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Revue des études byzantines

La Vie de Georges l’Hagiorite (1009/1010-29 juin 1065).


Introduction, traduction du texte géorgien, notes et
éclaircissements
Bernadette Martin-Hisard

Résumé
La traduction du texte géorgien de la Vie de Georges l’Hagiorite sert de fondement à plusieurs développements
concernant les relations entre l’Empire byzantin et le royaume bagratide géorgien au 11e siècle, la chronologie de la vie
de Georges, notamment durant ses années athonites, l’évolution des relations institutionnelles entre l’Église géorgienne et
le patriarcat d’Antioche et des débats religieux mettant en scène des Latins et des Arméniens auxquels Georges prit part à
Constantinople en 1065. La question des traductions a été laissée de côté.

Abstract
This translation of the Georgian text of the Life of George Hagiorites provides a basis for the study of the relations of the
Byzantine empire with the Georgian kingdom of the Bagratids in the eleventh century, as well as the chronology of the
Life, in particular for the period of George’s sojourn on Athos, and the institutional relations of the Georgian Church with
the Patriarchate of Antioch. It also presents the religious debates between the Latins and Armenians in which George took
part in Constantinople in 1065. The question concerning the various translations has been left open.

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Martin-Hisard Bernadette. La Vie de Georges l’Hagiorite (1009/1010-29 juin 1065). Introduction, traduction du texte
géorgien, notes et éclaircissements. In: Revue des études byzantines, tome 64-65, 2006-2007. pp. 5-204;

doi : 10.3406/rebyz.2006.2390

http://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2006_num_64_1_2390

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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE


(1009/1010-29 JUIN 1065)

INTRODUCTION
TRADUCTION DU TEXTE GÉORGIEN
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS*

Bernadette MARTIN-HISARD

Georges est né dans les premières années du 11e siècle en terre géorgienne,
dans le Kartli (ou Ibérie) bagratide ; devenu moine très jeune, il reçut à
Constantinople et dans son pays les premiers éléments d’une formation qu’il
alla achever sur la Montagne Noire, près d’Antioche, auprès du moine
Georges le Reclus. Celui-ci l’envoya ensuite sur l’Athos, au monastère
d’Iviron, pour y poursuivre le travail de traduction de textes grecs en géor-
gien, laissé interrompu depuis la mort d’Euthyme en 1028. C’est ce qu’il fit,
tout en exerçant successivement la fonction d’ecclésiarque, puis, à partir de
1044/1045, celle d’higoumène du monastère. Il se démit de cette charge à une
date antérieure à juin 1056 et revint sur la Montagne Noire poursuivre ses tra-
ductions jusqu’en juin 1059. Alors, cédant aux instances du roi Bagrat’ IV
(1027-1072), il gagna la Géorgie où il demeura jusqu’en 1065. Il repartit à ce
moment pour Iviron et mourut sur la voie du retour, le 29 juin 1065, à
Constantinople d’où son corps fut transporté à Iviron.
La Vie de Georges fut écrite en géorgien par l’un de ses compagnons et
disciples, à la demande de Georges le Reclus et sur les instances de l’arche-
vêque géorgien de Č’q’ondidi, Jean. Le texte a circulé, précédé d’une lettre de
l’auteur adressée à Georges le Reclus. Paul Peeters, qui en fit autrefois une
traduction latine, avait découpé le texte de la Vie de Georges en paragraphes
numérotés en chiffres arabes. J’ai gardé ce découpage dans la traduction que
je propose à mon tour ainsi que dans l’ensemble de l’article, car il sert de
référence depuis près de quatre-vingt-dix ans1 ; je l’ai simplement complété

* Voir à la fin de l’article la liste des sigles et abréviations bibliographiques.


1. P. PEETERS, Histoires monastiques géorgiennes. II, Vie de S. Georges l’Hagiorite,
An. Boll. 36-37, 1917-1919, p. 69-159, notamment p. 74-159.

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en subdivisant également la lettre de l’hagiographe en paragraphes numérotés


en petits chiffres romains.
Dans l’introduction qui précède la traduction, j’ai présenté d’une part le
texte géorgien et sa tradition (manuscrits, auteur, commanditaires, date et ana-
lyse) et d’autre part certains traits du monde géorgien du 11e siècle auquel le
moine Georges, l’hagiographe et ses commanditaires appartenaient, en insis-
tant plus particulièrement sur la dualité des territoires qui composaient alors
le monde dirigé par le roi d’origine bagratide Bagrat’ IV, roi des Apxazes et
curopalate des Ibères ; l’histoire de son règne, transmise surtout par des
sources géorgiennes d’accès difficile, est en effet la toile de fond de la vie de
Georges dont il fut le contemporain presque parfait ; un bref rappel de cer-
taines caractéristiques de l’Église géorgienne suit cette présentation.
La traduction est accompagnée de notes destinées à la justifier, notamment
par rapport à celle de Peeters, à exprimer mes doutes et incertitudes, à en faci-
liter la lecture immédiate ; un certain nombre d’explications et de développe-
ments ne pouvaient y trouver place : il fallait expliquer la chronologie
retenue2, présenter quelques acteurs décisifs de la vie de Georges autrement
qu’en quelques lignes, mettre en valeur certains faits à la lumière d’un
contexte précisément exposé, reprendre certains thèmes pour écarter ou com-
pléter des interprétations traditionnelles, pour suggérer des hypothèses, pour
poser enfin quelques questions et proposer des pistes de travail. C’est l’objet
des éclaircissements qui suivent la traduction et que j’ai choisi de présenter en
respectant le fil chronologique du texte. On trouvera enfin un index des noms
propres de la traduction et la bibliographie.
Cet article ne prétend pas tenir lieu d’un livre qui pourrait s’intituler :
« Georges l’Hagiorite, l’homme, sa vie, son œuvre » ; trop de dossiers restent
ouverts et trop de sources inexploitées pour qu’un tel livre puisse encore voir
le jour.

I. INTRODUCTION

Le texte et sa tradition
MANUSCRITS
Une édition critique de la Vie de Georges a été réalisée en 1967 à partir de
onze manuscrits, tous consacrés à des textes hagiographiques, qui ont reçu les
sigles A à L (sans J)3. Un seul manuscrit est ancien, S 353 (= A) dont les 88
folios, écrits à la fin du 11e siècle, contiennent, outre la Vie précédée de la

2. Pour TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 181, le caractère trop général de la chronologie est l’un
des deux défauts de la Vie de Georges, le second étant le caractère incomplet de la liste des tra-
ductions.
3. MLHG, II, p. 106-207.
4. Catal. S, I, 1959, p. 409-410. MLHG, V, p. 264-265.
5. Catal. A, I2, p. 137-145 ; 339 folios ; f. 171v-215v. MLHG, V, p. 249-250.
6. Catal. A, I2, p. 258-266 ; 251 folios ; f. 106-132. MLHG, V, p. 251-253.
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Lettre, sept hymnes en l’honneur du saint4. Cinq autres manuscrits datent du


18e siècle : A 130 copié en 1713 (= B)5, A 170 copié en 1733 (= C)6, H 611
copié au 18e siècle (= D)7, H 1672 copié en 1740 (= E)8, H 2077 copié en
1736 (= F)9 ; cinq datent du 19e siècle : S 3637 copié en 1838 (= G)10, le très
lacunaire H 1777a (= H)11, Q 49 copié en 1838 (= I)12, Q 48 copié en 1839
(= K)13, Leningrad M-21 copié en 1842 (= L)14.
Deux articles d’Elena Met’reveli permettent d’établir dans ses grandes
lignes un stemma des manuscrits, absent de l’édition. Le premier article,
consacré à une question prosopographique, fait partie d’un volume paru en
1996 et réunissant diverses études menées au sujet du monastère d’Iviron15.
L’autre, plus ancien, avait été consacré en 1950 à l’étude du corpus hagiogra-
phique national des saints géorgiens, compilé au début du 18e siècle par les
soins du catholicos Doment’i et dont la première forme fut le manuscrit A 130
réalisé en 1713 et largement recopié et diffusé entre 1716 et 174016.
Depuis Iviron le hiéromoine Georges avait envoyé une version de son
œuvre à Georges le Reclus, sur la Montagne Noire, avec une lettre dans
laquelle il exprimait son désir de voir son texte complété, voire corrigé. Cette
version, maintenant perdue, constitue la première copie du texte original de la
Vie. Je suppose en effet que le hiéromoine garda à Iviron l’original, en attente
de corrections et compléments ; cet original est lui aussi perdu.
Selon E. Met’reveli, la copie parvenue sur la Montagne Noire dut servir à
réaliser dans un délai assez rapide le plus ancien manuscrit conservé de la Vie
de Georges, S 353 (sigle A), dont l’écriture est datée de la fin du 11e siècle, la
copie étant de peu postérieure à la mort de Georges le Reclus17. En s’appuyant
sur diverses notes ajoutées au texte, E. Met’reveli a suivi le destin de ce manus-
crit qui alla à Jérusalem où il fut relié au 16e siècle ; il fut ensuite apporté de là
en Géorgie ; sa présence est attestée en 1724 au monastère de Gelati, en Géorgie
occidentale, et il entra peu après dans la collection privée de la famille Dadiani.
Ce manuscrit passa à la fin du 19e siècle, sous le numéro 353, dans la biblio-

7. Catal. H, I, p. 89 ; 53 folios ; texte lacunaire de la Vie de Georges.


8. Catal. H, IV, p. 102-105 ; 492 folios ; f. 151-201. MLHG, V, p. 260-261.
9. Catal. H, V, p. 44-47 ; 335 folios ; f. 99-123. MLHG, V, p. 262-263.
10. Catal. S, V, p. 103-110 ; 157 folios ; f. 102v-126. MLHG, V, p. 267.
11. Catal. H, IV, p. 206 ; il ne contient plus que 4 folios dont le texte commence au début du
§ 91. MLHG, V, p. 261.
12. Catal. Q, I, p. 63 ; 73 folios contenant uniquement la Vie de Georges (f. 4-51) et ses
hymnes. Il fut copié par Romanoz l’hésychaste de la colonne de Martvili. MLHG, V, p. 268-
269.
13. Catal. Q, I, p. 63 ; 55 folios, ne contenant que la Vie de Georges ; même scribe que le
précédent. MLHG, V, p. 268.
14. Ibid., p. 273-274 ; 415 folios ; f. 112-147.
15. MET’REVELI, Jean.
16. MET’REVELI, Recueil ; les conclusions de cet article sont reprises dans MENABDE, Foyers,
I, p. 304-306.
17. Le titre de la Lettre qui précède la Vie indique que le Reclus est mort. On ignore la
date de ce décès, la fin du 11e siècle est une date vraisemblable, car le Reclus était déjà en
1035 un maître spirituel chevronné, plus âgé que le moine Georges qui avait alors 25 ans ;
voir encore plus bas, n. 47.
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thèque d’une Société savante, la Société pour la propagation et la diffusion de la


culture en Géorgie, constituée à Tbilisi en 1879, bibliothèque dont le fonds
composa plus tard sous le sigle S l’un des quatre grands fonds de l’Institut des
manuscrits de Tbilisi.
S 353 est la source commune de laquelle dérivent les deux groupes de
manuscrits contenant la Vie de Georges. Le premier groupe est celui des
manuscrits du 18e siècle. Ils sont tous consacrés au corpus hagiographique
national des saints géorgiens dont la Vie de Georges n’est que l’une des
pièces ; le catholicos Doment’i trouva au monastère de Gelati le modèle de
cette Vie, le futur S 35318, et son texte recopié en 1713 par le scribe Gabriel
Saginašvili figura ainsi dans le premier témoin du corpus, A 130 (sigle B).
D’autres manuscrits de ce même corpus, qui ont été utilisés par l’éditeur, déri-
vent de A 130 : A 170 (C)19, H 1672 (E), H 2077 (F)20. Dans l’apparat critique
de l’édition de la Vie, les manuscrits BCEF forment souvent un bloc auquel
paraît se rattacher D21. De ce bloc dérivent aussi, à mon avis, les manuscrits
du 19e siècle, S 3637 (sigle G) et Leningrad M-21 (sigle L), qui ont le même
caractère de corpus national et qui suivent pratiquement toujours ses leçons
dans l’apparat critique. Les manuscrits BCDEFGL ou plutôt B-CDEF-GL for-
ment donc un même groupe qui se rattache à A (S 353) soit directement dans
le cas de B, soit par l’intermédiaire de B.
Le second groupe est réduit à deux manuscrits, Q 49 (I) et Q 48 (K),
copiés en Géorgie occidentale, à un an de distance, en 1838 et 1839, par le
même scribe, Romanoz l’hésychaste qui vivait au monastère de Martvili : ce
sont deux petits manuscrits consacrés au seul Georges. Selon E. Met’reveli, le
copiste a utilisé dans les deux cas le futur S 353 qui se trouvait toujours dans
la bibliothèque des Dadiani en sorte que K ne dépend pas de I ; c’est pour-
quoi, malgré leur proximité, les deux manuscrits ne présentent pas toujours
les mêmes lectures, ainsi qu’il ressort de l’apparat critique.
Seul manuscrit de la Vie de Georges qui fut écrit à l’extérieur de la
Géorgie et qui y pénétra, S 353 est donc aux origines des deux groupes de
manuscrits qui ont véhiculé la Vie de Georges22. Aucune copie ne s’interpose
entre, d’une part, B écrit au 18e siècle et I et K écrits au 19e et, d’autre part,
S 353, qui constitue, on l’a dit, à la fin du 11e siècle la première et toute
proche copie de la rédaction originale perdue de la Vie de Georges. D’après
l’apparat critique le groupe IK offre très souvent les mêmes lectures que A
par opposition au groupe BCDEFGL et il est le seul à contenir comme A la
longue partie centrale du § 100 ; il est possible que le copiste dont l’intérêt
était concentré sur Georges ait été plus attentif à son modèle. I et K sont en
tout cas les seuls manuscrits qui contiennent comme S 353 le texte d’hymnes

18. MET’REVELI, Jean, p. 205.


19. C’est le manuscrit dont l’édition ancienne fut utilisée par Peeters sous le sigle T.
20. L’éditeur aurait pu encore utiliser A 176 copié en 1743, d’autres encore.
21. E. Met’reveli ne parle pas de ce manuscrit très lacunaire ; dans l’apparat critique de l’édi-
tion, les parties conservées suivent pratiquement toujours les leçons de BCEF.
22. MET’REVELI, Jean, p. 204-205.
23. Les hymnes contenues dans S 353 (f. 67v-87v) ont été éditées dans MET’REVELI, Hymnes.
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en l’honneur de Georges pour l’office de l’anniversaire de sa mort, célébrée le


30 juin23. Il est dommage de ne pouvoir situer dans ce stemma un dernier
manuscrit que l’éditeur de la Vie de Georges n’eut pas le loisir d’utiliser en
1967, le manuscrit Iv 72, daté du 13e siècle24. Il y a de fortes chances pour
qu’il soit un bon témoin de l’original de la Vie.
Avant l’édition critique de 1967, la Vie de Georges a été éditée par
M. Sabinini en 188225 et M. Džanašvili en 190126 ; une édition partielle de
S. Q’ubaneišvili en 1946 s’appuyait sur le manuscrit le plus ancien, S 35327.
La Vie a fait l’objet de deux traductions, l’une en russe en 187228, l’autre en
1917-1919, réalisée en latin par P. Peeters à partir de A 17029 ; une traduction
anglaise est en préparation30.
Peu d’études ont été consacrées à ce texte en tant que tel. Les quelques
pages de l’Histoire de la littérature géorgienne de K’. K’ek’elidze sont régu-
lièrement rééditées31 et ont été traduites en allemand par M. Tarchnišvili en
195532. En 1980 est parue une étude plus globale à laquelle je n’ai pu avoir
accès33.

AUTEUR
Aucun passage de la Vie ne donne le nom de l’hagiographe, que le titre de
la Lettre appelle « le géronte ». À partir du § 56 et du départ de Georges pour
la Géorgie en juillet 1059, l’auteur emploie dans son récit la première per-
sonne du pluriel qu’il garde jusqu’à la fin de la Vie, mais nous ignorons tout
de lui avant ce moment34. On peut supposer qu’il fit connaissance de Georges
lorsque celui-ci s’installa sur la Montagne Noire après avoir quitté Iviron.
Rien de ce qu’il raconte de la vie de celui-ci avant cette période ne s’appuie
en effet sur son témoignage personnel. Il fut en revanche par la suite le com-
pagnon et le témoin fidèle des six dernières années de la vie de Georges ; il
était auprès de lui au moment de sa mort qu’il raconte avec une grande préci-
sion et beaucoup d’émotion et il accompagna ensuite sa dépouille sur l’Athos.

24. Connu en milieu géorgien, ce manuscrit fut signalé en 1933-1934 dans BLAKE, Iviron 2,
p. 257. Il a été plus récemment décrit dans Catal. Athos, 1986, p. 114-115.
25. SABININI, Paradis, p. 437-488. D’après MET’REVELI, Jean, p. 203, Sabinini a utilisé un
manuscrit de Saint-Pétersbourg (donc L) et « un manuscrit venant de Géorgie », que je suppose
être G.
26. DŽANAŠVILI, Manuscrit, p. 279-351, à partir de A 170.
27. Q’UBANEIŠVILI, Chrestomathie, p. 180-214.
28. SABININI, Description, p. 161-212.
29. Sur la traduction de Peeters, voir n. 1.
30. Par Tamara Grdzelisdze.
31. K’EK’ELIDZE, Histoire, p. 247-250. On doit également mentionner DŽAVAXIŠVILI,
Littérature, p. 145-151.
32. TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 180-181.
33. APICIAURI, Georges.
34. Nous ne connaissons ni son origine ni son âge ; PEETERS, p. 72, le dit jeune parce que,
selon lui, le § 97 prouve qu’il n’était pas encore prêtre en 1066 ; je ne vois rien de tel dans ce
paragraphe.
35. § 1012175-2176.
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Selon son propre témoignage, au § 101, il l’a « vu de (s)es yeux, servi de (s)es
mains et entendu de (s)es oreilles »35. L’hagiographe écrivit la Vie de Georges
sur l’Athos, d’où il l’expédia pour compléments, révisions et améliorations à
son principal commanditaire, Georges le Reclus, sur le Mont Admirable, ainsi
qu’il le dit lui-même au § 102. On reviendra plus loin sur la date de composi-
tion de la Vie.
L’hagiographe est traditionnellement identifié à un hiéromoine, lui aussi
nommé Georges, dont le nom figure dans un colophon qui accompagne la
copie faite en 1083/1084 de la traduction des épîtres de saint Paul, dans la
version de Georges l’Hagiorite, dans le manuscrit A 584 :
Moi, l’indigne hiéromoine Georges, qui ai vu de mes yeux le vénérable et saint
père des pères, Georges l’Hagiorite, qui l’ai servi de mes mains, et qui fus son dis-
ciple, par sa grâce j’ai copié <ce texte>… en des temps de détresse et d’affliction,
de persécution et de captivité, de dévastation et de mort, alors que le Samcxe
supérieur était totalement dévasté, à l’exception de quelques survivants qui res-
taient dans les forteresses, malades et dans le besoin, en chronikon 303 [1083-
1084], année de la création du monde 66<..>36.
Comme les propos de l’« indigne hiéromoine » sur ses relations avec Georges
ressemblent à ceux de l’hagiographe anonyme au § 1012175-2176, on a pu
admettre qu’il s’agissait de la même personne que l’on appellera Georges le
hiéromoine ou encore, pour éviter toute ambiguïté avec Georges le Reclus qui
était aussi hiéromoine, Georges le Petit ou le Jeune (en géorgien mcire)37. On
notera cependant que ce colophon de 1083/1084 ne comporte aucune allusion
à la rédaction de la Vie de Georges. L’évocation de la situation dramatique du
Samcxe, qui est en rapport avec les incursions de plus en plus dévastatrices
menées à partir de 1080 par les Turcs du sultan Malik Shāh en terre géor-
gienne, ne signifie pas forcément que le copiste s’y trouvait ; ce que l’on en
sait par les premières pages de la Vie du roi des rois David montre que les
événements ont fait grand bruit et que leur écho a résonné hors de la région
et, peut-être même, de la Géorgie.
Le texte hagiographique ne donne que peu d’informations sur son auteur
qui se met en scène une seule fois, avec le moine Georges, dans un récit de
miracle de datation incertaine (§ 100 [2]). Ce qui frappe surtout, c’est sa capa-
cité à utiliser des sources d’information diverses et à maîtriser des contextes
différents pour réaliser une œuvre longue, claire et réaliste dans laquelle la
part des développements merveilleux est réduite. On pourrait parfois souhai-
ter plus de détails ou de précisions chronologiques ; du moins le hiéromoine
n’en a-t-il pas inventé et, quand il est possible de recouper ses informations,
on ne le prend jamais en flagrant délit d’erreur. N’étant point philologue, je

36. Sur le manuscrit A 584 et le texte du colophon : DŽOC’ENIDZE, DANIELA, Épîtres de Paul,
p. 015-016. Le chronikon 303 (+ 780) correspond à 1083/1084. Sur ce colophon : PEETERS,
p. 71-74. Sur le Samcxe, voir plus bas, p. 19 et n. 111.
37. K’EK’ELIDZE, Histoire, p. 247-250 ; TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 180-181 ; MLHG, V,
p. 229.
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m’abstiendrai de toute remarque sur le style ou la langue de l’auteur ; je note


cependant que l’écriture est globalement claire lorsqu’il s’agit de décrire ou
de raconter ; en revanche, quand l’auteur se lance dans des considérations per-
sonnelles, elle apparaît singulièrement contournée, ainsi dans le premier para-
graphe de la Lettre, dans la déploration sur la mort du saint (§ 85-90) ou dans
l’envoi final (§ 102). L’homme ne manque pas de culture, encore que les réfé-
rences patristiques ne soient ni nombreuses ni même toujours identifiables38 et
que ses allusions à la littérature ascétique soient rares39. L’hagiographie lui est
plus familière40, mais, par-dessus tout, c’est à la Bible qu’il puise. Dans ce
domaine, en l’absence d’un travail que je ne saurais mener sur la version des
textes bibliques dont il disposait, je me contenterai de constater l’importance
de l’Ancien Testament pour lui ; non certes qu’il ignore le Nouveau, mais les
textes vétéro-testamentaires l’inspirent davantage. C’est souvent vers eux
qu’il se tourne, spécialement les livres de l’Exode et des Nombres, qui lui ont
donné le type biblique du grand-prêtre Aaron auquel il ramène volontiers
Georges l’Hagiorite.

COMMANDITAIRES
La Vie de Georges fut écrite sur les instances toutes particulières de
Georges le Reclus auquel l’hagiographe adressa son œuvre (§ II, V, 102), mais
il y eut aussi intervention de l’archevêque géorgien Jean de Č’q’ondidi (§ VI)
et de divers frères et pères (§ VII, 55).
Georges le Reclus
Georges le Reclus, encore dit Georges l’Hésychaste, avait été découvert en
1036-1037 sur la Montagne Noire, dans un ermitage au sud de Saint-Syméon,
par Georges l’Hagiorite qui le choisit comme père spirituel (§ 17). C’est lui
qui acheva la formation monastique du jeune moine et lui conféra le grand
habit (§ 18) et qui, ayant décelé en lui une grande aptitude pour les langues et
la traduction, le chargea d’aller continuer à Iviron l’œuvre interrompue par la
mort d’Euthyme en 1028 (§ 19) ; c’est encore lui qui le rappela à cette tâche
et lui imposa de recevoir le sacerdoce (§ 23), puis d’accepter la charge d’hi-
goumène d’Iviron (§ 25 et 39) ; enfin, même si cela n’est pas dit, il est évident
qu’il dut approuver plus tard son retour sur la Montagne Noire, puis son
départ en Géorgie. Entre l’Hagiorite et le Reclus existait une confiance souli-
gnée par l’hagiographe (§ IV, 55), qui parle lui-même de ce dernier avec émo-
tion et respect comme d’un « guide des maîtres »41, mais aussi comme du
« grand luminaire de notre peuple »42 ; malheureusement on le connaît trop

38. Il cite uniquement Basile de Césarée (§ VIII, 7, 9), Grégoire de Nazianze (§ IX, 2, 8), Jean
Chrysostome (§ 63, 77).
39. Allusion à Pachôme (§ III), à Antoine et Macaire (§ IV).
40. Voir par exemple § 28, 64.
41. § I5-6 ; 1022179-2180.
42. § 17417.
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mal pour savoir si cette expression correspond à des faits précis. Pour avoir
décelé les dons de Georges, il devait être bilingue lui-même. Son nom est
mentionné dans un colophon du manuscrit Iv 84, contenant une copie de la
traduction de la Vie de Marthe et de la Vie de Barlaam43 : le Reclus qui est le
commanditaire du manuscrit, plutôt que son copiste44, et qui se désigne lui-
même comme « le pauvre géronte Georges l’Hésychaste », voulait offrir ces
textes au monastère d’Iviron, dont Georges l’Hagiorite, dont il loue l’obéis-
sance, était alors ecclésiarque45. Très au courant de ce qui se passait à Iviron,
le Reclus fut celui qui découvrit les talents de Georges et qui inspira, depuis
sa cellule, le renouveau du monastère46. On ignore la date de sa mort ; il était
encore vivant quand le hiéromoine acheva d’écrire la Vie de Georges qu’il lui
envoya ; il ne l’était plus quand fut écrit à la fin du 11e siècle le manuscrit
S 353 (A) dont le copiste cite déjà le Reclus au passé dans le titre donné à la
Lettre47. Le Reclus souhaitait plus particulièrement le récit circonstancié des
derniers instants de Georges (§ 801637-1640), le reste de sa vie lui étant pour
ainsi dire connu directement du moins jusqu’en 1059 (§ 551141-1142).
Jean, archevêque de Č’q’ondidi
Dans sa Lettre d’envoi (§ VI), le hiéromoine Georges nomme un autre
commanditaire : « Jean, archevêque de Č’q’ondidi, frère du patrice Pierre »48,
deux hommes dont la Vie de Georges parle à plusieurs reprises et sur lesquels
E. Met’reveli a publié un article décisif49.
Présents à Constantinople durant l’higouménat de Georges à Iviron, les
deux hommes jouèrent un rôle dans l’octroi de chrysobulles au monastère par
l’empereur et ils s’entremirent à deux reprises, en 1047/1048, entre lui et le
roi Bagrat’ IV, alors à Constantinople avec sa mère50 ; dans la commémorai-
son no 15 instituée en leur faveur par Georges devenu higoumène51, ils sont
simplement appelés P’et’rik’ et Jean, ce qui permet de supposer que P’et’rik’,
du moins, était encore un simple laïc, appartenant à l’entourage du roi ; il
acquit peut-être alors la dignité de patrice qui implique une certaine impor-
tance au Palais. Les deux frères revinrent en Géorgie avec le roi Bagrat’ et ils

43. GARITTE, Marthe, p. II-VII ; DJOBADZE, Materials, p. 28-32 (qui n’a pas compris qu’il
s’agissait du Reclus) ; MENABDE, Foyers, II, p. 154. Voir aussi plus bas, p. 152 et n. 1511.
44. GARITTE, Marthe, p. IV n. 8.
45. Ainsi : « Que le Seigneur Dieu bénisse <l’ecclésiarque Georges> au ciel et sur la terre,
lui et ses parents, pour <son> obéissance envers nous (littéralement : pour notre obéissance) » ;
le § 23 éclaire l’allusion à l’obéissance de Georges.
46. Voir plus bas, p. 139-140.
47. Selon TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 182, Ioseliani et Marr situent sa mort vers 1068, après
la composition de la Vie de Georges ; mais comme on date cette composition de 1068 à cause de
la date de la mort du Reclus, autant dire que l’on n’en sait rien ; voir n. 17.
48. § VI44-45.
49. MET’REVELI, Jean.
50. Voir plus bas, p. 150-151, où je retiens la date de 1047/1048 plutôt que celle de 1052-
1054 pour l’octroi des chrysobulles à Iviron.
51. Voir p. 149 n. 1492.
52. Lorsque Georges vint en Apxazeti en 1059, le siège était occupé par un de ses disciples
(§ 591210), que l’on suppose être Jean, qui en était effectivement titulaire en 1065 (§ 982057).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 13

y firent une belle carrière. Jean devait devenir archevêque de Č’q’ondidi52, un


siège que Georges, alors higoumène d’Iviron, avait refusé d’occuper à la mort
de son titulaire (§ 35776-779) et que le roi n’avait pas dû laisser longtemps
vacant, vu l’importance de sa juridiction53. Quant à son frère, le patrice
P’et’rik’, il devint tout aussi rapidement le chef de la chancellerie du roi.
Cette double promotion est attestée par une inscription de l’église de Lixni,
citée par E. Met’reveli qui la date des années 1054-105654 ; elle est faite au
nom d’un « Vače, protospathaire et hypatos, neveu (fils de la sœur) du
Č’q’ondideli » et de « P’et’rik’ patrice et chef de la chancellerie »55. P’et’rik’,
qui est mentionné en 1065 comme « le saint père Pierre » ou encore « le véné-
rable géronte Pierre »56, devint moine à un moment que nous ignorons ; ses
capacités de copiste, qui justifient sa fonction de chef de la chancellerie, sont
évoquées dans la Vie de Georges57. Les deux frères P’et’rik’ et Jean sont men-
tionnés nommément par un troisième frère, Ignace, lui-même hiéromoine et
copiste, dans le colophon d’un manuscrit de 108558, et de manière plus allu-
sive dans le colophon d’un autre manuscrit de la fin du 11e siècle : Ignace
évoque les livres qu’il donna au monastère de C’q’arostavi du vivant de
Georges, puis après sa mort (comme sa traduction des Hymnes) et dit avoir
été aidé en paroles et en actes « par ses parents et ses frères spirituels et char-
nels »59 ; ces derniers sont assurément ses frères Jean et Pierre, tous deux
moines. On peut donc supposer que, revenus en Géorgie et promus à de
hautes fonctions auprès du souverain, ils ont dû faire beaucoup pour la popu-
larité de leur maître spirituel et la diffusion de ses traductions ; E. Met’reveli
les voit volontiers au nombre de ceux qui pressaient Georges de revenir en
Géorgie60, et nous savons que beaucoup de traductions de Georges furent en
effet copiées durant le séjour de celui-ci en Géorgie61.
Pierre était chef de la chancellerie et moine lorsqu’il fut choisi en 1065
pour accompagner à Constantinople la princesse Marthe, fille du roi
Bagrat’ IV62. Sans doute était-il même le chef de la délégation, comme le sug-

53. Sur la juridiction de ce siège, voir plus bas, p. 27 ; § 35773-775 et n. 621.


54. Près de Bičvint’a, dans le nord de l’Apxazeti : ALPAGO-NOVELLO, Art and Architecture,
p. 375 ; KROUSHKOVA, Palais. La datation, non expliquée dans l’article, repose, me semble-t-il,
sur le fait qu’E. Met’reveli a retenu la date de 1052-1054 pour la vacance du siège (voir plus
haut, n. 50).
55. MET’REVELI, Jean, p. 223-224.
56. § 911919 ; § 921952.
57. § 45953-956.
58. Le manuscrit H 1350 (Prophètologion dans la traduction de Georges l’Hagiorite) fut
copié en 1085 par Ignace « … en prière pour mes frères Jean archevêque de Č’q’ondidi et syn-
celle, Pierre vestès et chef de la chancellerie… Le chronikon était 305 (= 1085) » ; Catal. H, III,
1948, p. 306 ; MET’REVELI, Jean, p. 212 ; MENABDE, Foyers, I, p. 411. Au 11e siècle le titre de
vestès était souvent combiné avec la dignité de magistre ou celle de patrice.
59. Manuscrit A 136 (Commentaire de l’Évangile de Matthieu, par Jean Chrysostome, dans
la version d’Euthyme) : Catal. A, I2, p. 159-160 ; MET’REVELI, Jean, p. 212-213 ; MENABDE,
Foyers, I, p. 435.
60. § 531107-1111 ; MET’REVELI, Jean, p. 213.
61. § 701468 ; voir p. 177.
62. § 741143-1144.
63. § 751150 et 911950.
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14 BERNADETTE MARTIN-HISARD

gère l’accès facile dont il jouissait auprès de l’empereur Constantin Doukas


qui lui remit les deux pittakia destinés à Iviron63 ; le rôle du « bienheureux
Pierre patrice, qui fut P’et’rik » au moment de la mort de Georges est salué
par l’hagiographe qui évoque son violent chagrin64. S’il resta à
Constantinople (peut-être auprès de la jeune Marthe) pendant le transfert de la
dépouille de Georges à Iviron, rien ne fut ensuite décidé sans son avis, tant
pour le lieu de sa déposition finale65 que pour la fixation de la date de sa com-
mémoration66 ; à cette dernière décision furent associés d’autres pères, parmi
lesquels Jean de Č’q’ondidi67 ; celui-ci était arrivé après la mort du saint,
envoyé expressément par le roi Bagrat’ IV « pour que nous lui racontions inté-
gralement chaque détail de la mort et du départ de ce monde de notre saint
bienheureux père »68.
Après 1065, la vie des deux frères nous échappe et on ignore la date de
leur mort69. Cependant, on est peut-être un peu mieux informé sur Pierre.
L’hagiographe semble avoir vu les copies, mentionnées au § 45, que « le saint
géronte Pierre patrice, qui fut P’et’rik’ », effectua « pour lui-même » et pour
lesquelles il rédigea des tables des matières, notamment un stichèrarion et des
tropaires70. Il est possible que Pierre, autrefois P’et’rik’, soit le prêtre Pierre,
« notre frère béni », pour qui une commémoraison fut instituée au 16 janvier
par l’higoumène Jean Boukaisdze (c. 1085-1104), parce qu’il avait donné au
monastère d’abord un Euchologe, puis les Ménées avec un stichèrarion com-
plet, copiés de sa main et qui lui appartenaient71 ; le fait que la donation reçut
sa contrepartie spirituelle sous Jean Boukaisdze laisse entendre que le prêtre
Pierre mourut durant son higouménat ; mais ce n’est pas compatible avec le
fait que l’auteur de la Vie de Georges parle de Pierre en le qualifiant de
« bienheureux »72, terme qui implique qu’il était décédé lorsque le texte fut
écrit, à une date que presque tout tend à situer entre 1066/1067 et 1072. Ainsi
ou bien le « prêtre Pierre » n’est pas l’ancien P’et’rik’, ou bien la commémo-
raison a été tardive, instituée peut-être seulement lorsque la donation fut
effective.
DATE
On ignore la date exacte de rédaction de la Vie de Georges. L’indice le
plus sûr reste un miracle, non daté, de Georges depuis lequel « sept ans se
sont écoulés » (§ 100 [2]2114) ; le miracle ayant eu lieu au plus tard en

64. § 92.
65. § 972025.
66. § 982057.
67. § Ibid.
68. § VI46-48.
69. Le colophon du manuscrit H 1350 (cité plus haut, n. 58) n’en parle pas comme s’ils
étaient morts.
70. § 45954-956.
71. Synodikon, no 32, éd., p. 223 ; Iviron, II, p. 5 et n. 12 ; MET’REVELI, Jean, p. 221-222.
72. § 921950 et 972025.
73. Voir notamment n. 1272.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 15

juin 1065, la rédaction se situe au plus tard en 1072, sept ans après la mort du
saint73 ; une telle date expliquerait que l’auteur ait apparemment ignoré la
déposition de la dépouille du roi Bagrat’ IV cette année-là à Č’q’ondidi74.
Cependant, la rédaction est probablement antérieure, car il est difficile de
penser que l’hagiographe ait fait attendre si longtemps pour donner à Georges
le Reclus les informations sur la mort du saint, dont il avait hâte de prendre
connaissance ; l’allusion au § 95 à un enfant, « jeune » encore lorsqu’il béné-
ficia d’un miracle du saint en 1065 et « qui a maintenant grandi et raconte lui-
même ce miracle », n’est pas contradictoire avec une date peu éloignée du
décès de Georges75 . Une date plus proche de 1068 paraît donc raisonnable76.
Un seul point pose vraiment problème : le fait que le hiéromoine Georges du
manuscrit A 584, copié en 1083/1084, ne fasse pas état de la rédaction de
cette Vie, qui est pourtant une œuvre à la gloire de Georges dont il aurait eu
lieu de se louer.
ANALYSE
Dans une introduction générale (§ 1-3) sur la gloire rendue à Dieu par la
succession continue des saints, l’hagiographe annonce son projet : raconter à
propos de Georges qui succéda à Euthyme « chaque trait de sa vie, depuis sa
naissance jusqu’à sa mort »77 ; il n’en retiendra toutefois que les combats les
plus importants78. Il dispose pour ce faire de sources d’information diverses.
Témoin privilégié de la vie du saint à partir de la période syrienne, et plus
précisément sans doute de juillet 105679, il s’appuie pour les périodes précé-
dentes sur les souvenirs évoqués par Georges devant lui80 et sur le témoignage
de ceux qui l’ont connu directement ou par ouï-dire81, mais qu’il ne nomme
pas, probablement des moines d’Iviron. Il utilise enfin des manuscrits82 et des
documents conservés à Iviron83.
L’hagiographe procède ensuite par grands ensembles chronologiques : la
naissance et la formation de Georges, les années passées à Iviron, la période

74. Le roi n’est jamais cité avec l’expression « de bienheureuse mémoire ». Au § 35775, l’au-
teur fait allusion au tombeau que Bagrat’ IV avait préparé pour lui à Č’q’ondidi, sans avoir l’air
de savoir qu’il y fut effectivement déposé à sa mort en 1072.
75. PEETERS, p. 72, retient 1072 comme année extrême et place la rédaction « plusieurs
années après 1066 » parce que l’enfant était selon lui « arrivé à l’âge adulte » au moment de la
rédaction ; mais l’hagiographe dit seulement qu’il a grandi.
76. MLHG, V, 1989, p. 229 : 1066-1068.
77. § 3169-170.
78. § 2123-124.
79. Au § 46971-973, il rapporte les propos tenus par le patriarche Pierre III peu avant sa mort,
comme s’il les avait entendus lui-même, et son évocation ultérieure des rapports entre Georges
et le patriarche Théodose s’appuie sur des dialogues précis (§ 46-49).
80. De là ces formules : « Le saint lui-même nous a fait ce récit » (§ 7253) ; « Et le saint lui-
même me racontait… » (§ 16394).
81. § 1118-120. C’est sans doute de ces témoins qu’il tient le récit très vivant des trois miracles
opérés par Georges lorsqu’il était higoumène (§ 34-37).
82. Ainsi l’allusion aux copies de Pierre/P’et’rik’ : voir plus haut, n. 70.
83. L’hagiographe parle avec précision des chrysobulles délivrés à Iviron par Constantin
Monomaque (§ 31-32) et Constantin X (§ 91).
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16 BERNADETTE MARTIN-HISARD

syrienne, la période géorgienne, enfin le retour vers Iviron et la mort à


Constantinople, suivie du transfert et de la déposition de la dépouille à Iviron.
L’auteur ne donne aucune date ; celles qui sont ici proposées entre crochets
pour la clarté de la présentation trouveront leur justification plus loin dans les
éclaircissements.
La période de formation intellectuelle et monastique, qui va de la nais-
sance de Georges [v. 1010] à son départ pour Iviron à la demande de Georges
le Reclus [en 1040/1041], est racontée en quinze pages environ84 selon une
progression chronologique85, avec évocation de rares miracles86 et peu de dia-
logues87. Les repères précis sont absents, en dehors de l’indication de l’âge de
Georges à certains moments ou de certaines durées88, et s’il n’y avait, au § 13,
la mention d’un fait historiquement bien attesté et daté89, on aurait bien du
mal à proposer une chronologie, dont on verra qu’elle reste parfois fragile. Le
thème important pour l’hagiographe est la capacité progressivement acquise
par Georges à poursuivre l’œuvre interrompue par la mort d’Euthyme en
102890 et à faire ainsi fructifier « le talent divin de la traduction des livres
divins du grec en géorgien »91.
Dans les trois périodes qui suivent, la trame chronologique est globale-
ment respectée, mais s’accompagne d’aspects plus thématiques. Le début et la
fin de chaque ensemble comportent le récit d’événements précis qui font
entrer Georges dans une nouvelle phase de sa vie.
Durant la période athonite et en dix-huit pages92, après une courte période
d’anonymat, Georges devenu prêtre exerce la fonction d’ecclésiarque, ce qui
donne l’occasion d’évoquer ses premières traductions, qui n’excluent cependant
pas « d’autres affaires » (§ 20-24) ; les années d’higouménat viennent ensuite à
partir de 1044/1045, marquées successivement par l’organisation du culte
d’Euthyme (§ 25-30), son action à Constantinople pour l’affermissement du
monastère (§ 31-32), trois miracles de Georges (§ 33-37), enfin sa démission
provoquée par l’impossibilité de continuer à faire des traductions (§ 38). La
chronologie interne de la période athonite pose des problèmes que j’ai tenté de
résoudre plus loin, tout comme la fixation de la date de la démission de

84. § 4-19 ; éd., p. 109-124.


85. Famille et naissance, première éducation dans les monastères de T’adzari et de Xaxuli,
apprentissage du grec dans une maison aristocratique, puis à Constantinople, retour à Xaxuli,
établissement sur la Montagne Noire.
86. Prédiction de sa naissance et de sa valeur à sa mère (§ 5), protection de l’enfant contre le
diable (§ 7, 8), premier miracle d’intercession contre le diable (§ 16).
87. Ainsi § 19448-454.
88. Ainsi : « lorsqu’il eut sept ans » (§ 6231), « pendant douze ans » (§ 14357), « lorsqu’il eut
vingt-cinq ans » (§ 14367).
89. La révolte de Nicéphore au Col Tors et l’exécution du patrice Phersès en 1022.
90. § 3. Euthyme est mort en 1028. Georges arrivera à Iviron douze ans environ après la
mort d’Euthyme.
91. § 18-19.
92. § 20-39 ; éd., p. 124-142.
93. Voir plus bas, p. 144-145.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 17

Georges, dont on verra que je ne retiens pas la datation traditionnelle de 105693.


Au service du monastère et de son église, Georges est alors « l’hagiorite ».
En quatorze pages94, les années syriennes sont organisées elles aussi selon
un plan qui combine chronologie et thèmes. Après son arrivée sur la
Montagne Noire (§ 39), Georges accomplit à la place de la reine Marie un
pèlerinage à Jérusalem (§ 40-41). Deux grands thèmes sont ensuite abordés :
les traductions de Georges (§ 42-45) et ses relations avec les patriarches
d’Antioche, Pierre III et Théodore III, présentées de manière très vivante
(§ 46-52). Cette partie qui s’achève par les pressions exercées sur Georges
pour qu’il aille en Géorgie ne comporte aucun récit de miracles, mais elle met
l’accent sur deux aspects de Georges : le traducteur et le père spirituel.
La période géorgienne débute à l’été 1059 et dure cinq ans ; elle est cou-
verte en dix-huit pages95 ; elle comporte d’abord le récit du voyage et de l’ar-
rivée (§ 56-57). Deux aspects de l’action de Georges sont ensuite présentés.
Le moine est d’abord décrit, aux § 59-63, comme directeur spirituel et réfor-
mateur de la vie religieuse ou, comme le dit l’hagiographe, comme « média-
teur entre Dieu et les hommes »96. Il est aussi l’éducateur religieux et musical
d’un groupe d’orphelins qu’il destine au culte de Jean et Euthyme à Iviron
(§ 64-69). Il est ainsi fidèle à sa dimension d’hagiorite, cependant que le § 70,
qui évoque la diffusion de ses traductions, souligne la supériorité du « talent »
de la direction de conscience et de l’enseignement sur le « talent » de la tra-
duction. Peu après un raid turc sanglant intervenu en 1064, Georges, sentant
la mort approcher, décide de revenir à Iviron (§ 71-73).
La dernière partie du texte est proportionnellement la plus longue, car ses
vingt-huit pages couvrent l’année qui va de son retour à Constantinople, où il
meurt le 29 juin 1065, à l’institution de sa commémoration en 1066 à Iviron,
où sa dépouille a été transférée97. Imprégnée d’émotion, cette partie s’achève
sur l’évocation de quelques miracles.
Hagiorite, traducteur et père spirituel, Georges fut tout cela, dans une per-
fection qui fit de lui un saint aux multiples vertus, ainsi que le développe le
§ 100 [4], en prélude à l’envoi final dans lequel l’hagiographe prie Georges le
Reclus de parachever le texte qu’il lui envoie (§ 101-102).

Le monde géorgien au 11e siècle


J’emploie dans cet article l’expression monde géorgien ou le mot de
Géorgie, sans aucune connotation politique, pour désigner les territoires de
langue géorgienne, répartis, à l’époque où vivait Georges, entre plusieurs for-
mations politiques ; de même, le nom de Géorgien ou le qualificatif de géor-
gien, dans la traduction, renvoient-ils à la communauté linguistique et reli-
gieuse qui unissait les habitants de ces formations par delà leurs divisions

94. § 39-55 ; éd., p. 143-157.


95. § 56-73 ; éd., p. 158-176.
96. § 631311-1312.
97. § 74-100 ; éd., p. 176-204.
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18 BERNADETTE MARTIN-HISARD

politiques ; Kartli et Kartvélien (Ibérie et Ibère en grec) ont une acception


plus limitée qui les distingue d’Apxazeti et Apxaze (Abasgie et Abasge en
grec)98.
Bien que le moine Georges ait passé plus de temps dans l’Empire byzantin
qu’en terre géorgienne, ce sont les réalités géorgiennes qu’il convient d’éclai-
rer avant d’aborder un texte hagiographique écrit pour la glorification et l’ins-
truction du peuple géorgien99, tout particulièrement de cette partie du peuple
qui relevait de la domination des rois bagratides, et singulièrement à cette
époque de Bagrat’ IV, soutenus dans leur action par une Église bien implantée
et par un intense mouvement monastique.

LE TERRITOIRE DES BAGRATIDES


La plus puissante formation politique relevait des Bagratides dont l’auto-
rité s’exerçait depuis le début du 11e siècle sur l’Apxazeti et sur une partie du
Kartli. Sa seule unité venait de la personne du prince ; c’était alors Bagrat’ IV
(1028-1072)100, qui s’intitulait roi des Apxazes et curopalate (plus tard nobi-
lissime) de tout l’Orient101 ; son fils Georges II se dira roi des Apxazes et roi
des Kartvéliens.
Les textes géorgiens du 11e siècle divisaient le territoire des Bagratides de
part et d’autre de la chaîne du Lixi en un Pays d’En bas qui était celui des
Apxazes et un Pays d’En haut où vivaient les Kartvéliens.
Le Pays d’En bas représentait territorialement les anciennes Lazique et
Abasgie byzantines, réunies depuis la fin du 8e ou le début du 9e siècle en un
royaume appelé Apxazeti/Abasgie102 ; il avait pour capitale politique Kutaisi103
et pour métropole religieuse Č’q’ondidi ou Martvili104. Les deux grands ports du
pays étaient Poti (ancienne Phasis)105 au sud et Anak’op’ia au nord106. Le
royaume d’Apxazeti était l’assise la plus sûre de la puissance des Bagratides :

98. MARTIN-HISARD, Archontes, p. 456. Parmi ces formations il y avait celle des Bagratides,
le chorépiscopat de K’axeti-Hereti et l’émirat de Tbilisi, tandis que des parties non négligeables
de terres géorgiennes formaient depuis le début du 11e siècle le thème d’Ibérie. Sur le Kartli,
voir aussi plus bas, n. 110.
99. Voir par exemple les considérations de l’hagiographe au § 3.
100. Il succédait à son grand-père Bagrat’ III (978-1014) et à son père Georges Ier (1014-
1028).
101. Documents géorgiens, no 2 (1030/1031), p. 30 : « roi des Apxazes et, par la volonté de
Dieu, curopalate de tout l’Orient » ; no 4 (1057-1058), p. 37 : « roi des Apxazes et nobilissime de
tout l’Orient ».
102. MARTIN-HISARD, Archontes, p. 459-465. Le royaume est ainsi désigné par référence aux
Apxazes qui l’ont unifié ; mais l’Apxazeti au sens restreint n’en est que la partie septentrionale
(Vie de Georges, § 591209 et n. 864). Pour la géographie des régions dont on va parler, voir
TAVO B VII 16.
103. Sur Kutaisi, voir § 561176 et n. 850.
104. Sur Č’q’ondidi, voir § 35774 et n. 621.
105. Sur Poti, voir § 561175 et n. 849.
106. Le port était passé sous contrôle byzantin en 1031 : voir plus bas, p. 21 n. 127.
107. Exception faite sous Bagrat’ IV des menées de son demi-frère Démétrius qui vivait à
Constantinople et fit deux tentatives contre lui, aux côtés de Lip’arit’, avant sa mort en 1047-
1048. Lip’arit’, son principal rival, était originaire d’Apxazeti, mais ses ambitions ne concer-
naient que le Kartli.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:43 Page 19

LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 19

pour autant qu’on le sache, leur pouvoir n’y était pas contesté107 et ils tiraient
profit des excellents rapports noués avec le royaume d’Alanie et consolidés par
des mariages. L’individualité de l’Apxazeti était bien connue de Constantinople
où le titre d’exousiastès reconnu aux rois des Apxazes au début du 10e siècle108
l’était encore au 11e siècle109.
Cependant c’est dans le Pays d’En haut que le pouvoir des Bagratides était
né au 9e siècle et s’était construit ensuite. Cette expression couvrait sous
Bagrat’ IV la partie sud-ouest du Kartli110, principalement le Samcxe111 au
nord et le K’lardžeti, berceau de la dynastie112, ainsi que les deux régions stra-
tégiques du Trialeti113 et du Džavaxeti114 ; une partie du Kartli intérieur en fai-
sait également partie. Au début du 10e siècle, les Bagratides avaient sans
doute relevé le titre de roi des Kartvéliens, mais ils tenaient officiellement
leur puissance du pouvoir que leur reconnaissait l’Empire, à travers le titre-
dignité de curopalate, sur des terres qui avaient été autrefois byzantines avec
mission d’élargir ces terres115 ; celles-ci constituaient l’« Orient »116.
« Curopalate de tout l’Orient » définit le pouvoir de Bagrat’ IV sur le Kartli
dans la mouvance acceptée de Constantinople.
La progression de l’Empire byzantin vers le nord-est avait privé les
Bagratides d’une région plus méridionale, le T’ao, annexé en 1025-1027 et
constitué en duché d’Ibérie117 ; après de nombreuses difficultés un traité de
paix entérinant la situation avait été signé en 1031 à Constantinople entre

108. MARTIN-HISARD, Archontes, p. 459-465.


109. SKYLITZÈS, éd., p. 4026.
110. Au sens très large, le Kartli (que les Byzantins appelaient Ibérie) désignait l’ensemble
de la Géorgie orientale. La partie centrale, avec Mcxeta et Tbilisi, était plus précisément appelée
Kartli intérieur : MARTIN-HISARD, Archontes, p. 429. Sur le Pays d’En haut, voir carte dans
MARTIN-HISARD, Archontes, p. 530.
111. Bassin de la rivière d’Axalcixe, affluent du Kur, au nord du Pays d’En haut ; ibid.,
p. 431. Vie de Georges, § 4184.
112. Au sud du Samcxe, la région possédait la capitale historique des Bagratides, Art’anudži,
ainsi que les hauts lieux du renouveau monastique des 8e-9e siècles ; MARTIN-HISARD, Archontes,
p. 432. Voir plus bas, p. 27-28 et Vie de Georges, § 591215.
113. À l’est du Samcxe, sur le cours supérieur du Kcia (§ 7), le Trialeti, aux confins de
l’émirat de Tiflis et du royaume arménien de Lori, était dominé par la forteresse de K’ldek’ari,
base du pouvoir de la famille de Lip’arit’.
114. Au sud du Samcxe et à l’est du K’lardžeti, la région était traversée par un axe majeur de
circulation vers Ani et Kars au sud. Sa principale ville, sur la rivière de Panavari, était
Axalkalaki ; MARTIN-HISARD, Archontes, p. 432 ; Vie de Georges, § 711484.
115. La curopalatie remonte à l’époque du partage de l’Ibérie entre l’empereur Maurice et
l’empereur sassanide Khosroès II ; elle est ensuite plus ou moins régulièrement délivrée jusqu’à
son attribution régulière aux Bagratides à partir du début du 9e siècle : MARTIN-HISARD,
Archontes, p. 437-444 et Moines 2, p. 9-10.
116. Le mot est attesté dans ce sens dans le chrysobulle par lequel Romain Lécapène établit
un traité avec le curopalate Ašot’ II et dont nous n’avons que l’analyse : MARTIN-HISARD,
Archontes, p. 448, où je n’avais pas saisi la signification précise du mot « Orient ». Voir ainsi
§ 22505.
117. Sur la complexité du T’ao, ibid., p. 433 et carte p. 530. Sur l’évolution politique :
MARTIN-HISARD, Anatolie, p. 423-424. La date de 1025/1027 est ici retenue comme marquant la
fin d’un processus d’annexion commencé en 1001.
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20 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Romain Argyre et les Ibères, à savoir la reine Marie, agissant au nom de son
fils mineur Bagrat’ IV, et le catholicos Melchisédech118 ; c’est dans ces cir-
constances que Bagrat’ IV reçut la dignité de curopalate et épousa une nièce
de Romain. Dans ce contexte fut copié le manuscrit géorgien A 16, provenant
de Constantinople, dont le copiste, un certain Basile, mentionne Romain III
Argyre, le roi Bagrat’ IV, le pape Jean XIX (1024-1032), les patriarches
Alexis de Constantinople (1025-1043), Nicéphore de Jérusalem (1020-
fin 1030), Georges d’Alexandrie (1021-1036) et Nicolas d’Antioche (1025-
octobre 1030), ainsi que le catholicos Melchisédech d’Ibérie119.
Il n’est pas aisé de définir avec précision les limites du duché d’Ibérie ; il
correspondait au territoire du T’ao, sauf peut-être une frange septentrionale ;
Oltisi et Xaxuli en faisaient partie ; mais les familles qui en étaient originaires
comptaient autant que les terres, celle de Džodžik’ et de son fils Phersès que
le moine Georges connut bien120 et celle des Čordvaneli, qui avaient été aux
origines d’Iviron à la fin du 10e siècle, en assumèrent longtemps la direction
et furent liés à la vie de Georges121. Dès 1027 de nombreux nobles du T’ao
étaient partis dans l’Empire, sans rompre avec leur patrie d’origine, devenue
byzantine122.
La paix conclue, les Bagratides redevinrent pour l’Empire ce qu’ils
avaient été au 9e siècle, de précieux alliés dans sa politique nord-orientale,
d’autant plus précieux qu’ils disposaient maintenant en tant que rois des
Apxazes de la puissance militaire de l’Apxazeti et de l’alliance de l’Alanie,
alors que les Turcs Seldjoukides émergeaient sur la scène politique.

BAGRAT’ IV, ROI DES APXAZES ET CUROPALATE D’IBÉRIE


Bagrat’ et sa famille
Le moine Georges l’Hagiorite est un contemporain du roi Bagrat’ IV, fils
du roi bagratide Georges Ier (1014-1027) et de l’arménienne Marie, fille du roi
Sénéchérim du Vaspurakan. Marie, qui assuma la régence pendant la minorité
de son fils jusque vers 1031-1032123, garda ensuite une influence politique

118. SKYLITZÈs, éd., p. 377 (trad., p. 313) ; YAHYA, p. 489, selon lequel Romain estimait « que
<les Apxazes> sont des chrétiens, orthodoxes quant à la foi et aux pratiques, avec lesquels vivre
en bonne intelligence et mettre fin à la méfiance réciproque s’imposent ». Yahya est le seul à
citer la présence du catholicos, mais sans son nom.
119. PEETERS, Manuscrit ; je dois cette référence à TODT, Region, p. 660 et n. 103.
120. Vie de Georges, § 12 et, plus bas, p. 120-122.
121. MET’REVELI, Čordvaneli, p. 53 : branche des Čorčaneli, originaires du lieu-dit Čorčan au
Samcxe ; l’un d’eux, Georges, fut lié au milieu du 9e siècle à la fondation du proche monastère
de Zarzma où il fut enterré ; sa sœur Lataur qui prit le nom de Thècle eut trois fils, Sula (peut-
être le père d’Arsène qui fut Parsman, voir plus bas, n. 1507), Bešken et Lak’ladze. Une branche
de la famille devait s’installer, sans doute au 10e siècle, au T’ao où la forme du nom devint
Čordvaneli. Sur leur rôle à Iviron, plus bas, p. 151-152.
122. Chronique du Kartli, éd., p. 291 (trad., p. 286) ; Vie des Bagratides, éd., p. 385 ; et sur-
tout ARISTAKÈS, p. 27. Parmi ceux qui restèrent fidèles à Bagrat’, on trouvait le seigneur
d’Art’anudži, Jean Abuseri, dont le fils Grégoire fut un bienfaiteur d’Iviron à l’époque où
Georges en était higoumène (voir aussi n. 154).
123. Elle négocie en tant que régente la paix de 1031 dont on vient de parler.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 21

considérable et on verra qu’elle fut mêlée à plusieurs reprises à la vie du


moine Georges dont elle devint la disciple124 ; elle était encore en vie en 1072,
au moment de la mort de son fils125. En dehors de Bagrat’, né en 1018 et qui
était leur seul fils, la reine Marie et Georges Ier avaient encore trois filles,
Guaranduxt’, K’ata et Marthe, celle-ci morte avant 1027126. Bagrat’ avait
aussi un demi-frère, Démétrius, né d’une concubine de son père, une prin-
cesse alaine nommée Alda127.
Bagrat’ IV eut deux épouses : Hélène Argyre, nièce de Romain, épousée
dès 1031/1032, et qui mourut « peu après » son mariage128, puis Borena, fille
du roi des Alains Urdure129. La reine Borena, qui n’est pas nommée dans la
Vie de Georges130, eut deux enfants : Marthe, qui devait prendre le nom de
Marie, et le futur roi Georges II131. On ne peut préciser la date du second
mariage du roi ; on sait seulement que Marthe était encore très jeune en
1056132, que Georges était mineur en 1052133 et qu’en 1060 il était encore
considéré comme un q’rma, un tout jeune homme134.
Bagrat’ IV avait succédé à l’âge de neuf ans à son père, mort le 15 août
1027135 ; il reçut, comme ses prédécesseurs, des dignités byzantines : il devint
curopalate en 1031136, il était nobilissime en 1054 au moins137, sébaste en tout
cas en 1065138. L’octroi de ces dignités scande un règne qui fut passablement
perturbé par les séquelles des guerres de Basile II, et surtout par l’opposition
qu’il rencontra dans ses terres du Kartli de la part de son éristav des éristavs,

124. Ainsi Vie de Georges, § 31, 32, 39, 40, 53 ; voir plus bas, p. 151.
125. Chronique du Kartli, éd., p. 314 (trad., p. 305).
126. Ibid., éd., p. 291 (trad., p. 286).
127. À la mort du roi Georges, Alda ou Aldi, fille du roi des Alains, émigra dans l’Empire
avec son fils Démétrius, sans doute sous Romain Argyre auquel elle fit don du port
d’Anak’op’ia : SKYLITZÈS, éd., p. 389 (trad., p. 322) ; Chronique du Kartli, éd., p. 295 (trad.,
p. 288).
128. Ibid., éd., p. 295 (trad., p. 288). On ne connaît pas la date de sa mort : d’après SKYLITZÈS,
éd., p. 396 (trad., p. 328), Bagrat’ IV prit les armes pour venger Romain Argyre, l’oncle de sa
femme, assassiné le 11 avril 1034 ; Hélène était donc peut-être encore vivante.
129. Chronique du Kartli, éd., p. 295, 297, 313 (trad., p. 288, 289, 304). Le frère de Borena,
Dorłoleli, devint à son tour roi des Alains vers 1032, après la mort de son père vers 1029.
Borena était donc une parente d’Aldi, peut-être sa sœur. Sur les frères de Borena, voir VANNIER,
Notes.
130. Elle fait cependant peut-être partie des « reines » qui prient le moine Georges de venir
en Géorgie (§ 531108).
131. Chronique du Kartli, éd., p. 313 (trad., p. 305).
132. Vie de Georges, § 37815.
133. Voir plus bas, p. 124-125 et n. 168.
134. Vie de Georges, § 591224 et n. 876.
135. Chronique du Kartli, éd., p. 291 (trad., p. 286).
136. SKYLITZÈS, éd., p. 377 (trad., p. 313) ; Chronique du Kartli, éd., p. 294 (trad., p. 287) ;
voir plus haut, p. 20.
137. Le colophon 5 du manuscrit A 484 fut copié dans la région d’Antioche (Catal. A, II1, p.
212-213) « sous le règne de Constantin Monomaque, sous le patriarche d’Antioche Pierre,
durant le séjour de Bagrat’ roi des Apxazes, nobilissime, dans la <Ville> royale ». Ce séjour de
Bagrat’ dura de 1052 à 1054 (voir plus bas, p. 24-25).
138. Vie de Georges, § VI46 et n. 243, § 751558. SKYLITZÈS, éd., p. 39640, lui donne déjà cette
dignité en 1034/1037, ce qui est peu crédible.
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22 BERNADETTE MARTIN-HISARD

ou général en chef, Lip’arit’, alors même que la menace des Turcs


Seldjoukides se faisait plus intense.
Son règne : les séjours du roi à Constantinople
De son long règne qui s’acheva en 1072 on ne retiendra que ce qui contri-
bue à éclairer la Vie de Georges, c’est-à-dire ses conflits avec Lip’arit’ qui
eurent pour conséquences les séjours de Bagrat’ à Constantinople.
La paix signée en 1031 avec Romain Argyre ne fut pas remise en
question139, en dépit de quelques tensions entre 1034 et 1037140 ou, à propos
du duché d’Ani, en 1045141. Les nouvelles autorités byzantines du duché
étaient, autant que Bagrat’ IV, affrontées à un environnement hostile d’émirats
et de principautés, contrariés dans leur politique d’expansion142. À partir de
1046143, il fallut également faire face aux attaques turques, dont celle
d’Ibrahim Inal qui écrasa les Byzantins à Kaputru en septembre 1048144 ;
d’autres, plus désordonnées, suivirent, qui dépassèrent de plus en plus sou-
vent à l’ouest les confins de l’Arménie, ainsi en 1055-1056 et en 1059-1060
avec le chef turc Samoukht145 ; le sultan Alp Arslan (1063-1072) prit le relais
en 1064146.
Les rapports de Bagrat’ IV avec l’Empire furent donc globalement bons,
ce qui n’empêcha pas l’empereur Constantin Monomaque (1042-janvier
1055) d’intervenir dans les affaires intérieures de Bagrat’ IV147. Les sources
géorgiennes montrent que celui-ci se heurta très tôt à des manifestations d’in-
docilité et aux ambitions de celui qui allait être jusqu’en 1057 son principal
adversaire, Lip’arit’ fils de Lip’arit’ et petit-fils de Rat’/Oratios148, d’une
famille originaire d’Apxazeti, mais solidement installée dans le Trialeti149. Un
premier et bref affrontement, dans lequel Lip’arit’ reçut l’appui d’une armée
byzantine, eut lieu entre 1040 et 1042150. Assez obscur à ses origines et met-
tant peut-être en cause la reine Marie151, un second conflit éclata en 1047152 ;

139. Il restait cependant le problème épineux de la cession à l’Empire du port apxaze


d’Anak’op’ia (voir plus haut, n. 127).
140. SKYLITZÈS, éd., p. 396 et 402 (trad., p. 328 et 333).
141. Ani fut souvent rattaché au duché d’Ibérie.
142. Parmi les émirats, Ganja, Dvin, Tiflis pour ne citer que les principaux ; parmi les princi-
pautés chrétiennes, celles du roi arménien de Taširi-Lori et du prince géorgien de K’axeti.
143. FELIX, Byzanz, p. 162-163 n. 90.
144. SHEPARD, Scylitzes, p. 271-274 ; FELIX, Byzanz, p. 165 n. 99.
145. CAHEN, Pénétration, p. 22-23. Voir Vie de Georges, § 561157 et plus bas, p. 175.
146. Ibid., § 711481-1491 et plus bas, p. 175-176.
147. Constantinople devait s’intéresser de près aux ambitions du demi-frère du roi,
Démétrius, et aux revendications des Bagratides sur Anak’op’ia : voir plus haut, n. 107 et 127.
148. Voir FELIX, Byzanz, p. 166-167 n. 103 (avec des erreurs dans la généalogie de Lip’arit’,
à laquelle je m’intéresserai dans un prochain article).
149. Voir plus haut, n. 113.
150. Chronique du Kartli, éd., p. 296-298 (trad., p. 289-291). Démétrius fut partie prenante
du conflit aux côtés de Lip’arit’.
151. Ibid., éd., p. 300 (trad., p. 292) : le conflit est en relation avec Ani où Lip’arit’ fit arrêter
des partisans de la reine Marie.
152. Ibid., éd., p. 302 (trad., p. 294).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 23

Lip’arit’, encore aidé par une armée byzantine153, battit le roi Bagrat’ et, ayant
éliminé la résistance de ses fidèles154, prit le contrôle du Pays d’En haut et
rejeta Bagrat’ en Apxazeti, à l’heure où les premières attaques turques fragili-
saient le duché d’Ibérie155. Lip’arit’, qui portait alors la dignité de magistre et
détenait la fonction d’éristav des éristavs, mit sa puissance au service des
Byzantins, à Dvin d’abord, puis, en qualité d’« allié et ami » de l’Empire156,
sur le champ de bataille de Kaputru où il fut fait prisonnier. Prudemment
replié en Apxazeti, Bagrat’ n’en restait pas moins l’autorité de référence à
laquelle firent appel les nobles ibères et les propres fils de Lip’arit’ après la
capture de celui-ci157. On vit même, peu après, Bagrat’ intervenir à la tête de
ses armées pour aider le parakoimomène Nicéphore dans une expédition
contre Ganja et Dvin158, ceci entre l’automne 1048 et l’automne 1049 selon
Felix159, plus précisément à la fin de 1048 ou au début de 1049 pour
Shepard160.
Ces informations, qui viennent principalement de la Chronique du Kartli,
donnent de la crédibilité à un chapitre controversé de Skylitzès, qui attribue
une cause que l’on ne peut a priori rejeter au conflit qui opposa victorieuse-
ment Lip’arit’, soutenu par Constantinople, à Bagrat’ avant 1048161 ; il
explique aussi comment le roi retrouva son autorité en allant à Constantinople
négocier, et même imposer à l’empereur un règlement de la crise :
Quelque temps après, Pankratios, traversant le Phase et faisant route par le pays
des Souanes et des Colches, vint à Trébizonde d’où il envoya à l’empereur des
émissaires pour lui faire savoir qu’il désirait venir dans la Ville reine et le rencon-
trer. Il en reçut la permission et vint. Dans l’entrevue qu’il eut avec l’empereur, il
reprocha d’abord avec force à celui-ci de n’avoir tenu aucun compte, lui qui était
empereur, des traités qui le liaient au prince (ajrchgovn) d’un pays important,
l’Abasgie, et d’avoir pris le parti d’un simple particulier, un esclave et un rebelle ;
puis il lui demanda de les raccommoder tous deux. C’est ce qui fut fait et, sur
l’initiative de l’empereur, ils établirent entre eux un accord. Pankratios serait le
maître et le prince (kuvrion kai; ajrchgovn) de toute l’Ibérie et de l’Abasgie ; quant à
Liparitès il serait à vie archonte d’une partie de la Meschie, tout en ayant
Pankratios pour seigneur et pour roi (kuvrion kai; basileva)162.

153. Où l’on retrouve Démétrius (voir plus haut, n. 147).


154. Parmi ces fidèles, la famille Abuseri, qui tenait, depuis 1028 en tout cas, Art’anudži, la
principale forteresse du K’lardžeti, dont Lip’arit’ finit par s’emparer ; voir plus haut, n. 122.
155. KÜHN, Armee, p. 187-195. Depuis l’année 1044/1045, le duché d’Ibérie était sous les
ordres de Katakalon Kékauménos, qui fut l’un des généraux qui subirent la défaite de Kaputru ;
il alla combattre les Petchénègues l’année suivante ; voir SHEPARD, Scylitzes.
156. SKYLITZÈS, éd., p. 450 (trad., p. 374).
157. Chronique du Kartli, éd., p. 302 (trad., p. 294).
158. Ibid. ; SKYLITZÈS, éd., p. 465 (trad., p. 384).
159. FELIX, Byzanz, p. 171-172 et n. 115.
160. SHEPARD, Mauropous : Nicéphore fut rappelé de cette expédition pour aller combattre
les Petchénègues.
161. SKYLITZÈS, éd., p. 447-448 (trad., p. 372) : Bagrat « ayant insulté la couche » de
Lip’arit’, celui-ci attaqua le roi, le repoussa en Abasgie, viola sa mère et devint le maître absolu
de l’Ibérie. Il envoya ensuite une ambassade à l’empereur qui « traita avec lui ».
162. Ibid.
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24 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Constantinople imposa donc un partage territorial du pouvoir qui confiait


à vie le Pays d’En haut (du moins la partie plus septentrionale dénommée
Meschie) à Lip’arit’ et laissait l’Apxazeti à Bagrat’, « seigneur et roi » de
Lip’arit’. Ce bref séjour de Bagrat’ IV à Constantinople, antérieur à septembre
1048 et évoqué par le seul Skylitzès, est souvent rejeté sans réels arguments
ou ignoré163 ; certains cependant l’admettent164 et je les suis volontiers. En
effet il est clair que Skylitzès, qui n’était pas vraiment un spécialiste des
choses caucasiennes, ne saurait avoir inventé les clauses d’un règlement qui
correspond en substance au récit des sources géorgiennes et qui respecte si
bien les caractères du pouvoir que les rois bagratides exerçaient sur des terres
dont l’Apxazeti constituait la partie royale et le Kartli la région revendiquée
par Lip’arit’ qui y avait ses bases. Autant que l’appel au respect des accords
de 1031, les menaces turques peuvent expliquer le sens vers lequel a penché
la médiation de Constantinople, car si Lip’arit’ était un excellent chef de
guerre, précieux par sa proximité par rapport au duché d’Ibérie, Bagrat’, qui
avait épousé ou allait bientôt épouser la princesse alaine Borena, détenait les
clés des contacts avec les Alains.
Sans m’étonner que les sources géorgiennes soient restées discrètes sur le
viol de la reine Marie et l’intervention de l’Empire, je considère donc que
Bagrat’ est bien venu à Constantinople à la suite de son conflit avec Lip’arit’,
en 1047 ou 1048 (avant septembre), et qu’il y eut bien un accord négocié avec
Monomaque ; ce pourrait être là non seulement le point de départ d’une modi-
fication de la vie privée de Monomaque, mais surtout celui d’échanges mari-
times nouveaux avec l’Alanie et du développement de la présence de merce-
naires alains dans les armées byzantines165. L’accord de 1048 négocié à
Constantinople explique ainsi l’appel adressé peu après à Bagrat’ par les fils
de Liparit’ captif tout comme sa participation à l’expédition de Nicéphore. On
ignore la durée de ce premier séjour de Bagrat’. On verra plus loin le pro-
blème posé par la présence ou non de sa mère, la reine Marie, durant ce
séjour166.
Après sa libération dans des conditions qui firent grand bruit en 1049/1050
et lui assurèrent une large notoriété167, Lip’arit’, d’après la Chronique du
Kartli, entra de nouveau en conflit avec Bagrat’, en 1051/1052, pour une
raison inconnue ; épaulé par l’empereur qui n’avait plus rien à lui refuser, il
imposa à Bagrat’ de quitter la Géorgie pour aller vivre à Constantinople, tout

163. Ainsi BROSSET, Histoire, p. 324 n. 2, sur lequel s’appuie Iviron, I, p. 52 n. 3. Aucune
note n’accompagne ce passage dans la traduction de Skylitzès.
164. Ainsi FELIX, Byzanz, p. 167 n. 103. SHEPARD, Mauropous, voit dans un passage du dis-
cours 182 de Jean Mauropous, composé pour célébrer la reddition des Petchénègues en avril
1049, une allusion au roi Bagrat’ et au récent accord signé avec Monomaque, d’où Regesten2,
no 885.
165. MARTIN-HISARD, Athos, p. 247. PSELLOS, II, chap. 145 (p. 41), 151 (p. 45), 153 (p. 46),
154 (p. 47-48). Monomaque prit pour maîtresse à cette époque (entre la mort de Sklèraina en
1045 environ et la mort de Zoé en 1050) une Alaine de sang royal (donc une parente de Borena).
166. Voir plus bas, p. 150-151.
167. FELIX, Byzanz, p. 130.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 25

en reconnaissant les droits de son très jeune fils, Georges, qui fut bientôt cou-
ronné et dont Lip’arit’ assuma la tutelle, sa tante Guaranduxt’ en ayant aussi
la responsabilité168. Ce nouvel accord respectait dans son fond celui de 1048,
sauf que Bagrat’ était écarté au profit de son fils dans des conditions qui assu-
raient un large pouvoir à Lip’arit’169. Bagrat’ partit donc à Constantinople où
il reçut « grande gloire et honneur »170 ; sa mère, on le verra, s’y trouvait tou-
jours171. C’est probablement durant ce séjour qu’il fut promu nobilissime172.
Bagrat’ resta trois ans dans la capitale sous le règne de Monomaque173,
entre le début de l’année 1052 et janvier 1055, au plus tard. Le pouvoir
détenu par Lip’arit’, toujours éristav des éristavs, et ses trois fils, Rat’, Jean et
Niania, ne connut apparemment pas de limites, ce qui peut expliquer que
Constantin IX ait autorisé le retour de Bagrat’ « en grande pompe, avec des
présents et d’immenses trésors »174 et ce que confirme en 1057, après son
retour, la grande révolte des éristavs du Kartli contre Lip’arit’, au terme de
laquelle Lip’arit’ et son fils Jean furent livrés à Bagrat’175 ; après tractations,
Lip’arit’ prit l’habit monastique sous le nom d’Antoine176 ; il devait peu après
partir à Jérusalem, puis dans l’Empire où il mourut177. Son fils Jean, d’abord
confié au roi, réussit à s’enfuir dans l’Empire, d’où il revint, grâcié, en
1059178.
Lorsque le moine Georges revint en Géorgie à la fin de l’année 1059, sui-
vant de peu Jean Lip’arit’isdze, la situation s’était normalisée ; après l’élimi-
nation des derniers opposants179 la puissance du roi put s’étendre vers l’est, en
K’axeti et Hereti. Toutefois les menaces turques pesaient maintenant directe-
ment sur son royaume et elles allèrent s’intensifiant à partir de 1063 sous le
nouveau sultan Alp Arslan : une campagne le conduisit en 1064 jusqu’à

168. Chronique du Kartli, éd., p. 303 (trad., p. 295).


169. Ibid., éd., p. 304 (trad., p. 295-296). Cette mise à l’écart de Bagrat’ a une dimension de
conflit personnel qui peut s’expliquer par les faits antérieurs racontés par Skylitzès ; voir plus
haut, n. 161.
170. Le dispositif mis en place par Lip’arit’ ne mentionne pas la reine Marie et attribue le
premier rôle auprès du jeune Georges à la sœur de Bagrat’, Guaranduxt’.
171. Voir plus bas, p. 150-151.
172. Voir plus haut, n. 137.
173. Chronique du Kartli, éd., p. 303 (trad., p. 295). Seule une interpolation tardive parle
aussi de Michel VI.
174. Aucune source n’explique ce retour ; d’après la Chronique du Kartli, ibid., ce retour fut
demandé par la sœur du roi, Guaranduxt’, qui avait la responsabilité de son royal neveu.
175. La dernière mention de Rat’ est de 1053 ; Niania put s’échapper. On ne peut préciser
davantage la date de la révolte ; mais on sait, par ARISTAKÈS, p. 96-97, que Jean fils de Lip’arit’
sut parfaitement utiliser la guerre civile entre Isaac Comnène et Michel VII que son père (ou lui-
même) avait commencé par soutenir (CHEYNET, Pouvoir, p. 68-70) ; la révolte des éristavs géor-
giens est donc postérieure.
176. Ibid., éd., p. 304 (trad., p. 296).
177. On le retrouve dans la Vie de Georges, § 531101 et n. 803.
178. Le colophon 10 du manuscrit A 484 (Catal. A, II1, p. 216 ; voir plus haut, n. 137) men-
tionne son retour dès avril 1059 sur ses terres patrimoniales ; il souscrit cette année-là une charte
du roi Bagrat’ IV (Documents géorgiens, no 4, p. 38).
179. Vie de Georges, § 581192-1197. Ces opposants, les Abataisdze, étaient peut-être d’anciens
partisans de Lip’arit’ et c’est peut-être pour les réduire que Bagrat’ avait fait revenir Jean.
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26 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Axalkalaki, en Džavaxeti ; la ville que le moine Georges eut juste le temps de


quitter fut pillée en juillet, tandis qu’Ani fut enlevée aux Byzantins et mise à
sac en août180. Cette année-là, le roi bagratide de Vanand (capitale Kars),
Gagik-Abas, préféra céder son royaume à l’Empire contre des compensations
en Cappadoce181 : le moine Georges eut l’occasion, peu avant sa mort, de croi-
ser son chemin à deux reprises dans la capitale182.

L’Église géorgienne
L’Église géorgienne était régie par un catholicos élu et consacré, depuis le
8e siècle en tout cas, par les évêques du Kartli183. Son absence permanente de
toutes les notices épiscopales du patriarcat de Constantinople montre, s’il en
était besoin, qu’elle n’en dépendait pas à l’époque médiévale ; elle entretenait
en revanche avec le patriarcat d’Antioche des liens dont la Vie de Georges
atteste, comme nous le verrons plus loin, les changements au 11e siècle.
La liste des catholicos est particulièrement lacunaire et lorsqu’ils sont
connus, ce ne sont la plupart du temps que des noms que l’on inscrit difficile-
ment entre des dates précises. Le catholicos le moins mal connu est sans
doute Melchisédech qui présida aux destinées de l’Église dans la première
moitié du 11e siècle et contribua à réaffirmer la grandeur de son siège ; il est
attesté en 1029/1030 et n’était plus en exercice en 1042. Ce que l’on sait de
lui met en évidence le rôle politique que les catholicos pouvaient être amenés
à jouer à une époque où leur autorité semble avoir été large et reconnue, alors
que l’intégration politique du monde géorgien elle-même n’était pas encore
réalisée.
Une interpolation de la Chronique du Kartli, qui n’est pas à négliger, fait
de Melchisédech un homme d’origine illustre, un proche, sinon un parent, de
Bagrat’ III qui l’avait élevé et probablement nommé184. Mais il est surtout
connu par la nouvelle cathédrale de la Colonne vivante qu’il fit édifier à
Mcxeta à partir de 1010 et dans laquelle il fit préparer son tombeau185. Or,
bien que Mcxeta, capitale religieuse du monde géorgien, ait alors relevé des
princes de K’axeti, les catholicos avaient une large influence en terre bagra-
tide où ils se trouvaient souvent, comme on le voit dans la Vie de Georges186.
On vit en tout cas Melchisédech associé aux négociations de paix qui eurent
lieu en 1031 entre Romain Argyre et la reine Marie qu’il accompagna à

180. Chronique du Kartli, éd., p. 306-307 (trad., p. 298-299) ; Vie de Georges, § 71 ; voir
aussi plus bas, p. 175-176.
181. Regesten2, no 954b ; FELIX, Byzanz, p. 180.
182. Vie de Georges, § 76-78 et 811678 ; voir plus bas, p. 181-182.
183. Je reviens longuement sur ce point plus bas, p. 161-174. Voir aussi MARTIN-HISARD,
Christianisme 2, p. 555-558, 576-584.
184. Chronique du Kartli, éd., p. 282 et n. 1. Cette même addition attribue à l’empereur
Basile II, que Melchisédech serait venu solliciter personnellement, une participation détermi-
nante à la reconstruction et à la dotation de l’église de Mcxeta.
185. ALPAGO-NOVELLO, Art and Architecture, p. 396-399.
186. Vie de Georges, § 531108 et 601233.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 27

Constantinople187. De ces années date une charte du « catholicos-patriarche du


Kartli, béni par le Christ »188 ; précieuse à plus d’un titre, elle montre tout par-
ticulièrement que l’action du catholicos s’exerçait largement dans le Pays
d’En haut bagratide189 ainsi que dans les formations plus orientales de K’axeti
et de Hereti. En revanche il n’est pas question de l’Apxazeti, dont les rapports
avec Mcxeta nous échappent. Depuis le début du 10e siècle, le patriarcat de
Constantinople ne semble plus avoir exercé de droit ecclésiastique sur la
Géorgie occidentale190 où les rois apxazes fondèrent plusieurs évêchés,
comme Bedia191. Le siège de Č’q’ondidi, fondé au début du 10e siècle par
Georges II (v. 915-v. 957), était occupé par un archevêque à l’époque du
moine Georges192 ; or, d’après la Chronique du Kartli, à la cérémonie d’inau-
guration du siège de la capitale, Kutaisi, fondé à la fin du 10e siècle ou au
début du 11e, assistèrent « les catholicos »193 ; de même, la Vie de Georges cite
« les catholicos » à côté du roi, des reines, des évêques et des princes qui sou-
haitaient le retour du moine en terre géorgienne en 1058194. L’archevêque de
Č’q’ondidi était donc vraisemblablement le métropolite de l’ensemble de
l’Apxazeti, une sorte de catholicos du royaume, d’où l’absence de ce territoire
dans la charte de Melchisédech. On comprend ainsi l’importance que
Bagrat’ IV attachait à la désignation du titulaire du siège195.
On ne connaît pas la durée du catholicat de Melchisédech ; on ignore donc
si Jean Chrysostome II fut son successeur immédiat en 1042196 ; en 1057/1058
le catholicos était Georges II197 et en 1073 Gabriel198.
Bien que le christianisme géorgien ne soit pas particulièrement bien docu-
menté pour le 11e siècle, on peut sans grande hésitation affirmer que l’histoire
même du monde géorgien dans les siècles précédents n’en avait pas favorisé
un développement harmonieux. Il y avait d’abord eu l’établissement de la
domination arabe au Kartli199 et, même sans persécution religieuse particu-
lière, la présence d’un dominateur musulman entravait la vie religieuse et
gênait les liens de l’Église géorgienne avec les Églises voisines. La reconsti-
tution de principautés géorgiennes à partir du 8e siècle favorisa la renaissance
régionale du christianisme. Son aspect le mieux connu parce que le mieux
documenté est le monachisme200. Le Kartli du sud-ouest connut en effet au 9e

187. Voir plus haut, p. 19-20 et n. 118.


188. Documents géorgiens, no 2, p. 20-31, qui date la charte de 1030/1031.
189. Dans le T’ao, le K’lardžeti et ses environs, le Džavaxeti et ses environs.
190. MARTIN-HISARD, Christianisme 2, p. 562-563.
191. Vie de Georges, § 741544 et n. 1004.
192. Ibid., § VI44.
193. Chronique du Kartli, éd., p. 281 (trad., p. 280).
194. § 531108.
195. § 35773-778.
196. Sur les circonstances de l’avènement de Jean Chrysostome II, voir plus bas, p. 167-171.
On ne connaît pas de catholicos entre Melchisédech et Jean Chrysostome ; celui-ci est encore
mentionné en 1048 dans un colophon de H 1741.
197. Documents géorgiens, no 4, p. 37 : souscription par Georges d’un acte de Bagrat’ IV.
198. Ibid., no 6, p. 48 : souscription par Gabriel d’un acte du roi Georges II.
199. Sur l’évolution de la présence musulmane, voir MARTIN-HISARD, Moines 2.
200. MARTIN-HISARD, Christianisme 2, p. 565-576.
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28 BERNADETTE MARTIN-HISARD

et au 10e siècle un grand essor monastique, marqué par la fondation d’une


série de monastères dont l’activité dans les siècles suivants est attestée par les
manuscrits qui y furent copiés201. À partir de la fin du 10e siècle, ces régions,
et tout particulièrement le T’ao, alimentèrent le mouvement monastique qui
conduisit à la fondation et au premier développement du monastère géorgien
de la Mère de Dieu sur l’Athos, plus tard connu comme Iviron ; elles soutin-
rent également la renaissance des anciennes fondations syriennes et palesti-
niennes. Le moine Georges est représentatif de ces liens et échanges, puisque,
né dans le Samcxe et formé dans le T’ao, il fut higoumène d’Iviron, séjourna
à deux reprises sur la Montagne Noire et fit deux pèlerinages à Jérusalem
avant de revenir en Géorgie où il résida de préférence dans des monastères du
Pays d’En haut. Sa route croisa à Jérusalem celle d’un autre moine, Prochore,
dont la vie est elle aussi au carrefour de ces réseaux monastiques202. La Vie de
Georges est aussi, avec les colophons de manuscrits et les témoignages artis-
tiques, la source principale des informations que nous possédons sur le chris-
tianisme géorgien du 11e siècle avant la tenue du concile de Ruisi-Urbnisi en
1103203.

201. Sur les églises et monastères de ces régions, outre les monographies qui composent le
précieux ouvrage de MENABDE, Foyers, I, on utilisera BERIDZE, Architecture ; DJOBADZE, Early
Medieval Monasteries.
202. Vie de Georges, § 41883-886 et n. 676.
203. MARTIN-HISARD, Christianisme 2, p. 584-592. Voir plus bas, p. 177.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 29

II. TRADUCTION

La traduction de la Vie de Georges, que je propose ici, n’est sans doute pas
exempte d’imperfections ni même d’erreurs, dont je serais heureuse qu’elles
me soient signalées.
Le texte traduit est celui qui fut édité en 1967, sous la direction
d’I. Abuladze, dans le volume 2 des « Monuments de la littérature hagiogra-
phique en géorgien ancien » (MLHG, II), p. 101-207 ; il s’appuie en règle
générale sur le manuscrit A, dont la tradition se retrouve presque toujours
dans IK. La pagination de l’édition figure en gras dans la marge à gauche de
la traduction. Le découpage de la Vie de Georges en paragraphes numérotés
en chiffres arabes est celui de Peeters ; je l’ai complété en découpant le texte
de la Lettre en paragraphes numérotés en chiffres romains.
Les titres en gras sont une addition au texte.
Dans le cours de la traduction les crochets <…> indiquent une addition au
texte, les crochets […] une modification du texte édité.
Les notes de bas de page rendent compte de mes incertitudes et de mes
choix, notamment lorsque ceux-ci ne vont pas dans le sens retenu par
Peeters ; j’ai mentionné les variantes les plus significatives du texte, qui sont
celles du groupe de manuscrits BCDEFGL et qui expliquent certaines des tra-
ductions de Peeters. Les termes géorgiens sont cités avec mention entre
parenthèses des lignes de l’édition où ils se trouvent. Les notes renvoient éga-
lement à des développements qui ne pouvaient y trouver place et qui se trou-
vent après la traduction. J’ai le plus souvent comparé les citations bibliques
de l’Ancien Testament aux textes correspondants de la Septante204, version
utilisée par l’hagiographe dans une traduction que je ne suis pas capable
d’identifier205.

*
* *

204. The Septuagint with Apocrypha : Greek and English, originally published by
S. Bagsters…, Londres 1851, rééd. USA 20019 ; sans autre indication, les traductions françaises
sont les miennes. J’utilise aussi le cas échéant les traductions de la collection La Bible
d’Alexandrie (BA). BJ indique un emprunt à la Bible de Jérusalem.
205. J’ignore de quelle version géorgienne l’hagiographe s’est servi ; ce n’est ni le texte de la
Bible d’Ošk’i (Iv 1) ni celui de la Bible dite de Moscou (A 455), qui ne contiennent pas certains
passages du Livre des Nombres cités par l’hagiographe. Il me semble que la version utilisée
offre des parentés avec ce que GIGINEIŠVILI, Ancien Testament, a défini comme le type AK de
l’Ancien Testament (d’après le nom de deux manuscrits du 17e siècle – H 1207 et K 28 – qui, en
dépit de modifications orthographiques tardives, offrent un texte dont la langue a des traits
anciens). Certains passages se retrouvent aussi dans la Bible dite de Mcxeta (A 51, sigle S :
Catal. A, I1, p. 136-141).
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30 BERNADETTE MARTIN-HISARD

101 | Lettre écrite à Georges, le grand reclus qui habitait206 sur le Mont Admirable dans
le monastère de Saint-Syméon, par le géronte207 auquel il avait demandé de mettre par
écrit le récit de la vie et de la mort de notre saint père Georges l’Hagiorite208.

La suscription dit ceci209 :


5 (§ I) À Georges le Reclus, divinement bienheureux, illustre pour ses vertus, maître
des maîtres210 et notre guide211 spirituel, salut à toi par le Seigneur !
De la Sainte Montagne au Mont Admirable, bonne nouvelle par le Christ notre Dieu !

(§ II) Par une éminente ascèse212 surnaturelle, tu as enlevé le char de ton âme vers le
213
ciel , hors de la matière et de l’épaisseur matérielle, et tu as entièrement séparé ton
10 esprit de ce qui entraîne vers la terre puisque214 tu as fait215 de l’agir le commencement
de la contemplation216 et de la crainte née d’une sagesse divine217 la cause de l’impavi-
dité, lorsque218, par l’hésychasme219 et le silence, solitaire tu t’es approprié l’Unique220
et221, vivant avec toi seul, tu as acquis la source de tout ce qui est désirable222, ô homme
admirable qui semble223 surnaturel224.

