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Crowdinvesting et financement durable

Thierry Granier

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Thierry Granier. Crowdinvesting et financement durable. Revue de droit bancaire et financier, 2015,
4. �hal-01421886�

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Crowdinvesting et financement durable
Auteur : Thierry Granier, professeur à Aix -Marseille université, co-directeur du
Centre de Droit Économique (EA 4224)

Acte des « Rencontres du droit des affaires et du développement durable », sur le thème de
« La finance durable en questions ». Colloque pluridisciplinaire organisé, sous la direction de
V. Mercier, par l'Institut pluridisciplinaire de l'eau, de l'environnement et du développement
durable, en partenariat avec la Fondation AMU « Savoirs, Métiers et Territoires » ainsi que la
Fondation d'entreprise Crédit Agricole Alpes Provence, le vendredi 17 octobre 2014 à la
faculté de droit et science politique d'Aix-en-Provence.
Réf. : Revue de Droit bancaire et financier n° 4, Juillet 2015, 44.

1. - La confrontation du crowdinvesting ou financement participatif par offre de titres


financiers avec ce qu'il est convenu d'appeler la finance durable conduit à s'interroger sur les
deux mécanismes en question. Les contours de la finance durable sont encore mal définis.
Comme le souligne notre collègue Catherine Malecki, en France, la notion en est encore « à
l'âge de l'adolescence voire de l'enfance » Note 2 . Il s'agit d'un mouvement qui correspond à
la prise en compte dans l'activité financière du sociétal, des objectifs de développement
durable, de l'environnement voire de l'éthique. Une contribution récente sur le sujet rappelait
qu'il s'agit : « de réinventer un modèle de finance en fonction de son utilité économique,
environnementale et sociale, et d'en tracer le pourtour. Une finance durable ne saurait être
court-termiste. Aussi convient-il de penser un modèle qui finance des investissements de long
terme capables d'insuffler de nouvelles dynamiques dans les modes de production des
différents secteurs de l'économie, qu'il s'agisse de l'industrie, de l'agriculture ou des services.
D'œuvrer pour une meilleure intégration et prise en considération des risques
environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les décisions d'investissement, et surtout
pour une recherche de rendements soutenables sur la durée » Note 3 .
2. - La finance durable se caractérise ainsi par sa destination ; la conséquence, si on l'observe
cette fois sur un plan concret, est sa variété. En effet, ce mouvement se manifeste par
l'émergence de ce qui a été appelé l'investissement socialement responsable (ISR) et la mise
en place des dispositions concernant la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE). Il est
possible également d'inclure en la matière les dispositifs et comportements liés à l'économie
sociale et solidaire (ESS). En ce qui concerne l'encadrement juridique du domaine et
notamment de l'investissement durable, il existe un certain nombre de textes et de normes
rattachables à la soft law (code de conduite, labels...) édicté par des organismes nationaux et
internationaux Note 4 destinés à lui donner un cadre.
3. - Le financement participatif, qui est phénomène international Note 5 , bénéficie, lui, d'un
cadre législatif et réglementaire national récent et déjà largement commenté Note 6 . Celui-
ci organise d'une part le financement d'un projet par un mécanisme de prêt (voir l'intervention
de Vincent-Perruchot-Triboulet dans le présent dossier) et, d'autre part, met en place le
financement d'un projet par un système d'offre de titres au public. Ces activités ont pu voir le
jour grâce à la révolution numérique, au développement des réseaux sociaux et des
communautés sur internet, la crise financière de 2008 ayant joué un rôle amplificateur de par
la déstabilisation du financement qu'elle a induit. La question qui se pose est de savoir si cette
offre de titres relève de la finance durable ou non. Il est difficile de fournir une réponse
tranchée, mais on trouve dans « l'ADN » du crowdinvesting une volonté de rapprochement
entre l'investisseur et l'entrepreneur. Cette caractéristique explique, au moins en partie, que
la technique du crowdinvesting est compatible avec les mécanismes de finance durable (1), ce
qui n'est pas surprenant dans la mesure où la philosophie générale qui sous-tend les textes
est également compatible avec la finance durable (2).

