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DOI : 10.4000/books.apu.7633
Éditeur : Artois Presses Université
Lieu d’édition : Arras
Année d’édition : 2011
Date de mise en ligne : 24 juin 2020
Collection : Études linguistiques
EAN électronique : 9782848324159
https://books.openedition.org
Édition imprimée
EAN (Édition imprimée) : 9782848321417
Nombre de pages : 148
Référence électronique
MANGIANTE, Jean-Marc (dir.). L’Intégration linguistique des migrants. Nouvelle édition [en ligne]. Arras :
Artois Presses Université, 2011 (généré le 12 juin 2023). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/apu/7633>. ISBN : 9782848324159. DOI : https://doi.org/10.4000/books.apu.
7633.
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JEAN-MARC MANGIANTE
Université d'Artois - Grammatica
2
SOMMAIRE
Introduction
Jean-Marc Mangiante
Bibliographie
4
NOTE DE L’ÉDITEUR
Cet ouvrage s’inscrit dans le Plan-Pluri-Formations Formes et Usages des Lexiques
Spécialisés (FULS), sous la direction de Cristelle Cavalla (Université Stendhal de
Grenoble — LIDILEM).
Ouvrage publié avec le concours de l’Université d’Artois, du Centre de Recherches
Grammatica, de l’association Arras Université et de la Banque Populaire du Nord, de la
Délégation générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF) du
Ministère de la Culture et de la Communication.
5
Introduction
Jean-Marc Mangiante
NOTES
1. Français langue seconde, Français sur objectif spécifique, Français langue professionnelle.
2. Français langue maternelle.
8
débouchera sur les perspectives ouvertes par les travaux du Conseil de l’Europe, une
manière de rappeler la dimension européenne de notre sujet.
4 Considérons dans un premier temps les financements publics relatifs aux savoirs
fondamentaux et à la lutte contre l’illettrisme. Comme on peut lire dans
l’édition 2009 du Rapport au parlement sur l’emploi de la langue française 1(p. 81), les crédits
de l’État consacrés à la lutte contre l’illettrisme s’élevaient en 2007 à 24,3 millions
d’euros, dont 7,3 millions au titre du Fonds Social Européen (FSE). Les ateliers de
pédagogie personnalisée (APP), qui forment aux savoirs fondamentaux dans les
domaines de la culture et des apprentissages technologiques, disposaient en 2006 d’un
budget total de 84 millions d’euros. Le budget des APP enfin se répartissait
en 2007 entre les financeurs suivants : ministère chargé de l’emploi 33,8 %, FSE 17,3 %,
conseils régionaux 23 %, conseils généraux 4 %, communes et intercommunalités 2,5 %,
ASSEDIC 0,5 %, employeurs (FAF/OPCA FONGECIF) 9,3 %, particuliers 2,1 %, autres 7 %.
5 Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement des conseils régionaux (hors Guyane,
PACA et Languedoc-Roussillon) relatives à la maîtrise des savoirs fondamentaux et à la
lutte contre l’illettrisme s’élevaient en 2007 à 9,9 millions d’euros.
6 Ces quelques chiffres, pour incomplets qu’ils soient, font apparaître la diversité des
organismes financeurs : État, collectivités territoriales, employeurs... qui est la preuve
d’une préoccupation de la part des pouvoirs publics.
7 Cette préoccupation vaut également pour l’administration pénitentiaire qui conduit
auprès de la population carcérale des actions de repérage de l’illettrisme, de formation,
d’accès à des bibliothèques et à des activités d’écriture enfin.
11 Nous savons qu’un certain niveau de maîtrise de la langue française est exigé par la loi
et que l’intégration est envisagée comme un parcours comprenant différentes étapes,
lesquelles sont au nombre de quatre (on se reportera à l’édition 2009 du Rapport au
parlement sur l’emploi de la langue française, p. 88).
12 À l’étranger, une évaluation du degré de connaissance de la langue française et, si
besoin, une formation linguistique gratuite de 40 heures minimum sont réalisées pour
les étrangers membres de famille sollicitant un visa (loi du 20 novembre 2007 relative à
la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile). Le niveau visé est celui du DILF
(Diplôme Initial de Langue Française délivré par l’éducation nationale) qui valide les
premiers apprentissages en français oral et écrit.
13 À l’arrivée en France, le Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI) est signé par les
étrangers extra-communautaires âgés de 16 ans et plus qui sont orientés, en cas de
besoin, vers une formation au français (loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et
à l’intégration et décret d’application du 23 décembre 2006 relatif au CAI). Entièrement
gratuite pour le bénéficiaire et d’une durée maximale de 400 heures, cette formation
vise l’obtention du DILF. Près de 80 % des signataires obtiennent l’attestation
ministérielle de dispense de formation linguistique (AMDFL) et sont donc dispensés de
formation.
14 Après une durée de résidence en France de cinq ans, la délivrance d’une première carte
de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société
française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance jugée suffisante de la
langue française. Comme cela est prévu par le CAI, la réussite au DILF ou l’obtention de
l’AMDFL sont les critères de l’intégration réussie dans la société, notamment au regard
de la connaissance de la langue française (loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise
de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité).
12
18 Parmi les tendances observables on relèvera ici l’introduction du code des marchés
publics dans la procédure de sélection des organismes de formation, l’émergence d’une
démarche qualité, une prise en compte des profils des apprenants enfin qui va de pair
avec l’élévation du niveau de langue ciblé par les formations.
19 Comme cela a été observé à maintes reprises, l’introduction du code des marchés
publics dans la procédure de sélection des organismes de formation a eu pour effet de
transformer le secteur traditionnel de la formation pour les publics migrants adultes.
Ce secteur, qui reposait jusqu’à peu sur des associations à but non lucratif, lesquelles
concevaient leur activité comme un engagement social, a dû faire face à la mise en
concurrence des organismes de formation. Pour autant, la marchandisation de ce
secteur de la formation ne constitue pas une tendance intrinsèque mais concerne bien
de la même manière les autres dispositifs de formation évoqués plus haut. En 2010, ce
qu’il est convenu d’appeler le « marché de la formation linguistique » mis en place par
l’OFII, est ainsi divisé en 99 lots, chaque lot correspondant à un département, à
l’exception du département de la Réunion. Il s’agit donc d’un marché national pour
lequel le cahier des charges stipule que les prestations des organismes de formation
sont soumises à une évaluation ; on relève également que « la qualité des prestations
sera appréciée au regard du taux d’entrée en formation des publics CAI, du taux de
passation du DILF ou du DELF A1 de ces publics, et du taux de réussite aux examens ».
20 Sur le plan des objectifs de formation, l’année 2010 marque l’introduction de parcours
de formation diversifiés. Si le niveau A1.1 sanctionné par le DILF reste le niveau exigé
dans le cadre du CAI, il est désormais possible de poursuivre l’apprentissage du français
13
au-delà de ce premier niveau de base. Ce sont en tout quatre parcours qui doivent être
proposés aux termes du marché de l’OFII pour l’année 2010 :
• un parcours conduisant au DILF pour les publics non ou peu scolarisés ;
• un parcours conduisant directement au DELF Al pour les publics scolarisés dans leur langue
maternelle ;
• un parcours conduisant du DILF au DELF A1 pour les publics non ou peu scolarisés, de niveau
initial A1.1.
21 Ces trois types de parcours seront proposés aussi bien dans le cadre du CAI que des
formations dites « hors CAI ». Un quatrième type de parcours, conduisant au A2, sera
proposé uniquement dans le cadre des formations « hors CAI ». Il s’adressera aux
personnes ayant acquis le niveau Al au cours des formations précitées ou possédant ce
niveau initial.
22 Ces quelques éléments de compréhension ayant été fournis, il est maintenant permis
d’esquisser à grands traits ce sur quoi l’action publique devrait s’intéresser afin de
poursuivre la construction de ce segment particulier de la formation d’adultes que
représente l’apprentissage de la langue aux fins de l’intégration. Les travaux que le
Conseil de l’Europe (www.coe.int/lang) a consacrés à ce sujet au cours des dernières
années, précisément en raison de son actualité politique, constituent une base de
réflexion. On se reportera ici au compte rendu du séminaire intergouvernemental de
juin 2008 sur « l’intégration linguistique des migrants adultes », et plus encore à celui
qui fera suite au séminaire du même nom de juin 2010.
23 L’examen des questions suivantes, telles qu’elles sont posées dans le cadre de ces
travaux, s’avère non seulement utile mais aussi nécessaire :
• Comment adapter l’offre de formation aux besoins des personnes en fonction de leurs
caractéristiques (degré de scolarisation, proximité ou éloignement de la langue d’origine,
situation personnelle et professionnelle) ?
• Comment répondre aux besoins linguistiques préalablement analysés afin de définir un
parcours d’apprentissage de la langue (situations de communication, niveaux de maîtrise de
la langue) ?
• De quelle manière prendre en compte la dimension interculturelle sous-jacente aux
apprentissages ?
• Comment évaluer les acquis ? Faut-il recourir à une certification ou au portfolio européen
des langues ?
24 Enfin, quelle démarche qualité mettre en place dans la conception et la mise en œuvre
de ces formations ?
25 A ces questions concernant l’ingénierie de formation et pédagogique, il convient
d’ajouter un volet sur les formateurs : formation de formateurs et mise à disposition
des ressources s’avèrent une urgence.
14
NOTES
1. www.culture.gouv.fr/culture/dglf/, rubrique publications.
2. Les 8 compétences clés sont : la communication en langue maternelle, la communication en
langues étrangères, la compétence mathématique et les compétences de base pour les sciences et
les technologies, la compétence numérique, apprendre à apprendre, les compétences sociales et
civiques, l’esprit d’initiative et d’entreprise, la sensibilité et l’expression culturelles.
AUTEUR
CLAIRE EXTRAMIANA
Ministère de la Culture et de la Communication, DGLFLF
15
1. Introduction
1 La formation linguistique des migrants a subi de nombreuses évolutions
institutionnelles et pédagogiques depuis plus de 40 ans. L’alphabétisation », secteur de
formation marginal, peu structuré, porté par un nombre réduit d’institutions, s’est
transformée au fil des années en un marché encadré et davantage professionnalisé
(Adami, 2009 ; Leclercq, 2010). Les choix concernant les politiques de l’immigration, liés
aux différents contextes socio-économiques, et les orientations de l’État français en
matière d’intégration linguistique des ressortissants étrangers ont indéniablement pesé
sur la nature des dispositifs, sur les formes de structuration de ce domaine
d’intervention et sur la professionnalisation des opérateurs et des enseignants. Un
certain nombre de critères sont à prendre en compte pour analyser le processus
évolutif depuis quelques décennies : le rôle joué par les pouvoirs publics, la place prise
par les réseaux associatifs, les modalités de cadrage de l’offre de formation, les profils
des formateurs, les formes d’articulation entre ce secteur et l’ensemble de la formation
postscolaire des adultes, mais aussi la dynamique de production de ressources
didactiques. C’est à cette dernière dimension que nous nous intéresserons dans cette
contribution.
2 Il ne s’agit ni de proposer un recensement de supports utilisés par les formateurs, ni
d’en établir une typologie1, mais de situer les préoccupations didactiques propres à
chaque période dans un contexte large qui contribue à les éclairer. Nous nous baserons
sur un corpus non exhaustif de ressources : manuels, guides et supports à destination
des praticiens, rapports d’études, ouvrages ou articles de revues portant sur les modes
d’intervention en didactique du français, langue d’insertion et d’intégration. Ces écrits,
appartenant à des genres différents, formalisent des orientations générales, identifient
16
68). L’entrée en formation d’ouvriers dont les salaires sont garantis durant la durée du
stage est favorisée et l’offre de formation prend davantage en compte les visées de
promotion professionnelle.
15 La seconde évolution majeure intervient durant la seconde moitié de la décennie. La
politique du Secrétariat d’État chargé des Travailleurs Immigrés, créé en 1974, dans un
contexte de crise économique naissante et de nouvelle politique d’immigration 10, incite
à une structuration explicite de la formation des migrants. Deux circulaires du 14 et
du 21 mai 1975 définissent de nouvelles orientations pour ce qui est appelé alors la
Formation à Dominante Linguistique (FDL), pour la préformation professionnelle et
pour les actions socio-éducatives en faveur des femmes immigrées (Sabatier, 1980 :
42-43).
16 Ainsi durant cette décennie, l’apparition de nouveaux acteurs et la disparition d’autres
(l’AEE est ainsi dissoute en 1978), l’augmentation des financements et du nombre de
stagiaires, la diversification de dispositifs institutionnalisés, forment un contexte
favorable à un renouveau didactique. Quatre tendances sont repérables : la critique des
pratiques antérieures – la préoccupation nouvelle d’efficacité et de qualité de
l’intervention éducative – la mobilisation de recherches en linguistique et en
sociolinguistique – l’impact du courant communicatif et fonctionnel issu de la
didactique des langues.
17 Tout d’abord, des études, mais aussi des manuels à destination des praticiens
s’inscrivent en opposition aux choix didactiques antérieurs. Ainsi sont condamnés
l’ethnocentrisme des ressources proposées (Oriol, dir. 1975 : 64), le paternalisme, voire
certaines formes de racisme transparaissant dans les supports de lecture et d’exercice
(Collectif d’alphabétisation 1972 et 1973), mais aussi le caractère infantilisant et
scolarisant des situations d’enseignement/ apprentissage de l’écrit (Catani, 1973).
L’inadaptation des méthodes de lecture à dominante syllabique et des démarches
structuro-globales, la non prise en compte des besoins langagiers des populations, de
leurs expériences et de la diversité de leurs rapports à la langue du pays d’accueil sont
mis en évidence (Allain Dupré et alii, 1977 ; Blot et alii, 1978), tandis que de nouveaux
matériels sont conçus dans une optique annoncée comme moins scolarisante qui
laissent la place à des activités didactiques à partir de documents de la vie
quotidienne11. Les centres d’intérêt des publics sont davantage pris en compte (Catani,
1973 ; Collectif d’alphabétisation, 1972 et 1973).
18 La qualité et l’efficacité des actions préoccupent également de nouveaux réseaux
d’associations. Ainsi le CLAP (Comité de Liaison pour l’Alphabétisation et la Promotion)
vise à former les moniteurs (CLAP, 1972). L’AEFTI (Association pour l’Alphabétisation et
l’Enseignement du Français aux Travailleurs Immigrés) rassemble à partir de 1972 des
chercheurs, des syndicalistes et des formateurs pour améliorer l’offre des organismes
grâce à des publications et des sessions de formation de formateurs. Le Comité de
Liaison Préformation (CLP) tente, à partir de 1980, de répondre aux préoccupations
pédagogiques concernant les dispositifs de préformation professionnelle. Parallèlement
l’évaluation des pratiques existantes et de leur efficacité devient un objet d’étude pour
certains didacticiens ou linguistes (Lagarde et alii, 1978 ; Pieron, 1977). La formation des
intervenants se structure davantage (Poilroux, 1974). L’Éducation Nationale par le biais
du CREDIF et du Centre de Documentation pour la formation des Travailleurs Migrants,
créé en 197312, s’implique davantage sur cette question.
19
formes d’immigration, qui devient par ailleurs une préoccupation sociale centrale dans
un contexte de crise de l’emploi durable. L’insuffisance de qualification, l’âge, la faible
mobilité et les difficultés de maîtrise du français rendent la main d’œuvre immigrée
particulièrement vulnérable, d’autant que leurs secteurs d’emploi sont
particulièrement concernés par les transformations industrielles. Le taux de chômage
des immigrés est de 18,4 % en 1985 alors qu’il est à l’époque d’environ 10 % dans la
population active générale.
23 La formation devient un moyen de reconversion des salariés et d’évolution de leurs
compétences. Dans ce contexte, la formation linguistique fait l’objet d’un
repositionnement institutionnel. Plusieurs notes techniques et rapports du FAS et de la
Direction Population Migration (DPM) proposent une analyse critique des modes de
fonctionnement et de l’efficacité de la « FDL » et appellent à une rénovation (Barreau et
Labrousse, 1984 ; Barreau, 1986 ; Barreau, 1989 ; Caron, 1988 ; Moreau et Labrousse,
1988...). Les efforts financiers du FAS (en 1986, 300 000 millions de francs sont investis
pour la formation des immigrés, Yahiel, 1988 : 12) ont une contrepartie. DPM et FAS
entendent cadrer davantage les dispositifs financés. Il s’agit de réintégrer ce secteur
dans l’ensemble de la formation des populations peu scolarisées et peu qualifiées en
multipliant les accords entre le FAS et d’autres institutions. Il faut aussi améliorer les
dispositifs de préformation, individualiser davantage les situations d’enseignement/
apprentissage et modulariser l’offre. En 1987, une note d’orientation générale indique
que le FAS doit désormais « passer commande » pour la réalisation des objectifs de
formation (Candide, 2005 : 44), et ceci afin de favoriser l’efficacité des actions.
