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Ce livre collectif n’aurait pu se faire sans le soutien et la participation de nombreuses


personnes. Nous souhaitons tout d’abord remercier Jean-Louis Chiss, Véronique Castellotti
et Jean-Claude Beacco pour leur patience et leurs conseils. Nous remercions aussi
Emmanuel Fraisse pour sa confiance, ainsi que Francine Cicurel et Corinne Weber pour
leurs encouragements.
Enfin, nous devons beaucoup à ceux – qu’ils soient experts, acteurs institutionnels,
enseignants ou praticiens de la littérature en FLE – qui ont accepté de partager leur savoir
et leurs expériences de terrain, en France et à l’étranger : spécialement Fabienne Jacob et
Jean Portante qui nous ont ouvert leurs ateliers d’écriture, ainsi que Laurent Attal
(Bulgarie), Marie-Laure Basuyaux (lycée Montaigne, Paris), Gérard Enjolras (Tchéquie),
Sophia Giero (Allemagne), Sol Inglada (CIEP), Mickaël Lardenois (Espagne), Bruno
Laurent (Italie), Gayle Levy (États-Unis), Florent Masse (États-Unis), Emilia Munteanu
(Roumanie), Marjorie Nadal (Allemagne), Michel Plat (Laos), Anne-Garance Primel
(Fondation AF), Sylvain Tanquerel (EHESS, Paris) et Frédérique Willaume (IF, Paris).
Nous les remercions tous chaleureusement pour leurs éclairages et leur disponibilité.

Graphisme intérieur et couverture : A.-M. Roederer


Mise en pages : Text’oh! (Dole)
© Les Éditions Didier, Paris 2015
ISBN : 978-2-278-07616-1
Dépôt légal : 7613 / 01

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INTRODUCTION
par Anne Godard
Alors que la didactique de la littérature en français langue maternelle a connu de
grandes évolutions depuis une dizaine d’années (Daunay, 2007), les travaux en didactique
du français langue étrangère, depuis la parution en 2001 du Cadre européen commun de
référence pour les langues (CECRL), ont réservé une place réduite à la littérature, et peu
(1)
d’ouvrages d’ampleur ont été consacrés à son enseignement . Pourtant, au-delà des
descriptions des niveaux de compétences, les lignes de force du CECRL ont renouvelé la
réflexion didactique. En effet, l’importance accordée aux dimensions pragmatiques de la
communication mettant en jeu non seulement des savoirs linguistiques, mais des savoir-
faire et des savoir-être socioculturels ; l’adoption d’une perspective actionnelle permettant
d’organiser les apprentissages autour de projets nécessitant l’accomplissement de tâches ;
ainsi que la promotion d’approches plurielles en faveur de l’éducation interculturelle et du
plurilinguisme peuvent contribuer à transformer les pratiques d’enseignement de la
littérature en français langue étrangère. Dans le même temps, plusieurs transformations
ont affecté la littérature comme objet et comme discipline. D’une part, de plus en plus la
littérature s’appréhende dans un continuum de pratiques culturelles. D’autre part, la
reconnaissance des littératures francophones a modifié la notion même de canon
littéraire qui avait jusque-là valeur patrimoniale et nationale, changeant aussi, dans le
même mouvement, la représentation des relations entre langue et littérature françaises.
Dans ce contexte, la valeur formative attribuée à la littérature dans le cadre scolaire met
désormais l’accent sur le caractère pluriel des compétences qui se développent au contact
des textes littéraires : si elle n’est plus le modèle dominant dans la formation individuelle,
scolaire et collective, la littérature reste ainsi un enjeu fort des politiques éducatives
françaises et européennes, à l’articulation du linguistique et du culturel, orienté vers
l’expérience de l’altérité.
Qu’en est-il, cependant, dans l’enseignement du FLE ? La littérature est-elle réservée à
certains publics ? À certains niveaux ? Peut-elle être pensée d’emblée dans une
progression linguistique ou sa spécificité en classe se situe-t-elle dans un à-côté récréatif ?
Comment peut-elle être didactisée tout en ménageant le plaisir comme moyen
d’apprentissage ? Comment permet-elle un enrichissement linguistique et culturel et
conduit-elle à une modification du regard sur la langue et la culture ?
Avant de répondre à ces questions, et pour préciser le rôle spécifique et irremplaçable
que la littérature peut jouer dans l’enseignement du français langue étrangère, nous
souhaitons indiquer d’emblée qu’à l’encontre d’une tendance à vouloir défendre une
didactique de la littérature pour elle-même, nous considérons légitime – spécialement en
langue/culture étrangère – d’utiliser la littérature pour « autre chose » qu’elle : à travers
elle, en effet, la matière de la langue autant que des formes de la culture sont données à
sentir, à goûter et à comprendre, ce qui est, dès les premiers niveaux, non seulement
motivant, mais formateur. Qu’elle soit « prétexte » à parler et à écrire n’est pas contraire
au rôle qu’elle joue dans les pratiques authentiques, et qu’elle permette ainsi de progresser
à la fois dans la maîtrise de la langue et dans la connaissance de la culture, de soi et

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d’autrui tient justement au fait qu’elle transmet autre chose qu’elle-même. En effet, les
mots renvoient à une expérience, qui peut susciter l’émotion, l’imagination ou la
réflexion : ce sont toutes ces dimensions qui donnent sens à l’apprentissage. Pour ces
raisons mêmes, il importe de ne réduire le texte littéraire ni à servir d’exemplier pour une
fiche de grammaire ni à constituer une simple source d’information culturelle comme
n’importe quel document fonctionnel : la musique de la langue, l’imaginaire que déploie
une fiction, la sensibilité d’une personnalité que l’on perçoit et devine à travers le texte
engagent également le lecteur, de manière existentielle. Encore faut-il, dans
l’enseignement, parvenir à préserver ces résonances.

L’ouvrage est conçu de manière à donner des clés de compréhension de ce que
représente la littérature en FLE – historiquement, théoriquement et pratiquement, dans
les institutions à l’étranger et dans le matériel pédagogique – ainsi que des pistes de
réflexion et des propositions circonstanciées qui répondent aux enjeux linguistiques,
communicatifs et éducatifs des enseignements de français langue étrangère.

Les chapitres 1 et 2, rédigés par Anne Godard, présentent un cadrage général sur la
place de la littérature dans la didactique du français et des langues en cherchant à cerner
l’objet « littérature » dans le discours didactique et ses différents enjeux formatifs et
éducatifs.
Le parti pris historique du chapitre 1 permet de mettre en évidence les nombreuses
continuités entre les enseignements de langue maternelle et étrangère, y compris dans les
moments de contestation de la place du littéraire dans la formation linguistique. Les
spécificités de la réflexion didactique des trente dernières années dans le domaine du
FLE font apparaître trois grands axes de renouvellement de l’abord de la littérature en
classe de langue autour des compétences de lecture, de la créativité langagière et de
l’éducation interculturelle.
En relation avec ces trois domaines pour lesquels le rôle de la littérature a été réévalué
en FLE, le chapitre 2 analyse au présent les enjeux de la formation littéraire dans
l’enseignement scolaire français et européen à travers les positions institutionnelles sur les
différentes finalités assignées à la littérature et sur l’ouverture des corpus étudiés. La
dimension interprétative de la relation aux textes littéraires constitue une caractéristique
cardinale de la compétence littéraire et apparaît comme un enjeu important pour le FLE
dans la mesure où elle permet de dépasser l’opposition entre communicatif et culturel.
Ainsi, la construction d’une attitude interprétative, bien présente dans la formation
scolaire en France, mériterait d’être développée également en FLE, à travers l’adaptation
des outils spécifiques qui existent et sont utilisés dans les formations de langue
maternelle.

Par contraste avec ce cadrage général, qui met en évidence les constantes historiques et
les enjeux actuels de la formation littéraire en FLE, les chapitres 3 et 4 s’attachent à
analyser la réalité d’une part des situations d’enseignement et de diffusion du français à

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l’étranger, d’autre part des ressources pédagogiques que constituent, notamment, les
méthodes de langue et les manuels de littérature conçus pour le FLE.
Le chapitre 3, rédigé par Anne-Marie Havard, avec une contribution de
Mathieu Weeger, propose ainsi un panorama des pratiques institutionnelles à l’étranger
dans les trois « lieux » de diffusion du français où la littérature joue un rôle notable : le
réseau culturel français à l’étranger (instituts français et alliances françaises), les
départements universitaires et les filières bilingues du secondaire. Statut du littéraire dans
la culture, démarches innovantes et dispositifs d’encouragement aux pratiques littéraires y
sont décrits et analysés. Dans un contexte qui est plutôt celui d’un reflux du français
comme de la culture littéraire, le parti pris a été de mettre en valeur les points positifs et
les initiatives contribuant à rapprocher la littérature de ses lecteurs en langue étrangère.
Ensuite, le chapitre 4, rédigé par Donatienne Woerly, repère et évalue les principes qui
orientent l’approche didactique de la littérature dans l’enseignement du FLE,
principalement dans les discours institutionnels et le matériel pédagogique paru depuis le
CECRL. Ses analyses permettent de mettre au jour les conceptions du littéraire qui
dominent et les pratiques d’accompagnement que les textes suscitent. Elles mettent en
évidence la difficulté d’intégrer, dans les manuels, une véritable progression autour de la
littérature qui assure une transition entre les enseignements langagiers et les enjeux
interprétatifs, culturels et interculturels de la littérature.

Le panorama dressé aux chapitres 1 à 4 met en évidence les éléments suivants :
parallélismes entre les didactiques du FLE et du FLM ; spécificités didactiques des
enseignements langagiers et de l’éducation interculturelle ; enjeux de la dimension
interprétative de la formation littéraire ; hétérogénéité des pratiques et des corpus dans
les différents lieux de diffusion du français à l’étranger ; tendances et limites du matériel
pédagogique et des conceptions qui sous-tendent leur présentation des textes. Tous ces
éléments permettent de dégager les lignes de force d’un renouvellement des pratiques
d’enseignement de la littérature en FLE : intégrer une perspective interprétative aux
objectifs communicatifs ; créer des synergies avec les initiatives de médiation culturelle ;
mettre en place une progression donnant une large place aux dimensions sensorielles et à
la matérialité de la langue.

Tenant compte de ces lignes directrices, les approches retenues dans les chapitres
finaux approfondissent trois dimensions dans lesquelles la littérature peut transformer le
rapport à la langue en situation d’enseignement apprentissage : écriture créative et
personnelle pour une appropriation progressive des codes dans le chapitre 5 ;
interprétation comme mise en acte à travers la pédagogie de projet dans le chapitre 6 ;
décentrement et développement d’une attitude réflexive sur l’expérience plurilingue dans
le chapitre 7. Plutôt qu’une série de fiches sommaires et déconnectées de tout contexte,
nous avons tenu à associer dans ces chapitres réflexions et propositions pédagogiques en
nous appuyant sur un corpus diversifié d’œuvres et de genres littéraires. Les démarches
proposées peuvent être adaptées à différents publics, tandis que des exemples

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contextualisés permettent aux enseignants et futurs enseignants de mieux percevoir les
différents paramètres qui orientent les choix pédagogiques.
Ainsi, le chapitre 5, rédigé par Auréliane Baptiste, avec des contributions de
Donatienne Woerly et Olivier Lumbroso, se focalise sur l’articulation entre langue et
littérature à partir de l’analyse comparée de situations d’écriture créative en FLM et en
FLE, puis de deux ateliers d’écriture en FLE animés par des écrivains. Sont ensuite
présentés les principes d’une progression dans l’enseignement de la langue qui s’appuie
sur la richesse linguistique et discursive qu’offre la littérature. En effet, il nous a semblé
qu’il était d’abord nécessaire de reprendre à neuf la question de ce qu’apporte la littérature
dans les enseignements langagiers auxquels elle a été traditionnellement liée. Cela nous
semble d’autant plus pertinent que les acquisitions en langue sont aujourd’hui des
priorités y compris au niveau universitaire dans nombre de départements de français à
l’étranger, confrontés à la baisse de niveau de leurs étudiants. L’atelier d’écriture permet
justement de conjoindre le travail linguistique avec la nécessité de promouvoir un autre
rapport à la langue – qui laisse place à la créativité et à la subjectivité, y compris lorsque
les acquis linguistiques sont encore fragiles.
Dans le même esprit, nous avons voulu consacrer un chapitre entier à ce que peut
apporter la perspective actionnelle qui permet, avec la pédagogie de projet, de
décloisonner les apprentissages et de mettre l’accent sur une relation active à la langue
comme à la culture étrangère. Le chapitre 6, rédigé par Ève-Marie Rollinat-Levasseur,
avec une contribution de Véronique Kuhn, présente ainsi le parti que l’on peut tirer de la
multimodalité, qui fait entrer dans la littérature à travers le cinéma et les arts, mais aussi
comment, en considérant l’interprétation comme une performance, on peut développer
des compétences communicatives à travers un travail vocal, dramatique et théâtral en
classe de langue. Les bénéfices langagiers, culturels et personnels d’une approche « en
acte » des textes littéraires sont notamment d’associer étroitement les dimensions
corporelles à l’acquisition linguistique et culturelle.
Les chapitres 5 et 6 invitent ainsi à un rapport différent à la langue à travers la
littérature. C’est aussi le pari du dernier chapitre, rédigé par Anne Godard avec une
contribution de Myriam Suchet, qui propose, dans une démarche réflexive et
interprétative propre à l’éducation interculturelle, de donner aux enseignants eux-mêmes
une occasion de faire l’expérience de « l’étrangéité » de la langue française. C’est d’abord
la littérature québécoise qui est envisagée, pour sa mise en jeu exemplaire de
l’hétérogénéité linguistique et de ses dimensions identitaires et politiques. Ce sont ensuite
des textes autobiographiques ou introspectifs d’écrivains francophones plurilingues qui
sont analysés, pour l’entrée qu’ils permettent dans « la fabrique de la langue » (Gauvin,
2004) et dans l’apprentissage du français. L’enjeu, au-delà de leur faire connaître une
partie du corpus francophone qui peut renouveler leur représentation de ce qu’est la
littérature en français aujourd’hui, est, à travers l’expérience d’un décentrement, d’initier
les enseignants et professionnels du FLE aux problématiques plurilingues, essentielles
dans ce domaine, et de les sensibiliser à la nécessité d’introduire une dimension
interprétative dans leur approche des textes.

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À travers ce large éventail d’analyses, de propositions pédagogiques et d’exemples
situés et contextualisés, notre objectif est de donner aux enseignants, futurs enseignants,
formateurs, acteurs de la coopération linguistique et culturelle ou auteurs de manuels, la
matière et les outils de réflexion et de conception pour faire de la littérature le levier
d’une approche renouvelée de la langue, afin de développer des compétences à la fois
communicatives et interprétatives en associant l’apprentissage langagier avec la sensibilité,
l’imaginaire et la pensée.
Note
(1) On peut signaler, en 2014, la très brève synthèse de Defays et al. publiée par
Hachette FLE.

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CHAPITRE 1
La littérature dans la didactique du français et des langues : histoire et théories
par Anne Godard
Le rôle dévolu à la littérature dans les enseignements de langue – maternelle et
étrangère – a connu des évolutions très contrastées au cours du temps. Le propos de ce
chapitre est d’en retracer les grandes lignes, en adoptant une double perspective,
historique et théorique, qui nous semble la plus à même d’en saisir les ressorts et les
enjeux. Tout en ayant comme objet privilégié le français langue étrangère, nous adoptons
ici délibérément une perspective plus large : les débats sur les méthodologies
e
d’enseignement des langues, de la fin du XIX siècle jusqu’aux approches communicatives
actuelles, sont en permanence traversés par la question des relations entre langue et
littérature et se trouvent éclairés par la connaissance des évolutions parallèles en langue
maternelle. En présentant ces méthodologies, nous espérons mettre au jour les
conceptions sous-jacentes et les attitudes face à la langue, à l’apprentissage et à la
littérature sur lesquelles elles reposent.
Celles-ci, qui comportent de nombreux traits communs en langue maternelle, seconde
e
et étrangère, donnent jusqu’à la deuxième moitié du XX siècle un rôle central à la
littérature – Isabelle Gruca parle de « couronnement » du texte littéraire (1994). Dans les
années 1960, au moment où les didactiques du français, langue maternelle et langue
étrangère, se constituent comme disciplines en se distinguant les unes des autres, l’étude
de la littérature se trouve dissociée de l’apprentissage de la langue et de la culture. Après
les années 1980, dans le sillage du renouveau linguistique des études littéraires, se
développe de nouveau une didactique de la littérature en classe de langue, dont la
spécificité est saisie d’abord en tant que discours, puis dans la perspective de la lecture et
de l’écriture littéraires ainsi que dans les approches anthropologiques.
Si le terme de méthodologie traditionnelle est souvent utilisé aujourd’hui pour désigner
– et quelquefois dénigrer – un type d’enseignement dans lequel un texte sert de base à des
questions de vocabulaire, de syntaxe et de compréhension puis à des exercices de
réemploi plus ou moins imitatifs, il est en fait hérité de méthodologies qui diffèrent à la
fois par leurs méthodes et par leurs objectifs : objectif pratique de communication ;
objectif formatif, intellectuel ou moral ; objectif culturel. En cherchant à comprendre
pourquoi ces méthodologies se sont succédé et ont été abandonnées au moment où se
sont imposées des approches issues de la linguistique appliquée, nous sommes conduits à
expliciter les différentes conceptions sur lesquelles elles reposent et les valeurs qui
déterminent les finalités des enseignements et de la formation scolaires. Ce faisant, c’est
le lien entre langue, littérature et culture qui est précisé, et les raisons qui peuvent
justifier, hier et aujourd’hui, que la littérature occupe une place importante dans les
enseignements de langue.
1.1. Évolution de la place de la littérature dans l’enseignement scolaire des langues
e e
étrangères et du français (du XIX au milieu du xx siècle)
Selon Christian Puren (1988/2012) et Isabelle Gruca (1993, 1994), les principales

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e
méthodologies scolaires, qui se sont succédé jusqu’au milieu du XX siècle, sont fondées
sur une conception assez proche des relations entre langue, littérature et culture et
utilisent le texte littéraire comme support principal des leçons en considérant qu’il est à la
fois un réservoir de formes, un modèle de langue et un concentré de culture étrangère.
Pourquoi ? D’abord, parce que la littérature est assimilée à la culture, dont elle est
considérée comme l’accomplissement artistique dans le domaine langagier et qu’on
s’intéresse peu, alors, aux formes anthropologiques de la culture, qui se donnent à voir
dans des pratiques sociales. Ensuite, la littérature, en tant qu’art de langage, est placée au
sommet d’une hiérarchie établie dans la langue entre d’un côté les formes populaires et le
langage courant, jugés moins dignes d’être enseignés, et de l’autre, les formes savantes
valorisées par la culture scolaire centrée sur l’écrit. Cependant, les raisons de cette
valorisation et le rapport entretenu avec la littérature ne sont pas identiques dans les trois
méthodologies successivement adoptées dans l’enseignement scolaire des langues –
grammaire/traduction, méthodologie directe et méthodologie active – qui ont, en
revanche, de nombreux points communs avec les enseignements de langue maternelle
correspondant aux mêmes périodes.
1.1.1. Grammaire/traduction et « colinguisme » jusqu’aux années 1880
La méthodologie dite grammaire/traduction, qui vient des langues anciennes, se
développe au moment de la scolarisation de l’enseignement des langues vivantes, dans la
e
seconde moitié du XIX siècle. Elle ne concerne que les élèves admis dans le cycle long,
qui sont également ceux qui faisaient du latin (voire du grec). Elle considère le texte
comme la seule réalité linguistique et culturelle. L’apprentissage se fait par la traduction
du texte littéraire, c’est un travail minutieux sur les textes comme matériau qu’il faut
analyser pas à pas de manière exhaustive et détaillée pour arriver à la traduction la plus
précise et la plus fidèle possible. Le contenu culturel est, d’une certaine manière, au
second plan ; de même, la langue étrangère n’est pas véritablement l’objet d’une
appropriation puisque l’objectif est la traduction dans la langue maternelle. Cette
méthodologie se trouvait particulièrement légitime pour le latin – langue « morte »,
accessible uniquement par l’écrit – qui était considéré comme la « langue mère » du
français, par laquelle il semblait nécessaire de passer, de manière indirecte, pour décrire
et comprendre à la fois la grammaire et le vocabulaire français. Transposée aux langues
vivantes, elle révèle ses limites, à commencer par l’absence d’apprentissage de l’oral.
Dans la grammaire/traduction, l’élève travaille de manière silencieuse et solitaire, dans
un tête-à-tête avec le texte. L’objectif est celui du transfert : être capable de faire passer le
texte étranger dans la langue maternelle dont la maîtrise conditionne la réussite de
l’exercice de traduction, et qui est perfectionnée par cet exercice. L’exercice de version
apparaît ainsi comme une manière de traquer les contresens plus que comme une
exploration de la polysémie dont la traduction chercherait à préserver les potentialités. On
est ainsi loin des démarches actuelles, inspirées des recherches en traductologie (Plassard,
2009), qui font de la traduction l’aboutissement d’une lecture interprétative approfondie
et peuvent, à travers des exercices de double traduction, amener à une réflexion sur la
singularité de toute interprétation.

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L’enseignement de la littérature en français langue maternelle passe elle aussi, jusqu’à
e
la fin du XIX siècle, par le détour du latin : la version latine est un exercice de français, et
la littérature française étudiée au lycée n’est abordée qu’en parallèle avec la littérature
latine. Cette approche de la littérature est comparatiste, rhétorique et « colingue » – c’est-
à-dire, selon la définition donnée par Balibar (1985), que l’enseignement repose sur
l’association de deux langues, le français et le latin. Les textes sont considérés avant tout
comme des modèles discursifs à imiter, transposer et traduire. L’objectif est de
développer, chez le petit nombre d’élèves qui suivent une éducation secondaire, ce qu’on
appelle alors « l’art de l’éloquence » : la capacité de composer des discours et de les orner.
La notion de littérature ou plutôt de lettres qui domine est héritée de la conception
humaniste des litterae humaniores : « Lettres, Lettres humaines et Belles-Lettres désignent
la possession d’un savoir critique sur les œuvres léguées par l’Antiquité dont l’ensemble
fonde l’Encyclopédie des connaissances humaines » (Fumaroli, 1994 : 7). Les œuvres
étudiées sont choisies par genres de discours (où sont inclus la philosophie, l’histoire, les
discours politiques, les traités d’art poétique et les sermons, à côté du théâtre et de la
poésie) et non par époques historiques. Les œuvres latines, françaises et grecques sont
étudiées selon la méthode du parallélisme, comme si elles faisaient partie du même
ensemble « universel », sans référence à leur contexte de production. Il n’est pas question
de souligner la spécificité nationale du patrimoine français, mais, par le comparatisme, de
e e
mettre les auteurs français du XVII et du XVIII siècle à l’égal des « grands classiques »
latins et grecs (Leroy, 2001). Cette conception de la littérature est en effet dépendante de
l’idée d’imitation : les classiques français se sont formés par l’imitation des auteurs latins
e
et grecs ; les élèves du XIX siècle, à leur tour, peuvent apprendre l’art d’écrire en imitant
ces mêmes classiques français, latins et grecs.
1.1.2. Méthodologie directe et français scolaire
(de 1880 à 1925 environ)
e
C’est à la fin du XIX siècle qu’est développée pour l’enseignement des langues une
méthodologie à visée plus directement communicative : la méthodologie directe, qui
rejette le modèle grammaire/traduction au profit d’une conception de la langue étrangère
comme instrument de communication, nécessaire pour la vie professionnelle. Son essor
correspond à l’évolution économique de la société française à l’époque de
l’industrialisation et du développement des relations commerciales avec un espace
colonial en pleine expansion. Elle doit également son introduction à l’influence des
méthodes pédagogiques allemandes, qui sont, depuis 1870, l’objet d’une admiration
mêlée de désir de revanche (Puren, 1988/2012 : 72). S’appuyant sur le développement de
la psychologie de l’enfant, la méthodologie directe organise les contenus de
l’apprentissage, du connu vers l’inconnu, en progressant de manière intuitive. Elle est
définie d’abord comme une méthodologie orale, partant du monde familier des élèves
pour leur permettre d’acquérir une première capacité à communiquer. Contre le caractère
indirect de la traduction, elle suppose que l’on parle uniquement dans la langue étrangère,
en utilisant d’abord des imagiers comme supports, puis de petits textes. Le texte sert de
réservoir de formes – le vocabulaire et les constructions grammaticales qu’il contient sont

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l’objet de la leçon et sont donnés à mémoriser –, son exploitation se fonde ensuite non
sur la traduction, mais sur le réemploi des formes et sur des questions de compréhension
(globale puis détaillée). L’apprenant est ainsi amené à réutiliser des formes qu’il est censé
avoir assimilées.
Le développement de la méthodologie directe peut être mis en corrélation avec celui
des premiers cours de français langue seconde ou de français langue scolaire : lorsque
e
l’école obligatoire est mise en place à la fin du XIX siècle, la population de nombreuses
régions n’est pas de langue maternelle française. Que ce soit en Bretagne ou en Limousin,
c’est à l’école que les élèves découvrent le français et l’obligation de ne parler que le
français, de même, dans les écoles coloniales qui sont implantées dans tous les territoires
qui passent sous le contrôle français. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, l’enseignement se fait
exclusivement en français, sur le modèle des écoles primaires en France, marquant, dès
les années 1880, « l’interdépendance structurelle et idéologique du couple
colonisation/scolarisation » (Spaëth, 2001 : 80). L’objectif énoncé dans les instructions
officielles est la diffusion du français parlé « comme l’instrument nécessaire au bon
fonctionnement du système administratif qui justifie et organise l’exploitation
économique de la colonie » (ibid. : 82). La démarche d’enseignement, comme dans la
méthodologie directe, s’appuie sur les imagiers des leçons de choses et l’étude lexicale et
grammaticale à partir de textes courts proches de la vie des élèves et de la réalité de la
classe.
Mais si s’ébauche ainsi un enseignement du français de type fonctionnel dès la fin du
e
XIX siècle, il ne remet pas en cause la représentation de la place de la littérature dans la
constitution et la diffusion du patrimoine culturel de la France. En effet, ce français
élémentaire – que Renée Balibar (1974) appelle « français fictif », parce qu’il est fabriqué
pour la classe et construit de manière linéaire (sujet, verbe, complément) suivant une
conception étroitement normée de ce qu’est « bien écrire » – fait référence à une certaine
e
image de la langue qui est fixée au XVIII siècle par référence à la littérature du
e
XVII siècle (autour des termes de clarté, de pureté et de raison). Le « français de la
République » qui est ainsi diffusé dans les campagnes comme dans les colonies tient son
prestige de son arrière-plan littéraire, qui atteste en quelque sorte à la fois de sa
perfection linguistique et de la grandeur des valeurs « universelles » dont il est porteur
(Cerquiglini, 2008).
1.1.3. Méthodologie active et explication de texte jusqu’aux années 1960
C’est justement au nom de la finalité culturelle, qui est inséparable des objectifs
scolaires, que la méthodologie directe se trouve marginalisée dès la fin de la Première
Guerre mondiale et officiellement abandonnée en 1925 au profit d’une méthodologie
« mixte », mieux intégrée au modèle éducatif dominant dans la filière générale : c’est la
méthodologie active, conjuguant la grammaire/traduction avec la pratique orale de
l’explication, qui sera en vigueur pour l’enseignement des langues jusqu’à la fin des
années 1960.
La méthodologie active se sert du texte comme centre de la leçon et privilégie

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rapidement les textes littéraires pour pouvoir aborder les contenus culturels propres à la
culture étrangère. Comme dans la méthodologie directe, l’approche du texte se fait
d’abord par l’explication du vocabulaire inconnu, puis par l’étude des constructions
grammaticales nouvelles, avant d’aborder les questions de compréhension et les réemplois
par imitation. Si la méthodologie est dite active, c’est parce qu’elle est fondée sur les
interactions autour du texte : questions et réponses se font oralement et dans la langue
cible. Le recours à la traduction est cependant autorisé pour donner accès à une
compréhension affinée de détails linguistiques. À la différence des objectifs affichés par
la méthodologie directe, la méthodologie active ne cherche pas tant à former des gens
capables de communiquer que des lecteurs qui garderont un contact avec la culture
étrangère à travers sa littérature, qui reste considérée comme la quintessence de la culture
étrangère. C’est dans le secondaire, là aussi où le poids de la tradition humaniste est le
plus manifeste, que le texte littéraire s’impose comme le seul texte permettant d’intégrer
dans une même leçon les enseignements linguistique, littéraire et culturel : « la littérature,
écrit un pédagogue de l’époque, nous apparaît justement comme l’expression la plus
immédiate de cette civilisation “intérieure” qu’il s’agit d’atteindre » (Godart, cité par
Puren, 1988/2012 : 120). On comprend d’autant mieux cette assimilation si l’on
e
considère que, pendant tout le XIX siècle, la critique historique et l’histoire littéraire (de
Madame de Staël à Taine, Brunetière et Lanson) affirment les relations qui unissent la
littérature à la société, et font des œuvres littéraires l’expression privilégiée du « génie »
national qui s’y trouve ainsi comme résumé. Au fur et à mesure de la progression, les
contenus culturels prennent une plus grande importance, et les cours de langue étrangère
se mettent, dans les derniers niveaux, à se rapprocher des cours de littérature en langue
maternelle où, à la même époque, s’impose l’explication de texte.
L’enseignement du français langue étrangère suit, selon Puren, l’évolution qui conduit,
pour l’ensemble des langues vivantes, de la méthodologie directe à la méthodologie
active. Un certain nombre d’auteurs de manuels de français pour étrangers, entre 1920 et
1950, sont des enseignants de langue vivante, anglais ou allemand, qui ont adopté les
principes de la méthodologie directe pour concevoir leurs cours, d’abord dans la langue
étrangère qu’ils enseignaient, puis en FLE. Ces cours reposent donc sur des leçons de
choses et des textes décrivant la vie quotidienne, ils donnent une grande part à la
démarche inductive en grammaire et utilisent le même genre d’exercices écrits et oraux.
Et suivant les principes de la méthodologie active, les niveaux supérieurs sont plus
orientés vers les contenus culturels, à travers les textes littéraires, d’autant plus que le
prestige du français en tant que langue « de culture » est fortement ancré dans la
représentation que les instances diffusant le français à l’étranger encouragent et
véhiculent. Par exemple, une des méthodes les plus connues des années 1950 (et qui
continue d’être commercialisée), le Cours de langue et de civilisation françaises de
Gaston Mauger (Hachette, 1953) comporte trois volumes allant de débutant à supérieur et
propose un quatrième volume de textes littéraires, intitulé « La France et ses écrivains ».
Sa préface, signée par le secrétaire général de l’Alliance française, Marc Blancpain,
affirme que si « les élites étrangères étudient le français » ce n’est pas pour des finalités

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pratiques ou touristiques, mais « pour entrer en contact avec une des civilisations les plus
riches du monde moderne, cultiver et orner leur esprit par l’étude d’une littérature
splendide, et devenir, véritablement, des personnes distinguées » (cité par Puren,
1988/2012 : 178).
Un certain nombre de convergences apparaissent avec l’enseignement de langue
maternelle. En effet, c’est à partir de 1880 qu’est promue une approche historique et
patrimoniale de l’histoire littéraire française qui privilégie le commentaire de texte. La
conception de la littérature se spécialise doublement : restreinte à la littérature française,
étudiée de manière chronologique, elle n’inclut plus les œuvres de philosophie et des
sciences – suivant en cela la spécialisation du mot littérature lui-même (Caron, 1992).
Les textes sont choisis non plus en fonction des genres discursifs qu’ils permettent
d’exemplifier, mais pour les valeurs morales, spirituelles et patriotiques dont ils sont
(1)
porteurs . Au lycée, les élèves ne sont plus invités à imiter des façons d’écrire, mais des
valeurs et des idéaux, on les pousse à s’identifier au Cid ou à Roland – deux personnages
symboles de l’attachement à la Patrie jusqu’à la mort – plutôt qu’à Cicéron ou Virgile qui
sont les modèles latins pour la prose et la poésie. En parallèle avec le développement de
e
l’enseignement de l’histoire, le canon, constitué au cours du XVIII siècle, en commençant
par Racine, Fénelon, La Fontaine, La Bruyère et Bossuet (Chervel & Compère, 1997 :
17), est élargi, sous la forme de morceaux choisis, en amont, aux œuvres du Moyen Âge
et de la Renaissance qui sont considérées comme fondatrices et patrimoniales : La
Chanson de Roland, Tristan et Iseut, les poètes de La Pléiade, Rabelais et Montaigne.
e
L’élargissement en aval est tout aussi restreint : quelques « historiens » du XVIII siècle,
dont Voltaire, et jusqu’à Lamartine ou Hugo, pour leur œuvre poétique uniquement
(Mélonio, 1999 : 36). C’est le règne de l’histoire de la littérature, inspirée par les travaux
de Gustave Lanson, qui durera jusqu’à la fin des années 1960 (Compagnon, 1983).
L’exercice principal devient l’explication de texte, qui comporte une partie
grammaticale et une partie thématique et morale. Et bien que les contenus culturels et
l’éducation morale qui est faite à travers la littérature priment sur la dimension
linguistique, la nécessité de faire une explication grammaticale des textes littéraires
français est justifiée par le fait que la littérature classique commence à être perçue
comme une langue éloignée de la langue courante, et qu’il faut donc l’expliquer,
quasiment comme une langue étrangère. Ainsi, Littré écrit-il, dans la préface de son
e
Dictionnaire en 1872, que le style du XVII siècle, bien que « consacré par nos classiques
[…] nous semble appartenir à une langue étrangère, mais avec cette particularité qui n’est
pas sans charme, une langue étrangère dont nous comprenons les finesses, les élégances,
les beautés » (Chervel & Compère, 1997 : 19). Le cours de littérature devient ainsi
monolingue et il s’organise, comme dans la méthodologie active, autour d’un texte à
expliquer et commenter. Et puisqu’il faut désormais « expliquer » les textes français en
classe, le commentaire va donner à la littérature la place de la « langue morte » (Philippe,
2009 : 19) que tenait jusque-là le latin. La littérature assume doublement ce rôle
puisqu’elle est, comme lui, à la fois un patrimoine culturel commun, reçu en héritage, et

14
une « langue étrangère ». L’école en fera aussi ce qu’était auparavant le latin pour tous les
lycéens, « un souvenir d’enfance » (Barthes, 1971 : 171).
Un dernier élément de parallélisme concerne la progression et le moment où les textes
littéraires sont introduits : le français langue maternelle et la langue étrangère sont
organisés en deux niveaux hiérarchisés. En langue maternelle, le cycle court est consacré
à l’enseignement fonctionnel d’un français scolaire, tandis que, dans les derniers niveaux
du cycle long, l’enseignement du français équivaut à celui de sa littérature. De même, en
langue étrangère, la littérature est généralement réservée aux niveaux avancés, tandis que
les premiers niveaux ont une approche plus élémentaire de la langue. Et dans les deux
cas, cette hiérarchie est orientée : acquérir le premier niveau de maîtrise de la langue,
maternelle ou étrangère, n’a de sens qu’en fonction du deuxième niveau, même si celui-ci
n’est pas atteint : c’est là où le contact peut se faire directement avec la littérature,
porteuse des valeurs culturelles et garante de la valeur de la langue elle-même.
e
Ainsi, jusqu’au milieu du XX siècle, on peut dire que la conception sous-jacente à
l’enseignement aussi bien en français langue maternelle qu’étrangère, est que la littérature
est la représentation la plus accomplie à la fois de la langue et de la culture. Cette
identification entre littérature et culture prend une connotation patrimoniale et patriotique
e
à la fin du XIX siècle dans la mesure où la littérature française devient le seul objet
d’enseignement et, donc, le seul modèle linguistique et moral.
1.2. Le tournant linguistique des années 1960 : des remises en question à une nouvelle
didactique de l’écrit
La réaction à ces conceptions de la langue et de la culture comme à celles de
l’enseignement apparaît au début des années 1960 en FLE comme en FLM. Elle
s’explique par plusieurs facteurs, liés au contexte politique et intellectuel dans lequel
émergent en FLE les méthodologies audio-orales et audiovisuelles et en FLM les
approches textualistes.
1.2.1. Double marginalisation de la littérature en FLE dans la méthodologie SGAV
Les premières méthodologies audio-orales d’enseignement des langues sont
développées aux États-Unis dans le contexte de la guerre froide ; initialement créées pour
former rapidement des militaires en mission à l’étranger, elles ont une visée uniquement
pratique. Sous l’influence de la linguistique structurale et distributionaliste de Bloomfield
ainsi que d’une conception behavioriste de l’apprentissage, ces méthodologies utilisent
comme support de cours des enregistrements sonores et audiovisuels. La primauté est
donnée à l’oral et à une forme d’apprentissage qui repose sur la répétition d’un nombre
restreint de structures qui, associées à un vocabulaire de base, permettent à l’apprenant
d’acquérir des automatismes. Dans le contexte français, le changement méthodologique
coïncide avec la période de décolonisation. Celle-ci est ainsi associée à une volonté
politique de développer le soutien à la francophonie dans des pays nouvellement
indépendants où le français est adopté comme langue officielle et où les besoins
d’enseignement d’une langue de communication courante sont immenses.
Les méthodes françaises, qualifiées par leurs initiateurs, Paul Rivenc et Petar
Guberina, de méthodes structuro-globales audiovisuelles (SGAV) s’appuient sur la

15
linguistique appliquée et, en référence à la linguistique énonciative de Bally et de
Benveniste, considèrent comme première la parole orale en situation de communication
(Rivenc, 2003 : 88-89). Le développement de cette méthodologie est soutenu par la
création en 1959 de deux organismes visant la diffusion du français à l’étranger, le
CREDIF (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français), lié aux enquêtes
sur le français fondamental sous la direction de Georges Gougenheim (1964), et le BELC
(Bureau pour l’étude de la langue et de la civilisation françaises à l’étranger). L’un et
l’autre sont à l’origine de nombreux manuels conçus selon cette méthodologie et de stages
de formation pour les enseignants de français langue étrangère (Puren, 1988/2012 : 208
et suiv.).
L’apprentissage linguistique se fait par l’imprégnation auditive et la répétition de
structures simples afin d’arriver rapidement à des automatismes permettant de
communiquer. Le travail du didacticien est de décrire les formes élémentaires des langues
et le vocabulaire de base à partir desquels construire des exercices systématiques
d’appropriation. La langue visée par les premiers apprentissages est donc une langue
simple, voire simplifiée, perçue comme étant à l’opposé de la langue littéraire. De même,
dans un objectif de progressivité, les situations de communication sont volontairement
dénuées de traits culturels particularisés qui feraient obstacle à la compréhension. De
plus, l’évitement des éléments culturels apparaît comme la meilleure manière de sortir de
l’idéologie coloniale : ainsi, Pour parler français, premier manuel audiovisuel pour
l’enseignement du français en Afrique, réalisé en 1963, est-il présenté comme un
enseignement « décolonisé » d’un français que les Africains peuvent s’approprier (Spaëth,
2001 : 78). Le principe même de l’enseignement d’une langue « débarrassée » de ses
composantes culturelles permet d’en imaginer la diffusion, quel que soit le contexte visé.
Certes, la littérature ne disparaît pas du jour au lendemain des pratiques de classe. Les
textes littéraires ont pu continuer à être utilisés selon la méthodologie traditionnelle, pour
des raisons complexes, qui peuvent tenir au maintien du prestige de la littérature française
comme symbole de la culture française ainsi qu’aux habitudes d’enseignement ancrées
dans les cultures d’origine, et cohérentes avec les traditions scolaires locales. Mais les
cours SGAV, adoptés dans les alliances françaises par la volonté du ministère des
Affaires étrangères, font délibérément l’impasse sur les textes littéraires et, d’une manière
générale, développent peu de propositions sur l’écrit et sur les contenus culturels. La
littérature est donc deux fois exclue : comme forme linguistique trop complexe et non
représentative de la langue courante et comme contenu culturel trop spécifique, marqué
par une image élitiste. Un renouvellement viendra, à travers les travaux pionniers menés
au BELC dès la fin des années 1970, par le biais de l’écriture créative à partir de textes à
contraintes (voir 1.5.1.).
1.2.2. La littérature comme document authentique dans l’approche communicative en FLE
Cependant, assez rapidement, les limites de la méthodologie SGAV apparaissent aux
enseignants qui se trouvent face à des apprenants de niveau intermédiaire ou avancé : les
structures de base et le vocabulaire élémentaire étant supposés être acquis, les situations
de communication simples étant censées être maîtrisées, il faut bien en arriver à

16
développer une connaissance plus approfondie de la langue, à la fois dans le domaine des
discours écrits et dans la confrontation avec la réalité des interactions sociales qui
peuvent faire intervenir des compétences complexes – en premier lieu d’ordre culturel. Ce
sont justement l’écrit et les dimensions culturelles de l’enseignement-apprentissage des
langues qui font partie des objets privilégiés au début des années 1980 par l’approche
communicative et l’introduction des documents authentiques (Debyser, 1977). L’approche
communicative va ainsi développer la didactique de l’écrit et des documents authentiques,
ce qui permettra de renouveler la réflexion sur l’utilisation des textes littéraires en classe
de langue.
Alors que la méthodologie SGAV se référait surtout à la linguistique structurale et à la
grammaire générative, la didactique des documents authentiques s’appuie sur une
conception discursive de la langue : il ne s’agit plus d’observer les récurrences d’un
système, il s’agit de comprendre que tout document, tout énoncé est situé dans une
interaction, et que cette interaction même prend des formes discursives différentes selon
les domaines de connaissance, les milieux sociaux ou professionnels et les cultures.
L’approche communicative va ainsi partir des situations réelles de communication et
donc choisir « l’authentique » plutôt que le « fondamental » (Boyer, Butzbach-Rivera &
Pendanx, 1990 : 17-36). Par rapport à la méthodologie SGAV, elle se définit comme une
approche, c’est-à-dire qu’il s’agit moins de proposer des manières d’enseigner fixées
comme un ensemble théorico-pratique englobant, que de partir des situations de
communication que peuvent rencontrer les apprenants pour s’adapter à leurs projets
d’apprentissage. Pour cela, il faut à la fois connaître les besoins des apprenants et
envisager, dans la langue/culture, ce qu’il est nécessaire de savoir et de savoir-faire pour
communiquer dans une situation donnée. L’approche communicative part des besoins
spécifiques d’apprenants constituant des « publics » différenciés (touristes, migrants,
élèves…), pour lesquels un enseignement fonctionnel du français est organisé par actes
de langage et ensembles notionnels correspondant aux situations qu’ils peuvent
rencontrer, comme dans le Niveau seuil (Roulet, 1977), inspiré du Threshold Level datant
de 1975, et élaboré dans le cadre d’un projet d’apprentissage des langues du Conseil de
l’Europe (Boyer, Butzbach-Rivera & Pendanx, 1990 : 36-61).
Dans l’objectif de s’adapter aux besoins des apprenants, l’approche communicative
développe une pédagogie des compétences où les savoirs déclaratifs deviennent moins
importants que les savoir-faire et les savoir-être qui déterminent le bon déroulement des
interactions. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est l’extrême diversité pédagogique que
cette position didactique appelle : en partant des besoins spécifiques des apprenants, on
peut faire des cours de français des affaires, du tourisme, de la mode, de la médecine ; on
peut aussi se concentrer sur les dimensions les plus pratiques de la vie quotidienne, en
apprenant à lire des modes d’emploi, un contrat de location ou un formulaire
administratif ; on peut aussi avoir à répondre à des besoins de formation à un français
académique, pour des apprenants préparant un séjour universitaire en France ; on peut
enfin répondre au désir d’apprenants décidant d’apprendre le français pour approfondir
leur goût de la culture littéraire ou artistique de la France et des autres pays

17
francophones. On comprend dès lors que la littérature va occuper une place spécifique :
elle n’est plus sollicitée comme support universel, mais peut être choisie délibérément
parmi d’autres formes discursives. Se pose alors la question de développer une didactique
adaptée à ses spécificités.
Les premiers travaux de didactique de l’écrit dans l’approche communicative montrent
l’importance, dans la compréhension, du repérage des genres discursifs et de l’adaptation
des projets de lecture. C’est ce que fait Gérard Vigner dans Lire : du texte au sens (1979),
en s’appuyant sur les recherches sur la lisibilité et sur les caractéristiques de la lecture en
langue étrangère. C’est aussi le propos de Sophie Moirand qui considère les documents
écrits comme des « situations d’écrit » (1979) dont les paramètres énonciatifs et discursifs
permettent la compréhension.
L’intérêt que cette didactique de l’écrit pourrait trouver à s’appliquer aux textes
littéraires est reconnu à la fin des années 1980, quand s’impose, en FLE comme dans les
études littéraires en général, le paradigme de la lecture. Entre-temps, les études littéraires
ont connu entre 1960 et 1970, sous l’impulsion du structuralisme, un bouleversement
majeur dont les retentissements didactiques et pédagogiques dépassent les frontières du
FLM et marquent le renouveau de la didactique des textes littéraires en FLE des
années 1980 aux années 2000.
1.2.3. Le bouleversement des études littéraires en FLM : théories du texte et du discours
e
Alors que l’histoire littéraire était la discipline dominante depuis la fin du XIX siècle,
les théories du texte et du discours littéraire qui surgissent dans les années 1960-1970
constituent un changement complet de paradigme des études littéraires et de
l’enseignement de la littérature en classe de français langue maternelle.
Ces théories du texte – exposées par la « nouvelle critique » lors d’un colloque
fondateur en 1968 sur les relations entre Linguistique et littérature – refusent sa réduction
aux intentions explicites de leur auteur ou à une représentation univoque de la réalité et
proposent de nouvelles manières de lire, attentives à la polysémie. Le texte, considéré
comme un système de signes, n’est plus essentiellement le véhicule d’une morale ou de
valeurs nationales, il est le lieu des jeux du signifiant et du signifié que des lectures et des
lecteurs différents peuvent actualiser de plusieurs manières (Barthes, Groupe µ). La
« nouvelle rhétorique » s’intéresse aux phénomènes d’argumentation dans le discours
(Perelman), voire dans la langue (Ducrot), les sémioticiens se penchent sur les schémas
actanciels (Greimas) ou sur les jeux des figures et de l’intertextualité (Kristeva, Genette)
en articulation avec les discours sociaux à travers le dialogisme (Todorov, qui introduit
Bakhtine en français). Un peu plus tard, émerge un champ nouveau, celui des études de
la réception (avec les traductions en français des ouvrages de référence de Jauss en 1978
et Iser en 1985) qui se développent dans deux directions différentes : d’une part vers la
sociologie de la littérature et du fait littéraire (Escarpit, Dubois), et d’autre part vers les
théories de la lecture et les effets du texte (Eco, Picard, Charles).
D’autres rencontres s’attachent à remettre en question l’enseignement traditionnel de la
littérature qui, selon Roland Barthes, tend « à assimiler la littérature à l’histoire de la
littérature » (1971 : 171). Ainsi, à Cerisy-la-Salle, un colloque sur L’Enseignement de la

18
littérature en 1969 (Doubrovsky & Todorov, 1971) aborde la situation de la littérature
dans l’enseignement, les relations avec les sciences humaines, la poétique et la pédagogie.
La plupart des contributions y font part d’un malaise et d’une contestation du sens même
de la littérature et des raisons de l’enseigner. Parmi les causes de cette désaffection sont
désignés l’histoire littéraire scolaire et un enseignement oubliant le plaisir ou la
découverte au profit de discours tout faits sur les auteurs et les œuvres.
Les attaques se concentrent sur les manuels de morceaux choisis – tel l’emblématique
Lagarde et Michard – dans lesquels les auteurs et les œuvres sont présentés
chronologiquement, classés par siècles, comme dans « des musées, où sont accumulés les
toiles et les dessins » (Delhez-Sarlet, 1971 : 275), et s’expliquent l’un par l’autre selon le
principe que Compagnon appelle la « vieuvre » (1983 : 15) : c’est parce que Racine était
lui-même amoureux qu’il a si bien peint la passion, et c’est la misanthropie de Molière
qu’il faut reconnaître sous les traits d’Alceste. Le corpus d’œuvres s’y trouve réduit aux
« grands textes », reconnus et choisis par l’institution scolaire sur des critères jugés plus
e
idéologiques qu’esthétiques. Les œuvres du XVII siècle y sont surreprésentées par rapport
à une modernité quasi absente. Ces manuels sont ainsi accusés de classico-centrisme,
mais aussi de censures, par le biais du choix des extraits, voire par des coupes dans les
textes. Barthes y repère notamment la censure des classes sociales, de la sexualité, du
concept même de littérature et enfin des langages – notamment ceux qui s’éloignent de la
e e
norme classique : le moyen français du XVI siècle, la préciosité au XVII siècle et, bien
sûr, le français parlé, ce qui lui fait écrire que notre enseignement promeut la « langue
paternelle et non pas la langue maternelle » (Barthes, 1971 : 175). Un autre grief
récurrent concerne les exercices traditionnels de l’explication de texte et de la
dissertation. Ces exercices, dont l’artificialité est rappelée sans cesse, en 1969, au colloque
de Cerisy comme en 1975 à celui de Strasbourg (Mansuy, 1977), creusent l’écart entre le
discours sur et la pratique de la littérature, et constituent, selon Tzvetan Todorov « plutôt
un apprentissage de la critique que de la littérature » (1971 : 498).
La fécondité de cette double remise en question, théorique et pédagogique, apparaît à
travers le développement de publications qui cherchent à rendre compte d’expériences
innovantes, ainsi de la revue Pratiques qui, depuis 1974, associe chercheurs et praticiens
ou Le français aujourd’hui (voir notamment le numéro spécial « Nous enseignons la
littérature », 1986). Les savoir-faire en jeu dans les analyses textuelles sont l’objet de
transpositions didactiques, dans Linguistique et discours littéraire de Jean-Michel Adam et
Jean-Pierre Goldenstein en 1975, ou encore Faire-lire et Savoir-lire de Michel Schmitt et
Alain Viala en 1979 et 1982 et les Éléments de linguistique pour le texte littéraire de
Dominique Maingueneau en 1986. Mais il faut attendre les programmes officiels de 1987
et 1988 pour que les enseignants disposent en France de quatre approches
complémentaires des textes : l’étude de l’œuvre intégrale, le groupement de textes, la
question d’ensemble et la lecture méthodique. Cette dernière, qui remplace l’explication
de texte, n’attribue pas à l’auteur une intention qu’il s’agirait de retrouver par le
commentaire, mais postule que le sens est à construire en adaptant les outils d’analyses

19
aux genres, aux discours et aux types de textes.
Parallèlement, le corpus des œuvres étudiées en classe évolue, à partir de la fin des
e
années 1970, en s’ouvrant d’abord aux romans du XIX siècle, puis, progressivement à la
littérature contemporaine, ainsi qu’à la littérature de jeunesse et aux paralittératures –
notamment le roman policier qui est un objet privilégié des analyses formelles comme
des approches sociologiques de l’institution littéraire – mettant en question les modes
traditionnels de légitimation des œuvres. On peut cependant remarquer que persiste une
conception patrimoniale de la littérature : si les enseignants sont invités à proposer des
rapprochements avec la littérature étrangère, c’est surtout lorsqu’il s’agit d’étudier des
mouvements, des thèmes ou des phénomènes littéraires européens. Quant aux littératures
francophones non hexagonales, elles ne sont presque pas présentes. Le découpage reste
e e e
chronologique (Moyen Âge et XVI siècle en seconde, XVII et XVIII siècles en première,
e e
XIX et XX siècles en terminale), ce qui privilégie une vision historique de la littérature et
relègue de fait la littérature contemporaine à un enseignement optionnel, en terminale,
puisque l’épreuve anticipée de français du baccalauréat a lieu en fin de première.
L’articulation entre une conception plus fonctionnelle de la langue et les questionnements
littéraires se fait de manière ténue, à travers l’interrogation sur les niveaux de langage et
la représentation littéraire des parlers populaires ou de l’oralité. L’approche thématique et
formelle requiert des élèves l’acquisition de savoirs spécifiques à la discipline :
identification de traits constants des genres littéraires – roman théâtre, poésie, essai –,
reconnaissance de schèmes et de scènes prototypiques – la rencontre amoureuse ou la
scène de jalousie –, récurrence de figures de style organisatrices du texte ou mise en
évidence de procédés argumentatifs.
Toutes ces transformations ont une incidence en FLE, d’abord parce que les théories
circulent d’un domaine à l’autre, mais aussi parce que les chercheurs eux-mêmes se
situent souvent aux frontières des disciplines. Ainsi, nombre de questionnements
apparaissent communs aux didactiques du français langue maternelle et étrangère : quelle
est la spécificité du texte littéraire, comment saisir sa littérarité ? Comment s’articule la
relation entre langue et littérature ? Comment aborder les textes dans une démarche
pédagogique qui préserve l’authenticité du rapport à la lecture ?
1.2.4. Les voies d’un renouvellement pour la didactique de la littérature en FLE
Littérature et classe de langue, ouvrage dirigé par Jean Peytard en 1982, qui est le fruit
d’un séminaire de chercheurs du CREDIF et du BELC (Peytard, 1988 : 10), est
emblématique de la manière dont les didacticiens de cette époque ont cherché à
renouveler l’approche de la littérature en FLE. Avant cet ouvrage, on est passé entre 1965
et 1971 de la problématique de la langue littéraire – qu’Emmanuèle Wagner oppose à
l’oral, dans un ouvrage regroupant l’étude de quinze extraits littéraires contemporains (De
la langue parlée à la langue littéraire) – à celle du texte – que Michel Benamou aborde
par le biais d’analyses stylistiques de l’écart et de la connotation littéraire (Pour une
nouvelle pédagogie du texte littéraire). Le passage de la langue au texte dans ces premières
publications est tout à fait représentatif d’une évolution des relations entre linguistique et

20
littérature qui privilégie ensuite le discours, et enfin la lecture (Adam, 1994 : 138-158).
Littérature et classe de langue se situe entre texte et discours, et s’interroge sur les
conditions auxquelles la littérature peut être réintroduite en classe de langue. Selon
Daniel Coste et Henri Besse, qui contribuent au volume, s’il est exclu de revenir au texte
littéraire comme modèle d’apprentissage, des convergences entre langue et littérature sont
rendues possibles par l’approche linguistique des textes littéraires (Coste, 1982 : 71) à
condition que « le document littéraire » ne soit pas considéré comme « un lieu
d’enseignement de la langue, de la civilisation ou des théories critiques, mais comme un
lieu d’apprentissage dans lequel les étudiants peuvent explorer tous les possibles
(acoustiques, graphiques, morphosyntaxiques, sémantiques) de la langue étrangère et
toutes les virtualités connotatives, pragmatiques et culturelles qui s’inscrivent en elle »
(Besse, 1982 : 34). Cette centration sur le texte littéraire comme espace à explorer leur
semble permettre d’éviter tout à la fois la banalisation, qui résulte d’une utilisation du
texte comme ressource linguistique ou culturelle, et la sacralisation, qui fait de la
littérature un « monument » inaccessible. À partir de ces principes généraux, différentes
démarches sont proposées, qui se concentrent successivement sur le discours et la
communication littéraires, puis sur la lecture littéraire et sur l’écriture créative.
1.3. Spécificités du discours et de la communication littéraires
La question de la spécificité du texte littéraire constitue un premier axe de réflexion,
présenté par Jean Peytard. Cette spécificité est d’abord saisie de l’intérieur : la littérarité,
caractérisée principalement par la polysémie, oppose le discours littéraire aux autres
discours et justifie des démarches adaptées. C’est ensuite du dehors que Peytard propose
de saisir la spécificité de la littérature, à travers ses modes de légitimation et de
circulation sociales.
1.3.1. Polysémie et « littérarité » ou subjectivité
Afin de tenir compte de la polysémie du texte, Jean Peytard propose tout d’abord une
« sémio-analyse textuelle » distinguant les « instances » (auteur, scripteur, narrateur,
personnage) et cherchant à repérer les « entailles », indices graphiques ou syntaxiques
d’une « différence » permettant de déployer des réseaux de signification (1982 : 139-
150). Dans ce cadre, l’enseignant cherche avec ses apprenants non pas à donner « un »
sens au texte, mais à parcourir « les » sens possibles, à partir d’un réseau de mots, de
rythmes, de formes qui sont les signes d’un travail du texte et d’une complexité plurielle.
Pour quel objectif ? La justification qu’en donne Peytard est, de façon un peu circulaire,
d’apprendre à percevoir justement la polysémie du texte littéraire, qui fait sa littérarité. De
la sorte, on souligne sa différence par rapport aux discours ordinaires, avec le risque de
ne faire que cela, et de remplacer un commentaire tout fait sur le sens moral ou la beauté
esthétique d’un texte par un autre, qui insistera sur l’ouverture infinie des significations.
Dans cette même perspective, mais plus éclectiques, les propositions pédagogiques du
manuel Interlignes (1975), dont Henri Besse rend compte dans sa contribution, illustrent
bien le statut ambigu des textes littéraires, quand ils sont introduits au titre des
documents authentiques : Interlignes combine en effet les approches critiques
« thématique structurale, stylistique de l’écart, analyse énonciative, repérage connotatif,

21
socio-critique » de textes littéraires longs et l’utilisation de textes poétiques courts
« comme motivation à une expression orale, souvent très personnelle sur des “sujets”
qu’on n’aborde habituellement pas en classe (l’amour physique, la mort, la solitude, etc.) »
(Besse, 1982 : 20). La littérature y apparaît d’un côté comme objet de savoir et lieu
d’exploration formelle, comme en français langue maternelle ; de l’autre, elle est objet de
plaisir, révélatrice d’une subjectivité, sans que ces deux approches du texte littéraire –
formelle et thématique – soient articulées ensemble.
1.3.2. Sociologie de la littérature et du fait littéraire
L’approche sociologique, qui oppose aussi la littérature aux autres formes de discours,
mais du point de vue des modes socioculturels de légitimation, est également évoquée
dès 1982 par Peytard. Celui-ci propose de situer la littérature en tant qu’institution
(Dubois, 1978), en montrant qu’elle est le produit d’un certain état de la société et qu’elle
fonctionne comme un système de normes et de valeurs hiérarchisées (Escarpit, 1970) à
l’intérieur de deux sphères culturelles distinctes (Bourdieu, 1979). Aborder la littérature
en considérant que ce ne sont pas des traits formels ou thématiques qui font qu’un texte
est littéraire, mais le fait que ce texte est considéré comme littéraire dans une culture
donnée, et donc en s’intéressant aux circuits de diffusion (éditeurs, libraires,
bibliothèques) et aux instances qui légitiment et hiérarchisent les « productions »
culturelles (critiques, prix littéraires, ventes, consécration par l’école), contribue, selon
Peytard, à désacraliser la littérature en la réinsérant dans le jeu de la production et de la
consommation des biens culturels. Ces connaissances socioculturelles sont pertinentes en
FLE selon lui, car elles permettent aux apprenants de prendre conscience de leurs propres
pratiques culturelles autant que des valeurs qu’ils attribuent à ce qu’ils lisent.
Ces approches sociologiques sont aujourd’hui nuancées par des travaux qui, comme
ceux de Bernard Lahire (2004), montrent que les pratiques culturelles individuelles
traversent les hiérarchies et que, par exemple, un intellectuel peut apprécier à la fois des
romans policiers, le football, l’opéra, la philosophie et les mangas. Mais si un bon lecteur
peut aimer à la fois Proust et les romans de Stephen King, il reste vrai que les difficultés
de lecture se trouvent souvent amplifiées par le manque de repères culturels. C’est
pourquoi des propositions didactiques autour des pratiques de lecture et de
l’appropriation des codes socioculturels associés à la circulation et à la légitimation des
œuvres ont été faites dans le cadre scolaire, en France où l’étude du fait littéraire a été
introduite dans les programmes en 2000, et en Belgique dès les années 1980, avec
l’objectif de favoriser l’appropriation culturelle des élèves en difficulté. Jean-
Maurice Rosier, Didier Dupont et Yves Reuter (2000) présentent des activités autour de
la notion de champ littéraire, dans une perspective historique et institutionnelle : système
éditorial, modes de diffusion, critique et prix littéraires, publicité et image de l’écrivain
aujourd’hui, statut de la littérature à l’école, paralittérature, culture de masse donnent ainsi
sur la littérature un regard extérieur qui contribue à une meilleure compréhension de son
rôle socioculturel.
1.3.3. Les éléments formels de la communication littéraire
Contrairement à cette approche socioculturelle du fait littéraire, la plupart des

22
didacticiens du FLE privilégient nettement les approches formelles comme si elles seules
pouvaient faire l’objet d’une réflexion didactique. Ainsi en est-il dans Littérature et
communication en classe de langue. Une initiation à l’analyse du discours littéraire
(Bourgain & Papo, 1989) qui se présente comme une « mise à l’épreuve » des concepts
de la sémiotique défendue par Peytard dans Littérature et classe de langue. Tout en
affirmant que l’acquisition d’un métalangage n’est pas l’objectif principal, les auteurs font
de l’appareil théorique le centre de leur ouvrage. Les modules pédagogiques, organisés
autour de fonctions inspirées de Jakobson et de la narratologie (fonctions conative,
émotive, narrative et de régie, personnage, point de vue, cadre discursif), proposent
d’initier les apprenants à la spécificité de la communication littéraire et d’améliorer ainsi
leur compétence lectorale.
Le point qui mérite d’être souligné est l’émergence de la référence à la compétence de
lecture, sur laquelle des travaux commencent à paraître dans ces mêmes années.
Jean Verrier, dans une contribution justement intitulée « De l’enseignement de la
littérature à l’enseignement de la lecture », identifie, après le rêve d’une « science » de la
littérature dans les années 1960, le développement d’une « pédagogie de la réception »
attentive aux lectures réelles des élèves et des étudiants (Verrier, 1994 : 159-174). Pour le
FLE, ce « tournant » vers une pédagogie de la lecture est marqué, en 1988, par un
numéro du Français dans le monde – Recherches et applications intitulé « Littérature et
enseignement. La perspective du lecteur », dirigé par Denis Bertrand et
Françoise Ploquin. Le volume, centré sur « le contact entre le texte et son lecteur »,
entend faire converger « pragmatique de la lecture, esthétique de la réception, sémiotique
du texte […] pour éclairer et enrichir ensemble les différents aspects du savoir et du
plaisir dont la lecture littéraire est l’occasion » (Bertrand & Ploquin, 1988 : 2-3). À côté
d’analyses sémiotiques et énonciatives, de témoignages d’éditeurs ou d’enseignants, il
comporte quelques propositions d’entrée dans la littérature à partir de pratiques
spontanées d’apprenants ou par les activités d’écriture.
On ne peut cependant pas dire que les publications de la décennie suivante se situent
directement dans la « pédagogie de la réception » qu’évoque Jean Verrier. Entrées en
littérature de Jean-Pierre Goldenstein (1990), publié dans une collection de FLE, mais en
fait plutôt destiné à un public scolaire, est inspiré des travaux de Genette sur les seuils du
texte et visent l’acquisition d’outils d’analyse et de démarches méthodologiques. Sont ainsi
étudiés le para- et le péritexte (couvertures, titres, préfaces), l’horizon d’attente, la notion
de recueil ou la définition même des limites de la littérature (avec les pages d’annuaire
téléphonique intitulées poème par Breton). Dix ans plus tard, c’est une perspective
comparable qui guide l’ouvrage de Marie-Claude Albert et Marc Souchon, Les Textes
littéraires en classe de langue, paru en 2000. Les auteurs proposent en effet des mises au
point théoriques sur le discours et la communication littéraires, et entrent dans les textes
à partir de questions telles que la référenciation et la connotation, le discours rapporté et
le dialogue théâtral, ou encore les genres, l’intertextualité et les réécritures ainsi que les
adaptations filmiques. Seul à se trouver en relatif décalage avec ces orientations, Pour la
littérature de Mireille Naturel (1995) propose des entrées thématique et culturelle dans la

23
littérature, par le choix d’œuvres qui permettent d’évoquer la vie littéraire, par exemple
L’Écume des jours de Boris Vian pour évoquer Saint-Germain-des-Prés à l’époque de
l’existentialisme. Même s’ils cherchent à prendre en compte les attentes et les difficultés
des apprenants d’une langue étrangère, ces différents ouvrages appartiennent à une
didactique de la littérature ou des textes littéraires – dans leurs dimensions thématiques
ou formelles – plus qu’ils ne répondent à la question de l’utilisation de la littérature dans
la didactique du français langue étrangère. Le risque est que les savoirs convoqués
deviennent eux-mêmes les objectifs de l’enseignement et que les textes soient moins
l’occasion d’une expérience personnelle que « les illustrations de leurs moyens d’analyse »
selon une expression polémique de Tzvetan Todorov (2007) visant ce qu’il considère
comme une dérive formaliste en français langue maternelle. Cela ne veut pas dire que
l’acquisition d’un métalangage critique n’est d’aucune utilité, y compris en FLE, mais
comme pour la grammaire, il est important de prendre garde à ce que la théorie ne
devienne pas un objectif en soi, en faisant perdre ce à quoi elle est censée servir : aider à
mieux lire, c’est-à-dire, dans le cas d’une langue étrangère, faciliter la lecture en donnant
des moyens de contourner les obstacles linguistiques ou culturels.
1.4. La lecture de littérature comme réception authentique
À la différence de ces approches cherchant à définir et à situer le discours littéraire, la
réflexion sur la lecture littéraire, lorsqu’elle émerge en FLE dans les années 1980, se
concentre sur la lecture individuelle de la littérature, en cherchant à se rapprocher, en
classe, d’une « réception authentique ». Mais comment la définir ? Peut-elle être associée
à des activités et peut-elle s’exercer sur des extraits ?
1.4.1. Lecture scolaire et contextualisations
Dans la démarche communicative qui cherche à s’approcher, dans la situation
d’enseignement-apprentissage, des situations réelles de communication, s’est posée la
question de savoir quelle « authenticité » de la littérature était à privilégier et préserver.
Le sens le plus courant est d’opposer le document authentique au document fabriqué
spécialement pour la classe. Dans ce sens, un roman, comme une publicité, est un
document authentique, il n’a pas été écrit spécialement pour répondre à une progression
linguistique ni pour servir de support d’enseignement de langue/culture. Mais le
découpage d’un texte, sa sélection dans un manuel, les activités auxquelles il donne lieu
préservent-ils l’authenticité de l’expérience de lecture proposée ?
Certes, aucune lecture ne se fait hors d’un contexte, que celui-ci soit scolaire ou non.
Au moment même où il paraît, un livre de littérature arrive dans un certain contexte
culturel, politique, social, à une époque donnée, au milieu d’autres livres qui lui sont
proches ou lointains. Lorsqu’on lit un livre d’une époque antérieure, tout comme
lorsqu’on lit un livre d’une culture différente de la nôtre, et dans une langue différente de
notre langue maternelle, on se trouve contraints, à des degrés divers, de décontextualiser
le livre et de le recontextualiser dans notre présent, notre environnement culturel, social
et linguistique. On ne peut pas dire que ces lectures ne sont pas authentiques, car dans la
réception d’un livre il y a toujours une interaction avec le contexte du lecteur. En effet, on
peut lire en ramenant à soi le contenu de l’œuvre, sans se soucier du contexte initial, on

24
parle alors de lectures actualisantes, comme le sont souvent, par exemple, les
interprétations théâtrales, qui « actualisent » une pièce en introduisant dans la mise en
scène des allusions au présent immédiat des spectateurs. À l’inverse, le lecteur peut
chercher à se rapprocher de l’époque ou de la culture d’origine d’une œuvre pour essayer
de mieux saisir les allusions culturelles ou historiques, et l’interpréter non en fonction de
soi, mais de ce qu’il peut reconstituer de l’auteur, de l’époque ou du pays d’origine. Là
encore, même si l’on fait un travail documentaire important, il y a une part
d’interprétation, subjective et personnelle. Ainsi, la question de l’authenticité doit être
entièrement distincte de celle d’une supposée vérité historique ou culturelle : la réception
littéraire est toujours une affaire de décontextualisation/recontextualisation, et le plaisir
pris à la lecture, l’intensité de l’attention portée à l’œuvre ne sont pas moins authentiques
selon les deux options, la proximité ou la distance.
Cependant, en classe, il est fréquent de lire des extraits plutôt que les œuvres
intégrales. Dans ce cas, ce qui est donné au lecteur est déjà une interprétation de cette
œuvre, selon différents critères de choix : questions de forme ou de contenu, difficulté
supposée de développements jugés « inutiles » à la compréhension, parties qui
développent une histoire secondaire, ou sujet « gênant » vis-à-vis d’un certain public…
Même si les raisons sont justifiables d’un point de vue pédagogique, elles changent les
conditions de l’expérience de lecture. De plus, la matérialité même du support change le
rapport à l’« objet » littérature : lire un extrait de roman dans un manuel, accompagné de
questions, lire ce même extrait en photocopies, avoir en mains le livre imprimé, lire sur
tablette, écouter un « livre audio » ou, dans le cas du théâtre, voir la captation filmée
d’une mise en scène ou aller voir la représentation engage des expériences très différentes
du même « texte ». Cette diversité, que l’on retrouve dans les pratiques culturelles, peut
être un atout pour l’enseignant qui peut utiliser de manière conjointe ou alternée l’écoute,
la lecture silencieuse et la lecture à haute voix pour diversifier l’expérience de lecture.
Mais dans une approche communicative qui privilégie les documents et les situations
authentiques de communication, on comprend que l’on puisse privilégier des textes
complets pour ne pas se limiter uniquement aux quelques extraits présents dans des
manuels, parmi des documents pédagogiques fabriqués.
1.4.2. La lecture littéraire, une lecture interactive
C’est le choix de lire des œuvres intégrales que défend, Francine Cicurel dans Lectures
interactives (1991b) et dans un article paru la même année (1991a), en proposant, pour
la lecture de littérature en classe de langue, de s’intéresser spécialement aux formes
narratives. Faisant remarquer – comme le développera plus tard Schaeffer dans Pourquoi
la fiction ? (1999) – qu’« il existe un besoin chez chacun d’être au contact d’histoires »
(Cicurel, 1991a : 13), elle définit « la lecture littéraire comme une expérience dans le
sens où elle appelle un type de réaction affective, intellectuelle qui est tout autre chose
que les processus cognitifs mis en œuvre pour la réception du texte à caractère
informatif » (Cicurel, 1991a : 12). Cette approche de la fiction s’appuie ainsi sur des
conceptions plus anthropologiques que formelles des situations et des modèles que la
littérature nous permet d’expérimenter, qui seront développées dans les approches

25
interculturelles.
D’autre part, Francine Cicurel s’appuie sur les théories de la lecture – en particulier
celle de la coopération du lecteur d’Umberto Eco (1985) – pour décrire l’implication du
lecteur et les manières dont il participe à la construction du monde qu’il est en train de
lire. Selon Eco, le lecteur complète la fiction avec des connaissances extérieures, qui
forment « l’encyclopédie du lecteur », et au fur et à mesure de sa lecture, il émet des
hypothèses sur le déroulement de l’histoire, hypothèses qui orientent sa lecture,
contribuent à la tension, au suspens, à l’envie de continuer à lire. La mise au jour de ces
processus de lecture – qui joignent l’interprétation symbolique à la compréhension
littérale – permet de proposer à des apprenants des stratégies pour améliorer leur lecture
en dépassant leurs difficultés linguistiques ou culturelles. En effet, la lecture d’un roman
ou d’une nouvelle met en jeu des compétences non linguistiques qui sont transposables
dans la langue étrangère.
L’accompagnement pédagogique ne se concentre donc pas sur des questions lexicales
ou grammaticales, pas plus qu’il n’attire l’attention sur des points de compréhension
locale, mais il vise à rendre actif l’apprenant, en sollicitant son imagination, ses capacités
de raisonnement, d’inférence et d’anticipation, en lui faisant expliciter ses hypothèses.
Une telle démarche essaie de conserver à la lecture son mouvement « authentique »
qu’elle renforce seulement et rend plus conscient pour permettre à l’apprenant de dépasser
des obstacles linguistiques qui pourraient le décourager. Le questionnement qui
accompagne le texte ne sert donc pas à l’évaluation, contrairement aux questions
traditionnelles de compréhension, mais il oriente l’apprenant dans une démarche
d’anticipation. Il s’agit de mettre l’accent non sur les difficultés de lecture ou les opacités
du texte, mais sur des connaissances d’un autre niveau, qui permettent à l’apprenant
d’interpréter des comportements ou de reconnaître des scénarios plus ou moins
prévisibles et de faire des inférences à partir de la situation initiale.
La technique du « dévoilement progressif », présentée par Jean-Louis Dufays,
Louis Gemenne et Dominique Ledur, dans leur ouvrage Pour une lecture littéraire
(2005 : 215-230) repose sur le même présupposé qu’il y a des situations et des schémas
d’action qui sont récurrents et qui fonctionnent ainsi un peu comme des stéréotypes
narratifs ou, comme les appelle Dufays (1994), des stéréotypes rhétoriques. Tout comme
les stéréotypes langagiers ou culturels, ces schémas convenus peuvent servir d’outil pour
développer la compétence de lecture. L’intérêt de travailler sur des genres populaires qui
jouent sur les stéréotypes, comme le roman policier, tient aussi à la possibilité de
s’appuyer sur des schémas attendus (Riquois, 2010). Le lecteur peut se tromper en se
fiant à un stéréotype situationnel ou narratif, mais du moins il entre dans une dynamique
d’anticipation, et par l’analogie avec du connu, il est capable de donner suffisamment de
sens à ce qu’il lit pour avancer – et corriger, ce faisant, ce que les premières hypothèses
peuvent avoir de sommaire et d’incomplet, ce qui constitue un des plaisirs de la lecture,
par exemple de romans de détection ou de nouvelles « à chute », qui sont construits pour
surprendre le lecteur.
La mise en commun des hypothèses et la confrontation des interprétations, lorsqu’elles