206. Mk’wdr iq’o (l. 2) : le verbe est au passé, Georges le Reclus était donc mort quand ce
titre, qui n’est évidemment pas de l’hagiographe mais qui figure déjà dans S 353 (A), fut donné
au texte de la Lettre.
207. Berisaj (l. 3) : de beri, gevrwn, que je traduis par géronte pour le distinguer de moxuce-
buli, personne âgée, vieillard. Le géronte est ici l’hagiographe.
208. Mtac’midelisaj : de mtac’mideli, littéralement de la Sainte Montagne.
209. Ces quatre premières lignes sont une addition d’un copiste au texte de l’hagiographe.
210. Modzłuarsa (l. 9) : de modzłuari : celui qui marche devant, pasteur, par extension
maître, équivalant à didavskalo" ou rJabbiv (MOLITOR, 1, p. 217) ; ce terme désigne notamment
le père spirituel d’un moine.
211. C’inamdzłuarsa (l. 9) : de c’inamdzłuari. Le mot s’emploie aussi pour désigner l’higou-
mène d’un monastère.
212. Mołuacebaj (l. 13) : ascèse (de łuacli, combat), équivalent de a[qlhsi" (Hb 10, 32) et
ajgwvn (1 Tm 6, 12 ; 2 Tm 4, 7).
213. Allusion au ravissement d’Élie raconté dans 4 R 2 et notamment au v. 11. Ponctuation
différente de PEETERS, p. 752-3, qui met un point-virgule après « vers le ciel ».
214. Vinajtgan (l. 16) : puisque ou depuis que ; PEETERS, p. 753, traduit cette conjonction par
un cum + subjonctif, auquel il oppose plus loin un dum : Cum actio…, dum… (voir n. 217).
215. Hq’av (l. 16) : forme de l’aoriste de q’opa, au sens de faire (tu as fait), et non au sens
d’être (iq’av : tu fus, tu étais), comme PEETERS, p. 753 : Cum actio sit contemplationis
principium… ; voir n. 216.
216. Sakme (l. 16). Voir le rapprochement action (ou œuvre)-contemplation dans la louange
finale du § 100 [5], p. 117.
217. Šiši łmertiv-gonieri (l. 17), d’après AIK ; BCDEFGL : šiši łmertiv-šuēnieri ; d’où
PEETERS, p. 754-5 : acceptus ille Deo timor. Voir la traduction de ce passage dans
SARDSCHWELADSE, p. 1297 : « Weil du die Angelegenheit zum Beginn des Sehens und die durch
göttliche Klugheit bewirkte Angst zur Ursache der Furchtlosigkeit gemacht hast… ».
218. Dans l’édition (l. 17), ražams marquerait le début d’une nouvelle phrase, dont je ne vois
pas ce qui serait le verbe principal ; PEETERS, p. 755 : dum (voir n. 213).
219. Daq’udebisa (l. 17) : de daq’udebaj, vie solitaire, hésychasme ; PEETERS, p. 756 : assi-
duitate cellae.
220. Mxoloj mxolosa mas šeesak’utre (l. 18) ; šeesak’utre, de šesak’utreba : s’approprier
(SARDSCHWELADSE, p. 1367 : « zueigen, aneigen ») ; le verbe est à la 2e personne de l’aoriste ;
PEETERS, p. 756, en fait une 3e personne pour laquelle il propose un sujet : (mens tua)… sola sui
solius facta est compos…
221. Da : om. BCDEFGL.
222. PEETERS, p. 757-8, qui suppose toujours mens comme sujet (voir n. 219) : una cum pos-
sessione sui fontis quoque potita est omnium bonorum…
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 31

102 | (§ III) C’est pourquoi, dans une divinisante humilité225, tu nous as demandé de
nous livrer à cette œuvre si éminente et importante pour laquelle tu étais226 toi-même
plus compétent que nous227, misérables indignes qui nous trouvons encore228 dans la
fosse des passions, telle que la vit le grand Pachôme229, et qui cherchons des <êtres>
semblables à vous entre les mains de qui nous livrer, par qui « être tirés de la fosse de
20 la misère et de la fange du bourbier, <par qui> avoir les pieds affermis sur le roc des
vertus et notre marche dirigée sans trébucher sur les chemins qui mènent au ciel »,
comme le dit le grand David230. Et <il dit> encore ensuite : « Il a rempli notre bouche
d’hymnes pour que beaucoup voient la louange de notre Dieu »231.
Mais qu’est-ce que la louange de Dieu ? L’exaltation et la célébration de ses
25 saints, le récit écrit ou non de leur vie et de leur ascèse « afin qu’une autre génération
le connaisse et les fils qui vont naître se lèveront et leurs pères le raconteront à leurs
enfants »232.
(§ IV) Et, afin de ne pas rejeter le doux joug de l’obéissance, placé sur la nuque de
notre âme, de peur de tomber dans les crevasses et escarpements inaccessibles233 de la
30 désobéissance desquels il est impossible de sortir, nous nous empresserons de mettre
en œuvre ton ordre saint, avec l’aide de vos saintes prières. Et cependant, comme
nous l’avons dit, ô saint, non seulement tu n’ignores pas la vie de cet homme illustre,
de sa jeunesse jusqu’à sa vieillesse, mais tu l’as bien connu234 comme le grand
Antoine pour la vie du bienheureux Macaire qui fut son disciple bien-aimé et comme
35 l’exécutant de sa volonté235 et il fut le visible héritier de ses vertus et reçut de lui une
103 juste louange236. Et c’est aussi pourquoi | il n’[aurait pas été]237 indécent et inappro-

223. Sagonebeli (l. 20). ABULADZE, p. 353 avec renvoi à Sg 3, 2 : « Aux yeux des insensés ils
ont paru mourir ». PEETERS, p. 758 : praedite.
224. Éd., l. 20, d’après AIK : zešta bunebisa (qui se trouve déjà au début du §), littéralement
au-dessus de la nature. Dans BCDEFGL : zešta k’acebisa, d’où PEETERS, p. 758-9 : sapientia
praedite plus quam humana, sapientia étant une addition au texte.
225. Łmertmq’opeli (l. 1) : qui rend divin ; SARDSCHWELADSE, p. 1296 ; PEETERS, p. 759 : humi-
litas tibi divinitus indita.
226. Iq’av (l. 3) : tu étais ; on ne peut retenir PEETERS, p. 7511 : es.
227. Čuensa (l. 3), d’après AIK ; om. BCDEFGL et PEETERS, p. 7511 : multo magis idoneus.
228. C’ut (l. 4), d’après AIK : encore, pour le moment ; ce mot suit immédiatement le relatif ;
BCDEFGL : uc’q’it (vous savez) avec omission du passage qui commence en traduction à « qui
nous trouvons » et va jusqu’à « par qui » ; d’où PEETERS, p. 7511-12 : miseri et indigni quos nosti,
(qui) educti sumus nos de fossa aegritudinum…
229. On peut suggérer un rapprochement avec la fosse (lavkko") vue par Pachôme dans le
récit de l’une de ses tentations : voir HALKIN, Sancti Pachomi, § 18, p. 123-5 ; trad. FESTUGIÈRE,
Moines d’Orient, p. 168.
230. Ps 39 (40), 2.
231. Ibid., 4.
232. Ps 77 (78), 5-6 : « Il mit une loi en Israël qu’il ordonna à nos pères de faire connaître à
leurs enfants pour que la génération suivante la connaisse, les enfants à naître, et ils se lèveront
et raconteront à leurs enfants… ».
233. Ułałata (l. 18), de ułałi, qui signifie à la fois raide et inaccessible.
234. Mecnieri (l. 24) ; PEETERS, p. 7529 : eam perspectam habes.
235. Vitarca nebis-mq’opeli misi (l. 26). Au lieu de l’adjectif possessif misi, BCDEFGL :
švili (fils), d’où PEETERS, p. 7531 : utpote obsequentissimus filius.
236. Macaire l’Égyptien (né v. 300 et mort v. 390), disciple de saint Antoine et fondateur de
Scété. Le seul éloge de Macaire par Antoine que j’aie pu trouver est une courte phrase de
l’Apophtegme alphabétique, Macaire 4 : voir GUY, Apophtegmes, p. 169-170. Je ne connais pas
de texte plus long, équivalant à une véritable Vie.
237. Littéralement : il n’est pas ; le sens me paraît être celui d’un irréel du passé.
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32 BERNADETTE MARTIN-HISARD

prié pour toi d’imiter cet exemple, compte tenu de la similitude et de la ressemblance
de <cet homme> avec toi en matière de foi et d’espérance238.
(§ V) Et voilà qu’une seconde sainte lettre de toi est de nouveau parvenue à ma
40 misérable personne239, en ce qu’elle fut longtemps illuminée par lui et aimée par lui
d’un amour semblable à celui de Dieu et, pour mieux dire, qui se trouve avoir été là à
l’heure où il quitta ce monde et partit vers Dieu qu’il désirait et auquel il aspirait.
(§ VI) Et mon indignité a été encore pressée à ce sujet, comme par un fils aimant le
père ou, pour mieux dire, aimant le Christ, par le pieux archevêque Jean, je veux dire
45 le Č’q’ondideli240, frère du bienheureux Pierre241 patrice242, lorsqu’il vint comme légat
dans la Ville royale, envoyé par Bagrat’, roi des Apxazes et sébaste243, pour que nous
lui racontions sans rien omettre tous les détails de la mort et du départ de ce monde de
notre saint père.
(§ VII) Et enfin encore, jour après jour, d’autres pères et frères inspirés de Dieu me
50 pressent et m’interpellent pour que je mette par écrit non seulement le récit de sa
mort, mais celui de toute sa vie et de sa conduite.
(§ VIII) Mais plus que tout cela, tel le fer <qui fait jaillir> le feu, l’obéissance à
votre ordre a fait flamber dans mon esprit, semblable à une pierre, une ardeur divine
pour écrire la vie de cet homme illuminé de Dieu244 et <je voulais> aussi qu’elle ne
104 tombât pas dans l’oubli pour les générations futures successives, | comme les vies de
nombreux saints apparus dans notre peuple sont tombées dans les profondeurs de l’ou-
bli, faute d’avoir été écrites. Ce n’est pas que cela soit <aux saints> d’une quelconque
utilité puisqu’ils se tiennent, illuminés, devant Dieu ; mais <c’est> pour que les ailes
nous poussent jour après jour et que nous progressions dans l’imitation de leurs vertus
60 par l’évocation de leurs travaux245 et de leurs combats. C’est pourquoi, indigne que je
suis246, je me suis abandonné à votre ordre pour <lui> obéir. Mais je n’en suis pas
moins en plein désarroi et je ne sais que faire : si je me mets au travail avec candeur247,
je tombe dans la faute de la témérité et si je ne le fais pas, je redoute le châtiment de la
désobéissance, car il est dit248 : Ceux qui savent, parce qu’ils le tiennent de la lecture
65 ou de l’écoute de divins écrits ou parce qu’ils ont été des témoins oculaires et connais-
sent des vies et ascèses, utiles à l’âme et agréables à Dieu, qui furent menées par de
saints pères, il faut d’abord qu’ils mettent tout leur zèle possible à les imiter, qu’ils
rivalisent avec eux en vertus, qu’ils redressent le bégaiement de leur âme249, qu’ils

238. De même qu’Antoine a écrit la Vie de son disciple Macaire qui lui ressemblait, de
même Georges le Reclus aurait dû écrire lui-même la Vie de son disciple Georges qui lui res-
sembla. La version des manuscrits BCDEFGL, et donc de PEETERS, p. 7532-35, présente des
variantes qui n’altèrent pas fondamentalement le sens de ce passage.
239. Littéralement : à notre pauvreté.
240. C’est-à-dire le titulaire du siège de Č’q’ondidi, qui sert de métropole à l’ensemble de
l’Apxazeti ; voir plus haut, p. 27 et n. 192-195.
241. P’et’re (l. 13) : om. CDEFGL, d’où PEETERS, p. 763-4 : Iohannem… beati Patricii
fratrem.
242. Sur Jean et son frère Pierre, voir plus haut, p. 12-14.
243. Sur le roi Bagrat’, voir plus haut, p. 20-26 et n. 138.
244. BCDEFGL présentent pour cette phrase des variantes qui se retrouvent chez PEE-
TERS, p. 7613-15.
245. Šromata (l. 6) : de šromaj, peine, travail, labeur (ainsi 1 Co 3, 8).
246. Ułirsi ese (l. 8) : om. BCDEFGL et PEETERS, p. 7622.
247. Om. BCDEFGL et PEETERS, p. 7624.
248. Citation non identifiée dont je ne peux préciser ni le début ni la fin.
249. Enabrgunvili (ou brgvnilobaj dans BCDFG) igi sulisaj (l. 18-19) : bégaiement de l’âme
(suli) ; PEETERS, p. 7630 : linguae spiritalem balbutiem ; linguae est une addition au texte.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 33

deviennent totalement saints250 comme pour s’approcher de Dieu, qu’ils ouvrent


70 grand la bouche invisible à ce qui est visible, et alors elle se mettra à exalter et louer
les saints de Dieu, et non seulement ceux qui agiront ainsi seront utiles à eux-mêmes,
mais ils stimuleront aussi les auditeurs à imiter leurs vertus251. Mais ceux qui connais-
sent <ce qui est> un tel bienfait pour l’âme et ne veulent pas le raconter, mais l’im-
105 mergent dans les profondeurs de l’oubli, par paresse | ou retard, ou qui par quelque
75 jalousie ne mentionnent pas ce récit utile à l’âme, à ceux-là il sera dit ce que dit le
grand Basile : « Sagesse cachée et trésor invisible, qui en tire profit ? »252, et encore
« Ceux qui cachent un talent, ceux qui bouchent une source et ceux qui cachent un tré-
sor seront condamnés »253.
(§ IX) Telles sont les raisons qui me font parler. Elles me pressent et mon esprit, tel
80 un animal, est intérieurement piqué comme par un aiguillon et me pousse à parler. Car
si une célébration [imméritée]254 est punissable, il est répréhensible de ne pas parler
selon ses possibilités, comme dit Grégoire le Théologien : « Tout ce qui est fait à la
mesure du possible est agréé par Dieu »255.
(§ X) Et moi je vais commencer à parler, selon mes modestes moyens, et je
85 vais mettre par écrit, dans la mesure de mes possibilités256, simplement et briève-
ment, non seulement257 ce que j’ai entendu dire par d’autres, mais tout d’abord ce
que cette bouche sainte et véridique racontait sur son enfance et son adolescence
et que, pour mon profit, comme à un fils fidèle, il ne me cachait pas, et d’autre
part la suite258, <que j’ai> en partie vue de mes yeux <et qui m’a été> en partie
90 racontée par des hommes259 saints et dignes de foi afin de rassembler ainsi en un
seul ensemble un récit agréable et désirable et de l’envoyer, tressé et orné comme
une chaîne d’or, devant votre Sainteté sur ce Mont Admirable et désirable sur
lequel cet homme aimé de Dieu a soutenu peines et combats nombreux pour tra-
duire les saints livres. Et s’il s’y trouve quelque manque du fait de notre rédac-
95 tion, corrigez-le par la grâce du Saint-Esprit qui habite en vous, pour la glorifica-

250. C’mida ikmnen (l. 20) ; PEETERS, p. 7631-32, qui rapporte c’mida (saint) au mot lingua
ajouté à la traduction (voir n. précédente) : mundam faciant.
251. PEETERS, p. 7632-33 : atque os illud invisibile utilia suggeret iis ipsis qui sic agent, unaque
audientes ad (sanctorum) imitationem accendet. Cette traduction correspond au texte de
BCDEFGL qui comporte une longue lacune par rapport à AIK.
252. Il s’agit en fait d’une citation de Si 20, 30 et 41, 14, reprise par Basile dans les Homiliae
super Psalmos (CPG 2836) : PG 29, col. 436, et dans l’Enarratio in prophetam Isaiam
(CPG 2911) : PG 30, col. 415.
253. Citation non identifiée.
254. Éd., l. 10 : łirsebisaebr, mérité, ce qui ne donne aucun sens à la phrase ; je préfère donc
la leçon de FGL : ułirsebisaebr, immérité, indu. BCDEFGL contractent cette phrase et la sui-
vante, d’où PEETERS, p. 779-10 : Non enim peccatum est verba non fecisse ut par erat.
255. Citation non identifiée.
256. Raoden udzlo (l. 14) ; udzlo : de dzleba, pouvoir (ainsi Mt 22, 46 ; voir ABULADZE,
p. 525). PEETERS, p. 7713 : quantumvis imbecillus, mais raoden (dans la mesure où, autant que)
n’est pas vitarca et udzlo n’est pas udzalo.
257. Ara tu (l. 15) a ici le sens de non seulement (ara xolo tu) plutôt que non pas
(MOLITOR, 1, p. 6). PEETERS, p. 7714 : non quidem.
258. Xolo šemdgomi (l. 18) ; à cause de la conjonction xolo qui marque en général un chan-
gement de phrase, on peut, comme l’éditeur et PEETERS, p. 7718, faire commencer ici une nou-
velle phrase. Mais je pense que xolo sert ici à opposer les récits de jeunesse racontés par
Georges l’Hagiorite et ce que Georges le Petit a vu ou entendu dire sur la suite de sa vie.
259. BCDEFGL om. depuis romelime tualita (en partie vue) jusqu’à k’acta mier (par des
hommes), d’où PEETERS, p. 7718-19, avec additions : Reliqua vero a <viris> sanctis fideque dignis
narrata <subiunximus>.
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34 BERNADETTE MARTIN-HISARD

tion du Père, du Fils et du Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles


des siècles, amen.

106 | VIE ET CONDUITE DE NOTRE SAINT ET BIENHEUREUX PÈRE


GEORGES L’HAGIORITE260

100 (§ 1) « La mémoire des justes s’accomplit261 par des louanges262 », dit le sage
Salomon dans la louange des justes que, de manière prémonitoire, il annonçait par le
Saint-Esprit à propos des futurs saints qui parurent après la venue du Christ, apôtres,
évêques, martyrs et pères263 et tous les saints et justes grâce auxquels l’univers entier
fut rempli de la gloire de Dieu, comme dit le prophète : « La multitude des eaux cou-
105 vrira la face de toute la terre »264, et Isaïe dit encore avec admiration : « Qui sont ceux-
là qui, comme des nuées, viennent en volant ? »265. Il les appelle nuées parce qu’ils
ont renié leur corps, se sont élevés loin des œuvres matérielles266 et se sont unis aux
nuées rationnelles et intellectuelles267 sur lesquelles on verra le Seigneur lui-même,
assis, descendre de la même manière qu’il s’éleva loin des yeux de ses disciples268. Ce
110 sont ceux dont le grand Paul a dit : « Ceux qui sont du Christ ont crucifié leur corps
avec ses passions et ses désirs »269 ; c’est pourquoi ils ont porté du fruit spirituel. Le
Sauveur lui-même a dit encore à ses disciples de prendre la croix et de le suivre270.
Car il enseignait aux hommes de chair à devenir incorporels par la crucifixion de leur
corps lorsqu’il leur promettait qu’en renonçant à eux-mêmes et aux leurs ils rece-
115 vraient le centuple et qu’à la fin de cette vie il leur ferait don de la vie éternelle271 |
107 dont il a rendu amoureux ceux qui aiment la vertu et ceux qui cherchent le royaume et
ceux qu’illumine ici-bas la splendeur qui en émane. Un nouveau combattant272 qui
s’offre à notre louange est venu s’ajouter à leur nombre et vous n’ignorez pas ses
combats et ses travaux que certains d’entre vous ont vus de leurs yeux et dont d’autres
120 ont entendu parler ; et tous ensemble, que vous ayez été témoins oculaires ou audi-
teurs de ses travaux et des fruits de son esprit, contemplez-le comme s’il était là273.
(§ 2) Même si nous allons passer sous silence une partie de la multitude des
sublimes combats qu’il a assumés pour l’Église de Dieu, nous évoquerons toutefois
ceux dont l’évocation est sainte et profitable et invite aux vertus et aux combats,

260. On a distingué soigneusement, dans le cours de la traduction, les trois adjectifs c’mida
(saint, a{gio"), net’ari (bienheureux, makavrio") et łirsi (digne, o{sio", semnov").
261. Ałeslulebis (l. 4) est un permansif, non un futur ; PEETERS, p. 7731 : complebitur.
262. Pr 10, 7.
263. C’est-à-dire les moines.
264. Is 11, 9.
265. Is 60, 8.
266. BCDEFGL et PEETERS, p. 781 om. depuis prinvit movlen (viennent en volant) jusqu’à
nivtierta (matérielles).
267. Gonierta da sacnaurta (l. 4) ; le premier adjectif dérive de gonebaj, esprit, raison, le
second de cnobaj, connaissance, compréhension. PEETERS, p. 782 : rationalibus spiritualibusque
nubibus.
268. Voir Ac 1, 9.
269. Ga 5, 24.
270. Voir Mt 16, 24 ; Mc 8, 34 ; Lc 9, 22.
271. Voir Mt 19, 29 ; Mc 10, 29-30 ; Lc 18, 29-30.
272. Mołuac’ej (l. 4) : combattant ; voir łuac’li, p. 30 n. 212.
273. Xedevdit (l. 9) : impératif 2e pers. (MOLITOR, 1, p. 401 ; 2, p. 159) ; BCDEFGL :
xedvidit ; PEETERS, p. 7819-20 : omnes pariter… eum ipsum intueri vobis videmini.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 35

125 comme dit Grégoire le Théologien : « L’homme tend vers ce qu’il aime et ce qu’il
prêche »274. Et de même qu’accomplir tous les autres commandements est une obliga-
tion pour les hommes de bien, de même aussi, au moment de parler, <est-ce une obli-
gation> de dire et de louer les vertus des amis.
En effet la miséricorde de Dieu n’a cessé au cours des temps de susciter des
130 hommes dignes de lui pour réconforter notre genre <humain> infirme et chancelant275,
pour le fortifier et l’encourager, en sorte que, à la vue et l’ouïe de leurs vertus, nous
soyons poussés à rivaliser avec leur sainteté276 et à l’imiter, pour que, telle la jeunesse
de l’aigle277, nous rendions la jeunesse278 à la force intellectuelle279 de notre âme, pour
que nous soyons renouvelés comme la lune afin que nous avancions avec bonheur280
135 comme en plein jour dans la nuit de cette vie, que nous chassions de nos âmes absolu-
ment tout ce qui aime les ténèbres et qu’ainsi, progressant vers les vertus281, prêts à
l’ascension, nous attendions le dernier jour qui vient, resplendissant, comme l’aurore
du matin.
108 | (§ 3) Lorsque cet astre resplendissant de notre peuple, le grand Euthyme, s’est
140 levé pour nous illuminer, lumière et joie, gloire282 et couronne, porteur d’intelli-
gence283 et maître de sagesse pour notre folie284, lui qui a enlevé de nos esprits le voile
de l’ignorance, et comme un jour qui tient de Dieu sa lumière il a dissipé de notre
esprit la triste brume de la non compréhension285 et il a comblé les lacunes de notre
langue par l’ampleur et la hauteur des saints livres divinement traduits par lui. Et nous
145 qui étions appelés barbares par les Hellènes à cause de notre manque d’instruction et
de notre ignorance, il nous a mis au même rang qu’eux grâce à la sagesse que Dieu lui
donna286.
Et lorsque le saint eut quitté ce monde, qu’il fut parti vers Dieu et fut adjoint à la
splendeur des saints, son départ du monde ne fit pas disparaître notre joie en un clin

274. Citation non identifiée.


275. Daqsnilisa (l. 21) : de daqsnili, estropié, paralysé, chancelant, corrompu. PEETERS,
p. 7829 : infirmi ac soluti generis.
276. Łirsebisa (l. 23) : de łirsebaj, ce qui est digne, saint, honorable ; PEETERS, p. 7831 : excel-
lentiam.
277. Voir Is 40, 31 : « Ceux qui attendent Dieu changeront de force ; il leur poussera des
ailes comme des aigles ; ils courront et ne seront pas fatigués, ils marcheront et n’auront pas
faim » et Ps 102 (103), 5 : « Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle ».
278. Ganvač’abuk’ebdet (l. 25) : de č’abuk’obaj, jeunesse ; PEETERS, p. 7833 : in iuvenile
robur restituimus.
279. Sacnaursa (l. 24) : de sacnauri, intellectuel (voir n. 267), que PEETERS, p. 78 n. 1, pré-
fère corriger en sit’q’uieri, logikov", d’où rationales vires.
280. Šuenierad (l. 27) : honnêtement, dignement, honorablement ; PEETERS, p. 7835 : prospere.
281. Éd., l. 29 : satnoebata mimart ; BCDEF : satnoebata mier, d’où PEETERS, p. 7836 : per
virtutem.
282. Didebad (l. 2) : om. PEETERS, p. 793.
283. Goniermq’opelad (l. 3) : qui rend avisé, intelligent ; BCDEFGL add. : natesavisa čue-
nisa, d’où PEETERS, p. 793 : qui… auctor consilii esset gentis nostrae esset…
284. Ugunurebisa (l. 3-4) : de ugunurebaj, déraison, folie, inintelligence (SARDSHWELADSE,
p. 1156) ; PEETERS, p. 793 : inscitiam. SARDSCHWELADSE, p. 283-284, traduit ainsi ce passage :
« um unserem Unverstand klug und weise zu machen ».
285. Ugulisqmoebisaj (l. 6) : de ugulisqmoebaj (SARDSCHWELADSE, p. 1155) ; PEETERS,
p. 795-6 : insipientiae.
286. Dans sibrdznita twsita (l. 11), par sa propre sagesse, tws renvoie grammaticalement au
sujet qui est Euthyme. PEETERS, p. 910, comprend différemment : tradita nobis divinitus eorum
sapientia, c’est-à-dire par leur sagesse qui nous a été divinement donnée ; mais nobis est une
addition au texte et tws ne peut renvoyer aux Grecs.
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36 BERNADETTE MARTIN-HISARD

150 d’œil287. C’est que la providence de Dieu a voulu selon son habitude, comme elle le
fit souvent, que le rayonnement288 de ses grâces ne se répande pas seulement sur une
ou deux <personnes>, mais que, jour après jour, l’Église de Dieu croisse289 et se déve-
loppe et qu’elle progresse vers le plus haut, comme dit le prophète : « Et il adviendra
dans les derniers jours que je répandrai de mon Esprit sur toute chair et vos fils et vos
155 filles prophétiseront, et ils verront des visions et je me manifesterai par des rêves à
vos vieillards »290. Et l’apôtre cite encore dans le partage des grâces la compréhension
des langues comme un don divin et une part donnée par l’Esprit291, car « les dons de
Dieu sont sans repentance »292, répandus sur tous ceux qui font sa volonté, généreuse-
109 ment et largement, comme le grand293 Moïse | le dit à Josué : « Qui m’accordera que
160 tout ce peuple soit les prophètes du Seigneur ? »294. Car il connaissait la volonté de
Dieu et la généreuse dispensation de ses grâces.
C’est pourquoi, lorsque notre saint père, le grand Euthyme, eut quitté le monde,
comme nous venons de le dire295, après un certain nombre d’années, l’amour de Dieu
et la grâce de notre père ont suscité en son temps ce grand ouvrier296 de la grâce
165 divine, notre saint père Georges, qui est l’objet de notre propos et dont il nous appar-
tient maintenant297 d’écrire et de raconter <la vie> pour l’instruction et l’intelligence
des générations futures, tout comme ce bienheureux a écrit la vie du grand Euthyme
comme modèle et image de vertu pour les générations à venir298. Et, avec l’aide de
Dieu, nous non plus nous ne paresserons pas, mais nous raconterons chaque trait299 de
170 sa vie depuis sa naissance jusqu’à sa mort.
Que Dieu qu’il aima et qui l’aima soit avec nous ainsi que la prière du saint
père300 qui nous a enjoint d’entreprendre cela pour la gloire de Dieu, à qui est la
gloire, maintenant, toujours et dans l’éternité d’éternité, amen !

287. Mq’issa šina (l. 14) : à l’instant ; dans ganslvisa misisatws (l. 14) la postposition tws
signifie à cause de ; PEETERS, p. 7912-13 : non ipso temporis puncto quo mundum reliquit.
288. Šaravandedi (l. 17) : roi couronné, mais aussi couronne, auréole, rayon de lumière
(SARDSHWELADSE, p. 1318).
289. Ałordzndebodis (l. 18) : de ałordzineba, croître, grandir, progresser. PEETERS, p. 7916 :
laetificaret.
290. Jl 3, 28 (dans la Septante) : «… vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront
des rêves et vos jeunes gens auront des visions » ; ce texte est repris dans Ac 2, 17, qui voit se
réaliser cette prophétie dans le don des langues à la Pentecôte. PEETERS, p. 7919-20 (avec une
omission) : Prophetabunt filii vestri, et filiae vestrae visionem videbunt.
291. Voir Ac 2, 3-4.
292. Rm 11, 29 ; om. BCDEFGL et PEETERS, p. 7923.
293. Didi (l. 28) dans AIK ; om. BCDEFGL et PEETERS, p. 7924.
294. Nb 11, 29, où Moïse répond par cette exclamation à l’indignation de Josué lorsque
soixante-dix anciens se mettent à prophétiser. Texte un peu différent dans la Septante (« Qui
peut donner à tout le peuple de Seigneur d’être des prophètes, sinon Seigneur ? » (BA). PEETERS,
p. 7925 : Quis mihi tribuat ut eius modi sit propheta Dei ?, en raison de variantes de BCDEFGL
qui au lieu de q’oveli eri (l. 1, tout le peuple) a vitari (tel ; eius modi).
295. À la mort d’Euthyme en 1028, le futur Georges l’Hagiorite avait environ dix-huit ans.
296. Mušak’i (l. 7) : voir plus bas, § 5222 et n. 326.
297. C’inamdebare ars (l. 9) ; SARDSHWELADSE, p. 1533 : « vorliegend, künftig » ; PEETERS,
p. 801 : de quo… incipimus.
298. Sur la Vie de Jean et Euthyme écrite par Georges l’Hagiorite, voir plus bas, § 26.
299. Q’oveli saxe (l. 14) ; saxej a ici le sens d’aspect, façon, manière. PEETERS, p. 805 : insti-
tutum omne.
300. Georges le Reclus.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 37

1. Origine et formation de Georges

La famille de Georges

(§ 4) Notre saint père Georges était d’origine kartvélienne301 ; et parce que, dans le
175 mystère de la piété302, une seule patrie303 est à l’honneur, c’est-à-dire le paradis,
demeure de notre premier père304, et une seule cité, c’est-à-dire la Jérusalem céleste,
construite de pierres vivantes305, dont Dieu est le créateur et l’architecte, et une seule
famille, c’est-à-dire la parenté avec Dieu306, qu’aucun de vous ne pense pour autant
que nous n’avons rien d’honorable à raconter sur la patrie et les parents du saint307 et
110 que, en quelque sorte, | nous avons dissimulé de notre propre chef la vérité à cause de
faits blâmables.
Comme nous l’avons dit, le bienheureux était en effet d’origine kartvélienne, avec
comme provenance paternelle308 la pieuse région gardée de Dieu qu’on appelle le
Samcxe309 ; et lui-même était originaire de la région du Trialeti310, comme le fil des
185 événements vous l’apprendra. Or ses parents étaient pieux. Son père s’appelait
Jacques et sa mère Marie. Jacques fut l’un des fidèles et des hommes311 du pieux roi
Georges312. Il avait été envoyé en Perse par le roi313 comme légat dans une affaire de
confiance314 et, chemin faisant, par la volonté de Dieu, il fit étape dans le village et la
maison où demeuraient les parents de la mère du saint. Et quand Jacques vit leur vie
190 ordonnée et vertueuse et, disons mieux, la piété de leur esprit, tout leur mode de vie315
lui plut et il s’éprit de leur belle vie. Et ils avaient une fille unique, Marie, et personne

301. Natesavit (l. 20) ; natesavi (de tesva, semer), plusieurs fois répété dans ce §, désigne la
parenté, l’origine familiale, la lignée, la famille ; PEETERS, p. 8010, traduit ici par natio. Je préfère
ici Kartvélien à Géorgien, car le texte précise plus loin que la famille de Georges et lui-même
proviennent de régions du Kartli.
302. Łmrtis-msaxurebisa saidumlosa šina (l. 21) ; saidumloj : mystère ; łmertis-msaxurebaj :
piété, eujsevbeia. Voir 1 Tm 3, 16 : « Grand est le mystère de la piété… » ; PEETERS, p. 8011 : in mystico
Dei obsequio.
303. Mamuli (l. 22) : patrie ; de même (l. 27), mamulisagan.
304. BCDEFGL om. « une patrie est à l’honneur, c’est-à-dire » et remplacent p’irvelisa
(l. 22, premier) par c’midisa (saint) ; d’où PEETERS, p. 8011 : quoniam in mystico Dei obsequio
unicum sancti patris nostri domicilium fuit paradisus…
305. 1 P 2, 5.
306. Twsebaj (l. 26) : lien de parenté, de proximité ; voir aussi § 15382. PEETERS, p. 8014-15 :
necessitudo cum Deo.
307. BCDEFGL om. « sur la patrie et la famille du saint » ; d’où PEETERS, p. 8015-16 : ne…
quis vestrum existimet nobis deesse quod de nobili patris nostri prosapia referamus.
308. Mamis-mameulad (l. 3) ; PEETERS, p. 8019 : avito genere.
309. Dans le Kartli du sud-ouest ; voir plus haut, p. 19 et n. 111.
310. Région d’origine de sa mère, à l’est du Samcxe ; voir plus haut, p. 19 et n. 113.
311. Ertgultagani da sak’utarta (l. 8-9) ; ertguli : fidèle, loyal ; sak’utari (formé sur la racine
k’utn qui désigne la propriété, ce qui appartient) : proche, qui appartient en propre, homme (au
sens féodal du terme) ; PEETERS, p. 8023 : ex intimis familiaribusque. Voir, plus bas (§ 9289-290),
l’expression ertgul msaxur da sak’utar mona.
312. Jacques étant encore vivant en 1035 (voir § 14), il s’agit de Georges Ier (1014-1028), roi
des Apxazes et des Kartvéliens.
313. Il s’agit ici de Gurgen (994-1008), roi des Kartvéliens et père de Bagrat’ III : voir plus
bas, p. 125.
314. Saertgulojsa (l. 10). Plutôt que d’une improbable légation en Perse sous le roi Gurgen,
il peut s’agir d’un épisode des relations avec l’émir shaddâdide de Ganja, al-Fadl (985-1031) :
voir plus bas, p. 125.
315. Gangebaj (l. 16). BCDEFGL et PEETERS, p. 8029, om. « de leur esprit… lui plut ».
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38 BERNADETTE MARTIN-HISARD

ne l’avait demandée en mariage par amour bien que beaucoup aient demandé à la
prendre chez eux comme épouse. Et quand Jacques vit la beauté de son allure, son
comportement sage et tranquille, son allure316 réservée, il dit à ses parents : « Gardez
195 bien votre enfant pour moi afin que je l’épouse si je reviens sain et sauf et je vivrai
avec vous définitivement »317. Et il poursuivit ainsi sa route et par la volonté de Dieu
il remporta un succès et il revint sain et sauf et le roi le félicita grandement.
Et il revint ainsi auprès des susdits parents de la jeune fille et il l’épousa d’un
111 mariage légitime et saint, | comme dit l’apôtre : « Saint est le mariage, sans souillure
200 le lit nuptial »318. Et ainsi Dieu les bénit comme le grand Jacob et Rachel319 ; car il les
honora, avec la prospérité matérielle, d’une descendance puisqu’ils eurent trois fils et
trois filles320.
(§ 5) Et les bienheureux époux prirent la belle décision d’offrir à Dieu leur premier
fruit. Et il leur fut donné comme premier fruit une fille qu’ils appelèrent Thècle en l’ho-
205 norant du nom de la première martyre321. Et lorsqu’elle eut sept ans, ils l’offrirent à Dieu
comme ils l’avaient promis et ils la conduisirent dans le Samcxe au monastère féminin
appelé T’adzari322, et ils la confièrent aux mains de l’higoumène du monastère qui s’ap-
pelait Sabaia323, une digne et sainte femme qui la reçut324 comme sa propre enfant et
l’éleva comme il fallait. Ils eurent encore un autre enfant, un garçon, qu’ils appelèrent
210 Théodore. Et de nouveau ces bons parents promirent, s’il leur naissait un autre garçon,
de l’offrir lui aussi à Dieu, car il convient d’« offrir un bélier »325.
Et une nuit, alors que Marie dormait, seule, un être resplendissant et magnifique
lui apparut qui lui dit : « Voici que tu vas enfanter un garçon, un bélier élu de Dieu.
Offre-le à celui à qui tu l’as promis et donne-lui le nom de Georges ». Et lorsqu’elle se
215 réveilla, la femme raconta tout à son mari avec crainte et joie et ensemble tous deux
se tinrent debout et ils rendirent grâces à Dieu en pleurant, et ils attendirent la pro-
messe divine.
112 | Voyez donc, ô fidèles, comme ce nom donné à l’enfant, la nuit, dans une appari-
tion, annonçait une chose claire et évidente. Car celui qui portait à la mère de l’enfant
220 la bonne nouvelle lui faisait connaître à l’avance <son> œuvre divine et spirituelle et
il prédisait les sillons de l’Église qu’il labourerait et il annonçait le grenier des
croyants que remplirait le froment de la piété, car en grec Georges signifie ouvrier326.
Mais revenons à notre propos initial.

316. Saxej (l. 20) : manière d’être, aspect extérieur, allure, visage.
317. Sruliad (l. 24) : complètement, jusqu’au bout ; PEETERS, p. 812-3 : in perpetuum.
318. Hb 13, 4.
319. Voir Gn 30, 22.
320. Le texte ne nomme qu’une fille (Thècle) et deux fils (Théodore et Georges), mais une
autre fille est évoquée au § 671398.
321. Sainte Thècle d’Iconium ou de Séleucie, vénérée comme protomartyre.
322. Monastère inconnu, même de MENABDE, Foyers. On ne peut retenir la localisation de
PEETERS, p. 81 n. 2, sur le bord de la rivière Kcia, c’est-à-dire dans le Trialeti ; voir plus bas § 7
n. 338.
323. Sabaia (AIK ; éd., l. 12), Sabiana (CD), Sabiane (E), Sabana (FG), Sabania (L), mais
jamais Sabina comme dans PEETERS, p. 8119.
324. Šeic’q’nara (l. 13) : de šec’q’nareba, accueillir ; PEETERS, p. 8120 : dilexit.
325. Voir Ps 28 (29), 1.
326. Mušak’ad (l. 7) : de mušak’i, travailleur, ouvrier (déjà au § 3164) ; ce terme géorgien,
employé dans Mt 9, 37-38, pour désigner les ouvriers de la moisson, correspond à ejrgavth" plu-
tôt qu’à gewrgov" ; PEETERS, p. 824, a choisi de traduire par agricola qui correspond évidemment
mieux à gewrgov".
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 39

Naissance et premières années

(§ 6)327 Au bout d’un certain nombre de jours le don que Dieu leur avait promis
225 naquit328. Et il grandissait tout à la fois en âge spirituel et en âge corporel et il était
oint de la grâce du Saint-Esprit et il fut rempli dès sa jeunesse de la crainte et de
l’amour de Dieu et, comme il est écrit, « Jour et nuit, sa volonté était dans la loi du
Seigneur et il méditait sa loi jour et nuit »329. C’est pourquoi il devint « comme un
arbre planté sur le cours » des livres divins et « en sa saison il porta du fruit »330, bon
230 et digne des célestes greniers.
Et lorsqu’il eut sept ans331, ses parents accomplirent leur promesse et l’offrirent à
Dieu, auprès de sa sœur, dans le monastère de T’adzari dont on a déjà parlé et ils
louaient Dieu qui leur avait envoyé ce beau fruit.
Et comme il n’avait pas été privé332 des soins de ses parents dans sa jeunesse, tout
235 comme une bonne pousse annonce aux paysans au cours de sa croissance les épa-
nouissements à venir – comme dit David : « Le juste poussera comme un palmier et,
113 tel un cèdre du Liban, il grandira ; planté dans la maison de Dieu, | il poussera
dans les parvis de la maison de notre Dieu »333 –, de même, tel une jeune et belle
plante, il fut élevé dans ce monastère et il fut instruit des divines Écritures334 par sa
240 digne femme de sœur et il laissait présager à l’avance le fruit qu’il allait porter. Car la
pénétration et la rapidité de son esprit laissaient penser à ceux qui le voyaient que, dès
la floraison, il produirait du fruit immédiatement. Car, ainsi qu’il est écrit au sujet de
Moïse, « dès son enfance, l’enfant de Dieu fut vif »335.
Quand il fut resté trois ans dans ce monastère, il atteignit l’âge de dix ans336, mais
245 son esprit le faisait paraître chenu et vieux, à l’admiration de ceux qui le voyaient et
l’entendaient.
(§ 7) Et je veux vous montrer la protection et l’assistance de Dieu pour le saint
enfant dès son enfance337. En effet, alors qu’il était encore chez ses parents338, et
comme c’est l’habitude des enfants de sortir dans les champs pour jouer et se divertir,
250 l’Adversaire de notre race qui hait le bien, le diable malin, voyait le saint enfant gran-
dir pour fouler aux pieds sa puissance et il craignait que sa malice ne fût totalement
confondue par lui. C’est pourquoi il se mit à l’attaquer dès son enfance. Et le saint lui-
même nous fit ce récit :
« Alors que je me trouvais sur les bords du grand fleuve qui s’appelle Kcia339, je
255 vis sur l’autre rive un enfant vêtu de couleur feu et il m’appelle : “Rejoins-moi340 et

327. Sur la chronologie des § qui suivent, voir plus bas, p. 123-124.
328. En 1009 ou 1010 ; par commodité on peut retenir 1010.
329. Ps 1, 2.
330. Ibid., 3.
331. En 1017.
332. La phrase n’a aucun sens si l’on n’ajoute pas une négation, absente du texte géorgien ;
de même PEETERS, p. 8218-19 : quoniam… non caruerat.
333. Ps 91 (92), 13-14.
334. Je comprends qu’il fait aussi l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans la Bible.
335. Ac 7, 20, où mk’wrcxli (l. 8), vif, remplace ajstei'o", agréable.
336. Vers 1020.
337. Voir plus bas, § 1002120-2121, l’évocation du miracle qui va être raconté.
338. Phrase absente dans BCDEFGL et dans PEETERS, p. 8234, ce qui conduit ce dernier à sup-
poser que l’histoire a lieu alors que Georges était à T’adzari et à placer T’adzari sur le Kcia men-
tionné quelques lignes plus bas (voir § 5 n. 322). En fait le petit Georges est alors dans le Trialeti.
339. Dans le Trialeti.
340. Moved (l. 25), où la particule mo- indique un mouvement vers celui qui parle ; PEETERS,
p. 838 : huc transi.
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40 BERNADETTE MARTIN-HISARD

nous jouerons !” Et comme je m’avançais, un bel enfant vêtu de blanc me saisit par la
manche341 et me dit : “Reste ici avec moi, car je suis ton meilleur ami” ».
114 Et il est clair que, sur l’autre rive du fleuve, | revêtu du feu éternel, c’était le
diable malin qui projetait de faire périr l’enfant dans les eaux, tandis que, vêtu de
260 blanc, c’était l’ange que Dieu lui affecta dès son enfance pour le garder, comme dit
David : « L’ange du Seigneur campe autour de ceux qui le craignent et le Seigneur les
délivrera »342. Et Basile le Grand atteste également : « Un ange est donné à tout
croyant pour protéger sa vie »343.
(§ 8) Et une autre fois, à l’époque où le saint était encore dans le monastère dont
265 on a parlé344, par la jalousie du diable le feu éclata dans le monastère et se propagea
partout. Et le bienheureux enfant dormait profondément et celui qui était apparu vêtu
de blanc vint de nouveau ; il le réveilla et le prit par la main et il le conduisit indemne
à travers le feu. Et il y avait à proximité du monastère une chapelle345, à un stade envi-
ron ; l’ange l’y conduisit et se déroba à sa vue. Ce miracle n’est pas, selon moi, moins
270 grand que le miracle des trois enfants346.
Mais je vais poursuivre le cours de mes propos.
J’ai terminé ici le récit de son éducation dans le Samcxe et je vais maintenant me
déplacer en esprit pour vous raconter, succinctement et brièvement, tout ce qui
concerne son arrivée et son instruction à Xaxuli347 et, pour tout dire348, son illumina-
275 tion, comme le Seigneur m’en donnera la force, car <Xaxuli> fut pour lui la cause de
tout bien, comme dit Grégoire le Théologien à propos d’Athènes : « Elle est devenue
pour moi la cité d’or »349. Et bien que cette comparaison s’oppose à la comparaison350,
que l’homme intelligent l’entende au spirituel.

Initiation monastique à Xaxuli

(§ 9) Le bienheureux avait deux oncles paternels à Xaxuli, tous deux plus âgés
115 que son père, des hommes théophores et remplis | de la grâce divine351. L’aîné qui
avait été le chef des secrétaires du curopalate352 s’appelait Georges le Secrétaire ; le

341. Momek’idis saqelsa (l. 26) ; de mok’ideba : saisir et saqeli : manche ; dans BCDEFGL :
au lieu de saqelsa, qelta, de qeli, main ; PEETERS, p. 8310 : manu me prohibuit…
342. Ps 33 (34), 7.
343. Voir Enarratio in prophetam Isaiam (CPG 2911), VIII, 207 : éd. PG 30, col. 476 ; et
Sermones "de moribus" a Symeone Metaphrasta collecti (CPG 2908), Sermo VII, De peccato,
§ 2 : éd. PG 32, col. 1197.
344. Ce second miracle a lieu au monastère de T’adzari.
345. Egut’eri (l. 14-15) : eujkthvrion, lieu de prière. ABULADZE, p. 146 ; absent de
SARDSCHWELADSE.
346. Allusion à Dn 3 et à l’histoire des enfants dans la fournaise.
347. Monastère du T’ao (act. Turquie) fondé par le curopalate David le Grand ; plan du
monastère : MÉPISACHVILI, TSINTSADZÉ, Art, p. 114 ; VELMANS, Miroir, p. 243 et 271. On connaît
les noms de copistes du 11e siècle : MENABDE, Foyers, I, p. 454-458.
348. Vtkua tu sruliad (l. 21), où l’adverbe participe de l’expression (voir plus haut, n. 317) ;
PEETERS, p. 8331, rapporte l’adverbe à ce qui suit et traduit : et (quomodo…), ut ita [qui est une
addition] dicam, perfecte illuminatus sit.
349. Voir, dans Orationes XLV (CPG 3010), l’Or. XLIII, in laudem Basilii Magni, § 14 : éd.
GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 42-43. Introduction, texte critique, traduction et notes par
J. BERNARDI (SC 384), Paris 1992, p. 146-148.
350. Ce texte d’AIK (éd. l. 25-26) est peu clair, d’où une autre version dans CDEFGL et
PEETERS, p. 841-2 : « Bien qu’il ait dit cela d’Athènes… ».
351. Sur les oncles de Georges, voir plus bas, p. 125-126.
352. David le Grand († 1001).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 41

second, un homme juste et pur353, s’appelait Saba. Ils s’étaient établis à Xaxuli pour
unir les deux vies, car, outre les richesses d’une conduite divine354, ils avaient aussi
d’abondantes richesses matérielles. Quand les deux dignes gérontes connurent la qua-
285 lité355 du jeune Georges et sa crainte de Dieu, ils s’empressèrent de demander à leur
frère Jacques de leur amener sans tarder le jeune Georges. Quand il apprit cela, il se
hâta d’exécuter leur demande et il envoya son fils à Xaxuli356. Il le confia d’abord à la
très sainte Mère de Dieu dont <Georges> devait être le ministre fidèle et l’homme
lige357, puis il le confia à ses frères et revint chez lui, joyeux.
290 Quand les bienheureux virent l’intelligence et la paix de sa façon d’être, son com-
portement dénué de trouble et d’agitation, ils se réjouirent d’une grande joie et ils
louaient Dieu, car ils voyaient un enfant paré de vieillesse, un jeune homme orné d’un
âge avancé, comme dit Basile le Grand : « Ce sont cheveux blancs pour l’homme que
sagesse et intelligence358 et ce n’est pas la blancheur des cheveux qui sert à quelque
295 chose »359. Et nous avons encore appris à propos de Daniel et de Jérémie que le pre-
mier fut le juge des anciens360 et que le second, consacré dès le sein maternel, prophé-
tisait361.
(§ 10) Et, comme nous le disions, quand les bons vieillards virent leur neveu ainsi
orné, ils le conduisirent au père Macaire qui, en raison de ses mérites, était alors
300 higoumène de la grande laure362. Quand il le vit, il éprouva une grande joie et le serra
dans ses bras comme son fils, il le bénit de la bénédiction d’Abraham363, lui donna
116 une part de l’eulogie de l’église et | l’appela fils de son âme. Et ils le conduisirent de
même chez le grand Basile fils de Bagrat’ et ils le lui donnèrent pour qu’il reçoive sa
bénédiction, lui qui était alors le maître et l’illuminateur de notre pays364. Et de même,
305 le théophore Antoine, préposé au luminaire365, se réjouit à sa vue et le bénit de toutes
les bénédictions ; et ainsi ils lui obtinrent la bénédiction de tous les pères ; puis ils le
ramenèrent chez eux366.
(§ 11) Alors les divins vieillards, ayant pris conseil des pères dont on vient de par-
ler, décidèrent de confier avant tout leur fils à un homme inspiré de Dieu, à un bon
310 pasteur, qui le ferait grandir en âge spirituel, l’abreuverait du lait des enseignements

353. Umank’oj (l. 3) : innocent, pur.


354. Mokalakobaj (l. 5) est l’équivalent de politeiva, notamment dans le titre des hagiogra-
phies ; PEETERS, p. 18410 : cum piorum operum divitiis.
355. Sik’ete (l. 7) : la qualité de ce qui est bon.
356. En 1020.
357. Ertgul msaxur da sak’utar mona (l. 12). Sur ertguli et sak’utari, voir plus haut, § 4
n. 311 ; la présence du qualificatif sak’utari à côté de mona (esclave, domestique) me conduit à
garder le registre féodal et à traduire l’ensemble par homme lige. PEETERS, p. 8417-18 : servus fide-
lis et famulus addictissimus. L’église de Xaxuli est dédiée à la Mère de Dieu ; voir plus bas,
n. 1658.
358. Voir Sg 4, 8.
359. Voir Enarratio in prophetam Isaiam (CPG 2911), III, 104 : éd. PG 30, col. 285 ; et
Sermones "de moribus" a Symeone Metaphrasta collecti (CPG 2908), Sermo XXIV, De honore
parentibus exhibendo ac de senectute atque juventute, § 3 : éd. PG 32, col. 1380.
360. Voir l’histoire du jugement de Suzanne dans Dn 13, notamment v. 50.
361. Jr 1, 5.
362. On retrouvera Macaire, toujours higoumène de Xaxuli, en 1035 (voir plus bas, n. 405) ;
il n’est pas autrement attesté.
363. Voir Gn 22, 15-18.
364. Sur ce moine, qui était le beau-frère de Phersès, voir plus bas, p. 121-122.
365. Mnat’eman (l. 5) ; om. CDEFGL et PEETERS, p. 8512. Antoine n’est pas autrement connu.
366. Les deux frères, tout comme Hilarion cité plus loin, devaient vivre hors du monastère,
dans un ermitage où ils pouvaient admettre à demeure un jeune garçon.
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42 BERNADETTE MARTIN-HISARD

divins et le ferait progresser dans la perfection des vertus. Et qui d’autre auraient-ils
pu trouver qui fût réputé plus élevé dans les vertus et les enseignements divins que le
grand Hilarion Tualoeli367, lequel à cette époque brillait comme l’étoile du matin368
dans l’assemblée des pères et dont on ne peut exposer maintenant les vertus et les
315 ascèses369 ? Ils confièrent leur fils à ce bienheureux et le prièrent de le faire progresser
dans la vie monastique.
Et le saint l’accueillit comme un bon fils confié par Dieu et il commença à l’en-
traîner à une vie réglée370 et à la vertu. Et il progressa ainsi par la volonté de Dieu et,
telle une bonne plante plantée près du cours371 des enseignements372 inspirés de Dieu,
320 il grandissait de jour en jour. Et il reçut aussi des enseignements ecclésiastiques et
sacerdotaux373 dans lesquels il progressa plus que tous ceux de son âge. Il apprit aussi
par cœur rapidement toutes les hymnes de l’année374 et les mélodies des hymnes375.
117 | Quant à la lecture des livres divins, qu’est-il besoin d’en parler376 ? Il y déploya

367. Tualoeli : de tuali, source ; le monastère des Sources se trouvait sur la Montagne Noire
et possédait une bibliothèque où travailla Éphrem le Petit : K’EK’ELIDZE, Histoire, p. 102, 214-
215 ; TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 156, 188-189 ; MENABDE, Foyers, II, p. 160 ; DJOBADZE,
Materials, p. 105-107 ; Catal. S, II, 1961, p. 137 (manuscrit S 1276, 4, rem. 1). Hilarion devait
être alors à Xaxuli.
368. Mtiebi (l. 16).
369. Ce moine Hilarion n’est pas autrement connu.
370. C’esierebisa (l. 21) ; c’esierebaj : bon ordre, vie réglée ; PEETERS, p. 863-4 : modestia ; je
comprends plutôt qu’il s’agit d’un premier apprentissage de la vie monastique.
371. Voir Ps 1, 3.
372. Sc’avlata (l. 21) : de sc’avlaj, doctrine, enseignement, instruction, science ; BCDEFGL :
c’eriltasa, d’où PEETERS, p. 865-6 : prope fontem litterarum Dei spiritualium.
373. À côté d’une formation monastique « baignée » par les saintes Écritures, il reçoit une
formation en vue du service de l’Église dans le clergé.
374. Sagalobelni sac’elic’doni (l. 27). PEETERS, p. 868 : hymnos anniversarios. Les différents
textes non bibliques (hymnes, tropaires, stichères) chantés au cours de la liturgie sont alors ceux
de l’Hymnaire ou Tropologion de Jérusalem, traduit en géorgien sous le nom de Iadgari (éd.
MET’REVELI, Iadgari ; résumé dans MET’REVELI, OUTTIER, Contribution) ; voir WADE, Iadgari ;
MET’REVELI, Manuscrits ; voir aussi l’introduction de RENOUX, Hymnes ; contexte dans MARTIN-
HISARD, Liturgie. Plus tard, cet Hymnaire palestinien sera remplacé par les trois livres litur-
giques constantinopolitains (Triodion, Pentecostaire et Octoèque) traduits par Georges dans sa
période antiochienne (§ 44939-941 et n. 716-718) et enseignés par lui à des orphelins géorgiens
(§ 70) envoyés ensuite à Iviron (§ 81-82).
375. Šec’q’obilebani igi galobatani (l. 27-28) ; šec’q’obilebaj : mélodie ; SARDSHWELADSE,
p. 1403, propose cette traduction : « die Gesänge des Jahres und sämtliche Melodien der
Gesänge ». PEETERS, p. 868 : cantica ritualia. Georges acquiert ainsi la formation liturgique et
musicale qui lui permet d’être canonarque (§ 12 et n. 384) et qui sera précieuse quand il devien-
dra ecclésiarque d’Iviron (§ 23 et n. 500, § 24) et introduira le rite de Constantinople.
376. Il s’agit ici de l’initiation à l’office de lecteur : le jeune Georges s’initie probablement à
ce que l’on appelle le Lectionnaire qui doit être encore celui de Jérusalem, traduit en géorgien
avec des additions (notamment pour les saints proprement géorgiens) : voir K’EK’ELIDZE,
Canonaire ; TARCHNIŠVILI, Lectionnaire, et l’introduction de RENOUX, Lectionnaire. Le livre
indique les lectures de la Bible et les psaumes à réciter pour chaque jour et fête fixe ou mobile
de l’année liturgique, en précisant leur incipit et leur explicit, sans donner le texte lui-même ; il
indique aussi des chants. La première partie du Lectionnaire va de la Nativité au 7e dimanche
après la Pentecôte et combine Propre du temps et Sanctoral, la seconde partie, du 1er avril au 23
décembre, est essentiellement un Sanctoral. Des manuscrits montrent que ce Lectionnaire géor-
gien, parfois suivi de recueils de péricopes, circulait toujours au 10e siècle. Il sera remplacé à
Iviron par le Typikon de Constantinople, traduit par Georges sous le nom de Synaxaire (voir
§ 24551-552 et n. 504) et complété par les trois recueils de péricopes (Évangéliaire, Apostolos et
Prophètologion) (§ 24558-560 et n. 509-511).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 43

beaucoup de peine et s’y exerça au-delà de ses forces sans accorder à ses yeux ni som-
325 meil ni le moindre assoupissement377. Et il ne concédait aucun repos à son corps. Il
reçut ce qu’il comprit alors des Écritures comme un gage378 des choses à venir et ainsi
il posséda par cœur tous les divins textes de l’Ancienne et de la Nouvelle Loi, ceux du
moins qu’il trouva dans notre langue379.

Apprentissage du grec et de la culture grecque

(§ 12) Mais, puisque tu désires en entendre beaucoup, apprends qui lui enseigna la
330 science grecque380 ou qui nous constitua ce trésor inépuisable : Peris fils de
Džodžik’381, mari de la sœur de Basile fils de Bagrat’382. Pourquoi mentionner la sœur
de Basile ? C’est parce que le saint avait l’habitude de dire : « Cette digne femme
n’était pas inférieure en piété à son frère, le bienheureux Basile ». Peris et son épouse
formèrent la belle résolution de chercher un homme de Dieu pour instruire leur belle
335 âme383, pour les retenir du désordre et être constamment présent auprès d’eux. Tous
deux firent des recherches à ce sujet et ils acquirent la certitude qu’ils ne trouveraient
personne de plus sage que Georges le Secrétaire. C’est pourquoi, à force de grandes
supplications et d’instantes prières, ils emmenèrent Georges le Secrétaire et s’en remi-
rent à lui pour toutes leurs affaires spirituelles et matérielles. Et Georges emmena
340 avec lui son bienheureux neveu, le jeune Georges ; en effet il lui était fort utile pour
remplir par cœur l’office de canonarque et de lecteur384 et pour le servir, car il était
vieux. Et quand ces bons époux le virent, ils en eurent grande joie et la divine385
femme le considéra comme son fils.
(§ 13) Ils menèrent longtemps une vie belle et agréable à Dieu. Mais, après cela,
118 en raison de la colère | du roi Basile, Peris fut décapité sous l’accusation de révolte386.
Et ainsi, par ordre royal, la digne femme fut emmenée avec ses gens à

377. Da hrulsa c’amta twsta (l. 4) ; hruli désigne un sommeil bref, un court assoupissement ;
c’ami : clin d’œil, minute, instant. Littéralement : ni d’assoupissement à ses clins d’œil. Om.
BCDEFGL et PEETERS, p. 8612.
378. C’indi (l. 6) : arrhes, acompte, gage, caution ; PEETERS, p. 8614-15 : velut anticipationem.
379. Tous les livres de la Bible n’avaient pas été traduits en géorgien.
380. Sc’avlaj (l. 11) : discipline, science. Cette première initiation au grec va permettre à
Georges de profiter ensuite pleinement de ses années constantinopolitaines et d’y apprécier les
innovations liturgiques en cours : TAFT, Rite ; POTT, Réforme ; MARTIN-HISARD, Liturgie.
381. Phersès des sources byzantines : voir plus bas, p. 120-122.
382. Dis-sidzej (l. 12) : mari de la sœur.
383. Dans l’expression sulisa matisa k’etilisa masc’avlelad (l. 11), k’etilisa (de k’etili, bon)
est l’épithète, normalement postposée, de sulisa et au même cas que lui ; PEETERS, p. 8627 : qui
animas suas optime moderaretur.
384. Lecteurs et canonarques sont souvent des enfants. Le lecteur est principalement chargé
des lectures liturgiques (à l’exception de celles de l’évangéliaire) ; le canonarque exécute des
chants et des leçons, mais il tire son nom du fait qu’il lit à haute voix et en premier les vers des
tropaires que les chantres exécutent ensuite sans livre ; CLUGNET, p. 74, compare le canonarque à
une sorte de souffleur. Le canonarque peut aussi remplacer un chantre ; il était donc important
que Georges ait appris textes et mélodies par cœur (§ 11). CDEFGL ainsi que PEETERS, p. 872,
om. « et de lecteur et pour le servir ».
385. Sałmrtoman (l. 6) ; de sałmrto : divin, de Dieu ; PEETERS, p. 864 : religiosissima.
386. Sur la participation de Phersès à la révolte de Nicéphore Phocas et de Nicéphore
Xiphias contre Basile II au printemps 1022 et sur son exécution après août 1022, voir plus bas,
p. 122.
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44 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Constantinople387 où ils restèrent douze ans388. Et pendant qu’ils y étaient, l’oncle de


l’admirable enfant et, pour mieux dire, la divine femme confièrent le soin d’instruire
le petit Georges à des philosophes et des rhéteurs389 ornés en les deux vies, non pas
350 des laïcs, mais des moines craignant Dieu à qui tous rendaient témoignage390. Ainsi
pendant douze ans, il unit ardeur totale et zèle391 complet au point qu’il surpassait
ceux dont l’acuité d’esprit et l’ardeur étaient depuis longtemps éprouvés et il l’em-
porta en acuité d’esprit sur les ardents et les zélés et il devança en chaque domaine
ceux qui excellaient dans ces deux domaines392 au point que les jeunes Grecs admi-
355 raient grandement une telle ardeur et acuité d’esprit. Ils enviaient son zèle et étaient
poussés à l’imiter autant qu’ils le pouvaient393.
(§ 14) Et pendant les douze ans, comme je l’ai dit, qu’il passa à ces études, il
accueillit, telle une bonne terre394, la semence de l’instruction dans les sillons de son
âme, semence qui en son temps devait fructifier pour combler l’âme des affamés et
360 enrichir l’Église de Dieu395.
Après cela, sur un ordre royal396, la divine femme retourna dans ses domaines397 à
T’varc’at’api398 et elle emmena avec elle le jeune Georges ainsi que son oncle. Et <ce
dernier> apprit que la mère <du jeune homme> était morte, mais que son père était
119 encore en vie | et Georges <le Secrétaire>, son frère, l’emmena avec lui à
365 T’varc’at’api et ils y demeurèrent ensemble. Quant au jeune Georges il s’en alla à
Xaxuli auprès de son oncle Saba.

387. L’épouse de Phersès a dû être envoyée à Constantinople à la fin de l’année 1022 ou au


début de l’année 1023.
388. De 1022/1023 à 1034, soit entre 12 et 24 ans. Georges a dû se montrer avare de confi-
dences, car l’hagiographe est très imprécis sur ces années qui coïncident avec la fin du règne de
Basile II, le règne de Constantin VIII et surtout le règne de Romain III Argyre. Il se trouvait
dans la capitale pendant les trois ans (1022/1023-1025) où le jeune Bagrat’ fut retenu en otage,
au moment de la mort d’Euthyme l’Hagiorite dans la capitale le 13 mai 1028 et encore en 1031
lors de l’ambassade de la reine Marie et du catholicos Melchisédech auprès de Romain Argyre,
qui scella le rapprochement des Géorgiens avec l’Empire. Son séjour coïncida aussi avec la crise
que traversait Iviron depuis 1029 et à laquelle la maison de Phersès n’était pas étrangère (voir
plus bas, p. 132-133) ; elle n’était pas terminée lorsqu’il rentra en Géorgie en 1034.
389. Georges suit ainsi le trivium normal, philosophie, rhétorique et sans doute grammaire.
390. On ne peut identifier ces professeurs ; ce sont peut-être ceux qui ont formé Jean
Mauropous (que Georges rencontra ?) et qui formeront Michel Psellos, de huit ans plus jeune
que Georges : voir LEMERLE, Gouvernement, p. 198-199, et la récente synthèse de FLUSIN,
Enseignement, p. 361-362.
391. Ardeur : mosc’rapebaj (l. 11, ainsi que l. 12) ; de même ardent : mosc’rape (l. 14) ;
PEETERS, p. 8716 : discendi studium. Zèle : guls-modginebaj (l. 11 et 17) et zélé : guls-modgine (l.
14).
392. Je pense qu’il faut comprendre au spirituel et au profane.
393. Georges a dû notamment parfaire sa connaissance du grec qu’il parlait plus tard fort
bien aux dires des moines de Saint-Syméon et du patriarche Théodose d’Antioche (§ 48 et 50),
ce qui lui permit d’être un excellent traducteur.
394. Voir la parabole du semeur dans Mt 13, notamment v. 8.
395. On peut penser que Georges, durant ces longues années à Constantinople, découvrit
aussi les transformations de la liturgie byzantine qu’il devait plus tard importer à Iviron : TAFT,
Rite et Mount Athos.
396. En 1034, soit à l’extrême fin du règne de Romain Argyre, soit sous l’empereur Michel
IV (avril 1034-1041).
397. P’rast’inta (l. 24) : de p’rast’ini, proavsteion ; voir aussi § 31 n. 596.
398. T’varc’at’api (l. 25) : toponyme non identifié auquel les manuscrits donnent diverses
formes : T’uarc’at’abi, T’varc’api, T’avarc’oiat’abi…
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 45

Consécration monastique

Et lorsqu’il eut vingt-cinq ans399, il courba la nuque sous le doux joug de la vie
monastique, car, bien qu’il fût moine depuis son enfance, il n’avait pas encore reçu la
bénédiction de la vie monastique400. Comme son maître spirituel qui l’avait instruit
370 dans les combats de la vie monastique, le grand Hilarion401, était encore en vie, c’est
de ses mains qu’il reçut la bénédiction de la vie monastique402, lui qui fut son premier
maître et la cause de tout bien.

Fuite vers Jérusalem

(§ 15) Après cela, par une impulsion céleste, il fut saisi d’un désir d’incognito, de
pauvreté, d’éloignement des siens et de ceux qui le connaissaient et, pour dire plus, du
375 désir d’adorer les lieux saints et vivifiants où le Verbe du Père venu pour nous sauver
accomplit tout le plan403 de notre salut. Et le plan de Dieu était aussi dans cette action,
lui qui sait tout à l’avance et qui voit les choses à venir comme si elles étaient du
passé. De même qu’il commença par conduire Moïse loin des siens lorsqu’il le prépa-
rait à être son prophète et qu’il ordonna à Abraham de quitter son pays quand il établit
380 la promesse avec lui, de même est-il écrit à propos de nombreux saints : quand ils
veulent s’approcher de Dieu, ils commencent par s’éloigner des leurs et de leurs amis
et ils trouvent ensuite la véritable parenté et la familiarité avec Dieu404.
Ainsi que je l’ai dit de ce saint, il fut saisi d’un désir d’incognito et d’éloignement
des siens ; il recourut à la fuite à l’insu de tous ses amis et connaissances et il partit
385 vers Jérusalem. Et quand le père Macaire405 et tous les gérontes théophores l’appri-
rent, ils furent très affligés et ils envoyèrent de tous côtés des gens pour le chercher
120 | et l’arrêter et ils gardèrent toutes les routes. Alors, quand il comprit qu’ils allaient
l’arrêter, il utilisa une ruse divine, comme le grand Athanase406, et il donna son propre
vêtement qui était très bon à un pauvre dont il endossa les haillons et il rencontra un
390 aveugle que son guide avait abandonné, il le prit pour le guider et poursuivit sa route.
Il échappa ainsi à ceux qui faisaient obstacle à sa bonne route, car bien qu’ils aient agi
par affection, ce [n’aurait cependant pas été]407 une bonne chose pour les œuvres
futures408.
(§ 16) Et le saint lui-même racontait409 : « Nous passions la nuit dans un endroit
395 isolé, dans les forêts. Et il y eut des éclairs et du tonnerre, un temps épouvantable et, à
sept reprises, pendant la nuit, le diable jeta l’aveugle à terre ; il écumait et grinçait des

399. C’est-à-dire en 1035, peu après son retour.


400. Georges était jusqu’alors un novice ou rasophore.
401. Voir § 11.
402. Il reçoit alors le petit habit, devenant ainsi moine microschème ; voir plus bas, § 18.
403. Gangebulebaj (l. 16), qui se retrouve quelques mots plus loin : providence, économie.
404. Č’ešmarit’i twsebaj da zraxvaj łmrtisaj (l. 25) ; sur twsebaj : voir § 4178 et n. 305 ;
da (et) : om. BCDEFGL, d’où PEETERS, p. 8825-26 : veram cognationem suam, divinum (inquam)
consilium. La phrase est au permansif ; s’il s’agit d’une citation, je ne l’identifie pas.
405. Higoumène de Xaxuli depuis déjà quinze ans au moins (voir § 10299).
406. De 356 à 361, Athanase d’Alexandrie échappa à ceux qui le traquaient sans que l’on
connaisse les détails de sa fuite dans le désert d’Égypte. En 356 il avait hérité de la tunique et du
vieux manteau de saint Antoine, peut-être s’en servit-il pour se cacher.
407. L’indicatif imparfait du texte me semble avoir le sens d’un irréel du passé.
408. PEETERS, p. 8911 : hoc tamen iis officiebat quae futura erant.
409. Sur le miracle qui suit, voir aussi § 1002083-2085.
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46 BERNADETTE MARTIN-HISARD

dents410, il vociférait et moi, je priais ». Voyez donc comme, l’âme impavide et l’es-
prit vaillant, il ne tremblait pas, mais il implora Dieu toute la nuit pour la guérison <de
l’aveugle>, jusqu’à ce que l’esprit mauvais se soit éloigné de l’homme ; et il le
400 conduisit parfaitement indemne dans un monastère où l’homme guéri voulait
<aller>411, et il louait Dieu de l’avoir délivré de cet esprit impur.
Il poursuivit ainsi sa route, seul, dans de multiples peines et combats, car il frap-
pait et maltraitait son corps, comme dit l’apôtre : « Je traite durement mon corps et je
le tiens assujetti afin de ne pas prêcher aux autres et d’être moi-même disqualifié »412.
405 Ainsi agissait le saint : il était vêtu d’un tissu grossier413 et il allait son difficile
chemin414, nu-pieds et nu-tête, sans vin ni laitages415, car il prenait du pain et de l’eau
une seule fois par jour.

Auprès de Georges le Reclus

(§ 17) Et, orné de telles peines et ascèses, il arriva à la Montagne Noire416, puis il
121 monta sur le Mont Admirable, vénéra et embrassa le sépulcre417 du saint et | thauma-
410 turge Syméon et de sa digne mère, la bienheureuse Marthe, et il visita tous les monas-
tères418 et salua les saints pères et reçut la prière de tous. Mais, avant toutes choses, il
commença par chercher un guide et un maître spirituel, car il savait que sans maître il
n’y a pas de salut pour l’âme ni de progrès dans la vie monastique419. Et il trouva sur
le Mont Admirable, dans le creux des rochers420, un saint géronte reclus, telle une
415 pure tourterelle et une innocente colombe, un homme du ciel, un ange de la terre,
entièrement détaché421 et éloigné du corps et des soucis corporels, et transporté vers
Dieu en esprit, je veux dire Georges l’Hésychaste422, le grand luminaire de notre

410. Voir Mc 9, 18.


411. Gank’urnebulsa mas (l. 17) : de gank’urnebuli, guéri (voir Jn 5, 10), au datif en tant que
sujet de eneba (il voulait). On ne peut retenir PEETERS, p. 8910 : in quo curari volebat.
412. 1 Co 9, 27.
413. Dzadzaj (l. 23) : toile de sac, tissu grossier, vêtement de deuil. PEETERS, p. 8926 : cilicio.
414. Ic’roj (l. 23) : étroit, resserré, difficile, ainsi dans Mt 7, 13 : « Entrez par la porte
étroite ».
415. Uc’ueloj (l. 24, d’après AIK) : de c’uelaj, lait caillé ; SARDSHWELADSE, p. 1547 :
« Melchen, Milcherzeugnis ». BCDEFGL : uc’q’alo ou uc’q’lo : sans eau ; d’où PEETERS,
p. 8927-28 : vino et aqua abstinens ; l’abstinence d’eau qui serait bien surprenante est démentie
par la fin de la phrase.
416. Sans doute en 1036.
417. Larnak’sa (l. 29) : de larnak’i, tombeau, sépulcre. TCHOUBINOF, p. 258, le fait dériver de
lavrnax, urne, reliquaire. Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une tombe individuelle, mais du
monument qui abritait les deux cercueils de Syméon et de Marthe et qui se trouvait dans l’église
située au sud de l’église absidiale. Voir plus bas, p. 127-128.
418. Voir plus bas, p. 128-129.
419. En l’absence de trêve avec les Fatimides la situation en Syrie peut aussi expliquer que
Georges ait différé son projet primitif d’aller à Jérusalem : voir plus bas, p. 126-127.
420. Sur cette expression, voir Hb 11, 38. Sur la localisation probable de l’ermitage :
DJOBADZE, Materials, p. 89-90 ; LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 43-44 et fig. 24 (pl. X).
L’ermitage du Reclus se trouvait vraisemblablement, parmi d’autres ermitages, à 1, 2 km au sud
du monastère de Saint-Syméon dans une falaise verticale, quasi inaccessible, sur la rive gauche
de l’Oronte ; il y a là une grotte particulièrement importante, aménagée sur deux étages reliés
par un escalier, la partie inférieure servant d’habitat du moine, la partie supérieure de chapelle
(Lafontaine-Dosogne) plutôt que de scriptorium (Djobadze).
421. Littéralement : étranger, ucxoj (l. 10).
422. Daq’udebuli (l. 12), c’est-à-dire Georges le Reclus.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 47

peuple423, homme recherché de tous, celui qui pressa l’incapable que je suis d’écrire
ceci424. Le bienheureux se fit son disciple, comme autrefois le bienheureux Jean sur le
420 Mont Sinaï <le fut> du grand Martyrios425. Et quand <le Reclus> vit la qualité de son
âme et réalisa le talent enfoui en lui426, il se réjouit d’une grande joie et comprit spiri-
tuellement ce qui devait advenir427 ; car le saint géronte souhaitait que la miséricorde
de Dieu suscitât encore au sein de notre peuple un homme qui finît de combler les
lacunes de notre langue428, laissées par notre saint père Euthyme ; et, par la volonté de
425 Dieu, il trouva celui qu’il cherchait et il rendit grâces à Dieu qui, par l’intercession de
la sainte Mère de Dieu, ne méprise jamais notre pauvreté.
(§ 18) Et <Georges> s’installa à Saint-Romana429 et il y resta trois ans dans de
grandes peines et ascèses, dans le jeûne et la veille, et surtout dans l’humilité et
l’obéissance qui servent d’ailes au moine pour monter vers Dieu ; car il se mettait au
122 service de tous les infirmes ; et ainsi | orné de toutes les vertus, il atteignit trente ans
d’âge corporel430, mais il était spirituellement chenu et vieux. Et quand le bienheureux
géronte, Georges le Reclus, son maître, le vit pleinement accompli en âge, mais aussi
en sagesse et raison, il lui donna la bénédiction de l’habit et il paracheva ainsi l’ascèse
de la vie monastique en la couronnant de l’habit431 ; et il l’envoya ensuite à
435 Jérusalem432.
Voyez donc la bienveillance433 du Seigneur qui s’est fait homme pour nous et qui
n’a pas jugé indigne que son serviteur fidèle lui ressemblât ; car de même qu’il fut
baptisé à l’âge corporel de trente ans, de même il jugea son serviteur digne de recevoir
au même âge le second baptême qu’est la grâce du saint habit et de monter ensuite à
440 la Jérusalem visible pour être transporté en esprit vers l’invisible Jérusalem du ciel.
Et lorsque le bienheureux arriva dans la Ville sainte, il visita tous les lieux saints
et vénérables, l’âme pleine d’élan et l’esprit fervent434. Il était sans cesse baigné de

423. Voir § 3139, le même jugement sur Euthyme.


424. Sur Georges le Reclus, voir plus haut, p. 11-12.
425. Voir la Narratio (BHG 883), qui suit, dans les éditions, la Vie de Jean Climaque par
Daniel de Raithu (BHG 882), où l’on apprend que Jean Climaque fut le disciple de Martyrios
qui lui donna la tonsure monastique (éd. PG 88, col. 608) ; TREVISAN, Giovanni, p. 19-23.
426. Daundžebuli (l. 17), de daundžeba, amasser (Mt 6, 19), thésauriser, entreposer (Lc 12,
19) ; PEETERS, p. 9013 : reconditum. La suite du texte montre qu’il s’agit du talent de la traduction
(fin du § 18 ; de même § 38).
427. Raj igi (l. 18-19) ; raj a le simple sens du neutre tiv. On ne peut suivre PEETERS, p. 9012 :
qualis iste futurus esset.
428. Thème du § 3.
429. DJOBADZE, Materials, p. 42-47, 94-96 ; LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 51-53 ;
MENABDE, Foyers, II, p. 157-158 et p. 363 n. 43 ; TODT, Region, p. 928-929. Monastère qui se
trouvait non loin de Saint-Syméon et dont l’église était dédiée à la Mère de Dieu ; Georges s’y
établit sans doute peu après le moment où Jean et son oncle David Džibisdze, venus de Šat’berd,
y édifièrent une église du Bois de Vie (DJOBADZE, Investigations, p. 117-145) : voir le colophon
de H 2211, un Synaxaire dans la traduction de Georges, copié par Jean Džibisdze (Catal. H, V,
p. 100-102 ; DJOBADZE, Materials, p. 45).
430. En 1040.
431. Il s’agit du grand habit qui fait de Georges un mégaloschème ; voir plus haut § 14. DE
MEESTER, § 18, p. 102-108. Au lieu de « il le bénit par l’habit » (voir éd., l. 5), PEETERS, p. 9029-30,
comme BCDEFGL : schemate sacro eum induit.
432. Ce serait en 1040.
433. Saxierebaj (l. 8) : bienveillance, bonté (Ga 5, 22). PEETERS, p. 9032 : benevolam provi-
dentiam.
434. Certains de ces lieux étaient peut-être déjà tenus par des Géorgiens, comme le Golgotha
ou la grotte de Bethléem, comme c’était le cas lorsque Éphrem le Petit rédigea sa Notice : plus
bas, p. 160 ; MARTIN-HISARD, Église.
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48 BERNADETTE MARTIN-HISARD

larmes en évoquant la Passion que le Seigneur souffrit en ces lieux saints pour notre
salut, et c’était dans son esprit comme s’il le voyait en personne devant ses yeux. Et il
445 demeura un peu de temps à vivre ainsi et ensuite, par la providence de Dieu, il revint
auprès de son maître ; et, comme il était ainsi parfait en tout, celui-ci lui mit entre les
mains le talent divin qui est la traduction des livres divins du grec en géorgien435.

Envoi sur la Sainte Montagne

(§ 19) Et le bienheureux refusait et il disait ainsi : « Cela m’est impossible, cela


appartient à des hommes remplis de Dieu436, tels que le fut notre saint père
123 | Euthyme ». Et le géronte lui disait : « Fils, celle qui a sauvé le saint de la mort et lui a
fait comprendre la langue géorgienne, celle-là est capable de t’aider toi aussi, car elle
est très miséricordieuse et elle aime notre peuple437. Nous supplierons le saint père
Euthyme lui-même de t’aider <et> tu compléteras par sa grâce ce qu’il a laissé d’in-
achevé, comme Paul pour le Christ »438.
455 Et il le convainquit à grand-peine par de telles pressions et il l’envoya sur la
Sainte Montagne, muni de la grâce de saint Syméon et de Marthe et il l’offrit à notre
saint père Euthyme, tel un disciple sûr, un fils fidèle et un présent à la mesure de sa
sainteté439, afin que là où la source des eaux de la sagesse avait jailli pour irriguer
notre peuple, cet homme de Dieu puise440 là aussi les nectars de l’intelligence et
460 enivre à profusion l’ensemble de nos églises.
Car comme dit le prophète Isaïe : « La loi sort de Sion et la parole de Dieu juge441
depuis Jérusalem »442. Et de même, bien que nous ayons possédé nous aussi depuis le
début les Écritures et une foi véridique et juste, notre pays cependant était loin de la
terre de Grèce et, telles des graines443 malsaines, les mauvaises graines des Arméniens
465 avaient été semées parmi nous444, perverses et perfides, et cela nous faisait grand tort,
car notre peuple était innocent et pur445. Et eux, sous prétexte de bon ordre446, s’effor-

435. Voir Mt 25, 14-30.


436. Esevitarta ganłmrtobilta k’acta (l. 28-29). PEETERS, p. 9117-18 : (viris) sanctis Deumque
timentibus ; il n’y a pas de raison de mettre viris (qui traduit k’acta) entre parenthèses, et il y a
dans le texte un seul adjectif ganłmrtobili qui signifie littéralement : divinisé (SARDSCHWELADSE,
p. 223 : « vergöttert, gereinigt, bekehrt »).
437. Allusion au miracle par lequel la Vierge guérit le petit Euthyme d’une maladie mortelle
et lui apprit le géorgien (Vie de Jean et Euthyme, § 23) : voir plus bas, p. 146-147.
438. Allusion à Col 1, 24 : « Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du
Christ ».
439. Šemsgavsebuli (l. 11) : conforme, semblable (SARDSCHWELADSE, p. 1354 : « ähnlich,
angeglichen ») ; BCDEFGL : šemzadebuli, préparé (ibid., p. 1342 : « bereitet »), d’où PEETERS,
p. 9130 : munus sua sanctitate comparatum.
440. Ałmoivsnes (l. 14) : de ałmovseba ; SARDSHWELADSE, p. 57 : « schöpfen, füllen, herausho-
len ».
441. Šdžides ou sdžhides (l. 18) : de dža ou sdža, punir, juger, qui représente une addition au
texte de Is 2, 3. PEETERS, p. 8635 : procedet.
442. Sur cette phrase d’Isaïe appliquée au monastère d’Iviron : Vie de Jean et Euthyme, §
457-58 ; MARTIN-HISARD, Jean et Euthyme, p. 82-83.
443. Teslni (l. 21) : graines ; łuardzlni (mauvaises herbes) dans BCDEFGL, d’où PEETERS,
p. 921 : lolia.
444. Šoris čuensa (l. 22) : parmi nous ; BCDEFGL : kueq’anasa čuensa, dans notre pays,
d’où PEETERS, p. 921 : in ea <terra>.
445. Umank’oj (l. 24) : sans tache, candide, ajkevraio". PEETERS, p. 923-4 : incorruptus.
446. C’esierebisajta (l. 25), de c’esierebaj, a le sens de tavxi". PEETERS, p. 924 : decorum
consilium praetendentes.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 49

çaient de manière spécieuse447 de nous égarer nous aussi448 et nous avions aussi plu-
sieurs livres qu’ils avaient traduits. À cause de cela, la miséricorde de Dieu regarda
124 notre peuple et nous suscita un nouveau Chrysostome, | notre saint père Euthyme449, et,
470 comme un treizième apôtre, il purifia totalement notre pays des mauvaises herbes
signalées plus haut par les nombreuses traductions de saints écrits, comme nous
l’avons déjà dit au début de notre propos, et il nous laissa par écrit l’ensemble des
règles et canons de l’Église450 qui affermissent notre foi451, lesquels se sont répandus
depuis la Sainte Montagne et la laure divinement fondée, tels des torrents de vie depuis
475 le fleuve de l’Éden, sur la surface de notre pays et de notre peuple. Or, comme nous
l’avons dit plus haut452, <la traduction de> nos écrits n’était pas terminée à la mort de
notre père453 ; c’est pourquoi la bonté de Dieu nous a encore gratifiés d’un Josué après
Moïse454, d’un Éléazar après Aaron455, d’un Élisée après Élie456, d’un Timothée après
Paul457, et, comme eux, le bienheureux père Georges paracheva <ce qui avait été> la
480 volonté de son prédécesseur458 et il paracheva tout ce qu’il avait laissé inachevé.

2. Les années athonites

Une personne ordinaire

(§ 20) Mais revenons à notre propos initial. Le saint, muni de la prière de son
maître, se mit en route dans les mêmes ascèses que précédemment, et même de beau-
coup plus rudes encore. Et il arriva à un grand fleuve459 ; or il était seul ; et comme il
descendait dans le fleuve, il ne put le traverser à cause de son importance, car il était
485 en crue460. Alors il vit sur l’autre rive un beau jeune homme, monté sur un cheval

447. Dans tous les manuscrits : reca (l. 25) : apparemment, de manière spécieuse
(SARDSCHWELADSE, p. 963 : « scheinbar »).
448. Comme le propose PEETERS, p. 92 n. 5, je remplace le second reca de la l. 25 par čuenca
(nous aussi).
449. Vie de Jean et Euthyme, § 24540-541 et n. 84. Plus loin, § 571188 et n. 857, c’est Georges
qui est ainsi appelé.
450. C’esni da k’anonni ek’lesiisani (l. 4-5) d’après AIK ; BCDEFGL : saek’lesiano (ecclé-
siastiques). PEETERS, p. 9211-12 : Recensere non vacat (libros) rituales, canones ecclesiasticos,
fidei nostri adminicula omnia…
451. Pour MET’REVELI, Normes, p. 213, il s’agit du Typikon composé et mis par écrit par
Euthyme pour Iviron ; il faut admettre alors, d’après le § 26, que la trace écrite de ce Typikon
était perdue puisque Georges fit une enquête à ce sujet. Je pense que l’hagiographe, selon lequel
ces textes se sont répandus dans tout le monde géorgien, vise plutôt ici les traductions litur-
giques et canoniques d’Euthyme, peu nombreuses et complétées par Georges.
452. § 17422-424.
453. En 1028.
454. Jos 1, 1-9.
455. Nb 20, 22-29.
456. 4 R 2, 1-25 ; voir plus bas, § 28.
457. Voir 1 Tm 1, 18 ; 2 Tm 1, 6.
458. Srul q’o nebaj modzłurisa twsisaj (l. 15), littéralement : il acheva la volonté de son pré-
décesseur ; BCDEFGL sans verbe : nak’lulevanebaj modzłurisa twsisaj, les lacunes de son pré-
décesseur, d’où PEETERS, p. 9219-20 : deficienti antecessori suo <succedens>. Modzłuari a son
sens premier de celui qui marche devant (voir plus haut, n. 210).
459. Didi (l. 20) : grand ; le fleuve est en crue : voir n. 460.
460. Rametu didrooda (l. 22), où didrova signifie être en crue ; BCDEFGL : rametu didro
iq’o, que PEETERS, p. 9226, ne rend pas : prae magnitudine eius.
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50 BERNADETTE MARTIN-HISARD

blanc, qui lui dit : « Viens, n’aie pas peur ! », et il lui saisit la main et le fit traverser
sain et sauf de l’autre côté, puis il disparut. Et le saint lui-même disait : « J’ai compris
avec certitude que l’apparition qui m’avait sauvé de la mort dans les eaux était le
célèbre archimartyr Georges »461.
125 | (§ 21) Et ainsi, par la volonté de Dieu, il arriva sain et sauf sur la Sainte
Montagne462 ; il se prosterna devant la sainte Mère de Dieu463 et rendit grâces ; puis il
embrassa avec ferveur le tombeau de notre saint père Euthyme464. Et les frères l’ac-
cueillirent avec joie, le firent se reposer, le traitèrent avec grand honneur et remerciè-
rent Dieu de l’avoir guidé jusque-là465.
495 Et le bienheureux vivait dans le monastère466, dans une ascèse surnaturelle, dans le
jeûne et la prière, l’humilité et la paix, l’obéissance et la patience, et surtout dans un
grand mépris de lui-même ; en effet tous le prirent, pendant un certain temps467, pour
une personne ordinaire et sans instruction468, car il se livra au service et à l’obéissance
des frères. Pendant sept ans469, il remplit avec humilité des tâches jugées méprisables
500 et il était sans cesse en pleurs et tête baissée ; car il regardait toujours par terre avec
ses yeux de chair, mais invisiblement les yeux de son âme contemplaient sans cesse
l’invisible gloire de Dieu – ce qui n’est pas donné à grand monde et ce que beaucoup
jugent difficile –, en sorte que, sauf cas de force majeure, personne ne pouvait voir ses
yeux et il pratiqua cela, tout naturellement, depuis sa jeunesse et jusqu’à sa mort.
505 (§ 22) En effet, à l’époque où nous étions en Orient470, le pieux roi Bagrat’ voulut
un jour mettre à l’épreuve le bienheureux vieillard et il dit à ses princes471 : « Voulez-
vous que je vous montre quelque chose d’admirable et de tout à fait incroyable472 ?
126 Quand473 Georges l’Hagiorite entrera devant nous, | remarquez tous que, jusqu’à son
départ, il ne nous aura pas regardés et qu’il n’aura pas cherché à voir notre visage ».
510 Et il ordonna à ses assistants474 de faire venir le géronte ; et quand il pénétra dans la
tente475 royale, tous les grands476 se levèrent et déclarèrent au géronte qu’ils étaient
ses nouveaux477 disciples. Et quand il se fut assis, le roi commença à s’entretenir avec

461. Sur ce miracle de saint Georges : MARTIN-HISARD, Saint Georges, p. 128-129.


462. En 1040.
463. L’église principale du monastère des Ibères est consacrée à la Mère de Dieu.
464. Le tombeau se trouvait alors dans l’église du Prodrome : voir plus bas, § 27614-615 et
n. 540.
465. Mun (l. 6) : là ; om. BCDEFL et PEETERS, p. 9338.
466. BCDEFGL et PEETERS, p. 9238, om. « et vivait dans le monastère ».
467. Vidre žam ravdenme (l. 10-11) ; sur cette expression (PEETERS, p. 933 : aliquamdiu), voir
n. 469.
468. Lit’oni (l. 11) : simple, ordinaire (SARDSCHWELADSE, p. 592 : « einfach, gewöhnlich »).
PEETERS, p. 933 : rudis. Usc’avleli (l. 11) : sans instruction.
469. Dans tous les manuscrits : šwdsa (l. 13), de šwdi, sept. C’est là une précision qui semble
contredire l’expression de la n. 467, d’où ce commentaire de PEETERS, p. 92 n. 1 : Numerus caute
accipiendus. Il peut cependant s’expliquer : voir plus bas, p. 151 et n. 1500.
470. C’est-à-dire au Kartli (voir plus haut, p. 19 et n. 116), en 1059-1065.
471. Mtavarta (l. 24) : de mtavari.
472. Éd., l. 25-26, d’après AIK ; BCDEFGL et PEETERS, p. 9317 : om. « et de tout à fait
incroyable ».
473. Odes (l. 26) : om. BCDEFGL et PEETERS, p. 9318.
474. C’inašemdgomelta (l. 3) ; c’inašemdgomeli : celui qui se tient devant, serviteur ;
PEETERS, p. 9319-20 : apparitoribus.
475. K’aravsa (l. 4) : de k’aravi, tente.
476. Didebulni (l. 4) ; PEETERS, p. 9322-23 : proceres.
477. Umet’esni (l. 5) : en surnombre, ajoutés ; PEETERS, p. 9323 : addictissimos.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 51

lui de multiples sujets utiles à l’âme et de même <firent> les évêques et les princes
qui étaient assis478. Et le bienheureux répondait à chacun personnellement et il les
515 abreuvait d’enseignements spirituels et il regardait par terre. Et ils passèrent ainsi la
journée jusqu’à la sixième heure. Et comme le géronte prenait congé pour s’en aller,
le roi lui dit : « Père, fais-moi l’amitié de regarder qui je suis ». Et le géronte le
regarda fugitivement comme avec un sourire et lui dit : « Ô roi, voici que je vois ta
face comme la face du Christ, toi qui es en tout un serviteur de Dieu et que Dieu
520 garde »479.
Nous avons rapporté cela à son sujet pour que vous sachiez que ce n’est pas seule-
ment dans sa jeunesse qu’il ne regardait pas le visage des autres, mais aussi à un âge
avancé480 et dans sa vieillesse.
Mais revenons à notre propos précédent.

L’ecclésiarque

L’intervention de Georges le Reclus


525 (§ 23) Et tandis que le saint menait dans cette grande laure cette vie481 et ascèse482
dont nous avons parlé plus haut, le bienheureux géronte Georges, son maître, apprit
qu’il n’avait pas encore reçu la dignité du sacerdoce ni commencé à traduire de textes.
Il se mit très en colère et dépêcha depuis la Montagne Noire son disciple, un digne
homme de bien, nommé Jean483, pour lui faire part de son grand mécontentement
127 parce qu’il n’avait pas exécuté son ordre. | Mais le saint n’agissait pas ainsi par déso-
béissance, mais parce qu’il se tenait pour nul et sans valeur, car il se souvenait de la
parole du Seigneur : « Celui qui s’élève sera abaissé »484. Et les pères disent aussi :
« La mère de toutes les passions est la vaine gloire »485.
Et le saint n’accepta pas de son plein gré, mais pressé par l’ordre de son maître.
535 Alors, avec beaucoup de larmes et de soupirs, avec respect et crainte, il reçut la
dignité du sacerdoce. Il ne fut pas comme beaucoup <le sont> maintenant <qui> se
font consacrer par d’autres486 avant de s’être eux-mêmes sanctifiés et qui se précipi-
tent vers le sacerdoce comme vers une chose banale, sans importance, et qui guident
les vieillards avant que leur barbe n’ait poussé, comme dit Grégoire le Théologien487.

478. Msxdomareta (l. 8) ; om. BCDEFGL et PEETERS, p. 9317-18.


479. Łmrtivdacvul (l. 15-16) : gardé de Dieu ; SARDSHWELADSE, p. 1297. PEETERS, p. 9333 :
eumque revearis.
480. BCDEFGL et PEETERS, p. 9334, om. « à un âge avancé ».
481. Cxorebita (l. 22) ; BCDEFGL : šeuracxebita, d’où PEETERS, p. 942 : contemptioni.
482. BCDEFGL add. picxeli ; d’où PEETERS, p. 942 : arduoque labori.
483. Iovane (l. 26) d’après AIK ; t–e dans BCDEFL, Tevdore dans G et PEETERS, p. 946 :
Theodorum.
484. Mt 23, 12 ; Lc 18, 14. BCDEFGL et PEETERS, p. 9410, intervertissent les verbes.
485. Voir GUY, Apophtegmes. Collection systématique, IV, ap. 873, p. 228.
486. Sxuata (l. 9-10) : d’autres. BCDEFGL : sit’q’wta, par la parole ; d’où PEETERS, p. 9417 :
verbo consecrantur.
487. Tout ce paragraphe s’inspire du Discours 2 (Apologetica) de Grégoire de Nazianze :
GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 1-3. Introduction, texte critique, traduction et notes par
J. BERNARDI (SC 247), Paris 1978 ; voir CPG 3010 (Orationes XLV) ; dans ce traité sur la gran-
deur du sacerdoce l’auteur justifie sa fuite devant la consécration sacerdotale et réprouve ceux
qui « sans être en rien meilleurs que le commun des mortels… s’introduisent auprès des réalités
les plus saintes avec les mains sales » (§ 8, p. 98-99). Voir aussi § 49, p. 1546-7 : « avant de
perdre le premier duvet ».
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52 BERNADETTE MARTIN-HISARD

540 Le saint, pour sa part, posa petit à petit le pied sur les degrés de l’escalier et s’éta-
blit ainsi en haut de l’escalier488. Car d’abord il desservit le parvis de la Tente489, les
colonnes, les chapiteaux de colonne490, leurs socles, piquets et cordages491 et, ensuite,
à l’intérieur492, le matériel sacré493. Puis il devint un porteur de l’arche494, préparée par
d’autres pour son transport495. Et pourquoi en dire davantage ? Peu à peu le saint
545 prêtre s’établit dans le Saint des Saints et il devint le consécrateur496 des autres.

