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QUE PENSER DES

LIENS ENTRE
MIGRATION ET
DEVELOPPEMENT ?

Chris-Aurélien NDJILA AGASSI


Depuis une dizaine d’année, la thèse est souvent avancée d’un lien fort entre migrations et
développement. Cette thèse est associée à de nombreuses idées qui reflètent à la fois
l’évolution récente des théories et des préjugées portant sur les migrations internationales et
ce, particulièrement des pays du Sud vers le Nord. Sur ce point, les principales idées
développées tiennent d’une part sur le fait que ces migrations internationales résulteraient du
sous- développement des pays de départ dont les migrants sont originaires et d’autres part sur
le fait que si l’on s’attaque à la cause principale supposée des migrations, la pauvreté,
notamment au travers de l’aide publique au développement, les migrations Sud-Nord finiront
par se tarir, dans l’intérêt commun des deux parties. Ce souci louable et bien de réconcilier
intérêts du Nord et du Sud relève cependant d’une analyse simpliste du développement, des
migrations et des relations complexes mais à la fois variées qui existent entre ces
phénomènes. Dès lors, quel rapport pourrions-nous établir entre migrations et
développement ? Dans la suite de notre devoir, nous verrons que même si les migrations
constituent souvent un facteur de développement tant pour les pays d’origines que pour les
pays d’accueils (I), celles-ci peuvent constituer à certains égards un frein pour le
développement des parties concernées (II)
I. LES MIGRATIONS COMME FACTEURS DE DEVELOPPEMENT POUR
TOUTES LES PARTIES CONCERNEES : PAYS D’ORIGINE /PAYS
D’ACCUEIL

Nous verrons dans cette première partie que les migrations sont potentiellement un moteur de
développement aussi bien pour le pays d’origine que pour le pays d’accueil.

A. Les migrations comme facteurs de développement pour les pays d’origine

Dans les pays d’origine des migrants, leur contribution positive au développement est facilitée
par des transferts de fonds (1) de compétences (2) et des transferts à caractère social (3).

1. Les transferts de fonds

Les flux et transactions financier(e)s qui sont générés par les migrants vers leurs pays
d’origines sont l’un des principaux éléments de la mondialisation pour ces pays. On note ici
un effet positif, incontestable pour les familles des migrants résidant dans les pays d’origines.
Ces transferts de fonds contribuent nettement à réduire la pauvreté dans ces pays. Selon un
rapport récent de la banque mondiale, les migrants ont envoyé 529 milliards de dollars dans
leurs pays d’origine en 2018, ce qui en soi représente trois fois le montant global de l’aide
publique au développement. Selon toujours, les données de cette même institution financière,
les transferts de fonds personnels vers le Cameroun ont été estimé à 339,67 millions de dollars
en 2020. Une étude approfondie montre que 75% de ces transferts de fonds reçus servent à
répondre aux besoins immédiats tels que la nutrition, les soins de santé, l’éducation et le
capital commercial. Les transferts de fonds constituent suivant ces analyses l’une des
dimensions clés de la relation entre migration et développement.

2. Le transfert de technologies et compétences majeures

Il est important de relever que l’ensemble de ces transferts reste principalement le fait des
migrants qui retournent dans leur pays d’origine avec des compétences accrues, un savoir, des
idées et des moyens financiers également plus importants et, qui peuvent contribuer
considérablement au développement de leurs pays et ce, quelle que soit la forme qu’ait prise
leur voyage de retour. D’après un rapport de 2006 du Secrétaire général des Nations Unies, le
retour au pays ne peut être véritablement bénéfique que si le migrant a passé au moins cinq à
dix ans à l’étranger. Une fois rentrés au pays, les migrants pourront donc soit, se mettre à leur
compte et utiliser leur épargne comme point de départ. Ils pourront ainsi créer par exemple
une petite entreprise. Ou alors, pour ceux qui auront immigré temporairement pour
exercer un
métier ou pour suivre une formation académique à l’étranger, mettre en avant leurs nouvelles
compétences dans les domaines susvisés. Dans ce dernier cas, le fait qu’ils aient t été exposés
à de nouvelles idées et à de nouvelles méthodes de travail sont des atouts indéniables.

3. Les transferts à caractère social par les diasporas

Les diasporas peuvent être très utiles dans la mesure où elles assurent un transfert « à
caractère social », et contribuent ainsi au développement global du pays d’origine. Ces
transferts à caractère social pourraient aujourd’hui se définir comme des échanges
d’informations et de connaissances, entre les émigrés et leur pays d’origine, échanges qui
soutiennent, voire contribuent au développement à long terme des pays en question. Ces
transferts qui en réalité sont « non quantifiables » et « immatériels », ou encore qui consistent
en des idées, des pratiques, des façons de vivre, des identités peuvent se faire par écrit, par
l’intermédiaire des nouveaux moyens de communication tels que les réseaux sociaux par
exemple (WhatsApp, Facebook, Messenger…). Bref Ils passent par des canaux bien
identifiés, qu’il s’agisse de structures formelles ou informelles.

