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REVUE MENSUELLE

RIDSP

REVUE INTERNATIONALE DE DROIT


ET SCIENCE POLITIQUE
International Journal of Law and Political Science

ISSN : 2790 - 4830

R.I.D.S.P, Vol. 3, N°6 – Juin 2023


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Revue Internationale de Droit et Science Politique


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COMITE SCIENTIFIQUE
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Pr Victor – Emmanuel BOKALLI
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur, Université de Ngaoundéré ;

Pr. Najet BRAHMI


Professeur, Université de Tunis El Manar ;

Pr Athanase FOKO
Professeur, Université de Ngaoundéré ;

Pr. Eric DEWEDI


Agrégé des Facultés de Droit, Université de Parakou

Pr. Loth Pierre DIWOUTA AYISSI


Maître de Conférences, Université de Yaoundé II;

Pr. Thomas CLAY


Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne, (Université Paris 1),
Avocat au barreau de Paris ;
Pr. MOKTAR ADAMOU
Agrégé des Facultés de Droit, Université de Parakou ;
Pr Maturin NNA
Professeur, Université de Ngaoundéré ;
Pr. Marie-Colette KAMWE MOUAFFO
Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;
Pr. Jean Pierre CLAVIER
Professeur, Université de Nantes ;

Pr. Guy Florent ATANGANA MVOGO


Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;

Pr. Victorine KAMGOUI KUITCHE


Maître de Conférences HDR, Université de Ngaoundéré ;

Pr. Nadège JULLIAN


Agrégé des Facultés de Droit, Professeur, Université Toulouse 1 Capitole ;

Pr Serge Patrick LEVOA AWONA


Agrégé des Facultés de Droit, Professeur, Université de Ngaoundéré ;

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Pr Emmanuel D. KAM YOGO


Professeur, Université de Douala ;

Pr Emilia ONYEMA
Professor, SOAS University of London;
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Pr Aron LOGMO MBELECK
Professeur, Université de Douala ;
Pr Maurice KOM KAMSU
Maître de Conférences, Université de Maroua

Pr VOUDWE BAKREO
Agrégé des Facultés de droit, Université de Ngaoundéré ;

Pr Ramses AKONO ADAM


Agrégé des Facultés de Droit, Université de Ngaoundéré ;

Pr Michel Aristide MENGUELE MENYENGUE


Maître de Conférences, Université de Douala ;

Pr. Sandie LACROIX-DE SOUSA


Maître de Conférences HDR, Université d’Orléans ;

Pr Nicolas Junior YEBEGA NDJANA


Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;

Pr Fred Jéremie MEDOU NGOA


Maître de Conférences, Université de Douala ;

Pr. MFEGUE SHE Odile Emmanuelle épouse MBATONGA


Maître de Conférences,Université de Yaoundé II ;

M. Maxime KALDJONBE
Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA ;

M. SABABA MAGAZAN
Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA et Juge
d’instruction près le Tribunal Militaire de l’Adamaoua ;

M. David YINYANG
Magistrat, Substitut du Procureur près les Tribunaux d’Instance du FARO à POLI ;

Mme Sandrine DATSE


Avocate au Barreau de Paris, Conseil Adjoint devant la Cour Pénale Internationale.

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COMITE DE REDACTION

Rédacteur en Chef Rédactrice en Chef Adjointe


Dr. Timothée MANGA BINELI Dr. Calice Cléopatre MAINIBE TCHIOMBE
Université de Yaoundé II. Université de Ngaoundéré.
Responsable en charge de la propriété intellectuelle : Dr. Job NZOH SANGONG
Coordonnateurs des rubriques
Coordonnateur rubrique Science Politique
Dr. Georges Francis MBACK TINA
Coordonnateur rubrique Droit Coordonnateur rubrique English Law
Dr. El-Kader Kadjoum ALI ABDEL Dr. Waraï Michael TAOYANG

Membres :
Dr. Josué DIGUERA Dr. Elie SAPITODEN
Dr. Alice TOUAIBA TIRMOU Dr. Franklin Kennedy ASSONJI FONGUE
Dr. Job Didier BAHANA Dr. WILLARBANG ZUINSSA
Dr. Eloi BAKARY Dr. YAOUBA HAMADOU A.
Dr. Gérard Müller MEVA’A Dr. Alexis BAAYANBE BLAMA
Dr. Sadjo ALIOU Dr. Ibrahima HALILOU
Dr. Joceline Gaëlle ZOA ATANGANA Dr. Raissa PAYDI
Dr. Deguia CHECK IBRAHIM Dr. Adama SALME
Dr. Issa Pave ABDEL NASSER Dr. Dieu-Ne-Dort BADAWE KALNIGA
Dr Prosper Hugues FENDJONGUE Dr. Bienvenu DOMBA
Dr ABOUKAR BANGUI AGLA Mme Mbissa Valérie HAMBOA ZONGA
Dr Ange MESSI MBALLA Dr. ARI HAMADOU GUY
Dr. Linda DJARSOUMNA Mme MOUANGA MOUSSENVOULA G.
Dr Djidjioua GARBA ISSA M. Jacob Israël FIRINA
Dr Norbert DOURGA M. Benjamin DIGUIR DABOLE
Dr. Josué Eric BOLNDO Dr. ALI BOUKOUN ABDOULAYE

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POLITIQUE DE REDACTION
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et professionnelle en la matière. Les articles sont disponibles sur le site internet de la Revue :
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La Revue Internationale de Droit et Science Politique reçoit des textes en permanence pour
publication dans l’un de ses numéros mensuels. Les auteurs qui soumettent leurs contributions
doivent se conformer aux directives suivantes :

- Toute proposition d’article doit être rédigée en format Microsoft Word, en police
Times New Roman, caractère 12, et en interligne 1,5. Elle comportera un résumé en
français et en anglais, des mots clés en français et en anglais, une introduction, un
développement contenant un plan à deux parties (I- II- pour les parties ; A- B- pour
les sous-parties, et éventuellement des petits 1 et 2), une conclusion. L’ensemble de la
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doit être en français et en anglais, par une brève notice biographique précisant l’identité
du (des) auteur(s) : Noms et prénoms, titre ou grade universitaire ou profession pour
les praticiens non universitaires, l’affiliation institutionnelle.

Références (sources) :

Les références (sources) sont obligatoires dans une proposition d’article. Elles doivent être
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- Pour un ouvrage : Nom en Majuscule, Initiale du(es) prénom(s) du(es) auteur(s) entre
parenthèses, intitulé de l’ouvrage en italique, Ville d’édition, Maison d’Edition, Année,
page(s).

Exemples : Page | v

Un auteur : ONANA (J.), Gouverner le désordre urbain. Sortir de la tragique


impuissance de la puissance publique, Paris, L’Harmattan, 2019, p.6 ;
Deux auteurs : OST (F.) et VAN DE KERSHOVE (M.), De la pyramide au
réseau. Pour une théorie dialectique du Droit, Bruxelles, Presses de l’Université Saint
Louis, 2010, p. 103
Trois auteurs : BOUSSAGUET (L.) & al., Dictionnaire des politiques
publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2014, p.6

- Pour un article publié dans une revue : Nom(s) en majuscule, Initiales du(es) Prénom(s),
intitulé de l’article entre guillemets, nom de la revue ou de l’ouvrage collectif dans lequel
il est publié en italique, numéro de la revue, Année de parution, pages ;

Exemple : BOKALLI (V.E.), « la protection du suspect dans le code de procédure


pénale », R.A.S.J., vol. 4, n° 1, 2007, p.6

- Pour un chapitre d’ouvrage :

LEVÊQUE (A.), « Chapitre 2 : La sociologie de l’action publique », in JACQUEMAIN


(M.) & FRERE (B.), Epistémologie de la Sociologie. Paradigmes pour le XXIe siècle, De Boeck
Supérieur, Collection « Ouvertures sociologiques », 2008, p.6

- Pour un document internet :

Exemple :
Organisation Mondiale de la Santé, Global status report on violence prévention, 2014, disponible
en ligne sur http://www.who.int/violence_injury_prevention/violence/status_report/2014/en/

- Pour tout document non publié (mémoire, thèse…) :

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Exemple : MINKOA SHE (A.), Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun
depuis l’indépendance, Thèse de Doctorat, Université des Sciences Juridiques, Politiques, Sociales
et de Technologie de Strasbourg, 1987, p.6

Langue et style de rédaction : Page | vi

- Chaque proposition d’article doit être rédigée en français ou en anglais


- L’usage des transitions et chapeaux est impérative

Soumission, examen des propositions et responsabilités :

- Les propositions d’articles doivent être soumises par courrier électronique à l’adresse
électronique suivante : redactionridsp@gmail.com Tout texte soumis à la Revue Internationale
de Droit et Science Politique fait l’objet d’une double évaluation aveugle (sous anonymat).

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l’être en toute exclusivité.

- Les opinions exprimées dans les contributions sont propres à leurs auteurs et n’engagent
aucunement la responsabilité de la Revue Internationale de Droit et Science Politique. Les
auteurs s’engagent, toutefois, à céder leurs droits à la Revue Internationale de Droit et Science
Politique.

Le Rédacteur en Chef
Dr. Timothée MANGA BINELI
Université de Yaoundé II.

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Volume 3, Numéro 6, Juin 2023
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SOMMAIRE Page | vii

 Droit Public

Des modes de paiement dans l'exécution des marchés publics en droit congolais……………......1

Kupani Gisenge Jean-Claude & Kafulu Fiston

Le statut du parlementaire fonctionnaire en droit camerounais………………………………….20

Chamwelou MBOUANDAM NJIKAM

La lutte contre la secte terroriste Boko Haram à l’Extrême-Nord du Cameroun fait-elle de ce

pays un Etat en guerre ?................................................................................................................48

EMBOLO EMBOLO Faustin Junior

 Droit Privé

La maladie d’un époux dans les relations matrimoniales au Bénin……………………………...73

Clautaire AGOSSOU & Camille Raoul G. FASSINOU

Les discours de haine saisis par le droit pénal camerounais……………………………………..108

KAMNANG KAMTCHUANG Cédric Lionel

Les centres de médiation OHADA face aux technologies de l’information et de la communication

(TIC)……………………………………………………………………………………………127

NGAMBEU NZOUTOP CANTAINE DANDOU

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 Science Politique

La participation des chefferies traditionnelles musulmanes du Nord-Cameroun à la sultanisation

du pluralisme démocratique sous le régime du Renouveau national (1996-2020)……………..144


Page | viii
AVANGA Léon ACHAWE SAWALDA

Le rapport entre motos-taximen de la capitale économique Douala et le pouvoir politique central

au Cameroun………………………………………………….......…………………………….159

Rolinx ketcha Tantchou

La démocratie occidentale et la non-prise en compte des pratiques démocratiques africaines

précoloniales…………………………………………………………………………………....184

Junior Bodelesse NGNAMBE

Le rôle de l’ONU dans la diffusion globale du programme de développement durable 2030…205

POUOMOGNE YOUBISSI Gaelle

Les Polices Municipales au Cameroun : état des lieux et perspectives à la lumière du Décret N°

2022/354 du 09 Août 2022 fixant les modalités d’exercice de la Police Municipale…………..230

Rodrigue NANA NGASSAM

Enjeux et contraintes de l’engagement humanitaire de la Croix-Rouge dans la crise

anglophone……………………………………………………………………………………...251

YEPMOU Landry

Administration coloniale et conflits ethniques à l’Extrême-Nord Cameroun………………….281

Kamdem Joulin Rodrigue

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Des modes de paiement dans l'exécution des marchés publics en droit


congolais
Methods of payment in the execution of public contracts under Congolese law
Par : Page | 1
Kupani Gisenge Jean-Claude
Apprenant en Diplôme d’études supérieures (D.E.S )
en droit public interne à l’Université de Kinshasa
Diplômé en Droit public interne de l’Université de Kinshasa
Diplômé en public interne de l’Université de Kinshasa
Assistant à la Faculté de Droit à l’Université de Kikwit
Avocat au Barreau près la Cour d’appel du Kwilu
Kafulu Fiston
Apprenant en Diplôme d’études supérieures (D.E.S) en droit public interne à
L’université de Kinshasa
Diplômé en droit public interne de l’Université de Kinshasa
Avocat au Barreau près la Cour d’appel du Kwilu

Résumé:

La transparence qui guide l’action publique impacte le secteur des marchés publics.
Pourtant, les modes de paiement prévus par la législation de 1969 semblent avoir privilégié la
facilité que la transparence dans l'exécution de ces marchés. Ce constat se révèle à travers la
procédure d’exécution des marchés caractérisée par l’absence d’uniformité. C’est en ce sens que
le législateur de 2010 est intervenu pour clarifier les règles de paiement. Il a adopté des règles de
paiement qui s’inspirent de la comptabilité publique. Quoique lourdes, ces règles transparaissent
l’exécution des marchés publics.

Mots-clés: Marchés publics, exécution, paiement, législation, transparence, formalisme.

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Abstract:

The transparency that guides public action impacts the public procurement sector.
However, the methods of payment provided for by the 1969 legislation seem to have favoured ease
rather than transparency in the performance of these contracts. This is reflected in the contract Page | 2
performance procedure, which is characterised by a lack of uniformity. It is in this sense that the
legislator of 2010 intervened to clarify the payment rules. It has adopted payment rules based on
public accounting. Although cumbersome, these rules reflect the execution of public contracts.

Keywords: Public procurement, enforcement, payment, legislation, transparency, formalism.

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Introduction

L’efficacité dans l’action publique réside dans la capacité des acteurs intervenant à chaque
niveau de la chaîne de gestion et de décisions, à s’approprier les exigences liées à leurs rôles et
responsabilités ainsi que les réflexes à acquérir pour l’objectivité et la célérité dans la mise en Page | 3
œuvre de cette action. Le paiement des marchés publics est, sans doute, la partie la plus sensible
du processus d’exécution des marchés publics car son exécution obéit à des exigences dont la
méconnaissance et la violation de la procédure peuvent conduire à des fautes de gestion et à des
malversations financières dont sont parfois auteurs certains acteurs qui interviennent dans la chaîne
d’exécution des dépenses publiques.

Le paiement exige, l’application correcte de l’autorisation budgétaire et le respect du


principe de la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable. Dans le souci de
sauvegarder les deniers publics, les règles qui gouvernent le paiement des marchés publics doivent
être rigoureusement observées. Nul n’est certes censé ignorer la loi, mais il s’avère nécessaire de
mettre à la disposition des acteurs de la chaîne de gestion un outil qui leur offre une meilleure
appropriation des périmètres de leurs actions concernant le paiement des marchés publics.
Cependant l’évolution qu’a connue la législation congolaise en la matière au cours de la décennie
ne semble pas encore être imprégnée par les acteurs impliqués dans le déploiement des marchés
publics. En effet, l’ordonnance n°69-279 du 5 décembre 1969 relative aux marchés publics de
travaux, de fournitures, de transports et de prestations avait consacré des modes de paiement
complexes mais adaptés au contexte de l’ère. Si ceux-ci étaient caractérisés par la facilitation du
paiement, ils ne permettaient pas de bien suivre la traçabilité de la chaîne des dépenses. Raison
pour laquelle la loi n° 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics est intervenue pour
harmoniser les règles de paiement.

Par ailleurs, il est vrai que tout particulier qui entre en relation contractuelle avec
l’administration espère toujours en tirer un avantage financier. Et pour qu’il en soit ainsi, il est
indispensable que l’équilibre entre les avantages et les charges prévus et acceptés au moment de
la conclusion du contrat soit maintenu tout au cours de l’exécution du contrat ; c’est ce qui a donné
naissance en France, à la théorie dite de l’équilibre financier ou de l’équation financière,
particulièrement illustrée à propos de la concession des services publics. Le concessionnaire doit,
en effet, pouvoir couvrir toutes les dépenses de l’exploitation. Ce qui revient à dire que l’équation

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financière qu’il a acceptée doit être susceptible de lui assurer la couverture de ses dépenses, une
rémunération équitable des capitaux investis et un bénéfice normal.1

Contrepartie monétaire payée par la personne publique en échange des prestations réalisées
par l’entreprise titulaire du marché, le prix en est l’élément substantiel. De celui-ci, on reconnaît Page | 4
le caractère onéreux du contrat. Élément de rémunération du titulaire du marché 2, le prix couvre
plusieurs prestations pouvant être réglées par d’autres à la fois forfaitaire et unitaire 3. Le prix est
révisable, unitaire ou provisoire.

Le prix n’est pas modifiable, même lorsque l’évolution des conditions économiques
l’exige4. La loi définit et fixe les modalités de recours au prix ferme. Le prix ajustable ou révisable
autorise à prendre en compte l’évolution de la situation pendant la durée d’exécution des
prestations contractuelles. Le prix unitaire est calculé en fonction de quantités réellement exécutées
ou livrées. On y recourt, lorsque les prestations, objet du marché, comportent des incertitudes sur
leurs quantités. Il est forfaitaire en raison de son application à tout ou partie des prestations du
marché, quelles que soient les quantités fournies ou exécutées. Ce sont les prestations
préalablement définies lors de la conclusion du marché qui en déterminent la fréquence.

Selon un principe fondamental de comptabilité publique, les paiements ne peuvent être


effectués que sur justification d’un service fait. Il en résulte qu’en l’absence de stipulation
contraire, la règle est le paiement unique après l’achèvement des travaux5.

Toutefois, il est fort probable qu’une interprétation rigoureuse de ce principe eût fait courir
le risque à l’Administration, du moins pour les marchés publics importants et de longue durée, de
ne pas trouver d’entrepreneur ou de fournisseur disposant de ressources assez considérables pour
attendre aussi longtemps son règlement, alors que l’exécution des travaux aurait nécessité des
mines de fonds énormes (matériaux, outillage, salaire, frais généraux, etc.)6.

1
Clément KABANGE NTABALA, Droit administratif. Tome 1, Kinshasa, Vina, 1997, p.78.
2
Art. 54 de la Loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux Marchés publics
3
Art. 55 de la Loi
4
Art. 56 de la Loi
5
Arrêté royal belge du 14 octobre 1964, art. 9, §1 er « Le prix de l’entreprise est payé soit en une fois après son
exécution complète, soit par acomptes dans les cas où ce mode de paiement est permis par la loi, au fur et à mesure
de son avancement, suivant les modalités prévues par le cahier spécial des charges ».
6
Lire sur cette question, Gaston JÈZE, Les principes généraux du Droit administratif, Tome 1, 3ème éd., Tome 4, 5
et 6 : « Théorie Générale des contrats et Administration », Paris, Dalloz, 1934, p. IV
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De ce qui précède, il est important d’étudier les modes de paiement dans l’exécution des
marchés publics en droit congolais afin de comprendre la portée de l’intervention du législateur
de 2010. C’est donc autour de cette approche que s’attèlera fondamentalement le raisonnement de
la présente étude. Dès lors, outre la diversité des modes de paiement des marchés publics dans
Page | 5
l’ancienne législation (I), l’étude aborde le renouvellement des règles des modes de paiement dans
l’actuelle législation (II).

I- LA DIVERSITE DES MODES DE PAIEMENT DES MARCHES PUBLICS DANS


L’ANCIENNE LEGISLATION
A- Des modes de paiement reflétant d’une conception large des marchés publics

Afin d’assurer l’exécution efficace des marchés publics, l’essentiel de l’ancienne


législation reposait sur le prix du marché; d’où, l’accent particulier sur les modes de paiement.
Toutefois, les modalités de paiement telles prévues par ce texte reflète la densité de la notion des
marchés publics.

1- Le paiement des travaux et des fournitures

Selon les termes de l’ordonnance n°69-279 du 5 décembre 1969 relative aux marchés
publics de travaux, de fournitures, de transports et de prestations en son annexe, le paiement dans
l’exécution des marchés publics s’effectue différemment selon qu’il s’agit du paiement des travaux
ou du paiement des fournitures ; aussi, le paiement pouvait intervenir dans plusieurs autres cas,
tels que celui des intérêts de retard dans les paiements, celui du paiement en cas de saisie-arrêt, ou
celui de l’interruption par l’Administration ou par l’adjudicataire.

Cette ordonnance faisait participer plus d’une personne publique; situation qui pouvait
entraîner des conséquences peu favorables pour la bonne exécution des marchés publics. Les
personnes publiques au nom desquelles les marchés pouvaient être passés étaient : la République ;
la ville de Kinshasa ; les zones urbaines ; les collectivités rurales ; et les organismes de droit
public qui exercent certaines missions revenant normalement à la République et sur lesquels celle-
ci exerce un pouvoir de tutelle.

Il sied de noter ici qu’il n’y avait pas de stricte séparation entre les fonctions de gestion des
marchés publics, celles de leur passation et de leur contrôle, et il y avait donc un grand risque de
cumul des fonctions par les structures chargées de les exercer. De surcroît, le contrôle des marchés
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publics n’était pas assuré par les établissements publics chargés du contrôle et de la régulation, ni
par tout autre organe administratif compétent quelconque.

Le prix des travaux était payé soit en une fois, en fin d’entreprise, soit par acomptes
mensuels au fur et à mesure de l’avancement du marché7. Le cahier spécial des charges indiquait Page | 6
dans quelle mesure et à quelles conditions, la valeur des matériaux dont la mise en œuvre était
autorisée, et des prestations admises, était incluse dans les paiements8.

Les paiements étaient effectués sur production par l’adjudicataire, d’une facture portant
situation détaillée justifiant le paiement demandé. Les factures étaient visées pour approbation par
l’Administration et payées dans les soixante (60) jours du calendrier suivant le jour de leur
réception. Les factures qui n’étaient pas approuvées étaient renvoyées sans délai à l’adjudicataire,
avec indication du motif du renvoi et notification du montant admis pour l’établissement d’une
nouvelle facture. La demande de paiement ne pouvait tenir compte que des modifications déjà
approuvées par l’Administration.

En cas de décompte à la fin de l’entreprise, le délai pour l’approbation et le paiement était


porté à quatre-vingt-dix (90) jours du calendrier à dater de la réception de la facture portant
décompte.

Le paiement des fournitures était effectué en une fois, sauf stipulation contraire du cahier
spécial des charges. Les factures à introduire par l’adjudicataire après la terminaison des formalités
de réception et d’agréation étaient visées pour approbation par l’Administration et payées dans les
soixante (60) jours du calendrier suivant le jour de la réception. Lorsque le cahier spécial des
charges prévoyait des paiements partiels, l’approbation et le paiement de chacune des factures se
faisaient dans les mêmes conditions.

7
En 1949 déjà, la commission de normalisation des cahiers des charges de l’État de la Belgique estimait que les termes
« service fait » ne devaient pas être interprétés uniquement dans le sens de travaux ou de fournitures au sens strict,
mais pouvaient être étendus à des prestations d’études, d’ailleurs parfois très importantes et coûteuses, d’établissement
des plans, des salaires, etc. Lire à ce sujet, le P.V n° 24 du 8 février 1949, p. 2 .
8
Et le texte de ce P.V ajoute : « La commission décide de laisser au cahier spécial des charges le soin de préciser de
quelle manière et dans quelles conditions la valeur de certaines prestations peut être incluse dans les demandes de
paiement à introduire par l’adjudicataire ».
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2- Les intérêts de retard dans les paiements en matière de travaux et de fournitures

En cas de retard dans les paiements dont l'administration était responsable, des intérêts de
retard étaient dus. Si le délai fixé pour le paiement était dépassé, alors que le marché n’avait pas
donné lieu à contestation ; l’adjudicataire avait droit à un intérêt calculé au prorata du nombre de Page | 7
jours du calendrier de retard, au taux de 6% l’an. Ce taux était porté à 9% à partir du 101 ème jour
de retard.

Toutefois, le paiement de cet intérêt était subordonné à l’introduction par l’adjudicataire


d’une demande écrite dans les soixante (60) jours du calendrier prenant cours le lendemain du jour
du paiement du solde du marché. Une remise des retenues pour ne pouvait être assimilée à un
paiement du solde. L’intérêt n’était dû que s’il avait atteint un minimum de 5 Zaïres par paiement.
De même, en cas de saisie-arrêt à charge de l’adjudicataire, l’Administration disposait en outre,
sans préjudice aux délais de soixante (60) et quatre-vingt-dix (90) jours prévus du calendrier,
prenant cours le jour où l’obstacle au paiement a été levé.

B- Des moyens de rétention des paiements réciproques


1- Interruption par l’Administration

Pour les interruptions autres que celles relatives aux intempéries et celles prévues au cahier
spécial des charges, et pour autant qu’elles dépassent dans l’ensemble dix (10) jours du calendrier
pour les marchés dont le délai d’exécution est de deux cents (200) jours du calendrier au moins,
ou qu’elles dépassent dans l’ensemble le 1/20ème du délai d’exécution pour les autres marchés,
l’adjudicataire était fondé à introduire auprès de l’Administration, un compte d’indemnisation dont
le montant était convenu de commun accord, l’adjudicataire ne pouvait pas se prévaloir des
discussions en cours à ce sujet pour ne pas reprendre l’exécution du marché.

2- Interruption par l’adjudicataire pour non-paiement

Lorsque, par la faute du maître de l’ouvrage ou de l’acheteur, les paiements n’étaient pas
effectués à cent (100) jours du calendrier après celui de la remise de la demande, établie comme il
est dit ci-dessus, il était permis à l’adjudicataire d’interrompre ses travaux ou fournitures et il avait
droit à une prolongation de délai égal au nombre de jours du calendrier compris entre le 100ème
jour après le jour de la réception de la demande et le jour déterminé par la date du paiement.

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Il avait droit également à l’indemnisation dans les mêmes conditions que celles qui sont
prévues au point B.5 ci-dessus.

La décision d’arrêter les travaux ou fournitures pour non-paiement devait toutefois être
notifiée par lettre recommandée à la poste adressée à l’Administration avec avis de réception, dix Page | 8
jours du calendrier au moins avant le jour d’interruption effective.

3- Les modalités de paiement

Les paiements étaient effectués au compte de chèques postaux ou au compte bancaire


indiqué dans la soumission. Lorsque la soumission ne comportait pas d’indication à ce sujet, les
paiements étaient effectués par accréditif ou par assignation postale, au nom et à l’adresse de
l’adjudicataire. En tout temps, les adjudicataires pouvaient désigner un tiers, personne physique
ou morale, pour recevoir en leur nom le montant de leurs créances ; dans ce cas, ils donnaient au
sujet de ce tiers les mêmes indications que celles qu’ils avaient données pour eux-mêmes.

II- LE RENOUVELLEMENT DES REGLES DES MODES DE PAIEMENT DANS


L’ACTUELLE LEGISLATION
A- Consécration d’un formalisme calqué sur les règles de comptabilité publique

Parmi les apports de la nouvelle législation, on peut relever la refonte des règles de
paiement applicables aux marchés publics qui sont désormais similaires à celles des procédures
d’exécution des dépenses publiques. Cette révolution s’est accompagnée par la mise la révision du
cadre organique relatif à l'exécution des marchés publics. Ainsi, les personnes au nom desquelles
les marchés peuvent être conclus sont :

- Le pouvoir central, ses services déconcentrés et ses services auxiliaires ;


- Les provinces et les Entités territoriales décentralisées ainsi que leurs services auxiliaires ;
- Les établissements et entreprises publics ainsi que les sociétés commerciales à participation
publique majoritaire ;
- Tous autres organismes créés par l’État et dont l’activité est financée ou garantie par l’État ;
- Les personnes morales de droit privé mandatées et bénéficiant du financement ou de la
garantie des personnes de droit public.

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Ainsi, les acteurs intervenant dans le processus de préparation, de passation, de contrôle et


d’exécution des marchés publics en RD Congo sont :

⮚ L’Autorité de régulation de marchés publics (ARMP) qui est un organe de régulation des
marchés et de contrôle a posteriori ; Page | 9

⮚ La Direction générale du contrôle de marchés publics (DGCMP) qui est un organe de


contrôle a priori ;

⮚ Les Cellules de gestion de marchés publics (CGMP) qui sont des organes de gestion des
marchés publics pour le compte des Autorités contractantes et Maîtres d’ouvrage délégués ;

⮚ Les Autorités approbatrices : Ce sont le 1er Ministre et les Gouverneurs des provinces, les
Ministres nationaux et provinciaux du Budget, ainsi que les Ministres nationaux et
provinciaux de tutelle.

Procédure d’exécution des dépenses publiques

Conformément au règlement général sur la comptabilité publique9, RGCP en sigle, la


procédure d’exécution de la dépense publique s’articule autour de quatre (4) étapes ayant chacune
un objectif différent : L’engagement, la liquidation et l’ordonnancement constituent la phase
administrative ; la dernière étape qui est celle de paiement constitue la phase comptable. Il y a lieu
de noter qu’avant toute chose, il faut qu’il y ait d’abord mis à disposition des crédits qui consiste
à autoriser l’utilisation, totale ou partielle, des crédits votés par le Parlement.

1- L’engagement et la liquidation

L’engagement juridique de la dépense publique est l’acte par lequel le pouvoir central, la
province ou l’entité territoriale décentralisée crée ou constate à son encontre une obligation de
laquelle résultera une charge10. En d’autres termes, c'est la décision prise par l'autorité qui a qualité,

9
Décret n° 13/050 du 6 novembre 2013 portant règlement général sur la comptabilité publique (J.O.RDC., 15
décembre 2013, n° 24, col. 7).
10
Article 82 du Décret sur le RGCP
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à cet effet, pour prélever une partie des crédits budgétaires en accomplissant un acte qui doit
entraîner une dette à la charge de l'État11.

Il est consécutif ou concomitant à l’engagement comptable qui consiste à réserver les


crédits. C’est l’étape initiale de la dépense, création d’une dette, mais conditionnelle, qui ne Page | 10
deviendra certaine qu’après service fait. L’on distingue l’engagement comptable (qui est une
réservation des crédits pour un engagement juridique ou une dépense dont l’objet est déterminé)
de l’engagement juridique (qui s’agit d’un contrat, d’un marché, d’un bon de commande, etc.).

Pour qu’un engagement soit régulier, il doit répondre à certaines conditions :

● L’existence d’une autorisation parlementaire ;

● La limite des autorisations budgétaires ;

● La période de l’engagement (souvent avant le 30 novembre).

● La soumission préalable aux avis et visas prévus par les lois et règlements propres de
l’État ;

● L’imputation de la dépense au regard de la nomenclature budgétaire ;

● La disponibilité de crédits sur l’unité de spécialité (programmes) ;

● Une juste évaluation et une vérification des pièces justificatives ;

● L’application des dispositions d’ordre financier des lois et règlements.

La décision d'engager une dépense est subordonnée à la réalisation de ces formalités, au


respect de ces procédures particulières. Toutefois, un engagement irrégulier ne doit pas pénaliser
le fournisseur, c’est plutôt l’agent de l’État qui a engagé irrégulièrement l’État qui engage sa
responsabilité devant les juridictions financières. Avant que le dossier ne suive la chaine des
dépenses qui a deux volets à savoir le budget et les finances, le Ministre du budget signe le bon
d’engagement. Il lui revient d’intégrer les dépenses dans la chaîne de ces dernières. Après

11
Par exemple, une commande de fournitures, un contrat de travaux passé avec un entrepreneur, la nomination d'un
fonctionnaire, etc.

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l'engagement intervient la liquidation.

La liquidation

La liquidation a pour objet de vérifier la réalité de la dette et d’arrêter le montant exact de


Page | 11
la dépense. Elle est faite par les ordonnateurs au vu des titres et pièces établissant les droits acquis
par les créanciers12. Sauf dans les cas d’avance ou de paiement préalable autorisés par les lois et
règlements, les ordonnateurs ne peuvent fixer les droits des créanciers, y compris pour ce qui
concerne les acomptes sur les marchés de travaux, biens ou services, qu’après constatation du
service fait.

La liquidation comprend:

● La constatation du service fait ;

● La vérification des éléments comptables de la facture ;

Elle correspond au stade auquel une dette à l'égard d'un tiers est née. Dans les systèmes
comptables d’exercice, les liquidations sont enregistrées en charge, immobilisation ou variation de
dette. C'est le Directeur chargé du contrôle budgétaire, après avoir intégré les dépenses au niveau
du ministère du budget qui va procéder à la liquidation du dossier après intervient
l’ordonnancement.

2- L’ordonnancement

L’ordonnancement est l’acte administratif par lequel l’ordonnateur donne l’ordre au


comptable public assignataire, conformément aux résultats de la liquidation, de payer la dette de
l’État. À cet effet, l’ordonnateur émet un titre de paiement qu’il transmet au comptable public pour
prise en charge et règlement.

L’ordonnancement peut également se comprendre en ces termes :

● C’est l’émission d'un mandat de paiement à l'intention du comptable ;

● La dépense budgétaire est reconnue à cette étape dans les livres comptables ;

12
Article 84 du Décret sur le RGCP
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● L'ordonnateur est séparé institutionnellement du comptable (Trésor ) : « Principe de


séparation de l'ordonnateur et du comptable » ;

● Il n’existe pas d’ordonnancement avant constatation du service fait sauf pour les avances
sur les travaux ou paiements préalables autorisés par les lois et règlements. Page | 12

Tout comme l’engagement, l’ordonnancement régulier doit respecter certains exigences que sont :

● L’existence de l’engagement préalable, visé par le CF ;

● L’application des règles de la dépense publique ;

● Les calculs de liquidation ;

● Les pièces justificatives après service ;

● La nomenclature des pièces justificatives de la dépense : c’est le fondement du contrôle


juridictionnel de la dépense.

C'est au niveau du Ministère des finances que l’ordonnancement a toujours lieu dans la
chaîne des dépenses. L'O.D.G (Ordonnateur Délégué Général ) procède à l’ordonnancement du
dossier qui consiste à attribuer un code secret audit dossier qui ne peut être déchiffré que par la
banque , suivie de la validation par le Directeur du trésor public après cette étape , le Ministre des
finances donne son visa et le dossier retourne encore chez le Directeur du trésor public pour son
transfert à la banque centrale pour le paiement .

3- Le paiement

Le paiement est l’acte par lequel l’État se libère de sa dette13. Sous réserve des exceptions prévues
par les lois ou règlements, les paiements ne peuvent intervenir avant :

 L’échéance de la dette ;
 L’exécution du service ;
 La décision individuelle d’attribution des subventions ou allocations.

13
Articles 87 à 92 du Décret sur le RGCP
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Toutefois, des acomptes et des avances peuvent être consentis au personnel, aux
entrepreneurs, aux fournisseurs et aux prestataires des services conformément aux lois et
règlements en vigueur. Les comptables publics principaux assignataires des dépenses procèdent à
la mise en règlement des titres de paiement. Le décaissement se fait par remise d’espèces, de
Page | 13
chèques, par virement ou d’autres instruments de paiement dans les conditions autorisées par les
lois et règlements en vigueur.

Le paiement d’une dépense est libératoire lorsque le décaissement intervient selon l’un des
modes de règlement prévus l’alinéa précédent au profit du créancier attitré ou de son représentant
qualifié. Les comptables publics principaux assignataires sont chargés de vérifier la régularité des
opérations d’engagement, de liquidation, et d’ordonnancement de chaque dépense au moyen des
pièces justificatives dûment prévues par les lois et règlement en la matière.

Toute opposition ou toute autre signification ayant pour objet de suspendre le paiement
doit être adressée au comptable public principal assignataire de la dépense. À défaut pour le
saisissant ou l’opposant de remplir les formalités prescrites en la matière, l’opposition ou la
signification sera réputée non avenue.

Lorsque le créancier de l’État refuse de recevoir le paiement, la somme contestée est


consignée auprès du comptable public principal assignataire et l’opération est enregistrée dans sa
comptabilité dans l’attente de la solution du litige. Lorsqu’à l’occasion des contrôles prévus en
matière de dépenses à l’article 137 du présent décret, des irrégularités sont constatées par le
comptable public principal assignataire, il est tenu de retisser de payer la dépense.

Le comptable public principal assignataire est tenu d’adresser à l’ordonnateur concerné


une déclaration écrite et motivée de son refus de payer, accompagnée des pièces rejetées avec une
copie réservée au ministre ou échevin ayant les finances dans ses attributions.

Si, malgré le refus de payer du comptable public principal assignataire, le ministre ou


l’échevin ayant les finances dans ses attributions au niveau du pouvoir central, provincial et local,
saisi par l’ordonnateur concerné, donne ordre, par écrit, d’exécuter le paiement, le comptable
public principal assignataire annexe au titre de paiement, une copie de la déclaration de rejet et
l’original de l’acte de réquisition qu’il a reçu et en adresse copies à la Cour des comptes. Dans ce
cas, la responsabilité du ministre ou l’échevin ayant les finances dans ses attributions au niveau du

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pouvoir central, provincial et local subroge celle du comptable public principal assignataire et ce
dernier procède au paiement sans délai.

Le comptable public principal assignataire ne peut exécuter un ordre de réquisition du


ministre en charge des Finances au niveau central, provincial et de l’échevin en charge des Page | 14
Finances au niveau local, si son rejet est motivé par :

 L’absence des crédits disponibles ;


 Le défaut de service fait ;
 L’absence de visa préalable du contrôleur budgétaire ;
 L’omission ou l’irrégularité des pièces.

Le paiement est l’acte par lequel l’organisme public se libère de sa dette. Il s’effectue au
profit du créancier ou de son représentant qualifié. Le paiement est effectué exclusivement par un
comptable public après un certain nombre de contrôles et prise en charge. Le comptable engage sa
responsabilité personnelle et pécuniaire en cas de défaillance des contrôles. Le contrôle comptable
se fait sur la base des documents produits par l’ordonnateur.

Le contrôle du comptable avant paiement porte sur :

 La régularité de l'assignation de la dépense (accréditation de l’ordonnateur, assignation des


dépenses) ;
 La disponibilité des crédits ;
 L’imputation correcte de la dépense ;
 La validité de la créance (justificatif du service fait, exactitude des calculs de liquidation,
production des justifications) ;
 La régularité en la forme des pièces justificatives ;
 Le contrôle de l’intervention des contrôles préalables ;
 L’absence de l’opposition au paiement ;

Les sanctions du contrôle du comptable s’effectuent soit par le visa sur le titre du règlement,
soit par le refus du visa. S' il y a urgence ou une extrême urgence , le Ministre des finances dresse
une correspondance au gouverneur de la banque centrale appelée P.N ( )pour décaisser les fonds
du trésor public, la régularisation de la procédure interviendra après .S'il n' y pas urgence , après

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les étapes précitées (l'engagement ,la liquidation et l’ordonnancement) ,la banque fait le virement
des fonds pour le compte du bénéficiaire du marché public ce qu'on appelle OPI( ordre de paiement
informatisé)soit c'est le comptable qui retire les fonds pour les remettre à celui à qui l'autorité
contractante a attribué le marché .
Page | 15

Signalons que le marché public fait appel aux gros montants c'est le virement bancaire qui
est d'application sauf en cas des marchés de gré à gré qui n’appelle pas de gros montants. En
somme, c'est la banque qui paie le prix du marché public en puisant les fonds dans le trésor public
et elle fait rapport au Ministre des finances via la direction de trésor public et de l’ordonnancement.
Dans certains cas, le Ministre du budget peut autoriser les dépenses mais celui des finances peut
refuser faute des moyens.

B- La consécration des nouveaux modes de paiement

D’après la loi n° 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics, les prestations
faisant l’objet du marché sont réglées, soit par des prix forfaitaires appliqués à tout ou partie du
marché quelles que soient les quantités, soit par des prix unitaires appliqués aux quantités
réellement livrées ou exécutées.

La fixation d’un prix forfaitaire est imposée dès lors que les prestations sont bien définies
au moment de la conclusion du marché ; celle d’un prix unitaire est appliquée à une prestation
élémentaire, à une fourniture ou à un élément d’ouvrage dont les quantités ne sont indiquées qu’à
titre prévisionnel.

En rapport avec le paiement du prix, la loi autorise le versement des avances et acomptes.
À la différence d’une avance qui est versée avant l’exécution du marché et sous certaines
conditions, l’acompte est un paiement partiel effectué au fur et à mesure que les prestations se
réalisent. Il ne concerne que les marchés dont le délai d’exécution est supérieur à trois mois.

De toutes les manières, le prix du marché est, en principe, fixé avant l’exécution du marché,
il demeure inchangé. En cas de survenance, au moment de l’exécution des prestations, des
circonstances occasionnant une augmentation des dépenses non prévues au contrat, l’entrepreneur

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peut le poursuivre en se réservant le droit à l’indemnisation du trop payé, question de rétablir


l’équilibre financier.14

Les modalités de règlement dans l’exécution des marchés publics sont organisées par la loi
n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics ainsi que par le décret n°10/22 du 02 juin Page | 16
2010 portant Manuel de procédures de la loi relative aux marchés publics. Les articles 70 à 72 de
la loi et 161 à 165 du décret fixent les modalités et conditions d’octroi des avances, des acomptes
ainsi que de paiement des soldes.

1- Les avances de démarrage et le remboursement

Les avances, par opposition aux acomptes, sont des paiements provisionnels, soit sur des
prestations non encore exécutées ou déjà exécutées mais non susceptibles de réception, soit à
raison d’opérations ne s’incorporant pas aux travaux fournitures commandés ; dans cette dernière
catégorie, entrent les avances de préfinancement qui sont versées à un moment où l’exécution du
marché n’est pas encore entamée, mais où l’entrepreneur doit exposer des frais d’études, acheter
du matériel ou des machines, engager du personnel, acquérir des licences.

En effet, en raison des opérations préparatoires à l’exécution des travaux, fournitures ou


services qui font l’objet du marché, des avances forfaitaires de démarrage peuvent être accordées,
après réception de demande de paiement et sous réserve de la constitution d’une garantie bancaire
d’un montant équivalent. Leur montant global est fixé à trente pourcent (30%) maximum du
montant initial pour les marchés de travaux et de prestations intellectuelles, et à vingt pourcent
(20%) maximum du montant initial pour les marchés de fournitures et autres services.

Le montant de cette avance est donc calculé :

● Sur le montant initial du marché, pour les marchés d’une durée d’exécution inférieure à un
an ;

● Sur le montant des prestations à réaliser au cours des 12 premiers mois, pour les marchés
d’une durée d’exécution supérieure à un an ;

14
JL ESAMBO, Droit congolais des marchés publics, Paris, L’Harmattan, 2016, p.128.
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● Sur le montant des 12 premiers mois d’exécution, pour les marchés à bons de commandes
ou de clientèle.

Notons par ailleurs que le remboursement de l’avance est possible. Cela intervient à partir
du moment où le montant des prestations exécutées au titre du marché atteint ou dépasse quarante Page | 17
pourcent (40%) du montant initial du marché, et prend fin lorsque le montant des prestations
exécutées atteint ou dépasse quatre-vingt pourcent (80%)15.

2- Acomptes et solde

Il n’est pas inutile de rappeler qu’à défaut d’une stipulation expresse du marché concernant
le paiement d’acomptes, aucune prestation ne peut être réceptionnée de façon définitive qu’après
l’accomplissement de toutes les obligations de l’entrepreneur.

Par contre, dès que les prestations ont atteint le degré d’avancement dont l’entrepreneur est
autorisé (par le cahier spécial des charges) à se prévaloir à l’effet d’obtenir un paiement aux termes
du marché, elles doivent faire l’objet d’un procès-verbal16.

Les prestations qui ont donné lieu à un commencement d’exécution du marché ouvrent
droit au versement d’acomptes ; ces derniers ne sont possibles que pour les marchés dont le délai
d’exécution est supérieur à trois (3) mois. Pour les marchés prévoyant un délai d’exécution
inférieur à trois mois, le versement d’acomptes est facultatif17.

Le montant des acomptes ne peut excéder la valeur des prestations auxquelles ils se
rapportent, une fois déduites les sommes nécessaires au remboursement des avances, le cas
échéant. Cependant, il peut être fixé dans le marché, des acomptes forfaitaires correspondant à un
pourcentage du montant initial du marché, lorsque ces acomptes sont versés en fonction de phases
techniques d’exécution. Le règlement des acomptes se fait dans un délai maximum de 90 jours ;
et, le défaut de paiement par l’autorité contractante dans les délais réglementaires donne lieu au
paiement des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire du marché.

15
Art. 163 du Décret sur le manuel de procédures.
16
Maurice-André FLAMME, Traité théorique et pratique des marchés publics, Tome 2, Bruxelles, Bruylant, 1969,
p. 827.
17
Art. 71 al.1 de la Loi & 164 du Décret sur le Manuel de procédures.
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C’est le cahier des charges qui fixe l’échelonnement des paiements, en stipulant soit des
acomptes fixes et donc non périodiques, soit, pour soulager davantage la trésorerie des
entrepreneurs, des acomptes périodiques correspondants à la valeur des travaux réellement
exécutés. Le règlement pour solde correspond à son tour, aux sommes dues au titre de l’exécution
Page | 18
des prestations après déduction des avances et acomptes. Lorsque le marché prévoit une retenue
de garantie, le règlement du solde donne lieu dans un premier temps à un règlement pour solde
provisoire, puis à un règlement pour solde définitif après mainlevée de la retenue de garantie18.

Lorsque le montant d’un acompte ou du solde dû au titulaire du marché est déterminé, il


doit être payé et réglé conformément aux règles de la comptabilité publique. La liquidation
préalable incombe au département ministériel intéressé dont le service de comptabilité, au vu de
toutes les pièces justificatives, émet une ordonnance de paiement sur la caisse de l’État19.

Les modalités pratiques pour effectuer ces paiements sont donc le cash, le paiement par
chèque, le paiement par OP (ordre de paiement) ou par lettre de crédit (cas des contrats
internationaux).

3- Pratique de Nantissement et de cession de créances

Tout marché public peut être donné en nantissement conformément au droit commun20. Le
nantissement est une affectation, aux fins de la garantie d’une obligation, d’un bien meuble
incorporel ou d’un ensemble de meubles incorporés présents ou futurs.

Il prend effet entre les parties à l’accord et ne devient opposable aux tiers qu’à la date de
prise d’acte obligatoirement porté à leur connaissance, à moins de s’assurer que volontairement
ils y sont intervenus. Une fois notifié au tiers, celui-ci en devient le créancier autorisé à recevoir
valablement paiement du capital et des intérêts21.

En outre, la cession de créance est un contrat par lequel le créancier, appelé cédant,
transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre son débiteur (appelé
débiteur cédé) à un tiers, appelé cessionnaire. Le consentement du débiteur n’est pas requis, mais

18
Art. 165 du Décret sur le Manuel de procédures
19
A. DE GRAND RY, “Le financement des marchés pour le compte de l’État”, in Rev. Banque, 1950, p. 1
20
Art. 65 de la Loi sur les Marchés Publics
21
JL ESAMBO, op. cit., p. 137.
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le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que si le débiteur cédé est informé du changement de
créancier.

Conclusion
Page | 19
À la lumière de tout ce qui précède, il appert de retenir que normalement, le titulaire d’un
marché ne peut demander le paiement de ses prestations que lorsqu’elles ont été réalisées et que
l’organisme public aura constaté qu’elles sont conformes au contrat signé. Cependant, il a droit à
une avance dans certaines conditions et à des acomptes dans la mesure où ils correspondent à la
valeur des prestations déjà réalisées.

Indépendamment du fait que les prestations ont été réceptionnées, les paiements sont
encore subordonnés à une déclaration de créance de la part du titulaire du marché. Tout créancier
de l’État, quel qu’il soit, doit en effet provoquer le paiement de ce qui lui est dû et est tenu de
signer une déclaration de la somme qu’il réclame. Cette demande, enseigne Henri MATTON,
constitue la vocation in jus. En effet, l’acte de l’Administration qui provoque la liquidation ne
suffit pas à établir la réalité de la créance du tiers à l’égard de l’État22.

À la réception d’une demande de paiement, l’organisme public dispose d’un délai pour
effectuer le règlement ; à défaut de quoi, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire du marché
sont payés. Dans l’ancienne législation, les paiements étaient effectués au compte de chèques
postaux ou au compte bancaire indiqué dans la soumission. Et lorsque la soumission ne comportait
pas d’indication à ce sujet, les paiements étaient effectués par accréditif ou par assignation postale,
au nom et à l’adresse de l’adjudicataire.

Actuellement, les modalités pratiques de paiement ne sont pas expressis verbis indiquées
dans la loi de 2010, ni dans le décret sur le manuel de procédure. Cependant, dans la pratique, le
cash, le paiement par chèque, le paiement par OP (ordre de paiement) ou par lettre de crédit (cas
des contrats internationaux) sont les moyens par lesquels s’effectuent le paiement.

22
Henri MATTON, Droit Budgétaire. Les Nouvelles lois politiques et administratives, Tome 3, Bruxelles, Larcier n°
3890.
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Le statut du parlementaire fonctionnaire en droit camerounais


The status of the official parliamentarian in Cameroonian law
Par :
Chamwelou MBOUANDAM NJIKAM Page | 20
Docteur Ph.D en Droit public
Université de Yaoundé II (Cameroun)

Résumé :

La diversité et la mobilité des agents publics supposent qu’ils peuvent être affectés dans
toute institution publique et même privé. Dès lors, il peut arriver qu’un fonctionnaire fasse l’objet
d’élection alors qu’il détient encore le statut de fonctionnaire. Cette élection mettra certainement
en évidence le nouveau statut auquel ce fonctionnaire sera soumis ; d’où la réflexion sur le statut
du parlementaire fonctionnaire au Cameroun. Par une question dont l’objectif était de mettre en
avant la caractérisation du statut du fonctionnaire parlementaire, l’on peut retenir après avoir
mobilisé la méthode juridique, qu’il s’agit d’une catégorie atypique soumise à une dualité de
régime juridique au Cameroun. Ainsi, on observe la prégnance de la soumission à un régime
spécifique bien que persiste le régime de droit commun.

Mots clés : Parlementaire, fonctionnaire, parlementaire fonctionnaire, fonction publique,


parlement

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Abstract:

The diversity and the mobility of the public agents suppose that they can be affected in any
public institution and even private.Consequently, it can happen that a civil servant is the subject
of election whereas he still holds the Staff Regulations of civil servant.This election will certainly Page | 21
highlight the new statute to which this civil servant will be subjected;from where the reflexion on
the statute of the member of Parliament civil servant in Cameroun.By a question whose objective
was to propose the characterization of the Staff Regulations of the parliamentary civil servant, one
can retain after having mobilized the legal method, which it is about an atypical category subjected
to a duality of legal status in Cameroun.Thus, one observes the prégnance tender with a specific
mode although common de jure system persistpersists.

Key words: Member of Parliament, civil servant, parliamentary civil servant, public office,
Parliament

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Introduction

Pour accomplir sa mission, la fonction publique est dotée d’un personnel. En effet, l’Etat
d’une manière générale, l’administration qui en est le bras séculier sont des réalités désincarnées.
Ils ne prennent vie qu’à travers les Hommes qui les animent au quotidien. La fonction publique Page | 22
camerounaise est depuis plusieurs décennies, encline à des réformes institutionnelles. La gestion
de la ressource humaine s’inscrit depuis lors au centre de ses préoccupations1. La recherche de la
performance, objectif majeur de l’administration publique perçue comme l’outil essentiel du
développement dans les Etats, conduit à des réorganisations au sein du personnel2. En tant que
moteur de développement dans les Etats, ladite administration, doit pour atteindre les objectifs à
elle assignée, privilégier lors du recrutement de ses agents la qualité au détriment de la quantité.
Pourtant, les pays d’Afrique noire francophone à l’instar du Cameroun, ont opté pour le choix
inverse au lendemain des indépendances. Les pouvoirs publics, dans le respect des dispositions
constitutionnelles qui consacrent le droit au travail pour tous, allié à l’idéal de la construction de
l’unité nationale, vont s’engager dans une logique de recrutement à dessein social. Ce vaste
mouvement de socialisation de la fonction publique, s’est traduit par l’emploi massif de toutes les
catégories de personnel à même d’apporter leurs concours à la réalisation de l’activité
administrative. Etaient ainsi concernés tant les contractuels que les fonctionnaires y compris les
parlementaires fonctionnaires.

D’où l’intérêt de la présente réflexion sur le double plan théorique et pratique. Sur le plan
théorique, elle met sur la table la question de la gestion de la ressource humaine au sein de la
fonction publique, dans un contexte où la doctrine n’accorde pas assez d’intérêt à cette institution
qu’est le parlementaire fonctionnaire. L’étude de la diversité du personnel de la fonction publique
n’intègre pas souvent le parlementaire fonctionnaire qui demeure quand même une catégorie
particulière des agents publics. Sur le plan pratique, la réflexion nous plonge au cœur de la théorie
de la catégorisation3 du personnel de l’administration publique. Il est davantage question de
comprendre à quelle catégorie le parlementaire fonctionnaire appartient au sein de la diversité des

1
Irène Cécile NYAMA ALANG, Le licenciement et la révocation dans la fonction publique camerounaise, Thèse de
Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018, p. 2.
2
Lire célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO, « Morose anniversaire : le nouveau statut général de la fonction
publique de l’Etat 10 ans après 1994-2004 », RJPIC, n°4, octobre-décembre 2004, pp. 575-595.
3
Lire sur la question, Michelle CUMYN, « Les catégories, la classification et la qualification juridiques : réflexion
sur la systématicité du droit », Les Cahiers de droit, vol. 52, n°3-4, 2011, pp. 350-378 ; Michelle CUMYN et Frédéric
GOSSELIN, « Les catégories juridiques et la qualification : une approche cognitive », Revue de droit de McGill, vol.
63, n°2, 2016, pp. 329-387.
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agents publics au Cameroun. L’étude permettra de cerner effectivement le statut de cette catégorie
d’agents publics en fonction au Parlement.

Les parlementaires sont « destinés par la Constitution à donner leur accord à des mesures
de politiques publiques exécutoires, accord donné au nom d’une communauté politique qui va au- Page | 23
delà de l’élite gouvernementale responsable de la formulation de telles mesures »4. Ainsi,
Considérés dans une perspective institutionnelle, « les parlementaires sont tout sauf faibles »5, car
ils détiennent la légitimité du consentement du peuple.

Il est important de souligner que « toute activité théorique ou pratique se doit de disposer
de notions et concepts qui l’aident à s’orienter dans le désordre du monde et à appréhender une
masse mouvante et a priori indifférenciée des phénomènes »6. La notion de statut peut être
considérée comme une vieille lune, sur laquelle l’on peut sans dommage mais aussi sans profit
particulier laisser gloser et vaticiner les théoriciens du droit7. Cette notion est utilisée tant par les
législateurs nationaux qu’internationaux mais seulement celle-ci reste difficilement sinon presque
pas définie par ceux-ci. Il faudrait alors rechercher cette définition en dehors de la législation.
Selon le Dictionnaire Le petit Larousse illustré8, le « statut » peut être perçu comme un texte ou
un ensemble de textes fixant les garanties fondamentales accordées à une collectivité. Pour le
Dictionnaire Le Robert9, le terme « statut » désigne l’ensemble des lois et règlements qui
définissent la situation d’une personne ou d’un groupe de personnes. Par exemple, dans le droit de
la fonction publique, le statut est constitué de droits et devoirs des fonctionnaires ou de certaines
catégories d'entre eux.

Pour le Vocabulaire juridique de Gérard CORNU, la notion de statut dérive du


mot latin statutum (décret), de statuere (statuer, établir) ou de stare qui signifie se tenir
debout. Le « statut » apparait d’une signification plus précise dans son appellation
anglaise « status » où elle désigne ici un état, et plus précisément une manière d’être. Cet état
ou manière d’être joue un rôle essentiel en ce sens qu’il conditionne un régime juridique

4
Philip NORTON, « La nature du contrôle parlementaire », Pouvoirs, n°134, 2010/3, p.7.
5
Ibid., p. 11. En matière financière, ce consentement est celui de l’impôt, car il serait très difficile de concevoir une
levée des prélèvements publics sans une caution préalable du peuple à travers ses représentants.
6
Robert MBALLA OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral au Cameroun. Contribution à la théorie de la
décision administrative, Thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2011, p. 5.
7
Guy GEST, « Considérations générales sur la notion de souveraineté fiscale », Mélanges Paul AMSELEK, Bruxelles,
Bruylant, 2005, p.331.
8
Dictionnaire Le petit Larousse illustré, Edition Larousse, 2000, p.964.
9
Le Robert, Dictionnaire d'aujourd'hui, Edition 1992, p. 98.
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particulier. Au demeurant, le Vocabulaire juridique définit le « statut » comme la situation ou


encore la qualité qui est reconnue à une personne, un organe ou une institution10. C’est-à-dire « la
condition juridique d’une personne, d’une catégorie de personnes ou d’une institution qui résulte
d’un ensemble de règle établies par la loi »11.
Page | 24

Relativement à la notion de parlementaire, elle désigne simultanément une institution et


un statut. En tant qu’institution, elle renvoie à un organe politique incarnant le pouvoir législatif.
Ainsi, les parlementaires sont appréhendés comme étant « des institutions destinées par la
Constitution à donner accord à des mesures de politiques publiques exécutoires, accord donné au
nom d’une communauté politique qui va au-delà de l’élite gouvernementale responsable de la
formation de telles mesures »12. De manière générale, il s’agit d’une institution politique de l’Etat,
assurant une fonction de représentation, de caractère délibérant, détenant une compétence
législative et de contrôle. En tant que statut, le vocable parlementaire renvoie à la qualité de
membre de l’institution. Dès lors, le parlementaire est une personnalité politique exerçant des
fonctions dévolues aux membres du Parlement.

L’opinion courante considère d’une manière générale comme fonctionnaire, toute personne
au service de l’Etat ou des autres collectivités publiques. Cette conception ne traduit cependant
pas l’état du droit positif camerounais en la matière. De celui-ci se dégage une certaine ambiguïté
qui fait de la notion de fonctionnaire un problème juridique. L’expression fonctionnaire désigne
un agent d’une collectivité publique dont la situation dans la fonction publique est caractérisée par
la permanence de l’emploi dans lequel il a été nommé et par sa titularisation dans un grade de la
hiérarchie, se distinguant des agents n’occupant pas un emploi permanent et de ceux qui, occupant
un tel emploi, ne sont titulaires d’aucun grade13. Pour le public, affirmait Marcel WALINE, le
fonctionnaire est un salarié de l’Etat14. Cependant, cette conception n’est pas du tout très exacte.
En effet, la fonction publique présente une pluralité d’agents qui sont certes des salariés, mais
ayant des situations statutaires différentes. Par ailleurs, René CHAPUS quant à lui énonçait que le
fonctionnaire est un agent public titulaire, ou de façon plus développée, un agent public qui est
titulaire dans l’un des grades de la fonction publique15. Selon le code pénal, est considérée comme

10
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2011, 9e éd., p. 886.
11
Idem.
12
Philip NORTON, « La nature du contrôle parlementaire », op.cit., p.7.
13
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 461.
14
Marcel WALINE, Droit administratif, Paris, Sirey, 1959, p. 778.
15
René CHAPUS, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, t. 12, 2001, p. 49.
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fonctionnaire, « tout magistrat, tout officier public ou ministériel, tout préposé ou commis de l’Etat
ou tout autre personne morale de droit public, d’une société d’économie mixte, d’un officier public
ou ministériel, tout militaire des forces armées ou de gendarmerie, tout agent de la sureté
nationale ou de l’administration pénitentiaire, et toute personne même chargée occasionnellement
Page | 25
d’un service d’une mission ou d’un mandat public agissant dans l’exercice ou à l’occasion de
l’exercice de ses fonctions »16. En se référant à cette définition, il convient de dire que le
fonctionnaire est considéré comme toute personne accomplissant une mission d’intérêt général.
Ces personnels sont en réalité ceux qui, « occupant à titre professionnel un emploi dans les
services des personnes publiques, sont soumis à un statut de droit public »17 et se distinguent des
personnels contractuels. Ces derniers, contrairement aux fonctionnaires, sont en situation de
salariés de droit privé et liés à l’administration par un contrat de droit privé18. Ils se distinguent
également du personnel des organismes de droit privé associés à l’action des personnes publiques
et de celles des services industriels et commerciaux et des entreprises qui sont également les uns
et les autres régis soit par le droit du travail, soit par leur propre statut mais qui sont des statuts de
droit privé.

La jurisprudence n’est pas restée indifférente dans la détermination de la qualité de


fonctionnaire. Ainsi, sont qualifiés de fonctionnaire selon la jurisprudence, les seuls individus
appartenant à un cadre de l’administration dans lequel ils ont été intégrés. Cette précision a été
faite dans l’affaire BABA YOUSSOUFA19. Elle procède de la reconnaissance de la qualité de
fonctionnaire uniquement à l’agent investi d’un emploi permanent dans les cadres d’un service
public. Pour sa part, le décret n°94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction
publique modifié par le décret n°2000/287 du 12 octobre 2000 portant statut de la fonction
publique dispose qu’« est considéré comme fonctionnaire, toute personne qui occupe un poste de
travail permanent et est titularisé dans un cadre des administrations de l’Etat »20. De cette lecture,
il en découle que l’occupation d’un poste de travail permanent et la titularisation dans un cadre de
la hiérarchie de l’administration sont des critères permettant de distinguer un agent public
fonctionnaire. Certes, le fonctionnaire peut être placé dans plusieurs positions parmi lesquelles le
détachement ; ce qui lui permet momentanément de sortir de son poste de travail ou corps d’origine

16
Cf. Code pénal camerounais.
17
René CHAPUS, Droit administratif général, op.cit., p. 49.
18
Ibid., p. 19.
19
Cour fédérale de justice, Arrêt n°94/199 du 16 octobre 1968, Baba YOUSSOUFA c/ Etat du Cameroun.
20
Article 3 du décret n°94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique de l’Etat.
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avec en prime le droit à la réintégration. Cependant, ce dernier ne perd pas totalement ses droits
statutaires d’origine sauf dans certaines conditions.

En définitive, le parlementaire fonctionnaire désigne toute personne ou tout agent


fonctionnaire d’origine élu au sein du Parlement et placé en position de détachement auprès de Page | 26
l’une des chambres qui forment l’institution parlementaire. De ce point de vue, l’on peut dire
qu’étant en détachement, le fonctionnaire est placé hors de son corps d’origine, et continue à
bénéficier de ses droits à l’avancement et à la retraite. En somme, contrairement au fonctionnaire
parlementaire, qui a pour mission d’assurer une bonne administration des services parlementaires,
le parlementaire fonctionnaire est tout député ou sénateur qui est issu de la fonction publique de
l’Etat et qui bénéficie d’un mandat électif au sein du Parlement. Sur la base de ces différentes
définitions, l’on peut se poser la question de savoir, qu’est ce qui caractérise le statut du
parlementaire fonctionnaire en droit camerounais ? La logique de cette interrogation réside dans
la volonté de comprendre le point de démarcation entre le fonctionnaire ordinaire et le
parlementaire fonctionnaire. Il est question de cerner la particularité de cette catégorie de la
fonction publique. C’est pourquoi, la réflexion pose l’hypothèse de la perception du parlementaire
fonctionnaire comme une institution soumise à une dualité de règles au Cameroun. L’idée que l’on
se fait du parlementaire fonctionnaire est la résultante d’une démarche qui met un accent particulier
sur la science juridique. Il convient de souligner que cette dernière s’accommode de
l’interprétation et de l’analyse des textes qui meublent l’ordre juridique. Ce chemin doit obéir à
des règles, c’est-à-dire à une logique, un ordre, un raisonnement. Elle traduit de ce fait une attitude
de l’esprit, c’est le positionnement du chercheur qui est le résultat d’un raisonnement. C’est à juste
titre que Madeleine GRAWITZ l’appréhende comme « l’ensemble des opérations intellectuelles
par lesquelles une discipline cherche à atteindre les vérités qu’elle poursuit, les démontre, les
vérifie »21. Le Professeur Maurice KAMTO, confronté également à la question de la méthode
soutient qu’elle est le substratum du travail scientifique. « Il précise à cet effet que, le démarche
méthodologique conditionne le travail scientifique car, la méthode éclaire les hypothèses et
détermine les conclusions »22. Ainsi, l’interprétation des règlements des chambres parlementaires
et statut général de la fonction publique, servira de boussole dans le cadre de cette étude. Une
comparaison sera également faite entre différents agents publics. Nous pouvons d’ores et déjà

21
Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, 11e éd., p. 351.
22
Maurice KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique noire (essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats
d’Afrique noire francophone), Paris, LGDJ 1987, p. 58.
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affirmer que le parlementaire fonctionnaire se démarque du fonctionnaire ordinaire. Cette


affirmation s’appuie sur le fait qu’à la lecture des textes régissant la fonction, des contributions
doctrinales ainsi que de la pratique administrative, il apparaît un double constat dans le régime
applicable au parlementaire fonctionnaire. Ainsi, ce dernier est à la fois soumis à un régime
Page | 27
spécifique (I) et de droit commun (II).

I- LA PREGNANCE D’UNE SOUMISSION A UN REGIME SPECIFIQUE

Dispersion des organes, diversification des moyens, gradation des fins : cette triple
évolution a engendré une effrayante complexité des régimes de droit applicables à l’action
administrative23. L’une des caractéristiques du système camerounais de fonction publique est
la coexistence des éléments du système ouvert avec la notion de poste de travail, et des
éléments du système fermé ou de carrière. A l’analyse, ces derniers éléments pèsent
davantage, avec la consolidation de divers statuts, à la suite du statut général, retraçant
minutieusement la carrière des personnels de l’Etat. Or, comme le souligne Jean Marie
BRETON, statut et carrière « constituent l’assise fondamentale de ce modèle de fonction
publique »24. La carrière résulte de l’aménagement durable, rationalisé et hiérarchisé des
fonctions de l’agent, dans une double perspective de stabilité à long terme de la situation qui
lui est offerte à son entrée dans la fonction publique et de progression permanente des
avantages, pécuniaires en particulier. Par l’effet du détachement, il ressort que tout
fonctionnaire investi d’un mandat parlementaire n’est plus régi par le statut de la fonction
publique; du moins tout au long de son mandat. Ainsi, il doit être soumis à un régime
particulier, autonome (A) et à un régime de sanction disciplinaire visant à le placer hors de
toute dépendance (B).

A- La soumission à un régime juridique autonome

Le parlementaire fonctionnaire est en réalité assujetti à un ensemble plus étendu de


règles d’origine et de nature différentes qui forment ce qu’il est convenu d’appeler le droit
parlementaire. En effet, la plus importante de ces règles est le règlement intérieur25. Ce dernier

23
Prosper WEIL et Dominique POUYAUD, « Le régime juridique : droit public et droit privé », Le droit administratif,
2013, p. 65.
24
Jean Marie BRETON, Droit de la fonction publique dans les Etats d’Afrique francophone, Paris, Edicef, 1990, p.
32.
25
Marcel PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1987, 2e éd., p.773
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peut être entendu selon article 29 du Code du travail comme un ensemble de dispositions
établies par des chefs d’entreprises destinées à préciser « les règles relatives à l’organisation
technique du travail, à la discipline et aux prescriptions concernant l’hygièneet la sécurité
nécessaire à la bonne marche de l’entreprise »26. Il faut noter que pour les Assemblées
Page | 28
élues, le règlement intérieur est la manifestation de la volonté délibérée de leur membre.
L’affirmation de leur autonomie est en effet perceptible au regard de la soumission de leur
membre à un ensemble de textes prescrits par lui-même (1). Il sied en outre de soulever à cet
effet sa portée et les inflexions à leur soumission au règlement autonome de l’Assemblée (2).

1- La soumission au règlement intérieur du parlement

En allant dans le sens de Jean Jacques ROUSSEAU, l’on doit avoir à l’esprit que la
soumission à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. Dans cette optique, la manifestation de la
liberté des parlementaires en cause passe par le respect des textes par eux-mêmes adoptés.
Ainsi, le parlementaire fonctionnaire libre, voire autonome est celui qui se soumet à ses
propres textes ;c’est-à-dire le règlement intérieur de l’Assemblée à laquelle il appartient.

La fonction parlementaire au Cameroun est animée par la nécessité de garantir aux


parlementaires leur autonomie. Cette recherche permanente trouve son affirmation sur le plan
juridique. Il faut sans doute dire que le fondement juridique de l’autonomie est d’ordre
constitutionnel avant d’être législatif. Pour ce qui est du fondement constitutionnel, la
Constitution du Cameroun bien que implicite en ce qui concerne cette autonomie juridique
dispose au terme de son article 17 (2) pour l’Assemblée Nationale27 et pour la chambre haute28
que l’Assemblée « fixe elle-même ses règles d’organisation et de fonctionnement ». De
l’analyse de cette disposition, l’on considère que c’est en vertu de la considération
constitutionnelle que les Assemblées élues sont libres de définir les règles juridiques de leurs
conduites. Ainsi, la portée juridique de cet article doit être mesurée dans l’interdiction faite
au pouvoir exécutif de s’immiscer dans l’organisation et le fonctionnement des institutions
parlementaires. Dès lors, celles-ci fixent de manière autonome par le truchement des
parlementaires leurs règles de conduite.

26
Loi no 92/007 du 14 août 1992, portant Code du Travail.
27
Constitution du 18 janvier 1996 révisée en 2008.
28
Ibid. pour l’article 22(1).
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Pour ce qui est du fondement législatif de l’autonomie juridique du parlementaire, selon


la Constitution du 2 juin 1972 qui dispose en son article16 que le règlement intérieur de
l’Assemblée Nationale doit se faire « sous forme de loi ». C’est dans la même logique que la
loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 pose le même constat29. C’est l’objet de la loi portant
Page | 29
règlement intérieur30 qui est le véritable fondement législatif de l’autonomie du Parlement
donc par ricochet du parlementaire fonctionnaire31. Quoi qu’il en soit, le Parlementétant selon
les textes et lois capable de définir lui-même ses règles d’organisation et de fonctionnement,
il en ressort que cette institution bénéficie d’un droit d’auto-déterminationqui est par nature
une sorte de garantie à l’autonomie des parlementaires en général. Ainsi, cette possibilité
accordée aux parlementaires de débattre eux-mêmes sur leur règlement32 ne peut qu’être l’une
de manifestations de leur autonomie sur le plan juridique. Par ailleurs, le fondement du
règlement étant l’une des manifestations de leur autonomie avec une implication particulière.

2- L’implication de la soumission au règlement intérieur

Dans une analyse duale, il est judicieux de présenter la portée de la soumission au


règlement intérieur ainsi que ses inflexions.

De référence au code civil du Cameroun qui dispose que « les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de
leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées
de bonne foi »33. Conformément à cette disposition, les Assemblées parlementaires étant des
institutions autonomes, elles doivent se munir à ce titre, des règlements intérieurs auxquels
les parlementaires consentent et doivent respecter. L’importance de ce règlement est loin
d’être négligeable. Le règlement intérieur est l’expression d’un pouvoir d’auto-organisation
de chaque Assemblée qui se manifeste par l’édiction des résolutions parlementaires. Celles-
ci sont, suivant Maurice HAURIOU, des résolutions par lesquelles le corps constitué s’oblige

29
Article17(2) de la Constitution.
30
Loi no73 /1 du 8 juin 1973 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale modifiée par la loi n°2014/016 du
9 septembre 2014. Voir également loi n°2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat modifiée et
complétée par la loi n°2016/011 du 27 octobre 2016.
31
Pierre de Gaétan NJKAM MOULIOM, La spécificité de la fonction publique de l’Assemblée Nationale, Mémoire
de Maitrise, Université de Yaoundé, 1989, p. 118.
32
Article 123 de la Loi portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale du Cameroun.
33
Art. 1134 du Code Civil du Cameroun.

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lui-même en obligeant ses propres membres. Ainsi, le Conseil constitutionnel français a défini
l’objet des règlements des Assemblées comme étant « La formulation des mesures et
décisions relevant de la compétence exclusive de l’Assemblée »34. En d’autres termes, les
mesures d’ordre intérieur ayant trait au fonctionnement et à la discipline sont donc librement
Page | 30
fixées par les membres de ces Assemblées.

Le règlement intérieur est considéré comme un véritable code de conduite pour les
parlementaires posés par eux-mêmes. Son contenu se limite exclusivement aux règles
relatives à l’organisation et au bon fonctionnement des activités parlementaires ainsi que les
prescriptions disciplinaires à observer. C’est donc l’Assemblée Nationale ou le Sénat qui crée
les règles de son organisation et de son fonctionnement35 et non le pouvoir exécutif.

Par ailleurs, il est important de souligner que l’autonomie juridique du Parlementinduit


celle des parlementaires. Les parlementaires déterminent librement leurs règles de conduite.
C’est en fait ce que pense André LALANDE lorsqu’il apprécie l’autonomie comme « le
pouvoir d’un groupe de s’organiser, de s’administrer lui-même, de déterminer lui-même la
loi à laquelle il se soumet »36. C’est eneffet pour assurer la liberté des parlementaires que le
Gouvernement; voire l’exécutif n’intervient pas dans la procédure d’édiction de ces règles de
conduite. Enfin, le règlement intérieur s’impose à tous les parlementaires qui en réalité ont
défini librement eux-mêmes les règles auxquelles ils sont aussi librement tenus37. C’est en
outre ce qui justifie leur indépendance vis-à-vis des autres règlements et de celui relatif à la
fonction publique exécutive. Ainsi, la soumission des parlementaires fonctionnaires au
règlement de la fonction d’accueil durant son détachement est un principe qui s’impose à ceux
qui les ont édictés. Cependant cette soumission connait des inflexions lorsque le parlementaire
en question est en mission gouvernementale.

Il s’agit du parlementaire en mission gouvernementale. Celui-ci est placé hors de


l’application du règlement pendant une période bien précise. Cette période ne peut pas
excéder six (6) mois en principe. Par ailleurs, l’on peut s’interroger à cet effet sur le
règlementapplicable à un parlementaire en mission pendant la durée de sa mission. Il en est

34
C.C. Décision des 17, 18 et 24 juin 1959.
35
Article 17 al 2 de la Constitution.
36
André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1993, p.101
37
C’est donc cela la liberté dans le sens de Jean Jacques ROUSSEAU.
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de même pour le régime disciplinaire.

B- La soumission au régime disciplinaireinterne des Assemblées

Toute procédure disciplinaire engagée à l’encontre d’un agent est conditionnée par
Page | 31
l’établissement d’une faute . La faute disciplinaire est selon Jean Marie BRETON,
38

fondamentalement liée aux exigences statutaires tenant aux besoins du service, ainsi qu’aux
incidences qu’elle peut avoir sur la gestion et le fonctionnement de ce dernier 39.
Généralement, une distinction est faite entre la faute professionnelle et la faute
extraprofessionnelle. La faute professionnelle est notamment un manquement par action,
inaction ou négligence, aux devoirs et obligations auxquels est assujetti le fonctionnaire. La
faute extraprofessionnelle résulte notamment d’un manquement, d’une attitude ou d’un
comportement qui met en cause l’éthique et la déontologie professionnelle, ou est de nature à
porter atteinte à la moralité publique ou à l’honorabilité de la fonction publique. Ainsi
entendue, la faute couvre aussi bien les attitudes du fonctionnaire en dehors du service que
dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions40.

Une autre forme d’aménagement de l’autonomie du parlementaire fonctionnaire est le


fait pour ce dernier de n’être soumis qu’aux sanctions disciplinaires préétablies par lui-même
; c’est-à-dire celles édictées par l’Assemblée dont il fait partie41. Ces sanctions étant légion,
elles visent à asseoir un environnement convenable permettant de favoriser une meilleure
exécution des travaux parlementaires. Ainsi, en dehors des mécanismes visant à rappeler à
l’ordre et à censurer un parlementaire (1), l’on analysera dans le cadre de cette réflexion une
autre forme de sanction qui a pour but d’exclure temporairement le parlementaire en cause de

38
Sont constitutifs de la faute disciplinaire, les irrégularités de gestion ou malversations commises au préjudice d’une
personne morale de droit public. Cf. TE. 28 septembre 1962 MAMA ELOUNDOU doc. C.S. Il en est de même de la
rétention sans droit de la chose d’autrui (C S/CA. 28 novembre 1991 ESSONO OBAM doc. C.S. ; la négligence d’un
gardien de prison ayant entrainé l’évasion d’un détenu (C.S. /C.A. 27 décembre 1990 ETCHOUA MONKAMA) ; le
manquement à l’obéissance hiérarchique (CCA. 27 septembre 1958 MVONDO Josué) : les absences fréquentes,
répétées et non justifiées (TE. 22 juin 1962 NGONGANG Alexandre, doc. CS) ; tout manquement de nature à porter
atteinte à l’honorabilité et à la considération, et susceptible de répercussion de nuire à la fonction publique (CFJ. 19
mars 1969 MOUKOKO James, doc. CS.) ; La fraude au concours commise par un fonctionnaire en dehors du service
et de cette nature (CS/CA. 27 octobre 1972 EVINA ADA).
39
Serge SALON, Délinquance et répression disciplinaire dans la fonction publique, Paris, LGDJ, 1967, p. 75.
40
Martin Paul ZE, Droit de la fonction publique au Cameroun, Mennato Print, 2008, 1ere éd., p. 181.
41
Articles 96 et suivants du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 112 et suivants du règlement intérieur du
Sénat.
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l’Assemblée42(2).

1- Les mesures sans lien avec l’exclusion

Considérés comme des moyens visant à permettre aux parlementaires d’exercer leur
Page | 32
mission dans des conditions idoines, le rappel à l’ordre et la censure dans cette perspective
seront mises en exergue successivement.

- Le rappel à l’ordre

Parmi les stratégies qui visent à assurer l’autonomie des parlementaires fonctionnairesse
trouve la pratique qui a pour objectif de soumettre le parlementaire aux sanctions voulues par
lui-même. Ainsi, ces sanctions sont nombreuses et variées. Il s’agit en pratique du rappel à
l’ordre43. Cette sanction selon les dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée
Nationale ne peut être prononcée que par le Président seul44. C’est donc en effet le
Président de l’Assemblée qui a la compétence de rappeler à l’ordre un parlementaire
fonctionnaire. C’est une mesure observable au-delà des frontières camerounaises45. En outre,
est rappelé à l’ordre ; tout député ou sénateur qui refuse d’accomplir un acte qui lui est prescrit
par le Président de la chambre, par le doyen d’âge ou un organe de l’Assemblée concernée46.
En plus, il peut s’appliquer sur le parlementaire qui cause un trouble quelconque dans
l’Assemblée par ses interruptions, ses attaques personnelles, ou de toute autre manière47.

Concernant sa mise en œuvre, elle consiste à accorder la parole à celui qui, rappelé à
l’ordre, s’y est soumis et demande à se justifier. Lorsqu’un membre a été rappelé deux fois à
l’ordre au cours d’une même séance, le Président, après lui avoir accordé la parole pour se
justifier, s’il l’a demandé, doit consulter l’Assemblée Nationale ou le Sénat qui se prononce
sans débat, pour savoir s’il sera de nouveau entendu sur la même question48. Par ailleurs,
lorsqu’un parlementaire au cours de la même séance ou des séances consécutives aura été

42
Article 114 al 4 du règlement intérieur du Sénat et article 99 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
43
Article 97 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 113 du règlement intérieur du Sénat.
44
Article 97 al 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 113 al 5 du règlement intérieur du Sénat.
45
Voir par exemple l’article 88 de la Décision 11-005 2011-07-15_PCC_SG_11 portant Règlement intérieur de
l’Assemblée nationale du Tchad.
46
Article 97 al 2 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 113 al 2 du règlement intérieur du Sénat.
47
Idem.
48
Idem.

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rappelé trois fois à l’ordre, cela sera inscrit au procès-verbal. Ainsi, l’instauration de cette
sanction vise à garantir une meilleure discipline lors des séances au sein des Assemblées
parlementaires. Le rappel à l’ordre à la différence de la censure n’est prononcé que par le
Président seul.
Page | 33

- La censure

Le parlementaire, pour être mis à l’abri de son autorité d’origine, est en ce quiconcerne
les sanctions, placé hors cadre de la censure de son autorité disciplinaire 49. Elle peut être
considérée comme une sanction qui est accompagnée par son inscription au procès- verbal et
pouvant conduire à l’exclusion temporaire du parlementaire. Elle ne peut qu’être prononcée
par la chambre à la majorité des membres présents et qu’à l’issue d’un scrutin secret50.

Elle est mise en marche contre tout député ou sénateur qui, dans le cours d’une session,
a encouru cinq (5) fois le rappel à l’ordre ou qui, après un rappel à l’ordre avec inscription au
procès-verbal, encourt un nouveau rappel à l’ordre au cours d’une même séanceou de séances
consécutives51. Aussi, elle peut être prononcée contre un membre qui, en séance publique, a
provoqué une scène tumultueuse52 ; ou qui a adressé à un ou plusieurs de ses collègues des
injures, provocations ou menaces. Ce type de sanction existe ailleurs53.

Dans cette même logique, la censure emporte comme conséquence l’interdiction de


prendre la parole au cours de la séance durant laquelle elle a été prononcée ainsi qu’au cours
des trois séances suivantes. Elle entraine également la privation de l’indemnité spéciale dite
« de mandat » pendant deux mois. En se référant à la gravité de l’acte, l’on peut aboutir à une
sanction considérée comme plus rude ; c’est l’exclusion temporaire du parlementaire.

49
T.E., Arrêt no 216, 28 Septembre 1962, TCHOUNGUI ZIBI C/Etat du Cameroun.
50
Article 98 al 1er du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
51
Article 98 al 2 (a) du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 2 (a) du règlement intérieur du Sénat.
52
Idem.
53
Cf. article 89 de la Décision 11-005 2011-07-15_PCC_SG_11 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale
du Tchad.
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2- L’exclusion temporaire du parlementaire fonctionnaire

Il faut en effet garder à l’esprit que les parlementaires fonctionnaires ne peuvent se


soumettre qu’à un ensemble de prescriptions qu’ils se sont eux-mêmes fixées dans l’optique
d’assurer la discipline au sein des Assemblées. Dans cette logique, les parlementaires ont pu Page | 34

définir une gamme de sanctions dont la plus élevée en terme de gravité de fait est l’exclusion
temporaire. Il sied d’analyser les circonstances d’exclusion avant de mettre en exergue ses
conséquences sur le mandat du parlementaire fonctionnaire.

- Les circonstances de l’exclusion

Etant entendu que le parlementaire est soumis aux obligations édictées dans le cadrede
la loi portant règlement intérieur, le non-respect de ces dernières peut l’exposer à des sanctions
disciplinaires telle que l’exclusion temporaire. Plusieurs situations peuvent justifier l’usage
de la censure avec exclusion temporaire du palais de l’Assemblée. Il peut s’agir entre autres
du membre qui a résisté à la censure simple ou qui a subi deux fois cette sanction. En fait,
peut aussi être soumis à cette sanction visant à exclure le parlementaire du palais celui qui, en
séance publique, a fait appel à la violence ou qui s’est rendu coupable d’outrage envers
l’Assemblée ou envers son Président54. Peut aussi être placé sous le coup de cette censure,
le parlementaire qui s’est rendu coupable d’injures, provocations ou menaces envers le
Président de la République et les membres du Gouvernement.

Il faut en effet ajouter à ces circonstances le cas de voie de fait d’un membre de
l’Assemblée à l’égard d’un de ses collègues. Ici, le Président peut proposer dans ce cas au
bureau la peine de censure avec exclusion temporaire. Cependant, même à défaut du
Président, elle peut être demandée par écrit au bureau par un parlementaire55. En outre, cette
sanction constitue la plus grave parmi les sanctions listées à l’article 71 du règlementintérieur
des Assemblées parlementaires. Quoi qu’il en soit, ces circonstances ne sont pas du tout
faciles car l’exclusion de celui-ci doit se faire dans le respect de ladite loi approuvée par le
parlementaire expulsé temporairement. Il ressort de ce constat que l’exclusion du
parlementaire ne doit pas être un fait anodin, car les conditions de leur mise en exécutions

Article 98 al 4 (b) du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 4 (c) et (d) du règlement intérieur
54

du Sénat.
55
Idem.
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doivent être réunies avant tout déclenchement. Il faut soulever le fait que le parlementaire en
cause ne se soumet qu’aux sanctions que lui-même il a élaboré pour le bon fonctionnement
deleur auguste chambre. Autant, cet état de lieu emporte plusieurs conséquences sur mandat
de l’intéressé.
Page | 35

- Les conséquences de l’exclusion temporaire

Elles sont légions et sont loin d’être négligeables. Tout d’abord, la censure avec exclusion
temporaire entraine une interdiction de prendre part aux travaux de l’Assemblée et de se
présenter dans le palais de l’Assemblée jusqu’à expiration de la septième séance qui suitcelle
ou la mesure a été prononcée56. C’est dire en effet que lorsque le parlementaire est placé sous
le coup de cette sanction, il cesse de participer aux travaux de l’auguste chambre à laquelle il
appartient pendant au moins sept (7) séances. Cet état de chose ne lui hôte pas sa qualité du
parlementaire et la durée de l’exclusion dépend de la durée que l’on mettra pour tenir les sept
séances. Son absence aux séances de l’Assemblée ne peut qu’être considérée comme un vide
qui ne lui permettra point d’exprimer la volonté du peuple dont il est porteur. En outre, cette
exclusion peut entrainer la privation de l’indemnité de mandat pendant une durée de six (6)
mois57. Par ailleurs, en cas de refus d’un parlementaire de se conformer à l’injonction qui lui
est faite par le Président de sortir de l’Assemblée, la séance peut être suspendue. Dans ce
dernier cas, et aussi si l’exclusion temporaire est appliquée pour une deuxième fois à un
membre, l’exclusion peut s’étendre à trente (30) jours de séance58.

Pour ce qui est de sa mise en œuvre, il s’est avéré que, lorsque la censure avec exclusion
temporaire est, dans ces conditions proposée contre un député, le Président convoque le
bureau qui entend le parlementaire en cause. Ainsi, le bureau peut appliquer une des peines
prévues à l’article 73 et le Président communique à la personne concernée la décision du
bureau. Une fois acquise, le parlementaire intéressé sera conduit jusqu’à la porte par le Chef
des huissiers59. Au final, le parlementaire fonctionnaire n’étant plus soumis aux règles qui
établissent sa fonction d’origine, il se retrouve soumis uniquement au règlement de
l’Assemblée à laquelle il appartient. Il en est ainsi parce que la garantie de l’autonomie du

56
Article 98 al 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 5 du règlement intérieur du Sénat.
57
Idem.
58
Article 98 al 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 5 du règlement intérieur du Sénat.
59
Article 99 al 2 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 115 al 2 du règlement intérieur du Sénat.
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parlementaire est une condition essentielle pour l’exercice de cette fonction qui demeure
toutefois soumise du moins en partie, au régime de droit commun de la fonction publique.

II- LA SURVIVANCE D’UNE APPLICATION DU REGIME DE DROIT


COMMUN Page | 36

Tout fonctionnaire qui désire briguer un mandat électif au Parlement doit être mis en position
de détachement60. Cet aménagement vise à faire du fonctionnaire non plus un agent statutaire mais
plutôt un mandataire dépendant de ce fait du règlement intérieur de sonAssemblée. Pourtant, de
juré et de facto, l’on s’est rendu compte que ce positionnement du fonctionnaire ne met pas
complètement le parlementaire à l’écart de sa dépendance statutaire. En revanche, la préoccupation
qui peut se dégager ici est celle de la détermination des dispositions résultant de la fonction
d’origine qui continuent à s’appliquer à un parlementaire fonctionnaire et qui sont susceptibles de
rendre précaire l’autonomie de celui-ci. L’analyse de cette dépendance statutaire permet à ce
niveau de mettre en exergue les obligations statutaires qui continuent à s’appliquer (A) ainsi que
les privilèges subsistants (B) susceptibles d’impulser l’émergence d’une attitude de réserve
lorsqu’il s’agit de l’autonomie du parlementaire.

A- La continuité d’obligations statutaires du fonctionnaire

A la lecture des dispositions législatives, l’on s’est rendu compte que le parlementaire
fonctionnaire est encore pour certaines obligations sous les mailles du statut général de la fonction
publique. Quoi qu’il en soit, cette soumission exerce une influence sur l’autonomie du
parlementaire en cause et qu’il faille nécessairement les inventorier. Il s’agit pour l’essentiel des
obligations sans lien avec la discipline (1) et les obligations en rapport avec la discipline (2).

1- Les obligations sans lien avec la discipline

Le fonctionnaire député ou Sénateur reste soumis au règlement intérieur de son Assemblée61.


Il est également astreint aux mêmes obligations statutaires applicables à tout fonctionnaire à
quelques exceptions près. Il faut dans cette perspective distinguer lesobligations statutaires
des autres obligations. Les obligations statutaires sont constituées des obligations de réserve et de

60
Article 160 de la loi n°2012/001 du 19 Avril portant nouveau code électoral camerounais.
61
Article 78(3) du décret n°94/199 du 07 octobre 1994 modifié et complété par décret n°2000/287 du 12 octobre 2000
portant statut général de la fonction publique.
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discrétion ainsi que les obligations générales de probité et de la loyauté.

S’agissant des obligations de réserve et de discrétion professionnelle, le parlementaire


continue en effet d’être placé sous l’obligation de réserve. Cette obligation se décline en obligation
de confidentialité et de secret professionnel. Selon cette dernière, tout fonctionnaire est lié par Page | 37
l’obligation de discrétion pour tout ce qui concerne les faits et les informations dont il a
connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions. Selon une jurisprudence62 : « ...si
les fonctionnaires sont en principe libres de manifester librement leurs opinions en dehors du
service, ce principe est tempéré tant par le devoir de réserve qui s’impose à eux en toutes
circonstances que par le devoir de loyalisme dont ils doivent faire preuve envers l’Administration,
du moins lorsqu’ils occupent certaines fonctions...». Il revient à dire que même lorsqu’ils exercent
certaines fonctions ; qui peuvent être parlementaires, ces obligations lui incombent toujours envers
l’Administration.

L’obligation de respect du secret professionnel consiste pour le parlementaire fonctionnaire


à conserver des secrets relatifs à sa fonction d’origine. Ainsi, le parlementaire est tenu de garder
durant son mandat les secrets de son administration d’origine qu’il détient à l’occasion de ses
fonctions. Il ne doit pas en outre laisser connaitre ou transparaitre en dehors de son service ni les
faits, ni les écrits ni les informations qu’il possède à l’occasion de sa fonction de fonctionnaire63.
C’est donc dans cette perspective que le règlement des Assemblées engénéral et de l’Assemblée
Nationale en particulier dispose que : « tous les membres des commissions d’enquête ainsi que
ceux qui, à un titre quelconque, assistent ou participent à leurs travaux, sont tenus au secret. Toute
infraction à cette disposition sera punie par les peines prévues par la législation en matière de
secret de l’Etat, pièces ou de documents de service sont formellement interdits »64. Il en est de
même de leur communication ou de leur production, à moins qu’elles ne soient exécutées pour des
raisons de service et dans les formes prescrites par les textes en vigueur65. Il en est ainsi car le
fonctionnaire élu demeure dans une situation légale réglementaire66.

Il sied également de rappeler que ces devoirs s’étendent après la fonction, et même pendant
la durée du détachement du fonctionnaire au Parlement. Cette prescription poursuit donc le

62
Arrêt n° 674/CCA du 13 Décembre 1957 ; I.P. MAMA ELOUNDOU Engelberg.
63
Art.41(1) du statut général de la fonction publique.
64
Arrêté du bureau no6/BAN /75 du 7 Juin 1975.
65
Article 41(2) du SGFPE.
66
Article 78 (1) SGFPE.
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parlementaire fonctionnaire durant son mandat et après celui-ci. Ceci relève de la conséquence de
la réserve accordée quant à la soumission aux règles de son organisme à l’article 7867. C’est en
effet cette disposition qui amène bien qu’exceptionnellement le fonctionnaire élu à se soumettre
également aux lois, règlements, aux principes généraux du droit et à la jurisprudence. Une autre
Page | 38
obligation est celle de probité et de loyalisme qui s’impose à un fonctionnaire élu au Parlement.

En ce qui concerne les obligations personnelles, le fonctionnaire élu au Parlement reste


soumis aux obligations de loyauté et de probité. Pour ce qui est de l’obligation de probité, elle
astreint le parlementaire fonctionnaire à un devoir qui a une dimension préventive et qui lui impose
la nécessité de prévenir les situations de conflit d’intérêts. Aussi, elle soumet le parlementaire à
l’obligation de déclaration des biens comme l’indique la Constitution68 et lui interdit le fait de
recevoir les dons de la part des autres organisations. En revanche, ce devoir impose au
parlementaire fonctionnaire un comportement empreint d’exemplarité vis-à-vis du service du
Parlement et de celui de la fonction publique. L’obligation de loyalisme quant à elle astreint le
parlementaire fonctionnaire au respect des lois et règlements de la République. Elle s’exprime
sous plusieurs formes. On distingue la loyauté vis-à-vis des institutions de celle qui s’opère vis-à-
vis des autorités politiques69. Au delà, le parlementaire fonctionnaire est également soumis aux
obligations disciplinaires.

2- Les obligations disciplinaires

Généralement, tout fonctionnaire investi d’un mandat parlementaire n’est plus régi par le
statut de la fonction publique durant au moins l’exercice de son mandat 70. Il bénéficie en effet
d’une protection particulière pour s’acquitter valablement et en toute sérénité des obligations
découlant de sa nouvelle fonction.

Cependant, certaines de ses obligations disciplinaires fondamentales persistent. Le


fonctionnaire détaché en général reste partiellement soumis au régime juridique général institué
par le statut général de la fonction d’origine et plus principalement en ce qui concerne certaines de
ses obligations disciplinaires. Cet état de chose fait en sorte que l’organisme de détachement ne

67
Article 78(2) SGFPE.
68
Article 66 de la loi Constitutionnelle du 18 Janvier 1996.
69
Cf. Georges Jean TEKAM, Déontologie et éthique professionnelle du fonctionnaire, Yaoundé, SOPECAM, 2010,
p. 33.
70
Article 78(3) SGFPE.
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puisse en tout état de cause être en mesure d’infliger au fonctionnaire détaché au Parlement l’une
des sanctions allant de l’abaissement d’échelon à la révocation71. En fait, le Parlement ne peut
infliger la sanction touchant la carrière professionnelle d’un fonctionnaire élu et placé en
détachement.
Page | 39

Le parlementaire fonctionnaire reste soumis quel qu’en soit sa position à l’obligation de


dignité, d’impartialité, d’intégrité et de probité. L’obligation de dignité s’impose à l’agent à raison
de sa qualité d’agent public et vise à s’assurer que son comportement ne porte pas atteinte à la
réputation de son administration. L’obligation d’impartialité qui se rattache à d’autres principes
tels que l’égalité, la neutralité ou l’indépendance, est inhérente aux missions d’intérêt général.
Ainsi, un agent public ne peut avoir un préjugé sur une affaire en raison par exemple d’un intérêt
personnel à l’affaire ou d’une prise de position publique affirmée. L’obligation d’intégrité impose
que le fonctionnaire parlementaire exerce ses fonctions de manière désintéressée. Il ne peut
solliciter, accepter ou se faire promettre d’aucune source, ni directement ni indirectement, des
avantages matériels dont l’acceptation pourrait le mettre en conflit avec les obligations que lui
imposent les lois et les règlements. L’obligation de probité correspond à l’honnêteté, au respect
des biens et de la propriété d’autrui. Il s’agit pour le fonctionnaire, de ne pas utiliser ses fonctions
pour en tirer un profit personnel. Elle a ainsi pour objet d’éviter que l’agent public ne se trouve
dans une situation dans laquelle son intérêt personnel pourrait être en contradiction avec celui de
la collectivité qu’il sert.