1. La compatibilité de la technique du crowdinvesting avec la finance durable

4. - Le crowdinvesting, comme toute technique de financement, est fondamentalement


neutre. Il s'agit de mobiliser des pourvoyeurs de fonds par le biais de techniques financières,
formalisées dans des contrats. Ces opérations s'insèrent dans un contexte législatif et
réglementaire particulier (code monétaire et financier et règles adoptées par les régulateurs
financiers) destiné à protéger les investisseurs des fraudes tout en permettant aux projets
entrepreneuriaux de pouvoir accéder aux sources de financement. Les levées de fonds dans
le public sont ainsi soumises à des contraintes calibrées d'informations et de déclarations
auprès du régulateur financier, dispositifs considérés comme les garants de la protection du
marché et des investisseurs, mais d'un coût élevé. De ce fait, se trouvait exclue de cette
ressource la très grande majorité des projets entrepreneuriaux. Pour tenter de pallier cette
difficulté, la réforme a introduit une certaine rupture dans le schéma technique de l'offre de
titres au public, rupture parfaitement compatible avec les principes de la finance durable. En
effet, il sera précisé que le nouveau cadre législatif et réglementaire du crowdinvesting permet
d'étendre les possibilités d'offres de titres au public à des entreprises d'envergure plus limitée
(A), cette libéralisation étant encadrée par la mise en place de moyens pour sécuriser
l'opération (B).

A. - L'extension des possibilités d'offre de titres au public pour des entreprises d'envergure
limitée

5. - L'article L. 411-1 du Code monétaire et financier définit l'offre au public de titres financiers
comme une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit
à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre et sur
les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d'acheter ou de
souscrire ces titres financiers. Une telle offre est également constituée par un placement de
titres financiers par des intermédiaires financiers. Il convient de préciser que l'émetteur qui
offre ses titres dans ce cadre doit publier un document destiné à informer le public, appelé
prospectus, qui doit être visé par l'Autorité des marchés financiers (C. monét. fin., art. L. 412-
1). Cette même autorité fixe la procédure à suivre, elle est relativement lourde et couteuse
comme évoqué précédemment. Ainsi, l'entité qui offre ses titres dans ces conditions doit avoir
des moyens financiers significatifs. En réalité, ce dispositif est principalement adapté à des
sociétés ayant l'intention de placer leurs titres sur un marché financier.
6. - Des exceptions sont toutefois prévues, certains types d'offres qui devraient entrer dans le
champ de l'article L. 411-1 (préc.) sont écartées, dans ces hypothèses, la mise en œuvre des
obligations d'information à la charge de l'émetteur ne sont pas exigées. Jusqu'à la réforme par
l'ordonnance du 30 mai 2014, étaient exclues du champ d'application du texte, en substance,
les opérations d'un volume important et les offres de petite envergure Note 7 . Il en est de
même des offres faites auprès de ce l'on appelle les investisseurs qualifiés Note 8 et à des
offres faites à un cercle restreint d'investisseurs Note 9 , comme celles qui s'adressent aux
personnes fournissant le service d'investissement de gestion de portefeuilles pour le compte
de tiers. Aucune de ces modalités ne correspondait réellement à la situation d'une PME ou
d'une TPE souhaitant présenter son projet à un large public dans l'espoir de trouver des
investisseurs.
7. - L'ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif a ajouté
que : « Ne constitue pas une offre au public au sens de l'article L. 411-1 l'offre : 1° Qui porte
sur des titres financiers mentionnés au 1 ou au 2 du II de l'article L. 211-1 qui ne sont pas admis
aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation ; 2° Et
qui est proposée par l'intermédiaire d'un prestataire de services d'investissement ou d'un
conseiller en investissements participatifs au moyen d'un site internet remplissant les
caractéristiques fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; 3° Et
dont le montant total est inférieur à un montant fixé par décret. Le montant total de l'offre
