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Fleur LARONZE

Maître de conférences HDR en droit social


Université de Haute Alsace

Document n° 3 : Le rôle politique du Conseil constitutionnel et les droits fondamentaux :


l’exemple de la liberté d’entreprendre

Les sources du droit du travail

Faire une synthèse des deux articles ci-dessous et Répondre aux questions :
a. Quelle place est reconnue à la liberté d’entreprendre par rapport aux autres libertés
fondamentales dans les décisions du Conseil constitutionnel ?
b. En quoi le Conseil constitutionnel est-il un organe politique ?
c. Quels problèmes sont posés par le rôle politique du Conseil constitutionnel ?

Article n° 1 :

Droit social 2017 p.754

Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction sociale ?

Lauréline Fontaine, Professeure à l'université Sorbonne-Nouvelle, Paris 3


Alain Supiot, Professeur au Collège de France

L'essentiel

Comparé à ses homologues à l'étranger, le Conseil constitutionnel ne remplit pas les conditions qui pourraient conduire à le
qualifier de Cour suprême ou de Cour constitutionnelle. Cette faiblesse constitutive explique la médiocre qualité juridique et
argumentative de ses décisions ainsi que son incapacité à s'affirmer comme un gardien crédible de la « République sociale »
proclamée par l'article 1er de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction sociale au sens plein du terme ? Une réponse positive à cette
question supposerait qu'il s'agisse bien d'une juridiction, et que sa jurisprudence participe de la mise en oeuvre des
principes fondateurs du droit social. Or il est permis de douter que ces conditions soient remplies. Certes, la
littérature juridique s'accorde sur le constat d'une constitutionnalisation de ce droit, et notamment du droit du travail
(1). Les réformes incessantes dont ce dernier fait l'objet sont fréquemment soumises au contrôle du Conseil, dont
le domaine d'intervention en ce domaine a été encore accru par l'introduction de la question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) (2). Mais une chose est de prendre acte de cette emprise et une autre de voir dans le
Conseil une véritable juridiction, répondant aux exigences d'un État de droit et ayant acquis la légitimité d'une
véritable gardienne de la « République sociale » visée par l'article 1er de notre Constitution. De ces trois points de
vue, on peut hésiter à le qualifier de « juridiction sociale ».

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I. - Le Conseil constitutionnel n'est toujours pas une véritable juridiction
Les fonctions attribuées au Conseil constitutionnel incitent à y voir une cour suprême, surtout depuis l'introduction
de la QPC, qui lui confère un droit du dernier mot sur les questions de constitutionnalité soulevées en matière tant
judiciaire qu'administrative. Mais la faiblesse de ses capacités réelles handicape l'exercice de sa mission. Ce
handicap procède tout d'abord - ce point est à juste titre souvent souligné - du caractère éminemment « politique »
de sa composition, qui ne résulte pas seulement de la présence des anciens présidents de la République comme
membres de droit, mais aussi des conditions de nomination de ses membres ordinaires. Aucune des garanties de
compétence et d'impartialité posées dans les autres grands pays européens ne se retrouve en France, qu'il s'agisse
de l'expérience professionnelle antérieure ou de l'exigence d'une habilitation par des majorités parlementaires
qualifiées, seules à même de réduire le risque des allégeances partisanes. L'audition, introduite en 2008, de ses
nouveaux membres par les commissions des lois de l'Assemblée nationale ou du Sénat pourrait être un premier pas
en ce sens, mais la majorité négative exigée pour le rejet de la nomination (addition des votes négatifs dans chaque
commission supérieure aux trois cinquièmes des votes exprimés au sein des deux commissions) a été conçue pour
n'être jamais atteinte (3) .

Cette faiblesse juridique est aggravée par les conditions effectives de travail du Conseil constitutionnel. Les
qualifications professionnelles de ses membres, ses moyens (4), ses procédures (5) et son éthique (6) dans
l'exercice de ses missions situent cette institution assez loin de ce que désigne dans les autres grandes démocraties
le qualificatif de Cour constitutionnelle, c'est-à-dire d'un véritable organe juridictionnel, composé de juristes
qualifiés et compétents, capables de veiller en toute impartialité au respect de la conformité des lois au droit
constitutionnel. À cette aune, et comparé à ses homologues dans le monde, le Conseil constitutionnel fait « pâle
figure ». Alors que les membres de ces cours sont des juristes hautement qualifiés et expérimentés (hauts magistrats
ou universitaires ayant une autorité doctrinale reconnue), ceux du Conseil constitutionnel doivent souvent leur siège
au fait d'avoir exercé des fonctions, soit directement politiques (président de la République, Premier ministre ou
ministre, parlementaire), soit au service du gouvernement ou du Parlement, voire de grandes entreprises privées.
En dépit des qualités éminentes qu'implique l'exercice de ces différentes fonctions, elles ne confèrent pas la
légitimité acquise par une longue pratique indépendante de l'interprétation du droit.

Le nombre relativement faible des membres du Conseil constitutionnel (7) accroît ce handicap car les quelques «
juristes » expérimentés qui y siègent ne peuvent à eux seuls assumer une charge de travail devenue fort lourde,
notamment depuis l'introduction de la QPC. Cela est d'autant plus fâcheux que, contrairement à leurs homologues
étrangers, les membres du Conseil constitutionnel ne possèdent pas d'assistants, conseillers, référendaires, law
clerks ou autres legal advisers placés sous leur autorité, qui pourraient notamment combler dans certains cas les
lacunes de connaissances et de réflexions autour de questions juridiques. Par exemple chaque juge de la Cour
constitutionnelle fédérale allemande a 4 assistants de recherche de son choix, qui sont dans leur majorité des juges
ou des procureurs issus des juridictions civiles, pénales, administratives, sociales ou financières ou des juridictions
du travail. Les membres de la Cour suprême de l'Inde disposent chacun de 2 assistants. En Espagne, il existe un
corps spécial appelé les letrados, conseillers juridiques sélectionnés par concours et disposant de compétences
juridiques ou conseillers affectés temporairement au Tribunal et sélectionnés parmi des avocats, professeurs
d'université, juges ou procureurs (8). L'introduction de la QPC aurait dû s'accompagner d'un dispositif de ce genre
(9), non pas tant pour alléger la charge de travail de ses membres (10), que pour combler leur déficit de
compétence juridique. Dans la foulée de cette réforme, Paul Cassia a appelé à un « basculement qualitatif » du
Conseil, qui n'est pas encore advenu à ce jour (11).

Certains membres du Conseil se satisfont de cette situation (12), tel le regretté Jacques Barrot, selon qui « ce
serait une erreur de transformer le Conseil en une cour constitutionnelle » (13). Comme l'a noté Patrick
Wachsmann, une telle déclaration a le mérite de la clarté quant au statut du Conseil constitutionnel, « sauf peut-être
aux yeux de ceux de nos collègues qui s'obstineraient à confondre leurs rêves avec la réalité » (14). Ces faiblesses
congénitales sont de fait minimisées par la doctrine (15), les commentateurs des décisions du Conseil

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constitutionnel faisant généralement comme si ses membres pouvaient porter au débat doctrinal le même type
d'attention que ceux du Conseil d'État ou de la Cour de cassation.

Le débat sur les déficiences du Conseil constitutionnel ne doit donc pas se focaliser sur le caractère politique des
nominations, et notamment sur la question - aussi pertinente soit-elle - de la présence en son sein des anciens
présidents de la République (16). En effet, le droit comparé nous montre « qu'il n'est jamais possible de couper
tout lien entre les dirigeants, démocratiquement donc politiquement élus, et le mode de désignation des juges
constitutionnels » (17), ce qui condamne d'avance à l'échec toute révision du mode de nomination qui ignorerait
ce lien. Il est plus important d'observer que dans les cours étrangères, le caractère politique des nominations a
toujours pour contrepoids le très haut niveau de compétences exigé de ses membres, ce qui n'est pas du tout le cas
pour le Conseil constitutionnel français. Ainsi mal posée, la question du lien du politique et du constitutionnel sert
de paravent commode au maintien d'une situation qui plonge nombre d'observateurs étrangers dans la stupéfaction
lorsqu'ils découvrent l'institution française et ses pratiques.

La composition non professionnelle et intrinsèquement politique du Conseil provoque en effet des situations qui
seraient considérées comme « intenables » dans les autres pays démocratiques. Deux questions notamment
paraissent faire l'objet d'une interprétation pour le moins particulière de la part du Conseil constitutionnel : le
principe d'impartialité des juridictions et, à certains égards, les règles de continuité dans l'administration de la
justice. Deux questions qui mettent en lumière autant celle de la déontologie du magistrat (18) que celle de la
conception du lien entre les organes de justice et les justiciables.

La question de l'impartialité mérite qu'on s'y attarde un peu, car elle s'apprécie non seulement in concreto mais aussi
in abstracto. In concreto, elle concerne la pratique du déport au sein de l'organe constitutionnel, que l'on peut
considérer comme « légère », et de toute évidence « révélatrice d'un déficit d'impartialité » (19). Aux termes du
règlement intérieur dont le Conseil s'est doté en matière de QPC, « le seul fait qu'un membre du Conseil
constitutionnel a participé à l'élaboration de la disposition législative faisant l'objet de la question de
constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation » (20). Disposition inconcevable en toute
autre démocratie et dont en France même on pourrait mettre en doute aussi bien la constitutionnalité (mais devant
quelle juridiction ?) que la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme (qui vise au nombre de
ces droits celui de voir sa cause entendue par « un tribunal indépendant et impartial » (21)). Une fois posé qu'un
membre du Conseil peut être ainsi à la fois juge et partie, l'impartialité est renvoyée à sa conscience individuelle
(22), hormis le cas de demande de récusation. Limitées à la procédure de QPC (23), ces demandes de récusation
sont la plupart du temps refusées « sans que l'on sache ni par qui, ni quand, ni pourquoi, alors que l'incompatibilité
paraissait devoir leur être étendue » (24). La désignation par le président de la République du président du Conseil
constitutionnel fait aussi problème, dans la mesure où, ce dernier désignant les rapporteurs, il exerce une influence
déterminante sur l'orientation de la décision à prendre (25). Dans la plupart des cours constitutionnelles
étrangères, la désignation du président échappe au pouvoir politique, soit qu'il soit élu par ses pairs, soit - comme
dans le cas italien - que la présidence soit assurée à tour de rôle par chacun d'eux. Lors de son audition devant
l'Assemblée nationale en 2016, l'actuel président du Conseil constitutionnel a dévoilé sa propre conception de
l'impartialité et du déport, en limitant cette possibilité à celle où il aurait à juger une loi dont il aurait été lui-même
responsable lorsqu'il était ministre (26). Ainsi, le fait pour un conseiller, même président de l'institution, de siéger
lors d'une instance concernant un texte législatif dont il a voté le projet comme ministre n'est pas assimilé à un cas
de partialité. Il est donc possible de dire que la pratique du déport, la composition et les règles que visiblement le
Conseil constitutionnel ne se donne pas réellement pour siéger dans les conditions d'une justice équitable et
impartiale, sont pour le moins en contrariété avec les standards de la justice constitutionnelle contemporaine.

Considéré in abstracto, le devoir d'impartialité exige par ailleurs des membres d'une juridiction des qualités
d'indépendance et un devoir de réserve. Du premier point de vue, les activités de nombre de membres de l'institution
lors de la période précédant leur entrée en fonction sont structurellement problématiques comme indiqué plus haut
(27). Ce déficit d'indépendance « structurel » est aggravé par la possibilité prévue à l'article 4 du décret du 13
novembre 1959, qui autorise les membres du Conseil constitutionnel à demander leur mise en congé « pour la durée
de la campagne électorale » à laquelle ils souhaitent participer. La confusion est ainsi entretenue entre les fonctions

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exécutive, législative et judiciaire, en même temps que se trouve négligée la question de la continuité de
l'administration de la justice.

À cela s'ajoutent les très nombreuses interrogations relatives aux « influences » diverses qui s'exercent sur le Conseil
constitutionnel (28). Alors qu'on aurait peine à imaginer un magistrat d'un tribunal administratif recevant le patron
d'une grande entreprise publique dont la concession est contestée devant lui, un ancien président du Conseil
constitutionnel ne fait pas mystère de ses contacts avec des responsables patronaux désireux de lui faire connaître
leurs attentes sur la jurisprudence du Conseil (29). Sur un registre plus formel, s'est développée ces dernières
années la pratique des « portes étroites », permettant à tout groupe, fédération, syndicat ou entreprise de faire
connaître directement son point de vue au Conseil constitutionnel sur la loi soumise à son examen (30).

Alors que dans un État de droit les justiciables doivent pouvoir se fier à l'impartialité de leur juge, les conditions de
cette confiance ne sont donc pas véritablement réunies s'agissant du Conseil constitutionnel. Il en va de même du
devoir de réserve (31), qui a souffert de multiples entorses, sans que le Conseil constitutionnel paraisse s'en
émouvoir ni adopte les mesures d'autodiscipline propres à en garantir le respect.

Ces questions doivent être prises d'autant plus au sérieux que l'emprise et le pouvoir créateur de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel n'ont cessé de s'étendre. Dès lors que cette jurisprudence irradie dans tout l'ordre juridique,
il n'est pas sans conséquences qu'elle soit élaborée dans les conditions d'un privilège non contesté de dire le droit
sans le connaître. La justice constitutionnelle est, en ce sens, résolument politique (32).

II. - Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas de véritables jugements


Première des vertus civiques, la justice a souvent été représentée dans l'histoire sous les traits d'une déesse, qui
serait la mère du droit et des autres vertus requises par la vie en société (33). Sa représentation allégorique par
Lucas Cranach laisse apercevoir sa nudité sous un voile transparent qui lui recouvre la tête et le corps (34) : la
justice n'a rien à cacher et doit pouvoir être vue de tous, mais on ne peut jamais y accéder complètement. Depuis la
Révolution française et l'instauration de l'État de droit, cette exigence de transparence se traduit techniquement par
l'obligation faite aux juges de motiver leurs décisions de façon claire et argumentée. Obligation qui s'impose
particulièrement s'agissant des plus hautes juridictions, celles qui ont le dernier mot sur l'interprétation du droit.
Leur autorité dépend largement de la qualité argumentative de leurs décisions, seule à même de dissiper tout
soupçon d'arbitraire et de contribuer à un débat public vivant et constructif. Il a été justement observé que « l'autorité
de la décision ne suffit pas à elle seule » (35) et que c'est sa motivation qui peut « faire naître chez le justiciable
le sentiment d'un accomplissement légitime de l'office juridictionnel » (36). Or sur ce terrain également le Conseil
constitutionnel français paraît singulièrement déficient. De l'avis de nombreux auteurs, ses décisions sont « d'une
qualité très inégale », car sa composition « non professionnelle » entraîne inévitablement un « risque » de produire
des décisions « juridiquement fragiles [...]. Variations ou flottements de jurisprudence, obscurité de décisions mal
ou insuffisamment motivées, voire incorrections ne sont pas rares dans les décisions du Conseil constitutionnel, qui
[...] peine à jouer son rôle de gardien des libertés publiques » (37).

De fait la motivation des décisions du Conseil constitutionnel français est non seulement très souvent lapidaire,
mais aussi, parfois, inexistante (38). Peut-être le Conseil constitutionnel suit-il les prescriptions des canonistes, «
dénonçant comme fatuus, "sot", le juge qui exprimerait publiquement les motifs de ses décisions » (39) ?

Sans que l'on puisse toujours être certain des mobiles des décisions mal ou peu motivées, il apparaît que ce défaut
de motivation peut conduire à des conséquences inattendues par leurs auteurs, telle la décision rendue à propos de
la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Le texte soumis à
l'examen du Conseil prévoyait, dans sa rédaction adoptée par le Parlement, d'interdire aux parlementaires de
continuer a exercer une fonction de conseil, quelle qu'en soit la nature, lorsqu'ils ne l'exerçaient pas avant le début
de leur mandat dans le cadre d'une profession libérale soumise a un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre
est protégé. Il s'agissait de mettre un terme à la pratique, observée dans tous les partis politiques, consistant pour un
élu à prêter ses services de conseil à des intérêts privés qu'il a par ailleurs pour mission de réglementer au nom de

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l'intérêt général. Cette disposition a été déclarée contraire à la Constitution, au visa de l'article 6 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, par le « motif » suivant : « Le législateur a institué des interdictions qui, par
leur portée, excédent manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur,
l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d'intérêts » (40). Les conséquences de
cette décision se sont révélées dévastatrices pour ceux-là mêmes qu'elle visait à protéger, comme l'ont illustré les
déboires d'un candidat en vue aux élections présidentielles de 2017, mettant ainsi en lumière la responsabilité du
Conseil dans la persistance de cumuls d'activités des parlementaires, propres à nourrir d'évidents conflits d'intérêts
(41). En quoi aurait-il été « manifestement excessif » d'éviter à un parlementaire la tentation d'ouvrir un cabinet
de conseil quelques jours avant son entrée en fonction pour faciliter « les investissements à long terme » de riches
clients intéressés au travail législatif ? Mystère. Faudra-t-il alors réviser la Constitution, voire l'article 6 de la
Déclaration de 1789, avant d'adopter la loi de moralisation de la vie publique promise par le nouveau président de
la République élu en mai 2017 pour interdire ce type de cumuls ?

