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DEUXIEME PARTIE : LE PASSAGE DU DROIT TRADITIONNEL AFRICAIN AU

DROIT COUTUMIER COLONIAL

L’Afrique noire a été regardée à la fin du 19e siècle par la doctrine française comme une table
rase et c’est bien ce qu’a écrit Arthur Girault dans « Principes de colonisation et de législation
coloniale ». Et c’est ce qui implique l’idée pour les français d’introduire le code civil en Afrique
déjà dans la 1ère moitié de 19e siècle. De même c’est l’idée d’Afrique table rase qui est à l’origine
de la politique française d’assimilation. Mais justement dès le milieu du 19 ème siècle l’idée s’est
imposé à Saint-Louis du Sénégal de respecter les coutumes indigènes. D’ailleurs cette idée n’a
pas tardé à devenir le maitre mot en matière de politique coloniale française. C’est donc le vécu
quotidien, le contact concret des races qui a conduit le colonisateur français à une prise en
compte de l’Afrique juridique. Dans ce sens ont été créés des tribunaux musulmans mais aussi
des tribunaux dits indigènes. Par ailleurs l’idée de respecter les coutumes indigènes même
quand elle est devenue un principe colonial s’est accommodé de multiples tempéraments. Et ce
sont ces dérogations au principe colonial de respect des coutumes indigènes qui ont débouché
progressivement sur un niveau droit dans les colonies françaises. Ce droit s’est trouvé à un
chemin entre le droit traditionnel négro-africain et le droit civil français. Tiré de la coutume, ce
droit nouveau a été appelé droit colonial. Il faut donc imposer successivement la force du
contexte colonial et le droit coutumier engendré par un tel contexte.

L’idée de respecter les coutumes indigènes est une invention des administrateurs coloniaux
français. Ce sont ces hommes de terrain qui se sont rendu compte les premiers que l’application
du Code civil aux Africains pouvait engendrer des conséquences néfastes pour la colonisation.
Aussi ils ont inventé le respect des coutumes indigènes et ont fait de cette idée principe central
d’une nouvelle politique française (Chapitre I). Mais en même temps de nombreuses exceptions
ont été consacrées et ont battu en brèche le principe en question (Chapitre II).

CHAPITRE I : LE PRINCIPE COLONIAL DU RESPECT DES COUTUMES


INDIGENES

Le principe du respect des coutumes indigènes, il faut le dire est en contradiction avec la
doctrine française classique. Celui-ci consacrait plutôt le principe de l’assimilation de
l’indigène. Pourtant au lendemain de la deuxième guerre mondiale les nations coloniales
européennes se sont entendues largement autour de la nécessité de respecter les coutumes
africaines. L’idée était de tenir compte du respect du développement mental et social des
indigènes comme cela a été dit à l’Institut Colonial International. Il faut dire aussi que ce

1
principe n’est pas né par hasard. L’idée de respecter les coutumes indigènes été articulé dans la
recherche d’une bonne politique indigène. Et donc c’est par intérêt qu’il a été fait recours aux
coutumes indigènes notamment dans le système colonial français.

Nous exposerons la genèse du principe du respect des coutumes indigènes à travers la justice
musulmane et la justice indigène (Section I) et la consécration du principe (Section II).

SECTION I ; TRIBUNAUX INDIGENES ET TRIBUNAUX MUSULMANS

PARAGRAPHE I :
LA JUSTICE MUSULMANE
Ce sont apparemment les exigences des traitants musulmans de la ville qui ont amené la création
du tribunal musulman de Saint-Louis entre 1832 et 1857. Le tribunal est composé d’un cadi qui
a un suppléant qui le remplace en cas d’absence ou d’empêchement. Il y a aussi un Greffier.
Hamat Ndiaye ANNE1 est nommé par le Gouverneur Faidherbe comme cadi à ce tribunal, et
avait comme suppléant un certain Bou El Mokdad. Un nommé Pathé DIAGNE assurait les
charges de greffier. De belles pétitions ont été adressées au Gouverneur de Saint-Louis et au
ministre de la marine marchande dans le sens de cette création. Et dans cette voie, l’arrivée du
Gouverneur Faidherbe, ainsi que la création de tribunaux musulmans en Algérie en 1854
représentent les étapes significatives. Qui plus est, ce dernier était obnubilé par la conquête de
l’Ouest africain. Ainsi, a été pris le décret du 20 mai 1857. Il soustrayait à l’empire du Code
Civil et à la connaissance du juge français les questions de mariage, de donation de filiation, de
testament entre musulmans au motif que ces questions étaient profondément teintées de
religion. Pour les mêmes raisons, un tribunal musulman a été exigé à Dakar et à Rufisque. Ce
qu’il faut retenir, c’est que la création de ces tribunaux musulmans et la culture orientale ont
été regardées comme une transition possible entre la barbarie traditionnelle et la civilisation
nègre, mais surtout l’apport du droit coranique écrit avait l’avantage de rendre possible le
contrôle de la justice mais pas l’autorité coloniale. En tous cas, il ne fait pas de doute que la
majorité des Africains étaient fétichistes. C’est pourquoi, des tribunaux indigènes sont créés par
le décret du 10 novembre 1903 2.