24 L’autre élément contextuel à prendre en compte est l’émergence de la question de
l’illettrisme de natifs scolarisés en France mais maîtrisant mal la lecture-écriture
(Benichou et alii, 1984). La lutte contre l’illettrisme devient une préoccupation sociale
grandissante, donnant naissance à des financements et des dispositifs de formation
visant le réapprentissage des savoirs de base.
25 Ainsi cette décennie est caractérisée par l’évolution des politiques de formation des
migrants dans un contexte de crise industrielle et économique touchant l’ensemble des
« bas niveaux de qualification » (Pailhous et Vergnaud, dir, 1989) et par une certaine
désectorisation formation des migrants/formation des populations françaises peu
qualifiées et peu scolarisées (Leclercq, 1995). Dans ce contexte émergent de nouvelles
préoccupations pédagogiques et didactiques dont nous retiendrons deux lignes de
force : l’importation des orientations de l’ingénierie de la formation au sein de la
didactique du français d’une part, le renouveau dans l’enseignement/apprentissage de
la lecture d’autre part.
26 L’incitation institutionnelle à la rénovation de la FDL évoquée précédemment
s’accompagne de propositions d’actions. Pour le FAS et la DPM, ce secteur doit se
démarginaliser et être plus efficace en faisant siennes les démarches propres à la
pédagogie des adultes et à l’ingénierie de formation. Sont explicitement mentionnées,
dans les rapports et notes techniques, la pédagogie par objectifs, la pédagogie du projet,
la modularisation et l’individualisation de la formation, la remédiation cognitive, mais
aussi la nécessité de l’analyse des besoins, de l’évaluation fine des acquis, de la mesure
de l’efficacité des stages. La conception du Référentiel de Formation Linguistique de
Base (1989) s’inscrit dans cette orientation ingénieriale de rationalisation et
d’optimisation de l’intervention éducative. Pour répondre au constat des difficultés des
formateurs à formaliser clairement les objectifs de formation dans l’enseignement du
21
français oral et écrit, mis en évidence dans un rapport sur la Formation à Dominante
Linguistique dans le Nord – Pas-de-Calais (Kechemir et alii, 1988), la Commission
Régionale pour l’Insertion des Populations Immigrées14 commandite la conception d’un
référentiel de formation. Conçu par une équipe de praticiens et de chercheurs, le
référentiel vise à identifier les objectifs de formation en les hiérarchisant selon quatre
étapes progressives réparties en quatre domaines (Expression Orale et Écrite,
Compréhension Orale et Écrite). Diffusé dans le Nord-Pas-de-Calais, il fera l’objet de
modules d’appropriation, nécessaires dans une communauté de praticiens peu au fait
des démarches de la pédagogie par objectifs. Cette évolution prendra des formes plus
marquées dans les décennies suivantes. Nous y reviendrons.
27 La seconde ligne de force renvoie à des questions de didactique. Au cours des
années 1980, l’échec scolaire et la lutte contre l’illettrisme suscitent débats,
expérimentations et renouvellement des orientations de l’enseignement du français
écrit, dont va bénéficier la formation linguistique des migrants (Gillardin, 1982 et 1983 ;
Foucambert, 1987). La critique des approches bottom up dans l’enseignement de la
lecture et la valorisation des démarches idéo-visuelles15 rencontre un certain succès
auprès des intervenants impliqués à la fois dans la formation des migrants et dans les
dispositifs de lutte contre F illettrisme. La formation linguistique s’enrichit de
ressources se référant plus ou moins explicitement au modèle top down dont les
proximités théoriques avec l’approche communicative et fonctionnelle sont patentes
(Leclercq, 1992). L’ouvrage de B. Gillardin paru en 1987 aux éditions Retz constitue un
exemple représentatif de la production de cette période Méthode d’apprentissage de la
lecture pour les adultesimmigrés. De même l’ouvrage Fatima ne lave plus la salade, guide
pratique pour la formation des migrants (Janot et alii, 1985) propose des orientations
didactiques illustrées de fiches pratiques et articule apports de l’approche fonctionnelle
et perspectives rénovées en matière de développement du lire-écrire.
28 À la même période, l’ensemble LUCIL (LUtte Contre l’Illettrisme, 1985) 16
rassemble 180 fiches et 75 modules d’Enseignement Assisté par Ordinateur à
destination d’un public illettré, non débutant complet. Ayant donné lieu à
expérimentation dans le Nord – Pas-de-Calais, diffusé ensuite à l’échelon national, ce
matériel de développement des compétences à l’écrit sera utilisé dans les dispositifs de
formation linguistique de migrants et dans les actions de maîtrise de savoirs de base. Le
logiciel ELMO (Entraînement à la Lecture par Micro-Ordinateur, AFL, 1984) sera
également largement exploité dans l’ensemble des organismes. Ainsi la période des
années 80 marque un tournant dans la conception et la diffusion de ressources
didactiques. Les formats s’améliorent et sont plus attrayants. Des éditeurs commencent
timidement à s’intéresser à ce secteur. La diffusion nationale à grande échelle de
supports prend forme, même si le mode de circulation dominant reste confidentiel.
29 Par ailleurs, de nouveaux acteurs font leur apparition. Ni praticiens, ni chercheurs, ni
concepteurs, mais sans doute tout cela à la fois, des acteurs vont jouer un rôle dans
l’animation de débats sur la maîtrise du français oral et écrit et sur les pratiques
d’enseignement. Ils contribuent à jouer le rôle de passeurs entre la recherche en
linguistique et les terrains de formation en animant des modules de formation de
formateurs, des journées d’études et manifestations scientifiques.
22
Nationale de l’Accueil des Étrangers et des Migrations). Enfin, depuis 2009, c’est l’OFII
(Office Français de l’Immigration et Intégration), nouvellement créé, qui organise et
finance les actions pour les primo-arrivants (moins de 5 ans sur le sol français), mais
aussi pour les personnes anciennement installées. Ces turbulences vont occasionner des
ruptures de continuité des financements et des changements de cap parfois peu lisibles
pour les organismes de formation.
38 C’est dans ce contexte mouvant qu’émergent un certain nombre de projets et
d’expérimentations didactiques qui renvoient à un processus évolutif marqué par
l’ouverture de la formation linguistique des migrants aux influences de la didactique du
FLE, du FLS (Français langue seconde), du FLP (Français langue professionnelle). Quatre
tendances concrètes illustrent ce processus.
39 Tout d’abord, dans la lignée des travaux antérieurs, un nouveau référentiel est conçu
en 2005 à l’initiative de la DPM et du FASILD avec l’appui de la DGLFLF (Délégation
Générale à la Langue Française et aux Langues de France). Ce référentiel, appelé
référentiel niveau A1-1 pour les premiers acquis en français (Beacco et alii, 2005)
s’inscrit clairement dans le champ du FLE et en utilise les cadres de référence et la
terminologie (par exemple « les descripteurs de compétences », « les inventaires par
genres discursifs », « les inventaires par fonctions »). La classification des compétences
se réfère au Cadre Européen des Langues, le niveau A-1-1 étant une subdivision du
niveau A1 du Cadre. Par ailleurs, ce matériel, contrairement aux référentiels antérieurs,
est lié à la délivrance d’un diplôme, le Diplôme d’Initiation à la Langue Française créé
par décret en 2006, ce qui lui confère de fait un rôle très structurant pour la
programmation des contenus de formation et les modalités de l’évaluation certificative.
40 L’autre tendance actuelle concerne l’extension du domaine éditorial. Des éditeurs
privés, spécialisés dans le FLE, s’impliquent maintenant dans la diffusion d’ensembles
pédagogiques à destination de publics migrants, incités par l’ouverture éventuelle d’un
véritable marché à la suite de la mise en place du volet linguistique du CA1 21. Les
nouveaux formateurs utilisent d’autant plus ces éditions commerciales qu’ils ont
difficilement accès aux matériels élaborés plus confidentiellement dans les associations
ou autres organismes. Ce fait est souligné par Bergère (2008) qui l’explique en partie
par la désorganisation des fonds documentaires des réseaux et centres de ressources,
liée à la disparition de certains d’entre eux.
41 La reconnaissance de la formation linguistique comme éligible au titre de la formation
professionnelle (loi du 4 mai 2004) et la mobilisation d’OPCA (Organismes Paritaires
Collecteurs Agréés) et de certaines entreprises renforcent l’intérêt pour la maîtrise de
la langue en milieu professionnel. Cette préoccupation, qui n’est pas totalement récente
dans les années 2000, se renforce et donne lieu à des dispositifs de formation, à des
expérimentations dans les secteurs du bâtiment et travaux publics, du nettoyage et du
travail temporaire, à des études sur le Français langue professionnelle (FLP) ou le
Français sur objectifs spécifiques (FOS) et à des travaux de conception de référérentiels
(CLP, 2005 ; Vicher, 2009 ; Mourlhon-Dallies et Ferrari, 2007 ; DGLF-LF, 2007 ; DPM,
2005 ; Adami, 2007 ; Mangiante et Parpette, 2004 et Mangiante dans le présent volume).
42 Enfin, quatrième tendance, depuis quelques années se dessine un regain d’intérêt dans
certains champs disciplinaires, sciences du langage, sociolinguistique et didactique des
langues, pour la formation linguistique des migrants, secteur longtemps négligé en
didactique du FLE (Etienne, 2004). La création de filières « Langue et insertion »,
appelées à enrichir les débouchés professionnels des étudiants des masters de FLE,
25
7. Conclusion
44 La formation linguistique des migrants a vécu des transformations similaires à celles
qu’a connues l’ensemble de la formation postscolaire : impacts des pratiques
d’ingénierie, cadrage institutionnel et pédagogique plus marqué, ouverture à des
modalités d’intervention innovantes (formation ouverte et à distance,
individualisation, etc.), préoccupations autour de la professionnalisation des structures
et des formateurs... Mais ce secteur se caractérise aussi par certaines spécificités. Parce
que situé au cœur de questions vives telles que l’immigration, la diversité culturelle,
l’exclusion socioéconomique, la faible qualification, il est plus particulièrement impacté
par les choix institutionnels et politiques. Nous espérons avoir illustré cet impact sur
les questions didactiques pour chacune des cinq décennies. Par ailleurs l’enseignement
de la langue du pays d’accueil est resté profondément marqué par son ancrage initial
dans les valeurs humanistes ou caritatives. Le rôle particulier joué par les réseaux
associatifs, l’engagement et l’implication quasi militante de certains acteurs, l’adhésion
de nombreux formateurs aux idéaux de l’Éducation Permanente témoignent de cette
spécificité. Cela a contribué à créer de nombreuses tensions entre des modèles opposés
de l’intervention éducative, qui reste marquée par une ligne de force générale visant à
davantage de structuration, de cadrage et de professionnalisation du domaine.
26
ANNEXES
Annexe
Annexe : liste des supports didactiques cités
AEE, Lire en français, Paris, Hachette, 1969.
AFL, Entraînement à la lecture par micro-ordinateur, ELMO, 1984.
Centre de Préformation de Marseille, Éléments d’introduction à la vie moderne (plusieurs
livrets), Hommes et Migrations, années 70.
CICF, Certification Initiale de Compétence en Français oral et écrit, Université de Franche-
Comté, Centre de linguistique appliquée, 2003.
CIMADE, Démarche pour l’évaluation, outils d’évaluation des niveaux débutants aux niveaux
intermédiaires en français langue étrangère, avec le concours du FAS, 1996.
Collectif d’alphabétisation, Parler, lire, écrire, lutter, vivre, Paris, Maspero, 1972.
Collectif d’alphabétisation, Alphabétisation, pédagogie et luttes, Paris, Maspero, 1973.
CREDIF, Méthode de lecture pour les adultes d’Afrique du Nord, Paris, Institut Pédagogique
National, 1er et 2e degré, 1957 et 1959.
CREDIF, Voix et images de France, Paris, Didier, 1961.
CREDIF, Dossier A la recherche d’un emploi, 1976.
CREDIF, Dossier L’accident du travail, 1976.
CUEEP, LCPE, Lecture Compréhension Production d’Ecrit, V. d’Ascq, TNT, 1993.
Evalire, Dispositif d’évaluation du savoir lire, Ministère de la justice, Direction de la PJJ,
1998.
FAS Nord – Pas-de-Calais, Le référentiel de formation linguistique de base, FAS et Conseil
Régional NPDC, lre édition, 150 p., 1989.
FAS national et Région Nord – Pas-de-Calais, Le référentiel de formation linguistique de
base, 2e édition, CUEEP, 4 livrets, 1996.
LUCIL, Ensemble pédagogique d’accès à la lecture, CUEEP – Vendôme Formation, 1985.
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Adami H., Apprentissage de la lecture pour adultes, Paris, Clé International, Trait d’union,
2004.
Anger B. et alii, Alphabétisation pour adultes, Lire et Écrire, Trait d’Union, Paris, Clé
International, 2007.
Barthe M., Je lis, j’écris le français : méthode d’alphabétisation pour adultes, Grenoble, PUG,
2004.
27
Beacco J.-C. et alii, Niveau A-1.1 pour le français. Publics adultes peu francophones, scolarisés,
peu ou non scolarisés, Paris, Didier, 2005.
Belc Migrants, Documents de vie pratique (plusieurs livrets), 1975-1976.
Bentolila A. et alii, Lectures, Paris, Nathan, 1992. Étienne S., Créer des parcours
d’apprentissage pour le niveau A-1.1., Paris, Didier, 2008.
Étienne S., Écrire : apprentissage de l’écriture pour adultes, Paris, Clé International, Trait
d’union, 2004.
Gillardin B., L’Apprentissage du français oral et écrit, Paris, AFTAM, 1983.
Gillardin B, Méthode d’apprentissage de la lecture pour adultes immigrés, Paris, Retz, 1987.
Gillardin B., Méthode d’apprentissage de la lecture : Adultes immigrés, Tome 2 nouvelle
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Gillardin B., Maîtriser la lecture et l’écriture : méthode pour adultes, Paris, Retz, 2008
Iglesis T. et alii, Trait d’union 1, Méthode de français pour migrants, Paris, Clé International,
2004.
Lhôte G. et Tashdjian A., Parlez-moi. Le français au quotidien, Paris, IPTR, 1996.
NOTES
1. Ce projet ambitieux est actuellement porté par l’association Va-savoirs dans le cadre d’une
recherche-action appelée MALIN : Mutualisation et Analyse des ressources pédagogiques pour la
formation LINguistique (2009-2011). Référence http://va-savoirs.org
2. Cette analyse documentaire est complétée par le recours à des données informelles
expérientielles.
3. En 1967, sur les 2 660 000 immigrés, 67 % sont ou manœuvres ou ouvriers spécialisés (Catani,
1970 : 37).
4. On peut comparer les 85 000 entrées de travailleurs portugais de 1949 à 1963 aux
300 000 entrées de 1964 à 1968 (Dewitte, 2000 : 4).
5. Citons la CIMADE (Comité InterMouvements Auprès Des Évacués), créé en 1939, l’AMANA
(Assistance Morale et Aide aux Nord-Africains) qui étendra son action à partir des années 60,
l’AFTAM (Association pour l’Accueil et la Formation des Travailleurs Migrants). Le secteur
associatif bénévole reçoit de 20 000 à 25 000 stagiaires au début des années 70 (Ruisselet et Nizier,
1974 : 27).
6. Un accord entre l’AEE et l’Education Nationale permet le détachement de quelques
enseignants, l’octroi de locaux scolaires et le paiement d’instituteurs en heures complémentaires.
Par ailleurs le CREDIF (Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français) rattaché à
l’École Normale Supérieure produit quelques « méthodes » qui seront utilisées par l’AEE (CREDIF,
1959 ; CREDIF, 1961).
7. Les syndicalistes s’investissent dans ce secteur. Rappelons que la CGT, bien avant la loi
de 1971 sur la formation professionnelle continue, avait contribué à l’implantation de l’alpha
chez Renault (Rivet, 1976 : 19). Par ailleurs des militants d’extrême gauche considèrent les
immigrés comme la partie du prolétariat la plus exploitée. Il s’agit de les former pour développer
les possibilités de lutte sociale (Gardin, 1976 : 5).
8. Luttes chez Renault contre les licenciements de salariés immigrés en 1972 ; grèves de la faim
en 1972-73 dans plusieurs villes contre la circulaire Fontanet-Marcellin subordonnant l’obtention
28
de la carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail ; révoltes contre les « marchands de
sommeil ».
9. L’AFDET, Association Française de Développement de l’Enseignement Technique, subventionné
par le FAS renouvelle son action après la loi de 1971. D’autres centres voient le jour : Centre de
Préformation de Marseille, Maison de la Promotion Sociale à Grenoble, Centre Interprofessionnel
de la Loire, etc. (Ruisselet et Nizier, 1974 : 42).
