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RIDSP
COMITE SCIENTIFIQUE
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Pr Victor – Emmanuel BOKALLI
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur, Université de Ngaoundéré ;
Pr Athanase FOKO
Professeur, Université de Ngaoundéré ;
Pr Emilia ONYEMA
Professor, SOAS University of London;
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Pr Aron LOGMO MBELECK
Professeur, Université de Douala ;
Pr Maurice KOM KAMSU
Maître de Conférences, Université de Maroua
Pr VOUDWE BAKREO
Agrégé des Facultés de droit, Université de Ngaoundéré ;
M. Maxime KALDJONBE
Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA ;
M. SABABA MAGAZAN
Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA et Juge
d’instruction près le Tribunal Militaire de l’Adamaoua ;
M. David YINYANG
Magistrat, Substitut du Procureur près les Tribunaux d’Instance du FARO à POLI ;
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COMITE DE REDACTION
Membres :
Dr. Josué DIGUERA Dr. Elie SAPITODEN
Dr. Alice TOUAIBA TIRMOU Dr. Franklin Kennedy ASSONJI FONGUE
Dr. Job Didier BAHANA Dr. WILLARBANG ZUINSSA
Dr. Eloi BAKARY Dr. YAOUBA HAMADOU A.
Dr. Gérard Müller MEVA’A Dr. Alexis BAAYANBE BLAMA
Dr. Sadjo ALIOU Dr. Ibrahima HALILOU
Dr. Joceline Gaëlle ZOA ATANGANA Dr. Raissa PAYDI
Dr. Deguia CHECK IBRAHIM Dr. Adama SALME
Dr. Issa Pave ABDEL NASSER Dr. Dieu-Ne-Dort BADAWE KALNIGA
Dr Prosper Hugues FENDJONGUE Dr. Bienvenu DOMBA
Dr ABOUKAR BANGUI AGLA Mme Mbissa Valérie HAMBOA ZONGA
Dr Ange MESSI MBALLA Dr. ARI HAMADOU GUY
Dr. Linda DJARSOUMNA Mme MOUANGA MOUSSENVOULA G.
Dr Djidjioua GARBA ISSA M. Jacob Israël FIRINA
Dr Norbert DOURGA M. Benjamin DIGUIR DABOLE
Dr. Josué Eric BOLNDO Dr. ALI BOUKOUN ABDOULAYE
POLITIQUE DE REDACTION
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Exemple :
Organisation Mondiale de la Santé, Global status report on violence prévention, 2014, disponible
en ligne sur http://www.who.int/violence_injury_prevention/violence/status_report/2014/en/
Exemple : MINKOA SHE (A.), Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun
depuis l’indépendance, Thèse de Doctorat, Université des Sciences Juridiques, Politiques, Sociales
et de Technologie de Strasbourg, 1987, p.6
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auteurs s’engagent, toutefois, à céder leurs droits à la Revue Internationale de Droit et Science
Politique.
Le Rédacteur en Chef
Dr. Timothée MANGA BINELI
Université de Yaoundé II.
Droit Public
Des modes de paiement dans l'exécution des marchés publics en droit congolais……………......1
Droit Privé
(TIC)……………………………………………………………………………………………127
au Cameroun………………………………………………….......…………………………….159
précoloniales…………………………………………………………………………………....184
Les Polices Municipales au Cameroun : état des lieux et perspectives à la lumière du Décret N°
anglophone……………………………………………………………………………………...251
YEPMOU Landry
*********************
**********
***
Résumé:
La transparence qui guide l’action publique impacte le secteur des marchés publics.
Pourtant, les modes de paiement prévus par la législation de 1969 semblent avoir privilégié la
facilité que la transparence dans l'exécution de ces marchés. Ce constat se révèle à travers la
procédure d’exécution des marchés caractérisée par l’absence d’uniformité. C’est en ce sens que
le législateur de 2010 est intervenu pour clarifier les règles de paiement. Il a adopté des règles de
paiement qui s’inspirent de la comptabilité publique. Quoique lourdes, ces règles transparaissent
l’exécution des marchés publics.
Abstract:
The transparency that guides public action impacts the public procurement sector.
However, the methods of payment provided for by the 1969 legislation seem to have favoured ease
rather than transparency in the performance of these contracts. This is reflected in the contract Page | 2
performance procedure, which is characterised by a lack of uniformity. It is in this sense that the
legislator of 2010 intervened to clarify the payment rules. It has adopted payment rules based on
public accounting. Although cumbersome, these rules reflect the execution of public contracts.
Introduction
L’efficacité dans l’action publique réside dans la capacité des acteurs intervenant à chaque
niveau de la chaîne de gestion et de décisions, à s’approprier les exigences liées à leurs rôles et
responsabilités ainsi que les réflexes à acquérir pour l’objectivité et la célérité dans la mise en Page | 3
œuvre de cette action. Le paiement des marchés publics est, sans doute, la partie la plus sensible
du processus d’exécution des marchés publics car son exécution obéit à des exigences dont la
méconnaissance et la violation de la procédure peuvent conduire à des fautes de gestion et à des
malversations financières dont sont parfois auteurs certains acteurs qui interviennent dans la chaîne
d’exécution des dépenses publiques.
Par ailleurs, il est vrai que tout particulier qui entre en relation contractuelle avec
l’administration espère toujours en tirer un avantage financier. Et pour qu’il en soit ainsi, il est
indispensable que l’équilibre entre les avantages et les charges prévus et acceptés au moment de
la conclusion du contrat soit maintenu tout au cours de l’exécution du contrat ; c’est ce qui a donné
naissance en France, à la théorie dite de l’équilibre financier ou de l’équation financière,
particulièrement illustrée à propos de la concession des services publics. Le concessionnaire doit,
en effet, pouvoir couvrir toutes les dépenses de l’exploitation. Ce qui revient à dire que l’équation
financière qu’il a acceptée doit être susceptible de lui assurer la couverture de ses dépenses, une
rémunération équitable des capitaux investis et un bénéfice normal.1
Contrepartie monétaire payée par la personne publique en échange des prestations réalisées
par l’entreprise titulaire du marché, le prix en est l’élément substantiel. De celui-ci, on reconnaît Page | 4
le caractère onéreux du contrat. Élément de rémunération du titulaire du marché 2, le prix couvre
plusieurs prestations pouvant être réglées par d’autres à la fois forfaitaire et unitaire 3. Le prix est
révisable, unitaire ou provisoire.
Le prix n’est pas modifiable, même lorsque l’évolution des conditions économiques
l’exige4. La loi définit et fixe les modalités de recours au prix ferme. Le prix ajustable ou révisable
autorise à prendre en compte l’évolution de la situation pendant la durée d’exécution des
prestations contractuelles. Le prix unitaire est calculé en fonction de quantités réellement exécutées
ou livrées. On y recourt, lorsque les prestations, objet du marché, comportent des incertitudes sur
leurs quantités. Il est forfaitaire en raison de son application à tout ou partie des prestations du
marché, quelles que soient les quantités fournies ou exécutées. Ce sont les prestations
préalablement définies lors de la conclusion du marché qui en déterminent la fréquence.
Toutefois, il est fort probable qu’une interprétation rigoureuse de ce principe eût fait courir
le risque à l’Administration, du moins pour les marchés publics importants et de longue durée, de
ne pas trouver d’entrepreneur ou de fournisseur disposant de ressources assez considérables pour
attendre aussi longtemps son règlement, alors que l’exécution des travaux aurait nécessité des
mines de fonds énormes (matériaux, outillage, salaire, frais généraux, etc.)6.
1
Clément KABANGE NTABALA, Droit administratif. Tome 1, Kinshasa, Vina, 1997, p.78.
2
Art. 54 de la Loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux Marchés publics
3
Art. 55 de la Loi
4
Art. 56 de la Loi
5
Arrêté royal belge du 14 octobre 1964, art. 9, §1 er « Le prix de l’entreprise est payé soit en une fois après son
exécution complète, soit par acomptes dans les cas où ce mode de paiement est permis par la loi, au fur et à mesure
de son avancement, suivant les modalités prévues par le cahier spécial des charges ».
6
Lire sur cette question, Gaston JÈZE, Les principes généraux du Droit administratif, Tome 1, 3ème éd., Tome 4, 5
et 6 : « Théorie Générale des contrats et Administration », Paris, Dalloz, 1934, p. IV
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De ce qui précède, il est important d’étudier les modes de paiement dans l’exécution des
marchés publics en droit congolais afin de comprendre la portée de l’intervention du législateur
de 2010. C’est donc autour de cette approche que s’attèlera fondamentalement le raisonnement de
la présente étude. Dès lors, outre la diversité des modes de paiement des marchés publics dans
Page | 5
l’ancienne législation (I), l’étude aborde le renouvellement des règles des modes de paiement dans
l’actuelle législation (II).
Selon les termes de l’ordonnance n°69-279 du 5 décembre 1969 relative aux marchés
publics de travaux, de fournitures, de transports et de prestations en son annexe, le paiement dans
l’exécution des marchés publics s’effectue différemment selon qu’il s’agit du paiement des travaux
ou du paiement des fournitures ; aussi, le paiement pouvait intervenir dans plusieurs autres cas,
tels que celui des intérêts de retard dans les paiements, celui du paiement en cas de saisie-arrêt, ou
celui de l’interruption par l’Administration ou par l’adjudicataire.
Cette ordonnance faisait participer plus d’une personne publique; situation qui pouvait
entraîner des conséquences peu favorables pour la bonne exécution des marchés publics. Les
personnes publiques au nom desquelles les marchés pouvaient être passés étaient : la République ;
la ville de Kinshasa ; les zones urbaines ; les collectivités rurales ; et les organismes de droit
public qui exercent certaines missions revenant normalement à la République et sur lesquels celle-
ci exerce un pouvoir de tutelle.
Il sied de noter ici qu’il n’y avait pas de stricte séparation entre les fonctions de gestion des
marchés publics, celles de leur passation et de leur contrôle, et il y avait donc un grand risque de
cumul des fonctions par les structures chargées de les exercer. De surcroît, le contrôle des marchés
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publics n’était pas assuré par les établissements publics chargés du contrôle et de la régulation, ni
par tout autre organe administratif compétent quelconque.
Le prix des travaux était payé soit en une fois, en fin d’entreprise, soit par acomptes
mensuels au fur et à mesure de l’avancement du marché7. Le cahier spécial des charges indiquait Page | 6
dans quelle mesure et à quelles conditions, la valeur des matériaux dont la mise en œuvre était
autorisée, et des prestations admises, était incluse dans les paiements8.
Les paiements étaient effectués sur production par l’adjudicataire, d’une facture portant
situation détaillée justifiant le paiement demandé. Les factures étaient visées pour approbation par
l’Administration et payées dans les soixante (60) jours du calendrier suivant le jour de leur
réception. Les factures qui n’étaient pas approuvées étaient renvoyées sans délai à l’adjudicataire,
avec indication du motif du renvoi et notification du montant admis pour l’établissement d’une
nouvelle facture. La demande de paiement ne pouvait tenir compte que des modifications déjà
approuvées par l’Administration.
Le paiement des fournitures était effectué en une fois, sauf stipulation contraire du cahier
spécial des charges. Les factures à introduire par l’adjudicataire après la terminaison des formalités
de réception et d’agréation étaient visées pour approbation par l’Administration et payées dans les
soixante (60) jours du calendrier suivant le jour de la réception. Lorsque le cahier spécial des
charges prévoyait des paiements partiels, l’approbation et le paiement de chacune des factures se
faisaient dans les mêmes conditions.
7
En 1949 déjà, la commission de normalisation des cahiers des charges de l’État de la Belgique estimait que les termes
« service fait » ne devaient pas être interprétés uniquement dans le sens de travaux ou de fournitures au sens strict,
mais pouvaient être étendus à des prestations d’études, d’ailleurs parfois très importantes et coûteuses, d’établissement
des plans, des salaires, etc. Lire à ce sujet, le P.V n° 24 du 8 février 1949, p. 2 .
8
Et le texte de ce P.V ajoute : « La commission décide de laisser au cahier spécial des charges le soin de préciser de
quelle manière et dans quelles conditions la valeur de certaines prestations peut être incluse dans les demandes de
paiement à introduire par l’adjudicataire ».
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En cas de retard dans les paiements dont l'administration était responsable, des intérêts de
retard étaient dus. Si le délai fixé pour le paiement était dépassé, alors que le marché n’avait pas
donné lieu à contestation ; l’adjudicataire avait droit à un intérêt calculé au prorata du nombre de Page | 7
jours du calendrier de retard, au taux de 6% l’an. Ce taux était porté à 9% à partir du 101 ème jour
de retard.
Pour les interruptions autres que celles relatives aux intempéries et celles prévues au cahier
spécial des charges, et pour autant qu’elles dépassent dans l’ensemble dix (10) jours du calendrier
pour les marchés dont le délai d’exécution est de deux cents (200) jours du calendrier au moins,
ou qu’elles dépassent dans l’ensemble le 1/20ème du délai d’exécution pour les autres marchés,
l’adjudicataire était fondé à introduire auprès de l’Administration, un compte d’indemnisation dont
le montant était convenu de commun accord, l’adjudicataire ne pouvait pas se prévaloir des
discussions en cours à ce sujet pour ne pas reprendre l’exécution du marché.
Lorsque, par la faute du maître de l’ouvrage ou de l’acheteur, les paiements n’étaient pas
effectués à cent (100) jours du calendrier après celui de la remise de la demande, établie comme il
est dit ci-dessus, il était permis à l’adjudicataire d’interrompre ses travaux ou fournitures et il avait
droit à une prolongation de délai égal au nombre de jours du calendrier compris entre le 100ème
jour après le jour de la réception de la demande et le jour déterminé par la date du paiement.
Il avait droit également à l’indemnisation dans les mêmes conditions que celles qui sont
prévues au point B.5 ci-dessus.
La décision d’arrêter les travaux ou fournitures pour non-paiement devait toutefois être
notifiée par lettre recommandée à la poste adressée à l’Administration avec avis de réception, dix Page | 8
jours du calendrier au moins avant le jour d’interruption effective.
Parmi les apports de la nouvelle législation, on peut relever la refonte des règles de
paiement applicables aux marchés publics qui sont désormais similaires à celles des procédures
d’exécution des dépenses publiques. Cette révolution s’est accompagnée par la mise la révision du
cadre organique relatif à l'exécution des marchés publics. Ainsi, les personnes au nom desquelles
les marchés peuvent être conclus sont :
⮚ L’Autorité de régulation de marchés publics (ARMP) qui est un organe de régulation des
marchés et de contrôle a posteriori ; Page | 9
⮚ Les Cellules de gestion de marchés publics (CGMP) qui sont des organes de gestion des
marchés publics pour le compte des Autorités contractantes et Maîtres d’ouvrage délégués ;
⮚ Les Autorités approbatrices : Ce sont le 1er Ministre et les Gouverneurs des provinces, les
Ministres nationaux et provinciaux du Budget, ainsi que les Ministres nationaux et
provinciaux de tutelle.
1- L’engagement et la liquidation
L’engagement juridique de la dépense publique est l’acte par lequel le pouvoir central, la
province ou l’entité territoriale décentralisée crée ou constate à son encontre une obligation de
laquelle résultera une charge10. En d’autres termes, c'est la décision prise par l'autorité qui a qualité,
9
Décret n° 13/050 du 6 novembre 2013 portant règlement général sur la comptabilité publique (J.O.RDC., 15
décembre 2013, n° 24, col. 7).
10
Article 82 du Décret sur le RGCP
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à cet effet, pour prélever une partie des crédits budgétaires en accomplissant un acte qui doit
entraîner une dette à la charge de l'État11.
● La soumission préalable aux avis et visas prévus par les lois et règlements propres de
l’État ;
11
Par exemple, une commande de fournitures, un contrat de travaux passé avec un entrepreneur, la nomination d'un
fonctionnaire, etc.
La liquidation
La liquidation comprend:
Elle correspond au stade auquel une dette à l'égard d'un tiers est née. Dans les systèmes
comptables d’exercice, les liquidations sont enregistrées en charge, immobilisation ou variation de
dette. C'est le Directeur chargé du contrôle budgétaire, après avoir intégré les dépenses au niveau
du ministère du budget qui va procéder à la liquidation du dossier après intervient
l’ordonnancement.
2- L’ordonnancement
● La dépense budgétaire est reconnue à cette étape dans les livres comptables ;
12
Article 84 du Décret sur le RGCP
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● Il n’existe pas d’ordonnancement avant constatation du service fait sauf pour les avances
sur les travaux ou paiements préalables autorisés par les lois et règlements. Page | 12
Tout comme l’engagement, l’ordonnancement régulier doit respecter certains exigences que sont :
C'est au niveau du Ministère des finances que l’ordonnancement a toujours lieu dans la
chaîne des dépenses. L'O.D.G (Ordonnateur Délégué Général ) procède à l’ordonnancement du
dossier qui consiste à attribuer un code secret audit dossier qui ne peut être déchiffré que par la
banque , suivie de la validation par le Directeur du trésor public après cette étape , le Ministre des
finances donne son visa et le dossier retourne encore chez le Directeur du trésor public pour son
transfert à la banque centrale pour le paiement .
3- Le paiement
Le paiement est l’acte par lequel l’État se libère de sa dette13. Sous réserve des exceptions prévues
par les lois ou règlements, les paiements ne peuvent intervenir avant :
L’échéance de la dette ;
L’exécution du service ;
La décision individuelle d’attribution des subventions ou allocations.
13
Articles 87 à 92 du Décret sur le RGCP
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Toutefois, des acomptes et des avances peuvent être consentis au personnel, aux
entrepreneurs, aux fournisseurs et aux prestataires des services conformément aux lois et
règlements en vigueur. Les comptables publics principaux assignataires des dépenses procèdent à
la mise en règlement des titres de paiement. Le décaissement se fait par remise d’espèces, de
Page | 13
chèques, par virement ou d’autres instruments de paiement dans les conditions autorisées par les
lois et règlements en vigueur.
Le paiement d’une dépense est libératoire lorsque le décaissement intervient selon l’un des
modes de règlement prévus l’alinéa précédent au profit du créancier attitré ou de son représentant
qualifié. Les comptables publics principaux assignataires sont chargés de vérifier la régularité des
opérations d’engagement, de liquidation, et d’ordonnancement de chaque dépense au moyen des
pièces justificatives dûment prévues par les lois et règlement en la matière.
Toute opposition ou toute autre signification ayant pour objet de suspendre le paiement
doit être adressée au comptable public principal assignataire de la dépense. À défaut pour le
saisissant ou l’opposant de remplir les formalités prescrites en la matière, l’opposition ou la
signification sera réputée non avenue.
pouvoir central, provincial et local subroge celle du comptable public principal assignataire et ce
dernier procède au paiement sans délai.
Le paiement est l’acte par lequel l’organisme public se libère de sa dette. Il s’effectue au
profit du créancier ou de son représentant qualifié. Le paiement est effectué exclusivement par un
comptable public après un certain nombre de contrôles et prise en charge. Le comptable engage sa
responsabilité personnelle et pécuniaire en cas de défaillance des contrôles. Le contrôle comptable
se fait sur la base des documents produits par l’ordonnateur.
Les sanctions du contrôle du comptable s’effectuent soit par le visa sur le titre du règlement,
soit par le refus du visa. S' il y a urgence ou une extrême urgence , le Ministre des finances dresse
une correspondance au gouverneur de la banque centrale appelée P.N ( )pour décaisser les fonds
du trésor public, la régularisation de la procédure interviendra après .S'il n' y pas urgence , après
les étapes précitées (l'engagement ,la liquidation et l’ordonnancement) ,la banque fait le virement
des fonds pour le compte du bénéficiaire du marché public ce qu'on appelle OPI( ordre de paiement
informatisé)soit c'est le comptable qui retire les fonds pour les remettre à celui à qui l'autorité
contractante a attribué le marché .
Page | 15
Signalons que le marché public fait appel aux gros montants c'est le virement bancaire qui
est d'application sauf en cas des marchés de gré à gré qui n’appelle pas de gros montants. En
somme, c'est la banque qui paie le prix du marché public en puisant les fonds dans le trésor public
et elle fait rapport au Ministre des finances via la direction de trésor public et de l’ordonnancement.
Dans certains cas, le Ministre du budget peut autoriser les dépenses mais celui des finances peut
refuser faute des moyens.
D’après la loi n° 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics, les prestations
faisant l’objet du marché sont réglées, soit par des prix forfaitaires appliqués à tout ou partie du
marché quelles que soient les quantités, soit par des prix unitaires appliqués aux quantités
réellement livrées ou exécutées.
La fixation d’un prix forfaitaire est imposée dès lors que les prestations sont bien définies
au moment de la conclusion du marché ; celle d’un prix unitaire est appliquée à une prestation
élémentaire, à une fourniture ou à un élément d’ouvrage dont les quantités ne sont indiquées qu’à
titre prévisionnel.
En rapport avec le paiement du prix, la loi autorise le versement des avances et acomptes.
À la différence d’une avance qui est versée avant l’exécution du marché et sous certaines
conditions, l’acompte est un paiement partiel effectué au fur et à mesure que les prestations se
réalisent. Il ne concerne que les marchés dont le délai d’exécution est supérieur à trois mois.
De toutes les manières, le prix du marché est, en principe, fixé avant l’exécution du marché,
il demeure inchangé. En cas de survenance, au moment de l’exécution des prestations, des
circonstances occasionnant une augmentation des dépenses non prévues au contrat, l’entrepreneur
Les modalités de règlement dans l’exécution des marchés publics sont organisées par la loi
n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics ainsi que par le décret n°10/22 du 02 juin Page | 16
2010 portant Manuel de procédures de la loi relative aux marchés publics. Les articles 70 à 72 de
la loi et 161 à 165 du décret fixent les modalités et conditions d’octroi des avances, des acomptes
ainsi que de paiement des soldes.
Les avances, par opposition aux acomptes, sont des paiements provisionnels, soit sur des
prestations non encore exécutées ou déjà exécutées mais non susceptibles de réception, soit à
raison d’opérations ne s’incorporant pas aux travaux fournitures commandés ; dans cette dernière
catégorie, entrent les avances de préfinancement qui sont versées à un moment où l’exécution du
marché n’est pas encore entamée, mais où l’entrepreneur doit exposer des frais d’études, acheter
du matériel ou des machines, engager du personnel, acquérir des licences.
● Sur le montant initial du marché, pour les marchés d’une durée d’exécution inférieure à un
an ;
● Sur le montant des prestations à réaliser au cours des 12 premiers mois, pour les marchés
d’une durée d’exécution supérieure à un an ;
14
JL ESAMBO, Droit congolais des marchés publics, Paris, L’Harmattan, 2016, p.128.
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● Sur le montant des 12 premiers mois d’exécution, pour les marchés à bons de commandes
ou de clientèle.
Notons par ailleurs que le remboursement de l’avance est possible. Cela intervient à partir
du moment où le montant des prestations exécutées au titre du marché atteint ou dépasse quarante Page | 17
pourcent (40%) du montant initial du marché, et prend fin lorsque le montant des prestations
exécutées atteint ou dépasse quatre-vingt pourcent (80%)15.
2- Acomptes et solde
Il n’est pas inutile de rappeler qu’à défaut d’une stipulation expresse du marché concernant
le paiement d’acomptes, aucune prestation ne peut être réceptionnée de façon définitive qu’après
l’accomplissement de toutes les obligations de l’entrepreneur.
Par contre, dès que les prestations ont atteint le degré d’avancement dont l’entrepreneur est
autorisé (par le cahier spécial des charges) à se prévaloir à l’effet d’obtenir un paiement aux termes
du marché, elles doivent faire l’objet d’un procès-verbal16.
Les prestations qui ont donné lieu à un commencement d’exécution du marché ouvrent
droit au versement d’acomptes ; ces derniers ne sont possibles que pour les marchés dont le délai
d’exécution est supérieur à trois (3) mois. Pour les marchés prévoyant un délai d’exécution
inférieur à trois mois, le versement d’acomptes est facultatif17.
Le montant des acomptes ne peut excéder la valeur des prestations auxquelles ils se
rapportent, une fois déduites les sommes nécessaires au remboursement des avances, le cas
échéant. Cependant, il peut être fixé dans le marché, des acomptes forfaitaires correspondant à un
pourcentage du montant initial du marché, lorsque ces acomptes sont versés en fonction de phases
techniques d’exécution. Le règlement des acomptes se fait dans un délai maximum de 90 jours ;
et, le défaut de paiement par l’autorité contractante dans les délais réglementaires donne lieu au
paiement des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire du marché.
15
Art. 163 du Décret sur le manuel de procédures.
16
Maurice-André FLAMME, Traité théorique et pratique des marchés publics, Tome 2, Bruxelles, Bruylant, 1969,
p. 827.
17
Art. 71 al.1 de la Loi & 164 du Décret sur le Manuel de procédures.
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C’est le cahier des charges qui fixe l’échelonnement des paiements, en stipulant soit des
acomptes fixes et donc non périodiques, soit, pour soulager davantage la trésorerie des
entrepreneurs, des acomptes périodiques correspondants à la valeur des travaux réellement
exécutés. Le règlement pour solde correspond à son tour, aux sommes dues au titre de l’exécution
Page | 18
des prestations après déduction des avances et acomptes. Lorsque le marché prévoit une retenue
de garantie, le règlement du solde donne lieu dans un premier temps à un règlement pour solde
provisoire, puis à un règlement pour solde définitif après mainlevée de la retenue de garantie18.
Les modalités pratiques pour effectuer ces paiements sont donc le cash, le paiement par
chèque, le paiement par OP (ordre de paiement) ou par lettre de crédit (cas des contrats
internationaux).
Tout marché public peut être donné en nantissement conformément au droit commun20. Le
nantissement est une affectation, aux fins de la garantie d’une obligation, d’un bien meuble
incorporel ou d’un ensemble de meubles incorporés présents ou futurs.
Il prend effet entre les parties à l’accord et ne devient opposable aux tiers qu’à la date de
prise d’acte obligatoirement porté à leur connaissance, à moins de s’assurer que volontairement
ils y sont intervenus. Une fois notifié au tiers, celui-ci en devient le créancier autorisé à recevoir
valablement paiement du capital et des intérêts21.
En outre, la cession de créance est un contrat par lequel le créancier, appelé cédant,
transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre son débiteur (appelé
débiteur cédé) à un tiers, appelé cessionnaire. Le consentement du débiteur n’est pas requis, mais
18
Art. 165 du Décret sur le Manuel de procédures
19
A. DE GRAND RY, “Le financement des marchés pour le compte de l’État”, in Rev. Banque, 1950, p. 1
20
Art. 65 de la Loi sur les Marchés Publics
21
JL ESAMBO, op. cit., p. 137.
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le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que si le débiteur cédé est informé du changement de
créancier.
Conclusion
Page | 19
À la lumière de tout ce qui précède, il appert de retenir que normalement, le titulaire d’un
marché ne peut demander le paiement de ses prestations que lorsqu’elles ont été réalisées et que
l’organisme public aura constaté qu’elles sont conformes au contrat signé. Cependant, il a droit à
une avance dans certaines conditions et à des acomptes dans la mesure où ils correspondent à la
valeur des prestations déjà réalisées.
Indépendamment du fait que les prestations ont été réceptionnées, les paiements sont
encore subordonnés à une déclaration de créance de la part du titulaire du marché. Tout créancier
de l’État, quel qu’il soit, doit en effet provoquer le paiement de ce qui lui est dû et est tenu de
signer une déclaration de la somme qu’il réclame. Cette demande, enseigne Henri MATTON,
constitue la vocation in jus. En effet, l’acte de l’Administration qui provoque la liquidation ne
suffit pas à établir la réalité de la créance du tiers à l’égard de l’État22.
À la réception d’une demande de paiement, l’organisme public dispose d’un délai pour
effectuer le règlement ; à défaut de quoi, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire du marché
sont payés. Dans l’ancienne législation, les paiements étaient effectués au compte de chèques
postaux ou au compte bancaire indiqué dans la soumission. Et lorsque la soumission ne comportait
pas d’indication à ce sujet, les paiements étaient effectués par accréditif ou par assignation postale,
au nom et à l’adresse de l’adjudicataire.
Actuellement, les modalités pratiques de paiement ne sont pas expressis verbis indiquées
dans la loi de 2010, ni dans le décret sur le manuel de procédure. Cependant, dans la pratique, le
cash, le paiement par chèque, le paiement par OP (ordre de paiement) ou par lettre de crédit (cas
des contrats internationaux) sont les moyens par lesquels s’effectuent le paiement.
22
Henri MATTON, Droit Budgétaire. Les Nouvelles lois politiques et administratives, Tome 3, Bruxelles, Larcier n°
3890.
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Résumé :
La diversité et la mobilité des agents publics supposent qu’ils peuvent être affectés dans
toute institution publique et même privé. Dès lors, il peut arriver qu’un fonctionnaire fasse l’objet
d’élection alors qu’il détient encore le statut de fonctionnaire. Cette élection mettra certainement
en évidence le nouveau statut auquel ce fonctionnaire sera soumis ; d’où la réflexion sur le statut
du parlementaire fonctionnaire au Cameroun. Par une question dont l’objectif était de mettre en
avant la caractérisation du statut du fonctionnaire parlementaire, l’on peut retenir après avoir
mobilisé la méthode juridique, qu’il s’agit d’une catégorie atypique soumise à une dualité de
régime juridique au Cameroun. Ainsi, on observe la prégnance de la soumission à un régime
spécifique bien que persiste le régime de droit commun.
Abstract:
The diversity and the mobility of the public agents suppose that they can be affected in any
public institution and even private.Consequently, it can happen that a civil servant is the subject
of election whereas he still holds the Staff Regulations of civil servant.This election will certainly Page | 21
highlight the new statute to which this civil servant will be subjected;from where the reflexion on
the statute of the member of Parliament civil servant in Cameroun.By a question whose objective
was to propose the characterization of the Staff Regulations of the parliamentary civil servant, one
can retain after having mobilized the legal method, which it is about an atypical category subjected
to a duality of legal status in Cameroun.Thus, one observes the prégnance tender with a specific
mode although common de jure system persistpersists.
Key words: Member of Parliament, civil servant, parliamentary civil servant, public office,
Parliament
Introduction
Pour accomplir sa mission, la fonction publique est dotée d’un personnel. En effet, l’Etat
d’une manière générale, l’administration qui en est le bras séculier sont des réalités désincarnées.
Ils ne prennent vie qu’à travers les Hommes qui les animent au quotidien. La fonction publique Page | 22
camerounaise est depuis plusieurs décennies, encline à des réformes institutionnelles. La gestion
de la ressource humaine s’inscrit depuis lors au centre de ses préoccupations1. La recherche de la
performance, objectif majeur de l’administration publique perçue comme l’outil essentiel du
développement dans les Etats, conduit à des réorganisations au sein du personnel2. En tant que
moteur de développement dans les Etats, ladite administration, doit pour atteindre les objectifs à
elle assignée, privilégier lors du recrutement de ses agents la qualité au détriment de la quantité.
Pourtant, les pays d’Afrique noire francophone à l’instar du Cameroun, ont opté pour le choix
inverse au lendemain des indépendances. Les pouvoirs publics, dans le respect des dispositions
constitutionnelles qui consacrent le droit au travail pour tous, allié à l’idéal de la construction de
l’unité nationale, vont s’engager dans une logique de recrutement à dessein social. Ce vaste
mouvement de socialisation de la fonction publique, s’est traduit par l’emploi massif de toutes les
catégories de personnel à même d’apporter leurs concours à la réalisation de l’activité
administrative. Etaient ainsi concernés tant les contractuels que les fonctionnaires y compris les
parlementaires fonctionnaires.
D’où l’intérêt de la présente réflexion sur le double plan théorique et pratique. Sur le plan
théorique, elle met sur la table la question de la gestion de la ressource humaine au sein de la
fonction publique, dans un contexte où la doctrine n’accorde pas assez d’intérêt à cette institution
qu’est le parlementaire fonctionnaire. L’étude de la diversité du personnel de la fonction publique
n’intègre pas souvent le parlementaire fonctionnaire qui demeure quand même une catégorie
particulière des agents publics. Sur le plan pratique, la réflexion nous plonge au cœur de la théorie
de la catégorisation3 du personnel de l’administration publique. Il est davantage question de
comprendre à quelle catégorie le parlementaire fonctionnaire appartient au sein de la diversité des
1
Irène Cécile NYAMA ALANG, Le licenciement et la révocation dans la fonction publique camerounaise, Thèse de
Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018, p. 2.
2
Lire célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO, « Morose anniversaire : le nouveau statut général de la fonction
publique de l’Etat 10 ans après 1994-2004 », RJPIC, n°4, octobre-décembre 2004, pp. 575-595.
3
Lire sur la question, Michelle CUMYN, « Les catégories, la classification et la qualification juridiques : réflexion
sur la systématicité du droit », Les Cahiers de droit, vol. 52, n°3-4, 2011, pp. 350-378 ; Michelle CUMYN et Frédéric
GOSSELIN, « Les catégories juridiques et la qualification : une approche cognitive », Revue de droit de McGill, vol.
63, n°2, 2016, pp. 329-387.
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agents publics au Cameroun. L’étude permettra de cerner effectivement le statut de cette catégorie
d’agents publics en fonction au Parlement.
Les parlementaires sont « destinés par la Constitution à donner leur accord à des mesures
de politiques publiques exécutoires, accord donné au nom d’une communauté politique qui va au- Page | 23
delà de l’élite gouvernementale responsable de la formulation de telles mesures »4. Ainsi,
Considérés dans une perspective institutionnelle, « les parlementaires sont tout sauf faibles »5, car
ils détiennent la légitimité du consentement du peuple.
Il est important de souligner que « toute activité théorique ou pratique se doit de disposer
de notions et concepts qui l’aident à s’orienter dans le désordre du monde et à appréhender une
masse mouvante et a priori indifférenciée des phénomènes »6. La notion de statut peut être
considérée comme une vieille lune, sur laquelle l’on peut sans dommage mais aussi sans profit
particulier laisser gloser et vaticiner les théoriciens du droit7. Cette notion est utilisée tant par les
législateurs nationaux qu’internationaux mais seulement celle-ci reste difficilement sinon presque
pas définie par ceux-ci. Il faudrait alors rechercher cette définition en dehors de la législation.
Selon le Dictionnaire Le petit Larousse illustré8, le « statut » peut être perçu comme un texte ou
un ensemble de textes fixant les garanties fondamentales accordées à une collectivité. Pour le
Dictionnaire Le Robert9, le terme « statut » désigne l’ensemble des lois et règlements qui
définissent la situation d’une personne ou d’un groupe de personnes. Par exemple, dans le droit de
la fonction publique, le statut est constitué de droits et devoirs des fonctionnaires ou de certaines
catégories d'entre eux.
4
Philip NORTON, « La nature du contrôle parlementaire », Pouvoirs, n°134, 2010/3, p.7.
5
Ibid., p. 11. En matière financière, ce consentement est celui de l’impôt, car il serait très difficile de concevoir une
levée des prélèvements publics sans une caution préalable du peuple à travers ses représentants.
6
Robert MBALLA OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral au Cameroun. Contribution à la théorie de la
décision administrative, Thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2011, p. 5.
7
Guy GEST, « Considérations générales sur la notion de souveraineté fiscale », Mélanges Paul AMSELEK, Bruxelles,
Bruylant, 2005, p.331.
8
Dictionnaire Le petit Larousse illustré, Edition Larousse, 2000, p.964.
9
Le Robert, Dictionnaire d'aujourd'hui, Edition 1992, p. 98.
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L’opinion courante considère d’une manière générale comme fonctionnaire, toute personne
au service de l’Etat ou des autres collectivités publiques. Cette conception ne traduit cependant
pas l’état du droit positif camerounais en la matière. De celui-ci se dégage une certaine ambiguïté
qui fait de la notion de fonctionnaire un problème juridique. L’expression fonctionnaire désigne
un agent d’une collectivité publique dont la situation dans la fonction publique est caractérisée par
la permanence de l’emploi dans lequel il a été nommé et par sa titularisation dans un grade de la
hiérarchie, se distinguant des agents n’occupant pas un emploi permanent et de ceux qui, occupant
un tel emploi, ne sont titulaires d’aucun grade13. Pour le public, affirmait Marcel WALINE, le
fonctionnaire est un salarié de l’Etat14. Cependant, cette conception n’est pas du tout très exacte.
En effet, la fonction publique présente une pluralité d’agents qui sont certes des salariés, mais
ayant des situations statutaires différentes. Par ailleurs, René CHAPUS quant à lui énonçait que le
fonctionnaire est un agent public titulaire, ou de façon plus développée, un agent public qui est
titulaire dans l’un des grades de la fonction publique15. Selon le code pénal, est considérée comme
10
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2011, 9e éd., p. 886.
11
Idem.
12
Philip NORTON, « La nature du contrôle parlementaire », op.cit., p.7.
13
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 461.
14
Marcel WALINE, Droit administratif, Paris, Sirey, 1959, p. 778.
15
René CHAPUS, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, t. 12, 2001, p. 49.
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fonctionnaire, « tout magistrat, tout officier public ou ministériel, tout préposé ou commis de l’Etat
ou tout autre personne morale de droit public, d’une société d’économie mixte, d’un officier public
ou ministériel, tout militaire des forces armées ou de gendarmerie, tout agent de la sureté
nationale ou de l’administration pénitentiaire, et toute personne même chargée occasionnellement
Page | 25
d’un service d’une mission ou d’un mandat public agissant dans l’exercice ou à l’occasion de
l’exercice de ses fonctions »16. En se référant à cette définition, il convient de dire que le
fonctionnaire est considéré comme toute personne accomplissant une mission d’intérêt général.
Ces personnels sont en réalité ceux qui, « occupant à titre professionnel un emploi dans les
services des personnes publiques, sont soumis à un statut de droit public »17 et se distinguent des
personnels contractuels. Ces derniers, contrairement aux fonctionnaires, sont en situation de
salariés de droit privé et liés à l’administration par un contrat de droit privé18. Ils se distinguent
également du personnel des organismes de droit privé associés à l’action des personnes publiques
et de celles des services industriels et commerciaux et des entreprises qui sont également les uns
et les autres régis soit par le droit du travail, soit par leur propre statut mais qui sont des statuts de
droit privé.
16
Cf. Code pénal camerounais.
17
René CHAPUS, Droit administratif général, op.cit., p. 49.
18
Ibid., p. 19.
19
Cour fédérale de justice, Arrêt n°94/199 du 16 octobre 1968, Baba YOUSSOUFA c/ Etat du Cameroun.
20
Article 3 du décret n°94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique de l’Etat.
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avec en prime le droit à la réintégration. Cependant, ce dernier ne perd pas totalement ses droits
statutaires d’origine sauf dans certaines conditions.
21
Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, 11e éd., p. 351.
22
Maurice KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique noire (essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats
d’Afrique noire francophone), Paris, LGDJ 1987, p. 58.
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Dispersion des organes, diversification des moyens, gradation des fins : cette triple
évolution a engendré une effrayante complexité des régimes de droit applicables à l’action
administrative23. L’une des caractéristiques du système camerounais de fonction publique est
la coexistence des éléments du système ouvert avec la notion de poste de travail, et des
éléments du système fermé ou de carrière. A l’analyse, ces derniers éléments pèsent
davantage, avec la consolidation de divers statuts, à la suite du statut général, retraçant
minutieusement la carrière des personnels de l’Etat. Or, comme le souligne Jean Marie
BRETON, statut et carrière « constituent l’assise fondamentale de ce modèle de fonction
publique »24. La carrière résulte de l’aménagement durable, rationalisé et hiérarchisé des
fonctions de l’agent, dans une double perspective de stabilité à long terme de la situation qui
lui est offerte à son entrée dans la fonction publique et de progression permanente des
avantages, pécuniaires en particulier. Par l’effet du détachement, il ressort que tout
fonctionnaire investi d’un mandat parlementaire n’est plus régi par le statut de la fonction
publique; du moins tout au long de son mandat. Ainsi, il doit être soumis à un régime
particulier, autonome (A) et à un régime de sanction disciplinaire visant à le placer hors de
toute dépendance (B).
23
Prosper WEIL et Dominique POUYAUD, « Le régime juridique : droit public et droit privé », Le droit administratif,
2013, p. 65.
24
Jean Marie BRETON, Droit de la fonction publique dans les Etats d’Afrique francophone, Paris, Edicef, 1990, p.
32.
25
Marcel PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1987, 2e éd., p.773
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peut être entendu selon article 29 du Code du travail comme un ensemble de dispositions
établies par des chefs d’entreprises destinées à préciser « les règles relatives à l’organisation
technique du travail, à la discipline et aux prescriptions concernant l’hygièneet la sécurité
nécessaire à la bonne marche de l’entreprise »26. Il faut noter que pour les Assemblées
Page | 28
élues, le règlement intérieur est la manifestation de la volonté délibérée de leur membre.
L’affirmation de leur autonomie est en effet perceptible au regard de la soumission de leur
membre à un ensemble de textes prescrits par lui-même (1). Il sied en outre de soulever à cet
effet sa portée et les inflexions à leur soumission au règlement autonome de l’Assemblée (2).
En allant dans le sens de Jean Jacques ROUSSEAU, l’on doit avoir à l’esprit que la
soumission à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. Dans cette optique, la manifestation de la
liberté des parlementaires en cause passe par le respect des textes par eux-mêmes adoptés.
Ainsi, le parlementaire fonctionnaire libre, voire autonome est celui qui se soumet à ses
propres textes ;c’est-à-dire le règlement intérieur de l’Assemblée à laquelle il appartient.
26
Loi no 92/007 du 14 août 1992, portant Code du Travail.
27
Constitution du 18 janvier 1996 révisée en 2008.
28
Ibid. pour l’article 22(1).
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De référence au code civil du Cameroun qui dispose que « les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de
leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées
de bonne foi »33. Conformément à cette disposition, les Assemblées parlementaires étant des
institutions autonomes, elles doivent se munir à ce titre, des règlements intérieurs auxquels
les parlementaires consentent et doivent respecter. L’importance de ce règlement est loin
d’être négligeable. Le règlement intérieur est l’expression d’un pouvoir d’auto-organisation
de chaque Assemblée qui se manifeste par l’édiction des résolutions parlementaires. Celles-
ci sont, suivant Maurice HAURIOU, des résolutions par lesquelles le corps constitué s’oblige
29
Article17(2) de la Constitution.
30
Loi no73 /1 du 8 juin 1973 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale modifiée par la loi n°2014/016 du
9 septembre 2014. Voir également loi n°2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat modifiée et
complétée par la loi n°2016/011 du 27 octobre 2016.
31
Pierre de Gaétan NJKAM MOULIOM, La spécificité de la fonction publique de l’Assemblée Nationale, Mémoire
de Maitrise, Université de Yaoundé, 1989, p. 118.
32
Article 123 de la Loi portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale du Cameroun.
33
Art. 1134 du Code Civil du Cameroun.
lui-même en obligeant ses propres membres. Ainsi, le Conseil constitutionnel français a défini
l’objet des règlements des Assemblées comme étant « La formulation des mesures et
décisions relevant de la compétence exclusive de l’Assemblée »34. En d’autres termes, les
mesures d’ordre intérieur ayant trait au fonctionnement et à la discipline sont donc librement
Page | 30
fixées par les membres de ces Assemblées.
Le règlement intérieur est considéré comme un véritable code de conduite pour les
parlementaires posés par eux-mêmes. Son contenu se limite exclusivement aux règles
relatives à l’organisation et au bon fonctionnement des activités parlementaires ainsi que les
prescriptions disciplinaires à observer. C’est donc l’Assemblée Nationale ou le Sénat qui crée
les règles de son organisation et de son fonctionnement35 et non le pouvoir exécutif.
34
C.C. Décision des 17, 18 et 24 juin 1959.
35
Article 17 al 2 de la Constitution.
36
André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1993, p.101
37
C’est donc cela la liberté dans le sens de Jean Jacques ROUSSEAU.
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Toute procédure disciplinaire engagée à l’encontre d’un agent est conditionnée par
Page | 31
l’établissement d’une faute . La faute disciplinaire est selon Jean Marie BRETON,
38
fondamentalement liée aux exigences statutaires tenant aux besoins du service, ainsi qu’aux
incidences qu’elle peut avoir sur la gestion et le fonctionnement de ce dernier 39.
Généralement, une distinction est faite entre la faute professionnelle et la faute
extraprofessionnelle. La faute professionnelle est notamment un manquement par action,
inaction ou négligence, aux devoirs et obligations auxquels est assujetti le fonctionnaire. La
faute extraprofessionnelle résulte notamment d’un manquement, d’une attitude ou d’un
comportement qui met en cause l’éthique et la déontologie professionnelle, ou est de nature à
porter atteinte à la moralité publique ou à l’honorabilité de la fonction publique. Ainsi
entendue, la faute couvre aussi bien les attitudes du fonctionnaire en dehors du service que
dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions40.
38
Sont constitutifs de la faute disciplinaire, les irrégularités de gestion ou malversations commises au préjudice d’une
personne morale de droit public. Cf. TE. 28 septembre 1962 MAMA ELOUNDOU doc. C.S. Il en est de même de la
rétention sans droit de la chose d’autrui (C S/CA. 28 novembre 1991 ESSONO OBAM doc. C.S. ; la négligence d’un
gardien de prison ayant entrainé l’évasion d’un détenu (C.S. /C.A. 27 décembre 1990 ETCHOUA MONKAMA) ; le
manquement à l’obéissance hiérarchique (CCA. 27 septembre 1958 MVONDO Josué) : les absences fréquentes,
répétées et non justifiées (TE. 22 juin 1962 NGONGANG Alexandre, doc. CS) ; tout manquement de nature à porter
atteinte à l’honorabilité et à la considération, et susceptible de répercussion de nuire à la fonction publique (CFJ. 19
mars 1969 MOUKOKO James, doc. CS.) ; La fraude au concours commise par un fonctionnaire en dehors du service
et de cette nature (CS/CA. 27 octobre 1972 EVINA ADA).
39
Serge SALON, Délinquance et répression disciplinaire dans la fonction publique, Paris, LGDJ, 1967, p. 75.
40
Martin Paul ZE, Droit de la fonction publique au Cameroun, Mennato Print, 2008, 1ere éd., p. 181.
41
Articles 96 et suivants du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 112 et suivants du règlement intérieur du
Sénat.
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l’Assemblée42(2).
Considérés comme des moyens visant à permettre aux parlementaires d’exercer leur
Page | 32
mission dans des conditions idoines, le rappel à l’ordre et la censure dans cette perspective
seront mises en exergue successivement.
- Le rappel à l’ordre
Parmi les stratégies qui visent à assurer l’autonomie des parlementaires fonctionnairesse
trouve la pratique qui a pour objectif de soumettre le parlementaire aux sanctions voulues par
lui-même. Ainsi, ces sanctions sont nombreuses et variées. Il s’agit en pratique du rappel à
l’ordre43. Cette sanction selon les dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée
Nationale ne peut être prononcée que par le Président seul44. C’est donc en effet le
Président de l’Assemblée qui a la compétence de rappeler à l’ordre un parlementaire
fonctionnaire. C’est une mesure observable au-delà des frontières camerounaises45. En outre,
est rappelé à l’ordre ; tout député ou sénateur qui refuse d’accomplir un acte qui lui est prescrit
par le Président de la chambre, par le doyen d’âge ou un organe de l’Assemblée concernée46.
En plus, il peut s’appliquer sur le parlementaire qui cause un trouble quelconque dans
l’Assemblée par ses interruptions, ses attaques personnelles, ou de toute autre manière47.
Concernant sa mise en œuvre, elle consiste à accorder la parole à celui qui, rappelé à
l’ordre, s’y est soumis et demande à se justifier. Lorsqu’un membre a été rappelé deux fois à
l’ordre au cours d’une même séance, le Président, après lui avoir accordé la parole pour se
justifier, s’il l’a demandé, doit consulter l’Assemblée Nationale ou le Sénat qui se prononce
sans débat, pour savoir s’il sera de nouveau entendu sur la même question48. Par ailleurs,
lorsqu’un parlementaire au cours de la même séance ou des séances consécutives aura été
42
Article 114 al 4 du règlement intérieur du Sénat et article 99 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
43
Article 97 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 113 du règlement intérieur du Sénat.
44
Article 97 al 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 113 al 5 du règlement intérieur du Sénat.
45
Voir par exemple l’article 88 de la Décision 11-005 2011-07-15_PCC_SG_11 portant Règlement intérieur de
l’Assemblée nationale du Tchad.
46
Article 97 al 2 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 113 al 2 du règlement intérieur du Sénat.
47
Idem.
48
Idem.
rappelé trois fois à l’ordre, cela sera inscrit au procès-verbal. Ainsi, l’instauration de cette
sanction vise à garantir une meilleure discipline lors des séances au sein des Assemblées
parlementaires. Le rappel à l’ordre à la différence de la censure n’est prononcé que par le
Président seul.
Page | 33
- La censure
Le parlementaire, pour être mis à l’abri de son autorité d’origine, est en ce quiconcerne
les sanctions, placé hors cadre de la censure de son autorité disciplinaire 49. Elle peut être
considérée comme une sanction qui est accompagnée par son inscription au procès- verbal et
pouvant conduire à l’exclusion temporaire du parlementaire. Elle ne peut qu’être prononcée
par la chambre à la majorité des membres présents et qu’à l’issue d’un scrutin secret50.
Elle est mise en marche contre tout député ou sénateur qui, dans le cours d’une session,
a encouru cinq (5) fois le rappel à l’ordre ou qui, après un rappel à l’ordre avec inscription au
procès-verbal, encourt un nouveau rappel à l’ordre au cours d’une même séanceou de séances
consécutives51. Aussi, elle peut être prononcée contre un membre qui, en séance publique, a
provoqué une scène tumultueuse52 ; ou qui a adressé à un ou plusieurs de ses collègues des
injures, provocations ou menaces. Ce type de sanction existe ailleurs53.
49
T.E., Arrêt no 216, 28 Septembre 1962, TCHOUNGUI ZIBI C/Etat du Cameroun.
50
Article 98 al 1er du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
51
Article 98 al 2 (a) du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 2 (a) du règlement intérieur du Sénat.
52
Idem.
53
Cf. article 89 de la Décision 11-005 2011-07-15_PCC_SG_11 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale
du Tchad.
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définir une gamme de sanctions dont la plus élevée en terme de gravité de fait est l’exclusion
temporaire. Il sied d’analyser les circonstances d’exclusion avant de mettre en exergue ses
conséquences sur le mandat du parlementaire fonctionnaire.
Etant entendu que le parlementaire est soumis aux obligations édictées dans le cadrede
la loi portant règlement intérieur, le non-respect de ces dernières peut l’exposer à des sanctions
disciplinaires telle que l’exclusion temporaire. Plusieurs situations peuvent justifier l’usage
de la censure avec exclusion temporaire du palais de l’Assemblée. Il peut s’agir entre autres
du membre qui a résisté à la censure simple ou qui a subi deux fois cette sanction. En fait,
peut aussi être soumis à cette sanction visant à exclure le parlementaire du palais celui qui, en
séance publique, a fait appel à la violence ou qui s’est rendu coupable d’outrage envers
l’Assemblée ou envers son Président54. Peut aussi être placé sous le coup de cette censure,
le parlementaire qui s’est rendu coupable d’injures, provocations ou menaces envers le
Président de la République et les membres du Gouvernement.
Il faut en effet ajouter à ces circonstances le cas de voie de fait d’un membre de
l’Assemblée à l’égard d’un de ses collègues. Ici, le Président peut proposer dans ce cas au
bureau la peine de censure avec exclusion temporaire. Cependant, même à défaut du
Président, elle peut être demandée par écrit au bureau par un parlementaire55. En outre, cette
sanction constitue la plus grave parmi les sanctions listées à l’article 71 du règlementintérieur
des Assemblées parlementaires. Quoi qu’il en soit, ces circonstances ne sont pas du tout
faciles car l’exclusion de celui-ci doit se faire dans le respect de ladite loi approuvée par le
parlementaire expulsé temporairement. Il ressort de ce constat que l’exclusion du
parlementaire ne doit pas être un fait anodin, car les conditions de leur mise en exécutions
Article 98 al 4 (b) du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 4 (c) et (d) du règlement intérieur
54
du Sénat.
55
Idem.
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doivent être réunies avant tout déclenchement. Il faut soulever le fait que le parlementaire en
cause ne se soumet qu’aux sanctions que lui-même il a élaboré pour le bon fonctionnement
deleur auguste chambre. Autant, cet état de lieu emporte plusieurs conséquences sur mandat
de l’intéressé.
Page | 35
Elles sont légions et sont loin d’être négligeables. Tout d’abord, la censure avec exclusion
temporaire entraine une interdiction de prendre part aux travaux de l’Assemblée et de se
présenter dans le palais de l’Assemblée jusqu’à expiration de la septième séance qui suitcelle
ou la mesure a été prononcée56. C’est dire en effet que lorsque le parlementaire est placé sous
le coup de cette sanction, il cesse de participer aux travaux de l’auguste chambre à laquelle il
appartient pendant au moins sept (7) séances. Cet état de chose ne lui hôte pas sa qualité du
parlementaire et la durée de l’exclusion dépend de la durée que l’on mettra pour tenir les sept
séances. Son absence aux séances de l’Assemblée ne peut qu’être considérée comme un vide
qui ne lui permettra point d’exprimer la volonté du peuple dont il est porteur. En outre, cette
exclusion peut entrainer la privation de l’indemnité de mandat pendant une durée de six (6)
mois57. Par ailleurs, en cas de refus d’un parlementaire de se conformer à l’injonction qui lui
est faite par le Président de sortir de l’Assemblée, la séance peut être suspendue. Dans ce
dernier cas, et aussi si l’exclusion temporaire est appliquée pour une deuxième fois à un
membre, l’exclusion peut s’étendre à trente (30) jours de séance58.
Pour ce qui est de sa mise en œuvre, il s’est avéré que, lorsque la censure avec exclusion
temporaire est, dans ces conditions proposée contre un député, le Président convoque le
bureau qui entend le parlementaire en cause. Ainsi, le bureau peut appliquer une des peines
prévues à l’article 73 et le Président communique à la personne concernée la décision du
bureau. Une fois acquise, le parlementaire intéressé sera conduit jusqu’à la porte par le Chef
des huissiers59. Au final, le parlementaire fonctionnaire n’étant plus soumis aux règles qui
établissent sa fonction d’origine, il se retrouve soumis uniquement au règlement de
l’Assemblée à laquelle il appartient. Il en est ainsi parce que la garantie de l’autonomie du
56
Article 98 al 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 5 du règlement intérieur du Sénat.
57
Idem.
58
Article 98 al 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 114 al 5 du règlement intérieur du Sénat.
59
Article 99 al 2 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et 115 al 2 du règlement intérieur du Sénat.
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parlementaire est une condition essentielle pour l’exercice de cette fonction qui demeure
toutefois soumise du moins en partie, au régime de droit commun de la fonction publique.
Tout fonctionnaire qui désire briguer un mandat électif au Parlement doit être mis en position
de détachement60. Cet aménagement vise à faire du fonctionnaire non plus un agent statutaire mais
plutôt un mandataire dépendant de ce fait du règlement intérieur de sonAssemblée. Pourtant, de
juré et de facto, l’on s’est rendu compte que ce positionnement du fonctionnaire ne met pas
complètement le parlementaire à l’écart de sa dépendance statutaire. En revanche, la préoccupation
qui peut se dégager ici est celle de la détermination des dispositions résultant de la fonction
d’origine qui continuent à s’appliquer à un parlementaire fonctionnaire et qui sont susceptibles de
rendre précaire l’autonomie de celui-ci. L’analyse de cette dépendance statutaire permet à ce
niveau de mettre en exergue les obligations statutaires qui continuent à s’appliquer (A) ainsi que
les privilèges subsistants (B) susceptibles d’impulser l’émergence d’une attitude de réserve
lorsqu’il s’agit de l’autonomie du parlementaire.
A la lecture des dispositions législatives, l’on s’est rendu compte que le parlementaire
fonctionnaire est encore pour certaines obligations sous les mailles du statut général de la fonction
publique. Quoi qu’il en soit, cette soumission exerce une influence sur l’autonomie du
parlementaire en cause et qu’il faille nécessairement les inventorier. Il s’agit pour l’essentiel des
obligations sans lien avec la discipline (1) et les obligations en rapport avec la discipline (2).
60
Article 160 de la loi n°2012/001 du 19 Avril portant nouveau code électoral camerounais.
61
Article 78(3) du décret n°94/199 du 07 octobre 1994 modifié et complété par décret n°2000/287 du 12 octobre 2000
portant statut général de la fonction publique.
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Il sied également de rappeler que ces devoirs s’étendent après la fonction, et même pendant
la durée du détachement du fonctionnaire au Parlement. Cette prescription poursuit donc le
62
Arrêt n° 674/CCA du 13 Décembre 1957 ; I.P. MAMA ELOUNDOU Engelberg.
63
Art.41(1) du statut général de la fonction publique.
64
Arrêté du bureau no6/BAN /75 du 7 Juin 1975.
65
Article 41(2) du SGFPE.
66
Article 78 (1) SGFPE.
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parlementaire fonctionnaire durant son mandat et après celui-ci. Ceci relève de la conséquence de
la réserve accordée quant à la soumission aux règles de son organisme à l’article 7867. C’est en
effet cette disposition qui amène bien qu’exceptionnellement le fonctionnaire élu à se soumettre
également aux lois, règlements, aux principes généraux du droit et à la jurisprudence. Une autre
Page | 38
obligation est celle de probité et de loyalisme qui s’impose à un fonctionnaire élu au Parlement.
Généralement, tout fonctionnaire investi d’un mandat parlementaire n’est plus régi par le
statut de la fonction publique durant au moins l’exercice de son mandat 70. Il bénéficie en effet
d’une protection particulière pour s’acquitter valablement et en toute sérénité des obligations
découlant de sa nouvelle fonction.
67
Article 78(2) SGFPE.
68
Article 66 de la loi Constitutionnelle du 18 Janvier 1996.
69
Cf. Georges Jean TEKAM, Déontologie et éthique professionnelle du fonctionnaire, Yaoundé, SOPECAM, 2010,
p. 33.
70
Article 78(3) SGFPE.
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puisse en tout état de cause être en mesure d’infliger au fonctionnaire détaché au Parlement l’une
des sanctions allant de l’abaissement d’échelon à la révocation71. En fait, le Parlement ne peut
infliger la sanction touchant la carrière professionnelle d’un fonctionnaire élu et placé en
détachement.
Page | 39
71
Joseph OWONA, Droit Administratif spécial de la République du Cameroun, Yaoundé, Edicef, coll. Série Manuels
et travaux de l’Université de Yaoundé, 1985, p.66.
72
MOUGOUE KAGOUE P R, La protection juridique de la fonction du parlementaire au Cameroun,Mémoire de
Maitrise en Droit public, Université de Yaoundé, Octobre 1990 p. 40.
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fonctionnaires.
Le détachement crée des droits et génère également des obligations à l’égard dufonctionnaire
Page | 40
élu. Ce dernier en principe est soumis aux lois et règlements en vigueur qui régissent la fonction
de parlementaire qu’il exerce par l’effet de son détachement, sous réserve des exceptions
prévues73. Cela vaut notamment pour sa rémunération et l’ensemble des conditions financières de
la fonction occupée par l’effet du détachement74. Mais, il en va cependant autrement en ce qui
concerne ses droits à l’avancement et à la pension75. Il faut signaler à cet égard que le fonctionnaire
détaché au Parlement conserve encore des liens solides avec son administration d’origine de
manière que l’on puisse dire qu’il a une double casquette. Ainsi, les droits relatifs à la gestion de
sa carrière (1) et ceux relatifs à la fin de la carrière du parlementaire fonctionnaire (2) restent
détenus par son administration d’origine.
73
NGO NLONDOCK D G, Les conditions du détachement du fonctionnaire dans la fonction publique camerounaise,
Mémoire de DEA en Droit public à l’Université de Yaoundé II, Année 2008-2009 pp.114-115
74
Mais en Guinée, la rémunération est versée par l’administration d’origine, en cas de détachement d’office.
75
Article 78(2) du SGFPE.
Pour ce qui est de l’ancienneté, pour bénéficier d’un avancement de classe, il faut réunir
deux (2) ans au dernier échelon de la classe à laquelle appartient le fonctionnaire en cas
d’évaluation favorable81. L’évaluation est favorable en vue d’un avancement d’échelon ou de
classe lorsque la moyenne des notes d’évaluation obtenues sur deux (2) années est favorable.
L’avancement de grade en fonction de l’ancienneté ou d’une évaluation favorable du
fonctionnaire ne peut intervenir avant l’expiration d’une période de deux (2) années consécutives
à compter de la date à laquelle le fonctionnaire a atteint le dernier échelon de la deuxième classe
de son grade, sous réserve qu’il soit âgé de 40 ans au moins82.
76
Joseph OWONA, Droit administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.70
77
Article 44 du SGFPE.
78
Ibid. pour l’article 45.
79
Arrêt du T.E dans l’affaire TSOUNGUI ZIBI Elie c/Etat du Cameroun.
80
Ibid. pour l’article 48.
81
Ibid. pour l’article 46(2).
82
Ibid. pour l’article 47(2).
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de certains diplômes universitaires, dans des conditions fixées par la loi83. Ainsi, par l’évaluation,
l’avancement permet à un supérieur hiérarchique compétent d’avoir une main mise sur la carrière
du fonctionnaire notamment en ce qui concerne ses pouvoirs en matière de notation et d’évaluation
objective des personnels placés sous sa direction ou son autorité84.
Page | 42
83
Ibid. pour l’Article 49.
84
Ibid. pour l’Article 43 (1).
85
Ibid. pour l’article 78(2).
86
Article 1er (3) du décret n°2001/108/PM du 20 mars 2001, fixant les modalités d’évaluation des performances
professionnelles des fonctionnaires.
87
Ibid. pour l’Article 20.
88
Philippe ARDANT, Droit Constitutionnel et Institution politique, Paris, LGDJ, 1995, 7e éd., p. 512.
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souvent dans la situation où il voudra sauvegarder également ses intérêts existants du fait de ses
avancements dans sa fonction d’origine. Il faut dire ici que la base de cet avancement reste
l’ancienneté pour ce qui est des fonctionnaires élus au sein du Parlement.
En substance, selon le statut général de la fonction publique, l’ancienneté renvoie à la durée Page | 43
passée dans la fonction. Il faut noter qu’en tant que parlementaire fonctionnaire le temps mis au
Parlement est pris en compte dans la détermination de la durée d’ancienneté. L’avancement à
l’ancienneté n’est qu’un avancement d’échelon qui se traduit par une augmentation de traitement
sans changement d’emploi89. Dans cette même perspective, le statut général fixe l’ancienneté
requise pourbénéficier d’un avancement à deux (2) ans au dernier échelon de la classe90.
Ainsi, chaque deux (2) an, la carrière de fonctionnaire du parlementaire fonctionnaire doit subir
une modification automatique. Le fonctionnaire élu au sein du Parlement ne peut faire l’objet d’une
évaluation et que son avancement dépend de son ancienneté.
89
René CHAPUS, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, t. 2, 2001, 15e éd., p. 219.
90
Article 46 (2) du SGFP.
91
T.E., arrêt n°216, 28 septembre 1962, TCHOUNGUI ZIBI c/Etat du Cameroun.