1
Imam de la mosquée de St-Louis de 1846 à 1857. Il est le 1er cadi nommé par Faidherbe et aussi 1er imam à
arborer la légion d’honneur. Il est le grand-père maternel d’Abdoul Salam KANE que nous avons cité en étudiant
les récipiendaires de l’Ecole des Fils de Chefs.
2
En 1903, suite à la modification apportée dans l’organisation administrative et institutionnelle de l’AOF, tout le
système est transformé et le Collège des Fils de Chefs et des Interprètes est éclaté en plusieurs sections : section
des interprètes, celle des cadis, et enfin celle des administrateurs. Les cadis sont généralement des assesseurs dans
les tribunaux indigènes.

2
PARAGRAPHE II : LA JUSTICE INDIGENE
Ces tribunaux sont, dans le cadre de l’A.O.F. des tribunaux des villages, de provinces et de
cercles. L’idée maîtresse de ce texte était d’assoir une justice économique quid même à tenir
dans une étroite confusion les fonctions exécutives et celles judiciaires 3. Le prétexte d’une telle
confusion était que les indigènes n’avaient aucune notion de la séparation des pouvoirs et que
chez eux la fonction judiciaire entrait naturellement dans les fonctions exécutives du chef.
L’article 46 dudit décret est celui qui a prescrit que dans les territoires non compris dans les
ressorts des tribunaux de première instance et de la justice de paix de Kayes, la justice
indigène est administrée à l’égard des individus non justiciables des tribunaux français
par des tribunaux de villages, des tribunaux de provinces et des tribunaux de cercle. Il
faut associer à ce texte l’article 75 pour voir le principe du respect des coutumes indigènes. Il
s’agissait donc de créer des tribunaux mais aussi de laisser à ceci d’appliquer la loi. L’article
75 a prescrit que la justice indigène appliquera en toute matière les coutumes locales en
tout ce qu’elles n’ont pas de contraires aux principes de la civilisation française. Dans les
cas où les châtiments corporels seraient prévus, il leur sera substitué l’emprisonnement.
Les administrateurs coloniaux ont eu l’idée de supprimer les tribunaux musulmans, faire un
double emploi avec les tribunaux indigènes. En définitive, par un décret du 22 mai 1905, les
tribunaux musulmans furent rétablis. Par conséquent, au début du XXe siècle, il y avait au
Sénégal trois justices : une justice française pour les citoyens, une justice indigène pour les
sujets français et une justice musulmane pour les indigènes citoyens français. Ces clivages se
justifiaient essentiellement dans la question des moyens humains. Ils se justifiaient aussi par la
nécessaire discrimination sur laquelle s’appuie naturellement tout système colonial. Ce sont des
raisons concrètes qui ont amené à respecter les coutumes indigènes. Il a fallu aussi chercher une
caution scientifique en mobilisant la doctrine.

SECTION II : LA CONSECRATION DOCTRINALE DU PRINCIPE


PARAGRAPHE I : DANS L’ORDRE INTERNE

La doctrine s’est donnée à cœur joie dans la mise en place de la justice indigène. En effet, le
principe du respect des coutumes indigènes a été forgé par des administrateurs coloniaux. Mais
il leur a fallu une caution scientifique. Cette caution est venue des professeurs de droit français
qui se sont mobilisés dans la défense du principe notamment après la loi B. DIAGNE de 1916.
Cette loi disposait que les natifs des quatre communes de plein exercice du Sénégal et leurs

D. SARR La Cour d’Appel de l’AOF. Thèse. Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’Université de
3

Montpellier I. Vol. 1. P. 92 et s. Montpellier, 1980.

