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Jacques Lacan
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Pensée/PRIVAT
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Pensée
Collection dirigée par
Dominique Autié et Michel Mirabail
A paraître
15° mille
DU MÊME AUTEUR
comprendre
Jacques Lacan
Pensée/ PRIVAT
© 1971, Edouard Privat, éditeur.
14, rue des Arts - Toulouse
ISBN 2.7089.2150.9
AVANT-PROPOS
3. LE BESOIN ET LA DEMANDE.
4. LA MÉTAPHÔRE ET LA MÉTONYMIE.
Elle ira du premier langage de Lacan — celui qui dit et décrit
l’inconscient — à son second langage — au métalangage? — celui par
lequel Lacan, surplombant sa propre recherche, lui assigne sa place dans
la culture de notre temps vis-à-vis :
5. DE LA PSYCHANALYSE.
6. DE LA LINGUISTIQUE.
A vrai dire, ces deux derniers chapitres seront à la fois discours de
Lacan et discours sur Lacan. Il sera difficile en effet de séparer ce que
dit Lacan et ce que nous pouvons en dire. Dans ces deux derniers chapi-
tres nous serons en position de surplomb : Lacan fera l’essentiel du tra-
vail en actionnant la corde de rappel, mais nous devons tenir la corde
qui l’assure.
La seconde partie de notre étude sera exclusivement, à nos risques
et périls, discours sur Lacan, à savoir une analyse de ses Ecrits selon
notre méthode, structurale et rhétorique. L’idée de procéder ainsi est
venue des nombreuses critiques concernant l’ésotérisme, les ambiguïtés,
les préciosités, etc., de l’écriture lacanienne. L’ésotérisme demande à
être levé, les ambiguïtés requièrent d’être dissipées, les préciosités,
réduites. Nous pouvons admettre que Lacan soit ésotérique, nous refu-
sons à priori de le croire inintelligible et de le dire incommunicable. Il a
parlé à des cercles restreints, il a écrit, sans doute pour un petit nombre
de lecteurs, mais il a choisi de rompre le silence et de communiquer.
Seule la folie est aphasique dans sa solitude et seule l’expérience mysti-
que est ineffable dans son intimité. Communiquer revient à se situer
quelque part entre ces deux silences. Quelque part aussi entre soi-même
et ses interlocuteurs. La communication n’abolit pas nécessairement la
distance entre celui qui parle et celui qui écoute, qui répond. La commu-
nication est un jeu sur les différences, un repérage des différences : celui
qui en prend l'initiative va au devant de ses interlocuteurs jusqu’à
l’endroit où ceux-ci peuvent le distinguer, l’entendre, percevoir son ori-
ginalité, c’est-à-dire ses différences ; et ceux qui regardent, écoutent,
doivent raccourcir la distance sans devoir la supprimer. Si l’interlocu-
teur veut à tout prix perdre sa propre différence, son originalité, il
2. Les lecteurs de nos deux précédents ouvrages sauront sans difficulté distinguer le
langage-objet, c’est-à-dire le langage pris comme objet d’études, d’avec le métalangage,
- c’est-à-dire l’outillage terminologique qui permet cette étude du langage-objet. Par exem-
ple la grammaire est un métalangage appliqué au langage parlé, objet d’études.
10 COMPRENDRE LACAN
3. Jusqu’à plus ample analyse, on peut en effet se demander si les langages haute-
ment formalisés le sont totalement, s’il existe des langages purement opératoires, indem-
nes de toute rhétorique et de toute idéologie.
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AVANT-PROPOS 11
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PREMIERE PARTIE
Discours de Lacan
1. LE MIROIR
1. Quant aux repères biographiques, signalons simplement que Jacques Lacan (1901-
1981) a fait des études médicales et psychiatriques. En 1932, il soutient sa thèse : La
psychose paranoïaque dans les rapports avec la personnalité. I] adhère à la Société psycha-
nalytique de Paris (SPP) mais en 1953 rompt avec cet organisme pour participer à la fon-
dation de la Société française de psychanalyse (SFP). Nouvelle scission en 1964 : Lacan
fonde sa propre « Ecole freudienne de Paris », qu’il dissout en 1980 pour une tentative de
« Cause freudienne ». L'enseignement de Jacques Lacan en Séminaire date de 1953, suc-
cessivement à l’hôpital Sainte-Anne, à l'Ecole normale supérieure et à la Faculté de droit
de Paris. Il meurt en 1980, alors qu’il venait de dissoudre l’« Ecole freudienne de Paris »
pour amorcer une nouvelle fondation.
2. « Revue Française de psychanalyse, » 4, oct. déc. 1949, pp. 449 et sui-
vantes. ;
14 COMPRENDRE LACAN
touché, allaité, soigné par la mère. Il désire être son tout ou plus exac-
tement son complément; il désire tenir lieu de ce qui manque à sa
mère : le phallus. Ii se fait, pour ainsi dire, désir du désir de sa mère.
Ici encore relation duelle et immédiate, indistinction, identification
narcissique, aliénation. Autant de traits de l’ordre imaginaire.
Nous voici donc en présence d’un premier drame de l’existence —
de la constitution du « je ». D’une part le stade du miroir constitue
l’avènement d’une unité, d’une subjectivité coenesthésiques en permet-
tant une première expérience de localisation du corps. D’autre part il
détermine une aliénation, un assujettissement de l’enfant à son image,
à ses semblables, au désir de sa mère. L’imaginaire n’est pas encore
le symbolique. Nous ne tarderons pas à voir toute l’importance de cette
distinction dans le discours de Lacan.
Cette analyse du stade du miroir jette un nouveau jour sur le
difficile problème des psychoses infantiles. Lacan introduit ici le thème
du corps propre. L'enfant ne distingue pas réellement son corps du
monde ambiant. Mais, entre seize et dix-huit mois — la troisième
étape du stade du miroir — en s’identifiant à une image qui n’est pas
lui, il finit par se reconnaître, par saisir la forme globale (la gestalt)
de son corps propre, à l’état d’une image extérieure de son corps.
Ainsi le sujet anticipe sur sa propre maturation.
Mais une rupture peut se produire dans cette phase de la cons-
truction du sujet, dans cette reconnaissance imaginaire du corps pro-
pre. On voit des enfants psychotiques angoissés à la vue de leur image,
cherchant à fuir ou encore complètement figés, médusés. Ils ne peuvent
pas davantage supporter le regard des autres personnes dans le miroir.