L'obligation de motiver les décisions de justice est l'un des acquis de l'État de droit que nous a légués la Révolution
(42). Le Conseil constitutionnel s'inspire peut-être de l'imperatoria brevitas qui a permis au Conseil d'État
d'acquérir et de consolider ses compétences sur l'administration qu'il contrôle. Cela sous l'influence de ses
secrétaires généraux qui sont généralement issus de cette juridiction (43) et dont le poids dans la rédaction des
décisions du Conseil constitutionnel est proportionnel au manque de compétence juridique d'une bonne partie de
ses membres. Mais ce qui a été peut-être valable, et en d'autres temps, pour le Conseil d'État ne l'est pas aujourd'hui
pour le Conseil constitutionnel, dont les décisions limitent le pouvoir de la majorité démocratiquement élue et
doivent donc pour être légitimes être solidement fondées en droit et comprises de tous. L'introduction de la pratique
du dissent, si féconde dans de nombreuses cours étrangères (en Allemagne par exemple depuis 1971 ou au Portugal
depuis la création du Tribunal constitutionnel par la Constitution de 1976), pourrait contribuer à mieux asseoir cette
légitimité, en rendant publiques les conditions de prise de décisions situées à l'articulation du débat démocratique
et du respect du droit constitutionnel.

Certains auteurs regrettent aussi la facture non conséquentialiste des décisions du Conseil constitutionnel, qui
tranche avec la plupart des décisions des autres cours constitutionnelles. Fabrice Hourquebie a ainsi observé que «
les juges de common law [...] n'hésitent pas à envisager les conséquences qu'une interprétation aurait sur l'ordre
moral, social ou économique pour motiver leur décision », et exposent ainsi leurs différents arguments, à la
recherche du « soutien de l'opinion publique », pratiques qui « se doublent d'ailleurs généralement d'une
interprétation "évolutive" du texte en cause » (44). En rendant accessibles certaines de ses délibérations (45),
l'ouverture des archives du Conseil a montré que le Conseil constitutionnel n'était pas en fait étranger à l'argument
conséquentialiste (46), mais sa motivation formelle ne permet pas d'en prendre la mesure. Les décisions du
Conseil constitutionnel sont souvent obscures ou laconiques et évitent toute discussion des choix sociaux,
économiques ou philosophiques qu'elles impliquent. Le contraste est grand avec le soin argumentaire dont font
preuve ses homologues à l'étranger. Ainsi le Bundesverfassungsgericht (la Cour constitutionnelle allemande)
s'attache à poser clairement, et très concrètement, les termes et les enjeux de la discussion constitutionnelle autour
de la loi litigieuse (47), déployant une véritable réflexion juridique dont on chercherait vainement l'équivalent
dans les décisions du Conseil constitutionnel français. La différence de qualité de cette réflexion apparaît clairement
(et cruellement) si l'on compare par exemple la décision rendue par le Bundesverfassungsgericht sur la ratification
du traité de Lisbonne (48) et celle rendue sur le même sujet par notre Conseil constitutionnel (49) : d'un côté
une réflexion approfondie (64 000 mots) sur les enjeux de la ratification de ce Traité au regard des principes
constitutionnels de démocratie et d'économie sociale de marché. De l'autre une check-list (3 600 mots) des
modifications constitutionnelles impliquées par la ratification. On pourrait aussi comparer la décision rendue par le
Tribunal constitutionnel espagnol sur le statut de la Catalogne (50) (près de 1 000 pages) et celle du Conseil
constitutionnel sur le statut de la Corse (51), qui tient en une dizaine de pages dans lesquelles les enjeux sociétaux
n'apparaissent pas.

Bien entendu la quantité ne fait pas la qualité, et le Tribunal espagnol a mis près de quatre ans à rendre sa décision,
quand le Conseil constitutionnel ne disposait que d'un mois pour rendre la sienne. Ce dernier est par ailleurs assez
naturellement empreint de la culture juridique française, qui impose aux décisions de justice un moule syllogistique

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et déductif, bien différent du style inductif qui domine notamment la culture de common law. Mais cette structure
déductive a été conçue comme une prévention de l'arbitraire du juge et n'est nullement incompatible avec le
déploiement d'une argumentation approfondie susceptible d'asseoir non seulement la légalité, mais aussi la
légitimité de sa décision dans l'exercice du pouvoir prétorien dont tout juge dispose inévitablement (52).

Dès lors que les normes constitutionnelles n'emportent pas, par elles-mêmes, un sens immédiatement et
unanimement partagé, une recherche doit avoir lieu pour dégager un sens qui soit en accord avec les principes du
droit et ses ambitions. Selon Dieter Grimm, « l'existence d'une Constitution qui contient des éléments sociaux et
celle d'une cour constitutionnelle qui puisse aider à les concrétiser fait donc [...] toute la différence » (53). Il est
certain que le Conseil, en ne confrontant pas le sens des dispositifs législatifs contrôlés aux enjeux sociaux,
politiques et économiques déterminés par le système constitutionnel, ne donne pas de la Constitution le sentiment
d'un texte vivant (the living Constitution) et en discussion. C'est particulièrement vrai de son interprétation des «
principes politiques, économiques et sociaux » proclamés dans le Préambule de la Constitution de 1946 et réaffirmés
solennellement en 1958. Proclamés comme « particulièrement nécessaires à notre temps », ces principes exigent
explicitement dans leur mise en oeuvre une actualisation régulière, qui doit être guidée par une conception ferme et
cohérente de la « République sociale » visée par l'article 1 er de notre Constitution.

III. - La « République sociale », part méconnue de l'identité constitutionnelle de la France


Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la République française est dite par la Constitution « indivisible,
laïque, démocratique et sociale » (54). On s'accordera sans peine à considérer que ces qualificatifs participent de
ce que le Conseil constitutionnel, suivant timidement une voie tracée beaucoup plus fermement en Allemagne par
le Bundesverfassungsgericht (55), a nommé « l'identité constitutionnelle de la France ». Visant à réduire au
minimum minimorum le contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives européennes, la
décision qui a consacré cette notion est sans surprise extrêmement laconique : « La transposition d'une directive ne
saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce
que le constituant y ait consenti » (56). Si la notion d'identité constitutionnelle est ainsi bien présente dans la
jurisprudence du Conseil, il a été justement observé que « son contenu n'est pas identifié et sa définition esquivée
», si bien qu'il revient à la doctrine de tenter de lui donner vie et substance, sans être sûr que le juge constitutionnel
lui-même ait su ce qu'il entendait y intégrer (57). Ce travail doctrinal suppose de faire bien sûr comme si le Conseil
était susceptible de prêter attention à la doctrine - ce qui est nous l'avons dit assez hasardeux.

La « République sociale » est une notion laissée en jachère, alors que cette dimension de « l'identité constitutionnelle
de la France » serait sans doute la mieux à même de donner un cadre conceptuel cohérent à l'emprise du droit
constitutionnel sur le droit du travail et de la sécurité sociale. Cette emprise, on le sait, n'a cessé de s'étendre depuis
que le Conseil a intégré au bloc de constitutionnalité le Préambule de la Constitution de 1958, et par ricochet celui
de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, textes auxquels est venue
s'ajouter depuis 2005 la Charte de l'environnement. Ces textes de référence sont abordés par le Conseil comme des
couches normatives hétérogènes, comme un empilement de droits et de principes indépendants, les uns des autres,
voire antinomiques, qui doivent donc être conciliés et hiérarchisés. Il serait plus avisé d'y lire le développement
historique d'un ensemble cohérent de principes constitutifs de « l'identité constitutionnelle de la France » et de les
considérer dans leur ensemble, comme un seul et même tableau de traits caractéristiques de notre République.

Ainsi, par exemple, le sens de son indivisibilité se dégage non seulement de l'article 3 de la Déclaration de 1789
(58) mais aussi de l'alinéa 6 du Préambule de 1946 (définissant le syndicalisme, non pas comme appartenance à des
corps intermédiaires, mais comme une liberté individuelle s'exerçant collectivement) ou de son alinéa 9 (imposant
la nationalisation des biens ou entreprises ayant le caractère d'un service public ou d'un monopole de fait). De
même, la laïcité est éclairée à la fois par l'article 10 de la Déclaration (59) et par l'alinéa 5 du Préambule (60).
Le sens de l'identité démocratique se découvre en considérant ensemble les textes de la Déclaration, du Préambule
et de la Charte de l'environnement. Cette démocratie est à la fois politique (DDH, art. 6 (61) ; Préambule de 1946,
al. 3 et 4 (62)), économique et sociale (DDH, art. 1er et 4 (63) ; Préambule de 1946, al. 6 à 9 (64)) et
environnementale (65). Quant à l'identité sociale de la République, outre cette composante démocratique, elle

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comporte la reconnaissance indivisible de droits et devoirs, qui se trouvent bien sûr dans le Préambule de 1946 (al.
5, 9, 10, 11 et 12 (66)), mais aussi déjà dans la Déclaration de 1789 (art. 6, 13 et 14 (67)) et dans la Charte de
l'environnement (68). Si ces textes forment bien, selon l'heureuse expression de Claude Emeri, un « bloc » de
constitutionnalité (69), c'est qu'ils « font système » en combinant dans une même structure normative à la fois des
droits et devoirs, tant individuels que collectifs. Dans cette perspective systémique, la « République sociale » devrait
jouer le rôle d'un « métaprincipe », à l'instar de la notion de Sozialstaat en Allemagne (70) et permettre de lier les
droits et les devoirs dans le domaine économique et social comme dans le domaine environnemental.

Mais ce n'est pas cette méthode qui a prévalu dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (ni du reste en
doctrine). La tendance lourde consiste à interpréter ces textes sous le seul angle des droits individuels et à opposer
des droits de « première » et de « seconde » génération. Dès lors, le Conseil s'est donné pour tâche de « concilier »
ces droits dont on présume l'antinomie latente. Le droit social constitutionnel serait ainsi marqué par ce que dans
les années 70 le chef des services juridiques de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Jean-
Paul Murcier, avait nommé le « conflit des logiques » entre d'une part les droits d'inspiration libérale favorables
aux employeurs et d'autre part les droits d'inspiration sociale, favorables aux travailleurs (71).

Il faut reconnaître que cette grille d'analyse, qui se retrouve chez les meilleurs auteurs (72), rend effectivement
compte du mode de raisonnement du Conseil constitutionnel et de la dérive néolibérale qui l'a conduit depuis une
quinzaine d'années à donner progressivement la priorité aux libertés économiques sur les droits de seconde
génération (73). La protection de la liberté d'entreprendre par le Conseil est un bon témoin de cette évolution. En
1984, le Conseil considérait que « la liberté d'entreprendre n'[était] ni générale, ni absolue ; qu'il [était] loisible au
législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pas pour
conséquence d'en dénaturer la portée » (74) ; en 1997, que le législateur ne devait pas lui apporter des « atteintes
excessives » (75) ; en 2000, qu'il devait « veiller à ce que leur application ne limite pas la liberté d'entreprendre
dans des proportions excessives au regard de l'objectif constitutionnel (poursuivi) » (76) ; et en 2017 qu'il ne
résulte pas des limitations que le législateur apporte à la liberté d'entreprendre des « atteintes disproportionnées au
regard de l'objectif poursuivi » (77).

Sa méthode consiste à considérer les droits de seconde génération (consacrés par le Préambule) comme autant de
dérogations, d'interprétation restrictive, aux libertés économiques des entreprises, que le Conseil déduit des droits
de « première génération » consacrés par la Déclaration de 1789 (droit de propriété, à la liberté contractuelle et à la
liberté d'entreprendre). Sur la base de cette antinomie présumée des droits relevant de « l'économique » et du «
social », il lui suffit de se référer au principe de proportionnalité pour mettre en balance les uns et les autres et
décider souverainement de censurer les dispositions législatives portant une « atteinte disproportionnée » aux
libertés économiques (78).

Cette méthode est semblable à celle dont use la Cour de justice de l'Union européenne (79), mais avec parfois une
surenchère dans l'intégrisme du marché. Le Conseil constitutionnel est ainsi allé bien au-delà de ce qu'exigeait la
Cour européenne en matière de protection sociale complémentaire. Pour donner satisfaction à une revendication
des assureurs (80), il a rayé d'un trait de plume l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, leur permettant
ainsi d'investir le marché fort lucratif de l'assurance complémentaire santé sans s'embarrasser du « degré de
solidarité élevé » entre les entreprises d'une même branche d'activité, que le législateur, s'inspirant de la
jurisprudence européenne (81), avait entendu encourager. Dans une décision qui ne dit mot du principe de
solidarité, le Conseil se contente d'affirmer que « les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale
portent à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif
poursuivi de mutualisation des risques » (82). Le Conseil a usé du même raisonnement pour censurer la loi
Florange (83) ou la loi relative à l'économie sociale et solidaire (84).

Indépendamment même du pouvoir discrétionnaire que le principe de proportionnalité confère au juge


constitutionnel, et de son penchant de plus en plus marqué pour faire pencher la balance du côté des grandes
entreprises, c'est le recours même à cette mise en balance qui, pour au moins deux raisons, mériterait d'être interrogé.

7
La première raison est que l'extension des droits fondamentaux aux personnes morales ne va pas de soi (85). La
personnalité juridique des entreprises est un simple instrument mis à la disposition des entrepreneurs pour
développer une activité jugée profitable à la collectivité. Cet instrument leur permet tout à la fois de mobiliser
d'énormes richesses, de limiter leur propre responsabilité et de faire échapper leur entreprise à leur mortelle
condition. Il ne doit donc être utilisé que dans les limites précisément fixées par la loi, limites qui subordonnent
l'usage de cet instrument au respect d'autres règles, visant à assurer la liberté, la sécurité et la solidarité au sein d'une
société donnée. L'assimilation pure et simple des droits des personnes morales et des personnes physiques est lourde
pour la démocratie de menaces qui ont été dénoncées de longue date aux États-Unis (86). Cette menace est encore
aggravée par la tendance du Conseil constitutionnel à donner plus de poids aux droits constitutionnels des personnes
morales qu'à ceux des personnes physiques, ainsi que le montre de façon caricaturale son traitement inégal de la
liberté contractuelle en matière d'assurance santé : celle des entreprises est indérogeable et celle des salariés
inopposable.

Mais aussi et surtout le recours au principe de proportionnalité conduit à évacuer toute considération des principes
constitutifs de la République sociale, que sont notamment la solidarité et la démocratie économique. Au regard de
ces deux principes, les droits de première et seconde génération ne sont pas des droits antinomiques qu'il faudrait
concilier ou hiérarchiser, mais au contraire les composantes indissociables d'un même régime constitutionnel
(87). On ne peut, sans bafouer ces deux principes constitutifs, interdire aux partenaires sociaux d'établir librement
une solidarité entre les entreprises et les salariés d'une même branche face au risque maladie. De même, on ne peut
sans bafouer le principe de démocratie économique, permettre à une société ou un groupe d'imposer la fermeture
d'une entreprise, quand bien même le tribunal de commerce aurait jugé sérieuse l'offre d'un repreneur. Ce déni de
démocratie économique porte aussi bien atteinte à la liberté d'entreprendre du repreneur qu'au droit à l'emploi des
salariés. La solidarité et la démocratie économique ne sont pas des entraves à la liberté d'entreprendre, mais bien au
contraire des modalités nécessaires de sa mise en oeuvre. Cette nécessité est reconnue par les grandes entreprises
elles-mêmes, qui font profession de « responsabilité sociale et environnementale ». Elle procède des nouvelles
formes de leur organisation, qui n'est plus unitaire et intégrée, mais réticulaire. Cette forme réticulaire appelle la
reconnaissance d'une certaine solidarité entre les différents maillons des chaînes d'approvisionnement, de
production, ou de distribution, tant du point de vue de la démocratie économique (représentation et de la négociation
collective) que de celui de la responsabilité sociale et environnementale. Le législateur s'est timidement engagé
dans cette voie, notamment au travers de la récente loi sur le devoir de vigilance (88).

Le Conseil constitutionnel n'a pas bloqué ce mouvement, mais il tente de le freiner, car il demeure prisonnier d'une
méthode d'interprétation qui l'empêche de prendre la mesure des formes contemporaines d'exercice de la liberté
d'entreprendre. Afin de pouvoir recourir comme à son habitude au principe de proportionnalité pour élargir à sa
guise son pouvoir prétorien, il a inventé dans deux décisions récentes un « envers » du principe constitutionnel de
responsabilité, qui lui permettra de limiter à l'avenir celle des donneurs d'ordre dans les réseaux de production
(89).