26
sont faites dans une atmosphère bienveillante, constituent un moyen collaboratif de
préciser la compréhension et aident les lecteurs novices à renforcer leurs stratégies en
explicitant leur interprétation et en écoutant la manière dont les autres sont arrivés à
formuler des interprétations similaires ou divergentes. La dimension collective fait donc
partie de la méthodologie interactive qui comporte « trois mouvements » : « l’interaction
du lecteur vers le texte » à travers les hypothèses de lecture ; « l’interaction du texte sur le
lecteur » à travers l’expression par le lecteur de l’effet que le texte a sur lui ; « l’interaction
entre les membres du groupe-classe » qui partagent leurs hypothèses et leurs ressentis :
« Ainsi, le texte n’est plus seulement un objet étranger, un objet à étudier, difficilement
accessible, mais un texte dont on s’empare, dans lequel on s’implique et sur lequel on a
le droit de dire quelque chose. »
(Cicurel, 1991a : 18)
Les principes de la lecture interactive, qui sont confortés par d’autres travaux sur la
lecture en langue étrangère (Cornaire, 1999) font écho à l’intérêt des didacticiens du
FLM pour la lecture littéraire (Dufays, Gemenne & Ledur, 1996 ; Noël-Gaudrault, 1997 ;
Daunay, 2007). Celle-ci est définie non pas seulement comme une lecture de littérature,
mais en tant que manière de lire qui unit un mouvement d’adhésion avec un mouvement
de distanciation (Dufays, 2002, 2006, 2011). Traditionnellement en France, l’école a
survalorisé la distanciation critique à travers l’analyse formelle, tandis que l’on se
représente, de manière un peu simplificatrice, la lecture « libre » ou « d’évasion » comme
une lecture-adhésion, sans distance ni recul. Des travaux théoriques sur la lecture (Picard,
1986 ; Jouve, 1993) insistent pourtant sur l’alliance entre ces deux modes de lecture, où
la sensibilité et l’imagination sont sollicitées autant que la rationalité, et où alternent les
mouvements d’identification et d’immersion dans l’imaginaire du texte avec une prise de
recul qui évalue esthétiquement ou éthiquement le texte. Il semble donc important, dans
le cadre scolaire, de tirer parti de la situation de lecture collective : les moments de
discussion en commun permettent de faire prendre conscience de ces deux dimensions de
la lecture spontanée. Le « sujet lecteur » (Langlade & Rouxel, 2005) est ainsi reconnu –
et aidé à prendre conscience de lui-même, c’est-à-dire à la fois de sa subjectivité qui fait
que sa lecture est unique, et de ce qu’il partage avec les autres lecteurs du même texte.
1.4.3. Pratiques de lecture et médiation vers la littérature
Par opposition à la situation en classe qui, trop souvent, « établit une posture de lecture
uniforme, toute centrée sur le texte » où le lecteur est « face à un texte accompagné de
discours commentatifs, de consignes sur le dire, sur le lire » qu’un enseignant « tiers-
lecteur » interpose entre le texte et lui, Francine Cicurel (2001) propose aussi de mieux
prendre en compte la diversité des situations de lecture, en variant les buts de lecture et
en restituant la vocalité du texte et la dimension corporelle. Ainsi que l’écrit
Daniel Pennac (1992), le professeur qui lit à haute voix peut agir comme un « révélateur
photographique » ; il ne s’interpose pas entre le livre et ses élèves comme il le ferait par
une explication, mais c’est par sa chimie que l’image du livre se forme et leur devient
visible. L’enseignant joue alors pleinement son rôle de médiateur, et il peut encourager
également les apprenants à jouer ce rôle : par la lecture à haute voix, par une présentation

27
en quelques mots de ce qui l’a touché ou l’attire dans ce livre, par le dessin même, comme
le proposent certaines activités d’accompagnement de la lecture. L’interprétation s’y
exprime alors, comme le résultat d’une activité intérieure d’appropriation, mais elle est
aussi en même temps partage avec d’autres, à qui l’interprétation est destinée (chapitre 6).
D’autres recherches récentes en FLE se sont orientées vers l’étude des pratiques de
lecture (Godard, Havard & Rollinat-Levasseur, 2011). S’appuyant sur des enquêtes sur
les pratiques de lecture effectives des apprenants (Rollinat-Levasseur, 2011) et sur l’étude
des médiations scolaires (Cicurel, 2001, 2007 et 2011 ; Baptiste, 2011 ; Havard, 2011),
elles montrent l’intérêt d’intégrer à la didactique de la lecture une meilleure connaissance
des pratiques et des valeurs sociales qui précèdent, entourent et favorisent le contact avec
les livres. En déplaçant le centre d’intérêt de la lecture vers les lecteurs (Godard, 2011),
ces recherches rejoignent la médiation culturelle développée en FLM pour rapprocher de
l’écrit les élèves qui viennent de milieux où les livres – et la littérature – sont peu présents
(Poulain, 1993). La démarche trouve d’autant plus sa justification en milieu scolaire que
l’enseignement fonctionnel du français, qui s’y est développé de l’école au collège et dans
les lycées techniques depuis les années 1980, a marginalisé l’étude des textes littéraires,
renvoyant à un « hors classe » la lecture pour le plaisir au moment même où elle s’est
mise à reculer dans les pratiques spontanées au profit de pratiques culturelles
audiovisuelles (Baudelot, Cartier & Detrez, 1999).
S’agissant du FLE en France, mieux connaître le rapport à la lecture dans la culture
éducative des apprenants permet d’aider les étudiants étrangers suivant un cursus à
l’université française à s’adapter aux manières de lire « à la française », c’est-à-dire
notamment à la démarche analytique où les éléments formels et énonciatifs ont une place
importante. À l’étranger, les aspects méthodologiques sont moins prégnants et il s’agit
donc surtout de favoriser un contact avec la littérature à travers des activités diversifiées.
De fait, la plupart des activités menées à l’étranger, dans le réseau des instituts français,
des alliances françaises ou des librairies françaises, relèvent de l’action et de la médiation
culturelle. Conférences ou rencontres d’écrivains, ateliers d’écriture ou clubs de lecture, en
synergie avec un cinéma-club ou un atelier de théâtre : autant d’occasions offertes aux
francophiles de participer à la vie culturelle en français et de développer une appétence
pour la lecture (chapitre 3). Il reste à donner plus de visibilité à ces activités et surtout à
développer une articulation avec la classe de langue. L’enjeu d’une telle articulation n’est
pas seulement de développer en parallèle des compétences utiles dans la classe, mais de
donner sens aux apprentissages, en les ancrant dans des pratiques effectives.
1.5. L’écriture littéraire, une écriture créative
Le choix de privilégier une conception de la littérature comme pratique authentique a
également encouragé une pédagogie de l’écrit sous forme de jeux littéraires et d’exercices
de réécriture associant lecture et écriture. Pratiqués aussi en FLM, les jeux littéraires
existent depuis longtemps dans la pédagogie de l’écrit, ils font partie d’une culture
d’enseignement rhétorique qui privilégie les exercices d’imitation et sont justifiés
aujourd’hui dans une démarche qui favorise la créativité (chapitre 5.1.).
1.5.1. Jeux littéraires et créativité langagière

28
Telle a été la démarche d’un groupe de chercheurs du BELC qui a contribué à
promouvoir en FLE une approche renouvelée des corpus – privilégiant les textes à
contraintes – et des démarches – visant à décloisonner les pratiques langagières. Dans
Jeux, langage, créativité : les jeux dans la classe de français paru en 1978, Jean-
Marc Caré & Francis Debyser présentent en effet le jeu et la créativité langagière comme
des pratiques non scolaires, plus propices à éveiller la curiosité et à entretenir le plaisir et
le désir d’apprendre. Les auteurs, qui proposent des activités pour la classe, mettent en
avant la relation forte entre le développement du langage et le plaisir de la manipulation
verbale. S’appuyant sur les travaux du psychologue Jean Piaget et du pédiatre et
psychanalyste Donald Winnicott qui montrent la contribution du jeu au développement
de la personnalité de l’enfant, à la fois dans son adaptation au réel et dans l’assimilation
du réel au moi, les auteurs considèrent que les jeux verbaux ont toute leur place dans la
classe de langue étrangère, parce qu’ils développent la créativité et la capacité du sujet à
s’approprier le langage et les situations de communication.
Les jeux avec les mots, comme les ont pratiqués les surréalistes ou l’Oulipo permettent
de percevoir le côté palpable des signes et peuvent servir à l’acquisition de certaines
structures linguistiques ; la simulation, les jeux de rôle et la dramatisation peuvent libérer
l’expression et développent la conscience des dimensions non verbales de la
communication ; les jeux d’interprétation à partir de dessins réalisés par les apprenants
sollicitent l’imagination. Enfin, toutes ces pratiques stimulent l’invention plutôt que la
répétition d’une norme. Sans présenter leurs travaux comme une réflexion sur la
littérature, les auteurs font appel à la littérature à presque tous les niveaux de jeux qu’ils
proposent : jeux de mots oulipiens ou surréalistes, dramatisations de saynètes empruntées
au corpus littéraire théâtral – en privilégiant les situations cocasses et les malentendus –,
jeux de variation sur matrice, par référence à la structure des contes populaires étudiés
par Propp.
1.5.2. L’atelier de lecture-écriture : l’interactivité des apprentissages
Les relations entre le développement de la compétence de lecture littéraire et la
pratique d’une écriture créative ont été souvent soulignées, en premier lieu parce que
l’une sert de motivation à l’autre. Ainsi, de nombreux projets pédagogiques autour de
l’écriture d’une pièce ou d’un recueil de poèmes, de nouvelles ou d’un roman collectif,
s’appuient sur la lecture d’œuvres ou de textes sollicités à différentes étapes du projet, en
tant qu’auxiliaires, pour les réponses qu’ils ont données à des problèmes « techniques »,
poétiques, dramatiques ou narratifs : comment présenter un personnage, quelle transition
trouver entre deux scènes, comment utiliser les dialogues pour faire avancer l’action,
comment éviter les formules répétitives pour les tours de parole, etc. L’écriture, en
focalisant l’apprenant sur le faire, le rend ainsi attentif à la technique littéraire, et le
pousse à une lecture analytique. C’est une bonne manière de l’obliger à quitter le niveau
microstructural pour aborder des phénomènes discursifs (voix, aspect). En retour, c’est
une meilleure capacité à lire que le projet d’écriture permet de développer, surtout lorsque
plusieurs procédés sont comparés en vue de sélectionner celui qui sera le plus adéquat à
la situation narrée ou représentée. Enfin, l’atelier d’écriture peut se donner comme

29
objectif explicite de travailler sur les interférences des langues en présence, permettant
ainsi aux apprenants de développer, par l’écriture, une pratique où le plurilinguisme est
vécu comme un élément de la créativité et non comme un obstacle au « bien écrire »
(chapitre 5.2.1.).
1.6. La littérature comme voie d’accès à la culture anthropologique
Parallèlement aux apports de la linguistique, les relations entre littérature et culture ont
été réexaminées dans les approches communicatives à partir d’une redéfinition de la
culture elle-même, abordée dans ses formes anthropologiques. Ainsi, Georges Lüdi, Beat
Munch et Claude Gauthier expliquent que « l’enseignement de la civilisation » comme
collection de monuments (notamment littéraires) a été remis en question au profit d’une
« didactique de la culture », incluant savoirs socioculturels, schématisations discursives et
pratiques culturelles (1994 : 105). Dans le cadre d’un « enseignement pluriel de la
civilisation » visant « l’élaboration d’une compétence sociale, interculturelle et
transnationale » (ibid.), les textes littéraires, « en tant que manifestation de la réalité
sociale de la société qui a permis leur création » (ibid. : 106), contribuent parmi d’autres
formes discursives, écrites et audiovisuelles, à la formation de la capacité de
déchiffrement de cette culture anthropologique.
1.6.1. La littérature comme outil de médiation interculturelle
Certaines approches interculturelles, qui se développent dans les mêmes années,
donnent également aux textes littéraires un rôle à jouer dans le développement d’une
capacité à la fois de décentrement et de retour critique sur sa propre culture. Ainsi, selon
Martine Abdallah-Pretceille, les textes littéraires, en tant qu’ils « véhiculent des images
qui renvoient nécessairement à des mythes reconnus et acceptés par le groupe sous peine
d’être incompris […] constituent d’excellents supports d’analyse » (1986 : 84).
En effet, ils donnent une forme de connaissance du monde, différente de la
connaissance scientifique à deux titres : d’abord parce qu’elle passe par une expression
singulière, un regard, un point de vue unique sur la réalité, ensuite parce qu’à son tour, le
lecteur en fait une lecture singulière, en fonction de la manière dont il s’implique,
affectivement et imaginairement, en s’identifiant plus ou moins au point de vue qui lui est
présenté. De la sorte, la littérature offre comme deux « filtres » successifs sur la réalité :
la singularité d’un regard et la singularité d’une lecture, dans leurs dimensions non pas
seulement cognitive, mais affective, imaginaire et symbolique. La littérature ouvre ainsi
une médiation, un lieu qui n’est pas la réalité, où les valeurs et les catégories de la
perception du temps et de l’espace, de la différence des genres, de la filiation et de la
relation entre l’individu et la société se trouvent à la fois disponibles à l’expérience
imaginaire, à l’identification ou au rejet, à l’empathie et à la discussion. Du point de vue
individuel, lire a donc un enjeu identitaire, c’est un moyen de comprendre et d’explorer
des « appartenances multiples » (Maalouf, 1999) ; du point de vue collectif – à
commencer par celui du groupe classe –, la littérature permet également de construire
une expérience commune de la diversité, en évitant les identifications hâtives des groupes
socioculturels ou nationaux auxquels appartiennent les apprenants.
Les approches interculturelles ont été introduites en FLS à partir de 1988 en

30
Belgique : il s’agissait d’enseigner « la culture d’origine » à des élèves francophones
d’origine marocaine, mais très vite est apparue comme restrictive cette démarche qui
isolait une culture et risquait d’en figer les traits (Collès, Dufays & Maeder, 2003 : 139).
L’étape suivante, dont rend compte Luc Collès (1994), fut d’étudier, dans des classes
culturellement mixtes, des textes littéraires francophones appartenant respectivement à la
culture belge (ou française), maghrébine (notamment marocaine) et « beur » (c’est-à-dire
la littérature des enfants d’immigrés, partagés entre les deux cultures) tels Le Gone du
Chaâba d’Azouz Begag ou Le Thé au harem d’Archi Ahmed de Mehdi Charef.
À la différence d’Amor Séoud (1997), qui cherche par l’approche interculturelle à lever
les difficultés de compréhension d’ordre culturel des élèves tunisiens qui étudient la
littérature française au lycée en Tunisie, Luc Collès veut d’abord offrir aux élèves des
deux cultures, belge et marocaine, une occasion de se découvrir mutuellement et de se
trouver reconnus par et dans la représentation littéraire. Il entend, dans un second temps,
utiliser cette rencontre avec l’altérité pour initier un travail de décentrement par rapport à
ce qui paraît, dans sa propre culture, des évidences. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de
l’intégration d’une population immigrée, mais bel et bien d’une ouverture réciproque, et
d’une formation à un regard anthropologique où la culture maternelle fait l’objet d’une
distanciation par la confrontation avec le regard de l’autre sur soi. Collès prend cependant
le soin d’insister sur le fait que, tout en visant la décentration par rapport à la culture
d’origine, il ne prône pas le relativisme culturel, et que sa démarche s’appuie sur des
valeurs humanistes – non-violence, respect de l’autre, liberté de pensée, en référence aux
Droits de l’Homme – dans un projet éducatif et formatif (1994 : 14 et 2003 : 140) : « un
des objectifs du cours de français est justement l’apprentissage de la gestion des conflits
par le langage et la maîtrise des affects » (2003 : 140).
La démarche de Collès, qu’il qualifie de « contrastive, conceptualisante, interculturelle
et interactive » (1994 : 40) est de partir du particulier de la littérature pour aller vers le
général du système culturel : des textes d’anthropologues et de sociologues sont
également présentés aux élèves pour « relativiser la singularité du regard des écrivains »
(2003 : 140) et pour dessiner les contours des sociétés et des cultures mises en présence.
À ces conditions, le texte littéraire peut, selon lui, devenir « une voie d’accès à des codes
sociaux et à des modèles culturels » (ibid.). Il s’agit, ce faisant, « non seulement de
réconcilier l’enseignement de la langue avec celui de la culture littéraire et artistique, mais
aussi de souligner le lien étroit que la culture savante noue avec la culture
comportementale partagée par l’immense majorité des natifs » (ibid.). Mais on ne peut
écarter le risque, en bout de parcours, de fixer des traits culturels opposés de manière
statique. Il nous semble, à l’inverse, que la singularité même du point de vue de l’écrivain
et de l’expérience de lecture sont à exploiter. Préserver le mouvement subjectif de la
lecture, c’est en effet permettre de reconnaître dans l’œuvre non pas seulement des codes
sociaux fixes, mais la manière dont les individus, singulièrement, s’en accommodent.
1.6.2. La littérature comme apprentissage de l’altérité
Plus que la lecture anthropologique, qui va chercher « derrière » les représentations
littéraires une « réalité » que l’on pourrait cerner, c’est ainsi par une lecture interprétative,

31
qui tient compte de la double subjectivité – celle de l’auteur et celle du lecteur –, que l’on
peut former une attitude d’ouverture à ce qui nous échappe. C’est le point de vue que
défend Martine Abdallah-Pretceille lorsqu’elle plaide pour la réintroduction de la
littérature dans les classes de langue « dans une perspective d’un apprentissage de
l’altérité au service d’un humanisme du divers » (2010 : 147). Les atouts de la littérature
sont, selon elle, d’une part de permettre une expérience de l’altérité ; d’autre part, de le
faire sous une forme qui conjoint l’universel et le singulier, suivant le concept hégélien
d’« universel singulier », utilisé par Sartre à propos de Flaubert, mais qu’elle propose
d’étendre à la littérature tout entière et, plus généralement, à l’art :
« La littérature parle à chacun de nous et en même temps à tout le monde. Elle crée un
espace d’authenticité partagée, un imaginaire contradictoire, à la fois commun et
singulier. Elle s’adresse au lecteur en particulier comme un individu totalement
incomparable et irréductible et à la fois comme être humain en général. »
(ibid. : 148)
Il est donc important de ne pas réduire la singularité littéraire, en cédant à une
« illusion réaliste », ce qui est le défaut des lectures anthropologiques généralisantes ou
objectivantes. En effet, et c’est la troisième raison pour laquelle la littérature est, selon
elle, irremplaçable, « l’œuvre littéraire est une œuvre ouverte » qui permet – et demande –
un « apprentissage de la lecture et de la capacité d’interprétation » (ibid. : 155). Or, c’est
cette capacité de déchiffrement qui est justement l’objectif de toute éducation au divers,
dans une perspective de développement personnel autant que d’apprentissage du monde.
Ainsi, quand la littérature n’est pas simplement utilisée comme corpus ou pour un
contenu culturel, mais comme une expérience qui implique une attitude interprétative, les
enjeux éthique et culturel se trouvent associés à des enjeux formatif et méthodologique :
« Le romancier est un médiateur, un initiateur qui favorise la décentration par le simple
fait que son texte suggère des interrogations et des hypothèses. La distance que le texte
littéraire entretient avec le lecteur est certes une distance créatrice, mais c’est aussi une
distance qui permet au lecteur de voir et de se voir en “oblique” favorisant ainsi une
objectivation de soi et du monde. »
(ibid.)
Le choix des textes est bien évidemment essentiel dans cette optique. Plutôt que des
textes prévisibles ou reposant sur des stéréotypes psychologiques ou culturels, on peut
favoriser des œuvres qui, tout en engageant les capacités d’imagination et d’empathie des
lecteurs, explorent des dimensions moins convenues de notre humanité, tels Geai, Isabelle
Bruges ou La Folle Allure de Christian Bobin pour le versant lumineux, ou bien La
Classe de neige, L’Emploi du temps ou D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère
pour le versant sombre.
Lorsqu’on aborde des situations de rencontres de cultures, on peut choisir de travailler
à partir de représentations plus ou moins fixes ou mobiles. Ainsi, Stupeur et tremblements
d’Amélie Nothomb conforte jusqu’à la caricature les stéréotypes culturels sur les Japonais
vus par une Occidentale. Les nouvelles du recueil La Préférence nationale ou le roman
Inassouvies, nos vies de Fatou Diome interrogent, à travers l’expérience d’une Africaine

32
en France, la possibilité de s’appuyer sur les valeurs communautaires des sociétés
traditionnelles contre une certaine déshumanisation des sociétés riches, individualistes et
consuméristes. De son côté, Dany Laferrière va déjouer, dans ses nouvelles comme Vers
le sud, ou ses récits autobiographiques, tel Chronique de la dérive douce, les clichés sur
les blancs et les noirs, les hommes et les femmes, les pauvres et les riches, et jusqu’à son
identité d’« écrivain haïtien » qu’il conteste avec humour dans un livre intitulé Je suis un
écrivain japonais.
Évitant le binarisme des identités que l’on oppose, l’éducation interculturelle rejoint la
démarche propre à la lecture littéraire, définie comme un mouvement interprétatif, fait
d’aller-retour, entre soi et le livre, à la fois comme texte (lorsqu’on relit ce qui est écrit,
littéralement, pour vérifier nos premières impressions), et comme monde (lorsqu’on se
replonge, imaginairement, dans ce qui est raconté, en cherchant à réordonner les valeurs
et les représentations déployées autour des personnages, de leur destin ou de leur
parcours). Dans le modèle de la lecture littéraire, conçue comme expérience esthétique
(Jouve, 2005), qui engage une vision du monde et comporte une dimension existentielle,
l’apprenant se trouve engagé dans une attitude réceptive et créative particulière, celle de
donner du sens à ce qu’il a ressenti, imaginé et interprété. C’est ainsi que le terme
d’expérience de lecture prend tout son sens : expérience partagée de la lecture scolaire,
expérience que la situation fictionnelle permet de vivre en imagination, mais aussi
expérimentation dans laquelle le lecteur est à la fois observateur et observé puisque ce
sont ses réactions aux textes qui servent de point de départ à une réflexion sur les effets
que ceux-ci ont eus sur lui, en tenant compte des différences culturelles.
Nous proposons ainsi, avec Jean-Louis Dumortier (2009), de parler de « formation
littéraire » plutôt que d’enseignement, pour insister sur le fait qu’il s’agit moins de
connaissances sur la littérature (ce qu’impliqueraient plus les enseignements ou les études
littéraires) que d’une formation (de soi et au monde) par/à travers/avec la littérature
comme expérience que l’on fait, en lisant, individuellement, à la fois de la langue et d’une
existence, vécue ou imaginée, et comme expérience partagée, où l’on est relié aux autres,
en participant à la vie culturelle.
Si l’on tire un bilan de ces recherches menées depuis les années 1980 en FLE autour
de la didactique de la littérature, on peut noter la grande richesse des propositions qui
articulent compétences lectorales, créativité langagière et expérience de l’altérité. Le
renouvellement des démarches repose, quant à lui, sur le choix de mettre au centre du
dispositif interprétatif l’apprenant dans sa singularité. Mais ces dimensions, qui nous
semblent constituer le cœur de ce qu’un enseignement de la littérature devrait être – que
ce soit en FLM ou en FLE –, sont-elles au centre des politiques éducatives ? Ont-elles
transformé les pratiques d’enseignement à l’étranger ? Sont-elles mises au premier plan
dans le matériel pédagogique ? Les trois chapitres suivants s’efforcent de répondre à ces
questions.
Note
(1) « Les écrivains sont aussi les maîtres de morale et de patriotisme » écrit en 1883 le
recteur Louis Liard dans ses Lectures morales et littéraires à l’usage de l’enseignement

33
primaire élémentaire et de l’enseignement primaire supérieur (Leroy, 2001). Voir pour le
primaire les premières lignes du Tour de la France par deux enfants de Bruno, sous-titré
« Devoir et Patrie ».

34
CHAPITRE 2
Enjeux de la formation littéraire aujourd’hui
par Anne Godard
Ainsi qu’on vient de le voir, la littérature se trouve reconnue, dans la didactique du
FLE, comme une forme d’expérience singulière à la fois dans sa relation à la pratique de
la langue et à la culture anthropologique. Ses enjeux formatifs et éducatifs se trouvent par
ailleurs réaffirmés à plusieurs niveaux institutionnels, dans une perspective qui souligne
les convergences entre les didactiques des langues maternelles et étrangères. Les
problématiques sont-elles les mêmes ? Les corpus, les méthodes et les compétences
visées sont-ils partageables ? Et que signifie la notion de compétence dans le domaine
littéraire ?
2.1. Convergences des didactiques du français (FLM, FLS et FLE)
Si le Conseil de l’Europe peut appeler, dans son projet sur les langues de scolarisation,
à « des convergences possibles entre les langues de scolarisation et les langues étrangères
dans une approche globale ou holistique » (voir ci-après), c’est bien qu’en dépit des
spécificités de chaque domaine, il existe un continuum. Gérard Vigner défend ainsi l’idée
d’un « tronc commun » de la didactique du français (2003). Selon lui, même si, par
rapport au FLE qui se concentre sur les situations de communication, on peut montrer
que le FLM privilégie la transmission et que le FLS est plus préoccupé de questions
interculturelles, les différences se situent surtout au niveau des pédagogies qui s’adaptent
aux publics visés. Les débats entre les chercheurs sur les degrés de cette intégration des
didactiques ne sont pas nouveaux (Chiss, David & Reuter, 2008). Tout récemment, les
o
intervenants du n 176 du Français aujourd’hui (2012) montraient que, même si les
transferts se font plus du FLM vers le FLE, les décloisonnements s’imposent dans
nombre de cas, allant, par exemple, des classes d’accueil en France aux contextes
créolophones où l’existence d’interlectes oblige à repenser les catégories. C’est aussi le
point de vue adopté par Luc Collès, Jean-Louis Dufays et Costantino Maeder dans un
ouvrage de synthèse consacré à la notion de compétence dans les quatre pays dans
lesquels le français constitue la langue maternelle de la majorité des habitants : la
Belgique francophone, la France, la Suisse romande et le Québec. Les auteurs mettent en
valeur à la fois le continuum entre langue et culture, et entre les didactiques du FLM, FLS
et FLE dans ces quatre pays « confrontés aux défis de la construction européenne, à la
position de la romanité face à l’anglais, à la nécessité croissante du plurilinguisme et à
l’abondance des flux migratoires ainsi qu’au nouveau rapport aux langues engendré par
les nouvelles technologies » (2003 : 8-9). Pour répondre à ces défis, l’enseignement
devrait, selon eux, dans tous les cas, « privilégier l’imbrication constante du culturel et du
langagier, en soulignant qu’elle concerne les deux dimensions de la culture : la culture au
sens restreint (littéraire et artistique) et la culture au sens large (anthropologique) »
(ibid. : 138). Ils soulignent, à côté des enjeux formatifs de la transmission littéraire,
l’importance de la pratique langagière qu’offre la littérature et l’accès qu’elle permet aux
représentations culturelles. Ces trois dimensions – patrimoine commun, exploration
langagière et médiation interculturelle – correspondent sans doute à des « accents »

35
privilégiés tour à tour en FLM, en FLE ou en FLS, mais ne peuvent être considérées
comme des visées spécifiques et exclusives. Bien au contraire, leur articulation implique
que l’on fasse de cette « imbrication du culturel et du langagier » à la fois un objectif et un
levier des enseignements de langue.
2.1.1. Objectifs et démarches de l’approche par compétences
De fait, les enseignements de langue, que ce soit la langue maternelle ou étrangère, ont
en commun, de plus en plus, de définir leurs objectifs en termes de compétences et
d’attitudes tout autant qu’en termes de connaissances.
Issue de la linguistique à travers la compétence de communication (Hymes, 1972) et du
domaine de la qualification professionnelle, la notion de compétence est à la fois
omniprésente et discutée dans le domaine didactique (Coste et al., 2012). En pédagogie,
elle est synthétiquement définie comme :
« la capacité d’un sujet à mobiliser, de manière intégrée, des ressources internes
(savoirs, savoir-faire et attitudes) et externes pour faire face efficacement à une famille
de tâches complexes pour lui. »
(Beckers, 2002 : 57)
Largement diffusée dans l’enseignement des langues depuis la parution du CECRL en
2001, l’approche par compétences s’est également introduite dans les enseignements de
langue comme discipline. Ce phénomène est relativement récent en France, qui continue
de privilégier au niveau du lycée les savoirs sur les savoir-faire, contrairement aux autres
pays où le français est langue maternelle ou première, le Québec, la Belgique, la Suisse
(Collès, Dufays & Maeder, 2003). Ces compétences, et notamment la compétence de
lecture, sont néanmoins aujourd’hui au centre des préoccupations institutionnelles,
d’autant plus qu’elles sont l’objet d’évaluations internationales qui influent sur les
politiques linguistiques. Certes, l’Europe communautaire n’intervient pas directement
pour une uniformisation des programmes, mais elle incite les États membres et les États
associés au processus de Bologne à une harmonisation des cycles d’enseignement
notamment avec le découpage des études en licence, master et doctorat pour créer un
véritable « Espace européen de l’enseignement supérieur ». Dans l’organisation scolaire,
de la maternelle au lycée, les États restent maîtres de leurs programmes et des
progressions, cependant, un certain nombre d’indicateurs internationaux, dont les
(1)
enquêtes PISA (Programme for International Students Assesment ) menées dans les pays
de l’OCDE depuis 2000 sur les compétences acquises des élèves à différents niveaux de
leur scolarisation, tendent à généraliser, partout en Europe, la définition des objectifs
d’enseignement en termes de compétences.
Aujourd’hui, la didactique de la lecture et de l’écriture s’appuie, en FLM et FLS
comme en FLE, sur l’analyse du discours pour définir les compétences non pas seulement
en termes linguistiques, mais plus spécifiquement en termes sociolinguistiques et
pragmatiques, notamment avec l’approche par genres discursifs (Beacco, 2013). Les
recherches sur l’écrit et la littératie mettent aussi en évidence les nécessaires
complémentarités entre les didactiques du français. La convergence dans les objectifs du
FLE, du FLS et du FLM se trouve également renforcée par les rapprochements que l’on

36
peut faire des démarches, lorsque l’on cherche à diversifier les pratiques d’écrit (Chiss,
2012).
2.1.2. Enjeux formatifs de la culture littéraire
De manière globale, on peut faire remarquer que les enjeux éducatifs liés à l’évolution
des sociétés sont dans une relation d’interdépendance – qu’il s’agisse des effets de la
mondialisation sur l’organisation et la conception des systèmes éducatifs nationaux, ou
des défis de l’intensification des migrations du point de vue économique et surtout
culturel. La tension entre le développement de compétences immédiatement utiles pour
l’action professionnelle et l’affirmation de valeurs éthiques, intellectuelles ou culturelles
qui fondent les sociétés et nourrissent l’identité personnelle traversent tous les champs de
l’enseignement, et spécialement les enseignements de langue, dans la mesure où langue et
culture sont indissociables.
En la matière, le partage entre français langue maternelle et étrangère se fait
principalement sur les enjeux culturels et formatifs de la littérature, considérée comme un
moyen de développement personnel et comme l’expression d’une culture à laquelle l’école
se donne pour mission de faire participer les élèves. C’est dans la relation au patrimoine
littéraire, selon la manière dont on le considère – plus ou moins ouvert ou fermé, national
ou élargi, historique ou contemporain – que les différences en termes de choix
pédagogiques vont apparaître comme les plus marquées.
En effet, alors que la langue maternelle en tant que discipline scolaire fait l’objet en
France de programmes nationaux et se trouve accompagnée de prescriptions pour les
périodes étudiées, incluant des listes de genres, d’œuvres et d’auteurs que les enseignants
doivent respecter, il n’existe aucune obligation pour le français langue étrangère et les
enseignants peuvent adapter le choix des textes à leur public et aux objectifs
pédagogiques, en privilégiant, par exemple, le corpus francophone ou les pratiques
ludiques et créatives. En FLE, en effet, l’objectif de donner une culture littéraire aux
apprenants n’est pas prioritaire ; dans certains contextes d’enseignement, néanmoins,
comme les cursus bilingues, cet objectif peut prendre une part notable. Dans le cas du
FLS en France, enfin, l’objectif central d’adaptation à la culture scolaire, bien qu’il ne se
réduise pas à la culture littéraire, implique toutefois une réflexion sur ce qui, de cette
culture, contribue à former la culture éducative française. Plutôt que d’opposer FLM, FLE
et FLS, il serait ainsi plus judicieux, pour la didactique de la littérature, de distinguer des
contextes d’enseignement : contexte scolaire, d’un côté, où la part de la formation
culturelle se trouve affirmée (et où la culture littéraire patrimoniale en tant que telle peut
devenir un enjeu d’intégration à la culture scolaire) ; contexte professionnel, de l’autre, où
les objectifs communicatifs seront plus directement déterminés par les actions et
interactions sociales.
Mais les différences s’estompent lorsqu’il s’agit de pratiques s’appuyant sur une
pédagogie de la créativité : explorer les potentialités de la langue, développer des
aptitudes à la lecture de fiction, encourager une relation affective à la langue peuvent être
des objectifs en FLE aussi bien qu’en FLM d’autant plus que créativité et efficacité ne
s’opposent pas. En effet, donner à tout apprenant les moyens ou du moins l’occasion de

37
développer le plaisir dans l’usage de la langue qu’il cherche à acquérir, même pour des
objectifs professionnels, peut être utile pour soutenir sa motivation et accompagner des
démarches d’auto-apprentissage hors de la classe.
2.1.3. Éducation à la diversité culturelle et linguistique
Parallèlement aux incitations institutionnelles à donner à la littérature une place
importante dans la formation, le caractère multiculturel des sociétés contemporaines
conduit à insister sur les ressources pédagogiques qu’offre la littérature en tant qu’outil de
médiation et d’éducation à la diversité culturelle et linguistique en FLM autant qu’en FLS
ou FLE. Les enjeux d’une telle éducation sont, dans le contexte de l’école, d’intégrer des
publics divers par la langue et l’héritage culturel : primo-arrivants, enfants d’immigrés
dont la culture familiale se trouve plus ou moins délégitimée, mais aussi « autochtones »
dont les attitudes face à la différence culturelle, linguistique ou religieuse peuvent être
marquées tout à la fois par l’ignorance et les stéréotypes (Chiss, 2008). L’approche
interculturelle développée en FLS a bien souligné l’intérêt de la littérature pour servir à
cette médiation, mais la littérature, comme mise en scène et en tension de la diversité des
langues, peut être aussi un moyen de développer chez les lecteurs une prise de conscience
plurilingue (chapitre 7).
2.2. Finalités des enseignements de langue comme discipline scolaire : littérature,
Bildung et culture humaniste
Diverses initiatives institutionnelles réaffirment le rôle irremplaçable de la littérature
dans la perspective européenne comme nationale, en soulignant ses enjeux formatifs et
culturels. Il nous semble utile de les présenter avant de revenir sur la notion même de
compétence telle que les enseignants de littérature peuvent l’éclairer.
Au niveau européen, le Conseil de l’Europe a entamé un processus de réflexion pour
définir ce que pourrait être un « cadre européen pour les langues de l’éducation », sur le
modèle du CECRL, en définissant les objectifs d’apprentissage, d’enseignement et
d’évaluation communs aux différents systèmes scolaires européens. Ce projet, présenté
(2)
sur le site de l’Unité des Politiques linguistiques du Conseil de l’Europe , a donné lieu à
trois séries de conférences, en 2006, 2007 et 2009, et a abouti à la création d’une
Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle où
(3)
sont disponibles différents travaux préparatoires et synthèses .
« Le projet met l’accent sur i) la langue en tant que matière scolaire ; ii) la langue en
tant que moyen d’enseignement et d’apprentissage tout au long du programme ; iii) les
convergences possibles entre la/les langue(s) d’enseignement et les langues étrangères.
La politique linguistique éducative est examinée de manière globale ou holistique et
vise la promotion d’une cohérence dans le développement du répertoire plurilingue de
(4)
l’apprenant. »
Dans ce cadre large, la question de la place et des enjeux de la littérature dans la
langue en tant que matière a été abordée par plusieurs contributions. Lors de la
conférence intergouvernementale qui s’est tenue à Prague en 2007 (Les Langues de
scolarisation dans un cadre européen pour les langues de l’éducation : apprendre,
enseigner, évaluer), plusieurs aspects ont été présentés, et notamment les enjeux des

38
enseignements littéraires à la fois dans la transmission des cultures patrimoniales et dans
la constitution d’une culture européenne ouverte sur la diversité interne, culturelle et
linguistique (Pieper, 2007, préparé par un rapport en 2006). La question de la définition
des canons littéraires étudiés – plus ou moins patrimoniaux ou contemporains – a fait
également l’objet d’une communication (Fleming, 2007), qui trouve un prolongement
dans une recommandation du Parlement européen pour « Promouvoir l’enseignement des
littératures européennes » (recommandation 1833 publiée en 2008). D’autres textes,
disponibles sur la Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et
interculturelle, rappellent les objectifs des enseignements littéraires dans les
enseignements de langue maternelle – ou, pour utiliser la terminologie des institutions
européennes, dans les enseignements des langues comme disciplines – en relation avec
les compétences principales de la langue de scolarisation : lecture et écriture.
Ces différents travaux, sans présenter un panorama complet, permettent de percevoir
les tendances communes aux différents pays d’Europe sur les enjeux des enseignements
littéraires dans les systèmes scolaires, en articulant des objectifs de développement de
compétences et de formation culturelle. Ils soulignent la spécificité de la compétence de
lecture littéraire, considérée comme une lecture qui associe à des composantes cognitives
une dimension affective et imaginative, et l’apport de la littérature à la formation
culturelle et personnelle, par la diversité des expériences humaines auxquelles elle donne
accès, et qui en fait à la fois un outil de développement personnel et d’initiation aux
valeurs culturelles et sociales par rapport auxquelles sont construites les identités.
2.2.1. Les principes de la Bildung
L’étude menée par l’experte allemande Irene Pieper en 2006, et prolongée par une
comparaison sur la place de la littérature dans quatre systèmes éducatifs européens
(allemand, britannique, norvégien et roumain) en 2007, met en évidence l’importance de
la notion de « Bildung » pour justifier l’enseignement littéraire. Ce terme allemand, qui
e
remonte au XVIII siècle, est particulièrement répandu dans les systèmes scolaires du nord
de l’Europe, et correspond en partie à ce que, dans le système scolaire français, on appelle
la « culture humaniste » (voir ci-après). Faite à la fois de connaissances, de compétences
et de valeurs, cette culture humaniste, ou cette Bildung, est définie comme le
développement personnel des potentialités intellectuelles, affectives et éthiques de l’être
humain au sein de la collectivité dont il fait partie. C’est donc à la fois un processus et un
objectif éducatif, un ensemble d’attitudes et de compétences, articulé à un fonds de
connaissances renvoyant à l’humanisme qui, depuis la Renaissance et les Lumières, s’est
construit en relation avec les valeurs de la démocratie et du respect de la liberté
individuelle.
Les différentes dimensions de cette notion organisatrice des enseignements sont
évoquées par Irene Pieper dans ses deux études sur la littérature dans les cursus scolaires.
e
À la fois processus et résultat, la Bildung correspond, au XVIII siècle, à un idéal de
formation intellectuelle et culturelle où l’éducation contribue à un épanouissement
personnel. Elle « s’est transformée en un objectif scolaire pour l’ensemble des élèves »
(Pieper, 2006 : 1) pour désigner « une combinaison de savoirs, de modes de pensée, de

39
manières de comprendre et d’établir des rapports avec les autres, de manières de se
comprendre soi-même » qui « implique l’intériorisation de valeurs consacrées par la
culture, ce qui signifie, dans le contexte européen, les valeurs personnelles, mais aussi
culturelles, en relation aux autres » (Pieper, 2007 : 7-8). La dimension personnelle du
développement de soi, la dimension collective de la culture commune et les objectifs
langagiers scolaires sont ainsi associés pour définir la Bildung comme un ensemble non
pas seulement de connaissances ou de compétences, mais aussi d’attitudes adoptées en
référence à une éthique commune.
2.2.2. La culture humaniste dans le Socle commun français
En France, le Socle commun de connaissances et de compétences entré dans la loi en
(5)
2005 et établi par un décret en 2006, qui s’applique à l’école et au collège , est présenté
dans son préambule comme « un ensemble de valeurs, de savoirs, de langages et de
pratiques » définis selon trois références : nationale (il est « le ciment de la Nation ») ;
européenne (il s’appuie sur la « recommandation du Parlement européen et du Conseil de
l’Union européenne en matière de “compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage
tout au long de la vie” ») ; et internationale (il se réfère « aux évaluations internationales,
notamment au Programme international pour le suivi des acquis des élèves, PISA, qui
propose une mesure comparée des connaissances et des compétences nécessaires tout au
long de la vie »).
e
Comme la Bildung, la « culture humaniste », qui constitue le « 5 pilier » de ce socle,
est définie comme un ensemble de connaissances, de compétences et d’attitudes qui
contribuent au développement personnel et à la situation individuelle dans une culture
déterminée géographiquement et historiquement. Elle se déploie dans l’articulation entre
l’interprétation des œuvres littéraires et la participation aux pratiques culturelles :
« 5 – La culture humaniste
La culture humaniste permet aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité
et de la rupture, de l’identité et de l’altérité. En sachant d’où viennent la France et
l’Europe et en sachant les situer dans le monde d’aujourd’hui, les élèves se projetteront
plus lucidement dans l’avenir.
La culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité.
Elle enrichit la perception du réel, ouvre l’esprit à la diversité des situations humaines,
invite à la réflexion sur ses propres opinions et sentiments et suscite des émotions
esthétiques.
Elle se fonde sur l’analyse et l’interprétation des textes et des œuvres d’époques ou de
genres différents. Elle repose sur la fréquentation des œuvres littéraires (récits, romans,
poèmes, pièces de théâtre), qui contribue à la connaissance des idées et à la découverte
de soi. Elle se nourrit des apports de l’éducation artistique et culturelle. »
(ibid.)
À cette fin, les connaissances permettent de donner « des repères communs » et
contribuent « à la construction du sentiment d’appartenance à la communauté des
citoyens » en même temps qu’elles préparent « chacun à la construction de sa propre
culture et conditionne son ouverture au monde ». Les compétences sont notamment la

40
lecture – de textes et d’images – et la capacité à situer les œuvres, historiquement,
géographiquement, mais aussi en distinguant œuvres de consommation et œuvres d’art.
Enfin, l’école cherche à cultiver des attitudes, sa mission consiste à donner « à chacun
l’envie d’avoir une vie culturelle personnelle » à travers la lecture, la fréquentation des
musées, des spectacles et « la pratique d’une activité culturelle » ainsi qu’à « cultiver une
attitude de curiosité » pour l’art et les autres pays du monde, en développant « la
conscience que les expériences humaines ont quelque chose d’universel » (ibid.).
Comme le fait remarquer Jeanne-Antyde Huynh dans sa présentation du Français
o
aujourd’hui consacré à la culture humaniste (n 167, 2009/4), celle-ci est d’abord une
« culture de l’écrit », elle a une dimension encyclopédique et se construit par la lecture,
qui en est la compétence clé. Elle est aussi liée à la transmission d’un patrimoine national
et européen représenté par des textes dits fondateurs. La définition de la culture
humaniste fait apparaître une insistance française sur les éléments du patrimoine ainsi
que sur la notion d’universel plus que sur la diversité des cultures :
« La conception renouvelée de l’humanité s’inscrit dans les grandes données de
l’héritage : la dimension européenne, l’universalisme que visent les valeurs
fondamentales et l’idéal humain recherché, la problématique de l’Altérité qui continue
de poser l’Autre comme essentiel à l’humanité et de l’interroger, mais cette fois en tant
qu’il permet de penser l’identité. »
(Huynh, 2009 : 4-5)
Ces traits français, qui remontent au rationalisme et à l’universalisme des Lumières au
e
XVIII siècle, sont aujourd’hui discutés, à la fois dans la perspective scolaire de
l’intégration et de la reconnaissance des minorités culturelles ou linguistiques en France,
mais aussi par rapport à une conception plus européenne que nationale de la citoyenneté,
et enfin par rapport à une dimension non territoriale de la notion même de littérature
française, incluant la diversité des écrivains de langue française. On y reviendra en
évoquant la question du canon – c’est-à-dire des corpus d’œuvres ou d’auteurs
recommandés ou, simplement, privilégiés dans le cadre scolaire. D’autre part, la
littérature y est envisagée non pas comme objet esthétique, ni d’ailleurs dans sa relation à
la langue, mais pour « sa valeur d’usage » (ibid. : 6). Pour éviter que, dans ce glissement
de l’esthétique vers l’éthique, elle ne soit réduite à une utilisation idéologique, il convient,
rappelle Huynh, de réfléchir aux « modes d’accès et d’appropriation » (ibid. : 5), à
commencer par la lecture et l’écriture littéraires, afin de permettre la contextualisation,
l’interprétation et la construction d’un rapport personnel aux textes. Ce qui est en question
ici est bien la spécificité du littéraire qui, pour participer à la fois de la langue et de la
culture, n’est réductible à aucun des deux. La littérature semble pourtant, dans le Socle
commun, être purement et simplement partagée entre ces deux « piliers » que sont « la
maîtrise de la langue » et « la culture humaniste ». Peut-on, au niveau européen, percevoir
ce même partage, entre langue et culture ? Une réflexion apparaît-elle sur ce qui serait la
spécificité de l’apport de la littérature à l’un et l’autre domaine ?
2.2.3. Littérature et compétences de lecture-écriture
Par rapport à ce qui était le rôle traditionnel de la littérature, Irene Pieper fait

41
remarquer qu’elle se trouve dans tous les pays beaucoup moins sollicitée qu’autrefois dans
son rôle de support pour les apprentissages de la lecture comme pour la maîtrise de
l’écrit. En effet, dans la plupart des systèmes scolaires européens, depuis la fin des
années 1960, l’apprentissage de la lecture, comme de la langue, ne repose plus
uniquement sur un corpus littéraire, mais utilise toutes sortes de documents, écrits ou
visuels. La littérature s’est trouvée ainsi considérée comme un discours parmi beaucoup
d’autres auxquels l’école doit aussi consacrer des apprentissages pour développer des
compétences de type fonctionnel. La compétence littéraire en matière de lecture a été
cependant distinguée de la lecture courante, comme on l’a vu précédemment dans
l’approche communicative. Sa spécificité est d’être difficile à évaluer et il convient, pour
la développer, de réfléchir à des outils et des activités autres que des questions de
compréhension type QCM ou « textes à trous » valables pour des textes informatifs. Du
point de vue de l’écriture, la littérature est plus encore perçue comme un « surplus » qui
n’est pas nécessaire dans la vie de tous les jours, et constitue donc non pas le moyen
privilégié de l’apprentissage de l’écrit, mais une des explorations possibles, nettement
distinguée des écrits ordinaires. L’écriture créative est également un point d’achoppement
des évaluations comparatives des compétences, qui oblige à réfléchir à des outils
d’accompagnement plus qu’à des protocoles standardisés impossibles à concevoir – et
dénués de sens dans la mesure où ce n’est justement pas une réponse standard qui est
attendue.
2.2.4. Littérature et identité culturelle
L’importance irremplaçable de la littérature se trouve réaffirmée pour deux finalités de
la formation : le développement personnel et la participation à la vie culturelle. Selon les
systèmes éducatifs, et selon les niveaux, les proportions entre ces deux dimensions, et la
part entre connaissances, compétences et attitudes peuvent être très variées, mais des
constantes se dégagent de la comparaison des différents pays européens.
D’après l’étude de Pieper, dans l’ensemble européen, au niveau primaire, la littérature
est généralement considérée comme une expérience enrichissante, une « rencontre » avec
soi autant qu’avec l’autre, qui permet de développer la sensibilité et l’imagination et de
construire l’identité. C’est donc le développement personnel de l’apprenant qui est mis au
premier plan. À l’inverse, dans le secondaire, l’accent est traditionnellement plus mis sur
la dimension culturelle avec plusieurs manières de la concevoir, selon que l’on privilégie
le patrimoine culturel ou la participation à la vie culturelle. Certains pays, comme le
Royaume-Uni ou la France, insistent sur les connaissances, dans une perspective de
transmission d’un patrimoine culturel historiquement légitimé, plus ou moins fixé dans un
canon, devant faire partie du « bagage » culturel de tout membre de la communauté
nationale ou linguistique. Il s’agit alors plus d’apprendre « sur » la littérature que
d’apprendre « avec » elle, note Pieper, qui souligne le fait que l’enseignement secondaire
est généralement moins centré sur l’apprenant que sur la discipline littéraire et la maîtrise
des techniques d’analyse spécialisées. Ce partage entre primaire et secondaire est
particulièrement prégnant en France où, selon les auteurs du Français aujourd’hui
o
(n 168, 2010/1) consacré aux continuités et ruptures dans l’enseignement de la

42
littérature, le premier et le second degré ont « longtemps développé deux cultures
littéraires dissemblables » (Bishop & Butlen, 2010 : 5) avec un enseignement « qui tend à
privilégier les affects au collège, une interprétation plus littéraire et distanciée au lycée et
une réflexion plus métatextuelle, plus philosophique à l’université » (ibid. : 6), tandis
qu’en Belgique, la coupure apparaît plutôt entre un enseignement fonctionnel de la lecture
au primaire et les approches culturelles au lycée qui privilégient le fait littéraire (Collès,
Dufays & Maeder, 2003). En Allemagne, la finalité de la lecture, qui est nettement
orientée vers la vie plutôt que vers les mots dans le primaire (Von Münchow, 2011),
reste également plus tournée vers l’appropriation personnelle y compris au lycée. La
littérature est considérée comme une expérience de relation à l’autre : par la lecture, on
rencontre différentes conceptions du monde et la littérature peut dès lors servir à
développer des attitudes d’ouverture aux différentes valeurs culturelles. Enfin, le contact
avec la littérature, en tant que pratique culturelle – que ce soit lire, écrire, aller au théâtre
ou à des rencontres ou des lectures publiques d’écrivains – se développe aussi dans la
socialisation, ce qui en fait un objectif scolaire, en particulier pour les élèves issus de
milieux éloignés de ces formes de participation à la vie culturelle qui contribuent aussi à
un sentiment d’appartenance. La littérature est alors un moyen, sinon d’intégration, du
moins de rapprochement et d’éducation au respect mutuel, par la lecture de textes
« provenant de milieux et de cultures inconnus » permettant « de s’identifier et de
comprendre de nouveaux modes de pensée » (Pieper, 2007 : 9).
Dans la perspective de la Bildung, la littérature est ainsi mise en relation à la fois avec
des attitudes – tolérance et respect – et avec des compétences : bien lire, c’est, entre
autres, être capable de se décentrer pour entrer en relation de sympathie avec ce qui est
étranger et accueillir la possibilité d’une interprétation différente de la sienne. Cette
affirmation des pouvoirs et de la valeur de la littérature apparaît d’autant plus forte qu’elle
s’inscrit à contre-courant de tendances qui font peser sur les systèmes scolaires un
impératif d’utilité posée en termes de capacités techniques immédiatement exploitables.
Le tournant « éthique » dans la manière d’envisager les enjeux de la littérature est
sensible aussi en France. Alors que les approches formelles sont encore dominantes dans
la formation scolaire (Mitterand, 2005), plusieurs essais, parus entre 2007 et 2013,
prennent acte d’une crise de la littérature et de son enseignement, et cherchent à en
réaffirmer la valeur. Ces réflexions couvrent un champ extrêmement vaste, allant de la
critique de la manière scolaire d’aborder les textes à une défense du rôle de la formation
littéraire et des Humanités dans la perspective d’une éducation démocratique. Des
intellectuels d’horizons aussi divers que Tzvetan Todorov (2007), Antoine Compagnon
(2007), Jacques Bouveresse (2008), Alain Finkielkraut (2009), Vincent Jouve (2010),
Jean-Marie Schaeffer (2011) ou Judith Schlanger (2013) soulignent l’importance vitale
d’une lecture qui nous affecte « d’une manière personnelle, à travers une relation
personnelle » (Schlanger) et peut changer le regard que l’on porte sur soi et les autres. Et
puisque la littérature est « essentielle au déchiffrement des énigmes du monde » et que les
écrivains « réorganisent notre perception des êtres, des valeurs, du présent ou de l’avenir »
(Finkielkraut), puisque « l’objet de la littérature [est] la condition humaine », il s’agit, en

43
lisant, de devenir « un connaisseur de l’être humain » (Todorov). Yves Citton (2010), qui
situe son intervention dans le contexte de la mondialisation, considère que les études
littéraires ne doivent pas être défendues comme un « supplément d’âme » ou un « luxe » à
côté des technologies que requiert la société marchande, mais doivent être cultivées
comme une réponse à l’emprise économique sur la pensée et la vie. Défendant l’attitude
interprétative comme clé permettant de déjouer les emprises, il rejoint la philosophe
(6)
américaine Martha Nussbaum qui oppose, dans Les Émotions démocratiques (2011),
une éducation « pour le profit » à une éducation « pour la démocratie », dans laquelle la
pratique de la littérature serait fondamentale, parce qu’elle développerait la capacité
d’empathie qui est, selon elle, l’essence même de l’esprit démocratique.
2.3. Corpus littéraires : élargir la notion de patrimoine commun
Dans une perspective de formation qui unit la préoccupation du développement
personnel à une éducation à la diversité culturelle et linguistique, la question de la
diversification des corpus littéraires étudiés à l’école constitue un enjeu important. Une
étude de Mike Fleming pour le Conseil de l’Europe (2007) montre que les pays
européens sont tiraillés entre deux conceptions du canon littéraire, selon qu’on en fait une
liste fermée, correspondant uniquement aux œuvres patrimoniales, aux « classiques »
dûment validés par l’institution scolaire et par l’histoire, ou selon qu’on ouvre la liste à la
fois, en termes chronologiques, aux œuvres contemporaines, en termes génériques, aux
œuvres n’appartenant pas aux genres consacrés, et en termes géopolitiques, aux œuvres
qui sortent des frontières nationales. En France, la question des corpus scolaires a donné
lieu à moins de discussions que celle des finalités de l’enseignement littéraire. Des travaux
consacrés aux pratiques réelles des enseignants signalent cependant un faible
renouvellement des corpus. Ainsi, Gérard Langlade pointe, en 2005, « la littérature
restreinte de l’enseignement des lettres », tout comme la plupart des contributeurs du
o
Français aujourd’hui portant sur les corpus littéraires (n 172, 2011/1) qui soulignent que
les choix des enseignants sont assez peu explorateurs et se réfèrent toujours implicitement
à une conception canonique ou patrimoniale d’une littérature qui est plus à transmettre
qu’à expérimenter, même si l’introduction, en 2008, de l’éducation aux arts a conduit à
une plus grande mise en relation des textes littéraires avec les œuvres artistiques. Deux
initiatives pour promouvoir une conception « transnationale » de la notion même de
patrimoine littéraire méritent qu’on s’y arrête.
2.3.1. La promotion de l’enseignement des littératures européennes
Pour soutenir la construction d’une identité européenne, le Parlement européen a émis
en 2008 une recommandation destinée aux États membres pour « Promouvoir
l’enseignement des littératures européennes ». Celle-ci affirme l’importance de la
transmission de la littérature européenne « dans toute sa richesse et sa diversité […] à
tous les niveaux du système éducatif ». Soulignant que « la connaissance d’une langue ne
se réduit pas à sa maîtrise en tant qu’instrument de communication » et que « la
connaissance de grandes œuvres de la littérature enrichit la réflexion et la vie même », le
Parlement affirme que :
« 4. L’apprentissage de la langue maternelle et de sa littérature joue un rôle majeur

44
dans la formation des scolaires à une conscience nationale. L’apprentissage d’autres
langues et littératures européennes peut contribuer à la formation à la citoyenneté
européenne. […]
6. Une conception strictement nationale de l’enseignement de la littérature doit être
dépassée, et une approche transversale du patrimoine européen devrait être proposée
aux scolaires de tous niveaux, mettant en évidence le lien commun dans le respect de
la diversité culturelle. »
Recommandation 1833 (2008) :
« Promouvoir l’enseignement des littératures européennes »
Les États membres sont également encouragés à renforcer la présence de la littérature
européenne, dans une perspective transnationale, en faisant « apparaître l’enseignement
de la littérature européenne comme partie intégrante de l’éducation à la citoyenneté
européenne, prenant en compte la diversité culturelle, conformément à la Convention
o
européenne des droits de l’homme (STE n 5), et le pluralisme linguistique de notre
continent » (ibid.), en soutenant la traduction et en utilisant les possibilités qu’offre
Internet pour la mise à disposition de ce patrimoine commun.
La lecture, en traduction, des œuvres littéraires d’autres pays est explicitement
considérée comme une manière de s’initier à la culture indépendamment de la langue, la
référence étant, il faut le noter, non pas la littérature d’un autre pays perçu dans sa
différence, mais la littérature des autres pays d’Europe, perçue comme un ensemble dont
la diversité est reliée à une identité commune. Par ailleurs, l’Union européenne encourage
le développement de filières bilingues qui permettent d’étudier, en langue originale, les
œuvres littéraires des deux pays partenaires, en dépassant les clivages entre
enseignements de langue maternelle et étrangère (chapitre 3).
2.3.2. La reconnaissance de la pluralité des littératures en français
En ce qui concerne le français, on peut également soutenir l’intérêt de ne pas fermer
les frontières, mais de se situer dans une communauté francophone, unissant, au-delà de
l’Europe, des pays de la francophonie historique où le français est langue maternelle
d’une grande partie des habitants – France, Québec, Belgique et Suisse – avec la grande
diversité des pays où le français est langue seconde, langue scolaire ou langue de culture.
C’est une perspective déjà adoptée au Québec, en Belgique et en Suisse, où, d’une part, la
valorisation des œuvres nationales par rapport à la littérature française hexagonale est
plus ou moins affirmée ; et où, d’autre part, le plurilinguisme impose une conception plus
linguistique que nationale de la littérature : la littérature en français s’y distingue ainsi des
productions des autres communautés linguistiques.
En France, l’appel Pour une littérature-monde, lancé en 2007 sous la direction de
Michel Le Bris et Jean Rouaud, a donné une soudaine visibilité à une part de la création
contemporaine, aujourd’hui assez largement reconnue par les prix littéraires. Cet appel se
situait à un autre niveau que la recommandation européenne : il s’agissait de la
reconnaissance critique des littératures de langue française en dépassant l’opposition
français/francophone, marquée par une ségrégation perçue comme raciste (Ben Jelloun,
dans Le Bris & Rouaud, 2007 : 118). Contre une représentation fermée de l’identité

45
culturelle française, ses auteurs défendaient ainsi, en empruntant à l’écrivain antillais
Édouard Glissant sa « poétique de la relation », une conception de la création cherchant
non pas un universel abstrait, mais faisant vivre en réseau les différences acceptées dans
leurs particularités. Il s’agissait aussi, par les termes mêmes de littérature-monde, de
revendiquer une littérature qui, loin du formalisme refermant le langage sur lui-même,
retrouve « son ambition de dire le monde, de donner un sens à l’existence, d’interroger
l’humaine condition, de reconduire chacun au plus secret de lui-même » (Le Bris, 2007 :
41). N’est-ce pas là une belle définition de ce qu’est la littérature – « tout court » ?
Le monde de cette littérature est cependant, selon Le Bris, lui-même élargi, c’est celui
de la mondialisation, vue non comme l’uniformisation culturelle du mode de vie
occidental, mais comme la diversification des expériences, des rencontres et des
échanges, dans un « télescopage […] de cultures multiples […] où sur un tronc
désormais commun se multiplie les hybridations, dessinant la carte d’un monde
polyphonique, sans plus de centre, devenu rond… » (ibid. : 41-42). Cet appel a été
prolongé en 2010 par la revendication des mêmes auteurs d’une « identité-monde »,
pensée « en termes de flux et non plus de structures », suivant l’anthropologue indien,
Arjun Appadurai, qui conteste la vision essentialiste des cultures. La publication
successive de ces deux ouvrages indique bien les liens qui unissent, pour leurs auteurs, la
remise en question d’un canon littéraire national et la contestation d’une identité
appréhendée « en termes de catégories du stable, État-nation, territoires, frontières,
opposition intérieur-extérieur, familles, communautés, identités, concepts » (Le Bris &
Rouaud, 2010 : 25).
Sortir de la conception nationale de la littérature – faire entrer, en quelque sorte, la
littérature française dans l’ensemble de la littérature francophone (Mabanckou, cité par
Le Bris, 2007 : 23) – comporte d’autres enjeux institutionnels et éducatifs. Il s’agit en
effet de prendre acte d’une identité culturelle qui n’est plus rabattable sur la Nation, et
donc, d’élargir la notion même de patrimoine commun et de permettre à une part
importante de la population de se sentir elle aussi reconnue. Pas plus que pour les
littératures européennes, il n’est question que ce corpus se substitue aux œuvres
patrimoniales. Sur ce point, il n’est d’ailleurs pas sûr que la « patrimonialisation » des
littératures postcoloniales, qui sont pour certaines des œuvres de dénonciation et de
combat contre la réalité ou l’esprit colonial, se fasse sans risque d’édulcorer leur puissance
contestataire (Delas, 2009). Mais l’enjeu d’une telle reconnaissance est évident si l’on
considère qu’une éducation à la pluralité culturelle et linguistique doit faire partie des
missions de l’école.
2.3.3. Pour une conception ouverte du patrimoine littéraire
Ainsi est mise en avant une définition éthique autant qu’esthétique de la littérature, qui
renvoie à une conception de l’humain non plus comme un universel abstrait, mais comme
un sujet mouvant, singulier par la diversité de ses appartenances. Cette reconnaissance du
divers comporte un enjeu existentiel et philosophique qui ne se réduit pas à une question
de corpus, mais engage une nouvelle relation à la littérature. En effet, si l’on peut
s’accorder sur la nécessité d’une conception plus ouverte de ce qui constitue un

46
patrimoine collectif partagé, il est important de souligner que ce n’est pas le corpus des
œuvres en soi qui suffit à créer ni un sentiment d’appartenance ni une capacité de
réflexion sur la communauté linguistique et culturelle ou sur les valeurs humanistes
fondatrices ou à construire.
Ainsi, au-delà de l’intérêt que les approches anthropologiques et interculturelles
manifestent pour les littératures dites migrantes ou postcoloniales, au-delà des appels
institutionnels à donner plus de place aux littératures européennes, c’est la capacité de
mettre en relation ces divers héritages, national, européen et francophone, qui est à
construire, non comme des « identités meurtrières » exclusives les unes des autres, mais
comme des « appartenances multiples » (Maalouf, 1999). Pour cela, il importe de ne pas
concevoir et opposer les corpus comme des blocs, mais d’adopter des approches croisées,
qui sortent les œuvres des catégories où l’histoire littéraire les enferme. La littérature
classique elle-même gagnerait infiniment à une approche qui ne la fige pas dans l’histoire
littéraire ou l’analyse formelle, mais en redécouvre les potentialités émotives autant
qu’esthétiques, en l’actualisant, ainsi que le propose Yves Citton (2007). En détachant les
enseignements littéraires des seuls savoirs sur la littérature, l’approche par compétences
permet de défendre cette forme d’anachronisme assumé qui arrache la littérature
« ancienne » au passé pour lui rendre la capacité de nous toucher, au présent, comme
peuvent aussi nous toucher des littératures de l’ailleurs, que ce soit un ailleurs européen
ou mondial. Car enfin, et nombre d’écrivains en témoignent, les « affinités électives »
entre un lecteur et un livre ne doivent rien ni aux nationalités ni aux époques.
2.4. Dimensions interprétatives de la compétence littéraire
L’approche par compétences qui s’est imposée à l’école, avec le Socle commun de
connaissances et de compétences établi en 2006, amène les enseignants de littérature à
réfléchir aujourd’hui sur la notion de compétence littéraire. Cette dernière, qui vient
supplanter la transmission de connaissances longtemps privilégiée, se dégage en effet à la
faveur d’autres manières de travailler, qui dépassent le cadre des disciplines avec la
pédagogie de projet, et demandent que soient explicités les objectifs pédagogiques en
distinguant connaissances, compétences et attitudes.
2.4.1. La compétence littéraire comme attitude interprétative
Ce qui apparaît, lorsque les enseignants de français s’attachent à définir ce qu’est
spécifiquement la compétence littéraire, c’est d’abord le fait qu’il s’agit d’une compétence
complexe, qui implique un grand nombre de paramètres. François Quet, dans
l’introduction d’un débat sur l’approche par compétences en littérature publié en ligne par
l’École normale supérieure de Lyon, en propose une définition extensive :
« Les compétences des littéraires (de l’homme de lettres, du lettré ? – mais s’agit-il
toujours de la même chose ?) se manifestent dans des actions assez complexes qui font
converger des techniques, des connaissances ou des marques de sensibilité. L’aisance à
circuler dans une bibliothèque, le plaisir pris à la lecture d’une traduction de Virgile et
la facilité à mettre des mots sur ce plaisir, le rejet argumenté de la facilité en art,
l’aptitude à comparer Stendhal et Balzac, Racine et Corneille ou Sartre et Camus sont
les signes probables (parmi d’autres) de compétences littéraires. […] La pensée

47
critique, la curiosité artistique, la capacité à situer les textes les uns par rapport aux
autres, par rapport aux autres formes d’expression, par rapport à l’histoire sociale et
politique, l’attention aux formes autant qu’aux contenus, l’art de faire parler les textes
au-delà de leurs significations explicites participent sans doute de la spécificité du
littéraire. »
(Quet, 2009 : 1)
La compétence littéraire, telle qu’elle est ici définie, semble se confondre avec la
Bildung. On peut la décrire, cependant, en disant qu’elle est orientée vers une « famille »
de situations liées à la lecture des œuvres : trouver un livre, s’immerger dans la lecture,
discuter du contenu ou des formes expressives, réfléchir sur soi ; et en identifiant les
capacités et les ressources qu’elle mobilise pour atteindre son but : connaissances sur les
auteurs, les genres littéraires ou les principes de classement d’une bibliothèque…,
capacités à relier des informations pour comprendre, imaginer, formuler un jugement,
argumenter et comparer…, attitudes d’attention aux effets du texte sur sa propre
sensibilité afin d’interpréter. À ce titre, la disposition qui résume le mieux l’apport
spécifique de la compétence littéraire, sur le plan intellectuel, est sans doute l’attitude
interprétative, qui s’exerce à tous les niveaux de la formation, depuis l’école élémentaire
jusqu’à l’université (Butlen & Houdart-Mérot, 2009).
Adopter une attitude interprétative, c’est considérer que les problèmes les plus
intéressants à résoudre ne sont pas des alternatives, mais des situations complexes,
ambiguës, qui sont constitutives de l’expérience humaine. Ce qu’on pourrait résumer ainsi,
avec Yves Citton, qui oppose le caractère binaire de la communication à l’interprétation :
« la compétence littéraire consiste dès lors à savoir compter au-delà de deux » (2009 : 2).
Compter au-delà de deux : dépasser la problématique du soi et l’autre pour arriver – à
travers le dialogue et la médiation d’autres lecteurs – à se déplacer entre les lignes de
démarcation identitaires. Compter au-delà de deux : sortir du jugement, reconnaître
l’indécidable, l’ouverture des possibles, la part ininterprétable des comportements
humains. Compter au-delà de deux : apprendre que la langue permet de dire et de voiler,
de dire en voilant, par l’indirection et la suggestion.
La compétence littéraire fait ainsi le lien entre la compétence « technique » de lecture,
sa dimension imaginaire, fantasmatique et affective, sa dimension culturelle, sociale, et la
capacité à reconnaître la complexité, à dépasser la dualité d’une opposition entre l’identité
et l’altérité, en mettant en avant un modèle d’interprétation ouvert, incertain, qui intègre la
possibilité de se tromper. Cette « compétence herméneutique » est, selon Yves Citton
(2007) indispensable à la vie en société, de sorte que l’activité interprétative propre aux
études littéraires peut constituer un modèle de compétence transversale, dont la maîtrise
n’est pas utile aux seuls littéraires, mais est indispensable dans un monde professionnel
caractérisé par une « intellectualité diffuse » où il faut sans cesse pouvoir faire le tri dans
la masse de savoirs et d’informations qui circulent. Cette compétence n’est donc pas à
réserver à ceux qui font de la littérature leur objet d’étude au niveau universitaire, mais
doit être considérée comme une priorité des formations scolaires.
2.4.2. Des outils pour développer la lecture interprétative

48
Deux outils d’accompagnement de la lecture interprétative ont été développés pour
l’école primaire, où l’interprétation a été intégrée à l’apprentissage de la lecture littéraire
précoce. Catherine Tauveron a montré, en effet, que dès le début, « pour comprendre, il
faut interpréter » (2009 : 58). La lecture littéraire est envisagée par elle comme une
activité essentiellement dialogale : « dialogue intime et extime, soit échange mutuel de
questions et de réponses entre le texte et le lecteur, et entre lecteurs, hors de la médiation
questionnante d’un tiers (ce qui ne veut pas dire sans son étayage) » (ibid. : 63). C’est
pour étayer ce double dialogue qu’ont été proposés d’une part les carnets de lecture, qui
accompagnent le dialogue intime avec le texte ; d’autre part, les débats interprétatifs entre
élèves, où l’enseignant se garde de faire une explication de texte comme de donner sa
propre interprétation. Le carnet de lecture peut être conçu comme une anthologie
personnelle, commentée ou illustrée, ou un « journal dialogué » d’appropriation des
textes, c’est-à-dire non pas un journal intime, mais un moyen de communiquer entre
l’enseignant et les élèves, et entre élèves (Lebrun, 1995 : 272-281). Dans les débats
interprétatifs, les élèves résolvent ensemble, de manière coopérative, à la fois des
problèmes de compréhension – relevant du débat délibératif, lorsqu’entre deux
hypothèses, une seule est validée par le texte – et des problèmes d’interprétation –
relevant du débat spéculatif, lorsqu’il s’agit de se demander « ce qui aurait pu être » et
non « ce qui est ». L’affectivité – en particulier dans le cas de la lecture romanesque qui
joue sur « l’immersion » dans la fiction et sur « l’identification » aux personnages –, au
lieu d’être évacuée de la classe, peut ainsi servir à développer des compétences
transversales : exprimer une émotion suscitée par le texte, justifier une interprétation en
se référant à lui, discuter ou évaluer la validité de plusieurs hypothèses sur le déroulement
d’une intrigue ou les mobiles d’une action, développer une attitude autoréflexive à partir
d’une situation romanesque.
Permettant de développer chez de jeunes enfants les différentes capacités mobilisées
lors d’un acte interprétatif, le carnet de lecture et les débats interprétatifs nous semblent
pouvoir être utilisés en FLE de manière complémentaire pour conduire les apprenants
vers une attitude interprétative, en classe et hors classe, en accompagnant leurs lectures
individuelles et collectives. Ils s’accordent en outre avec deux orientations fortes de la
didactique du FLE : l’accent mis sur l’autoréflexivité de l’apprenant, qui organise ses
apprentissages, et l’importance accordée aux dimensions interculturelles de la
communication.
2.4.3. Interprétation et réflexivité : du carnet de lecture à la « bibliothèque intérieure » de l’apprenant
La pertinence de développer chez les apprenants une capacité autoréflexive est
soulignée par les différentes initiatives autour du portfolio européen pour les langues. Au
niveau européen, une commission s’est réunie pour examiner l’opportunité d’un portfolio
adapté aux langues comme disciplines (Aase, Fleming, Pieper & Samihaian, 2007). Il en
ressort que les avantages du portfolio sont de mettre en valeur le processus et les
stratégies d’apprentissage en se centrant sur le développement personnel de l’apprenant,
qui participe au choix du matériel qui sert à l’évaluation, et développe ainsi une capacité
d’auto-évaluation et de métacognition. Tel qu’il a été développé pour l’apprentissage des

49
langues étrangères, avec ses trois parties (passeport de langues, biographie langagière et
dossier), le modèle du portfolio a toutefois été écarté pour les langues comme disciplines.
Étant conçu comme un outil d’évaluation et de bilan de compétences, il n’est en effet pas
approprié pour accompagner le processus de développement des capacités de lecture et
d’interprétation. Par contraste, le carnet de lecture utilisé à l’école primaire pourrait
répondre à cet objectif, dans la mesure où il articule lecture, écriture et mise en relation
avec d’autres formes artistiques, sans intégrer de dimension évaluatrice.
Adapté pour le FLE, le carnet de lecture/littérature pourrait ainsi conjoindre une partie
réflexive sur les stratégies développées pour le projet de lecture, une partie personnelle de
choix de textes avec des citations, commentées ou non, et une partie de mises en
résonances interculturelles qui cherche à souligner les effets de proximité et de distance
avec le parcours linguistique et culturel de l’apprenant. Articulé aux débats interprétatifs
ménageant des moments de mise en commun, le carnet de lecture pourrait également
servir d’étayage à la lecture cursive, réalisée en dehors de la classe, d’œuvres intégrales
que les apprenants auraient choisies dans une liste ou par eux-mêmes. Cela suppose
toutefois qu’ils soient capables de s’orienter dans la littérature et donc, qu’on les
accompagne dans la conquête de cette autonomie.
Ainsi, aider l’apprenant à se repérer parmi les livres et les auteurs constitue
légitimement l’un des objectifs de la formation littéraire en FLE. Il ne s’agit pas dans ce
cadre d’accumuler des connaissances sur, ou autour d’un livre ou d’un auteur, mais de
penser à des prolongements possibles à l’activité de lecture. Cela peut se faire dans une
perspective actionnelle sous la forme d’un projet coopératif où les apprenants sont eux-
mêmes en charge de proposer des rapprochements en « rayonnant » autour d’un livre, à
partir de l’auteur, des thèmes, du genre ou de l’époque, afin de constituer un réseau dans
lequel le livre et la lecture se trouvent situés. Le lien établi peut être d’ordre culturel,
reliant différents arts – par exemple quand un roman est mis en relation avec un film, un
tableau, une sculpture –, ou différentes interprétations – du roman au film ou à la bande
dessinée, du poème à sa mise en musique, de la pièce à sa représentation scénique. Il peut
aussi être plus indirect, ou plus personnel, constituant « l’intertextualité », ou pour mieux
dire encore, « l’interculturalité » du lecteur. Le carnet de lecture constitue le support
matérialisant ces mises en relation, en gardant trace de différentes étapes du projet.
Ce type d’activité est d’autant plus pertinent en langue seconde ou étrangère, que les
lectures subjectives des apprenants sont un moyen d’accès, pour l’enseignant, non pas
exactement à leur monde intérieur, mais à leur « mémoire lettrée » (Louichon, 2009).
Cette « mémoire lettrée » permet à un lecteur de situer les œuvres entre elles, de dessiner
des affinités, des ressemblances, qui constituent sa culture, non comme un ensemble
objectivé de connaissances, mais plutôt comme un réseau de sensibilités (Louichon &
Rouxel, 2010). Une autre dimension de la compétence littéraire tient en effet dans la
capacité de l’apprenant à circuler dans sa « bibliothèque intérieure » (Bayard, 2007), par
rapport à laquelle chaque nouvelle lecture, collective ou individuelle, se situe et prend
sens. L’exploration virtuelle si l’on utilise les moyens d’Internet – blogs de lecteurs ou
d’écrivains, bibliothèques et librairies en ligne permettant de feuilleter des pages des

50
ouvrages évoqués, voire d’écouter des lectures par les auteurs, podcasts d’entretiens
radiophoniques – peut à cet égard développer des stratégies de recherche documentaire
propres à l’usage des technologies de l’information et de la communication, qui
constituent de plus en plus le premier moyen d’accès à la culture. On peut d’ailleurs
insister sur la disponibilité de ces supports qui permet aujourd’hui un contact avec la
culture vivante alors qu’on se trouve géographiquement très éloigné. Ces formes
renouvelées de participation à la vie culturelle contribuent ainsi à apprivoiser l’inconnu et
à s’approprier des références. Prolongeant hors de la classe le contact avec la culture
étrangère, ces pratiques culturelles, dont le carnet de lecture/littérature peut ainsi garder
trace sous une forme papier ou électronique, associent la dimension immatérielle de la
bibliothèque « universelle » d’Internet avec la constitution personnelle d’une
« bibliothèque intérieure » singulière à chaque apprenant.
2.4.4. Débats interprétatifs dans une perspective communicative et interculturelle
Les débats interprétatifs sur les textes littéraires apportent un étayage collectif,
favorisant la communication interculturelle et l’aptitude au déchiffrement personnel et
interpersonnel en même temps qu’ils peuvent contribuer à développer le goût de partager
et d’approfondir ses lectures. À un premier niveau, le débat interprétatif sur les textes
littéraires peut contribuer à l’implication personnelle, à la fois affective et réflexive, qui
est une des caractéristiques de la lecture authentique.
Afin de permettre aux apprenants d’entrer dans la lecture, il importe de choisir des
textes à la fois accessibles d’un point de vue linguistique et riches quant aux possibilités
d’interprétations, comme le sont certains albums de la littérature de jeunesse, qui
permettent en outre de s’appuyer sur l’image. Ceux-ci permettent des lectures à plusieurs
niveaux, en fonction de la maturité des lecteurs, de leur maîtrise langagière et
conceptuelle, comme le montre une expérience menée par Jean-Pierre Drouar (en 2003)
impliquant plus de 250 classes et 5 000 élèves du cycle 1 de la maternelle jusqu’en
seconde. Le projet, porté par la remise d’un prix littéraire en Maine-et-Loire, qui associait
« promotion du livre de jeunesse et débat autour de valeurs citoyennes » (Drouar et al.,
2005 : 85), comportait la lecture transversale de L’Agneau qui ne voulait pas être un
mouton de Didier Jean et Zad (Syros Jeunesse, 2004), une œuvre qui offre la possibilité
de nombreuses interprétations et incite à la réflexion, dont la thématique peut être
rapprochée de Matin brun de Franck Pavloff, ou d’Effroyables Jardins de Michel Quint.
À travers le bilan qu’en tire le collectif d’auteurs apparaissent différents niveaux d’entrée
dans la lecture : construction du sens centrée sur l’image en maternelle ; dévoilement
progressif accompagnant une lecture partagée en primaire ; premières prises de recul par
rapport à l’album à l’entrée au collège ; lectures en réseau débouchant sur une réflexion
historique à l’entrée du lycée. Le guidage par l’enseignant et les modes d’appropriation
(lecture individuelle, collective, mise en voix) varient en fonction du niveau des élèves et
des objectifs, en suivant toujours comme fil rouge l’élaboration d’une lecture
interprétative. Autant de démarches qui pourraient guider les enseignants de FLE, que ce
soit avec des enfants ou des adultes, à condition qu’ils aient la possibilité de proposer des
œuvres en lecture intégrale plutôt que de se limiter aux extraits présents dans les

51
méthodes de langue.
Outre les albums de jeunesse, les nouvelles – spécialement les nouvelles à chute et les
nouvelles policières – offrent matière à développer, dans la lecture cursive, une attitude
interprétative. Dans certains textes, l’interprétation peut, ce qui est particulièrement
intéressant en FLE, s’exercer sur des genres discursifs appartenant à la vie courante et
révélateurs de valeurs socioculturelles contrastées. On en donne ci-dessous deux
exemples, où c’est une lettre qui se trouve centrale et permet, à travers le débat
interprétatif, de déboucher sur une réflexion interculturelle.
Dans « La Boîte aux lettres », une très courte nouvelle d’Agota Kristof (C’est égal,
Seuil, 2005), accessible dès un niveau B1, le héros, orphelin, espère chaque jour une
lettre de son père ou sa mère, qui lui apprendrait quel a été leur destin et les raisons de
son abandon. La démarche associe lecture et écriture en faisant écrire ces lettres avant de
donner à lire aux apprenants celles que le héros imagine, puis celle qu’il reçoit
effectivement, ce qui permet de confronter leurs hypothèses de lecture avec ce que le
texte révèle in fine. À l’image de parents aimants et nécessiteux, justifiant leur abandon
par les difficultés de la vie, la lettre reçue par le héros oppose une réalité tout autre, qui
crée la surprise. La réaction finale du personnage – qui au lieu de se rendre au rendez-
vous proposé par le père, s’enfuit au bout du monde, peut paraître incompréhensible à
certains et donne lieu à un débat interprétatif permettant d’expliciter les représentations
des uns et des autres sur les devoirs respectifs des enfants et des parents. L’écriture, ainsi
« articulée au dévoilement progressif d’un texte-piège » (Dufays, Gemenne & Ledur,
2005 : 215) et au débat interprétatif ne se réduit pas à mimer des situations discursives
quotidiennes, mais fait entrer dans le processus interprétatif. Inversement, l’interprétation
ne s’éloigne pas des objectifs communicatifs, à travers la dimension interculturelle et
l’écriture d’un genre fonctionnel exigeant de se représenter les relations et les situations
respectives de l’expéditeur et du destinataire.
Une autre nouvelle permet d’associer l’interprétation d’une lettre en relation avec des
formes de communication marquées comme signes culturels. Il s’agit de la nouvelle
intitulée « Le jour où Malika ne s’est pas mariée », première nouvelle du recueil du même
titre de l’écrivain marocain Fouad Laroui (Julliard, 2009). La nouvelle met en scène
différents regards portés sur une lettre de demande en mariage et sur le prétendant dont
elle émane. Selon les positions des personnages : voisin analphabète qui se fait
l’intermédiaire de l’instituteur promis à un brillant avenir ; mère de la jeune fille qui
craint que le ton cérémonieux de la lettre ne soit guère au goût de celle-ci ; Malika enfin,
qui éprouve une violente répulsion pour le prétendant qu’elle considère comme un
pervers qui épie les jeunes filles à la plage. Cette nouvelle est plus complexe d’un point de
vue narratif, mais aussi linguistique. Elle comporte, en outre, des références à la culture
marocaine traditionnelle, et quelques mots d’arabe. Pour ces raisons, elle peut être
particulièrement intéressante avec des apprenants arabophones à partir du niveau B2.
L’intérêt qu’elle offre, pour l’organisation d’un débat interprétatif, est de croiser plusieurs
points de vue, à la fois sur un personnage – le prétendant – et sur la manière dont il a
choisi de présenter sa demande en mariage : une lettre formelle apportée par un tiers.

