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Centre d’Etudes et de Recherches sur l e

Droit International général et les droits de


l’Homme
(CERDIH)

Le sceau de l’Excellence international !

CADI
Cahiers Africains de Droit International

REVUE MENSUELLE DE PUBLICATION EN DROIT


INTERNATIONAL

No 022 – Avril 2022

N° ISSN : 2630-1377

03 BP. 7104 Ouagadougou / Burkina Faso


infocerdih@gmail.com

I
II
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Professeur Saidou Nourou TALL
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Professeur Dieunedort NZOUABETH

COMITE DE LECTURE
Professeur Abdoulaye SOMA
Professeur Valérie SOMA
Professeur Ousseni ILLY
Docteur Vincent ZAKANE
Docteur Clarisse MERINDOL
Docteur Ervé DABONE
Docteur Liliane SANOU
Docteur Alexis NAGALO
Docteur Yann Marius SOMA
Monsieur Germain Dabiré
Monsieur Abass KINDA
Monsieur Casimir YONLI
Madame Dorcasse Marie-Charles SANOU

COMITE DE REDACTION
Professeur Abdoulaye SOMA
Madame Niniodouba Adeline KAHOUN
Madame Fanny Laetitia GUIBLA
Monsieur Fouré Akim A.D. HEMA
Monsieur Gaston Olivier SOME

III
IV
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LES CADI DU CERDIH

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Le Directeur de Publication
Pr. Abdoulaye SOMA
Professeur titulaire

VI
SOMMAIRE

DOCTRINE

LA TERRITORIALITE DU DROIT PENAL AU PRISME DE LA


CYBERCRIMINALITE
Amadou SOW (Université des sciences juridiques et politiques de Bamako / Mali )…….……………1

DE LA SECURITE JURIDIQUE A LA PERFORMANCE ECONOMIQUE DU DROIT


UNIFORME : CONTRIBUTION A LA RECHERCHE D’UNE COMBINAISON
NORMATIVE ADAPTEE A L’ECONOMIE AFRICAINE
Mamadou DIAWARA (Université des sciences juridiques et politiques de Bamako / Mali) …………25

LA JUSTICE EN AFRIQUE À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE : CONTRIBUTION À SON


EFFICACITÉ PAR L’INTÉGRATION DE NOUVEAUX PARADIGMES
KABADIANG Épse ENGONO Clémentine et EDI DONAL KUATE GNOWA (Université de
Douala / Cameroun) …………………………………………………………………………………………..…49

LA VICTIME DES CRIMES INTERNATIONAUX DEVANT LA COUR PENALE


INTERNATIONAL
NGAFFO Nadine (Université de Dschang / Cameroun) …………………………….………………...…69

MONDIALISATION ET DROIT DE LA DÉCENTRALISATION TERRITORIALE


DANS LES ÉTATS D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE
NGUENA DJOUFACK Arsène Landry (Université de Dschang / Cameroun) ……………….......…99

LES CONTRAINTES D’ACHEMINEMENT DE L’AIDE HUMANITAIRE EN


PÉRIODE DE CONFLITS ARMÉS
TCHOUBAN TCHANGA Deville (Université de Yaoundé II Soa / Cameroun) ………………...…131

JURISPRUDENCE

COUR DE CASSATION, CRIMINELLE, CHAMBRE CRIMINELLE,


9 septembre 2008, 07-87.281, Inédit……………………………………..………………...………...…153

LEGISLATION

Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité,
26 novembre 1968
(Organisation des Nations Unies,) ……………………………………………………………...……...….157

VII
VIII
LA JUSTICE EN AFRIQUE À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE : CONTRIBUTION À SON
EFFICACITÉ PAR L’INTÉGRATION DE NOUVEAUX PARADIGMES

Par

KABADIANG Épse ENGONO Clémentine*


Docteur en Droit Public - Enseignante-Assistante à l’Université de Douala
Et
EDI DONAL KUATE GNOWA
Doctorant à l’Université de Douala

Résumé
À l’image du droit, le numérique s’invite dans la vie quotidienne. A l’évidence, ses effets
modifient les mœurs et génèrent de nouvelles pratiques. Désormais, les technologies numériques placent
la justice en Afrique au cœur des débats notamment en ce qui concerne les transformations nécessaires
pour assurer et renforcer son efficacité. La solution de la modernisation de la justice en Afrique par les
TIC n’est pas acquise. Comment donc améliorer l’administration de la justice en Afrique par l’entremise
du numérique ? Dans cette réflexion, on s’attèle à répondre à cette interrogation suivant deux approches :
une première envisage l’extension des mécanismes classiques de justice en Afrique à l’univers du
numérique alors que la seconde appelle à l’instauration de la technique de la visiojustice comme forme
bénéfique de comparution.

Mots clés : Afrique - dématérialisation- justice – tribunaux-visiojustice.

INTRODUCTION

« La technologie sera le principal vecteur de [changement sur les professions juridiques].


Et à long terme, nous n’aurons ni le besoin, ni le souhait que les professionnels travaillent de
la même manière qu’au XXe siècle ou auparavant »1.
Richard et Daniel SUSSKIND

La question de l’accès à la justice constitue en tout temps une préoccupation majeure pour
les démocraties dans le monde et singulièrement celles d’Afrique qui galopent encore. Il faut
indiquer que la justice est un indicateur essentiel qui témoigne de l’État de droit dans un pays.
La justice, c’est le pain du peuple qui ne s’en lassera jamais2. C’est témoigner à quel point le

*
Mode de citation : KABADIANG Épse ENGONO Clémentine et EDI DONAL KUATE GNOWA, « la justice
en Afrique à l’ère du numérique : contribution à son efficacité par l’intégration de nouveaux paradigmes », Revue
CADI, n° 022 / Avril 2022, p. 49-67

1
Traduction en version française de la citation ci-après : Traduction française de la citation suivante :
« Technology will be the main driver of this change. And, in the long run, we will neither need nor want
professionals to work in the way that they did in the twentieth century and before »: Richard SUSSKIND. et Daniel
SUSSKIND, The Future of the Professions: How Technology Will Transform the Work of Human Experts, 2015.
Oxford University Press.
2
[ https://www.proverbes-francais.fr/citations-justice/], consulté le 28 février 2022.

49
peuple est épris de justice. Pour éviter ainsi la justice privée, il est crucial que les individus
puissent accéder aux tribunaux car comme le relève René Cassin : « il faut que l’accès du
prétoire soit relativement aisé pour les justiciables… c’est là une condition d’une bonne justice
»3. Par l’expression droit d’accès à la justice, il faut entendre « le droit pour toute personne,
physique ou morale, d’accéder à un tribunal pour y faire valoir ses droits et obtenir une
décision de justice »4. C’est un droit fondamental qui jouit d’une double protection, nationale
(à travers les textes pertinents de chaque État) et internationale5. En tout état de fait, il est clair
que le droit d’accès à la justice est une donnée cardinale dont la garantie incombe aux États6.
Inscrite dans une dynamique de démocratisation progressive, l’Afrique a mis sur pied un
ensemble de mécanismes visant à garantir et à renforcer l’efficacité de l’accès à la justice à ses
citoyens. Les mesures engagées vont de l’aide juridictionnelle en passant par l’aide d’accès au
droit qui renvoie en une politique de consultation et d’assistance juridique établie par
l’ensemble des professions judiciaires.
Toutefois, il convient de noter que tous ces moyens s’avèrent insuffisants car la demande
de justice est de plus en plus en grande et de plus en plus pressante 7. Pour répondre à ces
demandes qui ne cessent de s’accroître, tenant compte des grandes lenteurs du fonctionnement
du système judiciaire africain, au regard de la révolution fulgurante engagée par le digital, il
appert aujourd’hui qu’aucune quête d’efficacité de la justice en Afrique ne saurait ignorer
l’apport considérable du numérique. Le XXIe siècle, marquée par l’évolution fulgurantes des
technologiques numériques a conduit à des progrès incroyables dans nombre de secteur ce qui
renforce l’idée de s’y appuyer pour davantage dynamiser et moderniser la justice en Afrique.
Les crises particulières comme celle de la pandémie du covid 19 interpellent davantage sur la
nécessité d’accélérer le processus de transformation de la justice en Afrique en tirant profit des
bienfaits des avancées technologiques.
Dans un ouvrage8, les professeurs SUSSKIND soulignaient déjà l’influence du digital
dans l’univers du droit. Ils analysaient les conséquences de l’informatique sur les avocats
américains et théorisaient les éventuelles évolutions que ces derniers pourraient être amenés à
connaître9. La révolution numérique a quasiment touché tous les secteurs d’activités y compris
le droit et son impact peut se ressentir au niveau des professions juridiques et judiciaires et
même au niveau du justiciable.

