Ie chef adjoint de la section des organes
administratifs du O.C. du Parti, V. Gladychev participant à. la
réunion (38).

3. - Les Procureurs, Ze Parti et la coordination


des activités des << organes de protection du droit >>

La loi du 20 novembre 1979 sur la Prokuratura fixe parmi


les orientations principales de l' activité de la Prokuratura la
(< coordination des activités des organes de protection du droit

dans la lutte contre les infractions et autres violations du droit >>


(art. 3).

(34) Ibid., p. 4.
(35) Socw.liati.éeskaja zakonnost', 1979, n° 10, p. 3-6.
(36) Ibid., 1979, n° 12, p. 3-4.
(37) Ibül,., 1980, n° 3, p. 3-4.
(38) Socialiatiéeskaja zakonnoRt', 1980, n° 4, p. 19-20.
582 ~1. LESAGE

Cette fonction était déjà prévue par Ie Règlement sur l'orga-


nisation judiciaire de la RSFSR de 1926. Dans son chapitre
sur la Prokuratura d'Etat, il précisait que la Prokuratura était
chargée de la surveillance (nabljudenie) générale et de la concer-
tation (soglasovanie) de l'activité de tous les orgaries menant
la lutte contre les infractions. Pendant longtemps cette fonction
n'a pas été exercée et ce n'est qu'à partir de 1973 que des mesures
ont été prises.
A la suite de l'arrêté du Comité central du Parti communiste
de l'Union soviétique et du Conseil des ministres de l'URSS
du 23 juillet 1966 << Sur les mesures pour le renforcement de la
lutte contre les infractions >> (39) les services de la Prokuratura,
de I'intérieur, de la justice et les tribunaux ont amélioré la
coordination de leurs activités.
En janvier 1973, Ie collège de la Prokuratura de l'URSS
a examiné Ie problème des formes et méthodes de la coopération.
Après consultation du Ministère de l'intérieur, du Ministère de
la justice et de la Cour suprême de l'URSS, il a envoyé une lettre
d'information méthodologique sur ce thème. D'autre part,
toujours en 1973, une conférence de coordination des dirigeants
de la Prokuratura, du Ministère de l'intérieur, du Ministère de
la justice et de la Cour suprême de l'URSS a discuté un plan de
mesures communes dans la lutte contre les infractions pour 1973
présenté par la Prokuratura. La coordination concernait trois
domaines principaux: !'analyse conjointe de l'état de lutte contre
les infractions et de l'activité des organes subordonnés; la discus-
sion des problèmes exigeant des décisions concertées de tous les
«organes administratifs >>, la vérification trimestrielle de l'activité
des organes de la Prokuratura, de l'intérieur, de la justice et des
tribunaux dans les républiques, les territoires et les régions dans
la lutte contre les infractions et la discussion des résultats au
centre et localement.
Ces mesures ont été mises en pratique en 1973-1974. En Répu-
blique socialiste soviétique autonome de Carélie, une mission
conjointe a vérifié l'état de la coopération entre les 4 types de
services, en ce qui concerne la récidive, chaque service a utilisé
les informations des autres services. Le document de conclusion

(39) Cf. BUpra, p. 322.


LA LOi, LE PARTI ET LE PROCUREUR 583

a été adressé au comité régional du Parti et au Conseil des


ministres de la République autonome. Le Comité régional du
Parti l'a ensuite diffusé auprès des comités d'arrondissement et
de ville du Parti afin qu'ils prennent les mesures nécessaires (40).
Les principes de coordination fixés en 1973 précisent que ces
conférences de coordination ne sont pas des organes de direction
collective. Chaque organe doit agir dans Ie cadre de ses attribu-
tions et ne doit pas permettre de confusion de compétence. La
direction de chaque administration doit éliminer de façon auto-
nome les insu:ffisances constatées et cela ne doit pas diminuer
Ie röle et l'importance de la surveillance par Ie Procureur (41).
La conférence de coordination des dirigeants des organes fédé-
raux de protection du droit comprend les vice-ministres de
l'Intérieur et de la Justice et Ie vice-président de la Cour suprême
de l'URSS et elle est présidée par Ie Procureur général adjoint
de l'URSS. Elle se réunit une fois par trimestre. Elle peut être
ouverte à des représentants d'autres administrations. Ainsi, en
1980, l'arbitre en chef adjoint et Ie vice-ministre des chemins
de fer ont assisté à la réunion qui avait pour objet d'examiner
les vérifications effectuées à propos de la conservation des mar-
chandises sur Ie chemin de fer d' Asie centrale par la Prokuratura
de l'ÜRSS, Ie Ministère de l'intérieur de l'URSS et !'arbitrage
d'Etat de l'CRSS. La conférence de coordination a approuvé les
mesures élaborées par les différentes administrations repré-
sentées (42).
Les comptes rendus des vérifications communes sont commu-
niqués aux organes du Parti et les plans sont approuvés par les
Comités du Parti. Les résultats des vérifications conjointes sont
examinés lors des conférences de coordination avec la partici-
pation de fonctionna.ires du Parti (43). I. Skiba, secrétaire du

(40) S. GusEv, Procureur général adjoint de l'URSS, « La coordination des activités


des organes de la Prokuratura, de l'Intérieur, de la Justice et des tribunaux dans la
Jutte contra les infractions >>, Socialistiéeakaja zakonnost', 1975, n° l, p. 5-10.
(41) • La coordination des activités dans la lutte contra les infractions •• Socialis-
tiéeskaja zakonnost', 1973, n° 4, p. 3-6.
(42) Socialistiée8kaja zakonnost', 1980, n° 7, p. 71; Khozjajstvo i Pravo, 1980, n° IO,
p. 7.
(43) I. SKIDAN, Premier secrétaire du Comité du Parti de !'arrondissement
Dzerjinski de la ville de Kharkov, « La solution complexe des problèmes d'affermis-
sement de la légalité socialiste», Socialisticeskaja zakonnost,' 1978, n° 6, p. 13-17;
I. SKiilA, Secrétaire du Comité régional des Carpates du Parti communiste d'Ukraine,
• Le róle organisateur des comités du Parti dans l'affermissement de la légalité »,
Socialist:iéeakaja zakonnost', 1978, n• 10, p. 12-17.
584 M. LESAGE

Comité de région des Carpates du P.C. d'Ukraine, prec1se que


la Prokuratura, la Direction régionale de l'intérieur, la Section
régionale de la justice et les tribunaux adressent chaque trimestre
au Comité régional du Parti une note relative à leur activité
pendant le trimestre « pour l'affermissement de la légalité et de
l'ordre public>> avec l'indication des mesures concrètes prises
et des propositions pour l'avenir. Les conférences de coordination
adoptent des plans annuels complexes, qui sont examinés et
approuvés par le Comité régional du Parti (44) ou qui tiennent
compte des programmes complexes de mesures conjointes des
organes du Parti, des Soviets, des Syndicats, du Komsomol et
des «organes administratifs >> pour plusieurs années (45).
Pour certaines activités, les Comités du Parti organisent des
commissions, des groupes de travail ou des Conseils présidés par
un secrétaire du Parti et dont le Procureur est membre. Ainsi
le Comité du Parti de la ville de Kharkov a pris la décision
de transformer Kharkov en une ville de << haute productivité
de travail, de haute culture et d'ordre public modèle ». Une
commission spéciale chargée d'organiser l'émulation a été créée
auprès du Comité du Parti de !'arrondissement Dzerjinski. Elle
est dirigée par Ie premier secrétaire du Parti de l' arrondissement
et comprend les secrétaires du Parti, le Président du Comité
exécutif du Soviet d'arrondissement et ses adjoints, les chefs de
sections du Comité d'arrondissement du Parti et du Comité
exécutif du Soviet d'arrondissement, les représentants des syndi-
cats et du Komsomol, des organes de la Prokuratura, des tribu-
naux, de l'Intérieur, les secrétaires des organisations de base
du Parti, des dirigeants d'entreprises et d'établissements. Un
groupe de travail pour la << réalisation d'un ordre public modèle >>
est dirigé par un secrétaire de Comité d'arrondissement du Parti
et il comprend le chef de la section d'agitation et de propagande
du Comité d'arrondissement du Parti, Ie vice-président du Comité
exécutif du Soviet d'arrondissement, Ie Procureur de l'arrondis-

(44) I. SKIBA, op. cit.