10. En juillet 1974 une circulaire ordonne la fermeture des frontières (excepté pour les réfugiés
politiques et les ressortissants de la CEE) et une autre marque un coup d’arrêt à l’introduction des
familles, décision qui sera invalidée quelques mois plus tard. Une politique restrictive d’entrée
sur le territoire et d’incitation au retour au pays se met en place. Parallèlement l’intégration des
immigrés anciennement installés devient une des orientations du Secrétariat d’État chargé des
travailleurs immigrés.
11. Voir, par exemple, les livrets édités dans les années 70 par Hommes et Migrations, Eléments
d’introduction à la vie moderne et par le Belc Migrants Documents de vie pratique.
12. Le centre sera rattaché au BELC (Bureau pour l’Enseignement de la Langue et de la
Civilisation). Il édite la revue Migrants Formation, devenue ensuite Ville-Ecole-Intégration-
Enjeux et actuellement Diversité (SCEREN, Paris).
13. Par exemple, le Centre Université Économie d’Éducation Permanente (CUEEP) de l’université
de LILLE 1 qui mène des actions de formation pour migrants dans le bassin minier du Pas-de-
Calais et dans la zone textile de Roubaix-Tourcoing, conçoit, à partir du milieu des années 70, des
fiches didactiques s’inspirant des apports du courant communicatif et fonctionnel :
développement de plusieurs types de compétences (linguistique, référentielle, pragmatique...) ;
exploitation de démarches heuristiques de compréhension de l’écrit ; utilisation des pré-
connaissances des apprenants et de leurs expériences ; remise en cause des progressions
structuro-globales prédéfinies. Dossiers : Matériel de lecture, Documents écrits particuliers, Les
Consignes, Les Loisirs (CUEEP Lille 1, production des années 1970).
14. Les CRIPI sont des instances locales multipartenariales qui contribuent, entre autres, à définir
les politiques de formation des migrants suite à la régionalisation des subventions à la fin des
années 80.
15. Dans le modèle bottom up ou ascendant, le lecteur part des stimuli imprimés, lettres et
syllabes, puis il va au mot, à la phrase et au texte. L’information graphique et les relations
graphèmes-phonèmes sont décisives. Au contraire, dans un modèle descendant, « top-down », le
lecteur formule des prédictions et hypothèses grâce à des indices, puis les vérifie en prélevant
des informations graphiques. Dans le premier modèle, l’apprentissage des relations grapho-
phonétiques et de l’assemblage des éléments selon une progression du simple au complexe est
centrale, alors que dans le second, l’acte de production sémantique relevant de processus
cognitifs supérieurs est dominant. C’est Aarnoutse qui, en 1986, propose cette classification (Two
ways of word recognition, CAJ, USA). Le modèle « top-down » a été valorisé aux USA par F. Smith
(Understanding reading, New York, Holt, 1971) et par K.S. Goodman (Reading : a psycholinguistic
guessing game, 1970) et divulgué en France par l’Association Française pour la Lecture (AFL, 1982)
et Foucambert (1978). Très vite les chercheurs en psycholinguistique, qu’ils soient américains ou
français, ont adopté un troisième modèle dit « interactif ». Lire appelle une interaction
continuelle entre processus descendants et ascendants.
16. Conçu par une équipe du CUEEP (Lille) et de Vendôme Formation (Paris) et financé par le
Conseil Régional du Nord – Pas-de-Calais et le Carrefour International de la Communication.
17. Trois numéros de la revue Migrants Formation font le point sur la formation linguistique de
base et ses enjeux didactiques : n° 79, 1989, « Analphabètes et illettrés » ; n° 87, 1991, « Entrées en
lecture : échec à l’illettrisme » et n° 100, 1995, « La formation des adultes : approches
sociocognitives ».
29
18. Si on prend l’exemple de l’année 1991, ce sont 47 stages qui sont proposés dans diverses villes
de France autour de thématiques telles que l’éducabilité cognitive ou les apprentissages
linguistiques et mathématiques. Dispositif FAS de formation de formateurs, CLP, 1991.
19. De 2000 à 2001, la Direction de l’Emploi et de la Formation du FAS a présidé les travaux d’un
groupe de travail « Maîtrise de la langue et formation linguistique : évolution du concept et de la
problématique. Vers une reconnaissance d’un véritable droit », qui a donné lieu à un séminaire
de conclusion à Lille en janvier 2002, organisé par le CLP, Ecrimed et le CUEEP.
20. Loi du 24/07/2006 relative à l’immigration et à l’intégration.
Mise en place de la Direction de l’Accueil, de l’Intégration et de la Citoyenneté (DAIC) en
janvier 2008 au sein du Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du
développement solidaire créé en 2007.
Loi de programmation pour la cohésion sociale du 18/01/2005.
21. La collection « Trait d’union » éditée en 2004 par Clé International inaugure cet essor de
diffusion. De nombreux ouvrages sont répertoriés dans cette collection (par exemple Adami,
2004 ; Étienne, 2004 ; Iglesis et alii, 2004 ; Anger et alii, 2007...). Voir aussi Étienne, 2008 ; Gillardin,
2008 ; Barthe, 2004...
AUTEUR
VÉRONIQUE LECLERC
Université de Lille 1, CIREL-TRIGONE, EA 4354
30
Introduction
1 L’intégration linguistique des migrants a été essentiellement abordée jusqu’à présent
sous trois angles : d’une part, l’analyse du processus de construction et de structuration
de l’interlangue, d’autre part, sous l’angle de la question de l’identité linguistique et
culturelle et, enfin, par le biais statistique.
2 L’analyse de l’interlangue est une approche linguistique et descriptive qui vise à donner
des photographies instantanées et précises de la langue en cours d’acquisition et des
différents états des structures en train de se former, de se déformer, de se recomposer
(Perdue, 1993a et 1993b ; Noyau, 1980 ; Deulofeu et Noyau, 1988 ; Véronique, 1990 ;
Giacomini et alii, 2000).
3 L’autre approche, plutôt sociolinguistique, s’intéresse aux processus d’appropriation de
la langue dominante et aux effets de ce processus sur le sentiment identitaire des
migrants. Les études de ce type portent essentiellement sur les représentations ou les
pratiques déclarées des migrants, par des enquêtes reposant, entre autres, sur des
entretiens (Leconte, 2000 ; Dabène et Billiez, 1987 ; Desprez, 1999 ; De Villanova, 1987).
Elles montrent toutes, d’une façon ou d’une autre, une situation complexe, un entre-
deux linguistique, un passage difficile dans un processus d’acculturation irréversible.
4 Enfin, l’intégration linguistique a été abordée sous l’angle statistique par des études
très éclairantes (Héran, 1993 ; Héran et alii, 2002 ; Clanché, 2002 ; Simon, 1997) sur le
processus trans-générationnel qui conduit à l’abandon progressif des langues d’origine
par les enfants puis les petits-enfants de migrants.
5 Mais au-delà de ces études, nous en savons fort peu sur le processus sociolangagier
d’acquisition de la langue cible. En effet, les études sur la structure de l’interlangue ne
nous disent rien sur les voies sociolangagières de l’acquisition, sur les modes, les lieux,
les contacts qui l’ont permise. De la même manière, les approches par enquêtes et
31
questionnaires nous apportent des informations sur les représentations des locuteurs
mais ne nous disent rien sur leurs pratiques langagières réelles. Pour ce faire, il
conviendrait de mener une enquête de très long terme de type ethnographique en
suivant littéralement les migrants au jour le jour, au cours de leurs multiples activités
quotidiennes. Il va sans dire qu’aucun chercheur n’est en mesure de se consacrer à ce
travail et, surtout, que personne n’accepterait la présence permanente d’un
observateur, fût-il le plus aimable et le plus discret des scientifiques. A cet égard, les
travaux des étudiants rédigeant un mémoire sur cette question, eux-mêmes enfants de
migrants ou très proches de familles migrantes qui ont pu observer de l’intérieur, sur le
très long terme et dans les moindres détails, ce processus 1, sont souvent très instructifs.
Faute de pouvoir mener ce type d’enquête sur le long terme et sur un champ plus vaste,
nous devons nous contenter de reconstituer le parcours sociolangagier des migrants en
tentant de recoller les morceaux dont nous pouvons disposer.
6 Le parcours d’appropriation de la langue dominante du pays d’accueil, le français pour
ce qui concerne mon propos ici, est un processus long, complexe et multiforme. Pour
tenter d’en suivre le déroulement, il convient au préalable de clarifier un certain
nombre de concepts qui posent parfois plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.
parler également au nom de leurs parents dont la parole aurait longtemps été
confisquée. Dans ce contexte des années quatre-vingt également apparaît une autre
donnée qui va déstabiliser encore davantage les bases et les certitudes politiques et
sociales : l’échec scolaire massif des enfants des catégories populaires et, dans la foulée,
la « révélation » de la question de l’illettrisme qui mobilise encore nombre de
chercheurs, d’enseignants et d’institutionnels aujourd’hui. Cet échec massif est
immédiatement perçu, par une illusion d’optique, comme celui des enfants de
migrants. En effet, si parmi les élèves en échec la part des enfants de migrants est
effectivement très élevée, il convient de relativiser cette donnée par rapport à l’origine
sociale. C’est un travail qu’ont effectué Vallet et Caille (1995) qui montrent qu’à origine
sociale égale, le taux d’échec scolaire des enfants de migrants est sensiblement le même
que celui des autres élèves, voire inférieur, pour des raisons liées à une motivation
supérieure. Mais ces travaux, pourtant déterminants, n’ont pas réussi à enrayer le
mouvement qui s’était amorcé : si les enfants de migrants sont en échec, c’est que le
problème réside dans leurs différences « culturelles ». Zoia (2007) montre bien le piège
dans lequel se sont dès lors enfermés l’école et ses acteurs : il s’agit soit de nier ces
différences et d’aller vers une normalisation rapide, soit, au contraire, de les invoquer à
tous propos pour tout expliquer ou justifier. Dans ce cadre, le débat sur le
plurilinguisme prend le relais, notamment sous l’impulsion du Conseil de l’Europe :
l’école est sommée de prendre en compte la diversité linguistique et « culturelle » et de
développer l’éducation plurilingue et multiculturelle. Dans ce débat, les frontières
entre les positions scientifiques et idéologiques sont extrêmement floues. Les études
sur le plurilinguisme, les nombreux articles et ouvrages qui lui sont consacrés sont très
souvent des « appels à », des « plaidoiries pour », le vernis scientifique masquant
souvent mal la position idéologique. Même si le plurilinguisme est systématiquement
présenté comme un atout, cela procède souvent d’une simple affirmation sans véritable
démonstration. Une bataille est menée contre « l’idéologie monolingue » dont on ne
sait pas vraiment par qui elle est représentée, hormis par le caricatural et fameux
Rapport Bénisti. Ces travaux ont en point de mire la question récurrente de la
« culture », de l’identité et de leur reconnaissance, qui obstrue les perspectives de
recherche.
8 Les travaux et les débats sur le plurilinguisme ont focalisé leur attention sur l’école en
négligeant le domaine de la formation des adultes migrants parce que la recherche
académique s’y est très peu intéressée (Adami, 2009). Avec les adultes, la question du
plurilinguisme se pose tout autrement. A la différence de leurs enfants nés en France
ou arrivés très jeunes, le français n’est pas leur langue première mais une langue
seconde ou étrangère. A cet égard, le bi- ou le plurilinguisme des enfants de migrants
est plus stable, plus assuré, sinon plus assumé, que celui de leurs parents. Ils sont
fermement appuyés sur cette francophonie, ce qui ne signifie pas que toutes les
questions langagières soient réglées, loin s’en faut, mais le français est bien la langue
qu’ils utilisent le plus spontanément, le plus efficacement, une langue dans laquelle ils
possèdent les répertoires langagiers les plus étendus. Pour les migrants primo-
arrivants en revanche, le français est une langue qui, à des degrés très divers sur
lesquels nous reviendrons, ne représente pas un pôle de stabilité : le français est une
langue en cours d’acquisition, une interlangue dont l’efficacité pragmatique et sociale
est en cours de réglage. Immergés dans une société à langue dominante unique (Calvet,
1999), pressés par les innombrables problèmes de la vie quotidienne, les migrants n’ont
pas d’abord des problèmes d’identité et d’affirmation de leur plurilinguisme mais des
33
problèmes très concrets que seule la maîtrise de la langue dominante peut les aider à
résoudre.
9 Ainsi, tandis que les débats idéologiques et scientifiques faisaient rage autour de l’école,
de sa gestion du plurilinguisme et de la « diversité », le domaine et les acteurs de la
formation d’adultes parlaient et s’acheminaient vers la notion du « droit à la langue »
(Candide, 2001 ; Adami, 2009) : non celle du pays d’origine mais, au contraire, celle du
pays d’accueil. La question récurrente de savoir si le plurilinguisme est un atout ou un
handicap est secondaire dans le cas des adultes migrants. Le simple fait d’apprendre le
français fait des migrants non natifs au moins des bilingues sinon des locuteurs tri- et
parfois quadrilingues s’ils connaissent déjà plusieurs langues avant d’arriver en France.
Car l’apprentissage de la langue du pays d’accueil n’efface pas la langue d’origine et ne
contraint pas non plus les migrants à l’abandonner. Le plurilinguisme des migrants, et
non de leurs enfants, est un fait : ce qui peut poser en revanche un problème politique
et institutionnel c’est la reconnaissance de leurs langues dans l’espace public. Mais sur
cette question précise, on sort du domaine scientifique pour entrer dans celui du débat
public.
1.2. Culture
1.2.1. Une archi-notion qui s’épuise
10 Ce terme, que l’on ne peut plus désormais qualifier de notion, et encore moins de
concept, est tellement galvaudé qu’il n’a plus aucune signification opératoire. Issu des
recherches et des réflexions en anthropologie, en ethnologie et en ethnographie, il a
progressivement réussi à s’imposer bien au-delà de son domaine de recherche initial
(Cuche, 2001) pour investir l’ensemble des sciences humaines puis du débat public.
Cette seule présence massive hors du domaine académique ne suffit pourtant pas à le
disqualifier mais le problème est que les frontières entre le débat public et le débat
scientifique concernant l’utilisation de ce mot sont poreuses. C’est aujourd’hui le
domaine disciplinaire qui a popularisé ce terme qui le remet en cause de façon
radicale : de nombreux anthropologues, ethnologues et sociologues font le constat, non
seulement de l’épuisement théorique et pratique de l’idée de « culture », mais en
dénoncent les aspects parfois contre productifs (Cuche, 2001 ; Amselle, 1996, 2001,
2008 ; Bensa, 2006 ; Bayait, 1996 ; Rea et Tripier, 2003 ; Zoia, 2007). Les critiques
principales et convergentes qui sont portées résident dans le fait que la « culture » a
donné naissance à d’autres notions et d’autres termes (interculturel, multiculturel,
transculturel, etc.) qui ont eux-mêmes produit d’autres champs de réflexion et de
recherche sans que la notion de départ ne soit réinterrogée. Dans l’abondante
littérature sur « l’interculturel » par exemple, et notamment en didactique des langues,
le sens de « culture » est considéré comme allant de soi. La culture est ainsi réifiée,
objectivée, comme un réalité indiscutable représentant un tout homogène et
identifiable. Une analyse lexicographique a été menée (Da Silva et Ferrao-Tavares,
2007) sur les occurrences du terme « culture » et des phraséotermes qui en dérivent
dans les articles de la revue Études de Linguistique Appliquée (ELA) : « culture étrangère »,
« culture source », « culture cible », « culture courante », etc. Il en ressort un nombre
d’occurrences impressionnant, 569 phraséotermes, dont 236 pour le seul « culture
étrangère ». Les auteurs proposent, sur la base de ces occurrences, des prototypes
d’articles et des extraits d’articles tirés des ELA pour tenter de donner une sorte de
34
des immigrés, la « culture d’origine » d’un groupe de migrants est confondue avec
la culture nationale de leur pays d’origine. Mais, dans ce cas, surgit une nouvelle
difficulté : cette confusion méconnaît profondément le caractère hétérogène des
cultures nationales ; parler de « culture algérienne », par exemple, est tellement
imprécis que cela ne peut fonder une analyse rigoureuse.
