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Parmi les problèmes historiographiques qui se posent, émerge celui de la démographie française au
XIXème siècle. De 1789 à 1915, la France passe du rang de pays le plus peuplé d’Europe au cinquième rang.
Elle se situe donc dans une phase de déclin démographique par rapport aux autres pays d’Europe. Dans un
siècle où nombreuses furent les évolutions et mutations, quelles ont été les répercussions culturelles et
sociales de la maitrise progressive de la natalité et de la mortalité dans la France du XIX ? - En quoi le rapport
à la naissance et à la mort reflète-t-il les bouleversements de la société industrielle en France au XIXe siècle ?
Afin de répondre à cette question, nous étudierons la transition démographique précoce et remarquable de
la France qui provoque un bouleversement des mentalités au cours du siècle mais aussi des évolutions
différentes, reflet de la diversité sociale et politique de la France industrielle.
Un bouleversement qui peut s’exprime de plusieurs manières différentes. Tout d’abord, on assiste
en ce qui concerne la mort, au passage d’une cérémonie baroque au XVIII° à un rite familial et privé au XIX°.
Au XVIII, la mort est un objet de fascination. Elle se mêle d’érotisme, jusque dans l’art religieux : on
représente avec délectation le martyr des saints. Le corps mort est aussi l’objet de recherches, d’observation
morbides. Il fascine, intéresse, est impersonnel aux familles. Certains corps sont même momifiés comme
ceux des capucins toulousains. La mort est impersonnelle, ne trouve plus la place dans le foyer, elle se retire
de la vie quotidienne tout en étant omniprésente sous l’ancien Régime. Le glas des morts au clocher d’une
église retentit régulièrement dans la semaine, les parents certes attristés, ne sont pas non plus effondrés par
la mort d’un de leurs enfants tant elle parait fréquente. La mort était alors accueillie comme une fatalité. Au
XIX° la tendance est inversée. Avec la baisse du taux de mortalité, celle-ci se fait plus douloureuse, plus
personnelle. Les rituels se sont graduellement transformés. Le temps qu'on accorde au mort correspond à
une période de transition, mais aussi à un moment qui renforce les liens entre les membres de la famille.
En effet, brusquement, alors que la vie des hommes se trouvait frappées par les épidémies, la guerre
ou les intempéries, la mort violente ressort de cette période ou les guerres subsistaient certes, mais
n’étaient plus des cataclysmes, et où les épidémies s’effaçaient peu à peu. La mort est plus intime. Un cas
particulier émerge donc de celle-ci : c’est la mort violente qui ressort de la boucherie d’Eylau à celle du
dormeur du val. En effet, certains épisodes marquent les mentalités collectives. La bataille d’Eylan par
exemple, est un véritable carnage : 25 000 Français dont 6 généraux et 30 000 Russes sont mis hors de
combat. Le « cimetière d'Eylau » marquera durablement la mémoire collective - c'est à Eylau que le colonel
Chabert, personnage de Balzac, est enterré vif dans un charnier. Fait unique, Napoléon, choqué, reste huit
jours sur le champ de bataille pour veiller à l'enlèvement des blessés mais aussi à la récupération des
trophées. La mort est aussi engendrée le plus souvent par les blessures, comme l’on peut le voir avec « le
dormeur du Val ». La mort se fait donc plus marquante, plus difficile à accepter, plus intime aussi.
C’est d’ailleurs au cours du XIXème siècle que l’on voit naître l’intime, et sa généralisation dans
l’ensemble de la société. Le recul de la mortalité infantile et juvénile permet l'attachement des parents aux
enfants, qui sont moins nombreux, et même le surinvestissement dans les études.
L’âge de la mortalité infantile recule, tout en restant lourde. Il correspond à trois phases : De la charnière du
XVIII et du XIX° jusqu’aux années 1840, le taux descend de 200‰ à 144‰. Pendant le demi-siècle suivant, la
mortalité infantile stagne, avec une remontée jusqu’en 1871 (226‰, le maximum du siècle). Puis la
mortalité infantile baisse jusqu’aux années 1890 (170‰ en 1891-1895). Pourquoi cette diminution ? D’après
C. ROLLET, est-ce qu’il s’agit de la diminution de l’envoi des enfants en nourrice ? Des femmes mieux
nourries donc donnant naissance à des enfants plus robustes ? L’hypothèse de l’extension de la
contraception serait la cause la plus juste de cette diminution : les familles ont moins d’enfants, qui sont
donc plus précieux et mieux traités. La baisse des années 1890 correspond à une vulgarisation des acquis de
la révolution pasteurienne, à l’application des nouvelles techniques d’hygiène. De plus beaucoup de
municipalités réglementent les nourrices, la mise en nourrice étant jugée de plus en plus risquée. La santé de
l’enfant devient de plus en plus une préoccupation : l’emmaillotage est désormais déconseillé.