3
descendants sont et demeurent des citoyens français soumis aux obligations militaires prévues
par la loi du 19 octobre 1915 4. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’application du code civil
aux indigènes débouchait sur une situation inadmissible pour les administrateurs coloniaux. En
effet, la citoyenneté française et le code civil étaient la fin de la réquisition des vins mais aussi
la fin des corvées et du travail obligatoire, à quoi s’ajoutaient la fin des expropriations
unilatérales et du portage. Ces dispositions devaient conduire à la fin de la colonisation. C’est
pourquoi, Henry SOLLUS5 a soutenu, en substance en 1927, que le respect des coutumes
indigènes est de bonne politique. Il fallait, selon lui, promouvoir les tribunaux indigènes.
Il fallait étudier la société indigène pour une bonne politique française et qu’en Afrique noire
l’on devait songer à rédiger les coutumes ; que de cette rédaction, l’assimilation devait être
envisagée à long terme. Mais SOLLUS a exposé les raisons du respect de ce principe. Il a
exposé aussi toutes les exceptions qui remettaient en cause celui-ci pour arriver à la conclusion
que la domination était légitime. Pour les logiques du principe, SOLLUS a exposé des raisons
d’ordre psychologique, religieux, politique et social. Il a présenté aussi des raisons pratiques.
Pour lui, il y avait dans la tradition française quelque chose qui inclinait naturellement les
Français. C’est le respect de la civilisation d’autrui. Sont-ce les déductions d’ordre
psychologique avant d’ajouter que la conquête et la domination coloniales n’avaient que des
objectifs spirituels et religieux. La colonisation ayant des objectifs économiques et matériels, il
n’était plus dans son entreprise de se livrer à une oppression religieuse des indigènes. Par
conséquent, le respect dû aux coutumes était des raisons de laisser intact le droit de la famille
qui se trouvait imprégné de considérations religieuses. Quant aux raisons d’ordre politique et
social, le Professeur articulait que les indigènes étaient organisés et structurés de manière
spécifique, et qu’en l’occurrence les objectifs coloniaux pouvaient être atteints sans qu’il fût
nécessaire de bouleverser l’univers social des Africains. En vérité, toute la réflexion de celui-
ci pouvait être regroupée en deux axes. En tous cas, concernant les raisons de principe, il y a
d’une part une raison d’ordre pratique et d’autre part, une raison d’ordre psychologique.

Pour notre compte, c’est le principe du respect des coutumes qui a permis de neutraliser
l’ingérence intempestive des technocrates parisiens dans les questions indigènes présentée
comme une affaire de spécialistes. Ainsi, ont été créées non seulement des lois assimilatrices,
mais aussi les constitutions françaises des 4e et 5e Républiques ont décrété la pluralité des

4
A.N.S. (17 G.233).
5
H. SOLLUS, Traité de la condition des indigènes en droit privé. 1927, cité par le Pr. P. NGOM dans le cours
précité.

4
statuts. Il faut signaler que le principe du respect des coutumes indigène était largement
favorable à l’arbitraire administratif colonial et l’on comprend le rayonnement.

Relativement à la consécration du principe, le respect des coutumes indigènes a été une pratique
constante pour la France tout comme ce qui concerne l’Angleterre et à vrai dire, les politiques
indigènes européennes.

PARAGRAPHE II :

DANS L’ORDRE INTERNATIONAL

Au plan européen, il a été créé à Bruxelles un institut colonial international en 1893 en vue
d’une concertation entre les Etats coloniaux et une harmonisation des politiques coloniales.
C’est ainsi qu’à la session de Londres en 1913, il a été question des dispositions à prendre pour
obtenir la collaboration des chefs indigènes. A la session de Bruxelles en 1920, le même thème
a été perpétué sous la férule de l’Angleterre conformément à sa politique d’administration
indirecte. Mais à Paris en 1921, il s’est agi de la politique coloniale par rapport aux Etats-Unis
et aux coutumes indigènes. La France, sous la plume du Professeur de coutumes africaines,
Maurice DELAFOSSE, pensait qu’il fallait respecter les coutumes dans leur intégralité à
l’exception des coutumes barbares. Cette entreprise, selon lui, était favorable aux intérêts
français. En outre, il soutenait que les Français devaient rester la tête qui pensait alors que les
indigènes seraient les ouvriers de la prospérité coloniale. La conférence de Paris a fait quatre
recommandations. Il s’agit de respecter les coutumes indigènes ; de ne pas les codifier, mais les
rédiger ; d’abroger les coutumes barbares, et enfin d’impulser les ferments d’évolution dans la
pratique juridique indigène.

Pour récapituler, le principe du respect des coutumes africaines est né d’une longue évolution
qui a permis aux administrations locales de conjurer les ingérences des technocrates parisiens.
Mais ce principe a été battu en brèche par de nombreuses exceptions consacrées par la pratique
et acceptées par la doctrine. En effet, comme à tout principe, il faut bien imaginer que le système
colonial a apporté des dérogations au respect des coutumes indigènes. Mais c’est ici le lieu de
rappeler la fameuse qualité juridique de l’indigène. Pour définir la qualité juridique de
l’indigène, H. SOLLUS6 a écrit :

6
H. SOLLUS, cité par le Pr. P. NGOM dans le cours précité.

5
« Il convient, en effet, de réserver aux indigènes leurs institutions juridiques propres qui
seules cadrent parfaitement avec leur état économique et social, leurs mœurs et leurs
religions ».

Il poursuit : « En outre, il peut être inopportun et même dangereux de leur accorder tous
les droits politiques et les libertés individuelles à la jouissance desquels ils ne sont pas
préparés. Et, c’est pourquoi à la vérité, les indigènes de la plus part des colonies françaises
ne sont que sujets et non pas citoyens français »7.

