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Artois Presses Université 

L’Intégration linguistique des migrants


Jean-Marc Mangiante (dir.)

DOI : 10.4000/books.apu.7633
Éditeur : Artois Presses Université
Lieu d’édition : Arras
Année d’édition : 2011
Date de mise en ligne : 24 juin 2020
Collection : Études linguistiques
EAN électronique : 9782848324159

https://books.openedition.org

Édition imprimée
EAN (Édition imprimée) : 9782848321417
Nombre de pages : 148

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Référence électronique
MANGIANTE, Jean-Marc (dir.). L’Intégration linguistique des migrants. Nouvelle édition [en ligne]. Arras :
Artois Presses Université, 2011 (généré le 12 juin 2023). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/apu/7633>. ISBN : 9782848324159. DOI : https://doi.org/10.4000/books.apu.
7633.

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© Artois Presses Université, 2011


Licence OpenEdition Books
1

Cet ouvrage réunit les contributions de chercheurs, enseignants, didacticiens et praticiens de la


langue, qui se proposent de dresser l’état des lieux et les perspectives de l’intégration
linguistique et culturelle des migrants dans le monde professionnel et la société dans son
ensemble. Loin de constituer un bilan ou un inventaire d’initiatives forcément en cours de
constitution étant donné le caractère fluctuant de cette problématique, cet ouvrage collectif
tente d’expliquer les approches actuelles en matière d’ingénierie pédagogique, d’analyse et de
pratique linguistique, d’évolution des processus d’insertion linguistique afin d’inciter à la
construction de dispositifs de formation cohérents et efficaces, fondés sur la synergie des
différents acteurs et la mutualisation des ressources.

JEAN-MARC MANGIANTE
Université d'Artois - Grammatica
2

SOMMAIRE

Introduction
Jean-Marc Mangiante

Formation linguistique des migrants : principes didactiques et enjeux actuels

Des politiques publiques de formation en français


Claire Extramiana
1. La maîtrise de la langue comme enjeu des dispositifs de formation publics
2. L’apprentissage du français pour les migrants adultes

La formation linguistique des migrants : lignes de force en didactique


Véronique Leclerc
1. Introduction
2. Les années 1960 : le « bricolage » dans l’enseignement du français aux migrants
3. Les années 1970 : sous le signe du renouveau didactique
4. Les années 80 : la volonté de rationalisation et d’optimisation de l’intervention éducative
5. Les années 90 : vers un cadrage didactique plus affirmé
6. Les années 2000 : des enjeux nouveaux pour l’enseignement du français, langue d’intégration et
d’insertion
7. Conclusion

Parcours migratoires et intégration langagière


Hervé Adami
Introduction
1. Notions pièges et faux-débats
2. La migration comme parcours
3. Les insécurités langagières
Conclusion

Démarche didactique de l’insertion socioprofessionnelle par la langue

Du FLE au FLP : quelles questions pour enseigner ? Témoignage


Emmanuelle Daill
1. Former des professionnels, qu’est-ce que cela implique ?
2. Comment apprend-on à l’âge adulte ?
3. Qu’est-ce qui change dans la mise en œuvre du cours de FLP en classe ?

Didactique du français compétence professionnelle : quelles avancées, quelles perspectives ?


Mariela De Ferrari
1. Un champ en émergence : du FOS au FLP
2. 2004-2005 : études, constats et préconisations
3. 2006-2008 : des préconisations aux productions, un outil de positionnement transversal
4 Mise en perspective
3

Outils didactiques et contenus de formation linguistique. Quelle formation


des formateurs en insertion ?

L’apport des genres de discours pour l’enseignement/apprentissage des discours


professionnels
Jean-Jacques Richer
1. Se doter d’un concept de genres de discours opératoire
2. Quels impacts entraîne le recours au concept de genre de discours pour l’enseignement/
apprentissage des discours professionnels ?

Un référentiel de compétences langagières pour les métiers du bâtiment et travaux publics


Jean-Marc Mangiante
1. Introduction
2. Le contexte du projet
3. La démarche suivie et l’ancrage scientifique
4. Les outils de traitement et d’analyse
5. La maquette du référentiel
6. Premiers résultats de l’étude
7. Conclusion : limites et contraintes du projet

La formation linguistique en contextes d’insertion : quelle professionnalité ? Quel


accompagnement formatif à la construction de cette professionnalité ?
Aude Bretegnier
Préambule
1. Contextualiser le projet pour en clarifier les objectifs
2. Formation linguistique en contextes d’insertion : vers l’élaboration d’un cadre de référence
3. Un savoir « contextualiser »... sans tomber dans le piège de la surdétermination
4. Analyser les activités professionnelles pour identifier un répertoire de ressources

Bibliographie
4

NOTE DE L’ÉDITEUR
Cet ouvrage s’inscrit dans le Plan-Pluri-Formations Formes et Usages des Lexiques
Spécialisés (FULS), sous la direction de Cristelle Cavalla (Université Stendhal de
Grenoble — LIDILEM).
Ouvrage publié avec le concours de l’Université d’Artois, du Centre de Recherches
Grammatica, de l’association Arras Université et de la Banque Populaire du Nord, de la
Délégation générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF) du
Ministère de la Culture et de la Communication.
5

Introduction
Jean-Marc Mangiante

« "J’habiterai mon nom" fut ta réponse aux


questionnaires du port. »
Saint-John Perse, Exil (1942)
1 La question de l’intégration des populations migrantes a connu ces dernières années un
regain d’intérêt certain et de nombreux événements, politiques et institutionnels,
témoignent de l’importance et de l’influence qu’elle revêt dans la société actuelle
mondialisée et plurielle.
2 Les décisions prises par le législateur depuis cinq ou six ans modifient le rapport à
l’autre et placent la maîtrise linguistique et culturelle au cœur du processus d’insertion
des migrants dans la société d’accueil.
3 La loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au
dialogue social qui a inscrit l’apprentissage de la langue française dans le code du
travail constitue la première étape déterminante de ce processus. L’enseignement du
français figure explicitement parmi les types d’action de formation entrant dans le
champ de la formation professionnelle continue au titre de l’éducation permanente.
4 Dans le prolongement de cette loi, la création du Contrat d’Accueil et d’Intégration que
doit signer tout migrant, rendu obligatoire en janvier 2007, puis la détermination d’un
niveau minimum requis dans le cadre du CAI et validé par un nouveau diplôme, le D1LF
(Diplôme Initial de Langue Française), confèrent à la langue un rôle essentiel dans la
démarche volontaire d’intégration des migrants.
5 Une volonté de simplification et de rationalisation des différents organismes en charge
de la politique d’intégration s’est dégagée par la suite et a permis d’y voir plus clair
dans le paysage confus de l’accueil et de l’accompagnement des migrants. La création
de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) par un décret de
mars 2009, devenu aujourd’hui l’opérateur unique de l’État en charge de l’intégration
des migrants durant les 5 premières années de leur séjour en France, atteste de cette
simplification affichée.
6 Le dispositif actuel est composé d’un accueil sur une plate-forme et du CA1 auquel est
lié un certain nombre de prestations correspondant à une conception spécifiquement
6

française de l’intégration, c’est-à-dire, fondée sur une relation directe et individuelle


entre l’État français et le citoyen et non sur une conception communautariste, selon le
modèle anglo-saxon.
7 Pour autant, de nombreuses questions restent en suspens au sein du volet linguistique
et culturel de l’accueil et de l’insertion des migrants : le niveau de langue et le mode
d’évaluation, les contenus de formation et les conditions matérielles, méthodologiques
et institutionnelles des formations linguistiques à mettre en place, les relations entre la
culture d’origine et la culture d’accueil au sein du processus d’acculturation, subie ou/
et voulue par les migrants, l’intégration linguistique dans le milieu professionnel avec
les besoins avérés d’outils et de ressources issus du monde du travail, la formation des
formateurs en langue dans ce champ de la didactique des langues, qui sans être
nouveau apparaît en pleine mutation et complexité, à la charnière du FLS/FOS/FLP 1...,
autant de questions qui ont émergé au récent colloque organisé par l’Université
d’Artois en mai 2008 (Langue et Intégration socioprofessionnelle).
8 Ce colloque a permis de faire émerger dans le champ de la didactique du français une
véritable macro-compétence langagière d’intégration transversale aux différents
contextes de l’insertion au sein d’une société d’accueil – l’école, l’université,
l’entreprise, la société – nécessitant de repenser l’acte d’apprentissage de la langue
dominante et de se dégager de la traditionnelle distinction entre FLM 2/FLE/FLS/FOS.
9 Qu’en est-il aujourd’hui presque trois ans plus tard des prolongements de ce concept
émergeant ? Avons-nous, à défaut de réponses définitives, des perspectives, des projets
en cours, de nouveaux dispositifs de formation...?
10 Cet ouvrage réunit les contributions de chercheurs, enseignants, didacticiens et
praticiens de la langue, qui se proposent ainsi de dresser l’état des lieux et les
perspectives ouvertes par leur réflexion sur les conditions de l’intégration linguistique
des migrants dans le monde professionnel et la société dans son ensemble.
11 Loin de constituer un bilan ou un inventaire d’initiatives forcément en cours de
constitution étant donné le caractère fluctuant de cette problématique, cet ouvrage
collectif tente d’expliquer les approches actuelles en matière d’ingénierie pédagogique,
d’analyse et de pratique linguistique, d’évolution des processus d’insertion linguistique
afin d’inciter à la construction de dispositifs de formation cohérents et efficaces, fondés
sur la synergie des différents acteurs et la mutualisation des ressources.
12 La première partie fixe les principes didactiques et les enjeux actuels de la formation
linguistique des migrants. Claire Extramiana dresse le cadre institutionnel du processus
d’accueil et d’intégration des migrants aujourd’hui, en montrant dans quelle mesure la
formation linguistique s’articule avec cohérence à l’ensemble des mesures prises en
matière d’accueil des migrants. Véronique Leclerc met en perspective ce tableau
institutionnel de l’intégration linguistique en le situant dans l’histoire comme le fruit
d’une évolution des mentalités et des représentations des migrants. Elle décrit et
explique ainsi l’évolution pédagogique et institutionnelle de la formation linguistique
des migrants pour en dégager les principes essentiels.
13 Hervé Adami analyse sous l’angle migratoire l’intégration linguistique des migrants en
s’appuyant aussi sur son évolution et en nous montrant combien le processus
d’apprentissage dans ce contexte particulier est complexe.
14 La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse d’avantage au volet didactique de
l’intégration socioprofessionnelle par la langue en confrontant le témoignage d’une
7

enseignante de FLE à l’Alliance française de Paris, Emmanuelle Daill, à la réflexion sur


les compétences langagières transversales requises pour l’intégration professionnelle,
menée par Mariela De Ferrari. E. Daill raconte les obstacles rencontrés dans les
formations linguistiques pour migrants qu’elle a assurées et décrit les paramètres dont
l’enseignant de FLE doit tenir compte dans la conception et l’animation de son cours,
autant de données qui nécessitent la coopération de tous les acteurs concernés. Mariela
De Ferrari, de son côté, illustre la pertinence d’une collaboration entre chercheurs,
didacticiens et professionnels pour dégager les outils de formation nécessaires à
l’intégration linguistique des migrants. La synergie des équipes a permis de constituer
les bases d’une ingénierie de la formation linguistique centrée sur la notion de français
langue professionnelle.
15 La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux outils didactiques et aux contenus de
formation linguistique qui découlent de la réflexion développée dans les parties
précédentes.
16 Jean-Jacques Richer convoque la théorie linguistique des genres textuels dans l’analyse
et l’exploitation des documents professionnels écrits, en l’occurrence, il développe sa
réflexion sur une affiche de prévention et de sécurité dans le secteur du Bâtiment et
Travaux Publics (BTP).
17 Jean-Marc Mangiante décrit le projet d’élaboration d’un référentiel de compétences
langagières pour le secteur du BTP, mis en place à l’université d’Artois, et analyse
quelques extraits des discours professionnels recueillis sur les chantiers dans le cadre
de cette démarche de référentialisation.
18 Enfin Aude Bretegnier présente le projet de référentiel de compétences pour les
formateurs en contexte d’insertion linguistique des migrants, fruit du travail d’un
dispositif de chercheurs en sociolinguistique et didactique des langues.
19 Toutes les références bibliographiques figurent à la fin de l’ouvrage. Seuls les titres
d’outils et manuels méthodologiques sont mentionnés en annexe à la fin de certains
articles (V. Leclercq, M. de Ferrari).
Comité scientifique de l’ouvrage :
Lucile CADET (Université Paris 8), Catherine CARRAS (Université Stendhal de Grenoble),
Jan GOES (Université d’Artois), Jean-Marc MANGIANTE (Université d’Artois), Françoise
OLMO (Université polytechnique de Valence – Espagne), Chantal PARPETTE (Université
Lyon 2).

NOTES
1. Français langue seconde, Français sur objectif spécifique, Français langue professionnelle.
2. Français langue maternelle.
8

Formation linguistique des


migrants : principes didactiques et
enjeux actuels
9

Des politiques publiques de


formation en français
Claire Extramiana

1 Tout d’abord, il y a lieu de considérer le sujet d’aujourd’hui, l’apprentissage du français


pour l’intégration, comme une partie d’un tout que constituent les dispositifs publics
d’apprentissage du français pour les adultes.
2 Un premier constat est que la maîtrise du français, notamment à l’écrit, occupe une
place prépondérante dans les politiques publiques de formation pour les adultes. Si l’on
choisit de considérer les dispositifs, qui forment une architecture complexe, il
convenait de distinguer jusqu’à peu dans ce domaine d’une part la lutte contre
l’illettrisme et les savoirs fondamentaux ou savoirs de base (formation de base) pour
des publics peu scolarisés et peu qualifiés, d’autre part l’apprentissage du français
comme langue étrangère pour les personnes non francophones n’ayant pas été
scolarisées en langue française. Un second constat est que les dispositifs sont évolutifs.
Deux exemples illustrent ce constat pour la période récente :
• les formations aux compétences clés viennent se substituer partiellement aux formations
aux savoirs fondamentaux ;
• le niveau de langue ciblé pour les personnes bénéficiaires des formations de l’Office Français
de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) est relevé.
3 Cet article a pour objet l’examen des politiques publiques, la question posée étant de
quelle manière elles répondent aux besoins de maîtrise de la langue française. Après un
bref aperçu sur les différents dispositifs que nous venons d’évoquer, nous proposerons
quelques éléments de compréhension sur la question de l’intégration linguistique des
migrants adultes en France. Nous nous limiterons ici volontairement à l’intervention de
l’État en laissant de côté, faute de temps, les collectivités territoriales (les régions pour
l’insertion professionnelle des jeunes de 16 à 25 ans et les départements pour les
bénéficiaires du revenu de solidarité active en particulier, de même que les Plans
Locaux Pluriannuels pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) soutenus par le Fonds Social
Européen). S’agissant de l’intervention de l’État, nous présenterons le cadre légal
en 2009, quelques tendances à l’œuvre au cours des dernières années dans la mise en
place du dispositif d’apprentissage, le nouveau dispositif en 2010 pour finir. L’exposé
10

débouchera sur les perspectives ouvertes par les travaux du Conseil de l’Europe, une
manière de rappeler la dimension européenne de notre sujet.

1. La maîtrise de la langue comme enjeu des


dispositifs de formation publics
1.1. Les financements publics

4 Considérons dans un premier temps les financements publics relatifs aux savoirs
fondamentaux et à la lutte contre l’illettrisme. Comme on peut lire dans
l’édition 2009 du Rapport au parlement sur l’emploi de la langue française 1(p. 81), les crédits
de l’État consacrés à la lutte contre l’illettrisme s’élevaient en 2007 à 24,3 millions
d’euros, dont 7,3 millions au titre du Fonds Social Européen (FSE). Les ateliers de
pédagogie personnalisée (APP), qui forment aux savoirs fondamentaux dans les
domaines de la culture et des apprentissages technologiques, disposaient en 2006 d’un
budget total de 84 millions d’euros. Le budget des APP enfin se répartissait
en 2007 entre les financeurs suivants : ministère chargé de l’emploi 33,8 %, FSE 17,3 %,
conseils régionaux 23 %, conseils généraux 4 %, communes et intercommunalités 2,5 %,
ASSEDIC 0,5 %, employeurs (FAF/OPCA FONGECIF) 9,3 %, particuliers 2,1 %, autres 7 %.
5 Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement des conseils régionaux (hors Guyane,
PACA et Languedoc-Roussillon) relatives à la maîtrise des savoirs fondamentaux et à la
lutte contre l’illettrisme s’élevaient en 2007 à 9,9 millions d’euros.
6 Ces quelques chiffres, pour incomplets qu’ils soient, font apparaître la diversité des
organismes financeurs : État, collectivités territoriales, employeurs... qui est la preuve
d’une préoccupation de la part des pouvoirs publics.
7 Cette préoccupation vaut également pour l’administration pénitentiaire qui conduit
auprès de la population carcérale des actions de repérage de l’illettrisme, de formation,
d’accès à des bibliothèques et à des activités d’écriture enfin.

1.2. La formation des salariés

8 Du côté des employeurs, on constate une prise en compte de la maîtrise de la langue,


qu’il s’agisse de la fonction publique territoriale ou des entreprises cherchant à
recruter pour des emplois dits à bas niveaux de qualification. Ainsi la loi
du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale fait figurer les actions de
lutte contre l’illettrisme et pour l’apprentissage de la langue française parmi les actions
éligibles à la formation de ses agents. Dans les secteurs qui recrutent des salariés
faiblement qualifiés, les petites et moyennes entreprises bénéficient dans la période
récente d’accords de branche permettant des actions de formation dans le domaine des
savoirs fondamentaux, souvent en lien avec les tâches professionnelles. C’est
notamment le cas de la branche de la propreté, de l’artisanat du bâtiment et du BTP.
Les grandes entreprises, quant à elles, ont parfois un service interne de formation,
comme c’est le cas pour le spécialiste de restauration collective Avenance
Enseignement et Santé. Enfin, une multinationale comme Veolia environnement
propose à ses exploitations en France une démarche de formation aux savoirs
11

fondamentaux et prévoit de la décliner sous un format approprié à l’international


(Rapport au parlement sur l’emploi de la langue française, 2009, p. 82-83).
9 En ce qui concerne la formation professionnelle continue, la circulaire
du 3 janvier 2008 de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle
(ministère chargé de l’emploi) a pris en compte la recommandation 2006/962/CE du
Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour
l’éducation et la formation tout au long de la vie2. 11 en résulte que les dispositifs de
l’État relatifs à la lutte contre l’illettrisme et au soutien aux ateliers de pédagogie
personnalisée ont été remplacés par le Programme Compétences clés. Ce programme
s’appuie sur les cinq premières compétences clés énumérées et décrites par la
recommandation européenne du 18 décembre 2006, dont la première est la
communication en langue française.
10 Les actions spécifiques de formation aux compétences clés qui en découlent
représentent plus de 40 millions d’euros par an et ciblent les personnes ayant un faible
niveau de qualification, les demandeurs d’emploi étant concernés au premier chef.

2. L’apprentissage du français pour les migrants


adultes
2.1. Le cadre légal en 2009

11 Nous savons qu’un certain niveau de maîtrise de la langue française est exigé par la loi
et que l’intégration est envisagée comme un parcours comprenant différentes étapes,
lesquelles sont au nombre de quatre (on se reportera à l’édition 2009 du Rapport au
parlement sur l’emploi de la langue française, p. 88).
12 À l’étranger, une évaluation du degré de connaissance de la langue française et, si
besoin, une formation linguistique gratuite de 40 heures minimum sont réalisées pour
les étrangers membres de famille sollicitant un visa (loi du 20 novembre 2007 relative à
la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile). Le niveau visé est celui du DILF
(Diplôme Initial de Langue Française délivré par l’éducation nationale) qui valide les
premiers apprentissages en français oral et écrit.
13 À l’arrivée en France, le Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI) est signé par les
étrangers extra-communautaires âgés de 16 ans et plus qui sont orientés, en cas de
besoin, vers une formation au français (loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et
à l’intégration et décret d’application du 23 décembre 2006 relatif au CAI). Entièrement
gratuite pour le bénéficiaire et d’une durée maximale de 400 heures, cette formation
vise l’obtention du DILF. Près de 80 % des signataires obtiennent l’attestation
ministérielle de dispense de formation linguistique (AMDFL) et sont donc dispensés de
formation.
14 Après une durée de résidence en France de cinq ans, la délivrance d’une première carte
de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société
française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance jugée suffisante de la
langue française. Comme cela est prévu par le CAI, la réussite au DILF ou l’obtention de
l’AMDFL sont les critères de l’intégration réussie dans la société, notamment au regard
de la connaissance de la langue française (loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise
de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité).
12

15 La dernière étape du parcours d’intégration étant l’acquisition de la nationalité


française, les « conditions d’assimilation à la communauté française » sont
actuellement appréciées par le Code civil au regard d’une « connaissance suffisante,
selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la
nationalité française ».

2. 2. Un nouvel opérateur : l’Office Français de l’Immigration et de


l’Intégration (OFII)

16 Créé en 2007, le nouveau ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité


nationale et du Développement solidaire a poursuivi la politique relative à
l’apprentissage de la langue française mise en place par le gouvernement dès 2002. Il
s’est appuyé pour cela sur deux établissements publics administratifs, l’Agence
Nationale de l’Accueil des Étrangers et des Migrations (ANAEM) et l’Agence Nationale
pour la Cohésion Sociale et l’Égalité des Chances (ACSE).
17 Avec la création, en mars 2009, sur la base de l’ANAEM, de l’Office Français de
l’Immigration et de l’Intégration (OFII), le dispositif d’apprentissage du français a été
confié à ce nouvel opérateur en matière d’immigration et d’intégration qui met en
œuvre le contrat d’accueil et d’intégration et organise la préparation du parcours
d’intégration à l’étranger.

2. 3. Les grandes tendances à l’œuvre

18 Parmi les tendances observables on relèvera ici l’introduction du code des marchés
publics dans la procédure de sélection des organismes de formation, l’émergence d’une
démarche qualité, une prise en compte des profils des apprenants enfin qui va de pair
avec l’élévation du niveau de langue ciblé par les formations.
19 Comme cela a été observé à maintes reprises, l’introduction du code des marchés
publics dans la procédure de sélection des organismes de formation a eu pour effet de
transformer le secteur traditionnel de la formation pour les publics migrants adultes.
Ce secteur, qui reposait jusqu’à peu sur des associations à but non lucratif, lesquelles
concevaient leur activité comme un engagement social, a dû faire face à la mise en
concurrence des organismes de formation. Pour autant, la marchandisation de ce
secteur de la formation ne constitue pas une tendance intrinsèque mais concerne bien
de la même manière les autres dispositifs de formation évoqués plus haut. En 2010, ce
qu’il est convenu d’appeler le « marché de la formation linguistique » mis en place par
l’OFII, est ainsi divisé en 99 lots, chaque lot correspondant à un département, à
l’exception du département de la Réunion. Il s’agit donc d’un marché national pour
lequel le cahier des charges stipule que les prestations des organismes de formation
sont soumises à une évaluation ; on relève également que « la qualité des prestations
sera appréciée au regard du taux d’entrée en formation des publics CAI, du taux de
passation du DILF ou du DELF A1 de ces publics, et du taux de réussite aux examens ».
20 Sur le plan des objectifs de formation, l’année 2010 marque l’introduction de parcours
de formation diversifiés. Si le niveau A1.1 sanctionné par le DILF reste le niveau exigé
dans le cadre du CAI, il est désormais possible de poursuivre l’apprentissage du français
13

au-delà de ce premier niveau de base. Ce sont en tout quatre parcours qui doivent être
proposés aux termes du marché de l’OFII pour l’année 2010 :
• un parcours conduisant au DILF pour les publics non ou peu scolarisés ;
• un parcours conduisant directement au DELF Al pour les publics scolarisés dans leur langue
maternelle ;
• un parcours conduisant du DILF au DELF A1 pour les publics non ou peu scolarisés, de niveau
initial A1.1.
21 Ces trois types de parcours seront proposés aussi bien dans le cadre du CAI que des
formations dites « hors CAI ». Un quatrième type de parcours, conduisant au A2, sera
proposé uniquement dans le cadre des formations « hors CAI ». Il s’adressera aux
personnes ayant acquis le niveau Al au cours des formations précitées ou possédant ce
niveau initial.

2. 4. La formation linguistique pour les migrants, un segment de la


formation d’adultes

22 Ces quelques éléments de compréhension ayant été fournis, il est maintenant permis
d’esquisser à grands traits ce sur quoi l’action publique devrait s’intéresser afin de
poursuivre la construction de ce segment particulier de la formation d’adultes que
représente l’apprentissage de la langue aux fins de l’intégration. Les travaux que le
Conseil de l’Europe (www.coe.int/lang) a consacrés à ce sujet au cours des dernières
années, précisément en raison de son actualité politique, constituent une base de
réflexion. On se reportera ici au compte rendu du séminaire intergouvernemental de
juin 2008 sur « l’intégration linguistique des migrants adultes », et plus encore à celui
qui fera suite au séminaire du même nom de juin 2010.
23 L’examen des questions suivantes, telles qu’elles sont posées dans le cadre de ces
travaux, s’avère non seulement utile mais aussi nécessaire :
• Comment adapter l’offre de formation aux besoins des personnes en fonction de leurs
caractéristiques (degré de scolarisation, proximité ou éloignement de la langue d’origine,
situation personnelle et professionnelle) ?
• Comment répondre aux besoins linguistiques préalablement analysés afin de définir un
parcours d’apprentissage de la langue (situations de communication, niveaux de maîtrise de
la langue) ?
• De quelle manière prendre en compte la dimension interculturelle sous-jacente aux
apprentissages ?
• Comment évaluer les acquis ? Faut-il recourir à une certification ou au portfolio européen
des langues ?
24 Enfin, quelle démarche qualité mettre en place dans la conception et la mise en œuvre
de ces formations ?
25 A ces questions concernant l’ingénierie de formation et pédagogique, il convient
d’ajouter un volet sur les formateurs : formation de formateurs et mise à disposition
des ressources s’avèrent une urgence.
14

NOTES
1. www.culture.gouv.fr/culture/dglf/, rubrique publications.
2. Les 8 compétences clés sont : la communication en langue maternelle, la communication en
langues étrangères, la compétence mathématique et les compétences de base pour les sciences et
les technologies, la compétence numérique, apprendre à apprendre, les compétences sociales et
civiques, l’esprit d’initiative et d’entreprise, la sensibilité et l’expression culturelles.

AUTEUR
CLAIRE EXTRAMIANA
Ministère de la Culture et de la Communication, DGLFLF
15

La formation linguistique des


migrants : lignes de force en
didactique
Véronique Leclerc

1. Introduction
1 La formation linguistique des migrants a subi de nombreuses évolutions
institutionnelles et pédagogiques depuis plus de 40 ans. L’alphabétisation », secteur de
formation marginal, peu structuré, porté par un nombre réduit d’institutions, s’est
transformée au fil des années en un marché encadré et davantage professionnalisé
(Adami, 2009 ; Leclercq, 2010). Les choix concernant les politiques de l’immigration, liés
aux différents contextes socio-économiques, et les orientations de l’État français en
matière d’intégration linguistique des ressortissants étrangers ont indéniablement pesé
sur la nature des dispositifs, sur les formes de structuration de ce domaine
d’intervention et sur la professionnalisation des opérateurs et des enseignants. Un
certain nombre de critères sont à prendre en compte pour analyser le processus
évolutif depuis quelques décennies : le rôle joué par les pouvoirs publics, la place prise
par les réseaux associatifs, les modalités de cadrage de l’offre de formation, les profils
des formateurs, les formes d’articulation entre ce secteur et l’ensemble de la formation
postscolaire des adultes, mais aussi la dynamique de production de ressources
didactiques. C’est à cette dernière dimension que nous nous intéresserons dans cette
contribution.
2 Il ne s’agit ni de proposer un recensement de supports utilisés par les formateurs, ni
d’en établir une typologie1, mais de situer les préoccupations didactiques propres à
chaque période dans un contexte large qui contribue à les éclairer. Nous nous baserons
sur un corpus non exhaustif de ressources : manuels, guides et supports à destination
des praticiens, rapports d’études, ouvrages ou articles de revues portant sur les modes
d’intervention en didactique du français, langue d’insertion et d’intégration. Ces écrits,
appartenant à des genres différents, formalisent des orientations générales, identifient
16

des objectifs de formation, établissent des programmes et proposent des supports


concrets de cours. A partir de cette analyse documentaire2, il s’agit de mettre en
évidence quelques lignes de force, quelques tendances didactiques caractérisant
chacune des cinq dernières décennies. Peut-on retracer des étapes bien délimitées ?
Quelle variabilité se dessine dans les formes et contenus des ressources
d’enseignement/apprentissage, dans les modalités de conception et de diffusion ?
Quelles préoccupations traduisent-elles ? Comment relier cette variabilité aux
évolutions institutionnelles et politiques de la formation linguistique des migrants en
France ?

2. Les années 1960 : le « bricolage » dans


l’enseignement du français aux migrants
3 Cette décennie constitue une période de croissance et d’accueil de travailleurs
immigrés peu ou pas scolarisés, faiblement qualifiés 3. Dès le début des années 50, le
Maghreb est une zone importante de départ vers la France. A partir de 1964 les
ressortissants portugais sont de plus en plus nombreux4. Les travailleurs immigrés,
souvent éloignés de leur famille, apparaissent comme un groupe vulnérable, ayant peu
de droits sur le sol français et démuni de nombreuses compétences, notamment en
français oral et écrit dont la maîtrise n’est un critère ni pour entrer en France, ni pour
être recruté par un employeur.
4 A la fin des années 1960, sur un million et demi d’adultes ou de jeunes adultes relevant
potentiellement d’une formation, seuls 40 000 à 50 000 participent à des cours de
français (Ruisselet et Nizier, 1974 : 26). Ce qu’on appelle alors « l’alphabétisation »,
terme impropre mais utilisé dans un sens générique, représente un secteur peu connu,
peu reconnu et faiblement financé. Le Fonds d’Action Sociale, créé en 1958 pour œuvrer
en faveur des salariés français musulmans d’Algérie travaillant en France,
subventionne à partir de 1964 des actions de formation pour l’ensemble de la
population migrante, mais il n’existe ni législation, ni réglementation spécifique pour
cadrer la formation linguistique des immigrés.
5 Le réseau associatif est très actif. Des mouvements caritatifs ou confessionnels
organisent des cours de français animés par des bénévoles, en appui à d’autres
interventions concernant la santé ou le logement5. Il existe aussi un secteur associatif
subventionné ; l’Amicale pour l’Enseignement aux Étrangers (AEE) y a une place
dominante puisqu’elle reçoit l’essentiel des subsides du FAS et accueille
environ 20 000 stagiaires par an (Ruisselet et Nizier, 1974 : 29).
6 L’AFPA (Association de Formation Professionnelle des Adultes) s’implique peu dans la
formation des migrants : 5 000 stagiaires environ suivent un enseignement de
formation générale et de formation professionnelle en 1971 (Oriol, dir, 1975 : 55). De
même l’Éducation Nationale n’intervient qu’en appui logistique et pédagogique à l’AEE 6.
7 Le secteur associatif propose une offre de formation souple, située au plus près des
publics, mais les conditions matérielles sont précaires, les moniteurs peu formés et en
turn over constant. L’analyse de besoins des populations et l’évaluation de l’efficacité
des actions préoccupent peu les acteurs. Seules les associations subventionnées doivent
établir bilans d’assiduité et suivis de parcours.
17

8 Les orientations de l’intervention sont contrastées. Aucun cadre commun ne structure


l’ensemble. Tantôt l’immigré est considéré comme un travailleur vulnérable qui doit
survivre en milieu hostile et qui doit être aidé, tantôt comme un membre de la classe
ouvrière à conscientiser, tantôt comme un salarié qui doit s’adapter au contexte
français, notamment par la maîtrise du français oral et écrit. Les modèles de l’école, de
l’aide sociale ou de l’alphabétisation conscientisante7 coexistent.
9 Les intervenants disposent de plusieurs types de ressources. Certaines associations
éditent des supports sous forme de livrets, la plupart non datés et non signés. Les
manuels édités par Hommes et Migrations ou par l’AEE sont représentatifs de ce genre
de productions : J’apprends le français (années 60) – Je progresse en français (années 60) –
Éléments d’alphabétisation (1962) – Le Français par l’amitié (années 60) – Lire en français
(AEE, 1969). L’enseignement est focalisé sur les relations graphophonétiques et sur la
combinatoire. Les supports de lecture sont constitués de phrases et de textes courts
choisis en fonction de la présence de tel ou tel graphème, énoncés le plus souvent
artificiels ou insipides.
10 La méthode de lecture pour les adultes d’Afrique du Nord, conçue par le CREDIF en 1957 (1 er
degré) et 1959 (2e degré), utilise les travaux de la Commission du Français Élémentaire
pour établir la progression des apprentissages en vocabulaire et grammaire et propose
de petits textes évoquant la vie quotidienne des apprenants, mais reste centrée sur un
apprentissage du français oral et écrit très scolaire.
11 De façon générale, l’enseignement/apprentissage de la langue mêle les références à la
grammaire traditionnelle, exercices de conjugaison par exemple, et les méthodes
structuro-globales : manipulation d’énoncés à l’écrit et à l’oral à partir de progressions
syntaxiques préétablies selon une logique du simple au complexe (méthode « Vivre en
France », AEE). Aucune distinction entre une didactique de l’écrit et de l’oral n’apparaît
clairement.
12 Cette évocation rapide de la situation des années 1960 permet de comprendre à quoi
vont s’opposer, dans la décennie suivante, certains didacticiens, linguistes et
formateurs dans un contexte de restructuration de la formation linguistique des
migrants et d’évolution des pratiques d’intervention.