(45) V. NAIDENOV, Procureur général adjoint de l'URSS. « La coordination des acti-
vités des organes de protection du droit dans la Jutte contre les infractions •>,
Socialistiéeakaia zakonnost', 1978, n° 12, p. 9-13; S. 1. GusEv, Premier vice président
de la Cour suprême de l'URSS, • La coordination de l'activité des organes de pro-
tection du droit dans la Jutte contra les infractions •• SovetBkoe Gosudarstvo i pravo,
1979, n° 6, p. 19-24, citent tous deux l'exemple de la région de Novosibirsk.
LA LOI, LE PARTI ET LE PROCUREUR 585

sement, Ie Président du Tribunal populaire d'arrondissement et


Ie chef de la section de l'lntérieur (46).
Dans la région de Kalinine, des Conseils de coordination de
la lutte contre l'ivrognerie et Ie houliganisme ont été créés près
des Comités de ville et d'arrondissement du Parti. Ils compren-
nent des dirigeants de la section de l'Intérieur de l' arrondisse-
ment, du tribunal populaire, de la section de la culture, de l'édu-
cation et d'autres organes. Le Procureur d'arrondissement en
est Ie vice-président (47).
Ainsi, si la Prokuratura est toujours << le gardien de la loi >>,.
les rapports qu'elle entretient avec les organes du Parti varient
selon les domaines d'activité : limités lorsqu'il s'agit d'affaires
civiles ou administratives individuelles, ils deviennent beaucoup
plus étroits lorsque les problèmes ont une dimension politique et
qu'il s'agit d'organiser des actions d'ensemble, particulièrement
en matière de maintien de l'ordre. lei, le Parti se doit d'inter-
venir. Le Procureur doit assurer la surveillance de l'application
de la loi, mais le choix des domaines d'intervention de la Proku-
ratura, Ie choix des méthodes de lutte contre la criminalité n'est
pas laissé aux seuls << organes de protection du droit >>. Comme
Ie précisait l'arrêté du Comité centra! du Parti du 2 août 1979
<< Sur l'amélioration du travail pour la protection de l'ordre

juridique et Ie renforcement de la lutte contre les violations du


droit >> : «Les comités du Parti et les organisations primaires
du Parti sont invités à examiner systématiquement les pro-
blèmes de protection de l'ordre juridique, à définir et à réaliser
conjointement avec les organes de protection du droit des
mesures concrètes pour améliorer ce travail et augmenter son
efficacité (48).

(46) l. 8KIDAN, op.cit.


(47) V. CvETKOV, Procureur de la région de Kalinine, « La coordination des actions
des organes de protection du droit dans la Jutte contre l'ivrognerie et Ie houliganisme ,,
Soci,aliatiéeakaia zakonnost', 1980, n° 11, p. 19-20.
(48) Kommunist, 1979, n° 14, p. 4.
La voie (dào il ), la raison (li t'l)
et la rationalité (llxz'ng J.·t fl'.)
dans Ie droit chinois traditionnel
PAR

TSIEN TCHE-HAO
MAiTRE DE RECHERCHE
AU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (PARIS)

La rationalité du droit est un thème souvent débattu dans


!'Occident moderne. Elle n'a cependant jamais été abordée à
propos du droit chinois traditionnel, sans doute à cause de Ia
spécificité de ce droit, mais plus probablement du fait du voca-
bulaire, les concepts de rationalité et de droit étant différents en
Chine et en Occident.
Il existe en Chine une école philosophique dite « Ecole des
noms » ou « Ecole des dénominations » (Ming jzä); ~ (1) qui
veut que toute chose et tout concept reçoivent un nom correct.
Même sans suivre cette école dans toutes ses conclusions, il n'est
pas inutile de commencer par préciser Ie sens des mots afin de
cerner Ie sujet traité.
Si l 'on s'en tient aux définitions courantes des dictionnaires de
Iangue française, la rationalité est ce qui possède un caractère
rationnel, c 'est-à-dire qui appartient à Ia raison, qui est conforme
à la raison, qui se déduit d'un raisonnement non empirique. La
raison, d' ou découlent les mots « raisonnable » et « raisonne-
ment», s'oppose à !'instinct, à l'intuition, au sentiment et à la
passion. C'est Ia faculté que possède l'homme de connaître, de
juger et d'agir conformément à des principes. Il en résulte que la
raison n' est pas une, mais qu' elle diffère selon Ie degré de
connaissance de l'homme, selon les principes qui servent de
référence, etc.

(1) Les transcriptions sont faites dans Ie système officie! chinois dit «pinyin».
588 TSIEN TCHE-HAO

Les philosophies dite.s « rationalistes » considèrent la raison


comme source première, sinon exclusive, de la connaissance.
Ainsi qu'on Ie sait, dans Ie domaine spécifique du droit, en
Occident, la rationalité a permis l'éclosion de la notion de droit
naturel et, en s'opposant au mysticisme, a provoqué une
nouvelle évolution du droit.
Mais Ie mot « rationalité » a aussi Ie sens de « raisonnable »,
sensé, judicieux, normal, conforme au bon sens. Aussi, bien que
Ie rationalisme ne soit pas un, comme la raison n'est pas une, et
que l 'on distingue, par exemple, Ie rationalisme idéaliste et Ie
rationalisme matérialiste, une ambiguïté va se créer autour du
mot« rationnel » présenté comme la garantie du seul possible, du
meilleur possible. Le rationalisme et le droit naturel vont avoir
des ambitions à l 'absolu et l 'universel.
La notion de droit reste elle aussi à définir : Ie droit est-il, par
essence, privé (comme le droit romain) ou public (comme le
droit chinois)? se limite-t-il à la loi? est-il subjectif ou objectif?
Quelles sont ses fins : la distribution, la justice, la domination de
la classe au pouvoir? Autant de réponses variées qui conduiront
à des définitions différentes.
La diversité des concepts permet d' aborder la rationalité du
droit chinois traditionnel de différentes manières : on peut
rechercher dans toutes les écoles philosophiques les définitions
de la rationalité et du droit et ce qui résulte de leur combinaison;
on peut chercher s'il existe une école de rationalité du droit, sous
ce nom ou sous un autre, et l 'étudier; on peut aussi rechercher
les divers aspects rationnels du droit chinois, c'est-à-dire appli-
quer au droit chinois traditionnel les normes du droit occidental
moderne dans un but plus ou moins comparatif.
Cette étude se bomera à décanter le sujet en s'attachant plus
particulièrement aux définitions et en examinant 1) l 'étymologie
de Li ll, la raison; 2) les quatre principales écoles philoso-
phiques de la Chine antique et leur conception de la rationalité ;
3) l'.évolution de la philosophie chinoise après le 111e siècle avant
Jésus-Christ; 4) les principes fondamentaux du droit chinois tra-
ditionnel; 5) la confusion qui existe en Chine entre la raison, le
droit et la philosophie.
VOIE, RAISON ET RATIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 589

I. - LES DIVERSES SIGNIFICATIONS DE Li

Les ambiguïtés de langage de la philosophie occidentale se


retrouvent aussi dans la langue chinoise, d'autant que les mots
qui servent à exprimer les notions de rationalité et de droit ont
d'autres sens et qu'il existe un vocabulaire varié pour exprimer
des notions semblables. Le sens de « raisonnable » se trouve
aussi exprimé, par exemple, dans Ie mot yi l
qui signifie
« équité et justice ». Quant au droit, s'il est sou vent rendu par Ie
mot fa Jt. qui signifie « loi », il s 'ex prime également avec Ie
mot xfng -ff ,J « chatiment ou droit pénal », Ie mot lü ,tf
« diapason » , etc. (2).
Le terme qui sert Ie plus couramment à traduire la notion de
raison est l 'idéogramme li i<f formé par la juxtaposition de
deux idéogrammes simples, à gauche Ie jade qui donne la signifi-
cation du mot et à droite une mesure de distance qui se prononce
« li » et donne la prononciation (3).
A l'origine, l{ 1f désignait les veines ou les strates qui
traversent Ie jade. Le jade est une pierre très dure qui se travaille
assez facilement si Ie sculpteur sait en suivre les veines naturel-
les. Par extension, L{ if va signifier « analyser », chercher les
lignes.
Dans les textes les plus anciens, L{ J.f
sert à désigner Ie
juge et plus particulièrement Ie magistrat chargé de faire appli-
quer Ie droit pénal. Vingt trois siècles avant Jésus-Christ, après
avoir constaté les désordres qui troublent son empire, l'empereur
Shun •:# exhorte ainsi l'un de ses ministres : « Vous êtes Ie
grand juge (Dà l{ k 11), infligez aux criminels les cinq grands
chatiments ... » (4). Le Livre des rites, L{ ji i-l-i,i stipule qu'au
(2) Voir Ts1EN Tche-hao, La genèse de J'Ecole des Lois en Chine antique,
Rapport présenté à la Conférence Internationale de l 'Histoire du droit,
Mamaia, septembre 1974, et Le concept de «Loi» en Chine, Archives de
philosophie du droit, tome 25, (1980), pp. 231-247.
(3) L'écriture chinoise n'est pas alphabétique mais idéographique. Les
idéogrammes sont formés d'un oude plusieurs dessins stylisés qui leur donnent
leur sens et parfois leur prononciation. L 'un de ces signes est dit « radical » ou
« clé » et sert à ranger Ie mot dans les dictionnaires. La raison li se range dans la
clé du jade.
(4) Shüjtng, première partie, chapitre II « Règles de Shun ». Le Shüjïng est
l'un des plus anciens classiques chinois. Il est daté entre Ie IX• et Ie
VIII" siècle avant J.C. mais rapporte des faits remontant à )'époque pré-
dynastique de l'empereur Yáo qui régnait en 2.356 avant J.C. Shun lui succéda
en 2.255.
590 TSIEN TCHE-HAO

premier mois de l'automne, lesjuges (Li l'f )


reçoivent l'ordre
de regarder les contusions, de considérer les blessures, etc. afin
de juger les causes régulièrement et justement (5). Le livre des
Hän Hètnshü 3Jiexplique ainsi !'origine de J'Ecole d~s lois:
« L'Ecole des Lois est sortie des magistrats (Li guänJf 'Î) pour
faire en sorte que les récompenses soient crédibles et les puni-
tions certaines, afin de seconder les institutions rituelles (les
rites) (6). Sous la dynastie Mfng a_A (1368-1644) une catégorie
de fonctionnaires formée de juristes chargés de vérifier les textes
applicables était nommée « li wèn » J{ 1~ (wèn signifiant
« interroger »).

