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Réseaux

Comment agit la publicité : théories, recherche et implications


créatives
Jean-Noël Kapferer

Abstract
All advertising decisions are based on an implicit theory or at least a model of the advertising influence process. Cumulative
research findings, both from academia and business, cast now a new light on current theories and implicit models. Instead of
searching for the exclusive theory, empirical data and experience suggest that advertising influence mode is not single but
varies from a situation to another situation. Two parameters influence considerably the way advertising works: consumers'
degree of involvement in the product or topic of the communication and the weight of brands in the consumers' decision
process.

Résumé
Toutes les décisions des publicitaires se fondent sur une théorie implicite ou tout au moins sur un modèle des effets de la
publicité. Les recherches sur la publicité, qu'elles soient académiques ou menées dans les milieux professionnels, permettent
d'y voir plus clair sur la validité des théories en cours et des modèles implicites. Plutôt que d'induire une théorie globale, les
données empiriques et l'expérience suggèrent que le mode d'action de la publicité n'est pas unique mais varie d'une situation à
l'autre. Deux paramètres les influencent considérablement : le degré d'implication des consommateurs dans le produit ou dans
le thème traité et le poids des marques dans leurs décisions d'achat.

Citer ce document / Cite this document :

Kapferer Jean-Noël. Comment agit la publicité : théories, recherche et implications créatives . In: Réseaux, volume 8, n°42,
1990. La publicité. pp. 27-41;

doi : https://doi.org/10.3406/reso.1990.1767

https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1990_num_8_42_1767

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COMMENT AGIT LA PUBLICITE

Théories, recherches et implications créatives

Jean-Noél KAPFERER

Réseaux n°42 - CNET - 1 990

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automobile). Ce qui est neuf est que les
résultats des recherches scientifiques
nous permettent désormais d'y voir plus
clair, de rejeter les hypothèses non
corroborées par les faits, d'en conforter
d'autres. Avec le recul du temps, on
peut dire que maintes campagnes
publicitaires ont eu d'excellents effets mais
pour les mauvaises raisons : ces effets ne
semblaient pas découler du processus
d'influence stipulé par la théorie, mais
plutôt d'un autre processus, non prévu
lui par la théorie.
Car la recherche publicitaire -qu'elle
soit fondamentale, académique, en
laboratoire ou appliquée, d'entreprise, en
IL y a un paradoxe de la publicité. On milieu naturel- n'a jamais manqué de
en fait depuis près d'un siècle, en moyens financiers et humains. Les
dépensant des sommes croissantes. On ne enjeux sont tels que chacun trouve normal
compte plus les livres et les manuels de consacrer quelques pour cent des
présentant les techniques et outils dépenses média à l'évaluation de leurs
publicitaires. Grâce aux sondages, aux panels effets. Aussi dispose-t-on désormais
et désormais au scanner, on en mesure d'un corps cumulatif de données
bien les résultats. Pourtant, jusqu'à une exceptionnellement riches. Fort de celles-ci au
date récente, on ne savait pas comment delà du premier objectif de mesure des
la publicité agit. Certes les théories n'ont effets, on a pu évaluer par quel
jamais fait défaut : le psychologue J. processus causal ces effets semblaient obtenus,
Watson, fils spirituel de Pavlov devint quels indicateurs étaient effectivement
patron d'agence de publicité en 1919, et influencés par la publicité, lesquels ne
y appliqua une vision inspirée du l'étaient pas.
conditionnement ; plus tard la publicité fut Le fait qu'une pratique enrichie
dominée par la psychanalyse et conçut efficace ait pu se développer malgré des
son action en termes de motivations, de théories invalides n'est pas une
freins, de pulsions (Dichter, 1961 ; Joan- exception. La médecine a suivi aussi ce
nis, 1965). processus : au fil des siècles on apprit -par
En France, la pensée publicitaire essai et par erreur- quelles plantes
guidée par la sémio tique (Péninou, 1972) soignaient quelles maladies. Il ne manquait
délaissa la question de l'explication des pas de théories ou invocations
effets publicitaires. Quant aux Etats- magiques pour en rendre compte. Mais les
Unis, ils sortent d'une vision cogniti- progrès de la biologie et de la chimie
viste exclusive (Petty et Cacioppo, 1983). n'ont que récemment éclairé les
On ne manqua pas de théories pour processus sous-jacents aux effets constatés.
rendre compte de ce qui ce passe entre L'objectif de cet article est de dresser
un contact publicitaire (la rencontre avec un inventaire de ce que la recherche
un message) et le comportement (l'achat, publicitaire nous apprend et d'en tirer les
le vote, ou le fait de réduire sa vitesse implications pour la pratique. Comme