La première de ces décisions visait les dispositions de l'article L. 8222-2 du code du travail, qui prévoient la mise
en cause de la responsabilité d'un donneur d'ordre en cas de recours au travail clandestin par ses sous-traitants
directs ou indirects (90). Selon le Conseil, « la loi peut instituer une solidarité de paiement dès lors que les
conditions d'engagement de cette solidarité sont proportionnées à son étendue et en rapport avec l'objectif poursuivi
par le législateur ». Le principe de responsabilité pourra ainsi être invoqué, non pour obtenir réparation, mais au
contraire pour contester toute loi imposant une certaine coresponsabilité entre membres d'un même réseau de
production ou de distribution, alors qu'il s'agit d'un outil essentiel pour donner une portée juridique à l'idée de
responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

La seconde décision visait les dispositions de l'article L. 4231-1 du code du travail, qui obligent sous certaines
conditions le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre à répondre de l'hébergement des travailleurs employés par ses
sous-traitants directs ou indirects, lorsque ces travailleurs sont logés dans des conditions incompatibles avec la
dignité humaine (91). Ici encore le Conseil a relevé d'office le principe constitutionnel de responsabilité, pour
affirmer qu'« il résulte de l'article 4 de la Déclaration de 1789 que la loi peut prévoir l'engagement de la

8
responsabilité d'une personne autre que celle par la faute de laquelle le dommage est arrivé à la condition que
l'obligation qu'elle crée soit en rapport avec un motif d'intérêt général ou de valeur constitutionnelle et proportionnée
à cet objectif ». Tant la responsabilité solidaire que la responsabilité pour autrui sont donc ainsi déclarées suspectes
d'atteinte potentielle au principe constitutionnel de responsabilité, et soumises à un strict contrôle de justification et
de proportionnalité.

La volonté du Conseil constitutionnel d'endiguer la dynamique de la solidarité en matière de responsabilité des


grandes entreprises s'est manifestée en dernier lieu dans sa décision du 23 mars 2017, qui a vidé la loi sur le devoir
de vigilance des sanctions dissuasives adoptées par le Parlement. Cette fois au nom de l'article 8 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, ce qui peut se comprendre compte tenu de la rédaction de cette loi, mais ne
manque pas de sel dans une décision faisant par ailleurs grief au législateur du « caractère large et indéterminé de
la mention des "droits humains" et des "libertés fondamentales" » (92) : trop larges et indéterminés s'agissant de
protéger des personnes physiques, les droits de l'Homme et du citoyen ont aux yeux du Conseil constitutionnel un
caractère bien assez large et déterminé lorsqu'il s'agit de les étendre à de grandes entreprises et de leur éviter ainsi
le risque d'avoir à répondre des atteintes qu'elles leur portent.

Faute de s'inscrire sous l'égide de l'identité constitutionnelle de la France, identité qui est « en même temps »
politique, sociale et environnementale, le Conseil se révèle aujourd'hui incapable de tenir compte des
transformations profondes de l'organisation des entreprises.

NOTES

(1) Sur l'hypothèse de la constitutionnalisation du droit social, v. V. Bernaud, Les droits constitutionnels des
travailleurs, Economica-PUAM, 2003 ; C.-M. Herrera, Sur le statut des droits sociaux. La constitutionnalisation
du social, RUDH 2004, n° 16, p. 32 ; L. Dardalhon, Droit constitutionnel et droit social. La liberté du travail devant
le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, RFDC 2005. 755 ; F. Petit, La constitutionnalisation du droit du
travail, JCP 12 sept. 2010, n° 37 ; O. Dutheillet de Lamothe, Les normes constitutionnelles en matière sociale,
Cah. Cons. const., 2010, n° 29 ; A. Bugada, La QPC et le droit constitutionnel du travail, JCP S 2011, n° 22-23 ;
V. Bernaud et X. Prétot, Droit constitutionnel social, J.-Cl. Adm., fasc. 1443, 2012 ; O. Dutheillet de Lamothe,
Existe-t-il un droit constitutionnel du travail ?, JCP S 2012, n° 6, p. 15 ; I. Odoul-Asorey, Négociation collective
et droit constitutionnel. Contribution à l'étude de la constitutionnalisation des branches du droit, LGDJ, 2013 ;
Dossier « Droit constitutionnel du travail », Dr. soc. 2014, n° 4 ; O. Dutheillet de Lamothe, Les principes de la
jurisprudence en matière sociale, Nouv. Cah. Cons. const., 2014, n° 45 ; O. Dutheillet de Lamothe, La
constitutionnalisation du droit du travail, Sem. soc. Lamy 2016, n° 1724 ; Dossier « Constitution et droits sociaux
», AIJC 2016.

(2) V. Actes du colloque de Paris 2, Norme sociale et contrôle de constitutionnalité, Sem. soc. Lamy, suppl.
n° 1561, 26 nov. 2012.

(3) V. Const., art. 13 et 56, et L. org. n° 2010-838, 23 juill. 2010.

(4) 55 personnes environ, tous services confondus. En 2005, le service juridique était composé de... 3 personnes
(v. par ex. La contribution des services juridiques à la prise des décisions des cours constitutionnelles, intervention
du responsable du service juridique du Conseil constitutionnel à la conférence des secrétaires généraux des cours
constitutionnelles européennes tenue à Bled, Slovénie, les 29 et 30 sept. 2005 (www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/pdf/Conseil/20050930.pdf).

(5) V. not. le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions
prioritaires de constitutionnalité (Cons. const., 4 févr. 2010, n° 2010-117 ORGA, JO 18 févr., p 2986).

(6) La condition première de la prévention de l'arbitraire qui se dégage de l'évolution des procédures judiciaires
depuis le Moyen-Âge se trouve dans « les qualités intellectuelles, professionnelles et morales requises du juge »

9
(v. A. Wijffels, La motivation des décisions judiciaires, in F. Hourquebie et M.-C. Ponthoreau [dir.], La motivation
des décisions des cours suprêmes et cours constitutionnelles, Bruylant, 2012. 142).

(7) Ce chiffre est plutôt comparable en Europe à ceux de « petits » pays, à l'instar de l'Estonie (9 juges), de la
Lettonie (7 juges), du Luxembourg (9 juges), de la Lituanie (9 juges) ou de la Roumanie (9 juges). Dans les autres
pays d'Europe qui ont une cour constitutionnelle, le chiffre s'élève à 12 (Bulgarie), 13 (Slovaquie, Croatie et
Portugal), 15 (Italie et République tchèque) ou 16 (Allemagne).

(8) Pour le cas français, seul le contentieux des élections législatives et sénatoriales peut impliquer le recrutement
de 10 rapporteurs adjoints « choisis parmi les maîtres des requêtes du Conseil d'État et les conseillers référendaires
à la Cour des comptes » (Ord. 7 nov. 1958, art. 36).

(9) V., M. Fatin-Rouge Stefanini, Les qualités d'une Cour constitutionnelle : retour sur la dénomination du Conseil
constitutionnel et la contestation de son caractère juridictionnel en comparaison avec la Belgique, Congrès de
l'AFDC, Nancy, 2012, en ligne.

(10) Comme le suggérait dès 2001 Noëlle Lenoir (Le métier de juge constitutionnel, Le débat n° 114, mars-avr.
2001).

(11) P. Cassia, Il est temps de faire du Conseil constitutionnel une véritable juridiction, Le Monde, 17 févr. 2010.

(12) V. par ex. P. Mazeaud : « Sur le mode de nomination, je ne dis pas non plus que notre système soit parfait.
Mais je n'en imagine pas de meilleur », in 2, rue de Montpensier : un bilan, Cah. Cons. const. 2009, n° 25. Dans
son livre témoignant de son expérience d'ancien président du Conseil constitutionnel (Ce que je ne pouvais pas
dire, Laffont, 2016), Jean-Louis Debré ne fait pas mystère de l'illégitimité dont seraient frappés à ses yeux les
juristes pour y siéger.

(13) « Nous sommes, expliquait-il, trois législateurs qui connaissons la musique du Parlement. [...]. Les juristes
considèrent un peu que le droit est une fin en soi, tandis que les législateurs sont mieux à même de le ramener à sa
dimension de moyen », J. Barrot, Le Monde, 25 févr. 2010.

(14) P. Wachsmann, La composition du Conseil constitutionnel, Jus Politicum 2010, n° 5. Les critiques formulées
à l'encontre du Conseil durant les premières années de la Ve République (v. l'accord entre le PC et la Fédération de
la gauche démocrate et socialiste - dite FGDS - de févr. 1968 prévoyant la création d'une « Cour suprême
constitutionnelle », évoqué par G. Grunberg in La loi et les prophètes, les socialistes français et les institutions
politiques, CNRS éd., 2013. 248), ont vite laissé place à un accord sur le statu quo entre les partis de gouvernement.

(15) V. par ex. L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, Otto Pfersmann, A. Roux, G. Scoffoni et J.-L. Mestre, Droit
constitutionnel, 19e éd., coll. « Précis », Dalloz, 2016, n° 317 ; v. aussi W. Mastor, Rénover la gauche : le Conseil
constitutionnel doit être réformé, Le Monde, 12 janv. 2017.

(16) Présence qu'il est régulièrement question de supprimer. V. en dernier lieu le projet de loi « pour la confiance
dans notre vie démocratique » présenté par le garde des Sceaux, en conférence de presse le 1 er juin et en Conseil
des ministres le 14 juin 2017 (après avis pris auprès du Conseil d'Etat et rendu le 12 juin 2017).

(17) J.-M. Denquin, Justice constitutionnelle et justice politique, in C. Grewe, O. Jouanjan, E. Maulin et P.
Wachsmann (dir.), La notion de justice constitutionnelle, Actes du colloque de Strasbourg de janv. 2004, Dalloz,
2005. 75.

(18) Selon l'avis autorisé d'un ancien membre du Conseil, cette déontologie est un « instrument d'auto-régulation
d'un corps organisé, destiné à ce que ses membres se comportent conformément aux devoirs qui leur sont impartis,
en adéquation avec les intérêts du corps auquel ils appartiennent et dans des conditions de nature à préserver l'image
et l'intégrité de celui-ci », G. Canivet et J. Joly-Hurard, La déontologie du magistrat, Dalloz, 2009. 20.

10
(19) A. David, Les variations dans la protection de l'impartialité du juge constitutionnel français : du contentieux
a priori à la QPC, CRDF, Caen, 2014, n° 12, p. 133 s.

(20) Cons. const., 4 févr. 2010, n° 2010-117 ORGA, préc., art. 4, al. 4.

(21) Conv. EDH, art. 6, al. 1er.

(22) « Tout membre du Conseil constitutionnel qui estime devoir s'abstenir de siéger en informe le président »
(Cons. const., 4 févr. 2010, n° 2010-117 ORGA, préc., art. 4, al. 1er).

(23) Cons. const., 4 févr. 2010, n° 2010-117 ORGA, préc., art. 4, al. 2 et 3 : « Une partie ou son représentant
muni à cette fin d'un pouvoir spécial peut demander la récusation d'un membre du Conseil constitutionnel par un
écrit spécialement motivé accompagné des pièces propres à la justifier. La demande n'est recevable que si elle est
enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel avant la date fixée pour la réception des premières
observations. La demande est communiquée au membre du Conseil constitutionnel qui en fait l'objet. Ce dernier
fait connaître s'il acquiesce à la récusation. Dans le cas contraire, la demande est examinée sans la participation de
celui des membres dont la récusation est demandée ».

(24) P. Cassia et T. Clay, Le Conseil constitutionnel se meurt, vive la Cour constitutionnelle, Libération, 26 juill.
2011.

(25) V. en ce sens l'« aveu » de Pierre Joxe indiquant qu'en neuf ans de mandature, il a été désigné 3 fois seulement
comme rapporteur, Cas de conscience, Labor et Fides, 2010.

(26) Audition du 18 févr. 2016 devant la commission des lois constitutionnelles, de la législation et l'administration
générale de la République de l'Assemblée nationale française.

(27) P. Wachsmann, préc., p. 33 ; v. aussi M.-C. Ponthoreau : « En n'exigeant pas des futurs membres une
compétence juridique reconnue, on se prive d'une condition consubstantielle à la Constitution d'un organe
impartial. Il est ici question de la confiance que les justiciables placent dans leur justice constitutionnelle », «
L'énigme de la motivation encore et toujours. L'éclairage comparatif », in F. Hourquebie et M.-C. Ponthoreau
(dir.), La motivation des cours..., op. cit., p. 15.

(28) V. une enquête qui a en quelque sorte « fait date », de Mathilde Mathieu, Dans les coulisses du Conseil
constitutionnel, cible des lobbies, Médiapart, 12 oct. 2015. Un bref regard sur la presse montre une émergence
sensible de ce thème ; v. aussi P. Wachsmann, préc., p. 22.

(29) J.-L. Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, op. cit., p. 257.

(30) V. Un rapport récent permet de se faire une idée assez précise des multiples influences qui s'exercent ainsi sur
le Conseil constitutionnel (D. de Béchillon, Réflexions sur le statut des « portes étroites » devant le Conseil
constitutionnel, Le Club des juristes, janv. 2017, en ligne).

(31) V. Ord. 7 nov. 1958, art. 7 (posant « l'interdiction pour les membres du Conseil constitutionnel, pendant la
durée de leurs fonctions, de ne prendre aucune position publique sur les questions ayant fait, ou susceptibles de
faire l'objet de décision de la part du Conseil »), et l'article 2 du décret du 13 nov. 1959 (« les membres du Conseil
constitutionnel s'interdisent en particulier pendant la durée de leurs fonctions [...] de prendre aucune position
publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l'objet de décisions de la part du
Conseil constitutionnel »).

(32) V., M. H. Davis, The Law/Politics Distinction, the French Conseil constitutionnel, and the US Supreme Court,
American Journal of Comparative Law, vol. 34, n° 1, 1986. 45-92.

11
(33) V. A. Supiot, Poïétique de la justice, in Mélanges offerts à François Ost, à paraître.

(34) Lucas Cranach, Allégorie de la Justice, 1537.

(35) E. Jouannet, Remarques conclusives, in H. Ruiz-Fabri et J.-M. Sorel (dir.), La motivation des décisions des
juridictions internationales, Pedone, 2008. 279.

(36) M.-C. Ponthoreau, L'énigme de la motivation encore et toujours. L'éclairage comparatif, in F. Hourquebie et
M.-C. Ponthoreau (dir.), La motivation des cours..., op. cit., p. 15.

(37) P. Wachsmann, préc., p. 30, et aussi Des chameaux et des moustiques. Réflexions critiques sur le Conseil
constitutionnel, in Frontières du droit, critique des droits. Billets d'humeur en l'honneur de Danièle Lochak, LGDJ,
2007. 279.

(38) V. récemment et par ex. Cons. const., 26 janv. 2017, n° 2016-745 , Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté,
consid. 167 : « L'article 68 de la loi déférée se borne à prévoir : "La Nation reconnaît le droit de chaque jeune
atteignant à compter de 2020 l'âge de dix-huit ans à bénéficier, avant ses vingt-cinq ans, d'une expérience
professionnelle ou associative à l'étranger". Dépourvu de portée normative, cet article est contraire à la Constitution
». Nous soulignons.

(39) A. Wijffels, préc., p. 145.

(40) Cons. const., 9 oct. 2013, n° 2013-675 DC , AJDA 2013. 1942 ; D. 2013. 2483, chron. A. Laude ; ibid.
2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; Constitutions 2013. 542,
obs. J. Benetti ; ibid. 545, obs. P. Bachschmidt .

(41) Après que la société 2F Conseil créée par M. François Fillon le 16 juin 2012 (quelques jours avant son entrée
au Parlement) s'est vu confier par le groupe d'assurance AXA de 2012 à 2014 une mission portant sur ses «
investissements de long terme » pour un montant estimé de 200 000 € (v. Les Échos, 23 déc. 2017), le programme
présidentiel de M. Fillon prévoyait de « Redéfinir les rôles respectifs de l'assurance publique et de l'assurance
privée, en focalisant l'assurance maladie notamment sur les affections graves ou de longue durée ; le panier de
soins "solidaire" ; et l'assurance complémentaire sur le reste ». Il se trouve qu'une redéfinition est depuis longtemps
un objectif stratégique des grandes entreprises d'assurance, au premier rang desquelles le groupe AXA, qui promeut
depuis 1990 la privatisation des pans les plus rentables de l'assurance maladie (v. D. Tabuteau, Démocratie
sanitaire. Les nouveaux défis de la politique de santé, O. Jacob, 2013. 144). L'ancien directeur des affaires
juridiques, des finances et de l'international au secrétariat du groupe AXA-UAP (devenu ensuite directeur général
Asie Pacifique et membre du comité exécutif du groupe AXA) a été nommé en 2016 membre du Conseil
constitutionnel par le président du Sénat.

(42) T. Sauvel, Histoire du jugement motivé, RD publ. 1955. 5-53.

(43) V. A. Ciaudo, Un acteur spécifique du procès constitutionnel : le secrétaire général du Conseil constitutionnel,
RFDC 2008/1, n° 73, p. 17-26. Le témoignage de Noëlle Lenoir désigne assez clairement cette instance maîtresse
de la partition juridique du Conseil : « Je veux simplement souligner qu'en France, plus qu'ailleurs, le juge
constitutionnel est proche de l'arène politique dès lors que l'usage du contrôle de constitutionnalité est étroitement
lié à la compétition politique. [...] Le rapporteur est assisté du service juridique du Conseil dont la compétence hors
pair pallie le caractère peu étoffé » (Le métier de juge constitutionnel, préc.). V. dans le même sens le témoignage
précité du responsable du service juridique du Conseil constitutionnel, La contribution des services juridiques à la
prise de décision des cours constitutionnelles. Le secrétaire général est presque toujours issu du Conseil d'État
(sauf de 1983 à 1986 M. Bernard Poullain, magistrat à la Cour de cassation).

12
(44) F. Hourquebie, L'emploi de l'argument conséquentialiste par les juges de common law, in F. Hourquebie et
M.-C. Ponthoreau, La motivation des cours..., op. cit., p. 29.