92
Article 108 et suivants du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
A la lumière du statut général de la fonction publique, il s’est avéré indéniable que pendant
la durée de son détachement, le fonctionnaire demeure dans une situation légale et réglementaire
et continue de bénéficier des droits à l’avancement et à pension96. Tout d’abord, il est à noter
que les droits à pension ne cessent de poursuivre leur cour normale comme si le fonctionnaire
était placé en activité97. Ainsi, il n’en bénéficiera dès lors qu’il sera mis à la retraite par son
administration d’origine. Il peut s’agir de la pension retraite, alimentaire, vieillesse, familiale et
bien d’autres.
C’est donc dans cette lancée que la détermination du taux de cette pension consiste en la
93
Joseph OWONA, Droit Administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.73
94
Article 124(1) (2) du SGFPE.
95
Ibid., art. 123.
96
Ibid., pour l’art.78(2).
97
Article 117 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
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maitrise du nombre d’annuités liquidables pour le calcul de la pension qui doit correspondre au
nombre d’années de service effectif accompli en qualité de fonctionnaire. Le fonctionnaire qui
réunit au moins quinze (15) ans d’ancienneté peut être mis à la retraite par anticipation et sur sa
demande98. Ces pensions proviennent du reverse mensuel auprès du trésor public, des retenues
Page | 45
opérées. Par ailleurs, celui qui, à la cessation d’activité pour quelques causes que ce soit, ne peut
bénéficier d’une pension de retraite, a droit au remboursement immédiat de la totalité des retenues
opérées sur son traitement au titre des cotisations pour pension durant sa carrière. L’admission à
la retraite du fonctionnaire est prononcée par arrêté du Ministre chargé de la fonction publique.
Ledit arrêté liquide les droits à pension du fonctionnaire retraité99.
Également, ce droit existe depuis son entrée dans la fonction publique et continue en période
de détachement. Il ne peut se mettre en exergue que pendant la mise en retraite avecou sans
réintégration dans son administration. Pour le parlementaire fonctionnaire, ce droit est celui de la
pension liée à l’ancienneté y compris la période de son passage au Parlement. En plus, les services
effectués en position de détachement comme membre de Gouvernement ou d’une Assemblée
parlementaire et les services de même nature accomplis dans l’ex- République fédérale du
Cameroun ou les ex-Etats fédérés du Cameroun oriental et du Cameroun occidental entrent en
compte100. Quid des droits de réinsertion dont dispose le parlementaire fonctionnaire.
Philipe ARDANT en s’interrogeant sur le degré de son autonomie 101, a permis de soulever
le fait que la carrière du parlementaire fonctionnaire tout en restant sous l’influence de son
ministère de tutelle est de nature à permettre à ce dernier de ne pas pouvoir véritablement critiquer
ou contrôler celui-ci. Il en est ainsi parce que le parlementaire fonctionnaire dispose d’une carrière
qui dépend définitivement de son administration d’origine. Ceci étant, il conserve son droit
d’intégration. Cette situation invite à s’appesantir sur la quintessence du droit d’intégration.
Le fonctionnaire investi d’un mandat au Parlement jouit durant son mandat d’un droit à
réintégration dans son administration d’origine102. Ainsi, en ces termes le statut général de la
fonction publique dispose « À la fin détachement, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré,
par arrêté du Ministre compétent, tel que visé aux articles 71 ou, selon le cas, dans un poste de
98
Idem.
99
Idem.
100
Joseph OWONA, Droit Administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.81.
101
Philippe ARDANT, Institutions politiques et droit constitutionnel, op.cit., p. 512.
102
Articles 76 et Suivants du SGFPE.
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103
Article 76(2) du SGFPE.
104
MOUGOUE KAGOUE P R, La protection juridique de la fonction du parlementaire au Cameroun, op.cit., p.46.
105
Article 73(3) SGFPE.
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Conclusion
Résumé :
Cet article a pour but d’opérer une analyse sur la nature des évènements que traverse le
Cameroun depuis mai 2014. Suivant les évènements sécuritaires importants et suivant la
déclaration du Chef de l’Etat à l’issue du Sommet de Paris sur la Sécurité au Nigeria le 17 mai
2014 notamment sur la déclaration de la guerre au Cameroun, on est en droit de se demander si
le Cameroun est un Etat effectivement en guerre. Plusieurs éléments seront évoqués dans la suite
du travail pour démontrer l’effectivité de cette réalité au regard du déploiement des troupes, de la
mobilisation des fonds, de la mise sur pieds de l’effort de guerre par l’administration
camerounaise mais également par les avis de la communauté internationale. Des avis, qui
enrichissent la sociologie de la guerre en rendant compte d’un « soutien spontané encadré » de la
population à ce conflit contre Boko Haram au Cameroun, en restituant les multiples potentiels de
la guerre au gré des catégories d’acteurs. La guerre est ainsi présente au Cameroun c’est
indéniable, au regard de l’intensité des feux, le nombre de morts, la situation humanitaire
déplorable. Tel semble être le fondement de la guerre contre Boko Haram au Cameroun depuis
mai 2014.
Abstract :
This article aims at analyzing the nature of the events that Cameroon has been going
through since May 2014. Following the major security events and the declaration of the Head of
State at the end of the Paris Summit over the Security in Nigeria in May 17, 2014, specifically on Page | 49
the declaration of war in Cameroon, we are wondering if cameroon is actually in a state of war.
Several elements will be mentioned in the rest of the work to demonstrate the effectiveness of these
events with regards to the deployment of troops, the mobilization of funds, the setting up of the
war efforts by the Cameroonian administration but also by the opinions of the international
community. Opinions that enrich the sociology of war by reporting on a " clearly defined
spontaneous support" of the population for the war against Boko Haram in Cameroon, by
restoring the multiple potentials of the war according to the categories of actors. The fact that the
war is present in Cameroon is undeniable considering the intensity of fireshots, the number of
deads, the deplorable humanitarian situation. Such therefore seems to be the basis of the war
against Boko Haram in Cameroon since May 2014.
Introduction
Cette activité jusqu’à nos jours, a tellement meublé la vie des hommes qu’ils on finit par la
codifier, en lui attribuant des règles et un mode de fonctionnement qui, lorsqu’ils ne se font pas
respecter, vous expose à des sanctions. 5
Pour les définitions théoriques (1700-1819), le fait de guerre6 constitue pour les juristes du
droit international une véritable figure imposée. Imitant leurs devanciers, chacun s’essaie à la
définition théorique voulue comme globalisante. L’objectif vise à préciser autant que possible la
dimension de la guerre, son aire factuelle, à en déterminer ses limites et à affirmer où et comment
se fixe le phénomène pour mieux connaître le fait pris en compte par le droit de la guerre. A ce
1
Laks 2011 ; Héraclite 2011
2
B53
3
Nous retenons ici la traduction et le classement des fragments d’Héraclite proposés par Simone Weil dans La source
grecque, Paris, Gallimard, 1953. On notera néanmoins que ce fragment pose un problème spécifique : πόλεμος en grec
est masculin. « Mère » et « reine » peuvent sonner étrangement, au sens où la formule d’Héraclite répond à Zeus père
et à Zeus roi.
4
Lettre 138.2 (PL 33.531)
5
Réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ajoutant des prérogatives à celui-ci dans le cadre des opérations
extérieures notamment.
6
L’étymologie du mot « guerre » n’est pas abordée par la doctrine entre 1700 et 1819. Grotius dans s (...)
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titre, c’est bien l’élément matériel comme en d’autres matières se déterminerait l’élément moral
ou légal, que la doctrine entend rechercher.
Pour la doctrine du xviième, les formules de Cicerón, de Grotius et de Gentili forment les
définitions de référence7. Mais cet effort de qualification du fait demeure l’une des constantes des Page | 51
grands théoriciens du xviiième et de Bynkershock à Klüber, la définition de la guerre ouvre toujours
chacune des parties doctrinales consacrées au droit des gens en temps de guerre.
La guerre, étudiée à l’échelle des Etats, est induite par une dichotomie juridique et
constitutionnelle issue de la lecture de l’article 35 de la Constitution française de 1958 : le « temps
de paix » et le « temps de guerre ». Dans l’idéal, à chaque moment va correspondre son régime
juridique. En « temps de paix », il sera fait application, selon les cas, du régime de droit commun
des règles pénales comme civiles, ou bien du régime dérogatoire propre aux agents de l’État connu
du juge administratif. Le « temps de guerre » est lui définit par un acte formel, la déclaration de
guerre, qui va l’inscrire dans le temps et dans l’espace. Juridiquement parlant, cette « déclaration »
est indispensable puisqu’elle va poser en droit les conditions d’applicabilité du régime juridique
dérogatoire des forces armées et, plus largement, de « l’organisation de l’Etat en temps de
guerre ».8 Or cet acte si important repose aux frontières de plusieurs forces d’attraction. La
déclaration de guerre issue de l’article 35 est un acte national à portée internationale, mais elle
demeure un acte politique puisque votée par le Parlement9. Ainsi, et par projection pure10, son
adoption risque d’être soumise à tous les conflits d’intérêts nécessaires à l’adoption d’une loi ou
d’un texte au sein d’une démocratie, qui peuvent être néfastes à la célérité indispensable dans de
telles circonstances. Dans une approche plus moderne, selon Médecin Sans Frontières, La guerre
est un phénomène de violence collective organisée qui affecte les relations entre les sociétés
humaines ou les relations de pouvoir à l’intérieur des sociétés. Elle est régie par le droit des conflits
armés, aussi appelé « droit international humanitaire ».
En gros, l’on peut considérer la guerre comme des rapports conflictuels qui se règlent par
une lutte armée, en vue de défendre un territoire, un droit ou de les conquérir, ou de faire triompher
7
D’autres moins fréquemment reprises, comme celles de Zouche, de Pufendorf ou de Textor sont i (...)
8
Loi du 13 juillet 1938
9
La France n’a plus déclaré la guerre depuis 1939, aussi l’article 35 n’a-t-il jamais connu d’application.
10
Voir l’intervention de Jean-Pierre Chevènement « Le rôle du Parlement dans les affaires de défense de 1988 à
1991 » lors du colloque « Le Parlement dans la Ve République » organisé au Sénat le 15 mai 2008
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une idée11. Ou encore, La guerre peut se définir selon Wikipédia comme un état de conflit armé
entre plusieurs groupes politiques constitués, comme des États12.
Par opposition aux guerres entre États, une guerre peut aussi désigner un conflit armé entre
deux factions de populations opposées à l'intérieur d'un même État : on parle alors de guerre de Page | 52
religion, guerre civile, de guerre ethnique, de guerre révolutionnaire ou encore de guerre de
sécession ou même de guerre d’agression comme c’est la cas avec le Cameroun qui subit depuis
2014, les attaques de la secte terroriste Boko Haram dans sa zone septentrionale. Un groupe qui
sème la terreur au Nigéria depuis 2009 et qui par des velléités expansionnistes, s’est retrouvé
depuis le début de l’année 2014 à mener des exactions en terre camerounaise, à travers des
enlèvements, des agressions des populations, des actes de terrorisme, de vandalisme, des
endoctrinements des jeunes populations. Un ensemble d’actes qui ont d’ailleurs poussés le
président de la république du Cameroun S. E. Paul BIYA lors de la Conférence de presse conjointe
des Chefs d’Etat à l’issue du Sommet de Paris sur la Sécurité au Nigeria le 17 mai 2014 à déclarer
ouvertement la guerre à la secte islamique Boko Haram13. « Nous sommes ici pour déclarer la
guerre aux Boko Haram, on va la poursuivre et on vaincra cette chose terroriste. Parce que, les
inconvénients sont nombreux : c’est un groupe qui éloigne les missionnaires, les entrepreneurs,
les investisseurs, appauvri le pays, veut faire venir les populations du Nigéria au moyen âge et on
ne peut pas accepter cela. »14 Il serait de ce fait de bon de dire avec certitude que, la Cameroun
11
La guerre est un état ou une situation déclenchée par une confrontation armée entre deux ou plusieurs États ou par
une simple déclaration à cet effet, et auxquels s’applique un corps de règles de droit international distinct de celui
applicable en temps de paix (droit de la guerre, droit de la neutralité) (J. SALMON (Dir.), Dictionnaire de droit
international public, op. Cit., p. p. 537)
12
Les armées et la guerre n’auront qu’un temps car, malgré les paroles d’un sophiste, il n’est point vrai que, même
contre l’étranger, la guerre soit “divine” ; il n’est point vrai que la terre soit “avide de sang”. La guerre est maudite de
Dieu et des hommes qui la font. » Dans cet extrait de Servitude et Grandeur militaires, Alfred de Vigny récuse la
guerre comme fatalité, sans l’affranchir de sa charge d’horreur. La malédiction qui s’y attache se mesure d’abord en
destructions et en pertes humaines sur les champs de bataille. Mais cette malédiction se prolonge bien après le retour
de ceux de ses acteurs qui ont survécu. Porteurs de blessures physiques ou psychiques, souvent les deux associées, ils
ne peuvent pour la plupart poursuivre la mission et la nécessité de continuer les soins initiés sur le terrain justifie leur
retour par rapatriement sanitaire. Parfois aussi, des combattants qui reviennent apparemment indemnes de toute
blessure vont présenter de façon différée, à distance du retour d’opération, des manifestations de détresse psychique
en lien avec les événements violents dont ils ont été les acteurs ou qu’ils ont subis.
13
L’article 9 de la Constitution du Cameroun, telle que révisée en 2008 dispose que : « (1) Le Président de la
République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret, l’état d’urgence qui lui confère des
pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi.
(2) Le Président de la République peut, en cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance
ou les institutions de la République, proclamer, par décret, l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge
nécessaires. Il en informe la Nation par voie de message. »
14
Mais je dois dire que Boko Haram utilise des tactiques assez différentes et assez pernicieuses. Plus généralement,
ils attaquent la nuit, à partir de minuit, une heure du matin. Combien d’unités sont en éveil à ce moment-là ? Et puis,
ils observent et profitent de la fluidité, de la liberté dans le pays pour envoyer des observateurs le jour. Ils utilisent
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est un Etat en guerre. Tout au moins ; il est important de se demander si cette déclaration de guerre
répond aux canaux nécessaires et à la doctrine du combat pour prétendre affirmer que le Cameroun
est un pays en guerre15.
A cet effet, la déclaration du Président de la république du Cameroun S. E. Paul BIYA lors Page | 53
dudit sommet, donne-t-elle au Cameroun la nature d’un pays en guerre sur le plan formel ? En
d’autres termes, la lutte acharnée contre Boko Haram par les forces armées et polices
camerounaises depuis 2014, a-t-elle plongée le Cameroun dans un Etat guerre sur le plan
international ?
donc l’effet de surprise et la supériorité numérique. Là où vous avez quinze soldats, ils
envoient cent personnes avec un armement lourd. Nous sommes en train d’analyser tout cela et il y aura une réponse.
15
C. SAMY, « Pourquoi les démocraties en guerre contre le terrorisme violent-elles les droits de l'homme ? »,
Critique internationale, 2008/4 n° 41, p. 9-9.
16
La secte Boko Haram a trouvé un terrain vraiment propice au Cameroun ces derniers temps. Il y a eu plusieurs
enlèvements. Hier, il y a eu la mort d’un Chinois ; dix autres ont été enlevés. Pourquoi est-il facile à Boko Haram de
circuler au Cameroun,
Monsieur le Président? Ce n’est pas moi qui dicte les lois de Boko Haram. Il se trouve qu’il a une certaine préférence
pour le Cameroun... Mais je veux dire que nous avons mis en place désormais des moyens, des unités de combat. Cela
ne sera plus facile pour Boko Haram de s’attaquer au Cameroun, surtout que maintenant, on va accentuer la
coordination des
actions avec le Président Goodluck et toutes les personnes qui sont ici
17
Le cadre juridique instauré par le droit international humanitaire distingue deux types de conflits armés (Article 2
commun aux Conventions de Genève ; TPIY, Le Procureur c/ Dusko Tadic, Jugement, IT-94-1-T, 7 may 1997, par.
561-568; voir également TPIY, Procureur c/ Fatmir Limaj, Jugement, IT-03-66-T, 30 november 2005, para. 84) Les
conflits armés internationaux opposent au moins deux État, tandis que les conflits armés non internationaux opposent
les forces gouvernementales à des groupes armés non étatiques, ou des groupes armés entre eux. D’ordinaire, les
conflits armés internationaux sont aisés à identifier : les parties sont prédéterminées puisqu’elles opposent des entités
étatiques. Lorsqu’une difficulté de qualification se pose, elle relève habituellement de la question se savoir si les actes
d’hostilités peuvent être imputés à un État. Cette approche n’est pas opératoire dans le cas d’un conflit armé non
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La précision de l’ensemble des règles applicables dans le cadre d’une guerre, passe par une
analyse judicieuse des règles applicables en matière de guerre, ce qui fait appelle à la méthode
juridique. Mais cette analyse des règles ne saurait se passer d’une exploitation des informations
sur le terrain, ainsi que la pratique des Etats en la matière. Cette approche permet de constater
Page | 54
qu’il y a une détermination évidente de la guerre au Cameroun contre la secte islamiste Boko
Haram (I), ce qui rend polémique toute action que pourrait mener l’armée camerounaise sur le
théâtre des opérations à l’égard de la communauté internationale (II).
D’après Saint Thomas d’Aquin, pour parler de guerre juste, il faut notamment, requérir
trois conditions à savoir : L’autorité juste : « l’autorité du prince, sur l’ordre de qui on doit faire
la guerre. » Une cause juste : « il est requis que l’on attaque l’ennemi en raison de quelque faute.
» Une intention droite : « on doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal. »18
Depuis l’année 2014, la région de l’extrême-nord Cameroun connait une crise sécuritaire
majeure dont la nature juridique est encore incertaine. L’enjeu étant important, au regard du
nombre de victimes ayant subis les affres de la secte terroriste Boko Haram, le président
camerounais s’est trouvé obligé de déclarer la guerre aux membres de ladite secte terroriste, au
international. Il convient alors d’examiner le niveau d’organisation des parties et le degré d’intensité des affrontements
entre ces groupes eux-mêmes ou entre ces groupes et l’État, pour voir s’il atteint le niveau requis, afin de qualifier la
situation de conflit armé non international (CICR, Commentaire à l’art. 1 du Protocole additionnel (II) aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux
(Protocole II), 8 juin 1977 p.372).
18
ST II-II 40. 1
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regard de l’intensité des violences qu’ils infligeaient aux populations camerounaises, tout en
agissant à visage découvert (1), suscitant l’internalisation du conflit et la mise en action de l’article
II19 commun de la convention de vienne20 de 1949 sur le droit des conflits armés ou encore, la droit
de la guerre (2)21.
Page | 55
1- L’acte formel de la déclaration de guerre et ses répercutions politico-juridiques (jus
ad bellum)
- Rappel historique
La déclaration de guerre est une étatique, fort variable au fil des siècles, et la déclaration
de guerre a elle aussi été chargée de sens très variables. On renvoie le plus souvent à la pratique
des Romains, pour qui une guerre n’était régulière que si elle était précédée d’une déclaration.
Celle-ci résultait d’une procédure solennelle faisant intervenir les féciaux, qui consistait dans un
premier temps à demander satisfaction (rerum repetitio). Si celle-ci n’était pas obtenue les dieux
étaient pris à témoins de l’injustice subie (testatio deorum), étape essentielle afin d’attester la juste
cause de la guerre dont la déclaration suivrait. Le collège des féciaux soumettait alors la question
au Sénat, seul compétent pour décider la guerre. Sa décision prise, le chef du collège procédait
enfin à la déclaration proprement dite (indictio belli, ou denunciato belli), en jetant simultanément
une lance dans le territoire de l’adversaire. Les récits donnés de la cérémonie féciale sont variables
et plus ou moins colorés22, mais on trouve dans tous la succession de ces trois étapes23 et l’idée
dominante que la guerre ne saurait être régulièrement déclarée que si les dieux ont été rendus
19
Sont définis à l’article 2commun aux conventions de Genève de 1949. La convention s’appliquera en cas de guerre
déclarée ou de tout conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs Etats, si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une
ou l’autre des parties.
20
voir A Message from the President of the United States Regarding Protocol II Additional to the 1949 Geneva
Conventions, and Relating to the Protection of Victims of Non-International Armed Conflicts, 100e Cong.,
Washington D.C., United States Government Printing Office, 1987, pp. 100-102 et D. J. FEITH, « Law in the
service of terror: the strange case of the additional protocol », The National Interest, 1985, n°1, pp. 36-47, en
particulier p. 47). L’ancien Secrétaire d’État américain à la défense déclarait à propos des détenus de Guantanamo
que : « Ce ne sont pas des prisonniers de guerre. Ce sont des tueurs, parmi les plus dangereux, les mieux entraînés et
les plus cruels de la planète ».
21
Un élément fondamental de la notion de conflit armé est l'existence de « parties » belligérantes. Dans un conflit
armé international, les parties au conflit sont deux ou plusieurs États (ou des États et des mouvements de libération
nationale), tandis que, dans un conflit armé non international, les parties peuvent être soit un État et des groupes armés
(par exemple, des forces rebelles), soit uniquement des groupes armés. Dans un cas comme dans l'autre, les parties au
conflit armé ont une formation de type militaire ainsi qu’une organisation et un commandement plus ou moins
structurés. Elles sont donc en mesure de respecter et de faire respecter le droit humanitaire.
22
Ch. Dupuis, « La déclaration de guerre est-elle requise par le droit positif ? Devrait-elle l’être ? », RGDIP, 1906,
p. 725-733.
23
L’Autriche et la Hongrie ratifièrent la convention le même jour, le 27 novembre 1909, mais séparément, ce qui
soulève incidemment la question de la nature juridique de l’Empire d’Autriche-Hongrie.
témoins de sa juste cause, au risque sinon de s’attirer leur courroux. Cet usage ancien s’est transmis
aux peuples modernes sous des formes variées, si bien qu’à partir du XIIe siècle la déclaration de
guerre intervenait avant l’ouverture des hostilités dans quasiment chaque conflit.
Cette orientation vers un caractère immatériel et globalisant de la guerre, ira de pair avec
celui d’une relativisation de la conception de la guerre entendue comme instrument du droit. Sans
anticiper sur la crise de la notion de juste cause, la guerre, dès sa définition, n’est plus dans l’état
naturel où se trouvent les nations, considérée comme un moyen de dire et de faire le droit. Ce point
constitue une rupture historique. Traditionnellement la guerre était assimilée à un acte de justice
vindicative. Elle était au sens propre la punition d’une première injustice. Cette donnée consacrait
sa légitimité et fondait le couple guerre-justice. Au xviiième siècle, la guerre se sécularise et c’est
sa dominante factuelle qui va peu à peu prévaloir. Certes une partie non négligeable de la doctrine
aura du mal à rompre le couple du juste et de la guerre, mais la guerre avec notamment Moser,
Vicat, Martens est d’abord conçue comme œuvre de fait et non comme œuvre de justice. Un acte
qui prit par le président camerounais en mai 2014, a suscité de vives interrogations de la part de la
communauté internationale, mobilisant à sa suite des ressources tant de la part des forces
belligérantes que de la part de l’Etat du Cameroun (1). Ce qui a suscité une mobilisation
internationale de ce conflit engageant des forces étrangères sur le sol camerounais (2).
Depuis mars 2014, l’Extrême-Nord est le théâtre d’une guerre ouverte. Boko Haram a
mobilisé au cours d’une quinzaine de batailles, des centaines de combattants, des véhicules blindés
et des 4 x 4 équipés d’armes lourdes. Après une phase conventionnelle de mars 2014 à juin 2015,
le groupe a privilégié la pause d’engins explosifs improvisés (EEI) puis les attentats-suicides, dont
la fréquence a diminué après un pic début 201624 mais aussi, les enlèvements25.
24
Toutes attaques confondues, Boko Haram a fait 88 morts en janvier 2016, 79 en février, 23 en mars, seize en avril,
treize en mai, 31 en juin, dix-huit en juillet et une trentaine en août et septembre.
25
En effet, la libération de la famille Moulin-Fournier, enlevée le 19 février 2013 dans la localité de
Dabanga, à quatre-vingts kilomètres de Kousséri, ou le prêtre français Georges Vandenbeusch, enlevé
à Nguetchéwé le 14 novembre 2013, n’a pas mis fin à la série. Début avril 2014, les pères Gianantonio
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Les soldats camerounais fessant face à un ennemi aux tactiques multiples : partant à
l’assaut à mille ou à dix, employant un large éventail de modes opératoires et ciblant parfois
simultanément des villes dans différents départements. Depuis juillet 2015, le groupe armé,
apparemment affaibli ou ayant perdu sa capacité à mener une guerre frontale, combine embuscades
Page | 57
et coups de main contre des postes militaires, opérations de pillage et représailles contre les comités
de vigilance, les collaborateurs de l’armée ou de l’Etat. Il multiplie aussi les attentats-suicides26.
Boko Haram a d’abord commis des massacres de masse dans les localités identifiées comme
collaborant avec le gouvernement, évitant d’attaquer celles où il avait une base. Mais à mesure des
déconvenues et du ralliement des populations aux forces camerounaises, les attaques sont devenues
indiscriminées27.
« Le champ de bataille est partout couvert de cadavres d'hommes ; les routes et les fossés
sont parsemés de corps morts. Les champs sont ravagés, les blés et les maïs sont couchés, les
vergers saccagés...les villages portent les traces des ravages des bombes, des fusées, des grenades
et des obus ; les maisons sont trouées, lézardées, détériorées et leurs habitants qui ont passé près
de vingt heures cachés et réfugiés dans leurs caves, sans lumière et sans vivres, commencent à en
sortir. Leur air de stupeur témoigne du long effroi qu'ils ont éprouvé. »28
L’armée camerounaise, en réponse aux atrocités infligées par les assaillants de Boko
haram, s’est mobilisée de la manière la plus énergique pour apporter du réconfort aux populations.
Sur un déploiement tactique, les forces de défense camerounaises, ont dues réorganiser leurs
dispositifs sécuritaires à la hauteur de la menace en apportant dans la zone au conflit, un arsenal
militaire moderne et efficace face à la puissance de feu des assaillants de Boko haram.
Allegri, Giampaolo Marta et la sœur Gilberte Bussière sont capturés avec le chef traditionnel du village
de Goumouldi, qu’on retrouvera égorgé au Nigeria ; la nuit du 16 au 17 mai, dix ressortissants chinois
disparaissent à Waza ; le dimanche 27 juillet, la ville de Kolofata fait l’objet d’un assaut spectaculaire au
cours duquel sont enlevés l’épouse du vice-premier ministre [Camerounais] Amadou Ali, sa belle-sœur,
le maire et lamido de Kolofata M. Seini Boukar Lamine, son épouse, six de leurs enfants et plusieurs
autres membres de la famille.
26
Au moins vingt attentats-suicides ont été déjoués sans faire de victimes, seize ont tué uniquement les kamikazes et
52 ont fait d’autres victimes. Bilan établi par Crisis Group sur la base des sources ouvertes et des entretiens avec les
forces de sécurité et les autorités administratives. Briefing de Crisis Group, Boko Haram sur la défensive ?, op. cit.
27
Entretiens de Crisis Group, universitaires et journalistes de l’Extrême-Nord, 2016.
28
Henry Dunant, Un Souvenir de Solferino (texte adapté)
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« Les conflits armés internationaux, sont définit à l’article 2 aux conventions de Genève de Page | 58
1949. Cet article précise que la convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre
conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs Etats, même si l’Etat de guerre n’est pas reconnu
par l’une ou l’autre des parties. »
« L’article 1 sous-section 4 du protocole I est venu rajouter qu’un conflit armé sera qualifié
d’international si le peuple partie au conflit, lutte contre la domination coloniale, et l’occupation
étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes ».
Il est certes vrai que la qualification d’internationalisation d’un conflit armé ne lui donnerait
de sens véritable que si cela implique à première vue deux Etats. Mais, il demeure important de
préciser que l’article 1 sous-section 4 du protocole I apporte plus de précision sur la décision du
peuple qui lutte pour préserver son droit à disposer de lui-même. En rapprochement avec la lutte
contre Boko Haram, on est donc en droit d’avoir une classification juridique évidente de guerre,
au regard du rôle que le peuple camerounais joue dans cette lutte.
Ce terme a pour la première fois été utilisé par les autorités camerounaises dans le cadre
d’une communication relative à la guerre contre Boko Haram. Ceci marque une acceptation réelle
de la présence d’une guerre dans la région de l’Extrême-nord.
À l’observation de la guerre que mène le Cameroun contre Boko Haram depuis le 17 mai
2014, il est difficile de souscrire à la thèse de la prérogative guerrière exclusive de l’État esquissée
par les auteurs statistes. En effet, dans cette guerre, la population camerounaise prend une part
active dans le soutien aux forces de défenses engagées au front. Dès fin mai 2014, certaines
populations et élites du sud ont initié une motion de soutien à l’action du président Biya et des
forces de défenses dans la guerre contre Boko Haram. Depuis lors, des formes multiples de soutien
ont afflué.
Il s’agit d’un processus au cours duquel quelqu’un rend populaire une action, une réalité.
Derrière le processus de popularisation se trouve donc une main manifeste ou latente. La
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popularisation de la guerre est un processus par lequel des acteurs travaillent à faire connaitre la
guerre, à la rendre populaire. Car ce n’est seulement parce que le peuple perçoit la guerre comme
son affaire qu’il s’y engage.
Cela s’est d’ailleurs manifesté au Cameroun avec cette participation active de toutes les Page | 59
franges de la population qui ont cotisées 1,2 milliard FCFA comme effort de guerre contre Boko
Haram durant en avril 201529.
« Pour ma part, je persiste à croire que la menace que représentent les djihadistes, Boko
Haram et autres Shebabs, ne pourra être levée que par une mobilisation au niveau international.
Beaucoup l’ont compris. Il reste à en tirer les conséquences ».
Premier pays à répondre concrètement à cette croisade contre Boko Haram, le Tchad a
déployé un contingent de 2 500 soldats au Cameroun, pour appuyer notre pays dans sa croisade
contre ce véritable syndicat du crime et de la barbarie que constitue Boko Haram et dont la
menace dépasse largement le seul Nigéria, pour affecter tous ses pays frontaliers en l’occurrence,
le Bénin, le Niger, le Tchad, et surtout le Cameroun.
29
(Investir au Cameroun) - Le compte spécial ouvert au Trésor public sur instruction du chef de l’Etat camerounais,
afin de canaliser les dons des populations camerounaises visant à soutenir les militaires engagés au front dans la lutte
contre la secte islamiste nigériane Boko Haram, affichait un montant de 1,2 milliard de francs Cfa au 30 avril 2015,
a-t-on appris ce même jour au sortir de la première session du Comité interministériel ad hoc chargé de la gestion de
ces fonds.
A ce montant, il faut ajouter la somme de 118 millions de francs Cfa mobilisée le 2 mai 2015, à raison de 55 millions
de francs Cfa pour les populations du département du Haut-Nyong, dans la région de l’Est du pays, et 63 millions de
francs Cfa mis dans la cagnotte par les ressortissants du département du Koung-Khi, dans la région de l’Ouest du
Cameroun.
Pour rappel, depuis quelques mois, en guise de solidarité aux soldats camerounais engagés dans la lutte contre Boko
Haram dans la région de l’Extrême-Nord, les villes et villages du Cameroun abritent quasi-hebdomadairement des
marches de soutien généralement assorties de collectes de fonds et de dons en nature (produits alimentaires), destinés
à encourager les militaires camerounais et les populations déplacées du fait de la menace Boko Haram.
Face à ces nombreuses initiatives, le chef de l’Etat camerounais a dû ordonner l’ouverture d’un compte spécial dans
les livres du Trésor public, afin de garantir la traçabilité desdits fonds, et a mis en place un comité interministériel de
gestion présidé par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, René Emmanuel Sadi.
Au sortir de la première session de ce comité le 30 avril 2015, le Ministre Sadi a annoncé la création des comités
régionaux présidés par les gouverneurs de régions. «Des membres de la société civile et quelques personnalités
politiques pourront intégrer ces comités régionaux pour respecter le principe de transparence, afin que les
Camerounais sachent que cet argent qui est le fruit de leurs efforts ira effectivement aux bénéficiaires», a-t-il déclaré.
En plus d’un important contingent militaire fait de 2 500 hommes, le Tchad a mobilisé un
impressionnant arsenal de guerre composé de moyens aériens et terrestres, et d’un armement
lourd.
30
MOBILISATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE POUR LA LUTTE CONTRE BOKO HARAM
À L’APPEL DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN, SON EXCELLENCE PAUL BIYA
CONFÉRENCE DE PRESSEPROPOS LIMINAIRE DE S.E.M. ISSA TCHIROMA BAKARY MINISTRE DE LA
COMMUNICATION Yaoundé, 04 février 2015
31
La Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) est une structure permanente de concertation qui a été
créée le 22 mai 1964 par quatre pays riverains du Lac Tchad : le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad.
Mais le nombre de pays membres est passé à six depuis l’adhésion de la République Centrafricaine en 1996
et de la Libye en 2008. Le Soudan, l’Egypte, la République du Congo et la RD Congo sont membres
observateurs. Le siège de l’Organisation est à N’Djaména, République du Tchad. La CBLT a pour mandat, la
gestion durable et équitable du Lac Tchad et des autres ressources en eaux partagées du bassin éponyme,
la préservation des écosystèmes du Bassin Conventionnel du Lac Tchad, la promotion de l’intégration et la
préservation de la paix et de la sécurité transfrontalières dans le Bassin du Lac Tchad.
11 Il convient de relever que l’on assiste à un renforcement de la coopération régionale pendant l’été 2015,
avec la création de la Force Multinationale Mixte (FMM) dont le quartier général est à N’djaména et le
commandement opérationnel est assuré par un général nigérian, Illyah Abbah. La FMM est constituée des
armées nigériane, camerounaise, tchadienne, nigérienne et béninoise. 12 La Multinational Joint Task Force (MNJTF)
ou Force Multinationale Conjointe est composée de forces armées béninoise, camerounaise, nigérienne, nigériane et
tchadienne. Cette force d’intervention conjointe est composée de 8700 militaires, policiers et civils et son quartier
général est à N’djaména.13 L'Union européenne (UE) promet d'apporter un financement de 55 millions de dollars à
la force régionale chargée de lutter contre Boko Haram, au Nigeria. Lire à propos un extrait de BBC Afrique du 02
Aout 2016. http://www.bbc.com/afrique/region-36953970.
32
Rapport de Crisis Group, Exploiter le chaos : l’Etat islamique et al-Qaeda, 14 mars 2016.
https://www.crisisgroup.org/fr/global/exploiting-disorder-al-qaeda-and-islamic-state. 17 Lire à propos,
l’enrichissante contribution de Nicolas courtin, relative à la compréhension de Boko-Haram. Nicolas Courtin, «
Comprendre Boko Haram.Introduction thématique », Afrique contemporaine, 2015/3, (n° 255), p .13-20.
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La nature des armes utilisées pendant le déroulement d’un conflit, peuvent clairement servir
à l’identification de la nature dudit conflit. Pour ce qui est du cas de la guerre contre Boko Haram. Page | 61
Le 12 janvier 2015, selon les propos des militaires au front, ils « ont subi une attaque
massive et violente des combattants de Boko Haram, et l’utilisation des 12,7 mm (Le fusil de
précision de 12,7 mm PGM est un fusil de précision de 12,7 mm, de marque PGM, est muni d'une
béquille articulée et d'un bipied. C’est un fusil de guerre.
Il est équipé de :
un frein de bouche,
un appui-joue
un chargeur de sept cartouches.
Il est livré avec une lunette jour de grossissement 10, graduée de 500 à 1800 mètres, le fusil
à répétition PGM cal 12,7 modèle F1 pour tireur d'élite permet de traiter des objectifs entre 500 et
1800 mètres (personnel jusqu'à 1200 mètres, véhicules jusqu'à 1800 mètres). L'UC comprend
également un collimateur de réglage Scrome. L'arme complète avec kit est conditionnée dans un
sac de transport portable à dos d'homme.
Armements
Probabilité d'atteinte antipersonnel, cible de 1,40 x 0,50 m :
● 500 m = 0,98,
● 1000 m = 0,94.
Probabilité d'atteinte anti véhicule, cible de 2 x 2 m :
1500 m = 0,75,
1800 m = 0,60.
Pouvoir de perforation de la munition PF2 sur acier à blindage = 13 mm à une distance de
725 m. Pas de restriction à la cadence de tir, seule une surchauffe du tube peut amener à limiter le
nombre de coups (ondes de chaleur devant la lunette)33.
Dimensions
Longueur du canon : 700 mm ;
33
https://fr.wikipedia.org/wiki/12,7_%C3%97_99_mm_OTAN
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Pour le cas des membres de la secte terroriste Boko Haram, selon les éléments de l’unité
d’élite camerounaise (BIR), le chef des troupes de Boko Haram est à la fois, leader spirituel et
leader stratégique. Il fait très régulièrement partie de la première catégorie des combattants
suscités. En général, ces leaders n’ont pas d’armes, ils sont couverts par leurs soldats qui servent
de boucliers ; et quant à lui, donne régulièrement des ordres par des gestuelles bien distinctes pour
orienter les troupes, pour donner des ordres, pour définir le combat et pour changer de tactique en
fonction de la tournure que prend les évènements.
En dehors de cet élément essentiel au combat, les combattants de Boko Haram, manifestent
souvent leur présence par l’embarquement d’une étoffe (drapeau) de couleur nord ayant des écris
en arabe floqués dessus.
L’utilisation des techniques de guerre des plus modernes ont été manifestement utilisées
par les membres de la secte en hiérarchisant les combattants en trois catégories notamment, la
première catégorie que les militaires appellent les combattants lambda, la deuxième catégorie qui
est composée des combattants plus aguerris et expérimentés vêtus de ‘bottes’, de ‘treillis’, de
‘casques’ et la troisième catégorie qui est constituée des ‘officiers’. Ils sont selon les militaires au
34
Cette munition a été conçue pendant la Première Guerre mondiale par John Browning pour un projet d'arme anti-
aérienne. Il s'agit d'une version agrandie de la .30-06 Springfield ; la mitrailleuse destinée à la tirer est une mise à
l'échelle de la M1919/M1917 également conçue par Browning au début du XXe siècle et se nomme M2.
Le Corps de l'ordonnance (United States Army) s'intéresse aux balles antiblindages, inspiré en cela par des essais
français de calibre 11 mm. Il s'adresse à John Browning pour lui demander une balle lourde avec une vitesse de
2 700 pieds (822,96 m) par seconde. Celle-ci n'existe pas encore. Le Corps de l'ordonnance demande à la firme
Winchester de concevoir une munition de calibre 12,7 (soit un demi-pouce) et l'arsenal de Frankford crée la balle de
12,7 × 99 mm.
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front généralement plus nombreux et s’illustrent par un cri de guerre ‘ALLA WAGBAT 35’,
montant simultanément à l’assaut36.
La présence d’une guerre dans un espace géographique bien déterminé, ne se définit pas
seulement dans le cadre des affrontements sanglants. D’autres paramètres entrent en jeu et donne Page | 63
une nouvelle précision quant à la nature du combat. Pour ce qui est du cas de la guerre contre Boko
Haram à l’Extrême-nord Cameroun, il est important de dire que les juridictions nationales ne sont
pas restées silencieuses quant à la qualification et la condamnation des anciens membres de la
secte terroriste de Boko Haram, faisant état de prisonniers de guerre.
Les guerres à prétention morale ou religieuse comme celle de Boko Haram contre les pays
membres de la CBLT, donne l’apparence de guerres justes aux assaillants, alors qu’elles peuvent
entraîner des conséquences dramatiques. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre à leur égard les
ressources critiques permettant de discuter leurs prétentions, contester leur légitimité et limiter
leurs effets. Ce sont de telles ressources critiques que contient l’idée d’une justice de la guerre et
donc une justice de la guerre contre les assaillants de Boko Haram37. Aux prétentions d’une guerre
qui se veut justifiée par l’état de choses que cette secte prétend vouloir instaurer, s’oppose l’idée
d’une guerre juste dont la légitimité serait scrupuleusement établie et qui serait assortie de limites
35
Ce rejet de l’école occidentale s'accompagne d'une lecture littérale du Coran, qui fait dire à Mohamed
Yusuf, dénoncé pour son idéologie obscurantiste, que la Terre est plate, ou que l'eau de pluie ne résulte pas
de l'évaporation, puisqu'elle est une création d'Allah.
Cette aversion contre la culture occidentale pourrait s’expliquer par la trajectoire personnelle de Mohamed
Yusuf. Né en 1970 à Gidgid près de la frontière du Niger, ce dernier a déserté l’école primaire après trois ans
d’études et n’a jamais pu être admis à l’université ; il convient de souligner aussi qu’il a été chassé de la
mosquée Izala où il prêchait car il n’avait pas les diplômes requis par le cursus coranique saoudien ce qui a
comme conséquence sa haine des érudits aussi bien musulmans que chrétiens. Lire à propos, Muhammad
Sani Imam, Muhamad Kyari,Yusufuyya and the State : Whose Faulty ?, University of Maiduguri, Department
of History, polycop., 2009,p.3 ; Issoufou Yaya, “BokoHaram au Nigeria : le fanatisme religieux comme projet
politique”,Sfera Politicii,vol.19, n°164, 2011, p.15.
36
Repportage de jounaliste sans frontières présents dans la ville de KOLOFATA durant la période de mai 2015.
37
L’armée camerounaise a affirmé détenir « plus de 1 000 » combattants suspectés d'être liés au groupe nigérian, dans
la prison de Maroua, chef-lieu de la région de l'extrême nord du pays. « Tous ont été arrêtés en territoire camerounais
lors de nos opérations » de ratissage, a précisé le colonel Joseph Nouma, commandant de l'opération Alpha de lutte
contre le groupe terroriste dans la région. « Le maximum de ce que nous savons de leur organisation (Boko Haram)
vient de ces prisonniers », a-t-il ajouté, assurant qu'ils seraient mis « à la disposition de la justice ». De son côté, la
police nigérienne a annoncé avoir arrêté plus de 160 personnes, soupçonnées d'être membres de la secte islamiste
Boko Haram, dans la région de Diffa (Annonce faite le 16 février 2015 par la police nigérienne.)
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morales fortes. L’exigence d’une justice de la guerre vaut face aux guerres qui disent vouloir
établir le bien, voire au sein même des guerres à prétention morale.
La guerre contre Boko Haram38, dans laquelle s’est engagé le Cameroun depuis 201439, a
conduit l’arrestation et la mise en détention de nombreuses personnes, de diverses nationalités40 Page | 64
au Cameroun. Ces personnes sont arrêtées au cours des opérations de riposte contre les attaques
du groupe terroriste, ou arrêtées lors des opérations de ratissage opérées par les forces armées
régulières. Aux troupes camerounaises engagées sur ce front, se sont ajoutées les forces armées
tchadiennes et nigériennes, avec une proposition de création d’une force multinationale41 (FMM)42
d’où la mise en action de la justice camerounaise pour connaître du sort de ces assaillants (A).
38
La secte Boko Haram est née dans le nord-est du Nigeria au début des années 2000 sous le nom de Jama’atu Ahlul
Sunna Lidda’awati Wal Jihad (communauté des disciples pour la propagation de la guerre sainte et de l’islam). Son
objectif est d’instaurer une application stricte de la loi musulmane telle qu’enseignée par le Prophète pour l’étendre à
l’ensemble du pays et combattre l’éducation occidentale, considérée comme un véritable péché et comme le point de
départ du déclin des sociétés islamiques. C’est dans cette logique que les attaques sanglantes de Boko Haram contre
les chrétiens se sont multipliées, semant un climat de terreur dans un le pays. (Voir J-P. REMRY, « Le Nigeria face
au spectre d’une guerre de religion », Le Monde, 29 décembre
2011http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/12/29/le-nigeria-face-au-spectre-d-une-guerre-de-
religion_1623966_3212.html ). Également A. VICKY, « Aux origines de la secte Boko Haram », Le Monde, avril
2012)
39
La déclaration faite par le Président camerounais le 17 mai 2014 lors du sommet de Paris, ne faisait peser aucun
doute sur l’engagement du Cameroun à lutter contre ce phénomène: « nous sommes ici pour déclarer la guerre au
Boko Haram. » (Déclaration du Président camerounais, Paul Biya, à l’issue du Sommet de Paris sur la sécurité au
Nigeria)
40
L’armée camerounaise a affirmé détenir « plus de 1 000 » combattants suspectés d'être liés au groupe nigérian, dans
la prison de Maroua, chef-lieu de la région de l'extrême nord du pays. « Tous ont été arrêtés en territoire camerounais
lors de nos opérations » de ratissage, a précisé le colonel Joseph Nouma, commandant de l'opération Alpha de lutte
contre le groupe terroriste dans la région. « Le maximum de ce que nous savons de leur organisation (Boko Haram)
vient de ces prisonniers », a-t-il ajouté, assurant qu'ils seraient mis « à la disposition de la justice ». De son côté, la
police nigérienne a annoncé avoir arrêté plus de 160 personnes, soupçonnées d'être membres de la secte islamiste
Boko Haram, dans la région de Diffa (Annonce faite le 16 février 2015 par la police nigérienne.)
41
Loin d’être une simple aide apportée au Cameroun, l’internationalisation de la lutte contre Boko Haram se présentait
comme une nécessité pour la sauvegarde de la paix et de la sécurité dans la sous-région de l’Afrique centrale et en
Afrique de l’ouest. Dès janvier 2015, la lutte contre le mouvement terroriste a pris une tournure régionale, avec la
prise de conscience des membres de l’Union Africaine de la nécessité d’éradiquer le phénomène. Pour ce faire, les
dirigeants de la CEEAC, de l’Union Africaine et les Nations Unies, ont décidé de mettre en place une force
multinationale chargée de la lutte contre Boko Haram. (Rapport du Secrétaire général sur les efforts déployés par le
système des Nations Unies pour aider les organismes nationaux, sous-régionaux et régionaux en Afrique à lutter contre
le terrorisme ) (Sur l’internationalisation de la lutte contre Boko Haram, voir B.M. METOU, « Lutte contre Boko
Haram, le temps d’une action collective », Bulletin SENTINELLE, n°420 du 01er février 2015).
42
La Force multinationale mixte (FMM) est un effort des Etats du bassin du lac Tchad – Cameroun, Niger, Nigeria et
Tchad – visant à mettre en commun leurs ressources pour lutter contre les jihadistes qui les menacent. La force mixte
a mené des opérations qui impliquaient souvent que les troupes de ces pays combattent les unes chez les autres. Ces
offensives ont débouché sur des victoires et contribué à insuffler un esprit de corps aux troupes. Les pays du lac Tchad,
avec le Bénin, ont donné à la FMM sa forme actuelle entre la fin 2014 et le début 2015, s’engageant à y affecter plus
de 8 000 hommes. L’Union africaine (UA) a approuvé la création de la force le 3 mars 2015 et prévu qu’une
organisation sous-régionale, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), soit l’organisme civil chargé de la diriger.
La FMM a établi un cadre multilatéral crucial pour combattre les insurgés de Boko Haram, de plus en plus nombreux
à lancer des attaques au-delà des frontières.
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Outres les mesures répressives, il reste aussi important de relever le caractère social que la
Cameroun a tenue à mettre en lumière dans le cadre de la résolution de cette, impliquant à plusieurs
égards, certains ressortissants camerounais, nigérians et tchadiens (B).
A- La présence des prisonniers de guerre dans les prisons camerounaises (Maroua, Page | 65
Yaoundé)
Il est notoire que la communauté internationale n’a pas encore été à même de s’entendre
sur une définition globale du terrorisme, en dépit de toutes les tentatives faites par l’Assemblée
générale et le Conseil de sécurité à cet égard. En 1994, en particulier, dans la Déclaration sur les
mesures visant à éliminer le terrorisme international, l’Assemblée générale a déclaré que les actes
criminels qui sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de
personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient
les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou d’autre
nature que l’on puisse invoquer pour les justifier. En 2004, le Conseil de sécurité, dans sa
résolution 1566 (2004), a identifié plusieurs éléments d’une définition, comportant en particulier
les “actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort
ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un
groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre un
gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire43.
Quoi qu’il en soit, l’absence d’une définition générale du terrorisme ne constitue pas, en
droit, un obstacle pour les praticiens. Depuis 1963, la communauté internationale a élaboré un
cadre d’instruments juridiques mondiaux visant à prévenir les actes de terrorisme. Il s’agit de plus
d’une douzaine de conventions et de protocoles concernant presque tous les types imaginables
d’actes terroristes. Ces instruments juridiques (dont le nombre était de 16 au total en 2008) ainsi
que plusieurs résolutions du Conseil de sécurité relatives au terrorisme (en particulier les
résolutions 1267 (1999), 1373 (2001) et 1540 (2004) voir ci-dessous) constituent ce qui est
communément appelé le régime juridique mondial contre le terrorisme.
Une guerre qui clairement implique l’ensemble des pays du monde et le Cameroun n’est
pas en reste. A cet effet, le Cameroun membre de la communauté internationale, applique ces
instruments dans le fonctionnement de sa justice et notamment à l’encontre des membres de la
43
C. SAMY, « Pourquoi les démocraties en guerre contre le terrorisme violent-elles les droits de l'homme ? »,
Critique internationale, 2008/4 n° 41, p. 9-9.
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secte terroriste Boko Haram et même contre l’armée camerounaise, qui une fois entre les mains de
la justice, son soumis tant au régime internationale, mais également au régime national de lutte
contre le terrorisme.
Dans une déclaration datée du 15 janvier 2015 et relayée par un communiqué de presse
publié le 18 février 2015, le porte-parole du RHEDAC a fait état, sous forme de dénonciation, de
graves exactions perpétrées sur les populations de l'Extrême-nord du Cameroun par nos forces de
défense et de sécurité. L'ONG « REDHAC » a prétendu la mise à mort de façon sommaire par les
forces de défense et de sécurité camerounaises, de plusieurs dizaines de personnes soupçonnées
d'appartenir ou d'être en intelligence avec Boko Haram.
Lundi 21 septembre, cinq ans après les faits, le tribunal militaire de Yaoundé a condamné
cinq militaires à des peines d'emprisonnement pour "assassinat". Tous avaient plaidé non coupable
mais seulement deux ont été acquittés. Ce qui est la preuve de l’implication de la justice dans cette
guerre44.
● Prisonniers de guerre
« Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui,
appartenant à l'une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l'ennemi : les membres
44
« Les tribunaux devraient expliquer et défendre la manière dont ils sont parvenus à leur verdict et donner les raisons
justifiant les peines prononcées », a déclaré Lewis Mudge. « Si l’intention des autorités camerounaises est de
s’engager de manière significative pour mettre fin aux exactions contre les civils et à l’impunité, les procédures
devraient être transparentes et se dérouler devant des tribunaux civils ».
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des forces armées d'une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de
volontaires faisant partie de ces forces armées. »45
45
Allant dans le même sens, l’article 44 (3) du protocole additionnel fournit des éléments caractérisant le combattant
ayant droit au traitement d'un prisonnier de guerre en disposant que: « un combattant conserve son statut de combattant
à condition que, dans de telles situations, il porte ses armes ouvertement pendant chaque engagement militaire; et
pendant le temps où il est exposé à la vue de l'adversaire alors qu'il prend part à un déploiement militaire qui précède
le lancement d'une attaque à laquelle il doit participer. »
46
En l’état de sa jurisprudence, pour déterminer si les preuves matérielles obtenues par un traitement inhumain ou
dégradant doivent ou non être exclues du procès, la Cour vérifie tout d’abord si ces éléments ont influé sur l’issue de
la procédure. Elle vérifie ensuite si les droits de la défense ont été respectés et, en particulier, le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination qui « présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son
argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté
de l’accusé » (CEDH, Jalloh c/ Allemagne, 11 juill. 2006, §100; JCP G 2007. I 106, obs. F. Sudre).
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de la lutte contre Boko Haram », Conférence de presse, propos liminaire de mr. Issa Tchiroma
Bakary, Ministre de la communication, Yaoundé, 13 mars 2015).
2- La mise sur pieds d’un droit pénal spécial pour lutte contre le terrorisme au
Cameroun Page | 68
Comme le sont toutes les logiques apparemment contraires, le couple Droit pénal/Droits
de l'homme connait une dynamique particulièrement erratique au Cameroun. Parti d'un droit pénal
autoritaire au service des puissances coloniales et de l'élite politico-administrative à un droit pénal
démocratique et libéral inspiré des principes de la rationalité pénale moderne, la tendance semble
désormais, à une remise en cause des avancées issues de la libéralisation du contexte juridico-
politique des années 90. En effet, le législateur camerounais, comme bien d'autres, dans le cadre
de la guerre contre Boko Haram, s'est inscrit dans une dynamique de dédoublement du droit pénal
non sans poser des difficultés dans les rapports de ce dernier avec l'Etat de droit et les anciens
membres de la secte Boko Haram.
Pour ce qui est du cas de la loi de 2014 sur le terrorisme (loi mise sur pieds juste après la
déclaration de guerre du président de la république), l’article (2) alinéa (1) de la dite loi stipule
que : « Est puni de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en coaction,
commet tout acte ou menace susceptible de causer la mort, de mettre en danger l'intégrité
47
22 V° préambule de la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions (...)
Le Cameroun est confronté depuis 2014 à la menace, notamment celle de Boko Haram,
dont l’impact socio-économique, sécuritaire et humanitaire est préoccupant. Plusieurs missions
d’évaluation ont été initié certaines missions des nations unies pour répondre aux problèmes
humanitaires qui s’y posent. Plusieurs partenaires s’y sont impliqués pour trouver des réponses
durables à cette menace. L’organisation d’une série d’ateliers thématiques ayant débouché sur la
mise en place d’une stratégie régionale de lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes
légères et de petit calibre en Afrique centrale. Tout en présentant des stratégies nécessaires à la
préservation de la dignité humaine dans cette région du Cameroun.
Le Conseil de sécurité a tiré la sonnette d’alarme en rappelant que, les attaques de Boko
Haram ont « entraîné d’immenses et tragiques pertes en vies humaines suscitant une grande
instabilité des populations tant en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale ». Il a aussi constaté
avec préoccupation que les «activités de cette secte terroriste continuent d’avoir des conséquences
graves sur le plan humanitaire en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale et qu’elles ont
notamment poussé quelque 74 000 Nigérians à fuir vers le Cameroun voisin et fait 96 000 déplacés
au Cameroun, 20000 réfugiés nigérians au Tchad, dont 8500 sont retournés chez eux, et 14 500
déplacés au Nigéria ».
Le retour des personnes dont on estime qu’elles n’ont plus besoin de protection
internationale est devenu un élément clé dans le processus d’application du droit international
humanitaire au niveau de l’extrême-nord Cameroun notamment avec les réfugiés nigérians qui
sont souvent très nombreux et que le Cameroun accueille dans certains centres.
Pour la majorité des cas, et lorsque la volonté de retour manifeste se fait exprimée par
certains, le gouvernement entreprend des mesures de raccompagnement qui sont souvent Page | 70
supervisées par le ministre de l’administration territoriale.
La Convention relative aux droits de l’enfant et son protocole facultatif sur l’implication
des enfants dans les conflits armés, ainsi que les Principes de Paris, représentent le cadre
fondamental des principes, des normes et des règles qui sous-tendent les programmes de DDR
pour les enfants48. Par la suite, l’ONU a élaboré des Normes intégrées de désarmement, de
démobilisation et de réintégration (IDDRS) pour orienter les efforts de DDR dans le contexte des
opérations de maintien de la paix de l’ONU49.
48
En particulier, la Convention relative aux droits de l’enfant demande aux États parties de prendre « toutes les
mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant
victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. » En outre, les Protocoles facultatifs se rapportant à
la Convention relative aux droits de l’enfant soulignent que les États signataires ont l’obligation légale de soutenir les
anciens enfants soldats, y compris en leur accordant « toute l’assistance appropriée en vue de leur réadaptation
physique et psychologique et de leur réinsertion sociale ». Voir Assemblée générale de l’ONU, Résolution 44/25,
Convention relative aux droits de l’enfant, A/RES/44/25, (adoptée et ouverte à la signature, ratification et adhésion
par l’Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989 [entrée en vigueur le 2 septembre 1990,
conformément à l’article 49]), partie I, article 39; Assemblée générale de l’ONU, Résolution 54/263, Protocoles
facultatifs se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les
conflits armés, A/RES/54/263, (ratifié le 25 mai 2000, entré en vigueur le 12 février 2002), annexe I, articles 6 et 7,
et annexe II, articles 9 et 10; et Fonds international de l’ONU pour le secours de l’enfance, Les principes de Paris :
Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, p. 1-50.
49
ONU, Integrated Disarmament, Demobilization, and Reintegration Standards (en anglais seulement).
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Conclusion
La guerre contre Boko Haram au regard des faits, est une guerre dans le sens pur du terme,
à la lumière du dispositif sécuritaire face auquel le Cameroun a du s’ajuster. En effet, par son
saisissement spontané et sa popularisation encadrée par l’élite, le rapport du peuple à cette guerre
apparait comme un rapport non pas uniquement victimaire, mais un rapport d’acteur au sens où le
peuple ayant pris ses armes aurait comme dans une guerre populaire envahi le front. La population
réclamant à corps et à cris à participer à cette agression extérieure qui venait mettre à mal sa
tranquillité, a tenu à se tenir aux côtés des forces de défense et de sécurité pour faire un front
commun contre cet envahisseur. De FOTOKOL à KOUSSERI, passant par KERAWA ou
AMCHIDE, la déclaration de guerre du président de la république du Cameroun le 17 mai 2014,
50
Le nouveau centre de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) des ex-combattants et associés du
groupe terroriste Boko Haram sera bâtit sur une superficie de 15.000 ha à Meme, un des cantons de l’arrondissement
de Mora dans le Mayo Sava, région de l’Extrême-Nord. Sa première pierre a été posée le 19 novembre par le
coordonnateur national du Comité de désarmement, de démobilisation et de réintégration (CNDDR), Faï Yengo
Francis.
C’était à l’occasion d’une visite des centres de transit de Mora et Mémé. Selon Faï Yengo Francis, les travaux qui sont
lancés ce jour seront de grande amplitude. « Ces travaux seront réalisés par des professionnels et nous pensons que
d’ici neuf mois, tout le monde sera là-bas, nous avons remis un échantillon de matériels pour améliorer la vie de nos
ex-combattants »,a-t-il poursuivi.
à laisser voir l’extrême volonté des camerounais de ne pas se laisser embarquer dans une violence
inouïe et injustifiée.
Sur le plan juridique, il est indéniable de dire que le Cameroun traverse une guerre sans
précédent notamment au regard de la violence des feux, du redéploiement des forces, de Page | 72
l’internationalisation du conflit avec l’entrée des forces tchadiennes, l’entrée en action de la force
aérienne, tout aussi, l’implication de la justice, sont des éléments qui démontrent l’engagement du
Cameroun à mener cette guerre sans réserves.
Il nous incombe donc de tirer des leçons de ce que nous traversons et les enjeux politico-
sécuritaires que cela incombent. Amener les populations à d’avantage participer travers le
renseignement, l’identification des intrus dans les zones villageoises et participer la veille
sécuritaire. Tout aussi sur le plan politique, il est nécessaire au regard de la pertinence de l’acte du
Président de la République, de faire bloc derrière lui, afin de l’aider d’une manière ou d’une autre,
à jeter hors du Cameroun, cette nébuleuse qui dérange.
*********************
**********
***
Abstract:
As a modern author once said of material and legal structures: "Civilis’s work too
immediately on human facts to be able to stop being realists, and they are too passionate about
their task to lose the taste for attuning these facts to an ideal of justice". But in fact, is there
anything wrong with loving? Or is it the "evil of loving" that pursues us?
Page | 74
Beninese family law has had to strive to reconcile the idealism that underpins the formation
of the marital bond with the realism required today to resolve matrimonial crises when they are
caused by the material element of a spouse's health. If illness prior to marriage generally has no
influence on the validity of the marriage bond, this is because the pathological state is not
incompatible with marriage - quite the contrary. It is certainly not the purpose of this study to
praise illness. But, admittedly, it's not always madness to marry someone in poor health, especially
when you consider that many healthy people are, to use a humorous expression not without truth,
sick people who don't know they're sick. However, there's an art to being ill, just as there's an art
to marrying and living in wedlock. This is why, when the conjugal bond proves intolerable through
the fault of a spouse who violates his or her duties regarding illness, it is both just and realistic to
pronounce its dissolution or separation, with the remedial or punitive consequences that normally
follow. This dialectical reconciliation of realism and idealism, which are often presented as
antagonistic principles, is essential to the inevitably progressive conclusion of Beninese family
law.
Introduction
Bonaparte disait : « Si l’homme ne devait pas vieillir, et la vieillesse est une maladie qui se
soigne jeune, je ne lui voudrais pas de mariage ». Cette phrase que l’on peut, il est vrai
difficilement, associer à la vie commune aujourd’hui, si elle est cruelle, n’en demeure pas moins Page | 75
caractéristique. Elle semble montrer qu’il y a une différence entre le mariage et le concubinage1.
Peut-être, qu’à une époque comme la sienne, l’Union libre, est faite uniquement pour le plaisir, en
quelque sorte « jocandi causa »2. Le mariage était l’Union jusqu’à la mort, et pour ce, précède,
prépare, préfigure la mort3. Il a été institué aussi et surtout pour cette altération des facultés
corporelles ou mentales, qui présage l’infirmité ou la mort. La maladie est l’altération de la santé.
La question est de savoir s’il y a un mal pour un malade d’aimer.
1
BOUGOUMA (O.), « La protection de la femme dans le concubinage en droit burkinabè », in Revue de droit
burkinabè, n°56, 2018, p. 63
2
CARBONNIER (J.), « Terre et ciel dans le droit du mariage », in Le droit privé français au milieu du XIXe siècle,
Etudes offertes à G. RIPERT, t. 1, p. 340.
3
CARBONNIER (J.), op. cit., p. 343
4
Article 153 du Code des Personnes et de la Famille du Bénin
5
CULIOLI (M.), « La maladie d’un époux, idéalisme et réalisme en droit matrimonial français », in Rev. Dr. Civ. n°2
de 1968, p. 254
6
CARBONNIER (J.), op. cit., p. 343
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Dans une première conception, dite réaliste, le mariage n’est concevable que si les époux
sont capables d’assumer pleinement leur rôle vis-à-vis de la société, et leurs fonctions à l’égard du
couple. Sinon, la politique juridique, comme d’ailleurs la pratique médicale, consistera le plus
souvent à éliminer du cercle conjugal le malade en même temps que la maladie 7. A ce point de
Page | 76
vue, Saint MARC disait : « vaut mieux couper la main que de la laisser se gangrener le bras »8.
Aussi, pour éviter la contagion, le très ancien droit français faisait généralement du lépreux
un mort civil avec dissolution de son mariage9. De même, dans certaines législations religieuses,
comme le droit musulman par exemple, la stérilité de la femme justifie sa répudiation. Ainsi que
dans certaines lois africaines contemporaines de la famille, l’impuissance ou la stérilité ou la
maladie peut entraîner l’annulation ou le divorce du lien10, car il s’agirait là, dit-on, de vices
révocatoires qui empêchent le conjoint sain de trouver dans le mariage les satisfactions auxquelles
il peut légitiment prétendre11.