3. Les années 1970 : sous le signe du renouveau


didactique
13 Au début des années 1970 les mouvements migratoires se poursuivent. Des travailleurs
isolés continuent à arriver en France (1 773 000 entre 1970 et 1974), mais des membres
de famille commencent à les rejoindre (800 000 en 1971). De façon générale les
conditions de vie quotidienne ne s’améliorent pas pour ces populations, qui
commencent à s’organiser au sein de mouvements de lutte8.
14 Le premier levier de changement dans la politique de formation des immigrés est lié à
la loi de 1971 sur la formation professionnelle continue. Malgré de nombreux obstacles
(Faïta, 1974 ; Collectif d’étude, 1974), la loi de 1971 va améliorer l’accès des immigrés
aux actions de formation, grâce au développement des financements et à l’émergence
de nouveaux opérateurs (Centres de préformation9, GRETA – Groupements
d’Établissements de l’Éducation Nationale, Chambres de Commerce). Le nombre de
stagiaires passe de 50 000 à 60 000 inscrits entre 1970 et 1973 (Collectif d’étude 1974 :
18

68). L’entrée en formation d’ouvriers dont les salaires sont garantis durant la durée du
stage est favorisée et l’offre de formation prend davantage en compte les visées de
promotion professionnelle.
15 La seconde évolution majeure intervient durant la seconde moitié de la décennie. La
politique du Secrétariat d’État chargé des Travailleurs Immigrés, créé en 1974, dans un
contexte de crise économique naissante et de nouvelle politique d’immigration 10, incite
à une structuration explicite de la formation des migrants. Deux circulaires du 14 et
du 21 mai 1975 définissent de nouvelles orientations pour ce qui est appelé alors la
Formation à Dominante Linguistique (FDL), pour la préformation professionnelle et
pour les actions socio-éducatives en faveur des femmes immigrées (Sabatier, 1980 :
42-43).
16 Ainsi durant cette décennie, l’apparition de nouveaux acteurs et la disparition d’autres
(l’AEE est ainsi dissoute en 1978), l’augmentation des financements et du nombre de
stagiaires, la diversification de dispositifs institutionnalisés, forment un contexte
favorable à un renouveau didactique. Quatre tendances sont repérables : la critique des
pratiques antérieures – la préoccupation nouvelle d’efficacité et de qualité de
l’intervention éducative – la mobilisation de recherches en linguistique et en
sociolinguistique – l’impact du courant communicatif et fonctionnel issu de la
didactique des langues.
17 Tout d’abord, des études, mais aussi des manuels à destination des praticiens
s’inscrivent en opposition aux choix didactiques antérieurs. Ainsi sont condamnés
l’ethnocentrisme des ressources proposées (Oriol, dir. 1975 : 64), le paternalisme, voire
certaines formes de racisme transparaissant dans les supports de lecture et d’exercice
(Collectif d’alphabétisation 1972 et 1973), mais aussi le caractère infantilisant et
scolarisant des situations d’enseignement/ apprentissage de l’écrit (Catani, 1973).
L’inadaptation des méthodes de lecture à dominante syllabique et des démarches
structuro-globales, la non prise en compte des besoins langagiers des populations, de
leurs expériences et de la diversité de leurs rapports à la langue du pays d’accueil sont
mis en évidence (Allain Dupré et alii, 1977 ; Blot et alii, 1978), tandis que de nouveaux
matériels sont conçus dans une optique annoncée comme moins scolarisante qui
laissent la place à des activités didactiques à partir de documents de la vie
quotidienne11. Les centres d’intérêt des publics sont davantage pris en compte (Catani,
1973 ; Collectif d’alphabétisation, 1972 et 1973).
18 La qualité et l’efficacité des actions préoccupent également de nouveaux réseaux
d’associations. Ainsi le CLAP (Comité de Liaison pour l’Alphabétisation et la Promotion)
vise à former les moniteurs (CLAP, 1972). L’AEFTI (Association pour l’Alphabétisation et
l’Enseignement du Français aux Travailleurs Immigrés) rassemble à partir de 1972 des
chercheurs, des syndicalistes et des formateurs pour améliorer l’offre des organismes
grâce à des publications et des sessions de formation de formateurs. Le Comité de
Liaison Préformation (CLP) tente, à partir de 1980, de répondre aux préoccupations
pédagogiques concernant les dispositifs de préformation professionnelle. Parallèlement
l’évaluation des pratiques existantes et de leur efficacité devient un objet d’étude pour
certains didacticiens ou linguistes (Lagarde et alii, 1978 ; Pieron, 1977). La formation des
intervenants se structure davantage (Poilroux, 1974). L’Éducation Nationale par le biais
du CREDIF et du Centre de Documentation pour la formation des Travailleurs Migrants,
créé en 197312, s’implique davantage sur cette question.
19

19 Par ailleurs, le courant communicatif et fonctionnel issu de la didactique des langues


devient une référence pour la formation linguistique des migrants. L’analyse du public,
de son environnement socio-culturel, des situations dans lesquelles il interagit en
français, de ses besoins langagiers, des actes de parole qu’il a à réaliser est considéré
par certains didacticiens comme un préalable à toute conception de programme de
formation. L’article paru dans le Français dans le Monde en 1977 et signé de P. Colombier
et J. Poilroux du CREDIF, Pour un enseignement fonctionnel du français aux migrants (n° 133,
p. 21 -28), plaide explicitement pour une didactique rénovée, de même que l’ouvrage de
Jupp et alii de 1978 : Apprentissage linguistique et communication. Le CREDIF joue un rôle
important dans la diffusion de ces approches fonctionnelles et dans la conception de
matériel à destination des formateurs. Ainsi les dossiers intitulés « À la recherche d’un
emploi » (CREDIF, 1976) et « L’accident du travail » (CREDIF, 1976) diversifient les objectifs
dans l’enseignement du français : « objectif pragmatique », « cognitif », « attitudinal »,
« informatif » et inclut l’expression par les apprenants de leurs expériences
individuelles, l’utilisation de documents authentiques et l’exploitation de situations
langagières de la vie courante. Il ne s’agit plus de fournir les premiers rudiments de la
lecture/ écriture à un public très peu alphabétisé, mais de développer la compétence de
communication d’apprenants dits de niveau « débrouillé » qui constituent aussi le
public des dispositifs financés.
20 Enfin, des linguistes et sociolinguistes vont participer de façon plus indirecte à
l’évolution de l’alphabétisation en contribuant à une meilleure connaissance des
situations langagières spécifiques aux migrants : modalités d’appropriation en milieu
naturel et en milieu guidé, usages oraux et écrits du français, besoins langagiers,
constitution d’une interlangue (Dommergues et Grandcolas, coord., 1980 ; Gardin,
coord., 1976 ; Noyau et Deulofeu, coord., 1986 ; Perdue, dir., 1986 ; Porcher, dir., 1978 ;
Véronique, 1980). Même si ces travaux ont fait l’objet d’une diffusion réservée aux
chercheurs et spécialistes de linguistique ou de didactique du français, ils ont eu un
impact sur les formateurs de formateurs et les concepteurs de supports.
21 Les années 1970 sont donc caractérisées par un cadrage institutionnel et pédagogique
plus explicite de la formation linguistique. Le contexte est plus favorable au
développement de la professionnalité de formateurs rémunérés qui ont l’occasion de se
former. La didactique des langues et la linguistique, en prenant pour objets d’études ce
secteur, contribue à initier sa démarginalisation. Des organismes de formation, des
réseaux associatifs ou centres de recherche participent à la conception de ressources
visant une rupture par rapport aux modèles dominants antérieurs13. Mais le paysage
national reste contrasté. Les conditions de stages, les références didactiques et
l’efficacité des actions varient d’une région à l’autre ou d’un organisme à l’autre et cela
dans un contexte institutionnel peu coordonné et concurrentiel. Beaucoup
d’intervenants continuent à utiliser les anciens livrets de l’AMANA ou de l’AEE ou
créent leur propre matériel sur ces modèles-là. La production de ressources reste
encore artisanale et la diffusion restreinte.

4. Les années 80 : la volonté de rationalisation et


d’optimisation de l’intervention éducative
22 Le développement du regroupement familial, l’émergence des « secondes générations »
et la diversification des pays d’origines et des profils des étrangers transforment les
20

formes d’immigration, qui devient par ailleurs une préoccupation sociale centrale dans
un contexte de crise de l’emploi durable. L’insuffisance de qualification, l’âge, la faible
mobilité et les difficultés de maîtrise du français rendent la main d’œuvre immigrée
particulièrement vulnérable, d’autant que leurs secteurs d’emploi sont
particulièrement concernés par les transformations industrielles. Le taux de chômage
des immigrés est de 18,4 % en 1985 alors qu’il est à l’époque d’environ 10 % dans la
population active générale.
23 La formation devient un moyen de reconversion des salariés et d’évolution de leurs
compétences. Dans ce contexte, la formation linguistique fait l’objet d’un
repositionnement institutionnel. Plusieurs notes techniques et rapports du FAS et de la
Direction Population Migration (DPM) proposent une analyse critique des modes de
fonctionnement et de l’efficacité de la « FDL » et appellent à une rénovation (Barreau et
Labrousse, 1984 ; Barreau, 1986 ; Barreau, 1989 ; Caron, 1988 ; Moreau et Labrousse,
1988...). Les efforts financiers du FAS (en 1986, 300 000 millions de francs sont investis
pour la formation des immigrés, Yahiel, 1988 : 12) ont une contrepartie. DPM et FAS
entendent cadrer davantage les dispositifs financés. Il s’agit de réintégrer ce secteur
dans l’ensemble de la formation des populations peu scolarisées et peu qualifiées en
multipliant les accords entre le FAS et d’autres institutions. Il faut aussi améliorer les
dispositifs de préformation, individualiser davantage les situations d’enseignement/
apprentissage et modulariser l’offre. En 1987, une note d’orientation générale indique
que le FAS doit désormais « passer commande » pour la réalisation des objectifs de
formation (Candide, 2005 : 44), et ceci afin de favoriser l’efficacité des actions.
24 L’autre élément contextuel à prendre en compte est l’émergence de la question de
l’illettrisme de natifs scolarisés en France mais maîtrisant mal la lecture-écriture
(Benichou et alii, 1984). La lutte contre l’illettrisme devient une préoccupation sociale
grandissante, donnant naissance à des financements et des dispositifs de formation
visant le réapprentissage des savoirs de base.
25 Ainsi cette décennie est caractérisée par l’évolution des politiques de formation des
migrants dans un contexte de crise industrielle et économique touchant l’ensemble des
« bas niveaux de qualification » (Pailhous et Vergnaud, dir, 1989) et par une certaine
désectorisation formation des migrants/formation des populations françaises peu
qualifiées et peu scolarisées (Leclercq, 1995). Dans ce contexte émergent de nouvelles
préoccupations pédagogiques et didactiques dont nous retiendrons deux lignes de
force : l’importation des orientations de l’ingénierie de la formation au sein de la
didactique du français d’une part, le renouveau dans l’enseignement/apprentissage de
la lecture d’autre part.
26 L’incitation institutionnelle à la rénovation de la FDL évoquée précédemment
s’accompagne de propositions d’actions. Pour le FAS et la DPM, ce secteur doit se
démarginaliser et être plus efficace en faisant siennes les démarches propres à la
pédagogie des adultes et à l’ingénierie de formation. Sont explicitement mentionnées,
dans les rapports et notes techniques, la pédagogie par objectifs, la pédagogie du projet,
la modularisation et l’individualisation de la formation, la remédiation cognitive, mais
aussi la nécessité de l’analyse des besoins, de l’évaluation fine des acquis, de la mesure
de l’efficacité des stages. La conception du Référentiel de Formation Linguistique de
Base (1989) s’inscrit dans cette orientation ingénieriale de rationalisation et
d’optimisation de l’intervention éducative. Pour répondre au constat des difficultés des
formateurs à formaliser clairement les objectifs de formation dans l’enseignement du
21

français oral et écrit, mis en évidence dans un rapport sur la Formation à Dominante
Linguistique dans le Nord – Pas-de-Calais (Kechemir et alii, 1988), la Commission
Régionale pour l’Insertion des Populations Immigrées14 commandite la conception d’un
référentiel de formation. Conçu par une équipe de praticiens et de chercheurs, le
référentiel vise à identifier les objectifs de formation en les hiérarchisant selon quatre
étapes progressives réparties en quatre domaines (Expression Orale et Écrite,
Compréhension Orale et Écrite). Diffusé dans le Nord-Pas-de-Calais, il fera l’objet de
modules d’appropriation, nécessaires dans une communauté de praticiens peu au fait
des démarches de la pédagogie par objectifs. Cette évolution prendra des formes plus
marquées dans les décennies suivantes. Nous y reviendrons.
27 La seconde ligne de force renvoie à des questions de didactique. Au cours des
années 1980, l’échec scolaire et la lutte contre l’illettrisme suscitent débats,
expérimentations et renouvellement des orientations de l’enseignement du français
écrit, dont va bénéficier la formation linguistique des migrants (Gillardin, 1982 et 1983 ;
Foucambert, 1987). La critique des approches bottom up dans l’enseignement de la
lecture et la valorisation des démarches idéo-visuelles15 rencontre un certain succès
auprès des intervenants impliqués à la fois dans la formation des migrants et dans les
dispositifs de lutte contre F illettrisme. La formation linguistique s’enrichit de
ressources se référant plus ou moins explicitement au modèle top down dont les
proximités théoriques avec l’approche communicative et fonctionnelle sont patentes
(Leclercq, 1992). L’ouvrage de B. Gillardin paru en 1987 aux éditions Retz constitue un
exemple représentatif de la production de cette période Méthode d’apprentissage de la
lecture pour les adultesimmigrés. De même l’ouvrage Fatima ne lave plus la salade, guide
pratique pour la formation des migrants (Janot et alii, 1985) propose des orientations
didactiques illustrées de fiches pratiques et articule apports de l’approche fonctionnelle
et perspectives rénovées en matière de développement du lire-écrire.
28 À la même période, l’ensemble LUCIL (LUtte Contre l’Illettrisme, 1985) 16
rassemble 180 fiches et 75 modules d’Enseignement Assisté par Ordinateur à
destination d’un public illettré, non débutant complet. Ayant donné lieu à
expérimentation dans le Nord – Pas-de-Calais, diffusé ensuite à l’échelon national, ce
matériel de développement des compétences à l’écrit sera utilisé dans les dispositifs de
formation linguistique de migrants et dans les actions de maîtrise de savoirs de base. Le
logiciel ELMO (Entraînement à la Lecture par Micro-Ordinateur, AFL, 1984) sera
également largement exploité dans l’ensemble des organismes. Ainsi la période des
années 80 marque un tournant dans la conception et la diffusion de ressources
didactiques. Les formats s’améliorent et sont plus attrayants. Des éditeurs commencent
timidement à s’intéresser à ce secteur. La diffusion nationale à grande échelle de
supports prend forme, même si le mode de circulation dominant reste confidentiel.
29 Par ailleurs, de nouveaux acteurs font leur apparition. Ni praticiens, ni chercheurs, ni
concepteurs, mais sans doute tout cela à la fois, des acteurs vont jouer un rôle dans
l’animation de débats sur la maîtrise du français oral et écrit et sur les pratiques
d’enseignement. Ils contribuent à jouer le rôle de passeurs entre la recherche en
linguistique et les terrains de formation en animant des modules de formation de
formateurs, des journées d’études et manifestations scientifiques.
22

5. Les années 90 : vers un cadrage didactique plus


affirmé
30 Le paysage migratoire se transforme profondément durant cette période. La
diversification des flux de populations et des modes d’installation en France,
l’apparition de nouvelles formes de mobilité (Withtol de Wende, 2001) dans un contexte
de mondialisation, mais aussi de crise économique qui perdure, caractérisent la
décennie. L’immigration, qui n’est plus une immigration de travail, envahit le débat
politique et culturel de l’espace public. En même temps le vieillissement de la
population et les besoins de main d’œuvre dans des secteurs ponctuels renforcent le
recours à l’ouverture contrôlée et maîtrisée des frontières de la France. Sur le plan de la
formation linguistique, un tournant décisif est engagé à partir de 1995 par le FAS. La
logique de formation régie par l’offre passe à une logique de commande publique et
d’appel d’offres avec cahier des charges et obligation de résultats. Les exigences
institutionnelles se renforcent et initient un système concurrentiel entre les opérateurs
de formation. Le FAS entend cadrer l’intervention formative de façon uniforme sur
l’ensemble du territoire et tend à prescrire certaines normes de qualité. Ce nouveau
contexte va peser sur la conception et la diffusion de ressources didactiques, qui vont à
la fois répondre aux besoins institutionnels des financeurs et aux besoins didactiques
des praticiens. Il s’agit à la fois de mieux outiller les structures de formation
confrontées à la diversification des publics et de leurs besoins, mais aussi d’harmoniser
les pratiques à l’échelon national. Cette préoccupation d’un meilleur cadrage
didactique constitue la principale tendance des années 90. Elle va prendre plusieurs
formes. La nouvelle édition du Référentiel de Formation Linguistique de Base, revu et
corrigé en 1996, constitue un exemple marquant de cette « normalisation ». Le FAS
commandite une nouvelle version plus lisible et plus accessible du Référentiel conçu
dans le Nord – Pas-de-Calais quelques années auparavant. Il en finance l’édition et la
diffusion nationale. Des stages sont organisés partout en France pour faciliter
l’appropriation des quatre livrets édités. La progression en quatre étapes devient la
référence obligée dans les réponses aux appels d’offres du FAS. Peu à peu les
organismes adoptent les cadres proposés par le Référentiel : distinction des publics et
des dispositifs (FLE/lutte contre l’illettrisme/formation linguistique des migrants),
modes de hiérarchisation des compétences en français écrit et oral, classification en
quatre étapes. D’autres supports d’évaluation et référentiels viendront ultérieurement
compléter ce premier projet (Cimade, 1996 ; CICF, 2009 ; Evalire, 1998).
31 Le cadrage didactique touche également la formation des formateurs. Des études
permettant aux formateurs d’améliorer les pratiques et de mieux connaître les publics
accueillis (Azzimonti et alii, 1987 ; Verbunt, 1994 ; Evrard, 1997 ; CLAP, 1992 ; Morisse,
2003) sont produites et diffusées par les réseaux du CLP, CLAP, AEFTI et par le CNDP
Migrants17. Par ailleurs la circulation du matériel didactique continue à s’effectuer
selon deux modalités : l’édition commerciale (par exemple Gillardin, 1998 ; Abdallah
Pretceille, coord., 1998 ; Bentolila et alii, 1992) et la diffusion par les réseaux de
professionnels (par exemple Lhôte et Tashdjian, 1996 ; CUEEP, 1993).
32 Même si le processus de professionnalisation des praticiens de la formation de base
reste inachevé (Leclercq, 2005), certains indicateurs sont à prendre en compte durant
cette période : existence d’un programme national de formation de formateurs proposé
par le FAS18, création de dispositifs universitaires diplômants, de niveau II et III,
23

spécifiquement orientés vers les métiers de l’insertion et de la formation de base,


augmentation du nombre de formateurs diplômés de licence ou maîtrise FLE.
33 Pour conclure sur cette décennie, il faut bien constater que la polarisation sur
l’illettrisme, transformée en question sociale, a parfois contribué à faire passer à
l’arrière plan les préoccupations concernant la formation linguistique des migrants.

6. Les années 2000 : des enjeux nouveaux pour


l’enseignement du français, langue d’intégration et
d’insertion
34 Contrairement à ce que les pays d’Europe, qui avaient mis en œuvre une politique de
retour au pays des immigrés dans les années 1970 et qui avaient créé l’espace Schengen
dans les années 1980, avaient prévu, la pression migratoire continue (Whitol de
Wenden, 2008). La France, comme les autres pays industrialisés, est concernée par le
regroupement familial, les demandes d’asiles politiques, les arrivées des sans papiers,
les mouvements d’aller-retour de certaines populations. Les types de mobilités se
diversifient encore, de même que les profils des entrants dont certains sont issus de
classes moyennes au pays d’origine ou sont travailleurs qualifiés.
35 Les années 2000 sont caractérisées par l’essor d’une politique maîtrisée et contrôlée de
l’immigration, dans le cadre plus global de l’Union Européenne qui représente un
nouveau contexte décisionnel. La politique dite « d’intégration linguistique » s’intègre
d’ailleurs à cet espace européen. L’harmonisation des choix et des priorités en matière
d’accès aux langues du pays d’accueil préoccupe la Division des Politiques Linguistiques
du Conseil Européen qui produit des rapports sur ces questions (Beacco et alii, 2008 ;
Beacco et Byram, 2007). D’autres institutions (Centre International d’Etudes
Pédagogiques – CIEP et Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de
France – DGLFLF) organisent des séminaires consacrés aux politiques d’intégration
linguistique des migrants en France et en Europe (Ministère Emploi, Travail et Cohésion
Sociale, 2004 ; Ministère de la Culture et de la Communication, 2005).
36 Pour ce qui concerne spécifiquement la France, la formation linguistique des migrants
se transforme radicalement durant cette dernière décennie : préoccupation
institutionnelle affichée autour de ce qui est appelé « le droit à la langue » 19 ;
inscription de la formation linguistique dans le droit du travail (loi
du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au
dialogue social) ; renforcement des financements sur le « mode marché » contribuant à
des regroupements d’organismes, à l’apparition de nouveaux opérateurs, à la
disparition de certaines associations de proximité (Etienne, 2007) ; importance du rôle
de la maîtrise du français dans les diverses réglementations concernant l’immigration
et l’intégration20 ; institutionnalisation de l’intégration linguistique comme élément
essentiel du Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI), expérimenté à partir de 2003 et
rendu obligatoire en 2007 (Cochy et alii, 2007 ; Candide et Cochy, 2009).
37 Les années 2000 sont par ailleurs marquées par des changements institutionnels
répétitifs. En 2001, le FAS devient le Fonds d’Action Sociale et de Lutte contre les
Discriminations (FASILD) et élargit son champ d’intervention et les populations ciblées
par son action (Candide, 2005). Puis en 2006 les missions du FASILD sont confiées à
l’ACSE (Agence de Cohésion Sociale et l’Égalité des chances) et à l’ANAEM (Agence
24

Nationale de l’Accueil des Étrangers et des Migrations). Enfin, depuis 2009, c’est l’OFII
(Office Français de l’Immigration et Intégration), nouvellement créé, qui organise et
finance les actions pour les primo-arrivants (moins de 5 ans sur le sol français), mais
aussi pour les personnes anciennement installées. Ces turbulences vont occasionner des
ruptures de continuité des financements et des changements de cap parfois peu lisibles
pour les organismes de formation.
38 C’est dans ce contexte mouvant qu’émergent un certain nombre de projets et
d’expérimentations didactiques qui renvoient à un processus évolutif marqué par
l’ouverture de la formation linguistique des migrants aux influences de la didactique du
FLE, du FLS (Français langue seconde), du FLP (Français langue professionnelle). Quatre
tendances concrètes illustrent ce processus.
39 Tout d’abord, dans la lignée des travaux antérieurs, un nouveau référentiel est conçu
en 2005 à l’initiative de la DPM et du FASILD avec l’appui de la DGLFLF (Délégation
Générale à la Langue Française et aux Langues de France). Ce référentiel, appelé
référentiel niveau A1-1 pour les premiers acquis en français (Beacco et alii, 2005)
s’inscrit clairement dans le champ du FLE et en utilise les cadres de référence et la
terminologie (par exemple « les descripteurs de compétences », « les inventaires par
genres discursifs », « les inventaires par fonctions »). La classification des compétences
se réfère au Cadre Européen des Langues, le niveau A-1-1 étant une subdivision du
niveau A1 du Cadre. Par ailleurs, ce matériel, contrairement aux référentiels antérieurs,
est lié à la délivrance d’un diplôme, le Diplôme d’Initiation à la Langue Française créé
par décret en 2006, ce qui lui confère de fait un rôle très structurant pour la
programmation des contenus de formation et les modalités de l’évaluation certificative.
40 L’autre tendance actuelle concerne l’extension du domaine éditorial. Des éditeurs
privés, spécialisés dans le FLE, s’impliquent maintenant dans la diffusion d’ensembles
pédagogiques à destination de publics migrants, incités par l’ouverture éventuelle d’un
véritable marché à la suite de la mise en place du volet linguistique du CA1 21. Les
nouveaux formateurs utilisent d’autant plus ces éditions commerciales qu’ils ont
difficilement accès aux matériels élaborés plus confidentiellement dans les associations
ou autres organismes. Ce fait est souligné par Bergère (2008) qui l’explique en partie
par la désorganisation des fonds documentaires des réseaux et centres de ressources,
liée à la disparition de certains d’entre eux.
41 La reconnaissance de la formation linguistique comme éligible au titre de la formation
professionnelle (loi du 4 mai 2004) et la mobilisation d’OPCA (Organismes Paritaires
Collecteurs Agréés) et de certaines entreprises renforcent l’intérêt pour la maîtrise de
la langue en milieu professionnel. Cette préoccupation, qui n’est pas totalement récente
dans les années 2000, se renforce et donne lieu à des dispositifs de formation, à des
expérimentations dans les secteurs du bâtiment et travaux publics, du nettoyage et du
travail temporaire, à des études sur le Français langue professionnelle (FLP) ou le
Français sur objectifs spécifiques (FOS) et à des travaux de conception de référérentiels
(CLP, 2005 ; Vicher, 2009 ; Mourlhon-Dallies et Ferrari, 2007 ; DGLF-LF, 2007 ; DPM,
2005 ; Adami, 2007 ; Mangiante et Parpette, 2004 et Mangiante dans le présent volume).
42 Enfin, quatrième tendance, depuis quelques années se dessine un regain d’intérêt dans
certains champs disciplinaires, sciences du langage, sociolinguistique et didactique des
langues, pour la formation linguistique des migrants, secteur longtemps négligé en
didactique du FLE (Etienne, 2004). La création de filières « Langue et insertion »,
appelées à enrichir les débouchés professionnels des étudiants des masters de FLE,
25

témoigne de cette dynamique (Bretegnier, 2007), de même que l’organisation de


colloques scientifiques internationaux consacrés à l’intégration linguistique des
migrants (Archibald et Chiss, 2007 ; Archibald et Galligani, 2009) ou la rédaction de
rapports à l’échelon européen (Beacco et alii, 2008).
43 Ainsi la didactique du français, langue d’insertion pour les populations étrangères les
moins scolarisées, s’articule davantage au domaine général du FLE et peut s’enrichir
d’apports scientifiques en sociolinguistique ou en sciences du langage. Mais cette
ouverture à de nouveaux champs de pratiques et à de nouveaux savoirs, marquant une
démarginalisation plus marquée d’un secteur de formation longtemps peu connu et peu
reconnu, se produit dans un contexte de tensions concernant les finalités de la
formation linguistique des migrants et les valeurs sous jacentes aux pratiques. L’accès à
la langue est-il un droit pour les populations ou un devoir ? Comment gérer la
politisation des questions d’intégration linguistique des migrants en Europe et en
France ? En quoi les phénomènes de concurrence, visibles à plusieurs niveaux,
bousculent-ils les pratiques partenariales antérieures et la culture professionnelle des
acteurs impliqués ? Les institutions et les organismes, agissant sous des formes diverses
dans ce secteur, vivent un marché concurrentiel pour obtenir des financements ou
pour se positionner sur des segments précis d’intervention : l’évaluation initiale des
publics, l’organisation de stages, la délivrance du DILF, etc. Simultanément se met en
place un marché éditorial qui a pris une certaine ampleur ces toutes dernières années.
Il existe aussi une forme de concurrence entre universités pour la mise en place de
filières professionnelles formant les futurs intervenants. Les conséquences d’une
marchandisation croissante de la formation restent à analyser.

7. Conclusion
44 La formation linguistique des migrants a vécu des transformations similaires à celles
qu’a connues l’ensemble de la formation postscolaire : impacts des pratiques
d’ingénierie, cadrage institutionnel et pédagogique plus marqué, ouverture à des
modalités d’intervention innovantes (formation ouverte et à distance,
individualisation, etc.), préoccupations autour de la professionnalisation des structures
et des formateurs... Mais ce secteur se caractérise aussi par certaines spécificités. Parce
que situé au cœur de questions vives telles que l’immigration, la diversité culturelle,
l’exclusion socioéconomique, la faible qualification, il est plus particulièrement impacté
par les choix institutionnels et politiques. Nous espérons avoir illustré cet impact sur
les questions didactiques pour chacune des cinq décennies. Par ailleurs l’enseignement
de la langue du pays d’accueil est resté profondément marqué par son ancrage initial
dans les valeurs humanistes ou caritatives. Le rôle particulier joué par les réseaux
associatifs, l’engagement et l’implication quasi militante de certains acteurs, l’adhésion
de nombreux formateurs aux idéaux de l’Éducation Permanente témoignent de cette
spécificité. Cela a contribué à créer de nombreuses tensions entre des modèles opposés
de l’intervention éducative, qui reste marquée par une ligne de force générale visant à
davantage de structuration, de cadrage et de professionnalisation du domaine.
26

ANNEXES

Annexe
Annexe : liste des supports didactiques cités
AEE, Lire en français, Paris, Hachette, 1969.
AFL, Entraînement à la lecture par micro-ordinateur, ELMO, 1984.
Centre de Préformation de Marseille, Éléments d’introduction à la vie moderne (plusieurs
livrets), Hommes et Migrations, années 70.
CICF, Certification Initiale de Compétence en Français oral et écrit, Université de Franche-
Comté, Centre de linguistique appliquée, 2003.
CIMADE, Démarche pour l’évaluation, outils d’évaluation des niveaux débutants aux niveaux
intermédiaires en français langue étrangère, avec le concours du FAS, 1996.
Collectif d’alphabétisation, Parler, lire, écrire, lutter, vivre, Paris, Maspero, 1972.
Collectif d’alphabétisation, Alphabétisation, pédagogie et luttes, Paris, Maspero, 1973.
CREDIF, Méthode de lecture pour les adultes d’Afrique du Nord, Paris, Institut Pédagogique
National, 1er et 2e degré, 1957 et 1959.
CREDIF, Voix et images de France, Paris, Didier, 1961.
CREDIF, Dossier A la recherche d’un emploi, 1976.
CREDIF, Dossier L’accident du travail, 1976.
CUEEP, LCPE, Lecture Compréhension Production d’Ecrit, V. d’Ascq, TNT, 1993.
Evalire, Dispositif d’évaluation du savoir lire, Ministère de la justice, Direction de la PJJ,
1998.
FAS Nord – Pas-de-Calais, Le référentiel de formation linguistique de base, FAS et Conseil
Régional NPDC, lre édition, 150 p., 1989.
FAS national et Région Nord – Pas-de-Calais, Le référentiel de formation linguistique de
base, 2e édition, CUEEP, 4 livrets, 1996.
LUCIL, Ensemble pédagogique d’accès à la lecture, CUEEP – Vendôme Formation, 1985.
Abdallah-Pretceille M., coord., Maîtriser l’écrit au quotidien, Paris, Retz, 1998.
Adami H., Apprentissage de la lecture pour adultes, Paris, Clé International, Trait d’union,
2004.
Anger B. et alii, Alphabétisation pour adultes, Lire et Écrire, Trait d’Union, Paris, Clé
International, 2007.
Barthe M., Je lis, j’écris le français : méthode d’alphabétisation pour adultes, Grenoble, PUG,
2004.
27

Beacco J.-C. et alii, Niveau A-1.1 pour le français. Publics adultes peu francophones, scolarisés,
peu ou non scolarisés, Paris, Didier, 2005.
Belc Migrants, Documents de vie pratique (plusieurs livrets), 1975-1976.
Bentolila A. et alii, Lectures, Paris, Nathan, 1992. Étienne S., Créer des parcours
d’apprentissage pour le niveau A-1.1., Paris, Didier, 2008.
Étienne S., Écrire : apprentissage de l’écriture pour adultes, Paris, Clé International, Trait
d’union, 2004.
Gillardin B., L’Apprentissage du français oral et écrit, Paris, AFTAM, 1983.
Gillardin B, Méthode d’apprentissage de la lecture pour adultes immigrés, Paris, Retz, 1987.
Gillardin B., Méthode d’apprentissage de la lecture : Adultes immigrés, Tome 2 nouvelle
édition, Paris, Retz, 1998.
Gillardin B., Maîtriser la lecture et l’écriture : méthode pour adultes, Paris, Retz, 2008
Iglesis T. et alii, Trait d’union 1, Méthode de français pour migrants, Paris, Clé International,
2004.
Lhôte G. et Tashdjian A., Parlez-moi. Le français au quotidien, Paris, IPTR, 1996.