3
Réné DEGNI-SEGUI, « L’accès à la justice et ses obstacles », Verfassung Und Recht in Übersee / Law and
Politics in Africa, Asia and Latin America 28, no 4, 1995, pp. 449–67.
4
Lexique des termes juridiques, Dalloz, Ed. 2019.
5
Cf. art. 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’art. 14 § 1 du Pacte International relatif aux
droits civils et politiques du 19 décembre 1966, art. 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
6
Ayouba OUATTARA, « l’accès à la justice à l’épreuve du numérique », Les cahiers du CRJFC-
Coll. « Travaux » -05, 2019-2020, p. 6.
7
Ayouba OUATTARA, Ibid, p. 7.
8
Richard SUSSKIND OBE / Richard Éric SUSSKIND, The End of Lawyers? , Oxford University Press, 2008,
303 pp.
9
Bertrand CASSAR, La transformation numérique du monde du droit. Droit., thèse, Université de Strasbourg,
2020, p. 2.

50
À l’image du droit, le numérique s’invite dans la vie quotidienne ; ses effets modifient les
mœurs et génèrent de nouvelles pratiques10. Comme le soulignait le professeur Pierre CATALA
en ce sens, « L’informatique, comme le droit, infiltre tous les capillaires de la vie sociale. Mais
leurs réseaux de diffusion ne sont pas séparés comme ceux de la lymphe et du sang. Bien au
contraire, l’informatique et le droit se mêlent chaque jour davantage dans des canaux
communs. La première paraît désormais vouée à susciter de nouvelles règles dans toutes les
branches du second […] »11. Une intégration raisonnable des technologies numériques dans la
gouvernance de la justice ne s’opérer sur la base d’une organisation inadaptée. Il est donc
nécessaire de clarifier les missions et responsabilités des divers pouvoirs et autorités dont relève
les institutions judiciaires africaines. Tel n’est pas l’objet de la présente analyse qui, ne se
penchant pas de ces questions institutionnelles, se propose de rechercher comment la justice
africaine pourrait se réformer par l’innovation technologique. Il n’est donc guère question ici,
ni de s’attarder sur la nécessité et les contenus d’éventuelles réformes judiciaires en Afrique, ni
de proposer les mesures propres à régler les difficultés de fonctionnement actuelles du système
judiciaire africain.
La question centrale qui émerge de cette étude est celle de savoir : comment est-ce que la
gouvernance de la justice en Afrique peut être organisée pour soutenir et renforcer une justice
efficace par l’entremise des technologies numériques ?
Le fil conducteur de cette contribution est d’examiner en quoi le numérique peut être une
aubaine pour moderniser les juridictions africaines, de manière à répondre aux attentes des
personnes (physiques ou morales) qui entendent recourir à la justice. La réflexion fournit ainsi
des orientations en vue de renforcer l’efficacité de la justice en Afrique par l’introduction du
numérique. Il s’agit pour y parvenir de procéder à une adaptation des mécanismes traditionnels
d’administration de la justice et l’aménagement d’outils innovants devant concourir à renforcer
l’efficacité souhaitée.
L’analyse, sous-tendue par le positivisme sociologique sous le prisme de la pluralité
juridique, procède d’une approche par les textes nationaux et régionaux africains pertinents en
matière d’organisation judiciaire se combinant avec le recours à la casuistique et une esquisse
de droit comparé procédant de la référence par analogie aux bonnes pratiques des droits
étrangers en matière d’administration judiciaire.
Il s’agira de rechercher en quoi les technologies numériques peuvent améliorer la
satisfaction de ses usagers africains. Il serait judicieux aux fins d’optimiser le rendement de la
justice en Afrique, de procéder d’abord à une extension des mécanismes classiques de la
gouvernance de la justice au digital (I), avant de définir des outils innovants devant davantage
contribuer à améliorer le fonctionnement de la justice en Afrique en s’appuyant sur le
numérique (II). Il s’agirait par ces nouveaux paradigmes, d’éviter que les demandeurs de
prestations judiciaires, renoncent à tout procès, ou recourent, lorsqu’ils le peuvent, à d’autres
systèmes de justice, éventuellement privés, soit enfin à être contraints de s’adresser à une

10
Idem.
11
Pierre CATALA., Le droit à l’épreuve du numérique, Jus Ex Machina, 1re Ed., Paris, Puf, coll. « Droit, Éthique,
Société », Puf , Paris, 1998, 345 p.

51
institution qu’ils jugent impropre à satisfaire utilement leurs besoins et à l’égard de laquelle ils
sont généralement très critiques.

I. LE RENFORCEMENT DES PROCÉDÉS CLASSIQUES DE LA JUSTICE EN


AFRIQUE PAR LEUR EXTENSION AU NUMÉRIQUE

L’idée de renforcement12 des procédures judiciaires classiques de la justice s’affirme avec


force tant les bouleversements générés par le numérique sont patents 13 . Il urge alors de
reconsidérer la répartition de l’offre de justice14. Ce qui conduit à revisiter les notions classiques
convoquant non seulement la proximité des juridictions, mais aussi la comparution des parties,
la présence des avocats et la publicité du procès entre autres. Toutes choses qui impliquent la
souscription à une procédure singulière.
En droit, une procédure15 appelée aussi procédure juridique est polysémique. Elle désigne
soit l’ensemble des formalités nécessaires à la validité d’un acte ; soit l’ensemble des démarches
à suivre pour mener à bien une action en justice. Dit autrement, la procédure est la succession
des actes nécessaires, à l'introduction, à la mise en état, aux débats et aux délibéré des juges et
à l'exercice des recours jusqu'à parvenir à l'exécution des décisions qu'ils ont rendues 16. La
spécificité diffère selon le type de juridiction. On parle alors de procédure administrative, civile
et pénale devant une juridiction éponyme.
Il est certain que le droit accorde une importance capitale à la procédure à telle enseigne
que le non-respect de ses règles est appelé vice de procédure.
Bien que la démarche 17 consistant à établir les standards de garanties minimum de
l’institution judiciaire d’un État démocratique et celle visant à rechercher les attentes
qualitatives des demandeurs d’un service juridictionnel convergent, il existe bien une différence
entre ces deux approches. Dans un cas, il s’agit de répondre aux attentes légitimes des citoyens,
dans l’autre, de satisfaire au plus près les besoins des usagers potentiels, c’est-à-dire des
consommateurs de services particuliers que sont les « services judiciaires », à savoir l’ensemble
des prestations offertes par les organes publics chargées de résoudre les conflits de toute nature
entre les personnes. Ce n’est donc plus discutable que la reformation des procédures judiciaires
classiques passe prioritairement par l’introduction des téléprocédures (A) ; laquelle ne doit être
en marge d’une humanisation de la justice numérique (B).

12
Ledy Rivas ZANNOU, « La justice numérique : réalité, crainte et projection », Lex-Electronica n°26-2 2021,
Dossier Spécial, p. 4.
13
Ayouba OUATTARA, L’accès à la justice à l’épreuve du numérique, Les cahiers du CRJFC – coll. « travaux
» - 05, 2019-2020, p. 7.
14
Ledy Rivas ZANNOU, « La justice numérique : réalité, crainte et projection », op.cit.
15
Serge BRAUDO, Dictionnaire du droit privé, en partenariat avec Baumann Avocats Droit informatique,
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles, 1992-2022, [https://www.dictionnaire-
juridique.com/index.php].
16
Ibid.
17
Institut Montaigne, Justice : faites entrer le numérique, Institut Montaigne, Rapport novembre 2017, p. 31.