52
Dans une perspective interculturelle, on s’attardera avec les apprenants sur la rhétorique
de la lettre. En effet, si elle peut être éclairée par référence à des traditions culturelles, elle
constitue aussi un positionnement social et un mode de communication en soi, non par
son contenu, mais par son style, révélateur de la posture adoptée par le prétendant.
Cependant, et c’est tout l’intérêt de cette nouvelle pour développer, à travers le débat, une
approche nuancée des tensions interculturelles, le rejet de la jeune fille ne porte en
définitive pas sur l’opposition entre l’attachement aux formes traditionnelles du
prétendant et un style de vie moderne, mais sur ce qu’elle a perçu de lui dans les
rencontres informelles dans la rue. L’intrication du communicatif, du culturel et des
dimensions humaines des relations et des interactions y est donc particulièrement
perceptible.
Avec des textes plus longs, complexes ou imprévisibles, les différentes formes de
débats interprétatifs constituent souvent les meilleurs leviers pour dépasser des difficultés
de lecture qui viennent moins de caractéristiques linguistiques ou de références culturelles
que d’une posture d’énonciation engageant le lecteur à adopter une certaine attitude
réceptive. Un exemple peut nous montrer que passer par l’interprétation permet non pas
seulement de dépasser des difficultés de compréhension, mais de commencer par les
identifier. Un groupe d’apprenants de niveau B2 d’un cours de langue et littérature que
nous avons donné à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3 ne parvenait pas à comprendre l’incipit
de L’Écume des jours de Boris Vian, roman au ton humoristique, qui joue sur les clichés
et la fantaisie pour créer un monde imaginaire. La source de la difficulté tenait d’abord à
la posture sérieuse de lecture adoptée par la plupart des apprenants : chacun, face à des
détails qui lui semblaient absurdes, comme le fait de se couper les paupières ou de percer
un trou dans sa baignoire à la fin de son bain, avait tendance, lors de sa première lecture,
à considérer que la difficulté tenait soit au vocabulaire, soit à des habitudes culturelles
mal comprises. C’est par un débat délibératif à partir de cette somme d’incompréhensions
individuelles qu’est apparue aux apprenants la nécessité, pour donner sens au texte, de
postuler une sorte de « monde parallèle ». Le débat a servi à centrer la lecture non pas
d’abord sur l’élucidation un à un des détails du texte qui bloquaient la compréhension,
mais sur la nécessité de trouver, à un autre niveau, un cadre qui permette ces
incohérences, c’est-à-dire d’aller du haut vers le bas plutôt que le contraire. L’entrée dans
la lecture a été possible à partir du moment où les apprenants ont pu changer de mode de
lecture, pour s’adapter au ton du texte. Le débat a également permis de révéler des
difficultés moins immédiatement prévisibles pour l’enseignant, car tenant à la culture
éducative et idéologique. En effet, un des apprenants, issu d’un ancien pays communiste,
a jugé que c’était « un roman pour bourgeois », car le personnage ne travaillait pas. La
grille idéologique qu’il appliquait à ce roman n’a pas agi seulement comme obstacle à son
entrée dans la lecture, mais a eu aussi des effets sur sa compréhension de phénomènes
locaux. En effet, pour étayer son jugement, il s’est appuyé sur une des images farfelues du
début du roman : Colin, qui se peigne dans sa salle de bain, trace dans ses cheveux des
lignes pareilles « aux sillons que le gai laboureur trace avec une fourchette dans de la
confiture d’abricots » (1947, incipit). Cette image change délibérément d’isotopie : après

53
sillons et laboureur, on attend « dans son champ » et non « dans de la confiture ».
Cherchant à donner sens à ce qui n’en avait pas, l’apprenant a considéré que la
comparaison était une condamnation de l’oisiveté du héros : celui-ci était comme un
laboureur qui perdrait son temps à prendre son petit déjeuner en jouant avec la nourriture
au lieu de travailler dans son champ. En l’occurrence, l’apprenant n’a pas buté sur des
mots difficiles (fourchette, confiture), mais sur ce qu’appelait idéologiquement l’image
même du laboureur, symbole du travail. Ainsi, ce n’est pas d’un point de vue linguistique
qu’est venue la difficulté, mais de la nécessité de donner sens, dans un système
d’interprétation d’ensemble. L’élucidation ponctuelle, dans ce cas, échoit à l’enseignant,
mais c’est seulement parce que l’étudiant a formulé son interprétation générale que la
difficulté locale a pu être identifiée, et que s’est fait le retour vers le texte.
On le voit à travers ces exemples, la compréhension même passe par l’interprétation,
qui met en œuvre des systèmes de pensée et des représentations culturelles. Les énigmes
posées par les comportements des personnages ou les logiques déroutantes des textes
exercent la capacité à repérer les implicites sur lesquels s’appuient impressions et
jugements. Elles sont, pour l’enseignant de FLE, des manières irremplaçables de faire
entrer en dialogue les conceptions du monde les plus diverses et de développer chez les
apprenants la conscience des valeurs culturelles, humaines, religieuses ou politiques qui
orientent leurs réactions et leurs attentes – et peuvent quelquefois faire obstacle à la
compréhension non pas seulement des textes, mais d’autrui. Travailler à développer une
attitude interprétative à partir des textes littéraires n’est donc pas un détour gratuit, mais
nous situe au cœur des objectifs communicatifs : mettre la maîtrise linguistique au service
de la capacité à communiquer avec autrui dans un cadre pluriculturel.
Ces pratiques ont le mérite de réconcilier les apports de l’analyse littéraire, en
réclamant une attention précise au texte, avec une approche communicative où la
spontanéité de l’apprenant se trouve prise en compte et acceptée comme point de départ
valide de la réception. Alors qu’elles pourraient contribuer à désenclaver la littérature des
seuls enseignements de spécialité, au profit d’une conception holistique des
enseignements langagiers et culturels telle qu’elle est invoquée dans les discours
institutionnels européens, elles sont encore insuffisamment développées en FLE. Le
chapitre 3 montre, à travers l’étude de différents dispositifs intéressants, que des
initiatives existent, même si de nombreux efforts restent à faire non seulement pour
encourager la pratique de la littérature, mais pour développer conjointement des
compétences communicatives et interprétatives. De même, l’analyse du matériel
pédagogique qui est faite au chapitre 4 révèle la disparité et la relative timidité des
propositions qui vont dans ce sens.
Les enjeux éducatifs sont suffisamment importants pour que l’on puisse souhaiter que
la formation des enseignants de français – en France comme à l’étranger – leur donne
une plus large place. Cela impliquerait de nombreux changements de perspective, à
commencer par une plus grande ouverture réciproque des études littéraires et de la
didactique des langues et des cultures. On peut ainsi appeler à la reconnaissance, par les
départements de lettres, de l’importance de former les étudiants aux problématiques

54
interculturelles. Inversement, il serait nécessaire que les formations en didactique des
langues et le matériel pédagogique intègrent de manière plus systématique la littérature et
les démarches interprétatives développées dans l’analyse des textes à la perspective
communicative qui domine actuellement.
Notes
(1) OCDE, enquête PISA : www.oecd.org/pisa
(2) Unité des Politiques linguistiques du Conseil de l’Europe :
http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Schoollang_FR.asp#P71_6756
(3) Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et
interculturelle : http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/langeduc/le_platformintro_fr.asp
(4) http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Schoollang_FR.asp [consulté le 5 août 2014].
(5) Redéfini en 2013-2014 comme Socle commun de connaissances, de compétences et
de culture : http://eduscol.education.fr/cid45625/le-socle-commun-de-connaissances-et-
de-competences.html
(6) Le titre original est, significativement, Not for profit.

55
CHAPITRE 3
L’enseignement de la littérature de langue française à l’étranger :
lieux, dispositifs et tendances
par Anne-Marie Havard,
section 3.4. par Mathieu Weeger
3.1. Trois espaces d’enseignement et de diffusion de la littérature
Si, dans l’enseignement du FLE, la littérature de langue française s’appréhende toujours
comme une littérature étrangère, ce statut est encore renforcé à l’étranger, dans les cadres
institutionnels où elle est enseignée : au-delà des frontières, cette littérature se donne
comme étrangère par rapport à une littérature nationale, ou à d’autres littératures
étrangères – elle se conçoit dans cette différence, qu’elle contribue à établir, en se faisant
le vecteur non seulement d’une langue, d’une pensée et d’un imaginaire propres, mais
aussi de comparaisons et de représentations culturelles contrastées.
Partant de ce présupposé, ce chapitre décrit les lieux et dispositifs dans lesquels
s’enseigne actuellement la littérature de langue française à l’étranger, afin de dégager,
depuis ce regard décentré, des pistes pédagogiques possibles, issues de pratiques ou
d’évolutions récentes. Cet enseignement prend traditionnellement place dans trois espaces
distincts, qui sont souvent amenés à se rencontrer. Le premier est constitué par les lieux
de défense et de promotion de la langue et de la culture françaises que sont les alliances
(1)
françaises et instituts français présents sur tout le globe . Le second espace représente
un sous-ensemble des études supérieures à l’étranger : dédié à l’enseignement et à la
recherche en langue et culture françaises, et fréquemment appelé à former les futurs
enseignants locaux de français, il est communément désigné sous l’appellation générale
de « départements de français », même s’il prend des formes et des noms variables. Le
troisième espace, enfin, renvoie à l’enseignement du français au niveau secondaire, qui
n’est pas présent partout dans le monde, mais qui a permis et permet encore de
familiariser avec notre langue une large frange de la jeunesse internationale, que cet
enseignement s’inscrive dans les apprentissages nationaux ou qu’il se limite à quelques
filières d’élite ou expérimentales.
En référence à ces trois espaces, notre propos sera ici de faire le point sur la place de
la littérature française et francophone dans l’enseignement dispensé, et sur certains
dispositifs récents qui ont pu être mis en place pour la faire vivre. Les aspects et
évolutions détaillés dans ce chapitre sont à envisager dans un contexte bien particulier.
Depuis le début des années 2000, on a vu apparaître une réflexion « interdidactique » de
contact entre des langues et des cultures différentes (Puren, 2003), allant à rebours des
méthodologies universalistes. Les méthodes communicatives ont peut-être constitué, à ce
titre, le dernier avatar de méthodologies cherchant à appliquer un préconstruit depuis le
centre (la France) vers les périphéries (le reste du monde), sans tenir compte de la
richesse potentielle des didactiques locales. Si les méthodologies du français langue
étrangère (dans les écoles de langue) et du français langue maternelle (par l’expatriation
d’enseignants diplômés de lettres en France) sont bien représentées à l’étranger, d’autres
traditions didactiques et académiques sont à l’œuvre, qui prennent en charge le littéraire

56
autrement et peuvent, de ce fait, enrichir les propositions pour l’enseignement de la
littérature en FLE.
À cette réflexion interdidactique s’ajoute la reconnaissance d’une perte générale de
prestige et de rayonnement de la langue et de la culture françaises (et, singulièrement, de
sa littérature classique) : face à cette situation, les espaces d’enseignement de la littérature
à l’étranger engagent, de manière plus ou moins organisée, une résistance. Ce chapitre
s’intéresse ainsi aux déplacements d’enjeux observables en interrogeant les formes prises
par cette résistance, dans les cadres institutionnels envisagés. Quelles propositions
didactiques neuves, ou du moins renouvelées, ont-elles fait émerger ? Quelles
opportunités, peu exploitées encore, peut-on repérer ?
3.2. Alliances françaises et instituts français
Les polémiques récentes autour du déclin possible de la langue et de la culture
françaises, aussi fondées qu’elles soient, se heurtent à la force, toujours patente, du
rayonnement diplomatique et culturel français. Si ce dernier est sans conteste moins
frappant aujourd’hui, et que plusieurs centres culturels ont fermé à travers le monde, la
toile d’influence de la France reste dense.
Tissée depuis l’Ancien Régime, elle s’est particulièrement organisée au cours des deux
siècles derniers, à la faveur de la ramification du réseau des alliances françaises (initié en
1883, avec les premières ouvertures dès l’année suivante à Barcelone, puis au Sénégal, à
l’île Maurice et à Mexico) et des efforts parallèles de l’Association française d’expansion
et d’échanges artistiques (créée en 1922), qui visaient à promouvoir l’art français à travers
le monde en s’appuyant sur un réseau grandissant de centres et instituts culturels français
à l’étranger. Portés par cette double structure, les échanges intellectuels et culturels se sont
e
intensifiés au long du XX siècle, en lien avec une pensée et une vie artistique françaises
particulièrement vivantes, stimulantes et influentes, et auxquelles répondit le nombre
croissant d’inscriptions à l’alliance française de Paris (ouverte boulevard Raspail en 1919,
avec un record atteint en 1979 : 32 000 étudiants).
Ces dernières années, l’action linguistico-culturelle de la diplomatie française a connu
des évolutions qui, tout en prenant acte d’un écho moindre, témoignent d’une volonté de
resserrement et de protection des établissements et des acteurs qui la portent. Voyons,
dans cette réorganisation, quelle place est réservée à la littérature et à son enseignement.
3.2.1. La réorganisation des structures culturelles : la Fondation Alliance française et l’Institut français (2007-
2010)
Sous tutelle du ministère des Affaires étrangères, les établissements culturels à
l’étranger sont traditionnellement pilotés, sur place, par le SCAC (Service de coopération
et d’action culturelle), lui-même rattaché à l’ambassade et dirigé par un conseiller de
coopération et d’action culturelle qui coordonne aussi bien les actions culturelles (arts,
audiovisuel, livre) que les actions universitaires (en lien avec le service scientifique),
éducatives et linguistiques menées à travers le pays. Pour porter ces différents projets, le
SCAC s’appuie à la fois sur ses propres agents (attachés et chargés de mission, délégués
de l’alliance française) et sur des acteurs locaux (présidents et directeurs d’alliances, en
particulier).

57
À la fin des années 2000, les deux réseaux d’établissements culturels ont été fortement
repensés, avec la création de deux structures pilotes et mutualisatrices en métropole.
Créée en 2007, la Fondation Alliance française a pour vocation de coordonner et
d’animer le réseau des alliances françaises, qui présente deux caractéristiques
(2)
principales : d’abord, une extension et une couverture sans équivalents parmi les
réseaux linguistiques et culturels existant dans le monde ; ensuite, un réseau unique dans
sa conception, car fondé sur le droit associatif et les forces vives locales. En 2013, la
Fondation faisait état de 866 alliances, s’adressant à 492 461 apprenants, réparties dans
cinq zones (Afrique : 36 pays, 127 AF ; Amérique du Nord : 2 pays, 120 AF ; Amérique
latine & Caraïbes : 34 pays, 228 AF ; Asie : 30 pays, 129 AF ; Europe : 33 pays,
263 AF) et contribuant à la progression du français jusque dans les zones les plus
reculées (Ushuaïa, Oulan-Bator, Vladivostok, Île de Pâques, etc.). Pour ce réseau
extrêmement dense, la Fondation tient lieu de référence morale et juridique ; elle assure
également auprès de lui des missions d’expertise (conseil technique et pédagogique,
formation et professionnalisation). Toutefois, le pilotage de chaque établissement est
confié à des non-Français (avec l’appui ponctuel d’un directeur ou d’un délégué général
mandaté par la France), et la vitalité comme la longévité remarquables des structures
tiennent essentiellement à la qualité de l’implantation locale (mécénat, participation
citoyenne).
À ce réseau s’ajoute celui des centres et instituts culturels français, plus nettement
piloté, lui, depuis la France, et désormais rassemblé (depuis 2010) sous le drapeau d’un
opérateur unique, l’Institut français. Cet Institut, éponyme de toutes les structures locales
qui dépendent de lui à travers le monde, comptait 101 établissements principaux et
125 antennes en 2013, avec pour vocation, sous la double tutelle des ministères de la
Culture et des Affaires étrangères, de soutenir l’action culturelle de la France dans le
(3)
monde . Au nombre de ses dix missions, on compte ainsi celles de « promouvoir les
échanges artistiques internationaux », de « partager la création intellectuelle française »,
d’« encourager la diffusion et l’apprentissage de la langue française », de « développer le
dialogue des cultures » et de « favoriser la mobilité internationale des créateurs ». Relayé
par les mots de « création intellectuelle », d’« échanges artistiques », de « dialogue des
cultures », de « mobilité des créateurs », le livre est bien au cœur de l’action culturelle
française : après les objets d’art, mais devant le cinéma, il représente le deuxième bien
culturel exporté en France, 25 % des ventes étant réalisées à l’international (Darcos,
2011).
Si le « livre » va bien sûr au-delà de la seule littérature, comprenant notamment, et
pour une large part, des essais et ouvrages de chercheurs francophones, il l’inclut. Ces
chiffres indiquent ainsi une vitalité certaine de la production littéraire française et
francophone, qui non seulement contraste avec l’impression de déclin que l’on peut par
ailleurs ressentir, mais qui offre surtout des conditions favorables à une action en faveur
de l’enseignement littéraire à l’étranger. C’est en effet par une meilleure articulation entre
les manifestations culturelles du réseau français à l’étranger et les pratiques concrètes de

58
classe qu’une présence affirmée du texte littéraire, plus vivante et mieux inscrite dans un
parcours d’apprentissage, peut s’envisager.
3.2.2. La place accordée au livre et à la littérature par l’Institut français et la Fondation
En regard de l’effort patent de promotion du livre et de la pensée française que
conduisent tant l’Institut français que la Fondation Alliance française, les ponts établis
entre ces opérations culturelles et les contenus et objectifs conférés aux enseignements
dispensés dans les alliances et instituts gagneraient sans doute à être renforcés, via une
offre pédagogique explicite.
La Fondation se donne pour ambition, en effet, d’accroître l’influence intellectuelle et
morale de la France, de même que l’intérêt pour toutes les cultures francophones ; elle
entend ainsi jouer un rôle important dans la promotion de la diversité culturelle, en
encourageant un dialogue des cultures et des échanges que favorise l’ancrage local des
alliances (rencontres entre artistes, résidences). Dans ce projet, pourtant, la littérature
n’est jamais explicitement associée à la diffusion de la langue. La présence de
personnalités comme le romancier et académicien Erik Orsenna, ou le journaliste et
actuel président du Goncourt Bernard Pivot au Conseil d’administration de la Fondation
indique bien que la littérature n’est pas reléguée. Nulle part, cependant, il n’est fait
précisément référence à elle, alors qu’un fort accent est mis, par exemple, sur les TICE. À
propos des bibliothèques, on lit ainsi sur le site de la Fondation qu’elles sont amenées à
être supplantées par des « centres de ressources multimédias », proposant des supports
plus interactifs pour s’exercer à la langue. Quant aux cours, on insiste sur leur
modernisation : pour répondre aux besoins spécifiques des apprenants, on privilégiera,
comme dans les instituts, l’objectif de mobilité professionnelle.
Dans un souci de clarté et de standardisation, les cours dispensés dans le réseau
français se sont ainsi alignés, ces dernières années, sur les orientations du CECRL,
perdant en variété culturelle ce qu’ils ont gagné en efficacité communicative : aujourd’hui,
des intitulés de cours comme « Le cinéma français des années 1970 », « Traduire
Proust » ou « Paris dans la littérature », ont cédé la place à « B1.1 », « B2+ », « Réussir le
TCF » ou « Objectif DELF A2 ». Néanmoins, si la littérature est sortie des intitulés de
cours, elle n’a pas pour autant quitté les salles de classe. Le temps est révolu, il est vrai, où
des agrégés de lettres étaient affectés à l’étranger par le gouvernement français pour faire
expressément des cours ou des conférences de littérature. Mais cette mise en retrait n’est
pas forcément synonyme d’abandon : si la littérature a perdu de sa vigueur dans les cours
proposés par les instituts et alliances, elle n’a pas, de fait, disparu, les enseignants restant
libres, en fonction de leurs intérêts propres, d’en introduire s’ils le souhaitent. Dans les
initiatives récentes, on observe ainsi que la littérature, même non mise en avant dans
l’intitulé général des cours, revient sous d’autres modalités, comme un élément « hors
cours », complémentaire, « supplément d’âme » lié au loisir et au culturel – un élément
qui, s’il ne paraît plus s’enseigner explicitement, apparaît crucial au moment du
renforcement des acquis, et de l’établissement d’un lien plus intime avec la langue.
À cet égard, l’existence d’opérations flexibles, mais structurantes, proposées par les
services culturels, s’avère déterminante. Se saisir de ces dispositifs ne va pas toujours de

59
soi, ni pour les enseignants des alliances et instituts, ni pour leurs homologues des
systèmes scolaires locaux. Il faut en effet pouvoir faire coïncider les contenus, les
objectifs et les calendriers. Cette démarche, exigeante pour l’enseignant, est pourtant à
même d’inscrire les pratiques culturelles, et notamment littéraires, dans une dynamique
de projet favorable à l’apprentissage. La notion de « dispositif » apparaît à ce titre comme
une notion clé, qui fait état d’une nécessaire adaptation des pratiques littéraires aux goûts,
habitudes et attentes du public. Il semble ainsi qu’il faille, aujourd’hui, offrir des produits
ad hoc pour sensibiliser l’apprenant à l’objet littéraire, pour « fabriquer », en quelque
sorte, un lecteur qui deviendra ensuite, peut-être, amateur de littérature. Pour que la
littérature existe, qu’elle ait une visibilité, une réalité et qu’on la pratique, elle doit être
intégrée à des événements, des montages, des mises en scène qui en font quelque chose
de désirable, et que l’on cherche à s’approprier.
Trois dispositifs distincts peuvent en la matière être analysés : d’abord, pour sa
dimension rituelle, celui des prix, journées et semaines dédiés annuellement au français et
aux littératures francophones ; ensuite, pour sa valeur concrète et attractive, celui des
offres de médiathèques adaptées aux niveaux d’apprentissage ; enfin, pour son jeu avec la
notoriété et les dimensions plus humaines de la littérature, celui des tournées et
résidences d’auteurs.
3.2.3. Des rituels saisonniers : semaines, journées et prix
Pour répondre à la scission qui peut paraître grandissante, dans l’affichage, entre
littérature et enseignement, pédagogique et culturel, la Fondation comme l’Institut
invitent leurs équipes à s’emparer localement d’initiatives suffisamment souples pour
pouvoir s’intégrer à des propositions et des contextes variés. Dans l’objectif d’une
progressive familiarisation des apprenants avec la pratique de la littérature, ces initiatives
présentent deux avantages : d’une part, leur ritualité, qui offre la possibilité de construire
des rendez-vous récurrents et attendus par le public ; d’autre part, leur ouverture à des
formes d’expression variées, qui associent souvent la littérature à la créativité individuelle,
qu’elle se manifeste par des mots, des images, des gestes ou du son, sous des formes
plastiques ou oralisées.
Des expositions tournantes, mises à disposition des établissements à titre gracieux,
comme celle proposée par la Fondation dans son offre culturelle de 2013 (« Camus –
Itinéraire d’un enfant pauvre d’Alger à Stockholm 1913-1960 ») peuvent devenir le
support et l’occasion de cours spécifiques ou ponctuellement enrichis de lectures ou
présentations en lien avec la manifestation. Permettant d’ancrer l’enseignement dans une
forme de « réel à distance », ces dispositifs invitent à inscrire la littérature dans une
pédagogie de projet. S’il n’y a pas de proposition pédagogique suivie ou explicite de la
part des structures pilotes, il y a néanmoins incitation, auprès des directeurs et
coordonnateurs pédagogiques locaux, à lier enseignement et actions culturelles : cela fait
partie des préconisations de la Fondation, et c’est également repérable dans l’action de
l’Institut. Le but est double : d’un côté, le public des cours constitue un public privilégié
pour les manifestations culturelles ; de l’autre, ces dernières sont vouées, en retour, à
donner substance et actualité aux cours, à la discrétion des équipes.

60
Parmi les rendez-vous annuels avec les cultures francophones, la Semaine de la langue
française est sans doute l’événement le plus propice à l’introduction de la littérature.
Organisée autour de la Journée de la francophonie (20 mars), cette semaine invite les
apprenants étrangers à exprimer leur créativité, dans le cadre de divers concours et
festivités. Cette manifestation a d’excellentes résonances à l’international, au-delà des
seuls territoires francophones, et les alliances et instituts en sont un support privilégié,
offrant un cadre idéal de préparation puis d’exposition ou de représentation aux
réalisations littéraires et artistiques des apprenants. La réussite de cette semaine repose
ainsi souvent, à l’étranger, sur la complémentarité d’institutions travaillant en synergie, et
favorisant la mise en valeur des textes étudiés ou produits : une bibliothèque ; une scène
de théâtre ; et des structures d’enseignement internes (cours de l’alliance ou de l’institut)
ou externes (école locale partenaire, dispensant un enseignement de français).
Ce triptyque, particulièrement propice à l’étude, la traduction et la mise en scène des
textes, a été le support exemplaire de la francophilie tchèque, qui comptait 72 alliances
françaises en 1938 et qui reste aujourd’hui très active dans le domaine du théâtre
(Kylousek, 2011). Un atelier mis en place par l’alliance de Plzen a ainsi abouti, au
printemps 2013, à la création d’une comédie musicale inspirée de L’Écume des jours de
(4)
Boris Vian et incluant les « dix mots » de l’année proposés par le ministère de la
(5)
Culture. Chaque année, le programme « Dis-moi dix mots » fournit des suggestions et
des supports ludiques pour que les élèves et apprenants s’emparent d’une liste de mots
choisis autour d’un thème spécifique, en France et à l’étranger, selon des canevas
littéraires classiques (théâtre, fiction, poésie versifiée, texte à contrainte) ou sur des
modes plus ouverts aux cultures populaires et urbaines, comme l’illustre le concours de
slam organisé depuis 2011 par l’association napolitaine Francofil, qui accueille des
slameurs francophones et fait concourir sur scène des collégiens et lycéens italiens de
(6)
toute la région .
Le principe du concours joue, sans doute, un rôle déterminant dans l’entrain dont
témoignent les apprenants au cours de ces manifestations. Les prix et récompenses
constituent, notamment pour les jeunes publics, un moteur vertueux, qui peut engager un
rapport personnel et valorisant avec la littérature. En Italie, encore, l’Institut français a
lancé à l’intention des élèves des sections lycéennes bilingues EsaBac (voir section 3.4.)
des initiatives propres à encourager les talents littéraires. Depuis 2010, un concours
d’écriture de « fiction historique » est organisé, en lien avec les programmes officiels de
ces sections. Les thèmes retenus – « Sur les routes du Moyen Âge », en 2012, ou
« Guerre et paix : de Valmy à Vittorio Veneto (1792-1918) » pour l’édition 2014 –
invitent les élèves à s’approprier au mieux les lectures proposées en classe, sur le mode du
pastiche, de la mise en récit d’événements historiques ou de l’écriture d’invention.
D’autres concours s’organisent, comme des jurys de prix littéraires, qui suivent les prix
décernés en France à l’automne, en constituant des jurys de lecteurs qui désignent « leur »
prix littéraire. C’est le cas par exemple du Goncourt étranger, qui permet une
participation directe des apprenants à l’actualité littéraire francophone. D’abord introduit

61
en Pologne (1998), où le jury est constitué d’étudiants issus des départements de français
de douze universités, ce prix s’est développé, avec le concours de l’Institut français, en
(7)
Serbie, en Roumanie, au Liban et en Italie . Conçu sur le modèle du Goncourt des
lycéens, le prix « Liste Goncourt – Le choix de l’Orient » est ainsi décerné chaque année
depuis 2012 à l’occasion du Salon du livre de Beyrouth, permettant à quinze jurys
étudiants de cinq pays du Moyen-Orient de lire les romans de la liste publiée par le jury
français du Goncourt, de proposer une notation des ouvrages, assortie de critiques
(8)
littéraires rédigées, et d’élire leur lauréat, avec remise de prix officielle . Le même
principe régit encore des prix impulsés localement, dans le but de sensibiliser le jeune
public à la littérature francophone et d’asseoir ses capacités de lecture et de critique des
œuvres. Créé en 2001 par le Groupe de recherche sur l’extrême contemporain (GREC)
(9)
de l’université de Bari , le prix Murat, « Un roman français pour l’Italie », récompense
par exemple des auteurs parfois inconnus en France, en déterminant son choix non pas
selon le succès éditorial rencontré par les œuvres en France, mais selon leur possible
bonne réception en Italie.
3.2.4. La Bibliothèque de l’apprenant
Dans une même perspective à la fois pédagogique et culturelle, un autre dispositif a été
récemment mis en place dans les bibliothèques françaises à l’étranger. Par un classement
renouvelé des ressources, en fonction non plus des thèmes, des genres ou des auteurs,
mais des capacités de lecture des lecteurs, les responsables des médiathèques ont cherché
à faire accéder aux rayonnages un lectorat qui ne s’y pensait pas forcément autorisé, ou
qui s’en détournait un peu trop rapidement.
Ce dispositif, initié à Madrid en 2005, mais proposé ensuite dans le double réseau des
alliances et des instituts français, est celui, désormais bien ancré, de la « Bibliothèque de
(10)
l’apprenant ». Le recours au terme d’« apprenant » suffit à l’indiquer : il est ici
question de nouer des liens plus serrés entre apprentissage de la langue et encouragement
à la lecture, et de rapprocher le public des cours de celui des médiathèques, par la
constitution de collections adaptées et clairement identifiées. Cette opération, largement
suivie dans la plupart des médiathèques des alliances et instituts (Autriche, Chine, Maroc,
Turquie, États-Unis, etc.), correspond à une ligne budgétaire spécifique du ministère. Les
sections concernées des fonds des médiathèques sont régulièrement actualisées : à
Madrid, par exemple, 10 % des nouveautés – romans, documentaires, DVD, CD, etc. –
vont, à chaque commande, à cette Bibliothèque de l’apprenant. Elle s’intègre par ailleurs
au développement actuel de médiathèques numériques (« culturethèque »), qui prévoient
(11)
une section spécifique .
L’objectif – au-delà d’une plus grande fréquentation des médiathèques – est double :
d’une part, dédramatiser l’accès à la littérature en prouvant que dès les premiers
apprentissages, la lecture est possible ; d’autre part, désacraliser la valeur normée et
normative de la littérature, en montrant que celle-ci ne parle pas que de manière
soutenue, mais qu’au contraire la variation – de registre, de style, de genre, d’aire
dialectale, etc. –, non seulement a droit de cité en littérature, mais lui donne sa chair. Pour

62
répondre à cette ambition, l’activité de lecture est envisagée comme un produit, et le
lecteur comme un client : de même que dans une librairie, l’attractivité est étudiée, avec
présentoirs et conseils personnalisés, selon une mise en scène « authentique » proche du
commerce du livre. Suivant leur compétence de lecture, les apprenants des alliances et
instituts participants trouvent ainsi à leur disposition une sélection d’ouvrages, avec une
signalisation claire du niveau requis pour chaque document.
Dans cette sélection, la littérature n’est pas distinguée des autres supports médias. La
littérature canonique se fond, d’abord, avec les autres livres « à lire » (littérature
contemporaine non encore canonisée, littérature jeunesse et livres grand public) ; elle se
mêle ensuite à ce qui est « lisible » (presse, manuels de langue) ; puis, plus largement, au
texte quand il n’est plus autonome (bande dessinée, illustrés et même imagiers pour les
tout-petits) ; enfin, elle côtoie les autres supports disponibles en médiathèque : CD, DVD.
Cette redéfinition implicite du littéraire comme « tout », ou du moins sa fonte dans ce qui
est « lisible », voire « consultable », de même que la mise à plat qu’on observe des
« classiques » et des « nouveautés », ne sont pas propres aux médiathèques de l’étranger :
on observe les mêmes évolutions dans les bibliothèques françaises. S’ajoutent toutefois
dans ce contexte des paramètres spécifiques, liés au niveau de langue des lecteurs. Ainsi,
les critères de classement retenus pour la Bibliothèque de l’apprenant sont à la fois
éditoriaux (nombre de pages, typographie, présence ou non d’illustrations, ou d’un
paratexte attractif, organisation textuelle), culturels (présence ou non de références
historiques, degré d’abstraction) et linguistiques (temps verbaux utilisés, syntaxe,
vocabulaire). En revanche, la date de parution n’est pas prise en considération, ce qui
permet d’inclure les classiques répondant aux critères retenus. À chaque critère
correspond un nombre de points : une fois ces points additionnés, l’ouvrage est classé A1,
A2, B1 ou B2 ; et, au-delà d’un seuil considéré comme trop élevé de points,
correspondant à une accumulation de difficultés, l’ouvrage est écarté.
Quelques exemples donnent une idée de ce qui semble approprié, niveau par niveau.
Pour les niveaux A1-A2, les ouvrages proposés sont rarement livrés au lecteur sous leur
forme originale. Si Le Petit Nicolas apparaît bien inchangé sur les rayonnages des niveaux
A, la plupart des livres sélectionnés sont issus des nouvelles gammes de lectures en
« français facile » proposées par les éditeurs FLE (chapitre 4). On y trouve aussi bien des
ouvrages littéraires adaptés (comme la série des Arsène Lupin, en A1, Les Misérables, en
A2, ou la collection « Mondes en VF », chez Didier, qui fournit des lectures adaptées
d’auteurs francophones contemporains accompagnées de mp3), que des collections de
livres ad hoc, créées en fonction du niveau de lecture des apprenants, sur le modèle de
certains pans de la littérature jeunesse (comme la série d’enquêtes journalistiques
(12)
Alex Leroc, chez Maison des Langues, que l’apprenant peut suivre du A1 au B1 ).
La présence de fichiers audio n’est pas étrangère au succès de ces collections : d’après
les responsables de médiathèques en poste, les ouvrages destinés à l’apprenant sont
d’autant plus empruntés qu’ils sont accompagnés d’un CD – le livre étant d’abord
appréhendé sous sa forme sonore, par la musicalité de la langue. Ceci indique que lire,
c’est aussi écouter la langue – et que, peut-être, il faut entendre la langue pour pouvoir la

63
lire. Pour les premiers niveaux, la présence d’un support imagé reste également
déterminante : plus que les textes littéraires, même en version adaptée, ce sont les bandes
dessinées qui rencontrent le plus vif succès auprès des apprenants : Astérix et Tintin, en
A1 ; et, par exemple, Jeanine de Matthias Picard, ou Ariol, de Guibert et Boutavant, au
niveau A2.
L’entrée proprement dite en littérature – avec des ouvrages non simplifiés, plus
ambitieux, et plus variés – ne se fait vraiment qu’à partir du niveau B1. À ce niveau, la
présence de « compléments » sonores, visuels ou audiovisuels reste encore décisive. Les
auteurs phares de cette tranche d’apprentissage sont, de fait, des auteurs appréciés du
grand public français, et dont les œuvres ont, souvent, été adaptées à l’écran :
Amélie Nothomb (Stupeur et tremblements), Éric-Emmanuel Schmitt (Oscar et la dame
en rose), ou Anna Gavalda (Je l’aimais). La bande dessinée reste également très
attractive, avec des auteurs comme Jacques Tardi (Adèle Blanc-Sec), Manu Larcenet (Le
Retour à la terre) ou Camille Jourdy (Rosalie Blum). Au-delà de ces premiers choix, les
bibliothécaires conseillent des lectures comme Dora Bruder, de Patrick Modiano, Le
Soleil des Scorta, de Laurent Gaudé, Le Racisme expliqué à ma fille de Tahar Ben Jelloun,
voire Bonjour tristesse, de Françoise Sagan, ou encore L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère.
L’ambition, une fois ces premières étapes franchies – pour lesquelles le livre tient lieu
surtout de complément d’apprentissage (mémoire des mots, expressions, familiarisation
avec la musique de la langue, etc.) –, est de faire de l’apprenant un lecteur autonome,
guidé moins par son niveau linguistique que par ses propres goûts et intérêts. À partir du
niveau B2, les apprenants se sentent souvent suffisamment libres pour quitter les
rayonnages balisés de la Bibliothèque de l’apprenant et fureter dans les autres secteurs de
la médiathèque. Une sélection leur reste néanmoins proposée, avec notamment les
ouvrages de Tonino Benacquista (La Maldonne des sleepings), de Fred Vargas (Pars vite
et reviens tard), de Jean-Claude Izzo (Total Kheops), ou encore de Mathias Énard (Parlez-
leur de batailles, de rois et d’éléphants).
Le succès rencontré par cette réorganisation des médiathèques à l’étranger conduit à
s’interroger sur les attentes réelles des apprenants, et sur les pistes à suivre, non
seulement pour les familiariser avec l’activité de lecture, mais aussi, plus spécifiquement,
pour les rapprocher de la littérature. D’abord, par son souci de mise en scène et de
ciblage du public, la Bibliothèque de l’apprenant sensibilise très tôt un nouveau public aux
supports littéraires francophones. Par différence avec les précédentes organisations des
bibliothèques des alliances et instituts, qui semblaient réservées aux seuls apprenants de
niveau avancé, les enseignants trouvent désormais un dispositif qui les autorise à défendre
une lecture effective dès les premiers niveaux. Et de fait, dans des pays pilotes comme
l’Espagne et l’Italie, la fréquentation est en hausse ces dernières années pour les
niveaux A1 à B1 inclus. Ensuite, par sa capacité à mettre sur le même plan des supports
variés, qu’elle « autorise » et désacralise dans le même mouvement, la Bibliothèque de
l’apprenant redonne à la littérature une place dans l’apprentissage : s’il n’est plus la voie
d’accès privilégiée à la langue, le texte littéraire reste une voie possible, qui bénéficie du
réassort régulier des sections et de l’équilibre recherché par la Bibliothèque entre les

64
différents supports. Enfin, l’organisation selon des critères d’apprentissage rétablit le lien
parfois distendu entre littérature et cours de langue. Rendu manifeste par les guides et
fiches d’accompagnement proposés par les maisons d’édition, ce lien peut être librement
créé par les enseignants, dans une démarche actionnelle : réalisation de fiches de lecture,
présentation orale des livres, critiques écrites, recommandations, organisation de jurys
littéraires, etc.
Le principe de la Bibliothèque de l’apprenant, actuellement limité aux établissements
culturels, pourrait être avantageusement étendu à toutes les classes de FLE, en France
comme à l’étranger. L’établissement de listes nourries des différentes sélections réalisées
en médiathèque, mises à disposition en ligne et éventuellement complétées d’extraits,
(13)
pourrait par ailleurs contribuer au partage de nouvelles pistes pédagogiques – l’idéal
étant qu’à terme les apprenants puissent s’en saisir, voire ajoutent leurs avis.
3.2.5. Une médiation vers la littérature : la rencontre avec l’écrivain
Le développement de sections spécifiques pour l’apprentissage va de pair, dans les
médiathèques, avec la mise en valeur de l’actualité littéraire et un soin plus marqué pour
la constitution de vitrines et l’organisation d’événements, qui entre dans un même souci
de médiation, aux effets tangibles sur l’attrait de la chose littéraire et la fidélisation des
apprenants-lecteurs. Portant l’action de l’Institut, qui entend accompagner et valoriser la
diffusion des savoirs francophones et de ses littératures, les Bureaux du livre assurent
ainsi plusieurs types de missions dont peut, indirectement, bénéficier l’enseignement de la
littérature dans les pays dotés.
La première est celle du soutien à l’édition, via la publication de la revue semestrielle
Fiction France (anthologie d’extraits de fiction contemporaine en français et traduits), de
la revue en ligne culturessud.com (spécialisée dans les littératures francophones) et de la
(14)
collection « Auteurs » (consacrée à la présentation d’auteurs contemporains ). Dans des
pays qui, comme la Russie, entretiennent une relation historique avec l’anthologie, ce
travail éditorial est fondamental pour faire connaître les œuvres plus contemporaines
(Bountman & Kouznetsova, 2011). Avec 18 000 ouvrages traduits et édités en 20 ans
dans 70 pays, un effort de valorisation numérique, et la formation de traducteurs, les
Bureaux du livre se donnent comme seconde mission celle d’aider à la traduction,
notamment dans les pays qui se sont emparés de ce que l’on appelle « l’extrême
contemporain littéraire », pour en faire une spécialité, tant dans le domaine de la
recherche que de la traduction. Au Japon, où les travaux du traducteur et du chercheur se
superposent et se stimulent, l’attention à cet extrême contemporain (Jean Echenoz, Jean-
Philippe Toussaint) est guidée par un goût traditionnel pour la difficulté et le raffinement
et se double, comme en Chine, d’une attention nouvelle à la sphère francophone :
Patrick Chamoiseau ou Atiq Rahimi au Japon ; Milan Kundera, Andreï Makine ou
François Cheng en Chine (Chiba, 2011 ; Jing, 2011).
Si cette littérature, contemporaine et mondiale, présente un attrait considérable, c’est
aussi qu’elle permet de travailler en lien direct avec l’auteur, et offre l’impression qu’elle se
crée au moment où on la découvre. À ce titre, le troisième volet d’action des Bureaux du
livre, qui consiste dans l’octroi des missions Stendhal (financement de projets d’écriture

65
d’écrivains francophones à l’étranger) ou l’organisation de manifestations associant
auteurs, universitaires et professionnels du livre, est fondamental. Il permet chaque année
la circulation d’une soixantaine d’écrivains – dont 20 à 30 au Japon. Les tournées et
débats intellectuels, fréquemment montés à la faveur d’une traduction dans la langue du
pays ou d’une résidence d’écrivain, sont vus par les enseignants, traducteurs et étudiants
locaux comme une opportunité : ils sont l’occasion de conférences et d’interventions
auprès des apprenants des alliances et instituts, comme des lycéens et des étudiants,
traditionnellement invités à préparer la rencontre avec l’auteur par des lectures en amont.
Or, la visibilité qui caractérise ces opérations permet de répondre à un certain goût du
public pour les jeux de proximité avec la célébrité. La venue des auteurs dans le pays
hôte et leur mise en relation avec un lectorat potentiel par l’exposé, le dialogue ou la
rencontre, font entrer la littérature dans un système de notoriété susceptible d’attirer de
nouvelles audiences. En ne se limitant pas aux capitales, et en mettant à contribution des
partenaires locaux, le Festival de la fiction française italien donne par exemple une
visibilité appréciée aux structures de province, et permet de réenchanter une francophilie
parfois vieillissante. La programmation témoigne ainsi d’une définition renouvelée de la
littérature comme lieu d’accueil et d’expression de la variation : le festival se veut
délibérément « éclectique, présentant le tableau le plus complet et le plus divers possible
de la littérature française contemporaine, entre expérimentations littéraires et écritures
populaires, littérature générale et littérature de genre, littérature pour adultes et littérature
(15)
pour la jeunesse ». Organisé en partenariat étroit avec les éditeurs italiens d’auteurs
récemment traduits, il accueille chaque année depuis 2009, sur deux semaines, de
nombreux auteurs français dans le cadre de rencontres hébergées par les établissements
culturels, les librairies et les universités sur l’ensemble du territoire, selon le principe
d’une « conversation avec l’auteur », suivie d’une lecture assurée par un comédien italien
(18 auteurs, 45 rencontres et 16 villes, pour l’édition 2013). Le succès remporté par la
manifestation traduit l’importance, pour le public, d’une inscription du littéraire dans un
cadre plus vaste – humain, événementiel et poly-artistique.
Au-delà du seul réseau culturel français, ce dynamisme ne pourrait toutefois porter ses
fruits sans l’appui décisif des structures scolaires et universitaires des pays hôtes. Bien
souvent, le succès de ces opérations dépend ainsi de la vitalité de la francophilie des
partenaires locaux, et notamment de celle qui anime leurs départements de français.
3.3. Les départements universitaires de français
L’étude des institutions supérieures où s’enseignent la langue et la littérature françaises
à l’étranger nous intéresse à deux titres. Ces lieux sont d’abord un vivier pour la pérennité
du rayonnement francophone : c’est là que se forment non seulement ceux qui porteront
avec eux le bagage de la francophilie et de la francophonie, mais aussi, et surtout, ceux
qui enseigneront, après les générations actuelles, aux futurs apprenants de français – et
potentiels lecteurs. Ces lieux constituent par ailleurs un laboratoire privilégié pour
observer les tendances récentes dans la manière dont est abordée et considérée la
littérature de langue française : quelle place occupe-t-elle ? Comment, à travers elle, ou
plutôt à travers son enseignement, la production intellectuelle contemporaine de langue

66
française est-elle comprise, perçue et appréhendée ? Cette production est-elle foisonnante
ou, au contraire, déclinante ? La perception étrangère la lie-t-elle à la seule France ou
l’affranchit-elle des frontières (littérature-s francophone-s) ? Cette littérature a-t-elle, par
ailleurs, toujours force de modèle ou offre-t-elle un contrepoint à d’autres littératures
dominantes ? Quel dialogue, enfin, entretient-elle avec les autres littératures ?
3.3.1. L’enseignement de la littérature : une vitalité questionnée, mais pas menacée
Les départements de langue, littérature et culture sont aujourd’hui confrontés à des
défis comparables, d’une région du monde à l’autre. Pour une large part, ces difficultés
sont dues à une compétence en langue insuffisante des étudiants à leur entrée en premier
cycle universitaire : le fait que, pour la plupart, les étudiants n’aient pas (ou peu) connu
d’enseignement préalable de la langue au niveau secondaire, fait d’eux un public débutant
(ou faux débutant) peu armé pour suivre de manière approfondie un enseignement
littéraire. Dans une certaine mesure, l’existence d’une forte tradition littéraire locale peut
(16)
sans doute permettre de compenser cet obstacle. En Russie, en Italie ou au Japon , où
l’enseignement littéraire est important, la littérature française continue ainsi d’être
largement étudiée, en lien, le plus souvent, avec l’enseignement de la langue – mais aussi
en traduction. Dans les pays qui, telle la Thaïlande, n’ont pas de tradition propre d’études
littéraires, la littérature française est, en revanche, quasiment absente des études de
français. Dans ce second cas, l’articulation de la littérature avec l’enseignement du FLE
devra être importée, en s’appuyant sur les structures françaises et les dispositifs
mentionnés plus haut. Dans le premier cas, à l’inverse, le contexte pourra se révéler
propice à un renouvellement des approches dans le domaine du FLE, grâce à une
interaction plus forte entre les traditions didactiques et les pratiques pédagogiques en jeu.
À cet égard, une évolution importante et apparemment transversale, dans les
différentes aires culturelles, est à noter : révélée à la faveur de rencontres organisées
(17)
récemment par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP ), elle indique, en
face de la perte de prestige du français et de la provincialisation subséquente des
littératures qu’elle produit, un redécoupage des territoires universitaires dont la littérature
pourrait, paradoxalement, bénéficier. Du fait des refontes structurelles importantes subies
par les universités étrangères, l’autonomie des différentes littératures a en effet été remise
en cause, ces dernières se voyant fréquemment rassemblées, voire subsumées dans des
unités travaillant plus largement sur les questions culturelles. Or, si ces évolutions
génèrent à juste titre des inquiétudes, elles sont aussi une chance de redonner aux études
littéraires un certain dynamisme, par effet de contiguïté – les champs auxquels elle est
désormais associée (sciences humaines, culture, médias, arts, etc.) jouissant d’une aura
plus grande auprès des étudiants.
Un état des lieux de l’enseignement et de la recherche en littérature à l’étranger, établi
(18)
par Dominique Viart pour les années 1998-2008 , montre par ailleurs que,
contrairement à l’impression que l’on peut parfois avoir depuis la France, ces domaines
ne sont pas partout marqués, loin de là, par l’amertume. En Chine, par exemple, la
littérature française, presque absente des universités jusqu’à la fin des années 1970, a

67
connu depuis un remarquable essor : perçue comme un signe de haute culture, elle est
enseignée de manière obligatoire dans les nouveaux instituts de langues étrangères, dès
un niveau de base en langue acquis (Jing, 2011). À rebours de l’idée de déclin, ou de la
peur de la fusion dans des ensembles moins différenciés, les recherches à l’étranger
semblent également connaître une réelle vitalité : en témoignent l’existence et l’activité
d’un grand nombre de revues, mais aussi l’importance des apports étrangers aux études
françaises de lettres, souvent décisifs, et encore la possible inter-fécondation des
traditions et innovations de chaque aire linguistique et culturelle, chacune étant porteuse
d’une histoire didactique et méthodologique propre (Viart, 2011).
3.3.2. Recherche en littérature, littérature enseignée, littérature effectivement lue : des pratiques éclatées
En dépit de disparités évidentes, d’une région du monde à l’autre, quelques grandes
tendances semblent se dégager dans la réception actuelle de la littérature de langue
française à l’étranger et son traitement comme matière dans les départements de français,
rapprochant des territoires géographiquement et culturellement distants comme
l’Australie, le Brésil ou la Scandinavie.
La première est celle d’un éloignement important entre la recherche, l’enseignement
universitaire et les lectures réelles de la population – l’enseignement dispensé dans les
premières années de l’université se plaçant à mi-chemin, dans un compromis entre
recherche pointue et attentes des étudiants. S’il fut un temps où les pays qui comptent des
sections universitaires de français affectionnaient la littérature française, prestigieuse,
inspirante, force est de constater que ce n’est plus le cas : le fossé se creuse entre des
chercheurs locaux qui continuent de s’y intéresser vivement, et un lectorat grand public
qui va s’amenuisant. Cela conduit un pays comme le Japon, où la littérature française était
très traduite et très lue jusque dans les années 1990, à distinguer aujourd’hui, au sein de
l’université même, entre la recherche (spécialisée, mais vigoureuse, en termes d’approche
comme de production) et l’enseignement (axé de plus en plus sur le linguistique), avec
pour corollaire la raréfaction de l’étude de la littérature en licence et sa présence quasi
exclusive à partir du master et du doctorat (Chiba, 2011).
Quand elle continue d’être enseignée, en plus de la langue, la littérature l’est souvent
dans une perspective généraliste. Cette moindre spécialisation n’est pas due qu’à la
raréfaction des postes et à la nécessité conséquente, pour chaque enseignant, de couvrir
davantage de siècles, ou de genres. Elle s’explique aussi par des traditions d’enseignement
différentes. Dans l’espace d’influence de la romanistique – sphère germanique,
Scandinavie, Pays-Bas –, il n’est pas possible de se consacrer exclusivement à la
littérature française : on enseigne plusieurs langues romanes simultanément, et donc aussi
plusieurs littératures, genres et siècles, les chercheurs optant pour des problématiques
larges, transhistoriques ou transnationales (Hunkeler, 2011). Si la formation offerte est
sans doute moins approfondie, elle est aussi plus panoramique, et certainement moins
trouée, que celle dispensée par des enseignants très spécialisés : cette offre d’un bagage
plus large assure à l’étudiant étranger une assise plus sûre pour ses lectures futures.
e
Quant au corpus étudié, il se resserre généralement sur la littérature des XX et
e
XXI siècles, et fait la part belle au roman, voire à l’essai, aux dépens de la poésie et du

68
théâtre : ce trait, pour partie lié à la diminution des postes, répond également à la
demande des étudiants. Le choix des œuvres est souvent déterminé par la critique
française, qui constitue le premier filtre, la première grille d’évaluation (Kylousek, 2011),
même si l’engouement pour certains auteurs déborde parfois le cadre de réception
français. La critique médiatique n’ayant pas l’exigence de l’université, elle permet de
conquérir un lectorat ouvert à des approches plus culturelles que poétiques. Le roman
n’est plus tant étudié comme espace d’imagination ou de rêverie, que comme lieu d’une
pensée sur le monde, en lien avec des concepts et une actualité issus des sciences
humaines : le texte littéraire est un discours parmi d’autres, que l’on confronte volontiers
à d’autres espaces de pensée et d’autres discours sociaux (Viart, 2011 ; Sheringham,
2011).
Ce renouveau des sensibilités se lit également dans la vogue de l’intermédialité, qui
rapproche la littérature d’autres arts, et notamment du cinéma, pour étudier l’articulation
du texte et de l’image, fixe ou mobile (peinture, photographie, médias, etc.) : la littérature
n’est plus perçue comme un vecteur de culture isolé, mais s’associe au visuel. Là encore,
elle s’inscrit dans du plus vaste, favorisant le décloisonnement et l’interdisciplinarité.
3.3.3. Un renouvellement des approches : de la French theory aux cultural studies
Ces évolutions de corpus engagent avec elles de grands mouvements dans les
approches retenues. Peut-on, parmi les propositions didactiques actuelles de ces
départements, isoler des pratiques qui seraient transférables en France, ou dans les
structures françaises à l’étranger, et qui favoriseraient une lecture moins « esthétisante »,
et plus en phase, peut-être, avec la vie et les questionnements concrets des apprenants ?
Entre les années 1970, où le but de l’acquisition de la langue française était d’accéder à
une compréhension profonde et directe de la culture, et les années 2000, où la langue est
devenue un but en soi, au service duquel sont mis les textes culturels, l’évolution suivie
dans les départements de français semble jouer en défaveur de la littérature. Il se pourrait
cependant que, comme on l’a vu dans les médiathèques des instituts français, ou dans les
manifestations liées au fait littéraire, la littérature gagne à ce déplacement. Le paradigme
culturel a en effet changé : la littérature n’a plus, aujourd’hui, de valeur axiomatique dans
la définition de l’identité française. À cette évolution, les départements de français
s’adaptent par une plus grande polyvalence des enseignants et l’inscription de la littérature
dans autre chose – du visuel, de la pensée, de l’historique, du politique, etc. (Nettlebeck,
2011). Or, si la littérature en tant que telle peut y paraître noyée, ou marginalisée –
n’étant plus prise « pour elle-même », mais vue comme un phénomène ou un
document –, il est possible aussi que ce type d’études renouvelle la lecture des grands
auteurs (Sheringham, 2011), en favorisant une confrontation avec un contexte historique
et culturel qui rend à la littérature sa valeur de témoin et de lieu privilégiés pour la
compréhension du monde.
Aujourd’hui, la plupart des départements de français à l’étranger se situent dans un
cadre postmoderniste, qui assiste à la disparition de la théorie, et notamment du
formalisme et des méthodes structurales, au profit d’entrées thématiques (études sur les
villes, lieux, espaces), sociologiques (us et coutumes du monde des lettres : ingérence de

69
l’écrivain dans la cité, consécration de l’auteur) ou génériques (littérature de voyage,
policier, bande dessinée, chanson, etc.). Les auteurs liés à la French theory (Cusset,
2003), très influents dans les années 1970 et 1980, se voient ainsi relayés par les
approches issues des cultural studies. Ces dernières privilégient le point de vue des
minorités (politisation/communautarisation), comme on le voit de manière emblématique
dans le succès des études postcoloniales, des gender studies, des women studies ou encore
des gay studies. Elles portent une attention plus grande au contexte dans lequel l’œuvre
s’inscrit et s’écrit, et favorisent la transdisciplinarité. Le préfixe maître dans ce cadre
renouvelé est celui de « trans- » (transférence, transculturalité, transmédialité,
transdisciplinarité). Aux Pays-Bas, on refuse ainsi les méthodologies exclusives pour
explorer plutôt toutes les possibilités d’enchevêtrement des approches analytiques de type
anglo-saxon et des lectures heuristiques d’origine française (Houppermans, 2011).
Un peu partout dans le monde, des auteurs comme Barthes, Derrida, Lacan, Foucault
ou Bourdieu, souvent lus avidement et dans le texte dans les décennies passées, sont
considérés aujourd’hui comme des évidences théoriques qui ne font plus l’objet de débats
intenses. Les instruments du structuralisme et de la sémiotique forment un substrat
culturel commun, que l’on retrouve dans l’outillage de base du chercheur, mais la crise de
la théorie littéraire, devenue lieu commun, ne préoccupe plus personne, tandis que le
reproche d’éclectisme ne fait plus peur (Prince, 2011 ; Mecke, 2011 ; Rubino, 2011). La
saturation théorique des années 1980 a conduit à une renaissance du sujet et de l’auteur,
puis, plus récemment, à une ouverture aux études féministes, postcolonialistes,
intermédiales, etc. (Gundersen, 2011). Un peu partout – y compris en France –, il semble
qu’après une longue période d’approches immanentes, l’histoire soit de retour, comme si
l’objet littéraire ne se suffisait plus et qu’il fallait réévaluer le partage entre texte, contexte
et hors texte (Hunkeler, 2011). À rebours de l’autonomie du texte des années 1960, les
enseignants-chercheurs étrangers observent comment la littérature traite l’histoire, et
notamment ses blessures (guerres, colonisation, génocides), avec une attention
particulière aux écrits personnels – autobiographies ou correspondances.
De ces approches, le FLE peut largement bénéficier, non seulement pour l’apport
socioculturel qu’elles contiennent, mais aussi pour les activités créatives et réflexives
qu’elles peuvent encourager. La focalisation sur les problèmes de forme avait pu paraître
réductrice, voire réactionnaire (Prince, 2011) : en mettant en relief la qualité de révélateur
social de la littérature, on en justifie une pertinence immédiate. Libéré de l’analyse
littéraire, l’apprenant peut trouver un nouvel attrait au texte, saisi de manière plus
immédiate.
3.3.4. Le cas particulier de l’aire francophone
L’exploration des évolutions connues par les pays qui ont le français comme langue
première, et dont les universités ont, sinon une culture, du moins une langue en partage,
permet d’observer ces tendances de plus près. Pour une part, l’influence du centre sur la
périphérie apparaît dans cette sphère comme plus marquée encore que dans les autres
régions du monde : les pratiques françaises, telles l’explication de texte ou la dissertation,
y sont fréquemment importées, et le conservatisme en la matière peut conduire certains

70
départements à la même désaffection que celle connue par les études littéraires en
France. Pour une autre part, néanmoins, le fait que la question du français y soit porteuse
d’autres enjeux identitaires conduit l’enseignement de la littérature en langue française à
se renouveler, en lien non pas avec les évolutions que cet enseignement connaît en
France, mais avec celles connues par son champ local de rattachement. À ce titre, le
détour par l’aire francophone offre un effet naturel de mise à distance et peut indiquer
d’autres exploitations possibles du texte littéraire, fructueusement transférables vers le
FLE.
Le premier aspect à retenir est celui de la valorisation récente, par les universités
francophones, de leur patrimoine propre. En Wallonie, un canon se met ainsi en place,
autour de figures comme Paul Nougé, Henri Michaux, Henry Bauchau ou Jean-
Philippe Toussaint (Aron, 2011). En Suisse, l’intérêt plus marqué pour les auteurs
nationaux se manifeste par un travail éditorial important sur des écrivains comme
Charles-Ferdinand Ramuz, Blaise Cendrars ou Nicolas Bouvier (Hunkeler, 2011). Ces
pays ouvrent par ailleurs leur corpus aux « partenaires » de la francophonie postcoloniale.
Au Liban, par exemple, la littérature francophone a fait irruption dès la décennie 1990,
avec la constitution d’un corpus parti de la littérature libanaise (Georges Schéhadé), mais
tôt élargi à d’autres œuvres francophones, à la faveur d’approches thématiques ou
(19)
interculturelles (Majdalani, 2011 ). Les écrivains du Maghreb (Assia Djebar, Yasmina
Khadra), de l’Afrique subsaharienne (Ahmadou Kourouma) et des Caraïbes
(Édouard Glissant), ont ainsi fait leur entrée dans un canon renouvelé, à côté des Belges,
des Suisses et des Québécois. Poussant cette logique à l’extrême, le Québec valorise,
quant à lui, une culture mondiale postcoloniale et une contemporanéité migrante, hybride
et métissée (Huglo, 2011 ; voir également chapitre 7.2.).
Cette perception vaste, où le littéraire dépasse les frontières et prend un caractère plus
universel, s’accompagne d’un double mouvement : d’abord, la constitution, en marge du
canon de la littérature française, d’un canon alternatif, décentré, moins érudit et perçu
(même si c’est discutable) comme plus aisé à s’approprier ; ensuite, l’importation
d’approches nouvelles, liées aux aires d’étude ou d’appartenance de ces textes, et qui
mettent l’accent sur les questions d’identité (Schoentjes, 2011). Modifiant le regard sur le
patrimoine, et affirmant le décalage entre le français comme langue du monde et le
français comme lié à une culture nationale, cette évolution prend le contrepied d’une
littérature française encore perçue comme élitiste, pour faire place à une littérature-
monde en voie de canonisation, qui résonne davantage avec les intérêts des étudiants
d’aujourd’hui, tournés vers le monde plus que vers le texte :
« Non pas à travers un engagement politique comme cela avait été le cas dans les
années 60, mais […] en s’arrêtant à la question de l’identité, en interrogeant la
représentation de la souffrance, de la violence ou de l’environnement. […] Les
questions éthiques sont l’objet d’une attention qu’il aurait été difficile d’imaginer il y a
seulement dix ans. »
(Schoentjes, 2011 : 15)
Dans l’aire francophone, cette dimension se conjugue avec celle, déjà relevée, de la

71
force du contemporain. Cet aspect y prend une valeur plus forte encore, dans la mesure
où la culture propre du pays participe de cette actualité. Se joue là quelque chose de plus
exaltant que l’étude traditionnelle de la littérature : on ne travaille pas sur du passé, mais
sur du mouvant, en construction, avec pour corollaire des études qui portent davantage
sur l’amont – l’écriture proprement dite, le processus créateur, le « geste rhétorique » –
que sur l’aval – l’analyse, l’interprétation de l’œuvre, le « geste herméneutique »
(Majdalani, 2011). Cette attention à la variante, si elle stimule particulièrement la
créativité des étudiants, par une réflexion sur les possibles, peut également dynamiser la
pratique traditionnelle du commentaire, par l’application à un même texte, à titre
d’illustration, de différentes approches proposées par les études francophones
(sociocritique pour l’angle québécois, analyse de texte à la française, approche
sociologique belge, etc.). Dépassant le cadre traditionnel des « études littéraires »,
l’affichage interdisciplinaire, repérable par exemple dans les universités québécoises
(Huglo, 2011), permet enfin d’aborder le texte non plus en vase clos, mais en dialogue
avec la culture, les médias, les arts et les discours.
Ces réflexions sur le rapprochement de la littérature avec des domaines connexes, sur
la constitution de nouveaux canons et sur les apports possibles des approches étrangères à
l’enseignement de la littérature trouvent un terrain d’étude privilégié dans les sections
bilingues des établissements scolaires étrangers et particulièrement dans la mise en place
de baccalauréats conjoints, au cours des années 2000.
3.4. Les parcours bilingues dans le secondaire
Si nous prenons le parti, ici, de nous centrer sur les pratiques développées dans les
sections dites « bilingues » des établissements secondaires à l’étranger, à l’exclusion des
autres, ce n’est pas pour laisser entendre que l’enseignement du français, et de sa
littérature, tendrait à disparaître des autres salles de classe : au contraire, après une
période où le texte littéraire a, comme en Allemagne, été supprimé dans les années 1970,
il a souvent été réintégré aux programmes du secondaire, mais avec une perspective
didactique renouvelée, favorisant la multiplicité des approches pédagogiques (Keilhauer,
2014). De fait, l’enseignement actuellement dispensé dans les lycées étrangers est éclaté
de sorte qu’une enquête objective peut difficilement y être conduite, tandis que les
sections bilingues offrent un cadre plus aisé à cerner. Dans ces sections, par ailleurs,
l’enseignement de la littérature dépasse de beaucoup la question de son intégration dans
les cours traditionnels de FLE. Le cours de français y est devenu un véritable cours de
« langue et littérature », l’une ne pouvant se passer de l’autre. L’idée générale est bien que
l’apprentissage d’une langue passe nécessairement par celui de sa culture, et plus
spécifiquement de la littérature qui l’incarne : il s’agit de partager des références,
d’appréhender les manières de penser et d’argumenter de l’autre, dans une démarche
interculturelle (Porcher & Faro-Hanoun, 2000 ; Fraisse, 2012). Ainsi, les élèves suivent
un cours où la connaissance des textes et des auteurs étudiés en langue originale prime
sur l’apprentissage pur et simple du système linguistique. S’appuyant sur un enseignement
ambitieux en termes de contenu, la littérature voit par conséquent sa position confortée,
au point qu’on pourrait la considérer comme une « discipline non linguistique » (DNL) à

72
part entière, une appellation généralement réservée à l’histoire ou aux sciences.
3.4.1. Historique des sections bilingues
L’enseignement considéré ici ne concerne pas les 488 lycées français à l’étranger, où
l’on suit les programmes en vigueur en France, mais bien l’enseignement bilingue mis en
place dans le système scolaire étranger local, souvent en raison d’accords
intergouvernementaux, et sous l’autorité des autorités éducatives locales et non de la
France. Ces dernières années, ces filières ont connu une augmentation notable,
notamment en Europe, comme l’indique la carte interactive du site des sections bilingues
(20)
francophones dans le monde, « Le fil du bilingue », géré par le CIEP . On estime ainsi
qu’il en existe 3 en Finlande, 4 en République tchèque, 5 en Slovaquie, 6 en Serbie, 9 en
Turquie (9 000 élèves), 13 au Laos, 20 en Lituanie, 23 en Russie, 28 au Portugal, 29 en
Roumanie, 2 193 au Liban (près de 550 000 élèves), 280 en Italie (17 000 élèves)…
Le point commun de ces différentes sections est la qualification d’« excellence » qu’on
leur attribue généralement : le temps n’est plus où la langue française était très largement
étudiée comme première langue étrangère ; l’anglais a désormais acquis ce statut presque
partout dans le monde. Les enjeux politiques, culturels et économiques associés à la
langue française se résument dorénavant à une diplomatie d’influence. Autrement dit,
plutôt que de chercher à toucher toute une population scolaire, il s’agit de viser moins
d’élèves, mais de développer chez eux des compétences linguistiques et culturelles de plus
haut niveau, en espérant que les futures élites locales soient aussi francophones et
francophiles que possible. Dans cette optique, l’enseignement renforcé de littérature
française fonctionne comme marqueur d’excellence, dans une « stratégie de distinction »
(David, 2013), à côté d’autres DNL véhiculées en langue française.
Si l’enseignement bilingue n’est pas nouveau (préceptorat des enfants des cours royales,
colonisation, prosélytisme religieux, immigration, etc.), il convient aujourd’hui de
distinguer essentiellement deux cas : les pays où le français, en tant que langue étrangère,
a été associé à la langue nationale et ceux où il a eu le statut de langue coloniale
(Duverger, 2005). Dans le premier cas, on note une première vague de sections très
e
prestigieuses de type « langue française-langue nationale » dès la fin du XIX siècle :
Égypte, Liban, Turquie ; puis une deuxième vague dans les années 1960 en Bulgarie et à
partir de 1969 en Allemagne, dans la région du chancelier Adenauer à la suite du traité
de l’Élysée (1963) qui scellait la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Une
troisième vague, plus récente, a concerné de nombreux pays d’Europe centrale et
orientale dès la fin des années 1980 et 1990, mais aussi l’Espagne, l’Italie, le Portugal et
même la Finlande. Signalons encore le cas de classes en « immersion partielle » en
français dans de nombreuses écoles canadiennes anglophones. Dans le second cas
d’enseignement bilingue, le français représente la langue des anciennes colonies : quand
une langue nationale commune préexiste, des sections bilingues avec le français comme
L2 sont mises en place (comme, au début des années 1990, au Vietnam, au Laos et au
Cambodge) ; quand de nombreuses langues régionales cohabitent – c’est le cas de
l’Afrique occidentale et équatoriale – et que le français a le statut de langue officielle et
de langue de scolarisation tout en n’étant que langue seconde, divers projets sont

73
développés, en lien avec la situation linguistique locale (Sénégal, Mali).

