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Abdelilah EL ATTAR
Enseignant chercheur Habilité
Laboratoire « Economie et Management des Organisations »
Faculté des Sciences Juridiques Économiques et Sociales
Université Mohamed Premier Oujda, Maroc
attarabdo@gmail.com
Résumé
Introduction
Durant les dernières années, la finance a pris une place de leader dans
la gouvernance du monde entier, elle a dépassé largement l’économie
réelle. Ainsi, toute crise dans la sphère financière peut détruire non
seulement les agents financiers, mais elle atteint rapidement les agents
économiques, c’est le cas avec la crise des Subprimes.
Les systèmes financiers sont des systèmes complexes. Cette
complexité apparait au niveau des instruments et au niveau de la structure
des systèmes financiers, qui repose sur l’interdépendance entre des acteurs
et des contreparties multiples.
L’ingénierie financière n’a pas cessé de créer de nouveaux produits et
de nouvelles méthodes d’échange et d’évaluation de ces produits;
néanmoins, la pertinence de ces créations ne peut être évaluée à court
terme, c’est après le déclenchement des crises qu’on s’aperçoit de la
défaillance de tels produits ou de telles techniques.
La titrisation est l’une de ces créations, apparut en 1970 au USA, fut
rapidement adaptée par la majorité des pays du monde. Cette technique a
encouragé la création de nouveaux instruments financiers qui non
seulement ont drainé des ressources importantes vers des secteurs cibles,
mais également ont permis d’élargir la gamme des produits négociables à la
disposition des investisseurs. L’utilisation de la titrisation a connu un grand
essor, donnant ainsi au marché financier une poussée de grande ampleur,
cependant les méfaits de son utilisation sur l’économie ne se sont fait sentir
qu’avec la crise.
Afin de comprendre les relations existantes entre la titrisation et les
crises financières, on essayera, dans ce travail, de montrer qu’elles sont les
risques liés à une opération de titrisation et qu’elles sont les techniques
utilisées pour limiter ces risques, pour répondre à la question : est-ce que la
titrisation représente une opportunité de financement ou une source de
crise?
1. Définition et mécanismes de la titrisation
Afin de comprendre le concept de titrisation, nous allons présenter les
différentes définitions du terme, les intervenants dans une opération de
titrisation et les différents types de titre résultant de cette opération pour
enfin étudier la titrisation au Maroc.
1.1 Définition
La titrisation a été définit comme1 « un montage financier qui permet
à une société d'améliorer la liquidité de son bilan. Techniquement, des actifs
sélectionnés en fonction de la qualité de leurs garanties sont regroupés dans
une société ad hoc qui en fait l'acquisition en se finançant par l'émission de
titres souscrits par des investisseurs. L'entité ainsi créée perçoit les flux
d'intérêts et de remboursement sur les créances qu'elle a achetées aux
banques et les reverse aux investisseurs via le paiement d'intérêts et le
remboursement de leurs titres. Initialement cette technique a été utilisée
par les établissements de crédit dans le but de refinancer une partie de leurs
encours c'est-à-dire transformer en titres négociables des prêts à la
clientèle. Actuellement, les spécialistes proposent à certains grands groupes
industriels de titriser des créances commerciales de façon récurrente, de
titriser des immeubles d'exploitation, stocks... en bref de rendre liquide
presque tout le bilan ».
Le cabinet PricewaterhouseCoopers, définit la titrisation comme « une
technique financière qui transforme un portefeuille de créances (prêts,
créances commerciales…) ou d’actifs non-financiers (contrats d’assurance,
immeubles, stocks…) en titres négociables (obligations ou autres), destinés à
être cédés à des investisseurs ».
Les textes de lois des pays définissent la titrisation selon leurs besoins
et leurs objectifs.
Au Maroc, l’Article 2 du projet d'amendement de la loi n°33-06
relative à la titrisation de créances, qui est en cours de discussion au
parlement définit la Titrisation comme : « l’opération financière qui consiste
pour un organismes de placement collectif en titrisation (OPCT) à (i)
acquérir, de manière définitive ou temporaire, des actifs éligibles auprès
d’un ou plusieurs établissements initiateurs, (ii) accorder des prêts à un ou
plusieurs établissements initiateurs destinés à financer l’acquisition ou la
détention d'actifs éligibles et garantis par une sûreté , y compris par voie de
propriété-sûreté ou (iii) garantir des risques de toute nature, y compris, des
risques de crédit ou d'assurance, au moyen (i) de l’émission de parts ou
d'actions, et, le cas échéant, de titres de créance et/ou de certificats de
sukuk et/ou (ii) du recours à l'emprunt sous toute forme, y compris sous la
forme de garanties ou dérivés préfinancés ».