52
A. La reformation 18 des procédures judiciaires classiques par l’introduction des
téléprocédures

« Les téléprocédures consistent en un échange dématérialisé d’informations entre les


autorités publiques et leurs partenaires et les usagers. Elles présupposent l’existence de
techniques de numérisation et de dématérialisation » 19 . Dans l’esprit de l’auteur, si la
numérisation désigne la transformation de documents papier en documents électroniques, le
plus souvent par le biais d’un scanner 20 , la dématérialisation quant à elle, signifie que les
documents circulent sous forme exclusivement électronique21. On perçoit de manière claire la
différence qui existe entre numérisation et dématérialisation 22 . En tout état de cause, les
téléprocédures permettent de mettre en œuvre une administration électronique. À l’évidence, et
cela vaut la peine d’être mentionné, si la numérisation des procédures (1) s’impose à l’ère
numérique, il faudrait encore que la dématérialisation des dossiers judiciaires (2) n’en soit point
un nœud gordien.

1. La numérisation des procédures


Nul ne peut douter du constat criard de la numérisation 23 poussée qu’imposent l’ère
numérique 24 et la pandémie à corona virus 25 . Animo et corpore 26 , l’effet boomerang du
numérique 27 entraine un bouleversement des standards organisationnels existants 28 . Une
transformation de masse qui génère des comportements nouveaux chez les entreprises qui se
numérisent 29 , les organisations humaines se numérisent 30 , les hommes et les femmes se
numérisent, bref, l’État31 se numérise.
De manière générale, la numérisation consiste à créer, à partir d’un document original au
format papier, une copie numérique qui sera accessible et exploitable en ligne. En clair, « la
numérisation désigne la transformation de documents papier en documents électroniques, le
plus souvent par le biais d’un scanner » 32 . Si donc le numérique 33 définit un univers

18
Institut Montaigne, Justice : faites entrer le numérique, op.cit, p. 41-49.
19
Stéphane DERLANGE et Antoine ERRERA, « Dématérialisation des procédures - L’essor des téléprocédures
judiciaires en France et à l’étranger : vers la justice de demain », JCP G, 2008, doctr. 224.
20
Ibid.
21
Ibid.
22
François DE BERNARD, L’Homme post-numérique face à la société de surveillance générale, Essai, Ed. Yves
Michel, 2015, pp. 23-26.
23
Le basculement des activités vers le numérique.
24
François DE BERNARD, op. cit. pp. 63-68.
25
Pandémies ayant pris de l’ampleur au Cameroun vers Février 2020.
26
Par l’esprit et par le fait, Roland (H.) & Boyer (L.), Locutions latines du droit français, 4 e Edition, Litec, Paris
1998.
27
Surtout avec l’avènement de la crise sanitaire mondiale à corona virus en 2020.
28
François DE BERNARD, Ibid., pp. 63-68.
29
Le basculement des représentations physiques à celles numériques.
30
Olivier ITEANU, Quand le digital défie l’Etat de droit, Eyrolles 2016, pp. 10-11.
31
De nos jours, on parle de la gouvernementalité du numérique, de la cyberadministration etc.
32
Stéphane DERLANGE et Antoine ERRERA, op. cit.
33
Olivier ITEANU, Quand le digital défie l’Etat de droit, Eyrolles 2016, p. 183.

53
d’informations, il est surtout « un espace » où vivent des « êtres numérisés »34, qui, loin d’être
des chiffres, sont des personnes réelles, des citoyens d’un État X à l’origine, qui peuvent
désormais prétendre à un droit d’accès à la justice numérique35. Pour cause, « l’ère numérique,
c’est pour chacun, la liberté d’expression. C’est l’accès à une conscience planétaire, à la
condition de citoyen du monde… »36.
Il appert donc que la viabilité de la numérisation des procédures induit l’implication des
mesures technologiques de facilitation procédurale 37 . Pour preuve, depuis la crise sanitaire
mondiale à corona virus, une série de mesures sont prises pour permettre le fonctionnement du
système judiciaire. Au nombre de ces mesures, on peut citer la reconnaissance de la validité
d’une assermentation au moyen de la signature électronique38, la communication électronique
des actes de procédure, la gestion électronique des procédures et la numérisation des dossiers
judiciaires etc.
S’il est vrai que l’Afrique a déjà consenti pour l’aménagement d’un cadre juridique des
technologies de l’information rendant possible l’apposition de la signature électronique sur tout
type de support, il reste que cette pratique relative à l’assermentation à distance au moyen de la
signature électronique mérite d’être davantage renforcée. À n’en point douter, cette nouvelle
position du droit garantira la continuité du service public de la justice en dépit de l’émergence
de toutes crises mondiales restreignant considérablement l’accès aux palais de justice. Au
surplus, cela contribue par la même occasion à la réalisation du projet de transformation
numérique de la justice. Cette mesure n’est pas anodine même s’il est vrai, qu’elle ne saurait à
elle seule, faciliter l’accès à la justice.
Un autre aspect non négligeable est la délocalisation du greffe. Il justifie la mise en place
du greffe numérique judiciaire permettant aux acteurs judiciaires et intéressés, d’accomplir
certaines procédures en ligne. Ainsi, les modalités de saisine devront être indiquées afin de
mettre une barrière aux potentielles déviances 39 . Bien encadrée, cette pratique facilitera
certaines procédures.
Si dans le cadre de la numérisation des procédures, il n’existe aucune plateforme de
saisine et de communication entre les justiciables et l’administration de justice, il est évident,
que le projet s’avère incomplet. De la sorte, l’institution du télérecours s’impose. À

34
François DE BERNARD, L’homme post-numérique face à la société de surveillance générale, Éd. Yves Michel
2015, « Numériser, c’est mettre des nombres à la place des émotions, des idées, des actes », p. 64.
35
Ayouba OUATTARA, L’accès à la justice à l’épreuve du numérique, op.cit., pp. 11 et s.
36
François DE BERNARD, « L’homme post-numérique face à la société de surveillance générale », Préface de
Mayor Zaragoza (F), Éd. Yves Michel 2015, p. 9.
37
Ledy Rivas ZANNOU, « La justice numérique : réalité, 46 crainte et projection », Lex-Electronica, n°26-2 2021,
Dossier Spécial, p. 4.
38
Félix ONANA ETOUNDI, « La cyber justice au service des opérateurs africains et arabes : état du contentieux
civil africain », Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires - Pratique Professionnelle N° Spécial IDEF - Mars 2014,
p. 4. « Il est pertinent à ce propos de souligner que le nouvel Acte uniforme OHADA sur le Droit Commercial
Général opère une avancée notable puisqu’il admet la signature numérique et le transfert numérique de données
dématérialisées, promeut les modes de communication dématérialisés et accepte la preuve électronique ».
39
Au Québec, la saisine numérique du greffe est possible pour le dépôt d’un cautionnement en matière criminelle
ainsi que le dépôt d’un acte de procédure et de paiement des frais judiciaires auprès de la Cour supérieure et de la
Cour.

54
l’observation, le télérecours se présente tel un recours opéré par voie numérique, plus
précisément, par l’Internet. Il s’opère par le biais d’une application web. Pour une accessibilité
globale, il doit être gratuit à l’effet de permettre aux justiciables de se connecter à travers un
protocole https.
Le but étant de faciliter l’échange dématérialisé des requêtes, des mémoires et des pièces
de procédure devant les juridictions administratives et judiciaires. Comme dans la plupart des
sites web ou applications, l’identification dans une application ou un site web de télérecours
vaudra signature de la requête jusqu’à notification de désistement si besoin en était.
Au total, cette transformation numérique de la justice et de la société africaine pose
diverses questions juridiques et sociétales, qu’il s’agisse du droit applicable aux outils
numériques, de la protection des droits fondamentaux 40 mais aussi de la redéfinition de la
fonction du juge sans omettre de manière non exhaustive, la possible déshumanisation de la
justice du fait de la technique purement inclusive. Au-delà de la numérisation des procédures,
il faudrait encore dématérialiser les dossiers judiciaires.