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nous le verrons, une théorie ne remplace d'une indication quant au sytle que l'on
pas les autres : au contraire, il ressort que souhaite voir respecté par les créatifs ?
la publicité n'agit pas toujours de la La «copy stratégie» est l'outil de base
même façon, que les processus de toutes les campagnes publicitaires.
psychologiques mis en œuvre dépendent de Créée par une agence américaine elle a
certains paramètres repérés et vite été étendue aux autres agences
mesurables. Avant de présenter cette diversité américaines puis à leurs filiales et
nous présenterons le modèle ayant réseaux de par le monde. Ce document a
gouverné implicitement la pratique eu l'immense mérite de professionnali-
publicitaire depuis I960, le modèle de ser la démarche publicitaire en
l'apprentissage. Le concept de «modèle» rappelant que tout investissement répond à
renvoie à une représentation de un seul objectif et que le rôle de la
l'influence publicitaire formalisée mais ne publicité n'est pas de créer des slogans (l'ère
constitue cependant pas une théorie de la réclame) mais de véhiculer un point
complète, et structurée. spécifique et un seul (la promesse).
Implicitement cependant la copy
Une conception dominante : stratégie puise son inspiration dans une
le modèle d'apprentissage conception où la publicité est censée
apprendre quelque chose au public visé
II n'existe pas de méthodes, d'outils (d'où le concept de modèle
a-théoriques. Implicitement, derrière «d'apprentissage»). En effet, la copy stratégie est
chaque méthode publicitaire on trouve un argumentaire : elle précise la
une représentation de la façon dont la promesse et les preuves de ce que l'on avance
publicité est censée agir -consciemment (les supports de cette promesse).
ou non- sur les récepteurs des messages. Le modèle d'apprentissage met
Or, depuis 1960, l'outil dominant de l'accent sur une promesse tangible, des
la publicité est la «copy stratégie» : il preuves ou appuis (par exemple le
s'agit d'une simple feuille, synthétisant témoignage d'un consommateur, un essai
la stratégie retenue pour la campagne de laboratoire, la caution d'une actrice
publicitaire. Ses rubriques sont les de cinéma) et la répétition du message.
suivantes : Puisque la publicité est censée
• quelle est la cible de la campagne ? influencer les choix des consommateurs, quel
(définie en termes est le modèle de choix implicite derrière
socio-démographiques, psychologiques, ou la сору-stratégie classique ? Quelle
comportementaux). représentation se faisait-on de la façon
• quel est l'objectif de la campagne, dont les consommateurs font leurs
qu'attend-on de celle-ci ? choix ?
• quelle est la promesse faite à cette cible La figure 1 décrit ce modèle. Celui-ci,
(ou l'avantage qu'elle retirera de l'usage inspiré des travaux de Fishbein, spécifie
du produit, du service ou du le cheminement par lequel le
comportement recommandé) ? consommateur passe d'une étape de
• quels sont les supports de cette connaissance vague (mesurée par une question
promesse (les preuves, les appuis, les de notoriété), à la formation d'une image
sources de validation de ce qui est avancé) ? (mesurée par les échelles d'image), puis
• quel est le ton de la campagne ? Il s'agit à une attitude (c'est-à-dire une évalua-