2
Rapport du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières (CDVM) sur la titrisation,
janvier 2011.
3
On parle aussi des Fonds Communs de Placements en Français, le nom peut aussi changer
selon la dénomination des textes de lois régissant la titrisation.
spécifique FCC. Ce FCC émet alors sur les marchés financiers des titres gagés
sur ces actifs afin d’en financer l’acquisition.
- La titrisation synthétique, aussi appelée on-balance sheet (dans le
bilan) du fait que les actifs ne quittent pas le bilan de l’établissement
initiateur. Elle permet à cet établissement d’émettre des titres gagés sur des
actifs qui restent inscrits à son bilan comme garantie.
En termes de flux financiers, il existe trois types de titrisation4:
- Titrisation Pass-through: est la manière la plus simple de structurer
une titrisation. Les investisseurs acquièrent une participation directe dans
le portefeuille d’actifs titrisés et sont donc rémunérés régulièrement et
directement des flux générés par le portefeuille. L’initiateur a un simple rôle
d’intermédiaire.
- Dette collateralisée : ou « collateralised debt» est très similaire à un
emprunt adossée à des actifs (gagé par un actif). Le propriétaire des actifs
financiers (l’initiateur) lève des fonds en émettant des obligations qui seront
garantis par un portefeuille d’actifs dans son bilan. Ces actifs sont valorisés
selon leur valeur de marché ou bien selon les flux futurs qu’ils pourraient
potentiellement générer. L’obligation sécurisée est très semblable à une
obligation classique avec une différence fondamentale qui est le recours au
pool sous-jacent d’actifs qui couvre l’instrument de dette si l’émetteur
devient insolvable.
- Titrisation Pay-through: dans ce dernier cas, l’investisseur n’acquiert
pas une participation mais un instrument de dette. Comme le pass through,
les investisseurs sont rémunérés par les flux générés de l’actif sous-jacent
mais ils n’en sont pas propriétaires, ils n’ont pas de participation directe
dans le portefeuille titrisé, ils ont simplement investi dans un instrument de
dette adossé à un pool d’actifs. Les flux proviennent des actifs sous-jacents
au véhicule de titrisation qui les restructure et les distribue aux
souscripteurs.
Le schéma ci-dessous résume la structure d’une opération de
titrisation.
4
Rapport du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières (CDVM) sur la titrisation,
janvier 2011.
La titrisation origine des crises ou opportunité de financement ? 19
5
Note de présentation du projet d'amendement de la loi n°33-06 relative à la titrisation de
créances, Ministère de l’Economie et des Finances.
6
Omar BIROUK et Laetitia CASSAN « La titrisation en France », Bulletin de la Banque de
France • N° 190 • 4e trimestre 2012.
La titrisation origine des crises ou opportunité de financement ? 25
7
Banque de France, « La crise financière » Document et Débat N° : 2 – 2009.
8
Conseil National de la Comptabilité, « Normes comptables applicables a la titrisation des
créances hypothécaires »
La titrisation origine des crises ou opportunité de financement ? 27
de Bâle III ou la modification des normes comptables IFRS9 pour les produits
dérivés.
3.2 Techniques de réduction des risques
Conscients des risques qui peuvent être créés au cours et après une
opération de titrisation, le législateur et les intervenants dans ce type
d’opération ont mis au point des techniques pour réduire ces risques. Ces
techniques consistent à sécuriser ou à protéger les titres émis par le FCC
d’une possible sous-performance du sous-jacent.
Le rehaussement de crédit est la méthode utilisé pour absorber le
risque qui peut affecter la qualité des titres émis. Plus le titre bénéficie de
rehaussement de crédit, moins il a de risques de faire défaut. Les sociétés de
rehaussement de crédit sont des sociétés qui cherchent à valoriser les titres
issus d’une opération de titrisation pour que ces titres obtiennent une
notation adéquate, elles utilisent plusieurs techniques.