De cette analyse, il se dégage que le parlementaire fonctionnaire à l’origine reste


partiellement dépendant de ses obligations disciplinaires pource qui est de certaines (plus graves)
sanctions disciplinaires. Pareillement, l’administration d’origine garde un droit de regard sur la
conduite de l’agent détaché. Cette conduite peut n’être pas étrangère à l’intérêt du service. Mais
l’administration d’origine reste toujourstitulaire du pouvoir disciplinaire et peut retenir à la charge
du fonctionnaire élu au Parlement des fautes par lui commises pendant son détachement72. De
toute évidence, il faut noter que la persistance de l’existence des obligations de fonctionnaire sur
la personne de parlementaire est de nature à exercer une influence sur l’autonomie du membre de
l’Assemblée parlementaire qui bénéficie également de certains droits imputables aux

71
Joseph OWONA, Droit Administratif spécial de la République du Cameroun, Yaoundé, Edicef, coll. Série Manuels
et travaux de l’Université de Yaoundé, 1985, p.66.
72
MOUGOUE KAGOUE P R, La protection juridique de la fonction du parlementaire au Cameroun,Mémoire de
Maitrise en Droit public, Université de Yaoundé, Octobre 1990 p. 40.
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fonctionnaires.

B- La persistance de certains droits imputables aux fonctionnaires

Le détachement crée des droits et génère également des obligations à l’égard dufonctionnaire
Page | 40
élu. Ce dernier en principe est soumis aux lois et règlements en vigueur qui régissent la fonction
de parlementaire qu’il exerce par l’effet de son détachement, sous réserve des exceptions
prévues73. Cela vaut notamment pour sa rémunération et l’ensemble des conditions financières de
la fonction occupée par l’effet du détachement74. Mais, il en va cependant autrement en ce qui
concerne ses droits à l’avancement et à la pension75. Il faut signaler à cet égard que le fonctionnaire
détaché au Parlement conserve encore des liens solides avec son administration d’origine de
manière que l’on puisse dire qu’il a une double casquette. Ainsi, les droits relatifs à la gestion de
sa carrière (1) et ceux relatifs à la fin de la carrière du parlementaire fonctionnaire (2) restent
détenus par son administration d’origine.

1- Les droits du parlementaire fonctionnaire en activité

A la lecture des dispositions de l’article78 du statut générale de la fonction publique del’Etat,


l’on s’est rendu compte que le parlementaire fonctionnaire en détachement continue à bénéficier
de son droit à l’évolution normale de sa carrière. Il sied dans cette perspective de mettre l’accent
sur le droit à l’avancement en général et en particulier du droit à l’avancement des fonctionnaires
élus qui reste automatique.

Un droit conservé par le parlementaire, le droit à l’avancement consiste pour le parlementaire


fonctionnaire de continuer à bénéficier normalement de l’évolution de sa carrière comme s’il était
toujours en position d’activité normale. Ainsi, l’on se demande comment s’effectue l’avancement
? A cette question l’on peut avant les mécanismes généraux d’avancement s’appesantir sur le
contenu de cette notion.

L’avancement est un mécanisme qui est destiné à accorder au fonctionnaire uneamélioration


de sa situation : soit un droit à occuper des fonctions supérieures (avancement de grade), soit un

73
NGO NLONDOCK D G, Les conditions du détachement du fonctionnaire dans la fonction publique camerounaise,
Mémoire de DEA en Droit public à l’Université de Yaoundé II, Année 2008-2009 pp.114-115
74
Mais en Guinée, la rémunération est versée par l’administration d’origine, en cas de détachement d’office.
75
Article 78(2) du SGFPE.

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droit à un traitement supérieur76 (avancement d’échelon). Il s’agit de la promotion de carrière dans


un même cadre. Ces promotions ont lieu sans discontinuité d’échelon à échelon, de classe en classe
et de grade en grade à l’intérieur dudit cadre77. L’avancement d’échelon à l’intérieur d’une
classe est fonction d’une évaluation favorable du fonctionnaire. Il a lieu tous les deux (2) ans78.
Page | 41
Cet avancement consiste pour unfonctionnaire à passer d’un grade à l’autre, d’une classe à l’autre
voire à changer d’échelon à l’autre.

Relativement au fonctionnaire élu au Parlement, il conserve son droit à l’avancement comme


s’il n’a jamais quitté sa fonction. Par contre, le détachement consécutif n’est pas, en effet, soumis
aux règles habituellement applicables à la position du détachement. Ce détachement ayant eu lieu,
dans ce cas, de plein droit n’étant pas révocable et ne donne pas droit à l’avancement79.

L’avancement du fonctionnaire est conditionné par une évaluation favorable de ses


performances, par une récompense80, le succès à un concours administratif, le changement d’un
background professionnel, ou l’obtention de titre professionnelle ou universitaire, dans les
conditions fixées par les statuts particuliers ou spéciaux. L’avancement peut aussi survenir à la
suite d’un choix ou à la suite d’une ancienneté comptabilisée par le fonctionnaire.

Pour ce qui est de l’ancienneté, pour bénéficier d’un avancement de classe, il faut réunir
deux (2) ans au dernier échelon de la classe à laquelle appartient le fonctionnaire en cas
d’évaluation favorable81. L’évaluation est favorable en vue d’un avancement d’échelon ou de
classe lorsque la moyenne des notes d’évaluation obtenues sur deux (2) années est favorable.
L’avancement de grade en fonction de l’ancienneté ou d’une évaluation favorable du
fonctionnaire ne peut intervenir avant l’expiration d’une période de deux (2) années consécutives
à compter de la date à laquelle le fonctionnaire a atteint le dernier échelon de la deuxième classe
de son grade, sous réserve qu’il soit âgé de 40 ans au moins82.

En outre, cet avancement du fonctionnaire lui permet de changer de grade ou de cadre à


l’issue d’une formation sanctionnée par un diplôme de spécialisation ou à la suite de l’obtention

76
Joseph OWONA, Droit administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.70
77
Article 44 du SGFPE.
78
Ibid. pour l’article 45.
79
Arrêt du T.E dans l’affaire TSOUNGUI ZIBI Elie c/Etat du Cameroun.
80
Ibid. pour l’article 48.
81
Ibid. pour l’article 46(2).
82
Ibid. pour l’article 47(2).
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de certains diplômes universitaires, dans des conditions fixées par la loi83. Ainsi, par l’évaluation,
l’avancement permet à un supérieur hiérarchique compétent d’avoir une main mise sur la carrière
du fonctionnaire notamment en ce qui concerne ses pouvoirs en matière de notation et d’évaluation
objective des personnels placés sous sa direction ou son autorité84.
Page | 42

Le droit à l’avancement automatique offre au fonctionnaire élu une évolution automatique


sur la base du droit à l’ancienneté. L’avancement de celui-ci s’opère uniquement sur la base de la
durée passée dans la fonction publique jusqu’à la retraite. Quant à l’évolution automatique de la
carrière du parlementaire, comme le détachement sur demande, le détachement d‘office d’un
fonctionnaire au Parlement entraine des conséquences sur sa carrière. Il s’agit de l’avancement de
la carrière duparlementaire concerné85. Cette opération s’effectue de façon automatique. Parait-
il à ce niveau que l’avancement ne soit pas soumis à des exigences. Il s’effectue librement et sans
effort à fournir par le fonctionnaire élu. Il apparait indéniable que, lorsque l’avancement dans le
cadre du détachement sur demande86 est soumis à l’évaluation conformément aux règles envigueur
dans l’organisme d’accueil, celui de fonctionnaire en position de détachement pour exercer les
fonctions de membre du Gouvernement ou un mandat électif est exempte de toute évaluation87.

Néanmoins, en principe, mettre le parlementaire à l’écart des pressions de son autorité


d’origine constitue un souhait pour le législateur. Cependant, cela trouve ses limites au regard de
certaines réalités humaines de fait. Cela induit que sa carrière puisse encore et toujours êtreplacée
sous la dépendance de son administration d’origine. Ce droit permet au parlementaire de voir son
grade, son rang, son échelon évoluer sans intervention autre que celle prévue parla législation en
vigueur.

En réalité, le fait pour un parlementaire de savoir que certaines de ses prérogatives de


fonctionnaire continuent à survivre peut l’amener à avoir un œil pesant et intéressant en ce qui est
des situations concernant son administration. Il en est ainsi car sa carrière en dépend
définitivement88 de cette administration. Le parlementaire fonctionnaire en pratique se trouve

83
Ibid. pour l’Article 49.
84
Ibid. pour l’Article 43 (1).
85
Ibid. pour l’article 78(2).
86
Article 1er (3) du décret n°2001/108/PM du 20 mars 2001, fixant les modalités d’évaluation des performances
professionnelles des fonctionnaires.
87
Ibid. pour l’Article 20.
88
Philippe ARDANT, Droit Constitutionnel et Institution politique, Paris, LGDJ, 1995, 7e éd., p. 512.
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souvent dans la situation où il voudra sauvegarder également ses intérêts existants du fait de ses
avancements dans sa fonction d’origine. Il faut dire ici que la base de cet avancement reste
l’ancienneté pour ce qui est des fonctionnaires élus au sein du Parlement.

En substance, selon le statut général de la fonction publique, l’ancienneté renvoie à la durée Page | 43
passée dans la fonction. Il faut noter qu’en tant que parlementaire fonctionnaire le temps mis au
Parlement est pris en compte dans la détermination de la durée d’ancienneté. L’avancement à
l’ancienneté n’est qu’un avancement d’échelon qui se traduit par une augmentation de traitement
sans changement d’emploi89. Dans cette même perspective, le statut général fixe l’ancienneté
requise pourbénéficier d’un avancement à deux (2) ans au dernier échelon de la classe90.
Ainsi, chaque deux (2) an, la carrière de fonctionnaire du parlementaire fonctionnaire doit subir
une modification automatique. Le fonctionnaire élu au sein du Parlement ne peut faire l’objet d’une
évaluation et que son avancement dépend de son ancienneté.

Le droit à l’avancement du parlementaire fonctionnaire peut ne pas faire l’objet d’une


évolution automatique par le fait de l’autorité hiérarchique. Par ailleurs, selon le juge, le
fonctionnaire élu peut ne pas jouir de son droit à l’avancement. C’est donc ce qui ressort de
l’affaire TSOUNGUI ZIBI91. Dans cet arrêt le juge administratif se prononce en ces termes :«
Attendu…Que le détachement consécutif à cet exercice n’est pas en effet, soumis aux règles
habituellement applicables à la position du détachement, ce détachement ayant eu lieu, dans ce
cas, de plein droit, n’étant pas révocable et ne donnantpas droit à l’avancement, cela afin
d’assurer l’indépendance des Assemblées et de leurs membres ; …». En pratique, la dépendance
du parlementaire fonctionnaire au régime des droits à l’avancement qu’il soit le fait d’une
évaluation ou d’une évolution automatique rend le mandataire psychologiquement lié par un souci
de conserver le bon déroulement de sa carrière. Le droit à l’avancement n’étant pas le seul droit
subsistant, car ils en existent d’autresqui se rapportent à la fin de son statut de parlementaire.

2- Les droits du parlementaire fonctionnaire en fin d’activité

Le parlementaire fonctionnaire dispose de son droit à pension de sa fonction statutaire92 et

89
René CHAPUS, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, t. 2, 2001, 15e éd., p. 219.
90
Article 46 (2) du SGFP.
91
T.E., arrêt n°216, 28 septembre 1962, TCHOUNGUI ZIBI c/Etat du Cameroun.
92
Article 108 et suivants du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

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de celui de sa réintégration dans l’administration d’origine.

S’agissant du droit à la pension, le fonctionnaire investi d’un mandat électif, le droit à la


mise à la retraitecontinue à suivre son cour normal. Ainsi, l’admission à la retraite constitue le
mode normal decessation des activités de ce fonctionnaire. Elle intervient en principe lorsque Page | 44
celui-ci a atteint la limite d’âge réglementaire dans son corps. Cette limite d’âge est fixée pour
chaque catégorie par un texte particulier93.

En effet, la limite d’âge pour l’admission à la retraite du fonctionnaire de la fonction publique


de l’Etat est fixée pour chaque catégorie de la manière suivante : catégories C et D : 50 ans et les
fonctionnaires des catégories A et B : 55 ans. Toutefois, en raison de la nature ou de la spécificité
de certaines fonctions, le Président de la République peut déroger auxdispositions ci-dessus94.

Ce droit au respect de l’âge d’admission à la retraite s’applique effectivement sur la carrière


du parlementaire fonctionnaire comme s’il n’était pas quitté de son administration. Tout en restant
inchangé, le barème de calcul de l’âge d’admission à la retraite ne peut connaitre une période de
trêve même lorsque le fonctionnaire est investi d’un mandat. Pour finir, à la lumière de l’article
123 du statut général de la fonction publique, l’admission à la retraite marque la fin normale de
la carrière du fonctionnaire et lui ouvre droit à une pension payée par le trésor Public ou toute
autre caisse de retraite dans les conditions fixées par décret du Président de la République95.

A la lumière du statut général de la fonction publique, il s’est avéré indéniable que pendant
la durée de son détachement, le fonctionnaire demeure dans une situation légale et réglementaire
et continue de bénéficier des droits à l’avancement et à pension96. Tout d’abord, il est à noter
que les droits à pension ne cessent de poursuivre leur cour normale comme si le fonctionnaire
était placé en activité97. Ainsi, il n’en bénéficiera dès lors qu’il sera mis à la retraite par son
administration d’origine. Il peut s’agir de la pension retraite, alimentaire, vieillesse, familiale et
bien d’autres.

C’est donc dans cette lancée que la détermination du taux de cette pension consiste en la

93
Joseph OWONA, Droit Administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.73
94
Article 124(1) (2) du SGFPE.
95
Ibid., art. 123.
96
Ibid., pour l’art.78(2).
97
Article 117 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
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maitrise du nombre d’annuités liquidables pour le calcul de la pension qui doit correspondre au
nombre d’années de service effectif accompli en qualité de fonctionnaire. Le fonctionnaire qui
réunit au moins quinze (15) ans d’ancienneté peut être mis à la retraite par anticipation et sur sa
demande98. Ces pensions proviennent du reverse mensuel auprès du trésor public, des retenues
Page | 45
opérées. Par ailleurs, celui qui, à la cessation d’activité pour quelques causes que ce soit, ne peut
bénéficier d’une pension de retraite, a droit au remboursement immédiat de la totalité des retenues
opérées sur son traitement au titre des cotisations pour pension durant sa carrière. L’admission à
la retraite du fonctionnaire est prononcée par arrêté du Ministre chargé de la fonction publique.
Ledit arrêté liquide les droits à pension du fonctionnaire retraité99.

Également, ce droit existe depuis son entrée dans la fonction publique et continue en période
de détachement. Il ne peut se mettre en exergue que pendant la mise en retraite avecou sans
réintégration dans son administration. Pour le parlementaire fonctionnaire, ce droit est celui de la
pension liée à l’ancienneté y compris la période de son passage au Parlement. En plus, les services
effectués en position de détachement comme membre de Gouvernement ou d’une Assemblée
parlementaire et les services de même nature accomplis dans l’ex- République fédérale du
Cameroun ou les ex-Etats fédérés du Cameroun oriental et du Cameroun occidental entrent en
compte100. Quid des droits de réinsertion dont dispose le parlementaire fonctionnaire.

Philipe ARDANT en s’interrogeant sur le degré de son autonomie 101, a permis de soulever
le fait que la carrière du parlementaire fonctionnaire tout en restant sous l’influence de son
ministère de tutelle est de nature à permettre à ce dernier de ne pas pouvoir véritablement critiquer
ou contrôler celui-ci. Il en est ainsi parce que le parlementaire fonctionnaire dispose d’une carrière
qui dépend définitivement de son administration d’origine. Ceci étant, il conserve son droit
d’intégration. Cette situation invite à s’appesantir sur la quintessence du droit d’intégration.

Le fonctionnaire investi d’un mandat au Parlement jouit durant son mandat d’un droit à
réintégration dans son administration d’origine102. Ainsi, en ces termes le statut général de la
fonction publique dispose « À la fin détachement, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré,
par arrêté du Ministre compétent, tel que visé aux articles 71 ou, selon le cas, dans un poste de

98
Idem.
99
Idem.
100
Joseph OWONA, Droit Administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.81.
101
Philippe ARDANT, Institutions politiques et droit constitutionnel, op.cit., p. 512.
102
Articles 76 et Suivants du SGFPE.
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travail correspondant à sa qualification professionnelle ». Ce privilège est en fait la possibilité


offerte au fonctionnaire élu au Parlement de retourner le moment escompté à sa fonction de base.
Cette réintégration fait souvent face à la difficulté de surnombre. Ainsi, ce problème peut se
résorber pour la plupart selon le statut général par l’ouverture de la première vacance. Celle-ci
Page | 46
pouvant s’ouvrir dans un poste de travail correspondant au grade et aux qualifications du
fonctionnaire concerné103. En revanche, dans le cas du détachement de longue durée, le
fonctionnaire aurait dû être remplacé dans son emploi, et dès lors, il ne sera affecté à l’expiration
de son détachement qu’à un emploi correspondant à son grade. Aussi, celui-ci a la priorité d’être
affecté au poste qu’il occupait avant son détachement au Parlement104. Cependant, si aucune
vacance n’est possible dans son corps d’origine, il sera affecté « au besoin en surnombre » dans
un poste. En cas de refus du poste ou du refus de réintégrer, et dès lors qu’à l’expiration de son
détachement, dans un délai d’un (1) mois le poste de travail dégagé dans les conditions, celui- ci
encourt la sanction de révocation d’office105.

En pratique, l’existence de ce droit est de nature à limiter le champ de liberté du


parlementaire. Tout d’abord, le parlementaire fonctionnaire en détachement reste animé par
l’esprit de ce qu’il dépend toujours de son administration d’origine. Alors que celui-ci devrait
rompre complètement et définitivement avec son administration une fois entrée au Parlement. En
plus, cette possibilité de retour peut susciter de la part du parlementaire le sentiment d’être toujours
lié à son administration d’origine. De même, le parlementaire en cause est parfois embarrassé,
partagé entre l’envi de bien faire et de sacrifier son intention du retour ou de faire avec tant de
réserve pour conserver l’exploit à son retour. L’on peut également soulever le fait que le
parlementaire se voit obliger par le désir de ne pas effectivement assumer ses fonctions de contrôle,
de critique véritable à l’égard de l’administration dont il sait que plus tard il en retournera. Il se
trouve dans une situation où il ne doit pas bien mener ses missions de peur de faire face aux
représailles le moment opportun.

En définitive, il en ressort que cette démonstration relève d’un simple raisonnement


logique que peut engendrer le fait pour un fonctionnaire élu au Parlement, de savoir qu’il jouit
d’un droit de retour d’office à sa fonction. Toujours faudrait-il réitérer à ce niveau que pour

103
Article 76(2) du SGFPE.
104
MOUGOUE KAGOUE P R, La protection juridique de la fonction du parlementaire au Cameroun, op.cit., p.46.
105
Article 73(3) SGFPE.
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une indépendance effective du parlementaire en cause, sa carrière de fonctionnaire devrait


prendre fin avec le choix du mandat parlementaire. Il en est ainsi parce que le parlementaire
tout en sachant que son retour est probable au cas où le peuple ne lui accorde plus leur grâce,
il aura tendance à vouloir toujours garder une bonne relation avec son autorité hiérarchique.
Page | 47
Par contre, un autre élément pouvant nuire à l’autonomie du fonctionnaire élu au Parlement
reste le caractère temporaire de détachement.

Conclusion

En définitive, l’on peut reconnaitre qu’outre le statut général de la fonction publique de


1994, le régie juridique des fonctionnaires à certainement connu une diversification. Avec la
stabilisation progressive de la situation des agents publics, différents statuts spéciaux et
particuliers, de nombres textes réglementaires complémentaires sont entrain de réajuster le
régime juridique du fonctionnaire à un environnement juridique et politique favorable à
l’éclosion des droits et libertés. La situation du parlementaire fonctionnaire est plutôt
atypique, car ce dernier est soumis à un statut ambivalent. Il s’agit d’abord du statut général
de la fonction publique et ensuite des statuts internes aux Assemblées parlementaires.

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La lutte contre la secte terroriste Boko Haram à l’Extrême-Nord du


Cameroun fait-elle de ce pays un Etat en guerre ?
Does the fight against the terrorist sect Boko Haram in the Far North of Cameroon make this
country a state war ? Page | 48
Par :
EMBOLO EMBOLO Faustin Junior
Doctorant en droit public international à l’Université de Douala
Elève Officier de police
Spécialiste du droit international humanitaire
Juniorembolo2@gmail.com

Résumé :

Cet article a pour but d’opérer une analyse sur la nature des évènements que traverse le
Cameroun depuis mai 2014. Suivant les évènements sécuritaires importants et suivant la
déclaration du Chef de l’Etat à l’issue du Sommet de Paris sur la Sécurité au Nigeria le 17 mai
2014 notamment sur la déclaration de la guerre au Cameroun, on est en droit de se demander si
le Cameroun est un Etat effectivement en guerre. Plusieurs éléments seront évoqués dans la suite
du travail pour démontrer l’effectivité de cette réalité au regard du déploiement des troupes, de la
mobilisation des fonds, de la mise sur pieds de l’effort de guerre par l’administration
camerounaise mais également par les avis de la communauté internationale. Des avis, qui
enrichissent la sociologie de la guerre en rendant compte d’un « soutien spontané encadré » de la
population à ce conflit contre Boko Haram au Cameroun, en restituant les multiples potentiels de
la guerre au gré des catégories d’acteurs. La guerre est ainsi présente au Cameroun c’est
indéniable, au regard de l’intensité des feux, le nombre de morts, la situation humanitaire
déplorable. Tel semble être le fondement de la guerre contre Boko Haram au Cameroun depuis
mai 2014.

Mots clés : Guerre, Boko Haram, Effort de guerre, Communauté internationale.

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Abstract :

This article aims at analyzing the nature of the events that Cameroon has been going
through since May 2014. Following the major security events and the declaration of the Head of
State at the end of the Paris Summit over the Security in Nigeria in May 17, 2014, specifically on Page | 49
the declaration of war in Cameroon, we are wondering if cameroon is actually in a state of war.
Several elements will be mentioned in the rest of the work to demonstrate the effectiveness of these
events with regards to the deployment of troops, the mobilization of funds, the setting up of the
war efforts by the Cameroonian administration but also by the opinions of the international
community. Opinions that enrich the sociology of war by reporting on a " clearly defined
spontaneous support" of the population for the war against Boko Haram in Cameroon, by
restoring the multiple potentials of the war according to the categories of actors. The fact that the
war is present in Cameroon is undeniable considering the intensity of fireshots, the number of
deads, the deplorable humanitarian situation. Such therefore seems to be the basis of the war
against Boko Haram in Cameroon since May 2014.

Keywords: War, Boko Haram, War effort, International community.

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Introduction

La place que le présocratique Héraclite attribue au conflit dans sa philosophie du


devenir n’a jamais cessé d’être commentée1. Toutes les analyses de cette pensée mobiliste du 6 e
siècle av. J-C. rappellent la centralité qu’elle assigne à polémos, principe générateur de tout ce qui Page | 50
vit. C’est le propos tranché du fragment héraclitéen2, reflet d’une œuvre dont il ne nous reste que
quelques lambeaux et qui frappa vivement Nietzsche : « La guerre est mère de toutes choses, reine
de toutes choses, et elle fait apparaître les uns comme dieux, les autres comme hommes, et elle
fait les uns libres et les autres esclaves3 .» Un deuxième fragment (le B8) précise que le cœur de
cette lutte primordiale bat au rythme syncopé d’une perpétuelle harmonie des contraires : « Ce qui
s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus belle harmonie, et la lutte engendre toutes
choses». Selon Saint Augustin, « Si la morale chrétienne jugeait que la guerre est toujours
coupable, lorsque dans l'Évangile, des soldats demandent un conseil pour leur salut, on aurait dû
leur répondre de jeter les armes et d'abandonner complètement l'armée. Or, on leur dit (Lc 3, 14):
"Ne brutalisez personne, contentez-vous de votre solde." Leur prescrire de se contenter de leur
solde ne leur interdit pas de combattre.» Augustin4 .

Cette activité jusqu’à nos jours, a tellement meublé la vie des hommes qu’ils on finit par la
codifier, en lui attribuant des règles et un mode de fonctionnement qui, lorsqu’ils ne se font pas
respecter, vous expose à des sanctions. 5

Pour les définitions théoriques (1700-1819), le fait de guerre6 constitue pour les juristes du
droit international une véritable figure imposée. Imitant leurs devanciers, chacun s’essaie à la
définition théorique voulue comme globalisante. L’objectif vise à préciser autant que possible la
dimension de la guerre, son aire factuelle, à en déterminer ses limites et à affirmer où et comment
se fixe le phénomène pour mieux connaître le fait pris en compte par le droit de la guerre. A ce

1
Laks 2011 ; Héraclite 2011
2
B53
3
Nous retenons ici la traduction et le classement des fragments d’Héraclite proposés par Simone Weil dans La source
grecque, Paris, Gallimard, 1953. On notera néanmoins que ce fragment pose un problème spécifique : πόλεμος en grec
est masculin. « Mère » et « reine » peuvent sonner étrangement, au sens où la formule d’Héraclite répond à Zeus père
et à Zeus roi.
4
Lettre 138.2 (PL 33.531)
5
Réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ajoutant des prérogatives à celui-ci dans le cadre des opérations
extérieures notamment.
6
L’étymologie du mot « guerre » n’est pas abordée par la doctrine entre 1700 et 1819. Grotius dans s (...)
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titre, c’est bien l’élément matériel comme en d’autres matières se déterminerait l’élément moral
ou légal, que la doctrine entend rechercher.

Pour la doctrine du xviième, les formules de Cicerón, de Grotius et de Gentili forment les
définitions de référence7. Mais cet effort de qualification du fait demeure l’une des constantes des Page | 51
grands théoriciens du xviiième et de Bynkershock à Klüber, la définition de la guerre ouvre toujours
chacune des parties doctrinales consacrées au droit des gens en temps de guerre.

La guerre, étudiée à l’échelle des Etats, est induite par une dichotomie juridique et
constitutionnelle issue de la lecture de l’article 35 de la Constitution française de 1958 : le « temps
de paix » et le « temps de guerre ». Dans l’idéal, à chaque moment va correspondre son régime
juridique. En « temps de paix », il sera fait application, selon les cas, du régime de droit commun
des règles pénales comme civiles, ou bien du régime dérogatoire propre aux agents de l’État connu
du juge administratif. Le « temps de guerre » est lui définit par un acte formel, la déclaration de
guerre, qui va l’inscrire dans le temps et dans l’espace. Juridiquement parlant, cette « déclaration »
est indispensable puisqu’elle va poser en droit les conditions d’applicabilité du régime juridique
dérogatoire des forces armées et, plus largement, de « l’organisation de l’Etat en temps de
guerre ».8 Or cet acte si important repose aux frontières de plusieurs forces d’attraction. La
déclaration de guerre issue de l’article 35 est un acte national à portée internationale, mais elle
demeure un acte politique puisque votée par le Parlement9. Ainsi, et par projection pure10, son
adoption risque d’être soumise à tous les conflits d’intérêts nécessaires à l’adoption d’une loi ou
d’un texte au sein d’une démocratie, qui peuvent être néfastes à la célérité indispensable dans de
telles circonstances. Dans une approche plus moderne, selon Médecin Sans Frontières, La guerre
est un phénomène de violence collective organisée qui affecte les relations entre les sociétés
humaines ou les relations de pouvoir à l’intérieur des sociétés. Elle est régie par le droit des conflits
armés, aussi appelé « droit international humanitaire ».

En gros, l’on peut considérer la guerre comme des rapports conflictuels qui se règlent par
une lutte armée, en vue de défendre un territoire, un droit ou de les conquérir, ou de faire triompher

7
D’autres moins fréquemment reprises, comme celles de Zouche, de Pufendorf ou de Textor sont i (...)
8
Loi du 13 juillet 1938
9
La France n’a plus déclaré la guerre depuis 1939, aussi l’article 35 n’a-t-il jamais connu d’application.
10
Voir l’intervention de Jean-Pierre Chevènement « Le rôle du Parlement dans les affaires de défense de 1988 à
1991 » lors du colloque « Le Parlement dans la Ve République » organisé au Sénat le 15 mai 2008
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une idée11. Ou encore, La guerre peut se définir selon Wikipédia comme un état de conflit armé
entre plusieurs groupes politiques constitués, comme des États12.

Par opposition aux guerres entre États, une guerre peut aussi désigner un conflit armé entre
deux factions de populations opposées à l'intérieur d'un même État : on parle alors de guerre de Page | 52
religion, guerre civile, de guerre ethnique, de guerre révolutionnaire ou encore de guerre de
sécession ou même de guerre d’agression comme c’est la cas avec le Cameroun qui subit depuis
2014, les attaques de la secte terroriste Boko Haram dans sa zone septentrionale. Un groupe qui
sème la terreur au Nigéria depuis 2009 et qui par des velléités expansionnistes, s’est retrouvé
depuis le début de l’année 2014 à mener des exactions en terre camerounaise, à travers des
enlèvements, des agressions des populations, des actes de terrorisme, de vandalisme, des
endoctrinements des jeunes populations. Un ensemble d’actes qui ont d’ailleurs poussés le
président de la république du Cameroun S. E. Paul BIYA lors de la Conférence de presse conjointe
des Chefs d’Etat à l’issue du Sommet de Paris sur la Sécurité au Nigeria le 17 mai 2014 à déclarer
ouvertement la guerre à la secte islamique Boko Haram13. « Nous sommes ici pour déclarer la
guerre aux Boko Haram, on va la poursuivre et on vaincra cette chose terroriste. Parce que, les
inconvénients sont nombreux : c’est un groupe qui éloigne les missionnaires, les entrepreneurs,
les investisseurs, appauvri le pays, veut faire venir les populations du Nigéria au moyen âge et on
ne peut pas accepter cela. »14 Il serait de ce fait de bon de dire avec certitude que, la Cameroun

11
La guerre est un état ou une situation déclenchée par une confrontation armée entre deux ou plusieurs États ou par
une simple déclaration à cet effet, et auxquels s’applique un corps de règles de droit international distinct de celui
applicable en temps de paix (droit de la guerre, droit de la neutralité) (J. SALMON (Dir.), Dictionnaire de droit
international public, op. Cit., p. p. 537)
12
Les armées et la guerre n’auront qu’un temps car, malgré les paroles d’un sophiste, il n’est point vrai que, même
contre l’étranger, la guerre soit “divine” ; il n’est point vrai que la terre soit “avide de sang”. La guerre est maudite de
Dieu et des hommes qui la font. » Dans cet extrait de Servitude et Grandeur militaires, Alfred de Vigny récuse la
guerre comme fatalité, sans l’affranchir de sa charge d’horreur. La malédiction qui s’y attache se mesure d’abord en
destructions et en pertes humaines sur les champs de bataille. Mais cette malédiction se prolonge bien après le retour
de ceux de ses acteurs qui ont survécu. Porteurs de blessures physiques ou psychiques, souvent les deux associées, ils
ne peuvent pour la plupart poursuivre la mission et la nécessité de continuer les soins initiés sur le terrain justifie leur
retour par rapatriement sanitaire. Parfois aussi, des combattants qui reviennent apparemment indemnes de toute
blessure vont présenter de façon différée, à distance du retour d’opération, des manifestations de détresse psychique
en lien avec les événements violents dont ils ont été les acteurs ou qu’ils ont subis.
13
L’article 9 de la Constitution du Cameroun, telle que révisée en 2008 dispose que : « (1) Le Président de la
République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret, l’état d’urgence qui lui confère des
pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi.
(2) Le Président de la République peut, en cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance
ou les institutions de la République, proclamer, par décret, l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge
nécessaires. Il en informe la Nation par voie de message. »
14
Mais je dois dire que Boko Haram utilise des tactiques assez différentes et assez pernicieuses. Plus généralement,
ils attaquent la nuit, à partir de minuit, une heure du matin. Combien d’unités sont en éveil à ce moment-là ? Et puis,
ils observent et profitent de la fluidité, de la liberté dans le pays pour envoyer des observateurs le jour. Ils utilisent
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est un Etat en guerre. Tout au moins ; il est important de se demander si cette déclaration de guerre
répond aux canaux nécessaires et à la doctrine du combat pour prétendre affirmer que le Cameroun
est un pays en guerre15.

A cet effet, la déclaration du Président de la république du Cameroun S. E. Paul BIYA lors Page | 53
dudit sommet, donne-t-elle au Cameroun la nature d’un pays en guerre sur le plan formel ? En
d’autres termes, la lutte acharnée contre Boko Haram par les forces armées et polices
camerounaises depuis 2014, a-t-elle plongée le Cameroun dans un Etat guerre sur le plan
international ?

La présente réflexion a un intérêt à la fois scientifique et pratique. Sur le plan scientifique,


elle vise une évaluation des conditions nécessaires et préalables pour parler de guerre contre un
Etat ou un groupe armé, pour faire ressortir les catégories juridiques qui s’y trouvent. Au moment
où la lutte contre le terrorisme gagne en ampleur et touche le Cameroun de la manière la plus
brutale, il est nécessaire de mener une réflexion sur les conditions à mettre en œuvre pour parler
de guerre pour ce qui est de ce conflit précisément. Sur le plan pratique, il est évident que la lutte
contre Boko Haram aura comme conséquence directe et indéniable, le redéploiement tactique et
technique des forces de défense camerounaises face aux combats contre les membres de Boko
Haram16. Il s’agirait même du principal défi auquel se confronte les pays qui gravitent autour du
bassin du lac Tchad, principal fief de la secte islamique qui prétendrait vouloir installer un khalifat
dans cette zone et où la lutte antiterroriste semble à première vue difficile à mener17.

donc l’effet de surprise et la supériorité numérique. Là où vous avez quinze soldats, ils
envoient cent personnes avec un armement lourd. Nous sommes en train d’analyser tout cela et il y aura une réponse.
15
C. SAMY, « Pourquoi les démocraties en guerre contre le terrorisme violent-elles les droits de l'homme ? »,
Critique internationale, 2008/4 n° 41, p. 9-9.
16
La secte Boko Haram a trouvé un terrain vraiment propice au Cameroun ces derniers temps. Il y a eu plusieurs
enlèvements. Hier, il y a eu la mort d’un Chinois ; dix autres ont été enlevés. Pourquoi est-il facile à Boko Haram de
circuler au Cameroun,
Monsieur le Président? Ce n’est pas moi qui dicte les lois de Boko Haram. Il se trouve qu’il a une certaine préférence
pour le Cameroun... Mais je veux dire que nous avons mis en place désormais des moyens, des unités de combat. Cela
ne sera plus facile pour Boko Haram de s’attaquer au Cameroun, surtout que maintenant, on va accentuer la
coordination des
actions avec le Président Goodluck et toutes les personnes qui sont ici
17
Le cadre juridique instauré par le droit international humanitaire distingue deux types de conflits armés (Article 2
commun aux Conventions de Genève ; TPIY, Le Procureur c/ Dusko Tadic, Jugement, IT-94-1-T, 7 may 1997, par.
561-568; voir également TPIY, Procureur c/ Fatmir Limaj, Jugement, IT-03-66-T, 30 november 2005, para. 84) Les
conflits armés internationaux opposent au moins deux État, tandis que les conflits armés non internationaux opposent
les forces gouvernementales à des groupes armés non étatiques, ou des groupes armés entre eux. D’ordinaire, les
conflits armés internationaux sont aisés à identifier : les parties sont prédéterminées puisqu’elles opposent des entités
étatiques. Lorsqu’une difficulté de qualification se pose, elle relève habituellement de la question se savoir si les actes
d’hostilités peuvent être imputés à un État. Cette approche n’est pas opératoire dans le cas d’un conflit armé non
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La précision de l’ensemble des règles applicables dans le cadre d’une guerre, passe par une
analyse judicieuse des règles applicables en matière de guerre, ce qui fait appelle à la méthode
juridique. Mais cette analyse des règles ne saurait se passer d’une exploitation des informations
sur le terrain, ainsi que la pratique des Etats en la matière. Cette approche permet de constater
Page | 54
qu’il y a une détermination évidente de la guerre au Cameroun contre la secte islamiste Boko
Haram (I), ce qui rend polémique toute action que pourrait mener l’armée camerounaise sur le
théâtre des opérations à l’égard de la communauté internationale (II).

I- UNE DETERMINATION EVIDENTE DE LA GUERRE A L’EXTREME-NORD


CAMEROUN

D’après Saint Thomas d’Aquin, pour parler de guerre juste, il faut notamment, requérir
trois conditions à savoir : L’autorité juste : « l’autorité du prince, sur l’ordre de qui on doit faire
la guerre. » Une cause juste : « il est requis que l’on attaque l’ennemi en raison de quelque faute.
» Une intention droite : « on doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal. »18

Il existe de nos jours, un éventail de conditions de relatives à l’affirmation de l’existence


d’une guerre et notamment au Cameroun, où des éléments politico-militaires évidents auxquels
nous ne serons faire fie s’y produisent (A) et il peut paraître naturel de constater que ces éléments
donnent une précision sur la condition juridique de ce que traverse le Cameroun, au regard de la
communauté internationale. Cette déclaration du Président Paul Biya au sommet de la sécurité au
Nigéria laisse voir la mise sur pieds de certaines mesures juridiques et sociales propres à la
résolution d’une guerre au Cameroun (B).

A- Les méthodes et moyens formalisant la guerre a l’Extreme-Nord Cameroun contre


Boko Haram

Depuis l’année 2014, la région de l’extrême-nord Cameroun connait une crise sécuritaire
majeure dont la nature juridique est encore incertaine. L’enjeu étant important, au regard du
nombre de victimes ayant subis les affres de la secte terroriste Boko Haram, le président
camerounais s’est trouvé obligé de déclarer la guerre aux membres de ladite secte terroriste, au

international. Il convient alors d’examiner le niveau d’organisation des parties et le degré d’intensité des affrontements
entre ces groupes eux-mêmes ou entre ces groupes et l’État, pour voir s’il atteint le niveau requis, afin de qualifier la
situation de conflit armé non international (CICR, Commentaire à l’art. 1 du Protocole additionnel (II) aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux
(Protocole II), 8 juin 1977 p.372).
18
ST II-II 40. 1
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regard de l’intensité des violences qu’ils infligeaient aux populations camerounaises, tout en
agissant à visage découvert (1), suscitant l’internalisation du conflit et la mise en action de l’article
II19 commun de la convention de vienne20 de 1949 sur le droit des conflits armés ou encore, la droit
de la guerre (2)21.
Page | 55
1- L’acte formel de la déclaration de guerre et ses répercutions politico-juridiques (jus
ad bellum)
- Rappel historique

La déclaration de guerre est une étatique, fort variable au fil des siècles, et la déclaration
de guerre a elle aussi été chargée de sens très variables. On renvoie le plus souvent à la pratique
des Romains, pour qui une guerre n’était régulière que si elle était précédée d’une déclaration.
Celle-ci résultait d’une procédure solennelle faisant intervenir les féciaux, qui consistait dans un
premier temps à demander satisfaction (rerum repetitio). Si celle-ci n’était pas obtenue les dieux
étaient pris à témoins de l’injustice subie (testatio deorum), étape essentielle afin d’attester la juste
cause de la guerre dont la déclaration suivrait. Le collège des féciaux soumettait alors la question
au Sénat, seul compétent pour décider la guerre. Sa décision prise, le chef du collège procédait
enfin à la déclaration proprement dite (indictio belli, ou denunciato belli), en jetant simultanément
une lance dans le territoire de l’adversaire. Les récits donnés de la cérémonie féciale sont variables
et plus ou moins colorés22, mais on trouve dans tous la succession de ces trois étapes23 et l’idée
dominante que la guerre ne saurait être régulièrement déclarée que si les dieux ont été rendus

19
Sont définis à l’article 2commun aux conventions de Genève de 1949. La convention s’appliquera en cas de guerre
déclarée ou de tout conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs Etats, si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une
ou l’autre des parties.
20
voir A Message from the President of the United States Regarding Protocol II Additional to the 1949 Geneva
Conventions, and Relating to the Protection of Victims of Non-International Armed Conflicts, 100e Cong.,
Washington D.C., United States Government Printing Office, 1987, pp. 100-102 et D. J. FEITH, « Law in the
service of terror: the strange case of the additional protocol », The National Interest, 1985, n°1, pp. 36-47, en
particulier p. 47). L’ancien Secrétaire d’État américain à la défense déclarait à propos des détenus de Guantanamo
que : « Ce ne sont pas des prisonniers de guerre. Ce sont des tueurs, parmi les plus dangereux, les mieux entraînés et
les plus cruels de la planète ».
21
Un élément fondamental de la notion de conflit armé est l'existence de « parties » belligérantes. Dans un conflit
armé international, les parties au conflit sont deux ou plusieurs États (ou des États et des mouvements de libération
nationale), tandis que, dans un conflit armé non international, les parties peuvent être soit un État et des groupes armés
(par exemple, des forces rebelles), soit uniquement des groupes armés. Dans un cas comme dans l'autre, les parties au
conflit armé ont une formation de type militaire ainsi qu’une organisation et un commandement plus ou moins
structurés. Elles sont donc en mesure de respecter et de faire respecter le droit humanitaire.
22
Ch. Dupuis, « La déclaration de guerre est-elle requise par le droit positif ? Devrait-elle l’être ? », RGDIP, 1906,
p. 725-733.
23
L’Autriche et la Hongrie ratifièrent la convention le même jour, le 27 novembre 1909, mais séparément, ce qui
soulève incidemment la question de la nature juridique de l’Empire d’Autriche-Hongrie.

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témoins de sa juste cause, au risque sinon de s’attirer leur courroux. Cet usage ancien s’est transmis
aux peuples modernes sous des formes variées, si bien qu’à partir du XIIe siècle la déclaration de
guerre intervenait avant l’ouverture des hostilités dans quasiment chaque conflit.

- Vers la juridisation du concept de déclaration de guerre dans le cadre de la lutte Page | 56


contre Boko Haram au Cameroun

Cette orientation vers un caractère immatériel et globalisant de la guerre, ira de pair avec
celui d’une relativisation de la conception de la guerre entendue comme instrument du droit. Sans
anticiper sur la crise de la notion de juste cause, la guerre, dès sa définition, n’est plus dans l’état
naturel où se trouvent les nations, considérée comme un moyen de dire et de faire le droit. Ce point
constitue une rupture historique. Traditionnellement la guerre était assimilée à un acte de justice
vindicative. Elle était au sens propre la punition d’une première injustice. Cette donnée consacrait
sa légitimité et fondait le couple guerre-justice. Au xviiième siècle, la guerre se sécularise et c’est
sa dominante factuelle qui va peu à peu prévaloir. Certes une partie non négligeable de la doctrine
aura du mal à rompre le couple du juste et de la guerre, mais la guerre avec notamment Moser,
Vicat, Martens est d’abord conçue comme œuvre de fait et non comme œuvre de justice. Un acte
qui prit par le président camerounais en mai 2014, a suscité de vives interrogations de la part de la
communauté internationale, mobilisant à sa suite des ressources tant de la part des forces
belligérantes que de la part de l’Etat du Cameroun (1). Ce qui a suscité une mobilisation
internationale de ce conflit engageant des forces étrangères sur le sol camerounais (2).

2- La mobilisation des forces du fait de la déclaration de guerre du président de la


république du Cameroun en mai 2014
- La mobilisation par les forces de Boko Haram

Depuis mars 2014, l’Extrême-Nord est le théâtre d’une guerre ouverte. Boko Haram a
mobilisé au cours d’une quinzaine de batailles, des centaines de combattants, des véhicules blindés
et des 4 x 4 équipés d’armes lourdes. Après une phase conventionnelle de mars 2014 à juin 2015,
le groupe a privilégié la pause d’engins explosifs improvisés (EEI) puis les attentats-suicides, dont
la fréquence a diminué après un pic début 201624 mais aussi, les enlèvements25.

24
Toutes attaques confondues, Boko Haram a fait 88 morts en janvier 2016, 79 en février, 23 en mars, seize en avril,
treize en mai, 31 en juin, dix-huit en juillet et une trentaine en août et septembre.
25
En effet, la libération de la famille Moulin-Fournier, enlevée le 19 février 2013 dans la localité de
Dabanga, à quatre-vingts kilomètres de Kousséri, ou le prêtre français Georges Vandenbeusch, enlevé
à Nguetchéwé le 14 novembre 2013, n’a pas mis fin à la série. Début avril 2014, les pères Gianantonio
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Les soldats camerounais fessant face à un ennemi aux tactiques multiples : partant à
l’assaut à mille ou à dix, employant un large éventail de modes opératoires et ciblant parfois
simultanément des villes dans différents départements. Depuis juillet 2015, le groupe armé,
apparemment affaibli ou ayant perdu sa capacité à mener une guerre frontale, combine embuscades
Page | 57
et coups de main contre des postes militaires, opérations de pillage et représailles contre les comités
de vigilance, les collaborateurs de l’armée ou de l’Etat. Il multiplie aussi les attentats-suicides26.
Boko Haram a d’abord commis des massacres de masse dans les localités identifiées comme
collaborant avec le gouvernement, évitant d’attaquer celles où il avait une base. Mais à mesure des
déconvenues et du ralliement des populations aux forces camerounaises, les attaques sont devenues
indiscriminées27.

- Du fait de l’armée camerounaise

« Le champ de bataille est partout couvert de cadavres d'hommes ; les routes et les fossés
sont parsemés de corps morts. Les champs sont ravagés, les blés et les maïs sont couchés, les
vergers saccagés...les villages portent les traces des ravages des bombes, des fusées, des grenades
et des obus ; les maisons sont trouées, lézardées, détériorées et leurs habitants qui ont passé près
de vingt heures cachés et réfugiés dans leurs caves, sans lumière et sans vivres, commencent à en
sortir. Leur air de stupeur témoigne du long effroi qu'ils ont éprouvé. »28

L’armée camerounaise, en réponse aux atrocités infligées par les assaillants de Boko
haram, s’est mobilisée de la manière la plus énergique pour apporter du réconfort aux populations.
Sur un déploiement tactique, les forces de défense camerounaises, ont dues réorganiser leurs
dispositifs sécuritaires à la hauteur de la menace en apportant dans la zone au conflit, un arsenal
militaire moderne et efficace face à la puissance de feu des assaillants de Boko haram.

Allegri, Giampaolo Marta et la sœur Gilberte Bussière sont capturés avec le chef traditionnel du village
de Goumouldi, qu’on retrouvera égorgé au Nigeria ; la nuit du 16 au 17 mai, dix ressortissants chinois
disparaissent à Waza ; le dimanche 27 juillet, la ville de Kolofata fait l’objet d’un assaut spectaculaire au
cours duquel sont enlevés l’épouse du vice-premier ministre [Camerounais] Amadou Ali, sa belle-sœur,
le maire et lamido de Kolofata M. Seini Boukar Lamine, son épouse, six de leurs enfants et plusieurs
autres membres de la famille.
26
Au moins vingt attentats-suicides ont été déjoués sans faire de victimes, seize ont tué uniquement les kamikazes et
52 ont fait d’autres victimes. Bilan établi par Crisis Group sur la base des sources ouvertes et des entretiens avec les
forces de sécurité et les autorités administratives. Briefing de Crisis Group, Boko Haram sur la défensive ?, op. cit.
27
Entretiens de Crisis Group, universitaires et journalistes de l’Extrême-Nord, 2016.
28
Henry Dunant, Un Souvenir de Solferino (texte adapté)
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B- Les élèments confortant l’existence d’une guerre


1- L’internationalisation du conflit contre Boko Haram : une garantie juridique de
l’existence d’une guerre

« Les conflits armés internationaux, sont définit à l’article 2 aux conventions de Genève de Page | 58
1949. Cet article précise que la convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre
conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs Etats, même si l’Etat de guerre n’est pas reconnu
par l’une ou l’autre des parties. »

« L’article 1 sous-section 4 du protocole I est venu rajouter qu’un conflit armé sera qualifié
d’international si le peuple partie au conflit, lutte contre la domination coloniale, et l’occupation
étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes ».

Il est certes vrai que la qualification d’internationalisation d’un conflit armé ne lui donnerait
de sens véritable que si cela implique à première vue deux Etats. Mais, il demeure important de
préciser que l’article 1 sous-section 4 du protocole I apporte plus de précision sur la décision du
peuple qui lutte pour préserver son droit à disposer de lui-même. En rapprochement avec la lutte
contre Boko Haram, on est donc en droit d’avoir une classification juridique évidente de guerre,
au regard du rôle que le peuple camerounais joue dans cette lutte.

2- L’effort de guerre par les populations camerounaises

Ce terme a pour la première fois été utilisé par les autorités camerounaises dans le cadre
d’une communication relative à la guerre contre Boko Haram. Ceci marque une acceptation réelle
de la présence d’une guerre dans la région de l’Extrême-nord.

À l’observation de la guerre que mène le Cameroun contre Boko Haram depuis le 17 mai
2014, il est difficile de souscrire à la thèse de la prérogative guerrière exclusive de l’État esquissée
par les auteurs statistes. En effet, dans cette guerre, la population camerounaise prend une part
active dans le soutien aux forces de défenses engagées au front. Dès fin mai 2014, certaines
populations et élites du sud ont initié une motion de soutien à l’action du président Biya et des
forces de défenses dans la guerre contre Boko Haram. Depuis lors, des formes multiples de soutien
ont afflué.

Il s’agit d’un processus au cours duquel quelqu’un rend populaire une action, une réalité.
Derrière le processus de popularisation se trouve donc une main manifeste ou latente. La
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popularisation de la guerre est un processus par lequel des acteurs travaillent à faire connaitre la
guerre, à la rendre populaire. Car ce n’est seulement parce que le peuple perçoit la guerre comme
son affaire qu’il s’y engage.

Cela s’est d’ailleurs manifesté au Cameroun avec cette participation active de toutes les Page | 59
franges de la population qui ont cotisées 1,2 milliard FCFA comme effort de guerre contre Boko
Haram durant en avril 201529.

3- La participation étrangère au conflit : un élément déclencheur de la guerre

« Pour ma part, je persiste à croire que la menace que représentent les djihadistes, Boko
Haram et autres Shebabs, ne pourra être levée que par une mobilisation au niveau international.
Beaucoup l’ont compris. Il reste à en tirer les conséquences ».

Premier pays à répondre concrètement à cette croisade contre Boko Haram, le Tchad a
déployé un contingent de 2 500 soldats au Cameroun, pour appuyer notre pays dans sa croisade
contre ce véritable syndicat du crime et de la barbarie que constitue Boko Haram et dont la
menace dépasse largement le seul Nigéria, pour affecter tous ses pays frontaliers en l’occurrence,
le Bénin, le Niger, le Tchad, et surtout le Cameroun.

L’Etat-major de l’armée camerounaise a désigné la ville de Kousseri à l’Extrême-nord du


Cameroun pour abriter la base du contingent tchadien au Cameroun.

29
(Investir au Cameroun) - Le compte spécial ouvert au Trésor public sur instruction du chef de l’Etat camerounais,
afin de canaliser les dons des populations camerounaises visant à soutenir les militaires engagés au front dans la lutte
contre la secte islamiste nigériane Boko Haram, affichait un montant de 1,2 milliard de francs Cfa au 30 avril 2015,
a-t-on appris ce même jour au sortir de la première session du Comité interministériel ad hoc chargé de la gestion de
ces fonds.
A ce montant, il faut ajouter la somme de 118 millions de francs Cfa mobilisée le 2 mai 2015, à raison de 55 millions
de francs Cfa pour les populations du département du Haut-Nyong, dans la région de l’Est du pays, et 63 millions de
francs Cfa mis dans la cagnotte par les ressortissants du département du Koung-Khi, dans la région de l’Ouest du
Cameroun.
Pour rappel, depuis quelques mois, en guise de solidarité aux soldats camerounais engagés dans la lutte contre Boko
Haram dans la région de l’Extrême-Nord, les villes et villages du Cameroun abritent quasi-hebdomadairement des
marches de soutien généralement assorties de collectes de fonds et de dons en nature (produits alimentaires), destinés
à encourager les militaires camerounais et les populations déplacées du fait de la menace Boko Haram.
Face à ces nombreuses initiatives, le chef de l’Etat camerounais a dû ordonner l’ouverture d’un compte spécial dans
les livres du Trésor public, afin de garantir la traçabilité desdits fonds, et a mis en place un comité interministériel de
gestion présidé par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, René Emmanuel Sadi.
Au sortir de la première session de ce comité le 30 avril 2015, le Ministre Sadi a annoncé la création des comités
régionaux présidés par les gouverneurs de régions. «Des membres de la société civile et quelques personnalités
politiques pourront intégrer ces comités régionaux pour respecter le principe de transparence, afin que les
Camerounais sachent que cet argent qui est le fruit de leurs efforts ira effectivement aux bénéficiaires», a-t-il déclaré.

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En plus d’un important contingent militaire fait de 2 500 hommes, le Tchad a mobilisé un
impressionnant arsenal de guerre composé de moyens aériens et terrestres, et d’un armement
lourd.

Presque concomitamment à l’engagement du Tchad, des émissaires de nombreux pays Page | 60


amis, sont venus à la rencontre du Chef de l’État, pour lui témoigner leur disponibilité à apporter
une contribution opérationnelle à la lutte engagée contre la secte obscurantiste Boko Haram30.
(…)

Un impressionnant convoi de 400 véhicules militaires tchadiens et des hélicoptères de


combat ont pénétré le sol camerounais avec l'objectif de combattre le groupe islamiste nigérian
Boko Haram, contre lequel le président tchadien Idriss Deby a réclamé une "coalition" donc une
internationalisation du conflit pour la compte des Etats membres de la commission du bassin du
Lac Tchad. (CBLT)31 Une collaboration nécessaire au regard de l’intensité des feux des assaillants
de Boko Haram mettant à mal toute la zone sahélienne32. Une reconnaissance des populations
camerounaises ayant saluées cette entrée remarquable des militaires tchadiens les encourageant au
passage.

30
MOBILISATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE POUR LA LUTTE CONTRE BOKO HARAM
À L’APPEL DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN, SON EXCELLENCE PAUL BIYA
CONFÉRENCE DE PRESSEPROPOS LIMINAIRE DE S.E.M. ISSA TCHIROMA BAKARY MINISTRE DE LA
COMMUNICATION Yaoundé, 04 février 2015
31
La Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) est une structure permanente de concertation qui a été
créée le 22 mai 1964 par quatre pays riverains du Lac Tchad : le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad.
Mais le nombre de pays membres est passé à six depuis l’adhésion de la République Centrafricaine en 1996
et de la Libye en 2008. Le Soudan, l’Egypte, la République du Congo et la RD Congo sont membres
observateurs. Le siège de l’Organisation est à N’Djaména, République du Tchad. La CBLT a pour mandat, la
gestion durable et équitable du Lac Tchad et des autres ressources en eaux partagées du bassin éponyme,
la préservation des écosystèmes du Bassin Conventionnel du Lac Tchad, la promotion de l’intégration et la
préservation de la paix et de la sécurité transfrontalières dans le Bassin du Lac Tchad.
11 Il convient de relever que l’on assiste à un renforcement de la coopération régionale pendant l’été 2015,
avec la création de la Force Multinationale Mixte (FMM) dont le quartier général est à N’djaména et le
commandement opérationnel est assuré par un général nigérian, Illyah Abbah. La FMM est constituée des
armées nigériane, camerounaise, tchadienne, nigérienne et béninoise. 12 La Multinational Joint Task Force (MNJTF)
ou Force Multinationale Conjointe est composée de forces armées béninoise, camerounaise, nigérienne, nigériane et
tchadienne. Cette force d’intervention conjointe est composée de 8700 militaires, policiers et civils et son quartier
général est à N’djaména.13 L'Union européenne (UE) promet d'apporter un financement de 55 millions de dollars à
la force régionale chargée de lutter contre Boko Haram, au Nigeria. Lire à propos un extrait de BBC Afrique du 02
Aout 2016. http://www.bbc.com/afrique/region-36953970.
32
Rapport de Crisis Group, Exploiter le chaos : l’Etat islamique et al-Qaeda, 14 mars 2016.
https://www.crisisgroup.org/fr/global/exploiting-disorder-al-qaeda-and-islamic-state. 17 Lire à propos,
l’enrichissante contribution de Nicolas courtin, relative à la compréhension de Boko-Haram. Nicolas Courtin, «
Comprendre Boko Haram.Introduction thématique », Afrique contemporaine, 2015/3, (n° 255), p .13-20.
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4- L’intensité des feux et la présence des éléments distinctifs des combattants


 L’intensité des feux durant les combats

La nature des armes utilisées pendant le déroulement d’un conflit, peuvent clairement servir
à l’identification de la nature dudit conflit. Pour ce qui est du cas de la guerre contre Boko Haram. Page | 61

Le 12 janvier 2015, selon les propos des militaires au front, ils « ont subi une attaque
massive et violente des combattants de Boko Haram, et l’utilisation des 12,7 mm (Le fusil de
précision de 12,7 mm PGM est un fusil de précision de 12,7 mm, de marque PGM, est muni d'une
béquille articulée et d'un bipied. C’est un fusil de guerre.

Il est équipé de :
 un frein de bouche,
 un appui-joue
 un chargeur de sept cartouches.

Il est livré avec une lunette jour de grossissement 10, graduée de 500 à 1800 mètres, le fusil
à répétition PGM cal 12,7 modèle F1 pour tireur d'élite permet de traiter des objectifs entre 500 et
1800 mètres (personnel jusqu'à 1200 mètres, véhicules jusqu'à 1800 mètres). L'UC comprend
également un collimateur de réglage Scrome. L'arme complète avec kit est conditionnée dans un
sac de transport portable à dos d'homme.
Armements
Probabilité d'atteinte antipersonnel, cible de 1,40 x 0,50 m :
● 500 m = 0,98,
● 1000 m = 0,94.
Probabilité d'atteinte anti véhicule, cible de 2 x 2 m :
 1500 m = 0,75,
 1800 m = 0,60.
Pouvoir de perforation de la munition PF2 sur acier à blindage = 13 mm à une distance de
725 m. Pas de restriction à la cadence de tir, seule une surchauffe du tube peut amener à limiter le
nombre de coups (ondes de chaleur devant la lunette)33.
Dimensions
 Longueur du canon : 700 mm ;

33
https://fr.wikipedia.org/wiki/12,7_%C3%97_99_mm_OTAN
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 Longueur de la partie rayée : 605 mm ;


 Nombre de rayures : 8 ;
 Pas des rayures : 381 mm ;
 Longueur totale de l'arme : 142 mm ;
Page | 62
 Masse de l'arme en ordre de tir : 16,900 kg.) durant cet affrontement a été remarquable par
lesdits combattants en direction des postes avancés de l’unité d’élite camerounaise (le
BIR). Tout aussi, l’utilisation des blindés. » Il demeure important de préciser que
l’utilisation d’une telle arme au regard de sa puissance ne s’illustre pour la plupart des cas
que durant les conflits armés de haute intensité34.
 La présence des éléments distinctifs entre les combattants des deux bords

Pour le cas des membres de la secte terroriste Boko Haram, selon les éléments de l’unité
d’élite camerounaise (BIR), le chef des troupes de Boko Haram est à la fois, leader spirituel et
leader stratégique. Il fait très régulièrement partie de la première catégorie des combattants
suscités. En général, ces leaders n’ont pas d’armes, ils sont couverts par leurs soldats qui servent
de boucliers ; et quant à lui, donne régulièrement des ordres par des gestuelles bien distinctes pour
orienter les troupes, pour donner des ordres, pour définir le combat et pour changer de tactique en
fonction de la tournure que prend les évènements.

En dehors de cet élément essentiel au combat, les combattants de Boko Haram, manifestent
souvent leur présence par l’embarquement d’une étoffe (drapeau) de couleur nord ayant des écris
en arabe floqués dessus.

L’utilisation des techniques de guerre des plus modernes ont été manifestement utilisées
par les membres de la secte en hiérarchisant les combattants en trois catégories notamment, la
première catégorie que les militaires appellent les combattants lambda, la deuxième catégorie qui
est composée des combattants plus aguerris et expérimentés vêtus de ‘bottes’, de ‘treillis’, de
‘casques’ et la troisième catégorie qui est constituée des ‘officiers’. Ils sont selon les militaires au

34
Cette munition a été conçue pendant la Première Guerre mondiale par John Browning pour un projet d'arme anti-
aérienne. Il s'agit d'une version agrandie de la .30-06 Springfield ; la mitrailleuse destinée à la tirer est une mise à
l'échelle de la M1919/M1917 également conçue par Browning au début du XXe siècle et se nomme M2.
Le Corps de l'ordonnance (United States Army) s'intéresse aux balles antiblindages, inspiré en cela par des essais
français de calibre 11 mm. Il s'adresse à John Browning pour lui demander une balle lourde avec une vitesse de
2 700 pieds (822,96 m) par seconde. Celle-ci n'existe pas encore. Le Corps de l'ordonnance demande à la firme
Winchester de concevoir une munition de calibre 12,7 (soit un demi-pouce) et l'arsenal de Frankford crée la balle de
12,7 × 99 mm.
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front généralement plus nombreux et s’illustrent par un cri de guerre ‘ALLA WAGBAT 35’,
montant simultanément à l’assaut36.

La présence d’une guerre dans un espace géographique bien déterminé, ne se définit pas
seulement dans le cadre des affrontements sanglants. D’autres paramètres entrent en jeu et donne Page | 63
une nouvelle précision quant à la nature du combat. Pour ce qui est du cas de la guerre contre Boko
Haram à l’Extrême-nord Cameroun, il est important de dire que les juridictions nationales ne sont
pas restées silencieuses quant à la qualification et la condamnation des anciens membres de la
secte terroriste de Boko Haram, faisant état de prisonniers de guerre.

II- L’IMPLICATION DE LA JUSTICE ET DES MESURES SOCIALES DANS LA


RESOLUTION DE LA GUERRE CONTRE BOKO HARAM

Les guerres à prétention morale ou religieuse comme celle de Boko Haram contre les pays
membres de la CBLT, donne l’apparence de guerres justes aux assaillants, alors qu’elles peuvent
entraîner des conséquences dramatiques. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre à leur égard les
ressources critiques permettant de discuter leurs prétentions, contester leur légitimité et limiter
leurs effets. Ce sont de telles ressources critiques que contient l’idée d’une justice de la guerre et
donc une justice de la guerre contre les assaillants de Boko Haram37. Aux prétentions d’une guerre
qui se veut justifiée par l’état de choses que cette secte prétend vouloir instaurer, s’oppose l’idée
d’une guerre juste dont la légitimité serait scrupuleusement établie et qui serait assortie de limites

35
Ce rejet de l’école occidentale s'accompagne d'une lecture littérale du Coran, qui fait dire à Mohamed
Yusuf, dénoncé pour son idéologie obscurantiste, que la Terre est plate, ou que l'eau de pluie ne résulte pas
de l'évaporation, puisqu'elle est une création d'Allah.
Cette aversion contre la culture occidentale pourrait s’expliquer par la trajectoire personnelle de Mohamed
Yusuf. Né en 1970 à Gidgid près de la frontière du Niger, ce dernier a déserté l’école primaire après trois ans
d’études et n’a jamais pu être admis à l’université ; il convient de souligner aussi qu’il a été chassé de la
mosquée Izala où il prêchait car il n’avait pas les diplômes requis par le cursus coranique saoudien ce qui a
comme conséquence sa haine des érudits aussi bien musulmans que chrétiens. Lire à propos, Muhammad
Sani Imam, Muhamad Kyari,Yusufuyya and the State : Whose Faulty ?, University of Maiduguri, Department
of History, polycop., 2009,p.3 ; Issoufou Yaya, “BokoHaram au Nigeria : le fanatisme religieux comme projet
politique”,Sfera Politicii,vol.19, n°164, 2011, p.15.
36
Repportage de jounaliste sans frontières présents dans la ville de KOLOFATA durant la période de mai 2015.
37
L’armée camerounaise a affirmé détenir « plus de 1 000 » combattants suspectés d'être liés au groupe nigérian, dans
la prison de Maroua, chef-lieu de la région de l'extrême nord du pays. « Tous ont été arrêtés en territoire camerounais
lors de nos opérations » de ratissage, a précisé le colonel Joseph Nouma, commandant de l'opération Alpha de lutte
contre le groupe terroriste dans la région. « Le maximum de ce que nous savons de leur organisation (Boko Haram)
vient de ces prisonniers », a-t-il ajouté, assurant qu'ils seraient mis « à la disposition de la justice ». De son côté, la
police nigérienne a annoncé avoir arrêté plus de 160 personnes, soupçonnées d'être membres de la secte islamiste
Boko Haram, dans la région de Diffa (Annonce faite le 16 février 2015 par la police nigérienne.)
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morales fortes. L’exigence d’une justice de la guerre vaut face aux guerres qui disent vouloir
établir le bien, voire au sein même des guerres à prétention morale.

La guerre contre Boko Haram38, dans laquelle s’est engagé le Cameroun depuis 201439, a
conduit l’arrestation et la mise en détention de nombreuses personnes, de diverses nationalités40 Page | 64
au Cameroun. Ces personnes sont arrêtées au cours des opérations de riposte contre les attaques
du groupe terroriste, ou arrêtées lors des opérations de ratissage opérées par les forces armées
régulières. Aux troupes camerounaises engagées sur ce front, se sont ajoutées les forces armées
tchadiennes et nigériennes, avec une proposition de création d’une force multinationale41 (FMM)42
d’où la mise en action de la justice camerounaise pour connaître du sort de ces assaillants (A).

38
La secte Boko Haram est née dans le nord-est du Nigeria au début des années 2000 sous le nom de Jama’atu Ahlul
Sunna Lidda’awati Wal Jihad (communauté des disciples pour la propagation de la guerre sainte et de l’islam). Son
objectif est d’instaurer une application stricte de la loi musulmane telle qu’enseignée par le Prophète pour l’étendre à
l’ensemble du pays et combattre l’éducation occidentale, considérée comme un véritable péché et comme le point de
départ du déclin des sociétés islamiques. C’est dans cette logique que les attaques sanglantes de Boko Haram contre
les chrétiens se sont multipliées, semant un climat de terreur dans un le pays. (Voir J-P. REMRY, « Le Nigeria face
au spectre d’une guerre de religion », Le Monde, 29 décembre
2011http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/12/29/le-nigeria-face-au-spectre-d-une-guerre-de-
religion_1623966_3212.html ). Également A. VICKY, « Aux origines de la secte Boko Haram », Le Monde, avril
2012)
39
La déclaration faite par le Président camerounais le 17 mai 2014 lors du sommet de Paris, ne faisait peser aucun
doute sur l’engagement du Cameroun à lutter contre ce phénomène: « nous sommes ici pour déclarer la guerre au
Boko Haram. » (Déclaration du Président camerounais, Paul Biya, à l’issue du Sommet de Paris sur la sécurité au
Nigeria)
40
L’armée camerounaise a affirmé détenir « plus de 1 000 » combattants suspectés d'être liés au groupe nigérian, dans
la prison de Maroua, chef-lieu de la région de l'extrême nord du pays. « Tous ont été arrêtés en territoire camerounais
lors de nos opérations » de ratissage, a précisé le colonel Joseph Nouma, commandant de l'opération Alpha de lutte
contre le groupe terroriste dans la région. « Le maximum de ce que nous savons de leur organisation (Boko Haram)
vient de ces prisonniers », a-t-il ajouté, assurant qu'ils seraient mis « à la disposition de la justice ». De son côté, la
police nigérienne a annoncé avoir arrêté plus de 160 personnes, soupçonnées d'être membres de la secte islamiste
Boko Haram, dans la région de Diffa (Annonce faite le 16 février 2015 par la police nigérienne.)
41
Loin d’être une simple aide apportée au Cameroun, l’internationalisation de la lutte contre Boko Haram se présentait
comme une nécessité pour la sauvegarde de la paix et de la sécurité dans la sous-région de l’Afrique centrale et en
Afrique de l’ouest. Dès janvier 2015, la lutte contre le mouvement terroriste a pris une tournure régionale, avec la
prise de conscience des membres de l’Union Africaine de la nécessité d’éradiquer le phénomène. Pour ce faire, les
dirigeants de la CEEAC, de l’Union Africaine et les Nations Unies, ont décidé de mettre en place une force
multinationale chargée de la lutte contre Boko Haram. (Rapport du Secrétaire général sur les efforts déployés par le
système des Nations Unies pour aider les organismes nationaux, sous-régionaux et régionaux en Afrique à lutter contre
le terrorisme ) (Sur l’internationalisation de la lutte contre Boko Haram, voir B.M. METOU, « Lutte contre Boko
Haram, le temps d’une action collective », Bulletin SENTINELLE, n°420 du 01er février 2015).
42
La Force multinationale mixte (FMM) est un effort des Etats du bassin du lac Tchad – Cameroun, Niger, Nigeria et
Tchad – visant à mettre en commun leurs ressources pour lutter contre les jihadistes qui les menacent. La force mixte
a mené des opérations qui impliquaient souvent que les troupes de ces pays combattent les unes chez les autres. Ces
offensives ont débouché sur des victoires et contribué à insuffler un esprit de corps aux troupes. Les pays du lac Tchad,
avec le Bénin, ont donné à la FMM sa forme actuelle entre la fin 2014 et le début 2015, s’engageant à y affecter plus
de 8 000 hommes. L’Union africaine (UA) a approuvé la création de la force le 3 mars 2015 et prévu qu’une
organisation sous-régionale, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), soit l’organisme civil chargé de la diriger.
La FMM a établi un cadre multilatéral crucial pour combattre les insurgés de Boko Haram, de plus en plus nombreux
à lancer des attaques au-delà des frontières.
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Outres les mesures répressives, il reste aussi important de relever le caractère social que la
Cameroun a tenue à mettre en lumière dans le cadre de la résolution de cette, impliquant à plusieurs
égards, certains ressortissants camerounais, nigérians et tchadiens (B).

A- La présence des prisonniers de guerre dans les prisons camerounaises (Maroua, Page | 65
Yaoundé)

Il est notoire que la communauté internationale n’a pas encore été à même de s’entendre
sur une définition globale du terrorisme, en dépit de toutes les tentatives faites par l’Assemblée
générale et le Conseil de sécurité à cet égard. En 1994, en particulier, dans la Déclaration sur les
mesures visant à éliminer le terrorisme international, l’Assemblée générale a déclaré que les actes
criminels qui sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de
personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient
les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou d’autre
nature que l’on puisse invoquer pour les justifier. En 2004, le Conseil de sécurité, dans sa
résolution 1566 (2004), a identifié plusieurs éléments d’une définition, comportant en particulier
les “actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort
ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un
groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre un
gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire43.

Quoi qu’il en soit, l’absence d’une définition générale du terrorisme ne constitue pas, en
droit, un obstacle pour les praticiens. Depuis 1963, la communauté internationale a élaboré un
cadre d’instruments juridiques mondiaux visant à prévenir les actes de terrorisme. Il s’agit de plus
d’une douzaine de conventions et de protocoles concernant presque tous les types imaginables
d’actes terroristes. Ces instruments juridiques (dont le nombre était de 16 au total en 2008) ainsi
que plusieurs résolutions du Conseil de sécurité relatives au terrorisme (en particulier les
résolutions 1267 (1999), 1373 (2001) et 1540 (2004) voir ci-dessous) constituent ce qui est
communément appelé le régime juridique mondial contre le terrorisme.

Une guerre qui clairement implique l’ensemble des pays du monde et le Cameroun n’est
pas en reste. A cet effet, le Cameroun membre de la communauté internationale, applique ces
instruments dans le fonctionnement de sa justice et notamment à l’encontre des membres de la

43
C. SAMY, « Pourquoi les démocraties en guerre contre le terrorisme violent-elles les droits de l'homme ? »,
Critique internationale, 2008/4 n° 41, p. 9-9.
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secte terroriste Boko Haram et même contre l’armée camerounaise, qui une fois entre les mains de
la justice, son soumis tant au régime internationale, mais également au régime national de lutte
contre le terrorisme.

1- Les décisions de justice Page | 66

Dans une déclaration datée du 15 janvier 2015 et relayée par un communiqué de presse
publié le 18 février 2015, le porte-parole du RHEDAC a fait état, sous forme de dénonciation, de
graves exactions perpétrées sur les populations de l'Extrême-nord du Cameroun par nos forces de
défense et de sécurité. L'ONG « REDHAC » a prétendu la mise à mort de façon sommaire par les
forces de défense et de sécurité camerounaises, de plusieurs dizaines de personnes soupçonnées
d'appartenir ou d'être en intelligence avec Boko Haram.

Le critère de détermination du droit applicable aux personnes arrêtées et détenues dans le


cadre de la lutte contre Boko Haram réside dans le lien de causalité entre les opérations militaires
entreprises par les États impliqués dans cette lutte (Cameroun, Niger et Tchad) et les opérations
de police menées.

Pour un cas pratique, l’on a souvenance en rapport avec la dénonciation sus-évoquée de


L'ONG REDHAC que, deux femmes, les yeux bandés, ainsi qu'une fillette et un bébé ont été
exécutées sommairement par des militaires camerounais déployés dans le cadre de la guerre contre
Boko Haram. Cette scène, filmée en 2015 et diffusé sur les réseaux sociaux avait suscité un
véritable scandale.

Lundi 21 septembre, cinq ans après les faits, le tribunal militaire de Yaoundé a condamné
cinq militaires à des peines d'emprisonnement pour "assassinat". Tous avaient plaidé non coupable
mais seulement deux ont été acquittés. Ce qui est la preuve de l’implication de la justice dans cette
guerre44.

● Prisonniers de guerre
« Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui,
appartenant à l'une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l'ennemi : les membres

44
« Les tribunaux devraient expliquer et défendre la manière dont ils sont parvenus à leur verdict et donner les raisons
justifiant les peines prononcées », a déclaré Lewis Mudge. « Si l’intention des autorités camerounaises est de
s’engager de manière significative pour mettre fin aux exactions contre les civils et à l’impunité, les procédures
devraient être transparentes et se dérouler devant des tribunaux civils ».
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des forces armées d'une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de
volontaires faisant partie de ces forces armées. »45

Selon le Gouvernement camerounais, « …dans la nuit du 26 au 27 décembre 2014, afin de


parer à une attaque planifiée de la part des agresseurs, dont faisaient état les renseignements Page | 67
militaires, une opération de ratissage a été organisée dans les villages de Magdeme et de Doublé.
Ce bouclage, conduit par un détachement interarmées et de la sûreté nationale, a permis de
procéder à l'interpellation de soixante-dix suspects, qui ont été transférés à la Légion de
Gendarmerie de Maroua pour des besoins d'enquête approfondie. Le convoi transportant les
suspects est arrivé à Maroua le 27 décembre 2014 aux environs de 22h30. Quatorze des personnes
interpellées ont été conduites dans les cellules de la Brigade territoriale de Maroua, alors que les
autres, soit cinquante-six, ont été gardés à vue dans un local aménagé pour la circonstance à la
Légion de Gendarmerie, en raison du fait que toutes les cellules de Gendarmerie, ainsi que les
locaux de la prison centrale de Maroua étaient saturés. Le tri devait être effectué le lendemain,
afin éventuellement de remettre en liberté ceux des suspects mis hors de cause après examen de
leur situation, et de déférer les autres devant les tribunaux compétents. Au petit matin du 28
décembre 2014, en ouvrant le local où avaient été enfermés les suspects la veille à la Légion de
Gendarmerie, l'on a constaté que vingt-cinq de ces cinquante-six suspects avaient perdu la vie. Le
médecin légiste requis, a alors effectué des autopsies sur les dépouilles et a ordonné l'inhumation.
Deux officiers supérieurs des services centraux de gendarmerie, dont un magistrat, ont été
dépêchés sur le terrain, pour mener des investigations approfondies et faire la lumière sur cette
situation. La justice militaire s'est donc saisie de l'affaire46. Elle continue ses investigations et se
prononcera sur les responsabilités. » (« Allégations de torture et d'exécutions sommaires proférées
par L'ONG REDHAC à l'encontre des forces de défense et de sécurité camerounaises dans le cadre

45
Allant dans le même sens, l’article 44 (3) du protocole additionnel fournit des éléments caractérisant le combattant
ayant droit au traitement d'un prisonnier de guerre en disposant que: « un combattant conserve son statut de combattant
à condition que, dans de telles situations, il porte ses armes ouvertement pendant chaque engagement militaire; et
pendant le temps où il est exposé à la vue de l'adversaire alors qu'il prend part à un déploiement militaire qui précède
le lancement d'une attaque à laquelle il doit participer. »
46
En l’état de sa jurisprudence, pour déterminer si les preuves matérielles obtenues par un traitement inhumain ou
dégradant doivent ou non être exclues du procès, la Cour vérifie tout d’abord si ces éléments ont influé sur l’issue de
la procédure. Elle vérifie ensuite si les droits de la défense ont été respectés et, en particulier, le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination qui « présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son
argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté
de l’accusé » (CEDH, Jalloh c/ Allemagne, 11 juill. 2006, §100; JCP G 2007. I 106, obs. F. Sudre).
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de la lutte contre Boko Haram », Conférence de presse, propos liminaire de mr. Issa Tchiroma
Bakary, Ministre de la communication, Yaoundé, 13 mars 2015).

2- La mise sur pieds d’un droit pénal spécial pour lutte contre le terrorisme au
Cameroun Page | 68

« L’attachement du peuple camerounais aux libertés fondamentales inscrites dans la


Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, la Charte des Nations Unies, la Charte Africaine
des Droits de l'Homme et des Peuples et toutes les conventions internationales y relatives et
dûment ratifiées.47 »

Le terrorisme et la criminalité transnationale organisée sont des phénomènes en


expansion. La liberté de circulation des capitaux, des biens, des personnes et des services, la
suppression progressive des barrières douanières, au niveau régional sont autant de facteurs qui
pourraient faciliter l’implantation des groupes criminels organisés. Ces derniers ont diversifié leurs
activités dans le trafic de drogues, trafic d’êtres humains, commerce illégal d’armes et de
munitions, contrefaçon, etc.... et ne cessent d’étendre leur emprise par la corruption, le blanchiment
d’argent, etc.

Comme le sont toutes les logiques apparemment contraires, le couple Droit pénal/Droits
de l'homme connait une dynamique particulièrement erratique au Cameroun. Parti d'un droit pénal
autoritaire au service des puissances coloniales et de l'élite politico-administrative à un droit pénal
démocratique et libéral inspiré des principes de la rationalité pénale moderne, la tendance semble
désormais, à une remise en cause des avancées issues de la libéralisation du contexte juridico-
politique des années 90. En effet, le législateur camerounais, comme bien d'autres, dans le cadre
de la guerre contre Boko Haram, s'est inscrit dans une dynamique de dédoublement du droit pénal
non sans poser des difficultés dans les rapports de ce dernier avec l'Etat de droit et les anciens
membres de la secte Boko Haram.

Pour ce qui est du cas de la loi de 2014 sur le terrorisme (loi mise sur pieds juste après la
déclaration de guerre du président de la république), l’article (2) alinéa (1) de la dite loi stipule
que : « Est puni de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en coaction,
commet tout acte ou menace susceptible de causer la mort, de mettre en danger l'intégrité

47
22 V° préambule de la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions (...)

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physique, d'occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages de ressources


naturelles, à l'environnement ou au patrimoine culturel dans l'intention : (1.a) d'intimider la
population, de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement
et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un
Page | 69
acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains
principes … » un ensemble de mesures rigoureuses pour répondre avec vivacité dans le domaine
de la justice contre les membres de la secte terroriste Boko Haram et bien d’autres.

B- L’implémentation des mesures de réparation après-guerre a l’Extreme-Nord

Le Cameroun est confronté depuis 2014 à la menace, notamment celle de Boko Haram,
dont l’impact socio-économique, sécuritaire et humanitaire est préoccupant. Plusieurs missions
d’évaluation ont été initié certaines missions des nations unies pour répondre aux problèmes
humanitaires qui s’y posent. Plusieurs partenaires s’y sont impliqués pour trouver des réponses
durables à cette menace. L’organisation d’une série d’ateliers thématiques ayant débouché sur la
mise en place d’une stratégie régionale de lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes
légères et de petit calibre en Afrique centrale. Tout en présentant des stratégies nécessaires à la
préservation de la dignité humaine dans cette région du Cameroun.

1- L’application des mesures du droit international humanitaire dans la guerre contre


Boko Haram

Le Conseil de sécurité a tiré la sonnette d’alarme en rappelant que, les attaques de Boko
Haram ont « entraîné d’immenses et tragiques pertes en vies humaines suscitant une grande
instabilité des populations tant en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale ». Il a aussi constaté
avec préoccupation que les «activités de cette secte terroriste continuent d’avoir des conséquences
graves sur le plan humanitaire en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale et qu’elles ont
notamment poussé quelque 74 000 Nigérians à fuir vers le Cameroun voisin et fait 96 000 déplacés
au Cameroun, 20000 réfugiés nigérians au Tchad, dont 8500 sont retournés chez eux, et 14 500
déplacés au Nigéria ».

2- La mise sur pieds des retours volontaires des refugiés

Le retour des personnes dont on estime qu’elles n’ont plus besoin de protection
internationale est devenu un élément clé dans le processus d’application du droit international

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humanitaire au niveau de l’extrême-nord Cameroun notamment avec les réfugiés nigérians qui
sont souvent très nombreux et que le Cameroun accueille dans certains centres.

Pour la majorité des cas, et lorsque la volonté de retour manifeste se fait exprimée par
certains, le gouvernement entreprend des mesures de raccompagnement qui sont souvent Page | 70
supervisées par le ministre de l’administration territoriale.

3- La création des centres de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) à


l’Extrême-Nord
Les efforts de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) sont essentiels
pour aider les populations à quitter les forces armées ou les groupes armés et à se réintégrer dans
leur famille et dans leur communauté. L’importance des efforts de DDR est claire : les
interventions appropriées adaptées aux besoins particuliers des personnes en fonction du genre, de
l’âge et d’autres facteurs identitaires, qui peuvent contribuer à renforcer la résilience des
populations par rapport aux pires effets de la guerre et faciliter son rétablissement. Le soutien de
l’États dans la facilitation de ces efforts peut aider à la réussite de la transition des personnes vers
la vie civile, et aider à prévenir un nouveau recrutement.

La Convention relative aux droits de l’enfant et son protocole facultatif sur l’implication
des enfants dans les conflits armés, ainsi que les Principes de Paris, représentent le cadre
fondamental des principes, des normes et des règles qui sous-tendent les programmes de DDR
pour les enfants48. Par la suite, l’ONU a élaboré des Normes intégrées de désarmement, de
démobilisation et de réintégration (IDDRS) pour orienter les efforts de DDR dans le contexte des
opérations de maintien de la paix de l’ONU49.

48
En particulier, la Convention relative aux droits de l’enfant demande aux États parties de prendre « toutes les
mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant
victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. » En outre, les Protocoles facultatifs se rapportant à
la Convention relative aux droits de l’enfant soulignent que les États signataires ont l’obligation légale de soutenir les
anciens enfants soldats, y compris en leur accordant « toute l’assistance appropriée en vue de leur réadaptation
physique et psychologique et de leur réinsertion sociale ». Voir Assemblée générale de l’ONU, Résolution 44/25,
Convention relative aux droits de l’enfant, A/RES/44/25, (adoptée et ouverte à la signature, ratification et adhésion
par l’Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989 [entrée en vigueur le 2 septembre 1990,
conformément à l’article 49]), partie I, article 39; Assemblée générale de l’ONU, Résolution 54/263, Protocoles
facultatifs se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les
conflits armés, A/RES/54/263, (ratifié le 25 mai 2000, entré en vigueur le 12 février 2002), annexe I, articles 6 et 7,
et annexe II, articles 9 et 10; et Fonds international de l’ONU pour le secours de l’enfance, Les principes de Paris :
Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, p. 1-50.
49
ONU, Integrated Disarmament, Demobilization, and Reintegration Standards (en anglais seulement).
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Pour le cas de l’Extrême-Nord Cameroun, à l’intersection de l’économie et des autres


formes d’accompagnement, Saïbou Issa estime que pour élever des barrières étanches contre le
basculement dans le terrorisme, il faut capaciter chaque individu à risque (potentiel membre de la
secte terroriste). Il s’agit de traiter tous les types de fragilités qu’il renferme, car le fait de boucher
Page | 71
une faille ne fait que réduire le risque. En appliquant cette logique de la capacitation aux anciens
membres de la secte terroriste Boko Haram, il constate que toutes les interventions en direction de
cette catégorie ambivalente se sont focalisées sur le renforcement de leurs capacités éthiques et
opérationnelles50. La question reste posée de savoir ce qui est envisagé pour qu’au terme de la
guerre contre Boko Haram, leur réinsertion socioéconomique, leur positionnement social et la prise
en charge psychosociale de ceux qui ont subi des traumatismes en fassent des acteurs de la
stabilisation, plutôt que des aigris et des revanchards à surveiller.

Conclusion

La guerre contre Boko Haram au regard des faits, est une guerre dans le sens pur du terme,
à la lumière du dispositif sécuritaire face auquel le Cameroun a du s’ajuster. En effet, par son
saisissement spontané et sa popularisation encadrée par l’élite, le rapport du peuple à cette guerre
apparait comme un rapport non pas uniquement victimaire, mais un rapport d’acteur au sens où le
peuple ayant pris ses armes aurait comme dans une guerre populaire envahi le front. La population
réclamant à corps et à cris à participer à cette agression extérieure qui venait mettre à mal sa
tranquillité, a tenu à se tenir aux côtés des forces de défense et de sécurité pour faire un front
commun contre cet envahisseur. De FOTOKOL à KOUSSERI, passant par KERAWA ou
AMCHIDE, la déclaration de guerre du président de la république du Cameroun le 17 mai 2014,

50
Le nouveau centre de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) des ex-combattants et associés du
groupe terroriste Boko Haram sera bâtit sur une superficie de 15.000 ha à Meme, un des cantons de l’arrondissement
de Mora dans le Mayo Sava, région de l’Extrême-Nord. Sa première pierre a été posée le 19 novembre par le
coordonnateur national du Comité de désarmement, de démobilisation et de réintégration (CNDDR), Faï Yengo
Francis.
C’était à l’occasion d’une visite des centres de transit de Mora et Mémé. Selon Faï Yengo Francis, les travaux qui sont
lancés ce jour seront de grande amplitude. « Ces travaux seront réalisés par des professionnels et nous pensons que
d’ici neuf mois, tout le monde sera là-bas, nous avons remis un échantillon de matériels pour améliorer la vie de nos
ex-combattants »,a-t-il poursuivi.

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à laisser voir l’extrême volonté des camerounais de ne pas se laisser embarquer dans une violence
inouïe et injustifiée.

Sur le plan juridique, il est indéniable de dire que le Cameroun traverse une guerre sans
précédent notamment au regard de la violence des feux, du redéploiement des forces, de Page | 72
l’internationalisation du conflit avec l’entrée des forces tchadiennes, l’entrée en action de la force
aérienne, tout aussi, l’implication de la justice, sont des éléments qui démontrent l’engagement du
Cameroun à mener cette guerre sans réserves.

Il nous incombe donc de tirer des leçons de ce que nous traversons et les enjeux politico-
sécuritaires que cela incombent. Amener les populations à d’avantage participer travers le
renseignement, l’identification des intrus dans les zones villageoises et participer la veille
sécuritaire. Tout aussi sur le plan politique, il est nécessaire au regard de la pertinence de l’acte du
Président de la République, de faire bloc derrière lui, afin de l’aider d’une manière ou d’une autre,
à jeter hors du Cameroun, cette nébuleuse qui dérange.

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La maladie d’un époux dans les relations matrimoniales au Bénin


The illness of a spouse in marital relations in Benin
Par :
Clautaire AGOSSOU Page | 73
Agrégé des facultés de droit
Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit et de Sciences Politiques de l’Université de Parakou
(Bénin)
Avocat
Camille Raoul G. FASSINOU
Docteur en droit
Coordonnateur des programmes du soir à l’Ecole Nationale d’Administration
Université d’Abomey d’Abomey-Calavi
Résumé :
Comme l’a dit un auteur moderne à propos des structures matérielles et des structures
juridiques : « les civilistes travaillent trop immédiatement sur les faits humains pour pouvoir
cesser d’être réaliste, et ils sont trop passionnés de leur tâche pour perdre le goût d’accorder ces
faits à un idéal de justice ». Mais en fait, il y a-t-il un mal d’aimer ? Ou est-ce que c’est le « mal
d’aimer » qui nous poursuit ?
En effet, le droit béninois de la famille a dû s’efforcer de concilier l’idéalisme où baigne
la formation du lien conjugal avec le réalisme qu’implique aujourd’hui la solution des crises
matrimoniales lorsqu’elles sont provoquées par un élément matériel qu’est la santé d’un époux.
Si la maladie antérieure au mariage n’exerce généralement aucune influence sur la validité du
lien conjugal, c’est qu’en réalité l’état pathologique n’est pas incompatible avec le mariage, bien
au contraire. Sans doute, est-il pas dans cette étude de faire l’éloge de la maladie. Mais, il faut le
reconnaître, ce n’est pas toujours la folie que d’épouser une personne en mauvaise santé, surtout
si l’on considère que les bien-portants, dans leur majorité, sont selon une expression humoristique
non dépourvue de vérité, des malades qui s’ignorent. Toutefois, il est un art d’être malade, comme
il est un art d’épouser et de vivre en mariage. C’est pourquoi, lorsque le lien conjugal se révèle
intolérable par la faute d’un époux qui viole ses devoirs au regard de la maladie, il est à la fois
juste et réaliste d’en prononcer la dissolution ou la séparation avec les conséquences réparatrices
ou punitives qui en découlent normalement. Cette conciliation dialectique du réalisme et de
l’idéalisme, qui se présentent le plus souvent comme des principes antagonistes, s’impose dans
une conclusion inévitablement progressiste du droit béninois de la famille.
Mots clés : Mariage-Maladie-Famille-Droit-Dissolution

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Abstract:
As a modern author once said of material and legal structures: "Civilis’s work too
immediately on human facts to be able to stop being realists, and they are too passionate about
their task to lose the taste for attuning these facts to an ideal of justice". But in fact, is there
anything wrong with loving? Or is it the "evil of loving" that pursues us?
Page | 74
Beninese family law has had to strive to reconcile the idealism that underpins the formation
of the marital bond with the realism required today to resolve matrimonial crises when they are
caused by the material element of a spouse's health. If illness prior to marriage generally has no
influence on the validity of the marriage bond, this is because the pathological state is not
incompatible with marriage - quite the contrary. It is certainly not the purpose of this study to
praise illness. But, admittedly, it's not always madness to marry someone in poor health, especially
when you consider that many healthy people are, to use a humorous expression not without truth,
sick people who don't know they're sick. However, there's an art to being ill, just as there's an art
to marrying and living in wedlock. This is why, when the conjugal bond proves intolerable through
the fault of a spouse who violates his or her duties regarding illness, it is both just and realistic to
pronounce its dissolution or separation, with the remedial or punitive consequences that normally
follow. This dialectical reconciliation of realism and idealism, which are often presented as
antagonistic principles, is essential to the inevitably progressive conclusion of Beninese family
law.

Key words: Marriage-Sickness-Family-Law-Dissolution

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Introduction

Bonaparte disait : « Si l’homme ne devait pas vieillir, et la vieillesse est une maladie qui se
soigne jeune, je ne lui voudrais pas de mariage ». Cette phrase que l’on peut, il est vrai
difficilement, associer à la vie commune aujourd’hui, si elle est cruelle, n’en demeure pas moins Page | 75
caractéristique. Elle semble montrer qu’il y a une différence entre le mariage et le concubinage1.
Peut-être, qu’à une époque comme la sienne, l’Union libre, est faite uniquement pour le plaisir, en
quelque sorte « jocandi causa »2. Le mariage était l’Union jusqu’à la mort, et pour ce, précède,
prépare, préfigure la mort3. Il a été institué aussi et surtout pour cette altération des facultés
corporelles ou mentales, qui présage l’infirmité ou la mort. La maladie est l’altération de la santé.
La question est de savoir s’il y a un mal pour un malade d’aimer.

En effet, selon la formule, du droit contemporain béninois de la famille, consacrée, secours


et assistance ne sont-ils pas dus au conjoint pour l’aider à supporter le poids de la vie, aggravée en
l’espèce par la maladie ?4 Sans doute, quand celle-ci est légère ou passagère, l’état de fait ne
produit-il guère de conséquences juridiquement appréciables5. Mais lorsque l’altération de la santé
est grave ou permanente, les conditions d’existence familiale risquent d’être profondément
bouleversées. En présence d’un fardeau jugé trop pesant, le conjoint du malade tentera souvent de
s’affranchir de ses obligations matrimoniales et, pour ce faire, voudra parfois se dégager du lien
marital : alors la maladie, que l’on a pu présenter comme la cause même du mariage 6 ne va-t-elle
pas devenir, directement ou indirectement, celle de son anéantissement, en dehors du décès ?
Comment le législateur béninois et le juge résoudront-ils les problèmes juridiques résultant de la
maladie d’un époux ? En particulier, réussiront-ils à procurer au malade les moyens de subsister,
de recouvrer sa santé ou de protéger ses droits ? Et en même temps, permettront-ils d’éviter que
son état pathologique ne lèse gravement les intérêts personnels et pécuniaires de son conjoint ?
Ces impératifs, parfois contradictoires, expliquent que le droit béninois de la famille puisse hésiter
entre deux attitudes possibles face à la maladie d’un époux.

1
BOUGOUMA (O.), « La protection de la femme dans le concubinage en droit burkinabè », in Revue de droit
burkinabè, n°56, 2018, p. 63
2
CARBONNIER (J.), « Terre et ciel dans le droit du mariage », in Le droit privé français au milieu du XIXe siècle,
Etudes offertes à G. RIPERT, t. 1, p. 340.
3
CARBONNIER (J.), op. cit., p. 343
4
Article 153 du Code des Personnes et de la Famille du Bénin
5
CULIOLI (M.), « La maladie d’un époux, idéalisme et réalisme en droit matrimonial français », in Rev. Dr. Civ. n°2
de 1968, p. 254
6
CARBONNIER (J.), op. cit., p. 343
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Dans une première conception, dite réaliste, le mariage n’est concevable que si les époux
sont capables d’assumer pleinement leur rôle vis-à-vis de la société, et leurs fonctions à l’égard du
couple. Sinon, la politique juridique, comme d’ailleurs la pratique médicale, consistera le plus
souvent à éliminer du cercle conjugal le malade en même temps que la maladie 7. A ce point de
Page | 76
vue, Saint MARC disait : « vaut mieux couper la main que de la laisser se gangrener le bras »8.

Aussi, pour éviter la contagion, le très ancien droit français faisait généralement du lépreux
un mort civil avec dissolution de son mariage9. De même, dans certaines législations religieuses,
comme le droit musulman par exemple, la stérilité de la femme justifie sa répudiation. Ainsi que
dans certaines lois africaines contemporaines de la famille, l’impuissance ou la stérilité ou la
maladie peut entraîner l’annulation ou le divorce du lien10, car il s’agirait là, dit-on, de vices
révocatoires qui empêchent le conjoint sain de trouver dans le mariage les satisfactions auxquelles
il peut légitiment prétendre11.