A partir de la dynastie des Qi du Nord ,t,.fi- ,


au Vle siècle,
la Cour suprême se nommera « Dà li si -f-. Af » qui deviendra 4'
« Dà l{ y_udn /\ ti' ('t » à la fin de la dynastie mandchoue des
Qïng ;;t- (1644-1911).
Dans les dictionnaires classiques et dans les commentaires des
textes classiques, Li l'l se trouve souvent employé dans Ie sens
de magistrat (li guän if 'g ), justice et juste, communication,
loi naturelle, comprendre et saisir Ie sens, administrer, et, bien
sûr, raison, raisonnement, voie raisonnée, raison originelle,
apparition d'une raison, raisonnement déductif.
Dans Ie langage mode12e, li sert à former des formules aussi
variées que zheng li !t l't qui signifié « mettre en ordre,
régler »; guiin li ~f
1f qui signifie « gestion, gérer, adminis-
trer » ; zóng l{ !!t-
J{, « président » Iorsqu 'il s 'agit de la prési-
dence d'un directoire, du Conseil des Affaires d'Etat, du gouver-
nement, et aussi « Premier ministre» (7); li shizhiing if .:f ~J!<:.
« président du Conseil d'administration » d'une association ou
d'une entreprise.
(5) Liji, chapitre IV « Règles de la lune », article 4. Le Liji ou Livres des Rites fut
rédigé au I" siècle avant J.C. sur la base de textes antérieurs. La langue chinoise
contient beaucoup d'homonymes. Rite se dit aussi li mais l'idéogramme est complète-
ment différent du L{ de raison.
(6) H°ltnshü, Y!wtnzht. Le HtJnshü ou Livre des Hàn est une chronique historique
écrite sous les Hb postérieurs par Bän GJ (mort en 92 après J.C.) et terminée par sa
so:ur Bän Zhlto (morte en 120).
(7) Ont porté ce titre, Sün Yat-sen, en tant que président du directoire du Parti
nationaliste (Guomindang), et Zhöu Enlái en tant que Premier ministre. Sous la dynas-
tie mandchoue des Qing, avant la guerre des Boxers en 1900, Ie Ministère de~affaires
étrangères était nommé « z<fngtf gègu~ sh~w~ y&m~n » , lfs- l f }}- 1~ -:;-'{ q'
~tj' ,"3mot à mot« Ministère (yamen) chargé de l'administration générale (z1'ngll') des
affaires (shlwu) de tous les pays (g~guG) » ce qui se disait, en abrégé « zong il ytmén"
VOIE, RAISON ET RA TIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 591

Le Shujïng -Î 'r
rapporte qu'au XII° siècle avant Jésus-
Christ, l 'empereur Chéng wàng i1.c, _;1.. institua trois grands
dignitaires chargés « d'exposer les principes (dào .iÎ.. ), d'éta-
blir l'ordre et d'analyser la raison (/i if ) du Yïn et du Yáng
e~ t~, es).
Ainsi la simple recherche des différents sens du mot Li l-f
fait apparaître, à cóté de la raison, Ie droit et différents.aspects de
la philosophie, de dào .ll..
et Ie yin-yáng (,;$. /1~
ll. - LES QUATRE GRANDES ÉCOLES PHILOSOPHIQUES
DE LA CHINE ANTIQUE

Tantót de manière très claire, tantöt implicitement, presque


toutes les écoles philosophiques chinoises ont, dès l'antiquité,
fait référence à la raison et à la rationalité, spécialement en
abordant la question du droit. Mais toutes ne furent pas d'accord
sur la signification du li auquel elles faisaient référence.
Comme en Occident, les écoles philosophiques chinoises pos-
sèdent un fond commun et se développèrent les unes par rapport
aux autres. Elles furent particulièrement florissantes entre Ie ye
et Ie me siècle avant Jésus-Christ. Les quatre plus célèbres de
ces écoles sont l'Ecole taoïste, Dào }ia LÎ ~. l'Ecole des
Lettrés, Ru jiá 1..1.; ~ ou Ecole confucéenne, l 'Ecole de Modi
f
;:J ou Mo jiá _.l ~ et l 'Ecole des Lois Fa jiá ;,,l,. 'ij .Ces
l'école des dénominations, M{ng jiä /4 *
quatre écoles portent les traces d'autres écoles moins célèbres,
qui transparaît à la
fois chez Confucius et chez les légistes, I 'Ecole dialectique du
Yin et du Yang, Yin-yáng Jiä tt~
1;. <lont on trouve trace un
peu partout, l 'Ecole des Sophistes et des Lqgiciens. ~ui inspira
l'Ecole des Lois, l'Ecole égoïste de Yáng Zhü ,#i;, ~ qui
refuse de donner un seul de ses poils, même pour sauver l'huma-
nité, etc.
Bien que les taoïstes se soient approprié Ie terme pour en faire
Ie nom de leur école (9), toutes les écoles philosophiques recher-
chent Ie dào .ui . On traduit généralement dào il.. par « voie »,
mais comme ll J.f , il possède de nombreuses significations :
,,.;, ~~~
(8) Shüjïng, quatrième partie, chapitre XX "Officiers des Zhou ». '1'ff. /lJJ Ja ,{''fl
(9) "Taoiste », en chinois Dào jïa vient de Dào ou Tào dans les anciennes transcrip-
tions occidentales. - ~
592 TSIEN TCHE-HAO

principe fondamental, loi naturelle, loi, vérité, existence, être,


discourir, parler, etc. Le dào il
est intimement mêlé à la
raison chez les confucéens et au droit chez les légistes.
a) L' Ecole taoïste qui, comme son nom l'indique est principa-
lement basée sur la recherche du dào lJ._ et de la vertu dé .-!&.
fut fondée par Läo ZI (Läotzu) 4f ..J- (570-490 avant J.C.)
auteur du Dào dé jïng .L1
{.11 !~, Ie Livre de la voie et de la
vertu. Elle est célèbre pour sa formule dialectique « un yïn (~,
un yáng (~ , c 'est Ie dào .d
» et pour sa théorie du « non

agir», (wu wéi) dont elle n'a d'ailleurs pas l'exclusivité. Sa


philosophie est basée sur l 'observation d 'une « loi naturelle»
(dào .tl_ ) et Ie refus de toute forme de contrainte sociale, insti-
tution, rites, droit ou autre. C'est une théorie du libéralisme
absolu.Par divers procédés de méditation et d'introversion,
l'homme doit parvenir à l'union avec Ie dào. Il est alors en
harmonie avec les lois de la nature dào et n'a plus besoin d'agir
(wu wéi ..JJ:- ..h ).
Les Chinois rapprochent Ie taoïsme de l 'anarchisme moderne,
spécialement des théories de Max Stimer et de Michael Bakou-
nine.
Le taoïsme fait peu mention du L'i. Il est cependant rationnel
dans la mes ure ou il s 'oppose à toute forme de sentiment (y
compris l 'amour) et à toute passion. Il préconise des séances de
méditation et des techniques respiratoires pour parvenir au par-
fait controle de soi. Pour les taoïstes, les passions ne sant pas
naturelles; elles sant Ie produit des contraintes sociales.
Dans un texte moqueur condamnant les prétentions des politi-
ciens à gouverner à l 'aide de rites, de lois et au tres conventions
contraignantes alors qu 'il suffirait de ne rien faire (wu wéi
...,a..J, ) et de laisser aller les choses naturellement, Zhuäng ZI
j,t,. -¼ (369-286 avant J.C.) constate que « les théories sur la
justice et l'équité (yi' ~) ont oblitéré la raison(/()» (10).
b) L' Ecole des lettrés ou Ecole de Confucius met l' accent
sur l 'éducation et l 'observation de rites codifiés et très éla-
borés. Comme les taoïstes, Confucius .JL
-t (555-479 avant
J.C.) (11) recherche Ie dào 11
iµunuable et transcendant. Il dit
(10) Zhuiingzi, chapitre 11 «politique vraie et fausse».IJt ;, ,á. i_ -1;.,
( 11) Confucius est la forme romanisée de Kóng Fuzi, maître Kóng. J L"J-, f
VOIE, RAISON ET RA TIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 593