Si l’on se place dans cette perspective matérialiste, et les exemples de cette prise de position
abondent, une maladie contagieuse, mentale ou héréditaire, provoquera la dissolution du lien, dans
l’intérêt respectif du conjoint et des enfants à naître, tant il est vrai que par sa finalité biologique,
le mariage doit être tout à la fois consommé, fécond et sain12. D’ailleurs certaines législations
pensaient même que ces affections constituent un obstacle, non seulement à l’aménagement de la
vie commune, mais encore à la formation ou au maintien du lien matrimonial, tout comme en droit
positif français la maladie prolongée du salarié entraînait la rupture du contrat de travail13.
7
CULIOLI (M.), op. cit., p. 255
8
Chap. IX, v. 43
9
Concile de Compiègne de 756 : Ce concile permettait au conjoint sain de contracter une nouvelle union ; mais la
condition des lépreux variait considérablement suivant les lieux et les époques. Avec les progrès de la civilisation, la
lèpre cessa d’être une cause de dissolution du mariage. Ainsi le Pape Clément XIV refusa au mari de Thérèse d’Aragon
le droit de prendre une autre femme en engageant le prince pétitionnaire à supporter en patience cet avertissement du
Seigneur. PLATEAU (L.), De la condition civile des lépreux et de leurs descendants notamment en Bretagne, Thèse
Rennes, 1909, p. 119
10
BADJI (M), « Le mariage dans le droit traditionnel Africain », in Le droit africain à la quête de son identité,
Mélanges offerts au professeur Isaac YANKHOBA NDIAYE, éd. L’Harmattan, 2021, p.156.
11
Trib. civ. Alger, 3 mai 1958, D. 1959. 43
12
CULIOLI (M.), op. cit., p.255
13
SORNAY (P.), « La maladie du salarié et le contrat de travail », in D. 1958, Chr. 195
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féconds. Alors, la gravité de la maladie ne sera plus un empêchement au mariage qu’une cause de
sa disparition. Dans cette optique, une fois posé le principe que le devoir d’un époux est de soigner
son conjoint malade et non de l’abandonner, il n’est même pas nécessaire de prévoir un
aménagement juridique de la vie conjugale en cas de mauvaise santé. Cette conception idéaliste
Page | 77
qui n’est pas absente de la loi béninoise, repose donc sur un acte de foi et un acte d’espérance.
Un acte d’espérance dans les progrès de la science médicale qui traite fort bien aujourd’hui
des maladies jadis réputées incurables. Un acte de foi dans la parole donnée, dans le secours et
l’assistance promis le jour du mariage, secours et assistance d’autant plus nécessaires que la
maladie est plus grave. Tu te marieras pour le meilleur et pour le pire. L’argument a plus ou moins
d’ailleurs convaincu le législateur béninois puisse que celui-ci a accepté la rupture du lien pour
cause d’impuissance ou stérilité et même en exige un certificat nuptial à communiquer à chacun
des futurs époux14.
Il est vrai, en effet, qu’il ne faut pas ignorer Kant : « le commerce charnel n’est pas de
l’essence du mariage ». Par voie de conséquence, sauf si elle obnubile totalement la volonté des
parties lors de l’échange des consentements, la maladie est pratiquement indifférente à la formation
du mariage mais elle le reste plus ou moins dans la suite de la vie conjugale. La règle est établie.
Non seulement qu’on ne pourra réprouver celui qui délit le nœud conjugal ou qui refuse d’y entrer
pour folie, démence, stérilité et autre maladie de son partenaire, mais également l’on pourrait
14
AGOSSOU (C.), Liberté et Egalité en droit de la famille : analyse comparative entre le Bénin, le Burkina-Faso, le
Sénégal et le Togo, Thèse de doctorat, UAC/UCL, 2012 ; FALL (P.T), « La rupture du mariage coutumier en droit
sénégalais : l’imbroglio juridique », in Annales Africaines, Nouvelle série, Année, 2011, p.217 et s.
15
THIOYE (M.), « part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique
noire francophone », RIDC, 2005, p.345 et s.
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admettre qu’un mourant même puisse avoir l’étrange prétention de « transformer son lit de mort
en lit nuptial » selon l’expression célèbre de Portalis16.
Le principe ainsi posé par le code des personnes et de la famille du Bénin à travers les
articles 127 et 234 prend en considération la maladie d’un époux. Aux termes des dispositions de Page | 78
l’article 127 tiret 3, la maladie peut certes fonder une opposition à mariage, mais encore faut-il que
l’on poursuive l’interdiction du malade ou prétendu tel. D’ailleurs aucune disposition législative
expresse n’empêche de se marier librement avec un malade. Et les quelques dispositions relatives
aux obligations du mariage obligent l’époux à conserver le lien17. Ceci montre que le mariage doit
s’accommoder à la maladie selon la volonté des époux en n’écartant pas la rupture en cas
d’impuissance ou de stérilité car cette infirmité naturelle ou non n’est pas compatible avec la vie
conjugale18.
Ces deux positions, réalistes et idéalistes, combinées, si elle a été largement approuvée,
n’est d’aucune école même celle exégétique trop respectueuse des textes. Celle-ci peut se trouver
être critiquée et même dépassée sur les deux terrains où la maladie d’un époux peut avoir des
incidences juridiques spécifiques. Certes, c’est à l’égard du lien conjugal que l’on a généralement
contesté le principe posant l’indifférence de la mauvaise santé. Il est devenu irritant de maintenir
une union en cas d’impuissance comme d’ouvrir le mariage à des personnes atteintes d’affections
contagieuses, héréditaires ou nerveuses. La philosophie du bonheur va réclamer, avec de plus en
plus d’insistance et de plus en plus d’audience, que la maladie puisse influer le cas échéant sur
l’existence même du mariage19.
Mais, en réalité, c’est avant tout l’insuffisance originaire de la réglementation des effets de
l’état pathologique sur les rapports entre époux qui a soulevé les problèmes pratiques les plus
graves. En n’obligeant pas les conjoints dans un lien conjugal maintenu, malgré une grave
altération de la santé physique ou mentale de l’un des époux, le législateur auraient dû penser que
16
GENDREL (M.), Les mariages in extrémis, Thèse, Paris, 1957
17
ANANI (I.), Le droit du divorce et les libertés fondamentales, Thèse de doctorat, UAC, 2015 ; NDIAYE (Y.-I),
« Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel », in Revue Sénégalaise de droit, n°36 p.13 et s.
18
NONNOU (E.-G.), « L’impérativité du devoir de fidélité entre époux en droit positif béninois », in RBSJA, n°47,
2023, p. 85 ; NDIAYE (A.T), « Le code de la famille au Sénégal quarante ans après son entrée en vigueur », in Annales
Africaines, Nouvelle série, volume 2, p.157 et s.
19
SOUNON TAMOU (A.-S..), « Les interactions entre le code des personnes et de la famille et le code de l’enfant du
Bénin » in mélanges en l’Honneur de Ahonagnon Noël GBAGUIDI, éd. CREDIJ 2023, p.327 et s. ; DOHOU (G.),
« Le droit à l’enfant au Bénin » in mélanges en l’Honneur de Ahonagnon Noël GBAGUIDI, éd. CREDIJ 2023, p.597
et s.
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On peut se le demander car, le fait est d’expérience, l’intervention de la justice dans les
relations entre époux n’est pas toujours heureuse ; trop fréquente, elle risque même de briser
irrémédiablement le ménage21. De toute façon, lorsque l’adaptation du couple à la maladie n’est
pas satisfaisante, le juge devra bien constater quelle s’est révélée impossible par la faute de l’un
des époux, celui-ci ayant, de la sorte, rendu intolérable le maintien du lien conjugal. Alors une
seconde question se pose : par utilisation réaliste des modes d’anéantissement du mariage, ne va-
t-on pas abandonner insidieusement ou indirectement le principe idéaliste qui exige l’indifférence
de la maladie à l’égard du lien conjugal ?
L’aménagement de la vie matrimoniale, le maintien du lien conjugal, tels sont les problèmes
complémentaires soulevés par la maladie d’un époux à propos desquels la conception réaliste
moderne va sans cesse affronter la position idéaliste22. Que la solution soit idéaliste ou réaliste, la
20
NDIAYE (I. Y), « L’envers du droit traditionnel dans le code de la famille », Revue Burkinabè de droit, 1996, p.58
et s.
21
DOSSOU-ADELOUI (L.), L’ordre public familial au Bénin, Thèse de doctorat, UAC, 2019 ; CHACHA (M.), La
médiation familiale au Bénin, Thèse de doctorat, UAC, 2020 ; AULAGNON (L.), « L’intervention du juge à propos
de l’exercice des droits des époux », in Etudes Ripert, t. I, p. 390 ; ROUAST (A.), « Le juge et la vie familiale en droit
français », in Mélanges J. Dabin, t. II, p. 865.
22
MARCOS (A.-S.), La codification du mariage en Afrique noire francophone, Thèse de doctorat, UAC, 2020 ;
SIDIBE (A. S), « La codification du droit de la famille dans les Etats d’Afrique francophone au sud du SAHARA »,
Revue droit sénégalais, n°7, p.215 et s.
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maladie d’un époux porte un coup au lien matrimonial (I), un coup mortel (II) que le législateur
béninois n’a pas ignoré.
Toute discussion hors de ce terrain psychologique serait vaine, tant il est vrai que la
conception actuelle béninoise du mariage demeure spiritualiste et volontariste. L’ont bien compris
les partisans d’une certaine position matérialiste et réaliste, qui loin d’abandonner leurs objectifs,
ont dû simplement adapter leur stratégie en se situant sur le plan psychologique, et ce pour faire
de la maladie une cause, indirecte sans doute, mais une cause tout de même, de divorce ou peut-
être de nullité23. Aussi le moyen technique employé sera-t-il toujours un moule psychologique
puisqu’il s’agira de vice du consentement pour la nullité, de l’injure grave pour le divorce. Là on
se demande si le fait de ne pas prendre en compte la maladie n’est pas un idéalisme juridique qui
risque sérieusement de souffrir avec le temps que cela soit sur la formation et la validité du lien
matrimonial (A) que sur les relations personnelles (B).
23
ANANI (I.), Le droit du divorce et les libertés fondamentales, op. cit.
24
DOSSOU-ADELOUI (L.), L’ordre public familial au Bénin, op. cit.
25
Civ. 6 avril 1903, D. 1904. I. 395
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se trouvent dans un intervalle lucide, il faudra constater que leur consentement est libre et éclairé26.
Il y a là alors un principe (1) que la pratique met à mal (2).
1- Le principe
Page | 81
Et l’on sait qu’avec le code des personnes et de la famille27 les incapables majeurs, à défaut
du consentement des père et mère, celui du conseil de famille spécialement convoqué pour en
délibérer, après audition des futurs conjoints et avis du médecin traitant ne peuvent contracter
mariage. Il en sera ainsi non seulement pour le majeur en tutelle, mais encore dans les cas prévus
par l’article 548 du CPF (majeur sous sauvegarde de justice). Quant au mariage du majeur en
curatelle, le consentement du curateur est requis et, à défaut celui du juge des tutelles28.
Mais une fois ces conditions réunies, le principe ne fait pas de doute : le mariage sera
valable. Par exemple l’infirmité de l’impuissant ne constituera pas un empêchement dirimant
comme en Droit canonique29. Certes, il faut excepter, en droit positif béninois, le cas où le sexe est
absent et l’organe non reconnaissable, hypothèses que l’on peut légitimement assimiler à l’identité
de sexe implicitement visée par l’article 234 du CPF lorsqu’il parle de stérilité ou impuissance.
Mais l’absence ou cette non-différenciation d’organe peut faire l’objet d’une interprétation
restrictive par le juge. Comme il a eu l’occasion de la préciser le 6 Avril 190330, « la faiblesse et
l’imperfection de certains organes du sexe sont sans influence possible sur la validité du
mariage ». Cette solution marque un échec du point de vue matérialiste, car son fondement ne
réside, pas, comme on peut parfois soutenir, dans la peur du scandale que pourrait entraîner la
preuve de l’état pathologique en question. La procédure réaliste a été abolie depuis et les juges ont
pris l’habitude d’asseoir leur conviction sur des expertises médicales auxquelles on peut
raisonnablement se fier.
La règle de la validité repose donc sur une conception spiritualiste du mariage dont la
formation, se plait-on à rappeler en doctrine, reste indépendante de la consommation. Les mêmes
problèmes et les mêmes considérations se retrouvent à propos de l’Union « in extemis ». Celle-ci
26
WEIL (A.), Rép. Civ. Dalloz, v° Mariage, n°83
27
Article 573
28 Art. 587 du CPFB
29
TESSON, « L’église et la rupture du lien conjugal », in Revue Etudes Avril 1953 ; JOMBART (E.), Manuel de droit
canon, 1949, n°561, p. 311
30
Civ. 6 avril 1903, D. 1904. I. 395 ; DOUCHY-OUDOT (M.), Le droit canonique de la dissolution du lien
matrimonial dans l’Eglise catholique, in Autour de la famille et de la terre : perspectives africaines du droit, mélanges
en l’honneur du professeur Noël A. GBAGUIDI, tome 1 la famille, éd. Du CREDIJ 2023, pp.57-100.
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est non seulement valable mais encore favorisée dans l’accomplissement de son rite civil.
Comment pourrait-on d’ailleurs en douter tant qu’il existe droit béninois de la famille le mariage
putatif ?31. En témoignent la possibilité de célébration dans la commune où se trouve le malade,
même dans un autre lieu que la mairie, sans compter la dispense de publication et de certificat
Page | 82
prénuptial32.
2- La pratique
La conception béninoise du mariage n’est pas seulement idéaliste, elle est également
volontariste. Aussi la maladie va-t-elle quelque fois provoquer la nullité, du moins si elle a une
incidence suffisamment grave sur le consentement des époux. Parfois, on l’a vu, l’état
pathologique peut entraîner une absence totale de consentement lorsque les facultés mentales du
malade sont profondément altérées35. Or, par application d’une règle propre au mariage, cette
31
art. 152 du CPFB
32
GENDREL (M.), op. cit. ; NDIAYE (Y.I), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, in Revue Sénégalaise de
droit n°36 p.13 et s.
33
SZIRMAI (Z.), « Le droit du mariage dans les codes de la famille tchécoslovaque et polonais », in RIDC, p. 281
34
Il s’agit de Mme YEDEDJI-GNANVO Elisabeth, Maître Assistant à l’Université d’Abomey-Calavi
35
Paris, 20 mars 1872, D. 1872. II. 109 pour un moribond.
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nullité fondée sur l’article 146 du code des personnes et de la famille, est absolue. On peut soutenir,
en se fondant sur les travaux préparatoires du code que ce texte, réaliste dans sa conception, visait
spécialement le mariage des déments36.
Aussi pourra-t-on invoquer cette nullité non seulement par le malade lui-même, une fois sa Page | 83
santé rétablie, ou bien en attendant, son représentant, mais encore tout intéressé en cas de mariage
« in extremis » par exemple, et surtout le conjoint. La jurisprudence permet, en effet, au tuteur de
demander l’annulation du mariage de l’interdit37. Le conjoint prétendra alors que son époux se
trouvait déjà en état de démence ou d’inconscience au moment même de la célébration. Toutefois,
il se heurtera bien vite aux difficultés suscitées par cette preuve précise dont la charge pèse sur
lui38. Il sera certainement plus pratique pour le conjoint en bonne santé de soutenir qu’en l’espèce,
son propre consentement s’est trouvé vicié par dol ou par erreur, suivant que l’état pathologique
lui a été ou non dissimulé. C’est donc sur ces deux terrains que l’offensive réaliste devait se porter.
En cas de non-dissimulation, sans pour autant que l’époux ait été informé ou ait pu
s’informer de la maladie dont l’autre se trouvait déjà atteint, la seule voie est l’article 146 du CPF
dont au besoin on élargirait la portée. Mais, pour cela il faudra s’attaquer à l’arrêt Berthon. Les
chambres réunies n’ont-elles pas décidées le 24 avril 1862 que « la nullité pour erreur dans la
personne reste sans extension possible sur les conditions ou les qualités de la personne sur les
flétrissures qu’elle aurait subies »?39 A la suite de cette interprétation restrictive de la loi, encore
valable en droit positif béninois, même en admettant que la santé soit partie constitutive de l’état
des personnes, ce qui demeure d’ailleurs discuté, la maladie d’un époux ne peut être prise en
considération pour annuler le mariage. Certains auteurs comme le doyen SAVATIER40 se sont
efforcé de démontrer que la santé humaine est un attribut de l’état des personnes (personnel,
familial, social). Il s’agit d’une thèse reprise par Marcel PRADEL en se basant sur la faculté
d’engendrer41. Mais cette théorie est combattue dans une large mesure par Claude LOMBOIS 42.
36
GBAGUIDI (A.-N.), « Egalité des époux, égalité des enfants et le projet de code de la famille et des personnes du
Benin » in RBSJA, 1996, pp- 3-35.
37
Civ. 26 fév. 1890, D. 1890. I. 290
38
Paris, 8 oct. 1965, D. 1966, p. 134 ; Cass. civ. 30 nov. 1965, Bull. Civ. I. n°665, p. 506.
39
L'arrêt Berthon, chambres Réunies, 24 avril 1862.
40
SAVATIER (R.), Les métamorphoses du droit, éd. Dalloz 1964, p.83 et s.
41
NIERINCK (C.), « Les filiations électives à l’épreuve du droit », cité par Clautaire « AGOSSOU, « les fondements
des filiations électives » in mélanges offerts au professeur Isaac Yankhoba NDIAYE, éd. L’Harmattan, p.93.
42
CULIOLI (M.), op. cit., p. 255
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Sans doute, sur le plan général, une tendance progressiste s’était manifestée depuis lors,
contre cette solution pratiquement bicentenaire, en doctrine et en jurisprudence43. Certaines
jurisprudences du fond n’avaient pas hésité à aller à l’encontre de la position prise par la Cour de
cassation et à soutenir qu’une erreur sur la personne peut entraîner la nullité lorsqu’elle porte sur
Page | 84
une qualité substantielle, c’est-à-dire sur une qualité que l’on peut considérer comme essentielle44.
Mais en matière de maladie, on est resté à la conception de 1862, encore illustrée par l’arrêt du 6
avril 1903. Après, le tribunal de grande instance de Grenoble, dans deux jugements, les 13 et 20
novembre 195845 a étendu le domaine d’application de ce qui est maintenant l’article 146 du code
des personnes et de la famille à cette maladie, physique ou mentale selon les cas, qu’est souvent
l’impuissance. Sa motivation est caractéristique. « Si la demoiselle Y. avait eu connaissance d’une
telle affection, elle n’eût pas donné son consentement au mariage ainsi voué et condamné à la
stérilité ». C’est la position qu’adoptera le législateur béninois à travers le code des personnes et
de la famille.
Par la suite et à plusieurs reprises46, les juges du fond, approuvés généralement par les
auteurs, se sont insurgés dans ce domaine sanitaire contre la conception idéaliste de l’arrêt Berthon.
Ils ont renoué ainsi avec la doctrine et la jurisprudence antérieures à la décision des chambres
réunies. Mais, se voulant eux-mêmes très réalistes, ils n’ont pas manqué de dissoudre l’élément
biologique dans l’élément psychologique puisqu’ils se sont placés sur le terrain de l’erreur
substantielle et déterminante appréciée « in concreto », c’est-à-dire sur la fin essentielle du
mariage pour l’époux qui demandait la nullité. Il n’empêche que cette position purement
psychologique aboutit, par la recherche des causes et des mobiles particuliers et propres à chaque
époux, à une individualisation dangereuse pour le mariage. Elle laisse une trop large place à la
casuistique pour ne pas conduire à l’arbitraire. Aussi, certains auteurs se sont efforcés de tempérer
cette conception psychologique par un apport d’ordre sociologique. Il faudrait que la qualité en
question fût si essentielle que l’opinion commune acceptât la nullité.
43
Civ. 26 fév. 1890, D. 1890. I. 290
44
TGI Lille, 1er avril 2008, RG : 08/03786 (affaire : la mariée n’était pas vierge)
45
D. 1959. 495
46
TGI Lille, 17 mai 1962, D. 1963. Som. 10 ; Grenoble, 19 juin 1963, JCP 1963. II. 13334 ; TGI Saintes, 23 mars
1965, J. cl. Civ. art. 144-147, fasc. A mise à jour, n°83
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des murs, on considère aujourd’hui l’impuissance du mari comme un défaut essentiel pour des
époux jeunes, tandis que personne ne voudrait voir annuler une union pour non-fécondité de la
femme. C’est donc la possibilité de consommer le mariage que l’opinion publique considère
comme primordiale, et il serait peu réaliste de ne pas en tenir compte sur le terrain du droit. Mais
Page | 85
la qualité essentielle ainsi objectivement déterminée, et on préférerait d’ailleurs que ce fût le
législateur, n’est pas suffisante. Elle devra se révéler de surcroît « déterminante » dans l’esprit du
conjoint demandeur, selon l’appréciation concrète du juge.
Si l’on précisait de la sorte les pouvoirs du juge et les droits de l’époux, on pourrait espérer
une certaine réduction des divergences jurisprudentielles comme des incertitudes de la pratique.
Et surtout, pour admettre la nullité dans cette perspective réformatrice, on aurait point besoin
d’exiger, comme le souhaite parfois la doctrine, que l’attitude du conjoint malade ait été fautive,
c’est-à-dire qu’il ait manqué à son obligation préconjugale de sincérité47. En effet, dans l’opinion
commune, sur laquelle se fonde la théorie réaliste, s’il est déjà discutable d’écarter la nullité pour
maladie grave involontairement cachée, il est encore plus difficile d’admettre que la dissimulation
volontaire de l’état pathologique ne vienne pas faire disparaître le lien conjugal. Ainsi en a jugé le
tribunal de grande instance du Mans, le 18 mars 196548. N’a-t-il pas décidé que l’erreur portant
sur la santé mentale du conjoint ne serait retenue comme déterminante qu’à la condition d’avoir
été provoquée par la loi ?
Néanmoins, cet accent délictuel donné à la théorie psychologique semble superflu en l’état
actuel du droit positif, du moins si l’on croit encore et toujours d’un arrêt rendu par les chambres
réunies, malgré les critiques doctrinales et l’opinion dissidente de quelques juges du fond ! Tant
que vaudra l’adage de LOYSEL « en mariage, il trompe qui peut », et surtout tant que l’erreur
spontanée ne sera pas admise en la matière, le dol n’aura pas l’occasion de faciliter la preuve de
cette erreur spontanée, pas plus qu’à en constituer la circonstance aggravante. On ne peut, en effet,
nier le particularisme de la théorie des vices du consentement dans la théorie du mariage. Or, en
cas de dol provoquant une erreur sur la personne, dans le code des personnes et de la famille qui
n’en souffle mot, et il n’y a pas de nullité sans texte, au fond des choses c’est de l’erreur et non du
dol que procède la nullité.
47
GUYON (Y.), « De l’obligation de sincérité dans le mariage », in Rev. Tr. Dr. Civ. 1964. 473
48
TGI du Mans, GP 1965. II. 12, RTD Civ. 1965, p. 797
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Tant que les tribunaux resteront dans l’impasse où les a conduits la conception de l’arrêt
Berthon, au motif ou sous prétexte idéaliste de préserver la stabilité du lien conjugal, le dol ne
pourra jouer que sur un autre terrain : celui du divorce que non sans paradoxe, mais inévitablement
une jurisprudence réaliste devait admettre largement en la matière car « les nullités de mariage
Page | 86
sont mortes, la magistrature du XIXe siècle les a tué ce qui n’a pas peu contribué à rendre la loi
[…] inévitable »49.
Dans l’ordre des relations personnelles, la maladie peut avoir deux sortes d’incidences
juridiques qui sont complémentaires50 : d’une part, des perturbations accidentelles de la vie
conjugale (1), variables selon les affections, d’autre part, une obligation à objet thérapeutique (2)
qui se retrouve à propos de tous les états pathologiques quels qu’ils soient. Or, par un singulier
paradoxe qui s’explique en vérité par le progrès du réalisme juridique, si la loi et le juge peuvent
de mieux en mieux régler les effets perturbateurs de la maladie sur le plan conjugal, il leur sera
toujours difficile, sinon impossible, d’assurer la mise en œœuvre effective et personnelle du devoir
de soins, pourtant primordial en l’occurrence.
Les troubles dans les rapports fonctionnels entre époux dépendent de la nature et de la
gravité de la maladie. On peut observer fréquemment mais pas nécessairement que la mauvaise
santé d’un conjoint entraîne une impossibilité de remplir une fonction sociale de droit privé ou de
cohabiter physiquement. A double point de vue, l’adaptation de la vie conjugale à la situation
pathologique a été facilitée par le législateur moderne.
Ainsi, lorsque l’un des époux tombe gravement malade et se trouve, par-là même, hors
d’état de manifester sa volonté, l’autre doit le remplacer dans toutes ses prérogatives et devoirs de
famille ou d’autorité parentale51. Il décidera donc de l’orientation générale du foyer, de son genre
de vie ou, encore, de l’éducation des enfants, etc. Certes, et le point mérite d’être relevé, parfois
l’époux aura besoin d’un acte notarié afin de prouver ses pouvoirs. Néanmoins, c’est bien la
maladie qui se révèle ici la cause du transfert de la fonction familiale. Une décision de justice n’est
49
CARBONNIER (J.), op. cit., p. 333
50
NDIAYE (Y.), « Réflexions critiques sur le divorce en droit Sénégalais », in Annales Africaines, Nouvelle série,
Année 2011, N°2, p.305 et s.
51
Article 204 CPFB
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pas indispensable. S’il intervient tout de même, il ne saurait avoir qu’un rôle déclaratoire en
reconnaissant que l’état de santé de l’autre ne lui permet pas de remplir son rôle de chef de famille
et l’élimine partiellement de la scène juridique. Réciproquement sa guérison lui ferait reconquérir
ipso facto ses prérogatives anciennes52.
Page | 87
De même, la cohabitation, bien que d’ordre public53, peut se trouver suspendre par l’effet
de la maladie : soit dans l’intérêt du malade qui pourra être mieux soigné dans un établissement
spécialisé54, ou encore chez ses parents comme l’a connu la Cour de Paris le 10 juin 1958 55, soit
dans l’intérêt du conjoint et des enfants, si la maladie présente des risques de contagion.
La solution, qui aujourd’hui paraît aller de soi, tranche pourtant avec la jurisprudence
antérieure, encore illustrée par un arrêt rendu par la Cour de Douai le 28 décembre de 1932. Cette
décision n’admet pas qu’un époux pût être affranchi de son obligation de cohabitation en raison
des dangers encourus pour la santé56. C’était la position traditionnelle des anciens auteurs qui
estimaient devoir maintenir la vie commune même en cas de maladie contagieuse. Ils
reconnaissaient seulement que, dans l’hypothèse de la démence et s’il y avait péril pour la vie de
l’époux, celui-ci avait la possibilité de faire placer son conjoint malade dans un établissement
d’aliénés. Dans ce cadre on peut parler d’une notion objective de danger physique ou moral que
présente l’exécution de certains devoirs entre époux. Aussi le code ne semble pas vouloir imposer
de tels sacrifices à eux qui n’en sont pas capables spontanément. Cette tendance réaliste, qui se
manifeste notamment par une application extensive de la loi peut trouver appui, même en l’absence
de texte et d’autorisation judiciaires, dans la doctrine moderne.
52
CARBONNIER (J.), Droit civil, t. I., n°113
53
VERDOT (R.), « La cohabitation », in D. 1964, Chron., p. 123
54
SAVATIER (J.), « Le droit civil du mariage et la santé des époux », in Médecine et mariage, 1952
55
Paris, 10 juin 1958, D. 1958. J. 735
56
Douai, 28 décembre 1932, S. 1933. II. 108
57
ESMEIN (A.), Le mariage en droit canonique, 2e Ed., t. II, p. 7 à 13
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conjugale »58 soit dans son intérêt, si son état risque d’empirer à la suite de ces rapports, soit dans
l’intérêt de son conjoint si la maladie est contagieuse. D’une façon très réaliste la jurisprudence
fait glisser ici l’état pathologique dans la notion de force majeure et n’hésite plus à tirer les
conséquences logiques de cet effet dissociatif, tout spécialement sur le terrain de la filiation
Page | 88
légitime.
Il est assurément normal de considérer que le père peut désavouer l’enfant de sa femme
lorsque, par la suite d’hospitalisation ou d’internement, il a été éloigné de celle-ci sans qu’aucun
rapprochement n’ait été possible durant la période légale de la conception. Mais, il est plus
discutable d’affirmer que la maladie constitue « cet accident » qui, au sens de l’article 305 du code
des personnes et de la famille, entraîne l’impossibilité physique de cohabiter. Pourtant la plupart
des juridictions de fond59 admettent cette cause de désaveu si elles ont la conviction scientifique
que la maladie a entraîné une impuissance générale60. Le 13 février 1957, dans un arrêt
caractéristique de ce courant jurisprudentiel, la cour de Nancy l’a même affirmé, pour une stérilité
consécutive à des oreillons61.
Cette assimilation, qui est sans conteste une nouvelle victoire de la réalité sur la fiction, a
néanmoins suscité les protestations d’une partie de la doctrine, ravivant ainsi une controverse qui
remonte aux travaux préparatoires. Certains auteurs ont, en effet, objecté que le terme « accident »
signifie uniquement une cause matérielle externe. De plus, ils ont avancé, pour écarter la maladie
de ce qui est prévu à l’article 305 et la faire tomber dans l’article 311 du CPF, les mêmes difficultés
de preuve, qui du moins à l’origine, justifiaient l’impossibilité de désaveu pour cause
d’impuissance naturelle. Mais cette argumentation ne convaincra pas. D’abord, parce que la
plupart des maladies ont une origine microbienne, virale, parasitaire, etc., donc nécessairement
externe. Ensuite, parce que les progrès de la science permettent de déterminer avec la plus grande
certitude si tel état pathologique a entraîné ou non « une impossibilité de cohabitation » sans qu’il
soit besoin d’exiger que les effets de cette maladie soient susceptibles d’une constatation
extérieure, comme celle d’une paralysie ou d’une atrophie62.
58
Req. 13 janv. 1892, D. 1892. I. 424 et 17 févr. 1913, D. 1915, D. 1915. I. 48 ; Civ. 30 nov. 1955, D. 1956. Somm.
78
59
Trib. civ. Lille, 19 nov. 1946, JCP. 1947. II. 3566 ; Trib. civ. Domfront, 9 juin 1955, D. 1955, p. 679 ; Nancy, 13
févr. 1957, D. 1957, p. 679 ; Trib. civ. Marseilles, 23 juil. 1953, D. 1953. Somm. 78.
60
TROCHU (M.), « L’impuissance », in D. 1965, Chron. p. 153
61
Nancy, 13 févr. 1957, D. 1957, p. 679
62
Trib. civ. Bordeaux, 7 févr. 1951, D. 1951. 372
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Aussi, interprétant largement les termes « quelque accident » employé par le code qui
n’exclut pas expressément la maladie, les auteurs modernes, dans leur majorité, penchent-ils pour
l’admission comme cause de désaveu. Cependant une difficulté subsiste, du fait que la stérilité du
père ne met pas obstacle aux rapports sexuels. Si l’on veut permettre de désavouer pour cette cause,
Page | 89
il faut nécessairement entendre la cohabitation comme « des rapports sexuels aboutissant à la
procréation »63. Mais n’est-ce pas pour cela que le législateur a ajouté au texte de l’article 305 du
CPF la formule « impossibilité physique de cohabiter ». Contre cette assimilation, on ne peut pas
manquer de relever l’intention contraire manifestée par le législateur, eu égard au fondement de
vérité biologique qui caractérise la filiation naturelle. Dans un second temps, le particularisme de
la situation due au recel de naissance. Mais d’une manière générale ces objections n’ont pas
convaincu la jurisprudence. Le juge rejette l’offre qu’au cours d’une action en désaveu fondée sur
l’article 305 du CPFB, un mari faisait de démontrer par une analyse spermatique qu’il était dans
l’impossibilité d’engendrer64.
C’est sans doute dans une perspective réaliste et pour faire profiter la justice des progrès
de la science quant à la preuve, que la majorité des juges modernes a devancé le législateur futur
en adoptant par anticipation la règle ainsi posée par l’article 305 du CPF : « Le mari peut désavouer
l’enfant conçu pendant le mariage :
- S’il prouve que pendant le temps qui a couru depuis le trois centième (300e) jour jusqu’au
cent quatre vingtième (180e) jour avant la naissance de cet enfant, il était dans
l’impossibilité physique de cohabiter avec sa femme ;
- …»
63
MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. I, 1er vol., n°163
64
Paris, 19 févr. 1960, D. 1960. Somm. 105
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C’est déjà bien de se soigner que de se garder de la maladie. Aussi manquerait gravement
aux obligations du mariage le mari ou la femme qui fréquenterait, sans raison majeure, un
contagieux, à plus forte raison s’il résultait de cette fréquentation quelque maladie vénérienne,
indice sinon photographie même de l’infidélité. Malade, l’époux doit s’efforcer de rétablir sa santé,
tout comme l’ouvrier victime d’un accident du travail est tenu, selon la loi, de se soumettre à des
soins de nature à réduire son incapacité de travail, du moins lorsque ce traitement ne présente
aucun risque pour sa santé ou sa vie. Cette obligation de soins se révèle même plus grave en matière
de mariage, car, en l’espèce, il n’y a pas que des intérêts économiques en jeu. Vont entrer en ligne
de compte les droits de la famille. Les époux doivent, en effet, cohabiter et entretenir des rapports
intimes qui ne soient pas dangereux. C’est pourquoi ils seront tenus de rétablir leur santé dans
l’intérêt, tout d’abord de leur descendance future, afin de ne pas lui léguer des tares héréditaires,
également dans celui de la dignité du conjoint qui ne doit pas être contaminé65, et enfin dans
l’intérêt alimentaire du ménage66. Dès qu’il se marie, a-t-on dit, l’homme doit se mettre à penser
et à agir au pluriel. Ainsi le malade ne s’expose pas à une opération grave et mutilante sans en
avoir parlé à son conjoint, sans qu’ils en aient arrêté en commun la décision car il n’est plus libre
de son corps. C’est le résultat de la parole qu’il a donné.
Aussi la liberté civile de ne pas se soigner dans la mesure où on l’admet encore pour le
célibataire, cesse-t-elle pour la personne mariée lorsque son refus est de nature à altérer l’équilibre
de la vie conjugale ? C’est ce que décide une jurisprudence constante qui n’hésite pas à reprocher
à un époux de n’avoir pas fait les efforts nécessaires pour remédier utilement à son état
pathologique67. Il ne pourrait en être autrement que si l’état du malade supprimait en lui toute
65
Bordeaux, 17 févr. 1857, D. 1857. II. 138
66
DECOCQ (A.), Essai d’une théorie générale des droits sur la personne, Paris, 1960, p. 221
67
Civ. 16 déc. 1963, D. 1964. 277, Rev. tr. Dr. civ. 1964, p. 533
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faculté de décision. Il incomberait alors au conjoint de décider à sa place en tant que son premier
« protecteur naturel ». C’est la « tutelle de fait »68 dans le contrat médical, une formule que l’on
trouve dans un arrêt de Lyon du 17 novembre 1952. Et, toujours en cette qualité et en toutes
circonstances, l’époux devra conseiller au malade de se soigner et l’inviter à suivre tel traitement
Page | 91
médical opportun, comme par exemple une cure de désintoxication69.
Enfin, lorsqu’en vue de cette guérison, l’époux malade a un besoin pressant de sang ou
d’une greffe de tissu quelconque, l’autre a l’obligation de se prêter à l’opération si elle n’entraine
pas de lésions corporelles graves, durables ou douloureuses. Bien qu’aucune espèce
jurisprudentielle ni aucun texte spécial ne viennent à l’appui de cette affirmation, on peut penser
que le devoir d’assistance prévu par l’article 153 du CPF est suffisant pour fonder une obligation
de transfusion sanguine. Les mesures et les modalités du devoir d’assistance et de soins personnels
entre époux, en cas de maladie, sont donc une affaire de mœurs et de circonstances. Mais la
question juridique la plus importante demeure celle de la sanction dans l’hypothèse d’inexécution
volontaire.
68
Lyon, 17 nov. 1952, D. 1953. 253
69
Bordeaux, 17 févr. 1857, S. 1857. II. p. 98
70
NDIAYE (Y.I), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, in Revue Sénégalaise de droit, 2013, n°36 p.13 et s.
71
Civ. 25 juill. 1956, D. 1956. 609
72
Req. 4 mars 1902, D. 1902. I. 192
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qu’il laisse aux conjoints une certaine juridiction domestique, justifiée par le caractère intime du
mariage. L’élément affectif, biologique et moral y occupe, en effet, une place primordiale qui
échappe à l’emprise de la loi. En conséquence, ce principe permet aux époux de trouver et de
maintenir l’équilibre spécifique à chaque ménage sans les obliger à porter leurs moindres
Page | 92
différends devant les tribunaux73.
Toutefois, lorsque le conjoint en faute ne réclame rien, cette espèce d’exception non
adimpleti contractus ne pourra jouer par définition et l’autre époux devra, soit se résigner à voir
inexécuté le devoir de soins et d’assistance personnel, soit se résoudre à saisir le juge. Mais s’il
choisit la seconde solution, que peut-il lui demander et en attendre ? Certes, sur le plan théorique
on pourrait penser, d’une manière générale, aux astreintes ou aux dommages-intérêts74. Dans des
hypothèses plus particulières, on songera à la révocation, pour cause d’ingratitude, des donations
faites entre époux75. Au point de vue pénal, on envisagera les pénalités de l’abandon de famille si
la femme est enceinte76, celles de l’article 63 du code pénal pour refus d’assistance à personne en
péril assorties le cas échéant de sursis avec mise à l’épreuve et les obligations positives qu’ils
impliquent.
Néanmoins, dans la plupart des cas, le prononcé de telles mesures n’aura aucune utilité
pratique au regard des exigences fondamentales posées par la maladie d’un époux sur le plan
personnel. Car le malade aura le plus souvent besoin de ce que le droit peut parfois saisir mais
jamais imposer : l’affection du conjoint. Or, si le devoir d’assistance ne s’exécute plus, « c’est que
l’amour est atteint ». Il est d’ailleurs remarquable que le contenu de ce devoir au demeurant assez
peu juridiquement ressenti a été dégagé uniquement dans les hypothèses d’inexécution et par la
jurisprudence sur les causes du divorce77. En effet, « remède spécifique de tous les maux
conjugaux »78 la seule sanction concevable, dans la mesure où elle est possible et demandée,
consistera alors dans la dissolution ou le relâchement du lien conjugal. C’est là que la maladie
devient non seulement un coup mais un coup mortel.
73
SOUBRIER (D.), L’interdépendance des obligations réciproques d’ordre personnel et d’ordre patrimonial issues
du mariage, Thèse Paris, 1956, n°175, p.132
74
Civ.1re sec. Civ. 9 nov. 1965. D. 1966. 80
75
Cass. 16 févr. 1874, D. 1874. I. 97
76 Art. 357-1 du code pénal.
77
GOURDON (Cl.), La notion de cause de divorce étudiée dans ses rapports avec la faute, Paris, 1963, p. 176
78
CARBONNIER (J.), v° Dissolution in Mélange Savatier, p. 138.
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Sur le plan médical, la vie consiste en une organisation naturelle dont le mécanisme de
régulation permanente est caractérisé par deux processus réactionnels : l’adaptation et la défense Page | 93
aux agressions, eux-mêmes favorisés par l’intervention du médecin ou du chirurgien.
79
DOUCHY-OUDOT (M.), Le droit canonique de la dissolution du lien matrimonial dans l’Eglise catholique, in
Autour de la famille et de la terre : perspectives africaines du droit, mélanges en l’honneur du professeur Ahonagnon
Noël GBAGUIDI, tome 1 la famille, éd. Du CREDIJ 2023, pp.57-100.
80
AULAGNON (L.), op. cit. p.394
81
Civ. 22 août 1822, S. 1822. I. 100
82
RIPERT et BOULANGER, Droit civil, t. IV, n°3504
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non seulement du malade, mais encore de son conjoint et de sa famille Car très souvent, cette
situation peut créer un gros trou dans les finances du couple (1) entraînant ainsi une gestion peu
attentionnée du patrimoine (2).
En ce qui concerne l’obligation de secours, la mauvaise santé constituera sans doute pour
l’époux malade et incapable de travailler. Cette force majeure qui le dispensera d’aider l’autre
conjoint et de subvenir aux besoins du ménage. Elle exclura par voie de conséquence une
éventuelle condamnation pour abandon de famille pécuniaire83. Mais la maladie sera surtout, pour
l’époux malade, l’occasion de voir jouer à son profit cette obligation, avec la seule condition qu’il
en ait besoin, et ceci en toute hypothèse, que la maladie ait ou non éloigné les conjoints. Lorsqu’un
époux malade ne peut payer les frais sanitaires, qu’il s’agisse d’un simple acte médical ou de frais
aussi importants que ceux d’hospitalisation, son conjoint doit le faire à sa place, même s’il versait
déjà une pension alimentaire, si du moins l’allocation se révèle insuffisante, eu égard à la gravité
exceptionnelle de la maladie84. Cette obligation, fondée essentiellement sur l’article 153 du CPF,
existe quelque soit le régime matrimonial adopté.
Sous le régime de communauté, les tribunaux ont décidé, à maintes reprises, que le coût
des maladies de la femme était des dettes communes85. Ces dettes pour frais médicaux, en tant que
dettes alimentaires tombent dans le passif définitif de la communauté sans distinction entre le mari
et la femme. Les termes de l’article 194 du CPF ne devraient laisser aucun doute à cet égard dans
la plupart des cas. Mais que décider si la maladie, par exemple une maladie vénérienne, a été
contractée par un époux adultère au mépris des devoirs que lui imposait le mariage ? Faut-il
appliquer l’article 199 du CPF aux termes duquel la communauté a pareillement droit à
récompense si la dette qu’elle a acquittée a été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs
que lui imposait le mariage ? Il ne semble pas qu’on puisse faire ici cette application comme le
laisserait volontiers penser une partie de la doctrine, qui l’admet pour le cas d’ailleurs controversé
où des aliments voire la reconnaissance sont dus à un enfant adultérin 86. En effet, en faveur de la
solution négative, on peut faire valoir non seulement la généralité de l’article 194 mais encore, ce
83
Crim. 24 avril 1937, D. H. 1937. 429
84
PRADEL (J.), La condition civile du malade, op. cit., p. 207
85
Soc. 27 janv. 1939, D. H. 1939. 199 ; Civ. 17 déc. 1946, D. 1946. 93
86
CORNU (G.), « Le régime matrimonial de droit commun : la communauté réduite aux acquêts », JCP. 1967, Doc.
2128, n°110
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fait spécifique, qu’en matière de maladie, les frais sont exposés en vertu du devoir de soins, aussi
dans l’intérêt de l’autre époux, donc dans une large mesure pour l’utilité du ménage.
Le code béninois ne parle pas des ménages irréguliers, de telle sorte que juridiquement, la
maladie d’un époux est sans conteste mieux traitée que celle d’un concubin. De même, par le jeu
87
SAVATIER (R.), « L’action des créanciers pour dettes de ménage contre les époux séparés de biens », in DH 1935,
Chr. p. 25 ; Civ. 1er, 9 mars 1965, GP. 1965. I. 335
88
SAVATIER (R.), La condition juridique du malade, Paris, Ed. Présence, n°65, p. 24 ; PEQUIGNOT (H.), « Droit
à la santé et coût de santé », in Le Monde 6 septembre 1967, p. 8
89
ROUAST (A.), « La sécurité sociale et le droit de la famille », in Etudes Ripert, p. 346 ; MARTINE, « Le
développement de la législation sociale et le droit de la famille », in RTD Civ. 1956, p. 665 ; ALFANDARIE (E.), Le
droit aux aliments en droit privé et en droit public, Thèse Poitiers, 1958, p. 91 ; BORYSEWICZ (M.), L’intervention
de la sécurité sociale dans les rapports alimentaires entre époux, Thèse Aix, 1960.
90
GRANGER (V.), « La situation du conjoint de l’assuré social au regard de l’assurance maladie », in JCP 1958. I.
1457 ; DUPEYROUX (J.), Sécurité sociale, Paris, Dalloz, 1965, p. 238, n°158 ; DOUBLET (J.) et LAVAU (G.),
Sécurité sociale, Paris, Thémis, 1961, p. 119
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de l’aide sociale, le malade sera soigné gratuitement s’il se trouve, ainsi que son conjoint, dénué
de toute ressource ou de toute créance alimentaire réalisable. Néanmoins, si dans sa forme
d’assurance ou de refuge contre les incidences pécuniaires de la maladie, l’époux, comme
d’ailleurs la famille en général, semble relayée par la société, on ne peut vraiment pas parler de
Page | 96
substitution complète parce que l’aide sociale est subsidiaire à la dette d’aliments. En outre et,
comme on l’a si bien marqué en doctrine, « en fait l’Etat est un assureur si médiocre, partiel, lent
et toujours en retard sur les prix, que beaucoup d’assurés seraient mal en point sans la réassurance
familiale »91. Celle-ci pesant au premier chef sur le conjoint, il est fréquemment jugé que les frais
d’hospitalisation d’une femme mariée incombent avant tout à son mari compte tenu des obligations
du mariage. La sécurité sociale ne fait donc pas disparaître cette obligation de secours. Au
contraire, puisque sa tâche se trouve ainsi facilitée, l’époux débiteur sera tenu de l’exécuter avec
d’autant plus de rigueur92 qu’elle correspond, quant à la charge des soins pour maladie, à une
exigence vitale.
Ce n’est plus dans l’intérêt exclusif du malade, mais encore dans celui de son conjoint et
éventuellement de la famille par eux créée que l’on devra résoudre les problèmes de gestion
patrimoniale qui revêtent une si grande importance en cas de maladie. Pour ce faire, pendant
longtemps on a pu utiliser les techniques habituelles du mandat ou de la gestion d’affaires, mais
avec des difficultés de mise en œœuvre considérables en cas de mauvaise volonté émanant du
conjoint malade ou du cocontractant. Quant à l’interdiction judiciaire, déjà insuffisante pour
protéger correctement les intérêts d’un célibataire malade, elle s’est révélée le plus souvent
inadéquate aux réalités et aux impératifs de la vie conjugale. Sans doute, les dispositions du code
portant réforme du droit des incapables majeurs se sont-elles efforcées d’adapter la loi aux
préoccupations sociales et médicales d’aujourd’hui. Dans un souci de réalisme juridique, elle a
organisé trois grands régimes de protection, qui sont, dans l’ordre croissant : la sauvegarde de
justice, la curatelle et la tutelle, avec passage facile de l’un à l’autre pour tenir compte de
l’évolution de l’état de santé du malade, corporel ou mental, et des problèmes spécifiques posés
par le cas de chacun. Ainsi, les décisions par lesquelles le juge des tutelles organise la protection
des intérêts seront précédées d’un avis médical selon l’article 573 al 3 du CPF.
91
CARBONNIER (J.), « Vis Famille, Législation et quelques autres », in Mélanges Savatier, p. 140.
92
BORYSEWICZ (M.), op. cit., p. 346
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De même, l’époux doit être en principe tuteur93 ou curateur94 de son conjoint. Mais il en
sera autrement si la communauté de vie a cessé entre les époux ou si le juge estime, qu’une autre
cause interdite de lui confier ces fonctions. Parfois même, la tutelle ne sera pas indispensable. Aux
termes de l’article 566, en effet, lorsque le conjoint est apte à gérer les biens, « le juge des tutelles
Page | 97
peut décider qu’il les gérera en qualité d’administrateur légal sans subroger tuteur ni conseil de
famille. On suivra alors les règles applicables, pour les biens des mineurs, à l’administration légale
sous contrôle judiciaire ». Et, en tout cas, l’époux ayant qualité pour demander l’ouverture d’une
tutelle se voit reconnaître le droit, et même l’obligation, par l’article 552, de faire les actes
conservatoires que nécessite la gestion du patrimoine de la personne protégée quand il y a eu
connaissance tant de leur urgence que de la déclaration aux fins de sauvegarde. Une telle
individualisation contraste évidemment avec la rigidité du droit antérieur dont le caractère périmé
peut être n’était contesté par personne.
Mais encore aujourd’hui, malgré les améliorations apportées à ces techniques de droit
commun, on devra leur préférer les règles matrimoniales par le code. Ne s’y est pas trompé le
législateur béninois en disposant dans l’article 565 : « Il n’y a pas lieu d’ouvrir une tutelle qui
devrait être dévolue au conjoint si, par l’application du régime matrimonial et, notamment, les
règles des articles 177, 178 et 204 du présent code, il peut être suffisamment pourvu aux intérêts
de la personne protégée ». La priorité, sinon la primauté du régime matrimonial sur les autres
régimes d’administration se justifie par cette bonne raison que le premier est mieux adapté aux
intérêts de tous les membres de la famille créée et aux situations diverses résultant de la maladie.
Ainsi les nouvelles présomptions de pouvoir qui ont été établies par ce code, confèrent une grande
autonomie en matière d’opérations mobilières ordinaires95 ou sur le plan financier96.
Déjà, leur jeu spontané permettra de traiter utilement les affaires des époux dans les
hypothèses les plus courantes de la vie quotidienne. Mais ce sera surtout dans les circonstances de
fait plus complexes ou plus durables que se manifestera la supériorité des techniques
matrimoniales. Mais alors, la gestion ne dépendra pas seulement des pouvoirs qui résultent
normalement du régime choisi. Elle découlera aussi de la volonté manifestée ou non par le malade,
ce qui pourra alors provoquer l’intervention du juge… On verra donc une modification
conventionnelle ou judiciaire de la répartition normale des pouvoirs sur les biens propres ou
personnels comme sur les biens communs. C'est dire que la condition juridique des époux et leurs
pouvoirs respectifs dépendent largement de la condition sanitaire du malade.
A cet égard, l’exemple des habilitations et autorisations insérées par le code dans le statut Page | 98
impératif de base, applicable à tous les ménages, semble particulièrement démonstratif. Ainsi, dans
l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial quand l’époux est capable de manifester
sa volonté malgré la maladie, il pourra toujours donner à l’autre mandat exprès ou tacite de le
représenter97. A l’inverse, s’il se trouve hors d’état de le faire, l’autre conjoint peut, en vertu de
l’article 177 du CPF, se faire habiliter par justice à le représenter d’une manière générale ou pour
certains actes particuliers, dans les formes prescrites par la loi. Il présentera requête au président
du tribunal et la décision sera rendue par le tribunal en chambre de conseil. L’impossibilité de
manifester sa volonté doit d’ailleurs s’entendre « utilement » et d’une manière très large pour le
malade. Aussi, l’article 177 s’appliquera non seulement à certains hospitalisés, mais encore aux
époux atteints d’aliénation mentale. En effet, on ne peut, sous peine de sophisme, écarter
l’habilitation judiciaire en soutenant que l’époux dément n’est pas dans l’impossibilité de
manifester sa volonté parce qu’il s’en trouve précisément dépourvu. C’est pourquoi, doctrine et
jurisprudence dominantes se sont accordées jusqu’à présent pour permettre à la femme d’un aliéné
de la représenter, que ce dernier soit ou non interné ou interdit98. Toutefois, la coexistence
d’institutions aussi différentes dans leur objet et leur technique que l’interdiction judiciaire,
l’administration provisoire et l’habilitation en question, ne pouvait manquer de susciter, sinon une
opposition, du moins des difficultés pour l’application de l’article 177 du code des personnes et de
la famille.
Déjà, pour refuser de faire ce texte lorsque le dément est simplement interné, ne va-t-on
pas objecter qu’il existe un administrateur provisoire dont les pouvoirs cesseront d’ailleurs à
l’expiration ou un gérant de tutelle selon l’article 566 du CPF. L’argument doit être repoussé pour
une double raison. D’une part, parce que les pouvoirs conférés à l’administrateur, fondés sur les
seuls besoins du malade sont souvent exercés dans l’intérêt de l’administration alors que les
prérogatives conférées par l’habilitation judiciaire tendent de surcroît à sauvegarder l’intérêt de
97
JULIEN (V. P.), Les contrats entre époux, p. 118
98
Poitiers, 13 nov. 1946, D. 1947. 397 ; Trib. civ. Albi, 25 nov. 1948, JCP 1950. II. 5649 ; Amiens, 3 févr. 1954, D.
1954. 318 ; Trib. civ. Lille, 6 déc. 1955. D. 1956. 709 ; AUBRY et RAU, Cours de droit civil, t. 7, n°462 ; PLANIOL
et RIPERT, Traité pratique de droit civil, t. 2, n°126
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l’autre conjoint ou de la famille et pas seulement sur le plan alimentaire. D’autre part, parce que
le régime de l’administration légale est, comme on le sait, limité, précaire et subsidiaire, tandis que
le système de l’article177 peut éventuellement revêtir un caractère permanent et général 99.
Lorsqu’un époux demeure seul avec les enfants, aux prises avec les nécessités de l’existence, la
Page | 99
seule façon de lui permettre d’y faire face rapidement et efficacement est évidemment de lui
déléguer, selon l’article 177, les pouvoirs que possédait l’autre sur les biens communs comme sur
les biens propres ou personnels.
Aussi a-t-il été fréquemment jugé que les dispositions de cet article devaient l’emporter sur
d’autres dispositions100. Si l’on ne voit pas les raisons décisives qui conduiraient à modifier cette
jurisprudence, il n’en demeure pas moins que des conflits nés de cette juxtaposition d’institutions
seront d’autant plus difficiles à résoudre en fait que les questions relèveront pour l’article 177 de
la compétence du tribunal ordinairement, tandis que pour la gérance, il s’agira du juge des tutelles.
Sur ce point encore, l’institution d’un tribunal familial serait souhaitable. Il faudrait d’ailleurs
l’accompagner, de lege ferenda, d’une conciliation de textes, en particulier lorsque l’habilitation
de l’article 177 sera confrontée avec l’interdiction judiciaire devenue la tutelle des majeurs.
Sans doute, avec l’article 565 précité, il conviendra de préférer les dispositions spéciales
aux époux à la tutelle qui constitue un mode de protection générale pour tous les malades ne
pouvant exprimer leur volonté. De toute façon, on ne sacrifiera pas l’intérêt des parents par le sang,
puisque ces derniers auront toujours la possibilité de provoquer l’interdiction, sans que, d’ailleurs,
l’article 177 ne cesse pour autant d’être applicable. En effet, lorsque l’intérêt de la famille l’exige,
on admet volontiers en doctrine que le tribunal peut autoriser l’époux à passer un acte au nom de
l’aliéné et que le tuteur ne peut, lui, s’y opposer. Selon ces auteurs, il serait seulement difficile
pour le tribunal de conférer à l’un des époux un pouvoir de représentation générale de l’autre, car
ce serait supprimer toute activité du tuteur. Encore les juges pourraient-ils le faire, s’ils estiment
que ‘intérêt de la famille l’exige101.
Néanmoins, et c’est là le véritable danger pour les parents, lorsque l’habilitation a été
accordée dans les limites et conditions prévues par les juges, aucun contrôle automatique de
l’exécution n’est légalement prévu, à la différence de la tutelle qui vise, il est vrai, à protéger peut-
99
Trib. Seine 9 juill. 1953, GP 1953. 271
100
Idem
101
MAZEAUD (H. L. et J.), Leçon de droit civil, t. IV, 1er livre, p. 42
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être plus les intérêts des héritiers présomptifs que celui de l’aliéné. A ce point de vue d’ailleurs, le
fait est remarquable, l’article 177 rompt avec les perspectives traditionnelles et l’esprit du code
civil de 1804102. Les rédacteurs du code civil français de 1804 avaient bâti tout leur système
d’administration selon une conception de la famille où le conjoint ne figurait que comme un
Page | 100
élément adventice. La haute main appartenait au conseil de famille du malade103. Au contraire,
depuis la réforme de 2004 du droit de la famille, la représentation de l’article 178 a été instituée
non seulement dans l’intérêt de l’époux empêché mais encore et surtout dans l’intérêt du ménage,
de la femme et des enfants et avec la prééminence du juge.
Toujours dans le même esprit, mais avec un domaine d’application différent 104, l’article
178 prévoit que l’époux malade peut se faire autoriser par la justice à passer seul un acte pour
lequel le concours, ou le consentement, de l’autre serait nécessaire, si celui-ci est hors d’état de
manifester sa volonté ou si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. C’est dire combien
ce texte se révélera particulièrement utile dans certaines hypothèses de maladies physiques dont le
retentissement psychique habituel est de provoquer un certain détachement des affaires. Dans ces
cas fréquents de mauvaise volonté et d’inertie, il suffira d’avancer le caractère injustifié du refus
pour obtenir l’autorisation en question.
A côté de ces mesures « d’auctoritas », qui vont toutes dans le sens d’un accroissement
des pouvoirs, la loi s’est efforcée d’organiser la vie conjugale dans une vue plus réaliste et plus
quotidienne, toute une série de mesures protectrices, de type conservatoire, qui procèdent surtout
par restriction de pouvoirs105. Pourront-elles s’appliquer en cas de maladie ? Une réponse
affirmative s’impose pour les dispositions des articles 177 et 204 due CPF, relatifs au régime de
communauté. Le premier texte organise le transfert de l’administration des biens communs ou
réservés, le second, celui des biens propres. Le tout se fait au profit de l’autre époux, sauf et
uniquement dans le deuxième cas, si la nomination d’un administrateur judiciaire n’apparaît pas
nécessaire. Ce dessaisissement est singulièrement opportun en cas de maladie, non seulement
102
NDIAYE (Y.I), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, in Revue Sénégalaise de droit, 2013, n°36 p.13 et
s.
103
DURRY (G.) et GOBERT (M.), « Réflexions sur la réforme de la tutelle et de l’administration légale », in RTD
civ. 1966, p. 5 ; GOBERT (M.), « Le mariage après les réformes récentes du droit de la famille », in JCP 1967, Doct.
2122
104
RAYNAUD (P.), « L’habilitation judiciaire des époux selon la loi du 22 septembre 1942 », in RTD civ. 1946, p.
1-19 ; CHOTEAU (A.), « Domaines d’application comparés des articles 217 et 219 du code civil. », in D. 1949. Chron.
93 ; FLOUR (J.), Cours de droit civil, 4e année, 1966-1967, p. 157 et s.
105
CORNU (G.), « La réforme des régimes matrimoniaux. I. Généralités, le régime primaire impératif », in JCP 1966.
I. 1968, n° 618.
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lorsqu’elle entraîne une impossibilité durable de manifester une volonté utile, mais encore dans
ces cas fréquents où la mauvaise santé du malade se traduit par un détachement néfaste pour ses
intérêts comme pour ceux de sa famille.
Aussi, dans cette éventualité, sera-t-il fort expédient d’expliquer l’article 177, ce texte Page | 101
exigeant simplement que la gestion, soit de la communauté, soit des biens réservés, atteste
l’inaptitude ou la fraude. Mais cette simple procédure risque de ne pas satisfaire entièrement
l’époux en bonne santé. Surtout s’il est seul à alimenter la communauté, il peut avoir intérêt à
demander la séparation de biens plutôt que de se contenter d’un transfert d’administration qui est,
malgré tout, provisoire. Cette séparation est possible : d’abord, parce que, d’une manière générale,
la procédure de l’article 177 du CPF n’est pas obligatoire ; ensuite, parce qu’en l’occurrence, il
suffit, aux termes de l’article 209 al 1 que « …, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise
administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les
intérêts de l’autre conjoint, … ». Or toutes ces choses peuvent résulter d’une circonstance
accidentelle ou d’une force majeure et, par conséquent, de la maladie.
Toujours dans la même hypothèse pathologique, il sera aussi pratique d’utiliser le transfert
judiciaire de l’article 204 du CPF lorsque l’époux malade met en péril les intérêts de la famille,
soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire. Alors
les fruits et revenus seront appliqués aux charges du mariage et il sera fait emploi au profit de la
communauté (obligation qui ne pesait d’ailleurs pas sur le titulaire). Néanmoins, le point mérite
d’être noté, l’époux ne se trouve pas dessaisi de l’ensemble de ses pouvoirs sur ses biens propres,
mais seulement de ses droits d’administration et de jouissance. Il conserve donc le pouvoir de
disposer de leur propriété. Pour lui ôter, comme pour lui enlever les autres pouvoirs sous les
régimes séparatistes, faudra-t-il aller jusqu’à la tutelle ou la curatelle, procédure longue et
malséante, parfois inadaptée ou impossible ?
Pourtant, sous tous les régimes, le code des personnes et de la famille a prévu une
intervention judiciaire d’urgence qui aurait fort bien pu convenir aux situations de crise issues de
la maladie : à savoir le dispositif de sécurité prévu par l’article 178. Selon ce texte, en effet, la
justice peut prescrire toutes mesures urgentes demandées par un époux dans l’intérêt de la famille.
L’époux peut dans ce cas interdire son conjoint de faire sans son consentement des actes de
disposition sur ses propres biens ou ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Point n’est
besoin d’insister sur l’utilité pratique de cette indisponibilité et de cette immobilisation, que l’on a
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Or, si la maladie se révèle souvent dangereuse pour les intérêts en question, elle est
généralement considérée comme une force majeure, exclusive en tant que telle, de faute conjugale.
On pourra donc difficilement qualifier de manquement aux devoirs, une impossibilité de les
remplir. A ce point de vue, tout au moins, il eût mieux valu, ne retenir que le seul intérêt de la
famille comme critère de la possibilité offerte au juge d’intervenir sur requête ou en référé,
procédures bien adaptées à la maladie d’un époux puisque les mesures, qui peuvent être ordonnées
d’urgence, si elles sont provisoires peuvent tout de même durer. On le regrettera d’autant plus que,
dans l’adaptation des relations pécuniaires nouvelle créée par l’état pathologique d’un conjoint,
l’intervention de la justice se révèle utile et bienfaisante. Sans doute parce qu’elle se traduit par
l’obligation de verser une somme d’argent, par le pouvoir ou la défense de faire un acte
d’administration ou de disposition. Mais, lorsqu’il s’agira d’effectuer des actes personnels ou de
s’en abstenir, le rôle du juge sera-t-il tout aussi efficace ?
Pourtant, ici encore, le point de départ était défavorable. Le code des personnes et de la
famille dans l’énumération limitative de l’article 234 ne reconnaît pas la maladie comme cause de
divorce, quelle qu’en soit la nature ou la date d’apparition. Il faut dire que le principe est plus ou
moins flou (1) rendant la mise en œuvre très difficile (2).
106
NDIAYE (Y.-I.), « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, op.cit. p.13 et s. ; DOUCHY-OUDOT (M.), Le
droit canonique de la dissolution du lien matrimonial dans l’Eglise catholique, op.cit. p.57 et s.
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pathologique pourra constituer, sinon une fin de non recevoir, du moins une cause d’impunité
parce que de non-imputabilité : ainsi pour les agissements d’un dément, tant il est vrai qu’au Bénin
le divorce apparaît comme la suprême sanction des devoirs conjugaux dans ses causes comme dans
ses effets, comme « le grand collecteur de toutes les immoralités conjugales »107. C’est ce qui
Page | 103
explique, d’une part, que les propositions de lois tendant à reconnaître le divorce pour aliénation
mentale ont toutes échoué108 et, d’autre part, que la maladie ne peut être actuellement et
uniquement que l’occasion de commettre une injure grave : par exemple par défaut de soin, ou par
contamination, etc.