Si l’on se place dans cette perspective matérialiste, et les exemples de cette prise de position
abondent, une maladie contagieuse, mentale ou héréditaire, provoquera la dissolution du lien, dans
l’intérêt respectif du conjoint et des enfants à naître, tant il est vrai que par sa finalité biologique,
le mariage doit être tout à la fois consommé, fécond et sain12. D’ailleurs certaines législations
pensaient même que ces affections constituent un obstacle, non seulement à l’aménagement de la
vie commune, mais encore à la formation ou au maintien du lien matrimonial, tout comme en droit
positif français la maladie prolongée du salarié entraînait la rupture du contrat de travail13.

Absolument différente est la seconde conception, qualifiée d’idéaliste, qui va s’efforcer de


rejeter la maladie plutôt que le malade hors du cercle familial ou conjugal. Dans cette optique
spiritualiste, le mariage subsistera, même si la maladie d’un époux l’a vidé de tout son contenu
biologique naturel, même si les rapports personnels entre conjoints ne sont plus possibles ou

7
CULIOLI (M.), op. cit., p. 255
8
Chap. IX, v. 43
9
Concile de Compiègne de 756 : Ce concile permettait au conjoint sain de contracter une nouvelle union ; mais la
condition des lépreux variait considérablement suivant les lieux et les époques. Avec les progrès de la civilisation, la
lèpre cessa d’être une cause de dissolution du mariage. Ainsi le Pape Clément XIV refusa au mari de Thérèse d’Aragon
le droit de prendre une autre femme en engageant le prince pétitionnaire à supporter en patience cet avertissement du
Seigneur. PLATEAU (L.), De la condition civile des lépreux et de leurs descendants notamment en Bretagne, Thèse
Rennes, 1909, p. 119
10
BADJI (M), « Le mariage dans le droit traditionnel Africain », in Le droit africain à la quête de son identité,
Mélanges offerts au professeur Isaac YANKHOBA NDIAYE, éd. L’Harmattan, 2021, p.156.
11
Trib. civ. Alger, 3 mai 1958, D. 1959. 43
12
CULIOLI (M.), op. cit., p.255
13
SORNAY (P.), « La maladie du salarié et le contrat de travail », in D. 1958, Chr. 195
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féconds. Alors, la gravité de la maladie ne sera plus un empêchement au mariage qu’une cause de
sa disparition. Dans cette optique, une fois posé le principe que le devoir d’un époux est de soigner
son conjoint malade et non de l’abandonner, il n’est même pas nécessaire de prévoir un
aménagement juridique de la vie conjugale en cas de mauvaise santé. Cette conception idéaliste
Page | 77
qui n’est pas absente de la loi béninoise, repose donc sur un acte de foi et un acte d’espérance.

Un acte d’espérance dans les progrès de la science médicale qui traite fort bien aujourd’hui
des maladies jadis réputées incurables. Un acte de foi dans la parole donnée, dans le secours et
l’assistance promis le jour du mariage, secours et assistance d’autant plus nécessaires que la
maladie est plus grave. Tu te marieras pour le meilleur et pour le pire. L’argument a plus ou moins
d’ailleurs convaincu le législateur béninois puisse que celui-ci a accepté la rupture du lien pour
cause d’impuissance ou stérilité et même en exige un certificat nuptial à communiquer à chacun
des futurs époux14.

Ce faisant, le législateur a rompu avec les perspectives traditionnelles du droit de la


famille15. Car, le point ne fait pas de doute, les rédacteurs du code n’ont pas marqué d’hésitations
entre les deux conceptions réaliste et idéaliste. Il leur était tout naturel d’adopter la seconde, à une
époque où, en philosophie comme en toutes autres matières, le point de vue idéaliste se substitue
au point de vue réaliste. En vérité, on demande de plus en plus à l’éthique de saisir le droit. Le
pourra-t-il ? De toutes les façons on l’y force quand même. A voir l’expérience du droit et de la
politique, on se demande si quelqu’un n’y laissera pas sa peau.

Il est vrai, en effet, qu’il ne faut pas ignorer Kant : « le commerce charnel n’est pas de
l’essence du mariage ». Par voie de conséquence, sauf si elle obnubile totalement la volonté des
parties lors de l’échange des consentements, la maladie est pratiquement indifférente à la formation
du mariage mais elle le reste plus ou moins dans la suite de la vie conjugale. La règle est établie.
Non seulement qu’on ne pourra réprouver celui qui délit le nœud conjugal ou qui refuse d’y entrer
pour folie, démence, stérilité et autre maladie de son partenaire, mais également l’on pourrait

14
AGOSSOU (C.), Liberté et Egalité en droit de la famille : analyse comparative entre le Bénin, le Burkina-Faso, le
Sénégal et le Togo, Thèse de doctorat, UAC/UCL, 2012 ; FALL (P.T), « La rupture du mariage coutumier en droit
sénégalais : l’imbroglio juridique », in Annales Africaines, Nouvelle série, Année, 2011, p.217 et s.
15
THIOYE (M.), « part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique
noire francophone », RIDC, 2005, p.345 et s.
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admettre qu’un mourant même puisse avoir l’étrange prétention de « transformer son lit de mort
en lit nuptial » selon l’expression célèbre de Portalis16.

Le principe ainsi posé par le code des personnes et de la famille du Bénin à travers les
articles 127 et 234 prend en considération la maladie d’un époux. Aux termes des dispositions de Page | 78
l’article 127 tiret 3, la maladie peut certes fonder une opposition à mariage, mais encore faut-il que
l’on poursuive l’interdiction du malade ou prétendu tel. D’ailleurs aucune disposition législative
expresse n’empêche de se marier librement avec un malade. Et les quelques dispositions relatives
aux obligations du mariage obligent l’époux à conserver le lien17. Ceci montre que le mariage doit
s’accommoder à la maladie selon la volonté des époux en n’écartant pas la rupture en cas
d’impuissance ou de stérilité car cette infirmité naturelle ou non n’est pas compatible avec la vie
conjugale18.

Ces deux positions, réalistes et idéalistes, combinées, si elle a été largement approuvée,
n’est d’aucune école même celle exégétique trop respectueuse des textes. Celle-ci peut se trouver
être critiquée et même dépassée sur les deux terrains où la maladie d’un époux peut avoir des
incidences juridiques spécifiques. Certes, c’est à l’égard du lien conjugal que l’on a généralement
contesté le principe posant l’indifférence de la mauvaise santé. Il est devenu irritant de maintenir
une union en cas d’impuissance comme d’ouvrir le mariage à des personnes atteintes d’affections
contagieuses, héréditaires ou nerveuses. La philosophie du bonheur va réclamer, avec de plus en
plus d’insistance et de plus en plus d’audience, que la maladie puisse influer le cas échéant sur
l’existence même du mariage19.

Mais, en réalité, c’est avant tout l’insuffisance originaire de la réglementation des effets de
l’état pathologique sur les rapports entre époux qui a soulevé les problèmes pratiques les plus
graves. En n’obligeant pas les conjoints dans un lien conjugal maintenu, malgré une grave
altération de la santé physique ou mentale de l’un des époux, le législateur auraient dû penser que

16
GENDREL (M.), Les mariages in extrémis, Thèse, Paris, 1957
17
ANANI (I.), Le droit du divorce et les libertés fondamentales, Thèse de doctorat, UAC, 2015 ; NDIAYE (Y.-I),
« Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel », in Revue Sénégalaise de droit, n°36 p.13 et s.
18
NONNOU (E.-G.), « L’impérativité du devoir de fidélité entre époux en droit positif béninois », in RBSJA, n°47,
2023, p. 85 ; NDIAYE (A.T), « Le code de la famille au Sénégal quarante ans après son entrée en vigueur », in Annales
Africaines, Nouvelle série, volume 2, p.157 et s.
19
SOUNON TAMOU (A.-S..), « Les interactions entre le code des personnes et de la famille et le code de l’enfant du
Bénin » in mélanges en l’Honneur de Ahonagnon Noël GBAGUIDI, éd. CREDIJ 2023, p.327 et s. ; DOHOU (G.),
« Le droit à l’enfant au Bénin » in mélanges en l’Honneur de Ahonagnon Noël GBAGUIDI, éd. CREDIJ 2023, p.597
et s.
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le simple énoncé du devoir de secours et d’assistance serait suffisant ! Le baiser au sidéen ou au


lépreux dont parle Claudel, est valable pour les saints, non pour les hommes et les femmes que
régit le droit positif. Or la maladie va non seulement nécessiter des soins, mais souvent encore
créer un obstacle à la vie commune ou à l’exercice de certaines fonctions familiales, ce qui requiert
Page | 79
forcément un aménagement spécial des relations conjugales. Ainsi, se pose une première question,
fondamentale puisqu’elle va déterminer les droits et les obligations des conjoints en la
circonstance. Comment le droit matrimonial béninois pourra-t-il, techniquement et correctement,
adapter le contenu du statut d’époux à la situation particulière créée par l’état pathologique d’un
époux ? La définition, récemment améliorée, des droits et devoirs respectifs des époux est-elle
suffisamment large pour que la maladie puisse entrer dans le cadre des prévisions légales sans
constituer pour autant une catégorie juridique spéciale ? Et l’intervention du juge dans les rapports
familiaux, technique devenue courante dans le droit matrimonial, avec le code, fera-t-elle vraiment
progresser l’organisation réaliste de la vie conjugale20 en cas de mauvaise santé d’un époux ?

On peut se le demander car, le fait est d’expérience, l’intervention de la justice dans les
relations entre époux n’est pas toujours heureuse ; trop fréquente, elle risque même de briser
irrémédiablement le ménage21. De toute façon, lorsque l’adaptation du couple à la maladie n’est
pas satisfaisante, le juge devra bien constater quelle s’est révélée impossible par la faute de l’un
des époux, celui-ci ayant, de la sorte, rendu intolérable le maintien du lien conjugal. Alors une
seconde question se pose : par utilisation réaliste des modes d’anéantissement du mariage, ne va-
t-on pas abandonner insidieusement ou indirectement le principe idéaliste qui exige l’indifférence
de la maladie à l’égard du lien conjugal ?

L’aménagement de la vie matrimoniale, le maintien du lien conjugal, tels sont les problèmes
complémentaires soulevés par la maladie d’un époux à propos desquels la conception réaliste
moderne va sans cesse affronter la position idéaliste22. Que la solution soit idéaliste ou réaliste, la

20
NDIAYE (I. Y), « L’envers du droit traditionnel dans le code de la famille », Revue Burkinabè de droit, 1996, p.58
et s.
21
DOSSOU-ADELOUI (L.), L’ordre public familial au Bénin, Thèse de doctorat, UAC, 2019 ; CHACHA (M.), La
médiation familiale au Bénin, Thèse de doctorat, UAC, 2020 ; AULAGNON (L.), « L’intervention du juge à propos
de l’exercice des droits des époux », in Etudes Ripert, t. I, p. 390 ; ROUAST (A.), « Le juge et la vie familiale en droit
français », in Mélanges J. Dabin, t. II, p. 865.
22
MARCOS (A.-S.), La codification du mariage en Afrique noire francophone, Thèse de doctorat, UAC, 2020 ;
SIDIBE (A. S), « La codification du droit de la famille dans les Etats d’Afrique francophone au sud du SAHARA »,
Revue droit sénégalais, n°7, p.215 et s.
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maladie d’un époux porte un coup au lien matrimonial (I), un coup mortel (II) que le législateur
béninois n’a pas ignoré.

I- LA MALADIE D’UN EPOUX, UN COUP DANS LE LIEN CONJUGAL


Page | 80
Malgré l’aménagement de la vie conjugale, le triomphe du point de vue réaliste et sanitaire
s’est pratiquement imposé, en matière de disparition du mariage, la thèse spiritualiste fondée sur
l’indifférence de la maladie quant au lien matrimonial, semble, du moins à première vue, conserver
une bien meilleure position en droit positif béninois. D’une part, la santé n’est pas une condition
de validité du mariage et, d’autre part, en dehors du décès et de l’impuissance ou la stérilité, il
n’existe pas de cause sanitaire de dissolution. Il n’y a que des causes psychologiques.

Toute discussion hors de ce terrain psychologique serait vaine, tant il est vrai que la
conception actuelle béninoise du mariage demeure spiritualiste et volontariste. L’ont bien compris
les partisans d’une certaine position matérialiste et réaliste, qui loin d’abandonner leurs objectifs,
ont dû simplement adapter leur stratégie en se situant sur le plan psychologique, et ce pour faire
de la maladie une cause, indirecte sans doute, mais une cause tout de même, de divorce ou peut-
être de nullité23. Aussi le moyen technique employé sera-t-il toujours un moule psychologique
puisqu’il s’agira de vice du consentement pour la nullité, de l’injure grave pour le divorce. Là on
se demande si le fait de ne pas prendre en compte la maladie n’est pas un idéalisme juridique qui
risque sérieusement de souffrir avec le temps que cela soit sur la formation et la validité du lien
matrimonial (A) que sur les relations personnelles (B).

A- Une formation et une validité du mariage aux abois.

En ce qui concerne la formation et la validité du mariage, l’entreprise réaliste se heurtait à


la solution traditionnelle selon laquelle le mariage n’est interdit au malade, ni à l’infirme, ni au
mourant à condition, bien sûr, que l’état morbide n’obnubile pas totalement le consentement au
sens de l’article 119 du CPF. Sans doute, certaines infirmités ou maladies vont-elles soulever des
problèmes particuliers relatifs à l’expression de la volonté et à la preuve de son existence. Ainsi
pour les sourds-muets, la doctrine24 et la jurisprudence25 imposent, tout en l’admettant largement,
une équivalence de forme dans la déclaration du « oui » habituel. De même, pour les aliénés qui

23
ANANI (I.), Le droit du divorce et les libertés fondamentales, op. cit.
24
DOSSOU-ADELOUI (L.), L’ordre public familial au Bénin, op. cit.
25
Civ. 6 avril 1903, D. 1904. I. 395
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se trouvent dans un intervalle lucide, il faudra constater que leur consentement est libre et éclairé26.
Il y a là alors un principe (1) que la pratique met à mal (2).

1- Le principe
Page | 81
Et l’on sait qu’avec le code des personnes et de la famille27 les incapables majeurs, à défaut
du consentement des père et mère, celui du conseil de famille spécialement convoqué pour en
délibérer, après audition des futurs conjoints et avis du médecin traitant ne peuvent contracter
mariage. Il en sera ainsi non seulement pour le majeur en tutelle, mais encore dans les cas prévus
par l’article 548 du CPF (majeur sous sauvegarde de justice). Quant au mariage du majeur en
curatelle, le consentement du curateur est requis et, à défaut celui du juge des tutelles28.

Mais une fois ces conditions réunies, le principe ne fait pas de doute : le mariage sera
valable. Par exemple l’infirmité de l’impuissant ne constituera pas un empêchement dirimant
comme en Droit canonique29. Certes, il faut excepter, en droit positif béninois, le cas où le sexe est
absent et l’organe non reconnaissable, hypothèses que l’on peut légitimement assimiler à l’identité
de sexe implicitement visée par l’article 234 du CPF lorsqu’il parle de stérilité ou impuissance.
Mais l’absence ou cette non-différenciation d’organe peut faire l’objet d’une interprétation
restrictive par le juge. Comme il a eu l’occasion de la préciser le 6 Avril 190330, « la faiblesse et
l’imperfection de certains organes du sexe sont sans influence possible sur la validité du
mariage ». Cette solution marque un échec du point de vue matérialiste, car son fondement ne
réside, pas, comme on peut parfois soutenir, dans la peur du scandale que pourrait entraîner la
preuve de l’état pathologique en question. La procédure réaliste a été abolie depuis et les juges ont
pris l’habitude d’asseoir leur conviction sur des expertises médicales auxquelles on peut
raisonnablement se fier.

La règle de la validité repose donc sur une conception spiritualiste du mariage dont la
formation, se plait-on à rappeler en doctrine, reste indépendante de la consommation. Les mêmes
problèmes et les mêmes considérations se retrouvent à propos de l’Union « in extemis ». Celle-ci

26
WEIL (A.), Rép. Civ. Dalloz, v° Mariage, n°83
27
Article 573
28 Art. 587 du CPFB
29
TESSON, « L’église et la rupture du lien conjugal », in Revue Etudes Avril 1953 ; JOMBART (E.), Manuel de droit
canon, 1949, n°561, p. 311
30
Civ. 6 avril 1903, D. 1904. I. 395 ; DOUCHY-OUDOT (M.), Le droit canonique de la dissolution du lien
matrimonial dans l’Eglise catholique, in Autour de la famille et de la terre : perspectives africaines du droit, mélanges
en l’honneur du professeur Noël A. GBAGUIDI, tome 1 la famille, éd. Du CREDIJ 2023, pp.57-100.
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est non seulement valable mais encore favorisée dans l’accomplissement de son rite civil.
Comment pourrait-on d’ailleurs en douter tant qu’il existe droit béninois de la famille le mariage
putatif ?31. En témoignent la possibilité de célébration dans la commune où se trouve le malade,
même dans un autre lieu que la mairie, sans compter la dispense de publication et de certificat
Page | 82
prénuptial32.

Pourtant, en introduisant ce certificat dans l’article 127 du code des personnes et de la


famille, la loi aurait pu faire pénétrer les conditions d’aptitude sanitaire dans le droit matrimonial.
Mais le législateur béninois n’est pas obsédé par des préoccupations eugéniques. De même, la
santé du candidat salarié n’est pas un élément de fond de la formation du contrat de travail
sanctionné par la nullité. En matière de mariage, et à l’inverse de certaines législations étrangères
qui ont créé, sinon de véritables empêchements, du moins une obligation de renseignement à
l’égard du futur époux33, le droit béninois s’est montré timide, ou plutôt libéral, en tout cas fort
peu réaliste aux yeux de certains auteurs qui même s’ils ne l’écrivent pas pour le moment, le disent
quand l’occasion leur est donnée34. En effet, les résultats de l’examen médical, sérologique et
radiologique, bien que donnés par écrit dans les cas graves n’ont pas à être communiqués ni à
l’autorité publique ni au fiancé. On veut simplement obliger le malade à se rendre compte de la
gravité de son état et des conséquences que sa maladie risque d’entrainer pour son futur époux et
sa descendance éventuelle. Le législateur se contente donc de mettre le malade devant sa
conscience en posant ainsi, le primat de la liberté même si les futurs époux se devraient de
communiquer les résultats des examens. La conception idéaliste s’il en fût !

2- La pratique

La conception béninoise du mariage n’est pas seulement idéaliste, elle est également
volontariste. Aussi la maladie va-t-elle quelque fois provoquer la nullité, du moins si elle a une
incidence suffisamment grave sur le consentement des époux. Parfois, on l’a vu, l’état
pathologique peut entraîner une absence totale de consentement lorsque les facultés mentales du
malade sont profondément altérées35. Or, par application d’une règle propre au mariage, cette

31
art. 152 du CPFB
32
GENDREL (M.), op. cit. ; NDIAYE (Y.I), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, in Revue Sénégalaise de
droit n°36 p.13 et s.
33
SZIRMAI (Z.), « Le droit du mariage dans les codes de la famille tchécoslovaque et polonais », in RIDC, p. 281
34
Il s’agit de Mme YEDEDJI-GNANVO Elisabeth, Maître Assistant à l’Université d’Abomey-Calavi
35
Paris, 20 mars 1872, D. 1872. II. 109 pour un moribond.
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nullité fondée sur l’article 146 du code des personnes et de la famille, est absolue. On peut soutenir,
en se fondant sur les travaux préparatoires du code que ce texte, réaliste dans sa conception, visait
spécialement le mariage des déments36.

Aussi pourra-t-on invoquer cette nullité non seulement par le malade lui-même, une fois sa Page | 83
santé rétablie, ou bien en attendant, son représentant, mais encore tout intéressé en cas de mariage
« in extremis » par exemple, et surtout le conjoint. La jurisprudence permet, en effet, au tuteur de
demander l’annulation du mariage de l’interdit37. Le conjoint prétendra alors que son époux se
trouvait déjà en état de démence ou d’inconscience au moment même de la célébration. Toutefois,
il se heurtera bien vite aux difficultés suscitées par cette preuve précise dont la charge pèse sur
lui38. Il sera certainement plus pratique pour le conjoint en bonne santé de soutenir qu’en l’espèce,
son propre consentement s’est trouvé vicié par dol ou par erreur, suivant que l’état pathologique
lui a été ou non dissimulé. C’est donc sur ces deux terrains que l’offensive réaliste devait se porter.

En cas de non-dissimulation, sans pour autant que l’époux ait été informé ou ait pu
s’informer de la maladie dont l’autre se trouvait déjà atteint, la seule voie est l’article 146 du CPF
dont au besoin on élargirait la portée. Mais, pour cela il faudra s’attaquer à l’arrêt Berthon. Les
chambres réunies n’ont-elles pas décidées le 24 avril 1862 que « la nullité pour erreur dans la
personne reste sans extension possible sur les conditions ou les qualités de la personne sur les
flétrissures qu’elle aurait subies »?39 A la suite de cette interprétation restrictive de la loi, encore
valable en droit positif béninois, même en admettant que la santé soit partie constitutive de l’état
des personnes, ce qui demeure d’ailleurs discuté, la maladie d’un époux ne peut être prise en
considération pour annuler le mariage. Certains auteurs comme le doyen SAVATIER40 se sont
efforcé de démontrer que la santé humaine est un attribut de l’état des personnes (personnel,
familial, social). Il s’agit d’une thèse reprise par Marcel PRADEL en se basant sur la faculté
d’engendrer41. Mais cette théorie est combattue dans une large mesure par Claude LOMBOIS 42.

36
GBAGUIDI (A.-N.), « Egalité des époux, égalité des enfants et le projet de code de la famille et des personnes du
Benin » in RBSJA, 1996, pp- 3-35.
37
Civ. 26 fév. 1890, D. 1890. I. 290
38
Paris, 8 oct. 1965, D. 1966, p. 134 ; Cass. civ. 30 nov. 1965, Bull. Civ. I. n°665, p. 506.
39
L'arrêt Berthon, chambres Réunies, 24 avril 1862.
40
SAVATIER (R.), Les métamorphoses du droit, éd. Dalloz 1964, p.83 et s.
41
NIERINCK (C.), « Les filiations électives à l’épreuve du droit », cité par Clautaire « AGOSSOU, « les fondements
des filiations électives » in mélanges offerts au professeur Isaac Yankhoba NDIAYE, éd. L’Harmattan, p.93.
42
CULIOLI (M.), op. cit., p. 255
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Sans doute, sur le plan général, une tendance progressiste s’était manifestée depuis lors,
contre cette solution pratiquement bicentenaire, en doctrine et en jurisprudence43. Certaines
jurisprudences du fond n’avaient pas hésité à aller à l’encontre de la position prise par la Cour de
cassation et à soutenir qu’une erreur sur la personne peut entraîner la nullité lorsqu’elle porte sur
Page | 84
une qualité substantielle, c’est-à-dire sur une qualité que l’on peut considérer comme essentielle44.
Mais en matière de maladie, on est resté à la conception de 1862, encore illustrée par l’arrêt du 6
avril 1903. Après, le tribunal de grande instance de Grenoble, dans deux jugements, les 13 et 20
novembre 195845 a étendu le domaine d’application de ce qui est maintenant l’article 146 du code
des personnes et de la famille à cette maladie, physique ou mentale selon les cas, qu’est souvent
l’impuissance. Sa motivation est caractéristique. « Si la demoiselle Y. avait eu connaissance d’une
telle affection, elle n’eût pas donné son consentement au mariage ainsi voué et condamné à la
stérilité ». C’est la position qu’adoptera le législateur béninois à travers le code des personnes et
de la famille.

Par la suite et à plusieurs reprises46, les juges du fond, approuvés généralement par les
auteurs, se sont insurgés dans ce domaine sanitaire contre la conception idéaliste de l’arrêt Berthon.
Ils ont renoué ainsi avec la doctrine et la jurisprudence antérieures à la décision des chambres
réunies. Mais, se voulant eux-mêmes très réalistes, ils n’ont pas manqué de dissoudre l’élément
biologique dans l’élément psychologique puisqu’ils se sont placés sur le terrain de l’erreur
substantielle et déterminante appréciée « in concreto », c’est-à-dire sur la fin essentielle du
mariage pour l’époux qui demandait la nullité. Il n’empêche que cette position purement
psychologique aboutit, par la recherche des causes et des mobiles particuliers et propres à chaque
époux, à une individualisation dangereuse pour le mariage. Elle laisse une trop large place à la
casuistique pour ne pas conduire à l’arbitraire. Aussi, certains auteurs se sont efforcés de tempérer
cette conception psychologique par un apport d’ordre sociologique. Il faudrait que la qualité en
question fût si essentielle que l’opinion commune acceptât la nullité.

Mais la difficulté reste évidemment de trouver un critère de détermination des qualités


matrimoniales en l’absence desquelles un mariage pourrait être annulé. Le recours à l’opinion
commune et au simple bon sens paraît fournir la meilleure solution. Par exemple, en l’état actuel

43
Civ. 26 fév. 1890, D. 1890. I. 290
44
TGI Lille, 1er avril 2008, RG : 08/03786 (affaire : la mariée n’était pas vierge)
45
D. 1959. 495
46
TGI Lille, 17 mai 1962, D. 1963. Som. 10 ; Grenoble, 19 juin 1963, JCP 1963. II. 13334 ; TGI Saintes, 23 mars
1965, J. cl. Civ. art. 144-147, fasc. A mise à jour, n°83
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des murs, on considère aujourd’hui l’impuissance du mari comme un défaut essentiel pour des
époux jeunes, tandis que personne ne voudrait voir annuler une union pour non-fécondité de la
femme. C’est donc la possibilité de consommer le mariage que l’opinion publique considère
comme primordiale, et il serait peu réaliste de ne pas en tenir compte sur le terrain du droit. Mais
Page | 85
la qualité essentielle ainsi objectivement déterminée, et on préférerait d’ailleurs que ce fût le
législateur, n’est pas suffisante. Elle devra se révéler de surcroît « déterminante » dans l’esprit du
conjoint demandeur, selon l’appréciation concrète du juge.

Si l’on précisait de la sorte les pouvoirs du juge et les droits de l’époux, on pourrait espérer
une certaine réduction des divergences jurisprudentielles comme des incertitudes de la pratique.
Et surtout, pour admettre la nullité dans cette perspective réformatrice, on aurait point besoin
d’exiger, comme le souhaite parfois la doctrine, que l’attitude du conjoint malade ait été fautive,
c’est-à-dire qu’il ait manqué à son obligation préconjugale de sincérité47. En effet, dans l’opinion
commune, sur laquelle se fonde la théorie réaliste, s’il est déjà discutable d’écarter la nullité pour
maladie grave involontairement cachée, il est encore plus difficile d’admettre que la dissimulation
volontaire de l’état pathologique ne vienne pas faire disparaître le lien conjugal. Ainsi en a jugé le
tribunal de grande instance du Mans, le 18 mars 196548. N’a-t-il pas décidé que l’erreur portant
sur la santé mentale du conjoint ne serait retenue comme déterminante qu’à la condition d’avoir
été provoquée par la loi ?

Néanmoins, cet accent délictuel donné à la théorie psychologique semble superflu en l’état
actuel du droit positif, du moins si l’on croit encore et toujours d’un arrêt rendu par les chambres
réunies, malgré les critiques doctrinales et l’opinion dissidente de quelques juges du fond ! Tant
que vaudra l’adage de LOYSEL « en mariage, il trompe qui peut », et surtout tant que l’erreur
spontanée ne sera pas admise en la matière, le dol n’aura pas l’occasion de faciliter la preuve de
cette erreur spontanée, pas plus qu’à en constituer la circonstance aggravante. On ne peut, en effet,
nier le particularisme de la théorie des vices du consentement dans la théorie du mariage. Or, en
cas de dol provoquant une erreur sur la personne, dans le code des personnes et de la famille qui
n’en souffle mot, et il n’y a pas de nullité sans texte, au fond des choses c’est de l’erreur et non du
dol que procède la nullité.

47
GUYON (Y.), « De l’obligation de sincérité dans le mariage », in Rev. Tr. Dr. Civ. 1964. 473
48
TGI du Mans, GP 1965. II. 12, RTD Civ. 1965, p. 797
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Tant que les tribunaux resteront dans l’impasse où les a conduits la conception de l’arrêt
Berthon, au motif ou sous prétexte idéaliste de préserver la stabilité du lien conjugal, le dol ne
pourra jouer que sur un autre terrain : celui du divorce que non sans paradoxe, mais inévitablement
une jurisprudence réaliste devait admettre largement en la matière car « les nullités de mariage
Page | 86
sont mortes, la magistrature du XIXe siècle les a tué ce qui n’a pas peu contribué à rendre la loi
[…] inévitable »49.

B- Des relations personnelles éprouvées

Dans l’ordre des relations personnelles, la maladie peut avoir deux sortes d’incidences
juridiques qui sont complémentaires50 : d’une part, des perturbations accidentelles de la vie
conjugale (1), variables selon les affections, d’autre part, une obligation à objet thérapeutique (2)
qui se retrouve à propos de tous les états pathologiques quels qu’ils soient. Or, par un singulier
paradoxe qui s’explique en vérité par le progrès du réalisme juridique, si la loi et le juge peuvent
de mieux en mieux régler les effets perturbateurs de la maladie sur le plan conjugal, il leur sera
toujours difficile, sinon impossible, d’assurer la mise en œœuvre effective et personnelle du devoir
de soins, pourtant primordial en l’occurrence.

1- Les perturbations accidentelles sur le lien conjugal

Les troubles dans les rapports fonctionnels entre époux dépendent de la nature et de la
gravité de la maladie. On peut observer fréquemment mais pas nécessairement que la mauvaise
santé d’un conjoint entraîne une impossibilité de remplir une fonction sociale de droit privé ou de
cohabiter physiquement. A double point de vue, l’adaptation de la vie conjugale à la situation
pathologique a été facilitée par le législateur moderne.

Ainsi, lorsque l’un des époux tombe gravement malade et se trouve, par-là même, hors
d’état de manifester sa volonté, l’autre doit le remplacer dans toutes ses prérogatives et devoirs de
famille ou d’autorité parentale51. Il décidera donc de l’orientation générale du foyer, de son genre
de vie ou, encore, de l’éducation des enfants, etc. Certes, et le point mérite d’être relevé, parfois
l’époux aura besoin d’un acte notarié afin de prouver ses pouvoirs. Néanmoins, c’est bien la
maladie qui se révèle ici la cause du transfert de la fonction familiale. Une décision de justice n’est

49
CARBONNIER (J.), op. cit., p. 333
50
NDIAYE (Y.), « Réflexions critiques sur le divorce en droit Sénégalais », in Annales Africaines, Nouvelle série,
Année 2011, N°2, p.305 et s.
51
Article 204 CPFB
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pas indispensable. S’il intervient tout de même, il ne saurait avoir qu’un rôle déclaratoire en
reconnaissant que l’état de santé de l’autre ne lui permet pas de remplir son rôle de chef de famille
et l’élimine partiellement de la scène juridique. Réciproquement sa guérison lui ferait reconquérir
ipso facto ses prérogatives anciennes52.
Page | 87
De même, la cohabitation, bien que d’ordre public53, peut se trouver suspendre par l’effet
de la maladie : soit dans l’intérêt du malade qui pourra être mieux soigné dans un établissement
spécialisé54, ou encore chez ses parents comme l’a connu la Cour de Paris le 10 juin 1958 55, soit
dans l’intérêt du conjoint et des enfants, si la maladie présente des risques de contagion.

La solution, qui aujourd’hui paraît aller de soi, tranche pourtant avec la jurisprudence
antérieure, encore illustrée par un arrêt rendu par la Cour de Douai le 28 décembre de 1932. Cette
décision n’admet pas qu’un époux pût être affranchi de son obligation de cohabitation en raison
des dangers encourus pour la santé56. C’était la position traditionnelle des anciens auteurs qui
estimaient devoir maintenir la vie commune même en cas de maladie contagieuse. Ils
reconnaissaient seulement que, dans l’hypothèse de la démence et s’il y avait péril pour la vie de
l’époux, celui-ci avait la possibilité de faire placer son conjoint malade dans un établissement
d’aliénés. Dans ce cadre on peut parler d’une notion objective de danger physique ou moral que
présente l’exécution de certains devoirs entre époux. Aussi le code ne semble pas vouloir imposer
de tels sacrifices à eux qui n’en sont pas capables spontanément. Cette tendance réaliste, qui se
manifeste notamment par une application extensive de la loi peut trouver appui, même en l’absence
de texte et d’autorisation judiciaires, dans la doctrine moderne.

En conséquence, et suivant les espèces et la gravité de la maladie, la séparation s’appliquera


à la communauté de toit ou s’étendra d’une manière plus intime, sur le plan des rapports conjugaux.
Ici encore, la distance est grande entre l’actuelle position du droit et celle des juges du Moyen Age
qui ordonnaient même d’office l’exécution du devoir conjugal, lorsque l’un des conjoints était
atteint de la lèpre57. De nos jours, la maladie d’un époux légitime le refus du « debitum

52
CARBONNIER (J.), Droit civil, t. I., n°113
53
VERDOT (R.), « La cohabitation », in D. 1964, Chron., p. 123
54
SAVATIER (J.), « Le droit civil du mariage et la santé des époux », in Médecine et mariage, 1952
55
Paris, 10 juin 1958, D. 1958. J. 735
56
Douai, 28 décembre 1932, S. 1933. II. 108
57
ESMEIN (A.), Le mariage en droit canonique, 2e Ed., t. II, p. 7 à 13
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conjugale »58 soit dans son intérêt, si son état risque d’empirer à la suite de ces rapports, soit dans
l’intérêt de son conjoint si la maladie est contagieuse. D’une façon très réaliste la jurisprudence
fait glisser ici l’état pathologique dans la notion de force majeure et n’hésite plus à tirer les
conséquences logiques de cet effet dissociatif, tout spécialement sur le terrain de la filiation
Page | 88
légitime.

Il est assurément normal de considérer que le père peut désavouer l’enfant de sa femme
lorsque, par la suite d’hospitalisation ou d’internement, il a été éloigné de celle-ci sans qu’aucun
rapprochement n’ait été possible durant la période légale de la conception. Mais, il est plus
discutable d’affirmer que la maladie constitue « cet accident » qui, au sens de l’article 305 du code
des personnes et de la famille, entraîne l’impossibilité physique de cohabiter. Pourtant la plupart
des juridictions de fond59 admettent cette cause de désaveu si elles ont la conviction scientifique
que la maladie a entraîné une impuissance générale60. Le 13 février 1957, dans un arrêt
caractéristique de ce courant jurisprudentiel, la cour de Nancy l’a même affirmé, pour une stérilité
consécutive à des oreillons61.

Cette assimilation, qui est sans conteste une nouvelle victoire de la réalité sur la fiction, a
néanmoins suscité les protestations d’une partie de la doctrine, ravivant ainsi une controverse qui
remonte aux travaux préparatoires. Certains auteurs ont, en effet, objecté que le terme « accident »
signifie uniquement une cause matérielle externe. De plus, ils ont avancé, pour écarter la maladie
de ce qui est prévu à l’article 305 et la faire tomber dans l’article 311 du CPF, les mêmes difficultés
de preuve, qui du moins à l’origine, justifiaient l’impossibilité de désaveu pour cause
d’impuissance naturelle. Mais cette argumentation ne convaincra pas. D’abord, parce que la
plupart des maladies ont une origine microbienne, virale, parasitaire, etc., donc nécessairement
externe. Ensuite, parce que les progrès de la science permettent de déterminer avec la plus grande
certitude si tel état pathologique a entraîné ou non « une impossibilité de cohabitation » sans qu’il
soit besoin d’exiger que les effets de cette maladie soient susceptibles d’une constatation
extérieure, comme celle d’une paralysie ou d’une atrophie62.

58
Req. 13 janv. 1892, D. 1892. I. 424 et 17 févr. 1913, D. 1915, D. 1915. I. 48 ; Civ. 30 nov. 1955, D. 1956. Somm.
78
59
Trib. civ. Lille, 19 nov. 1946, JCP. 1947. II. 3566 ; Trib. civ. Domfront, 9 juin 1955, D. 1955, p. 679 ; Nancy, 13
févr. 1957, D. 1957, p. 679 ; Trib. civ. Marseilles, 23 juil. 1953, D. 1953. Somm. 78.
60
TROCHU (M.), « L’impuissance », in D. 1965, Chron. p. 153
61
Nancy, 13 févr. 1957, D. 1957, p. 679
62
Trib. civ. Bordeaux, 7 févr. 1951, D. 1951. 372
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Aussi, interprétant largement les termes « quelque accident » employé par le code qui
n’exclut pas expressément la maladie, les auteurs modernes, dans leur majorité, penchent-ils pour
l’admission comme cause de désaveu. Cependant une difficulté subsiste, du fait que la stérilité du
père ne met pas obstacle aux rapports sexuels. Si l’on veut permettre de désavouer pour cette cause,
Page | 89
il faut nécessairement entendre la cohabitation comme « des rapports sexuels aboutissant à la
procréation »63. Mais n’est-ce pas pour cela que le législateur a ajouté au texte de l’article 305 du
CPF la formule « impossibilité physique de cohabiter ». Contre cette assimilation, on ne peut pas
manquer de relever l’intention contraire manifestée par le législateur, eu égard au fondement de
vérité biologique qui caractérise la filiation naturelle. Dans un second temps, le particularisme de
la situation due au recel de naissance. Mais d’une manière générale ces objections n’ont pas
convaincu la jurisprudence. Le juge rejette l’offre qu’au cours d’une action en désaveu fondée sur
l’article 305 du CPFB, un mari faisait de démontrer par une analyse spermatique qu’il était dans
l’impossibilité d’engendrer64.

C’est sans doute dans une perspective réaliste et pour faire profiter la justice des progrès
de la science quant à la preuve, que la majorité des juges modernes a devancé le législateur futur
en adoptant par anticipation la règle ainsi posée par l’article 305 du CPF : « Le mari peut désavouer
l’enfant conçu pendant le mariage :

- S’il prouve que pendant le temps qui a couru depuis le trois centième (300e) jour jusqu’au
cent quatre vingtième (180e) jour avant la naissance de cet enfant, il était dans
l’impossibilité physique de cohabiter avec sa femme ;
- …»

Ce texte présente de surcroît l’avantage de supprimer les divergences doctrinales sur


l’admission d’une maladie antérieure au mariage comme cause de désaveu. Toutefois les juges
peuvent être partagés sur les doutes et les hésitations des auteurs, au motif que, pour exclure la
paternité légitime, la loi n’exige pas expressément un accident survenu depuis la formation du lien
conjugal.

63
MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. I, 1er vol., n°163
64
Paris, 19 févr. 1960, D. 1960. Somm. 105
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2- Des obligations thérapeutiques

Quelle que soit la date d’apparition de la maladie, antérieure ou postérieure au mariage,


quelles que soient sa nature et sa durée, une défense générale s’impose contre les facteurs de
dissociation conjugale, dont le droit matrimonial est bien de tenir compte quand il ne peut pas, ou Page | 90
n’a pas pu les empêcher. Cette réaction défensive suppose un effort de volonté de la part de chaque
époux, puisqu’en vue d’un idéal supérieur, ils ont le devoir impératif de se soigner personnellement
et mutuellement.

C’est déjà bien de se soigner que de se garder de la maladie. Aussi manquerait gravement
aux obligations du mariage le mari ou la femme qui fréquenterait, sans raison majeure, un
contagieux, à plus forte raison s’il résultait de cette fréquentation quelque maladie vénérienne,
indice sinon photographie même de l’infidélité. Malade, l’époux doit s’efforcer de rétablir sa santé,
tout comme l’ouvrier victime d’un accident du travail est tenu, selon la loi, de se soumettre à des
soins de nature à réduire son incapacité de travail, du moins lorsque ce traitement ne présente
aucun risque pour sa santé ou sa vie. Cette obligation de soins se révèle même plus grave en matière
de mariage, car, en l’espèce, il n’y a pas que des intérêts économiques en jeu. Vont entrer en ligne
de compte les droits de la famille. Les époux doivent, en effet, cohabiter et entretenir des rapports
intimes qui ne soient pas dangereux. C’est pourquoi ils seront tenus de rétablir leur santé dans
l’intérêt, tout d’abord de leur descendance future, afin de ne pas lui léguer des tares héréditaires,
également dans celui de la dignité du conjoint qui ne doit pas être contaminé65, et enfin dans
l’intérêt alimentaire du ménage66. Dès qu’il se marie, a-t-on dit, l’homme doit se mettre à penser
et à agir au pluriel. Ainsi le malade ne s’expose pas à une opération grave et mutilante sans en
avoir parlé à son conjoint, sans qu’ils en aient arrêté en commun la décision car il n’est plus libre
de son corps. C’est le résultat de la parole qu’il a donné.

Aussi la liberté civile de ne pas se soigner dans la mesure où on l’admet encore pour le
célibataire, cesse-t-elle pour la personne mariée lorsque son refus est de nature à altérer l’équilibre
de la vie conjugale ? C’est ce que décide une jurisprudence constante qui n’hésite pas à reprocher
à un époux de n’avoir pas fait les efforts nécessaires pour remédier utilement à son état
pathologique67. Il ne pourrait en être autrement que si l’état du malade supprimait en lui toute

65
Bordeaux, 17 févr. 1857, D. 1857. II. 138
66
DECOCQ (A.), Essai d’une théorie générale des droits sur la personne, Paris, 1960, p. 221
67
Civ. 16 déc. 1963, D. 1964. 277, Rev. tr. Dr. civ. 1964, p. 533
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faculté de décision. Il incomberait alors au conjoint de décider à sa place en tant que son premier
« protecteur naturel ». C’est la « tutelle de fait »68 dans le contrat médical, une formule que l’on
trouve dans un arrêt de Lyon du 17 novembre 1952. Et, toujours en cette qualité et en toutes
circonstances, l’époux devra conseiller au malade de se soigner et l’inviter à suivre tel traitement
Page | 91
médical opportun, comme par exemple une cure de désintoxication69.

L’assistance personnelle de l’époux à l’égard du malade constitue un droit essentiel pour


celui-ci70, puisque s’y rattache un devoir de patience, de douceur et de soins. Sans devenir
esclave71, cela peut d’ailleurs aller fort loin. Lorsque la maladie est la folie ou en cas de
neurasthénie grave72 ou de déséquilibre grave, le conjoint devra supporter les injures et les coups,
l’inconduite même du malade sans que la responsabilité de ce dernier se trouve engagée, du moins
quand la démence est contemporaine des faits. Si la maladie est contagieuse ou nécessite
l’internement, le devoir d’assistance subsiste, perpétuel et c’est d’ailleurs ce qui explique
l’exclusion du divorce pour maladie mentale. Il devra alors s’exercer par le devoir de surveillance
et de visite au profit de l’hospitalisé ou de l’interné dans l’attente et en vue de sa guérison.

Enfin, lorsqu’en vue de cette guérison, l’époux malade a un besoin pressant de sang ou
d’une greffe de tissu quelconque, l’autre a l’obligation de se prêter à l’opération si elle n’entraine
pas de lésions corporelles graves, durables ou douloureuses. Bien qu’aucune espèce
jurisprudentielle ni aucun texte spécial ne viennent à l’appui de cette affirmation, on peut penser
que le devoir d’assistance prévu par l’article 153 du CPF est suffisant pour fonder une obligation
de transfusion sanguine. Les mesures et les modalités du devoir d’assistance et de soins personnels
entre époux, en cas de maladie, sont donc une affaire de mœurs et de circonstances. Mais la
question juridique la plus importante demeure celle de la sanction dans l’hypothèse d’inexécution
volontaire.

Sans doute, l’interdépendance des obligations réciproques d’ordre personnel et d’ordre


patrimonial issues du mariage pourra-t-elle jouer avec quelque bonheur en la circonstance ? Tant
que l’un des époux n’exécutera pas l’obligation en question, se soigner par exemple, l’autre sera
en droit de suspendre l’exécution des siennes. Le jeu de cette règle est généralement efficace parce

68
Lyon, 17 nov. 1952, D. 1953. 253
69
Bordeaux, 17 févr. 1857, S. 1857. II. p. 98
70
NDIAYE (Y.I), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, in Revue Sénégalaise de droit, 2013, n°36 p.13 et s.
71
Civ. 25 juill. 1956, D. 1956. 609
72
Req. 4 mars 1902, D. 1902. I. 192
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qu’il laisse aux conjoints une certaine juridiction domestique, justifiée par le caractère intime du
mariage. L’élément affectif, biologique et moral y occupe, en effet, une place primordiale qui
échappe à l’emprise de la loi. En conséquence, ce principe permet aux époux de trouver et de
maintenir l’équilibre spécifique à chaque ménage sans les obliger à porter leurs moindres
Page | 92
différends devant les tribunaux73.

Toutefois, lorsque le conjoint en faute ne réclame rien, cette espèce d’exception non
adimpleti contractus ne pourra jouer par définition et l’autre époux devra, soit se résigner à voir
inexécuté le devoir de soins et d’assistance personnel, soit se résoudre à saisir le juge. Mais s’il
choisit la seconde solution, que peut-il lui demander et en attendre ? Certes, sur le plan théorique
on pourrait penser, d’une manière générale, aux astreintes ou aux dommages-intérêts74. Dans des
hypothèses plus particulières, on songera à la révocation, pour cause d’ingratitude, des donations
faites entre époux75. Au point de vue pénal, on envisagera les pénalités de l’abandon de famille si
la femme est enceinte76, celles de l’article 63 du code pénal pour refus d’assistance à personne en
péril assorties le cas échéant de sursis avec mise à l’épreuve et les obligations positives qu’ils
impliquent.

Néanmoins, dans la plupart des cas, le prononcé de telles mesures n’aura aucune utilité
pratique au regard des exigences fondamentales posées par la maladie d’un époux sur le plan
personnel. Car le malade aura le plus souvent besoin de ce que le droit peut parfois saisir mais
jamais imposer : l’affection du conjoint. Or, si le devoir d’assistance ne s’exécute plus, « c’est que
l’amour est atteint ». Il est d’ailleurs remarquable que le contenu de ce devoir au demeurant assez
peu juridiquement ressenti a été dégagé uniquement dans les hypothèses d’inexécution et par la
jurisprudence sur les causes du divorce77. En effet, « remède spécifique de tous les maux
conjugaux »78 la seule sanction concevable, dans la mesure où elle est possible et demandée,
consistera alors dans la dissolution ou le relâchement du lien conjugal. C’est là que la maladie
devient non seulement un coup mais un coup mortel.

73
SOUBRIER (D.), L’interdépendance des obligations réciproques d’ordre personnel et d’ordre patrimonial issues
du mariage, Thèse Paris, 1956, n°175, p.132
74
Civ.1re sec. Civ. 9 nov. 1965. D. 1966. 80
75
Cass. 16 févr. 1874, D. 1874. I. 97
76 Art. 357-1 du code pénal.
77
GOURDON (Cl.), La notion de cause de divorce étudiée dans ses rapports avec la faute, Paris, 1963, p. 176
78
CARBONNIER (J.), v° Dissolution in Mélange Savatier, p. 138.
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II- LA MALADIE D’UN EPOUX, UN COUP MORTEL A LA VIE


MATRIMONIALE

Sur le plan médical, la vie consiste en une organisation naturelle dont le mécanisme de
régulation permanente est caractérisé par deux processus réactionnels : l’adaptation et la défense Page | 93
aux agressions, eux-mêmes favorisés par l’intervention du médecin ou du chirurgien.

Sur le plan de la technique juridique, l’aménagement de la vie conjugale se traduira par la


mise en œœuvre des droits et des devoirs respectifs des époux, par la dispense éventuelle de leur
exercice si la maladie est constitutive de force majeure, voire par un remplacement dans les
fonctions ou un renversement des rôles au sein de la famille. Cette adaptation réaliste se trouvera
aussi facilitée par l’intervention du juge. Mais celle-ci n’aura pas la même nature ni la même portée
sur le plan des relations patrimoniales79 où le juge agira surtout comme administrateur d’intérêts
pécuniaires, que sur le terrain des rapports personnels, où il se présentera comme un arbitre de
conflit moral80. La distinction s’impose d’autant plus qu’avant de soulever un problème personnel,
la maladie pose le plus souvent un problème : des relations pécuniaires instables (A) aboutissant
inévitablement à la souffrance de la vie matrimoniale (B).

A- Des relations pécuniaires instables

Dans l’ordre des relations pécuniaires, le droit matrimonial béninois, à la différence de la


médecine égalitaire, traite différemment, et souvent mieux, la maladie d’un époux que celle qui
affecte un célibataire ou un concubin. En matière de libéralités, par exemple, la jurisprudence
n’applique pas l’incapacité de recevoir prévue par l’article 842 du CPF au médecin, à l’officier de
santé ou au pharmacien qui a soigné sa femme ou son mari durant la maladie dont elle est morte81.
Mais cette libéralité peut être annulée si le médecin n’a épousé le malade que pour échapper à
l’article 842 du CPF82. C’est la condition spécifique d’époux qui explique cette solution de faveur.
Aussi, et en raison de son fondement même, ce traitement privilégié se manifestera surtout par la
mise en œœuvre de l’obligation de secours, dans l’intérêt exclusif de celui qui en a besoin, et par
le double jeu de la représentation et de la modification des pouvoirs, pour le plus grand avantage,

79
DOUCHY-OUDOT (M.), Le droit canonique de la dissolution du lien matrimonial dans l’Eglise catholique, in
Autour de la famille et de la terre : perspectives africaines du droit, mélanges en l’honneur du professeur Ahonagnon
Noël GBAGUIDI, tome 1 la famille, éd. Du CREDIJ 2023, pp.57-100.
80
AULAGNON (L.), op. cit. p.394
81
Civ. 22 août 1822, S. 1822. I. 100
82
RIPERT et BOULANGER, Droit civil, t. IV, n°3504
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non seulement du malade, mais encore de son conjoint et de sa famille Car très souvent, cette
situation peut créer un gros trou dans les finances du couple (1) entraînant ainsi une gestion peu
attentionnée du patrimoine (2).

1- Un gros trou dans les finances du couple Page | 94

En ce qui concerne l’obligation de secours, la mauvaise santé constituera sans doute pour
l’époux malade et incapable de travailler. Cette force majeure qui le dispensera d’aider l’autre
conjoint et de subvenir aux besoins du ménage. Elle exclura par voie de conséquence une
éventuelle condamnation pour abandon de famille pécuniaire83. Mais la maladie sera surtout, pour
l’époux malade, l’occasion de voir jouer à son profit cette obligation, avec la seule condition qu’il
en ait besoin, et ceci en toute hypothèse, que la maladie ait ou non éloigné les conjoints. Lorsqu’un
époux malade ne peut payer les frais sanitaires, qu’il s’agisse d’un simple acte médical ou de frais
aussi importants que ceux d’hospitalisation, son conjoint doit le faire à sa place, même s’il versait
déjà une pension alimentaire, si du moins l’allocation se révèle insuffisante, eu égard à la gravité
exceptionnelle de la maladie84. Cette obligation, fondée essentiellement sur l’article 153 du CPF,
existe quelque soit le régime matrimonial adopté.

Sous le régime de communauté, les tribunaux ont décidé, à maintes reprises, que le coût
des maladies de la femme était des dettes communes85. Ces dettes pour frais médicaux, en tant que
dettes alimentaires tombent dans le passif définitif de la communauté sans distinction entre le mari
et la femme. Les termes de l’article 194 du CPF ne devraient laisser aucun doute à cet égard dans
la plupart des cas. Mais que décider si la maladie, par exemple une maladie vénérienne, a été
contractée par un époux adultère au mépris des devoirs que lui imposait le mariage ? Faut-il
appliquer l’article 199 du CPF aux termes duquel la communauté a pareillement droit à
récompense si la dette qu’elle a acquittée a été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs
que lui imposait le mariage ? Il ne semble pas qu’on puisse faire ici cette application comme le
laisserait volontiers penser une partie de la doctrine, qui l’admet pour le cas d’ailleurs controversé
où des aliments voire la reconnaissance sont dus à un enfant adultérin 86. En effet, en faveur de la
solution négative, on peut faire valoir non seulement la généralité de l’article 194 mais encore, ce

83
Crim. 24 avril 1937, D. H. 1937. 429
84
PRADEL (J.), La condition civile du malade, op. cit., p. 207
85
Soc. 27 janv. 1939, D. H. 1939. 199 ; Civ. 17 déc. 1946, D. 1946. 93
86
CORNU (G.), « Le régime matrimonial de droit commun : la communauté réduite aux acquêts », JCP. 1967, Doc.
2128, n°110
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fait spécifique, qu’en matière de maladie, les frais sont exposés en vertu du devoir de soins, aussi
dans l’intérêt de l’autre époux, donc dans une large mesure pour l’utilité du ménage.

En régime séparatiste, notre régime de droit commun, la transcendance du devoir de


secours se manifeste notamment en cas d’insuffisance de la contribution conventionnelle aux Page | 95
charges du mariage selon l’article 174 du CPF. C’est pourquoi avant le code, l’article 1558 du
code civil permettait au juge d’autoriser l’aliénation ou l’hypothèque des biens dotaux lorsque
l’opération était nécessaire pour fournir des « aliments ou des soins ». De son côté, la jurisprudence
admettait déjà, en cas de séparation de biens, une solidarité sans texte qui était éminemment
protectrice des intérêts des tiers tout autant que de ceux du malade, en définitive mieux soigné par
des personnes assurées d’avoir un recours entre son conjoint87. Cette dernière solution a été
consacrée, et pour tous les régimes, dans l’article 179, puisque selon ce texte, la solidarité pour
cette dette d’entretien, et il faut y comprendre nécessairement les frais de la maladie, joue
automatiquement, sauf pour les dépenses excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité
ou l’inutilité de l’opération juridique, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.

L’influence du milieu social et de la condition des fortunes va donc retentir sur


l’aménagement des soins, le choix de l’établissement hospitalier, du praticien ou d’un traitement
onéreux. La doctrine n’a pas manqué de souligner le caractère profondément injuste et choquant
de cette limite de fait, qui peut sacrifier les chances de soulagement du malade88. Sans doute, cette
infériorité éventuelle est-elle compensée, dans une certaine mesure, par les institutions du droit
social qui complètent la dette de secours en se combinant avec elle89. Ainsi, par le canal de la
sécurité sociale, la couverture des frais médicaux, pharmaceutiques et hospitaliers est prévue pour
le conjoint de l’assuré90 mais pour un conjoint seulement.

Le code béninois ne parle pas des ménages irréguliers, de telle sorte que juridiquement, la
maladie d’un époux est sans conteste mieux traitée que celle d’un concubin. De même, par le jeu

87
SAVATIER (R.), « L’action des créanciers pour dettes de ménage contre les époux séparés de biens », in DH 1935,
Chr. p. 25 ; Civ. 1er, 9 mars 1965, GP. 1965. I. 335
88
SAVATIER (R.), La condition juridique du malade, Paris, Ed. Présence, n°65, p. 24 ; PEQUIGNOT (H.), « Droit
à la santé et coût de santé », in Le Monde 6 septembre 1967, p. 8
89
ROUAST (A.), « La sécurité sociale et le droit de la famille », in Etudes Ripert, p. 346 ; MARTINE, « Le
développement de la législation sociale et le droit de la famille », in RTD Civ. 1956, p. 665 ; ALFANDARIE (E.), Le
droit aux aliments en droit privé et en droit public, Thèse Poitiers, 1958, p. 91 ; BORYSEWICZ (M.), L’intervention
de la sécurité sociale dans les rapports alimentaires entre époux, Thèse Aix, 1960.
90
GRANGER (V.), « La situation du conjoint de l’assuré social au regard de l’assurance maladie », in JCP 1958. I.
1457 ; DUPEYROUX (J.), Sécurité sociale, Paris, Dalloz, 1965, p. 238, n°158 ; DOUBLET (J.) et LAVAU (G.),
Sécurité sociale, Paris, Thémis, 1961, p. 119
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de l’aide sociale, le malade sera soigné gratuitement s’il se trouve, ainsi que son conjoint, dénué
de toute ressource ou de toute créance alimentaire réalisable. Néanmoins, si dans sa forme
d’assurance ou de refuge contre les incidences pécuniaires de la maladie, l’époux, comme
d’ailleurs la famille en général, semble relayée par la société, on ne peut vraiment pas parler de
Page | 96
substitution complète parce que l’aide sociale est subsidiaire à la dette d’aliments. En outre et,
comme on l’a si bien marqué en doctrine, « en fait l’Etat est un assureur si médiocre, partiel, lent
et toujours en retard sur les prix, que beaucoup d’assurés seraient mal en point sans la réassurance
familiale »91. Celle-ci pesant au premier chef sur le conjoint, il est fréquemment jugé que les frais
d’hospitalisation d’une femme mariée incombent avant tout à son mari compte tenu des obligations
du mariage. La sécurité sociale ne fait donc pas disparaître cette obligation de secours. Au
contraire, puisque sa tâche se trouve ainsi facilitée, l’époux débiteur sera tenu de l’exécuter avec
d’autant plus de rigueur92 qu’elle correspond, quant à la charge des soins pour maladie, à une
exigence vitale.

2- Une gestion peu attentionnée du patrimoine

Ce n’est plus dans l’intérêt exclusif du malade, mais encore dans celui de son conjoint et
éventuellement de la famille par eux créée que l’on devra résoudre les problèmes de gestion
patrimoniale qui revêtent une si grande importance en cas de maladie. Pour ce faire, pendant
longtemps on a pu utiliser les techniques habituelles du mandat ou de la gestion d’affaires, mais
avec des difficultés de mise en œœuvre considérables en cas de mauvaise volonté émanant du
conjoint malade ou du cocontractant. Quant à l’interdiction judiciaire, déjà insuffisante pour
protéger correctement les intérêts d’un célibataire malade, elle s’est révélée le plus souvent
inadéquate aux réalités et aux impératifs de la vie conjugale. Sans doute, les dispositions du code
portant réforme du droit des incapables majeurs se sont-elles efforcées d’adapter la loi aux
préoccupations sociales et médicales d’aujourd’hui. Dans un souci de réalisme juridique, elle a
organisé trois grands régimes de protection, qui sont, dans l’ordre croissant : la sauvegarde de
justice, la curatelle et la tutelle, avec passage facile de l’un à l’autre pour tenir compte de
l’évolution de l’état de santé du malade, corporel ou mental, et des problèmes spécifiques posés
par le cas de chacun. Ainsi, les décisions par lesquelles le juge des tutelles organise la protection
des intérêts seront précédées d’un avis médical selon l’article 573 al 3 du CPF.

91
CARBONNIER (J.), « Vis Famille, Législation et quelques autres », in Mélanges Savatier, p. 140.
92
BORYSEWICZ (M.), op. cit., p. 346
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De même, l’époux doit être en principe tuteur93 ou curateur94 de son conjoint. Mais il en
sera autrement si la communauté de vie a cessé entre les époux ou si le juge estime, qu’une autre
cause interdite de lui confier ces fonctions. Parfois même, la tutelle ne sera pas indispensable. Aux
termes de l’article 566, en effet, lorsque le conjoint est apte à gérer les biens, « le juge des tutelles
Page | 97
peut décider qu’il les gérera en qualité d’administrateur légal sans subroger tuteur ni conseil de
famille. On suivra alors les règles applicables, pour les biens des mineurs, à l’administration légale
sous contrôle judiciaire ». Et, en tout cas, l’époux ayant qualité pour demander l’ouverture d’une
tutelle se voit reconnaître le droit, et même l’obligation, par l’article 552, de faire les actes
conservatoires que nécessite la gestion du patrimoine de la personne protégée quand il y a eu
connaissance tant de leur urgence que de la déclaration aux fins de sauvegarde. Une telle
individualisation contraste évidemment avec la rigidité du droit antérieur dont le caractère périmé
peut être n’était contesté par personne.

Mais encore aujourd’hui, malgré les améliorations apportées à ces techniques de droit
commun, on devra leur préférer les règles matrimoniales par le code. Ne s’y est pas trompé le
législateur béninois en disposant dans l’article 565 : « Il n’y a pas lieu d’ouvrir une tutelle qui
devrait être dévolue au conjoint si, par l’application du régime matrimonial et, notamment, les
règles des articles 177, 178 et 204 du présent code, il peut être suffisamment pourvu aux intérêts
de la personne protégée ». La priorité, sinon la primauté du régime matrimonial sur les autres
régimes d’administration se justifie par cette bonne raison que le premier est mieux adapté aux
intérêts de tous les membres de la famille créée et aux situations diverses résultant de la maladie.
Ainsi les nouvelles présomptions de pouvoir qui ont été établies par ce code, confèrent une grande
autonomie en matière d’opérations mobilières ordinaires95 ou sur le plan financier96.

Déjà, leur jeu spontané permettra de traiter utilement les affaires des époux dans les
hypothèses les plus courantes de la vie quotidienne. Mais ce sera surtout dans les circonstances de
fait plus complexes ou plus durables que se manifestera la supériorité des techniques
matrimoniales. Mais alors, la gestion ne dépendra pas seulement des pouvoirs qui résultent
normalement du régime choisi. Elle découlera aussi de la volonté manifestée ou non par le malade,
ce qui pourra alors provoquer l’intervention du juge… On verra donc une modification

93 Art. 561 al 1 du CPFB


94 Art. 578 al 2 du CPF)
95
Art. 179 du CPFB
96
Art. 175 du CPFB
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conventionnelle ou judiciaire de la répartition normale des pouvoirs sur les biens propres ou
personnels comme sur les biens communs. C'est dire que la condition juridique des époux et leurs
pouvoirs respectifs dépendent largement de la condition sanitaire du malade.

A cet égard, l’exemple des habilitations et autorisations insérées par le code dans le statut Page | 98
impératif de base, applicable à tous les ménages, semble particulièrement démonstratif. Ainsi, dans
l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial quand l’époux est capable de manifester
sa volonté malgré la maladie, il pourra toujours donner à l’autre mandat exprès ou tacite de le
représenter97. A l’inverse, s’il se trouve hors d’état de le faire, l’autre conjoint peut, en vertu de
l’article 177 du CPF, se faire habiliter par justice à le représenter d’une manière générale ou pour
certains actes particuliers, dans les formes prescrites par la loi. Il présentera requête au président
du tribunal et la décision sera rendue par le tribunal en chambre de conseil. L’impossibilité de
manifester sa volonté doit d’ailleurs s’entendre « utilement » et d’une manière très large pour le
malade. Aussi, l’article 177 s’appliquera non seulement à certains hospitalisés, mais encore aux
époux atteints d’aliénation mentale. En effet, on ne peut, sous peine de sophisme, écarter
l’habilitation judiciaire en soutenant que l’époux dément n’est pas dans l’impossibilité de
manifester sa volonté parce qu’il s’en trouve précisément dépourvu. C’est pourquoi, doctrine et
jurisprudence dominantes se sont accordées jusqu’à présent pour permettre à la femme d’un aliéné
de la représenter, que ce dernier soit ou non interné ou interdit98. Toutefois, la coexistence
d’institutions aussi différentes dans leur objet et leur technique que l’interdiction judiciaire,
l’administration provisoire et l’habilitation en question, ne pouvait manquer de susciter, sinon une
opposition, du moins des difficultés pour l’application de l’article 177 du code des personnes et de
la famille.

Déjà, pour refuser de faire ce texte lorsque le dément est simplement interné, ne va-t-on
pas objecter qu’il existe un administrateur provisoire dont les pouvoirs cesseront d’ailleurs à
l’expiration ou un gérant de tutelle selon l’article 566 du CPF. L’argument doit être repoussé pour
une double raison. D’une part, parce que les pouvoirs conférés à l’administrateur, fondés sur les
seuls besoins du malade sont souvent exercés dans l’intérêt de l’administration alors que les
prérogatives conférées par l’habilitation judiciaire tendent de surcroît à sauvegarder l’intérêt de

97
JULIEN (V. P.), Les contrats entre époux, p. 118
98
Poitiers, 13 nov. 1946, D. 1947. 397 ; Trib. civ. Albi, 25 nov. 1948, JCP 1950. II. 5649 ; Amiens, 3 févr. 1954, D.
1954. 318 ; Trib. civ. Lille, 6 déc. 1955. D. 1956. 709 ; AUBRY et RAU, Cours de droit civil, t. 7, n°462 ; PLANIOL
et RIPERT, Traité pratique de droit civil, t. 2, n°126
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l’autre conjoint ou de la famille et pas seulement sur le plan alimentaire. D’autre part, parce que
le régime de l’administration légale est, comme on le sait, limité, précaire et subsidiaire, tandis que
le système de l’article177 peut éventuellement revêtir un caractère permanent et général 99.
Lorsqu’un époux demeure seul avec les enfants, aux prises avec les nécessités de l’existence, la
Page | 99
seule façon de lui permettre d’y faire face rapidement et efficacement est évidemment de lui
déléguer, selon l’article 177, les pouvoirs que possédait l’autre sur les biens communs comme sur
les biens propres ou personnels.

Aussi a-t-il été fréquemment jugé que les dispositions de cet article devaient l’emporter sur
d’autres dispositions100. Si l’on ne voit pas les raisons décisives qui conduiraient à modifier cette
jurisprudence, il n’en demeure pas moins que des conflits nés de cette juxtaposition d’institutions
seront d’autant plus difficiles à résoudre en fait que les questions relèveront pour l’article 177 de
la compétence du tribunal ordinairement, tandis que pour la gérance, il s’agira du juge des tutelles.
Sur ce point encore, l’institution d’un tribunal familial serait souhaitable. Il faudrait d’ailleurs
l’accompagner, de lege ferenda, d’une conciliation de textes, en particulier lorsque l’habilitation
de l’article 177 sera confrontée avec l’interdiction judiciaire devenue la tutelle des majeurs.

Sans doute, avec l’article 565 précité, il conviendra de préférer les dispositions spéciales
aux époux à la tutelle qui constitue un mode de protection générale pour tous les malades ne
pouvant exprimer leur volonté. De toute façon, on ne sacrifiera pas l’intérêt des parents par le sang,
puisque ces derniers auront toujours la possibilité de provoquer l’interdiction, sans que, d’ailleurs,
l’article 177 ne cesse pour autant d’être applicable. En effet, lorsque l’intérêt de la famille l’exige,
on admet volontiers en doctrine que le tribunal peut autoriser l’époux à passer un acte au nom de
l’aliéné et que le tuteur ne peut, lui, s’y opposer. Selon ces auteurs, il serait seulement difficile
pour le tribunal de conférer à l’un des époux un pouvoir de représentation générale de l’autre, car
ce serait supprimer toute activité du tuteur. Encore les juges pourraient-ils le faire, s’ils estiment
que ‘intérêt de la famille l’exige101.

Néanmoins, et c’est là le véritable danger pour les parents, lorsque l’habilitation a été
accordée dans les limites et conditions prévues par les juges, aucun contrôle automatique de
l’exécution n’est légalement prévu, à la différence de la tutelle qui vise, il est vrai, à protéger peut-

99
Trib. Seine 9 juill. 1953, GP 1953. 271
100
Idem
101
MAZEAUD (H. L. et J.), Leçon de droit civil, t. IV, 1er livre, p. 42
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être plus les intérêts des héritiers présomptifs que celui de l’aliéné. A ce point de vue d’ailleurs, le
fait est remarquable, l’article 177 rompt avec les perspectives traditionnelles et l’esprit du code
civil de 1804102. Les rédacteurs du code civil français de 1804 avaient bâti tout leur système
d’administration selon une conception de la famille où le conjoint ne figurait que comme un
Page | 100
élément adventice. La haute main appartenait au conseil de famille du malade103. Au contraire,
depuis la réforme de 2004 du droit de la famille, la représentation de l’article 178 a été instituée
non seulement dans l’intérêt de l’époux empêché mais encore et surtout dans l’intérêt du ménage,
de la femme et des enfants et avec la prééminence du juge.

Toujours dans le même esprit, mais avec un domaine d’application différent 104, l’article
178 prévoit que l’époux malade peut se faire autoriser par la justice à passer seul un acte pour
lequel le concours, ou le consentement, de l’autre serait nécessaire, si celui-ci est hors d’état de
manifester sa volonté ou si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. C’est dire combien
ce texte se révélera particulièrement utile dans certaines hypothèses de maladies physiques dont le
retentissement psychique habituel est de provoquer un certain détachement des affaires. Dans ces
cas fréquents de mauvaise volonté et d’inertie, il suffira d’avancer le caractère injustifié du refus
pour obtenir l’autorisation en question.

A côté de ces mesures « d’auctoritas », qui vont toutes dans le sens d’un accroissement
des pouvoirs, la loi s’est efforcée d’organiser la vie conjugale dans une vue plus réaliste et plus
quotidienne, toute une série de mesures protectrices, de type conservatoire, qui procèdent surtout
par restriction de pouvoirs105. Pourront-elles s’appliquer en cas de maladie ? Une réponse
affirmative s’impose pour les dispositions des articles 177 et 204 due CPF, relatifs au régime de
communauté. Le premier texte organise le transfert de l’administration des biens communs ou
réservés, le second, celui des biens propres. Le tout se fait au profit de l’autre époux, sauf et
uniquement dans le deuxième cas, si la nomination d’un administrateur judiciaire n’apparaît pas
nécessaire. Ce dessaisissement est singulièrement opportun en cas de maladie, non seulement

102
NDIAYE (Y.I), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, in Revue Sénégalaise de droit, 2013, n°36 p.13 et
s.
103
DURRY (G.) et GOBERT (M.), « Réflexions sur la réforme de la tutelle et de l’administration légale », in RTD
civ. 1966, p. 5 ; GOBERT (M.), « Le mariage après les réformes récentes du droit de la famille », in JCP 1967, Doct.
2122
104
RAYNAUD (P.), « L’habilitation judiciaire des époux selon la loi du 22 septembre 1942 », in RTD civ. 1946, p.
1-19 ; CHOTEAU (A.), « Domaines d’application comparés des articles 217 et 219 du code civil. », in D. 1949. Chron.
93 ; FLOUR (J.), Cours de droit civil, 4e année, 1966-1967, p. 157 et s.
105
CORNU (G.), « La réforme des régimes matrimoniaux. I. Généralités, le régime primaire impératif », in JCP 1966.
I. 1968, n° 618.
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lorsqu’elle entraîne une impossibilité durable de manifester une volonté utile, mais encore dans
ces cas fréquents où la mauvaise santé du malade se traduit par un détachement néfaste pour ses
intérêts comme pour ceux de sa famille.

Aussi, dans cette éventualité, sera-t-il fort expédient d’expliquer l’article 177, ce texte Page | 101
exigeant simplement que la gestion, soit de la communauté, soit des biens réservés, atteste
l’inaptitude ou la fraude. Mais cette simple procédure risque de ne pas satisfaire entièrement
l’époux en bonne santé. Surtout s’il est seul à alimenter la communauté, il peut avoir intérêt à
demander la séparation de biens plutôt que de se contenter d’un transfert d’administration qui est,
malgré tout, provisoire. Cette séparation est possible : d’abord, parce que, d’une manière générale,
la procédure de l’article 177 du CPF n’est pas obligatoire ; ensuite, parce qu’en l’occurrence, il
suffit, aux termes de l’article 209 al 1 que « …, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise
administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les
intérêts de l’autre conjoint, … ». Or toutes ces choses peuvent résulter d’une circonstance
accidentelle ou d’une force majeure et, par conséquent, de la maladie.

Toujours dans la même hypothèse pathologique, il sera aussi pratique d’utiliser le transfert
judiciaire de l’article 204 du CPF lorsque l’époux malade met en péril les intérêts de la famille,
soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire. Alors
les fruits et revenus seront appliqués aux charges du mariage et il sera fait emploi au profit de la
communauté (obligation qui ne pesait d’ailleurs pas sur le titulaire). Néanmoins, le point mérite
d’être noté, l’époux ne se trouve pas dessaisi de l’ensemble de ses pouvoirs sur ses biens propres,
mais seulement de ses droits d’administration et de jouissance. Il conserve donc le pouvoir de
disposer de leur propriété. Pour lui ôter, comme pour lui enlever les autres pouvoirs sous les
régimes séparatistes, faudra-t-il aller jusqu’à la tutelle ou la curatelle, procédure longue et
malséante, parfois inadaptée ou impossible ?

Pourtant, sous tous les régimes, le code des personnes et de la famille a prévu une
intervention judiciaire d’urgence qui aurait fort bien pu convenir aux situations de crise issues de
la maladie : à savoir le dispositif de sécurité prévu par l’article 178. Selon ce texte, en effet, la
justice peut prescrire toutes mesures urgentes demandées par un époux dans l’intérêt de la famille.
L’époux peut dans ce cas interdire son conjoint de faire sans son consentement des actes de
disposition sur ses propres biens ou ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Point n’est
besoin d’insister sur l’utilité pratique de cette indisponibilité et de cette immobilisation, que l’on a
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pu considérer comme l’antithèse de l’article 174 al 2 et une des dispositions fondamentales de la


réforme de 2004. Malheureusement, la difficulté d’appliquer l’article 178 à l’hypothèse de la
maladie et d’empêcher ainsi les actes juridiques de disposition et les actes matériels de
détournement inspirés par l’état pathologique, provient de ce que le texte exige deux conditions
Page | 102
cumulatives. Il faut premièrement, que l’époux manque gravement à ses devoirs, et deuxièmement,
qu’il mette ainsi en péril les intérêts de la famille.

Or, si la maladie se révèle souvent dangereuse pour les intérêts en question, elle est
généralement considérée comme une force majeure, exclusive en tant que telle, de faute conjugale.
On pourra donc difficilement qualifier de manquement aux devoirs, une impossibilité de les
remplir. A ce point de vue, tout au moins, il eût mieux valu, ne retenir que le seul intérêt de la
famille comme critère de la possibilité offerte au juge d’intervenir sur requête ou en référé,
procédures bien adaptées à la maladie d’un époux puisque les mesures, qui peuvent être ordonnées
d’urgence, si elles sont provisoires peuvent tout de même durer. On le regrettera d’autant plus que,
dans l’adaptation des relations pécuniaires nouvelle créée par l’état pathologique d’un conjoint,
l’intervention de la justice se révèle utile et bienfaisante. Sans doute parce qu’elle se traduit par
l’obligation de verser une somme d’argent, par le pouvoir ou la défense de faire un acte
d’administration ou de disposition. Mais, lorsqu’il s’agira d’effectuer des actes personnels ou de
s’en abstenir, le rôle du juge sera-t-il tout aussi efficace ?

B- La maladie d’un époux : une cause d’anéantissement du lien conjugal

Pourtant, ici encore, le point de départ était défavorable. Le code des personnes et de la
famille dans l’énumération limitative de l’article 234 ne reconnaît pas la maladie comme cause de
divorce, quelle qu’en soit la nature ou la date d’apparition. Il faut dire que le principe est plus ou
moins flou (1) rendant la mise en œuvre très difficile (2).

1- Un principe plus ou moins flou

Il convient de rappeler d’abord que selon la conception idéaliste, législateurs et juges


refusent de considérer les infirmités quelque répugnantes qu’elles soient, les maladies les plus
graves et, en particulier, les maladies mentales, comme causes directes de séparation de corps ou
de divorce106. Cette solution, ancienne se trouve bien établie encore. Parfois même, l’état

106
NDIAYE (Y.-I.), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, op.cit. p.13 et s. ; DOUCHY-OUDOT (M.), Le
droit canonique de la dissolution du lien matrimonial dans l’Eglise catholique, op.cit. p.57 et s.
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pathologique pourra constituer, sinon une fin de non recevoir, du moins une cause d’impunité
parce que de non-imputabilité : ainsi pour les agissements d’un dément, tant il est vrai qu’au Bénin
le divorce apparaît comme la suprême sanction des devoirs conjugaux dans ses causes comme dans
ses effets, comme « le grand collecteur de toutes les immoralités conjugales »107. C’est ce qui
Page | 103
explique, d’une part, que les propositions de lois tendant à reconnaître le divorce pour aliénation
mentale ont toutes échoué108 et, d’autre part, que la maladie ne peut être actuellement et
uniquement que l’occasion de commettre une injure grave : par exemple par défaut de soin, ou par
contamination, etc.

Aussi méritait-il la cassation de cet arrêt de la Cour d’appel qui avait prononcé le divorce
aux torts réciproques en se bornant à relater l’avis d’un expert aliéniste, lequel représentait la
séparation comme une mesure thérapeutique absolument nécessaire109. En cas de maladie mentale
d’ailleurs, un obstacle supplémentaire au prononcé du divorce surviendrait dans la mesure où on
refuserait de le laisser plaider pour ou contre un dément. Mais ici, la solution du problème dépend
essentiellement de l’étendue des pouvoirs que l’on attribue au tuteur ou au représentant « ad
litem » qui évidemment ne doit jamais être le conjoint du malade. Certes, le tuteur de l’époux
interdit n’a pas la possibilité d’intenter une action en divorce110, mais il pourra demander la
séparation de corps avec l’autorisation du conseil de famille, selon le code. Or, si les rédacteurs de
ce texte pensaient, à l’origine, pouvoir éviter les effets irréparables du divorce, depuis, la
conversion de la séparation est devenue automatique, même à la demande de l’époux coupable.
Aussi, le malade irréprochable risque-t-il de se voir imposer un divorce sans l’avoir vraiment
voulu. Au point de vue idéaliste, la conséquence est d’autant plus regrettable que la jurisprudence
n’a pas hésité, d’abord à étendre la solution au conjoint simplement interné bien qu’aucun texte
légal n’ai prévu son cas, et ensuite à recevoir les demandes reconventionnelles en divorce

107
CARBONNIER (J.), JCP 1967 II 15130
108
Au moment de la réforme, celle-ci a été rejeté comme cause de divorce. Civ. 8 mai 1950, S. 1950, Tables V°
Divorce, p. 37
109
Civ. 8 mai 1950, S. 1950, Tables V° Divorce, p. 37
110
LAURENT (Ch.), « De la capacité civile dans les procédures de divorce et de séparation de corps », in JCP 1963.
13.385 ; Civ. 12 fév. 1965, D.S 1965.258 ; PREVAULT (J.), « De la capacité civile dans les procédures de divorce et
de séparation de corps », in JCP 1950 I 891 ; A remarquer que la jurisprudence permet au tuteur de demander
l’annulation du mariage de l’interdit, Civ. 26 fév. 1890, D. 1890 I. 290
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introduites par son mandataire au nom de l’aliéné, au motif cependant critiqué en doctrine,
qu’« elles participeraient de la nature d’une défense à l’action principale »111.

En effet, on admet généralement que malgré le caractère essentiellement personnel de


l’action en divorce, le tuteur de l’interdit ou l’administrateur de l’aliéné peuvent représenter Page | 104
l’incapable quand il se trouve défendeur. Une telle solution n’est pas d’ailleurs sans présenter un
grave inconvénient en ce sens que l’époux malade ne participera pas valablement à la tentative de
conciliation et à sa défense. Néanmoins, elle s’explique par le désir de ne pas priver le conjoint de
son droit au divorce dans la mesure où il demeure possible contre un aliéné : non seulement en cas
de faute antérieure à l’aliénation ou ayant provoqué la maladie, mais encore, hypothèse plus
originale, lorsque l’état pathologique a été dissimilé jusqu’au mariage.

2- Une mise en œuvre difficile

Le problème est d’ailleurs général. Mais qu’il s’agisse de maladie mentale, vénérienne,
contagieuse ou toute autre112, il est d’abord nécessaire de prouver le dol de l’époux malade, preuve
singulièrement délicate en la matière. Certes, depuis l’instauration du certificat prénuptial, la
conviction des juges sera plus facilement emportée qu’auparavant, si l’on admet que la visite
médicale fait présumer la connaissance par un fiancé de son état pathologique. Toutefois, on
observera que si le certificat doit dater de moins d’une période lors des publications celles-ci
restent valables un certain temps. Aussi dans ce double délai qui peut atteindre des années, peut
survenir un mal caché qu’il serait légitimement permis au fiancé d’ignorer et par conséquent de ne
pas révéler. Il faut ensuite que la dissimulation porte sur un état pathologique grave et qui soit de
nature à détourner le futur conjoint de son projet de mariage.

Or de l’analyse de la jurisprudence, il ressort que la gravité du mal importe presque autant


que le comportement objectif du malade : le réalisme biologique n’aurait-il pas dit son dernier
mot ? Que l’état pathologique ait souvent même plus d’importance que le retentissement injurieux
de la dissimulation, la chose est facilement démontrable. En effet, s’il n’est pas d’exemple que la
dissimulation volontaire d’impuissance chez un individu jeune et apparemment sain, n’ait point

111
Grenoble, 13 fév. 1963, D. 1964.273 ; Civ. 12 fév. 1965 D. S. 1965. 258 ; PREVAULT (J.), « De la recevabilité
des demandes reconventionnelles en divorce introduites par un mandataire au nom de l’aliéné interné », in Rép.
Commaille 1965, p. 573
112
Req. 30 nov. 1925, GP 1926 I 209 (vénérienne) ; Riom, 3 juill. 1934, GP 1934 II 578 (contagieuse) ; Aix, 3 juin
1936 GP. 1936 II 454 (mentale) ; Civ. 5 juill. 1956, D. 1957. 609 (mauvaise santé chronique) ; Montpellier, 25 oct.
1960, D. 1961. 775 (sclérose en plaques, incurable) ; Civ. 12 mai 1960, D. 1960, Som. 97 (troubles épileptiques)
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entrainé le prononcé du divorce113, les espèces ne manquent pas où il a été refusé lorsque
précisément, la maladie cachée se révélait sans danger pour le conjoint, la descendance éventuelle
et n’interdisait pas tout rapprochement entre époux114. Néanmoins, on doit bien le reconnaître,
c’est toujours par le canal psychologique que l’effet dissociateur de la maladie a été pris en
Page | 105
considération et que la thèse réaliste a pu triompher.

C’est par ce triomphe camouflé dans une technique psychologique, qui explique, d’une
part, la difficulté rencontrée par la doctrine pour admettre la correction juridique de la qualification
en injure grave alors que les faits de dissimulation et la maladie sont antérieurs au mariage. D’autre
part, la contradiction au moins apparente, de cette jurisprudence qui prononce le divorce et non
pas la nullité dans une hypothèse où l’inverse serait peut-être plus logique. Aussi, nombreux sont,
parmi les auteurs français, ceux qui reprochent à la jurisprudence son interprétation laxiste de
l’article 232 du CC l’équivalent dans une certaine mesure de l’article 234 du CPF. En effet, le
dernier tiret de l’alinéa 1 de l’article 234 du code des personnes et de la famille, comme on le sait,
retient comme cause de divorce les injures de l’un des époux envers l’autre, lorsque ces faits
constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations résultant du mariage et
rendant l’existence en commun impossible c’est-à-dire intolérable le maintien du lien conjugal.

Or, fait-on valoir, avant le mariage, il n’y a point d’époux, il ne peut donc s’agir que
d’injures entre fiancés. Et allant plus loin dans la critique, d’aucuns ont même mis en doute le
caractère injurieux qui s’attache à la dissimulation prénuptiale : celle-ci marquerait simplement un
désir d’épouser plutôt flatteur pour celui qui en est l’objet et, en tout cas, n’ayant en soi rien
d’offensant ou de méprisant. Toutefois, il faut bien le dire, même en le considérant de la sorte, le
procédé n’en est pas moins inélégant dans sa moralité et de mauvais augure pour la suite de la vie
conjugale. Enfin, on peut se demander avec certains auteurs, si assimiler l’inexécution de
l’obligation de sincérité « ante nuptias » à la violation des devoirs résultant du mariage, ne serait
pas, en définitive, qu’un subterfuge, d’ailleurs peu digne de la justice, pour substituer le divorce à
la nullité. A ces critiques, les partisans de la jurisprudence peuvent néanmoins répondre qu’en
l’état actuel des mœurs et du droit positif, le divorce présente généralement sur la nullité cet

113
Req. 25 janv. 1922, D.1924 I 7 ; Civ. 7 mai 1951, D. 1951. J. 472 ; Orléans, 4 mars 1903, D. 1905 II 67 ; Nancy,
28 mai 1958, D. 1958. Som. 121
114
Trib. Civ. Nîmes, 2 fév. 1942, JCP 1942 II 1826 (énurésies) ; Trib. Civ Redon, 6 juin 1950, D. 1950.572
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avantage incontestable de constituer un moyen technique mieux élaboré et souvent adéquat à ce


genre de situation.

Ainsi, sur le terrain des principes, la validité du mariage ne doit pas dépendre des mobiles
particuliers à chaque époux sous peine de voir transformer l’erreur dans le consentement en erreur Page | 106
sur l’amour115. De même, quant aux conséquences, le divorce permettra l’attribution d’un certain
nombre d’avantages à celui qui en obtiendra le profit. Notamment, l’époux innocent ne négligera
pas la perspective d’une pension alimentaire, à notre époque caractérisée par ce que l’on a pu
appeler le « capitalisme rentier »116. Certes, rien n’interdirait à la victime d’un dol s’il était admis
pour l’annulation de demander une rente indemnitaire117. Mais celle-ci se révèlerait beaucoup
moins avantageuse que la pension alimentaire que pourrait obtenir l’époux au profit duquel la
séparation de corps est prononcée. En effet, l’allocation fondée sur l’article 275 al 1 du code varie
non seulement avec la dévaluation monétaire alors que les rentes ne suivent pas forcément le coût
de la vie mais encore en fonction des besoins provenant d’une maladie postérieure au divorce.
Dans ce cas l’ancien-futur ex-époux pourra se prévaloir du bénéfice de l’article 275 al 1, pour voir
augmenter les subsides déjà alloués, voire pour réclamer une pension alimentaire, si elle ne lui a
pas déjà été attribuée au moment de la séparation du corps. On sait, en effet, que depuis la réforme
de la loi, la pension alimentaire n’est plus due qu’en séparation de corps. On ne parle plus que de
dommages et intérêts après un divorce aux torts de l’un des époux. Il n’est d’ailleurs plus
nécessaire, depuis le 17 janvier 1958, a dit le juge, que l’origine de l’état de santé défectueux
remonte au temps où la femme n’était pas divorcée donc séparée de corps. Car celle-ci a été privée
pour une cause qui ne lui est pas imputable de l’aide dont elle aurait bénéficié si elle était restée
mariée.

Bien qu’il ne s’agisse plus en tant que tel d’époux, mais d’ex-époux, la maladie postérieure
au mariage est encore l’occasion de faire produire effet à un lien conjugal dont une certaine
pérennité va jouer ici au profit de celui qui a obtenu la séparation de corps. Tout comme elle jouera
d’ailleurs au profit du conjoint survivant séparé de corps, lorsque sa maladie apparaît dans le délai

115
CORNU G. « Du sentiment en droit civil », in Annales de la Faculté de Liège, 1963
116
CARBONNIER (J.), Droit civil, t1, n°35 ; CULIOLI (M.), L’obligation alimentaire entre personnes divorcées,
Thèse Aix, 1960, n°35
117
En cas de mariage putatif, il est vrai, la question est discutée de savoir si l’époux de bonne foi a le droit de réclamer
des aliments à son ex-conjoint. La jurisprudence peu abondante serait favorable : Rouen, 9 avril 1887, S. 1887 2 235 ;
Paris, 16 janv. 1895, D.P 1895. 2. 518 ; Paris, 8 mai 1964, JCP 1964, ed. av. 4466 ; Alger, 26 mai 1879. 2. 281. Malgré
quelques opinions dissidentes (Planiol et Ripert), la doctrine est plus réticente et estime que l’annulation du mariage
fait disparaître pour l’avenir le devoir de secours entre époux comme le droit de succession.
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prévu par l’article 390 pour réclamer des aliments à la succession du prédécédé. Cet élargissement
du cadre temporel de l’obligation alimentaire entre époux est remarquable. D’un point de vue
idéaliste, il perpétue les promesses faites lors d’un mariage valable. D’un point de vue réaliste il
correspond, quant à la prise en charge du malade, à une exigence vitale. Toutes ces considérations
Page | 107
de fait et de droit semblent inspirer les praticiens conscients de préserver les intérêts de leurs clients
lorsqu’ils écartent la voie de la nullité pour lui préférer le divorce ou la séparation de corps,
possibles et utilisés dans la presque totalité des cas. Elles sont suffisantes, aux yeux d’auteurs de
plus en plus nombreux pour justifier une jurisprudence malgré tout bien établie.

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Les discours de haine saisis par le droit pénal camerounais


The sanction of hate speech by the cameroonian criminal law
Par :
KAMNANG KAMTCHUANG Cédric Lionel Page | 108
Doctorant à l’Université de Maroua (Cameroun)

Résumé :

Si le droit à la liberté d’expression et d’opinion reste le principe, celui-ci ne s’exerce pas


toujours sans incidents. Les discours de haine en sont un exemple de l’utilisation abusive de cette
liberté. Face à ces dérives langagières qui minent notre société depuis quelques années déjà, le
législateur répond par la répression pénale. Après une analyse approfondie, à partir de la méthode
exégétique, nous avons constaté qu’au fil des années, il a agrandi le champ d’incrimination de ce
délit et gagné en puissance dans la sanction. L’une des avancées les plus remarquables fut d’avoir
arrimé la répression de ce délit aux réalités technologiques. Cependant, en dépit ces avancées,
cette répression reste entachée de quelques imperfections. On note principalement l’absence
définition de l’expression discours de haine, notion pourtant polysémique.

Mots clés : discours de haine, incrimination, sanction, polysémique.

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Abstract :

While the right to freedom of expression and opinion remains the principle, it is not always
exercised without incident. Hate speech is a prime example of the misuse of this freedom. Faced
with these linguistic excesses, which have been undermining our society for some years now, the Page | 109
legislator has responded with criminal sanctions. After an in-depth analysis based on the
exegetical method, we have noticed that over the years, the scope of incrimination of this offence
has widened and the penalties have become more severe. One of the most remarkable advances
has been to bring the repression of this offence into line with technological realities. However,
despite these advances, this repression also present some imperfections related to the absence of
definition of the term hate speech ; a concept known as polysemous.

Keywords : hate speech, incrimination, sanction, polysemous.

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Introduction

Les sociétés africaines sont pour la plupart constituées des peuples aux origines diverses.
L’avènement de l’État tel qu’il apparaît aujourd’hui en Afrique est le résultat d’un long processus.
La configuration géographique actuelle de ses entités étatiques est la conséquence de la Conférence Page | 110
de Berlin de 1884-18851. Le processus de colonisation de l’Afrique a fortement affecté la
répartition géographique de ses États. TOUOYEM Pascal disait à même que « Une ontogenèse de
l’ordre étatique africain en général et de celui de l’Afrique noire en particulier doit pouvoir
prendre nécessairement ̏ l’acte de Berlin ̋ de 1885 – en tant que légitimation et officialisation
européenne et donc mondiale du partage de l’Afrique […] ». Pour ce dernier, «La conférence de
Berlin est au continent africain ce que le traité de Westphalie est pour le monde occidental […]
Tout comme le traité de Westphalie de 1648 a structuré l’ordre continental européen autour
d’États souverains, la conférence de Berlin 1884-1885 est au fondement du cadastre étatique
actuel du continent africain. »2. Ce découpage territorial n’a pas toujours pris en compte les réalités
culturelles, tribales, voire ethniques ; plusieurs groupements humains d’origines parfois différentes
se sont vus alors être mis ensemble sous l’autorité d’un même État. CHANTEBOUT Bernard
parlait à cet effet de « lambeaux épars d’ethnies divisées »3. Cette situation ayant alors donné
naissance à des États caractérisés par une pluralité culturelle où cohabitent tribus et ethnies
différentes, comme c’est le cas de nos jours au Cameroun.

Cette cohabitation des peuples aux cultures différentes bien que promue tant au niveau
international4 que national5 ne se fait toujours pas sans incident. On observe parfois se développer

1
Conférence (novembre 1884- février 1885) présidée par L’Empereur allemand Otto Von Bismarck, au cours de
laquelle était décidée le partage de l’Afrique entre les différentes puissances colonisatrices (Allemagne ; France ;
Italie ; Portugal ; Grande Bretagne etc.). C’est cette Conférence qui fixe les règles qui doivent présider à l’occupation
du continent africain par les puissances occidentales.
2
TOUOYEM (P.), Dynamiques de l’ethnicité en Afrique, Éléments pour une théorie de l’État multinational, Bamenda,
Langaa & Centre d’Études Africaines, 2014, p. 6.
3
CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel, 28e éd. Paris, Sirey, Coll. « Université », 2011, p. 366.
4
C’est notamment le cas de l’article 7 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 dispose que « Tous
sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection
égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle
discrimination ».
5
La Constitution du 18 janvier 1996 « proclame que l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de
croyance, possède des droits inaliénables » ; l’article 61 alinéa 2 du Code du Travail indique qu’ « à conditions égales
de travail, d’aptitude professionnelle, le salaire est égale pour tous les travailleurs, quels que soient leurs origine, leur
sexe, leur âge, leur statut et leur confession religieuse, dans les conditions prévues au présent article » ; et l’article 1
du Code pénal qui dispose que « La loi pénale s’impose à tous », et l’article 242 du même Code relatif aux
discrimination mentionne qu’ « Est puni d’un emprisonnement de un mois à deux ans et d’une amende de 5000 à
500 000 francs, celui qui refuse l’accès […] dans des emplois, à raison de sa race ou de sa religion ».
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un ensemble de comportements perfides prenant la forme d’un rejet, ou d’incitation à la haine de


l’autre fondée sur son origine, sa couleur, sexe et ou autres signes distinctifs. Si la liberté
d’expression reste le principe, son exercice doit se faire également dans le strict respect de la loi.
Le rôle joué par la propagande haineuse dans les atrocités ou l’explosion des violences dans
Page | 111
certains pays n’est plus à démontrer. L’exemple du génocide rwandais, de l’antisémitisme6 ou
encore de l’apartheid7 laissent encore des souvenirs indélébiles.

Lors des travaux de RABAT, il avait été mentionné que beaucoup de conflits mondiaux
des dernières décennies avaient également, à des degrés divers, un composant d’incitation à la
haine nationale, raciale ou religieuse8. Or, depuis quelques années déjà, la société camerounaise
connaît une montée fulgurante de ce mal qui constitue un véritable danger pour notre unité
nationale et cohésion sociale9. Le discours de haine prend désormais ses quartiers dans l’espace
public. Face à la résurgence d’un tel phénomène, le gouvernement n’a pas hésité à régir par
l’adoption de la loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant certaines
dispositions de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 201610. Avec cette nouvelle loi, les discours de
haine tant racial que tribale sont pénalisés. La question de ces dérives langagières interpelle plus
d’une personne. Ce fut récemment le cas du Président de la République qui l’invoquait dans son
discours de fin d’année à la nation11. La veille de la célébration de notre 51e fête nationale était
encore l’occasion de mettre à jour cette question des discours de haine à travers des
communications aussi bien scientifique et gouvernementale12. Au niveau international, la

6
Voir le Rapport de la Coordination Intercommunautaire Contre l’Antisémitisme et la Diffamation de 2018, [en ligne].
L’International Holocaust Remembrance Alliance définit l’antisémitisme comme : « une certaine perception des juifs
qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme
visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »,
https://holocaustremembrance.com, [consulté le 15 aout 2021].
7
L’apartheid signifie séparation. Il représentait la codification dans un système oppressif de toutes les lois et de tous
les règlements qui avaient maintenu les Africains dans une position inférieure aux Blancs pendant les siècles, Voir
MANDELA (N.), Un long chemin vers la liberté, trad., GUILOINEAU (J.), Paris, Le Livre de poche, 1996, p. 101.
8
Haut-Commissariat aux droits de l’homme : Plan d’action de Rabat sur l’incitation de tout appel à la haine
nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou la violence, ateliers
d’experts, Rabat, 5octobbre 2012, p. 2.
9
Ce fut le cas notamment au lendemain de la proclamation des résultats du scrutin présidentiel de 2018 ; et deux ans
plutôt avec la crise des régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest.
10
Loi dont l’article 241 (nouveau) porte sur l’outrage à la race et aux religions ; et l’article 241-1 (nouveau) porte sur
l’outrage à la tribu ou à l’ethnie.
11
BIYA (P.), Message du Chef d’État à la Nation à l’occasion de la fin d’année 2022 et du nouvel An 2023, [En
ligne], https://www.prc.cm/fr/actualites/discours/6226-message-du-chef-de-l-etat-a-la-nation, [Consulté le 3 janvier
2023] ; on a également eu le Communiqué de presse du sur la banalisation des discours de haine dans les médias de
la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun, [En ligne], www.cdhc.cm, [Consulté le 23 avril 2023] ; et le
Communiqué Radio-Presse du Ministre de l’Administration territoriale du 22 mai 2023.
12
Nous pouvons citer le Colloque national organisé du 10 au 12 mai 2023, par le département de Sociologie de
l’Université de Yaoundé I et Defynehatenow Cameroun sous le thème : « Discours de haine et violences au
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résolution adoptée le 21 juillet 2021 consacre le 18 juin comme journée internationale de lutte
contre les discours de haine13.