ainsi : « Si je peux connaître Ie dào Ie matin, je peux mourir Ie


soir sans regret» (12). Le dào étant formé de la combinaison
harmonieuse du Yin et du Yáng, il est nécessaire d 'en rechercher
l' équilibre. Et Confucius élabore la théorie du « jus te milieu» ou
« invariable milieu» (zhong-yöng f Jt )
qui constituera l'un
des sommets de la discussion au cours de la campagne contre
Confucius et Lin Biäo qui se déroula en Chine dans les années
1974-1975.
La pratique des rites ne doit pas être seulement une science du
comportement méconnaissant Ie principe de causalité. Le Livre
des rites Li ji ~L ,;,0 précise bien que ce qui est Ie plus
important dans les rites, c'est leur signification (13). Dans son
traité sur les rites, l'historien Sïmä Qïan -11 . . . ;t!.:
(145-86 avant
J.C.) dit que, de même que Ie cordeau est la perfection de ce qui
est droit, la balance est la perfection du poids, Ie compas et
l'équerre sont la perfection du carré et du rond, les rites sont la
perfection du dào de l'homme (14). Les rites constituent la plus
rationnelle des méthodes permettant de modérer les passions
humaines. Et Sïmä Qiän d' expliquer que l 'abus du vin provo-
quant de mul tip les désordres, les rois anciens instituèrent le rite
du vin. Suivant Ie rite, chaque fois qu'on offre une coupe, )'in-
vité et l'hote font force salutations. IJs peuvent ainsi boire tout Ie
jour sans s'enivrer (15). Au chapitre suivant, l'historien dit aussi
que « les rites sont ce qui réprime les excès » (16).
Le droit, méprisé, n'est admis que comme sanction de la non
observation des rites, cette non observation étant la particularité
des barbares et du peuple ordinaire. Le Livre des rites stipule de
manière non équivoque que « les rites ne descendent pas jusqu' au
peuple ordinaire (shit rén Jl.
;<.. ) ; la loi (le chàtiment xing
..f•J ) (17) ne monte pas jusqu'aux dignitaires (dä fit
:k ~) (18).

(12) Lun yu, livre IV « Li rén», chapitre 8. -.~ ~ , f ~:.


(13) Liji, chapitreIX «jiäotèshëng». ,il.,-i,~. ~,1f 1ft
(14) Sïmä Qiän, chapitre XXIII «les rites». ;,J ...; ~, -$.._-il.J, -<-L"Î
(15) Idem.
(16) Simä Qiän, chapitre XXIV «la musique».•' •• ~-
--i
•• , •• •• ~ ll:Ji1._.

(17) Xing, Ie chätiment, ou la loi pénale, c'est-à-dire la loi. Ne pas confondre ce


xing qui signifie chätiment avec son homonyme xing qui signifie « nature humaine" et
dont I 'idéogramme est complètement différent. • • ,a -.Ji,~(.J
(18) Lij,', chapitre 1 «qu Il», partie 1, article 5. ~l,-,,,u •
594 TSIEN TCHE-HAO

Par la pratique des rites, Ie sage qui possède déjà la sagesse


innée et est né pour gouverrler, cultive sa personne. Sa sainteté
apporte la tranquillité au peuple. Il peut gouverner sans agir
(wu wéi ~ - ~ ) (19). C'est Ie règne du gouvernement par les
hommes (rén zhz A.:~ ).
Continuellement, les classiques confucéens rapprochent Ie
dào de la nature humaine (xing 1t ) et la raison (li if )
de la
justice et I'équité (yi _A ). En examinant de près ces quatre
termes et les commentaires qui les entourent, on s' aperçoit qu' ils
sont liés et souvent interchangeables. Ceci se vérifie dans Ie
langage moderne. Les philosophes chinois et japonais ont forgé
Ie mot composé « 11 xing » lf f1:
(mot à mot « raison-nature
humaine») pour traduire Ie concept occidental de « rationalité ».
Et dans Ie lang age parlé, la raison, dans Ie sens « d' avoir raison»
se dit dào li L1
[if « voie-raison » Lorsque deux Chinois sont
en désaccord et se disputent, ils cherchent un médiateur ou un
arbitre devant qui ils vont chacun « exposer leur dào-li
il__1f ».

Les philosophes chinois comparent Confucius à Platon parce


qu 'il s' intéressait plus à l' éthique qu' à la loi.
Confucius eut deux disciples célèbres.
Le très orthodoxe Mencius)i f
(372-289 avant J.C.) (20)
assure que l'homme est né bon et qu'il suffit de développer sa
bonté naturelle. Pour lui, la raison (li J.{ ) est semblable à la
justice (yz' 1)(21) et ne se distingue pas de la loi naturelle. Le
droit est inefficace.
Le dissident Xûn zi lJo- (313-238 avant J.C.) prétend au
contraire que l 'homme est né mauvais. La pratique des rites a
pour but de Ie rendre meilleur.
Xun Zi est le premier à développer véritablement Ie concept de
raison (li ~ ). La raison, dit-il, est Ie produit de l'activité
sociale des hommes. L'homme diffère de l'animal parce qu'il
possède une raison (li ~:f ) (22). Le philosophe s'oppose au
fatalisme et à l 'immobilisme de Confucius et à la formule « Le
ci~l est immuable, le dào est immuable ». La raison et le dào sont
basés sur la permanence et l' expérience « Ce qui ne change pas à

(19) Lun yu, livre 15 «wèlînggöng», chapitre 4. ,Ï~~. fff ~ l1,.'


(20) _1i, +
Mencius est la forme latinisée de Mèng Zi, maître Mèng.
(21) Mèngzi, chapitre «gào zi» . ..i:, et',~ ; ~
(22) Xunzi, chapitre « Fu góo ». d/j r , •_jj-1J .,
VOIE, RAISON ET RA TIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 595

travers cent dynasties, c'est Ie dào immuable et transcendant. Il


y a des hauts et des bas. Cependant, avec Ie dào immuable et
transcendant, on trouve la raison (l{) immuable et transcendante
qui permet une traversée sans désordre » (23).
Xun ZI croit en même temps à la raison innée des hommes
saints. Il emploie aussi Ie mot li dans Ie sens d'administrer et dit
« les dignitaires administrent (li i-Î, ) l'univers » (24). Et l'ob-
servation des rites permet à l 'homme bienveillant de gouvemer
« sans agir» (wu wéi_:i...b; ) (25).

Son reuvre étant remplie de contradictions, Xun Zi est classé


tantót parmi les confucéens, tantót parmi les légistes. Plusieurs
de ses élèves deviendront des légistes célèbres.
c) L' Ecole de Mo zi _.f d- ou Mo Di ;.'f (468-376 }tf
avant J.C.) est une philosophie de !'amour universel. Mo Di
attend tout de la volonté du ciel dont la loi (ja yi iJ, ~. ) (26)
est juste et non discriminatoire.
Le ciel de Mo Di diffère du ciel des taoïstes du fait qu'il
possède une volonté capable de récompenser les bons et de punir
les méchants. L'obéissance à la volonté du ciel (tiän zht
1'_ , ~ ) entraîne l 'obéissance aveugle aux décisions du chef et
la création d'une oligarchie fortement hiérarchisée.
Comme les légistes, Mo Di craint Ie manque de biens maté-
riels que provoque Ie développement démographique, Ie gaspil-
lage et les guerres. Il préconise une vie frugale, austère, labo-
rieuse, d'ou est exclue toute forme de fête. L'amour universel se
traduit par une distribution égale, dégagée de tout sentiment.
Mo Di s' oppose à l 'esprit de clan de Confucius.
L'Ecole de Mo Di fait peu de place à la raison (li qu'elle lf )
remplace par la volonté du ciel (tiän zhi ,f.._ .~·).Elle s'oppose
aussi aux passions et aux sentiments, y compris à la joie. Cepen-
dant son frein n'est ni la méditation des taoïstes, ni les rites des
confucéens, ni la loi des légistes, mais la seule crainte de la
justice du ciel.
Mo Di fonda une secte dont les membres fanatisés parcou-
raient Ie pays pour semer la bonne parole et s'interposer entre les
(23) Xunzi, chapitre «Tiän Jim». fJ -~
,J, • J(... ~ 1~