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tion affective globale, une 1983). Nous n'en reparlerons pas ici.
prédisposition plus ou moins favorable), une Munis d'attitudes vis-à-vis de chaque
intention d'achat et enfin -si les conditions marque, les consommateurs les
le permettent- un achat effectif. ordonnent pour obtenir un ordre de
Ce modèle est cognitif : il présente la préférence source logique de l'intention
tâchede sélectioncomme résultant d'une d'achat. Si l'achat n'a pas lieu à une date
évaluation des marques (ou candidats à trop éloignée de celle où fut formée cette
l'élection etc..) sur un certain nombre intention, les deux devraient coïncider.
d'attributs. Ces attributs sont variables En revanche, on sait bien que les
en nombre, selon les marchés. Pour intentions d'achat sont d'autant moins pré-
choisir une maison individuelle on dictrices que l'achat se situe dans un
examine plus de 15 attributs, pour choisir délai éloigné. D'autres facteurs locaux,
une moutarde trois ou quatre attributs. en magasin, peuvent empêcher la
Chaque acheteur a ses propres attentes, traduction des intentions en achats
sa propre hiérarchie de critères, ses effectifs.
propres valeurs. Certains mettent en tête • il arrive que la marque désirée ne soit
le prix, d'autres la durabilité, d'autres le pas en magasin, ou soit peu accessible
qu'en dira-t-on. Le consommateur est en rayon ou invisible
pluriel. • il arrive que le consommateur
Grâce à la communication, la découvre sur place une promotion
publicité, la documentation, les vendeurs, le intéressante sur une autre marque
bouche à oreilles, le consommateurs se • il arrive que trompé par la
fait une idée (image) de chaque marque ressemblance extérieure volontaire, il prenne
sur les critères qu'il retient comme une marque de distributeur croyant
pertinents. La promesse publicitaire prendre sa marque recherchée (il
consiste à choisir un de ces critères et à prendra Incoré au lieu de Ricoré par
affirmer ou prouver que la marque est la exemple).
meilleure sur ce critère/attribut. C'est Après l'achat, il s'ensuit une
ce que l'on appelle positionner la expérience de consommation qui va faire
marque (sur un attribut particulier). évoluer l'image de la marque
Ayant par ailleurs sa propre consommée et les attentes elles-mêmes (le poids
pondération des critères, (lesquels sont très des critères).
importants, lesquels le sont peu), le Comme on le voit dans le schéma ci-
consommateur peut alors pondérer après , la publicité pèse sur les choix
l'image de chaque marque par le poids/ finaux à travers une influence sur les
valeur affecté à chaque attribut. De ce déterminants de l'attitude : l'image du
calcul mental inconscient, il résulte une produit (ce qu'il va faire de mieux que
attitude, c'est-à-dire une évaluation les concurrents -la promesse publicitaire-
globale synthétique (j'aime - je n'aime ou ce qu'il apportera de plus- le bénéfice
pas). Il existe de nombreux travaux consomma teur).Danscequ'elledit,
permettant de spécifier par quelle promet, montre, démontre, affirme la
fonction précise le consommateur passe publicité influence les déterminants cognitifs
d'une matrice multi-marques multi-cri- de l'attidude (qu'est-ce que le produit
tères à une note synthétique (Kapferer, va faire pour moi).

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FIGURE 1 : COMMENT LES CONSOMMATEURS FONT-ILS
DES CHOIX ?

NOTORIETE

ATTENTES /
IMAGES SUR VALEUR DE
n ATTRIBUTS CHAQUE ATTRIBUT

ATTITUDE - f (Imago X Attentes)

Intentions d'achat Facteurs exogènes


-délai
- distribution du produit
- rupture de stock
- promotion locale de
Achat produit concurrent
- présence de
contrefaçons ou de
contremarques.
Expérience de
consommation