74
3.4.2. L’enseignement de la littérature en section bilingue : entre FLE et histoire littéraire
La réalité de l’enseignement bilingue est « disparate » (Duverger, 2005 : 9), et le
premier écueil serait de la confondre avec une situation de bilinguisme. Dans ce
dispositif, il s’agit simplement de permettre aux élèves d’apprendre – et non pas seulement
de communiquer – dans deux langues. Le français, devenu langue d’apprentissage, est à la
fois l’outil et l’objet de l’apprentissage dans les cours de littérature. Pour mener à bien cet
objectif, les enseignants hésitent souvent dans leurs pratiques entre méthodes
traditionnelles et innovations didactiques, ou entre liste d’auteurs classiques et volonté
d’ouverture à une littérature plus contemporaine.
(21)
Une enquête en ligne conduite au printemps 2013 montre que, dans la plupart des
sections, l’importance faite à l’enseignement de la littérature dépend surtout du poids de
la tradition littéraire dans les pays envisagés. Deux grands cas de figure se dessinent :
d’un côté, des pays comme le Laos, où les élèves sont sensibilisés à la littérature française
à travers leur seul manuel de FLE ; de l’autre, les pays où les élèves bénéficient, comme
en Bulgarie ou en République tchèque, d’un véritable enseignement littéraire, selon des
modalités plus ou moins traditionnelles ou innovantes.
À Vientiane, où les filières bilingues sont intégrées aux établissements d’enseignement
général, l’enseignement du français s’effectue au niveau du lycée à raison de six heures
hebdomadaires, sur la base d’un programme officiel. Ce parcours réputé d’excellence
conduit les élèves au niveau B1 du CECRL et donne lieu à une attestation délivrée par
l’Ambassade de France. Dans le manuel utilisé dans ces filières, Amis et compagnie (CLE
International), une œuvre littéraire sert bien de « fil rouge » à chaque niveau (Les Trois
Mousquetaires au niveau 1, Les Misérables au niveau 2, les Contes et nouvelles de Guy de
Maupassant au niveau 3, et des textes de littérature francophone au niveau 4) ; toutefois,
ces œuvres sont à chaque fois transposées en bande dessinée. On note ici le souci de
rendre ainsi la littérature plus accessible et plus attractive auprès d’un public adolescent
peu à l’aise avec la lecture cursive d’œuvres intégrales, même s’il s’agit seulement d’une
étape de familiarisation.
En Bulgarie, la place réservée à l’enseignement de la littérature est nettement plus
importante – jusqu’à 18 heures hebdomadaires. Mais l’approche didactique reste
traditionnelle : mettant l’accent sur la qualité de la langue, sur l’écrit et sur les
connaissances, elle privilégie un cadre à la fois chronologique (de type histoire littéraire)
et générique (théâtre, roman, poésie) et accorde un rôle important au manuel de
littérature, sans grande évolution pédagogique globale. Dans les sections de République
tchèque et de Slovaquie, pays à très forte tradition littéraire, cet enseignement fait l’objet
d’une attention encore plus prononcée. Pour une part, l’approche pédagogique privilégiée
s’inscrit dans les pratiques locales : l’histoire littéraire et l’acquisition de connaissances
(mouvements littéraires, biographies et bibliographies d’auteurs) y sont déterminantes,
dans l’esprit de l’enseignement littéraire dispensé par ailleurs en langue tchèque. Dans ce
contexte où l’enseignement de la littérature mondiale est fortement valorisé, tous les
élèves lisent des œuvres en traduction (et notamment, pour la France, les philosophes des
e
Lumières, les grands romanciers et poètes du XIX siècle). Pour une autre part, le cours

75
de littérature en section bilingue propose néanmoins une approche distincte de celle du
cours de littérature local. Le programme prévoit en effet une approche par genres de la
littérature (séquences sur le conte, le théâtre, la poésie, etc.), et par thèmes (à travers
l’analyse approfondie d’œuvres intégrales et d’extraits). De plus, les exercices de français
comme la lecture méthodique, l’écriture argumentative et le groupement de textes
problématisé, se retrouvent jusque dans les épreuves de fin d’études secondaires, qui
sanctionnent un niveau C1 de compétence en langue : une dissertation de culture
générale et une épreuve orale inspirée de l’épreuve anticipée du baccalauréat français.
Face à ces différents types de pratiques – traitement de la littérature aligné sur les
manuels de FLE, exploitation traditionnelle fondée sur la langue et les connaissances, ou
didactique « à la française » –, la coopération éducative des ambassades, en charge du
pilotage de ces sections, s’efforce, à travers la formation continue des enseignants locaux,
de faire émerger une forme de « pédagogie intégrée » (Duverger, 2008), susceptible
d’articuler le local et le français, le traditionnel et l’innovant. Des séminaires dédiés sont
proposés par l’Institut français, tel celui de 2011 au CIEP, consacré à la conception de
ressources spécifiques en ligne. Le numérique est en effet perçu comme un vecteur
essentiel de l’harmonisation et de la mutualisation des pratiques. Né des différentes
(22)
déclinaisons d’un site pilote roumain, le projet Vizavi , développé récemment en
Moldavie, en Bulgarie, en Espagne, au Portugal et en Italie, donnera naissance à brève
échéance à la plateforme d’échange et de mutualisation interactive et collaborative
« IFprof » pilotée par l’Institut français.
3.4.3. Les programmes binationaux : une tentative de didactique intégrée
À côté des parcours bilingues débouchant sur une certification de langue française
(DELF-DALF) ou une attestation de l’Ambassade de France, de nouveaux programmes
binationaux ont été récemment mis en place, voulus comme exemples d’une didactique
intégrée et conduisant à des diplômes de fin d’études conjoints : l’AbiBac (Allemagne), le
BachiBac (Espagne) et l’EsaBac (Italie). Ces certifications à double délivrance ouvrent
des perspectives didactiques nouvelles. Nés d’une volonté politique bilatérale et mis en
œuvre dans le cadre d’accords intergouvernementaux avec l’Allemagne, l’Espagne et
l’Italie, entre 1994 et 2009, ces parcours bilingues et biculturels ont donné lieu à
l’élaboration conjointe de programmes officiels de littérature par les inspections des pays
concernés. Dans les trois cas, le programme prévoit l’étude des différents siècles, selon
les découpages classiques de l’histoire littéraire, et le niveau visé pour l’obtention de la
double certification est le niveau B2.
Préparé, à la rentrée 2013, dans 69 lycées allemands (et 78 établissements français),
(23)
l’AbiBac propose, sur trois ans, un enseignement de trois heures de langue et
littérature françaises par semaine la première année, puis de cinq heures les deux
e e
suivantes. Les professeurs doivent étudier une œuvre par siècle (du XVII au XXI siècle)
et aborder tous les grands genres littéraires, les auteurs choisis étant généralement les plus
canoniques (Racine, Voltaire, Flaubert ou Camus). Préparé depuis 2010 dans
(24)
29 établissements espagnols et 65 lycées français, le BachiBac prévoit quant à lui un

76
enseignement approfondi de littérature française qui couvre en deux ans les auteurs du
e e
XVI au XX siècle, avec la lecture de deux œuvres complètes. En Italie, enfin, 280 lycées
ont ouvert à ce jour une section EsaBac (contre 47 lycées français), chacune proposant
quatre heures de langue et littérature françaises par semaine pendant les trois dernières
(25)
années du lycée . Le programme est construit chronologiquement en neuf
« thématiques culturelles » qui suivent les grands mouvements littéraires depuis le Moyen
Âge jusqu’à la « recherche de nouvelles formes d’expression littéraire et les rapports avec
e
les autres formes de manifestations artistiques » au XX siècle.
Sur la base de ces programmes binationaux, un enseignement « intégré » est en train
de se mettre en place. En Espagne, les sections BachiBac font se rencontrer l’approche
espagnole de la littérature, qui repose essentiellement sur la mémorisation, la chronologie
et l’exhaustivité, et l’approche française, qui favorise davantage l’étude problématisée des
contenus, organisée en « séquences ». En Allemagne, l’influence de la tradition didactique
se fait surtout sentir dans la place dévolue à la « lecture subjective » des élèves (Geiling-
Hassnaoui, 2012 : 25 ; Von Münchow, 2011 ; Keilhauer, 2014). Le texte, généralement
étudié sous sa forme intégrale, est questionné par rapport à sa possible exemplarité, et la
prise de position personnelle et l’implication directe des élèves dans le cours sont
encouragées. L’objectif est que l’œuvre suscite une discussion, capable de développer
l’esprit critique : l’enseignant s’efface pour créer une atmosphère de formation propice à
l’initiative des élèves, qui découvrent et discutent d’eux-mêmes les arguments proposés.
De son côté, l’enseignant des sections EsaBac, dont la liberté pédagogique est rappelée
dans les programmes officiels, est invité à conjuguer l’approche chronologique, essentielle
dans la formation intellectuelle italienne, avec une approche plus thématique, à la faveur
d’« itinéraires littéraires » construits autour d’extraits. Une des spécificités du programme
EsaBac tient peut-être à son effort pour établir des passerelles entre auteurs français et
italiens, afin de souligner leurs influences réciproques et de construire ainsi une culture
commune. Cette perspective humaniste et l’idée d’un socle culturel européen partagé font
directement écho aux préoccupations institutionnelles présentées dans le chapitre 2. En
l’occurrence, chaque « thématique culturelle » fait référence dans son intitulé comparatiste
comme dans la liste des auteurs suggérés à la fois à la France et à l’Italie, telles les
thématiques « Il Rinascimento et la Renaissance », « Le Réalisme et le Naturalisme en
France ; il Verismo en Italie », etc.
Cet effort d’intégration se retrouve également dans les épreuves proposées au terme
des différents parcours. En Allemagne, l’épreuve orale – une explication de texte suivie
d’un entretien – se rapproche de l’épreuve anticipée de français du baccalauréat, tandis
que l’épreuve écrite est similaire à celle proposée indifféremment à tous les élèves
allemands. Constituée de questions de compréhension écrite sur un texte de civilisation,
d’un exercice de médiation (traduction et analyse de texte) et d’une production libre, cette
épreuve écrite se fonde pour l’AbiBac sur les œuvres contemporaines au programme
(après Éric-Emmanuel Schmitt et Amélie Nothomb, Philippe Grimbert et Aïcha Benaïssa
(26)
ont été retenus pour l’épreuve 2014 ). En Italie, l’intégration est plus forte, dans la

77
mesure où un type spécifique d’exercice a été créé pour les élèves préparant l’EsaBac,
dans lequel se rencontrent les deux cultures scolaires, française et italienne, autour de la
littérature : l’essai bref, sur la base d’un corpus comprenant trois textes littéraires français,
un texte italien (et sa traduction) ainsi qu’un document iconographique. Cette épreuve a
généré sa propre méthodologie, à la faveur des formations proposées aux enseignants,
empruntant à la fois à celle du saggio breve italien, qui met l’accent sur l’amplitude de la
culture, et à celle de la dissertation française, qui insiste sur la rigueur de l’argumentation.
Ces différentes expériences montrent l’intérêt d’une réflexion sur les traditions
didactiques dans lesquelles l’enseignement prend forme, et la fécondité des
rapprochements interculturels qu’elle peut susciter. Le terme de « pédagogie intégrée »,
s’il est ambitieux et sans doute loin encore de la réalité, propose du moins un cap et offre
un cadre à l’enseignant de littérature en FLE : en fonction du public auquel il s’adresse,
peut-il déterminer de quoi son propre enseignement est porteur, et sur quel nouveau socle
culturel il vient s’inscrire ? Quelle place donner à la subjectivité, à la problématisation, à
l’histoire ou à la mémorisation ? L’enseignant est-il en mesure d’établir des liens, entre sa
propre tradition didactique et ces traditions autres ? Comment peut-il nourrir le dialogue,
et quelles nouvelles approches peut-il tenter pour le faciliter ?

À travers ce parcours des trois espaces dédiés, à l’étranger, à l’enseignement de la
langue et de la littérature de langue française, quelques grands constats et tendances se
dégagent. Notons d’abord que, si elle va moins de soi, l’étude de la littérature en tant que
telle n’a pas disparu, loin de là, hors des frontières françaises. Elle est marquée, toutefois,
par une quadruple évolution, dont les traits renvoient assez directement aux pratiques
observables en France. On note d’abord l’apparente nécessité de l’inscription du littéraire
dans une logique événementielle, ou du moins dans des dispositifs novateurs ou attractifs,
où la médiation joue un grand rôle. Ensuite, en termes de positionnement culturel : on
observe une sorte de fusion de la littérature dans un ensemble plus vaste de médias et de
formes artistiques, la littérature semblant gagner, plus que perdre, de cette mise en réseau,
qui favorise de nouvelles résonances. Puis, en termes de contenus, une redéfinition du
corpus se dessine, marquée par l’abandon des hiérarchies à l’intérieur du champ littéraire,
entre littérature d’élite et littérature grand public, entre littérature canonique et
paralittérature, et par une extension aux littératures contemporaines et francophones.
Enfin, en termes de méthodologie, ou plutôt d’approche, tandis que les questionnements
d’ordre éthique ou social prennent le pas sur les analyses esthétiques et formelles, de
nouvelles convergences s’organisent autour d’une didactique intégrée, créatrice de ponts
entre la France et l’étranger, et qui font écho aux liens noués, en France, entre FLM et
FLE.
Notes
(1) Nous réservons la majuscule aux structures pilotes (Institut français, Fondation
Alliance française) et optons pour la minuscule pour les antennes locales (instituts
français, alliances françaises).
(2) www.fondation-alliancefr.org

78
(3) www.institutfrancais.com
(4) http://reptcheque.caravanedesdixmots.com
(5) www.dismoidixmots.culture.fr
(6) www.francofil.it
(7) www.academie-goncourt.fr
(8) http://www.lechoixdelorient.blogspot.fr
(9) http://argec.hypotheses.org
(10) Pour une présentation de ce projet, voir : http://fr.slideshare.net/bibliofrance/la-
bibliothque-de-lapprenant-10866268 ;
www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Article_BA_-_version_pdf.pdf
(11) http://www.culturetheque.com/EXPLOITATION/bibliotheque-de-lapprenant.aspx
(12) Pour toutes ces références :
http://www.emdl.fr/fle/collection/lectures/0/alex-leroc/general/
http://www.editionsdidier.com/collection/atelier-de-lecture
http://www.toutesleslangues.com/lire-en-francais-facile-lff-hachette-fle.html
http://www.editionsdidier.com/collection/mondes-en-vf
(13) Citons à cet égard le travail conduit en 2010 par une étudiante de M2 dans une
alliance mexicaine : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00678364
(14) http://www.institutfrancais.com/fr/publications
(15) www.facebook.com/festival.narrativa.francese
(16) Sur les pays concernés par l’étude de la littérature française, voir les enquêtes des
Cahiers de l’Association internationale des études françaises.
(17) Citons les récents séminaires de francisants européens, 2008 :
http://www.ciep.fr/conferences/evolution-des-departements-etudes-francaises-des-
universites-europeennes/index.php et sud-américains, 2012 :
http://www.institutfrancais.com/fr/actualités/rencontre-des-departements-universitaires-
de-francais-damerique-du-sud
(18) L’étude de Viart propose, pour cette décennie, un panorama de l’enseignement de
e
la littérature du XX siècle française et francophone dans le supérieur étranger.
(19) Ni langue unique ni langue seconde imposée, le français est librement choisi par
les locuteurs libanais. Dans ce cadre, la littérature française reste très largement
enseignée, dès le secondaire.
(20) http://lefildubilingue.org/reseau/carte-des-etablissements
(21) Enquête mise au point par Mathieu Weeger, attaché de coopération pour le
français à Rome, et soumise à différents acteurs de terrain (Michel Plat, conseiller
technique auprès de la cellule bilingue du ministère de l’Éducation et des Sports, Laurent
Attal, attaché de coopération éducative en Bulgarie, Gérard Enjolras, attaché de
coopération pour le français à Prague, Mickaël Lardenois, coordinateur Bachibac de
l’IES Eras de Renueva, León).
(22) Exemples (chaque pays ayant son site dédié) : www.vizavi-edu.ro ; www.vizavi-
edu.it
(23) http://www.education.gouv.fr/cid4105/la-cooperation-franco-allemande.html

79
(24) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71030
(25) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71026
(26) Voir les annales publiées : Abitur-Prüfungsaufgaben Baden-Württemberg, Stark-
Verlag, 2013.

80
CHAPITRE 4
Discours et pratiques d’enseignement du FLE : état des lieux et perspectives
par Donatienne Woerly
Des discours aux méthodes, du CECRL aux outils, il est important de s’arrêter sur les
ressources dont dispose l’enseignant qui voudrait intégrer le texte littéraire dans son
cours. Ce chapitre se propose donc de partir des discours institutionnels, essentiellement
du CECRL, pour définir le cadre dans lequel les auteurs écrivent les méthodes de FLE, et
de faire un état des lieux non exhaustif du matériel pédagogique : il s’agit à la fois
d’identifier des pratiques et de porter un regard critique sur les discours qui influencent
notre manière d’envisager le texte littéraire en classe de FLE afin de « lire les tendances
qui […] entraînent les enseignants et les apprenants à lire le texte littéraire d’un certain
regard » (Peytard, 1982 : 9). À l’observation des méthodes et des discours, nous
ajouterons un parcours dans les ressources numériques : le premier réflexe de
l’enseignant est aujourd’hui, pour nourrir ses cours, de regarder ce qu’Internet met à sa
disposition. Si la logique de réseaux, le caractère éphémère de certains sites, et la pluralité
des sources (Develotte, 2010 : 461) rendent extrêmement mobile cet espace, on peut
cependant dégager des évolutions ainsi que la perpétuation d’une vision traditionnelle du
texte littéraire. Ainsi, derrière les discours institutionnels et les choix éditoriaux (manuels,
revues) se profile une certaine conception de la place à accorder à la littérature dans
l’apprentissage d’une langue/culture. Quels corpus ces choix fabriquent-ils et, par
conséquent, quel visage donnent-ils à la littérature en langue française ? À quelles fins les
textes sont-ils convoqués ? Avec quel appareillage ? Une réflexion didactique se dégage-
t-elle des propositions éditoriales ?
En 1982, Peytard et al. notaient, à partir d’une étude des propositions didactiques des
manuels de FLE, la difficulté des auteurs à penser une pédagogie du texte. Dans le cadre
de la méthode de langue, le texte littéraire se trouvait tiré vers son pôle référentiel, « vers
la langue comme répertoire de structures, vers l’information qu’il véhicule, vers les
dénotations » : le sujet énonciateur n’est pas pris en compte ; énonciation, connotations
restent dans l’ensemble des points aveugles de la didactisation du texte. Ce bilan précis de
cette invisibilité du littéraire, cette impossibilité à saisir sa spécificité par les catégories
classiques de l’enseignement des langues, dans les pratiques didactiques du FLE telles que
les incarnent les supports éditoriaux, sont-ils toujours d’actualité ?
4.1. Les discours institutionnels pour le FLE et le FLS : quels liens entre langue,
culture et littérature ?
4.1.1. Le texte littéraire pour le FLE dans le CECRL
Ainsi qu’en témoignent les pratiques éditoriales, qui font que tous les ouvrages s’en
réclament aujourd’hui, le CECRL est devenu le discours de référence pour le FLE. Quelle
place accorde-t-il à la littérature ? En quoi nous invite-t-il à une approche renouvelée ?
Le CECRL a au départ pour ambition d’harmoniser l’évaluation des compétences en
langues étrangères en Europe afin de faciliter la mobilité des citoyens européens et se
refuse à imposer des choix méthodologiques. Pourtant, le concept de perspective
actionnelle qu’il promeut s’est imposé comme un nouveau paradigme de l’enseignement-

81
apprentissage des langues, malgré de nombreuses critiques quant à la validité de son
appareillage théorique (Delouis, 2008). Ainsi, ce texte à visée essentiellement politique a
catalysé des transformations des approches didactiques touchant aussi la place du texte
littéraire.
Le lien que les discours institutionnels établissent entre langue et culture est central
pour comprendre la place qu’ils accordent à la littérature. L’approche retenue par le
CECRL tend à dissocier langues et cultures :
« Le Cadre européen commun de référence (…) décrit aussi complètement que
possible ce que les apprenants d’une langue doivent apprendre afin de l’utiliser dans le
but de communiquer ; il énumère également les connaissances et les habiletés qu’ils
doivent acquérir afin d’avoir un comportement langagier efficace. La description
englobe aussi le contexte culturel qui soutient la langue. »
(CECRL, 2001 : 9)
La culture, dans la perspective du CECRL, n’est pas indissociable de la langue, des
compétences langagières, mais en constitue le support. D’un côté, la communication, de
l’autre, le patrimoine, cette « ressource commune inappréciable qu’il faut protéger et
développer » (ibid. : 47). La préoccupation d’une formation à la « citoyenneté
européenne », dont le plurilinguisme est l’une des modalités, est certes affirmée dans le
préambule comme l’arrière-plan idéologique qui justifie l’outil qu’est le CECRL : il
rappelle la nécessité « d’outiller tous les Européens pour les défis de l’intensification de la
mobilité internationale », mais aussi d’« entretenir et développer la richesse et la diversité
de la vie culturelle en Europe » et de « répondre aux besoins d’une Europe multilingue et
multiculturelle » (ibid. : 10). Il y a cependant un implicite dont le CECRL, pour ne pas
froisser les susceptibilités nationales, se garde bien de parler : les compétences
langagières visent en grande partie un anglais mondialisé, affranchi de son support
culturel national, et qui joue un rôle croissant dans la vie professionnelle des Européens
(Delouis, 2008 : 22). Le nouvel objectif social européen défini est de travailler ensemble
en langue étrangère (Puren, 2002). La perspective actionnelle demande d’envisager
l’apprenant comme un acteur social, qui doit réaliser des tâches en s’aidant de ses
compétences langagières. La langue est l’une des composantes des actions du locuteur :
maîtriser une langue, c’est agir mieux. La littérature, dans cette perspective, fait figure de
parent pauvre. Les auteurs du CECRL lui assignent une place ambiguë :
« Bien que ce bref traitement de ce qui a traditionnellement été un aspect important,
souvent essentiel, des études de langue vivante au secondaire et dans le supérieur
puisse paraître un peu cavalier, il n’en est rien. Les littératures nationale et étrangère
apportent une contribution majeure au patrimoine culturel européen que le Conseil de
l’Europe voit comme “une ressource commune inappréciable qu’il faut protéger et
développer”. Les études littéraires ont de nombreuses finalités éducatives,
intellectuelles, morales et affectives, linguistiques et culturelles et pas seulement
esthétiques. »
(CECRL, 2001 : 47)
Ils reconnaissent eux-mêmes à demi-mot, comme pour s’en excuser, cette mise en

82
retrait du littéraire, pourtant encore très présent dans la formation de nombreux
enseignants de langues vivantes en Europe. C’est ainsi une certaine tradition qui passe au
second plan : le texte littéraire a été dans le passé (« traditionnellement ») un aspect
important, mais n’est plus quantitativement essentiel dans les pratiques contemporaines
d’apprentissage d’une langue. Pourtant, le CECRL insiste en même temps, dans l’extrait
cité plus haut, sur la complexité des objectifs que l’on peut assigner à la littérature : ce qui
doit être perçu comme une désacralisation déplace simultanément l’attention, dans le
cadre de la promotion de la diversité linguistique et culturelle en Europe, sur la
multiplicité des « finalités éducatives » qu’intègre le littéraire. Il faut rappeler que le
Niveau seuil (1977) ou, pour le domaine anglophone, le Threshold Level (1975)
excluaient, eux, totalement le fait littéraire : par rapport aux méthodes inspirées de la
linguistique, l’approche est donc très favorable à la littérature. Mais, si celle-ci est
reconnue dans sa complexité, elle apparaît rétive à la normalisation que nécessite
l’harmonisation des pratiques : les auteurs sous-entendent que la littérature est à intégrer
dans l’apprentissage, mais que le CECRL n’est pas le lieu pour définir les modalités de
cette intégration.
4.1.1.1. Des perspectives pédagogiques nouvelles
La perspective actionnelle adoptée par le CECRL ouvre cependant des pistes neuves.
L’ouvrage distingue plusieurs objectifs de communication, dans les domaines privé,
public, professionnel ou éducationnel, où l’utilisation de la langue revêt une dimension
fonctionnelle qui s’exprime en termes de tâches et de capacités. Il met également à part
deux usages dont la finalité est d’un autre ordre, car ils prennent le langage lui-même
comme moyen et matériau : il s’agit d’un usage ludique et de l’utilisation « poétique et
esthétique de la langue » (ibid. : 47) que le CECRL associe étroitement, pour son
acquisition, à l’étude de la littérature. C’est l’utilisation subjective et créatrice du langage,
au cœur du fait littéraire, qui est mise en avant. Le CECRL insiste sur le lien entre
production, réception et représentation, entre lire et écrire : il ne s’agit pas d’accueillir des
textes canoniques, patrimoniaux, représentant le meilleur de la culture et de la langue que
l’on apprend, mais de rêver et d’éprouver du plaisir dans cette langue. Le CECRL fait
aussi de la littérature un lieu de pratiques, de création, d’interprétation : on trouve ainsi
les termes « représenter », « représentation » (ibid. : 47). Représenter une pièce de
théâtre ou un texte littéraire, c’est nécessairement se l’approprier et l’interpréter. La
littérature entre en résonance avec l’idée d’un apprenant « acteur », car elle met en jeu
d’autres manières d’agir qui ne sont pas exactement les mêmes que celles qu’exige la vie
professionnelle ou quotidienne. Le CECRL ouvre indéniablement des horizons
renouvelés : le texte littéraire peut tout à fait trouver sa place dans un cadre actionnel,
dans un enseignement par tâches ou dans une pédagogie de projet. Même si, à première
vue, « le caractère personnel, individuel de la lecture littéraire ne semble pas, de prime
abord, facilement conciliable avec cette pédagogie de projet, mettant en valeur l’action
commune » (Morel, 2012 : 143), la pédagogie de projet peut remotiver le lecteur en
langue étrangère, l’action commune venant étayer une tâche encore difficile si elle
demeure individuelle.

83
4.1.1.2. La littérature : un objet réservé
aux niveaux avancés ?
Regardons maintenant la place accordée à la littérature dans la description des niveaux
de compétence. Le document fait assez peu mention de la littérature pour les niveaux A1
à B1. Elle apparaît cependant, dans le CECRL, dans la description des utilisations de la
langue, en lien avec des compétences de production : au niveau A2, l’écriture créative
peut consister « en l’écriture de biographies imaginaires et de poèmes courts et simples
sur les gens ». Au niveau B1, le CECRL mentionne pour la maîtrise du récit, la capacité à
raconter l’intrigue d’un livre ou d’un film. Mais le texte peut être lu en langue maternelle.
La littérature en langue cible apparaît donc essentiellement aux niveaux B2, C1 et C2.
L’apprenant est capable au niveau B2 de « comprendre un texte littéraire contemporain
en prose ». Au niveau C1, il peut « comprendre des textes factuels ou littéraires longs et
complexes et en apprécier les différences de style ». Le niveau C2 implique de « lire sans
effort tout type de texte, même abstrait ou complexe quant au fond ou à la forme, par
exemple un manuel, un article spécialisé ou bien une œuvre littéraire ». Pourtant, alors
que les compétences de réception proposent des descripteurs précis pour certains types
d’écrits (« lire une instruction », « comprendre une correspondance », ou « lire pour
s’informer et discuter »), il n’existe pas de rubrique « comprendre une œuvre de fiction »
ou « une œuvre littéraire » : la littérature lue « sans effort » devient une illustration de
l’aisance acquise aux niveaux avancés (Baptiste, 2011 : 217). Elle manifeste donc
l’acquisition d’une compétence, mais n’appelle pas de descripteurs précis prenant en
compte sa spécificité. La réception du texte littéraire est ainsi amalgamée aux
compétences globales de lecture.
Le CECRL relie la littérature aux niveaux avancés, en distinguant compétences de
réception et de production : accéder aux textes littéraires et en maîtriser certaines formes
manifeste une compétence avancée. Cependant, l’absence de la littérature pour les
niveaux débutants ne signifie pas qu’elle ne doit pas être abordée. Le CECRL n’est pas
exhaustif, et les chapitres consacrés aux échelles de niveaux ont une vocation de
description, non de prescription. Une lecture erronée de l’ouvrage comme méthode peut
donner le sentiment que les auteurs réservent les textes littéraires aux niveaux avancés,
mais ils mettent en garde d’emblée contre une telle approche du CECRL. On doit
comprendre que si l’apprenant est capable de lire un texte littéraire contemporain au
niveau B2, c’est qu’on a préparé cette compétence aux niveaux antérieurs. Avant de
parvenir à une lecture sans effort, il faut avoir familiarisé l’apprenant avec la complexité
des œuvres littéraires. Ainsi, les auteurs invitent indirectement, pour atteindre les
objectifs formulés au niveau B2, à introduire le texte littéraire bien avant ce stade.
Par ailleurs, le texte littéraire est toujours traité comme les autres types de textes, et les
enseignants ne sont pas invités à réfléchir aux particularités d’une lecture littéraire : le
texte littéraire occupe toujours une place inconfortable, non spécifique. C’est aussi le cas
dans les manuels de FLE se réclamant du CECRL et de la perspective actionnelle. Il est à
noter que l’on retrouve les mêmes difficultés pour l’évaluation de la lecture littéraire dans
les enquêtes PISA : on peut émettre l’hypothèse que la complexité des opérations que

84
mettent en œuvre des activités d’interprétation se dérobe pour l’instant à l’élaboration de
descripteurs.
4.1.2. Le texte littéraire pour le FLS dans les publications de la DGESCO
La perspective pour le français langue de scolarisation en France est tout autre : dans
le cadre de l’enseignement primaire et secondaire français, la littérature apparaît comme
un objet central. L’approche de la littérature est proposée dès les premières heures
d’apprentissage du français (Faupin & Théron, 2012 : 8). Cette place s’explique par
l’influence des programmes en français langue maternelle (FLM), pour lesquels les textes
littéraires sont primordiaux. Le français langue seconde est défini par la Direction
générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) comme :
« un domaine pédagogique de transition partant des apprentissages initiaux organisés
selon une démarche caractéristique du FLE (Français Langue Étrangère) pour évoluer
progressivement vers une approche et un traitement des contenus relevant du FLM
(Français Langue Maternelle). L’objectif est en effet de conduire des élèves à intégrer
une classe du cursus ordinaire. »
(DGESCO, 2000 : 20)
C’est donc en lien avec les programmes nationaux que l’enseignant déterminera le
travail sur le littéraire avec pour objectif de parvenir à la compétence de réception
permettant d’intégrer un cours ordinaire. Parce que l’apprentissage de la langue française
obéit aussi à des impératifs culturels, la perspective adoptée est bien différente de celle du
CECRL : il s’agit d’un enseignement d’une langue/culture. Force est de constater que la
littérature regagne une plus large place dès que la dimension fonctionnelle n’est plus
l’objet exclusif de l’apprentissage. Le document-cadre de la DGESCO définit assez
précisément les objectifs culturels assignés au texte littéraire, en favorisant la dimension
comparative et interculturelle :
« La littérature est une des voies d’accès privilégiées à une autre civilisation. Elle
permet d’en saisir de l’intérieur les particularités et la singularité. En comparant les
œuvres de la littérature française à celles des pays d’origine des élèves, on peut fonder
le dialogue interculturel sur des bases plus fermes et mieux distinguer les domaines en
présence. »
(ibid. : 11)
Des exemples précis, concernant les littératures orales française, malinké, peule ou
arabe, viennent illustrer la démarche, en insistant sur les genres du conte, de la fable et de
l’épopée :
« Certaines épopées africaines peuvent ainsi être lues parallèlement à des épopées
médiévales européennes, celle de Soundjata par exemple ; fondateur de l’Empire du
e
Mali au XIII siècle, ou celle de Samba Gueladio Djégui, épopée peule. Une
comparaison de leurs héros avec Roland, Perceval ou Lancelot permet de faire
ressortir le système de valeurs qui organise les conduites de chacun et leurs
ressemblances. Il en est de même des contes, avec notamment Djaha dont les
aventures, connues dans tout le monde arabe, peuvent être lues en comparaison avec
les contes de Perrault, les fables de La Fontaine ou certaines farces du Moyen Âge. »

85
(ibid. : 12)
L’accès à la littérature est aussi un mode d’accès à la littératie, aux connaissances
fondamentales de lecture et écriture. Il s’agit d’exploiter les compétences acquises dans ce
domaine en langue source ou de les renforcer : pour cela, un passage par la langue
première et les livres bilingues est favorisé, dès les débuts de l’apprentissage. L’enseignant
met à disposition des ouvrages en langue source ou dans les deux langues. Le passage par
la langue source a pour objectif de dépasser les freins linguistiques que peuvent
rencontrer les apprenants ; le livre bilingue a fonction d’étayage :
« Les livres en édition bilingue permettent d’introduire la connaissance de la littérature
française et d’éviter de proposer systématiquement aux élèves des sujets enfantins
parce qu’ils sont écrits dans une langue simple. »
(ibid. : 11)
Ainsi, pour ce qui concerne le FLS, la place de la littérature est déterminée par la
nécessaire prise en compte des contenus disciplinaires de l’enseignement primaire et
secondaire.
Les discours institutionnels qui encadrent l’enseignement du FLE et du FLS en France
et en Europe ont donc une approche opposée de la littérature, mentionnée du bout des
lèvres dans un cas, revendiquée fermement dans l’autre. On observe que c’est l’étroitesse
du lien entre langue et culture qui conditionne cette vision : lorsque la langue est avant
tout outil de communication dans une perspective de mobilité professionnelle, la
littérature est reléguée. Lorsque la langue est nécessaire pour l’intégration dans la culture
d’accueil, la littérature redevient un support privilégié de l’apprentissage, parce qu’elle
prend en charge toute la complexité linguistique, sociale, culturelle du français, langue qui
demeure territorialisée : le FLS réintègre ainsi très justement une réalité de la langue que
le CECRL tend à occulter pour les premiers niveaux.
4.2. Les méthodes de FLE des éditeurs français
Les nouvelles méthodes se réclament toutes du CECRL : le discours de l’institution
informe-t-il la place qu’elles accordent à la littérature ? Observer les propositions des
méthodes et manuels ne permet pas de savoir ce qui se joue réellement dans l’espace de
la classe de langue, mais sert à repérer des choix (conscients ou inconscients) qui
répondent aux attentes de la communauté éducative : le manuel a « longtemps constitué
la base principale, la référence des pratiques quotidiennes des enseignants » (Choppin,
1992 : 198). Il est donc un objet pertinent pour repérer certains consensus didactiques.
Pour mettre au jour ces représentations, nous nous appuyons ici sur un corpus de
méthodes récentes d’éditeurs français, largement diffusées à l’étranger, la plupart visant
un public de grands adolescents et d’adultes, et une petite partie un public d’adolescents,
toutes parues entre les années 2000 et 2013.
4.2.1. Présence de la littérature
Sur 55 manuels étudiés, 20 ne font apparaître aucun texte littéraire. La question du
niveau est importante puisque cette omission du littéraire concerne 12 manuels de
niveaux A. Seules deux méthodes font apparaître la littérature à ces niveaux, constituant
ainsi l’exception. La norme est donc de ne pas faire figurer la littérature aux niveaux

86
débutants. Le bagage linguistique est considéré par les auteurs comme insuffisant pour
permettre d’accéder au texte littéraire. Cependant, certains manuels introduisent la
littérature de matière thématique, ou par le biais des éléments liminaires (titres, incipits,
couvertures, illustrations), pour initier à la lecture littéraire dès les premiers niveaux et
familiariser l’apprenant avec des genres, des noms d’auteurs. L’accès à la littérature
semble correspondre au niveau seuil, au B1. En effet, si 9 méthodes sur 18 font
apparaître la littérature dès le niveau A2, elle figure dans tous les manuels à partir du
niveau B1. Les éditeurs ne proposent aucun ouvrage excluant totalement le texte
littéraire, à l’exception d’Agenda (Hachette, 2011), un cas particulier puisqu’il ne
comprend que les niveaux A1 et A2. Cependant, le sentiment de dispersion persiste, une
majorité de manuels faisant apparaître moins de 10 textes littéraires. Sur 55, seuls
18 ouvrages dépassent la dizaine d’occurrences, ce qui laisse apparaître un texte
(groupements de textes et courts extraits compris) par unité, c’est-à-dire par séquence
d’apprentissage. Cette étude du champ éditorial amène une première conclusion : le texte
littéraire reste présent dans les pratiques en FLE, notamment pour les niveaux
intermédiaires et avancés, mais aucune méthode ne se construit plus aujourd’hui contre le
littéraire.
4.2.2. Quel corpus littéraire dans les méthodes aujourd’hui ?
Nous avons recensé 326 textes littéraires dans les 55 volumes consultés. Le genre
dominant est de très loin le récit : il constitue plus de la moitié du corpus (178 textes) et
est présent à tous les niveaux. Vient ensuite la poésie qui, avec 61 textes, est assez
largement représentée dans les niveaux intermédiaires ; ainsi, dans le manuel Écho B1.1
(CLE International, 2010), on en trouve 8 occurrences, alors qu’elle n’apparaît plus ou
peu aux niveaux avancés (aucune occurrence dans Écho B1, 3 occurrences dans
Écho B2). Même chose pour la méthode Campus (CLE International, 2002) ou encore
l’intégralité d’Alter Ego : dans cette dernière méthode, on ne trouve qu’un texte poétique
entre le B2 et le C2 – Alter Ego 4 (Hachette, 2007), Alter Ego 5 (Hachette, 2010) –, alors
qu’au niveau intermédiaire B1 – Alter Ego 3 (Hachette, 2007) –, 3 textes sont proposés.
L’essai est représenté avec 48 textes se concentrant essentiellement au niveau B2 ; le lien
avec la dimension argumentative, prescrite par le CECRL, apparaît très clairement. Le
théâtre vient en dernier avec 39 textes cités.
4.2.2.1.Théâtre, poésie, essai : une représentation figée de la littérature ?
Pour l’ensemble du corpus, le classique et le contemporain sont présents de manière
équilibrée : 141 textes appartiennent au domaine des classiques en tant que textes
reconnus par l’institution scolaire française. Cependant, les auteurs classiques se
restreignent à une poignée de noms, considérés comme représentatifs de la littérature
française, tendant à figer celle-ci autour de quelques figures incontournables. C’est
particulièrement le cas pour les genres de la poésie et du théâtre. Ainsi, pour le domaine
poétique, quatre noms reviennent à cinq reprises, ceux de Baudelaire, d’Apollinaire,
e
d’Hugo et de Verlaine. Pour la poésie antérieure au XIX siècle n’apparaissent que deux
auteurs, Ronsard et La Fontaine. Plus l’on s’éloigne, plus le corpus se réduit. L’on
remarque le même phénomène pour le domaine théâtral, genre également moins

87
représenté : les œuvres classiques sont, plus encore, limitées à quelques noms (Rollinat-
Levasseur, 2014 : 118), voire à un seul, comme s’il s’agissait d’exemplifier l’expression de
« langue de Molière ». Auteurs et éditeurs proposent donc une simplification de la
littérature classique, qui ne vaut que pour quelques noms célèbres, comme si ces textes
avaient pour première valeur d’afficher leur patrimonialité. Les auteurs abordés sont
souvent ceux que les apprenants étrangers (adultes) ont identifiés comme classiques au
cours de leur apprentissage. Un questionnaire effectué de 2011 à 2014 par des étudiants
de didactique de l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 auprès d’apprenants étrangers de
la même université fait apparaître de manière constante ces mêmes noms, avec Hugo en
première position. Ces choix éditoriaux classiques correspondent aux représentations de
la communauté éducative (enseignants, apprenants) sur ce que sont les Lettres françaises,
et sont donc une composante attendue, sans doute incontournable, de la découverte de la
littérature française.
L’intégration de propositions plus novatrices, qui peuvent être perçues comme moins
légitimes par les apprenants, dépend de la curiosité et de la culture des auteurs de
manuels et ne représente que la portion congrue. Ainsi, pour le texte poétique
apparaissent les noms des poétesses québécoises Nicole Brossard (Écho B2) ou
Rita Mestokosho (Version originale 4, Maison des langues, 2012), mais ces propositions
font exception. La poésie et le théâtre, tels que les représentent les manuels, donnent ainsi
une vision figée de la littérature, où l’extrait, isolé de tout contexte et de toute démarche
littéraire, apparaît comme symbole du littéraire. L’essai, pour son versant classique,
illustre encore ce symptôme : hors du domaine contemporain, il se réduit simplement à
trois noms, Hugo, Voltaire et Rousseau, qui apparaissent chacun à deux reprises.
Cependant, les textes classiques ne représentent qu’une minorité de la littérature d’idées,
qui revêt une dimension contemporaine évidente. L’essai est intégré aux manuels pour
présenter les grands questionnements contemporains, notamment autour du
multiculturalisme et des changements de culture. Alors que la place de la francophonie
est extrêmement restreinte (à part Écho B2, Entrée en matière, FLS, et Campus 3 et 4,
dans lesquels figurent 4 ou 5 textes d’auteurs francophones, aucun manuel ne fait
apparaître plus de deux textes d’auteurs francophones), le genre de l’essai fait apparaître
Raphaël Confiant, Nancy Huston, Amin Maalouf pour les Identités meurtrières ou encore
Tahar Ben Jelloun, dont des textes largement diffusés abordent ces questions d’identité
culturelle.
4.2.2.2. Le récit : entre pratiques culturelles et valeur documentaire
Le récit engage une approche plus complexe, qui fait se croiser la littérature comme
pratique culturelle, comme témoignage et comme richesse patrimoniale. La variété des
textes est sans commune mesure, notamment parce que le contemporain et les genres
mineurs sont très largement représentés. Les textes classiques ne constituent plus qu’une
minorité du corpus : sur 173 textes narratifs, 118 ne sont pas des classiques ou sont
contemporains. Le corpus classique est finalement peu présent pour le récit, relativement
à l’approche référentielle, documentaire, de la fiction contemporaine. Il est souvent lié à
un travail sur le patrimoine littéraire français : quelques grandes figures d’écrivains sont

88
abordées par le biais du travail sur la biographie (Camus, Colette, Zola, Hugo et Balzac).
Les manuels n’hésitent pas à rapprocher des textes faisant l’objet d’un large consensus,
comme des extraits du Nobel J.-M. G. Le Clézio, largement entré dans les programmes
de l’enseignement secondaire et déjà familier en tant que classique aux nouvelles
générations d’enseignants, et des succès commerciaux comme Amélie Nothomb,
Bernard Werber, Anna Gavalda ou Marc Levy, peu prisés des institutions littéraires. Il y
a là un refus implicite de hiérarchiser les œuvres culturelles, quitte à écraser l’ensemble de
la production narrative contemporaine. Le récit est ainsi un genre assez représentatif des
tensions et de la vitalité de la littérature actuelle dans les manuels. Le corpus narratif
s’articule autour de trois pôles : patrimoine culturel, document-témoin d’une société et
loisir.
Du côté de la pratique de la lecture, les manuels accordent une place assez large aux
genres mineurs, comme le polar. Plusieurs méthodes proposent des doubles pages ou des
unités centrées sur le récit policier, comme Tout va bien 4 (CLE International, 2006) ou
Écho B2 (pp. 168-171), qui propose un parcours à travers des extraits de romans de
Fred Vargas, Gérard Delteil, Jean-Bernard Pouy, et Tonino Benacquista : l’intitulé de
l’unité signe la dimension loisirs, puisqu’il s’agit d’« Évasion dans les romans policiers ».
On remarque que le prestige des textes choisis ne présume en rien de la qualité de
l’exploitation didactique des textes littéraires. Des textes contemporains, à la langue
accessible, permettent d’accéder aux formes littéraires bien avant les niveaux B2 ou C1.
Une autre approche accorde une large place à l’illusion référentielle propre au genre
romanesque : le texte prend une valeur d’illustration. Le mode d’intégration des
documents favorise l’utilisation du texte littéraire comme échantillon en lien avec un
thème. Les manuels sont en effet structurés autour d’unités longues, juxtaposant
documents et compétences autour d’un domaine très général, dans une approche
globaliste (Beacco, 2007 : 39). Le choix des extraits se fait par rapport à cet ensemble, et
l’insertion est donc la plupart du temps thématique. Ce choix thématique n’est pas anodin
quant à la sélection des activités accompagnant la lecture. En effet, comme le texte
littéraire s’insère en fonction de ce contexte spécifique et non en fonction de critères
littéraires (genre, esthétique…), l’approche des questions de genre ou d’histoire littéraire
devient très coûteuse didactiquement, car elle s’éloigne du cadre posé. Les questionnaires
guident de ce fait vers un commentaire du thème abordé, reliant le texte au thème, dans
une lecture au premier degré. Alter Ego propose ainsi, dans l’unité sur la ville, un texte de
Didier Daeninckx, extrait d’À Louer sans commission, suivi de la consigne suivante : « Ce
texte pourrait-il illustrer la situation du logement dans une grande ville de votre pays ? »
(p. 42). Dans une double page sur la répartition des tâches domestiques selon le genre, un
extrait du roman de Jean-Paul Dubois, Une vie française, présente un narrateur devenu
père au foyer. On retrouve ce même personnage dans Écho B1.1, où il vient illustrer les
« modes de vie des Français », et « le couple en France ». Le récit, surtout contemporain,
est alors considéré comme document : il adhère au réel et est chargé, dans les manuels,
de le représenter. Cette tentation de l’illusion référentielle est l’une des pistes les plus
fréquentées de l’accès à la littérature, et pas seulement dans les manuels, qui ne sont, là

89
encore, que le reflet de pratiques pédagogiques faisant consensus : la fonction
représentative l’emporte plus particulièrement pour le cas de la fiction. Cette approche
fait partie intégrante de la formation des enseignants en langue étrangère : les plans de
formation continue des professeurs étrangers intègrent « des modules dédiés à la
“didactisation” des textes littéraires » (Baptiste, 2011 : 221). Ces approches sont
proposées à partir du niveau intermédiaire essentiellement, ou à la fin du niveau A2 : le
recours au récit est rarement présent pour les niveaux débutants. Une progression par
genre et par type d’activité se dessine.
4.2.3. Quelles activités pour le texte littéraire ?
Les textes ne font pas toujours l’objet de propositions d’activités : dans une minorité de
cas, ils sont simplement proposés à la lecture. On peut cependant établir une typologie
des activités récurrentes, et observer la progression esquissée.
4.2.3.1. Lectures à voix haute
Dès les niveaux débutants, la lecture à voix haute, préparée et partagée, est l’une des
activités appliquées au texte littéraire. On observe pour cette pratique une distinction
selon les genres : le poème donne parfois lieu à un travail de compréhension, mais dans
un peu plus de la moitié des occurrences, il est là pour être lu, ou pour être dit à voix
haute. C’est moins flagrant pour les autres genres. Cette approche est tout à fait cohérente
avec la spécificité du genre : il est alors envisagé comme matière sonore, notamment
dans les rubriques « Plaisir de dire » que propose Écho, ou les doubles pages « À lire à
dire », qui figurent dans Ici (dès le niveau A2) ou dans Écho B1. Le texte poétique, parce
qu’il peut être accessible simplement (même si la tâche est éminemment complexe) par la
mise en voix, est perçu comme convenant aux niveaux moins avancés. Cela permet
d’expliquer sa plus grande présence, relativement aux autres genres, dans les niveaux A2
et B1 où il est prépondérant, ce que confirment d’autres études sur des corpus de manuels
(Riquois, 2010 : 249). Lire et dire le poème est ainsi souvent le premier contact de
l’apprenant avec le texte littéraire français et francophone (chapitre 6).
4.2.3.2. Mises en relation
Les manuels proposent aussi d’aborder les textes en les faisant dialoguer avec d’autres
objets : les comprendre devient nécessaire pour accomplir une tâche plus large. Ces
propositions pertinentes peuvent être réexploitées avec un corpus différent, choisi selon
les connaissances de l’enseignant et les centres d’intérêt des apprenants. Le manuel À
propos (PUG, 2005) propose ainsi un travail sur le portrait à la première personne : un
dossier réunit neuf extraits de romans (Giraudoux, Duras, Schéhadé, Japrisot…), qui sont
tous des portraits de personnages et donnent lieu à un travail de repérage (décrire,
caractériser, dire le surnom). La lecture ouvre sur une production écrite. La mise en
relation des textes permet de repérer des régularités, sans passer par une analyse littéraire
difficilement accessible à ce niveau. Ces pages « Portraits » prennent bien en
considération la spécificité du texte littéraire en croisant une notion essentielle du récit et
des outils linguistiques précis, articulés à des actes de langage accessibles au niveau B1
voire A2.
Les mises en relation peuvent aussi rapprocher des médias différents : Studio plus

90
(Didier, 2004 : 141) invite à rapprocher des extraits de l’œuvre de Marguerite Duras avec
des enregistrements audio (chanson, reportage, extrait de film) évoquant ou reprenant
l’un ou l’autre de ses textes. Compréhension orale et écrite se croisent pour faciliter ou
affiner la lecture des textes. Ces pratiques permettent de motiver doublement la lecture
pour l’apprenant : l’exercice de compréhension littérale d’un extrait trouve immédiatement
un objectif plus large, les comparaisons possibles font émerger par contraste le sens ou la
singularité du texte. Cependant, ces mises en relation peuvent aussi, si on se limite aux
consignes proposées, instrumentaliser de manière peu pertinente le texte littéraire :
Bravo 3 (Didier, 2001 : 44) demande d’apparier photos de lieux ou de monuments
parisiens célèbres et poèmes sur Paris : « Lisez rapidement ces poèmes sur Paris et
rendez à chaque poème la photo qui lui correspond ». On voit mal l’intérêt d’une lecture
du « Pont Mirabeau » d’Apollinaire dans ce contexte, puisqu’il suffit à l’apprenant
d’identifier le mot « pont » dans le titre du poème pour effectuer la tâche demandée. Il en
est de même pour le poème de Corinne Albaut intitulé « La tour Eiffel ». Mais la
consigne réduite au minimum n’interdit en rien de développer une approche plus poussée
de ces textes : elle ne constitue, en soi, qu’une première étape, celle des hypothèses
préalables à une lecture du texte. C’est bien à l’enseignant d’amener l’apprenant au-delà de
cette introduction aux textes, en proposant une sensibilisation à la versification, aux
images, ou au rythme poétique, ou encore en faisant lire ou réciter certains des poèmes :
la simple lecture du poème d’Apollinaire permet de travailler l’écart entre le vers et la
syntaxe (« coule la Seine et nos amours »), en passant de l’écrit à l’oral. On pourrait aussi,
par le détour de la mélodie (Léo Ferré, « Le Pont Mirabeau », Paris Canaille, 1953),
mettre en évidence les relations vers-syntaxe sans passer par les outils de la versification.
Le texte littéraire, parce qu’il combine des compétences culturelles, linguistiques, et des
connaissances spécifiques, s’accommode assez mal des consignes très brèves qu’impose la
norme éditoriale : il est fondamental de partir du principe que l’enseignant est, toujours,
implicitement invité à déployer d’autres possibilités, en dehors des consignes apparentes.
4.2.3.3. Exploitation grammaticale
Dans les manuels récents étudiés, l’approche linguistique et grammaticale du texte
semble être devenue largement minoritaire : issue de la tradition de la
grammaire/traduction, développée par la méthodologie active, qui propose une leçon de
grammaire à partir de chaque texte abordé, cette approche tend à oublier les
significations du texte, qui devient un modèle linguistique. Il s’agit de repérer des formes
et de les réemployer à des fins d’appropriation. Le texte est une ressource : il n’est plus là
comme document authentique, discours singulier dont on doit saisir le mode de
communication, mais comme échantillon langagier dont le contexte d’énonciation et les
enjeux importent peu. Si cette approche est désormais rare, on relève pourtant
encore quelques pages où le texte est prétexte : Forum (Hachette, 2000 : 85), dans un
point sur la question du lieu, propose le traitement suivant pour un extrait d’un roman
d’André Chamson, Les Hommes de la route : « Lisez cet extrait d’un texte littéraire et
repérez les prépositions de localisation. En groupe, essayez de dessiner le paysage évoqué,
puis comparez ». La consigne, dans le cadre d’une page sur l’expression du lieu, stérilise

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la lecture du texte en imposant d’abord le repérage des mots outils. Rien n’interdit à
l’enseignant, là encore, de déployer les autres possibilités du texte. Le texte décrit un
village angoissant, empreint d’« une mystérieuse solitude », « bloc vertigineux d’étroitesse
et de silence ». Une légère modification de la consigne peut inviter à s’appuyer non
seulement sur la dimension spatiale, mais aussi sur l’ensemble des éléments de la
description. Le dessin peut devenir alors une manière d’interpréter le texte.
4.2.3.4. Compréhensions du texte : sens littéral et subjectivités
Pour aborder ces textes, le schéma généralement retenu par les manuels observés est
celui de l’approche globale, du niveau A2 au niveau B2 : une approche du texte, entrée en
matière thématique ou par le genre, puis des lectures-balayages amenant à une
compréhension globale. Le questionnaire permet de guider l’apprenant vers une
compréhension littérale du texte, mais s’arrête le plus souvent à ce stade. Les enjeux n’en
sont pas abordés, ni les divers effets de lecture. Ainsi, à propos d’un texte de
Daniel Pennac (Tout va bien 4 : 102), le questionnaire reprend les questions : qui ? quoi ?
quand ? comment ? « Quels sont les personnages qui apparaissent dans cet extrait et
quelle relation ont-ils entre eux… » – la lecture est purement informative. L’extrait est
totalement décontextualisé : figurent seulement le titre, l’auteur, l’éditeur, la couverture,
sans date de publication. Un questionnaire portant sur « À une passante » de Baudelaire
(Tout va bien 3 : 35) demande de définir le thème, de dire ce qui se passe lors de cette
« rencontre », de dire comment le poète transmet son émotion. Ce type de questionnaire
a toujours le même défaut : les connotations, les implicites, les points de vue ne sont pas
envisagés, mettant le texte à plat comme s’il s’agissait d’un texte informatif pur, sans
ironie, parti pris ou polyphonie. Demeure toujours le sentiment d’un manque, sur
plusieurs plans. Henri Besse explique ce qui fait défaut dans ce type d’approche : il
distingue en effet (1988 : 53-62) trois types de sens au sein du texte littéraire : le sens
littéral (ce que le texte dit), le sens signifié (ce qu’a, ou aurait voulu, dire l’auteur) et le
sens évoqué (ce que le texte dit au lecteur). La compréhension de texte, abordée par
l’outillage didactique du FLE communicatif, s’en tient au sens littéral, à un sens objectif
et universel, oubliant les lectures subjectives, qui impliquent de lire l’énonciation de la
subjectivité dans le texte, mais aussi l’ajout d’une autre subjectivité, toujours renouvelée,
celle du lecteur. Ces questionnaires font comme si la seule fonction du texte littéraire était
référentielle. Le décalage entre cette lecture référentielle, littérale, consensuelle, et les
dimensions subjectives de la littérature et de la lecture est à l’origine de ce sentiment de
rester « à côté » du texte. L’approche globale est certes une entrée efficiente : elle peut
être une première entrée dans le texte, aux niveaux A2 ou B1. Mais pour que l’apprenant
s’intéresse à un texte complexe, il faut compléter cette approche, soit par une pratique du
texte (jeu, mise en voix), soit, à partir du niveau B1, par un questionnaire plus adapté.
Les méthodes proposent dès le B1 des questionnaires qui essaient d’ouvrir la lecture au
point de vue du lecteur-apprenant, en lui demandant de verbaliser les sentiments, les
opinions qu’éveille la lecture. Cette approche est essentielle, si l’on fait de la subjectivité
une condition de la lecture littéraire. Mais ces questions, qui prennent la forme de « Que
pensez-vous de ? », « Réagissez ! » ne sont que rarement des questions sur la lecture du

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texte. Souvent, une fois le thème identifié, l’auteur du manuel semble seulement induire
un sujet de discussion à partir du texte. Ainsi, deux textes de Baudelaire (Du vin et du
haschich, quatre vers de « L’Âme du vin » dans Les Fleurs du Mal) donnent lieu à un
questionnaire demandant de citer le texte : « Que dit Baudelaire pour a. faire parler le
vin b. comparer le vin à l’homme ? » Une fois ce travail sur la lettre des textes effectué, le
manuel ouvre sur des débats comme : « Que pensez-vous de la manière dont les Français
dégustent le vin ? » Rien n’est dit ni de Baudelaire, ni des paradis artificiels, ni de
l’« âme » conférée au vin, ni encore de l’ambiguïté des lectures possibles : hédonisme ou
désespoir ? Toute l’ambivalence du texte littéraire est bannie. Les questionnaires glissent
ainsi du sens littéral le plus consensuel à une discussion hors-texte. Les questionnaires
évitent parfois avec grand soin de se confronter à la polysémie du texte littéraire : c’est
donc à l’enseignant de la prendre en charge.
De rares questionnaires prennent en compte ces dimensions, et de manière lisible et
efficace sans passer nécessairement par un métalangage littéraire. On peut ainsi relever
les questions suivantes, qui témoignent du souci accordé aux jeux énonciatifs, au style du
texte ou aux connotations (Alter Ego 4 : 26) : « Faites des hypothèses sur les
circonstances dans lesquelles chaque lettre a été écrite » ou encore « Relevez les mots et
expressions qui expriment le point de vue du narrateur », « soulignez les traits d’ironie »
(ibid. : 33), « relisez la première phrase et la dernière phrase et dites à qui Voltaire
s’adresse en réalité dans cet extrait » (Alors ? B1, Didier, 2007), « Dans ce poème, à
quelles sensations l’amour est-il associé ? », « cherchez d’autres oppositions dans le
texte… » : toutes ces questions permettent de guider l’apprenant vers la lecture de ce qui
ne se donne pas littéralement dans le texte. Cette étape est essentielle pour l’accès aux
textes, dans le cadre d’un travail de compréhension, dès le niveau B1. Des compétences
simples d’analyse littéraire sont convoquées, sans demander aux apprenants d’être des
spécialistes ou d’avoir un niveau avancé.
De la même manière, Alors ? B1 propose à plusieurs reprises des échanges intéressants
à partir des littératures d’origine des apprenants. Cela suppose des compétences littéraires
minimales en langue source, mais permet de construire la lecture des textes
francophones, non pas ex nihilo, mais à partir de la culture littéraire des apprenants.
Ainsi, une promenade de Rousseau (p. 59) amène à cette conclusion : « Lisez le texte à
voix haute. Quel effet produit-il sur vous ? Connaissez-vous des textes de vos littératures
qui ont le même ton ? » Les débats proposés s’appuient tous sur le texte et impliquent de
préciser sa propre lecture : ils n’en font pas un simple prétexte.
4.2.3.5. Productions écrites et orales
Comme le développe plus loin le chapitre 5, le lien entre lecture et écriture est
aujourd’hui bien établi. La lecture des textes aboutit souvent à des propositions de
productions écrites à partir du texte : écrire la suite, imiter. Ces activités demandent une
compréhension du texte, qui sert de point de départ ou de modèle linguistique (au sens de
réservoir de formes et de styles). Par exemple, Tout va bien 3 (p. 123) propose de
prolonger, en suivant une suggestion, une nouvelle de Marie Darrieussecq, Toi et moi en
2030, « Voici une suite possible : “…” Continuez… » L’imitation apparaît dans la

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consigne suivante (Forum 3 : 159) : « À la manière de Vladimir Volkoff, rédigez un texte
dans lequel vous expliquerez pourquoi avoir appris le français a été pour vous une chance
ou une erreur. »
Un autre type de production apparaît fréquemment, à partir du texte, mais sans
interaction avec celui-ci. Des productions orales en groupe-classe sont souvent intégrées
au questionnaire, comme s’il s’agissait d’une étape dans la compréhension du texte, même
si l’activité est à peine apparentée au texte support. Ainsi, à partir d’Un Pedigree de
Patrick Modiano, Alter Ego 4 propose la production orale suivante : « Et vous ?
Connaissez-vous vos origines ? Y attachez-vous beaucoup d’importance ? Choisissez
parmi les éléments suivants, les deux qui vous aident le plus à vous identifier : parents et
grands-parents, groupe, région, pays, langue, culture ». Or, le texte de Modiano évoque
surtout la religion, comme source de discrimination, et les classes sociales, et insiste sur
l’incertitude de l’identité. La production proposée n’interagit donc pas avec le texte. Ce
sont les activités de production qui impliquent une interaction lecture-écriture et
appellent une relecture du texte qui sont le plus pertinentes.
4.2.3.6. Existe-t-il une approche actionnelle de la littérature dans les manuels ?
Les manuels proposent fréquemment, nous l’avons vu, un travail de compréhension des
textes littéraires s’appuyant sur les propositions de l’approche globale, qui réalise une
approche tabulaire et progressive du texte dans laquelle ce dernier n’est généralement pas
envisagé dans sa spécificité (Albert & Souchon, 2000). Cependant, des propositions
existent qui s’efforcent d’aborder la littérature en tant qu’elle est le support d’une action
sociale (Puren, 2006 : 6). Il est important de remarquer que les manuels ne font encore
que s’inspirer des pratiques récurrentes d’un grand nombre d’enseignants pour favoriser
l’accès à la lecture, que ce soit en FLM, FLS ou FLE : la préparation de représentations
théâtrales, de recueils de textes, la mise en place de clubs de lecture ou de lectures
littéraires publiques sont des activités largement partagées. Les manuels qui choisissent
de s’en inspirer n’innovent pas réellement, mais mutualisent et diffusent des pratiques
souvent fécondes. Il en va ainsi du manuel Écho qui fait le choix d’un traitement
spécifique du texte littéraire en l’abordant séparément, précisément en raison de son
inscription dans le cadre théorique de la perspective actionnelle. Les textes ne sont plus
abordés pour leur contenu thématique, mais en lien avec un projet lié à la pratique de la
littérature, à travers ses différents genres, dans le cadre de quatre dossiers qui scandent
les quatre parties du manuel. Le dossier 1, qui vient clore une suite de trois unités
thématiques, est intitulé « Évasion au théâtre » et construit, à partir de trois extraits, un
projet de mise en scène, portant le titre « Cérémonie des Molière » donnant lieu à une
représentation : il s’agit in fine de jouer les scènes et d’élire la meilleure représentation.
Le corpus mélange les époques en associant Molière (Le Bourgeois gentilhomme) et des
pièces contemporaines (Fenwick, Les Palmes de M. Schutz ; Loleh Bellon,
L’Éloignement). Les autres dossiers se centrent sur le roman réaliste, le récital poétique, et
enfin le roman policier.
On observe dans ce cadre une orientation résolument contemporaine et francophone
dans le choix des textes, qui fait aussi la part belle aux écrivaines. Ce n’est pas la

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dimension patrimoniale du littéraire qui importe ici, mais une pratique vivante et sans
complexes de textes qui peuvent aussi bien relever du pur loisir (romans policiers) que
d’un plaisir esthétique et intellectuel exigeant (Nicole Brossard). Les auteurs québécois
(Brossard), antillais (Césaire), sénégalais (Diome) et marocains (Ben Jelloun) sont ici
représentés, ouvrant immédiatement sur un espace littéraire international. Les
questionnaires se détachent du modèle de l’explication de texte pour associer étroitement
la compréhension et la pratique du texte, dans le cadre du projet énoncé. Cependant, ils
s’efforcent de toujours prendre en compte la réception du texte par les apprenants. L’effet
produit par le texte est au cœur de l’approche du littéraire, de sorte qu’il se distingue très
nettement des autres supports proposés. Il s’agit alors de sortir d’habitudes d’analyse et de
lecture renforcées, chez le formateur, par l’approche scolaire et académique du texte
littéraire et, chez l’apprenant, par le cadre des évaluations en compréhension écrite type
DELF, TCF… L’approche du poème de Nicole Brossard « Matin froid de novembre
lumineux » est emblématique de ce parti pris du manuel, qui privilégie un rapport
personnel, esthétique, et souvent ludique, à la littérature : « Les étudiants ferment les
yeux. Le professeur (ou un étudiant) lit le poème de Nicole Brossard en s’arrêtant à
chaque vers. Les étudiants décrivent les images qu’ils voient ». Il s’agit pour l’étudiant de
trouver les mots pour décrire l’émotion esthétique provoquée par le texte.
4.3. La littérature pour le FLE : anthologies littéraires et livres de lecture
Nous avons vu que les manuels témoignent d’un retour du littéraire dans le champ du
FLE accompagné à la fois de la reprise de corpus et d’activités traditionnelles, et
d’activités plus novatrices, en lien avec la perspective actionnelle, et à la faveur desquelles
le corpus se renouvelle. Deux autres phénomènes éditoriaux signent cet intérêt renaissant
pour la littérature : les anthologies littéraires pour le FLE et les livres de lecture en
français facile.
4.3.1. Les manuels de littérature pour le FLE
Au cours des années 2000 sont publiées plusieurs anthologies littéraires pour le FLE :
Littérature progressive du français (CLE International), déclinée en trois niveaux et un
volume consacré aux auteurs francophones, Livres ouverts (PUG, 2008) ou Lectures
d’auteurs (PUG, 2009). À cela s’ajoute un ouvrage à mi-chemin entre l’anthologie
littéraire et les ouvrages en français facile : Littérature en dialogues (CLE International,
2005) qui accompagne de questions des extraits réécrits sous forme de dialogues et
enregistrés sur CD.
4.3.1.1. Le corpus et son organisation
L’étude des six ouvrages spécialisés qui proposent une sélection d’extraits authentiques
pour la classe de FLE montre un éventail un peu plus large d’auteurs : Molière n’est plus
le seul représentant du théâtre. Corneille, Racine, pour son siècle, ou Marivaux, Pagnol,
Anouilh, Beaumarchais, Musset, Ionesco, Beckett et Tremblay apparaissent. Ce genre
demeure cependant le moins représenté. Les poètes choisis sont eux aussi bien plus
variés, qu’il s’agisse d’auteurs classiques (Saint-Amant, Christine de Pisan, Clément
Marot, Marceline Desbordes-Valmore) ou contemporains (Olivier Cadiot,
Nicolas Bouvier) : ces ouvrages suggèrent aux enseignants des auteurs qu’ils ont sans

95
doute déjà croisés, mais pour lesquels ils n’ont pas encore découvert de propositions
didactiques permettant de les intégrer aisément à leur cours. À part l’ouvrage Lecture
d’auteurs, qui propose un choix presque exclusivement hexagonal, et mêlant auteurs
classiques et textes très mineurs (biographies journalistiques…), tous les ouvrages font
une large place aux francophonies : un tiers des textes pour la Littérature en dialogues et
Livres ouverts, 15 % des textes pour la série de Littérature progressive, sans compter le
volume entièrement consacré à ces auteurs, qui propose 66 textes issus de toutes les
littératures francophones, entendues comme œuvres d’auteurs nés hors de la France
hexagonale. Enfin, ces ouvrages n’éludent pas la littérature médiévale et celle de la
Renaissance, qui ne figurent jamais dans les méthodes. Tristan et Iseult, Chrétien de
Troyes ou François Villon sont par exemple abordés. Pourtant, la didactisation éloigne
parfois tant le texte de son origine que l’on se demande ce qui est réellement étudié : la
Littérature en dialogues offre ainsi d’étudier Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de
Troyes, mais dans l’adaptation romancée contemporaine de Xavier de Langlais, elle-
même transposée en dialogue pour le format de l’ouvrage. Autant dire que le texte
original n’est plus qu’un palimpseste.
Livres ouverts ou Littérature progressive de la francophonie proposent du moins dans le
choix du corpus et la présentation des textes, une approche plus personnelle de la
littérature que les ouvrages précédents. L’anthologie Livres ouverts propose ainsi des
groupements de textes autour de thématiques volontairement accessibles : elle se risque à
clore le parcours sur un thème aussi peu valorisé par l’institution que le football, avec des
textes de Camus ou un calligramme de Jean-Noël Blanc. Les thèmes, cependant assez
vagues, rendent difficile la mise en relation des textes choisis. On y retrouve l’arbitraire
un peu léger, la superficialité sans risques des unités thématiques de l’approche globaliste
structurant les méthodes FLE actuelles, mise en évidence par Beacco (2007 : 39). Ainsi,
un groupement autour du corps féminin ne met jamais en question le thème : on ne
trouve nulle problématisation. C’est l’universalité et le caractère consensuel qui prévalent
dans le choix des thèmes. La Littérature progressive de la francophonie, par la pertinence
des groupements, la problématisation qu’elle sous-tend, ouvre au contraire sur une
approche dynamique des textes comme questionnement, autour de catégories non pas
littéraires, mais qui vont de l’intime à l’historique (et l’histoire, dite par la littérature,
relève alors de l’intime). Ainsi, le groupement 2 confronte cinq textes autour du thème
« s’exiler/passer la frontière » : de Christine Arnothy, J’ai quinze ans et je ne veux pas
mourir à Andrée Chedid, L’enfant multiple, Labidi Zineb, Un jour il a fallu partir,
l’apprenant découvre des textes mettant en jeu le déracinement, la migration, ou le
devenir autre. Le groupement « Silences de l’histoire » revient sur la colonisation et
l’esclavage à travers des textes de René Maran, d’Aimé Césaire ou de Raphaël Confiant.
Si les questionnaires demeurent traditionnels, la mise en relation des textes permet une
appropriation progressive des thèmes et des nuances qu’exprime chaque auteur. Le choix
des thèmes, pour la littérature francophone, n’est pas innovant, mais la problématisation
qu’ils mettent en œuvre invite à une approche dynamique de la lecture : les extraits ne
sont plus isolés, la diversité des points de vue permet la diversité des lectures.