~4 1 •·
(24) Xunzi, chapitre " wàng zhi ». •• •· ., ,;L, • •·
(25) Xunzi, chapitre «Jie bi». ,, "
(26) Fá, la loi, Ie droit, comme dans l'Ecole des lois, yi, la justice et l'équité.
596 TSIEN TCHE-HAO

belligérants. Son école connut un grand développement aux rve


et nre siècles avant Jésus-Christ et disparut avec Ie triomphe des
légistes. Elle n'a pas fait de grands disciples et n'a pas imprimé
sa marque dans l'évolution de la doctrine philosophique. Elle a
cependant suscité un regain d'intérêt chez les philosophes
chinois aussi bien qu'occidentaux au début de ce siècle, sans
qu 'ils parviennent à s 'entendre sur Ie fond de cette philosophie
dont l'amour universel se traduisit par une austérité fanatique.
Les uns considèrent que Mo Di croyait en dieu et rapprochent ses
théories de celles de Saint Thomas d' Acquin. Les autres, au
contraire, font de Mo Di tantöt un devancier de Jean-Jacques
Rousseau, tantöt un précurseur du socialisme.
d) L' Ecole des lois a des racines qui remontent loin dans Ie
passé, son précurseur Guän Zi ;& ~ (708-643 avant J.C.)
ayant vu Ie jour presque deux siècles avant Läo Zi, Confucius et
Mo Di. Pourtant, en tant qu'école philosophique, elle est posté-
rieure aux tr:ois précédentes. Elle passe pour avoir représenté la
classe montante des propriétaires fonciers née des bouleverse-
ments techniques et sociaux provoqués par l'invention du fer qui
transforma les techniques agricoles et détruisit Ie système escla-
vagiste. Les légistes expliquent l'évolution de la société à )'aide
d'arguments qu'on croirait tirés de Friedrich Engels.
La particularité de l 'Ecole des lois est de rechercher Ie dào !.!
dans la loi (fa ~ ) dont Guän zi dit qu 'elle est « Ie dào parfait, Ie
moyen pratique des saints souverains » (27).
Il ressort de deux phrases parallèles qu'utilise Yïn Wén zi
f I~ f" (vers 330 avant J.C.) (28) pour exposer les qualités
réciproques du dào et de la loi (fa) que Ie dao est naturel tandis
que la loi est contraignante : « Avec Ie dào, les pauvres et
les humbles ne se plaignent plus des riches et des nobles, les
riches et les nobles n'insultent plus les pauvres et les humbles;
les faibles physiques et mentaux ne se comparent plus aux intel-
ligents et aux forts, les intelligents et les forts ne méprisent
plus les faibles physiques et mentaux. Avec la loi (fa IJ )
les pauvres et les humbles « n'osent plus» se plaindre, les riches

(27) Guánzi, chapitre «Rén fä». 1 J-, 1-f t/. Jh


(28) On sait peu de choses de ce personnage que certains considèrent comme un
adepte de l'Ecole des dénominations et qui a Iaissé une ceuvre intéressante qui se
rattache à l'Ecole des lois.
VOIE, RAISON ET RA TIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 597

et les nobles « n 'osent plus » insulter les pauvres et les


humbles ... (29).
La loi est basée sur l'objectivité. Elle ne dépend pas de l'inter-
vention aléatoire d'un homme vertueux. La rationalité est ce qui
distingue Ie gouvernement par la loi du gouvernement par les
hommes que pröne Confucius. Yïn Wén zi précise : « Dans Ie
gouvernement par les hömmes, l'homme saint gouverne seul.
Tandis que la loi (Ja) sainte est issue de la raison (l{). Bien sûr, la
raison (/{) émane d'un homme. Tout homme n'est pas nécessai-
rement raisonnable (/{), mais si l'homme raisonne (/{) alors sa
raison (l{) ne lui est plus personnelle. Par conséquent, Ie gouver-
nement par l'homme saint est Ie gouvernement d'un seul
homme, tandis que dans Ie gouvernement par la loi (Ja), per-
sonne ne gouverne » (30). Le philosophe dit également: « La loi
(Ja) et Ie dào interdisent l'arbitraire du prince. Quand l'homme
ne peut plus agir selon son caprice, Ie dào triomphe et la raison
(/{) est atteinte » (31).
La loi (Ja) change et évolue avec Ie temps. Sans nier l'immua-
bilité du dào, les légistes s 'opposent au ,conservatisme et au
passéisme des autres écoles. Shäng Yäng ifJ ~ (?-338 avant
J.C.) s' interroge : « Les générations antérieures n' avaient pas la
même doctrine. Pourquoi se modeler sur l 'antiquité? Les anciens
empereurs ne se continuaient pas mutuellement. Pourquoi se
conformer à leurs rites?» (32). Et derrière lui Du Zhöu ,t:t. ~ :
« D'ou vient la loi (Ja)? Ce que les souverains estimaient juste,
ils en faisaient des lois. Ce que leurs successeurs estiment juste,
ils en font des ordres. Ce qui est juste actuellement, pourquoi Ie
modeler sur ce qui était autrefois? » (33).
C'est la raison (/{) qui justifie les variations à l'intérieur du
dào immuable : « Le dào est la règle générale des dix mille êtres,
la base de toutes les raisons (/{) particulières » (34). « Les dix
mille êtres possèdent leurs raisons (lf) particulières, mais Ie dào
recouvre toutes les raisons des dix mille êtres»• (35). Et Hán Fëi zi
)J. ~f f (?-233 avant J.C.) qui fut Ie plus illustre représentant
(29)
(30)
Yinwénzi, chapitre « Dà dào ».
Idem.
i/ ~
.::i:,_ d- .Je tl ~
..J:;. 1(., ,
(31) Yinwénzi, chapitre « Shàng yi ». " " " 1,: •.t
(32) Shangjün shü, chapitre «Gèng fà ». , , ~ ... -~~ J,:•
(33) Hànshü, biographie de Du Zhöu. j, ~ , -,tJ:. ,i~
(34) Hánfeizz. chapitre «jie läo». ~ j
(35) Idem.
-1' • JIJ ~ $
/'
598 TSIEN TCHE-HAO

de l'Ecole des Lois conclut: « Si l'on traite les affaires en suivant


le dào et la raison (li), ça ne peut pas ne pas marcher» (36).
Contrairement à ce que prétend Confucius, la loi (ja doit >-i' )
être la même pour tous. Hán Fëi zi précise : « Les ministres ne
sont jamais exempts de chätiments (37) pour leurs fautes; les
gens du commun ne doivent pas être oubliés dans les récom-
penses » (38). La loi doit être publiée et expliquée. Avec la loi
(Ja) gouvemer devient si facile qu'il n'est plus nécessaire d'agir.
« Le prince illustre s'appuie sur la loi sans se déranger en per-
sonne puisque tout est décidé par la loi » (39). Pour les commen-
tateurs chinois, ce non agir est encore du « wu wéi J!, J; ».

III. - L 'ÉVOLUTION DE LA PHILOSOPHIE


L'Ecole des lois connut son apogée au me siècle avant J.C.
Grace à elle, Qinshihuángdi j..~ j.f
unifia Ie pays déchiré
par les guerres entre royaumes et fonda ! 'empire chinois.
Le triomphe fut cependant de courte durée. Dès Ie siècle
suivant, les lettrés confucéens revinrent à la charge et la doctrine
confucéenne, revue et adaptée aux conditions de !'époque,
devint l' idéologie officielle. Dóng Zhongshü ---Î f•j (179-104 1if 7

avant J.C. ) artisan de cette renaissance va faire régresser la


notion de rationalité en développant les ~spects les plus téléolo-
giques et les plus métaphysiques de la pensée confucéenne avec
la formule « Le dào a son origine dans Ie ciel. Le ciel est im-
muable, donc Ie dào est immuable ».
Le droit, en dépit du mépris qu'on lui porte officiellement, ne
sera pas négligé pour autant : il va servir à imposer la doctrine
confucéenne et à sanctionner Ie non respect des rites confucéens.
Pour résumer, les empereurs vont professer bien haut leur huma-
nisme confucéen et utiliser pragmatiquement Ie droit pour gou-
vemer et pour réprimer l'opposition.
La plupart des écoles philosophiques ne purent survivre à ces
changements. Les taoïstes sombrèrent dans la superstition et
la recherche de recettes d'immortalité. Par contre, la pensée
(36) Idem.
(37) «Chätiment xing » c'est-à-dire loi pénale, la même loi qui, selon Confucius, ne
monte pas jusqu'aux dignitaires.
(38) Há,efëizi, chapiU:tá Yóudu ».
J«- Af
IIJ'
b ,,/;, -rj1 ~
-f-, 111 17'. I~
(39) Shènzi. ~ +
YOIE, RAISON ET RATIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOJS 599