2. La dématérialisation des dossiers judiciaires


Cela devrait-il en être autrement ? La transformation41 numérique soumet la justice à un
changement profond de ses modes de fonctionnement42. À l’observation, la dématérialisation
renvoie à la circulation des documents sous forme exclusivement électronique 43 . Dans la
perspective de lisibilité et d’accessibilité de la justice, la numérisation des dossiers judiciaires
est une étape cruciale du projet de transformation numérique de la justice44. À ce jour et au
meilleur de notre connaissance, elle n’est pas encore opérationnelle en Afrique.
Toutefois, l’avènement du dossier judiciaire numérique permettra de faciliter la prise de
connaissance de l’évolution des dossiers judiciaires et rendra disponible l’information
juridique. Toutes choses qui concourent à l’accès à la justice et renforcent le sentiment de
justice45 chez le justiciable. Au-delà de la digitalisation des procédures, celle du procès aussi
participe à l’accès à la justice. En substance, elle ambitionne de rendre la justice plus
accessible46, plus rapide, plus efficace et même plus transparente.

40
Entre autres la liberté d’expression, la liberté d’entreprendre, le droit à la vie privée, le droit à l’oubli, à la
propriété et l’exploitation des données, le droit d’auteur etc.
41
Ledy Rivas. ZANNOU, « La justice numérique : réalité, 46 crainte et projection », Lex-Electronica.org n°26-2
2021, Dossier Spécial, p. 5 et s.
42
François DE BERNARD, L’Homme post-numérique face à la société de surveillance générale, Essai, Ed. Yves
Michel, 2015, pp. 23-26.
43
Stéphane DERLANGE et Antoine ERRERA, « Dématérialisation des procédures - L’essor des téléprocédures
judiciaires en France et à l’étranger : vers la justice de demain », JCP G 2008, doctr. 224.
44
Ayouba OUATTARA, « l’accès à la justice à l’épreuve du numérique », op. cit, pp. 11 et s.
45
Jean-François ROBERGE, « Le sentiment de justice. Un concept pertinent pour évaluer la qualité du règlement
des différends en ligne ? », Rev. Jurid. Sorbonne 2020.1.5-21.
46
Ayouba OUATTARA, « l’accès à la justice à l’épreuve du numérique », op. cit, pp. 11 et s.

55
Elle offre à n’en point douter, la possibilité d’une dématérialisation totale des procédures
administratives, civiles et pénales. De même, elle fera évoluer en profondeur les systèmes
d’information de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire en Afrique.
Malgré cet enthousiasme, on ne saurait manquer d’interroger la maturité du droit africain
en la matière. Cela dit, le droit en Afrique est-il suffisamment mûr pour envisager tout projet
de dématérialisation ? Il s’agit là d’une question pertinente qui convoque l’idée de renforcement
de la règlementation y relative. Car, une véritable dématérialisation doit répondre à des exigences
juridiques47 . Il s’agit entre autres du respect de la réglementation en vigueur concernant les
documents électroniques. Encore faudrait-il qu’elle existe et surtout de manière tacite ; si non,
l’enjeu de son renforcement s’impose. Polyanna BIGLE recommande non seulement la
prudence mais surtout le respecter de la réglementation en vigueur concernant les documents
électroniques. À côté de cela, même s’il existe certaines exigences spécifiques à certains
secteurs, l’auteur affirme qu’ « il est nécessaire de suivre le droit de la dématérialisation mais
aussi certains droits connexes qui ne s’appliquaient pas au papier, comme la sécurité des
données, la sécurité des données à caractère personnel et qui génèrent beaucoup de
traitements ».
Si dans certaines administrations, la digitalisation des métiers oblige, en sorte que le « 0
papier » ou le « paper less » est en passe de devenir une réalité, telle n’est pas l’ambition de
cette étude. Car, à la vérité, le « devoir de dématérialisation » s’impose comme renfort
d’efficacité et d’efficience à la procédure classique. Cela pourrait être le cas en Occident mais
un casse-tête chinois en Afrique tant le niveau et l’accès technologique restent encore
globalement précaires48. Il n’est donc point de complexe de convenir avec Polyanna BIGLE sur
le fait que le droit de la preuve électronique a cédé la place au droit de la dématérialisation et
de l’archivage électronique. Seulement, et cela vaut la peine d’être mentionné, si tout semble
aujourd’hui dématérialisé49, il reste que tout n’est pas dématérialisable.
In fine, sans exclure l’idée de son plein essor technologique, plusieurs paramètres
empêchent encore à l’Afrique d’opter exclusivement pour la dématérialisation.
Par ailleurs, l’ambition dans cette étude, prévoit une action générale en matière de
contentieux. Parce que le numérique s’impose de par sa technique, il s’avère primordial de
mettre sur pied un système informatique adéquat, lequel devra s’inspirer des normes légales sur
le traitement automatisé d’informations nominatives concernant la gestion de l’ensemble des
activités contentieuses de la Cour Suprême, des cours d’appel et des tribunaux. Il appert de la

47
Polyanna BIGLE lors du Salon Documation sur les exigences juridiques de la dématérialisation.
Spécialiste de la gestion de projets de dématérialisation, Polyanna Bigle, avocate et directeur du
département Sécurité des systèmes d’information et Dématérialisation au sein du cabinet Lexing Alain
Bensoussan avocats, a présenté le cadre juridique à respecter en la matière lors de la 24e édition du Salon
Documentation et Data Intelligence Forum (Salon du management, de l’information et des processus
documentaires) qui s’est tenu du 20 au 22 mars 2018 à Paris Expo, Porte de Versailles, à l’invitation du
Magazine Archimag.
48
Félix ONANA ETOUNDI, « La cyber justice au service des opérateurs africains et arabes : état du contentieux
civil africain », Revue de l’ERSUMA : op.cit., p. 5.
49
Signature numérique, facture et bulletin de paie dématérialisés, lettre recommandée électronique, identification
numérique des transactions internationale etc.

56
sorte que le système devra comme dans d’autres législations, être ouvert à tous et pour tout type
de contentieux (administratif, civil, ou pénal). Il devra consister à enregistrer les principales
données de la procédure relatives aux coordonnées des parties, à l’état d’avancement du dossier
contentieux, notamment. Ce système permet de donner des indications précieuses aux parties
et aux magistrats sur le déroulement d’un dossier contentieux devant les juridictions
administratives.
Il s’agit alors de mettre sur pied est une application web, gratuite, à laquelle on se
connecte à travers un protocole https et qui permet l’échange dématérialisé des requêtes, des
mémoires et des pièces de procédure devant les juridictions administratives, civile ou pénale.
Tout comme dans la justice classique, la qualité à agir doit primer. De la sorte, les personnes
concernées doivent avoir un droit d’accès direct aux informations les concernant auprès du
procureur de la république saisie du dossier. Il faut relever que la création par le ministère de
la justice, dans chaque juridiction, d’un traitement de numérisation des procédures 50
administratives, civiles ou pénales aura pour but de faciliter et d’améliorer le traitement des
dossiers, d’accélérer et fiabiliser la transmission des dossiers pénaux entre les juridictions ainsi
qu’aux personnes concourant à la procédure, notamment les avocats.
Suivant le même registre, les catégories d’informations enregistrées, leurs destinataires,
leur durée de conservation ainsi que les mesures de sécurité mises en place doivent être définis
par voie règlementaire. En somme, la communication électronique des actes se réalise au moyen
de deux procédés classiquement admis à savoir : la notification et la signification 51 . Les
préalables concernent la mise en ligne d’un formulaire de consentement. L’acception des
conditions d’utilisations donne droit à la numérisation des décisions, la disponibilité de l’état
d’avancement du dossier, l’alerte des mises à jour de l’affaire et la réception d’un rappel de
convocation entre autres. À côté de cela, la justice numérique doit être humaine.