- La subordination
Les titres issus de la titrisation sont classés dans des tranches de
caractéristiques différentes selon leurs profils de risque. La subordination
consiste à trier ces titres émis par le FCC et les classer en trois tranches selon
leurs degrés de risque. On distingue trois principaux types de tranches10 :
- La tranche séniore, la moins risquée des tranches, avec une priorité
de remboursement en cas de défaillance de l’initiateur.
- La tranche Mezzanine: ou intermédiaire, est moins sécurisée que la
précédente, et se fait remboursée en deuxième lieu.
- La tranche junior (Equity ou First-loss) la plus risquée, son
remboursement se fait en dernier lieu, il est conditionné aux
remboursements des deux autres tranches.
En pratique, la tranche la plus risquée, Junior, est souvent conservée
par l’initiateur. Les premiers cash-flows serviront à honorer les tranches
supérieures et le risque de défaut sera assumé en premier lieu par les
tranches inférieures.
- La valorisation des actifs et leurs notations
Une fois, les titres sont classés, les agences de notation interviennent
pour donner un avis sur la qualité de crédit d’un émetteur de dette ou d’un
instrument financier. Cet avis qui est sous forme d’une note ou d’un
«rating» indique aux investisseurs la capacité de l’émetteur à honorer ses
engagements et le niveau du risque associé à l’instrument financier auquel
ils souscrivent. En attribuant des notes à chaque tranche dans la structure,
9
IFRS : International Financial Reporting Standards
10
Rapport du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières (CDVM) sur la titrisation,
janvier 2011.
D’après ce tableau, nous constatons que les risques les plus courants
de la titrisation ont été dépassés par des techniques qui cherchent soit à
limiter l’impact de certain type de risque, soit à valoriser et à mettre en abris
les titres émis, ce qui donne plus de légitimité aux opérations de titrisation
comme moyen incontournable de financement.
Cependant, la crise des Subprimes a montré les limites de ces mesures
à faire face aux risques liés aux opérations de titrisation, de même qu’elle a
montré le degré d’impact de ces risques sur l’économie financière et
l’économie réelle, ainsi que la rapidité de leurs propagations.
Lorsque nous comparons les risques liés aux produits sous-jacents à
une opération de titrisation aux risques liés aux produits issus de cette
titrisation, nous constatons qu’ils ont été amplifiés, dans le schéma ci-
dessous nous illustrons cette transformation.
Conclusion
Tous au long de notre exposé nous avons mis en relief l’importance
de la titrisation dans le financement de l’économie à travers des processus
compliqués mais très organisés.
Vue le nombre élevé de risque émanant des opérations de titrisation,
les initiateurs de ces opérations ont essayés d’éliminer sinon de minimiser
ces risques moyennant des techniques avancées.
Le résultat de ces opérations est encourageant et permet la résolution
des problèmes de liquidités pour les institutions financières et le problème
de financement de l’économie.
Néanmoins, le problème majeur de la titrisation réside dans la
complexité du montage de ces opérations et dans l’ampleur du risque ex-
ante qui pourra l’atteindre.
L’origine de ces problèmes réside dans la nature des produits sous-
jacents de la titrisation qui sont en générale des créances, ce qui implique
l’augmentation de la taille de l’économie monétaire au détriment de
l’économie réelle. L’insuffisance de capital entraîne un recours excessif à
l’emprunt ce qui conduit à une fragilité excessive de l’économie. Pour que le
modèle de titrisation fonctionne, il faut réduire la grande déconnection
entre la répartition du risque et celle du capital dans le système11.
La solution est d’ouvrir la titrisation aux actifs réels pour donner à la
création monétaire issue de cette opération un support matériel de
référence dans les situations de crise. C’est le cas avec les nouveaux textes
de lois régissant la titrisation dans le monde. Au Maroc, dans le projet
d'amendement de la loi n°33-06 relative à la titrisation de créances, il élargie
le champ des produits sous jacents à une opération de titrisation par le
terme « actifs éligibles » incluant aussi bien les actifs incorporels et
corporels comme les actifs immobiliers.
On ajoute à cela, les pratiques des agents boursiers qui perturbent la
stabilité et le cours normal des marchés boursiers transformant, ainsi les
produits titrisés aux produits de spéculation très risqués, ce qui a conduit au
déséquilibre de ces marchés et par suite aux crises.
11
Jean-Pierre Landau, Sous-gouverneur de la Banque de France , « Réflexions sur la
titrisation et les turbulences financières », Paris EUROPLACE, Forum financier de New
York, 22 octobre 2007.
Références bibliographiques