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Dans cette conception du rôle de la d'affectivité. C'est ce que la recherche
publicité, appelle les «déterminants non cognitifs
• ce que Ton dit est plus important que de l'attitude» (Kapferer, 1984 ; Derbaix
la façon dont on le dit. D'ailleurs, pour et Pham, 1989). Ceux-ci sont inconnus
preuve, la rubrique «ton» dans la copy dans les modèles cognitivistes à la Fish-
stratégie ne reçoit qu'une attention bein comme les représente la figure 1. Ils
limitée et des recommandations vagues du renvoient à des processus
style : ton jeune et dynamique, ton psychologiques oubliés comme le conditionnement,
affectif, ton chaleureux etc. . . les effets affectifs de la familiarité, etc. . .
• puisque le consommateur apprend • Chacun connait la Mère Denis, effigie
des choses (qu'il peut ou non croire), il hélas disparue de la marque Vedette. Sa
importe d'être crédible, car c'est la seule découverte s'inscrivait dans la pure
condition pour que ce qu'on lui dit soit logique du schéma d'apprentissage. Il
effectivement intégré dans l'image qu'il s'agissait de mettre en avant dans la
se fait de la marque ou du produit. Autre publicité les qualités d'essorage et de
conséquence, il est légitime de mesurer rinçage des machines à laver Vedette.
ce que le consommateur a appris de la Pour appui de cette promesse, on
publicité (par le souvenir du contenu de chercha un symbole vivant des qualités
la publicité). d'essorage et de rinçage : une vraie
lavandière dans l'eau dépositaire d'un savoir-
Quelques fait séditieux faire reproduit par Vedette.
La première campagne fut une
Plusieurs résultats de campagnes réussite. Les consommateurs demandaient à
publicitaires ou de recherches sont venu voir les machines de la mère Denis pour
remettre en cause le modèle publicitaire les examiner de plus près, et les
d'apprentissage et le processus de comparer aux machines des autres marques.
décision d'achat auquel il correspond Ainsi cette campagne avait réussi à faire
implicitement. entrer Vedette dans «l'ensemble de
• Lorsque l'on interroge des adultes sur considération» (Chandon, 1989), le petit
les raisons de leur choix par exemple du groupe des marques consultées. En
papier-toilette Lotus (le leader en revanche, à la surprise des publicitaires
France), 53% répondent en disant que à l'origine de la campagne, les études
c'est la marque qu'il préfèrent, ou que montrèrent que les consommateurs
c'est leur marque habituelle, une grande n'avaient pas du tout perçu les
marque, une bonne marque. 46% citent promesses prévues (essorage-rinçage), ni
l'attribut «douceur» et 15% l'attribut aucune autre. Pour eux cette publicité ne
«solidité» (le total fait plus de cent du disait rien de particulier -si ce n'est une
fait de réponses multiples). En d'autres évidence du genre, Vedette est une bonne
termes, une majorité d'interviewés ne marque- mais elle le disait de façon
fondent pas leur attitude vis-à-vis de intéressante. En d'autres termes, l'intérêt
Lotus sur des attributs liés aux suscité avait été produit par la forme
performances du produit. Ils invoquent la plus que par le fond, par la façon de
marque et non le produit. Leur attitude parler, plus que par ce qui était énoncé,
favorable semble se sourcer dans par la sympathie émanant spontanément
d'autres causes qu'une évaluation des de l'émetteur. Cette illustration tranchait
performances/attributs. La marque elle- avec le rôle d'appendice dévolu à la
même a créé un courant de sympathie et rubrique «ton» dans la copy-stratégie.