Le discours haineux ou discours de haine utilisé par plusieurs textes est une expression qui
rabaisse, dénigre l’autre soit sur la base de son origine ou de son sexe. Cependant, comme le fait Page | 112
remarquer FURNEMONT Jean- François, si beaucoup de textes en parlent et si le sens commun
permet d’en cerner les contours, il n’existe pas de définitions du discours de haine, et aucune qui
soit universellement admise14. L’expression fait encore l’objet de contestation dans plusieurs
domaines. Toutefois, l’Organisation des Nations Unies définit le discours de la haine comme tout
type de communication, qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite ou de comportements,
constituant une atteinte ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire à l’égard d’une
personne ou d’un groupe en raison de leur identité, en d’autres termes, de l’appartenance
religieuse, de l’origine ethnique, de la nationalité, de la race, de la couleur de la peau, de
l’ascendance, du genre ou d’autres facteurs constitutifs de l’identité. Souvent, ces discours sont à
la fois le résultat et la cause de l’intolérance et de la haine et peuvent être, dans certains cas
dénigrants et source de division15. C’est un discours qui renferme des manifestations multiples,
repend, encourage ou suscite la haine, la violence ou la discrimination contre une personne, un
groupe pour plusieurs raisons. Toutefois, bien qu’elle échappe à une définition claire, l’expression
(qu’elle soit véhiculée par texte, image, son, code) peut être identifiée par approximation au travers
des fonctions dégradantes ou déshumanisantes qu’il remplit16.

Face à ce mal qui focalise encore les attentions, et dont la prolifération est facilitée de nos
jours par l’usage des nouvelles technologies, le législateur camerounais a choisi de donner une
réponse pénale. Il importe donc de savoir comment s’organise désormais la répression des discours
de haine sous l’égide de cette nouvelle loi ? S’il est vrai que ce n’est pas la première fois que le

Cameroun : Genèses sociales, formes émergentes et pistes de réponse » ; La Communication gouvernementale sur les
discours de haine des Ministres de la Communication et de l’Administration territoriale, accompagnés du Président
de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, tenue le 17 mai 2023 à
Yaoundé, [En ligne], https//www.mincom.gov.cm/2023/05/17/communicationgouvernementale-sur-le-discours-de-
haine, [Consulté le 18 mai 2023].
13
Voir la Résolution A/RES/75/309 sur la lutte contre les discours de haine : promotion du dialogue interreligieux et
interculturel et de tolérance, adoptée le 21 juillet 2021, p. 4.
14
NAKSEU-NGUEFANG (G.) (dir.), Lutter contre les discours de haine dans les médias audiovisuels, normes,
jurisprudence, bonnes pratiques et études des cas, Paris, Organisation Internationale de la Francophonie, 2017, p. 13.
15
Stratégie et Plan d’action des Nations Unies pour la lutte contre les discours de haine, mai 2019, p. 1, [en ligne],
https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/advising-and-
mibilizing/Action_plan_on_hate_speech_FR.pdf , [consulté 22 juin 2021].
16
GAGLIARDONE (I.), GAL (D.), et al., Combattre les discours de haine sur internet, coll. UNESCO, 2015, p. 10.
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législateur pénal se saisi des discours de haine, notons cependant qu’il manifeste cette fois un désir
d’accentuer la répression. Cela peut se vérifier par l’extension du champ des incriminations (I) et
la sévérité croissante des peines (II) destinées à ses discours de haine.

I- L’EXTENSION DU CHAMP DES INCRIMINATIONS DES DISCOURS DE HAINE Page | 113

La pénalisation des discours de haine par le législateur n’est véritablement pas un fait
nouveau dans l’ordonnancement juridique camerounais. Le Code pénal dans sa version d’avant la
modification par la loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 prévoyait déjà une disposition relative à
l’outrage aux races et aux religions (A). C’est à partir de la modification de 2019 que les discours
de haine à connotation tribale sont pour la première fois réprimés par le Code pénal (B).

A- L’incrimination initialement limitée au discours de haine raciaux et religieux

On ne saurait parler des discours de haine sans avoir à l’esprit les préoccupations relatives
à la liberté d’expression. La liberté d’expression est un droit fondamental consacré par plusieurs
textes17. Cependant ce droit à la liberté d’expression n’est pas sans limites. L’article 20 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques prévoit que toute propagande en faveur de la
guerre est interdite. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une
incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. Le législateur
camerounais n’a pas hésité à ériger cette recommandation en infraction dès la première version du
Code pénal en 196718. C’est alors que les discours de haine sont pour la première pénalisés au
Cameroun. L’article 241 alinéa 1 ancien19 disposait à cet effet que « Est puni d’un emprisonnement
de six (06) jours à six (06) mois et d’une amende de cinq mille (5 000) à cinq cent mille (500 000)
francs, celui qui commet un outrage, tel que prévu à l’article 152 du présent Code, à l’encontre
d’une race ou d’une religion à laquelle appartiennent plusieurs citoyens ou résidents ». L’alinéa
3 de cet article prévoyait que les peines prévues aux alinéas 1 et 2 ci-dessus sont doublées lorsque
l’infraction est commise dans le but d’inciter la haine ou le mépris entre les citoyens. Cet article
tient compte aussi bien du caractère outrageant qu’incitatif du message délictueux pour punir le

17
Voir le Préambule de la constitution qui prévoit que la liberté de communication, liberté d’expression, liberté de la
presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale, et le droit de grève sont garantis dans les
conditions fixées par la loi. V. également l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10
décembre 1948, et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
18
Le Livre premier du Code pénal est institué par la loi n° 65/LF/24 du 12 novembre 1965, le Livre second quant-à
lui sera plutôt l’œuvre de la loi n° 67/LF/1 du 12 juin 1967.
19
Il s’agit de la disposition d’avant la loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant la loi n° 2016/007
du 12 juillet 2016.
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délinquant. Après une lecture minutieuse des articles 20 du Pacte international relatif aux droits
civils et politique, et de l’article 241 ancien du Code pénal, on constate que le législateur ne se
limite pas qu’à sanctionner les messages à caractère incitatif comme prévus par le texte
international. Il va plus loin dans sa tâche, et s’attaque même à ses discours qui bien que dépourvus
Page | 114
de projet incitatif, sont néanmoins outrageants. Il définit par ailleurs l’outrage à l’article 152 du
Code pénal comme la diffamation, l’injure ou la menace faite soit par des gestes, paroles, ou cris
proférés dans des lieux ouverts au public, soit par tout procédé destiné à atteindre le public.

Après cette première incrimination des discours de haine par législateur, il a fallu attendre
encore la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité
pour voir les discours de haine raciale faire cette fois ci l’objet d’une réglementation spéciale. La
répression des discours de haine s’inscrit cette fois dans un registre spécial, qui est celui des
communications électroniques. L’article 77 punit d’un emprisonnement de deux (02) à cinq (05)
ans et une amende de 2 000 000 à 5 000 000 de francs CFA celui qui par voie de communications
électroniques ou d’un système d’information, commet un outrage à l’encontre d’une race ou d’une
religion. L’alinéa 2 dispose que l’infraction sera doublée si elle est commise dans le but de susciter
la haine ou le mépris entre les citoyens. Il faut entendre par communication électronique,
l’émission, la transmission ou la réception de signes, des signaux, d’écrits, d’images ou de son par
voie électromagnétique ou optique20. À la lecture des deux textes, on constate qu’ils partagent une
même conception de la répression des discours de haine raciale et religieuse. Conception selon
laquelle le message litigieux n’a pas nécessairement besoin d’inciter à la haine pour être
sanctionné. Cependant, à la différence de l’article 241 ancien, la loi relative à la cybersécurité et
la cybercriminalité ne donne pas de définition de l’expression outrage. On peut alors à juste titre
se poser la question de savoir si elle renvoie à celle de l’article 152 du Code pénal. Auquel cas, on
serait là en présence d’un processus de renvoi ; processus tant décrié malheureusement par la
doctrine, parce que considéré comme cause d’inflation législative21. Fustigeant également cette
technique de renvoi, DELMAS-MARTY, disait qu’elle « facilite l’inflation parce qu’elle épargne
au législateur un fastidieux travail de définition des infractions et provoque peu à peu des
réactions, étant le plus souvent ignorée de l’opinion publique. Du même coup s’efface l’une des

20
Voir l’article 4 (15) de la loi n°2010-013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au
Cameroun, modifiée et complétée par la loi n° 2015/006 du 20 avril 2015.
21
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Economica, 1999, pp. 152-154.
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fonctions du droit pénal, à la fois pédagogique et symbolique, qui serait de se donner à voir, de
montrer l’ordre pénal, supposé exprimer, face au désordre de l’infraction »22.

Dans le cas où cette expression d’outrage ne fait pas référence à celle prévue par l’article
152 du Code pénal, on serait alors là en présence d’un texte de loi flou, et qui porte du coup atteinte Page | 115
au principe de la légalité criminelle dont l’un des corollaires est la précision et la clarté de la loi
pénale. Ce principe de la légalité implique aussi, on le sait, que les dispositions définissant les
infractions soient rédigées avec suffisamment de clarté et de précision et qu’elles ne comportent
aucun élément d’incertitude23. Il s’agit là d’une obligation faite au législateur, car ce dernier ne
doit pas se limiter à faire les incriminations, il faut encore que celles-ci présentent certaines qualités
que sont la clarté et la précision ; qualités sans lesquelles le principe de la légalité criminelle serait
vidé de sa substance24.

Au-delà de ces critiques, il faut néanmoins relever que cette loi de 2010 vient renforcer les
capacités juridiques du juge sur les infractions commises par voie électroniques. Car il s’agit d’un
secteur qui affecte de nombreux aspects de la vie quotidienne, et dont les particularités ne sont pas
maîtrisés par tous. Ces deux dispositions législatives présentent également l’avantage de prendre
dans le processus d’incrimination les moyens de communication de leur époque. L’article 241
alinéa 2 ancien prévoyait que « Si l’infraction est commise par voie de la presse ou de la radio, le
maximum de l’amende est porté à vingt millions (20 000 000) ». Face à la montée fulgurante dans
notre société des discours de haine à connotation tribale et ethnique ces dernières années, le
législateur a encore choisi la voie pénale comme réponse. Mais cette nouvelle incrimination vient
avec quelques innovations propres à notre temps.

B- L’incrimination récente des discours de haine tribale et ethnique

Il convient de rappeler d’entrée de jeu que les discours de haine tribale bien que n’étant
expressément prévus par aucun texte répressif, étaient déjà au cœur des préoccupations du
législateur camerounais. Sans toutefois réprimer de façon directe les discours de haine tribale, ce
dernier en faisant déjà une circonstance aggravante du délit de collecte par des moyens illicites des
données nominatives d’une personne en vue de porter atteinte à son intimité ou sa considération25.

22
DELMAS-MARTY (M.), Le flou du droit, Paris, P.U.F, 1986, p. 48.
23
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op. cit., p. 151.
24
SPENER (Y.), « Réflexion sur la constitutionnalité de certains aspects du droit pénal camerounais de fond », RSC,
2001, p. 355.
25
Voir l’article 74 alinéa 4 de la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2012 précitée.
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L’article 74 (5) de la loi de 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité dispose


que : « Les peines prévues à l’alinéa 4 ci-dessus sont doublées, à l’encontre de celui qui met, fait
mettre en ligne, conserve ou fait conserver en mémoire informatisée, sans l’accord exprès de
l’intéressé, des données nominatives, qui […] font apparaître ses origines tribales […] ». L’alinéa
Page | 116
4 de l’article 74 quant-à lui punit le fait de collecter illicitement des données nominatives d’une
personne en vue de porter atteinte à son intimité et à sa considération. Il revient donc à dire que le
législateur de 2010 punissait déjà ces dérives langagières à caractère tribales mais dans un contexte
particulier.

Depuis le lendemain de la proclamation des élections présidentielles d’octobre 2018, on


a vu monter en puissance des propos malveillants à caractère tribaliste et surtout incitant à la haine.
À cette situation s’ajoutait déjà les questions de repli-identitaire qui minaient notre société26. C’est
ainsi que l’État camerounais décida d’adopter une loi sur l’outrage à la tribu ou à l’ethnie. Il s’agit
de loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal. Le Ministre de la Justice, Garde des sceaux
soulignait lors de sa prise de parole devant le Parlement, que la montée du tribalisme dans l’espace
public, surtout au niveau des réseaux sociaux, pourrait compromettre la cohésion sociale et le
vivre-ensemble. Il disait à cet effet que « Nous utilisons des mots qui vont au-delà de notre propre
entendement pouvant heurter certains esprits sensibles. Ils constituent des troubles à l’ordre
public »27. Cette nouvelle disposition législative s’inscrit d’ailleurs dans la volonté du constituant
de 1996 qui prônait déjà l’égalité des droits entre les hommes et le respect de la différence
d’origine, opinions ou croyances28 ; et les idéaux de paix durable chers à notre pays. L’article 241-
1 alinéa 1 nouveau qui consacre l’infraction d’outrage à la tribu ou à l’ethnie dispose que « est
puni d’un emprisonnement de un (01) à deux (02) ans et d’une amende de trois cent mille (300 000)
à trois millions (3 000 000) de francs, celui qui par quelque moyen que ce soit, tient des discours
de haine ou procède aux incitations contre des personnes en raison de leur appartenance tribale
ou ethnique ». Cette nouvelle loi ne se limite pas qu’à punir les discours incitatifs à la haine tel

26
JIOTSA (A.), « L’intégration nationale à l’épreuve des replis identitaires au Cameroun », Revue ADILAAKU. Droit,
politique et sociétés en Afrique, vol. 1, n° 1, 2019, pp. 81-99 ; MBARGA (D.), « Le challenge du vivre ensemble dans
un contexte pluriethnique : le cas du Cameroun », [En ligne], https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-0243701, [consulté
le 16 juillet 2022].
27
ZRA (D.), « L’assemblée nationale adopte la loi sur le tribalisme », Reportage, [en ligne], www.crtv.cm , [consulté
le 11 décembre 2020].
28
Voir le Préambule de la Constitution du 18 janvier 1996.
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que prescrits par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques29 ; l’article va plus loin
et punit également les discours de haine tribale et ethnique.

Cependant, le législateur ne donne pas de définition de discours de haine. Or il s’agit là


d’une expression dont l’utilisation est souvent contestée parce que pouvant inclure sans toutefois Page | 117
s’y limiter les propos qui comportent une menace de violence ou préconise l’usage de la
violence30.Toutefois, dans le langage courant, les définitions de discours de haine sont
généralement plus larges, allant même parfois jusqu’à inclure des propos insultants à l’encontre
des dirigeants au pouvoir ou bien désobligeants à l’égard des personnes particulièrement visibles.
C’est surtout à des moments critiques, notamment pendant les élections que le concept de discours
de haine peut se prêter à la manipulation31. Le législateur une fois de plus ne respecte pas son
obligation concernant la clarté et la précision des textes pénaux ; pourtant importante pour barrer
la voie à l’arbitraire. La précision et la clarté des textes pénaux sont des corollaires du principe de
légalité dont l’importance est reconnue par des instances juridiques internationales. Nous citerons
le cas de la Cour européenne des droits de l’homme, qui fait de la clarté et de la précision des
dispositions pénales relatives aux discours de haine une condition nécessaire. Cette juridiction
communautaire a dans une affaire, rappelé qu’il était vital, pour une société démocratique que les
dispositions pénales visant les expressions qui incitent, promeuvent ou justifient la violence
définissent clairement et précisément l’étendue des infractions qu’elles incriminent pour éviter que
la discrétion laissée aux États de poursuivre ne soit trop large et ne mène à des abus 32. Il s’agit
d’une expression dont les contours imprécis sont également reconnus par la jurisprudence. Ce
mutisme du législateur pourrait donc ouvrir les portes aux multiples interprétations et par
conséquent à des éventuels abus. Ce qui est pourtant contraire au principe de la légalité criminelle
qui implique la rédaction des textes clairs et précis33. La qualité même de la loi dépend fortement
de ces critères de clarté et de précision. Le Professeur SPENER l’exprimait déjà en ces termes : «
conformément au sens qu’il convient aujourd’hui de donner à la formule nullum crimen sine lege,
il ne suffit pas que les incriminations soient le fait du législateur, encore faut-il que celles-ci
présentent certaines qualités que sont la clarté et la précision, qualités sans lesquelles la légalité

29
Voir Article 20 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
30
GAGLIARDONE (I.), GAL (D.), et al., Combattre les discours de haine sur internet, op. cit. p. 10.
31
Idem.
32
ANDRZEJEWSKI (E.), La pénalisation et les poursuites des discours de haine : un cadre juridique à revoir,
mémoire de Master en Droit, Université de Liège, 2022, p. 14.
33
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op. cit. p. 151.
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criminelle serait vidée de sa substance.»34. MERLE et VITU se posaient alors la question de savoir
à quoi servirait d’affirmer la légalité des délits et des peines si, par des formules vagues, les
rédacteurs de la loi ouvraient la porte à un arbitraire judiciaire qu’on prétend empêcher35. Le
silence du législateur sur cette expression ne peut être sans conséquences sur la détermination des
Page | 118
éléments matériel et moral de cette infraction.

L’élément matériel est la manifestation extérieure de la volonté délictueuse sous la forme


de gestes décrits par le texte d’incrimination. Une exigence qui illustre le principe « pas
d’infraction sans activité matérielle ». La matérialité de l’infraction est donc une condition de la
répression pénale. Le discours de haine tribale étant une infraction de commission, son activité
matérielle ne peut facilement être identifiable qu’au regard des propos, de l’acte ou du
comportement extériorisé et objectivement déterminés en avance par le législateur. La
Recommandation n° 35 du Comité international sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, relevait que « les discours de haine peuvent prendre de nombreuses
formes »36. Ce qui suppose alors que le discours de haine est susceptible de se manifester de
diverses manières. Cela étant vrai, le législateur doit de façon objective déterminer par avance le
contenu de discours de haine. Un tel mutisme du législateur sur cette expression ouvre la voie à
plusieurs interprétations, ce qui n’est pas une bonne chose surtout en matière pénale où la liberté
individuelle est mise en jeu.

Le caractère polymorphe des discours de haine peut également constituer un véritable


obstacle à l’établissement de l’élément moral. Le discours de haine peut être masqué,
s’accompagner ou non de violence verbale. En pareille circonstance, la démonstration de l’élément
moral peut devenir encore difficile. VAN NOORLOOS37 qualifie ce genre de discours qui opère
à couvert, de discours de haine indirects ; et en distingue : les discours de haine par association, et
les discours de haine par identification. En pareille circonstances, le délinquant pour masquer son
intention malsaine, fait usage des signes, figures de style et autres stratagèmes pour véhiculer son
discours haineux.

34
SPENER (Y.), « Réflexion sur la constitutionnalité de certains aspects du droit pénal camerounais de fond », op.
cit., p. 355.
35
MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal
général, Tome 1, 6e édition, Paris, 1988, p. 232.
36
Comité international sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Recommandation n° 35, 26
septembre 2013, § 7.
37
VAN NOORLOOS (M.), « Des mots qui blessent dans un monde globalisé », Esprit (418), 2015, p. 47.
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Il est donc important pour le législateur de donner un contenu aux discours de haine tribale
et ethnique, afin que le citoyen connaisse le champ de liberté qui lui est reconnu. Nous pouvons
citer ici, à titre de droit comparé le cas du législateur algérien qui a malgré le débat sur cette
question a néanmoins donné une définition de ce qu’il entend par discours de haine à l’article 2 de
Page | 119
la loi n° 20-5 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le
discours de haine. Cet article 2 définit le discours de haine comme : « Toutes formes d’expression
qui propagent, encouragent ou justifie la discrimination ainsi que celles qui expriment le mépris,
l’humiliation, l’hostilité, la détestation ou la violence envers une personne ou un groupe de
personnes, en raison de leur sexe, race, couleur, ascendance, origine nationale ou ethnique,
langue, appartenance géographique, handicap ou état de santé. »38. Le législateur camerounais
gagnerait également à le faire, car le flou que cette expression suscite dans la détermination des
critères objectifs des discours haineux, est susceptible d’ouvrir un espace pour que de telles lois
soient considérées comme des outils pour étouffer la critique39.

La répression des discours haineux en droit pénal camerounais, n’est véritablement pas un
fait nouveau au regard des différents textes législatifs sus-mentionnés. Comme nous pouvons le
constater, le législateur a juste choisi d’étendre le champ d’incrimination de cette infraction, qui
jusqu’à une certaine époque n’était limitée qu’aux discours de haine raciale et religieuse.
Cependant, dans son initiative, il laisse néanmoins subsister par endroits quelques lacunes
susceptibles d’ouvrir la voie à l’arbitraire. En dépit de ces manquements observés, le législateur
dans son processus d’extension, choisit d’accentuer la répression.

II- LA SEVERITE CROISSANTE DES PEINES RELATIVES AUX DISCOURS DE


HAINE

Les textes successifs qui répriment les discours de haine se caractérisent par une sévérité
grandissante des peines. Ceci peut se justifier au regard de l’accentuation de la rigueur répressive
(A) de ce délit et l’extension des critères entrant dans sa commission (B).

38
Loi n° 20-05 du 5 Ramadhan 1441 correspondant au 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la
discrimination et le discours de haine, Journal Officiel de la République d’Algérie, n° 25, 29 avril 2020.
39
Media Defence, « Discours de haine, modules de synthèse sur les litiges relatifs aux droits numériques et à la liberté
d’expression en ligne », p. 1, [en ligne], https://www.mediadefence.org, [consulté le 8janvier 2022].
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A- L’accentuation de la rigueur répressive des discours de haine

Depuis sa consécration dans le Code pénal en 1967, on constate que la répression des
discours de haine s’accentue avec l’arrivée de nouveaux textes. Au fur et à mesure que les textes
se succèdent, on note une gradation du quantum des peines (1). On observe également que le Page | 120
législateur manque de souplesse en ce concerne le bénéfice des excuses atténuantes (2).

1- La gradation du quantum des peines

L’article 241 ancien du Code pénal, fixait entre six (06) jours et six (06) mois la peine
d’emprisonnement pour le délit de discours de haine raciale ou religieux. Tandis que l’amende
était de cinq mille (5 000) à cinq cent mille (500 000) de francs CFA pour la même infraction.
L’amende était portée à vingt millions (20 000 000) de francs CFA si l’infraction était commise
par voie de presse ou de la radio ; et les peines devaient être doublées si le délit avait été commis
dans le but de susciter la haine ou le mépris. La loi n° 2010/012 du 21 décembre relative à la
cybersécurité et la cybercriminalité se montrera encore plus dure dans la sanction de cette
infraction. Cette loi puni d’un emprisonnement de deux (02) à cinq (05) ans et d’une amende de
deux millions (2 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, ou l’une des deux peines
celui qui par voie de communications électroniques ou d’un système informatique commet
l’outrage à l’encontre d’une race ou d’une religion40. Comparé à l’article 241 ancien du Code
pénal, on constate là une gradation importante dans le quantum des peines. Le législateur se montre
encore plus sévère dans la sanction lorsque le discours de haine raciale ou religieux est commis
par voie électronique. Cela peut se justifier par le fait que l’ampleur du délit sera encore plus
grande lorsque le délinquant utilise la voie des communications électroniques. Mais de toutes les
façons, on constate que le législateur semble plus regardant dans la répression de ce mal.

Les sanctions sont encore plus importantes avec la nouvelle loi n° 2019/020 du 24
décembre 2019 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2016/ 007 du 12 juillet
2016 portant Code pénal. Si le législateur conserve avec cette nouvelle loi les peines initialement
affectées au délit des discours de haine raciale et religieux41, il se montre plus rigoureux dans la
sanction des discours de haine tribale. La peine d’emprisonnement va de un (01) à deux (02) ans
pour le délit d’outrage à la tribu ou à l’ethnie. C’est pratiquement le double de la peine
d’emprisonnement pour les discours de haine à l’encontre d’une race qui varie entre six jours et

40
Voir l’article 77 de la loi n° 2010/012 du 21 décembre relative à la cybersécurité et la cybercriminalité précitée.
41
Nous faisons allusion ici à l’article 241 ancien du Code pénal.
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six mois. En ce qui concerne les amendes, elles sont comprises entre trois cent mille francs
(300 000) et trois millions (3 000 000) de francs CFA pour les discours de haine tribale. Ce qui
dépasse de loin les amendes prévues pour la sanction des discours de haine raciale ou religieux42.
Il ressort de cette analyse que seule reste supérieure les peines de la loi sur la cybersécurité et la
Page | 121
cybercriminalité ; ceci trouverait sa justification dans l’ampleur que peut produire ce délit, au
regard de la facilité qu’offre ses moyens de communication. Cette sévérité est encore plus visible
lorsqu’on se rend compte que le bénéfice des excuses atténuantes reste quasiment inexistant.

2- Le bénéfice mitigé des excuses atténuantes

En étudiant l’ensemble de textes répressifs consacrés aux discours de haine, à l’exception


de celui de l’article 241-1 nouveau, on se rend rapidement compte qu’aucune de ces lois ne
mentionne expressément le bénéfice des mesures atténuantes pour le délinquant. Le bénéfice
circonstances atténuantes n’étant pas obligatoires, le juge d’une telle affaire peut bien s’en passer.
Cependant, tous ces textes et cette fois sans exception, prévoient les cas dans lesquels la sanction
sera accentuée43. Cette attitude montre la priorité accordée par le législateur à l’efficacité de la
répression qui a fondé pendant longtemps la politique pénale camerounaise44. Le souci était de
sévir de telle manière que le délinquant ne soit pas en mesure, pendant l’exécution de la peine
d’emprisonnement ou de l’amende, de commettre de nouvelles infractions ; d’autant plus que la
sanction pécuniaire pouvait l’amener à craindre pour son patrimoine45. En plus de craindre pour
son patrimoine, relevons que l’inexécution de la peine d’amende peut également donner lieu à une
contrainte par corps, qui consistera en une incarcération au cours de laquelle le débiteur sera
astreint au travail46.

C’est la réforme législative du 24 décembre 2019, qui pour la première fois consacre le
bénéfice des mesures atténuantes pour le délinquant. C’est là une nouveauté de la part du
législateur qu’il faut saluer. Mais, à y voir de près, on se rend compte qu’il limite de façon
considérable le bénéfice de cette mesure. Cette disposition prévoit qu’en cas de bénéfice des

42
Voir les articles 241 (nouveau) et 241-1 nouveau de la loi n° 2019/ 020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant
certaines dispositions de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016.
44
COSTA-LASCOUX (J.), « Quelques aspects nouveaux du droit des pays africains d’expression française. Une
politique contre le sous-développement », Penant 1967, pp. 176 et suivantes ; « Le droit pénal, l’unité nationale et le
développement », Archives de politique criminelle, n° 1, 1975, pp. 93-119; MINKOA SHE (A.), Essai sur l’évolution
de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance, Thèse de Doctorat, Strasbourg III, 1987.
45
SOWENG (A.), « L’avènement des peines alternatives en droit pénal camerounais : contours et concours de l’une
des innovations de la réforme législative du 12 juillet 2016 », Les Annales de droit, 13/2019, p. 189.
46
Voir l’article 557 du Code de Procédure Pénale.
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circonstances atténuantes, la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à trois mois et la peine
d’amende à deux cent mille (200 000) francs. Le législateur encadre rigoureusement ces mesures
atténuantes. Le juge se trouve ainsi bien limité dans l’octroi du bénéfice des circonstances
atténuantes pour les discours de haine tribale. Cette disposition va loin, et prive du bénéfice des
Page | 122
circonstances atténuantes les fonctionnaires, les responsables de formation politique, de média,
d’une organisation non gouvernementale ou d’une institution religieuse. Le recours aux peines
rigoureuses ayant montré ses limites, nous pensons que le législateur devrait aménager cette
sanction, de façon à laisser une marge d’appréciation au juge, car seul ce dernier aura l’occasion
de voir et d’étude le délinquant. On sait que de nos jours, l’un des grands principes du droit criminel
moderne est l’individualisation de la peine encourue par le délinquant. Le Professeur MINKOA
SHE disait alors que « cette individualisation doit être effectuée en dépassant la simple action
rétributive, intimidante et dissuasive, pour mettre en œuvre à l’occasion de l’infraction révélatrice,
un dispositif concourant à l’hygiène sociale par la réduction, au moins partielle, des facteurs
criminogènes individuels »47. Pour le faire, il est préférable que le législateur ne fournisse que les
bases objectives de cette individualisation48. La tendance aujourd’hui est de prononcer les peines
plus adaptées à la personne du délinquant. Car la peine qui convient le mieux au délinquant est
d’abord celle qui assure sa réinsertion dans la société et préserve efficacement celle-ci en prévenant
la récidive49. Mais la répression de ses discours de haine ne peut valablement s’épanouir parce
qu’on constate une hégémonie de l’individualisation légale des peines. Le juge se trouve encore
lié par de nombreux impératifs légaux.

Relevons toutefois que de façon générale, le législateur ne reste pas sceptique à


l’individuation des peines, comme peut l’attester la lecture des articles 90, 91 et 93 du Code pénal.
Cependant, ce que nous déplorons reste cet enferment du législateur dans deux limites que sont le
maximum et le minimum de la peine. Comme disait le Professeur MINKOA SHE, le juge est lié
par de nombreux impératifs légaux relatifs aussi bien aux règles d’aggravation qu’à celles
d’atténuation de la peine ne dispose pas toujours d’une liberté suffisante dans le choix de la
sanction ou dans la détermination de son quantum50. Le législateur reste encore plus regardant sur
certains nouveaux critères pouvant entrer dans commission de ce délit.

47
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op. cit., p. 157.
48
SALEILLES (R.), L’individualisation des peines, Alcan, Paris, 1898, p. 197.
49
SYR (J-H.), « Les avatars de l’individualisation de la reforme pénale », R.S.C, 1994, p. 217.
50
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Ibid., p. 158.
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B- L’extension des critères de commission des discours de haine

Quand on lit les textes répressifs successifs sur les discours de haine, on s’aperçoit que
chacun accorde une place importante aux moyens de commission de cette infraction, et dans
certains cas en font une circonstance aggravante de la sanction51. La réforme législative du 24 Page | 123
décembre 2019 consacre une non exhaustivité des moyens de commission de ce délit (1) et tiend
désormais également compte de la qualité du délinquant (2).

1- La non exhaustivité des moyens de commission des discours de haine

L’article 241 ancien du Code pénal ne mentionnait que deux moyens de commission de
l’outrage à la race et la religion. Il s’agissait de la voie de presse et de la radio. La limitation à ces
critères peut trouver son explication dans le contexte de l’époque à laquelle cet article a été rédigé.
L’article 241 ancien relève du second livre du Code pénal, qui a été rédigé en 196752. Les moyens
de communication les plus prisés de cette époque étaient la presse et la radio. La loi de 2010/012
du 21 décembre 2010 viendra par la suite réprimer ce genre d’infraction quand elle est commise
par la voie des communications électroniques ou d’un système d’information. On note ici la
volonté pour le législateur à s’adapter aux évolutions technologiques, car cette loi de 2010 s’inscrit
dans ce domaine spécial des communications électroniques. La réforme du 24 décembre 2019,
viendra énumérer tous ces moyens existant déjà, et ira plus loin en prévoyant « tout autre moyen
susceptible d’atteindre le public »53. Au départ, il y avait une approche verticale qui avait, tout en
haut les télécommunications et en bas les communications audiovisuelles. Avec l’avènement des
communications électroniques, il y a eu un décloisonnement et une fusion des voies, moyens et
réseaux, et désormais, il n’y a plus qu’une seule catégorie générique à savoir les communications
électroniques, et qui a permis de mettre à l’horizontal les voies et moyens, et de rassembler ainsi
la télévision, la presse, la radio, les réseaux sociaux, sous l’expression «service de communication
au public par voie électronique »54. L’énumération extensive de l’article 241 (nouveau) est non
exhaustive par son fonctionnement, au regard de l’internet et des réseaux sociaux. C’est aussi une
approche proactive du législateur camerounais qui se prémunit dès maintenant des évolutions

51
Voir l’article 241 ancien qui dispose que « Si l’infraction est commise par voie de la presse ou de la radio, le
maximum de l’amende est portée à vingt (2 000 000) de francs ».
52
Ce second livre est institué par la loi n° 67/LF/1 du 12 juin 1967.
53
Voir l’article 241 alinéa 2 nouveau.
54
ZENGUÉ (L-F.), « Réforme de l’article 241 du Code pénal Camerounais et incidences des réseaux sociaux », [En
ligne], www.village-justice.com, [Consulté le 7 septembre 2020].
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technologiques en prévoyant de nouveaux moyens de commission qui n’existent pas encore, mais
qui pourraient exister dans l’avenir55.

L’article 241-1 nouveau qui est relatif à l’outrage à la tribu ou l’ethnie, va dans le même
sens lorsqu’il dispose que « Est puni d’un emprisonnement de un (01) à deux (02) ans […] celui Page | 124
qui, par quelque moyen que ce soit tient des discours de haine ou procède à la violence contre des
personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique ». Nous constatons ainsi que
législateur adopte une méthode avant-gardiste, car il anticipe déjà sur l’évolution technologie. Il
ne veut sous aucun prétexte lié aux avancées technologiques manquer de réprimer les discours de
haine. Nous saluons cette initiative qui est de nature à éviter une éventuelle inflation législative.
Malgré cette avancée, le législateur continuera son œuvre, et fera la qualité du délinquant un critère
d’aggravation de la sanction pénale.

2- La qualité du délinquant comme critère d’aggravation de la sanction

Hormis les cas de circonstances d’aggravation de la responsabilité pénale prévus aux


articles 8856 et 8957 qui pouvaient se voir appliquer aux délits de discours de haine ; les textes
traitant directement de cette infraction ne prévoyaient aucun cas lié à la qualité de la personne du
délinquant susceptible d’aggraver la sanction pénale. Les articles 241 ancien du Code pénal et 77
de la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité,
prévoyaient des cas d’aggravation de la sanction qui n’avaient rien à voir avec la qualité du
délinquant. C’est l’article 241-1 nouveau qui pour la première fois, fait de la qualité du délinquant
une circonstance d’aggravation de la sanction. Il s’agit ici d’une circonstance d’aggravation
spéciale58. Cette disposition va jusqu’à faire de la qualité du délinquant une condition du refus du
bénéfice des circonstances atténuantes. Il ressort clairement de l’alinéa 3 de cet article 241-1
nouveau que « Lorsque l’auteur du discours de haine est un fonctionnaire au sens de l’article 131
du présent Code, un responsable de formation politique, ou de média, d’une organisation non
gouvernementale ou d’une institution religieuse, les peines prévues à l’alinéa 1 ci-dessus sont
doublées et les circonstances atténuantes ne sont pas admise ». L’article 131 du Code pénal définit
le fonctionnaire comme tout magistrat, tout officier public ou ministériel, tout préposé ou commis
de l’État ou toute autre personnes morale de droit public ou ministériel ; tout militaire des forces

55
Idem.
56
Cette disposition porte sur la récidive des personnes physique et morales.
57
Cette disposition définit le fonctionnaire et fait de ce statut une circonstance aggravante de la responsabilité pénale.
58
PIN (X.), Droit pénal général, 10e édition, Paris, Dalloz, 2018, pp. 410-411.
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armées ou de la gendarmerie, tout agent de la sûreté nationale ou de l’administration pénitentiaire


et toute personne chargée, même occasionnellement d’un service, d’une mission ou d’un mandat
public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Cette disposition
donne une définition large du fonctionnaire, elle assimile à la qualité de fonctionnaire même les
Page | 125
personnes intervenant de façon occasionnelle dans l’exercice de certaines fonctions. On constate
là que le législateur se montre encore plus rigoureux à l’égard d’un délinquant ayant l’un des statuts
précité. Un auteur disait à cet effet que l’article 241-1 nouveau fonde deux types de responsabilité,
l’une qui est classique, et l’autre qui est spécifique parce que propre au fonctionnaire, responsable
de formation politique, de média, d’organisation non gouvernementale et religieuse59. On peut
justifier cela par le fait qu’il s’agit généralement des fonctions nécessitant une certaine probité de
la part de leurs agents, dont il faut préserver l’honorabilité. L’autre raison pourrait être dans le fait
que si ce délit est commis par l’une de ces personnes, il pourra avoir plus d’ampleur que s’il est
commis par un citoyen normal ; ceci au regard de l’influence qu’ils peuvent avoir sur leur
auditoire.

Cette prise en compte par le législateur de la qualité du délinquant dans la commission du


délit de discours de haine, est conforme au seuil définit par les recommandations des travaux de
RABAT sur l’interdiction de tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse. Le Plan d’action
de RABAT propose six étapes sur lesquels doivent reposer l’examen du seuil des discours incitatifs
de haine dans le domaine pénal. Parmi ses six étapes, figure l’orateur. D’après ses travaux, le rôle
ou le statut de l’orateur au sein de la société devrait être pris en compte, en particulier la position
de cette personne ou de son organisation dans le contexte de l’auditoire auquel il s’adresse le
discours60.

Cependant, nous pouvons reprocher au législateur d’avoir omis de prendre en considération


comme critère d’aggravation de la sanction les circonstances même qui l’ont conduit à cette
réforme législative. Nous pensons ici rapidement aux périodes électorales, car c’est justement
pendant cette période que l’usage des discours de haine présente un danger élevé, les élections
présidentielles de 2018 en ont été un parfait exemple. GWET Yann dans une analyse, constatait
par ailleurs que «en Ethiopie, la persistance de tensions politico-ethniques a conduit à la démission

59
ZENGUÉ (L-F.), « Réforme de l’article 241 du Code pénal Camerounais et incidences des réseaux sociaux », op.
cit.
60
Haut-Commissariat aux droits de l’homme : Plan d’action de Rabat sur l’incitation de tout appel à la haine
nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou la violence, ateliers
d’experts, op. cit., p. 6.
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récente du premier ministre HAILEMARIEN DESALEGN. Au Kenya, depuis l’instauration du


multipartisme en 1991, quasiment chaque élection s’est soldée par un cycle de violences ̏ ethnique ̋
meurtrières »61. Les périodes électorales ont souvent été le moment pendant lequel certains leaders
utilisent ce genre de discours pour exprimer leurs mécontentements. Il serait important de prendre
Page | 126
en compte ce critère dans les causes d’aggravation de la sanction.

Il ressort clairement de cette analyse que la réforme législative du 24 décembre 2019 a


permis au législateur d’apporte beaucoup d’innovations dans la répression des discours de haine.
Il intègre désormais des critères qui faisaient défaut, et reste toujours rigoureux dans la sanction.
En dépit de ces actions louables du législateur, on constate qu’il a toujours la main lourde dans la
répression de ses dérives verbales.

Conclusion

Dans le processus de répression des discours de haine, le législateur a commencé par


s’attaquer aux discours de haine en rapport avec la race et la religion. Dans ces différents textes, il
s’est toujours arrimé aux exigences technologiques. On peut également constater que face à ces
discours de haine, le législateur manque de souplesse, car il limite voire interdit dans certains cas
le bénéfice des excuses atténuantes. En dépit de ses innovations de la part du législateur dans la
répression des discours de haine, on peut quand même lui reprocher de n’avoir pas été assez clair
sur certains détails. Nous pensons ainsi notamment à la définition de l’expression discours de
haine. La répression des discours de haine ne doit pas constituer un danger pour l’exercice du droit
à la liberté d’expression et d’opinion. Ne pas l’être consiste aussi pour le législateur à définir en
des termes clairs ce qu’il entend par discours de haine. La répression des discours haine ne doit
pas empiéter sur les droits à la liberté d’expression et d’opinion. Car il serait à craindre qu’un
citoyen soit inquiété pour ses prises de position critiques. La légalité pénale fait obligation au
législateur de donner un contenu clair et précis aux incriminations. Sinon comme le disaient
certains auteurs à quoi servirait d’affirmer la légalité des délits et des peines, si par des formules
vagues, les rédacteurs de la loi ouvraient la porte à un arbitraire62.

61
GWET (Y.), La détribalisation de nos sociétés doit être une priorité des gouvernements réformateurs en Afrique »,
Le Monde Afrique, [en ligne], www.lemonde.fr, [consulté le 11 décembre 2020].
62
MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal
général, op. cit., p. 232.
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Les centres de médiation OHADA face aux technologies de l’information et de la


communication (TIC)
ICT and Mediation Centers in the OHADA Area
Par:
Page | 127
NGAMBEU NZOUTOP CANTAINE DANDOU
Doctorant en Droit, Option Droit des Affaires à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
de l’Université de Douala – Cameroun
Résumé :
Organisé autour de 18 articles, l’Acte Uniforme relatif à la médiation (AUM) est venu en secours
aux cotés de l’arbitrage bien déjà ancré en OHADA; il fournit ainsi un cardre plus ou moins sécurisé à
ceux qui souhaitent recourir à cette pratique. Médiation et arbitrage constituent dès lors deux modes
principaux parmi les MARD dans l’espace OHADA. Avec la multiplication des centres de médiation on
assiste à une certainne aération dans le traitement des différends, meme si ces centres ne presentent pas
toujours les memes niveaux de developpement. Par ailleurs, la recente conjuncture économique pertubée
par la crise sanitaire mondiale apparue à l’aube des années 2020 a sensiblement boulversé le
fonctionnement les centres de médiation opérant dans le monde, y compris ceux de l’espace OHADA. La
fermeture des aéroports et la limitatrion des deplacements voire l’impossibilité de se réunir
recommandaient d’envisager inéluctablement l’hypothèse des procès à distance, via notamment les
technologies de l’information et de la communication (TIC). Plusieurs centres de formation étaient ainsi
dans l’obligation de se procurer des outils numériques. Au demeurant, cette transision dans la pratique
aurait suscité le problème relatif à l’éffectivité des TIC dans l’administration des procédures auprès des
centres de mediation OHADA.
La réponse à cette préocpation nécessite de dresser un état des lieux de la médiation en ligne dans les
différents centres de l’OHADA. Il en resort que l’espace OHADA n’aborde le problème que de manière
lacunaire au delà des déphasages environementaux qui peuvent être décriés ça et là. L’inertie observée sur
le champ des TIC invite par la meme occasion à s’intéresser à ses modalités de redéploiement.
Mots clès: centre de mediation - mediation vituel – mediation en ligne – procès à distance – OHADA.

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Abstract:
Organized around 18 articles, the relative uniform act to the mediation (AUM) came in help in the
side of the arbitration very already anchored in OHADA; but also and especially, it provides a setting
secured to those who wish to resort to this practice. Then, mediation and arbitration constitute two
principals ways from among the MARD in the OHADA space. With the multiplication of the mediation
centers one attends a certain ventilation in the treatment of the disputes, even these centers don't always
present the same levels of development. Otherwise, the recent conjuncture economic perturbed by the world Page | 128
sanitary crisis appeared just before the years 2020 upset the working of the centers of médiattion operating
in the world, including those of the OHADA space, appreciably. The closing of the airports and the
limitation of the displacements or the impossibility to meet recommended to consider the hypothesis of the
suits ineluctably from afar, via notably the technologies of information and the communication (TIC).
Several centers of formation benefitted from this of the numeric tools. Moreover, this transition in the
practice would have caused the relative problem to the effectivity of the TWITCH in the administration of
the procedures by the centers of OHADA mediation.
The answer to this preoccupations requires to raise a state of the places online mediation in the
different centers of OHADA. It takes out again of it that the OHADA space doesn't approach the problem
incomplete manner beyond the dephasages environments that can be describe here and there. Then the
incercie on the field of the TWITCH invites to recardrer the complaint in these primordials aspects.
Keywords: Center of mediation - virtual mediation - online mediation - suit from a far - OHADA.

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Introduction

L’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires s’est appropriée d’un
dixième acte uniforme relatif à la médiation1 l’émergence de ce texte témoigne de ce que le
législateur communautaire reste attaché à un souci de sécurité juridique propice à l’essor des Page | 129
activités économiques et des investissements dans la sous- région. Bien qu’essentiellement conçu
pour la médiation ad.hoc, l’acte uniforme relatif à la médiation a également consacré la
médiation institutionnelle dans l’espace OHADA. En Afrique, la médiation remonte très loin
dans l’histoire, elle se présente d’ailleurs comme une des caractéristiques de la justice du
continent,2 indépendamment de tout texte législatif. Si cette précision s’intéresse
principalement à la médiation traditionnelle, elle mérite néanmoins quelques remarques3. Le fait
est constant et explique en partie que dans les pays de l’espace OHADA 4, la médiation dite
moderne ait trouvé naturellement sa place. Elle provient en effet des règlements des centres

1
Il est nécessaire de reconnaitre que la médiation est à côté de l’arbitrage un mode privilégié de règlement
des différends pour les opérateurs internationaux ; celle de l’organisation communautaire fut adoptée le 23
novembre 2017. Elle entrera en vigueur le 15 mars 2018.
2
De nombreuses études, anciennes et récentes, ont mis en lumière ce trait de la justice africaine basée sur la
médiation ou la conciliation. On peut citer entre autres :
- Anciens travaux : M. Alliot, « Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique
francophones et à Madagascar », in J. P0IRIEtR (dir). Etudes de droit africain et malgache, Cujas, Paris,
1964, 529 p. ; K. M’BAYE, « L’organisation judiciaire au Sénégal », Penant: revue de droit des pays
d’Afrique, 1965, vol. 75. n° 705, pp. 27-34 ; P. LAMPUE. « la justice coutumière dans les pays africains
francophones», RJPIC, 1979, pp. 3-19 ; E. MICHELET, « La conciliation dans la procédure sénégalaise»,
Penan, 1980, p. 135-161 K. M’BAYE et Y. NDIAYE (dir.), Encyclopédie juridique de l’Afrique, tome 4:
Organisation judiciaire, procédures et voies d’exécution. NEA, 1982, 379 pp. ; E. Le Roy, « le justiciable
africain et la redécouverte d’une voie négociée de règlement des conflits », .Afrique contemporaine, n°
156, 1990, pp. 111-120 ; LABORATOIRE D’ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE DE PARIS (LAJP). « Synthèse sur
les travaux et expériences en médiation du LAJP », Bulletin de liaison du LAJP, n° 22, sept. 1997, pp. 82-
88 ; A. CISSE, « L’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Revue internationale de droit
économique. 2004, n° 2. p. 197-225.
- Travaux récents : B. ASSANE, « Autorités coutumières et régulation des conflits en Afrique de l’ouest
francophone: entre l’informel et le formel ». in La réforme des systèmes de sécurité et de justice en
Afrique francophone, Lomé, OIF, 28 mai 2009, pp. 168-186; B. de LOYNE5 DE FUMICHON et D. ROEBUCK,
Histoire de la médiation des repères dans le temps des médiateurs, Montigny-le-Bretonneux», France,
Médias & Médiations. 2016. 141 p. ; P.E. KENFACK, « La notion de médiation chez le législateur OHADA
», Lexbase édition Ohada, avril 2018, n° 10. pp. 13-18: J-B. DAGNAUD, J.-G. LIEBERHERR et M.
GUILLAUME. Du bon usage de la médiation, Paris. France. Descartes & Cie, 2018. 100 p; B. BLOHORN-
BRENNEUR, La médiation pour tous dans l’espace OHADA et en Afrique de l’Ouest: théorie, pratique et
cadre juridique de la médiation, Paris, France, l’Harmattan, 2018, 220 p.
3
V. Y-S. K0ITA, L’Acte uniforme relatif à la médiation : réflexions prospectives à partir de la pratique et du droit
français. Mémoire de master 2, Université de Toulon, 2018, p. 60.
4
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
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d’arbitrage et de médiation qui opéraient déjà dans la région 5. Seul trois états membres de
l’OHADA finiront par adopter une législation spéciale en la matière : le Burkina – Fasso 6, la
Cote d’Ivoire7 et le Sénégal 8.Il fallait donc impérativement combler le vide législatif qui
prévalait dans la plupart des états partie en matière de règlement amiable des conflits, il
Page | 130
fallait également uniformiser les expériences disparates et inégales de certains d’entre eux. Le

texte a bénéficié d’un maximum de satisfécits au sein de la doctrine9. Son originalité, sa souplesse
et sa concision ont fait dire à certains auteurs que la conception Ohadienne de la médiation s’est
affranchie du droit français 10. Elle serait même « plus percutante que celui-ci 11 »

Le nouveau texte détermine les principes directeurs de la médiation tout en encadrant la


procédure de celle-ci ; notamment son déclenchement, son déroulement et son dénouement. Le
législateur communautaire a opté pour une définition large de la médiation, qui est traitée dans
son article premier comme : « tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel
les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un
rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci- après « le différend ») découlant d’un rapport
juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou

5
L’on peut mentionner le Centre d’arbitrage de médiation et de conciliation de Dakar (CAMC-D), le Centre
d’arbitrage dc médiation et de conciliation dc Ouagadougou (CAMC’-O), le Centre d’arbitrage de médiation et
de conciliation du Bénin (CAMe), le centre d’arbitrage du groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM), le
Centre national d’arbitrage de conciliation et de médiation de la République démocratique du Congo (CENACOM)
ou encore le centre de conciliation et d’arbitrage du Mali (CECAM).
6
Loi n° 052-2012/AN portant médiation en matière civile et commerciale,
7
Loi n°2014-389 relative à la médiation judiciaire et conventionnelle. Décret n°2014- 1653 relatif à la médiation
et à la conciliation.
8
Décret n°2014- 1653 relatif à la médiation et à la conciliation.
9
V., entre autres commentaires positifs, N. AKA, A. FENEON et J-M. TCHAKOUA, Le nouveau droit de l’arbitrage
et de la médiation en Afrique (Ohada), ISSI-les-Moulineaux, France, LGDJ, 2018, passim ; H. KENFACK, « L’état
du droit de la médiation en France et dans la zone OHADA », Lexbase édition Ohada, avril 2018, n° 10, p5. Spéc.
pp. 9- Il ; E. DEWEDI, « le nouvel acte uniforme Ohada sur la médiatIon et la pratique de la médiation dans
l’espace OHADA : quels apports en pratique? », Actualitésdudroit.fr, passim, disponible sur
www.actualitesdudroit.fr (Consulté le 21 juin 2019) ; M. GORE et C. GRIMALDI, « Arbitrage, médiation et
règlement de la CCIA: les nouveaux textes sont en vigueur depuis le 15 mars 2018 », LEDAF. mai 2018. n°5. p. 1,
spéc. p. 1.
10
A l’égard des Actes uniformes de l’OHADA le droit français restait jusque-là la « mamelle nourricière principale»
(A. NGWANZA, « OHADA entre adolescence et âge adulte: une crise existentielle », Rapport général de l’Université
d’été de Cercle Horizon (OHADA dOrléans, Université d’orléans (France), Cercle horizon, 1er juillet 2008, p. 6).
Ainsi que le constate Denis VOINOT, « l’analyse de la plupart des Actes uniformes adoptés par cette organisation
montre en effet qui’ ils s ‘inspirent directement de la législation commerciale française. Ainsi, comme en droit
français, l’acte de commerce est le fondement de ce droit commercial uniforme. De même, la notion de société
trouve ses racines dans la définition de I ‘article 1832 du Code civil » (D. VOINOT, « La législation française :
instrument du rayonnement du droit français dans le monde ». LPA, n° 48, 2005, p. 5).
11
C. GINESTET, « Médiation et notions voisines», Lexbase édition Ohada, avril 2018, n°10. p.19.
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morales, y compris des entités publiques ou des Etats ». 12Du point de vue comparatif, cette
formule rappelle celle employée par la loi type de la CNUDCI, et permet de considérer qu’est
aussi concernée la conciliation ; également, la directive européenne définit la médiation comme
: « un processus structuré quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux
Page | 131
ou plusieurs parties à un litige tentent par elle-même, volontairement de parvenir à un accord sur
la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur. Ce processus peut être engagé par les
parties, suggéré ou ordonné par une juridiction ou prescrit par le droit d’un Etat membre. »13

La médiation se veut en principe accessible pour tous pour un différend commercial ou


civil indépendamment de l’existence d’une relation contractuelle sans qu’il soit nécessaire
d’attester l’existence d’un litige. Le texte énonce implicitement que la seule volonté des
parties qui souhaitent se faire aider constitue une condition essentielle à la mise en œuvre de la
médiation rappelant ainsi, le principe de liberté contractuelle. Dans son acception contemporaine,
la médiation s’entend de tout processus confidentiel intervenant en dehors d’un procès ou en
marge de celui- ci, tendant à la résolution d’un différend entre les parties avec l’aide d’un tiers
appelé médiateur. Du latin « médiator » (entremetteur), le médiateur est celui qui se trouve au
milieu des parties, œuvre à leur rapprochement et les accompagne dans l’établissement ou la
poursuite d’un dialogue afin d’aboutir à une résolution du litige qui les oppose. En outre, la
médiation n’a pas été épargnée par les bouleversements observés au cours de ces dernières
années 14. C’est dire qu’en effet, le développement des technologies de l’information et de la
communication (TIC) : internet, numérique, informatique, digitalisation 15 bouleverse
considérablement la vie des affaires, y compris celle de l’espace Ohada. Cette réalité est d’autant
plus d’actualité qu’elle a fait dire à certains auteurs que : « les technologies semblent évoluer plus
rapidement que les lois ». 16 Face à ce constat, il serait avantageux pour les centres de médiation

12
V. Art 1 de l’acte uniforme relatif à la médiation. Dans le même registre, ce tiers reste médiateur quel que soit
son appellation ou sa profession (V. AUM, art. 1.b)
13
Art 3 de la directive 2008/52/CE du droit de l’Union Européenne relatif à la médiation
14
En effet, les années 2020 auraient été marquées par une crise sanitaire sans précédent de nature à engendrer
une crise économique et sociale dont personne ne prédire l’Afrique. Cette situation a fortement perturbé le
déroulement des procès. Avec la fermeture des aéroports, la limitation des déplacements, et l’impossibilité à
se réunir, on assistait à des reports d’audience et des prorogations des délais de procédure. Plusieurs centres
de médiation ont dû changer des méthodes de travail. Dans les faits, la pandémie a accéléré la transition vers
des solutions technologiques puisqu’elles se sont révélées être une option sérieuse de contournement des
difficultés et imprévus nés de la Covid-19.
15
ALAUZEN (M), « L’Etat plateforme et l’identification numérique des usagers », une Revue Réseaux n° 213,
2019, pp 211-239.
16
D. MEKOBE SONE, premier président de la cours suprême du Cameroun, allocution solennelle de rentrée,
Yaoundé 22 février 2023.
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situés dans la zone OHADA 17comme ceux du reste du monde, de réformer leurs méthodes
traditionnelles de travail afin de répondre aux attentes des parties. Le recours aux TIC dans les
procédures de médiation s’est donc imposé de manière urgente, voire inédite.

Par définition, les TIC sont un ensemble d’outils et de ressources technologiques Page | 132
permettant de transmettre, d’enregistrer, de créer, de partager ou d’échanger les informations,
notamment les ordinateurs, l’internet, les technologies de diffusion et la téléphonie18. L’impact
du numérique dans la résolution pacifique des différends reste une préoccupation en droit
communautaire ; et de plus en plus d’acteurs s’interrogent sur l’opportunité de leur éclosion dans
l’administration de la justice en OHADA. Proprement dit, les centres de médiation de l’espace
OHADA font- ils efficacement face aux exigences des TIC ? Sinon comment développer la
médiation virtuelle en droit communautaire ? Par médiation virtuelle il faut y voir la médiation
assistée par les NTIC lorsque les circonstances le permettent. L’intérêt d’une réflexion sur la
médiation en ligne dans les centres de médiation de la zone OHADA est primordial. En effet,
la compétition entre les centres de médiation de la zone et entre ces derniers et ceux situés hors
de l’OHADA est réelle. Ils sont mis en compétition par des acteurs économiques qui
recherchent le meilleur rapport « qualité- prix » dans l’offre de médiation que leur
présentent les centres. Or, la compétitivité et l’attractivité des centres africains seront
désormais fonction de leur capacité à intégrer les TIC dans leurs méthodes de travail. Bien
que d’importance, la question de l’usage des TIC dans les centres de médiation de l’espace
OHADA demeure un champ d’étude quasiment inexploré par la doctrine, d’où la rareté
des sources documentaires sur le sujet. Les auteurs se sont surtout intéressés à
l’appréciation critique de la médiation OHADA, à la qualité des décisions rendues, et à la
légitimité de tels centres, etc.

La médiation étant une discipline juridique éminemment pratique, la question du


fonctionnement des centres est étroitement liée à celle de leur offre globale de médiation. C’est
la raison pour laquelle l’approche choisie est celle du « droit en contexte », couplée à celle du «
temps mondial » dont elle émane 19.Pour répondre à la problématique énoncée précédemment,

17
V. supra
18
« Technologie de l’information et de la communication », unesco.org [en ligne]. [Consulté le 30 avril 2021],
disponible sur internet : <http//uis.unesco.org/glossary-term/technologies-de-l’information-et-de-la-
communication-tic>
19
Z.LAÏDI, « Chapitre 7 : Le temps mondial », in M.-Cl. SMOUTS (dir.), Les nouvelles relations
internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 183 à 202. Consultable sur Cairn [en ligne]. [Consulté
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nous tenterons de dresser un état des lieux de l’utilisation des TIC dans les centres de médiation
de l’espace OHADA (I), avant d’épiloguer sur les perspectives de la numérisation de la médiation
OHADA (II).

I- ETAT DES LIEUX DES TIC DANS LES CENTRES DE MEDIATION OHADA. Page | 133

L’analyse de l’état des lieux des TIC dans les centres de médiation de l’espace OHADA
permet d’observer une certaine légèreté dans la prise en compte du numérique tout au long des
procédures(A). Leur essor doit cependant etre envisagé (B) au-delà des réalités liées à
l’environnement économique et technologique.

A- L’ineffectivité apparente de la médiation virtuelle dans l’espace OHADA

L’AUM est silencieux sur la possibilité de dématérialiser une ou plusieurs étapes de la


procédure de médiation, y compris la possibilité de tenir des réunions ou des audiences à distance.
Cela peut paraitre regrettable, quand on sait que l’influence des solutions technologiques dans la
justice privée ne cesse de croitre. L’AUM et les règlements des centres nationaux ne prévoient
l’utilisation des TIC que de manière très sommaire. A la faible règlementation de la médiation
virtuelle (1), s’adjoint la faible maitrise des TIC par les acteurs de l’OHADA(2).

1- La faible règlementation de la médiation virtuelle dans l’espace OHADA

Les règlements de médiation des centres régissent insuffisamment l’usage des TIC dans les
procédures de médiation. 20
Certains centres de l’espace OHADA ne contiennent aucune
disposition relative à l’organisation des audiences et des réunions virtuelles au cours des
procédures. La tenue des vidéoconférences est restée, pour la plupart des centres lettre morte,
pourtant la crise sanitaire a révélé la nécessité qu’il y’aurait à reformer les méthodes de travail. A
l’instar de la CCI, les différents centres de médiation de l’espace OHADA profiteraient à intégrer
les parties et les professionnels dans la tenue des réunions à distance, en y prévoyant des
dispositions y afférentes. Il en va de même de la signature électronique qui n’a quasiment pas été
abordée dans les règlements de médiation. La réunion à distance associe inéluctablement la
signature électronique des documents. Le règlement de la CCJA n’apporte également aucune

le 30 avril 2021] Disponible sur Internet : <https://www.cairn.info/les-nouvelles-relations-internationales-


9782724607554-page-183.htm>.
20
A titre d’illustration, on peut citer le règlement d’arbitrage du centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de
la chambre du commerce et d’industrie du Benin.
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précision quant à la signature du procès verbal lorsque la réunion de cadrage se déroule par
vidéoconférence. Une telle carence n’apporte pas de précisions nécessaires aux acteurs impliqués
dans une éventuelle procédure. L’article 7 dans son premier alinéa de l’AUM accorde cependant
une entière liberté aux parties quand il dispose que : « Les parties sont libres de convenir, y
Page | 134
compris par référence à un règlement de médiation, de la manière dont la médiation doit être
conduite. » Le législateur OHADA n’a ici aucune intention d’exclure l’hypothèse des audiences
en ligne.21

Dans le meme ordre d’idée, l’article 82 alinéa 1 de l’AUDCG dispose que : « Les documents
sous forme électronique peuvent se substituer aux documents sous forme papier et sont reconnus
comme équivalents lorsqu’ils sont selon un procédé technique fiable qui garantit à tout moment
l’origine du document et son intégrité au cours des traitements et transmission électronique. » Le
dernier alinéa de cet article rappelle que l’usage d’une signature électronique qualifiée est
considéré comme un procédé technique fiable.22 La faible règlementation peut enfin être observée
dans la politique de lutte contre la cybercriminalité. Les états membres de l’OHADA peuvent
prévoir des lois nationales23 à cet effet ; sous réserve des dispositions communautaires car cette
responsabilité incombe prioritairement aux centres de médiation. Ces derniers sont en effet au
cœur des procédures, et ils seraient plus habiletés à dégager les stratégies de cybersécurité.

2- La faible maitrise des TIC par les acteurs de la procédure OHADA

L’adoption d’une technologie suppose que ses utilisateurs en maitrisent le fonctionnement,


malheureusement : « Les pays de l’espace OHADA n’ont pas toujours des juges habiles »24.
L’influence d’internet est aujourd’hui telle que tous les acteurs de la médiation, y compris le
personnel des centres de médiation, l’utilisent quotidiennement. La transmission des documents
par voie électronique ou l’échange par e-mail ne poseront donc pas des difficultés particulières au
personnel d’un centre. Mais, lorsqu’il sagit d’organiser des réunions virtuelles en prévoyant de
multiples salles d’attente et un système organisé de prise de parole, de planifier des réunions sur

21
Bien plus, le législateur apporte une précision supplémentaire, mais non superfétatoire en indiquant que le médiateur
doit mener la médiation comme il l’estime approprié, compte tenu des circonstances de l’affaire.
22
Il en ressort de cette disposition de l’AUDCG que le tribunal peut décider que la signature du procès verbal se fera
par voie électronique, soit en scannant la signature, soit en utilisant la signature électronique proprement dite, A.
NGZANZA, L’arbitrage CCJA à l’épreuve de la pandémie du coronavirus, P.33.
23
A titre d’exemple, on peut citer la loi ivoirienne n°2013-451 du 19 juin 2013 relative à la lutte contre la
cybercriminalité.
24
F-X. LUCAS, « Colloque international sur les trente ans de l’OHADA », Première journée régionale de
l’association Henry CAPITANT, Université de Douala, 2 – 3 avril 2023.
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Doodle ou sur framadate, de partager un écran pour montrer des documents, l’on ne doit pas
préjuger de la compérence de ce personnel25. Il doit pourtant etre en première ligne pour porter
assistance aux médiateurs et aux parties dans la prise en main des TIC. Le personnel des centres
pourrait avoir besoin des tutoriels afin de se familiairiser avec la technologie, la plateforme, les
Page | 135
applications et l’équipement à utiliser pendant les audiences virtuelles26 par exemple. La formation
se présente également en terme de nécessité pour les traducteurs à qui il sera demendé de faire une
interprétation qui peut etre simultanée ou consécutive dans un environnement particulier, bien
entendu, les transcripteurs ne sauraient en etre épargnés. Le recours à l’intelligence artificielle pour
le choix des médiateurs présente davantage une moindre portée dans les centres de médiation de
l’OHADA27. Certes, le processus d’imprégnation des TIC dans la conduite des procédures au sein
des centres de médiation de l’espace OHADA s’inscrira nécessairement sur une certaine période,
mais on peut se demander pour combien de temps encore ; car : « A trente ans, on aspire à une
certaine maturité, et à plus forte raison, à une certaine évolution »28.

B- L’effectivité envisagée de la médiation virtuelle dans l’espace OHADA

Dans les règlements de la CCJA, comme dans les règlements de médiation des centres
nationaux, l’usage des TIC peut être envisagé dans des cas tels que ; la tenue des réunions de
cadrage (1). En outre, l’AUM souligne que le médiateur mène sa mission comme il l’estime
approprié, compte tenu « des circonstances de l’affaire », ce qui inclut quoique hypothétiquement,
l’usage des TIC dans les procédures (2).

1- L’effectivité envisagée sous l’angle de la tenue des réunions de cadrage par


vidéoconférence

Encore appelée « réunion préparatoire »29, la réunion de cadrage est la principale étape de
la procédure de médiation, suivie de la constitution du tribunal proprement dit. La réunion de

25
K. DOGUE, La médiation en ligne, intervention lors de la 12ème matinée de formation de l’ERSUMA, 17 septembre
2020, sur le thème « Comment pratiquer la médiation en ligne pendant la crise sanitaire de la COVID-19 »
26
Cour internationale d’arbitrage, « Note d’orientation sur les mésures possibles visant à atténuer les effets de la
pandémie du COVID-19(Annexe I) », Iccwbo.org.
27
Sur le sujet de l’emploi de l’intelligence artificielle, lire J-B. RACINE, « Arbitrage et intelligence artificielle »,
Revue de l’arbitage, Comité français de l’arbitrage, 2019, volume 2019, n°4, P.1025-1067.
28
M. ONDOUA, Recteur de l’Université de Douala, Allocution d’ouverture du colloque international sur « Les trente
ans de l’OHADA, bilan et perspectives », Première journée régionale de l’association henry CAPITANT, Université
de Douala, 3 – 4 avril 2023.
29
Article 16 de du « Règlement d’arbitrage du centre EV arbitrage et médiation », cabinet Vignon (en ligne), 20 février
2018. Disponible sur internet : http://cabinetvignon.net/2018/02/20/reglement-darbitrage/.
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cadrage s’assigne des objectifs forts intéressants ; entre autres la délimitation de l’objet du litige,
la précision des missions des médiateurs et l’organisation de la conduite des procédures. Afin
d’assurer la célérité et l’efficacité30 du processus de médiation, le règlement de la CCJA prévoit la
possibilité pour le tribunal, avec l’accord des parties, de tenir la réunion de cadrage sous forme de
Page | 136
vidéoconférence31. Pour certains auteurs, la CCJA ferait mieux d’apporter des précisions
satisfaisantes quant aux éléments techniques nécessaires à la mise en œuvre32 d’une telle méthode
de travail, on penserait à titre d’exemples, au principe de confidentialité, qui est de nature à causer
dans la pratique d’importantes difficultés. Par ailleurs, les parties doivent se laisser séduire par
cette faculté d’adhérer volontairement aux réunions de cadrage afin de valoriser la qualité des
rencontres entre les parties prenantes. A l’instar de la CCJA, le règlement d’arbitrage du centre de
médiation et d’arbitrage du GICAM prévoit la tenue de la réunion de cadrage par visioconférence
ou par téléphone33. Certains centres continuent d’observer la tradition de l’oralité des débats, et ne
font recours aux réunions préparatoires que dans des cas extremes34 ; et ce par correspondance ou
par échanges de courriers électroniques. Dans le meme sillage le Règlement d’arbitrage du centre
permanent d’arbitrage et de médiation du CADEV (CPAM) dispose que « Si les circonstances
l’exigent, la réunion préparatoire peut se tenir par correspondance et notamment par échanges des
courriers électroniques »35 Ces efforts doivent etre salués, mais plusieurs centres36 de médiation
de l’espace OHADA continuent de tourner le dos aux TIC ; et n’envisagent nulle part l’éventualité
de la tenue des réunions de cadrage par visioconférence. Il serait impératif pour ces centres de
s’arrimer aux exigences des nouvelles technologies afin de renforcer l’efficacité du processus de
médiation dans l’espace OHADA. Quoiqu’il en soit, la récente crise sanitaire a favorisé le
développemement des réunions à distance. La dématérialisation des procédures peut etre observée

30
L’article 8 de l’AUM fait mention de l’efficacité du processus de médiation au rang des principes directeurs de la
médiation.
31
Aux termes de l’article 15.1 du règlement d’arbitrage de la CCJA : « Après réception du dossier, le tribunal arbitral
convoque les parties ou leur représentants dument habiletés et leur conseil à une réunion de cadrage qui doit se tenir
aussi rapidement qu’il est possible et, au plus tard, dans les quarante-cinq (45) jours de sa saisine. A cette occasion, le
tribunal arbitral peut exiger la preuve du pouvoir de tout représentant d’une partie, s’il l’estime nécessaire. Le tribunal
arbitral peut, avec l’accord des parties, tenir cette réunion sous forme de conférence téléphonique ou de
vidéoconférence. »
32
Pour F-X. LUCAS, par exemple, le dispositif de l’OHADA est magnifique, mais il n’ya pas la possibilité de là
mettre en œuvre ; F.X. LUCAS, op.cit.
33
Voir en ce sens article 14.1 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage du GICAM.
34
Il en est ainsi du Règlement du centre d’arbirage, de médiation et de conciliation de N’Djamena (CAMC-N)
35
Article 19 du Règlement du CPAM, « Règlement d’arbitrage et de médiation », cadev-afrique, juin 2012. Disponible
sur internet : « http//cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/02/rg2018.pdf ».
36
Le centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de la chambre de commerce et d’industrie du Bénin ( CAMeC-
CCIB) ainsi que le centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou (CAMC-O).
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dès la demande de médiation37, particulièrement dans les grands centres tels que la cour
internationale d’arbitrage de la chambre du commerce internationale (CCI) et le centre
international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) 38.

L’efficacité du processus de médiation invite enfin à substituer au courrier papier, des Page | 137
protocoles de transmission électronique39 .

2- L’Effectivité envisagée sous le prisme des communications électroniques

La communication électronique intervient à toutes les étapes de la procédure de médiation.


Les acteurs créent davantage de documents, s’echangent des mémoires, traitent des déclarations
des témoins et d’experts, rendant ainsi possible leur accessibilité en support numérique. L’article
12 alinéa 1 de l’AUM prévoit que la preuve peut se faire par tout moyen. Le législateur OHADA
intègre par là meme la preuve par voie électronique, ou sous forme de support numérique. Le
règlement d’arbitrage de la CCJA dispose pour sa part que : « Les mémoires et toutes
communications écrites(…), ainsi que toutes pièces annexes, sont fournis en autant d’exemplaires
qu’il ya de parties plus un pour chaque arbitre et une copie électronique est envoyée au sécrétaire
général »40. Egalement, les notifications et communications du sécrétaire général et du tribunal
aux parties peuvent aussi etre faites par tout moyen électronique permettant de fournir la preuve
de l’envoi41. Le Règlement d’arbitrage de la CCJA souligne à juste titre que, la demande de
médiation, la réponse à la demande de médiation et la demande d’intervention forcée doivent
contenir l’adresse électronique du demandeur et du défendeur, sans doute dans le but de faciliter
les échanges électroniques.

De nombreux centres de médiation nationaux organisent les modalités d’envoi électronique


autour des notifications, des mémoires, des correspondances et des notes écrites aux parties. Il en
est ainsi du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage du GICAM (CMAG), qui
rappelle que les mémoires, correspondances et communications émanant du sécrétariat général, du

37
Durant la crise sanitaire, la London Court of International Arbitration a par exemple demandé aux parties de déposer
leurs nouvelles demandes en ligne ou par e- mail avec la possibilité de payer les frais y afférents par voie électronique(
carte de crédit ou compte bancaire) : « Online filing », LCIA, disponible sur internet : « http://onlinefiling.lcia.org/ »
38
C.DU PAC DE MARSOULIES, « Nouvelles technologies et centres d’arbitrage en Afrique », Lexbase Afrique-
OHADA, n°40 du 14 janvier 2021 : (NTIC. Lire aussi Arbitrage international, « Coronavirus (COVID19) et
tribunaux : passer du contentieux à l’arbitrage ? », Arbitrage international, 18 avril 2020.
39
M. PHILPPE « Where everyone is going with online dispute resolution (ODR) », International business law
journal, 2022, n° 2, P. 167, spéc. P. 170.
40
Article 12 alinéa 1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
41
Article 12 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
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tribunal arbitral ou des parties sont valablement signifiés par tout envoi électronique laissant trace
écrite42. Il en va de meme du Règlement d’arbitrage de la cour d’arbitrage de la Cote d’Ivoire
(CACI), qui précise que la demande d’arbitrage, la réponse à cette demande, la demande
reconventionnelle ainsi que les sentences arbitrales sont communiquées ou notifiées par lettre
Page | 138
recommandée avec accusé de réception, par voie électronique ou par tout moyen laissant trace
écrite43. Le Règlement d’arbitrage du centre du centre de médiation et d’arbitrage de Niamey
(CMAN) dispose pour sa part que les notifications ou communications du sécrétaire permanent et
du tribunal arbitral peuvent etre faites par voie électronique44. Les transmissions par voie
électronique constituent dès lors un gage d’efficacité et de célérité dans les procédures ; elles
contribuent en outre à la réduction des couts des procédures et permettent naturellement d’écourter
les délais procéduraux. Cest dire à quel point la communication par voie électronique est d’un
apport indispensable pour l’effectivité des audiences en ligne.

Comme on peut le constater, l’usage des TIC est possible dans les centres de médiation de
l’OHADA, meme si le phénomène n’est traité que partiellement. On peut décrier les carences liées
à la signature électronique des accords de médiation, à la reconnaissance des accords
dématérialisés ou à la gestion des données confidentielles ect… Au-delà des lacunes purement
techniques, il ya lieu d’admettre que plusieurs centres45de médiation de la zone OHADA
continuent d’opérer en marge des exigences primaires de la nouvelle technologie.

II- LES MODALITES DE REDEPLOIEMENT DES TIC DANS LES CENTRES DE


MEDIATION DE L’OHADA

Les centres de médiation de la zone OHADA gagneraient à faire usage des TIC dans la
résolution des différends. L’option pour les TIC permettra aux centres d’avoir une parfaite
visibilité, elle facilitera l’accessibilité aux investisseurs étrangers et créera de nombreuses
opportunités socioprofessionnelles. L’impact des TIC dans gestion des affaires n’est donc plus à
négliger ; les intervenants dans une procédure de médiation sont invités à penser à leur arrimage
aux TIC. Il s’agit en réalité d’un devoir pour les professionnels de la justice en particulier, mais
également pour tout citoyen car les TIC sont une exigence du millénaire. L’idée de redéployer les

42
Voir notamment article 18.2 du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage du GICAM.
43
Article 9.2 alinéa 1 du Règlement d’arbitrage de la cour d’arbitrage de la Cote d’Ivoire.
44
Article 9 du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage de Niamey.
45
Il s’agit en particulier de la Guinée-Bissau, ou du Congo pour ne citer que ceux là.
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TIC dans les centres de médiation de l’espace OHADA constitue une véritable nécessité. Au-delà
des désagréments générés par la récente pandémie de coronavirus, il faut admettre que
l’organisation des audiences en ligne se justifie à plusieurs égards. Pour y parvenir, il serait
judicieux d’intégrer des composantes numériques au sein des centres de médiation de l’OHADA
Page | 139
(A), afin de permettre aux acteurs et aux parties impliqués dans une éventuelle procédure de s’en
imprégner (B).

A- L’intégration des composantes numeriques dans les centres de médiation OHADA

L’Afrique ne bénéficie pas suffisamment du droit à internet46, les statistiques en témoignent


largement : le taux de pénétration de la 3G/4G en Afrique n’atteint que 25% en moyenne des
populations47. Les incidents de connectivité sont donc une réalité dans la zone OHADA ; ce qui
ne va pas sans effets secondaires tels que la limitation des vitesses de téléchargement ou la
mauvaise qualité des bandes passantes. Au démeurant, les mésures alternatives pourraient se
résumer dans l’instauration des centres techno-pédagogiques des MARD à l’école régionale
supérieure de la magistrature (1), et la mise en place des supports techniques standards dans les
différents centres de médiation (2).

1- L’instauration d’un centre techno-pédagogique des MARD à l’ERSUMA

La techno-pédagogie sous-entend une réflexion et un fructueux arrimage entre la pédagogie


et la technologie. Ce terme renvoie à des pratiques qui considèrent à la fois les aspects
pédagogiques tels que les méthodes d’enseignement et d’apprentissage, les compétences à
développer ou leur motivation etc… ; et les aspects technologiques qui sont ciblés et utilisés par
les enseignants. En tout état de cause, l’utilisation pédagogique des TIC est aujourd’hui une
préoccupation citoyenne. Leur intégration dans les centres de formation de l’espace OHADA
permettra à ses acteurs d’accéder aux sites internet, de lès exploiter et d’actualiser leur potentiel
de création afin de répondre aux besoins des justiciables en toute circonstance. L’ERSUMA doit
en outre instaurer les cours portant sur les NTIC, et sensibiliser les acteurs de l’OHADA sur
l’importance à lès intégrer. Les logiciels sur les pratiques pédagogiques ne doivent pour autant être

46
K. POILREAULT, « Pourquoi les connexions Internet sont plus fragiles en Afrique », jeune Afrique, 29 avril 2020.
Disponible en ligne sur le site : « http://www.jeuneafrique.com/936874/economie/pourquoi-les-connexions-Internet-
sont-plus-fragiles-en-afrique/ »
47
Banque mondiale, « Garantir l’accès au haut débit pour tous en Afrique – un enjeu à 100 milliards de dollars »,
Banquemondiale.org,en ligne 17 octobre 2019.
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négligés. Nous l’avons souligné plus haut, la médiation virtuelle n’est complexe qu’en raison de
la non maitrise des TIC. Les centres communautaires se situent ainsi dans un état de nécessité
absolue, par la même occasion, l’appel est lancé aux professionnels aguerris de la médiation de la
zone OHADA conviés à s’adapter au nouveau contexte mondial né des évolutions récentes,
Page | 140
qu’elles soient technologiques ou numériques. Pour y parvenir, d’importants moyens doivent etre
mobilisés.

2- La mise en place de supports techniques standards dans les centres de médiation


OHADA

L’organisation des audiences virtuelles et la dématérialisation des procédures impliquent


l’achat des supports techniques au profit des centres. De fait, les progrès48 engrangés par la
technologie de la conférence demeurent d’actualité. Tous les intervenants (parties, conseils,
médiateur, sécrétaire du tribunal) sont ainsi tenus de disposer d’un appareil électronique doté d’un
microphone et d’une caméra fonctionnels, un accès internet haut débit fluide, et un casque
d’écoute49. Ils doivent également etre disposés à scanner des documents. Par ailleurs,
l’abonnement à une plate forme de visioconférence serait envisageable. Dans des cas extremes, les
centres pourront faire appel à des personnels supports jouissant d’une expertise approfondie. Il
peut enfin arriver que l’une des parties ne puisse se connecter pour des défaillances liées au débit
et qu’il faille qu’elle se rende dans des locaux du centre, alors que la partie adverse se trouve dans
un autre pays. Afin de réduire les couts, les centres de médiation situés dans un meme Etat
pourraient partager les frais d’abonnement à une solution de vidéo-collaboration sécurisée, et en
faire un usage partagé. Le constat est alarmant, les centres des MARD de l’OHADA n’ont pas
véritablement opéré pendant la crise sanitaire ; le déni de justice auquel peut etre exposé le juge
de la CCJA ou de tout autre centre de la région n’est pas à négliger. Bien plus, les procédures
pendantes créent l’inertie dans l’avancée des affaires. Ceci témoigne de ce que de nombreux efforts
restent à faire dans le domaine de la médiation virtuelle en Afrique.

48
J. NICHOLL, H. GRAY et E. VAN EYKEN, « Canada : Covid-19 Disputes : Conclusions finales par
vidéoconférence-« Le spectacle continue ! » Clyde$Co, en ligne,8 avril 2020, mise à jour 23 mai
2020 http://www.mondaq.com/canada/arbitration-dispute-resolution/939424/covid-19-disputes-conclusions-finales-
par-vidoconfrence-le-spectacle-continue.
49
Conférence des arbitres du Québec, « Guide sur l’arbitrage par visioconférence », 15 septembre 2020.
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B- L’intégration des composantes numeriques par les acteurs de la mediation OHADA

L’arrimage aux TIC est une politique volontariste. De ce fait, les acteurs de la médiation
OHADA doivent penser leur mentalité afin d’éviter des mésusages dans ce domaine. Les
professionnels, ensemble avec les justiciables doivent accepter de substituer aux procès physiques Page | 141
des audiences virtuelles. Les modalités d’acquisition des valeurs technologiques sont variées à
plus d’un titre ; en dehors de l’élaboration des guides à usage (1), l’OHADA pourrait instituer une
journée africaine de l’utilisation citoyenne des TIC (2).

1- L’élaboration des guides à l’usage des acteurs de la médiation OHADA

Le guide à l’usage s’entend de tout document contenant des renseignements utiles à


l’utisation d’un produit. En effet, l’usage de la vidéoconférence par exemple pour tenir une
audience, peut au départ donner l’impression aux parties de faire un saut dans l’inconnu. La
préparation psychologique doit donc etre faite au sommet dans le but de s’affranchir de la peur 50.
Le « online video mediation. 3 keys to determine wether you should use it now » a été élaboré pour
la médiation51. Ecrit par l’institut d’arbitrage et de médiation du Canada et l’ADR Institute of
Ontario, ce document apporte des précisions supplémentaires d’odre techniques et psychologiques
relatives au recours à la visioconférence dans les MARD.

Au niveau régional, l’Africa Arbitration Academy (AAA) a, élaboré dès l’entame de la


pandémie le « protocol of virtual hearings in Africa ». Ce dernier retrace les lignes directives et
les meilleures pratiques en matière d’arbitrage à distance en Afrique. Aussi encourage t-il les
institutions arbitrales à recourir à l’arbitrage en ligne dans leur règlement d’arbitrage ; il propose
en outre aux gouvernements des principes directeurs à insérer dans les lois sur l’arbitrage. Le
protocole promeut enfin la présentation électronique des preuves au cours des audiences. Il serait
avantageux pour les centres de médiation de l’espace OHADA de s’en inspirer .Dans le meme
sillage, la CCI a publié en 2020 une « note d’orientation sur les mesures possibles visant à atténuer
les effets de la pandémie du Covid-19 ». Ladite note apporte des outils procéduraux destinés à
réduire les retards liés à la pandémie, elle fournit par la meme occasion des conseils sur
l’organisation des audiences virtuelles. Elle ne manque pas de proposer des clauses types pour les

50
Conférence des arbitres du Québec
51
Institut d’arbitrage et de médiation du Canada, « Online Video Mediation. 3 keys to determine wether you should
use it now », Adr-ontario.ca, avril 2020. Disponible sur internet : http://adr-ontario.ca/wp-
content/uploads/2020/04/OnlineMediation-Brochure-Final.pdf.
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cyber-protocoles et les ordonnances de procédures trelatives à l’organisation des audiences


virtuelles. Un tel document qui présente un intérêt à la fois pratique et pédagogique peut satisfaire
les centres de médiation de la zone OHADA. Comme on peut le constater, l’organisation des
audiences virtuelles n’est toujours aisée, la collaboration des parties est indispensable et leur
Page | 142
adhésion est déterminante pour la dématérialisation des procédures arbitrales. Le manque de
maitrise des TIC serait un handicap fondamental, sa problématique doit etre au centre des
différents enjeux ; il s’agit en effet d’un combat citoyen.

2- L’institution d’une journée africaine de l’utilisation citoyenne des TIC

C’est une vérité légitime d’admettre l’incapacité de nombreux africains à l’usage courant
des TIC. Des mesures ont été prises en vue d’atténuer le retard dans la région. Le problème
continue d’exister cependant. Un bond pourrait etre fait grace à l’organisation d’une journée
régionale d’utilisation des TIC, avec pour but de sensibiliser les populations sur les dangers que
regorge l’absence de maitrise des NTIC. Une telle vulgarisation incombe principalement aux
responsables des postes et télécommunications, de pair avec ceux de la justice doivent permettre
aux ressortissants de l’OHADA de réaliser des progrès notables en la matière. L’urgence n’est plus
à redouter, la journée d’utilisation citoyenne des TIC est aussi une occasion pour les uns et les
autres de découvrir les birnfaits d’une justice qui se veut libérale. L’accent doit ainsi etre mis sur
la phase pratique, avec une forte mobilisation des moniteurs de l’informatique dans des universités
et des centres de formation. L’apprentissage et la maitrise des TIC pourraient enfin etre un acquis
sous l’impulsion de l’organisation communautaire grace notamment à la création des centres
d’initiation aux procès en ligne dans certaines localités de l’OHADA, afin de permettre par
exemple aux étudiants stagiaires, ou à tout autre professionnel à s’imprégner des valeurs
fondamentales d’une procédure digitalisée.

Dans l’incapacité d’avoir un système judiciaire uniformisé à l’instar du droit matériel, la


consécration d’un droit procédural uniforme de la médiation applicable aux dix-sept Etats parties
de l’OHADA marque une avancée considérable à plusieurs égards pour la justice civile et
commerciale. Entré en vigueur le 15 mars 2018, l’AUM fournit aux parties de nouvelles
opportunités dans leur mission de rendre la justice ; au-delà des inconvénients qui entachent
l’accord de médiation, sa simplicité démeure une réalité. En effet, l’impact des TIC ne se limite
pas au seul domaine du droit, et il est regrettable de constater sa lente émergence en droit

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communautaire OHADA. Fort de ce constat, il serait urgent pour les centres de médiation de la
région de s’attribuer les moyens nécessaires à l’instauration de la justice cybernétique, surtout
quand on sait que la désorganisation des jurisictions étatiques, aux premières heures de la
pandémie a une fois de plus montré que les MARD constituaient une alternative crédible à la
Page | 143
justice étatique qui connait, bien plus que ceux là, plus de difficultés à conduire les procès en ligne.
Certes, la révolution technologique n’aura pas lieu d’un seul coup dans les centres des MARD,
mais ses acteurs doivent impérativement se préparer à cet effet en essayant d’intégrer les exigences
relatives aux réunions de cadrage à distance, et à terme, aux audiences en ligne. Les contraintes de
l’espace et du temps pourront ainsi etre progressivement vaincues dans les centres de médiation
de la communauté. Bien plus, l’usage approprié des TIC serait de nature à garantir auprès du
justiciable de la région un sentiment de sécurité juridique, principal facteur d’accroissement du
marché économique.

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La participation des chefferies traditionnelles musulmanes du Nord-


Cameroun à la sultanisation du pluralisme démocratique sous le régime du
Renouveau national (1996-2020)
The participation of traditional Muslim chiefdoms of the Northern-Cameroun in the sultanization Page | 144
of democratic pluralism under the national Renewal regime (1996-2020)
Par :
AVANGA Léon ACHAWE SAWALDA
Doctorant en Science politique à l’Université de Yaoundé II-Soa (Cameroun)

Résumé :

Ce travail entend examiner comment les chefferies traditionnelles musulmanes du Nord-


Cameroun ont appuyé entre 1996 et 2020 le régime du Renouveau national dirigé depuis 1982
par le Président Paul Biya dans la transition pro-autoritaire du pluralisme démocratique au
Cameroun. Ayant une culture autoritaire du pouvoir, les chefferies traditionnelles musulmanes
ont mal accueilli le vent de la démocratisation qui a soufflé sur leurs collectivités territoriales du
commandement. La raison principale de cette hostilité est que commandement traditionnel et
pluralisme démocratique forment un couple de contraire : le commandement traditionnel est
d’essence autoritaire réduisant l’homme au statut de « sujet » alors que le pluralisme
démocratique prône la liberté et le droit de l’Homme. La démocratie apparait aussi comme un
fléau dans la succession familiale ou dynastique du pouvoir au sein des chefferies traditionnelles
musulmanes en ce sens qu’elle introduit la compétition (électorale) dans la course à la couronne
cheffale.

En s’inspirant de la logique du commandement traditionnel, le régime du Renouveau


national a inscrit le pluralisme démocratique dans un cadre pro-autoritaire favorable à la
restriction de la liberté d’association et de la promotion de l’adversité politique, ceci dans
l’objectif de pérenniser son gouvernement.

Mots clés : Chefferies traditionnelles musulmanes, Pluralisme démocratique, Sultanisation,


Régime du Renouveau national, Commandement traditionnel.

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Abstract:

This work tends to examine how the traditional Muslim chiefdoms of the Northern-
Cameroon supported between 1996 and 2020 the national Renewal regime led since 1982 by the
President Paul Biya in the pro-authoritarian transition of democratic pluralism in Cameroun. Page | 145
Having an authoritarian culture of power, the traditional Muslim chiefdoms have very badly
received the wind of democratization which blew through their territorial communities of
command. The main raison for that hostility is that traditional command and democratic pluralism
thus form a pair of opposites: the traditional command is essentially authoritarian, reducing man
to the status of “subject”, while democratic pluralism advocates freedom and human rights.
Democracy also appears as a scourge in the family or dynastic succession within traditional
Muslim chiefdoms in the sense that it introduces electoral competition in the race for the chiefdom
crown.

Inspired by the logic of traditional command, the national Renewal regime has placed
democratic pluralism in a pro-authoritarian framework favorable to the restriction of freedom of
association and the promotion of political adversity, with the aim of perpetuating its government.

Key words: Traditional Muslim chiefdoms, Democratic pluralism, Sultanization, National


Renewal regime, Traditional command.

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Introduction

Considérées comme représentations figurées et caricatures des royautés précoloniales,


instruments et auxiliaires du colonialisme, ordres dépassés, misonéistes et anti-techniciens1, forces
sociales rétrogrades et vestiges d’un passé à jamais révolu 2, etc., les chefferies traditionnelles en Page | 146
général ont suscité des nombreuses controverses sur leur place au sein des Etats africains
postcoloniaux. Faut-il donc brûler les chefferies traditionnelles ? comme s’est interrogé Evariste
Fopoussi FOTSO3 ou faut-il les maintenir ?4 Dans la plupart des cas, les chefferies traditionnelles
ont été maintenues car, tellement intégrées dans la vie des communautés, leur disparition
provoquerait une catastrophe5. Ainsi, en ce qui concerne le Cameroun, sur le plan administratif,
les chefs traditionnels en tant qu’auxiliaires de l’administration ont apporté leur soutien aux
autorités administratives locales dans la gestion des espaces locaux. Sur le plan politico-
stratégique, les chefferies traditionnelles ont été utilisées comme instruments de pénétration de
l’arrière-pays6. Elles ont donc renforcé l’ubiquité de l’Etat à la périphérie, c’est-à-dire la présence
quantitative de l’Etat dans les espaces locaux7. C’est ainsi que l’Etat s’est appuyé sur les chefferies
traditionnelles pour observer la périphérie8 et pénétrer des « espaces paroissiaux », c’est-à-dire
des secteurs qu’il ne contrôle pas totalement9.

Avec l’avènement du pluralisme démocratique intervenu dans les années 1990, les
chefferies traditionnelles ont été définitivement réhabilitées, revigorées, courtisées, adulées 10 car

1
Voir PERROT (C-H.) et FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et
l’Etat en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 1999, p. 7 ; MINKOA SHE (A.), Essai sur l'évolution de la politique
criminelle au Cameroun depuis l'indépendance, Thèse d'État en droit, Strasbourg, Tome1, 1987, p. 52.
2
SOME (M.), « Les chefferies moosé dans la vie politique du Burkina Faso depuis 1945 », PERROT (C-H.) et
FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique
contemporaine, op.cit., p. 220.
3
FOPOUSSI FOTSO (E.), Faut-il brûler les chefferies traditionnelles ?, Yaoundé, SOPECAM, 1991.
4
Contrairement aux Etats comme le Maroc dont le transfert du pouvoir postcolonial s’est fait au profit du monarque,
le Ghana et le Nigéria qui ont intégré les autorités traditionnelles dans le nouvel ordre politique ou le Cameroun où
les autorités coutumières participent directement à l’animation des institutions politiques nationales, certains Etats
comme le Burkina Faso sous Thomas Sankara (1983-1987), la Guinée en 1957, le Sénégal en 1960 ont tenté de
supprimer les institutions coutumières, voir MOUICHE (I.), Autorités traditionnelles et démocratisation au
Cameroun. Entre centralité de l’Etat et logiques de terroir, Grevener, LIT VERLAG Münster, 2005, p. 1.
5
Voir PAVANELLO (M.), « Le paradoxe de la chefferie constitutionnelle au Ghana », PERROT (C-H.) et
FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique
contemporaine, op.cit., p. 48.
6
ZELAO (A.), « Autorités traditionnelles et désir d’hégémonie dans le champ politique au Nord-Cameroun », Studia
Politica: Romanian Political Science Review, vol.17, n°2, 2017, p. 364.
7
SINDJOUN (L.), L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, ECONOMICA, 2002, p. 54.
8
Ibid., p. 72.
9
Ibid., p. 118.
10
IROKO (A.F.), « Rois et chefs en République du Bénin (1960-1999) », PERROT (C-H.) et FAUVELLE-AYMAR
(F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique contemporaine, op.cit., p. 116.
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leur poids dans la production de la légitimité aux acteurs du centre à la périphérie a été
difficilement inégalé. Fort donc de leur capacité de mobilisation populaire, les monarques vont
globalement adopter trois attitudes. La première concerne les chefs qui ont activement apporté leur
soutien à l’ex-parti unique, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), en
Page | 147
étant militants de ce parti11. La deuxième attitude concerne les chefs qui se sont constitués en
opposants du RDPC en militant pour l’opposition12 et la troisième concerne les chefs qui ont
dissimulé leur militantisme en restant neutre ou en en militant dans l’ombre pour le RDPC ou pour
l’opposition.

En ce qui concerne spécifiquement les chefferies traditionnelles musulmanes du Nord-


Cameroun, elles sont présentées comme des « Etats dans l’Etat » puisqu’elles se sont constituées
en cadres de rétention de l’alliance hégémonique obligeant le pouvoir du centre à sous-traiter avec
elles dans le management des espaces locaux 13. Etant des entités ayant une structure pyramidale
du commandement et une organisation territoriale hiérarchisée, les chefferies traditionnelles
musulmanes du Nord-Cameroun ont été incontournables dans la médiatisation et dans
l’implémentation des décisions du centre à la périphérie. Avec l’avènement du pluralisme
démocratique, étant des opératrices hégémoniques associées à l’Etat, les chefferies traditionnelles
musulmanes ont contribué à la canalisation pro-autoritaire de la transition démocratique en
endiguant le désordre partisan à la périphérie de l’Etat14.