est calculé sur une période de douze mois dans des conditions fixées par le règlement général
de l'Autorité des marchés financiers. ».
8. - Ainsi est déterminée l'offre de tires intervenant dans le cadre d'un financement
participatif. Sont concernés les titres financiers, non admis sur un marché réglementé ou un
système multilatéral de négociation, mentionnés au 1 ou au 2 du II de l'article L. 211-1 du code
monétaire et financier. Autrement dit, il s'agit des titres de capital émis par les sociétés par
actions et des titres de créance (à l'exclusion des effets de commerce et des bons de caisse).
Le décret n° 2014-1053 du 16 septembre relatif au financement participatif ajoute que,
lorsque le projet de l'émetteur est présenté par un conseiller en investissement participatif
(CIP), il ne peut porter que sur des offres d'actions ordinaires et d'obligations à taux fixe (C.
monét. fin., article D. 547-1 nouveau). En ce qui concerne les émetteurs possibles,
l'ordonnance du 30 mai 2014 a innové. En effet, elle permet logiquement aux sociétés
anonymes de solliciter les investisseurs par le biais du financement participatif, mais elle offre
également la possibilité à la société par actions simplifiée (SAS) de lever des fonds en utilisant
une plateforme participative.
9. - Il a fallu pour cela réformer cette structure sociale. En effet, il faut rappeler que la société
par actions simplifiée ne peut pas procéder à une offre de titres financiers ou à l'admission
aux négociations sur un marché réglementé de ses actions. Elle peut seulement effectuer des
placements privés de ces titres Note 10 , c'est d'ailleurs ce qui explique que le régime des SAS
en est relativement souple. Le législateur a réduit quelque peu la grande liberté caractérisant
le régime qui lui est applicable. C'est ainsi que les SAS qui voudront se financer en passant par
une plateforme de financement participatif seront soumises aux dispositions jusque là
applicables aux sociétés anonymes et dont elles étaient dispensées. Plus précisément, elles
devront respecter les règles relatives à la proportionnalité du capital et en matière de
décisions collectives propres aux sociétés anonymes Note 11 . Ce même régime est prévu pour
la SAS qui porte un projet et qui a pour actionnaire une autre SAS ayant recours au
financement participatif (C. com., art. L 227-2-1).
10. - Une première approche du dispositif mis en place pour régir le financement participatif
montre donc qu'il s'agit de favoriser le recours au financement par le public pour les sociétés
qui n'ont pas accès au marché financier. Les règles applicables à la matière sont simplifiées
Note 12 et la connexion entre le financement et le projet est directe. Une telle connexion avait
en effet progressivement disparu. À cet égard, il faut rappeler le mouvement qui a opéré cette
déconnexion. À l'origine, en matière de collecte de fonds, le droit envisageait les « sociétés »
faisant appel public à l'épargne. Autrement dit, le sujet était des sociétés qui abritaient une
entreprise commerciale ou industrielle sollicitant le public pour financer une activité
identifiée. L'avènement des marchés financiers a conduit à la mise en place du mécanisme
d'offre de titres au public. Or, ce mécanisme a pour conséquence de mettre l'émetteur de
titres (c'est-à-dire l'opérateur qui recherche le financement qualifié de « véhicule » par les
financiers) au second plan : l'important est la levée des fonds. La finalité financière a donc peu
à peu été privilégiée, ce que le droit traduisait et cristallisait d'une certaine manière. Le
mécanisme du financement participatif fait évoluer cette logique car il permet d'envisager
plus facilement l'objectif poursuivi au-delà du financement. Dans ces conditions, si les sociétés
émettrices font le choix de proposer un projet entrant dans le périmètre du développement
durable, les investisseurs pourront identifier et financer l'activité assez facilement. Et il faut
observer que ce besoin de lisibilité Note 13 est une donnée fondamentale de la finance
durable, sachant que ce paramètre permet ensuite de vérifier l'intégrité des projets Note 14 .
Cette option pour les investisseurs sera d'autant plus accessible que le législateur a mis en
place des outils permettant de sécuriser ce type d'offres.
B. - La sécurisation de l'opération d'offres de titres au public