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Dans le modèle d'apprentissage, les mode par une autre, une théorie par une
facteurs créatifs (style, ton) viennent autre. En matière de recherche, il
faciliter la persuasion, c'est-à-dire la convient d'éviter ce travers. En fait, les
croyance aux promesses publicitaires. résultats de la recherche publicitaire,
Leur effet transite via l'image. montrent que la question «comment la
L'expérience démontrait que les facteurs publicité agit-elle?» n'a pas une réponse
d'exécution publicitaire pouvaient influencer unique. On peut en effet repérer
directement l'attitude vis-à-vis de la plusieurs modes d'influence de la publicité.
marque, sans passer par les attributs liés Ceux-ci dépendent de deux paramètres
aux performances du produit. La essentiels permettant de décrire le
recherche académique en laboratoire a consommateur lorsqu'il rencontre la
confirmé ce constat empirique (Kapfe- publicité sur un produit et une marque.
rer, 1986; Homer, 1990). • quel est son degré d'implication dans
En bref qu'avait-on découvert : que le la catégorie de produit ?
produit n'est pas la marque, (Kapferer et • quelle est sa sensibilité aux marques ?
Thoenig, 1989), donc que l'attitude vis- Ces variables vont profondément
à-vis de la marque ne se nourrit pas affecter l'influence publicitaire. Nous les
exclusivement de l'intégration des présentons ci-dessous.
performances/qualités du produit ou
service. La façon d'être de la marque Deux paramètres-clés : implication
pouvait aussi compter autant que ce qu'elle et sensibilité aux marques
disait sur les produits qu'elle signe. Le
créatif Jacques Seguela érigea ce constat Depuis les premières expériences sur
en dogme en recommandant le les communications persuasives, menées
remplacement de la «copy stratégie» par la à l'université de Yale, on sait que la
«Star Stratégie» (Seguela, 1982). La Star communication a des effets totalement
Stratégie comporte trois rubriques clés : différents selon le degré d'implication
le physique de la marque (on retrouve du public dans le sujet de cette
ici le plus-produit, l'avantage, la communication (Kapferer, 1984). Il en va de
performance du produit) mais aussi la même en publicité : pour certains
personnalité de la marque et le style de la consommateurs la bière est un sujet très
marque. Comme on le voit le but de la important, c'est presque un hobby ; pour
publicité change en emphase : il s'agit de d'autres, c'est un sujet totalement
véhiculer une performance que de bâtir secondaire. Pour chaque catégorie de produit,
un style de marque, dotée d'une forte on peut ainsi repérer des
personnalité. D'où un type de publicité consommateurs pour lesquels ce produit est non-
très spectaculaire, à fort impact (on se impliquant (c'est-à-dire au sens strict
souvient par exemple des campagnes qu'il n'a pas d'implications, de
Citroën Ax sur la muraille de Chine, ou conséquences pour eux : il n'est porteur ni de
par la Cx avec Grace Jones ou pour la satisfactions ni de risque). Pour ce même
Visa décollant d'un porte-avions). produit on peut identifier des
Hélas le produit n'était plus désormais consommateurs ultra-impliqués, d'autres
qu'un accessoire. On était passé à tort modérément impliqués.
d'un extrême à l'autre. L'implication se mesure. Des
Dans le monde de la publicité, chercheurs américains ont développé des
gouverné par la mode et obsolescence échelles unidimensionnelles pour
accélérée, il est de coutume de remplacer une mesurer le degré d'implication des con-