Ce travail ambitionne donc d’analyser comment les chefferies traditionnelles musulmanes


du Nord-Cameroun ont assisté le régime du Renouveau national dans l’inscription du pluralisme
démocratique dans un cadre pro-autoritaire favorable à la pérennisation de ce régime.

I- LA CONTRIBUTION DES CHEFFERIES TRADITIONNELLES


MUSULMANES A LA CANALISATION PRO-AUTORITAIRE DU
PLURALISME DEMOCRATIQUE

Il convient ici d’analyser comment les chefferies traditionnelles musulmanes ont participé
à la sultanisation du pluralisme démocratique, c’est-à-dire à l’application des pratiques pro-

11
Voir sur le militantisme actif des chefs traditionnels, MOUICHE (I.), Autorités traditionnelles et démocratisation
au Cameroun. Entre centralité de l’Etat et logiques de terroir, op.cit., p. 2.
12
Idem.
13
SINDJOUN (L.), L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op.cit., p. 120.
14
SINDJOUN (L.), Construction et déconstruction locales de l’ordre politique au Cameroun : la sociogenèse de
l’Etat, Thèse de Doctorat en Science politique, Université de Yaoundé 2, 1993-1994, p. 134.
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autoritaires de gestion de pouvoir propres aux chefferies traditionnelles à la gouvernance


démocratique. D’entrée de jeu, il faut souligner que le pluralisme démocratique et le
commandement traditionnel musulman sont antinomiques. De ce fait, l’opposition politique est
appréhendée comme ennemie.
Page | 148
A- Commandement traditionnel et pluralisme démocratique : couple de contraire

Le pluralisme démocratique qui prône le multipartisme, c’est-à-dire la possibilité pour


plusieurs forces politiques d’être en mesure de concourir pour la conquête des positions de pouvoir
; l’alternance politique, c’est-à-dire la possibilité, pour la minorité politique, de devenir un jour,
la majorité ; et la séparation des pouvoirs (exécutifs, législatifs et judiciaires) pour faire en sorte
qu’aucune autorité politique ne puisse s’en attribuer la totalité de l’exercice15, va en contresens de
l’essence du commandement traditionnel (musulman). En fait, les chefferies traditionnelles
musulmanes consacrent la permanence du pouvoir, c’est-à-dire l’absence de l’alternance16.
Autrement dit, non seulement le monarque est désigné à vie mais aussi la transmission du pouvoir
se fait par voie héréditaire (de père au fil) ou dynastique (au sein de la même famille régnante) 17.
En contraste, la démocratie donne moins de place à la dimension familiale ou dynastique de la
captation du pouvoir et consacre les systèmes concurrentiels dans la conquête de pouvoir18.

La démocratie constitue par ailleurs une menace réelle pour l’autorité cheffale musulmane
en ce sens qu’elle est libertaire et susceptible de pousser à l’anti-faada19. Elle est appréhendée
comme une sorte d’instrument d’aplanissement de la hiérarchie sociale en mettant sur un même
pied d’égalité comme électeurs, chefs/serviteurs, aînés/cadets, hommes/femmes, etc.20 En plus,
malgré le fait que le législateur camerounais a normativement consacré la succession dynastique à
la tête des chefferies traditionnelles, la gangrène démocratique ne met pas totalement la succession
dynastique au sein des chefferies musulmanes à l’abri des contre-courants . En effet, l’Article 8 du

15
NAY (O.) (dir.), Lexique de Science politique. Vie et Institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011, p. 133.
16
Voir MAMBI TUNGA-BAU (H.), Pouvoir traditionnel et pouvoir d’Etat en République Démocratique du Congo.
Esquisse d’une théorie d’hybridation des pouvoirs politiques, Kinshasa, MEDIASPAUL, 2010, p. 29.
17
BARBIER (J-C.), « Mais, qui est chef? Esquisse de la Chefferie Coutumière », Journal of Legal Pluralism and
Unofficial Law, n° 25 & 26, 1987, p. 333.
18
Voir BROSSIER (M.) et DORRONSORO (G.), «Le paradoxe de la transmission familiale du pouvoir », Critique
internationale, vol. 4, n° 73, 2016, p. 10.
19
Le mot anti-faada est composé de anti qui signifie « opposé à ; contre ; hostile à… », et de faada qui renvoie au
conseil de notables de Lamidat. L’anti-faada est donc un sentiment de révolte ouverte ou non contre les pouvoirs
coutumiers musulmans. Il renvoie également à celui qui exprime ce sentiment c’est-à-dire, celui qui se dresse contre
l’ordre traditionnel institué dans les Lamidats.
20
MARIE (J.) et IDELMAN (E.), « La décentralisation en Afrique de l’Ouest : une révolution dans les gouvernances
locales ? », EchoGéo, n°13, 2010, pp. 1963-1197, http://journals.openedition.org/echogeo/12001, 10/04/2023, 10 :14.
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Décret n°77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles au Cameroun
dispose que : « Les chefs traditionnels sont, en principe, choisis au sein des familles appelées à
exercer coutumièrement le commandement traditionnel (...) ». Ainsi, à la lumière de cet Article, il
y a lieu d’avancer que la démocratie, surtout électorale, demeure un danger confirmé pour la
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succession dynastique à la tête des chefferies traditionnelles musulmanes. D’une part, le législateur
n’a pas explicitement exclu la possibilité pour un individu n’appartenant pas à une dynastie
régnante de candidater pour la succession dans une chefferie traditionnelle donnée. En outre, il
peut avoir plusieurs dynasties régnantes au sein d’une même chefferie. Cela implique la probabilité
que plusieurs dynasties séculairement antagonistes concourent pour la même couronne, ce qui
n’exclut pas la défaite de la dynastie précédemment au pouvoir. D’autre part, même dans le cas où
des candidats postulant pour la couronne appartiennent à une seule et même famille régnante, le
suffrage universel, même indirect, peut faire monter sur le trône un yérima (prince) non pré-
désigné par le testament du chef défunt mais dont les notables ont vu en lui une compatibilité avec
la fonction cheffale21.

En outre, le commandement dans les chefferies coutumières musulmanes repose sur la


domination traditionnelle de type autoritaire, c’est-à-dire le pouvoir de chef est d’essence
transcendantale et son règne est plus ou moins absolu. Ainsi, au sens de Max Weber, l’autorité
coutumière musulmane en tant que chef politique et religieux n’est pas un « supérieur » mais un
seigneur personnel, c’est-à-dire un individu qui concentre la plus grande partie du pouvoir entre
ses mains et les populations réduites à des « associés traditionnels » ou « sujets » entretiennent
avec lui un rapport de servitude22. Ici, le consentement, l’avis, l’approbation, le compromis des
sujets en ce qui concerne la domination cheffale ne sont nullement recueillis ni en amont ni en
aval : les décisions importantes sont prises par le chef assisté par la Faada (Conseil de notables)
et sont imposées aux sujets qui doivent les accueillir sans geindre de peur d’attirer sur eux la foudre
cheffale.

En effet, l’autorité coutumière musulmane dispose parfois de droit de vie et de mort sur
ses sujets23. Par exemple, la chefferie de Rey-Bouba dans la Région du Nord a été érigée de fait

21
Voir sur le problème successoral TSIAFIE (C.) et SAHA (Z.), « Conflit successoral dans la chefferie Foreke-
Dschang (Ouest-Cameroun) : analyse du bicéphalisme dans la chefferie traditionnelle 1966-2005 », pp. 51-66,
https://revues.acaref.net, 10/04/2023,15 : 02.
22
Lire sur la domination traditionnelle, WEBER (M.), Economie et Société Tome 1, Paris, Plon, 1971, pp. 301-302.
23
TAGUEM FAH (G.L.), « Crise d’autorité, regain d’influence et pérennité des lamidats peuls du Nord-Cameroun.
Etude comparée de Ray Bouba et Ngaoundéré », PERROT (C-H.) et FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour
des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique contemporaine, op.cit., p.270.
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en royal slavery, c’est-à-dire en entité qui a triomphalement résisté au changement de la modernité


et que le Lamido (chef), par l’entremise de ses dogaris (milices du Lamido), détient l’horoscope
vital et le décret de la mort de ses sujets24. Dans la même cadence, le 10 janvier 2001, le Lamido
de Kaélé, dans le Mayo-Kani, Sa Majesté Elhadj Aboubar Wabbi, profitant d’un différend foncier
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l’opposant à Modibo Oumarou, avait expulsé la famille de ce dernier avec interdiction de ne plus
remettre pieds dans son Lamidat25. En 2005, l’Arrondissement du Galim-Tignère avait failli se
vider de ses habitants suites aux exactions commises sur eux par le Lamido, Sa Majesté Hayatou
Hamadina26. En janvier 2022, lors d’une séance correctionnelle à la prison lamidale, le Lamido de
Garoua avait torturé à mort son neveu, Ali Youssouf27. En mars 2023, le tribunal coutumier du
Lamidat de Tchébao dans le Nord avait condamné le jeune Woulvang (33 ans) à 120 coups de
fouet et à 3 jours de privation de l’eau et de la nourriture, pour avoir tenu des propos injurieux à
l’égard d’un dogaris. Le jeune Woulvang s’en était tiré avec des fesses complétement épluchées.
Selon, le Lamido de Tchéboa, Sa Majesté Moussa Aboubakary, « sans fouet, on ne peut ni gérer,
ni redresser une communauté »28. La déclaration de Sa Majesté Moussa Aboubakary rend compte
d’une réalité plausible selon laquelle, tout comme les opposants politiques, les détracteurs des
chefs traditionnels musulmans sont vus comme des ennemis à « purifier » en employant la violence
si nécessaire.

B- L’opposant politique : un anti-faada

Dans la logique de la sultanisation du pluralisme politique au Nord-Cameroun, les chefs


traditionnels musulmans, politiquement engagés pour le RDPC, ont tendance à assimiler toute
opposition politique à l’anti-faada. En d’autres termes, celui qui ne milite pas ou ne sympathise
pas pour le parti du Renouveau national (RDPC) est considéré au plan local comme ennemi de
chefs et au plan national comme ennemi du régime.

Ainsi, malgré l’institutionnalisation du régime pluralisme, médiatisée par la Loi de 1990


sur les libertés associatives ouvrant la voie au multipartisme et consacrant la figure de l’opposant
politique comme « l’un des éléments clés du système politique camerounais », «"l’opposition

24
Voir SAÏBOU (I.), « Paroles d'esclaves au Nord-Cameroun », Cahiers d’études africaines, vol. XLV, n°3-4, 2005
p. 858.
25
Voir L’œil du Sahel N°47 du 01 au 14 mai 2001, p. 3.
26
Voir L’œil du Sahel N°155 du 15 février 2005, p. 11.
27
Voir DOUGUELI (G.), « Cameroun : le lamido de Garoua soupçonné d’homicide », Jeune Afrique,
https://www.jueneafrique.com, 12/04/2023, 09 : 50 ; Le jour N°452867, cité par CamerounWeb, 9 février 2022,
https://mobile.camerounweb.com, 12/04/2023, 10 : 22.
28
Voir L’œil du Sahel N°1774 du mercredi 17 mars 23, p. 6.
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pourtant acceptée au plan normatif et institutionnel comme un adversaire et/ou partenaire" à


travers la coalition, est souvent traitée au plan pragmatique comme un ennemi »29. Ici, il ne s’agit
pas de n’importe quel ennemi mais d’un ennemi réel (real ennemy) à neutraliser de quelle que
manière que cela soit, pas parce qu’il n’a pas de valeur mais parce qu’il conteste l’ordre établi 30.
Page | 151
D’où « l’institutionnalisation d’un régime de violence physique et symbolique » à son égard31.

Sur le plan symbolique et dans l’esprit de la sultanisation de la scène politique, les caciques
du régime du Renouveau national ont l’habitude de traiter les leaders de l’opposition et leurs
militants des « fauteurs de troubles » ; des « aventuriers de tous bords » ; des « incrédules » ; des
« détracteurs » ; des « démagogues » ; des « intoxicateurs » ; des « déstabilisateurs » ; des «
ennemis dans la maison » ; des « damnés de l’enfer » ; des « sirènes » ; des « vendeurs d’illusions
» ; des « champions en critiques » ; des « traitres politiques » ; des « assoiffés du pouvoir » ; des
« les agités politiques» ; des « apprentis sorciers », des « oiseaux de mauvaise augure », des «
hiboux de la politique », etc.32 L’incinération des symboles du Mouvement pour la Renaissance
du Cameroun (MRC), le 14 juillet 2018 à Maroua par les militants du RDPC, sur incitation de Sa
Majesté le Très Honorable CAVAYE YEGUIE Djibril (Chef traditionnel de 2e degré du Canton
de Mada, Président de l’Assemblée Nationale et membre du Bureau politique du RDPC), est restée
le cas le plus emblématique de l’expression de la violence symbolique sur l’opposition dans la
partie septentrionale du Cameroun33. Viennent s’enregistrer dans le cadre de la production de la
violence symbolique, les interdictions systématiques de manifestation publique par les autorités
administratives dont les partis de l’opposition font l’objet dans cette partie du pays.

Sur le plan pragmatique, la sultanisation du champ politique par les chefs traditionnels
musulmans se manifeste par la production de la violence physique sur les leaders de l’opposition
et leurs militants. En 1996, par exemple, le Lamido de Ray-Bouba avait recouru à la répression

29
ASSANA, « La trajectoire incertaine de la démocratisation dans le jeu de pouvoir entre la majorité et l’opposition
au Cameroun », ZELAO (A.) (dir.), Démocratisation au Cameroun : scènes, arènes, règles et acteurs, Paris,
L’Harmattan, 2016, pp. 91 & 96.
30
Voir sur la figure de l’inimitié, SCHMITT (C.), Theory of the partisan. Intermediate of commentary on the concept
of the politic, (translated by G.L. Ulmen), New-York, Telos Press Publishing, 1962, p. 84.
31
ASSANA, « La trajectoire incertaine de la démocratisation dans le jeu de pouvoir entre la majorité et l’opposition
au Cameroun », op.cit., p. 85.
32
Voir OWONA NGUINI (M.E.), La sociogenèse de l’ordre politique au Cameroun entre autoritarisme et démocratie
(1978-1996) : les régimes politiques et économiques de l’Etat au gré des conjonctures et de configurations socio-
historiques, Thèse pour le Doctorat en Science politique (Etude africaine), Tome 2, Université Montesquieu-Bordeaux
IV, 1997, p. 532.
33
Voir « Cameroun-Espace Politique : Gare aux transfuges… », Psy et Droits de l’Homme, http://psydh.com,
20/04/2023, 20 : 06.
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brutale pour nettoyer sa chefferie de toute contestation partisane, ce qui avait débouché sur
l’assassinat de député de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP), Haman
Adama Daouda34. Après les élections législatives et municipales du 09 février 2020, le chef du
Canton de Mokong, dans le Mayo-Tsanaga (Région de l’Extrême-Nord), Sa Majesté Bello
Page | 152
BISSADOU, avait procédé au règlement de comptes à ses opposants politiques. Ainsi, saisissant
une opportunité offerte par un différend foncier l’opposant à l’Iman MALIKI ADAMOU, Sa
Majesté avait produit de la violence sur ce dernier parce qu’il n’appréciait pas son militantisme
pour l’UNDP35. Dans le même chapitre de traitement de l’opposition comme ennemie, s’inscrit le
cas du Premier vice-président du MRC, Mamadou Mota, qui est présenté dans l’Arrondissement
de Tokombéré (Département du Mayo-Sava) comme l’opposant le plus farouche de Sa Majesté le
Très Honorable CAVAYE YEGUIE Djibril. Par conséquent, il avait été embastillé à la prison
centrale de Yaoundé après avoir pris part à une manifestation interdite en 2018. Une fois en prison,
il y était accusé de « rébellion en groupe » lors d’un procès engagé après la mutinerie intervenue
à la prison centrale de Kondengui par le tribunal militaire de Yaoundé le 22 juillet et condamné à
deux ans de prison36. Les observateurs voyaient derrière sa condamnation la main invisible de
CAVAYE YEGUIE Djibril. Mamadou Mota, lui-même, avait déclaré que « ma condamnation est
purement politique. Je ne suis pas un rebelle. […] lors de la mutinerie de la prison, j’avais été
appelé par le régisseur pour apaiser les détenus (anglophone) »37.

La perception de l’opposition politique comme un anti-faada est la conséquence directe de


la culture sultanique du commandement traditionnel qui a cours dans les chefferies traditionnelles
musulmanes du Nord-Cameroun. Par conséquent, le management pro-autoritaire des espaces
locaux a directement inspiré le régime du Renouveau national. Ce qui va l’amener à transposer les
pratiques et les techniques de gestion du pouvoir propres aux chefferies traditionnelles à la
gouvernance de l’Etat du Cameroun à l’ère de la démocratisation.

34
NACH MBACK (C.), « Chefferie traditionnelle au Cameroun : ambigüités juridiques et dérives politiques », Africa
Development, vol. XXV, n° 3 & 4, 2000, p. 103.
35
Voir HAMAN CAMEROUN OFFICIEL, « Barbarie du Lamido Bello de Mokong sur le père Maliki », 8 juillet
2020, https://www.facebook.cm, 20/04/2023, 20 : 31.
36
Voir Jeune Afrique de 10 septembre 2019, « Cameroun : Mamadou Mota, numéro 2 du MRC, condamné à deux ans
de prison », https://www.jeuneafrique.com, 12/04/2023, 11 : 55.
37
Idem.
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II- L’INSCRIPTION DU GOUVERNEMENT DU RENOUVEAU NATIONAL


DANS LES LOGIQUES DES POUVOIRS COUTUMIERS MUSULMANS

Il convient d’examiner comment le régime du Renouveau national a transposé les


instruments de gestion lamidale du pouvoir à la gouvernance démocratique de l’Etat. Pour ce faire, Page | 153
il va intégrer les technologies de domination traditionnelle dans les stratégies du management de
l’Etat afin d’instaurer un gouvernement perpétuel.

A- L’intégration des technologies de domination traditionnelle dans les stratégies de la


gouvernance démocratique de l’Etat

Tirant des leçons des élections de la première génération des années 1992 marquées par
des faibles victoires électorales du parti du Renouveau (RDPC)38, le gouvernement du Renouveau
a fait recours aux technologies de domination traditionnelle pour assurer l’hégémonie politique et
électorale de son parti à partir de 1996. D’une part, le Renouveau a fait intégrer dans ses stratégies
de gouvernance deux ordres de domination contradictoires à savoir la domination légale-
rationnelle et la domination traditionnelle (Etat chaotique ou Etat patchwork)39. Cela s’est traduit
par le fait que le régime du Renouveau a diversifié dans sa stratégie de construction et de
consolidation de son gouvernement des modalités d’encadrement de la dialectique
commandement-obéissance en en empruntant à la fois au modèle d’impérium et au modèle légale-
rationnel40.

D’autre part, le père géniteur du Renouveau national (Paul Biya) s’est fait incorporer dans
la mystique du pouvoir traditionnel musulman en s’attribuant des titres nobiliaires reconnus
naturellement aux autorités coutumières musulmanes. Il a été donc intronisé « co-lamido de
Ngaoundéré »41, c’est-à-dire celui avec lequel le Lamido commande ses sujets. Toutefois, il faut
souligner que le titre co-lamido ne place pas le Président Biya à égale autorité que le Lamido
concerné : il lui est plutôt reconnu la supériorité et la prééminence de son pouvoir sur celui de
Lamido. Ce titre ne fait donc pas du Président Paul Biya n’importe quel notable, mais plutôt le «
géniteur » de Lamido, Baaba baaba (« le papa de papa en fulfulde» qui signifie le chef des chefs)

38
Lors des élections des années 1992, le RDPC n’avait remporté que 88 sièges de députés sur 180, contre 68 pour
l’UNDP, 18 pour l’UPC, 06 pour le MDR, et le candidat Paul Biya avait contentieusement remporté la présidentielle
avec 39,9% contre 35,9 % pour John Fru Ndi et 19, 21% pour Bello Bouba Maigari. Voir PIGEAUD (F.), Au
Cameroun de Paul Biya, Paris, Karthala, 2011, pp. 56 & 59.
39
SINDJOUN (L.), L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op.cit., p. 77.
40
Idem.
41
Ibid., 307.
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ou le supérieur de Lamido (Baaba manga). Par le titre généalogique Baaba baaba ou par celui de
la supériorité Baaba manga, le pouvoir de Lamido s’éclipse ou plutôt se met entre parenthèse en
présence de celui de Sa Majesté le Lamido supérieur Paul Biya. De ce fait, le Président Paul Biya
apparait, pour reprendre la métaphore chère au Lamido de Maroua, Sa Majesté Yérima Bouba
Page | 154
Bakari, le pharaon de lamibbe, pour traduire celui qui a le pouvoir absolu sur les chefs coutumiers
musulmans.

La mobilisation des technologies de domination traditionnelle et la reconnaissance du


Président Paul Biya comme Baaba baaba’en (pluriel de Baaba baaba) ou Baaba manga ont eu
une répercussion sur la démocratisation et le management de la machine partisane. D’un côté, dans
la logique de lamidalisation42 du pouvoir, la marche vers la démocratie électorale a été sultanisée
par la mise en place des normes et des institutions électorales favorables à une compétition
électorale déloyale, c’est-à-dire une compétition « structurée par un joueur qui s'est arrogé le
monopole de la définition des règles de jeu, qui a plus de ressources que ses adversaires »43. Ainsi,
en plus de la monopolisation des règles de jeu démocratiques, les leaders du parti dominant
(RDPC) ont entretenu la déloyauté électorale en confisquant les ressources étatiques lors des
compétions électorales. C’est dans ce sens qu’en 2013, le Rapport sur la gouvernance en Afrique
III de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) avait souligné que : «
Certains partis et dirigeants sortants pillent les ressources publiques pour mener campagne. Le
parti au pouvoir a tendance à accaparer les médias publics. Des [partis au pouvoir] sollicitent les
organismes de sécurité du pays tels que la police et les services de renseignement pour soutenir
leur campagne. Tous ces éléments font lourdement pencher la balance en faveur du parti au
pouvoir et du dirigeant sortant au détriment de l’opposition »44.

D’un autre côté, le parti du Renouveau (RDPC) a été managé comme une institution
coutumière musulmane dont le président national du parti, à l’image du Lamido, incarne seul le
parti ; le Bureau politique et le Comité central constituent la Faada chargée de répercuter les

42
Par lamidalisation du pouvoir, il faut entendre l’application de modèle de gestion du pouvoir propre aux chefferies
traditionnelles musulmanes (Lamidats) à la gouvernance démocratique de l’Etat.
43
SINDJOUN (L.), « Elections et politique au Cameroun: concurrence déloyale, coalitions de stabilité hégémonique
et politique d'affection », African Association of Political Science, vol.2, n°1, 1997, p. 93.
44
Voir CEA, Rapport sur la gouvernance en Afrique III, 2013, p. 221, cité par SOUARE (I.K.), Les partis politiques
de l’opposition en Afrique. La quête du pouvoir, Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2017, p. 107.
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décisions du Président/Lamido ; et les militants de base sont assimilables aux sujets de Lamido qui
doivent recevoir des ordres sans geindre45.

Dans le contexte de lamidalisation du pouvoir étatique à l’ère démocratique, il est incongru


de penser à une alternance à la tête de l’Etat par les urnes. En d’autres termes, il est difficile de Page | 155
voir un militant investi comme candidat du RDPC au détriment du Président/Lamido national du
RDPC, candidat naturel de ce parti à toutes les élections présidentielles, et porté à la tête de l’Etat46.
Tout comme il est difficile de conjecturer la victoire de l’opposition à la présidentielle. Par
conséquent, le régime du Renouveau a instauré un gouvernement perpétuel.

B- Le gouvernement perpétuel : estampille des pouvoirs coutumiers (musulmans)

La conséquence immédiate de la lamidalisation du pouvoir à l’ère du pluralisme


démocratique est l’institutionnalisation du gouvernement perpétuel, c’est-à-dire un
« gouvernement à durée illimitée »47. Ce type du gouvernement est caractéristique de « l’Etat
stationnaire », c’est-à-dire « une organisation politique qui produit un système d’allégeances
clientélistes dont l’objectif central est la conservation du pouvoir »48. Ainsi, le régime du
Renouveau a mis en place des mécanismes normatifs et institutionnels pro-autoritaires afin d’éviter
« le risque inhérent au processus de démocratisation d’une alternance au pouvoir par la voie
d’élections loyales, libres et compétitives »49. Par conséquent, à l’image d’un chef traditionnel
musulman qui règne à vie, le père du Renouveau national (Paul Biya) a réussi à « imposer un
tempo politique fondé sur sa capacité à garder le contrôle sur les commandes centrales de l’État
»50. En outre, la gestion néo-autoritaire ou crypto-autoritaire51 de l’Etat a remis le Président Paul
Biya « au centre de tout. C'est lui qui bâtit la nation, dirige l'Etat et le personnalise à l'extérieur

45
Les Textes de base du RDPC (Edition 2009) ont fait du Président national (Paul Biya) de ce parti une personnalité
ayant qualité d’un sultan à l’état moderne en lui reconnaissant le pouvoir absolu de faire, défaire et de refaire les
organes et les responsables politiques du parti. Ainsi, l’Article 28 (1 & 2) dispose respectivement que : « le Président
National peut changer un membre du Bureau politique ou du Comité central du suivi des activités d’une ou de
plusieurs Sections ou Sous-Sections », « le Président National peut également créer, au niveau provincial, une
Délégation du Comité central chargée de coordonner les activités du Parti (…) ».
46
Sur la naturalisation du Paul Biya comme candidat du RDPC, voir l’Article 27 (3) des Textes de base du RDPC, qui
dispose que « Il [le Président national du RDPC] est le candidat du Parti aux élections présidentielles ».
47
OWONA NGUINI (M.E) et MENTHONG (H-L.), «"Gouvernement perpétuel" et démocratisation janusienne au
Cameroun (1990-2018) », Politique africaine, n° 150, juin 2018, p. 97.
48
EBOKO (F.) et AWONDO (P.), « Cameroun, l’État stationnaire », Politique africaine, n° 150, juin 2018, p. 7.
49
OWONA NGUINI M.E) et MENTHONG (H-L.), «"Gouvernement perpétuel" et démocratisation janusienne au
Cameroun (1990-2018) », op.cit., p. 97.
50
Idem.
51
Ibid., p. 102.
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comme à l'intérieur. Dans une large mesure, il se confond avec le système politique lui-même »52.
La confusion de la figure du Président Paul Biya au système politique lui a donné un « profil
charismatique et totalitaire », c’est-à-dire celui qui incarne un pouvoir despotique et régulateur
comme centre et symbole de la rencontre et de la diffusion de réseaux complexes de pouvoirs53.
Page | 156
L’adaptation du commandement traditionnel à la gouvernance de l’Etat a rendu la
limitation des mandats présidentiels caduque ; puisque le Président Paul Biya en Baaba-baaba’en
est appelé à gouverner à vie. C’est donc dans la logique de césarisation du pouvoir, que le
Renouveau a pulvérisé, à l’occasion de la révision constitutionnelle d’avril 2008, le verrou
constitutionnel limitant les mandats présidentiels, introduit par la Constitution du 18 janvier
199654. Par conséquent, le mandat présidentiel étant illimité, les normes électorales favorables à la
déloyauté électorale, les institutions politico-économiques patrimonialisées, les populations
réduites en « simples sujets », le régime du Renouveau a victorieusement réussi à faire de l’Etat
du Cameroun une « véritable chefferie d’Etat » où « le Président gouverne et nul ne peut lui
contester de trancher en dernier ressort. Il a droit naturellement au prestige que lui confère le
commandement. Là où sont les responsabilités, là doivent être le pouvoir et les honneurs »55. Il est
donc sans conteste que le Président Paul Biya soit le Lamido de la chefferie d’Etat.

Ainsi, par sa longévité presqu’inégalée au pouvoir, le Président Paul Biya incarne l’Etat du
Cameroun aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur : d’où le référent journalistique « Le Cameroun
de Paul Biya ». Le référent « Le Cameroun de Paul Biya » témoigne de « la personnalisation du
pouvoir » résultant d’une « néo-patrimonialisation poussée » du pouvoir56. Par conséquent, il y a
une déclinaison ou plutôt une évanescence de la figure de l’opposition politique dans la logique
où « Deux coqs ne peuvent coexister dans la même basse-cour »57 ou « deux crocodiles ne
sauraient cohabiter dans un seul marigot » puisque, comme l’a dit un proverbe congolais, « Le
pouvoir se mange en entier »58. C’est dans ce sens qu’ayant la capacité de « manger presque seul

52
CONAC (G.), « Portrait du chef de l’Etat », Pouvoirs (Revue Française D'études Constitutionnelles Et Politiques),
n°25, 1983, pp. 121.
53
COQUERY-VIDROVITCH (C.), « A propos des racines historiques du pouvoir : « Chefferie » et « Tribalisme » »,
Pouvoirs (Revue Française D'études Constitutionnelles Et Politiques), ibid., p. 51.
54
OWONA NGUINI M.E) et MENTHONG (H-L.), «"Gouvernement perpétuel" et démocratisation janusienne au
Cameroun (1990-2018) », op.cit., p. 102.
55
CONAC (G.), « Portrait du chef de l’Etat », op.cit., pp. 122-123.
56
FOUCHER (V.), « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et reconstruction du pouvoir
personnel », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 129.
57
CONAC (G.), « Portrait du chef de l’Etat », op.cit., pp. 122-123.
58
FOUCHER (V.), « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et reconstruction du pouvoir
personnel », op.cit., pp. 129 &131.
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le pouvoir », le Président Paul Biya, en répondant à une question de journaliste à l’occasion de la


visite du Président François Hollande à Yaoundé en 2015, déclarait : « ne dure pas au pouvoir qui
veut mais qui peut »59. Cette déclaration s’inscrit également dans la logique de ce que Daniel Cahen
Bach a appelé le « néopatrimonialisme prédateur » pour faire référence au niveau culminant où
Page | 157
sont portés les processus de personnalisation du pouvoir et de centralisation des ressources
politiques favorables à la perpétuation du régime du Renouveau60.

Conclusion

Au final, la constitution et la consolidation du gouvernement du Renouveau national au


Cameroun est tributaire de la forte contribution des chefferies traditionnelles musulmanes du
Nord-Cameroun à la sultanisation du pluralisme démocratique dans les espaces locaux
indispensable à la pérennisation de ce gouvernement. Non seulement, les chefferies traditionnelles
musulmanes du Nord-Cameroun n’ont pas une culture démocratique de gestion du pouvoir mais
elles ont aussi participé à l’inscription du pluralisme démocratique dans un cadre pro-autoritaire
en considérant l’opposition politique non pas comme un adversaire politique avec lequel la
parlementarisation au sens éliasien du terme est possible mais comme un ennemi à asphyxier. Dans
l’esprit de la sultanisation du pluralisme démocratique, comme l’a souligné Maurice Duverger, le
régime du Renouveau n’a pas mis en marche une démocratie visant à « substituer la discussion à
la bataille, le dialogue aux fusils, les arguments aux coups de poing, le résultat des scrutins à la
supériorité des muscles ou des armes, la loi de la majorité à la loi du plus fort »61. Dans cette
situation, le Cameroun est resté un « désert de la démocratie », un « champ de ruines
démocratiques », un « musée de contemplation des valeurs démocratiques »62. Par conséquent, des
mécanismes démocratiques de dévolution du pouvoir étant inhibés, les ressources humaines et
économiques patrimonialisées et clientélisées, il y a moins de chance de voir une alternance
politique s’opérer sous le régime du Renouveau du vivant de son père géniteur (Paul Biya). Même
si, comme l’a noté Philip Braud, la plus-value de l’alternance dans un régime pluraliste aurait

59
EBOKO (F.) et AWONDO (P.), « Cameroun, l’État stationnaire », op.cit., p. 6.
60
Sur le « néopatrimonialisme prédateur », voir BACH (D.C.), «Patrimonialisme et néopatrimonialisme : lectures et
interprétations comparées », BACH (D.C.) et GAZIBO (M.) (dir.), L’État néopatrimonial : genèse et trajectoires
contemporaines, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2011, p. 45.
61
DUVERGER (M.), Science politique, Paris, Puf, 1968, p. 300, cité par Ngango Youmbi E.M., Balla Cissé, «
Chronique de trente-deux ans de coups d’État en Afrique (1990-2022) », Revue française de droit constitutionnel,
vol.1, n° 133, 2023, p. 32.
62
HOLO (T.), « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les Constitutions du renouveau démocratique dans
les États de l’espace francophone africain : régimes juridiques et systèmes politiques », RBSJA, 2006, n°16, p. 31, cité
par Ngango Youmbi E.M., Balla Cissé, ibid., pp.25-26.
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consisté à exercer « une influence constante sur la manière de diriger les affaires » puisque
« l’éventualité de retourner un jour dans l’opposition pouvait inciter les dirigeants de la majorité
en place à traiter correctement les adversaires politiques susceptibles de leur succéder »1.

Page | 158

1
BRAUD (P.), Le jardin des délices démocratiques, Paris, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,
1991, p. 41.
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Le rapport entre motos-taximen de la capitale économique Douala et le


pouvoir politique central au Cameroun
The relationship between motorcycle taxi drivers of the economic capital Douala and the central
political power in Cameroon Page | 159
Par :
Rolinx ketcha Tantchou
Doctorant en science politique
Laboratoire d’Études Politiques
Université de Douala
rolinxketcha@gmail.com

Résumé :

Très souvent, les déséquilibres sociopolitiques dus au rapport de force entre le pouvoir
central et l’opposition, contribuent à l’émergence de nouveautés, dans la vie quotidienne.
Lesquelles peuvent être phagocytées à des fins politiques. Parmi ces nouveautés, figure le
phénomène de motos-taximen, qui entretient de manière ambivalente, un rapport d’amour et de
haine politique, envers les garants de l’ordre républicain. Il s’illustre tel un élément d’acquisition
du gagne-pain des plus pauvres, mais aussi, comme un véritable gadget de défense, voire de
mobilisation pour ou contre le pouvoir politique central. Cette étude tente de prouver que, ce
rapport pourrait contribuer soit à la chute du régime camerounais, au biais d’une révolution des
conducteurs de motos si la haine a été déterminante, soit à son évidence de continuité, si le rapport
d’amour a dominé les arènes politiques.

Mots clés : Motos-taximen, moto, phénomène de motos-taximen, pouvoir politique central.

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Abstract:

Very often, socio-political imbalances due to the balance of power between the central
power and the opposition, contribute to the emergence of novelties in daily life. Which can be
phagocytized for political purposes. Among these innovations is the phenomenon of motorbikes- Page | 160
taximen, which maintains in an ambivalent way, a relationship of love and political hatred,
towards the guarantors of the republican order. It stands out as an element of acquiring the
livelihood of the poorest, but also as a real gadget of defense, even of mobilization for or against
the central political power. This study tries to prove that, this report could contribute either to the
fall of the Cameroonian regime, through a revolution of motorcycle drivers if hatred was decisive,
or to its evidence of continuity, if the relationship of love dominated the political arena.

Keywords: Motorcycle taxi drivers, motorbike, phenomenon of motos-taximen, central political


power.

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Introduction

Si la société occidentale, asiatique ou soviétique1 se révèle chacune, d’avoir une liturgie


particulière d’action sociale collective, ou de participation à la vie publique au moyen du rapport
entre le pouvoir central et le bas2, les pays dits non alignés, surtout ceux d’Afrique subsaharienne Page | 161
quant à eux, tendent à s’approprier, ou se développer un nouveau dispositif politique. Ce dispositif
se révèle être un instrument de survie primaire3, mais aussi, de survie politique. Lequel semble être
un élément inventif (supplémentaire), qui entre dans le registre des instruments liés à la pratique
de l’action collective4. Cet instrument, c’est la moto5 et son conducteur. Ils méritent une analyse
capable de faciliter la compréhension d’une sociologie de la domination des régimes sur de
nombreux groupes sociaux qui leur sont subordonnés6. Les propriétaires7 de motos (motos-
taximen) utilisent ces appareils8, pour en faire un moyen de transport urbain ou rural 9 (motos-
taxis). Ils ont ajouté à son importance vitale, le rôle de gadget à mobilisation et de mobilité, lors
des revendications de masses.

Avec ces bendskineurs10, le rôle principal de la moto s’est trouvé modifié en fonction des
conjonctures politiques, mais aussi, en fonction des mœurs11. Il s’agit d’un renouvellement dans
l’usage de gadgets, au service des répertoires d’action collective nouveaux. Étant entendu que, le

1
Védrine (H), Dictionnaire amoureux de la géopolitique, Paris, Plon Fayard, 2021, p. 419.
2
Bayart (J-F), Mbembe (A) et Toulabor (C), Le politique par le bas en Afrique noire : contribution à une
problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
3
Par « instrument de survie primaire », nous entendons les objets qui sont capables de donner à l’homme, des choses
qui peuvent l’aider à satisfaire ses besoins vitaux. Notamment sa nutrition, son logement, la santé, son épanouissement,
sa protection, y compris celle de sa famille entière. Au Cameroun, parmi les instruments de survie primaire, figure la
moto qui permet à l’homme d’assurer ses besoins vitaux.
4
Lire et relire Tilly (C), « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-
Bretagne », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, n° 4, 1984, pp. 89-108.
5
Il s’agit d’un engin à deux roues, fonctionnant à l’aide d’un moteur. Notons que, les motos utilisées au Cameroun,
sont pour la plupart, d’origine chinoise et indienne. Il s’agit des motos de marque Nanfang, Macat, Sanili, Senke, Bajaj
etc. Elles transitent de la Chine voire même de l’inde et le Nigéria, pour le port autonome de Douala. Une fois à cet
endroit, les motos sont acheminées vers les grandes boutiques, et sont commercialisées en fonction de leur qualité, la
performance ou la résistance. Les prix varient entre 570 000 FCFA, 500 000 FCFA, 450 000 FCFA, 350 000 etc. Il
est possible de trouver une moto d’occasion, au prix de 100 000 FCFA, 150 000, 90 000 FCFA, 70 000 FCFA etc.
6
Bayart (J-F), « Le politique par le bas en situation autoritaire », Esprit, vol. 6, n° 90, 1984, p. 142.
7
Tous les propriétaires de motos, ne sont pas forcément des motos-taximen. D’aucuns utilisent ces engins parfois à
titre personnel (lors des déplacements pour aller au travail, aller transporter certains de leurs objets lourds etc).
8
Tout au long de cette étude, l’on utilisera les mots « appareil » ou « engin » pour désigner les motos-taxis.
9
Le Cameroun, étant un pays sous-developpé, les motos-taxis y sont très utiles dans les métropoles tout comme en
campagne. Elles servent au transport des personnes et leurs biens. La moto est propice à la facilitation du transport de
marchandises provenant d’espaces ruraux. Ces ruralités ont des reliefs hostiles à l’usage de véhicules comme moyens
de transports.
10
Synonyme aux expressions : conducteurs de motos, motos-taximen.
11
Parlant de mœurs, au Cameroun, les motos-taxis sont utilisées pour une plus ample mobilisation pendant les
obsèques.
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concept de répertoire d’action collective chez Cécile Péchu, « désigne le stock limité de moyens
d’action à la disposition des groupes contestataires »12 or pour Charles Tilly, c’est « une série
limitée de routines qui sont apprises, partagées et exécutées à travers un processus de choix »13.
Dans le champ de motos-taxis, ce répertoire en tant que stock de moyen ne consiste à la
Page | 162
réappropriation des usages de l’appareil à deux roues appelé « moto ». Étant au secours des survies
primaires au Cameroun, la moto et les motos-taximen s’illustrent comme des instruments de
rebéllion, de révolte populaire et de revendication d’intérêt général contre le gouvernement. C’est
tout d’abord, d’excellents outils de fraternité, de brassage, de légitimation14 et d’amour envers les
institutions. Sauf que par la suite, a émergé un style d’expression motorisée15 des plus faibles, et
la pratique par eux, du rapport de force envers le pouvoir politique central. Une ingénierie frontale
phagocytée et reconstruite par l’opposition, pour la conquête et l’exercice du pouvoir.

Né du vieux secteur de « transport », les motos-taximen ont tendance à s’imposer dans


l’arène publique en évitant de se limiter au simple gagne-pain. Des années 1990 aux années 1996,
ce secteur est officiellement né des troubles de l’opposition ou régénéré par elle, pour en faire un
instrument de défiance des autorités publiques. Selon Amougou Mbarga Alphonse, « regroupé
autour d’une coalition […] les partis politiques de l’opposition vont organiser des actes de
désobéissance civile […]. Les motos des particuliers […] commencent à devenir un moyen de
transport payant »16. Même s’il relativise que ce moyen de transport était nouveau à Douala, mais
existait déjà au Nord, à l’Est-Cameroun17 etc. Réellement, le principe de phagocytose des motos-
taximen (par l’opposition, la société civile, les groupes de pression) a trouvé sa raison d’être dans
les rapports de haine entre les agents de ce secteur et les autorités publiques (maires, sous-préfets,
préfets, gouverneurs, ministres, président de la République18). Tel que le révèle Yves Bertrand
Djouda au sujet du rapport des bendskineurs avec le régime Biya dans son article intitulé « Les
jeunes benskineurs au Cameroun […] et violence de l’État », « pendant plus de trois décennies,

12
Péchu (C), « Répertoire d’action », Dans Fillieule (O), Mathieu (L), Péchu (C) (dir.), Dictionnaire des mouvements
sociaux, Paris, P.F.N.S.P, 2009, pp. 553-554.
13
Tilly (C), cité par Péchu (C), op. cit., pp. 553-554.
14
Lagroye (J), « La légitimation », dans Grawitz (M) et Leca (J), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985.
15
Par expression motorisée, nous entendons cette nouvelle manière des motos-taximen, à utiliser le Klaxon de leurs
motos, pour faire du bruit lors des mobilisations, revendications, mouvements de rébellion.
16
Amougou Mbarga (A-B), « Le phénomène des motos-taxis dans la ville de Douala : crise de l’État, identité et
régulation sociale. Une approche par les cultural studies », Anthropologie et Société, vol. 34, n° 1, 2010, p. 57.
17
Amougou Mbarga, op. cit., p. 57.
18
2008 est le point culminant du rapport de force entre les motos-taximen, les agents d’autres secteurs, la société
civile, et l’opposition. Presque tous étaient dans la rue, contre l’État et le président de la République au sujet du prix
lié au carburent.
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ces patriarches et gérontocrates politiques ont entrepris une criminalisation de l’État pour en faire
une démocratie ‘‘ manducante’’ »19.

C’est à partir de l’observation de la puissance à caractère socio-politique des motos-taximen


et l’expérience tirée du rapport de force des émeutes de février 2008, que le pouvoir politique Page | 163
central aurait tiré des leçons jusqu’à s’être lancé dans l’entrepreneuriat d’appropriation de ce
secteur. Son charme politique réside au sein de cette magie particulière, à produire de l’écho. À ce
niveau, les entrepreneurs politiques du parti-État ont senti la nécessite de se lancer dans les
manœuvres de réveil du rapport d’amour entre les motos-taximen et le pouvoir politique central.
Le secteur de motos-taxis a fait ses preuves en tant qu’arme politique, capable de contribuer à
l’évidence de continuité du régime. Si dès ses origines, il révèle un schisme ou rapport de haine
envers l’État, le Léviathan camerounais n’a en aucun cas, nié de remporter le défi de sa
réappropriation, au biais des techniques de séduction, notamment, la professionnalisation dudit
secteur. L’impératif de création du rapport d’amour était donc une nécessité pour le prince et ses
collaborateurs.

Ainsi, l’ambivalent rapport (désaffection [haine] et affection [amour]) entre les motos-
taximen et l’État, est un fait au sein de la capitale économique qu’est Douala. Partant de ces
considérations il conviendrait de définir le rapport comme étant une relation, bref les interactions
régulières qu’entretiennent les motos-taximen avec le pouvoir central. Le domaine de motos-taxis
n’est pas très loin des transports urbains artisanaux, renseigne Joseph Keutcheu. « Les motos-
taximen se définissent en tant que groupe à la fois ‘‘ marginal ’’ et essentiel dans les rapports
sociaux de la ville de Douala »20 énonce Alphonse Amougou Mbarga. Il s’agit « d’un secteur du
transport urbain artisanal »21 clarifie Keutcheu. Partant de là, avec le constat de quelques
imprécisions, définir le concept de motos-taximen revient à faire des éclairages sur ce qui peut, de
notre point de vue, créer des confusions.

Pour commencer, motos-taximen, moto, et phénomène de moto-taximen sont distinguables.


Au Cameroun, moto-taximan renvoie à l’individu qui fait de la moto à titre de transporteur de
passagers au quotidien, dans le but de satisfaire ses besoins de survie, y compris ceux de sa famille.

19
Djouda Feudjio (Y-B), « Les jeunes bendskineurs au Cameroun : entre stratégie de survie et violence de l’État »,
Autrepart, vol. 3, n° 71, 2014, pp. 97-117.
20
Amougou Mbarga (A-B), op. cit., p. 72.
21
Keutcheu (J), « Le ‘‘fléau des motos-taxis’’. Comment se fabrique un problème public au Cameroun », Cahiers
d’Études Africaines, vol. LV (3), n° 219, 2015, p. 523.
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De ce fait, il exerce là, une profession qui reste en l’état du bénévolat. Même s’il tend à sortir de
l’informel ou encore de l’artisanat, note est d’établir que, le terme « bendskineur » est synonyme
de moto-taximan. C’est-à-dire une personne qui utilise de la moto à deux roues, munie d’un
moteur, comme moyen de transport-payant. C’est en cela que, son exercice en tant qu’activité
Page | 164
quotidienne l’a rendu tel un phénomène, raison pour laquelle, on parle de phénomène de motos-
taximen. Par moto, il faut entendre ici, l’appareil, l’engin ; celui qui a cette particularité d’avoir
la caractéristique d’un amas d’alluminium et d’acier ordonné et constitué de deux roues, un moteur
(généralement), une épaisseur moyenne, distincte de celles ayant une épaisseur petite (scooters,
motocyclette etc.) ou une épaisseur grande (moto-cross, moto dite de GP22 etc). Au Cameroun et
particulièrement à Douala, sont les plus utilisées, des motos23 de marque Sanili, Bajaj, Nanfang,
Lifang, Senke, TVS, BLi, Macat et bien d’autres24. Le phénomène de motos-taxis quant à lui,
regroupe une panoplie de facteurs, d’évènements, d’actions, d’acteurs voire d’instruments. Il s’agit
de tous ce qui englobe l’émergence et la continuité de l’activité motorisée à titre de profession
« bénévolante »25, encore informelle, insaisissable ou passoire entre les mains de l’État. L’on
considère le pouvoir politique central comme renvoyant à l’État, ses démembrements, ou même
au prince.

Dès lors, la question centrale est celle de savoir : comment se présente le rapport entre les
motos-taximen de la capitale économique-Douala et le pouvoir central ? Une telle opportunité
analytique, au moyen du constructivisme, du systémisme, du marxisme et de l’interactionnisme
stratégique permettra de rendre empiriquement compte de ce phénomène. Les enquêtes
documentaires et de terrains pourront faire prévaloir la scientificité de l’objet présent. C’est dans
ce vaste champ que, le rapport de haine, puisqu’il a participé à l’émergences des motos-taximen
(I), mérite d’être étudié et analysé, suivi du rapport d’amour (II) qui, de son côté, porte l’empreinte
des lenteurs de l’État, dans ses tentatives de réappropriation dudit secteur.

22
Celle utilisée dans les compétitions du grand prix moto.
23
Dans les années 1999-2003, l’on utilisait beaucoup les motos appelées « chien noir ». Il y avait aussi, des motos de
marque Yamaha.
24
Ce sont là, un échantillon des types de motos les plus usités par des individus exerçant à titre de profession
bénévolante, le « métier de moto-taximan ».
25
L’on utilise cette expression, pour désigner une activité qui se fait sous le modèle de la débrouille.
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I- LE RAPPORT DE HAINE

L’indice de haine reste prédominant dans le rapport entre motos-taximen et l’ordre établi,
au sein de la capitale économique. Il est perceptible dans le rigoureux rapport d’opposition envers
le pouvoir politique central (A), lequel tend à emprunter le chemin de la révolution (B). Page | 165

A- Le fait d’opposition

Dans la ville de Douala, l’opposition a presque toujours influencé efficacement les riverains.
ceci pouvant s’expliquer par sa méthode particulière, d’invention des nuisibilités. Réellement, elle
a une approche d’appropriation de tous phénomènes nouveaux, pouvant être propices à la nuisance
des garants de l’ordre politique. C’est le cas avec le phénomène de motos-taximen qui émerge vers
les années 1990 dans un bain de haine où, l’opposition fait violemment face au pouvoir central du
Cameroun ; et « les chauffeurs de taxis […] entrent en grève »26. De cette période de haine entre
opposants et pouvoir central, s’est métamorphosée une pratique à Douala. Il s’agit du fait
d’interdiction de circulation des véhicules27. Lequel aurait facilité l’usage de la moto, laissant dès
lors prospérer et fluidifier la communication indispensable à la collaboration des stratégies
frontales. Lesdites stratégies étaient susceptibles de faciliter l’entrepreneuriat de villes mortes.

Une fois ce trouble de 1990 rangé dans les placards de l’histoire politique et institutionnelle
du Cameroun, le fait de se déplacer à moto en portant un inconnu s’est inscrit dans la logique de
rentabilité, donc du gain, et par ricochet, le gagne-pain. Au moyen de l’instinct de lutte pour
l’amélioration des conditions sociales, les villes mortes ont en effet pervers, officialisé
l’émergence d’un secteur de survie. Plus que l’État, le secteur évoqué a donné aux couches
défavorisées, un moyen de débrouillardise autonome qu’est le phénomène de motos-taxis. Fred
Jérémie Medou Ngoa enseigne que « l’activité de moto-taximan est [ …] devenue un ultime
recours. Si les parents réussissent à acheter une moto à leur fils, il s’y engage. […] lorsque le tiers
de la population vit de petits métiers, les gens n’attendent que les brèches pour se mobiliser »28.
Cette réalité possède comme déterminant, le fait que l’État a été incapable de répondre
favorablement aux doléances en termes d’amélioration des conditions de vie qui ont
précédemment fait objet de rébellion. Surtout que, c’est aux braises de tensions et haines, que les

26
Ngayap (P-F), L’opposition au Cameroun. Les années de braise, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 11.
27
Lire Amougou Mbarga (A-B), op. cit., p. 57.
28
Medou Ngoa (F-J), 2022, « Appréhender l’État en crise de régulation du désordre urbain à l’aune des problématiques
de sécurité humaine et d’atteintes aux biens : cas de la capitale économique camerounaise », Revue Africaniste Inter-
Disciplinaire-RAID, n° 26, p. 55.
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motos-taxis doivent leurs existences en tant que secteur d’activité à l’auto-rémunération29. Comme
le rappelle Djouda Feudjio, « ‘‘les villes mortes’’, accompagnées de violences ouvertes et
sanglantes vont paralyser l’économie nationale »30.

Au Cameroun, ce secteur est né de la violence politique. Raison pour laquelle, d’après les Page | 166
motos-taximen, il serait inacceptable d’abandonner son conrtrôle global, dans les mains du
gouvernement. « Si on demandait à Paul Biya de nous donner du travail il allait le faire ? À ses
débuts le travail de moto-taximan était un travail honteux pour le gouvernement. Dans les écoles,
on enseignait aux enfants de ne pas finir comme bendskineurs. Si on demandait à Paul Biya de
nous acheter la moto qui pourra nous faire déjeuner chaque matin il pouvait le faire pendant cette
époque ? Je ne pense pas ! Pour l’État, faire de la moto n’était pas un travail. Comme nous nous
sommes battus jusqu’à nous imposer au sein de la société, aujourd’hui, le gouvernement veut nous
contrôler. Il ne pourra pas nous contrôler totalement ! »31 rapporte un interviewé. Ainsi, dans les
années 1993-1994, le secteur de motos-taxis s’est réellement autonomisé. Comme le témoigne un
autre conducteur, « on était devenus autonome vers 1993 jusqu’en 2007 parce que les villes mortes
étaient terminées et les opposants avaient pris leur chemin. Nous n’obéissions maintenant qu’à
nous-mêmes, profiter de notre conduite pour trouver à manger […], plus de politique ! »32.

En profondeur, il s’y est déroulé dans le passé, une tentative de refoulement de cette activité,
par les autorités publiques. Ceux-ci désiraient privilégier un secteur de transport plus esthétique,
sain et décent, conformément à l’idéal de modernité. « Je fais partir des rares personnes ayant
commencé à conduire la moto à Douala […]. Nous avons eu d’énormes difficultés pour nous
imposer dans ce domaine. Les autorités publiques avaient l’air de privilégier les taximen33 plus
que nous, qui n’avons que des motos. Parcequ’ils semblaient faire la publicité des transports
confortables […]. Jusqu’à présent, la non circulation des motos-taxis à Bonanjo est une preuve,
une trace de ces anciennes ambitions de l’État. Aujourd’hui c’est eux qui demandent qu’on paie
l’impôt ? D’ailleurs je ne l’ai jamais fait qu’ils viennent m’arrêter. Je roule uniquement dans la

29
En effet, la plupart des motos-taximen ont un engin qui leur appartient. Avec cette moto, ils exercent l’activité de
transport urbain ou rural. Il existe aussi certains d’entre eux, qui travaillent pour des particuliers ; ceux-ci sont
rémunérés en fonction de leurs ententes avec le ou les véritables propriétaires de motos.
30
Djouda Feudjio (Y-B), op. cit., pp. 97-117.
31
Entretien du 30 juin 2021 vers 15 heures 40 minutes, avec un bendskineur, au carrefour Entrée-Bille, dans
l’arrondissenent de Douala 3ème.
32
Entretien du 30 juin 2021, au carrefour Entrée-Bille, op. cit.
33
Les taximen sont des individus utilisant de la « voiture » comme moyen de transport-payant. Ils sont différents des
bendskineurs qui utilisent de la « moto ».
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nuit »34. Ce propos emmène à comprendre que, la rancune fait partir des motivations de ces
chauffeurs de motos, à ressentir des haines pour l’ordre dirigeant.

C’est en 2008, avec les émeutes de la faim, et la flambée du prix du carburant, que les motos-
taximen ont repris le chemin des mobilisations violentes35. Dans cette perspective, l’opposition, Page | 167
ayant redétecté36 en eux une énergie en termes d’influence politique sur le terrain, s’est déployée
pour les phagocyter et les enrôler. L’opposant « Jean Michel Nintcheu avait mobilisé les motos-
taximen et une grande masse au lieu-dit rond-point Dakar, c’est pourquoi chaque année, depuis
2008, il y dépose une gerbe de fleur à cet endroit en hommage aux conducteurs et civils
décédés »37.

Depuis cette année précitée, l’opposition radicale n’a plus négligé ce secteur dans tous leurs
projets d’actions collectives à relents insurrectionnels. En fait, au sein de la capitale économique,
lorsqu’il y a projet de contestation et de protestation, c’est d’abord ce domaine d’activité qui est
ciblé par les porteurs de projets relatifs aux crises. Ceci s’explique par le fait
qu’anthropologiquement, le secteur de motos-taxis regorge dans la majorité de cas, par les
individus à l’âme rebelle. S’il est sociologiquement admis que les pauvres ont une tendance
contestataire38 plus accrue vis-à-vis des institutions républicaines par rapport aux riches, force est
de noter que, le secteur de motos-taxis est celui où s’émeuvent le plus, les individus ayant un mode
vie bénévole. C’est le lieu où on trouve aussi pour des raisons de survie, des individus ayant
affronté les pires atrocités de la vie. On y trouve aussi, des gens au profil de bandits, tueurs en
série, « tapeurs de sacs »39, etc.

Bref il s’agit d’un secteur très attractif pour les non scolarisés, les hors-la-loi et les individus
manifestant un certain mépris pour les institutions. Ce constat semble se légitimer par eux, dans
leur attitude à désigner l’État comme responsable du mal-être qu’ils vivent au quotidien. Certains

34
Propos du 22 mars 2021, tenus par un benskineur sous anonymat, rencontré au carrefour Kombi non loin du quartier
Elf.
35
Même les taximen, les vendeurs à la sauvette, mécaniciens ; bref la majorité des composantes sociologiques les plus
pauvres étaient dans la rue.
36
« Redétecté » signifie détecter à nouveau.
37
Entretien avec Edmond Kamguia en 2019, au sein de l’immeuble Équinoxe (situé au carrefour mobile
Bonakanwang-Akwa).
38
Winter (G), L’impatience des pauvres, Paris, PUF, 2002, p. 28.
39
Les tapeurs de sacs, sont des personnes au profil de voyous. Ils savent faire des cascades avec la moto. C’est des
individus dotés d’une haute capacité de manipulation des motos en déplacements. Ils oriente donc cet atout de la
maîtrise de l’engin à deux roues, afin d’arracher avec allure, les sacs de citoyens ordinaires, avec espoir d’y trouver
de l’argent indispensable à leur survie.
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parmi ces conducteurs, croient qu’une révolte de leur part, serait capable de changer l’avenir
sociale et politique du Cameroun. Or selon Winter, dans une perspective marxiste, « les intérêts
divergeants des puissants et des faibles ne sont pas équilibrés par une contestation démocratique
»40. Comme pour dire que, ce n’est pas forcément dans la protestation et le changement, que les
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couches défavorisées parviennent à une meilleure articulation d’un mode collectif de vie arc-en-
ciel. Le phénomène de motos-taxis est un secteur regorgeant de plus en plus des retraités, étudiants
et collégiens qui s’y lancent eux-aussi, à la recherche des moyens de subsistances.

Le secteur de motos est l’un des domaines civils au Cameroun, qui est en perpétuelles
échauffourées et challenges avec le pouvoir politique central et ses démembrements (police,
gendarmerie). De nombreuses tensions existent quotidiennement entre ce corps d’activité et la
police municipale ; sur la question des pièces officielles (impôt, carte grise, vignette, assurance).
Des confrontations y naissent parfois, suite au refus des conducteurs de motos-taxis, à s’acquitter
desdites pièces. En début d’année 2021 nous avons vécu des affrontements violents entre la police
municipale et les conducteurs de motos à Douala, au lieu dit SCDP41, non loin du marché Mboppi.
« Cet affrontement est dû au fait que, c’est le moment où la police municipale fait le contrôle de
l’impôt libératoire, la carte grise l’assurance et la vignette. Normalement, elle devait se
positionner à Mboppi pour effectuer ce contrôle. C’est à ce niveau qu’est située leur base. Mais
comme les bendskineurs ne les aiment pas, ils ne veulent payer les taxes et tomber en possession
de ces pièces officielles. Les motos-taximen au lieu de passer à Mboppi, préfèrent virer au niveau
de la SCDP. C’est pourquoi, les agents de la mairie ont compris ce système et sont donc montés
vérifier les pièces de chaque bendskineur au niveau de la SCDP. Chose qui a créé le conflit. Parce
que les conducteurs de motos demandent à ces agents municipaux de les attendre à Mboppi, et
non à la SCDP. Ceux qui le disent n’ont pas leurs pièces. C’est des rebelles ! Et c’est pourquoi la
police municipale confisque leurs motos, y compris les clés. D’où cette bagarre en pleine rue entre
les bendskineurs et la police municipale »42. On peut comprendre l’attitude d’un conducteur de
moto, qui s’interroge : « comment est-ce que des gens qui mangent là-bas à Yaoundé peuvent-ils
encore se permettre de manger dans nos poches ? Nous, qu’ils combattent au quotidien dans ce
qu’ils appellent ‘‘ cartes grises et impôts’’ ? Nous avons d’abord souffert pour être reconnus et

40
Winter (G), op. cit., pp. 63-64.
41
SCDP signifie Société Camerounaise des dépots pétroliers. Il s’agit du lieu habritants certaines réserves de pétrole
à Douala, situés entre le carrefour dit AGIP et le marché Mboppi.
42
Entretien du samedi 08 mai 2021, avec un conducteur de moto aux environs de 10 heures et 11 heures, dans l’une
des rues du carrefour de la SCDP.
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acceptés par eux, on meurt au soleil en travaillant pour qu’ils mangent ? Même quand nous payons
ces affaires-là, la mairie et l’État font quoi avec ? À certains endroits, il y a des creux au milieu
du goudron ! Ils mangent l’argent du pauvre contribuable »43 ! Cette personne parle en ignorant
qu’il y aurait, à Douala, des communes entièrement gérées par l’opposition. D’autres sont très mal
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entretenues par les maires desdites circonscriptions. Prenons à Titre d’exemple, la commune
d’arrondissement de Douala 3ème, qui a été gérée par le SDF44 à travers monsieur le maire Job
Théophile Kwapnang, et ses adjoints, notamment Monsieur Achille Azemba. Durant leur mandat
(2013-2020), le tronçon entre la zone industrielle et le petit tunnel de Logbaba regorgeait des creux
non bitumés au milieu des routes, surtout en face de la société Biopharma. Mais, curieusement, à
20 mètres, au niveau du lieu « dit Forestière », la police municipale positionnées par ces derniers,
ne cessait de stopper les motos-taximen pour le paiement des impôts45. Au Cameroun, à l’heure
actuelle, la majorité des communes d’arrondissements de la capitale économique qui sont les plus
mieux entretenues semblent celles gérées par les maires issus du parti RDPC 46. Notons à titre
d’exemple, la commune de Douala 5ème de feu madame le maire Françoise Foning, la commune
de Douala 2ème de madame le maire Dénise Fampou Tchaptchet. Sauf qu’avec le temps, les
bendskineurs se sont constitués en véritables gladiateurs de défense des intérêts du bas47.

B- Les velléités de révolution

Le phénomène de motos-taxis semble prendre les allures d’un secteur de révolution. Avec
pour argument, la défense des intérêts du peuple. En effet, dans un pays où le parti dominant a su
phagocyter les opposants, s’en approprier certains d’entre eux, jusqu’à détenir une main mise dans
le fonctionnement d’autres partis politiques ( à l’exemple de ceux regroupés sous l’appellation de
G2048 notamment l’UPC49, le PADDEC50 etc), les motos-taxis semblent encore les seuls derrière
qui, même l’opposition radicale et la société civile trouvent refuge, pour espérer faire la révolution

43
Op. cit.
44
Signifie Social Democratic Front.
45
Même l’achèvement de la construction du marché Ndogpassi n’a pas encore été effectué par ces derniers, depuis
leur mandature.
46
Signifie Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais.
47
Par « le bas », il faut entendre le peuple, bref les citoyens lambda.
48
Au Cameroun, le G20 regroupe les partis politiques ayant soutenu le Président Paul Biya aux élections d’octobre
2018.
49
En effet, depuis 2018, il existe un conflit de leadership au sein de l’Union des Populations du Cameroun (UPC).
Tantôt, pour certains, c’est Pierre Baleguel Nkot jugé très proche de l’opposition, qui en est le sécrétaire général de
cette formation politique. Tandis que, pour d’autres, c’est Bapoh Lipot, jugé proche du parti au pouvoir RDPC, qui en
est le leader principal, et reconnu par le ministère de l’administration territorial comme le véritable secrétaire général.
50
PADDEC signifie Patriotes Démocrates pour le Développement du Cameroun. C’est un parti politique dont le leader
est monsieur Jean De Dieu Momo actuel ministre délégué au ministère de la justice.
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et le changement au Cameroun. Lors de la campagne présidentielle d’octobre 2018, le candidat


Maurice Kamto du parti MRC51, était l’un des rares opposants, à mobiliser massivement les
motos-taximen dans l’optique d’une propagande massive. Apparemment, plus que le parti RDPC,
monsieur Kamto a fortement mobilisé ce secteur comme instrument d’activation de son électorat
Page | 170
au sein de la région du Littoral.

Pour arriver dans son lieu de meeting à Douala, notamment au collège Saint Michel,
l’opposant Kamto a été escorté massivement, par les motos-taximen de Douala, tel un indice de sa
légitimation par les bas d’en bas. L’on peut dire que, le meeting de ce dernier a été fait à 30 %, par
son capital politique que constitue les motos-taximen. Et cela s’est fait non seulement dans la
capitale économique Douala, mais aussi, dans toute la région du Littoral. On peut comprendre
pourquoi, les chiffres officiels publiés par Elecam52 attestent que, Maurice Kamto est sorti
deuxième avec un pourcentage total de 14, 23 % de voix, à la suite du Président Paul Biya qui en
a eu 71, 28 %. Et que, dans ces 14, 23 % de voix, au Littoral, le candidat du MRC était en tête
avec 38, 60 % de voix dont 33, 05 % (département du Moungo), 11, 31 % (département du Nkam),
5, 46 % (département de la Sanaga-Maritime), 46, 21 % (département du Wouri). Tandis que, le
candidat du RDPC, monsieur Paul Biya, venait avec un pourcentage de 35, 75 % de voix dans
cette Région53 ; donc, en seconde position dans le Littoral, après Maurice Kamto. L’on peut alors
constater que, ce résultat était aussi en partie, l’œuvre des motos-taximen qui, en escortant le
candidat Maurice Kamto, ne cessaient d’hurler : « trop c’est trop, c’est le moment ! C’est le
moment ! Biya tu dois partir ! Tu nous as tué ! Même avec la moto tu ne nous laisse pas ? Tous les
jours le prix du carburent augmente ? Votez Kamto ! Votez Kamto ! Votez Kamto »54. Ce propos
illustre en partie, le rapport de haine qu’entretien les motos-taximen de la capitale économique-
Douala, envers le régime Biya. Tant ces derniers ont porté avec flamboyance, le candidat du MRC,
monsieur Kamto Maurice ; même s’il est à mentionner que ces motos-taximen accompagnaient
aussi les représentants du candidat Paul Biya dans le Littoral. D’autant plus que, ces acteurs de
motos sont des individus rationnels qui se mobilisent souvent pour la recherche du gain lors des

51
Renvoie à Mouvement pour la Renaissance du Cameroun.
52
En effet, Elecam signifie Elections Cameroon. C’est l’organe dit indépendant, en charge de gestion des élections au
sein de la République du Cameroun. Voir à ce propos, le quotidien Cameroon Tribune, n° 11707/7906 – 44e année
du mercredi, 24 octobre 2018, p. 1.
53
Cameroon Tribune, n° 11706/7905 – 44e année du mardi, 23 octobre 2018, p. 12.
54
Écoutes et constats faits par nous sur le terrain, notamment en date du samedi 22 septembre 2018, entre 12 heures
et 18 heures au collège Saint Michel. Nous y étions depuis 07 heures 30 minutes, pour des enqueêtes de terrains,
relatifs à ce meeting politique.
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meetings relatifs à tous les candidats confondus, et à l’issue desquelles, ils obtiennent des
rémunérations allant de 5 000 Francs CFA à 10 000 voire 15 000 par bendskineurs.

Dans la ville de Douala, très souvent, plus que la police, les motos-taximen sont appréciés
par les masses. D’autant plus qu’il existe extraordinairement, une alchimie dans le sentiment Page | 171
réciproque entre les conducteurs de motos, et la population à qui ces derniers rendent services.
Parfois, le déterminant de ce sentiment est l’incommensurable bouclier que, les motos-taximen ont
toujours fourni aux populations pendant les périodes de malheurs (crises sociopolitiques, levées
de corps etc). Dans le cas d’espèce, au sein d’autres régions du Cameroun, notamment ceux du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest, « partie […] des mouvements d’humeur ostensiblement annoncés,
la crise […] s’est très rapidement transformée en grève […] étaient impliqués […] des motos-
taximen »55. Ici, « l’exigence du retour au fédéralisme a mouvementé l’atmosphère
camerounaise »56.

Sous un point de vue empirique, c’est un secteur d’harmonie, et de démonstration de la


puissance civile. Quand la police est en confrontation avec les motos-taxis, les citoyens lambda
ont parfois tendance à se ranger du côté des seconds (bendskineurs). Quelquefois, on peut même
entendre la foule huer les policiers, y compris la police municipale pendant les challenges entre
bendskineurs et agents de l’ordre. « Il fut une année, c’était grave à Ndokotti. Un policier a
renversé les motos de deux bendskineurs : c’était du venez voir ! En quelques secondes, l’un d’eux
a donné une raclée au policier. Toute la foule de Ndokotti observait. La majorité des passants et
sauveteurs encourageaient cette initiative. Ils souhaitaient seulement que, ce policier soit jetté
dans la rigole. Mais, heureusement que, le renfort des agents de l’ordre est vite arrivé et c’était
chacun pour soi. Il y a eu des rafles ce jour »57.

Lorsqu’on observe les challenges de l’opposition et du pouvoir central, il s’apparente qu’au


moment où les opposants veulent impulser un chassement politique, leur première cible avec qui
ils souhaitent coaliser sur le terrain, ce sont les motos-taximen. Dans le psy du politicien
investisseur qui lance un mot d’ordre de rébellion, le moto-taximan58 est l’identité remarquable
des acteurs saillants de son projet. Pourquoi ? Parce qu’à Douala, plus que les garants du système

55
Datidjo (I), Les révoltes sociales au Cameroun : violence et antiviolence, Paris, L’Harmattan, 2022, p. 66.
56
Ketcha Tantchou (R), Crises et changements politiques au Cameroun : contribution à l’étude de la gestion de la
crise anglophone (2016-2019), Mémoire de master en science politique, Université de Douala, 2018, p. 45.
57
Entretien du mois de février 2022 avec un sauveteur (revendeur de T-shirt) au marché Ndokotti.
58
On dit moto-taximan au singulier et motos-taximen au pluriel. C’est une expression composée du francais (moto au
singulier voire motos au pluriel) ; et de l’anglais (taximan au singulier ou taximen au pluriel).
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politique (pouvoir central), les motos-taximen ont cet aura qui pousse les uns et autres à les
considérer abusivement, comme des « propriétaires de l’espace public » ; et se prennent comme
telle59.

Les motos-taximen haussent l’image des opposants. Quelquefois, il leurs offrent une sorte Page | 172
de cortège qui accroît les côtes de popularité d’un leader. « Après sa sortie de prison, suite aux
marches de septembre 2020, Maurice Kamto est allé à une émission qu’on appelle ‘‘la vérité en
face’’, sur la chaîne Équinoxe TV […]. Par la suite, dès qu’il est sorti de l’immeuble Équinoxe, il
a bénéficié gratuitement d’une escorte de la part des benskineurs allant du carrefour dit ‘‘mobile
Bonakanwang’’ jusqu’en dehors d’Akwa. À maintes reprises, après ses tournées à Doula, nous les
bendskineurs, on l’escorte jusqu’au pont de la Dibamba lorsqu’il veut rentrer chez lui à Santa
Barbara dans la ville de Yaoundé »60.

De mise, le domaine des motos-taxis est de plus en plus organisé, avec un ensemble de codes
et règles écrits ou non écrits. Il est maîtrisé par la majorité de ses usagers. Comme l’illustre un de
ces conducteurs, « les motos-taximen de Douala sont organisés en plusieurs groupes et en fonction
de leurs zones d’exercices. Ceux du groupe COMECI par exemple, sont bien organisés. COMECI
a des sous camps notamment COMECI 1, COMECI 2 etc »61. Un autre ajoute : « il existe d’autres
camp (groupes), notamment le camp MONKAM, le camp Ndogpassi, le camp Nkoulouloun, le
camp Mboppi […]. Je crois aussi que, chaque camp appartient à un syndicat. On a par exemple,
le Syndicat National des Conducteurs de Motos-Taxis du Cameroun (SYNACOMOTAC) dont le
bureau national est situé à Bilongue, avant le carrefour Combi, il existe aussi le RAPCEMOL62
etc »63.

Ces conducteurs ont à leur niveau, des spécialistes dans chaque domaine pour la nuisance
ou pour des contributions au service de l’intérêt général. Ici, les agents de nuisance sont ceux-là,
qui sont mobilisés, lorsqu’il y a un projet de haute tension sociale. Il s’agit pour la plupart
d’individus non scolarisés sous influence des drogues notamment (le tramol, la cocaïne, le
Mbanga64 etc). C’est-à-dire des gens exerçant entre autres, plusieurs activités illicites contre la

59
Il suffit de se promener en observateur dans la ville de Douala pour en faire le constat.
60
Entretien mené le 15 mai 2021 avec un bendskineur sous anonymat.
61
Entretien mené à Ndogpassi, le samedi 08 mai 2021, non loin de la centrale à gaz dite RODEO, dans la boutique
d’un certain Calixte.
62
Au sujet du RAPCEMOL, nous n’avons pas trouvé de plus amples informations.
63
Entretien mené le 19 mai 2021 à 19 heures 12 minutes avec un bendskineur exerçant entre Ndogpassi, Ndokotti,
forestière et carrière de terre.
64
Une herbe sèche considérée comme drogue locale.
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« sécurité nationale »65. On y trouve aussi des personnes scolarisées dont la plupart sont des
diplômés frustrés66 et qui ont choisi se rebeller face au régime. Certains bendskineurs sont les
opérateurs de la nuit, brigands, anciens prisonniers et criminels qui imposent physiquement de la
crainte. Parfois, ces individus portent le qualificatif de « canards »67. Proche des canards, il y a
Page | 173
ceux appelés « les gros blousons »68. Les canards sont en fait, des motos-taximen qui, réellement,
manifestent de l’effroi. Il s’agit d’un groupe dans lequel, la plupart est spécialisée dans le braquage
à motos. Ils sont parmi ceux que le langage familier taxe de « tapeurs de sacs » ou « fils du vent
motorisés »69. Ce sont des individus qui, à tout moment, savent qu’ils peuvent soit continuer de
vivre ou mourir. Ils sont caractérisés par une force, une ruse et un courage redoutable. « Lorsqu’il
y a un projet de violence et que ceux-là sont appelés, le pouvoir central peut être certains qu’il a
des efforts à fournir. Parce que, comme leur qualification l’indique, le canard, ça ne réfléchit pas
et ça ne rit pas »70 !

Au Cameroun, les motos-taximen sont un corps civil et presqu’encore informel, qui


constitue une sorte d’armée pour la société civile. Autrefois, ils étaient souvent animés par cette
logique consistant à prendre un litige qui, dans la rue, oppose un civil lambda avec un quelconque
agent de maintien de l’ordre. Ils avaient su gagner la confiance des masses, dans leurs attitudes à
parfois, délivrer en groupe, un civil en proie de subir une bavure policière. Par ces schèmes
d’actions, le phénomène de moto-taxi a pu gagner sa légitimité et sa reconnaissance par les masses.

De fait, très souvent, la population (celle descendue dans la rue) combat à leur côté. Compte
tenu de cette situation, l’on peut déduire que, si une frange du peuple a ce penchant vis-à-vis des
motos-taximen en qui, dorénavant elle tend à croire plus qu’à l’opposition, il est bien possible que,
le pouvoir central dispose d’un nouveau challengeur par qui la menace de révolution semble
vouloir être réalisée au Cameroun : il s’agit des motos-taximen. Si l’État continue de traîner ses
capacités à domestiquer ce secteur, il reste possible que, les motos-taxis pourront être aptes à jouer

65
Sur les drogues et la sécurité nationale, lire Fonseca (G), « Économie de la drogue : taille, caractéristiques et impact
économique », Revue Tiers Monde, vol. 33, n° 131, 1992, p. 489.
66
Certains diplômés, ayant des licences, master sont frustrés. Ils imputent la raison de leur chômage au président de
la République, raison pour laquelle, disent-ils, la moto fait partir des seules alternatives de survie.
67
Ils ont d’autres sous appellations, qui sont considérées comme des codes au sein dudit secteur.
68
Nous renseigne à suffisance, un bendskineur rencontré vers Yassa, non loin du pont de la Dibamba, presque sur la
route de la nationale n° 3 au Cameroun.
69
Leurs appellations divergent parfois en fonction de l’individu qui effectue leur description. Mais la quqlification la
plus populaire est celui de « tapeurs de sacs ».
70
Entretien mené vers 16 heures, le 10 mai 2021 à Deido, non loin du lieu-dit rue de la joie, près du snack bar appelé
« Glamour ».
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le rôle de contrepoids. Car, ceux-là constituent un corps civil à l’intérieur duquel, une partie semble
être sournoisement armée. Cette partie est constituée des bandits de grands chemins ayant en leurs
possession des armes à feu, utiles pour les braquages71, donc pouvant servir en cas de révolution.

Il est vrai que le rapport de haine est perceptible ; toutefois, les conducteurs de motos-taxis Page | 174
entretiennent un solide lien avec les gouvernants. Chose qui remet en doute les haines précédentes.
Car les bendskineurs coopèrent, collaborent et militent régulièrement pour le pouvoir central, d’où
le rapport d’amour.

II-LE RAPPORT D’AMOUR

La disponibilité des bendskineurs pour une coopération avec le pouvoir central (A), est une
preuve d’amour que ces derniers ont vis-à-vis des institutions étatiques. Il en est de même avec
leurs soutiens multiples, qui ne cessent de légitimer le parti-État RDPC (B).

A- Coopération

Les motos taximen entretiennent avec le pouvoir politique central, un rapport d’amour qui
s’illustre par la coopération. La coopération est entendue ici, comme étant le fait pour les motos-
taximen et les gouvernants, d’entretenir des relations convivialesn (sociales, économiques,
politiques et professionnelles) qui sont bénéfiques pour la paix et le vivre ensemble. Elle rime aussi
avec la recherche du gain politique des deux camps. Si le gouvernement coopère pour l’assurance
de son évidence de continuité72, le contrôle efficace du secteur des motos-taxis et ou la stabilité de
l’ordre politique, les bendskineurs quant à eux, sont à la recherche de leur reconnaissance comme
domaine professionnel. Il sont nombreux de ces conducteurs, qui coopèrent avec l’État, pour avoir
accès à la notoriété, au prestiges politique.

Parfois, le gouvernement semble victorieux dans ses multiples essais d’appropriation desdits
conducteurs. Après de nombreuses tentatives et échecs, liés à l’interdiction de circulation des

71
Qu’elle soit artisanale ou industrielle. Les émeutes de février 2008 en témoigne à grande pompe, de la nature armée
d’une fine partie de ce secteur, qui aurait même déjà, dans le cafouillage sociopolitique, effectué un challenge avec
l’armée Républicaine. Sauf qu’elle s’est trouvée neutralisée. Si certains bandits ou mercenaires très mal intentionnés,
se camouflaient en essayant de se faire confondre à la société civile, et aux bendskineurs, note est de faire comprendre
que, tous les motos-taximen ne sont pas violents. Il s’agit d’une ruse usitée par certains. Ils semblaient se comporter
comme des motos-taximen et pourtant, possédait peut-être un profil parfois secret, qui échappait à la connaissance du
pouvoir politique central, pendant les émeutes de février 2008. On dirait que des mercenaires se faisaient confrondre
aux bendskineurs.
72
Bigombe Logo (P) et Menthong (H-L), « Crise de légitimité et évidence de continuité », in Courade Georges et
Sindjoun Luc (dir.), Le Cameroun dans l’entre-deux, Paris, Karthala, 1996, pp. 15-23.
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motos-taximen au sein de bon nombre d’artères73 de la capitale économique, le gouvernement s’est


trouvé dans l’obligation de viabiliser ce secteur d’activité. Lui qui, paradoxalement, s’est révélé à
sa manière, d’être d’utilité publique pour les citoyens, jusqu’à être un excellent outil de
rentabilisation des actions politiques. Le secteur de motos-taxis génère un revenu non négligeable
Page | 175
dans les caisses de l’État. Il joue un rôle non négligeable dans le PIB74 et participe de manière
artisanale, à la croissance économique.

Le pouvoir central a été fasciné par les effets de réalités qui en résultent du phénomène de
motos-taxis. À ce stade, il a donc paru difficile ou suicidaire pour l’État, de nier l’importance de
cet instrument qui possède une forte énergie dans presque tout processus de légitimation des élites
au Cameroun. Contemporainement, ce secteur contribue à la sacralité d’un évènement, voire à la
sacralisation d’un leader. Lorsqu’un investisseur politique est soutenu en triomphe par les motos-
taximen, celui-ci peut voir son charisme se renforcer. Il en est de même pour sa popularité. Et c’est
là où, la machinerie gouvernementale et le parti-État (RDPC) n’ont pas été dupes. Ils ont compris
que, « la légitimation des représentants est d’abord une affaire de nationaux avant d’être investie
par la ‘‘communauté internationale’’ »75. Ceux-ci ont resserré des liens de coopération et de
collaboration avec les bendskineurs. De là, s’est construit l’idée d’officialisation, de coopération
et de légitimation de ces faiseurs de motos, par l’État lui-même. Une étape ayant créé un sentiment
d’amour entre motos-taximen et le gouvernement. À l’occurrence, pendant la campagne
présidentielle d’octobre 2018, surtout dans la capitale politique-Yaoundé, les motos-taximen ont
soutenu le candidat M. Biya Paul du RDPC. Ainsi, en fin septembre 2018, dans le département du
Mfoundi, au sein de la région du Centre, « c’est pour le président de la République Paul Biya […]
que les motos-taximen de Yaoundé roulent »76. Certains d’entre eux, ont effectué des marches de
soutiens à un meeting organisé le jeudi, 27 septembre 2018 à Yaoundé, avec le ministre de
l’administration territoriale, monsieur Paul Atanga Nji. Il s’agit des résultats d’une coopération
fructueuse entre les motos-taximen et l’ordre politique central. Un travail bilatéral impulsé
stratégiquement par l’État, aux fins d’un contrôle politique, économique, sécuritaire et stratégique
dudit secteur. On peut donc faire le constat, d’un gouvernement qui marche main dans la main

73
Dans la zone developpée de Bonanjo, au sein de la capitale économique-Douala par exemple, il est très difficile, de
trouver les motos-taxis en circulation. Là-bas, il est fort probable d’y trouver soit les véhicules-taxis, soit des voitures
personnelles.
74
Signifie Produit Intérieur Brut.
75
Medou Ngoa (F-J), « Citoyenneté nationale, mentalité transnationale et repli identitaire à l’ère de la mondialisation :
la souveraineté en crise ? », Pluralis Scientia, n° 002, 2022, p. 378.
76
Cameroon Tribune, n° 11689 / 7888 – 44e année du vendredi, 28 septembre 2018, p. 2.
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avec les motos-taxis, et se trouve soutenu voire légitimé par ces derniers. Comme l’attestait
certains bendskineurs, « le président de la République est le seul qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il
dit. Les détracteurs l’ont traité de tous les noms alors que c’est lui qui nous garde en paix. Chers
camarades, le 07 octobre, nous devons donner un K.O à l’opposition »77. C’est dans cette lancée
Page | 176
que le président de l’association des bendskineurs du Cameroun, M. Mba Zoa Tsoungui,
concluait : « le chef de l’État nous a sorti de l’informel. L’impôt libératoire a été divisé par deux.
Nous appelons tous les motos-taximen à plébisciter le candidat Paul Biya à 100 %. Nous disons
non à la division, non à la guerre dans notre pays. Les mauvais esprits ne passeront pas par
nous »78.

De fait, il n’est pas prohibé aux investisseurs politiques, d’enrôler des benskineurs, pour le
compte de leur propagande. Et c’est probablement ce qu’aurait fait le parti-État RDPC, dans un
pays en crise du militantisme. Comme l’atteste le politologue Ramses Tsana Nguegang, « la crise
du militantisme et les conditions modernes de la communication politique amènent les partis
politiques à recourir de plus en plus à des intermédiaires pour la diffusion du matériel de
propagande, la mobilisation des électeurs et l’organisation des grandes manifestations. Dans le
cas camerounais, le personnel intérimaire est constitué des conducteurs de motos-taxis […] »79.

L’ordre politique détenu par la droite camerounaise (RDPC), a semblé phagocyter les
leaders de motos-taxis, en facilitant l’accession à la tête dudit secteur, des individus plus ou moins
dociles, capables d’agir au bénéfice du prince. D’ailleurs en page une (01) du quotidien Cameroon
Tribune n° 11689 / 7888 du vendredi, 28 septembre 2018, on peut voir une image, où les sauveteurs
et surtout les motos-taximen tiennent unanimement, une banderole sur laquelle est écrite : « Les
Motos-Taximen votent Paul Biya. Assurance Tout Risque. VICTOIRE ASSURÉE À 100 %. Le
COUP K.O À L’OPPOSITION » ; (voir ci-dessous, l’image de la première page dudit journal).

77
Cameroon Tribune, n° 11689 / 7888, op. cit., p. 2.
78
Op. cit.
79
Tsana Nguegang (R), « Campagnes électorales, partis politiques et personnel politique intérimaire au Cameroun :
entre échange conjoncturel et clientélisme », Politique Et Sociétés, vol. 38, n° 2, 2019, p. 139.
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Titre : Yaoundé : 40 000 jeunes et femmes derrière Paul Biya. Source : Photo prise par nous, du présent journal Cameroon Tribune, que nous
avons consulté et photocopié à la bibliothèque de l’Université de Douala (au mois d’octobre 2018) ; puis, filmé en date du jeudi 21 mai 2023,
avec un smartphone de marque Itel A56 Pro.

Inutile de se leurrer sur le fait que le Président était soutenu par tous les motos-taximen,
d’autant plus que, c’est aussi un secteur d’opportunistes dont le gain instantané justifie parfois
leurs itinéraires. C’est des gens qui, bien qu’ayant un soutien temporel, n’hésitent souvent, à
manifester leur sympathie pour le pouvoir en place. Sauf qu’avec une forte vigilance, il est possible
de voir un moto-taximan qui soutient le camp au pouvoir à 14 heures, et retrouver le même
conducteur, soutenir un candidat de l’opposition quelques minutes après. Ce genre d’action se
justifie par la politique du ventre, qui détermine l’action des politiciens d’Afrique noir. Lesquels
sont en parfaite harmonie avec les attentes des gens du bas, catégorie dans laquelle se trouvent bon
nombre de bendskineurs pratiquant eux aussi, la « politique du ventre »80 à leur façon. Trois
conducteurs de motos décrivent la psychologie politique de leurs collègues : « C’est des gars
malins. Tu les vois en périodes électorale, ils soutiennent un candidat du parti au pouvoir le matin,
et le soir tu les vois soutenir un opposants politique. En réalité, c’est des gens qui ont une forte
influence. Mais, le fait de soutenir un candidat par eux, ne garantit pas qu’ils sont avec celui-là,

80
Lire Bayart (J-F), L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 90.
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ou qu’ils voteront en sa faveur. Ces bendskineurs cherchent de l’argent de tous les côtés. Ce qui
fait que, la campagne électorale est un moment décisif pour leur pointage en argent. Les hommes
politiques distribuent souvent dix mille Francs CFA, voire cinq mille Francs CFA à chaque
conducteur, après une escorte ou à la suite d’un meeting politique. La majorité d’entre eux sont
Page | 178
indemnisés par la suite. C’est vrai, il y a des suiveurs qui y participent sans recevoir d’indemnité.
D’ailleurs qu’ils ne savent pas qu’au départ, il y a un deal avec les autres, ni même les modalités
d’un quelconque partage en argent, ni l’endroit où l’argent sera distribué. Un bendskineur peut
bien prendre ton argent, tes sacs de riz, mais, ne te vote pas ! Les plus responsables et conscients
votent. Tantôt, d’aucuns votent l’opposition, tantôt d’autres votent le parti au pouvoir. Je vais
même d’abord vous dire une chose : la majorité des bendskineurs n’ont pas de cartes d’électeurs.
Allez faire un sondage vous verrez. Ils sont nombreux qui font du bruit, assistent aux meetings et
qui n’ont ni carte nationale d’identité, ni de carte d’électeur »81.

La capitale économique du Cameroun (Douala) a presque toujours eu des tendances rebelles


par rapport à la capitale politique-Yaoundé. Si à Douala par exemple, les motos-taximen ont une
tendance plus rebelle à l’égard des institutions, il est à noter que, cela n’est pas toujours le cas dans
la capitale politique. Que ce soit à Douala ou à Yaoundé, le parti au pouvoir a quand même dompté
ce domaine d’activité. Sa réussite en termes de domptabilité a été beaucoup plus réussi à Yaoundé
(siège des institutions politiques), par rapport à Douala (capitale économique). Parlant de ces
conducteurs, certains parmi eux sont très civilisés. D’aucuns semblent conscient que, l’État est
présent pour assurer la sécurité de tous. Un bendskineur du tronçon Ndokotti-Carrefour Saint
Nicolas nous fait donc cette révélation : « moi je ne peux plus jamais manquer de respect aux
policiers. Ils m’ont sauvé la vie. Un jour, je roulais à toute vitesse. J’ai doublé un pick-up du 14ème
arrondissement. Chemin faisant, au niveau du carrefour bon blanc, j’ai effectué un accident grave.
Les policiers sont retournés et ils ont facilité mon transport dans le but qu’on me fasse des soins
sanitaires »82.

Les motos-taxis manifestent du respect et de la sympathie envers certains agents de l’ordre.


Ceci est vérifiable au regard des relations chaleureuses de l’ancien commissaire principal du 14ème
arrondissement de Douala (M. Mbianda Noumen Yves Franklin), vis-à-vis de ces derniers. En
2017, un groupe de motos-taxis est venu dans l’enceinte de ce commissariat, pour implorer le

81
Entretien du 15 mai 2023, vers 11 heures 06 minutes, au rond point Deido, avec cinq (05) bendskineurs anonymat
requis.
82
Entretien de 2023, avec un bendskineur, au carrefour Saint Nicolas.
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pardon du commissaire principal Mbianda. Ils y étaient dans l’objectif de récupération pacifique
de la moto d’un des leurs. Cet appareil avait été confisqué par monsieur le commissaire. Nous
avons écouté leur dialogue : « on est venu voir notre père pour, qu’il règle la situation de notre
frère qui est son fils »83. De fait, comme relatait le commissaire à ces derniers, « j’ai interpellé
Page | 179
votre collègue hier soir, puisqu’il était suspect […]. Je lui ai demandé de s’identifier, il a pris la
fuite en laissant sa moto […]. J’ai donc emmené cela au poste, en disant que même s’il fuit, il
viendra s’identifier »84. L’on peut aisément constater que, le récit en termes de « notre père »
émanant de ces deniers, est un indice de respect et d’amour stratégique envers les institutions.
Même si lesdits conducteurs ne voulaient que la moto d’un des leurs, ceux-ci se sont rabaissés
devant une autorité légale qui a par la suite, répondu favorablement à leurs attentes.

B- Soutiens et légitimation

En politique, lorsqu’un pouvoir central contribue à l’établissement de la vitalité de certains


domaines d’activités, il se trouve qu’en termes de rétroaction85, ledit secteur manifeste sa
reconnaissance. Cette reconnaissance s’illustre par des témoignages et soutiens qui légitiment les
garants de l’ordre. À Douala, le gouvernement s’est vu obtenir des soutiens grâce aux méthodes
d’accession à la reconnaissance. Notamment, l’assistance par les autorités publiques, aux motos-
taximen avec les distributions de motos, casques, parasols, choisubles etc. Avec l’encouragement
étatique et la production des pièces officielles octroyant le statut de « conducteurs professionnels »
aux bendskineurs, le pouvoir politique central, s’est vu être légitimé. Laquelle légitimation s’est
même, jusqu’ici, prouvée en termes d’allégeances des bendskineurs. Cette allégeance à partir de
laquelle, l’ordre politique reste encore le maître incontesté des arènes publics, tout en assurant la
stabilité de l’État et la sécurité de tous.

Au fond, les motos-taxis ont du penchant vis-à-vis des autorités. Certains manifestent une
grande sympathie pour le prince. Ils conseillent sur les clés qui peuvent cimenter leurs rapports
politiques conviviaux envers le président de la République. À la question posée par nous, à bon
nombre de bendskineurs parmi lesquels le plus identifiable rencontré à Ndogpassi, du nom de

83
Enquête de terrain fait en 2017 au lieu-dit carrefour 14ème, dans l’arrondissement de Douala 3ème. Il s’agit d’un
ensemble de conducteurs groupés, que nous avons suivi. Des curieux comme moi l’on aussi fait. Une fois arrivé au
14ème, nous avons écouté leurs échanges réciproques avec monsieur le commissaire.
84
C’est un entretien que nous avons écouté en direct entre le commissaire Principal du 14eme arrondissement de la
ville de Douala et certains motos-taximen (au nombre de 20 environ). Cet entretien a eu lieu en 2017 dans la cour
dudit commissariat. Ces bendskineurs sont arrivés de façon bruyante, avec des motos.
85
Dans ce contexte, rétroaction signifie « en retour », « en réponse à ».
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Kabila, une recette magistrale a été donnée par le bas, en destination du président de la République.
En tant que motos-taximen, qu’attendez-vous du Président Biya dans l’amélioration de votre
activité ? Kabila répond ce qui suit : « vous me voyez, je suis déjà vieux, je suis un partant. Qu’est-
ce que je peux encore attendre du président de la République si ce n’est pas la gratuité de mes
Page | 180
papiers, me permettant de circuler librement, vaquer à mon service et améliorer les conditions de
vie de mes petit-fils et arrières petit-fils »86 ? Il s’agit d’un secret de fond, prescrit par ce dernier
à l’État, aux fins de domestiquer efficacement le secteur de motos-taximen, civiliser ce domaine
utile pour un Cameroun en proie au sous-développement de ses voies de communications ; tant au
sein des espaces urbains que ruraux. Un autre interviewé conseille de « rendre gratuit, pendant
une certaine période, les papiers devant permettre à tous les motos-taximen, de travailler
librement […]. Une méthode que je tire de l’action entreprise souvent, par le Président de la
République Paul Biya, à rendre gratuit, pendant un certaine période bien définie, la fabrication
des cartes nationales d’identité à tous les citoyens »87.

Cette révélation sociologique semble convertir les plus radicaux. Mais, on dirait que ceux-
ci semblent vouloir travailler sans jamais payer les taxes. À Ndogpassi, un bendskineur radical
laisse entendre : « le président de la République vient faire quoi sur la moto ? Il a quel rapport
avec ma moto ? On vit mal […] la politique ne m’intéresse pas ! Si le président de la République
rend les papiers gratuits pour le compte des bendskineurs, c’est bien ! Tout le monde souhaite
qu’il améliore nos conditions […]. Voilà d’autres motos-taximen là-bas prenez même dix au
hasard, ils n’ont pas de papiers mais ont des bouches à nourrir »88. L’argumentaire bénévolement
formulé par celui-ci, rejoint les avis (précités) de ses collègues. Sauf que nous nous interrogeons
sur le fait que, si l’État ordonne la gratuité desdites pièces pendant un certain moment, qu’en sera-
t-il, des périodes où cette gratuité aura atteint son échéance ?