Cette impuissance à reconnaître son corps propre, ce refus de l’image,
sont un fixation en l’état antérieur au stade du miroir, une régression
vers l’état de corps morcelé. « Ce corps morcelé (...) se montre régu-
lièrement dans les rêves, quand la notion de l'analyse touche à un
certain niveau de la désintégration agressive de l'individu. Il apparaît
alors sous la forme de membres disjoints et de ces organes fixés en
exoscopie qui s’ailent et s’arment pour les persécutions intestines qu’à
jamais a fixées par la peinture le visionnaire Jérôme Bosch dans la
montée au zénith imaginaire de l’homme moderne » 4.
Franchir victorieusement la troisième étape du stade du miroir,
c’est-à-dire intégrer son image à son corps propre est donc décisif pour
la constitution du sujet. Mais tout semble alors évanescent, marginal ;
la chose n’est manifeste que dans un « échange de regards » : « l’enfant
se retourne vers celui qui de quelque façon l’assiste, fut-ce seulement
de ce qu’il l’assiste à son jeu » 5. Et surtout personne ne pourrait dire
quoi que ce soit sur l'imaginaire, si ce dernier n’était rapporté à la
chaîne symbolique. I] importe maintenant d’expliciter le sens de ce
second terme que Lacan distingue nettement du premier, l'imaginaire.
Pour comprendre l’accès à l’ordre symbolique, il faut reprendre
avec Lacan le thème freudien de l’Œdipe, c’est-à-dire du rapport avec
les différenciations sexuelles. Le stade du miroir avec la relation d’indis-
tinction de l’enfant à la mère était le premier temps du rapport œdi-
pien : l'enfant s’identifiait au désir de la mère, au phallus. Voici qu’en
un second temps, le père intervient, en trouble-fête pour priver l’enfant
de cette identification, et la mère, du phallus : l’enfant se voit interdire
la couche de la mère et la mère, la récupération de l’enfant. Ce second
temps de l’Œdipe est donc rencontre de la Loi du père.
Le troisième temps sera l'identification au père. C’est ici précisé-
ment que s’opère l’entrée dans l’ordre symbolique, dans l’ordre du lan-
gage. En effet, le rôle principal du Père n’est pas celui de la relation
vécue ni celui de procréation, mais celui de parole qui signifie la Loi.
« C’est dans le nom du père qu’il nous faut reconnaître le support de
la fonction symbolique qui, depuis l’orée des temps symboliques, iden-
tifie sa personne à la figure de la loi » 6. Il faut d’abord que la mère
reconnaisse le père comme auteur de la Loi, moyennant quoi l’enfant
pourra reconnaître le Nom-du-Père. Si la mère dénie la fonction pater-
nelle et si l’enfant refuse la Loi, l’imaginaire persiste, c’est-à-dire
l’assujettissement de l'enfant à la mère. Si la mère ét l’enfant accep-
tent la Loi paternelle, l'enfant s’identifie au père comme à celui qui
est détenteur du phallus. Le père, pourrait-on dire, remet en place
le phallus : comme objet désiré par la mère, comme objet distinct de
l'enfant. Cette remise en place est une castration symbolique : le père
castre l’enfant en le distinguant du phallus et en le séparant de la
mère. L’enfant doit accepter que cette castration lui soit signifiée.
Moyennant cette acceptation — cette identification à la Loi, au père
— l'enfant entre dans la constellation, dans la triade familiale,
et y
5. Ecrits, p. 70.
6. Ecrits, p. 278.
DISCOURS DE LACAN 17
Absence de la mère et qui, pour ainsi dire, fait descendre plus pro-
fondément (précisément dans l'inconscient) le signifié du phallus.
Nous pouvons maintenant prendre avec quelque liberté 7 le sché-
ma proposé par Lacan (däns une ré-interprétation d’un cas jadis
étudié par Freud : le cas du président Schreber).
S’ (signifiant métaphorique) S (signifiant premier)
à la Loi du père peut être dite secondaire, tandis que celle à l’image,
à la mère pouvait être dite primaire.
Nous pouvons reconstituer et schématiser le parcours du Miroir
à l’'Œdipe :
*
LES
2. LE LANGAGE
7. Ecrits, p. 414. .
8. Les quelques rares indications sémantiques figurent dans le Cours
de linguistique générale, Payot 1962, p. 109.
9. Ecrits, p. 414.
10. Ecrits, p. 257.
22 COMPRENDRE LACAN
“x
trajet et sur son parcours est relayé par des substituts : voilà qui illus-
tre la chaîne du langage jusque dans ses aspects (ses substituts) rhé-
toriques ou idéologiques. Et surtout chacun des personnages se déter-
mine par rapport à la lettre ; voilà qui illustre la loi, la domination du
signifiant, Nul ne peut échapper à cette loi ; s’il l’oublie quelquefois,
la loi du signifiant ne l’oublie jamais. Telle est la réponse du signi-
fiant au-delà de toutes les significations : « Tu crois agir alors que
je t’agite au gré des liens dont je noue tes désirs. Ainsi ceux-ci crois-
sent-ils en forces et se multiplient-ils en objets qui te ramènent au
morcellement de ton enfance déchirée » 19.
Dans une conférence prononcée à la Sorbonne le 9 mai 1957 :
L'instance de la lettre dans l'inconscient ou la Raison depuis Freud 20,
Lacan apporte un éclairage supplémentaire à cette théorie de la
loi du signifiant. La lettre est «le support matériel que le discours
concret emprunte au langage ». En effet le langage, au sens le plus cou-
rant du terme, la langue parlée « avec sa structure, préexiste à l’entrée
qu'y fait chaque sujet, à un mouvement de son développement men-
tal ». Le sujet s’inscrit dans le « mouvement universel >» du discours,
déjà « sous la forme de son nom propre ». Le langage est constitutif
de la culture; il distingue les sociétés humaines d’avec les sociétés
animales, si bien que la condition humaine se structure selon le ter-
naire : « nature, société et culture ».
*
*k *k
3. DU BESOIN A LA DEMANDE
2. Ecrits, p. 629.
SrEcrits, D: 275.
ie 4. A. Rifflet-Lemaire, «Jacques Lacan», Bruxelles, Dessart, 1970, p.
DISCOURS DE LACAN S1
*+
**
8. Ecrits, p. 268.
9. Ecrits, p. 628.
34 COMPRENDRE LACAN
4. LA METAPHORE ET LA METONYMIE
2. «Les formations de
dans ‘«Bulletin de Psychologiel’inconsci
», HAE inai
Séminaires ; 6
de l’année 56-
1956-57,
3. Ecrits, p. 689.
4. À qui se réfère nommément Lacan, « Ecrits», p. 506.