B. L’humanisation de la justice numérique

Dans l’optimisation des résultats en vue de la satisfaction des consommateurs-usagers des


services judiciaires, il existe un réel rapport entre la qualité de justice voulue 52 , la qualité
attendue53, la qualité réalisée54, la qualité ressentie55 et la qualité des relations entre le juge et
les parties. Il s’agit à l’évidence, de la garantie du droit à un procès équitable et aussi du droit à
une justice de qualité.

50
Félix ONANA ETOUNDI, « La cyber justice au service des opérateurs africains et arabes : état du contentieux
civil africain », op.cit., p. 6.
51
Serge GUINCHARD et Thierry. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques 2017-2018, 25e Ed., Paris,
Dalloz, 2017. La notification est la formalité par laquelle un acte extrajudiciaire, un acte judiciaire ou un jugement
est porté à la connaissance des intéressés. La signification quant à elle est la formalité par laquelle un plaideur
porte à la connaissance de son adversaire un acte de procédure (assignation, conclusions) ou un jugement. Elle est
toujours effectuée par un huissier de justice et délivrée au lieu où demeure le destinataire, à son lieu de travail, le
cas échéant à son domicile élu.
52
S’entend ici du niveau de qualité que l’organisation souhaite atteindre.
53
S’entend ici des attentes des destinataires.
54
S’entend ici du niveau d’atteinte de la qualité voulue.
55
S’entend ici de la satisfaction des bénéficiaires.

57
Au regret de la technique robotique, la transformation numérique de la justice ne doit pas
se faire au détriment des principes fondamentaux structurants l’administration de la justice et
garantissant les droits humains. En substance, il est recommandé aux gouvernements respectifs
que les technologies d’apprentissage des machines soient conçues, développées et utilisées dans
le respect des droits fondamentaux de la personne et des principes relatifs des renseignements
personnels comme la transparence, la responsabilité et l’équité. D’où l’importance de
l’institution d’une haute autorité du numérique. En tout état de cause, l’introduction des
technologies numériques doit contribuer au respect à un procès équitable (1) suivant les règles
de transparence (2).

1. Le respect du droit à un procès équitable et humain


L’emphase sans l’ambages, est mise sur l’abandon de la justice robotisée qui véhicule
l’idée d’une justice56 rendue par des algorithmes ou des machines hors de tout contrôle humain.
Dit autrement, l’introduction des téléprocédures ne souscrit guère au remplacement des
juges par des machines. De la sorte, la technologie se présente tel un moyen qui participe à
l’optimisation de l’administration de la justice.
En effet, il convient de rappeler que le droit à un procès équitable obéit à des règles variées
suivant les systèmes de justice. Ce faisant, quelques-unes jugées pertinentes pour une saine
transformation numérique de la justice seront mentionnées ici. Primo, l’implémentation de la
justice numérique doit veiller au respect du droit d’accès à un tribunal numérique de tous les
justiciables 57 . Cela suppose que les procédures digitalisées soient accessibles et facilement
actionnables à l’effet d’éviter que le fossé se creuse davantage entre les justiciables et la justice.
Il s’agit là d’un véritable challenge pour l’Afrique tant il est vrai l’accessibilité des TIC demeure
pour la majorité des pays africains, précaire. Mais faut-il pour autant désespérer ? Non ! Cet
espoir passe donc par l’éducation des justiciables aux TIC avec l’organisation des séminaires,
la formation du corps judiciaire à l’utilisation des TIC ; mais aussi à l’institution d’une haute
autorité du numérique.
Par ailleurs, il faut garantir la disponibilité de l’assistance juridique ou d’un avocat en
ligne. En effet, pour assurer la défense de leurs intérêts, le demandeur et le défendeur peuvent
ou doivent avoir recours à un avocat en ligne, du moins, si besoin en était. Dans les normes,
pour assurer la défense des parties par un avocat, la justice offre des garanties. En effet, le
défendeur assigné en justice dispose d’un délai suffisant pour trouver un avocat ; pour que
l’avocat puisse préparer la défense de son client. De même, les personnes démunies bénéficient
de l’aide juridictionnelle : le recours à l’avocat est gratuit, un seul pour chaque partie. De même,
les personnes qui ne connaissent pas d’avocat et ne réussissent pas à en trouver se voient
attribuer un avocat commis d’office. Tout cela, doit être disponible en ligne.

56
Antoine GARAPON et Jean LASSEGUE, Justice digitale : révolution graphique et rupture anthropologique,
Paris, Puf /Humensis, 2018, pp. 19-165.
57
Le déplacement de lieu où se rendra désormais la justice doit être repensé de manière à ce que le changement
spatial n’induise encore un éloignement de la justice.

58
Deuxio, il faudrait qu’en toutes circonstances, le principe du contradictoire soit respecté.
Cela ne devrait en aucun cas poser un blocage tant les moyens de communication en vidéo
groupes ou vidéoconférences sont désormais possibles du moment où on a une très bonne
connexion internet. Tout réside donc dans l’organisation de la tenue du principe de
contradictoire.
Tertio, il est important de garantir l’impartialité et l’indépendance des juges. Il faudra
transcender la crainte suivant laquelle « [la] justice [numérique sera] une justice avec moins
d’interactions humaines » 58 . À l’évidence, la technique ne saurait effacer ce principe tant
l’innovation technique est en elle-même intelligente pour se rendre compte des complexités
interrelationnelles qui structurent l’administration de la justice. Naturellement, conçus par les
hommes, les sites ou applications numériques se sauraient mépriser l’intervention humaine dans
le procès judiciaire mais également les différentes symboliques de la justice.
In fine, la force de la technique n’est formulée que par la force de l’homme ; donc,
contrôlée par l’humain.
Au total, la justice 3.059 ne doit pas se mettre en place « en dehors » et « contre » les
hommes. Il s’agit de garantir un contrôle humain des processus automatisés. Pour cela, il
faudrait défier le mythe du remplacement des juges par des programmes algorithmiques en
déterminant clairement les rôles ainsi que les cadres d’intervention des parties prenantes. Ce
faisant, dans cette construction, les algorithmes doivent être pensés comme des outils d’aide à
la décision au même titre que le recours aux expertises censées éclairer la décision60 qui n’ont
pas vocation à supplanter le juge dans la prise de décision. Au surplus, le respect d’un droit à
un procès équitable et humain doit se soumettre à l’exigence de transparence.

2. Le respect de l’exigence de transparence


Par mesure de transparence, la numérisation et la dématérialisation doivent être encadrées
par la réglementation en vigueur. De la sorte, toute juridiction en ligne devra rendre facilement
accessible, dans un langage clair, des renseignements sur les politiques et les pratiques qu’elle
a mises en place.
À l’observation, il s’agit non seulement de la description du type de renseignements
personnels qui relèvent d’elle mais aussi de l’explication générale de l’usage auquel les
renseignements personnels sont destinés, y compris la façon dont la juridiction applique les
exceptions à l’obligation d’obtenir le consentement d’un individu si besoin en était.
Elle doit aussi expliquer de manière générale, l’usage qu’elle fait des systèmes
décisionnels automatisés pour faire des prédictions, formuler des recommandations ou prendre
des décisions qui pourraient avoir une incidence importante sur les individus concernés.

58
Adrien VAN DEN BRANDEN, Les robots à l’assaut de la justice : l’intelligence artificielle au service des
justiciables, Bruxelles, Bruylant, 2019, p. 115.
59
Ibid.
60
Emmanuel JEULAND, « Intelligence artificielle et justice : une approche interhumaniste », « in » Alexandre
BENSAMOUN et Grégoire LOISEAU (dir.), Droit de l’intelligence artificielle, Paris, LGDJ, 2019, pp. 208-213.