Constructions et traductions
(§ 24) En effet, peu après qu’il ait reçu la dignité sacerdotale, comme nous l’avons
dit, il fut nommé ecclésiarque497 : chef498 des prêtres et des chantres499. Peu de temps
après, il se souvint du châtiment de celui qui enfouit le talent500 et il craignit surtout
128 | de désobéir à son maître. C’est pourquoi, quand il commença la construction de
550 l’église de Dieu501, tel un architecte avisé, il posa d’abord de bons fondements502. Car
il traduisit avant toutes choses le Synaxaire qui est le fondement des églises, sans
lequel l’édification d’une église503 est impossible504. Car, même si elle possède tous

488. Allusion à la progression de Georges dans les différents ordres du clergé. Le passage
qui suit s’appuie sur Ex 25-27 mais aussi Nb 3-4, avec la description de la Tente (skhnhv ;
karavi) qui abrite le coffre ou arche (kibwtov", k’idobani) contenant les Tables de la Loi.
489. Les « cours à l’extérieur de la Tente » (gareše k’arvisa ezota, l. 16) ou parvis (aujlhv ; en
géorgien ezoj) étaient l’espace sacré entourant la Tente et délimité sur chaque côté par des ten-
tures portées par des colonnes de bronze ; voir Ex 27, 9-19. Georges fait alors partie des clercs
« hors du sanctuaire ».
490. Pour tout le passage qui commence à « et s’établit », la tradition de BCDEFGL est parti-
culièrement confuse, ce que PEETERS, p. 920-23, a bien noté.
491. Voir Nb 3, 37.
492. Šinagan (l. 18), om. BCDEFGL et PEETERS, p. 9423.
493. À l’intérieur de l’arche se trouvaient les différents accessoires (vases ou mobilier sacré)
dont on se servait pour officier (skeuhv ; č’urč’elni, l. 18).
494. C’est-à-dire qu’il devint diacre, le transport de l’arche étant autrefois assuré par les
lévites (Nb 4, 29-33), prototypes des diacres.
495. Quand le camp était levé, le démontage de la Tente et de son matériel liturgique incom-
bait aux descendants de Qehath (Nb 4, 1-19).
496. C’midamq’opelad (l. 21-22) : de c’midamq’opeli, sanctificateur, sacralisateur.
497. Mtavrad ek’lesiisa (l. 24), traduction littérale de ecclésiarque, qui se dit aussi dek’anozi,
comme on le voit à la fin de ce §. Sur cette fonction de « chef des prêtres et des chantres » :
DUBOWCHIK, Singing, p. 282-289. Sur la date de sa nomination comme ecclésiarque (1041 ou
1042), voir plus bas, p. 140.
498. Uxuc’esad (l. 24) : de uxuc’esi.
499. Il avait acquis à Xaxuli la formation nécessaire : voir plus haut, § 11 et n. 374-375.
500. Mt 25, 24-30, notamment 30.
501. Šenebad (l. 3) : construction. Allusion aux premiers travaux de transformation de
l’église : voir plus bas, p. 141-142.
502. Voir Mt 7, 24-25. Sapudzveli, l. 2 et, plus bas, l. 4 : fondement, base, fondation. Les tra-
ductions qui vont être indiquées introduisent une rupture dans la pratique liturgique géorgienne
qui abandonne le rite palestinien (auquel Georges avait été formé à Xaxuli, § 11) pour suivre les
innovations liturgiques constantinopolitaines en cours depuis le 10e siècle et qui s’expriment
dans des livres liturgiques diversifiés (Euchologe, Typikon, Synaxaire, Lectionnaires et les
recueils hymnographiques du Triodion, du Pentékostaire et de l’Octoèque : TAFT, Rite, p. 52-
55).
503. C’armat’ebaj (l. 15) : édification, construction ; à prendre au sens figuré.
504. Le Synaxaire (c’est-à-dire ici le Typikon) indique les lectures et les chants pour le
Propre du temps, le Propre des saints et le Propre de la semaine. Le livre géorgien contient une
partie liturgique très développée et une partie disciplinaire, dans l’ordre suivant : Sanctoral,
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 53

les <autres> livres, une église sans Synaxaire mange du miel sans que le palais puisse
en apprécier la douceur. Il est, comme nous l’avons dit, le premier [fondement]505 de
555 l’église. Sans doute le saint père Euthyme avait-il déjà traduit le Synaxaire, mais il
l’avait transcrit de manière brève506, parce qu’il était occupé par la traduction d’autres
livres, et nous avons appris507 qu’il l’aurait traduit entièrement si la vie lui en avait
laissé le temps508. Après le Synaxaire, le saint père Georges traduisit encore le
Lectionnaire annuel des Évangiles509, le Lectionnaire annuel de Paul510, le
560 Prophètologion de l’année511, puis le Grand Euchologe512, le Commentaire sur la
Genèse qui est l’histoire d’Abraham513. Il compléta les Ménées de septembre, que le
père Euthyme avait commencé à traduire, avec chacun des chants514. Il traduisit
encore tout le grand Paul et les <épîtres> catholiques des saints apôtres515. Il traduisit

Triodion, Pentèkostarion, section disciplinaire ; le Sanctoral est proche de celui du Typikon de


la Grande Église avec quelques adaptations ; le Triodion et le Pentèkostarion sont proches
d’usages studites. Le texte géorgien contient en plus une section disciplinaire. D’après
BERTONNIÈRE, Historical Development, p. 136, 141-145, Georges s’est servi d’un original qui a
pu être composé sous Nicolas le Mystique et a utilisé d’autres documents représentant une pra-
tique postérieure de la Grande Église. Parmi les manuscrits conservés : Iv 76 (16 mars-31 août)
de l’écriture de Georges ; Athos 30 (28) de 1071 ; A 97 (11e s.) avec le colophon de Georges ; A
193 (11e s.) ; A 222 avec le colophon (12e s.). Traduction russe et notes dans K’EK’ELIDZE,
Monuments, p. 228-316, 483-506. Voir BLAKE, Iviron 2, p. 148-150. Ce Synaxaire/Typikon rem-
place désormais le Lectionnaire de Jérusalem (voir § 11 n. 376).
505. Dans tous les manuscrits et l’éd., l. 8 : samk’auli : ornement, parure, et non sapudzveli
que l’expression « comme nous l’avons dit » laisse attendre (voir n. 502). AIK : ek’lesiisaj
(sing.) ; BCDEFGL : ek’lesiata (pl.) : PEETERS, p. 9510 : ecclesiarum fundamentum.
506. Sulmcired (l. 10) : brièvement, de manière rapide, c’est-à-dire incomplètement. PEETERS,
p. 9513 : breviore stilo. Voir encore plus bas, n. 691.
507. Om. CDEFGL et PEETERS, p. 9513.
508. Euthyme est mort accidentellement en 1028, à environ soixante ans.
509. Saxarebaj gamok’rebuli sac’elic’doj (l. 15), littéralement : l’Évangile en extraits (ou en
péricopes) de l’année. Parmi les manuscrits : Iv 60 (écrit en 1043 sous l’higoumène Étienne ;
BLAKE, Iviron 2, p. 248-249) ; Iv 35 (12e-13e s.) avec les Actes des Apôtres (BLAKE, Iviron 2,
p. 225).
510. P’avle gamok’rebuli sac’elic’doj (l. 15-16), littéralement : le Paul en extraits de
l’année ; texte des lectures des Épîtres, mais aussi des Actes des Apôtres, dans l’ordre de l’année
liturgique. Parmi les manuscrits : Iv 35 (voir note précédente).
511. Sac’inac’armet’q’ueloj sac’elicdoj (l. 16). Il comprend les lectures de l’Ancien
Testament empruntées aux Prophètes. Parmi les manuscrits : H 1350 (1085, copié par Ignace :
voir plus haut, p. 13 n. 58).
512. Littéralement : les Grandes Bénédictions. L’Euchologe contient, outre le texte des litur-
gies eucharistiques, d’une part la taxis des cérémonies liturgiques avec le texte des prières,
d’autre part les rites et prières pour les sacrements ainsi que différentes bénédictions et prières.
L’Euchologe traduit par Georges fut admis officiellement par le concile de Ruisi-Urbnisi au
début du 12e siècle. Parmi les manuscrits : Sin 2 (13e s.) ; K’EK’ELIDZE, Monuments, p. 411-515.
513. Texte encore mentionné au § 44 sous le titre « Le livre de la Genèse, commentaire,
homélie<s> de Jean Chrysostome ». Il s’agit non pas des Sermones 1-9 in Genesim (= CPG
4410) dont on ne connaît pas de traduction géorgienne, mais des Homiliae 1-67 in Genesim (=
CPG 4409) ; voir K’EK’ELIDZE, Auteurs, p. 68 (3).
514. Galobita (l. 18-19) : de galobaj, chant, hymne. Les Ménées contiennent le Propre des
saints, avec de courtes Vies des saints, des hymnes spéciales et des prières.
515. L’ensemble constitue le samocikulo, l’Apostolos, qui réunit tous les livres du Nouveau
Testament consacrés aux actes et aux écrits des apôtres ; parmi les manuscrits : Iv 78, auto-
graphe (BLAKE, Iviron 2, p. 261-262), A 584 du 11e siècle, Iv 19 du 13e s. (BLAKE, Iviron 2,
p. 117-118). Voir DžOC’ENIDZE, DANIELA, Épîtres de Paul (notamment la rédaction 3) ;
LORTKIPANIDZE, Épîtres catholiques.
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54 BERNADETTE MARTIN-HISARD

pour son usage ces huit livres sur la Sainte Montagne, tous alors qu’il desservait
565 l’église, puisque nous avons dit qu’il avait été nommé doyen516.

L’higoumène

Élection
(§ 25) Et après cela, quand il eut fait ses preuves en de nombreuses affaires517 et se
129 fut révélé en tout saint et pur comme | l’or purifié par de nombreux creusets, alors tous
les frères, dans une volonté et une décision unanimes, l’élevèrent à l’échelle éminente
de l’higouménat et le firent asseoir sur le siège de notre saint père Euthyme518 et ils
570 placèrent le flambeau sur le chandelier, selon la parole de l’Évangile519, pour qu’il
éclaire l’ensemble des frères. Ainsi l’humilité élève ceux qui la possèdent et les
honore ici-bas et surtout dans l’éternité.
Mais que personne ne pense qu’il accepta ainsi le joug de l’higouménat facilement
et joyeusement520, que non pas ! Bien au contraire il s’y opposa de toutes ses forces521.
575 Car il fut tiré au sort, à trois reprises, avec deux autres frères, selon la règle du monas-
tère522, les sorts étant déposés sous la sainte table pendant l’offertoire de la victime
non sanglante523 ; et, à trois reprises, le sort tomba sur lui. Il comprit par là que c’était
la volonté de Dieu et, surnaturellement convaincu, il prit le bâton pastoral.
Et, à partir de ce moment, il est impossible de dénombrer et de concevoir les com-
580 bats et les travaux de ce bienheureux, car il s’adonna à une ascèse plus rude que pré-
cédemment, à peine supportable par la nature humaine. En effet il renonça complète-
ment au vin et aux laitages524, et il portait comme vêtement de dessous un rugueux
tissu grossier525 et un froc526 par-dessus pour le cacher. Et, pour ne pas allonger mon
propos, il amassa en lui toutes les vertus et il s’offrit en modèle pour tous. Il n’instrui-
585 sit pas par des paroles, mais il montra par des actes à ses ouailles les chemins de la vie
éternelle. En effet si l’artisan ne trouve pas le matériau approprié à son art, comment
fera-t-il apparaître la splendeur de ses œuvres ? Et comment le capitaine de navire se
130 fera-t-il reconnaître s’il ne fait pas ses preuves au milieu des flots de la mer ? | Et
comment connaîtra-t-on527 et exaltera-t-on la bravoure du cavalier528 s’il ne livre pas

516. C’est-à-dire ecclésiarque.


517. Sur cette expression, voir plus bas, p. 141.
518. La première mention de Georges comme higoumène date de septembre 1045.
519. Mt 5, 15.
520. Sixarulit (l. 8) : avec joie ; BCDEFGL : usit’q’uelad, sans dire un mot ; PEETERS, p. 963 :
neque reclamantem.
521. Voir au § 39 le récit de la fuite de Georges pour échapper à l’higouménat.
522. L’higouménat s’était transmis dans la famille Čordvaneli jusqu’à Grégoire († vers
décembre 1041) ; le tirage au sort a dû s’appliquer ensuite pour Syméon et Étienne : voir plus
bas, p. 136-137.
523. Le précédent biblique du tirage au sort est la désignation de Matthias comme douzième
apôtre dans Ac 1, 23-26. La communauté (ou l’higoumène précédent) choisissait trois noms
(parfois seulement deux) ; trois papiers portant les trois noms étaient déposés sous les nappes de
l’autel et après une ou des célébrations liturgiques, quelqu’un (moine illettré, prêtre ou enfant)
choisissait l’un des papiers. Voir DE MEESTER, p. 224. Sur l’utilisation des sorts dans une autre
circonstance, voir § 54.
524. Voir n. 415.
525. Dzadzaj (l. 20) : voir n. 413.
526. Čoqaj (l. 21) : froc, bure.
527. Sasmenel (l. 1) : connue ; dans BCDEFGL : gwrgwnosan : couronnée ; d’où PEETERS,
p. 9621 : quo pacto coronam… adipiscetur miles…
528. Mqedari (l. 1) : combattant à cheval.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 55

590 de fréquents combats ? De même, dès que le saint prit le bâton pastoral, immédiate-
ment la sagesse qui était cachée dans son âme se révéla pleinement et ce qu’il fit avant
tout avec un zèle absolu et une grande foi et confiance529, ce fut ainsi de suivre avec
ardeur les pas de notre saint père Euthyme et d’adopter530 toutes ses règles, canons et
dispositions531 comme s’ils étaient sortis de la bouche même de Dieu et avaient été
595 confirmés par les saints apôtres.

Le culte d’Euthyme et des fondateurs


(§ 26) Car, dès les premiers moments de son arrivée sur la Sainte Montagne, avec
un zèle total, un élan fervent et par de minutieuses enquêtes, il mena enquêtes et
recherches auprès des disciples et des amis du saint père, le grand Euthyme, sur sa vie
et sa conduite égales à <celles> des incorporels et supérieures à la nature humaine,
600 ainsi que sur celles de son bienheureux père Jean et des autres saints gérontes532, sur
la fondation de cette célèbre laure, sur les règles et dispositions que le saint père
Euthyme avait instituées533. Il nous laissa tout cela en un texte écrit et l’érigea, comme
une image vivante et des tables parlantes534, à voir et lire pour les générations
futures535 et ses lecteurs et auditeurs en ont l’âme et le corps illuminés. Il le rédigea
605 alors qu’il était encore doyen ; mais à l’époque il laissa en dehors de l’écrit ce qu’il
avait amassé et écrit dans sa tête pour ne le rédiger qu’après l’avoir effectivement réa-
lisé536, c’est-à-dire la construction du martyrium537 et sa décoration par tout ornement,
ainsi que vous le contemplez tous maintenant.
(§ 27) Car, lorsque le bienheureux eut prit le bâton de l’higouménat, il travailla
131 avant tout à préparer le vénérable sépulcre538 | comme un trésor539 destiné à recevoir
les reliques de notre saint père théophore Euthyme, plus resplendissantes que le soleil
et plus pures qu’une perle, d’où jaillissent en abondance la source de guérisons et la
grâce de miracles. Et en grande pompe, avec des psaumes et des hymnes, dans le par-
fum des encens et la lumière des cierges, il les transféra avec grand éclat et divine
615 beauté depuis l’église du Baptiste dans la glorieuse église de la très sainte Mère de

529. Sasoebita (l. 6) : om. CDEFGL et PEETERS, p. 9626.


530. Šeit’k’bna (l. 9) ; PEETERS, p. 9628 : amplexatus est. MET’REVELI, Normes, p. 213 : « il
adoucit », ce qui est contradictoire avec le texte et ne correspond pas au sens du verbe
šet’k’boba, embrasser, recevoir (SARDSHWELADSE, p. 1377), même si t’k’bili veut bien dire doux.
531. C’esni da k’anonni da ganc’esebani (l. 8) ; PEETERS, p. 9627 : ordinationes, regulas et
decreta.
532. Notamment, d’après le § 29, Arsène de Ninoc’mida et Jean Grdzelisdze.
533. Règles et dispositions : c’esni da gangebani. Il y avait donc des règles, mais on voit que
si elles avaient été consignées par écrit, ce texte était perdu et que même Georges ne réussit pas
à le trouver, puisque les § 34 à 54 de la Vie de Jean et Euthyme (§ 34-54) se contentent de les
évoquer sans former un corpus normatif.
534. Dzeglad p’irmet’q’uelad (l. 20) ; dzegli : monument, notamment sculpté ou gravé, ce
qu’explicite p’irmet’q’ueli : qui parle ; il y a là une allusion aux Tables de la Loi. PEETERS,
p. 974 : tabulam argutam.
535. Il s’agit de la Vie de Jean et Euthyme.
536. Allusion au § 90 de la Vie de Jean et Euthyme, rédigé par Georges durant son higoumé-
nat.
537. Samart’wloj (l. 26). PEETERS, p. 9720 : memoriam.
538. Larnak’i (l. 29) : non pas cercueil, mais tombeau au sens de monument funéraire,
encore appelé samart’wloj, martyrium (§ 26 et 29). PEETERS, p. 9723 : tumulum. Voir plus bas,
n. 540 et 549. Il était situé dans la partie nord de ce qui devint le narthex intérieur.
539. Saundžej (l. 1) : chambre du trésor, endroit où l’on enferme ce qui est précieux, comme
un grenier (Mt 3, 12).
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56 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Dieu540. Et il fallait qu’il en fût ainsi541, puisque vous savez tous que les saints s’élè-
vent, de gloire en gloire542, dans la gloire invisible, ainsi qu’il est écrit à propos des
anges : « Ils progressent de force en force »543 ; de même notre bienheureux père, à la
vue de tous, fut transféré, de gloire en gloire, porté par les mains de cet homme admi-
620 rable, alors que544, tel Aaron, il était paré des vêtements sacerdotaux destinés non à
rester dans l’ombre, mais à resplendir dans la grâce545. Et, telle l’arche de sainteté, il
porta personnellement546 le saint corps, porteur547 des saintetés divines, et il l’intro-
duisit dans le saint temple548 et il le déposa dans le sépulcre saint549, comme vous le
voyez tous.
625 (§ 28) Ensuite ce second Élisée prit non pas le manteau d’Élie550, mais – bien plus
éminente et excellente –, la main droite vivifiante qui avait écrit de sublimes paroles
divines ; il la prit comme part de son héritage, avec l’esprit double et vivifiant551, non
pas qu’il ait fendu le Jourdain en jetant le manteau à trois reprises552, mais il fendit les
fleuves des Écritures divines553, plus grands et plus profonds que le Jourdain, par la
132 grâce de cette sainte main droite et il sortit, sec, de l’humide incompréhension554, | et

540. En raison de travaux en cours dans la grande église, la dépouille d’Euthyme, mort à
Constantinople en 1028, avait été déposée sous Georges Ier dans la plus petite église du monas-
tère, l’église du Prodrome. Georges la déposa dans la grande église, dans la partie nord de l’an-
cien narthex réaménagé, le tombeau de Georges Ier étant dans la partie sud. Iviron, I, p. 60-67 ;
voir plus bas, p. 142 et 146.
541. Džerca (džeretca CDEFGIL) esret iq’o (l. 9) ; sur le sens de džer ars (iq’o à l’aoriste) :
MOLITOR, 1, p. 409 : devon ejstivn, ajnagkai`ovn ejstin ; džeret : encore, jusqu’à ce temps
(SARDSCHWELADSE, p. 1595), d’où PEETERS, p. 9719-20 : Nempe sic primum fuerat, ce qui rompt la
structure et le sens de la phrase.
542. Didebiti-didebad (l. 10 et de même plus bas l. 13), c’est-à-dire de la petite église à la
grande ; šemdgomiti-šemdgomad : CDEFGL et PEETERS, p. 9721.24 : gradatim.
543. Ps 83 (84), 7, à propos non pas des anges, mais des pèlerins qui montent à Jérusalem :
poreuvsontai ejk dunavmew" eij" duvnamin ; BJ : « Ils marchent de hauteur en hauteur ».
544. Ražams (l. 12) : quand ; c’midaj, saint : BCDEFGL et PEETERS, p. 9723 : beatus rattaché
par un saut en arrière à mamaj, père.
545. Les participes dastomadita et ganbrc’invebadita (l. 16) portent les désinences d’une
double déclinaison, leur propre désinence à l’adverbial -ad (ce que l’on rend par destinés à), sui-
vie de la désinence à l’instrumental -ita, qui les rattache à vêtements. La comparaison avec le
grand-prêtre Aaron s’applique non à Euthyme, mais à Georges ; celui-ci, avec ses vêtements
sacerdotaux, va, tel Aaron, pénétrer dans un Saint des Saints, l’église du monastère.
546. Twt (l. 17) : lui-même, personnellement : om. BCDEFGL et PEETERS, p. 9728-29, qui inter-
prète librement : capiti suo imposuit.
547. On notera et’wrta (l. 17) : il porta, et mt’wrtveli (l. 18) : porteur.
548. T’adzrisa (l. 19) : de t’adzari, temple ; t’rap’ezisa, de t’rap’ezi : CDEFGL, d’où
PEETERS, p. 9729, librement : prope aram sacram illatum.
549. Larnak’i (l. 29) ; voir n. 538.
550. Tout le début de ce § s’inspire de 4 R 2, 1-25 qui raconte la mort d’Élie et la transmis-
sion de son héritage à Élisée, lequel, au v. 13, a ramassé le manteau d’Élie, tombé de ses épaules
au cours de son ascension.
551. Au v. 9, Élisée a demandé à Élie une double part de son esprit, en conformité avec les
traditions du temps qui accordaient au fils aîné une double part de l’héritage paternel.
552. Au v. 8, Élie, accompagné d’Élisée, a traversé à pied sec le Jourdain dont il a fendu les
eaux en les frappant de son manteau ; au v. 14, Élisée traverse de même le Jourdain qu’il frappe
à son tour du manteau. Je ne sais d’où provient la tradition des trois fois.
553. Fendre les fleuves des Écritures divines : les comprendre, les interpréter (voir la phrase
suivante), les traduire.
554. Not’iobisagan ugulisqmoebisa (l. 28) : de l’humidité de l’incompréhension ; PEETERS,
p. 987 : ex ignorantiae umore.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 57

il adoucit les eaux d’enseignements amers par le sel de ses paroles555 et il fit taire les
langues puérilement injurieuses et malveillantes des insensés556, en sorte que, comme
dit le Sauveur à ses disciples : « Beaucoup ont désiré voir ce que vous avez vu et ils ne
l’ont pas vu »557.
635 Comme je l’ai déjà dit, le père558 divinement sage prit la vivifiante main droite qui
nous illumina et il fabriqua pour elle un beau coffret559 et il l’y déposa avec d’autres
saintes reliques de saint Étienne le Prôtomartyr, de saint Ignace le Théophore560, de
saint Jacques l’Intercis561, des saints arabes Côme et Damien, des saints Quarante562,
de saint Pantéleimon563, et les eulogies de nombreux autres saints564 et du Sépulcre
640 vivifiant. Il déposa la main droite de notre saint père Euthyme avec toutes ces saintes
reliques de martyrs565 et il leur rendait personnellement un culte566. Et lorsqu’il était
en voyage, il transportait lui-même le saint coffret. De cette manière, dans presque
tout l’univers, de la Sainte Montagne à la Montagne Noire, toute la Syrie, Jérusalem
et jusqu’en Orient, grâce à sa main droite, notre saint père Euthyme put être vu et
645 vénéré par les rois et les princes, les évêques et les prêtres et tout le peuple.
Mais revenons à notre premier propos.
(§ 29) Et quand il eut fait la déposition des reliques de notre père, ce bon ouvrier
de la sagesse conçut un beau et divin projet, conforme à sa sagesse, afin que le prin-
133 cipe | de tous les biens, le point de départ des miséricordes de Dieu, la source du
650 jaillissement, la racine de l’immortalité, le saint père Jean, père de notre saint père
Euthyme, ne fût pas laissé à l’extérieur du martyrium567 de son fils Euthyme ; car il
avait été primitivement déposé dans l’église des Saints-Archanges568, de même aussi

555. 4 R 2, 19-22 : Élisée assainit les eaux mauvaises de Jéricho en y jetant du sel, considéré
comme ayant un pouvoir de purification. Allusion au débat religieux de Constantinople en 1065
(voir § 76-77).
556. Aux v. 23-24, Élisée maudit des enfants qui se moquaient de lui et quarante-deux
d’entre eux sont déchirés par deux ourses. Allusion aux débats d’Antioche (voir § 47-52).
557. Mt 13, 17.
558. Au lieu de l’article aman (l. 7), CDEFL : c’midaman, saint ; d’où PEETERS, p. 9812-13 :
pater sanctus.
559. Guadruci (l. 9) : coffret ; PEETERS, p. 9814 : loculos, beaucoup plus précis que le géor-
gien, loculi désignant une boîte à compartiments. Au lieu de beau (šuenieri), BCDEFGL :
gonieri, sensé ; voir la correction de PEETERS, p. 98 n. 8.
560. Premier successeur de saint Pierre sur le siège d’Antioche, mort martyr à Rome en 107-
108, auteur de sept lettres (CPG 1025-1026), qui ont été traduites en géorgien par Georges ; voir
plus bas, § 44 et n. 723.
561. Jacques le Perse, martyrisé sous Vahram V (420-438), surnommé « le découpé en mor-
ceaux » parce qu’il fut successivement amputé des mains, des pieds, des bras, des jambes, du
nez et des oreilles avant d’être décapité.
562. Les saints Quarante martyrs de Sébasté.
563. Médecin mort martyr à Nicomédie sous Maxime Galère.
564. Sxuata mravalta c’midata (l. 13) ; sxuata c’midata martalta : BCDEFGL et PEETERS,
p. 9818 : aliorum sanctorum (ac) iustum.
565. Nac’ili désigne une relique en général (comme au début des § 27 pour Euthyme ou 29
pour Jean), alors que martwili (martyr) s’emploie pour les reliques de martyrs (voir plus loin,
n. 621), particulièrement adapté ici dans c’midata mart’wlta (l. 15) ; PEETERS, p. 9819 : cum
omnibus hisce sanctis ac iustis, que les manuscrits ne justifient pas.
566. Hmsaxurebn (l. 16), où le préfixe h- qui indique le complément peut être aussi bien un
singulier qu’un pluriel ; je pense qu’il s’agit de toutes les reliques, à la différence de PEETERS,
p. 9820-21 : cuius cultum ipse per se curabat.
567. Samart’wlojsa (l. 3-4) ; voir § 26 n. 537. PEETERS, p. 9534-961 : sepulchrum.
568. L’église des Archanges ou des Taxiarques, chapelle nord de l’église de la Mère de Dieu,
avait été construite pour abriter le corps de Jean ; Vie de Jean et Euthyme, § 22 ; Iviron, I, p. 61.
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58 BERNADETTE MARTIN-HISARD

les autres saints gérontes, le bienheureux Arsène, évêque de Ninoc’mida, et le divin


géronte Jean Grdzelisdze qui avaient été déposés à l’extérieur du monastère, dans un
655 ermitage569 de l’église de Saint-Syméon-l’Ancien, là où ils avaient vécu dans l’hésy-
chasme570. Ils avaient été de grands collaborateurs de notre saint père Euthyme dans la
traduction des saints livres, ils s’étaient faits les émules et les imitateurs de ses saintes
vertus, et ils avaient copié de leur main de nombreux livres durant leur vieillesse571.
Il prit d’abord les reliques du saint père Jean, comme nous l’avons dit, et il les
660 détint avec celles de son fils572. Puis il se mit à chercher les reliques des saints pères
dont on vient de parler ; mais il ne savait pas où elles étaient et il en était fort chagrin.
Mais, par la providence de Dieu, il les trouva grâce à ce si grand miracle573 qui porta
témoignage et honneur au caractère vénérable de leurs saintes reliques : des lauriers574
avaient en effet poussé au-dessus de leur sépulture575 et les racines des arbres étaient
665 passées par-dessous et s’étaient enroulées autour des saintes reliques et les vénérables
reliques étaient ainsi portées comme sur des êtres vivants576 et l’on respirait un intense
parfum577. Il les prit et les déposa sous les reliques de notre saint père Euthyme, et le
martyrium fut tenu fermé jusqu’au jour d’aujourd’hui578. Et il l’orna de toutes sortes
134 d’ornements, icône, croix, | lustre579, chandelier580, rideau581 et toutes autres splen-
670 deurs, comme il convenait aux saints. Et il décréta que trois lampes brûleraient en per-
manence et que cette règle serait respectée immuablement, par la grâce de notre saint
père Euthyme et par l’intercession de notre sainte Mère de Dieu582, amen !

L’achèvement de l’église
(§ 30) Et quand il eut accompli cette œuvre grande et sublime d’une manière si
divinement splendide et belle, il commença à se préoccuper de l’église, car elle
675 n’avait pas de couverture de plomb et l’eau s’infiltrait comme le prouvent des icônes
qui sont abîmées583. Or cette église est notre parure et elle perdait ainsi sa beauté. Et le
bienheureux trouva la bonne solution. Il partit auprès du pieux roi Constantin

569. Soxast’ersa (l. 8) : de soxast’eri, hJsucasthvrion, cellule d’hésychasme, ermitage.


570. Le sanctuaire de Saint-Syméon-l’Ancien, près des cellules d’hésychasme des deux
moines, se trouvait à Karaba, au centre de la presqu’île, à l’ouest d’Iviron : Vie de Jean et
Euthyme, § 71 ; Iviron, I, p. 34 et carte p. 71.
571. Vie de Jean et Euthyme, § 71 ; MARTIN-HISARD, Jean et Euthyme, p. 98 n. 68. PEETERS,
p. 999-10 : ad senectutem usque. Je ne connais pas de manuscrits qu’ils aient copiés.
572. Dans la partie nord de l’ancien narthex ; voir n. 540.
573. Esevitarita sasc’aulita (l. 20). PEETERS, p. 9915, simplement : miraculo.
574. Xeni dapnisani (l. 21), littéralement : des arbres de laurier ; BCDEFGL : xeni
pinik’isani ; d’où PEETERS, p. 9917 : palmae arbores.
575. Saplavsa zeda (l. 21) : de saplavi, sépulture. PEETERS, p. 9917 : in tumulo.
576. Éd., l. 23 : cxovelta, vivants, dans tous les manuscrits ; PEETERS, p. 99 n. 8, propose de
lire cxedarta, lits.
577. Le parfum est qualifié de priadi (l. 25), grand, nombreux. PEETERS, p. 9930 : suavissimus,
qui semble impropre.
578. Littéralement : il garda le martyrium fermé jusqu’au jour d’aujourd’hui.
579. Korak’andeli (l. 1).
580. Sasantle (l. 1).
581. Ezoj (l. 1) : cour (§ 23 n. 479), mais aussi rideau (ainsi le rideau du Temple) ;
SARDSHWELADSE, p. 421-422. PEETERS, p. 9924 : claustris.
582. Voir la Vie de Jean et Euthyme, § 90.
583. Aqocil (l. 10-11) : détruites. PEETERS, p. 1008 : dilutae, ce qui correspond à la réalité,
mais pas au verbe employé.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 59

Monomaque584 dans la Ville royale. Et lorsque le géronte entra en sa présence, le roi


lui fit la salutation qui convenait, car il avait grande confiance en lui et se fiait585 à ses
680 saintes prières586. Et il lui dit : « Ô homme de Dieu, pour quelle raison Ta Sainteté est-
elle venue en hâte587 trouver ma souveraineté ? »588, et le géronte lui dit : « Salut à
toi589 par le Christ, toi qui resplendis parmi les monarques590 ! La sainte Mère de
Dieu, très saint espoir et refuge de ta piété, t’ordonne par ma misérable personne de
ne pas laisser son temple digne d’une éternelle louange abîmé par les eaux qui s’infil-
685 trent dans notre monastère, faute de couverture. Que Ta Majesté591 donne maintenant
l’ordre d’expédier du plomb pour couvrir la sainte église, ce pour quoi l’on y priera
désormais pour Ta Majesté ». Et, avec joie, il donna satisfaction à la demande du
135 géronte. Il fit transporter du plomb par des bateaux royaux ; | <le géronte> le prit et en
couvrit la sainte église dont vous voyez tous combien elle est belle et splendide592.
690 Et il lui fit un ajout593 et il y construisit un narthex extérieur594. La sainte église fut
ainsi complètement terminée.

Les chrysobulles
(§ 31) Après quoi, il se soucia avec l’aide divine d’obtenir des pieux rois de
fermes chrysobulles pour confirmer nos chrysobulles595.
Et il ajouta de fort nombreux domaines aux proasteia de notre monastère596, en

584. K’ost’ant’i Monamaxi (l. 14) : Constantin IX Monomaque, 1042-1055. Il est dit łmertis-
msaxuri, pieux, et non pas piissimus (PEETERS, p. 10011 et passim) ; il est mepe, roi, comme
Bagrat’ IV, non pas imperatorem (ibid.).
585. Akunda et esvida (l. 16), deux verbes sur le même plan et à l’imparfait (il avait, il se
fiait). On ne peut suivre PEETERS, p. 10013-14 : ei dedit salutem, ut eum decebat qui de illo sum-
mam opinionem haberet, et sanctis eius precibus se commendavit.
586. Phrase qui indique des liens déjà anciens.
587. Mošura (l. 17-18), d’un verbe que l’on va rencontrer à plusieurs reprises (§ 46 n. 742 ;
§ 53 n. 812 ; § 81 n. 1066) et qui contient une idée de déplacement et de hâte (šuraj). Ici
PEETERS, p. 10015-16 : Quid negotii sanctitatem vestram… adire coegit…
588. Qelmc’ipebasa (l. 19) : de qelmc’ipebaj, domination, empire, souveraineté.
589. Gixaroden (l. 12), équivaut à caivrete (comme au § I6, au pluriel de majesté).
590. Twtmp’q’robelta (l. 29) : de twtmp’q’robeli, qui traduit exactement aujtokravtwr.
591. Littéralement : Ta Royauté, mepobaj (l. 24-25).
592. Brc’q’invale (l. 2) : om. BCDEFGL et PEETERS, p. 10026.
593. Amas zeda šesdzina (l. 3) ; amas zeda : sur cela, šesdzineba : ajouter, accroître ; donc : il
ajouta sur elle, ce qui peut être compris ou bien comme un ajout par-dessus, c’est-à-dire une
construction en hauteur (PEETERS, p. 1027 : insuper eam altius extulit, où altius est une addition
qui s’explique par la n. suivante), ou bien comme un ajout à ; ce dernier sens s’impose puisqu’il
s’agit du second narthex (voir n. suivante).
594. Garegani ou garegan (l. 3) dans AIK : extérieur. Il s’agit du second narthex (št’oj, por-
tique, pièce à colonnes ; SARDSCHWELADSE, p. 1114) de l’église ; voir plus bas § 972037 et n. 1238.
Dans BCDEFGL : gwrgwni, couronne, ce qui a bien peu de sens, surtout avec št’oj ; PEETERS,
p. 10027-28, avec une certaine imagination dont il se justifie dans sa n. 7 : Insuper eam altius extu-
lit, adiecto illi tholo columnis (innixo).
595. Chrysobulle est littéralement traduit okrobeč’edi. Ces chrysobulles de confirmation qui
doivent être obtenus de tout nouvel empereur n’avaient donc pas été sollicités à l’avènement de
Constantin IX en 1042 par l’higoumène Étienne. Les « pieux rois » désignent Constantin
Monomaque et Théodora.
596. Złvari (l. 7) : littéralement limite, frontière, soit domaine, territoire précisément déli-
mité. P’rast’inta (l. 8) : de p’rast’ini, qui dérive de proavsteion (voir § 14 n. 397). Voir par
exemple la donation enregistrée dans l’acte no 28, souscrit en juillet 1044 (Iviron, I, p. 248-251),
alors que Georges était peut-être déjà higoumène.
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60 BERNADETTE MARTIN-HISARD

695 particulier le domaine de Misolimne597, où l’on élève grassement tout un troupeau de


l’église598. Et comme nos proasteia se trouvaient de nouveau fort écrasés à cause du
fisc599, le Seigneur leur fit connaître une période favorable de la manière suivante.
Lorsque Bagrat’, le pieux roi des Apxazes, et sa mère, la reine Marie, vinrent dans
la Ville royale, notre saint père y monta aussi pour rencontrer ces pieux rois et quand
700 le roi et la reine et tous leurs princes et leurs grands le virent, ils se réjouirent d’une
grande joie, car ils avaient entendu parler de sa divine conduite600. Ils reçurent sa
sainte bénédiction et sa grâce et en tirèrent un grand profit spirituel et ils louaient
Dieu. Et il en profita pour régler fort bien, à sa convenance, toutes les affaires du
monastère601. Il régla alors la question fiscale de la manière suivante : les démosiaires
705 ne pénétreraient pas dans nos proasteia, mais une livre prise sur notre roga602 serait
apportée au titre de l’impôt, à l’extérieur, au sékréton lui-même603, ainsi que le décréta
le pieux roi Constantin Monomaque lui-même qui fit sur ce sujet un chrysobulle
ferme et immuable604.
136 | (§ 32) Après cela, la reine Marie, mère du roi Bagrat’, se fit sa disciple et reçut
710 de lui la bénédiction de l’habit605 et elle demanda à Monomaque une livre comme

597. Mésolimna en grec : à l’extérieur de l’Athos et à l’est de Thessalonique, entre les deux
lacs de Lakgada et de Bolbè. Sur le métoque détenu par Iviron à Mésolimna et le domaine
acquis par Georges : Iviron, I, p. 56, 58 et 87.
598. Uxuebit (l. 9-10) : littéralement avec abondance.
599. Dimose (l. 10), de dhmovsion, le fisc, l’impôt ; čiri (l. 11) : angoisse, ce qui étreint ; je ne
retiens pas PEETERS, p. 1015 : in magna penuria essent. Je pense que cette phrase, venant après
l’évocation d’un proasteion situé à l’extérieur de l’Athos et de proasteia écrasés « de nouveau »
(k’ualad, l. 10) par le fisc, renvoie à la nouvelle assiette de l’impôt qui frappait les biens
d’Iviron sis en dehors de l’Athos, établie par le recenseur Andronic, à la demande de
Constantin IX, en 1047, et connue par l’acte no 29 ; le montant total de l’impôt s’élevait (charges
annexes comprises) à près de 60 nomismata, soit un peu moins d’une livre : Iviron, I, p. 55-57 ;
acte no 29 : Iviron, I, p. 251-261, notamment p. 254 ; voir plus bas, p. 149-150.
600. Il s’agit manifestement de la première rencontre de Georges et du couple royal et je la
place en 1048 : voir plus bas, p. 150.
601. Une phrase qui laisse penser que Georges a réussi à régler en une seule fois la question
des chrysobulles : voir plus bas, p. 150-152.
602. Roki (l. 25), de rJovga : l’un des noms de la rente fixe ou solemnion (plus bas, p. 149).
Constantin IX avait accordé à Iviron par chrysobulle (voir plus bas, n. 604) une roga de soixante
nomismata (arrondis à une livre par l’hagiographe) perçue par les moines au bureau du Phylax
(caisse privée de l’empereur située au Grand Palais). Cette roga couvrait à peu près l’impôt à
payer.
603. Sek’rit’oni (l. 24), de sevkreton, bureau, ici le service fiscal du Génikon ; les moines y
portaient directement, contre quittance, la somme de soixante nomismata reçue au Phylax, gros-
sie des nomismata supplémentaires éventuellement dus ; les percepteurs impériaux n’avaient
donc pas à pénétrer à l’intérieur des limites de l’Athos.
604. Chrysobulle perdu (Regesten2, no 885a), confirmé en 1065 par Constantin X (acte no 38 ;
Iviron, II, p. 111-114 ; Regesten2, no 961a ; voir plus bas, § 91 et n. 1204) qui en cite ainsi la fin
(l. 1-6 ; p. 113) : « Que les moines du monastère des Ibères reçoivent les soixante nomismata du
bureau du Phylax, trente en histaména, trente en tétartéra, qu’ils les déposent au bureau du
Génikon logothésion, qu’ils y ajoutent les nomismata supplémentaires qui seraient éventuelle-
ment dus au fisc, que le percepteur (dioikétès) ne les importune pas sous prétexte de versement à
faire au bureau du Génikon et qu’ils ne subissent aucun tort ». Cette procédure fiscale est la
dochè : SVORONOS, Notes ; son application justifie les commémoraisons no 27 en faveur de l’em-
pereur (plus bas, p. 148 n. 1486) et no 15 en faveur de P’et’rik’ et de son frère Jean (plus bas,
p. 149 n. 1492).
605. On peut attribuer ce geste à la seule piété de la reine ou à son déshonneur raconté par
Skylitzès, dernière hypothèse plausible si l’on place les faits ici exposés en 1048 : voir plus bas,
p. 151.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 61

roga pour le saint monastère et elle l’offrit à la sainte église pour la commémoration
éternelle de son âme606. Arsène se fit aussi son disciple607 et il offrit une livre à la
sainte église à partir de sa propre dignité608. Bien qu’Arsène, autrefois Parsman,
d’heureuse mémoire609, eût fait d’innombrables autres bienfaits, c’est sur le conseil du
715 saint père qu’il offrit cette livre et la fit enregistrer dans un chrysobulle610.
Ce revenu de trois livres611 et autres choses susdites ont été acquis par la sainte
laure grâce aux efforts de notre bienheureux père et ils sont acquis à perpétuité, fer-
mement et immuablement.

Les signes apostoliques


(§ 33) Et il ne convient pas d’omettre, mais il convient d’évoquer et de mettre par
720 écrit de belle manière612 ce qui exprime la grâce apostolique et annonce la double
puissance thaumaturgique que possédait cet homme aimé de Dieu, par laquelle il
manifesta qu’il avait été créé à l’image de Dieu.
Vous savez tous en effet que la miséricorde se trouve naturellement dans
l’homme ; mais, depuis que la loi naturelle et la ressemblance avec Dieu ont été sépa-
725 rées l’une de l’autre par la transgression du commandement, non seulement la miséri-
corde mais toutes les vertus se sont complètement transformées de bien en mal pour
certaines et se sont réduites à quelque vestige pour d’autres. Et elle est semblable à
<celle de> Dieu la miséricorde par laquelle <non seulement> l’homme a pitié de ceux
qui partagent sa nature, mais éprouve de la miséricorde pour les animaux comme
730 notre saint et admirable père et il la révéla en lui d’une façon divinement
lumineuse613.
En effet, à l’époque où le pieux roi Bagrat’ était dans la Ville royale, il entendit
137 parler d’une chose admirable et parfaitement | incroyable614. Il existe un peuple de
Samaritains, de la souche de Simon le Magicien615, que l’on appelle les Athinganes616,

606. Il s’agit de la commémoraison no 100 (texte cité plus bas, p. 150 et n. 1496). Le solem-
nion a fait l’objet d’un chrysobulle (Regesten2, no 886b) et a été lui aussi obtenu grâce à l’action
de P’et’rik’ et de Jean (commémoraison n° 15 ; voir plus bas, p. 149 n. 1492.
607. Sur Arsène et sa carrière, voir plus bas, p. 151-152.
608. Tavisa p’at’ivisagan (l. 7), où p’at’ivi correspond à ajxiva. Il s’agit du système de la
rente constituée par l’octroi d’une dignité et ouvrant droit à une roga. Arsène peut être le spatha-
rocandidat Pharsman mentionné en 1043 (voir p. 152 et n. 1510) ; on sait que le protospathorat
ouvrait droit à une roga d’une livre et que l’empereur pouvait accorder un protospathorat à un
monastère, comme le fit Constantin IX en 1045 à la Néa Moni (LEMERLE, Roga, p. 94-96). Il est
possible que Parsman ait fait concéder à Iviron la dignité à laquelle il avait renoncé en se faisant
disciple de Georges. On ne peut suivre PEETERS, p. 1021 : ex reverentis animi significatione.
609. Arsène est mort, avant la rédaction de la Vie de Georges, dans l’année 1061 : voir plus
bas, n. 1506.
610. Chrysobulle maintenant perdu ; Regesten2, n° 928c ; Iviron, I, p. 57.
611. En fait deux livres et soixante nomismata, soit deux cent quatre nomismata.
612. Dans la construction assez complexe de cette phrase, je ne comprends pas la forme
nominative šuenierebaj, beauté (l. 15) qui précède ałc’erisa (écrire). Comme PEETERS, p. 10210,
qui traduit par ornatius, je présume qu’il faut remplacer le nominatif par un adverbial.
613. Łmrtivbrc’q’invaled (l. 28) : de façon divinement lumineuse ; PEETERS, p. 10222-23 : in
hoc genere divina quadam laude ?
614. Le miracle qui va être raconté et qui montre Bagrat’ au Philopation relève peut-être de
son second séjour.
615. Voir dans Ac 8, 9-24 l’histoire de Simon le Mage en Samarie.
616. Ac’ink’ian (l. 2) : Athinganes, c’est-à-dire les Tziganes, qui n’ont rien de commun avec
les Athinganes hérétiques du 8e siècle ; ce texte en est la plus ancienne mention avant le témoi-
gnage de Balsamon au 12e siècle, qui les évoque plutôt comme capables de prédire l’avenir
(PG 137, 720-721). Voir SOULIS, Gypsies.
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62 BERNADETTE MARTIN-HISARD

735 célèbres par leurs magies et leurs maléfices. Des bêtes féroces vivaient dans le
Philopation du roi617 et mangeaient le gibier qui s’y trouvait pour les chasses du roi.
Le roi618 Monomaque apprit cela et il ordonna de faire venir les Athinganes afin que,
par l’artifice de leur magie, ils exterminent les bêtes féroces qui faisaient périr le
gibier et ils exécutèrent en pratique l’ordre du roi et tuèrent une grande quantité de
740 bêtes.
(§ 34) Le roi Bagrat’ apprit cela, comme nous l’avons dit plus haut ; il appela les
Athinganes et leur dit : « Apprenez-moi de quelle manière vous tuez ces bêtes ». Ils lui
dirent : « Ô roi, nous avons atteint un tel degré d’artifice que nous ensorcelons de la
viande et nous la plaçons à l’endroit où les bêtes ont l’habitude de venir, et nous mon-
745 tons sur des arbres et nous poussons des cris semblables à ceux des bêtes ; à notre cri
elles se rassemblent, mangent la viande et meurent sur le champ. Mais si une bête est
née le Samedi Saint, elle ne nous écoute pas et ne mange pas, mais elle nous dit : “Si
<la viande> est bonne, prenez-en619 et mangez-la !” ; et elle s’en va saine et sauve ».
Mais le roi dit : « Tant que je n’aurai pas vu cela de mes yeux, je n’y croirai pas ».
750 Et ils prièrent le roi de faire venir une bête pour qu’il voie de ses yeux. Et, en l’ab-
sence de toute autre bête, il fit venir un chien dont on savait qu’il était né à un autre
138 moment qu’au jour susdit et ils lui jetèrent de la viande ensorcelée. | Le saint géronte
se trouvait alors devant le roi et il fut touché par cette naturelle miséricorde dont nous
avons parlé plus haut à propos de l’image et de la ressemblance de Dieu. Et non seule-
755 ment il eut pitié, mais il fut encore plein d’un zèle divin afin que semblable spectacle
n’ait pas lieu au milieu de chrétiens, et particulièrement des rois, et là où se trouvait le
bienheureux lui-même. Alors, quasi immédiatement, il traça l’admirable signe de la
croix vénérable sur <la viande qui avait été> jetée, et quand l’animal en eut pris, tout
de suite ils dirent de le conduire dehors pour qu’il ne tombe pas <là> et meure620. Et
760 comme on le conduisait dehors, il ne subit pas le moindre mal. Les mages restèrent
désemparés et comprirent que le saint rendait leurs magies inefficaces. Et ils prièrent
le roi de faire rentrer le géronte à l’intérieur de la maison et de faire venir un autre
chien. Et dès que le saint fut parti, ils apportèrent immédiatement un autre chien ; et
quand ils lui jetèrent de la viande ensorcelée, il tomba immédiatement et mourut. Et
765 tous comprirent que le saint avait précédemment fait un miracle.
Quand le roi Bagrat’ vit cela avec tous ses princes, il fut rempli de joie et ils
racontèrent ce miracle au pieux roi Constantin Monomaque ; il se réjouit beaucoup et
il louait Dieu. Et le roi Bagrat’ ne cessait de dire : « Si le saint est près de moi, je ne
craindrai ni les magies ni les poisons mortels ».
770 (§ 35) Après cela, comme le pieux roi Bagrat’ constatait chez lui une telle
conduite et une telle vie, semblable à celle des incorporels, et comme il avait aussi

617. Il s’agit du Philopation extérieur, rendez-vous de chasse pourvu d’un palais, situé à
l’extérieur de la ville, non loin des remparts terrestres, et volontiers fréquenté par
Constantin IX : JANIN, Constantinople, p. 133, 143-145, 452-453 ; ŠEVČENKO, Wild Animals,
p. 73-74 ; LITTLEWOOD, Gardens, p. 35-38 ; PATLAGEAN, Chasse.
618. BCDEFGL add. didman, grand ; d’où PEETERS, p. 1032 : magnus rex.
619. Čamoedit (l. 19, d’après AK), čamodit dans I. BCDEFL : sčamdit ; PEETERS, p. 10315 : Si
hae bonae essent, ipsi eas comedissetis : vobis esto cibus.
620. Daeces (l. 9-10), de dacema, tomber, est une forme passive à la 3e pers. du sing. du
futur 2, de même mok’udes, de mok’udoma, mourir (MOLITOR, 1, p. 202) ; ces verbes sont com-
mandés par rajta, pour que, suivi de la négation ara ; il semble que les magiciens souhaitent que
le chien meure à l’extérieur, mais je ne comprends pas pourquoi. PEETERS, p. 10330 : ne ipsi infi-
cerentur atque interirent.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 63

139 assisté au miracle dont on vient de parler, son âme fut frappée | d’amour pour lui et il
cherchait le moyen de l’emmener avec lui dans sa patrie. Or il y a dans sa patrie un
siège illustre parmi les sièges épiscopaux de son royaume, Č’q’ondidi, où reposent les
775 reliques de nombreux saints621 ; il y avait préparé sa propre sépulture afin d’y être
enseveli à sa mort622. L’évêque de ce siège venait de mourir et le pieux roi Bagrat’ fit
force pressions sur le bienheureux père Georges pour qu’il en accepte le gouverne-
ment et en devienne l’évêque. Mais il refusa absolument, car il s’empressait de fuir la
gloire des hommes et le souci du monde et il aimait l’humilité623. Et il resta ainsi un
780 certain temps dans la Ville royale et y redressa toutes les affaires de son monastère.
Puis, par la volonté de Dieu, il revint dans sa laure où les frères l’accueillirent
avec beaucoup de joie et d’amour. Et il gouverna et dirigea son monastère pendant un
certain temps624.
(§ 36) Et il faut évoquer la grande puissance apostolique dont le saint fit preuve,
785 c’est-à-dire le bris des idoles et la disparition de leur culte que le bienheureux réalisa à
notre époque d’une manière sublime et divinement resplendissante. Il y a en effet dans
les proasteia de la Sainte Montagne un village625 qui s’appelle Livizdia626, sur le site
d’une anse incurvée627, totalement déserte, avec des montagnes aux épaisses forêts628 ;
je présume qu’aucun saint n’est arrivé jusque-là629 ! Mais des hommes s’y étaient ins-
790 tallés, des Bulgares que l’on appelle Slaves, complètement stupides et semblables à
des bêtes, impudents et mangeurs de reptiles impurs. De l’antiquité il était resté jus-
140 qu’alors dans le proasteion dont nous parlons une grande idole de marbre, | ressem-
blant à une femme630. Ces gens stupides dont je parle lui rendaient encore un culte et
disaient : « C’est elle qui nous donne le soleil et la pluie et tous les biens, car elle a
795 pouvoir de mort et de vie sur qui elle veut ».

621. Siège fondé par le roi des Apxazes Georges II au milieu du 10e siècle (Chronique du
Kartli, éd., p. 265) et appelé Č’q’ondidi (le « grand chêne ») de son nom ancien, Martvili de son
nom récent, lié aux nombreuses reliques de martyrs (mart’wlni, l. 4 : martyrs, reliques de mar-
tyrs) qui y furent déposées ; l’église remonte sans doute au 7e siècle et appartenait à un com-
plexe monastique. ALPAGO-NOVELLO, Art and Architecture, p. 380-384 ; MENABDE, Foyers, I,
p. 549-554. Sur son importance comme métropole de l’Apxazeti, voir plus haut, p. 27.
622. Bagrat’ y fut effectivement enseveli en 1072 (Chronique du Kartli, éd., p. 315).
623. Voir l’évocation de ce refus au § 54. Le siège fut pourvu avec Jean, frère du patrice
Pierre : voir plus haut, § VI et p. 12-13.
624. Žam ravdenme (l. 16) est particulièrement imprécis. Georges resta higoumène jusqu’en
1056 (voir plus bas, § 39).
625. Sopeli (l. 22).
626. Livizdiaj (l. 22 ) : Libyzasda (actuel Olympias, probable site antique de Stagira), en
Chalcidique orientale, sur la côte du golfe du Strymon ; voir carte dans Iviron, I, p. 84 ; plan du
domaine et description des bâtiments dans Iviron, II, p. 47-48 ; la phrase qui suit laisse penser
qu’il n’y avait pas d’établissement monastique permanent.
627. Adgili mokceuli q’uri (l. 23) ; d’après le plan d’Iviron, II, p. 47, le village était un peu
en retrait par rapport à une baie dont le cap méridional est marqué par un fortin et au bord de
laquelle s’étend le domaine d’Iviron. PEETERS, p. 10427 : qui locus est reductus quidam sinus.
628. Ułnar-małnarni (l. 23-24) : SARDSHWELADSE, p. 1227, avec référence à ce passage :
« dichter Wald ». Pour TCHOUBINOF, p. 275, małnari désigne une forêt épaisse composée surtout
de chênes, d’où PEETERS, p. 1051 : inter iuga quercetis horrida.
629. Mimc’utar ars mun (l. 24). Mimc’utar : participe passé de mic’utoma, atteindre
(SARDSHWELADSE, p. 721).
630. D’après Iviron, II, p. 52 et n. 1, si Libyzasda correspond au site antique de Stagira, la
présence d’une statue antique au 11e siècle est très plausible.
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64 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Quand il vit les hommes qui l’adoraient progresser dans une telle malignité, son
âme fut affligée et courroucée par compassion pour eux631. Et un jour où il montait
une fois encore à la Ville royale, il passa chemin faisant dans le susdit proasteion et
ces gens égarés vinrent dire au saint : « Si tu veux revenir avec plein succès dans tout
800 ce qui t’occupe, prie notre déesse de t’assister <quand tu seras> en présence du roi ».
Et le saint leur dit : « Bien ! Bien ! Allons et montrez-la-moi ; je vous remercie de cette
bonne parole ». Les hommes conduisirent le géronte à leur déesse sourde et inanimée
et quand il la vit, il leur dit : « C’est bien pour le moment ; demain je viendrai en privé
et je la consulterai ». Le lendemain, quand il fit jour, il se fit donner un marteau par un
805 forgeron632 et le géronte partit en personne avec l’économe, en compagnie de deux
autres hommes ; et, en approchant, il se marqua le front du signe de la croix vénérable
et il commença à réciter le début de l’Évangile de Jean : « Au commencement était le
Verbe etc. » Et les hommes lui disaient : « Ah ! voici, elle te tue ! »633. Mais le géronte
rit d’eux et, tel un valeureux, armé de la croix du Christ, il se précipita brusquement
810 sur l’idole, il brandit le marteau et la frappa et il la réduisit en miettes ; et on peut en
141 voir encore un fragment634 | qui témoigne du zèle divin de cet homme de Dieu.
(§ 37) Et on eut de manière divinement belle la preuve que le saint qui resplendit
jusqu’à aujourd’hui comme la lumière du soleil avait aussi la grâce de la prophétie.
Car à l’époque où la reine Théodora tenait l’Empire des Grecs635, elle demanda à
815 Bagrat’, roi des Apxazes, de lui confier sa fille Marthe qu’elle élèverait comme sa
fille636. Tout joyeux, le roi Bagrat’ envoya637 sa fille Marthe avec sa suite. Or, en ces
jours-là, par la providence de Dieu, la reine Théodora mourut alors que la reine Marie,
mère du roi Bagrat’, se trouvait là et notre saint père y était aussi pour certaines
affaires638. Et quand la reine Théodora mourut comme nous l’avons dit, Marthe, fille
820 de Bagrat’, entrait précisément dans la <Ville> royale. Et quand le saint vit Marthe, il
prophétisa à l’ouïe de tous et dit : « Sachez tous qu’aujourd’hui une reine s’en est allée
et qu’une reine est arrivée »639. Et Marthe resta peu de temps ensuite, puis elle repartit
<dans le Pays d’>En haut640. Quand le temps fut venu, Doukas la demanda de nou-

631. C’q’alobisatws matisa (l. 8). PEETERS, p. 10512 : eorumque perniciem indigne ferebat.
632. Uroj mč’edlisagan (l. 19) ; mč’edeli : forgeron. PEETERS, p. 10523 : malleum ferrarium.
633. Mogk’lavs (l. 24) : de mok’lva, tuer, faire mourir, à la 3e pers. du présent, avec préfixe
d’objet direct g- (2e pers.). PEETERS, p. 10528 : mortem tibi conciscis.
634. Namušrevi (l. 27), d’après AIK : c’est un singulier, comme le verbe qui suit.
BCDEFGL : namušak’evi ou namošak’evi, ce qui a été fait ; d’où PEETERS, p. 10530 : cuius labo-
ris effectus adhuc aspectibus patent exposita…
635. Théodora (11 janvier 1055-21 août 1056) est appelée dedopali (l. 6 et plus bas, l. 11),
tout comme la reine Marie (l. 12).
636. Marthe est la fille de la seconde épouse de Bagrat’, Borena, fille et sœur du roi des
Alains ; voir plus haut, p. 21.
637. C’armogzavna (l. 9) ; la double particule c’armo donne à ce verbe le sens de envoyer au
loin (c’ar-) vers ceux qui parlent (mo-), donc à Constantinople ; SARDSCHWELADSE, p. 1495 :
« aussenden » ; même emploi au § 73 pour Bagrat’ qui envoie Georges. Le verbe ne peut signi-
fier : il fit venir ; Bagrat’ est donc à ce moment rentré en Géorgie, mais pas sa mère.
638. Georges n’était plus higoumène à cette date, mais pouvait avoir diverses raisons de
venir à Constantinople, ainsi pour des traductions, ou pour la question du métoque de
Mélissourgeion qui occupait son successeur Arsène : voir plus bas, p. 144 et n. 1475.
639. Personne ne peut alors se douter que Marthe allait plus tard épouser le futur Michel VII
Doukas : voir n. 643, § 74 et, plus bas, p. 179-180.
640. Littéralement : là-haut.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 65

veau641 et la fit entrer642 dans la <Ville> royale pour être sa belle-fille643. Et lorsque
825 ceux qui avaient entendu la prophétie du géronte la virent s’accomplir, tous furent
dans l’admiration et louaient Dieu qui révèle tout à l’avance à ceux qui font sa
volonté. Et la reine Marie dit de même au saint qui était en Orient644 : « Père, la pro-
142 phétie | que tu avais autrefois prophétisée au sujet de Marthe s’est accomplie ».

Démission de l’higouménat
(§ 38) Comme il en était ainsi et qu’il resplendissait d’une telle vie, il gouvernait645
830 ainsi le troupeau qui lui avait été confié, et tantôt il était dans la <Ville> royale devant
les pieux rois pour des affaires urgentes et de son ressort646, et tantôt il était de nouveau
dans le monastère et il gouvernait les affaires monastiques, dirigeait et régissait la vie
des frères. Il réalisa alors et comprit, par une providence divine, que le talent que Dieu
lui avait donné, c’est-à-dire la traduction des livres divins, ne fructifiait pas. Il se démit
835 de l’higouménat647 et demanda à tous les frères leur accord648. Bien qu’ils fussent déso-
lés et se soient jetés à ses pieds, il ne souffrit pas de leur obéir649, comme soulevé d’en
haut par Dieu et plein de certitude. Il quitta ainsi le monastère duquel il n’emporta rien,
pas même un follis650 ; et il laissa à l’église absolument tous les livres qu’il avait traduits
pendant qu’il était doyen ou higoumène : le Grand Synaxaire, le Lectionnaire annuel des
840 Évangiles, le Lectionnaire annuel de Paul, l’Euchologe, le Stoudite651 et quelques autres
livres652. Et il quitta ainsi le monastère, sans rien653, en dehors de ce que de pieuses gens
lui donnèrent pour viatique.
(§ 39) Et il lui arriva à deux reprises de fuir, celle-ci fut la seconde. La raison de
sa première fuite fut la suivante ; comme il ne voulait pas devenir higoumène, mais
845 qu’il désirait vivre seul654 dans l’hésychia655 et fuyait troubles et tracas, pour cette rai-

641. Dukic’ (l. 21) : ici Constantin X Doukas, 25 décembre 1059-21 mai 1067.
642. Šemoiq’vana (l. 22), avec le double préfixe še-, dans, et mo-, qui renvoie à ceux qui par-
lent. Le verbe équivaut à eijsavgw, faire entrer.
643. Sdzlad twsad (l. 21) ; PEETERS, p. 10618 : ad suum conubium. Épouse (de quelqu’un) se
dit coli ; le mot employé ici, comme au § 741538, sdzali, désigne soit la belle-fille (femme du fils)
soit la belle-sœur (femme du frère) : SARDSHWELADSE, p. 1124-1125 ; Marthe épousa le fils de
Constantin, le futur Michel VII Doukas (1071-1078).
644. C’est-à-dire en Géorgie.
645. Ganagebda (l. 4) : de gangeba, gouverner, régir, que l’on retrouve plus bas à la fin du
§ 39 n. 659.
646. Satanadota (l. 6) : de satanadoj ; SARDSCHWELADSE, p. 990 : « entsprechend, gebüh-
rend ». PEETERS, p. 10628 : opportuna.
647. La démission (džmnaj, voir l. 11 : idžmna) de Georges eut lieu sous Constantin IX, donc
avant janvier 1055 ; voir plus bas, p. 144-145.
648. Šendobaj (l. 12) : pardon, accord (SARDSCHWELADSE, p. 1360 : « Verzeihung,
Vergebung »). PEETERS, p. 1072 : (discedendi) veniam.
649. Ara tavs-idva morčilobaj (l. 13-14). PEETERS, p. 1073-4 : non iis morem gerere ausus est,
inutilement compliqué.
650. Poladmdeca (l. 16), de poli : fovlli" (SARDSCHWELADSE, p. 1260), mais dans BCDFGL :
q’oladmdeca, d’où, avec addition, PEETERS, p. 1076 : ex huius rebus nihil omnino sibi acciperet.
651. St’oudieli (l. 20). Parmi les Petites Catéchèses composées par Théodore Stoudite se
trouvent les 57 homélies pour le Grand Carême dont Georges fit la traduction en 1042 (GARITTE,
Marthe, p. VI n. 13) ; l’ouvrage est souvent appelé « le Stoudite ». La traduction n’a pas été men-
tionnée plus haut, § 24.
652. Je ne connais pas les livres traduits par Georges durant son higouménat.
653. Carieli ou calieri (l. 21), littéralement : vide ; PEETERS, p. 10710 : expeditus.
654. Tavisa twsisa tana (l. 25), littéralement : avec lui-même.
655. Mq’udroeba (l. 25-26) : de q’udroebaj, hJsuciva.
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66 BERNADETTE MARTIN-HISARD

143 son, | à l’insu de tous, il recourut à la fuite. Et quand il arriva sur la Montagne Noire, il
fut vivement réprimandé par Georges, son maître, pour avoir abandonné ses brebis
humaines et il lui rappela la parole du Sauveur qui avait dit à l’apôtre Pierre : « Si tu
m’aimes, pais mes brebis »656. C’est pourquoi, sur l’ordre de son maître, il retourna
850 sur la Sainte Montagne et, sous la pression renouvelée de tous les frères657, il prit en
main la fonction d’higoumène et il resta un certain temps658 à gouverner659 ainsi que
cela a été décrit plus haut.
Et il y eut ensuite son second départ à cause de la traduction des saints livres. Et il
arriva ainsi dans la Ville royale et reçut du roi660 sa liberté661 ; bien que cela en ait
855 coûté662 au roi […]663 qui avait grande confiance, il ne s’y opposa pas, et même, grâce
à l’aide de Marie, mère de Bagrat’, qui se trouvait elle-même là, comme nous l’avons
déjà dit664, il emporta à Saint-Syméon la ration665 de trois personnes et il arriva ainsi à
la Montagne Noire avec des lettres royales et <les frères> l’accueillirent avec joie, lui
manifestèrent grande affection et pourvurent à tous ses besoins.

3. Les années syriennes

Pèlerinage à Jérusalem

860 (§ 40) Et après cela, la reine Marie, mère du roi Bagrat’, quitta la Ville royale pour
la ville d’Antioche, car elle désirait aller prier dans la sainte ville de Jérusalem et
vénérer les lieux saints et salvifiques666. Et elle avait un mandement royal667 pour
l’archonte668 et pour le patriarche d’Antioche669 afin de lui assurer un voyage en

656. Voir Jn 21, 15-17.


657. Voir plus haut, § 25.
658. Žam ravdenme (l. 8).
659. Gangebita (l. 9) : voir plus haut, n. 645. PEETERS, p. 10722 : eadem ratione.
660. Mepe (l. 11 et 12) : roi, c’est-à-dire Constantin Monomaque : voir plus bas, p. 145.
661. Je ne suis absolument pas MET’REVELI, Normes, p. 218, qui rapproche cette phrase d’une
autre au § 791621, pour affirmer que cette liberté était temporaire et prévoyait le retour de
Georges dans ses fonctions d’higoumène ; voir plus bas, n. 1054.
662. Udznda (l. 12) : de dzneba, peser, être difficile (SARDSCHWELADSE, p. 1476 : « schwerfal-
len ») ; BCDEFGL : unda, il lui plut ; d’où l’aménagement de PEETERS, p. 10725 : quamvis liben-
ter ei restitisset.
663. Le nom du roi est resté en blanc dans le manuscrit A et est absent dans les autres.
664. Une formule qui renvoie au § 37 et qui a conduit à placer la démission de Georges sous
Michel VI, mais que l’on peut interpréter comme soulignant la permanence de Marie à
Constantinople, après le départ de son fils : voir plus bas, p. 144-145.
665. P’uri (l. 15), littéralement : pain ; PEETERS, p. 10728-29 : trium hominum alimentum acce-
pit pro (coenobio) sancti Symeonis. Georges emporte le texte d’une donation impériale attri-
buant à Saint-Syméon une dotation couvrant la ration alimentaire de trois moines. Regesten2,
no 931e (qui l’attribue à Michel VI et en fait un chrysoboullos logos, ce que rien n’indique ici)
parle de kathismata.
666. En 1055, sous Théodora : voir plus bas, p. 158-159.
667. Brdzanebaj (l. 23) : ordre, kevleusi". Regesten2, n° 931f ; ibid., no 959 crée un autre
ordre royal au duc d’Antioche en 1065 pour Marie, fille de Bagrat’ (l’erreur venant de BROSSET,
Histoire, p. 330).
668. Tavadi (l. 24) : chef, en l’occurrence le duc d’Antioche Katakalon Kékauménos ; un peu
plus bas il est dit mtavari, mot de même racine (tavi : tête, sommet) ; je rends les deux mots par
archonte, comme au § 761571 ; le mot de duc n’est cependant pas ignoré de l’hagiographe : voir
§ 54 n. 821.
669. Pierre III.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 67

670
144 grande pompe et honneur. Mais le patriarche et l’archonte | réfléchirent et ils déci-
865 dèrent, avec l’avis du père Georges, que : « Il n’est pas bon pour la mère des rois
d’Orient d’aller en Saracénie671, car ils dominent cette région à cause de nos
péchés »672. Et ils en informèrent la reine par l’intermédiaire de Georges, son
maître673, et ils l’empêchèrent de partir674. Bien qu’elle en fût affligée, elle ne put
s’opposer à la volonté de Dieu. Alors elle pria le saint géronte d’avoir pitié de son
870 âme ainsi qu’il en avait l’habitude, et de combattre pour son salut et, puisqu’elle-
même ne méritait pas d’aller dans les lieux saints et vénérables, d’aller porter à
Jérusalem l’argent dont elle s’était munie pour la route et de le distribuer aux pauvres
et aux indigents de la Ville sainte et aux saints monastères qui sont construits dans ses
environs.
875 Bien que cela en coûtât au géronte parce que cela l’empêchait de traduire les
saints livres, il se montra avant tout soucieux du salut de l’âme <de la reine> et il se
souvint de la parole que l’apôtre écrivit aux Corinthiens : « Voilà que je monte à
Jérusalem pour le service des saints »675 et la suite. Aussi prit-il l’argent qu’elle avait
préparé pour le distribuer et, avec l’aide de Dieu, il partit avec un seul disciple. Il
880 arriva à la sainte ville de Jérusalem, tranquillement et sain et sauf ; il visita les lieux
saints et reçut la bénédiction des saints pères et il partagea généreusement l’argent qui
lui avait été remis entre tous les infirmes et les indigents.
(§ 41) Or le bienheureux père Prochore676 était en train de fonder le monastère de
145 la Croix677. | Il lui rendit visite et l’aida par de grandes sommes d’argent. Et le digne
885 géronte suppliait <Georges> de faire don à la Croix vivifiante du premier fruit de ses
saints livres et, bien qu’il ne l’ait pas fait par la suite, les disciples <de Georges>
accomplirent plus tard sa volonté, après la mort de Prochore, et déposèrent dans ce
saint monastère les Ménées et le Triodion678.
Mais revenons à notre propos initial. Quand il eut apporté tout réconfort et sollici-
890 tude aux pauvres, le saint père Georges retourna sur la Montagne Noire et il y parvint
tranquillement par la volonté de Dieu. Il combla de joie la pieuse reine679 qui repartit
quelque temps plus tard dans son royaume ancestral auprès de son fils, le roi

670. Mtavari (l. 25) ; voir n. 668.


671. Sasark’inozeti (l. 3) : Saracénie, ici les territoires soumis au calife fatimide d’Égypte, al-
Mustansir (1036-1094), dont l’autorité couvrait Jérusalem et s’étendait jusqu’aux frontières
d’Antioche.
672. En 1055, la situation s’était tendue entre l’Empire et les Fatimides : voir plus bas,
p. 157.
673. Georges était le père spirituel de la reine Marie.
674. Daaxrc’ies (l. 6) : de daxrc’eva, empêcher ; daacxures BCDFG. L’interdiction concerne
évidemment la reine : je ne comprends pas PEETERS, p. 10812 : eum ( ?) ab itinere deterruerunt.
675. Rm 15, 25.
676. Georges Prochore est connu par une courte Vie synaxariale, rédigée peu après sa mort,
entre 1066 et 1070 (éd. MLHG, IV, p. 345-346, avec introd. p. 98-111). Voir aussi MENABDE,
Foyers, II, p. 80-89. Né vers 985-990 au T’ao-K’lardžeti, il avait été élevé dans le Džavaxeti, à
C’q’arostavi ; après un pèlerinage à Jérusalem vers 1010-1015, il devint moine à Saint-Sabas ;
au début du 11e siècle il se trouvait à Iviron où Euthyme l’envoya fonder le monastère de la
Croix à Jérusalem, ce qu’il fit dans les années 1040. Il lui donna la règle de Saint-Sabas ; il
démissionna de sa charge d’higoumène en 1060 et se retira au désert où il mourut en 1066.
677. L’expression mašin oden… ašenebda (l. 26), il était en train de fonder (littéralement :
alors seulement… il fondait), montre que la fondation était en cours. Il n’avait pas été question
de ce monastère lors du premier pèlerinage de Georges.
678. Sur ces textes traduits par Georges, voir plus bas § 44.
679. Sur ce passage, voir plus bas, p. 159.
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68 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Bagrat’680. Et le saint géronte se trouva dégagé681 de toute agitation et préoccupation


et, libéré de tout souci, il commença à traduire les saints livres, selon ce que le Saint-
895 Esprit lui inspirait.

Traductions

(§ 42) Car vous savez tous qu’aucun autre traducteur de cette qualité ne s’est
manifesté dans notre langue en dehors de notre saint père682 et je pense qu’il ne s’en
manifestera pas non plus. Il traduisait la plupart des livres la nuit et ainsi il traduisait
sans relâche et il suivait sa règle sans manquement. Il ne s’accordait absolument
900 aucun repos, mais, jour et nuit, il se montrait avide683 du doux miel des livres divins
grâce auxquels684 il rendit douce notre langue et belles685 les saintes églises ; il les
enrichit de l’or de ses écrits, libéralement et surabondamment, car il ressembla à l’ou-
vrier qui extrait l’or, ainsi qu’il est écrit à propos des alchimistes686 qui extraient l’or
des profondeurs de la terre grâce aux multiples procédés de la science687 et qui, par le
146 creuset | et par le feu, révèlent son éclat. De même l’esprit de notre saint père fut
le creuset qui réalisa la fusion de cet or que sont les textes688 par le feu de l’Esprit
saint et qui rougit l’or au feu et le sépara du plomb et de la glaise689. Car il fit resplen-
dir dans la lumière, arrachés aux profondeurs de l’ignorance, plusieurs livres, jus-
qu’alors totalement inexistants et inconnus dans notre langue. D’autres, déjà traduits,
910 mais qui n’avaient pas été bien transmis690 encore ou avaient été corrompus au cours
du temps par des utilisateurs ignorants et stupides, il les fit fondre, comme nous
l’avons dit, et il les rougit au feu dans le creuset de sa sainte intelligence. Il termina
encore et compléta d’autres livres, traduits par notre saint père Euthyme, mais restés
inachevés faute de temps et écrits de manière brève691. Et il en vérifia encore d’autres
915 sur le grec692 et il élimina toutes leurs lacunes, il les orna et les fit briller en les déga-
geant de toute impropriété693 et de toute ambiguïté694, ainsi l’Évangile lui-même et
Paul.

680. Bagrat’ était retourné en Géorgie à la fin du règne de Monomaque : voir plus bas,
p. 151.
681. Moicala (l. 13) : de mocaleba, avoir du temps, être libre.
682. Sur la base de BDEFGIL, l’édition, l. 17, ajoute Eptwmesa, Euthyme ; de même
PEETERS, p. 10921 : Euthymio. Mais le texte laisse plutôt comprendre qu’il s’agit de Georges.
683. Šureboda (l. 23) : de šureba, être avide de ; PEETERS, p. 10927 : carpebat.
684. Romelta (l. 23) est un pluriel que PEETERS, p. 10927, traduit par un singulier renvoyant à
miel : quo.
685. Ganašuenna (l. 2) : de ganšueneba, rendre beau (SARDSHWELADSE, p. 226) ; PEETERS,
p. 10928 : recreavit.
686. Kimiata (l. 26) : de kimiaj, alchimie. On comprend plutôt ici alchimiste.
687. Sibrdznisajta (l. 27) : de sibrdznej, sagesse, science ; om. BCDEFGL et PEETERS,
p. 10931 : plurima cum industria.
688. Sit’q’weri (l. 2), littéralement : qui parle. PEETERS, p. 10933 : rationalis.
689. Tiqaj (l. 4) : argile, boue, fange.
690. C’ut ver k’etilad gamołebulni (l. 7-8) ; PEETERS, p. 1103 : necdum probe editos. Je m’ap-
puie sur ŠANIDZE, Remarques, p. 119.
691. Sulmcired (l. 13) ; PEETERS, p. 1107 : stylo breviore ; de même plus haut, n. 506.
692. Certaines traductions reprises par Georges avaient été établies sur un texte arabe.
693. Sit’q’ua-duxč’iroba (l. 15), où duxč’iri signifie mauvais, impropre : on peut hésiter
entre barbarisme, faux-sens, contresens ; PEETERS, p. 1109 : ab orationis barbarie.
694. SARDSCHWELADSE, p. 1096, traduit ainsi ce passage : « Einige andere läuterte er vom
Lästern und von Hinterhältigkeit ».
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 69

(§ 43) Mais il me faut citer par leur nom certains des livres que le bienheureux a
traduits, pour faire connaître par là aux fidèles du Christ le labeur de ce saint homme.
920 En effet il ne fit pas ces traductions seulement sur la Sainte Montagne ou sur la
Montagne Noire, et nous aurions <pu> alors en faire la liste séparément695, mais dans
la <Ville> royale et696 en voyage, à Sélymbrie697, à Antioche, à Saint-Syméon698, à
147 K’alip’o699 et autres lieux de ce genre. | Et certains livres ont été copiés deux ou trois
fois700, ce qui conduit à se demander grandement701 comment un seul homme au cours
925 de sa vie a pu non seulement intégralement traduire du grec tant de livres, mais encore
en copier autant, déjà traduits, que ce que cet homme copia de manière sublime et
divinement resplendissante702.
(§ 44) Il traduisit, comme nous l’avons dit,
— le Grand Synaxaire, fondement des églises703,
930 — le Lectionnaire annuel de l’Évangile704,
— tout Paul et les Actes des Apôtres et les <épîtres> catholiques des Apôtres705,
— le Lectionnaire annuel de Paul706,
— le Prophètologion de l’année707,
— les douze Ménées entièrement et brillamment708,
935 — les stichères709 annuels des fêtes qui ont été écrits avec les Ménées710, les stichères

695. De même PEETERS, p. 11015-16 : ita ut eos singillatim recensere possimus ; cette phrase,
assez curieuse, semble dire qu’on aurait pu classer les traductions de Georges en deux groupes
distincts, athonite et syrien, s’il ne les avait effectuées un peu partout.
696. Da (l. 23) : om. BCDEFGL ; d’où PEETERS, p. 1106-17 : in itinere ad urbem regiam.
697. Sélymbrie, en Thrace, sur la côte nord de la Propontide, à l’extrémité orientale de la via
Egnatia.
698. Iv 45 (BLAKE, Iviron 2, p. 238 ; DJOBADZE, Materials, p. 37) contient la traduction du
P’arak’lit’on effectuée « sur le Mont Admirable, dans la laure de notre saint père Syméon
Thaumaturge ».
699. K’alip’o ou K’alip’oli. MENABDE, Foyers, II, p. 158-159 ; DJOBADZE, Materials, p. 97-
100 ; TODT, Region, p. 927-928. Monastère proche d’Antioche, dédié à la Mère de Dieu, connu
au 11e siècle par les colophons de plusieurs manuscrits : P 3 copié en 1040 (voir le texte dans
DJOBADZE, Materials, p. 7-12), A 484 (cité n. 137) antérieur à janvier 1055, K 76 copié en 1060
(Catal. Kutaisi, I, p. 215-216).
700. On comprend : « copiés par Georges ».
701. Mosagonebeladca did ars (l. 2). PEETERS, p. 11019-20 : adeo ut vel intellectu arduum foret.
702. La traduction tente de rendre une phrase géorgienne particulièrement complexe.
703. Voir § 24 n. 504.
704. Ibid., n. 509.
705. Ibid., n. 515.
706. Ibid., n. 510.
707. Ibid., n. 511.
708. D’après le § 24, à Iviron, Georges avait simplement complété la traduction des Ménées
de septembre. Ici il s’agit des douze mois, chants compris, copiés en différents volumes, par
mois ou par groupe de mois ; voir Synodikon, no 32, plus haut, n. 71.
709. St’ikaronni, l. 11. Les tropaires sont les chants d’origine ecclésiastique qui se sont ajoutés
aux psaumes et aux neuf odes : WELLESZ, p. 138 ; Typikon de la Grande Église, II, p. 323-325 ; cer-
tains tropaires qui sont chantés entre les versets (ou stiques) des psaumes, notamment à l’Office du
Soir et à Laudes, sont dits stichères ; cependant, sur le plan du vocabulaire, la distinction entre sti-
chères et tropaires n’est pas toujours couramment bien établie dans la langue géorgienne qui ne
dispose pas d’une riche terminologie en matière d’hymnographie ; ainsi les tropaires peuvent être
désignés par st’ikaronni (ce terme n’est donc pas univoque), mais aussi dasdebelni ou dasadebelni,
et encore sagalobelni ; voir RENOUX, Hymnes, p. 14-15, 77-78, 81-82.
710. Voir n. 708.
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70 BERNADETTE MARTIN-HISARD

de chaque jour711, <les stichères> idiomèles sans hirmes712, tels qu’ils sont écrits en
grec, et encore les stichères qui dépendent d’hirmes713 dans lesquels se trouvent beau-
coup d’autres beaux <textes>714, parmi lesquels aussi les stichères des Carêmes715,
— le grand P’arak’lit’on716, ornement des églises, rempli de beaucoup d’autres beaux
940 <textes>, les Jeûnes717 et le Pentèkostarion718, également rempli de divers beaux
<textes>,
— le livre des Catéchèses de Théodore Stoudite, lecture des Grands Carêmes719,
— le livre de la Genèse, commentaire, homélie<s> de Jean Chrysostome720,
— le livre du [6e] concile, des lettres de saint Cyrille et d’autres saints pères sur l’ex-
945 communication de l’impie Nestorius721,
— le livre de Grégoire de Nysse dont la beauté et la louange dépassent tout ce que
l’on peut en dire, le livre de l’Hexaèméron composé par saint Basile722,

711. Samaradisoni (l. 12) : quotidien. Ce sont les tropaires du P’arak’lit’on (voir n. 716).
712. Twt avadžni uzlisp’ironi (l. 13). Sur le plan mélodique, les tropaires idiomèles sont
chantés selon une mélodie propre et ne dépendent pas d’un hirme ; l’hirme (de heirmos, qui
signifie suite, enchaînement ; en géorgien dzlisp’iri) est le premier tropaire de chaque ode du
Canon de l’Office, qui sert de modèle rythmique et mélodique aux autres tropaires de l’ode ; le
théotokion (łmertismšobisaj) est le dernier tropaire d’une ode et se rapporte toujours à la Mère
de Dieu.
713. Les hirmes (compositions anciennes des 7e-9e s.) ont été réunis dans des Hirmologia
destinés aux chantres et pouvant servir de modèles pour la composition de canons nouveaux :
voir MET’REVELI, Hirmes ; MET’REVELI et OUTTIER, Contribution.
714. La formule « autres <textes> » se trouve dans les Hirmologia ; à côté de l’hirme princi-
pal de chaque ode, on trouvait deux ou trois autres hirmes, appelés eiJrmo;" a[llo" ou eiJrmo;"
e{tero" ou simplement a[llo" (en géorgien sxvani, autres), ce qui laissait aux chantres la liberté
de choisir : voir RENOUX, Hymnes, p. 87.
715. Il s’agit des tropaires et stichères des fêtes mobiles du Carême contenues dans le
Triodion (voir n. 717).
716. P’arak’lit’on (l. 16) : en grec le Paraklètikè, encore appelé Octoèque ; il contient le
Propre des Vêpres, des Matines, des Laudes et de la Liturgie pour tous les jours de l’année ; il
est divisé en 8 parties, chacune contenant les offices d’une semaine complète et chantée selon
un des huit modes (èchos). Les huit séries d’offices se succèdent régulièrement ; quand la série
du dernier mode est terminée, on reprend celle du premier, etc. : WELLESZ, p. 138 ; GÉHIN,
FRØYSHOV, p. 178. Chaque jour l’Office est pris dans le Paraklètikè, combiné éventuellement
avec l’office d’une fête fixe ou mobile.
717. Marxvani (l. 6) ou Didi marxvani : les Grands Jeûnes, c’est-à-dire le Triodion qui
contient le Propre des dix semaines avant Pâques ; les canons n’ont que trois odes au lieu de
neuf.
718. Zatikni (l. 17) : le Propre du temps de la Pentecôte, depuis le dimanche de Pâques jus-
qu’au premier dimanche après la Pentecôte. Parmi les manuscrits : Iv 24, sous Michel VII
(BLAKE, Iviron 2, p. 138-139) ; Iv 45, autographe et écrit sur le Mont Admirable (ibid., p. 238-
239) ; Iv 63, du 11e siècle (ibid., p. 252) ; Iv 34, de 1080-1081 (ibid., p. 159).
719. Voir § 38 et n. 651.
720. Voir § 24 n. 513.
721. Textes perdus. On ne connaît aucun manuscrit contenant « le livre du 6e concile » et
« les lettres de saint Cyrille et d’autres saints pères sur l’excommunication de l’impie
Nestorius », cités ici ensemble. Le premier, qui concernerait le concile in Trullo, a déjà été tra-
duit par Euthyme. On est tenté de retenir l’hypothèse de TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 173, qui
suggère de corriger la lecture de la lettre v- (qui indique 6) par la lettre g- (qui signifie 3) ; dans
ce cas il s’agirait d’un livre concernant le concile d’Éphèse, ce qui expliquerait que Georges se
soit également préoccupé de « lettres » relatives à Nestorius.
722. Les traductions du De opificio hominis de Grégoire de Nysse (CPG 3154) et de
l’Hexaèméron de Basile de Césarée (CPG 2835) ont circulé dans les mêmes manuscrits : voir
ABULADZE, Rédactions anciennes.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 71

— les Lettres de saint Ignace le Théophore723,


148 | — le livre du Psautier, le David, ornement et couronne de tous les livres724.
950 (§ 45) Et s’il est quelque personne pleine de zèle, amie du père et, pour mieux
dire, amie de Dieu725, qui veuille connaître le contenu726 de chaque livre <et> ce qui
<y> est écrit, il trouvera à la fin de ce même livre une table des matières727 de chaque
livre qui énumère et explique728 et un colophon729 divinement beau et éclatant que le
saint géronte [Pierre]730 patrice, autrefois P’et’rik’, écrivit lorsqu’il copia pour lui-
955 même ces saints livres, il énuméra de manière détaillée chaque hymne et verset731
avec beaucoup de soin et de patience732.
Notre père théophore Georges traduisit tous ces livres et de bien plus nombreux
encore733, et ainsi grandit le talent qui lui avait été confié.

Entretiens avec les patriarches

Pierre III
(§ 46) Il résidait tantôt à Saint-Syméon et tantôt à K’alip’o et il ne s’accordait
960 aucun repos au point que tous s’en émerveillaient, non seulement les Géorgiens, mais
aussi les Grecs et les Syriens, et c’est ainsi que le bienheureux [Pierre]734, patriarche
d’Antioche, entendit parler de son mode de vie735. Il le fit venir et s’entretint avec lui
à partir des saintes Écritures de multiples façons, d’abord au sujet de l’orthodoxie et
des canons de l’Église736, puis sur le bien de l’âme, sur les vertus et les passions737. Et
965 comme il le trouva compétent en tout, il s’en remit entièrement à lui pour toute sa vie
149 et il l’interrogeait sur ses pensées738 et aussi sur toutes les affaires de l’Église739. | Et

723. CPG 1025-1026 ; voir IGNACE D’ANTIOCHE. Les manuscrits géorgiens sont nombreux.
724. Voir ŠANIDZE, Psautier ; la traduction de Georges (ou recension C) constitue la vulgate.
Le texte des neuf odes ou cantiques fait généralement suite au Psautier dans les manuscrits.
725. « Et pour mieux dire, amie de Dieu » : om. BCDEFGL et PEETERS, p. 11120.
726. Dzali (l. 5). PEETERS, p. 11121 : argumentum.
727. Zanduk’i (l. 7).
728. Ałricxulad da ganmart’ebulad (l. 6) : attributs à l’adverbial et non pas épithètes.
PEETERS, p. 11123 : indicem plenissimum et explicatissimum.
729. Anderdzi (l. 7).
730. MET’REVELI, Jean, a montré qu’il fallait lire ici non pas Ioane retenu par l’édition (l. 8)
et par PEETERS, p. 11124 (Iohannes), mais P’et’re, donné par A et K ; voir MARTIN-HISARD,
Pierre III.
731. Galobaj da dasdebeli (l. 10) ; sur ces deux mots, voir n. 709 ; dasdebeli : verset qui
accompagne un psaume ou tropaire. PEETERS, p. 1122 : singulos hymnos canonesve.
732. Sur l’activité de Pierre, voir plus haut, p. 12-14.
733. Sur ces autres traductions, voir plus bas, p. 177-178.
734. Au lieu de Ioane (éd., l. 19 ; PEETERS, p. 11210, Iohannes), il faut retenir P’et’re de A et
K : voir n. 730. Sur Pierre III, voir TODT, Region, p. 668-691 ; MARTIN-HISARD, Pierre III.
735. Ce passage n’exclut pas que Pierre ait déjà connu l’existence de Georges (voir § 40) : ibid.
736. BCDEFGL om. « D’abord au sujet de l’orthodoxie et des canons de l’Église », d’où
PEETERS, p. 11211-12 : eum primo de divinis scripturis multifariam interrogavit, dein de animorum
utilitatibus… Sur ce passage, voir plus bas, p. 161 et 187.
737. Vnebata (l. 23) : de vnebaj : passion. PEETERS, p. 11212 : vitiis.
738. Gulis-sit’q’uaj (l. 25) : équivalent de logismov", pensée, bonne ou mauvaise, le plus sou-
vent mauvaise et susceptible de conduire à la passion et au péché. Allusion non pas à l’aveu des
péchés en vue de l’absolution, mais à la pratique de la manifestation ou de l’extériorisation des
pensées (ejxagovreusi") en vue de conseils à recevoir qui relève de la direction spirituelle ;
HAUSHERR, Direction, notamment p. 212-230.
739. Entre le début de l’année 1055 et juillet 1057, ces conversations ont dû porter sur les
monophysites (jacobites surtout, Arméniens peut-être aussi) qui soulevaient à Antioche des pro-
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72 BERNADETTE MARTIN-HISARD

lorsque, par la jalousie de l’Ennemi, un incendie éclata dans Théoupolis740 et consuma


le temple du saint apôtre Pierre741, le patriarche fut alors la proie d’une immense
affliction et de tourments jusqu’à ce que le saint géronte arrive et dissipe toute son
970 affliction et sa désolation par des paroles de réconfort et des enseignements spirituels.
C’est pourquoi il reconnaissait et disait : « Si Ta Sainteté ne s’était pas empressée de
venir à moi742, ô saint père, peu s’en serait fallu que, de tristesse, mon âme ne descen-
dît aux enfers ! » Peu après le saint patriarche, ainsi rempli d’affection et de confiance
pour cet homme de Dieu, partit vers le Seigneur743.