DISCOURS DE LACAN 89
Métaphore Métonymie
a) La métaphore
9. Ecrits, p. 708.
10. Ecrits, p. 506.
11. Ecrits, p. 508.
42 COMPRENDRE LACAN
S
formulé par —. Maïs le signe (+) indique que la barre entre Setus
s
peut être franchie. « Le surgissement de la signification est immédiat
dans la métaphore, il s'effectue par une sorte d’étincelle dans l'esprit
qui établit d'emblée le rapport entre les signifiants substitués les uns
aux autres » 12. |
A. Vergote, 13 à la suite de Freud, illustre la métaphore ainsi
entendue par le cas suivant de symptôme : une malade souffre de dou-
leurs au bas du dos. Par un jeu de libres associations, elle prononce
le mot «Kreuz» (croix) et dit que la Croix signifie sa douleur. En effet,
en allemand le terme kreuz désigne également le sacrum. Freud fait
remarquer à la malade que Kreuz sert aussi à signifier la souffrance
morale. Cette interprétation fait disparaître le symptôme. Il est facile
de voir que ce symptôme se forme comme une métaphore : S” (souf-
france physique au sacrum) se substitue à S (la croix signifiant souf-
france morale), grâce au double sens du terme allemand kreuz.
« On peut imaginer qu’en un instant très éphémère notre patiente
s’est faite la réflexion suivante : une souffrance est une croix, je porte
ma croix, rejoignant par là un symbolisme traditionnel bien connu.
Mais aussitôt s'établit en elle la liaison entre la croix et le sacrum et
la souffrance morale qu’elle voulait oublier se transforme immédiate-
ment en douleur au bas du dos par l'intermédiaire de ce jeu de mots.
Demeure alors en elle, dans un demi-brouillard, quelque lien entre
le sacrum et la croix alors que se reflue définitivement dans l’incons-
cient la souffrance morale » 14.
A. Rüfflet-Lemaire 15 emprunte également à Freud ce second
exemple, celui d’une remémoration et donc d’un oubli, partiels : Freud
voyageait en train en compagnie d’un étranger dans la région Bosnie-
Herzégovine. La conversation se déroulait sur l’art italien : « Avez-
vous vu les fresques à Orvieto de... ? » Freud essaie vainement de se
rappeler le nom de. Signorelli. Seuls lui reviennent en mémoire les
noms de deux autres peintres : Botticelli et Boltraffio.
Freud et son compagnon avaient, juste auparavant, parlé des
12. A. Rifflet-Lemaire, op. cit. p. 326.
ET
13. Dans «La Psychanalys
y ye, science
1 de l’homme
ë > (en collaboratioi n),
14. A. Rifflet-Lemaire, op. cit. p. 327.
15. Ibid. pp 340 et suiv.
DISCOURS DE LACAN 43
l traffio
Conscient
ttic - elli
Signor - elli
Bo (snie) — Her (zégovine) Trafoi
Se 0h
Inconscient Mort et sexualité
b) La métonymie
%
**
S. LACAN ET LA PSYCHANALYSE
1. Ecrits, p. 405.
2. Ecrits, p. 517.
48 COMPRENDRE LACAN
CONSCIENT
PRE-CONSCIENT
ù nn = —
INCONSCIENT
<<
C3:
Cette répartition et cette configuration peuvent être dites structu-
relles ; c’est-à-dire déterminées par la position réciproque de ces lieux
et de ces fonctions. Tout s’est passé, semble-t-il, chez bon nombre de
psychanalistes comme si ces structures — supposées acquises et
for-
9. Leçons universitaires de 1915-1917, tradui
AE «Introduction à la psychhnalyses ESSER i
0. «Le ue RD
moi et le Ça» (1923). Dans la traducti f
kelevich, le titre i -
est devenu : «Esais de paychanalyses. "Eau ji ide
DISCOURS DE LACAN 51
*
ke X
*
**
a) La névrose et le refoulement :
b) La psychose et la forclusion :
STATS
D
Dans le cas du délirant, au contraire, un seul signifiant peut dési-
gner n'importe quel signifié. Le malade peut voir par exemple le
« persécuteur » partout. Cela peut être schématisé ainsi :
S
TL S S
6. LACAN ET LA £INGUISTIQUE
a) Le signifiant et le signifié :
S’
£ A
ou référend — de l’autre. A bien examiner la démarche de Lacan,
psychanalyste, le signifié fuit toujours parce qu’il se répand, qu’il nage
dans une réalité organique ou imaginaire insaisissable, mais il ne
s’'identifie pas avec elle. La différence entre Lacan et le linguiste ne
tient donc pas à une confusion que le premier établirait entre signifié.
et réalité. Elle provient de ce que l’un et l’autre travaillent sur un
donné différent : le linguiste opère sur des signifiés culturels, sociale-
ment institutionnalisés, structurés; l’idée d’une fuite, d’un glissement
du signifié n’est pas pertinente à son propos. Il en va autrement du
psychanalyste qui poursuit dans les profondeurs de l'inconscient un
signifié livré à d’incessantes variations individuelles.
E. Benveniste parlant de Freud et accessoirement de Lacan a
mis en relief la différence entre les deux pertinences : celle de la lin-
guistique et celle de la psychanalyse : « Infra-linguistique elle » (à
savoir la symbolique de Freud) « a sa source dans une région plus
profonde que celle où l’éducation installe le mécanisme linguistique.
‘Elle utilise des signes qui ne se décomposent pas et qui comportent
de nombreuses variantes individuelles (...). Elle est supra-linguistique
du fait qu’elle utilise des signes extrêmement condensés, qui dans le
langage organisé correspondraient plutôt à de grandes unités du dis-
cours qu’à des unités minimales » 6. Et Paul Ricœur de renchérir :
« On dirait que le rêve procède d’un court-circuit du supra et de l’infra-
b) Métaphore et Métonymie :
Et pour la métonymie :
champagne
province
c) L'énonciation et l'énoncé :
À personne
re ae
Destinateur æ-> Destinataire Définie > Non définie
Sing JE TU IL
Plur NOUS VOUS ILS
tre : « Aussi n'est-ce pas céder à un effet perspectif que de voir ici
cette première déliénation de l’imaginaire » (p. 68). Mais lorsque le
nous et le on sont mis en présence, la distinction devient significative :
« Le style, c’est l’homme, en rallierons-nous la formule, à seulement
la rallonger : l’homme à qui l’on s’adresse ? » (p. 9). Nous passons de
Lacan destinateur littéraire (nous) à une sorte de destinateur anonyme
et généralisable, le destinateur neutre du langage.