(45) V. B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Mélin-Soucramanien, D. Rousseau et X. Philippe, Les grandes délibérations
du Conseil constitutionnel, 1958-1986, 2e éd., coll. « Les Grands textes », Dalloz, 2014.

(46) V. aussi P. Deumier, Création du droit et rédaction des arrêts par la Cour de cassation, Archives Phil. dr. 2006,
n° 50, p. 74.

(47) 1 BvR 555/15, 25 juin 2015.

(48) Décision 2 BvE 2/08 du 30 juin 2009.

(49) Cons. const., 20 déc. 2007, n° 2007-560 DC , Constitutions 2010. 53, obs. A. Levade ; RTD eur. 2008.
5, étude J. Roux .

(50) Arrêt 31/2010 du 28 juin 2010. Pour un intéressant commentaire « français » de cette décision, v. H. Alcaraz
et O. Lecuq, La motivation des arrêts du Tribunal constitutionnel espagnol à l'épreuve de l'état des autonomies.
Illustrations tirées de l'arrêt 31/210 du 28 juin 2010 relatif au statut de la Catalogne, in F. Hourquebie et M.-C.
Ponthoreau (dir.), La motivation des cours..., op. cit., p. 212 s.

(51) Cons. const., 9 mai 1991, n° 91-290 DC , D. 1991. 624 , note R. Debbasch ; RFDA 1991. 407, note B.
Genevois , Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

(52) V., G.-H. Camerlinck (dir.), Traité de droit du travail, t. 9, A. Supiot, Les juridictions du travail, Dalloz, 1987,
n° 174, p. 183 s.

(53) D. Grimm, Allemagne. L'État social dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande,
Sem. soc. Lamy, 2016, n° 1746.

(54) Ces qualificatifs se retrouvent à l'identique dans les articles 1 er des Constitutions du 27 oct. 1946 et du 4 oct.
1958.

(55) V., F. Mayer, L'identité constitutionnelle dans la jurisprudence constitutionnelle de l'Allemagne, in L.


Burgorgue-Larsen (dir.), L'identité constitutionnelle saisie par les juges en Europe, Pedone, 2011. 63 s.

(56) Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC , § 19 ; D. 2006. 2157, chron. C. Castets-Renard ; ibid. 2878,
chron. X. Magnon ; ibid. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; RTD civ. 2006. 791, obs. T.
Revet ; ibid. 2007. 80, obs. R. Encinas de Munagorri .

(57) L. Burgorgue-Larsen, L'identité constitutionnelle en question(s), in L'identité constitutionnelle saisie par les
juges en Europe, op. cit., p. 160.

(58) Art. 3 : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne
peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ».

(59) Art. 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l'ordre public établi par la Loi ».

(60) Al. 5 : « [...] Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions
ou de ses croyances ».

13
(61) Art. 6 : « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir
personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège,
soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places
et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

(62) Respectivement relatifs à l'égalité des femmes et des hommes (al. 3) et au droit d'asile de tout homme persécuté
en raison de son action en faveur de la liberté (al. 4).

(63) Art. 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent
être fondées que sur l'utilité commune » ; art. 4 : Liberté (d'où se déduisent la liberté du travail et la liberté
d'entreprise).

(64) Préambule de 1946, al. 6 (liberté syndicale), 7 (droit de grève), 8 (participation des travailleurs à la
détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises) et 9 (« Tout bien, toute
entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait,
doit devenir la propriété de la collectivité »).

(65) Charte de l'environnement, art. 7 : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par
la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer
à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Le référendum organisé au sujet
du projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes répondait à cet impératif.

(66) Respectivement consacrés au devoir de travailler et au droit d'obtenir un emploi ; à la nationalisation des
services publics et des monopoles de fait ; au devoir de la nation d'assurer les conditions du développement
individuel et familial ; aux droits à la protection sociale ; et à la solidarité face aux charges résultant des calamités
nationales.

(67) Respectivement consacrés à l'admission des citoyens à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur
capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ; au devoir de contribuer aux charges
publiques et au droit d'en constater la nécessité et d'en approuver le montant.

(68) Art. 1er (droit à un environnement sain), 2 et 3 (devoir de prendre part à sa préservation).

(69) C. Emeri, Le bloc de la constitutionnalité, RD publ. 1970. 608.

(70) V. L. Heuschling, Le méta-principe de l'État social (Sozialstaat) dans la jurisprudence de la Cour


constitutionnelle fédérale allemande, in L. Burgorgue-Larsen (dir.), La justice sociale saisie par les juges en
Europe, op. cit., p. 95.

(71) Sur cette théorie du conflit des logiques v. Les juridictions du travail, op. cit., n os 81-85, p. 89-94 ; adde Action
juridique CFDT, n° spécial d'hommage : Jean-Paul Murcier. Histoire d'un engagement, mars 2016.

(72) V. not. G. Lyon-Caen, La jurisprudence du Conseil constitutionnel intéressant le droit du travail, D. 1989.
Chron. 289, A. Jeammaud, Le droit constitutionnel dans les relations du travail, AJDA 1991. 612 .

(73) V., G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, 30e éd., coll. « Précis », Dalloz, 2016, n° 44, p. 56 s. ; E. Dockes,
La raison du plus fort dans la jurisprudence constitutionnelle en droit du travail, in Actes (à paraître) du colloque
« La jurisprudence du Conseil constitutionnel et les diffe[#769]rentes branches du droit », Paris 2, mai 2017.

14
(74) Cons. const., 4 juill. 1989, n° 89-254 DC , § 5 ; D. 1990. 209 , note F. Luchaire ; Rev. sociétés 1990.
27, note Y. Guyon ; RTD civ. 1990. 519, obs. F. Zenati .

(75) Cons. const., 20 mars 1997, n° 97-388 DC , § 51 ; D. 1999. 236 , obs. F. Mélin-Soucramanien ; ibid.
234, obs. L. Favoreu ; Dr. soc. 1997. 476, étude X. Prétot ; RTD civ. 1997. 787, obs. N. Molfessis ; ibid.
1998. 99, obs. J. Mestre .

(76) Cons. const., 27 juill. 2000, n° 2000-433 DC , § 40 ; D. 2001. 1838 , obs. N. Jacquinot .

(77) Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC .

(78) V., A. Marzal Yetano, La dynamique du principe de proportionnalité, LGDJ-Institut Varenne, 2014.

(79) V., P. Rodière, in La solidarité. Enquête sur un principe juridique, O. Jacob, 2015. 333 s.

(80) V. les prises de position d'Axa et Groupama, in Argus de l'assurance, 21 févr. 2013.

(81) CJCE, 3 mars 2011, aff. C-437/09, AG2R Prévoyance, AJDA 2011. 1007, chron. M. Aubert, E. Broussy et F.
Donnat ; RFDA 2011. 1225, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; RSC 2012. 315,
chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 829, obs. J.-B. Blaise . V., J. Barthélémy, Clauses de désignation et de
migration au regard du droit communautaire de la concurrence, JS Lamy 2011, n° 296 ; J.-F. Akandji-Kombé,
Clauses de désignation et de migration en matière de prévoyance et de retraite, droit de négociation et liberté
économique, Dr. soc. 2013. 880-886 .

(82) Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC , § 13 (adde dans le même sens Cons. const., 22 de[#769]c.
2016, n° 2016-742 DC), Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC , D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A.
Mangiavillano ; Dr. soc. 2013. 673, étude J. Barthélémy ; ibid. 680, étude D. Rousseau et D. Rigaud ; ibid.
2014. 464, chron. S. Hennion, M. Del Sol, P. Pierre et M. Hallopeau ; ibid. 1057, étude J. Barthélémy ;
Constitutions 2013. 400, chron. A.-L. Cassard-Valembois ; RTD civ. 2013. 832, obs. H. Barbier ; J.-P.
Chauchard, Deux enseignements à propos de la généralisation de la couverture complémentaire santé, Dr. ouvrier
2013. 626-637 ; B. Serisay, La protection complémentaire après la décision du Conseil constitutionnel, Sem. soc.
Lamy 2013, n° 1592, p. 13 ; X. Prétot, La protection sociale obligatoire survivra-t-elle au despotisme du droit de
la concurrence ?, RJS 2013. 643 ; A. Supiot, La solidarité civile et ses ennemis, in Mélanges en l'honneur de Jean-
Pierre Laborde, Dalloz, 2015. 481-490 ; et, sur cet usage de la notion de mutualisation, Mutualisation : de quoi
parlons-nous ?, D. 2016. 726 -731.

(83) Cons. const., 27 mars 2014, n° 2014-692 DC , § 20 et 21 ; D. 2014. 1101, chron. J.-P. Chazal ; ibid. 1287,
chron. L. d'Avout ; ibid. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2015. 1457, obs. L. Gay et
A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2014. 574, obs. P.-H. Antonmattei ; RDT 2014. 528, étude T. Sachs et S. Vernac
; RFDA 2014. 589, chron. A. Roblot-Troizier et G. Tusseau ; sur cette décision, v. le commentaire nuancé
de J.-P. Robé, in A. Supiot (dir.), L'entreprise dans un monde sans frontières, Dalloz, 2015. 237-251.

(84) Cons. const., 17 juill. 2015, n° 2015-476 QPC , § 13 ; D. 2015. 1537, et les obs. ; ibid. 2016. 1461, obs.
N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Constitutions 2015. 555, chron. J.-F. Giacuzzo ; ibid. 573, chron. S. Vernac
.

(85) Sur « les droits fondamentaux des personnes morales », v. X. Dupre[#769] de Boulois, Rev. dr. et lib.
fondamentaux 2011, chron. 15 et 17.

(86) C'est un thème récurrent dans les débats au sein de la Cour suprême, depuis Louis Brandeis (« la principale
objection que je vois à la très grande entreprise est qu'elle rend possible - et dans nombre de cas, inévitable -
l'exercice d'un absolutisme industriel », in Testimony before the US Commission on Industrial Relations, 1916)

15
jusqu'aux juges Byron White (« l'État n'est pas obligé de permettre à sa propre créature de le dévorer », dissent
dans l'arrêt Bellotti 435 U.S. 765 (1978) ou William Rehnquist (« toute espèce d'organisation à laquelle l'État
confère des privilèges particuliers ou des immunités différentes de celles des personnes physiques sont sujettes à
des réglementations », ibid).

(87) Sur la place nodale du principe de solidarité dans l'interprétation des droits économiques et sociaux, v. E.
Christodoulidis, Social Rights Constitutionalism : An Antagonistic Endorsement, Journal of Law and Society, vol.
44, n° 1, mars 2017. 123-149.

(88) L. n° 2017-399, 27 mars 2017.

(89) V., B. Girard, Le retournement du principe constitutionnel de responsabilite[#769] en faveur des auteurs de
dommages, D. 2016. 1346 .

(90) Cons. const., 31 juill. 2015, n° 2015-479 QPC , D. 2016. 1346 , note B. Girard ; Constitutions 2015.
569, chron. F. Duquesne ; RSC 2015. 889, obs. A. Cerf-Hollender D. 2015. 1708 .

(91) Cons. const., 22 janv. 2016, n° 2015-517 QPC , D. 2016. 1346 , note B. Girard ; Dr. soc. 2016. 372,
étude F. Muller ; RDT 2016. 276, obs. R. Lapin ; Constitutions 2016. 186, Décision ; S. Schiller, Message
clair du Conseil constitutionnel : la responsabilite[#769] d'un mai[#770]tre d'ouvrage ou d'un donneur d'ordre pour
les faits d'autrui n'est valide[#769]e qu'avec re[#769]serves et conditions, JCP 2016. 208.

(92) Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC , § 13.

Article n° 2 :

Victor Audubert, « La liberté d’entreprendre et le Conseil constitutionnel : un principe


réellement tout puissant ? »

La Revue des droits de l’homme [En ligne], 18 | 2020, mis en ligne le 15 juin 2020.

1. La liberté d’entreprendre est souvent décriée comme le symbole d’une dérive « néolibérale »
du Conseil constitutionnel en matière économique et sociale. Il est vrai que Laurence Parisot,
ancienne présidente du très libéral Mouvement des entreprises de France (Medef), proposait
d’inscrire dans la Constitution cette liberté afin que les politiques publiques suivent « un fil
rouge, celui de la compétitivité de la France et de ses entreprises1 ». On peut s’interroger sur
l’importance réelle de cette notion dans la jurisprudence et son rôle dans la censure de
dispositions législatives relatives à la protection des salariés ou à l’intervention de la puissance
publique dans le secteur économique privé.

2. La liberté d’entreprendre provient d’une interprétation extensive de la Déclaration des droits


de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Dans sa décision du 16 janvier 1982 qui censure
certaines dispositions de la loi sur les nationalisations du gouvernement de Pierre Mauroy, le
Conseil constitutionnel lui reconnaît une valeur constitutionnelle pour la première fois. Dans
cette décision fondatrice, le juge constitutionnel, à partir des articles 2 et 17 de la DDHC –
relatifs au droit de propriété – ainsi que de l’article 4 – relatif à la liberté – décide que « la liberté
qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à

16
autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient
apportées à la liberté d'entreprendre2 ». Il est intéressant de noter que la naissance de ce principe
est concomitante de la censure d’une loi portant régulation de l’économie par l’État à travers la
nationalisation de plusieurs entreprises privées jugées stratégiques. Dès son origine, la liberté
d’entreprendre est mobilisée pour encadrer dans un premier temps la régulation économique,
puis dans un second temps la limiter, voire l’empêcher.

3. Cette liberté présente deux aspects, constamment rappelés par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel3. D’une part, la liberté d’établissement : chacun peut créer une entreprise et
initier l’activité économique de son choix. D’autre part, la liberté d’exercice : l’entrepreneur
gère comme il l’entend son entreprise, et l’exploite selon sa volonté. Cette liberté
d’entreprendre apparaît fondamentale dans notre économie de marché qui se fonde sur une
vision libérale – voire néolibérale – de l’économie. Selon Denys de Béchillon, cette liberté «
protège avant tout l’autonomie des entrepreneurs, leur aptitude à effectuer eux-mêmes les choix
de gestion, de stratégie et de gouvernance qu’ils jugent bons. Le droit offert à chacun
d’entreprendre librement se comprend avant tout comme une latitude d’autodétermination, pour
ne pas dire une souveraineté4 ».

4. Historiquement, c’est plutôt une limitation de la liberté d’entreprendre à laquelle s’est


employé le législateur : interdiction de commercialiser des produits dangereux, interdiction de
« vendre » des relations de nature sexuelle, interdiction d'employer des personnes en situation
irrégulière, interdiction de pratiquer certaines professions réglementées, etc. La liberté
d’entreprendre connaissait un certain nombre de limites et de contraintes. Par ailleurs, dans le
cadre de l’intervention de l’État dans une économie davantage planifiée et soumise au contrôle
de la puissance publique, la liberté d’entreprendre pouvait constituer un frein à la volonté du
législateur, en particulier durant les Trente glorieuses. Toutefois, à partir des années 1980, le
juge constitutionnel français, dans le cadre de la libéralisation et de la déréglementation de
l’économie, s’est attaché à défendre ce principe fondateur de l’économie de marché5. Le droit,
dans son ensemble, connaît alors une profonde reconfiguration à l’aune du paradigme
néolibéral, qui prône une intervention de l’État dans la sphère économique, dans le but principal
de mettre en place et de garantir une concurrence libre et non faussée. L’État, par le droit,
garantit un fonctionnement optimal de l’économie. En ce sens, le droit est consubstantiel du
néolibéralisme, il en est l’instrument.

5. Le Conseil constitutionnel, depuis 1982, a développé une jurisprudence de plus en plus


protectrice de cette liberté, en dépit d’autres principes ou objectifs à valeur constitutionnelle. Si
en 1989 le Conseil considère que « la liberté d'entreprendre n'est ni générale, ni absolue ; qu'il
est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition
que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée6 », en 2017, il décide que
les limitations apportées par le législateur peuvent être « liées à des exigences constitutionnelles
ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes
disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi7 ». Ainsi, au fil des années, le principe de
liberté d’entreprendre s’est affirmée comme une véritable liberté matricielle, à laquelle les
limitations doivent être un peu plus justifiées à chaque décision. La liberté d’entreprendre
devient la norme, et ses limitations, des exceptions.