13 La question s’est déplacée ces dernières années sur la religion qui cristallise les débats
aujourd’hui. Mais au-delà des approximations et des raccourcis, on mesure l’étendue de
l’hétérogénéité de cette autre illusion qu’est la « communauté musulmane » par
exemple, comme hier étaient aussi radicalement différents les Polonais et les Italiens
catholiques ou les Italiens entre eux, anticléricaux et fervents athées d’un côté ou
pratiquants traditionalistes de l’autre. L’évocation de la culture d’origine contribue en
fait à figer des réalités individuelles et collectives infiniment plus complexes et plus
mouvantes. Cette définition des cultures d’origine de l’extérieur relève de l’assignation
identitaire et, comme l’écrivent Rea et Tripier (2003 : 73), « les assignations identitaires
venues de la société dominante ont un pouvoir considérable et sont, par la suite,
retravaillées par les intéressés ». Ces auteurs évoquent le recours trop fréquent à la
« culture d’origine » et y voient un danger majeur : « la culture dite "d’origine", traitée
par les dominants comme une "seconde nature" fonctionne comme substitut
"politiquement correct" du racisme » (Rea et Tripier : 84).
14 Ce ne sont en effet pas des communautés culturelles qui migrent et encore moins des
cultures mais, comme l’écrit Cuche, (2001 : 106) « ce qui se déplace, en réalité, ce sont
des individus ; et ces individus, du fait même de leur migration, sont amenés à s’adapter
et à évoluer ». L’expérience des vagues de migration plus anciennes a empiriquement
démontré que les migrants et leurs descendants ne constituent jamais un ensemble
distinct au sein de la société ni qu’ils maintiennent inchangées leurs « cultures
d’origine » :
L’étude des migrants permet de saisir, pratiquement « en direct », comment se
fabrique une culture, comment, à partir de l’échange, s’opère l’amalgame qui
aboutit à une nouvelle configuration culturelle, mêlant l’ancien au nouveau dans un
système profondément original. (Cuche, 2001 : 111).
15 Car ce sont bien ces parcours concrets, ces trajectoires individuelles ou collectives
contextualisées qui m’intéressent ici et non « ce qu’on entend habituellement par
"culture", à savoir cet hypothétique réservoir de représentations ordonnées qui
préexisteraient aux pratiques et leur donneraient a priori du sens » (Bensa, 2006 : 33).
16 Derrière la culture apparaît souvent en filigrane, ou de façon explicite, la question
récurrente, voire obsessionnelle, de l’identité. Identités revendiquées ou assignées,
inventées ou réinventées, individuelles ou collectives. A l’heure de cette mondialisation
qui brasse tout, la recherche de l’identité semble devenir une nécessité de survie
psychologique. Mais ce sont des identités introuvables parce que multiples, complexes,
enchevêtrées (Riley, 2007 ; Lahire, 1998). L’identité, avec la culture, achève de figer des
réalités qui ne sont intelligibles que par l’examen des processus qui les font et les
défont sans cesse.
naissent hors du territoire national, ceci signifie qu’ils se sont également déplacés en
traversant des frontières nationales. Mais les migrants passent aussi des frontières
économiques, sociales et symboliques. En se déplaçant, nous venons de le voir, ils
n’apportent pas dans leurs valises ou dans leurs têtes une culture préformée et une
identité figée qui resteront inchangées et qu’il faudra, ou qu’il faudrait, abandonner ou
préserver selon les positions idéologiques de ceux qui les accueillent. La migration
induit inévitablement une reconfiguration en profondeur des modes de vie et de pensée
des migrants, et ceci quels que soient les débats, voire les politiques qui seront menées
pour favoriser leur intégration, qu’elles soient de type assimilationniste ou
multiculturaliste. En effet, même dans les modèles politiques d’intégration les plus
soucieux de la préservation des « cultures d’origine », comme le modèle canadien, les
migrants ne sont plus les mêmes dès lors qu’ils ont vécu cette expérience. Sayad (1977)
a depuis longtemps montré que le migrant, avant d’être un immigré, est d’abord un
émigré et qu’il convient de prendre en compte les changements que provoque son
départ autant que ceux provoqués par son arrivée dans les pays d’accueil. En partant, il
n’est déjà plus celui qu’il était, ni pour lui-même ni pour les autres. Sayad a analysé la
migration comme un parcours et a ainsi remis le phénomène en perspective. Ceci a
également pour effet de sortir d’une forme de « socio-centrisme » ou de « géo-
centrisme » qui ne considère le migrant que comme un immigré. Cette posture, qui
peut d’ailleurs afficher les meilleures intentions du monde, oublie que si
« l’immigration est une chance pour la France », formule répétée jusqu’à satiété, elle
peut être dans le même temps une catastrophe pour les pays d’origine qui se vident de
leur citoyens les plus entreprenants, les retours en termes d’envois de devises étant
une bien maigre consolation pour le développement dans leurs pays d’origine 3. Avant
d’évoquer les questions d’intégration, il serait donc intéressant de revenir sur ces
parcours sans l’analyse desquels les tentations sont grandes de figer les migrants dans
des « cultures » ou des identités définies du point de vue de la société d’accueil.
2. 1. La biographie
18 Pour cela, il convient d’interroger une notion centrale : la biographie. Je pars d’abord
du même constat que Sève (2008 : 20) : « les approches les plus variées de la biographie
restaient toutes comme rivées au dogme d’une invariance identitaire précocement fixée sur
quoi le cours d’une vie, indépendant du monde où il se trace, serait hors d’état d’agir ».
La biographie au sens où je l’entends ici n’est pas la simple évocation d’une vie ou
même d’un récit de vie mais la mise en perspective sociale et historique de parcours
concrets d’individus concrets. Molinié (2009 : 40-41) distingue deux types d’objectifs dans
les approches de l’autobiographie en didactique des langues : « des objectifs
extrinsèques » avec souvent des « finalités de type évaluatif » qui permettent entre
autres de proposer des parcours de formation adaptés à l’apprenant, à ses acquis, à son
profil, à ses besoins ; le deuxième objectif « sera qualifié d’intrinsèque à la (co)
production des récits et discours autobiographiques des apprenants ». Le récit de vie
« contribue au développement qualitatif des apprentissages et plus largement, au
développement d’un projet global de formation. C’est donc une activité auto-
formative ». J’entends aborder pour ma part la question biographique avec le premier
objectif, même si la perspective de l’évaluation sommative est bien entendu absente.
19 J’entends pour ce qui concerne mon propos ici la biographie comme l’analyse des
rapports dialectiques, c’est-à-dire des rapports à la fois d’unité et de contradictions,
37
23 Travailler sur les parcours des migrants nécessite par définition un temps de recherche
qui dépasse celui du protocole méthodologiquement calibré, de la rencontre ou de
l’entretien, moments suspendus et nécessairement circonscrits. Ces parcours ne se
disent pas facilement dans l’espace socialement limité d’une rencontre éphémère et
formelle entre deux inconnus. L’évocation de ces parcours peut être douloureuse
d’abord mais, surtout, leur mise en récit ne va pas de soi pour les migrants : d’une part
parce qu’il y a la difficulté linguistique, technique, à mettre cette vie dans les mots
d’une langue qu’ils ne maîtrisent pas encore suffisamment ; d’autre part, parce que la
mise en récit de ces parcours suppose qu’ils puissent avoir un intérêt pour quelque
chose ou quelqu’un. En somme, il leur semble parfois que leur vie ne vaut pas la peine
d’être racontée. Enfin, l’évocation de ces parcours suscite très souvent une méfiance et
une retenue dues justement à ces vies toujours sur le tranchant de la légalité, de
l’oppression familiale, sociale ou politique, sur la honte ou sur « la peur d’avoir fait tout
38
ça pour rien », comme je l’ai souvent entendu dire par des migrants qui ne réussissaient
pas à s’en sortir. Connaître et tenter de comprendre ces parcours suppose donc un
rapport qui aille bien au-delà de la rencontre : le temps long est nécessaire pour lever
les méfiances puis éventuellement établir des connivences qui permettront de libérer la
parole. Laacher (2002) a travaillé sur ces parcours avec des réfugiés de Sangatte et ceci
permet de mettre la situation des migrants en perspective : il met en évidence des
parcours migratoires très étroitement liés à des stratégies collectives et non à des choix
individuels. Les migrants sont d’abord des émigrés et les contextes économiques,
sociaux, familiaux de l’émigration sont déterminants pour comprendre l’immigré, sa
situation, ses choix et ses perspectives.
24 J’ai pu mettre à profit ce temps long nécessaire à des échanges plus ouverts pendant la
dizaine d’années où j’ai exercé comme formateur d’adultes. J’ai rencontré des dizaines
de migrants qui suivaient des formations linguistiques ou qui étaient engagés dans des
parcours d’insertion. Le temps long des formations permettait des échanges basés sur
la confiance et qui dépassaient le cadre strict de l’intervention didactique. C’est lors de
ces échanges que les parcours migratoires de ces personnes me sont apparus dans toute
leur singularité et j’ai compris en quoi ces parcours déterminaient leurs façons de
penser et de vivre leur intégration sociale et, pour ce qui nous intéresse ici,
linguistique. Je suis de nouveau Bensa (2006 : 346-347) dans cette démarche :
Les temporalités se croisent et il convient de changer d’échelle pour montrer que ce
qui se joue donne accès, par feuilletages successifs, à des pans insoupçonnés de ce
qui nous apparaît dans l’immédiateté apparente du présent. La remontée du local
au global, et non l’inverse, exige un incessant mouvement qui n’en reste jamais ni à
un point de vue général, ni à une appréciation particulière mais établit les relais qui
ont rendu possible ce que l’on observe. Le plus descriptif est déjà conceptuel, et le
plus conceptuel n’est jamais étranger à une description. Entre l’un et l’autre, il ne
devrait pas y avoir de fossé mais un maillage serré d’écriture où la continuité du
récit ferait apparaître comme des motifs.
25 Je vais évoquer plusieurs de ces parcours mais les noms des personnes concernées, ainsi
que celui de quelques lieux, ont été modifiés afin qu’un strict anonymat soit préservé.
26 Le premier de ces migrants est Saïd : il vient d’un pays arabe du Golfe Persique mais il
est d’origine palestinienne. Il est médecin, a fait ses études en Grande-Bretagne avec
une bourse du gouvernement de son pays d’adoption et il exerce dans l’armée. Au
moment du déclenchement de la première guerre du Golfe, il se trouve en France et
décide de ne pas retourner dans son pays et de demander l’asile en France, qu’il
obtient. En France, il doit tout recommencer et repartir de rien parce qu’il ne peut
exercer avec ses diplômes étrangers. Il doit donc repasser des examens pour obtenir
son habilitation. C’est une situation qu’il juge humiliante et injuste mais à laquelle il se
plie. Il est parfaitement conscient de son déclassement social puisqu’il doit également
accepter de vivre dans un quartier populaire avec un niveau de vie très inférieur à celui
qu’il possédait dans son pays. Arabophone natif, il affiche un souverain mépris pour les
maghrébins immigrés de son quartier qu’il traite de « paysans ignorants ». Il
m’explique à chaque fois qu’il en a l’occasion qu’il ne faut pas confondre tous les arabes
et que ceux-là n’en sont d’ailleurs pas vraiment parce qu’ils sont berbères pour la
plupart et que ceux qui ne le sont pas parlent un arabe avili. Il ne veut d’ailleurs pas se
mêler aux autres apprenants et préfère travailler seul. Son approche de l’apprentissage
du français est basée uniquement sur l’écrit et il répugne à utiliser des documents
oraux. Il se sert de grammaires et de manuels de conjugaison dont il ne veut pas se
39
et c’est bien pour aider les gosses l’école » explique Nassir. Leur approche de
l’apprentissage est exclusivement orale et ils s’appuient sur ce français construit sur les
chantiers et dans le quartier. Partis du Sud tunisien vers les usines de la sidérurgie
lorraine, ils sont façonnés par le monde du travail et les souvenirs nostalgiques qu’ils
évoquent sont ceux de cette période de plein emploi qu’ils ont connu à leur arrivée en
France. Ahmed retrouve d’ailleurs comme formateur Mouloud, avec qui il a travaillé
autrefois comme soudeur. Mouloud est passé par la lutte syndicale et politique, il s’est
formé dans les écoles de son syndicat et si son français écrit n’est pas
orthographiquement irréprochable, cela lui a permis en tous cas de devenir un
excellent professionnel de l’insertion. Il sait donc parfaitement mesurer l’importance
de la maîtrise de la langue dans un parcours d’insertion et son autorité sur les
apprenants, dont la motivation peut parfois fléchir, est incontestable. 11 ne s’adresse
d’ailleurs à Ahmed et Nassir qu’en français : c’est la langue de leur parcours de
migrants mais c’est aussi leur véritable langue commune dans la mesure où la variété
d’arabe que parle Mouloud, qui vient de l’Atlas marocain, est très différente de celle des
deux apprenants.
29 Et puis il y a aussi Olga, la polonaise, Katerina, l’ukrainienne et Hatice la turque. Les
deux premières, conscientes de leur potentiel, n’ont pas attendu que leur pays se
développe et leur offre des perspectives qui risquaient d’arriver trop tard. Issues de
familles urbaines éduquées, elles ont choisi délibérément la France et sont parties dès
qu’elles ont pu. Elles se sont littéralement jetées dans l’apprentissage du français en
faisant le choix sans retour possible de l’intégration rapide. En deux ans, elles ont
mobilisé tout leur potentiel et leurs acquis scolaires, cognitifs et sociaux pour
apprendre cette langue qu’elles savaient être la clé de la réussite. Hatice en revanche,
en France depuis douze ans, parle à peine quelques mots de français. Elle est arrivée de
Turquie avec son mari, a élevé ses enfants en restant confinée à son espace familial et
en n’entretenant de relations qu’avec d’autres Turcs. Quand son mari décide de la
quitter sans prévenir, il la laisse complètement démunie. Faiblement scolarisée en
Turquie, elle sait à peine lire et écrire et doit tout apprendre de ce pays et de cette
langue qui lui sont étrangers pour tenter de survivre en élevant ses trois enfants. Sans
acquis scolaires solides, sans autre référence linguistique que le turc, elle est
complètement perdue dans un univers social qu’elle découvre. La seule passerelle vers
le monde extérieur, ce sont ses enfants, parfaitement francophones, sur qui elle porte
tous ses espoirs. La famille va dorénavant s’organiser autour de cette nouvelle
organisation domestique précaire : les enfants servant de traducteurs permanents pour
leur mère qui, de son côté, se charge de la survie au quotidien. L’apprentissage est alors
tourné vers la résolution des problèmes langagiers immédiats : savoir suffisamment de
français pour trouver un emploi de femme de ménage et pouvoir comprendre les
quelques consignes des éventuels employeurs.
30 Dernière étude de cas enfin, avec ce groupe d’agents de nettoyage industriel. Ils
travaillent pour une entreprise de propreté sur le site d’une usine sidérurgique en
Lorraine. Les nouvelles dispositions en matière de sécurité prise par la direction du
groupe sidérurgique imposent à toute personne entrant dans l’usine de répondre à un
questionnaire de prévention sur les risques encourus et les consignes à suivre. Pour
renseigner ce questionnaire, il faut lire un document qui défile sur un écran
d’ordinateur et répondre aux questions posées sur un document papier. Or, ces
employés, qui travaillent sur le site depuis longtemps, sont en grande insécurité à
l’écrit et ne sont pas en mesure de répondre aux questions. L’accès à l’usine risquant de
41
leur être interdit, l’entreprise de propreté qui les emploie a donc décidé de demander à
un organisme de formation de former ces salariés avec l’objectif de les aider à répondre
à ce questionnaire. Cette action de formation a fait l’objet d’une recherche (Adami,
2008b) portant sur les stratégies de lecture de ces apprenants. Mais ce qui est
intéressant pour mon propos ici, c’est la composition de ce groupe. Il est composé
uniquement d’hommes dont les âges varient entre 35 et 59 ans et qui ont une longue
expérience dans cette usine. Ils sont natifs de Lorraine, d’Italie, du Maroc, d’Algérie et
du Cambodge. Les deux Italiens du groupe sont arrivés de Sicile très jeunes et sont
francophones. Le plus ancien, à un an de la retraite, vient du Maroc mais il est installé
en France depuis très longtemps et communique sans difficulté en français oral. Le plus
jeune est algérien et il est arrivé en France quelques années auparavant. Tous ont en
commun une grande insécurité à l’écrit : certains n’ont jamais été scolarisés et sont
analphabètes. D’autres l’ont été quelques années dans leur pays d’origine et ont appris
à lire et à écrire en arabe, en français ou en khmer mais savent à peine déchiffrer. Les
deux Italiens et le francophone natif ont suivi leur scolarité obligatoire en France mais
se sont vite retrouvés en échec grave : ils sont en situation d’illettrisme et sont à peine
en mesure de lire et de comprendre une phase tirée des documents de sécurité
distribués par l’usine. Ce qui est intéressant dans ce groupe, c’est qu’au-delà de sa
composition, qu’une analyse rapide qualifierait de « multiculturelle », il existe une
profonde homogénéité. Ils possèdent les mêmes références professionnelles et sociales,
ils sont « chez eux » dans cette usine et dans cette région. Quand il est question des
difficultés du métier, de l’avenir, des dangers, de la mémoire de l’usine, et même de
leur vie, la parole est commune, polyphonique : l’un commence à parler puis s’arrête
tandis qu’un autre reprend, approuvé silencieusement par les hochements de tête de
ceux qui ne disent encore rien, mais consentent. L’un évoque les dangers de l’usine qui
font partie du quotidien, se tait et reprend son travail de lecture tandis que deux autres
reprennent successivement le cours du discours en évoquant la mort récente d’un
jeune contremaître : « Si tu fais pas gaffe, tu crèves » conclut un quatrième, approuvé
par le murmure des autres.