59
L’enjeu est tellement énorme qu’elle doit aussi renseigner sur les potentielles
répercussions raisonnablement prévisibles sur la vie privée du fait qu’elle effectue ou non des
transferts ou des communications de renseignements personnels interrégionaux ou
internationaux. Il s’agit aussi d’éclairer sur la manière de présenter une demande de retrait de
renseignements personnels ou une demande d’accès aux renseignements personnels ainsi que
les coordonnées d’affaires de l’individu à qui les demandes de renseignements et les plaintes
peuvent être acheminées.
Le principe de transparence algorithmique implique que les personnes concernées
devraient être informées si elles interagissent avec des applications de l’intelligence artificielle
et ont le droit de connaître le raisonnement qui sous-tend les opérations de traitement des
données qui les concernent. Ceci devrait inclure les conséquences de ce raisonnement. Il en
résulte donc que l’algorithme doit être mis à nu pour faire prévaloir le droit à un procès
équitable. De la sorte, cela implique une obligation d’information et d’explicabilité. En cette
occurrence, dès lors qu’il serait possible d’automatiser certaines instances voire la prise de
décision, il deviendra impérieux de valoriser le principe d’explicabilité. À priori, les
cheminements conduisant à la prise de décision d’un algorithme sont explicables. En
conséquence, il est donc possible d’expliquer étape par étape, comment et pourquoi
l’algorithme a privilégié une telle solution au profit d’une autre. Ainsi, le justiciable peut
parcourir les recettes de l’algorithme pour se convaincre du bien-fondé de la démarche ayant
conduit à la décision61.
Cependant, cette exigence d’information et d’explicabilité ne doit pas s’entendre comme
une mise à la disposition du justiciable des lignes de code source puisque cela ne lui sera
d’aucune utilité. Il est plutôt question de rendre explicable dans un langage clair et accessible
la logique 62 sous-tendant sa démarche. En ce sens, l’exigence est relative au caractère
facilement assimilable de l’explication donnée ainsi qu’à la capacité du destinataire à réagir à
ladite explication.
Ce qui concourt à la transparence effective. Seulement, dans l’esprit de cette étude, il
n’est point question d’une justice de l’intelligence artificielle. Il s’agit a contrario, de la
célébration du couple justice et technologie,63 d’une justice renforcée à travers l’usage humain
des TIC.
Toutefois, si les procédés classiques de la justice sont renforcés par l’introduction des
téléprocédures, il faudrait encore qu’un aménagement adéquat prenne corps, dans l’optique de
booster l’efficacité de la justice en Afrique.

61
Bien que la notion de transparence soit développée au regard du juge robot - auquel nous ne croyons pas -, nous
empruntons à l’auteur son argumentation et l’entendons ici uniquement dans le sens de l’aide à la décision du juge
et des procédures judiciaires automatisées
62
Ibid.
63
Ledy Rivas ZANNOU, « Le couple justice et technologies : lune de miel ou lune de fiel ? », 2019, 24 Lex
Electron. 1-21.

60
II. L’AMÉNAGEMENT D’OUTILS INNOVANTS DEVANT BOOSTER
L’EFFICACITÉ DE LA JUSTICE EN AFRIQUE : L’INSTAURATION DE LA
VISIOJUSTICE

La notion de visiojustice ne fait pas l’objet d’une définition particulière tant elle n’est une
réalité prise en compte par tous les États. Plusieurs autres notions sont ou peuvent être utilisées
pour décrire la même réalité que la visiojustice : certains parlent de videojustice64et d’autres de
visioconférence auquel il peut être ajoutée les notions de cyber procès, procès virtuel, procès
numérique, Visio procès etc. Il peut être possible d’entendre par la notion de visiojustice, un
mécanisme de comparution par lequel les technologies numériques sont utilisées dans des
circonstances particulières et visant à régler des différends judiciaires.
Originellement, l’idée d’un recours à la visiojustice tenait à remédier à la barrière de la
distance qui ne permettait pas aux justiciables situés dans des localités très éloignées d’accéder
à la justice. Ça été notamment le cas en France où le recours au cyber procès visait à répondre
à la particularité de certains territoires distants notamment les juridictions d’outre-mer65.
Par une ordonnance datant du 20 août 199866, il était prévu qu’en cas d’indisponibilité à
la venue du magistrat assurant le remplacement du président du tribunal, l’audience pouvait
quand même être présidée par ledit magistrat depuis une autre localité du territoire français par
la technique de la communication audiovisuelle67.
Le recours à la visiojustice dans l’espace judiciaire français s’est accru au début des
années 200068 à la faveur de la loi du 15 novembre 2001 qui l’a officiellement intégrée dans le
Code de procédure pénale français69. Cet exemple français témoigne clairement du fait que
l’utilisation de la visioconférence dans les procès permet une réduction des coûts et une célérité
accrue des procédures judiciaires70. La visiojustice s’apparente ainsi à une technique efficace
pour conduire à bien une « politique managériale de la justice » 71 car en plus d’être un
instrument, elle est un modèle innovant de comparution.
Si ce modèle de justice tend à s’étendre dans plusieurs régions du monde (Europe,
Amérique du Nord en occurrence), tel n’est pas encore le cas dans la grande majorité des États
africains qui ne saisissent qu’à peine les grandes avancées du numérique. L’instauration des
cyber procès en Afrique viendrait assurément désengorger ses légendaires lenteurs judiciaires

64
Jérôme LEBORNE, « La vidéojustice : la justice pénale à l’ère de la vidéo », Cahiers Droit, Sciences &
Technologies. [En ligne], 13 | 2021, URL : [http://journals.openedition.org/cdst/4202], (consultée le 02 février
2022).
65
Idem.
66
Ord. n° 98-729, 20 août 1998, relative à l’organisation juridictionnelle dans les territoires d’outre-mer et les
collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, JO n° 193, 22 août 1998.
67
Cf. art. L.513-4 du Code de l’organisation judiciaire français. Voir Laurence DUMOULIN, Christian LICOPPE,
« La visioconférence dans la justice pénale : retour sur la fabrique d’une politique publique à la fin des
années 1990-2010 », Les Cahiers de la justice 2011, n° 2, p. 29.
68
Cf. Loi. n° 2001-1062, 15 nov. 2001, relative à la sécurité quotidienne, JORF, n° 266, 16 nov. 2001, texte n° 1.
69
Cf. art. 706-71 CPP.
70
Jérôme LEBORNE, « La vidéojustice : la justice pénale à l’ère de la vidéo », op.cit.
71
Laurence DUMOULIN, « La visioconférence dans le procès pénal : une solution pragmatique devenue le
vecteur d’une politique managériale de la Justice », Dr. pénal, 2018, n° 6, entretien 5.

61
mais contribuerait davantage à renforcer l’accès à la justice partout et pour tous. C’est une
approche qui favoriserait également à renforcer sinon parfaire le chantier démocratique en
Afrique.
Toutefois, il importe d’être réaliste et se rendre compte que l’instauration de la technique
des Visio procès en Afrique commande que des préalables soient observés (A) afin de garantir
un déploiement effectif de ce modèle de justice innovant (B).

A. Les préalables à l’instauration de la visiojustice en Afrique

Il faut dire d’entrée qu’une meilleure approche du processus d’intégration des cyber
procès en Afrique nécessite qu’au préalable une autopsie de l’état des lieux puissent être faite.
Il s’agit précisément de mesurer l’évolution de l’usage des technologies de l’information et de
la communication (TIC) en Afrique par la couverture Internet et son usage, la circulation
appropriée de l’information ; il s’agit également d’apprécier l’existence de règles de régulation
ou d’encadrement des procès virtuels. C’est une lapalissade que de reconnaitre que d’une
manière générale, l’application des TIC aux processus de résolution des différends judiciaires
est encore à l’état embryonnaire dans la majeure partie des États africains.
Toutefois, il faut indiquer que l’Afrique n’en demeure pas moins étrangère en matière de
justice numérique. À en croire de Mohamed ABDEL WAHAB, la situation n’est pas si
catastrophique qu’on pourrait le penser72. En effet, il existe en Afrique un cadre régulateur et
des infrastructures appropriées 73 . Le pourcentage d’accès ou de possession d’un ordinateur
personnel est en hausse constante en Afrique avec un taux de croissance de 10% en moyenne74.
On observe tout aussi une réduction progressive de la « fracture numérique et digitale » entre
les pays africains et les pays occidentaux. De nombreux autres facteurs témoignent de cette
propension du Continent à émerger et à s’arrimer progressivement vers la justice numérique75.
Pour parvenir à une généralisation de l’offre de cyberjustice en Afrique et par là
l’introduction de la technique de cyber comparution, deux grands prérequis doivent être
satisfaits. Il s’agit avant tout de faire face aux entraves techniques (1) dans un contexte africain
caractérisé par une divergence de pénétration des TIC (internet notamment) au sein d’un même
territoire ; il s’agit par la suite d’encadrer le recours à cette forme de computation (2).