NOTES
1. Ce projet ambitieux est actuellement porté par l’association Va-savoirs dans le cadre d’une
recherche-action appelée MALIN : Mutualisation et Analyse des ressources pédagogiques pour la
formation LINguistique (2009-2011). Référence http://va-savoirs.org
2. Cette analyse documentaire est complétée par le recours à des données informelles
expérientielles.
3. En 1967, sur les 2 660 000 immigrés, 67 % sont ou manœuvres ou ouvriers spécialisés (Catani,
1970 : 37).
4. On peut comparer les 85 000 entrées de travailleurs portugais de 1949 à 1963 aux
300 000 entrées de 1964 à 1968 (Dewitte, 2000 : 4).
5. Citons la CIMADE (Comité InterMouvements Auprès Des Évacués), créé en 1939, l’AMANA
(Assistance Morale et Aide aux Nord-Africains) qui étendra son action à partir des années 60,
l’AFTAM (Association pour l’Accueil et la Formation des Travailleurs Migrants). Le secteur
associatif bénévole reçoit de 20 000 à 25 000 stagiaires au début des années 70 (Ruisselet et Nizier,
1974 : 27).
6. Un accord entre l’AEE et l’Education Nationale permet le détachement de quelques
enseignants, l’octroi de locaux scolaires et le paiement d’instituteurs en heures complémentaires.
Par ailleurs le CREDIF (Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français) rattaché à
l’École Normale Supérieure produit quelques « méthodes » qui seront utilisées par l’AEE (CREDIF,
1959 ; CREDIF, 1961).
7. Les syndicalistes s’investissent dans ce secteur. Rappelons que la CGT, bien avant la loi
de 1971 sur la formation professionnelle continue, avait contribué à l’implantation de l’alpha
chez Renault (Rivet, 1976 : 19). Par ailleurs des militants d’extrême gauche considèrent les
immigrés comme la partie du prolétariat la plus exploitée. Il s’agit de les former pour développer
les possibilités de lutte sociale (Gardin, 1976 : 5).
8. Luttes chez Renault contre les licenciements de salariés immigrés en 1972 ; grèves de la faim
en 1972-73 dans plusieurs villes contre la circulaire Fontanet-Marcellin subordonnant l’obtention
28

de la carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail ; révoltes contre les « marchands de
sommeil ».
9. L’AFDET, Association Française de Développement de l’Enseignement Technique, subventionné
par le FAS renouvelle son action après la loi de 1971. D’autres centres voient le jour : Centre de
Préformation de Marseille, Maison de la Promotion Sociale à Grenoble, Centre Interprofessionnel
de la Loire, etc. (Ruisselet et Nizier, 1974 : 42).
10. En juillet 1974 une circulaire ordonne la fermeture des frontières (excepté pour les réfugiés
politiques et les ressortissants de la CEE) et une autre marque un coup d’arrêt à l’introduction des
familles, décision qui sera invalidée quelques mois plus tard. Une politique restrictive d’entrée
sur le territoire et d’incitation au retour au pays se met en place. Parallèlement l’intégration des
immigrés anciennement installés devient une des orientations du Secrétariat d’État chargé des
travailleurs immigrés.
11. Voir, par exemple, les livrets édités dans les années 70 par Hommes et Migrations, Eléments
d’introduction à la vie moderne et par le Belc Migrants Documents de vie pratique.
12. Le centre sera rattaché au BELC (Bureau pour l’Enseignement de la Langue et de la
Civilisation). Il édite la revue Migrants Formation, devenue ensuite Ville-Ecole-Intégration-
Enjeux et actuellement Diversité (SCEREN, Paris).
13. Par exemple, le Centre Université Économie d’Éducation Permanente (CUEEP) de l’université
de LILLE 1 qui mène des actions de formation pour migrants dans le bassin minier du Pas-de-
Calais et dans la zone textile de Roubaix-Tourcoing, conçoit, à partir du milieu des années 70, des
fiches didactiques s’inspirant des apports du courant communicatif et fonctionnel :
développement de plusieurs types de compétences (linguistique, référentielle, pragmatique...) ;
exploitation de démarches heuristiques de compréhension de l’écrit ; utilisation des pré-
connaissances des apprenants et de leurs expériences ; remise en cause des progressions
structuro-globales prédéfinies. Dossiers : Matériel de lecture, Documents écrits particuliers, Les
Consignes, Les Loisirs (CUEEP Lille 1, production des années 1970).
14. Les CRIPI sont des instances locales multipartenariales qui contribuent, entre autres, à définir
les politiques de formation des migrants suite à la régionalisation des subventions à la fin des
années 80.
15. Dans le modèle bottom up ou ascendant, le lecteur part des stimuli imprimés, lettres et
syllabes, puis il va au mot, à la phrase et au texte. L’information graphique et les relations
graphèmes-phonèmes sont décisives. Au contraire, dans un modèle descendant, « top-down », le
lecteur formule des prédictions et hypothèses grâce à des indices, puis les vérifie en prélevant
des informations graphiques. Dans le premier modèle, l’apprentissage des relations grapho-
phonétiques et de l’assemblage des éléments selon une progression du simple au complexe est
centrale, alors que dans le second, l’acte de production sémantique relevant de processus
cognitifs supérieurs est dominant. C’est Aarnoutse qui, en 1986, propose cette classification (Two
ways of word recognition, CAJ, USA). Le modèle « top-down » a été valorisé aux USA par F. Smith
(Understanding reading, New York, Holt, 1971) et par K.S. Goodman (Reading : a psycholinguistic
guessing game, 1970) et divulgué en France par l’Association Française pour la Lecture (AFL, 1982)
et Foucambert (1978). Très vite les chercheurs en psycholinguistique, qu’ils soient américains ou
français, ont adopté un troisième modèle dit « interactif ». Lire appelle une interaction
continuelle entre processus descendants et ascendants.
16. Conçu par une équipe du CUEEP (Lille) et de Vendôme Formation (Paris) et financé par le
Conseil Régional du Nord – Pas-de-Calais et le Carrefour International de la Communication.
17. Trois numéros de la revue Migrants Formation font le point sur la formation linguistique de
base et ses enjeux didactiques : n° 79, 1989, « Analphabètes et illettrés » ; n° 87, 1991, « Entrées en
lecture : échec à l’illettrisme » et n° 100, 1995, « La formation des adultes : approches
sociocognitives ».
29

18. Si on prend l’exemple de l’année 1991, ce sont 47 stages qui sont proposés dans diverses villes
de France autour de thématiques telles que l’éducabilité cognitive ou les apprentissages
linguistiques et mathématiques. Dispositif FAS de formation de formateurs, CLP, 1991.
19. De 2000 à 2001, la Direction de l’Emploi et de la Formation du FAS a présidé les travaux d’un
groupe de travail « Maîtrise de la langue et formation linguistique : évolution du concept et de la
problématique. Vers une reconnaissance d’un véritable droit », qui a donné lieu à un séminaire
de conclusion à Lille en janvier 2002, organisé par le CLP, Ecrimed et le CUEEP.
20. Loi du 24/07/2006 relative à l’immigration et à l’intégration.
Mise en place de la Direction de l’Accueil, de l’Intégration et de la Citoyenneté (DAIC) en
janvier 2008 au sein du Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du
développement solidaire créé en 2007.
Loi de programmation pour la cohésion sociale du 18/01/2005.
21. La collection « Trait d’union » éditée en 2004 par Clé International inaugure cet essor de
diffusion. De nombreux ouvrages sont répertoriés dans cette collection (par exemple Adami,
2004 ; Étienne, 2004 ; Iglesis et alii, 2004 ; Anger et alii, 2007...). Voir aussi Étienne, 2008 ; Gillardin,
2008 ; Barthe, 2004...

AUTEUR
VÉRONIQUE LECLERC
Université de Lille 1, CIREL-TRIGONE, EA 4354
30

Parcours migratoires et intégration


langagière
Hervé Adami

Introduction
1 L’intégration linguistique des migrants a été essentiellement abordée jusqu’à présent
sous trois angles : d’une part, l’analyse du processus de construction et de structuration
de l’interlangue, d’autre part, sous l’angle de la question de l’identité linguistique et
culturelle et, enfin, par le biais statistique.
2 L’analyse de l’interlangue est une approche linguistique et descriptive qui vise à donner
des photographies instantanées et précises de la langue en cours d’acquisition et des
différents états des structures en train de se former, de se déformer, de se recomposer
(Perdue, 1993a et 1993b ; Noyau, 1980 ; Deulofeu et Noyau, 1988 ; Véronique, 1990 ;
Giacomini et alii, 2000).
3 L’autre approche, plutôt sociolinguistique, s’intéresse aux processus d’appropriation de
la langue dominante et aux effets de ce processus sur le sentiment identitaire des
migrants. Les études de ce type portent essentiellement sur les représentations ou les
pratiques déclarées des migrants, par des enquêtes reposant, entre autres, sur des
entretiens (Leconte, 2000 ; Dabène et Billiez, 1987 ; Desprez, 1999 ; De Villanova, 1987).
Elles montrent toutes, d’une façon ou d’une autre, une situation complexe, un entre-
deux linguistique, un passage difficile dans un processus d’acculturation irréversible.
4 Enfin, l’intégration linguistique a été abordée sous l’angle statistique par des études
très éclairantes (Héran, 1993 ; Héran et alii, 2002 ; Clanché, 2002 ; Simon, 1997) sur le
processus trans-générationnel qui conduit à l’abandon progressif des langues d’origine
par les enfants puis les petits-enfants de migrants.
5 Mais au-delà de ces études, nous en savons fort peu sur le processus sociolangagier
d’acquisition de la langue cible. En effet, les études sur la structure de l’interlangue ne
nous disent rien sur les voies sociolangagières de l’acquisition, sur les modes, les lieux,
les contacts qui l’ont permise. De la même manière, les approches par enquêtes et
31

questionnaires nous apportent des informations sur les représentations des locuteurs
mais ne nous disent rien sur leurs pratiques langagières réelles. Pour ce faire, il
conviendrait de mener une enquête de très long terme de type ethnographique en
suivant littéralement les migrants au jour le jour, au cours de leurs multiples activités
quotidiennes. Il va sans dire qu’aucun chercheur n’est en mesure de se consacrer à ce
travail et, surtout, que personne n’accepterait la présence permanente d’un
observateur, fût-il le plus aimable et le plus discret des scientifiques. A cet égard, les
travaux des étudiants rédigeant un mémoire sur cette question, eux-mêmes enfants de
migrants ou très proches de familles migrantes qui ont pu observer de l’intérieur, sur le
très long terme et dans les moindres détails, ce processus 1, sont souvent très instructifs.
Faute de pouvoir mener ce type d’enquête sur le long terme et sur un champ plus vaste,
nous devons nous contenter de reconstituer le parcours sociolangagier des migrants en
tentant de recoller les morceaux dont nous pouvons disposer.
6 Le parcours d’appropriation de la langue dominante du pays d’accueil, le français pour
ce qui concerne mon propos ici, est un processus long, complexe et multiforme. Pour
tenter d’en suivre le déroulement, il convient au préalable de clarifier un certain
nombre de concepts qui posent parfois plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.

1. Notions pièges et faux-débats


1.1. Plurilinguisme

7 Le plurilinguisme, et avant lui le bilinguisme, font l’objet d’une multitude de travaux


depuis maintenant deux décennies. Dans le contexte de la mondialisation, de
l’intégration européenne et du développement intensif des échanges économiques et
symboliques, la question de la diversité linguistique est apparue dans le débat politique
et scientifique comme le terrain d’expansion naturel des réflexions de tous ordres nées
de cette nouvelle donnée économique et politique. Parallèlement, et corrélativement,
on assiste à un affaiblissement des États Nations, constitués au cours des 19 e et 20 e
siècles autour notamment d’une unité linguistique qui n’a pas été la cause de l’unité
politique, mais sa conséquence. Les États Nations ont en effet construit la langue
nationale autour de l’unité politique. Ils l’ont ensuite imposée au prix parfois d’une
forme de violence symbolique avec l’aide d’un instrument d’une efficacité redoutable :
l’école. Les États constitués autour de cette unité linguistique et politique, et
notamment la France, se sont longtemps pensés comme des nations monolingues, en
« oubliant » les langues régionales dont l’usage a rapidement été abandonné à partir de
la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Si l’usage de ces langues n’a jamais retrouvé
le niveau qui était le sien auparavant, d’autres langues que le français sont apparues :
les langues des migrants. Cependant, ces langues, sans assises territoriales ou
historiques, sans aucune légitimité sociale ni symbolique n’ont été l’objet d’aucune
prise en compte sur le plan institutionnel ou sur le plan de la recherche académique.
L’invisibilité des immigrés et de leurs langues a cessé à partir des années quatre-vingt,
à la faveur du mouvement « beur », qui lui-même s’inscrivait dans le contexte
économique et social particulier d’une crise qui s’aggravait et laissait ces enfants
d’ouvriers sur la pavé de la précarité, mais également dans le contexte idéologique et
scientifique des Cultural Studies venues d’Outre Atlantique. Ce mouvement, qui s’est
ensuite radicalisé avec les Post Colonial Studies, apporte avec lui une demande de
reconnaissance « culturelle »2 de la part des enfants de migrants qui s’autorisent à
32

parler également au nom de leurs parents dont la parole aurait longtemps été
confisquée. Dans ce contexte des années quatre-vingt également apparaît une autre
donnée qui va déstabiliser encore davantage les bases et les certitudes politiques et
sociales : l’échec scolaire massif des enfants des catégories populaires et, dans la foulée,
la « révélation » de la question de l’illettrisme qui mobilise encore nombre de
chercheurs, d’enseignants et d’institutionnels aujourd’hui. Cet échec massif est
immédiatement perçu, par une illusion d’optique, comme celui des enfants de
migrants. En effet, si parmi les élèves en échec la part des enfants de migrants est
effectivement très élevée, il convient de relativiser cette donnée par rapport à l’origine
sociale. C’est un travail qu’ont effectué Vallet et Caille (1995) qui montrent qu’à origine
sociale égale, le taux d’échec scolaire des enfants de migrants est sensiblement le même
que celui des autres élèves, voire inférieur, pour des raisons liées à une motivation
supérieure. Mais ces travaux, pourtant déterminants, n’ont pas réussi à enrayer le
mouvement qui s’était amorcé : si les enfants de migrants sont en échec, c’est que le
problème réside dans leurs différences « culturelles ». Zoia (2007) montre bien le piège
dans lequel se sont dès lors enfermés l’école et ses acteurs : il s’agit soit de nier ces
différences et d’aller vers une normalisation rapide, soit, au contraire, de les invoquer à
tous propos pour tout expliquer ou justifier. Dans ce cadre, le débat sur le
plurilinguisme prend le relais, notamment sous l’impulsion du Conseil de l’Europe :
l’école est sommée de prendre en compte la diversité linguistique et « culturelle » et de
développer l’éducation plurilingue et multiculturelle. Dans ce débat, les frontières
entre les positions scientifiques et idéologiques sont extrêmement floues. Les études
sur le plurilinguisme, les nombreux articles et ouvrages qui lui sont consacrés sont très
souvent des « appels à », des « plaidoiries pour », le vernis scientifique masquant
souvent mal la position idéologique. Même si le plurilinguisme est systématiquement
présenté comme un atout, cela procède souvent d’une simple affirmation sans véritable
démonstration. Une bataille est menée contre « l’idéologie monolingue » dont on ne
sait pas vraiment par qui elle est représentée, hormis par le caricatural et fameux
Rapport Bénisti. Ces travaux ont en point de mire la question récurrente de la
« culture », de l’identité et de leur reconnaissance, qui obstrue les perspectives de
recherche.
8 Les travaux et les débats sur le plurilinguisme ont focalisé leur attention sur l’école en
négligeant le domaine de la formation des adultes migrants parce que la recherche
académique s’y est très peu intéressée (Adami, 2009). Avec les adultes, la question du
plurilinguisme se pose tout autrement. A la différence de leurs enfants nés en France
ou arrivés très jeunes, le français n’est pas leur langue première mais une langue
seconde ou étrangère. A cet égard, le bi- ou le plurilinguisme des enfants de migrants
est plus stable, plus assuré, sinon plus assumé, que celui de leurs parents. Ils sont
fermement appuyés sur cette francophonie, ce qui ne signifie pas que toutes les
questions langagières soient réglées, loin s’en faut, mais le français est bien la langue
qu’ils utilisent le plus spontanément, le plus efficacement, une langue dans laquelle ils
possèdent les répertoires langagiers les plus étendus. Pour les migrants primo-
arrivants en revanche, le français est une langue qui, à des degrés très divers sur
lesquels nous reviendrons, ne représente pas un pôle de stabilité : le français est une
langue en cours d’acquisition, une interlangue dont l’efficacité pragmatique et sociale
est en cours de réglage. Immergés dans une société à langue dominante unique (Calvet,
1999), pressés par les innombrables problèmes de la vie quotidienne, les migrants n’ont
pas d’abord des problèmes d’identité et d’affirmation de leur plurilinguisme mais des
33

problèmes très concrets que seule la maîtrise de la langue dominante peut les aider à
résoudre.
9 Ainsi, tandis que les débats idéologiques et scientifiques faisaient rage autour de l’école,
de sa gestion du plurilinguisme et de la « diversité », le domaine et les acteurs de la
formation d’adultes parlaient et s’acheminaient vers la notion du « droit à la langue »
(Candide, 2001 ; Adami, 2009) : non celle du pays d’origine mais, au contraire, celle du
pays d’accueil. La question récurrente de savoir si le plurilinguisme est un atout ou un
handicap est secondaire dans le cas des adultes migrants. Le simple fait d’apprendre le
français fait des migrants non natifs au moins des bilingues sinon des locuteurs tri- et
parfois quadrilingues s’ils connaissent déjà plusieurs langues avant d’arriver en France.
Car l’apprentissage de la langue du pays d’accueil n’efface pas la langue d’origine et ne
contraint pas non plus les migrants à l’abandonner. Le plurilinguisme des migrants, et
non de leurs enfants, est un fait : ce qui peut poser en revanche un problème politique
et institutionnel c’est la reconnaissance de leurs langues dans l’espace public. Mais sur
cette question précise, on sort du domaine scientifique pour entrer dans celui du débat
public.

1.2. Culture
1.2.1. Une archi-notion qui s’épuise

10 Ce terme, que l’on ne peut plus désormais qualifier de notion, et encore moins de
concept, est tellement galvaudé qu’il n’a plus aucune signification opératoire. Issu des
recherches et des réflexions en anthropologie, en ethnologie et en ethnographie, il a
progressivement réussi à s’imposer bien au-delà de son domaine de recherche initial
(Cuche, 2001) pour investir l’ensemble des sciences humaines puis du débat public.
Cette seule présence massive hors du domaine académique ne suffit pourtant pas à le
disqualifier mais le problème est que les frontières entre le débat public et le débat
scientifique concernant l’utilisation de ce mot sont poreuses. C’est aujourd’hui le
domaine disciplinaire qui a popularisé ce terme qui le remet en cause de façon
radicale : de nombreux anthropologues, ethnologues et sociologues font le constat, non
seulement de l’épuisement théorique et pratique de l’idée de « culture », mais en
dénoncent les aspects parfois contre productifs (Cuche, 2001 ; Amselle, 1996, 2001,
2008 ; Bensa, 2006 ; Bayait, 1996 ; Rea et Tripier, 2003 ; Zoia, 2007). Les critiques
principales et convergentes qui sont portées résident dans le fait que la « culture » a
donné naissance à d’autres notions et d’autres termes (interculturel, multiculturel,
transculturel, etc.) qui ont eux-mêmes produit d’autres champs de réflexion et de
recherche sans que la notion de départ ne soit réinterrogée. Dans l’abondante
littérature sur « l’interculturel » par exemple, et notamment en didactique des langues,
le sens de « culture » est considéré comme allant de soi. La culture est ainsi réifiée,
objectivée, comme un réalité indiscutable représentant un tout homogène et
identifiable. Une analyse lexicographique a été menée (Da Silva et Ferrao-Tavares,
2007) sur les occurrences du terme « culture » et des phraséotermes qui en dérivent
dans les articles de la revue Études de Linguistique Appliquée (ELA) : « culture étrangère »,
« culture source », « culture cible », « culture courante », etc. Il en ressort un nombre
d’occurrences impressionnant, 569 phraséotermes, dont 236 pour le seul « culture
étrangère ». Les auteurs proposent, sur la base de ces occurrences, des prototypes
d’articles et des extraits d’articles tirés des ELA pour tenter de donner une sorte de
34

définition synthétique de chacun de ces phraséotermes. Ce qui ressort, c’est que


« culture » est associée à « collectivité », « communauté » ou « ensemble ». Outre le fait
que chacun de ces éléments nécessiterait une véritable analyse en profondeur, les trois
questions qui se posent sont les suivantes : est-ce que tous les membres de ladite
communauté ou collectivité sont interchangeables et de parfaits clones partageant tout
à l’identique ? Est-ce que cet ensemble est immuable ? Dans quelle mesure cette
communauté est-elle différente des autres et quels sont les critères qui permettent d’en
tracer les limites ? En expliquant une archi-notion par une autre, on tourne en rond en
opacifiant le problème. La culture est construite comme un ensemble nécessairement
étanche et homogène, même avec des approches inter-, multi- voire trans-culturelles
car ces préfixes ne sont qu’une illusion : pour qu’il y ait passage, contact, dialogue ou
coexistence entre les « cultures », celles-ci doivent nécessairement exister a priori et
même a posteriori parce que les contacts ne signifient pas leurs disparitions. La parade
est alors le discours sur le métissage mais derrière ce terme s’en cache un autre, bien
plus sulfureux : la race. Or, comme l’écrit Amselle (1996 : IX-X) :
En ce sens, la problématique de la race est loin d’avoir terminé sa carrière et l’on
peut, sans prendre beaucoup de risques, prévoir qu’elle sera au centre des
discussions ces prochaines années. C’est pourquoi le thème du métissage, qui paraît
en représenter l’antidote, n’est au contraire que la forme symétrique et inverse. On
ne peut métisser – ainsi que le montre la zootechnie – que ce qui existe déjà, c’est-à-
dire des lignées singulières.
11 Les « cultures » telles qu’elles sont pensées et présentées sans examen critique sont en
fait traversées de multiples contradictions, de conflits, par des remises en causes
permanentes et, surtout, elles ne sont pas immuables. L’historicisation des cultures que
préconise Bensa (2006) permet de replacer le problème dans le cadre non plus d’une
totalité inchangée mais d’un processus de formation et de transformation perpétuel de
l’organisation des sociétés, des pratiques et des représentations des individus qui les
composent. Comme l’écrit Bensa (2006 : 137) :
En assignant les comportements à une seul vignette collective (les Océaniens, les
universitaires, les syndicalistes, etc.), on construit une entité abstraite qu’on affuble
d’un costume appelé « culture » en manquant du même coup les pratiques
concrètes d’individus concrets, les luttes d’influence, initiatives, diversions, coups
bas et autres tactiques ; bref, on manque la vie sociale elle-même dans toute son
épaisseur, sa singularité circonstancielle et sa charge affective.

1.2.2. La « culture » des migrants

12 La référence permanente à la « culture » en ce qui concerne les immigrés charrie avec


elle les mêmes problèmes. Le débat public, et souvent même « scientifique », oscille
entre deux positions en apparence opposées : la première somme les immigrés
d’abandonner leurs « cultures » d’origine, d’accepter celles du pays d’accueil et de
s’assimiler ; la seconde appelle au respect des « cultures d’origine », à leur maintien et à
leur pérennité dans une société logiquement appelée « multiculturelle ». Mais les deux
positions renvoient aux mêmes problèmes et aux mêmes impasses théoriques et
pratiques de définition de ces « cultures » et de la non prise en compte des processus de
transformation permanents à l’œuvre. Cuche (2001 : 106), en évoquant cette notion de
culture d’origine, parle d’une notion
sémantiquement floue, et donc faiblement opératoire. En effet, quand on se réfère à
l’« origine », quelle origine veut-on désigner ? L’origine nationale ? Régionale ?
Locale ? Ethnique ? Sociale ? Le plus souvent, dans les commentaires sur les cultures
35

des immigrés, la « culture d’origine » d’un groupe de migrants est confondue avec
la culture nationale de leur pays d’origine. Mais, dans ce cas, surgit une nouvelle
difficulté : cette confusion méconnaît profondément le caractère hétérogène des
cultures nationales ; parler de « culture algérienne », par exemple, est tellement
imprécis que cela ne peut fonder une analyse rigoureuse.
13 La question s’est déplacée ces dernières années sur la religion qui cristallise les débats
aujourd’hui. Mais au-delà des approximations et des raccourcis, on mesure l’étendue de
l’hétérogénéité de cette autre illusion qu’est la « communauté musulmane » par
exemple, comme hier étaient aussi radicalement différents les Polonais et les Italiens
catholiques ou les Italiens entre eux, anticléricaux et fervents athées d’un côté ou
pratiquants traditionalistes de l’autre. L’évocation de la culture d’origine contribue en
fait à figer des réalités individuelles et collectives infiniment plus complexes et plus
mouvantes. Cette définition des cultures d’origine de l’extérieur relève de l’assignation
identitaire et, comme l’écrivent Rea et Tripier (2003 : 73), « les assignations identitaires
venues de la société dominante ont un pouvoir considérable et sont, par la suite,
retravaillées par les intéressés ». Ces auteurs évoquent le recours trop fréquent à la
« culture d’origine » et y voient un danger majeur : « la culture dite "d’origine", traitée
par les dominants comme une "seconde nature" fonctionne comme substitut
"politiquement correct" du racisme » (Rea et Tripier : 84).
14 Ce ne sont en effet pas des communautés culturelles qui migrent et encore moins des
cultures mais, comme l’écrit Cuche, (2001 : 106) « ce qui se déplace, en réalité, ce sont
des individus ; et ces individus, du fait même de leur migration, sont amenés à s’adapter
et à évoluer ». L’expérience des vagues de migration plus anciennes a empiriquement
démontré que les migrants et leurs descendants ne constituent jamais un ensemble
distinct au sein de la société ni qu’ils maintiennent inchangées leurs « cultures
d’origine » :
L’étude des migrants permet de saisir, pratiquement « en direct », comment se
fabrique une culture, comment, à partir de l’échange, s’opère l’amalgame qui
aboutit à une nouvelle configuration culturelle, mêlant l’ancien au nouveau dans un
système profondément original. (Cuche, 2001 : 111).
15 Car ce sont bien ces parcours concrets, ces trajectoires individuelles ou collectives
contextualisées qui m’intéressent ici et non « ce qu’on entend habituellement par
"culture", à savoir cet hypothétique réservoir de représentations ordonnées qui
préexisteraient aux pratiques et leur donneraient a priori du sens » (Bensa, 2006 : 33).
16 Derrière la culture apparaît souvent en filigrane, ou de façon explicite, la question
récurrente, voire obsessionnelle, de l’identité. Identités revendiquées ou assignées,
inventées ou réinventées, individuelles ou collectives. A l’heure de cette mondialisation
qui brasse tout, la recherche de l’identité semble devenir une nécessité de survie
psychologique. Mais ce sont des identités introuvables parce que multiples, complexes,
enchevêtrées (Riley, 2007 ; Lahire, 1998). L’identité, avec la culture, achève de figer des
réalités qui ne sont intelligibles que par l’examen des processus qui les font et les
défont sans cesse.

2. La migration comme parcours


17 Les migrants, par définition, se déplacent et ce déplacement est d’abord géographique.
Si les migrants sont aujourd’hui définis comme des personnes nées étrangères à
l’étranger, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas françaises à la naissance et qui
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naissent hors du territoire national, ceci signifie qu’ils se sont également déplacés en
traversant des frontières nationales. Mais les migrants passent aussi des frontières
économiques, sociales et symboliques. En se déplaçant, nous venons de le voir, ils
n’apportent pas dans leurs valises ou dans leurs têtes une culture préformée et une
identité figée qui resteront inchangées et qu’il faudra, ou qu’il faudrait, abandonner ou
préserver selon les positions idéologiques de ceux qui les accueillent. La migration
induit inévitablement une reconfiguration en profondeur des modes de vie et de pensée
des migrants, et ceci quels que soient les débats, voire les politiques qui seront menées
pour favoriser leur intégration, qu’elles soient de type assimilationniste ou
multiculturaliste. En effet, même dans les modèles politiques d’intégration les plus
soucieux de la préservation des « cultures d’origine », comme le modèle canadien, les
migrants ne sont plus les mêmes dès lors qu’ils ont vécu cette expérience. Sayad (1977)
a depuis longtemps montré que le migrant, avant d’être un immigré, est d’abord un
émigré et qu’il convient de prendre en compte les changements que provoque son
départ autant que ceux provoqués par son arrivée dans les pays d’accueil. En partant, il
n’est déjà plus celui qu’il était, ni pour lui-même ni pour les autres. Sayad a analysé la
migration comme un parcours et a ainsi remis le phénomène en perspective. Ceci a
également pour effet de sortir d’une forme de « socio-centrisme » ou de « géo-
centrisme » qui ne considère le migrant que comme un immigré. Cette posture, qui
peut d’ailleurs afficher les meilleures intentions du monde, oublie que si
« l’immigration est une chance pour la France », formule répétée jusqu’à satiété, elle
peut être dans le même temps une catastrophe pour les pays d’origine qui se vident de
leur citoyens les plus entreprenants, les retours en termes d’envois de devises étant
une bien maigre consolation pour le développement dans leurs pays d’origine 3. Avant
d’évoquer les questions d’intégration, il serait donc intéressant de revenir sur ces
parcours sans l’analyse desquels les tentations sont grandes de figer les migrants dans
des « cultures » ou des identités définies du point de vue de la société d’accueil.

2. 1. La biographie

18 Pour cela, il convient d’interroger une notion centrale : la biographie. Je pars d’abord
du même constat que Sève (2008 : 20) : « les approches les plus variées de la biographie
restaient toutes comme rivées au dogme d’une invariance identitaire précocement fixée sur
quoi le cours d’une vie, indépendant du monde où il se trace, serait hors d’état d’agir ».
La biographie au sens où je l’entends ici n’est pas la simple évocation d’une vie ou
même d’un récit de vie mais la mise en perspective sociale et historique de parcours
concrets d’individus concrets. Molinié (2009 : 40-41) distingue deux types d’objectifs dans
les approches de l’autobiographie en didactique des langues : « des objectifs
extrinsèques » avec souvent des « finalités de type évaluatif » qui permettent entre
autres de proposer des parcours de formation adaptés à l’apprenant, à ses acquis, à son
profil, à ses besoins ; le deuxième objectif « sera qualifié d’intrinsèque à la (co)
production des récits et discours autobiographiques des apprenants ». Le récit de vie
« contribue au développement qualitatif des apprentissages et plus largement, au
développement d’un projet global de formation. C’est donc une activité auto-
formative ». J’entends aborder pour ma part la question biographique avec le premier
objectif, même si la perspective de l’évaluation sommative est bien entendu absente.
19 J’entends pour ce qui concerne mon propos ici la biographie comme l’analyse des
rapports dialectiques, c’est-à-dire des rapports à la fois d’unité et de contradictions,
37

d’interactions permanentes entre la singularité profonde des individus et de leurs


parcours et les déterminations économiques et sociales à l’œuvre dans la construction
de leurs vies. Il s’agit de sortir du choix biaisé entre l’individu et son libre arbitre absolu
ou un déterminisme mécaniste. Sève (2008 : 33) offre la piste suivante :
avec l’historicité des figures globales de l’individualité nous n’avons établi,
pourrait-on croire, que l’existence de cadres objectifs externes au sein desquels
prennent corps des formes très générales de la personne psychique – le statut, l’âge,
le genre dans leurs déterminations sociales. Et si importante que soit cette
dimension des choses, elle peut sembler éloignée encore de ce que nous voulons
saisir quand nous posons la question de la biographie comme dynamique subjective
interne de la vie d’un individu singulier.
20 La biographie de l’individu singulier se construit dans et par les rapports sociaux au
sens large, c’est-à-dire bien au-delà des interactions et des rapports interpersonnels.
Elle s’inscrit dans le cadre historicisé des conditions matérielles au sein desquelles se
développe la personnalité des individus. Comme l’écrit encore Sève (2008 : 111) :
L’individualité psychique est tout autre chose qu’une reproduction microcosmique
du tout social. Pour autant, il n’est rien dans les individus, fût-ce le plus
directement neurobiologique, qui ne porte en profondeur les marques de la
formation et de l’histoire sociale qui sont les siennes, mais leur individualité
psychique même, dans ce qu’elle a de proprement humain, se constitue à travers
l’appropriation inépuisablement originale en chaque biographie personnelle de
cette formation et de cette histoire
21 Avec cette approche, il me semble que l’on sort de cet entre-deux « culturel » qui n’est
ni vraiment social ni vraiment individuel, une sorte d’immanence sans histoire et sans
origine, qui s’imposerait aux individus réduits à de simples réceptacles : la « culture »
existerait et se transmettrait dans et par la « communauté », entité vaporeuse sans base
matérielle et constituée non d’individus mais de membres, avec tout le poids du sens de
ce mot, c’est-à-dire comme partie d’un corps.
22 Ce concept de biographie travaillé par Sève représente selon moi un outil apte à
comprendre les parcours des migrants – et pas seulement d’eux d’ailleurs, mais
restons-en à notre sujet – et à éclairer les processus d’insertion et d’intégration. Ce sont
les parcours menés au sein des rapports interpersonnels, sociaux et économiques qui
font la biographie et qui construisent la personnalité singulière des individus.