96
4.3.1.2. Questionnaires et activités : une approche de type scolaire
Si le corpus abordé est une source riche pour renouveler l’offre littéraire encore
restreinte des manuels, les activités proposées sont assez scolaires, car les manuels
s’inscrivent dans la tradition des anthologies de littérature pour le FLM. Le découpage
par siècle proposé par la Littérature progressive du français s’accompagne de
présentations du contexte historique et culturel qui ne dépareraient pas dans un manuel
FLM de lycée : elles donnent, sous forme de discours didactiques, les courants et genres
littéraires en vogue pour chaque siècle. On observe que les questionnaires, très denses, se
structurent autour de trois moments, qui prennent en compte sens littéral
(compréhension) et sens littéraire (analyse), avant de déboucher sur une production
écrite. Les auteures, sans doute conscientes de la contrainte de codes didactiques et
éditoriaux hérités du FLM, s’efforcent cependant de créer dans ces questionnaires des
espaces où peut s’inscrire une lecture personnelle. Ainsi, les questions de découverte
accordent fréquemment une place aux impressions de lecture : « Quelles sont vos
premières impressions ? » (p. 103), « Lisez le texte, quelle est votre réaction ? Lisez le
poème. Qui parle ? Que comprenez-vous ? » (p. 110), « Que ressentez-vous ? » (p. 113).
Au sein même des questionnaires, existe parfois la possibilité d’une lecture prenant sens
par l’investissement du sujet : ainsi, pour le poème de Léopold Sédar Senghor « Départ »
(pp. 112-113), le questionnaire demande d’expliciter les connotations que le lecteur
amène par sa lecture même : « Qu’évoque pour vous l’expression “d’étranges voyages” ? »
La lourdeur de l’appareillage didactique, même pour le niveau débutant (les
questionnaires sont la plupart du temps plus longs que le texte), montre qu’un étayage
important est nécessaire, car la tâche (arriver à la bonne lecture du texte) est sinon hors
de portée. Les moyens linguistiques présupposés, dont les corrigés donnent un aperçu,
sont bien au-delà des niveaux débutants de sorte que l’approche ne devient pertinente qu’à
partir du B1.
Il semble, comme si le corpus classique inhibait les auteurs de méthodes, ou imposait
certains réflexes didactiques, qu’il faille s’éloigner des textes canoniques de la littérature
française pour que les méthodologues comme les enseignants s’autorisent à s’écarter
d’une analyse scolaire qui ne rencontre que rarement les attentes des apprenants. Pourtant
les textes classiques ne se prêtent pas moins à des approches renouvelées que les textes
contemporains.
4.3.2. Les textes en français facile : des collections littéraires spécifiques
Outre les anthologies littéraires, les principaux éditeurs de FLE proposent aussi des
collections spécialisées, qui s’efforcent de mettre la littérature à la portée des allophones.
Celles-ci, qui rencontrent un succès important, offrent soit des adaptations, dans une
langue simplifiée, de grands classiques de la littérature française, soit des œuvres
originales d’auteurs écrivant spécifiquement pour un public FLE.
Les premiers textes en français simplifié datent de 1969 et s’inspirent des recherches
sur le français fondamental (Collès, 2002 : 402-409) afin d’adapter des romans français
pour les allophones, en réécrivant la version originale du texte selon certains critères :
suppression du lexique n’entrant pas dans le français fondamental, suppression des

97
changements de registres de langue, des emplois connotés du lexique (par exemple, dans
l’Affaire Saint-Fiacre de Georges Simenon : « Combien étaient-ils dans cette réunion
fantomatique de gens mal réveillés ? » devient « Combien étaient-ils sur les bancs de bois
de la vieille église ? »), simplification syntaxique ou encore disparition d’éléments d’ordre
culturel (le jour des Morts devient le 2 novembre). Aujourd’hui, deux collections de
textes en français simplifié sont publiées en France : « Lecture facile » chez Hachette et
« Lectures en français facile » chez CLE International. Elles proposent trois ou quatre
niveaux de difficulté, en fonction du nombre de mots que comportent les textes, de 400 à
plus de 1 700 mots. Les titres proposés visent à faire découvrir de grands classiques de la
littérature française : Madame Bovary de Gustave Flaubert, Le Comte de Monte-Cristo
d’Alexandre Dumas, Le Tartuffe de Molière, ou Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.
Anne-Rosine Delbart (1994 : 133) souligne « le danger de confiner l’apprenant à des
contextes limités et des expressions de base qu’il maîtrise sans l’amener à une
confrontation avec la polysémie des termes », et critique également l’élimination des
références culturelles dans ces versions expurgées. Luc Collès juge, quant à lui, que ces
textes peuvent trouver leur place dans la découverte de la littérature d’expression
française, notamment pour les débutants, tout en soulignant que « plus l’apprenant sera
loin dans son apprentissage de la langue cible, plus le choix devra être orienté vers des
textes littéraires authentiques » (2002 : 409), car la lecture de ces versions simplifiées n’a
que bien peu à voir avec la lecture du texte original.
Des textes originaux figurent dans la collection des éditions Didier « Mondes en VF »
qui propose depuis 2013 des ouvrages de commande, notamment pour les niveaux A2. Il
s’agit de nouvelles courtes ou textes plus longs publiés intégralement. Chez Hachette, la
collection « Lire en français facile » propose également des inédits dès le niveau A1, et
de nombreux ouvrages s’adressent aux enfants ou aux adolescents. Ces œuvres de
commandes ont un statut ambigu, à mi-chemin entre l’œuvre authentique et le texte
fabriqué, et ne sont jamais destinées à un public francophone.
4.4. Les lieux de partage des pratiques pédagogiques
En complément de ces ressources éditoriales, nous avons choisi d’observer deux outils
qui sont, chacun à leur manière, des lieux où les enseignants peuvent trouver matière à
enrichir ou à faire évoluer leurs pratiques : la revue Le français dans le monde, et les
ressources en ligne. Comme les méthodes, ces espaces donnent un aperçu des attentes et
des représentations des professionnels concernant la place de la littérature dans
l’enseignement du FLE.
4.4.2. Le français dans le monde
Émanation de la Fédération internationale des professeurs de français, soutenue par le
ministère français des Affaires étrangères et l’Organisation internationale de la
francophonie, Le français dans le monde s’adresse à la communauté des professeurs de
FLE. La revue mensuelle constitue un outil professionnel diffusé dans une grande partie
du réseau culturel français. Elle met à disposition des ressources pédagogiques avec leurs
pistes d’exploitation (désormais essentiellement sur Internet), des articles d’information
sur la culture française, mais aussi sur le métier et la pédagogie, constituant ainsi un outil

98
d’autoformation. Quelle est la place de la littérature dans cette institution du FLE ?
Depuis 1986, on peut distinguer deux périodes, avec une nette évolution depuis 2000, et
plus encore depuis la nouvelle formule mise en place en 2010. Jusqu’en 2005 environ, on
note la place prépondérante accordée aux dossiers consacrés à la littérature (Gardies,
2009 : 238). On relève ainsi des intitulés de dossiers qui convoquent des auteurs
classiques : « 1802-2002 : Victor Hugo, l’homme qui vit… », « Dumas… Alexandre le
Grand ! » Ce n’est plus le cas par la suite : les dossiers littéraires se font plus rares et
s’intéressent à des auteurs contemporains établis (Le Clézio) ou à découvrir
(Némirovsky). Les grands auteurs classiques ne font plus figure de produit d’appel, en
une de la revue. Les approches sociologique, contemporaine et populaire de la littérature,
déjà présentes avec la large place accordée au roman policier (« Lisez Simenon ! »,
« Destination polar ») ou des questionnements sur les pratiques littéraires (« Les prix
littéraires : une tradition française ») prennent très progressivement l’avantage sur une
conception traditionnelle attachée à la figure de l’auteur. La littérature n’a pas disparu,
mais elle ne prend plus le visage des grandes figures auctoriales, encore très présentes
entre 1986 et 2000. Si la revue évoque Flaubert ou Zola, c’est en lien avec la sortie
d’adaptations cinématographiques. Les pages d’entretiens montrent cependant que la
place accordée à une culture savante demeure importante : la langue française est l’espace
d’expression d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes.
Sur les trois dernières années, à partir de 2010 et de la nouvelle formule proposée
depuis le numéro 268, la focalisation sur l’actualité littéraire et les pratiques de loisir
s’accentue encore. Les références à la littérature classique qui apparaissaient encore dans
les dossiers s’effacent. Les dossiers sont désormais essentiellement thématiques, et
peuvent intégrer des références à la littérature (« Lire numérique » dans le dossier « De la
page à l’écran, l’édition numérique » de septembre-octobre 2010). La variété des auteurs
et des genres présentés s’accroît encore. La part accordée à la francophonie, déjà
conséquente, est bien plus importante que ce que nous avons pu observer dans les
manuels édités en France : elle occupe la moitié des références, avec une rubrique
« Livres de Poche » entièrement consacrée à la francophonie, rédigée par un spécialiste
des littératures francophones, Jean-Louis Joubert. La revue fait également le choix de
faire figurer des textes entiers, majoritairement contemporains, dans des pages intitulées
« Interludes », divisées en trois rubriques : « poésie », « nouvelle » et « BD ». La bande
dessinée traditionnelle et le roman graphique, encore peu pris en compte par l’institution
littéraire, sont ainsi mis sur le même plan que des genres mieux reconnus. Dans les
rubriques « nouvelle » et « poésie », depuis 2010, sur 34 textes, n’apparaissent que cinq
classiques : deux poèmes de Victor Hugo, un de Rimbaud, et des nouvelles de
Maupassant et de Kessel. La rubrique « poésie » propose ainsi des textes de
Jacques Réda, Sony Labou Tansi, Amina Saïd et intègre des usages poétiques de la
langue qui n’appartiennent pas nécessairement au genre poétique comme le slam (Grand
Corps Malade) ou la chanson (Vincent Delerm). La revue adopte donc le parti pris d’un
renouvellement du corpus littéraire abordé : il ne s’agit pas d’intégrer çà et là quelques
noms nouveaux, mais de changer radicalement d’approche. La rubrique « Littérature »,

99
qui présentait des parutions récentes, disparaît pour devenir « mémo/à lire », et intègre
désormais deux encarts consacrés au roman policier et à la science-fiction : le choix
éditorial de supprimer le terme prestigieux de « littérature » va dans le sens d’une dilution
de la culture savante au profit de pratiques de loisirs, qui correspondent mieux aux
pratiques réelles et donc aux attentes supposées des lecteurs.
Ainsi, le corpus de la littérature classique de France, qui constitue, nous l’avons vu, la
majorité du corpus des anthologies pour le FLE proposant une approche scolaire des
textes, est ici réduit à la portion congrue. Disparition de l’auteur, dilution des hiérarchies
évaluatives, ouverture des frontières : le FDLM semble vouloir s’aligner sur les pratiques
de lecture réelles de son lectorat, en rompant d’une certaine manière avec la coloration
élitiste encore attachée à l’enseignement du français à travers la littérature classique et en
modernisant les représentations culturelles associées à cette langue.
4.4.3. Le matériel en ligne
Un inventaire empirique des ressources numériques pour l’enseignement du FLE révèle
l’équilibre précaire de ce domaine : l’espace consacré à la littérature pour le FLE semble
pour l’instant presque vacant, de manière paradoxale puisque les ressources pour la
littérature et le Web du FLM sont tous les deux bien développés, avec des sites
institutionnels, associatifs ou commerciaux de grande qualité, des réseaux sociaux actifs,
et des espaces collaboratifs bien investis. Ainsi, pour l’enseignement des lettres dans le
secondaire, Weblettres, à caractère associatif, est à la fois un portail et un site collaboratif
proposant la mise en ligne et la consultation de ressources très riches, élaborées par les
professeurs membres. Les sites institutionnels comme Eduscol ou les sites du CNDP et
des divers CRDP (réseau SCÉRÉN, désormais CANOPE) sont aussi très présents pour le
FLM. Rien de tel pour la littérature en FLE : la réflexion sur l’exploitation de la
littérature et la mise à disposition d’activités, d’outils ou de scénarios sont rares, d’un
grand conservatisme pédagogique, ou directement importés du FLM, sans didactisation.
Les ressources littéraires sont donc extrêmement riches, mais les pistes d’exploitation
assez peu développées : l’enseignant aguerri de FLE y trouvera un vaste domaine, pourvu
qu’il dispose de méthodes et de connaissances pour les exploiter. L’enseignant débutant,
s’il n’a pas acquis au cours de sa formation de solides bases en littérature et didactique de
la littérature, peut se sentir submergé par la masse des données littéraires.
Dans ce cadre peu structuré, trois objectifs peuvent être définis en fonction du type de
données et d’activités mises à disposition : trouver des ressources, proposer des pistes ou
des activités pour la classe, se former à l’usage du texte en classe de FLE.
Les sites institutionnels comme Franc-parler, site de l’OIF, ou les portails FLE (Le
point du FLE) proposent essentiellement des sitographies renvoyant à des sites de
littérature non spécialisés pour le FLE. Franc-parler offre quatre sitographies pertinentes
pour l’enseignant : « La littérature d’Outre-Mer », « Suivre l’actualité littéraire »,
« Découvrir la littérature d’expression française », « Trouver des textes littéraires sur
(1)
Internet ». Toutes visent à aider l’enseignant à s’orienter sur le Web pour choisir des
textes. Il sera ainsi orienté vers des bibliothèques virtuelles ou banques de textes
littéraires du type Gallica, la bibliothèque électronique du Québec, Wikimedias Commons

100
ou vers des sites-anthologies comme Poésie française. On reconnaît l’extrême utilité de
ces espaces pour des enseignants ne disposant pas d’accès à une bibliothèque
francophone suffisamment fournie. Le numérique met à disposition de tous une infinité
de textes littéraires à même d’enrichir un cours de FLE. Il propose aussi de varier la
modalité de découverte du texte : les sitographies renvoient vers des documents audio
exploitables en classe, par exemple sur le site Bonnes nouvelles. Le travail de préparation
et la réflexion sur la didactisation possible des textes repérés restent alors entiers.
Alors qu’Internet fournit une abondance de documents pour la grammaire, le lexique,
la vie quotidienne ou l’argumentation, les espaces collaboratifs ne fournissent que peu
d’éléments exploitables pour le texte littéraire. Ainsi, sur les 1 500 fiches FLE du site de
partage ISLcollective, où les enseignants peuvent publier le matériel pédagogique qu’ils
ont élaboré, on ne trouve que 15 fiches sur la littérature, soit 1 % seulement. Certains
sites, créés par des enseignants, dans le cadre d’une institution ou individuellement,
fournissent toutefois des éléments de didactisation du texte littéraire. Le premier niveau
de réflexion didactique est la sélection de textes appropriés pour certains niveaux : ainsi,
(2)
le wiki Littérature-fle est-il un choix d’extraits à aborder en cours (chapitre 3.2.4). Le
département FLE de l’université du León en Espagne propose quant à lui un choix de
textes assortis de leur lecture en fichier audio, dans une anthologie sonore pour le FLE.
Ces deux exemples de sélections ne sont assortis d’aucune proposition didactique.
Quelques fiches ou dossiers pédagogiques complets vont plus loin, en détaillant des
activités proposées en classe. Le Cavilam (Plaisir d’apprendre) est l’un des rares espaces à
proposer des ensembles complets autour d’œuvres… mais le choix est assez limité,
puisqu’il ne concerne que deux ouvrages, L’Histoire de Leuk le Lièvre de Léopold Sédar
Senghor et les Fables de la Fontaine. D’autres ne proposent qu’une exploitation
grammaticale sans aucune perspective : on trouve, par exemple, des textes à trous,
comme ce « Liberté » d’Éluard où les articles ont été supprimés et sont à compléter en
(3)
ligne .
Enfin, au contraire, nombre de propositions manifestent une véritable créativité
pédagogique, une réflexion sur les pratiques de classe s’appuyant sur l’expérience de
l’enseignant, et des parcours riches et stimulants dans les univers d’auteurs ou les
pratiques littéraires. On trouvera par exemple, sur le site du CNDP Langues en lignes,
pour le FLES un parcours documentaire portant sur la scène française contemporaine, et
associant textes littéraires, représentations filmées et documents vidéo autour de mises en
scène. Des blogs d’enseignants permettent également de suivre des pratiques de classe.
(4)
Ainsi, le blog de Marie-Hélène Estéoule-Exel , auteur du manuel de littérature pour le
FLE Livres ouverts, expose l’atelier d’écriture qu’elle propose à ses étudiants : textes
déclencheurs, consignes, réalisations, le site devient la trace d’une pratique vivante de la
littérature en classe de langue.
Mais tous ces exemples forment une sorte de galaxie impressionniste des usages du
littéraire en FLE : ils ne permettent pas de valoriser l’approche souvent innovante (car
multimodale, ou par projets) qu’ils contribuent pourtant à faire vivre. Sur les sites de

101
FLM, les outils didactiques sont ceux de l’analyse littéraire, et de l’enseignement de la
littérature selon les programmes du secondaire, avec une approche en termes de genres,
registres et mouvements. Le manque de visibilité des propositions didactiques pertinentes
pour le FLE laisse ainsi une large place à des approches qui ne répondent pas
nécessairement aux besoins des enseignants ou des apprenants. Dans le domaine de la
didactique du FLE, Internet reste donc un espace à investir.
4.5. Perspectives didactiques : pour une approche progressive de la littérature
À travers ce parcours dans les discours officiels, les pratiques éditoriales et les lieux
d’autoformation et d’échanges de pratiques, un état des lieux se dessine, qui montre la
complexité de l’approche littéraire, constamment tiraillée entre des orientations parfois
opposées. Le primat du communicatif valorise en effet une lecture fonctionnelle,
strictement référentielle, du texte ; d’autre part persistent des exploitations grammaticales
qui font du texte un prétexte, tandis que l’analyse littéraire des anthologies de littérature à
destination des apprenants de FLE ne répond pas à leurs besoins, spécialement aux
premiers niveaux. De fait, la principale exigence de la didactique de la littérature en
langue étrangère n’est pas tant la définition d’objectifs ciblés, de compétences critériées
(même si les objectifs sont nécessaires pour que l’apprenant puisse s’approprier son
apprentissage) que la nécessité de construire des dispositifs qui instaurent un temps long
de l’apprentissage. Plutôt que de répondre uniquement à la question « Quelle œuvre pour
quel niveau ? », il faut mettre en place le principe d’une progression qui permette à
l’apprenant d’accéder peu à peu, dans la durée, aux différentes strates du texte littéraire.
L’enseignant est amené alors à se demander : quel type d’exploitation littéraire/d’activité
littéraire peut-on proposer à ce niveau, et comment pourra-t-on la prolonger dans la suite
de l’apprentissage ? Comment introduire dès les premiers temps l’usage souple de la
langue qui mènera à l’aisance que le CECRL identifie dans la lecture littéraire ?
À partir de certaines régularités que nous avons mises au jour, nous proposons des
éléments d’une progression systématique sur lesquels pourraient s’appuyer les
enseignants. Le croisement des activités pédagogiques et des genres littéraires permet en
effet de définir des profils d’activités littéraires s’inscrivant dans la progression
linguistique, afin de rendre la littérature présente à tous les niveaux.
Les premières approches ne sont pas analytiques, mais bien pratiques : la langue est
alors, avant d’être objet de réflexion, essentiellement matière, à dire, à manipuler, ce
qu’encourage la pédagogie de projet promue dans la perspective actionnelle dont rend
compte l’ensemble du chapitre 6. Dès le niveau A1, l’introduction de textes poétiques
brefs invite à des activités de diction, de mémorisation, de manipulation, ou d’écriture à
partir d’unités lexicales. L’approche de la littérature est alors assimilable à un atelier. Il
peut s’agir de reconstituer un poème simple, dont on a mélangé les vers, ou supprimé
certaines rimes, de créer un poème à partir des mots d’un autre poème : ainsi, de la
e
forme du haïku, ou de poètes du XX siècle comme Desnos, Tardieu, Guillevic ou
Prévert. Le texte théâtral, dont la compréhension est éventuellement étayée par les
éléments non verbaux de la représentation, intervient dès le niveau A2 essentiellement
pour être joué. Le roman aussi est introduit comme « matière » : couverture, illustrations,

102
quatrième de couverture, c’est d’abord l’objet livre qui apparaît aux niveaux débutants.
Ainsi que le montre en détail les analyses du chapitre 5, ces ateliers littéraires
introduisent une langue plus souple, à l’extension plus vaste que ce que proposent les
manuels, tout en donnant une relation différente à la langue. Ils peuvent, de plus,
s’inscrire dans une véritable progression linguistique.
Le niveau intermédiaire est celui de l’accès au récit, et in fine au texte long que
constitue le roman. Si les manuels proposent pour le début du niveau B1 des
questionnaires de compréhension, le CECRL note comme descripteur du B2 la lecture de
textes littéraires longs, écrits dans une langue contemporaine : la progression à ce niveau
doit permettre de faire parvenir de ce point de départ à ce point d’arrivée. Au niveau B1,
afin de préparer l’acquisition de cette compétence, sont à favoriser toutes les activités
permettant une lecture éthique et impliquant un jugement du lecteur sur les personnages,
les motifs de l’action. Ce peut être, dans les questionnaires de compréhension, des
questions prenant en compte la réception des textes, mais aussi des groupes de discussion
sur la compréhension d’une nouvelle, des lectures suivies. Les débats interprétatifs et
l’usage du carnet de lecture présentés plus haut (chapitre 2.4.) sont des outils adaptables
pour développer, dès les premières lectures en autonomie, une attitude interprétative et
réflexive.
Les méthodes accordent également une large place à l’essai et à l’argumentation au
niveau B2. La construction d’une approche analytique est plus spécifique aux niveaux
avancés (dès le niveau B2) et aux publics du français sur objectifs universitaires. La
littérature permet aussi d’aborder la description de la langue et de développer le sens
métalinguistique (chapitre 5.3.).
Dans des contextes d’enseignement fortement contraints (cours extensifs de quelques
heures par semaine), l’instauration de rituels de lecture autour d’un genre, ou l’élaboration
de lieux, carnets de lecture, blogs, où l’apprenant pourra manifester son implication dans
la lecture, sont des moyens de contourner les contraintes temporelles. La construction
d’une progression a ainsi pour objectif de mettre en place cette temporalité propre à la
littérature, que la réitération d’exercices trop restreints (commentaire d’extraits, lecture de
textes illustratifs, compréhension de textes isolés) ne permet pas de construire. La
littérature doit être « engrangé[e] dans la mémoire » (Cicurel, 1991b : 127) : elle
demande une approche répétée pour pouvoir, d’une certaine manière, sédimenter, et
nourrir la construction d’un rapport intime à la langue étrangère.
Notes
(1) http://www.francparler-oif.org/pour-la-classe/sitographie-commentee.html
(2) http://litterature-fle.wikispaces.com
(3) http://platea.pntic.mec.es/~cvera/hotpot/liberte.htm
(4) http://nassvet.blog.lemonde.fr

103
CHAPITRE 5
Le rôle de la littérature dans les apprentissages langagiers : de l’écriture
créative à la conscience de la langue
par Auréliane Baptiste,
section 5.2.1. par Donatienne Woerly,
section 5.2.2. par Olivier Lumbroso
Alors que l’approche actionnelle promue par le CECRL ouvre des horizons renouvelés
pour promouvoir en classe des activités autour de la littérature qui se rapprochent le plus
possible d’une lecture réelle et subjective, on peut se demander ce qui fait désormais
obstacle à un appui plus systématique de l’enseignement de la langue sur la littérature. La
sous-utilisation de la littérature est souvent justifiée par la trop grande richesse de la
langue littéraire, qui la rendrait difficile à appréhender. Mais si la langue littéraire paraît
trop riche, c’est en comparaison d’une langue enseignée trop restreinte, même dans une
perspective communicative. Il faut donc changer de regard à la fois sur la langue objet
d’enseignement et sur la langue « de la littérature » pour faire se rencontrer les objectifs.
C’est ce que se propose de faire ce chapitre, en précisant le rapport entre la littérature et
les objectifs d’apprentissage linguistiques et discursifs.
Sont tout d’abord explorées et confrontées différentes pratiques d’écriture à partir de
textes littéraires ou dans une posture littéraire, ainsi que les modalités possibles
d’évaluation correspondantes, en français langue maternelle et en français langue
étrangère. L’analyse de deux ateliers d’écriture menés en classe de FLE s’attache ensuite à
montrer que l’écriture créative permet de s’approprier la langue et d’apprendre à écrire en
acceptant son « interlangue ». Enfin, la conscience de la langue, que la littérature peut
aider à développer, est soulignée : les principes de progression à retenir et les apports
possibles diffèrent à la fois selon les niveaux (débutant à avancé) et selon les activités
langagières (écriture ou lecture), avec une importance croissante accordée aux variations
par rapport à la norme.
5.1. Écriture d’invention, écriture créative : FLM, FLE
Le lien entre les compétences de lecture et d’écriture est un principe aujourd’hui
commun aux didactiques du français langue maternelle et du français langue étrangère
(Houdart-Mérot, 2004 : 5). En français langue maternelle, la lecture de textes littéraires
est introduite, enrichie ou prolongée par une écriture créative dite « d’invention », depuis
l’adoption de nouveaux programmes de Lettres au lycée entre 1999 et 2001 (en classe de
seconde d’abord, puis en classe de première). Claudette Oriol-Boyer, qui a défendu le
décloisonnement entre écriture et lecture dès les années 1990, rappelle lors d’une
conférence dans un établissement de l’académie de Versailles le chemin parcouru dans la
e
discipline Lettres/Français depuis la fin du XIX siècle avec « le remplacement des
pratiques d’écriture d’imitation pratiquée dans les classes de Rhétorique par la
dissertation d’histoire littéraire (sous l’influence de Lanson) », pour situer l’origine de ses
travaux :
« Je me suis vite aperçue que mon savoir-lire reposait pour beaucoup sur ce que
m’avait appris ma pratique d’écriture : ainsi par exemple pouvais-je voir que tel ou tel

104
écrivain réussissait sur des points où j’avais achoppé. J’ai ainsi fait l’hypothèse que pour
(1)
faire progresser les étudiants en lecture, il fallait les faire écrire . » (2000)
Même si le réinvestissement de la lecture interprétative dans l’écriture n’est pas
automatique (Lumbroso, 2009), la relative nouveauté de cet enseignement d’une écriture
d’invention au niveau du lycée a bousculé les « représentations d’un clivage radical entre
écrivains et non-écrivains (experts et non-experts) et [affirmé] la légitimité des élèves à
s’inscrire dans une démarche littéraire » (Penloup, 2005).
Or, la ressemblance entre certains travaux d’écriture créative de manuels de littérature
pour le FLE récents et l’approche qui s’est imposée pendant les vingt dernières années
dans le secondaire en classe de français conduit à s’interroger sur les points communs ou
les échanges possibles. L’écriture de textes de genres non littéraires et non scolaires
comme la lettre ouverte est, par exemple, présente à la fois dans les pratiques de FLE –
tâches classiques de production écrite des examens DELF ou DALF – et de FLM – en
lien, cette fois, avec les textes littéraires. Les prétextes à l’écriture ne sont pas du même
ordre (article de presse, texte littéraire, préface…) et le souci du style n’est évidemment
pas le même dans les deux contextes : le correcteur du DELF ou du DALF ne prête
qu’une attention très relative à certaines caractéristiques formelles qui sont de la première
importance pour le correcteur de l’épreuve de français du baccalauréat, mais il existe bien
des zones de perméabilité qui incitent à explorer de plus près les possibilités de transfert
d’un champ à l’autre.
L’objectif premier reste, certes, en FLM, fort éloigné de la préoccupation d’un
enseignement de la langue comme langue étrangère, puisqu’il s’agit, à travers ce
renouvellement de l’approche de la littérature, de faire mieux lire plus que de faire écrire
de façon créative : vérifier la bonne appropriation de connaissances d’histoire littéraire
sur les genres, les registres et les mouvements littéraires à travers des exercices
d’imitation ou de transformation. Telle est du moins la lecture critique qui a été faite de
ces nouveaux programmes par un certain nombre d’écrivains, de chercheurs, de
formateurs ou d’enseignants, à l’occasion des très vifs débats du début des années 2000,
au fil de la parution des programmes et de leurs accompagnements, échelonnée sur
plusieurs rentrées scolaires (Jarrety, 2000 ; Reuter, 2005 ; Le Goff, 2005 ; Daunay &
Denizot, 2003 ; Daunay, 2005). Néanmoins, le bilan de ces nouvelles pratiques de la
littérature en français langue maternelle peut servir d’horizon de réflexion aux
enseignants de FLE qui voudraient se lancer dans des exercices d’écriture impliquant le
scripteur, à partir de lectures de textes littéraires, tant il est important de commencer par
se demander quels objectifs dominent : former ? Évaluer ? Des connaissances ?
Lesquelles ? Des compétences ? Lesquelles ? L’écriture créative, en FLE, peut être
pratiquée à tout niveau, mais pas avec le même type de consignes ni avec le même type
d’objectifs. Près de trente ans après la parution de Jeu, langage et créativité de Jean-
Marc Caré et Francis Debyser (chapitre 1.5.), deux grands types d’approches nous
semblent dominer aujourd’hui le paysage pédagogique (qu’il soit de l’ordre des
recommandations, ou effectif), autour d’une partition entre la fiction et la poésie.
5.1.1. Autour de la fiction : des exercices canoniques

105
La littérature de fiction, lorsqu’elle est choisie en FLE pour servir de point de départ à
une écriture créative, est exploitée, comme en FLM, à des fins de transformation
(changement de point de vue), d’imitation (du pastiche à la parodie) ou d’amplification.
Mais en FLE, les consignes d’écriture, très proches de celles des lycées français, font
rarement l’objet d’une didactisation. En FLM, cet exercice implique que les textes, avant
d’être traités comme de possibles hypotextes, fassent d’abord l’objet d’un travail d’analyse
approfondie auquel un enseignant de FLE ne peut en aucun cas se livrer. Autrement dit,
il y a une grande différence entre un support envisagé comme simple déclencheur
thématique de production écrite (FLE) et un hypotexte requérant d’être dominé dans sa
forme-sens avant de pouvoir déboucher sur une activité d’écriture visant elle-même à
démontrer la justesse de la lecture initiale (FLM). Avant de s’interroger sur le niveau de
compétence requis en expression écrite pour répondre à une consigne d’écriture
hypertextuelle, il est donc nécessaire de s’assurer de la possibilité d’une lecture efficace du
texte proposé. Le lien entre lecture et écriture exige en effet une réflexion sur les
objectifs, les moyens pédagogiques à mettre en œuvre et le niveau de langue à acquérir au
préalable.
5.1.1.1. Médiations nécessaires en FLE
L’exemple le plus emblématique, peut-être, de ce délicat transfert de démarches du
FLM au FLE, dans des manuels ou fiches pédagogiques récents, est le travail sur le point
de vue narratif. Réécrire un texte littéraire en en changeant le point de vue, en FLM, est
au lycée une activité qui vient couronner l’étude approfondie d’un procédé narratologique
au service de la lecture des œuvres – procédé qui est effectivement d’une grande utilité
lorsqu’il ne devient pas une fin savante en soi. Pouvoir dire « qui parle » et « qui voit » est
une étape incontournable à un moment ou à un autre de l’étude d’une œuvre intégrale
e
(roman réaliste ou naturaliste du XIX siècle, singulièrement) qui aura retenu l’attention
d’une classe pendant au moins trois semaines, à raison de trois ou quatre heures
hebdomadaires. C’est dans ces conditions que sont proposés, en seconde ou en première,
les exercices d’écriture portant sur une modification du point de vue. Or, on trouve dans
nombre de méthodes de FLE, en guise d’activité de production écrite prolongeant la
lecture d’un extrait, des consignes étonnamment proches dans leur formulation, sans que
soit suggérée la manière dont pourraient procéder les apprenants pour mener à bien avec
succès une tâche aussi exigeante que la transposition d’une description en substituant le
point de vue du narrateur ou d’un personnage à un autre. De tels exercices « pour aller
plus loin » figurent en effet souvent en marge de questionnaires de compréhension à
dominante lexicale ou éthique, en guise de prolongement d’une lecture orientée
différemment, et sans explicitation des prérequis. Un tel manque d’appareillage
pédagogique (dans le livre du professeur) laisse supposer que l’enseignant de FLE sait
comment s’y prendre pour guider ses étudiants.
Refuser de limiter la liberté de l’enseignant est compréhensible – mais c’est le livrer à
lui-même et le plonger dans la plus grande perplexité, si sa formation initiale ne l’a pas
familiarisé avec ce type d’analyse des textes, ce qui est possible compte tenu de la grande
diversité des parcours universitaires menant à l’enseignement du FLE, au niveau national

106
et à l’étranger. Une fiche pédagogique disponible sur le site dédié à la collection de livres
de poche « Mondes en VF » semble faciliter à l’enseignant la planification de la séance de
travail prolongeant la lecture d’une nouvelle de Vassilis Alexakis par des apprenants de
niveau B1. Elle suggère de commencer par faire le point sur la notion d’omniscience en
fournissant un mémo notionnel aux apprenants (qui auront pris soin de se déplacer dans
la salle de classe pour changer physiquement de point de vue), avant de laisser
15 minutes pour écrire ; pourtant, la perception directe du point de vue visuel n’est pas la
même chose que la maîtrise de son équivalent discursif. Des étayages seraient sans doute
bienvenus : par exemple, le passage par un extrait filmique ou un premier travail mené
quelques séances en amont autour de deux portraits dissonants entre eux d’un même
personnage, ou de deux descriptions d’une même scène (la bataille de Waterloo racontée
dans La Chartreuse de Parme de Stendhal et dans Les Misérables de Victor Hugo). Un tel
travail d’écriture, potentiellement très riche d’échanges entre petits groupes confrontant
leurs choix (y compris grammaticaux : restriction, modalisation, etc.), est envisageable à
partir du niveau B2.
Le même type d’interrogation peut être formulé à propos des suggestions d’écriture de
pastiches. Marie-Claude Albert et Marc Souchon (2000 : 166-167) retiennent l’idée de
faire décrire un lieu fermé comme le fait Alain Robbe-Grillet dans La Jalousie : mais
comment y venir (du côté de l’enseignant) ? Et comment y parvenir (du côté de
l’apprenant) ? Cette fois, c’est peut-être plutôt le passage par une étape de croquis qui
pourrait venir s’insérer, pour des apprenants de niveau C1, entre la lecture et l’écriture :
dessiner ce qu’on lit pour comprendre que la description, en apparence réaliste, est trop
méticuleuse pour pouvoir renvoyer à une vision « réelle », et mettre en relation cette
déformation avec un observateur singulier.
Parmi les nombreuses variantes de l’écriture à partir d’un hypotexte littéraire, la
formule de l’amplification, qui rencontre un grand succès dans l’enseignement du français
au lycée, s’impose-t-elle plus immédiatement en FLE ? La présence en est, en tout cas,
bien attestée dans les manuels qui tentent de renouveler l’intégration de la littérature dans
l’enseignement de la langue en gardant le cap de la priorité communicative.
Les propositions d’écriture d’amplification se situent dans un traitement des textes au
premier degré. Écrire le dialogue d’une entrevue entre des personnages dont un
romancier a choisi de ne pas donner la teneur, voire d’une entrevue qui n’a pas eu lieu,
mais qui aurait pu être narrée, autrement dit combler les blancs d’un récit (ou d’une pièce
de théâtre) présente un intérêt en termes de motivation et d’entraînement à la production
écrite. L’équilibre n’est pas facile à trouver, pour que cela ne se fasse pas au détriment
d’une réflexion sur les effets (sinon les intentions) de structure, de construction des
personnages de fiction ou de référentialité. Supprimer les ellipses déplace d’une certaine
manière l’intérêt des lecteurs de la narration à l’histoire narrée. Mais l’entrée dans les
œuvres s’en trouve, de fait, grandement facilitée.
En FLE, les consignes de production écrite usuelles, dès les premiers niveaux, invitent
le scripteur à jouer un rôle et à adopter une énonciation fictive, notamment pour
répondre à un destinataire imaginaire (avec un canevas d’actes de parole à respecter, en

107
fonction d’un message initial ou simplement en suivant les spécifications de la consigne) :
« Vous avez reçu cette lettre. Vous répondez à X pour lui déconseiller de… » Aussi peut-
il sembler naturel de passer de la fausse correspondance personnelle à la correspondance
fictionnelle pour prolonger la lecture d’une œuvre littéraire : certains enseignants
justifient l’intégration de la littérature dans leurs cours par une sorte de ressemblance
entre les écrits communicatifs pratiqués d’habitude et les occasions d’écriture à partir
d’une œuvre. Cela peut prendre sens dans des cas particuliers où l’écriture est étroitement
intégrée à la lecture, comme dans l’exemple de « La Boîte aux lettres » d’Agota Kristof
présenté chapitre 2.4.
Enfin, outre la question des connaissances littéraires (nécessaires ou non) et du niveau
de langue requis par tel ou tel exercice, il semble nécessaire d’aborder les travaux de
réécriture en FLE sans omettre le cadre interculturel. Si le pastiche relève plutôt de
l’hommage et peut être vu comme un geste d’admiration, le traitement parodique des
textes littéraires ne va pas de soi pour nombre de cultures non occidentales où
l’irrévérence publique est impensable. Il en va tout autrement, aujourd’hui, des élèves du
secondaire français qui, dès les albums présents dans les classes de l’école maternelle, ont
le plus souvent été habitués à voir détournés les classiques de la littérature enfantine ; ils
ont également baigné, comme spectateurs, dans la veine burlesque qui parcourt toute une
partie de la production cinématographique américaine (mais qui n’a pas la même
audience partout dans le monde). Il convient donc d’en mesurer les points de résistance
potentiels, avant d’adopter ce type d’approche des travaux d’écriture en classe de FLE.
Sensibiliser les apprenants à une forme culturellement très vigoureuse dans la création
contemporaine et les médias peut alors devenir l’un des objectifs de l’activité d’écriture.
Quelles autres propositions d’écriture peut-on indiquer, dans cette perspective, pour le
cours de FLE ?
5.1.1.2. Transpositions et traductions
Si la rencontre de personnages que l’auteur n’avait pas fait se rencontrer, ajoutée en
post-scriptum à une œuvre, peut relever de l’artifice, il faut toutefois nuancer : ce genre
d’hypothèse créative, replacé dans le double contexte des théories littéraires tournées vers
les lecteurs et d’un engouement accru de publics divers pour la « transfictionnalité », peut
justifier qu’on s’y arrête en FLE. Richard Saint-Gelais, dans la lignée des travaux de
Gérard Genette autour de l’intertextualité, a récemment montré la tendance actuelle à une
« transgression de la clôture de l’œuvre » (2012), qu’on peut certes faire remonter au
Moyen Âge et à ses grands cycles romanesques, voire à l’Antiquité, mais que la
multimodalité revivifie et amène à toucher de plus en plus de récepteurs. L’expansion et,
parfois, la contradiction délibérée des œuvres dans de nouveaux textes correspondent
ainsi à une tendance dont le succès n’est pas uniquement commercial. Saint-Gelais
évoque par exemple les nombreuses expansions qu’a connues Madame Bovary à partir
des années 1980.
Plus généralement, le principe de faire adopter en classe des démarches qui fassent
écho à des préoccupations artistiques très contemporaines pourrait être une manière aussi
légitime que motivante de donner une place à la littérature en FLE. L’apprenant « acteur

108
social » peut trouver du sens à une pratique d’écriture littéraire « authentique » au sens où
elle s’inspire d’une tendance de la littérature vivante.
La transposition dans un autre lieu ou à une autre époque, envisageable à partir des
niveaux intermédiaires et intéressante jusqu’aux niveaux avancés, a toute sa place dans un
enseignement de langue/culture puisqu’elle permet, au fil de la recherche d’équivalents
culturels, de cerner de façon progressive et collective ce qui pourrait être délicat à
appréhender. Fabienne Jacob, dont l’atelier d’écriture est analysé un peu plus loin dans le
présent chapitre, propose ainsi à ses étudiants de réécrire pour 2013 la description du
personnage d’Arielle dans la nouvelle du même nom de Béatrix Beck, parue en 1996.
A fortiori, lorsque l’homogénéité linguistique d’un groupe d’apprenants (et de son
enseignant) le permet, la traduction, à partir du niveau B2, peut être une approche de la
littérature fructueuse en FLE, si on l’envisage comme une forme de réécriture. Comme le
rappelle en effet Houdart-Mérot, « techniquement, la traduction mobilise les mêmes
opérations que la réécriture (substitution, ajouts, suppressions, déplacements, etc.) »
(2004 : 78). Dans le cas d’un groupe d’apprenants sans autre langue commune que le
français, on peut imaginer que la traduction soit un levier pour entrer dans la relecture
commune d’un passage, et notamment d’une description difficile à appréhender seul, sans
étayage, quitte à ce que chacun en vienne assez rapidement à prendre connaissance d’une
traduction éditée dans sa langue (lorsque c’est possible) pour pouvoir confronter ses
impressions sur le texte en français à celles des autres lecteurs.
Dans tous les cas, il est probable qu’en proposant des exercices de réécriture aux
apprenants, adolescents ou adultes non spécialisés dans des études littéraires, l’enseignant
de FLE fasse appel à des attitudes de lecteur-scripteur encore jamais (ou presque)
mobilisées dans la langue maternelle, et qu’il s’agira donc de développer directement dans
la langue cible.
5.1.2. Succès des lectures-écritures ludiques
Un autre type d’approche, rattaché à d’autres types de corpus, est depuis quelques
années devenu un classique de l’écriture créative en FLE. Il s’agit de s’adonner, sans
arrière-pensée, au plaisir ludique de l’imitation de textes poétiques courts dans lesquels
domine la dimension de jeu avec la langue ou avec les codes de certains genres discursifs.
Moins représentées dans les manuels de Lettres pour les lycées français, du fait des
mouvements littéraires ou périodes aux programmes et de l’orientation argumentative de
l’écriture d’invention, ces propositions liant consigne et corpus croisent néanmoins le
FLM, même s’il s’agit cette fois du terrain des ateliers d’écriture et non de la didactique.
C’est que l’émergence même des ateliers d’écriture, en France, a historiquement à voir
avec certaines expérimentations de poètes et de confréries poétiques (Massol, 2008 : 12).
5.1.2.1. Jeux poétiques élémentaires
Presque tous compris entre 1915 et 1970, ces poèmes pris comme hypotextes sont,
dans les ouvrages de FLE, ramenés à Prévert et Queneau quasi exclusivement. Ou plutôt,
à un tout petit nombre de textes de Prévert et de Queneau, avec une récurrence marquée
de certains en particulier (« Cortège », « Inventaire », avec leurs fameuses énumérations,
« Art poétique »), dont la simplicité linguistique (lexicale, syntaxique et/ou verbale)

109
semble les indiquer tout naturellement à une approche de la littérature dès le niveau A1,
c’est-à-dire à un niveau où il n’est pas envisageable de planifier de lectures longues ni de
réécritures plus ambitieuses que la reprise de structures, puisque la familiarisation avec la
langue étrangère commence par la mémorisation, et la production quasiment à
l’identique, d’un petit nombre d’énoncés minimaux. L’« Inventaire » est d’ailleurs
volontiers limité à ses tout premiers mots :
« Une pierre
deux maisons
trois ruines
quatre fossoyeurs
un jardin
des fleurs
un raton laveur […] »
Si le caractère élémentaire de la forme n’est pas forcément le signe d’une évidence et
d’une accessibilité immédiate du sens, on comprend néanmoins que ces textes à
dominante nominale séduisent, car ils sont effectivement adaptés, du point de vue
syntaxique, aux débutants : présent de l’indicatif, phrases canoniques sujet-verbe-
complément unique ou anaphores, avec parfois une structure cyclique.
À la simplicité s’ajoute en effet, pour le niveau A2, l’attrait de la répétition de
syntagmes susceptibles d’ancrer dans la mémoire des formes de base. Un poème comme
« Déjeuner du matin » de Prévert, avec sa haute teneur en verbes au passé composé, sa
répétition de prépositions à la même place, d’articles définis, etc., a pu susciter des
(2)
exercices de complétion grammaticale (chapitre 4.5.2.). De la même façon,
« Cortège », qui figure dans la Petite Fabrique de littérature, favorite des bibliographies
FLM et FLE, est vu en FLM, à l’école primaire ou au collège, comme une aubaine pour
(3)
la révision des compléments de nom (SCÉRÉN-CNDP, 2001 ).
5.1.2.2. Formes à contraintes et parodies
Les formes à contraintes (acrostiches, calligrammes…) sont elles aussi volontiers
convoquées en FLE, jusqu’au niveau B1, pour des exercices d’imitation, car l’immédiateté
du procédé, qui ne demande pas de passer par une analyse complexe, est un argument
lorsque les ressources linguistiques manquent aux apprenants pour parler des textes.
Dans ce cadre, la lecture initiale s’en tient à la surface des textes ; l’accent est mis sur
l’écriture. C’est également le cas avec le sous-corpus ludique des parodies de genres
fonctionnels, très prisé en FLE, mais cette fois le texte déclencheur devient souvent point
d’arrivée, par un détournement du principe didactique qui veut qu’on aille du connu vers
le moins connu, du familier vers le déconcertant.
Un premier choix de textes porte sur des poèmes qui se construisent sur des schémas
stéréotypés aisément reconnaissables, appartenant à des codes socioculturels
habituellement étrangers à la poésie comme l’explique Nathalie Hannecart :
« Dès l’abord, ces textes invitent le lecteur à mobiliser dans sa mémoire les schémas
qui structurent certaines de ses expériences du monde, du quotidien […] : les recettes
de cuisine et les petites annonces, […] la correspondance commerciale, […]

110
(4)
l’inventaire, […] la publicité ou encore […] les jeux de cartes . »
Dans le manuel Livres ouverts, ce type de sélection figure dans un groupement
thématique autour de « la table ». Les corpus s’y élargissent un peu – au poète Norge par
exemple (Les Oignons sont en fleur, 1979) ou à un Michel Butor un peu moins connu du
public que celui des années 1950, mais présent dans les propositions pédagogiques que
l’on peut trouver pour l’école primaire, en FLM :
« Petites annonces
1) Recherche ange voyageur pour liaison stable
2) Propose incendies calibrés
3) Offre métamorphose en toute espèce animale, retour à l’humain garanti
4) Vend mèches toutes nuances
5) Achète ruines ébauches et soupirs
6) Loue temps perdu […] »
(Butor, « Petites annonces », dans Chantier, 1985)
Cette grande convergence entre FLE et FLM se retrouve par exemple dans cette
suggestion, à propos de Queneau (« Pour un art poétique »), pour des élèves de l’école
élémentaire, de commencer par faire « écrire une recette de cuisine, puis [de] la
transformer en gardant la structure et en remplaçant les ingrédients par des éléments de la
langue (phrases, verbes, ponctuation…) » : la consigne se rapproche nettement, en effet,
des tâches créatives proposées en FLE. Dans un deuxième temps, « les élèves […]
(5)
échangent leur production puis on leur donne à lire le texte de Raymond Queneau ».
Outre la prise de conscience de certaines contraintes génériques, la démarche permet la
discussion entre pairs sur les écarts entre les textes de départ (créés) et le texte
« d’arrivée » (celui de Queneau). Ce faisant, on supprime la surprise de la lecture : ces
corpus ludiques, au niveau élémentaire en FLM comme dans les premiers niveaux, en
FLE, peuvent conduire, pour une activité donnée, à faire un choix entre plaisir de
l’écriture et plaisir de la lecture.
5.1.2.3. De l’écriture vers la lecture : la question du sens
Ces propositions, « machines à écrire » (Goldenstein, 1980 : 32) ou « fabriques »
(Duchesne & Leguay, 1984), quel que soit leur intérêt pour favoriser l’écriture, sont, de
fait, marquées par une prise en compte souvent partielle du sens que l’on peut prêter aux
textes. Une telle absence est peut-être regrettable et l’on pourrait le plus souvent la
combler sans ajouter de difficulté supplémentaire. En FLM en effet, ce genre de
réécriture n’est pas envisagé de manière isolée, mais au sein d’un groupement de textes
visant, par exemple, à explorer et comparer différentes affirmations de la modernité.
Cette approche pourrait être reprise en FLE. La confrontation (de fausses recettes, de
petites annonces détournées, etc.) est féconde si elle maintient la singularité de chaque
voix, si l’histoire littéraire, voire l’histoire des arts, n’est pas complètement évacuée.
Exploiter « Pour faire un poème dadaïste » de Tristan Tzara sans le contextualiser pose, à
notre sens, un problème de légitimité de la lecture-écriture : l’écriture créative pratiquée
en classe autorise-t-elle que les hypotextes soient présentés complètement en dehors de
l’œuvre dont ils sont tirés, de leur époque, de leur histoire ? Certes, il est commode de

111
réunir sous l’étiquette commune de « ludique » des textes qui peuvent sembler relever
d’un même esprit (textes poétiques, mais aussi non poétiques, si l’on pense au devenir
pédagogique de certains textes de Georges Perec) ; et il est nécessaire d’aborder le
rapport que la littérature entretient avec les genres sociaux, comme le suggéraient déjà
Albert et Souchon en indiquant l’intérêt des travaux de Mikhaïl Bakhtine pour le FLE
(2000 : 22). Mais comme en FLE, contrairement à la discipline français en FLM, les
textes littéraires sont de fait, dans les manuels, mis sur le même plan que les autres
documents, supports et discours authentiques, l’on risque davantage d’aboutir à un double
nivellement du littéraire (entre auteurs, entre littéraire et non littéraire).
Donner la priorité aux mots ne doit pas conduire à exclure le sens – des textes et de
l’activité – ce que les corpus ludiques, plus que d’autres, peuvent induire. Moins que de
dérive formaliste (Albert & Souchon, 2000 : 61 ; Houdart-Mérot, 2004 : 21), il faut peut-
être parler d’un possible manque à gagner didactique dans la focalisation sur les jeux
oulipiens, tant le rôle de l’enseignant reste important pour que l’écriture ne cesse pas à
peine après avoir été déclenchée. C’est une dimension encore peu présente dans les
méthodes, pourtant conçues pour être utilisées pendant un ou deux semestres de
formation linguistique. La question du réinvestissement d’un travail ponctuel n’est pas
vraiment abordée dans ces ouvrages. Revenir à la lecture après le moment d’écriture,
faire écho à ces exercices, à distance, par d’autres moments d’écriture ou de lecture (à
travers des comparaisons, des relectures ou des variantes du premier écrit proposé),
alterner des activités de type « gammes en vue de l’appropriation de la langue »
(Mangenot, 1997) et des consignes d’écriture orientées vers le destinataire pourraient être
des moyens très simples d’établir une progression dans la durée.
Ainsi, pour inscrire l’activité dans une logique de réinvestissement pédagogique
ultérieur, il ne s’agit pas tant de conduire l’apprenant de plus en plus loin dans la difficulté
d’une contrainte formelle, que de lui permettre de relier les textes et les différents
apprentissages, dans une dynamique raisonnée. L’idée de contrainte, qui a déjà une place
dans la didactique de l’écrit en FLE, gagnerait ainsi à être davantage explorée dans un
continuum d’écrits, plus ou moins créatifs. Les apprenants se voient souvent proposer
d’écrire des textes dont on leur donne, pour les guider, la phrase-amorce ou la conclusion,
ou encore une phrase intermédiaire (rupture narrative ou étape dans un raisonnement
argumentatif). Travailler à partir de textes de Raymond Roussel (Impressions d’Afrique,
1910), ou en suivant une des procédures qu’il a plaisamment décrites – terminer un récit
en reprenant la phrase initiale, mais avec un mot paronyme, ce qui en change totalement
le sens – peut ainsi être l’équivalent créatif de l’entraînement à la production écrite
fonctionnelle. Consigne de production à contrainte et procédé d’écriture à contrainte
peuvent donc s’éclairer mutuellement, en renforçant la cohérence de l’enseignement,
notamment aux yeux des apprenants peu familiers des pratiques de jeu en classe et
possiblement rétifs. D’autres pratiques d’ateliers d’écriture en FLM, telles que le
détournement de citations (citations volontairement trahies en changeant leur contexte),
peuvent aussi être très formatrices en FLE dans la mesure où elles prévoient l’orientation
du sens et obligent à planifier. Il suffirait en fin de compte d’expliciter les points de

112
rencontre didactique pour que ce travail soit intégré à un enseignement concerté.
Certains jeux oulipiens se prêtent, mieux que d’autres, au FLE. Ainsi, avec un groupe
d’apprenants de même langue maternelle, l’exercice de fausse traduction ou traduction
homophonique (Houdart-Mérot, 2004 : 81), ou, dans le cas de langues maternelles
diverses, l’aller-retour entre l’original d’une phrase d’auteur que l’on fait traduire par
chacun dans sa langue avant de la faire retraduire en français. Avec les plus jeunes, on
peut s’inspirer des récits d’une certaine ampleur (album) intégrant une suite de
calembours cohérents, sur des mots usuels, comme le fait avec bonheur l’auteur des
aventures du Prince de Motordu (ibid. : 143) : le lien entre lecture et écriture est ici
évident, la démarche est motivante et la réalisation accessible. C’est bien le
décloisonnement des activités de lecture et d’écriture dans la perspective de la séquence
en français langue maternelle qui peut inspirer l’approche de l’écriture créative en FLE,
avec sans doute une dimension de plaisir et de liberté plus présente, du fait qu’en FLE, la
littérature n’est pas l’objet principal de l’enseignement premier.
Ainsi prise dans une démarche didactique, l’écriture créative est rattachable à une
progression, c’est-à-dire à des objectifs programmés (de lecture, d’écriture, de lecture à
voix haute…) qui appellent, au moins pour une partie d’entre eux, une évaluation.
5.1.3. Évaluation de l’écriture créative en FLE
L’évaluation (qui n’est pas la notation) est bien incontournable parce qu’elle oblige à
placer l’écriture créative dans une logique d’apprentissage et non seulement de libération
ponctuelle de l’expression. Mais que convient-il d’évaluer et à quel moment ?
5.1.3.1. Du texte produit au processus
La didactique du FLE ne dispose pas encore d’analyses d’expériences détaillées à ce
sujet, et nous nous bornons ici à dessiner les grandes lignes de la question, en la
confrontant, lorsque cela semble pertinent, à ce qui se fait en FLM ou à ce qui se fait en
FLE dans le domaine de la production écrite en général.
La didactique du FLM a opéré depuis déjà plus de vingt ans, au niveau de l’école
élémentaire en tout cas, un déplacement du regard de l’évaluateur du texte produit au
processus même qui y conduit. En effet, si l’on n’accorde de valeur qu’au texte, on est
amené à se prononcer sur l’originalité qu’il manifeste, autrement dit sur son caractère
proprement créatif ; la subjectivité du jugement de valeur semble alors inévitable.
L’approche par compétences, ayant eu pour corollaire la généralisation de grilles
d’évaluation critériée, en FLE comme en FLM, pour les écrits autres qu’imaginatifs
d’abord, a pu donner l’impression de résoudre tous les problèmes (Chabanne &
Bucheton, 2002). Ainsi, il suffirait d’identifier un certain nombre de critères
objectivables : ceux-ci s’apparentent alors à des critères de réalisation, comme pour les
tâches de production écrite usuelle, pouvant se limiter à la vérification du respect de la
consigne, ou de contraintes, dans le cas d’une écriture créative sous contrainte – reprise
d’une formule, d’une structure, voire d’un temps verbal, etc. L’intérêt de ce type de grilles
(6)
est également de se prêter facilement à un autocontrôle par l’apprenant lui-même , ou à
une correction entre apprenants. Mais en dépit de l’intérêt de ce type de grilles,
l’enregistrement simple d’une liste de points vérifiés peut avoir des effets pervers en

113
vidant de son sens l’activité même de l’écriture, et en finissant par mettre sur le même
plan des réalisations fort différentes, mais respectant toutes formellement quelques
« critères » (ibid., 2002).
C’est pour contourner la difficulté que l’on en est venu, dans la didactique du FLM, à
préconiser l’attention au processus de l’écriture créative plutôt qu’à son résultat, en même
temps qu’une évaluation formative – et non sommative comme on pouvait la pratiquer
systématiquement au collège, jusque dans les années 1980, et aujourd’hui à l’épreuve
anticipée de français du baccalauréat (Fabé, Vlieghe & Inisan, 2005). Autrement dit, il
est clair pour les didacticiens du FLM que la reprise d’un texte d’invention n’est pas un
mouvement linéaire allant dans le sens d’une amélioration progressive, à chaque étape,
mais une aventure laissant place à des variations significatives (sinon « meilleures ») par
les différences qu’elles sont susceptibles de faire surgir (ibid. : 27).
Ce glissement n’a pour l’instant pas d’équivalent dans la didactique du FLE, où le
paysage est dominé par des évaluations sommatives standardisées qui servent d’horizon à
l’enseignement de la production écrite, quel que soit le niveau de maîtrise visé, et même
dans le cadre de cours intensifs semestriels ou annuels, qui pourraient intégrer avec
souplesse, et donc avec bonheur, cette démarche. En effet, comme en FLM, il peut être
intéressant en FLE de lutter contre deux des dogmes partagés, selon François Le Goff,
par les lycéens français : « un dogme cognitivo-scriptural qui entérine l’idée que la
pensée précède l’écriture et que l’écriture n’est qu’une opération de mise en mots d’un
déjà-là, préconçu intellectuellement » et « un dogme téléologique qui valorise le produit
achevé et moins le processus de génération de l’écriture » (2008 : 30). Ainsi pourrait-on
revaloriser le processus même d’écriture en tant qu’activité créatrice et réflexive (5.2.2.).
Mais peut-on envisager facilement de faire écrire beaucoup (ce qui est en soi un défi,
avant le niveau B2), tout en posant en principe directeur que les états successifs du texte
n’aillent pas forcément en s’améliorant, alors que pour les apprenants, ce qui compte le
plus souvent, c’est la mise au propre de corrections linguistiques ponctuelles de surface,
plus ou moins indépendantes les unes des autres ?
5.1.3.2. L’enseignant lecteur/évaluateur
C’est l’attente principale vis-à-vis de l’enseignant qui se verrait ainsi profondément
bousculée, puisque le changement de regard sur l’écriture a pour corollaire le changement
de posture du maître : non pas (ou non plus seulement) correcteur d’erreurs formelles,
mais lecteur pouvant réagir différemment aux effets d’un texte – anticipés ou non par le
scripteur – selon ses états successifs. La question du geste correcteur est centrale en
FLE : beaucoup pensent la démarche créative en classe vouée à l’échec si le texte doit
revenir couvert de mots soulignés en rouge, et s’interdisent donc explicitement toute
correction. Les plus modérés optent pour un signalement des seules erreurs
grammaticales ayant un impact sur la compréhension. Les formules sont encore
largement à inventer, mais plutôt en essayant de faire coexister le rôle de correcteur et
celui de lecteur authentique. Par ailleurs, les lectures complémentaires par les pairs sont
aisées à mettre en place en FLE, où l’on favorise les interactions horizontales et les
réactions des apprenants aux productions des autres. L’épreuve de la lecture peut alors

114
être vue comme une évaluation authentique.
5.1.3.3. Écriture créative et posture scolaire
Une telle posture de lecteur-évaluateur, pour être efficace tout en gagnant en légitimité,
doit à notre sens s’appuyer sur une progression, faute de quoi l’on ne pourrait parler que
de moments récréatifs d’écriture créative en classe de FLE, et non d’enseignement à
proprement parler. En FLM, la croyance en « l’éducabilité de l’écriture » (Tauveron,
1996 : 192) s’accompagne ainsi de programmes et d’objectifs balisés.
Au-delà des jeux à contraintes, si l’on veut amener les apprenants de FLE à écrire des
récits, par exemple, il faut le leur enseigner, car cela n’a rien de spontané. Se faire conteur
et rapporter une expérience en décrivant éventuellement un lieu ou des personnages
(comme il peut être demandé dans l’épreuve du DELF B1) sont deux mises en œuvre tout
à fait différentes d’actes de parole en apparence ressemblants. La sensibilisation patiente
aux types narratif et descriptif dans un contexte d’écrits faussement personnels ou
faussement imaginatifs et foncièrement scolaires n’est pas immédiatement utile lorsque
l’on passe à une écriture à intention littéraire. Une certaine forme d’introduction,
bienvenue au DELF, deviendra contre-productive (de même qu’en FLM, la référence
scolaire qu’est la dissertation n’est d’aucun secours pour passer, dans l’écriture d’invention,
à une posture d’écrivain). La coexistence dans l’enseignement de l’écriture de deux
régimes de progression est donc un paramètre à prendre en compte, car elle suppose un
effort d’explicitation de l’enseignant.
Or, c’est la manière même de concevoir la progression qui doit sans doute, pour
atteindre le but recherché, être distinguée dans les deux cas. En effet, la décomposition en
objectifs intermédiaires allant du simple au complexe (phrase, paragraphe,
enchaînements, emploi de certains temps du passé, etc.), qui donne des résultats
satisfaisants jusqu’au niveau B2 pour un grand nombre de types d’écrits, paraît moins
pertinente lorsqu’il s’agit de narrer dans une intention littéraire. En premier lieu, parce
qu’il y a un risque de ne jamais avoir le temps de parvenir au stade du tout (le récit
complet), après avoir passé en revue successivement toutes les parties intermédiaires à
maîtriser (Fabé, Vlieghe & Inisan, 2005 : 86) ; et ensuite parce qu’en matière de
narration littéraire, le tout n’est pas égal à la somme des parties (narration, description de
lieu, portrait, dialogue…). Plus réaliste et plus motivante est alors dans ce régime-ci la
démarche inverse, partant « d’un apprentissage complexe (écrire d’abord un récit
complet), quitte à l’étayer par des gammes d’écriture et des exercices d’amélioration »
(ibid. : 87).
Par ailleurs, l’enseignement des types textuels, incontournable pour la lecture comme
pour l’écriture de genres variés, ne s’avère qu’en partie rentable lorsque l’on passe à
l’écriture créative, qui ne se réduit pas à l’application de recettes d’organisation
immuables. On touche là au cœur du paradoxe de l’écriture littéraire en contexte scolaire,
qu’il soit celui du FLE ou du FLM. Peut-être la difficulté est-elle moins grande, toutefois,
en FLE, où l’apprenant n’est pas autant conditionné par un mode de lecture insistant sur
les constantes structurelles des récits, comme c’est le cas au niveau du collège en
particulier. L’injonction scolaire de la complétude et de la « coopération maximale avec le

115
lecteur » (Tauveron, 2002), qui conduit à survaloriser la cohérence et la cohésion dans les
copies, peut aussi finir par aller à l’encontre de la démarche créative. Mais la réflexion sur
la possibilité de concilier conformité à une consigne et écart maîtrisé, et de trouver un
accord sur des critères et des indicateurs d’originalité et de beauté faciliterait la
généralisation de la pratique littéraire dans la didactique de l’écriture (id., 1996 : 197) ;
peut-être cela demande-t-il que l’enseignant puisse s’appuyer autant sur les lectures des
apprenants que sur leur pratique d’écriture individuelle ou collective.
Enfin, de même que, dans les pratiques réelles, l’on ne lit pas la littérature en se
donnant seulement pour objectif de mieux lire, mais aussi pour les émotions qu’elle
suscite en nous et pour ce qu’elle nous apporte, de même en classe de FLE, au-delà d’un
mieux-écrire et d’un mieux-lire, on peut penser l’écriture créative en redonnant sa place
au sujet caché, et parfois nié, dans tout « apprenant »-écrivant. C’est une des lignes
directrices des ateliers d’écriture que nous présentons ci-dessous, animés par deux
écrivains d’approches différentes, mais réunis par la conviction que l’horizon littéraire
permet de laisser au sujet un espace pour s’affirmer dans la langue étrangère, tout en
contribuant à la prise de conscience nécessaire à l’apprentissage linguistique lui-même.
5.2. Écrivains en classe de FLE : enjeux d’une écriture personnelle
Depuis 2009, le diplôme universitaire de langue française (DULF) du département de
didactique du FLE de la Sorbonne Nouvelle propose aux groupes d’étudiants
intermédiaires et avancés des ateliers d’écriture animés par deux écrivains. Il s’agit, en
donnant une large place dans l’offre de formation à une approche créative de la langue,
de permettre à certains étudiants de dépasser des blocages qui peuvent être à l’origine de
grands découragements : après un certain temps en France, arrivés à un niveau seuil qui
leur permet de communiquer efficacement dans la plupart des contextes, ils peuvent
éprouver des difficultés à aller au-delà d’un usage fonctionnel de la langue et à trouver
une intimité avec cette langue que l’enseignement risque de réduire à un outil de
communication.
Deux écrivains ont accepté de collaborer avec l’équipe des enseignants du DULF.
Fabienne Jacob est l’auteure de nouvelles et de romans, dont L’Averse (Gallimard, 2012)
et Mon Âge (Gallimard, 2014). Elle animait depuis plusieurs années des ateliers d’écriture
auprès de publics francophones variés. Le poète luxembourgeois Jean Portante
(Mrs Haroy ou la Mémoire de la baleine, Éd. Phi, 1993 ; Après le tremblement, Le Castor
Astral, 2013) est intervenu auparavant auprès de publics divers, essentiellement
francophones, et en particulier auprès d’adolescents déscolarisés ayant des difficultés
linguistiques.
Au cours de ces ateliers, le statut des auteurs est double : ils sont à la fois praticiens de
la littérature et formateurs en langue, non spécialistes de la didactique, mais appelés à
observer avec vigilance, parfois à corriger la pratique de la langue ou du discours en
français. Aussi, faire un bilan de leurs démarches et de leurs analyses permet-il d’aborder
les rôles que la littérature peut jouer dans l’enseignement-acquisition d’une langue.
Donatienne Woerly présente, dans la section 5.2.1., leurs ateliers d’écriture et ce qui s’y
joue, à partir d’entretiens menés en juin 2013. Olivier Lumbroso s’attache quant à lui,

116
dans la section 5.2.2., à l’atelier de Fabienne Jacob, auquel il a pu assister, pour en
analyser certaines potentialités didactiques. L’approche de l’atelier est profondément liée
au rapport de chacun des deux écrivains à la langue et se différencie du fait même de leur
personnalité, mais leur pratique se rejoint sur plusieurs plans. En particulier, tous deux
insistent sur l’importance du rapport à la culture dans l’appropriation de la langue : la
littérature est pour eux une manière d’en faire l’expérience.
5.2.1. Représentation de soi-même et expression
5.2.1.1. Valoriser l’image de soi en langue étrangère
(7)
« Ils se font eux-mêmes plus petits qu’ils ne sont » : Jean Portante décrit en ces termes
le sentiment d’infériorité qu’il perçoit chez les étudiants en langue étrangère, comme si
l’abandon de la langue maternelle engendrait une minoration du sujet parlant.
Historiquement, en France (contrairement aux États-Unis), les ateliers d’écriture en FLM
ont très vite été, dans une approche psychosociale, une réponse au manque de confiance
en soi ou même d’estime de soi éprouvé par certains publics, dans certains contextes, et
singulièrement en milieu carcéral. Les deux écrivains soulignent cette vertu
émancipatrice : l’atelier d’écriture est extraordinairement valorisant pour un apprenant de
FLE, parce qu’il ouvre des possibilités insoupçonnées dans un domaine encore bien
souvent sacralisé, la littérature, auquel les étudiants n’osent pas se confronter. Si le plus
inaccessible peut devenir terrain de jeu, espace familier, source de plaisir, alors n’en va-t-il
pas de même pour le reste de la langue ? Bien sûr, il ne s’agit pas de faire d’eux des
écrivains : si Portante (lui-même enfant d’immigrés italiens, scolarisé en français dans le
Grand-Duché de Luxembourg) leur parle longuement des exemples d’Adamov, de
Beckett et d’Ionesco, qui ont transformé le paysage théâtral français alors qu’ils venaient
d’une autre langue, il est tout à fait conscient que l’atelier n’a pas pour but de former des
écrivains, mais bien des locuteurs du français. De la même manière, cette pratique ne
suffit pas à l’acquisition de la langue et doit s’appuyer sur d’autres approches. Mais
l’enrichissement culturel, personnel et la confiance en soi que donnent les ateliers
viennent apporter une autre dimension à la maîtrise de la langue : elle n’est plus
seulement un outil, mais devient aussi pour les apprenants un espace de liberté, de
créativité, qui fait partie d’eux-mêmes.
Lire un texte littéraire implique de s’approprier des codes culturels, comme la vie à
l’étranger est faite d’une succession de micro-apprentissages, au gré des interactions
quotidiennes. Si Jean Portante accorde dans son atelier une large place au théâtre, sous la
forme d’un travail au long cours et non de séances isolées, c’est que les conventions de
l’écriture théâtrale, connues pour un certain nombre d’étudiants qui ont ou ont eu accès à
une culture théâtrale occidentale, ne le sont pas de tous, notamment des étudiants
asiatiques. Le rôle de l’enseignant est, en cette situation, de nommer ce qui a été observé
ou mis en pratique par l’étudiant. Avec des étudiants de niveau B2-C1, Jean Portante
imagine un travail sur l’acte I d’une pièce de théâtre : il leur fait lire le début du
Malentendu d’Albert Camus (1944), et les invite à imiter le style de la première scène
pour introduire un travail de longue haleine sur une pièce autour du secret. Cela suppose
de penser à la mise en scène afin de ne pas omettre les indications scéniques : le nom des

117
personnages, la typographie et les didascalies sont donc intégrés par les aller-retour entre
lecture et écriture.
Comme tous les textes écrits dans le cadre de ces séances, le texte théâtral est rendu
public, au moins partiellement, par une lecture à voix haute : il faut alors que l’étudiant
assume son texte et que les autres participants jouent pleinement le rôle du public.
Jean Portante insiste sur la qualité des conditions : l’étudiant doit s’efforcer d’avoir une
certaine « présence scénique », d’investir ce temps de lecture. Il s’agit d’en faire une
« performance », même si cela peut sembler une épreuve. Il y a là, dès la première
lecture, une nécessité pour la suite du travail d’atelier : la publication est à la fois garante
de l’exigence du travail de l’apprenant, qui aura alors à cœur de parfaire son texte, et de la
reconnaissance de son travail.
Chez Fabienne Jacob aussi, le travail sur la confiance suppose la réalisation de quelque
chose de tangible : cela passe non seulement par le discours, mais par la création d’un
objet personnel, un carnet de séjour où l’étudiant conçoit peu à peu un espace
d’expression en langue française. Il s’agit d’abord de rapporter des anecdotes qui rendent
compte d’expériences vécues en France et qui soient dites en français. Fabienne Jacob
insiste sur la possibilité d’illustrer ce carnet, sur la dimension esthétique de l’objet à
créer : dessins, collages, photos, d’autres supports viennent accompagner le récit. L’intérêt
didactique de cet outil, notamment dans sa matérialité même, est analysé en détail dans la
section suivante. Pour laisser les apprenants « s’approprier » cet espace, Fabienne Jacob a
renoncé à la correction linguistique à laquelle ceux-ci sont habitués et l’a remplacée par
des analyses d’erreur ponctuelles, car voir son texte constellé de fautes signalées en rouge
risquerait d’interdire la proximité avec la langue apprise, d’en exhiber le caractère
étranger, délégitimant le recours à cette langue pour dire l’intime.
5.2.1.2. Valoriser les stades provisoires de la langue
La convocation d’un lexique déjà-là, systématiquement pratiquée par les enseignants de
langue comme étape préalable à toute activité de compréhension écrite et, surtout, orale,
parce qu’elle permet de partir de ce qui est familier pour permettre d’aller vers du
nouveau, joue dans ces ateliers un rôle important, car chaque étudiant a son propre
bagage lexical, mais ces mots cohabitent en lui avec les mots de sa langue maternelle et,
éventuellement, des autres langues qu’il connaît ou a commencé à apprendre.
Fabienne Jacob laisse aux étudiants un temps pour constituer un ou plusieurs champs
lexicaux avant de passer à l’écriture : ce travail se fait soit individuellement, soit, plus
fréquemment, en interaction. Ainsi, pour une description métaphorique de camarades de
classe, ils doivent chercher tous les mots associés à un animal. Jean Portante tient, lui, à
entraîner les étudiants loin de leur pratique ordinaire de la langue enseignée et reprend
souvent l’image de Lautréamont pour définir sa manière d’envisager l’atelier : « Dès qu’ils
ont un stock de mots et qu’on les oriente vers un stock qui est le plus loin possible de ce
qu’ils veulent dire (parler de “couteaux”, de “fourchettes” et de “ciseaux” dans un poème
d’amour c’est autre chose que de parler de “cœur de miel”), après ils se rendent compte
qu’ils disent beaucoup plus avec cela. C’est une des règles : garder le parapluie et la
machine à écrire. » Il ne s’agit donc pas d’enrichissement lexical classique par

118
élargissement systématique de l’étendue des mots disponibles, mais bien d’une
exploration, à partir du connu, des effets suscités par les déplacements sémantiques, dans
une logique qui se trouve à l’opposé de l’approche pragmatique de l’enseignement du
lexique en classe de langue.
Jean Portante, de par son itinéraire personnel, fait du contact des langues l’un des
fondements de son intervention, de manière à transformer la représentation de la langue
étrangère des apprenants et de la maîtrise qu’ils en ont. Tout d’abord, le passage à
l’écriture est, en soi, le passage à une langue étrangère. Cette difficulté peut être très
sérieuse y compris dans la langue maternelle. « La langue maternelle, c’est la langue
maternelle de maman, parlée », ce n’est pas la langue écrite qui est le fruit de la
scolarisation, et donc apprise en dehors du contexte familial, à la manière d’une langue
étrangère. Les deux codes sont très différents et la langue parlée reste toujours hors de
portée de l’écriture littéraire, souligne-t-il. « On peut s’en rapprocher comme l’a fait
Céline, comme Queneau, qui essaie de faire de la langue parlée, mais c’est de l’écrit. »
Surtout, un autre élément sur lequel Jean Portante insiste est l’infinie variété des
idiolectes, et la part de subjectivité (au sens informé, modelé par le sujet) qu’il existe dans
chaque discours. La langue n’est pas commune, chacun a la sienne, dit Portante, en
s’inspirant du concept lacanien de « lalangue », chaque idiolecte vu comme une
« malangue ». « Si un étudiant se met à écrire quelque chose d’incompréhensible, c’est sa
malangue. Donc il a sa langue », dit-il. L’écrivain rejoint ainsi intuitivement, de ce point
de vue, le concept d’interlangue, qui permet d’étudier, à partir des réalisations d’un
apprenant, la langue temporaire qui se crée à partir des interférences ou des calques entre
langue source et langue cible. Stade entre deux réalisations de la langue apprise,
l’interlangue est aussi une réalisation individuelle, absolument propre à chaque apprenant.
L’« incompréhensible » – ce qui relève de l’erreur – n’est plus à bannir, mais à intégrer,
comme étape de l’apprentissage, comme moteur de l’acquisition. Jean Portante se sert de
son propre parcours pour inciter les étudiants à mêler les univers de représentations de
leurs langues, à faire de leur français « une langue baleine », métaphore qui apparaît dans
son récit autobiographique Mrs Haroy ou la Mémoire de la baleine. Extérieurement,
formellement, la langue employée est du français, ou ressemble au français comme la
baleine au poisson, mais à l’intérieur, ce sont d’autres langues, d’autres imaginaires qui
respirent, comme les poumons du mammifère-baleine, comme l’italien dans l’écriture de
Portante. Si la forme est française, le jeu des connotations, du rythme, des métaphores
intègre un autre univers linguistique et culturel. Désacraliser, choisir des chemins de
traverse, accepter le nomadisme des mots, le passage d’un milieu à un autre : par le
discours sur la langue et ses représentations, Jean Portante s’efforce de vaincre ce
« complexe d’infériorité a priori » qui habite les apprenants en en montrant le potentiel
créatif et non le manque ou le mal réalisé.
5.2.1.3. Aborder des thèmes peu présents dans les manuels
De quel moi parle-t-on en classe de langue ? De quels êtres ? De quels aspects de la
vie ? Si les approches communicatives ont semblé faire entrer la vie dans la classe de
langue, c’est parfois de manière artificielle. L’atelier d’écriture permet de réintégrer tout

119
un pan de l’individu et de la réalité sociale dans laquelle il est pris.
Au cœur de l’œuvre de Fabienne Jacob, il y a le travail sur le corps et l’intime : ses
ateliers guident les étudiants, si ce n’est vers l’écriture de soi, vers l’ouverture d’espaces
intimes en langue française. Progressivement, certains étudiants glissent vers des choses
très personnelles, « qui vont du côté du journal intime » : mal du pays, déception
amoureuse… Les expériences que l’on dit spontanément en langue maternelle
s’expriment pour la première fois dans la langue apprise. Mais sans chercher à susciter la
confidence, Fabienne Jacob, en partant de sa propre manière d’écrire et en privilégiant
certains auteurs (Béatrix Beck, Annie Ernaux) crée les conditions pour que le discours
puisse s’autorise à s’arrêter sur des objets habituellement non dits en classe : le corps, la
pudeur, la maladie, la honte sociale, la pauvreté, etc. La lecture permet d’aborder les
manières d’être (corps, vêtement, parole) selon les époques, les milieux ou les genres.
Ainsi choisit-elle d’illustrer son travail sur les milieux sociaux français à partir de textes
qui évoquent l’aisance et la honte sociales. Elle confronte un extrait de La Place
d’Annie Ernaux (1983) et le début de la nouvelle « Arielle » de Béatrix Beck tirée du
recueil Prénoms (1996), afin de mettre face à face deux codes sociaux, milieu populaire
et milieu bourgeois, à travers la description des habitus des personnages. Elle demande
aux étudiants de réécrire les textes pour le contexte actuel, en repérant les codes et leur
évolution, à partir de ce qu’ils connaissent de la société française. L’écriture créative
constitue donc la deuxième étape de cet apprentissage du regard.
Sans accorder autant d’importance aux aspects de « civilisation » dans le choix des
textes littéraires qu’il propose, Jean Portante y voit toutefois lui aussi un enjeu
fondamental, qu’il rapproche de la « sensure », la privation de sens que définissait le
poète Bernard Noël en 1975 dans L’Outrage aux mots (rééd. 2011 : 20) : le travail sur
une langue fonctionnelle fait qu’on tend à la réduire à une enveloppe vide, dans laquelle il
n’y a « plus de sens, plus de passé, plus de culture, seulement une coquille vide ». Il s’agit
de redonner à la langue « sa dimension pleine » : de la même manière qu’il est important
d’aider l’apprenant à exprimer sa singularité dans la langue étrangère, il doit aussi avoir
accès à une langue nourrie de subjectivités, de points de vue pluriels. Les textes
permettent, par leur style et la qualité du regard des auteurs choisis, de percevoir des
tensions, des rapports de pouvoir quasi tabous qui ne s’enseignent que rarement dans le
cadre du cours de langue, et qui sont pourtant portés par les mots, leurs connotations.
Une expression personnelle peut donc advenir via le carnet, conçu « vraiment pour eux »,
non pas tant par l’intimité des révélations que par l’authenticité du regard posé sur le
monde (en l’occurrence, la société parisienne contemporaine) et exprimé dans la langue
en cours d’apprentissage. Comment lier ce carnet avec une didactique du processus
d’écriture ? Les pages qui suivent en étudient en détail les modalités et les potentialités.
5.2.2. Didactique des traces écrites préparatoires en classe de FLE : l’exemple du carnet d’anecdotes
À l’heure où la classe de langue intègre de plus en plus souvent le support du blog
(blog collectif d’un groupe ou blogs individuels) comme moyen privilégié de
communication écrite régulière et authentique, ou même d’écriture créative, le choix du
carnet, dont la matérialité même évoque de prime abord l’image de l’écolier ou celle de

120
l’écrivain d’une autre époque, peut surprendre. Pour Fabienne Jacob, il garantit la
spontanéité de l’écriture et de la discussion qui s’ensuit ; observateur de son atelier, nous
souhaitons en montrer l’exploitation possible dans le sens d’un travail de prévision de
l’écriture, dont il recèle la possibilité pédagogique, au-delà de l’objectif premier de
« déblocage ».
5.2.2.1. Faire provision d’anecdotes : entre écriture personnelle et écriture scolaire
Le domaine des « écrits personnels », comme le journal et le carnet, déclinables en
journal d’écriture ou de bord, en carnet de voyage ou de souvenirs, déborde souvent les
murs de la classe, contaminés qu’ils sont par la vie de tous les jours qui nourrit aussi le
journal intime, en même temps qu’ils s’affirment le plus souvent dans leur inachèvement
thématique et formel. Ce sont moins des œuvres closes, fruit de l’imagination, qu’un
ensemble de traces à la première personne, parfois spontanées et peu retouchées, qui
préservent la fraîcheur de l’instant vécu et notre capacité d’étonnement face à l’expérience
du réel brut. L’écrit personnel, rattaché le plus souvent à l’adolescence en tant que
réponse à une « effervescence pulsionnelle » (Chiantaretto, 1996 : 85), à un besoin
d’épanchement du trop-plein expressif, mérite aussi d’être étendu au contexte FLE, tout
en réclamant une réflexion didactique qui l’envisage à la fois comme une aire d’écriture
libératrice, un point de contact réflexif avec les expériences sociales, mais encore comme
le point de départ d’un travail scriptural plus concerté pouvant déboucher sur une écriture
à visée doublement esthétique et interculturelle. L’hypothèse est celle d’un continuum
entre les pratiques d’une écriture « ordinaire » et le cadre scolaire des écritures
« littéraires », entre les pratiques « spontanées » et les pratiques « réflexives », au moyen
du support privilégié que représente le « carnet » (Bishop & Doquet-Lacoste, 2007),
considéré comme une ressource polymorphe et multifonctionnelle, adaptable à des
contextes monolingue ou plurilingue.
C’est ce type de support souple, centré sur le sujet scripteur et alimenté par les
événements du quotidien, que Fabienne Jacob a proposé pendant un semestre à des
apprenants du DULF de niveau B2 : le projet d’écriture a consisté à tenir régulièrement
un « carnet d’anecdotes ». Traditionnellement, l’anecdote correspond au récit court d’un
petit fait curieux, autonome et détachable, propice à la réflexion, susceptible de mettre en
appétit le lecteur de la petite presse : l’anecdote circule et fait parler, se transforme,
devient rumeur et légende. Elle sollicite la complicité ludique de l’anecdotier et du lecteur
amusé (Montandon, 1990).
Dans la classe de FLE conduite par Fabienne Jacob, l’anecdote fait sourire et interroge.
En dépit d’un cadre urbain parisien relativement partagé, la vingtaine de carnets produits
par les étudiants internationaux tournent massivement autour de la mise en scène de la
vie citadine au jour le jour avec son lot de rencontres insolites et de tableaux de la vie des
rues, des transports et des commerces d’autant plus surprenants qu’ils révèlent les écarts
culturels les plus flagrants dans le domaine des mœurs, des manières de vivre et de
parler. Le petit fait vrai, issu de l’immersion sociale de l’étudiant dans un milieu neuf, se
charge de significations ethno-anthropologiques qui invitent à une réflexion de type
interculturel, traitée parfois sous l’angle humoristique, parfois avec un certain

121
détachement, parfois aussi avec empathie, identification et épanchement, car, comme le
souligne Michel de Certeau, « le quotidien, c’est ce qui nous est donné chaque jour (ou
nous vient en partage), ce qui nous presse chaque jour, et même nous opprime, car il y a
une oppression du présent » (1980 : 7). Les variations culturelles autour de l’expression
du Moi et de l’intime peuvent expliquer aussi ces traitements variables des faits sociaux.
L’intérêt majeur réside dans le fait qu’ils soient « intériorisés », c’est-à-dire qu’ils révèlent
une subjectivité à l’œuvre, entre expérience et discours.
Fréquemment, un croquis vient illustrer le fait narré, l’étayer en tant que chose vue et
vécue : le « vieil homme » qui fait la planche dans une piscine tellement longtemps qu’on
le croit mort, la « mère éplorée » qui fait la mendicité dans le métro en tenant dans ses
bras un nourrisson qui s’avère être une poupée déguisée (voir illustration), la coïncidence
improbable de rencontrer le même jour, à deux moments différents, l’ex-président de la
République, Jacques Chirac, entrant et sortant d’un restaurant. Autant de petits mémos
qui s’adjoignent les preuves, indices et autres traces que représentent le ticket de métro,
l’addition du restaurateur, le ticket de cinéma : le carnet de ces chroniques est aussi un
carnet de voyage, dans la ville, dans l’écriture et dans un espace émotionnel matérialisé
par des traces.