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sommateurs vis-à-vis des produits source (qui parle ? S'agit-il d'un
(Traylor, 1981 ; Vaughn, 1980). En consommateur anonyme témoignant ou
Europe, Kapferer et Laurent ont validé une d'une personne connue ?, le style, la
mesure du profil d'implication des forme générale...). Ainsi en situation
consommateurs dans cinquante marchés d'implication faible dans le produit de
(produits, services, médias, la publicité, les facteurs de forme ont un
consommations culturelles). Le profil cerne en effet double rôle : faire entrer dans le message
et le niveau d'implication général et sa (impliquer dans la publicité) et servir
source : est-ce l'intérêt ? le risque perçu d'indices périphériques de la validité de
dans le produit ? le plaisir lié à la ce message.
consommation ? la valeur-signe ou Le deuxième paramètre-clé de la
ostentatoire de ce produit ? (Kapferer et situation du consommateur est sa
Laurent, 1983, 1985, 1989). sensibilité aux marques. Le concept de
L'implication modifie les effets de la sensibilité aux marques est récent en marketing
publicité parce qu'elle affecte le et publicité : il ne doit pas être confondu
traitement de la publicité par les avec la fidélité à une marque. La fidélité
consommateurs. Ceux-ci étant moins concernés par est un concept comportemental : on
le produit ne regardent pas la publicité observe qu'un consommateur réachète
dans un but de prise de décision, systématiquement la ou les mêmes
d'évaluation des qualités et inconvénients. Ils marques (Jacoby et Chestnut, 1 978). Mais
regardent avec une finalité purement cette fidélité observée peut tenir à des
distractive, quand bien même ils causes mécaniques (c'est la seule
regardent. Ainsi en situation d'implication marque disponible, ou toujours présente, ou
faible vis-à-vis du produit, le problème facile d'accès en rayon ou c'est la seule
essentiel de la publicité n'est plus de marque de prix bas).
convaincre de la différence. Attirer et La sensibilité aux marques (Kapferer
conserver l'attention devient une et Laurent, 1983, 1989) mesure le poids
gageure. En ce cas la consommation n'est de la marque dans le processus de
plus une technique, c'est une conquête. décision du consommateur. Quand il doit
La difficulté est de parvenir à maintenir acheter, ce dernier consulte-t-il
le contact pendant la durée du spot l'information «quelle est la marque ?» ou s'en
télévisé, à maintenir la connexion (Krug- passe-t-il, faisant surtout appel aux
mann, 1986). Comme on le constate, en informations et impressions véhiculées par
implication minimale, le contenu le prix, le packaging, l'étiquette, l'allure
factuel sur le produit n'est appris qu'en du produit. Dans ce second cas la
contrebande, de façon incidente (en marque joue un rôle minimal : après tout il
anglais : incidental learning) et non de faut bien nommer le produit ne fut-ce
façon motivée et focale. que pour se le remémorer, mais tout
La recherche sur le traitement autre signe de remémorisation ferait
l'information (Petty et Cacioppo, 1986 ; l'affaire (par exemple l'emplacement
Kapferer, 1983) démontre aussi que lorsque dans le rayon, la couleur du paquet, un
les spectateurs sont peu impliquées ils logo, un symbole visuel...). Quand la
évaluent la validité d'un message à partir sensibilité à la marque est forte, celle-ci
d'indices périphériques et non à partir est perçue comme bien plus qu'un nom
d'une évaluation critique du fond et de ou un signe sur un produit : la marque
l'argumentaire. Par indices signe le produit et ce faisant elle en
périphériques il faut entendre la nature de la atteste la légitimité, le droit à porter cette

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marque, du fait de ses qualités Le croisement de ces deux variables
objectives et subjectives, visibles à l'œil ou non. (l'implication dans le produit et la
Pour le consommateur insensible aux sensibilité aux marques) permet de spécifier
marques, la marque est transparente, avec précision à qui la publicité s'adresse.
elle n'est qu'un repère mémoriel du Comme le montre la figure 2, dans un
produit. Pour le consommateur sensible marché donné, les consommateurs
aux marques, le produit est opaque et tombent forcément dans l'une des
muet, c'est la marque qui le rend quatre classes définies par les axes
transparent qui en éclaire les vertus en le d'implication produit et de sensibilité aux
marquant de son empreinte. marques :

FIGURE 2 : LES 4 CATEGORIES DE SITUATIONS


DES CONSOMMATEURS

IMPLICATION -PRODUIT
FORTE

FIDELITE REFLECHIE
OU A
NOUVEAUX UNE MARQUE

FAIBLE FORTE
SENSIBILITE SENSIBILITE
AUX MARQUES AUX MARQUES

LES
CONSOMMATEURS FIXATION SUR UNE
DETACHES MARQUE
(FIDELITE PAR HABITUDE)