Théodose III
975 (§ 47) Et, après lui, Théodose, originaire de la Ville royale, prit le trône744, un
homme important et un philosophe, éprouvé en les deux vies745. Et, à cause de sa
récente arrivée, il ne connaissait pas encore le saint géronte. Et voici comment et
quand ils firent connaissance.
Par une jalousie diabolique, des hommes de Saint-Syméon se dressèrent contre
980 nous, les Géorgiens, et ils voulaient extirper notre peuple radicalement de Saint-
Syméon ; et ils méditèrent avec perfidie d’imputer quelque erreur à notre sainte ortho-
doxie et d’essayer par là de nous extirper complètement de cette célèbre laure où nous
fûmes établis dès le début par saint Syméon lui-même746. Ils s’entendirent ainsi
méchamment et ils allèrent trouver le patriarche Théodose qui venait d’arriver et était
150 encore ignorant. Ils | se prosternèrent devant lui, avec une feinte inquiétude, et lui
dirent : « Saint Seigneur, aide-nous et délivre-nous d’une grande détresse, libère-nous
d’hommes vains747, d’origine étrangère748 ; il y a en effet dans notre monastère envi-
ron soixante hommes qui se disent géorgiens, et nous ne savons749 pas ce qu’ils pen-

blèmes théologiques fondamentaux et sur les reproches formulés contre les Latins par Michel
Cérulaire, repris par Pierre III, dans sa réponse aux deux lettres du patriarche que l’on peut dater
au plus tôt de l’automne 1054. Voir plus bas, p. 187 et MARTIN-HISARD, Pierre III.
740. Łmertisa kalaksa (l. 2) : la Ville de Dieu, Théoupolis, autre nom d’Antioche, qui appa-
raît ou se développe au 6e siècle ; cette appellation est le plus souvent attribuée à Justinien
(ÉVAGRE, Histoire ecclésiastique, IV, 6, éd. BIDEZ, p. 15622-24 ; THEOPHANES, Chronographie,
A. M. 6021, éd. DE BOOR, p. 17733-1787) ou à Syméon le Jeune (MALALAS, XVIII, p. 443, éd.
Bonn, p. 44316-22) ; elle figure dans la titulature officielle de Pierre III ; voir plus bas, p. 172.
741. Sur l’incendie de la cathédrale, dédiée à Pierre, fondateur de l’Église d’Antioche, en
juillet 1057, voir plus bas, p. 158.
742. Momašural iq’o (l. 7) ; voir § 30 n. 587 ; SARDSHWELADSE, p. 756 : « betrübt, herge-
kommt » ; il retient ce dernier sens pour traduire ce passage. PEETERS, p. 11220 : Nisi sanctitas tua
mei sollicita fuisset…
743. Le patriarche est donc mort peu après l’incendie, au plus tard dans la première quin-
zaine d’août 1057 : MARTIN-HISARD, Pierre III.
744. Théodose, patriarche d’Antioche, est mentionné par SKYLITZÈS (éd., p. 499 ; trad.,
p. 410) comme rallié à Isaac Comnène à Constantinople dès le 31 août 1057.
745. Théodose Chrysobergès vivait dans un monastère de Bithynie au moment de sa nomina-
tion par Michel VI, certainement avec l’accord de Michel Cérulaire. Sa famille, connue depuis
le 10e siècle, avait déjà fourni un patriarche de Constantinople, Nicolas II (980-992), et fournira
plus tard plusieurs hauts fonctionnaires du patriarcat de Constantinople et des métropolites :
CHEYNET, Pouvoir, p. 262 ; IDEM, Duchy ; TODT, Region, p. 693-696.
746. Sur l’arrivée des Géorgiens à l’époque de Syméon, voir plus bas, p. 129.
747. Amaota (l. 3) : de amaoj, vain, inutile, nul ; PEETERS, p. 12319 : leviculis.
748. Ucxoteslta (l. 3) : de ucxotesle, étranger, littéralement : une race étrangère. PEETERS,
p. 11319-20 : peregrini generis.
749. Uc’xit (l. 5) est une 1ère ou une 2e personne du pluriel du présent ; uc’q’ian dans
BCDFGL, d’où PEETERS, p. 11321 : neque (ullus) novit.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 73

sent, ni quelle est leur foi et ils se sont emparés sans payer750 de la moitié de notre
990 monastère ! »751. Et quand le patriarche entendit cela, il fut stupéfait et leur dit : « Et
comment se peut-il que les Géorgiens ne soient pas orthodoxes ? ». Car il ne connais-
sait pas encore notre peuple. Et ils le lui affirmaient et ils lui dirent comme pour cou-
vrir leur méchanceté : « Nous ne savons pas s’ils sont Géorgiens ou Arméniens752,
mais leurs prêtres ne peuvent pas célébrer la liturgie dans notre monastère ».
995 (§ 48) Et ils disaient la vérité753. Car depuis longtemps754 et jusqu’alors, il n’était
pas possible à un prêtre géorgien de célébrer la liturgie à Saint-Syméon pour la raison
suivante. À un certain moment, un prêtre de village récemment arrivé était monté sur
la colonne de saint Syméon pour célébrer la liturgie avec ses sandales755 et une cha-
suble756, sans le vêtement sacerdotal, comme c’était notre règle autrefois. C’est pour-
1000 quoi ils ne permettaient pas aux prêtres géorgiens de célébrer la liturgie, mais ils
avaient décrété qu’ils communieraient avec eux757. Et personne ne doit s’imaginer
qu’il y avait une autre raison ; et pourtant ces menteurs le donnaient à entendre au
patriarche. Et il s’étonna de tout cela et leur dit : « N’y a-t-il personne dans leur peuple
151 qui connaisse la langue grecque et soit instruit | des textes ? ». Et ils furent bien forcés
1005 d’avouer : « Eh bien, il y a un certain moine, un grammairien, et il traduit les livres
grecs en géorgien ». Alors le patriarche s’empressa de faire venir le géronte.
(§ 49) Et quand le géronte fut entré en sa présence, il le salua758 respectueusement,
le fit asseoir et commença à parler au géronte des livres inspirés de Dieu. Et, sur
quelque sujet qu’il l’interrogeât, <le géronte> répondait de manière divinement belle.
1010 Alors le patriarche comprit que la grâce de Dieu habitait en lui et il dit au géronte :
« Vénérable père, Dieu soit béni de ce que j’ai vu Ta Sainteté ; et voilà, je constate,
par la miséricorde de Dieu759, que, bien que tu sois géorgien d’origine, pour tout le
reste de ta culture cependant tu es parfaitement grec. Mais, à propos de ton peuple,

750. Doriasad (l. 6-7) ; SARDSCHWELADSE, p. 414 : « kostenlos, unentgeltich », avec référence
à cette phrase.
751. Zogi monast’risaj daup’q’ries (l. 7). Zogi (ici avec un complément de nom) équivaut à
h{misu ou à mevro" (MOLITOR, 1, p. 133) : SARDSCHWELADSE, p. 475 : « Hälfte, irgendein, gemein-
sam » et traduit précisément ce passage : « So kostenlos haben sie die Hälfte des Klosters in
Besitz genommen ». Je comprends d’autant moins PEETERS, p. 11322-23 : Sic aliquando fiet ut
monasterio potiantur, que l’édition ne signale pas de variantes du texte dans les manuscrits. Sur
ce passage qui implique l’accaparement de terres ou de bâtiments, voir plus bas, p. 159.
752. Sur la présence arménienne en Syrie, GARSOÏAN, Integration, p. 104-108 ; DÉDEYAN,
Arméniens.
753. Sur l’histoire qui suit, voir MARTIN-HISARD, Liturgie.
754. L’épisode qui va être raconté est ancien, mais ne peut être daté.
755. Kalamani (l. 19) ; SARDSCHWELADSE, p. 1269 : « Ledersandale ».
756. Sabeč’uri (l. 19) ; ibid., p. 974 : « Umhang » ; TCHOUBINOF, p. 419 : court manteau des
moines. K’EK’ELIDZE, Canonaire, p. 336-337, à propos de cet épisode, pense qu’il s’agit non pas
d’un vêtement monastique, mais du vêtement liturgique de l’époque pré-athonite, une chasuble
qui se jetait sur les épaules et se fermait sur la poitrine par une fibule, à la différence du phélô-
nion byzantin (zecari en géorgien), vêtement rond ayant une ouverture au centre pour passer la
tête.
757. Ceci renvoie aux pratiques anciennes des communautés mixtes, attestées en Palestine,
notamment dans le Typikon de saint Sabas qui prévoyait que les Géorgiens célébraient à part,
dans leur église et dans leur langue, la liturgie de la parole, mais retrouvaient le reste de la com-
munauté pour l’anaphore et la communion. Voir MARTIN-HISARD, Liturgie.
758. Moik’itxa (l. 6-7) est un singulier ; moik’itxes, au pluriel, dans BCDEFGL, d’où
PEETERS, p. 11416-17 : se mutuo salutarunt.
759. Łmrtisajta (l. 6-7) ; om. BC ; d’où PEETERS, p. 11424 : <Deo> favente.
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74 BERNADETTE MARTIN-HISARD

dis-moi ce qui manque à son orthodoxie760 ou ce qui nous sépare les uns des autres,
1015 eux et nous ».
Alors le bienheureux se signa la bouche du signe de la croix vénérable et com-
mença à exposer l’orthodoxie d’une manière telle que les auditeurs s’en émerveillè-
rent, car le Saint-Esprit parlait par sa bouche. Alors le patriarche dit : « Dieu soit
béni ! Certains761 dénonçaient les manques762 des Géorgiens et voici qu’ils se trouvent
1020 supérieurs à nous à bien des égards et plus encore par la virginité qu’ils placent
haut »763. Et tous en portaient témoignage, car il y avait là des métropolites, des
évêques et des grands d’Antioche764 ; et tous louaient Dieu et célébraient la louange et
152 la sainteté du saint. | Et le patriarche fut très en colère contre les gens de Saint-
Syméon, menteurs et vains765 ; il les frappa d’une pénitence766 ecclésiastique et les
1025 menaça aussi de bien d’autres peines. Mais le bienheureux intercéda pour eux auprès
du patriarche et ils furent pardonnés. Et ce qu’ils avaient manigancé contre nous pour
nous nuire nous fut bénéfique et notre foi fut manifestée de manière éclatante et il fut
désormais décrété767 que les Géorgiens pourraient célébrer la liturgie à Saint-
Syméon ; car vous savez tous qu’ils ne la célébraient pas avant l’époque de ce bien-
1030 heureux.
(§ 50)768 Quand il eut accompli et réglé ceci de manière si divinement éclatante, le
patriarche lui soumit encore une autre question, de taille et d’importance. Certaines
personnes pleines de ruse et d’artifice rapportèrent en effet et dirent au patriarche :
« Comment <se fait-il>, Seigneur, que les églises et les évêques de Géorgie ne soient
1035 sous l’autorité d’aucun patriarche769, que toutes les règles770 ecclésiastiques soient
édictées771 par eux et qu’ils installent772 eux-mêmes les catholicos et les évêques ?
Ceci n’est pas conforme au droit773, car aucun des douze apôtres n’est allé dans leur
pays, et ils doivent obéir à la Théoupolis et au siège du chef des apôtres774 et être sous
l’autorité de celui-ci, car c’est un peuple ignorant et un petit troupeau775 et ils sont nos

760. Nak’lulevanebaj (l. 14 et, plus bas, 21) : manque, vice, faille. PEETERS, p. 11425 : quid in
eius fide minus rectum sit.
761. Vietnime (l. 21), qui équivaut à tinev" ; il est suivi d’un aoriste pluriel ; curieusement
PEETERS, p. 11431 : quicquid Hiberis vitio datur.
762. Voir n. 760.
763. Up’q’ries (l. 24) ; le verbe a le sens de tenir (d’où PEETERS, p. 11432-33 : quam excellenter
custodiunt), mais aussi, selon ABULADZE, p. 343, de considérer (Mt 21, 26). Il ne s’agit pas ici
d’un jugement sur la vie concrète des Géorgiens, mais sur la valeur qu’ils attachent au célibat
ecclésiastique.
764. C’est donc une réunion synodale.
765. Retournement du jugement porté plus haut contre les Géorgiens (voir n. 747). Ici
PEETERS, p. 1151 : ineptos.
766. K’anoni (l. 2), ici pénitence, châtiment.
767. Daec’esa (l. 7) ; le verbe implique une décision juridique.
768. Sur la discussion rapportée aux § 50 et 51, voir plus bas, p. 162-174.
769. Qelmc’ipebaj (l. 15) : autorité, avec le sens de juridiction.
770. Saek’lesioni c’esni (l. 16) ; PEETERS, p. 11516 : ecclesiastici ritus.
771. Ganegebian (l. 16) ; PEETERS, p. 11516 : ordinantur.
772. Daisunen (l. 16-17) : de da(v)sma, installer, faire asseoir, faire monter. PEETERS,
p. 11517 : inaugurant.
773. Samartali (l. 17) : justice, droit.
774. Sur Théoupolis, voir § 46 n. 740. L’Église d’Antioche est une fondation de saint Pierre.
775. Samc’q’soj (l. 22) : troupeau, ce que l’on fait paître.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 75

1040 voisins, et il faut qu’il paisse776 sous l’autorité du patriarche d’Antioche et leur catho-
licos doit être consacré ici et nous serons un seul troupeau et un seul pasteur »777.
Ils exposèrent et affirmèrent tout cela en supposant notre ignorance778. Mais ils se
153 heurtèrent à un adversaire, car le patriarche commença | à parler avec le géronte,
comme nous l’avons écrit, et il lui dit en partie par flatterie, en partie sincèrement :
1045 « Ô bienheureux père, bien que tu sois géorgien d’origine, tu es notre égal par la cul-
ture et les connaissances. Vos églises et vos évêques doivent paître sous l’autorité de
ce siège apostolique : il doit en être ainsi pour des raisons de voisinage. Et tu peux
faire qu’il en soit ainsi, car je sais que ton roi t’écoutera si tu lui écris et lui indiques
ce qui est le mieux. Et s’il ne t’écoute pas, j’écrirai779 aux quatre780 patriarches qui siè-
1050 gent avec nous et je les informerai de l’obstination et de l’endurcissement de votre
peuple et du fait qu’il est son propre pasteur781 en dehors de tout canon apostolique
<alors> qu’aucun apôtre n’est venu dans votre pays. Alors vous connaîtrez bien des
misères jusqu’à ce que ton roi vienne en personne devant nous se soumettre à notre
autorité ».
1055 (§ 51) Et quand le patriarche eut tenu de tels propos au géronte, le bienheureux dit
tranquillement et doucement au patriarche : « Saint Seigneur, pourquoi te mets-tu à la
légère à soulever et régler cette grave et importante affaire782 ? Qui sont tes stupides
conseillers ou bien pourquoi juges-tu ainsi stupidement le peuple des Géorgiens <qui
est> droit et sans artifice783 ? Allons, c’est moi, le plus petit et le plus humble de tous
1060 mes frères, qui te répondrai en leur nom à tous. Fais apporter le livre de la
Pérégrination de l’apôtre André784 ; tu apprendras par là ce que tu cherches ».
Le patriarche ordonna à Théophile, un Géorgien d’origine qui devint plus tard
154 métropolite de Tarse785, | d’apporter ce livre. Et quand on l’eut apporté, avant d’en
faire la lecture, le géronte dit au patriarche : « Saint Seigneur, tu as dit : “Je suis assis
1065 sur le trône du chef des apôtres, Pierre” ; or nous, nous sommes la part et le troupeau
de celui qui fut le premier appelé et qui appela son propre frère786, et <nous avons

776. Imc’qsebodin (l. 23), de mc’q’sva : faire paître, mener, garder (TCHOUBINOF, p. 566), ou
mc’qsa : « Betreuen, hüten, weiden » (SARDSHWELADSE, p. 877). PEETERS, p. 11522 : pastorali
dicioni subesse.
777. Ert samc’q’so da ert mc’q’ems (l. 24-25) : un seul troupeau et un seul pasteur.
778. Formule ambiguë pour moi : les Grecs supposent-ils que les Géorgiens resteront dans
l’ignorance de l’accusation (ce que je crois à cause de la phrase suivante) ou pensent-ils que les
Géorgiens sont des ignorants dans l’absolu (comme PEETERS, p. 11515 : nostrae ignorantiae opi-
nione ducti) ?
779. Mouc’ero (l. 10), qui est une 1ère pers. du sing. de même que vauc’q’o (l. 11). PEETERS,
p. 11535 : scribemus et, plus loin, certiores faciamus.
780. Otxtave (l. 10), où la particule ve, employée après un chiffre, exprime la totalité : littéra-
lement, à tous les quatre.
781. Littéralement : il se paît lui-même : twt imc’q’sebian (l. 13), de mc’q’sva : voir n. 776.
PEETERS, p. 11537 : proprio uti regimine.
782. Sakmisa (l. 20) : de sakmej, affaire, om. BCDEFGL. Le mot dépend des deux infinitifs à
l’adverbial commandés par le verbe « se mettre à », mogonebad da ałsrulad (l. 20). PEETERS,
p. 1166-7, fait de ces infinitifs des attributs : … tam leviter moliris rem cogitato et factu gravem
et arduam.
783. C’rpeli da umank’oj (l. 23). C’rpeli : droit (Mt 3, 3) ; umank’oj, ingénu, candide (Mt 10,
16). PEETERS, p. 1169 : proba et incorrupta.
784. Voir CAp 236. Sur ce texte traduit en géorgien par Euthyme (BHG 100 ou 102), voir
VAN ESBROECK, Euthyme, p. 103.
785. Tarse était la métropole de la Cilicie I ; sur Théophile : TODT, Region, p. 837.
786. Sur l’appel d’André et de Pierre : Jn 1, 40-41.
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76 BERNADETTE MARTIN-HISARD

été> convertis et illuminés par lui787 ; l’un des douze saints apôtres, Simon, je veux
dire le Cananéen, est enterré dans notre pays, en Apxazeti, <en un lieu> appelé
Nikopsis788. Nous avons été illuminés par ces saints apôtres et depuis que nous avons
1070 connu le Dieu unique, jamais nous ne l’avons renié, jamais notre peuple n’a dévié
vers l’hérésie, et nous avons frappé d’anathèmes et de malédictions tous les apostats
et les hérétiques. Nous nous tenons fermes sur le fondement de l’orthodoxie et sur les
enseignements et les prédications des saints apôtres. Maintenant, s’il le faut, nous te
serons soumis ! »789.
1075 Et, comme en s’amusant790, il dit au patriarche : « Saint Seigneur, il convient791
que celui qui est appelé soit soumis à celui qui l’appelle et il faut que Pierre soit sou-
mis à son frère André qui l’a appelé et que vous, vous nous soyez soumis ! ».
Et il ajouta ceci encore792 : « Saint Seigneur, vous qui nous prenez pour des gens
ignares et légers et vous faites vous-mêmes793 sages et pondérés, il y eut un temps où,
1080 par toute la Grèce794, il ne se trouvait pas d’orthodoxie et Jean, évêque de Gothie, fut
consacré évêque à Mcxeta795, comme cela est écrit dans le Grand Synaxaire ! »796.
(§ 52) Quand le bienheureux eut exposé tout cela, le patriarche admira, avec ses
évêques, l’acuité de son esprit ; tels des fleuves, les paroles des saints livres coulaient
155 en effet intarissablement de sa bouche. Le patriarche sourit et dit | aux évêques et au
1085 peuple : « Voyez ce géronte comme il a triomphé de toute notre multitude à lui tout
seul ! Tâchons de ne pas l’avoir pour adversaire : il nous ferait nous avouer vaincus,
non seulement en paroles mais aussi en actes : il nous abaisserait797 et ferait de nous
une paroisse ! »798.
À partir de ce jour le patriarche et tous les Antiochiens l’aimèrent comme un père
1090 et un maître spirituel et le patriarche lui-même commença à l’interroger sur ses pen-
sées799, de la manière dont son prédécesseur, le bienheureux patriarche Pierre800, inter-

787. Par omission de la conjonction da (l. 5, et) dans BCDEFGL, PEETERS, p. 11618 : grex
(sumus) quem ad fidem convertit…
788. Nikopsis, sur le littoral de la mer Noire, marquait vraisemblablement au 11e siècle la
limite nord de la domination bagratide en Apxazeti.
789. Dans cette phrase et les suivantes le verbe employé est morčileba, obéir, être soumis.
PEETERS, p. 1176-7 : Nunc vero, si oportebit, vobis subditi erimus. La formule a un côté un peu
énigmatique.
790. Reca gancxromit (l. 15) : de gancxromaj (SARDSCHWELADSE, p. 230 : « Amüsieren,
Freude ») ; PEETERS, p. 1177 : quasi animo elatus.
791. Šuenis (l. 16) : il convient (SARDSCHWELADSE, p. 1432) ; PEETERS, p. 1178 : id ratio postu-
lat.
792. Le texte ne contient que da eseca šesdzina (l. 19) ; PEETERS, p. 11711 : quasi cavillans
subdidit ?
793. Giq’opian (l. 21) ; PEETERS, p. 11713 : videmini.
794. Au sens d’Empire byzantin.
795. Sur la consécration de l’évêque Jean de Gothie, à l’époque de l’empereur iconoclaste
Constantin V, par le catholicos de Mcxeta, voir AUZÉPY, Vie de Jean de Gothie, p. 78-79.
796. Synaxaire de Constantinople, col. 772-774.
797. Dagwmrc’emnes (l. 4) : de damrc’emeba, abaisser (SARDSCHWELADSE, p. 333 : « erniedri-
gen ») ; om. BCDEFGL et PEETERS, p. 11724.
798. Dagwmrelnes (l. 4) : de damreleba, transformer en paroisse, donc soumettre ; mais le
premier sens convient mieux dans la bouche du patriarche. PEETERS, p. 11724 : profliget.
799. Voir § 46.
800. Éd., l. 9, d’après AIK : P’et’re ; BCDEFGL : I-E, d’où PEETERS, p. 1184 : Iohannes. Voir
MARTIN-HISARD, Pierre III.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 77

rogeait le saint géronte, comme nous l’avons dit ; de même il traita801 le saint géronte
avec beaucoup d’honneur et de munificence tant qu’il fut dans la région d’Antioche.
Et lorsqu’il avait quelque pensée angoissante, il se hâtait d’envoyer une monture, fai-
1095 sait venir <le géronte> et trouvait grand profit à le voir.
Et jusqu’ici il a été question des conseils donnés au patriarche et de l’amour de
celui-ci pour lui.

Appel en Géorgie

(§ 53) Mais quand le pieux roi Bagrat’ apprit que la traduction des livres divins
était terminée et que les églises de la Montagne Noire étaient irriguées du fleuve de
1100 ses livres, qui illumine les âmes – ils étaient en effet recopiés dans tous les monas-
tères, et, plus que tous, Antoine, autrefois Lip’arit’802, à l’âme bénie803, y travailla
grandement et les copia pour son monastère de Saint-Barlaam804 ; il tenait le saint
géronte en grand honneur, il lui procura réconfort805 et lui attribua une portion806 sur
son propre monastère et il lui écrivit de sa main un <texte de> confirmation807 dans
156 lequel il écrivit une belle louange et glorification | de ses combats et de ses peines808 –
et ainsi, alors que toutes les églises s’embellissaient de la parure de ses saints livres,
les églises d’Orient en manquaient encore. Le pieux roi Bagrat’, son fils Georges, les
reines809, les catholicos810 et tous les évêques et les princes commencèrent à supplier
le saint et à l’inviter à venir en Orient, afin de le voir, de recevoir sa bénédiction,
1110 d’être illuminés par lui, mais aussi pour voir les fruits de son labeur, donnés par Dieu,
et d’en être remplis de joie811.

801. Ep’q’ra (l. 11) : voir plus haut, § 49 n. 763. PEETERS, p. 1186-7 : summo honore… senem
complexus est.
802. Sur Lip’arit’ qui fut le principal adversaire de Bagrat’ IV et qui se fit moine sous le nom
d’Antoine après sa défaite en 1057, voir plus haut, p. 22-25.
803. Antoine, qui fut Lip’arit’, était mort en 1064.
804. Seuls les manuscrits BCDEFGL ajoutent : « en Apxazeti », ce que retient PEETERS,
p. 11818 et n. 4. Mais Saint-Barlaam est ici cité comme un exemple des monastères de la
Montagne Noire riches en livres traduits par Georges ; il s’agit donc bien du monastère
d’Antiochène méridionale, sur un replat du Mont Casius. DJOBADZE, Materials, p. 90 ; IDEM,
Investigations, p. 3-54 et 206-210 ; LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 57 ; MENABDE, Foyers,
II, p. 152, 160-161. Après avoir dû quitter la Géorgie en 1057 (voir plus haut, p. 25 et n. 177),
Lip’arit’/Antoine alla à Jérusalem (colophons des manuscrits K 19, 20, 21 : Catal. Kutaisi, I,
p. 92-94, 95-99, 100-101) ; on sait qu’il se rendit aussi à Iviron (Synodikon, no 34, éd., p. 224) et
qu’il mourut à Constantinople en 1064, d’où son corps fut rapatrié en Argueti (Chronique du
Kartli, éd., p. 305-306).
805. Nugešinis-sca (l. 24) ; probable allusion à une dotation alimentaire (voir ainsi § 39
n. 665). PEETERS, p. 1119 : fovit.
806. Gak’uetili (l. 25) ; PEETERS, p. 1192 : emolumentorum monasterii sui participem fecit.
807. Simt’kice (l. 25) : confirmation, garantie ; voir aussi § 54 n. 814.
808. Ce texte que l’hagiographe semble avoir vu est perdu.
809. Il doit s’agir de la reine Marie, de Borena, épouse de Bagrat’, peut-être aussi de Marthe,
fille de Bagrat’, qui a rencontré Georges à Constantinople en 1056 (§ 37) ou encore de la sœur
de Bagrat’, Guaranduxt’, qui allait bientôt épouser le roi de Lori.
810. K’atalik’ozta (l. 5) est un pluriel (sauf dans CDFGL où l’on a un singulier). Il doit
s’agir en premier lieu du catholicos du Kartli (sans doute déjà Georges, cité en 1057/1058, voir
plus haut, p. 27), et en second lieu de l’archevêque de Č’q’ondidi (alors Jean, un disciple de
Georges) qui a autorité sur l’Apxazeti.
811. Georges doit donc emporter ses manuscrits, ce qui consacre la valeur officielle de ses
traductions.
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78 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Ainsi à de multiples reprises, le pieux roi Bagrat’ et sa mère, la reine Marie, lui
écrivirent : « Saint père, nos monastères sont peu nombreux là-bas, sur la Montagne
Noire, car c’est un pays étranger ; mais mon royaume est vaste, très grand, éminent ;
1115 les églises, les évêchés et les monastères sont nombreux et illustres. Puisse Dieu
convaincre maintenant Ta Sainteté pour qu’elle se décide à venir rapidement812 et que
nous soyons bénis et illuminés par toi et que nos églises se remplissent des fleuves de
tes livres spirituels qui vivifient l’âme ».
(§ 54) Mais le bienheureux s’y refusait absolument, car il mettait tous ses efforts à
1120 fuir la gloire des hommes et les troubles du monde, et il chérissait l’humilité ; et il
redoutait aussi, pour la raison évoquée plus haut, qu’on le nommât évêque813, jusqu’à
ce que le pieux roi Bagrat’, de nouveau, lui ait donné une assurance814 écrite de sa
main : « Rien ne te sera imposé contre ta volonté ». Et encore : « Saint père, ce n’est
pas seulement à cause de tes livres815 pour qu’ils illuminent nos églises, mais pour
157 être illuminé moi aussi par ta vue et confier mon âme à tes mains | et pour que mon
fils et tous les miens soient guidés et instruits par Ta Sainteté et que tu offres nos
âmes à Dieu ».
Et quand le divin vieillard816 vit la confiance et l’amour que le pieux roi avait pour
lui, la fréquence avec laquelle il lui écrivait et le pressait de partir, il chercha à
1130 connaître la volonté de Dieu pour acquérir une certitude. Alors il fit une chose que fai-
saient les saints apôtres817 ; il avait l’habitude, lorsqu’il voulait avoir une certitude sur
la volonté de Dieu en telle ou telle affaire, d’écrire des sorts et de les placer sous l’au-
tel ; le prêtre célébrait la liturgie au-dessus d’eux et ce qu’il tirait818 c’est ce qu’il déci-
dait. Ainsi fit-il en la circonstance, ce par quoi il acquit une certitude. Alors il écrivit
1135 au roi qu’il se soumettait, ce qu’apprenant celui-ci se réjouit ; et il lui dépêcha son
homme819, Jean ; il lui envoya autant de montures et d’argent que lui et ses disciples820
en auraient besoin ; et il écrivit des lettres au patriarche et au duc d’Antioche821 à pro-
pos de l’organisation de notre voyage822. Et ainsi arrivèrent ceux qui nous invitaient.

812. Mošure (l. 16) ; voir § 30 et n. 587 ; PEETERS, p. 11919 : ut (ad nos) festinare decernat.
813. Allusion à la proposition que le roi lui avait faite à Constantinople de devenir évêque de
Č’q’ondidi : voir § 35.
814. Simt’k’ice (l. 24) ; voir plus haut, n. 807.
815. PEETERS, p. 11919 et n. 3, avec addition : non tantum exopto.
816. Moxucebuli (l. 4) ; il doit avoir une cinquantaine d’années.
817. Ac 1, 23-26 ; voir plus haut, § 25 n. 523.
818. Ałmohqdis (l. 12) ; la correction de PEETERS, p. 120 n. 10, qui traduit à la l. 13 : quidquid
autem (sorte) significabitur ne s’impose pas.
819. Sak’utari (l. 16) ; voir § 4 n. 311.
820. C’est donc tout un groupe qui se prépare à partir, au sein duquel l’hagiographe Georges,
comme le montre le passage du texte à la première personne du pluriel (l. 1138).
821. Duk’isa (l. 19) : de duk’aj. Au mois d’avril 1059, le patriarche était toujours
Théodose III, d’après un colophon du manuscrit Coislianus 263, f. 157v où le scribe Théodule
dit avoir écrit le 7 avril de cette année sous ce patriarche (LEMERLE, Testament, p. 15-16 et 38-
44). Ce colophon est la dernière mention de Théodose ; je pense que l’hagiographe n’aurait pas
manqué de signaler sa mort si elle était intervenue entre le 7 avril et le départ des moines, en
juillet de la même année au plus tard. Le duc, également cité dans le colophon de Théodule,
était Adrien Dalassène, fort peu connu : TODT, Region, p. 304.
822. C’argzavnisa (l. 19, d’après AIK) : de c’argzavnaj, expédition, envoi : littéralement à
propos de notre envoi ; le verbe c’argzavna signifie expédier, envoyer, mais aussi accompagner
(SARDSHWELADSE, p. 1488), de là PEETERS, p. 12019-20 : ut copiam abeundi nobis facerent.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 79

(§ 55) C’est pour les frères cités plus haut qui nous ont pressé d’écrire la vie <de
1140 Georges> à partir de sa naissance823 que nous avons écrit jusqu’à présent, ô bienheu-
reux824, car tu savais toi-même tout cela jusqu’ici ; et comment ne l’aurais-tu pas su
puisqu’il ne te dissimulait même pas un iota de ses pensées ! Mais à partir d’ici, pour
ce qui concerne notre départ pour l’Orient jusqu’à notre venue dans la <Ville> royale
158 et sa migration de ce monde, | j’apprendrai tout à Votre Sainteté qui a fait grande pres-
1145 sion sur moi et m’a imposé d’oser faire des choses inouïes825. Et ce récit a été très bref
et succinct826, car je suis aussi éloigné de sa sainteté que le ciel <l’est> de la terre827
ou l’ombre de la ressemblance d’un homme. Mais c’est ton ordre encore qui me
pousse à raconter comment nous partîmes là-haut828 et comment eut lieu la migration
de ce bienheureux. Et moi, tel un voyageur paresseux qui n’a pas atteint le milieu du
1150 chemin829 et qui défaille, je m’attarde830, car je me trouve encore au pied de la mon-
tagne et je n’ai pas atteint le sommet ! Mais que le Christ, Dieu véritable, soit avec
moi ainsi que votre sainte grâce, pour que j’avance sans trébucher sur le chemin de
mon récit.

4. Les années géorgiennes

Le voyage de retour

(§ 56)831 Comme nous quittions le Mont Admirable832, nous allâmes prier sur le
1155 tombeau de saint Syméon et de Marthe et nous emportâmes leur grâce et votre prière
comme viatique. Nous sortîmes d’Antioche et nous arrivâmes jusqu’à un grand
fleuve, l’Euphrate833, et là nous apprîmes que, à la faveur de nos péchés, les Turcs834
s’étaient emparés de toute la Mésopotamie835, de l’Asuri836 et de territoires grecs837.

823. Voir § 2.
824. L’auteur s’adresse à Georges le Reclus.
825. Littéralement : d’oser des choses « inosables ».
826. L’allusion concerne la première partie de l’hagiographie, non la seconde qui va traiter
de manière beaucoup plus détaillée des six dernières années de la vie de Georges.
827. PETEERS, p. 120 n. 7, note justement qu’il aurait été plus exact de dire « comme la terre
l’est du ciel ».
828. Au Pays d’En haut.
829. Ganzogebasa gzisasa (l. 8-9) ; ganzogebaj : division, en particulier milieu ;
SARDSHWELADSE, p. 162. PEETERS, p. 1211-2 : sibi praestitutum iter.
830. Mconis (l. 9) : voir MOLITOR, 1, p. 367 : équivalent de ojknevw. PEETERS, p. 1213 : animis
cado.
831. Sur la route suivie par Georges et ses compagnons et sur les Turcs, voir plus bas,
p. 174-175.
832. En juin 1059 ou au tout début de juillet, avant le pillage de Sébasté par les Turcs.
833. Sans doute dans la région de Mélitène.
834. Il s’agit des Turcs Seldjoukides, mais aussi des bandes de Turcomans, comme celle de
Samoukht.
835. Šuamdinare (l. 19) : littéralement Mésopotamie ; vraisemblablement l’Iraq où Bagdad
est tombé aux mains des Turcs, quatre ans auparavant, en 1055.
836. Isauri (l. 20, ABIK), Asuri : CDEFGL ; PEETERS, p. 12113 : Syria. La Syrie étant alors
soit byzantine soit fatimide, il peut s’agir de l’ancienne « Assyrie », entre Ninive et Édesse,
c’est-à-dire la Djazīra, ou du moins de certaines de ses provinces, notamment du Diyār Bakr
(région d’Amida) où les Marwānides se sont ralliés en 1056/1057 à Toghril-beg : HILLENBRAND,
Marwānides.
837. Saberdzneti (l. 20) : le terme renvoie à des territoires grecs (et non à la Grèce au sens
géographique), c’est-à-dire relevant de l’Empire byzantin, par opposition aux deux régions pré-
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80 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Quand nous apprîmes cela, nous changeâmes de direction838 et nous allâmes vers
1160 Sébasté839 ; nous pensions que la paix régnait dans ces régions840. Mais les Turcs nous
y avaient devancés et ils avaient pris et incendié la ville841 ; nous n’en savions rien et
nous allions notre chemin et il s’en serait fallu de peu que nous ne fussions tombés
entre leurs mains si la miséricorde de Dieu ne nous avait aidés ; car nous entendîmes
tous une voix qui disait : « Où allez-vous ? » et le Seigneur sait <que> nous ne
1165 voyions personne mais que c’était la voix d’un ange. Alors nous changeâmes de direc-
tion et nous nous dirigeâmes vers des montagnes842 ; et, à grand-peine, en marchant
159 nuit et jour, nous arrivâmes à Césarée843 et de là | nous poursuivîmes et nous diri-
geâmes vers la mer, puisque c’était impossible par la terre ; et, par la volonté de Dieu,
nous arrivâmes à Euchaïta844, au martyrium de saint Théodore845. Et l’évêque du lieu
1170 nous fit bon accueil846, il nous accorda l’hospitalité et nous montra grande amitié, car
c’était un homme saint et théophore et notre venue fut pour lui un grand réconfort
dans ces malheurs. Ensemble ils s’entretinrent847 longuement de vie spirituelle. Puis
nous partîmes de là et nous arrivâmes à la ville d’Amisos sur le bord de la mer848. Là
nous vendîmes nos montures et ainsi nous nous dirigeâmes par bateau vers les régions
1175 d’Apxazeti. Après une bonne et heureuse navigation, nous arrivâmes à Poti849 et
ensuite, à cheval, à Kutaisi850, au moment de l’automne851.

Georges et le roi

(§ 57) Le roi qui se trouvait alors dans le Pays d’En haut en fut promptement
informé ; et, quand il l’apprit, il se réjouit d’une grande joie et il dépêcha immédiate-

cédemment citées ; il s’agit des régions des confins orientaux dominées et traversées par les
Turcs (duché d’Édesse, duché de Mésopotamie). PEETERS, p. 12113 : Graecia.
838. Ici (l. 21), comme plus bas (l. 29) : ševikecit. Terme fondé, car au lieu d’aller vers le
nord-est, le groupe part vers le nord-ouest.
839. Ville de Cappadoce sur l’Halys, alors sans murailles (HILD, RESTLE, p. 274-276), deve-
nue le centre de la famille royale arcruni du Vaspurakan depuis 1022, avec Sénéchérim jusqu’en
1035, puis ses fils, Atom et Apusahl. DÉDEYAN, Immigration, p. 64-67, 78-82 ; GARSOÏAN,
Integration, p. 111-118.
840. Depuis la région de Mélitène, une route traverse l’Anti-Taurus et rejoint Sébasté.
841. La ville fut prise et pillée en juillet 1059 par le chef turc Samoukht. LAURENT, Turcs,
p. 23-24 ; CAHEN, Pénétration, p. 22-23 ; DÉDEYAN, Immigration, p. 109 ; HILD, RESTLE, p. 178.
842. L’Anti-Taurus.
843. Césarée sur l’Halys. HILD, RESTLE, p. 193-196 ; DÉDEYAN, Immigration, p. 80-81.
844. Euchaïta, au nord de Césarée, dans les Arméniaques, métropole de la province ecclé-
siastique d’Hélénopont ; voir KARPOZILOS, Ioannes Mauropous, p. 21-22.
845. Samart’wlosa (l. 2-3) : de samart’wloj ; tombeau de saint Théodore Tiron, objet d’un
important pèlerinage ; DELEHAYE, Euchaïta ; OIKONOMIDÈS, Théodore ; FOSS, Pilgrimage.
846. En 1059 il s’agit de Jean Mauropous, ordonné après sa disgrâce, sans doute en 1050, et
nommé métropolite d’Euchaïta où il resta une vingtaine d’années (v. 1050-av. 1075) ; en 1075 il
était moine à Constantinople : LEMERLE, Gouvernement ; KARPOZILOS, Ioannes Mauropous, p. 9-
27 ; Georges l’avait peut-être connu à Constantinople (voir § 13 et n. 390).
847. C’armotkues urtiertars (l. 7) : 3e pers. du pluriel ; et non pas PEETERS, p. 1224 : plurimos
sermones cum eo contulimus.
848. Samisoni (l. 8) : Amisos, actuelle Samsun. BRYER, WINFIELD, Pontos, p. 92-95.
849. Poti ou Phasis à l’embouchure du Rioni/Phasis.
850. Kutaisi, sur le cours moyen du Phasis, était la capitale de l’Apxazeti ; sa cathédrale,
achevée en 1003, avait été solennellement consacrée sous Bagrat’ Ier : Chronique du Kartli, éd.,
p. 281 ; ALPAGO-NOVELLO, Art and Architecture, p. 362-363.
851. Automne 1059. Žamsa stulisasa (l. 12), où žami signifie époque, moment (mais pas
mois) et où stveli désigne l’époque des vendanges, l’automne, éventuellement le mois d’octobre
(SARDSHWELADSE, p. 1076-1077). PEETERS, p. 1228 : mense octobris.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 81

ment son secrétaire852 et il lui ordonna d’aller chercher le géronte en grande pompe.
1180 Et quand il nous eut rejoints, ils nous emmenèrent853 et l’évêque de Kutaisi, nommé
Hilarion854, qui devint plus tard disciple du géronte, nous accompagna.
Et, après être partis, nous arrivâmes dans la région du Kartli où se trouvait le roi
avec ses princes855. Et quand nous ne fûmes plus qu’à trois heures de route, le roi
envoya ses évêques et ses nobles pour nous accueillir. Et le pieux roi en personne
1185 reçut <le géronte> devant les portes de sa tente, il le salua avec respect856 et reçut sa
bénédiction ; et, lui prenant la main, il le fit entrer dans sa tente et asseoir à table à
côté de lui, et, exultant d’une grande joie, il dit : « Dieu soit béni, car aujourd’hui est
le salut de tout mon royaume, car j’ai vu le nouveau Chrysostome »857. Et tous ses
160 nobles se réjouissaient avec lui et rendaient grâces à Dieu et | ils disaient : « Dieu soit
1190 béni qui nous a envoyé une telle personne pour le salut de nos âmes ! ». Et ce fut une
grande joie dans tout son royaume.
(§ 58) Et, à cette époque, il y eut une grande victoire du roi lorsque, avec l’aide de
Dieu, il fit prisonniers les Abataisdze858 qui s’étaient révoltés contre son pouvoir royal
et dont vous savez tous en vérité qu’ils voulaient s’emparer du royaume859. Il s’em-
1195 para de ces hommes puissants et vaillants, les cinq ensemble, qui se vantaient de la
puissance de leur bras860 et s’enorgueillissaient de la multitude de leur armée, comme
de faibles enfants nouveau-nés, et un mois à peine s’était écoulé depuis notre arrivée
lorsqu’il les tint en son pouvoir861. Il envoya quelqu’un chercher le géronte et quand
le géronte entra, comme il le félicitait de sa victoire, le roi qui était croyant et pieux
1200 lui dit : « Ô saint père, nous n’aurions jamais obtenu cette victoire sans ta prière et ta
grâce, car j’avais souvent essayé sans jamais réussir. Et maintenant je sais en vérité
que c’est un miracle de ton arrivée et que notre royaume va désormais prospérer par ta
prière ». Et il lui révéla tout leur complot et les méchants projets qu’ils avaient ourdis
contre lui.

852. Mc’ignobari (l. 15) ; il peut s’agir du chancelier lui-même et, dans ce cas, du patrice
Pierre (voir plus haut, p. 13).
853. Mogwq’vannes (l. 17), qui est une 3e personne du pluriel ; PEETERS, p. 12214 : nos
abduxit.
854. Non identifié.
855. Sans doute pour faire la guerre aux Abataisdze dont il est question au § suivant.
856. Moc’le (l. 24) : on peut hésiter entre le sens de respectueusement (SARDSHWELADSE,
p. 812) et celui de affectueusement (Ac 28, 7 ; Ro 12, 10) retenu par PEETERS, p. 14211 : per-
amanter. Georges et le roi ne se sont pas vus depuis près de cinq ans.
857. Nouveau Chrysostome est le surnom qui avait déjà été donné à Euthyme : voir plus
haut, § 19 et n. 449.
858. Éd., l. 6 : Abatajs ; Abazajs (C) ; Abazias (D) ; Abajzias (FG) ; Abazaas (L). Famille
non identifiée, peut-être à rapprocher de Jean Abasasdze, éristav du Kartli, dans les années
1027-1030, et proche de Lip’arit’.
859. Nous n’avons pas d’information sur cet événement qui intervient un mois après l’arri-
vée du moine Georges, donc à la fin de l’automne ou au début de l’hiver 1059. Il s’agit peut-être
d’un épisode de la confrontation du roi avec les derniers partisans de Lip’arit’ qui a été vaincu
en 1057 ; le texte précise en effet un peu plus bas que l’opposition des cinq frères était ancienne.
860. Simdidresa zeda mk’lavisa twsisasa (l. 8) ; simdidrej : richesses, grandeur (mevgeqo"),
merveilles (megalei'a), gloire (megalwsuvnh). PEETERS, p. 1231-2 : potentiae suae (pour brachii)
opibus superbos.
861. Qelad ixuna (l. 12) ; ixuna est l’aoriste avec infixe n- de pluriel, de xuma : prendre ;
l’édition n’indique aucune variante expliquant la traduction de PEETERS, p. 1235 : cum res ei tam
prospere gesta est.
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82 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1205 (§ 59) Après cela, quand le pieux roi eut réglé les affaires du moment et comme la
saison d’hiver approchait, il partit en Apxazeti selon son habitude et il invita le
géronte à partir aussi passer l’hiver là-bas et s’y reposer, car c’est un pays de plaine862
et chaud. Comme nous étions partis et arrivés à Č’q’ondidi863, le roi poursuivit <sa
161 route> pour descendre jusqu’à l’extrémité de l’Apxazeti864 ; mais | le Č’q’ondideli ne
1210 nous laissa pas partir, car c’était un disciple du géronte865. Et c’est là que nous pas-
sâmes l’hiver.
Après l’hiver, quand le pieux roi remonta de nouveau vers le Kartli, il fit venir le
géronte devant lui et lui donna de beaux endroits866, des laures célèbres, pour s’y
reposer et y demeurer, d’abord Nedzvi dans le Kartli867, et peu après Šat’berdi, la
1215 célèbre laure du K’lardžeti868.
Dans la mesure où cela eût été complètement possible869, le roi ne voulait pas être
loin de lui, même d’un jour, et il ne se lassait pas d’entendre ses paroles plus douces
que le miel et il disait : « Saint père, nous avons pressé Ta Sainteté de venir870 afin que
tu extirpes complètement de nos âmes manquements871 et égarements dissolus872 ;
1220 reprends-nous secrètement pour ce qui est secret, mais redresse-nous873 sans faire cas
des personnes874 pour ce qui est visible, car nous recevrons ce que Ta Paternité nous
ordonnera, comme venant de la bouche même des saints apôtres ».
Et il lui amena son propre fils, le prince royal Georges875, et il mit sa main dans
celle <du géronte> et il lui dit : « Voici, je te remets l’âme de cet enfant876 et devant
1225 Dieu je te la confie ». Et <le géronte> le bénit, pria pour lui et lui dit : « Que Dieu

862. Bari (l. 26) : plat, de plaine (SARDSHWELADSE, p. 97, à propos de ce passage) ; PEETERS,
p. 12317 et n. 1, fait venir le mot de l’arménien bari, bon, et traduit par salubris.
863. Sur Č’qondidi, voir § 35 et n. 621.
864. L’Apxazeti est le Pays d’En bas où l’on « descend » depuis la chaîne du Lixi, en venant
du Kartli. Sruliad (l. 27-28) : complètement, pleinement ; je comprends que le roi « descend »
jusqu’aux extrémités septentrionales du royaume, dans ce qui constitue l’antique Apxazeti au
sens propre ; PEETERS, p. 12320 : ad perlustrandam totam Abasgiam.
865. L’archevêque est Jean, commanditaire de la Vie de Georges : voir plus haut, p. 12-14.
866. Adgilni (l. 4).
867. Fondation de la première moitié du 9e siècle aux confins du Trialeti et du Kartli
Intérieur : MENABDE, Foyers, I, ne lui consacre pas de notice particulière. MARTIN-HISARD,
Moines 1, p. 11.
868. Seconde fondation de Grégoire, de localisation discutée, probablement à 18 km
d’Art’anudži : ibid., p. 10 ; MENABDE, Foyers, I, 2, p. 412-423 ; DJOBADZE, Early Medieval
Monasteries, p. 40-44. C’est là que travaillèrent, en 1035, David Džibisdze et son fils Jean, qui
partirent ensuite à Saint-Romana sur la Montagne Noire ; voir plus haut, n. 429.
869. Tumca (l. 8) : si ; suivie d’un indicatif aoriste la conjonction marque un irréel. PEETERS,
p. 12327 : quantum fieri poterat, sans traduction de q’oladve, complètement.
870. Movašuret (l. 11) ; sur ce verbe qui est ici à l’aoriste, voir § 46 n. 742. PEETERS,
p. 12330 : cupidissime hortamur, qui est un présent.
871. Nak’lulevanebaj (l. 12) : manque, imperfection, vice ; PEETERS, p. 12331 : vitiositatem.
872. Ctomaj uc’esoj (l. 12) ; ctomaj : erreur, égarement ; uc’esoj : contraire à la règle, irrégu-
lier, déréglé, désordonné. PEETERS, p. 12331 : solutos mores.
873. Gangwmart’e (l. 14) ; ganmart’eba : expliquer, délier, mais aussi redresser
(SARDSHWELADSE, p. 175 : « Berichtigen »).
874. Tualuxuavad (l. 14) : sans tenir compte de l’apparence, sans acception de personne,
impartialement (SARDSHWELADSE, p. 532 : « unvoreingenommen »). PEETERS, p. 12333, lie l’ad-
verbe à l’adjectif : manifestum ante (hominum) oculos.
875. Uplisc’uli (l. 17) : fils de roi, que je rends par prince royal ; PEETERS, p. 1242-3 : regni
heredem. Georges est encore tout jeune (voir n. suivante).
876. Q’rmisasa (l. 18) : de q’rmaj ; voir plus bas, § 65 n. 930. PEETERS, p. 1244 : pueri.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 83

l’exalte dans les deux vies, comme le grand Constantin, dans sa crainte877 et qu’il lui
soumette tous ses ennemis ! ». Et il écrivit pour lui et lui donna des enseignements
spirituels adaptés et des commandements divins878 pour qu’il les lise inlassablement et
les apprenne par cœur et pour éviter que des hommes dévoyés ne lui enseignent
1230 quelque chose d’indécent et de mauvais879. Et <le prince> les reçut avec joie, il les
apprenait jour et nuit et il s’attacha à lui comme un fils aimant suit un bon père et un
fidèle disciple son maître.

Direction spirituelle

162 | (§ 60) Et dès lors le roi lui-même, le catholicos880, les prêtres, les diacres, les
moines et les religieux881, les nobles et les princes, les riches et les pauvres commen-
1235 cèrent à faire confession et pénitence et ils s’empressaient vers lui882 avec tant de foi
fervente que c’est tout juste si nous prenions de la nourriture, et ainsi cet homme illu-
miné de Dieu illumina tout l’Orient et il corrigea tous les désordres883, publics et
secrets. Car, avant tout, sans crainte et sans partialité884, avec sagesse et intelligence, il
aiguisa l’épée du blâme contre les rois885 en raison de multiples désordres, afin qu’ils
1240 ne vendent pas d’évêchés à des gens dissolus et ignorants, entièrement voués au
monde, grandis dans le désordre et l’incessant mouvement886, mais qu’ils choisissent
des hommes dignes et saints, élevés dans la vie monastique, ayant la garantie de
maîtres inspirés de Dieu, pour que, par leur prière et leur grâce, leur royaume prospère
dans la paix et que les laïcs ne soient pas non plus condamnés à cause des désordres et
1245 des péchés des prêtres.
Et il lui parlait encore des sentences et des jugements royaux887 afin qu’il juge
l’orphelin et la veuve888 selon la parole de David : « Il justifiera l’humble et le
pauvre »889, pour qu’il n’incline pas la balance de la justice890 vers le grand ou vers le
petit et pour qu’il chérisse avant tout la miséricorde, car Dieu aime la miséricorde et la

877. PEETERS, p. 1247 et n. 7, avec une addition : in timore suo <custodiat>.


878. Georges serait donc l’auteur d’une compilation morale, une sorte de Miroir du prince.
879. Udžeroj rajme da drk’uj (l. 24-25) ; drk’uj : tortueux, dévoyé, mauvais. PEETERS,
p. 12410 : aliquid indecori aut perversi.
880. Ici au singulier ; voir plus haut, n. 810.
881. Moc’esej (l. 2-3), formé sur c’esi, règle (kanwvn), correspond à kanonikov", souvent
synonyme de moine. PEETERS, p. 12416 : religiosi. SARDSCHWELADSE, p. 811 : « Mönch ».
882. Moisc’rapdes (l. 4) : de mosc’rapa, se dépêcher (SARDSHWELADSE, p. 788) ; PEETERS,
p. 12417 : ei studebant.
883. Uc’esoebaj (l. 9) : désordre, dérèglement, infraction ; voir plus haut n. 872. PEETERS,
p. 12420 : noxias.
884. Tualuxuavad (l. 9) : comme à la n. 874 ; PEETERS, p. 12421 : palam.
885. Dans le texte le mot est au pluriel, mais ensuite il y a oscillation entre le singulier et le
pluriel que je retiens ; il s’agit en fait de l’ensemble des personnes royales.
886. Mimoslvaj (l. 12) : allée et venue.
887. Mšdžvari (l. 18) : sentence ; samartali (ibid.) : jugement, justice.
888. La phrase (l. 19) ne comporte pas de négation ; PEETERS, p. 12430-31 : ne in orphanos
viduasque sententiam ferret.
889. Ps 82 (81), 3. Ganamartlos (l. 20) est un futur à sens impératif : il justifiera, qu’il justi-
fie. La subordonnée finale ne comporte de négation dans aucun manuscrit ; cependant PEETERS,
p. 12430-31, en introduit une et modifie les deux phrases : ne in orphanos… sententiam ferret, sed,
quod ait David, humilem et pauperem iustificaret.
890. Le texte est imagé avec emploi du mot sasc’ori, balance, comme dans Pr 16, 11 : « La
balance et ses deux plateaux sont à Yahvé ». PEETERS, p. 12432 : ne contra aequitatem ius diceret.
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84 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1250 justice, et pour qu’il arrache toute impureté et désordre, de lui d’abord et de son
peuple ensuite.
(§ 61) Puis il commença <à s’adresser> aux évêques afin qu’ils ne fassent pas
d’ordination avec parti pris891 et ne consacrent pas de prêtres indignes, qu’ils interdi-
sent aux prêtres consacrés par eux d’avoir part avec des gens indignes892 ; qu’ils
163 n’amassent pas | l’or et l’argent, mais qu’ils fassent avant tout miséricorde893 aux
pauvres et aux démunis, que l’on ne voie parmi eux aucun désordre ou action scanda-
leuse pour autrui, mais qu’ils suivent le commandement que l’apôtre écrivit à
Timothée894.
Puis il commença à enseigner aux prêtres et aux diacres l’obéissance à leur évêque
1260 et à ne donner à personne avec partialité le corps et le sang vivifiants du Christ et à
être tels que le prescrivent les canons des apôtres et des pères.
De même il illuminait par de semblables enseignements les moines, les religieux
et tout le peuple. Il instruisait les ignorants et rappelait aux instruits ce qu’ils avaient
appris. Il enseignait aux riches à faire miséricorde aux pauvres et il enseignait aux
1265 pauvres la patience et il les renvoyait avec des aumônes. Il relevait ceux qui étaient
tombés et affermissait ceux qui étaient sur le point de tomber. Il guérissait ceux
qu’avaient blessés les flèches des ennemis invisibles et il protégeait contre les bles-
sures ceux qui étaient sur le point d’être blessés. Il arrachait aux flots des passions
ceux qui s’y noyaient et il ne laissait pas se noyer ceux qui étaient sur le point de
1270 l’être, mais, comme l’habile capitaine d’un navire, il les sauvait de la noyade dans la
mer de ce monde.
(§ 62) C’est pourquoi il n’est pas absurde, pour évoquer ses vertus dont on vient
de parler, de vous faire un récit sur la grâce de guérison des âmes qu’il possédait et
surtout sur le médiateur895 qu’il fut auprès de Dieu quand il s’agissait de garder dans
1275 une double santé qui le suppliait et se donnait au saint pour les deux vies896.
164 | Ainsi donc, à l’époque où nous étions à Č’q’ondidi, comme nous l’avons évoqué
plus haut, il y avait un certain frère à l’évêché, arrivé et reçu comme hôte chez l’ar-
chevêque, archidiacre quant à l’ordre897 et moine quant à l’aspect898 ; il reçut plus tard
la tonsure des mains du saint, car il n’avait pas encore été tonsuré. C’était encore un
1280 jeune homme par l’âge, le fils de <gens qui n’étaient> ni inconnus ni humbles899. Il
n’avait pas encore fait la connaissance du géronte, mais il disait : « J’avais une telle

891. Tualtłebaj (l. 26) : parti pris, considération de personne ; voir son contraire n. 874 et
884. PEETERS, p. 12435 : ambitiose.
892. Ułirsta ziarebad (l. 29). PEETERS, p. 1252-3 : cum indignis communicare.
893. Sc’q’alobden (l. 1), c’est-à-dire qu’ils fassent l’aumône ; aumône peut être rendu par
c’q’alobaj (Ac 10, 31) ou par kvelis-sakmej (Mt 6, 2).
894. 1 Tm 3, 1-7 sur les épiscopes.
895. Šuamdgomeli (l. 25) : équivalent de mesivth", appliqué au Christ dans 1 Tm 2, 5.
896. PEETERS, p. 12525-26, ponctue après « auprès de Dieu » et continue en modifiant la struc-
ture de la phrase du texte : Qui enim de gemina salute eum adiisset, hunc sanctus voti compotem
faciebat in utraque vita.
897. C’esi (l. 3) : tavxi", degré ecclésiastique. L’archidiacre est le premier des diacres.
898. Saxita (l. 4) ; PEETERS, p. 12529, précise : habitu autem monachus. Puisqu’il est dit
ensuite qu’il n’avait pas encore été tonsuré, il s’agit d’un rasophore ou novice, repérable à son
rJavson (CLUGNET, p. 133 : courte tunique de drap grossier), à sa ceinture de cuir, à son bonnet
(skou'fo") et à ses sandales.
899. Učinota da mdabalta švili (l. 6-7), où švili qui signifie fils est précédé d’adjectifs au
pluriel (génitif, datif ou instrumental) ; on ne peut suivre PEETERS, p. 12532 : neque obscuro igno-
bilive loco natus.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 85

confiance et foi que je le considérais comme le Christ ». L’Ennemi commun de notre


race attaqua ce frère par des pensées juvéniles, car le maître auquel il soumettait ses
pensées n’était pas près de lui900 ; et comme <l’Ennemi> le trouva sans maître, il l’at-
1285 taqua. Mais comme il avait une confiance exceptionnelle901 en l’homme de Dieu, sa
confiance en lui ne le laissa pas sombrer. Il vint trouver l’indigne que je suis, et me dit
ainsi : « Père, lorsque quelqu’un est loin de son maître et que la méchanceté de
l’Ennemi l’oppresse, peut-il convenablement s’en ouvrir à un autre maître et s’en
remettre à sa prière ? ». Car il ignorait encore les règles à ce sujet902. Et moi je lui dis :
1290 « Vénérable frère, cela est très agréable devant Dieu ». Et il me répondit : « Fais-moi
l’amitié de me montrer le géronte et de lui faire part de mon tourment ». Et à ce
moment-là le géronte était monté à l’évêché. Quand il arriva, je lui fis part de l’inten-
tion903 du frère. Le lendemain, il me dit de l’appeler. Quand il arriva, je le fis au préa-
lable entrer dans ma cellule et je lui conseillai de tout révéler au géronte sans crainte
1295 et avec courage. Et comme je l’introduisais devant le géronte et que je sortais, il s’ou-
vrit à lui de ses luttes et le géronte lui dit, ainsi que lui-même me le raconta complète-
165 ment par la suite : « Fils, | abstiens-toi de vin pour être libéré de cela ». Le frère lui
dit : « Père, ce pays est torride, et particulièrement l’endroit où je vis ; ne serai-je pas
terrassé par la maladie ? ». Le géronte lui dit avec autorité et de manière prophé-
1300 tique904 : « Fils, entre Dieu et toi je serai médiateur905 : si tu gardes mon commande-
ment, tu ne tomberas dans aucune maladie spirituelle ou physique ». Et il le suppliait
de le prendre désormais pour disciple, mais le géronte refusa tant qu’il n’aurait pas
pris congé de son premier maître, car : « Ce n’est pas dans nos habitudes »906.
Et une fois sorti907, le frère me raconta tout et on aurait dit qu’il sortait d’un creu-
1305 set908, pleinement joyeux et libre. Désormais il s’abstint si bien de vin qu’il n’en
connut plus jamais le goût, sauf lors de la communion aux saints mystères. Et comme
il nous le racontait par la suite pour notre profit : « Depuis que tu m’as introduit
auprès du géronte, j’ai été si durablement909 libéré que je n’ai plus trouvé en moi trace
de mes anciennes luttes. Quant à ma santé, qu’est-il besoin d’en dire, sinon qu’en ce
1310 pays torride, elle est bien meilleure que celle de tous les buveurs de vin ! ».

900. Sur les pensées et la direction spirituelle, voir § 46 et n. 738. Le maître du moine est
normalement son higoumène.
901. Ucxojsucxoj (l. 14) : inhabituel, exceptionnel (SARDSCHWELADSE, p. 1237, avec référence
à ce passage). PEETERS, p. 1265 : peregrinus peregrino.
902. Voir HAUSHERR, Direction, notamment p. 186-201.
903. Gulis-sit’q’uaj (l. 25), surtout au singulier : ici intention, plutôt que pensée (§ 46).
904. Gancxadebulad (l. 4) ; le mot peut signifier avec certitude, assurance ; cependant
gancxadebaj signifie aussi révélation (SARDSHWELADSE, p. 229), d’où PEETERS, p. 12618-19 : instar
vaticinantis, que je retiens en l’adaptant.
905. Viq’o… šuamdgomeli (l. 5) ; je comprends viq’o comme le permansif viq’w ; šuamdgo-
meli : intermédiaire. PEETERS, p. 12625, qui développe sans traduire viq’o : ego Deum inter et
temet internuntius hoc tibi spondeo…
906. La présence d’un -o final au dernier mot (l. 10) indique qu’il s’agit là d’un discours
direct. Un moine, même encore novice, ne peut pas normalement prendre une décision le
concernant sans en avoir référé à son higoumène et directeur spirituel.
907. Gamo-raj-vida (l. 11) ; PEETERS, p. 12630 : cum ad me rediisset.
908. Brdzmedisagan (l. 12) : de brdzmedi, four, creuset ; je comprends qu’il se trouve purifié.
PEETERS, p. 12631 : e fornace.
909. Mraval žam (l. 17) : longtemps ; PEETERS, p. 12636 : a multo tempore, qui ne semble pas
justifié.
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86 BERNADETTE MARTIN-HISARD

(§ 63) Nous avons raconté cela pour vous faire savoir quel médiateur il fut entre
Dieu et les hommes, de quelle santé de l’âme et du corps il fut le dispensateur, quelle
confiance il inspirait à ceux qui recouraient à lui. Quant à la distribution d’argent par
les riches et comment il leur ordonnait avant tout la miséricorde envers les pauvres910,
1315 c’est ce que la teneur911 de <mon> propos va montrer pour que vous appreniez la
miséricorde de son âme.
166 | Il y avait un évêque très riche et de très haut rang912 que le démon attaquait habi-
lement pour lui faire décorer et embellir des églises avec ses grandes richesses et insti-
tuer des commémoraisons dans les monastères et il conservait pour lui ses richesses
1320 pour ces raisons et ne faisait aucun cas des pauvres. Il devint le disciple du saint
géronte et il lui révéla ses intentions et le géronte lui dit : « Ô Seigneur, ceci est une
attaque de l’Ennemi malin pour te faire périr pour <ton> absence de miséricorde
envers les pauvres sous prétexte d’églises et de commémoraisons. Car Dieu ne nous a
pas dit913 : “Décorez les églises”, mais “J’avais faim et vous ne m’avez pas donné à
1325 manger”914, comme dit Jean Chrysostome915. Il le conduisit ainsi par ses enseigne-
ments à la miséricorde envers les pauvres et <l’évêque> se mit à distribuer largement
aux indigents et aux malades916, en sorte que c’était un prodige inouï pour ceux qui le
connaissaient précédemment.
Par de tels enseignements il illumina notre pays et il sauva ainsi d’innombrables
1330 âmes et il en fit don à l’époux des âmes.

Rassemblement des orphelins

(§ 64) Mais je sais, ô saint917, que tu demandes et souhaites que te soit raconté
comment il effectua le rassemblement des orphelins et comment il emmena toute cette
multitude : œuvre très sublime, œuvre admirable découlant de la Loi et des pro-
phètes918, et je dirai œuvre supérieure à la Loi, ornement et couronne de la nouvelle
1335 grâce que Moïse aperçut et qui lui échappa et dont Aaron fut éloigné, comme <d’une
chose> inaccessible919. Mais cet abîme de miséricorde les chargea sur ses épaules et
167 les conduisit tous au port. | Cet homme, imitateur de la miséricorde divine, réalisa

910. PEETERS, p. 1274-5, en modifiant l’ordre et le sens de la phrase : Divitibus autem quo-
modo praeceperit ut bonorum suorum largitiones facerent et maxime omnium ut pauperum
misererentur…
911. S’agissant d’un discours, dzali (l. 27) signifie plutôt sens, teneur, contenu, que vehe-
mentia (PEETERS, p. 1276).
912. C’arčinebuli (l. 1-2), ici adjectif.
913. Dans guet’q’ws (l. 10), la particule gue- signifie nous (au sens de vous et nous) ;
PEETERS, p. 12726 : vobis… dixit.
914. Mt 25, 35.
915. PEETERS, p. 127 n. 6, renvoie aux homélies de Jean Chrysostome sur saint Matthieu
(CPG 4424), notamment à l’homélie 80 (81) qui commente Mt 26, 6 ; le chapitre 2 expose qu’il
vaut mieux donner aux pauvres avant d’orner les églises (éd. PG 58, col. 726). Il n’y a pas ici de
citation littérale.
916. Davrdomili (l. 14) : celui qui est tombé, malade. SARDSHWELADSE, p. 313.
917. Cette seconde partie du récit est dédiée plus particulièrement à Georges le Reclus.
918. Damok’idebuli (l. 22) : suspendu ; SARDSHWELADSE, p. 333 ; PEETERS, p. 12728 : opus legis
et prophetarum columen. Sur la question des orphelins : MILLER, Orphans.
919. L’hagiographe compare ici l’« exode » des orphelins que Georges va emmener avec lui
sur l’Athos à l’entrée des Hébreux dans la Terre Promise que ni Moïse ni Aaron, punis par Dieu
qui les fit mourir avant, ne purent guider (voir Nb 20, 1-13). Vitarca šeudzlebelsa (l. 25),
comme <d’une chose> inaccessible ; PEETERS, p. 12730 : ut ab irrito conatu resiliit.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 87

cette œuvre d’une manière agréable à Dieu920 et accomplit ce que personne, il me


semble, n’avait entrepris depuis la création du monde jusqu’à aujourd’hui et ce que
1340 personne non plus n’entreprendra et n’osera <faire>. Et même s’il y en eut ici ou là
pour l’entreprendre, dans des villes ou dans des villages, de ce petit nombre il en est
peu à l’avoir réalisé921 : l’un accueillit dix <personnes>, l’autre quinze ou vingt, et
<d’autres> aussi des gens déjà adultes, comme en témoigne le Livre des Rois à propos
du prophète Abdias qui nourrit pendant un certain temps cinquante prophètes en fuite,
1345 mis à l’abri de Jézabel dans une grotte922 ; et ce n’est pas étonnant puisqu’il était pen-
takontarque923 du roi Achab et qu’ils étaient, eux, des prophètes de Dieu, desquels il
attendait un double [salaire]924.
Et, sous la nouvelle Loi, il est encore écrit à propos de saint Clément, de saint
Zotique le prêtre, de Samson le xénodoque et de saint Babylas, patriarche
1350 d’Antioche : saint Clément enseignait des enfants et sa mère spirituelle, sainte Sophie,
les nourrissait et l’aidait925 ; de même le prêtre Zotique avait une épouse et des
enfants, des serviteurs et des servantes qui l’aidaient926 ; et Samson faisait des
aumônes à partir de surabondantes richesses927 ; et saint Babylas occupait le siège
d’une grande ville928. Les aumônes sans limites de ces personnes n’ont rien d’admi-
1355 rable avec de telles fortunes.
(§ 65) Mais cet homme bienheureux, admirable, qui osa faire ce que l’on ne peut
oser, bien au-dessus de la nature humaine, se conforma en tous points à Celui qui est
168 naturellement clément | et qui aime les hommes, car notre propos va même jusqu’à
cette audace ; en effet il se chargea non pas de dix ni de vingt ni de quarante mais de
1360 quatre-vingts929 âmes dont certaines ne distinguaient pas encore leur droite de leur
gauche mais, se trouvant dans le premier âge, avaient besoin d’être nourris du lait
maternel ; et <il y en avait> d’autres, parvenus au deuxième âge, depuis peu seule-
ment sortis de l’enfance et que l’on appelait bambins930 ; et encore les troisièmes
contingents931, qui avaient atteint le troisième âge de l’adolescence932 et attendaient

920. Satnod łmertisa (l. 1), à l’adverbial. PEETERS, p. 12722 : Dei gratia molitus ?
921. Mciredtaganman vinme (l. 5), dans lequel mciredtaganman, à l’ergatif, fait partie du
sujet : littéralement, un sur peu ; PEETERS, p. 1284 : vix aliqui, rarissimo exemplo.
922. Voir 3 R 18, 3-15.
923. Ergasistavi (l. 11) : chef de cinquante, pentakontarque ; voir Ex 18, 21. Dans 3 R 18, 2,
Obadyahu est appelé oijkonovmo".
924. Éd., l. 13 : sasq’ideli ; dans le seul C : sasc’auli, d’où PEETERS, p. 12811 : prodigium.
925. Né à Ancyre et resté orphelin très jeune, Clément fut élevé par la pieuse femme Sophie.
Prêtre, puis évêque, il fut martyrisé sous Dioclétien. Il fut particulièrement soucieux des aban-
donnés et des orphelins. BHG 352-354.
926. Prêtre qui organisa l’orphanotrophe de Constantinople et se préoccupa de soigner les
malades sous Constance au temps d’une grande lèpre. BHG 2480-2481.
927. Fondateur, avant le 6e siècle, d’un hôpital particulièrement célèbre, au nord de Sainte-
Sophie, qui aurait été réorganisé par Justinien. BHG 1614-1615.
928. Évêque d’Antioche du 3e siècle, notamment célèbre pour avoir élevé dans la foi trois
jeunes enfants, Urbanos, Prilidianos et Epolonios, avec lesquels il est souvent représenté et qui
moururent martyrs avec lui. BHG 205-208.
929. Otxmeoci : om. BCDEFGL, ce que PEETERS, p. 12826, a bien remarqué.
930. Q’rma (l. 7), que le contexte permet de définir ; PEETERS, p. 1294 : pueri. Voir § 69
n. 876.
931. Mc’q’obri (l. 8) : groupe, division, contingent, armée ; MOLITOR, 1, p. 231 : acies (Mc 6,
40).
932. Sič’abuk’e (l. 8).
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88 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1365 les poils de la virilité ; et les quatrièmes légions933 des prêtres, des vieillards et des
gérontes934 qui s’étaient faits volontairement ses disciples. Et d’autres encore accom-
pagnaient leurs enfants. Tous ceux-là, rassemblés en une seule armée et un seul effec-
tif, estimés à quatre-vingts et réfugiés935 dans le port de sa miséricorde, suivirent le
saint comme des brebis le bon pasteur.
1370 Et la cause de leur rassemblement fut la suivante.
(§ 66) À l’époque où la multitude de nos transgressions poussa Dieu, infiniment
bon et clément, à la dureté et à la colère, une maladie qui se développa en famine936
atteignit de manière méritée et juste tout l’Orient937 selon la parole du prophète
Moïse938 et l’on vit apparaître toutes sortes d’actions contraires à la loi, au-delà de la
1375 nature humaine939 ; des aliments impurs, interdits à la consommation pour les chré-
tiens, étaient offerts comme un grand cadeau en cette famine. Et les enfants, chéris et
aimés des parents, et demandés à Dieu par la prière, devenaient objet de dégoût et de
169 haine des parents. | Et nous passerons sur une autre chose940 qu’il ne convient pas de
raconter. Mais j’ai raconté cela pour évoquer la générosité de cet homme de Dieu, en
1380 quel temps il devint quelle cause de miséricorde de Dieu pour de nombreuses âmes
qu’il nourrit d’une double nourriture, comme autrefois Joseph l’Égyptien941 ; et,
comme Moïse, il délivra des flots de la famine, sans qu’elles y sombrent942, les âmes
de ceux qui avaient eu recours à lui.
Et que personne ne s’étonne de ce que, quand la colère d’en haut fondit sur le
1385 genre humain, non seulement les pauvres aient été dans l’angoisse, mais que les riches
aussi se soient retrouvés dans l’indigence, comme dit David : « Tous ensemble ils se
sont dévoyés et ils ont été des bons à rien »943 ; c’est donc pourquoi tous ont été châ-
tiés.
Et, comme nous l’avons dit plus haut, ceux qui avaient triomphé de ce mal
1390 effroyable et survivaient tout juste à cette mortelle famine sortaient à peine de ce
temps de malheur précisément à l’époque où nous arrivâmes en Orient944 ; et bien que
les temps fussent devenus un peu plus riants, des traces de ces malheurs angoissants
n’avaient pas encore totalement disparu, et ceux qui en avaient réchappé vivaient au
milieu de multiples angoisses et restaient entre la mort et la vie.
1395 (§ 67) Quand le saint père Georges vit cela, il soupira douloureusement et dit en
pleurant : « Hélas ! Pourquoi donc suis-je venu en ce pays pour voir de tels

933. Ganc’q’obili (l. 10) ; SARDSHWELADSE, p. 235 : « Trupp, Heerschar ».


934. Je ne vois pas comment PEETERS, p. 1297, arrive à : Quartanorum ordo (erat) aetate gra-
vatorum, natu grandiorum et senum.
935. Ševedrebuli (l. 14) : de ševedreba, avoir recours, chercher refuge.
936. Salmobaj ganmamrudebeli siq’milisaj (l. 19) ; ganmrudeba : se changer (SARD-
SCHWELADSE, p. 185 : « ändern, verändern ») ; PEETERS, p. 12916 et n. 2 : pestilentiae torminales
lues.
937. C’est-à-dire le monde géorgien.
938. La référence précise qui doit être à la famine au temps de Joseph (voir plus loin)
m’échappe ; BCDEFGL et PEETERS, p. 12917, om. Moïse et rattachent par un « et » la prophétie à
la phrase qui suit.
939. K’acta bunebasa zeda (l. 22), que PEETERS, p. 12918, comprend comme in genere
humano ; mais zeda qui n’est pas šina signifie au-dessus.
940. CDEFGL : « sur d’autres choses ». Allusion à de l’anthropophagie ?
941. Sur la famine en Égypte à l’époque de Joseph : Gn 41 et suiv.
942. Adaptation du récit de la traversée de la mer Rouge ; voir Ex 14.
943. Ps 13 (14), 3 et 52 (53), 4, repris dans Rm 3, 12.
944. L’épidémie et la famine sont donc datables de l’année 1059.
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malheurs ? ». Et les premiers que nous trouvâmes furent des parents945 du bienheu-
170 reux, | dans ces régions, deux enfants très abattus946 de sa sœur947 et leurs fils, de
petits enfants. Le saint les recueillit, selon la parole d’Isaïe948 : « Tu ne négligeras pas
1400 le parent de ta race »949. Il en rassembla d’autres venus d’autres endroits, de villes
pour les uns, de villages950 pour les autres ; il en trouva d’autres dans des endroits
complètement déserts ; il en arracha d’autres à la servitude951 et il en délivra d’autres
d’une vie plus amère que la servitude952. Et le bienheureux en sauva ainsi depuis l’âge
de l’enfance et de l’innocence jusqu’à <l’âge> de la connaissance du bien et du mal,
1405 et, arrachés à de si méprisables situations953, il les offrit au Christ comme des prêtres
irréprochables et des intendants fidèles954. Et que personne ne s’en étonne, car le
grand patriarche Joseph a été esclave lui aussi et sa sainteté est célébrée au milieu de
tous, lui qui fut finalement roi en Égypte955 ; et David et Amos n’étaient-ils pas des
bergers ? L’un d’eux devint roi956, et l’autre prophète957.
1410 Et, pour ne pas tout raconter en détail, lorsque cette admirable action se déploya
par tout l’Orient, de partout <les enfants> commencèrent à affluer. Des parents ame-
naient les leurs et suppliaient qu’on les recueille ; d’autres les abandonnaient devant la
porte et prenaient la fuite. Certains encore, subtils d’esprit, fuyaient d’eux-mêmes
leurs propres parents et venaient chercher refuge au port du saint. Et ainsi grandit le
1415 rassemblement divinement rassemblé958, jusqu’à se monter à quatre-vingts personnes,
comme nous l’avons déjà dit.
(§ 68) Et maintenant, comprenez, ô fidèles959, cette œuvre sublime et stupéfiante.
Je sais que, vivant dans le monde960, vous n’ignorez pas ce que c’est que d’élever des
171 enfants ; or si quelqu’un voit | le nombre de ses enfants dépasser un <certain> seuil,
1420 c’est-à-dire sept ou huit, quelque riche qu’il puisse être, il tombe dans une grande
angoisse et inquiétude ; et s’il est pauvre, sa vie est à tous égards amère et pleine de
lamentations. Or le bienheureux se chargea d’une telle quantité d’orphelins comme un
autre <l’aurait fait> d’un ou deux. Et il les éleva tous et, par un enseignement spiri-
tuel, il en fit des êtres accomplis, selon ce qui lui semblait plaire à la volonté de Dieu.

945. Twsni (l. 25).


946. Dałonebulni (l. 1) : ployés, courbés.
947. Disc’ulni (l. 1) : enfant (fils ou fille) de la sœur (et non pas du frère). PEETERS, p. 1308 :
fratris filias. Outre sa sœur aînée Thècle (§ 4), Georges avait deux autres sœurs.
948. Esaiajsa (l. 3) ; om. dans CDEFGL ; d’où PEETERS, p. 1309-10 : congruenter Scripturae
verbis.
949. Voir Is 58, 7.
950. Dabatagan (l. 5) : de daba.
951. Monebisa (l. 6) : de monebaj.
952. BCDEFGL et PEETERS, p. 13013 : om. « que la servitude ».
953. Esevitarta šeuracxta sakmetagan (l. 10). PEETERS, p. 13016 : de rebus istis neglectis, dont
je ne vois pas le sens.
954. Lc 1, 6 ; 12, 42. « Prêtres » et « intendants » qui sont à l’adverbial sont des attributs du
complément d’objet contenu dans le verbe. PEETERS, p. 13016 : sacerdotes dispensatoresque
consecravit.
955. Voir Gn 41, 39-46 : Joseph fut établi par Pharaon à la tête de sa maison, second après
lui.
956. 1 R 16, 11-13.
957. Am 1, 1.
958. Šek’rebuli… k’rebuli (l. 23).
959. Le passage qui suit s’adresse manifestement à des laïcs.
960. Mk’wdrni soplisani (l. 27) d’après AIK ; BCDEFGL : moq’uareni, d’où PEETERS,
p. 13032 : saeculi amatores.
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90 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1425 Car au fur et à mesure qu’ils croissaient en âge961, il leur faisait boire la douceur des
Écritures divines comme du lait et du miel. Et au fur et à mesure que les organes des
membres962 de leur corps s’épanouissaient963 et que leurs sens964 externes965 se
déployaient, il éveillait et faisait croître intérieurement les organes et les sens de leur
raison et il offrait ainsi à Dieu, leur créateur, des êtres grandis sur un double plan ; et il
1430 ne faisait pas instruire une telle multitude par d’autres maîtres et il n’employait pas
d’autres personnes pour l’aider, ce qui lui aurait permis de se reposer un peu ; mais il
les éduquait lui-même en tout et les guidait, contingent par contingent966, âge par âge,
sans interrompre l’ordre et la règle de ses prières967, sans se dispenser du jeûne et de
l’ascèse, <faisant> en sorte que les premiers soient égalés par leurs suivants et que
1435 ceux-ci, mis à égalité, soient rejoints par leurs propres suivants. Ainsi le premier pou-
vait paraître plus vieux que le second par l’âge, mais l’un et l’autre avaient le même
âge par l’instruction.
(§ 69) Mais je veux dire une parole, appropriée au moment et au lieu, qu’il n’est
pas inutile de prononcer, pour blâmer ceux qui blâment celui qui n’est pas blâmable,
1440 des gens dont je pense qu’ils ne craindraient même pas de blâmer le bon semeur qui
172 sortit semer la semence comme il est écrit dans l’Évangile968 | ou de tenir pour blâ-
mable le bon maître à cause de son douzième disciple969 ou le solitaire Élisée à cause
du seul Giezi qu’il eut pour unique serviteur970. Car les Écritures sont pleines de
choses de ce genre. Mais que ces quelques mots suffisent à faire comprendre le pour-
1445 quoi de notre propos, et passons sur le reste, pour que personne ne blâme ce beau jar-
dinier à cause de la stérilité de certains arbres et pour que personne ne condamne
l’adroit semeur des sillons pour quelques mauvaises herbes, s’il y eut quelque léger
défaut dans une telle foule.
Car, ô saint, il y eut plusieurs raisons à ce rassemblement <d’enfants>. Tout
1450 d’abord l’imitation de la miséricorde de Dieu971, comme nous l’avons déjà dit, à cause
de ces temps de malheur. En second lieu, puisqu’il avait réalisé le travail de traduction
de nombreux livres, il voulait que notre peuple s’instruise ; mais parce qu’il était
impossible d’enseigner à des gens d’âge adulte et mûr, il se procura un matériau
tendre et malléable, apte à recevoir un enseignement, comme de la cire pour un sceau,
1455 à savoir ce rassemblement, comme un instrument pour accueillir ses enseignements,
et il ne déçut pas ses espoirs. Et il y eut encore une troisième raison en laquelle se

961. Littéralement : avec (tana) la croissance… ; de même dans la phrase suivante. PEETERS,
p. 1311-2 : ut primum aetate processerant.
962. Orłanota mat asota (l. 10).
963. Ganč’abuk’ebasa (l. 10) : croissance, épanouissement ; formé sur č’abuk’i, jeune, ado-
lescent.
964. Sacnobeli (l. 10 et plus bas, l. 12) : sens, organe des sens.
965. Garešeta (l. 11) : de gareše, externe. Une même construction dépendant de tana (avec)
réunit les deux éléments (organes et sens externes) de ce début de la phrase, que la suite va
opposer à organes et sens internes. PEETERS, p. 1313-5, ne semble pas avoir compris cette struc-
ture et traduit : Dum corporalium sensuum (trad. de orłanon) compage adolescunt atque in pro-
fanas disciplinas (trad. de garešeta, externes !) se latius effundunt…
966. Mc’q’obrta da mc’q’obrta (l. 17-18), d’un mot déjà utilisé au § 65.
967. C’esi da k’anoni locvata… (l. 18). PEETERS, p. 13112 : praescriptas sibi ex regula preces.
968. Voir Mc 4.
969. Judas.
970. 4 R 4, 12-36 et 5, 19-27 : Giezi (Geezi en géorgien), seul serviteur d’Élisée, est frappé
par la lèpre dont Élisée vient de guérir Naamân, parce qu’il a soutiré de l’argent à ce dernier.
971. Littéralement : la miséricorde imitée de Dieu.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 91

trouvait aussi la Providence de Dieu. Le saint gardait en mémoire les multiples com-
bats et peines qu’il avait supportés à cause des prêtres et des chantres, lorsqu’il était
sur la Sainte Montagne, du temps qu’il était ecclésiarque972 d’abord, higoumène
1460 ensuite. Car notre pays était loin de ce pays, peu arrivaient instruits973, et ceux qui
173 arrivaient repartaient au bout de peu de temps | et laissaient déserte l’illustre église, et
le bienheureux voulut offrir en digne présent à notre saint père Euthyme ses enfants
rassemblés, tels d’humaines brebis, comme chantres et prêtres de la sainte église afin
que la commémoraison de ses théophores fondateurs soit célébrée d’éclatante façon.
1465 Telles sont, comme nous l’avons déjà dit, les trois raisons de ce rassemblement.
(§ 70) Mais revenons à notre propos initial.
Nous restâmes cinq ans en Orient974 à vivre ainsi que nous l’avons dit plus haut.
Ses livres furent recopiés dans de nombreux évêchés et monastères ; il redressa les
nombreuses règles ecclésiastiques dans lesquelles il trouva des défauts ; à tous, roi975,
1470 princes, riches et pauvres, grands et petits, il enseigna les chemins de la vie éternelle ;
il établit pour eux des commandements et des règles, écrits ou non ; il accomplit ainsi
l’ordre de Dieu et il fit fructifier des milliers de fois le talent qui lui avait été confié,
c’est-à-dire la traduction des livres. Mais il y ajouta un autre talent, important et supé-
rieur au premier : l’instruction et l’éducation de si nombreuses âmes ; car il me
1475 semble, ô bienheureux, que traduire des livres n’est pas aussi éminemment admirable
qu’offrir à Dieu des âmes si nombreuses et il est sûr que Dieu le guida en Orient pour
ces orphelins. Il illumina ainsi tout l’Orient et affermit davantage le lot de l’apôtre
174 André et de Simon le Cananéen, car l’apôtre André est venu dans notre pays | et
Simon le Cananéen y demeura complètement puisque ses saintes reliques sont à
1480 Nikopsis976.

La campagne d’Alp Arslan. 1064

(§ 71) Et à l’époque où, en châtiment pour nos péchés, le lion rugissant, surgissant
de Babylone, se vantant de la force de son bras, le second Nabuchodonosor, l’impie
sultan977, sortit de ses domaines pour massacrer le peuple des chrétiens, nous vivions
à Axalkalaki dans le Džavaxeti978 et tous ses orphelins se trouvaient là aussi. Nous
1485 étions tous assis devant lui lorsque, vers le milieu du jour, une stupeur979 le saisit pen-
dant un certain temps et, brusquement, il nous dit à tous, l’air effrayé : « Sachez que la
colère de Dieu va arriver sur cette ville ». Et il dit à tous de se préparer et nous par-
tîmes le soir venu. Trois jours plus tard, soudainement, la colère dont vous avez tous
entendu parler arriva. Et non seulement les habitants d’Axalkalaki furent massacrés,
1490 mais les princes et ducs les plus grands et nobles de notre royaume furent très cruelle-
ment massacrés et anéantis980, ce qui plongea le pieux roi Bagrat’ dans une profonde

972. Dek’anozobasa (l. 23), dans BCDFGL : diak’nobasa ou diak’onobasa, d’où PEETERS,
p. 1327-8 : diaconi… munere fungens.
973. Sc’avlulni (l. 26) ; voir § 21 et n. 468.
974. De la fin de l’année 1059 au début de l’année 1065.
975. Au singulier dans AIK, au pluriel dans BCDEFGL, d’où PEETERS, p. 13229 : reges.
976. Voir § 511065-1069.
977. Alp Arslan (1063-1073) ; sur sa campagne de 1064, voir plus bas, p. 175-176.
978. Axalkalaki, sur la rivière qui porte son nom, affluent de la rive droite du Kur ; voir plus
haut, n. 114.
979. Gank’wrvebaj (l. 9-10) : stupeur, extase. PEETERS, p. 13310 : mentis excessum.
980. La ville fut prise en juillet 1064.
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92 BERNADETTE MARTIN-HISARD

tristesse jusqu’à ce que l’homme de Dieu vienne dissiper les nuages de sa tristesse par
des paroles de réconfort, par de multiples récits et conseils, en sorte qu’il avouait lui-
même : « Si Ta Sainteté n’était pas venue me voir, peu s’en serait fallu que je ne
1495 meure de tristesse ».

L’appel de la Sainte Montagne

(§ 72) Et quand <le géronte> connut par un appel supérieur le moment de son tré-
pas, de sa sortie de son corps et de son départ vers Dieu, la Providence divine poussa
175 son âme à partir pour la Sainte Montagne afin que là où | avait resplendi la
lumière de la connaissance des livres inspirés, ainsi que nous l’avons dit à de mul-
1500 tiples reprises, grâce à notre saint père Euthyme d’abord, grâce au bienheureux père
Georges ensuite, là aussi s’opèrent son accomplissement et l’accès à la lumière d’en
haut – même s’il mourut dans la Ville royale comme notre grand saint père
Euthyme – afin que, comme un fleuve jailli d’une source et ayant arrosé la surface de
la terre, il revienne à son commencement et disparaisse à l’endroit même d’où il est
1505 sorti et afin que, comme nous l’avons dit, il offre en présent à notre saint père
Euthyme la foule de ses enfants, comme d’humaines brebis, et les installe à l’intérieur
de son bercail981. À cause de ces divins desseins, il lui vint à l’esprit de partir pour la
Sainte Montagne.
(§ 73) Et, plein de certitude après de nombreuses prières et supplications à Dieu, il
1510 se présenta au pieux roi Bagrat’ et il prononça en sa présence, conformément à sa
sagesse, de nombreuses paroles de louanges et de prières à Dieu pour sa foi et sa piété
et pour le bon accueil qu’il avait réservé à ses enseignements et il joignit à ses paroles
des paroles d’adieu, pleines de sagesse divine : « Ô roi, de même que je me suis mon-
tré docile à ton ordre et que j’ai quitté le pays de mon pèlerinage où je vivais en étran-
1515 ger, où je me reposais de multiples soucis, montre-toi à ton tour docile au pauvre que
je suis, maintenant comme <tu le fus> à diverses reprises, et laisse-moi partir vers le
pays de mon pèlerinage, envoie-moi avec prière et bénédiction, laisse-moi me rendre
au tombeau de mes pères spirituels, comme le patriarche Jacob qui mourut en Égypte
et fut emporté dans la Terre de la Promesse pour être enseveli avec Abraham et
176 Isaac982 | et comme les ossements de Joseph enlevés aussi de là et déposés avec ses
pères983. Si ta piété et le bon ordonnancement984 de ton royaume ont progressé, la
grâce t’en revient, car c’est toi qui m’as appelé et je ne suis pas venu de moi-même ;
prends ta lettre et vois que tu m’y avais promis que je serais sans souci985. Que le roi
que tu es de <ce> pays986 m’envoie au roi du pays et de la ville où tous se
1525 rassemblent987 pour que de là je parte vers le Roi du ciel, vers la Ville où se rassem-
blent tous les saints988 et où se reposent ceux qui sont fatigués, là où “grand est le

981. Le bercail d’Euthyme.


982. Voir Gn 47, 29-31 ; 50, 1-14.
983. La dépouille de Joseph, qui avait été embaumée, fut emportée par Moïse et ensevelie
par Josué à Sichem : Gn 50, 26 ; Ex 13, 19 ; Js 24, 32.
984. C’esiereba (l. 3), formé sur c’esi : ordonnance, constitution.
985. Voir, § 54, l’engagement du roi de ne rien faire contre la volonté de Georges.
986. L’adjectif démonstratif de 2e personne, ege, n’est pas au génitif (magis), mais à l’ergatif
(magan, l. 6) et se rapporte donc à mepeman.
987. Constantinople.
988. BCDEFGL et PEETERS : om. la phrase depuis « que je parte » jusqu’à « tous les saints ».
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 93

Seigneur, hautement loué dans la cité du Seigneur des vertus”989, comme dit David,
“là où les puissants de Dieu ont été exaltés depuis la terre” »990.
Parlant ainsi il remplit de douleur991 le cœur du roi au point qu’il versait des
1530 larmes abondantes avec ses princes et ses évêques. Et, malgré de multiples efforts et
prières, il ne put retenir l’irrésistible992 et le victorieux fut vaincu par l’invincible993.
Alors, avec des lettres royales et en présence des mandatores994, <le roi> l’envoya au
pieux Constantin Doukas995 avec de nombreux présents et trésors, le roi lui-même
<mais aussi> tous ses princes et évêques996. Et tout son royaume fut rempli de tris-
1535 tesse et d’émoi, comme un fils qui perd son père, car la plupart d’entre eux ou presque
étaient devenus ses disciples, comme nous l’avons déjà dit.

5. Constantinople. 1065

Départ

(§ 74) Et nous nous mîmes en route au moment où Constantin Doukas fit venir997
la princesse Marthe pour être sa belle-fille998 et la reine dans la Ville royale, ainsi que
nous l’avons déjà écrit à propos du don de prophétie du géronte999 ; car, comme on
177 l’emmenait avant nous, Marie, la mère de Bagrat’, dit au géronte : | « Ô père, ta
prophétie au sujet de Marthe s’est réalisée ». Et on l’emmena1000 ainsi en grande
pompe dans la <Ville> royale1001 ; et de la part du roi <Constantin> était venu
Aaron1002 ; de la part de son père elle fut conduite par le bienheureux géronte Pierre

989. Voir Ps 48 (47), 2.


990. Ps 47 (46), 10, dans la version de la Septante, avec variante (puissants de Dieu et non
puissants de la terre).
991. Lmobier q’o (l. 12). PEETERS, p. 13437 : mollivit ; lmobieri, malade, a plutôt ici le sens de
douloureux, amer (SARDSHWELADSE, p. 592).
992. Ver udlo šep’q’robaj šeup’q’robelisaj mis (l. 14-15). Šep’q’roba : appréhender, retenir,
saisir (SARDSHWELADSE, p. 1362). PEETERS, p. 1352 : neque potuit… virum inexpugnabilem expu-
gnare.
993. Da idzlia mdzle udzlevelisagan (l. 15) : la phrase, introduite par da (et), a un verbe de
forme passive (idzlia, de dzleva, vaincre) dont le sujet, au nominatif, est mdzle (vainqueur) et
dont le complément d’agent, udzlevelisa, est normalement commandé par la postposition -gan.
PEETERS, p. 1352 : aut invictum pervincere, qui ne rend pas la forme passive de la proposition, ne
traduit pas mdzle et traite le verbe comme un infinitif commandé par ver udzlo (il ne put pas) de
la proposition précédente.
994. Mandat’urni (l. 16) : les envoyés de l’empereur chargés, comme on le voit plus loin, de
demander au roi sa fille Marthe.
995. Constantin X Doukas, 25 décembre 1059-21 mai 1067.
996. Il est difficile de rendre la structure de la phrase, dont le verbe, placé au début, est au
singulier, tandis que le sujet rejeté à la fin correspond à un pluriel ; je comprends que le roi
envoie Georges, mais que tous font des cadeaux.
997. Moiq’vana (l. 24), de moq’vanebaj : amener, conduire, prendre vers soi ; voir § 37 n.
410. Constantin X Doukas est au pouvoir depuis le 24 novembre 1059.
998. Sdzlad twsad (l. 24) : voir § 37 n. 643. PEETERS, p. 13511 : sponsam sibi futuram.
999. Voir § 37 et plus bas, p. 179-180.
1000. C’armoiq’vanes (l. 2) : ils l’emmenèrent.
1001. L’édition (l. 2) considère cette dernière phrase comme faisant partie des propos de la
reine Marie, ce qui a peu de sens.
1002. Il s’agit vraisemblablement de l’éponyme de la famille byzantine des Aarôn, fils de
Jean Vladislav, dernier roi de Bulgarie ; il s’illustra en 1048 contre les Turcs, fut duc d’Ibérie de
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94 BERNADETTE MARTIN-HISARD

patrice, autrefois P’et’rik’1003, par Jean archevêque de Bedia et syncelle1004, et encore


1545 d’une grande foule qui était partie avant nous1005.
Et quand nous partîmes par bateau, pendant de nombreux jours les multiples flots
et tempêtes de la mer nous assaillirent au point de nous faire presque désespérer de
notre salut, ce qu’il est inutile de raconter. Mais la prière du saint nous sauva, paisi-
blement, et nous arrivâmes ainsi sains et saufs dans la Ville royale1006.

Entrevue avec Constantin X…

1550 (§ 75) Ensuite Pierre raconta toute notre histoire au pieux roi. Et le lendemain le
roi donna l’ordre de faire venir <le géronte> au palais. Le jour suivant il fut introduit
au palais et lorsqu’il entra en présence du roi, il lui fit la proskynèse selon la règle
royale, lui adressa un compliment et le gratifia ainsi que son fils1007 d’une prière et
d’une bénédiction. Alors le roi nota son air inspiré1008, mais aussi la parole de sa
1555 bouche, humble, contrite1009, pénétrant promptement1010 l’oreille de ses auditeurs, car
le calme de ses sens exprimait la paix1011 des forces intérieures de son âme, tandis que
l’intelligence de son âme se révélait par des paroles humbles et pénétrantes. C’est
pourquoi le roi dit à P’et’rik’1012 : « Je rends grâces au seigneur Bagrat’ sébaste
d’avoir adressé à Notre Majesté cet homme semblable aux anges ; car bien qu’il soit
1560 d’origine géorgienne, il porte en tout notre manière d’être »1013.
178 | Il lut alors les lettres du sébaste dans lesquelles il était écrit : « Salut à toi, ô pieux
roi ! J’ai envoyé devant Ta Majesté un homme semblable aux incorporels, notre
maître à tous ; reçois comme il convient à Ta Majesté celui par qui Dieu affermira ta
sainte royauté, maîtresse de tout l’univers »1014.