2. 2. Des individus, des parcours, des biographies

23 Travailler sur les parcours des migrants nécessite par définition un temps de recherche
qui dépasse celui du protocole méthodologiquement calibré, de la rencontre ou de
l’entretien, moments suspendus et nécessairement circonscrits. Ces parcours ne se
disent pas facilement dans l’espace socialement limité d’une rencontre éphémère et
formelle entre deux inconnus. L’évocation de ces parcours peut être douloureuse
d’abord mais, surtout, leur mise en récit ne va pas de soi pour les migrants : d’une part
parce qu’il y a la difficulté linguistique, technique, à mettre cette vie dans les mots
d’une langue qu’ils ne maîtrisent pas encore suffisamment ; d’autre part, parce que la
mise en récit de ces parcours suppose qu’ils puissent avoir un intérêt pour quelque
chose ou quelqu’un. En somme, il leur semble parfois que leur vie ne vaut pas la peine
d’être racontée. Enfin, l’évocation de ces parcours suscite très souvent une méfiance et
une retenue dues justement à ces vies toujours sur le tranchant de la légalité, de
l’oppression familiale, sociale ou politique, sur la honte ou sur « la peur d’avoir fait tout
38

ça pour rien », comme je l’ai souvent entendu dire par des migrants qui ne réussissaient
pas à s’en sortir. Connaître et tenter de comprendre ces parcours suppose donc un
rapport qui aille bien au-delà de la rencontre : le temps long est nécessaire pour lever
les méfiances puis éventuellement établir des connivences qui permettront de libérer la
parole. Laacher (2002) a travaillé sur ces parcours avec des réfugiés de Sangatte et ceci
permet de mettre la situation des migrants en perspective : il met en évidence des
parcours migratoires très étroitement liés à des stratégies collectives et non à des choix
individuels. Les migrants sont d’abord des émigrés et les contextes économiques,
sociaux, familiaux de l’émigration sont déterminants pour comprendre l’immigré, sa
situation, ses choix et ses perspectives.
24 J’ai pu mettre à profit ce temps long nécessaire à des échanges plus ouverts pendant la
dizaine d’années où j’ai exercé comme formateur d’adultes. J’ai rencontré des dizaines
de migrants qui suivaient des formations linguistiques ou qui étaient engagés dans des
parcours d’insertion. Le temps long des formations permettait des échanges basés sur
la confiance et qui dépassaient le cadre strict de l’intervention didactique. C’est lors de
ces échanges que les parcours migratoires de ces personnes me sont apparus dans toute
leur singularité et j’ai compris en quoi ces parcours déterminaient leurs façons de
penser et de vivre leur intégration sociale et, pour ce qui nous intéresse ici,
linguistique. Je suis de nouveau Bensa (2006 : 346-347) dans cette démarche :
Les temporalités se croisent et il convient de changer d’échelle pour montrer que ce
qui se joue donne accès, par feuilletages successifs, à des pans insoupçonnés de ce
qui nous apparaît dans l’immédiateté apparente du présent. La remontée du local
au global, et non l’inverse, exige un incessant mouvement qui n’en reste jamais ni à
un point de vue général, ni à une appréciation particulière mais établit les relais qui
ont rendu possible ce que l’on observe. Le plus descriptif est déjà conceptuel, et le
plus conceptuel n’est jamais étranger à une description. Entre l’un et l’autre, il ne
devrait pas y avoir de fossé mais un maillage serré d’écriture où la continuité du
récit ferait apparaître comme des motifs.
25 Je vais évoquer plusieurs de ces parcours mais les noms des personnes concernées, ainsi
que celui de quelques lieux, ont été modifiés afin qu’un strict anonymat soit préservé.
26 Le premier de ces migrants est Saïd : il vient d’un pays arabe du Golfe Persique mais il
est d’origine palestinienne. Il est médecin, a fait ses études en Grande-Bretagne avec
une bourse du gouvernement de son pays d’adoption et il exerce dans l’armée. Au
moment du déclenchement de la première guerre du Golfe, il se trouve en France et
décide de ne pas retourner dans son pays et de demander l’asile en France, qu’il
obtient. En France, il doit tout recommencer et repartir de rien parce qu’il ne peut
exercer avec ses diplômes étrangers. Il doit donc repasser des examens pour obtenir
son habilitation. C’est une situation qu’il juge humiliante et injuste mais à laquelle il se
plie. Il est parfaitement conscient de son déclassement social puisqu’il doit également
accepter de vivre dans un quartier populaire avec un niveau de vie très inférieur à celui
qu’il possédait dans son pays. Arabophone natif, il affiche un souverain mépris pour les
maghrébins immigrés de son quartier qu’il traite de « paysans ignorants ». Il
m’explique à chaque fois qu’il en a l’occasion qu’il ne faut pas confondre tous les arabes
et que ceux-là n’en sont d’ailleurs pas vraiment parce qu’ils sont berbères pour la
plupart et que ceux qui ne le sont pas parlent un arabe avili. Il ne veut d’ailleurs pas se
mêler aux autres apprenants et préfère travailler seul. Son approche de l’apprentissage
du français est basée uniquement sur l’écrit et il répugne à utiliser des documents
oraux. Il se sert de grammaires et de manuels de conjugaison dont il ne veut pas se
39

séparer. Il progresse rapidement à l’écrit et surtout dans son domaine de spécialité


qu’est la médecine dans le but de passer ses examens. En revanche, il se plaint de ne pas
pouvoir tenir de conversations au quotidien et avoue ne rien comprendre à ce que lui
disent les Français malgré plusieurs années passées en France. Constatant la différence
entre le français écrit qu’il apprend et l’oral utilisé par les natifs de son quartier, il en
déduit fort logiquement que les Français ne parlent pas correctement leur propre
langue, en faisant le lien avec l’origine sociale de ceux qu’il côtoie tous les jours, mais
avec qui il ne tient pas à entretenir de relations. Il m’avoue que je suis le premier
Français avec qui il a eu une discussion prolongée depuis qu’il est en France. Saïd n’est
pas le seul dans ce cas : il y aussi, par exemple, Mohamed, ex-officier de l’armée d’un
autre pays arabe qui vit son déclassement avec autant d’aigreur et qui n’entend
apprendre le français que par la littérature. Saïd et Mohamed ne se sont jamais
rencontrés mais leur vision de l’intégration est sensiblement la même : retrouver le
rang social qu’ils ont perdu.
27 Un autre parcours très différent, mais qui produit les mêmes effets, est celui de Chaya,
femme, Afghane et médecin elle aussi. Parlant et écrivant le pachtou, sa langue
première, qui utilise l’alphabet arabe, elle a suivi ses études de médecine en Union
Soviétique, en russe, qui utilise l’alphabet cyrillique. Le simple fait d’être femme et
médecin étant en lui-même une véritable provocation pour les obscurantistes de son
pays, elle a fui l’Afghanistan après le départ des Soviétiques et la chute de Mohamed
Nadjibullah, dernier président communiste, assassiné par les Talibans. Réfugiée en
France, elle se retrouve en formation linguistique dans un groupe d’alphabétisation aux
côtés de travailleurs Nord Africains analphabètes vivant en France depuis parfois plus
de 15 ans pour certains. Sa présence dans un groupe d’alphabétisation était en soi une
ineptie dans la mesure où elle connaissait et maîtrisait deux systèmes d’écriture
différents, mais l’« évaluation » qui avait été faite a effectivement montré qu’elle ne
savait ni lire ni écrire le français, ce qui a conduit l’organisme de formation à l’inscrire
dans ce groupe. Mais le fait qu’elle soit pluri-littéraciée lui donnait évidemment un
avantage déterminant. Devant les yeux éberlués et admiratifs des travailleurs
analphabètes du groupe, Chaya s’est jetée dans l’apprentissage du français écrit en
utilisant ses deux dictionnaires bilingues, russe-pachtou et russe-français. Quand elle
lisait ou entendait un mot français qu’elle ne comprenait pas, elle en cherchait la
signification en russe puis le traduisait en pachtou et, inversement, quand elle voulait
écrire ou dire un mot en français. Elle se constituait ainsi son propre dictionnaire
qu’elle tenait à jour et progressait bien sûr à une vitesse impressionnante à l’écrit, sans
être encore capable, dans un premier temps, d’interagir à l’oral : à ses côtés, les autres
apprenants qui n’éprouvaient pas de difficulté majeure de communication à l’oral, en
étaient encore à tenter de reconnaître leur adresse à l’écrit que Chaya pouvait déjà lire
des articles de presse.
28 En parallèle, il y a Nassir ou Ahmed, l’un analphabète et l’autre très faiblement
scolarisé, arrivés en France par nécessité économique, plongés dans le bain
professionnel et social et contraints d’apprendre le français « sur le tas » pendant des
années. Ils sont venus, comme beaucoup d’autres, dans l’espoir de repartir avec un
« magot », selon le mot d’Ahmed, pour ouvrir un commerce au bled ou, pour Nassir,
d’acheter un taxi. Mais la crise est passée par là et les espoirs se sont envolés : en lieu et
place du magot, des contrats mal payés alternant avec des périodes de formation. Ils
suivent ces formations sans espoir démesuré mais en saisissant l’opportunité qui se
présente à eux : « si on peut prendre un peu lire écrire c’est bien pour trouver le travail
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et c’est bien pour aider les gosses l’école » explique Nassir. Leur approche de
l’apprentissage est exclusivement orale et ils s’appuient sur ce français construit sur les
chantiers et dans le quartier. Partis du Sud tunisien vers les usines de la sidérurgie
lorraine, ils sont façonnés par le monde du travail et les souvenirs nostalgiques qu’ils
évoquent sont ceux de cette période de plein emploi qu’ils ont connu à leur arrivée en
France. Ahmed retrouve d’ailleurs comme formateur Mouloud, avec qui il a travaillé
autrefois comme soudeur. Mouloud est passé par la lutte syndicale et politique, il s’est
formé dans les écoles de son syndicat et si son français écrit n’est pas
orthographiquement irréprochable, cela lui a permis en tous cas de devenir un
excellent professionnel de l’insertion. Il sait donc parfaitement mesurer l’importance
de la maîtrise de la langue dans un parcours d’insertion et son autorité sur les
apprenants, dont la motivation peut parfois fléchir, est incontestable. 11 ne s’adresse
d’ailleurs à Ahmed et Nassir qu’en français : c’est la langue de leur parcours de
migrants mais c’est aussi leur véritable langue commune dans la mesure où la variété
d’arabe que parle Mouloud, qui vient de l’Atlas marocain, est très différente de celle des
deux apprenants.
29 Et puis il y a aussi Olga, la polonaise, Katerina, l’ukrainienne et Hatice la turque. Les
deux premières, conscientes de leur potentiel, n’ont pas attendu que leur pays se
développe et leur offre des perspectives qui risquaient d’arriver trop tard. Issues de
familles urbaines éduquées, elles ont choisi délibérément la France et sont parties dès
qu’elles ont pu. Elles se sont littéralement jetées dans l’apprentissage du français en
faisant le choix sans retour possible de l’intégration rapide. En deux ans, elles ont
mobilisé tout leur potentiel et leurs acquis scolaires, cognitifs et sociaux pour
apprendre cette langue qu’elles savaient être la clé de la réussite. Hatice en revanche,
en France depuis douze ans, parle à peine quelques mots de français. Elle est arrivée de
Turquie avec son mari, a élevé ses enfants en restant confinée à son espace familial et
en n’entretenant de relations qu’avec d’autres Turcs. Quand son mari décide de la
quitter sans prévenir, il la laisse complètement démunie. Faiblement scolarisée en
Turquie, elle sait à peine lire et écrire et doit tout apprendre de ce pays et de cette
langue qui lui sont étrangers pour tenter de survivre en élevant ses trois enfants. Sans
acquis scolaires solides, sans autre référence linguistique que le turc, elle est
complètement perdue dans un univers social qu’elle découvre. La seule passerelle vers
le monde extérieur, ce sont ses enfants, parfaitement francophones, sur qui elle porte
tous ses espoirs. La famille va dorénavant s’organiser autour de cette nouvelle
organisation domestique précaire : les enfants servant de traducteurs permanents pour
leur mère qui, de son côté, se charge de la survie au quotidien. L’apprentissage est alors
tourné vers la résolution des problèmes langagiers immédiats : savoir suffisamment de
français pour trouver un emploi de femme de ménage et pouvoir comprendre les
quelques consignes des éventuels employeurs.
30 Dernière étude de cas enfin, avec ce groupe d’agents de nettoyage industriel. Ils
travaillent pour une entreprise de propreté sur le site d’une usine sidérurgique en
Lorraine. Les nouvelles dispositions en matière de sécurité prise par la direction du
groupe sidérurgique imposent à toute personne entrant dans l’usine de répondre à un
questionnaire de prévention sur les risques encourus et les consignes à suivre. Pour
renseigner ce questionnaire, il faut lire un document qui défile sur un écran
d’ordinateur et répondre aux questions posées sur un document papier. Or, ces
employés, qui travaillent sur le site depuis longtemps, sont en grande insécurité à
l’écrit et ne sont pas en mesure de répondre aux questions. L’accès à l’usine risquant de
41

leur être interdit, l’entreprise de propreté qui les emploie a donc décidé de demander à
un organisme de formation de former ces salariés avec l’objectif de les aider à répondre
à ce questionnaire. Cette action de formation a fait l’objet d’une recherche (Adami,
2008b) portant sur les stratégies de lecture de ces apprenants. Mais ce qui est
intéressant pour mon propos ici, c’est la composition de ce groupe. Il est composé
uniquement d’hommes dont les âges varient entre 35 et 59 ans et qui ont une longue
expérience dans cette usine. Ils sont natifs de Lorraine, d’Italie, du Maroc, d’Algérie et
du Cambodge. Les deux Italiens du groupe sont arrivés de Sicile très jeunes et sont
francophones. Le plus ancien, à un an de la retraite, vient du Maroc mais il est installé
en France depuis très longtemps et communique sans difficulté en français oral. Le plus
jeune est algérien et il est arrivé en France quelques années auparavant. Tous ont en
commun une grande insécurité à l’écrit : certains n’ont jamais été scolarisés et sont
analphabètes. D’autres l’ont été quelques années dans leur pays d’origine et ont appris
à lire et à écrire en arabe, en français ou en khmer mais savent à peine déchiffrer. Les
deux Italiens et le francophone natif ont suivi leur scolarité obligatoire en France mais
se sont vite retrouvés en échec grave : ils sont en situation d’illettrisme et sont à peine
en mesure de lire et de comprendre une phase tirée des documents de sécurité
distribués par l’usine. Ce qui est intéressant dans ce groupe, c’est qu’au-delà de sa
composition, qu’une analyse rapide qualifierait de « multiculturelle », il existe une
profonde homogénéité. Ils possèdent les mêmes références professionnelles et sociales,
ils sont « chez eux » dans cette usine et dans cette région. Quand il est question des
difficultés du métier, de l’avenir, des dangers, de la mémoire de l’usine, et même de
leur vie, la parole est commune, polyphonique : l’un commence à parler puis s’arrête
tandis qu’un autre reprend, approuvé silencieusement par les hochements de tête de
ceux qui ne disent encore rien, mais consentent. L’un évoque les dangers de l’usine qui
font partie du quotidien, se tait et reprend son travail de lecture tandis que deux autres
reprennent successivement le cours du discours en évoquant la mort récente d’un
jeune contremaître : « Si tu fais pas gaffe, tu crèves » conclut un quatrième, approuvé
par le murmure des autres.
31 Dans ce groupe, les sectorisations académiques entre apprenants de Français Langue
Étrangère, Langue Seconde ou Langue Maternelle n’ont plus cours. Celui qui est
considéré par les autres comme le plus compétent en matière de lecture et d’écriture
est l’Algérien, le plus jeune, celui qui est arrivé le plus tard en France. C’est celui qui a
suivi, relativement aux autres, la scolarité la plus longue et la moins problématique. De
fait, en matière de lecture, c’est lui éprouve le moins de difficulté, malgré le fait que le
français ne soit pas sa langue première : de toutes façons, s’agissant des écrits
professionnels qui ont trait à l’usine, il comprend sans peine ce qui pour un lecteur
expert poserait d’évidents problèmes de compréhension comme le vocabulaire
technique par exemple. Le fait en apparence paradoxal que ce soit ce jeune Algérien qui
se débrouille le mieux à l’écrit en français ne pose pas l’ombre d’un problème aux
autres, et notamment à ceux qui ont été scolarisés en France. Cela n’autorise d’ailleurs
pas non plus le jeune salarié à se sentir supérieur aux autres : « C’est bien, il a réussi à
l’école, pas comme nous » dit Vittorio.
32 Engagés dans cette formation aux écrits professionnels imposée par de nouvelles
contraintes, ces salariés regrettent unanimement le temps où les consignes étaient
données à l’oral « par le chef ». La médiation obligée de l’écrit installe un écran
symbolique entre la réalité de l’usine qu’ils connaissent parfaitement et ce que leur
42

donnent à percevoir les nouvelles dispositions en matière de sécurité : ce qui était


censé renforcer la sécurité les insécurise au contraire.
33 Ce groupe de salariés aux parcours en apparence si différents, aux origines
géographiques si diverses, constitue en réalité un point de convergence de parcours
individuels et de biographies sociolangagières façonnées en profondeur par cet aspect
social surdéterminant qu’est le travail.

3. Les insécurités langagières


34 Le concept d’insécurité linguistique proposé par Labov (1976), et qu’il n’a
paradoxalement pas clairement défini (Baggioni, 1996), renvoie à une situation de
contact entre deux variétés de langue, dont l’une est en position socialement
dominante. Les locuteurs sont alors contraints de gérer des situations langagières
complexes où le fait d’utiliser l’une ou l’autre variété a des conséquences en termes de
positions, de places, d’image de soi et de l’autre. Les locuteurs qui utilisent la variété
dominée se retrouvent en insécurité linguistique quand ils sont confrontés à des
situations qui les contraignent à choisir et sortir de la sécurité que procurent les
interactions de connivence entre pairs linguistiques et/ou sociaux. La question centrale
est celle de la norme autour de laquelle tourne cette insécurité linguistique. Labov
analyse l’emploi de différentes formes socialement marquées de prononciation et
constate cette insécurité notamment dans les couches sociales intermédiaires, ce que
les Américains appellent les middle classes. Ce concept a été utilisé pour analyser des
situations diglossiques où des langues standards côtoient des variétés locales dominées
(Bavoux, 1996).
35 L’insécurité langagière que je veux évoquer ici est différente. En effet, elle ne concerne
pas des situations de diglossie ou bien des situations d’incertitude autour de l’usage de
la forme standard normée mais une situation de langue dominante unique et
hégémonique. Si les locuteurs ont le choix d’utiliser une autre langue que la langue
dominante, ce choix reste confiné à des sphères sociales très restreintes. Dans l’espace
public en revanche, le choix de la langue dominante s’impose dans la quasi-totalité des
situations. C’est le cas des migrants et de leurs langues dans l’espace public français. Il
n’y a donc pas d’insécurité linguistique dans la mesure où le choix s’impose et où la
référence à la norme n’est pas l’aspect essentiel. En revanche, il y a insécurité
linguistique pour les locuteurs qui ne maîtrisent pas la langue dominante, ou en tous
cas qui ne possèdent pas de répertoires langagiers suffisamment étendus et diversifiés
dans cette langue.

3.1. L’insécurité multiforme

36 Si l’on analyse le problème sous l’angle des biographies, il apparaît que le problème
n’est pas l’insécurité linguistique mais l’insécurité sociolangagière. En effet, la question
de la maîtrise de la langue ne se pose pas d’abord en termes simplement linguistiques.
Il n’existe pas de progression linéaire de la construction de l’interlangue selon un
modèle exclusivement linguistique. Il est très difficile de lister par exemple les
premiers mots outils indispensables, puis les « structures de base » et enfin les
structures complexes. Chaque parcours, chaque biographie a suivi des voies
sociolangagières d’intégration différentes (Adami, à paraître). L’interlangue de chaque
43

migrant correspond, à un moment donné de son parcours, à l’accumulation des


expériences sociolangagières empiriques qui ont permis sa construction. Les
compétences sont donc extrêmement complexes à définir et à classer selon des
niveaux, fussent-ils ceux du très structuré et très complet Cadre Européen Commun de
Référence pour les Langues (CECRL). Les compétences acquises par les migrants en
milieu naturel sont asymétriques et sont difficilement intégrables à un modèle général
de progression. Les répertoires langagiers qu’ils maîtrisent peuvent être tout à fait
adaptés à telle ou telle situation, tel ou tel besoin, tel ou tel interlocuteur mais ils ne
sont pas aisément transférables à d’autres situations. On ne peut donc pas parler
d’insécurité linguistique en général mais d’insécurité sociolangagière indexée, c’est-à-
dire liée à un contexte social particulier et à une situation particulière
d’interaction. L’asymétrie la plus grande est celle qui existe entre l’oral et l’écrit et
leurs divers contextes d’utilisation. Certains migrants par exemple, mais c’est
également le cas de nombreux francophones natifs en situation d’illettrisme, sont à
l’aise à l’oral dans de nombreuses situations d’interaction mais sont très en insécurité à
l’écrit. Certains autres en revanche sont particulièrement à l’aise à l’écrit en raison
d’une scolarisation longue mais se retrouvent en difficulté dans les interactions orales
spontanées. Or, la maîtrise de l’écrit est un élément déterminant du processus
d’intégration linguistique (Adami, 2008a). D’autres formes d’asymétrie des compétences
existent entre les répertoires langagiers des migrants : ils peuvent n’éprouver aucune
difficulté à communiquer avec leurs collègues de travail mais se retrouver muets,
incapables d’expliquer un problème administratif devant un employé de mairie.
37 L’insécurité langagière des migrants dépend de leurs parcours qui commence dans le
pays d’origine où certains ont déjà eu des contacts, plus ou moins étroits, avec le
français. Dans le cadre du dispositif du Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI), les
migrants nouvellement arrivés sont évalués sur leur degré de maîtrise du français.
Dans le bilan de l’année 2006 concernant les signataires du CAI (Régnard, 2008), il
apparaît que l’ANAEM n’a prescrit des formations linguistiques que pour 24,3 % des
migrants et estime que 71,3 % d’entre eux peuvent communiquer en français 4. Ceci ne
signifie pas que ceux qui ne devront pas suivre de formation ne soient pas en insécurité
langagière. Pour le savoir, il faudrait affiner l’évaluation en fonction des situations de
communication les plus courantes et les plus diverses mais c’est évidemment
matériellement impossible.

Conclusion
38 L’intégration linguistique des migrants ne suit pas une ligne tracée d’avance, ce n’est
pas un parcours facilement balisable par des niveaux, des phases ou des passages.
L’établissement de repères objectifs est certes nécessaire mais ils ne doivent pas
conduire à oublier l’extrême complexité des biographies et surtout des situations
langagières dans lesquelles sont engagés les migrants. C’est nécessaire pour intervenir
en formation afin de mesurer exactement et de façon fine ce qu’il est convenu
d’appeler les acquis de chaque apprenant et de déterminer précisément des objectifs en
fonction du projet professionnel, social et personnel. Les évaluations et les niveaux ne
sont jamais que des photographies, indispensables, mais forcément réductrices.
39 L’objectif des démarches de formation pourrait être de transformer la sinuosité de ces
parcours d’intégration langagière en trajectoire, c’est-à-dire d’aider les apprenants à
44

établir des objectifs langagiers et à les atteindre, au-delà même du temps limité de la
formation.
40 La formation pourrait permettre de passer d’une démarche empirique, conduite par les
aléas de la biographie, à une véritable stratégie d’apprentissage en milieu naturel.

NOTES
1. Ceci n’empêche d’ailleurs pas des formes de parasitage idéologique dues précisément à cette
position d’observateur « interne ». À cet égard, j’ai le souvenir d’une étudiante d’origine
algérienne qui préparait un mémoire sur les rapports entre langue d’origine et langue du pays
d’accueil en observant sa famille. Littéralement imbibée d’idéologie différentialiste et
multiculturaliste, elle s’appuyait sur l’hypothèse que non seulement les migrants conservaient
leur langue d’origine, mais qu’ils la transmettaient et qu’elle représentait un puissant sentiment
d’identité et de force culturelle. Or, armée d’une méthodologie irréprochable, son étude l’a
menée à infirmer complètement son hypothèse de départ : le français était bien devenu, y
compris pour les parents, la langue première de la famille que les enfants utilisaient
exclusivement sans souci particulier de conserver la langue d’origine des parents. Mais cette
étudiante, plutôt que d’admettre ce qu’elle venait elle-même de démontrer de façon indiscutable,
a choisi de remettre en cause sa propre méthodologie et de saborder ainsi son travail pour
revenir à ses positions idéologiques de départ.
2. Le choix de ces guillemets sera expliqué plus bas.
3. Il y a par exemple davantage de médecins béninois dans la seule région de l’Ile de France que
dans l’ensemble du Bénin.
4. C’est désormais l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) qui est chargé de
cette évaluation sur la base d’un test objectif.

AUTEUR
HERVÉ ADAMI
ATILF, Nancy Université et CNRS, équipe CRAPEL
45

Démarche didactique de l’insertion


socioprofessionnelle par la langue
46

Du FLE au FLP : quelles questions


pour enseigner ? Témoignage
Emmanuelle Daill

1 Professeure et formatrice à l’Alliance française Paris-Île de France, je suis amenée,


depuis presque trois ans maintenant (septembre 2007) à enseigner le Français langue
professionnelle (FLP) auprès de groupes constitués de salariés d’entreprises du BTP, de
la restauration collective ou, plus récemment, du secteur de la publicité urbaine.
2 Ces nouveaux cours, ces nouveaux publics m’ont amenée à me poser un certain nombre
de questions pour, à partir de mon expérience de l’enseignement du FLE, m’adapter au
mieux à des besoins différents.
3 Ces questions sont orientées par mon regard, lui-même influencé par mon parcours
dans la profession. Le fait d’être à la fois professeur et formateur de formateur me
permet de nourrir ma pratique de classe par la réflexion sur les processus
d’enseignement/apprentissage et de construire des outils pour les transmettre à
d’autres et, en parallèle, mes interventions en tant que formatrice s’appuient sur mes
expériences et expérimentations de la classe.
4 A l’Alliance française Paris-Île de France les professeurs investis dans les cours de FLP
ont eu le choix de cet investissement, il s’est fait sur la base du volontariat. J’ai tout de
suite été intéressée lorsque ces nouveaux types de cours ont été ouverts. Mon parcours
professionnel explique peut-être l’intérêt que j’y ai porté.
5 À la fin des années 90 j’ai été bénévole dans une association de femmes qui proposait,
entre autre, des ateliers d’alphabétisation. J’étais à ce moment-là étudiante en lettres
modernes puis j’ai repris un cursus en FLE. Surveillante dans un lycée, j’ai commencé à
enseigner le FLE à des lycéens marocains primo arrivants. J’ai ensuite travaillé deux ans
à Casablanca à l’Institut français où j’ai eu la chance de bénéficier d’un grand nombre
d’heures de formation continue, notamment en évaluation et en observation de classe.
Je suis devenue tutrice : j’accompagnais les nouveaux professeurs dans leurs pratiques,
les recevais dans mon cours, observais leur classe et animais des ateliers pédagogiques.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir une pratique réflexive, à chercher des
réponses aux questions soulevées par le quotidien de la classe. C’est aussi à cette
47

période que j’ai commencé des cours de FOS en entreprise et ce qui était déjà du FLP
(sans que je le sache), dans un supermarché.
6 En 2003, de retour en France, j’ai commencé à travailler à l’Alliance française à Paris,
pendant un an, en mettant l’accent sur les cours de FOS et l’évaluation. Un passage
de 6 mois comme professeur de FOS au sein d’une importante entreprise pétrolière a
complété ma pratique du FOS pour des métiers très variés.
7 Puis pendant une autre année, j’ai été chargée du diagnostic linguistique dans le cadre
d’un marché pour le Conseil Régional d’île de France et du FASILD 1 au sein d’une
association. J’ai côtoyé un public pas toujours scolarisé dans son pays d’origine. Nous
avons fait partie des lieux d’expérimentation du D1LF : j’ai eu l’impression de vivre un
moment important, où deux univers se rencontraient, les associations et l’université, le
monde de l’insertion et celui de la recherche et j’ai pensé que quelque chose de
fondamental était en train de changer. Je me suis souvenue des tâtonnements de mes
débuts en tant que bénévole... Le DILF a permis aussi de tendre vers un langage
commun, voire des pratiques communes, harmonisées.
8 Je suis maintenant titulaire de mon poste à l’Alliance française Paris-Île de France.
9 Le travail mené en FLP à l’Alliance a été dès le début accompagné par des moments de
formation de l’équipe au CLP2, sous la responsabilité pédagogique de Mariela de Ferrari.
Cet accompagnement a été primordial, il nous a permis d’avancer, de comprendre les
nouveaux enjeux proposés par ces cours. Ces formations m’ont donné des pistes pour
comprendre, pour faire des choix en classe et continuent à nourrir ma réflexion.
10 C’est ainsi qu’il y a des questions pour lesquelles des réponses sont déjà trouvées, de
fait parce qu’il faut « faire » et que les apprenants n’attendent pas... mais aussi pour
lesquelles il y a encore des « bouts » de réponses à inventer et des réflexions à mener.
11 La première est peut-être une évidence pour certains mais ne va pas de soi pour moi :
qu’est-ce qu’enseigner le FLP ? Pour le professeur que je suis qui prépare son cours, qui
l’anime... qu’est-ce que cela implique, qu’est-ce que cela change par rapport à un cours
de FLE ? Le fait de travailler avec des salariés, identifiés comme tels, qui ne sont pas des
étudiants mais des stagiaires qui sont là pour accroître leurs compétences
professionnelles...?
12 La deuxième question pour laquelle je cherche des réponses vient du fait que ces
salariés sont parfois sans qualifications, qu’ils ont souvent été peu scolarisés, ou pas du
tout, et que cette formation qu’ils suivent est pour eux parfois la première occasion
d’être en situation d’apprenants, dans une salle de cours. Alors je me demande
comment on apprend à apprendre, à lire, à écrire, à l’âge adulte ? Comment se
positionne-t-on dans cet apprentissage ?
13 La troisième question que j’évoquerai ici, et qui n’est sans doute pas la dernière dans les
réflexions à mener, est celle qui concerne le déroulement du cours lui-même. Qu’est-ce
que les cours de FLP changent dans la classe ? Les paramètres observables seront les
mêmes, mais les observations ne seront pas celles faites dans un cours de FLE. Alors
qu’est-ce que cela modifie dans mes pratiques, dans l’animation du cours, dans
l’occupation de l’espace classe, dans l’utilisation du matériel, dans les échanges...?
14 Je vais tenter ici de faire le point sur l’état de ma réflexion sur ces questions et
j’essaierai le plus possible de partager mon vécu, notamment en illustrant mes propos
par des exemples issus de mon expérience de professeur de FLP.
48

1. Former des professionnels, qu’est-ce que cela


implique ?
15 Pour chaque nouveau cours on entre dans un nouvel univers, une nouvelle entreprise,
des salariés différents et ces paramètres changent ce que l’on pourra mettre en place en
classe pour tenter de répondre au mieux aux besoins et aux attentes. On s’appuie sur
l’analyse des situations de travail. La rencontre de l’équipe en amont est primordiale et
la visite du lieu de travail (chantier, cafétéria, restaurant d’entreprise, usine...)
fortement recommandée. C’est sur place que l’on identifie des besoins que l’on n’aurait
jamais envisagés en partant juste de la fiche de poste et de la demande du responsable
de la formation au sein de l’entreprise. Ma pratique du FLE et des cours basés sur le
CECR m’incite à proposer des cours, des démarches qui s’appuient sur l’approche
actionnelle. Les étudiants en FLE comme les stagiaires en FLP peuvent s’investir dans
des projets, auxquels ils adhèrent en amont, qui souvent viennent d’eux, de leurs
besoins, de leurs demandes : ils travaillent différentes activités langagières, liées à leur
domaine, à leur vie et ils développent ainsi leurs compétences communicatives.
16 Alors, bien qu’un premier programme ait été défini au début de la formation, je me
rends compte qu’il est rarement suivi tel quel et que, si l’on est vraiment à l’écoute des
stagiaires, on ne peut que le faire évoluer. Le lien entre ce qui se passe en classe et ce
qui est vécu à l’extérieur, en l’occurrence au travail, doit selon moi être très étroit. En
effet, les cours proposés sont rarement des cours intensifs, les apprenants retournent
sur leur poste de travail entre deux : leur travail se nourrit de ce qui est vu en classe et
le cours s’appuie sur ce qui est vécu à l’extérieur. Cela permet le réinvestissement en
situation réelle, une plus forte motivation et une meilleure compréhension de la part
du stagiaire du pourquoi le professeur fait ces choix pédagogiques. En conséquence la
progression sera sans cesse ajustée, réévaluée en fonction de leur quotidien
professionnel. Mon rôle de professeur change un peu de ce point de vue là aussi : je suis
maître de ce que je fais en classe, de l’orientation que je donne à mon cours. J’ai une
grande liberté d’action : puisque c’est moi qui suis en contact régulier avec les
stagiaires, et pour cause, c’est à moi de dire ce dont ils ont besoin, c’est à moi de
trouver les activités qui vont les faire progresser... Cette liberté et la confiance que l’on
nous témoigne, nous professeur de FLP, est appréciable puisqu’il ne s’agit plus de suivre
un manuel mais, en même temps, je doute souvent de mes choix et ça n’est pas toujours
facile de porter ces choix-là : j’ai parfois peur de me tromper, de faire fausse route, de
céder à la simplicité...
17 Le lieu du cours aussi change beaucoup de choses sur la perception des besoins. Quand
je donne un cours en entreprise je vois comme eux les affichages qu’ils sont amenés à
lire, près de la machine à café par exemple, je me rends mieux compte de l’organisation
du travail, j’assiste à des interactions professionnelles ou informelles avec les collègues,
avec le supérieur hiérarchique... Un jour par exemple, après la pause au milieu du
cours, le chef d’atelier s’adresse aux magasiniers qui suivaient la formation avec moi, il
parle à l’un d’eux en particulier et celui-ci lui répond « Ouais ouais ». Le chef d’atelier le
reprend, énervé, « C’est pas "ouais" qu’on doit dire mais "oui", arrête de répéter
toujours "ouais ouais" ! ». J’ai senti qu’il y avait une « crispation » de la part du chef
d’atelier qui ne supportait plus que ce magasinier, et les autres aussi d’ailleurs, lui parle
d’une façon trop familière alors qu’il était son supérieur hiérarchique. Le cours reprend
et je demande au stagiaire s’il sait pourquoi son chef s’est énervé, il dit « Ouais, c’est
49

parce que je dis "ouais" ». Moi : « Vous comprenez la différence entre "oui" et
"ouais" ? » Lui : « Non mais s’il veut je vais dire oui... ». Lors du cours suivant, j’ai
finalement décidé de travailler sur les registres de langues, à partir de phrases très
familières entendues dans l’entreprise ou dans les échanges en classe, nous avons
échangé sur la perception, l’effet produit, comment dire autrement, dans quelles
situations...
18 J’ai été amené à animer une formation sur la pédagogie de l’erreur et, comme souvent
pour des missions de formation de formateurs, lorsqu’une question particulière de
didactique est travaillée, cela donne un éclairage nouveau sur notre cours. J’ai donc
expérimenté des « techniques », des activités pour permettre aux apprenants de
travailler, de revenir sur leurs erreurs. J’ai d’abord commencé par mes cours de FLE, là
où les ficelles me sont plus communes, puis j’ai aussi fait des tentatives en FLP. Je suis
maintenant convaincue que les erreurs des apprenants orientent aussi la progression,
le programme.
19 Vient aussi la question de l’évaluation sommative qui est complexe, notamment parce
qu’elle ne dépend pas que de nous. Dans notre société où le diplôme a son importance,
les entreprises souhaitent souvent faire valider les compétences acquises grâce à la
formation par une certification. La question est de savoir quelle certification choisir. Il
ne faudrait pas que le cours perde ses objectifs premiers et s’oriente uniquement vers la
préparation à la réussite d’un examen de langue...
20 Dans le meilleur des cas, l’entreprise, investie pleinement dans la formation de ses
salariés, joue le jeu et partage les documents utilisés sur le travail. Ces supports sont
indispensables pour bien cerner les situations de communication vécues par les
stagiaires. Il s’agit ensuite de monter des scénarios de classe qui s’appuient sur ces
supports. Ces documents sont la plupart du temps écrits et il est difficile d’avoir accès à
des supports oraux. On peut enregistrer des échanges lors des visites des lieux de
travail mais ça n’est pas simple. Et puis, que doit-on enregistrer ? On peut bien entendu
écrire, des dialogues reproduisant des interactions entendues ou imaginées mais, outre
les questions techniques, de temps notamment, se pose le problème de l’authenticité
des documents. Je crois que les activités de compréhension orale sont souvent négligées
faute de supports sonores efficaces et adaptés et c’est vraiment dommage car la
réception orale mériterait d’être travaillée au même titre que le reste.
21 La découverte des documents de l’entreprise permet aussi d’entrer dans l’univers
singulier de l’entreprise, de commencer à comprendre ses codes, sa culture, son
fonctionnement. Je ne suis pas spécialiste du BTP, de la restauration collective et ça
n’est pas ce que l’on me demande. Pourtant je dois vite comprendre l’entreprise pour
laquelle je forme des salariés, Je me rends compte quelques fois que l’entreprise a
développé des stratégies pour éviter les problèmes liés à la non maîtrise, ou imparfaite,
de la langue. Elle développe par exemple des codes de couleur pour les consignes, les
équipes sont constituées d’employés de même langue maternelle, une secrétaire
bienveillante remplit les formulaires ou autres papiers administratifs... La formation
peut aussi changer des choses à ces pratiques.
22 Utiliser des documents de l’entreprise, construire des parcours, des séquences
pédagogiques... toutes ces activités de préparation réclament beaucoup d’énergie.
Comme en FOS, si on veut adapter la démarche aux spécificités de la situation, « cette
perspective modifie largement le rôle de l’enseignant, qui devient alors concepteur
d’un matériel pédagogique nouveau » (Mangiante et Parpette, 2004). On se demande
50

alors comment ne pas tout recommencer à chaque fois ? La mutualisation semble être
une bonne alternative. Chaque professeur crée des activités, invente des scénarios
pédagogiques à mettre en œuvre dans sa classe et le fait de les mettre dans le « pot
commun », d’avoir accès aux préparations des autres fait gagner du temps. Pourtant on
est aussi auteur de ces fiches, de ces activités et la mutualisation implique que l’on cède
son droit de propriété... Par ailleurs, tout n’est pas si simple puisque le principe est de
s’adapter aux spécificités de l’entreprise, du groupe, des individus... on ne peut faire du
« copié collé » de la fiche pédagogique du collègue.