IMPLICATION-PRODUIT
FAIBLE

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1 ) Le premier quadrant caractérise les se désintéressent de la catégorie de
consommateurs impliqués dans la produit et des marques.
catégorie de produit mais peu sensibles aux Cette classification des cibles en
marques. Il s'agit des personnes qui fonction des deux paramètres qui affectent le
doivent à court terme renouveler l'achat plus la réception et le traitement de la
d'un bien durable, à risque, donc publicité permet de spécifier quatre
impliquant (une automobile, un fonctionnements de la publicité, quatre
magnétoscope). N'ayant pas acheté depuis modes d'action de celle-ci, quatre
plusieurs années, voire môme n'ayant mécanismes d'influence. L'un de ceux-ci est
jamais acheté dans cette catégorie, ils ne le modèle d'apprentissage, déjà
connaissent pas bien ni les critères, ni les présenté en détail ci-dessus. Il reste valable
paramètres à prendre en compte, ni les dans certaines circonstances. Mais dans
protagonistes, les marques. Ils ont tout à les autres, la publicité agit différemment,
apprendre. ce qui on le verra conduit à adopter des
2) Le deuxième quadrant caractérise stratégies créatives fort différentes.
les consommateurs impliqués dans la Avant de les aborder, certains lecteurs
catégorie de produit et très sensibles aux se demandent peut-être comment situer
marques. Pour eux, le produit est très la classification des consommateurs en
important et il est grave de se tromper ; termes d'implication et de sensibilité aux
de plus les marques ont une forte marques par rapport aux classifications
importance à leurs yeux car elles ne recouvrent fondées sur les variables
pas les mêmes qualités objectives et socio-démographiques ou de style de vie. Outre que
subjectives. C'est pourquoi on trouve la validité des mesures de style de vie
dans ce quadrant les acheteurs les plus reste à prouver (Kapferer et Laurent,
attachés à la marque, au point qu'ils 1981 ; Valette - Florence, 1989), les
préfèrent attendre si leur marque n'est variables socio-démographiques ou de style
pas disponible en magasin. C'est de vie ne sont pas situationnelles : on
typiquement l'acheteuse du film Ariel appartient à une classe d'âge ou à un
refusant d'échanger son baril ď Ariel contre type. Les variables d'implication et de
deux barils d'une marque inconnue. sensibilité aux marques saississent la
3) Le troisième quadrant caractérise relation qu'un consommateur entretient
les personnes sensibles à la marque et avec une catégorie de produit donnée
souvent même fidèles sans plus savoir au moment de la rencontre avec la
pourquoi, sans avoir de justification publicité. Ce même consommateur peut
rationnelle forte. Il s'agit d'une entretenir une relation fort différente avec
préférence solidifiée par l'habitude et une autre catégorie de produit. C'est
entretenue par la publicité, presque une dans la spécificité de cette relation fort
fixation. Nous retrouvons là les 53% des différente avec une autre catégorie de
consommateurs préférant le papier produit. C'est dans la spécificité de cette
toilette Lotus, parce que c'est «Lotus». Il ne relation que se situent les clés de
s'agit pas d'une catégorie de produit l'accueil fait à la publicité et les ressorts de
implicante, mais ils restent fidèles à son influence. Selon les quatre relations-
Lotus, la marque les retient, les satisfait types présentées ci-dessus, les chemins
pleinement. de la persuasion n'emprunteront pas le
4) Enfin, le quatrième quadrant même itinéraire, comme nous le verrons
caractérise les consommateurs détachés. Ils ci-après.