Aussi méritait-il la cassation de cet arrêt de la Cour d’appel qui avait prononcé le divorce
aux torts réciproques en se bornant à relater l’avis d’un expert aliéniste, lequel représentait la
séparation comme une mesure thérapeutique absolument nécessaire109. En cas de maladie mentale
d’ailleurs, un obstacle supplémentaire au prononcé du divorce surviendrait dans la mesure où on
refuserait de le laisser plaider pour ou contre un dément. Mais ici, la solution du problème dépend
essentiellement de l’étendue des pouvoirs que l’on attribue au tuteur ou au représentant « ad
litem » qui évidemment ne doit jamais être le conjoint du malade. Certes, le tuteur de l’époux
interdit n’a pas la possibilité d’intenter une action en divorce110, mais il pourra demander la
séparation de corps avec l’autorisation du conseil de famille, selon le code. Or, si les rédacteurs de
ce texte pensaient, à l’origine, pouvoir éviter les effets irréparables du divorce, depuis, la
conversion de la séparation est devenue automatique, même à la demande de l’époux coupable.
Aussi, le malade irréprochable risque-t-il de se voir imposer un divorce sans l’avoir vraiment
voulu. Au point de vue idéaliste, la conséquence est d’autant plus regrettable que la jurisprudence
n’a pas hésité, d’abord à étendre la solution au conjoint simplement interné bien qu’aucun texte
légal n’ai prévu son cas, et ensuite à recevoir les demandes reconventionnelles en divorce
107
CARBONNIER (J.), JCP 1967 II 15130
108
Au moment de la réforme, celle-ci a été rejeté comme cause de divorce. Civ. 8 mai 1950, S. 1950, Tables V°
Divorce, p. 37
109
Civ. 8 mai 1950, S. 1950, Tables V° Divorce, p. 37
110
LAURENT (Ch.), « De la capacité civile dans les procédures de divorce et de séparation de corps », in JCP 1963.
13.385 ; Civ. 12 fév. 1965, D.S 1965.258 ; PREVAULT (J.), « De la capacité civile dans les procédures de divorce et
de séparation de corps », in JCP 1950 I 891 ; A remarquer que la jurisprudence permet au tuteur de demander
l’annulation du mariage de l’interdit, Civ. 26 fév. 1890, D. 1890 I. 290
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introduites par son mandataire au nom de l’aliéné, au motif cependant critiqué en doctrine,
qu’« elles participeraient de la nature d’une défense à l’action principale »111.
Le problème est d’ailleurs général. Mais qu’il s’agisse de maladie mentale, vénérienne,
contagieuse ou toute autre112, il est d’abord nécessaire de prouver le dol de l’époux malade, preuve
singulièrement délicate en la matière. Certes, depuis l’instauration du certificat prénuptial, la
conviction des juges sera plus facilement emportée qu’auparavant, si l’on admet que la visite
médicale fait présumer la connaissance par un fiancé de son état pathologique. Toutefois, on
observera que si le certificat doit dater de moins d’une période lors des publications celles-ci
restent valables un certain temps. Aussi dans ce double délai qui peut atteindre des années, peut
survenir un mal caché qu’il serait légitimement permis au fiancé d’ignorer et par conséquent de ne
pas révéler. Il faut ensuite que la dissimulation porte sur un état pathologique grave et qui soit de
nature à détourner le futur conjoint de son projet de mariage.
111
Grenoble, 13 fév. 1963, D. 1964.273 ; Civ. 12 fév. 1965 D. S. 1965. 258 ; PREVAULT (J.), « De la recevabilité
des demandes reconventionnelles en divorce introduites par un mandataire au nom de l’aliéné interné », in Rép.
Commaille 1965, p. 573
112
Req. 30 nov. 1925, GP 1926 I 209 (vénérienne) ; Riom, 3 juill. 1934, GP 1934 II 578 (contagieuse) ; Aix, 3 juin
1936 GP. 1936 II 454 (mentale) ; Civ. 5 juill. 1956, D. 1957. 609 (mauvaise santé chronique) ; Montpellier, 25 oct.
1960, D. 1961. 775 (sclérose en plaques, incurable) ; Civ. 12 mai 1960, D. 1960, Som. 97 (troubles épileptiques)
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entrainé le prononcé du divorce113, les espèces ne manquent pas où il a été refusé lorsque
précisément, la maladie cachée se révélait sans danger pour le conjoint, la descendance éventuelle
et n’interdisait pas tout rapprochement entre époux114. Néanmoins, on doit bien le reconnaître,
c’est toujours par le canal psychologique que l’effet dissociateur de la maladie a été pris en
Page | 105
considération et que la thèse réaliste a pu triompher.
C’est par ce triomphe camouflé dans une technique psychologique, qui explique, d’une
part, la difficulté rencontrée par la doctrine pour admettre la correction juridique de la qualification
en injure grave alors que les faits de dissimulation et la maladie sont antérieurs au mariage. D’autre
part, la contradiction au moins apparente, de cette jurisprudence qui prononce le divorce et non
pas la nullité dans une hypothèse où l’inverse serait peut-être plus logique. Aussi, nombreux sont,
parmi les auteurs français, ceux qui reprochent à la jurisprudence son interprétation laxiste de
l’article 232 du CC l’équivalent dans une certaine mesure de l’article 234 du CPF. En effet, le
dernier tiret de l’alinéa 1 de l’article 234 du code des personnes et de la famille, comme on le sait,
retient comme cause de divorce les injures de l’un des époux envers l’autre, lorsque ces faits
constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations résultant du mariage et
rendant l’existence en commun impossible c’est-à-dire intolérable le maintien du lien conjugal.
Or, fait-on valoir, avant le mariage, il n’y a point d’époux, il ne peut donc s’agir que
d’injures entre fiancés. Et allant plus loin dans la critique, d’aucuns ont même mis en doute le
caractère injurieux qui s’attache à la dissimulation prénuptiale : celle-ci marquerait simplement un
désir d’épouser plutôt flatteur pour celui qui en est l’objet et, en tout cas, n’ayant en soi rien
d’offensant ou de méprisant. Toutefois, il faut bien le dire, même en le considérant de la sorte, le
procédé n’en est pas moins inélégant dans sa moralité et de mauvais augure pour la suite de la vie
conjugale. Enfin, on peut se demander avec certains auteurs, si assimiler l’inexécution de
l’obligation de sincérité « ante nuptias » à la violation des devoirs résultant du mariage, ne serait
pas, en définitive, qu’un subterfuge, d’ailleurs peu digne de la justice, pour substituer le divorce à
la nullité. A ces critiques, les partisans de la jurisprudence peuvent néanmoins répondre qu’en
l’état actuel des mœurs et du droit positif, le divorce présente généralement sur la nullité cet
113
Req. 25 janv. 1922, D.1924 I 7 ; Civ. 7 mai 1951, D. 1951. J. 472 ; Orléans, 4 mars 1903, D. 1905 II 67 ; Nancy,
28 mai 1958, D. 1958. Som. 121
114
Trib. Civ. Nîmes, 2 fév. 1942, JCP 1942 II 1826 (énurésies) ; Trib. Civ Redon, 6 juin 1950, D. 1950.572
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Ainsi, sur le terrain des principes, la validité du mariage ne doit pas dépendre des mobiles
particuliers à chaque époux sous peine de voir transformer l’erreur dans le consentement en erreur Page | 106
sur l’amour115. De même, quant aux conséquences, le divorce permettra l’attribution d’un certain
nombre d’avantages à celui qui en obtiendra le profit. Notamment, l’époux innocent ne négligera
pas la perspective d’une pension alimentaire, à notre époque caractérisée par ce que l’on a pu
appeler le « capitalisme rentier »116. Certes, rien n’interdirait à la victime d’un dol s’il était admis
pour l’annulation de demander une rente indemnitaire117. Mais celle-ci se révèlerait beaucoup
moins avantageuse que la pension alimentaire que pourrait obtenir l’époux au profit duquel la
séparation de corps est prononcée. En effet, l’allocation fondée sur l’article 275 al 1 du code varie
non seulement avec la dévaluation monétaire alors que les rentes ne suivent pas forcément le coût
de la vie mais encore en fonction des besoins provenant d’une maladie postérieure au divorce.
Dans ce cas l’ancien-futur ex-époux pourra se prévaloir du bénéfice de l’article 275 al 1, pour voir
augmenter les subsides déjà alloués, voire pour réclamer une pension alimentaire, si elle ne lui a
pas déjà été attribuée au moment de la séparation du corps. On sait, en effet, que depuis la réforme
de la loi, la pension alimentaire n’est plus due qu’en séparation de corps. On ne parle plus que de
dommages et intérêts après un divorce aux torts de l’un des époux. Il n’est d’ailleurs plus
nécessaire, depuis le 17 janvier 1958, a dit le juge, que l’origine de l’état de santé défectueux
remonte au temps où la femme n’était pas divorcée donc séparée de corps. Car celle-ci a été privée
pour une cause qui ne lui est pas imputable de l’aide dont elle aurait bénéficié si elle était restée
mariée.
Bien qu’il ne s’agisse plus en tant que tel d’époux, mais d’ex-époux, la maladie postérieure
au mariage est encore l’occasion de faire produire effet à un lien conjugal dont une certaine
pérennité va jouer ici au profit de celui qui a obtenu la séparation de corps. Tout comme elle jouera
d’ailleurs au profit du conjoint survivant séparé de corps, lorsque sa maladie apparaît dans le délai
115
CORNU G. « Du sentiment en droit civil », in Annales de la Faculté de Liège, 1963
116
CARBONNIER (J.), Droit civil, t1, n°35 ; CULIOLI (M.), L’obligation alimentaire entre personnes divorcées,
Thèse Aix, 1960, n°35
117
En cas de mariage putatif, il est vrai, la question est discutée de savoir si l’époux de bonne foi a le droit de réclamer
des aliments à son ex-conjoint. La jurisprudence peu abondante serait favorable : Rouen, 9 avril 1887, S. 1887 2 235 ;
Paris, 16 janv. 1895, D.P 1895. 2. 518 ; Paris, 8 mai 1964, JCP 1964, ed. av. 4466 ; Alger, 26 mai 1879. 2. 281. Malgré
quelques opinions dissidentes (Planiol et Ripert), la doctrine est plus réticente et estime que l’annulation du mariage
fait disparaître pour l’avenir le devoir de secours entre époux comme le droit de succession.
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prévu par l’article 390 pour réclamer des aliments à la succession du prédécédé. Cet élargissement
du cadre temporel de l’obligation alimentaire entre époux est remarquable. D’un point de vue
idéaliste, il perpétue les promesses faites lors d’un mariage valable. D’un point de vue réaliste il
correspond, quant à la prise en charge du malade, à une exigence vitale. Toutes ces considérations
Page | 107
de fait et de droit semblent inspirer les praticiens conscients de préserver les intérêts de leurs clients
lorsqu’ils écartent la voie de la nullité pour lui préférer le divorce ou la séparation de corps,
possibles et utilisés dans la presque totalité des cas. Elles sont suffisantes, aux yeux d’auteurs de
plus en plus nombreux pour justifier une jurisprudence malgré tout bien établie.
Résumé :
Abstract :
While the right to freedom of expression and opinion remains the principle, it is not always
exercised without incident. Hate speech is a prime example of the misuse of this freedom. Faced
with these linguistic excesses, which have been undermining our society for some years now, the Page | 109
legislator has responded with criminal sanctions. After an in-depth analysis based on the
exegetical method, we have noticed that over the years, the scope of incrimination of this offence
has widened and the penalties have become more severe. One of the most remarkable advances
has been to bring the repression of this offence into line with technological realities. However,
despite these advances, this repression also present some imperfections related to the absence of
definition of the term hate speech ; a concept known as polysemous.
Introduction
Les sociétés africaines sont pour la plupart constituées des peuples aux origines diverses.
L’avènement de l’État tel qu’il apparaît aujourd’hui en Afrique est le résultat d’un long processus.
La configuration géographique actuelle de ses entités étatiques est la conséquence de la Conférence Page | 110
de Berlin de 1884-18851. Le processus de colonisation de l’Afrique a fortement affecté la
répartition géographique de ses États. TOUOYEM Pascal disait à même que « Une ontogenèse de
l’ordre étatique africain en général et de celui de l’Afrique noire en particulier doit pouvoir
prendre nécessairement ̏ l’acte de Berlin ̋ de 1885 – en tant que légitimation et officialisation
européenne et donc mondiale du partage de l’Afrique […] ». Pour ce dernier, «La conférence de
Berlin est au continent africain ce que le traité de Westphalie est pour le monde occidental […]
Tout comme le traité de Westphalie de 1648 a structuré l’ordre continental européen autour
d’États souverains, la conférence de Berlin 1884-1885 est au fondement du cadastre étatique
actuel du continent africain. »2. Ce découpage territorial n’a pas toujours pris en compte les réalités
culturelles, tribales, voire ethniques ; plusieurs groupements humains d’origines parfois différentes
se sont vus alors être mis ensemble sous l’autorité d’un même État. CHANTEBOUT Bernard
parlait à cet effet de « lambeaux épars d’ethnies divisées »3. Cette situation ayant alors donné
naissance à des États caractérisés par une pluralité culturelle où cohabitent tribus et ethnies
différentes, comme c’est le cas de nos jours au Cameroun.
Cette cohabitation des peuples aux cultures différentes bien que promue tant au niveau
international4 que national5 ne se fait toujours pas sans incident. On observe parfois se développer
1
Conférence (novembre 1884- février 1885) présidée par L’Empereur allemand Otto Von Bismarck, au cours de
laquelle était décidée le partage de l’Afrique entre les différentes puissances colonisatrices (Allemagne ; France ;
Italie ; Portugal ; Grande Bretagne etc.). C’est cette Conférence qui fixe les règles qui doivent présider à l’occupation
du continent africain par les puissances occidentales.
2
TOUOYEM (P.), Dynamiques de l’ethnicité en Afrique, Éléments pour une théorie de l’État multinational, Bamenda,
Langaa & Centre d’Études Africaines, 2014, p. 6.
3
CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel, 28e éd. Paris, Sirey, Coll. « Université », 2011, p. 366.
4
C’est notamment le cas de l’article 7 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 dispose que « Tous
sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection
égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle
discrimination ».
5
La Constitution du 18 janvier 1996 « proclame que l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de
croyance, possède des droits inaliénables » ; l’article 61 alinéa 2 du Code du Travail indique qu’ « à conditions égales
de travail, d’aptitude professionnelle, le salaire est égale pour tous les travailleurs, quels que soient leurs origine, leur
sexe, leur âge, leur statut et leur confession religieuse, dans les conditions prévues au présent article » ; et l’article 1
du Code pénal qui dispose que « La loi pénale s’impose à tous », et l’article 242 du même Code relatif aux
discrimination mentionne qu’ « Est puni d’un emprisonnement de un mois à deux ans et d’une amende de 5000 à
500 000 francs, celui qui refuse l’accès […] dans des emplois, à raison de sa race ou de sa religion ».
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Lors des travaux de RABAT, il avait été mentionné que beaucoup de conflits mondiaux
des dernières décennies avaient également, à des degrés divers, un composant d’incitation à la
haine nationale, raciale ou religieuse8. Or, depuis quelques années déjà, la société camerounaise
connaît une montée fulgurante de ce mal qui constitue un véritable danger pour notre unité
nationale et cohésion sociale9. Le discours de haine prend désormais ses quartiers dans l’espace
public. Face à la résurgence d’un tel phénomène, le gouvernement n’a pas hésité à régir par
l’adoption de la loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant certaines
dispositions de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 201610. Avec cette nouvelle loi, les discours de
haine tant racial que tribale sont pénalisés. La question de ces dérives langagières interpelle plus
d’une personne. Ce fut récemment le cas du Président de la République qui l’invoquait dans son
discours de fin d’année à la nation11. La veille de la célébration de notre 51e fête nationale était
encore l’occasion de mettre à jour cette question des discours de haine à travers des
communications aussi bien scientifique et gouvernementale12. Au niveau international, la
6
Voir le Rapport de la Coordination Intercommunautaire Contre l’Antisémitisme et la Diffamation de 2018, [en ligne].
L’International Holocaust Remembrance Alliance définit l’antisémitisme comme : « une certaine perception des juifs
qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme
visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »,
https://holocaustremembrance.com, [consulté le 15 aout 2021].
7
L’apartheid signifie séparation. Il représentait la codification dans un système oppressif de toutes les lois et de tous
les règlements qui avaient maintenu les Africains dans une position inférieure aux Blancs pendant les siècles, Voir
MANDELA (N.), Un long chemin vers la liberté, trad., GUILOINEAU (J.), Paris, Le Livre de poche, 1996, p. 101.
8
Haut-Commissariat aux droits de l’homme : Plan d’action de Rabat sur l’incitation de tout appel à la haine
nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou la violence, ateliers
d’experts, Rabat, 5octobbre 2012, p. 2.
9
Ce fut le cas notamment au lendemain de la proclamation des résultats du scrutin présidentiel de 2018 ; et deux ans
plutôt avec la crise des régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest.
10
Loi dont l’article 241 (nouveau) porte sur l’outrage à la race et aux religions ; et l’article 241-1 (nouveau) porte sur
l’outrage à la tribu ou à l’ethnie.
11
BIYA (P.), Message du Chef d’État à la Nation à l’occasion de la fin d’année 2022 et du nouvel An 2023, [En
ligne], https://www.prc.cm/fr/actualites/discours/6226-message-du-chef-de-l-etat-a-la-nation, [Consulté le 3 janvier
2023] ; on a également eu le Communiqué de presse du sur la banalisation des discours de haine dans les médias de
la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun, [En ligne], www.cdhc.cm, [Consulté le 23 avril 2023] ; et le
Communiqué Radio-Presse du Ministre de l’Administration territoriale du 22 mai 2023.
12
Nous pouvons citer le Colloque national organisé du 10 au 12 mai 2023, par le département de Sociologie de
l’Université de Yaoundé I et Defynehatenow Cameroun sous le thème : « Discours de haine et violences au
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résolution adoptée le 21 juillet 2021 consacre le 18 juin comme journée internationale de lutte
contre les discours de haine13.
Le discours haineux ou discours de haine utilisé par plusieurs textes est une expression qui
rabaisse, dénigre l’autre soit sur la base de son origine ou de son sexe. Cependant, comme le fait Page | 112
remarquer FURNEMONT Jean- François, si beaucoup de textes en parlent et si le sens commun
permet d’en cerner les contours, il n’existe pas de définitions du discours de haine, et aucune qui
soit universellement admise14. L’expression fait encore l’objet de contestation dans plusieurs
domaines. Toutefois, l’Organisation des Nations Unies définit le discours de la haine comme tout
type de communication, qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite ou de comportements,
constituant une atteinte ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire à l’égard d’une
personne ou d’un groupe en raison de leur identité, en d’autres termes, de l’appartenance
religieuse, de l’origine ethnique, de la nationalité, de la race, de la couleur de la peau, de
l’ascendance, du genre ou d’autres facteurs constitutifs de l’identité. Souvent, ces discours sont à
la fois le résultat et la cause de l’intolérance et de la haine et peuvent être, dans certains cas
dénigrants et source de division15. C’est un discours qui renferme des manifestations multiples,
repend, encourage ou suscite la haine, la violence ou la discrimination contre une personne, un
groupe pour plusieurs raisons. Toutefois, bien qu’elle échappe à une définition claire, l’expression
(qu’elle soit véhiculée par texte, image, son, code) peut être identifiée par approximation au travers
des fonctions dégradantes ou déshumanisantes qu’il remplit16.
Face à ce mal qui focalise encore les attentions, et dont la prolifération est facilitée de nos
jours par l’usage des nouvelles technologies, le législateur camerounais a choisi de donner une
réponse pénale. Il importe donc de savoir comment s’organise désormais la répression des discours
de haine sous l’égide de cette nouvelle loi ? S’il est vrai que ce n’est pas la première fois que le
Cameroun : Genèses sociales, formes émergentes et pistes de réponse » ; La Communication gouvernementale sur les
discours de haine des Ministres de la Communication et de l’Administration territoriale, accompagnés du Président
de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, tenue le 17 mai 2023 à
Yaoundé, [En ligne], https//www.mincom.gov.cm/2023/05/17/communicationgouvernementale-sur-le-discours-de-
haine, [Consulté le 18 mai 2023].
13
Voir la Résolution A/RES/75/309 sur la lutte contre les discours de haine : promotion du dialogue interreligieux et
interculturel et de tolérance, adoptée le 21 juillet 2021, p. 4.
14
NAKSEU-NGUEFANG (G.) (dir.), Lutter contre les discours de haine dans les médias audiovisuels, normes,
jurisprudence, bonnes pratiques et études des cas, Paris, Organisation Internationale de la Francophonie, 2017, p. 13.
15
Stratégie et Plan d’action des Nations Unies pour la lutte contre les discours de haine, mai 2019, p. 1, [en ligne],
https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/advising-and-
mibilizing/Action_plan_on_hate_speech_FR.pdf , [consulté 22 juin 2021].
16
GAGLIARDONE (I.), GAL (D.), et al., Combattre les discours de haine sur internet, coll. UNESCO, 2015, p. 10.
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législateur pénal se saisi des discours de haine, notons cependant qu’il manifeste cette fois un désir
d’accentuer la répression. Cela peut se vérifier par l’extension du champ des incriminations (I) et
la sévérité croissante des peines (II) destinées à ses discours de haine.
La pénalisation des discours de haine par le législateur n’est véritablement pas un fait
nouveau dans l’ordonnancement juridique camerounais. Le Code pénal dans sa version d’avant la
modification par la loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 prévoyait déjà une disposition relative à
l’outrage aux races et aux religions (A). C’est à partir de la modification de 2019 que les discours
de haine à connotation tribale sont pour la première fois réprimés par le Code pénal (B).
On ne saurait parler des discours de haine sans avoir à l’esprit les préoccupations relatives
à la liberté d’expression. La liberté d’expression est un droit fondamental consacré par plusieurs
textes17. Cependant ce droit à la liberté d’expression n’est pas sans limites. L’article 20 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques prévoit que toute propagande en faveur de la
guerre est interdite. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une
incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. Le législateur
camerounais n’a pas hésité à ériger cette recommandation en infraction dès la première version du
Code pénal en 196718. C’est alors que les discours de haine sont pour la première pénalisés au
Cameroun. L’article 241 alinéa 1 ancien19 disposait à cet effet que « Est puni d’un emprisonnement
de six (06) jours à six (06) mois et d’une amende de cinq mille (5 000) à cinq cent mille (500 000)
francs, celui qui commet un outrage, tel que prévu à l’article 152 du présent Code, à l’encontre
d’une race ou d’une religion à laquelle appartiennent plusieurs citoyens ou résidents ». L’alinéa
3 de cet article prévoyait que les peines prévues aux alinéas 1 et 2 ci-dessus sont doublées lorsque
l’infraction est commise dans le but d’inciter la haine ou le mépris entre les citoyens. Cet article
tient compte aussi bien du caractère outrageant qu’incitatif du message délictueux pour punir le
17
Voir le Préambule de la constitution qui prévoit que la liberté de communication, liberté d’expression, liberté de la
presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale, et le droit de grève sont garantis dans les
conditions fixées par la loi. V. également l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10
décembre 1948, et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
18
Le Livre premier du Code pénal est institué par la loi n° 65/LF/24 du 12 novembre 1965, le Livre second quant-à
lui sera plutôt l’œuvre de la loi n° 67/LF/1 du 12 juin 1967.
19
Il s’agit de la disposition d’avant la loi n° 2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant la loi n° 2016/007
du 12 juillet 2016.
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délinquant. Après une lecture minutieuse des articles 20 du Pacte international relatif aux droits
civils et politique, et de l’article 241 ancien du Code pénal, on constate que le législateur ne se
limite pas qu’à sanctionner les messages à caractère incitatif comme prévus par le texte
international. Il va plus loin dans sa tâche, et s’attaque même à ses discours qui bien que dépourvus
Page | 114
de projet incitatif, sont néanmoins outrageants. Il définit par ailleurs l’outrage à l’article 152 du
Code pénal comme la diffamation, l’injure ou la menace faite soit par des gestes, paroles, ou cris
proférés dans des lieux ouverts au public, soit par tout procédé destiné à atteindre le public.
Après cette première incrimination des discours de haine par législateur, il a fallu attendre
encore la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité
pour voir les discours de haine raciale faire cette fois ci l’objet d’une réglementation spéciale. La
répression des discours de haine s’inscrit cette fois dans un registre spécial, qui est celui des
communications électroniques. L’article 77 punit d’un emprisonnement de deux (02) à cinq (05)
ans et une amende de 2 000 000 à 5 000 000 de francs CFA celui qui par voie de communications
électroniques ou d’un système d’information, commet un outrage à l’encontre d’une race ou d’une
religion. L’alinéa 2 dispose que l’infraction sera doublée si elle est commise dans le but de susciter
la haine ou le mépris entre les citoyens. Il faut entendre par communication électronique,
l’émission, la transmission ou la réception de signes, des signaux, d’écrits, d’images ou de son par
voie électromagnétique ou optique20. À la lecture des deux textes, on constate qu’ils partagent une
même conception de la répression des discours de haine raciale et religieuse. Conception selon
laquelle le message litigieux n’a pas nécessairement besoin d’inciter à la haine pour être
sanctionné. Cependant, à la différence de l’article 241 ancien, la loi relative à la cybersécurité et
la cybercriminalité ne donne pas de définition de l’expression outrage. On peut alors à juste titre
se poser la question de savoir si elle renvoie à celle de l’article 152 du Code pénal. Auquel cas, on
serait là en présence d’un processus de renvoi ; processus tant décrié malheureusement par la
doctrine, parce que considéré comme cause d’inflation législative21. Fustigeant également cette
technique de renvoi, DELMAS-MARTY, disait qu’elle « facilite l’inflation parce qu’elle épargne
au législateur un fastidieux travail de définition des infractions et provoque peu à peu des
réactions, étant le plus souvent ignorée de l’opinion publique. Du même coup s’efface l’une des
20
Voir l’article 4 (15) de la loi n°2010-013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au
Cameroun, modifiée et complétée par la loi n° 2015/006 du 20 avril 2015.
21
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Economica, 1999, pp. 152-154.
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fonctions du droit pénal, à la fois pédagogique et symbolique, qui serait de se donner à voir, de
montrer l’ordre pénal, supposé exprimer, face au désordre de l’infraction »22.
Dans le cas où cette expression d’outrage ne fait pas référence à celle prévue par l’article
152 du Code pénal, on serait alors là en présence d’un texte de loi flou, et qui porte du coup atteinte Page | 115
au principe de la légalité criminelle dont l’un des corollaires est la précision et la clarté de la loi
pénale. Ce principe de la légalité implique aussi, on le sait, que les dispositions définissant les
infractions soient rédigées avec suffisamment de clarté et de précision et qu’elles ne comportent
aucun élément d’incertitude23. Il s’agit là d’une obligation faite au législateur, car ce dernier ne
doit pas se limiter à faire les incriminations, il faut encore que celles-ci présentent certaines qualités
que sont la clarté et la précision ; qualités sans lesquelles le principe de la légalité criminelle serait
vidé de sa substance24.
Au-delà de ces critiques, il faut néanmoins relever que cette loi de 2010 vient renforcer les
capacités juridiques du juge sur les infractions commises par voie électroniques. Car il s’agit d’un
secteur qui affecte de nombreux aspects de la vie quotidienne, et dont les particularités ne sont pas
maîtrisés par tous. Ces deux dispositions législatives présentent également l’avantage de prendre
dans le processus d’incrimination les moyens de communication de leur époque. L’article 241
alinéa 2 ancien prévoyait que « Si l’infraction est commise par voie de la presse ou de la radio, le
maximum de l’amende est porté à vingt millions (20 000 000) ». Face à la montée fulgurante dans
notre société des discours de haine à connotation tribale et ethnique ces dernières années, le
législateur a encore choisi la voie pénale comme réponse. Mais cette nouvelle incrimination vient
avec quelques innovations propres à notre temps.
Il convient de rappeler d’entrée de jeu que les discours de haine tribale bien que n’étant
expressément prévus par aucun texte répressif, étaient déjà au cœur des préoccupations du
législateur camerounais. Sans toutefois réprimer de façon directe les discours de haine tribale, ce
dernier en faisant déjà une circonstance aggravante du délit de collecte par des moyens illicites des
données nominatives d’une personne en vue de porter atteinte à son intimité ou sa considération25.
22
DELMAS-MARTY (M.), Le flou du droit, Paris, P.U.F, 1986, p. 48.
23
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op. cit., p. 151.
24
SPENER (Y.), « Réflexion sur la constitutionnalité de certains aspects du droit pénal camerounais de fond », RSC,
2001, p. 355.
25
Voir l’article 74 alinéa 4 de la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2012 précitée.
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26
JIOTSA (A.), « L’intégration nationale à l’épreuve des replis identitaires au Cameroun », Revue ADILAAKU. Droit,
politique et sociétés en Afrique, vol. 1, n° 1, 2019, pp. 81-99 ; MBARGA (D.), « Le challenge du vivre ensemble dans
un contexte pluriethnique : le cas du Cameroun », [En ligne], https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-0243701, [consulté
le 16 juillet 2022].
27
ZRA (D.), « L’assemblée nationale adopte la loi sur le tribalisme », Reportage, [en ligne], www.crtv.cm , [consulté
le 11 décembre 2020].
28
Voir le Préambule de la Constitution du 18 janvier 1996.
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que prescrits par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques29 ; l’article va plus loin
et punit également les discours de haine tribale et ethnique.
29
Voir Article 20 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
30
GAGLIARDONE (I.), GAL (D.), et al., Combattre les discours de haine sur internet, op. cit. p. 10.
31
Idem.
32
ANDRZEJEWSKI (E.), La pénalisation et les poursuites des discours de haine : un cadre juridique à revoir,
mémoire de Master en Droit, Université de Liège, 2022, p. 14.
33
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op. cit. p. 151.
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criminelle serait vidée de sa substance.»34. MERLE et VITU se posaient alors la question de savoir
à quoi servirait d’affirmer la légalité des délits et des peines si, par des formules vagues, les
rédacteurs de la loi ouvraient la porte à un arbitraire judiciaire qu’on prétend empêcher35. Le
silence du législateur sur cette expression ne peut être sans conséquences sur la détermination des
Page | 118
éléments matériel et moral de cette infraction.
34
SPENER (Y.), « Réflexion sur la constitutionnalité de certains aspects du droit pénal camerounais de fond », op.
cit., p. 355.
35
MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal
général, Tome 1, 6e édition, Paris, 1988, p. 232.
36
Comité international sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Recommandation n° 35, 26
septembre 2013, § 7.
37
VAN NOORLOOS (M.), « Des mots qui blessent dans un monde globalisé », Esprit (418), 2015, p. 47.
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Il est donc important pour le législateur de donner un contenu aux discours de haine tribale
et ethnique, afin que le citoyen connaisse le champ de liberté qui lui est reconnu. Nous pouvons
citer ici, à titre de droit comparé le cas du législateur algérien qui a malgré le débat sur cette
question a néanmoins donné une définition de ce qu’il entend par discours de haine à l’article 2 de
Page | 119
la loi n° 20-5 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le
discours de haine. Cet article 2 définit le discours de haine comme : « Toutes formes d’expression
qui propagent, encouragent ou justifie la discrimination ainsi que celles qui expriment le mépris,
l’humiliation, l’hostilité, la détestation ou la violence envers une personne ou un groupe de
personnes, en raison de leur sexe, race, couleur, ascendance, origine nationale ou ethnique,
langue, appartenance géographique, handicap ou état de santé. »38. Le législateur camerounais
gagnerait également à le faire, car le flou que cette expression suscite dans la détermination des
critères objectifs des discours haineux, est susceptible d’ouvrir un espace pour que de telles lois
soient considérées comme des outils pour étouffer la critique39.
La répression des discours haineux en droit pénal camerounais, n’est véritablement pas un
fait nouveau au regard des différents textes législatifs sus-mentionnés. Comme nous pouvons le
constater, le législateur a juste choisi d’étendre le champ d’incrimination de cette infraction, qui
jusqu’à une certaine époque n’était limitée qu’aux discours de haine raciale et religieuse.
Cependant, dans son initiative, il laisse néanmoins subsister par endroits quelques lacunes
susceptibles d’ouvrir la voie à l’arbitraire. En dépit de ces manquements observés, le législateur
dans son processus d’extension, choisit d’accentuer la répression.
Les textes successifs qui répriment les discours de haine se caractérisent par une sévérité
grandissante des peines. Ceci peut se justifier au regard de l’accentuation de la rigueur répressive
(A) de ce délit et l’extension des critères entrant dans sa commission (B).
38
Loi n° 20-05 du 5 Ramadhan 1441 correspondant au 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la
discrimination et le discours de haine, Journal Officiel de la République d’Algérie, n° 25, 29 avril 2020.
39
Media Defence, « Discours de haine, modules de synthèse sur les litiges relatifs aux droits numériques et à la liberté
d’expression en ligne », p. 1, [en ligne], https://www.mediadefence.org, [consulté le 8janvier 2022].
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Depuis sa consécration dans le Code pénal en 1967, on constate que la répression des
discours de haine s’accentue avec l’arrivée de nouveaux textes. Au fur et à mesure que les textes
se succèdent, on note une gradation du quantum des peines (1). On observe également que le Page | 120
législateur manque de souplesse en ce concerne le bénéfice des excuses atténuantes (2).
L’article 241 ancien du Code pénal, fixait entre six (06) jours et six (06) mois la peine
d’emprisonnement pour le délit de discours de haine raciale ou religieux. Tandis que l’amende
était de cinq mille (5 000) à cinq cent mille (500 000) de francs CFA pour la même infraction.
L’amende était portée à vingt millions (20 000 000) de francs CFA si l’infraction était commise
par voie de presse ou de la radio ; et les peines devaient être doublées si le délit avait été commis
dans le but de susciter la haine ou le mépris. La loi n° 2010/012 du 21 décembre relative à la
cybersécurité et la cybercriminalité se montrera encore plus dure dans la sanction de cette
infraction. Cette loi puni d’un emprisonnement de deux (02) à cinq (05) ans et d’une amende de
deux millions (2 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, ou l’une des deux peines
celui qui par voie de communications électroniques ou d’un système informatique commet
l’outrage à l’encontre d’une race ou d’une religion40. Comparé à l’article 241 ancien du Code
pénal, on constate là une gradation importante dans le quantum des peines. Le législateur se montre
encore plus sévère dans la sanction lorsque le discours de haine raciale ou religieux est commis
par voie électronique. Cela peut se justifier par le fait que l’ampleur du délit sera encore plus
grande lorsque le délinquant utilise la voie des communications électroniques. Mais de toutes les
façons, on constate que le législateur semble plus regardant dans la répression de ce mal.
Les sanctions sont encore plus importantes avec la nouvelle loi n° 2019/020 du 24
décembre 2019 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2016/ 007 du 12 juillet
2016 portant Code pénal. Si le législateur conserve avec cette nouvelle loi les peines initialement
affectées au délit des discours de haine raciale et religieux41, il se montre plus rigoureux dans la
sanction des discours de haine tribale. La peine d’emprisonnement va de un (01) à deux (02) ans
pour le délit d’outrage à la tribu ou à l’ethnie. C’est pratiquement le double de la peine
d’emprisonnement pour les discours de haine à l’encontre d’une race qui varie entre six jours et
40
Voir l’article 77 de la loi n° 2010/012 du 21 décembre relative à la cybersécurité et la cybercriminalité précitée.
41
Nous faisons allusion ici à l’article 241 ancien du Code pénal.
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six mois. En ce qui concerne les amendes, elles sont comprises entre trois cent mille francs
(300 000) et trois millions (3 000 000) de francs CFA pour les discours de haine tribale. Ce qui
dépasse de loin les amendes prévues pour la sanction des discours de haine raciale ou religieux42.
Il ressort de cette analyse que seule reste supérieure les peines de la loi sur la cybersécurité et la
Page | 121
cybercriminalité ; ceci trouverait sa justification dans l’ampleur que peut produire ce délit, au
regard de la facilité qu’offre ses moyens de communication. Cette sévérité est encore plus visible
lorsqu’on se rend compte que le bénéfice des excuses atténuantes reste quasiment inexistant.
C’est la réforme législative du 24 décembre 2019, qui pour la première fois consacre le
bénéfice des mesures atténuantes pour le délinquant. C’est là une nouveauté de la part du
législateur qu’il faut saluer. Mais, à y voir de près, on se rend compte qu’il limite de façon
considérable le bénéfice de cette mesure. Cette disposition prévoit qu’en cas de bénéfice des
42
Voir les articles 241 (nouveau) et 241-1 nouveau de la loi n° 2019/ 020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant
certaines dispositions de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016.
44
COSTA-LASCOUX (J.), « Quelques aspects nouveaux du droit des pays africains d’expression française. Une
politique contre le sous-développement », Penant 1967, pp. 176 et suivantes ; « Le droit pénal, l’unité nationale et le
développement », Archives de politique criminelle, n° 1, 1975, pp. 93-119; MINKOA SHE (A.), Essai sur l’évolution
de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance, Thèse de Doctorat, Strasbourg III, 1987.
45
SOWENG (A.), « L’avènement des peines alternatives en droit pénal camerounais : contours et concours de l’une
des innovations de la réforme législative du 12 juillet 2016 », Les Annales de droit, 13/2019, p. 189.
46
Voir l’article 557 du Code de Procédure Pénale.
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circonstances atténuantes, la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à trois mois et la peine
d’amende à deux cent mille (200 000) francs. Le législateur encadre rigoureusement ces mesures
atténuantes. Le juge se trouve ainsi bien limité dans l’octroi du bénéfice des circonstances
atténuantes pour les discours de haine tribale. Cette disposition va loin, et prive du bénéfice des
Page | 122
circonstances atténuantes les fonctionnaires, les responsables de formation politique, de média,
d’une organisation non gouvernementale ou d’une institution religieuse. Le recours aux peines
rigoureuses ayant montré ses limites, nous pensons que le législateur devrait aménager cette
sanction, de façon à laisser une marge d’appréciation au juge, car seul ce dernier aura l’occasion
de voir et d’étude le délinquant. On sait que de nos jours, l’un des grands principes du droit criminel
moderne est l’individualisation de la peine encourue par le délinquant. Le Professeur MINKOA
SHE disait alors que « cette individualisation doit être effectuée en dépassant la simple action
rétributive, intimidante et dissuasive, pour mettre en œuvre à l’occasion de l’infraction révélatrice,
un dispositif concourant à l’hygiène sociale par la réduction, au moins partielle, des facteurs
criminogènes individuels »47. Pour le faire, il est préférable que le législateur ne fournisse que les
bases objectives de cette individualisation48. La tendance aujourd’hui est de prononcer les peines
plus adaptées à la personne du délinquant. Car la peine qui convient le mieux au délinquant est
d’abord celle qui assure sa réinsertion dans la société et préserve efficacement celle-ci en prévenant
la récidive49. Mais la répression de ses discours de haine ne peut valablement s’épanouir parce
qu’on constate une hégémonie de l’individualisation légale des peines. Le juge se trouve encore
lié par de nombreux impératifs légaux.
47
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op. cit., p. 157.
48
SALEILLES (R.), L’individualisation des peines, Alcan, Paris, 1898, p. 197.
49
SYR (J-H.), « Les avatars de l’individualisation de la reforme pénale », R.S.C, 1994, p. 217.
50
MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Ibid., p. 158.
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Quand on lit les textes répressifs successifs sur les discours de haine, on s’aperçoit que
chacun accorde une place importante aux moyens de commission de cette infraction, et dans
certains cas en font une circonstance aggravante de la sanction51. La réforme législative du 24 Page | 123
décembre 2019 consacre une non exhaustivité des moyens de commission de ce délit (1) et tiend
désormais également compte de la qualité du délinquant (2).
L’article 241 ancien du Code pénal ne mentionnait que deux moyens de commission de
l’outrage à la race et la religion. Il s’agissait de la voie de presse et de la radio. La limitation à ces
critères peut trouver son explication dans le contexte de l’époque à laquelle cet article a été rédigé.
L’article 241 ancien relève du second livre du Code pénal, qui a été rédigé en 196752. Les moyens
de communication les plus prisés de cette époque étaient la presse et la radio. La loi de 2010/012
du 21 décembre 2010 viendra par la suite réprimer ce genre d’infraction quand elle est commise
par la voie des communications électroniques ou d’un système d’information. On note ici la
volonté pour le législateur à s’adapter aux évolutions technologiques, car cette loi de 2010 s’inscrit
dans ce domaine spécial des communications électroniques. La réforme du 24 décembre 2019,
viendra énumérer tous ces moyens existant déjà, et ira plus loin en prévoyant « tout autre moyen
susceptible d’atteindre le public »53. Au départ, il y avait une approche verticale qui avait, tout en
haut les télécommunications et en bas les communications audiovisuelles. Avec l’avènement des
communications électroniques, il y a eu un décloisonnement et une fusion des voies, moyens et
réseaux, et désormais, il n’y a plus qu’une seule catégorie générique à savoir les communications
électroniques, et qui a permis de mettre à l’horizontal les voies et moyens, et de rassembler ainsi
la télévision, la presse, la radio, les réseaux sociaux, sous l’expression «service de communication
au public par voie électronique »54. L’énumération extensive de l’article 241 (nouveau) est non
exhaustive par son fonctionnement, au regard de l’internet et des réseaux sociaux. C’est aussi une
approche proactive du législateur camerounais qui se prémunit dès maintenant des évolutions
51
Voir l’article 241 ancien qui dispose que « Si l’infraction est commise par voie de la presse ou de la radio, le
maximum de l’amende est portée à vingt (2 000 000) de francs ».
52
Ce second livre est institué par la loi n° 67/LF/1 du 12 juin 1967.
53
Voir l’article 241 alinéa 2 nouveau.
54
ZENGUÉ (L-F.), « Réforme de l’article 241 du Code pénal Camerounais et incidences des réseaux sociaux », [En
ligne], www.village-justice.com, [Consulté le 7 septembre 2020].
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technologiques en prévoyant de nouveaux moyens de commission qui n’existent pas encore, mais
qui pourraient exister dans l’avenir55.
L’article 241-1 nouveau qui est relatif à l’outrage à la tribu ou l’ethnie, va dans le même
sens lorsqu’il dispose que « Est puni d’un emprisonnement de un (01) à deux (02) ans […] celui Page | 124
qui, par quelque moyen que ce soit tient des discours de haine ou procède à la violence contre des
personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique ». Nous constatons ainsi que
législateur adopte une méthode avant-gardiste, car il anticipe déjà sur l’évolution technologie. Il
ne veut sous aucun prétexte lié aux avancées technologiques manquer de réprimer les discours de
haine. Nous saluons cette initiative qui est de nature à éviter une éventuelle inflation législative.
Malgré cette avancée, le législateur continuera son œuvre, et fera la qualité du délinquant un critère
d’aggravation de la sanction pénale.
55
Idem.
56
Cette disposition porte sur la récidive des personnes physique et morales.
57
Cette disposition définit le fonctionnaire et fait de ce statut une circonstance aggravante de la responsabilité pénale.
58
PIN (X.), Droit pénal général, 10e édition, Paris, Dalloz, 2018, pp. 410-411.
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59
ZENGUÉ (L-F.), « Réforme de l’article 241 du Code pénal Camerounais et incidences des réseaux sociaux », op.
cit.
60
Haut-Commissariat aux droits de l’homme : Plan d’action de Rabat sur l’incitation de tout appel à la haine
nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou la violence, ateliers
d’experts, op. cit., p. 6.
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Conclusion
61
GWET (Y.), La détribalisation de nos sociétés doit être une priorité des gouvernements réformateurs en Afrique »,
Le Monde Afrique, [en ligne], www.lemonde.fr, [consulté le 11 décembre 2020].
62
MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal
général, op. cit., p. 232.
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Abstract:
Organized around 18 articles, the relative uniform act to the mediation (AUM) came in help in the
side of the arbitration very already anchored in OHADA; but also and especially, it provides a setting
secured to those who wish to resort to this practice. Then, mediation and arbitration constitute two
principals ways from among the MARD in the OHADA space. With the multiplication of the mediation
centers one attends a certain ventilation in the treatment of the disputes, even these centers don't always
present the same levels of development. Otherwise, the recent conjuncture economic perturbed by the world Page | 128
sanitary crisis appeared just before the years 2020 upset the working of the centers of médiattion operating
in the world, including those of the OHADA space, appreciably. The closing of the airports and the
limitation of the displacements or the impossibility to meet recommended to consider the hypothesis of the
suits ineluctably from afar, via notably the technologies of information and the communication (TIC).
Several centers of formation benefitted from this of the numeric tools. Moreover, this transition in the
practice would have caused the relative problem to the effectivity of the TWITCH in the administration of
the procedures by the centers of OHADA mediation.
The answer to this preoccupations requires to raise a state of the places online mediation in the
different centers of OHADA. It takes out again of it that the OHADA space doesn't approach the problem
incomplete manner beyond the dephasages environments that can be describe here and there. Then the
incercie on the field of the TWITCH invites to recardrer the complaint in these primordials aspects.
Keywords: Center of mediation - virtual mediation - online mediation - suit from a far - OHADA.
Introduction
L’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires s’est appropriée d’un
dixième acte uniforme relatif à la médiation1 l’émergence de ce texte témoigne de ce que le
législateur communautaire reste attaché à un souci de sécurité juridique propice à l’essor des Page | 129
activités économiques et des investissements dans la sous- région. Bien qu’essentiellement conçu
pour la médiation ad.hoc, l’acte uniforme relatif à la médiation a également consacré la
médiation institutionnelle dans l’espace OHADA. En Afrique, la médiation remonte très loin
dans l’histoire, elle se présente d’ailleurs comme une des caractéristiques de la justice du
continent,2 indépendamment de tout texte législatif. Si cette précision s’intéresse
principalement à la médiation traditionnelle, elle mérite néanmoins quelques remarques3. Le fait
est constant et explique en partie que dans les pays de l’espace OHADA 4, la médiation dite
moderne ait trouvé naturellement sa place. Elle provient en effet des règlements des centres
1
Il est nécessaire de reconnaitre que la médiation est à côté de l’arbitrage un mode privilégié de règlement
des différends pour les opérateurs internationaux ; celle de l’organisation communautaire fut adoptée le 23
novembre 2017. Elle entrera en vigueur le 15 mars 2018.
2
De nombreuses études, anciennes et récentes, ont mis en lumière ce trait de la justice africaine basée sur la
médiation ou la conciliation. On peut citer entre autres :
- Anciens travaux : M. Alliot, « Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique
francophones et à Madagascar », in J. P0IRIEtR (dir). Etudes de droit africain et malgache, Cujas, Paris,
1964, 529 p. ; K. M’BAYE, « L’organisation judiciaire au Sénégal », Penant: revue de droit des pays
d’Afrique, 1965, vol. 75. n° 705, pp. 27-34 ; P. LAMPUE. « la justice coutumière dans les pays africains
francophones», RJPIC, 1979, pp. 3-19 ; E. MICHELET, « La conciliation dans la procédure sénégalaise»,
Penan, 1980, p. 135-161 K. M’BAYE et Y. NDIAYE (dir.), Encyclopédie juridique de l’Afrique, tome 4:
Organisation judiciaire, procédures et voies d’exécution. NEA, 1982, 379 pp. ; E. Le Roy, « le justiciable
africain et la redécouverte d’une voie négociée de règlement des conflits », .Afrique contemporaine, n°
156, 1990, pp. 111-120 ; LABORATOIRE D’ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE DE PARIS (LAJP). « Synthèse sur
les travaux et expériences en médiation du LAJP », Bulletin de liaison du LAJP, n° 22, sept. 1997, pp. 82-
88 ; A. CISSE, « L’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Revue internationale de droit
économique. 2004, n° 2. p. 197-225.
- Travaux récents : B. ASSANE, « Autorités coutumières et régulation des conflits en Afrique de l’ouest
francophone: entre l’informel et le formel ». in La réforme des systèmes de sécurité et de justice en
Afrique francophone, Lomé, OIF, 28 mai 2009, pp. 168-186; B. de LOYNE5 DE FUMICHON et D. ROEBUCK,
Histoire de la médiation des repères dans le temps des médiateurs, Montigny-le-Bretonneux», France,
Médias & Médiations. 2016. 141 p. ; P.E. KENFACK, « La notion de médiation chez le législateur OHADA
», Lexbase édition Ohada, avril 2018, n° 10. pp. 13-18: J-B. DAGNAUD, J.-G. LIEBERHERR et M.
GUILLAUME. Du bon usage de la médiation, Paris. France. Descartes & Cie, 2018. 100 p; B. BLOHORN-
BRENNEUR, La médiation pour tous dans l’espace OHADA et en Afrique de l’Ouest: théorie, pratique et
cadre juridique de la médiation, Paris, France, l’Harmattan, 2018, 220 p.
3
V. Y-S. K0ITA, L’Acte uniforme relatif à la médiation : réflexions prospectives à partir de la pratique et du droit
français. Mémoire de master 2, Université de Toulon, 2018, p. 60.
4
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
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d’arbitrage et de médiation qui opéraient déjà dans la région 5. Seul trois états membres de
l’OHADA finiront par adopter une législation spéciale en la matière : le Burkina – Fasso 6, la
Cote d’Ivoire7 et le Sénégal 8.Il fallait donc impérativement combler le vide législatif qui
prévalait dans la plupart des états partie en matière de règlement amiable des conflits, il
Page | 130
fallait également uniformiser les expériences disparates et inégales de certains d’entre eux. Le
texte a bénéficié d’un maximum de satisfécits au sein de la doctrine9. Son originalité, sa souplesse
et sa concision ont fait dire à certains auteurs que la conception Ohadienne de la médiation s’est
affranchie du droit français 10. Elle serait même « plus percutante que celui-ci 11 »
5
L’on peut mentionner le Centre d’arbitrage de médiation et de conciliation de Dakar (CAMC-D), le Centre
d’arbitrage dc médiation et de conciliation dc Ouagadougou (CAMC’-O), le Centre d’arbitrage de médiation et
de conciliation du Bénin (CAMe), le centre d’arbitrage du groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM), le
Centre national d’arbitrage de conciliation et de médiation de la République démocratique du Congo (CENACOM)
ou encore le centre de conciliation et d’arbitrage du Mali (CECAM).
6
Loi n° 052-2012/AN portant médiation en matière civile et commerciale,
7
Loi n°2014-389 relative à la médiation judiciaire et conventionnelle. Décret n°2014- 1653 relatif à la médiation
et à la conciliation.
8
Décret n°2014- 1653 relatif à la médiation et à la conciliation.
9
V., entre autres commentaires positifs, N. AKA, A. FENEON et J-M. TCHAKOUA, Le nouveau droit de l’arbitrage
et de la médiation en Afrique (Ohada), ISSI-les-Moulineaux, France, LGDJ, 2018, passim ; H. KENFACK, « L’état
du droit de la médiation en France et dans la zone OHADA », Lexbase édition Ohada, avril 2018, n° 10, p5. Spéc.
pp. 9- Il ; E. DEWEDI, « le nouvel acte uniforme Ohada sur la médiatIon et la pratique de la médiation dans
l’espace OHADA : quels apports en pratique? », Actualitésdudroit.fr, passim, disponible sur
www.actualitesdudroit.fr (Consulté le 21 juin 2019) ; M. GORE et C. GRIMALDI, « Arbitrage, médiation et
règlement de la CCIA: les nouveaux textes sont en vigueur depuis le 15 mars 2018 », LEDAF. mai 2018. n°5. p. 1,
spéc. p. 1.
10
A l’égard des Actes uniformes de l’OHADA le droit français restait jusque-là la « mamelle nourricière principale»
(A. NGWANZA, « OHADA entre adolescence et âge adulte: une crise existentielle », Rapport général de l’Université
d’été de Cercle Horizon (OHADA dOrléans, Université d’orléans (France), Cercle horizon, 1er juillet 2008, p. 6).
Ainsi que le constate Denis VOINOT, « l’analyse de la plupart des Actes uniformes adoptés par cette organisation
montre en effet qui’ ils s ‘inspirent directement de la législation commerciale française. Ainsi, comme en droit
français, l’acte de commerce est le fondement de ce droit commercial uniforme. De même, la notion de société
trouve ses racines dans la définition de I ‘article 1832 du Code civil » (D. VOINOT, « La législation française :
instrument du rayonnement du droit français dans le monde ». LPA, n° 48, 2005, p. 5).
11
C. GINESTET, « Médiation et notions voisines», Lexbase édition Ohada, avril 2018, n°10. p.19.
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morales, y compris des entités publiques ou des Etats ». 12Du point de vue comparatif, cette
formule rappelle celle employée par la loi type de la CNUDCI, et permet de considérer qu’est
aussi concernée la conciliation ; également, la directive européenne définit la médiation comme
: « un processus structuré quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux
Page | 131
ou plusieurs parties à un litige tentent par elle-même, volontairement de parvenir à un accord sur
la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur. Ce processus peut être engagé par les
parties, suggéré ou ordonné par une juridiction ou prescrit par le droit d’un Etat membre. »13
12
V. Art 1 de l’acte uniforme relatif à la médiation. Dans le même registre, ce tiers reste médiateur quel que soit
son appellation ou sa profession (V. AUM, art. 1.b)
13
Art 3 de la directive 2008/52/CE du droit de l’Union Européenne relatif à la médiation
14
En effet, les années 2020 auraient été marquées par une crise sanitaire sans précédent de nature à engendrer
une crise économique et sociale dont personne ne prédire l’Afrique. Cette situation a fortement perturbé le
déroulement des procès. Avec la fermeture des aéroports, la limitation des déplacements, et l’impossibilité à
se réunir, on assistait à des reports d’audience et des prorogations des délais de procédure. Plusieurs centres
de médiation ont dû changer des méthodes de travail. Dans les faits, la pandémie a accéléré la transition vers
des solutions technologiques puisqu’elles se sont révélées être une option sérieuse de contournement des
difficultés et imprévus nés de la Covid-19.
15
ALAUZEN (M), « L’Etat plateforme et l’identification numérique des usagers », une Revue Réseaux n° 213,
2019, pp 211-239.
16
D. MEKOBE SONE, premier président de la cours suprême du Cameroun, allocution solennelle de rentrée,
Yaoundé 22 février 2023.
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situés dans la zone OHADA 17comme ceux du reste du monde, de réformer leurs méthodes
traditionnelles de travail afin de répondre aux attentes des parties. Le recours aux TIC dans les
procédures de médiation s’est donc imposé de manière urgente, voire inédite.
Par définition, les TIC sont un ensemble d’outils et de ressources technologiques Page | 132
permettant de transmettre, d’enregistrer, de créer, de partager ou d’échanger les informations,
notamment les ordinateurs, l’internet, les technologies de diffusion et la téléphonie18. L’impact
du numérique dans la résolution pacifique des différends reste une préoccupation en droit
communautaire ; et de plus en plus d’acteurs s’interrogent sur l’opportunité de leur éclosion dans
l’administration de la justice en OHADA. Proprement dit, les centres de médiation de l’espace
OHADA font- ils efficacement face aux exigences des TIC ? Sinon comment développer la
médiation virtuelle en droit communautaire ? Par médiation virtuelle il faut y voir la médiation
assistée par les NTIC lorsque les circonstances le permettent. L’intérêt d’une réflexion sur la
médiation en ligne dans les centres de médiation de la zone OHADA est primordial. En effet,
la compétition entre les centres de médiation de la zone et entre ces derniers et ceux situés hors
de l’OHADA est réelle. Ils sont mis en compétition par des acteurs économiques qui
recherchent le meilleur rapport « qualité- prix » dans l’offre de médiation que leur
présentent les centres. Or, la compétitivité et l’attractivité des centres africains seront
désormais fonction de leur capacité à intégrer les TIC dans leurs méthodes de travail. Bien
que d’importance, la question de l’usage des TIC dans les centres de médiation de l’espace
OHADA demeure un champ d’étude quasiment inexploré par la doctrine, d’où la rareté
des sources documentaires sur le sujet. Les auteurs se sont surtout intéressés à
l’appréciation critique de la médiation OHADA, à la qualité des décisions rendues, et à la
légitimité de tels centres, etc.
17
V. supra
18
« Technologie de l’information et de la communication », unesco.org [en ligne]. [Consulté le 30 avril 2021],
disponible sur internet : <http//uis.unesco.org/glossary-term/technologies-de-l’information-et-de-la-
communication-tic>
19
Z.LAÏDI, « Chapitre 7 : Le temps mondial », in M.-Cl. SMOUTS (dir.), Les nouvelles relations
internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 183 à 202. Consultable sur Cairn [en ligne]. [Consulté
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nous tenterons de dresser un état des lieux de l’utilisation des TIC dans les centres de médiation
de l’espace OHADA (I), avant d’épiloguer sur les perspectives de la numérisation de la médiation
OHADA (II).
I- ETAT DES LIEUX DES TIC DANS LES CENTRES DE MEDIATION OHADA. Page | 133
L’analyse de l’état des lieux des TIC dans les centres de médiation de l’espace OHADA
permet d’observer une certaine légèreté dans la prise en compte du numérique tout au long des
procédures(A). Leur essor doit cependant etre envisagé (B) au-delà des réalités liées à
l’environnement économique et technologique.
Les règlements de médiation des centres régissent insuffisamment l’usage des TIC dans les
procédures de médiation. 20
Certains centres de l’espace OHADA ne contiennent aucune
disposition relative à l’organisation des audiences et des réunions virtuelles au cours des
procédures. La tenue des vidéoconférences est restée, pour la plupart des centres lettre morte,
pourtant la crise sanitaire a révélé la nécessité qu’il y’aurait à reformer les méthodes de travail. A
l’instar de la CCI, les différents centres de médiation de l’espace OHADA profiteraient à intégrer
les parties et les professionnels dans la tenue des réunions à distance, en y prévoyant des
dispositions y afférentes. Il en va de même de la signature électronique qui n’a quasiment pas été
abordée dans les règlements de médiation. La réunion à distance associe inéluctablement la
signature électronique des documents. Le règlement de la CCJA n’apporte également aucune
précision quant à la signature du procès verbal lorsque la réunion de cadrage se déroule par
vidéoconférence. Une telle carence n’apporte pas de précisions nécessaires aux acteurs impliqués
dans une éventuelle procédure. L’article 7 dans son premier alinéa de l’AUM accorde cependant
une entière liberté aux parties quand il dispose que : « Les parties sont libres de convenir, y
Page | 134
compris par référence à un règlement de médiation, de la manière dont la médiation doit être
conduite. » Le législateur OHADA n’a ici aucune intention d’exclure l’hypothèse des audiences
en ligne.21
Dans le meme ordre d’idée, l’article 82 alinéa 1 de l’AUDCG dispose que : « Les documents
sous forme électronique peuvent se substituer aux documents sous forme papier et sont reconnus
comme équivalents lorsqu’ils sont selon un procédé technique fiable qui garantit à tout moment
l’origine du document et son intégrité au cours des traitements et transmission électronique. » Le
dernier alinéa de cet article rappelle que l’usage d’une signature électronique qualifiée est
considéré comme un procédé technique fiable.22 La faible règlementation peut enfin être observée
dans la politique de lutte contre la cybercriminalité. Les états membres de l’OHADA peuvent
prévoir des lois nationales23 à cet effet ; sous réserve des dispositions communautaires car cette
responsabilité incombe prioritairement aux centres de médiation. Ces derniers sont en effet au
cœur des procédures, et ils seraient plus habiletés à dégager les stratégies de cybersécurité.
21
Bien plus, le législateur apporte une précision supplémentaire, mais non superfétatoire en indiquant que le médiateur
doit mener la médiation comme il l’estime approprié, compte tenu des circonstances de l’affaire.
22
Il en ressort de cette disposition de l’AUDCG que le tribunal peut décider que la signature du procès verbal se fera
par voie électronique, soit en scannant la signature, soit en utilisant la signature électronique proprement dite, A.
NGZANZA, L’arbitrage CCJA à l’épreuve de la pandémie du coronavirus, P.33.
23
A titre d’exemple, on peut citer la loi ivoirienne n°2013-451 du 19 juin 2013 relative à la lutte contre la
cybercriminalité.
24
F-X. LUCAS, « Colloque international sur les trente ans de l’OHADA », Première journée régionale de
l’association Henry CAPITANT, Université de Douala, 2 – 3 avril 2023.
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Doodle ou sur framadate, de partager un écran pour montrer des documents, l’on ne doit pas
préjuger de la compérence de ce personnel25. Il doit pourtant etre en première ligne pour porter
assistance aux médiateurs et aux parties dans la prise en main des TIC. Le personnel des centres
pourrait avoir besoin des tutoriels afin de se familiairiser avec la technologie, la plateforme, les
Page | 135
applications et l’équipement à utiliser pendant les audiences virtuelles26 par exemple. La formation
se présente également en terme de nécessité pour les traducteurs à qui il sera demendé de faire une
interprétation qui peut etre simultanée ou consécutive dans un environnement particulier, bien
entendu, les transcripteurs ne sauraient en etre épargnés. Le recours à l’intelligence artificielle pour
le choix des médiateurs présente davantage une moindre portée dans les centres de médiation de
l’OHADA27. Certes, le processus d’imprégnation des TIC dans la conduite des procédures au sein
des centres de médiation de l’espace OHADA s’inscrira nécessairement sur une certaine période,
mais on peut se demander pour combien de temps encore ; car : « A trente ans, on aspire à une
certaine maturité, et à plus forte raison, à une certaine évolution »28.
Dans les règlements de la CCJA, comme dans les règlements de médiation des centres
nationaux, l’usage des TIC peut être envisagé dans des cas tels que ; la tenue des réunions de
cadrage (1). En outre, l’AUM souligne que le médiateur mène sa mission comme il l’estime
approprié, compte tenu « des circonstances de l’affaire », ce qui inclut quoique hypothétiquement,
l’usage des TIC dans les procédures (2).
Encore appelée « réunion préparatoire »29, la réunion de cadrage est la principale étape de
la procédure de médiation, suivie de la constitution du tribunal proprement dit. La réunion de
25
K. DOGUE, La médiation en ligne, intervention lors de la 12ème matinée de formation de l’ERSUMA, 17 septembre
2020, sur le thème « Comment pratiquer la médiation en ligne pendant la crise sanitaire de la COVID-19 »
26
Cour internationale d’arbitrage, « Note d’orientation sur les mésures possibles visant à atténuer les effets de la
pandémie du COVID-19(Annexe I) », Iccwbo.org.
27
Sur le sujet de l’emploi de l’intelligence artificielle, lire J-B. RACINE, « Arbitrage et intelligence artificielle »,
Revue de l’arbitage, Comité français de l’arbitrage, 2019, volume 2019, n°4, P.1025-1067.
28
M. ONDOUA, Recteur de l’Université de Douala, Allocution d’ouverture du colloque international sur « Les trente
ans de l’OHADA, bilan et perspectives », Première journée régionale de l’association henry CAPITANT, Université
de Douala, 3 – 4 avril 2023.