2. Comment apprend-on à l’âge adulte ?


23 Dans un cours de FLP on peut avoir des apprenants de profils très différents : pour
certains le français est une langue étrangère, pour d’autres c’est une langue seconde,
pour d’autres encore c’est la langue maternelle. Ils peuvent exercer le même métier
mais avoir des besoins différents en fonction de leurs aptitudes à communiquer en
français, à l’oral ou à l’écrit. Leurs aptitudes à communiquer dépendront aussi de leur
parcours antérieur, dans l’apprentissage de la langue et dans l’apprentissage scolaire
tout simplement. Quand on est face à un apprenant qui a l’habitude d’apprendre, qui
est à l’aise avec la posture d’apprenant, qui maîtrise les codes de la classe, les choses
sont plus faciles pour le professeur. Dans le cas contraire on doit se poser la question du
comment on apprend à l’âge adulte. Il y a la question de l’écrit bien entendu mais pas
seulement. Le professeur qui lui a été scolarisé doit déconstruire ses représentations. La
lecture des écrits d’Adami m’a été très utile pour trouver des solutions. J’ai bien
compris qu’il fallait comme en FLE partir du sens et aller vers les formes. J’en ai déduit
que la démarche était la même, que l’on ne fait pas conceptualiser sur les mêmes
formes, que les corpus observables ne sont pas forcément les mêmes mais que
finalement le lien avec le réel, avec le quotidien du stagiaire et le sens sont le centre.
24 On se heurte souvent aux représentations des apprenants sur l’apprentissage.
Bizarrement ceux qui n’ont pas appris à lire et à écrire pendant l’enfance disent
souvent savoir comment on fait pour apprendre : ils ont très fréquemment pour
modèle l’apprentissage syllabique avec des supports hors contexte pas du tout une
approche communicative, encore moins actionnelle. J’ai rencontré de nombreux
stagiaires qui pensaient que lire signifiait déchiffrer. Convaincue du contraire, que lire
ça n’est pas juste cela, notamment parce que je fais confiance aux universitaires qui ont
écrit sur le sujet, à Adami notamment qui m’a énormément apporté, mais aussi parce
que j’ai toujours pensé que lire c’est utile qu’on ne commence pas à l’âge adulte à lire
pour lire mais parce que cela a une utilité sociale. Je m’efforce de leur démontrer qu’il y
a une autre façon d’apprendre, une autre façon d’entrer dans l’écrit. J’avoue que ça
n’est pas toujours aisé de convaincre les autres quand on est soi-même un peu hésitant
non pas sur le principe mais plutôt sur la mise en œuvre, sur le comment faire pour y
arriver, pour faire progresser chacun, à son rythme mais suffisamment rapidement
aussi pour que l’intérêt porté à l’apprentissage reste présent, pour que la motivation
soit là. Alors il faut montrer, démontrer les progrès réalisés, les faire mesurer, par le
groupe, par l’apprenant lui-même.
25 Une des solutions qui participe à faire adhérer les apprenants à ma démarche est d’en
parler explicitement, de leur donner la parole, qu’ils puissent dire ce qu’ils pensent des
cours pour pouvoir aussi à mon tour expliquer les choix faits. Par exemple, les
51

stagiaires veulent souvent faire des dictées. Cet exercice a un côté rassurant pour eux.
Je ne refuse pas systématiquement même si ce n’est pas un exercice auquel je pense de
moi-même. La dictée de mot peut être un moyen de vérifier la mémorisation de
l’orthographe. On peut profiter de cet exercice pour échanger sur la manière de
mémoriser l’écriture d’un mot : « Et vous vous faites comment ? – Je compte le nombre
de syllabes, le nombre de voyelles, le nombre de lettres, je sais comment ça commence
et comment ça finit, je recopie le mot plein de fois, je le recopie avec des lettres en
moins et je dois compléter... ». Chacun peut parler de ses stratégies, écouter celles des
autres. Cet échange permet aussi de faire réaliser qu’il n’y a pas qu’une seule façon
d’apprendre, que chacun peut y arriver avec sa « technique » et que celle-ci n’est pas
forcément adaptée aux autres. La dictée peut aussi être détournée ou retrouver sa
fonction, proche de ce que l’on peut vivre hors du cours : prendre sous la dictée un
numéro de téléphone, noter l’adresse d’un chantier sur lequel on doit se rendre. Les
stagiaires adhèrent vite à ce genre d’activités car ils en voient tout de suite l’intérêt et
comme ils disent souvent : « Si ça peut éviter d’aller passer le dimanche à chercher le
chantier pour être à l’heure le lundi... »
26 Je parlais plus haut de mes hésitations quant à la mise en œuvre. Elles sont renforcées
par les publications, cahiers d’exercice ou autres outils « prêts à l’emploi » qui existent
sur le marché de l’édition. Beaucoup proposent des activités que l’on croirait sorties de
mon CP... Et de fait, quand on est dans l’urgence, dans le doute, on a tendance à aller
vers ces exercices peu adaptés.
27 Les représentations des apprenants sont aussi sur la place du « maître », sur celle de
« l’élève » : certains pensent qu’il suffit d’être là, présent pour que ça marche, que
l’apprentissage se fasse. Cette attitude passive face à l’apprentissage ne fonctionne pas,
inutile de le rappeler ici sans doute. C’est pourquoi il est important aussi de parler
explicitement en cours du rôle de chacun : le rôle du formateur, le rôle du stagiaire.
Échanger sur les responsabilités de chacun, ce que le professeur peut faire et ce que
l’apprenant doit prendre en charge. Je n’hésite pas à valoriser un stagiaire qui
progresse et à lui demander comment il a fait, quel a été le déclic. Souvent il dit ce qu’il
a compris en classe mais il explique aussi quel prolongement il a trouvé dans sa vie,
dans son travail. Si un stagiaire du groupe est convaincu, s’il adhère à la démarche ça
fonctionne bien et s’appuyer sur son témoignage participe à convaincre les autres qui
sont admiratifs devant ses progrès.
28 J’évoquais plus haut la place donnée au traitement de l’erreur dans l’adaptation du
programme. Faire réfléchir sur les erreurs et dire qu’elles sont intéressantes va aussi à
l’encontre des représentations des apprenants. A priori, quelqu’un qui apprend n’a pas
envie de se tromper. Or, le fait même de les mettre au cœur du dispositif change aussi
la perception que l’on a des erreurs, que l’apprenant en a : « Quelles sont les plus
importantes dans la situation ? Qu’est-ce que je dois modifier ou faire évoluer en
priorité par rapport aux objectifs fixés, par rapport à ma communication au travail ? ».
Par exemple, quand un stagiaire arrive à lire et à comprendre un message écrit par un
collègue même si l’orthographe est approximative le groupe valide l’écrit, je propose
une nouvelle conceptualisation sur des formes erronées mais l’écrit est validé parce que
le l’objectif de passer une information à un collègue est atteint. En revanche, j’attire
leur attention sur l’importance de corriger certaines erreurs dans des écrits plus
formels, je leur explique que l’effet produit par les erreurs dans ce type d’écrit ne sera
pas le même et peut gêner la communication.
52

29 Je crois que l’on doit clairement dire aux apprenants que c’est bien aussi de se tromper,
que cela fait partie du processus d’apprentissage (Stirman-Langlois, 1995), que l’on
avance avec ses erreurs. Par exemple, dans un exercice, beaucoup écrivent au crayon
pour pouvoir gommer et ne garder que la réponse correcte. Je leur dis que c’est bien de
garder une trace de l’erreur pour notamment la repérer, la comprendre et pour plus
tard se rendre compte des progrès réalisés. Je me souviens d’un chef d’équipe que
j’avais en cours particulier avec lequel on travaillait l’animation d’une réunion
hebdomadaire sur le thème de la sécurité. Il n’aimait pas se tromper et quand, après
l’avoir écouté parler en continu, lors d’une simulation d’animation de réunion par
exemple, je revenais sur les points positifs puis sur ceux à améliorer, il s’excusait
toujours de ses erreurs. Puis, à force d’en parler, de lui dire que ça faisait partie de
l’apprentissage, un jour il a dit en se corrigeant, de lui-même : « Ça va finir par rentrer,
j’ai la tête dure, mais je ne veux plus la faire cette erreur, je sais Emmanuelle que c’est
comme ça que j’avance mais là celle-là c’est fini, je ne veux plus... ».
30 La question du traitement de l’erreur amène celle de l’évaluation formative : comment
mesure-t-on la progression pendant les cours ? Quelles activités pour évaluer ? Là
encore je pense que l’évaluation doit être présente et partagée. Il est intéressant de
proposer régulièrement des activités d’autoévaluation, d’inter évaluation, de leur faire
prendre l’habitude de porter un jugement critique et constructif sur leurs productions.
31 Toutes ces activités sont pensées en amont du cours, quelques fois on adapte aussi sa
préparation pendant la classe, on pense à quelque chose de nouveau, qui pourrait aider,
là au moment de le faire... Pendant la classe, je suis à la fois actrice et observatrice de ce
que je mets en place. Pour avancer, pour valider ou revenir sur des choix, je dois
analyser ce qu’il se passe, comment ça se passe. La réflexion sur l’observation de classe,
énorme chantier, me semble indispensable pour essayer de mieux comprendre ces
processus d’enseignement apprentissage en FLP.

3. Qu’est-ce qui change dans la mise en œuvre du


cours de FLP en classe ?
32 La classe de FLE, la classe de FLP : quelles différences noter ? Il y a des similitudes : un
groupe, un professeur, un espace qui évolue, diverses modalités de travail, des
directions d’échanges variées... pourtant la « mise en musique » est différente.
33 Des réflexes du cours de FLE ne sont pas toujours adaptés à un cours de FLP : la grande
variante est l’hétérogénéité. Le groupe n’est pas formé de la même manière : en FLE le
groupe est fait à partir d’un test de positionnement basé sur le CECR. Là il se fait en
amont du cours. En FLP, l’entrée étant souvent par métier, il n’est pas souhaitable ni
possible de former les groupes selon leur niveau en langue. L’évaluation du niveau des
stagiaires peut bien attendre les premières heures de formation puisque ce sont les
objectifs liés à la situation de travail qui aura permis de former un groupe. Parfois, le
seul point commun entre les stagiaires est d’avoir été identifiés par leur entreprise
pour suivre une formation linguistique, à la même heure, et ce sont ces paramètres qui
définissent le groupe...
34 Une des difficultés rencontrée par un professeur est d’apprendre à gérer cette
hétérogénéité. Alors, on part de ce qui les regroupe, leur métier, leur entreprise, le
groupe de formation, le fait d’être là pour apprendre ensemble, c’est une donnée qu’il
53

faut aussi exploiter, une sorte de pacte entre le groupe, les individus du groupe et le
professeur : « Ensemble avec nos compétences différentes et sûrement
complémentaires, on va progresser ». Je pense que le professeur doit passer du temps à
démontrer que c’est ensemble qu’on y arrive, que, par exemple, d’avoir à expliquer des
consignes à son voisin ça permet aussi d’avancer. Je suis convaincue qu’une classe
hétérogène présente des aspects positifs. Pourtant, dans la pratique ça n’est pas
toujours évident à gérer, notamment pour un professeur de FLE qui a l’habitude d’avoir
face à lui un groupe formé, positionné à un niveau de l’échelle du CECR, parce qu’un
test de positionnement a été réalisé en amont de la formation. Alors ce professeur, qui
enseigne aussi le FLP se pose des questions sur comment faire pour que le cours soit
bénéfique à tous, que chacun y trouve son compte. Comment faire pour qu’il y ait des
moments communs, en grand groupe, qui font que le groupe est groupe ? À quel
moment faire travailler les stagiaires par sous-groupe ? Pour quoi faire ? Quelles
activités ?
35 Par ces questions commence le travail sur l’observation de classe, je m’interroge alors
sur les différents paramètres observables dans le déroulé du cours, dans la mise en
œuvre de ce qui a été pensé et préparé. Ma collègue Monique Waendendries 3 qui
travaille depuis de longues années sur l’observation de classe m’a initié à cette
discipline lorsque j’étais professeur à Casablanca et elle continue à nous guider, mes
collègues formateurs et moi, dans ce travail notamment dans la formation de nouveaux
professeurs.
36 La phase de compréhension d’un support, oral ou écrit, peut se faire en grand groupe.
En effet, nous sommes souvent amenés à comprendre des documents de l’entreprise ou
des interactions liées aux besoins des stagiaires. Quelle que soit la complexité du
document proposé, l’étape de compréhension globale, l’identification des paramètres
de communication, peut se faire en grand groupe. Ensuite lorsque l’on affine puis
finalise la compréhension, les tâches proposées peuvent être différentes en fonction
des niveaux et des objectifs visés. A ce moment-là les sous-groupes sont formés par
niveau. A d’autres moments, pour une activité de production orale par exemple, il peut
être intéressant de former des sous-groupes regroupant des apprenants pas ou peu
lecteurs avec des lecteurs : ces derniers peuvent aider à lire la consigne par exemple...
37 Dans un cours de FLE, lors de la formation des sous-groupes, ce ne sont pas les mêmes
questions qui se posent, on peut essayer de varier la composition des groupes, que les
apprenants ne travaillent pas toujours avec les mêmes, ici en FLP c’est la même chose
mais on croise aussi d’autres critères, dont celui du rapport à l’écrit.
38 Le travail en sous-groupes est aussi intéressant pour travailler le « apprendre à
apprendre ». On peut proposer des tâches différentes axées sur le comment apprendre :
un groupe travaille sur le classement de documents, un autre sur le repérage
d’informations principales, un autre sur la mémorisation... Le travail en sous-groupe
qui permet aussi de multiplier le temps de parole des apprenants est aussi un bon
moyen pour donner des pistes vers l’autonomie : des problèmes rencontrés peuvent
être résolus sans forcément faire appel au professeur qui peut se mettre en retrait et
laisser faire ce qu’il a mis en place. Les apprenants sont tous sollicités et ne peuvent
rester passifs, en retrait puisque chacun compte sur ses « partenaires » de groupe pour
accomplir la tâche commune.
39 Un autre paramètre du cours peut être sensiblement différent dans un cours de FLP. Il
s’agit de l’utilisation des outils matériels, ceux utilisés par le professeur mais aussi ceux
54

des apprenants. Les outils cognitifs par conséquent ne seront pas forcément les mêmes
non plus. Dans une classe d’étudiants ou de stagiaires habitués à vivre une situation
d’apprentissage, scolarisés pendant leur enfance et adolescence, lorsqu’il y a par
exemple une question de vocabulaire, un mot nouveau qui apparaît, le professeur peut
le noter au tableau. Cette action est assez banale. Alors que, si dans le groupe classe, des
apprenants sont peu lecteurs, ne sont pas habitués aux rituels de l’apprentissage, à
l’utilisation du tableau comme lieu d’ancrage, ce mot noté peut compliquer, alors même
qu’il avait été écrit pour clarifier. Alors que noter ? À quel moment ? Où ? Comment ? Je
n’ai pas encore de réponses à toutes ces interrogations.
40 De même, si l’on se pose la question de la prise de note des apprenants, le degré
d’autonomie et d’efficacité varie d’un stagiaire à l’autre dans un groupe de FLP. Le
professeur doit mettre en place des activités, réserver du temps pour l’organisation du
cahier, la mise en page des notes, des éléments copiés, intervenir aussi dans le choix
des couleurs. J’explique par exemple que si j’utilise des couleurs au tableau c’est pour
les aider à comprendre, à apprendre et que ce serait bien de reproduire ces codes de
couleur, ces soulignés, encadrés, tableaux ou autres outils cognitifs. De la même
manière il est utile de leur faire comprendre que le travail continue en dehors du
cours : j’essaie de les convaincre que l’utilisation du cahier n’est pas juste pour réaliser
l’activité, l’exercice, la tâche proposée le jour même mais que c’est utile de bien
organiser, que l’ordre des pages suit la chronologie pour pouvoir y revenir, retrouver
facilement les informations. Le cahier est la mémoire du cours, il laisse des traces du
cheminement de l’apprentissage, en laissant apparaître les erreurs, les commentaires
du professeur, les corpus qui aident à comprendre, à avancer...
41 Il y a la question du temps aussi : je me rends compte encore aujourd’hui, malgré mes
quelques années d’expérience, que je prévois toujours trop d’activités pour le cours,
que sur le papier, au moment de la préparation, je suis trop ambitieuse et que la réalité
de la classe est tout autre. L’explication de la consigne, sa vérification prend du temps.
La mise en route et la réalisation de l’activité aussi... bref le cours de FLP enseigne la
patience et si l’on retrouve le principe de l’apprentissage en spirale, celle-ci se déroule
plus lentement, le tempo n’est plus le même. Le travail explicite, ou du moins plus
prononcé, sur l’aspect cognitif de l’apprentissage, l’appel au vécu professionnel régulier
et les échanges sur la relation cours/travail prend aussi du temps, mais cela est
nécessaire et c’est au professeur de s’adapter.
42 Pendant le cours, au cœur de l’action, on se rend compte, on fait l’expérience des
changements dans ces paramètres mais le filmage de classe permet de s’arrêter pour
mieux les observer, de se poser les questions différemment avec plus de recul et
d’essayer de trouver des réponses.
43 Face à ces nombreuses questions le travail d’équipe est fondamental. Là encore moins
qu’ailleurs on ne peut avancer seul. Les lectures des publications des chercheurs
m’aident à trouver des pistes, des solutions aux problèmes quotidiens de la classe.
L’accompagnement de Mariela de Ferrari a été formatif au début, lorsque j’ai
commencé ces nouveaux types de cours. Il continue à être très utile, primordial
puisqu’il permet de ne pas se contenter de petites solutions trouvées ça et là mais de
pousser la réflexion toujours plus loin. Il m’oblige aussi à me remettre en question, à
me défaire de mes représentations après en avoir pris conscience.
44 Pour ce qui est de savoir comment faire en classe : on expérimente, on tâtonne, on
s’interroge, encore et toujours... L’observation et l’analyse nous font avancer, mes
55

stagiaires et moi. Cela fait aussi partie de notre métier, ne pas se contenter de faire ce
que l’on comprend et maîtrise complètement mais d’accepter aussi ses doutes, ses
remises en questions qui sont constructives et nous montrent que l’on progresse aussi
nous, professeur, grâce à nos erreurs.

NOTES
1. Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations.
2. Comité de Liaison pour la Promotion des migrants et des publics en difficulté d’insertion.
3. Waendendries, « Le guidage du dialogue en classe de langue », Les Carnets du Cediscor [en ligne],
4 | 1996, mis en ligne le 26 août 2009, URL : http://cediscor.revues.org/429 ; Profession : maître-
accoucheur, Actes du colloque ANEFLE (Toulon, 1994), Didactique au quotidien, FDLM Recherches et
applications, juillet 1995.

AUTEUR
EMMANUELLE DAILL
Alliance française de Paris
56

Didactique du français compétence


professionnelle : quelles avancées,
quelles perspectives ?
Mariela De Ferrari

1 Cet article présente les évolutions impulsées et observées entre 2004 et 2009 dans le
cadre de la formation professionnelle, à partir des travaux menés par l’auteure en
collaboration avec Florence Mourlhon-Dallies, Maître de Conférences à l’Université de
Paris 3. De multiples équipes de professionnels ont contribué à la construction du
champ et des outils qui seront décrits dans cet article.
2 Dans cette perspective, une partie introductive délimitera d’abord les contours et les
spécificités du Français – compétence professionnelle (1). Un point historique
permettra ensuite de parcourir les jalons posés à l’issue d’études menées en 2004-2005,
mettant en œuvre une partie des préconisations effectuées (2). Enfin, on présentera un
outil de positionnement transversal, conçu pour les secteurs du privé, ayant donné lieu
à des adaptations et à des usages variés dans divers contextes 1 (3). En guise de
conclusion, on mettra en perspective ces différents éléments (4).

1. Un champ en émergence : du FOS au FLP


3 Le champ du Français langue professionnelle (« FLP ») commence à se construire en
France au moment où la loi du 4 mai 2004 reconnaît l’apprentissage de la langue
française comme éligible dans le cadre de la formation continue en entreprise pour les
salariés du secteur privé. En février 2007, cette loi sera déclinée pour la Fonction
publique territoriale, particulièrement pour les agents de catégorie C pouvant
présenter des besoins linguistiques en situation professionnelle. En 2008, le Ministère
du Travail, par l’intermédiaire de sa Direction Générale à l’Emploi et à la Formation
Professionnelle (DGEFP), s’aligne sur l’approche européenne des Compétences Clés en
lien avec l’insertion professionnelle. La langue fait désormais partie des compétences
incontournables pour l’accès, le maintien et la promotion dans l’emploi.
57

4 Les contours du FLP englobent donc la compétence communicative en français en lien


avec tous les secteurs professionnels et inclut les salariés, les fonctionnaires et les
demandeurs d’emploi, quel que soit leur rapport à la langue – maternelle, seconde,
étrangère – et quel que soit leur degré de scolarité et de compétence à l’écrit.
5 Les enjeux de la « maîtrise des compétences en français » impactent donc l’inclusion
professionnelle et les possibilités d’évolution au travail. Le travail s’effectue en Français
et en contexte francophone, les équipes sont constituées de salariés pouvant relever du
Français Langue Maternelle, Seconde ou Étrangère. 11 convient donc de considérer ces
éléments au moment de penser la didactique correspondante, devant contribuer à la
cohésion et à l’efficacité des salariés dans des contextes précis et partagés.
6 La logique « natif-migrant » peut être neutralisée au profit du développement des
compétences nécessaires à l’exercice d’un même métier dans un service ou dans un
secteur donné. De la même manière, des personnes ayant été scolarisées pourront être
appelées à travailler ensemble – et dans certains cas à se former ensemble pour
consolider leurs interactions au travail.
7 Afin de visualiser la place du FLP dans le champ de l’enseignement du français à des
fins professionnelles, nous proposons le tableau2 récapitulatif ci-dessous, qui situe le
FLP par rapport au Français sur Objectifs Spécifiques (FOS), mais aussi par rapport au
Français de spécialité et au Français à visée professionnelle.

Tableau des différents contextes d’enseignement du français à des fins professionnelles

Préparant l’entrée
Hors
sur le marché du À l’intérieur d’un
préoccupation Dans un domaine
travail → français secteur d’activité : le
d’emploi → donné et pour un
transversal aux domaine est précisé
Enseignement poste de travail
domaines d’activité mais pas le poste de
généraliste de précis
et aux postes de travail
langue
travail
58

Français sur
Objectifs)
Spécifique(s) : du
français
intervenant
ponctuellement
dans la pratique
Français de la
professionnelle (en
communication
Français de spécialité France ou à
professionnelle (cf.
(français du tourisme, l’étranger)
Français.com ou les
FLE (étrangers) français du droit, Français Langue
Diplômes de
français scientifique et Professionnelle
Français
technique) (déclinaison par
Professionnel de la
métier) : cas
CCIP)
particulier
d’étrangers
travaillant à
l’étranger dans
une entreprise
française en
français.

Français Langue
Français Langue
Professionnelle
Professionnelle
(déclinaison par
(déclinaison par
métier)
branche)
Publics de
– Publics d’étudiants
migrants
en fin de cursus (école
Français pour – formés juste
Boulle)
l’insertion avant leur venue
– de professionnels
professionnelle (par en France
FLS (migrants) étrangers en
exemple dans Trait – ou sur place, une
complément de
d’Union, Cle fois arrivés (Greta)
professionnalisation
International) S’ils sont formés
en France (médecine)
en entreprise dans
– de migrants sans
le pays d’accueil →
formation s’orientant
La seconde langue
vers un secteur
sur le lieu de
(métiers d’aide à la
travail (M.
personne)
Grunhage Monetti)
59

Français Langue
Professionnelle
Techniques – fin de cursus
/Français des
d’expression (CV, d’écoles
disciplines « cours de
entretien professionnelles
français » dans les
d’embauche, (écoles
écoles
FLM (natifs) recherche de stage) d’ingénieurs en
professionnelles, pour
Modules d’insertion informatique)
les bacs pros, les
professionnelle – montée en
formations
pour natifs en compétences,
d’apprentis.
recherche d’emploi évolution de
carrière, maintien
dans l’emploi

8 L’ingénierie du FOS, destinée à des publics de professionnels étrangers non


francophones et travaillant hors du territoire français, est celle qui doit être mise
œuvre pour correspondre aux contours et aux enjeux du FLP. En FLP, il est
indispensable de tenir compte des acquisitions effectuées en milieu d’immersion
professionnelle et de prévoir des dynamiques formatives qui incluent les techniques
d’observation et d’appropriation de l’environnement pour formaliser les
apprentissages informels. Il s’agit par la suite de les rendre mesurables et observables
dans les parcours de professionnalisation des salariés à travers des axes de
compétences spécifiques. S’y ajoute la problématique de l’apprentissage adulte de
l’écrit pour des publics français et étrangers appelés à utiliser de plus en plus l’écrit et
des compétences partielles dans des situations complexes, à travers des canaux variés.
9 Le champ du FLP fait écho aux recherches de la didactique professionnelle. Née en
France dans les années 1990 (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006) au confluent d’un champ
de pratiques, la formation des adultes, et de trois courants théoriques, la psychologie
du développement, l’ergonomie cognitive et la didactique. Elle s’appuie sur la théorie
de la conceptualisation dans l’action d’inspiration piagétienne. L’analyse du travail
qu’elle a développée a débuté avec le travail industriel et s’est étendue aux activités de
service et d’enseignement. Cette analyse du travail a un double rôle : elle est un
préalable à la construction de la formation. Elle est aussi, par sa dimension réflexive, un
instrument d’apprentissage qui favorise les processus formatifs. La didactique du
Français en tant que compétence professionnelle se construit donc à la croisée de la
didactique professionnelle et celle de la discipline concernée, le français et son volet
professionnel, le FOS.
10 La construction de cette didactique est en marche depuis 2004.

2. 2004-2005 : études, constats et préconisations


11 Les études menées entre 2004 et 20053 cherchaient à mesurer la prise en compte des
besoins linguistiques des salariés et des demandeurs d’emploi dans les formations
existantes. Rattachées à l’insertion professionnelle et à l’intégration, ces formations
incluaient rarement des contextualisations et des liens avec les secteurs et les réalités
professionnelles du moment. Le français n’était pas considéré comme une compétence
professionnelle. La problématique était brouillée, noyée dans des considérations
60

d’ordre social ou militant. Nombre de formations, de brochures et de discours


envisageaient cet apprentissage comme de la « lutte contre l’illettrisme », « de
l’alphabétisation ». La maîtrise de la langue relevait pour la plupart des acteurs
interviewés – en particulier ceux du monde économique – de la responsabilité de
l’école, de l’État, de l’amont de la formation professionnelle. En résumé, le français était
considéré comme une compétence personnelle et sociale. Dans le prolongement de ces
constats, les références aux compétences communicatives en situation de travail,
lorsqu’elles étaient explicitées, relevaient du « savoir-être » ce qui orientait les analyses
et les jugements vers des aspects personnels donc individuels, qui échappent à la
responsabilité collective de la formation professionnelle.
12 Ces représentations se sont construites pendant les quarante dernières années, comme
le rappelle Adami dans son article paru dans la revue Le Français dans le monde de mai-
juin 2005 :
le domaine de la formation linguistique des immigrés apparaît dans les
années 1960 et 1970, quand des humanistes, des syndicalistes, des militants
associatifs commencent à organiser, dans un cadre associatif, des cours du soir pour
alphabétiser les travailleurs immigrés qui n’ont jamais été scolarisés, ou très peu,
dans leur pays d’origine. La question de l’illettrisme vient compliquer un peu plus la
situation. L’illettrisme ne concerne en France que les francophones ayant effectué
leur scolarité en France et dont le Français est la langue première. Mais ce terme
mal utilisé, tend à devenir un mot-valise qui inclut tous les publics en difficulté à
l’écrit.
13 On comprend pourquoi il semble difficile, même en 2010, de regarder ces salariés
autrement qu’à travers les prismes de l’analphabétisme ou de l’illettrisme, qui
induisent une approche des besoins linguistiques rattachée à la notion de « difficulté ».
En effet, toute formation qui se veut de qualité analyse les besoins des personnes à
former et les traduit en objectifs de formation à atteindre. Or, dans le « monde » de ces
formations, les besoins sont appréhendés comme des difficultés, et les personnes
concernées sont dites « en difficulté ». Un processus d’essentialisation des besoins
s’opère qui éloigne encore plus les évaluations et les analyses des acquis des évalués. Et
la figure du salarié de disparaître au profit de celle de l’analphabète ou de celui qui se
trouverait « en situation d’illettrisme ».
14 Les amalgames liés à l’illettrisme influencent également les regards portés sur les
publics et leurs besoins langagiers. Tel est notamment le cas lorsque ces amalgames se
situent au niveau de la lecture-écriture et induisent dans certains cas l’assimilation des
publics qualifiés (scolarisés et diplômés dans leur pays) à des personnes dites « BNQ »
(Bas Niveau de Qualification) du fait d’une maîtrise insuffisante de la langue.
15 Le vocabulaire et les expressions généralement employés pour désigner les publics
potentiellement bénéficiaires de formations linguistiques témoignaient – et témoignent
encore – d’une perception négative : on peut parler de « repérage » ou « détection » de
salariés en situation d’illettrisme. Ces propos, banalisés dans le discours médiatique,
finissent par être acceptés comme une évidence et intériorisés par les personnes
concernées alors même que, insérées professionnellement, elles se sont montrées
jusque-là capables de tenir leur poste de travail.
16 A la suite de ces études, nous avons établi un argumentaire proposé aux financeurs
publics et aux professionnels de la formation – centres de ressources régionaux,
branches professionnelles concernées, plates-formes et organismes de formation – afin
de faciliter l’évolution du système. Nous présentons ci-après les points essentiels de cet
61

argumentaire ayant facilité les communications avec l’ensemble des acteurs, autour de
trois axes principaux :

2.1. Faire évoluer les représentations


• Impliquer les différents acteurs concernés et faire glisser les compétences en français du
domaine social vers le champ de la formation professionnelle dès lors que les apprentissages
sont liés aux situations de travail.
• Changer de regard sur les publics présentant des besoins en français car ils sont en situation
d’adaptabilité permanente et vivent en situation d’immersion linguistique.
• Mettre en avant les compétences, le savoir-faire et savoir-agir en situation professionnelle.
L’approche par compétences privilégie l’individu et son projet en mouvement. La non-
maîtrise de la langue française peut masquer les compétences réelles des personnes.

2.2 Faire évoluer les pratiques de formation linguistique


• Éviter les amalgames entre formation linguistique et lutte contre l’illettrisme,
l’analphabétisme, l’exclusion, etc. Ces amalgames influencent les regards portés sur les
besoins langagiers et induisent souvent des analyses réductrices.
• Proposer des situations pédagogiques innovantes et diversifiées dans les apprentissages
« linguistiques ». Il s’agit de développer des compétences en français contextualisé, dans une
perspective actionnelle.
• Centrer les apprentissages sur les besoins réels des postes à tenir. Sortir de la logique « objet
langue » pour se projeter sur « l’objet d’apprentissage professionnel ». La langue doit être
considérée comme un moyen et non comme un objectif.
• Poser un nouveau regard sur le parcours de professionnalisation afin de tenir compte de
l’expérience de l’individu et de l’ensemble des mesures existantes à disposition de tous les
salariés.

2.3. En amont et en aval des formations


• Mettre en place des référentiels de compétences langagières qui croiseront les référentiels
de compétences techniques.
• Mettre en place des certifications validant les apprentissages langagiers en lien avec la
qualification.
• Décloisonner et croiser les expertises : analyse du travail, ingénierie de la formation
professionnelle, didactique du français.
• Sensibiliser et former les personnes accompagnant les demandeurs d’emploi et les
formateurs à un autre regard sur la formation linguistique en Français et à la question des
besoins langagiers et des compétences déjà acquises.
17 La diffusion de cet argumentaire à un grand nombre d’acteurs dans des logiques
territoriales d’accompagnement à la professionnalisation en lien avec des Centres de
Ressources aura été très productive pour faire évoluer les regards et les pratiques, en
particulier pour l’appropriation du champ « Français langue professionnelle ».
62

3. 2006-2008 : des préconisations aux productions, un


outil de positionnement transversal
18 En 2006, à la demande des acteurs de la formation sensibilisés au nouveau champ
disciplinaire, un outil d’évaluation-positionnement transversal a été créé. Cet outil
facilite la mise en place d’une ingénierie pédagogique cohérente, prenant en compte les
préconisations de la nouvelle didactique.
19 Une carte de compétences et un référentiel associé ont été mis en expérimentation tout
au long de l’année 2007. Un colloque a été organisé en novembre 2007 dont les actes
sont diffusés aujourd’hui par l’organisme CESAM Formation à Dijon 4. L’outil de
positionnement transversal incluant la carte de compétences validée par les
expérimentations a été publié début 2008, il est diffusé par le même organisme
dijonnais.