Ces transferts à caractère social de la diaspora sont également vecteurs d’idées sur des
concepts forts comme la démocratie ou encore même la santé, l’organisation de la population.

In fine, les transferts à caractère social ont de toute évidence, un potentiel d’information
positif et normatif, et favorisent le développement. Il convient à présent d’étudier l’apport que
constituent les migrations pour les pays d’accueil.

B. Les migrations, quels bénéfices pour les pays d’accueil ?

Dans les pays d’accueil, les migrations ont permis entre autres un rajeunissement de la main
d’œuvre (1), un accroissement du produit intérieur brut (P.I.B) (2) et ont eu impact majeur sur
le marché de l’emploi (3)

1. Une main d’œuvre beaucoup plus jeune et dynamique

Dans de nombreuses régions du monde, les travailleurs migrants internationaux représentent


une part importante de la main d’œuvre, apportant ainsi une contribution vitale à la société et
l’économie des pays de destination et remplissant des fonctions essentielles dans des secteurs
primordiaux tels que la santé, les transports, les services, l’agriculture et l’alimentation. Selon
un rapport publié par les nations unies qui se concentre sur la période 2017-2019, 66,2% des
travailleurs migrants sont employés dans les services, 26,7% dans l’industrie et 7,1% dans
l’agriculture. Dans la même lancée, on note que si, la main d’œuvre est aussi abondante c’est
bien parce qu’elle est de plus en plus sollicitée. A cet effet, certains pays à l’instar de
l’Allemagne ont mis sur pieds un projet de loi sur « l’immigration de travailleurs qualifiés »
pour ainsi faire face à une population vieillissante et une pénurie de main d’œuvre.

2. Un accroissement du P.I.B

Une grande partie des débats sur les migrations qui font la une en ce moment dans le monde
reflètent l’hypothèse selon laquelle l’accueil des migrants représente un fardeau pour les pays
d’accueil. Pourtant, loin d’être un fardeau a priori, les immigrants représentent une
opportunité économique importante. Une nouvelle étude du McKinsey Global Institute (MGI)
montre que les migrants transfrontaliers (plus de 90% de ceux qui ont déménagé pour des
raisons économiques), ne représentent que 3,4% de la population mondiale, mais près de 10%
du PIB mondial. Aussi, les migrants ont ajouté environ 6,7 milliards de dollars au PIB
mondial en 2015 soit 3 milliards de plus que ce qu’ils auraient produit s’ils étaient restés dans
leur pays d’origine. En outre, la MGI estime que les migrants ont généré 550 milliards de
dollars en Allemagne, 390 milliards au Royaume-Uni et 330 milliards de dollars en Australie
pour ne citer que ceux- ci. Tout porte à croire au final que les pays qui adoptent une approche
réfléchie et à long terme sur l’immigration peuvent en tirer d’importants avantages tangibles.

3. L’impact sur le marché de l’emploi

L’expérience montre de nos jours qu’il existe « bien des métiers que les Français ne veulent
plus faire ». Sur ce point, Elsa Darquier, DRH de Big Mamma dans un article publié par
Challenges affirme que « Nous mettons des mois à recruter en particulier sur les métiers de la
plonge et de la préparation si bien que recourir aux travailleurs étrangers sur ces postes est
devenu vital pour l’activité ». Pour Emmanuelle AURIOL, de la Toulouse School of
Economics, « les migrants occupent des emplois souvent non pourvus, que ce soit dans la
construction, la restauration ou les services à la personne ». On comprend facilement par-là
que contrairement à la croyance populaire, en général les migrants ne « volent » pas des
emplois qui autrement seraient occupés par des travailleurs nés dans le pays d’accueil. Un
grand nombre de migrants s’implantent dans une nouvelle communauté en occupant des
emplois qui existent précisément parce que les habitants n’en veulent pas.

Si cette première partie a été principalement axé sur les migrations comme facteurs de
développement tant pour les pays d’origines des migrants que pour les pays qui les
accueillent,
nous devons toutefois, reconnaître que ce n’est pas toujours le cas en ce sens que ces
migrations peuvent avoir un impact négatif et donc constituer un frein pour le développement

II. L’IMPACT NEGATIF DES MIGRATIONS SUR LE DEVELOPPEMENT

Cet impact peut être vu à plusieurs niveaux.

A. Au niveau des pays d’origine

Au niveau des pays d’origine, on note principalement la fuite de cerveaux (1) et les retours de
moins en moins fréquent (2)

1. La fuite des cerveaux

La fuite des cerveaux peut se définir comme étant la perte, pour tel ou tel pays, d’un personnel
professionnel et formé, qui se rend dans un autre pays pouvant lui offrir des possibilités plus
importantes. De manière plus succincte, on peut dire que l’exode des cerveaux est synonyme
de « réduction ou de perte d’un potentiel intellectuel et technique. Ce qui est jugé le plus
préoccupant, c'est que ce phénomène donne lieu en général à « une hémorragie de main-
d'œuvre qualifiée, qui n'est guère compensée par des retombées économiques en retour ». Par
conséquent, le véritable enjeu est la corrélation entre la perte importante d’un personnel très
instruit et les effets économiques négatifs qui en découlent. Les problèmes de développement
liés à la fuite des cerveaux pourraient être mieux illustrés dans le cas de la migration des
professionnels de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 57 pays dont 36
situés en Afrique sub-saharienne manquent très sérieusement de personnels de santé.
L’Afrique représente 25% des maladies à l’échelle mondiale, alors qu’elle ne dispose que de
3% du personnel médical œuvrant dans le monde.