Ce rappel nous permet de recentrer le principe du respect des coutumes indigènes sur ses
objectifs coloniaux. Il s’agissait, en matière de famille, de tenir compte du système de croyance
indigène. Et, dans ce sens des hypothèses ont été envisagées dans lesquelles, naturellement, il
a pu être dérogé au principe initial. C’est ainsi que quand les indigènes avaient choisi la loi
française, quand la coutume était silencieuse ou incomplète, lorsqu’un Français ou Assimilé
était concerné, et lorsqu’ enfin l’ordre public colonial était visé, il fallait appliquer la loi
française.

CHAPITRE II : LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE COLONIAL DU RESPECT


DES COUTUMES INDIGENES

Les exceptions au principe du respect des coutumes indigène étaient nombreuses. Mais elles
peuvent être classées en deux grandes catégories. Il y a d’abord l’option indigène en faveur de
la loi française (Section I). Il y a ensuite les cas de violation de l’ordre public colonial (Section
II).

SECTION I :
L’OPTION INDIGENE EN FAVEUR DE LA LOI FRANÇAISE
Dans le cadre de l’option indigène en faveur de la loi française, le colonisateur a envisagé deux
cas de figures débouchant sur une application de la loi française. En effet, le choix de la loi
française par l’indigène dans une affaire civile pouvait découler aussi bien d’une option
expresse que d’une option tacite.

PARAGRAPHE I : L’OPTION EXPRESSE

Il faut mentionner les dispositions du décret du 10 novembre 1903. Celui-ci énonce en son
article 31 qu’en toute matière, les indigènes peuvent réclamer le bénéfice de la loi française.

7
H. Sollus, cité par le Pr. P. NGOM dans le cours précité.

6
Lorsque les parties seront d’accord pour saisir de leur différend les tribunaux français, il
ne leur serait fait application des usages et coutumes du lieu à moins qu’elles aient déclaré
dans un acte qu’elles entendent contracter sous l’empire de la loi française.8 Il était, par
conséquent, possible pour un indigène de choisir non seulement les juridictions françaises, mais
aussi la législation française elle-même. Pourtant, SOLLUS écrivait bien : «…On sait que
parmi les règles de droit privé qui gouvernent la conditions juridiques des individus, il en
est auxquelles ceux-ci ne pouvaient se soustraire. Par exemple, il s’agit de la détermination
juridique de l’identité des personnes, de la construction de la famille, du régime de la
propriété…bref, ces lois s’imposent avec un caractère nettement impératif et la volonté
des particuliers ne peut y déroger. Elles sont d’ordre public… ».

Ces considérations semblent n’avoir de sens que pour les pays civilisés. En Afrique par contre,
il semble avoir été loisible à l’indigène de préférer la citoyenneté française de manière
définitive, et qui peut le plus pouvant le moins, de choisir de manière ponctuelle la loi française.
Tel a été le cas au Sénégal, dans les territoires christianisés en matière de mariage. Dans ces
territoires, il a été fréquent de voir les néophytes choisir la monogamie, c’est-à-dire d’une
certaine manière la loi française. Dans ces mêmes territoires, et d’une manière générale dans
les centres urbains du Sénégal, la pratique a été de plus en plus répandue de faire en matière
successorale l’option pour le droit français. En la matière, il s’est agi de tourner le dos aux
neveux, aux biens, au profit de la succession des fils.9

PARAGRAPHE II :
L’OPTION TACITE DE L’INDIGENE EN FAVEUR DE LA LOI FRANÇAISE

L’option tacite a pu résulter de plusieurs circonstances. C’est le cas par exemple, lorsqu’un
indigène concluait un contrat avec un inconnu du droit traditionnel africain comme en matière
d’assurances, une hypothèque. Dans ces hypothèses, la loi indigène n’existant pas, c’est le code
civil qui produisait ses effets. Par ailleurs, lorsqu’un indigène concluait avec un Français ou un
Assimilé en matière civile ou commerciale ou quand l’Européen était complice ou victime
d’une infraction commise par un indigène, la doctrine et les tribunaux ont considéré que ce
partenariat devait débouchait sur l’application du droit français. Telles sont donc quelques
situations dans lesquelles il était regardé comme normal au principe du respect des coutumes
indigènes. Il faut pourtant dire que les plus nombreuses exceptions au principe sont venues de

8
Cours du Pr. P. NGOM, précité.
9
M. ALLIOT, Christianisme et Droit traditionnel au Sénégal, Mélanges LE BRA, Tome 2, cité par le Pr. P. NGOM
dans le cours précité.

7
la nébuleuse notion d’ordre public colonial. Il a été en effet, dit que quand les coutumes
indigènes entraient en conflit avec l’ordre public colonial, ces dernières deviendraient sans
objet.