chinoise va s 'enrichir de nombreuses influences extérieures, et


spécialement du bouddhisme.
Bien qu'elle n'ait cessé d'évoluer, la philosophie chinoise sera
désormais classée en deux grands courants: d'un cöté les confu-
céens qui regroupent tous les conservateurs, les idéalistes et
les gens proches du pouvoir, de l'autre leurs adversaires, dits
« légistes » et parmi lesquels se rangent, outre les légistes propre-
ment dits, les matérialistes et les opposants au régime.
C'est sous la dynastie Song :f: , aux Xle et xue siècles, dans
Ie cadre du néoconfucianisme qui fleurit à !'époque, que naît une
école portant Ie nom d 'Ecole rationaliste « Li xue 1f:.:;, » ou
« dào xue Q ,1' (40).
La notion de raison li est en premier développée par les frères
Chéng. C'est une raison idéaliste. Selon Chéng Yi fr. ~A
(l 033-1107), la raison (U) est un principe cosmique immatériel
qui se distingue du « souffle » (qi J.t. ),
principe matériel. Il
explique également : « Le creur humain et Ie désir égoïste sont
dangereux, tandis que Ie centre du dào et la raison (LO sant
essentiels. Il faut détruire Ie désir égoïst~~our que s 'éclaire la
raison (li) céleste» (41). Chéng Hào ~i.-1,JJ (1032-1085) voit
dans la raison (l{) une tendance naturelle plus qu 'une loi fixe.
Le plus célèbre représentant de l 'école rationaliste est Zhü Xï
J.: (
:#:., 1130-1200) dont Ie syncrétisme donnera au confucia-
nisme la forme sous laquelle il sera désormais transmis. Pour lui,
l 'univers se compose de la raison (l{) et du souffle (qi). La raison
(li) est la voie (dào) dans ce qu 'elle a de supérieur, Ie souffle est
la partie inférieure. En recevant la raison, les êtres et les choses
constituent leur nature (xing 1t ), en recevant Ie souffle, ils
constituent leur forme visible. Le souffle, divers dans ses pro-
portions et densités, fait que les hommes sant différents. Mais la
raison est la même pour tous, elle se confond avec la nature
humaine. Commentant un texte de Mencius sur la bonté naturelle

(40) L'Ecole s'est d'abord appelée Dào xûe nom qu'elle a ensuite changé en Li xûe.
Les deux noms sont utilisés, mais Li xûe est plus courant. A remarquer que les écoles
philosophiques antérieures à notre ère s 'appelaient «jia" qui signifie «familie».
Tandis que l'école rationaliste va s'appeler «xûe » qui signifie « étude ». Trois écoles
différentes ont pris Ie nom dào : Dào jia l 'école taoïste; Dào jiào, la religion taoïste;
il i: , 11
Dào xûe, l'école rationaliste. ll. ,'i ~1 ,
Chéng Hào. ~Î i,iJ f{ ie
(41) Yîshü, vol. 24. Yîshü est Ie nom des ceuvres po~humes des frères Ch~ng Ytet
fc.... i: L!_ -:t
600 TSIEN TCHE-HAO

de l 'homme, Zhü Xï précise : « La nature humaine (xing ·t'! )


c'est la raison (l( 1{ ) » (42). Comme Chéng Yî, Zhü Xï
veut « appliquer la raison (lt) du ciel pour vaincre Ie désir
humain et appliquer Ie creur du dào pour maîtriser Ie creur de
l'homme » (43).
Commentant Ie principe du « jus te milieu» (zhöng yöng
{ /1 ) de Confucius, Zhû Xi écrit: « On appelle milieu (zhöng
'1') ~e qui n' incline d' aucun cöté; on appelle invari~~le (yöng
,t} ce quine change pas. Le milieu est la voie (dào ll..) droite
de tous les êtres; l 'invariable et la raison (U !1{), la constante
qui les régit» (44).
Les marxistes chinois considèrent que la raison de Zhü Xï
ressemble à « l'Idée » de Platon ou à « l'Idée absolue » de Hegel.
Derrière Zhü Xï, presque tous les philosophes de la dynastie
Song vont s 'appliquer à « rechercher la raison» (qióng U
:/(, if ). Mais la raison qu'ils cherchent est la « raison du
c1el » immuable, transcendante, universelle et idéaliste, en dépit
de l'introduction d'une certaine connaissance sensible.
Tandis que Ie droit qui demeure à la place subalterne ou l'a
placé Confucius n' est en rien touché par ces théories rattachées à
l'école confucéenne.
Les confucéens resteront longtemps ~és dans leur immo-
bilisme. Au XVIIie siècle, Dài Zhèn ~ •i (
1723-1777)
soutenait encore que la raison (l() est la recherche de la règle
immuable.
Cependant, peu à peu, des nuances apparaissent, même chez
les lettrés confucéens. Le rationalisme se fait matérialiste. L'his-
torien Zhäng Xóechéng,-f ; ; "'-,t· (1738-1801) conteste la théo-
rie de Zhü Xï et déclare que « 1;-'dào et la raison (lt) résident dans
l'ustensile (qi ~ ) » (45).
Au XIXe siècle, l'urgence et l'inévitabilité des réformes ne
pouvant plus. être niées, les philosophes chinois se laissent in-
fluencer par les théories venues de l'Occident. Käng Yóuwei
;f 1 .,J7 ( 1858-1927), Ie « réformateur de 1898 » tente de justi-
(42) Mengzi, Iivre III, «Téngwéngöi•• chapitre 1, commentaire de Zhu Xi.
(43) Zhüwéngöng wénji, vol. 36. ~ JJ>. -3(.~
(44) Zhöngyöng, avertissement de Z ü XL
(45) Zhän-gsh~ yishü. Ne pas confondre « qi • l'ustensile, c'est-à-dire Ie matériel,
avec son homonyme « qi • qui signifie « Ie souffle •. ~ ~
,o # .-ir-\,
VOIE, RAISON ET RA TIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 601

fier ses réformes institutionnelles au nom même de Confucius


réinterprété et il affirme que « Ie changement est la voie (dào)
naturelle» (46). Tán Sitóng ~J~~ ~ (1865-1898) son mal-
heureux compagnon de la réforme, conf1rme et vajusqu'à recon-
naître que la raison (U) réside dans Ie matériel et ne peut être
séparée de la connaissance sensible (47).
Les « Iégistes » continueront de professer une conception plus
matérialiste de la rationalité. lis rediront sans cesse que la raison
(li) et la voie (dào) résident dans Ie matériel et la connaissance
sensible et qu'il ne peut y avoir de raison sans matériel ni de
matériel sans raison (48). lis essayeront, en vain, de faire préva-
loir l'idée d'un droit qui serait une norme générale adaptée aux
conditions de l'époque et égale pour tous. Mais, n'ayant pas
l 'oreille du pouvoir, ils crieront dans Ie vide et resteront des
marginaux. Le droit évoluera cependant et sa technique se per-
fectionnera, sans que changent la théorie et la conception géné-
rale dans laquelle les confucéens l'avaient enfermé.
IV. - LA PARTICULARITÉ
DU DROIT CHINOIS TRADITIONNEL

Les caractères propres au droit chinois traditionnel s 'étudient


à travers les théories de l'Ecole des Lois qui n'ont pas tootes été
reniées par les Confucéens héritiers de Dong Zhongshu, et à
travers Ie droit tel qu'il fut mis en pratique.
Il faut d'abord remarquer que, mise à part l'Ecole de Mo Di
qui n'a pas eu une grande résonance en Chine, toutes les écoles
philosophiques chinoises ont reposé sur un fond de rationalité.
L'absence de la notion de Dieu, remplacée par un vague ciel
et une voie transcendante qui procède des manifestations de la
nature et non d'une personne divine, a favorisé Ie développement
de la rationalité.
Parmi ces écoles, l'Ecole des lois est la plus rationnelle. Tout
ce qui touche au droit est empreint de rationalité et l 'on peut <lire
que la qualité première du droit chinois est d'être rationnel.
(46) Dàtóngshü. ;K 1~ ---t
(47) Rénxue. 1::..~ llf li ~:
(48) Parmi eux : ½_i(i l_~xi ;:i•~ -~ (772-842), Zhäng z;i ,i~ · ~ (1020-
i!l
1077), Ch~n Li~ng ff(. ril, (l 143-Jl94), 'fi. Sh':( (1150-1223), Fäng y'fzh1
,,:$..,./-1:I
(1611-1671), Hufuig ZÖngxi .'.if'.t · ' (1610-1695), Gu Ymwif
/ffi4 t
~ (1613-1682), W!Pg FÜzhi ~ J(.:t:_ 619-1692), Ytn Yuán Jf,R, -,b
(1635-1704), Y,n Fu ~{l_, (1853-1921).
602 TSIEN TCHE-HAO