31 Dans ce groupe, les sectorisations académiques entre apprenants de Français Langue
Étrangère, Langue Seconde ou Langue Maternelle n’ont plus cours. Celui qui est
considéré par les autres comme le plus compétent en matière de lecture et d’écriture
est l’Algérien, le plus jeune, celui qui est arrivé le plus tard en France. C’est celui qui a
suivi, relativement aux autres, la scolarité la plus longue et la moins problématique. De
fait, en matière de lecture, c’est lui éprouve le moins de difficulté, malgré le fait que le
français ne soit pas sa langue première : de toutes façons, s’agissant des écrits
professionnels qui ont trait à l’usine, il comprend sans peine ce qui pour un lecteur
expert poserait d’évidents problèmes de compréhension comme le vocabulaire
technique par exemple. Le fait en apparence paradoxal que ce soit ce jeune Algérien qui
se débrouille le mieux à l’écrit en français ne pose pas l’ombre d’un problème aux
autres, et notamment à ceux qui ont été scolarisés en France. Cela n’autorise d’ailleurs
pas non plus le jeune salarié à se sentir supérieur aux autres : « C’est bien, il a réussi à
l’école, pas comme nous » dit Vittorio.
32 Engagés dans cette formation aux écrits professionnels imposée par de nouvelles
contraintes, ces salariés regrettent unanimement le temps où les consignes étaient
données à l’oral « par le chef ». La médiation obligée de l’écrit installe un écran
symbolique entre la réalité de l’usine qu’ils connaissent parfaitement et ce que leur
42
36 Si l’on analyse le problème sous l’angle des biographies, il apparaît que le problème
n’est pas l’insécurité linguistique mais l’insécurité sociolangagière. En effet, la question
de la maîtrise de la langue ne se pose pas d’abord en termes simplement linguistiques.
Il n’existe pas de progression linéaire de la construction de l’interlangue selon un
modèle exclusivement linguistique. Il est très difficile de lister par exemple les
premiers mots outils indispensables, puis les « structures de base » et enfin les
structures complexes. Chaque parcours, chaque biographie a suivi des voies
sociolangagières d’intégration différentes (Adami, à paraître). L’interlangue de chaque
43
Conclusion
38 L’intégration linguistique des migrants ne suit pas une ligne tracée d’avance, ce n’est
pas un parcours facilement balisable par des niveaux, des phases ou des passages.
L’établissement de repères objectifs est certes nécessaire mais ils ne doivent pas
conduire à oublier l’extrême complexité des biographies et surtout des situations
langagières dans lesquelles sont engagés les migrants. C’est nécessaire pour intervenir
en formation afin de mesurer exactement et de façon fine ce qu’il est convenu
d’appeler les acquis de chaque apprenant et de déterminer précisément des objectifs en
fonction du projet professionnel, social et personnel. Les évaluations et les niveaux ne
sont jamais que des photographies, indispensables, mais forcément réductrices.
39 L’objectif des démarches de formation pourrait être de transformer la sinuosité de ces
parcours d’intégration langagière en trajectoire, c’est-à-dire d’aider les apprenants à
44
établir des objectifs langagiers et à les atteindre, au-delà même du temps limité de la
formation.
40 La formation pourrait permettre de passer d’une démarche empirique, conduite par les
aléas de la biographie, à une véritable stratégie d’apprentissage en milieu naturel.
NOTES
1. Ceci n’empêche d’ailleurs pas des formes de parasitage idéologique dues précisément à cette
position d’observateur « interne ». À cet égard, j’ai le souvenir d’une étudiante d’origine
algérienne qui préparait un mémoire sur les rapports entre langue d’origine et langue du pays
d’accueil en observant sa famille. Littéralement imbibée d’idéologie différentialiste et
multiculturaliste, elle s’appuyait sur l’hypothèse que non seulement les migrants conservaient
leur langue d’origine, mais qu’ils la transmettaient et qu’elle représentait un puissant sentiment
d’identité et de force culturelle. Or, armée d’une méthodologie irréprochable, son étude l’a
menée à infirmer complètement son hypothèse de départ : le français était bien devenu, y
compris pour les parents, la langue première de la famille que les enfants utilisaient
exclusivement sans souci particulier de conserver la langue d’origine des parents. Mais cette
étudiante, plutôt que d’admettre ce qu’elle venait elle-même de démontrer de façon indiscutable,
a choisi de remettre en cause sa propre méthodologie et de saborder ainsi son travail pour
revenir à ses positions idéologiques de départ.
2. Le choix de ces guillemets sera expliqué plus bas.
3. Il y a par exemple davantage de médecins béninois dans la seule région de l’Ile de France que
dans l’ensemble du Bénin.
4. C’est désormais l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) qui est chargé de
cette évaluation sur la base d’un test objectif.
AUTEUR
HERVÉ ADAMI
ATILF, Nancy Université et CNRS, équipe CRAPEL
45
période que j’ai commencé des cours de FOS en entreprise et ce qui était déjà du FLP
(sans que je le sache), dans un supermarché.
6 En 2003, de retour en France, j’ai commencé à travailler à l’Alliance française à Paris,
pendant un an, en mettant l’accent sur les cours de FOS et l’évaluation. Un passage
de 6 mois comme professeur de FOS au sein d’une importante entreprise pétrolière a
complété ma pratique du FOS pour des métiers très variés.
7 Puis pendant une autre année, j’ai été chargée du diagnostic linguistique dans le cadre
d’un marché pour le Conseil Régional d’île de France et du FASILD 1 au sein d’une
association. J’ai côtoyé un public pas toujours scolarisé dans son pays d’origine. Nous
avons fait partie des lieux d’expérimentation du D1LF : j’ai eu l’impression de vivre un
moment important, où deux univers se rencontraient, les associations et l’université, le
monde de l’insertion et celui de la recherche et j’ai pensé que quelque chose de
fondamental était en train de changer. Je me suis souvenue des tâtonnements de mes
débuts en tant que bénévole... Le DILF a permis aussi de tendre vers un langage
commun, voire des pratiques communes, harmonisées.
8 Je suis maintenant titulaire de mon poste à l’Alliance française Paris-Île de France.
9 Le travail mené en FLP à l’Alliance a été dès le début accompagné par des moments de
formation de l’équipe au CLP2, sous la responsabilité pédagogique de Mariela de Ferrari.
Cet accompagnement a été primordial, il nous a permis d’avancer, de comprendre les
nouveaux enjeux proposés par ces cours. Ces formations m’ont donné des pistes pour
comprendre, pour faire des choix en classe et continuent à nourrir ma réflexion.
10 C’est ainsi qu’il y a des questions pour lesquelles des réponses sont déjà trouvées, de
fait parce qu’il faut « faire » et que les apprenants n’attendent pas... mais aussi pour
lesquelles il y a encore des « bouts » de réponses à inventer et des réflexions à mener.
11 La première est peut-être une évidence pour certains mais ne va pas de soi pour moi :
qu’est-ce qu’enseigner le FLP ? Pour le professeur que je suis qui prépare son cours, qui
l’anime... qu’est-ce que cela implique, qu’est-ce que cela change par rapport à un cours
de FLE ? Le fait de travailler avec des salariés, identifiés comme tels, qui ne sont pas des
étudiants mais des stagiaires qui sont là pour accroître leurs compétences
professionnelles...?
12 La deuxième question pour laquelle je cherche des réponses vient du fait que ces
salariés sont parfois sans qualifications, qu’ils ont souvent été peu scolarisés, ou pas du
tout, et que cette formation qu’ils suivent est pour eux parfois la première occasion
d’être en situation d’apprenants, dans une salle de cours. Alors je me demande
comment on apprend à apprendre, à lire, à écrire, à l’âge adulte ? Comment se
positionne-t-on dans cet apprentissage ?
13 La troisième question que j’évoquerai ici, et qui n’est sans doute pas la dernière dans les
réflexions à mener, est celle qui concerne le déroulement du cours lui-même. Qu’est-ce
que les cours de FLP changent dans la classe ? Les paramètres observables seront les
mêmes, mais les observations ne seront pas celles faites dans un cours de FLE. Alors
qu’est-ce que cela modifie dans mes pratiques, dans l’animation du cours, dans
l’occupation de l’espace classe, dans l’utilisation du matériel, dans les échanges...?
14 Je vais tenter ici de faire le point sur l’état de ma réflexion sur ces questions et
j’essaierai le plus possible de partager mon vécu, notamment en illustrant mes propos
par des exemples issus de mon expérience de professeur de FLP.
48
parce que je dis "ouais" ». Moi : « Vous comprenez la différence entre "oui" et
"ouais" ? » Lui : « Non mais s’il veut je vais dire oui... ». Lors du cours suivant, j’ai
finalement décidé de travailler sur les registres de langues, à partir de phrases très
familières entendues dans l’entreprise ou dans les échanges en classe, nous avons
échangé sur la perception, l’effet produit, comment dire autrement, dans quelles
situations...
18 J’ai été amené à animer une formation sur la pédagogie de l’erreur et, comme souvent
pour des missions de formation de formateurs, lorsqu’une question particulière de
didactique est travaillée, cela donne un éclairage nouveau sur notre cours. J’ai donc
expérimenté des « techniques », des activités pour permettre aux apprenants de
travailler, de revenir sur leurs erreurs. J’ai d’abord commencé par mes cours de FLE, là
où les ficelles me sont plus communes, puis j’ai aussi fait des tentatives en FLP. Je suis
maintenant convaincue que les erreurs des apprenants orientent aussi la progression,
le programme.
19 Vient aussi la question de l’évaluation sommative qui est complexe, notamment parce
qu’elle ne dépend pas que de nous. Dans notre société où le diplôme a son importance,
les entreprises souhaitent souvent faire valider les compétences acquises grâce à la
formation par une certification. La question est de savoir quelle certification choisir. Il
ne faudrait pas que le cours perde ses objectifs premiers et s’oriente uniquement vers la
préparation à la réussite d’un examen de langue...
20 Dans le meilleur des cas, l’entreprise, investie pleinement dans la formation de ses
salariés, joue le jeu et partage les documents utilisés sur le travail. Ces supports sont
indispensables pour bien cerner les situations de communication vécues par les
stagiaires. Il s’agit ensuite de monter des scénarios de classe qui s’appuient sur ces
supports. Ces documents sont la plupart du temps écrits et il est difficile d’avoir accès à
des supports oraux. On peut enregistrer des échanges lors des visites des lieux de
travail mais ça n’est pas simple. Et puis, que doit-on enregistrer ? On peut bien entendu
écrire, des dialogues reproduisant des interactions entendues ou imaginées mais, outre
les questions techniques, de temps notamment, se pose le problème de l’authenticité
des documents. Je crois que les activités de compréhension orale sont souvent négligées
faute de supports sonores efficaces et adaptés et c’est vraiment dommage car la
réception orale mériterait d’être travaillée au même titre que le reste.
21 La découverte des documents de l’entreprise permet aussi d’entrer dans l’univers
singulier de l’entreprise, de commencer à comprendre ses codes, sa culture, son
fonctionnement. Je ne suis pas spécialiste du BTP, de la restauration collective et ça
n’est pas ce que l’on me demande. Pourtant je dois vite comprendre l’entreprise pour
laquelle je forme des salariés, Je me rends compte quelques fois que l’entreprise a
développé des stratégies pour éviter les problèmes liés à la non maîtrise, ou imparfaite,
de la langue. Elle développe par exemple des codes de couleur pour les consignes, les
équipes sont constituées d’employés de même langue maternelle, une secrétaire
bienveillante remplit les formulaires ou autres papiers administratifs... La formation
peut aussi changer des choses à ces pratiques.
22 Utiliser des documents de l’entreprise, construire des parcours, des séquences
pédagogiques... toutes ces activités de préparation réclament beaucoup d’énergie.
Comme en FOS, si on veut adapter la démarche aux spécificités de la situation, « cette
perspective modifie largement le rôle de l’enseignant, qui devient alors concepteur
d’un matériel pédagogique nouveau » (Mangiante et Parpette, 2004). On se demande
50
alors comment ne pas tout recommencer à chaque fois ? La mutualisation semble être
une bonne alternative. Chaque professeur crée des activités, invente des scénarios
pédagogiques à mettre en œuvre dans sa classe et le fait de les mettre dans le « pot
commun », d’avoir accès aux préparations des autres fait gagner du temps. Pourtant on
est aussi auteur de ces fiches, de ces activités et la mutualisation implique que l’on cède
son droit de propriété... Par ailleurs, tout n’est pas si simple puisque le principe est de
s’adapter aux spécificités de l’entreprise, du groupe, des individus... on ne peut faire du
« copié collé » de la fiche pédagogique du collègue.
stagiaires veulent souvent faire des dictées. Cet exercice a un côté rassurant pour eux.
Je ne refuse pas systématiquement même si ce n’est pas un exercice auquel je pense de
moi-même. La dictée de mot peut être un moyen de vérifier la mémorisation de
l’orthographe. On peut profiter de cet exercice pour échanger sur la manière de
mémoriser l’écriture d’un mot : « Et vous vous faites comment ? – Je compte le nombre
de syllabes, le nombre de voyelles, le nombre de lettres, je sais comment ça commence
et comment ça finit, je recopie le mot plein de fois, je le recopie avec des lettres en
moins et je dois compléter... ». Chacun peut parler de ses stratégies, écouter celles des
autres. Cet échange permet aussi de faire réaliser qu’il n’y a pas qu’une seule façon
d’apprendre, que chacun peut y arriver avec sa « technique » et que celle-ci n’est pas
forcément adaptée aux autres. La dictée peut aussi être détournée ou retrouver sa
fonction, proche de ce que l’on peut vivre hors du cours : prendre sous la dictée un
numéro de téléphone, noter l’adresse d’un chantier sur lequel on doit se rendre. Les
stagiaires adhèrent vite à ce genre d’activités car ils en voient tout de suite l’intérêt et
comme ils disent souvent : « Si ça peut éviter d’aller passer le dimanche à chercher le
chantier pour être à l’heure le lundi... »
26 Je parlais plus haut de mes hésitations quant à la mise en œuvre. Elles sont renforcées
par les publications, cahiers d’exercice ou autres outils « prêts à l’emploi » qui existent
sur le marché de l’édition. Beaucoup proposent des activités que l’on croirait sorties de
mon CP... Et de fait, quand on est dans l’urgence, dans le doute, on a tendance à aller
vers ces exercices peu adaptés.
27 Les représentations des apprenants sont aussi sur la place du « maître », sur celle de
« l’élève » : certains pensent qu’il suffit d’être là, présent pour que ça marche, que
l’apprentissage se fasse. Cette attitude passive face à l’apprentissage ne fonctionne pas,
inutile de le rappeler ici sans doute. C’est pourquoi il est important aussi de parler
explicitement en cours du rôle de chacun : le rôle du formateur, le rôle du stagiaire.
Échanger sur les responsabilités de chacun, ce que le professeur peut faire et ce que
l’apprenant doit prendre en charge. Je n’hésite pas à valoriser un stagiaire qui
progresse et à lui demander comment il a fait, quel a été le déclic. Souvent il dit ce qu’il
a compris en classe mais il explique aussi quel prolongement il a trouvé dans sa vie,
dans son travail. Si un stagiaire du groupe est convaincu, s’il adhère à la démarche ça
fonctionne bien et s’appuyer sur son témoignage participe à convaincre les autres qui
sont admiratifs devant ses progrès.
28 J’évoquais plus haut la place donnée au traitement de l’erreur dans l’adaptation du
programme. Faire réfléchir sur les erreurs et dire qu’elles sont intéressantes va aussi à
l’encontre des représentations des apprenants. A priori, quelqu’un qui apprend n’a pas
envie de se tromper. Or, le fait même de les mettre au cœur du dispositif change aussi
la perception que l’on a des erreurs, que l’apprenant en a : « Quelles sont les plus
importantes dans la situation ? Qu’est-ce que je dois modifier ou faire évoluer en
priorité par rapport aux objectifs fixés, par rapport à ma communication au travail ? ».
Par exemple, quand un stagiaire arrive à lire et à comprendre un message écrit par un
collègue même si l’orthographe est approximative le groupe valide l’écrit, je propose
une nouvelle conceptualisation sur des formes erronées mais l’écrit est validé parce que
le l’objectif de passer une information à un collègue est atteint. En revanche, j’attire
leur attention sur l’importance de corriger certaines erreurs dans des écrits plus
formels, je leur explique que l’effet produit par les erreurs dans ce type d’écrit ne sera
pas le même et peut gêner la communication.