29
Article 16 de du « Règlement d’arbitrage du centre EV arbitrage et médiation », cabinet Vignon (en ligne), 20 février
2018. Disponible sur internet : http://cabinetvignon.net/2018/02/20/reglement-darbitrage/.
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cadrage s’assigne des objectifs forts intéressants ; entre autres la délimitation de l’objet du litige,
la précision des missions des médiateurs et l’organisation de la conduite des procédures. Afin
d’assurer la célérité et l’efficacité30 du processus de médiation, le règlement de la CCJA prévoit la
possibilité pour le tribunal, avec l’accord des parties, de tenir la réunion de cadrage sous forme de
Page | 136
vidéoconférence31. Pour certains auteurs, la CCJA ferait mieux d’apporter des précisions
satisfaisantes quant aux éléments techniques nécessaires à la mise en œuvre32 d’une telle méthode
de travail, on penserait à titre d’exemples, au principe de confidentialité, qui est de nature à causer
dans la pratique d’importantes difficultés. Par ailleurs, les parties doivent se laisser séduire par
cette faculté d’adhérer volontairement aux réunions de cadrage afin de valoriser la qualité des
rencontres entre les parties prenantes. A l’instar de la CCJA, le règlement d’arbitrage du centre de
médiation et d’arbitrage du GICAM prévoit la tenue de la réunion de cadrage par visioconférence
ou par téléphone33. Certains centres continuent d’observer la tradition de l’oralité des débats, et ne
font recours aux réunions préparatoires que dans des cas extremes34 ; et ce par correspondance ou
par échanges de courriers électroniques. Dans le meme sillage le Règlement d’arbitrage du centre
permanent d’arbitrage et de médiation du CADEV (CPAM) dispose que « Si les circonstances
l’exigent, la réunion préparatoire peut se tenir par correspondance et notamment par échanges des
courriers électroniques »35 Ces efforts doivent etre salués, mais plusieurs centres36 de médiation
de l’espace OHADA continuent de tourner le dos aux TIC ; et n’envisagent nulle part l’éventualité
de la tenue des réunions de cadrage par visioconférence. Il serait impératif pour ces centres de
s’arrimer aux exigences des nouvelles technologies afin de renforcer l’efficacité du processus de
médiation dans l’espace OHADA. Quoiqu’il en soit, la récente crise sanitaire a favorisé le
développemement des réunions à distance. La dématérialisation des procédures peut etre observée
30
L’article 8 de l’AUM fait mention de l’efficacité du processus de médiation au rang des principes directeurs de la
médiation.
31
Aux termes de l’article 15.1 du règlement d’arbitrage de la CCJA : « Après réception du dossier, le tribunal arbitral
convoque les parties ou leur représentants dument habiletés et leur conseil à une réunion de cadrage qui doit se tenir
aussi rapidement qu’il est possible et, au plus tard, dans les quarante-cinq (45) jours de sa saisine. A cette occasion, le
tribunal arbitral peut exiger la preuve du pouvoir de tout représentant d’une partie, s’il l’estime nécessaire. Le tribunal
arbitral peut, avec l’accord des parties, tenir cette réunion sous forme de conférence téléphonique ou de
vidéoconférence. »
32
Pour F-X. LUCAS, par exemple, le dispositif de l’OHADA est magnifique, mais il n’ya pas la possibilité de là
mettre en œuvre ; F.X. LUCAS, op.cit.
33
Voir en ce sens article 14.1 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage du GICAM.
34
Il en est ainsi du Règlement du centre d’arbirage, de médiation et de conciliation de N’Djamena (CAMC-N)
35
Article 19 du Règlement du CPAM, « Règlement d’arbitrage et de médiation », cadev-afrique, juin 2012. Disponible
sur internet : « http//cadev-afrique.org/wp-content/uploads/2018/02/rg2018.pdf ».
36
Le centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de la chambre de commerce et d’industrie du Bénin ( CAMeC-
CCIB) ainsi que le centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou (CAMC-O).
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dès la demande de médiation37, particulièrement dans les grands centres tels que la cour
internationale d’arbitrage de la chambre du commerce internationale (CCI) et le centre
international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) 38.
L’efficacité du processus de médiation invite enfin à substituer au courrier papier, des Page | 137
protocoles de transmission électronique39 .
37
Durant la crise sanitaire, la London Court of International Arbitration a par exemple demandé aux parties de déposer
leurs nouvelles demandes en ligne ou par e- mail avec la possibilité de payer les frais y afférents par voie électronique(
carte de crédit ou compte bancaire) : « Online filing », LCIA, disponible sur internet : « http://onlinefiling.lcia.org/ »
38
C.DU PAC DE MARSOULIES, « Nouvelles technologies et centres d’arbitrage en Afrique », Lexbase Afrique-
OHADA, n°40 du 14 janvier 2021 : (NTIC. Lire aussi Arbitrage international, « Coronavirus (COVID19) et
tribunaux : passer du contentieux à l’arbitrage ? », Arbitrage international, 18 avril 2020.
39
M. PHILPPE « Where everyone is going with online dispute resolution (ODR) », International business law
journal, 2022, n° 2, P. 167, spéc. P. 170.
40
Article 12 alinéa 1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
41
Article 12 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
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tribunal arbitral ou des parties sont valablement signifiés par tout envoi électronique laissant trace
écrite42. Il en va de meme du Règlement d’arbitrage de la cour d’arbitrage de la Cote d’Ivoire
(CACI), qui précise que la demande d’arbitrage, la réponse à cette demande, la demande
reconventionnelle ainsi que les sentences arbitrales sont communiquées ou notifiées par lettre
Page | 138
recommandée avec accusé de réception, par voie électronique ou par tout moyen laissant trace
écrite43. Le Règlement d’arbitrage du centre du centre de médiation et d’arbitrage de Niamey
(CMAN) dispose pour sa part que les notifications ou communications du sécrétaire permanent et
du tribunal arbitral peuvent etre faites par voie électronique44. Les transmissions par voie
électronique constituent dès lors un gage d’efficacité et de célérité dans les procédures ; elles
contribuent en outre à la réduction des couts des procédures et permettent naturellement d’écourter
les délais procéduraux. Cest dire à quel point la communication par voie électronique est d’un
apport indispensable pour l’effectivité des audiences en ligne.
Comme on peut le constater, l’usage des TIC est possible dans les centres de médiation de
l’OHADA, meme si le phénomène n’est traité que partiellement. On peut décrier les carences liées
à la signature électronique des accords de médiation, à la reconnaissance des accords
dématérialisés ou à la gestion des données confidentielles ect… Au-delà des lacunes purement
techniques, il ya lieu d’admettre que plusieurs centres45de médiation de la zone OHADA
continuent d’opérer en marge des exigences primaires de la nouvelle technologie.
Les centres de médiation de la zone OHADA gagneraient à faire usage des TIC dans la
résolution des différends. L’option pour les TIC permettra aux centres d’avoir une parfaite
visibilité, elle facilitera l’accessibilité aux investisseurs étrangers et créera de nombreuses
opportunités socioprofessionnelles. L’impact des TIC dans gestion des affaires n’est donc plus à
négliger ; les intervenants dans une procédure de médiation sont invités à penser à leur arrimage
aux TIC. Il s’agit en réalité d’un devoir pour les professionnels de la justice en particulier, mais
également pour tout citoyen car les TIC sont une exigence du millénaire. L’idée de redéployer les
42
Voir notamment article 18.2 du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage du GICAM.
43
Article 9.2 alinéa 1 du Règlement d’arbitrage de la cour d’arbitrage de la Cote d’Ivoire.
44
Article 9 du Règlement d’arbitrage du centre de médiation et d’arbitrage de Niamey.
45
Il s’agit en particulier de la Guinée-Bissau, ou du Congo pour ne citer que ceux là.
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TIC dans les centres de médiation de l’espace OHADA constitue une véritable nécessité. Au-delà
des désagréments générés par la récente pandémie de coronavirus, il faut admettre que
l’organisation des audiences en ligne se justifie à plusieurs égards. Pour y parvenir, il serait
judicieux d’intégrer des composantes numériques au sein des centres de médiation de l’OHADA
Page | 139
(A), afin de permettre aux acteurs et aux parties impliqués dans une éventuelle procédure de s’en
imprégner (B).
46
K. POILREAULT, « Pourquoi les connexions Internet sont plus fragiles en Afrique », jeune Afrique, 29 avril 2020.
Disponible en ligne sur le site : « http://www.jeuneafrique.com/936874/economie/pourquoi-les-connexions-Internet-
sont-plus-fragiles-en-afrique/ »
47
Banque mondiale, « Garantir l’accès au haut débit pour tous en Afrique – un enjeu à 100 milliards de dollars »,
Banquemondiale.org,en ligne 17 octobre 2019.
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négligés. Nous l’avons souligné plus haut, la médiation virtuelle n’est complexe qu’en raison de
la non maitrise des TIC. Les centres communautaires se situent ainsi dans un état de nécessité
absolue, par la même occasion, l’appel est lancé aux professionnels aguerris de la médiation de la
zone OHADA conviés à s’adapter au nouveau contexte mondial né des évolutions récentes,
Page | 140
qu’elles soient technologiques ou numériques. Pour y parvenir, d’importants moyens doivent etre
mobilisés.
48
J. NICHOLL, H. GRAY et E. VAN EYKEN, « Canada : Covid-19 Disputes : Conclusions finales par
vidéoconférence-« Le spectacle continue ! » Clyde$Co, en ligne,8 avril 2020, mise à jour 23 mai
2020 http://www.mondaq.com/canada/arbitration-dispute-resolution/939424/covid-19-disputes-conclusions-finales-
par-vidoconfrence-le-spectacle-continue.
49
Conférence des arbitres du Québec, « Guide sur l’arbitrage par visioconférence », 15 septembre 2020.
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L’arrimage aux TIC est une politique volontariste. De ce fait, les acteurs de la médiation
OHADA doivent penser leur mentalité afin d’éviter des mésusages dans ce domaine. Les
professionnels, ensemble avec les justiciables doivent accepter de substituer aux procès physiques Page | 141
des audiences virtuelles. Les modalités d’acquisition des valeurs technologiques sont variées à
plus d’un titre ; en dehors de l’élaboration des guides à usage (1), l’OHADA pourrait instituer une
journée africaine de l’utilisation citoyenne des TIC (2).
50
Conférence des arbitres du Québec
51
Institut d’arbitrage et de médiation du Canada, « Online Video Mediation. 3 keys to determine wether you should
use it now », Adr-ontario.ca, avril 2020. Disponible sur internet : http://adr-ontario.ca/wp-
content/uploads/2020/04/OnlineMediation-Brochure-Final.pdf.
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C’est une vérité légitime d’admettre l’incapacité de nombreux africains à l’usage courant
des TIC. Des mesures ont été prises en vue d’atténuer le retard dans la région. Le problème
continue d’exister cependant. Un bond pourrait etre fait grace à l’organisation d’une journée
régionale d’utilisation des TIC, avec pour but de sensibiliser les populations sur les dangers que
regorge l’absence de maitrise des NTIC. Une telle vulgarisation incombe principalement aux
responsables des postes et télécommunications, de pair avec ceux de la justice doivent permettre
aux ressortissants de l’OHADA de réaliser des progrès notables en la matière. L’urgence n’est plus
à redouter, la journée d’utilisation citoyenne des TIC est aussi une occasion pour les uns et les
autres de découvrir les birnfaits d’une justice qui se veut libérale. L’accent doit ainsi etre mis sur
la phase pratique, avec une forte mobilisation des moniteurs de l’informatique dans des universités
et des centres de formation. L’apprentissage et la maitrise des TIC pourraient enfin etre un acquis
sous l’impulsion de l’organisation communautaire grace notamment à la création des centres
d’initiation aux procès en ligne dans certaines localités de l’OHADA, afin de permettre par
exemple aux étudiants stagiaires, ou à tout autre professionnel à s’imprégner des valeurs
fondamentales d’une procédure digitalisée.
communautaire OHADA. Fort de ce constat, il serait urgent pour les centres de médiation de la
région de s’attribuer les moyens nécessaires à l’instauration de la justice cybernétique, surtout
quand on sait que la désorganisation des jurisictions étatiques, aux premières heures de la
pandémie a une fois de plus montré que les MARD constituaient une alternative crédible à la
Page | 143
justice étatique qui connait, bien plus que ceux là, plus de difficultés à conduire les procès en ligne.
Certes, la révolution technologique n’aura pas lieu d’un seul coup dans les centres des MARD,
mais ses acteurs doivent impérativement se préparer à cet effet en essayant d’intégrer les exigences
relatives aux réunions de cadrage à distance, et à terme, aux audiences en ligne. Les contraintes de
l’espace et du temps pourront ainsi etre progressivement vaincues dans les centres de médiation
de la communauté. Bien plus, l’usage approprié des TIC serait de nature à garantir auprès du
justiciable de la région un sentiment de sécurité juridique, principal facteur d’accroissement du
marché économique.
*********************
**********
***
Résumé :
Abstract:
This work tends to examine how the traditional Muslim chiefdoms of the Northern-
Cameroon supported between 1996 and 2020 the national Renewal regime led since 1982 by the
President Paul Biya in the pro-authoritarian transition of democratic pluralism in Cameroun. Page | 145
Having an authoritarian culture of power, the traditional Muslim chiefdoms have very badly
received the wind of democratization which blew through their territorial communities of
command. The main raison for that hostility is that traditional command and democratic pluralism
thus form a pair of opposites: the traditional command is essentially authoritarian, reducing man
to the status of “subject”, while democratic pluralism advocates freedom and human rights.
Democracy also appears as a scourge in the family or dynastic succession within traditional
Muslim chiefdoms in the sense that it introduces electoral competition in the race for the chiefdom
crown.
Inspired by the logic of traditional command, the national Renewal regime has placed
democratic pluralism in a pro-authoritarian framework favorable to the restriction of freedom of
association and the promotion of political adversity, with the aim of perpetuating its government.
Introduction
Avec l’avènement du pluralisme démocratique intervenu dans les années 1990, les
chefferies traditionnelles ont été définitivement réhabilitées, revigorées, courtisées, adulées 10 car
1
Voir PERROT (C-H.) et FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et
l’Etat en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 1999, p. 7 ; MINKOA SHE (A.), Essai sur l'évolution de la politique
criminelle au Cameroun depuis l'indépendance, Thèse d'État en droit, Strasbourg, Tome1, 1987, p. 52.
2
SOME (M.), « Les chefferies moosé dans la vie politique du Burkina Faso depuis 1945 », PERROT (C-H.) et
FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique
contemporaine, op.cit., p. 220.
3
FOPOUSSI FOTSO (E.), Faut-il brûler les chefferies traditionnelles ?, Yaoundé, SOPECAM, 1991.
4
Contrairement aux Etats comme le Maroc dont le transfert du pouvoir postcolonial s’est fait au profit du monarque,
le Ghana et le Nigéria qui ont intégré les autorités traditionnelles dans le nouvel ordre politique ou le Cameroun où
les autorités coutumières participent directement à l’animation des institutions politiques nationales, certains Etats
comme le Burkina Faso sous Thomas Sankara (1983-1987), la Guinée en 1957, le Sénégal en 1960 ont tenté de
supprimer les institutions coutumières, voir MOUICHE (I.), Autorités traditionnelles et démocratisation au
Cameroun. Entre centralité de l’Etat et logiques de terroir, Grevener, LIT VERLAG Münster, 2005, p. 1.
5
Voir PAVANELLO (M.), « Le paradoxe de la chefferie constitutionnelle au Ghana », PERROT (C-H.) et
FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique
contemporaine, op.cit., p. 48.
6
ZELAO (A.), « Autorités traditionnelles et désir d’hégémonie dans le champ politique au Nord-Cameroun », Studia
Politica: Romanian Political Science Review, vol.17, n°2, 2017, p. 364.
7
SINDJOUN (L.), L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, ECONOMICA, 2002, p. 54.
8
Ibid., p. 72.
9
Ibid., p. 118.
10
IROKO (A.F.), « Rois et chefs en République du Bénin (1960-1999) », PERROT (C-H.) et FAUVELLE-AYMAR
(F-X.) (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique contemporaine, op.cit., p. 116.
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leur poids dans la production de la légitimité aux acteurs du centre à la périphérie a été
difficilement inégalé. Fort donc de leur capacité de mobilisation populaire, les monarques vont
globalement adopter trois attitudes. La première concerne les chefs qui ont activement apporté leur
soutien à l’ex-parti unique, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), en
Page | 147
étant militants de ce parti11. La deuxième attitude concerne les chefs qui se sont constitués en
opposants du RDPC en militant pour l’opposition12 et la troisième concerne les chefs qui ont
dissimulé leur militantisme en restant neutre ou en en militant dans l’ombre pour le RDPC ou pour
l’opposition.
Il convient ici d’analyser comment les chefferies traditionnelles musulmanes ont participé
à la sultanisation du pluralisme démocratique, c’est-à-dire à l’application des pratiques pro-
11
Voir sur le militantisme actif des chefs traditionnels, MOUICHE (I.), Autorités traditionnelles et démocratisation
au Cameroun. Entre centralité de l’Etat et logiques de terroir, op.cit., p. 2.
12
Idem.
13
SINDJOUN (L.), L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op.cit., p. 120.
14
SINDJOUN (L.), Construction et déconstruction locales de l’ordre politique au Cameroun : la sociogenèse de
l’Etat, Thèse de Doctorat en Science politique, Université de Yaoundé 2, 1993-1994, p. 134.
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La démocratie constitue par ailleurs une menace réelle pour l’autorité cheffale musulmane
en ce sens qu’elle est libertaire et susceptible de pousser à l’anti-faada19. Elle est appréhendée
comme une sorte d’instrument d’aplanissement de la hiérarchie sociale en mettant sur un même
pied d’égalité comme électeurs, chefs/serviteurs, aînés/cadets, hommes/femmes, etc.20 En plus,
malgré le fait que le législateur camerounais a normativement consacré la succession dynastique à
la tête des chefferies traditionnelles, la gangrène démocratique ne met pas totalement la succession
dynastique au sein des chefferies musulmanes à l’abri des contre-courants . En effet, l’Article 8 du
15
NAY (O.) (dir.), Lexique de Science politique. Vie et Institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011, p. 133.
16
Voir MAMBI TUNGA-BAU (H.), Pouvoir traditionnel et pouvoir d’Etat en République Démocratique du Congo.
Esquisse d’une théorie d’hybridation des pouvoirs politiques, Kinshasa, MEDIASPAUL, 2010, p. 29.
17
BARBIER (J-C.), « Mais, qui est chef? Esquisse de la Chefferie Coutumière », Journal of Legal Pluralism and
Unofficial Law, n° 25 & 26, 1987, p. 333.
18
Voir BROSSIER (M.) et DORRONSORO (G.), «Le paradoxe de la transmission familiale du pouvoir », Critique
internationale, vol. 4, n° 73, 2016, p. 10.
19
Le mot anti-faada est composé de anti qui signifie « opposé à ; contre ; hostile à… », et de faada qui renvoie au
conseil de notables de Lamidat. L’anti-faada est donc un sentiment de révolte ouverte ou non contre les pouvoirs
coutumiers musulmans. Il renvoie également à celui qui exprime ce sentiment c’est-à-dire, celui qui se dresse contre
l’ordre traditionnel institué dans les Lamidats.
20
MARIE (J.) et IDELMAN (E.), « La décentralisation en Afrique de l’Ouest : une révolution dans les gouvernances
locales ? », EchoGéo, n°13, 2010, pp. 1963-1197, http://journals.openedition.org/echogeo/12001, 10/04/2023, 10 :14.
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Décret n°77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles au Cameroun
dispose que : « Les chefs traditionnels sont, en principe, choisis au sein des familles appelées à
exercer coutumièrement le commandement traditionnel (...) ». Ainsi, à la lumière de cet Article, il
y a lieu d’avancer que la démocratie, surtout électorale, demeure un danger confirmé pour la
Page | 149
succession dynastique à la tête des chefferies traditionnelles musulmanes. D’une part, le législateur
n’a pas explicitement exclu la possibilité pour un individu n’appartenant pas à une dynastie
régnante de candidater pour la succession dans une chefferie traditionnelle donnée. En outre, il
peut avoir plusieurs dynasties régnantes au sein d’une même chefferie. Cela implique la probabilité
que plusieurs dynasties séculairement antagonistes concourent pour la même couronne, ce qui
n’exclut pas la défaite de la dynastie précédemment au pouvoir. D’autre part, même dans le cas où
des candidats postulant pour la couronne appartiennent à une seule et même famille régnante, le
suffrage universel, même indirect, peut faire monter sur le trône un yérima (prince) non pré-
désigné par le testament du chef défunt mais dont les notables ont vu en lui une compatibilité avec
la fonction cheffale21.
En effet, l’autorité coutumière musulmane dispose parfois de droit de vie et de mort sur
ses sujets23. Par exemple, la chefferie de Rey-Bouba dans la Région du Nord a été érigée de fait
21
Voir sur le problème successoral TSIAFIE (C.) et SAHA (Z.), « Conflit successoral dans la chefferie Foreke-
Dschang (Ouest-Cameroun) : analyse du bicéphalisme dans la chefferie traditionnelle 1966-2005 », pp. 51-66,
https://revues.acaref.net, 10/04/2023,15 : 02.
22
Lire sur la domination traditionnelle, WEBER (M.), Economie et Société Tome 1, Paris, Plon, 1971, pp. 301-302.
23
TAGUEM FAH (G.L.), « Crise d’autorité, regain d’influence et pérennité des lamidats peuls du Nord-Cameroun.
Etude comparée de Ray Bouba et Ngaoundéré », PERROT (C-H.) et FAUVELLE-AYMAR (F-X.) (dir.), Le retour
des rois. Les autorités traditionnelles et l’Etat en Afrique contemporaine, op.cit., p.270.
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24
Voir SAÏBOU (I.), « Paroles d'esclaves au Nord-Cameroun », Cahiers d’études africaines, vol. XLV, n°3-4, 2005
p. 858.
25
Voir L’œil du Sahel N°47 du 01 au 14 mai 2001, p. 3.
26
Voir L’œil du Sahel N°155 du 15 février 2005, p. 11.
27
Voir DOUGUELI (G.), « Cameroun : le lamido de Garoua soupçonné d’homicide », Jeune Afrique,
https://www.jueneafrique.com, 12/04/2023, 09 : 50 ; Le jour N°452867, cité par CamerounWeb, 9 février 2022,
https://mobile.camerounweb.com, 12/04/2023, 10 : 22.
28
Voir L’œil du Sahel N°1774 du mercredi 17 mars 23, p. 6.
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Sur le plan symbolique et dans l’esprit de la sultanisation de la scène politique, les caciques
du régime du Renouveau national ont l’habitude de traiter les leaders de l’opposition et leurs
militants des « fauteurs de troubles » ; des « aventuriers de tous bords » ; des « incrédules » ; des
« détracteurs » ; des « démagogues » ; des « intoxicateurs » ; des « déstabilisateurs » ; des «
ennemis dans la maison » ; des « damnés de l’enfer » ; des « sirènes » ; des « vendeurs d’illusions
» ; des « champions en critiques » ; des « traitres politiques » ; des « assoiffés du pouvoir » ; des
« les agités politiques» ; des « apprentis sorciers », des « oiseaux de mauvaise augure », des «
hiboux de la politique », etc.32 L’incinération des symboles du Mouvement pour la Renaissance
du Cameroun (MRC), le 14 juillet 2018 à Maroua par les militants du RDPC, sur incitation de Sa
Majesté le Très Honorable CAVAYE YEGUIE Djibril (Chef traditionnel de 2e degré du Canton
de Mada, Président de l’Assemblée Nationale et membre du Bureau politique du RDPC), est restée
le cas le plus emblématique de l’expression de la violence symbolique sur l’opposition dans la
partie septentrionale du Cameroun33. Viennent s’enregistrer dans le cadre de la production de la
violence symbolique, les interdictions systématiques de manifestation publique par les autorités
administratives dont les partis de l’opposition font l’objet dans cette partie du pays.
Sur le plan pragmatique, la sultanisation du champ politique par les chefs traditionnels
musulmans se manifeste par la production de la violence physique sur les leaders de l’opposition
et leurs militants. En 1996, par exemple, le Lamido de Ray-Bouba avait recouru à la répression
29
ASSANA, « La trajectoire incertaine de la démocratisation dans le jeu de pouvoir entre la majorité et l’opposition
au Cameroun », ZELAO (A.) (dir.), Démocratisation au Cameroun : scènes, arènes, règles et acteurs, Paris,
L’Harmattan, 2016, pp. 91 & 96.
30
Voir sur la figure de l’inimitié, SCHMITT (C.), Theory of the partisan. Intermediate of commentary on the concept
of the politic, (translated by G.L. Ulmen), New-York, Telos Press Publishing, 1962, p. 84.
31
ASSANA, « La trajectoire incertaine de la démocratisation dans le jeu de pouvoir entre la majorité et l’opposition
au Cameroun », op.cit., p. 85.
32
Voir OWONA NGUINI (M.E.), La sociogenèse de l’ordre politique au Cameroun entre autoritarisme et démocratie
(1978-1996) : les régimes politiques et économiques de l’Etat au gré des conjonctures et de configurations socio-
historiques, Thèse pour le Doctorat en Science politique (Etude africaine), Tome 2, Université Montesquieu-Bordeaux
IV, 1997, p. 532.
33
Voir « Cameroun-Espace Politique : Gare aux transfuges… », Psy et Droits de l’Homme, http://psydh.com,
20/04/2023, 20 : 06.
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brutale pour nettoyer sa chefferie de toute contestation partisane, ce qui avait débouché sur
l’assassinat de député de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP), Haman
Adama Daouda34. Après les élections législatives et municipales du 09 février 2020, le chef du
Canton de Mokong, dans le Mayo-Tsanaga (Région de l’Extrême-Nord), Sa Majesté Bello
Page | 152
BISSADOU, avait procédé au règlement de comptes à ses opposants politiques. Ainsi, saisissant
une opportunité offerte par un différend foncier l’opposant à l’Iman MALIKI ADAMOU, Sa
Majesté avait produit de la violence sur ce dernier parce qu’il n’appréciait pas son militantisme
pour l’UNDP35. Dans le même chapitre de traitement de l’opposition comme ennemie, s’inscrit le
cas du Premier vice-président du MRC, Mamadou Mota, qui est présenté dans l’Arrondissement
de Tokombéré (Département du Mayo-Sava) comme l’opposant le plus farouche de Sa Majesté le
Très Honorable CAVAYE YEGUIE Djibril. Par conséquent, il avait été embastillé à la prison
centrale de Yaoundé après avoir pris part à une manifestation interdite en 2018. Une fois en prison,
il y était accusé de « rébellion en groupe » lors d’un procès engagé après la mutinerie intervenue
à la prison centrale de Kondengui par le tribunal militaire de Yaoundé le 22 juillet et condamné à
deux ans de prison36. Les observateurs voyaient derrière sa condamnation la main invisible de
CAVAYE YEGUIE Djibril. Mamadou Mota, lui-même, avait déclaré que « ma condamnation est
purement politique. Je ne suis pas un rebelle. […] lors de la mutinerie de la prison, j’avais été
appelé par le régisseur pour apaiser les détenus (anglophone) »37.
34
NACH MBACK (C.), « Chefferie traditionnelle au Cameroun : ambigüités juridiques et dérives politiques », Africa
Development, vol. XXV, n° 3 & 4, 2000, p. 103.
35
Voir HAMAN CAMEROUN OFFICIEL, « Barbarie du Lamido Bello de Mokong sur le père Maliki », 8 juillet
2020, https://www.facebook.cm, 20/04/2023, 20 : 31.
36
Voir Jeune Afrique de 10 septembre 2019, « Cameroun : Mamadou Mota, numéro 2 du MRC, condamné à deux ans
de prison », https://www.jeuneafrique.com, 12/04/2023, 11 : 55.
37
Idem.
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Tirant des leçons des élections de la première génération des années 1992 marquées par
des faibles victoires électorales du parti du Renouveau (RDPC)38, le gouvernement du Renouveau
a fait recours aux technologies de domination traditionnelle pour assurer l’hégémonie politique et
électorale de son parti à partir de 1996. D’une part, le Renouveau a fait intégrer dans ses stratégies
de gouvernance deux ordres de domination contradictoires à savoir la domination légale-
rationnelle et la domination traditionnelle (Etat chaotique ou Etat patchwork)39. Cela s’est traduit
par le fait que le régime du Renouveau a diversifié dans sa stratégie de construction et de
consolidation de son gouvernement des modalités d’encadrement de la dialectique
commandement-obéissance en en empruntant à la fois au modèle d’impérium et au modèle légale-
rationnel40.
D’autre part, le père géniteur du Renouveau national (Paul Biya) s’est fait incorporer dans
la mystique du pouvoir traditionnel musulman en s’attribuant des titres nobiliaires reconnus
naturellement aux autorités coutumières musulmanes. Il a été donc intronisé « co-lamido de
Ngaoundéré »41, c’est-à-dire celui avec lequel le Lamido commande ses sujets. Toutefois, il faut
souligner que le titre co-lamido ne place pas le Président Biya à égale autorité que le Lamido
concerné : il lui est plutôt reconnu la supériorité et la prééminence de son pouvoir sur celui de
Lamido. Ce titre ne fait donc pas du Président Paul Biya n’importe quel notable, mais plutôt le «
géniteur » de Lamido, Baaba baaba (« le papa de papa en fulfulde» qui signifie le chef des chefs)
38
Lors des élections des années 1992, le RDPC n’avait remporté que 88 sièges de députés sur 180, contre 68 pour
l’UNDP, 18 pour l’UPC, 06 pour le MDR, et le candidat Paul Biya avait contentieusement remporté la présidentielle
avec 39,9% contre 35,9 % pour John Fru Ndi et 19, 21% pour Bello Bouba Maigari. Voir PIGEAUD (F.), Au
Cameroun de Paul Biya, Paris, Karthala, 2011, pp. 56 & 59.
39
SINDJOUN (L.), L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op.cit., p. 77.
40
Idem.
41
Ibid., 307.
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ou le supérieur de Lamido (Baaba manga). Par le titre généalogique Baaba baaba ou par celui de
la supériorité Baaba manga, le pouvoir de Lamido s’éclipse ou plutôt se met entre parenthèse en
présence de celui de Sa Majesté le Lamido supérieur Paul Biya. De ce fait, le Président Paul Biya
apparait, pour reprendre la métaphore chère au Lamido de Maroua, Sa Majesté Yérima Bouba
Page | 154
Bakari, le pharaon de lamibbe, pour traduire celui qui a le pouvoir absolu sur les chefs coutumiers
musulmans.
D’un autre côté, le parti du Renouveau (RDPC) a été managé comme une institution
coutumière musulmane dont le président national du parti, à l’image du Lamido, incarne seul le
parti ; le Bureau politique et le Comité central constituent la Faada chargée de répercuter les
42
Par lamidalisation du pouvoir, il faut entendre l’application de modèle de gestion du pouvoir propre aux chefferies
traditionnelles musulmanes (Lamidats) à la gouvernance démocratique de l’Etat.
43
SINDJOUN (L.), « Elections et politique au Cameroun: concurrence déloyale, coalitions de stabilité hégémonique
et politique d'affection », African Association of Political Science, vol.2, n°1, 1997, p. 93.
44
Voir CEA, Rapport sur la gouvernance en Afrique III, 2013, p. 221, cité par SOUARE (I.K.), Les partis politiques
de l’opposition en Afrique. La quête du pouvoir, Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2017, p. 107.
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décisions du Président/Lamido ; et les militants de base sont assimilables aux sujets de Lamido qui
doivent recevoir des ordres sans geindre45.
45
Les Textes de base du RDPC (Edition 2009) ont fait du Président national (Paul Biya) de ce parti une personnalité
ayant qualité d’un sultan à l’état moderne en lui reconnaissant le pouvoir absolu de faire, défaire et de refaire les
organes et les responsables politiques du parti. Ainsi, l’Article 28 (1 & 2) dispose respectivement que : « le Président
National peut changer un membre du Bureau politique ou du Comité central du suivi des activités d’une ou de
plusieurs Sections ou Sous-Sections », « le Président National peut également créer, au niveau provincial, une
Délégation du Comité central chargée de coordonner les activités du Parti (…) ».
46
Sur la naturalisation du Paul Biya comme candidat du RDPC, voir l’Article 27 (3) des Textes de base du RDPC, qui
dispose que « Il [le Président national du RDPC] est le candidat du Parti aux élections présidentielles ».
47
OWONA NGUINI (M.E) et MENTHONG (H-L.), «"Gouvernement perpétuel" et démocratisation janusienne au
Cameroun (1990-2018) », Politique africaine, n° 150, juin 2018, p. 97.
48
EBOKO (F.) et AWONDO (P.), « Cameroun, l’État stationnaire », Politique africaine, n° 150, juin 2018, p. 7.
49
OWONA NGUINI M.E) et MENTHONG (H-L.), «"Gouvernement perpétuel" et démocratisation janusienne au
Cameroun (1990-2018) », op.cit., p. 97.
50
Idem.
51
Ibid., p. 102.
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comme à l'intérieur. Dans une large mesure, il se confond avec le système politique lui-même »52.
La confusion de la figure du Président Paul Biya au système politique lui a donné un « profil
charismatique et totalitaire », c’est-à-dire celui qui incarne un pouvoir despotique et régulateur
comme centre et symbole de la rencontre et de la diffusion de réseaux complexes de pouvoirs53.
Page | 156
L’adaptation du commandement traditionnel à la gouvernance de l’Etat a rendu la
limitation des mandats présidentiels caduque ; puisque le Président Paul Biya en Baaba-baaba’en
est appelé à gouverner à vie. C’est donc dans la logique de césarisation du pouvoir, que le
Renouveau a pulvérisé, à l’occasion de la révision constitutionnelle d’avril 2008, le verrou
constitutionnel limitant les mandats présidentiels, introduit par la Constitution du 18 janvier
199654. Par conséquent, le mandat présidentiel étant illimité, les normes électorales favorables à la
déloyauté électorale, les institutions politico-économiques patrimonialisées, les populations
réduites en « simples sujets », le régime du Renouveau a victorieusement réussi à faire de l’Etat
du Cameroun une « véritable chefferie d’Etat » où « le Président gouverne et nul ne peut lui
contester de trancher en dernier ressort. Il a droit naturellement au prestige que lui confère le
commandement. Là où sont les responsabilités, là doivent être le pouvoir et les honneurs »55. Il est
donc sans conteste que le Président Paul Biya soit le Lamido de la chefferie d’Etat.
Ainsi, par sa longévité presqu’inégalée au pouvoir, le Président Paul Biya incarne l’Etat du
Cameroun aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur : d’où le référent journalistique « Le Cameroun
de Paul Biya ». Le référent « Le Cameroun de Paul Biya » témoigne de « la personnalisation du
pouvoir » résultant d’une « néo-patrimonialisation poussée » du pouvoir56. Par conséquent, il y a
une déclinaison ou plutôt une évanescence de la figure de l’opposition politique dans la logique
où « Deux coqs ne peuvent coexister dans la même basse-cour »57 ou « deux crocodiles ne
sauraient cohabiter dans un seul marigot » puisque, comme l’a dit un proverbe congolais, « Le
pouvoir se mange en entier »58. C’est dans ce sens qu’ayant la capacité de « manger presque seul
52
CONAC (G.), « Portrait du chef de l’Etat », Pouvoirs (Revue Française D'études Constitutionnelles Et Politiques),
n°25, 1983, pp. 121.
53
COQUERY-VIDROVITCH (C.), « A propos des racines historiques du pouvoir : « Chefferie » et « Tribalisme » »,
Pouvoirs (Revue Française D'études Constitutionnelles Et Politiques), ibid., p. 51.
54
OWONA NGUINI M.E) et MENTHONG (H-L.), «"Gouvernement perpétuel" et démocratisation janusienne au
Cameroun (1990-2018) », op.cit., p. 102.
55
CONAC (G.), « Portrait du chef de l’Etat », op.cit., pp. 122-123.
56
FOUCHER (V.), « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et reconstruction du pouvoir
personnel », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 129.
57
CONAC (G.), « Portrait du chef de l’Etat », op.cit., pp. 122-123.
58
FOUCHER (V.), « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et reconstruction du pouvoir
personnel », op.cit., pp. 129 &131.
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Conclusion
59
EBOKO (F.) et AWONDO (P.), « Cameroun, l’État stationnaire », op.cit., p. 6.
60
Sur le « néopatrimonialisme prédateur », voir BACH (D.C.), «Patrimonialisme et néopatrimonialisme : lectures et
interprétations comparées », BACH (D.C.) et GAZIBO (M.) (dir.), L’État néopatrimonial : genèse et trajectoires
contemporaines, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2011, p. 45.
61
DUVERGER (M.), Science politique, Paris, Puf, 1968, p. 300, cité par Ngango Youmbi E.M., Balla Cissé, «
Chronique de trente-deux ans de coups d’État en Afrique (1990-2022) », Revue française de droit constitutionnel,
vol.1, n° 133, 2023, p. 32.
62
HOLO (T.), « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les Constitutions du renouveau démocratique dans
les États de l’espace francophone africain : régimes juridiques et systèmes politiques », RBSJA, 2006, n°16, p. 31, cité
par Ngango Youmbi E.M., Balla Cissé, ibid., pp.25-26.
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consisté à exercer « une influence constante sur la manière de diriger les affaires » puisque
« l’éventualité de retourner un jour dans l’opposition pouvait inciter les dirigeants de la majorité
en place à traiter correctement les adversaires politiques susceptibles de leur succéder »1.
Page | 158
1
BRAUD (P.), Le jardin des délices démocratiques, Paris, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,
1991, p. 41.
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Résumé :
Très souvent, les déséquilibres sociopolitiques dus au rapport de force entre le pouvoir
central et l’opposition, contribuent à l’émergence de nouveautés, dans la vie quotidienne.
Lesquelles peuvent être phagocytées à des fins politiques. Parmi ces nouveautés, figure le
phénomène de motos-taximen, qui entretient de manière ambivalente, un rapport d’amour et de
haine politique, envers les garants de l’ordre républicain. Il s’illustre tel un élément d’acquisition
du gagne-pain des plus pauvres, mais aussi, comme un véritable gadget de défense, voire de
mobilisation pour ou contre le pouvoir politique central. Cette étude tente de prouver que, ce
rapport pourrait contribuer soit à la chute du régime camerounais, au biais d’une révolution des
conducteurs de motos si la haine a été déterminante, soit à son évidence de continuité, si le rapport
d’amour a dominé les arènes politiques.
Abstract:
Very often, socio-political imbalances due to the balance of power between the central
power and the opposition, contribute to the emergence of novelties in daily life. Which can be
phagocytized for political purposes. Among these innovations is the phenomenon of motorbikes- Page | 160
taximen, which maintains in an ambivalent way, a relationship of love and political hatred,
towards the guarantors of the republican order. It stands out as an element of acquiring the
livelihood of the poorest, but also as a real gadget of defense, even of mobilization for or against
the central political power. This study tries to prove that, this report could contribute either to the
fall of the Cameroonian regime, through a revolution of motorcycle drivers if hatred was decisive,
or to its evidence of continuity, if the relationship of love dominated the political arena.
Introduction
Avec ces bendskineurs10, le rôle principal de la moto s’est trouvé modifié en fonction des
conjonctures politiques, mais aussi, en fonction des mœurs11. Il s’agit d’un renouvellement dans
l’usage de gadgets, au service des répertoires d’action collective nouveaux. Étant entendu que, le
1
Védrine (H), Dictionnaire amoureux de la géopolitique, Paris, Plon Fayard, 2021, p. 419.
2
Bayart (J-F), Mbembe (A) et Toulabor (C), Le politique par le bas en Afrique noire : contribution à une
problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
3
Par « instrument de survie primaire », nous entendons les objets qui sont capables de donner à l’homme, des choses
qui peuvent l’aider à satisfaire ses besoins vitaux. Notamment sa nutrition, son logement, la santé, son épanouissement,
sa protection, y compris celle de sa famille entière. Au Cameroun, parmi les instruments de survie primaire, figure la
moto qui permet à l’homme d’assurer ses besoins vitaux.
4
Lire et relire Tilly (C), « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-
Bretagne », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, n° 4, 1984, pp. 89-108.
5
Il s’agit d’un engin à deux roues, fonctionnant à l’aide d’un moteur. Notons que, les motos utilisées au Cameroun,
sont pour la plupart, d’origine chinoise et indienne. Il s’agit des motos de marque Nanfang, Macat, Sanili, Senke, Bajaj
etc. Elles transitent de la Chine voire même de l’inde et le Nigéria, pour le port autonome de Douala. Une fois à cet
endroit, les motos sont acheminées vers les grandes boutiques, et sont commercialisées en fonction de leur qualité, la
performance ou la résistance. Les prix varient entre 570 000 FCFA, 500 000 FCFA, 450 000 FCFA, 350 000 etc. Il
est possible de trouver une moto d’occasion, au prix de 100 000 FCFA, 150 000, 90 000 FCFA, 70 000 FCFA etc.
6
Bayart (J-F), « Le politique par le bas en situation autoritaire », Esprit, vol. 6, n° 90, 1984, p. 142.
7
Tous les propriétaires de motos, ne sont pas forcément des motos-taximen. D’aucuns utilisent ces engins parfois à
titre personnel (lors des déplacements pour aller au travail, aller transporter certains de leurs objets lourds etc).
8
Tout au long de cette étude, l’on utilisera les mots « appareil » ou « engin » pour désigner les motos-taxis.
9
Le Cameroun, étant un pays sous-developpé, les motos-taxis y sont très utiles dans les métropoles tout comme en
campagne. Elles servent au transport des personnes et leurs biens. La moto est propice à la facilitation du transport de
marchandises provenant d’espaces ruraux. Ces ruralités ont des reliefs hostiles à l’usage de véhicules comme moyens
de transports.
10
Synonyme aux expressions : conducteurs de motos, motos-taximen.
11
Parlant de mœurs, au Cameroun, les motos-taxis sont utilisées pour une plus ample mobilisation pendant les
obsèques.
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concept de répertoire d’action collective chez Cécile Péchu, « désigne le stock limité de moyens
d’action à la disposition des groupes contestataires »12 or pour Charles Tilly, c’est « une série
limitée de routines qui sont apprises, partagées et exécutées à travers un processus de choix »13.
Dans le champ de motos-taxis, ce répertoire en tant que stock de moyen ne consiste à la
Page | 162
réappropriation des usages de l’appareil à deux roues appelé « moto ». Étant au secours des survies
primaires au Cameroun, la moto et les motos-taximen s’illustrent comme des instruments de
rebéllion, de révolte populaire et de revendication d’intérêt général contre le gouvernement. C’est
tout d’abord, d’excellents outils de fraternité, de brassage, de légitimation14 et d’amour envers les
institutions. Sauf que par la suite, a émergé un style d’expression motorisée15 des plus faibles, et
la pratique par eux, du rapport de force envers le pouvoir politique central. Une ingénierie frontale
phagocytée et reconstruite par l’opposition, pour la conquête et l’exercice du pouvoir.
12
Péchu (C), « Répertoire d’action », Dans Fillieule (O), Mathieu (L), Péchu (C) (dir.), Dictionnaire des mouvements
sociaux, Paris, P.F.N.S.P, 2009, pp. 553-554.
13
Tilly (C), cité par Péchu (C), op. cit., pp. 553-554.
14
Lagroye (J), « La légitimation », dans Grawitz (M) et Leca (J), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985.
15
Par expression motorisée, nous entendons cette nouvelle manière des motos-taximen, à utiliser le Klaxon de leurs
motos, pour faire du bruit lors des mobilisations, revendications, mouvements de rébellion.
16
Amougou Mbarga (A-B), « Le phénomène des motos-taxis dans la ville de Douala : crise de l’État, identité et
régulation sociale. Une approche par les cultural studies », Anthropologie et Société, vol. 34, n° 1, 2010, p. 57.
17
Amougou Mbarga, op. cit., p. 57.
18
2008 est le point culminant du rapport de force entre les motos-taximen, les agents d’autres secteurs, la société
civile, et l’opposition. Presque tous étaient dans la rue, contre l’État et le président de la République au sujet du prix
lié au carburent.
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ces patriarches et gérontocrates politiques ont entrepris une criminalisation de l’État pour en faire
une démocratie ‘‘ manducante’’ »19.
Ainsi, l’ambivalent rapport (désaffection [haine] et affection [amour]) entre les motos-
taximen et l’État, est un fait au sein de la capitale économique qu’est Douala. Partant de ces
considérations il conviendrait de définir le rapport comme étant une relation, bref les interactions
régulières qu’entretiennent les motos-taximen avec le pouvoir central. Le domaine de motos-taxis
n’est pas très loin des transports urbains artisanaux, renseigne Joseph Keutcheu. « Les motos-
taximen se définissent en tant que groupe à la fois ‘‘ marginal ’’ et essentiel dans les rapports
sociaux de la ville de Douala »20 énonce Alphonse Amougou Mbarga. Il s’agit « d’un secteur du
transport urbain artisanal »21 clarifie Keutcheu. Partant de là, avec le constat de quelques
imprécisions, définir le concept de motos-taximen revient à faire des éclairages sur ce qui peut, de
notre point de vue, créer des confusions.
19
Djouda Feudjio (Y-B), « Les jeunes bendskineurs au Cameroun : entre stratégie de survie et violence de l’État »,
Autrepart, vol. 3, n° 71, 2014, pp. 97-117.
20
Amougou Mbarga (A-B), op. cit., p. 72.
21
Keutcheu (J), « Le ‘‘fléau des motos-taxis’’. Comment se fabrique un problème public au Cameroun », Cahiers
d’Études Africaines, vol. LV (3), n° 219, 2015, p. 523.
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De ce fait, il exerce là, une profession qui reste en l’état du bénévolat. Même s’il tend à sortir de
l’informel ou encore de l’artisanat, note est d’établir que, le terme « bendskineur » est synonyme
de moto-taximan. C’est-à-dire une personne qui utilise de la moto à deux roues, munie d’un
moteur, comme moyen de transport-payant. C’est en cela que, son exercice en tant qu’activité
Page | 164
quotidienne l’a rendu tel un phénomène, raison pour laquelle, on parle de phénomène de motos-
taximen. Par moto, il faut entendre ici, l’appareil, l’engin ; celui qui a cette particularité d’avoir
la caractéristique d’un amas d’alluminium et d’acier ordonné et constitué de deux roues, un moteur
(généralement), une épaisseur moyenne, distincte de celles ayant une épaisseur petite (scooters,
motocyclette etc.) ou une épaisseur grande (moto-cross, moto dite de GP22 etc). Au Cameroun et
particulièrement à Douala, sont les plus utilisées, des motos23 de marque Sanili, Bajaj, Nanfang,
Lifang, Senke, TVS, BLi, Macat et bien d’autres24. Le phénomène de motos-taxis quant à lui,
regroupe une panoplie de facteurs, d’évènements, d’actions, d’acteurs voire d’instruments. Il s’agit
de tous ce qui englobe l’émergence et la continuité de l’activité motorisée à titre de profession
« bénévolante »25, encore informelle, insaisissable ou passoire entre les mains de l’État. L’on
considère le pouvoir politique central comme renvoyant à l’État, ses démembrements, ou même
au prince.
Dès lors, la question centrale est celle de savoir : comment se présente le rapport entre les
motos-taximen de la capitale économique-Douala et le pouvoir central ? Une telle opportunité
analytique, au moyen du constructivisme, du systémisme, du marxisme et de l’interactionnisme
stratégique permettra de rendre empiriquement compte de ce phénomène. Les enquêtes
documentaires et de terrains pourront faire prévaloir la scientificité de l’objet présent. C’est dans
ce vaste champ que, le rapport de haine, puisqu’il a participé à l’émergences des motos-taximen
(I), mérite d’être étudié et analysé, suivi du rapport d’amour (II) qui, de son côté, porte l’empreinte
des lenteurs de l’État, dans ses tentatives de réappropriation dudit secteur.
22
Celle utilisée dans les compétitions du grand prix moto.
23
Dans les années 1999-2003, l’on utilisait beaucoup les motos appelées « chien noir ». Il y avait aussi, des motos de
marque Yamaha.
24
Ce sont là, un échantillon des types de motos les plus usités par des individus exerçant à titre de profession
bénévolante, le « métier de moto-taximan ».
25
L’on utilise cette expression, pour désigner une activité qui se fait sous le modèle de la débrouille.
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I- LE RAPPORT DE HAINE
L’indice de haine reste prédominant dans le rapport entre motos-taximen et l’ordre établi,
au sein de la capitale économique. Il est perceptible dans le rigoureux rapport d’opposition envers
le pouvoir politique central (A), lequel tend à emprunter le chemin de la révolution (B). Page | 165
A- Le fait d’opposition
Dans la ville de Douala, l’opposition a presque toujours influencé efficacement les riverains.
ceci pouvant s’expliquer par sa méthode particulière, d’invention des nuisibilités. Réellement, elle
a une approche d’appropriation de tous phénomènes nouveaux, pouvant être propices à la nuisance
des garants de l’ordre politique. C’est le cas avec le phénomène de motos-taximen qui émerge vers
les années 1990 dans un bain de haine où, l’opposition fait violemment face au pouvoir central du
Cameroun ; et « les chauffeurs de taxis […] entrent en grève »26. De cette période de haine entre
opposants et pouvoir central, s’est métamorphosée une pratique à Douala. Il s’agit du fait
d’interdiction de circulation des véhicules27. Lequel aurait facilité l’usage de la moto, laissant dès
lors prospérer et fluidifier la communication indispensable à la collaboration des stratégies
frontales. Lesdites stratégies étaient susceptibles de faciliter l’entrepreneuriat de villes mortes.
Une fois ce trouble de 1990 rangé dans les placards de l’histoire politique et institutionnelle
du Cameroun, le fait de se déplacer à moto en portant un inconnu s’est inscrit dans la logique de
rentabilité, donc du gain, et par ricochet, le gagne-pain. Au moyen de l’instinct de lutte pour
l’amélioration des conditions sociales, les villes mortes ont en effet pervers, officialisé
l’émergence d’un secteur de survie. Plus que l’État, le secteur évoqué a donné aux couches
défavorisées, un moyen de débrouillardise autonome qu’est le phénomène de motos-taxis. Fred
Jérémie Medou Ngoa enseigne que « l’activité de moto-taximan est [ …] devenue un ultime
recours. Si les parents réussissent à acheter une moto à leur fils, il s’y engage. […] lorsque le tiers
de la population vit de petits métiers, les gens n’attendent que les brèches pour se mobiliser »28.
Cette réalité possède comme déterminant, le fait que l’État a été incapable de répondre
favorablement aux doléances en termes d’amélioration des conditions de vie qui ont
précédemment fait objet de rébellion. Surtout que, c’est aux braises de tensions et haines, que les
26
Ngayap (P-F), L’opposition au Cameroun. Les années de braise, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 11.
27
Lire Amougou Mbarga (A-B), op. cit., p. 57.
28
Medou Ngoa (F-J), 2022, « Appréhender l’État en crise de régulation du désordre urbain à l’aune des problématiques
de sécurité humaine et d’atteintes aux biens : cas de la capitale économique camerounaise », Revue Africaniste Inter-
Disciplinaire-RAID, n° 26, p. 55.
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motos-taxis doivent leurs existences en tant que secteur d’activité à l’auto-rémunération29. Comme
le rappelle Djouda Feudjio, « ‘‘les villes mortes’’, accompagnées de violences ouvertes et
sanglantes vont paralyser l’économie nationale »30.
Au Cameroun, ce secteur est né de la violence politique. Raison pour laquelle, d’après les Page | 166
motos-taximen, il serait inacceptable d’abandonner son conrtrôle global, dans les mains du
gouvernement. « Si on demandait à Paul Biya de nous donner du travail il allait le faire ? À ses
débuts le travail de moto-taximan était un travail honteux pour le gouvernement. Dans les écoles,
on enseignait aux enfants de ne pas finir comme bendskineurs. Si on demandait à Paul Biya de
nous acheter la moto qui pourra nous faire déjeuner chaque matin il pouvait le faire pendant cette
époque ? Je ne pense pas ! Pour l’État, faire de la moto n’était pas un travail. Comme nous nous
sommes battus jusqu’à nous imposer au sein de la société, aujourd’hui, le gouvernement veut nous
contrôler. Il ne pourra pas nous contrôler totalement ! »31 rapporte un interviewé. Ainsi, dans les
années 1993-1994, le secteur de motos-taxis s’est réellement autonomisé. Comme le témoigne un
autre conducteur, « on était devenus autonome vers 1993 jusqu’en 2007 parce que les villes mortes
étaient terminées et les opposants avaient pris leur chemin. Nous n’obéissions maintenant qu’à
nous-mêmes, profiter de notre conduite pour trouver à manger […], plus de politique ! »32.
En profondeur, il s’y est déroulé dans le passé, une tentative de refoulement de cette activité,
par les autorités publiques. Ceux-ci désiraient privilégier un secteur de transport plus esthétique,
sain et décent, conformément à l’idéal de modernité. « Je fais partir des rares personnes ayant
commencé à conduire la moto à Douala […]. Nous avons eu d’énormes difficultés pour nous
imposer dans ce domaine. Les autorités publiques avaient l’air de privilégier les taximen33 plus
que nous, qui n’avons que des motos. Parcequ’ils semblaient faire la publicité des transports
confortables […]. Jusqu’à présent, la non circulation des motos-taxis à Bonanjo est une preuve,
une trace de ces anciennes ambitions de l’État. Aujourd’hui c’est eux qui demandent qu’on paie
l’impôt ? D’ailleurs je ne l’ai jamais fait qu’ils viennent m’arrêter. Je roule uniquement dans la
29
En effet, la plupart des motos-taximen ont un engin qui leur appartient. Avec cette moto, ils exercent l’activité de
transport urbain ou rural. Il existe aussi certains d’entre eux, qui travaillent pour des particuliers ; ceux-ci sont
rémunérés en fonction de leurs ententes avec le ou les véritables propriétaires de motos.
30
Djouda Feudjio (Y-B), op. cit., pp. 97-117.
31
Entretien du 30 juin 2021 vers 15 heures 40 minutes, avec un bendskineur, au carrefour Entrée-Bille, dans
l’arrondissenent de Douala 3ème.
32
Entretien du 30 juin 2021, au carrefour Entrée-Bille, op. cit.
33
Les taximen sont des individus utilisant de la « voiture » comme moyen de transport-payant. Ils sont différents des
bendskineurs qui utilisent de la « moto ».
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nuit »34. Ce propos emmène à comprendre que, la rancune fait partir des motivations de ces
chauffeurs de motos, à ressentir des haines pour l’ordre dirigeant.
C’est en 2008, avec les émeutes de la faim, et la flambée du prix du carburant, que les motos-
taximen ont repris le chemin des mobilisations violentes35. Dans cette perspective, l’opposition, Page | 167
ayant redétecté36 en eux une énergie en termes d’influence politique sur le terrain, s’est déployée
pour les phagocyter et les enrôler. L’opposant « Jean Michel Nintcheu avait mobilisé les motos-
taximen et une grande masse au lieu-dit rond-point Dakar, c’est pourquoi chaque année, depuis
2008, il y dépose une gerbe de fleur à cet endroit en hommage aux conducteurs et civils
décédés »37.
Depuis cette année précitée, l’opposition radicale n’a plus négligé ce secteur dans tous leurs
projets d’actions collectives à relents insurrectionnels. En fait, au sein de la capitale économique,
lorsqu’il y a projet de contestation et de protestation, c’est d’abord ce domaine d’activité qui est
ciblé par les porteurs de projets relatifs aux crises. Ceci s’explique par le fait
qu’anthropologiquement, le secteur de motos-taxis regorge dans la majorité de cas, par les
individus à l’âme rebelle. S’il est sociologiquement admis que les pauvres ont une tendance
contestataire38 plus accrue vis-à-vis des institutions républicaines par rapport aux riches, force est
de noter que, le secteur de motos-taxis est celui où s’émeuvent le plus, les individus ayant un mode
vie bénévole. C’est le lieu où on trouve aussi pour des raisons de survie, des individus ayant
affronté les pires atrocités de la vie. On y trouve aussi, des gens au profil de bandits, tueurs en
série, « tapeurs de sacs »39, etc.
Bref il s’agit d’un secteur très attractif pour les non scolarisés, les hors-la-loi et les individus
manifestant un certain mépris pour les institutions. Ce constat semble se légitimer par eux, dans
leur attitude à désigner l’État comme responsable du mal-être qu’ils vivent au quotidien. Certains
34
Propos du 22 mars 2021, tenus par un benskineur sous anonymat, rencontré au carrefour Kombi non loin du quartier
Elf.
35
Même les taximen, les vendeurs à la sauvette, mécaniciens ; bref la majorité des composantes sociologiques les plus
pauvres étaient dans la rue.
36
« Redétecté » signifie détecter à nouveau.
37
Entretien avec Edmond Kamguia en 2019, au sein de l’immeuble Équinoxe (situé au carrefour mobile
Bonakanwang-Akwa).
38
Winter (G), L’impatience des pauvres, Paris, PUF, 2002, p. 28.
39
Les tapeurs de sacs, sont des personnes au profil de voyous. Ils savent faire des cascades avec la moto. C’est des
individus dotés d’une haute capacité de manipulation des motos en déplacements. Ils oriente donc cet atout de la
maîtrise de l’engin à deux roues, afin d’arracher avec allure, les sacs de citoyens ordinaires, avec espoir d’y trouver
de l’argent indispensable à leur survie.
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parmi ces conducteurs, croient qu’une révolte de leur part, serait capable de changer l’avenir
sociale et politique du Cameroun. Or selon Winter, dans une perspective marxiste, « les intérêts
divergeants des puissants et des faibles ne sont pas équilibrés par une contestation démocratique
»40. Comme pour dire que, ce n’est pas forcément dans la protestation et le changement, que les
Page | 168
couches défavorisées parviennent à une meilleure articulation d’un mode collectif de vie arc-en-
ciel. Le phénomène de motos-taxis est un secteur regorgeant de plus en plus des retraités, étudiants
et collégiens qui s’y lancent eux-aussi, à la recherche des moyens de subsistances.
Le secteur de motos est l’un des domaines civils au Cameroun, qui est en perpétuelles
échauffourées et challenges avec le pouvoir politique central et ses démembrements (police,
gendarmerie). De nombreuses tensions existent quotidiennement entre ce corps d’activité et la
police municipale ; sur la question des pièces officielles (impôt, carte grise, vignette, assurance).
Des confrontations y naissent parfois, suite au refus des conducteurs de motos-taxis, à s’acquitter
desdites pièces. En début d’année 2021 nous avons vécu des affrontements violents entre la police
municipale et les conducteurs de motos à Douala, au lieu dit SCDP41, non loin du marché Mboppi.
« Cet affrontement est dû au fait que, c’est le moment où la police municipale fait le contrôle de
l’impôt libératoire, la carte grise l’assurance et la vignette. Normalement, elle devait se
positionner à Mboppi pour effectuer ce contrôle. C’est à ce niveau qu’est située leur base. Mais
comme les bendskineurs ne les aiment pas, ils ne veulent payer les taxes et tomber en possession
de ces pièces officielles. Les motos-taximen au lieu de passer à Mboppi, préfèrent virer au niveau
de la SCDP. C’est pourquoi, les agents de la mairie ont compris ce système et sont donc montés
vérifier les pièces de chaque bendskineur au niveau de la SCDP. Chose qui a créé le conflit. Parce
que les conducteurs de motos demandent à ces agents municipaux de les attendre à Mboppi, et
non à la SCDP. Ceux qui le disent n’ont pas leurs pièces. C’est des rebelles ! Et c’est pourquoi la
police municipale confisque leurs motos, y compris les clés. D’où cette bagarre en pleine rue entre
les bendskineurs et la police municipale »42. On peut comprendre l’attitude d’un conducteur de
moto, qui s’interroge : « comment est-ce que des gens qui mangent là-bas à Yaoundé peuvent-ils
encore se permettre de manger dans nos poches ? Nous, qu’ils combattent au quotidien dans ce
qu’ils appellent ‘‘ cartes grises et impôts’’ ? Nous avons d’abord souffert pour être reconnus et
40
Winter (G), op. cit., pp. 63-64.
41
SCDP signifie Société Camerounaise des dépots pétroliers. Il s’agit du lieu habritants certaines réserves de pétrole
à Douala, situés entre le carrefour dit AGIP et le marché Mboppi.
42
Entretien du samedi 08 mai 2021, avec un conducteur de moto aux environs de 10 heures et 11 heures, dans l’une
des rues du carrefour de la SCDP.
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acceptés par eux, on meurt au soleil en travaillant pour qu’ils mangent ? Même quand nous payons
ces affaires-là, la mairie et l’État font quoi avec ? À certains endroits, il y a des creux au milieu
du goudron ! Ils mangent l’argent du pauvre contribuable »43 ! Cette personne parle en ignorant
qu’il y aurait, à Douala, des communes entièrement gérées par l’opposition. D’autres sont très mal
Page | 169
entretenues par les maires desdites circonscriptions. Prenons à Titre d’exemple, la commune
d’arrondissement de Douala 3ème, qui a été gérée par le SDF44 à travers monsieur le maire Job
Théophile Kwapnang, et ses adjoints, notamment Monsieur Achille Azemba. Durant leur mandat
(2013-2020), le tronçon entre la zone industrielle et le petit tunnel de Logbaba regorgeait des creux
non bitumés au milieu des routes, surtout en face de la société Biopharma. Mais, curieusement, à
20 mètres, au niveau du lieu « dit Forestière », la police municipale positionnées par ces derniers,
ne cessait de stopper les motos-taximen pour le paiement des impôts45. Au Cameroun, à l’heure
actuelle, la majorité des communes d’arrondissements de la capitale économique qui sont les plus
mieux entretenues semblent celles gérées par les maires issus du parti RDPC 46. Notons à titre
d’exemple, la commune de Douala 5ème de feu madame le maire Françoise Foning, la commune
de Douala 2ème de madame le maire Dénise Fampou Tchaptchet. Sauf qu’avec le temps, les
bendskineurs se sont constitués en véritables gladiateurs de défense des intérêts du bas47.
Le phénomène de motos-taxis semble prendre les allures d’un secteur de révolution. Avec
pour argument, la défense des intérêts du peuple. En effet, dans un pays où le parti dominant a su
phagocyter les opposants, s’en approprier certains d’entre eux, jusqu’à détenir une main mise dans
le fonctionnement d’autres partis politiques ( à l’exemple de ceux regroupés sous l’appellation de
G2048 notamment l’UPC49, le PADDEC50 etc), les motos-taxis semblent encore les seuls derrière
qui, même l’opposition radicale et la société civile trouvent refuge, pour espérer faire la révolution
43
Op. cit.
44
Signifie Social Democratic Front.
45
Même l’achèvement de la construction du marché Ndogpassi n’a pas encore été effectué par ces derniers, depuis
leur mandature.
46
Signifie Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais.
47
Par « le bas », il faut entendre le peuple, bref les citoyens lambda.
48
Au Cameroun, le G20 regroupe les partis politiques ayant soutenu le Président Paul Biya aux élections d’octobre
2018.
49
En effet, depuis 2018, il existe un conflit de leadership au sein de l’Union des Populations du Cameroun (UPC).
Tantôt, pour certains, c’est Pierre Baleguel Nkot jugé très proche de l’opposition, qui en est le sécrétaire général de
cette formation politique. Tandis que, pour d’autres, c’est Bapoh Lipot, jugé proche du parti au pouvoir RDPC, qui en
est le leader principal, et reconnu par le ministère de l’administration territorial comme le véritable secrétaire général.
50
PADDEC signifie Patriotes Démocrates pour le Développement du Cameroun. C’est un parti politique dont le leader
est monsieur Jean De Dieu Momo actuel ministre délégué au ministère de la justice.