Concernant le destinateur, ce jeu des écarts est plutôt réduit,
surtout si nous pensons à toutes les subtilités rhétoriques dont est capa-
ble l’auteur. Nous n’avons pas rencontré un écart maximum à celui
de la première personne dite à la pseudo-personne. Le çà parle —
qui est le type même de la pseudo-personne — ne s’applique pas au
discours de Lacan, du côté du destinateur.
b) Les Destinataires
Adjonctions
- L’adjonction à l’avant du mot (prosthèse) se fait selon un mé-
canisme de préfixation : transaudition, orthodramatisation de la sub-
jectivité » (p. 226).
- L’adjonction à l’arrière du mot (paragogue) peut être une sim-
ple suffixation : chamanisant ; ou une invention raffinée : moiique
(p. 669).
- L’adjonction au milieu du mot (epenthèse) donne lieu à des
fantaisies du genre : stochastique (p. 287) ; ou à des agencements tech-
niques comme ex-sistence (p. 554).
- Le mot-valise apparaît avec autruiche : « La politique de l’au-
truiche » (p. 15, le terme jouant sur autruche et Autriche) ; autruiche-
r8.3
- Les paronomases, ou continutés phoniques sous une distribution
différente des phonèmes ne se comptent pas : une équipe d’egos moins
égaux (p. 590) ; « un méconnaître essentiel ou me connaître » p. 808 ;
« l’on ne songe pas à chosifier, fi! à qui se fier ? » (p. 867).
- Nous aboutissons aux allitérations : « torpille socratique »
(p. 31); «la coupure qui fait briller l’objet partiel de son indi--
cible vacillation >» (p. 656).
- Aux assonances : « Déménageurs ménagers de la pudeur »
(p. 715) ; « écriture féminine très fine » (p. 35).
3. Suppressions-adjonctions :
- Voici une substitution d’affixes : inharmonique (au lieu d’ « har-
monieux >»).
- Le langage enfançon : « yon yon yon de la Metro Goldwyn »
(p. 705).
- Les emprunts aux langues étrangères sont légion. Ceux écrits
DISCOURS SUR LACAN 77
Permutations :
Lacan sait à l’occasion tirer un effet supplémentaire d’ironie en
jouant sur les phonèmes et leur permutation : « Il ne se forme dans
la bouche » (des illustres pontifes de la Société internationale de Psy-
chanalyse) « que cette forme qui bouche : l'O d’un Oracle que seul
l’appétit des Bien nécessaires » (les cadres moyens de ladite société)
« peut entamer jusqu’à en faire l’U d’un Verdict » 5.
- Voici une subtile métathèse : « Trop souvent la psychanalyse
prend cette remorque » (p. 852) ; là où le lecteur pouvait attendre
remarque.
- Le présent anagramme suit une epenthèse reprise à Jarry :
merdre. Lacan propose meirdre, puis « mairdre, anagramme du verbe
où se fonde l’admirable » (p. 661). Ici admirer est suggéré au lieu
d’être nommé.
Par contre l’auteur ne peut manquer de faire jouer l’arbre (exem-
ple de linguistique) et barre lacanienne (p. 503).
- Les contrepets sont innombrables comme il se doit en la psy-
chanalyse où le mot d’esprit est lieu privilégié d'investigation : nature/
naturel/naturisme/naturalisation (p. 581) ; git et gîte (p. 36) ; jacu-
lation/joculatoire ; statique/statue/statut (p. 251). Et celui-ci joué
avant d’être interprété : « À sa femme ou à son maître c’est d'un tu
es. (l’une ou bien l’autre) qu’il les invoque sans déclarer ce qu’il est
5. Ecrits, p. 481.
78 COMPRENDRE LACAN
sur une butte sans frondaison l’ombre de la croix. Puis se réduit à l’Y
majuscule du signe de la dichotomie qui, sans l’image historiant l’ar-
morial, ne devrait rien à l’arbre tout généalogique qu’il se dise » 7.
b) jeux syntaxiques
Adjonctions :
- Parmi les multiples incidentes, en voici une fort amusante :
« Ce qu’on y trouve c’est le paradis des amours enfantines, où baude-
laire de Dieu! il s’en passe de vertes » (p. 548).
- Voici une parenthèse d’une ironie papelarde : « Mais nos psy-
° 7. Ecrits, pp. 503-504.
80 COMPRENDRE LACAN
Suppressions-adjonctions :
- Voici la rupture de règles d’accord, ou syllepse : « Là seul
peut apparaître sans ambiguité leur fonction » (p. 550).
- La rupture des règles de construction ou anacoluthe : « Mais
l'être qui, à nous opérant du champ de la parole et du langage, de
l'en deçà de l’entrée de la caverne répond, quel est-il ?» (p. 844).
- L’enallage du temps : « Il ne savait pas. Un peu plus il savait,
ah! que jamais ceci n’arrive. Plutôt qu’il sache que je meure. Oui,
c'est ainsi que je viens là, là où c'était : qui donc savait que j'étais
mort » (p. 802). Notons à ce propos que cet enallage entre l’impar-
fait et le présent optatif est exercé après avoir été commenté dans
la page précédente.
- L’enallage des genres : « Aux boys le phalle» féminisation
de « phallus ») (p. 555).
- L’enallage des personnes : « Je m'engage aussi à ne pas inter-
venir sur le texte de ce qui y sera admis pour s’articuler du propos
de Lacan » (Scilicet, p. 8). Ici la première personne joue avec la
troisième.
- L’enallage des fonctions, par exemple la transformation d’ad-
jectifs en substantifs : « La rétroaction du signifiant en son efficace »
(p. 839) — « Dans son abrupt toujours accru» (p. 30) : — ou
l'inverse : Le couple vétéran du yin et du yang (p. 39).
- Les chiasmes ou symétries en croix bénéficient d’une prédi-
lection de gourmet : « Le dirons-nous pour motiver la difficulté du
désir ? Plutôt, que le désir soit de difficulté » (p. 633) — « Son âme
lourde (..) et son corps subtil» (p. 629). — « Le sens d’un retour
à Freud, c’est un retour au sens de Freud » (p. 405).
Permutations :
- Voici quelles bonnes interruptions (tmèses) : « Elle est inimi-
table en ce désir insatisfait pour ce saumon, que Dieu damne si
ce n’est pas Lui qui le fume » (p. 626) — « On entend du même crû
une adresse à la bonté, bonté divine ! » (p. 455). — Des phrases
entières peuvent avoir cette fonction : …e Les vrais besoins. Les-
quels ? Mais les besoins de tout le monde, mon ami. Si c’est cela
82 COMPRENDRE LACAN
#
**
formes signifiantes plutôt que par ses contenus signifiés. Avec les
métaplasmes ou jeux phoniques, il nous avait éloigné de l'illusion
naturelle du langage. Avec les métataxes ou jeux syntaxiques, il
déploie la suprématie du signifiant jusqu’à couvrir toute son œuvre.