6. Cette liberté paraît fréquemment employée pour limiter l’intervention de la puissance


publique dans le secteur privé de l’économie, et ce malgré l’existence de certains objectifs à
valeur constitutionnelle comme le droit à la santé ou à un logement décent, la lutte contre la
fraude fiscale, ou encore le droit d’obtenir un emploi, qui n’a toujours pas été qualifié en bonne

17
et due forme par le Conseil constitutionnel comme un principe à valeur constitutionnelle, ni
même un objectif à valeur constitutionnelle ou un PFRLR8. Certains auteurs se sont interrogés
sur une éventuelle supériorité de la DDHC et des libertés individuelles et privées sur les droits
dits de deuxième génération, les « droits créances », pour l’essentiel consacrés dans la période
de l’après-guerre. En effet, le Conseil constitutionnel semble rabaisser la valeur du préambule
de la Constitution de 1946 par rapport à la DDHC de 1789 ; le premier ne ferait que compléter
le second. C’est ce qu’envisage le juge constitutionnel dès 1982 dans le quinzième considérant
de sa décision sur les nationalisations :

« Considérant qu’au contraire, par les référendums du 13 octobre 1946 et du 28


septembre 1958, le peuple français a approuvé des textes conférant valeur
constitutionnelle aux principes et aux droits proclamés en 1789 ; qu’en effet, le
préambule de la Constitution de 1946 réaffirme solennellement les droits et les libertés
de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et tend
seulement à compléter ceux-ci par la formulation des principes politiques, économiques
et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps ; que, aux termes du préambule de
la Constitution de 1958, le peuple français proclame solennellement son attachement
aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été
définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la
Constitution de 1946 9 »;

7. Cette conciliation des droits et libertés opérée par le juge constitutionnel à travers le contrôle
de proportionnalité soulève un certain nombre de questions. Si l’on prend comme postulat que
l’interprétation du droit est une activité politique, au sens où le juge mobilise des croyances et
des valeurs, la neutralité apparaît comme un faux problème du droit et se voit substituer par la
question de la légitimité de la décision, et plus généralement de la norme. C’est dorénavant les
modalités du processus d’élaboration de la norme, d’interprétation et de mise en œuvre qui vont
lui conférer sa légitimité et donc sa puissance. Jacques Chevallier explique ainsi que « la force
de la règle de droit est censée provenir, moins du fait qu’elle s’énonce comme un ordre
obligatoire auquel tous sont tenus de se soumettre, que du consensus dont elle est entourée »10.

8. Il s’agira, dans cet article, de s’interroger sur ce que représente le principe de liberté
d’entreprendre dans la jurisprudence économique et sociale du Conseil constitutionnel. Ce
principe, longtemps considéré comme la tête de proue d’une dérive néolibérale du juge
constitutionnel français, pourrait marquer une certaine inflexion au regard d’objectifs à valeur
constitutionnelle, comme la protection de l’environnement récemment consacrée, ou même la
crise sanitaire du Covid-19 qui oblige l’État à intervenir davantage dans la régulation
économique. La protection de la notion de liberté d’entreprendre repose pour l’essentiel sur des
fondements juridiques et théoriques qui nous paraissent fragiles, au détriment d’autres droits et
libertés (I). Toutefois, si la consécration de liberté d’entreprendre se fonde sur une interprétation
libérale de la DDHC et s’appuie sur des méthodes interprétatives particulières au Conseil
constitutionnel qui favorisent cette liberté au détriment d’autres, les conditions extrajuridiques
peuvent contribuer à une inflexion de la protection de cette liberté au bénéfice d’autres principes
et objectifs à valeur constitutionnelle, comme le montre la décision de 2020 relative à la
protection de l’environnement (II).

I. Liberté d’entreprendre, liberté toute puissante ?

9. Le Conseil constitutionnel a progressivement consacré la liberté d'entreprendre, qui trouve


son fondement dans l'article 4 de la DDHC de 1789, et qui peut se voir limiter par des exigences

18
constitutionnelles ou par l'intérêt général (A). De ce fait, le Conseil constitutionnel exerce un
contrôle de proportionnalité, dans lequel il entend concilier la liberté d'entreprendre et les
normes de valeur constitutionnelle. Toutefois, cette conciliation apparaît asymétrique et en
défaveur de principes constitutionnels contenus dans le préambule de la Constitution de 1946
(B).

A. La consolidation progressive d’un principe juridique sui generis

10. La DDHC et le préambule de la Constitution de 1946 ne disposent pas de la même valeur


aux yeux du juge constitutionnel français. Dans le premier cas, les différentes libertés énoncées
sont considérées comme des principes à valeur constitutionnelle, tandis que dans le second cas
la majeure partie des droits sont seulement reconnus comme des objectifs à valeur
constitutionnelle. Le droit de propriété, d’où découle en partie la liberté d’entreprendre, est l’un
des principes juridiques les mieux protégés de notre droit constitutionnel. En effet, notre
système économique – notre « ordre public économique » – repose sur le fait que les entreprises
peuvent disposer d’un patrimoine, c’est-à-dire la propriété des moyens de production. Ces deux
notions constituent la matrice des libertés économiques en France :

« Les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme ont pleine
valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de
propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique, et qui est
mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui
concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la
puissance publique 11 ».

11. La propriété et sa préservation constituent un but de la société politique, et seraient à


l’origine même de sa fondation : c’est l’un des éléments structurants de notre société, de notre
ordre social. François Luchaire, ancien membre du Conseil constitutionnel, en a conclu que le
« Conseil relie la propriété à la liberté d’entreprendre ; c’est donc un régime économique qui
est ainsi affirmé. La France est une République sociale ; elle n’est pas une République
socialiste12 ». Le Conseil constitutionnel, toujours dans sa décision de janvier 1982, relève que
la première version du préambule de la Constitution de 1946 et sa notion de « propriété sociale
» avait été rejetée par le peuple. Cette notion doit donc être écartée, seule la notion présente
dans la DDHC vaut.

12. La liberté d’entreprendre dispose ainsi d’une véritable protection constitutionnelle. Selon
Guillaume Drago, cette liberté dispose d’un « caractère général et englobant comprenant liberté
de commerce et de l’industrie, liberté professionnelle, liberté de la concurrence13 ». Elle fait
également partie des « droits fondamentaux économiques ». Ceux-ci sont découverts et
reconnus par le juge constitutionnel, par des principes fondamentaux reconnus par les lois de
la République (PFRLR) ou par l’interprétation extensive des dispositions contenues dans la
DDHC ou le préambule de la Constitution de 1946 : « ces droits ne sont pas nés avec la
Constitution, mais sont le fruit d’une législation parfois disparate destinée à encadrer l’activité
économique, puis à la déréguler, dans une perspective libérale14 ». On peut noter que ces droits
proviennent du droit communautaire, qui a développé selon certains une véritable constitution
économique pour l’Union européenne15.

13. Depuis la décision de 1982, le principe de liberté d’entreprendre n’a eu de cesse de se


renforcer dans la jurisprudence constitutionnelle. En 1989, dans une décision relative aux
modalités d’application des privatisations, le juge décide que « la liberté d’entreprendre n’est

19
ni générale ni absolue ; qu’il est loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par
l’intérêt général à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la
portée16 ». On voit émerger ainsi une technique de conciliation entre différents principes
constitutionnels. Mais cette protection n’est pas encore suffisamment systématisée par le
Conseil constitutionnel. Ainsi, en 1997, on assiste à une certaine inflexion de la protection de
la liberté d’entreprendre, puisque la notion d’intérêt général n’est plus mentionnée par le juge
constitutionnel. C’est véritablement à partir des années 2000 qu’on assiste à un renforcement
de la défense de la liberté d’entreprendre. C’est avec la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbains (SRU) que le juge constitutionnel français va venir opposer la liberté
d’entreprendre à des mesures de régulation économique. Concernant la loi SRU, la censure se
fonde sur une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de l’objectif suivi :

« Considérant que le souci d’assurer “la sauvegarde de la diversité commerciale des


quartiers” répond à un objectif d’intérêt général ; que, toutefois, en soumettant à une
autorisation administrative tout changement de destination d’un local commercial ou
artisanal entraînant une modification de la nature de l’activité, le législateur a apporté,
en l’espèce, tant au droit de propriété qu’à la liberté d’entreprendre qui découle de
l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une atteinte
disproportionnée à l’objectif poursuivi 17 ».

14. Cet argument, fondé sur le contrôle du principe de proportionnalité, va servir de fondement
aux décisions ultérieures du Conseil constitutionnel sur la protection de la liberté
d’entreprendre. On peut également signaler, la même année, la censure d’une disposition
législative relative à l’outre-mer, car les limitations apportées à la liberté d’entreprendre « ne
sont pas énoncées de façon claire et précise18 ».

15. L’une des censures les plus marquantes porte sur la nouvelle définition du licenciement
économique définie dans la loi de modernisation sociale de 2002. Le Conseil constitutionnel
met en balance l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est la politique de l’emploi et droit de
travailler avec le principe à valeur constitutionnel de liberté d’entreprendre. Dans cette décision,
c’est la seconde qui prime sur la première :

« Le cumul des contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de
l’entreprise a pour effet de ne permettre à l’entreprise de licencier que si sa pérennité est
en cause ; qu’en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre
une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi du maintien de
l’emploi 19 ».

16. La liberté d’entreprendre ne saurait donc être méconnue ou atteinte dans des proportions
manifestement excessives. Toutefois, le juge constitutionnel a pu préciser que les atteintes
portées au nom de la préservation de l’ordre public économique, notamment en matière de
relations entre agents économiques, peuvent être justifiées. L’intervention de la puissance
publique dans le champ économique est donc tout à fait justifiée, à partir du moment qu’il
entend protéger l’ordre public économique, c’est-à-dire la concurrence libre et non faussée :

« Qu’eu égard aux objectifs de préservation de l’ordre public économique qu’il s’est
assignés, le législateur a opéré une conciliation entre le principe de la liberté
d’entreprendre et l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les
relations commerciales ; que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par les

20
dispositions contestées n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi 20
».

17. Le quinquennat de François Hollande est marqué par un taux de censure des projets de loi
relativement élevé, notamment dans le domaine économique et social. À ce titre, le principe de
la liberté d’entreprendre se trouve régulièrement invoqué par le Conseil constitutionnel. La
décision du 29 décembre 2013, relative à la loi de finances rectificative de 2013, marque un
nouvel approfondissement dans la défense de la liberté d’entreprendre. Dans le commentaire
publié sur le site internet, le secrétariat général du Conseil constitutionnel note, à propos de la
disposition relative au schéma d’optimisation fiscale et sa sanction, que « tout contribuable peut
légitimement être amené à chercher à minorer sa charge fiscale et tout avocat fiscaliste chercher
à minorer la charge fiscale de ses clients, sans que pour autant cette démarche soit constitutive
d’une fraude21 ». De ce fait, il apparaît que la définition donnée de l’optimisation fiscale est
« trop générale et imprécise », et porte atteinte à la liberté d’entreprendre, « en particulier, aux
conditions d’exercice de l’activité de conseil juridique et fiscal22 ».

18. La loi visant à reconquérir l'économie réelle, dite « loi Florange », s’est également heurtée
au mur de la liberté d’entreprendre. Le texte prévoyait, dans son article premier, l’obligation
aux entreprises d’au moins mille salariés ou appartenant à un groupe d’au moins mille salariés
de trouver un repreneur en cas de fermeture de l’entreprise d’un « site rentable », c’est-à-dire
lorsque l’entreprise ne se trouve pas en procédure de conciliation, sauvegarde, redressement ou
liquidation judiciaire. Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette disposition de la loi, il a
considéré que le législateur « a poursuivi un objectif qui tend à mettre en œuvre l'exigence
résultant de la règle ‘chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi’ inscrite au
Préambule de la Constitution de 194623 ». On constate, au premier abord, que le juge
constitutionnel mobilise une « exigence », à savoir le droit d’obtenir un emploi, et plus
largement les politiques liées à l’emploi. Cependant, le Conseil constitutionnel vient censurer
l’arsenal juridique mis en place pour faire respecter cette obligation, à savoir les sanctions qui
sont considérées comme disproportionnées. Ces sanctions, prononcées par le tribunal de
commerce, et dont le montant aurait pu atteindre « vingt fois la valeur mensuelle du salaire
minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé dans le cadre du licenciement
collectif consécutif à la fermeture de l'établissement, dans la limite de 2 % du chiffre d'affaires
annuel de l'entreprise », sont apparues disproportionnées pour le juge constitutionnel et
consistant une atteinte à la liberté d’entreprendre :

« L'obligation d'accepter une offre de reprise sérieuse en l'absence de motif légitime et


la compétence confiée à la juridiction commerciale pour réprimer la violation de cette
obligation font peser sur les choix économiques de l'entreprise, notamment relatifs à
l'aliénation de certains biens, et sur sa gestion des contraintes qui portent tant au droit
de propriété qu'à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée
au regard de l'objectif poursuivi ».

19. De même, si la liberté d’entreprendre paraît ici menacée, le montant des sanctions constitue
également une disposition inconstitutionnelle au regard de l’article 8 de la DDHC, car il « revêt
un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité du manquement réprimé ».

20. Sans prétendre à l’exhaustivité de toutes les censures décidées par le juge constitutionnel
au nom de la liberté d’entreprendre, nous pouvons également rappeler deux autres lois passées
sous les fourches caudines du Conseil. En 2015, la loi sur l’économie sociale et solidaire est
partiellement censurée, en particulier sur les dispositions portant sur l’information préalable

21
aux salariés de la cession d’une entreprise24. En 2016, les sages de la rue de Montpensier ont
censuré, toujours au nom du principe de liberté d’entreprendre, les dispositions de la loi « Sapin
2 » obligeant les multinationales à rendre publiques leurs données financières ainsi que celles
de leurs filiales, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent25.

21. Au-delà de l’instrument de censure que représente le principe de liberté d’entreprendre, on


peut également noter que son champ d’application, d’abord restreint aux personnes morales de
droit privé, s’élargit progressivement vers les personnes morales de droit public. C’est le cas
avec la décision du 21 septembre 2018, qui relie pour la première fois la liberté d’entreprendre
aux entreprises publiques, en l’occurrence le Grand port maritime de la Guadeloupe, qui est un
EPIC26. Enfin, il faut signaler que si la liberté d’entreprendre se manifeste par la censure
partielle ou totale de lois, elle est aussi et surtout mobilisée par le juge constitutionnel pour
justifier la conformité de certains textes législatifs27.

B. La liberté d’entreprendre : 1789 contre 1946 ?

22. Nous venons de le voir, la liberté d’entreprendre, que le juge constitutionnel français relie
directement à la DDHC, s’est vu accorder un statut très protecteur. Si les libertés de première
génération disposent un statut constitutionnel relativement favorable, on peut se demander ce
qu’il en est d’une éventuelle constitutionnalisation de la « République sociale », pourtant
présente à l’article premier de la Constitution de 1958 et qui constitue pour certains « l’identité
constitutionnelle28 » de la France. Cependant, le Conseil constitutionnel, au lieu de considérer
le bloc de constitutionnalité comme faisant système, en ce qu’il combine dans un même cadre
normatif des droits et libertés, de première, deuxième et troisième générations – la DDHC, le
préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2005 –, oppose en
pratique les différentes générations de droit.

23. Le juge constitutionnel français peut permettre l’atteinte à certains droits et libertés
fondamentales lorsque des principes du préambule de la Constitution de 1946 sont invoqués,
comme la protection de la santé ou le droit à un logement décent. De manière générale, la
jurisprudence développée par le Conseil constitutionnel entend concilier les droits et liberté de
première génération avec les autres, sans pour autant qu’il ne soit porté une « atteinte
disproportionnée » aux libertés fondamentales, et en premier lieu la liberté d’entreprendre,
comme il le rappelle dans la décision précitée de janvier 2002 sur la loi de modernisation
sociale :

« Pour poser des règles propres à assurer au mieux, conformément au cinquième alinéa
du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi, il
peut apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à cette exigence
constitutionnelle, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au
regard de l’objectif poursuivi 29 ».

24. Ce principe de proportionnalité, inspiré des méthodes de contrôle de la CJUE et du juge


constitutionnel allemand30, confère une grande latitude au juge constitutionnel dans sa
décision. L’une des sources de cette asymétrie de protection par le juge constitutionnel entre
les différentes catégories de droit provient du contrôle restreint – le self-restraint. En effet, le
Conseil privilégie un contrôle formel de la loi. L’argument avancé par celui-ci est qu’il ne
dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation similaire au Parlement. Comme le souligne
Olivier Dutheillet de Lamothe, cette solution de retenue serait la meilleure, car elle freine la
tentation de la part du juge constitutionnel de s’ériger en gouvernement des juges :

22
« Le Conseil constitutionnel n’a aucune légitimité démocratique pour substituer, sur des
sujets de ce type, son appréciation à celle du Parlement. C’est parce que le Conseil a
toujours reconnu une large compétence au législateur, en refusant de se substituer à lui
dans l’exercice de sa compétence, que le contrôle de constitutionnalité a pu se
développer et s’affirmer comme il l’a fait depuis 1971 dans la patrie de Rousseau et de
Montesquieu et qu’a été conjuré le spectre du « Gouvernement des juges » 31».

25. Pour Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, la solution de


l’autolimitation pour les décisions du Conseil constitutionnel constitue le seul moyen de faire
accepter les décisions du juge constitutionnel afin d’écarter les griefs de « gouvernement des
juges32 ». Le Conseil constitutionnel n’exerce qu’un contrôle a minima, un contrôle restreint
de l’erreur manifeste d’appréciation, qui est une technique de contrôle empruntée à la justice
administrative. Le Conseil constitutionnel use de techniques spécifiques pour vérifier que le
législateur ne commet pas d'erreur flagrante dans le travail de pondération auquel il procède
entre les différents droits et libertés en fonction du but qu'il s'est assigné, par exemple en
sanctionnant la « disproportion manifeste » à travers le contrôle de proportionnalité, notamment
au niveau de sanctions encourues, ou en jugeant de « l’erreur manifeste d’appréciation ». Bien
qu’il ne dispose pas d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du
Parlement » à partir de la jurisprudence initiée avec la décision IVG de 197533 et s’interdise
de contrôler l’opportunité politique des choix du législateur, il se réserve la possibilité de le
faire exceptionnellement lorsque ces choix sont, à l’évidence, déraisonnables. Le Conseil
constitutionnel a énoncé dans une formulation de principe les conditions du contrôle dans une
décision en date du 16 janvier 2001 sur l’archéologie préventive : « il est loisible au législateur
d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou
justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées
au regard de l’objectif poursuivi34 ». De ce fait, le Conseil constitutionnel considère que la
liberté d’entreprendre peut être limitée par une exigence constitutionnelle ou un motif d’intérêt
général.