Peut-on cependant parler de carnet intime, écrit pour soi ? Du moins, jusqu’à sa lecture
collective en classe qui inaugure un nouveau corps à corps avec les mots de la langue
orale : celle de la mise en voix, de la diffusion au groupe, des débats interactifs entre les

122
pairs, à la fois immergés dans un même espace urbain, mais l’expérimentant de façon
toute personnelle, selon une histoire et une culture distinctes. L’anecdote spontanément
oralisée quitte alors son statut de témoignage écrit pour devenir un outil de travail, dont
Fabienne Jacob va orchestrer la plasticité, le rôle génératif et l’intérêt culturel. En somme,
l’anecdote devient un objet didactique. Un jeu de ping-pong s’organise, qui aborde le texte
lu sous des éclairages multiples et complémentaires permettant à tous de s’approprier le
texte de chacun : ainsi de la Saint-Valentin qui s’éclaire dans sa version japonaise, sud-
américaine, espagnole. De l’anecdotique, on passe sans doute à l’essentiel : le dialogue, de
nature anthropologique, entre des visions de l’homme et du monde ancrées dans des
cultures en synergie.
L’enjeu n’est pas de corriger seulement la diction, l’orthographe, la forme générale,
selon les normes de l’expression française, mais plutôt de construire progressivement la
maîtrise des discours au fil des interactions qui recourent à des formes complémentaires
de savoirs et savoir-faire : la connaissance de la langue sous l’angle morphosyntaxique et
sémantique, les connaissances culturelles objectivant des pratiques, des mœurs et des
évaluations distinctes pour une même situation concrète, les connaissances artistiques
impliquant des formes sensibles de réceptivité. Le propre, le sale, le beau et le laid, le
prescrit et le proscrit circulent dans les positionnements de chaque étudiant, révélant ainsi
la pluralité des systèmes de valeurs qui cohabitent dans le cours.
5.2.2.2. Ni modèles ni points de départ systématiques : des lectures inspirantes
La place du texte lu, dans l’atelier de Fabienne Jacob, est assez éloignée de l’idée que
l’on pourrait se faire de séances inévitablement conçues selon le modèle de la lecture
préalable à l’écriture. Si, de fait, une séance type commence en général par une lecture,
Fabienne Jacob ne fait que rarement écrire un texte qui imiterait directement,
transformerait ou prendrait pour point de départ la lecture du jour.
Le cours de Fabienne Jacob implique un ensemble d’outils qu’il est possible d’examiner
de façon un peu plus théorique et qui s’avèrent transférables à d’autres situations
d’écriture. Notamment, la pratique du « carnet » en tant que genre. Elle mériterait d’être
sans doute plus exploitée dans les classes, dans la mesure où elle développe des situations
d’écriture et des compétences qui tendent à être réduites dans les séances plus classiques
de pratique langagière : rendre plus libre le pilotage des contenus par le scripteur, au sein
d’une énonciation subjective et modalisée qui l’aide à franchir l’angoisse de la page
blanche, un statut d’écrit du quotidien ordinaire et discontinu, qui tend à désacraliser
l’entrée dans l’univers des signes, conçue parfois sur le modèle classique des « grands »
écrivains dont il faudrait imiter le style, enfin un support d’écriture provisionnel, dont la
plasticité peut en faire un objet didactique stimulant, inscrit dans les interactions de la
compréhension et de la production écrites et orales.
En effet, le carnet peut déboucher sur des formes diverses de projets d’écriture : le
carnet d’anecdotes – et plus largement le carnet des choses lues, vues, sues et vécues –
peut constituer un élément de la genèse prérédactionnelle d’un autre texte, comme une
nouvelle ou un conte littéraires, à l’instar des écrivains naturalistes, Daudet ou
Maupassant, ou peut encore dériver de façon plus descriptive vers les petits riens de la

123
vie que mettent en scène les « plaisirs minuscules » d’un Philippe Delerm (Gallimard,
1997) ou « l’autobiographie des objets » d’un François Bon (Le Seuil, 2012), nous livrant
l’un et l’autre leur « parti-pris des choses ». Un détail, un fait divers, une anecdote peuvent
former le point d’origine d’un texte plus élaboré, réaliste, fantastique, policier, étayé par la
lecture des récits de références littéraires (Zola, Buzzati, Poe, Daeninckx…), moins
considérés comme des modèles que comme « des tremplins au désir d’écrire » (Houdart-
Mérot, 2006 : 28). De nombreux manuels de FLE font rédiger, sous la forme d’un jet
unique, des « faits divers », des « anecdotes » et des « brèves » à valeur strictement
informative, dans le cadre de la presse quotidienne et des expériences vécues à l’étranger
par les apprenants : par exemple l’unité « C’est pas moi » du manuel Rond-Point 2 (PUG,
2004), ou le module 4 du manuel Alors ? niveau A2 (Didier, 2007), consacré aux
« Récits ». Il est possible d’orienter ces activités vers une approche littéraire de l’écriture
transformatrice, supposant de développer une séquence articulant la lecture de nouvelles,
d’aborder la construction du récit court à partir du fait brut, de s’interroger sur l’intérêt du
traitement esthétique de l’anecdote, d’intégrer avec souplesse les typologies des textes et
des discours. Aux niveaux B1-B2 du CECRL, une nouvelle comme « En mer », de
Maupassant, où le fait divers palpitant devient le repoussoir du drame plus cruel et secret
d’une trahison fraternelle froide, pourrait bénéficier de ce type d’exploitation qui insiste
sur les processus dynamiques de la réécriture amplificatrice.
Dans tous les cas, il faudrait montrer comment l’événement, initialement consigné dans
le carnet, parce qu’il sera à la fois amplifié par le récit et valorisé par l’expression, peut
toucher au légendaire et à l’universel, à l’ironique et au tragique, faire comprendre, par la
pratique, l’art de l’écrivain à tirer profit d’un potentiel d’instantanés qui évoluent vers un
imaginaire anthropologique et social de l’opinion publique ou vers l’inquiétante étrangeté,
voire le fantastique latent de la vie quotidienne. Autant de perspectives que l’apprenant
peut s’approprier lors d’activités d’écriture qui expérimentent le fragment et le récit
pointilliste de l’anecdote récoltée au fil des jours, car celle-ci recèle en son cœur un
potentiel symbolique à faire germer, au sein d’un projet qui met en avant l’action
scripturale autonomisée par le carnet qui recueille pour mieux se faire cueillir. En effet,
c’est tout l’enjeu des interactions orales encadrées par Fabienne Jacob que de rejouer
l’anecdote sur la scène des imaginaires, des fantasmes et des mythes collectifs, avec un
sens aigu de leur diversité culturelle. En libérant la parole de l’écriture, grâce à la
circulation verbale entre les apprenants, mais encore grâce aux expressions diverses du
visage, des gestes et du corps, grâce aux intonations, scansions et inflexions de la voix qui
font chanter les langues, l’anecdote, passant du scénario au spectacle, se fait l’attracteur
d’autres anecdotes, venues de tous les continents. Ce sont des réseaux d’histoires vécues
qui s’élaborent et, finalement, fabriquent un roman polyphonique, une source
pluriculturelle où chacun vient boire et se nourrir.
5.2.2.3. Posture littéraire et compétence réflexive en FLE
Outil d’une écriture provisionnelle, le carnet peut être aussi l’outil d’un matériau
prévisionnel, d’un vouloir-écrire, qui anticipe sur un projet à venir : les carnets d’écrivains,
comme ceux d’un Flaubert ou d’un Henry James, révèlent ces bribes de scénarios et ces

124
esquisses de personnages, ces fragments de lectures et ces notes d’intention qui peuvent
fleurir ou rester à l’état natif. Le carnet se fait alors davantage réflexif et prospectif. Et
cette réflexivité peut affleurer déjà naturellement dans les planifications des apprenants.
Dans les carnets d’anecdotes des étudiants étrangers de Fabienne Jacob, elle prend la
forme d’autocommentaires spontanés, évaluatifs et prescriptifs : « Je voudrais noter de
bons exemples pour savoir les différences entre les deux pays, comme cela », note cette
étudiante japonaise dans son carnet qui liste ensuite quelques possibilités. Et cette autre
s’adresse à elle-même des autoconsignes d’écriture : « soit objective, soit subjective.
Écrire l’air de la classe ».
Pourquoi ne pas tirer profit de la coprésence dynamique de ces deux formes textuelles,
dont les carnets des apprenants ont fourni des exemples : le texte primitif d’un matériau
(anecdote, fait divers, conte, nouvelle…) puis le métadiscours prescriptif et évaluatif de
ce même élève relatif à son premier texte (autoconsignes, autocommentaires qui
planifient une envie d’écrire) ? Le carnet se fait alors écrit de travail ou « écrit
intermédiaire » servant à résoudre de façon transitoire des problèmes d’écriture, au sens
où l’entendent Dominique Bucheton et Jean-Charles Chabanne (2002), pouvant même
évoluer vers des formes didactisées du « carnet d’écrivain ».
Proposons aux apprenants de développer cette double compétence qui consiste à écrire
et à commenter, quand ils le souhaitent, leur projet d’écriture, afin de verbaliser
explicitement un ensemble de problèmes qu’un scripteur apprenant est susceptible de
rencontrer au cours de son apprentissage, des contenus à l’expression, du déchiffrage à
l’interprétation, du fait de langue au fait de culture. Car, chez l’élève, rares sont les traces,
écrites ou orales, de ce qu’il sait faire et ne sait pas faire, peut ou ne peut pas faire : peu
de témoignages singuliers sur les envies et les difficultés à écrire un projet à l’état natif,
notamment en contexte multiculturel. Dans le contexte du FLE, c’est précisément à cet
endroit que le recours au répertoire linguistique et culturel de la langue première pourrait
servir à formuler des problèmes d’écriture rencontrés dans la langue cible. La pratique
plurilingue, et les activités d’auto/inter-traduction et d’auto/inter-réécriture deviendraient
une stratégie de détour du projet, au moyen de la langue première ou d’une autre langue
mieux maîtrisée, afin de réinvestir la conscience et la compétence scripturales de
l’apprenant, élaborées par ses expériences langagières antérieures. En la matière, celui-ci
ne part pas de rien. Les traces laissées par ce métadiscours réflexif constituent un
indicateur pour l’enseignant, qui voit ainsi s’extérioriser la parole intérieure de l’apprenant
qui raisonne – en croisant éventuellement les langues – sur les formes linguistiques,
textuelles et discursives qu’il manipule lorsqu’il écrit.
On pourrait dès lors penser que le carnet d’anecdotes (ou de portraits, ou de proverbes
réels et inventés, etc.) évolue vers un carnet d’écriture (mono/plurilingue) de ces mêmes
textes, insistant moins sur la matière des anecdotes que sur la manière de les raconter.
Les postures réflexives du scripteur développeraient ainsi des interrogations sur le modus
operandi de l’écriture, propédeutique à une approche problématisée des visées, des
intentions, des formes du texte produit, inscrit parfois dans des processus hypertextuels
(modèle, parodie, pastiche) et métatextuels (commentaire, critique, invention

125
d’intentions). En somme, une entrée progressive dans l’espace d’une écriture « littéraire »,
développant ce que Catherine Tauveron et Pierre Sève ont nommé une « posture
d’auteur » dans le titre même de leur ouvrage (2005).
Cela étant dit, l’entrée dans une écriture littéraire n’engage pas forcément une
programmation préalable, à l’instar de certains écrivains, comme Zola, qui, avant de
rédiger leur brouillon, planifient leur projet au moyen d’écrits divers (ébauche, plan,
dessin, liste…). Ainsi, il existe dans les carnets des étudiants internationaux des îlots
d’écriture littéraire qui mettent l’instantanéité du quotidien à distance en l’esthétisant
« spontanément » au moyen de la métaphore filée :
« Mon pays, c’est comme un sarcophage, il est couché et il est très bien fermé, comme
cela, aucune mauvaise idée ne pourra y entrer. […] À l’intérieur, il y a un cadavre, très
bien habillé et à la dernière mode, tous les bijoux sont là, l’or à l’état naturel. Mais il est
mort depuis longtemps. Là-bas, seulement, habitent les gens qui survivent comme les
vers de Tutankamon, ils sont nés, ils ont mangé et finalement ils sont morts. »
En somme, l’usage du carnet comme outil d’écriture apparaît judicieux à condition de
construire didactiquement ses ressources et ses usages, ses exploitations et ses
prolongements, sans tomber dans les excès de l’expressionnisme subjectiviste et libre,
sans non plus entrer dans un cycle long de réécritures supposant une maîtrise du
brouillon parfois délicate pour les apprenants. C’est tout l’intérêt du cours de
Fabienne Jacob de l’inscrire dans la construction des compétences linguistiques, littéraires
et culturelles des étudiants, avec ce souci d’élaborer une représentation féconde de l’écrit
qui aide au dépassement de la page blanche, notamment dans le contexte d’apprentissage
d’une langue étrangère.
En résumé, le sujet affectif qui transcrit ses sensations et ses émotions urbaines au jour
le jour reste indissociable d’un sujet épistémique qui se construit une connaissance
réflexive sur l’écriture, d’un sujet social en immersion dans un pays inconnu dont il
interroge les manières et les croyances, enfin d’un sujet cognitif qui raisonne et tâtonne
dans la pratique d’une langue et d’une culture nouvelles. Le carnet d’écriture s’inscrit ainsi
dans l’ensemble des productions réflexives aidant l’élève à conscientiser ses propres
démarches d’écriture (cf. portfolio), à enrichir le clavier de ses tactiques et stratégies de
production, des visées en phase avec les orientations du CECRL : faire en sorte que les
apprenants « deviennent de plus en plus conscients de leur manière d’apprendre, des
choix qui leur sont offerts et de ceux qui leur conviennent le mieux » (2001 : 110).
Impliquer toutes les facettes de ce sujet-scripteur, dont l’identité n’est pas un état fixe et
reste en construction, suppose de valoriser à la fois le polymorphisme du carnet (du texte
rédigé et des listes, des glossaires, des schémas, des appréciations, des notations au vol,
etc.), sa multimodalité (donner aux anecdotes une fonction tantôt génétique, poétique,
esthétique, polémique, etc.), sa socialisation interculturelle (le partage des expériences et
des comportements sociaux qui font du carnet un « manuel » de savoir-vivre), et son
potentiel réflexif (l’apprenant objective ses stratégies d’écriture).
L’intérêt d’une telle pratique en FLE, et en contexte plurilingue, réside aussi dans la
façon plurielle d’aborder les questions centrales de l’altérité (ethnographique, sociologique

126
autant que symbolique), de l’identité du sujet, de ses langues et de ses cultures
(comparatisme, analogie, opposition) à travers des énoncés de formes, de statuts et de
significations diversifiés, qui ont tous pour point commun de nourrir ce carnet du
quotidien, ce carnet de travail qui fait de la « culture de l’ordinaire » sa matière première
(Certeau, 1978 : 3-26).
5.3. Éléments pour une progression autour de la variation
Faire intervenir des professionnels de l’écriture dans un cours de langue intensif et
multiculturel permet de donner toute sa place à une lecture authentique, subjective,
ouverte et relativement spontanée, en dehors d’un cadre didactique ou évaluatif trop
contraignant. Une démarche plus formalisée, consciente des enjeux didactiques en lecture
et en écriture (voire en production orale), peut tout autant se justifier : l’enseignant
responsable d’un groupe d’apprenants, qui se fait « animateur » d’atelier d’écriture, a
d’autres atouts, car il peut planifier les activités en résonance avec les différents
apprentissages communicatifs, mais aussi à travers des supports matériels mi-littéraires
mi-scolaires comme le carnet, mettre l’accent sur les aller-retour entre intention et effet,
autrement dit la négociation entre le pensé et le formulé, qui est au cœur de
l’apprentissage d’une langue étrangère.
En donnant une place à l’écriture créative, on met ainsi l’apprenant en situation de
percevoir de manière directe, sous la forme de problèmes à résoudre, cette variation
inscrite dans la langue que l’enseignement communicatif aurait plutôt tendance à aplanir.
Or, l’efficacité communicative ne devrait pas se traduire par une réduction de la langue
objet d’enseignement. Si les énoncés mémorisés caractérisent la maîtrise élémentaire
d’une langue étrangère, justifiant pleinement le recours à la littérature comme mécanisme
de mémorisation (chapitre 6), à partir du niveau B1, ce sont l’étendue et la capacité à
combiner adéquatement les formes familières et nouvelles qui priment. Comment
concilier variation et progression méthodique des apprentissages langagiers ? Et cette
progression peut-elle être parallèle en écriture et en lecture littéraires ?
L’intégration de la littérature en classe, que ce soit à travers l’écriture ou la lecture,
conduit à relativiser l’importance encore souvent accordée à la norme, ou du moins à
l’envisager comme un facteur qui peut être limitant, aussi bien pour l’écriture créative,
pour la lecture des textes littéraires que pour l’écriture fonctionnelle, voire universitaire.
Or, pour pouvoir communiquer de façon de plus en plus adéquate et de plus en plus fine,
il est nécessaire de maîtriser différents types de variations – ce que le texte littéraire met
opportunément en scène.
5.3.1. Difficultés du niveau B1 : le besoin de norme
5.3.1.1. Corrections et acceptabilité
Bien que les connaissances et les compétences élémentaires soient acquises au
niveau B1, l’apprenant a encore besoin prioritairement, à ce stade, de repères stables
avant d’être cognitivement ouvert à une variation généralisée (lexicale, phonétique,
syntaxique). Quelles précautions peut-on imaginer pour que cette priorité de
consolidation de bases grammaticales soit compatible avec la créativité (dans l’écriture) et
la lecture ? Quel discours tenir face à des textes fictivement autobiographiques dans

127
lesquels des apprenants (dont l’enseignant connaîtrait par ailleurs les difficultés avec les
déterminants ou la fonction attribut) affirmeraient, comme les étudiants de
Jean Portante : « Je suis une Lune » ou « Je suis maintenant » ?
Une possibilité serait d’imaginer une progression à deux, voire trois, vitesses : celle de
la lecture, qui autoriserait déjà, à côté de documents fonctionnels en langue standard, des
textes plus variés ; celle de la production écrite fonctionnelle, qui s’en tiendrait à la
systématisation des structures encore en cours d’acquisition et à l’acquisition de nouvelles
structures usuelles ; et celle, bien distincte, de l’écriture créative. Celle-ci, en effet, pour
être intégrée à la progression didactique à ce niveau de compétence intermédiaire sans
aller à l’encontre du but recherché, pourrait servir de lieu d’évaluation intermédiaire.
Laisser écrire des syntagmes tels que ceux cités sans les commenter ne rendrait pas
service à l’apprenant ; les lui interdire au nom de la norme, non plus, puisque l’on a vu
tout l’intérêt de l’écriture créative pour l’appropriation de la langue et la confiance en soi
à développer en langue étrangère. Si l’on ne dit pas à l’apprenant à quelles conditions
(discursives) il peut s’autoriser telle ou telle phrase, on limite aussi, et durablement, sa
compétence à lire des textes littéraires, mais aussi à recevoir toutes sortes de discours
fonctionnels ponctuellement déviants par rapport au français standard des méthodes et
des examens de FLE (publicité, commentaire sportif, etc.).
Reste à envisager une annotation codée minimale qui signale, d’une manière
pragmatique et non stigmatisante, que telle association de mots serait, en français
standard, considérée comme agrammaticale et non acceptable, mais qu’elle peut être
source d’effet poétique et porteuse d’une force émotionnelle la justifiant en contexte
littéraire.
Le lien entre interlangue et créativité (5.2.1.2.), interlangue et écrit préparatoire
(5.2.2.3.) est donc à considérer, aussi, sous l’angle de l’apprentissage raisonné et
progressif de la langue, afin de concilier le besoin de créativité langagière (nécessaire
pour avancer dans la maîtrise de la langue) et le besoin tout aussi légitime d’explicitation
et de rappel des fondamentaux.
L’exposition aux textes littéraires, en parallèle, autorise par ailleurs un enseignement de
la langue qui ne s’arrête pas aux « règles » reconnaissables dans les interactions
spontanées, mais qui soit également attentif à d’autres schémas de phrase, avec lesquels la
familiarisation est relativement lente et a plus de chances de se manifester au niveau B2 si
l’enseignement jusqu’au niveau B1 ne s’en est pas tenu à l’ordre des mots exposé dans les
grammaires des premiers temps.
5.3.1.2. Grammaire de discours : une première ouverture à la variation
La langue communicative, à enseigner, telle qu’elle apparaît dans les méthodes et les
grammaires pour allophones, se pense coupée de la langue de la littérature, ce qui
conduit à des représentations restreintes. Le passé simple, par exemple, a perdu de sa
légitimité comme objet d’enseignement au point de devenir le symbole du récit littéraire,
donc inutile, alors qu’il serait intéressant d’expliciter les emplois actuels du passé simple
dans des textes non littéraires allant du récit historique à la chanson, pour avoir une
vision plus juste de la langue.

128
On enseigne en effet une grammaire de production plutôt que de réception, laissant
peu de place à la variation avant les niveaux de perfectionnement, même au niveau de la
grammaire de phrase : apposition, thématisation à l’écrit, omission du sujet, inversion du
sujet, place des adverbes devraient être rendus plus visibles pour détacher les apprenants
de l’ordre des mots et d’un petit nombre de formes de phrases en réalité déjà familières
depuis longtemps. Certains textes peuvent, dans la continuité des niveaux élémentaires, se
prêter à une lecture qui s’attache à des formes locales, si celles-ci sont la clé de l’effet de
lecture (par exemple, des jeux sur la dérivation dans un poème), mais hormis certains cas
très particuliers, la grammaire de phrase est plus profitablement amenée à travers des
documents fonctionnels, tandis que la littérature offre une entrée privilégiée dans la
grammaire de discours.
D’autres phénomènes linguistiques que les aspects des temps verbaux nécessitent d’être
abordés plus systématiquement dans leur variété discursive, et la littérature, lue en
commun, en classe, permet plus facilement ce type d’observation : la phrase nominale, la
coordination, etc., en interrelation avec d’autres structures qui s’avèrent déterminantes
pour décider ensuite, en situation de production, des emplois « appropriés » – plutôt que
seulement « corrects », selon la distinction préconisée par le Conseil de l’Europe
(Fleming, 2006). Le choix de textes littéraires adaptés à un niveau tel que le niveau B1,
guidé par la plus ou moins grande ressemblance de leur échantillon de langue au français
standard contemporain, se conçoit donc davantage pour la lecture autonome
(chapitre 3.2.4.) que pour des lectures en classe, où l’enseignant peut donner accès à une
vision plus juste de la langue, en acceptant de s’écarter, de temps à autre, des parcours
balisés qui ne sont pas conçus pour être suivis trop scrupuleusement.
Les cours de niveau B1 aux adultes étant souvent très hétérogènes tant en termes de
niveaux (par compétence) que de motivations, ils se prêtent assez naturellement à ces
digressions didactiques. Il s’agit en somme, à la fin du niveau B1, d’être prêt à développer
une conscience de la langue (notamment par différence avec la langue maternelle) qui
devient primordiale au niveau B2.
5.3.2. Horizons élargis du niveau B2, seuil des études supérieures
C’est dans le vaste empan du niveau B2, tantôt présenté comme « intermédiaire »,
tantôt considéré comme déjà « avancé », en tout cas seuil objectif pour l’accès à un
premier cycle universitaire en France, qu’achève de se développer une conscience de la
langue qui va permettre le contrôle suivi des formes (ou l’autocorrection) par l’apprenant.
Or, pour aller vers l’étendue et la précision linguistiques qu’implique la réussite d’un projet
d’études, la complémentarité de la littérature avec les documents fonctionnels utilisés par
ailleurs nous semble à souligner. La littérature conduit en effet à ne pas restreindre la
langue qui est enseignée, et à considérer ses variations sous des angles de plus en plus
nombreux.
Pourtant, les études consacrées au français « sur objectifs universitaires » ou « FOU »
(Mangiante & Parpette, 2011) ne se sont pas, jusqu’ici, intéressées au rôle que peut jouer
la littérature dans le succès d’un parcours qui, indépendamment des spécialités, passera
par la lecture de textes longs et/ou difficiles. Comprendre les attentes d’exercices

129
académiques, se repérer dans le cheminement d’un cours magistral sont des compétences
indispensables, mais le perfectionnement linguistique à mener de concert nécessite tout
autant d’être pensé dans sa spécificité, qui n’est pas seulement de revoir les « bases »,
d’enrichir un répertoire de connecteurs logiques ou d’acquérir une langue universitaire. Le
passage par la littérature facilite par ailleurs, sans aucun doute, l’insertion sociale par le
savoir partagé (Séoud, 1997), mais il est d’abord l’occasion d’un approfondissement de la
maîtrise de la langue. La variété et la souplesse de l’expression requises à partir du
niveau C1 (niveau critique pour l’admission en master dans une majorité de disciplines)
ont besoin du contact avec la littérature, qui favorise la réflexion métalinguistique, aide à
appréhender des modes d’organisation textuelle variés, et invite à une lecture sans naïveté
de textes en apparence plus immédiats.
Aux niveaux B2 à C2 en effet, l’importance accordée à l’objectif interprétatif est le
garant à la fois, du côté de l’enseignant, d’une bonne instrumentalisation des textes, et, du
côté de l’apprenant, d’une meilleure compréhension du fonctionnement de la langue :
pour un texte donné, plutôt que de susciter des relevés d’éléments qui ne seraient pas
déterminants pour les effets de sens (morphologie, orthographe lexicale), on opère une
sélection des faits de langue significatifs en fonction d’un projet de lecture. Cela
n’empêche pas de proposer des exercices de reprise plus systématique, à distance. La
démarche est proche d’une activité de compréhension écrite classique (qui part du sens et
y revient après un cheminement linguistique non exhaustif et guidé par un nombre limité
d’« entrées » spécifiques), à ceci près que, pour un article de presse ou toute forme d’écrit
fonctionnel, la relation entre la forme et le sens n’est pas aussi nécessaire, et que
l’intention du scripteur peut y être dégagée de façon relativement univoque.
5.3.2.1. Oral, écrit : de nouveaux enjeux
La notion d’emploi « approprié » mise en avant par le Conseil de l’Europe est
essentiellement prise en compte, en classe de FLE, pour sensibiliser à la différence entre
l’oral et l’écrit. La distinction, si importante pour qui souhaite entreprendre un cursus
universitaire en français, reste peu abordée par les ouvrages disponibles pour les cours de
ce niveau, sans que soient prises en compte les spécificités syntaxiques de l’oral, ou en
confondant souvent oral et registre familier, ou en présentant l’écrit comme une sorte de
e
refus de l’oral. Or, la littérature du XX siècle s’est saisie de ces problèmes de langue, en
ouvrant de diverses façons la porte à l’oral, dans un mouvement qui, à chaque fois, a
renouvelé l’écriture romanesque, mais aussi modifié notre perception de la langue même
et de ses codes. Ces expérimentations langagières, dans leur diversité même – Céline et
Queneau n’ont que peu en commun – sont un terrain privilégié de réflexion sur la langue
pour un apprenant. Pour ne s’en tenir qu’à ces deux auteurs, convoqués par Jean Portante
dans son atelier d’écriture, leur travail respectif sur la langue fait si étroitement corps avec
leurs imaginaires personnels et des tonalités spécifiques que le sens de la lecture est ici
indissociable de la compréhension des formes.
À cet égard, la littérature très contemporaine a peut-être davantage sa place aux
niveaux déjà avancés qu’au niveau B1, car elle présente, chez beaucoup d’auteurs, une
forme de fausse transparence linguistique intéressante à mettre au jour dans le cadre plus

130
large d’une formation critique. Julien Piat (2012) a montré à quel point l’une des
tendances de la fiction actuelle en français (Beigbeder, Nothomb) était de faire, dans une
lignée littéraire déjà bien identifiée, de l’écrit une « fiction d’oral », avec des « marqueurs
stéréotypiques de l’oral » (lexique commun, syntaxe simple, parataxe, brièveté, phrases
averbales, discours rapporté, incises, thématisation). Suggérer ce qu’il y a de construit
dans ces simulations de discours oral est particulièrement intéressant avec des étudiants
qui doivent intégrer dans leur pratique écrite des signes extérieurs de formalisme tout en
découvrant que l’oral académique n’est pas non plus, à l’inverse, la simple mise en voix
d’un écrit formel.
Autre type de variation intéressante à introduire dans un enseignement de niveau
avancé et dont la littérature est le terrain d’observation principal : la variation historique.
5.3.2.2. Variation historique et savoir-apprendre
Tout d’abord, il y a une vertu à l’étonnement que suscite la découverte d’un autre mode
de fonctionnement de la langue, en particulier à propos de phénomènes enseignés au
niveau débutant et considérés par l’apprenant comme familiers depuis longtemps. On
pensait savoir que tutoiement et vouvoiement étaient deux régimes d’énonciation exclusifs
e
l’un de l’autre et, en lisant des lettres d’amour du XIX siècle, authentiques et
romanesques, l’on est frappé de voir coexister « tu » et « vous », non seulement dans une
même séquence, mais parfois dans une même phrase. Ce jeu avec les pronoms, sous la
plume réelle d’écrivains, musiciens ou princes célèbres, ou dans la bouche d’une héroïne
de Dumas fils, interroge forcément : que nous apprend-il de l’intimité à la période
romantique, des manières de dire, des sentiments par là avoués, tus ou au contraire
renforcés ? Et que signifie l’interdiction du mélange dans le français d’aujourd’hui ? On
peut penser que ce type de choc cognitif, pour l’apprenant, est de nature à favoriser une
plus grande attention aux effets produits par les mots, au-delà de cet exemple
d’énonciation épistolaire.
Il s’agit donc de renforcer la réflexivité sur l’apprentissage et la prise de conscience de
l’instabilité constitutive de la langue, liée à l’usage : un enseignement communicatif, en
passant par l’histoire de la langue que reflète la littérature, est plus satisfaisant pour
l’apprenant s’il lui permet, même à un niveau avancé, de ne pas être dérouté face aux
contradictions qu’il perçoit parfois d’une grammaire à l’autre, en raison de la perception
variable qui s’y trouve reflétée et de la plus ou moins grande prise en compte, d’un
ouvrage à l’autre, de l’usage par rapport à la norme. En effet, les apprenants qui se
perfectionnent sont nombreux à être tentés, face à la variation en synchronie, de conclure
à l’excentricité inhérente à la langue française, au lieu de prendre conscience de
l’instabilité, relative, de la langue, et de gagner en autonomie dans leur apprentissage.
Si l’on a effectivement besoin pendant les premiers temps de l’apprentissage de
réponses « définitives », demeurer trop longtemps dans l’illusion de la fixité de la langue
peut finir par être source de blocage. La pluralité des « solutions » linguistiques, si
déroutante en synchronie, serait peut-être plus sereinement admise si l’évolution de la
langue n’était pas écartée devant l’urgence d’enseigner « le » français d’aujourd’hui. Il
s’agit donc de développer un savoir-apprendre à propos de la langue et de permettre,

131
grâce à la fréquentation des classiques, de faire mesurer l’histoire de la langue pour faire
accepter le fait que cette histoire est encore en cours. Face à la diversité des explications
grammaticales, des positions des enseignants et des énoncés entendus dans la rue, à la
télévision, les apprenants, notamment en immersion, ont besoin qu’on leur dise qu’un
usage encore inapproprié dans tel contexte il y a vingt ans est devenu l’usage dominant
d’une majorité de locuteurs et que s’il n’est pas encore approprié dans tous les contextes,
il pourrait finir par l’emporter.
5.3.3. Précision et souplesse aux niveaux C : transferts de compétences
5.3.3.1. Combinaison des genres et des types textuels
Parmi les difficultés que peuvent rencontrer les étudiants étrangers qui vont
entreprendre un cursus en France, ou sont déjà engagés dans un échange et ne bénéficient
que de très peu d’heures de cours de langue, le français sur objectifs universitaires
accorde avec raison une large place à la diversité des genres descriptifs, explicatifs et
argumentatifs à maîtriser à l’écrit. À côté des modèles répondant à un mode d’exposition
immuable (introduction, annonce de plan, phrases de synthèse et de transition…), dont la
connaissance et l’imitation sont effectivement indispensables, on peut souligner l’intérêt
du recours aux textes littéraires pour améliorer la maîtrise de types et de genres
nombreux. L’omniprésence de la composition, quelle qu’elle soit, est frappante par
e
exemple dans les descriptions ou les scènes narratives de grands romans du XIX siècle
qui théâtralisent de façon quasi didactique ces articulations (Hugo, Balzac) ; confronter
les étudiants à des extraits modernes organisés autour de progressions thématiques très
différentes peut être une activité complémentaire. Il ne s’agit pas de faire calquer ces
schémas, mais de les faire identifier pour, en retour, faire mieux lire des ouvrages de
spécialité variés pouvant répondre à des logiques de structuration du discours fort
différentes, d’une discipline à l’autre ou d’un auteur à l’autre, puisque les types (descriptif,
explicatif, narratif) ne peuvent pas être séparés des genres.
La littérature « d’idées » est une des modalités envisageables, bien sûr, dans cette
perspective. Dans le Supplément au Voyage de Bougainville, Diderot fait parler, au sein
d’un premier dialogue entre deux lecteurs, différents protagonistes attachés à l’expédition
de l’explorateur français (vieux sage, jeune chef tahitien, aumônier jésuite) et échafaude
un enchâssement de discours qui demande une analyse critique du dispositif
polyphonique tout en faisant se succéder des genres argumentatifs stylistiquement
marqués : harangue du vieillard tahitien comportant à la fois un éloge de la vie sauvage,
une accusation et un plaidoyer, commentaires auto-justificatifs du jeune jésuite, etc. La
problématique du bon sauvage, (inter)culturellement intéressante à présenter au niveau
universitaire, ne laisse pas indifférent et encourage par ailleurs à entrer dans une langue
lisible aujourd’hui malgré son éloignement. Selon le temps disponible, on peut prévoir
une lecture suivie organisée autour de quelques séances qui permettront à la fois
d’analyser certains passages et le dispositif d’enchâssement, en s’interrogeant sur
l’importance de la dénomination de « conte moral », ou seulement l’étude ponctuelle d’un
ou deux extraits rapidement contextualisés à partir de documents iconographiques.
5.3.3.2. Écarts stylistiques

132
Pour des étudiants de sciences humaines, mais aussi pour des adultes dont l’activité
professionnelle implique une maîtrise plus fine de la syntaxe, de la ponctuation ou des
connotations parce qu’ils sont amenés à rédiger des discours ou des articles, ou encore à
traduire, une approche de la variation par la littérature aux niveaux C1-C2 passe
également par la sensibilisation aux écarts proprement stylistiques.
Qu’on nomme caprice, licence ou entorse la distance prise par les écrivains par rapport
à un usage jamais définitivement figé, ou encore, comme André Gide, « fautes
conscientes et volontaires », cette recherche permanente sur la langue fait aussi partie de
la langue tout court puisqu’elle en explore les limites, et l’approche de la littérature sous
cet angle, déjà nettement distinguée des autres par Jean Peytard (1982), garde aujourd’hui
tout son intérêt. La bizarrerie des imparfaits de Flaubert a fasciné les lecteurs avant de
donner lieu à des études de spécialistes. Chez certains écrivains, le sentiment d’étrangeté
syntaxique est parfois dû à la reprise toute personnelle de tournures du latin ou du grec
ancien qui ont imprégné leur culture scolaire, tant les situations de contacts de langues se
trouvent au cœur de la littérature. Il s’agit là de permettre à des apprenants ayant déjà une
très bonne maîtrise du français quotidien, en réception comme en production, de prendre
conscience des phénomènes d’appropriation subjective de la langue et des interrogations
que chacun peut avoir sur ce qu’il est possible ou non d’exprimer, et avec quel effet, dans
les structures profondes d’une langue.
L’enseignement de la langue par la littérature signifie l’ouverture des contenus
enseignés à la diversité qui fait la langue même. Car ce n’est pas seulement l’effet de style
qui fait la variété de la langue, mais bien le potentiel de la langue que la littérature rend
tangible par l’écriture et visible par la lecture : de l’imitation littérale à la variation de
l’écart, un parcours progressif et étayé peut être défini, comme pour tous les objets
d’enseignement qui composent un cours de langue, avec une attention toute particulière
au niveau décisif, mais encore fragile, que constitue le niveau B1.
L’approche actionnelle de la littérature suscite le travail sur la langue, à travers diverses
compétences, si l’on imagine des activités variées autour de la lecture. Mais il serait
paradoxal de ne pas intégrer la langue comme matière même des textes dans
l’apprentissage. L’un n’exclut pas l’autre, de même que les moments requérant une
médiation plus importante de l’enseignant peuvent alterner avec l’espace à la fois
distancié et subjectif de l’écriture créative ou personnelle. Une hésitation de ponctuation à
l’occasion d’un travail personnel peut susciter l’observation d’un brouillon d’écrivain
trahissant plusieurs options non équivalentes, mais toutes signifiantes.
Par ailleurs, les interactions dans une classe de langue multiculturelle en immersion
facilitent la prise de conscience de la subjectivité de l’observation de la société, et ce qui
peut servir d’appui à une approche non référentielle de la littérature, et de tous les
discours sociaux qu’elle reconstruit, dans la langue.
Ainsi, il est possible d’envisager une forte synergie entre lecture, écriture et réflexion
sur la langue/culture, tout en donnant sa place au sujet, en valorisant à ses propres yeux
son « interlangue », qui peut devenir une interlangue de travail, et en dépassant
l’opposition, récurrente en FLM, entre expression de soi et écriture pour l’autre. Plus

133
peut-être que la maîtrise, est recherchée une manière d’« habiter » la langue étrangère
(Paveau, 2011). « Elle parle comme quelqu’un qui vient d’apprendre le français », disait
Duras de l’actrice Delphine Seyrig lisant ses textes (citée par Adam, 2011), pour évoquer
le plaisir physique à le parler.
Notes
(1) Claudette Oriol-Boyer, lors d’une conférence sur « Les écritures d’invention » le
13/12/2000 dans un collège de l’académie de Versailles (à Neuilly). http://www.lettres.ac-
versailles.fr/IMG/pdf/Conference_de_Claudette_Oriol.pdf
(2) http://fleneso.blogspot.fr/2010/02/dejeuner-du-matin-de-jacques-prevert.html
(3) Dossier thématique :
http://www2.cndp.fr/actualites/question/poesie/poesie_enclasse-Imp.htm
e
(4) Communication de N. Hannecart au XV Congrès brésilien des professeurs de
français, Belo Horizonte, 2005 : « L’articulation lecture-écriture, à partir de la notion de
stéréotype, pour aborder la poésie en classe de FLE ».
(5) http://www2.cndp.fr/actualites/question/poesie/poesie_enclasse-Imp.htm
(6)
http://www.mondesenvf.fr/ressources/Atelier1/02_Fiche_pedagogique_Creer_un_personnage_d%27enq
(7) Les citations en italiques renvoient aux entretiens réalisés par Donatienne Woerly
avec Jean Portante et Fabienne Jacob en 2013.

134
CHAPITRE 6
La littérature en acte : voir, entendre, ressentir
par Ève-Marie Rollinat-Levasseur,
section 6.2.4. avec la contribution de Véronique Kuhn
La notion d’interprétation met en valeur l’action du lecteur dans l’acte de lecture : voilà
ce qui nous semble rencontrer la perspective des approches actionnelles qui, dans le cadre
de l’enseignement d’une langue/culture, conçoivent l’apprenant comme un acteur, et
l’apprentissage comme une action. Nous développerons ici quels usages l’enseignement-
apprentissage du FLE ou du FLS peut faire de l’interprétation d’une œuvre littéraire et ce
qu’ils impliquent du point de vue didactique : nous analyserons quelles conceptions des
apprenants et de l’apprentissage ils supposent, quel rôle ils attribuent à l’enseignant et
quelles représentations de la littérature sont véhiculées par ces pratiques pédagogiques.
La polysémie du mot interprétation – qui va de l’incarnation à l’adaptation, la traduction
ou la transposition – nous permet d’envisager la question à deux degrés : celui des
interprétations que les apprenants font eux-mêmes d’une œuvre littéraire ; celui de l’usage
pédagogique d’œuvres, par exemple filmiques, qui sont des interprétations ou des
adaptations de textes littéraires. Dans les deux cas, la notion d’interprétation place notre
approche de la littérature dans le champ de l’expérience, de l’expérimentation et de la
médiation.
Dans une telle perspective, la lecture n’est pas seulement considérée comme le
déchiffrage d’une suite de mots et de phrases, mais comme un processus engageant le
corps : la lecture oralisée comme la mise en voix et en espace ou la représentation
scénique d’une œuvre littéraire sont des modes de lecture par lesquels le texte devient
parole incarnée ; voir et entendre les interprétations que font eux-mêmes les apprenants
et qu’ils produisent les uns devant les autres, tout comme voir une adaptation filmique
d’une œuvre, écouter une transposition musicale d’un texte, cela fait appel aux sens, à la
perception du sujet et peut susciter ses émotions. La lecture peut aussi mettre en branle
l’imaginaire : les activités pédagogiques que nous évoquons cherchent à renforcer cet
éveil de l’imaginaire, ainsi que la créativité qui y est associée. En outre, si l’acte de lecture
relie le lecteur au monde qu’il découvre dans une œuvre littéraire, les activités
pédagogiques de lecture en classe permettent aux apprenants d’échanger entre eux sur
leur lecture, d’élaborer ensemble une interprétation de l’œuvre, de partager leurs émotions
et leurs sensations à la lecture. Au-delà du seul aspect de l’expression linguistique
impliquée, capital dans le cas de l’enseignement d’une langue, les interactions mettent
alors en relation les sujets dans leurs échanges sociaux à travers une action commune, les
faisant entrer dans une démarche d’empathie, c’est-à-dire de capacité à comprendre autrui
en tant qu’autrui : la lecture sort l’apprentissage d’une simple approche fonctionnelle et
mécaniste de la langue pour l’ancrer dans l’expérience humaine ainsi que dans la relation
aux autres et au monde, ce qui relève d’une conception enactive du langage (Aden, 2013).
Enfin, une telle conception de la lecture associe étroitement l’apprentissage de la langue à
l’éducation artistique et culturelle, l’intégrant à la fois comme connaissance et comme
pratique, dans une perspective transversale : de ce point de vue, c’est aussi participer, par

135
l’apprentissage d’une langue – le français – à l’éducation artistique, compétence que,
e
depuis le début du XXI siècle, l’UNESCO définit comme étant un objectif à atteindre
« pour accroître la capacité créatrice et novatrice de la société », propice à « relever les
(1)
grands défis mondiaux, de la paix au développement durable ».
Toutes les activités pédagogiques à partir de la lecture littéraire en classe de FLE ou de
FLS ne mettent pas en œuvre de la même façon la corporéité, l’imaginaire, la créativité
ou la relation aux autres. Il s’agit dans ce chapitre d’étudier quelques pratiques attestées de
la lecture comme interprétation et d’analyser dans quelle mesure la pédagogie de projet,
la lecture orale et la pratique théâtrale inscrivent l’enseignement-apprentissage du français
dans une telle conception de la langue.
6.1. Du jeu des interprétations aux gestes créateurs
L’adaptation, c’est-à-dire l’interprétation d’un texte source, est un des usages de la
littérature sous différentes formes et supports. Les pratiques de réécritures sont en effet
attestées dès l’Antiquité et l’imitation des Anciens est un des fondements de la création
artistique. Les arts plastiques et la musique ont illustré de nombreuses œuvres. Le théâtre,
genre spectaculaire, porte à la scène des textes dramatiques conçus spécifiquement à cet
effet, mais propose aussi des adaptations-réécritures d’autres genres littéraires, tels que
contes, romans, essais… Le cinéma, quant à lui, s’est nourri, dès l’invention du genre, de
la littérature, principalement des romans et du théâtre. Et depuis quelques années en
France, on assiste à un véritable essor d’adaptations de textes littéraires en bandes
dessinées. Parfois même, la réception de la littérature passe principalement par ces
adaptations : si la littérature a toujours assuré au cinéma une audience, à l’inverse, une
partie de l’accès à la littérature se fait par le cinéma, notamment pour les grandes œuvres
romanesques. Voilà qui légitime d’autant plus des approches pédagogiques de la
littérature et de la lecture en relation avec d’autres pratiques artistiques.
De tels usages ont néanmoins suscité des débats théoriques portant principalement sur
la valeur esthétique des œuvres adaptées, d’une part, et sur la fidélité des adaptations vis-
à-vis de leur œuvre source, d’autre part. En effet, les adaptations sont parfois suspectées
d’être des vols, des copies ou des plagiats, qui dénaturent les œuvres littéraires qu’elles
transposent : créant une relation entre deux œuvres, elles induisent un rapport de valeur à
plusieurs niveaux, entre la source et l’adaptation, entre les supports artistiques choisis, les
genres, mais aussi les publics visés par les créateurs. Ainsi, les adaptations de textes
littéraires au cinéma ont nourri la discussion autour de la question de savoir si le cinéma
est un art à part entière au même titre que la littérature : le cinéma, qui est un art visuel,
est jugé plus immédiatement accessible par un plus vaste public que la littérature et, par
conséquent, est déconsidéré par certains quand d’autres au contraire voient dans cette
spécificité ce qui le fonde comme art. S’il y a cependant une hiérarchie des valeurs
esthétiques, nous ne la situerons pas ici entre les arts, mais au niveau de la qualité de
chaque réalisation, en fonction de ce qu’apporte le regard singulier du ou des créateurs, de
la façon dont ils s’adressent au public, de la force de l’imaginaire porté par l’œuvre créée.
Toute adaptation entraîne de fait une altération de l’œuvre source. Mais les processus

136
de création, de recréation, de transformation et de transposition font entrer la lecture dans
un jeu d’interprétation : participer à ce mode de lecture, même dans le simple cadre de
l’apprentissage du FLE, c’est entrer dans le jeu de la lecture tout en apprenant à chercher
du sens et des relations entre des œuvres et leurs supports. Ainsi, voir ou écouter des
adaptations d’une œuvre, ou en produire, constituent des espaces d’accès à la littérature :
la multiplicité des modes d’approches de la littérature offre des possibilités d’expériences
déclenchant des émotions ou des sensations, qui, par leurs détours, éveillent l’envie de
lire. Dans le cas de l’apprentissage d’une langue étrangère, comme le FLE, les adaptations
permettent en outre d’introduire un jeu de variations et de répétitions dans la
langue/culture cible, ce qui est propice à son acquisition.
6.1.1. Interprétation : créativité et pédagogie de projets
Si la créativité est un concept complexe encore marqué par un flou terminologique du
fait de l’usage et des représentations courantes véhiculées par le terme, c’est aussi un
concept actuellement au cœur des recherches théoriques dans le cadre de l’éducation et
de l’enseignement-apprentissage des langues (Aden & Piccardo, 2009), notamment avec
la réflexion sur l’approche multivariée ainsi que les études sur les capacités transversales.
Fruit de la rencontre entre des capacités cognitives, des émotions et des facteurs
environnementaux, la créativité est, du point de vue de la psychologie différentielle
cognitive, « la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée au
contexte dans lequel elle se manifeste » (Lubart, 2003 : 10). Aussi peut-elle s’exercer
dans plusieurs domaines à partir de la lecture d’un texte littéraire et être suscitée par
différents types d’activités proposées par l’enseignant comme celles que nous allons
évoquer plus bas. Dans le cadre de l’enseignement du FLE, l’objectif est que ces activités
motivent la pratique de la langue (à l’oral comme à l’écrit) tout en conduisant l’apprenant
à agir : ce que l’apprenant crée importe, et la verbalisation de son action est essentielle
pour ses progrès dans la langue. Les activités de créativité sont donc à concevoir en
fonction du niveau de langue des apprenants, sachant qu’une telle approche invite
d’emblée à comparer le texte lu et la production proposée et à expliciter son projet : pour
acquérir le niveau B1, les apprenants doivent pouvoir raconter et décrire ce qu’ils auront
lu ou voulu présenter à partir de leur lecture d’un texte, parler de leur expérience et des
émotions ou impressions qu’elle aura éveillées, mais aussi expliquer et justifier leur projet,
même sommairement. Pour le niveau B2, ce sont ces mêmes compétences qui sont
attendues, mais plus développées, avec un maniement de la langue plus précis et nuancé
avec l’emploi de phrases complexes… Ainsi, une telle approche peut-elle être mise en
œuvre à plusieurs niveaux de l’apprentissage. Nous en présentons trois exemples qui sont
autant d’étapes dans l’approfondissement du rapport au texte littéraire.
La conception d’un appareil éditorial par les apprenants des textes qu’ils lisent est
souvent proposée en classe. C’est ainsi un exercice créatif qui peut s’appliquer à une
œuvre complète, mais aussi s’adapter à un extrait ou à un ensemble de textes. La fonction
de la couverture d’un ouvrage est à la fois de donner une image de ce qu’il contient et de
donner envie de le lire : il faut choisir ou élaborer une illustration adaptée, trouver une
police de caractères appropriée, mais aussi, pour la quatrième de couverture, écrire un

137
résumé de l’œuvre ou en choisir un extrait, présenter brièvement l’auteur, en sélectionner
un portrait. Pour l’illustration, l’apprenant qui a une intelligence visuelle et spatiale va
transposer ce qu’il aura lu à travers une image qu’il créera et où il pourra s’exprimer à
travers sa lecture de l’œuvre. Mais un apprenant, qui n’a pas les moyens artistiques pour
proposer lui-même une illustration aboutie pour une couverture, peut aussi en présenter
un projet et justifier ses choix : que retient-il du texte ? Une image qui symbolise le
passage qu’il juge le plus important ou une image qui synthétise différents aspects du
texte ? Une image concrète ou abstraite ? Quelles couleurs, quelles formes lui semblent-
elles convenir pour le texte considéré ? Si la recherche d’images pour illustrer une œuvre
conduit parfois les apprenants à choisir des clichés qui sont réducteurs parce qu’ils
évoquent davantage le monde qui les entoure et qu’ils connaissent que le texte, cet
exercice reste néanmoins une action qui implique personnellement l’apprenant. Le rôle de
l’enseignant est de le conduire à sortir peu à peu des stéréotypes. Le travail de groupe est
ainsi efficace dans un deuxième temps, car il implique que les apprenants comparent les
productions de chacun, ce qui les conduit à discuter de leurs différentes représentations
pour les dépasser par l’élaboration d’un projet commun. L’enseignant peut aussi ouvrir le
répertoire visuel des apprenants en leur proposant différentes illustrations possibles à
partir desquelles ils vont élaborer leur couverture. Si la classe est équipée de tablettes
numériques, cette activité est adaptable à des formes interactives de lecture avec
l’insertion de liens hypermédia à des endroits clés du texte, renvoyant par exemple à des
images, des vidéos ou des musiques.
Une séquence de cours peut également inviter les apprenants à élaborer un projet
spécifique à partir de leur lecture d’un texte en fonction de leurs compétences ou talents
personnels : une production musicale, un projet de film, une chorégraphie, une peinture,
un poème, un film, une création vestimentaire… Il ne s’agit pas d’évaluer du point de vue
esthétique les productions proposées par les apprenants, mais de faire entrer la lecture
littéraire dans l’élaboration d’un projet : une note d’intention accompagnée de différents
documents convient autant qu’une production artistique achevée dans le cadre de
l’enseignement du français. Un tel exercice suppose en effet d’approfondir la lecture du
texte source pour mieux le comprendre et pour élaborer en regard un projet ou un objet.
Ici, l’acte créateur n’est pas forcément réduit à une adaptation qui aurait à se distinguer
par sa fidélité à l’œuvre, mais peut être conçu comme nourri par la lecture – et c’est aux
apprenants d’expliciter comment leur projet s’articule au texte qu’ils ont lu. Ils entrent
ainsi dans la dynamique de la création, les lectures inspirant de nombreux artistes, quel
que soit leur médium. Sur le plan didactique, le rôle de l’enseignant n’est pas de dispenser
un savoir sur l’œuvre comme préalable à tout geste créateur, mais plutôt de répondre aux
questions que l’activité de création suscite sur les textes lus, sur leur contexte, conduisant
ainsi les apprenants à être les propres acteurs de leur apprentissage.
Un partenariat avec un événement culturel peut aussi servir de fondement à une
approche transdisciplinaire de la littérature dans le cadre de son enseignement en FLE :
un festival de musique ou de films, une exposition artistique, par exemple, offrent autant
d’occasions de tisser des liens entre la lecture de textes littéraires et d’autres approches

138
artistiques. Le geste créateur supposé par une telle démarche s’apparente alors à une
activité de médiation, ce qui témoigne en retour de ce que la médiation est un exercice
créatif. Ainsi, à l’automne 2014, à l’université du Missouri-Kansas City, les étudiants de
quatrième année de français ont élaboré des présentations d’œuvres artistiques à partir de
textes littéraires que leur professeur, Gayle Levy, avait choisis pour qu’ils réfléchissent au
e
rapport entre « le paysage et le nationalisme français au XIX siècle ». L’occasion en était
une exposition intitulée « La France impressionniste : représentations de la Nation de Le
Gray à Monet » au musée des Beaux-Arts de Kansas City. Au terme du cours, après avoir
rédigé plusieurs étapes de leur projet et une bibliographie annotée des ouvrages qu’ils
avaient lus pour accompagner leur recherche, chaque étudiant a proposé en français une
mise en regard du passage d’une œuvre et d’un tableau. Une étudiante, par exemple, a
analysé un extrait de La Bête humaine de Zola à partir d’une lecture d’un tableau de
Monet, Le Pont de chemin de fer à Argenteuil, montrant comment le peintre a inspiré le
romancier alors même que celui-ci offre une représentation beaucoup plus noire du
progrès technique apporté par le monde du chemin de fer. Mais surtout, le cours s’est
achevé au musée où chacun des étudiants a fait une présentation en anglais de sa lecture
croisée d’une œuvre littéraire et d’une œuvre artistique lors d’une soirée événementielle
ouverte au public de la ville. Ainsi, les lectures en français ont trouvé sens dans la
réalisation d’une médiation artistique effective sur place.
Si ces approches de la lecture des textes littéraires s’inscrivent dans la pédagogie de
projet, elles permettent de fonder l’apprentissage linguistique dans l’exercice de la
comparaison, avec la recherche de différences et de similitudes : la démarche
pédagogique qui consiste à aborder le texte littéraire en le mettant en relation avec
d’autres pratiques artistiques part du principe que la multimodalité favorise l’entrée dans
l’œuvre et qu’au-delà, le travail transgénérique ne conduit pas à un nivellement des genres,
mais à une meilleure connaissance de chacun d’eux et à une capacité à savoir faire
dialoguer les arts.
6.1.2. Littérature et cinéma : usages pédagogiques des films pour la lecture
Parmi toutes les adaptations de la littérature, les enseignants ont le plus volontiers
recours aux arts visuels, avec les peintures, les photographies et plus encore avec les
films : l’immédiate visibilité des images est perçue comme propice à la vulgarisation des
savoirs, ce qui conduit à leur usage fréquent comme support pédagogique. L’immédiateté
de l’image est cependant fallacieuse : voir s’apprend, et il faut décrypter les images pour
ne pas en être dupe. Aussi, apprendre le FLE par la lecture conjointe de textes et
d’images peut servir indirectement l’apprentissage de la littérature et des arts visuels,
notamment du cinéma.
Une image fixe placée en regard d’un texte qu’on essaie de déchiffrer peut servir de
déclencheur pour l’imaginaire et aider à interpréter le texte sans se substituer à lui : c’est
le plus souvent la fonction que les manuels accordent aux illustrations qu’ils placent à
côté d’un texte littéraire, avec l’idée implicite que l’image, signe matériel, est
immédiatement plus accessible qu’une suite de mots et peut, par le plaisir qu’elle suscite,
stimuler l’effort de lecture (Renonciat, 2011). Les images filmiques comme les

139
représentations scéniques se caractérisent, elles, par une forme de continuité et font
entrer, très souvent, dans la narration. Si les films ou interprétations scéniques laissent en
réalité de nombreuses zones d’indétermination que le spectateur doit combler, la
conjonction des images et du son donne l’impression de montrer tout ce que le texte
n’explicite pas par les décors, l’incarnation physique que donnent les acteurs, les effets
sonores et musicaux…
Le moment où l’enseignant fait découvrir une adaptation filmique du livre qu’il fait lire
est donc crucial, tout comme les activités pédagogiques qu’il propose en lien avec la
lecture : il n’y a pas une manière de procéder, mais autant de stratégies à élaborer en
fonction du groupe d’apprenants considéré, de leur niveau de langue dans les différentes
compétences, mais aussi des objectifs du cours. La mise en regard d’un film et d’un texte
peut ainsi s’envisager comme une activité ponctuelle dans le cadre d’un cours de FLE
avec un travail sur un extrait ou à une échelle plus large, avec une séquence consacrée à
la lecture d’une œuvre complète. Ou encore le visionnage d’une adaptation filmique en
alternance avec la lecture de certains extraits – importants ou accessibles – est un moyen
de donner accès à une œuvre dans son intégralité à des apprenants qui n’ont pas encore
l’aisance pour lire un livre entier.
Certes, montrer un extrait d’une adaptation avant la lecture du passage à lire fait courir
le risque que les apprenants considèrent avoir lu le texte, l’ayant vu, ou ne voient dans le
texte que ce qu’ils ont aperçu à l’écran. Mais pour des apprenants de FLE qui ne
connaissent pas une partie du lexique du texte ni son ancrage socioculturel, commencer
par voir des images qui illustrent le texte offre une entrée économe et efficace dans le
monde représenté dans l’œuvre : comment en effet imaginer ce qu’on ne connaît pas du
e
tout ? Comment se représenter une scène dans un cercle mondain du XVIII siècle, par
exemple, si l’on est d’un pays hors de la zone européenne ? Ce n’est pas qu’il soit
impossible d’y parvenir par la seule lecture ni que les erreurs de lecture soient
invalidantes (Vanoosthuyse, 2011). Mais, dans un premier temps, le jeu de l’illusion
référentielle donne des repères à l’apprenant par le film et lui permet d’imaginer le
contexte de l’extrait ou de l’œuvre qu’il lit. Telle est la fonction évocatrice des
reconstitutions fictives offertes par les films, ce en dépit des écarts qu’elles peuvent
entretenir avec la vérité historique : il appartient précisément à l’enseignant de relever les
éventuels anachronismes et d’inviter les apprenants à formuler des hypothèses sur leur
fonction dans le film. Passer par le détour d’un film dont l’action se situe dans un
contexte similaire à celui de l’œuvre lue, par exemple, voir un passage de Ridicule de
Patrice Leconte (1996) quand on aborde un texte dont l’action se passe dans les salons
français de l’époque des Lumières, comme Les Lettres persanes, permet ainsi de tisser un
réseau référentiel pour pouvoir imaginer ce qu’on lit. Voir l’adaptation filmique d’un texte,
telle celle que Marion Lainé a donnée de la nouvelle de Flaubert, Un cœur simple (2008),
joue le même rôle et accompagne l’apprenant dans sa compréhension de l’action de la
nouvelle de Flaubert.
À partir de là, en fonction du temps accordé à une séquence, c’est à l’enseignant de
mettre en place des activités pédagogiques pertinentes par rapport à ses objectifs et en

140
fonction du temps dont il dispose. Commencer par demander aux apprenants de se
représenter une scène avant de la leur donner à lire et à voir, par exemple imaginer une
bataille de boules de neige dans Paris avant de découvrir Les Enfants terribles de
Cocteau, est un exercice pour les impliquer par l’imagination dans la découverte du texte
et de son adaptation, en introduisant une dimension comparative entre le sujet d’un texte
et les adaptations ou transpositions que l’on peut en faire. Mais débuter par le visionnage
du film ou d’un extrait peut servir de résumé contextualisant et permettre d’entrer plus
vite dans le détail du texte. À un premier degré, un travail d’identification entre un extrait
de l’œuvre littéraire et de son adaptation permet, par la description, d’associer des images
aux mots, d’élaborer ainsi une sorte d’imagier du texte, ce qui sert l’apprentissage
linguistique par la contextualisation du vocabulaire dans un contexte qui fait sens, tout en
aidant la lecture. Inversement, la lecture du texte apporte à l’apprenant les mots pour
décrire et exprimer ce qu’il voit dans le film, ce qui enrichit ainsi son répertoire
linguistique et culturel. Mais au-delà de l’exercice de description, la recherche des
différences entre le texte et le film conduit aussi l’apprenant à percevoir en quoi une
adaptation propose des choix interprétatifs du texte, à affiner son regard sur les œuvres
considérées, ainsi qu’à mieux définir sa propre lecture du texte. Analyser et comparer les
dialogues écrits et filmés pour une même scène permet de relier le travail de
compréhension orale et écrite : on peut demander aux apprenants de transcrire les
dialogues du film et de les comparer ensuite à ceux du texte, ou s’aider de leur lecture
préalable pour guider la compréhension orale du film, étant donné qu’en général, les
scénaristes amplifient les dialogues des œuvres qu’ils adaptent, ou transposent en
échanges verbaux des passages narratifs. Analyser la façon dont sont rendus des
descriptions ou des passages de récits permet d’entrer dans l’étude des points de vue.
Attendre la fin d’une séquence pour montrer une adaptation filmique peut laisser le
temps à l’imaginaire de l’apprenant-lecteur de se développer, mais fait courir le risque
d’apparaître comme la traduction en image du texte alors qu’elle n’en est qu’une lecture
possible à travers l’actualisation et la contextualisation donnée par le film.
C’est pourquoi le visionnage de différentes adaptations ou transpositions, quand elles
existent, sert à maintenir présent que toute lecture est une interprétation d’un texte.
Certains romans, comme La Princesse de Clèves, Les Liaisons dangereuses, Madame
Bovary, Le Diable au corps, ou L’Écume des jours ont aussi fait l’objet de différentes
adaptations ou transpositions, françaises ou internationales, à plusieurs décennies d’écart.
Pour le théâtre, différentes mises en scène sont souvent accessibles en DVD ou sur les
sites Internet et rendent cet exercice aisé. La comparaison de plusieurs interprétations du
Jeu de l’amour et du hasard, par exemple de la scène 9 de l’acte II qui permet de réfléchir
sur les usages du tutoiement et du vouvoiement en français, montre que, pour le même
dialogue, le jeu des acteurs peut mettre en valeur : la fraîcheur de la naissance de l’amour
que les jeunes gens veulent ignorer et que souligne le rose du costume de Silvia (Bluwal,
ORTF, 1976) ; au contraire la violence du sentiment de supériorité sociale mise en valeur
par les tons bleu argent de la mise en scène de Jean-Paul Roussillon (Comédie-Française,
1976) ; l’importance de la rouerie humaine à travers les singeries sociales exhibées par

141
les masques simiesques créés par Alfredo Arias pour des personnages habillés de
e
costumes du XVIII siècle (Théâtre de la Commune, 1987) ; ou encore le rôle de cet
espace intermédiaire du jeu comme seul lieu de parole véritable et libre que découvrent
les héros extravagants dans la mise en scène de Galin Stoev qui juxtapose
hypermodernité et hyperclassicisme (Comédie-Française, 2012). Entre les adaptations,
simples décalques figuratifs de l’œuvre littéraire, les adaptations libres qui peuvent trahir
leur source, ou encore les transpositions, c’est-à-dire les formes de représentations qui
proposent des équivalences de l’œuvre littéraire dans un autre contexte, s’ouvre en effet
un espace pédagogique pour faire passer de la compréhension littérale et référentielle
d’un texte à la recherche du sens et de l’esprit de la lettre.
6.2. La lecture expressive : donner sa voix au texte, trouver sa voix par le texte
Si, offrant des textes à lire, la littérature apparaît logiquement comme un répertoire de
supports de compréhension écrite pour l’enseignement du FLE, les textes littéraires
peuvent aussi servir de support pour le travail d’expression orale. Une telle pratique
s’inscrit dans l’histoire même de la littérature marquée par une longue tradition orale de
ses usages sociaux. Surtout, elle met au premier plan le rôle de la voix, et par conséquent
celui du corps, dans l’acte de lecture, la compréhension d’un texte n’étant pas un préalable
à sa mise en voix mais pouvant s’élaborer au fur et à mesure de la recherche
expérimentale de sa déclamation. Cette approche peut sembler paradoxale et lacunaire
puisqu’elle aborde l’expression orale à partir d’un texte déjà produit, c’est-à-dire sans que
l’apprenant s’exprime lui-même en produisant des phrases dans la langue-cible. Elle est,
en fait, transversale et permet de lier étroitement plusieurs compétences tout en associant
l’apprentissage de la langue à l’implication corporelle et sensorielle de l’apprenant. Elle
permet à l’apprenant de se concentrer sur la part expressive de l’oral en lui ôtant le souci
d’avoir dans le même temps à produire des énoncés. Elle suppose néanmoins que la
répétition orale des textes conduit l’apprenant à enrichir son répertoire linguistique et
culturel, en s’imprégnant des phrases à prononcer, et par là, en mémorisant des tournures
lexicales et syntaxiques en contexte, associées à une représentation sémantique, c’est-à-
dire à une idée, à du sens. La force stylistique du texte littéraire, qui frappe le lecteur à la
fois par sa forme mais aussi par ce qu’elle signifie ou ce qu’elle figure, peut être en effet
un appui pour cette mémorisation : la lecture oralisée conduit à mi-chemin entre
l’acquisition d’un vocabulaire passif (à laquelle mènent les activités de compréhension) et
celle d’un vocabulaire actif (cas où l’apprenant peut de lui-même réemployer les
expressions qu’il a mémorisées dans des énoncés qu’il produit). Ainsi, la lecture
expressive est-elle une véritable activité du fait de sa complexité sur le plan cognitif (elle
articule plusieurs composantes) et de sa créativité.
Cette activité peut être pratiquée à tous les niveaux d’apprentissage. Ici, c’est le choix
des textes littéraires qui est déterminant pour qu’ils soient des supports appropriés à
chaque niveau et à chaque contexte d’enseignement-apprentissage de la langue. Ainsi, un
texte bref, avec peu de vocabulaire, des structures de phrases simples, un poème, par
exemple, convient dès le niveau débutant. Ce sont les mêmes critères qui président au
choix d’un texte littéraire que pour tout document déclencheur ou support d’une activité

142
pédagogique : il faut qu’il soit adapté au public visé et que son contenu linguistique et
socioculturel présente une pertinence dans la progression de l’apprentissage. Mais ce qui
est spécifique au texte littéraire par rapport à d’autres documents fabriqués ou
authentiques, c’est qu’il n’est pas réductible à une simple fonctionnalité ni à des objectifs
pédagogiques ainsi qu’à leur éventuelle systématisation : la forme littéraire donne à
l’activité de lecture expressive une ouverture sur le sens, et par là sur la pensée, et une
vision du monde.
6.2.1. Oralité et littérature : l’inscription de la voix dans les textes
Comme la lecture partagée est restée un mode important de réception pendant de
longs siècles, et que lire, même silencieusement, suppose d’entendre – c’est-à-dire
comprendre – ce qu’on lit, l’écriture a dû se rendre audible : ainsi, les écrivains donnent-
ils aux phrases qu’ils composent une structure, un rythme, des sonorités que le lecteur
entend quand il les lit silencieusement comme si elles étaient dites par une voix. Cela ne
signifie pas que la littérature reproduise le langage ordinaire ni la langue parlée – quand
elle le fait, c’est de façon stylisée, dans un geste esthétique –, mais l’écriture littéraire
expérimente le rythme de la parole, et porte la matrice de sa vocalisation. Le théâtre,
dont l’écriture est destinée à l’interprétation spectaculaire et qui met en scène la parole et
des échanges verbaux, est le genre littéraire dont l’oralité peut sembler la plus immédiate.
Mais la poésie et les romans, les récits, se donnent aussi à entendre. En témoigne la
vogue des enregistrements audio des textes littéraires lus par des comédiens : même les
œuvres les plus vastes, comme À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, célèbre
pour la longueur de ses phrases, peuvent faire les délices de leurs auditeurs.
Comment la suite des mots imprimés véhicule-t-elle sa vocalité ? Comment le lecteur
peut-il y trouver la mise en voix du texte ? C’est avant tout par l’organisation interne du
texte, par l’ordre des mots, le rythme des périodes, la syntaxe des phrases. La mise en
page matérielle du texte et la ponctuation indiquent aussi au lecteur quand passer à une
nouvelle idée, quand faire une pause, quand s’interroger ou s’exclamer : ces marques
servent à éviter les ambiguïtés qui gêneraient le déchiffrement, la prononciation et la
compréhension du texte (Catach, 1994). C’est ainsi l’articulation de la langue que ces
signes portent dans la représentation matérielle du texte écrit. L’histoire de la mise en
page des textes littéraires nous invite toutefois à garder une distance critique vis-à-vis de
l’usage de la ponctuation : celui-ci suit des modes et a évolué au cours du temps. Cela
explique les différences que l’on peut repérer d’une édition à l’autre pour les textes
anciens : les imprimeurs et les éditeurs font parfois disparaître certaines virgules,
transforment des points d’interrogation en points d’exclamation, et leur effort pour rendre
lisibles les textes qu’ils offrent aux lecteurs viennent s’ajouter à la voix de l’auteur. Les
signes de ponctuation sont donc des repères pour la lecture : sans être d’authentiques
traces de la voix de l’auteur, sans être toujours rigoureusement le reflet des usages en la
matière, ils servent d’appui possible pour une mise en voix du texte que le lecteur
découvre.
Qu’en est-il des textes littéraires sans ponctuation, usage qui s’est répandu dans la
e
littérature depuis le début du XX siècle ? Faut-il considérer que la littérature a rompu