Suppressions :
- L'asémie, c’est-à-dire la quasi-insignifiance du signe à cause
de son vague, de sa généralité, n'intervient guère qu’à titre d'emprunt :
« Son fruc d'identification à l’adversaire » (p. 20).
- L'emploi de l’abstrait pour le concret, du général pour: le
particulier (synecdoque généralisante) est une diminution recherchée
du signifié des termes : « Le couple, jalousie fraternelle ou acrimonie
matrimoniale » (p. 479). Notons ici que — mine de rien — Lacan
fait glisser le signifié habituel de couple, puisqu'il pose aussi bien
le fraternel-sororal que le conjugal. La synecdoque est donc partielle-
ment déjouée. — « Mais les deux superfluités qui ici se conjuguent »
(p. 481). Ici la synecdoque est poussée au point de côtoyer l’asémie,
et cela pour un effet d’ironie.
- L'emploi d’un titre, d’un nom, abstraits généralisants (anto-
nomase généralisante) vise une diminution du signifié. Ce peut être
un instrument polémique destiné à souligner l’inconsistance de ces
Messieurs de lA.IP. : « Suffisance, Béatitudes (pp. 475 et sv.).
— Ce vidage du signifié entraîne celui, par exemple, de « Parole »
devenant ici antonomase : « Voilà donc l’organisation qui contraint
la Parole à cheminer entre deux murs de silence, pour y conclure les
noces de la confusion avec l’arbitraire » (p. 481).
- Un premier type de métaphore diminue le signifié que celle-ci
couvre, dans la mesure où est co-présent le terme signifiant relayé
par le terme métaphorique ; bref dans la mesure où la métaphore
confine à la comparaison. Il y a diminution parce que partage du
84 COMPRENDRE LACAN
Adjonctions :
- L’antonomase particularisante a pour effet d'accroître le signi-
fié qu’elle couvre : C’est Dupin le détective (pp. 13 et sv.) ; c’est le
Meuble Tronchin (p. 481).
- La synecdoque particularisante (le moins pour le plus, la partie
pour le tout) a évidemment ce même effet d’accroissement du signifié
qu’elle couvre. Voici les « voiles » classiques de la navigation (dans
un emploi également métaphorique) : « S’engager à pleines voiles
dans le malentendu fondamental de la relation de compréhension »
(p. 471.) — « Qu’une de vos oreilles s’assourdisse autant que l’autre
doit être aiguë » (p. 471).
- La catachrèse est une sorte de métaphore affaiblie par l’usage,
incorporée au lexique courant, immédiatement lisible ; d’où l’accrois-
sement de l’effet de sens : « L'écran à l'avènement de la parole »
(p. 461). — «Les assises de la recherche » (p. 462). — «Le
\
blanc-seing que Freud accorde à ce projet » (p. 473).
- L’antimétabole règle la pluralité des signifiés (la polytémie)
en jouant sur compatibilité : « Il y a plus d’une religion et ce n’est
pas pour demain que les liens sacrés cesseront de nous tirer à hue et
à dia» (p. 28).
- L’antanaclase règle la pluralité des signifiés en jouant sur
les incompatibilités. C’est par exemple le cas de tous les ter-
mes que Lacan emploie pour définir l'inconscient et dont il faut
faire effort pour entendre qu’ils couvrent des signifiés psychiques,
effort du lecteur qui. appellent commentaire du côté de Lacan :
monuments. documents d'archives. traditions. traces (p. 259).
- L’attelage joue sur l'association, la congruence de plusieurs
signifiés sous le même terme : l'or des paroles et l’or monétaire
(p. 34). — La lettre de l'écriture et celle du... facteur : « C’est ainsi
DISCOURS SUR LACAN 85
Permutations :
- Voici l’hypallage ou renversement des rapports entre termes:
« À tomber en possession de la lettre — admirable ambiguïté
du langage — c’est son sens qui les possède. » A noter qu'ici, une
fois de plus, la formule est soulignée, commentée — déjouée — en
même temps qu’exercée. — « C’est au devant des perles qu’on jette
les pourceaux » (p. 464).
*
**
d) Jeux logique.
Suppressions :
- Voici déjà une litote simple, liée à une précaution oratoire
(celle-ci annoncée par la suite comme telle : « Un rien d’enthou-
siasme est dans un écrit la trace à laisser la plus sûre pour qu'il
au sens regrettable (..). Le publiant, nous supposons un
date;
intérêt à sa lecture, malentendu compris. Même à vouloir la pré-
caution... » (p. 229).
- La réticence exerce une fonction analogue (et du reste s’agré-s
mente d’une litote : «un peu d'ordre ») : .« Pour y ramener déjà
88 COMPRENDRE LACAN
Adjonctions :
- L’hyperbole à l’état pur (non liée par exemple aux méta-
phores extrêmes) frappe par sa concision : «Le superflu de son
excès » (p. 478). — « Elle (la vérité) s'offre à eux le plus vraiment »
(p. 21).
- La répétition joue délibérément avec la redondance : « Car
si peu qu’on y songe, on verra qu'il n’y a pas de suffisance moindre
ou plus grande. On suffit ou on ne suffit pas ; c’est déjà vrai quand
il s’agit de suffire à ceci ou à cela, mais combien plus quand il faut
suffire à la suffisance » (p. 476). — Elle peut aller jusqu’à une
inflation calculée : «Plein de signification (..), de l'intention dans
un acte (.…) plus d'amour (..) de la haine (..) du dévouement (...)
tant d’infatuation (..) de la cuisse à revendre (..) du rififi chez les
hommes » (p. 24).
- Le pléonasme ne paraît guère avoir les faveurs de Lacan.
Peut-être ces énoncés en sont-ils : « C’est Abraham qui a ouvert
le registre et la notion d’objet partiel est sa contribution originelle »
(p. 604). — «Si le sujet ne s’y montre pas pour autant oblatif,
c’est-à-dire désintéressé » (p. 605).
DISCOURS SUR LACAN 89
Supressions-adjonctions :
- L’euphémisme dit à la fois le plus et le moins : « Non pas
par inattention » (p. 12) — « Les Bien-nécessaires » (p. 477).