SECTION II : LA VIOLATION DE L’ORDRE PUBLIC COLONIAL


Dans le cadre de la violation de l’ordre public colonial, le principe du respect des coutumes
indigènes a été consacré pour tenir en compte du lien pouvant exister entre les pratiques
indigènes, d’une part et les systèmes de croyances, d’autre part. C’est ainsi qu’en matière
foncière ou familiale, il a été considérable qu’il n’était pas souhaitable d’imposer le code civil.
Ainsi, les motivations de la colonisation n’étant pas religieuses, les pratiques familiales auraient
dû intégralement échapper à l’empire du code civil. Pourtant, en ce domaine très délicat, la
doctrine coloniale a reconnu aux administrateurs coloniaux et aux juridictions indigènes le
pouvoir d’écarter les pratiques sociales indigènes même quand celles-ci étaient édictées par la
religion. Il y avait, en effet, des pratiques qui n’étaient propres favoriser les succès de la
colonisation. C’est précisément des intérêts de la domination française et des principes de la
civilisation française qu’il a été forgé le concept d’ordre public colonial. Ainsi, les coutumes
indigènes, pour être respectées, ne devaient pas compromettre les succès de la colonisation ni
heurter les principes comme l’autonomie de la volonté, le libre consentement au mariage. C’est
qu’ dire en droit de la famille combien il a été facile pour le colonisateur de déroger au principe
du respect des coutumes indigènes. Par exemple, il fallut dans la jurisprudence des tribunaux
indigènes, se débarrasser des coutumes dites barbares parce que comptant des sanctions
physiques comme l’ablation du poignet, la lapidation de la femme pour adultère ou la
décapitation pour sacrilège. Il faut aussi dire en matière familiale qu’il a fallu expurger des
pratiques indigènes de coutumes trop violentes comme l’excision. Enfin, les ordalies, les
pratiques de répression de l’anthropophagie ont été regardées comme des pratiques d’un autre
âge, et l’autorité coloniale a agi dans le sen de leur abrogation immédiate. Elle s’est reconnue
aussi le pouvoir d’ingérence humanitaire y compris en matière familiale indigène pour
améliorer le sort de la femme. C’est dans le sens de l’humanisation des coutumes indigènes
relatives à la condition de la femme qu’il faut analyser la croisade contre le mariage forcé,
contre l’exigence de la dot et contre le phénomène d’inflation affectant celui-ci. Ainsi, l’action
de l’autorité a visé la protection de la dignité personnelle de la femme quid à violer le primat
du groupe. Ici, le principe de la civilisation française était l’autonomie de la volonté, le libre
consentement au mariage, l’égalité des époux. La question de la terre a été aussi une véritable
préoccupation des pouvoirs publics coloniaux.

8
PARAGRAPHE I :
LE DROIT COLONIAL DE LA FAMILLE

A partir des années « 1830 », on observe une sorte de coup d’accélérateur des politiques
coloniales d’assimilation. Il y a notamment l’arrêté du 5 mars 1830 introduisant le code civil au
Sénégal10, la loi du 24 avril 1833 sur le régime législatif des colonies11. Ces différents textes
vont constituer entre autre autres les ressorts du principe des coutumes indigènes prévu par le
décret du 10 novembre 1903 portant réorganisation de la justice en AOF 12. Il y a eu par la suite
la Loi Blaise DIAGNE du 29 septembre 191613. Aussi, en partant de l’ouvrage de Sœur Marie
André du Sacré cœur14, deux textes majeurs furent-ils pris pour assurer « la protection
juridique »15 de la femme en Afrique. Effectivement, l’autorité coloniale visait à corriger, en
supprimant ou en tous cas en réduisant le poids de la famille dans la formation du lien
matrimonial et le versement de la dot, à travers les décrets Mandel de 1939 et Jacquinot de
1951.

a. Le décret Mandel du 15 juin 193916

Le décret Mandel tendait à protéger la femme africaine. En Afrique occidentale française et en


Afrique équatoriale française, ce décret fixe un âge minimal de la nuptialité : 14 ans et 16 ans
pour la fille et le garçon. Ce texte impose le consentement éclairé des futurs époux comme
condition de validité du mariage. Du coup, il vise la libération de la fille du joug de la famille
et du père, considérés comme des chefs autoritaires selon Sœur Marie André du Sacré cœur
dans son analyse des coutumes mossi, notamment chez les mandés, les dagaris. Toujours dans
le souci de protéger la femme africaine, le texte défend toute revendication de la veuve par les
héritiers du mari décédé. Par ce texte, les autorités coloniales visaient certainement la remise
en cause du lévirat. Le terme lévirat est un dérivé du mot latin levir. Il signifie « frère du mari ».
Il s’agit d’un type singulier de mariage où le frère d'un défunt épouse la veuve de son frère, afin
de poursuivre la lignée de son frère. Les enfants issus de ce remariage ont le même statut que

10
ANS BAS 1830, p. 303 et s.
11
ANS voir BAS, 1833, p. 401
12
Décret du 10 novembre 1903 portant réorganisation de la justice dans les colonies relevant du gouvernement
général de l’AOF, collection complète des Lois, Décrets, Ordonnances, Règlements et Avis du Conseils d’Etat,
1903, p. 465 et s.
13
De ce texte, on retiendra surtout cette formule : « Les originaires des communes de plein exercice du Sénégal et
leurs descendants sont et demeurent des citoyens français soumis aux obligations militaires prévues par la loi du
19 octobre 1915 ». Dareste, 1916. I.716.
14
Marie André du Sacré Cœur, La femme noire en Afrique occidentale, Paris-Payot, 1939.
15
Nous mettons les guillemets.
16
Décret du 15 juin 1939 réglementant les mariages entre indigènes en AOF et en AEF.