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Les modes d'influence et leurs La publicité peut soit valoriser les
conséquences opérationnelles acheteurs en renvoyant d'eux une image
favorable, flatteuse soit fournir un
Le modèle d'apprentissage n'est pas spectacle source de plaisir (et donc de
obsolète. Il concerne le premier reexposition à la publicité), autour du
quadrant : celui des nouveaux acheteurs rappel incessant des points forts de la
d'une catégorie de produit impliquante marque.
ou des acheteurs intermittents de cette
même catégorie. Ces consommateurs ont Le mode d'influence du quadrant 2 :
tout à apprendre et doivent choisir Publicité-» Attitude-» Image-* Achat
bientôt. Ils sont «dans le marché», en phase
de recherche d'information. N'ayant pas La publicité du troisième quadrant
d'expérience dans ces marchés, ils sont vise à créer une relation à la marque,
peu sensibles aux marques car la puisque le produit en tant que tel n'est
marque est une mémoire. Le rôle de la pas une source de mobilisation. Dans ce
communication est ici de convaincre de la quadrant par désir de choisir vite, les
différence. Chaque marque va donc acheteurs se replient sur une fidélité à la
vendre sa différence en la démontrant marque. Le rôle de la publicité est de
publicitairement : chaque marque va créer et d'entretenir cette fidélité à la
spécifier son territoire de marque, c'est- marque. Le ton, le syle de la marque sont
à-dire son champ de compétence et de déterminants dans la création de cet
souveraineté. Qui plus est, quand on «effet de source», cette identité
s'adresse à un public en train d'acheter, séduisante de marque. Une large partie du
en phase de recherche, la marque doit succès prolongé de Lotus (outre le fait
s'appuyer sur un produit spécifique pour qu'à ses débuts en 1965, il offrit un
démontrer sa compétence spécifique. niveau de douceur que les concurrents
Dans ce quadrant c'est le modèle qui parviennent à peine à rattraper), tient au
vend la marque. L'intérêt naît des fameux film publicitaire montrant un
avantages et de la personnalité du produit. petit bébé nu entrant dans le salon en
Le processus de l'influence publicitaire tirant un rouleau (signe aussi de solidité
peut être schématisé ainsi : et de douceur). Ce film dont la durée de
vie atteste de l'absence d'usure a créé un
Le mode d'influence du quadrant 1 : courant de sympathie lié à la marque
Publicité-* Notoriété-* Image-* Attitude- elle-même. Pour compenser la faible
Achat implication liée au produit, la publicité
doit être remarquée. Elle fait émerger la
marque.
La publicité du deuxième quadrant C'est par l'usage du produit que les
s'adresse aux acheteurs fidèles de notre consommateurs prennent conscience de
propre marque, ayant intégré les raisons ses caractéristiques et les intègrent dans
de leur fidélité. La fonction de la leur image. Mais n'ayant la motivation
publicité est de renforcer cet attachement. Il pour le comparer aux autres, beaucoup
ne s'agit plus de démontrer, de ne peuvent déclarer qu'il est bien «le
convaincre mais de récompenser, de rendre plus» doux ou «le plus» solide pour
gratifiante cette adhésion à la marque. reprendre l'exemple de Lotus.

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Le mode d'influence du quadrant 3 Le mode d'influence du quadrant 4
Publicité-* Attitude-* Achat-» Image Publicité—* Notoriété-» Achat-» Réachat (?)

Le quatrième quadrant est celui de La figure 3 synthétise l'incidence des


l'achat d'impulsion. Faute de quatre quadrants sur les mécanismes de
mobilisation liée à la marque ou au produit, ce l'influence publicitaire.
dernier doit être sensationnalisé. Le but Comme toute classification fondée sur
de la publicité est de faire connaître avec une division binaire (forte ou faible
force l'existence du produit et son plus implication et sensibilité aux marques),
pour encourager l'essai immédiat. les cas intermédiaires restent mal
Comme on le constate, on n'attend pas définis. C'est un terrain idéal pour les
que le consommateur acquière une futures recherches sur les modes d'influence
image et une attitude avant l'achat. En de la publicité.
fait c'est l'essai qui lui permettra de se
faire une image. Le rôle de la publicité
est de mobiliser, de donner envie
d'essayer, par un coup d'éclat.

FIGURE 3 : MODES D'INFLUENCE PUBLICITAIRES

FORTE IMPLICATION
PRODUIT

IMAGE ATTITUDE
IMAGE

ACHAT CHAT
FAIBLE SENSIBILITE FORTE
AUX
MARQUES SENSIBILITE
AUX MARQUES

PUB
IMAGE
ATTITUDE

ACHAT
ACHAT

FAIBLE
IMPLICATION
PRODUIT

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REFERENCES

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