52
29 Je crois que l’on doit clairement dire aux apprenants que c’est bien aussi de se tromper,
que cela fait partie du processus d’apprentissage (Stirman-Langlois, 1995), que l’on
avance avec ses erreurs. Par exemple, dans un exercice, beaucoup écrivent au crayon
pour pouvoir gommer et ne garder que la réponse correcte. Je leur dis que c’est bien de
garder une trace de l’erreur pour notamment la repérer, la comprendre et pour plus
tard se rendre compte des progrès réalisés. Je me souviens d’un chef d’équipe que
j’avais en cours particulier avec lequel on travaillait l’animation d’une réunion
hebdomadaire sur le thème de la sécurité. Il n’aimait pas se tromper et quand, après
l’avoir écouté parler en continu, lors d’une simulation d’animation de réunion par
exemple, je revenais sur les points positifs puis sur ceux à améliorer, il s’excusait
toujours de ses erreurs. Puis, à force d’en parler, de lui dire que ça faisait partie de
l’apprentissage, un jour il a dit en se corrigeant, de lui-même : « Ça va finir par rentrer,
j’ai la tête dure, mais je ne veux plus la faire cette erreur, je sais Emmanuelle que c’est
comme ça que j’avance mais là celle-là c’est fini, je ne veux plus... ».
30 La question du traitement de l’erreur amène celle de l’évaluation formative : comment
mesure-t-on la progression pendant les cours ? Quelles activités pour évaluer ? Là
encore je pense que l’évaluation doit être présente et partagée. Il est intéressant de
proposer régulièrement des activités d’autoévaluation, d’inter évaluation, de leur faire
prendre l’habitude de porter un jugement critique et constructif sur leurs productions.
31 Toutes ces activités sont pensées en amont du cours, quelques fois on adapte aussi sa
préparation pendant la classe, on pense à quelque chose de nouveau, qui pourrait aider,
là au moment de le faire... Pendant la classe, je suis à la fois actrice et observatrice de ce
que je mets en place. Pour avancer, pour valider ou revenir sur des choix, je dois
analyser ce qu’il se passe, comment ça se passe. La réflexion sur l’observation de classe,
énorme chantier, me semble indispensable pour essayer de mieux comprendre ces
processus d’enseignement apprentissage en FLP.
faut aussi exploiter, une sorte de pacte entre le groupe, les individus du groupe et le
professeur : « Ensemble avec nos compétences différentes et sûrement
complémentaires, on va progresser ». Je pense que le professeur doit passer du temps à
démontrer que c’est ensemble qu’on y arrive, que, par exemple, d’avoir à expliquer des
consignes à son voisin ça permet aussi d’avancer. Je suis convaincue qu’une classe
hétérogène présente des aspects positifs. Pourtant, dans la pratique ça n’est pas
toujours évident à gérer, notamment pour un professeur de FLE qui a l’habitude d’avoir
face à lui un groupe formé, positionné à un niveau de l’échelle du CECR, parce qu’un
test de positionnement a été réalisé en amont de la formation. Alors ce professeur, qui
enseigne aussi le FLP se pose des questions sur comment faire pour que le cours soit
bénéfique à tous, que chacun y trouve son compte. Comment faire pour qu’il y ait des
moments communs, en grand groupe, qui font que le groupe est groupe ? À quel
moment faire travailler les stagiaires par sous-groupe ? Pour quoi faire ? Quelles
activités ?
35 Par ces questions commence le travail sur l’observation de classe, je m’interroge alors
sur les différents paramètres observables dans le déroulé du cours, dans la mise en
œuvre de ce qui a été pensé et préparé. Ma collègue Monique Waendendries 3 qui
travaille depuis de longues années sur l’observation de classe m’a initié à cette
discipline lorsque j’étais professeur à Casablanca et elle continue à nous guider, mes
collègues formateurs et moi, dans ce travail notamment dans la formation de nouveaux
professeurs.
36 La phase de compréhension d’un support, oral ou écrit, peut se faire en grand groupe.
En effet, nous sommes souvent amenés à comprendre des documents de l’entreprise ou
des interactions liées aux besoins des stagiaires. Quelle que soit la complexité du
document proposé, l’étape de compréhension globale, l’identification des paramètres
de communication, peut se faire en grand groupe. Ensuite lorsque l’on affine puis
finalise la compréhension, les tâches proposées peuvent être différentes en fonction
des niveaux et des objectifs visés. A ce moment-là les sous-groupes sont formés par
niveau. A d’autres moments, pour une activité de production orale par exemple, il peut
être intéressant de former des sous-groupes regroupant des apprenants pas ou peu
lecteurs avec des lecteurs : ces derniers peuvent aider à lire la consigne par exemple...
37 Dans un cours de FLE, lors de la formation des sous-groupes, ce ne sont pas les mêmes
questions qui se posent, on peut essayer de varier la composition des groupes, que les
apprenants ne travaillent pas toujours avec les mêmes, ici en FLP c’est la même chose
mais on croise aussi d’autres critères, dont celui du rapport à l’écrit.
38 Le travail en sous-groupes est aussi intéressant pour travailler le « apprendre à
apprendre ». On peut proposer des tâches différentes axées sur le comment apprendre :
un groupe travaille sur le classement de documents, un autre sur le repérage
d’informations principales, un autre sur la mémorisation... Le travail en sous-groupe
qui permet aussi de multiplier le temps de parole des apprenants est aussi un bon
moyen pour donner des pistes vers l’autonomie : des problèmes rencontrés peuvent
être résolus sans forcément faire appel au professeur qui peut se mettre en retrait et
laisser faire ce qu’il a mis en place. Les apprenants sont tous sollicités et ne peuvent
rester passifs, en retrait puisque chacun compte sur ses « partenaires » de groupe pour
accomplir la tâche commune.
39 Un autre paramètre du cours peut être sensiblement différent dans un cours de FLP. Il
s’agit de l’utilisation des outils matériels, ceux utilisés par le professeur mais aussi ceux
54
des apprenants. Les outils cognitifs par conséquent ne seront pas forcément les mêmes
non plus. Dans une classe d’étudiants ou de stagiaires habitués à vivre une situation
d’apprentissage, scolarisés pendant leur enfance et adolescence, lorsqu’il y a par
exemple une question de vocabulaire, un mot nouveau qui apparaît, le professeur peut
le noter au tableau. Cette action est assez banale. Alors que, si dans le groupe classe, des
apprenants sont peu lecteurs, ne sont pas habitués aux rituels de l’apprentissage, à
l’utilisation du tableau comme lieu d’ancrage, ce mot noté peut compliquer, alors même
qu’il avait été écrit pour clarifier. Alors que noter ? À quel moment ? Où ? Comment ? Je
n’ai pas encore de réponses à toutes ces interrogations.
40 De même, si l’on se pose la question de la prise de note des apprenants, le degré
d’autonomie et d’efficacité varie d’un stagiaire à l’autre dans un groupe de FLP. Le
professeur doit mettre en place des activités, réserver du temps pour l’organisation du
cahier, la mise en page des notes, des éléments copiés, intervenir aussi dans le choix
des couleurs. J’explique par exemple que si j’utilise des couleurs au tableau c’est pour
les aider à comprendre, à apprendre et que ce serait bien de reproduire ces codes de
couleur, ces soulignés, encadrés, tableaux ou autres outils cognitifs. De la même
manière il est utile de leur faire comprendre que le travail continue en dehors du
cours : j’essaie de les convaincre que l’utilisation du cahier n’est pas juste pour réaliser
l’activité, l’exercice, la tâche proposée le jour même mais que c’est utile de bien
organiser, que l’ordre des pages suit la chronologie pour pouvoir y revenir, retrouver
facilement les informations. Le cahier est la mémoire du cours, il laisse des traces du
cheminement de l’apprentissage, en laissant apparaître les erreurs, les commentaires
du professeur, les corpus qui aident à comprendre, à avancer...
41 Il y a la question du temps aussi : je me rends compte encore aujourd’hui, malgré mes
quelques années d’expérience, que je prévois toujours trop d’activités pour le cours,
que sur le papier, au moment de la préparation, je suis trop ambitieuse et que la réalité
de la classe est tout autre. L’explication de la consigne, sa vérification prend du temps.
La mise en route et la réalisation de l’activité aussi... bref le cours de FLP enseigne la
patience et si l’on retrouve le principe de l’apprentissage en spirale, celle-ci se déroule
plus lentement, le tempo n’est plus le même. Le travail explicite, ou du moins plus
prononcé, sur l’aspect cognitif de l’apprentissage, l’appel au vécu professionnel régulier
et les échanges sur la relation cours/travail prend aussi du temps, mais cela est
nécessaire et c’est au professeur de s’adapter.
42 Pendant le cours, au cœur de l’action, on se rend compte, on fait l’expérience des
changements dans ces paramètres mais le filmage de classe permet de s’arrêter pour
mieux les observer, de se poser les questions différemment avec plus de recul et
d’essayer de trouver des réponses.
43 Face à ces nombreuses questions le travail d’équipe est fondamental. Là encore moins
qu’ailleurs on ne peut avancer seul. Les lectures des publications des chercheurs
m’aident à trouver des pistes, des solutions aux problèmes quotidiens de la classe.
L’accompagnement de Mariela de Ferrari a été formatif au début, lorsque j’ai
commencé ces nouveaux types de cours. Il continue à être très utile, primordial
puisqu’il permet de ne pas se contenter de petites solutions trouvées ça et là mais de
pousser la réflexion toujours plus loin. Il m’oblige aussi à me remettre en question, à
me défaire de mes représentations après en avoir pris conscience.
44 Pour ce qui est de savoir comment faire en classe : on expérimente, on tâtonne, on
s’interroge, encore et toujours... L’observation et l’analyse nous font avancer, mes
55
stagiaires et moi. Cela fait aussi partie de notre métier, ne pas se contenter de faire ce
que l’on comprend et maîtrise complètement mais d’accepter aussi ses doutes, ses
remises en questions qui sont constructives et nous montrent que l’on progresse aussi
nous, professeur, grâce à nos erreurs.
NOTES
1. Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations.
2. Comité de Liaison pour la Promotion des migrants et des publics en difficulté d’insertion.
3. Waendendries, « Le guidage du dialogue en classe de langue », Les Carnets du Cediscor [en ligne],
4 | 1996, mis en ligne le 26 août 2009, URL : http://cediscor.revues.org/429 ; Profession : maître-
accoucheur, Actes du colloque ANEFLE (Toulon, 1994), Didactique au quotidien, FDLM Recherches et
applications, juillet 1995.
AUTEUR
EMMANUELLE DAILL
Alliance française de Paris
56
1 Cet article présente les évolutions impulsées et observées entre 2004 et 2009 dans le
cadre de la formation professionnelle, à partir des travaux menés par l’auteure en
collaboration avec Florence Mourlhon-Dallies, Maître de Conférences à l’Université de
Paris 3. De multiples équipes de professionnels ont contribué à la construction du
champ et des outils qui seront décrits dans cet article.
2 Dans cette perspective, une partie introductive délimitera d’abord les contours et les
spécificités du Français – compétence professionnelle (1). Un point historique
permettra ensuite de parcourir les jalons posés à l’issue d’études menées en 2004-2005,
mettant en œuvre une partie des préconisations effectuées (2). Enfin, on présentera un
outil de positionnement transversal, conçu pour les secteurs du privé, ayant donné lieu
à des adaptations et à des usages variés dans divers contextes 1 (3). En guise de
conclusion, on mettra en perspective ces différents éléments (4).
Préparant l’entrée
Hors
sur le marché du À l’intérieur d’un
préoccupation Dans un domaine
travail → français secteur d’activité : le
d’emploi → donné et pour un
transversal aux domaine est précisé
Enseignement poste de travail
domaines d’activité mais pas le poste de
généraliste de précis
et aux postes de travail
langue
travail
58
Français sur
Objectifs)
Spécifique(s) : du
français
intervenant
ponctuellement
dans la pratique
Français de la
professionnelle (en
communication
Français de spécialité France ou à
professionnelle (cf.
(français du tourisme, l’étranger)
Français.com ou les
FLE (étrangers) français du droit, Français Langue
Diplômes de
français scientifique et Professionnelle
Français
technique) (déclinaison par
Professionnel de la
métier) : cas
CCIP)
particulier
d’étrangers
travaillant à
l’étranger dans
une entreprise
française en
français.
Français Langue
Français Langue
Professionnelle
Professionnelle
(déclinaison par
(déclinaison par
métier)
branche)
Publics de
– Publics d’étudiants
migrants
en fin de cursus (école
Français pour – formés juste
Boulle)
l’insertion avant leur venue
– de professionnels
professionnelle (par en France
FLS (migrants) étrangers en
exemple dans Trait – ou sur place, une
complément de
d’Union, Cle fois arrivés (Greta)
professionnalisation
International) S’ils sont formés
en France (médecine)
en entreprise dans
– de migrants sans
le pays d’accueil →
formation s’orientant
La seconde langue
vers un secteur
sur le lieu de
(métiers d’aide à la
travail (M.
personne)
Grunhage Monetti)
59
Français Langue
Professionnelle
Techniques – fin de cursus
/Français des
d’expression (CV, d’écoles
disciplines « cours de
entretien professionnelles
français » dans les
d’embauche, (écoles
écoles
FLM (natifs) recherche de stage) d’ingénieurs en
professionnelles, pour
Modules d’insertion informatique)
les bacs pros, les
professionnelle – montée en
formations
pour natifs en compétences,
d’apprentis.
recherche d’emploi évolution de
carrière, maintien
dans l’emploi
argumentaire ayant facilité les communications avec l’ensemble des acteurs, autour de
trois axes principaux :
27 La notion de transversalité apparaît donc sur deux aspects tout au long des
compétences identifiées :
28 Au niveau de la langue toutes les dimensions nécessaires à la production de discours
pertinents sont considérées à savoir :
29 Dire de faire – de façon directe ou indirecte –, dire comment faire, rapporter, faire pour
faire faire, expliquer ce que l’on fait – comment on fait – , justifier, se justifier, excuser,
s’excuser, décrire pour faire faire, rendre compte. Cette dimension permet de faire
circuler l’information et de vérifier la transmission depuis l’émission d’une consigne
(orale, écrite, gestuelle) jusqu’à sa réalisation et sa vérification. Cette dimension inclut
la connaissance des modes socioculturels adaptés (en fonction des contextes
situationnels – branche, métier, type d’entreprise, ancienneté des collègues, rapports
sociaux intra-entreprise, etc.). Elle comporte également la composante linguistique
(formes sonores et graphiques nécessaires aux actes de communication souhaités).
3. 2. 2. Dimension cognitive
3. 2. 4. Dimension socio-affective
3.3. La progression
consignes sont elles aussi de plus en plus diversifiées. Les ouvertures qui s’opèrent au
sein de paliers rendent le salarié de plus en plus autonome par rapport à des
communications et des tâches mémorisées et répétées.
43 La distance acquise par rapport à son poste de travail et ses tâches quotidiennes
permet, à partir du troisième cercle, de sensibiliser et expliquer aux différents
environnements relationnels, de « parler de », « en rendre compte » et ce à des
interlocuteurs ou à des destinataires, eux aussi, très diversifiés. La connaissance du
secteur et des organisations favorise des explicitations en situation de communication
externe (clients, fournisseurs, contrôles).
44 Le quatrième cercle permet de consolider les compétences du troisième palier et
développe de plus en plus des compétences d’encadrement, en particulier du fait de la
compréhension et la maîtrise des enjeux (liées aux tâches du poste, au fonctionnement
de l’entreprise et du secteur et des relations au sein du personnel).
Le pôle réflexif
– Le pôle organisationnel
– Le pôle communicationnel
63 Deux secteurs professionnels se sont investis dans l’utilisation et l’adaptation des outils
transversaux à leur contexte professionnel dans le cadre de projets expérimentaux
dans des dynamiques de recherche et de formation-action : la Fonction Publique
Territoriale à travers le CNFPT Pantin, les Mairies de Grenoble et Perpignan et la
communauté de communes « Plaine Commune » ; le Particulier employeur à travers
l’IFEF (Institut FEPEM de l’emploi familial).
70
64 Les expériences sont probantes, chaque secteur nomme et définit ses axes de
compétences, ses logiques de progression, ses modalités de professionnalisation de
formateurs.
65 Les productions émergeant des expérimentations développées dans le cadre de la
Fonction Publique Territoriale sont disponibles en ligne, sur le site www.co-
alternatives.fr. Nous incluons en fin d’article la carte de compétences « inter-métiers »
coproduite avec le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) Petite
Couronne dans le cadre de ce projet soutenu par la Délégation Générale à la Langue
Française et aux Langues de France (DGLFLF).