1049 à 1055/1056 ; tout en ayant soutenu Michel VII, il fut en faveur sous Isaac Comnène qui
avait épousé sa sœur Catherine et lui donna la dignité de proèdre ; en 1058/1059 il était duc de
Mésopotamie ; on ignore ce qu’il devint après le règne d’Isaac Comnène ; la Vie de Georges
montre que sa carrière avait continué ; c’est ici la dernière mention que l’on ait de lui. Voir
LASCARIS, Sceau ; MAHÉ, Ani, p. 405 n. 13. Regesten2, no 954a.
1003. Pet’re p’at’rik’i P’et’rik’ q’opili (l. 4 et AK). BCDEFGL : P’et’re p’at’rik’ q’opili.
PEETERS, p. 13527-28 : beatus senex Petrus qui antea Patricius dicebatur. Voir plus haut, § 45954.
1004. Bedia, en Apxazeti, sur l’Egrisc’q’ali ; siège fondé par Bagrat’ Ier (980-1014) qui le
dota richement ; son église, particulièrement décorée, passait pour l’expression même de la
gloire du roi ; Chronique du Kartli, éd., p. 281. ALPAGO-NOVELLO, Art and Architecture, p. 294 ;
MENABDE, Foyers, I, p. 565-566. Évêque inconnu, à ne pas confondre avec son homonyme de
Č’q’ondidi.
1005. Dans l’escorte de Marthe se trouvait la future arrière-grand-mère de Tzetzès ; voir plus
bas, p. 180.
1006. Au début du mois de juin 1065 ; voir plus bas, p. 178-179.
1007. Problablement Michel qui s’apprête à épouser la fille de Bagrat’ IV.
1008. Littéralement : divinement spirituel ; PEETERS, p. 13613 : divino Spiritu plenum.
1009. Šemusrvili (l. 19) : suntetrimmevno" : brisé, broyé, contrit.
1010. Mk’wrcxed (l. 19) : de mk’wrcxi ; SARDSHWELADSE, p. 728 : « rasch, schnell ». PEETERS,
p. 13614 : subtiliter, à partir d’un manuscrit S (absent de l’apparat critique) qui donnerait
mk’wrcq’led.
1011. Ałudzrvelobaj (l. 21), littéralement : apathie, absence de passion.
1012. P’et’rik’s (l. 23), mais BCDEFGKL : P’at’rik’s, P’at’rik’sa, P’at’riaksa, d’où
PEETERS, p. 13618 : Patricio.
1013. C’esi (l. 27) : règle, mais aussi habitude ; voir encore § 81 n. 1082. PEETERS, p. 13621 :
morem nostrum.
1014. Q’ovlisa soplisa mp’q’robeli (l. 6) : dominateur de tout l’univers, traduction exacte de
kosmokratôr qui relève de la titulature impériale. Grammaticalement, mp’q’robeli au nominatif
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 95

1565 Alors il réalisa davantage encore sa sainteté1015, il le salua avec de grands hon-
neurs et lui dit : « Notre Majesté fera pour toi tout ce que tu désires ». Et comme la
sainteté du géronte lui plaisait, il commença à parler avec lui et à l’interroger sur des
sujets spirituels et des règles religieuses1016.

… et débat religieux

(§ 76)1017 Et il y avait alors, en présence du roi, des hommes illustres et d’un rang
1570 très élevé, des Romains1018 et des Arméniens, parmi lesquels il y avait Gagik de
Kars1019, et d’autres archontes du royaume1020, car le moment était favorable et tran-
quille1021. Et, comme je l’ai dit plus haut, le roi commença à l’interroger sur la reli-
gion des orthodoxes1022 : « Qu’est-ce qui sépare1023 votre foi et la foi parfaite et
impeccable des Grecs ? ». Et le bienheureux exposa de manière si élevée et divine-
1575 ment éclatante la droite foi1024 de notre peuple des Géorgiens que le roi et tous ses
archontes1025 en furent stupéfaits. Et il dit au roi : « Telle est la droite foi de notre
peuple. Depuis que nous la connaissons, nous n’en avons jamais dévié ni à droite, ni à
gauche, et nous n’en dévierons pas s’il plaît à Dieu ».
Le roi fut stupéfait en entendant : « Jamais nous n’en avons dévié ». Et il dit au
1580 géronte : « Gloire soit à Dieu de ce que j’ai vu chez vous une grande excellence1026 ;
cependant, vénérable père, je suis un homme qui a grandi dans les affaires mili-
taires1027 et je ne peux tout savoir de manière précise. Et maintenant, puisque je tiens
le sceptre de la royauté, je veux tout savoir sur les Grecs et les Romains, car on
179 requiert des rois l’orthodoxie avant toutes choses. | Apprends-moi comment il se fait

est une apposition du nominatif mepobaj, royauté (cas de l’objet au thème aoriste), et non du
sujet à l’ergatif, łmrtman, Dieu. Mais PEETERS, p. 13626 : Deus, mundi universi dominator.
1015. Łirsebaj (l. 7) ; PEETERS, p. 13628 : excellentiam. Constantin X était réputé ami des
moines et sa piété était connue (ATTALIATÈS, éd. trad., p. 58, 76, 86 ; PSELLOS, II, p. 140).
1016. C’esi (l. 11) ; PEETERS, p. 13632 : de religiosis institutis.
1017. Sur le débat religieux qui fait l’objet des § 76-78, voir plus bas, p. 181-188.
1018. Des Latins étaient donc présents à ce débat : voir p. 182.
1019. Gagik-Abas venait de céder en 1064 son royaume du Vanand (capitale Kars) à
Constantin X. On le retrouve plus bas, toujours avec l’empereur, au § 811678.
1020. Tavadi (l. 14) : chef, prince, ici archonte. Les archontes de l’Empire sont encore men-
tionnés plus bas (voir n. 1025) ; mais on ne peut exclure qu’il s’agisse de princes du royaume de
Kars, car le texte parle plus bas des « rois arméniens » (§ 781611).
1021. Allusion à la fin de la grande attaque des Ouzes qui, durant l’hiver 1064-1065, avaient
franchi le Danube et envahi l’Empire.
1022. Martlmadidebeltajsa (l. 16) : littéralement ceux qui ont un culte juste. PEETERS,
p. 1373 : de norma rectae fidei. Šdžuli (l. 16) : la loi, terme le plus fréquemment employé pour
désigner une religion, ici celle des « orthodoxes » (et non de l’orthodoxie, martlmadideblobaj),
en l’occurrence les Géorgiens, comme on le voit deux lignes plus bas.
1023. Ganq’opileba (l. 17), littéralement : partage. La question introduite par raj est tout à
fait directe ; PEETERS, p. 1373-4 : Nisi forte quidpiam interest inter…
1024. Sarc’munoebaj martali (l. 20) : foi droite, en deux mots.
1025. Mtavarni (l. 21) : archontes. GOUILLARD, Gagik II, nomme parmi eux le domestique des
scholes Nicolas ; mais il peut aussi y avoir le patriarche Jean VIII Xiphilin, en fonction depuis le
1er janvier 1064.
1026. La phrase ne comporte aucun adjectif démonstratif ou exclamatif ; PEETERS, p. 12313 :
tam multa excellentia (au neutre pluriel).
1027. Samqedro (l. 28). Constantin X était un ancien stratège ; en mars 1057 il faisait partie
des généraux d’Asie Mineure venus réclamer à Michel VI des dignités plus élevées (CHEYNET,
Pouvoir, p. 216 ; POLEMIS, Doukai, p. 29). Il s’attribuait volontiers la récente fin de la menace
que les Ouzes avaient fait peser sur la capitale.
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96 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1585 que nous célébrions la liturgie, nous et vous, avec du pain levé1028 et que nous ajou-
tions de l’eau au vin du sacrifice1029, tandis que les Romains célèbrent avec du pain
sans levain1030 et sans eau1031. Ces actes me paraissent fort étranges et contradictoires.
Quelle est la signification1032 du levain du pain1033 et celle du sel que nous ajoutons au
levain1034 et de l’eau que nous ajoutons au vin du sacrifice ? Explique-nous cela, saint
1590 père, et fais-le-nous comprendre ».
(§ 77) Et le bienheureux lui répondit : « Ô roi, comme autrefois une hérésie mul-
tiple1035 a pénétré1036 chez les Grecs et qu’ils ont plusieurs fois dévié, de pieux rois
comme vous ont réuni pour cette raison de saints conciles et <les conciles>1037 ont fait
de minutieuses recherches1038 sur l’économie du Christ notre Dieu et sur sa venue
1595 dans la chair et ils ont discuté au sujet du corps du Seigneur et ils ont défini que nous
devions prendre du pain levé en signe du corps du Christ et du levain de pain en signe
de l’âme raisonnable et du sel en signe de la raison, pour s’opposer à l’hérésie de
l’impie Apollinaire – être sans raison et sans âme1039 – qui disait que le corps seigneu-
rial du Christ était sans âme et sans raison1040. Et nous ajoutons de l’eau au vin en
1600 signe du sang et de l’eau qui coulèrent du côté du Sauveur, comme dit Jean
Chrysostome1041. Telles sont l’explication et l’origine de ces actes. Mais depuis que
les Romains ont connu Dieu, ils n’ont jamais dévié et l’hérésie n’a jamais pénétré
parmi eux ; et ils célèbrent suivant la façon dont le chef des apôtres Pierre a offert le
sacrifice non sanglant et surtout celle que le Seigneur lui-même a transmise à ses dis-
1605 ciples la nuit de la Cène, et il n’y a pas en cela de séparation1042 du moment que la foi
180 | est droite »1043. Alors les chefs romains furent dans une grande joie, car ces questions

1028. Mpuanita (l. 2) : de mpuanej ; SARDSHWELADSE, p. 850 : « Sauerteig ».


1029. Zedašesa (l. 8), de zedaše : vin de messe (SARDSHWELADSE, p. 466). Il ne s’agit pas ici
du rite de l’hénôsis, mais de celui du zéôn : voir plus bas, p. 183-186.
1030. Qmeadita (l. 3), de qmeadi : pain sans levain ; SARDSHWELADSE, p. 1587.
1031. Urc’q’ojta (l. 3), de urc’q’o : sans eau, sans mélange d’eau. SARDSHWELADSE, p. 1190.
1032. Dzali (l. 4) : signification, sens, plutôt que force. PEETERS, p. 13721 : An fortasse aliquid
virtutis inest fermento… ?
1033. P’uris-comisa (l. 4) ; p’uri équivaut à a[rto" ; comi : pâte, pain levé ; SARDSHWELADSE,
p. 1457 : « Teig, Sauerteig ».
1034. BCDFGL et PEETERS : om. « que nous ajoutons au levain ». Dans la tradition juive le
pain azyme (« matsa ») se fait uniquement avec de la farine et de l’eau froide, il est donc sans
levain et sans sel.
1035. Mravali c’avlebaj (l. 9) ; PEETERS, p. 15726 : multi errores. Mais c’valebaj, hérésie, est
au singulier, et le texte qui suit montre qu’il s’agit d’une seule hérésie, assez importante pour
faire l’objet de conciles dont celui de Constantinople de 381 ; je pense qu’il s’agit de l’arianisme
et de ses avatars (dont l’hérésie d’Apollinaire) et que mravali, équivalent du grec poluv", a ici le
sens de grand, puissant, et non pas de nombreux, d’où multiple, au sens de multiforme.
1036. Šemovida (l. 9) : de šemoslva, entrer ; SARDSHWELADSE, p. 1349 : « hereinkommen » ;
PEETERS, p. 13726 : orti sunt.
1037. Le sujet n’est pas exprimé ; on peut comprendre <les rois> ou plutôt <les conciles> ;
PEETERS, p. 13729, reste dans le vague.
1038. Gamoidzies (l. 13-14) : de gamodziebaj, rechercher, enquêter, examiner.
1039. Ugunuri et usuloj (l. 18-19).
1040. Usulod et ugonebod (l. 18). Sur ce vocabulaire de la lutte contre l’hérésie
d’Apollinaire de Laodicée, voir plus bas, p. 187.
1041. Voir plus bas, p. 184.
1042. Ganq’opilebaj (l. 28), comme plus haut, n. 1023.
1043. Voir p. 187.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 97

avaient encore été soulevées entre eux1044 et ils n’avaient pu répondre au roi par igno-
rance. Et ils dirent au saint : « Nous allons t’emmener devant le saint pape »1045.
(§ 78) Ensuite le roi l’interrogea encore sur les Arméniens : « Quelle part ont-ils
1610 avec les chrétiens ? ». Et le saint lui répondit brièvement : « Ne prononce pas le nom
d’une foi mauvaise ! ». Et <Georges>1046 couvrit de confusion les rois arméniens1047
en présence de tous. Alors le roi fut rempli de joie et rendit grâces à Dieu et il pro-
nonça un vif éloge du bienheureux devant ses archontes et gens illustres1048, parce
qu’il lui avait expliqué si aisément et rapidement des questions élevées et difficiles à
1615 comprendre, et il se trouvait très édifié par sa vue et sa conversation. Et il dit au
géronte : « Quoi qui te soucie et t’occupe, Notre Majesté le réalisera pour toi ».

Seconde entrevue avec Constantin X

(§ 79) Nous quittâmes ainsi le roi et nous partîmes pour notre demeure1049 et nous
y prîmes du repos. L’abbé1050 de la Sainte Montagne, homme bon et droit, se trouvait
à ce moment dans la Ville royale1051. Quand il vit1052 le géronte qui était arrivé et qu’il
1620 comprit le sens de notre venue1053, il en fut tout réjoui et dit au moine : « Béni soit
Dieu ! Le Seigneur t’a bien guidé. Voici : ton monastère est devant toi »1054.
Le lendemain nous fûmes convoqués au palais et nous y montâmes donc, ainsi que
l’abbé de la Sainte Montagne ; nous entrâmes en présence du roi. Le roi salua de nou-
veau le géronte avec joie et lui dit : « Pars, bon géronte, pour ton monastère où tu étais
1625 précédemment et que tes orphelins y soient élevés ; car c’est ce que notre frère
181 Bagrat’ sébaste nous a écrit | et l’higoumène le premier t’en a prié ». Et il nous auto-
risa ainsi à partir pour le monastère1055.
Et il dit au géronte : « Montre à Notre Majesté tes orphelins pour qu’elle les
regarde avec miséricorde et t’accorde tout ce que tu peux encore demander. Va en

1044. Non pas entre les Romains, mais entre les Romains et l’empereur.
1045. Alexandre II, 1061-1073.
1046. Dans le texte : « Il » ; PEETERS, p. 13821, comprend : Rex…
1047. AIK ainsi que B ont bien un pluriel : somexni igi mepeni (l. 8), CDEFGL ont un singu-
lier. PEETERS, p. 13822, traduit simplement Armenios.
1048. C’arčinebuli (l. 11).
1049. Savanej (l. 26) : lieu d’étape, demeure ; à la fin du §, on voit qu’il s’agit d’un métoque.
1050. Mamasaxlisi (l. 18), littéralement : le père de la maison, l’abbé, c’est-à-dire l’higou-
mène qui se dit plutôt c’inamdzłuari ; les deux mots sont parfois associés, ainsi au § 972032.
1051. Georges IV Oltisari, venu chercher la confirmation impériale de son élection (voir
§ 972032) ; il succède à Théodore et son higouménat est attesté jusqu’en 1077/1078 ; ce fut l’un
des plus importants higoumènes de la période 1050-1204 : Iviron, II, p. 18-19.
1052. Ixila (l. 19) : il vit ; les deux moines séjournent peut-être dans le même métoque ;
PEETERS, p. 1391 : cognovit.
1053. C’est-à-dire leur retour à Iviron, puisqu’il s’en réjouit.
1054. Pour MET’REVELI, Normes, p. 218, cette phrase signifie que le moine Georges était
resté canoniquement higoumène même après sa démission et que ses successeurs Arsène et
Théodore n’avaient fait que remplir ses fonctions (voir plus haut, § 39 n. 661). J’y vois pour ma
part une pure phrase de respect et l’affirmation que Georges est toujours chez lui à Iviron.
Georges aurait pu rester à Iviron comme ancien higoumène comme l’avait fait Euthyme avant
lui.
1055. Mogwloca monast’eri (l. 2). Molocva signifie le plus souvent visiter en priant (ainsi
pour les lieux saints) ; mais locva signifie également autorisation (SARDSCHWELADSE, p. 594), la
particule mo- ajoute une nuance de mouvement. PEETERS, p. 13911 : Sic monasterium nobis impe-
tratum est.
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98 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1630 paix et fais-nous savoir ce qui te manque et nous y veillerons ». Et nous quittâmes
ainsi une nouvelle fois le palais et nous retournâmes à notre demeure.
Et le lendemain arriva la fête de la naissance de Jean, le 24 juin1056. Nous partîmes
à Stoudios embrasser1057 le chef du saint Précurseur1058 et communier aux mystères de
vie. De là nous partîmes pour notre métoque de Xerlopa1059.

6. La mort de Georges

Prémonition

1635 (§ 80) Le récit que je t’ai fait jusqu’à présent, ô bienheureux, a commencé avec
notre départ de la Montagne Noire, et jusqu’à présent je t’ai parlé succinctement et
simplement ; mais maintenant <vient> le récit de son trépas1060, récit que vous avez
souhaité et demandé : comment il se passa, quelle maladie il eut, combien de jours il
fut malade et encore quelles furent ses paroles de bénédiction et d’adieu, qui furent
1640 ses compagnons et serviteurs à l’ultime moment de son départ.
Mais je suis tout tremblant et craintif, car la voie de mon récit jusqu’ici était toute
droite et facile à suivre ; elle est maintenant étroite, difficile et fragile1061 pour mes
pas ; et j’ai envie de me réfugier dans le havre du silence, car ma main tremble et mon
âme est angoissée et mon esprit stupéfait quand je pense au moment où nous
182 devînmes orphelins. Mais puisque, dans la crainte | de la désobéissance, j’en suis venu
à obéir à votre ordre, j’ai stimulé1062 de nouveau ma langue sans force et j’ai repris1063
le fil de mon propos.
(§ 81) Notre saint père n’ignora pas sa bienheureuse dormition1064, il en fut pleine-
ment conscient. En effet, comme je l’ai dit plus haut, nous étions allés à Stoudios pour
1650 la nativité de saint Jean-Baptiste et, quand nous eûmes embrassé1065 le chef du saint
Précurseur, <le père> communia aux saints mystères du Christ et rendit grâces à Dieu.

1056. Voir Synaxaire de Constantinople, col. 767 et JANIN, Églises, p. 440 : la synaxe de la
fête de la naissance du Baptiste avait lieu dans la chapelle qui lui était dédiée dans l’église de
Saint-Théodore tou Sphôrakiou. On voit, d’après la phrase qui suit, que les moines géorgiens
allaient plutôt à Stoudios.
1057. Ševemtxwnit (l. 9). Mtxweva a le sens de rencontrer, mais aussi de toucher, d’embras-
ser (SARDSCHWELADSE, p. 676). PEETERS, p. 13919 : venerati sumus.
1058. Sur le monastère de Stoudios (Ast’udia, l. 9), dédié à Jean-Baptiste : JANIN, Églises,
p. 430-440 ; DELOUIS, Saint-Jean-Baptiste, p. 388-405, 408-417 et 428-429. Le monastère possé-
dait depuis le règne de Léon VI (886-912) et le patriarcat d’Euthyme (907-912) la relique du
chef de Jean-Baptiste ; l’empereur se rendait en procession à la célébration de la fête de la décol-
lation du Baptiste le 29 août (De Cerimoniis, II, 13, éd. REISKE, p. 5627-5632) ; la fête du 24 juin
était sans doute plus discrète. Je remercie O. Delouis qui m’a aimablement donné ces informa-
tions.
1059. Métoque connu par ce seul passage. Xerlopa peut être le Xérolophos, quartier du
Forum d’Arcadius où se trouvaient plusieurs églises : JANIN, Églises, p. 256, repris dans
Constantinople, p. 75-76 et 402-403. Ce peut être le métoque donné par Basile Ier au moine
Hilarion de Kartli.
1060. Micvalebaj (l. 16) : littéralement passage.
1061. Ułono (l. 23) : faible, sans moyen ; PEETERS, p. 13932 : impervium.
1062. Ałvdzra (l. 2) est un aoriste ; ibid., p. 1403 : concitabo.
1063. Vic’q’o (l. 3) est un aoriste ; ibid., p. 1404 : ingredior.
1064. Dadzinebaj (l. 4) ; le même mot que pour désigner la Dormition de la Vierge.
1065. Vemtxwenit (l. 7) ; PEETERS, p. 1408 : venerati sumus ; voir plus haut § 79 n. 1057.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 99

Puis nous retournâmes à notre métoque. Il fut pris d’une simple petite fièvre, sans
autre maladie, et nous pensâmes que c’était dû à la route, car il avait marché vite à
pied1066 ; c’était en effet son habitude d’aller à pied prier devant les saints. Nous res-
1655 tâmes ainsi trois jours à la maison1067 et, le lendemain, veille de la fête des saints
Apôtres1068, il nous dit : « Tenez prêts les orphelins et faites-les venir pour que nous
partions devant le roi ». Car l’ordre était arrivé qu’il nous verrait, dehors, au
Philopation1069. Nous nous opposâmes à ce que ce fût ce jour-là1070 : « Nous ferons la
proskynèse au roi demain ». Mais de manière prémonitoire1071 il dit à l’ouïe de tous :
1660 « Si nous ne voyons pas le roi aujourd’hui, demain ce ne sera plus en notre pouvoir ».
Et nous ne comprîmes pas le sens de cette parole qui devait s’accomplir.

Le 28 juin et l’adieu à Constantin X

Et nous partîmes. Et il monta lui-même en selle sans personne à côté de lui ou


pour le soulever1072, et nous arrivâmes ainsi dans la plaine1073 du Philopation et il mit
pied à terre pour que nous attendions le retour du roi1074. Pierre, homme digne de
183 mémoire, nous rejoignit également1075 | et ils écrivirent1076 une lettre1077 pour le roi.
Et ainsi, quand le pieux roi revint, il arriva avec ses fils1078 là où nous étions ran-
gés, bien en ordre1079, et comme il s’approchait de nous, nous nous prosternâmes et lui
fîmes la proskynèse et nous lui adressâmes un compliment en notre langue. Et quand
il nous vit, lui béni entre les rois, il s’approcha de nous et il s’émerveilla de la multi-

1066. Momašural iq’o (l. 12-13) ; voir § 30 n. 587 ; § 46 et n. 742. PEETERS, p. 14012 : pedibus
enim illuc fessum (corpus) traxerat ; rien dans le texte ne justifie fessum.
1067. Šina (l. 14), littéralement : à l’intérieur.
1068. Soit le 28 juin.
1069. Gare Pilop’at’sa (l. 22) : gare, à l’extérieur, est ici un adverbe, puisqu’il n’est pas
suivi d’un complément au génitif ; la suite du texte montre en effet que la rencontre a lieu à l’ex-
térieur du palais. PEETERS, p. 14017 : in Philopatio exteriori ; voir plus haut, § 33 n. 617.
1070. Vaq’enebdit vitarmed dłes iq’os da xvale… (l. 19) ; PEETERS, p. 14018-19 : Illi obstitimus
dicentes : « Hactenus hodie ; cras…
1071. Gancxadebulad (l. 20) : de manière claire, ou plutôt de manière prémonitoire ; gancxa-
debaj veut dire explication, mais aussi révélation (le mot désigne la fête de l’Épiphanie) ;
PEETERS, p. 14020 : vaticinantis instar.
1072. Twnier sxwsa miaxlebisa gina t’wrtvisa (l. 25), où t’wrtva signifie soulever. PEETERS,
p. 14025 : non alieno usus adiumento et sine difficultate.
1073. Veli (l. 25) : champ, plaine, terrain. PEETERS, p. 14025 : praedium.
1074. Littéralement : pour que nous attendions jusqu’au retour du roi ; le verbe étant à la 1ère
personne du pluriel, sauf dans BCDEFL où il est au singulier, d’où PEETERS, p. 14026-27 : « ut
regem <inquit> praestoler donec domum redibit. »
1075. Movida čuenda (l. 27) ; Pierre, délégué officiel du roi Bagrat’, ne logeait pas au
métoque. PEETERS, p. 14027-28 : nobiscum venerat.
1076. Dac’eres (l. 1) est un aoriste pluriel dont PEETERS, p. 14028, fait un plus-que-parfait sin-
gulier : scripserat. Le texte de la requête, composé en attendant le roi, est une rédaction com-
mune de Georges et de Pierre.
1077. P’it’ak’i (l. 1) : lettre (SARDSHWELADSE, p. 951, à propos de ce passage) ; le mot renvoie
à pittakion, tablette pour écrire, message écrit. Le texte de la lettre est donné plus bas au § 91.
PEETERS, p. 14028 : libellum.
1078. Quelques lignes plus bas (voir n. 1086), il est question de trois fils, c’est-à-dire de
Michel (le futur époux de Marthe) et Andronic qui sont nés avant 1056 et de Constantin né dans
l’année qui suivit l’avènement de Constantin X. Un quatrième fils, né après Michel, était mort
peu après 1056.
1079. C’esisaebr (l. 4) : selon la règle.
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100 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1670 tude et de la jeunesse des orphelins, dont certains avaient à peine sept ans, tous1080
avec la cape1081 et les façons monastiques1082. Il adressa de grandes félicitations au
géronte et lui dit : « Ô bienheureux, tu as accompli une œuvre grande et sublime que
personne d’autre n’est capable de faire en ce temps ». Et le géronte lui remit person-
nellement la lettre et lui dit : « Saint roi, j’ai rassemblé ces orphelins en Orient, je leur
1675 ai enseigné le nom de Dieu et je les ai conduits1083 maintenant devant Ta Majesté ;
comme tu le jugeras bon, assure leur éducation et accorde-leur ta faveur1084 pour la
prière de ton âme et la longue vie de tes fils »1085. Car ses trois fils se trouvaient avec
lui1086 ainsi que les chefs romains mentionnés plus haut et Gagik de Kars, tous étaient
dans l’admiration devant le saint géronte et le proclamaient bienheureux.
1680 Et, comme je l’ai dit, il remit au roi la lettre et lui dit : « Après Dieu, c’est entre tes
mains que je remets ces orphelins. Moi, désormais, vous ne me verrez plus »1087.
Alors le roi lui demanda de faire dire les Heures1088 par ses orphelins. Et il nous
ordonna de manière prémonitoire1089 de chanter le cantique d’adieu et de congé du
saint vieillard Syméon, ainsi : « Toi qui es assis sur les chars des chérubins,
184 Seigneur… » et « Maintenant laisse-moi aller en paix… »1090. | Par ce cantique il
exprimait son propre départ1091 bien qu’alors ni le roi ni personne d’autre ne l’ait com-
pris. Mais quand il mourut le lendemain, tous, comme des dormeurs, se réveillèrent et
louèrent Dieu qui n’avait pas caché au saint son trépas.
(§ 82) Et quand nous eûmes dit le cantique, le pieux roi adressa de grandes félici-
1690 tations au géronte : « Tu as bien instruit tes fils dans la manière grecque1092, bon
géronte ! ». Et il ordonna de leur donner mille pièces d’argent1093 en gratification1094 et

1080. Q’ovelnive (l. 9), que l’éditeur suggère de remplacer par romelnime (certains), ce qui
ne semble pas nécessaire : la particule -ve suggère la totalité (tous, y compris les petits).
1081. Sabeč’uri (l. 9) : cape ou manteau monastique, peut-être la cuculle.
1082. C’esita samonazonojta (l. 10) ; sur c’esi, voir § 75 n. 1013 ; PEETERS, p. 1416 : omnes
monachorum cuculla et habitu induti ; induti est une addition.
1083. Les trois formes verbales (šemik’rebian, damisc’avebia et momiq’vanebian) présentent
la particule de première personne mi- qui indique le rôle de Georges. On ne peut traduire sim-
plement congregati sunt et didicerunt et ensuite sisto (PEETERS, p. 14111-12).
1084. Les deux verbes, que ne précède aucune conjonction, sont des impératifs de seconde
personne : ałzarden, šeic’q’alen (l. 16) ; on ne peut suivre PEETERS, p. 14113 : ut… educentur et
pie suscipiantur. C’q’alobaj : faveur, bienveillance, grâce, équivalant à cavri". La demande n’est
pas celle d’une simple assistance matérielle (l’œuvre de miséricorde), mais celle d’un diplôme :
c’q’alobis sigeli. Plus bas, § 921936, l’acte par lequel l’empereur délivre un chrysobulle est dési-
gné par un équivalent de carivzesqai.
1085. Mlocvelad sulisa tkuenisa da švilta tkuenta mzegrdzelobisatws (l. 17-18), qui est plus
précis que PEETERS, p. 14113-14 : tibi ipsi filiisque tuis longam aetatem precaturi. La formule se
trouve dans le texte de la lettre, cité § 91.
1086. Voir plus haut, n. 1078.
1087. Phrase om. dans BCDEFGL et PEETERS, p. 14119.
1088. Žamoba (l. 24).
1089. Gancxadebulad (l. 25), voir plus haut, n. 1071 : la traduction « de manière prémoni-
toire » est justifiée par la phrase qui suit ; PEETERS, p. 14120 : quasi praesagiens.
1090. Le Nunc dimittis (Lc 2, 29-32), chanté par le vieillard Syméon après avoir vu le Christ,
appartient à l’office des Vêpres.
1091. Ganslva (l. 1) : exode, sortie, départ.
1092. Guari (l. 8) : art, manière. Voir STRUNK, Office.
1093. Aržura (l. 9) de a[rguro", pièce d’argent, ici le miliarèsion qui vaut douze nomismata ;
le don équivaut donc à un peu plus de 90 nomismata.
1094. Psuni (l. 9) : don, présent, cadeau ; SARDSHWELADSE, p. 1264 : « Geschenk ». PEETERS,
p. 14132 : ad eorum sustentationem.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 101

il dit : « Ma Majesté leur accorde largement sa faveur1095 et1096 elle accomplit pour toi
bien volontiers tout ce qui est écrit dans ta lettre ». Et nous lui fîmes la proskynèse. Et
ainsi le roi s’éloigna et nous partîmes chez nous et le géronte se mit en selle comme
1695 quelqu’un en parfaite santé et nous gagnâmes notre demeure.
Le jour déclinait, qui précédait le mercredi1097, fête des saints chefs des apôtres,
Pierre et Paul. Nous fîmes devant eux1098 les prières des vêpres1099 et il nous bénit tous
comme à l’habitude. Il s’allongea sur le lit, but un peu d’une certaine boisson à cause
de <sa> faiblesse et de la fièvre et il nous dit d’aller tous nous reposer et nous, nous
1700 voulions rester près de lui, mais il n’avait pas besoin de nos services et dit : « Un seul
d’entre vous suffit ; que les autres aillent se reposer ».

Le 29 juin

Et le jour de la fête des saints Apôtres se leva. Nous fîmes normalement les prières
des laudes1100 et il réglait lui-même l’ensemble de l’office. Et quand il fit totalement
jour, il appela les frères dont c’était le service et leur dit : « Régalez bien les frères, car
185 aujourd’hui c’est jour gras »1101. Et il organisa ainsi | lui-même tout le repos1102 de ce
jour. Et certains frères partirent prier au temple des Saints-Apôtres1103 et d’autres
comme moi restèrent à la maison et il y avait avec nous de vénérables vieillards de
bonne origine1104, Étienne et Syméon.
(§ 83) Et comme le jour avançait et que le moment de la troisième heure1105 appro-
1710 chait, il nous donna l’ordre d’allumer des cierges, de faire brûler de l’encens et de
commencer à lire l’Évangile1106, car telle était son habitude : il avait institué quatre
lecteurs et nous commencions chaque chapitre tous les quatre ensemble et nous le ter-
minions ensemble1107. Quand nous commençâmes à lire l’Évangile, le bienheureux se
redressa sur son séant et écouta attentivement1108 ; et quand nous eûmes terminé
1715 l’Évangile tous les quatre ensemble, il traça sur nous le signe de croix et dit : « Gloire
à toi, Seigneur ! » et il se rallongea. Et il nous dit : « Ce dont j’ai besoin est là ». Il y
avait en effet un pot1109 dans lequel il déposa une pièce d’or1110 à l’usage des frères ;

1095. Sc’q’alobso (l. 10) ; voir plus haut, § 81 n. 1084.


1096. Da (l. 10) ; om. BCDEFGL, d’où le lien établi par PEETERS, p. 1421 : Regiae maiestati
nostrae faventissime indulget quidquid in isto libello perscriptum est.
1097. Ot’xšabat’i (l. 15) : le quatrième jour.
1098. Mat (l. 17 et dans tous les manuscrits) est un pluriel : eux. On peut corriger comme
PEETERS, p. 1427 et n. 7 : coram eo (c’est-à-dire le père Georges), ou penser à la présence d’une
icône des deux saints.
1099. Mc’uxri (l. 17) : eJsperinov".
1100. C’isk’ari (l. 25) : o[rqro".
1101. Ałvsebaj ars (l. 28), littéralement : c’est plénitude ; c’est-à-dire un jour de fête sans
jeûne. PEETERS, p. 14218 : (ieiunii) absolutio.
1102. Gansasuenebeli (l. 1) : repos (lié au jour de fête) ; le mot ne signifie cérémonie en
aucune manière. PEETERS, p. 14215 : ille caerimonias omnes ordinavit.
1103. D’après le Typikon de la Grande Église, I, p. 323-327, l’une des synaxes du jour avait
effectivement lieu dans la basilique des Saints-Apôtres.
1104. De bonne origine rend ici aznaurni (l. 4) : nobles.
1105. Sam-žamisa (l. 5) : la troisième heure ou Tierce de l’office du jour.
1106. Il n’y a normalement pas de lecture de l’Évangile à Tierce.
1107. PEETERS, p. 14226, traduit comme des indicatifs aoristes (constituit, perlegimus) les
verbes qui sont au permansif et décrivent l’habitude de Georges.
1108. K’etilad (l. 10), littéralement : bien. PEETERS, p. 14229 : decore.
1109. Č’urč’eli (l. 13).
1110. Drahk’ani (l. 14) : pièce d’or, ici le nomisma. Le verbe idva (de deba, placer, jeter) est
à l’indicatif aoriste, non pas au permansif : PEETERS, p. 14233 : recondebat.
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102 BERNADETTE MARTIN-HISARD

ce n’était pas lui qui le détenait par devers lui, mais c’est un autre frère qui l’avait ; or
ce frère était parti prier et l’avait déposé là, mais nous n’en savions rien. Et ce fut son
1720 testament1111, car il avait attribué tout le reste à la Sainte Montagne, ses livres1112 et les
frères1113, et il n’évoqua pas ce sujet, car nous étions tous au courant.
Et de même que le bienheureux avait aimé le calme1114 durant sa vie, de même en
fut-il au moment de son trépas ; car si nous l’avions su1115, beaucoup de tumulte et
d’agitation aurait éclaté et, l’eussions-nous pu, nous aurions quasiment retenu l’âme
1725 immaculée du bienheureux. C’est pourquoi cet homme paisible et calme ménagea1116
le calme au moment même de son trépas.
Et comme un habile commandant de navire qui a échappé à de nombreux abîmes
186 | et affronté de nombreuses tempêtes et qui se prépare joyeux à rentrer au port, ou
comme un cavalier triomphant qui a anéanti de nombreux guerriers1117 et remporté de
1730 nombreuses victoires et combats1118 et qui, en tout vainqueur, revient auprès de son
roi, ou comme un marchand qui a rassemblé d’innombrables richesses pour une
somme modique et se hâte plein de joie vers son coffre-fort1119, ou comme un
ouvrier1120 qui se réjouit des fruits qui comblent ses sillons, ainsi le saint au moment
de son trépas ressembla-t-il à tous ceux-là dont on vient de parler. Et bien qu’il fût
1735 encore dans son corps, il avait en esprit migré de son corps1121.
Et maintenant voici comment il quitta totalement1122 son corps. Il étendit soigneu-
sement1123 ses saints pieds qui avaient soutenu bien des peines pour le service de
Dieu ; il croisa sur sa poitrine pure et innocente ses bienheureuses mains qui avaient
écrit les enseignements divins, et elles étaient légèrement moites de la sueur dont il
1740 avait si souvent transpiré pour le service de Dieu. Il se signa la bouche de la croix
qu’il avait toujours eue pour espoir et rempart, puis il remit sa sainte main droite à sa
place et il prononça la parole de la fin1124 qui, tel un rayon de soleil, partit devant le
Seigneur : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit »1125. Et il poussa une seule
fois un soupir un peu fort et il remit son esprit saint aux saints anges.
1745 Les vénérables vieillards dont on a parlé plus haut1126 dirent à l’un des prêtres, qui
187 se tenait près de la tête du bienheureux, de poser les mains sur ses saints yeux | qui
nous avaient éclairés. Mais lui, stupéfait et comme privé d’esprit, regardait çà et là et

1111. Anderdzi (l. 17).


1112. Donation confirmée par la commémoraison no 87 du Synodikon (voir plus bas,
p. 156) ; sur le transfert de ces livres, voir § 941987-1988 et n. 1222.
1113. Cette pratique de disposer des frères est attestée dans la Vie de Grigol de Xancta, § 30.
1114. Mq’udroebaj (l. 20) : douceur, tranquillité, calme.
1115. Comprendre : si nous avions su qu’il était en train de mourir.
1116. Uqumia (l. 26), littéralement : il employa, il se servit de.
1117. Sp’arazenni (l. 3-4), qui signifie à la fois combattants, guerriers et armes
(SARDSHWELADSE, p. 1111). Dans CDEFGL sark’inozni, d’où PEETERS, p. 14313 : Saracenos.
1118. Dzlevani da brdzolani (l. 4). PEETERS, p. 14313-14, intervertit les noms et supplée un
verbe : plurima bella (egit) et victorias reportavit.
1119. Saundže (l. 7) : lieu où l’on dépose un trésor.
1120. Mušak’i (l. 4) ; voir plus haut, § 5 n. 326. PEETERS, p. 14317 : agricola.
1121. Gonebita (l. 12). PEETERS, p. 14320 : moribus.
1122. Sruliadi (l. 13). BCDEFGL : sulieri, d’où PEETERS, p. 14320-21 : spiritalis exitus.
1123. C’esierad (l. 14) : soigneusement, décemment ; PEETERS, p. 14323 : modeste.
1124. Sit’q’uay dasasrulisaj (l. 21) ; PEETERS, p. 14329 : vocem supremam emisit.
1125. Suli (l. 23) : esprit. Lc 23, 46.
1126. § 821708.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 103

disait1127 avec indignation aux moines : « Notre père dort ». Mais il n’avait plus besoin
du service de personne.

Déploration

1750 (§ 84) Et maintenant comment vous dirai-je la confusion et l’agitation qui se pro-
duisirent et les gémissements et les lamentations désordonnées ? Ma1128 langue est
incapable de raconter le moment où1129 le corps du bienheureux fut entouré par ceux
qu’il avait sauvés, prêtres, diacres et orphelins tout enfants qui disaient d’une voix
encore faible et la langue balbutiante et criaient à cause de leur père et maître1130 :
1755 « Malheur à nous ! Malheur à nous par toi1131, ô père ! Que nous as-tu infligé ! » et
« Où serons-nous rassemblés et élevés ? » ou bien « Où serons-nous envoyés et dis-
persés maintenant ? ». Et les prêtres et les diacres baisaient ses saintes mains et les
posaient sur leurs yeux ; certains versaient sur son saint corps du sang au lieu de
larmes et disaient : « Malheur à nous ! Malheur à nous, ô saint ! Aussi longtemps que
1760 tu étais avec nous, même les nuits étaient des jours pour nous ; mais maintenant que tu
nous as quittés, les jours eux-mêmes sont des nuits ! ».
Ils disaient cela et bien d’autres choses encore d’une voix misérable et ils se
lamentaient sur ce brusque anéantissement et cette ultime1132 situation d’orphelins1133.
Et comment n’auraient-ils pas gémi ? Car ces quatre-vingts âmes qui, comme nous
1765 l’avons dit plus haut, ne distinguaient pas leur droite de leur gauche, avaient un
unique guide de l’âme et du corps et un guide tel que fut celui-ci1134, et, en un instant,
ils se trouvaient ainsi sans guide.
Et à n’importe quel endroit1135, dans les rues1136 de la <Ville> royale, comment
quelqu’un, même nanti d’un cœur de pierre et d’une âme de diamant et devenu totale-
188 ment inhumain1137, comment celui-là | ne se serait-il pas senti blessé, bouleversé par
cette nouvelle imprévue, précipité dans les profondeurs de la tristesse ?

1127. Et’q’oda (l. 3). PEETERS, p. 1441 : dixit.


1128. Littéralement : notre.
1129. Littéralement : lorsque. PEETERS, p. 1445, supplée : <quid actum sit> cum…
1130. Père et maître sont à l’instrumental qui marque, selon moi, la cause et ne peut corres-
pondre à un complément d’objet direct. PEETERS, p. 1448 : patrem et praeceptorem eum concla-
mantes… L’auteur donne ensuite, en les introduisant deux fois par vitarmed (que je rends par
deux points) puis par anu, diverses exclamations dont il se souvient. Peeters les a toutes fondues
en une seule.
1131. Šen mier (l. 11-12) : par toi, qui nous vient de toi.
1132. Uk’uanajsknelsa (l. 21) : e[scato", ultime, extrême. PEETERS, p. 14418 : supremam orbi-
tatem.
1133. Dans mas dakcevasa da… oblebasa (l. 21), les deux noms au datif sont accompagnés
du démonstratif mas également au datif, et non pas au génitif -mis-, de lui ; on ne peut suivre
PEETERS, p. 14423 : inopinatam eversionem suam et supremam orbitatem.
1134. Vitari twt iq’o (l. 25).
1135. PEETERS, p. 14423, comprend sada (l. 26) comme un pronom interrogatif (où ?) et sup-
plée : Et haec quidem ubinam (acciderant) ? In plateis urbis regiae, ce qui ne correspond pas au
texte, car ce qui vient d’être décrit (haec quidem) n’a pas lieu dans les rues de la ville, mais
autour du corps du saint. Je pense que sada a le sens de « irgendwo » (SARDSHWELADSE, p. 979),
comme sadame, et se rapporte à la phrase qui suit.
1136. Polocta (l. 26) : de poloci, rue.
1137. Littéralement : sorti des limites de la nature.
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104 BERNADETTE MARTIN-HISARD

(§ 85) Oh malheureux que je suis d’avoir gardé l’entière douleur d’un tel moment
et de m’être vu imposer en ma pauvre existence de raconter la mort de celui qui vécut
non pour lui mais pour Dieu !
1775 Oui ! en vérité il s’endormit1138 le compagnon des anges, notre père que nous
aimions tant et qui avait tant pitié de nous, comme de vrais fils1139, comme les
ouvriers de la vigne du Christ, comme les fils de l’obéissance1140 ; il reposa, notre
maître à tous, ange de la terre et homme du ciel, pur temple de la virginité, multiple et
multiforme sagesse de l’esprit1141, artisan1142 intelligent et serviteur fidèle du Christ,
1780 œil resplendissant du corps du Christ, athlète de patience, source de miséricorde,
observateur prudent de la loi du Seigneur, trésor de vertu, dont la parole était douce et
le conseil souhaitable. Qui peut écrire avec des mots le nombre et la qualité des noms
que la grâce divine lui accorda pour avoir accompli toutes choses en actes1143 et pour
avoir aimé tout le monde, à la façon des apôtres ? Hélas, hélas ! ô <toi> toujours dési-
1785 rable1144, quel est ce mystère pour nous, les pauvres1145, et quelle est cette sagesse
ineffable de Dieu ?
Il me faudrait maintenant les larmes de la lamentation de Jérémie ou de tout autre
bienheureux qui déplora, quelque part, l’ampleur d’un malheur ! Viens à nous mainte-
nant, ô Rachel, mère de Benjamin1146 ; pleure tes enfants et refuse d’être consolée1147,
189 | non comme pour les enfants de Bethléem, car ils ont été offerts à Dieu1148, mais pour
les enfants qui ont vu de leurs yeux une double mort, de l’âme et du corps ; et elle n’a
pas de consolateur, car elle en avait un et il a disparu ; c’est pourquoi, ô Rachel, pleure
parce qu’ils ne sont plus.
Et moi, voici ce que je dis à mes frères et aux enfants de mon maître :
1795 (§ 86) Malheur à moi, malheur à moi, mes vénérables frères ! Elle s’est mainte-
nant fermée pour nous, la bouche qui nous enseignait jour et nuit la loi du Seigneur. Il
est parti, le conseil, vraiment mû par Dieu, de <notre> intelligence1149. Il est fermé,
l’œil qui voyait juste et distinguait le bien du mal, le meilleur du pire. Elles se sont
tues, les lèvres qui gardaient la loi du Seigneur. Elle est nouée, la langue qui parlait
1800 d’or, proclamait à voix haute les sagesses divines et traduisait de manière éclatante les

1138. Daidzina (l. 8) (kaqeuvdw) et, plus bas (l. 11), šeisuena (koimavomai) sont des aoristes,
de construction passive. PEETERS, p. 14432 : obdormiverat, et l. 35 : requieverat.
1139. Švili (l. 10) : enfant, fils. PEETERS, p. 14433-34 : ut genuinos liberos ?
1140. Dzeta morčilebisata (l. 11) ; morčilebaj : obéissance. PEETERS, p. 14434 : filios electos.
1141. Sibrdzneman sulisaman (l. 14), dans lequel la forme ergative de sibrdznej (sagesse) en
fait une apposition à maître, comme ange, homme, temple.
1142. Qelovanman (l. 14), que PEETERS, p. 1451, rapporte au groupe précédent : multiplex et
multiformis spiritus sapientiae opifex, en considérant sibrdzneman (traduit sapientiae) comme
un génitif ; voir n. précédente.
1143. Q’ovelta mat sakmit ałsrulebita da q’ovelta mocikulebr šeq’uarebita (l. 21-22). Je ne
suis pas sûre de la traduction. PEETERS, p. 1457 : et illa omnia opere exsequendo et in omnibus se
carum exhibendo.
1144. Sauf dans I, l’adjectif est au pluriel : ô <vous qui êtes> toujours désirables.
1145. Saidumloj (l. 24) : mystère, secret, ce qui est caché. PEETERS, p. 1459 : quale nobis pau-
perculis hoc est mysterium.
1146. Gn 30, 22-24 ; 35, 18. Rachel est la mère de Joseph et de Benjamin, considérés comme
les ancêtres des principales tribus d’Israël.
1147. Allusion à Jr 31, 15 : « … c’est Rachel qui pleure ses enfants, elle ne veut pas être
consolée pour ses fils parce qu’ils ne sont plus ».
1148. La prophétie de Jérémie est accomplie dans le massacre des Innocents : Mt 2, 18.
1149. Gonebaj (l. 9) : intelligence, raison, esprit.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 105

livres divins. Elle s’est reposée, la main qui écrivait si bien et par laquelle il illumina
nos Églises. Ils se sont arrêtés, les beaux pieds, épuisés de se tenir debout pendant les
veilles nocturnes. Elle s’est reposée, l’intelligence1150 qui voyait et scrutait les profon-
deurs de l’Esprit. Il est caché dans la terre, le saint corps usé par les labeurs ascé-
1805 tiques.
Voyez où nous en sommes ! Si cela avait été possible, j’aurais voulu donner force
à ma faiblesse et m’élever à la hauteur de ce malheur et crier à la mesure de cette dou-
leur, comme firent les orphelins qui déplorèrent à voix forte le malheur1151 de leur
190 père. | Mais que faire ? Comment obliger une langue à servir la parole, alors qu’elle
1810 est entravée par ce malheur comme par de lourds liens de fer ? Comment ouvrir une
bouche, saisie de mutisme ? Comment émettre un son, privé de sa force par la douleur
et le chagrin ? Comment ouvrir les yeux d’une âme, obscurcis par les vapeurs de ce
malheur ? Qui donc pourrait dissiper pour moi l’obscurité éternelle et ténébreuse de la
tristesse et me montrer la lumière de paix qui resplendit dans la sainteté ? Qui
1815 déploiera sur nous un rayon puisque notre luminaire s’est couché ? Hélas ! funeste
obscurité, car le soleil, notre luminaire, s’est couché ! Hélas ! combien nos paroles et
nos actes se sont changés en leur contraire en ce lieu, maintenant par rapport à
avant1152 ! Car avant, comme des invités à une noce, nous étions dans la joie ; et main-
tenant, comme des sinistrés, nous soupirons de chagrin. Est-il1153 petit le mal1154 qui
1820 nous a frappés ? Pleurons-nous et nous lamentons-nous pour rien1155 ? Ne pouvons-
nous pas mieux atteindre le sommet de ce chagrin, bien que nous élevions davantage
nos paroles et nos voix1156 ?
(§ 87) Prêtez-nous donc, frères, prêtez-nous des larmes de compassion. Car
lorsque vous étiez dans la joie, nous avons pris part à votre joie : maintenant donc ren-
1825 dez-nous une funeste réciprocité ; vous nous avez donné de partager la joie de ceux
qui se réjouissaient1157, en retour nous vous donnons de partager les pleurs de ceux qui
pleurent1158. Autrefois un peuple étranger pleura sur le patriarche Jacob et fit sien un
malheur qui lui était étranger ; car, après la mort <de Jacob>, ses fils l’emportèrent
hors d’Égypte et tout un peuple étranger, à cause de ce malheur, se lamenta sur lui
1830 pendant trente jours et trente nuits, dans un pays étranger, et il gémit amèrement et
191 pleura1159. | Maintenant donc, frères, imitez ces étrangers, vous qui êtes nos frères et
des gens de notre peuple ; le chagrin des étrangers et des siens fut autrefois commun ;
qu’il soit commun aussi maintenant ; et puisque communes sont la lamentation et la
tristesse, à cause de cela voici que comme dans une vision j’exprime, je présente et je

1150. Gonebaj (l. 18), voir n. précédente.


1151. Gansacdeli (l. 25), littéralement : malheur, infortune, c’est-à-dire ici perte.
1152. Littéralement : maintenant et avant ceci. PEETERS, p. 14623-24 : Quam contraria sibi ora-
tionis rerumque nostrarum conditio fuit, et ante hunc (temporis) punctum et postea.
1153. Arsa (l. 15), dont la particule finale -a marque le caractère interrogatif de la phrase.
1154. Borot’i (l. 15).
1155. Le caractère interrogatif de la phrase est doublement marqué par la finale -a de
vit’q’ebta (l. 16) et par la conjonction interrogative nu, qui, comme num en latin, implique une
réponse négative. PEETERS, p. 14616-17 : Nisi vero leve est malum quod nos oppressit, et nobis
futiliter non est querendum atque desperandum.
1156. PEETERS, p. 14618-19 : nedum huius doloris causam non possemus adaequare, quantum-
vis sublatius verba vocesque nostras intenderemus.
1157. PEETERS, p. 14622-23 : laetantibus vobis in laetitiae societatem venimus.
1158. PEETERS, p. 14623-24 : luctum cum luctentibus nobis consociate.
1159. Jacob mourut en Égypte où les Égyptiens le pleurèrent pendant soixante-dix jours et il
fut enterré en Canaan : Gn 49, 28-50, 14.
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106 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1835 crie la profondeur de ce malheur et je dis : « J’ai pitié de vous, j’ai pitié de vous,
enfants et disciples de ce doux père clément, vous qui êtes maintenant devenus amère-
ment orphelins, vous qui avez fleuri peu de temps et qui vous êtes maintenant brus-
quement fanés, vous qui avez brillamment resplendi et qui vous trouvez dans une
funeste ténèbre ».
1840 Hélas ! qu’agréable1160 avait été jusqu’ici le cours de nos propos ! Hélas ! combien
fortuné serait-il1161 si notre récit s’était achevé là ! Mais maintenant1162 : « Appelez les
pleureuses », comme dit Jérémie1163, car il n’est possible en aucune manière de récon-
forter un esprit saisi et blessé par les malheurs et les douleurs, on peut seulement le
soulager par des larmes et des soupirs. Partez1164 donc, consolateurs, partez et ne mul-
1845 tipliez pas les consolations afin que ces orphelins pleurent douloureusement et amère-
ment et réalisent l’angoisse qui les oppresse, bien qu’ils ne soient pas sans expérience
de la séparation d’avec lui1165 en raison de <ses> combats ascétiques et <ses> habi-
tudes ; car vous vous souvenez sans doute des combats de cet homme sublime que les
propos que nous vous avons adressés vous ont rapportés.
1850 (§ 88) Autrefois les Israélites aussi sont devenus tristes lorsque Élie a été emporté
au ciel ; mais Élisée, orné du manteau du maître, les a consolés d’avoir été séparés de
192 lui1166. Mais maintenant la peine est au-delà de la guérison, car Élie a été enlevé | et
Élisée n’est pas demeuré1167. Je sais que vous n’ignorez pas les paroles et les cris que
Jérémie disait en gémissant sur la dévastation de Jérusalem, et à d’autres lamentations
1855 il ajouta celle-ci et dit : « Les chemins de Sion se lamentent »1168. Cette parole fut dite
par lui en ce temps-là, mais elle s’est accomplie maintenant pour nous ; car lorsque la
déplorable nouvelle se répandit, alors les chemins désertiques se remplirent du gémis-
sement de ceux qui pleuraient et ses disciples affligés de chagrin poussaient les cris
des Ninivites1169, mais ils étaient beaucoup plus affligés et misérables qu’eux ; car la
1860 lamentation <de ces derniers> a écarté la ruine qu’ils craignaient, tandis que <les pre-
miers> n’avaient pas le moindre espoir d’être libérés de leur malheur par leurs lamen-
tations.
Je connais dans le livre des Psaumes une autre lamentation, comparable à celle de
Jérémie, qui fut composée à cause de la captivité des Israélites ; elle dit : « Nous avons
1865 suspendu nos harpes aux saules »1170, car ils avaient condamné leurs harpes et eux-

1160. K’etil (l. 11).


1161. Sanat’rel iq’o (l. 12) : il serait (et non pas viq’o, je serais) bienheureux ; le sujet ren-
voie à « le cours de notre propos » avec mise en parallèle des deux attributs, k’etili et sanat’reli.
PEETERS, p. 1472-3 : quanta foret nostra felicitas.
1162. Éd., l. 13 : raj (que) qui, pour moi, a valeur de deux points ; rata dans BCDEFGL ;
PEETERS, p. 1473-4 : praeficas <advocetis> oportet.
1163. Jr 9, 16.
1164. Ut’evet (l. 18) : de t’eveba, laisser, à l’impératif, sans complément exprimé. PEETERS,
p. 1477 : nos dimittite.
1165. Ganšorebasa missa (l. 21-22 et, plus bas, l. 27) ; il n’y a aucun doute sur le sens de
ganšorebasa, surtout suivi de missa : séparation, éloignement de quelqu’un ou de quelque
chose, ici de Georges ; curieusement PEETERS, p. 14710 : quamquam summae huius acerbitatis
haud inexperti sunt.
1166. Ganšorebasa missa (l. 27) : voir n. précédente ; ici PEETERS, p. 14715 : in eius discessu.
Voir 4 R 2.
1167. Voir § 28625-634, où Georges est comparé à Élisée et Euthyme à Élie.
1168. Lam 1, 4 : « Les chemins de Sion sont en deuil, nul ne vient plus à ses fêtes ».
1169. Voir Jon 3 : à la suite de la prédication de Jonas, les Ninivites invoquent Dieu qui leur
pardonne.
1170. Ps 137 (136), 2. Orłanoni (l. 16) : de orłanoj qui traduit o[rganon, employé dans les
psaumes pour désigner un instrument à cordes, harpe ou cithare.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 107

mêmes au silence. Et cette lamentation je la fais mienne moi aussi maintenant et je


pleure plus qu’eux, car je suis assis près des fleuves du péché et je n’ai personne qui me
les fasse traverser ; et je suspends les harpes des livres divins aux saules du silence, car
l’apôtre Paul dit : « S’il n’y a pas de traducteur, que le lecteur se taise ! »1171, car le saule
1870 est un arbre qui ne porte pas de fruit et puisque le doux fruit de notre vie est tombé, ne
sommes-nous pas devenus des saules sans fruits ? Oui vraiment : en nous taisant nous
avons suspendu aux branches les harpes de notre parole, inutiles et inertes.
(§ 89) Et il n’y a personne pour prendre une seule goutte d’eau et rafraîchir ma
193 langue douloureuse et brûlée | par le feu de la tristesse ! Elle est morte, la désirable
1875 beauté ! Elle s’est tue, la voix pleine de douceur ! Elles se sont fermées, les lèvres
divinement éclatantes ! Elle s’est envolée, la grâce qui m’enseignait la sagesse ! Où
sont les yeux qui contemplaient les mystères du ciel ? Où sont les oreilles qui enten-
daient la divine voix ? Où est la langue sainte qui doucement enseignait la pénitence
aux pécheurs ? Où est la douce paix de ses yeux ? Où est le beau silence de ses
1880 lèvres ? Où est sa désirable main droite qui marquait sa bouche de la bénédiction en
traçant le signe de la croix de ses doigts désirables ?
Et maintenant, je vous en prie, séchez1172 mes pleurs, apaisez ma lamentation, car
je m’aperçois que j’ai franchi les limites de la déploration plus qu’il ne convient, et
sous le poids de la douleur je me suis mis à ressembler aux femmes. Mais poursuivons
1885 et reposons vos oreilles fatiguées de la déploration et de la lamentation des orphelins
et tournons votre esprit vers des propos divins et des paroles consolantes, même si
Rachel, c’est-à-dire l’Église, pousse cris et fortes clameurs et gémit parce que ses
enfants sont devenus orphelins.

Consolation

(§ 90) Je dois donc désormais réorienter la voile1173 de mon récit et prononcer des
1890 paroles d’église1174.
Notre maître ne nous a pas été enlevé, il ne nous a pas quittés. Mais il se tient
debout au milieu de nous, même si nous ne le voyons pas. Notre père est entré dans le
Saint des Saints et « au-delà du voile, là où le Christ est entré pour nous en
précurseur »1175. Bien qu’il ait quitté le voile de son corps, ce n’est cependant pas en
1895 énigme et parabole1176 qu’il sert les choses d’en haut, mais il connaît1177 la forme1178
même des choses non par un miroir et une énigme, mais il voit face à face le visage de
Dieu1179 et il intercède devant lui pour nous, pour ses enfants et disciples et il
demande la rémission de <nos> péchés1180.

1171. 1 Cor 14, 28, à propos de celui qui parle des langues inconnues dans une assemblée.
1172. Šemašrvenit (l. 11) : de šešroba, sécher (SARDSHWELADSE, p. 1394). La correction de
PEETERS, p. 14817 et n. 3 (šemaburvenit) n’est pas nécessaire : lacrimas meas excusetis.
1173. Apraj (l. 20) : voile d’un navire.
1174. Saek’lesioni (l. 21) : ecclésiastiques.
1175. Hb 6, 19-20.
1176. Saxit da igavit (l. 27).
1177. Ganacdis (l. 28) ; gancda : voir, éprouver, connaître d’expérience.
1178. Xat’i (l. 28) : eijkwvn, sch'ma, carakthvr.
1179. Tout ce passage s’appuie sur 1 Co 13, 12 : « Nous voyons en effet à présent à travers
un miroir en énigme (ejn aijnivgmati, de façon confuse), mais alors ce sera face à face ; à présent
ma connaissance est limitée, alors je connaîtrai comme je suis connu ». Mais voir aussi Nb 12,
8, où Yahvé dit de Moïse : « Bouche à bouche je lui parlerai dans une forme visible et non par
énigmes (ejn ei[dei kai; ouj di∆ aijnigmavtwn) ».
1180. Et il demande la rémission de nos péchés : om. dans BCEFGL et PEETERS, p. 14835.
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108 BERNADETTE MARTIN-HISARD

194 | Il a donc dépouillé ses vêtements de peau1181, car les habitants du Paradis n’ont
1900 pas besoin de ces vêtements, mais ils portent les vêtements que chacun a tissés par la
sainteté de sa vie et qui leur ont été donnés par Dieu. Vraiment la mort d’un tel
homme est vénérable devant Dieu1182. Bien plus, la mort n’est rien d’autre qu’une rup-
ture de liens, ainsi qu’il est écrit : « Tu as brisé mes liens »1183. Syméon a reçu sa
liberté d’aller1184 et il a été libéré des liens du corps ; le filet s’est rompu et l’oiseau
1905 s’est envolé1185.
Il a laissé l’Égypte, c’est-à-dire la vie matérielle1186, et il a traversé non pas la mer
Rouge, mais la mer noire et ténébreuse de <ce monde> transitoire1187. Il est entré dans
la Terre de la Promesse, c’est-à-dire la Jérusalem céleste. Sur la montagne il parle
sagesse avec Dieu1188, il s’est déchaussé spirituellement afin de se promener immaté-
1910 riellement1189 en une divine marche de l’esprit, dans la Terre sainte dans laquelle Dieu
est vu et voit ses intimes1190 et leur accorde le repos1191.
Ayez cette consolation, vous, frères, qui emportez les os de Joseph dans la terre de
la bénédiction1192, c’est-à-dire vous qui transportez1193 le corps du bienheureux sur la
Sainte Montagne.

7. Retour sur la Sainte Montagne

Les chrysobulles de Constantin X

1915 (§ 91) Mais c’est le moment de raconter comment s’effectua notre départ pour la
Sainte Montagne et d’évoquer encore le réconfort qui nous vint du bienheureux1194
Pierre patrice, autrefois P’etrik’, les efforts1195 et l’aide qu’après Dieu, il déploya
195 envers nous. | Car lorsque notre saint père quitta son corps et partit devant Dieu,
immédiatement nous prévînmes le saint père Pierre1196 et lorsque celui-ci qui aimait le

1181. Gn 3, 21 : après la faute, « Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau ».
1182. Voir Ps 116 (114-115), 15.
1183. Ps 116 (114-115), 16.
1184. Gant’evebul ikmna (l. 8). Lc 2, 25-32.
1185. Voir Ps 124 (123), 7 : « Notre âme comme un oiseau s’est échappée du filet de l’oise-
leur. Voici : le filet s’est rompu et nous avons échappé ! » .
1186. Nivtieri (l. 11) : de nivti, la matière, voir n. 1189 ; PEETERS, p. 1496 : vitam corporalem.
1187. Sac’utrojsaj (l. 12) : de sac’utroj, provskairo", de brève durée ; PEETERS, p. 1497-8 :
mare mortalis huius aetatis.
1188. Sibrdznis-met’q’ueleba (l. 14) : philosopher ; PEETERS, p. 1499 : loquitur sapientiam.
1189. Univtod (l. 16) : immatériellement, voir n. 1186 ; imotxvides (l. 16) : de motxva, se pro-
mener (SARDSHWELADSE, p. 746). PEETERS, p. 14911 et n. 7, préfère corriger le verbe en mimtx-
vides et traduit : a corpore solutus evaderet.
1190. Twsta sak’utarta (l. 17) : les siens qui se tiennent près de lui, ses familiers, ses intimes,
ce qui renvoie à des personnes (comme Georges), et non à des choses. PEETERS, p. 14912 :
eiusque intima cernit.
1191. Une partie de ce passage repose sur l’histoire de Moïse sur la montagne de l’Horeb,
notamment Ex 3, 5 : « Retire tes sandales…, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ».
1192. Voir § 73 n. 983.
1193. Ałiq’vanebt (l. 20) tout comme c’argq’avs (l. 21) sont des présents : vous emportez,
vous transportez, et non des aoristes. PEETERS, p. 14914.15 : intulistis et transtulistis.
1194. Net’arisa (l. 23) ; om. dans BCDEFGL et PEETERS, p. 14918.
1195. Mołuacebaj (l. 26), qui ne désigne pas ici le combat ascétique, mais les efforts que
l’on déploie.
1196. Pierre ne logeait pas au métoque (§ 81 n. 1075).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 109

1920 maître et, pour dire plus, qui aimait Dieu, connut notre brutal et si grand1197 anéantis-
sement, il en eut l’âme cruellement blessée ; il se ceignit les reins et entra rapidement
chez le roi et il lui annonça cette stupéfiante nouvelle : « Saint roi, la paix et la joie
éternelle soient avec toi et avec tes enfants ! Voici que le saint géronte qui vous a
confié hier quatre-vingts orphelins s’est remis aujourd’hui entre les mains de Dieu,
1925 car il est mort. Toi, le roi de la terre, tu l’as envoyé au Roi du ciel. Hier, à cette heure,
il sollicitait de toi la liberté d’aller et il est aujourd’hui libéré des liens de son corps.
Hier il te suppliait d’accorder tes faveurs à ses orphelins et aujourd’hui il supplie pour
toi celui qui est le père des orphelins, le juge des veuves et le roi des rois de la terre ».
(§ 92) Quand le pieux roi entendit ces paroles, il fut totalement stupéfait et resta
1930 silencieux un certain temps, puis il dit à trois reprises : « Gloire à Dieu ! gloire à
Dieu ! gloire à Dieu ! car les âmes des saints sont dans la main de Dieu1198, comme
celle de ce bienheureux géronte. Bienheureux es-tu, ô saint géronte, d’être parti
devant Dieu ! J’ai confiance en tes saintes prières, et j’accomplirai comme il le faut
tout ce que tu voulais ».
1935 Il se fit immédiatement apporter la lettre1199 que le saint lui avait remise de sa
propre main et il y était écrit ceci : « Saint roi, accorde ta faveur à ces orphelins
comme il plaira à Ta Piété. Assure leur entretien1200 pour qu’ils prient pour ton âme et
196 pour la longue vie de tes fils. | Fais pour le monastère de la Sainte Montagne, ce lieu
où l’on prie pour toi, un chrysobulle de confirmation de tous les chrysobulles afin
1940 qu’il soit totalement indépendant et exempt1201 et pour que les orphelins y soient éle-
vés et que tous ses habitants prient pour toi éternellement ».
Quand le roi eut lu et compris ce que cela signifiait, il ordonna immédiatement à
son protonotaire1202 de faire deux chrysobulles fermes et immuables1203. Le pre-
mier1204 confirmait, ainsi que le saint moine l’avait demandé, tous les chrysobulles et,
1945 dans le cas où quelqu’un voudrait nuire en quoi que ce soit à cette sainte laure1205, il

1197. Mlevani (l. 5) : si grand, toiou'to".


1198. Voir Sg 3, 1.
1199. Voir § 81-82.
1200. Daarčines (l. 28) : de darčena, fournir l’entretien, nourrir, alimenter ; PEETERS,
p. 15011-12 : fac ut alantur.
1201. Tavisupal da šeuval (l. 3) ; le premier mot traduit aujtodevspoton, indépendant (voir
Iviron, II, p. 131) ; d’après le texte du chrysobulle qui a été conservé, le second pourrait corres-
pondre au privilège d’ejxkousseiva qui place le bénéficiaire à l’abri des fonctionnaires du fisc.
Iviron ne sera « libre » qu’en 1079 (acte no 41 ; ibid., p. 129-135) ; sur le statut du monastère :
Iviron, II, p. 24 n. 62. Voir en général THOMAS, Private Religious Foundations, p. 214-218.
1202. Il y aurait donc bien eu un protonotaire dans la chancellerie impériale, même s’il ne
figure pas dans le Traité de Philothée ; voir OIKONOMIDÈS, Listes, p. 311 n. 130.
1203. Mt’k’iceta da šeucvalebelta (l. 8) : de mt’k’ice da šeucvalebeli qui correspondent à bev-
baio" kai; ajsfalhv" que l’on retrouve dans la formule finale de l’acte d’Iviron no 3825 (voir
n. suivante).
1204. Ce chrysobulle de confirmation est partiellement conservé (il manque le début) à l’in-
térieur de l’acte no 38 d’Iviron, daté du [29-31] juin 1065 = Regesten2, no 961a ; texte et com-
mentaire dans Iviron, II, p. 111-114, ainsi que p. 19 et 23. Cet acte n’était pas connu de PEETERS,
p. 150 n. 7. Il confirme les dispositions fiscales d’un chrysobulle de Constantin IX (voir plus
haut, § 31 et n. 604) et les privilèges accordés par tous les chrysobulles détenus par les Ibères
depuis Romain II. Une clause du chrysobulle délivré en 1079 par Nicéphore III Botaniate
au monastère en fait état : acte no 41 dans Iviron, II, p. 13031-45 et 131.
1205. Sans doute par des taxes dont les actes impériaux donnent de longues listes ou par des
conflits de propriété.
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110 BERNADETTE MARTIN-HISARD

s’opposerait à lui, le rejetterait1206 <et> le confondrait1207. Et il fit un autre chrysobulle


pour les orphelins afin que personne n’ose les chasser du monastère ou leur nuire en
quoi que ce soit, mais qu’ils soient élevés dans le monastère comme des fils et des
habitants1208 de la sainte église1209.
1950 Et il donna ces deux chrysobulles au bienheureux Pierre1210 et de très grands
cierges et de nombreuses bougies et une grande quantité d’encens odorant1211, du
musc1212 et de l’aloès1213. Le vénérable géronte Pierre prit tout, car le roi lui avait
donné cet ordre : « Dépose tout cela sur sa sainte poitrine, demande-lui pardon comme
s’il était vivant et dis-lui : “Voici, j’ai accompli ton ordre au-delà de ce que tu deman-
1955 dais et je te supplie maintenant de ne pas m’oublier devant Dieu” ».

Derniers moments à Constantinople

Et quand Pierre fut parti, il exécuta ce que le roi lui avait demandé. Et lui, que ne
197 faisait-il, que ne disait-il | sur le corps du saint ! Il lui faisait des reproches comme s’il
était vivant et il mouillait ses pieds de larmes, et si je ne craignais pas d’embraser de
nouveau le feu de la désolation, à peine et difficilement éteint, et de vous affliger tous,
1960 je vous dirais en pleurant les paroles misérables et les larmes ferventes de ce bienheu-
reux. Mais j’ai préféré encore une fois votre repos.
(§ 93) Et alors même que nous étions ainsi et que son saint corps gisait devant
<nous>, une femme arriva, une disciple du saint, la sœur de Parsman et de Čorča-
neli1214, qui n’avait pu arriver à temps pour voir le saint encore en vie. Quand elle
1965 arriva, elle mouilla ses saints pieds dans des pleurs et gémissements abondants et elle
disait au saint avec reproche comme s’il était vivant : « Ô saint, pourquoi m’avoir fait
cela, malheureuse que je suis, à moi qui avais de nombreuses pensées1215, car je
n’avais pas vu ton saint visage depuis longtemps ? ». Et, très affligée et gémissante,
elle partit ainsi chez elle et elle mit par écrit toutes ses pensées, elle mit un sceau par-
1970 dessus et elle revint le lendemain ; elle apporta le texte et le posa sur la poitrine du

1206. Gare-ukun-akcevbs (l. 10-11) : de gareukunkceva, retourner, rejeter (SARDSHWELADSE,


p. 265) ; PEETERS, p. 15021 : retunderet.
1207. Sircxwlita ałavsebs (l. 12). Cette formule ne se retrouve pas dans l’acte no 38.
1208. Mk’wdrni (l. 15) : habitants ; PEETERS, p. 15025 : alumni.
1209. Chrysobulle perdu ; Regesten2, no 961b, qui lie très judicieusement ce chrysobulle à la
question de l’introduction sur l’Athos d’un groupe comprenant de très jeunes enfants, question
sur laquelle la législation canonique et impériale était très stricte (DE MEESTER, § 109, 10, p. 352-
353). On verra plus bas, p. 143 n.1468, que Georges avait été en tant qu’higoumène, en 1045, un
partisan de l’expulsion des eunuques et des imberbes de l’Athos.
1210. Ces chrysobulles ont dû être remis ensuite à l’higoumène Georges IV, car la commé-
moraison no 61 du Synodikon instituée en son honneur (éd., p. 231-232) dit qu’« il reçut un chry-
sobulle ».
1211. Sak’umeveni surneli (l. 17-18).
1212. Mušk’at’roani (l. 18), mušk’aroani (CEFGL). SARDSHWELADSE, p. 847 :
« Muskatspezerei » (avec référence à ce passage de la Vie) ; mušk’i (ibid.) désigne la noix mus-
cade, mais aussi un parfum en général ; PEETERS, p. 15032 : musci sucini ; le succin est l’ambre
jaune d’origine végétale, ce qui est difficilement compatible avec le musc.
1213. Alvaj (l. 18) : encens ; distinct de sak’umeveli (n. 1211) ; SARDSHWELADSE, p. 15 et 998,
traduit les deux mots de la même manière par « Weihrauch ». Alvaj est probablement ajlwhv,
l’aloès (cf. Jn 19, 39).
1214. Parsman, devenu higoumène d’Iviron sous le nom d’Arsène en 1055, était mort en
1061 et son frère était mort avant lui : voir plus bas, p. 151-152.
1215. Sur les pensées, voir § 46 n. 738.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 111

saint, <elle apporta aussi> de l’encens odorant, de nombreux cierges et une eulogie
pour les frères comme réconfort1216. Et, pleurant beaucoup, elle lui embrassa encore
les pieds et elle faisait des reproches au saint comme s’il était vivant avec de
pitoyables paroles et des soupirs de l’âme. Et elle prit le texte, me le donna et me dit :
1975 « Je te supplie en pleurant, frère vénérable, de glisser ceci dans la ceinture du saint et
j’espère en Dieu que le saint extirpera ce qui est écrit dans le texte et me pardonnera ».
198 Et, ainsi couverte de larmes, elle embrassa la main du saint | et se donna par elle une
bénédiction. Et elle partit chez elle en soupirant et en pleurant. Et moi je pris <le
texte> comme elle l’avait demandé et je le glissai dans la ceinture du saint.

Translation sur la Sainte Montagne

1980 (§ 94) Après tout cela nous déposâmes son saint corps dans un cercueil1217 fabri-
qué avec du bois imputrescible et, par la volonté de Dieu, nous nous dirigeâmes par
mer vers la Sainte Montagne. Et lorsque nous arrivâmes à un endroit appelé
Hexamilion1218, nous empruntâmes la voie de terre à cause de la grande distance à
parcourir et par peur des Saracènes1219. Et l’Hexamilion est appelé ainsi parce qu’il y
1985 a six milles de la mer d’un côté à la mer de l’autre. Ainsi, comme nous l’avons dit,
nous continuâmes par la voie de terre pendant six milles avec des chariots1220. Sur le
plus grand de tous les chariots, nous déposâmes l’arche de notre père1221, tous ses
livres1222 et ce qui relevait du service de l’autel et nous avançâmes. Et nous allions de
la manière suivante : nous étions rangés tout autour, sur les quatre côtés, comme
1990 autrefois pour l’Arche de la Loi du Seigneur1223 ; par-devant allaient les petits diacres
et par-derrière les prêtres et les autres gérontes âgés. Et ainsi nous célébrions la gloire
de Dieu avec des psaumes, des hymnes et des louanges spirituelles et nous chantions
le saint.
(§ 95) Or parmi les jeunes frères il y avait un frère, le plus jeune de tous, nommé
1995 Pantéleimon, pour lequel le saint père, bienveillant envers tous, avait montré grande
compassion1224. Chemin faisant, l’enfant qui était pieds nus se planta une épine dans
le pied ; et, comme le jeune enfant se baissait pour retirer l’épine, le chariot lui passa
199 brusquement sur le dos. | Et nous, à cette vue, nous éclatâmes en cris de douleur et en

1216. L’eulogie consiste probablement en une somme d’argent, destiné au bien-être (nugeši-
nis-sacemeli, l. 21 : réconfort, consolation) des frères.
1217. Guadruci (l. 4) ou gadruci : coffre, boîte, ici par extension cercueil.
1218. Venant de Constantinople, les moines évitent le long contournement maritime de la
presqu’île de Gallipoli, la rive asiatique de l’Hellespont étant manifestement jugée peu sûre à
cause des Turcs, appelés ici Saracènes. Le § 962012 montre que l’Hexamilion désigne non un lieu
précis, mais la partie la plus étroite de la presqu’île de Gallipoli (6 milles) ; la traversée s’effec-
tuerait entre Péristasis et l’ancienne Lysimachia ou Hexamilia, évêché suffragant d’Héraclée, au
fond du golfe de Saros.
1219. Sark’inoztajsa (l. 9) ; avazak’ta, brigands, dans CDEFGL, d’où PEETERS, p. 1525 :
praedonum. Saracènes désigne ici les Turcs.
1220. Uremi (l. 12) : chariot (à deux roues selon TCHOUBINOF, p. 492).
1221. K’idobani (l. 13), comme guadruci (n. 1217), désigne un coffre, mais aussi l’Arche
d’Alliance (kibwtov"), et le mot est employé à dessein, comme le montre la phrase suivante.
1222. Ils ont en effet été légués à Iviron (§ 831720 et n. 1112).
1223. Allusion à la disposition des tribus autour de l’Arche, selon les quatre points cardi-
naux, lors des campements et pendant les déplacements, qui est évoquée dans Nb 2 ; le dispositif
semble différent en Nb 10, 11-28.
1224. Un des orphelins : voir plus bas, l. 2002.
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112 BERNADETTE MARTIN-HISARD

gémissements et nous nous mîmes à pleurer ; et il se fit une grande agitation, car nous
2000 pensions tous non seulement qu’il avait été tué, mais qu’il avait été écrasé comme un
simple vermisseau. Mais – ô secours surnaturel, aide de Dieu clément et grâce de
l’homme de Dieu qui, même après sa mort, garde et secourt ses orphelins et les prend
ainsi en pitié ! – le chariot, comme nous l’avons dit, passa sur le dos de l’enfant et
celui-ci se redressa brusquement et nous avions les yeux fixés sur [la marque] <laissée
2005 par le> chariot1225 et il dit : « Permettez-moi de retirer cette épine ». Et nous lui
demandâmes : « Et tu n’as même pas mal à cet endroit ? ». Et il dit : « Je ne m’étais
même pas aperçu que le chariot m’était passé dessus », car il était encore jeune et par-
lait ainsi. Ô grâce de ce saint corps qui allégea le poids de la roue si admirablement
que le petit enfant ne s’en aperçut même pas ! Et il a grandi maintenant1226 et il
2010 raconte lui-même ce glorieux miracle et il loue Dieu qui fait des merveilles et il pro-
clame la gloire du saint père.
(§ 96) Nous traversâmes ainsi l’Hexamilion ; nous prîmes de nouveau la mer et,
avec l’aide de Dieu, grâce à de paisibles et favorables brises1227, nous arrivâmes à la
Sainte Montagne, et les hagiorites nous réservèrent bon accueil, à nous comme leurs
2015 enfants, au saint comme leur pasteur et higoumène ; car beaucoup de ces anciens bien-
heureux gérontes <qui avaient été> les disciples du saint étaient encore en vie. Ils vin-
rent ainsi à sa rencontre et ils l’entourèrent d’honneurs, comme autrefois pour notre
200 saint père le grand Euthyme | quand il rentrait de la Ville royale1228. Ils firent ainsi
entrer dans l’église l’arche du bienheureux, portée avec honneur par des prêtres, et ils
2020 la déposèrent devant le martyrium du saint père Euthyme1229. Et ils se saluèrent l’un
l’autre, le premier en tant que père et maître, le second en tant que fils et disciple, le
premier depuis le martyrium, le second depuis l’arche, et ils donnèrent la paix à la
foule par prêtres interposés ; ainsi fut embellie l’église et le peuple se réjouit.

Déposition finale et culte de Georges

(§ 97) Mais nous ne choisîmes pas l’endroit où conserver les reliques du bienheu-
2025 reux avant d’avoir interrogé le bienheureux Pierre déjà mentionné. <Le bienheureux>
resta donc trois jours devant le saint père Euthyme ; puis nous l’emportâmes dans
l’église de Tous les saints1230 et nous y déposâmes le cercueil du bienheureux. Et
toutes les nuits il y eut prières et veilles1231 et, le jour, célébration de la liturgie par les
prêtres1232.
2030 Il resta ainsi pendant un an1233 dans l’église de Tous les saints jusqu’à ce que nous
ayons reçu un ordre de Pierre et de l’homme de Dieu, le vénérable géronte, notre

1225. Littéralement : l’endroit du char. Adgilsa (l. 10) : de adgili, endroit ; d’après ce qui
suit, les moines regardent un certain endroit du corps de l’enfant, celui de la marque laissée par
le char. Dans C, au lieu de adgilsa, il y a alagsa, de alagi, marque ; d’où PEETERS, p. 15232 : vibi-
cem plaustro (impressam).
1226. Ce qui ne signifie pas, comme le dit PEETERS, p. 72, qu’il est devenu adulte, mais qu’il
a pris conscience du miracle.
1227. Niavita (l. 22) : de niavi, brise, zéphyr (SARDSHWELADSE, p. 914). Dans BFGL : navita,
d’où PEETERS, p. 1537 : tranquilla et commoda navigatione.
1228. Aucune scène de ce genre n’est attestée dans la Vie de Jean et Euthyme.
1229. Samart’wlo (l. 3) : voir § 26 et n. 537, § 29 et n. 567.
1230. Chapelle sud de la grande église d’Iviron : voir p. 138.
1231. Łamis-tevani (l. 14) : veilles, au sens où l’on ne dort pas, et non pas vigiles.
1232. Ensemble liturgique (prières et veilles nocturnes, eucharistie au matin) qui constitue la
pannychis, caractéristique des fêtes solennelles.
1233. C’elic’dadme (l. 16) ; PEETERS, p. 15330 : anno vertente. Jusqu’au 24 mai 1166 (§ 982051).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 113

higoumène et abbé, Georges Oltisari, car le roi lui-même le confirma après la mort du
saint : il lui plaisait qu’il détienne cette grande laure à cause de sa droiture et de sa
probité1234.
2035 Alors, sur l’ordre des pères susdits et avec tous les frères pour témoins1235, nous
ouvrîmes le sarcophage1236 du bienheureux père Georges le Constructeur1237, dans le
portique1238 de l’église, du côté gauche, en face du sépulcre1239 de notre saint père
Euthyme1240. Et quand nous ouvrîmes l’arche du père Georges, ô merveille, pas un
seul cheveu n’était tombé de la tête et de la vénérable chevelure grise du bienheureux,
2040 ce qui manifestait la splendeur de son âme.
201 Et je me souvins, moi l’indigne, du texte écrit1241 par la femme | et que j’avais
glissé dans la ceinture du saint et je dis à l’un des prêtres de le prendre et de regarder.
Et quand il l’eut pris, il vit qu’il y avait toujours un sceau et l’envie le prit de jeter un
coup d’œil sur le bord1242 inférieur de la lettre ; et quand il retourna1243 le côté de la
2045 lettre, ô merveille et chose tout à fait incroyable pour les hommes de ce temps ! il vit
que <le sceau> était cassé1244, mais il n’osa ni le dire ni le montrer à quelqu’un de
peur de l’incrédulité des autres et il glissa de nouveau <la lettre> dans la ceinture du
saint.
(§ 98) Et ainsi nous enlevâmes de l’arche celui qui vivait1245 et nous le gardâmes
2050 dans le sépulcre de marbre avec Georges le Constructeur, comme un vrai second
constructeur et décorateur de l’église1246, le 24 mai, en la fête de saint Syméon
Thaumaturge1247. C’est aussi <la date de> la commémoraison de la translation de ses
saintes reliques1248.

1234. Sur Georges IV, voir § 79 et n. 1051.


1235. C’amebita (l. 23) : de c’amebaj, témoignage ; PEETERS, p. 1546 : in conspectu omnium
fratrum.
1236. Lusk’umaj (l. 23) : cercueil ou plutôt sarcophage, puisqu’il est dit au § 982050 qu’il était
en marbre ; PEETERS, p. 1546 : sarcophagum.
1237. La dépouille de Georges Ier avait été rapportée à Iviron, sans doute sous l’higoumène
Grégoire. La commémoraison no 13 (Synodikon, éd., p. 219) fut instituée le 7 décembre pour
« Georges le Grand ». Il est appelé Constructeur (mašenebeli, l. 24 ; c’est-à-dire ktivtwr) en rai-
son des travaux qu’il effectua dans l’église de la Mère de Dieu (Iviron, I, p. 62 et 66-67).
1238. Št’osa (l. 24), de št’oaj ou st’oj ; voir § 30690 n. 594 ; ici le narthex intérieur ; PEETERS,
p. 1547 : in porticu.
1239. Larnak’i (l. 25) : sépulcre, monument funéraire ; voir § 27 n. 538.
1240. Le martyrium d’Euthyme était dans la partie droite du narthex.
1241. Kart’a (l. 30). PEETERS, p. 15412 : codicillos.
1242. Štaixednes (l. 4), qui implique un regard jeté vers le bas. K’idesa (l. 4) : de k’idej, côté,
bord, extrémité, angle ; ce dernier sens est retenu par PEETERS, p. 1553 : extremum libelli angu-
lum.
1243. Uk’umo-raj-hk’eca (l. 4) : de uk’umok’eca ; SARDSCHWELADSE, p. 1174 : « umblättern,
umschlagen », qui traduit ainsi ce passage : « Et blätterete eine Seite des Buches um ». PEETERS,
p. 15514 : retro plicasset.
1244. Aqocil (l. 6) : extirper, détruire. PEETERS, p. 1556 : deletum. Georges aurait donc lu la
lettre.
1245. Cxoveli (l. 9) : vivant ; l’épithète s’accordant avec le nom, cxoveli (au nominatif) ne
peut se rapporter à k’idobnit, arche (à l’instrumental) : le miracle précédent a montré que
Georges était toujours vivant. PEETERS, p. 1559 : e vivifico loculo.
1246. Sur les constructions de Georges, voir plus bas, p. 141-143 et 146.
1247. Le choix de ce jour n’est sans doute pas un hasard.
1248. Elle ne figure pas dans le Synodikon d’Iviron.
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114 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Mais sa commémoraison complète a été fixée au 30 du mois de juin, en la fête des


2055 douze saints Apôtres1249, car ce n’était pas possible le 29 juin, c’est-à-dire le jour de
sa mort, à cause de la fête des saints apôtres Pierre et Paul. C’est ce que décidèrent le
bienheureux Pierre et son frère1250 Jean Č’q’ondideli, ainsi que d’autres pères avec
eux, à l’instar de ce que firent autrefois les pères pour Jean Chrysostome, car il mou-
rut un 14 septembre, en l’Exaltation de la Croix, et puisque alors <ce jour> n’était pas
2060 possible, ils fixèrent <sa commémoraison> au 13 novembre. Les pères susdits firent
de même pour ce saint.
(§ 99) Et ils s’occupèrent de faire peindre une icône de la très sainte Mère de
Dieu, avec les deux pères de chaque côté, le saint père Euthyme à droite et le père
202 Georges de l’autre côté, en orants et | intercesseurs pour nous devant la sainte Mère de
2065 Dieu1251. Et ils envoyèrent la sainte icône à la Sainte Montagne et nous la pla-
çâmes1252 sur la tombe1253 de notre saint père Georges. Et notre saint père Euthyme
n’est pas représenté comme en sa vieillesse, mais quand il traduisait les livres et qu’il
avait cinquante ans. Et il fallait qu’il en fût ainsi. Car, pour illuminer notre peuple,
celle qui exalte ceux qui l’exaltent, la sainte Mère de Dieu, accorda à l’un la santé et
2070 une langue habile à parler le géorgien1254, à l’autre la sagesse et le savoir1255 ; car tous
les deux ont exalté selon leurs moyens <celle qui est> la très glorieuse cause de nos
biens, <<… …>>1256, l’autre a orné et embelli les jours de ses fêtes en traduisant son
hymnaire, car dans le P’arak’lit’on qu’il traduisit, il traduisit cent cinquante hymnes
uniquement de la très sainte Mère de Dieu1257 ; ils ont ainsi exalté comme ils le pou-
2075 vaient celle qui les exalta. Et maintenant ils se tiennent devant elle au ciel, tandis que,
se tenant devant sa sainte image sur terre, ils la supplient pour nous afin que, par leur
intercession, nous suppliions nous aussi la sainte Mère de Dieu de passer en paix le
reste de nos jours en suivant l’enseignement de nos saints pères, pour être délivrés des
tourments éternels.
2080 (§ 100) [1]1258 Ainsi fut accomplie sa déposition1259 dans le sépulcre1260 avec
divine splendeur et grande beauté.
Mais cependant, en cet endroit qui est le sien1261, il nous a laissé le signe de l’ex-
pulsion des démons et bien que nous en ayons déjà évoqué un à propos de ce malheu-

1249. Date confirmée par la commémoraison no 87 du Synodikon, instituée par Georges IV


(éd., p. 238) ; voir plus bas, p. 156.
1250. Dzman (l. 20), de dzmaj, frère, dans AIK ; dzeman (de dzej, fils) dans BCDEFGL,
d’où PEETERS, p. 15518 : eiusque filius Iohannes Dsqondidelius.
1251. L’icône a pu être faite à Constantinople.
1252. Dausuenet (l. 2) : à comprendre comme davusuenet, nous plaçâmes ; dausuenes dans
CDEFGL et PEETERS, p. 15612 : collocarunt.
1253. Samarxosa (l. 3) : de samarxoj : lieu où l’on garde.
1254. Voir § 19450-451 et p. 146-147.
1255. Mecnierebaj (l. 9-10) : savoir, intelligence, science.
1256. Lacune.
1257. Ce sont les Théotokia (§ 44 et n. 712 et 716).
1258. En raison de la lacune de l’édition utilisée par Peeters, le § 100 est particulièrement
long ; par commodité je l’ai divisé en sous-parties, numérotées entre crochets carrés.
1259. Dadebaj (l. 21) : déposition, et non pas didebaj, gloire (d’après l’abréviation db-j de
BCDEFL), d’où PEETERS, p. 15630 : gloriae divino… apex impositus fuit.
1260. Larnak’i, comme au § 972037 et n. 1239.
1261. Twssa adgilsa (l. 23) : en ce lieu à lui ; PEETERS, p. 15632, traduit par monumento suo.
Cependant les miracles évoqués ou racontés ne sont pas spécialement liés à son tombeau, ni
même à Iviron ; je ne suis donc pas sûre de cette traduction ; adgili twsi se retrouve dans l’Évan-
gile pour traduire eij" ta; i[dia, chez soi.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 115

reux que le diable terrassa à sept reprises au temps de la jeunesse du saint, dans un
2085 endroit solitaire et par une nuit sans fin1262, il n’est pas inopportun d’évoquer**1263
celui que nous désirons raconter.
[2] Il y avait un frère, agréable à Dieu, nommé Étienne, archidiacre quant à
l’ordre1264, un homme vénérable et craignant le Seigneur. Le bienheureux avait consa-
cré prêtre le diacre Étienne, alors qu’il était encore tout jeune, à cause de sa sain-
203 teté1265, | en disant : « Bien que jeune par l’âge, Étienne est chenu par la raison ». Il
l’éleva ainsi à la parfaite dignité du sacerdoce. Et, je ne sais pas comment cela se pro-
duisit, je suppose que ce fut à cause de la jalousie du démon ou que cela advint en rai-
son de sa jeunesse, je ne sais pas, mais un jour, nous célébrions la sainte liturgie selon
la règle et, alors que nous mettions nos vêtements, le géronte n’était pas avec nous
2095 parce qu’il interrogeait1266 l’un des frères. Et comme nous commencions à psalmodier
– ô audace du démon qui ne respecta ni la dignité du sacerdoce ni la sainte
table ! – Étienne fut brusquement jeté à terre et il écumait et grinçait des dents ; et des
frères coururent le dire au saint ; il vint en hâte et le vit ainsi gisant. Il ne se troubla
pas, il ne s’effraya pas de l’audace du démon, il ne recourut à aucune prière pour être
2100 vu1267 des hommes ; mais, pendant un court silence, il adressa une prière à Dieu, il lui
prit la main et lui dit doucement : « Étienne ! » ; et lui, comme s’éveillant d’un pro-
fond sommeil, lui répondit : « Père, bénis-moi ! ». Le géronte lui dit : « Fils, que t’est-
il arrivé ? ». Le frère lui dit : «Je n’en sais rien, mais maintenant que j’entends ta voix,
je vais bien ». Le moine lui dit : « N’aie pas peur, signe-toi la bouche ». Ce qu’il fit, et
2105 il nous dit : « Commencez à chanter1268 et célébrez la sainte liturgie ». Et il dit de
même à Étienne de concélébrer avec nous. Et moi qui suis un homme de peu de foi et
timoré, j’avais encore peur intérieurement ; et il approcha sa sainte bouche de mon
oreille et me dit : « N’aie pas peur, homme de peu de foi ; c’est Dieu lui-même qui a
noyé dans la mer la légion des démons avec les cochons »1269. Et nous célébrâmes
2110 ainsi sans dommage la sainte liturgie et nous rendions grâces à Dieu et au saint
géronte.
Ensuite le bienheureux nous parla à tous et nous dit : « Si Dieu n’écoute pas les
prières des pécheurs que nous sommes et si cela lui arrive encore, alors le sacerdoce
cessera ». Mais, par la miséricorde de Dieu, sept ans se sont écoulés sans qu’il perde
2115 ses sens1270 en dormant1271, par la puissance du Christ et la grâce de notre saint père.

