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La République
moderne
PROPOSITIONS
Gallimard
'f'oü;d droits de traduction, de reproduction et d' aM-ptation
réserYés pour tous pays, y compris l' U. R. S. S.
© 1962, Editions GallimartJ.
A la mémoire de Georges Bonis,
ami irremplaçable.
P. M.-F.
A quelles nécessités, à quels objectifs doivent
répondre nos institutions? C'est ce que ce livre
tente de rechercher, compte tenu des structures
économiques, sociales, psychologique!!! d'un pays
~omme le nôtre, parvenu à ce point de son histoire.
Si nous voulons le succès d'un certain type de
solutions plutôt que d'un autre, il faut que ces
solutions soient connues à l'avance; il faut qu'on
sache qu'elles ont été méditées, débattues, rejetées
peut-être par les uns, acceptées sous réserve par
d'autres, ou sans réserve par d'autres encore. Il
serait souhaitable même que chaque citoyen ait
déjà fait son choix parmi elles. Peu importe qu'elles
soient critiquées ici ou là, l'essentiel est qu'elles
existent. A partir du moment où elles sont dis-
cutées, elles font leur chemin, elles contribuent à
ranimer la vie politique, à préparer l'avenir. Alors,
quand le problème du régime se posera, l'opinion
spontanément prononcera son jugement.
8 La République moderne
L'essai qui suit ne prétend pas à l'originalité
beaucoup des idées qu'il résume sont dans l'air,
elles ont fait l'objet de délibérations dans des mi-
lieux et des partis très divers. Il faut faire appa-
raître le plus grand commun dénominateur entre
ce qui a été retenu par les uns et par les autres.
Ce dénominateur commun constitue déjà une base
importante sur laquelle pourraient se rassembler
des hommes actuellement dispersés. Et cela devrait
leur permettre d'élaborer un contrat politique à
l'exécution duquel toutes les forces de progrès
pourraient un jour participer.
Cette base d'accord n'est pas intangible. Les
modalités peuvent en être améliorées et complé-
tées ; mais elles forment un ensemble lié dont les
divers chapitres se commandent mutuellement.
Rebâtir, par exemple, de meilleures institutions
politiques ne servirait pas à grand-chose si on ne
leur adjoignait pas les organes d'une démocratie
économique ; organiser la planification économique
n'aurait guère de sens si on ne commençait pas
par préciser pour qui et pour quoi on planifie, si
cette planification était privée de moyens de s'im-
poser, si elle n'était pas élaborée, exécutée, et con-
trôlée avec les organisations sociales et profession-
nelles qualifiées, si le gouvernement n'était pas
assuré de durer par principe aussi longtemps que
le plan lui-même.
Base d'accord, mais, du même coup, base mini-
mum puisque chacune des réformes envisagées
ne portera ses fruits que si les autres sont accep-
tées ; et s'il est entendu qu'une fois tel ou tel
objectif arrêté en commun, tout ce qu'il faut faire
pour l'atteindre devra être fait.
1ntroduction 9
Si maintenant on objectait que des questions
d'importance ne sont pas traitées ici, je répondrais
d'abord que mon intention n'était pas de dresser
un catalogue de toutes les réformes souhaitables.
De tels catalogues existent, nous n'en avons que
trop connu ; la multiplicité des promesses n'a
jamais garanti l'étendue des résultats. Mieux valent
des propositions provisoirement incomplètes mais
honnêtement adaptées aux possibilités que les
panneaux-réclame dont on a abusé.
Je répondrais surtout que l'ensemble des propo-
sitions qu'on va lire commande toutes les réalisa-
tions ultérieures. Et je mets au défi quelque homme
politique, quelque parti que ce soit d'entreprendre
demain une authentique démocratisation de l'en-
seignement, de modifier la répartition du revenu
national au profit des classes défavorisées, d'assurer
le contrôle par l'État des positions dominantes de
l'économie, d'assurer désormais le respect des li-
bertés fondamentales et des droits de l'homme, de
se faire obéir par une armée qui fasse corps avec
la Nation ... , si les problèmes institutionnels n'ont
pas d'abord reçu une solution correcte. Si l'on n'a
pas fait choix, autrement dit, des leviers qu'il con-
viendra d'employer.
Un grand pas serait franchi le jour où une im·
portante fraction des citoyennes et des citoyens
de ce pays aurait pleine conscience de cette situa·
tion et des devoirs qui en découlent.
La France paysanne et bourgeoise de 1789 sa·
vait ce qu'elle voulait : la terre et l'abolition des
privilèges. La Russie ouvrière et paysanne de 1917
savait ce qu'elle voulait : la paix, la terre et du
pain. La France de 1962 n'éprouve pas de faim
10 La République moderne
aussi simple et aussi urgente, bien que les nécessi-
tés qui s'imposent à elle soient au fond aussi
graves. Il s'agit pour elle d'inaugurer une expé-
rience qui n'a pas encore été faite : instaurer une
démocratie à la fois économique et politique dans
un grand pays moderne. L'information et la luci-
dité doivent donc remplacer l'évidence du besoin.