143
avec l’oralité et que, par conséquent, il ne serait pas pertinent de prendre de tels textes
comme supports d’activité de lecture orale ? En fait, les auteurs laissent alors leurs
lecteurs maîtres de leur compréhension, les engageant à trancher quand il y a des
ambiguïtés de sens. De nombreuses œuvres littéraires, à commencer par celle
d’Apollinaire pour la poésie, mais aussi, pour le théâtre, les pièces de Michel Vinaver,
sont composées sans ponctuation et destinées à être interprétées sur scène. De tels textes
obligent les apprenants à réfléchir à la structure syntaxique du texte qu’ils lisent et à être
attentifs à sa prononciation, car l’entendre peut aider à le comprendre (Rollinat-
Levasseur, 2009 : 174). Ainsi, l’absence de ponctuation exige que le lecteur soit
particulièrement actif dans sa découverte du texte et même cherche, par l’imagination,
comment donner sens au texte. L’exercice de lecture orale de textes de ce type peut donc
être une activité appropriée en classe de FLE parce que, a contrario, les difficultés qu’il
soulève montrent aux apprenants la nécessité du respect des normes de la ponctuation.
6.2.2. La lecture expressive : écrit, oralité et auralité
Dans le cadre de l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère, la lecture orale
est une activité qui permet de mettre en relation étroite l’écrit et l’oral, c’est-à-dire à la
fois le rapport entre la graphie et la phonie (la façon dont les mots se prononcent) ainsi
que la relation inverse (la façon dont s’orthographient les mots que l’on dit) : elle
participe ainsi à la familiarisation avec la littératie. Surtout, cet exercice, s’il est conçu
comme la recherche d’une lecture expressive, est toujours à la fois une expérience et une
expérimentation dans la langue-cible : de ce fait, il donne un ancrage corporel à son
apprentissage.
La lecture est un exercice qui demande de se concentrer principalement sur la voix.
Cela engage physiquement le lecteur, mais cette activité est immédiatement plus
accessible que la pratique théâtrale que redoutent certains enseignants et qui peut inhiber
des apprenants déjà gênés de parler dans une langue étrangère et peu enclins à se lancer
dans une activité leur demandant de s’exposer (Ladouceur, 2013). De fait, la lecture orale
permet de travailler progressivement la performance orale et de s’y impliquer peu à peu
corporellement, la voix entraînant la posture, voire le geste.
L’écart entre la graphie des mots et leur prononciation reste néanmoins une difficulté
majeure pour la lecture. De lui-même, l’apprenant ne peut pas deviner comment lire les
mots qu’il déchiffre. Il lui faut donc trouver une méthode de prononciation : ce peut être
l’apprentissage des différentes graphies possibles pour le même son en association avec
l’écoute de la prononciation en usage pour pouvoir l’imiter intuitivement, selon la
méthodologie directe et les méthodes dites naturelles qui en dérivent (Lauret, 2007 : 83-
88). La lecture orale met en œuvre une telle méthode si l’enseignant de FLE lit lui-même
le texte que les apprenants déchiffrent et répètent après lui ou qu’ils disent en même
temps que lui, se modelant sur sa lecture. Cela ne signifie pas que la lecture orale
remplace strictement le travail de phonétique que l’on peut faire en laboratoire de langue :
si on peut y avoir accès, celui-ci peut venir utilement accompagner l’activité de lecture
orale, permettant à chaque apprenant de faire des exercices ciblant ses difficultés
spécifiques (Suter, 2013 ; Dumontet & Pellois : 2013). Mais la lecture expressive apporte

144
le fait de chercher à mettre en voix des textes qui font sens : cette activité suppose donc
que l’apprenant cherche les réseaux de signification du texte pour en donner vocalement
une interprétation, le texte servant de partition.
Comme dans l’éducation musicale, ce qui se joue à travers la lecture orale, c’est la
relation oralité-auralité et son implication de médiation sur le plan social et affectif : c’est
pourquoi les travaux en didactique de la musique éclairent cette pratique pédagogique. Si,
en effet, l’oralité se situe du côté de la production vocale, le néologisme auralité élaboré à
partir du mot latin, auris signifiant oreille, sert à qualifier le travail d’écoute active du
musicien, conçu comme un « outil correcteur » qui lui permet de « contrôler, vérifier,
corriger par et grâce à l’oreille, en s’appuyant sur l’écoute, le discernement, la
discrimination et le repérage des éléments constitutifs du monde sonore » (Terrien,
2012 : 35-49). Lorsque l’apprenant lit à haute voix, il s’entend et s’autoévalue, de la
même façon que le fait un chanteur : l’oralité, ici le fait de lire oralement, est ainsi le
premier stade de prise de conscience de la production orale dans la langue cible, ce qui
permet, au moment du déchiffrage de la suite du texte et de sa relecture, de s’appuyer sur
cette perception pour se corriger et améliorer sa performance vocale. C’est donc une
activité qui dépasse le seul objectif de dire à haute voix un texte pour construire, en
même temps, une éducation de l’écoute, c’est-à-dire pour apprendre à contrôler et
discriminer par l’ouïe : ainsi conçue, dans le cadre de l’apprentissage d’une langue, la
lecture orale fait indirectement travailler la compréhension de l’oral. Si les apprenants
peuvent pratiquer la lecture orale seuls ou tour à tour dans le cadre de la classe, mettre en
œuvre cette pratique de façon chorale est un moyen de partager ce travail d’écoute et
d’expression orale, c’est-à-dire d’inscrire cette recherche vocale dans le jeu des relations
interpersonnelles, d’expérimenter collectivement la recherche des significations que des
voix peuvent révéler d’un texte.
6.2.3. La lecture chorale : une interprétation collective
De même que l’injonction « chante ! » inhibe souvent l’élève et conduit à une aporie
(Jaccard, 2012 : 109-122), le fait de demander à des apprenants de lire à haute voix
conduit fréquemment à des blocages, psychologiques et physiologiques, le stress d’avoir à
dire un texte devant la classe affectant immédiatement la voix et, de ce fait, l’identité
même du lecteur, sa face sociale et son rapport aux autres. C’est pourquoi, faire aborder
les activités de lecture orale en classe entière ou par groupes d’apprenants de façon
chorale permet de contourner ces facteurs d’inhibition : ils entrent dans la lecture par
l’expérimentation sans prendre de risque personnellement, le groupe protégeant chacun,
en permettant de faire travailler tous les apprenants ensemble et de façon égale. La voix
collective établit la relation entre l’émission vocale et la perception sonore, entre l’oralité
et l’auralité : la lecture orale du groupe conduit à atténuer les difficultés et les défauts de
prononciation de chacun, les apprenants se réglant les uns sur les autres. Dans le cas de
groupes où les langues d’origine des apprenants sont multiples, la lecture chorale en
français assourdit les caractéristiques phonologiques et phonétiques de ces langues.
Le rôle de l’enseignant est alors proche de celui du chef de chœur : debout, comme les
apprenants-lecteurs, il peut donner une lecture orale du texte à déchiffrer, paragraphe par

145
paragraphe, phrase par phrase, ou période par période. Mais il faut distinguer deux types
de lecture chez l’enseignant : celle qui se propose comme une interprétation du texte et
qui se présente comme une mise en voix possible de celui-ci ; celle que l’enseignant
donne comme modèle à reproduire par les apprenants, où il choisit de mettre en valeur ce
qu’ils doivent entendre et mémoriser pour pouvoir à leur tour améliorer leur lecture du
texte. C’est le jeu d’interaction, entre les lectures de l’enseignant et celles des apprenants,
qui mène la classe à ne pas se tenir à une imitation servile de la lecture de l’enseignant,
mais à créer une lecture collective pour pouvoir entendre pleinement le texte, c’est-à-dire
le comprendre. En ce sens, la pratique de la lecture chorale s’inscrit dans une autre
représentation didactique reposant sur une pédagogie sociale qui, par l’effet choral,
conduit chacun à trouver sa place dans le groupe, image réduite de la société.
La lecture chorale peut se mettre en œuvre de façon ludique sous différentes formes de
façon à ce que les apprenants puissent s’écouter et s’écouter les uns les autres : la classe
dans son entier peut lire en même temps le texte avec l’enseignant et jouer des variations
sonores, entre chuchotement et voix projetée ; la lecture en canon, la classe étant partagée
en plusieurs groupes oblige à se concentrer sur son texte ; la lecture à tour de rôle, en
alternance entre deux groupes d’apprenants, par exemple phrase par phrase ou vers par
vers conduit les apprenants à affiner le travail d’écoute, chacun ayant à s’accorder à son
propre groupe mais aussi à entrer en empathie avec l’autre groupe pour pouvoir prendre
la suite de la lecture ; des lectures orales par jeu de relais, chacun lisant une période et
passant la parole à l’autre, peuvent assurer une transition entre lecture chorale et lecture
individuelle, en permettant à l’apprenant de s’habituer peu à peu à lire seul à haute voix…
Aidant à construire une relation sociale entre les apprenants, de tels exercices contribuent
à inscrire l’apprentissage de la langue dans un contexte relationnel, ainsi que dans un
ancrage sensoriel (Trocmé-Fabre, 2003 : 38). À la fois recherches et expérimentations,
les mises en voix des textes lus font entrer la lecture dans la musicalité, et par là dans
l’expérience esthétique.
La poésie est un répertoire très riche pour ce type d’activité en classe de FLE.
Notamment, pour les niveaux A1, A2 et B1, les poésies de Prévert, Tardieu, Roy,
Queneau, Desnos dont le lexique est simple et qui jouent avec des expressions figées et
des structures syntaxiques récurrentes sont accessibles et ludiques pour les enfants
comme pour les adultes. Mais pour montrer la diversité de textes littéraires qu’il est
possible d’aborder en FLE, nous développerons maintenant deux études de cas de mises
en voix par des apprenants, l’une sur de la poésie contemporaine, l’autre à partir d’œuvres
du répertoire de théâtre classique composées en alexandrins. Ces deux expériences, qui
abordent des textes peu faciles d’accès et éloignés de l’usage standard de la langue,
révèlent comment des ateliers de lecture orale permettent à des apprenants de faire des
progrès notables dans la prononciation en renouvelant leurs pratiques de la lecture.
6.2.4. De la phonétique à la performance orale : la poésie sonore en FLE
C’est dans le cadre d’un atelier intitulé « la mise en voix des textes » et dispensé au
(2)
sein d’une association spécialisée dans l’accueil d’étudiants migrants chinois à Paris que
Véronique Kuhn a pu donner à lire « Passionnément », un poème sonore de Gherasim

146
Luca (1913-1994), à une douzaine d’apprenants de niveaux intermédiaire et avancé se
destinant à faire des études en France. L’objectif de cet atelier optionnel était d’introduire
une perspective ludique et expérimentale, créative et littéraire, et d’amener les apprenants
à s’interroger sur la relation entre l’écrit et l’oral en français. Malgré de nombreuses
heures de formation en langue française, ces étudiants souffraient encore de difficultés à
l’oral avec une absence de prise de parole spontanée, des problèmes de diction qui se
caractérisaient par une prononciation erronée, une segmentation systématique de la
chaîne parlée – problèmes de rythme, d’intonation et d’accentuation, ainsi qu’une absence
d’exécution des phénomènes phonétiques à l’oral tels que les liaisons ou les
enchaînements. Comme c’est encore le cas majoritairement en Asie, pour ces étudiants, la
littérature française gardait le statut d’objet sacralisé destiné à des personnes bien formées
en langue française, ce à quoi ils ne s’identifiaient pas encore. De surcroît, ce type de
e
public privilégie plutôt les romans du XIX siècle, considérant que la littérature
contemporaine est originale mais qu’elle « manque de logique » (Pernet-Liu, 2009 : 31).
La mise en voix d’un poème contemporain qui joue sur la matérialité sonore, transfigure
la langue écrite en faisant tomber les barrières de l’orthographe ainsi que des usages de la
langue, et qui ne correspond à aucune forme fixe de la poésie allait donc à l’encontre de
leurs habitudes d’apprentissage de la langue, de la littérature et de la culture française.
Dans « Passionnément », poème issu du recueil Le Chant de la Carpe (1986), le
signifiant est la composante essentielle de la création. Ainsi, le « consonantisme » fonde
le poème sur l’occlusive sourde bilabiale et explosive [p] :
« pas pas paspaspas pas
pasppas ppas pas paspas
le pas pas le faux pas le pas
paspaspas le pas le mau
le mauve le mauvais pas
paspas pas le pas le papa
le mauvais papa le mauve le pas »
Le sens du poème ne s’établit pas selon un déroulement syntagmatique logique mais il
s’acquiert par l’écoute de la réalisation phonétique d’un « bégaiement dans la langue »
(Deleuze & Guatari, 1975 : 29) où les mots – voire les bribes de mots – se font écho par
paronymie ou par homonymie/phonie. Le poème ressemble ainsi à la transcription d’une
prise de parole avec ses hésitations, ses interruptions, ses reprises, ses silences… C’est ce
qui rend toute lecture muette très inconfortable et suggère donc de procéder à sa lecture
orale, ce que Gherasim Luca faisait lui-même sur scène.
L’enseignante a organisé une séquence progressive et a d’abord familiarisé les étudiants
avec des comptines, courtes et simples pour jouer sur le son et le sens des mots et
approcher les questions de la synonymie, de l’homonymie/phonie, de la paronymie et de
la morphologie lexicale. Ils ont ensuite abordé « Passionnément » en repérant le lexique,
puis les réseaux et les glissements lexico-morphologiques. Elle a alors introduit des
éléments d’échauffement vocal, comme ils peuvent être pratiqués en chorale, avec des
exercices sur le souffle, l’articulation des consonnes puis des voyelles, pour que les

147
étudiants prennent conscience de leur appareil phonatoire et de la diversité des lectures
possibles par la théâtralisation. De tels exercices, comme toute mise en voix, supposent
d’être debout : pour ces apprenants, habitués à rester assis et à noter le cours dispensé par
un professeur, se lever même pour faire des exercices servant à améliorer leur
prononciation les gênait et risquait même de les conduire à se raidir ou à abandonner
l’activité. C’est pourquoi la lecture orale du poème de Luca n’a pu être abordée avec
succès qu’en laissant les apprenants se réfugier dans la position assise : c’est la lecture du
texte, le jeu sur le souffle que le poème exige, qui les a menés, par leur geste vocal, à
s’impliquer avec leur corps dans la lecture orale du poème. La lecture orale a été facilitée
par un découpage du texte en différentes unités et une répartition de celles-ci entre les
étudiants, avec quelques passages que certains d’entre eux pouvaient avoir à dire en même
temps : ce procédé visait à éviter que les étudiants ne s’essoufflent mais aussi à les obliger
à s’écouter les uns les autres, à devenir attentifs aux façons de dire. Enfin, une lecture
orale collective du poème a été enregistrée sur un logiciel libre d’enregistrement et de
montage audio, Audacity, pour que les étudiants puissent en garder une trace pérenne et
s’investissent dans un projet commun autour du français et de la littérature.
Compte tenu de l’écriture singulière de Gherasim Luca, les pratiques de mise en voix
ont servi la compréhension du texte. Convoquant une dimension émotionnelle forte, la
lecture orale a fait surgir, pour ces apprenants, une forme de plaisir du texte, à travers son
émission et sa réception. Cette activité de lecture orale a eu des prolongements :
parallèlement, les apprenants ont composé à l’écrit un poème sonore à la manière de
e
Gherasim Luca, l’ont présenté à un concours de poésie organisé par le 8 Festival de
poésie du Printemps des poètes à Paris et, tirés au sort, ils ont pu donner une lecture
publique de leur production dans la bibliothèque municipale du deuxième arrondissement
lors d’une des rencontres organisées pour cet événement. Ainsi, cette lecture a pu jeter un
pont entre les dimensions communicative et littéraire en classe de FLE, mais elle a aussi
montré que le savoir-lire des textes littéraires à l’oral relève d’un savoir-faire social et fait
gagner en fluidité en expression orale.
6.2.5. L’alexandrin et le théâtre en vers comme support de la prononciation
La lecture oralisée d’alexandrins dans le cadre de l’apprentissage du FLE repose sur
des présupposés didactiques semblables à ceux qui président à des exercices de
prononciation par la lecture de poésies sonores. La poésie en alexandrins et le théâtre en
vers sont en effet éloignés des usages du français contemporain : le poème, composé
selon des principes rythmiques et mélodiques, admet une syntaxe plus libre que celle de
la langue ordinaire, avec notamment des antépositions de mots ou de groupes nominaux
ou des dislocations d’éléments verbaux ; le lexique est le plus souvent soutenu, parfois
archaïque ou rare. Cela rend parfois difficile son déchiffrage pour un lecteur
contemporain, a fortiori pour qui apprend le français. Prendre pour support un poème en
vers, c’est donc considérer que cette difficulté de lecture peut être formatrice et qu’elle
permet d’apprendre la langue avec la conscience de ses variations.
Dans le cas que nous allons étudier ici, c’est le principe syllabique de l’alexandrin qui
fait des poèmes et du théâtre en vers un support de lecture orale pouvant guider

148
l’apprenant pour trouver une fluidité prosodique en français, à travers le rythme, le débit
articulatoire, l’accentuation et l’intonation, c’est-à-dire pour s’entraîner à prononcer le
français (Lauret, 2007 : 5-41). Il ne s’agit pas de poser le rythme de l’alexandrin comme
norme de la prosodie française et de son apprentissage, alors qu’on sait que les usages
attestés du français parlé se caractérisent par une très grande variabilité, ce que
l’enseignement du FLE a à prendre en compte (Detey & Racine, 2012 : 81-96). Mais
c’est travailler à partir d’une représentation de la langue française. En effet, comme l’a
souligné le poète contemporain Jacques Roubaud, la structure prosodique de l’alexandrin
a été considérée comme « l’étalon de mesure de toute expression en [français], prose ou
vers, pendant au moins trois siècles » (1978 : 9). Une grande partie du répertoire théâtral
e
français a donc été composé en alexandrins : au XVII siècle, l’abbé d’Aubignac, champion
de la doctrine classique, pouvait même expliquer que ce vers était « comme de la prose »
et que « chacun en fait sans peine et sans préméditation dans le discours ordinaire »
(1967 [1657] : 262-263). Si aujourd’hui, l’alexandrin peut sembler loin de notre usage de
la langue, il n’en reste pas moins que le défilement des douze syllabes pleinement
prononcées de ce vers correspond au rythme de la langue française, qui se caractérise par
une certaine incompressibilité des syllabes, y compris des syllabes atones, ainsi que par
son caractère lié. La quasi-isochronie et le caractère tendu du français le distinguent des
langues de type détendu, comme l’anglais, des langues tonales ainsi que des langues
accentuelles.
C’est l’expérience de lecture orale de tragédies de Racine, Andromaque, Iphigénie et
Phèdre par des étudiants de niveau C1 dans le cadre d’un cours sur la mythologie à l’âge
classique donné à l’université de Duke (EU) qui a attiré notre attention sur les progrès
qu’ils faisaient à l’oral (Rollinat-Levasseur, 2003). Ces jeunes gens, qui revenaient d’un
semestre d’étude à Paris, s’exprimaient en français avec spontanéité et fluidité. Mais c’est
la lecture de ces textes dramatiques qui les a conduits à perfectionner leur diction en les
obligeant à surarticuler les syllabes qu’ils avaient tendance à avaler à cause des
caractéristiques de leur langue d’origine. La règle de l’élision qui détermine quand il
convient de prononcer le /ə/ ou non est pour les anglophones une aide cruciale et, dans le
cas de ces étudiants, leur a permis de s’appuyer sur la découverte visuelle des textes pour
apprendre à repérer quand prononcer le /ə/, autrement dit quand ce phonème est suivi par
une consonne. L’application à dire toutes les syllabes des alexandrins a donné à leur
diction la régularité qu’ils n’étaient pas parvenus à lui donner jusqu’alors. La surdité
phonologique est en effet un frein à l’autocorrection : les règles prosodiques de
l’alexandrin donnent un cadre et l’hypercorrection de la prononciation qu’elles impliquent
permet à l’apprenant de structurer l’apprentissage de la prononciation parce qu’elles
agissent comme un miroir grossissant des caractéristiques de la langue française et lui
offrent un modèle qui favorise l’intelligibilité. Nous retrouvons ici le principe de
l’approche structuro-globale audiovisuelle (SGAV) quand elle a élaboré le système
verbotonal, considérant que « rendre plus saillantes les informations mal perçues ou non
perçues » est une réponse à la surdité phonologique (Lauret, 2007 : 108) et que
« l’apprentissage de la parole [est] une activité structurante placée sous le signe d’une

149
assimilation progressive de l’activité langagière par approximations successives » (Renard,
2002 : 12). Ainsi, la lecture orale en tant qu’activité centrée sur la diction est une étape
dans l’apprentissage de la prononciation : la surarticulation attendue dans cet exercice a
des répercussions dans l’expression orale, donnant une impulsion à l’apprenant, l’obligeant
à sortir de ses habitudes articulatoires, ce qui, par effet ressort, améliore sa prononciation
dans la langue-cible et lui permet de mieux se faire comprendre.
Cette activité de lecture orale à partir de textes en alexandrins peut être pratiquée de
façon chorale avec des apprenants hétéroglottes dès un niveau B1 avec le même objectif
de correction phonétique, comme en témoigne l’expérience que nous avons menée auprès
d’étudiants en FLE à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 (Rollinat-Levasseur, 2002).
Cela suppose néanmoins que cette activité soit insérée dans un dispositif didactique qui
mette en valeur ce travail de prononciation et qui aide les apprenants à déchiffrer et
comprendre les textes qu’ils lisent, de façon à ce que cet exercice prenne sens et inscrive
l’apprentissage de la langue dans celui de sa culture et de sa littérature. Des exercices
d’échauffement vocal adaptés aux difficultés spécifiques des apprenants concernés,
accompagnés de gestes qui favorisent leur émission préparent de façon ludique à
l’exercice de lecture. Par exemple, pour aider les apprenants à entrer dans le rythme et la
mélodie de l’alexandrin, il nous a paru utile de proposer un support visuel, comme le
ferait un chef de chœur, avec un geste de la main, de gauche à droite, de hauteur égale
pour mimer le défilement des syllabes du vers. Un tel geste est en réalité arbitraire : mais
il vaut en tant que tel pour que les apprenants puissent donner un ancrage corporel à leur
travail phonétique et phonologique. Si une lecture chorale de ce type peut mener
ponctuellement les apprenants à expérimenter une façon de dire le français, seule sa
répétition les conduit à trouver une aisance dans la diction.
Une telle activité agit donc comme des exercices de phonétique et de phonologie. Elle
s’en distingue parce qu’elle fait associer le travail de prononciation à celui de
compréhension à partir de textes porteurs de sens. Cet exercice n’exige cependant pas que
l’apprenant comprenne tous les mots qu’il prononce ni toutes les nuances du texte qu’il
déchiffre. L’enseignant peut reformuler les expressions difficiles, donner des synonymes
utiles, résumer un passage, voire inviter les apprenants à lire les textes dans leur langue
d’origine si certains en ont besoin – pour le théâtre classique, les textes sont accessibles
en traduction dans de très nombreuses langues. Mais cette activité gagne un
prolongement dans l’élaboration d’un jeu scénique : la performance physique exigée par
la prononciation des textes, initiée par la performance vocale, trouve alors véritablement
un ancrage corporel.
6.3. Du texte au jeu : littérature et pratiques théâtrales en FLE
La pratique théâtrale dans le cadre de l’apprentissage d’une langue étrangère est
e
attestée depuis longtemps : les jésuites y ont eu recours dès la fin du XVI siècle, de façon
notable, pour que leurs élèves gagnent de l’aisance dans leur connaissance du latin, et ils
en faisaient une des activités d’expression orale dans cette langue. Dire les textes dans la
langue cible, les mémoriser et les jouer : voilà avant tout ce qui aide à apprendre une
langue, selon les pédagogues qui soulignent aussi, siècle après siècle, combien la pratique

150
théâtrale est une activité collective et ludique, qui permet d’apprendre ensemble par le jeu,
en rompant avec les traditions de l’enseignement magistral. Aussi, le drama (ou jeu
dramatique) ainsi que le théâtre, et par conséquent le théâtre en FLE, sont avant tout
pratiqués dans les cultures éducatives qui privilégient des approches actives dans leur
enseignement et qui encouragent les élèves à se réaliser à travers des projets, comme c’est
souvent le cas dans les pays anglo-saxons. Dans les pays où la culture théâtrale et
littéraire reste forte comme dans l’est de l’Europe, des cours de français par le théâtre
sont également proposés aux apprenants. Le plus souvent, néanmoins, la pratique
théâtrale demeure reléguée hors des cursus, sous forme d’ateliers offerts aux amateurs
volontaires (Alix, Lagorgette & Rollinat-Levasseur, 2013 : 10-11), les institutions
redoutant encore souvent une telle pratique artistique jugée volontiers dangereuse : d’une
part, le théâtre engage les apprenants tout à la fois physiquement et intellectuellement ;
d’autre part, de même que la littérature peut être considérée comme séditieuse, car
incitant à penser et à questionner le rapport au monde, le théâtre peut être redouté pour
ses pouvoirs de subversion sociale et politique, pouvoirs d’autant plus grands que
l’interprétation spectaculaire les donne à voir et à entendre.
Ainsi, la pratique dramatique et théâtrale n’est pas systématiquement associée à
l’apprentissage des langues. Elle peut pourtant être intégrée de diverses façons : la mise
en voix et en espace d’un texte littéraire peut constituer ponctuellement un contrepoint
ludique dans l’organisation d’un cours, par exemple à l’occasion de la lecture d’un texte ;
elle peut aussi constituer un exercice régulier qui s’intègre parmi les activités proposées
dans le cadre de l’enseignement-apprentissage du français ; elle peut enfin faire l’objet de
projets pédagogiques allant jusqu’à une mise en scène et à des représentations. Dans tous
les cas, même lorsque la mise en voix et en espace n’est qu’embryonnaire, l’exercice
transforme le rapport au texte et à l’apprentissage de la langue. Nous analyserons tout
d’abord quels usages de la pratique théâtrale peut faire l’enseignement du FLE, puis nous
proposerons une analyse des répertoires de textes dramatiques qui sont abordés en FLE,
en étudiant quelle représentation de l’acteur-apprenant ils supposent.
6.3.1. Mises en voix et en espace des textes littéraires : explorations et expériences
Les pratiques expérimentales qui se sont développées depuis les années 1960 dans les
arts scéniques ainsi que la remise en question de l’unité du personnage (Ryngaert &
Sermon, 2006) ont contribué à ouvrir des perspectives dans la pratique théâtrale dans les
cadres amateur et éducatif. En effet, le nombre de participants dans un atelier ou dans
une classe ne coïncide pas nécessairement avec une distribution traditionnelle de rôles,
avec un acteur par personnage, laquelle risque souvent de déséquilibrer les rapports au
sein d’un groupe. Les pratiques théâtrales collectives qui conduisent à faire collaborer les
participants avec différents procédés, jouant de leur implication dans les rôles,
rencontrent ainsi les objectifs d’une pédagogie soucieuse de faire travailler chacun, à sa
mesure, dans le groupe.
D’autre part, bien que la création théâtrale contemporaine se soit nettement tournée
vers la performance (Danan, 2013), la vitalité de la littérature et des textes dramatiques
reste notable : les textes du passé sont sans cesse revisités par de nouvelles mises en

151
scène et ces dernières décennies ont vu s’épanouir de nombreuses écritures dramatiques
françaises et francophones, y compris à destination de la jeunesse, avec des auteurs
comme Jean-Luc Lagarce, Philippe Minyana, Catherine Anne, Daniel Danis, Matéi
Visniec, José Pliya, Fabrice Melquiot, Wajdi Mouawad, Marie Ndiaye (Bernanoce, 2006
et 2012). Les textes littéraires et dramatiques restent ainsi une matrice bien présente dans
les usages de la scène contemporaine.
6.3.1.1. Mise en espace, mise en image
Une mise en espace ou une mise en image d’un texte apportent un ancrage corporel et
visuel à l’apprentissage d’une langue : alors que l’expression orale est souvent limitée à la
prise de parole, le travail sur l’espace permet d’associer la production orale ou l’écoute et
la compréhension écrite ou orale d’un texte à des gestes, des postures et des déplacements
dans l’espace qui, touchant les sens, servent à la mémoire sensorielle (nécessaire à la
mémoire à court terme) et, par leur répétition ou les jeux de variation, sont propices pour
développer une mémoire procédurale. Nous envisagerons quelques exemples d’exercices
que l’on peut aborder avec une classe et qui permettent, à partir d’un texte littéraire, d’en
donner des interprétations visuelles et sonores.
Le théâtre-image est ainsi une technique qui, appliquée à la lecture d’un texte, permet
en très peu de temps de donner à voir ce qui a été lu : les apprenants, par groupes, de
quatre à huit, cherchent à donner une représentation synthétique de ce qu’ils ont lu en
modelant, à partir d’eux-mêmes, de leurs corps, comme une statue collective. Un tel
exercice de dramatisation conduit à mettre en évidence le sens du texte, sa signification
essentielle, mais aussi ses enjeux à travers les images créées (Page, 1998, 2006).
L’activité, consistant à faire regarder ce que l’on ne voit pas, peut avoir un impact
esthétique dans l’imaginaire des apprenants, leur faisant voir ce qu’ils lisent. Mais surtout,
comme dans tout jeu dramatique, elle importe en classe de langue en ce qu’elle fait
verbaliser les participants à partir de leur lecture d’un texte : au moment où ils élaborent
leur image-statue, les participants communiquent entre eux sur leur interprétation ; puis
au moment où les groupes présentent les uns aux autres leur image, ceux qui regardent
les participants-acteurs-statue décrivent ce qu’ils voient, leur posent des questions sur les
choix retenus et inversement. Un tel exercice peut être mis en œuvre dès le niveau A2
avec des textes simples et courts, des poèmes, ou des passages de romans, par exemple
avec l’incipit de Lily et Braine de Christian Gailly (2009), qui décrit à l’imparfait des
retrouvailles familiales après une longue hospitalisation :
« Lily était venue l’attendre à la gare. Elle n’était pas venue seule. Deux autres vivants
lui tenaient compagnie. Un enfant et un chien. Un petit garçon de trois ans et un chien
du même âge. Le fils de Braine s’appelait Louis. La chienne de Lily s’appelait Lucie. »
À des niveaux plus avancés, la verbalisation peut aller jusqu’à l’analyse des propositions
d’images produites et à leur comparaison avec le texte lu : voilà qui offre une alternative
aux formes traditionnelles d’explication de texte par un mode de commentaire textuel
expérimental. Une telle activité permet aussi à chaque apprenant de participer : si un
apprenant refuse de participer en personne à l’élaboration de l’image, il peut jouer le rôle
de metteur en scène ou lire le texte à haute voix pendant la mise en espace de l’image

152
(éventuellement avec le soutien d’une lecture partagée avec l’enseignant).
Les mises en espace de textes littéraires, textes dramatiques ou non, permettent ainsi à
des enseignants et à des apprenants qui n’ont jamais fait de théâtre d’aborder des textes
littéraires par une pratique théâtrale qui mêle lecture expressive et chorale avec une
exploration physique de l’espace : il suffit de dégager un peu d’espace vide dans la salle
de cours, en repoussant les chaises et les tables, pour que des groupes d’apprenants disent
le texte avec une alternance de voix individuelles et collectives, tout en jouant de
différentes positions et postures dans un espace donné. Faire un pas en avant, reculer,
s’accroupir, s’asseoir, se tourner, se mettre dos à dos, face à face, faire un geste ample du
bras… voilà autant de gestes très simples qui construisent une chorégraphie, aussi
élémentaire soit-elle. Si la gestuelle et les déplacements des participants n’illustrent pas
strictement le texte et peuvent être choisis arbitrairement, la décision de produire tel ou
tel geste à tel moment du texte n’en reste pas moins signifiante : le mouvement peut ainsi
épouser la syntaxe des phrases, suivre la ponctuation, mais il peut aussi seulement mettre
en valeur des mots du texte qui semblent importants. Associant la pratique de la langue à
la mémoire sensori-motrice et kinesthésique, la chorégraphie conduit à incorporer la
langue que le texte littéraire véhicule grâce à la pratique créative que constitue cet
exercice, mais aussi grâce à sa répétition qui contribue à la mémorisation du texte. Par
exemple, le poème « Monsieur » de Norge (1990) est remarquable par la répétition de la
tournure syntaxique « je vous dis de » suivie de différents infinitif :
« Je vous dis de m’aider,
Monsieur est lourd.
Je vous dis de crier,
Monsieur est sourd.
Je vous dis d’expliquer,
Monsieur est bête.
[…] »
Sa mise en espace peut consister à rythmer la lecture en répartissant des apprenants
par deux sur plusieurs points de la salle, en répartissant les distiques par sous-groupe et
en demandant à chacun de faire un mouvement qu’il aura déterminé au moment où il dit
un vers ; pendant qu’un apprenant dit son vers, les autres peuvent aussi effectuer un autre
geste qu’ils auront choisi ; d’autres mises en espace sont bien sûr imaginables en fonction
de ce que les apprenants veulent mettre en valeur : ce peut être le lien entre les vers de
chaque distique ou bien l’organisation syntaxique de chaque vers-phrase avec les termes
répétés et les éléments de variation. Sur le plan linguistique, et pour que les apprenants
puissent réemployer ce qu’ils auront acquis à travers un tel exercice, le guidage de
l’enseignant est essentiel : c’est à lui d’articuler l’activité avec le point lexical ou
grammatical auquel le texte sélectionné peut rendre sensible, c’est-à-dire de justifier le
choix du texte en fonction de l’objectif linguistique visé, mais aussi de faire en sorte que
ces points soient réactivés en production orale et écrite dans la suite du cours. Cette
activité dépasse toutefois ce seul objectif fonctionnel par la dimension émotionnelle et
esthétique que produit l’effet de la mise en voix et en espace du texte (Pierra, 2001,

153
2006). La salle de classe suffit à tracer les contours d’une scène, mais l’exploration
dramaturgique peut aussi conduire à sortir des lieux traditionnels d’enseignement, à
transformer d’autres lieux en espaces scéniques, voire à tracer une déambulation
spectaculaire (Parisse, 2013) et donc à se mettre en mouvement, c’est-à-dire dans une
dynamique qui peut représenter le passage d’une langue/culture à une autre. Enfin,
participant à une énonciation collective du texte littéraire, elle ancre la pratique de la
langue dans une dimension interactionnelle, « socle de la reliance » (Aden, 2008/2010) :
la mise en espace suppose de construire à plusieurs la représentation du texte, de faire
attention à l’autre, c’est-à-dire à ceux avec qui on joue, mais aussi à ceux devant qui on va
jouer.
6.3.1.2. Texte et jeu théâtral
Si la mise en espace permet de travailler de façon décalée sur la gestuelle et la posture
dans l’espace, un jeu qui illustre ce que le texte dit a aussi une grande efficacité dans le
cadre du théâtre en classe de langue. Cette approche du jeu théâtral, plus traditionnelle,
consiste à associer étroitement la mimique, le geste et la parole : elle suppose ainsi que
l’apprenant intériorise son rôle et la situation dramatique jouée, ce qui contribue à créer
un rapport affectif avec la langue-cible. Diverses conceptions du jeu de l’acteur peuvent
néanmoins être mises en œuvre, entre la méthode de Stanislavski (1938), qui demande au
comédien de chercher en lui dans sa « mémoire affective » la façon d’interpréter sur
scène le personnage qu’il joue, la représentation que Diderot a de l’acteur, qui doit user de
sa raison pour imiter le plus exactement ce qu’il joue, ou même des formes plus
distancées, comme celles que la réception du théâtre de Brecht a contribué à développer.
Dans les ateliers de FLE par le théâtre, l’enseignant-animateur met parfois en œuvre la
méthode de jeu dramatique qu’il connaît. Mais le cadre d’une classe de langue, n’a pas
pour objectif principal de former des acteurs et permet surtout de faire découvrir une
approche du jeu dramatique dans le but que les apprenants gagnent en aisance dans leur
production orale. Ainsi, la pratique théâtrale en classe de langue part avant tout des
représentations que les apprenants ont de ce qu’est jouer – et, avec le cinéma ou la
télévision, chacun aujourd’hui a une idée de ce qu’est le jeu d’un acteur, même sans
jamais avoir été au théâtre (Schautz, 2013). Deux difficultés se présentent néanmoins
souvent quand un enseignant demande à sa classe de jouer un texte : le risque que les
apprenants adoptent un jeu outré, allant parfois jusqu’au cabotinage, ce qui peut faire
écran au texte à interpréter ; le risque que l’apprenant ne parvienne pas à entrer dans son
rôle, par inhibition.
Certaines techniques théâtrales peuvent faciliter l’entrée dans le jeu, même des
étudiants les plus réticents a priori. L’usage de masques sert à protéger la face de
l’apprenant, en dissimulant son visage, et de simples photocopies de photos de portraits
que les apprenants peuvent tenir devant leur visage suffisent, tout en créant un effet visuel
qui fait entrer dans une dimension esthétique. Surtout, le masque gêne celui qui le porte
et l’oblige à faire un effort supplémentaire pour se faire comprendre. Comme l’ont montré
Fabienne Dumontet et Anne Pellois (2003), dans l’analyse du travail de mise en scène
qu’elles ont fait de la pièce Un Radical barbu de Boris Vian lors d’un atelier avec des

154
apprenants de niveau A2 à C1 : moustaches postiches, gifles de théâtre, simulations de
chutes, port d’objets très lourds…, cristallisent le stress ainsi que l’attention des
apprenants, et ont un effet libératoire sur le jeu et sur la prononciation. D’autres procédés,
comme le dédoublement des rôles ou même celui de doublure viennent atténuer
l’exposition des apprenants en les faisant aborder le travail en étroite collaboration : être
deux acteurs pour le même personnage avec un découpage des répliques ou reprendre à
l’identique la réplique que vient de prononcer un apprenant-acteur exige d’accorder très
précisément son jeu et sa voix avec son partenaire. Du point de vue de l’apprentissage de
la langue, la co-construction des personnages joue le rôle du procédé d’objectivation de
sa voix que l’on recherche en laboratoire de langue et conduit à des progrès notables en
correction phonétique (Dumontet & Pellois, 2013 : 229). Sur le plan esthétique, c’est
expérimenter et comprendre par l’exercice le travail scénique que mènent parfois des
metteurs en scène contemporains, comme l’a fait Antoine Vitez dès 1971 avec
Andromaque de Racine. Enfin, même des rôles muets peuvent agir sur l’apprentissage de
la langue-cible : pour jouer ces rôles, comme pour jouer un personnage qui parle, il faut
inventer une « langue silencieuse, une forme de négociation avec soi-même pendant le
jeu, notamment lors de la construction du personnage » qui favorise une intériorisation de
la langue, devenue « outil de communication intime » (Pellois, 2009 : 98).
Certains apprenants abordent, à l’inverse, le jeu théâtral en surjouant. Or, un jeu forcé
véhicule une représentation figée et traditionnelle du théâtre tout en menant parfois
l’apprenant à fossiliser des erreurs de prononciation et d’intonation par le fait de vouloir
être expressif. Mais ces défauts sont compensés par l’assurance que l’apprenant gagne
dans son expression orale dans la langue-cible. Le rôle de l’enseignant-metteur en scène
est alors de conduire l’apprenant à nuancer son jeu en lui suggérant différentes façons
d’exprimer son rôle, par exemple en lui donnant des indications d’interprétations
inattendues : prendre un air grave alors qu’il dit des propos badins ou inversement,
chuchoter au lieu de parler, prendre un air détaché alors que le dialogue est sérieux.
L’approche de chaque rôle s’élabore ainsi progressivement au fur et à mesure du cours par
sa construction, sa déconstruction et sa reconstruction. De telles variations sur un même
texte entraînent l’apprenant à explorer différentes façons de dire un même énoncé, à
devenir sensible à sa façon de ressentir et d’exprimer des sentiments et des sensations,
mais aussi à devenir attentif au contexte d’énonciation d’un énoncé : comprendre une
langue, ce n’est pas comprendre une suite de mots, c’est décoder ce que des énoncés
peuvent signifier dans un contexte d’énonciation spécifique ; parler une langue étrangère,
ce n’est pas seulement produire des phrases, c’est prendre la parole dans des situations
spécifiques. Indirectement, de tels exercices construisent une lecture du texte, donnant
des éclairages différents sur les interprétations possibles qu’on peut en faire.
La pratique théâtrale offre ainsi des situations qui permettent aux apprenants de sortir
d’eux-mêmes et de découvrir qu’ils peuvent parler en français autrement qu’ils ne l’ont
fait jusqu’à cette expérience, comme le montrent ces deux exemples observés à la
Sorbonne Nouvelle avec des étudiants de niveau B1 et B2. En 2010, le simple fait de
mettre des chaussures à talons pour interpréter Bélise dans L’École des femmes, vieille

155
fille ridicule persuadée que tous les hommes sont amoureux d’elle, a permis à une
étudiante chinoise d’aller chercher une voix haut perchée, qu’elle identifiait comme « la
voix des Françaises » et pour laquelle elle éprouvait jusqu’alors un mélange de fascination
et de rejet : à partir de là, elle a pu rendre sa voix plus sonore quand elle parlait en
français. En 2012, l’interprétation par deux étudiants du personnage de Dutôt dans Par-
dessus bord de Michel Vinaver a enrichi la compréhension de la pièce et de ses enjeux.
Dans cette pièce qui retrace la façon dont une entreprise familiale de papier toilette
affronte les effets de la mondialisation, Dutôt est un jeune loup, insolent avec des
collègues qu’il estime dépassés. Une étudiante colombienne, mince et vêtue d’un tailleur
pantalon sobre, disait par exemple avec un débit rapide et beaucoup d’assurance et
presque de grossièreté :
« Rien d’étonnant le produit est plus doux il suffit de ne pas avoir un cul d’éléphant »
(2003 : 254)
Elle rendait ainsi clair l’aplomb de Dutôt qui s’adresse à ce moment-là à sa supérieure
hiérarchique. Mais le même passage interprété à contre-emploi par un étudiant coréen,
discret et bégayant toujours avant de commencer à parler en français, a pris une autre
couleur, rendant tout à coup sensible l’énormité de cette réplique du fait même de ses
hésitations à la prononcer. Cette interprétation a modifié la perception que l’étudiant
coréen avait de lui-même et lui a montré qu’il pouvait se faire entendre malgré sa
timidité. Mais surtout ces deux façons de jouer le même personnage ont permis de
superposer des lectures du texte et d’enrichir sa compréhension : elles ont donné à
percevoir le choc entre deux générations tout en montrant qu’innover face aux pesanteurs
administratives demande un effort inouï.

Comment évaluer la pratique théâtrale en français ? Les ateliers de théâtre font
souvent intervenir trois niveaux pour faire progresser les acteurs : l’auto-évaluation,
l’évaluation par l’enseignant et l’évaluation par le groupe. Dans un tel dispositif, le rôle de
l’enseignant n’est pas de valider ni de sanctionner la production de l’apprenant, mais de
participer au travail de réflexivité de l’apprenant sur sa pratique du théâtre et du français.
C’est le principe retenu par un établissement du secondaire, la Leibnitz Schule de Berlin
(3)
qui a élaboré avec son association partenaire, La Ménagerie , une grille d’auto-
évaluation à remplir par ses élèves après chaque cours avec six critères : respect des
consignes, écoute et concentration ; implication dans le groupe, moteur du projet, énergie
donnée ; être expressif avec son corps : mouvement, gestes, mimiques ; être expressif
avec sa voix : intonation et prononciation ; comprendre et apprendre son texte au fur et à
mesure ; interaction en français avec l’intervenant. Les textes littéraires sont ainsi mis au
service des objectifs pédagogiques, ce qui ne signifie pas pour autant que leur découverte
y soit asservie : l’interprétation n’est pas ici considérée comme le devoir de respect à la
lettre des textes, mais comme un lieu d’expression.
6.3.2. Textes dramatiques en FLE
Les textes dramatiques, textes littéraires destinés à être interprétés sur scène, c’est-à-
dire à être énoncés comme s’ils l’étaient réellement, ne sont que des représentations de

156
situations de communication (Larthomas, 1972 : 175-366 ; Mounin, 1970 : 87-94) : la
langue que l’on trouve dans un dialogue théâtral est une langue écrite et stylisée qui imite
la langue orale et en véhicule des représentations, mais ce n’est aucunement du français
parlé (Weber, 2013). Cependant, interpréter un dialogue théâtral est une activité
pertinente pour l’apprentissage du FLE, car le théâtre donne à voir les lois de la
conversation tout en rendant sensibles les dimensions non linguistiques de l’échange
verbal : jouant du fonctionnement, mais aussi des dysfonctionnements des situations de
communication, les échanges de la fiction théâtrale entraînent les apprenants à prendre
conscience du jeu des interactions verbales et des pratiques langagières dans leurs usages
réels (Godard & Rollinat-Levasseur, 2005).
Les témoignages attestent une grande variété du répertoire interprété dans le cadre de
l’enseignement-apprentissage du FLE : le choix des textes et des œuvres retenues
reposent sur des critères linguistiques, mais c’est avant tout le goût, la culture et le désir
personnels de l’enseignant qui expliquent la variété des pièces explorées et qui
manifestent l’inventivité et la capacité de renouvellement de certains spécialistes de la
pratique théâtrale en FLE. Cependant, on peut identifer trois types de répertoires,
lesquels sont révélateurs de la conception de la pratique théâtrale en FLE, mais aussi de
l’enseignement-apprentissage du FLE à travers une telle activité : les grandes œuvres du
théâtre français, le théâtre de l’absurde, le théâtre de paroles. Nous évoquerons enfin le
rôle que peut avoir le répertoire francophone pour la compréhension des usages de l’oral
dans leur écart avec le français standard.
6.3.2.1. Les enfants de Molière
L’intérêt pour les textes de grands auteurs se justifie par leur importance dans la
culture, mais aussi par leur force stylistique et dramaturgique même si la langue employée
présente parfois des tournures archaïques et qu’elle s’écarte de l’usage standard. Les
comédies de Molière offrent ainsi des morceaux de choix, d’autant plus qu’on y trouve
des scènes et des passages avec des répliques brèves, qui permettent à des apprenants de
s’amuser du comique de situation ou de répétition, d’un quiproquo : elles font toujours
rire enfants, adolescents et adultes. La fameuse scène du Bourgeois gentilhomme où le
Maître de philosophie enseigne à Monsieur Jourdain comment articuler les voyelles
(acte II, scène 4) séduit souvent les enseignants, comme en témoigne sa présence dans
plusieurs manuels de FLE : le dialogue semble servir d’appui au cours de phonétique.
D’autres scènes, très simples, peuvent être jouées dès les niveaux débutants. Ainsi, avec la
scène où Arnolphe frappe à la porte chez lui et où ses valets se battent pour ne pas ouvrir
dans L’École des femmes (I, 2), le jeu des répliques fait pratiquer des formes simples de
l’interrogation, de l’impératif, du futur et de la négation et sert à ancrer ces expressions
dans la mémoire des apprenants du fait de leur brièveté, de leur répétition et de leur
association à une situation concrète et incarnée, ce d’autant plus quand ces paroles sont
associées à des gestes et des mouvements clairs :
« ALAIN
Qui va là ?
ARNOLPHE

157
Moi.
ALAIN
Georgette !
GEORGETTE
Hé bien ?
ALAIN
Ouvre là-bas.
GEORGETTE
Vas-y, toi.
ALAIN
Vas-y, toi.
GEORGETTE
Ma foi, je n’irai pas.
ALAIN
Je n’irai pas aussi.
ARNOLPHE
Belle cérémonie
Pour me laisser dehors ! Hola, ho, je vous prie. »
Une telle activité allie d’emblée à la pratique de l’expression orale une dimension
culturelle et patrimoniale, l’enseignant ayant à donner quelques indications sur l’auteur, la
pièce et ses enjeux au moment où il donne le texte à jouer. Avec le théâtre de Molière
s’ajoute un gain symbolique spécifique, celui d’enseigner le français en faisant pratiquer
littéralement « la langue de Molière ». C’est pourquoi la troupe des étudiants de
philologie française de l’université d’État de Moldavie, fondée en 2009, a-t-elle pu choisir
de se consacrer à ses comédies et de prendre pour nom « Les Enfants de Molière ».
La virtuosité à acquérir pour interpréter le répertoire classique semble donc formatrice
pour l’apprentissage de la langue française, mais aussi et plus largement, pour l’aisance à
l’oral. En témoignent les étudiants inscrits au cours de théâtre français de l’université de
(4)
Princeton aux États-Unis : ils travaillent les grandes scènes ou les œuvres du répertoire
classique, en prose ou en vers, sur le modèle des textes à préparer pour l’entrée au
Conservatoire en France, alors qu’ils n’ont pas tous le français pour spécialité.
Néanmoins, face aux difficultés présentées par ces grands textes du répertoire, les troupes
mettent souvent en place des stratégies de contournement (Zucchiatti, 2009). Des
personnages de chœur sont ainsi souvent créés par les apprenants de FLE pour raconter,
résumer, expliquer l’action de certaines scènes, en français contemporain ou parfois
même dans la langue d’origine. Le recours au surtitrage, facilité désormais par
l’accessibilité des vidéoprojecteurs, joue un rôle similaire, permettant de traduire ou de
résumer des passages, en français ou dans la langue locale. Sur le plan linguistique, ces
procédés font ajouter à l’interprétation du texte dramatique des exercices de production
écrite et orale en français, ou même des exercices de traduction. Mais surtout, ils
viennent aider les apprenants à se faire comprendre de leurs spectateurs quand ils
donnent une représentation publique au terme de leur travail : voilà qui les libère du seul

158
souci d’avoir une prononciation intelligible et qui leur permet de se concentrer sur leur
expressiviaté, sur le jeu théâtral, d’en explorer toutes les possibilités, y compris, celles des
formes esthétiques qui ne sont pas purement illustratives ou encore celles d’un contre-jeu,
c’est-à-dire d’une gestuelle qui montre l’inverse de ce qui est dit.
6.3.2.2. Les jeux de l’absurde
Les textes du théâtre de l’absurde, comme du théâtre de paroles, ne demandent pas de
mise en espace avec des effets spectaculaires difficiles à créer ni un jeu physique ni une
bonne maîtrise des techniques théâtrales : aussi se prêtent-ils facilement à une
exploration de leur interprétation, même dans le cadre contraint de l’espace d’une classe.
Le théâtre de l’absurde ou de la dérision constitue un corpus vers lequel les enseignants
de FLE se tournent volontiers avec notamment des pièces ou saynètes de Ionesco,
Tardieu, Dubillard, Visniec ou Ribes. Ces textes sont relativement brefs, ce qui permet de
les faire travailler dans leur intégralité. Les dialogues rattachés à l’absurde ne peuvent pas
être pris comme des modèles de communication qu’il faudrait répéter pour pouvoir les
imiter puisque par excellence ils jouent de l’absurde, des dérèglements de la langue et de
la vacuité des échanges conversationnels. Dans l’anti-pièce qu’est La Cantatrice chauve,
l’absurde touche le lien entre les répliques, l’articulation entre les phrases et le sens même
de certaines phrases. Dans Un mot pour un autre, pièce la plus jouée de Tardieu, les mots
attendus ont été remplacés systématiquement par d’autres sans rapport avec le contexte
référentiel, avec par exemple « Comment êtes-vous bardé ? » au lieu de « Comment êtes-
vous entré ? »
Si ces pièces restent pourtant souvent jouées par des apprenants de français langue
étrangère, c’est parce qu’aux yeux des enseignants praticiens, le travail sur l’intonation, la
prosodie ainsi que sur la gestuelle importe plus que la seule mémorisation des phrases. La
distance ironique qu’implique le texte dans son interprétation paraît ainsi correspondre à
la distance que l’apprenant doit avoir vis-à-vis de la langue cible pour acquérir une forme
de dextérité dans son usage. Le comique des textes est associé à un pouvoir désinhibant
et est supposé servir à créer une atmosphère ludique et chaleureuse, propice à la mise en
confiance des apprenants. Plus encore, le comique lié à l’absurde impose aux apprenants
une distance avec les personnages qu’ils jouent, les protégeant ainsi du piège d’une
éventuelle identification psychologique qui pourrait les fragiliser par un surinvestissement
personnel dans le cadre d’une classe ou d’un atelier. Enfin, dans ces œuvres, l’écart avec
l’usage standard de la langue rend les apprenants sensibles au travail de l’écriture littéraire
et les incite, par mimétisme, à entretenir une relation créative avec la langue qu’ils sont en
train d’apprendre.
6.3.2.3. Théâtres de la parole
Le Nouveau Théâtre avec Nathalie Sarraute fait aussi partie des textes de référence
dans l’apprentissage du français langue étrangère pour des raisons inverses de celles du
théâtre de l’absurde : focalisées sur le surgissement de la parole, ces pièces contraignent
le lecteur-acteur à écouter à la fois le silence et le verbiage, à entendre les hésitations du
jeu des interactions (Carlo, 2013 : 264-267). C’est parce que ces textes révèlent les
dessous de la conversation, ce que Nathalie Sarraute elle-même appelait « la sous-

159
conversation », c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes sensibles et indécis qui
accompagnent les interactions verbales, qu’ils offrent à l’apprenant un support pour
observer le rôle des expressions figées et pour se les approprier, à condition d’explorer le
sens que l’intonation vocale donne à toute prise de parole : c’est ainsi se familiariser avec
les idées à demi conscientes et souvent refoulées, mais qui affleurent dans les interstices
des mots prononcés.
Une partie de la création contemporaine a continué à explorer cette voie, se détournant
de l’action pour faire des situations d’énonciation la matière même des dialogues
(Ryngaert, 2013 : 236). Ces textes ne sont pas toujours aisés à déchiffrer, car ils jouent
des brouillages énonciatifs et c’est au lecteur de chercher qui parle à qui. Mais, comme
l’ont montré les linguistes qui ont analysé le théâtre de Jean-Luc Lagarce, lequel fait
surgir les tâtonnements des interactions verbales (Richard & Doquet, 2013 : 157-158),
ces représentations de l’oral rendent saillante « la discontinuité du flux de paroles
spontanées ». Ainsi, la première scène de Juste la fin du monde de Lagarce (1999)
permet-elle d’aborder le jeu des salutations :
« SUZANNE. – C’est Catherine.
Elle est Catherine.
Catherine, c’est Louis.
Voilà Louis.
Catherine.
ANTOINE. – Suzanne, s’il te plaît, tu le laisses avancer, laisse-le avancer.
CATHERINE. – Elle est contente.
ANTOINE. – On dirait un épagneul.
LA MÈRE. – Ne me dis pas ça, ce que je viens d’entendre, c’est vrai, j’oubliais, ne me
dites pas ça, ils ne se connaissent pas.
Louis, tu ne connais pas Catherine ? Tu ne dis pas ça, nous ne vous connaissez pas,
jamais rencontrés, jamais ? »
Chercher à donner une énonciation réelle à ces paroles par le jeu théâtral conduit
l’apprenant à travailler à la fois sur le surgissement de la parole dans la langue-cible et sur
l’écoute fine des conversations. Cela lui permet aussi de comprendre des pratiques de
l’oral qu’il ne parvenait pas encore à entendre (Rollinat-Levasseur, 2014).
6.3.2.4. Textes francophones en zones francophones
Si les textes dramatiques qui ont cherché à donner à entendre la langue française
comme elle est parlée dans certains pays francophones ne se rattachent pas strictement au
théâtre de la conversation, leur mise en voix et en espace dans le cadre de l’apprentissage
du FLE relève du même souci pédagogique de tisser un lien entre la compréhension des
usages oraux, leur transcription et leur rapport à la langue enseignée. Pour des apprenants
qui n’iront pas en France, mais pratiqueront le français au Québec, interpréter des extraits
ou une pièce de Michel Tremblay écrits en joual permet d’identifier des formes orales
que l’on y entend grâce à leur transcription littérale et, à partir de là, de mesurer l’écart
entre la langue parlée et la langue standard pour apprendre conjointement ces deux
usages : « moè » ou « que c’est ça » transcrits littéralement offrent à l’apprenant une

160
forme intermédiaire entre la prononciation orale qu’il doit apprendre à comprendre, qu’il
emploie peut-être déjà lui-même spontanément par imitation s’il se trouve au Québec,
pour pouvoir faire le lien avec « moi » ou « qu’est-ce que c’est que ça ? » attendus en
français standard. Représentation de l’oral, l’écriture théâtrale joue alors le rôle d’une
interface entre les usages de l’oral et ceux de l’écrit et la pratique théâtrale de ces textes
inscrit l’apprentissage du français dans la dynamique de cette interaction (Rollinat-
Levasseur, 2014).
Les formes théâtrales qui ont une étroite proximité avec le français et la culture que
l’apprenant en FLE découvre sont des œuvres qui peuvent jouer un rôle capital en FLE.
Jean Small a ainsi souligné que la « littérature “dramatisée” » caribéenne francophone
expose ses étudiants de Caraïbe anglophone « à un français parlé par les Noirs de la
Caraïbe » – dans les faits, l’écart linguistique avec la norme des auteurs évoqués, Aimé
Césaire, Ina Césaire, Simone Schwartz-Bart, est moins grand que pour le joual. Mais
surtout Jean Small insiste sur le fait que ces textes leur offrent un « environnement
culturel auquel les jeunes pouvaient s’identifier » de façon plus efficace qu’avec le français
présent dans les manuels écrits à destination d’étudiants de Grande-Bretagne (2003 :
203).
Cependant, la pièce que José Pliya a dédicacée à « tous les étudiants du niveau 300 de
Middlebury College, session d’été 2007 » invite à ne pas se restreindre aux seuls critères
de proximité linguistique ou culturelle dans le choix d’un répertoire adapté à
l’apprentissage du FLE. Ce dramaturge contemporain, né au Bénin, a en effet vécu dans
différents pays, passé le CAPES de Lettres, dirigé plusieurs alliances françaises et est
actuellement le directeur de la scène nationale de Guadeloupe. La pièce qu’il a donné à
jouer à ces étudiants américains, Miserere, met en scène une famille qui a pour principe
de protéger toute personne en fuite, quitte à accueillir le mal absolu. L’action n’est pas
située dans un contexte précis, mais le fait qu’elle soit publiée dans le même volume
qu’une Une Famille ordinaire, pièce située très précisément dans l’Allemagne nazie,
construit un effet de continuité. En tout cas, cette pièce n’entre pas explicitement dans le
jeu des questions identitaires ni postcoloniales qui pourraient être attendues d’un auteur
avec un tel parcours et dans le contexte universitaire américain, sans non plus traiter d’un
sujet spécifiquement conçu à l’attention de jeunes gens. Cette œuvre, dont la première
scène peut être jouée dès le niveau A1, montre ainsi que la pratique théâtrale donne
matière à penser et à imaginer au-delà du seul univers où l’on se trouve en même temps
qu’on apprend une langue.
Notes
(1) Voir L’Agenda de Séoul : objectifs pour le développement artistique (2010).
http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/CLT/pdf/Seoul_Agenda_FR.pdf.
Au niveau européen, voir L’Éducation artistique et culturelle (2009).
http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/thematic_reports/113fr.pdf
(2) Cet atelier décyclé (d’où l’hétérogénéité des niveaux de langue des apprenants) a
été donné, en 2011 à l’association d’assistance scolaire linguistique et culturelle, à raison
de quatre heures par semaine pendant deux mois.

161
(3) http://www.lamenagerie.org/fr
(4) https://www.princeton.edu/fit/resources

162
CHAPITRE 7
L’altérité dans la langue : ouverture au plurilinguisme par la littérature
par Anne Godard,
section 7.2. par Myriam Suchet
Depuis le développement des approches interculturelles, les œuvres d’expression
française écrites par des auteurs étrangers ou d’origine étrangère – postcoloniaux,
migrants ou faisant partie de la francophonie historique – sont sollicitées pour aborder en
classe la diversité des imaginaires culturels et favoriser une réflexion introspective à partir
de leur lecture (Condei, Dufays & Teodorescu, 2009). Relation au temps et à l’espace,
représentation de la communauté socioculturelle, de la famille ou des rapports entre
hommes et femmes, autant de modes d’être au monde dont on peut, à travers ces textes,
découvrir les expressions, les contraintes et les rencontres (Collès, 1994 ; Collès &
Lebrun, 2007). Ces littératures que, par raccourci, nous appellerons francophones,
permettent aussi, de manière privilégiée, d’aborder des représentations linguistiques. Les
relations aux langues et entre les langues sont en effet thématisées et mises en scène dans
nombre d’œuvres de fiction, de poésie ou encore à caractère autobiographique ou
introspectif : qu’il s’agisse, pour des migrants, des relations entre la ou les langues
familiales et la langue du pays d’adoption, du processus d’apprentissage et de l’expérience
de la construction d’une nouvelle « identité linguistique », ou qu’il s’agisse d’auteurs
immergés dans un environnement plurilingue, lorsque cohabitent une ou plusieurs langues
officielles avec des langues d’emploi restreint à la famille ou aux échanges informels. Au-
delà des représentations des langues qu’elles cristallisent, les littératures francophones
constituent également des témoignages de la variation interne à la langue française. Elles
peuvent contribuer à déconstruire le « mythe » d’un français un et indivisible, et éduquer
à la diversité linguistique en donnant accès à une représentation du français pluralisé, où
la relation langue/culture n’est plus celle d’une adéquation totale formant une unité
homogène, fixe et normative.
Pour ces raisons, nous avons souhaité terminer ce livre par une ouverture sur les
potentialités de ces littératures « en français étrangé » dans une perspective de formation
initiale et continue des enseignants de français : nous souhaitons ainsi les inviter à
renouveler leur regard sur la/les langues qu’ils pratiquent et enseignent – ou se destinent à
enseigner, mais aussi leur faire sentir combien la compréhension est indissociable de
l’interprétation, et fait appel à des dimensions anthropologiques et interculturelles autant
que linguistiques.
7.1. Littérature et plurilinguisme
7.1.1. L’institution de/par la littérature
La littérature, qui fait partie selon Dominique Maingueneau des discours constituants
dont « le privilège dangereux [est] de se légitimer en réfléchissant dans leur
fonctionnement même leur propre “constitution” » (2004 : 48), ne peut pas « être
considérée comme le superflu d’une langue déjà là, identifiée et autosuffisante, mais
comme une dimension constitutive de son identité » (ibid. : 153) :
« Les œuvres ne font pas que passer par le canal de la langue, mais chaque acte

163
d’énonciation littéraire, si dérisoire qu’il puisse sembler, vient conforter cette langue
dans son rôle de langue digne de littérature et, au-delà, de langue tout court. Loin de
prendre acte d’une hiérarchie intangible, la littérature contribue à la constituer, à la
renforcer ou à l’affaiblir. »
(ibid. : 153)
La littérature institue comme langue – et non plus comme parler – ce qui n’avait pas de
reconnaissance sociale. Par-là, elle est non seulement un accès à l’imaginaire des langues,
mais de plus elle agit, modifie, institue en déplaçant des frontières internes entre des
variétés reconnues ou dévalorisées d’une même langue, ou en transformant les rapports
diglossiques entre des langues parentes. Pour ces raisons, la littérature est moins un
détour qu’une manière de se situer d’emblée au cœur de la problématique linguistique,
dans ce lieu tiers que Roland Barthes appelait l’écriture, résultant d’un choix, d’une
position décidée de l’écrivain, à l’articulation du style et de la langue, du singulier et du
communautaire (Barthes, 1953). Cette position tierce, particulière à la littérature, que
Maingueneau appelle paratopie (2004 : 69 et suiv.) nous semble également, en tant que
telle, un outil de décentrement qui permet de dépasser les oppositions trop vives des
prises de position idéologiques ou identitaires qui apparaissent dans les débats sur la
langue, aussi bien en France, réticente face au plurilinguisme, que dans des pays où la
diglossie et les contacts de langues créent des tensions récurrentes.
Considérant ainsi que l’expérience littéraire de la langue est une dimension essentielle
des liens qui unissent langue et culture, et que la littérature est un des lieux de « fabrique
de la langue » (Gauvin, 2004), il nous semble important que de futurs enseignants soient
sensibilisés, à travers la littérature, aux représentations et aux pratiques linguistiques dans
une perspective plurilingue et pluriculturelle. En nous fondant sur différents corpus
francophones, nous proposons donc d’explorer à travers la littérature les relations
complexes que langue, culture et écriture entretiennent, avec comme perspective
commune aux didactiques du français langue maternelle, seconde ou étrangère, le
développement d’une attitude réflexive sur la diversité linguistique, interne et externe au
français, et une aptitude au décentrement critique face aux fausses évidences de l’unité
langue/culture.
7.1.2. Du monolinguisme à une conception plurielle de la langue et de la littérature
Dans une perspective de formation initiale et continue des enseignants de français, le
travail sur les représentations linguistiques à travers la littérature prend sens d’abord par
rapport à ce qu’on pourrait appeler l’idéologie scolaire du monolinguisme, dominante
depuis les origines de l’école républicaine, en France et dans les colonies, où le
plurilinguisme a été combattu pour les mêmes raisons idéologiques qui valorisaient dans
l’Hexagone le français comme instrument d’unité politique (Spaëth, 2001, 2010). Le
français, très tôt constitué comme « forme commune échappant, pour des raisons
politiques ou esthétiques, à l’échange local et quotidien » (Cerquiglini, 1991 : 124), est
enseigné, dans le cadre scolaire, à partir d’un corpus littéraire restreint, dont les variations
dialectales ou sociolectales tendent à disparaître (Balibar, 2011). Dès lors, l’enseignement
d’une langue normée et homogène constitue ce « français national » (Balibar, 1974)

164
comme élément d’un mythe fondateur de la République associant langue, littérature et
Nation. Cette trinité commence à perdre de sa cohésion avec le début de la
décolonisation puis avec la massification scolaire. Elle est aujourd’hui en décalage avec la
réalité d’une francophonie plurielle – à la fois en France et hors de France – dont on peut
identifier quelques dimensions linguistiques et littéraires :
– existence d’un plurilinguisme interne à la France : langues régionales et langues
minoritaires non territoriales, reconnues comme « patrimoine immatériel, vivant et
créatif », soit plus de soixante-quinze langues valorisées en tant que « langues de
France » depuis la création de la Délégation à la langue française et aux langues de
France (DGLFLF) en 2001 « pour marquer la reconnaissance par l’État de la diversité
(1)
linguistique de notre pays » ;
– pluralisation de la norme linguistique : en France, où le français scolaire n’est plus le
principe unificateur, mais est reconnu comme sociolecte (la langue de l’école), bien que
l’école tarde à reconnaître le plurilinguisme de ses élèves (Martinez, Moore & Spaëth,
2008) ; et hors de France, par la reconnaissance d’autres variétés du français : français de
Belgique, de Suisse, des Antilles, du Québec ou d’Afrique, réglés par des « normes
endogènes » (Bavoux, Prudent & Wharton, 2008 ; voir aussi Quel français enseigner ?,
Bertrand & Schaffner, 2010) ;
– reconnaissance des littératures francophones « déterritorialisées », écrites (et pour
partie publiées) hors de France, dans les pays francophones historiques et postcoloniaux
et dans ceux où le français, sans être langue officielle, est resté langue de culture, comme
au Maghreb ou au Liban ; mais aussi littérature « migrante », écrite par des immigrés ou
des enfants d’immigrés, en France ou dans les trois pays francophones, Belgique, Suisse
et Québec (Collès & Lebrun, 2007).
En France, la résistance à l’abandon de ce « mythe » unitaire – linguistique et
littéraire – est cependant plus forte que dans ces trois pays qui ont toujours eu à se situer
par rapport à d’autres pays et d’autres langues (la France, perçue à distance, les pays
limitrophes et les autres langues en contact, de manière plus ou moins conflictuelle). Elle
tient aussi à l’influence de la primauté philosophique du sujet comme unité (Gadet &
Varro, 2006 : 21). Certes, le développement d’une compétence plurilingue et
pluriculturelle est un objectif affiché au niveau européen pour l’enseignement des langues
étrangères. Elle est définie dans le CECRL comme : « la compétence à communiquer
langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés
divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures » en
considérant qu’il n’y a pas « superposition ou juxtaposition de compétences distinctes,
mais bien existence d’une compétence complexe, voire composite, dans laquelle
l’utilisateur peut puiser » (2001 : 126). Cette compétence plurielle « dans laquelle les
langues sont en corrélation et interagissent » (ibid. : 12) mobilise l’ensemble du répertoire
langagier de chacun. Dans une visée englobant le FLS, le Cadre de référence pour les
(2)
approches plurielles des langues et des cultures (CARAP, Candelier, 2007, version
revue en 2011), propose à la fois un référentiel et des ressources pour développer des

165
activités didactiques impliquant plusieurs langues et cultures selon quatre axes :
l’approche interculturelle ; la didactique intégrée des langues apprises ; l’éveil aux
langues ; l’intercompréhension entre les langues parentes. Mais on a plus de mal à
reconnaître que le FLM se trouve aussi impliqué par la notion de compétence plurilingue,
alors même qu’il est traversé par la question des langues en contact et par celle de la
variation interne. S’il est ainsi un point de convergence entre les trois didactiques du
FLM, FLS et FLE, il se situe dans la réflexion sur l’objet « langue » lui-même (Cadet &
Guérin, 2012) dont les travaux de sociolinguistique ont contribué à montrer que la
variation en est constitutive (Gadet & Varro, 2006).
7.1.3. Pour une formation des enseignants à la diversité linguistique par la littérature
Or, de cette diversité linguistique, la littérature rend compte de multiples façons, des
formes les plus évidentes de la mise en scène de l’hétérogénéité linguistique à l’évocation
la plus ténue de nuances de style qui distinguent la situation respective de deux locuteurs
ou marquent une relation dissemblable à la norme. Il nous semble donc important, à côté
d’actions spécifiques en faveur d’une reconnaissance du plurilinguisme des élèves ou
d’une éducation précoce aux langues (Chiss, 2008), de former les enseignants au
plurilinguisme à travers l’expérience littéraire, en particulier à travers la manière dont les
écrivains plurilingues témoignent de leur expérience et font jouer, à l’intérieur même de
leur écriture, la pluralité des identités linguistiques. Et ce d’autant plus, aujourd’hui, que
l’enseignement fonctionnel du français, qui tend à être entièrement déconnecté de la
littérature, en FLM comme en FLE, donne de la langue une représentation restreinte,
d’où la profondeur historique et les variations internes et externes sont quasiment
absentes.
Au rebours d’une tendance qui appauvrit l’expérience que nous pouvons faire de la
langue, nous considérons dans ce chapitre – comme dans l’ensemble du livre – que la
littérature est formatrice et que l’expérience littéraire de la langue enrichit non seulement
notre connaissance et notre pratique de la langue, mais aussi notre capacité de penser
la/les langues et notre relation à elles. Cela, qui nous semble essentiel dans la formation
d’un enseignant de langue, reste encore présent dans la formation initiale des professeurs
de lettres en France, mais les formations de FLE, ouvertes à des étudiants de langue ou
de linguistique, sont assez peu nombreuses à intégrer un enseignement de littérature.
Nous proposons donc ici deux exemples de ce qu’entrer dans une réflexion sur le
plurilinguisme par le biais de la littérature peut apporter à de futurs enseignants. Ces deux
volets abordent de manière complémentaire l’expérience de la langue, à travers des
œuvres qui en font jouer la diversité et à travers le regard que les écrivains portent sur
leur propre plurilinguisme et sur l’apprentissage linguistique. Ce sont ainsi deux entrées
dans l’imaginaire des langues et dans la complexité des identités linguistiques qui peuvent
inspirer la démarche réflexive de futurs enseignants de français, langue maternelle,
seconde ou étrangère amenés à faire l’expérience d’un décentrement linguistique par et
dans la littérature.
Pour première entrée dans l’hétérogénéité intrinsèque de « la langue », présentée par
Myriam Suchet, nous avons choisi de partir de la littérature québécoise en raison de la

166
visibilité qu’y trouvent les problématiques plurilingues : qu’elles mettent en tension le
français et l’anglais, les deux langues impériales et officielles du Canada, ou qu’elles
opposent un français normatif perçu comme étranger – le français de France – et le
« québécois » ou d’autres langues encore. À travers l’analyse d’œuvres emblématiques, on
percevra que la construction d’un « imaginaire hétérolingue » (Suchet, 2014) ne se
contente pas de rendre compte de la pluralité linguistique propre au Québec : il agit pour
la reconnaissance de la différence constitutive de toute identité, toujours stratifiée par
l’histoire vivante des migrations et des contacts de langue et, de ce fait, travaillée du
de/dans – la barre oblique dissipant l’illusion d’une totalité en parfaite coïncidence avec
elle-même.
7.2. Et si nous étions tous des allophones ? La littérature québécoise comme
expérience de « français langue étrangère »
L’expérience proposée ici repose sur un postulat qui peut s’énoncer d’emblée : « la
langue » existe moins comme une entité réelle que comme une idée régulatrice dont les
enjeux sont fondamentalement politiques et identitaires. Pourtant, nous avons souvent
tendance à croire aux contours de notre langue comme s’ils existaient vraiment, et à
théoriser en présupposant une norme monolingue en dépit du polyglottisme effectif d’une
large majorité de locuteurs (Lüdi, 2004). De fait, nous habitons le plus souvent notre soi-
disant « langue maternelle » comme le poisson rouge occupe son bocal : persuadé de
vivre dans un monde aussi naturel que familier (Veyne, 2008 : 24, 44 ; Jenny, 2005). Il
est cependant possible de reprendre conscience des parois du bocal – et, corollairement,
d’interroger l’identité supposément stable du poisson qui l’habite. La littérature constitue
l’une des plus formidables occasions de faire l’expérience de sa propre langue comme
d’une langue étrangère. Proust n’écrivait-il pas, dans une citation souvent reprise et
tronquée, que « les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère » (1971 :
305) ? Toutes les littératures n’ont pas, cependant, la même virtuosité pour jouer avec
l’étrangeté constitutive de « la langue ». Certaines œuvres du répertoire québécois nous
semblent particulièrement propices pour faire l’expérience d’un français étrangé (ou
étrangéifié) et questionner les lignes de partage entre communautés linguistiques. Sans
doute n’est-ce pas un hasard si c’est à partir de la littérature québécoise que
Rainier Grutman a forgé le néologisme « hétérolinguisme » pour désigner « la présence
dans un texte d’idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de
variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale » (1997 : 37).
Rainier Grutman insiste sur la différenciation interne à chaque langue, car selon lui : « il
n’y a pas de Langue saussurienne une et indivisible, il n’y a que des variétés diatopiques
(les dialectes), diastratiques (les sociolectes), diaphasiques (les registres) et diachroniques
(les états de langue) » (1990 : 199). Observée de plus près, « la présence dans un texte
d’idiomes étrangers » s’avère être le produit d’une construction, le résultat d’une mise en
scène. C’est le texte, en effet, qui affecte tel ou tel de ses segments d’un coefficient
d’étrangeté plus ou moins grand, produisant un effet de langue étrangère y compris là où
le dictionnaire ne tracerait pas la moindre ligne de partage. Nous proposons donc de
redéfinir l’hétérolinguisme comme la mise en scène d’une langue comme plus ou moins

167
étrangère le long d’un continuum d’altérité construit dans et par un discours (ou un texte)
donné (Suchet, 2014). Ainsi redéfini, l’hétérolinguisme constitue bien davantage qu’une
caractéristique textuelle : il propose une alternative à la logique monolingue, qui repose
sur l’équation (une langue une et indivisible) = (un sujet parlant stable et homogène) =
(un État-Nation). Cette logique, naturalisée au point de devenir imperceptible, fonctionne
à la manière d’un logiciel de pensée qui paramètre nos manières de poser les problèmes –
d’où l’extrême importance d’un autre imaginaire, rendu possible par la littérature, pour
pouvoir aussi penser autrement.
Les trois textes analysés ci-dessous ont marqué, respectivement, l’histoire de la poésie,
du théâtre et du roman québécois. Chacun d’eux offre l’occasion d’expérimenter et
d’analyser un dispositif hétérolingue différent : l’effet d’étrangement de « la langue »
française s’avère ainsi spécifique à chaque texte et fonction d’un continuum.
7.2.1. Un dispositif antagonique : le face-à-face asymétrique « langue française » / « langue anglaise »
L’appellation « littérature québécoise » est relativement récente. L’expression est
utilisée pour la première fois en 1965 dans un numéro de la revue Parti pris au titre
programmatique : Pour une littérature québécoise. Avant les années 1960, on ne parlait
pas de « littérature québécoise », mais de littérature « canadienne-française ». C’est à
peine douze ans plus tard, en 1977, qu’est ratifiée la Charte de la langue française
(« loi 101 »), qui reconnaît le français comme seule et unique langue officielle au
Québec. La loi stipule en outre que les enfants d’immigrants allophones doivent
obligatoirement fréquenter l’école française à moins que l’un des deux parents ait été
scolarisé en langue anglaise. La période de la Révolution tranquille voit donc émerger
simultanément la « littérature québécoise » en tant que telle, la revendication nationaliste
pour un Québec indépendant et la Charte de la langue française. Loin d’être anecdotique,
cette conjonction témoigne de la fonction instituante de la littérature, qui participe
pleinement de la « deffence et illustration de la langue québécquoyse » (Lalonde, 1979).
C’est à l’occasion de la Nuit de la poésie de 1970 que la poétesse Michèle Lalonde
déclame un texte fondateur à valeur de manifeste : Speak White. Mieux que le texte
(3)
imprimé, l’enregistrement de la lecture de Michèle Lalonde disponible en ligne donne à
entendre un français accentué par une voix vibrante de colère – on peut aussi consulter le
court métrage réalisé par Pierre Falardeau et Julien Poulin sur le site de l’Office national
(4)
du film .
Michèle Lalonde, Speak White (1970)
« il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare
nous sommes un peuple inculte et bègue,
mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white
et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres

168
et le chagrin de Nelligan […] »
Dans ce texte qui est à la fois un poème, un pamphlet et un manifeste, Lalonde
dénonce la domination culturelle, linguistique et politique des anglophones sur la
communauté francophone. L’expression raciste speak white (« parlez blanc ») était utilisée
par les anglophones du Canada pour enjoindre les Canadiens français à parler anglais.
Cette injonction résonne avec l’identification postcoloniale des Québécois comme des
Nègres blancs d’Amérique, titre de l’autobiographie du militant indépendantiste
Pierre Vallières (1968). Dans le poème de Lalonde, cette blancheur imposée scande le
poème à la manière d’un refrain ou d’un leitmotiv qui entre en série avec d’autres
couleurs, ce qui rappelle combien la question de « la langue » nationale est indissociable
des enjeux politiques et des luttes à l’échelle du monde entier :
« (v. 73) parlez un français pur et atrocement blanc
comme au Viêt-Nam au Congo
parlez un allemand impeccable
une étoile jaune entre les dents
parlez russe parlez rappel à l’ordre parlez répression

(v. 85) nous savons que liberté est un mot noir
comme la misère est nègre
et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger
ou de Little Rock »
Outre l’opposition anglais dominant/français décrié, la blancheur connote la pureté de
« la langue » selon l’idéologie puriste du « français normatif ». Par contraste, les vers 64-
66 revendiquent une langue sale, une langue de travail : « notre parlure pas très
propre/tachée de cambouis et d’huile ».
La domination anglophone n’est pas seulement thématisée dans ce texte : le poème se
présente à la manière d’un territoire occupé dont des pans entiers seraient passés à
l’ennemi. L’anglais est systématiquement employé dans les expressions relatives à la
culture majoritaire (Shakespeare vs Nelligan, au tout début du texte) ainsi qu’à l’argent :
« (v. 23), mais quand vous really speak white
quand vous get down to brass tacks
pour parler du gracious living
[…] haussez vos voix de contremaîtres
nous sommes un peu durs d’oreille
nous vivons trop près des machines
et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils »
Les deux langues, anglaise et française, se font donc face sans jamais dialoguer.
L’opposition anglo/francophone du poème de Lalonde est d’autant plus frontale que les
deux groupes linguistiques sont désignés par les pronoms « nous » et « vous » comme
deux communautés radicalement étanches. Cette configuration du rapport de force ne
laisse aucune place pour la reconnaissance des autres langues parlées au Québec, que l’on
pense aux dix Nations amérindiennes ou aux populations migrantes. Loin d’être isolée,

169
cette situation rappelle que l’opposition binaire entre deux langues (ou entre un standard
et une seule variante) tend volontiers à masquer l’existence d’une multitude d’autres
pratiques de discours (le berbère est ainsi escamoté dans le débat arabe/français, etc.). Au
Québec, il faudra attendre les années 1980 pour qu’émergent les langues rendues
invisibles par la polémique anglo-francophone : c’est en 1989 que paraît le Speak What
du dramaturge d’origine italienne Marco Micone, qui pastiche Speak White en
revendiquant les langues de « cent peuples venus de loin ». On remarque en outre que le
face-à-face binaire efface les différences constitutives pour mieux projeter l’étrangeté sur
l’autre langue, « la langue » étrangère. Il n’y a ainsi aucune distinction, dans le poème de
Lalonde, entre « l’anglais des Américains » et « l’anglais des Anglais » – qui seront au
contraire opposés par Jenny Salgado dans son rap « Spit white » en 2010. Plus
récemment encore, les étudiant(e)s en grève contre la hausse des frais de scolarité ont
orchestré un Speak Red qui réconcilie « la langue douce de Molière, mais avec l’accent de
Miron », jouant du hiatus entre français de France et français du Québec, ici symbolisé
par la figure du grand barde québécois Gaston Miron (Côté-Ostiguy, 2012).
Le dispositif dominant Speak White est donc celui de la frontière, qui détermine un
front de lutte et préserve la distinction des langues – sans pourtant reconduire l’idéologie
de leur pureté intrinsèque. Pour des oreilles accoutumées à un français normatif, c’est
l’occasion de reprendre conscience du caractère socio-économiquement situé et de l’enjeu
politique de « la langue » lorsque ses frontières ne coïncident pas avec celles d’un État-
Nation. Dans ces circonstances, présenter le français comme « une sorte de langue
étrangère » ne constitue pas seulement une métaphore pour désigner l’écriture littéraire :
c’est tout le rapport familier que l’on entretient avec elle qui se trouve engagé.
7.2.2. Un dispositif ternaire : mettre en scène une langue à soi ou comment traduire « en québécois »
Au moment même où le poème-manifeste de Lalonde mettait en scène la dichotomie
anglo/francophone, d’autres auteur(e)s s’interrogeaient sur le rapport douloureux entre
deux langues françaises : celle du standard parisien et celle parlée au Québec. En 1968,
Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay font scandale en mettant en scène le joual, ce
parler populaire et stigmatisant de la classe ouvrière francophone du Québec. Dans la
pièce de Tremblay, le joual est stylisé pour devenir une langue rythmique et théâtrale :
Les Belles-Sœurs s’imposeront par la suite comme l’une des pièces les plus célèbres du
répertoire québécois. Le travail identitaire sur « la langue » théâtrale au Québec se
poursuit encore après l’adoption de la loi 101. En 1978, l’École nationale de théâtre du
Canada commande une traduction de Macbeth de Shakespeare au poète Michel Garneau.
La première de couverture du livre précise que la pièce est traduite « en québécois » au
lieu de la mention attendue : pièce traduite « de l’anglais » ou encore « en français ».
Le tableau suivant met en regard un extrait d’une réplique de Malcom (IV, 3) dans la
version originale de Shakespeare, la version française de François-Victor Hugo, et celle –
québécoise – de Michel Garneau :
Macbeth, texte de Shakespeare Traduction par François-Victor Hugo, dans Macbeth, tradaptation en québécois par
cinca 1606 : Œuvres complètes de Shakespeare, Paris, Michel Garneau, Montréal, VLB, 1978, p. 117 :
Pagnerre, 1866, p. 371 :
I think our country [sinks beneath the yoke; Je crois que notre patrie s’affaisse sous le J’pense moé-ssi qu’not pauv’pays s’trouve pogné dans
It weeps, it bleeds; and [each new day a gash joug ; – elle pleure, elle saigne, et chaque jour un carcan terribe.