1262. Voir § 16 ; uk’uni (l. 27), littéralement : éternel (ABULADZE, p. 423) ; PEETERS, p. 1572 :
nocte intempesta.
1263. À partir de **, les manuscrits BCDEFGL comportent une longue lacune qui corres-
pond aux sous-parties 2-4 du § 100 (jusqu’à ** dans ma traduction, l. 2143). Le texte des 7
manuscrits laissant un verbe sans complément, il ne s’agit pas d’une omission, mais, au départ,
d’une lacune due à la disparition d’un ou de deux folios, sans doute. Cette lacune se retrouve
chez PEETERS, p. 15633-34, qui traduit ici qsenebaj par mentionner : haec (c’est-à-dire virtutem
expellendi daemones) etiam haud importune (hic) memorari potest etsi iam narravimus (alors
que le texte emploie le même mot qsenebaj)…
1264. C’esi (l. 30) ; voir § 62 et n. 897.
1265. Łirsebaj (l. 31), littéralement : dignité.
1266. Ganik’itxvida (l. 8) : de gank’itxva, juger, interroger.
1267. Sačuenebelad (l. 15).
1268. Galobani (l. 22).
1269. Mt 8, 28-34 ; Mc 5, 1-10 ; Lc 8, 26-39.
1270. Gank’rtomil ars (l. 33-34), comme dans Mc 3, 21, pour rendre exéstè, il a perdu le
sens.
1271. Mdzinare (l. 34), dormant. Dans le passage précédent, on voit Étienne s’éveiller.
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116 BERNADETTE MARTIN-HISARD

204 Et Étienne lui-même proclame et raconte les merveilles accomplies sur lui | et il loue
Dieu et la grâce du saint géronte1272.
[3] Et le malin démon connaissait l’irréconciliable inimitié que le saint devait
avoir pour lui au temps même de sa jeunesse. C’est pourquoi, dès sa prime enfance, il
2120 commença à lui faire la guerre, comme nous l’avons écrit plus haut, quand il voulait
le faire périr dans l’eau et que Dieu le sauva par un ange1273 ou encore au moyen d’un
incendie dans le monastère du Samcxe dont on a parlé1274. Il le précipita encore en bas
depuis le très haut palais du fils de Džodžik’1275 et Dieu le garda indemne. Une nuit
encore, alors qu’il voyageait à cheval avec son oncle paternel, le démon l’égara1276 et,
2125 saisi d’un profond sommeil, il se trouva sur un très haut rocher en risque de se blesser
en tombant. Mais Dieu lui prit la main ; en effet le saint racontait : « J’ai entendu une
voix qui me disait : “Fais attention, tu vas tomber et te faire mal”. Et il m’a tenu la
main jusqu’à ce que je me réveille et ensuite il m’a protégé ». Dieu garda ainsi dès son
âge le plus tendre celui qui faisait sa volonté et il le manifesta en vainqueur des
2130 démons jusqu’à ce qu’il ait complètement broyé par son intermédiaire l’inventeur des
maux1277.

8. Envoi

[4] Ô bienheureux, tel est notre père et maître ; tels sont ses peines et ses combats ;
telles sont ses ascèses1278 pour l’Église ; telles sont les réalisations et la récompense de
sa sueur ; tels sont sa miséricorde envers les pauvres et les fruits, qui lui convien-
2135 nent1279, de l’accueil des orphelins ; et, ainsi que nous l’avons entendu et connu,
<ainsi> la force de l’action et le contenu des paroles1280 nous ont montré ce grand
combattant, tel un monument dressé, telle une icône peinte à la vue de ceux qui tra-
versent cette vie : nouvel Abraham, pacifique comme David, sage comme Salomon,
sans rancune comme Moïse1281, pur comme Samuel, saint comme Joseph, voyant de
2140 l’invisible comme Daniel, zélé dans la foi comme le grand Élie, aimant le désert
comme le grand Précurseur, vierge de corps comme le disciple bien-aimé, semblable
205 par son indéfectible amour et émule de Paul, | l’apôtre dont de multiples nations racon-
tent la vertu et dont les peuples et les églises proclament la vie et les mœurs**1282.
[5] Car qui jamais a ainsi aimé la vertu ou ainsi méprisé le mal ? Qui a ainsi désiré
2145 Dieu et été ainsi aimé de lui ? Qui a ainsi brûlé du zèle du Seigneur et n’a rien préféré

1272. Ce miracle est le seul passage où l’hagiographe se mette en scène avec Georges, sans
qu’on puisse localiser le lieu où il se déroule. Le miracle ayant lieu au plus tard en 1065, les sept
ans évoqués conduisent à fixer à 1072 au plus tard la date de rédaction de la Vie.
1273. Voir § 7.
1274. Voir § 8.
1275. Peris/Phersès fils de Džodžik’, dans la maison duquel il vécut en 1021-1022 ; voir
§ 12.
1276. C’aractuna (l. 11) : de c’arctuneba, écarter, entraîner, séduire.
1277. Momp’ovnebeli igi borot’taj (l. 18) ; voir Rm 1, 30.
1278. Mołuac’ebani (l. 22).
1279. Je comprends qu’il s’agit de l’Église.
1280. Je comprends mal le sens de cette double expression : dzalman sakmisaman da
sit’q’uata šet’q’uebaman (l. 26).
1281. Dzwruqsenebeli (l. 30) : non rancunier. Voir plus bas, p. 154 et n. 1517, le sens pro-
bable de cette comparaison.
1282. Fin de la lacune des manuscrits BCDEFGL et de PEETERS, commencée au début du
§ 100.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 117

à son amour jusqu’à sa mort ? Qui a ainsi suivi les traces de la vie des saints pères et a
ainsi couru avec eux insatiablement ? Qui jamais a ainsi aimé les pauvres et les étran-
gers, comme Jean l’Aumônier1283 ? Qui a ainsi fait « mourir ses membres de chair »,
selon la parole de l’apôtre1284, s’est purifié et a été « le temple du Dieu » vivant1285 ?
2150 Qui, depuis sa tendre enfance, a grandi et poussé dans la méditation des Écritures
divines et a été baigné du torrent de grâces incessantes et « est parvenu à la taille de la
plénitude du Christ », selon la parole de l’apôtre1286 ?
Action, contemplation et amour, que suit toute l’armée des vertus, il les a menés
avec succès sous tous leurs aspects1287 : méditation des livres divins, purification de
2155 l’âme et du corps, larmes incessantes, vie au désert, éloignement et fuite du monde,
enseignement sans interruption1288, prière sans fin, jeûne et veille sans limites, cou-
cher sur la terre et manger à terre1289, vie d’ascèse multiple au-dessus de ce que l’on
peut dire, humilité et paix d’une excellence supérieure1290, miséricorde et bonté sem-
blables aux miséricordes de Dieu et, pour tout dire en bref, ce par quoi un homme se
2160 modèle1291 à l’image de Dieu, tel fut notre saint père Georges.
Et où trouverais-je le temps d’en dire plus que ce qui est évident pour tous, même
si nous ne le disons pas1292 et que nous l’omettons à cause de la longueur du texte ?
206 (§ 101) | Voilà mes paroles à moi, le pauvre et l’indigne, qui vous1293 ai raconté
toute la vérité et qui ai écrit à cause de votre parole, vous qui m’avez forcé et m’en
2165 avez donné l’ordre, à moi qui suis stupide comme une bête et très sot, moi qui, avec
grande peur et tremblement, me suis risqué à entreprendre ce grand travail, à faire ce
récit spirituel et à exposer la vie et les combats de notre bienheureux père Georges,
moi qui, sur beaucoup de choses, ai pu seulement en écrire difficilement un peu et
vous l’envoyer, ô saint père, sur ce Mont Admirable, où, comme un moineau solitaire
2170 sur un petit toit, vous menez une vie admirable dans une grotte étroite et austère, sem-
blable à une innocente colombe et une pure tourterelle1294. Mais, comme je l’ai déjà
dit, je crains la mort de la désobéissance, c’est pourquoi j’en suis venu à obéir à ton
ordre saint, même s’il eût fallu une personne à sa ressemblance pour raconter sa vie et
sa conduite et non moi, pauvre en parole et en esprit. Ce fut toutefois pour moi un
2175 soulagement dans tout cela que de l’avoir vu de mes yeux, de l’avoir servi de mes
mains, d’avoir entendu de mes oreilles les paroles de sa sainte bouche et de n’avoir eu
besoin1295 de personne d’autre pour composer ce récit spirituel.

1283. Patriarche d’Alexandrie (610-619).


1284. Col 3, 5. Asoni kueq’anisani (l. 11), qui traduit ta; mevlh ta; ejpi; th'" gh'".
1285. Voir 1 Co 3, 16.
1286. Ep 4, 13.
1287. C’arhmartna (l. 17) : 3e pers. sing. de l’aoriste avec objet direct au pluriel, de c’armar-
teba, diriger, marcher en tête, mais aussi vaincre.
1288. Modzłurebaj daudumebeli (l. 20) ; PEETERS, p. 15718 : praecipere sine reticentia.
1289. Qmelsa zeda (l. 22) et, deux mots plus loin, qmelsa (ou qmelsa zeda dans FL), de
qmeli, sec, terre ferme.
1290. Zešta ałmat’ebulni (l. 23-24). PEETERS, p. 15721 : cumulate perfectas ?
1291. Gamoixat’vis (l. 26), de gamoxat’va (morfovw), formé sur le mot qui suit, xat’i, image.
Voir Gal 4, 19.
1292. Vtkuat (l. 29) et, plus loin, tanac’arvhqdet sont des conjonctifs 2, à sens présent ou
futur, et non passé ; PEETERS, p. 15727 : etsi… praetereuntes omisimus.
1293. Dans cette fin du texte, l’auteur s’adresse à Georges le Reclus tantôt au singulier et
tantôt au pluriel.
1294. Voir § 17415.
1295. Mokene (l. 21) : prosdeovmeno" (Ac 17, 25). PEETERS, p. 15812 : mutuatus.
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118 BERNADETTE MARTIN-HISARD

(§ 102) Et maintenant que j’ai tracé1296 ces paroles avec l’encre de la vie, c’est à
toi d’abord, comme je l’ai dit plus haut1297, que je les ai laissées, ô guide des
2180 maîtres1298, pour que, comme celui qui achève les tableaux spirituels1299, tu embel-
lisses et mettes bien en relief ce que j’ai tracé et que tu complètes tout ce qui
manque1300 et pour que ta sagesse1301 ainsi que <celle de> tous ceux qui y auront
accès1302 suppléent et complètent les manques1303. En effet les deux piécettes de la
207 veuve n’empêchèrent | pas le don de richesses1304 et ceux qui apportèrent à Moïse
2185 peaux, bois et toisons1305 pour achever la Tente ne furent pas davantage un obstacle
pour l’or, l’argent et l’offrande de pierres précieuses1306. Et l’or, extrait des profon-
deurs de la terre, resplendissant <une fois qu’il a été> éprouvé et purifié par le creuset,
devient très beau ; le sang d’un coquillage teint la pourpre1307 ; l’huître de la mer
fabrique la perle ; verte, l’émeraude germe de la terre et devient ensuite ainsi une
2190 pierre1308 ; un ver vulgaire produit la soie et un coquillage1309 de la mer produit un

1296. Gamomisavxan (l. 23) et, plus bas, gamosaxuli (l. 26) : de gamsarxva, former, figurer,
tracer.
1297. Voir plus haut la fin du § x.
1298. Mojłuarta c’inajłuaro (l. 25), ce qui est plus que magistrorum magister (PEETERS,
p. 15813-14) ; voir l’adresse de la Lettre (§ I).
1299. Picarta (l. 27) : de picari, planche, tableau ; si la phrase s’applique à la peinture
d’icônes, elle ne manque pas d’intérêt quant aux étapes de leur réalisation.
1300. Nak’lulevanebaj (l. 26 et 29) : manque, défaut, imperfection (SARDSCHWELADSE,
p. 895). Les lignes finales montrent que compléter ce qui manque signifie surtout embellir, amé-
liorer ce qui est imparfait. PEETERS, p. 15818-19 : quidquid deterius est perficiat.
1301. PEETERS, p. 15818, fait de sagesse le sujet du verbe précédent ; mais ce verbe, srul q’o,
est à la 2e personne du singulier du conjonctif 2, qui suit rajta, tandis que le verbe suivant est un
pluriel qui implique plusieurs sujets.
1302. D’une part les deux sujets portent la même particule (ca, qui les rapproche), ce qui jus-
tifie le pluriel des verbes (voir n. précédente). D’autre part, à la l. 29, romelica miemtxwos suit
et précise k’acad-k’acad, chacun à son tour ; AIK : miemtxwos (l. 29), de mimtxueva, ejpitug-
cavnw : obtenir, atteindre. Dans BCDEFGL : šeemtxwos, de šemtxueva, sunantavw : rencontrer
(MOLITOR, 2, p. 133 ; Hb 7, 10). Ainsi finalement PEETERS, p. 15819 : singuli quotquot in eas (=
vitiositates) incurrent.
1303. PEETERS, p. 15820 : has vitiositates sarciant et emendent, ce qui me semble solliciter le
texte ; en effet šesdzinen (l. 29), de šesdzineba, n’a pas le sens de réparer (latin sarcire), mais
simplement d’ajouter, et ganasrulen, de gansruleba, signifie terminer. Sur le mot nak’lulevane-
baj, voir n. 1300.
1304. Mc 12, 41-44 ; Lc 21, 1-4.
1305. T’q’avni… da balani (l. 1-2). T’q’avni doit correspondre à devrmata <kriw'n> (peaux
des béliers) ; balani (peau avec la laine, poils, toison) à trivca" <aijgeiva"> (poils de chèvre qui
sont ensuite tissés) ; on retrouve ce mot un peu plus bas dans le paragraphe.
1306. Voir Ex 25, 1-7 (prescriptions relatives aux contributions des Israélites pour la
construction du sanctuaire) et 35, 1-29 (la collecte des contributions).
1307. K’oxlioisa (l. 6), de k’oxliosi : kogcuvlion, coquillage, notamment celui d’où l’on tire
la pourpre (SARDSHWELADSE, p. 575 : « Purpurschnecke »). Łebavt (l. 6) : de łebva, teindre.
P’orpira : pourpre. PEETERS, p. 15826 : conchylii purpuram fundit.
1308. La première partie de cette phrase (depuis l’émeraude jusqu’à ensuite inclus) manque
dans BCDEFGL, ce qui a conduit, non sans corrections, PEETERS, p. 15827 et n. 9, à traduire :
lignum fit iaspis.
1309. P’inaj (l. 9) : coquillage. PEETERS, p. 158 n. 10, trouvant que cela n’a aucun sens, pré-
fère corriger p’inaj en p’eri, l’écume ; voir n. suivante.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 119

filament1310 d’aspect inouï. Et ces précieux trésors proviennent de matières viles1311.


Et il ne se trouve en moi rien de précieux pour orner cette Tente spirituelle1312, sinon
une toison tondue à mon esprit comme à un chevreau1313 ; mais elle sera embellie par
votre rouge1314 et votre pourpre <qui est> tissée d’or avec hyacinthe et lin ; <elle sera>
2195 illustrée et illuminée1315 par les matières décrites plus haut ; <elle sera> embellie sur le
rational par la Manifestation et par la Vérité1316, comme dit Moïse1317, lui qui prépara
semblable chose sur les vêtements du grand-prêtre, selon l’ordre de Dieu1318.
À lui appartiennent la louange et la puissance avec le Fils unique et le très saint
Esprit, maintenant, toujours et dans les siècles des siècles, amen !

1310. Mk’edsa (l. 9) : de mk’edi, fil, filament. Allusion au byssus, filaments ressemblant à
des fibres textiles et sécrétés par certains coquillages, comme les moules. Dans BCDEFGL,
mk’edsa est remplacé par naq’opsa, d’où PEETERS, p. 15828 : maris spuma mirae formae fructus
producit ; voir n. précédente.
1311. Georges va expliquer que lui-même n’a pu fournir qu’une matière brute et vile, qu’il
appartient à d’autres, comme Georges le Reclus, de raffiner ; il va ainsi comparer la Vie de
Georges, produit de son esprit, à la toison brute d’un chevreau, qui va être travaillée et embellie
par Georges le Reclus pour devenir précieuse et digne d’orner Georges, grand-prêtre à l’image
d’Aaron (§ 27620).
1312. La Tente spirituelle désigne la Vie de Georges, que la suite du texte compare au pecto-
ral (terme de la Vulgate) du grand-prêtre Aaron, orné d’or, lin, pourpre, hyacinthe et cramoisi et
serti de pierres (Ex 28, 15-30 ; voir les notes correspondantes de L’Exode, p. 286-289) ; le pecto-
ral de la Vulgate est appelé dans la Septante rational des jugements (logei'on tw'n krivsewn), le
terme rational/logeion renvoyant à la fonction oraculaire du vêtement ; en effet lorsqu’il entrait
dans le Saint des Saints (Ex 28, 30), Aaron portait sur le rational deux pierres dites « la manifes-
tation et la vérité » (en hébreu Urim et Tumim ; en grec dhvlwsi" kai; ajlhvqeia ; dans la Vulgate
doctrina et veritas), qui servaient à obtenir des oracles (voir Encyclopaedia Judaica, vol. 16,
Jérusalem 1999, s.v. Urim and Thummim, col. 8-9).
1313. L’hagiographe assimile à une toison le texte qui a germé de son esprit (comme une toi-
son pousse sur un chevreau) ; une comparaison contournée lui permet d’en montrer l’embellisse-
ment possible par des additions de Georges le Reclus en des termes empruntés à la description
du rational d’Aaron.
1314. PEETERS, p. 1593 : conchylium, comme plus haut (voir n. 1307) ; cependant le mot
employé ici n’est pas k’oxliosman, mais dzoc’eulman (l. 14), de dzoc’euli, qui ne se distingue
pas de p’orpira (mot suivant du texte) sinon par son origine : dzoc’i, pourpre, mais aussi pierre
rouge.
1315. Je ne résiste pas au plaisir de citer ici la n. 16 de PEETERS, p. 159, qui accompagne ce
mot (l. 5) : Divinari non possumus quid hoc loco mutandum aut suppletum sit, ut contortula ista
verborum series quoquo modo exitum habeat.
1316. Gulis-qmis-q’opisa gamocxadebisa da č’ešmarit’ebisa mier (l. 16-17). PEETERS,
p. 1595-6 : intellegendi perspicientia et veritate. Gamocxadeba : révélation, dhvlwsi" ; č’ešma-
rit’eba : vérité, ajlhvqeia. On retrouve ici le vocabulaire du Livre de l’Exode, 28, 26 dans la ver-
sion de la Septante, celle qui a été traduite en géorgien ; voir n. 1312.
1317. Moïse est considéré comme l’auteur du Pentateuque, donc du Livre de l’Exode qui
inspire ce passage. PEETERS, p. 159 n. 17, propose de comprendre : sicut olim Moyses…
1318. Voir plus haut, n. 1312.
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120 BERNADETTE MARTIN-HISARD

III. ÉCLAIRCISSEMENTS

Les éclaircissements présentés ici ne pouvaient trouver place dans les


limites réduites des notes de la traduction. Les différentes périodes de la Vie
de Georges qui forment le cadre de leur présentation n’ont pas été traitées
également, soit par manque de sources, soit parce que le texte se réfère à des
faits bien connus. Des développements plus particuliers concernent la chrono-
logie de la vie de Georges, notamment durant ses années athonites, l’histoire
de l’évolution des relations institutionnelles entre l’Église géorgienne et le
patriarcat d’Antioche, ainsi que le débat religieux auquel Georges prit part à
Constantinople en 1065 ; sur plusieurs points je renverrai à deux études en
cours de publication1319. J’ai laissé de côté la question des traductions de
Georges, en me contentant d’identifier en notes celles que l’hagiographe men-
tionne ; pour être traitée sérieusement, cette question aurait nécessité une
longue fréquentation des catalogues de manuscrits ; ce sera peut-être un tra-
vail ultérieur.

ORIGINE ET FORMATION DE GEORGES


(V. 1010-V. 1040)

Cette période, couverte par les § 1 à 19, commence avec la naissance et la


première éducation de Georges au sein d’une pieuse famille dans le Trialeti,
puis auprès de sa sœur aînée dans le Samcxe ; elle voit ensuite Georges s’ini-
tier à la vie monastique dans le monastère de Xaxuli dans le T’ao, acquérir
une solide culture grecque à Constantinople, franchir enfin les degrés succes-
sifs de la vie monastique à Xaxuli avec la prise du petit habit, puis à Antioche
où Georges le Reclus lui confère le grand habit.
C’est d’abord la chronologie de cette première période de la vie de
Georges que je me suis attachée à établir, en partant de ce que le texte dit du
personnage de Peris (§ 12 et 13). J’ai ensuite présenté la famille de Georges
qui ne manque pas d’importance sociale, avant d’évoquer la région
d’Antioche et le monastère de Saint-Syméon où la venue de Georges qui y
passa trois ans coïncide avec un regain de la présence monastique géorgienne
parfaitement illustrée par Georges le Reclus.

Peris/Phersès
Georges vécut quelque temps, lorsqu’il était jeune, avec son oncle dans la
maison d’un certain Peris, fils de Džodžik’ (§ 12), qui fut ensuite décapité sur
ordre de Basile II (§ 13).

1319. La première concerne le patriarche Pierre III : MARTIN-HISARD, Pierre III ; la seconde
est une étude de deux textes écrits à la fin du 11e siècle par le moine géorgien Éphrem le Petit et
par le moine melkite Nicon de la Montagne Noire et concernant l’histoire des rapports de
l’Église de Géorgie et d’Antioche : EADEM, Église.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 121

Peris est le Phersès des sources byzantines1320. Son père était étroitement lié
au curopalate David dont il était l’éristav des éristavs (c’est-à-dire commandant
en chef de ses armées)1321. Džodžik participa en 976, au premier rang de l’armée
du curopalate David que menait T’ornik’, à la défaite de Bardas Sklèros et au
salut de Basile II et de Constantin1322. Il était assez important pour avoir un
grand trésorier, Gvirpeli, qui, devenu moine à Iviron sous le nom d’Arsène1323,
garda une longue fidélité à la famille de son seigneur1324. Džodžik avait deux
fils, Phevdatos/Theudatos et Phersès1325, qui, après la mort du curopalate David
et à la suite de l’annexion de ses terres par Basile II, accompagnèrent l’empe-
reur en Phénicie en 10011326. Plus tard, et peut-être à la suite de cette campagne,
Phevdatos devint patrice et comte de l’Opsikion ; il eut au moins un fils nommé
lui aussi Džodžik qui fit carrière militaire1327. Quant à Phersès il devint égale-
ment patrice, peut-être stratège de Cappadoce, avant de revenir, avant 1022,
dans ce qui était devenu le duché d’Ibérie. On ne sait pas exactement où se trou-
vait le centre de son patrimoine, T’varc’at’api, où il disposait d’un palais1328,
sans doute dans le T’ao d’où il était originaire1329. Il avait au moins une fille,
dont le mari s’appelait Andronic1330, et peut-être des fils que l’on retrouve plus
tard dans l’Empire en 10291331.
L’épouse de Phersès était la sœur d’un moine vénérable de Xaxuli, Basile
fils de Bagrat’1332, dont on sait peu de choses, sinon qu’il se transféra à Iviron
vers 1028-1029 et qu’il est l’auteur d’une hymne composée en l’honneur
d’Euthyme l’Hagiorite et peut-être aussi de la Vie synaxariale d’Euthyme1333.
Basile peut être un nom monastique. Certains ont vu dans ce moine Basile un
fils de Bagrat’ III († 1014)1334, ce qui ferait de sa sœur, la femme de Phersès,
une fille du même Bagrat’ III, donc la sœur du roi Georges Ier et la tante de

1320. CHEYNET, Basil II, p. 95 n. 111.


1321. Le colophon de Iv 85, f. 92v le mentionne sous ce titre : BLAKE, Iviron 2, p. 269.
1322. Iviron, I, p. 19, 22-23.
1323. Vie de Jean et Euthyme, § 56. Comme il était arménien, Gvirpeli fut rebaptisé et reçut
le nom d’Arsène. Il est cité parmi ceux qui arrivèrent de bonne heure à Iviron.
1324. Ibid. : « de nombreuses années plus tard », Arsène rendit visite aux enfants de son sei-
gneur, sans doute Phevdatos et Phersès († 1022) et en revint avec 15 livres.
1325. Peut-être trois avec Pakourianos, d’après un passage contesté de SKYLITZÈS (cité
n. 1326) : Iviron, I, p. 19 et n. 3 ; CHEYNET, Pouvoir, p. 335 et n. 74.
1326. Selon SKYLITZÈS, éd., p. 339 (trad., p. 283-284), l’empereur gagna ensuite la Phénicie
avec des nobles ibères, dont « les frères Pakourianos, Phevdatos et Phersès » qui devaient deve-
nir patrices.
1327. Ibid., éd., p. 356 (trad., p. 297).
1328. Vie de Georges, § 12, 14362 et 100 [3]2123.
1329. Chronique du Kartli, éd., p. 287 (trad., p. 283). C’est non loin de là, dans le Basean,
qu’il fut arrêté en 1022 (ARISTAKÈS, p. 20-21).
1330. ARISTAKÈS, p. 16-21 ; Andronic se révolta en même temps que son beau-père en 1022.
1331. Voir plus bas, n. 1343.
1332. Vie de Georges, § 10303 et 12331.
1333. Cette hymne (voir le manuscrit H 1710, f. 66-70v) fut composée après la mort du saint
en 1028, sur la base d’une Vie synaxariale d’Euthyme dont Basile fut peut-être aussi l’auteur :
MLHG, IV, p. 46-96 ; Iviron, I, p. 4-5 ; MENABDE, Foyers, II, p. 204.
1334. K’EK’ELIDZE, Histoire, p. 235 ; TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 156 ; MENABDE, Foyers, I,
p. 456 et II, p. 204 et 390 n. 154.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:43 Page 122

122 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Bagrat’ IV. Je ne partage pas cette opinion : l’existence de ce fils de


Bagrat’ III n’est attestée dans aucune source1335 et il me semble que l’hagio-
graphe aurait évoqué l’origine royale de l’épouse de Phersès, surtout lors-
qu’elle dut partir à Constantinople après la mort de son mari.
Phersès en effet, comme l’évoque le § 13 de la Vie de Georges, fut exécuté
par Basile II, pour fait de rébellion. C’est là un épisode connu de la guerre
engagée par l’empereur en 1021 contre Georges Ier, père du futur
Bagrat’ IV1336. Après un rude affrontement en 1021 qui vit la mort de l’éristav
du roi, Rat’ fils de Lip’arit’1337, des négociations de paix furent amorcées à la
faveur de la pause hivernale intervenue à la fin de l’année 1021, mais elles
furent interrompues au printemps 1022 par la révolte de Xiphias et de
Nicéphore Phokas qui dura jusqu’en août de la même année1338 ; parmi les
Ibères qui y participèrent, figurait Phersès, fils de Džodžik’. La répression fut
sévère et Phersès fut exécuté avant la reprise de la guerre de Basile II et du roi
Georges au second semestre de l’année 10221339 ; Basile II contraignit ensuite
le roi Georges après une dure guerre à signer la paix vers la fin de l’année
1022 et à donner en otage son fils Bagrat’, âgé de trois ans. C’est dans ces cir-
constances que l’épouse de Phersès dut elle aussi partir à Constantinople, cer-
tainement après la fin de la guerre, donc à la fin de l’année 1022 ou au début
de 1023. Elle y resta douze ans (§ 13), ce qui conduit à l’année 1034 ; mais
nous ignorons à quel empereur elle doit cet élargissement.

Les premières années de Georges (v. 1010-v. 1035)


L’exécution de Phersès est le seul fait précis dont nous disposions pour
établir la chronologie des premières années de Georges. Toute autre allusion
précise et toute date manquent dans les pages où l’hagiographe raconte les

1335. Il est ignoré de la Vie des Bagratides. À la mort de Bagrat’ III en 1014, les sources ne
mentionnent que son fils Georges. Il existe bien d’autres Bagrat’ au 10e siècle, chez les
Bagratides : la Vie des Bagratides, éd., p. 380-381, connaît un moine Basile (Adarnase dans le
siècle, † 945), fils d’un Bagrat’ († 909), éristav du K’lardžeti. On peut encore citer un Bagrat’
éristav du T’ao et frère du curopalate David († 966), Bagrat’ Ier dit le Simple qui fut roi d’Ibérie
(† 994), un Bagrat’ éristav de K’lardžeti († 988) qui eut pour petit-fils un autre Bagrat’ qui émi-
gra dans l’Empire en 1011 pour échapper à Bagrat’ III. Il existe aussi des Bagrat’ dans la lignée
des rois d’Apxazeti, ainsi que dans la famille Čordvaneli.
1336. Le roi Georges n’avait jamais vraiment admis les annexions de l’Empire après la mort
du curopalate David ; voir plus bas, p. 124-125. CHEYNET, Basil II, p. 98-102.
1337. La première année de la guerre est surtout connue par les sources géorgiennes et armé-
niennes ; sur la mort de Rat’ fils de Lip’arit’ le 11 septembre 1021 à Širimni : Chronique du
Kartli, éd., p. 284-285 (trad., p. 282) ; Vie des Bagratides, éd., p. 383 ; ARISTAKÈS, p. 13.
SKYLITZÈS, éd., p. 367 (trad., p. 305) concentre tout dans l’année 1022 et fait mourir « Liparitès
qui était le général en chef de Georges » le 11 septembre de la 6e indiction en l’an 6531
(= 1022) ; en revanche p. 447 (trad., p. 472) il l’appelle correctement « Horatios fils de
Liparitès ». Ce Rat’ est le grand-père du Lip’arit’ qui fut l’adversaire du roi Bagrat’ IV (voir
plus haut, p. 22-25).
1338. CHEYNET, Pouvoir, p. 36-37.
1339. SKYLITZÈS, éd., p. 367 (trad., p. 305) ; YAHYA, p. 93-101, notamment p. 461-469 [93-
101] ; Chronique du Kartli, éd., p. 287 (trad., p. 283) ; Vie des Bagratides, éd., p. 384 ;
ARISTAKÈS, p. 21.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 123

origines et la formation de Georges sur la base des confidences de celui-ci1340.


Les dialogues sont absents ; en revanche les références bibliques et patris-
tiques ne manquent pas. La chronologie peut cependant se reconstituer avec
une assez grande certitude à partir de la date fournie par la mort de Phersès.
Parmi les « gens » qui accompagnèrent l’épouse de Phersès à
Constantinople, se trouvaient en effet le jeune Georges et son oncle homo-
nyme (§ 13346-349) ; le séjour à Constantinople dura douze ans (§ 13347 et 14357),
donc de la fin de l’année 1022 ou du début de 1023 environ à 1034 ; Georges
atteignit sa vingt-cinquième année peu après leur retour (§ 14367) ; cette der-
nière indication reste vague, mais on sait que Georges avait au moins dix ans
(§ 6244) lorsqu’il avait été confié au monastère de Xaxuli où il eut le temps
d’apprendre tout l’Hymnaire (§ 11322 et 12341) avant de suivre son oncle entré
au service de la maison de Phersès où ils restèrent « longtemps » (§ 13344),
avant le drame de 1022.
Si l’on donne douze ans à Georges lorsqu’il fut emmené à Constantinople
à la fin de l’année 1022 ou au début de 1023, il avait vingt-quatre ans dans
l’année de son retour en 1034, donc vingt-cinq ans peu après1341. Sa naissance
se placerait donc en 1010 ou 1009 ; on retiendra 1010 par commodité1342, ce
qui permet d’établir ainsi la chronologie de ses premières années :
— Il naît en 1010 et est élevé par ses parents au Samcxe (§ 6).
— En 1017, « à sept ans » (§ 6231), il est offert au monastère de T’adzari dans
le Samcxe ; il y reste « trois ans » (§ 6244) et apprend à lire et écrire dans la
Bible auprès de sa sœur, atteignant ainsi l’âge de « dix ans » (§ 6244), soit en
1020.
— En 1020, il est confié au monastère de Xaxuli dans le T’ao byzantin (§ 9-
11) et il y reste, sous la houlette d’Hilarion, un temps indéterminé mais suffi-
sant pour devenir un excellent lecteur et canonarque (§ 12341), un an environ
probablement.
— Il suit ensuite son oncle Georges le Secrétaire dans la maison de Phersès
où son premier apprentissage du grec est interrompu par l’exécution de son
protecteur et maître (§ 13345) dans la seconde moitié de l’année 1022.
— À la fin de l’année 1022 ou au début de 1023, il part à Constantinople avec
l’épouse de Phersès et acquiert une solide culture grecque (notamment en phi-
losophie et rhétorique) auprès de moines pendant douze ans, comme on l’a
dit, soit jusqu’en 10341343.

1340. Voir § X86-88 : « ce que cette bouche sainte et véridique racontait sur son enfance et son
adolescence et que pour mon profit il ne me cachait pas », ou, § 7252-253 : « Le saint lui-même
nous fit ce récit… », ou, § 16394 : « Et le saint lui-même racontait… ».
1341. Si on lui donnait 11 ans, cela réduirait à un an le temps cumulé passé à Xaxuli et chez
Phersès, ce qui semble peu. On pourrait en revanche lui donner 13 ans, ce qui lui ferait 25 ans
l’année même de son retour.
1342. MENABDE, Foyers, I, p. 456, a retenu 1009.
1343. Il s’y trouvait donc en 1029 lorsque des neveux de Phevdatos, peut-être des fils de sa
protectrice et de Phersès, participèrent à un complot contre Romain Argyre avec l’higoumène
d’Iviron Georges Ier : SKYLITZÈS, éd., p. 377 (trad., p. 312 et n. 13). Iviron, I, p. 50 et n. 7. Voir
plus bas, p. 132-133.
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124 BERNADETTE MARTIN-HISARD

— Il revient à Xaxuli dans l’année 1034 auprès de son oncle Saba et, peu
après, à vingt-cinq ans (§ 14367), reçoit d’Hilarion le petit habit dans l’année
1035.
Cette grille chronologique permet de revenir à la génération des parents de
Georges, Jacques et Marie, et de ses oncles paternels, Saba et Georges dit le
Secrétaire.

La famille de Georges
Jacques et Marie, dont les noms sont confirmés par le colophon d’un
manuscrit1344, ne sont connus que par la Vie. Lors de la naissance de Georges
en 1010, ils avaient déjà deux enfants, Thècle et Théodore (§ 5204.210), et ils
eurent en tout trois fils et trois filles (§ 4201-202)1345. Un certain nombre d’an-
nées séparait Georges de sa sœur aînée, Thècle, puisque c’est elle qui lui
enseigna les saintes Écritures lorsqu’il eut sept ans en 1017, dans le monas-
tère de T’adzari auquel elle avait été elle-même confiée au même âge (§ 5205) ;
c’est elle qui lui enseigna les saintes Écritures (§ 6239-240). Il semble difficile de
donner alors à Thècle moins de quinze ans, ce qui la fait naître au plus tard en
1002 et place le mariage de leurs parents au plus tard en 1001. Jacques avait
deux frères aînés, Saba et Georges, moines confirmés en 1020, où l’hagio-
graphe les qualifie de « dignes gérontes (§ 9284). En 1035, Marie était morte,
mais Jacques et ses deux frères étaient encore en vie en 1035 (§ 14363-366).
Ce que l’on sait de la carrière de Jacques est antérieur à 1001. Elle se
déroula à l’époque où la famille bagratide qui tenait le Kartli du sud-ouest
était encore divisée en deux branches : l’une, au nord1346, dans laquelle se
transmettait le titre de roi des Kartvéliens, fut dirigée de 994 jusqu’à sa mort,
en 1008, par Gurgen, mari d’une fille du roi des Apxazes et père de Bagrat’,
devenu roi des Apxazes vers 978/981 (= Bagrat’ III) ; l’autre, au sud, dans le
T’ao, dépendait du curopalate David, sans conteste le prince le plus puissant
de toute la région, dont la domination s’était étendue depuis 961-964, avec la
bénédiction byzantine, bien au-delà de son patrimoine1347. Il mourut en 1001 ;
Basile II vint prendre possession de l’héritage des territoires annexés par
David1348 et conféra à cette occasion la dignité de curopalate au roi des
Apxazes Bagrat’ III, héritier du patrimoine de son père adoptif David et qui
allait hériter peu après en 1008 du patrimoine de son père Gurgen et de son

1344. Dans un colophon d’Iv 20 (29), contenant les Ménées de septembre dans la traduction
de Georges et copié en 1081, le copiste Théophile demande au Seigneur de se souvenir « des
parents du bienheureux et saint Georges l’Hagiorite, Marie et Jacques, par la grâce et la prière
desquels il fit ce qu’il fit » (Catal. Athos, p. 78).
1345. En 1059, Georges recueillit deux enfants d’une de ses sœurs et leurs fils (§ 671398).
1346. Elle tenait le Samcxe, le K’lardžeti, le Džavaxeti et le Trialeti.
1347. MARTIN-HISARD, Anatolie, p. 423. Sans enfant, David avait adopté son jeune cousin
Bagrat’, fils du roi des Ibères Gurgen.
1348. Sur la campagne de Basile II : Vie des Bagratides, éd., p. 382 ; Chronique du Kartli,
éd., p. 284-288 (trad., p. 281-284) ; SKYLITZÈS, p. 283-284 ; YAHYA, p. 462 ; ARISTAKÈS, p. 2-5 ;
ASOŁIK‘ III, p. 162-165.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 125

titre de roi des Kartvéliens. À la mort de Bagrat’ en 1014, son fils Georges Ier
lui succéda ; c’est ce dernier qui entra en conflit avec Basile II.
On ne sait rien de la famille maternelle de Georges, sinon qu’elle était ori-
ginaire du Trialeti où Georges naquit (§ 4184), à un moment d’éclipse de la
famille des Lip’arit’1349. L’hagiographe en revanche éclaire davantage ses ori-
gines paternelles.
Lorsque son père Jacques rencontra Marie, il était « l’un des fidèles et des
hommes du roi Georges » (§ 4186). Comme celui-ci ne peut être déjà le roi
Georges Ier1350, il s’agit à mon avis plutôt du roi Gurgen, père de
Bagrat’ III1351 ; c’est lui qui aurait chargé Jacques de la mission « en Perse »
au cours de laquelle il rencontra sa future épouse. La mission est peut-être à
lier au contexte des menaces que l’émir shaddâdide de Ganja, al-Fadl (985-
1031), faisait peser sur les Bagratides, notamment en 9981352. On remarquera
que Jacques était originaire du Samcxe, région qui relevait du roi Gurgen.
Le premier frère de Jacques, Georges, avant d’être moine, avait fait une
belle carrière politique comme « chef des secrétaires du curopalate » (§ 9281),
c’est-à-dire David1353, auprès duquel il exerça donc de très hautes fonctions de
confiance, non pas dans le Samcxe, comme son frère, mais dans le T’ao. On
peut donc supposer qu’après la mort de David et la campagne de Basile II,
Georges le Secrétaire perdit tout naturellement sa charge de chef de la chan-
cellerie et se fit moine, au lieu de partir avec l’empereur, comme un certain
nombre de nobles ibères, parmi lesquels Phersès1354. Il resta dans le T’ao ;
c’est du moins là, dans le monastère de Xaxuli, que, qualifié désormais de
« digne géronte », il se trouvait en 1020 avec son frère Saba, dans une région
passée dans ce qui devenait le duché d’Ibérie. On peut légitimement supposer
qu’il avait connu Phersès, avant 1001, à la cour du curopalate. Il n’y a donc
rien d’étonnant à ce que, un peu avant 1022, Phersès, dont le beau-frère
Basile était à Xaxuli, ait demandé à son ancien compagnon devenu moine,
Georges, de devenir le père spirituel de sa maisonnée et ait accepté la pré-
sence du petit Georges, fils d’un serviteur loyal des Bagratides. Le lien entre
la famille de Phersès et la famille de Jacques était assez fort pour que
l’épouse de Phersès ait plus tard, en 1034, gardé, et même recueilli dans ses
domaines l’ancien Georges le Secrétaire et son frère cadet (§ 14364-365).

1349. Voir plus haut, p. 19 n. 113. Entre 989 (dernière mention d’un Rat’ contraint par
Bagrat’ III à retourner en Apxazeti) et 1021 (mort de son petit-fils Rat’ dans la guerre contre
Basile II, voir n. 1337), la famille est absente des sources géorgiennes.
1350. Cela placerait en effet la naissance de Georges au plus tôt trois ans après l’avènement
de ce roi, donc en 1017, or Georges avait plus de 10 ans en 1022.
1351. Gurgen et Giorgi sont souvent confondus dans les textes, leurs abréviations étant qua-
siment identiques.
1352. Ainsi, d’après ASOŁIK‘ III, p. 156, vers 998, à la demande du vieux curopalate David,
le roi Gurgen mena une campagne victorieuse contre al-Fadl avec une armée que commandait
« Phers fils de Djodjik ».
1353. Bagrat’ devint curopalate en 1001 ; mais le seul prince qui soit jamais désigné, sans
précision de nom, comme « le curopalate » est David qui domina sans conteste toute la politique
régionale dans les quatre dernières décennies du 10e siècle.
1354. Voir plus haut, p. 121.
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126 BERNADETTE MARTIN-HISARD

On ne sait rien du second frère de Jacques, Saba, sinon que cet « homme
juste et pur » (§ 9282), dont aucune carrière laïque n’est évoquée, a peut-être
embrassé très tôt la vie monastique et s’y montra fidèle puisque c’est auprès
de lui, à Xaxuli, que Georges revint en 1034 à son retour de Constantinople
(§ 14366).
La famille paternelle de Georges l’Hagiorite était donc bien introduite
dans l’aristocratie ibère ; originaire du Samcxe, elle avait des bases assurées
dans le T’ao et elle disposait d’une aisance certaine si l’on en juge par le fait
que les deux frères moines disposaient « d’abondantes richesses » (§ 9284).
Georges ne devait être en rien une personne « ordinaire », comme il se plut à
le laisser croire dans les premiers temps passés sur l’Athos (§ 21498). C’est
bien là probablement, au-delà d’un simple cliché hagiographique, la raison
qui le conduisit à vouloir fuir « les siens et ceux qui le connaissaient »
(§ 15374), après qu’il eut reçu le petit habit. Le véritable barrage établi sur les
routes par l’higoumène et les moines de Xaxuli pour l’arrêter (§ 15386-387)
n’est donc peut-être pas non plus de l’ordre du topos.

La région d’Antioche en 1036-1040


Georges se trouva dans cette région dans une période d’incertitude sur le
plan de la politique extérieure de l’Empire, mais de stabilité locale.

CHRONOLOGIE
Entre le départ de Xaxuli et l’arrivée de Georges à Iviron, l’hagiographe
évoque sa fuite et son voyage (§ 15-16), son pèlerinage à Saint-Syméon et
son établissement pendant trois ans à Saint-Romana sous la direction spiri-
tuelle de Georges le Reclus qui lui confère le grand habit à l’âge de trente ans
(§ 17-18), puis son départ contraint et forcé pour l’Athos après un pèlerinage
à Jérusalem (§ 19). La fuite de Georges peut être datée des années
1036/1037 : il reçut en effet le grand habit, trois ans après son arrivée
(§ 18427), alors qu’il avait trente ans (§ 18430), soit en 1040 ; son pèlerinage eut
lieu la même année 1040 et peu de temps s’écoula entre son retour de
Jérusalem et son départ pour la Sainte Montagne qui dut intervenir au plus
tard au début de l’année 1041.
Depuis la reconquête d’Antioche et de sa région par l’Empire en 969, un
duché avait été constitué1355. Il bordait le territoire des Fatimides qui contrô-
laient non seulement l’Égypte, mais aussi la Syrie centrale et la Palestine avec
Jérusalem et menaient une active politique dans la région d’Alep1356. Le but
premier de Georges, à son départ de Xaxuli, était Jérusalem (§ 15375), dont les
lieux saints ne s’étaient pas encore relevés des destructions du calife al-
Hakim. À l’époque de Romain Argyre, Constantinople avait entrepris des
négociations avec le calife al-Zâhir (1021-1036) ; après avoir failli aboutir,

1355. Voir TODT, Region ; CHEYNET, Duchy.


1356. Voir FELIX, Byzanz.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 127

elles se poursuivirent sous Michel IV pendant encore « trois ans et demi »1357 ;
une trêve de dix ans fut alors conclue entre l’empereur et le régent du calife
fatimide al-Mustansir (oct. 1036-1094) à une date qui a été fixée à
1038/10391358 ; elle permit d’envisager la reconstruction du Saint-Sépulcre1359,
mais elle facilita sans doute aussi les pèlerinages. On peut comprendre que
Georges, arrivé dans la région d’Antioche avant la conclusion de la trêve,
n’ait réalisé son projet qu’après sa conclusion1360.

SAINT-SYMÉON
La domination byzantine assurant la paix, un renouveau du monachisme,
favorisé par la renaissance du patriarcat melkite, se manifestait autour du
monastère fondé par Syméon le Jeune autour de sa colonne ; il avait été inau-
guré en 551, à environ 17 km à l’est d’Antioche sur le plus méridional des hauts
sommets du Mont Admirable. Son histoire est mal connue après la mort de
Syméon dont le corps y fut déposé, avec celui de sa mère Marthe1361. Le premier
geste de Georges fut de s’y rendre en pèlerinage (§ 17409-410). Le monastère dans
lequel la colonne se dressait toujours s’était maintenu sous la domination arabe
et retrouva de l’importance après 969. Vers 1000, une communauté était pré-
sente et ce n’est pas un hasard si Nicéphore Ouranos, duc d’Antioche depuis
999 et au moins jusqu’en 1006, avait composé une métaphrase de la Vie de
Syméon (BHG 1690), dont le préambule exprime une profonde dévotion pour le
saint. Peu avant la venue de Georges cependant, le monastère semble avoir
connu vers 1032-1033 un relâchement marqué de la discipline, de sérieux
troubles intérieurs, peut-être même des risques de spoliations1362.
Le monastère étant maintenant réduit à l’état de ruines1363, seuls le texte de
la Vie de Syméon et l’archéologie permettent de se représenter ce que pouvait
être le monastère quand le moine Georges y arriva vers 10351364. Il se dressait

1357. YAHYA, p. 533-535 [165-166] ; la négociation portait notamment sur la reconstruction


de l’église de la Résurrection et le rétablissement d’un patriarche ; la négociation achoppa sur la
question d’Alep, le calife refusant de s’engager à ne pas agir contre la ville. BIANQUIS, al-Zâhir ;
FELIX, Byzanz, p. 101-103.
1358. Voir BIANQUIS, Damas, p. 497-500, qui s’appuie de manière raisonnée sur les datations
d’Ibn al-Athīr.
1359. Regesten2, no 843 : après le 13 juin 1036-1037. Voir FELIX, Byzanz, p. 103-105.
1360. Sur Jérusalem à ce moment, voir le témoignage de Nâsir i-Khusraw qui passa à
Jérusalem en 1036 et en juillet 1037 : NÂSIR I-KHUSRAW, notamment p. 106.
1361. VAN DEN VEN, Syméon, I, p. 214*-221* ; TODT, Region, p. 921.
1362. VAN DEN VEN, Syméon, I, p. 215*-216*, édite deux folios du texte grec d’une vision
(datée de 1032-1033) d’un moine de Saint-Syméon (sans doute l’ecclésiarque), contenu dans le
Codex Sabaiticus grec 108 du patriarcat. Le moine a une vision de saint Syméon qui se plaint du
laisser-aller de la communauté et lui dicte quelques recommandations (cette dernière partie n’est
pas éditée).
1363. Voir MORRAY, Defences, p. 623, sur sa probable disparition après la conquête de
Baybars au 13e siècle.
1364. LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 67-137 ; DJOBADZE, Materials, p. 87-89 ;
MENABDE, Foyers, II, p. 153-157 ; VAN DEN VEN, Syméon, dont le second volume entérine le
riche et précieux apport des recherches sur le terrain menées en 1965 par Jacqueline Lafontaine-
Dosogne ; paru huit ans après le premier, il est parfois en opposition dans ses notes avec l’intro-
duction du premier volume. Voir enfin DJOBADZE, Investigations, p. 57-115.
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128 BERNADETTE MARTIN-HISARD

là où Syméon avait vécu, d’abord au sommet d’un rocher dans un klibanion,


puis sur une colonne, dans une logette1365. À l’intérieur d’une première
enceinte, le monastère abritait un complexe central, la mandra, au milieu
duquel se trouvait une sorte de grand martyrium de proportions imposantes,
en forme de croix inscrite, dédié à Syméon ou, mieux, à la colonne1366. Le
martyrium avait pour cœur un octogone à ciel ouvert, dont quatre parois
étaient pleines, avec la colonne au centre1367 ; quatre branches en partaient ; le
bras principal, vers l’est, construit entre 541 et 551, constituait l’abside ou
l’église proprement dite, consacrée à la Trinité ; le bras ouest, raccourci, en
formait un atrium ; les bras latéraux servaient de narthex aux deux églises qui
flanquaient l’église absidiale, l’une au nord dont on ne connaît pas exacte-
ment la fonction1368, l’autre en triconque au sud qui abritait le monument
funéraire contenant les tombeaux très vénérés de Syméon et de sa mère
Marthe1369. C’est tout cet ensemble qui constituait l’église de saint Syméon.

LES MONASTÈRES GÉORGIENS


Arrivé sur la Montagne Noire, Georges visita non seulement Saint-
Syméon mais aussi « tous les monastères » (§ 17410-411) avant de s’établir à
Saint-Romana (§ 18427). Il n’était pas le premier moine géorgien à s’établir
dans la région. Georges le Reclus qu’il découvrit alors dans son ermitage
l’avait précédé (§ 17416), mais aussi, plus récemment, Jean et David Džibisdze
qui étaient encore à Šat’berd en 1035 et que Georges retrouva à Saint-
Romana1370, ou encore le prêtre Gabriel et d’autres copistes attestés en 1040 à
K’alip’o1371. Leur venue, parfois récente, et leur présence dans des monastères
propres traduisent le versant géorgien du renouveau monastique qui marquait
la région d’Antioche.
Ainsi, autour de Saint-Syméon, on trouvait au 11e siècle un ensemble de
monastères, purement géorgiens autant qu’on le sache, qui entretenaient par-
fois des liens étroits avec le T’ao-K’lardžeti. Saint-Romana où Georges s’ins-
talla et K’alip’o où il séjourna plus tard (§ 43923) étaient les plus importants,
mais il y avait aussi Saint-Barlaam, un monastère auquel il fut lié par
Lip’arit’1372, Tuali c’est-à-dire le monastère des Sources, dont un moine avait
été son éducateur à Xaxuli (§ 11313) et lui avait conféré le petit habit

1365. VAN DEN VEN, Syméon, I, § 95 et 67, p. 58 ; DJOBADZE, Investigations, p. 72-73. Voir
aussi plus bas, p. 160 et n. 1550.
1366. Le plan était inspiré de celui de Qal‘at Semān. Voir DJOBADZE, Investigations, plan F,
fig. XX (p. 60) et XXI (p. 62).
1367. Les quatre parois pleines étaient creusées dans le rocher jusqu’à des hauteurs variables
(jusqu’à 6,35 m) ; au sud de la colonne se trouve toujours ce qui fut le pilier, taillé dans le rocher
et creusé de marches comme support pour accéder à la colonne.
1368. DJOBADZE, Investigations, p. 81-82, pense que sa construction est postérieure à la mort
de Syméon et qu’elle est peut-être liée au baptistère qui n’en est pas loin.
1369. LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 122-128.
1370. Voir § 18 et n. 429.
1371. Voir § 43 et n. 699. DJOBADZE, Materials, p. 10.
1372. Voir plus haut, p. 25, et Vie de Georges, § 531102-1104 et n. 804.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 129

(§ 14370-371)1373 ; on connaît moins K’ast’ana1374, le monastère d’Ezra1375,


Lerc’misxevi1376.
On ne sait pas si ces monastères attestés au 11e siècle avaient une histoire
plus ancienne. Ce que l’on sait en tout cas, c’est que Saint-Syméon avait attiré
les Géorgiens dès ses origines1377. Leur attachement pour Syméon, le culte
qu’ils lui vouèrent ensuite sont attestés par des textes hagiographiques
anciens1378 et confirmés par l’histoire de l’art1379. Le culte de saint Syméon le
Jeune était toujours vivant dans le T’ao d’où venait Georges1380. Cependant
l’histoire de la présence géorgienne souffre de la même obscurité que celle du
monastère jusqu’au début du 11e siècle et l’on ne peut dire dans quelle mesure
il exista une communauté géorgienne permanente vivant à côté des Grecs.
L’interdiction faite aux prêtres géorgiens de célébrer la liturgie à Saint-
Syméon peut remonter à une époque ancienne1381. Le retour d’Antioche sous
la domination byzantine, la reconstitution du patriarcat melkite et ses liens
nouvellement définis avec l’Église géorgienne1382 s’accompagnèrent vraisem-
blablement d’un renouveau de la présence géorgienne sur le mont Admirable,
comme plus généralement sur la Montagne Noire.

Le moine Georges abandonna cet univers syrien au retour de son pèleri-


nage à Jérusalem accompli durant sa trentième année (§ 18436-440), donc en
1040. Le Reclus son maître ne semble pas avoir tardé à envoyer le jeune
moine qui n’était pas encore prêtre et, peut-être même pas sous-diacre1383, sur
la Sainte Montagne avec la mission explicite de continuer les traductions
interrompues par la mort d’Euthyme (§ 19453) ; dès ce moment, le Reclus se

1373. Vie de Georges, § 11313 et n. 367.


1374. MENABDE, Foyers, II, p. 159, signale un seul manuscrit, Q 37, qui y fut copié en 1090 ;
DJOBADZE, Materials, p. 101-103 ; TODT, Region, p. 931.
1375. Ibid., p. 159-160 : il serait déjà mentionné en 1066 (Jer 75 : BLAKE, Jérusalem 2,
p. 408-409). DJOBADZE, Materials, p. 37-38, 100-101 ; TODT, Region, p. 931.
1376. Le monastère se trouvait non loin de la mer, près de Séleucie. MENABDE, Foyers, II,
p. 160 : cité dans le colophon de A 845 (Catal. A, IV, p. 60-61), copié au milieu du 11e siècle
par Zacharie le Noir.
1377. VAN DEN VEN, Syméon, I, p. 161* et II, p. 102. La Vie de Georges, § 47982-983, rappelle
avec fierté l’ancienneté de cette présence dont les débuts firent l’objet d’une célèbre vision de
Syméon.
1378. Voir, parmi les Vies anciennes des Pères syriens, le Martyre d’Abibos (dont le texte
me semble dater du 7e siècle) : le saint, emmené en captivité, reçoit « une lettre, une eulogie et le
bâton de notre saint père Syméon le Thaumaturge », envoyés par Syméon lui-même (MARTIN-
HISARD, Treize saints pères, p. 77). Le thème du lien entre les pères syriens et Syméon Stylite est
ensuite repris au 11e-12e s. dans le texte métaphrastique de la Vie de saint Šio, éd. MLHG, III,
p. 11715-17.
1379. LAFONTAINE-DOSOGNE, Syméon.
1380. C’est ce que montre une icône réalisée en 1032 au monastère d’Išxani, dans le T’ao,
représentant Syméon sur sa colonne et un évêque géorgien d’Apxazeti au pied : voir le compte-
rendu par P(aul) P(eeters) d’un livre en géorgien de E. TAKAÏCHVILI, Expédition archéologique
en Letchkhoum et en Svanétie, Paris 1937, dans An. Boll. 56, 1938, p. 401-406.
1381. Vie de Georges, § 48-49 et n. 753, 756-757.
1382. Voir plus bas, p. 172-174.
1383. C’est ce que suggère le § 24.
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130 BERNADETTE MARTIN-HISARD

montrait très au fait de ce qui devait entrer dans la légende athonite, le


miracle initial qui marqua de manière décisive la vie d’Euthyme1384.
Georges arriva donc sur l’Athos soit vers la fin de cette année 1040, soit
au début de la suivante, et il y fut chaleureusement accueilli (§ 21492-494).

LES ANNÉES ATHONITES


(V. 1040-1056)

Les années athonites de Georges sont racontées par l’hagiographe à partir


des confidences du saint1385 et des informations glanées après 1065 auprès des
moines survivants qui l’ont connu comme higoumène (§ X91, 962015-2016). Il
n’évoque aucun souvenir personnel, signe qu’il ne connaissait pas Georges
durant cette période et ne se trouvait pas à Iviron. En revanche il y est venu
plus tard, en 1065, et il y est resté quelques années, le temps du moins
d’écrire la Vie ; il peut donc parler des lieux, et plus particulièrement de
l’église, en les évoquant tels qu’il les connaît alors (§ 27623-624, 30689). Il a uti-
lisé les commémoraisons qui avaient été progressivement instituées à partir
de la mort de T’ornik’ en 984 ; même si elles ne formaient pas encore le
recueil connu sous le nom de Synodikon, il ne pouvait pas ne pas les connaître
puisqu’il dut lui-même les respecter1386. Il disposait encore des actes conser-
vés dans la bibliothèque du monastère, de la Vie de Jean et Euthyme rédigée
par Georges, des manuscrits contenant les traductions faites par Georges et
que celui-ci laissa au monastère quand il démissionna de sa fonction d’higou-
mène (§ 38838-839) ou qu’il lui légua avant sa mort (§ 831720 et 941987-1988).
Aucun acte concernant Iviron et portant sa signature n’a été conservé ; elle
figure toutefois sur deux documents athonites de 1045 et 10471387.
Le récit de l’hagiographe est chronologique tout en s’attardant sur certains
thèmes : premiers temps dans l’ascèse et l’anonymat (§ 20-21)1388, années
d’ecclésiarque brièvement exposées desquelles émerge une œuvre de traduc-

1384. Ce pourrait être une addition de l’hagiographe dans un dialogue reconstitué, mais l’ha-
giographe destinant son œuvre au Reclus n’aurait peut-être pas osé lui attribuer des propos
inventés ; voir plus bas, p. 146-147.
1385. Aucun passage précis ne leur est toutefois attribué.
1386. Ce recueil fut constitué en 1074 et comprenait alors 52 commémoraisons ; les travaux
de E. Met’reveli ont permis d’y distinguer plusieurs strates. La plus ancienne regroupe les com-
mémoraisons instituées pour les membres de la famille des fondateurs depuis T’ornik’ (mort en
984) jusqu’à l’higoumène Grégoire (mort en 1041/1042), ainsi que des membres moins presti-
gieux. La suivante correspond aux commémoraisons instituées par Georges III : nos 27 et 99
(pour Constantin Monomaque), nos 90 et 100 (Bagrat’ et sa mère), no 15 (P’et’rik’ et son frère
Jean), no 20 (Sanano fils de Kveli), no 40 (Grégoire Abuseridze) et no 89 (Parsman Tmogveli) ;
trois furent établies sous Arsène pour deux personnes de sa famille, qui est celle des fondateurs
(nos 48, 49, 50) ; parmi celles qu’établit Georges IV se trouve celle de Georges III (no 87) ; sur
ces points, voir MET’REVELI, Note.
1387. Iviron, I, p. 94 : on trouve son nom et sa signature en tant qu’higoumène dans l’acte
no 851 (septembre 1045) du Prôtaton (voir Prôtaton, p. 215-232) et dans l’acte no 125 (mars 1047)
de Kastamonitou où il signe « Georges, moine, l’Ibère » (voir Kastamonitou, p. 25-30).
1388. Le § 22 évoque une anecdote de la période 1059-1065.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 131

tions liturgiques (§ 23-24), période de l’higouménat ensuite durant laquelle


Georges, après son élection (§ 25), établit le culte des fondateurs dans l’église
du monastère (§ 26-30), obtient pour lui des privilèges impériaux avec l’aide
du roi Bagrat’ et de sa mère (§ 31-32) et opère des miracles (§ 33-37), avant
de démissionner et de repartir en Syrie pour y continuer ses traductions (§ 38-
39). Ces différents passages ont déjà été largement utilisés, en particulier par
les éditeurs des actes d’Iviron1389 ; il n’y a pas de raison de revenir sur ce
qu’ils ont clairement établi au sujet de la gestion matérielle du monastère ; on
peut en revanche approfondir deux points : la chronologie des années atho-
nites de Georges et l’interprétation de son action, ces deux points étant étroi-
tement liés.

Les premiers temps sur l’Athos


Arrivé sur l’Athos sur l’ordre du Reclus, Georges se livra à l’ascèse et se
laissa prendre « pendant un certain temps » (§ 21497) pour une personne « ordi-
naire et sans instruction » (§ 21498), ce qu’apprenant le Reclus le fit rappeler à
l’ordre, le conduisant ainsi à se faire ordonner prêtre, puis à devenir ecclé-
siarque (§ 24).
De ces premiers temps passés par Georges au monastère, l’hagiographe dit
au total peu de choses sinon pour les inscrire entre deux interventions du
Reclus, qui furent chaque fois décisives, la seconde ayant notamment fait sor-
tir Georges de l’anonymat. Vingt-cinq ou trente ans plus tard, il n’y avait pro-
bablement plus beaucoup de témoins de ces moments et Georges lui-même
semble s’être montré aussi avare de confidences orales avec son biographe
qu’il s’est montré discret par écrit dans la Vie de Jean et Euthyme alors qu’il y
aurait eu l’occasion de parler de lui1390. Pourtant, dans le cours de son récit,
l’hagiographe se laisse aller à reconnaître que, dès son arrivée, Georges avait
mené enquêtes et recherches « sur la vie et la conduite <d’Euthyme>, de…
Jean et des autres saints gérontes, sur la fondation de la… laure et sur les
règles et dispositions instituées par Euthyme » (§ 26598-602). Le nouveau venu
fut donc moins inactif qu’on ne pourrait le penser et cette information qu’il
livra sans doute lui-même à l’auteur fournit un précieux indice sur ses débuts
athonites. C’est donc ce travail d’enquêtes, effectué discrètement et sans rap-
port évident avec le travail de traductions qu’il était censé faire, qu’il convient
d’éclairer en nous référant à une réalité que l’hagiographe passe totalement
sous silence, peut-être parce qu’il la connaît mal : la situation dramatique des
Géorgiens du monastère que Georges a évoquée dans la Vie de Jean et
Euthyme ; plus exactement, il faut essayer de situer l’arrivée de Georges à
l’intérieur d’une crise suscitée par les éléments grecs de la communauté après
1029, qui semblait réglée sous Michel IV (avril 1034-10 décembre 1041) et
qui ne prit fin, à l’avantage des moines géorgiens et au terme d’un dernier

1389. Voir Iviron, I et II et leur bibliographie.


1390. Rappelons que la Vie de Jean et Euthyme couvre une période qui va jusqu’en 1042,
date à laquelle Georges était sur l’Athos.
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132 BERNADETTE MARTIN-HISARD

rebondissement, que sous Michel V (décembre 1041-20 avril 1042). À


quelque moment que l’arrivée de Georges se soit exactement située, dans les
derniers mois de 1040 ou au début de 1041, elle n’intervint de toutes façons
pas dans une atmosphère de grande sérénité chez les moines géorgiens.

CHRONOLOGIE D’UNE CRISE


L’histoire de la crise est connue par le Mémoire que la communauté du
monastère et son higoumène Syméon († avant juin 1042) rédigèrent peu après
sa conclusion ; ce Mémoire fut intégré par Georges dans la Vie de Jean et
Euthyme qu’il composa alors qu’il était ecclésiarque (avant 1045)1391. Le
Mémoire donne les grandes lignes de la crise du point de vue géorgien : profi-
tant de l’exil en 1029 de l’higoumène Georges accusé de participation à un
complot contre Romain Argyre, les moines grecs disputèrent le contrôle du
monastère et de son patrimoine aux moines géorgiens, numériquement moins
nombreux1392, en cherchant à les en chasser1393 et à effacer le nom des fonda-
teurs1394 ; ils s’appuyèrent sur le nouvel higoumène, Georges II1395, et, avec le
secours des autres monastères athonites et du Palais1396, ils malmenèrent rude-
ment les Géorgiens1397 ; le monastère fut pillé à trois reprises1398, « tribula-
tions, emprisonnements, insultes, railleries » frappèrent « tous les frères »1399
et le sang coula1400 ; les souverains bagratides, Bagrat’ plus précisément, s’en
mêlèrent1401. Finalement l’empereur Michel IV donna raison aux Géorgiens et
reconnut Grégoire comme higoumène à la place de Georges II1402 ; la « tran-
quillité » revint pendant « un certain temps »1403, puis, dans un second temps,
les moines grecs prétendirent au contrôle de l’église principale du monastère,
affirmant la posséder depuis sa construction1404 ; Michel V confirma le bon
droit des Géorgiens : « C’est à nous qu’il attribua l’église et le monastère avec
toutes ses acquisitions et ses richesses »1405 ; l’higoumène Syméon avait alors
remplacé Grégoire1406.

1391. Voir Iviron, I, p. 45-48 et, sur le rapport entre le Mémoire et la Vie, voir MARTIN-
HISARD, Vie de Jean et Euthyme.
1392. Vie de Jean et Euthyme, § 841370.
1393. Ibid., § 811319-1320 ; 841372-1373.
1394. Ibid., § 841381-1382.
1395. Ibid., § 841374. Georges a signé en géorgien en avril 1035 l’acte no 29 de Lavra (Lavra,
I, p. 18620) : Iviron, I, p. 45 n. 5.
1396. Ibid., § 811320-1322.
1397. Ibid., § 841378-1380, § 851404, où il est question d’outrages, d’humiliations, d’accusations
d’hérésie, d’emprisonnements.
1398. Ibid., § 811317-1318.
1399. Ibid., § 861404-1405.
1400. Ibid., § 861414.
1401. Ibid., § 841390-1392.
1402. Ibid., § 861411-1412. Grégoire, qui appartient à la famille des fondateurs, avait été pres-
senti par Euthyme et associé à Georges Ier (ibid., § 831363-1364).
1403. Ibid., § 861415-1417.
1404. Ibid., § 861425-1427.
1405. Ibid., § 871437-1438.
1406. Ibid., § 871440.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 133

Les éditeurs d’Iviron I ont situé le début de la crise dès l’exil de


Georges Ier en 1029, placé le jugement de Michel IV peu après avril 1035 et
daté la dernière revendication des Grecs sous le même Michel IV en 1040-
1041, avec décision finale en décembre 1041 au moment de l’avènement de
Michel V, ce qui conduit à placer la mort de l’higoumène Grégoire un peu
avant1407. Presque six ans auraient donc séparé les deux moments de la crise
qui, prise dans son ensemble, aurait duré douze ans. Je m’étais autrefois ral-
liée à cette chronologie1408 ; comme on va le voir, je m’en écarte maintenant.
En allant du plus sûr au moins sûr, je remonterai le cours des événements.
a. S’agissant de la phase finale, la Vie de Jean et Euthyme dit que « un
second roi Michel était sur le trône » lorsque les Grecs « se livrèrent contre
nous à ce rude combat »1409 ; si la décision de l’empereur ne peut être qu’anté-
rieure à sa mort en avril 1042, on voit que la plainte des Grecs date de la fin
de décembre 1041 puisque Michel IV était mort le 10 décembre ; en simpli-
fiant sans grand risque, on dira que le second épisode et sa solution datent du
premier trimestre 1042 ; quant à l’higoumène Grégoire, on peut seulement
dire qu’il mourut en 1042, avant le mois de février, mois où son successeur
Syméon est déjà attesté1410, pour peu de temps, puisqu’il était déjà remplacé
par Étienne en juin 10421411.
b. S’agissant de la conclusion de la phase initiale, elle intervint sous
Michel IV, explicitement cité par le Mémoire1412, mais la datation « peu après
avril 1035 » est le fruit d’une hypothèse. Avril 1035 correspond à la date de la
dernière signature attestée de Georges II en tant qu’higoumène du monas-
tère1413. La date de « peu après avril 1035 » est retenue pour un jugement
favorable aux Ibères en raison de l’avènement récent d’un nouvel empereur,
Michel IV, dont la bienveillance envers les Ibères apparaîtrait déjà dans l’au-
torisation qu’il aurait donnée à la famille de Phersès, en exil à Constantinople,
de rentrer en Géorgie en 1034, ainsi qu’on l’a vu plus haut1414. Ces deux affir-
mations sont discutables. D’abord le prédécesseur de Michel IV, Romain
Argyre, n’avait lui-même rien à voir avec un exil qui remontait à Basile II ;
l’autorisation de retour concernait l’épouse de Phersès, pas nécessairement
ses fils (en admettant que les comploteurs étaient bien ses fils), et relevait de
la pure gestion de l’Empire puisque les domaines de Phersès se trouvaient
maintenant en terre d’Empire ; précisons enfin que, de Romain Argyre ou de

1407. Iviron, I, p. 45-47 et 54.


1408. MARTIN-HISARD, Vie de Jean et Euthyme, p. 70-71.
1409. Vie de Jean et Euthyme, § 871436 ; dans ma n. 274, je n’ai pas tiré de cette phrase les
conclusions qui pourtant s’imposaient !
1410. Voir l’acte no 26 d’Iviron.
1411. Première mention d’Étienne en juin 1042 (acte no 27 d’Iviron).
1412. Vie de Jean et Euthyme, § 861409.
1413. Voir plus bas, n. 1425.
1414. Iviron, I, p. 46 : Michel IV ne pouvait nourrir aucune acrimonie contre des personnes
ayant pu comploter contre Romain Argyre ; or parmi les comploteurs figuraient les « neveux de
Theudatos », qui peuvent être les fils de Phersès. Voir plus haut, p. 123 et n. 1343.
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134 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Michel IV, on ignore lequel autorisa le retour de l’épouse de Phersès1415. En


second lieu surtout, on remarquera que depuis 1031 les relations de Romain
Argyre étaient excellentes avec les Bagratides, en particulier avec le jeune
Bagrat’, son neveu par alliance1416, lequel devait se dépenser beaucoup pour le
monastère athonite ; Bagrat’ en revanche avait rompu avec Michel IV à son
avènement1417, ce que les éditeurs d’Iviron I sont les premiers à dire ; le chan-
gement de règne n’était donc pas a priori favorable aux Géorgiens1418. Enfin il
faut dire que la crise n’était pas de nature essentiellement politique, mais juri-
dique, et dérivait de la situation créée par Georges Ier qui, en développant le
nombre des Grecs, avait entraîné l’amenuisement de celui des Géorgiens,
comme le souligne le Mémoire1419, ce qui donnait des fondements à la plainte
des Grecs : la preuve en est que la crise ne fut pas facile à régler ; le Mémoire
est clair : elle fut réglée « au terme de grandes procédures et enquêtes »1420,
donc sur le terrain juridique : le contexte politique pouvait naturellement jouer
un rôle, mais la bienveillance retrouvée de Romain Argyre ou la politique de
Michel IV, à la fois favorable (dans le cas éventuel des Phersès ?) et hostile
(conflit avec Bagrat’ IV) aux Géorgiens, n’aurait pu suffire à la dénouer.
Ainsi les arguments avancés pour dater le jugement de Michel IV du
milieu de l’année 1035 ne sont pas convaincants. Ils le sont d’autant moins
qu’ils laissent de côté un passage de la Vie de Jean et Euthyme dont je recon-
nais bien volontiers qu’il n’avait pas jusqu’à présent retenu mon attention. Le
Mémoire, on l’a rappelé, est une œuvre de la communauté du monastère, insé-
rée par Georges à la fin de la Vie de Jean et Euthyme. Georges a préparé cette
insertion dans un passage de transition qui suit immédiatement l’évocation de
la mort et de l’exil de Georges :
Le monastère et nous tous qui y vivions alors, nous fûmes précipités dans une
grande tempête et dans les spoliations… Les Grecs entreprirent d’extirper les
Ibères du monastère… Toute la Sainte Montagne y concourut… Difficultés, souf-
frances et soucis s’abattirent en masse sur nous et… sans le secours du Seigneur et
l’intercession de la sainte Mère de Dieu…, il n’y aurait plus aujourd’hui un seul
Ibère dans cette vaste et illustre laure… C’est pourquoi, afin que les maux que les
Grecs nous infligèrent ne tombent pas dans l’oubli… nous, tous les frères, una-
nimes, nous nous sommes rassemblés et nous avons mis par écrit, de manière una-
nime, le mémoire suivant…, à l’époque de l’abbé Syméon…1421.

1415. Si le retour date de 1034, on ne peut exclure qu’il ait été autorisé par Romain Argyre
lui-même : voir n. 396.
1416. Voir plus haut, p. 20 et n. 118, le jugement de Romain Argyre sur les Ibères.
1417. Voir plus haut, p. 21 et n. 128, p. 22 et n. 140.
1418. Iviron, I, p. 46 et n. 6. Bagrat’ avait rompu avec Constantinople à la suite de l’assassi-
nat de Romain, oncle de sa femme.
1419. Vie de Jean et Euthyme, § 841370-1371 : « Nous n’étions plus qu’un petit nombre quand
l’abbé Georges mourut en exil ».
1420. Ibid., § 861410.
1421. Ibid., § 811315-821332.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 135

Que le Mémoire qui vient ensuite soit rédigé à la 1ère personne du pluriel
est normal ; en revanche, pour la première fois depuis son introduction (§ 1-5)
Georges s’exprime ici en disant « nous » pour porter témoignage de ce qu’il a
connu et vécu, c’est-à-dire la dramatique période où « sans l’intercession de la
sainte Mère de Dieu… il n’y aurait plus aujourd’hui un seul Ibère dans cette
vaste et illustre laure… »1422. Il a donc vécu la crise qu’il évoque rapidement
puisque le Mémoire lui est consacré et il ne fait pas de distinction entre deux
phases qui seraient bien séparées l’une de l’autre. Enfin il est nettement partie
prenante de la rédaction du Mémoire, comme un élément actif de la commu-
nauté ; j’oserai même dire que s’il s’est permis d’intégrer le Mémoire à la Vie
de Jean et Euthyme, c’est peut-être qu’il s’en sentait un peu l’auteur et peut-
être l’était-il.
c. Ceci nous conduit à la datation des débuts de la crise et à son dévelop-
pement. Le Mémoire place les commencements à la suite de l’évocation de
l’exil de Georges Ier, mort « quelque temps plus tard »1423 ; après avoir souli-
gné que le moine Grégoire fut alors d’un grand réconfort pour les Ibères1424,
on lit que les Grecs profitèrent de l’accroissement de leur nombre sous
Georges Ier pour se tourner contre eux avec le soutien de Georges II qui s’était
emparé de l’higouménat ; le fait que celui-ci était assurément higoumène en
10301425 a conduit à dater le début de la crise de 1029/1030. Or si Georges II
qui contribua à mettre Grégoire à l’écart1426 fut bien surnommé le Méchant1427,
le Mémoire dit seulement qu’il aida les Grecs, non pas qu’il fut aux origines
de la crise, et il ne précise pas le temps qui s’était écoulé depuis la mort de
Georges Ier. Ainsi la crise n’est liée à la mort de Georges Ier que de manière
chronologique (elle a lieu après) et circonstancielle (il y a davantage de
Grecs), mais sans rapport de cause à effet et sans précision de durée, même
par allusion. Elle a pu mûrir avant d’éclater et de se traduire en actes ; en
1031 le retour d’un état de paix entre Constantinople et les Bagratides n’au-
rait guère été encourageant pour les Grecs. Je me demande même si les mani-
festations des Grecs ne doivent pas être différées jusqu’à Michel IV. En effet
en introduisant le jugement favorable rendu par Michel IV, le Mémoire dit que
« Dieu dans sa clémence adoucit le cœur du pieux roi Michel »1428, ce qui peut
signifier que l’empereur était jusqu’alors irrité.

1422. Ibid., § 811324-1326.


1423. Ibid., § 841368.
1424. L’exil de Georges ne signifiant pas sa destitution, Grégoire assura peut-être une sorte
d’intérim ; en effet, au moment de sa mort, Euthyme l’avait pour ainsi dire désigné pour assister
Georges Ier qu’il avait lui-même antérieurement installé lorsqu’il avait démissionné (§ 831364).
1425. Iviron, I, p. 45 et n. 5 : Georges II signe un acte dès 1030 ; il était lui-même géorgien
puisqu’il a signé en géorgien en avril 1035 l’acte no 29 de Lavra (Lavra, I, p. 18620).
1426. Pour Iviron, I, p. 45, la mort de Georges Ier privait le monastère de la légitimité que
conférait à l’higoumène le fait d’être un parent des fondateurs. Depuis MET’REVELI, Note, il est
bien établi que Grégoire appartenait aussi à la famille des fondateurs.
1427. Vie de Jean et Euthyme, § 841374.
1428. Ibid., § 861408-1409.
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136 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Je proposerai donc à titre d’hypothèse de considérer que la première


attaque des Grecs contre les Géorgiens du monastère se produisit non pas
sous Romain Argyre, en paix avec les Géorgiens depuis 1031, mais sous
Michel IV qui, initialement en mauvais termes avec eux, y mit cependant
lui-même fin avant décembre 1041, ménageant ainsi pour les Ibères une
période de « tranquillité après ces multiples épreuves »1429 ; en effet « un
certain temps s’écoula »1430 avant la seconde attaque qui se déroula sous
Michel V et s’acheva entre janvier et avril 1042. Je resserre ainsi la durée
totale de la crise : pas avant avril 1034-pas après avril 1042 ; quant au
temps qui sépara les deux épisodes, il n’a pas dû excéder quelques mois,
voire un an.
Cette hypothèse me paraît propre à rendre compte des premiers temps pas-
sés par Georges sur l’Athos et qu’il consacra à tirer les leçons de la crise.

LES LEÇONS DE LA CRISE


L’hagiographe, on l’a dit, a prêté incidemment quelques activités à
Georges au début de son séjour : tout en passant pour un être « ordinaire et
sans instruction », il se livrait à des « enquêtes et recherches auprès des dis-
ciples et des amis du saint père, le grand Euthyme, sur sa vie et sa conduite…
ainsi que sur celles de… Jean et des autres saints gérontes, sur la fondation de
la… laure et sur les règles et dispositions instituées par Euthyme »1431. La
crise avait en effet bénéficié d’une absence de textes qui avait obscurci l’his-
toire de la fondation.
Le conflit qui opposa Georges II à Grégoire prouve qu’en 1029 la famille
des fondateurs, les Čordvaneli auxquels appartenait T’ornik’, encore dit Jean
le Syncelle1432, n’avait pas un droit historique à la direction du monastère qui
se serait imposé à tous1433. Sans doute avait-elle jusqu’à présent assumé cette
direction avec le parent de Tornik’, Jean l’Ibère (976/980-1005), puis le fils
de celui-ci, Euthyme, qui démissionna en 1019, et enfin le neveu de Jean,
Georges Ier (1019-1029). Grégoire était aussi de la famille1434, mais c’est un
autre Géorgien, Georges II, qui s’imposa. Quand Georges l’Hagiorite fut élu
higoumène en 1044 ou 1045 (devenant ainsi Georges III), la procédure mise
en œuvre fut le tirage au sort dont l’hagiographe parle comme de « la règle du
monastère »1435 ; elle n’était donc pas nouvelle et avait sans doute été suivie
pour Syméon et Étienne ; il n’est pas impossible qu’elle l’ait été aussi pour

1429. Ibid., § 861415-1416.


1430. Ibid., § 861417.
1431. Vie de Georges, § 26597-602.
1432. Sur la famille, voir plus haut, p. 20 n. 121. Iviron, I, p. 15-17 avec stemma.
1433. MARTIN-HISARD, Jean et Euthyme, p. 71-73.
1434. Grâce aux travaux d’E. Met’reveli, on sait que les membres de la famille Čordvaneli
peuvent se reconnaître à une formule spéciale qui figure dans leur commémoraison ; elle évolua
légèrement mais renvoie toujours à celle qui fut établie pour le fondateur T’ornik’, dit Jean le
Syncelle ; voir plus haut, n. 1386.
1435. Vie de Georges, § 25575 et n. 523. Sur cette question, voir MET’REVELI, Normes.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 137

Georges II. La famille ne resta toutefois pas exclue puisque l’higoumène


Georges III eut pour successeur dès avant juin 1056 Arsène, autrefois
Parsman, qui est bien apparenté à la famille des fondateurs, comme le mon-
trent les dispositions de la commémoraison instituée pour lui1436. Après la
mort d’Arsène, le tirage au sort dut certainement s’appliquer pour Georges IV
Oltisari. Tous en tout cas furent des Géorgiens. Cependant je ne sais pas si
Georges II fut finalement destitué parce qu’il avait soutenu les Grecs ou parce
qu’il avait contribué à mettre Grégoire à l’écart. Ce qui est certain en
revanche, c’est qu’il n’existait aucun Typikon de fondation dont le respect se
serait imposé à la communauté monastique. D’après la Vie de Jean et
Euthyme, Jean l’Ibère avait seulement établi la règle que « chaque abbé laisse
après sa mort un autre higoumène, saint et vertueux »1437.
Ce vide institutionnel n’était pas propre à permettre la solution de pro-
blèmes nés de l’évolution du monastère. Au milieu du 11e siècle, le monastère
de la Mère de Dieu, avec ses trois cents moines environ qui vivaient à l’inté-
rieur de l’enceinte ou dans des métoques, dont les domaines acquis au fil du
temps étaient dispersés à l’intérieur ou à l’extérieur de la presqu’île athonite,
disposait d’une puissance dont les origines, une soixantaine d’années aupara-
vant, étaient en passe d’être oubliées. L’absence de Typikon permettait aux
Grecs, en raison de leur nombre, de revendiquer le contrôle du monastère1438
ou même de forger des documents1439. La mort d’Euthyme, mémoire vivante
de la fondation et de l’histoire du monastère et de son église1440, disparu acci-
dentellement en 1028, constituait pour eux une circonstance favorable. Au
début du séjour de Georges, la vie d’Euthyme comme celle de Tornik’ ou de
Jean l’Ibère n’était connue que par tradition orale1441.
Les traces matérielles du passé étaient elles-mêmes peu nombreuses et pas
toujours faciles à décrypter. À l’intérieur du mur d’enceinte s’élevaient les
deux églises liées à la fondation des années 980 : l’église de Saint-Jean-
Baptiste et l’église de la Mère de Dieu qui donnait son nom au monastère
dont elle était l’église principale.
L’église de Jean-Baptiste était de tradition grecque, mais qui savait encore
qu’elle était liée à un monastère antérieur dédié à saint Clément et qu’elle pré-
existait donc à la fondation1442 ? Jusqu’en 1020 en tout cas, la référence à
Saint-Clément avait servi à individualiser le monastère, parmi les autres

1436. MET’REVELI, Čordvaneli, p. 46. Synodikon, no 110 (éd., p. 243).


1437. Vie de Jean et Euthyme, § 20448-449.
1438. Telle est la version géorgienne des faits ; peut-être s’agissait-il simplement primitive-
ment d’avoir une part au gouvernement du monastère.
1439. Ibid., § 861426-1427: « Ils s’appuyaient sur un soi-disant jugement d’après lequel l’église
leur appartiendrait depuis sa fondation ».
1440. Euthyme était arrivé tout jeune sur l’Athos avec son père à l’époque où celui-ci s’éta-
blit à Lavra entre 963 et 969.
1441. On ne connaît pas la date de rédaction de la version courte de la Vie d’Euthyme qui ne
contient de toutes façons pas beaucoup de détails : voir Iviron, I, p. 4.
1442. Vie de Jean et Euthyme, § 12240 et n. 37 : Georges considère qu’elle fut construite par
les moines ibères.
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138 BERNADETTE MARTIN-HISARD

églises athonites dédiées à la Théotokos1443 et c’est dans l’église du Prodrome


que la dépouille d’Euthyme reposait toujours1444.
L’église de la Mère de Dieu, construite par les premiers Géorgiens et ache-
vée en 982, dont la dédicace était soulignée par une icône au-dessus de la
porte1445, avait déjà connu plusieurs transformations qui n’en avaient pas
favorisé l’harmonie ; deux chapelles latérales avaient été ajoutées à la hauteur
du narthex (lui-même peut-être un simple portique à colonnade) en deux
moments successifs et sans symétrie1446 : d’abord, vers 1005, une chapelle dite
des Archanges avait été aménagée sur le côté nord pour recevoir le corps du
premier higoumène, Jean, elle ouvrait sur le narthex sans être dans l’aligne-
ment de sa façade et disposait aussi d’une entrée propre1447 ; entre 1018 et
1028, sous Georges Ier, une chapelle de Tous les saints avait été construite,
sans qu’on en sache la raison, sur le flanc sud1448. La dépouille du troisième
higoumène, Georges Ier, avait trouvé une place, sous l’higoumène Grégoire,
dans la partie sud du narthex1449.
De la tombe du fondateur T’ornik’ il n’est jamais question et sans doute
avait-elle disparu, car non seulement l’hagiographe n’en parle pas, mais
même Georges n’en souffle mot dans la Vie de Jean et Euthyme1450, alors qu’il
connaît bien le rôle joué par cet ancien éristav du curopalate David, qui
consacra à la fondation les richesses gagnées dans la guerre contre Bardas
Sklèros1451. Le fait que, pendant la crise, les Grecs aient voulu extirper jus-
qu’aux noms des fondateurs peut signifier soit la disparition des commémo-
raisons de T’ornik’ et de Jean1452, soit la disparition de la tombe du premier.
L’utilisation des deux églises et surtout leur usage liturgique nous échap-
pent. Il y eut entre elles à partir d’un certain moment un début de répartition
liturgique puisque les Grecs réclamèrent en 1041-1042 le contrôle de l’église

1443. Entre 982 et 1020, dans les actes grecs, l’appellation quasi constante est celle de
monastère – ou laure – fondé au nom de la très sainte Mère de Dieu et dit « tou Klémentos », ou
encore « tou Klimi » ; on trouve une seule fois « la très pure laure construite au nom de la très
sainte Mère de Dieu et dite de l’Ibère » (l’Ibère étant ici l’higoumène du moment, Georges Ier) :
voir dans Iviron, I, les actes nos 4 de 982, 6 de 984, 7 de 985, 15 de 1008, 16 de 1010, 24 de
1020. On ne possède malheureusement pas d’acte nommant le monastère pour la période sui-
vante, 1020-1042, qui est celle de la crise. On ne dispose du témoignage que d’un seul manus-
crit, Iv 4 copié en 1008 « dans le monastère des saints pères Jean et Euthyme ».
1444. Vie de Georges, § 27615 et n. 540.
1445. Vie de Jean et Euthyme, § 37789-790 et p. 113 n. 168.
1446. Si l’on retient le plan de Mylonas (Iviron, I, p. 60), la chapelle nord était accolée à
l’édifice et sa façade ne prolongeait pas celle du narthex ; la chapelle sud en revanche épousait
mieux la structure d’ensemble et s’alignait sur le narthex.
1447. Vie de Georges, § 29652.
1448. Georges Ier y prévoyait peut-être sa déposition. C’est là que fut déposée provisoire-
ment la dépouille de Georges III (§ 972027).
1449. Ibid., § 972037.
1450. Il ne mentionne même pas sa mort comme s’il n’avait rien trouvé à en dire (§ 14).
1451. Vie de Jean et Euthyme, § 9-11.
1452. Je ne suis pas sûre que la commémoraison en l’honneur d’Euthyme ait été rédigée
avant l’higouménat de Georges III.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:43 Page 139

LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 139

de la Mère de Dieu, que les Géorgiens devaient donc tenir ; peut-être


l’avaient-ils déjà fait plus tôt quand leur nombre s’était accru sous
Georges Ier ; mais l’intensification ou le regain de leurs revendications peut
avoir une autre origine sur laquelle on reviendra.
Il est probable enfin que la vie liturgique et monastique des Géorgiens
offrait prise à la critique : non seulement Georges eut à affronter des moines
souvent peu instruits et si peu nombreux que le départ de quelques-uns suffi-
sait à « <laisser> déserte l’illustre église »1453, mais le fait de devoir recher-
cher la trace des « règles et dispositions instituées par Euthyme » montre que,
si tant est qu’elles aient jamais eu une trace écrite, ce que je ne crois pas1454,
celle-ci avait si bien disparu qu’au terme de son enquête, Georges dut se
contenter d’enregistrer dans la Vie de Jean et Euthyme les éléments d’une
coutume vécue. Les années de crise durent achever de mettre à mal les pra-
tiques monastiques.
Les recherches et enquêtes de Georges avaient donc pleinement leur raison
d’être ; mais, loin d’être le fruit d’une pure dévotion ou d’une curiosité per-
sonnelle, comme peut le laisser supposer son hagiographie, elles s’inscrivent
parmi d’autres « enquêtes », celles que, d’après le Mémoire, les Géorgiens
menèrent pour étayer leur cause contre les Grecs1455. De cette remarque
découle une possibilité d’apprécier de manière nouvelle les premiers
moments du séjour de Georges sur l’Athos.

GEORGES ET LA CRISE
Au cours de la période athonite de Georges, son maître le Reclus fit quatre
interventions qui eurent des conséquences concrètes et immédiates sur sa vie.
La première imposa à Georges, récalcitrant, de partir pour la Sainte Montagne
avec la mission de compléter les traductions d’Euthyme (§ 18-19). La
seconde intervint lorsque le Reclus, ayant appris que Georges « n’avait pas
exécuté son ordre » (§ 23530) et « n’avait pas encore reçu la dignité du sacer-
doce ni commencé à traduire » (§ 23527), dépêcha son disciple, Jean, le tancer
d’importance ; Georges gravit alors, fort rapidement, les derniers degrés de la
cléricature jusqu’à devenir prêtre, ce qui lui permit « peu après » (§ 24546)
d’être nommé ecclésiarque et de commencer ses traductions. Une troisième
intervention eut pour objet d’imposer à Georges d’accepter la charge d’higou-
mène à laquelle il avait été élu, mais qu’il avait fuie jusqu’en Syrie (§ 39). La
quatrième fut de ne pas lui interdire de démissionner, lorsqu’il le fit au bout
d’un certain nombre d’années (§ 39). Même en tenant compte des lieux com-
muns hagiographiques qui sous-tendent refus, fuite et démission de Georges
et même en n’oubliant pas que l’œuvre est destinée à Georges le Reclus lui-

1453. Vie de Georges, § 691460-1461.


1454. Vie de Jean et Euthyme, § 20443, § 34737 ; Vie de Georges, § 26602-603 et n. 533.
L’existence d’un Typikon monastique écrit par Euthyme est affirmée par MET’REVELI, Normes,
p. 212-213, sur la base du § 19472-473 que j’interprète différemment (voir notamment n. 451).
1455. Vie de Jean et Euthyme, § 861410.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:43 Page 140

140 BERNADETTE MARTIN-HISARD

même, le rôle constant attribué à ce dernier à chaque étape de la vie de son


disciple attire l’attention.
On sait que Georges était déjà higoumène en septembre 10451456 et qu’il a
pu le devenir cette année-là ou déjà en 1044. Si l’on admet qu’il fallut bien au
minimum deux ans à Georges pour réaliser la traduction des huit livres (en
fait même neuf) qu’il effectua pendant qu’il était ecclésiarque, on peut faire
remonter sa nomination à cette fonction, qui découla de l’action du Reclus, à
1042 ou déjà 1041. Si ce fut en 1042, elle serait intervenue pendant le dernier
épisode de la crise ou juste après et comme une conséquence : l’église une
fois confirmée de droit géorgien, Georges, jusqu’alors quasi inconnu, en
aurait reçu la charge après avoir gravi fort rapidement et bien à contrecœur les
derniers échelons de l’ordination sacerdotale. Mais on peut aussi suggérer que
Georges est devenu ecclésiarque avant ce dernier épisode et que ce sont les
actes qu’il posa comme ecclésiarque qui suscitèrent la seconde plainte des
Grecs, son rôle dans la rédaction du Mémoire est donc d’autant plus justifié.
La grande colère du Reclus mit en effet fin à l’anonymat cultivé par
Georges. On peut penser que, depuis son ermitage de la Montagne Noire, le
Reclus était au courant, du moins dans les grandes lignes, de ce qui se passait
sur la Sainte Montagne et qu’il lui parut urgent de faire partir Georges, sans
même attendre qu’il soit devenu hiéromoine. Georges, on le sait, fut accueilli
avec joie (§ 21493) : cliché, mais aussi probable réalité, compte tenu du faible
nombre des moines géorgiens. Dès ce moment et tout en respectant une stricte
ascèse, il s’occupa discrètement de retrouver l’histoire du passé et de collecter
des textes. On peut hésiter entre deux contextes : ou bien le Reclus profita de
la tranquillité ouverte par la fin, toute provisoire, de la crise (1040 ? début
1041 ?) pour envoyer Georges reprendre les travaux d’Euthyme ; ou bien
l’épisode n’était pas encore clos et il y avait urgence à dépêcher Georges.
C’est ce que j’aurais tendance à penser, d’une part parce que ses enquêtes
relèvent de celles que fit sa communauté aux abois alors que l’heure n’était
pas aux traductions, d’autre part parce que sa discrétion apparaît comme une
mesure de sagesse en des temps d’un conflit qui fut violent1457, surtout quand
on appartenait comme Georges à une famille de rang social important, enfin
parce que, dans la Vie de Jean et Euthyme, Georges se montre lui-même
concerné par la bourrasque qui intervint dans les années qui suivirent la mort
de Georges Ier. En retenant cette dernière hypothèse, on est conduit à placer la
première et provisoire fin de la crise peu après l’arrivée de Georges, vers le
début de 1041.
La grande colère du Reclus qui obligea Georges à sortir de l’image « ordi-
naire » qu’il se donnait intervint à mon avis dans la période de tranquillité
ouverte par la première sentence ; une tranquillité favorable à la « carrière »
de Georges, surtout si l’on admet que le Reclus l’avait très tôt envisagée ; et
de fait, Georges devint rapidement diacre, prêtre et ecclésiarque, en quoi je

1456. Il signe à cette date l’acte no 8 du Prôtaton ; voir plus bas, p. 143 et n. 1468.
1457. Voir plus haut, p. 132.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 141

vois un signe de l’urgence des temps. Son activité d’ecclésiarque aurait pu


ainsi commencer avant la seconde tentative des Grecs.