11. - L'opération de crowdinvesting a été sécurisée de deux manières. D'une part, le volume
de l'offre a été limité et, d'autre part, l'organisation de l'offre est confiée à un acteur dont le
statut est réglementé. En premier lieu, l'article L. 411-2 (I bis) du Code monétaire et financier
envisage une limitation du montant de l'offre : il indique que le volume total de l'offre doit
être inférieur à un montant déterminé par décret, ce montant étant calculé sur une période
de douze mois dans des conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés
financiers. Effectivement, le décret n° 2014-1053 du 16 septembre 2014 est intervenu et a fixé
ce montant à un million d'euros (C. monét. fin., art. D. 411-2). Deux idées président à
l'instauration d'une telle limitation du montant de l'offre. La première est que le financement
participatif, par nature, n'est pas destiné à des projets de grande envergure réclamant
l'émission d'un nombre élevé de titres. Ce besoin peut, en effet, être satisfait par des
opérations effectuées sur les marchés financiers traditionnels. La seconde est de tenter
d'atténuer de manière simple et objective le risque porté par l'opération en cause.
12. - En second lieu, l'ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 a déterminé un statut pour les
professionnels qui gèrent la plateforme présentant le projet sur internet qui sont appelés
aujourd'hui les conseillers en investissements participatifs (CIP). L'article L. 547-1 du Code
monétaire et financier prévoit, tout d'abord, que ces acteurs sont des personnes morales
exerçant à titre de profession habituelle une activité de conseil en investissement mentionnée
au 5 de l'article L. 321-1 portant sur des offres de titres de capital et de titres de créance
définies par décret (Il s'agit d'actions ordinaires et d'obligations simples, voir plus haut).
L'accès à la profession de conseiller en investissements participatifs passe par une
immatriculation obligatoire sur le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et
finance (ORIAS) (C. monét. fin., art. L. 547-2). Pour obtenir cette immatriculation, différentes
conditions sont exigées Note 15 . Ainsi, le CIP doit être une personne morale établie en France
dont les gestionnaires (personnes physiques) doivent avoir la majorité légale et remplir des
conditions d'honorabilité minimales Note 16 ; ils devront, de plus, justifier d'un niveau de
compétence professionnelle déterminé Note 17 . Les conseillers en investissements
participatifs doivent également adhérer à une association chargée du suivi de ses membres.
Cette association est agréée par l'Autorité des marchés financiers financier Note 18 qui
approuvera le code de bonne conduite qu'elle est chargée d'élaborer. Le CIP doit, enfin, être
en mesure de justifier à tout moment de l'existence d'un contrat d'assurance en vue de le
couvrir contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle qui
peut être mise en jeu en cas de manquement à ses obligations professionnelles telles que
définies par les textes.
13. - Pour ce qui est de leur rôle et de leur comportement, ils devront veiller dans toutes leurs
communications à s'identifier clairement et à fournir, même en cas de démarche
promotionnelle, des renseignements présentant un caractère exact, clair et non trompeur
Note 19 . Ils devront, d'une part, mettre en garde les clients (potentiels ou non) des risques
auxquels ils s'exposent, avant de leur donner accès au détail des offres sélectionnées. D'autre
part, les gestionnaires de plateforme devront s'enquérir auprès de leurs clients ou de leurs
clients potentiels de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement
ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à
s'assurer que l'offre proposée est adaptée à leur situation. Lorsque les clients ou les clients
potentiels ne communiquent pas les informations requises, l'offre ne peut pas être considérée
comme adaptée (C. monét. fin., art. L. 547-9, 6°). Le conseiller en investissements participatifs
doit donc fournir une information fiable sur l'opération et doit s'informer sur les capacités de
ses clients. Il a une obligation générale de loyauté et doit agir avec équité au mieux des intérêts
de ses clients (C. mon. fin., art. L. 547-9, 1°). Sa rémunération doit être appropriée dans le sens
où elle ne doit pas nuire au respect de ces obligations. Enfin, il doit mettre en place une
politique de gestion des conflits d'intérêts.
14. - Pour être complet, il convient d'ajouter que les prestataires de services d'investissement
peuvent également proposer des offres de titres au moyen d'un site internet dans le cadre
d'un financement participatif (C. monét. fin., art. L. 411-2 modifié). Ces professionnels sont
identifiés, ils constituent un corps intermédiaire structuré Note 20 . L'article L. 321-1 du Code
monétaire et financier énumère les services d'investissement Note 21 . L'opérateur qui
souhaite exercer l'une de ces activités devra d'abord bénéficier d'un agrément délivré par
l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), si nécessaire, son programme
d'activité devra être approuvé par l'Autorité des marchés financiers (AMF). L'examen de la
liste des services établie par le texte montre que la gestion d'une plate-forme de financement
participatif n'est pas mentionnée. Aussi, la prise en charge d'une telle plateforme par un
prestataire de service d'investissement reste-t-elle originale. Ainsi, ce dernier devra déposer
un dossier d'agrément auprès de l'ACPR dans lequel il devra demander la possibilité de fournir
le conseil en investissement. De plus, le législateur a prévu l'application de règles particulières
adaptées à l'activité en question qui sont comparables à celles prévues pour les conseillers en
investissements participatifs Note 22 . Cette adaptation a également été réalisée par le
règlement général de l'AMF Note 23 qui a aligné de la même manière le régime des
prestataires de services d'investissement sur celui des conseillers en investissements
participatifs (CIP) en matière d'information du client et de transmission des bulletins de
souscription.
15. - Le fait que les plateformes de financement puissent être organisées par des prestataires
de services d'investissement a pour conséquence de rattacher ce procédé au système
financier traditionnel contrôlé par les régulateurs bancaire et financier. D'ailleurs, il faut
remarquer que s'il a le statut de CIP l'émetteur ne pourra offrir que des actions ordinaires et
des obligations simples (voir plus haut), l'émetteur ne pourra pas offrir des actions de
préférence ou des titres composés. En revanche, si la plateforme est un prestataire de service
d'investissement, elle pourra également proposer des actions de préférence ou des titres
composés et il sera ainsi possible d'envisager des opérations de financement plus
sophistiquées.
16. - En définitive, le crowdinvesting présente un double visage. D'une part, il est adapté à des
projets d'envergure limitée favorisant la proximité entre les opérateurs et la simplicité du
financement et, d'autre part, il peut apparaître comme un moyen de réaliser des opérations
plus élaborées.
17. - Par exemple, dernièrement, a été mise en place une plateforme de financement
participatif qui sélectionne des projets destinés à être financés conjointement par une banque
et des investisseurs professionnels via un fonds commun de titrisation Note 24 .
Techniquement, ces deux volets peuvent parfaitement s'insérer dans des opérations liées à
un développement durable. Ce n'est pas la sophistication des moyens utilisés qui met en
danger le caractère durable d'un investissement ou d'une opération de financement, c'est le
non-respect de la finalité recherchée et ou de son intégrité Note 25 . La compatibilité du
régime du crowdinvesting avec la finance durable est ainsi établie au regard des textes. Il reste
à savoir si la philosophie de ce type de financement correspond à celui de la finance durable.
2. La compatibilité de la philosophie du crowdinvesting avec les principes de la finance
durable