- La correction apporte normalement des effets de nuance
Ceci n’implique de notre fait aucune valorisation de la divergence »
(p. 239). — Par sa fente, elle peut devenir en polémique une arme
redoutable : « Malgré la débilité de la théorie dont un auteur systé-
matise sa technique, il n’en reste pas moins qu’il analyse vraiment
et que la cohérence révélée dans l'erreur est ici le garant de la
fausse route effectivement pratiquée » (p. 608).
- La gradation pourrait être un révélateur de l'idéologie de
l’auteur de par la valorisation du premier ou du dernier terme.
Aussi Lacan en use-t-il avec précaution et sobriété quand ïl ne
la brise pas par le simple cumul (non progressif.) Voici la gradation
cumul : « Peintures sincères (..) rectifications (.….) étals et défen-
ses (.….) étreintes narcissiques >» (p. 249). — Voici un maniement
ironique et négatif : « Opinion vraie n’est pas science, et conscience
dans science n’est que complicité d’ignorance » (p. 632). — Voici
une progression corrigée par le voire : « Entendez magie, religion,
voire science » (p. 876). Par contre la gradation qui suit paraît
pleinement délibérée dans la mesure où elle révèle les théories de
l’auteur : «.L’agressivité intentionnelle ronge, mine, désagrège;
elle châtre ; elle conduit à la mort » (p. 104).
- Les allégories” prolongeant, structurant et interprétant les
métaphores sont légion : « Visage clos et bouche cousue n’ont point
ici le même but qu’au bridge. Plutôt par là l’analyste s’adjoint-il
l’aide de ce qu’on appelle à ce jeu le mort, mais c’est pour faire
90 COMPRENDRE LACAN
Permutations :
- La régression logique se double ici d’une ironie par déné-
gation feinte et aniiphrasée : « Nous ne prétendons pas apprendre
aux psychanalystes ce que c’est que penser. Ils le savent. Mais ce
92 COMPRENDRE LACAN
n’est pas qu’ils l’aient compris d’eux-mêmes. Ils en ont pris la leçon
chez les psychologues » (p. 616).
- Voici la régression chronologique : « La décadence qui mar-
que la spéculation analytique, spécialement dans cet ordre, ne peut
manquer de frapper, à seulement être sensible à la résonnance des
travaux anciens » (p. 615). — Ou encore celle-ci paradoxale : « De
celle-ci, née depuis Freud, Freud ne pouvait faire état» (p. 688).
- Et nous aboutissons à la pétition de principe feinte :
« C.C.Q.N.R.P.D. peut-on conclure, ce qui nous ramène au point
de départ, soit à réinventer la psychanalyse » (p. 591).
- La rétorsion logique est ici doublée d’une inversion syntaxi-
que de termes : « Dépistons donc la foulée, là où elle nous dépiste »
(p. 22). — « Tous ces propos ne font encore que voiler le fait qu’
ne peut pas jouer son rôle que voilà » (p. 699).
*#
*+k*
a) Commencements et conclusions
tendre transmettre à ceux qui nous suivent : un style (p. 458, souligné
par nous). Cette mise en valeur du style en conclusion ne peut man-
quer de nous frapper. Une certaine parenté se fait peut-être jour entre
Lacan et Claude Lévi-Strauss, lequel instaure la musique des mythes
sur les ruines du sens.
— La fraternité humaine. Une fois levés tous les masques —
individuels ou collectifs — qui dissimulent l’homme, la fraternité peut
discrètement commencer : « C’est cet être de néant que notre tâche
quotidienne est d'ouvrir à nouveau à la voie de son sens dans une fra-
ternité discrète à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop iné-
gaux » (p. 124). Note discrète, soit, mais dont la place en conclusion
demeure révélatrice.
Ces fins de discours sont-elles des lieux où l’idéologie lacanienne
échappe à l’auteur, se libère à son insu ? Ce serait bien naïf de croire
qu’un Lacan ignore les pièges des conclusions de discours. Tout ce que
nous pouvons dire c’est qu’un tel lieu lui permet de marquer; de souli-
gner, parmi ses thèmes habituels ceux qui bénéficient d’une préférence.
Par ailleurs nous avons vu la marque négative, la marque anti. Certai-
nes connotations idéologiques pourraient donc se glisser dans ces
jeux de différences : différence’ avec. les autres (anti), différence de
soi à soi (thèmes préférentiels).
b) Les sphères de la qualification
Comme tout le monde, Lacan, du fait qu’il parle, écrit, est con-
traint de qualifier : qualifier les autres auteurs, les œuvres, les situa-
tions, les idées reçues, etc. Opération normale, réglée, du langage,
mais opération particulièrement exposée aux idéologies, car les quali-
ficatifs et les superlatifs, il va falloir les chercher dans une sorte de
sphère normative et les disposer selon un différentiel appréciatif. Qua-
lifier, c’est soumettre l’objet à sa propre qualification mais en même
temps se soumettre par quelque côté au système qualifiant. Rude
contrainte du langage à laquelle chacun peut échapper partiéllement
grâce à l’humour ou à l'arbitraire affiché, mais non indéfiniment. A
moins d’être une sorte de Méphistophélès dominant et déjouant toutes
les contraintes du langage, Lacan pourrait bien ici subir la loi com-
mune.
- Le lumineux / et l’obscur
Cueillons ici ou là quelques formules : « Un aperçu illuminant » ;
98 COMPRENDRE LACAN
- Le subtil / et le trivial
Nouvelle valorisation qui nuance la précédente : celle du langage
subtil : «spéculation ingénieuse » ; «la rhétorique raffinée dont
l'inconscient nous offre la prise » (p. 439). Nous atteignons rapide-
ment au superlatif : « le très subtil et délicieux Trenel >» (p. 168). —
« sa lettre d’une très attachante finesse >» (p.671). — « écriture fémi-
nine très fine » (p. 35).
Le trivial est multiple : « choquante prise à partie » ; « dicho-
tomie grossière » ; « incidences scabreuses » ; « diafoiresque » ; oppo-
sition triviale » ; « vers atroces » ; ici l’intonation confine au super-
latif. Il faut y adjoindre sans doute le « pédant » et la « cuistrerie ».
- Le charmant / et le bouffonnant
Cette opposition est homologue à la précédente. La face négative
est davantage marquée ; pour quelque « boucle charmante » ou quel-
que « délicieux Trénel », nous trouvons un éventail plus large de :
reportages bouffonnants » ; «exploits dérisoires » ; « dilatante syn-
thèse », sans compter l’utilisation ironique et populaire de meilleur et
de bon (+ la meilleure de l’année... »).