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Pour arriver dans son lieu de meeting à Douala, notamment au collège Saint Michel,
l’opposant Kamto a été escorté massivement, par les motos-taximen de Douala, tel un indice de sa
légitimation par les bas d’en bas. L’on peut dire que, le meeting de ce dernier a été fait à 30 %, par
son capital politique que constitue les motos-taximen. Et cela s’est fait non seulement dans la
capitale économique Douala, mais aussi, dans toute la région du Littoral. On peut comprendre
pourquoi, les chiffres officiels publiés par Elecam52 attestent que, Maurice Kamto est sorti
deuxième avec un pourcentage total de 14, 23 % de voix, à la suite du Président Paul Biya qui en
a eu 71, 28 %. Et que, dans ces 14, 23 % de voix, au Littoral, le candidat du MRC était en tête
avec 38, 60 % de voix dont 33, 05 % (département du Moungo), 11, 31 % (département du Nkam),
5, 46 % (département de la Sanaga-Maritime), 46, 21 % (département du Wouri). Tandis que, le
candidat du RDPC, monsieur Paul Biya, venait avec un pourcentage de 35, 75 % de voix dans
cette Région53 ; donc, en seconde position dans le Littoral, après Maurice Kamto. L’on peut alors
constater que, ce résultat était aussi en partie, l’œuvre des motos-taximen qui, en escortant le
candidat Maurice Kamto, ne cessaient d’hurler : « trop c’est trop, c’est le moment ! C’est le
moment ! Biya tu dois partir ! Tu nous as tué ! Même avec la moto tu ne nous laisse pas ? Tous les
jours le prix du carburent augmente ? Votez Kamto ! Votez Kamto ! Votez Kamto »54. Ce propos
illustre en partie, le rapport de haine qu’entretien les motos-taximen de la capitale économique-
Douala, envers le régime Biya. Tant ces derniers ont porté avec flamboyance, le candidat du MRC,
monsieur Kamto Maurice ; même s’il est à mentionner que ces motos-taximen accompagnaient
aussi les représentants du candidat Paul Biya dans le Littoral. D’autant plus que, ces acteurs de
motos sont des individus rationnels qui se mobilisent souvent pour la recherche du gain lors des
51
Renvoie à Mouvement pour la Renaissance du Cameroun.
52
En effet, Elecam signifie Elections Cameroon. C’est l’organe dit indépendant, en charge de gestion des élections au
sein de la République du Cameroun. Voir à ce propos, le quotidien Cameroon Tribune, n° 11707/7906 – 44e année
du mercredi, 24 octobre 2018, p. 1.
53
Cameroon Tribune, n° 11706/7905 – 44e année du mardi, 23 octobre 2018, p. 12.
54
Écoutes et constats faits par nous sur le terrain, notamment en date du samedi 22 septembre 2018, entre 12 heures
et 18 heures au collège Saint Michel. Nous y étions depuis 07 heures 30 minutes, pour des enqueêtes de terrains,
relatifs à ce meeting politique.
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meetings relatifs à tous les candidats confondus, et à l’issue desquelles, ils obtiennent des
rémunérations allant de 5 000 Francs CFA à 10 000 voire 15 000 par bendskineurs.
Dans la ville de Douala, très souvent, plus que la police, les motos-taximen sont appréciés
par les masses. D’autant plus qu’il existe extraordinairement, une alchimie dans le sentiment Page | 171
réciproque entre les conducteurs de motos, et la population à qui ces derniers rendent services.
Parfois, le déterminant de ce sentiment est l’incommensurable bouclier que, les motos-taximen ont
toujours fourni aux populations pendant les périodes de malheurs (crises sociopolitiques, levées
de corps etc). Dans le cas d’espèce, au sein d’autres régions du Cameroun, notamment ceux du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest, « partie […] des mouvements d’humeur ostensiblement annoncés,
la crise […] s’est très rapidement transformée en grève […] étaient impliqués […] des motos-
taximen »55. Ici, « l’exigence du retour au fédéralisme a mouvementé l’atmosphère
camerounaise »56.
55
Datidjo (I), Les révoltes sociales au Cameroun : violence et antiviolence, Paris, L’Harmattan, 2022, p. 66.
56
Ketcha Tantchou (R), Crises et changements politiques au Cameroun : contribution à l’étude de la gestion de la
crise anglophone (2016-2019), Mémoire de master en science politique, Université de Douala, 2018, p. 45.
57
Entretien du mois de février 2022 avec un sauveteur (revendeur de T-shirt) au marché Ndokotti.
58
On dit moto-taximan au singulier et motos-taximen au pluriel. C’est une expression composée du francais (moto au
singulier voire motos au pluriel) ; et de l’anglais (taximan au singulier ou taximen au pluriel).
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politique (pouvoir central), les motos-taximen ont cet aura qui pousse les uns et autres à les
considérer abusivement, comme des « propriétaires de l’espace public » ; et se prennent comme
telle59.
Les motos-taximen haussent l’image des opposants. Quelquefois, il leurs offrent une sorte Page | 172
de cortège qui accroît les côtes de popularité d’un leader. « Après sa sortie de prison, suite aux
marches de septembre 2020, Maurice Kamto est allé à une émission qu’on appelle ‘‘la vérité en
face’’, sur la chaîne Équinoxe TV […]. Par la suite, dès qu’il est sorti de l’immeuble Équinoxe, il
a bénéficié gratuitement d’une escorte de la part des benskineurs allant du carrefour dit ‘‘mobile
Bonakanwang’’ jusqu’en dehors d’Akwa. À maintes reprises, après ses tournées à Doula, nous les
bendskineurs, on l’escorte jusqu’au pont de la Dibamba lorsqu’il veut rentrer chez lui à Santa
Barbara dans la ville de Yaoundé »60.
De mise, le domaine des motos-taxis est de plus en plus organisé, avec un ensemble de codes
et règles écrits ou non écrits. Il est maîtrisé par la majorité de ses usagers. Comme l’illustre un de
ces conducteurs, « les motos-taximen de Douala sont organisés en plusieurs groupes et en fonction
de leurs zones d’exercices. Ceux du groupe COMECI par exemple, sont bien organisés. COMECI
a des sous camps notamment COMECI 1, COMECI 2 etc »61. Un autre ajoute : « il existe d’autres
camp (groupes), notamment le camp MONKAM, le camp Ndogpassi, le camp Nkoulouloun, le
camp Mboppi […]. Je crois aussi que, chaque camp appartient à un syndicat. On a par exemple,
le Syndicat National des Conducteurs de Motos-Taxis du Cameroun (SYNACOMOTAC) dont le
bureau national est situé à Bilongue, avant le carrefour Combi, il existe aussi le RAPCEMOL62
etc »63.
Ces conducteurs ont à leur niveau, des spécialistes dans chaque domaine pour la nuisance
ou pour des contributions au service de l’intérêt général. Ici, les agents de nuisance sont ceux-là,
qui sont mobilisés, lorsqu’il y a un projet de haute tension sociale. Il s’agit pour la plupart
d’individus non scolarisés sous influence des drogues notamment (le tramol, la cocaïne, le
Mbanga64 etc). C’est-à-dire des gens exerçant entre autres, plusieurs activités illicites contre la
59
Il suffit de se promener en observateur dans la ville de Douala pour en faire le constat.
60
Entretien mené le 15 mai 2021 avec un bendskineur sous anonymat.
61
Entretien mené à Ndogpassi, le samedi 08 mai 2021, non loin de la centrale à gaz dite RODEO, dans la boutique
d’un certain Calixte.
62
Au sujet du RAPCEMOL, nous n’avons pas trouvé de plus amples informations.
63
Entretien mené le 19 mai 2021 à 19 heures 12 minutes avec un bendskineur exerçant entre Ndogpassi, Ndokotti,
forestière et carrière de terre.
64
Une herbe sèche considérée comme drogue locale.
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« sécurité nationale »65. On y trouve aussi des personnes scolarisées dont la plupart sont des
diplômés frustrés66 et qui ont choisi se rebeller face au régime. Certains bendskineurs sont les
opérateurs de la nuit, brigands, anciens prisonniers et criminels qui imposent physiquement de la
crainte. Parfois, ces individus portent le qualificatif de « canards »67. Proche des canards, il y a
Page | 173
ceux appelés « les gros blousons »68. Les canards sont en fait, des motos-taximen qui, réellement,
manifestent de l’effroi. Il s’agit d’un groupe dans lequel, la plupart est spécialisée dans le braquage
à motos. Ils sont parmi ceux que le langage familier taxe de « tapeurs de sacs » ou « fils du vent
motorisés »69. Ce sont des individus qui, à tout moment, savent qu’ils peuvent soit continuer de
vivre ou mourir. Ils sont caractérisés par une force, une ruse et un courage redoutable. « Lorsqu’il
y a un projet de violence et que ceux-là sont appelés, le pouvoir central peut être certains qu’il a
des efforts à fournir. Parce que, comme leur qualification l’indique, le canard, ça ne réfléchit pas
et ça ne rit pas »70 !
De fait, très souvent, la population (celle descendue dans la rue) combat à leur côté. Compte
tenu de cette situation, l’on peut déduire que, si une frange du peuple a ce penchant vis-à-vis des
motos-taximen en qui, dorénavant elle tend à croire plus qu’à l’opposition, il est bien possible que,
le pouvoir central dispose d’un nouveau challengeur par qui la menace de révolution semble
vouloir être réalisée au Cameroun : il s’agit des motos-taximen. Si l’État continue de traîner ses
capacités à domestiquer ce secteur, il reste possible que, les motos-taxis pourront être aptes à jouer
65
Sur les drogues et la sécurité nationale, lire Fonseca (G), « Économie de la drogue : taille, caractéristiques et impact
économique », Revue Tiers Monde, vol. 33, n° 131, 1992, p. 489.
66
Certains diplômés, ayant des licences, master sont frustrés. Ils imputent la raison de leur chômage au président de
la République, raison pour laquelle, disent-ils, la moto fait partir des seules alternatives de survie.
67
Ils ont d’autres sous appellations, qui sont considérées comme des codes au sein dudit secteur.
68
Nous renseigne à suffisance, un bendskineur rencontré vers Yassa, non loin du pont de la Dibamba, presque sur la
route de la nationale n° 3 au Cameroun.
69
Leurs appellations divergent parfois en fonction de l’individu qui effectue leur description. Mais la quqlification la
plus populaire est celui de « tapeurs de sacs ».
70
Entretien mené vers 16 heures, le 10 mai 2021 à Deido, non loin du lieu-dit rue de la joie, près du snack bar appelé
« Glamour ».
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le rôle de contrepoids. Car, ceux-là constituent un corps civil à l’intérieur duquel, une partie semble
être sournoisement armée. Cette partie est constituée des bandits de grands chemins ayant en leurs
possession des armes à feu, utiles pour les braquages71, donc pouvant servir en cas de révolution.
Il est vrai que le rapport de haine est perceptible ; toutefois, les conducteurs de motos-taxis Page | 174
entretiennent un solide lien avec les gouvernants. Chose qui remet en doute les haines précédentes.
Car les bendskineurs coopèrent, collaborent et militent régulièrement pour le pouvoir central, d’où
le rapport d’amour.
La disponibilité des bendskineurs pour une coopération avec le pouvoir central (A), est une
preuve d’amour que ces derniers ont vis-à-vis des institutions étatiques. Il en est de même avec
leurs soutiens multiples, qui ne cessent de légitimer le parti-État RDPC (B).
A- Coopération
Les motos taximen entretiennent avec le pouvoir politique central, un rapport d’amour qui
s’illustre par la coopération. La coopération est entendue ici, comme étant le fait pour les motos-
taximen et les gouvernants, d’entretenir des relations convivialesn (sociales, économiques,
politiques et professionnelles) qui sont bénéfiques pour la paix et le vivre ensemble. Elle rime aussi
avec la recherche du gain politique des deux camps. Si le gouvernement coopère pour l’assurance
de son évidence de continuité72, le contrôle efficace du secteur des motos-taxis et ou la stabilité de
l’ordre politique, les bendskineurs quant à eux, sont à la recherche de leur reconnaissance comme
domaine professionnel. Il sont nombreux de ces conducteurs, qui coopèrent avec l’État, pour avoir
accès à la notoriété, au prestiges politique.
Parfois, le gouvernement semble victorieux dans ses multiples essais d’appropriation desdits
conducteurs. Après de nombreuses tentatives et échecs, liés à l’interdiction de circulation des
71
Qu’elle soit artisanale ou industrielle. Les émeutes de février 2008 en témoigne à grande pompe, de la nature armée
d’une fine partie de ce secteur, qui aurait même déjà, dans le cafouillage sociopolitique, effectué un challenge avec
l’armée Républicaine. Sauf qu’elle s’est trouvée neutralisée. Si certains bandits ou mercenaires très mal intentionnés,
se camouflaient en essayant de se faire confondre à la société civile, et aux bendskineurs, note est de faire comprendre
que, tous les motos-taximen ne sont pas violents. Il s’agit d’une ruse usitée par certains. Ils semblaient se comporter
comme des motos-taximen et pourtant, possédait peut-être un profil parfois secret, qui échappait à la connaissance du
pouvoir politique central, pendant les émeutes de février 2008. On dirait que des mercenaires se faisaient confrondre
aux bendskineurs.
72
Bigombe Logo (P) et Menthong (H-L), « Crise de légitimité et évidence de continuité », in Courade Georges et
Sindjoun Luc (dir.), Le Cameroun dans l’entre-deux, Paris, Karthala, 1996, pp. 15-23.
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Le pouvoir central a été fasciné par les effets de réalités qui en résultent du phénomène de
motos-taxis. À ce stade, il a donc paru difficile ou suicidaire pour l’État, de nier l’importance de
cet instrument qui possède une forte énergie dans presque tout processus de légitimation des élites
au Cameroun. Contemporainement, ce secteur contribue à la sacralité d’un évènement, voire à la
sacralisation d’un leader. Lorsqu’un investisseur politique est soutenu en triomphe par les motos-
taximen, celui-ci peut voir son charisme se renforcer. Il en est de même pour sa popularité. Et c’est
là où, la machinerie gouvernementale et le parti-État (RDPC) n’ont pas été dupes. Ils ont compris
que, « la légitimation des représentants est d’abord une affaire de nationaux avant d’être investie
par la ‘‘communauté internationale’’ »75. Ceux-ci ont resserré des liens de coopération et de
collaboration avec les bendskineurs. De là, s’est construit l’idée d’officialisation, de coopération
et de légitimation de ces faiseurs de motos, par l’État lui-même. Une étape ayant créé un sentiment
d’amour entre motos-taximen et le gouvernement. À l’occurrence, pendant la campagne
présidentielle d’octobre 2018, surtout dans la capitale politique-Yaoundé, les motos-taximen ont
soutenu le candidat M. Biya Paul du RDPC. Ainsi, en fin septembre 2018, dans le département du
Mfoundi, au sein de la région du Centre, « c’est pour le président de la République Paul Biya […]
que les motos-taximen de Yaoundé roulent »76. Certains d’entre eux, ont effectué des marches de
soutiens à un meeting organisé le jeudi, 27 septembre 2018 à Yaoundé, avec le ministre de
l’administration territoriale, monsieur Paul Atanga Nji. Il s’agit des résultats d’une coopération
fructueuse entre les motos-taximen et l’ordre politique central. Un travail bilatéral impulsé
stratégiquement par l’État, aux fins d’un contrôle politique, économique, sécuritaire et stratégique
dudit secteur. On peut donc faire le constat, d’un gouvernement qui marche main dans la main
73
Dans la zone developpée de Bonanjo, au sein de la capitale économique-Douala par exemple, il est très difficile, de
trouver les motos-taxis en circulation. Là-bas, il est fort probable d’y trouver soit les véhicules-taxis, soit des voitures
personnelles.
74
Signifie Produit Intérieur Brut.
75
Medou Ngoa (F-J), « Citoyenneté nationale, mentalité transnationale et repli identitaire à l’ère de la mondialisation :
la souveraineté en crise ? », Pluralis Scientia, n° 002, 2022, p. 378.
76
Cameroon Tribune, n° 11689 / 7888 – 44e année du vendredi, 28 septembre 2018, p. 2.
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avec les motos-taxis, et se trouve soutenu voire légitimé par ces derniers. Comme l’attestait
certains bendskineurs, « le président de la République est le seul qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il
dit. Les détracteurs l’ont traité de tous les noms alors que c’est lui qui nous garde en paix. Chers
camarades, le 07 octobre, nous devons donner un K.O à l’opposition »77. C’est dans cette lancée
Page | 176
que le président de l’association des bendskineurs du Cameroun, M. Mba Zoa Tsoungui,
concluait : « le chef de l’État nous a sorti de l’informel. L’impôt libératoire a été divisé par deux.
Nous appelons tous les motos-taximen à plébisciter le candidat Paul Biya à 100 %. Nous disons
non à la division, non à la guerre dans notre pays. Les mauvais esprits ne passeront pas par
nous »78.
De fait, il n’est pas prohibé aux investisseurs politiques, d’enrôler des benskineurs, pour le
compte de leur propagande. Et c’est probablement ce qu’aurait fait le parti-État RDPC, dans un
pays en crise du militantisme. Comme l’atteste le politologue Ramses Tsana Nguegang, « la crise
du militantisme et les conditions modernes de la communication politique amènent les partis
politiques à recourir de plus en plus à des intermédiaires pour la diffusion du matériel de
propagande, la mobilisation des électeurs et l’organisation des grandes manifestations. Dans le
cas camerounais, le personnel intérimaire est constitué des conducteurs de motos-taxis […] »79.
L’ordre politique détenu par la droite camerounaise (RDPC), a semblé phagocyter les
leaders de motos-taxis, en facilitant l’accession à la tête dudit secteur, des individus plus ou moins
dociles, capables d’agir au bénéfice du prince. D’ailleurs en page une (01) du quotidien Cameroon
Tribune n° 11689 / 7888 du vendredi, 28 septembre 2018, on peut voir une image, où les sauveteurs
et surtout les motos-taximen tiennent unanimement, une banderole sur laquelle est écrite : « Les
Motos-Taximen votent Paul Biya. Assurance Tout Risque. VICTOIRE ASSURÉE À 100 %. Le
COUP K.O À L’OPPOSITION » ; (voir ci-dessous, l’image de la première page dudit journal).
77
Cameroon Tribune, n° 11689 / 7888, op. cit., p. 2.
78
Op. cit.
79
Tsana Nguegang (R), « Campagnes électorales, partis politiques et personnel politique intérimaire au Cameroun :
entre échange conjoncturel et clientélisme », Politique Et Sociétés, vol. 38, n° 2, 2019, p. 139.
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Titre : Yaoundé : 40 000 jeunes et femmes derrière Paul Biya. Source : Photo prise par nous, du présent journal Cameroon Tribune, que nous
avons consulté et photocopié à la bibliothèque de l’Université de Douala (au mois d’octobre 2018) ; puis, filmé en date du jeudi 21 mai 2023,
avec un smartphone de marque Itel A56 Pro.
Inutile de se leurrer sur le fait que le Président était soutenu par tous les motos-taximen,
d’autant plus que, c’est aussi un secteur d’opportunistes dont le gain instantané justifie parfois
leurs itinéraires. C’est des gens qui, bien qu’ayant un soutien temporel, n’hésitent souvent, à
manifester leur sympathie pour le pouvoir en place. Sauf qu’avec une forte vigilance, il est possible
de voir un moto-taximan qui soutient le camp au pouvoir à 14 heures, et retrouver le même
conducteur, soutenir un candidat de l’opposition quelques minutes après. Ce genre d’action se
justifie par la politique du ventre, qui détermine l’action des politiciens d’Afrique noir. Lesquels
sont en parfaite harmonie avec les attentes des gens du bas, catégorie dans laquelle se trouvent bon
nombre de bendskineurs pratiquant eux aussi, la « politique du ventre »80 à leur façon. Trois
conducteurs de motos décrivent la psychologie politique de leurs collègues : « C’est des gars
malins. Tu les vois en périodes électorale, ils soutiennent un candidat du parti au pouvoir le matin,
et le soir tu les vois soutenir un opposants politique. En réalité, c’est des gens qui ont une forte
influence. Mais, le fait de soutenir un candidat par eux, ne garantit pas qu’ils sont avec celui-là,
80
Lire Bayart (J-F), L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 90.
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ou qu’ils voteront en sa faveur. Ces bendskineurs cherchent de l’argent de tous les côtés. Ce qui
fait que, la campagne électorale est un moment décisif pour leur pointage en argent. Les hommes
politiques distribuent souvent dix mille Francs CFA, voire cinq mille Francs CFA à chaque
conducteur, après une escorte ou à la suite d’un meeting politique. La majorité d’entre eux sont
Page | 178
indemnisés par la suite. C’est vrai, il y a des suiveurs qui y participent sans recevoir d’indemnité.
D’ailleurs qu’ils ne savent pas qu’au départ, il y a un deal avec les autres, ni même les modalités
d’un quelconque partage en argent, ni l’endroit où l’argent sera distribué. Un bendskineur peut
bien prendre ton argent, tes sacs de riz, mais, ne te vote pas ! Les plus responsables et conscients
votent. Tantôt, d’aucuns votent l’opposition, tantôt d’autres votent le parti au pouvoir. Je vais
même d’abord vous dire une chose : la majorité des bendskineurs n’ont pas de cartes d’électeurs.
Allez faire un sondage vous verrez. Ils sont nombreux qui font du bruit, assistent aux meetings et
qui n’ont ni carte nationale d’identité, ni de carte d’électeur »81.
81
Entretien du 15 mai 2023, vers 11 heures 06 minutes, au rond point Deido, avec cinq (05) bendskineurs anonymat
requis.
82
Entretien de 2023, avec un bendskineur, au carrefour Saint Nicolas.
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pardon du commissaire principal Mbianda. Ils y étaient dans l’objectif de récupération pacifique
de la moto d’un des leurs. Cet appareil avait été confisqué par monsieur le commissaire. Nous
avons écouté leur dialogue : « on est venu voir notre père pour, qu’il règle la situation de notre
frère qui est son fils »83. De fait, comme relatait le commissaire à ces derniers, « j’ai interpellé
Page | 179
votre collègue hier soir, puisqu’il était suspect […]. Je lui ai demandé de s’identifier, il a pris la
fuite en laissant sa moto […]. J’ai donc emmené cela au poste, en disant que même s’il fuit, il
viendra s’identifier »84. L’on peut aisément constater que, le récit en termes de « notre père »
émanant de ces deniers, est un indice de respect et d’amour stratégique envers les institutions.
Même si lesdits conducteurs ne voulaient que la moto d’un des leurs, ceux-ci se sont rabaissés
devant une autorité légale qui a par la suite, répondu favorablement à leurs attentes.
B- Soutiens et légitimation
Au fond, les motos-taxis ont du penchant vis-à-vis des autorités. Certains manifestent une
grande sympathie pour le prince. Ils conseillent sur les clés qui peuvent cimenter leurs rapports
politiques conviviaux envers le président de la République. À la question posée par nous, à bon
nombre de bendskineurs parmi lesquels le plus identifiable rencontré à Ndogpassi, du nom de
83
Enquête de terrain fait en 2017 au lieu-dit carrefour 14ème, dans l’arrondissement de Douala 3ème. Il s’agit d’un
ensemble de conducteurs groupés, que nous avons suivi. Des curieux comme moi l’on aussi fait. Une fois arrivé au
14ème, nous avons écouté leurs échanges réciproques avec monsieur le commissaire.
84
C’est un entretien que nous avons écouté en direct entre le commissaire Principal du 14eme arrondissement de la
ville de Douala et certains motos-taximen (au nombre de 20 environ). Cet entretien a eu lieu en 2017 dans la cour
dudit commissariat. Ces bendskineurs sont arrivés de façon bruyante, avec des motos.
85
Dans ce contexte, rétroaction signifie « en retour », « en réponse à ».
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Kabila, une recette magistrale a été donnée par le bas, en destination du président de la République.
En tant que motos-taximen, qu’attendez-vous du Président Biya dans l’amélioration de votre
activité ? Kabila répond ce qui suit : « vous me voyez, je suis déjà vieux, je suis un partant. Qu’est-
ce que je peux encore attendre du président de la République si ce n’est pas la gratuité de mes
Page | 180
papiers, me permettant de circuler librement, vaquer à mon service et améliorer les conditions de
vie de mes petit-fils et arrières petit-fils »86 ? Il s’agit d’un secret de fond, prescrit par ce dernier
à l’État, aux fins de domestiquer efficacement le secteur de motos-taximen, civiliser ce domaine
utile pour un Cameroun en proie au sous-développement de ses voies de communications ; tant au
sein des espaces urbains que ruraux. Un autre interviewé conseille de « rendre gratuit, pendant
une certaine période, les papiers devant permettre à tous les motos-taximen, de travailler
librement […]. Une méthode que je tire de l’action entreprise souvent, par le Président de la
République Paul Biya, à rendre gratuit, pendant un certaine période bien définie, la fabrication
des cartes nationales d’identité à tous les citoyens »87.
Cette révélation sociologique semble convertir les plus radicaux. Mais, on dirait que ceux-
ci semblent vouloir travailler sans jamais payer les taxes. À Ndogpassi, un bendskineur radical
laisse entendre : « le président de la République vient faire quoi sur la moto ? Il a quel rapport
avec ma moto ? On vit mal […] la politique ne m’intéresse pas ! Si le président de la République
rend les papiers gratuits pour le compte des bendskineurs, c’est bien ! Tout le monde souhaite
qu’il améliore nos conditions […]. Voilà d’autres motos-taximen là-bas prenez même dix au
hasard, ils n’ont pas de papiers mais ont des bouches à nourrir »88. L’argumentaire bénévolement
formulé par celui-ci, rejoint les avis (précités) de ses collègues. Sauf que nous nous interrogeons
sur le fait que, si l’État ordonne la gratuité desdites pièces pendant un certain moment, qu’en sera-
t-il, des périodes où cette gratuité aura atteint son échéance ?
Le rapport d’amour qui se témoigne par les actes de soutiens et légitimations effectués au
profit du pouvoir central, passe via les individus ayant fait preuve d’honneur pour les bendskineurs.
En effet, il s’agit d’individus qui auraient, sans peut-être le savoir, contribué au suscitement du
rapport d’amour entre le pouvoir central et les conducteurs de motos. C’est des individus qui, de
86
Avis de monsieur Kabila, un conducteur de grande renommée, connu et exerçant le plus sur le parcours marché
Ndogpassi et carrefour du 14ème arrondissement. Il est âgé de la soixantaine. Nous l’avons rencontré en date du lundi
17 mai 2021 vers 11 heures 11. Sa moto était garée, tandis qu’il était en plein achat de ses médicaments au sein d’une
boutique du carrefour Saint Nicolas, près du Snack-Bar WhatsApp.
87
Propos d’un moto-taximan du pseudonyme de Logpom, exerçant dans presque tous les artères de la ville de Douala,
dit-il, « je vais partout où le client désire aller ».
88
Entretient du 17 mai 2021, avec un autre moto-taximan à Ndogpassi, non loin de la ‘‘Pharmacie Saint Nicolas’’.
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par leurs actes humanistes, se sont inscrits dans les consciences des couches sociales motorisées
de Douala. Le cas de l’homme connu sous l’appellation de « Amot » au sein de la capitale
économique, peut tenir lieu d’illustration. Voici le récit de près de huit (08) motos-taximen
interrogés en même temps avec la présence d’un policier (leur ami) au sujet de ce personnage :
Page | 181
« Amot ? Son véritable nom est Monsieur Ambela Ze Stanislas. Les bendskineurs l’aiment
parcequ’il fait bien son travail, il a aidé les motos-taximen ici à Douala. Même s’il frappe
intentionnellement un bendskineur, ce dernier ne peut riposter car nous tous, on sait ce qu’il a fait
pour nous. Amot n’est pas un policier de pure souche, il a commencé ici à Ndokotti comme un jeu
[…]. Auparavant, c’était un homme qui a surgit de nulle part et qui, un bon jour, par simplicité et
par exemplarité citoyenne, a commencé par diriger la circulation. Tantôt, pour certains, il est
passé par un concours et une formation normale pour être policier. C’est une personne qui s’est
fait remarquer par tous ! On ne lui payait pas pour ça ! C’est ainsi qu’il a été apprécié par les
autorités publiques. Un jour on l’a seulement appelé pour l’habiller en tenue de policier» 89. Près
d’eux, leur ami policier appelé « le niê »90 interjecte : « oui ! oui ! oui ! On l’a seulement appelé
pour l’habiller, il n’est pas passé par un concours de la police comme nous autres. C’est la rumeur
que nous entendons. Mais nous avons beaucoup d’admiration pour lui. Il a révolutionné en sa
manière, le style de gestion de la circulation à Douala. Grâce à lui, les gens respectent le corps
de la police. Lorsque tu travailles en équipe avec Amot à Ndokotti, tu peux être sûr qu’aucun
bendskineur ne peut te manquer de respect »91.
Le samedi 08 mai 2021, vers 21 heures, Amot a fait une scène ayant accentué sa légitimité.
Après un coup de bâton symbolique de sa part sur un bendskineur, on pouvait entendre la victime
s’exprimer : « Hé ! C’est vous chef ? Je croyais que c’était un autre policier […] mes excuses
chef » ! Après nos multiples interrogations face à cette réalité vécue, un bendskineur nous
transportant relate ce qui suit : « Amot est très aimé par les motos-taximen, y compris les plus
rebelles. Les bendskineurs que nous sommes, nous pouvons ne pas écouter le gouverneur, ni le
préfet ici à Douala, mais quand c’est Amot qui parle, nous tous on lui donne son respect ! Lorsqu’il
89
Entretien du samedi 08 mai 2021 à Ndogpassi, au quartier Saint Nicolas (lieu-dit ‘‘Chez Calixte’’). Cet interviewé
peut se tromper au sujet du profil de ce policier. Amot est peut-être un homme qui aurait effectué un cursus normal
pour être agent de l’ordre. Seul un entretien avec le concerné (monsieur Stanislas Ambela Ze), pourra faire jaillir la
vérité.
90
Signifie en langage familier, « le policier ». Au Cameroun, il est facile d’entendre les jeunes qualifier des agents de
maintien de l’ordre en termes de : « les niê ».
91
Op. cit. Nous émettons tout de même quelques réserves, sur le fait que monsieur ‘‘Amot’’ ait ou pas, effectué un
concours et une formation aux fins d’exercer la profession de policier. Nous prenons légèrement du recul, faute de
preuves concrètes à ce sujet.
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dirige la circulation et que des gens rangent mal leurs motos sur la route, lui il retire seulement
les clés ; il jette soit dans une rigole soit dans un bac à ordure. Amot n’est pas comme les autres
policiers qui prennent les cinq - cinq cent Francs CFA aux bendskineurs. Mais, si tu lui tend un
billet par reconnaissance pour son travail, il prend et te remercie en retour »92.
Page | 182
Dans ce registre, il existe des praticiens de la politique, ayant créé un rapport d’amour avec
les motos-taximen, puis, greffé ce rapport au pouvoir politique central et local. Ce sont des
entrepreneurs politiques qui aurait en partie, gagné une côte de popularité, à travers d’excellents
rapports entretenus avec les usagers de ce secteur. Quelques fois, ces conducteurs de motos se sont
révélés être un capital social et politique indubitable, pour assurer les voix d’un politicien
investisseur, au sein d’une circonscription électorale. L’exemple avec madame le maire de la
commune de Douala 5ème (Françoise Foning), n’est pas à négliger. En effet, madame Foning
Françoise avouait toujours, de prendre le Président Biya comme mentor. Par sa voix, le pouvoir
politique central entretenait un rapport de soutien mutuel avec les bendskineurs, surtout au sein
des quartiers ‘‘Bépanda’’ ou encore ‘‘Bonamoussadi’’. Un Benskineur nous a fait ce témoignage :
« c’est madame Foning qui aidait beaucoup de jeunes ici, dans les années 2010-2013. C’est elle
qui a lancé la majorité des motos-taximen de Bépanda à son époque. C’est pourquoi, il était
difficile que le RDPC perde les élections au sein de sa circonscription électoral qu’est Douala
5ème. Les motos-taximen de Bépanda l’ont aimé. Ils étaient même prêts à mourir pour elle ! Dans
la région du Littoral, elle était un grand poids politique à la faveur de Paul Biya, lui-même
connait ! À maintes reprises, madame Foning a bougé Douala en rassemblant des bendskineurs
pendant les meetings du parti RDPC au pouvoir. Bref la majorité des bendskineurs de Bépanda
travaillaient pour elle. Cette dame leur offrait des motos neuves. Parfois, elle n’attendait pas qu’on
lui verse la recette en retour. Ils sont nombreux qui ont reçu une moto de la part de madame
Foning, à titre de cadeau »93.
Conclusion
Si au Cameroun, le pouvoir politique central s’est illustré comme étant sous l’influence du
phénomène de motos-taxis qui est devenu un instrument de lutte politique et de délégitimation,
nécessité est d’établir que, ce secteur du bénévolat est ambigu vis-à-vis du gouvernement et des
92
Entretien du samedi 08 mai 2021 à 20 heures 56 minutes, au carrefour Ndokotti (sur la moto d’un benskineur).
93
Entretien avec un moto-taximan en 2020, rencontré en plein orage, lorsque nous nous abritions à la station-service
dite ‘‘Total Bépanda’’.
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autorités locales. Si les bendskineurs sont parfois tentés de se mobiliser pour le changement
politique et le renouvellement de la classe dirigeante, il n’en demeure pas moins que ces derniers
constituent paradoxalement, l’un des secteurs les plus engagés dans la survivance du régime actuel.
C’est un secteur à camp politique « incertain », qui, de plus en plus, tend tout de même à se dévoiler
Page | 183
comme un judicieux gadget de mobilisation. Il contribue de manière ambivalente, à la stabilité et
à l’instabilité de l’État, au travers du rapport de haine et d’amour entre conducteurs de motos-taxis
et gouvernement central. Étant entendu que la vie quotidienne au Cameroun est envenimée par la
dualité haine et amour entre les bendskineurs et l’ordre dirigeant, il est possible que, si l’État
continue de traîner à domestiquer le secteur de motos-taxis, lui en tant que Léviathan, peut se
heurter à des révolutions orchestrées par ces derniers. Si l’État a stratégiquement essayé de
phagocyter ses leaders, notons que, la parole d’un chef de motos-taximen en faveur du
gouvernement n’est pas toujours acceptée et partagée de tous. Les bendskineurs sont certes, une
catégorie sociale très unanime mais, avec quelques exceptions. Par constat, ils sont beaucoup plus
unanimes, lorsque les intérêts des gens du bas semblent être en jeu ; car eux-mêmes font partir de
ces individus, et sont représentatifs de cette frange de la population. Dès lors, au Cameroun,
notamment dans la capitale économique-Douala, le rapport amour et haine entre les motos-taximen
et le pouvoir politique central reste un conditionnant de l’avenir sociopolitique, voire
institutionnelle du pays.
La démocratie occidentale qui prend corps en Afrique tant pendant l’époque coloniale
qu’au début des années 1990, ignore totalement les valeurs politiques et culturelles des sociétés
africaines précoloniales qui fonctionnaient sur une base démocratique avec un accent mis sur des
valeurs comme le consensus, la justice sociale, les contre-pouvoirs et les libertés individuelles.
Les Occidentaux feront table rase de tout ceci pour le remplacer par leurs valeurs culturelles tout
en faisant croire que les Africains précoloniaux étaient barbares et étrangers aux notions de
liberté et de démocratie. C’est pour restituer la réalité des faits historiques que cette réflexion
trouve sa raison d’être. Elle se donne l’ambition de démontrer que les systèmes politiques africains
précoloniaux, du moins la plupart, avaient leurs valeurs que l’on pouvait qualifier de
démocratiques au regard de l’acceptation qu’elles dégageaient bien que n’étant pas perçues ainsi
par l’Occident.
Abstract :
The Western democracy that took shape in Africa both during the colonial era and in the
early 1990s totally ignores the political and cultural values of pre-colonial African societies that
functioned on a democratic basis with an emphasis on values such as consensus, social justice, Page | 185
checks and balances and individual freedoms. Westerners will make a clean sweep of all this to
replace it with their cultural values while pretending that pre-colonial Africans were barbaric and
foreign to the notions of freedom and democracy. It is to restore the reality of historical facts that
this reflection finds its raison d’être. It sets itself the ambition of demonstrating that the pre-
colonial African political systems, at least most of them, had their values that could be described
as democratic with regard to the acceptance they gave off, although they were not perceived as
such by the West.
Introduction
Bien de penseurs ont montré qu’avant la colonisation, l’Afrique1 à travers ses différentes
sociétés, connaissait un fonctionnement démocratique2. Léon SAUR fait sien la thèse de
LOKENGO ANTSHUKA, qui distingue dans l’Afrique noire précoloniale trois types de Page | 186
démocratie : la démocratie royale où « le chef n’est que l’exécutant chargé de proclamer et de
rendre public les volontés du collège des sages parfois contraires à la sienne » ; la démocratie
militaire où le chef ou le conseil des notables pouvait désigner un chef temporaire pour conduire
les opérations militaires en temps de guerre ; et enfin la démocratie républicaine où le pouvoir est
exercé sur une base collégiale et sans chef individualisé3. LOKENGO ANTSHUKA souligne avec
force la place de la palabre, c’est-à-dire du consensus dans la démocratie africaine
« traditionnelle »4.
Sans se démarquer des travaux ci-dessus, Brice Arsène MANKOU, reprend à son compte
les travaux de Mgr CUVELIER à propos du Royaume du Kongo qui souligne que « la royauté au
Kongo était élective avec une existence des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
L’on y retrouvait aussi une véritable justice au sens où « …personne ne pouvait être condamnée
sans avoir été préalablement jugée. Le plaignant comme l’accusé avaient l’habitude de choisir un
1
L’Afrique est un concept de définition difficile loin de l’illusion unitaire que son appellation peut laisser entrevoir.
« C’est un concept qui recouvre des réalités et des pratiques culturelles, politiques et économiques dont
l’uniformisation n’est pas évidente ». Voir L. SINDJOUN, Sociologie des relations internationales africaines,
Editions Karthala, 2002, p. 10. Néanmoins, le concept d’Afrique sera appréhendé dans le présent cadre dans sa
dimension culturelle. Il désignera davantage les pratiques culturelles du peuple noir, c’est-à-dire l’Afrique
subsaharienne que celles des autres. La raison est que c’est le peuple le plus nombreux et dont les pratiques culturelles
de ses différents groupes sont très proches pour ne pas dire avec de grands traits de ressemblance.
2
Bien que tous les systèmes et structures politiques précoloniaux n’étaient certes pas démocratiques. Voir E.
MBARGA, Les institutions politiques camerounaises, Ateliers graphiques du Cameroun, Yaoundé, 1974, p. 12.
3
L. SAUR, « Démocratie en Afrique subsaharienne : dépasser les certitudes occidentales », halshs-01508805, 2015,
p. 26.
4
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, consensus politique et gestion démocratique du pouvoir en Afrique, Louvain-
la-Neuve.Academia / L’Harmattan, 2015, pp.113-116, cité par L. SAUR, op.cit, p. 27.
5
BILEOU SAKPANE-GBATI, « La démocratie à l’africaine », in Ethique publique (en ligne), vol. 13, n°2, 2011.
Consulté le 19 janvier 2020.
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avocat, « Nzonzi » pour leur défense »6. La conception du pouvoir y était consensuelle et les
décisions étaient prises par l’ensemble des membres du royaume ou « Mbongui »7.
Nelson MANDELA quant à lui ne s’éloigne guère des thèses ci-dessus : « Alors notre
peuple vivait en paix, sous le gouvernement démocratique de ses rois …. Alors le pays était à Page | 187
nous, en notre nom et notre droit…. Tous les hommes étaient libres et égaux et c’était là le
fondement du gouvernement. Le Conseil des anciens était si totalement démocratique que tous
les membres de la tribu pouvaient participer à ses délibérations. Chef et sujet, guerrier et
guérisseur, tous prenaient part et s’efforçaient d’influencer les décisions »8. En fait, le concept de
démocratie9 est pris ici dans son sens large, c’est-à-dire « le gouvernement du peuple, par le peuple
et pour le peuple » pour reprendre la célèbre formule d’Abraham LINCOLN10. Il s’agit d’un
système de gouvernement qui repose sur la liberté et l’égalité des citoyens et qui garantit l’accès
du plus grand nombre, sinon de tous à la prise de décision. Malheureusement, ce type de
gouvernement largement ouvert qui caractérisait la plupart des sociétés africaines précoloniales
sera méconnu11 par le colon qui va imposer dans un premier temps, une gestion administrative
autoritaire12, laquelle cédera ensuite la place au système démocratique occidental13. Celui-ci
6
A. B. MANKOU, « La démocratie dans les sociétés plurales précoloniales en Afrique centrale : cas du Royaume du
Kongo Dia Ntotela et du Royaume Loango », in J. E. PONDI (dir), Citoyenneté et pouvoir politique en Afrique
centrale, op.cit., p. 30.
7
Ibid, p. 31.
8
N. MANDELA, Cité par G. AYITTEY, « La démocratique en Afrique précoloniale », in Afrique 2000, n° 2, juillet
1990, p. 39.
9
Que nous qualifions encore de démocratie africaine précoloniale.
10
Voir O. NAY (dir), Lexique de science politique. vie et institutions politiques, 3e édition, Dalloz, 2014, p. 143.
11
Pierre MUKULU NDUKU, nous dit aussi que la colonisation « … avait trouvé des sociétés autochtones, organisées,
structurées, certaines en véritables Etats, royaumes ou empires, avec des instructions, des principes et des normes de
nature constitutionnelle », voir B. MUKULU NDUKU, « De la démocratie libérale occidentale à une démocratie
sociale domestique en RDC », Kinshasa, Communication lors de la 13e assemblée générale du Codesria, Maroc 5-
9/12/2011
12
GONIDEC nous dit à ce sujet que « la destruction ou la neutralisation des systèmes politiques précoloniaux était la
condition nécessaire à l’affirmation du pouvoir colonial ». Voir, P-F. GONIDEC, Les systèmes politiques africains,
L.G.D.J., 1971, p. 55.
13
Robert DAHL propose une série de critères pour définir cette démocratie occidentale qu’il assimile à la
polyarchie :1) le contrôle des décisions du pouvoir exécutif appartient à des représentants élus, une disposition qui
bénéficie d’une garantie constitutionnelle ; 2) ces représentants procèdent d’élections libres conduites au suffrage
universel de façon régulière et fréquente ; 3) pratiquement tous les citoyens adultes peuvent être candidats à un poste
électif et ; 4) voter pour désigner leurs représentants ; 5) la liberté d’expression est reconnue ; 6) les citoyens ont droit
à une information diversifiée et ; 7) peuvent former des associations indépendantes du pouvoir. Voir, R. DAHL,
Dilemmas of pluralist democracy, New Haven CT, Yale University press, 1982, p. 11, cité par C. JAFFRELOT (dir),
Démocraties d’ailleurs, Karthala, 2000, p. 28. Au regard de cette définition, l’on remarque que, cette démocratie
occidentale bien que conservant des nombreux points de ressemblance avec celle pratiquée en Afrique précoloniale
diffère tout de même de cette dernière. Par exemple, dans démocratie africaine précoloniale, le détenteur du pouvoir
n’est pas toujours issu d’une élection et son pouvoir n’est point absolu. Les mécanismes électifs ont très peu de place
ici.
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s’implante d’abord à la fin de la colonisation et, ensuite, à partir du début des années 1990 après
une parenthèse autoritaire. À la suite de ce qui précède, cette interrogation se dégage : quelles sont
les valeurs démocratiques africaines précoloniales qui ont été ignorées par la démocratie
occidentale ? À la lumière de cette interrogation nous posons l’hypothèse suivante : les valeurs ou
Page | 188
pratiques démocratiques africaines précoloniales ignorées à l’introduction de la démocratie
occidentale sont entre autres le consensus, la justice, les contre-pouvoirs, la garantie des libertés
etc.Au regard de ceci, l’on peut dire que les sociétés africaines précolonialesprivilégiaient le
consensus comme mode de gestion sociétale (I) de même qu’elles faisaient de la résistance à la
tyrannie une lutte permanente ainsi que le témoignent les contre-pouvoirs et les libertés (II). Mais
ces efforts seront ignorés par les occidentaux lorsqu’ils imposent leur démocratie aux africains.
Le consensus est l’une des caractéristiques importantes de la gestion des sociétés africaines
précoloniales. Il est la résultante de la palabre africaine nous dit DIANGITUKWA : « Elle (société
africaine) a mis en place l’institution de l’arbre à palabres qui est une recherche de consensus
pacifique issue d’un dialogue permanent avec toutes les parties prenantes à la gestion des affaires
publiques »14. Cette palabre africaine peut s’entendre comme ce « lieu traditionnel de
rassemblement à l’ombre duquel les citoyens s’expriment librement sur la vie en société, sur les
problèmes du village, sur la politique à mener et sur l’avenir »15. C’est donc la parole, au regard
de cette définition, qui caractérise la palabre dont le consensus est le produit. Elle est
particulièrement déterminante dans la recherche du consensus en Afrique. Elle est le vecteur du
dialogue social et constitue un moyen d’adoption des décisions importantes et un mode de
14
F. DIANGITUKWA, « La lointaine origine de la gouvernance en Afrique : l’arbre à palabres », in Revue
degouvernance, 2014, p. 3.
15
S. B. E. ALIANA, « (Re) penser la démocratie délibérative en Afrique à l’aune de la palabre africaine : une approche
philosophique par la théorie des capabilités »,in Afrique et Développement, vol.41, n° 2, 2016, p. 28
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résolution des conflits16. En Afrique souligne Anne-Cécile ROBERT, « Les membres d’une
communauté évoquent librement les questions qui concernent la vie commune »17. C’est alors par
la parole que les citoyens s’impliquent dans la gestion des affaires collectives.
Cette participation est inclusive, « sans distinction sociale ni de sexe ». « Tout le monde Page | 189
avait droit à la parole et était libre d’exprimer son point de vue »18. C’est ce que confirme Nelson
MANDELA lorsqu’il écrit : « Tous ceux qui voulaient parler le faisait. C’était la démocratie sous
la forme la plus pure. Il pouvait y avoir des différences hiérarchiques entre ceux qui parlaient,
mais chacun était écouté »19. L’enjeu de la libre parole était la recherche du consensus par l’écoute
de sorte que, tous les membres de la société se sentent inclus dans la prise de décision. C’est ainsi
que ALIANA nous dit que « le but initial de la palabre, c’est de parvenir à une solution concertée
sans pénaliser l’une ou l’autre partie, tout en préservant les relations sociales »20. C’est dire qu’en
Afrique, on ne pouvait concevoir de bonne gestion de la cité que celle qui repose sur les
mécanismes d’inclusion et d’intégration qu’on nomme consensus.
16
Idem.
17
A-C. ROBERT, L’Afrique au secours de l’Occident, Paris, Éditions de l’Atelier, 2006, p. 156.
18
S. B. E. ALIANA, op.cit., p. 29.
19
N. MANDELA, Un long chemin vers la liberté, Paris, Fayard, 1995.
20
S. B. E, ALIANA, op.cit., p. 29.
21
Cité par V. HUBERT ; L. MFOUAKOUET, Culture du dialogue, identités et passage des frontières, Paris, Editions
des Archives contemporaines, 2011, p. 79.
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gagnait parce qu’il était écouté et les perdants n’existaient pas. C’est le consensus qui était
privilégié. C’était la condition de la paix sociale.
En dépit de toutes les qualités démocratiques (liberté d’expression, confrontation des vues,
participation totale des individus à la prise de décision) du consensus africain, la démocratie
occidentale va tout de même l’ignorer. La seule raison est qu’il est contraire au principe majoritaire
qui fonde la démocratie en Occident. Nombreux sont les auteurs occidentaux qui ont tenté de
démontrer le caractère antidémocratique du consensus africain. COQUERY-VIDROVITCH
affirme à ce sujet que : « le consensus est un principe fondamentalement contraire à la
démocratie ». Elle s’explique en ces termes : « Le consensus, pratique africaine s’il en fut, est
22
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, Consensus politique et gestion démocratique du pouvoir en Afrique,
Louvain-la-Neuve : Académia, L’Harmattan, 2015, pp. 105-123.
23
L. SAUR, Démocratie en Afrique subsaharienne : dépasser les certitudes occidentales, op.cit., p. 26.
24
Idem.
25
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, op.cit., p. 114.
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l’adhésion collective et sans exception apparente de l’ensemble du groupe à une seule position,
voire à un seul homme, le chef. La démocratie est juste l’opposé : c’est l’acceptation individuelle,
librement consentie, de chacun des individus de se plier à l’avis de la majorité, et d’accepter de
s’y soumettre par une décision volontaire, consciente et personnelle »26.
Page | 191
Pourtant, ce système majoritaire occidental a quelque chose d’antidémocratique nous dit
FALL : « Pour les Africains, trempés dans la culture du dialogue et du consensus, c’est une moitié
qui exclut l’autre ; même dans les pays occidentaux aujourd’hui on se rend compte que, pour
démocratique qu’il soit dans la forme, le scrutin majoritaire a des conséquences
antidémocratiques par ce qu’exclusionniste »27. C’est précisément pour pallier aux effets de cette
exclusion que les associations se sont développées aux États-Unis. TOCQUEVILLE nous dit que
ces associations ont pour but de prévenir et de faire face à la tyrannie de la majorité28 dans la
société américaine. Cela signifie que le principe majoritaire constituait déjà un danger pour la
minorité aux États-Unis. C’est pour aussi participer au processus décisionnel et influencer les
décisions de la majorité que la minorité exclue a trouvé indispensable de se structurer en
associations. La prise en compte des revendications de cette minorité par les autorités politiques,
montre à suffisance les limites du principe majoritaire aux États-Unis.
Aujourd’hui, dans tous les pays occidentaux qui fonctionnent sur ce principe majoritaire,
l’on assiste à l’émergence de la société civile. Il s’agit d’une multitude d’organisations,
d’institutions et d’associations par lesquelles les minorités font pression sur la majorité au pouvoir.
Cette société civile s’exprime par les mouvements de rue qui sont de plus pris en compte et font
apparaitre que le modèle de la décision politique est en train d’évoluer et que la décision politique
ne résulte pas seulement de la volonté du sommet secondé par une structure étatique et
administrative bien organisée29. Cette évolution du modèle décisionnel que connaissent les
sociétés occidentales amène ALLIOT à se poser quelques questions : « L’Occident
s’africaniserait-il ? » Ou encore « N’y a-t-il pas dans tous les pays un problème de conciliation
entre la démocratie, telle que nous l’avons voulue en Occident et la démocratie naturelle, telle que
nous l’avons repéré en Afrique, avec ces groupes qui veulent être reconnus en tant que groupes et
26
C. COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire et historiographie du politique en Afrique. La nécessité d’une relecture
critique (À-propos de la démocratie) », in Politique africaine, n° 46, Juin 1992, p. 33.
27
I. FALL, « Esquisse d’une théorie de la transition : Du monopartisme au multipartisme en Afrique », op.cit., p. 51.
28
A. TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t.2, op.cit., p.103.
29
M. ALLIOT, « Démocratie et pluralisme », in G. CONAC (dir), l’Afrique en transition vers le pluralisme politique,
op.cit., pp. 121-123, p. 123.
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influencer la décision ? »30. Il y aurait alors de plus en plus en Occident et ailleurs une cohabitation
entre la démocratie majoritaire occidentale et la démocratie délibérative africaine ; et l’on recourt
à celle-ci pour répondre aux manquements de celle-là. Ainsi, l’on ne peut plus nier le caractère
démocratique de la palabre africaine puisque l’Occident a besoin d’elle, quoiqu’elle ne l’admette
Page | 192
pas comme telle : « Ce modèle d’élaboration de la décision dont on ne peut nier l’aspect
démocratique, même si les groupes sont souvent représentés par les plus anciens, a toujours été
déroutant pour les juristes occidentaux qui l’ont étudié »31.
Il est frappant de constater que la plupart des travaux qui abordent la démocratie dans
l’Afrique noire précoloniale, préfèrent se limiter à la palabre, aux contre-pouvoirs et quelques fois
aux droits humains, en éludant la justice. Pourtant cette justice a été dans de nombreuses sociétés
africaines anciennes, un véritable élément de démocratie surtout au regard de son caractère libre,
30
Idem.
31
M. ALLIOT, « Démocratie et pluralisme », op.cit., p. 122.
32
Idem.
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indépendant et impartial. Pathé DIAGNE ne manque pas de le souligner : « Les juges sont
indépendants, ce sont des pairs. Ils arbitrent, peuvent être désavoués. Tout esclave, ou homme
libre mal jugé, peut en appeler à un tribunal de compétence plus élevée dans sa communauté ou
en dehors (esclave, Farba, Mada Sinig Sine). Le roi, seul, peut décider de la peine de mort. Le roi
Page | 193
est toujours un arbitre exerçant une justice d’arbitrage et non d’autorité »33. Quelques éléments
de cette citation méritent être analysés.
D’abord, l’indépendance des juges qui sont en plus des pairs. Cela signifie qu’ils ne
recevaient pas d’injonction du pouvoir royal ou cheffal, ou n’étaient pas influencés par celui-ci
dans l’exercice de leur fonction. Ils n’avaient que la loi et leur âme et conscience pour rendre la
justice. Et ils étaient tenus de la rendre honnêtement puisqu’ils pouvaient être désavoués en cas de
mauvais arbitrage.
Ensuite le droit de recours accordé à toute personne mal jugée de saisir un tribunal de
niveau élevé. Ceci devait amener les magistrats à bien juger au risque de voir leurs décisions être
remises en cause par l’instance judiciaire supérieure. De cette manière, c’est la protection des droits
du citoyen qui se trouve renforcée puisque deux juridictions d’ordres différents peuvent connaitre
son affaire.
Ainsi, la justice était dans les sociétés africaines précoloniales, semblable à la justice
occidentale ou moderne. Même si dans certaines sociétés, le chef ou le roi détenait un pouvoir
judicaire ou était le chef du pouvoir judiciaire comme c’était le cas dans le royaume de Ghana 34,
dans les royaumes Moose ou dans les chefferies camerounaises.
Si le souverain chez les Moose était en même temps chef de l’exécutif et de la justice et
garant de l’ordre par le moyen de l’armée, ce qui rendait impossible la promotion des valeurs
33
P. DIAGNE, « De la démocratie traditionnelle : problème de définition », in Présence Africaine, n°97, 1976, pp.
18-42, p. 25.
34
CHEIKH ANTA DIOP, L’Afrique noire précoloniale, 2e édition, Paris, Présence Africaine, 1987, pp. 119-121.
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démocratiques, SOME note qu’il y existait une justice des parties. En ce sens que les membres de
l’aristocratie n’étaient pas jugés ou astreints aux mêmes pénalités que les roturiers35. Les amendes
et les pénalités de justice étaient fixées en tenant compte du statut ou de la condition sociale des
personnes qui comparaissaient. Cet état de chose devait avantager le pauvre et rendre la justice
Page | 194
plus juste et acceptable.
À propos des chefferies de l’Ouest du Cameroun, il est intéressant de relever que la fonction
judiciaire est la caractéristique première du chef : « Avant même d’être un chef politique et
religieux, le chef est avant tout un juge, un arbitre »36. C’est même par elle qu’on définit le chef
nous dit Fogui : « ‘’ Fo sa la’’, c’est-à-dire : le chef juge le village »37. Cependant, contrairement
aux décisions arbitraires des monarques en Occident et ailleurs, les décisions de justice des chefs
africains et en particulier des chefs de l’Ouest du Cameroun étaient des décisions largement
impartiales et qui satisfaisaient quasiment toutes les parties. Les actes judiciaires du chef ne
faisaient l’objet d’aucune contestation parce qu’emprunts de la sagesse du chef et de son conseil.
Les chefs africains, à l’opposé des monarques occidentaux, jouissaient d’une bonne réputation
auprès de leurs sujets du fait du caractère juste de leurs rendus judiciaires. Le chef africain était
apprécié par son peuple comme un chef intègre qui ne pratiquait aucune forme d’abus ou
d’injustice.
C’est certainement cette bonne réputation des chefs en matière judiciaire qui aurait favorisé
en Afrique Occidentale Française (AOF), leur maintien comme juges des tribunaux indigènes au
pénal, même si leur compétence était limitée à cinq jours d’emprisonnement et 15 F d’amende ;
ou encore comme juges de conciliation au civil38. Ce dernier cas est prévu à l’article 47 du décret
du 18 novembre 1903 qui réorganisa la justice en Afrique occidentale française : « En matière
civile et commerciale, le chef du village est investi des pouvoirs de conciliation pour le règlement
de tous les litiges dont il est saisi par les parties ». Nous pensons que si les jugements du chef
étaient toujours contestés, il serait difficile pour le colon français de le maintenir dans cette
fonction. Vu que ses actes de justice devaient constituer une menace pour la stabilité sociale.
35
M. SOME, « Etat, pouvoir et démocratie en Afrique de l’Ouest contemporaine : les héritages du passé », in A.
LOADA ; J. WHEATLEY, Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest, op.cit., pp. 53-81, p. 62.
36
J-P. FOGUI, L’intégration politique au Cameroun, op.cit., p. 165.
37
Idem
38
J-P. FOGUI, op.cit., p. 167.
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Nous entendons par contre-pouvoir « toutes les forces présentes dans la société ou dans le
champ politique, capables de freiner ou limiter le pouvoir des institutions de gouvernement, en
particulier le pouvoir de l’État »39. Les contre-pouvoirs occupaient une place importante dans la
gestion des sociétés africaines traditionnelles. Ici, c’est le pouvoir royal ou cheffal et son
gouvernement (qui tenaient lieu de l’État) que ces contre-pouvoirs visaient à limiter. Ces contre-
pouvoirs africains se déclinaient en un ensemble d’institutions et de pratiques que nous proposons
d’analyser quelques-unes dans le présent cadre.
39
O. NAY (dir), Lexique de science politique, op.cit., p. 108.
40
M. ALETUM, Sociologie politique, op.cit., p. 220.
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d’introniser un nouveau chef. Si le chef défunt n’a pas désigné de successeur de son vivant, ce sont
encore ces membres du conseil qui se concerteront pour en designer un parmi ses fils41. En tant
que des personnes qui donnent le pouvoir au roi, ces notables conservent une certaine autorité sur
la personne qu’ils installent. Et nous savons aussi que c’est encore à eux que revient la
Page | 196
responsabilité de former le nouveau chef sur la manière de gouverner. Au cours de cette formation,
ils s’emploient à le façonner de sorte à rendre ses pensées et ses visions conformes à la volonté du
peuple et aux coutumes. C’est en sens que le conseil apparait comme un véritable contre-pouvoir
latent puisque les décisions futures du nouveau chef refléteront ce qu’il a reçu au cours de sa
formation.
Enfin l’autre aspect de contre-pouvoir des conseils traditionnels tient à la nature obligatoire
de leurs décisions consensuelles. En effet, en tant que représentants des groupes sectoriels, ils
cherchent à ce qu’aussi bien les intérêts généraux et sectoriels soient sauvegardés lors de leurs
délibérations. Lorsque les vues divergentes se soulèvent au cours de leurs délibérations, le temps
est généralement consacré à parlementer. Au cours de cet entretien, les consultations sont faites,
les avis recherchés, les réconciliations faites et le consensus général est toujours cherché dans leurs
délibérations. Par ce consensus, leurs décisions deviennent obligatoires pour tous les membres de
la société y compris le chef traditionnel43.
41
J-P. FOGUI, op.cit., p.137.
42
Idem.
43
M. ALETUM, op.cit., p. 220.
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chose concernant la société traditionnelle excepté les affaires relatives aux organisations secrètes44.
En tant que mère biologique du chef ou sa sœur, la reine mère a un accès facile au chef avec qui
elle peut discuter d’un ensemble de questions variées, touchant à la vie du royaume et aux
problèmes des citoyens, et de ce fait, peut influencer la position du chef et ses décisions. Dans
Page | 197
cette perspective, CHILVER et KABERRY ont pu écrire que les fonctions politiques de la reine
mère dans le système traditionnel du gouvernement à Bafut, incluent le règlement des conflits
entre les femmes litigieuses et sa grande habileté à intercéder au nom des plaignants insatisfaits et
avoir leur cas revu et souvent elle peut être réputée à exercer son autorité sur les problèmes de
femmes45.
44
Idem.
45
E.M. CHILVER ; P.M. KABERRY, Traditional Government in Bafut, West Cameroon, The Nigerian Field, 1963,
p.15.
46
L. SAUR, Démocratie en Afrique subsaharienne, op.cit., p. 25.
47
S. B. E. ALIANA, « (Re) penser la démocratie délibérative en Afrique… », op.cit., p. 28.
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L’opposition institutionnalisée est cette opposition qui a un statut reconnu dans la tradition
constitutionnelle. Ce fut le cas au Baguirmi où il y eut alternance de trois branches qui se
disputaient autrefois le pouvoir. C’était là un compromis et une manière de contrôler l’exercice du
pouvoir. À Fouta-Djallon, l’on a aussi assisté à l’alternance au pouvoir de 2 branches. Ceci sous
la suggestion d’El Haji Oumar, initié à la matière par la tradition nigéro-tchadienne. Chez les
Mossi, tout candidat, pour être élu, doit avoir un concurrent. Si personne ne se présente, on suscite
un opposant formel. Ainsi, l’opposition constituait un véritable contre-pouvoir dans la mesure où,
elle favorisait l’alternance et empêchait qu’une personne demeure éternellement au pouvoir et
briller par les actes d’abus.
Ces mécanismes de contrepoids devaient contribuer à rendre le pouvoir modéré dans les
sociétés africaines précoloniales ; même s’il pouvait dans certains cas conserver des apparences
autoritaires. C’est ainsi l’exemple du roi des Bakuba (RDC). Ce roi était considéré comme un
monarque absolu alors que les décisions étaient prises à l’unanimité par les trois conseils qui
48
P. DIAGNE, « De la démocratie traditionnelle : problème de définition », op.cit., p. 32.
49
L. SAUR, op.cit., p. 26
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l’entouraient50. Dans l’empire Songhaï (Afrique de l’Ouest, XVe-XVIe siècles), le souverain avait
toutes les apparences d’un autocrate omnipotent puisque les sept cents eunuques qui se tenaient
derrière lui s’empressaient de conserver pieusement ses crachats, tandis que ceux qui se
présentaient à lui devaient se découvrir, se prosterner et se couvrir la tête de terre ou de farine.
Page | 199
Nonobstant, Claude-Hélène PERROT invite à ne pas confondre les attitudes à travers lesquelles
s’expriment le caractère sacré attribué à la royauté avec « la réalité du pouvoir et les limites qui
lui étaient assignées par le nécessaire consensus des sujets dans son exercice ordinaire »51.
Autrement dit, il s’agissait d’un pouvoir bien limité, c’est-à-dire modéré en dépit de ses habillages
autoritaires. Catherine COQUERY-VIDROVITCH souligne aussi le « pouvoir somme toute
modéré du chef précolonial (en tous les cas avant l’émergence des pouvoirs théocratiques du XIXe
siècle…). Le chef ancien avait souvent pour tâche de maintenir l’équilibre entre les différents
groupes sociaux qu’il régentait, plutôt que d’exercer une volonté personnelle »52. Toujours dans
la même perspective, « les Akan du Ghana considéraient que le pouvoir d’un dirigeant découlait
du peuple et était seulement délégué par celui-ci »53.
Tous ces exemples attestent à suffire le caractère véritablement modéré et non absolu du
pouvoir dans les sociétés africaines anciennes. Ce qui amène certains à admettre que « le modèle
du pouvoir absolu civil ou militaire d’un certain nombre de dictateurs africains récents ou
actuels doit beaucoup plus à l’héritage colonial… »54. C’est ce que confirme BAYART lorsqu’il
écrit que : « la thématique du chef, qui constitue un dispositif majeur de l’autoritarisme
postcolonial, sur le mode présidentialiste, est elle aussi, pour l’essentiel, d’origine coloniale »55.