3.1. Une démarche de positionnement

20 Plusieurs objectifs sont visés par la démarche d’évaluation-positionnement proposée


par cet outil :
• Situer les acquis et les besoins en communication en Français (aussi bien à l’oral qu’à l’écrit)
en contexte professionnel.
• Visualiser de façon circulaire les acquis par rapport aux composantes plurielles de la
communication en situation de travail.
• Analyser les compétences nécessaires à la tenue du poste de travail ainsi qu’aux dynamiques
de promotion, favorisant également l’auto-évaluation et la prise de recul des personnes à
former.
• Définir de façon concertée les priorités et les objectifs de formation en termes de
compétences communicatives tenant compte de leurs composantes (discursive, cognitive,
critique, socio-affective).
• Présenter aux commanditaires de la formation les résultats de l’évaluation initiale des
salariés sous forme d’acquis afin de mettre en perspective les besoins de l’entreprise avec
ceux des évalués.
21 Cette démarche de positionnement vient compléter l’analyse des besoins effectuée de
façon plus large et plus approfondie par ailleurs et à l’aide des observations et des
entretiens avec des acteurs croisés de l’organisation et avec l’étayage des « référentiels
métiers ».
22 On mesure à quel point ces nouvelles logiques contribuent au traitement transversal
des compétences, bien au-delà du traitement « métier ». Il convient donc de préciser le
statut de la notion de compétence qui à nos yeux ne rejoint pas la problématique de
« l’adaptabilité » mais celle de l’interaction des savoir-faire et des environnements
auxquels les salariés sont confrontés et qui les font évoluer souvent à leur insu – en
particulier lorsqu’ils n’ont pas « appris à apprendre » dans des contextes formels.
23 L’organisation, apprenante et enseignante en soi, est considérée comme une situation
d’immersion dans laquelle tout salarié évolue et se transforme.
24 Toute situation de travail est considérée comme une situation de communication, qui
traite de l’information et qui reproduit, quel que soit le degré de qualification, trois
macro-actes de langage : « Dire de faire », « Faire », « En rendre compte » 5.
63

25 Ces communications se réalisent auprès de deux types d’interlocuteurs ou


destinataires, internes et externes à l’entreprise. Les environnements internes à
l’entreprise sont généralement les « supérieurs hiérarchiques » et les « collègues »,
tandis que les environnements externes sont le plus souvent les « clients » et les
« fournisseurs ».
26 Cette approche permet de saisir toute situation professionnelle à travers le croisement
de ces éléments et d’en dégager des compétences spécifiques à chaque mode
communicationnel (interne : proche et récurrent/ externe : formel et ponctuel).

3.2. Des notions-clés qui sous-tendent l’approche proposée

27 La notion de transversalité apparaît donc sur deux aspects tout au long des
compétences identifiées :
28 Au niveau de la langue toutes les dimensions nécessaires à la production de discours
pertinents sont considérées à savoir :

3. 2. 1 Dimension discursive et communicative

29 Dire de faire – de façon directe ou indirecte –, dire comment faire, rapporter, faire pour
faire faire, expliquer ce que l’on fait – comment on fait – , justifier, se justifier, excuser,
s’excuser, décrire pour faire faire, rendre compte. Cette dimension permet de faire
circuler l’information et de vérifier la transmission depuis l’émission d’une consigne
(orale, écrite, gestuelle) jusqu’à sa réalisation et sa vérification. Cette dimension inclut
la connaissance des modes socioculturels adaptés (en fonction des contextes
situationnels – branche, métier, type d’entreprise, ancienneté des collègues, rapports
sociaux intra-entreprise, etc.). Elle comporte également la composante linguistique
(formes sonores et graphiques nécessaires aux actes de communication souhaités).

3. 2. 2. Dimension cognitive

30 Observer pour comprendre un mode de fonctionnement, décrypter, établir des liens,


inférer, organiser, établir des priorités, anticiper, percevoir les activités et les modes de
communication. Ces opérations accompagnent la compréhension et la production des
discours en lien étroit avec les compétences de communication. Plus elles seront
développées, plus l’évolution communicative se fera de façon autonome et
l’environnement professionnel sera perçu comme source permanente d’apprentissage.

3. 2. 3. Dimension critique et pragmatique

31 Plus la compétence communicative sera développée plus les intentions perçues et


transmises seront diversifiées. La compétence critique, elle aussi, se développe avec
l’aisance, la fluidité et la capacité à s’auto-évaluer. Elle permet de mesurer le degré de
recevabilité de son propre discours et autorise – ou légitime – l’émission en fonction du
destinataire, par exemple le fait de réfuter – ou pas – à bon escient (à qui, à quel
moment, comment).
64

3. 2. 4. Dimension socio-affective

32 Elle permet de réajuster sa communication en fonction des réactions des différents


environnements (interne et externe) et de gérer son rapport à l’erreur (par exemple,
produire malgré le regard de l’Autre, pas forcément bienveillant ; se sentir légitime
dans son affirmation même si celle-ci est mal formulée et malgré une étrangeté réelle
ou perçue). La compétence socio-affective permettra de « prendre sur soi » la part de
dysfonctionnements (plaisanteries, ironies, etc.) relationnels tout en restant en
communication. Elle peut empêcher ou provoquer des paralysies et des blocages de
toutes sortes. Moins elle sera travaillée, plus les malentendus et les mauvaises
perceptions empêcheront des communications réussies.
33 Au niveau des situations professionnelles, la transversalité de l’outil que nous
proposons vient de ce qu’il propose une lecture transversale de l’entreprise et du
monde du travail. En effet, cet outil se situe en retrait par rapport à la logique des
branches professionnelles et a fortiori la logique « métiers ». Dans notre perspective de
transversalité, le travail est considéré de manière synthétique. Il s’agit en effet de
construire un outil qui, ayant identifié des situations-types communes à toute activité
de travail quels que soient le domaine et le métier, permet de positionner par rapport à
la compétence à communiquer dans les situations professionnelles clés. Cela invite à ne
pas se focaliser sur des référentiels métiers, dans un premier temps, pour déterminer la
part de transversalité liée aux activités et aux relations professionnelles.
34 Nous avons donc cherché à établir en toute logique ce qu’est aujourd’hui travailler dans
des modèles d’organisation contemporains, en France (grosse entreprise, entreprise
familiale, particulier employeur, entreprise individuelle). Nous avons essayé de
constituer un socle commun de situations de travail exprimées comme des unités
minimales de communication, à savoir mettre en mots, gérer, orchestrer (par le geste,
la voix, le comportement).
35 L’outil se veut donc complémentaire d’un travail d’ingénierie de formation à partir des
référentiels, métiers d’une part et, d’autre part, des besoins recueillis sur chaque site
d’entreprise concerné par la formation visée.
36 Les situations de travail évoquées pouvant apparaître dans n’importe quelle branche ou
type d’activité, de façon générale, les supports permettant d’évaluer et de situer les
compétences sont ceux de la communication professionnelle au sens large, ceux qui
circulent dans toute entreprise, quels que soient sa taille ou son objet.
37 Il conviendra donc d’analyser pour chaque situation d’évaluation, en fonction des types
de communication privilégiés par l’entreprise ou la branche concernées, les
compétences à considérer et à privilégier. Par exemple pour les métiers d’aide à la
personne, ce seront les compétences communicatives auprès des « clients » ou les
compétences relationnelles dites « de marché » qui seront visées, alors qu’une micro-
entreprise avec moins de cinq salariés devra sans doute développer chez les salariés les
communications entre collègues et leur hiérarchie.
65

3.3. La progression

38 Concernant les critères faisant évoluer les compétences communicatives et tenant


compte des processus à l’œuvre au sein de la professionnalisation, nous en avons
retenu quatre :
• De l’environnement immédiat et récurrent à l’inconnu : on commence par maîtriser les
compétences liées aux communications récurrentes et familières auprès d’interlocuteurs et
destinataires connus pour évoluer vers la maîtrise des compétences dans des contextes de
plus en plus formels et éloignés de sa pratique quotidienne, habituelle. Ces ouvertures
permettront de mobiliser ces compétences auprès d’autres salariés. Des compétences
d’encadrement pourront se développer grâce à ces évolutions.
• De l’observation au décryptage et à l’autonomie : l’importance de la conscientisation des
cheminements vers la compétence maîtrisée s’effectue à travers le croisement des aspects
cognitifs du discours. L’explicitation des modes de fonctionnement et la verbalisation de ces
rapports favorisera la mise en place des discours distancies et de plus en plus complexes.
• De la communication simple aux actes discursifs complexes et imbriqués : en début de
« maîtrise occupationnelle », on sera capable de nommer, décrire et parler de ce qu’on voit/
entend/lit à des interlocuteurs/destinataires connaissant (partageant) les références de ces
mêmes environnements. Les moyens linguistiques (parcellaires et/ou imprécis) permettent
d’atteindre ce type de discours. Ces compétences maîtrisées, on pourra évoluer vers des
actes complexes et imbriqués : expliquer en vue de se justifier ; raconter en vue de
convaincre ; décrire en vue de faire faire. Ces compétences discursives se réalisent auprès
d’interlocuteurs/destinataires ne connaissant pas forcément les références des thématiques
abordées, ce qui suppose de la part du locuteur/ émetteur des compétences d’explicitation
des évidences et des modes de fonctionnement.
• De la transcription au transcodage : plus la compétence communicative sera développée,
plus les messages reçus pourront être transcodés afin d’être adaptés aux interlocuteurs/
destinataires concernés. Ainsi, des messages circulant entre collègues pourront être
transformés en messages recevables auprès des supérieurs hiérarchiques et/ou des clients.
De la même façon des messages reçus de la part des clients pourront être transcodés en
fonction d’une intention donnée pour être transmis à des collègues et/ou à des supérieurs
hiérarchiques
39 Les quatre cercles concentriques correspondent à des évolutions personnelles et
diversifiées. Chacun y évolue en fonction de paramètres multiples et divers qu’il est
intéressant d’analyser et de mettre en discussion avec chaque personne évaluée avant
de commencer une formation.
40 Des « profils contrastés » pourront être identifiés au sein de ces quatre cercles. Chacun
y naviguera selon ses désirs, ses besoins et en fonction des cheminements formatifs – et
autoformatifs – proposés par les formateurs, les évaluateurs et éventuellement les
tuteurs.
41 Les compétences du premier cercle sont celles qui assurent l’occupation d’un poste de
travail et la centration s’effectue sur les tâches et la connaissance de l’environnement
immédiat au poste occupé.
42 Dans le deuxième cercle, la compréhension des cadres dans lesquels s’inscrit le poste
permet aux salariés de s’en détacher pour mieux saisir l’ancrage dans les dynamiques
organisationnelles (équipe, hiérarchie, cadres réglementaires). Il commence à utiliser
et à maîtriser des supports de plus en plus diversifiés. Les modalités de transmission de
66

consignes sont elles aussi de plus en plus diversifiées. Les ouvertures qui s’opèrent au
sein de paliers rendent le salarié de plus en plus autonome par rapport à des
communications et des tâches mémorisées et répétées.
43 La distance acquise par rapport à son poste de travail et ses tâches quotidiennes
permet, à partir du troisième cercle, de sensibiliser et expliquer aux différents
environnements relationnels, de « parler de », « en rendre compte » et ce à des
interlocuteurs ou à des destinataires, eux aussi, très diversifiés. La connaissance du
secteur et des organisations favorise des explicitations en situation de communication
externe (clients, fournisseurs, contrôles).
44 Le quatrième cercle permet de consolider les compétences du troisième palier et
développe de plus en plus des compétences d’encadrement, en particulier du fait de la
compréhension et la maîtrise des enjeux (liées aux tâches du poste, au fonctionnement
de l’entreprise et du secteur et des relations au sein du personnel).

Carte de compétences extraite de « Français an situation professionnelle : un outil de positionnement


transversal » (CLP, 2008)

45 Trois pôles agglutinent les axes de progrès de la carte de compétences :

Le pôle réflexif

46 Omniprésents et décisifs pour l’évolution des compétences communicatives, les aspects


cognitifs se trouvent au cœur des compétences transversales, ils « coiffent » et
traversent les compétences organisationnelles et communicationnelles. La composante
réflexive est celle qui favorisera les adaptations et les évolutions vers l’autonomie
professionnelle et par conséquent elle permettra aussi des promotions au sein des
organisations. Le pôle réflexif se construit autour d’observations qui convergent vers
67

un traitement de l’information de plus en plus fin et distancié. C’est pourquoi nous


avons regroupé dans ce pôle les quatre axes suivants :
• le poste de travail
• le secteur d’activité
• les cadres réglementaires
• la gestion de l’information
47 Les évolutions et les apprentissages se feront de façon interactive : plus la personne
repère et identifie tôt les informations indispensables à la perception de son
environnement professionnel, plus elle sera en mesure de saisir rapidement le sens de
ce qu’elle fait (ou de ce qu’on lui demande de faire) dans un chaînage « logique » :
articulation entre le poste qu’elle occupe, les exigences du secteur d’activité et les
normes qui cadrent ces fonctionnements.
48 La progression de ces compétences se construit de la perception à la compréhension
des fonctionnements d’abord et des enjeux liés à ces fonctionnements ensuite. La
compréhension et les interactions entre poste, secteur d’activité et cadres
réglementaires amènera à la verbalisation progressive et à la distance nécessaires
permettant de sensibiliser autrui à ces fonctionnements.
49 Le pôle réflexif sera exploré lors de l’entretien précédant l’évaluation, et il pourra être
observé à travers le rapport que la personne entretient avec sa participation « active »
à la recherche d’information et à la connaissance des environnements. Il y va de la
représentation de soi au travail, et de l’attitude attentiste – ou pas – souvent liée à des
représentations des situations et des modèles d’apprentissage. Plus les représentations
seront ancrées dans des logiques traditionnelles, moins le pôle réflexif sera perçu
comme important par les intéressés.

– Le pôle organisationnel

50 Ce pôle de compétences se construit à travers les liens établis entre :


• les différentes relations au sein des équipes (coopératives / hiérarchiques)
• la compréhension et la gestion des consignes
• la gestion de son activité professionnelle
51 Indispensable au développement des communications et des tâches professionnelles
réussies, la compréhension des organisations contribue à l’aisance et à la pertinence
des interventions.
52 La progression dans l’évolution de ces compétences se réalise à partir de la
connaissance et la compréhension des trois éléments décrits ci-dessus pour aller vers
l’anticipation et la planification dans des logiques d’encadrement. L’interaction entre la
maîtrise des consignes et des activités personnelles peut permettre des progressions au
sein de l’organigramme de la structure. Les deux premiers axes convergent vers des
relations de plus en plus aisées et distanciées au sein de l’équipe. Là aussi, ces
compétences évoluent vers des possibilités d’encadrement.
53 L’évaluation de ces compétences pourra s’effectuer dans des dynamiques de simulation
et dans des entretiens permettant aux salariés de s’auto-évaluer par rapport à ces
dynamiques organisationnelles.
68

– Le pôle communicationnel

54 Les compétences communicatives se développent en fonction de plusieurs facteurs


préalables liés à la connaissance et la maîtrise de la langue en question, en l’occurrence
la langue française. Plus les publics seront francophones, plus les compétences écrites
et techniques évolueront rapidement ainsi que la verbalisation de l’activité. En
revanche, si le français est une langue étrangère et que les moyens linguistiques
commencent à se mettre en place – à l’oral – les pôles réflexif et organisationnel
pourront accélérer les évolutions et le développement des compétences orales et
écrites.
55 Dans tous les cas, la verbalisation de l’activité permettra de mieux gérer les
interactions professionnelles et de mieux évoluer dans la gestion et la maîtrise des
écrits professionnels. Selon les métiers et les contextes professionnels, la connaissance
et la gestion des nouvelles technologies viendront accélérer les compétences écrites et
les discours transcodés (de l’oral à l’écrit, d’un contexte de communication proche
(environnement collègues) à un contexte externe formel (client, fournisseur).
56 Les compétences communicatives matérialisent et rendent visibles les connaissances
développées par les pôles réflexif et organisationnel.
57 Elles pourront être situées et mesurées de façon fine et précise à travers les grilles de
positionnement (en termes de compréhension / transmissions orales /écrites). La
cartographie de compétences neutralise les positionnements spécifiques pour les
traduire en compétences génériques et discursives allant de la description à
l’explication, de la compréhension à la reformulation, l’aboutissement de la
progression étant la maîtrise autonome et diversifiée des discours oraux et écrits dans
des environnements relationnels très diversifiés (internes / externes)
58 Plusieurs composantes de la compétence communicative seront mesurées :
• pragmatique : la compréhension et la production d’intentions de plus en plus diversifiées
• critique : mesurer le degré de recevabilité de son propre discours ; s’autoriser – se sentir
légitime – dans des contextes de plus en plus divers
• socio-affective : adapter son discours en fonction des contextes situationnels
59 Les évaluations effectuées à partir de ces pôles et ces axes de compétences sont
complétées par un référentiel permettant de situer de façon fine et précise les acquis à
l’écrit, en particulier lorsque ces apprentissages se construisent à l’âge adulte. Le
tableau qui suit présente une partie de ce parcours.

3.4. Cheminement d’apprentissage de la lecture et de l’écriture

60 L’apprentissage adulte de l’écrit en contexte professionnel exige la création de repères


pertinents et précis pour l’évaluation et l’analyse des besoins en lecture-écriture en lien
avec les écrits et les interactions professionnels. Le référentiel A1.1 énonce les
compétences et les objectifs visés par les premiers acquis à l’écrit. Trois paliers
construisent ces apprentissages, dits « découverte, exploration, appropriation ». Les
descripteurs de compétences correspondant à ces trois paliers sont présentés sur le
tableau qui suit. Leur utilisation permet d’affiner les évaluations de l’écrit et de définir
des objectifs atteignables et progressifs. Ces descripteurs de facilite par ailleurs des
positionnements individuels, sachant que les adultes évoluant en situation d’immersion
possèdent des compétences « en tâche d’huile ». Un même individu peut réussir des
69

compétences en réception pour le palier appropriation tout en maîtrisant


partiellement des compétences en production situées dans les paliers découverte et
exploration respectivement.
61 Deux étapes complémentaires viennent d’être créées pour atteindre les compétences
correspondant au niveau A1 du Cadre européen commun de référence pour les
langues : le palier de consolidation et de généralisation 6.

Communication écrite pour public ayant des besoins en lecture/écriture

62 L’appropriation et l’utilisation de ces outils s’opèrent progressivement à travers la


formation continue des acteurs de la formation professionnelle. Certaines régions
comme l’Alsace et la Bourgogne se montrent particulièrement intéressées par l’entrée
compétences et les démarches d’évaluation positive induites par cette approche. Une
plate-forme d’organismes de formation portée par le CESAM à Dijon expérimente et
utilise régulièrement des outils émergeant, en particulier pour la branche du Bâtiment
Travaux Publics et pour les demandeurs d’emploi.

3.5. 2008-2009 : de la transversalité aux secteurs et aux métiers

63 Deux secteurs professionnels se sont investis dans l’utilisation et l’adaptation des outils
transversaux à leur contexte professionnel dans le cadre de projets expérimentaux
dans des dynamiques de recherche et de formation-action : la Fonction Publique
Territoriale à travers le CNFPT Pantin, les Mairies de Grenoble et Perpignan et la
communauté de communes « Plaine Commune » ; le Particulier employeur à travers
l’IFEF (Institut FEPEM de l’emploi familial).
70

64 Les expériences sont probantes, chaque secteur nomme et définit ses axes de
compétences, ses logiques de progression, ses modalités de professionnalisation de
formateurs.
65 Les productions émergeant des expérimentations développées dans le cadre de la
Fonction Publique Territoriale sont disponibles en ligne, sur le site www.co-
alternatives.fr. Nous incluons en fin d’article la carte de compétences « inter-métiers »
coproduite avec le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) Petite
Couronne dans le cadre de ce projet soutenu par la Délégation Générale à la Langue
Française et aux Langues de France (DGLFLF).
66 Pour le secteur de l’emploi familial, huit expérimentations se développent actuellement
sur le territoire national. La recherche-action en cours témoigne de l’intention
d’approcher la problématique « Français Compétence Professionnelle » sur son aspect
systémique. En effet, il est question de sensibiliser l’ensemble des acteurs de la
branche – membres des jurys de certification, formateurs consultants, organismes de
formation labellisés – à l’objet « Français Professionnel ».
67 Les premiers constats montrent à quel point ces démarches doivent s’appuyer sur des
dynamiques de « conduite du changement ». Sont impactées les pratiques
d’évaluation – positionnement, les situations d’apprentissage et les critères
d’évaluation au sein des certifications.
68 Le tableau qui suit montre comment un axe de la carte de compétences « générique »
conçu pour le secteur du privé peut se décliner et s’adapter en fonction des réalités et
des besoins d’autres secteurs et des métiers correspondants. On observe pour les
métiers industriels où prime la qualité en lien avec la production, que la logique de
métier prend le dessus sur celle de secteur, alors que pour la Fonction Publique
Territoriale ou le Particulier Employeur, l’aspect secteur reste très prégnant.
69 En revanche, la progression au sein de chaque axe reste invariante pour tous les
secteurs, en cercle 1 on comprend, on nomme et on situe dans son environnement par
rapport à un poste donné chez un employeur, plus on progresse plus on comprend les
enjeux des situations variées dans des contextes « multi-employeur » pour s’en
distancier progressivement jusqu’à la possibilité d’expliquer à des pairs, dans une
dynamique de tutorat ou d’encadrement.

Secteurs Axes de Descripteurs Descripteurs Descripteurs


professionnels compétences cercle 1 cercle 2 cercle 4

– Comprend les
– Identifie – Perçoit la enjeux à l’œuvre
Perception du
globalement le spécificité de son dans les rapports
Privé secteur
secteur de son entreprise dans le avec les acteurs de
d’activité
entreprise secteur d’activité son secteur
d’activité
71

– Identifie
– Perçoit la
globalement les – Comprend les
Fonction Perception du spécificité de sa
secteurs enjeux à l’œuvre
Publique champ d’action collectivité dans
d’activité de sa entre collectivité
Territoriale de la FPT son environnement
collectivité territoriale et État
territorial
territoriale

– Explique et
des – Identifie,
Perception – Participe à
justifie un écart par
enjeux de la nomme et l’animation de la
Métiers du rapport aux normes
qualité et caractérise le qualité et
bois qualité.
application des bois et le produit application des
Scierie Écarte/affecte le
normes en lien (qualité). Écarte normes en lien avec
automatisée produit en fonction
avec la le produit en cas les contraintes de
des contraintes de
production d’anomalie production
production

Se positionner
dans les métiers
et adhérer aux
valeurs de la
– Articule différents
branche – Connaît les
postes. Fait la part
(perception des modalités les plus – Peut accompagner
Particulier entre les
métiers d’aide à courantes d’un ses pairs dans leur
employeur représentations
domicile, poste de travail positionnement
sociales et la réalité
intégration des donné
de ces métiers.
ambitions de la
branche en
termes de
tutorat...)

70 Force est de constater que la mise en pratique de la transdisciplinarité induite par la


didactique du « Français compétence professionnelle » est en construction et que le fait
d’accompagner concrètement les professionnels au montage de l’ingénierie
pédagogique et de l’ingénierie linguistique, facilite et accélère les processus de
changement. La complémentarité entre formateurs métiers/ et formateurs langue
contribue également à visualiser le français comme compétence discursive en action
professionnelle et évite l’écueil pouvant considérer « la langue qui va de soi » ou « la
langue vue comme vocabulaire métier ».
71 Par ailleurs, trois typologies de formateurs sont concernées par ces formations :
• Les spécialistes « métiers »
• Les spécialistes FLE/FOS

4 Mise en perspective
72 On observe donc des évolutions très importantes sur l’ensemble des acteurs du
système. Les cadrages juridiques et la volonté des secteurs professionnels les plus
concernés impulsent et favorisent le changement des pratiques. Un autre élément
facilitateur concerne les certifications incluant le Français langue professionnelle. Deux
72

diplômes délivrés par le Ministère de l’Education Nationale, l’un via le Centre


International d’Études Pédagogiques (CIEP) le DELF Pro (Diplôme d’Études en Langue
Française), l’autre via les Rectorats d’Académie le DCL (Diplôme de Compétence en
Langue) disponible à partir de 2011, publié au Bulletin Officiel du 17 juin 2010. Il reste à
construire les passerelles entre ces diplômes et les qualifications dans le cadre des
parcours de professionnalisation des personnes concernées.
73 Un deuxième élément d’approfondissement de la didactique en construction concerne
la mise en cohérence de « l’ingénierie linguistique » au sein des ingénieries de
formation et pédagogique. Il semble en effet que les activités pour développer de façon
ciblée la compétence orale et la compétence écrite en Français langue professionnelle
restent à déterminer. Cette question est d’autant plus prégnante lorsque les salariés
apprennent à lire et à écrire à l’âge adulte. Des pratiques éclectiques au sein d’une
même équipe pédagogique cohabitent et méritent d’être interrogées pour davantage de
cohérence et d’efficacité. Plusieurs organismes se sont penchés sur la question, en
particulier l’Alliance française Paris et le CESAM Dijon 7. Ces structures s’inscrivent dans
des dynamiques de formation-action accompagnée, leur permettant de formaliser et
mutualiser des activités pertinentes et des progressions dans une entrée compétences
en lien avec des situations professionnelles et des documents utilisés au travail.
74 Un troisième point à consolider relève de l’animation et de la gestion des interactions
dans l’espace de formation. Une mise à distance avec des modalités de généralisation et
de conceptualisation s’impose aux formateurs lorsque des salariés évoquent des
questions personnelles ou relationnelles pouvant exister ou survenir au travail. Ces
questions s’avèrent plus complexes à gérer lorsque les formations sont proposées en
intra-entreprise ou intra-collectivité.
75 Ces aspects concernent directement la formation de formateurs et des encadrants
pédagogiques. Un groupe de travail pluridisciplinaire et interuniversitaire pourrait se
pencher sur ces questions afin de proposer une « nouvelle génération » de formations,
initiale et continue.
76 Ce même groupe pourrait recenser l’ensemble des initiatives expérimentales portées
par des réseaux ou des secteurs professionnels, afin de démultiplier les référentiels et
les pratiques au plus grand nombre d’acteurs de la formation professionnelle en
France.

ANNEXES
73

Annexe
En ligne sur le site www.co-alternatives.fr

Développer la formation linguistique au titre de la formation professionnelle continue en


entreprise, étude réalisée pour la Direction de la Population et des Migrations CLP 2005,
Synthèse publiée par Migrations études n° 133, janvier 2006.
Développer l’apprentissage du français dans le cadre de la formation continue des agents de la
fonction publique territoriale, étude-action réalisée pour la DGLFLF (Direction générale à
la langue française et aux langues de France) CLP 2009.
Acquérir la compétence de l’écrit à l’âge adulte – Du niveau A1.1 à A1, mars 2010, conçu par
Mariela De Ferrari avec la collaboration de Fatma-Zohra Mammar et Marie-Claire
Nassiri, mars 2010. Ce référentiel en cours d’expérimentation réunit des formateurs,
des experts et des scientifiques spécialisés dans l’apprentissage adulte de l’écrit, dans
un projet de recherche-action, afin de faire avancer de front, la conception de fiches
pédagogiques, leur mise en application et l’analyse/ réajustement de la part des
superviseurs scientifiques.

Disponibles auprès de l’organisme Cesam Formation, 24 avenue de


Stalingrad (Dijon)

Français en situation professionnelle : un outil de positionnement transversal, CLP/Paris, 2008,


70 p., bibliogr., Trois parties : arrière-plan conceptuel ; démarche de positionnement ;
outil pour une démarche de positionnement transversal (carte de compétences et ses
descripteurs langagiers). Cheminement d’apprentissage de la lecture et de l’écriture
(trois paliers donnant accès au niveau A1.1 illustrés d’exemples professionnels). Deux
cas concrets de positionnement (évaluation initiale en formation inter-entreprise ;
évaluation initiale en formation intra-entreprise).
Le français, une compétence professionnelle, CLP/Paris, 2008, 98 p., bibliogr., glossaire. En
novembre 2007, le Comité de Liaison pour la Promotion des migrants et des publics en
insertion a organisé deux journées sur ce thème en associant praticiens, chercheurs,
entrepreneurs, branches professionnelles ainsi que les partenaires sociaux et
institutionnels. Les expériences de terrain et apports théoriques partagées dans les
contributions ont été organisées autour de trois thèmes : le monde du travail et les
formations linguistiques en mutation, l’émergence d’un champ disciplinaire et la
construction d’une didactique.

Études

Dans l’entreprise : la maîtrise de la langue, une compétence professionnelle, CLP (Comité de


Liaison pour la Promotion), Convention FASILD (Fonds d’Action et de Soutien pour
l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations), 2004.
Pour les demandeurs d’emploi, lier la compétence linguistique à l’accès à la qualification, CLP,
Convention FASILD, 2004.
74

Développer la formation linguistique, au titre de la formation professionnelle continue en


entreprise, CLP, Étude réalisée pour la DPM (Direction de la Population et des
Migrations).
La maîtrise de la langue en milieu professionnel, enjeux et opportunités pour l’entreprise,
Argumentaire entreprise, CLP, Convention DPM, décembre 2005.

NOTES
1. Notamment : Bâtiment et Travaux publics, Fonction publique territoriale, Métiers du bois,
particulier employeur.
2. Qui est une version renouvelée de celle figurant dans Mourlhon-Dallies, F. (2007).
3. Développer la formation linguistique au titre de la formation professionnelle continue en
entreprise (CLP pour la Direction de la Population et Migrations 2005) ; pour les demandeurs
d’emploi, lier la compétence linguistique à l’accès à la qualification (CLP, Convention
FASILD 2004).
4. CESAM – 24 Avenue de Stalingrad – 21000 Dijon.
5. Notre perspective rejoint donc la logique de Faverge, à l’origine de cette conception dans le
champ de la gestion des Ressources Humaines, cité par Denimal, Qualification, classification
compétences, Éditions Liaisons, 2004.
6. Le référentiel correspondant est disponible en ligne sur le site www.co-alternatives.fr, sous la
rubrique publications.
7. L’Alliance française Paris Île-de-France a formé ses équipes à la didactique FLP et à l’utilisation
des référentiels A.1.1 et A1.1-A1 (apprentissage adulte de l’écrit).

AUTEUR
MARIELA DE FERRARI
Co-alternatives
75

Outils didactiques et contenus de


formation linguistique. Quelle
formation des formateurs en
insertion ?
76

L’apport des genres de discours


pour l’enseignement/apprentissage
des discours professionnels
Jean-Jacques Richer

1. Se doter d’un concept de genres de discours


opératoire
1 Je ne vais pas retracer les origines et évolutions de la notion de genres de discours, mais
je propose directement une définition du genre de discours que je pense opératoire
pour la didactique du FOS. Cette définition tire ses origines de deux sources : les
travaux, dans le domaine francophone, de Maingueneau (1996, 1998), Petitjean (1991 ;
2007), Adam (1999, 20011 ; les écrits, dans le domaine anglophone, de Swales (1990),
Bhatia (1993), etc.
2 Ma démarche définitoire prendra appui, pour la concrétiser, sur un document circulant
dans le BTP, le genre Procédure en cas d’accident, un genre entièrement déterminé par
ses circonstances d’utilisation : l’accident sur un chantier.
77

3 La définition du genre de discours avancée dans cet article le conçoit globalement


comme un ensemble de « déterminations discursives » (Adam, 2001 : 39), comme un
système de « régulations descendantes » (Adam, 1999 : 35) qui pèsent sur différents
niveaux de constitution du texte. Ces contraintes agissent sur les niveaux constitutifs
du texte sur le mode de l’imposition (un règlement intérieur d’une entreprise doit
impérativement comporter les rubriques hygiène, sécurité, discipline, horaires de travail,
etc.) et sur le mode de l’interdiction (le même règlement intérieur ne peut pas, par
exemple, s’énoncer à la première personne).
4 Le « cadrage générique » (Canvat, 1999 : 115), en conséquence, opère aux 6 niveaux
textuels suivants :

1.1. Premier niveau : la dimension matérielle

5 Un genre de discours s’inscrit sur un support spécifique (écrit/oral/ visuel/


multimédia...), et cette matérialisation a des répercussions profondes sur ses
caractéristiques formelles2, matérielles3, ainsi que, comme le signale Maingueneau, sur
ses contenus : « le médium n’est pas un simple moyen de transport pour le discours,
mais [...] il contraint ses contenus et les usages qu’on peut en faire » (1998 : 57).
6 La dimension matérielle d’un genre de discours recouvre :

1.1.1. Les caractéristiques formelles du médium

7 Le medium, ici, est un support papier de format A4, conçu pour assurer une vi-lisibilité
maximale grâce à :
• un jeu principalement sur deux couleurs : le rouge à la symbolique quasi-universelle, et le
noir ;
78

• une mise en page articulée sur les variations de tailles de police qui découpent dans le texte
des espaces sémantiques précis :
◦ Problème (En cas d’accident) ;
◦ Première réaction sur le lieu, qui se joue en face à face ;
◦ Énumération de procédures manuelles (1-Téléphonez au 18/112/15) et verbales détaillées
en blocs textuels (énumération de 1 à 6 qui signale un algorithme d’actions) ;
• un dernier bloc textuel en rouge axé sur les sauveteurs secouristes du travail (ce segment
textuel précise les traits qui permettent de les identifier et rappelle l’obligation légale
d’établir et d’afficher une liste de ces sauveteurs) accompagné du logo identifiant le
sauveteur secouriste.

1.1.2. La dimension spatiale

8 Un genre se signale souvent par sa longueur spatiale (paramètre qui permet de


discriminer entre par exemple une note de service au laconisme affiché et un énoncé
des règles d’exercice d’une profession toujours nécessairement développé).
9 La procédure en cas d’accident est un genre bref de par ses circonstances d’utilisation :
il faut agir dans l’urgence et répondre le plus efficacement possible à une situation qui
demande une réaction ordonnée.

1.1.3. La dimension temporelle

10 Un genre peut se démarquer des autres genres par sa longueur temporelle (ainsi dans
les médias, le flash d’information se distingue du journal par sa brièveté) ou par sa
périodicité.
11 Cette dimension temporelle ne concerne pas le document du BTP qui nous sert
d’illustration des caractéristiques d’un genre de discours, un document qui, d’autre
part, voit sa validité maintenue tant que restent pertinentes les coordonnées des
services de secours et la procédure décrite.