Le rapport d’amour qui se témoigne par les actes de soutiens et légitimations effectués au
profit du pouvoir central, passe via les individus ayant fait preuve d’honneur pour les bendskineurs.
En effet, il s’agit d’individus qui auraient, sans peut-être le savoir, contribué au suscitement du
rapport d’amour entre le pouvoir central et les conducteurs de motos. C’est des individus qui, de

86
Avis de monsieur Kabila, un conducteur de grande renommée, connu et exerçant le plus sur le parcours marché
Ndogpassi et carrefour du 14ème arrondissement. Il est âgé de la soixantaine. Nous l’avons rencontré en date du lundi
17 mai 2021 vers 11 heures 11. Sa moto était garée, tandis qu’il était en plein achat de ses médicaments au sein d’une
boutique du carrefour Saint Nicolas, près du Snack-Bar WhatsApp.
87
Propos d’un moto-taximan du pseudonyme de Logpom, exerçant dans presque tous les artères de la ville de Douala,
dit-il, « je vais partout où le client désire aller ».
88
Entretient du 17 mai 2021, avec un autre moto-taximan à Ndogpassi, non loin de la ‘‘Pharmacie Saint Nicolas’’.
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par leurs actes humanistes, se sont inscrits dans les consciences des couches sociales motorisées
de Douala. Le cas de l’homme connu sous l’appellation de « Amot » au sein de la capitale
économique, peut tenir lieu d’illustration. Voici le récit de près de huit (08) motos-taximen
interrogés en même temps avec la présence d’un policier (leur ami) au sujet de ce personnage :
Page | 181
« Amot ? Son véritable nom est Monsieur Ambela Ze Stanislas. Les bendskineurs l’aiment
parcequ’il fait bien son travail, il a aidé les motos-taximen ici à Douala. Même s’il frappe
intentionnellement un bendskineur, ce dernier ne peut riposter car nous tous, on sait ce qu’il a fait
pour nous. Amot n’est pas un policier de pure souche, il a commencé ici à Ndokotti comme un jeu
[…]. Auparavant, c’était un homme qui a surgit de nulle part et qui, un bon jour, par simplicité et
par exemplarité citoyenne, a commencé par diriger la circulation. Tantôt, pour certains, il est
passé par un concours et une formation normale pour être policier. C’est une personne qui s’est
fait remarquer par tous ! On ne lui payait pas pour ça ! C’est ainsi qu’il a été apprécié par les
autorités publiques. Un jour on l’a seulement appelé pour l’habiller en tenue de policier» 89. Près
d’eux, leur ami policier appelé « le niê »90 interjecte : « oui ! oui ! oui ! On l’a seulement appelé
pour l’habiller, il n’est pas passé par un concours de la police comme nous autres. C’est la rumeur
que nous entendons. Mais nous avons beaucoup d’admiration pour lui. Il a révolutionné en sa
manière, le style de gestion de la circulation à Douala. Grâce à lui, les gens respectent le corps
de la police. Lorsque tu travailles en équipe avec Amot à Ndokotti, tu peux être sûr qu’aucun
bendskineur ne peut te manquer de respect »91.

Le samedi 08 mai 2021, vers 21 heures, Amot a fait une scène ayant accentué sa légitimité.
Après un coup de bâton symbolique de sa part sur un bendskineur, on pouvait entendre la victime
s’exprimer : « Hé ! C’est vous chef ? Je croyais que c’était un autre policier […] mes excuses
chef » ! Après nos multiples interrogations face à cette réalité vécue, un bendskineur nous
transportant relate ce qui suit : « Amot est très aimé par les motos-taximen, y compris les plus
rebelles. Les bendskineurs que nous sommes, nous pouvons ne pas écouter le gouverneur, ni le
préfet ici à Douala, mais quand c’est Amot qui parle, nous tous on lui donne son respect ! Lorsqu’il

89
Entretien du samedi 08 mai 2021 à Ndogpassi, au quartier Saint Nicolas (lieu-dit ‘‘Chez Calixte’’). Cet interviewé
peut se tromper au sujet du profil de ce policier. Amot est peut-être un homme qui aurait effectué un cursus normal
pour être agent de l’ordre. Seul un entretien avec le concerné (monsieur Stanislas Ambela Ze), pourra faire jaillir la
vérité.
90
Signifie en langage familier, « le policier ». Au Cameroun, il est facile d’entendre les jeunes qualifier des agents de
maintien de l’ordre en termes de : « les niê ».
91
Op. cit. Nous émettons tout de même quelques réserves, sur le fait que monsieur ‘‘Amot’’ ait ou pas, effectué un
concours et une formation aux fins d’exercer la profession de policier. Nous prenons légèrement du recul, faute de
preuves concrètes à ce sujet.
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dirige la circulation et que des gens rangent mal leurs motos sur la route, lui il retire seulement
les clés ; il jette soit dans une rigole soit dans un bac à ordure. Amot n’est pas comme les autres
policiers qui prennent les cinq - cinq cent Francs CFA aux bendskineurs. Mais, si tu lui tend un
billet par reconnaissance pour son travail, il prend et te remercie en retour »92.
Page | 182
Dans ce registre, il existe des praticiens de la politique, ayant créé un rapport d’amour avec
les motos-taximen, puis, greffé ce rapport au pouvoir politique central et local. Ce sont des
entrepreneurs politiques qui aurait en partie, gagné une côte de popularité, à travers d’excellents
rapports entretenus avec les usagers de ce secteur. Quelques fois, ces conducteurs de motos se sont
révélés être un capital social et politique indubitable, pour assurer les voix d’un politicien
investisseur, au sein d’une circonscription électorale. L’exemple avec madame le maire de la
commune de Douala 5ème (Françoise Foning), n’est pas à négliger. En effet, madame Foning
Françoise avouait toujours, de prendre le Président Biya comme mentor. Par sa voix, le pouvoir
politique central entretenait un rapport de soutien mutuel avec les bendskineurs, surtout au sein
des quartiers ‘‘Bépanda’’ ou encore ‘‘Bonamoussadi’’. Un Benskineur nous a fait ce témoignage :
« c’est madame Foning qui aidait beaucoup de jeunes ici, dans les années 2010-2013. C’est elle
qui a lancé la majorité des motos-taximen de Bépanda à son époque. C’est pourquoi, il était
difficile que le RDPC perde les élections au sein de sa circonscription électoral qu’est Douala
5ème. Les motos-taximen de Bépanda l’ont aimé. Ils étaient même prêts à mourir pour elle ! Dans
la région du Littoral, elle était un grand poids politique à la faveur de Paul Biya, lui-même
connait ! À maintes reprises, madame Foning a bougé Douala en rassemblant des bendskineurs
pendant les meetings du parti RDPC au pouvoir. Bref la majorité des bendskineurs de Bépanda
travaillaient pour elle. Cette dame leur offrait des motos neuves. Parfois, elle n’attendait pas qu’on
lui verse la recette en retour. Ils sont nombreux qui ont reçu une moto de la part de madame
Foning, à titre de cadeau »93.

Conclusion

Si au Cameroun, le pouvoir politique central s’est illustré comme étant sous l’influence du
phénomène de motos-taxis qui est devenu un instrument de lutte politique et de délégitimation,
nécessité est d’établir que, ce secteur du bénévolat est ambigu vis-à-vis du gouvernement et des

92
Entretien du samedi 08 mai 2021 à 20 heures 56 minutes, au carrefour Ndokotti (sur la moto d’un benskineur).
93
Entretien avec un moto-taximan en 2020, rencontré en plein orage, lorsque nous nous abritions à la station-service
dite ‘‘Total Bépanda’’.
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autorités locales. Si les bendskineurs sont parfois tentés de se mobiliser pour le changement
politique et le renouvellement de la classe dirigeante, il n’en demeure pas moins que ces derniers
constituent paradoxalement, l’un des secteurs les plus engagés dans la survivance du régime actuel.
C’est un secteur à camp politique « incertain », qui, de plus en plus, tend tout de même à se dévoiler
Page | 183
comme un judicieux gadget de mobilisation. Il contribue de manière ambivalente, à la stabilité et
à l’instabilité de l’État, au travers du rapport de haine et d’amour entre conducteurs de motos-taxis
et gouvernement central. Étant entendu que la vie quotidienne au Cameroun est envenimée par la
dualité haine et amour entre les bendskineurs et l’ordre dirigeant, il est possible que, si l’État
continue de traîner à domestiquer le secteur de motos-taxis, lui en tant que Léviathan, peut se
heurter à des révolutions orchestrées par ces derniers. Si l’État a stratégiquement essayé de
phagocyter ses leaders, notons que, la parole d’un chef de motos-taximen en faveur du
gouvernement n’est pas toujours acceptée et partagée de tous. Les bendskineurs sont certes, une
catégorie sociale très unanime mais, avec quelques exceptions. Par constat, ils sont beaucoup plus
unanimes, lorsque les intérêts des gens du bas semblent être en jeu ; car eux-mêmes font partir de
ces individus, et sont représentatifs de cette frange de la population. Dès lors, au Cameroun,
notamment dans la capitale économique-Douala, le rapport amour et haine entre les motos-taximen
et le pouvoir politique central reste un conditionnant de l’avenir sociopolitique, voire
institutionnelle du pays.

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La démocratie occidentale et la non-prise en compte des pratiques


démocratiques africaines précoloniales
Western democracy and the failure to take into account pre-colonial african democratic
practices Page | 184
Par:
Junior Bodelesse NGNAMBE
Ph. D en science politique
Résumé:

La démocratie occidentale qui prend corps en Afrique tant pendant l’époque coloniale
qu’au début des années 1990, ignore totalement les valeurs politiques et culturelles des sociétés
africaines précoloniales qui fonctionnaient sur une base démocratique avec un accent mis sur des
valeurs comme le consensus, la justice sociale, les contre-pouvoirs et les libertés individuelles.
Les Occidentaux feront table rase de tout ceci pour le remplacer par leurs valeurs culturelles tout
en faisant croire que les Africains précoloniaux étaient barbares et étrangers aux notions de
liberté et de démocratie. C’est pour restituer la réalité des faits historiques que cette réflexion
trouve sa raison d’être. Elle se donne l’ambition de démontrer que les systèmes politiques africains
précoloniaux, du moins la plupart, avaient leurs valeurs que l’on pouvait qualifier de
démocratiques au regard de l’acceptation qu’elles dégageaient bien que n’étant pas perçues ainsi
par l’Occident.

Mots-clés : Démocratie, Démocratie occidentale, Démocratie africaine précoloniale, Contre-


pouvoir, Liberté, Consensus, Justice, Afrique.

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Abstract :

The Western democracy that took shape in Africa both during the colonial era and in the
early 1990s totally ignores the political and cultural values of pre-colonial African societies that
functioned on a democratic basis with an emphasis on values such as consensus, social justice, Page | 185
checks and balances and individual freedoms. Westerners will make a clean sweep of all this to
replace it with their cultural values while pretending that pre-colonial Africans were barbaric and
foreign to the notions of freedom and democracy. It is to restore the reality of historical facts that
this reflection finds its raison d’être. It sets itself the ambition of demonstrating that the pre-
colonial African political systems, at least most of them, had their values that could be described
as democratic with regard to the acceptance they gave off, although they were not perceived as
such by the West.

Keywords: Democracy, Western Democracy, Pre-colonial African Democracy, Counter-power,


Freedom, Consensus, Justice, Africa.

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Introduction

Bien de penseurs ont montré qu’avant la colonisation, l’Afrique1 à travers ses différentes
sociétés, connaissait un fonctionnement démocratique2. Léon SAUR fait sien la thèse de
LOKENGO ANTSHUKA, qui distingue dans l’Afrique noire précoloniale trois types de Page | 186
démocratie : la démocratie royale où « le chef n’est que l’exécutant chargé de proclamer et de
rendre public les volontés du collège des sages parfois contraires à la sienne » ; la démocratie
militaire où le chef ou le conseil des notables pouvait désigner un chef temporaire pour conduire
les opérations militaires en temps de guerre ; et enfin la démocratie républicaine où le pouvoir est
exercé sur une base collégiale et sans chef individualisé3. LOKENGO ANTSHUKA souligne avec
force la place de la palabre, c’est-à-dire du consensus dans la démocratie africaine
« traditionnelle »4.

S’inscrivant dans la même perspective, Biléou SAKPANE-GBATI, affirme que la plupart


des nations africaines avant la colonisation étaient constituées en royaumes dont l’organisation
n’était pas éloignée de celle de la monarchie parlementaire britannique. Aussi, il note que les
affaires de la cité se réglaient autour des « arbres à palabres », et que dans certaines de ces sociétés
comme au Nord du Togo, l’on procédait à l’élection du chef5.

Sans se démarquer des travaux ci-dessus, Brice Arsène MANKOU, reprend à son compte
les travaux de Mgr CUVELIER à propos du Royaume du Kongo qui souligne que « la royauté au
Kongo était élective avec une existence des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
L’on y retrouvait aussi une véritable justice au sens où « …personne ne pouvait être condamnée
sans avoir été préalablement jugée. Le plaignant comme l’accusé avaient l’habitude de choisir un

1
L’Afrique est un concept de définition difficile loin de l’illusion unitaire que son appellation peut laisser entrevoir.
« C’est un concept qui recouvre des réalités et des pratiques culturelles, politiques et économiques dont
l’uniformisation n’est pas évidente ». Voir L. SINDJOUN, Sociologie des relations internationales africaines,
Editions Karthala, 2002, p. 10. Néanmoins, le concept d’Afrique sera appréhendé dans le présent cadre dans sa
dimension culturelle. Il désignera davantage les pratiques culturelles du peuple noir, c’est-à-dire l’Afrique
subsaharienne que celles des autres. La raison est que c’est le peuple le plus nombreux et dont les pratiques culturelles
de ses différents groupes sont très proches pour ne pas dire avec de grands traits de ressemblance.
2
Bien que tous les systèmes et structures politiques précoloniaux n’étaient certes pas démocratiques. Voir E.
MBARGA, Les institutions politiques camerounaises, Ateliers graphiques du Cameroun, Yaoundé, 1974, p. 12.
3
L. SAUR, « Démocratie en Afrique subsaharienne : dépasser les certitudes occidentales », halshs-01508805, 2015,
p. 26.
4
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, consensus politique et gestion démocratique du pouvoir en Afrique, Louvain-
la-Neuve.Academia / L’Harmattan, 2015, pp.113-116, cité par L. SAUR, op.cit, p. 27.
5
BILEOU SAKPANE-GBATI, « La démocratie à l’africaine », in Ethique publique (en ligne), vol. 13, n°2, 2011.
Consulté le 19 janvier 2020.
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avocat, « Nzonzi » pour leur défense »6. La conception du pouvoir y était consensuelle et les
décisions étaient prises par l’ensemble des membres du royaume ou « Mbongui »7.

Nelson MANDELA quant à lui ne s’éloigne guère des thèses ci-dessus : « Alors notre
peuple vivait en paix, sous le gouvernement démocratique de ses rois …. Alors le pays était à Page | 187
nous, en notre nom et notre droit…. Tous les hommes étaient libres et égaux et c’était là le
fondement du gouvernement. Le Conseil des anciens était si totalement démocratique que tous
les membres de la tribu pouvaient participer à ses délibérations. Chef et sujet, guerrier et
guérisseur, tous prenaient part et s’efforçaient d’influencer les décisions »8. En fait, le concept de
démocratie9 est pris ici dans son sens large, c’est-à-dire « le gouvernement du peuple, par le peuple
et pour le peuple » pour reprendre la célèbre formule d’Abraham LINCOLN10. Il s’agit d’un
système de gouvernement qui repose sur la liberté et l’égalité des citoyens et qui garantit l’accès
du plus grand nombre, sinon de tous à la prise de décision. Malheureusement, ce type de
gouvernement largement ouvert qui caractérisait la plupart des sociétés africaines précoloniales
sera méconnu11 par le colon qui va imposer dans un premier temps, une gestion administrative
autoritaire12, laquelle cédera ensuite la place au système démocratique occidental13. Celui-ci

6
A. B. MANKOU, « La démocratie dans les sociétés plurales précoloniales en Afrique centrale : cas du Royaume du
Kongo Dia Ntotela et du Royaume Loango », in J. E. PONDI (dir), Citoyenneté et pouvoir politique en Afrique
centrale, op.cit., p. 30.
7
Ibid, p. 31.
8
N. MANDELA, Cité par G. AYITTEY, « La démocratique en Afrique précoloniale », in Afrique 2000, n° 2, juillet
1990, p. 39.
9
Que nous qualifions encore de démocratie africaine précoloniale.
10
Voir O. NAY (dir), Lexique de science politique. vie et institutions politiques, 3e édition, Dalloz, 2014, p. 143.
11
Pierre MUKULU NDUKU, nous dit aussi que la colonisation « … avait trouvé des sociétés autochtones, organisées,
structurées, certaines en véritables Etats, royaumes ou empires, avec des instructions, des principes et des normes de
nature constitutionnelle », voir B. MUKULU NDUKU, « De la démocratie libérale occidentale à une démocratie
sociale domestique en RDC », Kinshasa, Communication lors de la 13e assemblée générale du Codesria, Maroc 5-
9/12/2011
12
GONIDEC nous dit à ce sujet que « la destruction ou la neutralisation des systèmes politiques précoloniaux était la
condition nécessaire à l’affirmation du pouvoir colonial ». Voir, P-F. GONIDEC, Les systèmes politiques africains,
L.G.D.J., 1971, p. 55.
13
Robert DAHL propose une série de critères pour définir cette démocratie occidentale qu’il assimile à la
polyarchie :1) le contrôle des décisions du pouvoir exécutif appartient à des représentants élus, une disposition qui
bénéficie d’une garantie constitutionnelle ; 2) ces représentants procèdent d’élections libres conduites au suffrage
universel de façon régulière et fréquente ; 3) pratiquement tous les citoyens adultes peuvent être candidats à un poste
électif et ; 4) voter pour désigner leurs représentants ; 5) la liberté d’expression est reconnue ; 6) les citoyens ont droit
à une information diversifiée et ; 7) peuvent former des associations indépendantes du pouvoir. Voir, R. DAHL,
Dilemmas of pluralist democracy, New Haven CT, Yale University press, 1982, p. 11, cité par C. JAFFRELOT (dir),
Démocraties d’ailleurs, Karthala, 2000, p. 28. Au regard de cette définition, l’on remarque que, cette démocratie
occidentale bien que conservant des nombreux points de ressemblance avec celle pratiquée en Afrique précoloniale
diffère tout de même de cette dernière. Par exemple, dans démocratie africaine précoloniale, le détenteur du pouvoir
n’est pas toujours issu d’une élection et son pouvoir n’est point absolu. Les mécanismes électifs ont très peu de place
ici.
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s’implante d’abord à la fin de la colonisation et, ensuite, à partir du début des années 1990 après
une parenthèse autoritaire. À la suite de ce qui précède, cette interrogation se dégage : quelles sont
les valeurs démocratiques africaines précoloniales qui ont été ignorées par la démocratie
occidentale ? À la lumière de cette interrogation nous posons l’hypothèse suivante : les valeurs ou
Page | 188
pratiques démocratiques africaines précoloniales ignorées à l’introduction de la démocratie
occidentale sont entre autres le consensus, la justice, les contre-pouvoirs, la garantie des libertés
etc.Au regard de ceci, l’on peut dire que les sociétés africaines précolonialesprivilégiaient le
consensus comme mode de gestion sociétale (I) de même qu’elles faisaient de la résistance à la
tyrannie une lutte permanente ainsi que le témoignent les contre-pouvoirs et les libertés (II). Mais
ces efforts seront ignorés par les occidentaux lorsqu’ils imposent leur démocratie aux africains.

I- LA MÉCONNAISSANCE DU CONSENSUS AFRICAIN PRÉCOLONIAL

La plupart des sociétés africaines précoloniales étaient des sociétés de délibération. La


parole et l’écoute étaient privilégiées dans la gestion des affaires collectives. Tous les points de
vue étaient donc examinés voire même pris en compte. Ce qui faisait de ces sociétés des sociétés
de consensus (A). Le consensus était la marque de l’intégration de tous les éléments de la société.
Cette intégration passait aussi par une véritable justice (B).

A- La gestion consensuelle des sociétés africaines

Le consensus est l’une des caractéristiques importantes de la gestion des sociétés africaines
précoloniales. Il est la résultante de la palabre africaine nous dit DIANGITUKWA : « Elle (société
africaine) a mis en place l’institution de l’arbre à palabres qui est une recherche de consensus
pacifique issue d’un dialogue permanent avec toutes les parties prenantes à la gestion des affaires
publiques »14. Cette palabre africaine peut s’entendre comme ce « lieu traditionnel de
rassemblement à l’ombre duquel les citoyens s’expriment librement sur la vie en société, sur les
problèmes du village, sur la politique à mener et sur l’avenir »15. C’est donc la parole, au regard
de cette définition, qui caractérise la palabre dont le consensus est le produit. Elle est
particulièrement déterminante dans la recherche du consensus en Afrique. Elle est le vecteur du
dialogue social et constitue un moyen d’adoption des décisions importantes et un mode de

14
F. DIANGITUKWA, « La lointaine origine de la gouvernance en Afrique : l’arbre à palabres », in Revue
degouvernance, 2014, p. 3.
15
S. B. E. ALIANA, « (Re) penser la démocratie délibérative en Afrique à l’aune de la palabre africaine : une approche
philosophique par la théorie des capabilités »,in Afrique et Développement, vol.41, n° 2, 2016, p. 28
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résolution des conflits16. En Afrique souligne Anne-Cécile ROBERT, « Les membres d’une
communauté évoquent librement les questions qui concernent la vie commune »17. C’est alors par
la parole que les citoyens s’impliquent dans la gestion des affaires collectives.

Cette participation est inclusive, « sans distinction sociale ni de sexe ». « Tout le monde Page | 189
avait droit à la parole et était libre d’exprimer son point de vue »18. C’est ce que confirme Nelson
MANDELA lorsqu’il écrit : « Tous ceux qui voulaient parler le faisait. C’était la démocratie sous
la forme la plus pure. Il pouvait y avoir des différences hiérarchiques entre ceux qui parlaient,
mais chacun était écouté »19. L’enjeu de la libre parole était la recherche du consensus par l’écoute
de sorte que, tous les membres de la société se sentent inclus dans la prise de décision. C’est ainsi
que ALIANA nous dit que « le but initial de la palabre, c’est de parvenir à une solution concertée
sans pénaliser l’une ou l’autre partie, tout en préservant les relations sociales »20. C’est dire qu’en
Afrique, on ne pouvait concevoir de bonne gestion de la cité que celle qui repose sur les
mécanismes d’inclusion et d’intégration qu’on nomme consensus.

Ce consensus produit de l’unanimité devait contribuer à « solidifier et à unifier le groupe


par le fait même que toutes les opinions ont eu le temps de s’exprimer ». C’est ce que pense
l’anthropologue suisse Pierre PRADERVAND. Il note aussi qu’ « il n’y a jamais de vote dans la
tradition africaine, ce dernier impliquant en général une minorité qui se sent frustrée »21. En effet,
les Africains avaient compris le danger de l’élection, celui du triomphe d’une majorité sur une
minorité. Ce qui a pour conséquence immédiate l’exclusion de la minorité du processus
décisionnel, de la gestion des affaires communes. Cette minorité rejetée devait nourrir une certaine
frustration, ce qui ne constitue pas une bonne chose pour la coexistence pacifique du groupe. C’est
pour éviter les conséquences de l’exclusion comme celles ci-dessus évoquée, que le vote perçu
comme source de divisions et d’exclusion a été écarté de la gestion des affaires collectives dans la
plupart des sociétés africaines anciennes. Ainsi, l’Afrique traditionnelle ignorait les catégories de
‘’gagnants’’ et de ‘’perdants’’ qui structurent la démocratie occidentale. En Afrique tout le monde

16
Idem.
17
A-C. ROBERT, L’Afrique au secours de l’Occident, Paris, Éditions de l’Atelier, 2006, p. 156.
18
S. B. E. ALIANA, op.cit., p. 29.
19
N. MANDELA, Un long chemin vers la liberté, Paris, Fayard, 1995.
20
S. B. E, ALIANA, op.cit., p. 29.
21
Cité par V. HUBERT ; L. MFOUAKOUET, Culture du dialogue, identités et passage des frontières, Paris, Editions
des Archives contemporaines, 2011, p. 79.
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gagnait parce qu’il était écouté et les perdants n’existaient pas. C’est le consensus qui était
privilégié. C’était la condition de la paix sociale.

Ce fonctionnement sur la base consensuelle de la société africaine qui s’appuie sur la


parole et l’écoute, certains observateurs et analystes, à la fois africains et non africains, n’ont pas Page | 190
pu lui trouver une autre appellation que celle de démocratie. Ainsi LOKENGO ANTSHUKA
affirme que le consensus est le « fondement de la démocratie en Afrique »22. La qualité
démocratique du consensus se justifie surtout par le fait qu’il est le produit d’une longue
délibération marquée par la confrontation de nombreux points de vue : « la palabre dure aussi
longtemps que les parties ne sont pas convaincues par les arguments des autres ou ne parviennent
pas à persuader ceux-ci »23. Puisque l’objectif est que les divergences apparues pendant les
discussions s’effacent totalement une fois les décisions adoptées, l’accord obtenu. La liberté
d’expression  chère à la démocratie est alors capitale, vu que c’est à travers elle que les débats
ont tout leur sens, tant au moment de cette palabre que lors des délibérations du conseil royal ou
des conseils de village. Ainsi, les citoyens sont libres dans leurs expressions et leurs choix et rien
ne leur est imposé : « On se rallie à l’avis de l’ensemble, parce qu’on sait que cette voix est
l’expression de sa propre voix »24. À ce niveau, on n’est pas loin de la volonté générale chez
ROUSSEAU où chaque citoyen identifie la volonté de la sienne puisqu’il a participé à son
élaboration. LOKENGO ANTSHUKA peut alors conclure que le consensus « palabral » ou le
« consensus africain » est une unanimité consciente, motivée et réfléchie résultant d’un long
débat25.

En dépit de toutes les qualités démocratiques (liberté d’expression, confrontation des vues,
participation totale des individus à la prise de décision) du consensus africain, la démocratie
occidentale va tout de même l’ignorer. La seule raison est qu’il est contraire au principe majoritaire
qui fonde la démocratie en Occident. Nombreux sont les auteurs occidentaux qui ont tenté de
démontrer le caractère antidémocratique du consensus africain. COQUERY-VIDROVITCH
affirme à ce sujet que : « le consensus est un principe fondamentalement contraire à la
démocratie ». Elle s’explique en ces termes : « Le consensus, pratique africaine s’il en fut, est

22
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, Consensus politique et gestion démocratique du pouvoir en Afrique,
Louvain-la-Neuve : Académia, L’Harmattan, 2015, pp. 105-123.
23
L. SAUR, Démocratie en Afrique subsaharienne : dépasser les certitudes occidentales, op.cit., p. 26.
24
Idem.
25
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, op.cit., p. 114.
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l’adhésion collective et sans exception apparente de l’ensemble du groupe à une seule position,
voire à un seul homme, le chef. La démocratie est juste l’opposé : c’est l’acceptation individuelle,
librement consentie, de chacun des individus de se plier à l’avis de la majorité, et d’accepter de
s’y soumettre par une décision volontaire, consciente et personnelle »26.
Page | 191
Pourtant, ce système majoritaire occidental a quelque chose d’antidémocratique nous dit
FALL : « Pour les Africains, trempés dans la culture du dialogue et du consensus, c’est une moitié
qui exclut l’autre ; même dans les pays occidentaux aujourd’hui on se rend compte que, pour
démocratique qu’il soit dans la forme, le scrutin majoritaire a des conséquences
antidémocratiques par ce qu’exclusionniste »27. C’est précisément pour pallier aux effets de cette
exclusion que les associations se sont développées aux États-Unis. TOCQUEVILLE nous dit que
ces associations ont pour but de prévenir et de faire face à la tyrannie de la majorité28 dans la
société américaine. Cela signifie que le principe majoritaire constituait déjà un danger pour la
minorité aux États-Unis. C’est pour aussi participer au processus décisionnel et influencer les
décisions de la majorité que la minorité exclue a trouvé indispensable de se structurer en
associations. La prise en compte des revendications de cette minorité par les autorités politiques,
montre à suffisance les limites du principe majoritaire aux États-Unis.

Aujourd’hui, dans tous les pays occidentaux qui fonctionnent sur ce principe majoritaire,
l’on assiste à l’émergence de la société civile. Il s’agit d’une multitude d’organisations,
d’institutions et d’associations par lesquelles les minorités font pression sur la majorité au pouvoir.
Cette société civile s’exprime par les mouvements de rue qui sont de plus pris en compte et font
apparaitre que le modèle de la décision politique est en train d’évoluer et que la décision politique
ne résulte pas seulement de la volonté du sommet secondé par une structure étatique et
administrative bien organisée29. Cette évolution du modèle décisionnel que connaissent les
sociétés occidentales amène ALLIOT à se poser quelques questions : « L’Occident
s’africaniserait-il ? » Ou encore « N’y a-t-il pas dans tous les pays un problème de conciliation
entre la démocratie, telle que nous l’avons voulue en Occident et la démocratie naturelle, telle que
nous l’avons repéré en Afrique, avec ces groupes qui veulent être reconnus en tant que groupes et

26
C. COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire et historiographie du politique en Afrique. La nécessité d’une relecture
critique (À-propos de la démocratie) », in Politique africaine, n° 46, Juin 1992, p. 33.
27
I. FALL, « Esquisse d’une théorie de la transition : Du monopartisme au multipartisme en Afrique », op.cit., p. 51.
28
A. TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t.2, op.cit., p.103.
29
M. ALLIOT, « Démocratie et pluralisme », in G. CONAC (dir), l’Afrique en transition vers le pluralisme politique,
op.cit., pp. 121-123, p. 123.
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influencer la décision ? »30. Il y aurait alors de plus en plus en Occident et ailleurs une cohabitation
entre la démocratie majoritaire occidentale et la démocratie délibérative africaine ; et l’on recourt
à celle-ci pour répondre aux manquements de celle-là. Ainsi, l’on ne peut plus nier le caractère
démocratique de la palabre africaine puisque l’Occident a besoin d’elle, quoiqu’elle ne l’admette
Page | 192
pas comme telle : « Ce modèle d’élaboration de la décision dont on ne peut nier l’aspect
démocratique, même si les groupes sont souvent représentés par les plus anciens, a toujours été
déroutant pour les juristes occidentaux qui l’ont étudié »31.

Si les États occidentaux embrassent tardivement et difficilement le modèle africain de


délibération dans leur gestion étatique, ALLIOT nous dit que, ce mode de gestion est présent dans
les entreprises occidentales et japonaises depuis le début de la deuxième moitié du XIXe siècle : «
Le Japon a fait prendre conscience d’un autre modèle industriel dans lequel les industries les plus
performantes ne sont pas celles qui ont une structure parfaite. Les industries les plus performantes
sont celles qui utilisent au mieux la capacité novatrice de tous les hommes qui en font partie ». Il
ajoute que « Dans les industries et entreprises modernes, c’est la structure qui, d’une certaine
façon, s’adapte aux hommes, pour utiliser au mieux les capacités actives de l’ensemble des
hommes »32. Cette valorisation du consensus tant dans les États occidentaux que dans les grandes
entreprises industrielles montre que l’Occident peut aussi apprendre de l’Afrique en matière de
démocratie. L’Afrique est même tellement attachée à ce principe consensuel que c’est par lui, sous
l’appellation de Conférence nationale que certains pays comme le Bénin et bien d’autres ont
dessiné les contours du nouvel État démocratique. Les occidentaux ne se sont pas seulement limités
à ignorer le consensus africain, mais, ils se sont aussi comportés comme si l’Afrique n’a jamais
connu de véritable justice, en reléguant au second plan les institutions judiciaires africaines, quand
ils ne les ont pas simplement supprimées.

B- La garantie d’une justice véritable.

Il est frappant de constater que la plupart des travaux qui abordent la démocratie dans
l’Afrique noire précoloniale, préfèrent se limiter à la palabre, aux contre-pouvoirs et quelques fois
aux droits humains, en éludant la justice. Pourtant cette justice a été dans de nombreuses sociétés
africaines anciennes, un véritable élément de démocratie surtout au regard de son caractère libre,

30
Idem.
31
M. ALLIOT, « Démocratie et pluralisme », op.cit., p. 122.
32
Idem.
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indépendant et impartial. Pathé DIAGNE ne manque pas de le souligner : « Les juges sont
indépendants, ce sont des pairs. Ils arbitrent, peuvent être désavoués. Tout esclave, ou homme
libre mal jugé, peut en appeler à un tribunal de compétence plus élevée dans sa communauté ou
en dehors (esclave, Farba, Mada Sinig Sine). Le roi, seul, peut décider de la peine de mort. Le roi
Page | 193
est toujours un arbitre exerçant une justice d’arbitrage et non d’autorité »33. Quelques éléments
de cette citation méritent être analysés.

D’abord, l’indépendance des juges qui sont en plus des pairs. Cela signifie qu’ils ne
recevaient pas d’injonction du pouvoir royal ou cheffal, ou n’étaient pas influencés par celui-ci
dans l’exercice de leur fonction. Ils n’avaient que la loi et leur âme et conscience pour rendre la
justice. Et ils étaient tenus de la rendre honnêtement puisqu’ils pouvaient être désavoués en cas de
mauvais arbitrage.

Ensuite le droit de recours accordé à toute personne mal jugée de saisir un tribunal de
niveau élevé. Ceci devait amener les magistrats à bien juger au risque de voir leurs décisions être
remises en cause par l’instance judiciaire supérieure. De cette manière, c’est la protection des droits
du citoyen qui se trouve renforcée puisque deux juridictions d’ordres différents peuvent connaitre
son affaire.

Enfin la limitation de la peine de mort au seul roi. Prenant conscience de l’importance de


la peine de mort, il n’était pas sage et prudent que plusieurs autorités la prononcent. Ce qui justifie
que seul le roi était habilité à la prononcer. Même le pouvoir judiciaire du roi était contrecarré,
limité à une justice d’arbitrage et non d’autorité. La raison se trouverait certainement dans la
crainte des abus.

Ainsi, la justice était dans les sociétés africaines précoloniales, semblable à la justice
occidentale ou moderne. Même si dans certaines sociétés, le chef ou le roi détenait un pouvoir
judicaire ou était le chef du pouvoir judiciaire comme c’était le cas dans le royaume de Ghana 34,
dans les royaumes Moose ou dans les chefferies camerounaises.

Si le souverain chez les Moose était en même temps chef de l’exécutif et de la justice et
garant de l’ordre par le moyen de l’armée, ce qui rendait impossible la promotion des valeurs

33
P. DIAGNE, « De la démocratie traditionnelle : problème de définition », in Présence Africaine, n°97, 1976, pp.
18-42, p. 25.
34
CHEIKH ANTA DIOP, L’Afrique noire précoloniale, 2e édition, Paris, Présence Africaine, 1987, pp. 119-121.
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démocratiques, SOME note qu’il y existait une justice des parties. En ce sens que les membres de
l’aristocratie n’étaient pas jugés ou astreints aux mêmes pénalités que les roturiers35. Les amendes
et les pénalités de justice étaient fixées en tenant compte du statut ou de la condition sociale des
personnes qui comparaissaient. Cet état de chose devait avantager le pauvre et rendre la justice
Page | 194
plus juste et acceptable.

À propos des chefferies de l’Ouest du Cameroun, il est intéressant de relever que la fonction
judiciaire est la caractéristique première du chef : « Avant même d’être un chef politique et
religieux, le chef est avant tout un juge, un arbitre »36. C’est même par elle qu’on définit le chef
nous dit Fogui : « ‘’ Fo sa la’’, c’est-à-dire : le chef juge le village »37. Cependant, contrairement
aux décisions arbitraires des monarques en Occident et ailleurs, les décisions de justice des chefs
africains et en particulier des chefs de l’Ouest du Cameroun étaient des décisions largement
impartiales et qui satisfaisaient quasiment toutes les parties. Les actes judiciaires du chef ne
faisaient l’objet d’aucune contestation parce qu’emprunts de la sagesse du chef et de son conseil.
Les chefs africains, à l’opposé des monarques occidentaux, jouissaient d’une bonne réputation
auprès de leurs sujets du fait du caractère juste de leurs rendus judiciaires. Le chef africain était
apprécié par son peuple comme un chef intègre qui ne pratiquait aucune forme d’abus ou
d’injustice.

C’est certainement cette bonne réputation des chefs en matière judiciaire qui aurait favorisé
en Afrique Occidentale Française (AOF), leur maintien comme juges des tribunaux indigènes au
pénal, même si leur compétence était limitée à cinq jours d’emprisonnement et 15 F d’amende ;
ou encore comme juges de conciliation au civil38. Ce dernier cas est prévu à l’article 47 du décret
du 18 novembre 1903 qui réorganisa la justice en Afrique occidentale française : « En matière
civile et commerciale, le chef du village est investi des pouvoirs de conciliation pour le règlement
de tous les litiges dont il est saisi par les parties ». Nous pensons que si les jugements du chef
étaient toujours contestés, il serait difficile pour le colon français de le maintenir dans cette
fonction. Vu que ses actes de justice devaient constituer une menace pour la stabilité sociale.

35
M. SOME, « Etat, pouvoir et démocratie en Afrique de l’Ouest contemporaine : les héritages du passé », in A.
LOADA ; J. WHEATLEY, Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest, op.cit., pp. 53-81, p. 62.
36
J-P. FOGUI, L’intégration politique au Cameroun, op.cit., p. 165.
37
Idem
38
J-P. FOGUI, op.cit., p. 167.
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Si les occidentaux dans le cas de l’AOF, reconnaissent partiellement la justice africaine,


ailleurs, cette dernière est carrément ignorée au profit de la justice occidentale considérée comme
seul vrai système judiciaire devant exister dans les États modernes. Même si cette justice
occidentale apparait souvent inadaptée à certaines réalités culturelles africaines. Comme la justice,
Page | 195
les contre-pouvoirs de l’Afrique traditionnelle ont également été méconnus par les occidentaux à
l’introduction de l’État et de la démocratie occidentale.

II- LA RÉSISTANCE À LA TYRANNIE IGNORÉE.

Pour contrer la tyrannie du pouvoir royal ou cheffal, l’Afrique traditionnelle a développé


des mécanismes de régulation et de contrôle parmi lesquels les contre-pouvoirs fortement valorisés
(A). L’on y a aussi remarqué l’existence d’une véritable garantie des libertés (B) dont leur respect
permettait d’éloigner les abus. Toutes ces réalités seront ignorées par les Occidentaux lorsqu’ils
mettent en place leur démocratie en Afrique.

A- La place de choix des contre-pouvoirs

Nous entendons par contre-pouvoir « toutes les forces présentes dans la société ou dans le
champ politique, capables de freiner ou limiter le pouvoir des institutions de gouvernement, en
particulier le pouvoir de l’État »39. Les contre-pouvoirs occupaient une place importante dans la
gestion des sociétés africaines traditionnelles. Ici, c’est le pouvoir royal ou cheffal et son
gouvernement (qui tenaient lieu de l’État) que ces contre-pouvoirs visaient à limiter. Ces contre-
pouvoirs africains se déclinaient en un ensemble d’institutions et de pratiques que nous proposons
d’analyser quelques-unes dans le présent cadre.

Premièrement les conseils traditionnels. Le nombre de personnes qui composent ce conseil


varie d’un lieu à un autre, d’une société à une autre. Dans les institutions bamouns dans la région
de l’Ouest du Cameroun, on parle du « conseil des 7 » alors que toujours dans cette même région,
on parle plutôt du « conseil des 9 » dans les chefferies Bandjoun et Baham. Les membres de ces
conseils traditionnels sont les représentants de tous les groupes sectoriels qui composent la
société40. Cela signifie qu’ils ne sont pas désignés de façon hasardeuse. Leur titre est héréditaire,
se transmet de père en fils. Leur qualité de contre-pouvoir réside d’abord dans le fait qu’ils sont
des faiseurs de roi ou de chef (King’s makers). À la mort d’un chef, il leur revient la responsabilité

39
O. NAY (dir), Lexique de science politique, op.cit., p. 108.
40
M. ALETUM, Sociologie politique, op.cit., p. 220.
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d’introniser un nouveau chef. Si le chef défunt n’a pas désigné de successeur de son vivant, ce sont
encore ces membres du conseil qui se concerteront pour en designer un parmi ses fils41. En tant
que des personnes qui donnent le pouvoir au roi, ces notables conservent une certaine autorité sur
la personne qu’ils installent. Et nous savons aussi que c’est encore à eux que revient la
Page | 196
responsabilité de former le nouveau chef sur la manière de gouverner. Au cours de cette formation,
ils s’emploient à le façonner de sorte à rendre ses pensées et ses visions conformes à la volonté du
peuple et aux coutumes. C’est en sens que le conseil apparait comme un véritable contre-pouvoir
latent puisque les décisions futures du nouveau chef refléteront ce qu’il a reçu au cours de sa
formation.

Ensuite, la qualité de contre-pouvoir du conseil réside aussi dans sa fonction de contrôle.


Le chef ne peut décréter aucune mesure importance sans avoir au préalable requis l’approbation
des membres du conseil ; leur refus équivaut à un véritable veto, car ils sont censés pouvoir, mieux
que quiconque, interpréter la coutume42. En ce sens, ils constituent une véritable barrière aux
décisions arbitraires qu’un chef peut prendre.

Enfin l’autre aspect de contre-pouvoir des conseils traditionnels tient à la nature obligatoire
de leurs décisions consensuelles. En effet, en tant que représentants des groupes sectoriels, ils
cherchent à ce qu’aussi bien les intérêts généraux et sectoriels soient sauvegardés lors de leurs
délibérations. Lorsque les vues divergentes se soulèvent au cours de leurs délibérations, le temps
est généralement consacré à parlementer. Au cours de cet entretien, les consultations sont faites,
les avis recherchés, les réconciliations faites et le consensus général est toujours cherché dans leurs
délibérations. Par ce consensus, leurs décisions deviennent obligatoires pour tous les membres de
la société y compris le chef traditionnel43.

Deuxièmement, la Reine mère. Connue au Cameroun dans les chefferies du Nord-Ouest


sous l’appellation de « MAMFOR » et dans celles de l’Ouest sous l’appellation de « MAFO »,
l’institution de la reine est présentée comme un véritable contrepoids dans ces institutions
politiques traditionnelles. Dans plusieurs sociétés traditionnelles, la reine mère doit être la mère
biologique du chef ou sa sœur. Elle est présente dans le cadre du gouvernement traditionnel pas
seulement pour s’occuper des affaires des femmes, mais plus souvent pour être consultée en toute

41
J-P. FOGUI, op.cit., p.137.
42
Idem.
43
M. ALETUM, op.cit., p. 220.
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chose concernant la société traditionnelle excepté les affaires relatives aux organisations secrètes44.
En tant que mère biologique du chef ou sa sœur, la reine mère a un accès facile au chef avec qui
elle peut discuter d’un ensemble de questions variées, touchant à la vie du royaume et aux
problèmes des citoyens, et de ce fait, peut influencer la position du chef et ses décisions. Dans
Page | 197
cette perspective, CHILVER et KABERRY ont pu écrire que les fonctions politiques de la reine
mère dans le système traditionnel du gouvernement à Bafut, incluent le règlement des conflits
entre les femmes litigieuses et sa grande habileté à intercéder au nom des plaignants insatisfaits et
avoir leur cas revu et souvent elle peut être réputée à exercer son autorité sur les problèmes de
femmes45.

Troisièmement, la collégialité dans l’exercice du pouvoir ou dans la prise des décisions


collectives, constitue aussi un véritable contre-pouvoir dans les sociétés africaines traditionnelles.
Le premier cas (collégialité dans l’exercice du pouvoir) renvoie à ce que Léon SAUR appelle la
démocratie républicaine. Elle a été observée dans les sociétés dites acéphales, anarchiques,
anétatiques ou segmentaires, c’est-à-dire, les sociétés sans pouvoir organisé comme chez les Nkolé
du Congo ou chez les Igbo du Nigeria. Chez eux, le pouvoir était exercé sur une base collégiale et
sans chef individualisé avant la colonisation46. Ce mode d’exercice du pouvoir en l’absence d’un
véritable chef mettait ces sociétés à l’abri des abus et de l’absolutisme. Puisque la décision était
celle du groupe et non celle d’un individu. Le second cas (collégialité dans la prise des décisions
collectives) renvoie à la palabre africaine. Elle s’entend comme les assemblées où sont librement
débattues nombre de questions et où sont prises collégialement des décisions importantes
concernant la société. Il s’agit surtout de la recherche d’un consensus pacifique issu d’un dialogue
permanent avec toutes les parties prenantes à la gestion des affaires publiques47. En impliquant
tous les membres de la communauté dans la recherche des solutions consensuelles aux problèmes
communs, l’on aboutit à des décisions qui ne sont plus les décisions d’un seul fut-il le chef mais
à des décisions qui sont la volonté de tout le monde. De ce fait, aucune volonté d’un individu n’est
imposée, par conséquent, l’arbitraire et les abus se trouvent éloignés. La collégialité devient ainsi
un parfait contre-pouvoir.

44
Idem.
45
E.M. CHILVER ; P.M. KABERRY, Traditional Government in Bafut, West Cameroon, The Nigerian Field, 1963,
p.15.
46
L. SAUR, Démocratie en Afrique subsaharienne, op.cit., p. 25.
47
S. B. E. ALIANA, « (Re) penser la démocratie délibérative en Afrique… », op.cit., p. 28.
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Quatrièmement, l’existence de l’opposition. Étudiant la démocratie traditionnelle de


l’Afrique, Pathé DIAGNE a pu identifier l’opposition dans certaines sociétés. Elle pouvait être une
opposition de fait ou une opposition institutionnalisée48. L’opposition de fait est cette opposition
qui structure les familles d’opinion. Le leader de l’opposition s’exile en général. Pour le Kayor par
Page | 198
exemple, si l’opposant est un Gett (famille de Lat Dior), il va en exil au Salum à Njoop. Les mêmes
traditions d’exil d’opposants étaient rencontrées dans les relations entre États du Waalo et du
Brakna, du Futa et du Jolof, du Trarza etc., dans l’espace politique sénégalais.

L’opposition institutionnalisée est cette opposition qui a un statut reconnu dans la tradition
constitutionnelle. Ce fut le cas au Baguirmi où il y eut alternance de trois branches qui se
disputaient autrefois le pouvoir. C’était là un compromis et une manière de contrôler l’exercice du
pouvoir. À Fouta-Djallon, l’on a aussi assisté à l’alternance au pouvoir de 2 branches. Ceci sous
la suggestion d’El Haji Oumar, initié à la matière par la tradition nigéro-tchadienne. Chez les
Mossi, tout candidat, pour être élu, doit avoir un concurrent. Si personne ne se présente, on suscite
un opposant formel. Ainsi, l’opposition constituait un véritable contre-pouvoir dans la mesure où,
elle favorisait l’alternance et empêchait qu’une personne demeure éternellement au pouvoir et
briller par les actes d’abus.

Cinquièmement, le droit à la révolte ou à la grève civique, voire le déguerpissement dont


usaient parfois certains peuples pour se débarrasser de leurs dirigeants49. C’était un parfait contre-
pouvoir puisqu’il faisait du peuple le véritable souverain dont les désirs et les aspirations devaient
être pris en compte par les gouvernants. Ce droit dont dispose le peuple devait certainement
pousser les responsables politiques à travailler dans le sens de l’intérêt général par crainte d’être
déposés. Cela devait contribuer à limiter les actes arbitraires, les abus et les violations des droits
et libertés du peuple. Les dirigeants étaient du fait de ce droit tenus de garder les attitudes
responsables s’ils veulent conserver leur pouvoir. Tout ceci montre que ce droit à la révolte
constituait une véritable limite au pouvoir des dirigeants.

Ces mécanismes de contrepoids devaient contribuer à rendre le pouvoir modéré dans les
sociétés africaines précoloniales ; même s’il pouvait dans certains cas conserver des apparences
autoritaires. C’est ainsi l’exemple du roi des Bakuba (RDC). Ce roi était considéré comme un
monarque absolu alors que les décisions étaient prises à l’unanimité par les trois conseils qui

48
P. DIAGNE, « De la démocratie traditionnelle : problème de définition », op.cit., p. 32.
49
L. SAUR, op.cit., p. 26
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l’entouraient50. Dans l’empire Songhaï (Afrique de l’Ouest, XVe-XVIe siècles), le souverain avait
toutes les apparences d’un autocrate omnipotent puisque les sept cents eunuques qui se tenaient
derrière lui s’empressaient de conserver pieusement ses crachats, tandis que ceux qui se
présentaient à lui devaient se découvrir, se prosterner et se couvrir la tête de terre ou de farine.
Page | 199
Nonobstant, Claude-Hélène PERROT invite à ne pas confondre les attitudes à travers lesquelles
s’expriment le caractère sacré attribué à la royauté avec « la réalité du pouvoir et les limites qui
lui étaient assignées par le nécessaire consensus des sujets dans son exercice ordinaire »51.
Autrement dit, il s’agissait d’un pouvoir bien limité, c’est-à-dire modéré en dépit de ses habillages
autoritaires. Catherine COQUERY-VIDROVITCH souligne aussi le « pouvoir somme toute
modéré du chef précolonial (en tous les cas avant l’émergence des pouvoirs théocratiques du XIXe
siècle…). Le chef ancien avait souvent pour tâche de maintenir l’équilibre entre les différents
groupes sociaux qu’il régentait, plutôt que d’exercer une volonté personnelle »52. Toujours dans
la même perspective, « les Akan du Ghana considéraient que le pouvoir d’un dirigeant découlait
du peuple et était seulement délégué par celui-ci »53.

Tous ces exemples attestent à suffire le caractère véritablement modéré et non absolu du
pouvoir dans les sociétés africaines anciennes. Ce qui amène certains à admettre que « le modèle
du pouvoir absolu civil ou militaire  d’un certain nombre de dictateurs africains récents ou
actuels doit beaucoup plus à l’héritage colonial… »54. C’est ce que confirme BAYART lorsqu’il
écrit que : « la thématique du chef, qui constitue un dispositif majeur de l’autoritarisme
postcolonial, sur le mode présidentialiste, est elle aussi, pour l’essentiel, d’origine coloniale »55.
Il nous dit que dans de nombreux cas, la chefferie dite « traditionnelle » a été construite de toutes
pièces par le colonisateur, notamment dans le contexte des sociétés lignagères acéphales. Il nous
fait aussi remarquer que la chefferie sous le régime colonial, s’est illustrée par ses abus, soit parce
que, de tradition récente, elle ne disposait d’institutions délibératives qui auraient pu en limiter les
excès, soit parce que le soutien de l’administration a permis à ses détenteurs de s’autonomiser par
rapport aux notables qui les assistaient et les contrôlaient. Enfin, il nous dit que la plupart des
oripeaux et des symboliques de la chefferie  quelle qu’ait été son ancienneté réelle  sont des

50
Ibid., p. 25
51
C-H. PERROT, « Le contrôle du pouvoir royal dans les États Akan aux XVIIIe et XIXe siècles », in G. CONAC
(dir), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, op.cit., p. 153
52
C. COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire et historiographie du politique en Afrique… », op.cit., p. 35
53
P. QUANTIN, « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle », op.cit., p. 67.
54
C. COQUERY-VIDROVITCH, op.cit., p. 34.
55
J-F. BAYART, « La problématique de la démocratie en Afrique noire… », op.cit., p. 7
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« traditions inventées » lors de la colonisation, par exemple à partir du répertoire monarchique


victorien en Afrique anglophone ou de la problématique pastorale du « peuple troupeau », du
« peuple enfant » dans les pays de mission catholique56. À la suite de ceci, nous comprenons que
le chef autoritaire sans contre-pouvoir dans nos chefferies traditionnelles postcoloniales est la
Page | 200
résultante du travail colonial. Ces chefs du colon tranchent avec les chefs africains précoloniaux
qui étaient des dirigeants parfaitement modérés, contrôlés par toutes sortes de mécanismes de
limitation de leur pouvoir. Le colon ne s’est pas limité seulement à créer les chefs autoritaires, il
leur a aussi enseigné comme à bien d’autres africains qui travaillaient pour le compte de son
l’administration, des méthodes dictatoriales, brutales d’administration.

Ce mode d’administration coloniale n’a pas disparu avec la fin de la colonisation. Au


contraire, il va persister et déterminer fortement les méthodes de gouvernement des futurs
dirigeants africains. À ce sujet, BAYART nous dit que la thématique du « développement » et sa
mise en œuvre autoritaire par une bureaucratie qui prétend au monopole de la modernité est elle
aussi indissociable de la problématique pastorale du pouvoir. Elle est l’héritière directe du projet
autoritaire de la « mise en valeur coloniale » et du style de commandement de l’administration
européenne de l’époque. Les techniques coercitives de celle-ci ont largement été maintenues
(discours intimidateur, travail obligatoire sous l’appellation pompeuse de « l’investissement
humain », détention arbitraire, châtiments corporels)57. KIMBA Idrissa peut alors affirmer ceci :
« L’État colonial reste profondément marqué par une volonté d’hégémonie et par l’autoritarisme.
Le profil charismatique et totalitaire des dirigeants actuel est bien un héritage de l’administration
coloniale et non une tendance naturelle de la tradition africaine »58.
Ainsi, c’est de la colonisation que les dirigeants africains postcoloniaux et actuels tiennent
leurs techniques autoritaires de gouvernement. À l’instar de l’administration coloniale qui
fonctionnait sans contre-pouvoir, ces chefs d’État africains postcoloniaux et actuels ont aussi
travaillé à soumettre tous les contre-pouvoirs. Les parlements dans les pays africains sont depuis
les indépendances, considérés comme des chambres d’enregistrement des volontés des dirigeants
au pouvoir. Ils ne sont véritablement pas des contre-pouvoirs comme cela est le cas dans les
démocraties occidentales. Ils ne peuvent pas empêcher les dirigeants d’exercer les violences sur
les citoyens, de violer leurs droits et libertés, ou de prendre les décisions qui vont à l’encontre de

56
Ibid., pp. 7-8.
57
Ibid., p. 5
58
K. IDRISSA, « Politique et administration dans la colonie du Niger », op.cit., p. 284.
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l’intérêt du peuple. Ils n’ont à aucun moment de leur histoire constituer une barrière à un acte
autoritaire d’un dirigeant. Ils n’ont jamais limité le pouvoir d’un dirigeant politique africain. Au
contraire, c’était et c’est à travers eux que les dirigeants légitiment leurs actes et lois les plus
impopulaires.
Page | 201
Ces contre-pouvoirs et leur impact sur les pouvoirs africains contredisent les politistes qui
« ont longtemps considéré, qu’avant la colonisation, les États en Afrique étaient soumis à
l’arbitraire de rois ou de roitelets et que le meilleur terme apte à caractériser les régimes en place
était celui de « despotisme » »59.

Tous ces mécanismes de contrepoids ci-dessus qui ont contribué à modérer le pouvoir en
Afrique précoloniale, seront ignorés par l’Occident lors de l’implantation de l’État et de la
démocratie occidentale, comme l’ont aussi été les moyens de protection des libertés qui existaient
dans ce Continent à cette époque.

B- La garantie et la protection des libertés

La démocratie dans les sociétés africaines traditionnelles se caractérise aussi par la


garantie, l’expression et la protection des libertés. Certains royaumes se distinguent même par leur
charte constitutionnelle des libertés. Il s’agit par exemple de l’empire du Mali avec la charte
Kouroukan-Fouga60, solennellement proclamée le jour de l’intronisation de SOUNDIATA KEITA
comme empereur du Mali à la fin de l’année 1236. Encore appelée charte du Manden ou charte du
Mandé, la charte Kouroukan-Fouga prévoyait les droits et les libertés ci-après : le respect d’une
vie, la réparation des torts, l’esprit de famille et l’importance de l’éducation, la protection de la
patrie, le bannissement de la servitude et de la famine, le rejet de la guerre, la liberté d’agir et de
parler61. La garantie et la protection des droits et libertés fondamentaux de l’individu comme le
droit à la vie, la protection de la vie humaine ou encore la liberté d’expression, étaient donc une
réalité dans l’empire du Mali. Ceci est la preuve que l’Afrique n’a pas été toujours barbare comme
veulent nous le faire croire certains historiens occidentaux. Puisque l’Afrique traditionnelle

59
J-F. BAYART, L’État en Afrique, Fayard, 1989 ; cité par C-H. PERROT, « Le contrôle du pouvoir royal dans les
États Akan aux XVIIIe et XIXe siècles », op.cit., p.149.
60
Notons que cette charte n’était pas écrite car l’Afrique n’avait pas d’écriture à cette époque (1236). Son contenu fut
transmis de génération en génération à travers les Djely (Griots : caste des communicateurs traditionnels en Afrique
de l’Ouest essentiellement). Voir : https://txikan.jimdofree.comla-culture. Consulté le 26 avril 2021.
61
Voir : https://fr.m.wikipedia.org wiki Charte du Manden. Consulté le 26 avril 2021.
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regorge plusieurs sociétés où la promotion et la protection des libertés étaient incontestables à


l’instar de cet empire du Mali ou du Royaume du Kongo.

Décrivant ce royaume du Kongo dans son livre intitulé L’ancien Royaume Kongo,
l’existence de la Démocratie dans le royaume Kongo, Mgr CUVELIER souligne que : « la royauté Page | 202
en Kongo était élective, avec une existence des droits de l’homme et des libertés fondamentales »62.
Les citoyens de ce royaume avaient alors des droits et des libertés reconnus et dont l’expression
était garantie et ne pouvait être entravée par le pouvoir royal. À propos de cette expression, au
« Royaume du Kongo, personne ne pouvait être condamnée sans avoir été préalablement jugée.
Le plaignant, tout comme l’accusé, avait l’habitude de choisir un avocat, « Nzonzi », pour sa
défense »63. L’on remarque que dans ce royaume, les condamnations arbitraires n’existaient,
puisque toute personne devait être jugée avant toute condamnation. Les droits de l’accusé étaient
garantis et protégés, étant donné qu’il devait être entendu au cours d’un procès où il avait droit à
un avocat. Tout ceci faisait de ce royaume une véritable exception démocratique dans la partie
centrale de l’Afrique à cette époque.

Aussi, en Afrique de l’Ouest, l’on a rencontré plusieurs autres royaumes où les droits de
l’Homme étaient garantis de même que leur expression. Il pouvait même arriver qu’un chef, un roi
soit détrôné parce qu’il constitue une menace pour les libertés. Étudiant les sociétés traditionnelles
de l’Afrique de l’Ouest, Pathé DIAGNE écrit que ces sociétés se caractérisaient par « le principe
de respect du statut de l’individu » qui « apparaît dans la reconnaissance des droits précis à tout
être à l’intérieur de sa communauté. Droit d’émigrer, c’est un droit essentiel ; le droit d’agir en
justice. Mais l’expression va plus loin : on verra ainsi que tout homme touché sur son statut peut,
dans la tradition politique négro-africaine, agir contre toute décision ou autorité arbitraire (cf.
attitude du Serer devant l’autorité politique contestée ; le mmerante ashanti ; le détrônement du
roi injuste à Abomey ou à Ifé, dans le Yoruba, celui de Damel à Mboul, au Kayor) »64. Il ressort
de ceci que le respect des droits humains était une réalité dans nombre de sociétés en Afrique de
l’Ouest précoloniale. Les citoyens avaient le droit d’agir en justice, qui était un droit fondamental.
Surtout l’on remarque que les citoyens pouvaient contester toute décision ou toute autorité qui
constituerait une entrave à la jouissance de leurs droits. Cette contestation pouvait aller jusqu’au

62
B. A. MANKOU, « La démocratie dans les sociétés plurales précoloniales en Afrique centrale : le cas du Royaume
du Kongo Dia Ntotela et du Royaume Loango », op.cit., p. 30.
63
Idem.
64
P. DIAGNE, « De la démocratie traditionnelle… », op.cit., p. 25.
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détrônement d’un roi injuste dont les décisions seraient liberticides comme cela été le cas de
nombreux royaumes dans cette partie de l’Afrique. En fait, ces deux droits de contestation de la
décision d’une autorité et de détrônement d’un roi, constituent de véritables moyens de protection
des libertés en ce sens que, le roi ou toute autre personnalité dans le gouvernement royal, ne pouvait
Page | 203
pas violer impunément les droits et libertés des individus. Lui-même sait la conséquence que son
acte injuste peut entrainer. C’est la protection des libertés qui s’en sort renforcer.

Ces mécanismes de garantie et de protection des libertés seront ignorés ou mis à l’oubli par
les occidentaux lors de la colonisation qu’ils appellent mission civilisatrice. Ils présentaient
l’Afrique précoloniale comme un continent où les hommes étaient barbares et qu’il fallait civiliser
ou humaniser. Tout se passe comme si les sociétés africaines ne connaissaient pas les libertés et
droits fondamentaux de la personne humaine. C’est ainsi qu’ils vont mettre sur pied les institutions
coloniales par lesquelles les droits et libertés qui existaient seront mises en hibernation. Cela peut
se comprendre puisque la colonisation signifiait encore l’occupation, c’est-à-dire, le fait pour les
étrangers de s’imposer sur un territoire contre le gré des occupants légaux. Dans ces conditions, la
gestion ne peut être qu’autoritaire, puisqu’accorder la liberté, signifie donner aux colonisés
l’opportunité de revendiquer leur autonomie. Ceci explique pourquoi toutes les sociétés
traditionnelles démocratiques en Afrique aient perdu les libertés qui les caractérisaient une fois le
colon implanté. Cela explique pourquoi la liberté et la démocratie ne renaissent qu’après de la
colonisation.

Conclusion

Cette réflexion qui s’achève vient remettre en cause la thèse qui présente la culture africaine
comme étant imperméable à la démocratie65occidentale. En effet, Toute la culture africaine n’est
pas antidémocratique puisqu’il y a effectivement eu des systèmes politiques démocratiques dans
l’Afrique précoloniale qui épousaient largement les valeurs culturelles africaines. Le colon va les
neutraliser pour imposer sa démocratie qui bute contre certains aspects culturels africains. Il y a
alors lieu selon nous d’adapter cette démocratie occidentale à la culture africaine et non le
contraire. Par cette nécessaire adaptation, l’on pourra éviter de nombreuses dérivesà l’instar des
violences politiques, des coups d’État, des fraudes électoralesetc, qui sont pour la plupart dus au
fait que les africains ont de la peine à intégrer les normes démocratiques importées de l’Occident.

65
F. Akindès, Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, op.cit. ; P. Chabal ; J-P. Daloz,
L’Afrique est partie ! Du désordre comme instrument politique, Paris, Economica, 1999.
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En privilégiant d’abord la culture africaine, des valeurs occidentales comme l’élection qui ne cesse
de causer des morts en Afrique peuvent disparaitre pour laisser place aux gouvernements d’union
nationale où toutes les couches et catégories sociales sont représentées sans exclusion. Il y aura
plus de défaite que les perdants refusent d’admettre parce qu’elle n’existe pas dans leur culture.
Page | 204
L’on pourra mettre sur pied un système consensuel à l’image de ce qui existait dans l’Afrique
précoloniale. Ce qui nous éloignerait des dégâts des élections.

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Le rôle de l’ONU dans la diffusion globale du programme de développement


durable 2030
The UN’s role in the global diffusion of the 2030 agenda for sustainable development
Par : Page | 205
POUOMOGNE YOUBISSI Gaelle
Doctorante en Science politique
Université de Dschang (Cameroun)

Résume :

La présence étude décrit le rôle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans la
diffusion globale du programme de développement durable. Comment cet Agenda global est-il
passé d’une expérience institutionnelle locale, à un objet de diffusion massive et d’appropriation
multiples ? Quel a été le rôle des cadres de l’ONU dans ce processus de diffusion ? Quels sont les
espaces circulatoires qui ont favorisé sa diffusion ? Telles sont les principales questions
auxquelles nous essayerons d’apporter des éléments de réponse. A la croisée de l’analyse des
politiques publiques et des études des relations internationales, l’argument soutenu dans cet
article est d’une part que les espaces circulatoires de l’ONU ont été fondamentales à la diffusion
à l’échelle globale ; et d’autre part que les actions d’un ensemble d’individus que l’on qualifiera
d’« ambassadeurs du développement durable » ont été fondamentales pour amplifier cette
diffusion.

Mots clés : ONU ; diffusion globale ; programme de développement durable 2030

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Abstract :

This study outlines the UN’s role in the global implementation of the sustainable
development agenda. How did this Global Agenda move from a local institutional experience to
an object of mass media coverage and multiple appropriation ? How important was the role of the Page | 206
UN in this diffusion process? What channels of communication have facilitated its diffusion ?
Those are the main questions we will try to answer. This article aims to answer these questions.
At the intersection of public-policy analysis and international relations studies, the argument
supported in this article is that, on the one side, the circulatory channels of the UN have been
fundamental to the diffusion of sustainable development on a global scale; and, on the other side,
that the actions of a group of individuals who we will be described as ‘ambassadors for sustainable
development’ have been fundamental in boosting this diffusion.

Keywords: UN; global diffusion; The 2030 Agenda for Sustainable Development

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Introduction

A la faveur de l’universalisation des politiques publiques, les Chefs d’État et de


Gouvernement membres des Nations Unies ont adopté le 25 septembre 2015 lors de la 70e session
ordinaire de l’Assemblé Générale des Nations Unies à new York, la résolution 70/1 « Transformer Page | 207
notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Il s’agit d’un plan
d’action universel et transformateur pour les Peuples, la Planète et la Prospérité, qui inclut dix-
sept (17) objectifs, 169 cibles et 244 indicateurs de suivi et de mise en œuvre qui serviront de cadre
pour la mise en œuvre des actions de développement, de lutte contre la pauvreté et de protection
de la planète au cours des 15 prochaines années. Ce nouvel agenda vient remplacer les Objectifs
du Millénaire pour le Développement (ODD) adopté en 2000 pour l’échéance 2015. A travers ce
nouvel agenda mondial, les États membres se sont engagés à éradiquer la pauvreté sous toutes ses
formes, à lutter contre les inégalités, à construire des sociétés pacifiques, inclusives et résilientes,
en s’assurant de l'avenir de la planète et du bien-être des générations futures ; une tendance à
l’universalisation des solutions d’actions publiques qui ne date pas d’aujourd’hui1.

La question de l’importation et de l’exportation de modèles se pose de manière accrue


depuis 1950 avec une dynamique globale de diffusion et d’homogénéisation des modes de pilotage
et de mise en œuvre de l’action publique2, et va de pair avec la montée en puissance du thème des
transferts dans la littérature scientifique qui s’attache à analyser la circulation de normes,
d’institutions, de pratiques et des façons de faire dans des espaces géographiques, culturels et
historiques variés.3

La lecture de la production réalisée dans le champ du transfert des politiques publiques


nous impose de relever un obstacle qui doit être surmonté : la diversité conceptuelle qui prête à
confusion. En effet, diffusion et transfert sont présentés comme soit synonymes, soit hyperonymes,
tandis que les éléments trouvées dans la littérature révèlent une polysémie, c’est-à-dire que les
deux termes sont utilisés pour désigner des phénomènes proches, voire similaires, mais pas

1
« Nous considérons que l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris
l’extrême pauvreté, constitue le plus grand défi auquel l’humanité doive faire face, et qu’il s’agit d’une condition
indispensable au développement durable. Nous sommes attachés à réaliser le développement durable dans ses trois
dimensions – économique, sociale et environnementale – d’une manière qui soit équilibrée et intégrée. ». 70/1 «
Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 », p. 3.
2
DELPEUCH Thierry, l’analyse des transferts internationaux des politiques publiques : un état de l’art, in questions
de recherche, centre d’étude et de recherches internationales sciences po, 2008, p.4.
3
KÜBLER Daniel, MAILLARD Jacques, Analyser les politiques publiques, PUG, Grenoble, 2009, p.10.

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toujours identiques. Nous adoptons le concept de diffusion pour faire référence à l’adoption
collective de l’Agenda 2030, plutôt que le terme transfert qui correspond à un mouvement linéaire,
d’un point A à un point B. Plus spécifiquement, nous choisissons d’adopter cette définition de la
diffusion perçue comme étant « un processus à partir duquel un élément ou un ensemble
Page | 208
d’éléments, d’ordre politique (idées, paradigmes, institutions, solutions pour l’action publique,
dispositifs normatifs, programmes, modèles, technologies, etc.), situé quelque part dans le temps
et dans l’espace, est adopté ailleurs »4.

Selon Dolowitz et Marsh, l’analyse du processus de diffusion implique de répondre à un


ensemble de questions : Qu’est-ce qui est transféré d’un endroit à un autre ? Quel est le point de
départ du transfert ? Quelles sont les acteurs impliqués dans ce processus de transfert ? Etc5.
Transposé à notre objet d’étude, il s’agira pour nous de comprendre comment le Programme 2030
de l’ONU est-il passé d’une expérience institutionnelle locale, à un objet de diffusion massive et
d’appropriation multiples ? Comment l’ONU a-t-elle participé à sa dynamique de
transnationalisation ? La notion de transnationalisation, forgée par Robert Keohane et Joseph Nye
renvoie à toutes les formes d’interactions transfrontalières ne dépendant pas directement des
gouvernements nationaux. Ce concept a pour conséquence d’étendre les frontières géographiques
(et culturelles) de l’analyse des politiques publiques6. Notre recherche est basée sur l’hypothèse
suivante : l’ONU participerait à l’internationalisation de l’agenda 2030 principalement à travers
l’organisation des sommets et des forums qui constituent des espaces circulatoires favorisant la
diffusion du nouvel agenda ; et à travers les actions de ses cadres (que l’on qualifiera
d’« ambassadeurs du développement durable ») qui disposent d’une légitimité et des ressources
nécessaires leurs permettant d’influencer la diffusion du nouveau programme de développement.

La réflexion ainsi esquissée se nourrit des approches par le transnationalisme et les Policy
Transfer Studies, qui nous permettront d’étudier les flux, les interconnections, la circulation des
différents acteurs impliqués dans la diffusion globale et l’appropriation locale de l’agenda 2030,
nous verrons qu’un ensemble d’individus cosmopolites interagissant dans des espaces circulatoires

4
OLIVEIRA Porto, Ambassadeurs de la participation : Diffusion international du Budget Participatif. Thèse de
doctorat en Science politique, Université de la Sorbonne Nouvelle- Paris III, 2015, p. 69.
5
David. DOLOWITZ, David. MARSH, Learning from Abroad: The Role of Policy Trasnsfer in Contemporary Policy-
Making, 2000, p. 8.
6
Robert KEOHANE, Joseph NYE, “Transnational Relations and World Politics: An Introduction”. International
Organisation, vol. 25n° 3, 1971.

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nationales et internationales ont joué un rôle essentiel dans le processus de diffusion globale du
développement durable7. Les forces transnationales étant entendues comme « les mouvements et
les courants de solidarité d’origine privée qui cherchent à s’établir à travers les frontières et qui
tentent à faire valoir ou prévaloir leur point de vue dans le système international. »8.
Page | 209
L’enjeu méthodologique majeur dans l’analyse d’un programme d’action publique relève
une triple exigence. La première est la constitution de corpus homogènes. En effet, les matériaux
discursifs disponibles sont multiples : entretiens ; discours ; rapports ; prises de position dans des
enceintes politiques ou administratives ; interventions dans les médias ; articles dans des revues et
dans la presse spécialisée ; ouvrages ; sites internet ; blogs…) ; la deuxième exigence renvoie à
l’analyse des lieux de production et de diffusion des programmes parfois désignés par l’expression
« forums de politique publique »9 (Jobert, 1995). On peut les définir comme des lieux de
construction intellectuelle de l’action publique, ou s’élaborent des diagnostics sur la base desquels
sont proposées des orientations, des principes et des instruments d’action publique. Ces forums
peuvent aussi être des espaces de débats et de controverses. Ils sont de différents nature :
scientifiques (universités, laboratoires de recherche, colloque, séminaire etc.) ; administratifs
(commissions officielles, structures de concertation, missions, rapports) ; privés (tink tanks,
cabinets de conseil, agence privées…) ou encore internationaux (institutions internationales en
particulier). Ce sont des espaces ou les ressources d’expertise sont particulièrement valorisées.
L’étude de ces lieux suppose de s’appuyer sur des entretiens et de l’observation directe afin de
comprendre des processus de diffusion des systèmes de représentations. Ils peuvent également être
analysés à partir de matériaux discursifs, en portant notamment une attention aux références
utilisées, aux citations, aux emprunts. La troisième et dernière exigence est celle de l’analyse de
leur appropriation par les acteurs.

Deux dimensions sont ainsi privilégiées : on s’intéresse aux espaces circulatoires crées par
l’ONU qui favorisent le processus de diffusion globale du programme de développement 2030 (I)

7
KÜBLER Daniel, MAILLARD Jacques, Analyser les politiques publiques, op cit, p.169.
8
MERLE Marcel, Sociologie des relations internationales, Dalloz, 3e édition, 1982
9
L’idée principale de ce modèle consiste à souligner que les débats autour des politiques publiques et sur les politiques
publiques se développement sur une multiplicité de scènes, au sein de diverses instances, nommées « forums », qui
sont régies par des enjeux et des règles qui leur sont spécifiques suivant une temporalité particulière et mettant en
scène des acteurs différents. Bruno Jobert a été le premier à utiliser ce terme dans ses travaux sur l’émergence de ce
qu’il appelle « le tournant néolibéral » où il s’interroge sur la dialectique existant entre le changement des matrices
cognitives et le jeu des acteurs.
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et on questionne le rôle des ambassadeurs du développement durable dans la diffusion de ce


dispositif (II).

I- UNE DIFFUSION A TRAVERS LES ESPACES CIRCULATOIRES


Page | 210
Des recherches en sciences sociales et science politique notamment ceux de Diane Stone10
(2004), Patrick Hassenteufel11 (2005) ou encore Adler et Haas12 (1992) évoquent, l’importance des
événements dans la circulation des idées et la construction des modèles de politique publique, et
examinent leurs rôles dans la circulation des politiques. Inspirée de l’approche française des
politiques publiques, notamment le courant de Patrick Hassenteufel d’après lequel l’analyse
des opérations de transferts nécessite d’étudier les lieux et les espaces d’interaction (forums,
colloques, séminaires, réunions, etc.) au sein desquels les acteurs transnationaux interagissent et
partagent leurs conceptions, idées et représentations en étant en contact avec des acteurs nationaux,
nous mettrons en exergue ici les principaux espaces crées par l’ONU où circule l’Agenda 2030.
Les espaces circulatoires qui ont favorisé et favorisent encore les différents sommets organisés par
l’ONU qui ont conduit à la mise sur agenda du nouveau programme et qui par la même occasion
ont favorisé la diffusion du référentiel de durabilité (A) et les Forums Politiques de Haut Niveau
qui permettent le suivi et l’évaluation de sa mise en œuvre (B).

A- Le développement durable au sommet

L’ONU intervient fortement dans la diffusion du programme de développement durable à


travers sa capacité d’universalisation13, de théorisation14 et de mise en réseau15. Elle est considérée
comme le plus grand promoteur du développement durable ayant fait de cette nouvelle idée la
prescription mondiale dont tous les acteurs à tous les niveaux doivent s’approprier (global script),
une sorte de recette et de « bonnes pratiques » recommandées à tous les Etats. Tout part des actions

10
STONE Diane, “Transfer agents and global networks in the transnationalization’of policy” Journal of European
public policy 11 (3), 545-566, 2004.
11
HASSENTEUFEL Patrick, « De la Comparaison Internationale à la Comparaison Transnationale. Les
Déplacements de la Construction d’Objets Comparatifs en Matière de Politiques Publiques. » Revue Française de
Science Politique 55 (1), 2005, 113-32.
12
E Adler, HAAS Peter, Conclusion: Epistemic Communities, World Order, and the Creation of a Reflective Research
Program. International Organization, (n°46), 367-390, 1992.
13
BOURDIEU Pierre,WACQUANT Loic, « Sur les ruses de la raison impérialiste », actes de la recherche en sciences
sociales, 1998/1-2 (n°121-122)
14
STRANG David, MEYER John, « Institutional for diffusion », Theory and Society (Vol22) p. 487-511, 1993.
15
DEBONNEVILLE Julien, Pablo Diaz, les processus de transfert de politiques publiques et des nouvelles techniques
de gouvernance. Le rôle de la Banque mondiale dans l’adoption des programmes de conditional cash transfers au
Philippines ; dans Revue Tiers Monde, n° 216, 2013/4, p. 161 à 178.

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menées au cours des années 1950 et 1960 par des lanceurs d’alerte16 et des mouvements écologistes
qui ont été indispensables à la reconnaissance internationale de l’urgence d’un développement
durable afin qu’il puisse progressivement acquérir un prestige international et bénéficier de
l’attention de l’ONU. Développé par Francis Château Raynaud et Didier Tony (1999) dans
Page | 211
l’émergence de nouveaux problèmes, les lanceurs d’alerte correspondent à « des personnages ou
des personnes liées à des instances autorisées. Ces alertes prennent la forme d’une démarche,
personnelle ou collective, visant à mobiliser des instances supposées capables d’agir, d’informer
le public de l’imminence d’une catastrophe ». Leurs actions de dénonciation vont fortement
contribuer à une reconfiguration des valeurs et des représentations, à une prise de conscience non
seulement de la fragilité de l’écosystème, mais aussi de l’urgence d’un changement de modèle de
développement. Depuis lors, l’ONU s’est positionnée comme l’acteur incontournable dans le
processus de construction, de négociation et de diffusion de ce référentiel global car elle agit
comme un réseau de construction et de socialisation, de persuasion, et de diffusion à l’échelle
internationale de la nouvelle norme. En tant qu’agent de civilisation et de socialisation aux mœurs
de développement et depuis la sortie du rapport du Club de Rome17, l’ONU va se livrer à un
véritable travail de problématisation et de diffusion à travers principalement l’organisation des
sommets à l’issu desquels des commissions et des programmes de développement qui vont donner
l’occasion d’introduire dans les espaces nationaux des problématiques et des concepts nouveaux
relatifs au développement durable seront créés.

L’ONU dans le processus d’institutionnalisation du programme de développement durable


a mondialisé l’enjeu en multipliant des grandes conférences destinées à mettre en scène les

16
Selon Philippe GARAUD, une catégorie particulière d’acteurs, les porteurs de cause agissant en tant que
« entrepreneurs politiques », jouent un rôle central dans la construction des problèmes publics, leur mise à l’agenda et
les processus de mobilisation qui les sous-tendent. Ils donnent sur le plan symbolique une forte légitimité à leur cause
en la justifiant par la référence à des valeurs affirmées (intérêt général, justice sociale, solidarité etc.) et constituent
parfois des coalitions qui permettent aux problèmes qu’ils soulèvent de gagner en audience et en légitimité. Philippe
GERAUD, « Agenda/Emergence », in Laurie Boussaguet et al.,Dictionnaire des politiques publiques, Presses de
Sciences Po (P.F.S.N.P) « Références », 2014 (4e éd.), p. 58-67.
17
Au début des années 1970, Les modèles de croissance sont critiqués et le concept de développement va souffrir
d’une crise de légitimité. La principale idée avancée est que la poursuite de la croissance économique entraînera au
cours du XXIe siècle une chute brutale de la population, l’appauvrissement des sols cultivables et la raréfaction des
ressources énergétiques. Ce tournant va donc marquer l’émergence d’une inquiétude écologique et de la
reconnaissance politique au niveau international de l’enjeu autour de la protection de l’environnement. Cette
inquiétude sera donc portée par des acteurs qui vont produire et diffuser de nouvelles idées précurseurs du
développement durable, en faveur du respect de la nature et le partage équitable des richesses. L’une d’entre elles est
l'idée de « croissance zéro » mise en circulation dans un rapport intitulé « The Limits to Growth » traduit en français,
de manière plus alarmiste « Halte à la croissance »17, commandé à une équipe de chercheurs du Massachusetts
Institute of Technology (MIT) dirigé par Dennis Meadows
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différentes problématiques. Depuis 1960, les discussions sur les possibilités de réformes du
système de croissance et la création de valeurs nouvelles de développement ont été menées lors de
grands sommets onusiens ayant eu pour thème l’environnement et le développement durable. Cinq
d’entre elles, marquent bien de 1972 à 2015, les étapes de l’émergence de ce nouveau paradigme.
Page | 212
De la conférence de Stockholm en 1972 au sommet de New York en 2015 en passant par le sommet
de la Terre de 1992, le sommet mondial sur le développement mondial de Johannesburg en 2002,
et le sommet de Rio + 20 en 2012, chacune de ces rencontres a connu des discussions animées qui
ont permis la formulation et la circulation du programme de Développement Durable.

La Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain

La conférence des Nations unies à Stockholm, est le point culminant de la montée en


puissance de la critique écologique, l’environnement devient par elle un problème global 18. C’est
sur la base d’une proposition émise en juillet 1968 par le Conseil économique et social que
l’Assemblé Générale de l’ONU décide le 3 décembre 1968, lors de sa 23e session, de réunir en
1972 les Etats membres des Nations unies autour d’un sujet : le « Milieu humain »19. La première
étape des négociations a été marquée par la réunion de Founex20 à l’initiative des Nations unies
qui a eu lieu en 1971 en Suisse où était déjà évoquée la question de l’environnement et du
développement, et dont l’objectif était de préparer la conférence de Stockholm. Son rapport final
a permis la mise en lumière de la montée fulgurante des problèmes environnementaux liés à
l’activité humaine et a convaincu l’ONU d’organiser une conférence sur la question.

A Stockholm, on n’envisageait pas encore d’intégrer les politiques d’environnement à des


échelles supranationales ou via des conventions internationales. Ce sommet a plutôt constitué une
rupture dans la perception des enjeux collectifs puisque pour la première fois les risques de
dégradation des ressources naturelles ont fait l’objet de discussions au niveau international.21 Elle
va marquer le début d’une institutionnalisation des travaux internationaux relatifs au

18
LEROY Maya, LAURIOL Jacques, « 25 ans de Développement Durable : de la récupération de la critique
environnementale à la consolidation écologique d’une dynamique de normalisation », dans GESTION 2000, 2011/2,
n°28, p. 127 à 145.
19
Résolution 2398 (XXIII).
20
La rencontre de Founex en Suisse se tient en 1971 à l’initiative des Nations unies. Il s’agit du séminaire préparatoire
à la Conférence de Stockholm, où sera déjà évoquée la question de l’environnement et du développement. Pour plus
d’information, lire Development and Environment, Report and Working Papers of Experts Convened by the Secretary
General of the United Nations Conference on the Human Environment, Founex (Suisse), éditions Mouton, Paris, 4-
12 juin 1971.
21
Serge LATOUCHE, « l’imposture du développement durable ou les habits neufs du développement », Monde en
développement, n°121, 2003, p. 23-30.
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développement durable pour un monde plus respectueux des hommes et de l’environnement. Dans
la même veine, on va constater une évolution intéressante du concept de développement qui gagne
en polyvalence puisqu’il va proposer l’intégration des questions d’environnement à la formulation
des politiques et des programmes de développement. Si jusqu’alors timidement évoqué, le sommet
Page | 213
de Rio de Janeiro va marquer une véritable reconsidération et diffusion.

La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement.

La période qui s’échelonne du milieu des années 80 à 92 a particulièrement été marquée


par l’émergence de la reconnaissance institutionnelle des pollutions qualifiées de « globales » ; les
risques d’épuisement des ressources naturelles et les atteintes environnementales accentuées par
les pluies acides. Relayé par les médias, il sera dorénavant question de problèmes « globaux »
d’environnement pour lesquels de nouveaux engagements doivent être pris. Cette prise de
conscience va culminer avec la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le
développement tenue à Rio en 1992. Elle fait écho au rapport de Brundtland, publié à la suite de
la création de la Commission Mondiale pour l’Environnement et le Développement. En 1982, à
l’occasion du 10e anniversaire du sommet de Stockholm (Stockholm + 10), l’ONU a tenu à mettre
sur pied un organe chargé de faire régulièrement un état des lieux de l’environnement et du
développement dans le monde. C’est à cette fin que son Assemblée générale a adopté la résolution
38/161 du 19 décembre 1983 portant création d’une commission spéciale dénommée Commission
Mondiale pour l’Environnement et le Développement (CMED) composée de membres du
personnel politique des différents pays membres et placée sous la présidence de Mme Gro Harlem
Brundtland. Publié en 1987, son rapport définit le développement durable comme étant : « (...) un
développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures de répondre aux leurs »22 (…). « Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept
de besoin, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la plus grande priorité, et l’idée de limitation que l’état de nos techniques et de notre
organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et
à venir »23.

Le Sommet de Rio avait pour mission de passer aux actes. Le diagnostic étant fait et les
menaces connues, il s’agissait de prendre des mesures à l’échelle mondiale et d’agir au niveau

22
Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, 1989 : 8.
23
Ibid. : 51.
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national et local : penser global et agir local. Cette grande conférence a conduit le concept de
développement durable à maturité. Elle a permis d’adopter des documents majeurs qui vont
contribuer à la diffusion du développement durable : la Déclaration de Rio sur l’environnement et
le développement, l’Agenda pour le XXIe siècle, appelé Agenda 21, la Déclaration sur la forêt, la
Page | 214
Convention des Nations unies sur la biodiversité et la Convention cadre des Nations unies sur les
changements climatiques. Cet agenda était destiné à guider les Etats vers l’atteinte du
développement durable. Pour y arriver, le document a responsabilisé les États en les incitants à
élaborer des stratégies nationales de développement durable (SNDD)24. Cela suppose entreprendre
des politiques de développement durable aux niveaux nationaux au travers des agendas 21
nationaux, aux niveaux régionaux au travers des agendas 21 régionaux et aux niveaux locaux au
travers des agendas 21 locaux.

Le Cameroun affirme s’être engagé depuis cette Conférence à se « conformer » à la


nouvelle politique mondiale en matière de développement, c’est-à-dire d’intégrer les enjeux
environnementaux dans les initiatives de développement en vue de garantir un développement
durable. A ce titre, il a engagé plusieurs réformes juridiques et institutionnelles importantes qui
visent à le « conformer » à la nouvelle politique mondiale en matière de développement durable
et, dans la même lancée, a initié un processus visant à l’élaboration d’une Stratégie Nationale de
Développement Durable (SNDD) qui aura pour but d’intégrer au mieux les préoccupations
environnementales dans les processus décisionnels et, l’établissement des priorités du
Gouvernement en matière de développement durable, au même titre que les priorités économiques
et sociales du pays25.

24
Le Cameroun entame son élaboration au lendemain des consultations de 2013 sur la formulation des ODD. Étendue
sur trois ans, de 2014 à 2016, elle a impliqué tous les acteurs concernés par la problématique du développement durable
(Etat, Secteur privé, Société Civile, PTF) ont été consultés durant tout le processus pour apporter leurs contributions
dans l’élaboration de la SNDD. Des consultations participatives sont effectuées dans les 10 Régions du pays.
25
La conformité du Cameroun aux normes internationales y est également perceptible à travers la signature et/ou la
ratification d’un certain nombre de textes juridiques internationaux relatifs au développement durable, tant au plan
universel qu’au plan régional. Ces textes, qui ont influencé le législateur camerounais dans sa mission de codification
du développement durable sont à la fois non contraignants et contraignants. Parmi les textes juridiques non
contraignants, généralement destinés à proclamer de nouveaux principes juridiques, à raffermir les anciens et surtout
à inspirer la législation des Etats dans l’ordre juridique national. Il s’agit entre autres : de la Déclaration de Rio sur
l’environnement et le développement ; la Déclaration sur les forêts ; et de l’Agenda 21 etc.
On relève parmi les textes contraignants La Convention de Stockholm sur les polluants organiques
persistants, adoptée en 2001, le Protocole de Kyoto de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques (1997 ratifié en 2002, la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (1992)
ratifié en 1994 ; la Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la désertification, adoptée à Paris (France) en
1994 et ratifiée par le Cameroun en 1997, la Convention sur la diversité biologique adoptée en 1992 et ratifiée par le
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La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement durable

En 2000, l’Assemblé générale profondément préoccupée de constater que l’environnement


et les ressources naturelles continuent de se dégrader à un rythme alarmant décide de convoquer
une réunion au sommet à Johannesburg en Afrique du Sud du 26 Août au 4 Septembre 2002, Page | 215
nommée sommet mondial pour le développement durable. L’importance de ce sommet tenu en
2002 réside dans la confirmation des principes de Rio et l’affirmation de la volonté commune
d’aller de l’avant dans les actions concrètes avec la participation du secteur privé. Par ailleurs, la
pertinence des engagements pris pour lutter contre la pauvreté en renforçant la solidarité avec les
pays en développement a été réaffirmée. Plusieurs engagements ont été pris à Johannesburg :
diviser par deux le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour d’ici 2015 ;
améliorer d’ici 2015, l’accès à l’assainissement des 2,4 milliards de personnes qui en sont
actuellement dépourvus ; réduire le rythme d’appauvrissement de la biodiversité d’ici à 2010 ;
maintenir et rétablir les stocks halieutiques à un niveau permettant une exploitation durable en
2015. « Stockholm traitait de l’environnement, Rio, de l’environnement et du développement,
Johannesburg du développement durable. C’est la troisième pas » (Ignacy SACHS, 1980).

RIO + 20, conférence mondiale des Nations Unies sur le développement durable

L’adoption de l’Agenda 2030 est l’aboutissement et la convergence de deux agendas


internationaux : l’Agenda des OMD et celui du processus de Rio+20 sur le développement durable.
Dans la résolution qui la convoque, l’Assemblée générale confère un triple objectif à la Conférence
Rio+20 : « susciter un engagement politique renouvelé en faveur du développement durable ;
évaluer les progrès réalisés et les lacunes restant à combler au niveau de la mise en œuvre des
textes issus des grands sommets relatifs au développement durable ; et relever les défis qui se font
jour » (Sophie LAVALLEE et Pierre WOITRIN, 2015 : 67). Ce sommet tenue à Rio au Brésil en 2012
a réuni plus de 45 000 participants issus de 188 pays marquant le 20e anniversaire du sommet de
la terre de Rio 1992. Le document final « l’avenir que nous voulons » adopté a été le point
déclencheur de la diffusion du développement durable et a permis lors du sommet tenu du 25 au
27 septembre à New York d’adopter le programme de développement durable à l’horizon 2030.

Cameroun en 1994 ; la Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme
habitats des oiseaux d’eau adoptée en 1971 et ratifiée par le Cameroun 2006 etc.

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D’un point de vu chronologique, même s’il existait déjà un mouvement


d’internationalisation depuis le sommet de Stockholm en 72, le sommet de Rio + 20 de 2015 est
le « tipping point » (point de basculement), tel qu’il est défini par la littérature, un moment à partir
duquel une masse critique d’acteurs adopte une politique publique, une norme, une technique. Ce
Page | 216
n’est pas tant le premier sommet qui est déterminant, mais la succession des sommets organisés
par l’ONU. L’élément important à relever est la tenue de ces grandes rencontres dans des espaces
géographiques différents qui contribue par là à sa circulation. L’organisation insuffle auprès des
pays importateurs pendant ces sommets une motivation à importer le programme qu’elle a érigé
en « modèle », puis dans un second temps utilise cette motivation comme argument afin de
convaincre le pays de la nécessité de mettre en place cette politique. Les Etats importateurs se
retrouvent dès lors dans une position de dépendance relative face à l’ONU qui détient via ses
experts, ses ressources techniques et financières pour mettre en œuvre le référentiel global la
légitimité absolue. Proposant habituellement des cadres d’interprétation du monde et de son
fonctionnement, l’ONU détient par là le quasi-monopole des recettes légitimes de développement.
Elle utilise toutes les ressources (économiques, cognitives, techniques), idées et pratiques afin de
détenir une position d’acteur incontournable dans l’élaboration des politiques publiques et la
détention d’une expertise convoitée qui favorise le processus de diffusion.

L’ONU participe également à la diffusion de l’idée développement durable à travers la


création des commissions, des programmes ou commissions qui en ont la charge. Nous pouvons
faire mention ici du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUE), le Groupe des
Nations Unies pour le Développement (GNUD) et le PNUD. Crée en 1972, à la suite de la
conférence de Stockholm, le PNUE a été conçu à l’origine comme un catalyseur devant stimuler
l’action des autres institutions en faveur de l’environnement26. L’Assemblé générale se déclarait
alors consciente de la « nécessité d’élaborer d’urgence, dans le cadre des organisations des
Nations unies, des arrangements institutionnels permanents pour la protection et l’amélioration
de l’environnement »27. Basé en Afrique (à Nairobi au Kenya), le PNUE est très proche des
problèmes auxquels sont confrontés les pays en voie développement. A travers sa légitimité

26
P. H. SANDS, “Principes of International Environnemental Law”, Framework, Standards and Implementation,
Manchester University Press, Manchester, New York, vol. 1,1995, p. 72-73
27
Résolution 2997 (XXVII), Dispositions institutionnelles et financiers concernant la coopération internationale dans
le domaine de l’environnement
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internationale, il contribue considérablement à la production des stratégies nationales de la


conservation et de développement durable.

Le Groupe des Nations unies pour le développement durable assure également le rôle de
facilitateur dans la circulation des ODD : au niveau mondial, il sert de forum de haut niveau pour Page | 217
la facilitation des processus conjoints d’élaboration des politiques et de prise de décisions. Il assure
un service d’orientation, d’appui, de suivi et de supervision de la coordination des activités de
développement dans 162 pays et territoires. Il rassemble toutes les entités des Nations unies
œuvrant à la réalisation des ODD d’ici 2030 élabore et des outils afin d’aider les Etats à la mise en
œuvre du développement durable.

Ce travail de diffusion est complété par la fourniture d’une assistance technique poussée,
notamment à travers la mise à disposition d’experts internationaux chargés de suivre les
programmes de leur conception à leur mise en œuvre. Les connaissances produites et diffusées par
l’ONU, et la mobilisation des experts internationaux lui permettent d’entretenir sa légitimité28 car
qu’elle se présente comme ayant le monopole de l’expertise et des « bonnes » recettes. Les propos
de Mme Amina J. Mohamed à cet égard sont éloquents : « Nous avons pu observer le rôle central
joué par l’ONU dans « l’universalisation » de ce modèle de développement lors des différents
sommets internationaux en diffusant les « bonnes recettes » de promotion du développement
durable ».29 Elle dispose ainsi du monopole des « bonnes recettes » qu’elle diffuse également par
le moyen des forums.

B- Forum politique de haut niveau (FPHN), espace de promotion et de légitimation de


l’agenda 2030

En dépit des progrès technologiques qui facilitent la circulation de l’information en la


rendant moins dépendante des interactions entre les individus, les rencontres interpersonnelles
restent incontournables dans l’arène transnationale. Les forums constituent des espaces et des

28
Un facilitateur de transfert et non des moindre est le PNUD. L’ampleur des ODD et le degré supérieur d’ambition
qu’ils représentent, exigent de faire mieux que les OMD, de veiller à ce que les ODD soient davantage en adéquation
avec les priorités budgétaires, les stratégies de croissance, les pratiques de production et de consommation et les
politiques mondiales. En tant qu’organisation des Nations Unies au carrefour des stratégies de développement
nationales, le PNUD se fait « l’intégrateur des ODD » ; il aide les pays à considérer l’ensemble des objectifs pour
promouvoir des stratégies qui profiteront aux communautés vulnérables et marginalisées, qui minimiseront les risques
et donneront une impulsion au changement dans tous les secteurs.
29
Propos tenu lors de la conférence des Nations unies sur le programme de développement 2030, le 25 septembre
2015
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moments temporaires mais privilégiés d’interactions entre les acteurs sur des enjeux de politique
publique.