Le droit chinois est essentiellement du droit public, et, au sein


du droit public, c'est particulièrement du droit pénal, et ce droit
pénal c'est exclusivement la loi pénale. Il n'existe pas dans la
langue chinoise de mot pour dire « Droit ». Ce sant les mots
signifiant « loi » qui sant utilisés. Les divers mots qui signifient
« ...Ioi » et par conséquent « droit » (Ja ;',i , xfng -if'J
lü ~ , etc.) signifient d' abord « chàtiment », loi pénale.
A !'origine, les Chinois n'ont pas conçu les règles de vie
sociale comme des règles juridiques mais comme des comporte-
ments, des rites, dont la pratique s'acquérait par l'éducation. Le
Droit c'était seulement les chàtiments qu'on appliquait, dans un
but dissuasif, à ceux qui se révélaient incapables de se comporter
correctement par eux-mêmes, les barbares, les esclaves et les
individus dépravés. La famine régnant et !'empire connaissant de
multiples troubles, au XX:llle siècle avant Jésus-Christ, l'empe-
reur convoque ses trois principaux ministres et dit : « •.• la race
des cheveux noirs est tourmentée par la faim. Vous, Ministre de
!' Agriculture, faites semer les différents grains ... Le peuple ne
vit pas en bonne harmonie ... Vous, Ministre de l'Instruction
publique, appliquez-vous à répandre l'enseignement des cinq
vertus sociales. Surtout faites-le avec douceur... Les tribus
étrangères qui nous entourent troublent notre belle contrée. Les
brigandages et les homicides se multiplient; les malfaiteurs sur-
gissent en dedans et au dehors. Vous êtes Ministre de la Justice
(dà li mot à mot « grande raison»), infligez aux criminels les
cinq grands chàtiments (xfng, la loi pénale) ... » (49).
A partir du moment ou Ie droit est confondu avec la loi pénale,
on comprend que les confucéens n'avaient eu aucune peine à
faire admettre leur mépris pour une institution si cruelle. Les
légistes eux s' appuyaient sur l 'efficacité et traitaient les confu-
céens de rêveurs : sans contrainte, la majorité des hommes ne
saurait avoir un comportement social décent et juste; les forts
oppriment les faibles et accaparent les richesses.
Mais, pour les légistes aussi bien que pour les confucéens, Ie
juge n 'est pas !à pour trancher les litiges privés qui opposent
deux individus. Son röle est de maintenir l'ordre par la dissua-
sion en infligeant des chätiments aux perturbateurs. Pour les
Chinois, une affaire privée est privée jusqu'au bout, c'est-à-dire
(49) Shüjïng, Première partie, «Règles de Shun». ,i ff . ~~
VOIE, RAISON ET RATIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 603

y compris jusqu' à I' arbitre s'il y a con flit. On voit mal pourquoi
s' adresser à un fonctionnaire public pour régler une affaire pri-
vée. L'histoire de la poule est édifiante : deux individus se dispu-
tant la propriété d'une P,~Je s'adressèrent au tribunal du district.
Le magistrat Fu Jiguî {tt~ , préfet de Shänyin, demanda à
chacun de quoi il nourrissait sa poule. L'un répondit de haricots,
l 'autre de millet. Le magistrat fit alors tuer la poule et, Ie gésier
ayant révélé qu'elle avait mangé des haricots, il donna la poule
morte au premier plaignant et infligea une peine à l'autre (50). Il
peut arriver qu'un magistrat, importuné par deux plaideurs pro-
céduriers se disputant pour une affaire insignifiante impossible à
démêler, renvoie les plaignants dos à dos en leur infligeant à
chacun une bastonnade.
De plu~ la justice officielle n'est pas gratuite. Déjà dans Ie
Zhöuli fáJ ~L les plaignants doivent apporter certains objets
de valeur pour prouver leur bonne foi. Une procédure « d'aide
judiciaire » est prévue pour les indigents mais elle est très spé-
ciale et humiliante. La bureaucratie et la corruption vont ajouter
au prix des procès et déconsidérer définitivement les magistrats.
La maxime populaire dit : « La porte du tribunal est grande
ouverte. Même situ as raison (li 1,f ),
situ n'as pas d'argent,
n'entre pas» (car ton procès est perdu d'avance).
Les dispositions d'ordre civil ne seront incluses dans les codes
que lorsqu'elles concement Ie droit public, administratif ou
pénal : lorsque la légalité a été violée (la balance était fausse, Ie
contrat n' a pas été enregistré dans les délais Iégaux, il y a trom-
perie, etc.) ou que l'ordre social est perturbé.
A partir du second siècle avant Jésus-Christ, Ie droit chinois
instauré alors que Ie Confucianisme est devenu doctrine offi-
cielle reprendra en fait toutes les données de l 'Ecole des Lois
sauf deux : la place de la loi dans l'organisation de la société et Ie
principe de I 'égalité de tous devant la loi. Pour ce qui est de la
place de la loi, elle sera seconde alors que les légistes la vou-
laient première. Et les confucéens légaliseront les inégalités
sociales, d' abord en faisant une règle de loi des « cinq relations»
prince-sujet, père-fils, amé et cadet, mari et femme, amis entre
eux (d'ou il découle, par exemple, que l'oncle qui cause la mort
de son neveu est absout mais Ie neveu qui cause la mort de son
(50) WÛ Wénkè, Xiángkiin yiiolan, vol. III. ~J:.. JS', ?fl-f1J ..t f
604 TSIEN TCHE-HAO

oncle, même involontairement, est condamné) ensuite en pré-


voyant des privilèges (punitions adoucies, possibilité de changer
en amende une peine afflictive) pour certaines catégories de per-
sonnes, fonctionnaires et membres des families nobles.
A part ces deux exceptions, toutes les recommandations des
légistes seront suivies, même celles dont Confucius ne voulait
pas, telle la publicité des lois, et même quand la doctrine préten-
dait Ie contraire. Ainsi l 'immuabilité du dào se traduira par la
reprise fidèle, de code en code, des préceptes précédents mais
elle sera corrigée par l'adoption, à cöté de ces préceptes pieuse-
ment répétés, de règles juridiques effectivement appliquées et
adaptées aux besoins de l 'époque, conformément aux théories
légistes de l 'évolution de la loi et de la recherche de son effica-
cité maxima. Le droit chinois sera basé sur des critères objectifs
et il s'efforcera de maintenir une certaine justice, dans la limite,
du moins, de ce que la doctrine confucéenne considérait comme
jus te.
Les normes « rationnelles » du droit chinois ne furent d'ailleurs
pas l'reuvre exclusive des adeptes de l'Ecole des lois. Elles sem-
blent avoir existé, même si ce n' était encore qu' à l 'état embryon-
naire, dès l 'origine, dans Ie droit archaïque. Dans les deux plus
anciens textes traitant de droit qui nous sont parvenus, tous deux
cqpsidérés comme des classiques confucéens, à savoir Ie Shüjïng
~ ffc, ouvrage historique censé remonter à l'empereur Yáo
J..., ,au XXIVe siècle avant J ésus-Christ et qui se termine sous la
dynastie Zhöu, au vne siècle avant Jésus-Christ, et Ie Zhöuli
)~ ~ ou « Rites des Zhou », qui est un traité de la fonction
publique censé avoir été élaboré par Ie duc de Zhöu, frère du
fondateur de la dynastie Zhöu au xne siècle avant Jésus-Christ et
qui énumère, classés en six ministères, administration générale,
enseignement officiel (c'est-à-dire économie), rites, guerre, cha-
timents et travaux publics, les divers fonctionnaires et leurs
fonctions respectives, on trouve des dispositions légales civiles
et pénales que les codes occidentaux les plus modernes ne sau-
raient renier. Citons : la séparation des fonctions judiciaires, Ie
controle et la notation des fonctionnaires et des magistrats, la
publicité des lois, le principe de la légalité, la recherche des
éléments légal et moral de l 'infraction, avec des excuses atté-
nuantes, des causes de non-imputabilité en raison de l'age et
de l'état mental de l'auteur, des faits justificatifs, les aspects
VOIE, RAISON ET RATIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 605

dissuasifs, éducatifs et rétributifs de la peine, des preuves écrites,


des contrats en double exemplaire, des critères psychologiques
dans l 'interrogatoire des accusés, la consultation du jury populaire
pour les affaires passibles de la peine de mort, des procédures
d'appel assorties de délais proportionnés à l'éloignement, des
systèmes de plaintes pour les cas particuliers, etc. (51).
En dépit de sa rationalité, Ie droit chinois ne parviendra pas au
stade des droits subjectifs, d'une part parce que Ie confucianisme
officie} empêchera la doctrine juridique de se développer,
d' autre part parce que les conditions économiques nes 'y prêteront
pas, l' apparition de la notion de droits subjectifs étant liée à la
naissance du capitalisme. Pour ex primer la notion « d 'avoir Ie droit
de» les Chinois vont, à !'époque moderne, fabriquer l'expression
« quán li ~~1 », mot à mot« pouvoir-intérêt » (52). Réclamer
un droit dans ce sens est aussi très mal vu des confucéens. C'est
bas et vulgaire. Dans ce sens non plus Ie droit n'aura pas bonne
réputation en Chine.