1. Les préalables d’ordre technique à l’instauration de la visiojustice en Afrique


Les réseaux de télécommunications en général et internet en particulier sont devenus
incontournables dans quasiment tous les secteurs de la société.

72
Félix ONANA ETOUNDI, « La cyber justice au service des opérateurs africains et arabes : état du contentieux
civil africain », op. cit, p. 3.
73
Ibid.
74
Ibidem.
75
Plusieurs États africains s’inscrivent dans une perspective de cyber justice. C’est le cas de l’Afrique du Sud qui
a institué deux projets majeurs en matière de résolution des conflits en ligne ; c’est également le cas de l’Égypte
et de la Tunisie qui sont très prometteurs dans ce sens.

62
Ainsi, les TIC ont impacté les secteurs social, économique mais également juridique. La
justice numérique va donc de pair avec une justice simplifiée, plus lisible et plus rapide. Elle
est alors perçue comme une condition nécessaire à la modernisation de la justice. La
dématérialisation de certaines données véhicule l’idée d’un accès à une justice plus rapide,
efficace et transparente. Aujourd’hui, une très grande majorité des tribunaux africains obéissent
encore aux procédures classiques or l’apport du numérique dans cet espace contribuerait à
améliorer le rendement des systèmes judiciaires africains.
L’intégration du paradigme nouveau de la visiojustice qui procède d’une forme de
comparution et donc de justice semblerait être l’un des piliers majeurs de la réforme des
systèmes judiciaires africains qui garantirait la transparence et les droits fondamentaux des
justiciables76.
Toutefois, il faut se rendre compte que plusieurs défis sont à relever pour pouvoir accéder
pleinement à la Cyber justice en Afrique d’une manière globale et pourvoir mobiliser le
mécanisme des cyber procès. Il faut reconnaître qu’il existe un fossé numérique relativement
déjà grand en Afrique et l’instauration de la vsiojustice, si elle intervenait actuellement,
risquerait d’aggraver la situation si on n’y prend pas des mesures de son effectivité technique
en amont.
Au rang des préalables techniques à observer pour parvenir à la mise en œuvre des procès
numériques, on peut relever :
➢ Satisfaire aux exigences d’une grande couverture du réseau électrique et Internet car la
conduite d’un procès par visioconférence nécessite une connexion internet haut débit
pour suivre le déroulement du procès jusqu’à son terme. Les fournisseurs d’accès à
Internet devraient s’atteler à améliorer la qualité de leur couverture réseau afin de
garantir la tenue d’un procès (en ligne) fluide et sans interruption. Les États africains
ont également leur part de responsabilité dans cette tâche. Ils doivent veiller à œuvrer
pour limiter au maximum les fractures numériques existants au sein de leurs territoires.
Le tout étant de garantir à tout justiciable, personne physique ou morale la possibilité
d’accéder à la justice numérique.
➢ Aménager des services de gestion des affaires portées à l’attention des tribunaux. Il
s’agit de développer des applications intelligentes chargées de prendre en compte
l’ensemble du processus en ligne (interface dépôt des plaintes, interface pour joindre
les pièces demandées, interface de suivi de la procédure etc.) ; bref, il s’agit de
développer les aspects techniques nécessaires à la viabilité d’un procès en ligne. Les
pays ayant une expérience sur la question pourraient aider les autres à intégrer une telle
initiative du point de vue purement technique. C’est dans cette voie que s’inscrit
l’accord passé entre le Maroc et le Rwanda (pour 5 années) dont l’objectif affiché est
de renforcer leur coopération à travers l’échange d’information et des compétences,
l’amélioration de l’administration du système judiciaire par l’entremise du numérique.

76
Stéphane MEUNIER, « La mise en place d’un tribunal numérique », IEDJA, août 2018, disponible à l’interface
officiel de l’IEDJA : [https://iedja.org/la-mise-en-place-dun-tribunal-numerique-au-maroc/], (consulté le 02
février 2022).

63
Il serait donc avantageux pour tous les États africains de promouvoir davantage leur
coopération en l’étendant à l’aspect de leur système judiciaire dans le sens de
l’institution de la vsiojustice.
➢ Assurer la sécurité des données. Il est essentiel que les informations mises en ligne
soient protégées afin de garantir les droits des justiciables car les hackers n’hésiteront
pas à s’attaquer à ce système de justice numérique. Aussi, il est important que les
procédures restent confidentielles et que les décisions de justice gardent leur
authenticité. Les systèmes informatiques des tribunaux doivent avoir un niveau de
sécurité élevé pour prévenir d’éventuelles cybercrimes. À cet effet, on doit recourir aux
services d’experts informatiques spécialisées en cybersécurité.
➢ De former les différentes parties (y compris les justiciables) prenantes sur le
fonctionnement des cyber procès et l’utilisation des outils techniques qui vont avec.
➢ De préserver le caractère humain de la justice. La perspective d’une « Justice
numérique » suscite néanmoins des craintes : crainte que les échanges numériques se
substituent aux échanges physiques (la Justice sans audiences), ou crainte que les outils
d’intelligence artificielle se substituent au travail des juges (recours aux délibérés
électroniques, aux algorithmes) par exemple.
Il faut répondre à ces inquiétudes, sans se priver d’outils intéressants, mais en réaffirmant
des exigences fondamentales, que ce soit en matière d’échanges entre acteurs du procès, de
travail juridictionnel, ou d’open data et d’intelligence artificielle77.
Les conditions techniques à la mise en œuvre du mécanisme des cyber comparutions
réunies, il conviendrait des satisfaire aux prérequis d’ordre juridique.

2. Les préalables d’ordre juridique à l’instauration de la visiojustice en Afrique


Comme le décriait à juste titre l’étude du Pr Jean YADO TOE, l’accès à la justice est
lacunaire au Burkina78. Cette observation est autant valable pour le Cameroun, le Soudan, le
Niger et pour beaucoup d’autres pays africains. La justice en Afrique est lente, coûteuse, et
parfois peu accessible au justiciable79.
Il faut reconnaitre que l’instauration de la technique de visioprocès en Afrique suggère
nécessairement une modification et une adaptation de certaines normes qui encadrent les
pratiques juridiques. En effet, l’intégration de cette technique dans le secteur de la justice est
très complexe en raison du grand nombre de procédures et la diversité des tribunaux .
L’instauration de la visiojustice doit donc reposer au préalable sur une base juridique qui fixe
les modalités de son déploiement. C’est sur cette base que le Royaume du Maroc a entamé une
démarche législative (avant-projet de loi) en vue d’instituer le tribunal numérique.
Entre acteurs du procès, la numérisation devrait être plus un outil de facilitation. Devant
les juridictions, le numérique facilitera la saisine et la mise en état des dossiers permettant aux

77
Sébastien VERCLYTTE, « Les prérequis du tribunal numérique », op.cit.
78
Félix ONANA ETOUNDI, « La cyber justice au service des opérateurs africains et arabes : état du contentieux
civil africain », op.cit., p. 6.
79
Ibid.