66 Pour le secteur de l’emploi familial, huit expérimentations se développent actuellement
sur le territoire national. La recherche-action en cours témoigne de l’intention
d’approcher la problématique « Français Compétence Professionnelle » sur son aspect
systémique. En effet, il est question de sensibiliser l’ensemble des acteurs de la
branche – membres des jurys de certification, formateurs consultants, organismes de
formation labellisés – à l’objet « Français Professionnel ».
67 Les premiers constats montrent à quel point ces démarches doivent s’appuyer sur des
dynamiques de « conduite du changement ». Sont impactées les pratiques
d’évaluation – positionnement, les situations d’apprentissage et les critères
d’évaluation au sein des certifications.
68 Le tableau qui suit montre comment un axe de la carte de compétences « générique »
conçu pour le secteur du privé peut se décliner et s’adapter en fonction des réalités et
des besoins d’autres secteurs et des métiers correspondants. On observe pour les
métiers industriels où prime la qualité en lien avec la production, que la logique de
métier prend le dessus sur celle de secteur, alors que pour la Fonction Publique
Territoriale ou le Particulier Employeur, l’aspect secteur reste très prégnant.
69 En revanche, la progression au sein de chaque axe reste invariante pour tous les
secteurs, en cercle 1 on comprend, on nomme et on situe dans son environnement par
rapport à un poste donné chez un employeur, plus on progresse plus on comprend les
enjeux des situations variées dans des contextes « multi-employeur » pour s’en
distancier progressivement jusqu’à la possibilité d’expliquer à des pairs, dans une
dynamique de tutorat ou d’encadrement.
– Comprend les
– Identifie – Perçoit la enjeux à l’œuvre
Perception du
globalement le spécificité de son dans les rapports
Privé secteur
secteur de son entreprise dans le avec les acteurs de
d’activité
entreprise secteur d’activité son secteur
d’activité
71
– Identifie
– Perçoit la
globalement les – Comprend les
Fonction Perception du spécificité de sa
secteurs enjeux à l’œuvre
Publique champ d’action collectivité dans
d’activité de sa entre collectivité
Territoriale de la FPT son environnement
collectivité territoriale et État
territorial
territoriale
– Explique et
des – Identifie,
Perception – Participe à
justifie un écart par
enjeux de la nomme et l’animation de la
Métiers du rapport aux normes
qualité et caractérise le qualité et
bois qualité.
application des bois et le produit application des
Scierie Écarte/affecte le
normes en lien (qualité). Écarte normes en lien avec
automatisée produit en fonction
avec la le produit en cas les contraintes de
des contraintes de
production d’anomalie production
production
Se positionner
dans les métiers
et adhérer aux
valeurs de la
– Articule différents
branche – Connaît les
postes. Fait la part
(perception des modalités les plus – Peut accompagner
Particulier entre les
métiers d’aide à courantes d’un ses pairs dans leur
employeur représentations
domicile, poste de travail positionnement
sociales et la réalité
intégration des donné
de ces métiers.
ambitions de la
branche en
termes de
tutorat...)
4 Mise en perspective
72 On observe donc des évolutions très importantes sur l’ensemble des acteurs du
système. Les cadrages juridiques et la volonté des secteurs professionnels les plus
concernés impulsent et favorisent le changement des pratiques. Un autre élément
facilitateur concerne les certifications incluant le Français langue professionnelle. Deux
72
ANNEXES
73
Annexe
En ligne sur le site www.co-alternatives.fr
Études
NOTES
1. Notamment : Bâtiment et Travaux publics, Fonction publique territoriale, Métiers du bois,
particulier employeur.
2. Qui est une version renouvelée de celle figurant dans Mourlhon-Dallies, F. (2007).
3. Développer la formation linguistique au titre de la formation professionnelle continue en
entreprise (CLP pour la Direction de la Population et Migrations 2005) ; pour les demandeurs
d’emploi, lier la compétence linguistique à l’accès à la qualification (CLP, Convention
FASILD 2004).
4. CESAM – 24 Avenue de Stalingrad – 21000 Dijon.
5. Notre perspective rejoint donc la logique de Faverge, à l’origine de cette conception dans le
champ de la gestion des Ressources Humaines, cité par Denimal, Qualification, classification
compétences, Éditions Liaisons, 2004.
6. Le référentiel correspondant est disponible en ligne sur le site www.co-alternatives.fr, sous la
rubrique publications.
7. L’Alliance française Paris Île-de-France a formé ses équipes à la didactique FLP et à l’utilisation
des référentiels A.1.1 et A1.1-A1 (apprentissage adulte de l’écrit).
AUTEUR
MARIELA DE FERRARI
Co-alternatives
75
7 Le medium, ici, est un support papier de format A4, conçu pour assurer une vi-lisibilité
maximale grâce à :
• un jeu principalement sur deux couleurs : le rouge à la symbolique quasi-universelle, et le
noir ;
78
• une mise en page articulée sur les variations de tailles de police qui découpent dans le texte
des espaces sémantiques précis :
◦ Problème (En cas d’accident) ;
◦ Première réaction sur le lieu, qui se joue en face à face ;
◦ Énumération de procédures manuelles (1-Téléphonez au 18/112/15) et verbales détaillées
en blocs textuels (énumération de 1 à 6 qui signale un algorithme d’actions) ;
• un dernier bloc textuel en rouge axé sur les sauveteurs secouristes du travail (ce segment
textuel précise les traits qui permettent de les identifier et rappelle l’obligation légale
d’établir et d’afficher une liste de ces sauveteurs) accompagné du logo identifiant le
sauveteur secouriste.
10 Un genre peut se démarquer des autres genres par sa longueur temporelle (ainsi dans
les médias, le flash d’information se distingue du journal par sa brièveté) ou par sa
périodicité.
11 Cette dimension temporelle ne concerne pas le document du BTP qui nous sert
d’illustration des caractéristiques d’un genre de discours, un document qui, d’autre
part, voit sa validité maintenue tant que restent pertinentes les coordonnées des
services de secours et la procédure décrite.
12 Tout genre de discours est une activité discursive qui active tout ou partie des
paramètres d’une situation de communication (coénonciateurs4/ moment et lieu de
l’énonciation).
13 La « procédure en cas d’accident » s’inscrit dans la situation de communication
suivante :
• l’émetteur est double : l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des
Travaux Publics) a conçu et diffuse ce document qui est ensuite, par obligation légale, relayé
par l’entrepreneur qui doit le faire afficher sur tout chantier ;
• les destinataires sont constitués par tous les intervenants sur un chantier du BTP ;
• lieu d’énonciation : ce document est obligatoirement présent sur tout chantier ;
• moment d’énonciation : il faut distinguer deux moments d’énonciation (qui, à leur manière,
recoupent la distinction faite en littérature entre écrits fictifs et écrits réels) : une
énonciation désembrayée lors de la prise de fonction d’un ouvrier au cours de laquelle cette
procédure peut lui être communiquée à titre d’information ; une énonciation embrayée sur
79
une situation d’accident réelle. Ces deux situations suscitent deux modes de lecture
totalement différents : dans le premier cas, une lecture purement d’information ; dans le
second cas, une lecture quasi « performative » où ce qui est lu entraîne immédiatement le
passage à l’acte.
14 Un genre de discours fixe des statuts et rôles discursifs précis, et cette détermination
entraîne des impacts langagiers5.
15 La relation des coénonciateurs est ici asymétrique : l’OPPBTP et son relais,
l’entrepreneur, sont en position haute (de par leur statut légal et leur connaissance des
procédures de secours) et s’adressent à un employé envisagé comme exécutant fidèle
des prescriptions (les seules variations autorisées sont celles dues au contexte propre à
chaque accident : cause de l’accident/ localisation de l’accidenté/ nombre d’accidentés/
premiers secours effectués).
16 Un genre de discours s’inscrit globalement dans l’un des deux systèmes d’énonciation
(« récit » ou « discours ») mis en évidence par Benveniste (1966).
17 Comme avec le genre « Procédure en cas d’accident », il s’agit de faire agir en réaction à
une situation, ce genre ne prend sens que par rapport à une situation d’énonciation
précise, d’où l’actualisation du système du « discours » (avec accent mis sur le
destinataire par le biais d’impératifs à la deuxième personne du pluriel ; avec
inscription dans un lieu en relation avec renonciation : « ici »...).
18 Maingueneau6, Adam7, Swales8 se rejoignent pour affirmer qu’un genre se définit par un
acte de parole dominant.
19 Ici, ce genre est façonné par l’acte de prescrire de faire (téléphonez/ne raccrochez
jamais le premier) / et surtout prescrire de dire (Précisez, décrivez, signalez, fixez,
faites répéter)
20 Un genre de discours investit plus ou moins tout ou partie des modalités de persuasion
verbale9 que sont le logos (ou « degré de formalisation du raisonnement, comme le
choix et l’agencement des arguments » R. Amossy, 2000 : 168), l’éthos (« à travers
renonciation se montre la personnalité de l’énonciateur » Maingueneau, 1998 : 79), et le
pathos (ou « appel aux émotions », Amossy, ibid., 169).
21 L’image que veut donner de lui l’émetteur du document que nous analysons est celle
d’une entité qui maîtrise parfaitement une procédure et la situation dans tous ses
aspects. Par contre l’absence de pathos due à la nécessité d’être efficace, de se montrer
« professionnel », est caractéristique de ce document. Quant à l’absence
d’argumentation (dimension du logos), elle s’explique par le caractère prescriptif de ce
document, une prescription descendante qui n’a pas à se justifier.
80
22 Tout genre comporte un plan de texte, un schéma global d’organisation plus ou moins
contraint qui convoque certaines séquences (au sens d’Adam10) et en exclut d’autres.
23 Le genre « Procédure en cas d’accident » insère la description d’actions (énoncée sur le
mode injonctif) dans un schéma explicatif (type problème : En cas d’accident/ solution :
description d’actions). Est à mentionner aussi la présence d’une séquence finale
associant injonction et description lors de la focalisation sur le sauveteur secouriste.
29 Le genre de discours, qui représente une « class of communicative events » (Swales, 1990 :
45), est, comme tout événement discursif, déterminé par son inscription socio-
culturelle : « Genre, after all, is a socio-culturally dependent communicative event and is
judged effective to the extent that it can ensure pragmatic success in the business or other
professional context it can be used » (Bhatia, 1993 : 39), par son appartenance à une
institution qui le codifie. Et plus largement, il est surdéterminé par la culture dans
laquelle il apparaît, réalité que Fowler condense dans la formule suivante : « Genres have
circumscribed existences culturally » (Fowler, 1982 : 132).
81
32 Sur le plan théorique, Beacco a parfaitement raison, dans L’approche par compétences
dans l’enseignement, de proposer d’ajouter à la compétence à communiquer
langagièrement avancée par le CECRL une « compétence relative aux genres de
discours » (2007 : 89). Mais dans sa propre modélisation de la compétence à
communiquer langagièrement (cf. ci-dessous), il fait erreur en la plaçant sur le même
plan que la composante formelle (i.e. linguistique) et en l’isolant de la dimension
socioculturelle, car la composante discursive (ou générique) recoupe en partie la
composante formelle et en partie aussi la composante socioculturelle (i.e.
ethnolinguistique), les genres étant des réalités langagières et socio-culturelles.
• composante ethnolinguistique
• composante actionnelle
Compétence de communication • composante relative à la communication interculturelle
interculturelle (voir § 5.5.) • composante d’interprétation
• composante éducative visant des attitudes interculturelles
ouvertes
33 Toujours sur le plan théorique, la notion de genres de discours peut venir réduire
l’imprécision de la notion de tâche, une notion qui se trouve projetée à nouveau sur le
82
devant de la scène didactique par le Cadre européen commun de référence pour les langues
(ou CECRL).
34 Dans le CECRL, sur le mode du couple compétence/performance de Chomsky, la tâche
est articulée, à la compétence à communiquer langagièrement : en effet, la tâche permet
d’actualiser la compétence à communiquer langagièrement. Mais, dans le CECRL
(chapitre 7 :
Les tâches et leur rôle dans l’enseignement des langues »), la tâche est définie d’une
manière globale, voire floue, ainsi qu’il apparaît dans cette définition : « Les tâches
ou activités sont l’un des faits courants de la vie quotidienne dans les domaines
personnel, public, éducationnel et professionnel. L’exécution d’une tâche par un
individu suppose la mise en œuvre stratégique de compétences données, afin de
mener à bien un ensemble d’actions finalisées dans un certain domaine avec un but
défini et un produit particulier. La nature des tâches peut être extrêmement variée
et exiger plus ou moins d’activités langagières (CECRL, 2001 : 121, je souligne).
35 La tâche est seulement esquissée dans ses contours : ne sont précisées de la tâche que
ses possibles variations en fonction des apprenants, des supports qu’elle mobilise, du
temps, du but. Et rien n’est dit sur son opérationnalisation méthodologique.
36 Toutefois, il est possible de réduire ce flou de la tâche en rappelant que la tâche dans le
Cadre doit beaucoup au courant méthodologique anglo-saxon dénommé Task Based
Learning (ou TBL)13 qui caractérise ainsi la tâche :
"1 – A task is a workplan. [...] « 1 – Une tâche est une programmation de travail. [...]
2 – A task involves a primary focus on meaning. 2 – Une tâche implique une focalisation fondamentale
[...] sur le sens. [...]
3 – A task involves real-world processes of 3 – Une tâche implique les processus d’utilisation du
language use. [...] langage utilisés dans le monde réel. [...]
4 – A task can involve any of the four language 4 – Une tâche peut impliquer chacune des quatre
skills. [...] habilités langagières. [...]
5 – A task engages cognitive processes. [...] 5 – Une tâche engage des processus cognitifs [...]
6 – A task has a clearly defined communicative 6 – Une tâche a un résultat communicatif nettement
outcome. [...]" (Ellis, 2003/9/10) défini. [...] » (Traduction personnelle).
39 Recourir au concept de genres de discours conçu, comme nous venons de le voir avec la
procédure en cas d’accident, en tant que régulations opérant à différents niveaux du
feuilleté textuel me semble particulièrement pertinent pour l’enseignement/
apprentissage des discours professionnels. En effet, dans le nécessaire traitement des
textes en circulation dans les différents domaines professionnels, il est alors possible de
substituer une approche holistique et systémique qui corrèle des éléments matériels,
iconiques, langagiers et culturels, qui dessine des contenus d’enseignement plus larges
et plus efficients à une approche encore trop souvent focalisée sur des actes de parole,
trop souvent morcelée entre faits grammaticaux et apports lexicaux massifs.
40 Mais le pouvoir de régulation des genres de discours ne se limite pas au langage, il
s’étend aussi aux actions physiques. Clot parle alors de « genres sociaux d’activités »
(1999 : 174), de « genres professionnels » (2008 : 102). Pour lui, les « genres sociaux
d’activités » règlent le langage et l’action, le comportement humain (dans ses
dimensions corporelles, langagières et affectives) dans le travail ainsi que le démontre
cette citation :
Ce sont des règles de vie et de métiers pour réussir à faire ce qui est à faire, des
façons de faire avec les autres, de sentir et de dire, des gestes possibles et
impossibles dirigés à la fois vers les autres et sur l’objet. Finalement, ce sont les
actions auxquelles nous invite un milieu et celles qu’il désigne comme incongrues
ou déplacées (1999 : 44).
41 Ces genres sociaux d’activités présentent de plus la particularité de fonctionner d’une
manière tacite : « L’intercalaire social du genre est un corps d’évaluations communes
qui règlent l’activité personnelle de façon tacite. (idem : 34) et ils constituent une
« culture professionnelle collective » (ibid : 31), « souvent invisible de l’extérieur,
distribuée, « naturelle », impalpable et, en un mot, prise dans l’action » (ibid : 35), propre
à un domaine d’activité spécifique, donc opaque à un étranger au domaine et plus
encore à un étranger à la culture dans laquelle se réalisent ces genres sociaux d’activité.
42 Sur un chantier de BTP, ces genres professionnels interviennent par exemple dans ce
que l’on appelle le phasage du chantier ou « scénario général de réalisation du
chantier » (Médina, 2008 : 10), « composé des différentes phases de réalisation suivant
un ordre d’exécution précis » qui règle les actions sur le chantier, qui dicte et articule le
langage et l’action dans les activités de coopération (à l’intérieur d’un corps de métiers
ou entre corps de métiers différents). Lors de la mise en œuvre du phasage, il est alors
fait appel au genre professionnel qui fournit un « stock de "mises en actes", de "mises
en mots" » (Clot, 2008 : 107) qui viennent combler les vides de la prescription.
84
NOTES
1. Ces recherches s’inscrivent elles-mêmes dans le droit fil des propositions de Bakhtine (1984).
2. Support et modalités formelles constituent souvent les premiers indices pour une
reconnaissance du genre de discours.