On fait donc plus attention à ses enfants, la mortalité reculant, les familles s’attachent plus à eux. L’enfant
ignoré au XVIII et découvert à la fin de ce même siècle, par Rousseau avec Emile ou de l’Education. De plus
on se plait à rester chez soi et à vivre en famille : vivre en famille c’est vivre autour des enfants. Les
moralistes chagrins protestent contre cette évolution de la société, contre l’excès d’attention accordée à
l’enfant qui devient tout de suite très accaparant. En effet, vu que les parents ont moins d’enfants, ils
cherchent les moyens matériels nécessaires à leur réussite: éducation, fortune, mariage : tout l’effort qui
était autrefois attribué au patrimoine, est désormais reporté sur la situation future, l’établissement de
chaque enfant en particulier. Au XVIII°, la famille était une institution sociale chargée d’assurer la continuité
du patrimoine, le bon ordre de la société. Les enfants ne coutaient guère à élever, au moins dans leurs
jeunes années. Seuls environ deux garçons demeuraient auprès du père pour assurer la transmission du
patrimoine et continuaient à faire partie de la famille, les autres devaient disparaitre. C’était comme une
revanche sur la fécondité, au XVIII les parents ne pouvaient pas répartir une affection particulière pour
chacun de leurs enfants, qui étaient souvent très nombreux. Les familles nombreuses ne pouvaient subsister
que par le départ de quelques éléments. On réalise que l’affection ne peut être vraiment accordée que si elle
est concentrée. On n’accepte plus d’avoir des enfants dont on ne s’occupe pas. On s’attache désormais à
leur réussite car c’est un moyen d’obtenir pour eux un avenir supérieur à la condition des parents. Il y a une
véritable mutation des mentalités qui transparait à travers une aspiration à une ascension sociale, qu’A.
DUMONT appelle capillarité sociale en 1890, se référant à la réduction des familles en voie d’ascension. Ce
qu’illustre E. de GONGOUT, dans un roman de 1864, mettant en scène une mère prévoyante, qu’une
naissance imprévue inquiète sur l’avenir promis à ses premiers nés. Idée forte qu’il ne faut pas dépasser un
certain nombre d’enfants si l’on veut leur assurer un avenir choisi.
La France du XIX° est en effet, l’objet d’une diversité tant sur le plan social, que sur le plan
politique. Catholiques, paysans, et ouvriers représentent cette certaine diversité. On peut se demander par
exemple, si les catholiques ne sont pas l’image d’un monde à part : refus du contrôle des naissances,
sociabilité traditionnelle maintenue, mais aussi relation étroite avec les valeurs du modèle bourgeois les
caractérisent. Contraire au malthusianisme, l’Eglise a longtemps refusé le contrôle des naissances, même si
elle a été peu répressive en matière de contraception. L’Eglise refuse de reconnaitre au plaisir une autre fin
que la procréation, et c’est face aux progrès des opinions malthusiennes à la fin du XIX qu’elle raidit encore
plus son intransigeance. A partir des années 1870, alors que le néo-malthusianisme acquiert une certaine
popularité et agit sur les mœurs, on observe une lutte contre l’onanisme conjugal. Les prêtres vont
démarcher, avec l’image du curé ancien combattant. Les grandes campagnes comme l’ami du clergé 1898,
où l’on donne des conseils, des formules et une aide dans le vocabulaire employé, sont nombreuse. Mais
paradoxalement, contrairement à l’idée commune, la famille chrétienne type, celle qui se répète le plus
souvent et compose l’essentiel des effectifs, n’est ni une famille nombreuse ni une famille très réduite. Elle
oscille autour de deux à trois enfants par femme alors qu’un siècle plutôt, elle tournait autour de 5 ou 6
enfants environ. Mais si la majorité du peuple chrétien a adopté la famille du type moderne, DASSONVILLE
montre l’importance peu normale de familles très nombreuses qui correspond à un phénomène très
chrétien. Les catholiques entretiennent une relation étroite avec les valeurs du modèle bourgeois dominant.
Mais ce phénomène reste quand même peu nombreux : La pratique religieuse et la foi ne sont pas
parvenues à enrayer l’évolution démographique. A noter quand même, que la chute de la natalité chez les
catholiques n’a pas dépassé un certain minimum.
Autre évolution différente, reflétant la diversité sociale et politique de la France industrielle,
concerne la catégorie des paysans. En effet, la critique courante est celle de l'arriération paysanne, d’une
modernisation tardive des campagnes - qui tranche souvent avec les mutations nationales faites par le
chemin de fer, l'école de Ferry - et d'un contrôle précoce des naissances, lié au code Napoléon.