18. - La compatibilité entre la philosophie qui a présidé à l'avènement du crowdinvesting et


celle de la finance durable a déjà été suggérée, il convient de développer certains de ses
aspects (A). Ce rapprochement a eu des prolongements dans la pratique du crowdinvesting
qui a été utilisé spécifiquement pour le financement de projets de développement durable
(B).
A. - La compatibilité de la finance durable avec la philosophie présidant a l'avènement du
crowdinvesting

19. - Pour se faire une idée de la philosophie qui a présidé à l'avènement du financement
participatif, il est utile de revenir de manière très rapide sur le contexte dans lequel est apparu
le système. Le point de départ est constitué par le fait que les circuits traditionnels de
financement se sont révélés insuffisants. Il est établi que la crise financière de 2008 a eu pour
conséquence de resserrer le crédit, les établissements bancaires accordant moins facilement
de financements, notamment aux entreprises de moindre envergure, car soumises à des
obligations prudentielles de plus en plus strictes. Le financement par le marché n'est pas
évident non plus pour les acteurs économiques. Il existe certes un chemin juridiquement
balisé pour accueillir l'épargne. Cette dernière est collectée par les banques qui les confient à
des organismes de placement collectif (OPCVM), ceux-ci utilisant les sommes réunies pour
constituer des portefeuilles d'instruments financiers acquis essentiellement sur les marchés
financiers. Il est apparu que cette épargne servait à alimenter une spéculation de moins en
moins efficace au regard des besoins de l'économie réelle, étant entendu que les investisseurs
assumaient les risques de cette activité spéculative Note 26 .
20. - Ainsi, d'un côté, les opérateurs économiques, principalement ceux qui ont une envergure
limitée, ont du mal à trouver un financement adapté auprès des établissements bancaires
traditionnels, et d'un autre côté les investisseurs (épargnants) n'ont pas à leur disposition une
variété de placements suffisante qui pourrait correspondre à des attentes diversifiées. Le
développement du numérique et la multiplication des réseaux sociaux ont permis à ces
acteurs non seulement de mettre en lumière cette situation, mais aussi d'imaginer des
solutions. Le financement participatif fait partie de ces solutions, le recours à des plateformes
électroniques qui présentent les projets entrepreneuriaux de manière facile et calibrée
permettant de solliciter directement des internautes a conduit à la mise en place de
financement hors secteur traditionnel. Le mouvement (mondial) s'est d'abord développé sans
cadre légal adapté, puis le législateur est intervenu rapidement en France pour encadrer
l'opération. Il s'inscrit d'ailleurs dans un renouvellement des services bancaires et financiers
qui s'appuient sur les technologies numériques comme le paiement, les négociations
financières, le change, l'affacturage, la gestion automatisée, le consulting... L'expression «
FinTech » qui combine les termes « finance » et « technologie », désigne l'émergence des
entreprises qui assurent ce type de service hors secteur bancaire proprement dit Note 27 .
21. - À ce bouleversement numérique, il faut ajouter que le monde financier et du
financement, à la suite de la crise financière, est traversé par un ensemble d'interrogations
sur la finalité de l'activité financière. Ce point a été rapidement esquissé dans les propos
introductifs au présent article. En effet, le financement conçu en vue d'objectifs déterminés
est en train de devenir une approche possible (et non plus utopique et/ou non viable) de
l'activité financière Note 28 . C'est ainsi que l'on a pensé à l'instauration de financements ayant
pour objet le développement de certaines activités en particulier : projet respectant
l'environnement, installation d'infrastructures et de réseau de distribution d'énergie
renouvelable... ou la lutte contre certains abus et la mise en avant de différentes valeurs : non
recours au travail des enfants, égalité hommes / femmes, traitement des salariés... Ce type de
financement comprend la finance solidaire et la finance durable.
22. - L'ensemble de ces modes de financement (financement participatif, FinTech, finance
durable...) a été regroupé sous le vocable de « finance alternative » Note 29 , c'est en ce sens
qu'il est possible de rapprocher les philosophies qui ont présidé à l'instauration du
financement participatif et de la finance durable dans la mesure où les deux mouvements
procèdent d'une même idée qui est celle de mettre en place des montages ne s'appuyant pas
forcément sur le secteur bancaire ou sur les marchés financiers. Ils visent également tous deux
(financement participatif et finance durable) à instrumentaliser le financement au vu d'un
projet plus défini. Et à cet égard, le crowdinvesting permet de s'adresser massivement, de
manière simple et directe à l'infini de la foule d'internet pour toucher les investisseurs
intéressés, il passe par-dessus des obstacles infranchissables que représentent le coût de
levées de fonds à une aussi grande échelle Note 30 . Au-delà du rapprochement des
philosophies, il reste à savoir si la finance durable demeure compatible au stade de l'utilisation
du crowdinvesting.
B. - La compatibilité de la finance durable avec la philosophie de l'utilisation du crowdinvesting