26. On peut toutefois considérer qu’il existe un « dogme de l’autolimitation35 » de la part du


Conseil constitutionnel vis-à-vis des droits économiques et sociaux qu’il conviendrait de
dépasser. On l’a vu, depuis la décision 1975 relative à la loi sur l’IVG, le Conseil affirme « que
l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général
d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement
compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son
examen36 ». Avec cette décision, il estime qu’il ne possède pas le « même pouvoir
d’appréciation général que le Parlement ». Toutefois, on est en droit de se demander si cette
affirmation ne relève pas du mythe37.

27. En effet, le Conseil constitutionnel se montre ainsi plus vigilant lorsqu’il s’agit de protéger
les droits et libertés présents dans la DDHC que des droits issus du préambule de la Constitution
de 1946. Ainsi, beaucoup de droits, comme le droit à la santé, le droit au logement, ou les
dispositions des alinéas 10 et 11 du préambule ne sont que des « objectifs à valeur
constitutionnelle », ayant une valeur inférieure à des PFRLR ou des principes
constitutionnels38. Moins que d’authentiques droits et libertés, ces objectifs ont pour fonction
de limiter certains droits fondamentaux. Ces objectifs ont donc une fonction négative : modérer
la portée de certaines libertés. Ils imposent au législateur une obligation de moyen et non de
résultat, qui est libre de choisir les modalités de mise en œuvre des prestations matérielles,
comme le souligne le juge constitutionnel dans une décision du 18 décembre 1997 relative à la

23
loi de financement de la sécurité sociale39. C’est la thèse de Laurence Gay, selon laquelle les
droits économiques et sociaux ne constituent pas une catégorie homogène et ne peuvent faire
l’objet d’un contrôle étendu40. On trouverait deux catégories de droits : les droits-créances, qui
constituent des droits opposables, et les objectifs à valeur constitutionnelle, qui seraient
davantage des lignes directrices pour le législateur. Toutefois, excepté la protection de la santé
publique41 ainsi que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent42, le
juge constitutionnel n’a pas cru bon de consacrer l’ensemble de ces dispositions comme des
objectifs à valeur constitutionnelle43. Selon Pierre Mazeaud :

« […] le fait de conférer une telle qualification à ces droits a servi à tempérer leur portée,
malgré l'affirmation de leur niveau constitutionnel. Ils doivent être considérés comme
n'ayant pas un caractère absolu, n'étant pas d'application directe et s'adressant non aux
particuliers, mais au législateur pour lequel ils constituent des obligations de moyens et
non de résultat. En particulier, ils ne sont pas des droits subjectifs, dotés d'une
justiciabilité directe44 ».

28. Le Conseil constitutionnel, dans les cas qui ont pu entraîner des atteintes aux droits et
libertés des salariés, se contente de vérifier si les moyens mis en œuvre sont susceptibles de
réaliser l’objectif poursuivi45. Dès lors, il existe une plus faible justiciabilité de ce type de
droits fondamentaux. Ainsi, s’il existe une hiérarchie entre les différentes générations de droit,
doit-on y voir une appréciation politique dans le contrôle de proportionnalité ? En consacrant
la liberté d’entreprendre, n’est-ce pas le droit des employeurs qui est privilégié au détriment de
celui de salariés ? Quid de la protection de la notion de « République sociale », qui est pourtant
constitutive de l’identité constitutionnelle de la France, et avec elle les notions de solidarité, de
démocratie économique, et de fraternité ? Lauréline Fontaine et Alain Supiot considèrent que
le Conseil constitutionnel justifie ses décisions en ayant recours au principe de
proportionnalité :

« Sa méthode consiste à considérer les droits de seconde génération (consacrés par le


Préambule) comme autant de dérogations, d'interprétation restrictive, aux libertés
économiques des entreprises, que le Conseil déduit des droits de « première génération
» consacrés par la Déclaration de 1789 (droit de propriété, à la liberté contractuelle et à
la liberté d'entreprendre). Sur la base de cette antinomie présumée des droits relevant de
« l'économique » et du « social », il lui suffit de se référer au principe de proportionnalité
pour mettre en balance les uns et les autres et décider souverainement de censurer les
dispositions législatives portant une « atteinte disproportionnée » aux libertés
économiques46 ».

29. On pourrait considérer que le Conseil protège fortement les libertés présentes dans la
DDHC, tandis qu’il protège faiblement les principes contenus dans le préambule de 1946.
Aussi, on peut constater qu’il ne fait mention à aucun de « droits » ou de « libertés » pour
désigner le contenu du préambule de la Constitution de 1946, mais plus sobrement de principes,
d’exigences ou d’objectifs. Cette distinction sémantique a comme conséquence que le contrôle
restreint inhérent aux droits contenus dans le préambule de 1946 ne saurait être déconnecté de
considérations extra-juridiques, en l’occurrence, conséquentialistes :

« [le contrôle retenu] repose aussi sur l'idée, qui apparaît d'ailleurs en filigrane dans les
deux textes concernés, que le respect des libertés « classiques » peut et doit être
déconnecté de toute référence au contexte économique et social, alors que les « principes
» « particulièrement nécessaires à notre temps » ne peuvent être mis en œuvre sans égard

24
pour l'état de la société et de l'économie, les moyens mis en œuvre pour réaliser ces
principes étant directement indexés sur les capacités contributives du moment47 ».

30. Depuis 2000, il existe une impression que le Conseil constitutionnel en fait trop lorsqu’il
existe une atteinte supposée à la liberté d’entreprendre et plus largement au droit de propriété,
ou au contraire qu’il n’en fait pas assez lorsque certaines lois accentuent les différences de
traitement entre salariés, par exemple avec le travail le dimanche48, ou qu’elle inverse la
hiérarchie des normes en droit du travail49. Pour paraphraser Jean Rivero, le Conseil
constitutionnel donne l’impression qu’il filtre les moustiques pour mieux laisser passer les
chameaux50.

31. On peut définir de manière générale la justice comme la conciliation de principes contraires
entre lesquels il s’agit de trouver un juste équilibre. Celui-ci suppose d’attribuer un certain poids
aux libertés et aux droits ; c’est bien cet exercice qui est le plus périlleux et le plus délicat pour
un juge, d’autant plus lorsqu’il s’agit de rendre la justice constitutionnelle. La liberté
d’entreprendre est une liberté nécessaire à notre temps, à la bonne marche de notre économie
de marché. Cependant, il apparaît que la protection accordée par le juge constitutionnel à son
égard est excessive. Au nom de cette liberté, d’autres libertés et droits pourtant consacrés par
le juge se trouvent écartés, minorés. Cette liberté est mobilisée dans le cadre de décisions
relatives au domaine économique et social, et bénéficie le plus souvent aux employeurs, aux
entrepreneurs, aux entreprises, les intérêts privés. Par effet mécanique, ce sont les droits des
salariés, la régulation de l’économie par l’État, les mécanismes de solidarité, bref, l’intérêt
général qui s’en trouve fragilisés.

32. Plus que la consécration et la protection croissante de la liberté d’entreprendre depuis les
années 1980, la controverse réside dans la conciliation opérée entre les différentes générations
de droit. Il est vrai que, dès lors que l’on met en balance plusieurs droits et libertés, le
raisonnement juridique laisse place à un inévitable jugement reposant sur des valeurs et des
croyances. Ainsi, Guillaume Drago souligne que le juge constitutionnel aurait pu avoir une
interprétation plus sociale et plus collective concernant la notion de propriété, mais qu’il a
privilégié une interprétation libérale – au sens économique du terme – de la DDHC51. Cette
conception spécifique vaut également pour la liberté d’entreprendre. Toutefois, il serait faux de
penser que celle-ci est immuable. Au contraire, elle dépend de nombreux facteurs
extrajuridiques qui pèsent sur l’idéologie du Conseil constitutionnel et qui peuvent l’amener à
reconsidérer sa jurisprudence vis-à-vis de ce principe à valeur constitutionnelle.

II. La liberté d’entreprendre : un colosse principiel aux pieds d’argile ?

33. Les méthodes d’interprétation du Conseil constitutionnel, fondées notamment sur le


contrôle de proportionnalité, sont poreuses aux considérations extrajuridiques et débouchent
sur un contrôle de nature politique – voire idéologique – concernant la liberté d’entreprendre
(A). Ce contrôle politique peut cependant permettre un basculement de la jurisprudence
constitutionnelle, qui pourrait déjà être à l’œuvre, comme le montre la décision de janvier 2020
et la consécration comme objectif à valeur constitutionnelle de la protection de l’environnement
(B).

A. Des méthodes interprétatives sensibles aux considérations extrajuridiques

34. La question de la conciliation des droits et libertés renvoie à celle à l’interprétation du bloc
de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel. On pourrait voir, dans cette retenue affichée

25
dans le contrôle des droits et libertés issus du préambule de la Constitution de 1946, une prise
de position idéologique privilégiant les droits des entrepreneurs et des employeurs au détriment
de ceux des salariés – les premiers renvoyant aux droits et libertés de 1789 tandis que les
seconds font référence aux droits présents dans le préambule de 1946. Ainsi, s'agissant de la
censure de la « loi Florange », Jean-Pascal Chazal dénonce une « décision éminemment
politique » et l'illusion d'un Conseil apparaissant prétendument comme « le gardien neutre de
la Constitution52 ».

35. L’action d’interpréter le droit, en particulier lorsqu'elle porte sur des normes
constitutionnelles très générales et parfois adoptées depuis longtemps – la DDHC par exemple
– laisse selon Christophe Radé « nécessairement la place à des considérations métajuridiques
liées à la subjectivité des juges, à leur culture, à leurs croyances parfois et plus largement à leur
idéologie, surtout lorsqu'on veut bien se souvenir que les membres du Conseil constitutionnel
sont choisis par des personnalités politiques et pour nombre d'entre elles parmi des
personnalités politiques53 ». La Constitution n’est pas porteuse d’idéologie ou de sens en soi,
c’est l’interprétation qui en est faite qui l’est. Pierre-Yves Gahdoun ajoute que « les convictions
politiques, le parcours universitaire, l'expérience ou non d'une fonction juridictionnelle, la
connaissance des réalités quotidiennes de l'Institution sont autant de facteurs qui influencent les
conclusions doctrinales et rendent illusoire tout jugement parfaitement objectif54 ».

36. Il serait inexact de penser que le Conseil constitutionnel est historiquement un juge
constitutionnel plus prompt à défendre les libertés individuelles que les droits et libertés
collectives ; en somme, un juge conservateur. Jusqu’à sa décision de janvier 2002 sur la
définition du licenciement économique, le Conseil constitutionnel était même considéré comme
un juge audacieux en matière sociale, notamment parce que dans les années 1980 et 1990 il
avait découvert et consacré la plupart des principes sociaux55. Ces dernières années, il a
également pu se montrer protecteur en matière de liberté syndicale, qui s’étend désormais aux
professions libérales56 et aux employeurs57. Il a également reconnu la « liberté de
communication des syndicats58 », et a estimé au sujet du droit de participation des travailleurs
que celui-ci ne s’applique pas aux employeurs ou aux travailleurs indépendants59. Toutefois,
depuis les années 2000, on a assisté à une suite de décisions en matière sociale que certains
juristes ont pu qualifier de décevantes60.

37. En ce sens, peut-on parler d’une « dérive néolibérale » qui conduirait le Conseil
constitutionnel à donner la priorité aux libertés économiques des employeurs au détriment des
droits des salariés ou de l’intervention de la puissance publique dans le secteur privé ? Évoquant
la censure d’une partie de la « loi Florange » de 2014, Jean-Pascal Chazal souligne que le
problème n’est pas que les décisions soient politiques, mais qu’elles prétendent être des
décisions neutres reposant seulement sur des syllogismes juridiques61. Derrière un principe
tout à fait louable et nécessaire à notre temps – la liberté d’entreprendre – se masque en réalité
une certaine idéologie économique : le néolibéralisme. Et on peut légitimement se demander
jusqu’où ce courant théorique peut motiver les décisions d’un juge constitutionnel.

38. Les juges sont porteurs d’une idéologie, de valeurs. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils
sont militants ou activistes : « la plasticité des concepts juridiques est propice à l'absorption des
présupposés théoriques et idéologiques, sans lesquels il est impossible de saisir la réalité, c'est
pourquoi la plupart sont politiquement chargés de sens62 ». Ainsi, la Cour suprême des États-
Unis est considérée comme un organe politique de premier plan, sans que cela ne soulève de
questions quant à la légitimité et la crédibilité de ses décisions. Pour les motiver, elle n’hésite
pas à mobiliser des arguments économiques, politiques ou sociologiques, et publie les opinions

26
dissidentes, incitant à un débat public sur les décisions. Celles-ci suivent l’évolution de la
société, de ses valeurs, de ses besoins. Ainsi, la notion de propriété a évolué avec la révolution
industrielle, puis avec l’émergence de l’État-providence, et enfin avec la révolution néolibérale.
Pour comprendre les éléments qui motivent les juges dans leur décision, on peut s’appuyer sur
les théories attitudinales ou conséquentialiste qui nous permettent de sortir du dogme
« kelsénien-formaliste », selon lequel les juges ne décideraient qu’en droit – et qui reste la
« doctrine » officielle du Conseil constitutionnel63. Les théories attitudinales considèrent que
les juges sont motivés par des préférences idéologiques et politiques dans leurs décisions64.
Ceci est possible de le déterminer aux États-Unis, où les opinions des juges sont connues ainsi
que leurs positions sur les décisions de la Cour suprême65. En France, il est beaucoup plus
compliqué de déterminer la part des croyances et des idéologies dans les motivations des juges,
car les débats ne sont pas publics – les procès-verbaux ne sont déclassifiés qu’après vingt ans
– et les opinions dissidentes ne sont pas publiées66. Toutefois, l’ancien président du Conseil,
Pierre Mazeaud, déclarait lors d’un colloque de droit constitutionnel en 2005 que « le contrôle
de constitutionnalité repose pour partie sur des considérations extrajuridiques67 » ; Laurent
Fabius, lui, souscrit publiquement à l’approche conséquentialiste68.

39. Ainsi, des concepts comme la propriété et la liberté d’entreprendre n’ont pas « d’essence »,
elles sont « des instruments de technique juridique » pouvant être mis au service de telle ou
telle position idéologique. Le sens d’un concept juridique relève donc d’un choix politique. Si
l’on reprend le cas de la « loi Florange », on peut s’étonner de sa censure du fait de l’atteinte
au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. On pourrait, en plus de considérer l’intérêt
des actionnaires, également prendre en compte celui des salariés et celui de la société. Ce choix
est éminemment politique. De même, à cette époque, la censure décidée par le juge pourrait
s’expliquer par la composition du Conseil. Comme le rappelle Jean-Pascal Chazal, sur les sept
membres ayant siégé dans le délibéré, cinq devaient leur nomination à différentes personnalités
de droite69. Un Conseil majoritairement de droite, partageant des croyances similaires sur la
conception de l’économie, du rôle des entreprises et des actionnaires, face à une loi jugée
« interventionniste » de la part d’un législateur socialiste ; il y a fort à parier que le juge
constitutionnel a mis en balance des arguments extrajuridiques et pas uniquement formalistes.
Enfin, on sait que le Conseil constitutionnel est perméable aux groupes d’influences,
notamment par la pratique des portes étroites, qui tend toutefois à être davantage régulée depuis
quelques années70.

40. Ainsi, concernant les principes contenus dans le préambule de la Constitution de 1946, ces
derniers n’ont pas reçu la même portée normative que les droits et libertés contenus dans la
DDHC de 1789 ; certains sont des objectifs à valeur constitutionnelle ; aucun n’est un principe
à valeur constitutionnel71. Cette distinction se fonderait sur une approche conséquentialiste,
que certains comme Pierre Mazeaud qualifient de « réalisme » pour justifier cette différence de
traitement. En ce sens, le juge constitutionnel ne se résout pas à fixer un niveau déterminé pour
les prestations sociales, de même qu’il a renoncé à mettre en œuvre la règle générale de « non-
retour en arrière », aussi appelée « effet cliquet », car cela aurait pour conséquence que la
législation nouvelle aurait toujours dû être plus protectrice que l’ancienne en matière de droits
et de libertés, en particulier pour les droits économiques et sociaux : « on peut en effet envisager
que certaines évolutions économiques rendent impossible le maintien du niveau de protection
déjà atteint72 ».

27
B. Un principe pouvant être remis en cause : le cas de la décision du 31 janvier 2020

41. « La censure des lois régulatrices est fréquente ; la validation des lois de dérégulation
systématique73 ». N’y a-t-il plus rien à attendre du Conseil constitutionnel comme l’écrit Julien
Icard ? S’il est établi que le Conseil constitutionnel a adopté ces dernières années une approche
libérale dans sa jurisprudence économique et sociale, celle-ci a commencé à être remise en
cause. Même si les lois sur le travail et l’économie sont toujours validées, les censures au nom
de la liberté d’entreprendre se font plus rares. Surtout, le juge constitutionnel français fait
preuve d’audaces en matière de contrôle de proportionnalité vis-à-vis de la liberté
d’entreprendre, puisque ce dernier s’est vu écarté au profit de la notion de « protection de
l’environnement » qui est désormais reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle.