64
acteurs de concentrer le débat sur l’essentiel : modalités de saisine facilitées (procédure
simplifiée, outils interactifs) ; mise en état numérique ; la facilitation de l’accès au dossier
pourrait poser la question des droits différenciés entre les justiciables et leurs représentants
compte tenu du principe de confidentialité des échanges entre ces derniers. Le numérique
pourrait offrir de nouvelles modalités d’échanges à l’audience, mais ne conduira pas à la
disparition de celle-ci : le numérique affectera d’abord ce qui relève de la procédure écrite, mais
aura aussi à terme un impact sur ce qui relève de l’oral (procès-verbal d’audition,
enregistrement des audiences etc.) ; il faudra prendre garde aux risques du « verbatim »80 sur
la dialectique des échanges.
La visioconférence permet de limiter les déplacements et donc les contraintes imposées
aux justiciables, mais il faudra veiller à la qualité des échanges.
Il appert que l’intégration de la visiojustice comme mode de comparution en Afrique
impose que les législateurs puissent légiférer sur la question afin d’intégrer cette technique dans
les codes de procédure pénale. Cette mesure instituée viendrait définir les conditions concrètes
de déploiement de celle-ci.

B. Les situations de déploiement de la visiojustice en Afrique

Dans l’optique de préserver les droits fondamentaux des justiciables, le recours à la


vsiojustice doit être limité et les législateurs africains doivent y veiller lors la préparation
d’éventuelles modifications des codes pertinents devant intégrer le mécanisme de la cyber
comparution.
La Visio audience doit donc être mobilisée prioritairement dans des situations
particulières (1) avant de procéder à sa généralisation (2) pour les besoins d’économie en
moyens humains, pour briser la barrière de la distance et limiter les contraintes diverses liées à
l’extradition.

1. La mobilisation de la vsiojustice en circonstances exceptionnelles


La vsiojustice dans sa conception n’entend aucunement remplacer la justice physique.
L’idée était de moderniser la justice par un procédé plus simple, pratique et renforcer l’efficacité
de la justice. Cette vision vaut également pour l’Afrique. La vsiojustice n’est donc pas un
substitut de la justice physique ; c’est la raison pour laquelle les conditions de son déploiement
doivent respecter les droits des justiciables mais surtout doivent être limitées à des situations
exceptionnelles. Le recours à la cyber audience doit ainsi être un procédé particulier pouvant
être sollicité quand la comparution physique n’est pas possible. Ainsi, seule une nécessité
impérative devrait justicier son déploiement.
La crise de la pandémie de covid 19 est un indicateur fort qui justifie le recours à ce
procédé. En effet, cette pandémie a contraint les États africains comme la plupart d’autres États
dans le monde à prendre une série de mesures conservatoires qui limitaient significativement
les mouvements des individus. Il est clair que dans de telles circonstances, le fonctionnement

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Reproduction mot pour mot d’un discours, [https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/verbatim/ ].

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des institutions serait ralenti ; c’est ce qui justifie le fait que l’usage des réseaux de
télécommunications a explosé. Il a été instauré le télétravail mais limitativement à certains
secteurs, la justice étant resté intacte en Afrique.
Ce genre de situation justifie à suffisance la nécessité d’instaurer pour assurer et renforcer
l’efficacité de la justice en Afrique, la technique de la visiojustice dont les avantages ont été
largement relevés.
D’un autre côté, la condition personnelle d’une des parties ou d’un témoin peut justifier
le recours au procès virtuel. En cas de maladie ou d’infirmité, le juge peut décider de recourir
à la visioconférence dans le cadre d’un procès. Ça été le cas en France avec un témoin qui se
déplaçait en fauteuil roulant81 et d’un autre en âge très avancé82. Dans les deux cas ci-relevés,
les juges avaient estimé que ces deux personnes étaient par leur condition fragiles et que ces
conditions constituaient des circonstances particulières qui justifiaient le recours à la
visioconférence pour assurer leur intervention.
L’indisponibilité de l’une des parties ou des témoins peut également justifier la
mobilisation de la visiojustice. Ce critère a été retenu dans une affaire impliquant un haut
dignitaire des Émirats arabes unis83 relativement à une indisponibilité résultant d’un emploi du
temps particulièrement chargé.
En clair, le recours aux technologies audiovisuelles dans le cadre de la tenue d’un procès
nécessite une analyse contextuelle, où les tribunaux dégagent plusieurs critères jurisprudentiels
qui pourraient d’ailleurs devenir normatifs par l’adoption des nouvelles règles.
Si la visiojustice est pensée initialement pour répondre à des contraintes particulières
diverses, il se trouve qu’aujourd’hui, sa généralisation s’avère inévitable et nécessaire.

2. La généralisation du recours à la visiojustice


Tenant compte de la vitesse exponentielle avec laquelle évolue les technologies
numériques, il est nécessaire de s’y accommoder en adoptant des approches nouvelles. La
visiojustice ne saurait être aujourd’hui que limitativement utilisée car elle pourrait contribuer
de multiples manières à renforcer l’état de la justice en Afrique. Ainsi, la visiojustice peut être
utilisée non seulement pour entendre les témoins, parties civiles et experts, mais aussi
l'ensemble des parties. Ainsi, lorsque les nécessités d'une enquête ou de l'instruction le
justifient, l'audition ou l'interrogatoire d'une personne ainsi que la confrontation entre plusieurs
personnes peuvent être effectués en plusieurs points sur l’ensemble des territoires des pays
africains aux moyens de télécommunications garantissant la confidentialité de la transmission.
Il pourrait alors être dressé, dans chacun des lieux, un procès-verbal des opérations qui y ont
été effectuées.
En cas de nécessité résultant de l'impossibilité pour un interprète de se déplacer,
l'assistance de l'interprète au cours d'une audition, d'un interrogatoire ou d'une confrontation
peut également se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunications. Dans les mêmes

81
Cf. affaire Poitras c. Maison André Viger (1994) inc., préc., note 23, par. 5.
82
Cf. Krygier c. Krygier, 2012 QCCA 1152, par. 4.
83
Cf. Affaire Gameday Leadership Management Consultants Inc. c. Kirdy, préc., note 25, par. 13.

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conditions, la présentation aux fins de prolongation de la garde à vue peut être réalisée par
l'utilisation des technologies numériques.
Ces mesures pourraient également être applicables pour l'exécution simultanée, sur un
point des territoires des pays africains et sur des points situés à l'extérieur, de demandes
d'entraide émanant des autorités judiciaires étrangères ou des actes d'entraide réalisés à
l'étranger sur demande des autorités judiciaires africaines.
Si la visiojustice peut être désormais instaurée et utilisée en Afrique pour des situations
juridiques et judiciaires très diverses, la généralisation de ce dispositif devrait s’effectuer
toutefois dans une direction bien particulière qui est celle de l’utilisation de la visiojustice pour
la comparution des détenus.
En clair, les avantages offerts par la visiojustice sont tels que les États africains doivent
être amenés non seulement à l’encadrer mais aussi à prévoir son extension à d’autres aspects
de la justice en occurrence, les cyber auditions (détenus, témoins) les cyber interrogatoires etc.

CONCLUSION

Phénomène irréversible dans l’histoire des institutions, le numérique a promulgué sa loi


et s’est imposé en tant que tel. Ce n’est donc plus discutable. S’il est vrai que l’accès aux TIC
en Afrique demeure une préoccupation majeure tant le niveau d’urbanisation technologique se
veut précaire, il serait prétentieux de ne pas voir que le numérique bouleverse les standards
organisationnels existants. De la sorte, tout projet de modernisation voire d’optimisation de
l’institution judiciaire en Afrique, commande de souscrire à l’école du numérique. À l’évidence,
il ne s’agit point d’un mariage sans réserve, en ce que la technique, on le sait, a sa logique. Il
s’agit de tirer profit des avantages liés à cette nouvelle technique de performance judiciaire. De
toute évidence, l’équilibre entre la recherche des attentes légitimes de citoyens et la satisfaction
au plus près, des besoins d’usagers potentiels, nécessite une mobilisation à la hauteur pouvant
maîtriser les vagues et contre-vagues du phénomène numérique. In fine, du renforcement des
procédés classiques de justice à l’aménagement des outils innovants pouvant booster cette
justice, l’introduction des téléprocédures en Afrique n’a pas vocation à déshumaniser la justice.
Loin d’être exhaustive en la matière, l’ambition de cette étude à présenter les nouveaux
paradigmes indispensables à l’efficacité de la justice en Afrique méritait d’être posée.

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