23. - Même si le crowdinvesting recouvre des réalités très différentes dans laquelle la
préoccupation de finance durable n'occupe qu'une part modeste pour l'instant, celle-ci trouve
d'ores et déjà une traduction concrète. En effet, la compatibilité entre financement
participatif et finance durable correspond à une réalité.
24. - Plus précisément, des plateformes dédiées à ce secteur se sont installées. Pour prendre
deux illustrations, on peut citer la société LUMO Note 31 qui a le statut de conseiller en
investissement se propose d'intervenir en matière de finance durable et d'énergie
renouvelable. Elle fournit des conseils en ingénierie financière dans ce secteur et sélectionne
les projets qu'elle propose aux investisseurs. Elle participe avec deux autres plateformes
(anglaise et allemande) à la mise en place d'une plateforme européenne de crowdfunding
destinée aux énergies renouvelables (Citizenergy), avec un cofinancement de l'Union
européenne. Il apparaît donc que le mécanisme du crowdinvesting est considéré comme un
instrument adapté en la matière aussi bien par des opérateurs privés que par les autorités
communautaires.
25. - Au-delà des frontières nationales, des acteurs souhaitant agir contre le réchauffement
climatique et pour le développement d'énergies propres ont également choisi d'utiliser une
plateforme de financement participatif. Ainsi, la plateforme « Trillion fund » Note 32 , installée
en Angleterre se propose de lever des fonds pour réaliser ces objectifs à travers différents
projets. Il faut remarquer que les dirigeants de cette plateforme, au-delà de la volonté de
financer un secteur déterminé en vue de favoriser le développement durable, souhaitent
mettre en place un système de financement attractif où les différentes parties en présence
(plateforme, sociétés prenant en charge les projets et investisseurs) puissent être « gagnants
». Cette approche qui a une dimension éthique peut être rattachée à la finance durable.
26. - Au total, en rapprochant finance durable et crowdinvesting on peut constater que ce
dernier, même si les textes n'affichent rien de particulier quant à son objet, peut convenir au
financement de projets de développement durable aussi bien techniquement,
qu'idéologiquement. D'ailleurs, il faut relever que le ministère du développement durable
consacre un onglet spécifique au financement participatif et à la réforme adoptée par la
France en mentionnant le fait que cette technique peut permettre une certaine rupture dans
le modèle économique ou au service de projets de développement durable Note 33 . Au vu
de ces constats, il a certainement vocation à être un instrument de la finance durable Note 34
. Mais, juridiquement, se pose immédiatement la question du contrôle des flux financiers
collectés par ce moyen. En effet, il faut se demander si ces flux vont effectivement servir au
financement d'un projet durable, pour qu'il ne s'agisse pas simplement de revendiquer de
manière artificielle l'appartenance à la finance durable. À première vue, le mécanisme du
crowdinvesting peut se prêter assez facilement à la mise en place d'une organisation
transparente du circuit de financement. Il suffit de publier des critères de sélection des
projets, de présenter de manière complète ces projets et de rédiger des contrats d'émission
des titres garantissant la destination des sommes récoltées. On pourrait même envisager un
avis sur l'opération exprimé par un tiers comme par exemple une agence de notation extra-
financière Note 35 . L'intermédiation étant limitée, il est envisageable d'instaurer ce type de
vérification sans trop de difficulté. Il convient de s'intéresser à ces questions dès à présent afin
d'éviter les dérives Note 36.