9
les enfants du premier mari. C’est ce que les Européens ont appelé l’héritage lignagère de la
veuve. A travers cette technique, la veuve et l’orphelin étaient pris en charge par les familles.
En d’autres termes, quand le mari décédait précocement, le procédé du lévirat amenait à lui
substituer son frère cadet dans le couple. Ainsi, les aliments pour l’orphelin, la protection pour
la veuve, pesaient sur le groupe familial. En sens inverse, lorsque l’épouse décédait tôt, le
procédé du sororat permettait de lui substituer sa sœur cadette. Le but visé était la solidarité
agissante et la prévention efficiente contre la privation de la veuve et de l’orphelin. Ces
institutions devraient permettre d’éviter le discrédit et l’abandon de l’époux encore en vie et
des enfants issus du mariage17. Les Egyptiens de l’antiquité, les Babyloniens, les Phéniciens,
les Hébreux ont pratiqué le lévirat. Effectivement, le combat pour la protection de la femme
africaine en période coloniale a aussi fait rage au sujet de la technique du lévirat, cette institution
coutumière dans laquelle on a retrouvé la preuve de ce que la femme était donc réellement un
objet, que le mari acquérait par la dot et qu’il avait le droit de transmettre à ses héritiers. Le
lévirat fût l’objet de toutes sortes de critiques de la part des missionnaires et de tous les penseurs
et autres acteurs de la politique coloniale. Cependant, le lévirat n’est pas un remariage.
L’institution consiste en une continuation d’un pacte conclu entre groupes et dont les époux
n’en sont que les représentants respectifs 18. En tous cas, la relation maritale dans les coutumes
sénégalaises n’est pas rompue par la mort de l’époux, du moins elle ne l’est pas de manière
machinale. C’est tout le sens de l’institution du lévirat dont l’objectif est de maintenir cette
alliance. Toutefois le décret n’a pas connu le succès escompté « parce qu’on a voulu, sans
précautions suffisantes, substituer à l’ordre public africain, essentiellement religieux, un ordre
public…estimé supérieur »19.

b. Le décret Jacquinot du 14 septembre 195120

Dans la littérature coloniale, la femme africaine est considérée comme une « Force de travail
convoitée »21. C’est la raison pour laquelle celle-ci est durement négociée et « même héritée »22.
Concrètement, la femme aborigène, dans la pensée juridique coloniale, est particulièrement

17
NGOM (P.), cours de Droit coutumier africain, 3e année de Licence, année 2003.
18
http://professeurtraore.over-blog.com/article-204872.html « L’institution du lévirat dans les coutumes
sénégalaises : un héritage de la tradition ou de l’Islam ? », site consulté le 13 05 2019.
19
NDIR (M. L.), « Réflexions sur le mariage et le divorce en pays musulman », In Afrique Documents, 1965,
n°83.
20
Décret du 14 septembre relatif à certaines modalités du mariage entre personnes de statut personnel en AOF,
AEF, au Togo et au Cameroun.
21
MAUNIER (R.), Sociologie coloniale, T. II. Les progrès de la nuit…
22
NGOM (P.), L’école de droit colonial et le principe du respect des coutumes indigènes en Afrique occidentale
française…, op. cit, p. 280 et s.

10
comprise comme un objet du commerce juridique ordinaire. D’ailleurs, certains acteurs de la
politique coloniale, à l’instar de Georges Hardy dans la préface de « La femme noire en Afrique
occidentale », voyaient en elle un « animal domestique »23. Cette position explique et justifie
que la dot soit perçue très tôt comme son prix d’achat24. Ainsi, la femme indigène a concentré
sur elle des attentions appuyées ambitionnant au moins de la maintenir à un cours convenable
pour casser l’exclusivité des chefs des familles sur cette denrée inestimable. C’est dans ce sens
qu’il faut situer le décret Jacquinot qui en son article 2 pose que : « Même dans les pays où la
dot est une institution coutumière, la fille majeure de vingt et un ans et la femme dont le
précédent mariage a été légalement dissous, peuvent librement se marier sans que quiconque
puisse prétendre en retirer un avantage matériel, soit à l'occasion des fiançailles, soit pendant le
mariage ». Ce texte qui devait s’appliquer en Afrique occidentale française, en Afrique
équatoriale française, au Cameroun et au Togo concernait les citoyens ayant conservé leur statut
personnel et contractant mariage suivant la coutume qui leur est propre. Ainsi, il entendait faire
reconnaitre et respecter les droits de la femme indigène. Ce texte vise à supprimer la dot ou à
la rendre facultative tout en plafonnant son montant avec possibilité de passer outre l’opposition
des parents au mariage lorsque leur refus est motivé par des exigences excessives concernant
le montant de la dot. Par ailleurs, ce texte lutte contre la polygamie en instaurant une option de
« monogamie » au moment du mariage. L’habileté du législateur consistait 25 à interdire d’autres
unions au mari et à susciter des comportements individuels susceptibles de faire évoluer la
coutume. A la différence du décret Mandel, le législateur, conscient de toucher à quelque chose
de délicat, comptait plus sur la collaboration des administrés, que sur les vertus d’un droit
directif.