1.2. Deuxième niveau : la dimension socio-pragmatique


1.2.1. Identification des paramètres activés de la situation de communication

12 Tout genre de discours est une activité discursive qui active tout ou partie des
paramètres d’une situation de communication (coénonciateurs4/ moment et lieu de
l’énonciation).
13 La « procédure en cas d’accident » s’inscrit dans la situation de communication
suivante :
• l’émetteur est double : l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des
Travaux Publics) a conçu et diffuse ce document qui est ensuite, par obligation légale, relayé
par l’entrepreneur qui doit le faire afficher sur tout chantier ;
• les destinataires sont constitués par tous les intervenants sur un chantier du BTP ;
• lieu d’énonciation : ce document est obligatoirement présent sur tout chantier ;
• moment d’énonciation : il faut distinguer deux moments d’énonciation (qui, à leur manière,
recoupent la distinction faite en littérature entre écrits fictifs et écrits réels) : une
énonciation désembrayée lors de la prise de fonction d’un ouvrier au cours de laquelle cette
procédure peut lui être communiquée à titre d’information ; une énonciation embrayée sur
79

une situation d’accident réelle. Ces deux situations suscitent deux modes de lecture
totalement différents : dans le premier cas, une lecture purement d’information ; dans le
second cas, une lecture quasi « performative » où ce qui est lu entraîne immédiatement le
passage à l’acte.

1.2.2. Statut et rôle des coénonciateurs

14 Un genre de discours fixe des statuts et rôles discursifs précis, et cette détermination
entraîne des impacts langagiers5.
15 La relation des coénonciateurs est ici asymétrique : l’OPPBTP et son relais,
l’entrepreneur, sont en position haute (de par leur statut légal et leur connaissance des
procédures de secours) et s’adressent à un employé envisagé comme exécutant fidèle
des prescriptions (les seules variations autorisées sont celles dues au contexte propre à
chaque accident : cause de l’accident/ localisation de l’accidenté/ nombre d’accidentés/
premiers secours effectués).

1.2.3. Identification du système d’énonciation global

16 Un genre de discours s’inscrit globalement dans l’un des deux systèmes d’énonciation
(« récit » ou « discours ») mis en évidence par Benveniste (1966).
17 Comme avec le genre « Procédure en cas d’accident », il s’agit de faire agir en réaction à
une situation, ce genre ne prend sens que par rapport à une situation d’énonciation
précise, d’où l’actualisation du système du « discours » (avec accent mis sur le
destinataire par le biais d’impératifs à la deuxième personne du pluriel ; avec
inscription dans un lieu en relation avec renonciation : « ici »...).

1.2.4. Identification de l’acte de parole global

18 Maingueneau6, Adam7, Swales8 se rejoignent pour affirmer qu’un genre se définit par un
acte de parole dominant.
19 Ici, ce genre est façonné par l’acte de prescrire de faire (téléphonez/ne raccrochez
jamais le premier) / et surtout prescrire de dire (Précisez, décrivez, signalez, fixez,
faites répéter)

1.2.5. Dimension du logos, de l’éthos et du pathos

20 Un genre de discours investit plus ou moins tout ou partie des modalités de persuasion
verbale9 que sont le logos (ou « degré de formalisation du raisonnement, comme le
choix et l’agencement des arguments » R. Amossy, 2000 : 168), l’éthos (« à travers
renonciation se montre la personnalité de l’énonciateur » Maingueneau, 1998 : 79), et le
pathos (ou « appel aux émotions », Amossy, ibid., 169).
21 L’image que veut donner de lui l’émetteur du document que nous analysons est celle
d’une entité qui maîtrise parfaitement une procédure et la situation dans tous ses
aspects. Par contre l’absence de pathos due à la nécessité d’être efficace, de se montrer
« professionnel », est caractéristique de ce document. Quant à l’absence
d’argumentation (dimension du logos), elle s’explique par le caractère prescriptif de ce
document, une prescription descendante qui n’a pas à se justifier.
80

1.3. Troisième niveau : la dimension textuelle ou identification du


plan de texte et de la combinatoire de schémas séquentiels

22 Tout genre comporte un plan de texte, un schéma global d’organisation plus ou moins
contraint qui convoque certaines séquences (au sens d’Adam10) et en exclut d’autres.
23 Le genre « Procédure en cas d’accident » insère la description d’actions (énoncée sur le
mode injonctif) dans un schéma explicatif (type problème : En cas d’accident/ solution :
description d’actions). Est à mentionner aussi la présence d’une séquence finale
associant injonction et description lors de la focalisation sur le sauveteur secouriste.

1.4. Quatrième niveau : la dimension stylistique

24 Ce qu’affirme Petitjean au sujet de la relation grammaire/ genres discursifs peut être


élargi au lexique : « l’actualisation des régularités et des valeurs de langue, telles
qu’elles sont décrites par les grammaires, est pour une part déterminée par la valeur
générique » (2007, 417-433).
25 Ce document obéit à une double contrainte :
• il doit être compréhensible par tout le monde et notamment par des employés dotés d’une
maîtrise limitée du français écrit ;
• il fixe sur un espace réduit (format A4) un enchaînement clair et précis d’actions.
26 Cette double contrainte entraîne la sélection d’un vocabulaire courant (le recours au
langage médical se limite à « premiers soins/ bouche à bouche »), de structures
syntaxiques qui, lors de l’énumeration des consignes générales, sont simples, réduites à
l’essentiel, proches du langage opératif11. Mais sous l’effet de la contrainte de brièveté
spatiale, ces consignes deviennent paradoxalement plus complexes comme dans cette
phrase « Appelez le sauveteur secouriste du travail qui, après avoir examiné la victime,
vous demandera d’appeler les secours », là où l’on attendrait plutôt : « Appelez le
sauveteur secouriste. Il examinera la victime. Puis/ Ensuite il vous demandera
d’appeler les secours ».

1.5. Cinquième niveau : la dimension thématique

27 Un genre se voit à la fois imposer et interdire des thèmes.


28 Ici, il s’agit d’accident et de secours. Donc, dans ce texte, sur le plan thématique, tout
tourne autour de trois pôles : sauveteur/ victime ; appel ; localisation spatiale.

1.6. Sixième niveau : la dimension culturelle

29 Le genre de discours, qui représente une « class of communicative events » (Swales, 1990 :
45), est, comme tout événement discursif, déterminé par son inscription socio-
culturelle : « Genre, after all, is a socio-culturally dependent communicative event and is
judged effective to the extent that it can ensure pragmatic success in the business or other
professional context it can be used » (Bhatia, 1993 : 39), par son appartenance à une
institution qui le codifie. Et plus largement, il est surdéterminé par la culture dans
laquelle il apparaît, réalité que Fowler condense dans la formule suivante : « Genres have
circumscribed existences culturally » (Fowler, 1982 : 132).
81

30 Ainsi cette « Procédure en cas d’accident » est-elle doublement culturelle :


• dans sa forme : dans le cas de l’existence du même genre dans d’autres cultures, il faudrait
étudier les possibles variations formelles introduites par les déterminations culturelles ;
• dans son contenu : le secours est ici conçu comme activité individuelle, procédant
linéairement sur le mode d’un algorithme d’actions. Ce qui n’est pas le mode d’agir de toutes
les cultures.

2. Quels impacts entraîne le recours au concept de


genre de discours pour l’enseignement/ apprentissage
des discours professionnels ?
31 Avant de développer plus longuement l’impact de la notion de genres de discours sur
l’enseignement/apprentissage des discours professionnels, j’aimerais faire deux
remarques didactiques relatives à la notion de genres de discours.

2.1. La modélisation par Beacco de la compétence à communiquer


langagièrement

32 Sur le plan théorique, Beacco a parfaitement raison, dans L’approche par compétences
dans l’enseignement, de proposer d’ajouter à la compétence à communiquer
langagièrement avancée par le CECRL une « compétence relative aux genres de
discours » (2007 : 89). Mais dans sa propre modélisation de la compétence à
communiquer langagièrement (cf. ci-dessous), il fait erreur en la plaçant sur le même
plan que la composante formelle (i.e. linguistique) et en l’isolant de la dimension
socioculturelle, car la composante discursive (ou générique) recoupe en partie la
composante formelle et en partie aussi la composante socioculturelle (i.e.
ethnolinguistique), les genres étant des réalités langagières et socio-culturelles.

Un modèle à quatre compétences/composantes12

composante stratégique composante discursive (comme


Compétence de communication
maîtrise des genres de discours) composante formelle
langagière
(voir 5.4.)

• composante ethnolinguistique
• composante actionnelle
Compétence de communication • composante relative à la communication interculturelle
interculturelle (voir § 5.5.) • composante d’interprétation
• composante éducative visant des attitudes interculturelles
ouvertes

2.2. Genres de discours et tâches

33 Toujours sur le plan théorique, la notion de genres de discours peut venir réduire
l’imprécision de la notion de tâche, une notion qui se trouve projetée à nouveau sur le
82

devant de la scène didactique par le Cadre européen commun de référence pour les langues
(ou CECRL).
34 Dans le CECRL, sur le mode du couple compétence/performance de Chomsky, la tâche
est articulée, à la compétence à communiquer langagièrement : en effet, la tâche permet
d’actualiser la compétence à communiquer langagièrement. Mais, dans le CECRL
(chapitre 7 :
Les tâches et leur rôle dans l’enseignement des langues »), la tâche est définie d’une
manière globale, voire floue, ainsi qu’il apparaît dans cette définition : « Les tâches
ou activités sont l’un des faits courants de la vie quotidienne dans les domaines
personnel, public, éducationnel et professionnel. L’exécution d’une tâche par un
individu suppose la mise en œuvre stratégique de compétences données, afin de
mener à bien un ensemble d’actions finalisées dans un certain domaine avec un but
défini et un produit particulier. La nature des tâches peut être extrêmement variée
et exiger plus ou moins d’activités langagières (CECRL, 2001 : 121, je souligne).
35 La tâche est seulement esquissée dans ses contours : ne sont précisées de la tâche que
ses possibles variations en fonction des apprenants, des supports qu’elle mobilise, du
temps, du but. Et rien n’est dit sur son opérationnalisation méthodologique.
36 Toutefois, il est possible de réduire ce flou de la tâche en rappelant que la tâche dans le
Cadre doit beaucoup au courant méthodologique anglo-saxon dénommé Task Based
Learning (ou TBL)13 qui caractérise ainsi la tâche :

"1 – A task is a workplan. [...] « 1 – Une tâche est une programmation de travail. [...]

2 – A task involves a primary focus on meaning. 2 – Une tâche implique une focalisation fondamentale
[...] sur le sens. [...]

3 – A task involves real-world processes of 3 – Une tâche implique les processus d’utilisation du
language use. [...] langage utilisés dans le monde réel. [...]

4 – A task can involve any of the four language 4 – Une tâche peut impliquer chacune des quatre
skills. [...] habilités langagières. [...]

5 – A task engages cognitive processes. [...] 5 – Une tâche engage des processus cognitifs [...]

6 – A task has a clearly defined communicative 6 – Une tâche a un résultat communicatif nettement
outcome. [...]" (Ellis, 2003/9/10) défini. [...] » (Traduction personnelle).

37 Aussi la tâche dans le TBL emprunte-t-elle aux « processus d’utilisation du langage


utilisés dans le monde réel » (point 3 de la définition d’Ellis), et possède-t-elle « un
résultat communicatif nettement défini » (point 6 de la définition d’Ellis), c’est-à-dire
que la tâche est un événement communicatif tout comme les genres de discours qui
sont pour Swales « coded and keyedevents set within social communicative processes » (1990 :
38-39). La tâche du CECRL peut donc être en grande partie précisée dans ses contenus
langagiers par les genres de discours et les différents niveaux de la textualité qu’ils
affectent.
38 Comme d’autre part, la tâche dans le TBL relève de la prescription 14, elle renvoie donc
aux genres de discours contraints, ceux que Maingueneau appelle les « Genres institués
de mode (1) »,
83

qui ne sont pas ou peu sujets à variation. Les participants se conforment


strictement à leurs contraintes : courrier commercial, annuaire téléphonique,
fiches administratives, actes notariés, échanges entre avions et tour de contrôle. Ils
sont caractérisés par des formules et des schèmes compositionnels pré-établis sur
lesquels s’exerce un fort contrôle [...] » (2004 : 112), genres qui foisonnent en FOS, et
pour lesquels seule la reproduction et non la créativité peut s’exercer (un
règlement intérieur est cadré par des contraintes juridiques précises qui interdisent
toute inventivité).

2.3. Les genres de discours, les genres sociaux d’activités, la


perspective actionnelle et la didactique du FOS

39 Recourir au concept de genres de discours conçu, comme nous venons de le voir avec la
procédure en cas d’accident, en tant que régulations opérant à différents niveaux du
feuilleté textuel me semble particulièrement pertinent pour l’enseignement/
apprentissage des discours professionnels. En effet, dans le nécessaire traitement des
textes en circulation dans les différents domaines professionnels, il est alors possible de
substituer une approche holistique et systémique qui corrèle des éléments matériels,
iconiques, langagiers et culturels, qui dessine des contenus d’enseignement plus larges
et plus efficients à une approche encore trop souvent focalisée sur des actes de parole,
trop souvent morcelée entre faits grammaticaux et apports lexicaux massifs.
40 Mais le pouvoir de régulation des genres de discours ne se limite pas au langage, il
s’étend aussi aux actions physiques. Clot parle alors de « genres sociaux d’activités »
(1999 : 174), de « genres professionnels » (2008 : 102). Pour lui, les « genres sociaux
d’activités » règlent le langage et l’action, le comportement humain (dans ses
dimensions corporelles, langagières et affectives) dans le travail ainsi que le démontre
cette citation :
Ce sont des règles de vie et de métiers pour réussir à faire ce qui est à faire, des
façons de faire avec les autres, de sentir et de dire, des gestes possibles et
impossibles dirigés à la fois vers les autres et sur l’objet. Finalement, ce sont les
actions auxquelles nous invite un milieu et celles qu’il désigne comme incongrues
ou déplacées (1999 : 44).
41 Ces genres sociaux d’activités présentent de plus la particularité de fonctionner d’une
manière tacite : « L’intercalaire social du genre est un corps d’évaluations communes
qui règlent l’activité personnelle de façon tacite. (idem : 34) et ils constituent une
« culture professionnelle collective » (ibid : 31), « souvent invisible de l’extérieur,
distribuée, « naturelle », impalpable et, en un mot, prise dans l’action » (ibid : 35), propre
à un domaine d’activité spécifique, donc opaque à un étranger au domaine et plus
encore à un étranger à la culture dans laquelle se réalisent ces genres sociaux d’activité.
42 Sur un chantier de BTP, ces genres professionnels interviennent par exemple dans ce
que l’on appelle le phasage du chantier ou « scénario général de réalisation du
chantier » (Médina, 2008 : 10), « composé des différentes phases de réalisation suivant
un ordre d’exécution précis » qui règle les actions sur le chantier, qui dicte et articule le
langage et l’action dans les activités de coopération (à l’intérieur d’un corps de métiers
ou entre corps de métiers différents). Lors de la mise en œuvre du phasage, il est alors
fait appel au genre professionnel qui fournit un « stock de "mises en actes", de "mises
en mots" » (Clot, 2008 : 107) qui viennent combler les vides de la prescription.
84

43 Ainsi la mobilisation des genres professionnels dans la didactique du FOS peut-elle


permettre de concrétiser pleinement la perspective actionnelle du Cadre qui, il faut le
souligner, repose sur le « virage actionnel » (pour reprendre l’expression de Filliettaz et
Bronckart, 2005 : 5) pris par une partie de la linguistique désireuse de dépasser une
pragmatique purement langagière pour penser l’intégration du langage et de l’action,
et par la même de donner ainsi corps à l’intuition de Goffman (1987) qui s’exprime dans
la citation suivante (et dans le même mouvement d’en démentir la dernière phrase) :
On voit donc à l’évidence que l’activité coordonnée et non la conversation est ce
dont quantité de paroles font partie. Autrement dit, c’est l’intérêt commun qu’on
est censé éprouver à mener à bien une tâche, en accord avec quelque chose comme
un plan général, qui donne un sens à bon nombre d’énonciations, brèves en
particulier. Et ce ne sont pas des paroles sans importance qui s’énoncent alors ; il
n’y a qu’un linguiste pour les négliger. (1987 : 153, je souligne)

NOTES
1. Ces recherches s’inscrivent elles-mêmes dans le droit fil des propositions de Bakhtine (1984).
2. Support et modalités formelles constituent souvent les premiers indices pour une
reconnaissance du genre de discours.
3. « Ce qu’on appelle un "texte", ce n’est donc pas un contenu qui se fixerait sur tel ou tel
support, il ne fait qu’un avec son mode d’existence matériel : mode de support/ transport et de
stockage, donc de mémorisation » (Maingueneau, 1998 : 54).
4. « Coénonciateurs », écrit sans trait d’union, signale l’intégration dans une seule désignation de
l’énonciateur et du destinataire d’un genre.
5. Fait que rappelle Maingueneau en ces termes : « La parole dans un genre de discours ne va pas,
en effet, de n’importe qui vers n’importe qui » (1998 : 52).
6. « Acte de langage d’un niveau de complexité supérieure, un genre de discours est soumis lui
aussi à un ensemble de conditions de réussite » (Maingueneau, 1998 : 51).
7. Adam fait sienne cette conception de Viehweger : « "Les analyses concrètes montrent que les
actes illocutoires qui constituent un texte forment des hiérarchies illocutoires avec un acte
illocutif dominant étayé par des actes illocutoires subsidiaires rattachés à l’acte dominant par des
relations dont le caractère correspond aux fonctions que ceux-là remplissent vis-à-vis de celui-
ci" (Viehweger, 1990 : 49) » (Adam, 1999 : 60).
8. « Communicative purpose has been nominated as the privileged property of a genre » (Swales, 1990 :
52).
9. « On voit donc que les stratégies argumentatives que la rhétorique classique rapporte au logos,
à l’éthos et au pathos, sont en partie modelées par le genre de discours sélectionné » (Amossy,
2000 : 170).
10. Voir notamment Adam, 1992.
11. Falzon appelle « langages opératifs », des langages qui, « directement modelés par les
connaissances propres à l’activité, c’est-à-dire par des connaissances opératives » (1989 : 43) ont
« un objectif d’économie : ils permettent d’optimiser les échanges verbaux, par la communication
d’une quantité adéquate d’information, par la construction de termes référentiels elliptiques et
par différentes simplifications des processus de production ou de compréhension » (1989 : 52).
12. Beacco, 2007 : 93.
85

13. Deux théoriciens majeurs du TBL figurent d’ailleurs dans la bibliographie du Cadre Nunan,
Skehan.
14. Cf. le point 1 de la définition d’Ellis (2003 : 9/10), mentionnée supra : « 1 – Une tâche est une
programmation de travail [...] ».

AUTEUR
JEAN-JACQUES RICHER
Université de Bourgogne
86

Un référentiel de compétences
langagières pour les métiers du
bâtiment et travaux publics
Jean-Marc Mangiante

1. Introduction
1 ’insertion professionnelle constitue un enjeu majeur de l’accueil et de l’intégration des
populations migrantes pour l’ensemble des institutions et organismes impliqués dans
leur processus d’insertion, que ce soit aux plans politique, économique, social, éducatif
ou linguistique. S’intégrer dans l’entreprise détermine souvent les autres formes
d’insertion dans le tissu socioculturel d’accueil. Il n’est qu’à se reporter à la situation
vécue par les personnes installées qui ont perdu leur emploi et qui vivent cet
événement comme un véritable déclassement social et culturel qui entraîne souvent
une exclusion de la société.
2 Imaginons les difficultés d’une mauvaise adaptation aux situations de travail pour des
populations déjà fragilisées par les différences culturelles et sociales qui les
marginalisent.
3 L’intégration professionnelle n’est certes pas suffisante mais elle est essentielle à une
intégration réussie au sein du pays d’accueil car elle fait prendre conscience au migrant
de son utilité, du rôle qu’il peut jouer dans la société.
4 La prise en compte des situations professionnelles dans les formations linguistiques est
souvent insuffisante en raison principalement des difficultés pour l’enseignant de
disposer de matériel pédagogique, d’informations et de documents authentiques issus
d’un domaine qui lui est étranger le plus souvent.
5 Les entreprises, même si nombre d’entre elles sont conscientes de la nécessité des
formations linguistiques de leur personnel étranger, hésitent à laisser entrer des
formateurs pour procéder à des observations, des enregistrements, un recueil des
documents.
87

6 Les contraintes de temps, de matériel et l’absence de mutualisation et de mise en


réseau des organismes de formation au niveau de leurs contenus pédagogiques
empêchent également ce travail pourtant nécessaire de compréhension des
mécanismes langagiers présents dans les interactions du monde professionnel.
7 C’est pourquoi le recours à un dispositif mettant en synergie le monde de la recherche,
les entreprises et les centres de formation, apparaît nécessaire pour surmonter ces
obstacles.
8 Comme nous l’avions déjà évoqué (Mangiante, 2007), la construction de référentiels de
compétences langagières du monde professionnel selon une démarche de recherche –
action réunissant les centres de recherche adossés aux masters de FLE des universités,
les entreprises et les réseaux professionnels (chambre des métiers, CCIP...), permet de
pallier en partie l’absence d’outils de formation et d’évaluation adaptés aux situations
de travail.
9 Cet article se propose de présenter la démarche de construction d’un référentiel pour
les métiers du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP), secteur en tension confronté au
recrutement important de travailleurs migrants dont l’intégration est essentielle au
bon fonctionnement des chantiers. Les préoccupations intégratives de ce secteur
rejoignent aussi les impératifs de sécurité qui dépendent dans une large mesure de la
compréhension et de la transmission des consignes orales et écrites de sécurité. Le
travail de référentialisation des situations de communication en milieu professionnel
permet de dégager les compétences langagières associées aux tâches qui sont exigées
des travailleurs du BTP, constituant un cadre d’élaboration d’activités pédagogiques et
d’évaluation fixant les objectifs à atteindre lors d’une formation ciblée.

2. Le contexte du projet
10 Le projet s’inscrit dans le cadre du Plan Pluri-Formations (PPF) FULS : Formes et Usages
des Lexiques Spécialisés, piloté par l’Université Stendhal de Grenoble 3 et le laboratoire
de recherche LIDILEM, consacré à la construction d’un corpus de lexique spécialisé à
destination des chercheurs et didacticiens en langue. Au côté d’un axe consacré aux
« discours universitaires » et à l’élaboration d’un recueil des colocations issues des
lexiques spécialisés qui y sont employés, figure un axe « discours et référentiels
professionnels » qui consiste à observer, recueillir et analyser les pratiques langagières
des situations de travail dans le domaine du BTP afin d’établir un référentiel de
compétences.
11 Le projet, commencé en 2007, doit aboutir à la fin de cette année à la mise en ligne de ce
référentiel sur une plateforme numérique interactive ouverte aux professionnels ayant
participé à sa réalisation, mais aussi aux chercheurs, enseignants, étudiants et
formateurs susceptibles de monter des formations linguistiques aussi bien pour le
public migrant que, plus généralement, pour le public en voie d’insertion sociale,
analphabète ou illettré.
12 Secteur en tension faisant face encore, malgré la crise, à une pénurie de main d’oeuvre
qui commence à toucher également les postes à responsabilité, le BTP est confronté à la
problématique de l’intégration linguistique par la coexistence sur les chantiers de
nombreux travailleurs migrants de nationalités et langues différentes. Par ailleurs, la
88

prévention des accidents, les préoccupations de sécurité, d’hygiène et de protection de


l’environnement font de plus en plus l’objet de normes strictes à respecter.
13 La majorité de ces règles, consignes et orientations nécessitent des modes de
communication reposant sur la compréhension linguistique, d’où la volonté des
professionnels du secteur d’encourager les programmes de formation que ce soit en
FLE/FLS ou en alphabétisation et lutte contre l’illettrisme.
14 Médina (2010 : 287) rappelle que les erreurs commises sur les chantiers sont imputables
en partie à des problèmes de compréhension qui « ralentissent la productivité et sont
synonymes de perte financière pour l’entreprise ». Les ouvriers du bâtiment se parlent
peu en raison d’une maîtrise insuffisante de la langue qui les place dans une insécurité
linguistique et donc, pour ce qui concerne leur situation professionnelle, dans une
insécurité tout court. S’ils ne parlent au mieux qu’un français très approximatif,
comment seront-ils capables d’agir et de répondre correctement aux situations de
travail ou d’urgence qui se présentent à eux sur le chantier ? (Médina, 2010).
15 Dans le cadre du PPF évoqué plus haut, un projet de référentialisation des compétences
linguistiques a été construit au sein du laboratoire de recherche en linguistique et
didactique des langues Grammatica de l’université d’Artois, avec des étudiants du
master 2 FLE en stage dans le secteur du BTP et l’appui des professionnels du domaine :
la Fédération des Métiers du BTP – Nord Pas de Calais, le CPO – Nord de Courcelles Les
Lens, centre de formation qui a accueilli durant deux ans des stagiaires, ainsi que deux
PME de la région.
16 Dans un premier temps, le travail d’observation et de recueil de documents a été réalisé
au sein d’un chantier-école du centre de formation du CPO-Nord. Les situations de
communication observées relevaient surtout de la formation professionnelle initiale et
continue, ce qui a déjà permis de constituer avec les professionnels de ce centre un
recueil précieux d’informations et de discours authentiques.
17 Il manquait néanmoins un terrain d’étude réel, celui d’un chantier en train de se
monter et en pleine activité. C’est pourquoi le projet s’est poursuivi grâce à de
nouveaux partenaires professionnels sollicités cette année : la Chambre des métiers et
de l’artisanat d’Arras, maître d’ouvrage du chantier d’agrandissement de leur locaux et
fortement intéressé par le référentiel envisagé en raison de leur forte implication dans
la formation professionnelle initiale. À leur côté, le cabinet d’architecte ATALANTE,
maître d’œuvre et le groupe EIFFAGE Constructions pour la réalisation du chantier, ont
accepté la présence d’une étudiante stagiaire qui a observé, filmé et analysé les
différents échanges langagiers à toutes les phases du gros œuvre de la construction.
18 Sur le plan technique, le référentiel a bénéficié également de l’appui du responsable
multimédia du Centre de Langue Française (CELAF) de la Chambre de Commerce et
d’Industrie de Paris, partenaire également intéressé par le projet.

3. La démarche suivie et l’ancrage scientifique


19 La démarche de référentialisation part de la constitution d’un « référé » (Hadji, 1989) à
partir de l’observation de situations professionnelles ciblant des métiers précis, choisis
en concertation avec les professionnels du secteur en fonction de leurs besoins. Il
comporte un ensemble de discours professionnels, oraux et écrits, recueillis, décrits et
analysés par les stagiaires sur le terrain, avec l’appui de leurs enseignants-chercheurs.
89

De cette étude, on dégage les compétences langagières requises, pour une


communication idéale, c’est-à-dire atteignant les objectifs spécialisés de
communication au sein des différents échanges en situation de travail. L’ensemble de
ces compétences constitue alors le « référent ». Le classement et la description de ces
compétences langagières en feront alors un référentiel professionnel qui sera aussi
complété de commentaires explicatifs et de consignes d’utilisation.
20 L’ancrage scientifique de la démarche se situe donc entre la méthodologie du français
sur objectif spécifique ou FOS (Mangiante et Parpette, 2004) et celle du français langue
professionnelle ou FLP développée par Mourlhon-Dallies (2008 : 5), dans la mesure où
l’on va privilégier une approche centrée sur des métiers dont les tâches associées sont
analysées séparément et pour lesquels seront pris en compte des facteurs non
linguistiques qui conditionnent aussi leur exécution et le déroulement de leurs
pratiques et interactions : positionnement au sein de l’entreprise, du chantier et des
relations avec les autres métiers, liens chronologiques et hiérarchiques dans le phasage
du chantier, conditions de formation et de recrutement...
21 De même, le FLP suppose d’analyser une situation d’immersion qui dépasse le cadre de
l’apprentissage linguistique de quelques situations de communication pour concerner
l’ensemble des interactions avec l’environnement professionnel, la hiérarchie, les
collègues, le milieu social et culturel (Barrot, 2010), ce qui constitue justement la
problématique des travailleurs migrants.
22 La ressemblance avec la démarche FOS concerne plutôt l’approche
ethnométhodologique qui a présidé au travail réalisé sur le terrain par les stagiaires :
• Observation du contexte professionnel après appui du chef de chantier :
◦ sélection des personnels concernés en fonction des besoins de main d’oeuvre étrangère,
◦ repérage des tâches et du positionnement des acteurs, position au sein du chantier,
◦ analyse des besoins avec des questionnaires et des grilles d’observation d’entretiens,
◦ repérage des actes langagiers.
• Collecte des données :
◦ enregistrements audio et vidéo des échanges oraux,
◦ recueil de documents écrits.
• Analyse des données :
◦ identification des paramètres situationnels,
◦ repérages des récurrences syntaxiques,
◦ étude du lexique spécialisé.
• Mise en relation du référé avec le référent :
◦ détermination des compétences attendues,
◦ classement des compétences et indexation éventuelle sur un niveau.

4. Les outils de traitement et d’analyse


23 Une analyse du contexte professionnel avant le début du stage avec les différents
partenaires, à l’aide également de la documentation disponible sur le secteur, permet
d’identifier les postes de travail ciblés. Des entretiens avec le responsable du stage au
sein des entreprises et avec les personnels à partir de canevas et de questionnaires,
dégagent les points importants du contexte professionnel (position respective et
hiérarchique des travailleurs, organisation du travail, phases du chantier, mesures
90

d’hygiène et de sécurité...) ainsi que les enjeux de la communication (consignes,


description, explication...).
24 Il s’agit ensuite pour les stagiaires, à partir de grilles, d’observer les tâches
professionnelles accomplies par les personnels sélectionnés et d’en dégager la « part
langagière » (Boutet, 1995) dans leur compréhension des discours associés à la pratique
(notes, notices, plans, affiches, marques sur les matériaux...) comme dans les
interactions verbales avec les collègues.
25 L’observation active se concrétise par une prise de notes éventuellement complétée par
des questions aux ouvriers lors des pauses et par un retour sur les informations
recueillies grâce au visionnement des enregistrements vidéo.
26 Comme nous le verrons plus loin, les discours professionnels oraux sur le chantier ne
sont pas fréquents et font références à des objets, des techniques, des gestes et des
situations connus, assimilés, intégrés par les agents, visibles sur le chantier et qui, de ce
fait sont implicites. Les enregistrements exclusivement audio ne permettent pas de
comprendre de quoi parlent les locuteurs au sein des échanges. Il faut donc leur
adjoindre des photos des objets ou parties du chantier évoqués dans les échanges, ce
que les stagiaires ont fait, ou prendre le parti de l’enregistrement vidéo, malgré les
contraintes techniques que cela suppose (bruit, encombrement, gêne d’être filmés pour
les ouvriers...).
27 Médina (2010 : 289), dans une démarche d’analyse comparable sur un chantier-école du
groupe Vinci, a choisi de se focaliser sur « ce qui est dit » en « occultant les autres
dimensions du langage (gestes, attitudes, regards, etc.) pour mieux révéler ainsi la
place et le rôle de la parole ». Cette séparation nous semble risquée dans la mesure où
le contenu et même la forme des énoncés échangés sont liés au contexte et aux
paramètres énonciatifs qui les « situent » et orientent les réactions des interlocuteurs.
28 L’étude des différents enregistrements constitue la base du travail d’analyse des
besoins des travailleurs, c’est-à-dire de l’inventaire des situations de communications
orales et dans une moindre mesure écrites auxquelles ils sont confrontés, en termes
« d’actes de paroles » et de compétences langagières à acquérir.
29 Comme on le voit ici, la notion de compétence langagière est au cœur de la démarche
d’analyse et de référentialisation en milieu professionnel. Nous considérons qu’une
méga-compétence langagière traverse les différentes situations de travail dans la
mesure où des types d’énoncés se dégagent de l’exécution de tâches très différentes
comme les consignes, l’injonction, le conseil, la prévenance, la description et la
comparaison... Mais l’étude des différentes situations de travail sur le chantier révèle
aussi des spécificités langagières relatives à des tâches précises, au niveau de
l’utilisation du lexique spécialisé mais aussi dans la formulation de certaines consignes,
explications, descriptions... C’est pourquoi, le référentiel comporte une entrée par les
métiers présents sur le chantier au côté d’une entrée par les compétences
transversales.
30 Cette distinction entre la part langagière transversale aux différentes tâches en milieu
professionnel et les spécificités langagières inhérentes à la réalisation de tâches
spécifiques apparaît dans l’étape suivante de l’étude menée par les stagiaires : l’analyse
des discours oraux et écrits recueillis en situation réelle, à partir du logiciel TROPES
d’étude fréquentielle des discours mais aussi à partir d’une analyse fine et manuelle des
différents énoncés collectés.
91

31 L’analyse réalisée permet de repérer les caractéristiques lexicales et syntaxiques des


échanges et de les mettre en relation avec les paramètres situationnels des tâches
professionnelles observées : lieu, phase de construction, objectif et déroulement de la
tâche, position des intervenants, utilisation du matériel et des outils...
32 Intégrée aux enseignements du master FLE, l’étude sur le terrain réalisée ainsi par les
stagiaires redéfinit le rôle du formateur en langue se destinant à participer aux
parcours d’intégration linguistique des migrants en milieu professionnel. Il s’agit,
comme le soulignait déjà Grünhage-Monetti (2007 : 38-40) de se former à « percevoir le
contexte de travail », de comprendre et appréhender les conditions et circonstances de
la communication sur le lieu de travail, en dégageant les paramètres, visibles ou
intériorisés, qui conditionnent et induisent la forme et le contenu des échanges
langagiers sur le terrain professionnel.
33 Les compétences du formateur-concepteur de formation linguistique en FOS et FLP sont
diverses et transdisciplinaires, elles relèvent de la sociolinguistique, de l’analyse de
discours et de la didactique (Grünage-Monetti, 2007). Autant d’habiletés à intégrer à un
référentiel de compétences pour le formateur en insertion linguistique, tel qu’il est
envisagé dans le projet piloté par Brétegnier faisant l’objet d’un article dans cet
ouvrage.