2. Des retours de moins en moins fréquent

La question du retour est également liée à la durée du séjour des migrants dans le pays
d’accueil. Plus ce séjour est long, plus les migrants nouent des liens, s’investissent
personnellement dans le pays d’accueil, et plus ils se familiarisent avec celui-ci ; ils s’y
enracinent et ce, d’autant plus s’ils sont accompagnés de leurs enfants ou qu’ils font de
nouveaux enfants dans le pays d’accueil en question. Parallèlement, plus ils prolongent leur
séjour dans le pays d’accueil, plus les migrants se déconnectent de leur pays d’origine qui
évolue également pendant cette période. Ainsi, diverses études ont montré qu’avec le temps,
la probabilité de retour au Mexique d’un
migrant mexicain diminuait. Naturellement, la situation dans leur pays d’origine a également
influé sur leurs décisions.

B. Au niveau des pays d’accueil

Les migrations dans ce contexte peuvent constituer une insécurité pour les populations locales
(1) et aussi même donner lieu à des transferts de maladies (2)

1. Une insécurité existentielle

En décembre 2018, deux tiers des Français considéraient que l’immigration avait un effet
négatif sur la sécurité, selon un sondage IFOP. Les chiffres confirment le bien-fondé de ce
ressenti. Entre 2013 et 2014, près de 24% des condamnations pour vols et 14% des mis en
cause pour violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique étaient de
nationalités étrangères, qui ne représentent, pourtant, que 7,4% de la population Française.
Une tendance à la hausse, confirmée par l’enquête de victimation « CVS » (cadre de vie et
sécurité) qui, jusqu’en 2014, recensait la nationalité des mis en cause dans les crimes et délits
non routiers. Déjà, en 2006, le ministre délégué au Tourisme, Léon Bertrand, dissertait sur la
question, qui, des années plus tard, à la faveur du déconfinement, resurgit comme la poussière
sous le tapis : « On dit qu’il ne faut pas toujours associer l’insécurité à l’immigration, mais,
pour ma part, je le fais, parce que, lorsque les gens traversent le fleuve et n’arrivent pas à
trouver des moyens pour vivre, ils commencent par faire des petits larcins et du chapardage,
parce qu’il faut bien manger, et c’est ainsi qu’ils deviennent délinquants. » Tout porte à croire
au final, que ce sont généralement les migrants chômeurs, en situation irrégulière qui sont à
l’œuvre de ces insécurités répétées.

2. Une plus grande probalité de transfert de maladies

Enfin, les migrants peuvent apporter avec eux des maladies ayant prévalu dans leur pays (les
maladies tropicales par exemple). Les agents pathogènes peuvent donc ainsi se transmettre
d’un pays à l’autre par le biais d’immigrants, conduisant ainsi à la propagation de maladies.
Pour réduire ce risque, de nombreux pays adoptent une politique de filtrage des immigrants à
leur arrivée dans le pays.
CONCLUSION

Au terme de notre analyse, il convient de relever qu’il existe un rapport étroit entre migrations
et développement. Si on a établi en premier lieu que les migrations constituaient un facteur de
développement, on a trouvé judicieux en seconde position de rediscuter cette thèse eu regard
aux impacts négatifs que ces migrations peuvent avoir sur le développement et ce, pour toutes
les parties concernées : pays d’origine, pays d’accueil. Dès lors, on passe aujourd’hui d’une
conception tendant à considérer les migrations comme étant un fardeau économique en
matière de développement à des approches plus globales, qui reconnaissent que les migrations
sont de plus en plus une réalité permanente, le phénomène peut être positif s’il est
correctement régulé
; enfin, migrations et développement peuvent aller de pair.
Bibliographie
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https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38611-union-europeenne-la-crise-migratoire-de-2015
(Gaillard, 2018)

L’engagement citoyen et la participation politique des migrants : entre enchantement et


désenchantement - GIS Études africaines en France (cnrs.fr) (2018, s.d.)

Cameroun: Comment les migrants à l’étranger financent des familles et des communautés
durables (237online.com) (Charioui, s.d.)
Nations Unies: Migrations internationales et développement, Rapport du Secrétaire général
(New York, Nations Unies, 2006)
Travailler en Allemagne pour la main d'oeuvre qualifiée
https://www.make-it-in-germany.com/fr/visa-sejour/loi-immigration-travailleurs-qualifies
Garza, B. L. (2000). The Developmental Role of Remittances in U.S. Latino Communities and
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https://fr.wikidebates.org/wiki/L%27ins%C3%A9curit%C3%A9_augmente,_car_harc%C3%
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