3. « Ce qu’on appelle un "texte", ce n’est donc pas un contenu qui se fixerait sur tel ou tel
support, il ne fait qu’un avec son mode d’existence matériel : mode de support/ transport et de
stockage, donc de mémorisation » (Maingueneau, 1998 : 54).
4. « Coénonciateurs », écrit sans trait d’union, signale l’intégration dans une seule désignation de
l’énonciateur et du destinataire d’un genre.
5. Fait que rappelle Maingueneau en ces termes : « La parole dans un genre de discours ne va pas,
en effet, de n’importe qui vers n’importe qui » (1998 : 52).
6. « Acte de langage d’un niveau de complexité supérieure, un genre de discours est soumis lui
aussi à un ensemble de conditions de réussite » (Maingueneau, 1998 : 51).
7. Adam fait sienne cette conception de Viehweger : « "Les analyses concrètes montrent que les
actes illocutoires qui constituent un texte forment des hiérarchies illocutoires avec un acte
illocutif dominant étayé par des actes illocutoires subsidiaires rattachés à l’acte dominant par des
relations dont le caractère correspond aux fonctions que ceux-là remplissent vis-à-vis de celui-
ci" (Viehweger, 1990 : 49) » (Adam, 1999 : 60).
8. « Communicative purpose has been nominated as the privileged property of a genre » (Swales, 1990 :
52).
9. « On voit donc que les stratégies argumentatives que la rhétorique classique rapporte au logos,
à l’éthos et au pathos, sont en partie modelées par le genre de discours sélectionné » (Amossy,
2000 : 170).
10. Voir notamment Adam, 1992.
11. Falzon appelle « langages opératifs », des langages qui, « directement modelés par les
connaissances propres à l’activité, c’est-à-dire par des connaissances opératives » (1989 : 43) ont
« un objectif d’économie : ils permettent d’optimiser les échanges verbaux, par la communication
d’une quantité adéquate d’information, par la construction de termes référentiels elliptiques et
par différentes simplifications des processus de production ou de compréhension » (1989 : 52).
12. Beacco, 2007 : 93.
85
13. Deux théoriciens majeurs du TBL figurent d’ailleurs dans la bibliographie du Cadre Nunan,
Skehan.
14. Cf. le point 1 de la définition d’Ellis (2003 : 9/10), mentionnée supra : « 1 – Une tâche est une
programmation de travail [...] ».
AUTEUR
JEAN-JACQUES RICHER
Université de Bourgogne
86
Un référentiel de compétences
langagières pour les métiers du
bâtiment et travaux publics
Jean-Marc Mangiante
1. Introduction
1 ’insertion professionnelle constitue un enjeu majeur de l’accueil et de l’intégration des
populations migrantes pour l’ensemble des institutions et organismes impliqués dans
leur processus d’insertion, que ce soit aux plans politique, économique, social, éducatif
ou linguistique. S’intégrer dans l’entreprise détermine souvent les autres formes
d’insertion dans le tissu socioculturel d’accueil. Il n’est qu’à se reporter à la situation
vécue par les personnes installées qui ont perdu leur emploi et qui vivent cet
événement comme un véritable déclassement social et culturel qui entraîne souvent
une exclusion de la société.
2 Imaginons les difficultés d’une mauvaise adaptation aux situations de travail pour des
populations déjà fragilisées par les différences culturelles et sociales qui les
marginalisent.
3 L’intégration professionnelle n’est certes pas suffisante mais elle est essentielle à une
intégration réussie au sein du pays d’accueil car elle fait prendre conscience au migrant
de son utilité, du rôle qu’il peut jouer dans la société.
4 La prise en compte des situations professionnelles dans les formations linguistiques est
souvent insuffisante en raison principalement des difficultés pour l’enseignant de
disposer de matériel pédagogique, d’informations et de documents authentiques issus
d’un domaine qui lui est étranger le plus souvent.
5 Les entreprises, même si nombre d’entre elles sont conscientes de la nécessité des
formations linguistiques de leur personnel étranger, hésitent à laisser entrer des
formateurs pour procéder à des observations, des enregistrements, un recueil des
documents.
87
2. Le contexte du projet
10 Le projet s’inscrit dans le cadre du Plan Pluri-Formations (PPF) FULS : Formes et Usages
des Lexiques Spécialisés, piloté par l’Université Stendhal de Grenoble 3 et le laboratoire
de recherche LIDILEM, consacré à la construction d’un corpus de lexique spécialisé à
destination des chercheurs et didacticiens en langue. Au côté d’un axe consacré aux
« discours universitaires » et à l’élaboration d’un recueil des colocations issues des
lexiques spécialisés qui y sont employés, figure un axe « discours et référentiels
professionnels » qui consiste à observer, recueillir et analyser les pratiques langagières
des situations de travail dans le domaine du BTP afin d’établir un référentiel de
compétences.
11 Le projet, commencé en 2007, doit aboutir à la fin de cette année à la mise en ligne de ce
référentiel sur une plateforme numérique interactive ouverte aux professionnels ayant
participé à sa réalisation, mais aussi aux chercheurs, enseignants, étudiants et
formateurs susceptibles de monter des formations linguistiques aussi bien pour le
public migrant que, plus généralement, pour le public en voie d’insertion sociale,
analphabète ou illettré.
12 Secteur en tension faisant face encore, malgré la crise, à une pénurie de main d’oeuvre
qui commence à toucher également les postes à responsabilité, le BTP est confronté à la
problématique de l’intégration linguistique par la coexistence sur les chantiers de
nombreux travailleurs migrants de nationalités et langues différentes. Par ailleurs, la
88
5. La maquette du référentiel
34 L’ensemble des données collectées, analysé pour en dégager les compétences
langagières associées aux discours, fera l’objet d’un classement et d’une exploitation
didactique sous forme d’activités pédagogiques. La maquette du référentiel comporte
trois parties complémentaires pour ordonner les données, en rendre l’accès plus facile
et pour couvrir l’ensemble des besoins de ses utilisateurs potentiels :
• Le contexte de la communication professionnelle avec des appuis documentaires ;
• Les listes de compétences classées par tâches et métiers ;
• Les aides et commentaires.
35 Ainsi un ensemble de liens avec les référentiels métiers existants (AFPA, Québec, Pôle
Emploi...), permet d’établir une relation avec les compétences langagières présentes sur
le référentiel, complétée par la liste des situations professionnelles observées par les
stagiaires et dont les tâches ont été isolées. Pour chaque situation, les compétences
langagières sont indiquées avec l’ensemble des outils associés : verbaux (lexique
spécialisé et colocations, syntaxe récurrente avec un concordancier) et (audio) visuels
(photos, dessins, fichier son, extraits vidéo classés selon le phasage du chantier, avec les
transcriptions).
36 Des exemples d’énoncés sont donc fournis avec des exemples d’activités pédagogiques,
des commentaires et des conseils méthodologiques destinés à des formateurs, étudiants
ou évaluateurs. L’ensemble du référentiel sera disponible sur Internet, sur une
plateforme numérique interactive accessible sur inscription.
37 Comme le montre la page d’accueil du référentiel, cinq métiers ont été ciblés par
l’étude, correspondant aux priorités de la profession : ouvrier manœuvre, coffreur-
bancheur, maçon VRD, chef d’équipe gros œuvre et canalisateur. Un sixième est en
cours d’analyse : celui de ferrailleur. Le choix d’une entrée par métier s’explique
également par la demande de formation linguistique du secteur du BTP qui est souvent
92
très précise sur des groupes de métiers spécifiques. Le référentiel prévoit néanmoins
aussi une entrée par les compétences transversales aux différents métiers :
43 /mets la lunette ici//mets un point là-bas//tu les alignes//prends la tête/ (la tête du
piquet)/je te file le plan ; tu regardes et tu me dis quoi//je commence par où ?//il y a
combien de pente ? 1 % //et si on montait un peu ?//ce serait pas mieux de passer par
là ?/
44 On voit bien ici le caractère situé du discours nécessitant l’image (mets la lunette ici//
mets un point là-bas), les consignes même sans relation hiérarchique (tu les alignes//
prends la tête). Ce sont des énoncés « en action » accompagnant la tâche, participant à sa
94
réalisation et on mesure les dangers ou les erreurs possibles si des locuteurs allophones
ne comprennent pas ou sont incapables d’exprimer ces paroles au cours de leur travail.
« sur et dans » l’action (après tu va régler ton laser et une fois qu’il sonne, et ben t’es bon... Dès
qu’y bipe, une fois qu’t’as tracé sur la planche un mètre cinquante, tu viens positionner).
47 La première photo a fait l’objet d’un travail sur la description du matériel et sur des
échanges simulés à partir de situations sur l’échafaudage. La seconde photographie
permet un travail sur le texte qui peut donner lieu à la rédaction de consignes de
sécurité, à des descriptions et des explications sur les types de produits dangereux, leur
mode de stockage, les tâches à réaliser en cas de problème, de fuite..., les énoncés de
prévention des risques.
48 Ces quelques exemples sont destinés à montrer un aperçu de l’utilisation possible du
référentiel quand il sera achevé et mis en ligne. Conçu à partir d’une open source
transférable sur une plateforme interactive de type Moodle, MOS CHORUS est une
application web, un éditeur de contenu pour créer des parcours de formation et
d’activités dont l’apparence peut être modifiée par un éditeur de style. Il comporte
aussi un éditeur d’interface pour personnaliser l’environnement de l’utilisateur et un
outil d’administration pour gérer les utilisateurs, parcours, styles et interfaces. Il
présente également un système de formation collaboratif en ligne, à partir duquel les
utilisateurs pourront s’exprimer et déposer des commentaires, des documents, des
ressources.
AUTEUR
JEAN-MARC MANGIANTE
Université d’Artois – Grammatica
97
La formation linguistique en
contextes d’insertion : quelle
professionnalité ? Quel
accompagnement formatif à la
construction de cette
professionnalité ?
Aude Bretegnier
Préambule
1 Il s’agit ici de présenter un travail collectif, en cours de finalisation, qui porte sur la
question de la professionnalisation et de la professionnalité dans le champ de la
« formation linguistique en contextes d’insertion »1. Ce champ, que l’on propose de
désigner comme celui de la formation en « français langue d’insertion » (Castellotti et
Chalabi éds., 2006 ; Bretegnier, 2008, 2009), concerne des publics adultes ou jeunes
adultes en cours et en difficulté d’insertion sociale, professionnelle. Ces publics peuvent
relever de la « formation linguistique des migrants » (Adami, 2009), de l’alphabétisation
et/ou du français langue seconde, mais aussi du réapprentissage des savoirs
linguistiques de base (Leclercq, 2004 ; 2008).
2 Dans ce travail, l’identification de ce champ transversal est une hypothèse que font
ensemble des chercheurs spécialistes de sociolinguistique, didactique des langues,
sciences de la formation linguistique d’adultes, et des praticiens, formateurs,
encadrants de formateurs, responsables d’organismes de formation ou de
positionnement linguistique, chargés de missions et de projets, dans les secteurs de
l’insertion socioprofessionnelle et linguistique, la prise en charge formative des publics
migrants, la lutte contre la discrimination par la langue et l’illettrisme, les politiques
linguistiques et éducatives.
98
3 Cette idée de transversalité ne doit nullement être entendue comme impliquant une
minimisation de l’hétérogénéité de ces publics, qui doivent être envisagés dans la
diversité de leurs parcours et profils d’apprenants (allophones ou non, diversement
scolarisés antérieurement), et auprès desquels l’intervention formative appelle un
travail d’ingénierie pédagogique adapté à des besoins en partie spécifiques. Mais dans
cette pluralité complexe, des transversalités sont notamment liées à cette articulation
forte, dans le parcours des apprenants, entre la langue et l’insertion. Ici l’objectif de la
formation linguistique n’est plus tant l’apprentissage de la langue que la mise en
dynamique plus globale de parcours de mobilité, d’intégration, d’insertion sociale, pour
l’accomplissement desquels l’appropriation linguistique constitue une ressource sociale
et symbolique de premier plan.
4 L’hypothèse est donc aussi celle de transversalités en termes de compétences
professionnelles, dont un premier ensemble se dessine dans une capacité d’analyse de
la manière dont s’articulent les processus d’appropriation linguistique et de mobilité,
d’insertion-intégration sociale, de ce que cela implique dans la conception de l’action
formative, de la manière dont ces articulations se jouent dans le contexte de la
formation.
11 Le choix du terme « cadre de référence » n’est bien entendu pas anodin. Comme
l’explique Véronique Leclercq dans le travail à paraître, le travail en construction ne
vise pas l’élaboration d’une nomenclature à prétention exhaustive, autrement dit ne
vise pas la construction d’un « référentiel », que ce soit d’activités professionnelles ou
de certification, dont l’histoire montre qu’ils « ont souvent été jugés rigides, difficiles
d’accès, peu exploitables, abstraits, opaques » (Leclercq, ibid.).
12 Ici, l’idée est de concevoir une ressource souple, ouverte, appropriable, un répertoire
de compétences professionnelles diversement transversales, doublé d’un ensemble de
100
(concernant les migrants), quel que soit leur bagage antérieur scolaire et
professionnel9.
23 Contextualiser son action, ce serait ainsi chercher à resituer la formation linguistique
dans son histoire-contextes, ce qui, en centrant la réflexion du point de vue des
apprenants, conduit à interroger le rapport qu’ils construisent à cette situation de
formation linguistique, le sens qu’il a / prend pour eux, les enjeux, sociaux, existentiels,
que ce projet sous-tend dans leurs parcours socio-biographiques (Bretegnier, 2008,
2009). Ainsi : Quelles représentations ont donc les apprenants des parcours d’insertion
/ intégration dans lesquels ils sont amenés à s’inscrire ? Quel rapport ont-ils à la langue
/ variété investie comme emblème de ces parcours ? Comment cette langue s’insère-t-
eï\e en retour dans les répertoires linguistiques ?
24 Contextualiser son action, donc, pour être à même de mieux analyser les difficultés et
proposer des solutions adaptées, pour mieux comprendre les dynamiques, quelquefois
contradictoires, dans lesquelles sont engagés les publics.
25 Comprendre par exemple qu’il peut être difficile de se mettre en position d’apprenant
adulte, si l’on n’a pas été scolarisé, si cette scolarité n’a pas permis la construction de
compétences fonctionnelles et/ou reconnues comme telles, ou encore si ce retour en
formation, éventuellement obligatoire, fait écho, pour l’apprenant, à une situation plus
large qui génère des formes de non reconnaissance, de déclassement social, de
stigmatisation, associées au parcours de migration-insertion en cours.
26 La notion de « difficultés », en particulier vivace dans ce champ, est pourtant délicate,
car comment parler de difficulté sans figer dans la difficulté, sans enfermer l’analyse du
processus de son émergence dans une logique restrictivement déterministe, peu
propice à la construction d’une conception dynamique de la formation, comme
processus interactionnel ?
notamment d’expliciter les critères, les modalités et les pratiques à l’aune desquels on
peut envisager à la fois d’exercer, mais aussi d’évaluer, une telle compétence.
ANNEXES
ANNEXE
Liste des contributeurs (par ordre alphabétique)
Hervé ADAMI, Université de Nancy 2
Nathalie AUGER, Université de Montpellier 3
Aude BRETEGNIER, Université de Tours
Claire CARRE, AFFIC, Direction du CRIA 37, Tours
Cécile DOUILLARD, coordinatrice pédagogique pôle FLE/S, UFCV, Tours
Sophie ÉTIENNE, docteure, chargée de mission, Fédération des AEFTI, Montreuil
Claire EXTRAMANIA, DGLFLF, Paris
Nathalie GETTLIFFE, Université de Strasbourg
Cécile GOI, DYNADIV, Université de Tours
Catherine GUILLAUMIN, Université de Tours
Emmanuelle HUVER, Université de Tours
Mylène JACQUET, Université de Montpellier 3
Véronique LECLERC, Université de Lille 1
Marie MANARDO, Formatrice FLE/S-Insertion, Tours
Jean-Marc MANGIANTE, Université d’Artois
Muriel MOLINIE, Université de Cergy-Pontoise
Christophe PORTEFIN, docteur, formateur, coordinateur pédagogique
Jean-Christophe RALEMA, GIP Alpha-Centre, ANLCI, Orléans
Katia VAN DER MEULEN, Doctorante, Laboratoire LIDILEM
Anne VINERIER, AFFIC, fondatrice de FARCLI, Tours
NOTES
1. Aude Bretegnier (Coord.). Liste des contributeurs en fin d’article. Dépôt prévu pour édition :
fin 2010. Partenaire éditorial : Fédération nationale des AEFTI, Montreuil. Projet bénéficiant d’un
105
AUTEUR
AUDE BRETEGNIER
Université de Tours, EA 4246 DYNADIV
106
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