170
Is added to her [wounds. I think, [withal, de plus ajoute – une plaie à ses blessures. Je C’t’un pays qui pleure, qui geint, qui grince ; c’t’un
There would be hands [uplifted in my right; crois aussi – que bien des bras se lèveraient pays
And here, from [gracious England, [have I offer pour ma cause ; – et ici même le gracieux roi Qui sent son mal, qui saigne, chaque jour, y’a une
Of goodly thousands d’Angleterre m’en a offert – des meilleurs, par plaie neuve
milliers. Dans ses blessures : j’pense que ben des bras sont
parés à se l’ver
Pour défendre nos droéts, y’a du bon monde icitte en
Angleterre
Qui s’offrent par milliers […]

Un simple coup d’œil suffit pour mesurer l’écart qui sépare la version française du fils
Hugo de celle du poète québécois. Le contraste tient à la fois au lexique, à la syntaxe et
au registre, beaucoup plus familier dans la version de Garneau qui multiplie les élisions et
les autres marqueurs d’oralité. La différence entre les deux versions laisse imaginer la
(5)
possibilité de « traduire du français au français ». Les frontières du français entrent en
crise : le québécois est-il à l’intérieur ou à l’extérieur de leur tracé ? Faut-il considérer
qu’il s’agit d’une autre langue, d’un dialecte ou d’une variante ? Ou bien faut-il changer de
référentiel, c’est-à-dire abandonner la représentation naturalisante de « la langue » pour
considérer qu’il s’agit d’une variation inhérente à un français dont le noyau même serait
une constellation en diffraction permanente (Labov, 1976) ? La question se complique
encore lorsqu’on observe que le québécois du Macbeth de Garneau ne correspond à
aucune variété de langue existante. Le traducteur revendique d’ailleurs l’invention d’une
langue : « ce n’est pas un travail réaliste, c’est littéraire, c’est composé » (Garneau, 1978).
Puisant dans le Glossaire du parler français au Canada établi par la Société du Bon
Parler français entre 1900 et 1930 ainsi que dans les vieilles complaintes de Gaspésie,
Garneau forge une langue idéale et anachronique (Brisset, 1990 : 289). L’enjeu est de
produire un texte destiné à être joué, porté à la scène, mais aussi de forger une identité
par « la langue ». Cette double importance de la « jouabilité » et de la dimension politique
explique le néologisme inventé par Garneau pour désigner son travail de « tradaptation »
(Hellot, 2009). Le dispositif de tradaptation, qui n’est pas sans évoquer l’anthropophagie
culturelle au Brésil, permet d’ingérer un texte étranger, mais particulièrement signifiant en
contexte (ici le drame royal de Shakespeare) pour l’intégrer à la fabrique d’une identité en
voie de constitution (Simon, 1993). Le théâtre permet de rendre cette identification
effective en la partageant du plateau à la salle.
La théâtralisation du joual (ou du québécois) élabore donc conjointement une langue
et une identité. On peut qualifier l’une et l’autre d’imaginaires en ce sens qu’elles sont
projetées et programmatiques. Leurs effets n’en sont pas moins réels : les pièces de
Tremblay et les tradaptations de Garneau participent à la constitution d’une communauté
qui fonde sa distinction sur une fabrique de « la langue ». Imposer la norme unique d’un
français standard à l’exclusion de toutes les autres manières de parler revient donc à nier
ou à empêcher d’advenir d’autres façons de parler, mais aussi d’être autrement (Canut,
2001). À l’inverse, concevoir « la langue » comme une multitude ouverte de possibilités
en discours invite à imaginer la communauté à l’aune de ses potentialités et non en
fonction de lignes de fracture et d’exclusion.
7.2.3. Un dispositif diffractant : polyphonies des écritures « migrantes » et autochtones
Les années 1980 voient émerger le courant des écritures dites « migrantes »,
appellation lancée en 1987 par Robert Berrouët-Oriol dans la revue Vice-Versa pour

171
dénoncer la piètre réception que l’institution littéraire québécoise réservait aux écrivains
venus d’ailleurs. La Québécoite de Régine Robin, qui paraît en 1983, s’inscrit dans ce
courant. Ce texte, qui refuse la dénomination générique de « roman », esquisse trois
trajectoires possibles d’une jeune femme récemment arrivée à Montréal. Qu’elle s’installe
à Snowdown, à Outremont ou encore sur le boulevard Saint-Laurent à la hauteur de la
rue Jean-Talon, elle est sans cesse exposée à une polyphonie polyglotte. Le texte est
hétérolingue de manière spectaculaire, plusieurs insertions en yiddish, notamment,
modifient l’alphabet et jusqu’au sens de lecture (p. 140) :

D’autres occurrences sont moins remarquables, mais tout aussi perturbantes, comme ce
passage dont une lecture à vue et à haute voix permet d’éprouver l’étrangeté :
« Je ne comprenais pas le pourquoi des ventes sales, sinon qu’elles n’étaient pas le
contraire des ventes propres. De simples mots ne cachant pas leur polysémie, à
désespérer de tout. Je ne suis pas d’ici. On ne devient pas québécois. Prendre la parole,
rendre la parole aux immigrants, à leur solitude. Give me a smoked meet – une
rencontre fumée comme il y a des rencontres rassies et des rencontres bleues – c’était
un pays bleu. »
(ibid. : 54)
Plus le texte avance et plus « la langue » se trouble : difficile de déterminer où
commence l’anglais, où finit l’allemand, l’hébreu ou le français. Finalement, ce dernier
s’étoile de l’intérieur et l’illusion d’une langue « une et indivisible » cède la place à une
autre langue en devenir :
« En exil dans ta propre langue. Le leurre de la langue. Ni la même, ni une autre.
L’AUTRE dans le MÊME.
L’inquiétante étrangeté d’ici. »
(ibid. : 183)
Tandis que le Speak White de Lalonde exacerbe la frontière qui divise francophones et
anglophones et que la tradaptation de Macbeth par Garneau invente un troisième terme
« québécois », l’hétérolinguisme de La Québécoite déjoue radicalement les frontières
linguistiques. La littérature québécoise s’ouvre alors largement par-delà la dichotomie
anglais/français. Elle met en valeur le potentiel de création que réserve la mise en contact
métamorphique de « toutes les langues du monde » (Glissant, 1992 : 12), au lieu de
reconduire la posture de repli qui a pu caractériser la politique linguistique québécoise
des années 1970. Il serait intéressant, pour parachever ce parcours où chaque langue se
met à résonner « en présence de toutes les langues du monde » (Glissant) et à « défaire
les identités fétiches » (Robin, 1994), de placer en regard les écritures dites « migrantes »
et les œuvres où se donnent à entendre les langues amérindiennes autochtones (Gatti,

172
2004, 2006).
Dans l’optique d’une telle comparaison, c’est moins vers le roman que vers la poésie ou
le théâtre qu’il faut se tourner. Rita Mestokosho, née dans la communauté d’Ekuanitshit
(Mingan) en 1966, est la première poète innue à avoir publié un recueil au Québec : Eshi
uapataman Nukum. Comment je perçois la vie, Grand-Mère (paru chez Piekuakami à
Québec en 1995 et réédité en Suède par Beijbom Books). Le recueil se compose de huit
poèmes écrits en innu-aimun et en français (aucune des versions n’est présentée comme
une « traduction ») et de douze poèmes en français, dont plusieurs portent un titre en
innu. Dans la postface, elle raconte : « Le français n’est pas la langue de ma mère. Mais le
destin l’a mis sur ma route, et nous nous sommes apprivoisées. Nous nous sommes
tellement apprivoisées que j’ai choisi de l’adopter » (Mestokosho, 1995). Contrairement à
la notion d’appropriation, qui envisage « la langue » comme un bien, une propriété
(Joubert, 2006 : 67), l’apprivoisement ne présuppose pas une identité fermée sur elle-
même ni une essentialisation des pratiques linguistiques. Le français, dès lors, n’est plus
seulement « la langue » de l’Autre : c’est une langue travaillée du/dedans par sa longue
fréquentation avec les autres langues. L’altérité s’avère à la fois intérieure et réciproque.
Rappelons que le nom « Canada » vient du wendat « kanata », qui signifie « population »,
« village » et que « Québec » vient de l’algonquin « kebec », qui désigne le rétrécissement
du fleuve près de Québec (Vézina, 2009). La liste serait longue de tous les termes
empruntés aux langues amérindiennes, qui rappellent la dimension diachronique et
fondamentalement hétérogène de toute langue. Les écritures migrantes et autochtones,
lorsqu’elles travaillent de manière hétérolingue, soulignent l’hétérogénéité constitutive
d’une langue française dont les frontières ne sont plus des lignes de fractures, mais des
zones d’indistinction.
Dans un contexte de crise qui interroge les institutions scolaires et universitaires ainsi
que la formation qu’elles dispensent, la littérature permet de mettre en pratique les
injonctions à la critique et au décentrement que théorisent les penseurs contemporains.
Les œuvres littéraires hétérolingues du Québec (et d’ailleurs) offrent aux formateurs de
français langue étrangère l’occasion d’expériences de défamiliarisation qui rappellent en
acte l’hétérogénéité constitutive de « la langue » ainsi que ses dimensions
indissociablement politiques, poétiques et éthiques. À rebours de l’instrumentalisation et
de l’essentialisation de « la langue », celle-ci redevient plus visiblement ce qu’elle n’a
jamais cessé d’être : une pratique en variation continue, exercée par et pour les locuteurs.
L’imaginaire hétérolingue, qui se forge à la lecture des textes littéraires et non des traités
philosophiques ou linguistiques, est une perpétuelle expérience de défamiliarisation qui
affecte non seulement « la langue », mais aussi le sujet parlant : privé de son socle, il
devient libre de se projeter dans des identités fluctuantes. Pour l’apprenant, ce rappel de
la complexité inhérente à « la langue » comme au sujet invite à l’hospitalité davantage
qu’au conflit : ses pratiques linguistiques sont susceptibles de s’épauler dès lors que
l’étrangeté de l’autre langue s’éprouve aussi au sein de l’idiome le plus familier.
Formateurs et apprenants peuvent ainsi éprouver en acte les formulations paradoxales de
Derrida : « on ne parle jamais qu’une seule langue » et pourtant « on ne parle jamais une

173
seule langue » (1996 : 10). L’inconfort et le déséquilibre d’une telle conception
constituent aussi la condition de possibilité d’un véritable dialogue. En redevenant les
apprenants d’une langue jamais totalement familière, nous pouvons inventer d’autres
manières de l’enseigner et de la parler, ensemble.
7.3. Représentations du plurilinguisme et de l’apprentissage du français
Si l’immersion dans les textes littéraires hétérolingues – tels ceux qu’on vient d’évoquer
plus haut – nous fait éprouver la coprésence des langues et la diversité même du français,
que peuvent nous apprendre les écrivains eux-mêmes sur leur expérience ? Et comment
rendent-ils compte de la manière dont leur plurilinguisme modifie leur relation avec
leur/s langue/s d’écriture ?
e
La question ne naît pas au XX siècle. Dès les origines, la littérature en français se situe
par rapport à d’autres langues – le latin, les dialectes, d’autres langues européennes ayant
accédé plus tôt que le français au statut de langue littéraire, tel l’italien à la Renaissance –
et les écrivains ont aussi dès l’origine tenu à justifier leurs choix : ainsi, le clerc Benoît de
Sainte-Maure explique pourquoi il a « mis en roman » les œuvres antiques, c’est-à-dire les
e
a traduites du latin en français pour ses contemporains du XIII siècle ; le poète
Clément Marot note en 1532 qu’en quittant le Quercy pour la cour du roi de France, il a
dû oublier sa « langue maternelle » pour apprendre « la paternelle » (L’Enfer, vers 301-
302) ; François Rabelais met en garde en 1532 ceux qui, comme l’écolier limousin que
rencontre Pantagruel, dédaignent « l’usance commun de parler » et pour « contrefaire la
langue des Parisians » ne font qu’« escorcher le latin » (1994 : 235) ; Joachim Du Bellay
appelle en 1549 ses confrères à renoncer au latin, au nom de la Deffense et illustration de
la langue françoyse, écrite dans l’émulation avec l’italien ; et René Descartes trouve
encore nécessaire, en ouverture du Discours de la méthode, de se justifier d’avoir choisi le
français plutôt que le latin afin d’en rendre la lecture possible à tout « honnête homme ».
e e
Aux XVII et XVIII siècles, c’est la comparaison entre les langues européennes qui devient
e
un topos des écrits sur la langue, tandis que les problématiques de style dominent le XIX
e
et le début du XX siècle. Mais la question du choix de la langue d’écriture resurgit de
e
manière flagrante dans la deuxième moitié du XX siècle, chez les écrivains issus des pays
ayant été sous influence française, spécialement à travers la colonisation, et chez ceux
qui, pour des raisons diverses, ont adopté la France ou, pour mieux dire, le français
comme pays d’accueil.
Ces écrivains plurilingues d’origine non hexagonale – qu’on les appelle écrivains
« venus d’ailleurs » comme le fait Anne-Rosine Delbart (2005) ou qu’on parle de
« littérature “invitée” » telle Véronique Porra (2011) – sont nombreux à témoigner de
(6)
leurs « liaisons » avec une langue qu’ils ont choisie ou acceptée pour langue d’écriture,
dans des textes personnels, à mi-chemin entre l’autobiographie et l’essai, ou à travers des
romans d’inspiration autobiographique permettant de mettre en scène, et non seulement
d’analyser, leur expérience linguistique.
L’intérêt de leurs œuvres est reconnu depuis déjà quelques années en FLE, où, sur le
modèle du Portfolio européen, sont encouragées les démarches autoréflexives, à la fois

174
dans une perspective interculturelle et langagière. Ainsi, Delbart souligne les homologies
entre les difficultés rencontrées par les apprenants d’une langue/culture étrangère avec les
défis linguistiques et culturels d’écrivains qui ont adopté le français en quittant leur pays
d’origine pour s’installer en France (2006 : 144). Selon elle, la lecture de ces
« autoscopies linguistiques » traversées par « les mêmes crises identitaires et les mêmes
affres langagières » peut permettre aux apprenants d’entamer « leur propre introspection
linguistique » autour des « difficultés rencontrées dans l’abandon de la langue natale et
l’acquisition de la nouvelle », mais aussi à partir de la possibilité que « le français [soit]
aussi attractif parce qu’étranger. Étranger aux asservissements de tous types qu’ils ont pu
connaître dans leur langue maternelle : politiques, sociaux, moraux, sentimentaux, et
même littéraires » (ibid. : 145). Mais nous ne parlerons pas, avec elle, d’« auteurs FLE »
(ibid., voir aussi dans Defays et al., 2014 : 75-89), car ces auteurs ne se réduisent ni à
leur biographie ni aux œuvres où ils rapportent leur parcours linguistique, pas plus qu’il
ne nous semblerait pertinent de les cantonner à un public « homologique ». De même, il
nous semble important de ne pas limiter les lectures proposées à des apprenants étrangers
aux quelques œuvres qui seraient des « miroirs » de leur propre parcours. La découverte
de la littérature française classique, y compris comme élément constitutif de la culture
nationale, reste une expérience clé, dans sa dimension linguistique, culturelle et
identitaire, dont témoignent justement nombre de textes présentés ci-dessous.
L’enseignant sensibilisé à la diversité linguistique du français peut faire dialoguer les
œuvres, en mettant en avant la « puissance de résonance polyphonique » (Suchet &
Kassab, 2014 : §2) de la littérature classique aussi bien que celle de la littérature
francophone contemporaine. Le choix d’étudier ces textes ne doit donc pas venir, de
manière automatique, d’une caractéristique « FLE » des auteurs en question, mais bien de
ce qu’apportent, pour un projet précis, les écrits qu’ils ont pu consacrer à leur pratique
langagière. C’est ce que nous proposons de faire ici, dans le cadre d’une réflexion sur le
(7)
plurilinguisme menée avec de futurs enseignants et professionnels du FLE .
Le corpus lui-même est divers et abondant. On y trouve des entretiens et des
témoignages plus ou moins circonstanciels rassemblés dans des recueils collectifs comme
L’Écrivain francophone à la croisée des langues (Gauvin, 1997), L’Aventure du bilinguisme
(Kroh, 2000), La Langue française vue d’ailleurs (Martin & Drevet, 2001), Pour une
littérature-monde (Le Bris & Rouaud, 2007), Défense et illustration de la langue française
aujourd’hui (Cheng, Roubaud et al., 2013). On trouve aussi des essais personnels, parmi
lesquels Le Langage et son double de Julien Green (1985), Lettres parisiennes. Autopsie
de l’exil de Leïla Sebbar & Nancy Huston (1986), Le Partage des mots de Claude Esteban
(1990), Écrire en pays dominé de Patrick Chamoiseau (1997), Nord Perdu de
Nancy Huston (1999), Ces voix qui m’assiègent… en marge de ma francophonie d’Assia
Djebar (1999), Je ne parle pas la langue de mon père de Leïla Sebbar (2003), Le
Dialogue, une passion pour la langue française de François Cheng (2008), Une langue
venue d’ailleurs d’Akira Mizubayashi (2011), Penser entre les langues de Heinz Wizmann
(2012). Des récits autobiographies peuvent inclure des chapitres sur le passage d’une
langue à l’autre ou l’apprentissage d’une langue seconde, ainsi Amkoullel, l’enfant peul de

175
Amadou Hampaté Bâ (1992), Chemin d’école de Patrick Chamoiseau (1994), Adieu vive
clarté… de Jorge Semprun (1998) ou L’Analphabète d’Agota Kristof (2004) ; de même,
des romans – eux aussi souvent autobiographiques – peuvent prendre comme sujet le
bilinguisme et les situations d’apprentissage scolaire ou non, tels Le Gone du Chaâba
d’Azouz Begag (1986), Aliocha d’Henri Troyat (1991), Le Testament français d’Andreï
Makine (1995), Paris-Athènes (1989), La Langue maternelle (1995) et Les Mots étrangers
(2002) de Vassilis Alexakis, Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome (2003) et
(8)
Comment peut-on être français ? de Chahdortt Djavann (2006) .
À la différence de textes programmatiques à portée collective – tel l’Éloge de la
créolité de Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Rafael Confiant (1989) –, tous ces
textes, qu’ils aient une dimension narrative ou réflexive plus ou moins marquée,
permettent d’aborder la relation aux langues et à l’apprentissage sous un angle personnel,
à partir d’une situation singulière qui est souvent explicitée. Leur confrontation permet, à
travers les portraits croisés qu’ils font du français et de leurs langues d’origine, de
découvrir plusieurs « visages » du français, et ainsi d’en relativiser certaines
représentations prégnantes telles sa supposée clarté ou son « universalité ». Ils constituent
ainsi un premier instrument pour la sensibilisation de futurs enseignants à la perception
du français « vu d’ailleurs », mais ils nous semblent également intéressants, dans une
perspective formative, parce qu’ils permettent de s’interroger sur la manière dont se
construit l’identité bilingue ou plurilingue en abordant toutes les dimensions –
individuelle, collective, psychologique, historique et sociale – de l’expérience. De fait, ces
textes sont quelquefois pour de futurs enseignants le premier « contact » qu’ils peuvent
avoir avec des situations d’apprentissage évoquées, en France, dans le cadre scolaire ou
associatif, ou hors de France, dans les pays où le français est langue seconde et, plus
généralement, face à des apprenants migrants. Et parce qu’ils ne se contentent pas de
nous installer à l’intérieur de différents imaginaires des langues, mais qu’ils inscrivent le
rapport aux langues dans la biographie des écrivains, ils permettent aussi d’identifier des
manières de percevoir le bilinguisme ou le plurilinguisme qui peuvent être des obstacles
ou au contraire des adjuvants à l’apprentissage. Enfin, par leur réflexivité, ces œuvres
constituent également, pour de futurs professionnels de la langue que sont les
enseignants, des modèles de ce que peut être une attitude réflexive sur soi et sa pratique.
Faute de pouvoir tout aborder, nous proposons ci-dessous quelques réflexions sur les
relations entre les langues et les parcours d’apprentissage.
7.3.1. Opposition ou circulation entre les langues : l’étrangéité de l’écrivain
L’enseignant de langue peut être confronté, en classe, à des apprenants ayant des
attitudes ambivalentes par rapport à l’apprentissage, ou qui ont des difficultés à circuler
d’une langue à l’autre. Il est délicat d’interroger directement les apprenants sur ces
difficultés, d’autant plus quand leur maîtrise du français est insuffisante pour leur
permettre d’exprimer avec nuance ce qu’ils éprouvent de manière conflictuelle. Les
témoignages des écrivains, amenés par métier pourrait-on dire à réfléchir sur leur outil
d’expression et sur les nécessaires négociations entre leurs différentes appartenances
linguistiques et culturelles, permettent de trouver des mots pour décrire ces situations, et

176
les stratégies qu’ils ont pu mettre en œuvre pour arriver à trouver un lieu à partir duquel
une expression est devenue possible. En effet, pour l’écrivain plus que pour n’importe qui
d’autre, trouver une issue au conflit linguistique est vital : s’il ne le résout pas, il est
condamné au silence.
Dans une situation de bilinguisme, où deux langues ont été apprises à peu près
simultanément, le sentiment d’opposition entre deux faces de l’identité est potentiellement
conflictuel. On peut ainsi repérer chez Julien Green et Claude Esteban, deux écrivains
qui, en plus d’être bilingues depuis l’enfance, ont tous deux une pratique d’écriture en
deux langues (français et anglais pour Green, français et espagnol pour Esteban), une
même représentation du français marqué par l’héritage classique et l’importance donnée à
la hiérarchie des registres et des styles. Pour eux deux, également, les langues renvoient à
deux identités clairement distinctes, comme les deux faces d’une pièce de monnaie : « en
anglais, j’étais devenu quelqu’un d’autre », écrit Green (1985 : 197) ; il s’agit, pour
Esteban, d’un partage de la conscience entre « deux territoires mentaux qui s’excluent »
(1990 : 108). Mais cette représentation polaire de l’identité, qui renvoie à une perception
des langues elles-mêmes comme des identités fixées, voire figées, ne produit pas le
même effet sur chacun d’eux : si Green semble pouvoir glisser d’une langue à l’autre selon
le public pour lequel il écrit, Esteban raconte avoir été longtemps prisonnier d’une sorte
de « schizophrénie » qu’il n’a dépassée que par une réappropriation de sa langue
paternelle. C’est en effet par l’étude approfondie de la langue espagnole et par la
traduction littéraire qu’il a pu reconstruire une identité linguistique en retrouvant accès à
cette part refoulée – l’espagnol renvoyant à l’identité de réfugié politique de son père et à
la perception de sa langue comme un stigmate. À l’inverse, lorsque la Canadienne
anglophone, Nancy Huston, venue en France à l’âge adulte pour faire une thèse sous la
direction de Barthes, analyse son « passage » au français, c’est comme une fuite de son
anglais trop « maternel » : la métaphore qui oppose le français à l’anglais comme le
clavecin au violon est moins éclairante comme image des langues en elles-mêmes que
révélatrice de ce qu’elles représentent pour elle :
« L’anglais et le piano : instruments maternels, émotifs, romantiques, manipulatifs,
sentimentaux, grossiers […]. Ce que je fuyais en fuyant l’anglais me semble clair. »
(1999 : 65)
Les difficultés linguistiques ou identitaires renvoient à la manière dont le bilinguisme
s’inscrit dans l’histoire de l’individu, et au-delà, dans son histoire familiale et dans
l’histoire collective – guerres, exil, colonisation – que l’écrivain plurilingue peut se donner
pour tâche d’explorer. C’est la démarche de Leïla Sebbar, dont la langue maternelle, le
français, était aussi la langue scolaire, mais cette langue se trouvait comme hantée par
l’arabe, langue de l’Algérie où elle vivait, et langue que son père algérien, lui-même
professeur de français, avait choisi de ne pas lui transmettre. Dans Les Mots étrangers,
l’écrivain grec Vassilis Alexakis confronte de manière exemplaire la manière dont le
français est chargé de valeurs opposées selon l’histoire linguistique des interlocuteurs.
Alors qu’il est en République Centrafricaine, son double romanesque, Nicolaïdes, est pris
à parti par un étudiant qui rejette le français dans lequel il a été scolarisé : « Je ne peux

177
pas aimer une langue qui m’impose le silence » (2002 : 236) s’exclame l’étudiant, en
rappelant qu’à l’école, il lui était interdit de parler le sango, sa langue maternelle. Pour
Nicolaïdes-Alexakis, au contraire, qui s’est exilé en France dans les années 1970 quand la
Grèce a été soumise à une dictature militaire, le français permettait de retrouver sa liberté
d’expression et « ne [lui] rappelait aucun mauvais souvenir » (ibid.).
À distance du déni vécu comme une violence, de nombreux écrivains maghrébins, tels
Mohammed Dib, Driss Chraïbi, Abdelkébir Khatibi, Tahar Ben Jelloun, Assia Djebar,
vivant dans un contexte plurilingue depuis l’enfance entre berbère, arabe dialectal, arabe
littéraire et français, peuvent témoigner d’une relation non pas polaire, mais
multidimensionnelle aux langues qui cohabitent en eux. L’image de la maison hospitalière
vient ainsi naturellement à Tahar Ben Jelloun :
« Pourquoi la cave de ma mémoire où habitent deux langues ne se plaint-elle jamais ?
Les mots y circulent en toute liberté et il leur arrive de se faire remplacer ou
supplanter par d’autres mots sans que cela fasse un drame. C’est que ma langue
maternelle cultive l’hospitalité et entretient la cohabitation avec intelligence et
humour. »
(2007 : 113)
Assia Djebar témoigne du même mouvement d’hospitalité, mais cette fois du français,
« maison d’accueil », dont, écrit-elle : « j’ai fait le geste augural de franchir moi-même le
seuil, moi librement et non plus subissant une situation de colonisation » (1999 : 43) ; et
si le partage se fait entre la parole et l’écriture, c’est l’image du voile qui vient rendre
compte de ce que le français lui a rendu possible, en tant que femme, dans le monde
musulman, de prendre la parole dans l’espace public masculin :
« J’ai utilisé jusque-là la langue française comme voile. Voile sur ma personne
individuelle, voile sur mon corps de femme ; je pourrais presque dire, voile sur ma
(9)
propre voix . »
(ibid.)
La langue héritée de l’histoire coloniale a aussi été une langue libérant la parole d’une
femme sur son propre destin, de femme et d’Algérienne, témoignant, en français, de
l’histoire collective autant que de la liberté conquise. C’est aussi une langue qu’Assia
Djebar appelle « paternelle », car c’est son père qui, prenant la décision de la scolariser à
l’école française, l’a soustraite à la claustration des filles nubiles. Ailleurs, définissant sa
pratique d’écriture en français, elle insiste sur la création d’une sorte d’entre-deux où,
remodelant le français, pour raconter son histoire et celle de son peuple, réussissant à
retrouver une intériorité dans cette « langue des autres », elle en vient à se désigner
comme « étrangère de l’intérieur » (2010 : 18-19). Elle fait écho à une expression de
l’écrivain marocain Abdelkébir Khatibi, qui appelle « étranger professionnel » cette
« unicité solidaire » (1997 : 126) qui est celle de l’écrivain tissant son œuvre entre les
langues.
Une telle position « entre » les langues conduit, selon le philosophe d’origine
allemande Heinz Wismann, à une double altérité, « puisque l’origine devient autre elle
aussi », de sorte que :

178
« Dans cette position intermédiaire, de passeur, il ne s’agit pas tellement des contenus
qui sont transposés d’un côté de la frontière à l’autre comme des marchandises qu’on
échange. La chose intéressante, c’est que le milieu compris comme ce qu’il y a “entre”
est le milieu de la réflexivité, pas de l’identification. »
(2012 : 39)
C’est aussi le cas de l’essayiste Akira Mizubayashi qui revendique son « étrangéité » :
« Je ne cesse finalement de me rendre étranger à moi-même dans les deux langues, en
allant et en revenant de l’une à l’autre, pour me sentir toujours décalé, hors de place, à
côté de ce qu’exige de moi toute la liturgie sociale de l’une et de l’autre langue. Mais,
justement, c’est de ce lieu écarté que j’accède à la parole ; c’est de ce lieu ou plutôt de
ce non-lieu que j’exprime tout mon amour du français, tout mon attachement au
japonais. »
(2011 : 262)
La réflexivité est également associée à la reconnaissance du caractère arbitraire de
chacune des langues : avec le bilinguisme « plus rien ne vous appartient d’origine, de
droit et d’évidence » écrit Nancy Huston (1999 : 43). Or, cette « surconscience
linguistique » qui caractérise, selon Lise Gauvin, l’écrivain francophone (1997 : 6) nous
semble aussi dans une certaine mesure être celle de l’enseignant, s’il veut pouvoir jouer
son rôle de passeur linguistique et culturel. Qu’il soit Français natif, devant adopter sur sa
propre langue le regard d’un étranger pour arriver à en expliquer les règles de
fonctionnement, ou qu’il soit étranger faisant l’expérience d’une mise à distance de sa
langue maternelle, l’enseignant doit sans cesse se situer dans ce lieu tiers, d’où il peut
accompagner le passage d’une langue à l’autre et faciliter les aller-retour linguistiques et
culturels.
7.3.2. Parcours d’apprentissage en langue/culture étrangère
Pour développer sa compétence professionnelle, l’enseignant dispose, outre la
formation théorique, de sa propre expérience d’apprentissage de langues étrangères, à
partir de laquelle il peut réfléchir à la fois aux méthodes d’enseignement et aux
dimensions personnelles de l’apprentissage. Mais celle-ci est cependant limitée à une ou
deux langues, et l’introspection comporte aussi ses points aveugles, qui peuvent tenir à
des limites intimes, mais aussi aux fausses évidences qui, dans chaque culture
d’enseignement-apprentissage donnée, font prendre pour naturelles des habitudes qui sont
en réalité le résultat de constructions successives.
Passer par les récits d’apprentissage linguistique permet de se confronter à une grande
diversité de situations d’enseignement-apprentissage du français comme langue étrangère
ou seconde : apprentissage d’une langue seconde dans un cadre scolaire aux Antilles
(Chamoiseau) ou en Afrique (Hampaté Bâ, Diome) ; scolarisation en France d’un enfant
d’exilés russes (Troyat) ou espagnols (Semprun) et d’immigrés algériens (Begag) ;
apprentissage commencé dans le pays d’origine et poursuivi en France pour des études
supérieures choisies et prestigieuses (Huston, Mizubayashi, Wismann) ; apprentissage
rendu nécessaire par l’exil à l’âge adulte d’une Hongroise en Suisse romande (Kristof) et
d’une Iranienne en France (Djavann), ramenées brutalement au statut d’« analphabète ».

179
Avant même de s’arrêter aux aspects spécifiquement linguistiques de ces situations, un
futur enseignant peut, à travers ces textes, se représenter des apprenants, spécialement en
cas de migration, non comme de seuls élèves, voire des « acteurs sociaux », mais comme
des personnes de chair et d’os dont les trajectoires personnelles sont ancrées dans
l’histoire politique et sociale, dont la vie s’organise autour de difficultés matérielles ou
psychologiques, dont les aspirations enfin donnent à l’apprentissage linguistique une
importance existentielle, voire vitale, qui dépasse le désir de connaître une autre langue
ou l’obligation scolaire d’en apprendre une. Ce qui frappe d’abord en effet, c’est le poids
de l’histoire dans ces récits : exil politique d’une famille de Russes blancs dans les
années 1920 (Troyat), de républicains espagnols en 1939 (Semprun) ou d’une
intellectuelle hongroise au moment de la reprise en main du régime communiste par
l’URSS en 1956 (Kristof) ; organisation néocoloniale de l’école française juste après la
départementalisation qui rattache la Martinique à la France (Chamoiseau) ; installation
des immigrés maghrébins dans les bidonvilles de Lyon dans les années 1960 (Begag) ;
prestige intellectuel du français dans les années de contestations de mai 68 (Huston et
Mizubayashi) ; oppression des femmes par le régime islamiste en Iran (Djavann).
Ensuite, ces textes font sentir le poids des difficultés sociales autant que linguistiques :
l’usine (Kristof), les petits boulots (Djavann), la pauvreté et les débrouillardises
quotidiennes (Begag), les inquiétudes matérielles et les préoccupations politiques (Troyat,
Semprun). On peut y lire les ambitions et les aspirations partagées : volonté de maîtrise
scolaire comme un défi à l’égard de camarades français (Semprun, Troyat, Begag), ascèse
personnelle (Mizubayashi, Kristof, Djavann), phantasme d’une renaissance (Huston,
Mizubayashi, Djavann), désir effréné d’apprendre (Diome), mais aussi désir d’assimilation
qui se heurte à une identification stigmatisante de l’accent renvoyant à la nationalité
d’origine ou au statut d’immigré (Semprun, Begag, Djavann). On peut aussi identifier les
sentiments que le passage d’une langue à une autre suscite : ressentiment face à la perte
de la langue maternelle (Kristof) ou à l’inverse bonheur des aller-retour comme entre
deux femmes aimées (Alexakis).
Enfin, de nombreuses réflexions sur l’apprentissage linguistique peuvent également
retenir l’attention d’un futur enseignant : l’importance des figures médiatrices – familiales,
amicales ou scolaires – vers la langue étrangère (Makine, Mizubayashi, Troyat, Begag,
Diome) ; le rôle du dictionnaire, des carnets de vocabulaire ou de citations, la copie et la
récitation, ou encore l’identification de points de butée de la progression et des stratégies
spontanées pour les contourner (Djavann, Mizubayashi). Le rôle de la littérature y est
souligné, comme un outil d’apprentissage, mais aussi et surtout de développement
personnel : exploration à la fois de la culture et de soi-même (Semprun avec Baudelaire,
Mizubayashi avec Rousseau) ou échappée imaginaire libératrice (Chamoiseau, Diome,
Djavann). Ainsi peut-on reconnaître le bonheur d’Agota Kristof quand, après cinq ans
pendant lesquels elle se demande « comment [elle a] pu vivre sans lecture », elle retrouve
accès à la littérature :
« Je sais lire, je sais de nouveau lire. Je peux lire Victor Hugo, Rousseau, Voltaire,
Sartre, Camus, Michaux, Francis Ponge, Sade, tout ce que je veux lire en français, et

180
aussi les auteurs non français, mais traduits, Faulkner, Steinbeck, Hemingway. C’est
plein de livres, de livres compréhensibles, enfin, pour moi aussi. »
(2004 : 54)
Certains de ces textes comportent aussi des éclairages sur les relations complexes des
dimensions linguistiques et socioculturelles qui déterminent non seulement les
compétences communicatives, mais aussi le sentiment d’appartenance ou d’étrangeté – y
compris quand l’altérité est culturelle autant que linguistique. Ils nous permettent
d’appréhender l’extrême intrication des problématiques de l’altérité et l’expérience qui en
est faite par un locuteur plurilingue.
7.3.3. Attitude interprétative et déchiffrement de la langue/culture étrangère
Une langue venue d’ailleurs d’Akira Mizubayashi (2011) est à la fois un essai et un récit
construit de manière chronologique. Il permet de suivre les étapes d’une « liaison »
passionnée avec le français, langue à laquelle l’auteur est conduit par ce qu’il appelle ses
« maux de langue », dus au sentiment d’exil intérieur que lui donne la langue politisée de
sa jeunesse au Japon, mais aussi par l’amour qu’il a de la musique de Mozart et du
e
XVIII siècle. Il raconte qu’encouragé par son père, il apprend le français d’abord comme
une musique, par l’oreille – écoutant sans relâche des émissions, dialogues et textes
enregistrés.
Les analyses qu’il fait de ce qui lui échappe encore dans la maîtrise du français sont
intéressantes pour un futur enseignant qui peut ainsi saisir concrètement l’importance,
dans la communication, non de la maîtrise linguistique en tant que telle, mais de la
capacité à déchiffrer les codes socioculturels qui régissent les pratiques de discours. En
effet, Mizubayashi remarque qu’il est incapable d’utiliser spontanément des mots d’argot,
mais aussi des « expressions appellatives » telles « ma chérie » ou « ma puce », dont sa
femme française se sert pour s’adresser à leur fille. Cette inscription dialogique de l’autre
dans le discours, il l’observe aussi dans l’espace public, où il est fréquent en France de
saluer des inconnus, ce qui, note-t-il, est inconcevable en japonais. L’usage de mots
comme « bonjour » et « merci », loin de relever « d’un vocabulaire universel », est, écrit-
il :
« d’un maniement subtil pour ceux qui sont venus d’ailleurs, en ce sens qu’il est
profondément lié à la manière particulière d’être avec autrui qu’implique la langue
française [et qui diffère entièrement de] l’être ensemble japonais. »
(2011 : 168)
Qu’en est-il justement lorsque les difficultés ne viennent pas de la langue elle-même,
mais de l’étrangeté des réalités qu’elle décrit ? Un dernier texte, emprunté à un auteur
antillais – français donc, de langue comme de droit, mais dont la culture s’ancre dans une
autre réalité – va nous permettre de réfléchir à la position respective de l’apprenant et de
l’enseignant, et de mettre en évidence la relation entre le déchiffrement d’une
langue/culture étrangère et la lecture interprétative qui apparaît comme une composante
essentielle de la compétence littéraire comme de la compétence interculturelle (voir
chapitres 1.6. et 2.4.).
Chemin d’école de Patrick Chamoiseau est un récit autobiographique centré sur l’école

181
néocoloniale de la Martinique des années 1950. Le statut respectif du français et du
créole y est largement mis en scène, toutefois ce n’est pas ce qui nous retient ici, mais
l’opposition entre compréhension et interprétation. Dans ce court extrait, les élèves
apprennent à lire à travers des textes évoquant une campagne française de carte postale :
« Les textes de lecture parlaient de fermes, d’oies, de violons d’automne, de sabots, de
lièvres, de cheminées, d’écureuils… Les revenus-de-France faisaient mine de savoir ;
mais les autres petites-personnes découvraient ces étrangetés du fond d’un ravissement
perplexe. »
(1994 : 152)
Pour les élèves martiniquais, la réalité conventionnelle que décrit le livre de lecture est
opaque, exotique et mystérieuse : automne ou cheminée ne peuvent rien dire dans une
région du monde où les arbres ne perdent pas leurs feuilles et où les maisons ne sont pas
conçues pour être chauffées l’hiver. La médiation de l’enseignant obscurcit encore les
choses lorsqu’il tente « de confronter la lecture à [leur] réalité » en interrogeant un élève :
« – Alors, nous avons vu que Petit-Pierre, les soirs d’hiver à la ferme, aime bien se
glisser entre les draps chauds de son lit douillet. Est-ce le cas pour vous mon ami ?
Avez-vous souvenir d’une circonstance qui vous rendit votre lit agréable ? »
(ibid. : 154)
Mais le lit n’est pas la même chose d’un endroit à l’autre, et l’idée de se glisser entre
des draps chauds, dans un pays tropical, n’évoque aucun agrément. L’élève interrogé dort
sur « une paillasse d’herbes sèches » sans « draps, car la chaleur pesait : parfois, quand le
serein de décembre menaçait les poitrines, il se couvrait d’un carreau de madras » (ibid.).
De sorte que, pour l’élève interrogé et ses camarades :
« le Petit-Pierre des lectures faisait figure d’extraterrestre. Mais pour lui, comme pour
la plupart d’entre nous, à mesure des lectures sacralisées, c’est Petit-Pierre qui devenait
normal »
(ibid. : 155)
La difficulté de compréhension du texte n’est pas linguistique, il ne s’agit pas même de
choses ou de données géoclimatiques – on peut y remédier par des explications ou des
images, qui représentent l’habitat, les animaux ou les plantes –, mais de catégories de la
perception. Or, ces couples d’opposition froid/chaud ou dehors/dedans orientent nos
interprétations de la réalité et nos réactions, selon une polarisation entre bon/mauvais,
agréable/déplaisant qui est généralement inconsciente. Si donc les élèves de Chemin
d’école comprennent que dans le monde de Petit-Pierre, avoir un lit chaud est agréable,
c’est dans un monde fictionnel qui paraît contrefactuel, au même titre que celui d’un
roman de science-fiction. Dès lors, la possibilité d’émettre des hypothèses selon ce qui est
vraisemblable dans l’expérience commune n’est pas opérante. Et contrairement au roman
de science-fiction qui se doit d’expliciter les règles de son monde imaginaire, dans le cas
d’une lecture en langue – et ici en culture – étrangère, c’est au lecteur de trouver par lui-
même les règles de l’univers qu’il veut pénétrer. Il s’agit donc beaucoup plus d’interpréter
que de comprendre. Interpréter, c’est-à-dire construire les règles selon lesquelles, en
fonction du cadre de référence dans lequel on se situe, un bon lit peut-être

182
alternativement chaud ou frais.
L’exemple de Chemin d’école nous fait découvrir les livres français avec le regard des
enfants créoles ; mais adoptons maintenant la position d’un lecteur métropolitain pour
lire cet extrait : ce récit le conduit également à faire une expérience de décentrement,
cette fois à partir d’« étrangetés » linguistiques. Certes, avant d’utiliser des outils
spécialisés, le lecteur peut sans doute deviner que les « revenus-de-France » désignent les
Antillais ayant vécu en France, tandis que les « petites-personnes » par opposition aux
« grandes personnes » sont les enfants, même s’il ignore que c’est effectivement la
traduction du terme créole qui les désigne.
Mais pour continuer la réflexion, imaginons que cette situation de lecture est celle d’un
enseignant, confronté en classe à l’étrangeté culturelle ou linguistique d’un texte littéraire.
Il est possible qu’il se sente dans une position inconfortable : il craint de ne pas avoir
toutes les clés, risque de mal interpréter des expressions, des images, des allusions. Peut-il
tirer parti de cette « insécurité », qui le fait douter de sa capacité et de celle de ses élèves
à « expliquer complètement » le texte dont il ne maîtrise pas toutes les références ? La
question importe, puisque certains enseignants de FLE, réticents à utiliser des textes
littéraires – que ce soit de la littérature classique ou contemporaine et francophone –,
invoquent leur manque de familiarité avec eux. Or, il nous semble qu’au lieu d’obstacles,
ces doutes peuvent constituer des atouts si l’on adopte une posture interprétative.
La situation de décentrement retire en effet à l’enseignant le privilège d’être le seul à
pouvoir interpréter « correctement » le texte à partir d’une expertise linguistique et
culturelle. Elle a ainsi la vertu de lui faire partager ce qu’est l’expérience de lecture pour
ses apprenants. Partir de là l’oblige donc à reconnaître le dénivelé interprétatif comme
n’étant plus « une faute » à sanctionner, mais une donnée première de la réception d’un
texte, à partir de quoi il faut élaborer, par la recherche individuelle et par la collaboration
avec les autres lecteurs, une communauté interprétative, espace de partage des hypothèses
et des interrogations. Ce faisant, ce que l’enseignant transmet, ce n’est pas un savoir
extérieur, surplombant, mais une démarche herméneutique fondée sur un travail collectif.
L’obligation d’expliciter les hypothèses dans un cadre culturel donné conduit à prendre
conscience de la complexité des phénomènes de référence, d’inférence et de
compréhension.
La lecture interprétative est précisément celle qui intègre à son processus la conscience
des filtres culturels et personnels : elle rend compte non du tout du texte, mais de la
relation à lui d’un lecteur singulier dont le bagage linguistique et culturel est, d’une
certaine manière, reconnu dans ce processus. C’est ce qu’échoue à faire l’enseignant de
Chemin d’école qui, à force de « lectures sacralisées », finit par inculquer à ses élèves une
norme exogène. Ainsi, le tort de l’école néocoloniale n’est pas de donner à lire des œuvres
éloignées de leur mode de vie aux enfants – qui découvrent leurs « étrangetés du fond
d’un ravissement perplexe » –, mais d’imposer la normalité des références
métropolitaines en exotisant le regard que les enfants créoles ont sur leur propre mode de
vie.
Ce dernier exemple, qui voit l’interférence permanente entre l’expérience plurilingue et

183
l’expérience de l’altérité, permet de mettre en évidence les bénéfices de cultiver une
attitude réflexive. Que ce soit dans des contextes diglossiques où le français est envisagé
dans l’opposition, voire dans l’affrontement avec la langue maternelle des habitants, en
raison notamment d’enjeux de reconnaissance culturelle, ou que ce soit dans un cadre
majoritairement « monolingue », c’est en effet par une réflexion menée à partir de la
dimension subjective de la réception que l’on peut construire, au-delà des stéréotypes, une
représentation à la fois nuancée et dynamique de la pluralité linguistique et culturelle.
Cela implique, notamment pour les enseignants, de porter attention au rapport personnel
que chacun entretient à ses différentes langues/cultures et de réfléchir à la manière dont
se construisent des identités plurilingues et celles de passeurs de langues. La médiation de
la littérature, à la fois comme regard sur la langue et travail dans la langue, permet de
déployer cette attention à la fois au texte et à soi qui fait de la réception une
interprétation.
Notes
(1) http://www.dglf.culture.gouv.fr/ [consulté le 15 avril 2014]
(2) http://carap.ecml.at/
(3) http://youtu.be/sCBCy8OXp7I
(4) http://www.onf.ca/film/speak_white
(5) Voir le drolatique dictionnaire franco-québécois disponible en ligne :
http://www.dufrancaisaufrancais.com/
(6) Le terme est de l’essayiste Akira Mizubayashi (2011).
(7) Certaines des pistes de réflexion présentées ici ont été développées au cours d’un
séminaire de master 1 de Didactique du français et des langues de la Sorbonne Nouvelle-
Paris 3 portant sur le regard des écrivains sur leur(s) langue(s) d’écriture. Que les
étudiants qui y ont contribué depuis 2006 en soient ici remerciés.
(8) Voir également l’œuvre de Jean Portante, écrivain présenté section 5.2.1.
(9) Les italiques sont de l’auteure.

184
CONCLUSION
par Auréliane Baptiste, Anne Godard, Anne-Marie Havard et Ève-Marie Rollinat-
Levasseur
Tout au long de cet ouvrage, nous avons vu combien la littérature enrichissait
l’expérience que l’on peut faire d’une langue/culture étrangère et en favorisait
l’apprentissage, ce qui justifie sa présence régulière à tous les niveaux. Certes, l’évaluation
sommative à laquelle le CECRL a trop souvent été réduit, dans un contexte sociétal où la
performance doit pouvoir être mesurée dans tous les domaines, a restreint les pratiques
de classe, dans un grand nombre de pays, à l’entraînement intensif à des exercices
calibrés, donnant par ricochet de la communication, de la langue et de la culture une
vision appauvrie. Mais il est temps de faire valoir l’occasion qu’il offre, à travers la
perspective actionnelle, d’un enseignement motivant, dans lequel la littérature s’intègre à
des projets où les compétences langagières interagissent de diverses manières. Même si
certains manuels ont timidement commencé à le faire, cela reste encore largement à
affirmer et à développer.
Si la littérature se distingue en effet des supports fonctionnels employés pour
l’enseignement du FLE, c’est qu’au-delà des objectifs linguistiques visés, les textes
littéraires impliquent une relation sensible et sensorielle à la matérialité de la langue et à
la signification des mots. Aussi, l’enjeu de leur intégration au corpus de supports
d’enseignement du FLE va au-delà d’un divertissement introduit comme pause ludique
dans l’apprentissage ou même d’un supplément d’âme. Même à l’échelle la plus modeste,
il importe que cet apprentissage s’insère dans le champ de l’art et de la culture (Bordeaux
& Deschamps, 2013). C’est par trois modes que cette intégration peut être réalisable :
l’expérience esthétique de la lecture, en tant que contact direct avec l’œuvre, qui est à la
fois de l’ordre de l’émotion, de la sensibilité et de la cognition ; l’expérience artistique par
la pratique personnelle ; et l’expérience symbolique, c’est-à-dire l’action interprétative, qui
tisse des liens entre différentes formes culturelles, instaure l’analyse critique, à travers les
discussions que les textes suscitent. Lire, faire (écrire, mettre en voix et en espace, créer
un projet…), interpréter : voilà comment nous concevons l’enseignement du FLE par la
littérature ainsi que l’enseignement de la littérature par le FLE.
De ce fait, si la littérature joue un rôle modélisant dans l’apprentissage de la langue par
la force de l’effet stylistique, c’est aussi le jeu que l’écriture littéraire entretient avec la
variation et l’écart par rapport à la norme langagière qui lui donne un rôle spécifique dans
l’apprentissage de la langue : lire apprend à devenir attentif au choix des mots mêmes,
c’est-à-dire non seulement à ce que signifient et suggèrent les mots, mais à ce que
« signifient » leur assemblage et la préférence d’un mot à un autre. L’introduction de la
littérature dans l’apprentissage du FLE porte ainsi ce premier enjeu de conduire
l’apprenant à sortir d’une vision fonctionnelle de la langue et à être stimulé à rester
attentif aux manières de dire, pour toujours mieux chercher à comprendre ce que parler
veut dire. Mais ce rapport spécifique à la langue créée par la littérature peut aussi aider
l’apprenant à tirer parti de sa maîtrise encore approximative de la langue : la façon dont il
s’exprime n’est pas à considérer comme seulement correcte ou fautive, mais comme

185
signifiante, y compris dans les écarts ou les variations inattendues par rapport à l’usage
standard de la langue.
La définition de ce qu’est la littérature s’en trouve élargie à plusieurs niveaux. Elle n’est
plus alors circonscrite à l’espace clos d’œuvres publiées et sacralisées : à travers l’écriture,
la lecture partagée ou l’interprétation théâtrale, la littérature s’ouvre à des pratiques
sociales, vivantes et créatives. Cette ouverture va de pair avec l’élargissement du corpus
littéraire, notamment à toutes les écritures contemporaines, françaises, francophones et
plurilingues. Et c’est parce qu’elle n’est pas figée que la littérature nous forme et nous
transforme, sur le plan langagier, culturel et personnel, et qu’elle permet de développer le
goût de la langue, en révélant sa diversité, et d’éprouver d’autres manières d’être au
monde.
L’élargissement de la définition de ce qu’est la littérature permet encore de concilier
deux conceptions, souvent opposées, de l’enseignement de la littérature, à savoir un
enseignement de spécialité et une pédagogie transversale, un enseignement réservé à une
élite cultivée et un enseignement où la littérature a une place intégrée dans le cours de
langue : ces deux représentations de l’enseignement de la littérature en FLE peuvent avoir
leur pertinence, dans des contextes différents, mais gagnent à s’ouvrir l’une à l’autre, pour
se vivifier mutuellement. Pour le spécialiste, le contact avec les pratiques culturelles de
son temps permet de mieux mettre en perspective ses lectures de l’héritage culturel.
Inversement le non-spécialiste ne peut que profiter d’une diversification de son répertoire
littéraire et méthodologique et être incité à partager ses découvertes avec ses apprenants.
Le questionnement même sur l’utilité de la littérature dans l’enseignement du FLE
conduit à cet égard l’enseignant, qu’il soit spécialiste ou non, à un décentrement salutaire :
pour les apprenants, en effet, cette littérature en langue étrangère n’est pas avant tout
patrimoniale, et les manières de l’aborder ne sont pas réductibles à l’analyse littéraire ; la
fraîcheur de leur regard et de leur perception permet ainsi d’envisager le texte littéraire
sur un mode empathique et existentiel, comme un réservoir de savoirs et de formes de
vie permettant, au même titre que les autres « sciences de la vie », d’aider chacun à
trouver les voies et modèles individuels et collectifs qui l’aideront à comprendre les
sociétés dans lesquelles il s’insère. Cette approche de la littérature comme « science de la
vie » ou « Lebenswissenchaft » selon Ottmar Ette (Keilhauer, 2014) non seulement offre
de nouvelles pistes pour la recherche en littérature, mais encourage également en FLE
une pratique pédagogique envisageant le texte littéraire comme un matériau expérimental
qui, parce qu’il met en œuvre les potentialités et virtualités de l’existence, peut aider non
seulement à vivre, mais à survivre, c’est-à-dire à surmonter les difficultés – linguistiques
ou existentielles – auxquelles tout apprenant est confronté.

Ainsi définie, la littérature n’est pas seulement ce que l’enseignant a lui-même appris
lors de sa formation initiale. C’est aussi comme une formation continue qu’il peut se
donner tout au long de la vie, à travers ses lectures personnelles et les incitations venues
de l’actualité littéraire. Si les événements culturels et littéraires peuvent susciter des
formats commerciaux, ils sont aussi à considérer comme autant d’amorces possibles pour

186
renouveler les pratiques pédagogiques, tant du point de vue des textes à intégrer que des
activités à proposer. En outre, le numérique apporte désormais un accès non seulement
aux œuvres, grâce aux bibliothèques virtuelles, mais aussi un contact avec les écrivains, à
travers leurs blogs, et un accès aux événements culturels, au partage d’échanges critiques,
d’idées et de matériel pédagogiques. Il permet, dans le cas de l’écriture en temps réel sur
Internet, de suivre la manière dont se créent des formes littéraires contemporaines. Voilà
qui offre à l’enseignant une formidable opportunité d’autoformation à la littérature au fur
et à mesure de sa carrière et de l’évolution des publics d’apprenants. Il n’y a en effet pas
une manière d’enseigner le FLE par la littérature ni un corpus de textes littéraires
spécifique à cet enseignement : c’est la prise de risque qu’ose l’enseignant à travers les
activités qu’il conçoit pour aborder conjointement le français et la littérature qui peut
faire de la lecture littéraire un moment extraordinaire dans la vie de la classe, pour les
apprenants, comme pour lui. Le champ d’action de l’enseignant, ou en tout cas son espace
de discours, est donc potentiellement très large, et sa médiation est particulièrement
précieuse pour s’aventurer avec les apprenants dans la découverte de textes littéraires,
même inattendus.
Enfin, la littérature peut être pleinement, en contexte pédagogique, quelque chose qui
se partage, dans les moments de discussions autour des œuvres, sources inépuisables
d’interrogations – et parfois d’incompréhensions, qui peuvent, paradoxalement,
déboucher sur une meilleure compréhension des textes, mais aussi de soi-même. Tout en
organisant son cours de manière à assurer une progression des apprentissages en
s’adaptant aux besoins de ses apprenants, l’enseignant a ainsi un rôle essentiel dans la
manière dont il va faire passer une certaine image de la langue et de la culture à travers
sa sensibilité, et son écoute ; être attentif à ce que lisent les apprenants est pour lui une
matière à exploiter, car d’autres échanges se font entre pairs qui, pour certains, peuvent
être le point de départ de nouvelles mises en résonance. Car ce n’est pas seulement la
littérature en langue française qui s’échange dans le cours de FLE : ce sont aussi les
œuvres écrites en d’autres langues, faisant partie d’un canon international, et que les
apprenants naviguant entre leurs blogs découvrent avec surprise, traduites et
méconnaissables dans leurs alphabets différents ; ce sont encore les lectures spontanées
des étudiants en immersion, en France, qui peuvent étonner l’enseignant. Il a ainsi
beaucoup à apprendre de ses apprenants : de ce qui leur parle dans un texte ou un livre,
fût-ce à travers la manière dont celui-ci se tait et les écoute, non seulement parce que
« dans une langue étrangère aucun lieu n’est jamais commun » (Huston, 1999 : 48), mais
aussi, à l’inverse, parce que le sentiment de reconnaissance d’une étrange familiarité peut
venir d’une littérature des antipodes, ainsi qu’en témoigne Dany Laferrière, qui, dans ses
lectures d’adolescence en Haïti, se sentait de plain-pied avec tous les écrivains qu’il lisait
en français, sans se soucier de leurs origines :
« Pour moi, Mishima était mon voisin. Je rapatriais, sans y prendre garde, tous les
écrivains que je lisais à l’époque. Tous. Flaubert, Goethe, Whitman, Shakespeare, Lope
de Vega, Cervantès, Kipling, Senghor, Césaire, Roumain, Amado, Diderot, tous
vivaient dans le même village que moi. Sinon, que faisaient-ils dans ma chambre ? »

187
(2008 : 25)

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Table of Contents
Titre 2
Copyright 3
Introduction 4
Chapitre 1. La littérature dans la didactique du français et des
9
langues : histoire et théories
1.1. Évolution de la place de la littérature dans l’enseignement scolaire des
9
langues étrangères et du français (du xixe au milieu du XXe siècle)
1.1.1. Grammaire/traduction et « colinguisme » jusqu’aux années 1880 10
1.1.2. Méthodologie directe et français scolaire (de 1880 à 1925 environ) 11
1.1.3. Méthodologie active et explication de texte jusqu’aux années 1960 12
1.2. Le tournant linguistique des années 1960 : des remises en question à une
15
nouvelle didactique de l’écrit
1.2.1. Double marginalisation de la littérature en FLE dans la
15
méthodologie SGAV
1.2.2. La littérature comme document authentique dans l’approche
16
communicative en FLE
1.2.3. Le bouleversement des études littéraires en FLM : théories du texte
18
et du discours
1.2.4. Les voies d’un renouvellement pour la didactique de la littérature
20
en FLE
1.3. Spécificités du discours et de la communication littéraires 21
1.3.1. Polysémie et « littérarité » ou subjectivité 21
1.3.2. Sociologie de la littérature et du fait littéraire 22
1.3.3. Les éléments formels de la communication littéraire 22
1.4. La lecture de littérature comme réception authentique 24
1.4.1. Lecture scolaire et contextualisations 24
1.4.2. La lecture littéraire, une lecture interactive 25
1.4.3. Pratiques de lecture et médiation vers la littérature 27
1.5. L’écriture littéraire, une écriture créative 28
1.5.1. Jeux littéraires et créativité langagière 28
1.5.2. L’atelier de lecture-écriture : l’interactivité des apprentissages 29
1.6. La littérature comme voie d’accès à la culture anthropologique 30
1.6.1. La littérature comme outil de médiation interculturelle 30
1.6.2. La littérature comme apprentissage de l’altérité 31
Chapitre 2. Enjeux de la formation littéraire aujourd’hui 35
2.1. Convergences des didactiques du français (FLM, FLS et FLE) 35

208
2.1.1. Objectifs et démarches de l’approche par compétences 36
2.1.2. Enjeux formatifs de la culture littéraire 37
2.1.3. Éducation à la diversité culturelle et linguistique 38
2.2. Finalités des enseignements de langue comme discipline scolaire :
38
littérature, Bildung et culture humaniste
2.2.1. Les principes de la Bildung 39
2.2.2. La culture humaniste dans le Socle commun français 40
2.2.3. Littérature et compétences de lecture-écriture 41
2.2.4. Littérature et identité culturelle 42
2.3. Corpus littéraires : élargir la notion de patrimoine commun 44
2.3.1. La promotion de l’enseignement des littératures européennes 44
2.3.2. La reconnaissance de la pluralité des littératures en français 45
2.3.3. Pour une conception ouverte du patrimoine littéraire 46
2.4. Dimensions interprétatives de la compétence littéraire 47
2.4.1. La compétence littéraire comme attitude interprétative 47
2.4.2. Des outils pour développer la lecture interprétative 48
2.4.3. Interprétation et réflexivité : du carnet de lecture à la «
49
bibliothèque intérieure » de l’apprenant
2.4.4. Débats interprétatifs dans une perspective communicative et
51
interculturelle
Chapitre 3. L’enseignement de la littérature de langue française à
56
l’étranger : lieux, dispositifs et tendances
3.1. Trois espaces d’enseignement et de diffusion de la littérature 56
3.2. Alliances françaises et instituts français 57
3.2.1. La réorganisation des structures culturelles : la Fondation Alliance
57
française et l’Institut français (2007-2010)
3.2.2. La place accordée au livre et à la littérature par l’Institut français et
59
la Fondation
3.2.3. Des rituels saisonniers : semaines, journées et prix 60
3.2.4. La Bibliothèque de l’apprenant 62
3.2.5. Une médiation vers la littérature : la rencontre avec l’écrivain 65
3.3. Les départements universitaires de français 66
3.3.1. L’enseignement de la littérature : une vitalité questionnée, mais pas
67
menacée
3.3.2. Recherche en littérature, littérature enseignée, littérature
68
effectivement lue : des pratiques éclatées
3.3.3. Un renouvellement des approches : de la French theory aux
69
cultural studies
3.3.4. Le cas particulier de l’aire francophone 70
3.4. Les parcours bilingues dans le secondaire 72

209
3.4.1. Historique des sections bilingues 73
3.4.2. L’enseignement de la littérature en section bilingue : entre FLE et
75
histoire littéraire
3.4.3. Les programmes binationaux : une tentative de didactique intégrée 76
Chapitre 4. Discours et pratiques d’enseignement du FLE : état
81
des lieux et perspectives
4.1. Les discours institutionnels pour le FLE et le FLS : quels liens entre
81
langue, culture et littérature ?
4.1.1. Le texte littéraire pour le FLE dans le CECRL 81
4.1.1.1. Des perspectives pédagogiques nouvelles 83
4.1.1.2. La littérature : un objet réservé aux niveaux avancés ? 84
4.1.2. Le texte littéraire pour le FLS dans les publications de la DGESCO 85
4.2. Les méthodes de FLE des éditeurs français 86
4.2.1. Présence de la littérature 86
4.2.2. Quel corpus littéraire dans les méthodes aujourd’hui ? 87
4.2.2.1.Théâtre, poésie, essai : une représentation figée de la littérature
87
?
4.2.2.2. Le récit : entre pratiques culturelles et valeur documentaire 88
4.2.3. Quelles activités pour le texte littéraire ? 90
4.2.3.1. Lectures à voix haute 90
4.2.3.2. Mises en relation 90
4.2.3.3. Exploitation grammaticale 91
4.2.3.4. Compréhensions du texte : sens littéral et subjectivités 92
4.2.3.5. Productions écrites et orales 93
4.2.3.6. Existe-t-il une approche actionnelle de la littérature dans les
94
manuels ?
4.3. La littérature pour le FLE : anthologies littéraires et livres de lecture 95
4.3.1. Les manuels de littérature pour le FLE 95
4.3.1.1. Le corpus et son organisation 95
4.3.1.2. Questionnaires et activités : une approche de type scolaire 97
4.3.2. Les textes en français facile : des collections littéraires spécifiques 97
4.4. Les lieux de partage des pratiques pédagogiques 98
4.4.2. Le français dans le monde 98
4.4.3. Le matériel en ligne 100
4.5. Perspectives didactiques : pour une approche progressive de la littérature 102
Chapitre 5. Le rôle de la littérature dans les apprentissages
104
langagiers : de l’écriture créative à la conscience de la langue
5.1. Écriture d’invention, écriture créative : FLM, FLE 104
5.1.1. Autour de la fiction : des exercices canoniques 105

210
5.1.1.1. Médiations nécessaires en FLE 106
5.1.1.2. Transpositions et traductions 108
5.1.2. Succès des lectures-écritures ludiques 109
5.1.2.1. Jeux poétiques élémentaires 109
5.1.2.2. Formes à contraintes et parodies 110
5.1.2.3. De l’écriture vers la lecture : la question du sens 111
5.1.3. Évaluation de l’écriture créative en FLE 113
5.1.3.1. Du texte produit au processus 113
5.1.3.2. L’enseignant lecteur/évaluateur 114
5.1.3.3. Écriture créative et posture scolaire 115
5.2. Écrivains en classe de FLE : enjeux d’une écriture personnelle 116
5.2.1. Représentation de soi-même et expression 117
5.2.1.1. Valoriser l’image de soi en langue étrangère 117
5.2.1.2. Valoriser les stades provisoires de la langue 118
5.2.1.3. Aborder des thèmes peu présents dans les manuels 119
5.2.2. Didactique des traces écrites préparatoires en classe de FLE :
120
l’exemple du carnet d’anecdotes
5.2.2.1. Faire provision d’anecdotes : entre écriture personnelle et
121
écriture scolaire
5.2.2.2. Ni modèles ni points de départ systématiques : des lectures
123
inspirantes
5.2.2.3. Posture littéraire et compétence réflexive en FLE 124
5.3. Éléments pour une progression autour de la variation 127
5.3.1. Difficultés du niveau B1 : le besoin de norme 127
5.3.1.1. Corrections et acceptabilité 127
5.3.1.2. Grammaire de discours : une première ouverture à la variation 128
5.3.2. Horizons élargis du niveau B2, seuil des études supérieures 129
5.3.2.1. Oral, écrit : de nouveaux enjeux 130
5.3.2.2. Variation historique et savoir-apprendre 131
5.3.3. Précision et souplesse aux niveaux C : transferts de compétences 132
5.3.3.1. Combinaison des genres et des types textuels 132
5.3.3.2. Écarts stylistiques 132
Chapitre 6. La littérature en acte : voir, entendre, ressentir 135
6.1. Du jeu des interprétations aux gestes créateurs 136
6.1.1. Interprétation : créativité et pédagogie de projets 137
6.1.2. Littérature et cinéma : usages pédagogiques des films pour la
139
lecture
6.2. La lecture expressive : donner sa voix au texte, trouver sa voix par le texte 142
6.2.1. Oralité et littérature : l’inscription de la voix dans les textes 143

211
6.2.2. La lecture expressive : écrit, oralité et auralité 144
6.2.3. La lecture chorale : une interprétation collective 145
6.2.4. De la phonétique à la performance orale : la poésie sonore en FLE 146
6.2.5. L’alexandrin et le théâtre en vers comme support de la
148
prononciation
6.3. Du texte au jeu : littérature et pratiques théâtrales en FLE 150
6.3.1. Mises en voix et en espace des textes littéraires : explorations et
151
expériences
6.3.1.1. Mise en espace, mise en image 152
6.3.1.2. Texte et jeu théâtral 154
6.3.2. Textes dramatiques en FLE 156
6.3.2.1. Les enfants de Molière 157
6.3.2.2. Les jeux de l’absurde 159
6.3.2.3. Théâtres de la parole 159
6.3.2.4. Textes francophones en zones francophones 160
Chapitre 7. L’altérité dans la langue : ouverture au plurilinguisme
163
par la littérature
7.1. Littérature et plurilinguisme 163
7.1.1. L’institution de/par la littérature 163
7.1.2. Du monolinguisme à une conception plurielle de la langue et de la
164
littérature
7.1.3. Pour une formation des enseignants à la diversité linguistique par
166
la littérature
7.2. Et si nous étions tous des allophones ? La littérature québécoise comme
167
expérience de « français langue étrangère »
7.2.1. Un dispositif antagonique : le face-à-face asymétrique « langue
168
française » / « langue anglaise »
7.2.2. Un dispositif ternaire : mettre en scène une langue à soi ou
170
comment traduire « en québécois »
7.2.3. Un dispositif diffractant : polyphonies des écritures « migrantes »
171
et autochtones
7.3. Représentations du plurilinguisme et de l’apprentissage du français 174
7.3.1. Opposition ou circulation entre les langues : l’étrangéité de
176
l’écrivain
7.3.2. Parcours d’apprentissage en langue/culture étrangère 179
7.3.3. Attitude interprétative et déchiffrement de la langue/culture
181
étrangère
Conclusion 185
Bibliographie 189
A 189

212
B 189
C 191
D 194
E 196
F 196
G 197
H 198
J 199
K 199
L 199
M 201
N 202
P 202
Q 204
R 204
S 205
T 206
V 206
W 207
Z 207

213

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