Afin de suivre la progression de la réalisation de l’Agenda 2030 à travers le monde, l’ONU


organise tous les ans, une rencontre internationale d’environ 10 jours appelée Forum Politique de Page | 218
Haut Niveau (FPHN). Il s’agit d’un espace de rencontres et d’échanges de bonnes pratiques entre
les Etats membres de l’ONU et les acteurs de mise en œuvre des ODD. Principale plateforme des
Nations unies consacrée au suivi et à l’examen de la mise en œuvre du programme de
développement durable, il est prévu qu’il soit organisé tous les ans à New York en juillet, sous les
auspices du Conseil économique et social de l’ONU ; et, tous les quatre ans, en septembre sous
convocation de l’Assemblée générale des Nations-Unies au niveau des chefs d’Etat et de
gouvernement. Les Etats y sont invités à présenter leurs Revues Nationaux Volontaires (RNV)
c'est-à-dire l’état de progression de l’Agenda 2030 dans leur pays, mais également la stratégie
qu’ils mettent en place pour faire en sorte que tous les ODD soient atteints d’ici 2030.

La création de ce forum a été mandatée en 2012 par le document final de la conférence des
Nations Unies sur le développement durable, « l’Avenir que nous voulons ». Il s’agit d’un espace
par excellence de civilisation internationale des mœurs de développement. Les discussions qui s’y
déroulent mettent en lumière l’état d’avancement de chaque pays dans la mise en œuvre des ODD
et permettent de diffuser l’idée de la transférabilité du développement durable, de modifier les
systèmes de représentations des receveurs.

Voulu à sa conception comme un Forum de dialogue, foisonnement de rencontres et


d’échanges, cet événement annuel, en tant que lieu de rencontres hybrides et interpersonnelles,
est fondamental pour la circulation des idées et la constitution des réseaux nécessaire à la mise
en œuvre efficace des ODD. Au-delà des frontières nationales, ce forum, par la mise en relation
de ces élites distantes, représente donc un élément essentiel dans la formation et le tissage des
réseaux transnationaux. Elle permet de mettre en relation des élites géographiquement éloignées
qui, sans cette opportunité, ne se seraient peut-être jamais rencontrées et n’auraient peut-être
jamais pu échanger leurs idées et conceptions du développement.

A chaque rencontre, ce sont différents Chefs d’Etat et de gouvernements, ou de hauts


représentants qui répondent présents pour présenter leurs RNV. En marge de ce forum, comme
l’indique le paragraphe 84 de l’Agenda 2030, chaque pays se doit de présenter au moins quatre

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fois un rapport d’Examen National Volontaire sur l’état de mise en œuvre des ODD qui met en
exergue les bonnes pratiques et les difficultés. De plus, les réseaux d’action publique qui se
constituent se caractérisent par un certain degré de confiance entre les membres car, le contact en
face-à-face reste le meilleur moyen d’établir de tels liens de confiance nécessaires à la
Page | 219
coopération entre les Etat. Ce contact direct est également un moyen de maintenir les liens dans
le temps entre les acteurs intervenants. Depuis l’adoption de l’agenda 2030, sept rencontres ont
déjà été organisés.

La première édition tenue en juillet 2016 a portée sur le thème « ne laisser personne de
côté » avec la participation de 22 Etats ; la deuxième de 2017 avait pour fil conducteur « éradiquer
la pauvreté et promouvoir la prospérité dans un monde changeant ». Sept ODD étaient ciblés : les
ODD 1, 2, 3, 5, 9, 14 et 17. 43 pays se sont portés volontaire pour une revue nationale. La troisième
en 2018 avait pour thème « la transformation vers des sociétés durables et résilientes ». Ont été
évalué les ODD 6, 7, 11, 12, 15 et 17. 48 Etats ont présenté une revue. Le Cameroun a participé
pour sa première fois lors de la quatrième édition du Forum tenue au siège des Nations unies à
New York du 9 au 18 juillet 2019 sur le thème « Autonomiser les individus et assurer l’inclusion
et l’équité ». Ont été passé en revue les ODD 4, 8, 18, 16, 17. Il s’est agi d’un moment d’échange
entre les représentants du Cameroun, qui présentait sa toute première Revue Nationale Volontaire,
et ceux des autres Etats présents à cette rencontre. En septembre 2019 s’est également tenu un
sommet sur les ODD, comme prévu, sous les auspices de l’AG des Nations unies au niveau des
chefs d’Etats et de gouvernements.

Celui de 2020 s’est tenu du 7 au 16 juillet sur le thème « action accélérée et solutions
transformatrices : une décennie d’action et des résultats pour le DD ». Il a consacré le lancement
de la décennie d’action pour le DD décidée par les chefs d’Etat et de gouvernement au Sommet
des ODD de septembre 2019. En 2021, il s’est tenue du 6 au 15 juillet sous le thème « reprise
durable et résiliente de la pandémie Covid19 qui promeut les dimensions économiques, sociales
et environnementales du développement durable : construire une voie inclusive et efficace pour la
réalisa 0tion de l’Agenda 30 dans le contexte de la décennie d’action et de mise en œuvre pour le
développement durable ». Le Forum 2022 a eu lieu du mardi 5 juillet au jeudi 7 juillet et du lundi
11 au vendredi 15 juillet, sous les auspices du Conseil économique et social et durant lequel 45
pays y compris le Cameroun ont présenté leurs Revue nationale Volontaire. Cette édition a marqué

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le lancement des préparatifs du Sommet des ODD 2023 qui procèdera à un « examen à mi-parcours
des ODD ».

Ces rencontres ont le mérite de réunir des acteurs d’horizons divers, constituant ainsi une
activité essentielle dans la formation des réseaux transnationaux et participants ainsi à un travail Page | 220
d’intermédiation. En favorisant la multiplication des liens entre les acteurs, les événements
facilitent la circulation des idées et de la connaissance. L’analyse des événements est également
intéressant dans la mesure où s’y déploient des stratégies narratives qui facilitent la circulation des
idées et pratiques. Ces espaces facilitent au final l’appropriation par les Etats des savoirs, des
techniques et des bonnes pratiques pour mieux conduire la mise en œuvre du programme dans
leurs Etats respectifs. En plus des espaces circulatoires, la diffusion du programme 2030 a été
impulsée à partir de la combinaison d’un ensemble de flux et d’interactions entre individus,
institutions et Etats.

II- DIFFUSION PAR L’ONU DU PROGRAMME DE DEVELOPPEMENT 2030 A


TRAVERS LA MOBILISATION DES AMBASSADEURS DE
DEVELOPPEMENT

La sociologie des élites et de la mondialisation insiste sur l’importance des phénomènes de


circulation entre niveaux à partir d’une sociographie des acteurs permettant d’appréhender leurs
prédispositions à l’international liées à la détention d’un capital cosmopolite, ainsi que leurs
trajectoires nationales et internationales caractérisées par des allers-retours et des chevauchements
fréquents accroissant leur marge d’action et influençant la dynamique de diffusion. Les
ambassadeurs du développement durable sont des acteurs internationaux qui interagissent sur des
plateformes diverses pour la diffusion de l’idéal type de développement. Ceux-ci s’apparentent à
des passeurs que Fabien Jobard définit comme étant des « acteurs qui sont intermédiaires dans le
processus de transfert d’une norme ou de pratiques mais aussi producteurs ou récepteurs de ces
normes ou pratiques » (Fabien Jobard, 2021 : 559). L’analyse de leurs actions recommande que
l’on prenne en compte non seulement la forme de l’action mais aussi les attributs des individus et
l’espace dans lequel ils opèrent.

Quatre dimensions permettent de catégoriser les individus et leur action : (i) le champ
d’action (institutionnel/extra-institutionnel) ; (ii) la durée de l’action dans le processus
(ponctuelle/continue) ; (iii) la portée de l’action (globale/locale/interrégionale/régionale) ; et (iv)

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la nature de l’action (médiation ou brokerage, support technique, appui financier, etc.). À partir de
ces éléments, nous avons considéré deux types spécifiques d’individus, caractérisés
essentiellement par leur caractère influent et cosmopolite, et par la nature de l’action qu’ils
exécutent à certains moments du processus de circulation. Nous avons identifié des cadres de
Page | 221
l’ONU (A), et les défenseurs des ODD désignés par l’Organisation elle-même (B) qui ont un
pouvoir non négligeable de légitimation sur les pratiques : ils interviennent en tant que consultants,
publient des livres et articles, forment des cadres ministériels et municipaux etc. Leur légitimité,
leur profil socioprofessionnel et leur circulation physique entre les institutions internationales
(notamment lors des rencontres internationales) et des réseaux est fondamentale pour expliquer
leur rôle.

A- L’investissement varié des cadres de l’ONU dans la diffusion du programme de


développement durable

Il s’agira ici de mettre en avant le rôle des cadres de l’ONU, identifié comme des diffuseurs
de recettes dans le processus de diffusion du programme 2030, mais également évoquer
l’expérience internationale qui leur procure cette légitimité d’action. Ces cadres nous le verrons
jouent un rôle d’entrepreneurs de politiques publiques30, mais aussi de médiateurs. L’analyse des
acteurs des politiques publiques, recommande de prendre en compte les déterminants des stratégies
des acteurs. On en distingue trois grand types : les ressources (de nature diverses) dont ils disposent
et qui déterminent leur capacité d’action ; les systèmes de représentations auxquels ils adhèrent,
correspondant à leur perception et à leur interprétation de la réalité sur laquelle ils veulent agir qui
orientent leurs stratégies ; et les intérêts suivis qui définissent leurs préférences.

L’analyse des ressources sur lesquelles peut s’appuyer un acteur nécessite d’effectuer un
travail sociographique se fondant sur les données permettant de retracer sa trajectoire sociale et
professionnelle (notice biographique, CV, récits...). Ce travail permet non seulement de retracer
les positions occupées mais aussi de comprendre l’acquisition des ressources d’expertise liées à la
formation et à l’accumulation de savoirs et d’expériences sur un enjeu donné. Ces ressources
accumulées déterminent sa capacité d’action publique et la représentation qu’il s’en fait ; elles
conditionnent donc fortement les stratégies qu’il envisage et qu’ils estiment possibles. Deux

30
Les entrepreneurs de transfert qui représentent très souvent des groupes d’experts, caractérisés par leur présence
incessante, leur savoir-faire éprouvé et leur figure tutélaire dans les espaces internationaux de circulation des idées où
ils interviennent
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principaux experts internationaux par leurs actions et leurs ressources ont considérablement
contribué à faire circuler à l’échelle internationale. Amina Mohamed et Jeffrey Sachs par leur statut
professionnel leur accordant une légitimité politique importante, leurs présences continues tout au
long du processus de formulation l’Agenda 2030 et leurs connaissances techniques approfondies
Page | 222
en matière de développement ont joué un rôle important dans la diffusion de l’Agenda 2030.

Avant d’expliquer plus en détail comment cette experte des questions de développement a
participé à la circulation de l’agenda 2030, il est utile de s’arrêter sur son profil sociologique. La
trajectoire de Mme Amina J. Mohamed est très intéressante. Détentrice d’un doctorat et professeur
adjoint à l’université de Columbia, cette experte internationale d’origine nigériane est depuis le 1 er
janvier 2017 la Vice-secrétaire générale de l’ONU et présidente du groupe des Nations unies pour
le développement durable. Elle est ainsi la 5ème personnalité, troisième femme et deuxième
africaine à occuper ce poste après la Tanzanienne Asha-Rose Mtengeti Migiro (2007-2012). Avant
sa nomination, elle a été sous trois gouvernements consécutifs conseillère spéciale des Objectifs
du Millénaire pour le Développement auprès de quatre présidents successifs du Nigéria, et au sein
du groupe de travail sur l’égalité des sexes et l’éducation en 2002 et 2005. Cette position lui a
permis de contribuer considérablement à la lutte contre la pauvreté et au développement durable
avec la conception et le développement des projets du gouvernement nigérian en faveur de la
réduire la pauvreté. Elle fonde ensuite et dirige le Think tank, Center for Development Policy
Solutions et fait de l’amélioration de l’accès à l’éducation et aux autres services sociaux son cheval
de bataille.

Après avoir travaillé en tant que conseillère sur les questions liées à la pauvreté, elle occupe
le poste de ministre de l’environnement de la république fédérale du Nigéria de novembre 2015 à
décembre 2016, où elle a dirigé les efforts du pays en matière d’action climatique et de protection
de l’environnement naturel. Elle va faire partir de nombreux groupes d’experts et conseils
consultatifs internationaux tels que la Fondation Bill-et-Melinda-Gates ou le Conseil collaboratif
pour la fourniture en eau et hygiène, rattaché aux Nations unies, qu’elle préside. Mme Mohammed
rejoint l’ONU en 2012 en tant que conseillère spéciale du Secrétaire général (à l’époque, Ban Ki-
Moon) pour la planification du développement après 2015. Elle va piloter le processus qui a abouti
au consensus mondial sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et à la
définition des ODD. Le 15 décembre 2016, elle est désignée vice-secrétaire générale par le
Secrétaire Générale des Nations unies élu Antonio Guterres.

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Sa participation à la diffusion de l’agenda 2030 est visible à travers sa circulation dans


différents espaces d’échanges et de partage d’expérience sur les ODD. Elle participe régulièrement
aux FPHN et aux FRADD. C’était le cas en 2020 lors de la session extraordinaire du Mécanisme
de Coordination Régionale pour l’Afrique (MCR-Afrique) organisée le 24 Février au Zimbabwe
Page | 223
simultanément à la sixième session du FRADD tenue du 25 au 27 du même mois et tenue sur le
thème : « Tirer parti de la décennie d’action pour réaliser les ODD et l’Agenda 2063 en Afrique :
le rôle du système des Nations Unies et des organes et agences de l’Union Africaine » pendant
laquelle elle a relevé l’importance de l’Union Africaine comme partenaire stratégique des Nations
Unies car la mise en œuvre intégrée de l’Agenda 2063 et de l’Agenda 2030 est au cœur du travail
du Mécanisme de coordination régionale pour l’Afrique. Elle a également participé à la neuvième
session de la FRADD tenue à Niamey au Niger du 1er au 2 mars 2023. Lors de sa participation,
elle a relevé que l’Afrique subit pleinement l’impact des retombés socio-économiques de la
COVID-19, de la crise climatique et de la guerre en Ukraine, auxquelles elle a le moins contribué :
« il y’a une crise sans précédent du cout de la vie qui plonge quelque 23 millions de personnes en
Afrique dans l’extrême pauvreté en 2021. A mi-parcours des ODD et de l’Agenda 2063, nous
sommes loin d’être là où nous devons être. Mais ce n’est pas le moment de désespérer. Au
contraire, l’heure est à la solidarité, au leadership et à l’engagement dans les actions que nous
devons entreprendre pour mettre en œuvre ces agendas »31.

Elle a également participé à la FRADD de 2020 où elle a d’ailleurs déclaré à cette


occasion : « nous devons soutenir les gouvernements et faire en sorte que les plans nationaux de
développement et cadres de financement plus larges correspondent à l’ampleur des changements
nécessaires pour réaliser les ODD d’ici 2030 ; la décennie d’action est l’occasion de lancer une
nouvelle vague d’efforts de mise en œuvre qui produiront des résultats escomptés pour les
personnes et la planète. Via les experts, l’organisation suggère plutôt un ensemble de « bonnes
pratiques ». Toute la subtilité du processus de diffusion tient ainsi dans cet équilibre entre la
persuasion, incitation et la légitimation. A ses côtés, Jeffrey Sachs, défenseur du Développement
Durable a largement favorisé lui aussi la diffusion de celui-ci.

L’analyse des acteurs des politiques publiques, recommande de prendre en compte les
déterminants des stratégies des acteurs. On en distingue trois grand types : les ressources (de nature
diverses) dont ils disposent et qui déterminent leur capacité d’action ; les systèmes de

31
Propos recueillis dans le rapport de la FRADD, 2023.
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représentations auxquels ils adhèrent, correspondant à leur perception et à leur interprétation de la


réalité sur laquelle ils veulent agir qui orientent leurs stratégies ; et les intérêts suivis qui définissent
leurs préférences. Jeffrey Sachs, économiste américain de renommée mondiale, Directeur de
l’Earth institute, à Columbia, professeur en développement durable et en politique de la santé à
Page | 224
l’université de Columbia, a été le consultant spécial du Secrétaire Générale des Nations unies pour
les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Auteur de plusieurs best sellers traitant des
enjeux du développement durable : The End of Poverty (2005), Common Wealth: Economics for
a Crowded Planet (2008), et The Price of Civilization (2011), Jeffrey Sachs a dirigé le Réseau des
Nations unies pour le développement durable, étant co-fondateur de « Millennium Promise
Alliance » et directeur du projet des « Villages du Millénaire » (Millenium Village Project). Il s’est
véritablement penché sur les questions de pauvreté et développement dans les années 2000. Dans
son livre The End of Poverty: How We Can Make it Happen i Our Lifetime32, il démontre que
certains pays sont pris dans le piège de la pauvreté (poverty trap) et doivent être aidés pour s’en
extraire. Pour les aider, une stratégie de réduction de la pauvreté spécialement conçue pour
répondre aux OMD devrait être prévue pour chaque pays à revenu faible.

Le professeur Sachs est largement considéré comme l’un des plus grands experts mondiaux
du développement économique et la lutte contre la pauvreté. Son travail en faveur de l’éradication
de la pauvreté, de la faim, des pandémies et la promotion des pratiques environnementales
durables, l’a conduit à mener des actions dans de nombreux pays. Depuis près de 25 ans, il
conseille des chefs d’Etat et de gouvernement sur leurs stratégies économiques et de
développement. Auteur de plus de 20 doctorats honorifiques et de nombreux prix et distinctions à
travers le monde, il a servi comme conseillé auprès du FMI, à la Banque mondiale, à l’Organisation
de Coopération et de Développement Economique (OCDE), à l’OMS et au PNUD. Le projet des
objectifs du millénaire a été mis en place sous sa direction. Leurs fondements théoriques se
trouvent dans son ouvrage les trappes à la pauvreté33, dans lequel il présente une vision holistique
de la gestion des problèmes mondiaux tels l’extrême pauvreté, les risques environnementaux, les
injustices économiques et politiques mettant en avant les dimensions sociales du développement
et la nécessité de redéfinir le développement pour sortir d’handicaps structurels.34

32
Jeffry Sachs, The End of Poverty: How We Can Make it Happen i Our Lifetime
33
Jeffrey Sachs, The Age of Sustainable Development. New York, Colombia University Press, 2015
34
Phillipe Hugon, « du bilan mitigé des OMD aux difficultés de mise en œuvre des ODD » ; monde en développement,
n° 174, 2016/2, p. 15 à 32.
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Professeur, directeur, conseiller et défenseur des ODD, il a contribué lui-même à créer cet
âge du développement durable. Pour le professeur, les universités sont en mesure de contribuer à
l’atteinte des ODD sur plusieurs plans : l’enseignement, qui non seulement transmet l’expertise
aux étudiants, mais leur donne accès au savoir et à la mobilisation qui en découle ; la recherche en
Page | 225
tant que soutien de l’innovation et permet aux entreprises motivées de mettre en application les
solutions proposées. Les principes des ODD doivent être intégrés dans la structure de gouvernance
et dans les politiques des universités. Enfin, ce leadership doit se

B- L’amplification de la diffusion du programme de développement 2030 par les


défenseurs des ODD

À mesure que le développement durable s’internationalise et circule, un groupe de


personnes spécialisées, capable de le promouvoir l’agenda 2030 au niveau local et international a
été constitué. Afin d’être assisté dans l’internationalisation de ce programme, le secrétaire général
de l’ONU a procédé en janvier 2016, à la nomination d’un groupe d’expert qui auront la charge de
défendre les ODD. Selon un communiqué de presse de son porte-parole M. Ban, ces défenseurs
seront chargées de promouvoir et de faire du plaidoyer en faveur de la réalisation d’ici 2030 des
ODD. A l’image des ambassadeurs, « elles joindront leurs voix prestigieuses aux efforts visant à
susciter des actions afin de parvenir à la réalisation des objectifs », déclare le communiqué.
Comme des « héritiers cosmopolites »35, ils ont pour mission d’être des entrepreneurs politiques,
c’est-à-dire un acteur qui innove et qui parvient à obtenir le soutien nécessaire à l’adoption de
nouvelles politiques grâce à son habileté à mettre en place des stratégies de coalition et
d’intermédiation.36 Véritables militants de la participation sociale sans frontières, on compte parmi
des chefs d’Etats et de gouvernements, des dirigeants d’entreprises, des personnalités politiques,
des universitaires de renom, et des artistes ayant fait preuve de leadership dans leur domaine
respectif.

En plus des co-présidents du groupe d’expert (le président du Ghana, John Dramani
Mahama, et la première ministre Norvège, Mme Erna Solberg), 14 défenseurs ont été désigné pour
stimuler la transnationalisation des ODD : La reine des Belges, Mathilde ; la princesse héritière
Victoria de Suède, Sheikha Moza bint Nasser, épouse de l’ex-émir du Qatar et co-fondatrice de la

35
Yves DEZALAY, « les courtiers de l’international. Heritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et
missionnaires de l’universel »,
36
Voir pour d’autres définitions Jaziri Raouf, « l’entrepreneuriat politique au regard de la théorie des conventions :
vers une typologie des maires entrepreneurs politique », Revue Européenne du Droit Social, N° 1, 2009 : 51 et 52.
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Qatar Foundation ; Richard Curtis, scénariste, producteur et metteur en scène ; Dho Young-Shim,
Président dela Fondation du tourisme durable pour l’élimination de la pauvreté de l’Organisation
mondiale du torisme des Nations unies ; Leymah Ghowee, directrice de la Fondation Gbowee pour
la paix ; Jack Ma, fondateur et président exécutif du groupe Alibaba ; Graca Machel, présidente
Page | 226
de la Fondation pour le développement des communautés ; Leonel Messi, footballeur de
renommée mondiale, ambassadeur de bonne volonté de l’UNICEF ; Alea Murabit, fondatrice de
la voix des femmes libyennes ; Paul Polman, PDG d’Unilever, Jeffrey Sachs, Directeur de l’Earth
Institute à l’Université Columbia (New York) ; Shakira Mebarak, artiste, avocate et fondatrice de
la Fondation Pies Descalzos, ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF ; Forest Whitaker
Peace & Development, Envoyé spécial de l’UNESCO pour la paix et la réconciliation ;
Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank. Ces 17 ambassadeurs des ODD sont
représentatifs du caractère universel de l’agenda 2030. Très diversifiés, ils engageront des
dialogues avec des partenaires de la société civile, des milieux universitaires, du monde
parlementaire et du secteur privé pour susciter l’éclosion de nouvelles idées et moyens de
promouvoir la mise en œuvre des objectifs.

Ces défenseurs mènent des actions déterminantes pour l’insérer dans l’agenda des
institutions locales, nationales et même internationales. Un ensemble d’attributs spécifiques les
caractérisent : (i) ils ont une autorité sur le développement durable qui peut être de nature politique,
technique ou d’ordre de la connaissance ; (ii) ils promeuvent le développement durable
indépendamment de l’institution dans laquelle ils travaillent ; (iii) ils mènent une action continue
à l’intérieur des Etats, des organisations internationales, des ONG, etc. sans avoir nécessairement
de liens formels avec ces institutions. Par ailleurs, ils promeuvent l’Agenda 2030 lors
d’événements, en tant que consultants techniques etc. Ils sont également des représentants et des
militants de la cause, de par leurs actions comme des « courtiers de l’international ». Parler de
courtier nous permet de dépasser la distinction entre acteurs transnationaux exportateurs et acteurs
nationaux importateurs tant les passerelles, les allers-retours et les interactions de ces défenseurs
sont nombreux. Ils agissent comme des « Agent double » présents sur des scènes nationales et
internationales, pratiquant un « double jeu » du national et de l’international notamment « investir
dans l’international pour renforcer leur position dans le champ du pouvoir national, et
simultanément, faire valoir leur notoriété nationale pour se faire entendre sur la scène
internationale ». (Yves Dezalay, 2004 : 11) C’est le cas Alea Murabit qui mène des actions partout
dans le monde en faveur des droits des femmes.
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La sociologie des élites et de la mondialisation met relève l’importance du capital


cosmopolite de l’entrepreneur politique ainsi que sa trajectoire nationale et internationale
caractérisée par des allers-retours et des chevauchements fréquents. C’est le cas de Leymah
Gbowee, travailleuse sociale et militante libérienne pour la paix ce qui lui a valu le prix Nobel de
Page | 227
la paix en 2011 ; elle dispose de par ses actions en faveur de la paix et des droits des femmes au
Libéria et ailleurs d’une légitimité et d’un capital social cosmopolite pour mener des activités
transnationales en faveur des ODD, et plus particulièrement l’ODD 5. Graca Machel, qui a occupé
le poste de ministre mozambicaine de la culture et de l’éducation avant d’être première dame du
Mozambique de 1975 à 1986 et première dame d’Afrique du Sud de 1998 à 1999 s’est consacré à
des causes humanitaires et s’est fait l’avocate des droits des femmes et des enfants. Elle dispose
par là un fort capital politique et social pour agir en faveur des ODD au travers de sa fondation car
il est admis que la circulation internationale des instruments repose sur la « capacité politique » de
courtiers ou passeurs entre niveaux, Etats et arènes ou les trois en même temps.

Erna Solberg , afin d’inciter l’ONU à poser des actions pour aider les enfants victimes de
guerre, a produit un rapport intitulé « l’impact de la guerre sur les enfants »37 dans lequel elle
expose les conséquences de la guerre sur les enfants et invite par la même occasion la communauté
internationale à prendre des mesures concrètes pour protéger les enfants du fléau de la guerre. La
communauté internationale a répondu à cet appel et a pris des mesures sur la base des
recommandations de l’ancienne ministre. L’Assemblée générale a créé le Bureau du représentant
spécial du secrétaire général pour les enfants et les conflits armés et le Conseil de sécurité a mis
en place un mécanisme coordonné de surveillance et de communication de l’information pour
continuer à suivre l’impact de la guerre sur les enfants.

Nous avons pu le voir, la diffusion du développement durable fait partie d’une trame
complexe de relations établies entre une pléthore d’acteurs qui participent à celle-ci, à divers
moments et dans différents espaces. L’action des acteurs et leur circulation dans divers espaces
circulatoires sont toutes deux essentielles à ce processus.

37
Marina Serre, Frédéric Pierru, les organisations internationales et la production d’un sens commun réformateur de
la politique de protection maladie, Lien social et politiques, (Vol 45), p. 105-128, 2001
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Conclusion

L’ONU propose habituellement des cadres d’interprétation du monde et de son


fonctionnement. Elle détient par là le quasi-monopole des recettes légitimes de développement.
Elle utilise toutes les ressources (économiques, cognitives, techniques), idées et pratiques afin de Page | 228
détenir une position d’acteur incontournable dans l’élaboration des politiques publiques et la
détention d’une expertise convoitée qui favorise le processus de diffusion. L’analyse du processus
de diffusion est importante pour comprendre la diffusion internationale du programme de
développement durable, et plus largement des politiques publiques. Le rôle de l’ONU à travers
l’organisation des sommets et forums et la mobilisation de ses ambassadeurs a permis de se rendre
compte de la non linéarité des politiques publiques. Le programme de développement durable est
un objet qui permet de repenser les mécanismes et les logiques des processus de diffusion des
instruments de l’action publique et des nouvelles dynamiques de globalisation des dispositifs de
développement. Pour saisir la problématique de la diffusion du programme 2030, la mobilisation
des différentes littératures situées dans le champ de l’analyse de politiques publiques, des relations
internationales et du développement a été fondamentale. Celles-ci suggèrent l’influence d’acteurs
institutionnels, collectifs et individuels.

A l’issu de l’analyse, nous pouvons voir que c’est par un travail de persuasion et de
socialisation lors des différentes rencontres au sommet organisées par l’ONU que la prise en
compte et la diffusion Du programme 2030 se sont opérées. L’internationalisation du programme
de développement durable suit le cycle suivant : d’abord une reconnaissance internationale
stimulée par les lanceurs d’alerte et les mouvements écologiques marquée par l’organisation des
sommets ; ensuite une circulation transnationale boostée par des acteurs cosmopolites. Sachant
que l’action principale est réalisée par un ensemble de militants du développement durable, des «
ambassadeurs », qui défendent sa circulation et son adoption de manière transnationale, leur
circulation d’une institution à une autre (qu’elle soit politique ou académique, nationale ou
internationale) est centrale pour que le processus de diffusion ait lieu. On relève également que la
diffusion du développement durable fait partie d’une trame complexe de relations établies entre
une pléthore d’acteurs qui participent à celle-ci, à divers moments et dans différents espaces. C’est
le cas des ambassadeurs du développement durable dont les actions et la circulation entre les
diverses institutions sont essentielles à ce processus. Ils participent à la promotion, la légitimation,
la médiation et l’adoption du développement durable grâce à la légitimité dont ils bénéficient de

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par leur profil socio professionnel et les ressources dont ils disposent. Même si nous avons analysé
le rôle joué par les principaux promoteurs, individuels et institutionnels, il faut souligner que
d’autres acteurs (ONGI notamment CGLU, des ONG, réseaux ont également participé à cette
diffusion. De plus, l’intégration du programme de développement durable dans les programmes
Page | 229
nationaux et institutionnels accélère le processus de diffusion en légitimant le dispositif, en lui
conférant une notoriété, mais aussi en permettant l’accumulation d’un capital technique facilitant
les nouvelles expérimentations.

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Les Polices Municipales au Cameroun : état des lieux et perspectives à la


lumière du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les modalités
d’exercice de la Police Municipale
Council Police in Cameroon: State of Affairs and Perspectives Following Decree No 2022/354, Page | 230
Laying Down the Modalities for its Functioning
Par:
Rodrigue NANA NGASSAM
Docteur/Ph.D en Science Politique (Université de Douala-Cameroun)
Chercheur associé au Groupe de Recherche sur le Parlementarisme et la Démocratie en Afrique
(GREPDA) ainsi qu’à l’Institut de Recherche en Géopolitique et d’Etudes Stratégiques de
Kinshasa (IRGES). Il est également membre de l’Académie de Géopolitique de Paris.

Résumé :

L’expression police municipale désigne au Cameroun, les pouvoirs de police du maire, de


la Commune ou de la Communauté Urbaine et l’ensemble des agents de police municipale qui
sont placés sous son autorité. La police municipale dépend donc de l’élu local qui détient un
pouvoir de police administrative qui ne peut être exercé que sur le territoire de la Commune ou
de la Communauté Urbaine. Longtemps ignoré dans le paysage camerounais de la sécurité
publique, la police municipale a le vent en poupe, avec une volonté affichée de gommer au plus
vite les différences qui ont retardées son essor. Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les
modalités d’exercice de la Police Municipale a mis fin à de nombreuses controverses sur ce service
et réaffirmé son rôle dans les systèmes locaux de sécurité à l’ère de la décentralisation au
Cameroun. Il répond à une demande de maintien du bon ordre urbain de plus en plus forte de la
part des administrés et vient sans doute combler un vide laissé par la Police et la Gendarmerie
Nationale.

Mots clés : Maire, Communauté Urbaine, Commune, Police Municipale, Populations

R.I.D.S.P, Vol. 3, N°6 – Juin 2023


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Abstract:
The expression Council Police in Cameroon refers to the police force put in place by the
mayor of the urban or metropolitan council and all the agents of the police force under his
authority. The council police force, therefore, depends on the locally elected authority who holds
Page | 231
administrative power only over his urban or metropolitan territory. So far, the council police force
which has been ignored in Cameroon as far public security is concerned, is poised to bridge the
gap as quickly as possible and eliminate the fetters that have been holding it back. Decree No
2022/354 of 9th August, 2022, defining the powers of the municipal police has put an end to
numerous controversies over its duties and reaffirmed its role in local security in the era of
decentralization in Cameroon. It has responded to the need to curb disorderliness in urban centers
and fill the security gap created by the National Police and the National Gendarme Forces.

Keywords: Mayor, urban council, town, council police, population

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Introduction

La faiblesse des études sociologiques ou politologiques sur la police et les phénomènes de


maintien de l’ordre1 au Cameroun, dénote un désintérêt scientifique pour ces questions pourtant
fondamentales dans la compréhension des logiques de pouvoir. Si ce constat est avéré pour les Page | 232
corps de Police et de Gendarmerie Nationale, il l’est aussi pour la police municipale où aucun sujet
la concernant n’a jamais été au cœur des réflexions en matière de sécurité publique2. La question
de la police municipale au Cameroun n’anime pas des débats sous des chaumières 3. Elle reste une
institution peu connue par le citoyen ordinaire, en dehors de savoir qu’elle est une structure au
service de la mairie. Les raisons de cette marginalité sont à l’évidence liées aux nombreuses
controverses idéologiques et aux clichés en tout genre qui ont entaché son essor au point de la
réduire, à une sous-police ou une milice au service du maire pour terroriser les populations. Leur
existence prend corps avec la Loi n° 2004/017 du 22 Juillet 2004 portant Loi d’orientation de la
décentralisation et la Loi n° 2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux
Communes, renforcées par la Loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des
Collectivités Territoriales Décentralisées.

Mais c’est le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la
Police Municipale au Cameroun qui est venu la sortir de l’ornière, en faisant de cette police locale
mal connue et mal acceptée une composante utile, voire indispensable de la sécurité publique.
Cette reconnaissance n’est pas uniforme et le constat qui en découle reflète une réalité très
diversifiée qui conduit à parler « des » polices municipales plutôt que de la « police municipale »
avec des visages pluriels, tantôt doux, tantôt durs4. Leur physionomie semble lier à celle des
Communes ou des Communautés Urbaines dont elles relèvent. En effet, la taille de la Commune
ou de la Communauté Urbaine, ses spécificités (rurale ou urbaine), conditionnent l’existence d’une
police municipale plus ou moins étoffée. Les services les plus importants se trouvent
majoritairement en agglomération urbaine alors que les collectivités de petite taille ont rarement
une police municipale dépassant la dizaine d’agents. Toutefois, cette constatation générale ne

1
Ferret (J.), « Les polices municipales en France, une perspective socio-politique », Déviance et Société, Vol. 22, N°
3, 1998, p. 264.
2
Noah (B.), La police municipale au Cameroun. Essai d’appropriation d’un concept, Paris, L’Harmattan, 2022, p.
93.
3
Ibid
4
Malochet (V.), Les policiers municipaux : les ambivalences d’une profession, Thèse de doctorat en Sociologie,
Bordeaux, Université Victor Segalen de Bordeaux 2, 2005.
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s’accompagne pas pour autant de situations homogènes en raison de la volonté du maire concerné
qui, en la matière, est prépondérante.

Celle-ci peut être à l’origine de la création d’un service de police municipale a minima,
avec des missions relevant des compétences traditionnelles de ces services, ou au contraire par le Page | 233
développement d’une structure avec un fort recrutement de personnels, s’accompagnant de
moyens matériels importants et d’une conception des missions plus large. Fort de cette situation,
on est à même de s’interroger sur la contribution de ce Décret tant sur l’évolution que sur
l’efficacité des polices municipales au Cameroun. Leurs institutionnalisations amorcées
(encadrement du recrutement, formation, code de déontologie etc.) ainsi que l’accroissement
continu de leurs prérogatives (hygiène et salubrité, police de la circulation, protection civile etc.)
démontrent à suffisance que c’est un secteur d’activité qui se structure, se professionnalise et
occupe dorénavant une place croissante dans la production de l’ordre quotidien dans la Ville. A ce
titre, il reconnait désormais la police municipale comme une police de proximité dans le paysage
camerounais de la sécurité publique et renforce la socialisation professionnelle des policiers
municipaux pour redorer le blason de ce métier souvent contesté.

I- LA RECONNAISSANCE DE LA POLICE MUNICIPALE COMME UNE


POLICE DE PROXIMITÉ DANS LE PAYSAGE CAMEROUNAIS DE LA
SÉCURITÉ PUBLIQUE

L’enjeu de reconnaissance de la police municipale a longtemps traversé la profession et


l’esprit des policiers municipaux. Loin de satisfaire à l’idéal-type de la profession établie
(profession), dotée d’un véritable statut, reconnue par tous pour sa mission d’intérêt général, sa
compétence et son pouvoir social de prescription5, la police municipale faisait l’objet d’un manque
de considération. Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant son cadre d’emploi encadre
dorénavant ses activités à travers un contrôle étatique (A) et accroît également les prérogatives
dévolues à ce service (B).

A- L’encadrement et le contrôle étatique de l’activité de la police municipale

Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police


Municipale au Cameroun prévoit un renforcement très important du rôle de l’Etat dans

5
Virginie Malochet, « Les enjeux de la professionnalisation » in Les policiers municipaux, Paris, Col. Partage du
savoir, PUF, 2007, pp. 145-165.
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l’encadrement de l’activité de la police municipale (1) ainsi que dans le contrôle de leur
organisation et le fonctionnement dudit service (2).

1- L’encadrement de l’activité de la police municipale


Page | 234
L’encadrement des activités de la police municipale au Cameroun était nécessaire voire
indispensable pour clarifier son rôle dans le paysage camerounais de la sécurité publique. Il faut
dire que pendant longtemps, ce service placé sous l’autorité du Maire a eu du mal à s’imposer
auprès des populations et des autres acteurs de la sécurité publique. Leurs directives dépendant
d’abord de la conception que se fait le politique du policing municipal et de leur contribution
légitime en matière de sécurité publique. Le législateur camerounais et même l’autorité
administrative adoptaient des positions intermédiaires, voire des positions floues faute de définir
un mode d’emploi clair et précis de la police municipale6. Loin de faire l’unanimité, leur travail
au quotidien était contesté par les citoyens qui estiment que leur mode de fonctionnement7
s’éloigne du référentiel de police de proximité. Celui-ci préconise selon le guide pratique de la
police de proximité de l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure : « une action policière
ordonnée autour de territoires bien identifiés, un contact permanent avec la population, une
polyvalence valorisante de la fonction policière, une responsabilisation des acteurs de terrains à
tous les niveaux, un service rendu de qualité »8.

Or, entre la police municipale et les camerounais, s’était installé un rapport rappelant le
chat et la souris, le dominant et le dominé, le fort et le faible, le prédateur et la proie9. Le Décret
N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions de son exercice a mis fin à cette triste réalité
des stéréotypes qui les collent à la peau. Dorénavant, la police municipale doit faire l’objet d’une
création à travers une Délibération du Conseil Municipal qui fixe les attributions, les moyens et
les règles de son fonctionnement10. La mise en commun des services de police municipale est

6
Jusqu’au décret du 09 août 2002, la police municipale renvoyait à tout et à rien. Nul ne savait à quoi elle consistait.
Lire Organisation de la police municipale : une avancée de l’Etat local dans le cadre de l’Etat unitaire décentralisé,
CRD/EIFORCES, Note d’éclairage, N° 007-août 2022 p. 1 à 5.
7
Les Policiers Municipaux sont décriés pour leur méthode de travail et leur agissement sur le terrain. Ils sont accusés
de nombreuses exactions et bavures sur les populations. A Yaoundé par exemple, le simple fait de crier « AWARA »
crée la panique et une débandade auprès des moto-taxis et des commerçants installés anarchiquement et illégalement
sur les emprises publiques.
8
Malochet (V.), « Entre lien social et contrôle », in Les policiers municipaux, Paris, PUF, 2007, p. 25 à 43.
9
Binembe (M.R), La Police Municipale à l’ère de la décentralisation au Cameroun, Yaoundé, les éditions Monange,
2021, p. 17.
10
Cf. Article 7 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
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désormais possible, en cas de manifestation exceptionnelle ou à l'occasion d'un afflux important


de population ou en cas de catastrophe naturelle11. A cet effet, le préfet peut autoriser les maires
des Communes limitrophes ou appartenant à une même agglomération à mettre en commun tout
ou partie de leurs moyens de police municipale pour l'exercice d'activités de police
Page | 235
administrative12. Les missions qui leurs sont dévolues ont également été clarifiées et on sait ce qui
est permis, ce qui est interdit et les conséquences juridiques auxquelles s’exposent les policiers
municipaux en cas d’abus ou de non-respect de la règlementation en vigueur.

De même qu’ils doivent prêter serment avant leur entrée en fonction devant le Tribunal de
Première Instance territorialement compétent13. Les horaires de travail sont également définis avec
des missions qui s’exercent entre 6 heures et 18 heures à l’exception de la régulation de la
circulation sur la voie publique, des gardes statiques des bâtiments communaux ou de la
surveillance des cérémonies, fêtes et réjouissances organisées par ou sous le patronage de la
Commune14. Pour préserver davantage les libertés des populations, il leur est interdit de recourir à
la force sauf à exercer la contrainte sur les biens avec autorisation préalable de l’autorité
administrative15. Tout comme le port ou l’usage d’une arme lui est formellement interdit16. Bien
plus encore, l'uniformisation des insignes, de la tenue, de la signalisation des véhicules et des
équipements dont sont dotés les agents de police municipale de l'ensemble des Communes doivent
être distincts de ceux adoptés par la police et la gendarmerie nationales17. Au-delà de
l’encadrement, l’activité de la police municipale fait également l’objet de contrôle tant dans
l’organisation que dans le fonctionnement dudit service.

11
Cf. Article 15 al.1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
12
Cf. Article 15 al.2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
13
Cf. Article 19 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
14
Cf. Article 6 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
15
Cf. Article 14 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
16
Cf. Article 24 al. 2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
17
Cf. Article 26 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
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2- L’institution d’un contrôle par l’autorité de tutelle (Préfet/MINDDEVEL)

Les principes et les modalités de fonctionnement de l’administration publique


camerounaise engagent les autorités administratives dans une étroite collaboration avec les élus
locaux. Au niveau local, c’est le préfet qui a la compétence de contrôler les actes du maire en Page | 236
matière de police municipale. Il est possible d’affirmer que la supériorité dont jouit le préfet par
rapport aux autres acteurs locaux est due en grande partie à la particularité structurelle du système
administratif camerounais. Cette particularité repose essentiellement sur le modèle de l’Etat
unitaire centraliste d’inspiration française qui favorise une forte présence de l’Etat dans tous les
secteurs de la vie politique aussi bien nationale que locale18. Même pour les problèmes locaux les
plus banaux habituellement impartis aux collectivités locales, l’administration centrale se présente
comme la seule capable d’y répondre témoignant d’un fort centralisme administratif et politique.
Cette volonté de l’administration centrale de gérer tout à distance et par l’intermédiaire des préfets,
peut être considérée comme un centralisme excessif19. Si la nécessité de rendre l’administration
plus proche de l’administré s’impose, la tendance hégémonique se caractérise moins par une
décentralisation que par une déconcentration20. Cette dernière consiste au transfert de certaines
compétences du pouvoir central au profit de ses agents nommés au local mais la prérogative reste
toujours à l’Etat. Comme le dit si bien Odilon Barrot, « c’est toujours le même marteau qui frappe
mais on en a raccourci le manche »21.

L’étendue du pouvoir qu’exerce le représentant de l’Etat sur les activités du maire en


matière de police municipale est qualifié de pouvoir de tutelle22. Ce pouvoir implique un droit de
regard de l’Etat sur la conduite des affaires locales découlant du transfert des compétences et des
ressources vers les collectivités territoriales décentralisées. Celui-ci s’exerce à travers le contrôle
de la légalité (régularité et conformité) des actes de ces dernières par rapport à la loi et aux textes
règlementaires, à l’exclusion de toute appréciation d’opportunité. Le renforcement du contrôle de

18
Yildizcan (C.), Le pouvoir des élus vs le pouvoir des nommés, ou la recentralisation des pouvoirs locaux,
Confluences méditerranée, Vol. 4, N° 107,2018, p. 138.
19
Çoker (Z.), « Seçimli Valilik Üzerine Karsit Düsünceler ve Yeni Bir Yönetim Modeli », Türk Idare Dergisi, n° 399,
1993, p. 12.
20
Yildizcan (C.), Op. Cit., p. 138.
21
Yildizcan (C.), Ibid.
22
La tutelle administrative est définie par Guy Melleray comme : « l’ensemble des procédés : approbation, annulation,
substitution, suspension ou révocation individuelle ou collective des élus mis par la loi entre les mains du pouvoir
central pour faire prévaloir l’intérêt général qu’incarne l’Etat face aux intérêts particuliers que présentent les
collectivités secondaires ». Pour Maurice Hauriou, la tutelle est un : « un pouvoir de contrôle que certaines personnes
administratives exercent sur certaines autres ». Lire Kernéis-Cardinet (M.), « Tutelle », dans Dictionnaire
d’Administration Publique, Grenoble, Col. Droit et action publique, Presses universitaires de Grenoble, 2014, p. 506.
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l’activité des polices municipales semble faire consensus au sein des populations au regard de
nombreux paradoxes qui écornent l’image des policiers municipaux. Dans l’intérêt d’éviter des
abus, le service chargé de la police municipale peut désormais être suspendu par arrêté du préfet
territorialement compétent, pour une durée d’un (01) mois éventuellement renouvelable en cas :
Page | 237
d’abus généralisé commis par les agents sans qu’aucune mesure n’ait été prise par le maire pour y
mettre fin ; de non-respect des règles de fonctionnement du service et de violation des dispositions
du Décret fixant les modalités d’exercice de la Police Municipale23. L’agent de police municipale
est dorénavant sous le coup des procédures pénales, disciplinaires et judiciaires en cas de voie de
fait sur les populations.

De même, le Ministre chargé des Collectivités Territoriales Décentralisées


(MINDDEVEL) peut, en raison de la spécificité des missions du service chargé de la police
municipale et à la requête de toute autorité compétente ou lorsqu’il le juge nécessaire, faire
procéder au contrôle de l’organisation et au fonctionnement dudit service. La mise en place d’un
mécanisme de contrôle effectif de l’activité des polices municipales impliquant les services de
l’Etat constitue la contrepartie du renforcement de leurs pouvoirs. Toujours dans la continuité de
l’encadrement des actions menées par celles-ci, un texte particulier du Ministre en charge des
Collectivités Territoriales définit le Code de déontologie des agents de la police municipale24.
L’érection d’un Code de déontologie va certainement clarifier le rôle de l’agent de police
municipale dans l’exécution des tâches relevant de la compétence du maire que celui-ci lui confie
en matière de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la
salubrité publiques. L’enquête de moralité qui intervient lors de l’entrée dans la profession permet
également de vérifier la moralité du candidat et son aptitude à exercer le métier. Les représentants
de la profession avancent toutefois la nécessité d’une prise en compte de la spécificité des
attributions des agents municipaux et les élus indiquent s’opposer à tout contrôle qui
s’apparenterait à un jugement en opportunité sur la doctrine d’emploi25.

23
Cf. Article 31 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
24
Cf. Article 18 al. 4 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
25
Cour des Comptes, Les Polices Municipales, Rapport public thématique, La documentation Française, Octobre
2020, p. 506. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-polices-municipales
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B- L’accroissement relatif des prérogatives de la police municipale

Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police


Municipale élargi les prérogatives des policiers municipaux (1) mais limite également les pouvoirs
de police du maire en matière de police municipale (2). Page | 238

1- Le développement des prérogatives dévolues aux agents de la police municipale

L’article 3 alinéa 1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice
de la Police Municipale et l’article 216 alinéa 1 de la Loi n° 024/2019 du 24 décembre 2019 portant
Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées disposent que : « le maire est chargé,
sous le contrôle du représentant de l’Etat, de la police municipale et de l’exécution des actes de
l’Etat y relatifs, par voie d’arrêté et de décision ». Au nom de l’Etat, il détient des pouvoirs de
police dite spéciale, dont la mise en œuvre s’effectue sous l’autorité du préfet 26. Dans cette
acception, le pouvoir de police est une modalité qui permet au maire d’imposer une décision ou de
faire respecter l’ordre public27 sous le contrôle du préfet. L’acte de police du maire est un acte
administratif unilatéral, c’est-à-dire un acte pris par une autorité administrative en plein exercice
de sa fonction et, qui crée des obligations exorbitantes aux particuliers28. Cet acte peut prendre soit
la forme d’un arrêté, soit d’une décision, soit d’une mise en demeure, soit d’une interdiction, soit
d’une autorisation (d’un permis de construire, lotir, implanter, occuper, démolir etc.)29. Les tâches
que les policiers municipaux sont chargés d’exécuter sont celles qui, dans la limite de leurs
attributions et sous son autorité, relèvent de la compétence du maire. Dans leur ensemble, ils
admettent d’ailleurs que c’est lui leur grand patron, le véritable chef de la police municipale.

Les mesures de police administrative prises par le maire visent le bon ordre public et ne
doivent pas se confondre avec l’ordre public assuré par l’autorité administrative. La police
municipale dépend donc de l’élu local qui détient un pouvoir de police, en vue d’assurer le bon
ordre, la sûreté, la sécurité, et la salubrité publiques en matière de circulation, de stationnement,
d’urbanisme, de protection civile, d’environnement, d’hygiène et salubrité sur le territoire de la
Commune ou de la Communauté Urbaine. De même, le Décret du 09 août 2022 a également doté
le magistrat municipal du pouvoir de contrôler l’existence et la validité des titres administratifs

26
Béraud, (D.) La police municipale, Encyclopedia Universalis, Collection Universalia, Paris, 1996.
27
L’expression d’ordre public évoque communément l’ordre dans la rue. Mais, c’est une notion qui est juridiquement
beaucoup plus subtile.
28
Binembe (M.R.), Op. Cit., p. 97.
29
Binembe (M.R.), Ibid.
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relevant de sa compétence. Ainsi, lorsqu’ils procèdent au contrôle de l’existence et de la validité


de ces titres, les agents chargés de la police municipale sont habilités en cas de violation avérée de
la réglementation, à vérifier et à relever l’identité du contrevenant 30. « En cas de refus
d’obtempérer du contrevenant ou si celui-ci se trouve dans l’impossibilité de justifier son identité,
Page | 239
l’agent chargé de la police municipale en rend compte immédiatement au maire qui peut saisir tout
officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement
compétent. Ce dernier peut alors ordonner au contrevenant de présenter sans délai une pièce
d’identité à l’agent chargé de la police municipale. A défaut de cet ordre, l’agent chargé de la
police municipale ne peut retenir ni le contrevenant, ni sa pièce d’identité, ni le titre administratif
en cause »31.

La police municipale a par ailleurs vu sa compétence de police judiciaire être élargie sous
l’autorité fonctionnelle de la hiérarchie judiciaire. Il faut noter que les agents de police municipale
sont désormais des agents de police judiciaire à compétence spéciale. Bien qu’ils n’effectuent pas
d’enquêtes judiciaires contrairement aux officiers de police judiciaire. A ce titre, ils ont la
possibilité dans leur domaine de compétences de dresser de véritables procès-verbaux alors
qu’avant, ils ne pouvaient qu’établir des rapports à l’intention du maire. Leurs procès-verbaux
devront dorénavant être adressés au Procureur de la République par l’intermédiaire du maire. Par
ailleurs, il faut relever que le caractère de ces polices est variable et d’une Commune ou d’une
Communauté Urbaine à l’autre, leurs visages changent, leurs moyens diffèrent et leurs activités
varient32. Il existe ainsi des polices municipales qui « s’arrogent » plus de pouvoirs que d’autres
quel que soit l’état du droit positif qui les gouverne toutes. On peut prendre l’exemple des
Communautés Urbaines qui généralement dégagent plus de moyens que les Communes
d’arrondissement et dont les polices municipales sont les mieux nanties et occupent l’ensemble du
territoire en termes de prérogatives au détriment de celles des Communes d’arrondissement. Si à
certains égards le maire semble être puissant, il reste tout de même limiter dans certains de ses
pouvoirs.

30
Cf. Article 30 al. 1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
31
Cf. Article 30 al. 2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
32
Malochet, (V.), « Que fait (réellement) la police municipale ? Une comparaison entre six villes », Délinquance,
justice et autres questions de société, juin 2010 (en ligne
http://laurentmucchielli.org/public/Que_fait_reellement_la_police_municipale.pdf).
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2- Les limites du pouvoir de police du Maire en matière de police municipale

D’un point de vue socio-politique, on peut se poser la question de savoir si les polices
municipales sont réellement des polices, au sens d’Egon Bittner, au regard des faibles pouvoirs de
coercition dont disposent les agents de police municipale33. Si l’on reprend sa définition classique Page | 240
qui entend la police comme « un instrument de distribution de la force non négociable et comme
un mécanisme de distribution dans la société d’une force justifiée par la société, le rôle de la
police étant de traiter toutes sortes de problèmes humains lorsque, et dans la mesure où leur
solution nécessite ou peut nécessiter l’usage de la force à l’endroit et au moment où ils
surgissent »34, nous pensons que les polices municipales au Cameroun n’ont pas encore toutes les
capacités et les moyens pour faire respecter les normes édictées par l’autorité municipale. D’une
part, l’autorité administrative dispose d’un pouvoir de substitution en vertu de l’article 222 du
Code Générale des Collectivités Territoriales, qui l’autorise à prendre pour toutes les Communes
d’une circonscription ou pour une ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait
pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien du bon ordre, de
la sécurité, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Mais lorsqu’une seule
Commune est en cause, ce pouvoir ne peut être exercé par le représentant de l’Etat qu’après mise
en demeure au maire resté sans résultat, au cas où la Commune concernée dispose d’un service de
police.

D’autre part, quand le maintien de l’ordre est menacé, l’autorité administrative peut se
substituer au maire pour exercer les pouvoirs de police relatifs à la répression des atteintes à la
tranquillité publique et au maintien du bon ordre dans des endroits où il se fait de grands
rassemblements de personnes. Les règlements pris par les autorités supérieures constituent
également une autre limite aux pouvoirs du maire en matière de police municipale. Le maire a
alors la possibilité de prendre des mesures plus sévères que celles fixées par le règlement (en
matière de police de la circulation par exemple). En revanche, il ne peut prendre des arrêtés
assouplissant ces règlements. Les mesures plus restrictives doivent être justifiées par des
circonstances particulières de temps et de lieu. Les pouvoirs de police du maire s’exercent en outre
dans le cadre légal sous le contrôle du juge administratif. Ainsi, les mesures de police doivent être
relatives au bon ordre mais pas au-delà. Les interdictions générales et absolues sont prohibées. Les

33
Malochet, (V.), Ibid.
34
Malochet, (V.), Ibidem.
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mesures en cause doivent respecter le principe d’égalité, les discriminations étant en conséquence
illégales. Tout comme le maire ne doit pas commettre de détournement de pouvoir en usant de ses
prérogatives dans un but autre que celui en vue duquel, elles lui ont été confiées. Certains régimes
spéciaux de police peuvent par ailleurs limiter les pouvoirs de police du maire comme en cas de
Page | 241
mesures exceptionnelles (situation d’exception et de restriction des libertés fondamentales).

Enfin, en matière de police judiciaire par contre, leurs attributions sont en revanche plus
restreintes et leurs pouvoirs de verbalisation se limitent au champ contraventionnel. On remarque
que les pouvoirs de police judiciaire de la police municipale sont eux, très limités en droit, puisque
la loi ne leur attribue qu’un pouvoir de constatations de certaines contraventions, notamment au
Code de la route, de l’urbanisme et de remise de rapports constatant des infractions pénales
(contraventions prévues au livre 3 titre 4 article 369 alinéa 10 du Code Pénal), à l’autorité
hiérarchique, à savoir le maire. Les policiers municipaux n’ont pas vocation à mener des enquêtes
et ne sont ni des auxiliaires de la police nationale et de la gendarmerie. On mesure donc, ici le
paradoxe juridique, tenant à l’ampleur des responsabilités du maire en matière de police et à la
faiblesse des prérogatives des agents de police municipale dans le maintien de l’ordre public
local35. On imagine aisément les distorsions observées dans le travail quotidien des policiers
municipaux soumis à cette impossibilité de droit d’user de leur pouvoir de fait 36. En somme, le
statut de la police municipale reste encore précaire et nécessite un renforcement pour en faire une
véritable police urbaine. S’il serait inepte de vouloir totalement standardiser l’activité des polices
municipales, il importe aujourd’hui de mieux baliser leur rôle au plan national pour améliorer leur
efficacité.

II- LE RENFORCEMENT DE LA PROFESSIONNALISATION DES POLICIERS


MUNICIPAUX POUR REDORER LE BLASON DE LA POLICE
MUNICIPALE

Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police


Municipale est une avancée majeure pour la légitimation professionnelle des policiers municipaux.

35
Sayous, Jean Louis. 1994. « Le statut juridique des polices municipales en France », Les Cahiers de la Sécurité
Intérieure, 1994, 16, pp. 72-81.
36
Ferret (J.), « Les polices municipales en France, une perspective socio-politique », Déviance et Société, Vol. 22, N°
3, 1998, p. 263
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Il faut dire qu’il améliore leur socialisation professionnelle (A) ainsi que leur relation avec les
forces de maintien de l’ordre et les populations (B).

A- L’amélioration de la socialisation professionnelle des policiers municipaux


Page | 242
On peut examiner le processus de professionnalisation des policiers municipaux à l’aune
des critères fonctionnalistes, tout en s’interrogeant à la manière interactionniste sur les étapes
qu’ils ont déjà su franchir, les obstacles qu’ils rencontrent et les stratégies qu’ils déploient pour
faire valoir la dignité de leur travail et transformer leur métier en profession37. En la matière, on
constate une évolution en ce qui concerne leur cadre d’emploi (1) et l’exigence de formation qui
les ont longtemps faits défauts (2).
1- Le cadre d’emploi des agents de la police municipale

En s’engageant sur la voie de la professionnalisation, les policiers municipaux témoignent


de leur volonté de redorer le blason d’un métier souvent contesté. Le rapport à l’autre constitue
l’une des questions majeures sur lesquelles les policiers municipaux sinon se divisent, du moins
expriment toutes les ambivalences de leurs positionnements professionnels38. Loin d’être
exclusivement catégorielles, leurs revendications sont tournées vers l’extérieur et visent la
revalorisation de leur image, auprès des populations qui les considèrent comme des brigands qui
leurs font subir des sévices. L’enjeu de reconnaissance de leur métier les rassemble autour d’un
même sentiment : le manque de reconnaissance. Les policiers municipaux souffrent de nombreuses
étiquettes (« faux policiers », « arnaqueurs », « gros bras », « bandits », « illettrés »,
« AWARAS », « sous-policiers » etc.) qui leurs collent à l’uniforme et alimentent leurs
frustrations. Des clichés qui sont de nature à dévaloriser le policier municipal et l’attrait pour ce
métier auprès des jeunes. Cette méconnaissance les discrédite dans l’exercice de leurs missions
quotidiennes et ils ont la sensation que leur autorité est désavouée et leur valeur professionnelle,
niée. Ce portrait peu flatteur et réducteur des policiers municipaux associés à de la racaille ou des
délinquants a été corrigé par le Décret du 09 août 2022 car, la question du recrutement de ces
agents à longuement posé problème vis-à-vis du public. Surtout que faute de données disponibles,
on ne pouvait déterminer avec précision les modes d’entrées dans la police municipale.

37
Malochet (V.), « Les enjeux de la professionnalisation » in Les policiers municipaux, Paris, Coll. Partage du savoir,
PUF, 2007, p. 145-165
38
Malochet (V.), « La socialisation professionnelle des policiers municipaux en France », Déviance et Société, Vol.
35, N° 3, 2011, p. 427.
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Dorénavant, pour être recruté comme policier municipal, il faut remplir les conditions
fixées par l’article 17 alinéa 2 dudit Décret nonobstant les conditions générales de recrutement du
personnel des Collectivités Territoriales Décentralisées. Il faut être de nationalité camerounaise,
jouir de ses droits civiques, être de bonne moralité, être titulaire des diplômes correspondant au
Page | 243
niveau de l’emploi postulé, être physiquement apte à exercer l’emploi postulé, n’avoir jamais fait
l’objet d’une condamnation pour crime ou délit, être âgé de vingt-et-un (21) ans au moins et de
trente-cinq (35) ans au plus au moment du recrutement. Les candidats au recrutement dans la police
municipale font l’objet d’une enquête de moralité préalable par les services compétents de l’Etat,
à la demande du maire. Réalisée par des institutions telles que la Sureté Nationale, la Gendarmerie
Nationale ou l’armée, cette enquête discrète et utile se fait à travers des investigations précises sur
les antécédents du candidat, en vue de déterminer son profil et s’assurer qu’il est de bonne
moralité39. Celle-ci apparaît comme un moyen sûr de procéder à un criblage afin de veiller à ce
que des éléments corrompus ne s’infiltrent pas et limite de nombreux cas de dérives et de
comportements contraires à l’éthique professionnelle qui gangrène le métier. Les fonctions d’agent
chargé de la police municipale ne peuvent être exercées que par des agents communaux recrutés à
cet effet.

La reconversion est interdite pour les agents des forces de sécurité étatiques en fonction ou
ayant appartenu à ces corps de métier40. Ces critères de recrutement ou de sélection du policier
municipal mettent fin au hasard ou à l’opportunité comme mode d’entrée dans la police
municipale. Il faut relever que les agents de l’ancienne génération, souvent « du cru », expliquent
avoir été recrutés à la police municipale soit par opportunité d’être embauché à la mairie, soit au
hasard de la vie, aux aléas de l’existence. En tout cas, ils ont été recrutés sans rien connaître à la
fonction et expliquent avoir été attirés non pas tant par le travail policier que par la vocation ou
l’attrait pour le métier, mais par des arguments socioéconomiques tenant à la nécessité de trouver
un emploi stable. En somme, ils n’ont pas vraiment choisi l’uniforme mais se sont retrouvés là par
défaut faute d’avoir trouvé mieux ailleurs ou n’avoir pas pu intégrer les forces de sécurité de l’Etat.
Aujourd’hui plus qu’hier, devenir policier municipal c’est respecter un ensemble de
conditionnalités liées à l’évolution sélective du recrutement. Parce qu’il faut désormais s’inscrire

39
Nyama Ngam (C.), « La problématique de l’enquête de moralité au Cameroun », Journal de la Recherche
Scientifique de l’Université de Lomé, Vol. 20, N° 4, 2018, p. 247-255.
40
Cf. Article 17 al. 4 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
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soit à un concours ou faire étudier son dossier pour postuler auprès des mairies et suivre une
formation. On n’entre plus désormais dans cette filière sans être renseigné a minima sur le travail.

2- L’exigence de formation des agents de la police municipale


Page | 244
Avant le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police
Municipale, rien n’était formellement prévu par les textes en matière de formation des policiers
municipaux. Contrairement aux forces de maintien de l’ordre (police et gendarmerie nationale) qui
ont des centres et des écoles de formation, les policiers municipaux se formaient tout seuls ou sur
le tas. Parfois, cette formation dépendait des dispositions prises localement par les maires des
Communes ou des Communautés Urbaines. Certaines Municipalités comme la Communauté
Urbaine de Douala envoyait leur personnel de police municipale se former au Centre Spécialisé
d’Instruction, d’Application et de Perfectionnement du Génie Militaire (CSIAP-GEN) ou encore
à la caserne du Groupe d’Escadrons N° 2 à MBOPPI comme la Commune d’arrondissement de
Douala 3ème. Assurément, la mise en place de la formation a changé la donne et les policiers
municipaux ne manquent pas de le faire valoir. C’est, disent-ils, un gage de crédibilité
professionnelle, notamment vis-à-vis des autres acteurs de la sécurité publique (police et
gendarmerie nationale). « Avant, nos confrères de la police ou de la gendarmerie nationale nous
disaient : de toutes façons, vous n’êtes pas des policiers, vous n’avez pas de formation, vous ne
savez rien faire ! (…) » souligne un agent de police municipale de la Communauté Urbaine de
Yaoundé41.

Tout ça a changé car, la formation apparaît désormais comme un instrument de la mise en


œuvre de la police de proximité, comme un facteur de modernisation et de valorisation des
compétences et comme une animation d’un réseau dynamique au bénéfice des services
opérationnels. L’article 18 alinéa 2 et 3 du Décret précise désormais qu’avant leur entrée en
fonction, les agents chargés de la police municipale bénéficient, à l’initiative de la Commune,
d’une formation de base ou d’un recyclage à la gestion des libertés publiques, aux techniques de
gestion de l’ordre urbain, à l’assistance publique, à la protection civile ou à tout autre domaine
relevant de leurs compétences à la National School of Local Administration de Buea. Avec
l’érection de cette école, on constate une uniformisation du dispositif afin de formater l’ensemble
des policiers municipaux de la même façon. Même si, l’idéal serait d’avoir une école de police

41
Entretien effectué par l’auteur dans le cadre de ce travail de recherche auprès des policiers municipaux des
Communautés Urbaines de Yaoundé et de Douala.
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municipale, sur le modèle de la police nationale et de la gendarmerie afin d’insuffler l’esprit de


corps et de contribuer à la construction d’une identité commune à l’ensemble des agents de police
municipale, quel que soit leur lieu d’exercice. Certains agents interviewés lors de notre enquête de
terrain à Douala et à Yaoundé estiment que la mise sur pied de la formation est bien, mais loin
Page | 245
d’être suffisante.

Pour eux, il faut une vraie formation, une vraie école de police municipale qui soit une
institution afin de « corporiser », de donner le même moule de formation à l’ensemble des policiers
municipaux. Cette revendication s’inscrit dans la dynamique de professionnalisation des policiers
municipaux et participe d’une stratégie de légitimation qui prend pour référence le système de
formation des forces de sécurité de l’Etat42. Mais si consensuel soit-il, ce concept d’école n’en
cache pas moins des attentes plurielles à l’égard des contenus de la formation qui restent encore à
définir : forcer l’identification collective est une chose, mais sur quelle base ? Encore faut-il
s’accorder sur les messages à véhiculer, le modèle à promouvoir et les finalités de l’action 43. Or,
en l’état, il n’y a pas encore de doctrine d’emploi unique pour les polices municipales. Toutefois,
si les policiers municipaux en appellent à la consolidation de leur dispositif de formation parce
qu’ils savent qu’il en va de leur reconnaissance professionnelle, ils disent aussi que l’apprentissage
du métier ne se résume pas à la formation initiale d’application : c’est une étape certes nécessaire
pour incorporer les bases théoriques et les fondamentaux du métier, mais bien insuffisante pour
développer les aptitudes relationnelles et les capacités réactives indispensables au travail de la voie
publique44. Le rapport à l’autre constitue l’autre question majeure sur laquelle les policiers
municipaux expriment leurs positionnements professionnels.

B- L’amélioration des relations avec les forces de maintien de l’ordre et les populations

De bonnes relations entre citoyens et policiers sont une condition déterminante pour
permettre à la population de se sentir en sécurité et à la police de travailler efficacement. A cet
effet, l’amélioration des relations de la police municipale vis-à-vis de la population (1) et des forces
de maintien de l’ordre (2) est une condition sine qua non pour légitimer ce corps de métier.

42
Malochet (V.), « La socialisation professionnelle des policiers municipaux en France », Déviance et Société, Vol.
35, N° 3, 2011, p. 421.
43
Malochet (V.), Ibid.
44
Malochet (V.), Op. Cit., p. 422-423.
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1- La relation avec les populations, entre confiance et méfiance

La question du lien entre police et population revient à poser la question de la police de


proximité (comment la police agit avec la communauté ?) mais aussi la question de la perception
qu’ont les citoyens de leur police (ce qui renvoie à leur confiance dans la capacité de la police à Page | 246
traiter effectivement les problèmes locaux) et enfin de celle de l’implication des habitants dans les
politiques publiques en général et celles de prévention et de sécurité en particulier 45. En effet, il
est difficile d’apporter une analyse commune au niveau national de l’état des relations que tissent
les services de police municipale avec les populations qu’elles sont censées servir. Il faut relever
que toutes les Communes ou Communautés Urbaines ne disposent pas de service de police
municipale même si la Loi n° 024/2019 du 24 décembre 2019 portant Code Général des
Collectivités Territoriales Décentralisées et le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les
conditions d’exercice de la Police Municipale leurs confèrent le pouvoir d’en créer. De même, les
relations de ces forces de police municipale avec les populations sont très différentes dans les villes
que dans les périphéries. A Douala et à Yaoundé, deux villes du Cameroun qui comportent de
véritables polices municipales mieux équipées et très organisées sur le plan fonctionnel, l’image
des policiers municipaux reste sujette à caution et soulève de nombreux paradoxes. Dans ces
agglomérations, pour le commerçant ou le conducteur de moto-taxi, le policier municipal est
symbole de répression.

A chaque fois qu’il exerce ses missions46, on a l’impression d’assister à un abus de pouvoir.
Comme la police municipale intervient dans bon nombre d’actions visant le bon ordre urbain, elle
est fréquemment l’objet de discussions sur son équité, son impartialité et son intégrité. Néanmoins,
on constate généralement chez le citoyen un manque de connaissance des missions et du
fonctionnement des services de police municipale. Ces problèmes de communication et de
représentation engendrent de réelles tensions entre policiers municipaux et citoyens et ont des
conséquences néfastes sur le bon fonctionnement de la police municipale. La confiance envers
l’institution policière se cultive grâce à la qualité du dialogue avec la population, la légitimité de
son intervention, la transparence dans ses actions et l’utilisation du pouvoir qui lui a été confié par
le maire. C’est pourquoi la police municipale en tant que police de proximité doit être proche des

45
Forum européen pour la sécurité urbaine. 2016. Les relations police-population : enjeux, pratiques locales et
recommandations, p. 10
46
Il est vrai que certaines actions de casses, de déguerpissements, de démolitions et d’opérations coups de poing
biaisent l’image du policier municipal au sein de l’opinion public et annihile tout le travail quotidien qu’il fait pour le
bien-être des populations et le bon ordre dans la ville.
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citoyens, polyvalente et responsable. Une police municipale bien implantée a une bonne
connaissance du terrain et de son espace d’intervention. Il est important que la police municipale
ait un contact permanent avec la population car, elle ne se situe pas en face de la société mais en
son sein. L’adhésion à la police de proximité suppose que les autorités municipales organisent ce
Page | 247
service de telle sorte que les citoyens puissent être associés à la prise de décisions.

La légitimité de la police municipale se base sur la confiance de la population qui, à son


tour, est influencée par l’efficacité des stratégies de sécurité déployées ainsi que par les
comportements des policiers municipaux au moment des interventions. Les stratégies de
rapprochement avec la population permettent aux citoyens et aux policiers municipaux de mieux
se connaître et d’apprendre à travailler ensemble à l’établissement ainsi qu’à la préservation du
bon ordre urbain et à la qualité de vie des populations. En d’autres termes, les citoyens évaluent
l’action policière comme étant légitime si son intervention est justifiée et respectueuse des libertés
civiles47. L’intervention policière, pour être légitime, doit réunir cinq qualités : répondre à un
besoin ressenti par la communauté, reposer sur des valeurs et des principes communs et reconnus,
être équitable, être exercée efficacement par des fonctionnaires responsables et dignes de confiance
et appliquer le principe de la moindre contrainte48. Par ailleurs, un effort de communication est
nécessaire pour créer des espaces de rencontre et de débats entre la police municipale et les
citoyens, pour expliquer le rôle de la police municipale et pour informer le public sur le travail et
les réussites des policiers municipaux. Le rôle des médias dans ce sens peut également être crucial
et fondamental pour valoriser les missions de la police municipale auprès des citoyens. Et comme
le dit si bien EKOA MBESSE Ferdinand, Commandant de Brigade et ancien Sous-directeur de la
Sécurité Interne à la Direction de la Police Municipale et de la Sécurité de la Mairie de la Ville de
Douala : « aujourd’hui, aucun milieu professionnel ne peut rester en marge du processus de
communication ».

2- La relation entre la police municipale et les forces de maintien de l’ordre

La police municipale et les forces de maintien de l’ordre (police et gendarmerie nationale)


se sont longtemps regardées en chiens de faïence. D’un côté, la « nationale », policiers et
gendarmes, sous la houlette de la Délégation Générale à la Sûreté Nationale et le Ministère de la

47
Mawby (R.), Policing Images, New York: Routledge, 2012, 224 p.
48
Francopol, La police de proximité, un concept appliqué à la francophonie, Montréal, 2015, p. 17.

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Défense. De l’autre, la « municipale », sous l’autorité du maire. Chacun chez soi, les premiers
regardant parfois de haut les seconds. L’évolution de la décentralisation et la nécessité de répondre
davantage aux défis que posent les villes en matière de bon ordre ont fait voler en éclats ces
barrières. Désormais, l’heure est à la coopération des polices avec le Décret N° 2022/354 du 09
Page | 248
Août 2022 fixant les modalités d’exercice de la Police Municipale. Ainsi, dans le cadre de
l’exécution de leurs missions : « le maire peut solliciter, en tant que de besoin, auprès de l’autorité
administrative territorialement compétente, le concours des agents des forces de maintien de
l’ordre, pour encadrer le personnel du service chargé de la police municipale »49. « Lorsque
l’autorité administrative compétente a accédé à la requête du maire, les agents des forces de
maintien de l’ordre sont tenus d’apporter leur appui au magistrat municipal, dans le respect des
lois et règlements en vigueur »50. L’objectif recherché est à la fois une meilleure coordination
opérationnelle avec les polices municipales mais également le renforcement de la complémentarité
des deux services, nationaux et municipaux.

Cette recherche doit malgré tout prendre en compte la volonté des élus qui, conditionne la
physionomie des rapports entre le service chargé de la police municipale et les forces de maintien
de l’ordre. Les entretiens menés, comme les observations faites sur le terrain, montrent néanmoins
de bonnes relations professionnelles entre la police municipale, la police nationale et la
gendarmerie, tous niveaux confondus. A Douala tout comme à Yaoundé, les coopérations sont
organisées et se font plutôt bien. Elles s’appuient à la fois sur des relations étroites entre les élus
et l’état-major de la police nationale et de la gendarmerie à travers un objectif commun d’améliorer
la coordination des forces sur le terrain dans le respect de leurs compétences respectives avec un
souci d’efficience (complémentarité des missions)51, de développer les relations inter-services non
seulement en ce qui concerne leur action quotidienne, mais aussi pour ce qui est de leur
organisation (opérations communes sur la voie publique) ainsi que des moyens humains et
matériels mis en œuvre (information, communications…). Les agents de la police nationale et de
la gendarmerie travaillent ensemble avec les agents de la police municipale sur le terrain

49
Cf. Article 27 al. 1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
50
Cf. Article 27 al. 2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
51
La police municipale et les forces de sécurité de l’Etat ont vocation, dans le respect de leurs compétences propres,
à intervenir en complémentarité sur la totalité du territoire de la Commune, sur la base d’un cadre juridique clair sans
lequel la confusion risque de se développer entre leurs missions respectives. Voir Nyabenga (B.), La police municipale
dans le contexte de décentralisation au Cameroun, Yaoundé, Editions de midi, 2023, 201 p.
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régulièrement, aussi bien en journée, que dans la nuit, ou encore dans le cadre des opérations de
grandes envergures (opérations coups de poing) dans la ville (opération de libération des emprises
publiques, opérations de démolitions des constructions illégales et anarchiques etc.).

« Nous avons tous les jours des liens opérationnels réguliers à tous les niveaux Page | 249
hiérarchiques. Nous échangeons en amont des événements pour travailler de manière
coordonner », précise le Colonel de Gendarmerie TOUKO Christophe, Inspecteur N° 3 en charge
des services de sécurité et de la lutte contre le désordre urbain à l’Inspection Général des Services
de la Mairie de la Ville de Douala. Il précise également que : « les missions des agents se
complètent. La police municipale a un rôle de proximité et elle est visible sur l’espace public, mais
son domaine de compétence ne lui permet pas d’intervenir pour tout. La police nationale et la
gendarmerie ont quant à elles un champ de compétences plus large qui vient prolonger ce travail
de proximité ». Pour renforcer les relations entre la police municipale et les forces de maintien de
l’ordre, les coopérations opérationnelles sont travaillées dans le cadre d’espaces de discussion,
d’échange et de partage d’informations comme les réunions conjointes, les conseils locaux de
sécurité, les groupes de travail, les plateformes de collaboration entre Communautés Urbaines et
Communes d’Arrondissement etc. Les orientations et champs d’action de la police municipale sont
clairement définis et les coopérations avec la police nationale et la gendarmerie sont organisées
sur la base d’orientations partagées. « La collaboration est donc franche et sincère et elle se
poursuit sur le terrain pour le bon ordre urbain et le bien-être des populations » affirme Madame
WONDJE NGOTHY Georgie Aurore Arlette Epse ALEMOKA, Directrice Adjointe en charge du
Contrôle de la Circulation et de l’Occupation de la Voie et des Espaces Publics à la Direction de
la Police Municipale et de la Sécurité de la Mairie de la ville de Douala.

Conclusion

Quel avenir pour la police municipale au Cameroun ? Si ce n’est dire qu’elle monte en
puissance sur fond de recentrage des priorités étatiques dans un contexte de décentralisation de
l’action publique. Aux côtés de la police nationale et de la gendarmerie, elle est reconnue
désormais comme un acteur clé dans les dispositifs de sécurisation de l’espace public. Elle est
mobilisée pour préserver l’ordre quotidien dans la ville, sinon pour prévenir et réguler les désordres
urbains52. Cependant des difficultés et des résistances existent encore entre les citoyens et la police

52
Pour comprendre le phénomène du désordre urbain à Douala, lire Nana Ngassam, Rodrigue. 2020. « Cameroun :
l’urbain informel et ses paradoxes à Douala », Magazine Formes, le 25 mai 2020,
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municipale, ce qui mine la légitimité de la seconde, réduit la confiance et l’obéissance des premiers
et réduit dès lors également l’efficacité de la seconde, au terme d’un cercle vicieux évident. Alors
que la perception positive des citoyens à l’égard de la police municipale est un aspect essentiel de
son efficacité. C’est pourquoi elle doit se réinventer à travers une approche associant prévention,
Page | 250
dissuasion, répression, sanction et responsabilisation dans le travail du policier municipal. Et ce
travail de réinvention des polices municipales doit se faire par les maires en développant une
rhétorique et des outils d’action renouvelés pour assurer les missions qui leurs sont confiées par la
Loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales
Décentralisées et le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les modalités d’exercice de la
Police Municipale.

De même, l’Etat doit également faire plus dans le renforcement des prérogatives des polices
municipales et pourquoi ne pas lui apporter un statut (carrière, grades, élargissement des missions
etc.). Les maires conservent encore aujourd’hui le pouvoir de les créer, mais les compétences de
ces dernières sont strictement limitées. Elles n’ont, en aucun cas, pour mission de réprimer
(contrôles d’identité, saisies des matériels et équipements) sans avoir l’autorisation de l’autorité
administrative qui contrôle les maires dans leurs attributions de police municipale et approuve ou
non leurs arrêtés. Par ailleurs, en matière de coopération avec les forces de maintien de l’ordre, il
urge de mettre sur pied un dispositif de co-production de la sécurité avec les polices municipales
comme les conventions de coordination afin de lutter efficacement contre le désordre urbain et les
incivilités urbaines. Il est nécessaire que ces différentes forces puissent coopérer à travers un travail
partenarial où les acteurs tiennent des places égales, respectueuses de leurs attributions respectives
et des choix opérés dans l’intérêt des citoyens. Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les
modalités d’exercice de la Police Municipale est une avancée certes, mais espérons que la volonté
et le courage politique prennent enfin conscience du rôle des polices municipales pour en faire une
véritable police territoriale au côté de la police nationale et de la gendarmerie.

https://www.formes.ca/territoire/articles/l-urbain-informel-a-douala ; Nana Ngassam, Rodrigue. 2020. « Le contrôle


des espaces publics par le commerce informel à Douala », Magazine Formes, le 1er juin 2020,
https://www.formes.ca/territoire/articles/les-espaces-publics-a-douala ; Onana (J.), Gouverner le désordre urbain.
Sortir de la tragique impuissance de la puissance publique au Cameroun, Paris, l’Harmattan, 2019, 338 p.
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Enjeux et contraintes de l’engagement humanitaire de la Croix-Rouge dans la


crise anglophone
Stakes and constraints of the humanitarian commitment of the Red Cross in the
Anglophone crisis Page | 251
Par :
YEPMOU Landry
Doctorant en Science politique
Université de Dschang-Cameroun
landry.yepmou@yahoo.com
Résumé :
Le problème anglophone qui a dégénéré en conflit armé est aujourd’hui au Cameroun l’un
des évènements majeurs qui font appel à des interventions humanitaires rigoureuses. Face à ces
urgences humanitaires, une pluralité d’acteurs notamment d’ONG de solidarité s’entremêle et
parmi elles, le Mouvement Croix-Rouge joue un rôle primordial. La présente étude s’attache à
démontrer que l’engagement de cette entreprise humanitaire dans ladite crise n’est pas fortuit,
mais est motivé par des enjeux manifestes et latents. Aussi, l’étude démontre-t-elle que dans la
poursuite de ces enjeux, la Croix-Rouge se heurte à de multiples pesanteurs, lesquelles
compromettent son efficacité. Mettant en saillance une démarche qualitative, nos analyses
s’appuient sur l’exploration des documents et les entretiens. La méthode de l’interaction
stratégique et la théorie de la gouvernance ont également permis d’analyser les données
recueillies.

Mots clés : Engagement, Enjeux, Contraintes, Croix-Rouge, Humanitaire.

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Abstract:

The Anglophone crisis that generated into an arm conflict is one of the major events in
Cameroon that appeals for rigorous humanitarian interventions. Face to this humanitarian
urgencies, a plurality of actors notably NGOs intermingle and among them, the Red Cross plays Page | 252
a particular role. This paper therefore, wish to show that the engagement of this humanitarian
enterprise into the named crisis is not fortuitous, but motivated by stakes that are manifests or
latent. In addition, the study shows that in her pursuit of these challenges, the Red Cross is
subjected to multiple constraints that compromise her efficiency. While making usage of a
qualitative method, the present study relies on documents exploration and interviews. The strategic
interaction method coupled to the governance theory permitted us to analyze collected data.

Key Words: Engagement, Stakes, Constraints, Red Cross, Humanitarian.

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Introduction

Le Cameroun est confronté depuis plusieurs années déjà à une grave crise sécuritaire et
identitaire dans ses régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest1. Ladite crise a plongé ces
parties du pays dans un cycle de violences de plus en plus meurtrières.2 En fait, ce qu’il est convenu Page | 253
d’appeler aujourd’hui la crise anglophone ou la crise du NOSO3 est le résultat d’un « problème
anglophone » né de la fragilité du modèle de construction nationale comprenant deux entités à
l’héritage colonial différent et qui, depuis 2016 s’est transformé en un conflit armé opposant les
insurgés sécessionnistes à l’armée régulière.4 Ce conflit prend corps avec les revendications
corporatistes des avocats et des enseignants, qui se sont mués progressivement en revendications
politiques où une faction constituée des plus radicales réclament sans ambages, la sécession et la
constitution d’un État « imaginaire » autonome qu’ils dénommeraient Ambazonie5 ou encore, the
Ambazonian Republic.

Au fil du temps, le conflit s’est enlisé et l’on estime qu’après plusieurs mois
d’affrontements, il y a eu plus de 1850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers
de réfugiés.6 Au regard de ce bilan, il ne fait plus l’ombre d’aucun doute que la répercussion
majeure de cette crise est l’augmentation excessive des populations nécessiteuses7. Parmi elles, les
déplacés sont majoritairement des personnes vulnérables en particulier, les femmes, les enfants et
les personnes âgées. Par manque de moyens, ces nécessiteux font face à de nombreux défis comme
ceux liés au logement, à la santé, à l’alimentation, à l’éducation et même à l’insertion, etc.8

Dans ce contexte marqué par une condition humanitaire précaire, la solidarité s’est
constituée en faveur de ces nécessiteux. Ceci étant, la Croix-Rouge reconnue comme la plus vieille
agence de solidarité dans le monde n’est pas restée indifférente. Celle-ci par des actions

1
MACHIKOU (N.), « Utopie et dystopie Ambazoniennes : Dieu, les Dieux et la crise anglophone au Cameroun »,
Politique Africaine, Vol.2, n° 150, 2018, p. 4
2
KEUTCHEU (J.), « La crise anglophone : entre lutte de reconnaissance, mouvements protestataires et renégociation
du projet hégémonique de l’État au Cameroun », Politique et Sociétés, Vol. 40, n° 2, 2021, p.2
3
Expression trivialement utilisée pour faire référence aux régions camerounaises du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
4
PESSETVE (A.) et TCHANGUI (S.), (dirs) « Crise dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest et insertion
économique des déplacées internes au Cameroun : le cas des départements de la Menoua et des Bamboutos »,
Dynamiques sécessionnistes « normalisées » et diplocamue à l’ère de la mondialisation, Yaoundé, Monange, 2022,
p. 242
5
ABE, cité par FOUTSOP et DONGMO (T.), Pour un Foumban II : les incongruités de la conférence
constitutionnelle de 1961, Yaoundé, Monange, 2019, p.174
6
International crises group, cité par KEUTCHEU (J.), op.cit., p.3
7
Tout au long de cette réflexion, nous utiliserons ce terme pour faire allusion aux déplacés internes, aux sinistrés voire
même aux réfugiés.
8
PESSETVE (A.) et TCHANGUI (S.), op.cit., p.230
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multiformes participe à la prise en charge et à l’encadrement de cette couche fragile et vulnérable


issue dudit conflit anglophone. En effet, si l’État est devenu très grand pour les petits problèmes
et trop petit pour les grands9, les aides humanitaires au-delà de celles menées par l’État
camerounais dans ces parties du pays et leurs environs ont besoin d’approches rigoureuses par de
Page | 254
véritables entreprises humanitaires10. C’est dans ce sillage que le mouvement Croix-Rouge à
travers son organe Croix-Rouge Camerounaise, auxiliaire11 des pouvoirs publics dans le domaine
humanitaire, conjugue des efforts aux côtés du gouvernement camerounais et plusieurs autres
partenaires dans le but de porter assistances aux nécessiteux issus de cette crise anglophone. Ces
opérations d’aide de la Croix-Rouge s’articulent en faveur de leur prise en charge sanitaire,
scolaire, alimentaire et l’assistance au logement. Aussi, s’évertue-t-elle à les encadrer dans le but
de favoriser leur insertion/réinsertion sociale, leur autonomisation par la création des microprojets
(petits métiers), la formation aux Activités Génératrices de Revenus (AGR) et enfin leur
regroupement familial à travers la recherche des personnes disparues, laquelle vise au
rétablissement des liens familiaux.

Toutefois, suivant la logique interactionniste, cette dynamique d’investissement et


d’engagement de la Croix-Rouge qui s’exerce dans cette crise anglophone n’est pas seulement
dénuée de tout intérêt, mais est aussi entravée. Car, les acteurs ont toujours des objectifs ; il n’y a
pas d’acte gratuit, le comportement de chacun dans une situation interactionnelle est toujours
orienté vers des buts12 et, ces acteurs dans la quête de leurs objectifs font face à des éléments qui
leur sont défavorables. Dès lors, la question qui constitue le fil conducteur de cette réflexion est
celle de savoir quels sont les enjeux et les contraintes qui structurent les actions et interactions de
la Croix-Rouge dans son élan de solidarité auprès des nécessiteux issus de la crise anglophone ?

Répondre à cette interrogation nous a commandé d’adopter une démarche qualitative dont
la matrice de collecte des données constituée autour des entretiens semi-directifs, l’exploration des
documents et les observations participantes directes ont permis de mettre en évidence les résultats
de cette étude. Aussi, nous avons pris appui sur les acquis méthodologiques de l’interaction
stratégique pour démontrer que ce conflit anglophone est un espace d’actions et d’interactions qui

9
KAZANCIGIL (A.), « Gouvernance et science : modes de gestion de la société et de production de savoir emprunter
au marché » Revue Internationale des sciences sociales (RISS), n° 155, Mars 1998, p.74
10
OWONA NGUINI (M-E.), « L’espace humanitaire en Afrique Centrale », ENJEUX, n° 8, Juillet, septembre, 2001,
p.3
11
Voir le décret N° 63/DF/6 du 9 Janvier 1963 du président Ahmadou AHIDJO portant reconnaissance de la Croix-
Rouge Camerounaise comme Association d’utilité publique.
12
ROJOT (J.), Théories des organisations, Paris, ESKA, 2003, p. 216
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permet à la Croix-Rouge d’être un homo strategui, c’est-à-dire, un acteur stratégique dont le


comportement est l’expression d’intentions, de réflexions, d’anticipation ou de calculs13. Enfin, la
théorie de la gouvernance s’est avérée pertinente pour la présente étude puisqu’elle nous a permis
de démontrer que la collaboration entre la Croix-Rouge et le gouvernement camerounais vise des
Page | 255
objectifs communs, c’est-à-dire, l’amélioration des conditions de vie des nécessiteux issus du
conflit anglophone dans un cadre humanitaire bien défini. Gerry Stoker opine à cet effet que
« gouverner du point de vue de la gouvernance est toujours un processus interactif parce qu’aucun
acteur public ou privé ne dispose des connaissances et des ressources nécessaires pour s’attaquer
seul aux problèmes »14. Autrement dit, au regard de la montée de l’urgence humanitaire dans le
NOSO et ses environs, il est impératif pour le gouvernement camerounais de faire équipe avec les
organisations humanitaires au rang desquelles la Croix-Rouge occupe une place primordiale.

Tout compte fait, le premier débat que suscite cette gymnastique intellectuelle est de
ressortir les enjeux qui sous-tendent l’engagement de la Croix-Rouge dans le conflit anglophone
(I) et le second, de mettre en lumière les contraintes auxquelles elle est soumise (II).

I- LES ENJEUX DE L’ENGAGEMENT DE LA CROIX-ROUGE DANS LA


CRISE ANGLOPHONE
Les acteurs agissent sur la scène internationale dans un contexte d’indépendance
stratégique15. Dans cette perspective, ils se comportent en acteurs stratèges, c’est-à-dire, « des
acteurs empiriques dont les comportements sont l’expression d’intentions, de réflexions,
d’anticipations et de calculs et ne sont en aucun cas entièrement explicables par des éléments
antérieurs »16. En d’autres termes, l’engagement de la Croix-Rouge dans le déploiement des
opérations d’aide humanitaire en faveur des nécessiteux issus de la crise anglophone est sous-tendu
par de multiples enjeux17. Ledit engagement se fonde en effet sur des jeux d’interactions
stratégiques très complexes18. Cette agence de solidarité est donc un acteur stratège et ses diverses
actions et interactions constituent des ressources qu’elle détient, et sur lesquelles elle s’appuie pour

13
FRIEDBERG (É.), Le pouvoir et la règle. Dynamique de l’action organisée, Paris, Seuil, 1993, p. 203
14
STOKER (G.), « cinq propositions pour une théorie de la gouvernance », Revue Internationales des Sciences
Sociales, n° 155, Mars 1998, p. 20
15
FRIEDBERG (É.), op.cit., p.25
16
Ibid., p. 203
17
« Ce que chaque acteur cherche à obtenir dans le nœud de relations créées à l’occasion d’une situation
interactionnelle constitue ses enjeux. Pour chaque acteur impliqué dans une situation, ces enjeux constituent ses
objectifs concrets. Les objectifs par ailleurs sont ce que vise l’acteur dans une situation immédiate ». Cf. ROJOT (J.),
op.cit., p.218.
18
KEOHANE (R.) et NYE (J.), Power and interdependence: world politics in transition, New York, Longman, 2001
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parvenir à ses fins, de même que les enjeux de ses actions, c’est-à-dire ce qu’elle risque de perdre
ou de gagner19.

Autrement dit, le comportement de tout acteur dans une organisation est stratégique.
Chacun est actif dans la direction qu’il suit et partant, vers ses propres objectifs. Somme tout, Page | 256
chaque acteur dans le jeu est libre et veut faire prévaloir ses intérêts ; gagner et satisfaire ses
objectifs. C’est dans cette logique que la Croix-Rouge poursuit des enjeux qui sont soit manifestes
(A) soit latents (B) dans son élan de solidarité en faveur des nécessiteux issus de la crise
anglophone.

A- Les enjeux manifestes de l’engagement de la Croix-Rouge

Les enjeux manifestes sont des objectifs clairs et explicites des acteurs. Le plus souvent,
ce sont des motivations altruistes. Pour ce qui est du Mouvement International de la Croix-Rouge
(MICR), il poursuit à travers sa participation à la prise en charge et à l’encadrement des personnes
nécessiteuses issues du conflit anglophone, des enjeux humanitaires (1) et sociaux (2).

1- L’enjeu humanitaire : entre gestion des urgences et promotion du développement

L’humanitaire comprend toute action entreprise en vue d’aider les êtres humains en état de
souffrance physique ou morale, en particulier lors des désastres qu’ils soient d’origine humaine,
naturelle ou technologique, et aussi en période de conflits armés. Ce faisant, l’action humanitaire
est devenue depuis plusieurs décennies un enjeu planétaire global et son déploiement est en effet
une « préoccupation commune de tous ». L’engagement humanitaire de la Croix-Rouge dans le
conflit anglophone laisse bien percevoir cette réalité, car, elle a le souci de la gestion des urgences
dans l’immédiat et la promotion du développement dans le long terme.

Pour les médias, l’opinion publique et une partie des organisations humanitaires,
l’assistance humanitaire relève avant tout, sinon exclusivement, du domaine de l’urgence comme
le décrit Gérard Dupuy dans son éditorial de libération du 16 juillet 199920. Rappelons que, la
chaine de l’aide humanitaire a toujours comporté des acteurs spécialisés pour les situations dites
d’urgence ; ce à quoi, au Cameroun, la Croix-Rouge s’est conformée. L’action d’urgence se situe
dans l’immédiat, la promptitude et se conduit le plus souvent sans débats avec les populations

19
ROLEAU (L.), Théories des organisations, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007
20
MERLIN (M.) et CHEVALIER (P.), « L’humanitaire : ses exigences, ses enjeux », Médecins tropicales, 2002 ;
62, p. 350
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concernées. Pour certains, l’urgence c’est avant tout l’action sanitaire et l’aide alimentaire
s’appuyant sur une logique lourde21. Dans ce sillage, la gratuité des biens et des services fournis
est alors la règle.

De ce fait, les désastres ou les péripéties causées par le conflit anglophone amènent la Page | 257
Croix-Rouge à se mobiliser afin de gérer les urgences, laquelle gestion est l’une de ses missions
principales. En effet, lorsqu’une catastrophe frappe ou lorsque nait un conflit armé à l’instar de
celui dans les zones anglophones du Cameroun, assurer la sécurité publique, l’assistance sanitaire
et l’aide alimentaire devient primordial. C’est pourquoi dans ces localités en crise, la Croix-Rouge,
les autorités locales et d’autres organismes travaillent en synergie afin de répondre aux besoins
immédiats des personnes touchées. Autrement dit, il s’agit de les venir en aide urgemment. Pour
se faire, et en ce qui concerne la Croix-Rouge, les services sociaux d’urgence sont offerts par des
bénévoles ou leurs employés attentionnés, lesquels ont tous reçu une formation axée sur les
techniques de premier secours22. La Croix-Rouge motivée par le souci d’urgence réalise à cet effet
une panoplie d’actions allant dans le sens de secourir les nécessiteux. Outre la gestion d’urgence,
cette entreprise de solidarité est également motivée par le souci de promouvoir le développement.