NOTES DE BAS DE PAGE

Note 2. C. Malecki, La finance durable : RD bancaire et fin. 2013, dossier 29, p. 109 .
Note 3. E. Jeffers, Pourquoi faut-il une finance durable et soutenable ? : Rev. éco. fin. 2015/1
(n° 117 : Changement climatique et finance durable), p. 225.
Note 4. Nous reprenons la même définition de la finance durable que celle exposée par
Vincent Perruchot-Triboulet dans le présent dossier, voir donc les sources mentionnées dans
sa contribution : RD bancaire et fin. 2015, dossier 45 .
Note 5. Pour une synthèse chiffrée, V. R. Wardrop, B. Zhang, Raghavendra Rau, M. Gray,
Moving Mainstream – The European Alternative Finance Benchmarking Report, University of
Cambridge – EY, février 2015, 44 pages, disponible au lien direct :
http://www.jbs.cam.ac.uk/index.php ?id=6481#.VS-_HdysUxg, consulté le 16 avril 2015.
Note 6. La réforme du cadre national résulte d'une ordonnance et de dispositions
réglementaires d'application (Ord. n° 2014-559, 30 mai 2014 relative au financement
participatif : JO 31 mai 2014 p. 9075 et s. – D. n° 2014-1053, 16 sept. 2014, relatif au
financement participatif : JO 17 sept. 2014, p. 15228 et s. – A. 22 sept. 2014 portant
homologation de modifications du règlement général de l'AMF). Pour le commentaire de ces
textes, se reporter aux références citées par Vincent Perruchot-Triboulet dans sa contribution
: RD bancaire et fin. dossier 45.
Note 7. Le volume des offres est déterminé par décret et plus précisément par l'article 211-2
du règlement général de l'Autorité des marchés financiers.
Note 8. L'article L. 411-2 du Code monétaire et financier précise qu'un investisseur qualifié est
une personne ou une entité disposant des compétences et des moyens nécessaires pour
appréhender les risques inhérents aux opérations sur instruments financiers. Ces investisseurs
qualifiés sont déterminés dans l'article D. 411-1 du Code monétaire et financier.
Note 9. Le cercle d'investisseurs est restreint s'il ne dépasse pas 150 personnes, ce seuil est
fixé par l'article D. 411-4 du Code monétaire et financier.
Note 10. Au sens de l'article L. 411-2 II du Code monétaire et financier.
Note 11. Les articles L. 225-122 à L. 225-125 (proportionnalité du capital au droit de vote), L.
225-96 à L. 225-98 et L. 225-102 (assemblée) du Code de commerce, écartés par le législateur
pour les SAS de droit commun seront applicables aux SAS qui ont recours au financement
participatif.
Note 12. En résumé, le procédé prévoit l'émission de titres simples (actions ou obligations) si
c'est un conseiller en investissement participatif (voir B) qui organise l'opération et possibilité
pour des sociétés par actions simplifiée qui portent en principe des projets d'envergure plus
limitée que les SA de se financer en offrant leurs titres au public.
Note 13. Sur l'enjeu que représente la lisibilité des offres dans l'investissement socialement
responsable / durable, V. Paris EUOPLACE, Attentes et pratiques des acteurs de la Place de
Paris en matière d'ISR et de RSE – Résultats de l'enquête de la Commission Finance Durable
de Paris EUROPLACE, 20 janv. 2015, disponible au lien direct : http://www.paris-
europlace.net/files/Synthese_Enquete_ISR-RSE-20_janvier_2015.pdf , consulté le 30 mai
2015.
Note 14. Th. Granier, Les nouveaux acteurs du développement durable, in Développement
durable et entreprise (ss dir. L. Fonbaustier et V. Magnier) : Dalloz 2013, coll. : Thème et
commentaires), p. 73 et s.
Note 15. Ces conditions sont posées par l'article L. 547-3 du Code monétaire et financier.
Note 16. Par renvoi de l'article D. 547-2, sont visées les activités conduites par les personnes
physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes
mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12°, 15° à 17° du II de l'article L. 621-9 du Code monétaire et
financier.
Note 17. AMF, régl. gén., art. 325-33.
Note 18. AMF, régl. gén., art. 325-51 à 325-57.