42. En ce sens, la décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 est la confirmation d’un
tournant dans la jurisprudence constitutionnelle. Si elle revient sur la précédente décision de
principe du 7 mai 2014 qui disposait que le préambule de la charte de l’environnement
« n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit74 », elle s’inscrit dans les
pas de la décision « Bisphénol A » du 17 septembre 2015. L’article premier de la loi n° 2012-
1442 du 24 décembre 2012 prévoyait la suspension de la fabrication, de l'importation, de
l'exportation et de la mise sur le marché de tout produit comportant du bisphénol A et destiné à
entrer en contact direct avec des denrées alimentaires. Le Conseil constitutionnel a estimé que
« la commercialisation des produits en cause est autorisée dans de nombreux pays et qu'ainsi la
suspension de la fabrication et de l'exportation de ces produits sur le territoire de la République
ou à partir de ce territoire est sans effet sur la commercialisation de ces produits dans les pays
étrangers75 ». Alors que le Conseil valide bien l’interdiction de l’importation et de la mise sur
le marché de produits contenant du bisphénol A au nom de la protection de la santé, il a toutefois
indiqué que la suspension de la fabrication et de l'exportation de ces produits depuis la France
apportait à la liberté d'entreprendre des restrictions qui n’étaient pas en lien avec l'objectif
poursuivi.

43. La QPC, renvoyée par le Conseil d’État à la demande de l'Union des industries de la
protection des plantes, visait à censurer, au nom des droits et libertés que la Constitution
garantit, le paragraphe IV de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime issu de la
loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 « pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur
agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ». Ces dispositions
interdisent la production, le stockage et la circulation en France des produits
phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l'Union
européenne, en raison de leurs effets sur la santé humaine, la santé animale et sur
l'environnement. Elles font ainsi obstacle non seulement à la vente de tels produits en France,
mais aussi à leur exportation. L'Union des industries de la protection des plantes, rejointe par
l'Union française des semenciers, soutenait que l'interdiction d'exportation instaurée par ces
dispositions était, par la gravité de ses conséquences pour les entreprises productrices ou
exportatrices, contraire à la liberté d'entreprendre ; le Conseil n’a pas suivi cet argument, et est
allé plus loin encore que dans la décision « Bisphénol A » du 17 septembre 2015.

44. La décision du 31 janvier 2020 est fondamentale. Tout d’abord, elle permet d’écarter le
grief de l’atteinte à la liberté d’entreprendre au regard d’objectifs à valeur constitutionnelle. Si
la protection de la santé, déjà reconnue par le juge constitutionnel, est mobilisée dans la
décision, c’est la consécration d’un nouvel objectif, la protection de l’environnement, qui retient
l’attention du constitutionnaliste. Cette consécration du principe de protection de
l’environnement s’inscrit dans une évolution récente de la jurisprudence constitutionnelle, qu’il

28
s’agisse de la décision « gaz de schiste » du 11 octobre 2013 qui fait de la protection de
l’environnement un « but d’intérêt général76 » ou la décision du 11 octobre 2019 qui qualifie
la protection de l’environnement « d’objectif d’intérêt général77 ». Le moyen de procéder du
Conseil constitutionnel est aussi inédit dans la mesure où il se réfère au préambule de la Charte
de l’environnement :

« […] l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu


naturel [...] l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains [...] la
préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres
intérêts fondamentaux de la Nation [...] afin d'assurer un développement durable, les
choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la
capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres
besoins78 ».

45. On peut également noter que dans son sixième considérant, le Conseil constitutionnel
rappelle sa méthode d’interprétation, fondée sur la conciliation de la liberté d’entreprendre avec
les objectifs de protection de santé publique et de protection de l’environnement. Dans une
perspective conséquentialiste, il admet que le législateur peut tenir compte des effets des
activités économiques et industrielles en France, mais aussi à l’étranger, notamment dans les
pays du Sud qui sont les marchés ciblés par la vente de produits phytopharmaceutiques : « il
appartient au législateur d'assurer la conciliation des objectifs précités avec l'exercice de la
liberté d'entreprendre. À ce titre, le législateur est fondé à tenir compte des effets que les
activités exercées en France peuvent porter à l'environnement à l'étranger79 ».

46. Ensuite, en se référant explicitement à la Charte de l’environnement – en particulier son


préambule – le Conseil constitutionnel confirme la possibilité d’invoquer le préambule de la
Charte pour justifier la formulation d’un nouvel objectif de valeur constitutionnelle ayant pour
fonction de limiter la portée de droits et de libertés que la Constitution garantit aux justiciables
à travers la QPC. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il reconnaisse aux justiciables la faculté de
se prévaloir de ce préambule et des principes ou objectifs qui en découlent. Ainsi, rien ne permet
d’affirmer l’abandon de la solution retenue dans la décision Société Casuca du 7 mai 2014 dans
laquelle le Conseil affirme que les dispositions du préambule de la Charte « ne peuvent être
invoquées à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article
61-1 de la Constitution80 ». Il apparaît qu’un justiciable ne peut toujours pas se prévaloir d’un
tel objectif dans le cadre d’une QPC. Ainsi, certaines normes constitutionnelles restent
l’apanage du Conseil, tandis que le justiciable se voit offrir un nombre réduit de dispositions.
Une « situation d’invocabilité asymétrique » se créé alors, dans laquelle les objectifs ont une
justiciabilité moindre que les d’autres droits et libertés, parmi lesquels la liberté d’entreprendre.
Malgré cette asymétrie malheureuse dans l’invocabilité des normes constitutionnelles par le
justiciable dans le cadre de la QPC, nos conclusions rejoignent celles développées par
Véronique Champeil-Desplats quant à cette décision du Conseil qui interprète de manière plus
solidariste la liberté d’entreprendre :

« Ceux et celles qui appelaient des signes de rééquilibrage entre les libertés
économiques, d’un côté, et des exigences à caractère social ou environnemental de
l’autre, ne peuvent qu’être satisfaits de la consécration constitutionnelle d’un objectif
de protection de l’environnement. D’abord en tant qu’intérêt général, puis en qualité
d’objectif à valeur constitutionnelle, la protection de l’environnement est opposée par
le Conseil à des acteurs économiques qui se prévalaient de l’égalité devant les charges
publiques et la liberté d’entreprendre81 ».

29
47. On peut penser que la prise en compte des préoccupations environnementales par le juge
constitutionnel participe d’une reconfiguration plus profonde du logiciel idéologique des sages
de la rue de Montpensier. Depuis 2016, Laurent Fabius est le président du Conseil
constitutionnel. Dès son entrée en fonction, il a fait savoir qu’il entendait faire du Conseil une
« Cour constitutionnelle du futur82 », en envisageant notamment la fin de la présence des
anciens présidents et en poursuivant la tâche de son prédécesseur de rapprocher le juge
constitutionnel des citoyens – par la délocalisation de certaines audiences, ou encore la
simplification dans la rédaction et la motivation des décisions – mais également de la
doctrine83. De par certaines de ses décisions, le Conseil constitutionnel repart à la conquête de
principes à consacrer.

48. Comment ne pas penser à la décision qui consacre la fraternité comme un principe à valeur
constitutionnelle ? Alors que Charles Benoist écrivait « qu’inscrire dans une formule politique :
Fraternité, c'est absolument la même chose que d'y inscrire : Abracadabra84 », le Conseil
constitutionnel, dans une décision largement commentée par la doctrine et dans les médias,
reconnaît la notion de fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle. Auparavant, ce
principe était considéré comme non juridique, seulement programmatique. Toutefois, depuis la
décision de 2018, ce principe a désormais sa place dans le bloc de constitutionnalité. Il a été
invoqué par le juge constitutionnel pour justifier la censure des poursuites pénales à l’encontre
des personnes venant en aide à la circulation d’un étranger en situation irrégulière sur le sol
français85. Dès lors, serait-il possible que le principe de fraternité puisse être entendu de
manière extensive par le juge constitutionnel dans des décisions ultérieures ? En effet, on peut
penser que ce principe, dans une acceptation solidariste, implique des relations d’aide et de
soutien entre les individus et les groupes d’individus, et incite à la reconnaissance de nouveaux
principes constitutionnels dans le champ économique et social, avec une obligation non plus de
moyens, mais de résultats dans les politiques de redistribution, ou dans les politiques de
l’emploi… Il est cependant permis d’en douter. Selon Michel Borgetto, « lorsqu'on connaît la
prudence avec laquelle le juge a jusqu'à présent exercé son contrôle sur les éventuelles atteintes
portées aux droits sociaux garantis par la Constitution, il est permis de ne pas redouter outre
mesure, suite à la décision du 6 juillet, l'avènement d'un gouvernement des juges86 ». Ainsi, ce
principe servirait davantage à confirmer des dispositions sur la lutte contre le racisme, la mise
en place de nouvelles allocations, plutôt que d’invalider des mesures jugées contraires à la
fraternité.

49. Ces décisions du Conseil constitutionnel sont encourageantes. Cette évolution reste
cependant fragile car les décisions dépendent d’un certain rapport de forces idéologique et de
contraintes extrajuridiques incertaines, qu’il s’agisse de la société civile mobilisée ou de
groupes d’intérêts financiers ou industriels. Ainsi, la critique adressée à l’encontre de la
composition des membres dans le délibéré de la décision sur la « loi Florange » en 2014 –
nommés dans leur majorité par des personnalités de droite – peut être reprise dans le cas de la
décision sur le principe de fraternité en 2018 ou dans la décision sur la protection de
l’environnement en 2020 où une majorité des membres ayant participé aux délibérés avait été
nommée par des personnalités de « gauche87 ». La composition politique du Conseil
constitutionnel influence fortement l’interprétation des dispositions législatives qui lui seront
soumises, confirmant la thèse de Raphaël Franck sur la corrélation entre la couleur politique
des nominations et le taux de censures88.

50. Comme nous l’avons déjà dit, le fait que la jurisprudence du Conseil constitutionnel soit
marquée par une prise de position idéologique ne constitue pas un problème en soi ; celle-ci
existe dans n’importe quelle Cour constitutionnelle. Selon Jean-Pascal Chazal, « le juge se doit

30
de compenser, pour ainsi dire, son déficit démocratique par une motivation explicitant ses choix
de politique jurisprudentielle89 ». La motivation de la décision rend le juge plus légitime : en
expliquant son choix, il permet aux citoyens de comprendre la décision et les arguments qui la
soutiennent. Plutôt que de se réfugier derrière une fausse neutralité et les syllogismes juridiques,
le juge constitutionnel devrait assumer que ses décisions soient politiques en ce qu’elles
interprètent d’une certaine manière le droit constitutionnel. Il faut donc comprendre les
principes juridiques, et plus encore les principes constitutionnels, comme de véritables «
auberges espagnoles ». Enfin, il faut nuancer l’évolution de la jurisprudence, qui s’apparente
davantage à une inflexion. Certes, des décisions fondamentales ces dernières années sont
rentrées dans les annales. Mais il ne s’agit pas non plus d’un revirement à 180 degrés, comme
en témoigne la conformité des textes législatifs de 2016, 2017 et 2018 qui viennent
« flexibiliser » le droit du travail.

51. Nous venons de le voir, l’interprétation qu’a le Conseil constitutionnel de la notion de liberté
d’entreprendre est évolutive. Après une lente mais continue consécration et renforcement de la
protection de cette liberté, il apparaît que les atteintes portées à l’encontre de cette dernière sont
de plus en plus justifiées au regard de la situation économique, sociale, mais aussi sanitaire. En
effet, avec la crise du Covid-19, on peut se demander si les conditions extrajuridiques de
l’interprétation peuvent peser en faveur d’une protection accrue des droits sociaux et
économiques. La notion de liberté d’entreprendre a été remise en cause par le nouvel objectif à
valeur constitutionnelle qu’est la protection de l’environnement. La crise sanitaire et maintenant
économique qui touche l’ensemble de la planète peut constituer l’opportunité pour le Conseil
constitutionnel de redéfinir la liberté d’entreprendre à l’aune d’autres normes
constitutionnelles. On pense en premier lieu à l’objectif de protection de la santé publique, qui
pourrait être rapidement mobilisé dans le cadre d’éventuelles atteintes à la liberté
d’entreprendre et plus largement au droit de propriété si d’aventure le législateur se risquait à
réquisitionner certaines filières textiles dans la fabrication de masques ou à nationaliser
certaines entreprises considérées comme stratégiques.

52. Il paraît nécessaire de traiter de manière égale les différentes générations de droits, en
particulier les droits économiques, sociaux et environnementaux. Selon Christophe Radé, ceci
« rehausserait ainsi la valeur symbolique des droits sociaux en évitant toute fâcheuse
hiérarchisation avec les droits et libertés classiques, et pourrait même favoriser l'émergence de
nouveaux principes90 ». Il s’agirait donc de faire des principes contenus dans le préambule de
la Constitution de 1946 et dans la Charte de l’environnement de véritables principes à valeur
constitutionnelle, de même rang que les principes de la DDHC. De même, afin de mieux
intégrer ces droits dans le bloc de constitutionnalité, il serait temps – enfin – de prendre en
compte les conventions internationales dans le contrôle de constitutionnalité, et donc opérer un
revirement de jurisprudence quant à la décision IVG de 1975. On pense ici au Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, à la Charte sociale européenne, et
surtout aux différentes conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), en
particulier la convention n°158 relative au licenciement. Enfin, le Conseil constitutionnel, en
rendant ses débats publics et ses décisions davantage motivées, et en publiant les opinions
dissidentes, permettrait à ses décisions d’être mieux comprises et donc plus légitimes pour les
justiciables et la société française. La nomination très politique des membres du Conseil
constitutionnel pourrait donc être contrebalancée par une meilleure légitimité des décisions du
juge constitutionnel.

31
Notes

1 « Parisot veut inscrire la ‘liberté d'entreprendre’ dans la Constitution », Le Monde, 8 juillet


2012.

2 CC, Décision n° 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, cons. 16.

3 La décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, corporations d’Alsace-Moselle,


indique que la liberté d’entreprendre comprend deux objets : « non seulement la liberté
d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans
l’exercice de cette profession ou de cette activité » (cons. n° 7).

4 DE BECHILLON Denys, « Le volontarisme politique contre la liberté d'entreprendre », Les


nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°49, octobre 2015, p. 7.

5 GOURCUFF Marianne, « L'impact du tournant néolibéral sur les dispositifs de protection des
droits et libertés [En ligne] », La Revue des droits de l’homme, n°5, 2014, mis en ligne le 26
mai 2014, consulté le 1 mai 2019.

6 CC, Décision n° 89-254 DC, 4 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986
relative aux modalités d'application des privatisations.

7 CC, Décision n° 2017-750 DC, 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des
sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, cons. 16.

8 Depuis 1983 et sa décision fondatrice en la matière, le Conseil constitutionnel considère que


« le législateur s'oblige à poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun
d'obtenir un emploi en vue de permettre l'exercice de ce droit au plus grand nombre
d'intéressés » ; CC, Décision n° 83-156 DC, 28 mai 1983, Loi portant diverses mesures
relatives aux prestations de vieillesse. Ce n’est pas ici l’obligation de moyen qui pose
problème, mais bien l’absence de consécration constitutionnelle de la part du juge
constitutionnel.

9 CC, Décision n° 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation.

10 CHEVALLIER Jacques, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, « Droit et société », 2014, p.


158.

11 CC, Décision n° 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, cons. 16.

12 Cité dans : Quelques éléments sur le droit de propriété et le Conseil constitutionnel, note
d'information interne aux services du Conseil constitutionnel, Conseil constitutionnel,
consulté le 26 mai 2020.

13 DRAGO Guillaume, « La liberté d’entreprendre », Commentaire, 2015/2, n°150, p. 398.

14 DRAGO Guillaume, « Droit de propriété et liberté d’entreprendre dans la jurisprudence du


Conseil constitutionnel : une relecture », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux,
n° 9, 2011, p. 32.

32
15 ZEVOUNOU Lionel, « Le concept de ‘constitution économique’ : une analyse critique [en
ligne] », Jus Politicum, n° 21.

16 CC, Décision n° 89-254 DC, 4 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986
relative aux modalités d'application des privatisations.

17 CC, Décision n° 2000-436 DC, 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au


renouvellement urbain, cons. 20.

18 CC, Décision n° 2000-435 DC, 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer,
cons. 53.

19 CC, Décision n° 2001-455 DC, 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 50.

20 CC, Décision n° 2011-126 QPC, 13 mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et
autre, cons. 5.

21 Commentaire de la Décision n° 2013-684 DC, 29 décembre 2013, Loi de finances pour


2014, p. 29.

22 CC, Décision n° 2013-684 DC, 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014, cons. 91.

23 CC, Décision n° 2014-692 DC, 27 mars 2014, Loi visant à reconquérir l'économie réelle.

24 CC, Décision n° 2015-476 QPC, 17 juillet 2015, Société Holding Désile.

25 « L’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et


fiscaux correspondant à leur activité pays par pays, est de nature à permettre à l’ensemble des
opérateurs qui interviennent sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à
leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et
commerciale. Une telle obligation porte dès lors à la liberté d’entreprendre une atteinte
manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » ; CC, Décision n° 2016-
741 DC, 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à
la modernisation de la vie économique, cons. 103.