L'évolution politique dépend des structures éco-
nomiques et sociales. Or, ces structures ne sont
jamais totalement stables ni totalement homo-
gènes. Des forces divergentes s'y opposent, ou
convergentes s'y additionnent, en combinaisons
variables et changeantes. Tel un liquide en sur-
fusion où rien ne laisse deviner de surprenantes
virtualités que le plus petit cristal révélera sou-
dain, ce pays peut, quelque jour, exiger de grandes
réformes. Dès maintenant, ne les attend-il pas?
Il faut préparer l'échéance. Il faut prévoir ce
que pourra être, définir et clarifier ce que nous
voudrions que soit l'orientation nouvelle du pays 1 •
LA TRANSITION
L ' E X PÉ R I E N C E
QUI N'A PAS ENCORE ÉTÉ FAITE
RÉGIMES POLITIQUES
ET STRUCTURES SOCIALES
1. Voir chapitre V.
L'échec de deux Républiques 39
L'ABSENCE DE CONTREPOIDS
LA PERSONNALISATION DU POUVOIR
LE CONTEXTE FRANÇAIS
LE CONTRAT OU L'ABDICATION
j
IV
LE GOUVERNEMENT DE LÉGISLATURE
1. Voir p. 43 et 44.
Le Gouyernement de Législature 75
tive parlementaire, en cas d'augmentation de dé-
penses ou de réduction de recettes).
Le droit d'interpellation et de censure d'une
part, le droit d'initiative législative d'autre part,
impliquent que chaque Assemblée est maîtresse de
son ordre du jour. Toutefois, le gouvernement
peut, lui aussi, faire inscrire à l'ordre du jour les
projets auxquels il tient, sans aller jusqu'à en-
combrer l'emploi du temps parlementaire, au point
de le monopoliser.
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
UNE ASSEMBLÉE,
UN GOUVERNEMENT, UN PLAN
REPRÉSENTATION POLITIQUE
ET REPRÉSENTATION ÉCONOMIQUE
LA DBUX.IÊHE CHAMBI\E
LE DANGER DE CO:RPORATISME
L'ÉTAT ET LA PLANIFICATION
ÉCONOMIQUE
PLANIFICATION ET LIBERTÉ
CONTENU DU PLAN
ÉLABORATION DU PLAN
LE PLAN ET L'EUROPE
PL AN 1 F 1ER, C'EST CH 01 S 1 R
LA PLANIFICATION
ET LES ENTREPRISES
LE SECTEUR NATIONALISÉ
LE SECTEUR PRIVÉ
FINANCEMENT DU PLAN
LES.EFFORTS DE TOUS
DOIVENT TENDRE AU BUT COMMUN
PROMOTION DU SYNDICALISME
LE SYNDICALISME
ET LA PLANIFICATION DÉMOCRATIQUE
LE SYNDICALISME ET LA RÉPUBLIQUE
LA VIE RÉGIONALE
LA PART DU CITOYEN
LA D É M 0 C R AT I E G É N É RA L 1 S É E
L'EXEMPLE PAYSAN
LE N 0 UV EL ES P R 1 T C 1 V IQ U E
1. Cet état d'esprit est bien illustré par une réponse re-
cueillie au cours d'une enquête menée parmi des éléves offi-
ciers : << L'armée ne doit pas s'abaisser à se modeler à la
Nation, mais elle doit amener la Nation à se modeler à son
armée, seule force susceptible de droiture, d'abnégation et
d'efforts. »
2. Pour ne prendre qu'un exemple, tl n'est pas admissible
que, dès l'école, deux jeunesses soient formées à s'ignorer et· à
se méconnaître ; ld'autant (moins admissible qu'au xxe siè-
cle, le militaire est de plus en plus un technicien. La pre-
tnière réforme incorporera les établissement d'enseignement
militaire dans l'Université de France pour que futurs officier~.
futurs ingénieurs, futurs fonctionnaires apprennent qu'il dol·
vent concourir à une même tâche nationale.
Conclusion 247
Cela, seul le pays peut le faire. Mais il doit aussi
et d'abord manifester hautement qu'il ne cédera
jamais aux menaces.