Note 19. AMF, régl. gén., art. 325-35 et 325-36.
Note 20. V. principalement C. monét. fin., art. L. 531-1 à L. 533-31 et D. 531-1 à D. 533-22 et
AMF, régl. gén., art. 311-1 A à 315-68. Il faut souligner que le régulateur financier ajoute à ces
dispositions une doctrine fournie en la matière (instructions, recommandations...).
Note 21. Ces services sont : la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers ;
l'exécution d'ordres pour le compte de tiers ; la négociation pour compte propre ; la gestion
de portefeuille pour le compte de tiers ; le conseil en investissement ; la prise ferme ; le
placement garanti ; le placement non garanti et l'exploitation d'un système multilatéral de
négociation.
Note 22. Voir l'article L. 533-22-3 du Code monétaire et financier.
Note 23. AMF, régl. gén., art. 314-106.
Note 24. Voir les actualités du cabinet GIDE : http://www.gide.com/fr/actualites/gide-conseil-
de-lendix-pour-la-creation-dune-plate-forme-internet-de-financement
Note 25. C'est le cas lorsque l'entreprise financée sort de l'activité ciblée par l'investisseur. Il
en est de même lorsque l'entreprise financée a un modèle de gestion opérant des choix non
compatibles avec le développement durable masqué par du « greenwashing ».
Note 26. Th. Granier, N. Chapier-Granier, Le « crowdfunding » ou financement participatif,
révélateur des limites actuelles du système bancaire et financier, in Mélanges Paul Le Cannu :
LGDJ-Lextenso, Dalloz, Thomson-Reuters Transactive 2014, p. 479.
Note 27. Pour une présentation synthétique et récente de ce phénomène, V. par exemple :
Deutsche Bank Research, Fintech – The digital (r)evolution in the financial sector – Algorithm-
based banking with the human touch, nov. 2014, 36 p. – N. Jaye, A view to the Future, CFA
Institute Magazine, mars-avril 2015, p. 28 et s., disponible en lien direct :
http://www.cfapubs.org/doi/pdf/10.2469/cfm.v26.n2.11 , consulté le 30 mai 2015 : « By
2030, investment management will be transformed by megatrends that are already reshaping
the industry, according to a new study ».
Note 28. Pour une illustration récente, se reporter au numéro spécial « Changement
climatique et finance durable » : Rev. éco. fin. 2015, n° 117, 312 pages.
Note 29. Il faut rappeler que la revue de droit bancaire et financier comprend une chronique
consacrée aux procédés dit de « finance alternative ».
Note 30. Il faut souligner que cette collecte se prépare et s'anime au prix d'une mobilisation
importante de l'entreprise souhaitant obtenir le financement. De nombreux travaux
universitaires en marketing, sciences de gestion etc. réfléchissent sur ces nouveaux modèles.
Note 31. Se reporter au site de la plate-forme : https ://www.lumo-france.com .
Note 32. Pour une présentation du projet de cette plate-forme, se reporter à son site : https
://www.trillionfund.com .
Note 33. http://www.developpement-durable.gouv.fr/Le-financement-participatif.html .
Note 34. Pour élargir la perspective, on peut rappeler que la notion de « cleanweb » émerge
peu à peu. Il rassemble une catégorie d'entreprises du numérique (à laquelle appartient les
plates-formes de crowdfunding) proposant de projets relevant du développement durable qui
répondent à différents critères. En particulier, elles utilisent internet pour mettre en relation
des personnes ou des biens, induisent des changements de comportements, permettent
d'utiliser plus efficacement les ressources ou permettent de répondre à des défis
environnementaux. Sur ce point V. Authors : S. Masero, J. Townsend, Cleanweb UK : How
British Companies are using the Web for Economic Growth & Environmental Impact, working
paper, sept. 2014, 73 pages.
Note 35. Sur ce type d'agence V. Th. Granier, L'absence de responsabilité des agences de
notation extra-financière ? : Bull. Joly Bourse 2014, p. 448.
Note 36. Il faut noter que cette problématique caractérise la finance durable.

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