En plus de gérer les urgences, ce qui importe le plus aux organisations humanitaires c’est
de promouvoir le développement, lequel repose sur un processus participatif. Il s’agit d’une
approche globale touchant tous les aspects de la vie quotidienne : adduction d’eau, habitat, circuits
bancaires et commerciaux, débats démocratiques,23 etc. En effet, l’implication des humanitaires,
notamment de la Croix-Rouge dans le panorama du développement durable à moyen terme devient
un impératif pragmatique d’accords aux besoins des communautés et populations locales. C’est
pourquoi, face aux situations d’urgence qui ne cessent de se multiplier dans le NOSO, certains
professionnels de l’aide humanitaire mettent en avant la notion du continuum « désastres-
réhabilitation-développement ».24 L’admission de cette approche provient du fait que les agents
humanitaires de cette organisation philanthropique sont parfois lassés par l’aspect purement
ponctuel de leurs efforts25. Pourtant, après leur départ, la survie des populations nécessiteuses
pourra demeurer précaire. Par ailleurs, lorsque cessent les actions d’urgence telles que les

21
Entretien avec Hajah BAKARI RABIATOU T., Secrétaire de Division de la Croix-Rouge pour la Menoua, tenu le
18 Mai 2022 à 08 heures : 15 minutes à Dschang.
22
Ibid.
23
MERLIN (M.) et CHEVALIER (P.), op.cit., p. 354
24
Aussi formulée comme suit : désastre-développement ou secours-développement.
25
Entretien avec BAKARI (R.), op.cit.
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distributions, comment éviter la reprise des anciens conflits, l’émergence de nouvelles crises liées
à certaines conséquences perverses de l’aide ? Ces questions sont non seulement actuelles, mais
lancinantes26.

Fort de ces constats, la réhabilitation suivie du développement constituerait donc, dans Page | 258
l’optique du continuum proposé plus haut, une chance de sortir du cercle vicieux de la violence,
du scepticisme et de la misère. En fin de compte, comme le clame Nana SINKAM : « les secours
d’urgence et l’aide humanitaire devraient toujours être considérés dans le contexte du
“développement” à long terme et avec l’intention d’empêcher que la crise initiale ne se
reproduise. L’aide humanitaire doit reposer sur les principes d’humanité, d’impartialité et de
neutralité. Les secours et l’aide humanitaire doivent donc être considérés comme une solution à
court terme qui prépare le terrain pour une solution à moyen et à long terme, à savoir la
réhabilitation, la restructuration et le “développement” avec transformation, seule solution
durable aux causes réelles de ces guerres civiles et de ces conflits destructeurs »27.

Dans cet ordre d’idées, à travers leurs différentes actions d’encadrement des nécessiteux,
la Croix-Rouge est très constante dans la promotion et la réalisation des programmes de
développement. Ces programmes visent à assurer aux bénéficiaires une vie paisible à long terme,
mais également l’autonomisation de ces nécessiteux, afin qu’ils ne demeurent pas dépendants des
aides. Toutefois, bien que les problèmes des nécessiteux se posent avec plus d’acuité en zone de
conflits28, notons cependant que ces programmes de développement sont pour la plupart mis sur
pied dans des zones d’accueils dus à la tranquillité et la sécurité relatives qui y règnent. C’est dans
cette mouvance que dans les localités environnantes des régions anglophones à l’instar de Mbouda,
Dschang, Mbanga et Foumban, etc., plusieurs activités telles que la constitution des AGR et le
financement des petits métiers ont été élaborées par la Croix-Rouge et ses multiples partenaires.
En plus des enjeux humanitaires, la Croix-Rouge poursuit également des enjeux sociaux.

26
PERROT (M.), « L’humanitaire et le “développement” en quête de continuité », L’Homme et la société. Regards
sur l’humanitaire, N° 129, 1998, pp. 17-28
27
SINKAM (N.), « Des secours et de l’aide humanitaire à la visibilité socio-économique à long terme : le cas de
l’Afrique noire », Revue africaine de politique internationale, Afrique 2000, n° 21, avril, mai, juin 1995, pp.15-30
28
PESSETVE (A.) et TCHANGUI (S.), op.cit., p.231
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2- Les enjeux sociaux : la recherche du bien-être des nécessiteux et l’application du


Droit International Humanitaire (DIH)29

La Croix-Rouge dans son élan de solidarité en faveur des nécessiteux issus du conflit
anglophone est également motivée par des enjeux sociaux, lesquels passent par la recherche du Page | 259
bien-être des populations en détresse, vulnérables et la recherche du respect et de l’application du
Droit International Humanitaire lors dudit conflit.

Par bien-être, les philanthropes entendent l’ensemble des facteurs dont une personne a
besoin pour jouir d’une bonne qualité de vie, d’une existence tranquille et d’un état de satisfaction.
En d’autres termes, c’est « un état agréable résultant de la satisfaction des besoins du corps et du
calme ou la tranquillité de l’esprit », nous dit le dictionnaire Larousse. D’après Christophe André,
psychiatre français spécialiste de la psychologie du bonheur, le bien-être « se déclenche quand on
n’a mal nulle part, qu’on a le ventre plein, qu’on est dans un endroit agréable et confortable,
qu’on se sent en sécurité, entouré des congénères bienveillants »30. C’est dire que, le bien-être est
lié aux sens, aux émotions et aux sensations et par-dessus tout, au bonheur.

En ce qui concerne cette notion de bien-être, c’est son aspect social : le bien-être social qui
se révèle important pour la présente étude. En fait, non seulement il englobe des choses qui incident
de manière positive sur la qualité de vie, notamment la sécurité et la paix, mais aussi, ce bien-être
est porteur d’une demande sociale et d’une utilité publique31. De manière générale, le bien-être
social englobe tout aspect qui participe à l’amélioration de la qualité de vie : l’accès à l’éducation,
à la santé, au logement, à la nourriture et même du temps pour les loisirs.

Relevons-le, les populations vulnérables et nécessiteuses qui ont accru dû à la crise


anglophone, forment des couches fragiles et marginalisées de la société, notamment dans leurs

29
Le Droit Humanitaire est plus un droit de persuasion (Cf. BELANGER [M.]., Droit international humanitaire, coll.
Mémentos, Paris, Gualino Éditeur, 2002, p.71). C’est l’ensemble des règles qui déterminent les conditions d’une
intervention humanitaire lors d’un conflit armé ou d’une catastrophe naturelle. C’est également un moyen fort
d’intervenir dans un État en situation de crise sans faire face au problème d’ingérence dans la souveraineté dudit pays.
Le DIH doit en effet être compris comme ; « un ensemble de règles qui pour des raisons humanitaires, cherchent à
limiter les effets des conflits armés. Il protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités ». (Cf.
BOUCHET [F.], Dictionnaire pratique du Droit Humanitaire, Paris, Édition la Découverte, 2006, p.335.). Le DIH se
trouve essentiellement dans les quatre conventions de Genève de 1949 complétées par deux Protocoles additionnels
de 1977 relatifs à la protection des victimes des conflits armés.
30
CHRISTOPHE (A.) et ANNE (D.), Méditations sur la vie, Broché, Points Vivre, 2017, p.14
31
FORSE (M.) et LANGLOIS (S.), (dirs), « Sociologie du bien-être », L’année sociologique, Volume 64, N° 2, 2014,
p. 45

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milieux d’accueil. C’est dans ce sens que les actions de la Croix-Rouge en faveur de celles-ci
visent à apporter un changement en améliorant leurs conditions de vie. Ces populations sont pour
la plupart pauvres, victimes de discrimination et pour certains, privées de leurs droits.

Bien que complexe, la problématique des populations nécessiteuses et vulnérables a Page | 260
toujours été une préoccupation constante et urgente de la Croix-Rouge32. En tant qu’entreprise de
solidarité, le bien-être de ces populations est le but recherché par elle. De par ses principes et son
objectif initial, la Croix-Rouge s’est donc donné pour mission d’alléger leurs souffrances en toutes
circonstances, y compris en situation de conflits armés avec notamment, la promotion du droit qui
protège les civils et ceux-là qui ne participent plus ou pas aux combats.

En tant que gardien du Droit International Humanitaire dans le monde, c’est au CICR
qu’incombe la responsabilité de veiller à son respect et à son application. Par conséquent, au
Cameroun, le CICR et la Croix-Rouge camerounaise sont motivés à veiller scrupuleusement au
respect et à l’application de ce droit lors du conflit armé qui bat son plein dans les parties
anglophones du Cameroun. En effet, ce droit humanitaire s’applique dans deux situations ou alors
connaît deux régimes de protection : lors des conflits armés non internationaux et lors de conflits
armés internationaux. Pour veiller à son respect dans le conflit du Nord-Ouest et Sud-ouest, le
CICR et la Croix-Rouge Camerounaise à travers leurs cellules de communication s’emploient à
faire connaître davantage les règles humanitaires et en rappelant aux parties en conflit les
obligations qui leur incombent33. Car, l’ignorance du droit est l’ennemie de son respect. Pour
parvenir à cet objectif, le CICR rappelle très souvent à l’État Camerounais qu’il s’est engagé à
faire connaître le contenu du DIH et par conséquent, ledit État devrait prendre toutes les mesures
nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective, et donc le respect de cette catégorie de Droit.
Le CICR le fait notamment par ses services consultatifs en droit humanitaire qui fournissent de
temps en temps des conseils techniques aux États en vue de l’adoption des lois et des règlements
nationaux d’application du DIH34.

Toujours dans cette motivation qui vise au respect du DIH, le CICR entend obliger les
groupes d’opposition armés qui, pour le cas d’espèce sont l’armée régulière, les Forces de Maintien

32
Entretien avec YAYA, Secrétaire Départemental de la Croix-Rouge Camerounaise dans le Mayo-Tsanaga, entretien
tenue le 1er août 2022 à 11 heures : 15 minutes à Mokolo.
33
Entretien avec NSOP Gérard, volontaire secouriste à la Direction Nationale de Gestion des Catastrophes (DNGC)
de la Croix-Rouge camerounaise, entretien tenu à Dschang le 10 avril 2022, à 09 heures : 10 minutes.
34
Entretien avec YAYA, op.cit.
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de l’Ordre (FMO) et les différents groupes qui constituent les Ambazonian Defense Forces (ADF),
d’encourager l’enseignement du DIH à la population civile placée sous leur autorité. Il demeure
important que : « les civils (…) soient partout informés des règles du Droit International
Humanitaire afin d’en assurer une stricte observation et respect »35.
Page | 261
Il serait important de préciser que lors de ce conflit qui affecte les deux régions
anglophones du Cameroun, le CICR entend promouvoir l’application du DIH dans plusieurs
domaines que sont ;

- Le respect du droit humanitaire et l’assistance matérielle aux victimes dudit conflit. Dans
cette situation, lorsque la population civile souffre de privations excessives, par manque
d’approvisionnements essentiels à sa survie, des actions de secours exclusivement
humanitaires, impartiales et conduites sans aucune distinction de caractères défavorables
sont entreprises avec le consentement de la haute partie contractante concernée. Il est
aujourd’hui généralement reconnu que l’État devra autoriser les actions de secours de
nature purement humanitaires. En effet, le CICR dispose en tout état de cause, d’un droit
d’initiative qui lui permet d’offrir ses services aux parties en conflit, notamment en matière
d’assistance aux victimes. Dans cette optique, son offre de services, de secours ou toutes
autres activités ne constituent pas une ingérence dans les affaires intérieures de l’État
camerounais puisqu’ils sont prévenus par le DIH.
- Le respect et l’application du DIH dans le rétablissement des liens familiaux. Dans ce
domaine, le CICR compte sur l’expertise de deux de ses organes : le Bureau National de
Recherche (BNR) et l’Agence Centrale de Recherche (ACR). Avec l’appui de ces
structures, le CICR s’emploie à faciliter le rétablissement des liens familiaux entre les
prisonniers de guerre et leurs familles. C’est dans cette mouvance que pour le respect et
l’application du DIH, le CICR en partenariat avec la CRC et l’association Horizon Jeune
ont tenu dans la ville de Dschang une réunion préparatoire afin de mettre sur pied des
initiatives qui iront dans le sens de rétablir les liens entre les familles dispersées à l’issue
du conflit anglophone36.

35
BOUNDA (S.), Le comité international de la Croix-Rouge en Afrique centrale à la fin du XXe siècle : cas du
Cameroun, du Congo Brazzaville, du Congo Kinshasa et du Gabon de 1960 à 1999, Thèse de Doctorat en Histoire
Contemporaine, Université de Bordeaux Montaigne, Mars 2015, p. 60
36
Entretien avec NTEH ETINE Polisy, volontaire secouriste, président du Club Croix-Rouge de l’Université de
Dschang. Entretien tenu le mardi 25 octobre 2022, à 11 heures : 50 minutes à Dschang.
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Ces éléments suscités démontrent à suffisance et explicitement que les ONG


internationales précisément celles à caractère humanitaire sont principalement motivées par des
enjeux philanthropiques. Mais, qu’en est-il implicitement ? La participation de la Croix-Rouge
dans le déploiement des actions humanitaires aux nécessiteux issues de la crise anglophone ne
Page | 262
recèle-t-elle pas des enjeux cachés ?

B- Les enjeux latents de l’engagement de la Croix-Rouge

Les enjeux latents sont ceux qui ne sont pas clairement définis par l’acteur. En effet,
l’engagement de la Croix-Rouge dans la prise en charge et l’encadrement des personnes
souffrantes n’est pas uniquement mû par des enjeux manifestes, mais aussi, par des enjeux latents.
Puisque ses buts sont très souvent diffus et, ne sont parfois pas clairement définis ou formulés37,
cette ONG ne dit toujours pas ce qu’elle fait 38. C’est ainsi que la prise en charge des nécessiteux
qui sont issus de la crise du NOSO apparaît pour elle comme un excellent camouflet de ses
motivations à la fois admirables, mais ambiguës.

Il est clair, les opérations d’aide humanitaire relèvent avant tout des dons. Pour certains
auteurs en effet, un vrai don devrait être, semble-t-il, désintéressé et altruiste,39 mais, parait-il
d’après les travaux de quelques sociologues et psychologues qu’en réalité, cela ne soit pas toujours
le cas. Ils démontrent que, derrière un don, on peut identifier un besoin de reconnaissance40, le
désire de socialité, de prestige, de séduction et de domination 41. À l’analyse, ceci est
particulièrement vrai pour l’aide humanitaire y compris les projets qu’apporte la Croix-Rouge en
faveur des victimes de la crise anglophone, d’où le caractère diffus ou symbolique de certaines de
ses motivations.

En essayant de faire remonter à la surface ces enjeux latents, l’on se rend à l’évidence que
cette ONG vise d’une part à déposséder l’État de son monopole d’antan dans le domaine
humanitaire (1) et d’autre part, recherche des enjeux culturels, financiers et techniques (2).

37
ROJOT (J.), op.cit., p. 217
38
Ibid., p.219
39
REYMOND (P.) et al., (dirs), Les limites de l’aide humanitaire, projet SHS de 1ère année master, Lausanne, 2007,
p. 29
40
VIARD (B.), « Pour une psychologie du don », Revue M.A.U.S.S, n° 23, 2004
41
SOUTY (J.), « Essai sur le don », Bibliothèque idéale des Sciences Humaines, Vol 2, HS n° 42, Septembre 2003
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1- La dépossession du monopole étatique dans le déploiement humanitaire

Par cette formulation, nous voulons signifier qu’à travers son engagement humanitaire dans
le conflit du NOSO, la Croix-Rouge est motivée, quoique de façon implicite, par la volonté de
réduire voire de remettre en cause le monopole de l’État camerounais dans la prise en charge et Page | 263
l’encadrement des personnes nécessiteuses issues dudit conflit. Notons qu’avant l’arrivée de ce
« géant » de l’humanitaire au Cameroun, c’est à l’État uniquement, qu’incombait la tâche de
prendre en charge les personnes nécessiteuses et vulnérables. Aujourd’hui, la Croix-Rouge vise à
partager avec le gouvernement camerounais, ce « pouvoir humanitaire » qui a longtemps été
possédé par l’État uniquement. En le faisant, cet acteur de l’aide rompt avec la tradition du
monopole de l’État dans le déploiement des opérations de solidarité et l’idée que seul cet État doit
prendre les décisions finales et en assumer la responsabilité lors des situations de crises
humanitaires. Toutefois, pour mieux appréhender ce phénomène de dépossession du monopole
étatique et de partage du pouvoir dans le déploiement des actions humanitaires, la théorie de la
gouvernance s’avère pertinente.

Avec la gouvernance42, l’État n’intervient plus de façon solitaire dans le déploiement des
assistances humanitaires. Pour Gerry Stoker, cette situation s’explique du fait que ledit État
est limité tant dans ses capacités de planification, de prévision, d’action et est désormais
concurrencé par d’autres acteurs qui n’appartiennent toujours pas à sa sphère43. Conséquemment,
il doit partager son pouvoir et agir en partenariat avec d’autres interlocuteurs notamment privés,
au rang desquels figurent les ONG internationales44, lequel partage de pouvoir contribue le
déposséder de son monopole d’antan dans les situations de crises humanitaires. D’ailleurs, chacun

42
Concept adopté pour les recherches en sciences sociales notamment en relations internationales après les
années 1970. Ce faisant, la gouvernance devient internationale et certains auteurs parlent de gouvernance mondiale,
laquelle consiste à faire sur le plan international ce que les gouvernements font sur le plan interne. En effet, l’essence
de la gouvernance réside dans une dépossession d’un plein pouvoir de décision des mains des personnes chargées de
« diriger », pour intégrer leurs décisions dans un processus de négociation et d’association de l’ensemble des acteurs
concernés, qu’ils soient acteurs de leur mise en œuvre, qu’ils en soient les destinataires ou qu’ils contribuent à leur
financement. (Pour plus de détails, voir MOREAU DEFARGES [P.], La Gouvernance, Paris, PUF, 2003). Pour
ROSENAU James la théorie de la gouvernance est « un ensemble de mécanismes de régulation dans une sphère
d’activité qui fonctionnent même s’ils n’émanent pas d’une autorité officielle ». À la lumière de cette définition, il est
clair que l’auteur entend donner une large marge de manœuvre aux organisations tout comme aux institutions non
étatiques. Celles-ci peuvent dorénavant intervenir dans les processus d’actions publiques étant donné que, les
gouvernements ont parfois des ressources limitées. (Voir ROSENAU [J.], cité par POKAM [H.], Institutions et
relations internationales, théories et pratiques, Dschang, Dschang University Press, 2009, p.36).
43
STOKER (G.), op.cit., p.21
44
MERRIEN (F-X.), « De la gouvernance et des États-providence contemporains », RISS, n° 155, la gouvernance,
Mars 1998, p. 34
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des partenaires peut beaucoup apprendre à l’autre et partant, ils constitueront ensemble, une
communauté d’actions à la fois plus riche en ressources, plus expérimentée et plus flexible.

Rappelons que « le temps de l’intergouvernementalité pure est terminé. Les diplomates qui
gardent la main sur la négociation œuvrent aujourd’hui dans un champ de force où interviennent Page | 264
des acteurs économiques, sociaux, territoriaux ou scientifiques les plus divers »45. Dès lors, la
prise de décisions, l’élaboration et la mise en œuvre des projets et des programmes d’assistance ou
de soulagement aux souffrances humaines subissent de nos jours l’influence des ONG
internationales. Cette réalité n’échappe pas au Cameroun notamment dans le conflit du NOSO où,
les préoccupations humanitaires sont de plus en plus portées par des ONG surtout celles à caractère
international et plus particulièrement la Croix-Rouge. Cette organisation joue un rôle
potentiellement important dans le soulagement des souffrances des nécessiteux qui sont issus dudit
conflit anglophone. À travers ses actions et interactions, la Croix-Rouge obtient la reconnaissance
de ses valeurs par l’inscription de ses priorités dans l’agenda humanitaire de l’État. En outre, elle
travaille à la formulation et à la diffusion des différents principes qui devront guider le mouvement
humanitaire au Cameroun en général, et dans les régions anglophones en particulier. Elle profite
également de ses interactions pour jouer un rôle de lobbying afin d’alerter l’État et les partenaires
sur les besoins en intervention humanitaire dans ces contrées du pays. De ce fait, la Croix-Rouge
accroît son influence dans la mise en œuvre des actions humanitaires au Cameroun.

Tous ces éléments peuvent laisser percevoir que l’engagement de de la Croix-Rouge dans
le déploiement des actions humanitaires au Cameroun et à l’issue du conflit anglophone, dépossède
l’État de son monopole dans la prise en charge et l’encadrement des déplacés internes et même,
effrite sa souveraineté dans ce domaine. Pourtant, faut-il le rappeler, la responsabilité de protéger
les déplacés internes incombe avant tout à l’État ou à toute autorité étatique contrôlant le territoire
sur lequel se trouvent ceux-ci46.

En plus de cet enjeu que vise cette organisation philanthropique à déposséder l’État de son
monopole dans le déploiement des opérations humanitaires, les actions de la Croix-Rouge au

45
ROUILLE (D.), La diplomatie non gouvernementale : les ONG peuvent-elles changer le monde ?, Paris, Collection
Enjeux Planète, 2006, p.1
46
KONÉ (S.), Protection des personnes déplacées internes suites aux exactions de la secte islamiste Boko-Haram à
l’Extrême Nord du Cameroun, Mémoire de Master en Management des entreprises, Institut Internationale d’Ingénierie
de l’eau et de l’assainissement (ZIE), 2017, p.40
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Cameroun et particulièrement dans le conflit anglophone sont aussi sous-tendues par des enjeux
culturels et financiers.

2- Les enjeux culturels, financiers et techniques : la diffusion de la culture occidentale,


réduction des dépenses publiques et le renforcement de son expertise Page | 265

La culture47, bien que propre à un groupe et représentant l’identité culturelle dudit groupe,
évoluant lentement et marquant le rappel de l’histoire, elle peut par la force des facteurs exogènes
être influencée par une autre culture ou alors, peut-elle même influencer d’autres cultures ou
peuples. C’est pourquoi la Croix-Rouge, ONG internationale, cherche à diffuser dans le cadre de
ses objectifs latents au Cameroun, la culture occidentale, imbue de sa prétendue supériorité48. Pour
Essé Amouzou, « c’est en tout cas ainsi qu’elle s’est imposée dans le cadre idéologique de la
colonisation »49 et même du déploiement des opérations humanitaires.

À cet effet, Gérard Verna faisait savoir que « les ONG engagées dans le domaine
humanitaire ont des comportements différents sur leur terrain d’action. Cela s’explique par ce
que les créateurs de ces organismes ont des visions différentes du monde et des effets qu’ils peuvent
espérer de leurs missions. La culture du pays d’origine, et tout particulièrement la religion, a pesé
lourdement sur ces critères de départ et donc sur les modalités d’action sur le terrain »50. Par ces
termes, l’auteur laisse comprendre qu’il y a un lien éventuel entre la nationalité d’une organisation
non gouvernementale et ses particularités d’action. Marion Harroff-Tavel est plus explicite
lorsqu’elle note qu’« il n’existe pas un modèle unique de l’humanitaire, certaines sociétés, en Asie
ou en Afrique, privilégiant, par exemple, l’intérêt collectif à celui de l’individu. Toutefois,
l’humanitaire, qu’els qu’en soient les contours, est un facteur identitaire, comme l’est le
développement pour ceux et celles qui en sont les agents »51.

47
La culture, dans son sens plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels,
intellectuels et affectifs, qui caractérise une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les
modes de vie, les droits fondamentaux des êtres humains, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Pour
plus de détails, voir Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques
culturelles, Mexico City, 26 Juillet-6 août 1982, disponible en ligne sur Http//www.unesco/politiques-culturelles-
mexico/com/html, consulté le samedi 11 mars 2023, à O8 heures : 47 minutes.
48
AMOUZOU (E.), L’impact de la culture occidentale sur les cultures africaines, Paris, L’Harmattan, 2008.
49
Ibid.
50
VERNA (G.), « Le comportement des ONG engagées dans l’aide humanitaire », Anthropologie et Sociétés, Volume
31, numéro 2, 2007, pp. 25-44.
51
HARROFF-TAVEL (M.) « La diversité culturelle et ses défis pour l’acteur humanitaire » dans L’action
humanitaire : normes et pratiques, Cultures et Conflits, n° 60, 2005, pp. 63-102, consultée en ligne sur
http://www.conflits.org/document1919.html, le 11 mars 2023, à 10 heures : 16 minutes.
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Au regard de ces affirmations, l’on peut dire sans risque de se tromper que les ONG
internationales dans le cadre de leurs multiples interventions dans les pays du Sud ont pour objectif
voilé de promouvoir la culture de leurs pays d’origine : les pays du Nord. Manifestation
essentiellement occidentale, le phénomène d’ONG est aujourd’hui en train de se mondialiser.
Page | 266
Pendant très longtemps, seules ou presque à s’occuper des misères du monde, les ONG
occidentales sont désormais concurrencées par d’autres organisations issues des pays émergents
et qui revendiquent une autre culture, d’autres valeurs52. Cependant, la nuance dans le rôle de ces
ONG, notamment lorsqu’elles affichent une orientation religieuse53, fait souvent débat, en ce que
nombre d’entre elles avancent masquées et mêleraient le prosélytisme aux secours ou à leurs
actions de développement. D’autres, formellement non confessionnelles, n’existeraient en réalité
que pour porter et cautionner les politiques de leurs États d’origine54. Toutes, enfin, quand bien
même elles seraient animées par de seules intentions charitables, véhiculeraient inévitablement des
conceptions philosophiques, morales, politiques-en un mot, une culture — à même d’entrer en
conflit et de porter préjudice à celles propres des individus qu’elles chercheraient à aider55.

À l’analyse, il ne serait pas faux de penser que les ONG internationales précisément celles
à caractère humanitaire cherchent à diffuser la culture des pays occidentaux puisque, ce n’est pas
sans intérêt que ces pays occidentaux soutiennent leurs actions ou financent leurs activités. Comme
le posait Guy Mvellé : « si la solidarité est encore présente dans les relations internationales, elle
doit être considérée comme le cheval de Troie d’actions et de calculs stratégiques des grandes
puissances au sein des petits États »56, lesquelles grandes puissances passent par les ONG
lorsqu’elles ne souhaitent pas intervenir d’elles-mêmes. Le précédent, Jean François Guilhaudis
nous rappelait que « vis-à-vis des ONG, l’État ne peut guère être indifférent. Sans chercher à faire
des ONG des instruments de leurs actions, il arrive que les États encouragent leur formation et
soutiennent leurs actions, quand elles vont dans le sens de la politique qu’ils visent à mener. […]

52
LAGRANCE (P.), « Neutralité de l’action humanitaire et relativisme culturel », Vers un nouvel ordre juridique
humanitaire ? Mélanges en l’honneur de Patricia BUIRETTE, Paris, Presses universitaires juridiques de l’Université
de Poitiers, 2016, pp. 175-182.
53
Les exemples les plus légions dans ce cas se recrutent parmi les ONG musulmanes.
54
LAGRANCE (P.), op.cit.
55
Ibid.
56
MVELLE (G.), op.cit., p.3
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Leur rôle (les ONG) est plus large ; elles participent à la “transnationalisation scientifique,
idéologique, culturelle” »57. À l’examen, la Croix-Rouge n’échappe donc pas à cette réalité.

L’activité des ONG internationales à caractère humanitaire connaît très souvent des
dérapages qui se traduisent par la tentative d’assimilation des cultures du tiers-monde au modèle Page | 267
occidental58. C’est dans ce sillage que la Croix-Rouge internationale use de sa position de première
organisation humanitaire reconnue universellement et ayant pour devise le « pouvoir de
l’humanité » pour imposer au Cameroun et dans les régions anglophones en particulier, la « culture
universelle » occidentale et soutenir de manière voilée que « l’action humanitaire et le
développement sont des croyances occidentales »59. Comme la plupart des ONG, la Croix-Rouge
intervient au Cameroun en toutes circonstances, auprès des populations au nom de certaines
valeurs : le droit à la vie, le droit de manger à sa faim, le droit à l’eau potable, le droit à la santé, à
l’égalité des sexes, à l’éducation, au développement, à la démocratie… Autant de valeurs qui
représentent leur vision d’une société normale et juste, mais qui s’avèrent davantage occidentales
qu’universelles60. Des valeurs qui reflètent une culture : celle occidentale, et qui peuvent entrer en
contradiction avec celles des populations camerounaises des régions anglophones à qui la Croix-
Rouge déploie des opérations de secours.

En effet, les activités de cette organisation ont des répercussions immédiates et futures sur
le vécu quotidien des populations des régions anglophones et leurs environs. Car, à travers les
principes et normes de l’action humanitaire, cette organisation veut introduire au Cameroun et
partout où elle intervient la vision occidentale de la société. Edgar Morin est en parfaite résonance
avec cette idée lorsqu’il affirme que « les ONG internationales veulent mettre une société fondée
sur les bases solides de l’industrie, se développant à l’infini, apportant non seulement croissance
économique, mais aussi bien-être résolvant, grâce à la science, la technique, la démocratie, les
problèmes de la guerre de la faim, de maladie et de l’inégalité »61. Tout ceci montre à quel point

57
GUILHAUDIS (J-F.), Relations internationales contemporaines, Paris, Litec, Éditions du Juris-Classeur, 2002,
p. 34
58
TOUKEA (D.), ONG Internationales et gouvernance de l’environnement au Cameroun : les cas de L’UICN et du
WWF, Mémoire de Master II, Science Politique, Université de Dschang, 2010, p. 84
59
RIST Gerry, cité par WAFO (S.), Les ONG et le développement du droit international de l’environnement : Analyse
des activités normatives des ONG environnementales, Thèse de Doctorat 3ème cycle en Relations internationales,
I.R.I.C, 1999-2000, p. 284
60
LAGRANGE (P.), op.cit., p. 179.
61
MORIN (E.), cité par WAFO (S.), op.cit., p. 285
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les ONG internationales recherchent des enjeux culturels. Cependant, leur quête est loin d’être
exhaustive. Elle s’étend à plusieurs autres enjeux encore, notamment financiers et techniques.

À travers l’enjeu financier, la Croix-Rouge par ses actions humanitaires dans le NOSO et
ses environs cherche à réduire les dépenses publiques de l’État camerounais. En fait, autour des Page | 268
années 1990, le Cameroun comme plusieurs pays du tiers-monde n’a pas échappé aux échecs de
l’État providence et de l’État modernisateur, et s’est trouvé par ailleurs dans une « crise de
gouvernabilité »62, car étant dans l’incapacité de répondre de façon solitaire à la pluralité des
demandes. De plus, l’action humanitaire revêt un caractère international et universel. La
diplomatie de la pitié ou de la compassion observée lors des catastrophes et des guerres ressemble
au devoir d’assistance dont a parlé Léon Bourgeois vis-à-vis de ceux qui sont dans l’infortune63.
En outre, l’on est proche de la théologie kantienne où le sentiment de solidarité se transforme
aussitôt en devoir moral64.

Depuis la crise économique évoquée ci-dessus, le gouvernement ne dispose plus des


moyens nécessaires pour gérer de façon solitaire les charges sociales à l’instar des assistances
humanitaires. Aussi, le caractère universel et international desdites assistances amène plusieurs
organisations de solidarité à y prendre part. C’est dans cette perspective que la Croix-Rouge vole
au secours de l’État camerounais par des contributions diverses pour apporter des solutions aux
problèmes de la crise humanitaire qui sévit dans le NOSO et ses environs et, à cet effet, participe
à la réduction des dépenses publiques. Dans cette mouvance, Gerry Stoker fait remarquer que « le
concept de gouvernance sert quelques fois à présenter sous un jour acceptable une réduction des
dépenses. Il signifie qu’il y a “moins d’État”. Le développement de la gouvernance reflète
indubitablement jusqu’à un certain point la volonté de réduire les engagements financiers et les
dépenses de l’État. Il implique la reconnaissance des limites du gouvernement »65. Lui emboitant
le pas, Jesse Ribot indique : « certains promoteurs d’ONG sont motivés non par des questions de
développement, mais par le désir de réduire la dépense publique »66.

En plus de cet enjeu financier, les actions de la Croix-Rouge sont également sous-tendues
par des enjeux techniques, lesquels visent à renforcer son expertise. En effet, la participation d’une

62
MERRIEN (F-X), op.cit., P. 20
63
MVELLÉ (G.), « Aide internationale et lutte contre Boko-Haram : penser la consolidation de la paix au-delà des
interventions d’urgences », Le Politique, Revue Gabonaise de Sciences Politiques, n° 2, vol 2, 2016, pp.187-224, p. 5
64
Ibid., p. 20
65
STOKER (G.), op.cit., p. 20
66
TOUKEA (D), op.cit., p.86
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ONG dans le processus de prise en charge et encadrement des personnes nécessiteuses et


vulnérables en zone de crise, de conflit armé ou de cataclysme naturel lui permet de renforcer ses
capacités d’actions. Car, cette participation du Mouvement est très souvent faite auprès d’autres
organisations qui, pour la plupart, ont des compétences autres que les siennes. Dès lors, en
Page | 269
s’engageant auprès d’autres acteurs humanitaires au Cameroun et notamment dans les régions du
Sud-ouest et Nord-ouest, le Mouvement Croix-Rouge gagnera en expérience tout comme de
nouvelles expertises.

À cet effet, la Croix-Rouge travaille en synergie avec plusieurs partenaires non seulement
dans le but d’accroître ses actions de terrain, mais également, afin de renforcer son expertise en
matière de prise en charge et d’encadrement humanitaire. Les propos de Michel Ntye sont plus
explicites à ce sujet lorsqu’elle déclare : « la collaboration de notre organisation avec les autres
organismes humanitaires de terrain s’inscrit également dans le cadre d’apporter notre soutien à
ceux-ci par le biais de diverses mesures de renforcement de leurs capacités, principalement dans
les domaines de la gestion opérationnelle du développement des ressources humaines »67. Au
regard de cette déclaration, l’on peut donc affirmer sans risque de se tromper que la Croix-Rouge
s’inscrit dans la logique selon laquelle, à l’instar des individus, il est difficile pour une autre
organisation humanitaire de faire cavalier seul. Par contre, si elle veut être efficace, celle-ci doit
constamment chercher à prendre connaissance des actions des autres organisations68 et ceci
contribuera dans une grande mesure au renforcement de son expertise. En tout état de cause, ce
renforcement d’expertise en matière d’assistance humanitaire s’inscrit dans une logique de
pérennisation de ses actions en faveur des couches vulnérables et nécessiteuses.

Tout compte fait, il est à noter que dans son engagement humanitaire auprès des personnes
vulnérables et nécessiteuses issues de la crise anglophone, les actions qu’entreprend le Mouvement
Croix-Rouge ne sont pas dénuées de tout intérêt. Autrement dit, le mouvement est motivé par de
multiples enjeux, lesquels sont soit manifestes ou latents. Toutefois, malgré ces multiples
motivations, cet engagement du mouvement dans le déploiement des actions humanitaires au
NOSO est entravé par plusieurs pesanteurs.

67
Entretien avec NTYE Michel, cadre à la Croix-Rouge Camerounaise, responsable de la Direction Nationale de
Gestion de Catastrophes (DNGC), entretien tenu le vendredi 8 juillet 2022 à Yaoundé.
68
MACALISTER-SMITH (P.), « Les organisations non gouvernementales et la coordination de l’assistance
humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol.83, N° 842, 2001, p. 527
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II- LES CONTRAINTES DE L’ENGAGEMENT DE LA CROIX-ROUGE DANS


LA CRISE ANGLOPHONE

« Les marchés, les États, les organisations et la gouvernance se heurtent tous à l’échec.
Celui-ci étant au cœur de tous les rapports sociaux »69. Par ces termes, Jessop Bop laisse entendre Page | 270
que dans la quête de leurs objectifs, les acteurs sont pour la plupart de temps, soumis à des
pesanteurs, lesquelles freinent ou alors remettent en cause leur efficacité. Pour le cas d’espèce, il
est clair que les actions de la Croix-Rouge en faveur des nécessiteux qu’a multipliées le conflit
anglophone sont soumises à un certain nombre des difficultés. En d’autres termes, dans la
réalisation de ses objectifs, cet acteur de l’aide et de solidarité se trouve souvent en face d’éléments
de fait et des données qui lui sont défavorables70.

En effet, l’engagement de la Croix-Rouge en interaction avec ses partenaires, certes,


contribue tout au moins à poser les jalons d’un niveau de vie suffisant et d’une prise en charge
adéquate des couches nécessiteuses et vulnérables dans le NOSO et ses environs. Mais, ledit
engagement est loin d’être une satisfaction totale due aux multiples difficultés rencontrées par cette
organisation. Ceci dit, cette contribution de la Croix-Rouge est fortement altérée par divers facteurs
qui lui sont tantôt intrinsèques (A) ou extrinsèques (B).

A- Les contraintes inhérentes à la Croix-Rouge

Par contraintes inhérentes à la Croix-Rouge, nous signifions celles qui limitent l’efficacité
de son engagement dans la crise anglophone indépendamment de toutes influences extérieures.
C’est dire en d’autres termes que le mouvement Croix-Rouge est souvent à l’origine de
nombreuses pesanteurs qui limitent l’efficacité de ses actions en ce qui concerne le soulagement
des souffrances humaines. Ces contraintes d’une part sont d’ordres financiers (1) et d’autre part,
d’ordres matériels et humains (2).

1- Les contraintes financières

Dans la construction et le fonctionnement de toutes organisations, les finances ont une


portée majeure et partant, sont indispensables à celles-ci puisqu’elles sont pour ces organisations
une sorte de fil d’Ariane dans la mise en œuvre effective de leurs actions. En effet, les défis de

69
JESSOP (B.), « L’essor de la gouvernance et ses risques d’échec : le cas du développement économique », Revue
Internationale des Sciences Sociales, n° 155, Mars 1998, p. 35
70
ROJOT (J.), op.cit., p. 220
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prise en charge et d’encadrement des couches nécessiteuses au Cameroun en général et de celles


issues de la crise anglophone en particulier, sont énormes et les tâches à accomplir par la Croix-
Rouge pour des actions humanitaires effectives en faveur de celles-ci sont multiples et diverses.
Dans cette veine, la réalisation de ces nombreuses actions requiert des ressources financières très
Page | 271
importantes. Or, bien que le mouvement Croix-Rouge reçoive d’importants financements
extérieurs, il ne dispose pas de moyens financiers assez larges pour une mise en œuvre effective
de ses nombreux projets en faveur des couches vulnérables et nécessiteuses. Aussi, relevons que
cette carence en ressources financières entrave aussi les actions collectives de la Croix-Rouge avec
d’autres acteurs notamment ses partenaires.

La carence en ressources financières est conséquente aux moyens instables de


fonctionnement de l’organisation. En fait, ladite carence touche de plus en plus la Croix-Rouge
Camerounaise, qui est la représentante directe du mouvement Croix-Rouge au Cameroun. En effet,
l’article 97 des statuts de la CRC énonce que l’ensemble des ressources proviennent des cotisations
et souscriptions des membres, des contributions statutaires des comités départementaux et
d’arrondissements, des subventions de l’État, des frais de formation en premiers secours, des
recettes des Activités Génératrices de Revenus (AGR), des financements externes, des appels de
fonds et d’autres recettes provenant des activités statutaires de la Croix-Rouge […]71. Toutefois,
l’ensemble de ces ressources ne peuvent guère satisfaire ou combler toutes les activités de cette
ONG humanitaire dans son élan de solidarité et de générosité envers les nécessiteux présents sur
le sol camerounais72. C’est fort de ce constat qu’André ZE, instructeur à la Direction Nationale de
Gestion des Catastrophes (DNGC) soulignait : « l’absence de financement est la contrainte
majeure qui freine ou limite l’efficacité de nos actions en matière d’assistance humanitaire au
Cameroun en général et dans le NOSO et ses environs en particulier »73.

Tout compte fait, il convient de rappeler que ces insuffisances financières sont la cause
majeure des pesanteurs d’ordres matériels et humains.

71
Pour plus de détails, Voir statut portant création de la Croix-Rouge Camerounaise (CRC).
72
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
73
Entretien avec ZE André, cadre à la Croix-Rouge camerounaise, instructeur national à la Direction Nationale de
Gestion de Catastrophes (DNGC), entretien tenu à Yaoundé le 13 juillet 2022, à 11 heures : 12 minutes.
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2- Les entraves matérielles et humaines

L’insuffisance de matériels et de la main-d’œuvre nécessaire est très souvent l’un des


facteurs qui freinent le Mouvement Croix-Rouge dans son engagement humanitaire en faveur des
nécessiteux présents au Cameroun en général, et dans le NOSO et ses environs en particulier. En Page | 272
fait, les ressources matérielles sont pour l’essentiel constituées, de la logistique, des moyens de
locomotion pour les personnels et pour certains cas, du matériel de premiers secours.

En ce qui concerne les difficultés d’ordre logistique dans le cadre de ses programmes de
protection et d’assistance des personnes relavant de son mandat au Cameroun, la Croix-Rouge,
dans son élan de solidarité, se retrouve parfois dans l’incapacité d’acheminer en temps réel et
convenu les biens dont l’organisation a besoin pour son fonctionnement optimal74. En effet, dans
certaines contrées du Cameroun et du NOSO en particulier, le manque d’infrastructures de base
entraine de nombreuses difficultés dans l’acheminement des assistances aux personnes
nécessiteuses. En plus, vient s’ajouter à cette situation l’environnement sécuritaire qui reste
précaire dans certaines zones, la vétusté du parc automobile, notamment les camions du
mouvement dont la moyenne d’âge est parfois largement au-dessus de quinze ans, leur nombre
insuffisant ainsi que les inadaptabilités aux conditions de certaines routes des régions en crise75
font partie intégrante de l’ensemble des problèmes auxquels la chaine logistique de cet acteur
humanitaire est confrontée. Conséquemment, la Croix-Rouge ne dispose pas assez de véhicules
capables de transporter une bonne quantité de son personnel, simultanément avec son matériel et
les dons à distribuer76. C’est pourquoi, lors des grandes campagnes de distribution des vivres ou
des non-vivres, le mouvement se trouve souvent dans l’obligation de louer des véhicules, ou de
bénéficier de l’assistance d’un partenaire pour le transport des dons vers les sites de distribution77.

L’absence du matériel quant à elle se ressent de plus en plus au niveau des comités
départementaux et d’arrondissements. Ceux-ci, très souvent, sont en carence de matériel de
premier secours, qui est pour eux un outil indispensable pour la couverture des cérémonies78. Dans
cette mouvance et au regard de ces pesanteurs, plusieurs campagnes de distribution n’ont pas été
programmées dans les régions anglophones camerounaises ainsi que leurs environs. Aussi,

74
Entretien avec un responsable du HCR, op.cit.
75
Entretien avec ZE (A.), op.cit.
76
Entretien avec NSOP (G.), op.cit.
77
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
78
Entrevu avec NTEH (P.), op. cit.
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relevons que dû à cette absence de matériels, notamment logistique, des dons inadaptés ont été
offerts aux déplacés internes venant des régions anglophones en crise79.

S’agissant de l’insuffisance des ressources humaines, le mouvement Croix-Rouge souffre


d’un déficit accru en personnel qualifié, notamment dans les zones reculées du Nord-ouest et du Page | 273
Sud-ouest. Lorsqu’un besoin en intervention humanitaire survient dans ces zones, il est difficile
pour le mouvement, voire impossible de mobiliser les volontaires secouristes qui vont intervenir80.
Quand bien même ceux-ci sont présents, ils sont pour la plupart des simples volontaires secouristes
qui n’ont reçu de formation qu’en premier secours. Or, au regard de la portée de l’urgence
humanitaire qui sévit à l’issue de la crise anglophone, le Mouvement Croix-Rouge doit s’entourer
de véritables agents humanitaires qualifiés possédant de longues années d’expérience. Tout
compte fait, la non-capacité de mobilisation nationale des volontaires secouristes par le
mouvement est une contrainte qui entrave son efficacité. En effet, tous ces pesanteurs qu’ils soient
matériels et humains, débouchent non seulement sur une grande lenteur, mais également à la
réalisation partielle des activités de secours (santé, sociocommunautaire, secours, distribution…),
et parfois à des non-réalisations.

Hormis ces pesanteurs d’ordres financiers, matériels et humains qui lui sont intrinsèques,
le mouvement Croix-Rouge est aussi soumis aux entraves extrinsèques.

B- Les contraintes exogènes, d’ordre socio-économique et environnemental

Les éléments défavorables à la participation de la Croix-Rouge dans le déploiement des


actions humanitaires dans le NOSO et ses environs n’émanent pas uniquement d’elle, mais aussi
de ses partenaires (1) d’une part, et de l’environnement (2) d’autre part.

1- Les contraintes administratives

Les contraintes administratives émanent des rapports qu’a le mouvement avec les pouvoirs
publics. En effet, sur le plan national, l’État ou le gouvernement camerounais reste le partenaire
majeur et privilégié du Mouvement Croix-Rouge81. C’est pourquoi l’État appuie cette entreprise
de solidarité par plusieurs moyens ; d’abord, en tant qu’auxiliaire des pouvoirs publics dans le
domaine humanitaire, la CRC bénéficie au niveau institutionnel d’une caution gouvernementale.

79
Entretien avec NFOR Blaise, déplacé interne venant du Sud-Ouest (Lebialem), tenu le 25 novembre 2022.
80
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
81
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
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Cette caution prend deux formes : une caution financière qui renvoie à un budget annuel et une
caution morale qui donne au mouvement la latitude et le plein pouvoir d’intervenir en cas de besoin
d’assistance humanitaire sur toute l’étendue du territoire national 82. À travers cette caution
financière, l’État camerounais est le premier pourvoyeur financier de la CRC et ceci, en raison du
Page | 274
fait que c’est aux États qu’incombe à priori la tâche de la prise en charge des réfugiés et des
déplacés internes installés sur leurs territoires83.

Cependant, cette collaboration qui lie la Croix-Rouge à l’État camerounais est à l’origine
des contraintes administratives qui entravent son efficacité dans le déploiement des assistances
humanitaires au Cameroun en général et dans le NOSO et ses environs en particulier. Cette
situation laisse percevoir que lorsque le mouvement entend mener des actions conjointement avec
l’État, la lenteur administrative qui caractérise les actions étatiques se répercute sur leur
collaboration et partant, freine la mise en œuvre desdites actions. C’est donc à juste titre que,
plusieurs responsables de la Croix-Rouge estiment que lorsque l’État leur accorde une assistance
financière pour la réalisation d’un projet ou d’un programme, les lenteurs administratives
caractérisées par le long processus de décaissement des fonds, sont à l’origine de la non-possession
desdits fonds à temps, situation qui non seulement retarde, mais parfois, empêche la réalisation
dudit projet84.

Outre cette lenteur administrative, la volonté qu’a l’État de sécuriser et avoir un droit de
regard sur les activités humanitaires de ce mouvement se présente parfois comme une contrainte.
En faisant usage des agents de Force et de Maintien de l’Ordre pour sécuriser les actions de la
Croix-Rouge dans les zones dangereuses du Nord-ouest et du Sud-ouest, certains estiment que
l’État empiète sur deux de leurs principes fondamentaux qui évoquent la neutralité et
l’indépendance, lesquels principes sont non seulement très chers au mouvement, mais aussi,
guident l’essentiel de ses actions. En plus de ces entraves sues mentionnées, l’environnement où
opère cette agence humanitaire se pose parfois en élément défavorable.

2- Les pesanteurs d’ordre socio-économique et environnemental

Les difficultés socio-économiques et environnementales ont également une influence


considérable sur les actions de la Croix-Rouge dans le NOSO et ses environs. Pour ce qui est des

82
Entrevu avec NSOP (G.), op.cit.
83
KONE (S.), op.cit.
84
Entrevus avec NSOP (G.), ZE (A.), NTYE (M.), op.cit.
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difficultés socio-économiques, elles se ressentent précisément lors de la constitution des AGR par
le mouvement et ses partenaires. Ici, la difficulté réside dans l’appropriation ou la location de la
surface de terre exploitable notamment lorsque l’AGR à effectuer concerne l’agriculture. Dans
majorité de cas, la contrainte vient des populations autochtones ou hôtes,85 qui refusent très
Page | 275
souvent l’utilisation de leurs terres, tant aux partenaires qu’aux bénéficiaires86. Par ailleurs, même
quand certains autochtones acceptent l’exploitation et la mise en valeur de leurs terres, ceux-ci leur
louent à des prix exorbitants. Cette situation est particulièrement vraie dans les localités comme
Dschang et ses environs, en l’occurrence Bafou, Penka-Michel et Fongo-Tongo où les prix de
location des terres oscillent de 20 000 à 50 000 FCFA le ¼ de l’hectare, et ce, pour une année
d’exploitation87. Cette situation constitue en effet un gros morceau financier pour la Croix-Rouge
ainsi que ses partenaires.

En plus de cette rareté des sols cultivables, dans certains cas, le problème de leurs fertilités
se pose avec acuité. Pour Rabiatou, cette difficulté est généralement fonction de la mauvaise foi
des populations autochtones88, puisqu’ils font exprès de mettre à la disposition du Mouvement,
des terres non fertiles, lesquelles amènent les bénéficiaires à faire des récoltes minimes et souvent
très insignifiantes.

Les contraintes environnementales quant à elles sont celles qui ont un lien étroit avec
l’environnement opérationnel, notamment les zones d’interventions dans les régions en crise. Dues
à l’inaccessibilité et le caractère accidentel des régions anglophones et de leurs environs, la
couverture complète de sites de recasement et la mise en œuvre effective des programmes
d’assistance en faveur de tout nécessiteux sont souvent entravées. Tout compte fait, cette
inaccessibilité de certaines zones rend souvent impossible l’assistance du mouvement en faveur
des personnes disparues.

*Le difficile accès aux personnes disparues lors des conflits

Par personnes disparues, l’on entend les prisonniers de guerre et les internés civils séparés
de leurs proches, des familles dispersées, etc. Généralement, telles peuvent être les conséquences
d’un conflit armé. C’est pourquoi les Conventions de Genève et son Protocole additionnel I

85
Terme utilisé pour faire allusion aux populations vivantes dans les localités où les déplacés internes ont trouvé
refuge.
86
Entretien avec RABIATOU (T.), op.cit.
87
Entretien avec RABIATOU (T.), op.cit.
88
Ibid.
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contiennent un certain nombre de dispositions juridiques protégeant ces victimes 89. Ces
dispositions qui s’appliquent en cas de conflits armés donnent quitus au CICR de remplir une
multitude de tâches. De façon générale, le CICR joue le rôle d’intermédiaire entre les parties en
conflit ou plus précisément entre leurs bureaux nationaux de renseignements pour transmissions
Page | 276
des informations sur les personnes protégées par le Droit humanitaire. Aussi, le CICR peut
procéder aux démarches à propos des personnes disparues, mais également, s’efforce de regrouper
les familles dispersées. Précisons que pour y arriver à entretenir ces activités de recherche, le CICR
compte sur l’expertise de deux de ses organes : le Bureau National de Recherche (BNR) et
l’Agence centrale de recherche. Cependant, de nombreuses pesanteurs rendent difficile l’accès à
ces personnes disparues.

Pour la Croix-Rouge et particulièrement son organe CICR, les personnes disparues


renvoient aux détenus ou prisonniers de guerre et aux enfants dispersés à l’issue d’un conflit armé.
Précisons cependant que lors desdits conflits, il n’existe pas de base conventionnelle explicite
donnant au CICR l’accès aux personnes privées de liberté. Car, ni l’article 3 commun aux
conventions de Genève, habilitant le CICR à offrir ses services, ni le protocole additionnel II ne
mentionnent les visites à des détenus90. Ainsi, les parties concernées n’ont pas obligation
d’accepter les visites du CICR à des détenus ou prisonniers lors des conflits91. Pour le faire, le
CICR doit ainsi négocier avec les groupes armés et les éventuelles entités non étatiques afin
d’obtenir des autorisations, laquelle négociation s’avère difficile et complexe. Par conséquent,
obtenir l’accès aux détenus de guerre est parfois très difficile.

On l’a vu lors de certaines situations dans le conflit anglophone où le CICR était présent,
mais ne pouvait avoir accès aux détenus et otages tenus en captivité par les groupes armés
« ambazoniens ». De même, dans d’autres contextes toujours dans ce conflit où le CICR
souhaiterait être actif reste clos, car les groupes armés « ambazoniens » pour la plupart se sont
montrés totalement hermétiques au dialogue avec le CICR sur toutes questions liées à la détention
des prisonniers de guerre92. Ce fut le cas lors des négociations du CICR en vue de la libération de
plusieurs civils, élèves, administrateurs, fonctionnaires, FMO et militaires camerounais détenus
comme prisonniers ou otages par certaines factions armées du NOSO. En effet, malgré le réseau

89
CICR, Droit international humanitaire, cité par BOUNDA (S.), op.cit., p.95.
90
BOUNDA (S.), op.cit., p. 83.
91
NGOM (I.), Le CICR et les conflits étatiques internes, Mémoire de Maitrise, Relations Internationales, Université
de Gaston Berger, 2009, p. 14
92
Entretien avec RABIATOU (T.), op.cit.
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de message Croix-Rouge qui constitue un excellent moyen pour les personnes déplacées internes
de renouer le contact, il arrive souvent que les lettres ne trouvent pas leurs destinataires. Dans la
plupart des situations, on s’est rendu à l’évidence que l’action du CICR soit parfois entravée par
le manque de volonté des autorités ou des parties concernées.
Page | 277
Conclusion

Au terme de cette étude, il est évident et visible que l’engagement humanitaire du


mouvement Croix-Rouge dans le conflit anglophone n’est pas dénué de tout intérêt, puisqu’elle
est motivée par des enjeux d’une part philanthropiques et d’autre part égoïstes. Si les motivations
altruistes sont clairement définies et identifiées par le mouvement, celles latentes sont plutôt
diffuses pas clairement formulées.

Par ailleurs, dans sa quête permanente ou alors sa volonté d’atteindre ses objectifs
philanthropiques, la Croix-Rouge fait face à des éléments défavorables à sa progression.
Considérées comme contraintes, elles compromettent ipso facto l’efficacité des opérations
d’assistance déployées par elle dans ces régions anglophones en crise et leurs environs. Ces
entraves sont variées et émanent du mouvement, y compris de ses partenaires locaux et
internationaux.

En effet, les divers obstacles auxquels fait face cet organisme de solidarité nous amènent à
susciter des pistes qui semblent de nature à améliorer sa participation et son engagement à l’égard
des nécessiteux issus du conflit anglophone. En fait, comme l’a démontré François-Xavier
Merrein, la théorie de la gouvernance, mobilisée par nous, se situe à trois niveaux que sont : le
niveau descriptif, analytique et enfin prescriptif93. Il renchérit en soulignant que « la gouvernance
s’inscrit sous le double registre de l’observation (sein) et de la prescription »94. C’est dire que, les
contraintes évoquées plus haut ne sont pas incontournables. Par ailleurs, elles peuvent être
surmontées si les différents acteurs qui interviennent dans la chaine humanitaire au Cameroun en
général et dans le NOSO et ses environs en particulier, mettent sur pied des stratégies et prennent
en considération un certain nombre de perspectives :

Le mouvement Croix-Rouge devrait procéder au renforcement de ses ressources


financières. Ce renforcement doit tenir compte des ressources d’origine nationale ainsi que celles

93
MERRIEN (F-X.), op.cit., p. 64
94
Ibid.
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en provenance des partenaires internationaux. Ces ressources nationales pourront provenir des
partenaires privés locaux. À cela pourra venir se greffer la mobilisation des ressources issues des
partenaires internationaux, lesquelles pourront constituer pour le mouvement, une source de
financement indéfectible. Toutefois, ces ressources devront constituer une part exponentielle du
Page | 278
financement des projets-programmes de la Croix-Rouge dans le NOSO et sur l’étendue du
territoire national.

Outre les ressources financières, la Croix-Rouge devrait renforcer ses ressources humaines
et matérielles. Le renforcement des ressources humaines serait en effet un pivot essentiel pour la
mise en œuvre effective de ses opérations d’aide sur toute l’étendue du territoire camerounais et
plus particulièrement dans les régions en crise. Pour se faire, cette entreprise de solidarité peut
multiplier les séances de formation en premiers secours, en Droit International Humanitaire, en
droit de l’homme, etc. Aussi, doit-elle continuellement renforcer l’expertise de ses cadres à travers
la multiplication des séminaires de formation et des colloques placés sous la bannière des experts
de l’humanitaire. De son côté, le renforcement des ressources matérielles devrait passer par
l’acquisition des nouveaux véhicules adaptés à l’environnement opérationnel, lesquelles seront
utiles pour le déplacement du personnel et le transport des dons.

Dans la même mouvance, la Croix-Rouge pourra procéder au renforcement de ses actions.


Ceci devrait passer par le mécanisme de sensibilisation des autorités publiques y compris des
couches bénéficiaires. Pour la sensibilisation des autorités publiques, l’accent pourrait être mis sur
les principes qui guident les actions de la Croix-Rouge afin de lui garantir un pouvoir autonome à
travers son principe d’indépendance. Les couches bénéficiaires quant à elles doivent être
sensibilisées sur l’importance des actions et des activités que la Croix-Rouge réalise à leur profit,
en l’occurrence la formation à la réalisation des petits métiers et la constitution des AGR. Car,
faut-il le rappeler, ces deux actions d’encadrement visent une aide humanitaire durable et comme
le dit très justement Jean-François Mattei : « l’aide humanitaire apporte de l’espérance, or il n’y
a d’espérance qu’en pensant à demain ; l’espérance a besoin de temps »95.

Dans la même veine, les populations hôtes ou la communauté d’accueil pourront être
sensibilisée sur les l’importance de la solidarité et l’assistance, ce qui, au sens de plusieurs

95
MATTEI (J-F.), L’urgence humanitaire, et après ? Pour une action humanitaire durable, France, Hachette
Littérature, 2005, p. 45
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responsables humanitaires, permet de réduire la xénophobie, encourager la tolérance et sensibiliser


aux besoins de protection pour certaines des personnes impliquées et sur le vivre ensemble96.

L’État camerounais devrait dans le cadre de la réalisation des projets collectifs avec la
Croix-Rouge jouer un rôle de premier plan dans la coordination des opérations d’aide humanitaire. Page | 279
Cette coordination doit signifier et tenir compte d’une appréhension globale des besoins, mais
aussi, doit juguler les différends liés à la cohabitation entre les multiples organisations
humanitaires présentes sur son territoire. Car, comme opine à cet effet Daniel Barenstein : « l’aide
est beaucoup plus efficace quand tout le monde tire à la même corde »97. Aussi, pour ce qui est de
l’environnement, l’État pourrait désenclaver les zones inaccessibles dans ces régions en crise afin
de permettre et rendre fluide la mobilité des secours et du personnel humanitaire y compris.

En sus, le mouvement humanitaire camerounais devrait se « désoccidentaliser »98 afin de


maintenir les traditions locales. En fait, les aides humanitaires fournies par la Croix-Rouge au
Cameroun notamment dans le NOSO sont dominées par un modèle d’organisation, des
financements et une visibilité qui l’identifie clairement comme issue des pays occidentaux. Or,
pour être en phase avec les nouvelles réalités et tenir compte des traditions locales, ce modèle doit
évoluer et s’adapter. En tout état de cause, cette « désoccidentalisation » ne signifie ni un
reniement, ni un travestissement, mais une mixité des hommes et des savoirs librement consentis
par les acteurs de la solidarité internationale99. Suivant cette logique, l’aide humanitaire peut se
faire dans le respect des cultures et des traditions locales des populations du Nord-ouest et du Sud-
ouest. Relevons, le maintien des traditions et des cultures locales offre aux populations touchées
par la crise les instruments nécessaires pour gérer et surmonter le traumatisme, car comme le pense
l’anthropologue Daniel BARENSTEIN, « la culture et les traditions locales sont primordiales si
l’on veut préserver un lien entre le présent et le passé ».100

Enfin, le gouvernement camerounais et la Croix-Rouge devrait mettre l’accent sur la


prévention des conflits armés, afin de faire apprendre aux populations à reconnaitre leurs causes
et chercher à les maitriser. Pour se faire, au sens de Jean François Mattei, les questions que doivent

96
Entretien avec ALASSAN Abo, Imam de la mosquée centrale de Dschang, tenue le lundi 24 octobre 2022.
97
BARENSTEIN (D.) et ROSELLI (M.), « Quand la reconstruction est un acte de violence », UN seul monde, n° 2,
Juin 2007, pp. 10-14.
98
MICHELETTI (P.), « Pratique de l’humanitaire : pour rompre avec l’hégémonie occidentale », Diploweb.com : la
revue géopolitique, n° 122, 2012, pp. 3-9.
99
Ibid.
100
BARENSTEIN (D.) et ROSELLI (M.), op.cit.
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se poser les humanitaires de la Croix-Rouge sont : « comment intervenir pour ne plus devoir
intervenir ? Comment faire en sorte que les acteurs locaux puissent s’en sortir seuls, ou en tous
cas, sans grosses interventions humanitaires ? »101. Tout compte fait, cette prévention peut se
décliner à travers la protection des personnes, la sensibilisation et l’éducation, le renforcement des
Page | 280
capacités locales, la mise en place des systèmes d’alerte et des dispositifs d’intervention
immédiate.

Somme toute, ces recommandations constituent des pistes susceptibles d’améliorer


l’engagement de la Croix-Rouge dans le conflit anglophone en particulier et sur l’étendue du
territoire camerounais en général.

101
MATTEI (J-F.), op.cit.
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Administration coloniale et conflits ethniques à l’Extrême-Nord Cameroun


Colonial style and ethnic conflict in far north Cameroon
Par:
Kamdem Joulin Rodrigue Page | 281
Doctorant en science politique à l’Université de Douala

Résumé :

Ce travail s’intéresse à l’impact des modèles d’administration coloniale sur les conflits
ethniques dans la région de l’extrême-nord durant la période coloniale. Après avoir présenté les
deux modèles d’administration coloniale implémentés dans cette région du Cameroun, nous
montrons dans un premier temps que l’administration indirecte a conduit à l’exacerbation des
conflits ethniques. L’administration directe qui viendra en remplacement de l’administration
indirecte va quant à elle permettre la régulation des conflits ethniques en permettant
l’autonomisation des groupes jadis mis sous tutelle. Cette étude s’inscrit donc pleinement dans
l’approche institutionnaliste des conflits ethniques qui considère que le design institutionnel est
déterminant pour les relations entre groupes ethniques. Elle peut permettre soit la coopération
soit le conflit ethnique.

Mots clés : conflits ethniques, Cameroun, administration directe, administration indirecte.

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Abstract:

This work focuses on the impact of colonial administration models on ethnic conflict in the
Far North region of Cameroon during the colonial period. After the two models of colonial
administration implemented in this region were presented, we demonstrate that indirect rule has Page | 282
led to exacerbation of ethnic conflict. The direct rule which replaces the indirect rule will allow
the regulation of ethnic conflicts by allowing the empowerment of groups once place under guard
ship. This study is there fore fully invest in accordance with institutionalist approach to ethnic
conflict, which considers that institutional design is decisive for relationships between ethnic
groups. It can allow either cooperation or ethnic conflicts.

Key words: indirect rule, direct rule, colonization, ethnic conflict, Cameroon.

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Introduction

Issue de l’éclatement par décret présidentiel du 22 Août 1983 de l’ancienne province du


Nord Cameroun, la région de l’Extrême-nord se situe sur le plan géographique, dans la partie la
plus au nord du territoire national camerounais. Elle se localise entre les 10° et 13° de latitude Page | 283
nord et s’étire sur près de 325 km2, des pays soudaniens jusqu’aux improbables rivages du lac
Tchad (Morin, 2000 : 7). Elle partage les frontières sur le plan interne avec la région administrative
du Nord Cameroun et sur le plan international à l’ouest avec le Nigeria, au nord avec le Tchad et
à l’est avec le Tchad. Elle se caractérise par une grande diversité des groupes humains (Podlewski,
1966). En effet, l’on compte plus d’une quarantaine d’ethnies dans cette région. La densité de ces
groupes s’accentue des plaines aux montagnes, car les reliefs les plus compartimentés des Monts
Mandara septentrionaux favorisent le morcellement ethnique (Seignobos, 2000 :44).
L’islamisation qui a eu un grand impact sur l’histoire de cette région a conduit au regroupement
de cette multitude d’ethnies en deux grands groupes. D’un côté les sociétés non musulmanes
encore appelées les « Kirdi » qui se caractérisent par une organisation acéphale. De l’autre côté,
l’on a les sociétés islamisées appelées les Islamo-peul ou musulmans qui quant à elles sont des
sociétés centralisées avec à leur tête un chef qui est non seulement le chef des croyants, mais
également le chef politique.

Historiquement, la région de l’Extrême-nord est influencée par une triple dynamique qui
s’est succédée dans le temps sans pour autant être indépendante. Il s’agit d’abord de celle du bassin
du lac Tchad avec la construction des divers Etats précoloniaux qui y ont vu le jour. Ensuite celle
de l’Adamawa1 avec la conquête peule et la constitution des lamidats. Enfin celle de l’Etat du
Cameroun qui a pris place avec la colonisation et qui structure la région depuis lors sans pour
autant annuler celle des autres dont principalement celle du bassin du lac Tchad à laquelle la région
appartient encore aujourd’hui sur le plan géographique.

Durant la période coloniale, les institutions coloniales mises en place par le colonisateur
n’étaient parfois pas adaptées au contexte local qui était celui de la société plurale. Ce qui fait
qu’elles ont parfois eu des effets divergents sur les relations entre les groupes ethniques. Il en est
ainsi pour le modèle d’administration coloniale. L’objectif de cette étude est donc de montrer

1
L’ « Adamawa » des historiens se réfère à l’immense province de l’empire peul du Sokoto, au 19e siècle, centrée sur
sa capitale Yola, au bord de la Bénoué. Au contraire, l’Adamaoua actuel, dans son sens géographique, englobe les
plateaux qui s’étendent au centre du Cameroun, de la frontière nigériane à celle de Centrafrique.
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l’impact que les deux modèles d’administration coloniale ont eu sur les conflits ethniques dans la
région de l’Extrême-nord Cameroun au-delà du fait que le colonisateur a très souvent
instrumentalisé les divisions ou encore les rivalités ethniques pour mieux asseoir sa domination
dans le territoire à travers ce que l’on désigne encore par le « diviser pour régner ». Cette étude
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s’inscrit ainsi dans l’approche institutionnaliste des conflits ethniques qui considère que ces
derniers sont le résultat du design des institutions politiques (Basedau ; Crawford, Beverly, 1998)
dans la mesure où elles peuvent soit promouvoir la coopération entre groupes ethniques soit
exacerber les conflits ethniques dans les sociétés divisées. Elle se subdivise en deux articulations.
La première présente les différents modèles d’administration coloniale et leur mise en place dans
la région de l’Extrême-nord(I). La deuxième quant à elle met en exergue l’effet ces deux modèles
d’administration sur les conflits ethniques durant la période coloniale(II).

I- LA TYPOLOGIE DE MODELE D’ADMINISTRATION COLONIALE ET MISE


EN PLACE DANS LA REGION DE L’EXTREME-NORD DU CAMEROUN

Après la conquête des territoires par les diverses puissances colonisatrices, il fallait
dorénavant les administrer. C’est ainsi que va voir le jour les différents modèles d’administration
coloniale. Malgré la pluralité des puissances colonisatrices, l’on regroupe généralement ces
modèles d’administration en deux grandes catégories. Il s’agit de l’administration indirecte (A) et
de l’administration directe (B). Bien que les objectifs étaient les mêmes dans les deux cas à savoir
le contrôle politique de la colonie (Athow and Blanton, 2002 : 201), chacun avait toutefois ses
caractéristiques propres et sa philosophie en fonction de la place accordée aux autorités coloniales.
Les différentes puissances coloniales qu’a connu le Cameroun en général - la France et la Grande
Bretagne vont se succéder à l’Allemagne après la première guerre mondiale- et dans la région de
l’Extrême-nord en particulier ont implémenté ces diverses formes d’administration coloniale en
fonction des situations qui se présentaient à elles et parfois les ont même expérimenté dans un
même contexte.

A- L’administration indirecte : un système décentralisé

Généralement présentée comme le modèle d’administration britannique2, l’administration


indirecte est définie comme « une forme de domination coloniale avec la collaboration des

2
Son étiquetage d’administration britannique ne doit toutefois pas amener à penser l’exclusivité de son usage par la
grande Bretagne, tout comme celle de l’administration directe par la France. Les différents colonisateurs faisaient un
usage indifférencié de ces modes d’administration et parfois les alternaient comme on le verra ici pour des raisons
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intermédiaires indigènes qui contrôlent les institutions périphériques “ (Langue, 2009 :28).
D’après le Général anglais Frederick Lugard qui a theorisé et introduit ce mode administration
dans les colonies anglaises: “The essential feature of the system . . . is that the native chiefs are
constituted as an integral part of the machinery of the administration. There are not two sets of
Page | 285
rulers—the British and the native—working either separately or in co-operation, but a single
Government in which the native chiefs have well defined duties and an acknowledged status
equally with British officers. Their duties should never conflict, and should overlap as little as
possible. They should be complementary to each other, and the chief himself must understand that
he has no right to place and power unless he renders his proper services to the State” (Lugard,
1922:203). Il se caractérise par le fait que la métropole occupe peu de place. Les autorités
traditionnelles continuent de garder leur relation au niveau de leur peuple sur la supervision de
l’administration coloniale. Il y a donc combinaison de deux modes de domination : légale
rationnelle au niveau de l’administration coloniale et traditionnelle avec les chefferies
traditionnelles. L’administration indirecte comprend donc un tryptique à savoir l’administration
coloniale, les chefs traditionnels et la population. Dans une relation patron-client, les chefs
traditionnels servent d’intermédiaires entre les populations et l’administration coloniale. Il y a donc
une forme de complémentarité entre l’administration coloniale et les chefs indigènes et non un
conflit de compétences.

C’est l’Allemagne, première puissance dominatrice du Cameroun qui va introduire


l’administration indirecte au Cameroun en général et au Nord-Cameroun en particulier. Après la
signature du traité germano-duala du 12 juillet 1884 entre Eduard schmidt, Eduard woermann et
Voss représentant l’Allemagne et les rois Akwa, Bell et leurs subordonnés représentant les Duala,
qui octroie les droits à l’Allemagne coloniale sur le Cameroun, traité entériné ensuite par la
conférence de Berlin, l’Allemagne va se lancer dans l’annexion du territoire en application du
principe de l’hinterland, lequel principe exigeait que le territoire soit effectivement occupé. Les
allemands vont rencontrer une farouche résistance presque partout sur l’ensemble du territoire de
la part des populations indigènes.

Au Nord Cameroun, après que le major Hans Dominik ait vaincu les troupes peules et
madhistes dans la bataille d’Ibba Sange à Maroua et que pendant la même période le lieutenant

diverses. Leur identification à ces deux puissances coloniales vient du fait qu’elles sont les deux grandes puissances
coloniales au vue des territoires colonisés.
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Radke venait à bout de Sule, lamido de Rey Bouba, la domination allemande sur la région était
effective en 1902.Pour administrer cette vaste étendue du territoire, il a été créé trois unités
administratives dont les « résidences » de Garoua, de Ngaoundéré et de Mora. Dans le programme
élaboré en 1902-1903, les autorités coloniales allemandes conseillèrent aux administrateurs des
Page | 286
trois résidences de confier la plus grande partie du travail d’administration aux autorités
traditionnelles et de jouer le rôle de protecteur et de conseiller (Ngoh, 1990 : 32). C’est ainsi que
les bases de l’administration indirecte seront posées dans cette région. Les allemands vont donc
s’appuyer sur l’ensemble des chefferies musulmanes qui avaient émergé avec le djihad pour la
plupart et qui était disséminées partout sur l’ensemble du territoire régional.

A la suite de la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale, la France


hérita de cette partie du territoire après le partage du Cameroun entre la France et la grande
Bretagne à la faveur du traité de Versailles de 1919. Ce partage sera entériné en 1922 par la Société
des Nations à travers la formule du mandat, et l’ONU avec la formule de la tutelle. Tout comme
l’Allemagne, la France va adopter l’administration indirecte comme le montre cette instruction du
gouverneur colonial du Nord-Cameroun : « je vous prierai de considérer comme base de notre
politique que les laamidos sont ici le seul instrument sur lequel nous puissions compter puisque
nous ne pouvons pas faire d’administration directe et que par suite nous devons faire tout notre
possible pour affermir leur autorité »( Motaze, 1990 : 72). La situation n’avait donc pas changé :
les groupes musulmans conservaient leur ascendant sur les groupes kirdi, sous la garantie des
armes françaises qui avaient remplacé les armes allemandes. (Pontié ,1973 : 39).

Chez les deux puissances coloniales, le choix de ce mode d’administration coloniale était
dicté par deux logiques complémentaires. D’une part l’existence de royaumes structurés. À la
veille de la colonisation, la région de l’extrême-nord comptait de nombreuses chefferies
traditionnelles issues pour la plupart de de la conquête peule et de l’islamisation de la région. Ces
structures permettaient déjà une forme d’administration dans la société nouvellement conquise car
elles offraient des systèmes de relais pour l’administration coloniale. Ainsi, au lieu de bouleverser
la région, il était préférable de maintenir le statu quo, surtout qu’en l’état la structuration qu’elle
avait permettait au moins d’avoir un semblant d’administration avec les différents chefs comme
intermédiaires. Le système d’administration mis en place par les Fulbé ne fut pas remis en cause ;
les païens continuaient à dépendre des lamibé qui pouvaient désormais compter sur la force armée
allemande pour sauvegarder leur autorité et la raffermir dans les nombreux cas où elle était

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défaillante (Pontié, 1973: 38). Dans la région de l’Extrême-nord, ils confirmèrent dans leur
pouvoir une dizaine de sultans et de lamidos (Goulfey, Kousseri et Logone-Birni pour les Kotoko
; le sultan du Wandala ; les lamidos de Maroua, Mindif, Bogo, Binder, Kalfou et Madagali dont
dépendait Mokolo) ( Seignobos, 2000 : 57). C’est cette logique qui guidait également la pratique
Page | 287
de l’administration coloniale par le colonisateur anglais. En effet, Lange, Mahoney et vom Hau
constatait d’ailleurs que “ when complex precolonial societies were organized around protostates,
the British usually pursued indirect colonialism, allowing pre-colonial leaders to maintain political
and legal power over their subjects, while requiring them to report and pay taxes to the colonial
administration” ( Lange, Mahoney et Vom Hau, 2006 :1427). Aujourd’hui encore, les chefs
traditionnels sont intégrés à l’administration comme auxiliaires au terme du décret de 1977
régissant les chefferies traditionnelles au Cameroun.

D’autre part, il y a le manque de personnel administratif. L’administration allemande et par


la suite celle française était pilotée au départ d’ailleurs par des militaires uniquement. Elle était
constituée d’un officier à la tête de la subdivision assisté de quelques miliciens. C’est avec le temps
et progressivement que les civils vont être intégrés» (Seignobos, 2000 : 57; Martin, 1970 : 41 ;
Froelich, 1968 : 85). C’est ce que l’on peut d’ailleurs constaté dans cette lettre du chef de bataillon
Gros du 1er mai 1920 au commissaire de la République : « il est anormal de placer 28000 arabes
sous le commandement d’un représentant d’une race différente qui ne compte que 6000 individus.
Mais si nous supprimons ce sultan, ce sera l’anarchie tant que nous n’aurons pas un nombreux
personnel européen à Goulfei. Si nous donnons le commandement du pays à un représentant de la
race dominante, quel qu’il soit, il sera incapable de se faire obéir des autres tribus et même des
gens de sa propre tribu, et son premier soin sera de tondre la Meskine et d’envoyer à l’étranger,
Tchad principalement, les troupeaux qu’il aura mal acquis. Il est donc prudent de conserver
Djagara» (archives minrest Yaoundé, III, 360). L’avantage de ce modèle d’administration
coloniale était donc également qu’il était moins couteux sur le plan économique pour la puissance
coloniale et préservait par la même occasion les structures traditionnelles préexistantes dans les
sociétés colonisées en les incorporant dans la structure administrative.

B- L’administration directe : un système centralisé

Considérée comme modèle d’administration française, l’administration directe se


caractérise par un encadrement direct des populations par l’administration coloniale et de
centralisation du processus décisionnel (Gazibo et Thiriot, 2009 : 25). Elle implique donc la
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construction d’une administration intégrée dans laquelle l’administration centrale et


l’administration locale sont gouvernées par les mêmes principes organisationnels. L’on peut
considérer dans ce cas, qu’il s’agit de l’application du modèle d’administration bureaucratique au
niveau de la colonie. En effet, Il existe une organisation bureaucratique avec une formalisation
Page | 288
des règles délimitant les devoirs et les droits des autorités en fonction de leur position et une
hiérarchie dans le commandement (Langue, 2009 :29). Il s’agit d’une forme de centralisation dans
le modèle de ce qui a été à l’origine de la formation de l’Etat en Europe.

Le système de contrôle dans l’administration directe est centralisé. C’est à partir de de la


métropole que les décisions sont prises et les autorités locales n’ont que peu de marge de
manœuvres. Elle s’est manifestée en Afrique française par la mise en place d’une gouvernance
hiérarchique au sommet de lequel trône le gouverneur général, secondé par les gouverneurs
territoriaux. Ensuite, viennent les commandants de cercle et les chefs de subdivision(…). Les
grands rois locaux furent éliminés et des africains furent nommés ou maintenus aux niveaux des
cantons et des villages pour finaliser cette méthode d’administration directe (Ki-zerbo, 1974 : 436).
Ce mode d’administration impliquait au niveau local le remplacement des autorités traditionnelles
dans les sociétés centralisées par des administrateurs venus de la métropole, et parfois même le
modèle bureaucratique occidentale remplaçait les institutions traditionnelles conduisant dans
certains cas à leur démantèlement (Banton et al, 2001 : 478).

Dans les colonies françaises où elle a été principalement utilisée, la France va utiliser les
citoyens pour administrer ses colonies. Elle est basée sur un idéal d’intégration des colonisés à la
grande France à travers l’assimilation et la centralisation administrative. L’objectif avec ce
système pour ce qui est de la France qui l’avait comme principal modèle était de créer une grande
France à travers l’assimilation des populations colonisées qui adopterait la culture française à
travers l’apprentissage de la langue française. C’est la raison pour laquelle les sujets coloniaux
sont devenus à partir de 1946 les citoyens de la France. Elle a apporté beaucoup plus de
changement dans les sociétés où elle est appliquée par rapport à l’administration indirecte. La
différence entre ces deux modes d’administration a eu un impact différent sur les conflits ethniques
durant la période coloniale.

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II- L’IMPACT DES MODELES D’ADMINITRATION COLONIALE SUR LES


CONFLITS ETHNIQUES DANS LA REGION DE L’EXTREME-NORD DURANT
LA COLONISATION

A partir de leurs différentes caractéristiques, les deux modèles d’administration coloniale Page | 289
ont eu un effet divergent sur les conflits ethniques dans la région de l’extrême-nord du Cameroun.
L’administration indirecte a eu comme conséquence d’exacerber les tensions entre les groupes
ethniques(A). Le constat de cet impact négatif de l’administration indirecte a fait que, la puissance
coloniale passa à l’administration directe qui a permis de pacifier la région(B).

A- L’administration indirecte et exacerbation des rivalités entre groupes ethniques

Si l’administration indirecte a eu pour avantage de maintenir en place les structures


traditionnelles des sociétés dans lesquelles elle était appliquée, l’option pour ce mode
d’administration a cependant eu comme conséquence ici d’exacerber les conflits entre les groupes
ethniques dans la région de l’extrême-nord. C’est ainsi qu’en 1928, les Matakam de Gousda tuent
Tigréa Haissa, chef de Mozogo et représentant du sultan de Mora, ainsi que les 34 hommes de son
escorte (Martin, 1970 : 42). Les gens de Golda traitent de même son successeur en 1934». En pays
Guiziga et Moundang, de vraies bandes spécialisées dans le vol de bétail se constituent en pays
Guiziga et Mundang ; Boboyo, Kassélé, Midjivin, Muturua, Lulu, sont les points les plus chauds
(Pontié, 1973 :40). Cette situation est généralisable à toutes les zones où les groupes kirdi
cohabitaient avec les groupes musulmans.

Dans le Logone et Chari, la situation était pareille entre Arabes Choa et kotoko qui sont
deux groupes mulsumans. A la suite de la création du grand sultanat de Goulfei, va naitre dans
cette localité une période de trouble et de règlements de compte entre ces deux groupes. Par cette
réforme qui replaçait les Arabes Choa sous la domination kotoko après leur brève période de
domination sous Rabah, les Kotoko dont principalement Jigara qui était intronisé à la tête du
sultanat, va profiter de cette position pour malmener les Arabes choa. Cette attitude poussa
régulièrement ces derniers à la révolte au point où il fallait également l’intervention de l’autorité
coloniale pour ramener l’ordre. Cet extrait du rapport de tournée du chef de circonscription, Genin,
en 1930 (ANY/APA 11 832/C) résume le sentiment de l’administration sur le problème Arabes-
Kotoko : « Les causes de trouble abondent dans ces régions, et d’abord, parce qu’elles sont
habitées par deux races dont l’antagonisme latent cherche toutes les occasions de se manifester.

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Les Kotoko sont les moins nombreux, mais les mieux organisés. Leurs chefs ont de l’autorité. C’est
une population travailleuse, industrieuse... facile à administrer. Malgré leur infériorité
numérique, ils avaient avant l’arrivée des Européens (...) asservi les Arabes qu’ils dominent du
droit que confère l’organisation envers l’anarchie. Des troubles graves éclatèrent en 1919 et on
Page | 290
dut même braquer des mitrailleuses sur les tribus arabes, rassemblées et prêtes à ouvrir les
hostilités avec les Kotoko ».

Face à cette situation, les colonisateurs entreprirent régulièrement des campagnes de


pacification qui consistaient dans ce contexte à faire intervenir les militaires pour réprimer les
groupes insoumis. C’est ainsi que durant la période allemande, le village de Boboyo (en pays
Mbana) par exemple, aurait été incendié, du moins partiellement six fois en treize ans, sans que
pour autant les habitants acceptent une soumission sans histoire ; de même en 1904, lors de la
création du poste de Bongor, les Allemands furent amenés à faire de la répression chez les Massa
qui ne voulaient pas obéir aux Fulbé (Pontié, 1973 : 38). S’agissant de la période française, le
capitaine Vallin note dans son rapport en 1927 que: « Les Matakam sont restés les Kirdi les plus
farouches, conséquence d’un esprit guerrier plus poussé et d’un habitat dans un véritable chaos.
Les opérations 1922-1923 et les tournées des armées qui suivirent n’avaient permis d’obtenir
qu’un apprivoisement partiel les Matakam se laissaient approcher mais la plupart n’acceptaient
aucune des servitudes (l’impôt, etc.) constituant la preuve d’un début de soumission. Enfin
plusieurs villages n’avaient jamais été visités (Oupay, Zehar, Ziver, Vouzad)»(le Capitaine Vallin,
192, cité par Martin, 1970 : 42).

Cette exacerbation des conflits ethniques est due au fait que ce modèle d’administration
coloniale créait une forme de stratification entre les groupes ethniques. En effet, la région de
l’Extrême-nord comprend deux types de sociétés plurales à savoir les sociétés centralisées et les
sociétés acéphales. Durant la période précoloniale, les sociétés acéphales ont lutté pour éviter leur
soumission aux sociétés centralisées. C’est ainsi que dans les rapports entre Kirdi et musulmans,
l’administration indirecte constitue une mise sous tutelle des musulmans des groupes Kirdi qui
résistaient jusque-là à la conquête et la domination de ces derniers. En plus, avec ce mode
d’administration, même certains groupes Kirdi qui avaient réussi à maintenir leur indépendance
par la lutte furent mis sous l’autorité des musulmans lesquels n’avaient jamais réussi à les
soumettre. Ce qui fait que pour les Habe, ce fut souvent un recul par rapport aux situations acquises
et ils réagirent ici et là avec brutalité (Pontié, 1973 : 38), aussi bien dans les montagnes que dans

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les plaines. C’est la persistance de cette situation malgré les campagnes de pacification qui va
conduire d’abord l’Allemagne par endroits, et ensuite la France partout sur l’ensemble de la région,
à passer à l’administration directe considérée comme un moyen de mettre un terme à cette
insécurité vu que la violence n’avait pas toujours résolu le problème.
Page | 291
Cet impact négatif de l’administration indirecte sur les conflits ethniques ne serait
d’ailleurs pas propre uniquement à la période coloniale. En effet, Dans de nombreuses études
consacrées aujourd’hui aux violences ethniques dans les Etats postcoloniaux, les auteurs indiquent
que l’administration coloniale indirecte est à l’origine de ces conflits. C’est ainsi que
Mandani(2001) montre comment le système d’administration indirecte a institutionnalisé les
oppositions ethniques et les inégalités au Rwanda conduit de ce fait au génocide du début des
années 1990. Banton, Masson et Athow vont d’ailleurs dans le même sens. En comparant les effets
de l’administration coloniale sur les conflits ethniques dans les Etats postcoloniaux, ils démontrent
dans leur étude que l’administration indirecte qu’il considère comme le modèle anglais est plus
conflictogène que l’administration directe française. Il en est ainsi parce que l’administration
coloniale indirecte a maintenu en place les institutions locales et traditionnelles qui plus tard vont
servir de base à la mobilisation ethniques contrairement au modèle français dans lequel il y avait
une forme de centralisation et une tentative d’assimilation des peuples colonisées (Blanton, Mason
et Athow, 2001).

B- L’administration directe et régulation des conflits ethniques a l’Extreme-Nord

Face à l’exacerbation des conflits ethniques par le modèle d’administration indirecte, les
colonisateurs qui se sont succédés au Cameroun vont décider de passer au modèle d’administration
directe. La mise en place de ce mode d’administration coloniale au nord Cameroun se justifie par
la volonté de pacifier une région en proie à des tensions ethniques régulières en particulier et à
l’insécurité en général que le colonisateur considère avoir été créée par l’administration indirecte
tel que le montrent ces différents rapports de tournée. Sous la domination allemande, le capitaine
Zimmerman qui avait dû entreprendre dès 1906 une tournée dans le Nord à la suite de nombreuses
plaintes émises par des islamisés à la résidence de Garoua, notait dans son rapport : « Pendant
qu’ils (les Fulbé) cachent d’un côté leurs propres rapines à l’administration, ils demandent
d’autre part son aide contre ceux qu’ils ont pillé, lorsqu’ils ont conscience de leur impuissance à
l’égard de ces derniers... C’est avec une honteuse apparence de sincérité qu’ils avouent : c’est
seulement la présence des blancs qui les protègent du sort qu’eux-mêmes ont réservé il y a de
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nombreuses décades aux païens dont la force s’est maintenant accrue …il faut entrer en contact
directement avec les tribus païennes». . . (Capitaine Zimmerman «rapport sur la traversée de la
montagne Mandara» du 6/11/1905 au 20 /1/1906 (archives Yaoundé).

Sous la domination française, c’est d’abord le lieutenant Lissande en 1916 ayant à faire Page | 292
face à des situations de troubles qui écrivait : « . . . je crois pouvoir affirmer que le calme renaîtrait
en accordant aux Kirdi une indépendance complète vis-à-vis des Fulbé » (cité par Lestringant, p.
183). Deux ans plus tard dans une lettre du 26 novembre 1918, le Gouverneur Fourneau indiquait
: « Je voudrai que la question des commandements Kirdi et Foulbé soit réglée une fois pour toutes.
L’antagonisme des deux races n’est pas à démontrer. Il n’apparaît pas plus difficile de mettre les
Kirdis sous notre autorité directe que de les placer sous celle des sultans, et cette dernière solution
ne pourrait donner que des résultats éphémères ... Ne compliquons pas inutilement notre tâche en
voulant plier sous le joug des Foulbé des populations qui ont préféré vivre au milieu de terres
ingrates plutôt que de se soumettre à eux. » (Martin, 1970 : 42).

Concrètement, l’administration directe va consister dans son principe au nord Cameroun


d’après la politique définie par le commissaire de la république en une organisation des Kirdi en
groupements homogènes placés sous le commandement des « chefs de races », totalement
indépendants des Fulbé (Pontié, 1973 : 41, Seignobos, 2000 : 57). C’est ainsi qu’A l’Extrême-
nord, elle va commencer à être implémentée dans les plaines à partir de 1924 avec la décision de
l’administrateur Martin, du 26 août 1924 qui détache Midjivin, Muturua, Boboyo, Kilguim,
Touloum et Bizili de la dépendance du lamidat de Mindif. Dans les montagnes, c’est à partir de
1940 avec la réorganisation des commandements et le redécoupage des cantons par arrêté n° 717
du 20 Juin 1941 que les villages Daba du canton de Bourah, Bana de Bourah et de Gawar sont
placés sous administration directe du chef de subdivision de Mokolo (Seignobos et Iyébi-
Mandjek, 2000 : 57 ; Martin, 1970 : 43). L’application de ce système a eu comme conséquence
sur la région la constitution des structures centralisées calquées sur le modèle musulman dans la
plupart des sociétés kirdi, alors acéphales. En effet, partout où les païens se trouvaient directement
soumis aux musulmans, l’administration s’est efforcée d’y susciter un commandement
indépendant choisi parmi les autochtones. À la tête de chaque canton, va émerger un chef de race.
Il en est de même chez les Arabes Choa même comme dans ce cas les lawan dépendent des sultans
kotoko, situation amenant la région de l’Extrême-nord à être celle qui détient le plus grand nombre
de chefferies parmi toutes les régions du Cameroun.

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Le rôle régulateur de l’administration directe vient du fait qu’elle instaurait au-delà de


l’égalité entre le colonisateur et le colonisé avec l’attribution de la nationalité au colonisé, une
forme d’égalité entre les groupes centralisés et les groupes acéphales. En effet, en créant les chefs
de race à la tête des groupes acéphales, elle permettait à ces derniers de retrouver leur autonomie.
Page | 293
C’est ainsi que chez les Kirdi considérés comme la source du problème dans la mesure où les
musulmans étaient passés entre temps du statut d’opposants à celui de coopérants, l’administration
directe se présente ici comme une politique d’apprivoisement de ces derniers comme le souligne
ce rapport: « II importait donc avant tout de faire comprendre aux populations insoumises que
leurs coutumes seraient respectées et que l’action entreprise par l’administration française avait
pour but, non de les soumettre aux Fulbé leurs ennemis, mais de les constituer elles-mêmes en
groupements indépendants qu’administreraient directement nos officiers. Pour mettre fin aux
razzias et leur faire perdre leurs habitudes de pillage, il fallait avant tout leur montrer qu’elles
n’avaient plus rien à craindre des Peuls, les inciter à établir de vastes plantations et à construire
dans des régions plus riches de nouveaux villages, leur donner en un mot les moyens de vivre
normalement sous la garantie que leur offrait la Paix Française » (1). ( archive nationale de
Yaoundé cité par Martin, 1971 :306) Cette solution de régler le problème Kirdi par une
administration directe avait déjà aussi été entamée par les allemands. En effet, lorsque les Massa
placés sous la tutelle du sultanat de Yagoua à la suite de l’accord franco-allemand de 1911,
modifiant les frontières, notamment par la cession du Bec-de-Canard se soulevèrent,
l’administration coloniale allemande réagit alors en les plaçant sous l’autorité directe du chef de
poste de Yagoua, créé en 1912 (Seignobos et Iyébi-Mandjek, 2000 : 57).

Dans le cas du Logone et Chari, cette logique qui structure l’administration directe chez
les Kirdi est également appliquée entre Arabes Choa et Kotoko. Ici aussi, les tensions et des
frictions qu’il y avait avec les chefs Kotoko va conduire à penser à un assouplissement de la
politique pratiquée jusque-là à l’égard de ces derniers(les arabes). Pour les Arabes Choa,
l’administration directe a consisté en une restructuration des commandements ethniques avec la
mise en place d’un lawan à la tête de chaque fraction. C’est cela qui conduira en 1953 au
démantèlement du vaste sultanat de Goulfei en plusieurs commandements territoriaux à
savoir Goulfei, Bode, Wulki, Makari et Afade. Il sera procédé par la même occasion à une
restructuration des commandements ethniques arabes : chaque fraction sera placée sous le
commandement d’un lawan qui dépend du sultan kotoko sur la terre duquel ses administrés sont
installés et non plus du grand chef de Goulfei (Saibou, 2005 : 204).
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l’implémentation de l’administration directe est donc marquée par un souci très net de
bienveillance et de compréhension vis-à-vis des populations qu’on connait un peu mieux, qu’on
découvre extrêmement frustes et primitives, mais pleines de courage, laborieuses, intéressantes, et
aux prises avec des conditions de vie très dures (Martin, 1970 : 42) . En effet, la méconnaissance
Page | 294
du territoire et des populations était l’un des principaux défauts de l’administration coloniale. La
rotation du personnel administratif qui intervenait à chaque fois ne permettait donc pas à ces
derniers de s’imprégner des réalités locales. C’est ainsi que l’on compte par exemple pour la
circonscription de Mokolo dix-huit chefs de subdivision pendant la période qui va de 1922 à 1939,
soit dix-sept ans (Martin, 1970 : 43). C’est dans cette dynamique de pacification progressive que
la Cameroun accède à l’indépendance.

Conclusion

Cette étude avait pour objectif d’analyser l’impact des modèles d’administration coloniale
sur les conflits ethniques dans la région de l’extrême-nord durant la période coloniale. À cet effet,
nous avons présenté les deux modèles d’administration coloniale qui ont été implémentés par les
puissances coloniales. Il s’agit de l’administration indirecte qui se caractérise par une délégation
des pouvoirs aux autorités traditionnelles par le colonisateur et l’administration directe qui se
caractérise quant à elle par la centralisation au niveau de la métropole. Par la suite, nous avons mis
en exergue l’impact divergent de ces deux modes d’administration sur les conflits ethniques dans
cette région. En effet, l’administration indirecte qui était la première à être implémentée a conduit
à l’exacerbation des conflits ethniques. Cela était dû au fait qu’elle créait une forme de
stratification entre les groupes ethniques avec la mise sous tutelle des groupes ethniques ayant une
organisation acéphale par ceux ayant une organisation centralisée. Or dans cette région, depuis la
période précoloniale, les sociétés acéphales ont toujours lutté pour garder leur autonomie vis-à-vis
de la volonté de domination des sociétés centralisées. C’est d’ailleurs cette exacerbation des
conflits ethniques qui va conduire les puissances coloniales à passer à l’administration directe.
Cette dernière a permis d’atténuer les conflits ethniques dans la région. Il en est ainsi parce qu’elle
permettait aux sociétés mises sous tutelle dans l’administration indirecte de retrouver leur
autonomie. L’administration directe va plutôt créer les chefs de race à la tête de ces sociétés afin
d’avoir un relai au niveau de la population locale.

L’administration directe n’est pas toutefois parvenue à pacifier complètement la région.


Jusqu’à la veille de l’indépendance, il existait des frictions entre groupes ethniques auxquels les
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ISSN : 2790-4830
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administrateurs consacrèrent une grande partie de leur temps et de leur énergie (Pontié, 1973 : 45).
Cela peut se justifier par le fait que le mode d’administration directe qui était bien pensé va
rencontrer beaucoup de difficulté dans son implémentation. Il existait dans de nombreux cantons
une cohabitation de groupes ethniques soit à cause de la grande fragmentation de la population
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comme c’était le cas dans les mont Mandara, soit à cause de leur dispersion sur l’ensemble du
territoire comme c’est le cas dans le Logone et Chari. Dans ce dernier cas par exemple, la
dislocation du grand sultanat de Goullfei en plusieurs principautés au lieu de rendre les Arabes
indépendants, va conduire plutôt à une répartition des arabes Choa dans les nouveaux sultanats qui
avaient vu le jour. En plus, dans certains cas où l’on avait réussi chez les kirdi à avoir un canton
homogène, celui-ci parfois restait inféodé au lamidat fulbé. La situation n’ayant pas vraiment
changé dans ce dernier cas de figure par rapport à l’administration indirecte.

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