Le 13 mai, l'armée avait compris qu'il se détour-
nait de ses institutions ; nombre d'officiers n'ont
guère hésité à exprimer, même d'une manière illé-
gale, un sentiment, très généralement répandu,
de désaffection contre le régime. Que, demain,
les Français se taisent, inertes et silencieux,
et ces mêmes officiers risquent, dans leur désar-
roi et parce qu'on les a trompés et bernés, de se lais-
ser entraîner de nouveau. Mais qu'ils soient assurés
dPs maintenant d'avoir, en ce cas, à affronter une
résistance jusque dans la rue, qu'ils ne puissent dèi
aujourd'hui éprouver le moindre doute à cet égard
- et beaucoup d'entre eux répugneront à provo-
quer un conflit sanglant entre le peuple et l'armée, à
tourner, contre la Nation, les armes et les jeunes
hommes qu'elle leur a confiés.
Enfin, le sentiment populaire retentit sur la
conduite du contingent et ce dernier agit
directement, à son tour, sur la psychologie et
J'attitude des officiers.
Ainsi, c'est du pays que dépend, dans une large
mesure, la pe1·sistance ou la fin du chantage qui
s'exerce sur lui et qui a marqué toute la vie poli-
tique depuis des années.
Lorsque la volonté nationale fait défaut, dei
corps distincts se forment, ici et là, des minoritéi
s'organisent, redoutables pour l'unité du pays -
plus redoutables encore lorsqu'elles détiennent les
armes. Mais que la démocratie se défende, alors, les
particularismes, les forces centrifuges, les tenta-
tions de rébellion Re réduisent aussitôt.
248 La République moderne
Il appartient aux responsables, aux chefs poli-
tiques comme aux chefs syndicalistes, aux élus
comme aux militants, d'appeler le peuple à cette
conscience et à cette pratique de la démocratie.
Ils doivent sans se lasser - et même au milieu de
la prétendue dépolitisation dont certains se ré-
jouissent - exposer à la Nation exactement- et
s'il le faut courageusement - comment se pré-
sentent les difficultés et les différentes solutions
possibles. Loin de lui dissimuler les obstacles à
surmonter, ils doivent l'appeler à les affronter,
la mobiliser pour participer l'action.
C'est ainsi que Waldeck-Rousseau et Cle-
menceau, Poincaré et Léon Blum concevaient
leur rôle : mettre en œuvre les volontés profondes
du pays et non, comme on l'a fait si souvent de-
puis, biaiser avec elles ou les anesthésier. Lorsqu'ils
s'adressaient au peuple ou à ses représentants, ce
n'était pas pour exposer des idées vagues et géné-
rales, mais bien pour leur soumettre une politique
effective et des décisions à prendre.
Chaque fois, le pays répondait. Chaque fois, il
exerçait sa pression et son arbitrage, il donnait à
son gouvernement une puissance qui permettait à ce
dernier de surmonter les résistances, celles des partis,
des oppositions politiques, des groupes de pression.
Le pays répond toujours lorsqu'il est saisi des
problèmes avec probité même quand ils sont
apparemment techniques, même quand ils sont
douloureux et exigent des sacrifices. L'homme
d'État fait confiance au peuple. Alors, celui-ci
prend conscience que les grandes décisions lui
appartiennent vraiment et il sait se hausser au
niveau de son devoir historique.
Conclusion 249
En définitive, la démocratie ne peut vivre que si
les citoyens et les dirigeants du pays se comportent
en démocrates. Churchill n'a jamais eu besoin du
régime présidentiel, ni d'écraser le Parlement, pour
être un animateur politique, parce qu'il n'a jamais
cessé de maintenir avec ses compatriotes un lien
direct, fondé sur la franchise et le courage de ses
paroles et de ses actes ; parce que, tout conservateur
qu'il était, il n'a jamais cessé d'être un leader démo·
crate au sein d'un peuple démocrate. L'investiture
populaire et parlementaire qui lui permettait de
remplir sa tâche, était fondée sur une politique
qu'il avait formulée sans détour, sur un pacte,
précis et clair, jamais sur un blanc-seing. Le pays
avait choisi ses objectifs et, c'est pour les attein-
dre, qu'il l'avait choisi, lui.
Bien sûr, une association de ce genre est plus
facile à fonder et à maintenir au cœur d'une redou-
table épreuve nationale. Ce serait faire preuve de
pessimisme que de croire un grand pays incapable
de fixer ses buts et de se battre pour les faire pré-
valoir, en temps de paix aussi.
Introduction. 9
Première partie. LES DONNÉES 11
1. Certitudes et perplexités des Français. 13
Il. L'échec de deux Républiques. 29
III. La personnalisation du Pouvoir. 51
Deuxième partie. PROPOSITIONs. 67
IV. Le Gouvernement de Législature. 73
V. Représentation politique et repré-
sentation économique. 91
VI. L'État et la planification économi-
que. 109
VII. La planification et les entreprises. 141
V 111. Promotion du syndicalisme. 171
IX. La vie régionale. 199
X. La part du citoyen. 213
Conclusion. 237
IDÉES