5. La maquette du référentiel
34 L’ensemble des données collectées, analysé pour en dégager les compétences
langagières associées aux discours, fera l’objet d’un classement et d’une exploitation
didactique sous forme d’activités pédagogiques. La maquette du référentiel comporte
trois parties complémentaires pour ordonner les données, en rendre l’accès plus facile
et pour couvrir l’ensemble des besoins de ses utilisateurs potentiels :
• Le contexte de la communication professionnelle avec des appuis documentaires ;
• Les listes de compétences classées par tâches et métiers ;
• Les aides et commentaires.
35 Ainsi un ensemble de liens avec les référentiels métiers existants (AFPA, Québec, Pôle
Emploi...), permet d’établir une relation avec les compétences langagières présentes sur
le référentiel, complétée par la liste des situations professionnelles observées par les
stagiaires et dont les tâches ont été isolées. Pour chaque situation, les compétences
langagières sont indiquées avec l’ensemble des outils associés : verbaux (lexique
spécialisé et colocations, syntaxe récurrente avec un concordancier) et (audio) visuels
(photos, dessins, fichier son, extraits vidéo classés selon le phasage du chantier, avec les
transcriptions).
36 Des exemples d’énoncés sont donc fournis avec des exemples d’activités pédagogiques,
des commentaires et des conseils méthodologiques destinés à des formateurs, étudiants
ou évaluateurs. L’ensemble du référentiel sera disponible sur Internet, sur une
plateforme numérique interactive accessible sur inscription.
37 Comme le montre la page d’accueil du référentiel, cinq métiers ont été ciblés par
l’étude, correspondant aux priorités de la profession : ouvrier manœuvre, coffreur-
bancheur, maçon VRD, chef d’équipe gros œuvre et canalisateur. Un sixième est en
cours d’analyse : celui de ferrailleur. Le choix d’une entrée par métier s’explique
également par la demande de formation linguistique du secteur du BTP qui est souvent
92

très précise sur des groupes de métiers spécifiques. Le référentiel prévoit néanmoins
aussi une entrée par les compétences transversales aux différents métiers :

38 Les compétences transversales dégagées par l’étude sur le terrain concernent


l’intégration des travailleurs dans l’entreprise et la coordination des différents corps de
métiers sur le chantier, les questions d’adaptation aux contraintes administratives
(horaires, mobilité, pauses...), les règles d’hygiène et sécurité, la médecine du travail
(voir plus haut).
39 Au sein des différentes rubriques, les compétences langagières spécifiques nécessaires
et demandées par la profession sont décrites et associées aux situations
professionnelles d’où elles ont été dégagées des échanges entre travailleurs :
93

6. Premiers résultats de l’étude


40 Le recueil des différents discours en situation de travail sur le chantier de la Chambre
des métiers et de l’artisanat d’Arras comme sur le chantier-école du CPO-Nord sont
essentiellement oraux et situés. Ils nécessitent, comme nous l’avons évoqué plus haut,
le recours à l’image pour contextualiser les énoncés et faciliter leur analyse.
41 On constate d’abord une prédominance des discours de consignes, de descriptions
actives et dynamiques d’actions à réaliser, d’annonces de tâches à accomplir dans le
courant de la journée ou le lendemain, des énoncés circonstanciés (conditionnés par le
temps, l’espace, les moyens matériels, les aléas du chantier...), des explications
fréquentes aussi dans les énoncés liés à la formation (au CPO-Nord) ou à l’intégration de
nouvelles recrues. Il apparaît aussi un roulement des effectifs fréquents à chaque
changement de phase dans la réalisation du gros œuvre ou de rythme.
42 La compréhension écrite de documents professionnels et de sécurité est également
pointée par le référentiel ainsi que la compréhension orale plus soutenue de discours
longs d’hygiène, de sécurité et de santé. Un formateur d’EIFFAGE intervient en
particulier sur le chantier pour une intervention sur la sécurité à l’aide d’un document
vidéo.

6.1. Exemples d’énoncés collectés (transcription)

43 /mets la lunette ici//mets un point là-bas//tu les alignes//prends la tête/ (la tête du
piquet)/je te file le plan ; tu regardes et tu me dis quoi//je commence par où ?//il y a
combien de pente ? 1 % //et si on montait un peu ?//ce serait pas mieux de passer par
là ?/
44 On voit bien ici le caractère situé du discours nécessitant l’image (mets la lunette ici//
mets un point là-bas), les consignes même sans relation hiérarchique (tu les alignes//
prends la tête). Ce sont des énoncés « en action » accompagnant la tâche, participant à sa
94

réalisation et on mesure les dangers ou les erreurs possibles si des locuteurs allophones
ne comprennent pas ou sont incapables d’exprimer ces paroles au cours de leur travail.

Extrait de document écrit utilisé par les coffreurs-bancheurs sur le chantier

45 La compréhension de ce document qui articule les différentes phases du banchage ainsi


que les conditions de sécurité et de qualité des opérations, est nécessaire aussi bien à la
formation qu’à la réalisation des tâches du coffreur-bancheur sur le chantier. On y
décèle des nominalisations et colocations spécialisées nombreuses (réglage aplomb,
passage de tige, vérification garde corps...) pouvant faire l’objet d’activités pédagogiques où
ces structures nominales sont réemployés, verbalisées dans des échanges simulés par
exemples, ou repérées dans des enregistrements en situations.

6.2. Exemples d’enregistrements sur le chantier (Extrait de la


transcription)
Alors tu prends ton point de niveau à un mètre... Tu l’as pris, tu l’as reporté d’ssus,
comme moi j’ai fait là... Par rapport à là, tu vas mettre cinquante...
Vous l’avez pas reporté ?
Il est où ton trait ? Là t’es à peu près à un mètre cinquante ? Tu mets ton trait
d’ssus, d’accord ?
À partir de là, tu traces un mètre cinquante ; de là à là, ça fait un mètre cinquante.
Maintenant ce que tu fais, tu prends la planche et après tu va régler ton laser et une
fois qu’il sonne, et ben t’es bon... Dès qu’y bipe, une fois qu’t’as tracé sur la planche
un mètre cinquante, tu viens positionner...
46 Nous retrouvons dans cet extrait sur l’utilisation du laser, les énoncés injonctifs de
consignes (Alors tu prends ton point de niveau à un mètre... Tu l’as pris, tu l’as reporté d’ssus),
la situation dans le temps et l’espace (par rapport à là, là t’es à peu près à un mètre
cinquante, maintenant ce que tu fais), la description dynamique évoquant un discours
95

« sur et dans » l’action (après tu va régler ton laser et une fois qu’il sonne, et ben t’es bon... Dès
qu’y bipe, une fois qu’t’as tracé sur la planche un mètre cinquante, tu viens positionner).

6.3. Exemples de photos : Matériel d’échafaudage

47 La première photo a fait l’objet d’un travail sur la description du matériel et sur des
échanges simulés à partir de situations sur l’échafaudage. La seconde photographie
permet un travail sur le texte qui peut donner lieu à la rédaction de consignes de
sécurité, à des descriptions et des explications sur les types de produits dangereux, leur
mode de stockage, les tâches à réaliser en cas de problème, de fuite..., les énoncés de
prévention des risques.
48 Ces quelques exemples sont destinés à montrer un aperçu de l’utilisation possible du
référentiel quand il sera achevé et mis en ligne. Conçu à partir d’une open source
transférable sur une plateforme interactive de type Moodle, MOS CHORUS est une
application web, un éditeur de contenu pour créer des parcours de formation et
d’activités dont l’apparence peut être modifiée par un éditeur de style. Il comporte
aussi un éditeur d’interface pour personnaliser l’environnement de l’utilisateur et un
outil d’administration pour gérer les utilisateurs, parcours, styles et interfaces. Il
présente également un système de formation collaboratif en ligne, à partir duquel les
utilisateurs pourront s’exprimer et déposer des commentaires, des documents, des
ressources.

7. Conclusion : limites et contraintes du projet


49 La démarche entreprise a pris du temps et a été difficile à mettre en place, en raison,
pour une large part, des réticences exprimées par les entreprises sollicitées. La période
96

de crise économique commencée en 2008 a certes été particulièrement défavorable


mais ce n’est pas le seul obstacle à la participation des entreprises.
50 Dans un secteur concurrentiel comme le BTP, les entreprises protègent leur savoir-faire
et craignent aussi de laisser voir leurs imperfections voire parfois les erreurs que leurs
travailleurs sont susceptibles de commettre. Les craintes liées à la sécurité ont aussi été
fortes et ont contribué à réduire le nombre d’entreprises prêtes à accepter sur leur
chantier des stagiaires non professionnels.
51 C’est pourquoi, outre quelques PME du secteur qui avaient un réel besoin de formation
linguistique pour certains maçons employés sur des chantiers dans la périphérie lilloise
(dont un groupe de travailleurs polonais suivis et formés en français par une étudiante
stagiaire elle-même d’origine polonaise), le projet a démarré sur le chantier-école du
centre de formation CPO-Nord de Courcelles-Lès-Lens, très sensibilisé à la question de
la formation linguistique des travailleurs migrants sollicités par des entreprises en mal
de main d’oeuvre.
52 Prolongée par un travail des stagiaires sur un vrai chantier, l’étude a nécessité de
distinguer dans le référentiel les situations réelles et les situations de formation qui ont
recours aux discours des formateurs.
53 Les contraintes techniques ont été aussi un facteur important à prendre en compte :
enregistrer sur un chantier, dans un environnement bruyant constitue un réel défi. Les
enregistrements vidéo supposent également un climat de confiance avec les stagiaires
qui ont dû se faire accepter progressivement par les équipes de travailleurs sur le
chantier.
54 Le référentiel sera complété progressivement à partir des nouvelles données collectées
par les stagiaires et mis en ligne à la fin de l’année 2010. Il pourra être appliqué à
d’autres types de chantiers et utilisé en concertation avec des centres de formation
linguistique en charge d’élaborer des programmes de formation pour les travailleurs
migrants.
55 Le modèle d’analyse pourra être dans l’avenir adapté à d’autres secteurs en tension afin
de réunir les acteurs du monde professionnel, les institutions en charge de l’intégration
linguistique des migrants et des chercheurs en didactiques des langues en contexte
d’insertion.

AUTEUR
JEAN-MARC MANGIANTE
Université d’Artois – Grammatica
97

La formation linguistique en
contextes d’insertion : quelle
professionnalité ? Quel
accompagnement formatif à la
construction de cette
professionnalité ?
Aude Bretegnier

Préambule
1 Il s’agit ici de présenter un travail collectif, en cours de finalisation, qui porte sur la
question de la professionnalisation et de la professionnalité dans le champ de la
« formation linguistique en contextes d’insertion »1. Ce champ, que l’on propose de
désigner comme celui de la formation en « français langue d’insertion » (Castellotti et
Chalabi éds., 2006 ; Bretegnier, 2008, 2009), concerne des publics adultes ou jeunes
adultes en cours et en difficulté d’insertion sociale, professionnelle. Ces publics peuvent
relever de la « formation linguistique des migrants » (Adami, 2009), de l’alphabétisation
et/ou du français langue seconde, mais aussi du réapprentissage des savoirs
linguistiques de base (Leclercq, 2004 ; 2008).
2 Dans ce travail, l’identification de ce champ transversal est une hypothèse que font
ensemble des chercheurs spécialistes de sociolinguistique, didactique des langues,
sciences de la formation linguistique d’adultes, et des praticiens, formateurs,
encadrants de formateurs, responsables d’organismes de formation ou de
positionnement linguistique, chargés de missions et de projets, dans les secteurs de
l’insertion socioprofessionnelle et linguistique, la prise en charge formative des publics
migrants, la lutte contre la discrimination par la langue et l’illettrisme, les politiques
linguistiques et éducatives.
98

3 Cette idée de transversalité ne doit nullement être entendue comme impliquant une
minimisation de l’hétérogénéité de ces publics, qui doivent être envisagés dans la
diversité de leurs parcours et profils d’apprenants (allophones ou non, diversement
scolarisés antérieurement), et auprès desquels l’intervention formative appelle un
travail d’ingénierie pédagogique adapté à des besoins en partie spécifiques. Mais dans
cette pluralité complexe, des transversalités sont notamment liées à cette articulation
forte, dans le parcours des apprenants, entre la langue et l’insertion. Ici l’objectif de la
formation linguistique n’est plus tant l’apprentissage de la langue que la mise en
dynamique plus globale de parcours de mobilité, d’intégration, d’insertion sociale, pour
l’accomplissement desquels l’appropriation linguistique constitue une ressource sociale
et symbolique de premier plan.
4 L’hypothèse est donc aussi celle de transversalités en termes de compétences
professionnelles, dont un premier ensemble se dessine dans une capacité d’analyse de
la manière dont s’articulent les processus d’appropriation linguistique et de mobilité,
d’insertion-intégration sociale, de ce que cela implique dans la conception de l’action
formative, de la manière dont ces articulations se jouent dans le contexte de la
formation.

1. Contextualiser le projet pour en clarifier les objectifs


5 Ce travail a naturellement une histoire. Il prend sa source à l’Université de Tours, dans
une équipe de sociolinguistes et didacticiens des langues 2, dont une partie des travaux
porte sur la question des dynamiques sociolinguistiques à l’œuvre dans les processus de
mobilité sociale, migration, insertion. Cette même équipe, depuis 2002, travaille sur la
conception d’une formation universitaire professionnalisante3, dont l’idée initiale est
de former des intervenants (formateurs, médiateurs, coordinateurs...) dans des secteurs
professionnels dans lesquels la langue, la pluralité linguistique et culturelle, tiennent
une place explicite dans l’organisation, la gestion et la mise en œuvre du travail, des
relations entre des praticiens/ intervenants, et des bénéficiaires d’actions. A
l’articulation de la sociolinguistique et de la didactique du français et des langues, le
champ de la formation linguistique de publics en cours d’insertion (sociale, socio-
scolaire, universitaire, professionnelle) est en particulier identifié.
6 En septembre 2005, première année de la formation de Tours comme Master, une
première Journée d’étude est organisée, « Pro-Ling »4, avec l’idée de favoriser un
décloisonnement, des échanges, pour avancer sur une mise en regard des compétences
professionnelles telles qu’attendues sur le terrain, et telles que développées dans les
universités. Ainsi s’explicite un champ « langues et insertions » (Bretegnier, éd., 2007),
à la croisée du FLE/S, des savoirs linguistiques de base, de l’insertion professionnelle,
du bilan et de la validation de compétences et / ou d’acquis expérienciels.
7 La Journée d’étude de septembre 20085, qui donne lieu au projet de cadre de référence,
s’inscrit dans la continuité de ce travail dont elle tire expérience, mais en faisant un pas
de plus. Ici, l’idée est d’aller au-delà d’une identification mutuelle pour inscrire
l’interaction dans un objectif de construction collective d’un ensemble de références en
partage. Aux questions initiales (quelles compétences professionnelles ? quelle
professionnalité ? quelle adéquation entre les compétences professionnelles attendues
sur le terrain et celles développées, notamment, dans les Master FLE/S ?), succède ainsi
un projet : concevoir une ressource en partage, une forme de cadre de référence en
99

matière de compétences professionnelles, comportant des propositions opérationnelles


concernant l’accompagnement formatif (universitaire) à la construction et à
l’évaluation de ces compétences.
8 La transversalité comme hypothèse implique alors qu’elle constitue aussi un objectif de
l’élaboration de cet outil appelé à circuler, comme base commune de référence que
pourraient partager des acteurs professionnels diversement situés et positionnés dans
le champ « langues et insertions » : concepteurs des dispositifs universitaires
professionnalisants, « offreurs » de formation de formateurs, recruteurs de formateurs,
formateurs eux-mêmes (notamment dans une perspective d’auto-évaluation
formative).
9 A travers ce travail, l’idée est de contribuer au renforcement de la professionnalisation
de ce champ, en travaillant encore davantage la question des adéquations, entre les
objectifs et contenus des formations professionnalisantes, et les réalités, besoins, et
enjeux de terrain. Ce faisant, il vise à contribuer à la reconnaissance d’un secteur
formatif, qui, s’il répond à des besoins sociaux massifs, manque encore fortement de
visibilité et de reconnaissance sociale du point de vue de la professionnalité qu’y
implique l’intervention formative, et qui offre aux formateurs diplômés des
perspectives professionnelles souvent caractérisées par une forte instabilité et des
conditions de travail difficiles. De manière attenante, il pourrait enfin participer à
renforcer la légitimité et la visibilité des formations universitaires proposant des
orientations dans ce champ, qui souffrent des logiques de plus en plus économiques
dans lesquelles sont amenées à s’inscrire les universités françaises « autonomes » 6.

2. Formation linguistique en contextes d’insertion :


vers l’élaboration d’un cadre de référence
10 La présentation de ce travail dans un état non finalisé donne ici la liberté de ne pas le
concevoir (seulement) du point de vue du résultat (attendu) d’un travail susceptible de
devenir une ressource, un « outil », mais plutôt du point de vue du processus de son
élaboration, des questions sur lesquelles il repose et de celles qu’il ouvre, des approches
épistémologiques et des choix conceptuels qu’il implique d’expliciter. Or c’est
précisément la dimension processuelle qui est visée dans ce travail, qui cherche à
rendre compte des composantes d’un agir / interagir « compétent », d’une
professionnalité « en acte ».

2.1. « Cadre de référence »

11 Le choix du terme « cadre de référence » n’est bien entendu pas anodin. Comme
l’explique Véronique Leclercq dans le travail à paraître, le travail en construction ne
vise pas l’élaboration d’une nomenclature à prétention exhaustive, autrement dit ne
vise pas la construction d’un « référentiel », que ce soit d’activités professionnelles ou
de certification, dont l’histoire montre qu’ils « ont souvent été jugés rigides, difficiles
d’accès, peu exploitables, abstraits, opaques » (Leclercq, ibid.).
12 Ici, l’idée est de concevoir une ressource souple, ouverte, appropriable, un répertoire
de compétences professionnelles diversement transversales, doublé d’un ensemble de
100

directions sur la question des modalités de développement de ces compétences, de


formation à ces compétences, et d’évaluation de ces compétences.

2.2. « Français Langue d’Insertion »7 ?

13 Ce champ de formation, parce qu’il s’inscrit dans des contextes de pluralités


linguistiques inégalitaires8, visibilise l’importance de la question des liens entre les
statuts de langues, les rapports construits aux langues, et les pratiques d’appropriation,
et, en ce sens, celle de la contextualisation de l’action formative. Dans le champ de la
didactique du FLE/S et des langues, on peut ainsi considérer que celui du « français
langue d’insertion » s’inscrit dans lignée des recherches menées sur la didactique du
français comme langue seconde (Cuq, 1991), qui ont contribué à faire émerger ces
questions. Il s’inscrit également dans l’idée, défendue par les tenants d’une didactique
du plurilinguisme (Candelier, 2008 ; Candelier [et al.], 2008 ; Moore et Castellotti, 2008),
de déplacement de l’accent, de l’apprentissage de la « langue-cible », à la construction
d’un répertoire de ressources plurilingues.
14 Le champ du FLI s’inscrit encore dans une perspective de type actionnel, qui développe
en particulier l’idée de « centration sur l’apprenant », et puise à ce sujet dans les
apports du champ du français sur objectifs spécifiques – ou FOS – (Mangiante et
Parpette, 2004 ; Wolska, 2007). Ces travaux, quand ils rencontrent les recherches
menées en sociolinguistique sur les pratiques langagières en contextes de travail
(Boutet, 1995, 2000), ouvrent le champ d’une didactique du français comme « langue
professionnelle »– ou FLP – (Mourlhon-Dallies, coord. 2007), qui souligne l’importance
de concevoir les interventions formatives et / ou évaluatives au départ d’« analyses de
besoin » menées sur le terrain, en fonction d’analyses de type ethnographique des
situations professionnelles.
15 La proposition de « français langue d’insertion » sociale, socioprofessionnelle, se veut
une proposition transversale, qui, dans une perspective socio-didactique (Rispail, 2003 ;
Dabène et Rispail, 2008), met l’accent sur la nécessité d’une conception de la formation
linguistique comme inscrite dans un contexte, un processus et un parcours de mobilité,
d’insertion, d’intégration sociale, dans lequel elle devient un moteur essentiel à la mise
en dynamique de ces parcours et processus.
16 Elle appelle à ce titre une clarification et une compréhension des processus à l’œuvre
dans les dynamiques d’insertion, et du rôle de la langue dans ces dynamiques. Ici, le
travail se fonde sur une conception socio-interactionnelle de l’insertion / intégration,
ces processus pouvant être plus globalement envisagés comme processus de
socialisation (Schnapper, 2007). La progression vers l’insertion, l’intégration, renverrait
en ce sens à l’idée d’un apprendre à dire, interagir, se positionner, dans un espace
socio-interactionnel autrement contextualisé et configuré, dont il s’agit d’apprendre à
décrypter les normes, les conventions, les rituels (Goffman, 1974), pour y interagir de
manière la plus aisée, légitimée, et efficace possible, pour y prendre place.
17 Dès lors, ces processus sont également conçus comme comportant des dimensions
conflictuelles, notamment liées à l’inscription des parcours de mobilités dans des
espaces sociaux stratifiés, et à la diversité inégalitaire des statuts et des légitimités
sociales, à l’appropriation d’une langue ou d’une variété linguistique, dont le « capital
linguistique » (Bourdieu, 1982) est important. En ce sens, l’appropriation d’une langue
101

d’insertion pose des questions de légitimité, de (re)construction et de reconnaissance


de légitimités sociales, sociolinguistiques, socio-identitaires.
18 La formation linguistique en contextes d’insertion sous-tend ainsi, pour les adultes en
formation, des enjeux forts qui peuvent avoir des implications sur la manière dont ils se
positionnent à l’apprentissage, s’y ouvrent, s’y engagent : enjeux sociaux, en lien avec
l’articulation forte de cette formation au parcours d’insertion ; enjeux plus existentiels,
liés au fait que ce projet s’inscrit dans une histoire en même temps qu’il la modifie,
vient modifier non seulement un répertoire, mais aussi une histoire de transmission,
un devenir linguistique et identitaire.
19 Dans la perspective de l’intervention didactique, ces questions doivent être prises en
compte, notamment au départ d’une réflexion sur les rapports que les apprenants
construisent à la langue ou variété cible et à son apprentissage, mais aussi plus
globalement au mouvement de mobilité qu’accompagne, permet et légitime cet
apprentissage. Plus que jamais, l’action formative doit être conçue comme
contextualisée.

3. Un savoir « contextualiser »... sans tomber dans le


piège de la surdétermination
20 L’idée d’un « savoir contextualiser » son action formative implique une « connaissance
du terrain », du champ d’intervention, de son histoire, son action, ses réseaux
interactionnels. Les champs formatifs associés à la formation linguistique des migrants
et à celle des adultes en situation d’illettrisme sont longtemps demeurés relativement
fermés l’un à l’autre, voire adverses (ou mis en position d’adversité). Ils ont pourtant en
commun une action, la formation linguistique d’adultes, un fort ancrage associatif et
une histoire militante, et en cela une forme de culture professionnelle. Ces dernières
années, ils ont aussi partagé l’expérience d’une transformation profonde et assez
brutale des règles et des normes régissant leurs fonctionnements, qui ont été soumis à
une série de mesures institutionnelles visant à refondre, pour la renforcer, la
structuration du champ (Adami, 2009). Désormais, le champ de l’accès à la langue par
les adultes en insertion s’inscrit dans des dispositifs institutionnels larges, structurants
mais contraignants, en lien avec les politiques qui concernent les problématiques de ces
adultes : insertion, intégration, formation et accès à l’emploi, mais aussi lutte contre la
précarité et l’exclusion sociale, les discriminations, etc.
21 Au-delà de cet ancrage institutionnel explicite, la formation linguistique doit
également être conçue comme contextualisée dans l’espace sociopolitique dans lequel
s’opèrent les parcours d’insertion, insertion professionnelle dans un contexte
économique peu favorable, insertion sociale dans un espace national, sociopolitique, la
France, dont l’histoire est marquée par un rapport qui a souvent été décrit comme
fortement ambivalent à la diversité (Marchello-Nizia et Picoche, 1991), que celle-ci soit
réfléchie en termes de pluralité ou de différence (Kilani, 1994).
22 Les publics concernés par le FLI partagent en ce sens des parcours, une forme
d’expérience, mais aussi une « inscription sociologique » (Adami, 2005), en particulier
liée au fait qu’ils sont en grande majorité professionnellement orientés vers des métiers
requérant de faibles niveaux de qualification (Thave, 2000), et cela, souvent
102

(concernant les migrants), quel que soit leur bagage antérieur scolaire et
professionnel9.
23 Contextualiser son action, ce serait ainsi chercher à resituer la formation linguistique
dans son histoire-contextes, ce qui, en centrant la réflexion du point de vue des
apprenants, conduit à interroger le rapport qu’ils construisent à cette situation de
formation linguistique, le sens qu’il a / prend pour eux, les enjeux, sociaux, existentiels,
que ce projet sous-tend dans leurs parcours socio-biographiques (Bretegnier, 2008,
2009). Ainsi : Quelles représentations ont donc les apprenants des parcours d’insertion
/ intégration dans lesquels ils sont amenés à s’inscrire ? Quel rapport ont-ils à la langue
/ variété investie comme emblème de ces parcours ? Comment cette langue s’insère-t-
eï\e en retour dans les répertoires linguistiques ?
24 Contextualiser son action, donc, pour être à même de mieux analyser les difficultés et
proposer des solutions adaptées, pour mieux comprendre les dynamiques, quelquefois
contradictoires, dans lesquelles sont engagés les publics.
25 Comprendre par exemple qu’il peut être difficile de se mettre en position d’apprenant
adulte, si l’on n’a pas été scolarisé, si cette scolarité n’a pas permis la construction de
compétences fonctionnelles et/ou reconnues comme telles, ou encore si ce retour en
formation, éventuellement obligatoire, fait écho, pour l’apprenant, à une situation plus
large qui génère des formes de non reconnaissance, de déclassement social, de
stigmatisation, associées au parcours de migration-insertion en cours.
26 La notion de « difficultés », en particulier vivace dans ce champ, est pourtant délicate,
car comment parler de difficulté sans figer dans la difficulté, sans enfermer l’analyse du
processus de son émergence dans une logique restrictivement déterministe, peu
propice à la construction d’une conception dynamique de la formation, comme
processus interactionnel ?

4. Analyser les activités professionnelles pour


identifier un répertoire de ressources
27 C’est au départ d’expériences et d’enquêtes de terrain, observations, entretiens, que se
construit, dans le travail, l’analyse des activités professionnelles attenantes au métier
de formateur linguistique en contextes d’insertion, activités dont la polyvalence
nécessite la construction d’un répertoire large de ressources, mobilisables dans le
contexte de l’intervention. Ce répertoire se construit à l’articulation de connaissances
interdisciplinaires opératoires (sociologie, sociolinguistique, didactique du FLE/S, accès
à l’écrit, formation d’adultes, droit, etc.), de savoir-faire, notamment liés à
l’intervention et l’ingénierie formative, l’analyse de besoins, le positionnement ou
l’évaluation, et de savoir-être en lien avec l’attitude, le geste professionnel, la relation à
l’autre, la capacité d’instaurer une relation qui dynamise mais aussi légitime la
formation.

4.1 Des ressources aux compétences

28 Mais la description et l’analyse de ce répertoire de ressources ne sont pas pour autant


suffisantes dès lors que l’on s’inscrit dans une logique de la compétence (Dolz et
103

Ollagnier, 2002), à concevoir « en acte » (Springer, 2002), dans la dynamique même de


mobilisation de ces ressources en contexte :
La compétence n’est pas un état ou une connaissance possédée. Elle ne se réduit ni à
un savoir, ni à un savoir-faire. Elle n’est pas assimilable à un acquis de
formation. Posséder des connaissances ou des capacités ne signifie pas être
compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion comptable et
ne pas savoir les appliquer au moment opportun. [...] La compétence ne réside pas
dans les ressources [...] à mobiliser, mais dans la mobilisation même de ces
ressources. La compétence est de l’ordre du « savoir-mobiliser ». (Le Bortef, 1994 :
16)
29 La compétence, ainsi, sous-tend une capacité à sélectionner, mobiliser et articuler un
ensemble de savoirs-savoir-faire-être, théoriques, pratiques, empiriques, pertinent
pour la production d’un agir / interagir approprié, en en contexte et en relation.

4.2 La Réflexivité comme macro-compétence

30 Progressivement, le travail fait ainsi émerger l’idée de la réflexivité, conçue comme


réflexion sur l’action et sur la relation en contexte, comme macro-compétence
professionnelle sur laquelle se fonde la construction de la posture formative, posture au
départ de laquelle le formateur peut instaurer une relation-interaction qui favorise à
son tour l’activité réflexive et par conséquent la formation.
31 La réflexivité apparaît ainsi comme s’inscrivant dans un processus récursif, en cascade :
favoriser la réflexivité impliquerait de développer soi-même, en tant que formateur,
une posture d’intervention réflexive. Celle-ci apparaît notamment sous-tendre une
forme de conscience de l’interaction, une capacité à réfléchir à la manière dont,
interagissant avec l’autre au départ de sa position socioprofessionnelle, il contribue à
construire, transformer, des représentations sociales : les siennes, mais surtout celles
de ses apprenants, sur lesquels il exerce forcément une forme de pouvoir symbolique, y
compris dans une relation qu’il tente d’instaurer comme paritaire. Au départ de ce
questionnement sur son propre rôle, son propre positionnement, la place qu’il prend
dans l’interaction formative, il s’interroge sur la manière dont, ce faisant, il positionne
les autres, leur confère une certaine place, un certain statut, autrement dit sur les
modalités interactionnelles qu’il instaure, et qui peuvent apparaître comme
diversement favorables aux dynamiques de légitimation et de formation qu’il vise à
travers son intervention. De manière corollaire, la réflexion porte sur le rapport
construit au terrain d’intervention, ces apprenants dans ces contextes, plus ou moins
éloignés de ses propres sphères de socialisation, et à la manière dont ces
représentations interviennent de son action, dans la relation formative qu’il instaure.
La réflexivité du formateur sous-tend en ce sens une compétence de décentration, une
ouverture à l’altérité, une conscience de la diversité et de la relativité des
représentations, des points de vue, des expériences, des logiques... que le formateur
doit tout autant apprendre à exercer qu’à favoriser chez les apprenants.
32 Le travail vise alors à tenter d’élaborer une conception opératoire de « la réflexivité »,
qui s’inscrit dans un souci de ne pas tomber dans le piège de « La bonne pratique
réflexive », « la bonne posture », « la bonne distance », etc., qui conduirait à figer ce qui
est à concevoir dans ses dimensions processuelle et interactionnelle. Au départ de
l’analyse d’un ensemble de dispositifs universitaires d’accompagnement des étudiants
la construction d’une posture réflexive d’intervention professionnelle, il s’agit
104

notamment d’expliciter les critères, les modalités et les pratiques à l’aune desquels on
peut envisager à la fois d’exercer, mais aussi d’évaluer, une telle compétence.

ANNEXES

ANNEXE
Liste des contributeurs (par ordre alphabétique)
Hervé ADAMI, Université de Nancy 2
Nathalie AUGER, Université de Montpellier 3
Aude BRETEGNIER, Université de Tours
Claire CARRE, AFFIC, Direction du CRIA 37, Tours
Cécile DOUILLARD, coordinatrice pédagogique pôle FLE/S, UFCV, Tours
Sophie ÉTIENNE, docteure, chargée de mission, Fédération des AEFTI, Montreuil
Claire EXTRAMANIA, DGLFLF, Paris
Nathalie GETTLIFFE, Université de Strasbourg
Cécile GOI, DYNADIV, Université de Tours
Catherine GUILLAUMIN, Université de Tours
Emmanuelle HUVER, Université de Tours
Mylène JACQUET, Université de Montpellier 3
Véronique LECLERC, Université de Lille 1
Marie MANARDO, Formatrice FLE/S-Insertion, Tours
Jean-Marc MANGIANTE, Université d’Artois
Muriel MOLINIE, Université de Cergy-Pontoise
Christophe PORTEFIN, docteur, formateur, coordinateur pédagogique
Jean-Christophe RALEMA, GIP Alpha-Centre, ANLCI, Orléans
Katia VAN DER MEULEN, Doctorante, Laboratoire LIDILEM
Anne VINERIER, AFFIC, fondatrice de FARCLI, Tours

NOTES
1. Aude Bretegnier (Coord.). Liste des contributeurs en fin d’article. Dépôt prévu pour édition :
fin 2010. Partenaire éditorial : Fédération nationale des AEFTI, Montreuil. Projet bénéficiant d’un
105

soutien financier de la DGLFLF (Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de


France), Ministère de la Culture, Paris.
2. Département SODILANG-Équipe d’Accueil DYNADIV-4246. Université François Rabelais de
Tours.
3. 02-04 : DESS Gestion de la pluralité linguistique, Master depuis 2005. Actuellement : FLE/S :
Appropriation, Diversité, Insertion. http://master-sodilang-tours.blogspot.com/
4. Bretegnier et de Robillard (coord.), Journée d’Étude Pro-Ling, Rencontres professionnels / (socio)
linguistes autour des notions de langues, insertions, formations. Identifier des convergences – Penser des
coopérations, DYNADIV, Université François Rabelais de Tours.
5. Bretegnier (coord.), Journée d’Étude Former à (s’) intégrer ?, professionnalité, réflexivité, posture,
éthique professionnelle, Université François Rabelais de Tours.
6. Notamment depuis 2007, année de promulgation de la loi LRU (Libertés et Responsabilités des
Universités – J.O. n° 185 du 11.08.07, page 13468, texte n° 2), qui engage les universités françaises
dans l’accession à des « compétences élargies », celles-ci sous-tendant notamment une logique
d’autonomisation financière.
7. Désormais noté : FLI.
8. Que les inégalités, en terme de statut et de légitimité sociale, concernent des langues distinctes
ou des variétés d’une même langue : écrit, oral, notamment.
9. On connaît les difficultés auxquelles les migrants qualifiés pour faire reconnaître leurs
expériences professionnelles antérieures, et même leurs diplômes en France. Les chiffres donnés
par les statistiques du CAI en 2004 montrent bien que la majorité des migrants actuels dont loin
de relever de situations d’analphabétisme : « En 2004, les statistiques du Contrat d’accueil et
d’intégration montrent que parmi les personnes entrant en formation : 12 % n’ont pas été
scolarisées ; 26 % ont suivi une scolarité dans l’enseignement primaire ; 46 % dans l’enseignement
secondaire ; 16 % dans l’enseignement supérieur. » (Beacco [et al.], Référentiel du niveau A1.1., 2005 :
18).

AUTEUR
AUDE BRETEGNIER
Université de Tours, EA 4246 DYNADIV
106

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