Il nous dit que dans de nombreux cas, la chefferie dite « traditionnelle » a été construite de toutes
pièces par le colonisateur, notamment dans le contexte des sociétés lignagères acéphales. Il nous
fait aussi remarquer que la chefferie sous le régime colonial, s’est illustrée par ses abus, soit parce
que, de tradition récente, elle ne disposait d’institutions délibératives qui auraient pu en limiter les
excès, soit parce que le soutien de l’administration a permis à ses détenteurs de s’autonomiser par
rapport aux notables qui les assistaient et les contrôlaient. Enfin, il nous dit que la plupart des
oripeaux et des symboliques de la chefferie quelle qu’ait été son ancienneté réelle sont des
50
Ibid., p. 25
51
C-H. PERROT, « Le contrôle du pouvoir royal dans les États Akan aux XVIIIe et XIXe siècles », in G. CONAC
(dir), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, op.cit., p. 153
52
C. COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire et historiographie du politique en Afrique… », op.cit., p. 35
53
P. QUANTIN, « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle », op.cit., p. 67.
54
C. COQUERY-VIDROVITCH, op.cit., p. 34.
55
J-F. BAYART, « La problématique de la démocratie en Afrique noire… », op.cit., p. 7
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56
Ibid., pp. 7-8.
57
Ibid., p. 5
58
K. IDRISSA, « Politique et administration dans la colonie du Niger », op.cit., p. 284.
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l’intérêt du peuple. Ils n’ont à aucun moment de leur histoire constituer une barrière à un acte
autoritaire d’un dirigeant. Ils n’ont jamais limité le pouvoir d’un dirigeant politique africain. Au
contraire, c’était et c’est à travers eux que les dirigeants légitiment leurs actes et lois les plus
impopulaires.
Page | 201
Ces contre-pouvoirs et leur impact sur les pouvoirs africains contredisent les politistes qui
« ont longtemps considéré, qu’avant la colonisation, les États en Afrique étaient soumis à
l’arbitraire de rois ou de roitelets et que le meilleur terme apte à caractériser les régimes en place
était celui de « despotisme » »59.
Tous ces mécanismes de contrepoids ci-dessus qui ont contribué à modérer le pouvoir en
Afrique précoloniale, seront ignorés par l’Occident lors de l’implantation de l’État et de la
démocratie occidentale, comme l’ont aussi été les moyens de protection des libertés qui existaient
dans ce Continent à cette époque.
59
J-F. BAYART, L’État en Afrique, Fayard, 1989 ; cité par C-H. PERROT, « Le contrôle du pouvoir royal dans les
États Akan aux XVIIIe et XIXe siècles », op.cit., p.149.
60
Notons que cette charte n’était pas écrite car l’Afrique n’avait pas d’écriture à cette époque (1236). Son contenu fut
transmis de génération en génération à travers les Djely (Griots : caste des communicateurs traditionnels en Afrique
de l’Ouest essentiellement). Voir : https://txikan.jimdofree.comla-culture. Consulté le 26 avril 2021.
61
Voir : https://fr.m.wikipedia.org wiki Charte du Manden. Consulté le 26 avril 2021.
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Décrivant ce royaume du Kongo dans son livre intitulé L’ancien Royaume Kongo,
l’existence de la Démocratie dans le royaume Kongo, Mgr CUVELIER souligne que : « la royauté Page | 202
en Kongo était élective, avec une existence des droits de l’homme et des libertés fondamentales »62.
Les citoyens de ce royaume avaient alors des droits et des libertés reconnus et dont l’expression
était garantie et ne pouvait être entravée par le pouvoir royal. À propos de cette expression, au
« Royaume du Kongo, personne ne pouvait être condamnée sans avoir été préalablement jugée.
Le plaignant, tout comme l’accusé, avait l’habitude de choisir un avocat, « Nzonzi », pour sa
défense »63. L’on remarque que dans ce royaume, les condamnations arbitraires n’existaient,
puisque toute personne devait être jugée avant toute condamnation. Les droits de l’accusé étaient
garantis et protégés, étant donné qu’il devait être entendu au cours d’un procès où il avait droit à
un avocat. Tout ceci faisait de ce royaume une véritable exception démocratique dans la partie
centrale de l’Afrique à cette époque.
Aussi, en Afrique de l’Ouest, l’on a rencontré plusieurs autres royaumes où les droits de
l’Homme étaient garantis de même que leur expression. Il pouvait même arriver qu’un chef, un roi
soit détrôné parce qu’il constitue une menace pour les libertés. Étudiant les sociétés traditionnelles
de l’Afrique de l’Ouest, Pathé DIAGNE écrit que ces sociétés se caractérisaient par « le principe
de respect du statut de l’individu » qui « apparaît dans la reconnaissance des droits précis à tout
être à l’intérieur de sa communauté. Droit d’émigrer, c’est un droit essentiel ; le droit d’agir en
justice. Mais l’expression va plus loin : on verra ainsi que tout homme touché sur son statut peut,
dans la tradition politique négro-africaine, agir contre toute décision ou autorité arbitraire (cf.
attitude du Serer devant l’autorité politique contestée ; le mmerante ashanti ; le détrônement du
roi injuste à Abomey ou à Ifé, dans le Yoruba, celui de Damel à Mboul, au Kayor) »64. Il ressort
de ceci que le respect des droits humains était une réalité dans nombre de sociétés en Afrique de
l’Ouest précoloniale. Les citoyens avaient le droit d’agir en justice, qui était un droit fondamental.
Surtout l’on remarque que les citoyens pouvaient contester toute décision ou toute autorité qui
constituerait une entrave à la jouissance de leurs droits. Cette contestation pouvait aller jusqu’au
62
B. A. MANKOU, « La démocratie dans les sociétés plurales précoloniales en Afrique centrale : le cas du Royaume
du Kongo Dia Ntotela et du Royaume Loango », op.cit., p. 30.
63
Idem.
64
P. DIAGNE, « De la démocratie traditionnelle… », op.cit., p. 25.
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détrônement d’un roi injuste dont les décisions seraient liberticides comme cela été le cas de
nombreux royaumes dans cette partie de l’Afrique. En fait, ces deux droits de contestation de la
décision d’une autorité et de détrônement d’un roi, constituent de véritables moyens de protection
des libertés en ce sens que, le roi ou toute autre personnalité dans le gouvernement royal, ne pouvait
Page | 203
pas violer impunément les droits et libertés des individus. Lui-même sait la conséquence que son
acte injuste peut entrainer. C’est la protection des libertés qui s’en sort renforcer.
Ces mécanismes de garantie et de protection des libertés seront ignorés ou mis à l’oubli par
les occidentaux lors de la colonisation qu’ils appellent mission civilisatrice. Ils présentaient
l’Afrique précoloniale comme un continent où les hommes étaient barbares et qu’il fallait civiliser
ou humaniser. Tout se passe comme si les sociétés africaines ne connaissaient pas les libertés et
droits fondamentaux de la personne humaine. C’est ainsi qu’ils vont mettre sur pied les institutions
coloniales par lesquelles les droits et libertés qui existaient seront mises en hibernation. Cela peut
se comprendre puisque la colonisation signifiait encore l’occupation, c’est-à-dire, le fait pour les
étrangers de s’imposer sur un territoire contre le gré des occupants légaux. Dans ces conditions, la
gestion ne peut être qu’autoritaire, puisqu’accorder la liberté, signifie donner aux colonisés
l’opportunité de revendiquer leur autonomie. Ceci explique pourquoi toutes les sociétés
traditionnelles démocratiques en Afrique aient perdu les libertés qui les caractérisaient une fois le
colon implanté. Cela explique pourquoi la liberté et la démocratie ne renaissent qu’après de la
colonisation.
Conclusion
Cette réflexion qui s’achève vient remettre en cause la thèse qui présente la culture africaine
comme étant imperméable à la démocratie65occidentale. En effet, Toute la culture africaine n’est
pas antidémocratique puisqu’il y a effectivement eu des systèmes politiques démocratiques dans
l’Afrique précoloniale qui épousaient largement les valeurs culturelles africaines. Le colon va les
neutraliser pour imposer sa démocratie qui bute contre certains aspects culturels africains. Il y a
alors lieu selon nous d’adapter cette démocratie occidentale à la culture africaine et non le
contraire. Par cette nécessaire adaptation, l’on pourra éviter de nombreuses dérivesà l’instar des
violences politiques, des coups d’État, des fraudes électoralesetc, qui sont pour la plupart dus au
fait que les africains ont de la peine à intégrer les normes démocratiques importées de l’Occident.
65
F. Akindès, Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, op.cit. ; P. Chabal ; J-P. Daloz,
L’Afrique est partie ! Du désordre comme instrument politique, Paris, Economica, 1999.
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En privilégiant d’abord la culture africaine, des valeurs occidentales comme l’élection qui ne cesse
de causer des morts en Afrique peuvent disparaitre pour laisser place aux gouvernements d’union
nationale où toutes les couches et catégories sociales sont représentées sans exclusion. Il y aura
plus de défaite que les perdants refusent d’admettre parce qu’elle n’existe pas dans leur culture.
Page | 204
L’on pourra mettre sur pied un système consensuel à l’image de ce qui existait dans l’Afrique
précoloniale. Ce qui nous éloignerait des dégâts des élections.
Résume :
La présence étude décrit le rôle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans la
diffusion globale du programme de développement durable. Comment cet Agenda global est-il
passé d’une expérience institutionnelle locale, à un objet de diffusion massive et d’appropriation
multiples ? Quel a été le rôle des cadres de l’ONU dans ce processus de diffusion ? Quels sont les
espaces circulatoires qui ont favorisé sa diffusion ? Telles sont les principales questions
auxquelles nous essayerons d’apporter des éléments de réponse. A la croisée de l’analyse des
politiques publiques et des études des relations internationales, l’argument soutenu dans cet
article est d’une part que les espaces circulatoires de l’ONU ont été fondamentales à la diffusion
à l’échelle globale ; et d’autre part que les actions d’un ensemble d’individus que l’on qualifiera
d’« ambassadeurs du développement durable » ont été fondamentales pour amplifier cette
diffusion.
Abstract :
This study outlines the UN’s role in the global implementation of the sustainable
development agenda. How did this Global Agenda move from a local institutional experience to
an object of mass media coverage and multiple appropriation ? How important was the role of the Page | 206
UN in this diffusion process? What channels of communication have facilitated its diffusion ?
Those are the main questions we will try to answer. This article aims to answer these questions.
At the intersection of public-policy analysis and international relations studies, the argument
supported in this article is that, on the one side, the circulatory channels of the UN have been
fundamental to the diffusion of sustainable development on a global scale; and, on the other side,
that the actions of a group of individuals who we will be described as ‘ambassadors for sustainable
development’ have been fundamental in boosting this diffusion.
Keywords: UN; global diffusion; The 2030 Agenda for Sustainable Development
Introduction
1
« Nous considérons que l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris
l’extrême pauvreté, constitue le plus grand défi auquel l’humanité doive faire face, et qu’il s’agit d’une condition
indispensable au développement durable. Nous sommes attachés à réaliser le développement durable dans ses trois
dimensions – économique, sociale et environnementale – d’une manière qui soit équilibrée et intégrée. ». 70/1 «
Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 », p. 3.
2
DELPEUCH Thierry, l’analyse des transferts internationaux des politiques publiques : un état de l’art, in questions
de recherche, centre d’étude et de recherches internationales sciences po, 2008, p.4.
3
KÜBLER Daniel, MAILLARD Jacques, Analyser les politiques publiques, PUG, Grenoble, 2009, p.10.
toujours identiques. Nous adoptons le concept de diffusion pour faire référence à l’adoption
collective de l’Agenda 2030, plutôt que le terme transfert qui correspond à un mouvement linéaire,
d’un point A à un point B. Plus spécifiquement, nous choisissons d’adopter cette définition de la
diffusion perçue comme étant « un processus à partir duquel un élément ou un ensemble
Page | 208
d’éléments, d’ordre politique (idées, paradigmes, institutions, solutions pour l’action publique,
dispositifs normatifs, programmes, modèles, technologies, etc.), situé quelque part dans le temps
et dans l’espace, est adopté ailleurs »4.
La réflexion ainsi esquissée se nourrit des approches par le transnationalisme et les Policy
Transfer Studies, qui nous permettront d’étudier les flux, les interconnections, la circulation des
différents acteurs impliqués dans la diffusion globale et l’appropriation locale de l’agenda 2030,
nous verrons qu’un ensemble d’individus cosmopolites interagissant dans des espaces circulatoires
4
OLIVEIRA Porto, Ambassadeurs de la participation : Diffusion international du Budget Participatif. Thèse de
doctorat en Science politique, Université de la Sorbonne Nouvelle- Paris III, 2015, p. 69.
5
David. DOLOWITZ, David. MARSH, Learning from Abroad: The Role of Policy Trasnsfer in Contemporary Policy-
Making, 2000, p. 8.
6
Robert KEOHANE, Joseph NYE, “Transnational Relations and World Politics: An Introduction”. International
Organisation, vol. 25n° 3, 1971.
nationales et internationales ont joué un rôle essentiel dans le processus de diffusion globale du
développement durable7. Les forces transnationales étant entendues comme « les mouvements et
les courants de solidarité d’origine privée qui cherchent à s’établir à travers les frontières et qui
tentent à faire valoir ou prévaloir leur point de vue dans le système international. »8.
Page | 209
L’enjeu méthodologique majeur dans l’analyse d’un programme d’action publique relève
une triple exigence. La première est la constitution de corpus homogènes. En effet, les matériaux
discursifs disponibles sont multiples : entretiens ; discours ; rapports ; prises de position dans des
enceintes politiques ou administratives ; interventions dans les médias ; articles dans des revues et
dans la presse spécialisée ; ouvrages ; sites internet ; blogs…) ; la deuxième exigence renvoie à
l’analyse des lieux de production et de diffusion des programmes parfois désignés par l’expression
« forums de politique publique »9 (Jobert, 1995). On peut les définir comme des lieux de
construction intellectuelle de l’action publique, ou s’élaborent des diagnostics sur la base desquels
sont proposées des orientations, des principes et des instruments d’action publique. Ces forums
peuvent aussi être des espaces de débats et de controverses. Ils sont de différents nature :
scientifiques (universités, laboratoires de recherche, colloque, séminaire etc.) ; administratifs
(commissions officielles, structures de concertation, missions, rapports) ; privés (tink tanks,
cabinets de conseil, agence privées…) ou encore internationaux (institutions internationales en
particulier). Ce sont des espaces ou les ressources d’expertise sont particulièrement valorisées.
L’étude de ces lieux suppose de s’appuyer sur des entretiens et de l’observation directe afin de
comprendre des processus de diffusion des systèmes de représentations. Ils peuvent également être
analysés à partir de matériaux discursifs, en portant notamment une attention aux références
utilisées, aux citations, aux emprunts. La troisième et dernière exigence est celle de l’analyse de
leur appropriation par les acteurs.
Deux dimensions sont ainsi privilégiées : on s’intéresse aux espaces circulatoires crées par
l’ONU qui favorisent le processus de diffusion globale du programme de développement 2030 (I)
7
KÜBLER Daniel, MAILLARD Jacques, Analyser les politiques publiques, op cit, p.169.
8
MERLE Marcel, Sociologie des relations internationales, Dalloz, 3e édition, 1982
9
L’idée principale de ce modèle consiste à souligner que les débats autour des politiques publiques et sur les politiques
publiques se développement sur une multiplicité de scènes, au sein de diverses instances, nommées « forums », qui
sont régies par des enjeux et des règles qui leur sont spécifiques suivant une temporalité particulière et mettant en
scène des acteurs différents. Bruno Jobert a été le premier à utiliser ce terme dans ses travaux sur l’émergence de ce
qu’il appelle « le tournant néolibéral » où il s’interroge sur la dialectique existant entre le changement des matrices
cognitives et le jeu des acteurs.
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10
STONE Diane, “Transfer agents and global networks in the transnationalization’of policy” Journal of European
public policy 11 (3), 545-566, 2004.
11
HASSENTEUFEL Patrick, « De la Comparaison Internationale à la Comparaison Transnationale. Les
Déplacements de la Construction d’Objets Comparatifs en Matière de Politiques Publiques. » Revue Française de
Science Politique 55 (1), 2005, 113-32.
12
E Adler, HAAS Peter, Conclusion: Epistemic Communities, World Order, and the Creation of a Reflective Research
Program. International Organization, (n°46), 367-390, 1992.
13
BOURDIEU Pierre,WACQUANT Loic, « Sur les ruses de la raison impérialiste », actes de la recherche en sciences
sociales, 1998/1-2 (n°121-122)
14
STRANG David, MEYER John, « Institutional for diffusion », Theory and Society (Vol22) p. 487-511, 1993.
15
DEBONNEVILLE Julien, Pablo Diaz, les processus de transfert de politiques publiques et des nouvelles techniques
de gouvernance. Le rôle de la Banque mondiale dans l’adoption des programmes de conditional cash transfers au
Philippines ; dans Revue Tiers Monde, n° 216, 2013/4, p. 161 à 178.
menées au cours des années 1950 et 1960 par des lanceurs d’alerte16 et des mouvements écologistes
qui ont été indispensables à la reconnaissance internationale de l’urgence d’un développement
durable afin qu’il puisse progressivement acquérir un prestige international et bénéficier de
l’attention de l’ONU. Développé par Francis Château Raynaud et Didier Tony (1999) dans
Page | 211
l’émergence de nouveaux problèmes, les lanceurs d’alerte correspondent à « des personnages ou
des personnes liées à des instances autorisées. Ces alertes prennent la forme d’une démarche,
personnelle ou collective, visant à mobiliser des instances supposées capables d’agir, d’informer
le public de l’imminence d’une catastrophe ». Leurs actions de dénonciation vont fortement
contribuer à une reconfiguration des valeurs et des représentations, à une prise de conscience non
seulement de la fragilité de l’écosystème, mais aussi de l’urgence d’un changement de modèle de
développement. Depuis lors, l’ONU s’est positionnée comme l’acteur incontournable dans le
processus de construction, de négociation et de diffusion de ce référentiel global car elle agit
comme un réseau de construction et de socialisation, de persuasion, et de diffusion à l’échelle
internationale de la nouvelle norme. En tant qu’agent de civilisation et de socialisation aux mœurs
de développement et depuis la sortie du rapport du Club de Rome17, l’ONU va se livrer à un
véritable travail de problématisation et de diffusion à travers principalement l’organisation des
sommets à l’issu desquels des commissions et des programmes de développement qui vont donner
l’occasion d’introduire dans les espaces nationaux des problématiques et des concepts nouveaux
relatifs au développement durable seront créés.
16
Selon Philippe GARAUD, une catégorie particulière d’acteurs, les porteurs de cause agissant en tant que
« entrepreneurs politiques », jouent un rôle central dans la construction des problèmes publics, leur mise à l’agenda et
les processus de mobilisation qui les sous-tendent. Ils donnent sur le plan symbolique une forte légitimité à leur cause
en la justifiant par la référence à des valeurs affirmées (intérêt général, justice sociale, solidarité etc.) et constituent
parfois des coalitions qui permettent aux problèmes qu’ils soulèvent de gagner en audience et en légitimité. Philippe
GERAUD, « Agenda/Emergence », in Laurie Boussaguet et al.,Dictionnaire des politiques publiques, Presses de
Sciences Po (P.F.S.N.P) « Références », 2014 (4e éd.), p. 58-67.
17
Au début des années 1970, Les modèles de croissance sont critiqués et le concept de développement va souffrir
d’une crise de légitimité. La principale idée avancée est que la poursuite de la croissance économique entraînera au
cours du XXIe siècle une chute brutale de la population, l’appauvrissement des sols cultivables et la raréfaction des
ressources énergétiques. Ce tournant va donc marquer l’émergence d’une inquiétude écologique et de la
reconnaissance politique au niveau international de l’enjeu autour de la protection de l’environnement. Cette
inquiétude sera donc portée par des acteurs qui vont produire et diffuser de nouvelles idées précurseurs du
développement durable, en faveur du respect de la nature et le partage équitable des richesses. L’une d’entre elles est
l'idée de « croissance zéro » mise en circulation dans un rapport intitulé « The Limits to Growth » traduit en français,
de manière plus alarmiste « Halte à la croissance »17, commandé à une équipe de chercheurs du Massachusetts
Institute of Technology (MIT) dirigé par Dennis Meadows
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différentes problématiques. Depuis 1960, les discussions sur les possibilités de réformes du
système de croissance et la création de valeurs nouvelles de développement ont été menées lors de
grands sommets onusiens ayant eu pour thème l’environnement et le développement durable. Cinq
d’entre elles, marquent bien de 1972 à 2015, les étapes de l’émergence de ce nouveau paradigme.
Page | 212
De la conférence de Stockholm en 1972 au sommet de New York en 2015 en passant par le sommet
de la Terre de 1992, le sommet mondial sur le développement mondial de Johannesburg en 2002,
et le sommet de Rio + 20 en 2012, chacune de ces rencontres a connu des discussions animées qui
ont permis la formulation et la circulation du programme de Développement Durable.
18
LEROY Maya, LAURIOL Jacques, « 25 ans de Développement Durable : de la récupération de la critique
environnementale à la consolidation écologique d’une dynamique de normalisation », dans GESTION 2000, 2011/2,
n°28, p. 127 à 145.
19
Résolution 2398 (XXIII).
20
La rencontre de Founex en Suisse se tient en 1971 à l’initiative des Nations unies. Il s’agit du séminaire préparatoire
à la Conférence de Stockholm, où sera déjà évoquée la question de l’environnement et du développement. Pour plus
d’information, lire Development and Environment, Report and Working Papers of Experts Convened by the Secretary
General of the United Nations Conference on the Human Environment, Founex (Suisse), éditions Mouton, Paris, 4-
12 juin 1971.
21
Serge LATOUCHE, « l’imposture du développement durable ou les habits neufs du développement », Monde en
développement, n°121, 2003, p. 23-30.
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développement durable pour un monde plus respectueux des hommes et de l’environnement. Dans
la même veine, on va constater une évolution intéressante du concept de développement qui gagne
en polyvalence puisqu’il va proposer l’intégration des questions d’environnement à la formulation
des politiques et des programmes de développement. Si jusqu’alors timidement évoqué, le sommet
Page | 213
de Rio de Janeiro va marquer une véritable reconsidération et diffusion.
Le Sommet de Rio avait pour mission de passer aux actes. Le diagnostic étant fait et les
menaces connues, il s’agissait de prendre des mesures à l’échelle mondiale et d’agir au niveau
22
Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, 1989 : 8.
23
Ibid. : 51.
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national et local : penser global et agir local. Cette grande conférence a conduit le concept de
développement durable à maturité. Elle a permis d’adopter des documents majeurs qui vont
contribuer à la diffusion du développement durable : la Déclaration de Rio sur l’environnement et
le développement, l’Agenda pour le XXIe siècle, appelé Agenda 21, la Déclaration sur la forêt, la
Page | 214
Convention des Nations unies sur la biodiversité et la Convention cadre des Nations unies sur les
changements climatiques. Cet agenda était destiné à guider les Etats vers l’atteinte du
développement durable. Pour y arriver, le document a responsabilisé les États en les incitants à
élaborer des stratégies nationales de développement durable (SNDD)24. Cela suppose entreprendre
des politiques de développement durable aux niveaux nationaux au travers des agendas 21
nationaux, aux niveaux régionaux au travers des agendas 21 régionaux et aux niveaux locaux au
travers des agendas 21 locaux.
24
Le Cameroun entame son élaboration au lendemain des consultations de 2013 sur la formulation des ODD. Étendue
sur trois ans, de 2014 à 2016, elle a impliqué tous les acteurs concernés par la problématique du développement durable
(Etat, Secteur privé, Société Civile, PTF) ont été consultés durant tout le processus pour apporter leurs contributions
dans l’élaboration de la SNDD. Des consultations participatives sont effectuées dans les 10 Régions du pays.
25
La conformité du Cameroun aux normes internationales y est également perceptible à travers la signature et/ou la
ratification d’un certain nombre de textes juridiques internationaux relatifs au développement durable, tant au plan
universel qu’au plan régional. Ces textes, qui ont influencé le législateur camerounais dans sa mission de codification
du développement durable sont à la fois non contraignants et contraignants. Parmi les textes juridiques non
contraignants, généralement destinés à proclamer de nouveaux principes juridiques, à raffermir les anciens et surtout
à inspirer la législation des Etats dans l’ordre juridique national. Il s’agit entre autres : de la Déclaration de Rio sur
l’environnement et le développement ; la Déclaration sur les forêts ; et de l’Agenda 21 etc.
On relève parmi les textes contraignants La Convention de Stockholm sur les polluants organiques
persistants, adoptée en 2001, le Protocole de Kyoto de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques (1997 ratifié en 2002, la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (1992)
ratifié en 1994 ; la Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la désertification, adoptée à Paris (France) en
1994 et ratifiée par le Cameroun en 1997, la Convention sur la diversité biologique adoptée en 1992 et ratifiée par le
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RIO + 20, conférence mondiale des Nations Unies sur le développement durable
Cameroun en 1994 ; la Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme
habitats des oiseaux d’eau adoptée en 1971 et ratifiée par le Cameroun 2006 etc.
26
P. H. SANDS, “Principes of International Environnemental Law”, Framework, Standards and Implementation,
Manchester University Press, Manchester, New York, vol. 1,1995, p. 72-73
27
Résolution 2997 (XXVII), Dispositions institutionnelles et financiers concernant la coopération internationale dans
le domaine de l’environnement
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Le Groupe des Nations unies pour le développement durable assure également le rôle de
facilitateur dans la circulation des ODD : au niveau mondial, il sert de forum de haut niveau pour Page | 217
la facilitation des processus conjoints d’élaboration des politiques et de prise de décisions. Il assure
un service d’orientation, d’appui, de suivi et de supervision de la coordination des activités de
développement dans 162 pays et territoires. Il rassemble toutes les entités des Nations unies
œuvrant à la réalisation des ODD d’ici 2030 élabore et des outils afin d’aider les Etats à la mise en
œuvre du développement durable.
Ce travail de diffusion est complété par la fourniture d’une assistance technique poussée,
notamment à travers la mise à disposition d’experts internationaux chargés de suivre les
programmes de leur conception à leur mise en œuvre. Les connaissances produites et diffusées par
l’ONU, et la mobilisation des experts internationaux lui permettent d’entretenir sa légitimité28 car
qu’elle se présente comme ayant le monopole de l’expertise et des « bonnes » recettes. Les propos
de Mme Amina J. Mohamed à cet égard sont éloquents : « Nous avons pu observer le rôle central
joué par l’ONU dans « l’universalisation » de ce modèle de développement lors des différents
sommets internationaux en diffusant les « bonnes recettes » de promotion du développement
durable ».29 Elle dispose ainsi du monopole des « bonnes recettes » qu’elle diffuse également par
le moyen des forums.
28
Un facilitateur de transfert et non des moindre est le PNUD. L’ampleur des ODD et le degré supérieur d’ambition
qu’ils représentent, exigent de faire mieux que les OMD, de veiller à ce que les ODD soient davantage en adéquation
avec les priorités budgétaires, les stratégies de croissance, les pratiques de production et de consommation et les
politiques mondiales. En tant qu’organisation des Nations Unies au carrefour des stratégies de développement
nationales, le PNUD se fait « l’intégrateur des ODD » ; il aide les pays à considérer l’ensemble des objectifs pour
promouvoir des stratégies qui profiteront aux communautés vulnérables et marginalisées, qui minimiseront les risques
et donneront une impulsion au changement dans tous les secteurs.
29
Propos tenu lors de la conférence des Nations unies sur le programme de développement 2030, le 25 septembre
2015
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moments temporaires mais privilégiés d’interactions entre les acteurs sur des enjeux de politique
publique.
La création de ce forum a été mandatée en 2012 par le document final de la conférence des
Nations Unies sur le développement durable, « l’Avenir que nous voulons ». Il s’agit d’un espace
par excellence de civilisation internationale des mœurs de développement. Les discussions qui s’y
déroulent mettent en lumière l’état d’avancement de chaque pays dans la mise en œuvre des ODD
et permettent de diffuser l’idée de la transférabilité du développement durable, de modifier les
systèmes de représentations des receveurs.
fois un rapport d’Examen National Volontaire sur l’état de mise en œuvre des ODD qui met en
exergue les bonnes pratiques et les difficultés. De plus, les réseaux d’action publique qui se
constituent se caractérisent par un certain degré de confiance entre les membres car, le contact en
face-à-face reste le meilleur moyen d’établir de tels liens de confiance nécessaires à la
Page | 219
coopération entre les Etat. Ce contact direct est également un moyen de maintenir les liens dans
le temps entre les acteurs intervenants. Depuis l’adoption de l’agenda 2030, sept rencontres ont
déjà été organisés.
La première édition tenue en juillet 2016 a portée sur le thème « ne laisser personne de
côté » avec la participation de 22 Etats ; la deuxième de 2017 avait pour fil conducteur « éradiquer
la pauvreté et promouvoir la prospérité dans un monde changeant ». Sept ODD étaient ciblés : les
ODD 1, 2, 3, 5, 9, 14 et 17. 43 pays se sont portés volontaire pour une revue nationale. La troisième
en 2018 avait pour thème « la transformation vers des sociétés durables et résilientes ». Ont été
évalué les ODD 6, 7, 11, 12, 15 et 17. 48 Etats ont présenté une revue. Le Cameroun a participé
pour sa première fois lors de la quatrième édition du Forum tenue au siège des Nations unies à
New York du 9 au 18 juillet 2019 sur le thème « Autonomiser les individus et assurer l’inclusion
et l’équité ». Ont été passé en revue les ODD 4, 8, 18, 16, 17. Il s’est agi d’un moment d’échange
entre les représentants du Cameroun, qui présentait sa toute première Revue Nationale Volontaire,
et ceux des autres Etats présents à cette rencontre. En septembre 2019 s’est également tenu un
sommet sur les ODD, comme prévu, sous les auspices de l’AG des Nations unies au niveau des
chefs d’Etats et de gouvernements.
Celui de 2020 s’est tenu du 7 au 16 juillet sur le thème « action accélérée et solutions
transformatrices : une décennie d’action et des résultats pour le DD ». Il a consacré le lancement
de la décennie d’action pour le DD décidée par les chefs d’Etat et de gouvernement au Sommet
des ODD de septembre 2019. En 2021, il s’est tenue du 6 au 15 juillet sous le thème « reprise
durable et résiliente de la pandémie Covid19 qui promeut les dimensions économiques, sociales
et environnementales du développement durable : construire une voie inclusive et efficace pour la
réalisa 0tion de l’Agenda 30 dans le contexte de la décennie d’action et de mise en œuvre pour le
développement durable ». Le Forum 2022 a eu lieu du mardi 5 juillet au jeudi 7 juillet et du lundi
11 au vendredi 15 juillet, sous les auspices du Conseil économique et social et durant lequel 45
pays y compris le Cameroun ont présenté leurs Revue nationale Volontaire. Cette édition a marqué
le lancement des préparatifs du Sommet des ODD 2023 qui procèdera à un « examen à mi-parcours
des ODD ».
Ces rencontres ont le mérite de réunir des acteurs d’horizons divers, constituant ainsi une
activité essentielle dans la formation des réseaux transnationaux et participants ainsi à un travail Page | 220
d’intermédiation. En favorisant la multiplication des liens entre les acteurs, les événements
facilitent la circulation des idées et de la connaissance. L’analyse des événements est également
intéressant dans la mesure où s’y déploient des stratégies narratives qui facilitent la circulation des
idées et pratiques. Ces espaces facilitent au final l’appropriation par les Etats des savoirs, des
techniques et des bonnes pratiques pour mieux conduire la mise en œuvre du programme dans
leurs Etats respectifs. En plus des espaces circulatoires, la diffusion du programme 2030 a été
impulsée à partir de la combinaison d’un ensemble de flux et d’interactions entre individus,
institutions et Etats.
Quatre dimensions permettent de catégoriser les individus et leur action : (i) le champ
d’action (institutionnel/extra-institutionnel) ; (ii) la durée de l’action dans le processus
(ponctuelle/continue) ; (iii) la portée de l’action (globale/locale/interrégionale/régionale) ; et (iv)
la nature de l’action (médiation ou brokerage, support technique, appui financier, etc.). À partir de
ces éléments, nous avons considéré deux types spécifiques d’individus, caractérisés
essentiellement par leur caractère influent et cosmopolite, et par la nature de l’action qu’ils
exécutent à certains moments du processus de circulation. Nous avons identifié des cadres de
Page | 221
l’ONU (A), et les défenseurs des ODD désignés par l’Organisation elle-même (B) qui ont un
pouvoir non négligeable de légitimation sur les pratiques : ils interviennent en tant que consultants,
publient des livres et articles, forment des cadres ministériels et municipaux etc. Leur légitimité,
leur profil socioprofessionnel et leur circulation physique entre les institutions internationales
(notamment lors des rencontres internationales) et des réseaux est fondamentale pour expliquer
leur rôle.
Il s’agira ici de mettre en avant le rôle des cadres de l’ONU, identifié comme des diffuseurs
de recettes dans le processus de diffusion du programme 2030, mais également évoquer
l’expérience internationale qui leur procure cette légitimité d’action. Ces cadres nous le verrons
jouent un rôle d’entrepreneurs de politiques publiques30, mais aussi de médiateurs. L’analyse des
acteurs des politiques publiques, recommande de prendre en compte les déterminants des stratégies
des acteurs. On en distingue trois grand types : les ressources (de nature diverses) dont ils disposent
et qui déterminent leur capacité d’action ; les systèmes de représentations auxquels ils adhèrent,
correspondant à leur perception et à leur interprétation de la réalité sur laquelle ils veulent agir qui
orientent leurs stratégies ; et les intérêts suivis qui définissent leurs préférences.
L’analyse des ressources sur lesquelles peut s’appuyer un acteur nécessite d’effectuer un
travail sociographique se fondant sur les données permettant de retracer sa trajectoire sociale et
professionnelle (notice biographique, CV, récits...). Ce travail permet non seulement de retracer
les positions occupées mais aussi de comprendre l’acquisition des ressources d’expertise liées à la
formation et à l’accumulation de savoirs et d’expériences sur un enjeu donné. Ces ressources
accumulées déterminent sa capacité d’action publique et la représentation qu’il s’en fait ; elles
conditionnent donc fortement les stratégies qu’il envisage et qu’ils estiment possibles. Deux
30
Les entrepreneurs de transfert qui représentent très souvent des groupes d’experts, caractérisés par leur présence
incessante, leur savoir-faire éprouvé et leur figure tutélaire dans les espaces internationaux de circulation des idées où
ils interviennent
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principaux experts internationaux par leurs actions et leurs ressources ont considérablement
contribué à faire circuler à l’échelle internationale. Amina Mohamed et Jeffrey Sachs par leur statut
professionnel leur accordant une légitimité politique importante, leurs présences continues tout au
long du processus de formulation l’Agenda 2030 et leurs connaissances techniques approfondies
Page | 222
en matière de développement ont joué un rôle important dans la diffusion de l’Agenda 2030.
Avant d’expliquer plus en détail comment cette experte des questions de développement a
participé à la circulation de l’agenda 2030, il est utile de s’arrêter sur son profil sociologique. La
trajectoire de Mme Amina J. Mohamed est très intéressante. Détentrice d’un doctorat et professeur
adjoint à l’université de Columbia, cette experte internationale d’origine nigériane est depuis le 1 er
janvier 2017 la Vice-secrétaire générale de l’ONU et présidente du groupe des Nations unies pour
le développement durable. Elle est ainsi la 5ème personnalité, troisième femme et deuxième
africaine à occuper ce poste après la Tanzanienne Asha-Rose Mtengeti Migiro (2007-2012). Avant
sa nomination, elle a été sous trois gouvernements consécutifs conseillère spéciale des Objectifs
du Millénaire pour le Développement auprès de quatre présidents successifs du Nigéria, et au sein
du groupe de travail sur l’égalité des sexes et l’éducation en 2002 et 2005. Cette position lui a
permis de contribuer considérablement à la lutte contre la pauvreté et au développement durable
avec la conception et le développement des projets du gouvernement nigérian en faveur de la
réduire la pauvreté. Elle fonde ensuite et dirige le Think tank, Center for Development Policy
Solutions et fait de l’amélioration de l’accès à l’éducation et aux autres services sociaux son cheval
de bataille.
Après avoir travaillé en tant que conseillère sur les questions liées à la pauvreté, elle occupe
le poste de ministre de l’environnement de la république fédérale du Nigéria de novembre 2015 à
décembre 2016, où elle a dirigé les efforts du pays en matière d’action climatique et de protection
de l’environnement naturel. Elle va faire partir de nombreux groupes d’experts et conseils
consultatifs internationaux tels que la Fondation Bill-et-Melinda-Gates ou le Conseil collaboratif
pour la fourniture en eau et hygiène, rattaché aux Nations unies, qu’elle préside. Mme Mohammed
rejoint l’ONU en 2012 en tant que conseillère spéciale du Secrétaire général (à l’époque, Ban Ki-
Moon) pour la planification du développement après 2015. Elle va piloter le processus qui a abouti
au consensus mondial sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et à la
définition des ODD. Le 15 décembre 2016, elle est désignée vice-secrétaire générale par le
Secrétaire Générale des Nations unies élu Antonio Guterres.
L’analyse des acteurs des politiques publiques, recommande de prendre en compte les
déterminants des stratégies des acteurs. On en distingue trois grand types : les ressources (de nature
diverses) dont ils disposent et qui déterminent leur capacité d’action ; les systèmes de
31
Propos recueillis dans le rapport de la FRADD, 2023.
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Le professeur Sachs est largement considéré comme l’un des plus grands experts mondiaux
du développement économique et la lutte contre la pauvreté. Son travail en faveur de l’éradication
de la pauvreté, de la faim, des pandémies et la promotion des pratiques environnementales
durables, l’a conduit à mener des actions dans de nombreux pays. Depuis près de 25 ans, il
conseille des chefs d’Etat et de gouvernement sur leurs stratégies économiques et de
développement. Auteur de plus de 20 doctorats honorifiques et de nombreux prix et distinctions à
travers le monde, il a servi comme conseillé auprès du FMI, à la Banque mondiale, à l’Organisation
de Coopération et de Développement Economique (OCDE), à l’OMS et au PNUD. Le projet des
objectifs du millénaire a été mis en place sous sa direction. Leurs fondements théoriques se
trouvent dans son ouvrage les trappes à la pauvreté33, dans lequel il présente une vision holistique
de la gestion des problèmes mondiaux tels l’extrême pauvreté, les risques environnementaux, les
injustices économiques et politiques mettant en avant les dimensions sociales du développement
et la nécessité de redéfinir le développement pour sortir d’handicaps structurels.34
32
Jeffry Sachs, The End of Poverty: How We Can Make it Happen i Our Lifetime
33
Jeffrey Sachs, The Age of Sustainable Development. New York, Colombia University Press, 2015
34
Phillipe Hugon, « du bilan mitigé des OMD aux difficultés de mise en œuvre des ODD » ; monde en développement,
n° 174, 2016/2, p. 15 à 32.
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Professeur, directeur, conseiller et défenseur des ODD, il a contribué lui-même à créer cet
âge du développement durable. Pour le professeur, les universités sont en mesure de contribuer à
l’atteinte des ODD sur plusieurs plans : l’enseignement, qui non seulement transmet l’expertise
aux étudiants, mais leur donne accès au savoir et à la mobilisation qui en découle ; la recherche en
Page | 225
tant que soutien de l’innovation et permet aux entreprises motivées de mettre en application les
solutions proposées. Les principes des ODD doivent être intégrés dans la structure de gouvernance
et dans les politiques des universités. Enfin, ce leadership doit se
En plus des co-présidents du groupe d’expert (le président du Ghana, John Dramani
Mahama, et la première ministre Norvège, Mme Erna Solberg), 14 défenseurs ont été désigné pour
stimuler la transnationalisation des ODD : La reine des Belges, Mathilde ; la princesse héritière
Victoria de Suède, Sheikha Moza bint Nasser, épouse de l’ex-émir du Qatar et co-fondatrice de la
35
Yves DEZALAY, « les courtiers de l’international. Heritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et
missionnaires de l’universel »,
36
Voir pour d’autres définitions Jaziri Raouf, « l’entrepreneuriat politique au regard de la théorie des conventions :
vers une typologie des maires entrepreneurs politique », Revue Européenne du Droit Social, N° 1, 2009 : 51 et 52.
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Qatar Foundation ; Richard Curtis, scénariste, producteur et metteur en scène ; Dho Young-Shim,
Président dela Fondation du tourisme durable pour l’élimination de la pauvreté de l’Organisation
mondiale du torisme des Nations unies ; Leymah Ghowee, directrice de la Fondation Gbowee pour
la paix ; Jack Ma, fondateur et président exécutif du groupe Alibaba ; Graca Machel, présidente
Page | 226
de la Fondation pour le développement des communautés ; Leonel Messi, footballeur de
renommée mondiale, ambassadeur de bonne volonté de l’UNICEF ; Alea Murabit, fondatrice de
la voix des femmes libyennes ; Paul Polman, PDG d’Unilever, Jeffrey Sachs, Directeur de l’Earth
Institute à l’Université Columbia (New York) ; Shakira Mebarak, artiste, avocate et fondatrice de
la Fondation Pies Descalzos, ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF ; Forest Whitaker
Peace & Development, Envoyé spécial de l’UNESCO pour la paix et la réconciliation ;
Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank. Ces 17 ambassadeurs des ODD sont
représentatifs du caractère universel de l’agenda 2030. Très diversifiés, ils engageront des
dialogues avec des partenaires de la société civile, des milieux universitaires, du monde
parlementaire et du secteur privé pour susciter l’éclosion de nouvelles idées et moyens de
promouvoir la mise en œuvre des objectifs.
Ces défenseurs mènent des actions déterminantes pour l’insérer dans l’agenda des
institutions locales, nationales et même internationales. Un ensemble d’attributs spécifiques les
caractérisent : (i) ils ont une autorité sur le développement durable qui peut être de nature politique,
technique ou d’ordre de la connaissance ; (ii) ils promeuvent le développement durable
indépendamment de l’institution dans laquelle ils travaillent ; (iii) ils mènent une action continue
à l’intérieur des Etats, des organisations internationales, des ONG, etc. sans avoir nécessairement
de liens formels avec ces institutions. Par ailleurs, ils promeuvent l’Agenda 2030 lors
d’événements, en tant que consultants techniques etc. Ils sont également des représentants et des
militants de la cause, de par leurs actions comme des « courtiers de l’international ». Parler de
courtier nous permet de dépasser la distinction entre acteurs transnationaux exportateurs et acteurs
nationaux importateurs tant les passerelles, les allers-retours et les interactions de ces défenseurs
sont nombreux. Ils agissent comme des « Agent double » présents sur des scènes nationales et
internationales, pratiquant un « double jeu » du national et de l’international notamment « investir
dans l’international pour renforcer leur position dans le champ du pouvoir national, et
simultanément, faire valoir leur notoriété nationale pour se faire entendre sur la scène
internationale ». (Yves Dezalay, 2004 : 11) C’est le cas Alea Murabit qui mène des actions partout
dans le monde en faveur des droits des femmes.
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Erna Solberg , afin d’inciter l’ONU à poser des actions pour aider les enfants victimes de
guerre, a produit un rapport intitulé « l’impact de la guerre sur les enfants »37 dans lequel elle
expose les conséquences de la guerre sur les enfants et invite par la même occasion la communauté
internationale à prendre des mesures concrètes pour protéger les enfants du fléau de la guerre. La
communauté internationale a répondu à cet appel et a pris des mesures sur la base des
recommandations de l’ancienne ministre. L’Assemblée générale a créé le Bureau du représentant
spécial du secrétaire général pour les enfants et les conflits armés et le Conseil de sécurité a mis
en place un mécanisme coordonné de surveillance et de communication de l’information pour
continuer à suivre l’impact de la guerre sur les enfants.
Nous avons pu le voir, la diffusion du développement durable fait partie d’une trame
complexe de relations établies entre une pléthore d’acteurs qui participent à celle-ci, à divers
moments et dans différents espaces. L’action des acteurs et leur circulation dans divers espaces
circulatoires sont toutes deux essentielles à ce processus.
37
Marina Serre, Frédéric Pierru, les organisations internationales et la production d’un sens commun réformateur de
la politique de protection maladie, Lien social et politiques, (Vol 45), p. 105-128, 2001
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Conclusion
A l’issu de l’analyse, nous pouvons voir que c’est par un travail de persuasion et de
socialisation lors des différentes rencontres au sommet organisées par l’ONU que la prise en
compte et la diffusion Du programme 2030 se sont opérées. L’internationalisation du programme
de développement durable suit le cycle suivant : d’abord une reconnaissance internationale
stimulée par les lanceurs d’alerte et les mouvements écologiques marquée par l’organisation des
sommets ; ensuite une circulation transnationale boostée par des acteurs cosmopolites. Sachant
que l’action principale est réalisée par un ensemble de militants du développement durable, des «
ambassadeurs », qui défendent sa circulation et son adoption de manière transnationale, leur
circulation d’une institution à une autre (qu’elle soit politique ou académique, nationale ou
internationale) est centrale pour que le processus de diffusion ait lieu. On relève également que la
diffusion du développement durable fait partie d’une trame complexe de relations établies entre
une pléthore d’acteurs qui participent à celle-ci, à divers moments et dans différents espaces. C’est
le cas des ambassadeurs du développement durable dont les actions et la circulation entre les
diverses institutions sont essentielles à ce processus. Ils participent à la promotion, la légitimation,
la médiation et l’adoption du développement durable grâce à la légitimité dont ils bénéficient de
par leur profil socio professionnel et les ressources dont ils disposent. Même si nous avons analysé
le rôle joué par les principaux promoteurs, individuels et institutionnels, il faut souligner que
d’autres acteurs (ONGI notamment CGLU, des ONG, réseaux ont également participé à cette
diffusion. De plus, l’intégration du programme de développement durable dans les programmes
Page | 229
nationaux et institutionnels accélère le processus de diffusion en légitimant le dispositif, en lui
conférant une notoriété, mais aussi en permettant l’accumulation d’un capital technique facilitant
les nouvelles expérimentations.
Résumé :
Abstract:
The expression Council Police in Cameroon refers to the police force put in place by the
mayor of the urban or metropolitan council and all the agents of the police force under his
authority. The council police force, therefore, depends on the locally elected authority who holds
Page | 231
administrative power only over his urban or metropolitan territory. So far, the council police force
which has been ignored in Cameroon as far public security is concerned, is poised to bridge the
gap as quickly as possible and eliminate the fetters that have been holding it back. Decree No
2022/354 of 9th August, 2022, defining the powers of the municipal police has put an end to
numerous controversies over its duties and reaffirmed its role in local security in the era of
decentralization in Cameroon. It has responded to the need to curb disorderliness in urban centers
and fill the security gap created by the National Police and the National Gendarme Forces.
Introduction
Mais c’est le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la
Police Municipale au Cameroun qui est venu la sortir de l’ornière, en faisant de cette police locale
mal connue et mal acceptée une composante utile, voire indispensable de la sécurité publique.
Cette reconnaissance n’est pas uniforme et le constat qui en découle reflète une réalité très
diversifiée qui conduit à parler « des » polices municipales plutôt que de la « police municipale »
avec des visages pluriels, tantôt doux, tantôt durs4. Leur physionomie semble lier à celle des
Communes ou des Communautés Urbaines dont elles relèvent. En effet, la taille de la Commune
ou de la Communauté Urbaine, ses spécificités (rurale ou urbaine), conditionnent l’existence d’une
police municipale plus ou moins étoffée. Les services les plus importants se trouvent
majoritairement en agglomération urbaine alors que les collectivités de petite taille ont rarement
une police municipale dépassant la dizaine d’agents. Toutefois, cette constatation générale ne
1
Ferret (J.), « Les polices municipales en France, une perspective socio-politique », Déviance et Société, Vol. 22, N°
3, 1998, p. 264.
2
Noah (B.), La police municipale au Cameroun. Essai d’appropriation d’un concept, Paris, L’Harmattan, 2022, p.
93.
3
Ibid
4
Malochet (V.), Les policiers municipaux : les ambivalences d’une profession, Thèse de doctorat en Sociologie,
Bordeaux, Université Victor Segalen de Bordeaux 2, 2005.
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s’accompagne pas pour autant de situations homogènes en raison de la volonté du maire concerné
qui, en la matière, est prépondérante.
Celle-ci peut être à l’origine de la création d’un service de police municipale a minima,
avec des missions relevant des compétences traditionnelles de ces services, ou au contraire par le Page | 233
développement d’une structure avec un fort recrutement de personnels, s’accompagnant de
moyens matériels importants et d’une conception des missions plus large. Fort de cette situation,
on est à même de s’interroger sur la contribution de ce Décret tant sur l’évolution que sur
l’efficacité des polices municipales au Cameroun. Leurs institutionnalisations amorcées
(encadrement du recrutement, formation, code de déontologie etc.) ainsi que l’accroissement
continu de leurs prérogatives (hygiène et salubrité, police de la circulation, protection civile etc.)
démontrent à suffisance que c’est un secteur d’activité qui se structure, se professionnalise et
occupe dorénavant une place croissante dans la production de l’ordre quotidien dans la Ville. A ce
titre, il reconnait désormais la police municipale comme une police de proximité dans le paysage
camerounais de la sécurité publique et renforce la socialisation professionnelle des policiers
municipaux pour redorer le blason de ce métier souvent contesté.
5
Virginie Malochet, « Les enjeux de la professionnalisation » in Les policiers municipaux, Paris, Col. Partage du
savoir, PUF, 2007, pp. 145-165.
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l’encadrement de l’activité de la police municipale (1) ainsi que dans le contrôle de leur
organisation et le fonctionnement dudit service (2).
Or, entre la police municipale et les camerounais, s’était installé un rapport rappelant le
chat et la souris, le dominant et le dominé, le fort et le faible, le prédateur et la proie9. Le Décret
N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions de son exercice a mis fin à cette triste réalité
des stéréotypes qui les collent à la peau. Dorénavant, la police municipale doit faire l’objet d’une
création à travers une Délibération du Conseil Municipal qui fixe les attributions, les moyens et
les règles de son fonctionnement10. La mise en commun des services de police municipale est
6
Jusqu’au décret du 09 août 2002, la police municipale renvoyait à tout et à rien. Nul ne savait à quoi elle consistait.
Lire Organisation de la police municipale : une avancée de l’Etat local dans le cadre de l’Etat unitaire décentralisé,
CRD/EIFORCES, Note d’éclairage, N° 007-août 2022 p. 1 à 5.
7
Les Policiers Municipaux sont décriés pour leur méthode de travail et leur agissement sur le terrain. Ils sont accusés
de nombreuses exactions et bavures sur les populations. A Yaoundé par exemple, le simple fait de crier « AWARA »
crée la panique et une débandade auprès des moto-taxis et des commerçants installés anarchiquement et illégalement
sur les emprises publiques.
8
Malochet (V.), « Entre lien social et contrôle », in Les policiers municipaux, Paris, PUF, 2007, p. 25 à 43.
9
Binembe (M.R), La Police Municipale à l’ère de la décentralisation au Cameroun, Yaoundé, les éditions Monange,
2021, p. 17.
10
Cf. Article 7 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
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De même qu’ils doivent prêter serment avant leur entrée en fonction devant le Tribunal de
Première Instance territorialement compétent13. Les horaires de travail sont également définis avec
des missions qui s’exercent entre 6 heures et 18 heures à l’exception de la régulation de la
circulation sur la voie publique, des gardes statiques des bâtiments communaux ou de la
surveillance des cérémonies, fêtes et réjouissances organisées par ou sous le patronage de la
Commune14. Pour préserver davantage les libertés des populations, il leur est interdit de recourir à
la force sauf à exercer la contrainte sur les biens avec autorisation préalable de l’autorité
administrative15. Tout comme le port ou l’usage d’une arme lui est formellement interdit16. Bien
plus encore, l'uniformisation des insignes, de la tenue, de la signalisation des véhicules et des
équipements dont sont dotés les agents de police municipale de l'ensemble des Communes doivent
être distincts de ceux adoptés par la police et la gendarmerie nationales17. Au-delà de
l’encadrement, l’activité de la police municipale fait également l’objet de contrôle tant dans
l’organisation que dans le fonctionnement dudit service.
11
Cf. Article 15 al.1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
12
Cf. Article 15 al.2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
13
Cf. Article 19 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
14
Cf. Article 6 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
15
Cf. Article 14 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
16
Cf. Article 24 al. 2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
17
Cf. Article 26 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
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18
Yildizcan (C.), Le pouvoir des élus vs le pouvoir des nommés, ou la recentralisation des pouvoirs locaux,
Confluences méditerranée, Vol. 4, N° 107,2018, p. 138.
19
Çoker (Z.), « Seçimli Valilik Üzerine Karsit Düsünceler ve Yeni Bir Yönetim Modeli », Türk Idare Dergisi, n° 399,
1993, p. 12.
20
Yildizcan (C.), Op. Cit., p. 138.
21
Yildizcan (C.), Ibid.
22
La tutelle administrative est définie par Guy Melleray comme : « l’ensemble des procédés : approbation, annulation,
substitution, suspension ou révocation individuelle ou collective des élus mis par la loi entre les mains du pouvoir
central pour faire prévaloir l’intérêt général qu’incarne l’Etat face aux intérêts particuliers que présentent les
collectivités secondaires ». Pour Maurice Hauriou, la tutelle est un : « un pouvoir de contrôle que certaines personnes
administratives exercent sur certaines autres ». Lire Kernéis-Cardinet (M.), « Tutelle », dans Dictionnaire
d’Administration Publique, Grenoble, Col. Droit et action publique, Presses universitaires de Grenoble, 2014, p. 506.
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l’activité des polices municipales semble faire consensus au sein des populations au regard de
nombreux paradoxes qui écornent l’image des policiers municipaux. Dans l’intérêt d’éviter des
abus, le service chargé de la police municipale peut désormais être suspendu par arrêté du préfet
territorialement compétent, pour une durée d’un (01) mois éventuellement renouvelable en cas :
Page | 237
d’abus généralisé commis par les agents sans qu’aucune mesure n’ait été prise par le maire pour y
mettre fin ; de non-respect des règles de fonctionnement du service et de violation des dispositions
du Décret fixant les modalités d’exercice de la Police Municipale23. L’agent de police municipale
est dorénavant sous le coup des procédures pénales, disciplinaires et judiciaires en cas de voie de
fait sur les populations.
23
Cf. Article 31 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale au
Cameroun.
24
Cf. Article 18 al. 4 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
25
Cour des Comptes, Les Polices Municipales, Rapport public thématique, La documentation Française, Octobre
2020, p. 506. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-polices-municipales
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L’article 3 alinéa 1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice
de la Police Municipale et l’article 216 alinéa 1 de la Loi n° 024/2019 du 24 décembre 2019 portant
Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées disposent que : « le maire est chargé,
sous le contrôle du représentant de l’Etat, de la police municipale et de l’exécution des actes de
l’Etat y relatifs, par voie d’arrêté et de décision ». Au nom de l’Etat, il détient des pouvoirs de
police dite spéciale, dont la mise en œuvre s’effectue sous l’autorité du préfet 26. Dans cette
acception, le pouvoir de police est une modalité qui permet au maire d’imposer une décision ou de
faire respecter l’ordre public27 sous le contrôle du préfet. L’acte de police du maire est un acte
administratif unilatéral, c’est-à-dire un acte pris par une autorité administrative en plein exercice
de sa fonction et, qui crée des obligations exorbitantes aux particuliers28. Cet acte peut prendre soit
la forme d’un arrêté, soit d’une décision, soit d’une mise en demeure, soit d’une interdiction, soit
d’une autorisation (d’un permis de construire, lotir, implanter, occuper, démolir etc.)29. Les tâches
que les policiers municipaux sont chargés d’exécuter sont celles qui, dans la limite de leurs
attributions et sous son autorité, relèvent de la compétence du maire. Dans leur ensemble, ils
admettent d’ailleurs que c’est lui leur grand patron, le véritable chef de la police municipale.
Les mesures de police administrative prises par le maire visent le bon ordre public et ne
doivent pas se confondre avec l’ordre public assuré par l’autorité administrative. La police
municipale dépend donc de l’élu local qui détient un pouvoir de police, en vue d’assurer le bon
ordre, la sûreté, la sécurité, et la salubrité publiques en matière de circulation, de stationnement,
d’urbanisme, de protection civile, d’environnement, d’hygiène et salubrité sur le territoire de la
Commune ou de la Communauté Urbaine. De même, le Décret du 09 août 2022 a également doté
le magistrat municipal du pouvoir de contrôler l’existence et la validité des titres administratifs
26
Béraud, (D.) La police municipale, Encyclopedia Universalis, Collection Universalia, Paris, 1996.
27
L’expression d’ordre public évoque communément l’ordre dans la rue. Mais, c’est une notion qui est juridiquement
beaucoup plus subtile.
28
Binembe (M.R.), Op. Cit., p. 97.
29
Binembe (M.R.), Ibid.
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La police municipale a par ailleurs vu sa compétence de police judiciaire être élargie sous
l’autorité fonctionnelle de la hiérarchie judiciaire. Il faut noter que les agents de police municipale
sont désormais des agents de police judiciaire à compétence spéciale. Bien qu’ils n’effectuent pas
d’enquêtes judiciaires contrairement aux officiers de police judiciaire. A ce titre, ils ont la
possibilité dans leur domaine de compétences de dresser de véritables procès-verbaux alors
qu’avant, ils ne pouvaient qu’établir des rapports à l’intention du maire. Leurs procès-verbaux
devront dorénavant être adressés au Procureur de la République par l’intermédiaire du maire. Par
ailleurs, il faut relever que le caractère de ces polices est variable et d’une Commune ou d’une
Communauté Urbaine à l’autre, leurs visages changent, leurs moyens diffèrent et leurs activités
varient32. Il existe ainsi des polices municipales qui « s’arrogent » plus de pouvoirs que d’autres
quel que soit l’état du droit positif qui les gouverne toutes. On peut prendre l’exemple des
Communautés Urbaines qui généralement dégagent plus de moyens que les Communes
d’arrondissement et dont les polices municipales sont les mieux nanties et occupent l’ensemble du
territoire en termes de prérogatives au détriment de celles des Communes d’arrondissement. Si à
certains égards le maire semble être puissant, il reste tout de même limiter dans certains de ses
pouvoirs.
30
Cf. Article 30 al. 1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
31
Cf. Article 30 al. 2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
32
Malochet, (V.), « Que fait (réellement) la police municipale ? Une comparaison entre six villes », Délinquance,
justice et autres questions de société, juin 2010 (en ligne
http://laurentmucchielli.org/public/Que_fait_reellement_la_police_municipale.pdf).
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D’un point de vue socio-politique, on peut se poser la question de savoir si les polices
municipales sont réellement des polices, au sens d’Egon Bittner, au regard des faibles pouvoirs de
coercition dont disposent les agents de police municipale33. Si l’on reprend sa définition classique Page | 240
qui entend la police comme « un instrument de distribution de la force non négociable et comme
un mécanisme de distribution dans la société d’une force justifiée par la société, le rôle de la
police étant de traiter toutes sortes de problèmes humains lorsque, et dans la mesure où leur
solution nécessite ou peut nécessiter l’usage de la force à l’endroit et au moment où ils
surgissent »34, nous pensons que les polices municipales au Cameroun n’ont pas encore toutes les
capacités et les moyens pour faire respecter les normes édictées par l’autorité municipale. D’une
part, l’autorité administrative dispose d’un pouvoir de substitution en vertu de l’article 222 du
Code Générale des Collectivités Territoriales, qui l’autorise à prendre pour toutes les Communes
d’une circonscription ou pour une ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait
pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien du bon ordre, de
la sécurité, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Mais lorsqu’une seule
Commune est en cause, ce pouvoir ne peut être exercé par le représentant de l’Etat qu’après mise
en demeure au maire resté sans résultat, au cas où la Commune concernée dispose d’un service de
police.
D’autre part, quand le maintien de l’ordre est menacé, l’autorité administrative peut se
substituer au maire pour exercer les pouvoirs de police relatifs à la répression des atteintes à la
tranquillité publique et au maintien du bon ordre dans des endroits où il se fait de grands
rassemblements de personnes. Les règlements pris par les autorités supérieures constituent
également une autre limite aux pouvoirs du maire en matière de police municipale. Le maire a
alors la possibilité de prendre des mesures plus sévères que celles fixées par le règlement (en
matière de police de la circulation par exemple). En revanche, il ne peut prendre des arrêtés
assouplissant ces règlements. Les mesures plus restrictives doivent être justifiées par des
circonstances particulières de temps et de lieu. Les pouvoirs de police du maire s’exercent en outre
dans le cadre légal sous le contrôle du juge administratif. Ainsi, les mesures de police doivent être
relatives au bon ordre mais pas au-delà. Les interdictions générales et absolues sont prohibées. Les
33
Malochet, (V.), Ibid.
34
Malochet, (V.), Ibidem.
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mesures en cause doivent respecter le principe d’égalité, les discriminations étant en conséquence
illégales. Tout comme le maire ne doit pas commettre de détournement de pouvoir en usant de ses
prérogatives dans un but autre que celui en vue duquel, elles lui ont été confiées. Certains régimes
spéciaux de police peuvent par ailleurs limiter les pouvoirs de police du maire comme en cas de
Page | 241
mesures exceptionnelles (situation d’exception et de restriction des libertés fondamentales).
Enfin, en matière de police judiciaire par contre, leurs attributions sont en revanche plus
restreintes et leurs pouvoirs de verbalisation se limitent au champ contraventionnel. On remarque
que les pouvoirs de police judiciaire de la police municipale sont eux, très limités en droit, puisque
la loi ne leur attribue qu’un pouvoir de constatations de certaines contraventions, notamment au
Code de la route, de l’urbanisme et de remise de rapports constatant des infractions pénales
(contraventions prévues au livre 3 titre 4 article 369 alinéa 10 du Code Pénal), à l’autorité
hiérarchique, à savoir le maire. Les policiers municipaux n’ont pas vocation à mener des enquêtes
et ne sont ni des auxiliaires de la police nationale et de la gendarmerie. On mesure donc, ici le
paradoxe juridique, tenant à l’ampleur des responsabilités du maire en matière de police et à la
faiblesse des prérogatives des agents de police municipale dans le maintien de l’ordre public
local35. On imagine aisément les distorsions observées dans le travail quotidien des policiers
municipaux soumis à cette impossibilité de droit d’user de leur pouvoir de fait 36. En somme, le
statut de la police municipale reste encore précaire et nécessite un renforcement pour en faire une
véritable police urbaine. S’il serait inepte de vouloir totalement standardiser l’activité des polices
municipales, il importe aujourd’hui de mieux baliser leur rôle au plan national pour améliorer leur
efficacité.
35
Sayous, Jean Louis. 1994. « Le statut juridique des polices municipales en France », Les Cahiers de la Sécurité
Intérieure, 1994, 16, pp. 72-81.
36
Ferret (J.), « Les polices municipales en France, une perspective socio-politique », Déviance et Société, Vol. 22, N°
3, 1998, p. 263
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Il faut dire qu’il améliore leur socialisation professionnelle (A) ainsi que leur relation avec les
forces de maintien de l’ordre et les populations (B).