26 CC, Décision n°2018-732 QPC, 21 septembre 2018, Grand port maritime de la


Guadeloupe.

27 On pense ainsi à la validation des lois qui flexibilisent en 2006, 2013, 2016, 2017 et 2018.
Le Conseil constitutionnel, de ce point de vue, s’oppose à la jurisprudence de la Cour de
cassation qui mobilise régulièrement les textes des conventions internationales, notamment
dans sa décision sur le CNE avec la convention 158 de l’OIT en écartant le contrôle du juge
sur le licenciement (Cass., ch. sociale, 1er juillet 2008, n° 07-44.124).

28 La notion de République sociale peut être définie à partir d’un métaprincipe, le Sozialstaat
en droit allemand, qui permet « de lier les droits et les devoirs dans le domaine économique et
social comme dans le domaine environnemental » ; FONTAINE Lauréline, SUPIOT Alain, « Le
Conseil constitutionnel est-il une juridiction sociale ? », Droit social, septembre 2017, n° 9,
pp. 754-763.

33
29 CC, Décision n° 2001-455 DC, 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 46.

30 GOESEL-LE BIHAN Valérie, « Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil


constitutionnel [en ligne] », Cahier du Conseil constitutionnel, n° 22, juin 2007.

31 DUTHEILLET DE LAMOTHE Olivier, « Les principes de la jurisprudence du Conseil


constitutionnel en matière sociale », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel,
2014/4, n°45, p. 13.

32 « Le Conseil a dégagé de lui-même plusieurs principes qui témoignent d’une volonté aussi
ancienne que constante de se détourner du ‘gouvernement des juges’. Cette attitude a
contribué à faire accepter ses décisions » ; MAZEAUD Pierre, « La place des considérations
extra-juridiques dans l'exercice du contrôle de constitutionnalité [en ligne] », conférence
donnée en 2005 à Erevan.

33 CC, Décision n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la
grossesse.

34 CC, Décision n° 2000-439 DC, 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive.

35 RADE Christophe, « Conseil constitutionnel et droits sociaux : plaidoyer pour un


changement de modèle », Droit social, n°9, septembre 2018, p. 726.

36 CC, Décision n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la
grossesse, cons. 1

37 TALON Mélissandre, « Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général


d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement : un mythe du droit
constitutionnel », Revue du droit public, n°1, janvier 2020, p. 137.

38 De l’aveu même du Conseil constitutionnel, les objectifs de valeur constitutionnelle «


paraissent avoir pour fonction d'éviter de conférer un caractère absolu aux principes de valeur
constitutionnelle » (Cons. const., « Le contrôle de constitutionnalité des normes juridiques par
le Conseil constitutionnel », rapport présenté par la délégation française à la VIIe conférence
des Cours constitutionnelles européennes, Lisbonne, 26-30 avril 1987, Revue française de
droit administratif, 1987, p. 851.

39 « […] l'exigence constitutionnelle résultant des dispositions précitées des dixième et


onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 implique la mise en œuvre d'une
politique de solidarité nationale en faveur de la famille ; qu'il est cependant loisible au
législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités d'aide aux familles qui lui
paraissent appropriées […] » ; CC, Décision n° 97-393 DC, 18 décembre 1997, Loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 33. Le Conseil constitutionnel se refuse à
exercer un contrôle sur un droit minimal à des prestations matérielles. Toutefois, « l’exercice
de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère
constitutionnel » ; CC, Décision n° 99-416 DC, 23 juillet 1999, Loi portant création d'une
couverture maladie universelle, cons. 6. De même, concernant le ticket modérateur mise en
place en 2004, « le montant de cette participation devra être fixé à un niveau tel que ne soient
pas remises en cause les exigences du 11e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » ;
CC, Décision n° 2004-504 DC, 12 août 2004, Loi relative à l'assurance maladie, cons. 13.

34
40 GAY Laurence, Les "droits-créances" constitutionnels, Bruxelles, Bruylant, « Collection de
droit public comparé et européen », 2007, 826 p.

41 CC. Décision n° 2012-248 QPC, 16 mai 2012, M. Mathieu E., cons. 6.

42 CC. Décision n° 94-359 DC, 19 janvier 1995, Loi relative à la diversité de l'habitat, cons.
7.

43 À ces objectifs on peut aussi rajouter : la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la


liberté d'autrui, le pluralisme, la transparence financière des entreprises de presse, la recherche
des auteurs d'infractions, la lutte contre la fraude fiscale, l'accessibilité et l'intelligibilité de la
loi, l'équilibre financier de la sécurité sociale, l'égal accès des femmes et des hommes aux
mandats électoraux et fonctions électives ainsi que l'égalité entre les collectivités territoriales.

44 MAZEAUD Pierre, « La place des considérations extra-juridiques dans l'exercice du


contrôle de constitutionnalité [en ligne] », conférence donnée en 2005 à Erevan.

45 CC, Décision n° 2018-761 DC, 21 mars 2018, Loi ratifiant diverses ordonnances prises
sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par
ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

46 FONTAINE Lauréline, SUPIOT Alain, « Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction


sociale ? », op. cit.

47 RADE Christophe, « Conseil constitutionnel et droits sociaux : plaidoyer pour un


changement de modèle », op. cit., p. 726.

48 CC, Décision n° 2009-588 DC, 6 août 2009, Loi réaffirmant le principe du repos
dominical

49 CC, Décision n° 2013-672 DC, 13 juin 2013, Loi relative à la sécurisation de l'emploi ;
CC, Décision n° 2016-736 DC, 4 août 2016, Loi relative au travail, à la modernisation du
dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

50 RIVERO Jean, « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau ? », Actualité juridique du


droit administratif, 1981, p. 275.

51 DRAGO Guillaume, « Droit de propriété et liberté d’entreprendre dans la jurisprudence du


Conseil constitutionnel : une relecture », op. cit., p. 37.

52 CHAZAL Jean-Pascal, « Propriété et entreprise : le Conseil constitutionnel, le droit et la


démocratie », Recueil Dalloz, n° 19, 22 mai 2014, pp. 1101-1106.

53 RADE Christophe, « Conseil constitutionnel et droits sociaux : plaidoyer pour un


changement de modèle », op. cit., p. 726.

54 GAHDOUN Pierre-Yves, « Le contrôle du Conseil constitutionnel en matière sociale est-il


trop ‘relâché’ ? », Droit social, n° 9, septembre 2018, p. 732.

35
55 On pense notamment à la décision du 6 novembre 1996 qui consacre la convention
collective ; CC, Décision n° 96-383 DC, 6 novembre 1996, Loi relative à l'information et à la
consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension
communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective

56 CC, Décision n° 2010-68 QPC, 19 novembre 2010, Syndicat des médecins d'Aix et région.

57 CC, Décision n° 2015-519 QPC, 3 février 2016, Société Metro Holding France SA venant
aux droits de la société CRFP Cash.

58 CC, Décision n° 2013-345 QPC, 27 septembre 2013, Syndicat national Groupe Air France
CFTC.

59 CC, Décision n° 2015-519 QPC, précit.

60 On peut penser à la décision de mars 2006, dans laquelle le Conseil constitutionnel estime
qu'aucun principe constitutionnel n'interdit au Parlement d'instaurer un mécanisme de rupture
non motivée relatif au contrat première embauche (CPE) ou au contrat nouvelle embauche
(CNE) ; CC, Décision n° 2006-535 DC, 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances. En
2007, en matière de droit de grève, le Conseil valide le système des « préavis » qui impose de
respecter un certain délai entre le moment où le travailleur informe son employeur de son
intention d'entrer en grève et le moment où il utilise effectivement son droit ; CC, Décision n°
2007-556 DC, 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans
les transports terrestres réguliers de voyageurs. En 2008, le Conseil valide également le
mécanisme de la « déclaration préalable » obligeant certains agents des services publics
d'informer au préalable de leur volonté d’avoir recours au droit de grève ; CC, Décision n°
2008-569 DC 7 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du
temps de travail. En 2009, le juge constitutionnel refuse de reconnaître le repos dominical des
salariés comme un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » ; CC,
Décision n° 2009-588 DC, 6 août 2009, Loi réaffirmant le principe du repos dominical et
visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et
thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires. En
2013, le Conseil indique que le législateur peut méconnaître le principe de participation des
travailleurs dans la gestion des entreprises : « le huitième alinéa du Préambule de 1946
n'impose pas la présence de représentants des salariés au sein des organes de direction de
l'entreprise » ; CC, Décision n° 2013-333 QPC, 26 juillet 2013, M. Philippe M. et autres.

61 « Ce n'est pas la dimension politique et idéologique de cette décision qui est critiquable - le
droit est fait de politique et d'idéologies -, c'est sa dissimulation sous des principes et notions
(propriété, liberté d'entreprendre, entreprise) présentés comme évidents et derrière un
raisonnement syllogistique qui confère une apparence mécanique et objective à la solution » ;
CHAZAL Jean-Pascal, « Propriété et entreprise : le Conseil constitutionnel, le droit et la
démocratie », op. cit.

62 Ibidem.

63 Dans le rapport d’activité 2018 du Conseil constitutionnel, Michel Charasse indique que «
ni les convictions philosophiques ou politiques des uns et des autres, ni les positions
publiques prises dans le passé par certains d’entre nous, n’ont jamais eu leur place dans nos
délibérations [...] Les appréciations personnelles, d’humeur ou d’opportunité, n’y ont pas droit

36
de cité non plus. Pas plus que nous effleure la tentation du “gouvernement des juges” : le
Conseil rappelle régulièrement qu’il n’a pas le même pouvoir d’appréciation que le
Parlement, et qu’il n’a pas le droit de faire la loi à sa place ! » ; Rapport d’activité 2018,
Conseil constitutionnel.

64 FRANCK Raphaël, “Judicial Independence Under a Divided Polity: A Study of the Rulings
of the French Constitutional Court, 1959-2006”, Journal of Law, Economics, & Organization,
vol. 25, n° 1, mai 2009, pp. 262-284.

65 « La probabilité de censure d’une loi conservatrice sur cette période était de 27 % pour les
juges conservateurs contre 76 % pour les juges démocrates. A contrario, la probabilité de
censurer une loi libérale était de 17 % pour les libéraux et de 46 % pour les juges
conservateurs » ; ESPINOSA Romain, « L’indépendance du Conseil constitutionnel français en
question », Les Cahiers de la Justice, 2015/4, n°4, pp. 549-550.

66 Toutefois, on peut spéculer sur une éventuelle « retenue judiciaire » des juges en
comparant la censure des dispositions législatives par rapport à la couleur politique du
Conseil constitutionnel et sa concordance – ou non – avec celle du Parlement. Romain
Espinosa estime ainsi qu’il existe une influence entre la nomination politique des membres et
la censure de lois : les variables politiques sont corrélées avec la décision d’invalidation, la
droite censure moins les lois de droite, et la gauche censure moins les lois de gauche. A
contrario, la droite censure davantage les lois de gauche, et vice-versa. De même, le Conseil
constitutionnel est plus enclin à valider une loi déjà censurée une première fois, ou si la
précédente décision était aussi une censure. Enfin, le Conseil prend en compte l’attitude du
Parlement suite à une première censure. Pierre Mazeaud explique que « cette rareté s’explique
surtout par le souci du Conseil de ne pas créer une situation de crise avec le Parlement, dès
lors, du moins, que le « message » contenu dans la première décision a été entendu par le
législateur ».

67 MAZEAUD Pierre, « La place des considérations extra-juridiques dans l'exercice du


contrôle de constitutionnalité [en ligne] », conférence donnée en 2005 à Erevan.

68 « Nous prenons nos décisions sur une base juridique d'abord, mais tout en regardant leurs
conséquences » ; Laurent Fabius : « La présence des ex-présidents au Conseil constitutionnel
doit être supprimée », Le Monde, 17 avril 2016.

69 Parmi les membres présents, le président Jean-Louis Debré avait été nommé par Jacques
Chirac ; Claire Bazy Malaurie par Bertrand Accoyer ; Guy Canivet par Jean-Louis Debré
(alors président de l’Assemblée nationale) ; Renaud Denoix de Saint Marc par Christian
Poncelet et Michel Charasse par Nicolas Sarkozy.

70 Sur les portes étroites, voir notamment cette enquête de Mediapart : MATHIEU Mathilde, «
Dans les coulisses du Conseil constitutionnel, cible des lobbies », Mediapart, 4 novembre
2015.

71 On note comme seule exception la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre


toute forme d'asservissement et de dégradation, mais qui ne constitue pas à proprement parler
un droit ou une liberté individuelle ou collective ; CC, n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Loi
relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et
produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

37
72 « C’est évidemment le réalisme qui a dicté cette solution : le niveau des prestations servies
par l’« État Providence » étant conditionné par la situation économique, il ne serait pas
raisonnable de le fixer de façon rigide au niveau constitutionnel » ; MAZEAUD Pierre, « La
place des considérations extra-juridiques dans l'exercice du contrôle de constitutionnalité [en
ligne] », conférence donnée en 2005 à Erevan.

73 ICARD Julien, « Il n’y a plus rien à attendre du Conseil constitutionnel », Libération, 3 avril
2018.

74 CC, Décision n° 2014-394 QPC, 7 mai 2014, Société Casuca.

75 CC, Décision n° 2015-480 QPC, 17 septembre 2015, Association Plastics Europe, cons. 8.

76 « […] qu'en interdisant le recours à des forages suivis de fracturation hydraulique de la


roche pour l'ensemble des recherches et exploitations d'hydrocarbures, lesquelles sont
soumises à un régime d'autorisation administrative, le législateur a poursuivi un but d'intérêt
général de protection de l'environnement » ; CC, Décision n° 2013-346 QPC, 11 octobre
2013, Société Schuepbach Energy LLC, cons. 12.

77 « Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général
d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause
l'appréciation par le législateur des conséquences pour l'environnement de la culture des
matières premières en question, dès lors que cette appréciation n'est pas, en l'état des
connaissances, manifestement inadéquate au regard de l'objectif d'intérêt général de protection
de l'environnement poursuivi », CC, Décision n° 2019-808 QPC, 11 octobre 2019, Société
Total raffinage France, cons. 8.

78 CC, Décision n° 2019-823 QPC, 31 janvier 2020, Union des industries de la protection
des plantes, cons. 4.

79 Ibidem, cons. 6.

80 CC, Décision n° 2014-394 QPC, 7 mai 2014, Société Casuca, cons. 5.

81 CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, « La protection de l’environnement, objectif de valeur


constitutionnelle : vers une invocabilité asymétrique de certaines normes
constitutionnelles [en ligne] ? », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés,
mis en ligne le 24 février 2020, consulté le 21 mai 2020.

82 « Laurent Fabius : "La présence des ex-présidents au Conseil constitutionnel doit être
supprimée", Le Monde, 17 avril 2016.

83 Ce rapprochement avec la doctrine et le monde de l’université continue de se réaliser, avec


la publication de la nouvelle revue en ligne Titre VII, ainsi que la tenue régulière de colloques.
On note aussi le renvoie à certains articles de doctrine concernant les décisions jugées
importantes. Malgré une certaine ouverture, le Conseil constitutionnel semble développer «
l’auto-doctrine » et ne pas avoir recours à la doctrine dans sa jurisprudence. Dans les
commentaires des décisions rédigés par le secrétariat général, on trouve peu de références
doctrinales. L’essentiel des références se trouve dans la première partie du commentaire qui
vise à analyser les dispositions contestées, tandis que dans la seconde partie, relative au

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contrôle de constitutionnalité, les références sont plus rares, alors que c’est justement dans
cette partie que le juge constitutionnel explique son raisonnement ; SEVERINO Caterina,
« L’influence de la doctrine sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Revue française
de droit constitutionnel, 2016/1, n° 105, pp. 77-100.

84 BENOIST Charles, Sophismes politiques de ce temps. Étude critique sur les formes, les
principes et les procédés de gouvernement, Paris, Perrin, 1893, p. 131.

85 « […] il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire,
sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national […] Toutefois, aucun
principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits
de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l'objectif
de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui
constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Dès lors, il appartient au législateur d'assurer
la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public » ; CC,
Décision n° 2018-717/718 QPC, 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre, cons. 8 ; 9 ; 10.

86 BORGETTO Michel, « La fraternité devant le Conseil constitutionnel », La Semaine


Juridique, n° 30-35, 23 juillet 2018, doctr. 876.

87 Dans le cas de la décision du 6 juillet 2018, cinq membres (dont le président) sur huit
avaient été nommés par des personnalités de gauche. Dans le cas de la décision du 31 janvier
2020, la classification est plus complexe, du fait de l’incertitude à mettre dans une catégorie
prédéfinie l’orientation politique de l’actuel président de l’Assemblée nationale et du
président de la République. Toutefois, une majorité relative (quatre membres sur neuf) avait
été nommée par des personnalités de gauche.

88 FRANCK Raphaël, “Judicial Independence Under a Divided Polity: A Study of the Rulings
of the French Constitutional Court, 1959-2006”, op. cit.

89 CHAZAL Jean-Pascal, « Propriété et entreprise : le Conseil constitutionnel, le droit et la


démocratie », op. cit.

90 RADE Christophe, « Conseil constitutionnel et droits sociaux : plaidoyer pour un


changement de modèle », op. cit.

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