L’ecclésiarque Georges
Lorsqu’on parle de l’ecclésiarque Georges, on pense d’abord et à juste
titre à ses traductions ; et ce sont bien elles que la Vie dénombre et met avant
tout en valeur : Synaxaire, Lectionnaires annuels des Évangiles, de Paul et de
l’Ancien Testament, Euchologe, premiers Ménées1458. Comme le Reclus fut à
l’origine de la première traduction de Georges, le Synaxaire1459, on a tout lieu
de penser qu’il n’est pas étranger au choix des autres traductions dont la cohé-
rence générale est évidente sur deux points : d’une part ce sont les ouvrages
liturgiques (lectures, prières et chants) indispensables pour la célébration de
l’Eucharistie dans les trois cycles, pour l’administration des sacrements et les
sacramentaux ; d’autre part ce sont des ouvrages récents ou mis en forme
récemment dans lesquels s’expriment les changements en cours de la nou-
velle liturgie constantinopolitaine1460 et que Georges connaissait d’expérience
depuis ses années constantinopolitaines ; ces ouvrages étaient peut-être déjà
en usage sur la Montagne Noire, comme le suggère le rôle du Reclus.
Cependant les traductions ne représentent qu’une partie de l’activité de
Georges et l’hagiographe l’a bien remarqué lorsqu’il dit que son élection
comme higoumène intervint après qu’« il eut fait ses preuves en de nom-
breuses affaires » (§ 25566). Deux de ces affaires sont mentionnées dans les
passages relatifs à l’higouménat, ce qui montre que, dans l’esprit de l’ha-
giographe, l’higoumène a construit sur les fondements que l’ecclésiarque
avait posés. La rédaction de la Vie de Jean et Euthyme, tout à la fois
reflet d’une histoire et véritables Tables de la Loi (§ 26602-605), fait partie
de ces « affaires », mais elle dut prendre du temps ; le Mémoire en étant
partie intégrante (à la différence du paragraphe final explicitement terminé
plus tard), je pense que cette rédaction est postérieure à la fin de la crise.
Une autre « affaire » est constituée par les premiers travaux de construc-
tion qui allaient, une fois terminés, changer l’allure et la fonction de
l’église de la Mère de Dieu. Ces constructions sont le plus souvent attri-
buées au seul higoumène ; pourtant l’hagiographe dit explicitement que,
lorsque Georges rédigea la Vie de Jean et Euthyme, il avait dans l’esprit le
projet de construire le monument funéraire d’Euthyme (§ 26605-607) qu’il
réalisa une fois higoumène, ce qui lui permit d’y transférer la dépouille du
saint, enlevée à l’église du Baptiste (§ 27614-615) ; la commémoraison de sa
mort y fut désormais célébrée le 13 mai1461. Ses projets étaient même plus

1458. Voir § 24 et les notes correspondantes 509-514. Il faut y ajouter 67 homélies de Jean
Chrysostome.
1459. Au f. 452, le copiste du Synaxaire dans le manuscrit H 2211 précise : « Il fut traduit du
grec en géorgien par Georges, car son maître Georges le Reclus le lui fit traduire avec beaucoup
de travail et de difficultés… » (Catal. H, V, p. 100-102).
1460. Voir les notes du § 24.
1461. Vie de Jean et Euthyme, § 90. La commémoraison figure dans le Synodikon au n° 71
(éd., p. 235).
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142 BERNADETTE MARTIN-HISARD

amples dès le départ comme le suggère une brève formule du § 24,


consacré aux traductions, une formule qui pourrait passer inaperçue ou
être interprétée de manière générale, mais qu’il faut lire au sens littéral :
« Quand il commença la construction de l’église de Dieu, tel un architecte
avisé, il posa d’abord de bons fondements, car il traduisit avant toutes
choses le Synaxaire… » (§ 24549-551) : travaux de construction et liturgie
sont ainsi associés.
À l’époque où il écrivait, l’hagiographe n’était peut-être pas capable
d’analyser et de décomposer les différentes phases des travaux dont il
connaissait seulement les résultats : une église visiblement « belle et
splendide » (§ 30689) ; leur reconstitution, aujourd’hui encore, comporte bien
des éléments d’incertitude1462. Les travaux de construction que l’ecclésiarque
Georges mit en chantier ne furent pas forcément nombreux ; sachant qu’il
était higoumène quand il fit la couverture de l’église et lui ajouta le narthex
extérieur (§ 31), on attribuera en tout cas à l’ecclésiarque l’aménagement du
premier narthex dans la partie gauche duquel avait été déposé peu auparavant
le corps de Georges Ier et dans la partie droite duquel devait être réalisé le
martyrium d’Euthyme ; vraisemblablement la mise en chantier du narthex
extérieur ne dut pas tarder. De même les travaux destinés à poser un pave-
ment uniforme dans l’église furent sans doute entrepris, mais la Vie de
Georges ne les signale pas.
L’attention portée par Georges à l’église principale du monastère, avant
son higouménat, est justifiée par la manière dont le Mémoire dégage en 1042
la signification de la dernière sentence impériale :
La sainte Mère de Dieu ne nous chassa pas de son temple… Comme vous le
voyez, la beauté et l’élégance <de la grande église> sont infiniment au-delà de
toute louange… et c’est à nous, pauvres, que la sainte Mère de Dieu fit don du
glorieux temple de sa gloire. Sans cesse elle combat pour nous et nous protège,
nous qui sommes ses indignes laudateurs étrangers et son troupeau1463.
Depuis 1042, les actes grecs, privés ou publics, employaient couramment
pour désigner le monastère l’expression « le monastère – ou la laure – des
Ibères »1464. Mais, dès 1043, alors que Georges était ecclésiarque depuis un
peu plus d’un an, apparaît dans le colophon du manuscrit Iv 60 la triple for-
mule qui allait se généraliser dans les manuscrits géorgiens : « sur la sainte
montagne de l’Athos, en la demeure de la sainte Mère de Dieu, au monastère
des Ibères »1465. Le « monastère des Ibères » avait remplacé un monastère

1462. Sur les différentes phases de construction de l’église, voir MYLONAS, Plan et IDEM,
Notice ; on y trouvera dans les deux cas les plans nécessaires pour la compréhension de l’évolu-
tion de l’église. Voir aussi l’ouvrage récent (quoique sans date) du même auteur : Atlas des
Athos.
1463. Vie de Jean et Euthyme, § 871423-1434.
1464. Parfois avec un qualificatif (très pure laure), parfois avec la précision « sur la Sainte
Montagne » ; voir Iviron, I : actes no 26 de 1042, no 28 de 1044, no 29 de 1047 ; Iviron, II : actes
no 31 de 1056, no 32 de 1059, no 33 de 1061, nos 34, 35 et 36 de 1062, no 37 de 1063, no 38 de
1065.
1465. La formule se retrouve, identique, dans le manuscrit A 1101 écrit en 1047.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 143

désigné par ses origines matérielles grecques : le « monastère dit tou


Klémentos ». À son niveau d’ecclésiarque Georges a porté et assumé cette
transformation. Traductions, liturgie et aménagement de l’église sont en effet
trois aspects d’un même dessein : faire de l’église de la Mère de Dieu une
église d’expression géorgienne et le grand lieu de mémoire des fondateurs.
Je pense que ce sont les prémices de ces travaux concentrés sur l’église de
la Mère de Dieu, avec une double destination finale, la primauté du géorgien
et l’enracinement dans cette église du nouveau Chrysostome géorgien,
Euthyme, enlevé à l’église grecque, qui ont pu provoquer l’inquiétude et la
réaction des Grecs.
Comme on l’a dit plus haut, les actes que Georges posa comme ecclé-
siarque ont leur logique si on les analyse comme une conséquence de la sen-
tence finale de Michel V. Ils me semblent en avoir plus encore si on en place
les débuts dans le prolongement de ses premières enquêtes, au sein du travail
que la communauté géorgienne effectuait pour reprendre possession de son
passé. Si cette hypothèse est juste, elle met en évidence la continuité de l’ac-
tion de Georges depuis son arrivée et suggère derrière cette action un projet
mûri sur la Montagne Noire.
En tout cas l’action de l’ecclésiarque Georges, forcément soutenue par
celle de son higoumène, un Étienne peu connu attesté au mois de juin 1042 et
en 10431466, rencontra l’approbation de ses frères puisque, selon l’hagio-
graphe, son élection comme higoumène résulta d’un choix qui fut net, réitéré
et pressant (§ 25569, 39850).

L’higoumène Georges
Dans les années où Georges était ecclésiarque, la position du monastère
des Ibères se rétablit sur la Sainte Montagne dont certaines communautés,
sinon toutes, avaient pris parti pour les Grecs, aux dires de Georges1467. En
septembre 1045, le Typikon de Constantin IX qui établit un nouveau règle-
ment pour les monastères athonites place en quatrième position, après le prô-
tos et les higoumènes de Lavra et de Vatopédi, « Georges moine et kathigou-
mène du monastère des Ibères » (l. 182), lequel souscrit modestement
« Georges moine, l’Ibère » ; l’higoumène d’Iviron fait partie des higoumènes
« notables » que le prôtos doit consulter le cas échéant en premier lieu ;
comme celui de Vatopédi, il peut venir aux assemblées de Karyès avec quatre
serviteurs (six pour Lavra, trois pour le prôtos, un pour les higoumènes)1468.

1466. Iviron, I, p. 94 et 50. Il est l’objet de la brève commémoraison no 24 du Synodikon


(éd., p. 221).
1467. Vie de Jean et Euthyme, § 811320-1321 : « Toute la Montagne y concourut » ; il faut sans
doute nuancer la formule.
1468. Prôtaton, acte no 8, p. 216-232. Georges est cité, avec les deux higoumènes et le prô-
tos, comme l’un de ceux qui avaient souhaité l’expulsion immédiate de l’Athos des eunuques et
des imberbes.
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144 BERNADETTE MARTIN-HISARD

CADRE CHRONOLOGIQUE
L’élection de Georges à l’higouménat était acquise, on vient de le voir, en
septembre 1045. Il avait succédé à Étienne à une date inconnue, entre 1043 et
septembre 1045 ; on retiendra par pure hypothèse la date de 1044 qui laisse à
l’ecclésiarque le temps d’avoir effectué son œuvre. Si le choix de Georges
confirmait la volonté de la communauté monastique de voir poursuivie la voie
tracée par l’ecclésiarque, le fait de le placer « sur le chandelier » (§ 25570), de
le faire asseoir « sur le siège de notre saint père Euthyme » (§ 25569) répondait
au souhait du Reclus qui l’empêcha de fuir (§ 39846-850).
Depuis les travaux de P. Peeters, la démission de Georges est générale-
ment placée sous Michel VI Stratiotikos, successeur de Théodora dès la mort
de celle-ci en août 10561469 ; cette date est retenue par les éditeurs d’Iviron I,
en dépit de l’existence d’un acte de juin 1056 qui montre qu’Arsène était déjà
higoumène avant cette date1470.
Dans le manuscrit A de la Vie de Georges, le nom de l’empereur qui
confirma la démission de Georges et l’autorisa à partir est resté en blanc et les
manuscrits qui en dérivent n’ont pas cherché à combler la lacune1471 ; le mot
mepe, employé pour désigner l’empereur, ne peut renvoyer à Théodora1472. Le
seul argument pour identifier l’empereur à Michel VI est le fait qu’un para-
graphe antérieur, le § 37, a parlé de la mort de Théodora à Constantinople où
se trouvaient alors présents la reine Marie et Georges1473 et que la présence de
Marie signalée plus loin au moment de la démission de Georges est soulignée
par l’hagiographe d’un « comme nous l’avons déjà dit » (§ 39856-857) ; de là
l’idée que Georges serait venu présenter sa démission à Théodora et que c’est
le successeur de Théodora qui l’entérina.
L’argument indiscutable qui s’oppose radicalement à l’identification de
l’empereur à Michel VI est l’acte que j’ai évoqué plus haut1474. De la longue
histoire racontée dans l’acte no 311475, il ressort en effet qu’Arsène était déjà

1469. PEETERS, p. 107, § 39 n. 3 et 4.


1470. Il s’agit de l’acte no 31 de septembre 1056 qui règle une affaire, résumée plus tard dans
l’acte no 37 de 1063 : voir Iviron, II, p. 71-80 et 107-110. Sur la démission de Georges :
Iviron, I, p. 52 et 53 n. 1.
1471. Voir § 39855 et n. 663.
1472. Il n’y a pas de genre dans les noms géorgiens ; mais, dans les passages où il est expli-
citement question de Théodora (§ 37), l’hagiographe emploie toujours le terme dedopali (femme
de seigneur) et jamais celui de mepe (roi) ; il en va de même lorsqu’il s’agit de désigner la reine
Marie.
1473. § 37817-818.
1474. Voir plus haut, n. 1470.
1475. Iviron, II, p. 71-80 et 105-110, avec datation des différents épisodes p. 109. Selon
l’acte no 31, dans une affaire qui l’opposait à d’autres moines de l’Athos à propos du métoque
de Mélissourgeion, l’higoumène d’Iviron Arsène présenta une requête à Théodora qui promul-
gua une première ordonnance, le tout avant juin 1056. Arsène suggéra une procédure de serment
pour régler l’affaire qui traînait ; sur un rapport du juge (juin-août), Théodora qui considérait les
droits d’Iviron comme les siens propres (l. 13) prit une ordonnance en ce sens (août 1056) ; mais
la partie adverse s’y opposa, outrageant verbalement Arsène et ses moines et cherchant à les
chasser de l’Athos (l. 33-34) ; l’impératrice menaçant de sévir, les opposants se soumirent ;
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 145

higoumène sous Théodora, ce qui conduit à placer la démission de Georges


sous le prédécesseur de celle-ci, le « roi » Constantin Monomaque. Cette
identification convient parfaitement à ce que l’hagiographe dit du « roi » en
évoquant sa mauvaise volonté à accepter la démission de Georges en raison
de la « grande confiance » qu’il avait en lui : cela s’applique parfaitement à
Monomaque, mais nullement à Michel VI1476. J’estime donc que le « comme
nous l’avons déjà dit » ne sert pas à souligner que les deux scènes des § 37 et
39 se passent au même moment, mais qu’elles ont eu pour témoins ou acteurs
deux mêmes personnes présentes au même endroit : une fois au moment de la
démission de Georges sous Monomaque, une autre fois au moment de la mort
de Théodora, alors que Georges avait « certaines affaires » (§ 37818-819) à
régler. À l’instar du § 22 qui évoque, au milieu de développements concer-
nant l’année 1041, un miracle intervenu en 1059-1060, le paragraphe 87
évoque lui aussi un miracle, hors chronologie. Si les « certaines affaires » qui
exigeaient la présence de Georges à Constantinople avaient été sa démission,
je pense que la formule aurait été différente, mais, pour ne pas user d’un argu-
ment a silentio, on remarquera surtout que Georges avait de bonnes raisons
d’être à Constantinople en septembre 1056, alors que le dossier du métoque
de Mélissourgeion, que son higouménat n’avait pas réussi à régler et qui avait
mis son successeur Arsène dans les pires ennuis, évoluait vers sa conclusion.
C’est donc sous Monomaque que Georges démissionna à une date anté-
rieure à janvier 1055 et que je ne peux préciser ; par hypothèse je retiendrai
1054, avant ou pendant le brouhaha de la crise entre Michel Cérulaire et
Humbert de Moyenmoutiers, mais j’y reviendrai plus loin ; cette démission
fut définitive1477. Le roi Bagrat’ rentra en Géorgie vers la fin du règne du
même empereur1478.
L’higouménat de Georges dura donc une dizaine d’années environ :
1044/1045-1054. La Vie de Georges a retenu de cette période certains aspects

l’acte no 31 de septembre 1056 entérine leur soumission et rend le métoque aux Ibères. Après
cette date et avant 1062 env., des dissensions s’étant produites à l’intérieur d’Iviron, les moines
de Mélissourgeion tentèrent de se rebeller ; Nicéphore duc de Thessalonique donna raison aux
Ibères ; les moines de Mélissourgeion ayant fait appel à Constantin X Doukas, une ordonnance
de l’empereur trancha en faveur d’Iviron en décembre 1062 (acte no 36, ibid., p. 105-107). En
1063 l’acte no 37 qui résume toute l’affaire est la copie d’une ordonnance qui fut adressée au
duc Théodore sur ce sujet. Voir aussi ibid., p. 21-22 et Iviron, I, p. 44, 48, 55 ; la propriété des
Ibères sur ce métoque, usurpée depuis 1030, avait déjà fait l’objet d’une procédure restée
inachevée sous Constantin IX.
1476. Voir § 30679-680, où l’hagiographe parle de la grande confiance de l’empereur pour
Georges aux prières duquel il se fiait. Les deux hommes se connaissaient depuis au moins 1045
et les trois commémoraisons instituées par Georges III pour Monomaque attestent les faveurs de
l’empereur pour Iviron et la reconnaissance de l’higoumène ; voir plus bas, p. 148-149 et
n. 1486-1488. On ne peut rien dire de tel de Michel VI, empereur imprévu.
1477. MET’REVELI, Normes, p. 218, pense que la liberté accordée par l’empereur était tempo-
raire « et prévoyait le retour de Georges à l’Athos dans ses fonctions de supérieur » ; son hypo-
thèse est fondée sur une interprétation du § 791621 que je partage d’autant moins (voir n. 1054)
qu’en droit canon un higoumène qui a démissionné ne peut reprendre sa fonction.
1478. Voir plus haut, p. 25 et n. 173.
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146 BERNADETTE MARTIN-HISARD

et donné quelques jalons chronologiques, en présentant ce qui semble avoir


été trois phases successives de son action. Dans un premier temps, l’higou-
mène mena à son terme le travail commencé comme ecclésiarque en réalisant
le martyrium des fondateurs, ce qui lui permit de mettre un point final à la Vie
de Jean et Euthyme, et en achevant la construction de l’église. Il profita dans
un deuxième temps de la présence du roi Bagrat’ et de sa mère Marie à
Constantinople pour obtenir quatre chrysobulles en faveur du monastère. Le
dernier temps passa à la gestion du monastère.

LES FONDATEURS ET LA MÈRE DE DIEU


On se reportera aux notes de la traduction en ce qui concerne les premiers
actes de l’higoumène, c’est-à-dire la réalisation dans la partie droite du narthex
de l’église du martyrium d’Euthyme, avec ses ornements et un luminaire per-
manent (§ 27 et 29668-671)1479, dans lequel furent déposés ensuite son père Jean
(§ 29659-660) et les restes laborieusement retrouvés des premiers traducteurs,
Arsène et Jean (§ 29660-667) ; la partie gauche du narthex garda le monument qui
abritait Georges Ier. L’église vit également l’achèvement du nouveau narthex
extérieur et la pose d’une couverture en plomb (§ 30687-688)1480.
Désormais quiconque entrait dans l’église principale du monastère, agran-
die, embellie et unifiée par son pavement, ne pouvait accéder au naos de
l’église, une fois franchi le narthex et vénérée l’icône de la Mère de Dieu1481,
sans passer par un lieu de mémoire, l’ancien narthex réaménagé en fonction
des fondateurs, dans lequel l’appartenance historique du lieu aux Géorgiens
était proclamée et pour tout dire affichée par le martyrium auquel faisait dis-
crètement écho le monument funéraire de Georges Ier. Le culte de la Mère de
Dieu était ainsi associé au culte des fondateurs comme pour souligner les
liens spéciaux tissés entre la Mère de Dieu et les Géorgiens. Après la mort de
Georges III, l’icône qui fut peinte à dessein et placée sur son tombeau devait
traduire ce lien en image (§ 99), et à bon droit, car Georges, de son vivant,
avait contribué à diffuser, enregistrer et confirmer par écrit ce qui n’était
encore que traditions orales sur l’existence d’un rapport particulier entre la
Théotokos et les Géorgiens.
La Vie de Jean et Euthyme place un miracle de la Mère de Dieu aux ori-
gines de l’œuvre d’Euthyme. Alors qu’il n’était encore qu’un jeune enfant qui
parlait essentiellement grec parce qu’il revenait tout juste de Constantinople
où il avait vécu en otage, Euthyme tomba malade ; il se trouvait à l’article de
la mort lorsque, raconte-t-il à son père :
Une dame pleine de majesté s’est présentée à mes yeux et m’a dit en géorgien :
« Qu’y a-t-il, Euthyme ? De quoi souffres-tu ? ». Et je lui ai dit : « Madame, je vais
mourir ! ». Et comme je disais cela, elle s’est approchée de moi, m’a pris la main

1479. Voir aussi Vie de Jean et Euthyme, § 90.


1480. Voir plus haut, n. 1462.
1481. Je ne sais pas si elle fut déplacée de la porte de l’ancien narthex à la porte du nouveau.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 147

et m’a dit : « Tu n’es plus malade, lève-toi, n’aie pas peur et parle géorgien cou-
ramment ». Et tu vois, je ne suis plus du tout malade.
Et Jean de commenter :
Il avait jusqu’alors parlé géorgien péniblement, ce qui me chagrinait ; mais, à par-
tir de ce moment, il s’exprima sans hésitation, comme une source jaillissante, avec
plus de pureté que n’importe quel Ibère1482.
Ce récit ne figure pas dans la version courte de la Vie d’Euthyme qui est
l’une des principales additions faites par l’ecclésiarque Georges à sa traduction
du Synaxaire. Il doit donc faire partie des fioretti que Georges recueillit à son
arrivée et qui devaient circuler sur le compte du Nouveau Chrysostome (§
19469), à moins qu’il ne l’ait tenu de Georges le Reclus. En effet, d’après notre
hagiographe, le Reclus en aurait fait usage pour pousser Georges à partir sur
l’Athos (§ 19450-451) ; naturellement cet épisode peut faire partie de ce que j’ap-
pellerai la légende du Reclus et rien ne garantit qu’il ait effectivement prononcé
les paroles qui lui sont prêtées, rien sinon peut-être un colophon de manus-
crit1483. Cependant le passage prouve l’importance que le récit de ce miracle
avait prise ou allait prendre ; en effet ce miracle grâce auquel, selon l’hagio-
graphe, le Reclus entendait placer la mission dévolue à Georges sous la protec-
tion de la Mère de Dieu se retrouvera évoqué une nouvelle fois lorsque l’heure
sera venue pour le biographe de Georges de clore cette mission et d’en faire le
bilan (§ 99). Or, au-delà d’une évidente piété mariale, le miracle était d’impor-
tance nationale, car il est double : d’une part Euthyme échappa à la mort et
d’autre part il parla désormais couramment et de manière parfaitement pure le
géorgien, langue dont la maîtrise lui fut communiquée par la Mère de Dieu qui
avait choisi de s’adresser dans cette langue au petit hellénophone qu’il était.
L’ecclésiarque s’empara de ce miracle découvert auprès du Reclus ou
auprès des derniers disciples d’Euthyme et en fit un exemplum à valeur pro-
phétique, car si l’origine de ce fioretto nous échappe, c’est bien Georges qui,
tout en donnant au récit de la guérison d’Euthyme et de ses nouvelles apti-
tudes linguistiques une forme écrite dans la Vie de Jean et Euthyme, fonda
une autre tradition selon laquelle c’était encore la Mère de Dieu qui, en 1042,
avait fait échapper à la mort la communauté géorgienne et sa langue. Le
Mémoire qui entérine la fin de la crise justifie, me semble-t-il, cette interpré-
tation, car la communauté y fit enregistrer que la victoire finale des Ibères
était l’expression et le fruit de la volonté même de la Mère de Dieu, se pro-
nonçant en faveur des étrangers et leur réservant son église pour qu’ils y
chantent leur louange en géorgien et non en grec :
Leur tentative n’aboutit pas ; car la sainte Mère de Dieu nous fit don, à nous
pauvres, du glorieux temple de sa gloire. Sans cesse elle combat pour nous et nous
protège, nous qui sommes ses indignes laudateurs étrangers et son troupeau1484.

1482. Vie de Jean et Euthyme, § 23520-529.


1483. Voir plus bas, n. 1511.
1484. Vie de Jean et Euthyme, § 871431-1434 ; voir aussi § 841323-1324. En 1079, Nicéphore
Botaniate devait définir les Ibères comme des alloglôssoi : Iviron, II, acte no 4149.
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148 BERNADETTE MARTIN-HISARD

C’est bien ce que le Reclus avait annoncé à son disciple en l’envoyant :


« La Mère de Dieu est capable de t’aider toi aussi, car elle aime notre peuple »
(§ 19452).
Dans l’interprétation qu’en propose l’hagiographe, toute l’œuvre de
Georges, merveilleusement annoncée par le Reclus, a donc tendu à faire de
l’église du monastère, justement devenu Iviron, le reposoir d’une langue
géorgienne parfaite, voulue et adoptée dès les origines par la Mère de Dieu.
C’est pourquoi, me semble-t-il, il a surtout insisté sur les traductions de textes
liturgiques, notamment les hymnes à la Mère de Dieu (§ 992073-2074), et sur le
culte d’Euthyme et des pères fondateurs. Mais l’hagiographe va plus loin
comme le montre son insistance à rapprocher Georges du grand-prêtre
Aaron : au § 23, quand il le compare, devenu prêtre et ecclésiarque, au grand-
prêtre établi dans le Saint des Saints ; au § 27, quand il le montre introduisant
dans tout son apparat sacerdotal les reliques d’Euthyme telle l’arche sainte
dans l’église ; dans la conclusion du § 102 enfin lorsque, dans un exercice de
style compliqué et déroutant, il évoque le grand-prêtre et les ornements de son
pectoral quand il entrait dans le Saint des Saints.
Si Georges fut un Aaron, son Saint des Saints fut l’église de la Mère de
Dieu.

CONSTANTINOPLE ET LES CHRYSOBULLES


L’hagiographe a comparativement donné moins de place aux aspects plus
concrets de la gestion du monastère. Dans la présentation de l’higouménat de
Georges, il a accordé la priorité à la traduction concrète du culte des fonda-
teurs dans l’église de la Mère de Dieu et il est probable que l’higoumène y
consacra ses premiers efforts ; ce ne fut toutefois pas au point d’exclure
d’autres activités, comme la participation en septembre 1045 à la réunion des
higoumènes de l’Athos à Karyès, qui entérina le Typikon octroyé par
Constantin Monomaque1485. De cela l’hagiographe ne parle pas, préférant
mettre l’accent sur ce qu’il présente comme la seconde affaire de l’higoumé-
nat, l’obtention de chrysobulles pour le monastère ; il y en eut quatre qui font
l’objet des § 31 et 32 ; dans le détail, on se reportera aux notes qui accompa-
gnent la traduction.
L’octroi de ces chrysobulles par l’empereur Constantin Monomaque
explique les trois commémoraisons que l’higoumène Georges institua en sa
faveur, toutes trois à des jours particulièrement sacrés : le 6 janvier, fête du
Baptême du Christ et de l’Épiphanie1486, le jour de l’Ascension1487 et enfin le 6

1485. Voir plus haut, p. 143 et n. 1468.


1486. Synodikon, no 27 (éd., p. 221-222) : « Au mois de janvier, le 6, fête du Baptême, nous
avons institué une commémoraison de Constantin Monomaque ; il a fait tout un solemnion en
notre faveur et nous a délivrés du fisc (dèmosion)… ».
1487. La même commémoraison no 27 ajoute encore : « Nous avons également institué <le
jour de> l’Ascension pour une commémoraison du même en raison de ses bienfaits ».
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 149

août, jour de la Transfiguration1488 ; la première a une motivation précise,


mais les deux autres exaltent de manière générale les bienfaits de l’empereur,
au nombre desquels, par exemple, on peut faire figurer la couverture de
l’église ou encore la confirmation des chrysobulles antérieurs (§ 31692-693).
Cette confirmation fit l’objet d’un chrysobulle, ou d’une partie de chryso-
bulle, dont le texte n’a pas été conservé1489. Si Georges la demande à
Monomaque, c’est que son prédécesseur Étienne avait négligé de le faire
comme il eût été normal à l’avènement d’un nouvel empereur ; il n’est pas sûr
que cela ait été fait lors de l’avènement de Michel IV et de Michel V.
Les trois autres chrysobulles sont présentés les uns à la suite des autres,
sans précision de date ; au total ils apportèrent un revenu de trois livres à
Iviron « à perpétuité, fermement et immuablement » (§ 32717-718), leur obten-
tion mettant en jeu des intermédiaires géorgiens, au premier rang desquels le
roi Bagrat’ et la reine Marie dont Georges sut mettre à profit la venue à
Constantinople (§ 31698-699).
Au point de départ du premier chrysobulle il y a un fait précis que l’hagio-
graphe évoque d’une phrase : « Nos proasteia se trouvaient de nouveau fort
écrasés à cause du fisc », ce qui renvoie à la nouvelle assiette de l’impôt, plus
lourde, établie par un recenseur en 1047 à la demande de l’empereur et gre-
vant les biens d’Iviron sis à l’extérieur de l’Athos1490 ; le chrysobulle accordé
par l’empereur Monomaque joua de mécanismes fiscaux bien rodés (solem-
nion et dochè) pour que l’impôt soit payé sans qu’Iviron ait rien à débourser
et sans que les agents du fisc aient à pénétrer sur son territoire1491. À la solu-
tion de ce problème contribuèrent le roi Bagrat’ et les deux aristocrates géor-
giens que nous connaissons bien, P’et’rik’ et son frère Jean, comme le montre
la commémoraison établie en faveur de ces derniers1492 ; Bagrat’ fit l’objet
d’une commémoraison plus générale1493. Les deux autres chrysobulles
octroyaient chacun une rente d’une livre au monastère ; l’obtention du pre-
mier est attribuée à la reine Marie, appuyée par P’et’rik’ et Jean1494 ; le second
à Parsman, qui devint Arsène1495. Une commémoraison particulièrement

1488. Ibid., no 99 (éd., p. 240) : « Au mois d’août, le 6, nous avons institué une commémo-
raison pour Constantin Monomaque à cause des bienfaits qu’il nous a rendus ».
1489. Regesten2, no 885a, qui le date de ca. 1048, considère que ce chrysobulle de confirma-
tion est aussi celui qui règle la question de l’augmentation des impôts d’Iviron (voir n. 1491).
1490. Voir § 31696-697 et n. 599 ; acte d’Iviron no 29 : Iviron, I, p. 251-261.
1491. § 31 n. 602-604 ; voir Iviron, I, p. 55-57 ; Regesten2, no 885a, avec datation de
ca. 1048 (voir n. 1489).
1492. Synodikon, no 15 (éd., p. 219-220), au 13 décembre : « Au 13 décembre, nous avons
décrété une commémoraison pour Petrik’ et son frère Jean lorsque la reine, mère de Bagrat’, a
institué en notre faveur un solemnion et que Bagrat’ nous a libérés de l’impôt, ces deux grands
actes ont été obtenus grâce à leur présence et à leurs efforts ». Voir Iviron, II, p. 7 et 58.
1493. Synodikon, no 90 (éd., p. 239) : « Au mois de juillet, le 20, nous avons institué une
commémoraison pour Bagrat’ curopalate ; qu’elle soit accomplie avec les prières et la liturgie et
tout ce qui réconforte les frères pour sa mémoire éternellement ».
1494. § 32710-712 et n. 606 ; Regesten2, no 885b qui le date de ca. 1048. Le rôle des deux frères
est évoqué dans leur commémoraison (voir n. 1492).
1495. § 32712-715 et n. 608 ; Regesten2, no 928c sans date.
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150 BERNADETTE MARTIN-HISARD

solennelle fut instituée pour la reine Marie un jour vénérable entre tous, le
15 août1496. Arsène en revanche ne bénéficia de rien, nous y reviendrons.
Une fois les chrysobulles évoqués et après la longue évocation d’un
miracle (§ 33-35) qui intervint « à l’époque où le roi Bagrat’ était dans la Ville
royale » (§ 33732), l’hagiographe ajoute : « Puis <Georges> revint dans sa
laure où les frères l’accueillirent avec beaucoup de joie et d’amour. Et il gou-
verna et dirigea le monastère pendant un certain temps » (§ 35782-783). Cette
formule soulève un problème : ou bien elle met fin au seul récit du miracle et
on ignore alors pourquoi Georges était venu dans la capitale, la réjouissance
des frères est une formule générale et banale et les chrysobulles précédem-
ment présentés ont pu être obtenus en ordre dispersé ; ou bien la formule
marque la fin d’une période commencée avec la demande et l’obtention des
chrysobulles et l’on comprend la joie de la communauté au retour de son
higoumène porteur de bonnes nouvelles ; c’est cette seconde interprétation
que j’explorerai pour essayer de déterminer la période dont il s’agit et en tirer
quelques conséquences.
L’acte de confirmation des chrysobulles antérieurs peut avoir précédé les
autres, mais Georges devenu higoumène n’a pas dû attendre de nombreuses
années pour la demander, une telle confirmation étant d’autant plus urgente
que la crise avait ébranlé sérieusement le monastère dont il fallait rétablir les
droits et privilèges. Des trois chrysobulles qui apportent ensemble une rente
de trois livres au monastère deux au moins sont liés à la présence de Bagrat’
et de Marie dans la Ville, ce qui peut être en 1047/1048 ou en 1052-1054.
Les éditeurs d’Iviron, I ayant écarté la possibilité d’un séjour en 1047 ont
par voie de conséquence daté ces chrysobulles de la période 1052-10541497. Je
pense qu’il s’agit de 1047/1048, date à laquelle je rattacherai également le
troisième chrysobulle qui est lié à Parsman ; c’est la datation retenue dans la
seconde édition des Regesten der Kaiserurkunden (sauf pour le dernier chry-
sobulle qu’ils ne datent pas). Le premier chrysobulle apporte une solution à
l’augmentation de l’impôt due au recensement de septembre 1047 qui avait
été demandé par Constantin Monomaque. J’ai du mal à imaginer que l’higou-
mène ait attendu sept ans pour faire régler la question dans le sens des intérêts
du monastère ; la venue du roi Bagrat’ offrait une circonstance favorable, et
comme il semble avoir été plutôt en position de force puisque son séjour se
traduisit par la confirmation de son autorité, mise en cause par Lip’arit’1498,
une intervention en faveur d’un chrysobulle est particulièrement crédible :
1047/1048 me paraît donc une datation raisonnable. Comme l’obtention du
premier chrysobulle et celle du second ont été négociées par les frères
P’et’rik’ et Jean et qu’ils sont remerciés pour les deux dans une seule et même

1496. Synodikon, no 100 (éd., p. 240-241) : « Mois d’août, le 15, fête de Marie. La reine
Marie, mère du curopalate Bagrat’, a fait faire pour nous un solemnion d’une livre par le roi des
Grecs pour sa prière et sa mémoire éternelle et nous avons institué pour elle ce jour comme
commémoraison, de la même manière que pour nos fondateurs et nos rois… ».
1497. Iviron, I, p. 52 n. 3 et p. 57 ; voir plus haut, p. 24 et n. 163.
1498. Voir plus haut, p. 22-24.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 151

commémoraison1499, on peut rapprocher dans le temps les deux actes. On peut


même proposer une datation vers la fin de l’année 1047 ; en effet les frères
sont commémorés le 20 décembre, l’empereur en un jour plus saint mais rap-
proché, le 6 janvier. Si cette suggestion est bonne, on voit que Georges n’a
pas traîné, puisque le recensement était de septembre. Rien n’interdit d’attri-
buer à cette même période le chrysobulle de confirmation, voire même,
comme le proposent les éditeurs des Regesten, d’unir en un seul acte ce chry-
sobulle et le règlement de la question fiscale. Peut-être même peut-on trouver
là une explication à un irritant passage de nature chronologique de la Vie de
Georges dans lequel l’hagiographe parle d’une période de sept ans que
Georges passa à des tâches que l’on pourrait juger méprisables (§ 21499) :
entre l’arrivée de Georges sur l’Athos en 1040/1041 et son action en pleine
lumière au Palais en 1047/1048 sept ans se sont bien écoulés1500.
De cette proposition de datation découlent au moins trois faits.
1. La reine Marie aurait accompagné son fils Bagrat’ quand il vint à
Constantinople en 1047/1048 puisqu’elle est aux origines d’un chrysobulle ;
or, juste avant que celui-ci soit présenté, s’intercale un passage expliquant que
la reine Marie se fit la disciple de Georges et prit l’habit monastique et offrit
la rente d’une livre « pour la commémoraison éternelle de son âme »
(§ 32711-712), commémoraison qui fut effectivement instituée. Cela donne de la
crédibilité aux propos de Skylitzès selon lequel le conflit entre Bagrat’ et
Lip’arit’ en 1047 eut, entre autres causes, le viol de la reine par Lip’arit’1501.
Elle aurait accompagné son fils à Constantinople1502 et pris très normalement
l’habit monastique. Elle resta à Constantinople après le départ de son fils en
10541503 et je pense même qu’elle y était restée depuis 1047 et qu’elle ne ren-
tra en Géorgie qu’après la défaite définitive de Lip’arit’1504.
2. Le chrysobulle dû à Arsène pose quelque problème de datation. Arsène,
autrefois Parsman, n’est pas un inconnu pour nous puisqu’il est un membre de
la famille des fondateurs et devint higoumène après Georges1505 et jusqu’en
1061 au plus tard1506. Une commémoraison nous fait connaître les noms de

1499. Voir plus haut, n. 1492.


1500. Je n’accorde toutefois pas une valeur excessive à cette hypothèse !
1501. Voir plus haut, p. 23 et n. 161. L’entrée dans la vie monastique après un viol est sinon
de règle, du moins normal.
1502. Sa présence peut avoir contribué au succès de Bagrat’ auprès de l’empereur.
1503. Elle s’y trouvait encore en septembre 1056 (§ 37817-819). Marie pouvait être à
Constantinople pour accueillir sa petite-fille Marthe ; mais de toutes façons sa vêture ne l’empê-
chait pas de vivre dans le monde : GAUTIER, Théophylacte, p. 65, cite au moins deux cas au
11e siècle de princesses ayant pris l’habit et continuant à mener une vie active dans le monde :
Anne Dalassène et Marie d’Alanie après la mort de Nicéphore Botaniate.
1504. Voir plus bas, p. 158-159.
1505. Voir plus haut, n. 1436 et 1475.
1506. Un higoumène Théodore est attesté en octobre 1061 dans l’acte d’Iviron no 332 ;
Iviron, II, p. 88 et 90 (ou décembre, p. 18 et 61 ?). Arsène a pu mourir le 19 septembre 1061
puisque sa commémoraison au 19 septembre fut instituée le jour de sa mort : Synodikon, no 110
(éd., p. 243).
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152 BERNADETTE MARTIN-HISARD

ses parents et de ses frères1507. Lui, son frère Georges et même leur sœur1508
vivaient peut-être à Constantinople depuis un certain temps ; les deux frères
avaient été d’efficaces protecteurs du monastère dans les années de crise
durant lesquelles ils se dépensèrent en sa faveur auprès de Michel IV, ce que
le Mémoire ne manque pas de rappeler1509. Parsman peut donc être le spatha-
rocandidat et taxiarque Pharsman mentionné dans le manuscrit grec 4378
d’Iviron, daté de septembre 10431510 ; il serait donc à cette date encore laïc. Il
entra dans la vie monastique à l’époque où Georges était ecclésiarque ; en
effet Georges le Reclus, dans le colophon du manuscrit Iv 84 écrit durant
cette période, remercie parmi ceux qui l’ont aidé en parole ou en acte un
« Arsène qui fut Parsman » et demande que ses péchés lui soient pardonnés et
que l’on prie pour ses parents et ses frères1511 : Arsène devint donc moine
après septembre 1043 et en tout cas avant septembre 1045 et il devait être
alors dans la région d’Antioche puisque Georges le Reclus le mentionne dans
son entourage. On peut supposer qu’il vint ensuite à Constantinople et sur
l’Athos où il devint disciple de Georges1512, et ce peut être en 1047/1048 ; il
aurait alors demandé à l’empereur dont il avait été taxiarque et haut dignitaire
de transférer au monastère la rente que lui valait sa dignité1513 ; on peut com-
prendre que Georges n’ait pas institué une commémoraison pour un moine
qui se trouvait alors à Iviron.
3. Georges a pu être présent à Constantinople lorsque l’arrivée en 1048
des Arméniens qui accompagnaient le catholicos Petros suscita des débats
religieux qui conduisirent Nicétas Stéthatos à composer un Traité en cinq
livres contre les Arméniens ; on en trouvera un écho en 10651514.
Quoi qu’il en soit, la datation de 1047/1048 ainsi proposée conduit à voir
dans le contenu des § 31 et 32 des faits relevant d’une même unité chronolo-

1507. Synodikon, no 37 (éd., p. 225) : la commémoraison est instituée pour « Sula, père de
Parsman et de Čorčaneli et de Konkozi et de Cuari ».
1508. Elle se trouve en tout cas à Constantinople en 1065 (§ 93). C’est peut-être elle qui
apparaît au verso de l’acte no 26 d’Iviron, daté de 1042, comme une bienfaitrice d’Iviron :
Iviron, I, p. 240-241 et 55 ; Iviron, II, p. 18 n. 10.
1509. Vie de Jean et Euthyme, § 85 : « Dieu nous suscita <à Constantinople> des protecteurs
qui nous soutinrent, ainsi par exemple les frères aimés du Christ, Čorčaneli et Parsman, qui
étendirent sur nous une main pleine de bonté ».
1510. Iviron, I, p. 46 et n. 2 ; LAMPROS, Catalogue, II, p. 67.
1511. Voir plus haut, p. 12 et n. 43 ; GARITTE, Marthe, p. III-VIII : dans le long colophon du
folio qui suit la Vie de Marthe et qui est tout entier de la même main que le texte, le commandi-
taire Georges le Reclus dit avoir voulu offrir au monastère athonite un livre qui ne s’y trouvait
pas ; plus loin il évoque la prière d’Euthyme grâce à laquelle la Mère de Dieu a ouvert la bouche
de l’ecclésiarque Georges qu’il loue pour son obéissance (voir p. 12 n. 45) ; enfin il loue parmi
ses collaborateurs « Arsène qui fut Parsman » ; GARITTE, Marthe, p. VIII, date la copie des années
durant lesquelles Georges fut ecclésiarque, « vers les années 1042-1045 ».
1512. On notera que la Vie de Georges dit d’Arsène au § 32712 qu’il se fit le disciple de
Georges, non pas qu’il devint moine puisqu’il l’était déjà (de fait elle l’appelle alors Arsène) à la
différence de la reine Marie dont il est dit qu’elle devint disciple de Georges et reçut la bénédic-
tion monastique.
1513. Voir plus haut, p. 61 et n. 608.
1514. Voir plus bas, p. 183 et n. 1685.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 153

gique et à considérer que le chrysobulle lié à Arsène a été accordé à ce


moment.
Le miracle qui fait l’objet des § 33-35 s’interpose entre les chrysobulles et
la phrase évoquant le retour de Georges sur la Montagne et je n’ai pas de rai-
son de ne pas le dater de cette même période, car, à la différence des deux
autres miracles qui suivent, il a pour objet la manifestation de Georges devant
l’empereur Monomaque et le roi Bagrat’ (§ 34766-767) qui lui propose vaine-
ment le siège vacant de Č’q’ondidi (§ 35776-779). Il marque ainsi la fin de ce
qu’on pourrait appeler la vie publique de Georges. Je noterai simplement ici
qu’il tranche par la longueur et le caractère vivant de l’exposition sur les pas-
sages qui l’entourent.
Ensuite, et sans luxe de détails, l’hagiographe revient à la gestion du
monastère. Sans doute « des affaires urgentes et de son ressort » (§ 38831) ont-
elles plus tard encore appelé Georges à Constantinople, comme on l’apprend
incidemment (§ 36797-798) ; mais l’hagiographe n’en a rien appris et, s’il en a
appris quelque chose, il n’a pas jugé utile d’en parler, l’important étant désor-
mais acquis : à l’abri de la faveur impériale la permanence du monastère est
de nouveau assurée et garantie ; la seule étape digne d’être signalée ensuite
sera sous Constantin X l’obtention d’un nouveau chrysobulle définissant le
monastère comme « indépendant et exempt »1515. Nous ignorons donc ce que
Georges connut de la crise de 1054 entre Grecs et Latins.

GRANDS MODÈLES BIBLIQUES ET MIRACLES


L’hagiographe a peu à dire sur la direction par Georges de la communauté
du monastère et sur sa vie monastique elle-même. Si l’on a appris incidem-
ment qu’« il ajouta de forts nombreux domaines aux proasteia du monastère »
(§ 31694), pour le reste on sait qu’« il dirigea et gouverna le monastère »
(§ 35782), qu’« il gouvernait les affaires monastiques, dirigeait et régissait la
vie des frères » (§ 38832), ce qui signifiait à l’évidence, et comme il l’avait
pressenti, « troubles et tracas » (§ 39845) et la quasi-impossibilité de continuer
à faire des traductions (§ 38834). Bien qu’il en ait effectué (§ 38839), je suis
incapable de savoir ce qu’il traduisit. Georges revécut donc l’expérience
d’Euthyme qui démissionna pour la même raison après plus de quatorze ans
d’higouménat1516.
Au § 25, l’hagiographe a tenté d’esquisser un portrait de Georges, devenu
higoumène, mais, incapable de décrire la rudesse de ses combats et de son
ascèse (ou dans l’impossibilité de le faire par manque d’informations) et,
après une brève remarque sur son régime alimentaire et son vêtement, il
résume ainsi l’ensemble : « Il amassa en lui toutes les vertus et s’offrit en
modèle pour tous. Il n’instruisit pas par des paroles, mais il montra par des
actes à ses ouailles les chemins de la vie éternelle », ce qu’il fit, ajoute l’au-

1515. Voir § 911940.


1516. Vie de Jean et Euthyme, § 751203-1210 ; Euthyme exerça seul la fonction d’higoumène
pendant quatorze ans, mais son père Jean l’avait de son vivant déjà associé à sa charge.
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154 BERNADETTE MARTIN-HISARD

teur, en suivant en tout les prescriptions d’Euthyme (§ 25593). Nous n’en sau-
rons pas davantage : le moine et higoumène Georges se dissimule derrière les
personnages bibliques auxquels son hagiographe le compare, à la fin de la
Vie, dans son § 100 [4] : David, Salomon, Moïse, Samuel, Joseph, Daniel,
Jean-Baptiste, Jean l’Évangéliste, c’est-à-dire qu’il fut pacifique, sage, sans
rancune, pur, saint, voyant de l’invisible, amoureux du désert, vierge.
Ces rapprochements ne concernent pas spécifiquement les années atho-
nites de Georges. Cependant j’ai retenu dans cette liste « sans rancune comme
Moïse » parce que la formule m’a paru peu habituelle. Plusieurs épisodes de
la vie de Moïse ont pu valoir à celui-ci le qualificatif de non rancunier1517 et la
comparaison de l’hagiographe peut s’appliquer à la période syrienne où
Georges ne tint pas rigueur à ceux qui mirent en question l’orthodoxie et la
légalité des Géorgiens ; mais c’est pourtant dans les années athonites que,
guide de la communauté, il peut être le mieux rapproché de Moïse. Or, parmi
les choses qui frappent dans le récit hagiographique, il y a la façon d’évoquer
la communauté des frères que Georges gouvernait comme un ensemble : il est
question de ses ouailles (§ 26585), de ses brebis humaines (§ 39847-848), des
frères en général (§ 35781), de tous les frères (§ 38835, 39850) ; et, si j’ai bien
relevé que les années athonites de Georges furent celles où le monastère de la
Mère de Dieu tou Klémentos devint le monastère des Ibères, cette transforma-
tion n’est pas explicite dans la Vie de Georges et l’on est même frappé de
l’absence de toute mention des Grecs ; pourtant il ne s’agit pas d’un rejet ni
d’une damnatio memoriae, car il n’est pas non plus question des Ibères en
particulier. Lorsque l’hagiographe parle de « notre peuple », c’est dans des
passages généraux qui n’appartiennent pas à la période athonite (§ 3139,
19452.459.466) ou dans la période syrienne. La comparaison avec Moïse peut
signifier simplement que Georges eut le souci de rassembler la communauté
après les années de division qu’elle avait traversées, sans esprit de
« revanche », sans rancune. On ignore complètement comment se fit le
rééquilibrage numérique des uns et des autres et même s’il se fit ; on sait bien
que des tensions continuèrent à exister entre Grecs et Ibères, comme le prou-
vent la durée et certains épisodes de l’affaire du métoque de Mélissourgeion.
Mais Georges est au-dessus ; du moins est-ce ainsi que son hagiographe le fait
apparaître.
Et il convient ici de rappeler que rien dans la formation de Georges ne le
prédisposait à un comportement de rejet des Grecs et de leur culture.
L’apprentissage de la langue amorcée dans la maison de Phersès (§ 12329-330),
les douze années passées à fréquenter philosophes et rhéteurs grecs à
Constantinope (§ 13347-349) lui avaient donné une culture et un savoir bien vite
notés par le Reclus (§ 17421, 18447) et qui firent de lui non seulement un moine

1517. Il peut s’agir du pardon que Moïse sollicite auprès de Yahvé en faveur de Miryam
devenue lépreuse, à la suite de sa révolte avec Aaron contre Moïse (Nb 12) ou de son interces-
sion en faveur du peuple qui envisageait de le lapider (Nb 14) ou de son intercession en faveur
de la communauté après la révolte de Coré, Dataân et Abiran (Nb 16, notamment v. 22).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 155

bilingue (§ 481004-1006), mais un moine géorgien de culture grecque (§ 491013) et


même de manières grecques (§ 751560).
On fera une dernière remarque concernant les miracles, non pour les com-
menter, mais pour noter en reprenant ce qui a été dit plus haut ce qui les
caractérise. Tous, et on peut étendre la remarque à tous ceux que la Vie rap-
porte encore ailleurs (§ 7 et 8, 16 et 20, 95 et 97, 100), ont pour trait commun
le caractère vivant du récit, les paroles rapportées au style direct, les gestes
décrits, les sentiments suggérés ; certains ont été transmis par Georges ; ce
n’est pas le cas de tous et l’hagiographe a dû puiser à un fonds d’anecdotes
qui circulaient à Iviron. Je me demande s’ils ne constituaient pas les éléments
d’un livre des miracles de Georges, livre qui ne vit pas le jour.
Entre la démission d’Euthyme et celle de Georges, il y a des différences.
Celle d’Euthyme lui fut suggérée par deux frères qui étaient ses proches col-
laborateurs au scriptorium, Arsène de Ninoc’mida et Jean Grdzelisdze, et il
resta ensuite à Iviron après avoir désigné son successeur. La démission de
Georges est présentée comme venant de lui seul, sans désignation d’un suc-
cesseur, avec départ immédiat et transfert en Syrie non sans avoir laissé à
Iviron tous les textes de ses traductions (§ 38). Cette fois Georges le Reclus
ne le réprouva pas ; il est vrai qu’il se trouvait devant un fait accompli.
La question de savoir pourquoi il ne resta pas à Iviron peut recevoir des
réponses diverses. La première et la plus immédiate est la volonté de couper
net avec le passé et de laisser la place à Arsène. La seconde est à chercher du
côté de l’état du scriptorium : depuis la mort d’Euthyme je n’en connais
aucun copiste ou traducteur actif, mais la fin du catalogage des manuscrits
géorgiens du fonds d’Iviron pourrait apporter des précisions sur ce point. Si
Georges en partant a laissé à Iviron ses manuscrits, c’est peut-être que per-
sonne n’avait pu encore ou su les recopier. Une troisième raison est à cher-
cher dans l’affirmation de la Syrie du Nord, depuis le rétablissement de la
domination byzantine, comme une grande région de traductions associant des
équipes de traducteurs de langues diverses1518.
Sur les années athonites de Georges, nous avons quatre jugements. Le sien
d’abord qu’il exposa dans le colophon d’un manuscrit copié à Antioche :
<Euthyme> fut après Dieu et la sainte Mère de Dieu mon protecteur et mon aide
et son esprit saint sait que j’ai servi fidèlement pendant de nombreuses années son
tombeau et le monastère qu’il fonda sur la Sainte Montagne…1519.
Le second jugement est celui de l’hagiographe qui trouve justifiée la dépo-
sition de la dépouille de Georges III avec celle de Georges Ier (§ 982050-2051) :
Nous le déposâmes comme un vrai second constructeur et décorateur de l’église.

1518. Signalons ici l’intérêt des pistes ouvertes en ce domaine par Francesco D’Aiuto.
1519. Colophon du manuscrit Iv 45 (un P’arak’lit’on traduit et copié dans la région
d’Antioche) : BLAKE, Iviron 2, p. 238 ; DJOBADZE, Materials, p. 37.
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156 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Le troisième est celui des commanditaires de l’icône qui fut placée sur son
tombeau, tout particulièrement les deux frères P’et’rik’ et Jean (§ 992062), qui
firent représenter Euthyme et lui (§ 992064) :
en orants et intercesseurs pour nous devant la sainte Mère de Dieu1520.
Le quatrième jugement est celui que porta l’higoumène Georges IV en ins-
crivant au 30 juin, peut-être dès après sa mort et sa déposition dans l’église de
la Mère de Dieu, la commémoraison suivante :
<Mois de juin, le 30 : la commémoraison est celle de notre saint père Georges le
Traducteur, comme il est écrit pour le Syncelle et pour Jean père d’Euthyme et
pour le grand Georges… Moi, le père Georges, je l’ai instituée à cause des livres
qu’il a laissés à cette église, pour sa mémoire éternelle1521.
Cette commémoraison ressemble si bien à celles qui avaient été établies
pour les membres de la famille des fondateurs que l’on peut se demander si
Georges ne leur était pas en quelque manière lié, ce qui constituerait une nou-
velle clé de son histoire.

LES ANNÉES SYRIENNES


(1055-JUILLET 1059)

Arrivé dans la région d’Antioche au plus tard au début de l’année 1055,


mais peut-être plus tôt dans l’année 1054, Georges en repartit peu avant le
pillage de Sébasté par les Turcs en juillet 10591522. Sa présence coïncide donc
avec les patriarcats de Pierre III (août 1052-juillet 1057) et de Théodose III
(août 1057-après le 4 avril 1059)1523. Une étude décisive d’E. Met’reveli a
permis d’écarter l’hypothèse d’un patriarche intermédiaire, Jean IV, autrefois
formulée par P. Peeters et reprise par V. Grumel1524. La Vie de Georges cite
explicitement Pierre III (§ 46961 et 521091) et Théodose III (§ 47975).
La Vie de Georges n’ignore pas l’existence des ducs d’Antioche, qu’elle
appelle tavadi ou mtavari (archonte)1525, mais aussi duc1526 ; elle les évoque à
deux reprises, mais de manière anonyme, d’abord à propos du pèlerinage pro-
jeté par la reine Marie peu après l’arrivée de Georges (§ 40863), ensuite au

1520. L’ensemble de la description de l’icône est important sur ce point.


1521. Synodikon, no 87 (éd., p. 238).
1522. Voir § 56 n. 832 et 841.
1523. GRUMEL, Patriarcat, p. 142-144 ; TODT, Region, p. 693-696. Sa dernière mention est du
7 avril 1059 (voir plus haut, n. 821) et l’on ignore quand débuta le patriarcat de son successeur
Émilien.
1524. J’ai étudié ce dossier dans MARTIN-HISARD, Pierre III. PEETERS, p. 112, § 46 et n. 3,
avait affirmé autrefois l’existence de ce patriarche sur la base d’une mauvaise édition de la Vie
de Georges (voir § 46961 et n. 734) ; V. Grumel reprit et développa cette affirmation dans plu-
sieurs articles successifs (GRUMEL, Patriarches, p. 284-286 ; IDEM, Jean, p. 161-163). L’étude
décisive est celle de MET’REVELI, Jean.
1525. Voir § 40 et n. 668 et 670.
1526. Voir § 541137 et n. 821.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 157

moment du départ de Georges en juin/juillet 1059 (§ 541137). Dans le premier


cas, il s’agit sans aucun doute de Katakalon Kékauménos, nommé dès son
accession au pouvoir par Théodora pour remplacer le duc Romanos
Sklèros1527. Il fut relevé de ses fonctions à l’automne 1056 par Michel VI au
profit de son neveu, Michel Ouranos1528, qui fut lui-même démis en septembre
1057 à l’avènement d’Isaac Comnène. La liste et les dates des ducs sont
ensuite fragiles1529, la seule certitude étant la mention du duc Adrien en avril
10591530.
L’arrivée de Georges en 1055 eut lieu dans une période délicate pour le
duché en raison du refroidissement intervenu dès le début du règne de
Théodora dans les relations entre Constantinople et les Fatimides1531. Une ten-
sion se produisit entre janvier et la fin du mois de mars 10551532, entraînant
l’envoi par le calife fatimide al-Mustansir (1036-1094) d’une armée contre le
port de Laodicée ; le commandant de l’armée, Ibn Mulhim Makīn al-dawla,
déploya ses troupes jusqu’à Apamée et dans la région d’Antioche, faisant
force prisonniers et pillages ; Constantinople mobilisa une flotte ; mais après
plusieurs engagements, l’armée fatimide fut battue et son commandant fait
prisonnier en Rabī I 447 H (2 avril 1055-20 mars 1056)1533, ce qui entraîna
toujours en 447 H une ambassade d’al-Mustansir à Constantinople, laquelle
s’avéra vaine1534. Les événements ultérieurs sont plus difficiles à dater ; on
sait que Théodora noua des contacts avec les Seldjoukides dans les mois qui
suivirent de la même année 4471535 et que, par réaction, al-Mustansir se saisit
des trésors du Saint-Sépulcre ; l’apparition en Syrie du Nord de premières
bandes turcomanes date aussi de 4471536. Un semblant de paix avec al-
Mustansir se rétablit en juin 1056 et les relations entre Constantinople et

1527. TODT, Region, p. 301-303. Il avait été précédemment gouverneur d’Ani et duc d’Ibérie
de 1045/1046 à 1048/1049 : voir n. 155.
1528. Ibid., p. 303 : automne 1056-automne 1057.
1529. Romanos Sklèros a pu être duc de nouveau de 1057 à 1059 ou de 1059 à 1060/1063,
un Johannes de 1060 à 1063 : ibid., p. 300 et 335-337.
1530. Voir plus haut, § 54 n. 821.
1531. Les événements des années 1055-1057 sont connus surtout par les deux historiens
arabes du 13e siècle, Maqrizī et Ibn Muyassar ; la discordance de leur chronologie a été résolue
par BIANQUIS, Damas, p. 566-568, dont on suivra ici les datations ; ce sont également celles de
FELIX, Byzanz, p. 119-121, mais non de TODT, Region, p. 240.
1532. Théodora, irritée de ne pas recevoir des Fatimides une aide escomptée contre ses enne-
mis internes (sans doute l’usurpation de Bryennios en janvier 1055), bloqua un convoi de vivres
à destination de l’Égypte. Voir CAHEN, Diplomatie, p. 12 ; BIANQUIS, Damas, p. 565-568 ; FELIX,
Byzanz, p. 119.
1533. Ibid., p. 120 et n. 225. En revanche TODT, Region, p. 240-241, date la campagne d’al-
Makīn du printemps 1056 et sa défaite du 24 juin 1056.
1534. FELIX, Byzanz, p. 121-122.
1535. Ibid., p. 44 et 121. Ces contacts sont simplement datés de l’année 447. Il est difficile
de savoir si Byzance avait commencé à se tourner vers les Turcs (changement de la khutba à la
mosquée de Constantinople) avant l’entrée de Toghril-beg à Bagdad en décembre 1055 ;
Regesten2, nos 929 et 929a.
1536. GIBB, KRAUS, al-Mustansir, p. 731.
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158 BERNADETTE MARTIN-HISARD

l’Égypte s’améliorèrent sous Michel VI1537. Peu de choses semblent ensuite


troubler la vie du duché jusqu’au départ de Georges en juin ou juillet 1059.
Les quatre ans et demi passés par Georges dans la région d’Antioche
offrent peu de prise à une chronologie fine. Fidèle à un plan d’apparence thé-
matique, l’hagiographe présente successivement le pèlerinage à Jérusalem
effectué par Georges pour la reine Marie (§ 40-41), ses traductions (§ 42-45),
ses entretiens avec les patriarches Pierre et Théodose (§ 46-52), enfin l’invita-
tion du roi Bagrat’ et de son entourage à venir en Géorgie (§ 53-54).
Si l’on met de côté la question des traductions qui nécessitent, je l’ai dit
plus haut, les compétences d’un philologue, ces paragraphes appellent des
précisions et explications dans quatre domaines. J’ai traité ailleurs du premier
dans un précédent article : c’est celui qui concerne la mort de Pierre III en
liaison avec l’incendie de la cathédrale d’Antioche, événements que j’ai datés
de juillet 10571538. Deux autres points sont relativement rapides à éclairer :
d’une part les dates du pèlerinage de Georges à Jérusalem et du retour de la
reine Marie en Géorgie, d’autre part la place des Géorgiens dans le monastère
de Saint-Syméon. Le plus important problème concerne les relations institu-
tionnelles entre l’Église géorgienne et le patriarcat d’Antioche, auxquelles je
consacrerai un long développement.

Le pèlerinage à Jérusalem et le départ de la reine Marie


Pour incertaine qu’elle soit, une date peut être proposée pour le pèlerinage
à partir du contexte. D’après le § 40, la reine Marie, venue à Antioche avec
un ordre royal pour se rendre à Jérusalem, se heurta à une interdiction formu-
lée par le patriarche Pierre III et le duc Katakalon Kékauménos, après consul-
tation de Georges qui accomplit le pèlerinage à sa place. Le fait que le récit
soit introduit au § 40860 par un « après cela » qui fait immédiatement suite à
l’arrivée de Georges permet déjà raisonnablement de placer le pèlerinage dès
le début de la période, en 1055. Mais c’est surtout la précision ultérieure selon
laquelle Georges « commença à traduire les saints livres », une fois le pèleri-
nage accompli (§ 41893-894), qui fait pencher dans ce sens. Certes la reine
Marie était encore à Constantinople en septembre 1056, au moment de la
mort de Théodora, et l’on pourrait penser qu’elle envisagea ensuite d’aller à
Jérusalem ; mais on se demandera alors pourquoi Georges aurait attendu la fin
de l’année 1056 pour commencer ses traductions. Je pense donc qu’il faut
dater le pèlerinage de Georges de l’année 1055. À quelque moment en effet
de l’année 1055 qu’ait été posée aux autorités d’Antioche la question du pèle-
rinage de la reine Marie, on peut comprendre pourquoi, conscients de la situa-
tion en Syrie du Nord que l’on a évoquée plus haut, le duc et le patriarche ont
préféré l’interdire, comme elles le firent aussi en 1055/1056 pour l’évêque de
Cambrai Lietbert1539 ; Georges qui ne devait pas se déplacer en grand équi-

1537. FELIX, Byzanz, p. 121-122 et n. 228.


1538. MARTIN-HISARD, Pierre III.
1539. RUNCIMAN, Protectorate, p. 208-211 ; IDEM, Pilgrimage, p. 75-77.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 159

page pouvait en revanche l’effectuer à sa place. Si le pèlerinage avait eu lieu


après septembre 1056, l’interdiction n’aurait pas eu de vraie raison d’être.
On peut dès lors revenir sur la phrase du § 41891 qui évoque la joie de la
reine au retour de Georges et son départ « quelque temps plus tard» en
Géorgie où elle retrouva le roi Bagrat’. La reine Marie a pu attendre à
Antioche le retour de Georges et rentrer ensuite à Constantinople où elle se
trouvait encore en septembre 1056 ; elle a pu aussi rentrer l’attendre à
Constantinople, dans des conditions mieux adaptées à son rang ; elle n’y était
plus quelque temps au moins avant juillet 1059 puisqu’elle fait alors partie de
ceux qui pressent Georges de venir en Géorgie (§ 531112). Dans ce laps de
temps se situe son retour au pays, qui n’a peut-être eu lieu qu’une fois écar-
tées définitivement dans l’année 1057 la présence et la puissance d’un
Lip’arit’ qui ne devait en rien lui être agréable1540. Que, rentrée en Géorgie,
elle se soit ingéniée à faire venir son maître, Georges, n’a rien de surprenant.

Les moines géorgiens et Saint-Syméon


Lorsque Georges revint en Syrie en 1055, le monastère de Saint-Syméon
s’était considérablement renforcé ; sa puissance économique, résultat d’une
longue période de tranquillité depuis 969, avait frappé Ibn Butlān qui le visita
en 10491541 ; les domaines du monastère s’étendaient jusqu’à la mer1542 ; ils
étaient suffisamment vastes pour soutenir une comparaison avec le palais cali-
fal de Bagdad et pour procurer aux moines des revenus considérables.
L’hagiographe rapporte une plainte des moines grecs, accusant en 1057-
1058 une soixantaine de moines géorgiens d’avoir indûment pris le contrôle
d’une partie, voire de la moitié du monastère1543 ; non seulement personne n’a
récusé leur protestation, mais la position des Géorgiens fut même renforcée
par la liberté que Théodose III leur accorda, entre 1057 et 1059, de célébrer à
Saint-Syméon l’entière liturgie dans leur langue1544.
La pratique liturgique en usage jusque-là et évoquée par l’hagiographe1545
renvoie à celle des communautés mixtes de Palestine : séparation et usage des
langues nationales pour la liturgie de la parole, réunion pour l’anaphore célé-
brée en grec ; les Géorgiens devaient donc, me semble-t-il, avoir l’usage d’une
église non éloignée de l’église principale afin de pouvoir retrouver rapidement

1540. Voir plus haut, p. 151.


1541. SCHACHT, Ibn Butlān. Ibn Butlān partit de Bagdad en février 1049 et arriva au Caire en
novembre de la même année après être passé par Alep, Antioche et Laodicée. Il a écrit une rela-
tion de son voyage de laquelle LE STRANGE, Palestine, p. 434, a retenu ce passage (que je cite tel
quel) : «Outside Antâkiyyah is Dair Sim’ân, which with its outlying grounds is equal in size to
half the city of the Khalifs at Bagdâd. The revenues of the lands yearly amount to several kintars
(quintals) of gold and silver, and they say the yearly income is 400,000 dînârs».
1542. Il est appelé en arabe Dair Sim’ān al-Bahrī, le couvent de Simon sur la mer : LE
STRANGE, Palestine, p. 370.
1543. § 47988-989 et n. 750.
1544. § 48-49.
1545. § 481000-1001 : « Ils ne permettaient pas aux prêtres géorgiens de célébrer la liturgie, mais
ils avaient décrété qu’ils communieraient avec eux ».
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160 BERNADETTE MARTIN-HISARD

les Grecs au moment de l’anaphore. La Vie de Georges ne la mentionne pas,


mais son auteur n’avait pas forcément de raison de le faire. En revanche son
existence ressort d’un court texte composé par le moine géorgien Éphrem le
Petit quelques décennies après le passage de Georges1546. Éphrem rédigea sa
Notice pour l’ecclésiarque des Ibères Jean Cyriaque qui venait de faire copier
un Synaxaire pour « l’église de Saint-Syméon-Thaumaturge, laquelle, telle une
bonne mesure dispensatrice du froment de la vie, est justement appelée le Muid
(modi) »1547. La présence d’un ecclésiarque va dans le sens de l’existence d’une
église propre des Géorgiens et la nécessité d’un Synaxaire découle naturelle-
ment de la liberté liturgique acquise par eux1548. La possession par les Géorgiens
d’une église propre des Géorgiens in monte sancti Symeonis in columna est
attestée par Olivier de Cologne qui eut l’occasion en 1222 d’apprécier l’écriture
originale des manuscrits géorgiens1549.
La localisation de l’église des Géorgiens à Saint-Syméon pose des pro-
blèmes liés à la dénomination qu’elle porte dans la Notice d’Éphrem : Four ou
Muid, dont P. Peeters a fait Clibanion1550. Ainsi, en regard de l’adresse d’É-
phrem à l’ecclésiarque des Géorgiens, loué de son zèle pour l’église de Saint-
Syméon-Thaumaturge, « justement appelée le Muid », une note marginale du
manuscrit de la Notice, à peu près contemporaine du texte et peut-être due à
Éphrem lui-même, précise : « Les Grecs appellent notre sainte église des
Géorgiens non pas le Four (torne), mais Saint-Muid » ; l’auteur répète encore
dans le corps de la Notice que les Géorgiens ont la charge de veiller sur de
« saints temples dans des lieux saints <qui leur> sont heureusement échus au
milieu des élus : le lieu du Crâne et la grotte de Bethléem, avec la Grotte de
saint Sabas et le Four de saint Syméon »1551.
Certains situent cette église à l’extérieur de la mandra ; c’était le cas de
Peeters1552, ou de Lafontaine-Dosogne1553. Djobadze la cherchait dans la partie

1546. La présentation et la traduction de la Notice sur l’origine de la conversion des Ibères,


composée par le moine Éphrem après 1058, sont au centre de mon article : MARTIN-HISARD,
Église ; voir aussi plus bas, p. 165.
1547. Voir, ibid., la traduction de la Notice.
1548. Ce Synaxaire était sans doute le Typikon traduit par Georges : voir § 24 et n. 504.
1549. OLIVIER DE COLOGNE (éd., p. 265) qui visita le Mont Admirable et le monastère de
Saint-Syméon en 1222 note dans son Historia damiatina que les Géorgiens avaient une écriture
propre et qu’il a pu examiner : codices in monte sancti Symeonis in columpna, ubi propriam
habent ecclesiam…
1550. Les noms de Four (en géorgien torne) et de Muid donnés à cette église sont le point de
départ de l’article bien compliqué de PEETERS, Clibanion. Pour lui le klibanion (ce qui veut dire
cuirasse) ou klibanos désigne une cavité naturelle du rocher, puis l’ensemble du rocher sur
lequel Syméon aurait primitivement vécu ; par évolution étymologique le mot aurait été traduit
en latin par modios, en géorgien par torne (fourneau) ou torni (cuirasse). Pour VAN DEN VEN,
Syméon, II, p. 71, le klibanion est une logette circulaire dont l’allure de cuve évoquait un bois-
seau ou un muid, le toit de peau qui la protégeait donnant à l’ensemble l’allure d’un four.
1551. MARTIN-HISARD, Église.
1552. PEETERS, Clibanion, p. 285-286, en fait une dépendance du monastère, située en un lieu
imprécis, peut-être à l’emplacement d’une chapelle provisoire construite par les disciples de
Syméon lors de leur venue sur le Mont Admirable.
1553. LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 129-131, la situe volontiers à l’extérieur de la
mandra, mais dans l’enceinte.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 161

sud de l’octogone central du monastère1554. Van Den Ven suggère qu’elle


pourrait être l’église nord du martyrium1555. Cette dernière hypothèse paraît
séduisante ; elle expliquerait que l’église géorgienne ait pu être désignée par
un nom renvoyant aux origines mêmes de l’ensemble du martyrium et elle
donnerait à cette église, ancienne, une fonction spécifique1556. Olivier de
Cologne parlant d’ecclesia propria, l’hypothèse qu’il puisse s’agir de l’église
principale ne peut être soutenue ; en revanche la possession en propre de
l’église nord ou l’accaparement de cette église pourrait correspondre à la pro-
testation des moines grecs : la « moitié » du monastère détenue par les
soixante moines géorgiens serait cette église ; dès lors la reprise de cette accu-
sation n’eut plus lieu d’être puisque, en accordant aux Géorgiens la liberté
liturgique, le patriarche leur reconnaissait la possession d’une église.

L’Église géorgienne et le patriarcat d’Antioche


La Vie de Georges reste vague sur le contenu des conversations du moine
et du patriarche Pierre III : elles relevèrent en partie de la direction de
conscience (§ 46966), mais elles furent aussi précédées d’entretiens « sur l’or-
thodoxie et les canons de l’Église » (§ 46964)1557 et concernèrent largement
« toutes les affaires de l’Église » (§ 46966).
On peut aisément imaginer la part occupée dans les affaires de l’Église,
entre 1055 (voire déjà plus tôt) et juillet 1057, par la question des Latins et,
plus encore, celle des jacobites qu’attisait la présence en Syrie d’Arméniens
nombreux et religieusement divisés1558, deux questions qui préoccupèrent le
patriarche1559. La réalité de ces entretiens est confirmée par la trace que l’on
en trouve en 1065 dans les propos tenus par Georges à l’empereur
Constantin X1560. Mais l’hagiographe n’étant pas entré dans le détail de pro-
pos qu’il ne connaît manifestement que par ouï-dire, je m’arrêterai plutôt ici
aux conversations de Georges et de Théodose III qu’il évoque longuement
(§ 49-52), d’une manière précise et directe, en citant des paroles, en évoquant
l’amusement et l’humour de l’un (§ 511075), le sourire (§ 521084) et un même
humour (§ 521086-1088) de l’autre, en sorte qu’on peut penser qu’il en fut
témoin. Il y fut question, on vient de le voir, des Géorgiens et de Saint-
Syméon ; mais l’hagiographe n’est pas entré dans le détail de l’exposé dog-
matique grâce auquel Georges obtint la reconnaissance de droits liturgiques ;
sans doute fit-il usage de textes patristiques qu’il traduisit et que l’hagio-

1554. DJOBADZE, Investigations, p. 72-73.


1555. VAN DEN VEN, Syméon, I, p. 217*, ce que récuse Lafontaine-Dosogne (voir
n. suivante).
1556. LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires, p. 129-131, date la construction de l’église nord du
martyrium du 6e siècle et rejette pour cette raison le fait qu’elle puisse être celle « que construi-
sirent les Ibères » ; on objectera qu’aucune source ne dit que les Ibères construisirent une église.
1557. Ce passage ne figure pas dans la traduction de Peeters ; voir plus haut, n. 736.
1558. § 46993 et n. 752.
1559. TODT, Region, p. 668-691 ; CHEYNET, Duchy ; MARTIN-HISARD, Pierre III.
1560. Voir plus bas, p. 187-188.
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162 BERNADETTE MARTIN-HISARD

graphe n’a pas mentionnés1561, ou encore de la Profession de foi d’Athanase


d’Alexandrie1562 ou de celle du patriarche Photius1563.
Mais les conversations les plus importantes et les plus longuement racon-
tées concernent les rapports entre l’Église géorgienne et le patriarcat
d’Antioche (§ 50-51).
L’argument fut soulevé, dit l’hagiographe, par « des personnes pleines de
ruse et d’artifice » (§ 501033) qui demandèrent au patriarche pourquoi la petite
Église géorgienne qui n’était pas de fondation apostolique ne se trouvait pas
sous l’autorité du patriarcat voisin d’Antioche qui n’en consacrait ni le catho-
licos ni les évêques. Le patriarche, un Constantinopolitain, sans doute encore
peu au fait de l’histoire du patriarcat, demanda au moine et non sans vigueur
des explications en soulignant le voisinage de la Géorgie et d’Antioche et, sûr
de son bon droit, se dit prêt à en référer aux quatre autres patriarches, évo-
quant même une éventuelle convocation du roi Bagrat’ IV (§ 501053-1054).
Georges ne répondit pas en invoquant un texte juridique, il recourut à un texte
hagiographique grec, la Pérégrination de l’apôtre André1564, qui affirmait la
venue d’André et de Simon en Apxazeti, et il laissa entendre en matière de
boutade qu’il devrait en fait en résulter une dépendance d’Antioche envers la
Géorgie (§ 511075-1077). Sans nier l’existence de relations entre Antioche et la
Géorgie et sans définir précisément le statut de l’Église de Géorgie, Georges
laissait cependant entendre que ce statut ne comportait pas de « soumission »
à Antioche : « Maintenant s’il le faut, nous te serons soumis ! » (§ 511073-1074),
et il souligna en même temps que les Grecs n’avaient pas hésité à l’époque
iconoclaste à recourir à Mcxeta pour la consécration d’un de leurs évêques1565.
La Vie de Georges est l’une des sources utilisées par les auteurs qui se sont
intéressés à l’histoire du statut de l’Église de Géorgie, tout récemment encore
par K.-P. Todt, dans une thèse restée malheureusement inédite1566. Sont égale-
ment utilisés d’une part les textes de deux moines écrivant à la fin du
11e siècle, Éphrem le Petit et Nicon de la Montagne Noire, qui parlent des
conditions dans lesquelles l’Église géorgienne acquit son autocéphalie en

1561. En particulier Grégoire de Nysse et Jean Damascène : TARCHNIŠVILI, Geschichte,


p. 164-166.
1562. La traduction du texte édité dans PG 28, col. 1587-1592, est attestée dans plusieurs
manuscrits : A 584, f . 244-246 ; A 627, f. 3-6 ; A 65, f. 332-334 ; etc. Voir K’EK’ELIDZE, Auteurs,
no 3 (1), p. 8 ; TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 165 (IV.3). Georges a traduit d’autres textes
d’Athanase.
1563. Voir K’EK’ELIDZE, Auteurs, no 195, p. 114 (1), qui souligne la ressemblance du texte
avec le 5e chapitre de l’écrit de Photius au pape Nicolas Ier. Manuscrits : A 124, f. 602-603 ;
A 584, f. 230 ; etc.
1564. Voir plus haut, n. 784 : BHG 100 ou 102 traduit par Euthyme. Plus tard, Éphrem
devait utiliser les Acta Andreae et Bartholomae reposant sur un original grec (BHG 2056) connu
par fragments : PRIEUR, Acta Andreae, p. 141-144 ; voir MARTIN-HISARD, Église.
1565. Sur la consécration de Jean de Gothie, voir plus haut, n. 795 ; elle fut effectuée par
Jean de Mcxeta, le catholicos consacré par le patriarche Théophylacte et dont il sera question
plus bas : voir n. 1588.
1566. TODT, Region, p. 825-830, avec bibliographie. Il reprend notamment les conclusions
d’un livre que je n’ai pu trouver : PHEIDIAS, Autocéphalie.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 163

744-750, et de l’autre quelques lignes de Balsamon qui placerait l’acquisition


de l’autocéphalie sous un « très saint » patriarche d’Antioche, nommé Pierre.
Pour la plupart des savants et pour Todt, il ne peut s’agir que de Pierre le
Foulon, dans la seconde moitié du 5e siècle1567. Parmi les tenants récents de
Pierre III et du milieu du 11e siècle Todt cite Meyendorff1568 et moi-même,
non sans me taxer discrètement d’une certaine incohérence1569, et il se
demande, dans l’hypothèse où cette dernière attribution serait la bonne, pour-
quoi personne ne se serait souvenu, sous Théodose III, pas même le moine
Georges, d’un événement aussi récent1570.
Je voudrais reprendre ici cette question. Les sources sont suffisamment
peu nombreuses pour qu’il soit possible de les présenter toutes avant d’en
dégager une interprétation.

LES TEXTES
Je les citerai dans l’ordre chronologique de leur rédaction, qui n’est pas
celui des faits évoqués.
1. Il n’existe aucun texte antérieur au 8e-9e siècle pour dire comment le pre-
mier et unique évêché d’Ibérie institué, selon les textes hagiographiques, au
début du 4e siècle céda la place à plusieurs sièges, qui se retrouvèrent ensuite
placés sous l’autorité d’un catholicos. Ce catholicos est mentionné pour la pre-
mière fois dans un texte du début du 7e siècle, évoquant des événements de la
fin du 5e siècle. Ce texte appartient à la correspondance échangée entre les auto-
rités ecclésiastiques arméniennes et géorgiennes à l’époque du catholicos géor-
gien Kiwron et préservée dans le Livre des Lettres1571 ; il s’agit d’une lettre (la
troisième) datant de 607/608, adressée par le catholicos des Arméniens,
Abraham, au catholicos géorgien Kiwron ; elle contient la première mention
d’un catholicos d’Ibérie, cité dans une référence à un synode caucasien qui se
tint à une date incertaine, entre la fin du 4e et le début du 5e siècle, peut-être en
4911572. Le catholicos d’Ibérie, un certain Gabriel, avait alors autour de lui
vingt-trois évêques ; ce chiffre s’était élevé à trente-cinq en 607/6081573.
Seules des traditions géorgiennes de la fin du 8e ou du début du
9e siècle1574 datent la création du catholicat de l’époque d’un roi aux dates

1567. TODT, Region, p. 831.


1568. MEYENDORFF, Balsamon, p. 537 et n. 13.
1569. TODT, Region, p. 830 n. 101, pour qui j’aurais daté l’autocéphalie de 1052 et dit en
même temps que Pierre III l’aurait renouvelée en 1042 (date à laquelle il n’était pas
patriarche…). Il s’appuie sur la version allemande (p. 579-580 et n. 189) de MARTIN-HISARD,
Christianisme 2, version dont je ne dispose pas ; l’utilisation de la version française originale,
p. 582 et n. 212, devrait le convaincre que je n’ai jamais rien écrit de tel.
1570. TODT, Region, p. 830-831.
1571. Sur cette correspondance, GARSOÏAN, Église, p. 307-353, avec traduction, p. 516-583.
1572. Ibid., p. 568-569 ; sur le concile, p. 158-166.
1573. Ibid., p. 564.
1574. Le texte est la Vie du roi des rois Vaxt’ang Gorgasal, qui date de la fin du 8e ou du
début du 9e (RAPP, Studies, p. 197-242, notamment 237).
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 164

164 BERNADETTE MARTIN-HISARD

éminemment flottantes dans la seconde moitié du 5e siècle et placent le catho-


licos dans la mouvance d’Antioche1575. C’est par hypothèse que j’ai suggéré la
date de 4671576.
2. Un texte moins connu, écrit en 950/951, la Vie du moine Grigol de
Xancta, évoque l’élection du catholicos Arsène Ier par les évêques d’Ibérie à
une date qui peut être 8601577. Bien que cette élection ait suscité des contesta-
tions en raison des pressions exercées par un prince local, aucun patriarche
n’a été explicitement concerné par l’élection et par la consécration1578.
3. Un siècle plus tard, au printemps 1054, Pierre III d’Antioche adressait
une réponse bien connue à Dominique de Grado qui cherchait à justifier le
titre patriarcal que Rome déniait à Venise/Aquilée. Pierre III qui s’intitule
« par la miséricorde de Dieu, Pierre patriarche de Théoupolis, la grande
Antioche » et qui désapprouve cette prétention fait une allusion à l’organisa-
tion de son patriarcat qu’il désigne par le mot « Orient » :
Réfléchis combien plus grand que ta circonscription est le pays de Bulgarie ou
encore la grande Babylone et Rômagyris ou le Khorasan1579 et les autres éparchies
de tout l’Orient1580 : à elles nous envoyons des archevêques et des catholicos qui
consacrent dans ces régions des métropolites sous lesquels se trouvent de nom-
breux évêques ; mais aucun d’eux n’a jamais été appelé patriarche1581.
Pierre III définit donc une hiérarchie ecclésiastique claire : patriarche,
archevêques et catholicos, métropolites, évêques. En ce qui concerne les
archevêques et catholicos envoyés par Antioche, il cite explicitement Bagdad
et Rômagyris et ajoute sans les nommer les autres éparchies (aiJ loipai; ejpar-
civai), ce qui peut n’être qu’une incise1582. L’Ibérie en tout cas n’est pas men-
tionnée1583.

1575. MARTIN-HISARD, Christianisme 1, p. 1204, avec traduction du passage.


1576. Ibid., p. 1203-1204.
1577. MARTIN-HISARD, Christianisme 2, p. 578 n. 180 ; Vie de Grigol de Xancta, trad., p. 60-
63. Grigol qui mourut en 861 était fort vieux au moment de cette élection.
1578. En ce début du premier patriarcat de Photius, le patriarche d’Antioche était Nicolas Ier
(845-867).
1579. Babylone désigne Bagdad ou Eirenoupolis (la Ville de la paix, Madīnat al-salām) dont
le catholicosat fut créé par Élie Ier en 912 et reconstitué par Christophore (960-967). Rômagyris
ou le Khorasan est le catholicosat de Transoxiane créé par Théodore Ier après 762 et la destruc-
tion de Séleucie-Ctésiphon : TROUPEAU, Église, p. 386 ; plus largement NASRALLAH, Église. Voir
aussi TODT, Region, p. 821-825.
1580. C’est-à-dire du patriarcat d’Antioche.
1581. PG 120, col. 760-761, § 5.
1582. La phrase est peu claire ; par éparchies on comprend généralement provinces épisco-
pales ; cette mention peut être une incise, justifiée par le fait que bien des provinces du patriarcat
étaient plus grandes que la juridiction de l’évêque de Grado ; la phrase qui suit revient en effet à
l’argument des catholicos.
1583. Voir TODT, Patriarchate, p. 41, qui rapproche ce texte de celui d’une Notitia
Antiochena (IDEM, Region, p. 810-816), attestée au 12e siècle et reflétant selon lui les transfor-
mations du patriarcat durant l’époque arabe et la seconde domination byzantine, pour considérer
que l’absence de la Géorgie s’explique par l’autocéphalie dont dispose son Église depuis 744-
750.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 165

4. Les § 50 et 51 de la Vie de Georges, écrite entre 1067 et 1072 environ,


n’emploient à aucun moment le mot d’autocéphalie ou un équivalent. La
situation décrite est celle d’une non soumission ou obéissance de l’Église
géorgienne à l’autorité d’Antioche1584, elle n’appartient pas au « troupeau » du
patriarche1585 ; son peuple est « son propre pasteur » (§ 501051), ce qui signifie
consécration du catholicos et des évêques hors d’Antioche (§ 501036), promul-
gation par eux-mêmes de leurs propres canons (§ 501035-1036), et ce malgré leur
petit nombre et leur ignorance (§ 501039), l’absence d’apostolicité (§ 501037) et
le « voisinage » (§ 501040) d’Antioche qui est un siège du chef des apôtres
(§ 501038). Pour reprendre en la renversant l’expression que le patriarche
amusé finit par employer : l’Église de Géorgie n’est en rien une « paroisse »
d’Antioche (§ 521088).
5. Entre 1060 et 1090 environ, le moine géorgien Éphrem le Petit, dans sa
Notice sur l’origine de la conversion des Ibères, et le moine melkite Nicon de
la Montagne Noire, dans la lettre 37 adressée à son disciple, l’abbé Gérasime,
retracent l’histoire des relations de l’Église géorgienne avec le patriarcat
d’Antioche depuis le 4e siècle1586 ; dans le cours de cette histoire, ils citent en
des termes presque identiques, chacun dans sa langue, une Chronographie
écrite à Antioche dans les dernières décennies du 11e siècle et qui évoque des
faits concernant la période allant du milieu du 8e siècle à l’année 10421587.
a. Il y eut aux origines un problème précis exposé au patriarche
Théophylacte (744-750) par une délégation de moines géorgiens venus à
Antioche ; le problème remontait au patriarche Anastase (598-609).

Version d’Éphrem :
Deux moines arrivèrent d’Ibérie en ambassade et expliquèrent au bienheureux
Théophylacte que les chrétiens qui habitaient les régions des Ibères étaient dans
une situation très angoissante, car aucun archevêque catholicos ne leur avait été
consacré depuis l’époque du bienheureux Anastase, hiéromartyr, patriarche
d’Antioche, en raison de la difficulté du voyage, car personne n’osait se mettre en
route à cause des Agarènes.
Version de Nicon :
Deux moines arrivèrent d’Ibérie comme ambassadeurs, rapportant au bienheureux
Théophylacte que les chrétiens des contrées d’Ibérie sont dans le besoin parce
qu’ils n’ont pas d’archevêque catholique. En effet depuis les jours du bienheureux
Anastase, hiéromartyr et patriarche d’Antioche, il ne leur a pas été consacré d’ar-

1584. Morčilebaj (obéissance, soumission) : § 511074 et n. 789 ; q’elmc’ipebaj (autorité, juri-


diction) : § 501035.1039.1040 et n. 769.
1585. § 501039.1041 ; le vocabulaire du troupeau est diffus dans le § 51.
1586. Sur ces deux textes, voir MARTIN-HISARD, Église.
1587. On trouvera dans l’article indiqué à la n. précédente les textes que je vais citer, avec
leurs références et des explications complémentaires. Nicon ne lisant pas le géorgien, la simili-
tude des deux textes s’explique par une source commune, la fameuse Chronographie, dont on
ne peut rien dire sinon qu’elle se trouvait, sans doute, dans la bibliothèque de Saint-Syméon. La
précision technique des termes cités en grec rend crédible son contenu.
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166 BERNADETTE MARTIN-HISARD

chevêque catholique à cause de la difficulté de la route et parce que personne


n’osait faire le voyage à cause des Agarènes.
b. À ce problème précis a été apportée une solution par un hypomnèma
synodal du patriarche d’Antioche Théophylacte (744-750) ; il entérine une
dialysis accordée aux Ibères et qui leur donne le droit d’élire et de consacrer
eux-mêmes leur catholicos, mais il profite de la circonstance pour procéder
lui-même à la consécration de l’un des légats.
Version d’Éphrem :
Alors par un jugement du synode, avec ses archevêques, métropolites et évêques,
il donna aux Ibères un p’rot’rep’t’ik’on, c’est-à-dire une dialysis <autorisant>
désormais la consécration du catholicos d’Ibérie par les évêques de son ressort,
celui que la grâce divine leur aura indiqué et celui qu’ils auront choisi avec l’aide
des amis de l’Église et avec le vote des évêques, selon les règles ecclésiastiques.
Et il leur fit par écrit un mémoire en son nom et en celui du synode ici réuni. Et il
consacra l’un des deux moines qui lui avaient été envoyés, du nom de Jean,
comme leur nouveau catholicos…
Version de Nicon :
À partir d’un jugement synodal de ses métropolites, archevêques et évêques, il
donna aux Ibères un écrit protreptikon <autorisant> la consécration de l’arche-
vêque catholicos par les évêques de son ressort après qu’ils aient fait un vote et un
tirage au sort <et que>, après le tirage au sort, <ils> bénissent selon la règle ecclé-
siastique celui que la grâce divine aura montré clairement. Et ils firent par écrit un
hypomnèma en son nom et en celui du synode rassemblé, et l’ayant scellé il le leur
remit. Et il consacra l’un des deux moines qui avaient été envoyés, du nom de
Jean1588.
c. La décision synodale est accompagnée d’une précision stipulant l’obli-
gation pour les Ibères de mentionner le nom du patriarche dans la liturgie et le
droit du patriarche d’envoyer un exarque en cas de suspicion d’hérésie.
Version d’Éphrem :
Depuis ce moment il a été décrété que les Ibères feraient seulement mention du
nom du patriarche d’Antioche et que, dans le cas où apparaîtrait une hérésie, <le
patriarche> enverrait là-bas un exarque pour enquêter et redresser les hérésies et
fautes spirituelles.
Version de Nicon :
Et il fut encore prescrit que le patriarche d’Antioche aurait seulement l’anaphore
en Ibérie et qu’il enverrait un exarque pour enquêter sur une hérésie et s’enquérir
des manquements spirituels et rapporter les kanonika des domaines1589.
d. À ce droit du patriarche est immédiatement lié, à titre d’illustration, un
événement intervenu en 1042 sous le patriarche Théodore III (1034-1042) et

1588. Sur ce catholicos, voir plus haut, n. 1565 et Vie de Georges, § 511079-1081 et n. 795.
1589. Sur les impôts ou kanonika payés par des domaines possédés par le patriarche en
Ibérie, MARTIN-HISARD, Église.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 167

Constantin IX Monomaque : l’envoi par Antioche de l’exarque Basile en


Géorgie. Éphrem le Petit ne fait que l’évoquer à la suite du texte cité plus
haut :
… comme fut envoyé, à l’époque du bienheureux patriarche Théodore, Basile le
grammatikos à cause de l’hérésie des Acaciens1590.
Le récit est plus détaillé chez Nicon qui s’appuie sur des lettres vues à Saint-
Syméon :
À l’époque suivante, sous l’empereur Constantin Monomaque et le bienheureux
patriarche d’Antioche kyr Théodore, un semeur d’ivraie germa parmi les évêques
d’Ibérie. C’est pourquoi kyr Théodore envoya différentes lettres avec un koubou-
kleisios pour redresser tous les scandales qui s’y étaient produits, par la grâce de
Dieu et avec l’ardeur et le zèle divin des divins pères et évêques de là-bas. Ces
lettres ont été apportées ici à Saint-Syméon-Thaumaturge au kathigoumène kyr
Jean dit le Dèpotatos1591. Dans ces lettres il y a ejpitroph; kai; ceiroqesiva1592 par
lettre du patriarche kyr Théodore à celui qui était alors devenu le catholicos
d’Ibérie, kyr Jean1593.
6. Au milieu du 12e siècle, dans le cours de son commentaire du deuxième
canon du concile de Constantinople I (381), Balsamon fait une rapide allusion
au statut de l’Église d’Ibérie dans une phrase bien connue, mais généralement
citée en dehors du contexte qui éclaire son sens. Le canon 2 de Constantinople
concerne les diocèses d’Asie, du Pont et de Thrace. Il formule l’interdiction
faite à tout évêque d’agir sans y être appelé en dehors des limites de sa juridic-
tion pour des consécrations ou tout acte administratif1594, mais il prend
cependant en compte le cas des Églises qui se trouvent chez les peuples bar-
bares et n’ont pas assez d’évêques pour réunir un synode ; dans leur cas et par
nécessité le concile permet de conserver la coutume ancienne1595, coutume dont
j’ignore tout mais qui devait être de faire appel à un prélat consécrateur. Et Bal-
samon de faire ce commentaire :
Note donc à partir de ce canon qu’autrefois tous les métropolites des provinces
étaient autocéphales et consacrés par leur propre synode. Ce point a été modifié

1590. Je ne dispose d’aucune information sur cette hérésie que Nicon se contente de qualifier
d’ivraie et qu’Éphrem définit comme l’hérésie des Acaciens.
1591. D’après NASRALLAH, Mouvement littéraire, III. 1, p. 83, repris par TODT, Region,
p. 923, il fut abbé de Saint-Syméon entre 1050 et 1088. Sur l’office ecclésiastique, plutôt
humble du dipotatos, DARROUZÈS, Offikia, p. 215-216, 272-273, qui n’est pas très explicite.
1592. Les deux mots correspondent à deux moments de l’ordination : la désignation et la
consécration.
1593. Jean II Chrysostome : voir plus haut, p. 27 et n. 196.
1594. Texte du canon dans JOANNOU, I, I, p. 46-47, traduction du canon dans DAGRON,
Naissance, p. 455, notamment : « Les évêques ne devront pas sans être appelés aller faire des
ordinations ou tout autre acte d’administration ecclésiastique (ejpi; ceirotoniva/ h[ tisin a[llai"
oijkonomivai" ejkklhsiastikai'") hors de leurs diocèses ».
1595. Ibid. : « Il faut que les églises de Dieu qui sont chez les peuples barbares soient admi-
nistrées (oijkonomei'sqai) selon la coutume des pères ».
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168 BERNADETTE MARTIN-HISARD

par le canon 28 du concile de Chalcédoine qui définit que les métropolites des dio-
cèses de Pontique, Asie et Thrace et quelques autres contenus dans le canon1596
seront consacrés par le patriarche de Constantinople et soumis à lui. Et si tu
trouves d’autres églises autocéphales, comme celle de Bulgarie, celle de Chypre,
celle d’Ibérie, ne t’étonne pas, car l’empereur Justinien a honoré l’archevêque de
Bulgarie…1597 ; le 3e concile a honoré l’archevêque de Chypre…1598. Une diagnô-
sis du synode d’Antioche a honoré celui d’Ibérie. Car on dit que, à l’époque de kyr
Pierre, très saint patriarche de Théoupolis, Antioche la grande, il y eut une oikono-
mia synodale selon laquelle l’Église d’Ibérie, alors soumise (uJpokeimevnhn tovte)
au patriarche d’Antioche, est libre et autocéphale (ejleuqevran kai; aujtokevfa-
lon)1599.