- Le perspicace / et le naïf
Nous repartons sur une opposition différente. Le perspicace est
d’autant plus valorisé que rare. : « Exceptionnelle par sa perspica-
cité ». Par contre l'éventail de la naïveté ou de l’imbécilité s’élargit
DISCOURS SUR LACAN 99
- L’humble / et le suffisant
Nous passons à des oppositions où interviennent des connota-
tions éthiques : «la vérité, humble en ses offices » ; «la fraternité
discrète ». A l'encontre de cela, nous trouvons « l’idéalisme exorbi-
tant, la suffisance clinicienne » ; « l’insolent prestige » ; « l’esbrouffe
philosophique... ».
- L'humour / et l’honorabilité
Cette opposition est homologue de la précédente : « L'humour
n’y est de mise jamais (..). Leurs auteurs sont désormais trop
soucieux d’une position d’honorables » (p. 811).
- Le salubre / et l’insensé
Ici les termes négatifs sont davantage marqués : pour une « recti-
fication salubre », nous trouvons : la «catégorie nauséeuse de
« Jaspers et consorts » ; «l’ordre insensé du fascisme » (p. 135);
< l'extrême de l’absurdité ».… (p. 455).
- Lé franc / et l’hypocrite
« Peut-on espérer que la religion prenne dans la science un
Statut un peu plus franc?» (p. 872). Ici l’on peut hésiter sur un
terme ambigü comportant des signifiés de loyauté maïs aussi de liberté.
Mais les termes opposés lèvent l’ambiguïté : « Tant de siècles l’hypo-
crisie religieuse » (p. 528) ; les rartufferies moralisantes ; ou encore
le « captieux », « l’insidieux >».
- Le puissant / et le faible
Cette opposition est d’autant plus marquée que simplifiée : « La
fiction de Poe si puissante au sens mathématique du terme » (p. 10).
« Une position de faiblesse absolue » (p. 33) ; une définition molle ».
Jusqu'à présent, nous pouvions mettre deux sphères de quali-
ficatifs en opposition, le premier terme l’emportant sur le second.
Une structure idéologique de valorisation/dépréciation sous-tend
toutes ces oppositions. Voici par contre un double inventaire où
100 COMPRENDRE LACAN
+
LE]
- La batterie intellectuelle
Le mot est banal, — et l’apparaît plus encore en regard des
textes de Lacan — mais les instances idéologiques ont précisément
pour caractéristique de toucher aux lieux communs. Le recours au
lumineux, à la fulgurance et le rejet de l’obscurantisme ; — l’appel
à la subtilité, à la finesse et le mépris de la grossièreté ; — la valori-
sation du perspicace, du minutieux, du rigoureux, du précis et la
dépréciation du stupide, de l’idolâtrique, du mythique, relèvent d’une
culture, d’une tradition d’intellectualité à la française qui ne paraît
pas devoir rompre avec le siècle des lumières ; et cette culture s’en-
richit des valeurs présentement valorisées dans le siècle des sciences
humaines.
- La batterie esthético-littéraire
La faveur pour le brillant, le subtil, le charmant et le rejet du
choquant, du scabreux, du trivial, du pédant, du cuistre ; la critique
des « vers atroces » et l’admiration pour les morceaux dignes d’antho-
logie; l'ironie pour le bouffonnant et le dérisoire, relèvent d’un goût
affiné, raffiné, qui, sous les aspects les plus divers, s'apparente à
celui d’une culture aristocratique et allusive. Et cette culture peut
DISCOURS SUR LACAN 101
- La batterie de l’humour
L'humour exercé en permanence — et professé — par Lacan
se rattache partiellement au code du bon goût dont nous venons de
parler. Il se relie également au code de la salubrité mentale et au
code éthique dont nous parlerons. Autant dire que l’humour lacanien
traverse tous les codes et toute l’œuvre. Ii est et se veut inimitable
et par là tient de la performance personnelle de l’auteur. Mais il
s'inscrit et se fait reconnaître dans une communication et par là tient
aussi d’une compétence codifiée. L'humour lève tous les masques du
sérieux, de l’honorabilité, de la scientificité. Il se présente comme
une distance de soi à son œuvre. Mais il ne peut s'empêcher d’être
lui-même un indicateur, sinon un rôle. La fonction de l’humour
s'apparente à celles des embrayeurs (shifters) selon Jakobson: il
s’énonce allusivement et renvoie à l’acte d’énonciation.
- La batterie éthique-sanitaire
Préconiser l’humble et rejeter le suffisant, valoriser le salubre
et déprécier l’absurde ou l’insensé, apprécier le franc (loyal et libre)
et mépriser l’insidieux ou l’hypocrite, cela relève de l’hybridation d’un
système éthique et d’un système sanitaire qui, de nos jours, marque
aussi bien les moralistes que les psychologues, les uns et les autres
échangeant leurs attributs.
- La batterie de la puissance
À supposer que «la puissance » valorisée le soit «au sens
mathématique du terme » (p. 10), les termes opposés au sens commu-
nément reçu : la faiblesse et la mollesse sont vouées aux gémonies.
Ajoutons à cela l’emploi favorable de « prestigieux », de « fascinant »,
d’ «illustre », d’ « éminent >» — fût-ce avec humour et respect atiché
des conventions sociales — et les connotations admiratives de l’ « ad
102 COMPRENDRE LACAN
*
x+
+
* x
*
+ *
*
*k*
*
**
8. Ibid. p. 154.
9. Ibid. pp. 21 et 166.
10. Ecrits, p. 163.
DIGRESSION PHILOSOPHIQUE 109
légalité l'emporte, «le désir ne tient pas (.…) pour la raison que la
loi et le désir refoulé sont une seule et même chose, c’est même ce
que Kant a découvert ». Ainsi le désir — conscient dans l’hypothèse
du risque couru, inconscient dans l’hypothèse du respect de la léga-
lité — suffit à rendre compte de ce que Kant disait en termes de
loi, non sans se contredire.
Le second exemple n’est pas davantage concluant. Ce qui compte
ce n’est pas la vérité ou la fausseté du témoignage : il est des vrais
témoignages qui condamnent des innocents à mort (par exemple décla-
rer sous l'occupation nazie qu’un Juif est bel et bien juif...) ; et du
reste y a-t-il vérité — ou fausseté — pleine et pure ? Ce qui compte,
c'est le rapport du désir de l’homme sollicité avec le désir du tyran.