V. - PHILOSOPHIE OU RATIONALITÉ DU DROIT

De plus en plus influencés par les théories occidentales, les


juristes chinois et japonais se penchèrent,au début de ce siècle,
sur la philosophie du droit telle qu'elle est conçue en Occident.
L'homme politique et historien chinois Liáng Qkhäo Jf. ~Af
(1873-1929) et Ie professeur Wáng Zhènxiän à propos de la
Chine ancienne, Ie juriste japonais Hozumi Sige-to à propos
de !'Occident écrivent chacun une étude intitulée «fa li xué
;.t if.;-;_,,
(fa, la loi, Ie droit; 1r, la raison, la rationalité;
xue, l'étude, la science; Li xué, nom de l'Ecole rationnelle de
Zhü Xi) (53). L'expression est traduite par « philosophie du

(51) Voir TsIEN Tche-hao, «Le juridisme du droit chinois archaïque dans Ie
Shüjïng et Je Zhöuli», ouvrage collectif en hommage au professeur Lionello
Lanciotti, Université de Venise, 1982.
(52) Li, intérêt, à ne pas confondre avec ses homonymes Li, les rites, et Li,
la raison.
(53) L1fNG Qichäo, Zhi'fnggufJ Jàttxué fadásh1'1un <._Histoire du développe-
ment de la philosophie du droit chinois), Shängwu, Shangh;;, sans date. Wf...NG
Zhènxiän, ZhöngguÓ gudat faÎixuJ (La philosophie du droit en Chine
ancienne), Shànghti 1925. HozuM1 SIGE-TO, traduit en chinois par L1 Hèmfog,
F;f/Txué dagäng (Grandes lignes de· 1a philosophie du droit), Shll:1-'w~
Sh~nghai. c ~ > 4,t~---.y~~-. t I.! ~-~if:;'Î. J,f/i-f\""'J
606 TSIEN TCHE-HAO

droit », mais « étude de la rationalité du droit » serait tout aussi


correct. En fait « philosophie » se dit « zhé xué J,fr';:;
» et il existe
des études contemporaines de philosophie du droit normalement
intitulées «fa IÜ zhé xué ~ lf
.:tj;; ». Mais il est symptoma-
tique que des auteurs extrême-orientaux aient cru préférable de
traduire « philosophie » par li xul! !{;f dès lors qu'il s'agissait
spécifiquement de philosophie du droit (54).
Il apparaît que, pour les Chinois, la philosophie, la raison, Ie
droit, l'idéologie et la justice se confondent, ou du moins ont
d'intimes corrélations. Nous avons vu en effet, au fil des cita-
tions, que la raison (l[) signifie aussi Ie juge, qu'elle est sembla-
ble à la justice et l 'équité (yi l•)
qu 'elle représente la nature
humaine (xlng ~i ),que cettt nature humaine est la voie (dào
lf_ ) qui est aussi Ie droit (fa ;.i ), l'équité et la justice (yi
1\' ) ainsi que la raison (li i-<{ ). Toutes les combinaisons
possibles se trouvent dans les textes.
On a pu remarquer .9-ue toutes les écoles jonglent avec les
mêmes mots, Ie dào llL , la nature humaine (xing ,t la i ),
raison (li P[ ), le non agir (wu wéi ..:#:; etc. en leur h )
donnant des significations différentes et en prétendant toutes
détenir la seule vérité « rationnelle ».
La raison (li 1-f ) va servir à conforter deux théories oppo-
sées.
Les confucéens vont rechercher la raison « du ciel », immuable
et transcendante, comme Ie dào quine change pas. Cette raison
se situe dans Ie creur de l 'homme parce que ce dernier est un
microcosme et que sa raison est la raison immuable du ciel. Dans
Ie domaine du droit, cette théorie va provoquer un processus
exactement inverse à celui qui inspira les rationalistes occiden-
taux, Grotius et ses successeurs. Déjà en possession d'un droit
rationnel, les confucéens vont faire de la loi « naturelle » une loi
du ciel et imposer une philosophie fataliste, métaphysique, téléo-
logique, quasi scolastique. Il ne peut y avoir qu'une seule raison
comme Ie traduit Ie proverbe populaire« Tout homme possède un
creur, Ie creur commun raisonne (li à.{ ) semblablement ».

(54) L 'auteur japonais explique dans son introduction que « philosophie du droit»
doit strictement se traduire par «Ja lu zhé xue" tandis que l'expression «Ja /i xue" qu'il
a c hoisie comme titre de son ouvrage peut se traduire par « esprit des lois ».
VOIE, RAISON ET RA TIONALITÉ DANS LE DROIT CHINOIS 607

La rationalité des légistes, par contre, est assez semblable à


celle des écoles rationalistes occidentales, et leur droit ressemble
au droit naturel occidental, sauf qu'il n'est pas parvenu à la
notion de droit subjectif.
La raison est humaine, elle n'est donc pas la même pour tous.
Les Occidentaux reconnaissent que «la raison d'Etat» n'est pas
celle du simple citoyen. La Fontaine a écrit une fable pour dé-
montrer que « la raison du plus fort» est toujours la meilleure et
un autre proverbe chinois constate que « la raison du grand-père
n'est pas celle de la grand-mère».
La droiture est elle-même sujette à caution. Au duc de Yè qui
se vante que son pays connaît la droiture parce que Ie fils n 'hésite
pas à dénoncer son père qui a volé des moutons, Confucius
répond que la vraie voie de la droiture exige que Ie père dissi-
mule les défauts de son fils et que Ie fils dissimule les défauts de
son père» (55).
L'exemple chinois montre que non seulement les mots« droit»
et « raison » peuvent recouvrir des concepts différents selon les
langues et les systèmes, mais que la « rationalité » peut être utili-
sée à des fins opposées.

(55) Lun yJ, livre XIII «zrlil», chapitre 18. ~~- -7" ~
T ABLE DES MATIÈRES
PAGES

Liste des souscripteurs V

B. DE SCHUTTER, Voorwoord
J. VANDERLINDEN, Il incarnait la jeunesse 3

Bibliographie . 5

Romeins recht en rechtsgeschiedenis


Droit romain et histoire du droit
Roman law and Legal history

J. GILISSEN en R. FEENSTRA, René Dekkers als rechtshistoricus 23


H. ANKUM, Les fiançailles des mineurs dans l'ancien droit néer-
landais (1580-1809) . 35
F. DE PAUW, De belangstelling in de Zuidelijke Nederlanden voor
de verklaringen van de rechten van de mens uit de tijd van de
Franse revolutie 69
H. GASPART-JONES, La<< condictio indebiti * et l'erreur dans le droit
de Justinien 9:J
J. GAUDEMET, Histoire et système dans la méthode de Savigny lI î
J.-H. MICHEL, Pourquoi l' << usucapio >> des immeubles durait-elle
deux ans?. 135
R. C. VAN CAENEGEM, Oud recht, goed recht? 153
G. C. J. J. VAN DEN BERGH, On comparing early and primitive law 16î
G. VAN DrnvOET, De onuitgegeven werken van de Vlaamse jurist
Georges de Ghewiet . l8î
F. WIEACKER, Pontifex iurisconsultus. Zur Hinterlassenschaft der
römischen Pontiflkaljurisprudenz . 213

Droit privé et droit comparé


Privaat recht en vergelijkend recht
Private law and Comparative law

J. LIMPENS, René Dekkers civiliste et comparatiste 235


G. BAETEMAN, De geschiedenis van het gelijktijdig bestuur in het
nieuwe wettelijk stelsel 241
610 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

H. J. BERMAN, Criteria of comparison of contract law in planned


and market economies 259

R. DILLEMANS, Voorwerp en grondslag van het erfrecht 271

R. KRUITHOF, Schuld, risico, imprevisie en overmacht bij de niet-


nakoming van contractuele verbinten~~sen. Een rechtsvergelij-
kende benadering 281

F. RIGAUX, La responsabilité des père et mère du fait de leurs


enfants mineurs : abstraction et réalité 311

L. SrMONT, La notion fonctionnelle du vice caché : nn faux pro-


blème? 331

A. TuNc, Responsabilité civile et assurance 343

J. VANDERLINDEN, A propos des familles de droit en droit civil


comparé :159

W. VAN GERVEN, Langdurige overeenkomsten. Prijsbepaling. Aan-


passing wegens onvoorziene omstandigheden. Conflictregeling 377

Law of socialist countries


Rechten van socialistische landen
Droits des pays socialistes

J. N. HAZARD, René Dekkers and socialist law 407

C. BEGAUX-FRANCOTTE, De la justice populaire en Union soviétique 417

W. E. BUTLER, The duty to rescue in Soviet civil law : recent


developments 443

G. DESOLRE, Le concept de propriété sociale en droit yougoslave 459

B. DUTOIT, Les organisations économiques internationales dans les


pays du Caem : évolution et perspectives 479

M. ENGELBORGHS-BERTELS, La société chinoise contemporaine 501

F. J. M. FELDBRUGGE, The Skra of Novgorod. Legal contacts between


Russia and Western Europe in the Aliddle Ages 519

P. LAVIGNE,Les assemblées su.r Ze lieu de résidence des citoyens


en URSS . 555

M. LESAGE, La loi, le parti et Ze procureur en Union soviétique 569

T. TsIEN, La voie (dào), la raison (li) et la rationalité (lixlng) dans


le droit chinois tradüionnel 587
D / 1981 / 0023 / 4

ETABLISSEMENTS EMILE BRUYLANT, société anonyme, Bruxelles


Un dir. gén. : ANGÈLE VAN SPRENGEL, Vroenenbosstraat, 7 a, 1512 Beersel

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