INTERPRÉTATION
Cet ensemble de textes conduit à plusieurs remarques.
1. Aucune source antérieure au 11e siècle n’a été conservée qui établisse
de manière certaine pour la période qui va du 4e au milieu du 8e siècle l’exis-
tence et la nature de liens que l’Église épiscopale puis catholicale d’Ibérie
entretenait ou aurait entretenus avec l’Église d’Antioche. Aucune source ne
mentionne le moindre rapport entre l’Ibérie et Pierre II le Foulon, même si la
période couverte par les trois patriarcats de celui-ci (entre 469 et 488) est
proche de la première attestation du catholicosat dans le Livre des Lettres
(vers 491) et de la date possible de sa création (vers 467). On notera que si on
attribue à Pierre le Foulon l’autocéphalie de l’Église de Géorgie, cela signifie
ou bien que l’existence d’une Église catholicale, suffisamment développée
pour recevoir cette autocéphalie, est antérieure à ce patriarche ou bien que la
présence d’un catholicos signifie ipso facto autocéphalie, ce que les événe-
ments de 744-750 contredisent. Qu’aucun texte ne mette en relations
Antioche et l’Ibérie ne veut pas dire pour autant que des rapports n’aient pas
existé, au titre de la coutume dont parle le canon 2 du concile de
Constantinople I.
2. Au 4e siècle l’Église d’Ibérie, qui se réduisait à l’évêché de Mcxeta et
peut-être à quelques autres à la fin du siècle, se trouvait en terre sassanide ;
elle faisait donc partie des Églises de terre barbare, vraisemblablement dans
l’incapacité numérique de réunir un synode : la « coutume » évoquée par le
canon 2 de Constantinople I s’appliquait donc normalement à elle, même si
l’on ignore quel évêque extérieur intervenait pour les consécrations épisco-
pales : Césarée comme pour l’Arménie ? Constantinople dont personne ne
parle ? Jérusalem très présente dans la spiritualité des Ibères1600 ? Ou Antioche

1596. L’expression de Balsamon « et quelques autres contenus dans le canon » remplace


celle du canon : tou;" ejn toi'" barbarikh'" ejpiskovpou" tw'n proeirhmevnwn dioikhvsewn, sur la
traduction de laquelle je reviendrai plus bas.
1597. Référence aux Basiliques V. 3. 1.
1598. Référence au canon 8 d’Éphèse et au canon 39 d’in Trullo.
1599. PG 137, col. 320A-B.
1600. MARTIN-HISARD, Christianisme 1, p. 1219.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 169

LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 169

enfin, comme l’affirment Éphrem et Nicon, le seul siège mis en rapport avec
elle ? Plusieurs sièges ont pu intervenir à des moments divers, mais il n’y a
pas de raison majeure d’écarter Antioche que toutes les traditions revendi-
quent et exaltent, allant tardivement jusqu’à évoquer comme consécrateur du
premier évêque ibère Eustathe d’Antioche, un des hérauts de Nicée1601. À ce
moment le canon de Constantinople laissait entendre que le synode provincial
était reconnu en 381 à l’intérieur du territoire romain comme compétent pour
les consécrations et autres actes d’administration ecclésiastique1602 ; et c’est en
ce sens que Balsamon use du mot d’autocéphalie qui était absent du vocabu-
laire conciliaire : « D’après le présent canon, autrefois tous les métropolites
des éparchies étaient autocéphales et étaient ordonnés par leur propre
synode », ce qui signifie aussi, je pense, qu’ils étaient élus par ce synode1603.
3. Le concile de Chalcédoine modifia ce régime par le canon 28 qui
concernait les trois diocèses d’Asie, du Pont et de Thrace et les soumettait à
Constantinople, en mettant fin à ce que Balsamon aurait appelé plus tard leur
autocéphalie. Les Églises barbares que régissait la « coutume » n’étaient pas a
priori concernées, sinon, comme le dit G. Dagron, « au détour d’une phrase »
dont la signification est discutée, qui leur appliquait le même régime que ces
diocèses1604 ; si l’on suit l’interprétation de G. Dagron, on comprendra que,
implicitement, à l’instar de Constantinople concernée par le canon 28, les
autres sièges patriarcaux devaient avoir aussi « leurs » barbares, lesquels, dans
le cas d’Antioche, pouvaient être les nomades saracènes et les habitants du
monde perse1605. Dans cette interprétation l’Église géorgienne, sous domina-
tion sassanide et dont le nombre d’évêques s’accroissait au point d’atteindre
bientôt le nombre de 25, a pu être considérée plus officiellement comme rele-
vant de la zone d’influence d’Antioche1606 et organisée dans les années qui
suivirent avec un « catholicos », qualificatif, puis nom apte à définir la juridic-
tion exercée sur l’ensemble d’un peuple par le chef d’une Église sise dans un
territoire qui ne connaissait pas le cadre romain des cités et provinces1607. Ce
peuple avait acquis une réalité et une consistance depuis que l’invention
d’une écriture, quelques décennies avant le concile de Chalcédoine, avait doté
ou commencé à doter l’Église géorgienne des instruments écrits, bibliques et
liturgiques, nécessaires à l’accomplissement de sa tâche apostolique et pasto-

1601. Voir MARTIN-HISARD, Église.


1602. DAGRON, Naissance, p. 455-457.
1603. PG 137, col. 317D.
1604. Il s’agit du morceau de phrase cité plus haut à la n. 1596 que JOANNOU, p. 92, traduit en
parlant des « évêques des parties de ces diocèses occupés par les barbares », mais dans laquelle
DAGRON, Naissance, p. 484, propose de voir des « évêques en terres barbares qui relèvent des
diocèses indiquées ci-dessus » ; il extrapole ensuite dans son commentaire en appliquant le cas
des trois diocèses cités et rattachés à Constantinople aux diocèses des autres patriarcats. C’est
peut-être le caractère confus du texte qui a conduit Balsamon à ne pas le citer exactement.
1605. Ibid., p. 483-487.
1606. Voir aussi GARSOÏAN, Église, p. 314-315 et n. 78, à partir de DE VRIES, Antioch et
LAHAM, Patriarcat, p. 119.
1607. On trouve une confirmation de cette hypothèse dans le rôle prêté par Éphrem et Nicon
au concile de Chalcédoine à propos du myron.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 170

170 BERNADETTE MARTIN-HISARD

rale : l’existence d’un catholicos signifie l’existence reconnue et visible d’une


nation. À moins de rejeter le témoignage de la Chronographie utilisée par
Éphrem et Nicon, l’Église catholicale d’Ibérie était bien considérée avant le
7e siècle comme relevant du patriarche d’Antioche qui en consacrait le catho-
licos puisque l’interruption de ce lien est placée à l’époque du patriarcat
d’Anastase II (598-609). La dialysis de Théophylacte et de son synode au
milieu du 8e siècle relève de la gestion du patriarcat et sa délivrance confirme
la réalité juridique de ces liens. Je pense donc que le concile de Chalcédoine a
contribué à faire entrer officiellement l’Église géorgienne dans la juridiction
du patriarcat d’Antioche et a favorisé son organisation nationale autour d’un
catholicos dont l’autonomie de fait était assurée par une langue liturgique,
radicalement différente de celle qui était en usage à Antioche.
4. L’interruption de la consécration des catholicos à Antioche est datée de
l’époque d’Anastase, mais leur succession est trop mal établie pour qu’on
connaisse le nom de celui qui ne fut pas consacré par Anastase1608. Cette inter-
ruption est présentée non pas comme le fruit d’une volonté d’indépendance,
mais comme résultant d’une situation de fait, dont le problème des Saracènes
n’était à mon avis qu’une composante. Le siège d’Antioche resta en effet
vacant de 609 à 639 ; Constantinople désigna alors Macédonios qui, devant
l’expansion arabe, préféra résider dans la capitale ; c’est ce que firent égale-
ment ses successeurs, qu’ils aient été monothélites (comme les deux premiers,
Georges Ier et Macaire Ier) ou orthodoxes (à partir de 681 Théophane, Thomas,
Georges II) ; le siège resta ensuite vacant entre 702 et 742 ; le patriarcat fut
finalement restauré, à la faveur de la crise iconoclaste, par le calife en faveur
d’Étienne III en 742, puis de Théophylacte en 7441609. Ainsi l’interruption de
la consécration peut avoir eu plusieurs causes : la vacance du siège
d’Antioche, l’hérésie de ses titulaires, leur non résidence et, d’une manière
globale, les Saracènes ; des rapports auraient pu exister seulement entre 681 et
702 à condition pour le catholicos d’aller chercher sa consécration à
Constantinople, ce à quoi n’incitait pas la situation caucasienne sous ‘Abd al-
Malik (685-705)1610.
5. Ce problème, né d’une situation concrète, fut soulevé par les Géorgiens
eux-mêmes, non pas par le patriarcat ; la solution qui fut trouvée prit tout
naturellement la forme d’une dialysis, puisqu’il s’agissait d’une mesure
d’économie interne au patriarcat ; elle modifiait les modalités de consécration
du catholicos de l’Église d’Ibérie en investissant de ce droit le synode géor-
gien, c’est-à-dire en lui conférant ce que Balsamon appelle très exactement
l’autocéphalie1611, d’où le rappel avec une grande exactitude juridique des
étapes à respecter dans la procédure électorale. C’est ce qui fut appliqué vers
860 pour l’élection du catholicos Arsène Ier. Cependant on constate que la

1608. On pense tout naturellement à Kiwron.


1609. TROUPEAU, Église, p. 384 et 387 ; TODT, Region, p. 171-176.
1610. MARTIN-HISARD, Moines 2, p. 25-26.
1611. Dans Christianisme 2, p. 578, j’ai parlé de « débuts » d’autocéphalie, ce qui est une
formule particulièrement ambiguë.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 171

promulgation de la dialysis n’empêcha pas Théophylacte de consacrer immé-


diatement lui-même un nouveau catholicos ; celui-ci appartenait à la déléga-
tion et tout laisse penser que c’était le candidat des Géorgiens eux-mêmes. Il
y aurait donc là une contradiction entre la règle énoncée par la dialysis et la
pratique, j’éclairerai ce point plus loin.
6. La dialysis comportait des mesures qui exprimaient et garantissaient
l’autorité pastorale et dogmatique éminente du patriarche d’Antioche. Éphrem
et Nicon en précisent deux : l’anaphore du nom du patriarche dans la liturgie
géorgienne et l’envoi d’un exarque dans les cas d’hérésie et de « manque-
ments spirituels ». L’autocéphalie acquise n’implique donc pas une indépen-
dance ou une liberté qui aurait dégagé l’Église géorgienne de tout contrôle
d’Antioche et qui aurait donné au catholicos un rang patriarcal ; le catholicos
d’Ibérie en 744-750 s’inscrit dans le cadre hiérarchique tel que Pierre III
d’Antioche devait l’exposer en 1054 à Dominique de Grado. Le cas de 1042,
évoqué par les mêmes Éphrem et Nicon, est l’expression du caractère réel de
ce lien et c’est dans ce dessein que les deux auteurs l’ont évoqué. Mais il met
aussi en évidence un autre aspect qui éclaire rétroactivement le comportement
de Théophylacte en 744-750. Si je comprends bien la situation de 1042 qui
ressort du texte de Nicon, cité plus haut, il y avait d’une part un nouveau
catholicos et de l’autre des évêques jugés hérétiques, sans doute par le catho-
licos. Antioche envoya un exarque avec une lettre (celle qui l’accréditait ?)
grâce à laquelle on voit qu’il venait d’y avoir élection et consécration d’un
nouveau catholicos : elle était en effet adressée « à celui qui était alors devenu
catholicos d’Ibérie, kyr Jean » ; or la missive du patriarche comportait une
consécration « par lettre » de ce nouveau catholicos. Dans la mesure où l’his-
toire de l’exarque de 1042 est citée par Nicon et par Éphrem comme un
exemple de l’application des clauses de la dialysis de 744-750, il n’y a pas de
raison de supposer que la confirmation écrite était une innovation.
L’autocéphalie acquise (élection et consécration par le synode) n’excluait pas
la communication à Antioche du nom du nouvel élu, ni en retour une confir-
mation patriarcale, ce qui paraît somme toute juridiquement fondé ; en 1042
la lettre de confirmation parlait d’ejpitroph; kai; ceiroqesiva ; je pense que la
« consécration » de Jean Ier par Théophylacte en 744-750 relève de cette pro-
cédure qui, le nouveau catholicos étant présent, se manifesta différemment, ce
qui n’exclut pas qu’il ait pu exister un acte écrit.
Ainsi la dialysis de 744-750 conféra à l’Église géorgienne une autocépha-
lie qui respectait son appartenance au patriarcat d’Antioche telle qu’elle exis-
tait depuis le concile de Chalcédoine (du moins, à mon avis) : les Géorgiens
restaient des ouailles du patriarche, leur Église était une « paroisse » du
patriarcat, pour reprendre la formule de Théodose III1612 ; le patriarche restait
le pasteur suprême du troupeau. En 1042 le régime en vigueur était toujours
celui-là.

1612. Voir § 521088 et plus haut, p. 165.


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172 BERNADETTE MARTIN-HISARD

7. Ceci nous ramène à la Vie de Georges et à la question posée à


Théodose III du bien-fondé d’une situation manifestement différente1613 : les
Géorgiens ne sont plus des ouailles du patriarche et ils ont leur propre pasteur
et définissent eux-mêmes leurs canons1614. Le patriarche a l’air de découvrir la
situation et s’en scandalise. L’hagiographe soupçonne les questionneurs de
ruse et d’artifice, mais leur bonne foi n’est peut-être pas en cause. On peut en
effet se demander pourquoi la question du statut de l’Église de Géorgie fut
posée à ce moment, entre août 1057 et juillet 1059, au tout nouveau patriarche
Théodose III. On sait qu’en 1057/1058, le catholicos n’était plus Jean II, l’élu
contesté de 1042, mais un certain Georges depuis une date que nous igno-
rons1615. Comme le patriarche Théodose III a l’air de tout ignorer du statut
juridique du catholicos et de son Église, on est fondé à dire que la nomination
de Georges II était intervenue sous l’un de ses prédécesseurs ; il ne peut s’agir
de Théodore III mort en 1042 quelque temps après la confirmation de Jean II ;
ce pourrait donc être soit son immédiat successeur Basile II (1042-1052) qui
n’a pas laissé grande trace1616, mais qui, si on pouvait établir qu’il est le gram-
matikos Basile envoyé en Géorgie en 1042 et dont Nicon dit sans le nommer
qu’il était kouboukleisios, aurait déjà eu à traiter d’une consécration catholi-
cale, soit Pierre III qui devint patriarche en avril 1052. Or c’est bien de ce
dernier que parle Balsamon, en lui donnant le titre de « patriarche de
Théoupoulis la grande Antioche », titre dont la sigillographie atteste qu’il fut
sous cette forme celui de Pierre III (il le porte en effet dans la lettre à
Dominique de Grado) et de ses prédécesseurs du 11e siècle1617. On a supposé
que, ce faisant, Balsamon se trompait et que « <er> kannte die Abfolge der
Ereignisse nicht mehr », ou encore qu’il émit lui-même des réserves sur l’at-
tribution à Pierre III en l’introduisant par un « on dit » restrictif, ou encore
que les propos de Balsamon concernaient primitivement Pierre le Foulon,
confondu ensuite (par qui ?) avec Pierre III1618.
Je ne vois guère la raison d’un tel acharnement contre Pierre III, le seul
argument étant qu’il serait impossible que Théodose III et son entourage aient
pu ignorer une décision si récente.
En fait, je soulignerai d’abord que si Pierre le Foulon avait accordé à l’É-
glise géorgienne les droits et privilèges dont parle Balsamon, il faudrait consi-
dérer comme aberrant tout texte postérieur à la fin du 5e siècle et établissant
un lien entre la Géorgie et Antioche et comme nuls et non avenus les événe-

1613. § 501034 : « Comment se fait-il… ? ».


1614. Voir p. 165 sous le no 4.
1615. Voir plus haut, p. 27 et n. 197.
1616. GRUMEL, Patriarcat, p. 139 ; TODT, Region, p. 665.
1617. Sur l’apparition du nom de Théoupolis au 6e siècle, voir § 46967 et n. 740. D’après les
sceaux, ce titre fut porté très probablement par Jean III (996-1021) et certainement par
Théodore III et par Basile II, et, après Pierre III, par Théodose III : ibid., p. 657, 664, 665, 694.
1618. Ibid., p. 830-831, qui cite notamment : PHEIDIAS, Autocéphalie, p. 117-119, 128-129 ;
TAMARATI, Église, p. 205.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 173

ments de 744-750 et l’enquête de l’exarque en 1042 qui manifestent un lien


auquel Pierre le Foulon aurait pourtant mis fin.
Je remarquerai ensuite que la Vie de Georges dit des querelleurs qu’ils ne
comprenaient pas la justification de faits qu’ils constataient1619 et qu’ils esti-
maient « non conformes au droit » (§ 501037), ce qui est exact puisqu’ils résul-
taient d’une oikonomia ; en d’autres termes, ils connaissaient peut-être la
décision, mais pas les motifs qui avaient conduit à la prendre ; la preuve en
est que c’est sur le terrain de la justification que Georges répondit en établis-
sant à partir de la tradition grecque que la Géorgie était terre apostolique et,
mieux encore, terre de saint André.
Mon hypothèse est donc que Pierre III est bien l’auteur de l’oikonomia
synodale dont parle Balsamon, et dont bénéficia probablement le catholicos
Georges. Que contenait cette oikonomia ? Elle donnait à l’Église de Géorgie
un statut que Balsamon qualifie par deux adjectifs : « libre et autocéphale » ; il
va donc, me semble-t-il, au-delà de celui de la dialysis de 744-750 qui était de
simple autocéphalie ; je pense que l’Église de Géorgie, comme le dit la Vie de
Georges, eut désormais le catholicos pour seul pasteur et détermina elle-
même ses propres canons : c’est ce que montre la tenue en 1103 à Ruisi-
Urbnisi, sur convocation du roi David, d’un concile général de l’Église catho-
licale géorgienne qui reconnut le même droit canon que les Églises
orthodoxes, mais promulgua dix-neuf canons nouveaux et dont les actes
n’évoquent à aucun moment les patriarches des Églises voisines1620.
De cette décision ni Éphrem ni Nicon ne se sont faits les échos, alors que,
en dehors de leur défense de l’orthodoxie des Géorgiens, leur objet, et singu-
lièrement celui d’Éphrem, était bien d’établir que leur indépendance par rap-
port à Antioche était juridiquement fondée sur des textes1621. Je n’ai pas d’ex-
plication à fournir ; je constate seulement que si, à leur époque, la dialysis de
744-750 n’était connue que par une chronique et non par l’original ou la copie
de l’acte, c’est que l’acte lui-même était perdu à Antioche ; ce devait être
aussi le cas de l’oikonomia de Pierre III, qui n’a malheureusement pas été
sauvée par une chronique, mais par Balsamon qui usa d’une formule intellec-
tuellement honnête et qui n’a rien de restrictif : « On dit que… »1622. Aucun
chartophylax du patriarcat ne semble avoir laissé de trace au 11e siècle à
Antioche.

1619. Voir n. 1613.


1620. Les actes de ce concile, jusqu’à ce jour non traduits, sont édités dans le Grand
Nomocanon, p. 543-559.
1621. MARTIN-HISARD, Église, notamment au § 10 du texte : « Et nous avons trouvé dans une
Chronographie écrite à Antioche à quel moment ils commencèrent à faire eux-mêmes la consé-
cration et cela non pas sans décision juridique ni mandement… », ainsi qu’au § 18 : « De nom-
breuses personnes se sont scandalisées à notre sujet de ce que nous nous serions détachés nous-
mêmes du siège du grand Pierre, chef des apôtres… ».
1622. À ceux qui s’étonneraient d’une telle incurie, on rappellera que s’il n’y avait pas eu un
Balsamon pour sauver de nombreux actes du patriarcat de Constantinople, certains par de
simples résumés, on ne saurait probablement pas grand-chose de sa législation au 10e et surtout
au 11e siècle.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 174

174 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Comme Pierre III ne parle pas du catholicos d’Ibérie dans sa lettre de 1054
à Dominique de Grado, je dirai que son oikonomia a été promulguée entre son
avènement en avril 1052 et la rédaction de cette lettre en 1054, ce qui serait la
période probable de l’avènement de Georges II. La présence de Bagrat’ à
Constantinople durant ces années a pu constituer une circonstance favorable à
une telle décision dont les rois, selon la Vie de Georges, étaient partie pre-
nante aux dires du patriarche (§ 501053-1054).
Je serai donc plus nette que je ne l’ai été dans les lignes que j’ai écrites en
19931623 : il y a eu autocéphalie en 744-750, autocéphalie et liberté sous Pierre
III en 1052-1054, à savoir octroi du droit de consécration du catholicos par le
synode géorgien en 744-750, disparition de toute forme de soumission à
Antioche sous Pierre III en 1052-1054. Il ne s’agit donc pas sous ce
patriarche d’un simple renouvellement de la dialysis.

LES ANNÉES GÉORGIENNES


(1059-DÉBUT 1065)

Le voyage de retour
Georges et ses compagnons partirent en juin ou en juillet 10591624 et arri-
vèrent en Apxazeti à l’automne1625, après un voyage mouvementé.
L’itinéraire prévu devait conduire les voyageurs à traverser l’Euphrate
dans une région qui se révéla au dernier moment peu sûre, ce qui les conduisit
à « changer de direction » pour se diriger d’abord vers Sébasté, puis vers
Césarée1626. Je pense que le petit groupe projetait de gagner Mélitène, via la
Cilicie1627, et de traverser le fleuve à Harput, dans l’intention de gagner
Théodosioupolis et le duché d’Ibérie en coupant la boucle du cours supérieur
de l’Euphrate à travers le duché de Mésopotamie1628. Cet itinéraire explique
en tout cas que les voyageurs, longtemps en terre sûre en Cilicie, aient réalisé
seulement en arrivant sur l’Euphrate les problèmes posés par l’expansion
turque, dont l’écho n’était manifestement pas arrivé à Antioche ; il explique
aussi le changement de direction vers Sébasté, qu’une route relie directement
à Mélitène.
On peut identifier les régions dont l’hagiographe et ses compagnons
découvrirent en 1059 qu’elles étaient tombées aux mains des Turcs :
Mésopotamie, Asuri et territoires grecs (§ 561158). Si l’on admet que les terri-

1623. MARTIN-HISARD, Christianisme 2, p. 582-583.


1624. § 561154 et n. 832 : les Turcs venaient de prendre Sébasté, événement daté de juillet 1059.
1625. § 561175 et n. 851.
1626. La carte hors-texte qui accompagne FELIX, Byzanz, permet de suivre clairement cet iti-
néraire.
1627. Vraisemblablement par Germanicée/Marash.
1628. La route suit le Murad su/Arsanias jusqu’à Arsamosate et Palu, remonte un affluent du
Peri su pour regagner l’Euphrate dans le Mananali, en amont d’Erzincan, et rejoindre
Théodosioupolis.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 175

LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 175

toires grecs désignent des territoires relevant de l’Empire, c’est que les deux
premières régions sont en dehors ; et je propose de reconnaître en elles l’Iraq
et la Djazīra, passés sous contrôle seldjouqide après la prise de Bagdad en
1055 ; les zones byzantines dominées ou en tout cas sérieusement perturbées
sont précisément celles où arrivent les voyageurs. En effet, après le grand
mouvement d’invasion de 1053-1054 lié à Ibrahim Inal et au sultan Toghril-
beg et qui frappa la région entre Trébizonde et Mantzikert, des chefs turco-
mans, tels Samoukht, étaient restés sur place et continuaient d’agir à leur
guise ; à la faveur des troubles qui dégarnissaient la frontière de l’Empire1629,
des bandes dévastèrent à l’automne 1057 des régions à l’ouest de l’Euphrate,
atteignant et pillant Kalmakh et Colonée au nord, Mélitène au sud ; après une
pause d’un an, Samoukht frappa en 1058-1059 les régions du haut Euphrate et
du Murad su, il atteignit Sébasté en juillet 10591630 ; aux dires de l’hagio-
graphe, c’est grâce à un miracle que Georges et ses compagnons évitèrent les
Turcs qui devaient les précéder de peu sur la route de Sébasté (§ 561163-1165).
Un nouveau changement d’itinéraire, à un endroit que nous ignorons, mais à
travers l’Anti-Taurus, les conduisit à Césarée où les voyageurs restèrent sans
doute trop peu de temps pour que l’hagiographe ait quoi que ce soit à en dire.
L’itinéraire fut ensuite long mais simple à travers la région des
Arméniaques, jusqu’à Euchaïta1631, puis le port d’Amisos (act. Samsun) et de
là, par mer jusqu’à Poti/Phasis à l’embouchure du Rioni et enfin Kutaisi.

En Géorgie
Le séjour de Georges en Géorgie est encadré par deux faits précis : l’un
qu’il convient de signaler pour l’inclure dans un plus large dossier, l’autre que
les sources géorgiennes contribuent à éclairer.
On a peu de choses à dire sur la famine dont Georges affronta les consé-
quences, sinon pour en souligner la date : elle s’achevait à l’automne 1059
quand Georges arriva (§ 661390-1391), et pour en souligner la nature : elle fut
provoquée par une « maladie », comprenons une épidémie (§ 661372). Elle
s’inscrit dans la série des calamités qui affligèrent de manière répétitive le
Proche-Orient dans la seconde moitié du 11e siècle1632 et sur lesquelles il fau-
drait une enquête plus générale.
Quant à la campagne d’Alp Arslan en 1064, elle est bien connue : Alp
Arslan avait succédé à son père au Khrasan depuis 1060 et à Toghril-beg au
sultanat de Bagdad depuis 1063 et jusqu’en 1073. Au cours de sa campagne
furent pillées successivement les villes d’Axalkalaki, dans le Džavaxeti, en

1629. La révolte d’Isaac Comnène en 1057 avait mobilisé les tagmata orientaux (Colonée,
Chaldée, Sébasté, Mélitène, Téphrikè).
1630. Voir plus haut, n. 1624. La source principale est ARISTAKÈS, p. 102, 105, 108-109.
LAURENT, Turcs, p. 23-24.
1631. Voir § 561169-1170 et n. 844-846.
1632. 1055, 1056, 1057, 1058… Elles sont bien connues pour l’Égypte, mais elles eurent
une plus large diffusion, ainsi en Palestine : GIL, Palestine, p. 401-402.
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176 BERNADETTE MARTIN-HISARD

juillet 1064, et d’Ani, le 16 août 1064. C’est à cette époque que le dernier roi
bagratide, Gagik-Abas, laissa son royaume du Vanand à Constantin X et se
réfugia dans l’Empire1633. La partie des opérations qui eut lieu en terre géor-
gienne est racontée dans la Chronique du Kartli :
Pendant son règne, le sultan Alp Arslan, roi de la Perse, fit une campagne en une
sorte d’incursion. Il surgit à l’improviste et ravagea le K’angari et le Trialeti ; en
un seul jour ses pillards atteignirent Q’uelisq’ure, traversèrent le Šavšeti, le
K’lardžeti et le T’ao jusqu’à Panask’ert’i ; le même jour, ils descendirent dans le
Tori et à Łuevisqevi. Il resta lui-même trois jours dans le Trialeti. Le roi
<Bagrat’ IV> venait à ce moment-là du T’ao, accompagné de sa mère <la reine
Marie>, de sa sœur <Guaranduxt’> et de son fils Georges. Ils s’étaient arrêtés à
Xek’rebulni. Les armées du sultan approchèrent au moment où ils partaient et
allèrent se positionner sur une hauteur, mais <le roi et ses gens> les devancèrent
au Kartli. <Les Turcs> partirent en Džavaxeti et assiégèrent Axalkalaki. Des
aznaurs mesxes et du Pays d’En haut tenaient solidement Axalkalaki et combatti-
rent pendant trois jours ; mais Axalkalaki n’était pas encore complètement munie
d’une solide enceinte. Les habitants de la ville ne purent résister à la violence des
combats, ils prirent les armes et ouvrirent les portes ; la bataille fit rage et ils
furent massacrés par l’épée. Les Turcs pénétrèrent dans la ville et firent prison-
niers de très nombreux chrétiens. Ils prirent les richesses et un abondant butin et
les eaux d’Axalkalaki se teintèrent de sang. D’Axalkalaki le sultan envoya un
messager au roi Bagrat’ ; il lui proposait une alliance matrimoniale et lui deman-
dait la fille de sa sœur1634 en mariage. Le sultan partit à Ani, détruisit et prit Ani ;
il massacra et fit prisonniers de très nombreuses personnes. Lui-même repartit
dans son pays, en Perse. C’est aux Grecs qu’il enleva Ani et il la confia à
Manūchihr, fils d’Abū’l-Asvār 1635.
Et le texte ajoute un peu plus loin, après avoir exposé les difficultés rencon-
trées par le roi à la suite de la demande du sultan :
Mais le grand roi Bagrat’ donna en mariage et unit sa fille Marthe au roi des
Grecs. Ensuite il donna sa nièce en mariage au roi des Perses, le sultan1636.
Abū’l-Asvār est l’émir shaddādide de Ganja depuis 1049. Matthieu
d’Édesse dans un passage plus rapide souligne la violence de l’assaut lancé
contre Axalkalaki assiégé, la prise de la ville, le massacre d’une partie de la
population, la captivité des prêtres, moines et nobles et l’immensité du butin
d’or, d’argent, de perles et de pierres précieuses1637.

Entre l’automne 1059 et l’été 1064, l’activité de Georges se concentra


dans deux secteurs : une réforme de la vie religieuse et la formation d’un
groupe de chantres. Sur ces deux points j’ai peu à ajouter au contenu des
notes.

1633. Voir plus bas, p. 179 et 181-182.


1634. La fille de Guaranduxt’ et de Smbat, frère de Cyriaque roi arménien de Lori, qui vient
d’être contraint à demander la paix au sultan.
1635. Chronique du Kartli, éd., p. 306-307 (trad., p. 298-299).
1636. Ibid., éd., p. 308 (trad., p. 300).
1637. MATTHIEU, éd., p. 173-175 (trad., p. 121-122).
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 177

La Vie de Georges apporte un témoignage précieux sur le christianisme en


Géorgie dans la seconde moitié du 11e siècle. Églises, monastères et évêchés
ne manquaient pas (§ 531115), ni même les clercs et les moines. En revanche
une réforme des mœurs et de la discipline ecclésiastique semblait urgente :
vente des évêchés, laxisme dans les ordinations, invasion de l’argent, indisci-
pline des clercs, manque de respect pour les choses saintes, à commencer par
les saintes espèces, paraissent avoir été courants. Sans aucun doute, si l’on en
croit l’hagiographe, Georges fit ponctuellement merveille. Mais on le voit
bien, et le texte lui-même le dit : c’est de livres qu’on avait besoin, et plus
particulièrement des livres traduits par Georges et que le roi lui avait demandé
expressément d’emporter avec lui (§ 531110) : ils furent effectivement active-
ment recopiés (§ 701468). Sans revenir sur ce qui a déjà été dit en notes, je sou-
lignerai simplement, sans originalité, que les traductions de Georges avaient
touché différents domaines. La Vie de Georges fait état de son travail sur les
textes bibliques1638 et sur leur commentaire1639, mais ses renvois au reste du
champ patristique sont succincts, ils sont inexistants en ce qui concerne l’ha-
giographie. Les textes que l’hagiographe a souhaité mettre particulièrement
en valeur touchent à la vie liturgique comme le montre son énumération des
traductions du Typikon/Synaxaire1640, de l’Euchologe1641, des Lectionnaires
divers (Évangéliaire, Apostolos, Prophètologion)1642, auxquels peut être ratta-
ché le « Stoudite »1643 ; un intérêt particulier pour l’hymnographie des diffé-
rents cycles liturgiques (Ménées, Paraklètikè, Triodion, Pentèkostarion1644)
est également sensible. Ces différents livres étaient ceux qui s’implantaient
alors à Constantinople. Ce sont tous ces livres qu’il s’agissait de diffuser en
Géorgie.
Ces traductions avaient été réalisées à Iviron et sur la Montagne Noire et
on ne voit pas qu’il en ait effectué de nouvelles après 1059. La liste donnée au
§ 44 appelle des compléments1645 ; mais seule une recherche minutieuse dans
les nombreux catalogues de manuscrits permettrait de la compléter. Les bases
d’une telle enquête ont été jetées il y a longtemps par K’. K’ek’elidze, notam-
ment dans le cadre de ses deux volumineux articles portant sur les traductions
des textes grecs en géorgien1646 et sur les traductions des textes hagiogra-
phiques grecs1647 ; ses travaux sur la liturgie géorgienne restent une inépui-
sable mine1648. Tout un travail de mise à jour et de synthèse reste à faire tant

1638. § 42916-917. Voir ŠANIDZE, Remarques et Psautier ; DŽOC’ENIDZE, DANIELA, Épîtres de


Paul ; LORTKIPANIDZE, Épîtres catholiques.
1639. Ainsi des commentaires patristiques sur la Genèse (§ 44943.946-947 et n. 720 et 722).
1640. § 24551 et n. 504.
1641. § 24560 et n. 512.
1642. § 24559-560 et n. 509-511.
1643. C’est-à-dire les catéchèses de Théodore Stoudite pour le Carême : § 39840 et n. 651.
1644. § 44935-941 et n. 712-718.
1645. Ce que TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 181, considère comme comme l’une des faiblesses
du texte.
1646. K’EK’ELIDZE, Auteurs.
1647. IDEM, Littérature hagiographique.
1648. Voir notamment IDEM, Monuments.
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178 BERNADETTE MARTIN-HISARD

les publications de sources traduites ont été nombreuses en Géorgie depuis


plusieurs décennies. Mais au-delà de ce repérage, au-delà d’un indispensable
travail de philologie sur les traductions elles-mêmes, il faudrait, toujours à
travers les catalogues, suivre la diffusion des textes de Georges et, par une
patiente collecte des colophons, éclairer l’activité des copistes qui se saisirent
de son œuvre, comprendre enfin le rôle de relais que les monastères de la
Montagne Noire semblent avoir joué dans la seconde moitié du 11e siècle par
rapport à l’Athos. En effet au moment où Georges partait en Géorgie, un autre
moine et grand traducteur allait s’installer dans la région qu’il laissait,
Éphrem le Petit qui, arrivant vers 1059, y resta en pratique jusqu’à sa mort
vers 10941649 ; lui-même grand traducteur, il s’inscrit dans la continuité de
Georges, tout en marquant soigneusement ses différences : autre piste à explo-
rer.

RETOUR DANS L’EMPIRE


1065

Une fois précisée leur grille chronologique, les paragraphes de la Vie de


Georges relatifs à cette période permettent un commentaire sur trois points
d’importance inégale : le mariage de la princesse Marthe, la place du roi
Gagik de Kars dans les débats religieux de 1065 avec les Arméniens et l’im-
portance du thème eucharistique dans les sujets débattus. Quant au récit de la
mort de Georges et du transfert de son corps sur l’Athos, les notes de la tra-
duction suffiront à l’éclairer.

Chronologie
Georges resta cinq ans en Géorgie (§ 701467) où il était arrivé à l’automne
1059. Le pillage d’Axalkalaki par Alp Arslan eut lieu en juillet 1064. Un
temps imprécis se passa avant qu’il ne demande à Bagrat’ IV la liberté de par-
tir (§ 72-73) et la durée du voyage n’est pas non plus indiquée. Il ne semble
pas être resté longtemps à Constantinople, peut-être moins d’un mois, quand
il mourut le 29 juin. En effet son séjour fut marqué par trois entrevues avec
l’empereur : une présentation officielle terminée par un échange religieux
semble avoir suivi de peu son arrivée (§ 75) et intervint « à un moment favo-
rable et tranquille » (§ 761570-1571) ; une seconde entrevue, très proche de la pré-
cédente, eut lieu en présence de l’higoumène d’Iviron le 23 juin (§ 79)1650 ;
puis, quatre jours après la célébration de la fête de Jean-Baptiste le 24 juin
(§ 81), donc le 28, une troisième rencontre au Philopation permit à l’empereur

1649. TARCHNIŠVILI, Geschichte, p. 182-198.


1650. Le § 79 précise qu’après son entrevue avec l’empereur, le moine alla se reposer dans
une demeure alors que l’higoumène Georges IV était déjà dans la capitale ; le moine et l’higou-
mène se rencontrent (peut-être sont-ils dans la même demeure) et tous deux sont convoqués au
palais le lendemain, veille du 24 juin.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 179

d’entendre chanter les orphelins (§ 81-82) ; Georges mourut le lendemain


mercredi 29 juin 1065 (§ 82-83).
On peut en conclure que Georges arriva à Constantinople au début de juin
1065.
L’époque était en effet « favorable et tranquille » : les Ouzes qui, durant
l’hiver 1064-1065, avaient franchi le Danube et envahi l’Empire et dont cer-
tains contingents étaient arrivés jusqu’à Thessalonique et en Grèce, avaient
été battus1651 ; quelles qu’aient été les causes de leur retrait et quoi qu’on en
pensât à Constantinople1652, Constantin X s’en attribuait le succès.
Sur les frontières orientales, la campagne d’Alp Arslan en 1064 n’avait
pas débordé en Anatolie ; le pillage d’Ani pouvait paraître compensé par l’an-
nexion du royaume de Kars, que son roi, Gagik-Abas qui s’était réfugié dans
la capitale depuis peu, avait échangé contre des terres en Cappadoce1653. Enfin
l’Empire avait resserré ses liens avec le roi des Apxazes Bagrat’ IV, et indi-
rectement avec les Alains, comme en témoignait la récente arrivée de la prin-
cesse Marthe, fille de Bagrat’ et nièce du roi des Alains, dans les premiers
mois de l’année 1065.

La princesse Marthe
On peut apporter de menues informations supplémentaires sur cette prin-
cesse qui épousa successivement Michel Doukas, fils de Constantin X, puis
Nicéphore III Botaniate ; elle bénéficia ensuite des faveurs d’Alexis Comnène
et garda de l’influence à Constantinople jusqu’à sa disgrâce en 1091 où elle
prit l’habit monastique1654.
La date de son arrivée à Constantinople se situe dans la première moitié de
10651655. Nous ignorons l’âge de la princesse et celui de Michel Doukas1656 ;
la date de leur mariage est incertaine1657 et nous ne savons pas quand elle
changea son nom de Marthe (Marta) pour celui de Marie (Mariam).
Toutefois, parmi les émaux incrustés dans un triptyque célèbre provenant de

1651. STEPHENSON, Balkan, p. 95-96.


1652. Le retrait des Ouzes, qui s’explique par la famine, la maladie, l’attaque des Bulgares et
des Petchénègues, fut l’occasion de la seule action militaire de Constantin en tant qu’empereur ;
Psellos le crédite de ce succès contre les Ouzes (PSELLOS, Scripta minora, I, p. 39) ; ATTALIATÈS,
p. 8319-20 , 85-86, est beaucoup plus sceptique.
1653. Regesten2, n° 954b ; FELIX, Byzanz, p. 180 ; DÉDEYAN, Immigration, p. 61 et n. 110.
1654. GAUTIER, Théophylacte, p. 58-67 ; BARZOS, Généalogie, I, no 20 ; NODIJA, Matériaux.
1655. La datation de 1071-1072 est celle de GAUTIER, Tzetzès, p. 212, et de VANNIER, Notes,
p. 676 ; mais d’après la Vie de Georges (§ 74), la princesse était partie avant le moine Georges ;
et le patrice Pierre, qui avait été chargé d’accompagner Marthe (§ 71), se trouvait déjà à
Constantinople lors de l’arrivée du moine Georges qu’il introduisit auprès de l’empereur (§ 75).
Regesten2, no 954a, date de ca. 1064 la mission confiée à Aaron de ramener la princesse Marthe,
avec un doublon au no 959 né d’une confusion de sa source avec la reine Marie.
1656. Marthe était encore jeune en 1056 (§ 37815-816) ; Michel était né avant 1056.
1657. POLEMIS, Doukai, p. 46 et n. 43, place le mariage après l’avènement de Michel VII, en
1070.
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180 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Xaxuli1658 se trouve une plaque montrant le couple Marie-Michel, de face et


en pied avec, entre eux et en haut, le Christ, en buste, la main droite posée sur
la couronne de Michel, la gauche sur la couronne de son épouse1659 ; une ins-
cription en grec, située entre les deux personnages indique nettement qu’il
s’agit là d’une représentation de la partie du mariage que l’on appelle le cou-
ronnement des époux ; on lit en effet : « Je couronne Mikhail avec Mariam de
mes mains »1660. On suppose que la plaque fut réalisée à Constantinople à
l’occasion du mariage et envoyée à Bagrat’ ; la jeune épouse est désignée par
la forme géorgienne de son nouveau prénom, soit qu’elle l’ait pris à ce
moment-là, soit qu’elle l’ait déjà porté antérieurement1661 ; rien n’indique que
Michel était alors empereur. De ce mariage devait naître Constantin Doukas.
Les sources byzantines considèrent Marthe/Marie comme abasge1662,
alaine1663 ou encore comme ibère et bagratide1664 ; elle était tout cela à la
fois1665, d’où l’admiration de Théophylacte1666 ; un flottement géographico-
politique n’en était pas moins réel à Constantinople1667.
Marthe arriva dans l’Empire avec des dames de compagnie dont certaines
qui lui étaient apparentées firent une belle carrière : ainsi l’arrière-grand-mère
de Jean Tzetzès (qui peut donc se prononcer sur l’origine de Marie) venue à
Constantinople avec la despoina Marie dont « elle était la parente par le
sang »1668, ou encore Irène, « fille du prince d’Alanie »1669 et cousine germaine

1658. Il s’agit d’un triptyque en or, argent doré, pierres précieuses et émaux cloisonnés, réa-
lisé à divers moments, du 8e au 12e siècle, actuellement au Musée d’État de Tbilisi, et qui passe
pour le chef-d’œuvre de l’orfèvrerie géorgienne ; haut de 1,47 m et d’une largeur totale de 2,02
m il est centré sur une icône de la Mère de Dieu insérée dans le panneau central. Sur ce trip-
tyque : ABRAMIŠVILI, Triptyque, ill. 5-6 ; NODIJA, Matériaux, p. 149-152.
1659. Le panneau est placé à une place d’honneur au-dessus de l’icône de la Mère de Dieu.
1660. stevfw micahl sun mariam cersi mou (sic).
1661. Ce double prénom est attesté dans le Synodikon d’Iviron, commémoraison no 133 (éd.,
p. 250) : « Au mois de novembre, le 21, il y a une commémoraison pour notre reine Marie,
autrefois Marthe, et son fils Constantin Porphyrogénète, à cause des nombreux bienfaits qu’ils
nous ont témoignés… Cette commémoraison doit se faire comme celle de la mère de son père ».
La mère de son père est la reine Marie mère du roi Bagrat’ IV.
1662. Ainsi, dans un passage des Chiliades traduit dans GAUTIER, Tzetzès, p. 208, l’auteur
évoque « la despoina Marie, j’entends l’Abasge, que tous appellent l’Alaine, à tort… ».
1663. Pour SKYLITZÈS (éd., p. 178), elle était fille d’un prince d’Alanie.
1664. NICÉPHORE BRYENNIOS, éd. trad., p. 148, dit de Michel Doukas qu’il avait épousé « la
bagratide Marie fille de l’archonte des Ibères ».
1665. Son père, le roi Bagrat’ IV, avait une double ascendance, ibère et apxaze, et sa mère,
Borena, était la fille du roi des Alains.
1666. Dans un discours adressé à Constantin Doukas, Théophylacte fait ainsi l’éloge de sa
mère : « Ta mère est reine et d’une lignée tout à fait heureuse : elle peut dénombrer non seule-
ment un père, un grand-père et un aïeul illustres, elle est encore favorisée d’innombrables
ancêtres royaux » (trad. GAUTIER, Théophylacte, p. 184).
1667. Ainsi dans les Chiliades : « Ibères, Abasges et Alains ne sont qu’un seul peuple : les
Ibères viennent en tête, les Abasges en second, les Alains occupent des trois la dernière
position » (trad. GAUTIER, Tzetzès, p. 208).
1668. Ibid.
1669. Ibid., p. 212.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 181

de Marie, future épouse d’Isaac Comnène, frère aîné d’Alexis, puis moniale
sous le nom significatif de Xénè1670.

Gagik-Abas de Kars
Les § 76-78 apportent des informations sur des débats religieux qui eurent
lieu à Constantinople sous Constantin X, avec les Arméniens, à l’époque du
patriarche Jean VIII Xiphilin (1er janvier 1064-1075). Ces paragraphes posent
la question du rapport d’un débat intervenu en présence de Gagik de Kars
avec un autre débat mieux connu, qui se déroula également à Constantinople
sous Constantin X et dont le principal protagoniste fut le roi Gagik II d’Ani ;
il est connu par la Chronique de Matthieu d’Édesse et a été particulièrement
étudié par J. Gouillard dont l’article a été complété récemment par
N. Garsoïan1671. La Chronique raconte longuement comment, en accord avec
le patriarche, l’empereur convoqua en vue de discussions religieuses et dans
la perspective d’un nouveau baptême les deux frères de Sénéchérim Arcruni,
Atom et Apu Sahl, qui vinrent en compagnie du vardapet Jacques
K‘arap‘nec‘i ; après s’être montrés d’abord plutôt conciliants, ils finirent par
demander la présence et l’avis du roi Gagik II d’Ani, alors en exil en
Cappadoce ; convoqué dans la capitale, Gagik prononça une longue et magis-
trale profession de foi, au sein de laquelle s’insère un développement sur les
espèces eucharistiques1672 ; l’empereur ayant favorablement accueilli ce dis-
cours, Gagik II rentra triomphalement dans ses terres. La date du débat est
incertaine : 1065 ou 10661673. Dans cette même période, après une vacance de
cinq ans, Constantin X autorisa l’élection du successeur du catholicos
Xač’ik1674, en la personne de Vahram Pahlawuni, fils de Grégoire Magistros,
qui prit le nom de Grigor II ; cette élection, que l’on place souvent avant le
débat évoqué plus haut, serait plutôt postérieure ou simultanée1675 ; elle fut
négociée par le roi Gagik-Abas de Kars et fit partie des conditions mises par

1670. D’après une notice, contenant une liste des archevêques de Bulgarie, qui précise
qu’Irène était la fille de l’exousiokratôr d’Alanie et la cousine germaine de Marie (voir
STIERNON, Notes, p. 180-181) ; du mariage d’Irène et d’Isaac naquit Adrien qui devint arche-
vêque de Bulgarie.
1671. MATTHIEU, éd., p. 191-195 (trad., p. 135-150). GOUILLARD, Gagik II ; GARSOÏAN,
Integration, p. 81 et n. 111, 114-115 et n. 227. Voir aussi MAHÉ, Église arménienne, p. 530-531.
1672. MATTHIEU, éd., p. 194 (trad., p. 144-145) ; pour justifier l’usage du vin pur, le roi
invoque notamment le témoignage de Jean Chrysostome, Homilia in Matthaeum, cap. 26 (voir
éd. PG 58, col. 740) ; GOUILLARD, Gagik II, p. 412, trouve confuses les explications du roi.
1673. Vers 1066, pour Regestes2, no 895 ; ca. 1065 pour Regesten2, no 957-958 ; vers 1065-
1066 pour GARSOÏAN, Integration, p. 81 ; en 1065-1066 pour GOUILLARD, Gagik II, p. 399.
1674. MAHÉ, Église arménienne, p. 530, situe sa mort en 514 de l’ère arménienne, soit entre
le 5 mars 1065 et le 4 mars 1066, d’après MATTHIEU, éd., p. 183-184 (trad., p. 127-129).
GARSOÏAN, Integration, p. 71, le fait mourir en 1060 ; de même DAGRON, Minorités, p. 211
n. 167. DÉDEYAN, Immigration, p. 72-73.
1675. MATTHIEU, éd., p. 183-184, mentionne l’élection avant les discussions ; MAHÉ, Église
arménienne, p. 530 et n. 709, la place après en s’appuyant sur un poème de Nerses Šnorhali,
daté de 1121.
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182 BERNADETTE MARTIN-HISARD

lui à la cession de son royaume à Constantin X1676 ; si l’unanimité semble


acquise sur ce dernier point, la date de cette cession et donc celle de la venue
de Gagik-Abas à Constantinople restent obscures ; ce qui explique, je pense,
que H. Berbérian ait pu suggérer que le discours prêté à Gagik II par Matthieu
au cours du grand débat pourrait être attribué au roi de Kars1677 ; Nina
Garsoïan à qui je dois cette référence ne trouve pas cela impossible1678.
Parmi les éléments qui attirent l’attention sur le rôle de Gagik-Abas à la
cour de Constantin X, il y a ce passage de Matthieu qui fait suite à l’histoire
du débat :
Il y avait à cette époque le roi Gagik fils d’Abas de Kars, un homme savant et
rempli de toutes les grâces en matière de philosophie et d’art de la rhétorique ; il
déambulait1679 avec les docteurs romains1680 et lorsqu’il venait à Constantinople, il
s’asseyait dans la chaire, au milieu de Sainte-Sophie, et il connaissait entièrement
l’Ancien et le Nouveau Testament du Seigneur et il était très éloquent1681.
La Vie de Georges ne confirme ni n’infirme l’hypothèse que Matthieu
d’Édesse ait attribué à Gagik II ce qui appartenait à Gagik-Abas, que la Vie
montre accompagné d’autres princes arméniens, qualifiés de « rois »
(§ 781611), qui pourraient être les deux frères de la famille Arcruni. Elle permet
en tout cas de préciser la date de la présence de Gagik-Abas dans la capitale :
juin 1065, et elle souligne le rôle de ce roi dans les débats religieux de cette
période. La Vie d’autre part mentionne la présence de Latins à ces débats. Ce
ne sont pas nécessairement des envoyés du pape Alexandre II1682, mais peut-
être simplement des Latins de Constantinople, tel ce Maurus, abbé du monas-
tère Sainte-Marie des Amalfitains, à qui Pierre Damien envoya, vers 1060-
1066, une lettre pour féliciter les Latins de la capitale d’être restés fermes
dans leur foi :
Gaudeamus… quia dum inter extera gentes et in peregrinae linguae regione
consistis, a catholica tamen fide et piis operibus, sicut fama vulgante comperimus,
non exsulatis…1683.
La Vie confirme par là la poursuite des échanges religieux entre Grecs et
Latins ; ils l’emportent même ici sur les échanges avec les Arméniens puisque
ce sont les spécificités des pratiques eucharistiques des Latins par rapport à
celles des Grecs et des Géorgiens qui sont soumises à Georges.

1676. Le nouveau catholicos s’installa d’abord dans les terres données à Gagik-Abas, à
Tzamandos. Ibid., p. 531 ; BERBERIAN, Abolition, p. 327-346 ; DÉDEYAN, Immigration, p. 54 et
n. 63, 103-104 ; GARSOÏAN, Integration, p. 71, 115.
1677. BERBERIAN, Abolition, p. 335-342.
1678. GARSOÏAN, Integration, p. 81 n. 111 et 115 n. 227 : la similitude des noms des rois et
l’absence d’édition critique de la Chronique de Matthieu ne permettent pas d’exclure une confu-
sion entre Gagik II et Gagik-Abas.
1679. Čemēr, de čemim : se promener, faire un tour de promenade.
1680. Romains, c’est-à-dire grecs.
1681. MATTHIEU, éd., p. 154.
1682. On ne peut cependant l’exclure : voir SCHMIDT, Alexander II., notamment p. 167.
1683. Ep. 6, 13, dans PL 144, col. 396.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 183

La question des espèces eucharistiques


Rappelons d’abord que la controverse avec les Latins qui conduisit aux
événements de 1054 à Constantinople recoupa et prolongea des discussions
religieuses des Grecs avec les Arméniens provoquées par la présence dans la
capitale entre 1048 et 1052 du catholicos Petros1684. En dehors de Michel
Cérulaire, l’acteur le mieux connu de ces débats avait été Nicétas Stéthatos,
dont on connaît bien les échanges virulents avec le cardinal Humbert et beau-
coup moins le traité contre les Arméniens, qu’il composa entre 1048 et 1052 ;
le dernier de ses cinq discours concerne les azymes1685. On ignore comment
ce traité fut connu à Antioche1686 ; mais Pierre utilisa un matériau identique
pour répondre à des questions touchant les Latins dans sa réponse à la lettre
de Dominique de Grado, qui n’a pas dû être composée avant le printemps
10541687. Tous deux firent usage en tout cas de deux pseudépigraphes, écrits
l’un par un Pseudo-Athanase, l’autre par un Pseudo-Damascène1688.
La question posée par l’empereur au moine Georges soulevait deux pro-
blèmes : celui du calice mélangé et celui du pain levé (§ 761584-1587) :
Apprends-moi comment il se fait que nous célébrions la liturgie, vous et nous,
avec du pain levé et que nous ajoutions de l’eau au vin du sacrifice tandis que les
Romains célèbrent avec du pain sans levain et sans eau.

LE CALICE MÉLANGÉ
L’addition d’eau au vin dans le calice, ou « calice mélangé », renvoie à
deux rites différents : l’hénôsis qui est l’addition d’eau au vin dans le calice
avant la consécration et le zéôn, littéralement : ce qui vit, qui est l’addition
d’eau chaude au calice déjà consacré avant la communion1689. Des deux rites,
l’hénôsis est le mieux connu, car il provoqua déjà au 6e siècle une controverse

1684. Le catholicos Petros et son neveu et futur successeur Xač‘ik II furent amenés à
Constantinople en 1048 : ARISTAKÈS, X, p. 57 ; XIV, p. 2-73 ; MATTHIEU, p. 85-87, selon qui
Petros vint avec dix-sept « docteurs, philosophes et savants versés dans la connaissance de
l’Ancien et du Nouveau Testament ». Voir GARSOÏAN, Integration, p. 71 et 80.
1685. Sur ce traité, voir DAGRON, Minorités, p. 214 n. 185 ; SMITH, And taking bread, p. 142
et 180-181. L’œuvre de Nicétas, contenue dans le Mosqu. 4443 (Vladimir 232), « Contre le blas-
phème de l’hérésie des Arméniens », est un véritable traité en cinq discours : le premier discours
concerne la christologie ; le second la distinction nécessaire entre Nativité et baptême du Christ ;
le troisième traite du Trisagion ; le quatrième établit que leur hérésie résume toutes les hérésies
antérieures ; le cinquième concerne les azymes ; seul ce dernier a été édité (HERGENRÖTHER,
p. 139-154).
1686. Il a pu être transmis à Pierre pour l’aider à traiter l’opposition monophysite aux règles
byzantines dans sa région.
1687. PG 120, col. 756-782 ; la lettre de Dominique est postérieure à avril 1053.
1688. Sur le Pseudo-Athanase (CPG 2237) : SMITH, And taking bread, p. 137-138 et 176 ; sur
le Pseudo-Damascène (CPG 8116) : ibid., p. 139-140, p. 176-177. La date de ces deux textes est
controversée. Anton Michel voyait en eux un écho tardif des œuvres de Nicétas ; SMITH, ibid.,
p. 137-141, soutient de manière convaincante qu’il faut y voir un matériau antérieur au 11e
siècle, lié au caractère ancien des débats avec les Arméniens.
1689. Voir TAFT, Water.
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184 BERNADETTE MARTIN-HISARD

avec les Arméniens qui consacraient un calice de vin pur. La pratique armé-
nienne fut explicitement rejetée par le canon 32 du concile in Trullo qui justi-
fia l’hénôsis en rappelant la tradition reçue de Jacques de Jérusalem et de
Basile de Césarée ainsi que le concile de Carthage, mais aussi en donnant une
large portée à un texte dans lequel Jean Chrysostome prenait position contre
des hérétiques qui consacraient un calice d’eau pure :
Jean Chrysostome a transmis à l’Église dont la direction pastorale lui avait été
confiée que de l’eau doit être mêlée au vin chaque fois qu’est accompli le sacrifice
non sanglant, à l’exemple du mélange de sang et d’eau qui jaillit du saint côté de
notre rédempteur et sauveur Jésus-Christ, versé pour la vivification du monde
entier et la rédemption de nos péchés1690.
Quant au zéôn, R. Taft a montré que, pour autant qu’on puisse l’établir, il
s’agissait d’un rite ancien tombé en désuétude et réapparu au cours du
11e siècle dans certaines pratiques eucharistiques du monde grec, sans que sa
signification sur laquelle on reviendra plus loin soit alors évidente pour
tous1691. Quoique discrètement, la question du zéôn ne fut pas absente des
débats de 1054 : Nicétas Stéthatos semble avoir été le premier à faire état de
ce rite dans l’Antidialogue ou Dialexis qu’il composa en juin 1054 après l’ar-
rivée des Latins, en remaniant et complétant son Traité anti-arménien1692.
Ayant affirmé que les Grecs boivent « le sang vivant et très chaud » du
Seigneur, il ajoute, sans que le moment de l’addition de l’eau chaude soit pré-
cisé :
De même aussi en buvant son sang vivant et très chaud avec l’eau qui a coulé de
son côté très pur, nous sommes purifiés de tout péché et remplis de l’Esprit
vivant ; car nous buvons le calice chaud, comme vous le voyez, tel que provenant
du côté du Seigneur, puisque du sang très chaud et de l’eau ont jailli pour nous de
la chair du Christ vivante par l’Esprit et très chaude1693.
Dans sa réponse Humbert traite les affirmations de Nicétas de pestifera doc-
trina et de diabolica suggestio parce qu’il a dit :
Aquam calidam et sanguinem de vivo et calido Christi corpore exisse et ideo
Graecos aquam ferventem sanguine eius jure miscere1694.

1690. Concile in Trullo, éd., p. 106-110, notamment 108 ; voir plus haut, n. 1672.
1691. TAFT, Precommunion Rites, p. 441-502 ; sur la traduction iconographique de ce rite :
GRONDIJS, Iconographie ; IDEM, Mort.
1692. Éd., MICHEL, Humbert, p. 320-342 ; PG 120, col. 1012-1022 (et trad. lat. dans PL 143,
col. 973-984). Analyse : SMITH, And taking bread, p. 181-183.
1693. MICHEL, Humbert, p. 325 (texte grec) : ou{tw de; kai; to; ai|ma to; zw'n kai; qermovtaton
aujtou' pivnonte", meta; tou' ejkreuvsanto" u{dato" ejk th'" ajkhravtou pleura'" aujtou', kaqairov-
meqa pavsh" aJmartiva" kai; zevonto" plhrouvmeqa pneuvmato". qermo;n ga;r wJ" oJra'te, oi|a dh; ejk
th'" pleura'" tou' kurivou, to; pothvrion pivnomen. ejpeidh; ejk zwvsh" sarko;" tw'/ pneuvmati kai; qer-
motavth" Cristou', qermovtaton to; ai|ma hJmi'n kai; to; u{dwr ejxevblusen. PG 120, § III, col. 1013
et PL 143, § III, col. 975 (texte latin) : Sic autem et sanguinem vivum et calidissimum ejus
bibentes cum effluente aqua ex immaculata costa ejus, mundamur ab omni delicto, ferventi
replemur Spiritu. Calidum enim, ut videtis, velut ex latere Domini, calicem bibimus, quia ex viva
carne et calida spiritu Christi calidissimus nobis sanguis et aqua emanavit.
1694. PL 143, col. 986-987.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 185

Et d’expliquer que le côté du Christ ayant été percé à la neuvième heure,


son sang ne pouvait plus être chaud, de là cette question :
Quod si aliquo modo caluit, Evangelium quare tantum miraculum et mysterium
tacuit ? Unde vos novi symmystae volumus dicatis an sanguis tantum aut aqua
tantum an simul utrumque caluerit ? Si sanguis tantum, quare aquam calefacitis ;
si aqua tantum, quare ex ea calefacitis sanguinem Christi ? Si utrumque simul,
quare utrumque simul non calefit ? 1695.
Lorsque Constantin X, d’après la Vie de Georges (§ 76), s’interroge sur le
calice mélangé, on peut se demander s’il parle de l’hénôsis ou du zéôn. On
pense d’abord à l’hénôsis ; en effet le mot de zéôn ou l’expression eau chaude
n’apparaissent ni dans la question ni dans la réponse ; de plus, dans sa réponse,
au § 771599-1601, Georges s’appuie sur Jean Chrysostome et son évocation du
double jet de sang et d’eau jailli du côté du Christ, utilisée par le canon 32 du
concile in Trullo pour justifier l’hénôsis contre la pratique arménienne.
Pourtant deux raisons, sinon trois, me laissent penser qu’il s’agit plutôt du
zéôn. Tout d’abord la question est formulée par l’empereur dans le cadre d’in-
terrogations sur les différences entre Grecs et Latins ; or ces derniers prati-
quent l’hénôsis, mais rejettent le zéôn, comme on le voit en 1054 sous la
plume d’Humbert. En second lieu, quelques décennies plus tard, Balsamon
élargit la portée du canon 32 du concile in Trullo dans un commentaire qui
justifiait la pratique de l’hénôsis mais aussi celle du zéôn et visait non plus
seulement les Arméniens, mais aussi les Latins :
Note que deux hérésies sont rejetées par le présent canon, celle des
Hydroparastatai qui se servent uniquement d’eau dans le sacrifice du saint calice
et celle des Arméniens qui le font par le vin seul. Et non seulement les Arméniens,
mais aussi les Latins contestent l’introduction du zéôn dans le saint calice en
disant qu’elle n’a pas été transmise par un précepte évangélique ou canonique et
donc que c’est mal et contraire de ce fait à la divine tradition qui définit que
l’oblation du saint calice se fait par l’eau et le vin : qu’ils entendent donc que le
zéôn que l’on ajoute ne change pas l’hénôsis du saint calice par l’eau et le vin, car
ce n’est rien d’autre que de l’eau. Elle est ajoutée pour signifier que ce qui coula
du saint côté de notre Seigneur Jésus-Christ, à savoir le sang et l’eau, est vivifiant
(zwopoiav) et non pas mort ; et par là on donne foi à la grandeur du miracle. Car
alors que du sang vivant (zevonto") ne peut couler d’un corps mort, pourtant du
sang et de l’eau vivants (zevonta) coulèrent du corps du Seigneur et après sa mort,
du sang et de l’eau vivants (zevonta) ont jailli, comme <des choses> vivifiantes
d’un corps vivifiant. Et si quelqu’un dit : “Et pourquoi ne met-on pas le zéôn dans
l’hénôsis avant la consécration du saint calice, mais après la consécration ?”, qu’il
comprenne que si le zéôn était versé au moment de l’hénôsis, il se refroidirait
avant la communion aux saintes espèces et l’on revient au discours précédent.
Pour cette raison le zéôn est versé dans le saint calice après l’élévation et les
fidèles y communient comme à quelque chose de vivifiant1696.

1695. Ibid., col. 987.


1696. PG 137, col. 620-621.
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186 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Balsamon a donc repris l’argument du canon 32, fondé sur Jean


Chrysostome, évoquant l’eau et le sang jaillis du côté du Christ pour l’appli-
quer au zéôn (terme explicitement employé) et pour en expliquer le sens : la
chaleur que le zéôn communique au calice, sensible pour les fidèles qui y
communient, est signe et rappel pour eux du caractère vivifiant de l’espèce
eucharistique, à l’image du Christ vivant après la Passion. Je ne connais pas
l’origine de ce glissement que Balsamon a pu emprunter à quelque commen-
taire de la liturgie ou à quelque texte synodal, non cité. En rappelant le texte
de Jean Chrysostome et en visant les Latins, le moine Georges en tout cas
pouvait donc avoir le zéôn à l’esprit. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, car
même si le mot de zéôn n’apparaît pas dans l’hagiographie, le rite en tout cas
était admis des Géorgiens, en tout cas à l’époque de Balsamon, moins d’un
siècle après la rédaction de la Vie. En effet le canoniste poursuit ainsi son
commentaire :
Cependant les prêtres ibères ne mettaient pas de zéôn dans le saint calice, alors
qu’ils sont particulièrement orthodoxes. Et quand on les interrogea de manière
synodale (sunodikw'") sur cette manière d’agir, ils dirent que, en vertu d’une
vieille coutume indigène, jamais un Ibère n’avait utilisé d’eau chaude pour boire
du vin et que pour cette raison ils n’utilisaient pas non plus le zéôn pour les saintes
espèces. Or quand ils eurent été instruits du sens de ce mystère, ils se sont laissés
convaincre sans contestation de mettre du zéôn dans le saint calice au moment de
la sainte communion1697.
La question est évidemment de dater la réunion synodale qui entraîna un
changement de la pratique des Ibères ; ce changement était acquis à l’époque
de Balsamon, mais aussi en 1065 si mon analyse de la Vie de Georges est cor-
recte. Il ne saurait être antérieur à la réapparition de ce rite chez les Grecs, au
11e siècle, un rite évoqué en 1054. Mais il n’est pas besoin d’imaginer ici un
improbable synode réunissant l’Église grecque de Constantinople et l’Église
géorgienne ; il peut s’agir tout simplement d’Ibères installés dans l’Empire et
dépendant soit de Constantinople soit d’Antioche. Or je ne peux m’empêcher
de remarquer que Balsamon, ainsi qu’on l’a vu plus haut, a déjà cité une dia-
gnôsis synodale d’Antioche concernant les Géorgiens et que j’ai proposé de
dater de 1052/1054 et du patriarche Pierre III1698. Même si la seconde décision
synodale n’a rien à voir avec Antioche, le changement évoqué par Balsamon
est un signe supplémentaire du rapprochement en cours entre la liturgie
constantinopolitaine et la liturgie géorgienne et l’on voit que le moine
Georges pouvait fort bien la connaître.

LE PAIN LEVÉ ET L’HÉRÉSIE APOLLINARISTE


Le passage de la Vie de Georges concernant l’emploi du pain levé dans
l’eucharistie est dans le prolongement direct des controverses de 1050-

1697. Ibid., col. 621.


1698. Voir plus haut, p. 174.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 187

1054, qui renouaient avec d’autres plus anciennes1699 ; en tant que tel il
n’apporte rien de nouveau à notre connaissance de celles-ci. En revanche
l’utilisation faite par Georges de l’hérésie d’Apollinaire de Laodicée pour
combattre les azymes (§ 771595-1599) appelle commentaire. Apollinaire qui
excluait la raison (nou'") de l’être du Christ et amputait son humanité
d’une âme véritable avait été condamné au concile de Constantinople I en
3811700. La Vie place dans la bouche de Georges le vocabulaire de la lutte
contre l’apollinarisme. La phrase qu’il adapte en géorgien : « Le levain
dans la pâte représente l’âme, et le sel la raison »1701 est une formule uti-
lisée déjà, une douzaine d’années auparavant, par Nicétas Stéthatos au
§ 13 du cinquième discours contre les Arméniens1702 et par Pierre d’An-
tioche dans sa lettre à Dominique de Grado1703 ; elle se trouve également
dans le Pseudo-Damascène1704, le Pseudo-Athanase en offrant une version
proche1705. Elle figure encore dans la Panoplie contre les Latins attribuée à
Cérulaire, mais sans référence à Apollinaire1706.
Le moine Georges n’était pas à proprement parler un théologien et l’on peut
se demander d’où il tirait cette formule et son application aux controverses
eucharistiques du siècle. Il ne semble pas qu’il ait été en quelque manière asso-
cié aux débats des années 1050-1054 qui auraient pu lui permettre de connaître
les textes de Nicétas Stéthatos ; ce n’est pas non plus à Iviron qu’il put lire la
lettre de Pierre à Dominique de Grado ; il n’a sûrement pas non plus trouvé ces
textes en Géorgie entre 1059 et 1065. Reste donc la période syrienne, ce qui
nous ramène à Pierre d’Antioche et à ses entretiens avec Georges. Et c’est
encore à ce patriarche que nous ramènent les propos du moine : « Il n’y a pas de
séparation du moment que la foi est droite » (§ 771605-1606). Ils rappellent en effet
la modération et la tolérance relative dont Pierre fit preuve dans la réponse faite
à l’automne 1054 ou un peu plus tard à Michel Cérulaire1707, en parfait contraste
avec les fureurs de celui-ci et avec sa propre raideur, quelques mois plus tôt,
dans sa lettre à Dominique de Grado. Pour Pierre, aux prises avec les jacobites,
en dehors de la question de la procession du Saint-Esprit, les points de rupture
avec les Latins, soulevés par Cérulaire, ne correspondaient qu’à des choses ni

1699. À la différence de A. Martin pour qui la controverse sur les azymes a été créée par
Cérulaire pour s’opposer à Rome, SMITH, And taking bread, considère que cette question est
ancienne dans les Églises orientales et il trace une sorte de stemma de ce débat qui, utilisant
notamment deux pseudépigraphes, prit de l’ampleur avec le traité anti-arménien de Nicétas
Stéthatos et la réponse du patriarche Pierre III d’Antioche à Dominique de Grado ; voir plus
haut, n. 1690-1693.
1700. Voir KANNENGIESSER, Apollinarios. L’œuvre principale d’Apollinaire, la Preuve de
l’Incarnation de Dieu selon l’image de l’homme, est connue par la réfutation qu’en fit Grégoire
de Nysse (CPG 3144).
1701. ÔH ga;r prozuvmh ajnti; yuch'" tw'/ furavmati givnetai, to; de; a{la" ajnti; tou' noov".
1702. Texte du passage dans WILL, Acta et scripta, p. 151-152.
1703. PG 120, § 23, col. 777.
1704. PG 95, col. 392.
1705. PG 26, col. 1328B.
1706. Éd., MICHEL, Humbert, p. 232-233.
1707. Éd., PG 120, col. 796-816.
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188 BERNADETTE MARTIN-HISARD

bonnes ni mauvaises, y compris les azymes1708, dont Pierre pouvait admettre


que les Latins en fassent une question de coutume1709 : l’important en effet
n’est-il pas que la Trinité source de vie soit proclamée sans dérapage et le mys-
tère de l’économie du Christ selon la chair confessé conformément à la foi des
Grecs1710 ?
La joie des Latins, dont la « foi droite » est affirmée (§ 771605-1606), a ainsi
pour corollaire la confusion des Arméniens que leur « foi mauvaise » exclut
de toute mention (§ 781610-1611). On replacera ces propos dans le contexte plus
vaste du conflit entre chalcédoniens et monophysites ravivé dans l’Empire au
11e siècle à la suite des conquêtes impériales1711 ; ce conflit prit des formes
aiguës dans le patriarcat d’Antioche où il éclipsait les divergences avec les
Latins. Il me semble que la Vie de Georges en porte le reflet1712. Mais une
dimension anti-arménienne plus spécifiquement géorgienne n’est pas à
exclure, car au tout début de la Vie de Georges, l’hagiographe évoque déjà
« les mauvaises graines des Arméniens » semées chez les Géorgiens sous
forme de nombreuses traductions ; ce sont ces « mauvaises herbes »
qu’Euthyme extirpa (§ 19463-471) et dont Georges garde le souvenir.

EN GUISE DE CONCLUSION

Georges est un personnage fascinant. Qui fut-il ?


L’auteur du titre qui fut ajouté très tôt à la Lettre d’envoi de la Vie de
Georges l’appelle « Georges de la Sainte Montagne » et il exprime fort bien
ainsi l’image de Georges qui se dégage en premier lieu du texte hagiogra-
phique composé par son disciple. En effet il y arriva à l’âge symbolique de
trente ans, comme en prolongement de son premier pèlerinage à Jérusalem
(§ 18) et s’il quitta la Sainte Montagne quatorze ans plus tard environ pour la
Montagne Noire et s’il partit ensuite pour la Géorgie, c’est la main droite
d’Euthyme qu’il emmena partout avec lui (§ 28641-645) et c’est l’appel de la
Sainte Montagne qu’il ressentit au soir de sa vie et auquel il céda
(§ 721497-1498) ; c’est dans le monastère d’Euthyme qu’il effectua ses premières
traductions et c’est à lui qu’il laissa non seulement ses premiers manuscrits,
mais aussi les autres, écrits ailleurs ; c’est pour sa splendeur liturgique qu’il
forma le chœur des orphelins arrachés à l’abandon et à la mort (§ 721505-1506) ;
c’est la nouvelle église de la Mère de Dieu qu’on lui doit, elle dont il fut,
selon l’expression de l’hagiographe, le « second constructeur » (§ 982050-2051) ;
c’est l’héritage d’Euthyme qu’il sauva et compléta, par-delà des années de
crise qui donnent, selon moi, le sens de son action pour l’hagiographe ; c’est

1708. PG 120, col. 812 : « Pour dire franchement mon avis, si les Latins corrigeaient l’addi-
tion au symbole, je ne demanderais rien de plus, abandonnant avec le reste comme indifférente
(ajdiavforon : ni bon ni mauvais) la question des azymes ».
1709. Ibid., col. 808.
1710. Ibid., col. 805-807.
1711. DAGRON, Minorités.
1712. Voir aussi MARTIN-HISARD, Pierre III.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 189

donc au service du peuple géorgien, identifié par sa langue, que, fidèle à son
nom, « il laboura les sillons de l’Église » et ce sont ses « greniers » qu’il
contribua à remplir (§ 5221-222).
Ce Georges de la Sainte Montagne, c’est celui que l’auteur a connu par
personnes interposées, par ouï-dire, sur lequel il a bien peu de traits concrets à
raconter, auquel il a bien peu de paroles à prêter, mais dont il a su parfaite-
ment exprimer l’« hagiorisme » dans sa double dimension : culte d’Euthyme,
passion pour la langue géorgienne.
Mais la Sainte Montagne ne rend pas compte de toutes les facettes du per-
sonnage.
Dès que l’hagiographe « le vit de ses yeux, le servit de ses mains, l’enten-
dit de ses oreilles » (§ 1012175-2177), dès qu’il « n’eut plus besoin de personne »
(ibid.) pour en parler, dès qu’il fut « illuminé par lui et aimé par lui » (§ V40),
se faisant son disciple dévoué jusqu’à sa mort, il a connu d’autres aspects de
Georges, un Georges qui vécut dans le monde : à Antioche avec les
patriarches, en Géorgie avec tous, à Constantinople en milieu plus restreint.
Dès qu’il est question de ces moments, trois autres touches s’ajoutent à la
peinture de Georges, fruit de la familiarité de l’auteur avec son sujet.
Hagiorite sans aucun doute, mais aussi directeur spirituel, de moines, de
clercs et de laïcs, d’hommes et de femmes, de grands et de petits, dont il
savait comprendre et résoudre les « pensées ». C’est là un trait qui le différen-
cie d’Euthyme et qui est typique du caractère privilégié dont jouirent les
moines géorgiens dans la vie religieuse de leur Église à la fin du 11e et au 12e
siècle. Hagiorite, mais aussi témoin de l’indépendance de son Église et garant
d’une orthodoxie qui avait pour principal adversaire le monophysisme,
incarné notamment par les Arméniens ; cette note anti-arménienne, toutefois
discrète, est bien aussi du temps de l’hagiographe : on n’est pas loin du traité
d’Arsène de Sapara contre les Arméniens. Hagiorite, mais dans une politeia
de laquelle émerge un profond culte pour la Mère de Dieu, éminemment
caractéristique de la spiritualité géorgienne au 11e et au 12e siècle.
On soulignera enfin deux derniers traits du texte : d’une part l’importance
accordée à Georges le Reclus aux grands moments de la vie athonite de
Georges l’Hagiorite, d’autre part une admiration certaine pour la culture des
Grecs avec l’ambition des Géorgiens de les égaler. Sur ces deux points il est
difficile de savoir ce qui relève du vécu de l’Hagiorite et ce qui appartient à la
pensée de son hagiographe.
L’interrogation n’est donc plus seulement : Qui fut Georges ? Elle est
aussi : Qui fut cet hagiographe dont l’œuvre se lit ainsi sur deux registres : la
création d’un modèle, le reflet de son temps ?
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190 BERNADETTE MARTIN-HISARD

INDEX DES NOMS PROPRES DE LA VIE DE GEORGES

Les chiffres renvoient aux lignes de la traduction

Aaron : 478, 620, 1335. 1112, 1122, 1491, 1510, 1540, 1558,
Aaron (envoyé de Constantin Doukas) : 1626.
1543. Bagrat’ (père du moine Basile) : 303,
Abataisdze (adversaires du roi 331.
Bagrat’ IV) : 1193. Baptiste : voir Jean (le Baptiste).
Abdias : 1344. Basile de Césarée : 76, 262, 293, 947.
Abraham : 301, 379, 561, 1519, 2138. Basile II (empereur, 976-1025) : 345.
Achab : 1346. Basile fils de Bagrat’ (moine de Xaxuli,
Amisos (ville des Arméniaques) : 1173. beau-frère de Phersès) : 303, 331,
Amos : 1408. 332, 333.
André (apôtre) : 1061, 1077, 1478. Bedia (ville d’Apxazeti) : 1544 ; voir
Antioche (Syrie) : 861, 863, 922, 962, aussi Jean de Bedia.
1022, 1040, 1093, 1137, 1156, 1350 ; Benjamin : 1789.
voir aussi Théoupolis, Babylas, Bethléem : 1790.
Ignace le Théophore, Pierre (III), Bulgares : 790.
Théodose (III). Cananéen : voir Simon le Cananéen.
Antiochiens : 1089. Césarée (ville de Cappadoce) : 1167.
Antoine (saint) : 34. Clément d’Ancyre (3e s.) : 1348, 1350.
Antoine (moine de Xaxuli) : 305. Côme et Damien (saints) : 638.
Antoine (nom monastique de Lip’arit’) : Constantin (Ier, empereur, 324-337) :
1101.
1226.
Apollinaire de Laodicée : 1598.
Constantin (IX) Monomaque (empereur,
Apôtres (saints)
1042-janvier 1055) : 677, 707, 710,
– (Pierre et Paul) : 1696, 1702, 2056.
737, 767, 1537.
– (les douze) : 2055 ; voir aussi
Constantin (X) Doukas (empereur, 1059-
église.
1067) : 823,1533.
Apxazes : 698, 815.
Apxazeti : 1068, 1175, 1206, 1209. Constantinople : 347 ; voir aussi
Arméniens : 464, 993, 1570, 1609. Philopation, Stoudios, Ville royale.
Arsène de Ninoc’mida (moine d’Iviron) : Čorčaneli (frère de Parsman) : 1963.
653. Corinthiens : 877.
Arsène, autrefois Parsman (higoumène Č’q’ondidi (ville d’Apxazeti) : 774,
d’Iviron, c. 1055-1061) : 712, 713, 1208, 1209, 1276 ; voir aussi Jean
1963. Č’q’ondideli.
Asuri (= Djazîra) : 1158. Croix (monastère géorgien de
Athanase d’Alexandrie : 388. Jérusalem) : 884, 885.
Athènes : 276. Cyrille d’Alexandrie : 944.
Athinganes : 734, 737, 742. Daniel : 295, 2140.
Athos : voir Sainte Montagne. David : 22, 236, 261, 1247, 1386, 1408,
Axalkalaki (ville du Džavaxeti) : 1484, 2138.
1489. Doukas : voir Constantin (X).
Babylas d’Antioche (3e s.) : 1349, 1353. Džavaxeti (région du Kartli) : 1484.
Babylone : 1482. Džodžik’ (père de Phersès) : 331, 2123.
Bagrat’ IV (roi des Apxazes, 1027- Éden : 475.
1072) : 46, 505, 698, 709, 732, 741, église
766, 768, 770, 776, 815, 816, 818, – de la Mère de Dieu (église princi-
820, 856, 860, 893, 1098, 1107, pale d’Iviron) : 615.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 191

LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 191

– de saint Pierre (cathédrale Géorgien(s) : 960, 980, 991, 993, 1019,


d’Antioche) : 968. 1028, 1058, 1062, 1575.
– de saint Syméon l’Ancien (église Giezi : 1443.
d’un ermitage d’Iviron) : 655. Gothie : 1080.
– de Tous les saints (chapelle sud de Grèce : 464, 1080.
l’église principale d’Iviron) : 2027, Grecs : 354, 814, 960, 1574, 1583, 1592 ;
2030. voir aussi Hellènes.
– des saints Apôtres (basilique de Grégoire de Nysse : 946.
Constantinople) : 1706. Grégoire le Théologien : 82, 125, 276,
– des saints Archanges (chapelle nord 539.
de l’église principale d’Iviron) : 652. Hellènes : 145 ; voir aussi Grecs.
– du Baptiste (seconde église Hexamilion : 1983, 1984, 2012.
d’Iviron) : 615. Hilarion (évêque de Kutaisi) : 1181.
Égypte : 1408, 1518, 1829, 1906. Hilarion Tualoeli (moine de Xaxuli) :
Égyptien : 1381. 313, 370.
Éléazar : 478. Ignace le Théophore (évêque d’Antioche,
Élie : 478, 625, 1850, 1852, 2140. † 107/108) : 637, 948.
Élisée : 478, 625, 1442, 1851, 1853. Isaac : 1520.
Étienne (moine géorgien) : 1708. Isaïe : 105, 461, 1399.
Étienne (moine géorgien, archidiacre) : Israélites : 1850, 1864.
2087, 2089, 2090, 2097, 2101, 2106, Jacob : 200, 1518, 1827.
2116. Jacques l’Intercis († 5e s.) : 638.
Étienne le Prôtomartyr : 637. Jacques (père de Georges l’Hagiorite) :
Euchaïta (ville des Arméniaques) : 1169. 186, 189, 193, 286.
Euphrate : 1157. Jean (disciple de Georges le Reclus) :
Euthyme l’Hagiorite : 139, 162, 167, 529.
424, 450, 453, 457, 469, 492, 555, Jean (homme de confiance de Bagrat’
562, 569, 593, 598, 602, 611, 640, IV) : 1136.
644, 651, 656, 667, 672, 913, 1462, [Jean (apôtre)] : 2141.
1500, 1503, 1506, 2018, 2020, 2026, Jean l’Aumônier (patriarche d’Alexan-
2038, 2062, 2066. drie, 7e s.) : 2148.
Gagik (roi arménien de Kars) : 1570, Jean (le Baptiste) : 615, 1632, 1650 ; voir
1678. aussi église, le Précurseur.
Georges (saint martyr) : 494. Jean de Bedia (évêque, 11e s.) : 1544.
Georges (Ier, roi des Apxazes, 1014- Jean Chrysostome : 469, 943, 1188,
1027) : 187. 1325, 1600-1601, 2058.
Georges (II, fils de Bagrat’ IV, roi des Jean Climaque : 419.
Apxazes, 1072-?) : 1107, 1223. Jean Č’q’ondideli (archevêque, frère de
Georges (Ier) le Constructeur (3e higou- Pierre patrice) : 44-45, 2057.
mène d’Iviron, 1019-1029) : 2036, Jean de Gothie (8e s.) : 1080.
2050. Jean Grdzelisdze (moine d’Iviron) : 654.
Georges (III) l’Hagiorite : passim. Jean l’Ibère (père d’Euthyme) : 600, 650,
Georges (IV) Oltisari (11e higoumène 659.
d’Iviron, ap. 1061-v. 1077/78) : 2032. Jérémie : 295, 1842, 1854, 1864.
Georges le Reclus : 1, 5, 417, 432, 526, Jérusalem : 176, 435, 440, 462, 643, 861,
847. 872, 880, 1854, 1908 ; voir aussi
Georges le Secrétaire (oncle paternel de Sion.
Georges l’Hagiorite) : 281, 337, 339, Jézabel : 1345.
364. Joseph : 1381, 1520, 1912, 2139.
Géorgie : 1034. Josué : 159.
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192 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Jourdain : 628, 629. Nikopsis (ville d’Apxazeti) : 1069, 1480.


K’alip’o (monastère géorgien de Syrie) : Orient (= Géorgie) : 505, 644, 827, 866,
923, 959. 1107, 1109, 1143, 1237, 1373, 1391,
Kars (capitale du royaume arménien du 1411, 1467, 1476, 1477, 1674.
Vanand) : 1571, 1678. Pachôme l’Égyptien : 18.
Kartli : 1182, 1212, 1214. Pantéleimon (martyr, 4e s.) : 639.
Kcia (fleuve du Trialeti) : 254. Pantéleimon (jeune frère géorgien) :
K’lardžeti (région du Kartli) : 1215. 1995.
Kutaisi (ville d’Apxazeti) : 1176, 1180. Parsman : voir Arsène.
Liban : 237. Paul (apôtre) : 110, 454, 479, 1697, 2056,
Lip’arit’ (fils de Lip’arit’, moine 2142.
Antoine ; † 1064) : 1101. Pays d’En haut (= Kartli) : 823, 1177.
Livizdia (village d’un proasteion Peris fils de Džodžik’ (= Phersès) : 330,
d’Iviron) : 787. 333, 345.
Macaire l’Égyptien (4e s.) : 34. Perse : 187.
Macaire (higoumène de Xaxuli) : 299, P’et’rik’ : 954, 1544, 1558, 1917 ; voir
385. aussi Pierre (patrice).
Marie (mère du roi Bagrat’ IV) : 698, Phersès : voir Peris.
709, 817, 827, 856, 860, 1112, 1540. Philopation (palais impérial à
Marie (mère de Georges l’Hagiorite) : Constantinople) : 736, 1658, 1663.
186, 191, 212. Pierre (apôtre) : 848, 1065, 1076, 1603,
Marthe (fille de Bagrat’ IV, épouse de 1697, 2056.
Michel VII Doukas) : 815, 816, 819, Pierre (III, patriarche d’Antioche, 1052-
820, 822, 828, 1538, 1541. 1057) : 961, 1091.
Marthe (mère de Syméon le Jeune) : 410, Pierre (patrice, nom monastique de
456, 1155. P’et’rik’, frère de Jean de
Martyrios (père spirituel de Jean Č’q’ondidi) : 45, 954, 1543, 1550,
Climaque) : 420. 1664, 1917, 1919, 1950, 1952, 1956,
Mcxeta (ville du Kartli) : 1081. 2025, 2031, 2057 ; voir aussi
mer Rouge : 1906-1907. P’et’rik’.
Mère de Dieu : 288, 426, 491, 672, 682, Poti (= Phasis, ville d’Apxazeti) : 1175.
2062, 2064, 2069, 2074, 2077 ; voir Précurseur (le) : 1633, 1651, 2141 ; voir
aussi église. aussi Jean (le Baptiste).
Mésopotamie : 1158. Prochore (fondateur du monastère de la
Misolimne (domaine d’Iviron) : 695. Croix à Jérusalem) : 883, 887.
Moïse : 159, 243, 378, 478, 1335, 1374, Quarante (les – martyrs de Sébasté) :
1382, 2139, 2184, 2196. 638.
Monomaque : voir Constantin IX. Rachel : 200, 1789, 1792, 1887.
Mont Admirable (Syrie) : 1, 7, 92, 409, Romains (= Latins) : 1570, 1583, 1586.
414, 1154, 2169. Saba (oncle paternel de Georges
Mont Sinaï : 420. l’Hagiorite) : 282, 366.
Montagne Noire (Syrie) : 408, 528, 643, Sabaia (abbesse de T’adzari) : 208.
846, 858, 890, 921, 1099, 1113-1114, Saint-Barlaam (monastère de Lip’arit’ en
1636. Syrie) : 1101.
Nabuchodonosor : 1482. Saint-Romana (monastère géorgien de
Nedzvi (monastère du Kartli) : 1214. Syrie) : 427.
Nestorius : 945. Saint-Syméon (monastère du Mont
Ninivites : 1859. Admirable) : 2, 857, 922, 959, 979,
Ninoc’mida (ville du Kartli) : voir 980, 996, 1023-1024, 1028-1029 ;
Arsène de Ninoc’mida. voir aussi Syméon Thaumaturge.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 193

Sainte Montagne (Athos) : 7, 456, 473, Tarse (ville de Cilicie) : 1063.


490, 564, 643, 787, 850, 920, 1498, Thècle (sœur de Georges l’Hagiorite) :
1508, 1618, 1623, 1720, 1914, 1916, 204.
1938, 1982, 2014, 2065. Théodora (impératrice, † 21 août 1056) :
Salomon : 101, 2138. 814, 817.
Samaritains : 734. Théodore Stoudite : 942.
Samcxe (région du Kartli) : 184, 206, Théodore (Tiron, saint martyr) : 1169.
272, 2122. Théodore (frère de Georges l’Hagiorite) :
Samson (le xénodoque, 5e s. ?) : 1349, 210.
1352. Théodose (III, patriarche d’Antioche,
Samuel : 2139. 1057-?) : 975, 984.
Saracènes : 1984. Théophile (métropolite géorgien de
Saracénie : 866. Tarse) : 1062.
Šat’berdi (monastère du K’lardžeti) : Théoupolis : 967, 1038 ; voir aussi
1214. Antioche.
Sébasté (ville de Cappadoce) : 1160. Timothée (disciple de saint Paul) : 478,
Sélymbrie (ville de Thrace) : 922. 1258.
Simon le Cananéen : 1067-1068, 1478, Trialeti (région du Kartli) : 184.
1479. Tualoeli : voir Hilarion Tualoeli.
Simon le Magicien : 734. Turcs : 1157, 1160.
Sion : 462, 1855 ; voir aussi Jérusalem. T’varc’at’api (lieu-dit dans le Kartli) :
Slaves : 790. 362, 365.
Sophie (mère spirituelle de saint Ville royale : 46, 678, 699, 732, 780,
Clément) : 1350. 798, 820, 824, 830, 854, 860, 922,
Stoudios (monastère de Constantinople) : 975, 1143, 1502, 1538, 1542, 1549,
1633, 1649. 1768, 2018 ; voir aussi Constan-
Syméon : 1684, 1903. tinople.
Syméon Thaumaturge ou le Jeune (6e s.) : Ville sainte : 441, 873 ; voir aussi Jérusa-
410, 456, 983, 998, 1155, 2051- lem.
2052 ; voir aussi Saint-Syméon. Xaxuli (monastère du T’ao) : 274, 279,
Syméon (moine géorgien) : 1708. 287, 366.
Syrie : 643. Xerlopa (métoque géorgien à
Syriens : 960. Constantinople) : 1634.
T’adzari (monastère féminin du Zotique (saint, 4e s.) : 1349, 1351.
Samcxe) : 207, 232.
MEP-REB 2007:Livre 8/11/11 8:44 Page 194

194 BERNADETTE MARTIN-HISARD

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1713. Dans les abréviations, la graphie des noms propres provenant du géorgien a été norma-
lisée. Les titres des ouvrages en arménien, géorgien et russe sont traduits entre parenthèses.
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LA VIE DE GEORGES L’HAGIORITE 195

BROSSET, Histoire : Histoire de la Géorgie depuis l’antiquité jusqu’au XIXe siècle,


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Bernadette HISARD-MARTIN
Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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