PARAGRAPHE II :
LE SYSTEME DE PREUVE EN MILIEU COLONIAL

Il est quasiment reconnu par toute la doctrine que bien avant sa rencontre avec l’Occident, il y
avait incontestablement en Afrique subsaharienne un système judiciaire bien aménagé en
rapport avec la mentalité de l’époque. Dans ces sociétés, les sanctions prononcées par les juges
traditionnels, les chefs traditionnels encore appelés aristocraties locales, étaient nombreuses et
variées. On peut, entre autres, citer le blâme public, l’exil, les châtiments corporelles ou ordalies

23
Hardy (G.), préface de La femme noire en Afrique occidentale.
24
Sœur Marie André du Sacré cœur, La femme noire en Afrique occidentale, pp. 27 et s. Henri Labouret, Mariage
et polyandrie chez les dagaris et les oulés…
25
Sans attenter directement aux règles de fond de la coutume qui continuait en principe à régir le mariage.

11
d’une certaine sauvagerie dans la pensée des autorités coloniales. C’est dire que le droit africain,
ses règles de procédure et leur pratique n’étaient pas bien connus du colonisateur ou du moins
étaient différents des règles métropolitaines26 car étant aux antipodes de la conception et de la
pratique européenne en matière de justice. Par conséquent, ce système judiciaire devait être
repensé. Voilà pourquoi estimant que le droit de rendre la justice est l’une des attributions les
plus importantes de la souveraineté étatique ; que la distribution de la justice est un attribut
régalien de l’Etat ; que le droit de rendre celle-ci va de pair avec le pouvoir de commandement,
l’autorité coloniale tenta de mettre en place un nouveau système judiciaire afin de ne pas laisser
aux mains des « amateurs ce droit essentiel »27. C’est tout le sens du décret du 10 novembre
1903 (plusieurs fois modifiés) qui créé des tribunaux de villages, de provinces et de cercle.
Egalement, l’article 75 dudit texte disposait : « Dans les cas où les châtiments corporels seraient
prévus, leur sera substitué l’emprisonnement ».

Une lecture attentive de ce décret et de ses modificatifs permet d’affirmer que l’autorité
coloniale devient le véritable régulateur du système judiciaire en Afrique, du moins en Afrique
subsaharienne, en confiant la gestion à d’autres juges dont la fonction consiste à leur permettre
d'introduire dans les coutumes indigènes certaines règles du droit métropolitain à l’effet de
rapprocher davantage l’indigène de la civilisation française ; la jurisprudence de ces tribunaux
aidant. L’apport de la doctrine française y a grandement contribué à travers des auteurs de
renoms comme Arthur Girault, Penant et d’autres comme Maurice Delafosse

Des investigations menées dans les archives nationales du Sénégal offrent de véritables
exemples de décisions rendues par les juridictions de droit moderne à l’époque coloniale. En
observant ces sentences on voit de manière nette que le juge africain perd sa voix au profit d’un
autre. C’est le cas par exemple à travers la technique de la requalification des actes de sorcellerie
ou d’anthropophagie en catégories juridiques modernes.

En témoigne l’affaire Sinou Koureu et 6 autres, rendue en date des 12 et 13 janvier 1927 par
le Tribunal de 2e degré de Ziguinchor où un groupe d’individus poursuivi pour actes
d’anthropophagie dans la province de Brin-Séléki a été condamné pour ASSASSINAT à la
peine de mort. Cette décision portée devant la Chambre d’homologation de la Cour d’Appel de
l’Afrique occidentale française fût homologuée à son audience du 29 décembre 1927.

26
MANGIN (G.), « Les institutions judiciaires en AOF », In C. BECKER, S. MBAYE et I. THIOUB (Eds), AOF :
réalités et héritages, sociétés ouest africaines et ordre colonial, 1895-1995, Direction des archives du Sénégal, p.
139 et s.
27
GUEYE (M.), op. cit, p. 153 et s.

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Une autre affaire similaire a eu pour cadre la Guinée française. Un chef du canton de Manon
nommé en 1946 a été poursuivi avec ses acolytes pour assassinat contre un individu. Malgré
son semblant de collaboration avec le tribunal pour permettre la manifestation de la vérité, la
Cour d’assises opina dans un autre sens en condamnant l’accusé à mort. Pareille sanction fût
infligée à un autre de ses compagnons. Les autres accusés eurent un peu plus de chances. Ils
furent condamnés aux travaux forcés à temps.