Son refus, au péril de la vie, peut être sous-tendu par le désir d’em-
pêcher que le tyran ne « s’arroge le pouvoir de s’arroger le désir de
l'Autre ». Ainsi donc dans l’un et l’autre cas, rapportés par Kant, le
« véritable levier >» n’est pas un impératif moral universel, mais le
désir : « Il s’avère que le désir peut n’avoir pas seulement le même
succès, mais l'obtenir à meilleur droit » 15. La critique de la Loi kan-
tienne ne diffère pas notablement de celle du Cogito cartésien : Lacan
introduit l’opacité du désir là où Kant instaurait la transparence —
« les mains pures » — d’une Loi formelle.
Tournons-nous alors vers Hegel. Nous avons déjà fait état (en
première partie, chapitre III) des nombreuses références de Lacan à
l’œuvre hégelienne, notamment à la dialectique du Maître et de l’Es-
clave. Pourquoi cette connivence ? Tout d’abord l’analyste approuve
Hegel — et s’approuve en Hegel — de lever les pièges et de déjouer
les illusions du Cogito — du sujet transcendental — et de l’implica-
tion kantienne Loi-morale-Liberté. La critique hégelienne de la « Belle
âme », c’est-à-dire du je en proie au mirage, du je infatué de ses bons
sentiments ou « loi du cœur » anticipe les analyses, du délire de pré-
somption par exemple 16. Les théories et l'humour lacaniens se retrou-
vent dans le thème de la « ruse de la raison » 17, ruse d’un ordre signi-
fiant qui prend en défaut la conscience subjective. La dissociation, que
Lacan révèle et analyse, entre le je énoncé et le sujet de l’énonciation
a son répondant dans celle que Hegel établit entre l’essence de l’hu-
à Hegel est «toute didactique (.…) pour faire entendre aux fins de
formation qui sont les nôtres ce qu’il en est de la question du sujet
telle que la psychanalyse la subvertit proprement » 24, Echappatoire ?
Il semble que ce soit plutôt un refus s’extrapolation philosophique, une
manière de rappeler que le chercheur analyste rejoint le philosophe
— de préférence Hegel — sur le terrain épistémologique. Et là l’ana-
lyste s’efforce de reprendre le dessus en montrant les mirages de l’ima-
ginaire jusque dans le problème de la Vérité : A-t-il voulu essayer jus-
qu’où il pouvait aller trop loin? A ce point d'interrogation — et de
franchisement possible — deux itinéraires s’amorcent en même temps,
en attendant la bifurcation décisive : celui d’une sagesse de l’absence
du sens ; celui d’une théologie négative vers l’au-delà des illusions du
sens.
b) Autres Ecrits
a) S. Freud
b) Divers
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. Dernier paru
APPROCHES DE ROGER CAILLOIS
Dominique Autié Couronné par l’Académie Française
Certaines œuvres, encore mal connues du grand public, détermi-
nent pourtant l'évolution de la recherche, dans l'acception la plus large
de ce mot. Esprit curieux s’il en fut, alliant le classicisme de l'écriture
et l'audace de la pensée, Roger Caillois s’est trouvé au carrefour des
réflexions contemporaines, des recherches et des idées en quête
d’éclatement. Militante des sciences diagonales, son œuvre est à la
fois une question lancinante posée aux scientifiques et aux intellectuels
de tous horizons, ainsi qu'un héritage exemplaire pour tout écrivain.
Ce livre prétend simplement propager une certaine curiosité à l’en-
droit de Roger Caillois. Sa méthode s'inspire de l’échiquier des inter-
rogations et des hypothèses posées par un homme qu'aucune école
ou chapelle ne sut ni ne saura récupérer.
Dominique Autié est l’auteur de nouvelles et de poèmes publiés en
revues, dans des journaux ainsi que dans plusieurs petits livres. Après
avoir été journaliste, ilest maintenant éditeur. Ilrencontra Roger Cail-
lois trois ans avant sa mort. Son projet n'était pas d'écrire une thèse,
mais d'offrir une introduction courte et gourmande, incluant ici et là
des souvenirs personnels. On peut considérer qu'il s'agit du premier
essai réellement consacré à l’ensemble de l’œuvre de Roger Caillois.
1 vol. 13,5 x 21, 160 pages
PRIVAT
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IOIGNER . Ginette RAIMBAULT
(ENFANT L'ENFANT
SYCHOTIQUE ET LA
tait une fois un enfant psychotique, ses parents et MORT
2 petite équipe de psychiatrie infantile dans un dis- «Ces enfants-là» se savent condamnés. Comme
nsaire de secteur. l'adulte, leur souci va à ceux qui resteront. Leur
ist à partir de cette histoire simple qu’une recher- demande estquel'onreste auprès d'euxafin de ne pas
>s'est organisée et qu'a vu le jour un centre de trai- vivre un temps de séparation.
lents ambulatoires intensifs articulés avec les Ce livre ne contient ni recette ni conseil. Mais sa lec-
res instances de la communauté, tout particulière- ture nous apprend que le plus grand dommage pour
ntavec l'école. l'avenir de l'enfant n'est pas la perte d’un parent, mais
inze ans après, l’auteur apporte un premier bilan le fait qu'aucune parole del’ entourage ne soit venue
siqu'une réflexion sur la place respective des acti- lui permettre de nommer l'événement, de le métabo-
is dites de «Maternage» et de la parole interprétante liser et de le faire entrer dans son histoire.
1s un soin à temps partiel. 1 vol. 13,5 x 21, 224 pages. 7
o1. 16 x 24, 326 pages.
lnDOWNING Jean-Claude
lacques FIJALKOW ARFOUILLOUX
ÎRE ET ENFANTS
AISONNER TRISTES
phénomène de la lecture est aujourd'hui mieux Longtemps méconnue, la dépression de l'enfant
|hnu: ses mécanismes d'acquisition, son fonctionne- retient maintenant l'attention de tous ceux qui s'inté-
‘nt mais aussi les raisons de son éventuel disfonc- ressent aux problèmes de l'enfance. «Maladie»
hnement. On peut -etilfaut- doncallerplusloin, d'actualité chez l'adulte, la dépression a plutôt ten-
demander notamment comment l'enfant perçoitles dance àse cacher chez l'enfant, quand ce ne sont pas
ations entre l'oral et l'écrit, s'interroger sur l'effet les adultes eux-mêmes qui la cachent, car sa recon-
8 l'enfant exerce sur son propre apprentissage de naissance peut conduire à des mises en question dou-
acture. Cecientenant compte des facteurs sociaux loureuses pour tous.
sociolinguistiques. Une place importante est faite dans cet ouvrage au
ol. 16 x 24, 222 pages. deuil et à la séparation, avec les problèmes spécifi-
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