Au début du XIXe siècle, le monde paysan, marqué par une permanence des structures sociales et des
techniques agraires, occupe une grande place dans la société française. Même si son importance est
minimisée par sa place politique et sociale, la grande majorité des Français est alors composée de paysans.
La critique courante porte souvent sur l’arriération paysanne : Dans un siècle de mutations sociales,
politiques, et économiques majeures, les paysans passent en effet bien souvent, pour les figures d’un
archaïsme « qui colle aux sabots ». Les nouvelles de Maupassant font le portrait de paysans frustres, naïfs et
ignorants, cupides ou généreux, de bourgeois nantis ou d’ouvriers exploité.
La France rurale est en quelques sortes longtemps restée prisonnière de coutumes, de traditions, de cultures
routinières et de particularismes locaux. Paradoxalement à la modernisation que connait le pays grâce au
chemin de fer et à l’école Ferry, ce n'est qu'avec la IIIe République que la critique d’arriération des paysans
s’adoucit.
Ce qu’on ne saurait oublier, c’est que le monde paysan devient de plus en plus impliqué en politique au
cours du siècle. En France, en 1848, la proclamation du suffrage universel masculin est une heureuse victoire
pour les populations rurales. Elles ont pour la première fois, l’opportunité de revendiquer d’une manière
légitime, leurs aspirations profondes. Or, si beaucoup craignaient de voir cette masse populaire (touchée par
la pauvreté, illettrée, et donc facilement influençable par la propagation des « idées rouges »), chambouler
par le poids de leur vote, les structures établies de longues dates, il s’est avéré en fait, que les choix
électoraux de la paysannerie, se sont d’abord exercés dans un sens conservateur. Napoléon III lui, l’a bien
compris ; « son sacre », il ne saurait oublier qu’il le doit au soutien reçu des populations rurales.
Paradoxalement, la chute de la natalité dans le monde paysan se fait précocement avec un contrôle des
naissances lié au code Napoléon. Les paysans font le choix d’éviter le morcellement du domaine qui
reviendrait inexploitable s’il était partagé. On choisi aussi de réduire les naissances ou d’exporter ses enfants
là où il n’est pas besoin de capital (ce que croient les paysans) vers les villes : d’où la dénatalité et l’exode
rural.
On a pu imaginer la société rurale du XIX° siècle, profondément figée, enfermée dans son archaïsme, et donc
incapables de se moderniser. Or, à l’image du XIX° siècle dans son ensemble ; son histoire est longue et
complexe. A travers son évolution, s’est joué en fait l’un des enjeux fondamentaux du XIX° siècle. Et ce,
avant tout sur le plan démographique avec le basculement de sociétés à prédominance rurales vers des
civilisations urbaines ; grâce au passage d’une économie agricole à une économie industrielle.
Reflet des diversités d’évolution et de mutations avec les catholiques et les paysans que nous venons
de voir, se fait aussi l’évolution tardive mais réelle du monde ouvrier.
Les familles ouvrières sont encore très nombreuses au XIX° : En face du peuple « prolifique », les bourgeois
philanthropes accusent la fécondité excessive qui écrase l’enfant, lui interdit tout progrès social & moral ;
alors que la fécondité intervient comme une richesse pour les prolétaires, la seule dont ils pouvaient
disposer. On assiste au XIX à un fossé entre le monde ouvrier et le reste de la population, qui tend tout de
même à se combler. En effet, au courant du siècle le recul de la mortalité ne touche pas tous les milieux
sociaux. Dans les quartiers populaires des grandes villes, la mortalité infantile reste élevée : signe d’une
évolution tardive dans le monde ouvrier. Des maladies comme la tuberculose, l’alcoolisme et les accidents
de travail font des ravages mais les progrès sanitaires, avec quelques années de décalage et de mentalités,
se répercutent aussi dans les casses ouvrières.
Le monde ouvrier connait donc une évolution tardive certes, mais une réelle évolution quand même à
travers le progrès de l’hygiène, de la santé (choléra) et du malthusianisme lié à sa déchristianisation et peut
être à la dynamique républicaine.
A travers la transition démographique de la France, ce sont donc par des évolutions différentes que
se reflètent les diversités sociales et politiques de la France industrielle.
Pour conclure, nous avons donc essayé de démontrer le lien direct entre la transition
démographique de la France et le bouleversement des mentalités au cours du siècle, l’influence de
l’industrialisation sur les comportements démographiques et de mesurer l’importance des mutations,
évolutions et changements par rapport à la société traditionnelle. Cette question intervient évidement
comme un problème historiographique qui tend encore à se résoudre, à être détaillé, dans le sens où les
controverses qui divisèrent l’opinion éclairée, demeurent toujours à faire l’objet d’études détaillées
nécessaires à la bonne résolution d’une question dont la réponse reste parfois inachevée.