Les pratiques anthropophagiques étaient condamnées par le droit colonial par un décret du 26
avril 1923 qui obligeait les présidents des juridictions indigènes à prononcer la peine de mort
dans tous les cas où les attentats à la vie humaines, soldés ou non par la mort, avaient pour
objectif de l’anthropophagie en en faisant un délit 28.

PARAGRAPHE III :
LE DROIT COLONIAL DE LA TERRE

Sur ce chapitre, l’appropriation du sol, bien que liait au système de croyances, a subi les attaques
du Français. Par le truchement des administrations locales, il a avancé la théorie des terres
vacantes et sans maîtres pour s’emparer des terres indigènes. Par exemple, dans l’affaire Farba
MBAYE c/ Domaine de l’Etat, le tribunal de 1 er instance de Dakar a jugé le 22 mars 1924 que
les terres vacantes et sans maîtres du Cap-Vert entraient naturellement dans le Domaine de
l’Etat. En l’occurrence, la communauté léboue a été regardée comme juridiquement inexistante,
car elle n’était ni une association ni un syndicat ni aucune entité telle qu’en consacrait le droit
français. C’était là une manière de voir qu’avait eu le Gouverneur Faidherbe. Dans la
constitution du Waalo, en son l’article 22, le Gouverneur du Sénégal faisait écrire que
Suufsunubeyoul, akSuufbunudekoul, Buurufrans ako moom29. L’Etat a aussi avancé la
théorie du domaine éminent pour fonder son monopole sur la terre coloniale en général, et les
terres du Cap-Vert, en particulier. L’idée était que l’Etat français, ou par traité ou par conquête,
se trouvait subrogé au droit du Damel, et devenait le seul propriétaire dans le Kajoor et au Cap-
Vert.

Il faut comprendre que le principe du respect des coutumes indigènes n’a été qu’un principe
colonial. Il s’agissait d’organiser la mainmise de l’administration coloniale sur les ressources
coloniales et non d’installer des contraintes d’un Etat de droit. En faisant jouer principes et

28
Décret du 26 avril 1923, Relatif à la répression de l’anthropophagie en Afrique Equatoriale et Occidentale
française cité dans, Pierre Dareste (dir.), Recueil de législation et de jurisprudence coloniales, Paris, Librairies
Godde, 1923, p. 562-563
29
Moniteurs du Sénégal et dépendances, n°196 du 27 décembre 1859 dans le cours du Pr. P. NGOM, précité.

13
exceptions, l’administration coloniale s’est donné les moyens d’être gardienne des traditions
indigènes. Et ainsi qu’elle pouvait disposer des personnes et des biens, elle s’est reconnu aussi
les pouvoirs de disposer de certaines traditions. Dans ce sens, la règle traditionnelle est devenue
subsidiaire.

Sur ce chapitre, l’appropriation du sol, bien que liait au système de croyances, a subi les attaques
du Français. Par le truchement des administrations locales, il a avancé la théorie des terres
vacantes et sans maîtres pour s’emparer des terres indigènes. Par exemple, dans l’affaire Farba
MBAYE c/ Domaine de l’Etat, le tribunal de 1er instance de Dakar a jugé le 22 mars 1924 que
les terres vacantes et sans maîtres du Cap-Vert entraient naturellement dans le Domaine de
l’Etat. En l’occurrence, la communauté léboue a été regardée comme juridiquement inexistante,
car elle n’était ni une association ni un syndicat ni aucune entité telle qu’en consacrait le droit
français. C’était là une manière de voir qu’avait eu le Gouverneur Faidherbe. Dans la
constitution du Waalo, en son l’article 22, le Gouverneur du Sénégal faisait écrire que
Suufsunubeyoul, akSuufbunudekoul, Buurufrans ako moom30. L’Etat a aussi avancé la
théorie du domaine éminent pour fonder son monopole sur la terre coloniale en général, et les
terres du Cap-Vert, en particulier. L’idée était que l’Etat français, ou par traité ou par conquête,
se trouvait subrogé au droit du Damel, et devenait le seul propriétaire dans le Kajoor et au Cap-
Vert.

Il faut comprendre que le principe du respect des coutumes indigènes n’a été qu’un principe
colonial. Il s’agissait d’organiser la mainmise de l’administration coloniale sur les ressources
coloniales et non d’installer des contraintes d’un Etat de droit. En faisant jouer principes et
exceptions, l’administration coloniale s’est donné les moyens d’être gardienne des traditions
indigènes. Et ainsi qu’elle pouvait disposer des personnes et des biens, elle s’est reconnu aussi
les pouvoirs de disposer de certaines traditions. Dans ce sens, la règle traditionnelle est devenue
subsidiaire.

30
Moniteurs du Sénégal et dépendances, n°196 du 27 décembre 1859 dans le cours du Pr. P. NGOM, précité.

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