37
Malochet (V.), « Les enjeux de la professionnalisation » in Les policiers municipaux, Paris, Coll. Partage du savoir,
PUF, 2007, p. 145-165
38
Malochet (V.), « La socialisation professionnelle des policiers municipaux en France », Déviance et Société, Vol.
35, N° 3, 2011, p. 427.
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Dorénavant, pour être recruté comme policier municipal, il faut remplir les conditions
fixées par l’article 17 alinéa 2 dudit Décret nonobstant les conditions générales de recrutement du
personnel des Collectivités Territoriales Décentralisées. Il faut être de nationalité camerounaise,
jouir de ses droits civiques, être de bonne moralité, être titulaire des diplômes correspondant au
Page | 243
niveau de l’emploi postulé, être physiquement apte à exercer l’emploi postulé, n’avoir jamais fait
l’objet d’une condamnation pour crime ou délit, être âgé de vingt-et-un (21) ans au moins et de
trente-cinq (35) ans au plus au moment du recrutement. Les candidats au recrutement dans la police
municipale font l’objet d’une enquête de moralité préalable par les services compétents de l’Etat,
à la demande du maire. Réalisée par des institutions telles que la Sureté Nationale, la Gendarmerie
Nationale ou l’armée, cette enquête discrète et utile se fait à travers des investigations précises sur
les antécédents du candidat, en vue de déterminer son profil et s’assurer qu’il est de bonne
moralité39. Celle-ci apparaît comme un moyen sûr de procéder à un criblage afin de veiller à ce
que des éléments corrompus ne s’infiltrent pas et limite de nombreux cas de dérives et de
comportements contraires à l’éthique professionnelle qui gangrène le métier. Les fonctions d’agent
chargé de la police municipale ne peuvent être exercées que par des agents communaux recrutés à
cet effet.
La reconversion est interdite pour les agents des forces de sécurité étatiques en fonction ou
ayant appartenu à ces corps de métier40. Ces critères de recrutement ou de sélection du policier
municipal mettent fin au hasard ou à l’opportunité comme mode d’entrée dans la police
municipale. Il faut relever que les agents de l’ancienne génération, souvent « du cru », expliquent
avoir été recrutés à la police municipale soit par opportunité d’être embauché à la mairie, soit au
hasard de la vie, aux aléas de l’existence. En tout cas, ils ont été recrutés sans rien connaître à la
fonction et expliquent avoir été attirés non pas tant par le travail policier que par la vocation ou
l’attrait pour le métier, mais par des arguments socioéconomiques tenant à la nécessité de trouver
un emploi stable. En somme, ils n’ont pas vraiment choisi l’uniforme mais se sont retrouvés là par
défaut faute d’avoir trouvé mieux ailleurs ou n’avoir pas pu intégrer les forces de sécurité de l’Etat.
Aujourd’hui plus qu’hier, devenir policier municipal c’est respecter un ensemble de
conditionnalités liées à l’évolution sélective du recrutement. Parce qu’il faut désormais s’inscrire
39
Nyama Ngam (C.), « La problématique de l’enquête de moralité au Cameroun », Journal de la Recherche
Scientifique de l’Université de Lomé, Vol. 20, N° 4, 2018, p. 247-255.
40
Cf. Article 17 al. 4 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
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soit à un concours ou faire étudier son dossier pour postuler auprès des mairies et suivre une
formation. On n’entre plus désormais dans cette filière sans être renseigné a minima sur le travail.
41
Entretien effectué par l’auteur dans le cadre de ce travail de recherche auprès des policiers municipaux des
Communautés Urbaines de Yaoundé et de Douala.
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Pour eux, il faut une vraie formation, une vraie école de police municipale qui soit une
institution afin de « corporiser », de donner le même moule de formation à l’ensemble des policiers
municipaux. Cette revendication s’inscrit dans la dynamique de professionnalisation des policiers
municipaux et participe d’une stratégie de légitimation qui prend pour référence le système de
formation des forces de sécurité de l’Etat42. Mais si consensuel soit-il, ce concept d’école n’en
cache pas moins des attentes plurielles à l’égard des contenus de la formation qui restent encore à
définir : forcer l’identification collective est une chose, mais sur quelle base ? Encore faut-il
s’accorder sur les messages à véhiculer, le modèle à promouvoir et les finalités de l’action 43. Or,
en l’état, il n’y a pas encore de doctrine d’emploi unique pour les polices municipales. Toutefois,
si les policiers municipaux en appellent à la consolidation de leur dispositif de formation parce
qu’ils savent qu’il en va de leur reconnaissance professionnelle, ils disent aussi que l’apprentissage
du métier ne se résume pas à la formation initiale d’application : c’est une étape certes nécessaire
pour incorporer les bases théoriques et les fondamentaux du métier, mais bien insuffisante pour
développer les aptitudes relationnelles et les capacités réactives indispensables au travail de la voie
publique44. Le rapport à l’autre constitue l’autre question majeure sur laquelle les policiers
municipaux expriment leurs positionnements professionnels.
B- L’amélioration des relations avec les forces de maintien de l’ordre et les populations
De bonnes relations entre citoyens et policiers sont une condition déterminante pour
permettre à la population de se sentir en sécurité et à la police de travailler efficacement. A cet
effet, l’amélioration des relations de la police municipale vis-à-vis de la population (1) et des forces
de maintien de l’ordre (2) est une condition sine qua non pour légitimer ce corps de métier.
42
Malochet (V.), « La socialisation professionnelle des policiers municipaux en France », Déviance et Société, Vol.
35, N° 3, 2011, p. 421.
43
Malochet (V.), Ibid.
44
Malochet (V.), Op. Cit., p. 422-423.
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A chaque fois qu’il exerce ses missions46, on a l’impression d’assister à un abus de pouvoir.
Comme la police municipale intervient dans bon nombre d’actions visant le bon ordre urbain, elle
est fréquemment l’objet de discussions sur son équité, son impartialité et son intégrité. Néanmoins,
on constate généralement chez le citoyen un manque de connaissance des missions et du
fonctionnement des services de police municipale. Ces problèmes de communication et de
représentation engendrent de réelles tensions entre policiers municipaux et citoyens et ont des
conséquences néfastes sur le bon fonctionnement de la police municipale. La confiance envers
l’institution policière se cultive grâce à la qualité du dialogue avec la population, la légitimité de
son intervention, la transparence dans ses actions et l’utilisation du pouvoir qui lui a été confié par
le maire. C’est pourquoi la police municipale en tant que police de proximité doit être proche des
45
Forum européen pour la sécurité urbaine. 2016. Les relations police-population : enjeux, pratiques locales et
recommandations, p. 10
46
Il est vrai que certaines actions de casses, de déguerpissements, de démolitions et d’opérations coups de poing
biaisent l’image du policier municipal au sein de l’opinion public et annihile tout le travail quotidien qu’il fait pour le
bien-être des populations et le bon ordre dans la ville.
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citoyens, polyvalente et responsable. Une police municipale bien implantée a une bonne
connaissance du terrain et de son espace d’intervention. Il est important que la police municipale
ait un contact permanent avec la population car, elle ne se situe pas en face de la société mais en
son sein. L’adhésion à la police de proximité suppose que les autorités municipales organisent ce
Page | 247
service de telle sorte que les citoyens puissent être associés à la prise de décisions.
47
Mawby (R.), Policing Images, New York: Routledge, 2012, 224 p.
48
Francopol, La police de proximité, un concept appliqué à la francophonie, Montréal, 2015, p. 17.
Défense. De l’autre, la « municipale », sous l’autorité du maire. Chacun chez soi, les premiers
regardant parfois de haut les seconds. L’évolution de la décentralisation et la nécessité de répondre
davantage aux défis que posent les villes en matière de bon ordre ont fait voler en éclats ces
barrières. Désormais, l’heure est à la coopération des polices avec le Décret N° 2022/354 du 09
Page | 248
Août 2022 fixant les modalités d’exercice de la Police Municipale. Ainsi, dans le cadre de
l’exécution de leurs missions : « le maire peut solliciter, en tant que de besoin, auprès de l’autorité
administrative territorialement compétente, le concours des agents des forces de maintien de
l’ordre, pour encadrer le personnel du service chargé de la police municipale »49. « Lorsque
l’autorité administrative compétente a accédé à la requête du maire, les agents des forces de
maintien de l’ordre sont tenus d’apporter leur appui au magistrat municipal, dans le respect des
lois et règlements en vigueur »50. L’objectif recherché est à la fois une meilleure coordination
opérationnelle avec les polices municipales mais également le renforcement de la complémentarité
des deux services, nationaux et municipaux.
Cette recherche doit malgré tout prendre en compte la volonté des élus qui, conditionne la
physionomie des rapports entre le service chargé de la police municipale et les forces de maintien
de l’ordre. Les entretiens menés, comme les observations faites sur le terrain, montrent néanmoins
de bonnes relations professionnelles entre la police municipale, la police nationale et la
gendarmerie, tous niveaux confondus. A Douala tout comme à Yaoundé, les coopérations sont
organisées et se font plutôt bien. Elles s’appuient à la fois sur des relations étroites entre les élus
et l’état-major de la police nationale et de la gendarmerie à travers un objectif commun d’améliorer
la coordination des forces sur le terrain dans le respect de leurs compétences respectives avec un
souci d’efficience (complémentarité des missions)51, de développer les relations inter-services non
seulement en ce qui concerne leur action quotidienne, mais aussi pour ce qui est de leur
organisation (opérations communes sur la voie publique) ainsi que des moyens humains et
matériels mis en œuvre (information, communications…). Les agents de la police nationale et de
la gendarmerie travaillent ensemble avec les agents de la police municipale sur le terrain
49
Cf. Article 27 al. 1 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
50
Cf. Article 27 al. 2 du Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les conditions d’exercice de la Police Municipale
au Cameroun.
51
La police municipale et les forces de sécurité de l’Etat ont vocation, dans le respect de leurs compétences propres,
à intervenir en complémentarité sur la totalité du territoire de la Commune, sur la base d’un cadre juridique clair sans
lequel la confusion risque de se développer entre leurs missions respectives. Voir Nyabenga (B.), La police municipale
dans le contexte de décentralisation au Cameroun, Yaoundé, Editions de midi, 2023, 201 p.
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régulièrement, aussi bien en journée, que dans la nuit, ou encore dans le cadre des opérations de
grandes envergures (opérations coups de poing) dans la ville (opération de libération des emprises
publiques, opérations de démolitions des constructions illégales et anarchiques etc.).
« Nous avons tous les jours des liens opérationnels réguliers à tous les niveaux Page | 249
hiérarchiques. Nous échangeons en amont des événements pour travailler de manière
coordonner », précise le Colonel de Gendarmerie TOUKO Christophe, Inspecteur N° 3 en charge
des services de sécurité et de la lutte contre le désordre urbain à l’Inspection Général des Services
de la Mairie de la Ville de Douala. Il précise également que : « les missions des agents se
complètent. La police municipale a un rôle de proximité et elle est visible sur l’espace public, mais
son domaine de compétence ne lui permet pas d’intervenir pour tout. La police nationale et la
gendarmerie ont quant à elles un champ de compétences plus large qui vient prolonger ce travail
de proximité ». Pour renforcer les relations entre la police municipale et les forces de maintien de
l’ordre, les coopérations opérationnelles sont travaillées dans le cadre d’espaces de discussion,
d’échange et de partage d’informations comme les réunions conjointes, les conseils locaux de
sécurité, les groupes de travail, les plateformes de collaboration entre Communautés Urbaines et
Communes d’Arrondissement etc. Les orientations et champs d’action de la police municipale sont
clairement définis et les coopérations avec la police nationale et la gendarmerie sont organisées
sur la base d’orientations partagées. « La collaboration est donc franche et sincère et elle se
poursuit sur le terrain pour le bon ordre urbain et le bien-être des populations » affirme Madame
WONDJE NGOTHY Georgie Aurore Arlette Epse ALEMOKA, Directrice Adjointe en charge du
Contrôle de la Circulation et de l’Occupation de la Voie et des Espaces Publics à la Direction de
la Police Municipale et de la Sécurité de la Mairie de la ville de Douala.
Conclusion
Quel avenir pour la police municipale au Cameroun ? Si ce n’est dire qu’elle monte en
puissance sur fond de recentrage des priorités étatiques dans un contexte de décentralisation de
l’action publique. Aux côtés de la police nationale et de la gendarmerie, elle est reconnue
désormais comme un acteur clé dans les dispositifs de sécurisation de l’espace public. Elle est
mobilisée pour préserver l’ordre quotidien dans la ville, sinon pour prévenir et réguler les désordres
urbains52. Cependant des difficultés et des résistances existent encore entre les citoyens et la police
52
Pour comprendre le phénomène du désordre urbain à Douala, lire Nana Ngassam, Rodrigue. 2020. « Cameroun :
l’urbain informel et ses paradoxes à Douala », Magazine Formes, le 25 mai 2020,
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municipale, ce qui mine la légitimité de la seconde, réduit la confiance et l’obéissance des premiers
et réduit dès lors également l’efficacité de la seconde, au terme d’un cercle vicieux évident. Alors
que la perception positive des citoyens à l’égard de la police municipale est un aspect essentiel de
son efficacité. C’est pourquoi elle doit se réinventer à travers une approche associant prévention,
Page | 250
dissuasion, répression, sanction et responsabilisation dans le travail du policier municipal. Et ce
travail de réinvention des polices municipales doit se faire par les maires en développant une
rhétorique et des outils d’action renouvelés pour assurer les missions qui leurs sont confiées par la
Loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales
Décentralisées et le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les modalités d’exercice de la
Police Municipale.
De même, l’Etat doit également faire plus dans le renforcement des prérogatives des polices
municipales et pourquoi ne pas lui apporter un statut (carrière, grades, élargissement des missions
etc.). Les maires conservent encore aujourd’hui le pouvoir de les créer, mais les compétences de
ces dernières sont strictement limitées. Elles n’ont, en aucun cas, pour mission de réprimer
(contrôles d’identité, saisies des matériels et équipements) sans avoir l’autorisation de l’autorité
administrative qui contrôle les maires dans leurs attributions de police municipale et approuve ou
non leurs arrêtés. Par ailleurs, en matière de coopération avec les forces de maintien de l’ordre, il
urge de mettre sur pied un dispositif de co-production de la sécurité avec les polices municipales
comme les conventions de coordination afin de lutter efficacement contre le désordre urbain et les
incivilités urbaines. Il est nécessaire que ces différentes forces puissent coopérer à travers un travail
partenarial où les acteurs tiennent des places égales, respectueuses de leurs attributions respectives
et des choix opérés dans l’intérêt des citoyens. Le Décret N° 2022/354 du 09 Août 2022 fixant les
modalités d’exercice de la Police Municipale est une avancée certes, mais espérons que la volonté
et le courage politique prennent enfin conscience du rôle des polices municipales pour en faire une
véritable police territoriale au côté de la police nationale et de la gendarmerie.
Abstract:
The Anglophone crisis that generated into an arm conflict is one of the major events in
Cameroon that appeals for rigorous humanitarian interventions. Face to this humanitarian
urgencies, a plurality of actors notably NGOs intermingle and among them, the Red Cross plays Page | 252
a particular role. This paper therefore, wish to show that the engagement of this humanitarian
enterprise into the named crisis is not fortuitous, but motivated by stakes that are manifests or
latent. In addition, the study shows that in her pursuit of these challenges, the Red Cross is
subjected to multiple constraints that compromise her efficiency. While making usage of a
qualitative method, the present study relies on documents exploration and interviews. The strategic
interaction method coupled to the governance theory permitted us to analyze collected data.
Introduction
Le Cameroun est confronté depuis plusieurs années déjà à une grave crise sécuritaire et
identitaire dans ses régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest1. Ladite crise a plongé ces
parties du pays dans un cycle de violences de plus en plus meurtrières.2 En fait, ce qu’il est convenu Page | 253
d’appeler aujourd’hui la crise anglophone ou la crise du NOSO3 est le résultat d’un « problème
anglophone » né de la fragilité du modèle de construction nationale comprenant deux entités à
l’héritage colonial différent et qui, depuis 2016 s’est transformé en un conflit armé opposant les
insurgés sécessionnistes à l’armée régulière.4 Ce conflit prend corps avec les revendications
corporatistes des avocats et des enseignants, qui se sont mués progressivement en revendications
politiques où une faction constituée des plus radicales réclament sans ambages, la sécession et la
constitution d’un État « imaginaire » autonome qu’ils dénommeraient Ambazonie5 ou encore, the
Ambazonian Republic.
Au fil du temps, le conflit s’est enlisé et l’on estime qu’après plusieurs mois
d’affrontements, il y a eu plus de 1850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers
de réfugiés.6 Au regard de ce bilan, il ne fait plus l’ombre d’aucun doute que la répercussion
majeure de cette crise est l’augmentation excessive des populations nécessiteuses7. Parmi elles, les
déplacés sont majoritairement des personnes vulnérables en particulier, les femmes, les enfants et
les personnes âgées. Par manque de moyens, ces nécessiteux font face à de nombreux défis comme
ceux liés au logement, à la santé, à l’alimentation, à l’éducation et même à l’insertion, etc.8
Dans ce contexte marqué par une condition humanitaire précaire, la solidarité s’est
constituée en faveur de ces nécessiteux. Ceci étant, la Croix-Rouge reconnue comme la plus vieille
agence de solidarité dans le monde n’est pas restée indifférente. Celle-ci par des actions
1
MACHIKOU (N.), « Utopie et dystopie Ambazoniennes : Dieu, les Dieux et la crise anglophone au Cameroun »,
Politique Africaine, Vol.2, n° 150, 2018, p. 4
2
KEUTCHEU (J.), « La crise anglophone : entre lutte de reconnaissance, mouvements protestataires et renégociation
du projet hégémonique de l’État au Cameroun », Politique et Sociétés, Vol. 40, n° 2, 2021, p.2
3
Expression trivialement utilisée pour faire référence aux régions camerounaises du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
4
PESSETVE (A.) et TCHANGUI (S.), (dirs) « Crise dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest et insertion
économique des déplacées internes au Cameroun : le cas des départements de la Menoua et des Bamboutos »,
Dynamiques sécessionnistes « normalisées » et diplocamue à l’ère de la mondialisation, Yaoundé, Monange, 2022,
p. 242
5
ABE, cité par FOUTSOP et DONGMO (T.), Pour un Foumban II : les incongruités de la conférence
constitutionnelle de 1961, Yaoundé, Monange, 2019, p.174
6
International crises group, cité par KEUTCHEU (J.), op.cit., p.3
7
Tout au long de cette réflexion, nous utiliserons ce terme pour faire allusion aux déplacés internes, aux sinistrés voire
même aux réfugiés.
8
PESSETVE (A.) et TCHANGUI (S.), op.cit., p.230
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Répondre à cette interrogation nous a commandé d’adopter une démarche qualitative dont
la matrice de collecte des données constituée autour des entretiens semi-directifs, l’exploration des
documents et les observations participantes directes ont permis de mettre en évidence les résultats
de cette étude. Aussi, nous avons pris appui sur les acquis méthodologiques de l’interaction
stratégique pour démontrer que ce conflit anglophone est un espace d’actions et d’interactions qui
9
KAZANCIGIL (A.), « Gouvernance et science : modes de gestion de la société et de production de savoir emprunter
au marché » Revue Internationale des sciences sociales (RISS), n° 155, Mars 1998, p.74
10
OWONA NGUINI (M-E.), « L’espace humanitaire en Afrique Centrale », ENJEUX, n° 8, Juillet, septembre, 2001,
p.3
11
Voir le décret N° 63/DF/6 du 9 Janvier 1963 du président Ahmadou AHIDJO portant reconnaissance de la Croix-
Rouge Camerounaise comme Association d’utilité publique.
12
ROJOT (J.), Théories des organisations, Paris, ESKA, 2003, p. 216
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Tout compte fait, le premier débat que suscite cette gymnastique intellectuelle est de
ressortir les enjeux qui sous-tendent l’engagement de la Croix-Rouge dans le conflit anglophone
(I) et le second, de mettre en lumière les contraintes auxquelles elle est soumise (II).
13
FRIEDBERG (É.), Le pouvoir et la règle. Dynamique de l’action organisée, Paris, Seuil, 1993, p. 203
14
STOKER (G.), « cinq propositions pour une théorie de la gouvernance », Revue Internationales des Sciences
Sociales, n° 155, Mars 1998, p. 20
15
FRIEDBERG (É.), op.cit., p.25
16
Ibid., p. 203
17
« Ce que chaque acteur cherche à obtenir dans le nœud de relations créées à l’occasion d’une situation
interactionnelle constitue ses enjeux. Pour chaque acteur impliqué dans une situation, ces enjeux constituent ses
objectifs concrets. Les objectifs par ailleurs sont ce que vise l’acteur dans une situation immédiate ». Cf. ROJOT (J.),
op.cit., p.218.
18
KEOHANE (R.) et NYE (J.), Power and interdependence: world politics in transition, New York, Longman, 2001
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parvenir à ses fins, de même que les enjeux de ses actions, c’est-à-dire ce qu’elle risque de perdre
ou de gagner19.
Autrement dit, le comportement de tout acteur dans une organisation est stratégique.
Chacun est actif dans la direction qu’il suit et partant, vers ses propres objectifs. Somme tout, Page | 256
chaque acteur dans le jeu est libre et veut faire prévaloir ses intérêts ; gagner et satisfaire ses
objectifs. C’est dans cette logique que la Croix-Rouge poursuit des enjeux qui sont soit manifestes
(A) soit latents (B) dans son élan de solidarité en faveur des nécessiteux issus de la crise
anglophone.
Les enjeux manifestes sont des objectifs clairs et explicites des acteurs. Le plus souvent,
ce sont des motivations altruistes. Pour ce qui est du Mouvement International de la Croix-Rouge
(MICR), il poursuit à travers sa participation à la prise en charge et à l’encadrement des personnes
nécessiteuses issues du conflit anglophone, des enjeux humanitaires (1) et sociaux (2).
L’humanitaire comprend toute action entreprise en vue d’aider les êtres humains en état de
souffrance physique ou morale, en particulier lors des désastres qu’ils soient d’origine humaine,
naturelle ou technologique, et aussi en période de conflits armés. Ce faisant, l’action humanitaire
est devenue depuis plusieurs décennies un enjeu planétaire global et son déploiement est en effet
une « préoccupation commune de tous ». L’engagement humanitaire de la Croix-Rouge dans le
conflit anglophone laisse bien percevoir cette réalité, car, elle a le souci de la gestion des urgences
dans l’immédiat et la promotion du développement dans le long terme.
Pour les médias, l’opinion publique et une partie des organisations humanitaires,
l’assistance humanitaire relève avant tout, sinon exclusivement, du domaine de l’urgence comme
le décrit Gérard Dupuy dans son éditorial de libération du 16 juillet 199920. Rappelons que, la
chaine de l’aide humanitaire a toujours comporté des acteurs spécialisés pour les situations dites
d’urgence ; ce à quoi, au Cameroun, la Croix-Rouge s’est conformée. L’action d’urgence se situe
dans l’immédiat, la promptitude et se conduit le plus souvent sans débats avec les populations
19
ROLEAU (L.), Théories des organisations, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007
20
MERLIN (M.) et CHEVALIER (P.), « L’humanitaire : ses exigences, ses enjeux », Médecins tropicales, 2002 ;
62, p. 350
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concernées. Pour certains, l’urgence c’est avant tout l’action sanitaire et l’aide alimentaire
s’appuyant sur une logique lourde21. Dans ce sillage, la gratuité des biens et des services fournis
est alors la règle.
De ce fait, les désastres ou les péripéties causées par le conflit anglophone amènent la Page | 257
Croix-Rouge à se mobiliser afin de gérer les urgences, laquelle gestion est l’une de ses missions
principales. En effet, lorsqu’une catastrophe frappe ou lorsque nait un conflit armé à l’instar de
celui dans les zones anglophones du Cameroun, assurer la sécurité publique, l’assistance sanitaire
et l’aide alimentaire devient primordial. C’est pourquoi dans ces localités en crise, la Croix-Rouge,
les autorités locales et d’autres organismes travaillent en synergie afin de répondre aux besoins
immédiats des personnes touchées. Autrement dit, il s’agit de les venir en aide urgemment. Pour
se faire, et en ce qui concerne la Croix-Rouge, les services sociaux d’urgence sont offerts par des
bénévoles ou leurs employés attentionnés, lesquels ont tous reçu une formation axée sur les
techniques de premier secours22. La Croix-Rouge motivée par le souci d’urgence réalise à cet effet
une panoplie d’actions allant dans le sens de secourir les nécessiteux. Outre la gestion d’urgence,
cette entreprise de solidarité est également motivée par le souci de promouvoir le développement.
En plus de gérer les urgences, ce qui importe le plus aux organisations humanitaires c’est
de promouvoir le développement, lequel repose sur un processus participatif. Il s’agit d’une
approche globale touchant tous les aspects de la vie quotidienne : adduction d’eau, habitat, circuits
bancaires et commerciaux, débats démocratiques,23 etc. En effet, l’implication des humanitaires,
notamment de la Croix-Rouge dans le panorama du développement durable à moyen terme devient
un impératif pragmatique d’accords aux besoins des communautés et populations locales. C’est
pourquoi, face aux situations d’urgence qui ne cessent de se multiplier dans le NOSO, certains
professionnels de l’aide humanitaire mettent en avant la notion du continuum « désastres-
réhabilitation-développement ».24 L’admission de cette approche provient du fait que les agents
humanitaires de cette organisation philanthropique sont parfois lassés par l’aspect purement
ponctuel de leurs efforts25. Pourtant, après leur départ, la survie des populations nécessiteuses
pourra demeurer précaire. Par ailleurs, lorsque cessent les actions d’urgence telles que les
21
Entretien avec Hajah BAKARI RABIATOU T., Secrétaire de Division de la Croix-Rouge pour la Menoua, tenu le
18 Mai 2022 à 08 heures : 15 minutes à Dschang.
22
Ibid.
23
MERLIN (M.) et CHEVALIER (P.), op.cit., p. 354
24
Aussi formulée comme suit : désastre-développement ou secours-développement.
25
Entretien avec BAKARI (R.), op.cit.
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distributions, comment éviter la reprise des anciens conflits, l’émergence de nouvelles crises liées
à certaines conséquences perverses de l’aide ? Ces questions sont non seulement actuelles, mais
lancinantes26.
Fort de ces constats, la réhabilitation suivie du développement constituerait donc, dans Page | 258
l’optique du continuum proposé plus haut, une chance de sortir du cercle vicieux de la violence,
du scepticisme et de la misère. En fin de compte, comme le clame Nana SINKAM : « les secours
d’urgence et l’aide humanitaire devraient toujours être considérés dans le contexte du
“développement” à long terme et avec l’intention d’empêcher que la crise initiale ne se
reproduise. L’aide humanitaire doit reposer sur les principes d’humanité, d’impartialité et de
neutralité. Les secours et l’aide humanitaire doivent donc être considérés comme une solution à
court terme qui prépare le terrain pour une solution à moyen et à long terme, à savoir la
réhabilitation, la restructuration et le “développement” avec transformation, seule solution
durable aux causes réelles de ces guerres civiles et de ces conflits destructeurs »27.
Dans cet ordre d’idées, à travers leurs différentes actions d’encadrement des nécessiteux,
la Croix-Rouge est très constante dans la promotion et la réalisation des programmes de
développement. Ces programmes visent à assurer aux bénéficiaires une vie paisible à long terme,
mais également l’autonomisation de ces nécessiteux, afin qu’ils ne demeurent pas dépendants des
aides. Toutefois, bien que les problèmes des nécessiteux se posent avec plus d’acuité en zone de
conflits28, notons cependant que ces programmes de développement sont pour la plupart mis sur
pied dans des zones d’accueils dus à la tranquillité et la sécurité relatives qui y règnent. C’est dans
cette mouvance que dans les localités environnantes des régions anglophones à l’instar de Mbouda,
Dschang, Mbanga et Foumban, etc., plusieurs activités telles que la constitution des AGR et le
financement des petits métiers ont été élaborées par la Croix-Rouge et ses multiples partenaires.
En plus des enjeux humanitaires, la Croix-Rouge poursuit également des enjeux sociaux.
26
PERROT (M.), « L’humanitaire et le “développement” en quête de continuité », L’Homme et la société. Regards
sur l’humanitaire, N° 129, 1998, pp. 17-28
27
SINKAM (N.), « Des secours et de l’aide humanitaire à la visibilité socio-économique à long terme : le cas de
l’Afrique noire », Revue africaine de politique internationale, Afrique 2000, n° 21, avril, mai, juin 1995, pp.15-30
28
PESSETVE (A.) et TCHANGUI (S.), op.cit., p.231
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La Croix-Rouge dans son élan de solidarité en faveur des nécessiteux issus du conflit
anglophone est également motivée par des enjeux sociaux, lesquels passent par la recherche du Page | 259
bien-être des populations en détresse, vulnérables et la recherche du respect et de l’application du
Droit International Humanitaire lors dudit conflit.
Par bien-être, les philanthropes entendent l’ensemble des facteurs dont une personne a
besoin pour jouir d’une bonne qualité de vie, d’une existence tranquille et d’un état de satisfaction.
En d’autres termes, c’est « un état agréable résultant de la satisfaction des besoins du corps et du
calme ou la tranquillité de l’esprit », nous dit le dictionnaire Larousse. D’après Christophe André,
psychiatre français spécialiste de la psychologie du bonheur, le bien-être « se déclenche quand on
n’a mal nulle part, qu’on a le ventre plein, qu’on est dans un endroit agréable et confortable,
qu’on se sent en sécurité, entouré des congénères bienveillants »30. C’est dire que, le bien-être est
lié aux sens, aux émotions et aux sensations et par-dessus tout, au bonheur.
En ce qui concerne cette notion de bien-être, c’est son aspect social : le bien-être social qui
se révèle important pour la présente étude. En fait, non seulement il englobe des choses qui incident
de manière positive sur la qualité de vie, notamment la sécurité et la paix, mais aussi, ce bien-être
est porteur d’une demande sociale et d’une utilité publique31. De manière générale, le bien-être
social englobe tout aspect qui participe à l’amélioration de la qualité de vie : l’accès à l’éducation,
à la santé, au logement, à la nourriture et même du temps pour les loisirs.
29
Le Droit Humanitaire est plus un droit de persuasion (Cf. BELANGER [M.]., Droit international humanitaire, coll.
Mémentos, Paris, Gualino Éditeur, 2002, p.71). C’est l’ensemble des règles qui déterminent les conditions d’une
intervention humanitaire lors d’un conflit armé ou d’une catastrophe naturelle. C’est également un moyen fort
d’intervenir dans un État en situation de crise sans faire face au problème d’ingérence dans la souveraineté dudit pays.
Le DIH doit en effet être compris comme ; « un ensemble de règles qui pour des raisons humanitaires, cherchent à
limiter les effets des conflits armés. Il protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités ». (Cf.
BOUCHET [F.], Dictionnaire pratique du Droit Humanitaire, Paris, Édition la Découverte, 2006, p.335.). Le DIH se
trouve essentiellement dans les quatre conventions de Genève de 1949 complétées par deux Protocoles additionnels
de 1977 relatifs à la protection des victimes des conflits armés.
30
CHRISTOPHE (A.) et ANNE (D.), Méditations sur la vie, Broché, Points Vivre, 2017, p.14
31
FORSE (M.) et LANGLOIS (S.), (dirs), « Sociologie du bien-être », L’année sociologique, Volume 64, N° 2, 2014,
p. 45
milieux d’accueil. C’est dans ce sens que les actions de la Croix-Rouge en faveur de celles-ci
visent à apporter un changement en améliorant leurs conditions de vie. Ces populations sont pour
la plupart pauvres, victimes de discrimination et pour certains, privées de leurs droits.
Bien que complexe, la problématique des populations nécessiteuses et vulnérables a Page | 260
toujours été une préoccupation constante et urgente de la Croix-Rouge32. En tant qu’entreprise de
solidarité, le bien-être de ces populations est le but recherché par elle. De par ses principes et son
objectif initial, la Croix-Rouge s’est donc donné pour mission d’alléger leurs souffrances en toutes
circonstances, y compris en situation de conflits armés avec notamment, la promotion du droit qui
protège les civils et ceux-là qui ne participent plus ou pas aux combats.
En tant que gardien du Droit International Humanitaire dans le monde, c’est au CICR
qu’incombe la responsabilité de veiller à son respect et à son application. Par conséquent, au
Cameroun, le CICR et la Croix-Rouge camerounaise sont motivés à veiller scrupuleusement au
respect et à l’application de ce droit lors du conflit armé qui bat son plein dans les parties
anglophones du Cameroun. En effet, ce droit humanitaire s’applique dans deux situations ou alors
connaît deux régimes de protection : lors des conflits armés non internationaux et lors de conflits
armés internationaux. Pour veiller à son respect dans le conflit du Nord-Ouest et Sud-ouest, le
CICR et la Croix-Rouge Camerounaise à travers leurs cellules de communication s’emploient à
faire connaître davantage les règles humanitaires et en rappelant aux parties en conflit les
obligations qui leur incombent33. Car, l’ignorance du droit est l’ennemie de son respect. Pour
parvenir à cet objectif, le CICR rappelle très souvent à l’État Camerounais qu’il s’est engagé à
faire connaître le contenu du DIH et par conséquent, ledit État devrait prendre toutes les mesures
nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective, et donc le respect de cette catégorie de Droit.
Le CICR le fait notamment par ses services consultatifs en droit humanitaire qui fournissent de
temps en temps des conseils techniques aux États en vue de l’adoption des lois et des règlements
nationaux d’application du DIH34.
Toujours dans cette motivation qui vise au respect du DIH, le CICR entend obliger les
groupes d’opposition armés qui, pour le cas d’espèce sont l’armée régulière, les Forces de Maintien
32
Entretien avec YAYA, Secrétaire Départemental de la Croix-Rouge Camerounaise dans le Mayo-Tsanaga, entretien
tenue le 1er août 2022 à 11 heures : 15 minutes à Mokolo.
33
Entretien avec NSOP Gérard, volontaire secouriste à la Direction Nationale de Gestion des Catastrophes (DNGC)
de la Croix-Rouge camerounaise, entretien tenu à Dschang le 10 avril 2022, à 09 heures : 10 minutes.
34
Entretien avec YAYA, op.cit.
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de l’Ordre (FMO) et les différents groupes qui constituent les Ambazonian Defense Forces (ADF),
d’encourager l’enseignement du DIH à la population civile placée sous leur autorité. Il demeure
important que : « les civils (…) soient partout informés des règles du Droit International
Humanitaire afin d’en assurer une stricte observation et respect »35.
Page | 261
Il serait important de préciser que lors de ce conflit qui affecte les deux régions
anglophones du Cameroun, le CICR entend promouvoir l’application du DIH dans plusieurs
domaines que sont ;
- Le respect du droit humanitaire et l’assistance matérielle aux victimes dudit conflit. Dans
cette situation, lorsque la population civile souffre de privations excessives, par manque
d’approvisionnements essentiels à sa survie, des actions de secours exclusivement
humanitaires, impartiales et conduites sans aucune distinction de caractères défavorables
sont entreprises avec le consentement de la haute partie contractante concernée. Il est
aujourd’hui généralement reconnu que l’État devra autoriser les actions de secours de
nature purement humanitaires. En effet, le CICR dispose en tout état de cause, d’un droit
d’initiative qui lui permet d’offrir ses services aux parties en conflit, notamment en matière
d’assistance aux victimes. Dans cette optique, son offre de services, de secours ou toutes
autres activités ne constituent pas une ingérence dans les affaires intérieures de l’État
camerounais puisqu’ils sont prévenus par le DIH.
- Le respect et l’application du DIH dans le rétablissement des liens familiaux. Dans ce
domaine, le CICR compte sur l’expertise de deux de ses organes : le Bureau National de
Recherche (BNR) et l’Agence Centrale de Recherche (ACR). Avec l’appui de ces
structures, le CICR s’emploie à faciliter le rétablissement des liens familiaux entre les
prisonniers de guerre et leurs familles. C’est dans cette mouvance que pour le respect et
l’application du DIH, le CICR en partenariat avec la CRC et l’association Horizon Jeune
ont tenu dans la ville de Dschang une réunion préparatoire afin de mettre sur pied des
initiatives qui iront dans le sens de rétablir les liens entre les familles dispersées à l’issue
du conflit anglophone36.
35
BOUNDA (S.), Le comité international de la Croix-Rouge en Afrique centrale à la fin du XXe siècle : cas du
Cameroun, du Congo Brazzaville, du Congo Kinshasa et du Gabon de 1960 à 1999, Thèse de Doctorat en Histoire
Contemporaine, Université de Bordeaux Montaigne, Mars 2015, p. 60
36
Entretien avec NTEH ETINE Polisy, volontaire secouriste, président du Club Croix-Rouge de l’Université de
Dschang. Entretien tenu le mardi 25 octobre 2022, à 11 heures : 50 minutes à Dschang.
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Les enjeux latents sont ceux qui ne sont pas clairement définis par l’acteur. En effet,
l’engagement de la Croix-Rouge dans la prise en charge et l’encadrement des personnes
souffrantes n’est pas uniquement mû par des enjeux manifestes, mais aussi, par des enjeux latents.
Puisque ses buts sont très souvent diffus et, ne sont parfois pas clairement définis ou formulés37,
cette ONG ne dit toujours pas ce qu’elle fait 38. C’est ainsi que la prise en charge des nécessiteux
qui sont issus de la crise du NOSO apparaît pour elle comme un excellent camouflet de ses
motivations à la fois admirables, mais ambiguës.
Il est clair, les opérations d’aide humanitaire relèvent avant tout des dons. Pour certains
auteurs en effet, un vrai don devrait être, semble-t-il, désintéressé et altruiste,39 mais, parait-il
d’après les travaux de quelques sociologues et psychologues qu’en réalité, cela ne soit pas toujours
le cas. Ils démontrent que, derrière un don, on peut identifier un besoin de reconnaissance40, le
désire de socialité, de prestige, de séduction et de domination 41. À l’analyse, ceci est
particulièrement vrai pour l’aide humanitaire y compris les projets qu’apporte la Croix-Rouge en
faveur des victimes de la crise anglophone, d’où le caractère diffus ou symbolique de certaines de
ses motivations.
En essayant de faire remonter à la surface ces enjeux latents, l’on se rend à l’évidence que
cette ONG vise d’une part à déposséder l’État de son monopole d’antan dans le domaine
humanitaire (1) et d’autre part, recherche des enjeux culturels, financiers et techniques (2).
37
ROJOT (J.), op.cit., p. 217
38
Ibid., p.219
39
REYMOND (P.) et al., (dirs), Les limites de l’aide humanitaire, projet SHS de 1ère année master, Lausanne, 2007,
p. 29
40
VIARD (B.), « Pour une psychologie du don », Revue M.A.U.S.S, n° 23, 2004
41
SOUTY (J.), « Essai sur le don », Bibliothèque idéale des Sciences Humaines, Vol 2, HS n° 42, Septembre 2003
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Par cette formulation, nous voulons signifier qu’à travers son engagement humanitaire dans
le conflit du NOSO, la Croix-Rouge est motivée, quoique de façon implicite, par la volonté de
réduire voire de remettre en cause le monopole de l’État camerounais dans la prise en charge et Page | 263
l’encadrement des personnes nécessiteuses issues dudit conflit. Notons qu’avant l’arrivée de ce
« géant » de l’humanitaire au Cameroun, c’est à l’État uniquement, qu’incombait la tâche de
prendre en charge les personnes nécessiteuses et vulnérables. Aujourd’hui, la Croix-Rouge vise à
partager avec le gouvernement camerounais, ce « pouvoir humanitaire » qui a longtemps été
possédé par l’État uniquement. En le faisant, cet acteur de l’aide rompt avec la tradition du
monopole de l’État dans le déploiement des opérations de solidarité et l’idée que seul cet État doit
prendre les décisions finales et en assumer la responsabilité lors des situations de crises
humanitaires. Toutefois, pour mieux appréhender ce phénomène de dépossession du monopole
étatique et de partage du pouvoir dans le déploiement des actions humanitaires, la théorie de la
gouvernance s’avère pertinente.
Avec la gouvernance42, l’État n’intervient plus de façon solitaire dans le déploiement des
assistances humanitaires. Pour Gerry Stoker, cette situation s’explique du fait que ledit État
est limité tant dans ses capacités de planification, de prévision, d’action et est désormais
concurrencé par d’autres acteurs qui n’appartiennent toujours pas à sa sphère43. Conséquemment,
il doit partager son pouvoir et agir en partenariat avec d’autres interlocuteurs notamment privés,
au rang desquels figurent les ONG internationales44, lequel partage de pouvoir contribue le
déposséder de son monopole d’antan dans les situations de crises humanitaires. D’ailleurs, chacun
42
Concept adopté pour les recherches en sciences sociales notamment en relations internationales après les
années 1970. Ce faisant, la gouvernance devient internationale et certains auteurs parlent de gouvernance mondiale,
laquelle consiste à faire sur le plan international ce que les gouvernements font sur le plan interne. En effet, l’essence
de la gouvernance réside dans une dépossession d’un plein pouvoir de décision des mains des personnes chargées de
« diriger », pour intégrer leurs décisions dans un processus de négociation et d’association de l’ensemble des acteurs
concernés, qu’ils soient acteurs de leur mise en œuvre, qu’ils en soient les destinataires ou qu’ils contribuent à leur
financement. (Pour plus de détails, voir MOREAU DEFARGES [P.], La Gouvernance, Paris, PUF, 2003). Pour
ROSENAU James la théorie de la gouvernance est « un ensemble de mécanismes de régulation dans une sphère
d’activité qui fonctionnent même s’ils n’émanent pas d’une autorité officielle ». À la lumière de cette définition, il est
clair que l’auteur entend donner une large marge de manœuvre aux organisations tout comme aux institutions non
étatiques. Celles-ci peuvent dorénavant intervenir dans les processus d’actions publiques étant donné que, les
gouvernements ont parfois des ressources limitées. (Voir ROSENAU [J.], cité par POKAM [H.], Institutions et
relations internationales, théories et pratiques, Dschang, Dschang University Press, 2009, p.36).
43
STOKER (G.), op.cit., p.21
44
MERRIEN (F-X.), « De la gouvernance et des États-providence contemporains », RISS, n° 155, la gouvernance,
Mars 1998, p. 34
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des partenaires peut beaucoup apprendre à l’autre et partant, ils constitueront ensemble, une
communauté d’actions à la fois plus riche en ressources, plus expérimentée et plus flexible.
Rappelons que « le temps de l’intergouvernementalité pure est terminé. Les diplomates qui
gardent la main sur la négociation œuvrent aujourd’hui dans un champ de force où interviennent Page | 264
des acteurs économiques, sociaux, territoriaux ou scientifiques les plus divers »45. Dès lors, la
prise de décisions, l’élaboration et la mise en œuvre des projets et des programmes d’assistance ou
de soulagement aux souffrances humaines subissent de nos jours l’influence des ONG
internationales. Cette réalité n’échappe pas au Cameroun notamment dans le conflit du NOSO où,
les préoccupations humanitaires sont de plus en plus portées par des ONG surtout celles à caractère
international et plus particulièrement la Croix-Rouge. Cette organisation joue un rôle
potentiellement important dans le soulagement des souffrances des nécessiteux qui sont issus dudit
conflit anglophone. À travers ses actions et interactions, la Croix-Rouge obtient la reconnaissance
de ses valeurs par l’inscription de ses priorités dans l’agenda humanitaire de l’État. En outre, elle
travaille à la formulation et à la diffusion des différents principes qui devront guider le mouvement
humanitaire au Cameroun en général, et dans les régions anglophones en particulier. Elle profite
également de ses interactions pour jouer un rôle de lobbying afin d’alerter l’État et les partenaires
sur les besoins en intervention humanitaire dans ces contrées du pays. De ce fait, la Croix-Rouge
accroît son influence dans la mise en œuvre des actions humanitaires au Cameroun.
Tous ces éléments peuvent laisser percevoir que l’engagement de de la Croix-Rouge dans
le déploiement des actions humanitaires au Cameroun et à l’issue du conflit anglophone, dépossède
l’État de son monopole dans la prise en charge et l’encadrement des déplacés internes et même,
effrite sa souveraineté dans ce domaine. Pourtant, faut-il le rappeler, la responsabilité de protéger
les déplacés internes incombe avant tout à l’État ou à toute autorité étatique contrôlant le territoire
sur lequel se trouvent ceux-ci46.
En plus de cet enjeu que vise cette organisation philanthropique à déposséder l’État de son
monopole dans le déploiement des opérations humanitaires, les actions de la Croix-Rouge au
45
ROUILLE (D.), La diplomatie non gouvernementale : les ONG peuvent-elles changer le monde ?, Paris, Collection
Enjeux Planète, 2006, p.1
46
KONÉ (S.), Protection des personnes déplacées internes suites aux exactions de la secte islamiste Boko-Haram à
l’Extrême Nord du Cameroun, Mémoire de Master en Management des entreprises, Institut Internationale d’Ingénierie
de l’eau et de l’assainissement (ZIE), 2017, p.40
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Cameroun et particulièrement dans le conflit anglophone sont aussi sous-tendues par des enjeux
culturels et financiers.
La culture47, bien que propre à un groupe et représentant l’identité culturelle dudit groupe,
évoluant lentement et marquant le rappel de l’histoire, elle peut par la force des facteurs exogènes
être influencée par une autre culture ou alors, peut-elle même influencer d’autres cultures ou
peuples. C’est pourquoi la Croix-Rouge, ONG internationale, cherche à diffuser dans le cadre de
ses objectifs latents au Cameroun, la culture occidentale, imbue de sa prétendue supériorité48. Pour
Essé Amouzou, « c’est en tout cas ainsi qu’elle s’est imposée dans le cadre idéologique de la
colonisation »49 et même du déploiement des opérations humanitaires.
À cet effet, Gérard Verna faisait savoir que « les ONG engagées dans le domaine
humanitaire ont des comportements différents sur leur terrain d’action. Cela s’explique par ce
que les créateurs de ces organismes ont des visions différentes du monde et des effets qu’ils peuvent
espérer de leurs missions. La culture du pays d’origine, et tout particulièrement la religion, a pesé
lourdement sur ces critères de départ et donc sur les modalités d’action sur le terrain »50. Par ces
termes, l’auteur laisse comprendre qu’il y a un lien éventuel entre la nationalité d’une organisation
non gouvernementale et ses particularités d’action. Marion Harroff-Tavel est plus explicite
lorsqu’elle note qu’« il n’existe pas un modèle unique de l’humanitaire, certaines sociétés, en Asie
ou en Afrique, privilégiant, par exemple, l’intérêt collectif à celui de l’individu. Toutefois,
l’humanitaire, qu’els qu’en soient les contours, est un facteur identitaire, comme l’est le
développement pour ceux et celles qui en sont les agents »51.
47
La culture, dans son sens plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels,
intellectuels et affectifs, qui caractérise une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les
modes de vie, les droits fondamentaux des êtres humains, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Pour
plus de détails, voir Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques
culturelles, Mexico City, 26 Juillet-6 août 1982, disponible en ligne sur Http//www.unesco/politiques-culturelles-
mexico/com/html, consulté le samedi 11 mars 2023, à O8 heures : 47 minutes.
48
AMOUZOU (E.), L’impact de la culture occidentale sur les cultures africaines, Paris, L’Harmattan, 2008.
49
Ibid.
50
VERNA (G.), « Le comportement des ONG engagées dans l’aide humanitaire », Anthropologie et Sociétés, Volume
31, numéro 2, 2007, pp. 25-44.
51
HARROFF-TAVEL (M.) « La diversité culturelle et ses défis pour l’acteur humanitaire » dans L’action
humanitaire : normes et pratiques, Cultures et Conflits, n° 60, 2005, pp. 63-102, consultée en ligne sur
http://www.conflits.org/document1919.html, le 11 mars 2023, à 10 heures : 16 minutes.
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Au regard de ces affirmations, l’on peut dire sans risque de se tromper que les ONG
internationales dans le cadre de leurs multiples interventions dans les pays du Sud ont pour objectif
voilé de promouvoir la culture de leurs pays d’origine : les pays du Nord. Manifestation
essentiellement occidentale, le phénomène d’ONG est aujourd’hui en train de se mondialiser.
Page | 266
Pendant très longtemps, seules ou presque à s’occuper des misères du monde, les ONG
occidentales sont désormais concurrencées par d’autres organisations issues des pays émergents
et qui revendiquent une autre culture, d’autres valeurs52. Cependant, la nuance dans le rôle de ces
ONG, notamment lorsqu’elles affichent une orientation religieuse53, fait souvent débat, en ce que
nombre d’entre elles avancent masquées et mêleraient le prosélytisme aux secours ou à leurs
actions de développement. D’autres, formellement non confessionnelles, n’existeraient en réalité
que pour porter et cautionner les politiques de leurs États d’origine54. Toutes, enfin, quand bien
même elles seraient animées par de seules intentions charitables, véhiculeraient inévitablement des
conceptions philosophiques, morales, politiques-en un mot, une culture — à même d’entrer en
conflit et de porter préjudice à celles propres des individus qu’elles chercheraient à aider55.
À l’analyse, il ne serait pas faux de penser que les ONG internationales précisément celles
à caractère humanitaire cherchent à diffuser la culture des pays occidentaux puisque, ce n’est pas
sans intérêt que ces pays occidentaux soutiennent leurs actions ou financent leurs activités. Comme
le posait Guy Mvellé : « si la solidarité est encore présente dans les relations internationales, elle
doit être considérée comme le cheval de Troie d’actions et de calculs stratégiques des grandes
puissances au sein des petits États »56, lesquelles grandes puissances passent par les ONG
lorsqu’elles ne souhaitent pas intervenir d’elles-mêmes. Le précédent, Jean François Guilhaudis
nous rappelait que « vis-à-vis des ONG, l’État ne peut guère être indifférent. Sans chercher à faire
des ONG des instruments de leurs actions, il arrive que les États encouragent leur formation et
soutiennent leurs actions, quand elles vont dans le sens de la politique qu’ils visent à mener. […]
52
LAGRANCE (P.), « Neutralité de l’action humanitaire et relativisme culturel », Vers un nouvel ordre juridique
humanitaire ? Mélanges en l’honneur de Patricia BUIRETTE, Paris, Presses universitaires juridiques de l’Université
de Poitiers, 2016, pp. 175-182.
53
Les exemples les plus légions dans ce cas se recrutent parmi les ONG musulmanes.
54
LAGRANCE (P.), op.cit.
55
Ibid.
56
MVELLE (G.), op.cit., p.3
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Leur rôle (les ONG) est plus large ; elles participent à la “transnationalisation scientifique,
idéologique, culturelle” »57. À l’examen, la Croix-Rouge n’échappe donc pas à cette réalité.
L’activité des ONG internationales à caractère humanitaire connaît très souvent des
dérapages qui se traduisent par la tentative d’assimilation des cultures du tiers-monde au modèle Page | 267
occidental58. C’est dans ce sillage que la Croix-Rouge internationale use de sa position de première
organisation humanitaire reconnue universellement et ayant pour devise le « pouvoir de
l’humanité » pour imposer au Cameroun et dans les régions anglophones en particulier, la « culture
universelle » occidentale et soutenir de manière voilée que « l’action humanitaire et le
développement sont des croyances occidentales »59. Comme la plupart des ONG, la Croix-Rouge
intervient au Cameroun en toutes circonstances, auprès des populations au nom de certaines
valeurs : le droit à la vie, le droit de manger à sa faim, le droit à l’eau potable, le droit à la santé, à
l’égalité des sexes, à l’éducation, au développement, à la démocratie… Autant de valeurs qui
représentent leur vision d’une société normale et juste, mais qui s’avèrent davantage occidentales
qu’universelles60. Des valeurs qui reflètent une culture : celle occidentale, et qui peuvent entrer en
contradiction avec celles des populations camerounaises des régions anglophones à qui la Croix-
Rouge déploie des opérations de secours.
En effet, les activités de cette organisation ont des répercussions immédiates et futures sur
le vécu quotidien des populations des régions anglophones et leurs environs. Car, à travers les
principes et normes de l’action humanitaire, cette organisation veut introduire au Cameroun et
partout où elle intervient la vision occidentale de la société. Edgar Morin est en parfaite résonance
avec cette idée lorsqu’il affirme que « les ONG internationales veulent mettre une société fondée
sur les bases solides de l’industrie, se développant à l’infini, apportant non seulement croissance
économique, mais aussi bien-être résolvant, grâce à la science, la technique, la démocratie, les
problèmes de la guerre de la faim, de maladie et de l’inégalité »61. Tout ceci montre à quel point
57
GUILHAUDIS (J-F.), Relations internationales contemporaines, Paris, Litec, Éditions du Juris-Classeur, 2002,
p. 34
58
TOUKEA (D.), ONG Internationales et gouvernance de l’environnement au Cameroun : les cas de L’UICN et du
WWF, Mémoire de Master II, Science Politique, Université de Dschang, 2010, p. 84
59
RIST Gerry, cité par WAFO (S.), Les ONG et le développement du droit international de l’environnement : Analyse
des activités normatives des ONG environnementales, Thèse de Doctorat 3ème cycle en Relations internationales,
I.R.I.C, 1999-2000, p. 284
60
LAGRANGE (P.), op.cit., p. 179.
61
MORIN (E.), cité par WAFO (S.), op.cit., p. 285
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les ONG internationales recherchent des enjeux culturels. Cependant, leur quête est loin d’être
exhaustive. Elle s’étend à plusieurs autres enjeux encore, notamment financiers et techniques.
À travers l’enjeu financier, la Croix-Rouge par ses actions humanitaires dans le NOSO et
ses environs cherche à réduire les dépenses publiques de l’État camerounais. En fait, autour des Page | 268
années 1990, le Cameroun comme plusieurs pays du tiers-monde n’a pas échappé aux échecs de
l’État providence et de l’État modernisateur, et s’est trouvé par ailleurs dans une « crise de
gouvernabilité »62, car étant dans l’incapacité de répondre de façon solitaire à la pluralité des
demandes. De plus, l’action humanitaire revêt un caractère international et universel. La
diplomatie de la pitié ou de la compassion observée lors des catastrophes et des guerres ressemble
au devoir d’assistance dont a parlé Léon Bourgeois vis-à-vis de ceux qui sont dans l’infortune63.
En outre, l’on est proche de la théologie kantienne où le sentiment de solidarité se transforme
aussitôt en devoir moral64.
En plus de cet enjeu financier, les actions de la Croix-Rouge sont également sous-tendues
par des enjeux techniques, lesquels visent à renforcer son expertise. En effet, la participation d’une
62
MERRIEN (F-X), op.cit., P. 20
63
MVELLÉ (G.), « Aide internationale et lutte contre Boko-Haram : penser la consolidation de la paix au-delà des
interventions d’urgences », Le Politique, Revue Gabonaise de Sciences Politiques, n° 2, vol 2, 2016, pp.187-224, p. 5
64
Ibid., p. 20
65
STOKER (G.), op.cit., p. 20
66
TOUKEA (D), op.cit., p.86
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À cet effet, la Croix-Rouge travaille en synergie avec plusieurs partenaires non seulement
dans le but d’accroître ses actions de terrain, mais également, afin de renforcer son expertise en
matière de prise en charge et d’encadrement humanitaire. Les propos de Michel Ntye sont plus
explicites à ce sujet lorsqu’elle déclare : « la collaboration de notre organisation avec les autres
organismes humanitaires de terrain s’inscrit également dans le cadre d’apporter notre soutien à
ceux-ci par le biais de diverses mesures de renforcement de leurs capacités, principalement dans
les domaines de la gestion opérationnelle du développement des ressources humaines »67. Au
regard de cette déclaration, l’on peut donc affirmer sans risque de se tromper que la Croix-Rouge
s’inscrit dans la logique selon laquelle, à l’instar des individus, il est difficile pour une autre
organisation humanitaire de faire cavalier seul. Par contre, si elle veut être efficace, celle-ci doit
constamment chercher à prendre connaissance des actions des autres organisations68 et ceci
contribuera dans une grande mesure au renforcement de son expertise. En tout état de cause, ce
renforcement d’expertise en matière d’assistance humanitaire s’inscrit dans une logique de
pérennisation de ses actions en faveur des couches vulnérables et nécessiteuses.
Tout compte fait, il est à noter que dans son engagement humanitaire auprès des personnes
vulnérables et nécessiteuses issues de la crise anglophone, les actions qu’entreprend le Mouvement
Croix-Rouge ne sont pas dénuées de tout intérêt. Autrement dit, le mouvement est motivé par de
multiples enjeux, lesquels sont soit manifestes ou latents. Toutefois, malgré ces multiples
motivations, cet engagement du mouvement dans le déploiement des actions humanitaires au
NOSO est entravé par plusieurs pesanteurs.
67
Entretien avec NTYE Michel, cadre à la Croix-Rouge Camerounaise, responsable de la Direction Nationale de
Gestion de Catastrophes (DNGC), entretien tenu le vendredi 8 juillet 2022 à Yaoundé.
68
MACALISTER-SMITH (P.), « Les organisations non gouvernementales et la coordination de l’assistance
humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol.83, N° 842, 2001, p. 527
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« Les marchés, les États, les organisations et la gouvernance se heurtent tous à l’échec.
Celui-ci étant au cœur de tous les rapports sociaux »69. Par ces termes, Jessop Bop laisse entendre Page | 270
que dans la quête de leurs objectifs, les acteurs sont pour la plupart de temps, soumis à des
pesanteurs, lesquelles freinent ou alors remettent en cause leur efficacité. Pour le cas d’espèce, il
est clair que les actions de la Croix-Rouge en faveur des nécessiteux qu’a multipliées le conflit
anglophone sont soumises à un certain nombre des difficultés. En d’autres termes, dans la
réalisation de ses objectifs, cet acteur de l’aide et de solidarité se trouve souvent en face d’éléments
de fait et des données qui lui sont défavorables70.
Par contraintes inhérentes à la Croix-Rouge, nous signifions celles qui limitent l’efficacité
de son engagement dans la crise anglophone indépendamment de toutes influences extérieures.
C’est dire en d’autres termes que le mouvement Croix-Rouge est souvent à l’origine de
nombreuses pesanteurs qui limitent l’efficacité de ses actions en ce qui concerne le soulagement
des souffrances humaines. Ces contraintes d’une part sont d’ordres financiers (1) et d’autre part,
d’ordres matériels et humains (2).
69
JESSOP (B.), « L’essor de la gouvernance et ses risques d’échec : le cas du développement économique », Revue
Internationale des Sciences Sociales, n° 155, Mars 1998, p. 35
70
ROJOT (J.), op.cit., p. 220
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Tout compte fait, il convient de rappeler que ces insuffisances financières sont la cause
majeure des pesanteurs d’ordres matériels et humains.
71
Pour plus de détails, Voir statut portant création de la Croix-Rouge Camerounaise (CRC).
72
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
73
Entretien avec ZE André, cadre à la Croix-Rouge camerounaise, instructeur national à la Direction Nationale de
Gestion de Catastrophes (DNGC), entretien tenu à Yaoundé le 13 juillet 2022, à 11 heures : 12 minutes.
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En ce qui concerne les difficultés d’ordre logistique dans le cadre de ses programmes de
protection et d’assistance des personnes relavant de son mandat au Cameroun, la Croix-Rouge,
dans son élan de solidarité, se retrouve parfois dans l’incapacité d’acheminer en temps réel et
convenu les biens dont l’organisation a besoin pour son fonctionnement optimal74. En effet, dans
certaines contrées du Cameroun et du NOSO en particulier, le manque d’infrastructures de base
entraine de nombreuses difficultés dans l’acheminement des assistances aux personnes
nécessiteuses. En plus, vient s’ajouter à cette situation l’environnement sécuritaire qui reste
précaire dans certaines zones, la vétusté du parc automobile, notamment les camions du
mouvement dont la moyenne d’âge est parfois largement au-dessus de quinze ans, leur nombre
insuffisant ainsi que les inadaptabilités aux conditions de certaines routes des régions en crise75
font partie intégrante de l’ensemble des problèmes auxquels la chaine logistique de cet acteur
humanitaire est confrontée. Conséquemment, la Croix-Rouge ne dispose pas assez de véhicules
capables de transporter une bonne quantité de son personnel, simultanément avec son matériel et
les dons à distribuer76. C’est pourquoi, lors des grandes campagnes de distribution des vivres ou
des non-vivres, le mouvement se trouve souvent dans l’obligation de louer des véhicules, ou de
bénéficier de l’assistance d’un partenaire pour le transport des dons vers les sites de distribution77.
L’absence du matériel quant à elle se ressent de plus en plus au niveau des comités
départementaux et d’arrondissements. Ceux-ci, très souvent, sont en carence de matériel de
premier secours, qui est pour eux un outil indispensable pour la couverture des cérémonies78. Dans
cette mouvance et au regard de ces pesanteurs, plusieurs campagnes de distribution n’ont pas été
programmées dans les régions anglophones camerounaises ainsi que leurs environs. Aussi,
74
Entretien avec un responsable du HCR, op.cit.
75
Entretien avec ZE (A.), op.cit.
76
Entretien avec NSOP (G.), op.cit.
77
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
78
Entrevu avec NTEH (P.), op. cit.
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relevons que dû à cette absence de matériels, notamment logistique, des dons inadaptés ont été
offerts aux déplacés internes venant des régions anglophones en crise79.
Hormis ces pesanteurs d’ordres financiers, matériels et humains qui lui sont intrinsèques,
le mouvement Croix-Rouge est aussi soumis aux entraves extrinsèques.
Les contraintes administratives émanent des rapports qu’a le mouvement avec les pouvoirs
publics. En effet, sur le plan national, l’État ou le gouvernement camerounais reste le partenaire
majeur et privilégié du Mouvement Croix-Rouge81. C’est pourquoi l’État appuie cette entreprise
de solidarité par plusieurs moyens ; d’abord, en tant qu’auxiliaire des pouvoirs publics dans le
domaine humanitaire, la CRC bénéficie au niveau institutionnel d’une caution gouvernementale.
79
Entretien avec NFOR Blaise, déplacé interne venant du Sud-Ouest (Lebialem), tenu le 25 novembre 2022.
80
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
81
Entretien avec NTYE (M.), op.cit.
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Cette caution prend deux formes : une caution financière qui renvoie à un budget annuel et une
caution morale qui donne au mouvement la latitude et le plein pouvoir d’intervenir en cas de besoin
d’assistance humanitaire sur toute l’étendue du territoire national 82. À travers cette caution
financière, l’État camerounais est le premier pourvoyeur financier de la CRC et ceci, en raison du
Page | 274
fait que c’est aux États qu’incombe à priori la tâche de la prise en charge des réfugiés et des
déplacés internes installés sur leurs territoires83.
Cependant, cette collaboration qui lie la Croix-Rouge à l’État camerounais est à l’origine
des contraintes administratives qui entravent son efficacité dans le déploiement des assistances
humanitaires au Cameroun en général et dans le NOSO et ses environs en particulier. Cette
situation laisse percevoir que lorsque le mouvement entend mener des actions conjointement avec
l’État, la lenteur administrative qui caractérise les actions étatiques se répercute sur leur
collaboration et partant, freine la mise en œuvre desdites actions. C’est donc à juste titre que,
plusieurs responsables de la Croix-Rouge estiment que lorsque l’État leur accorde une assistance
financière pour la réalisation d’un projet ou d’un programme, les lenteurs administratives
caractérisées par le long processus de décaissement des fonds, sont à l’origine de la non-possession
desdits fonds à temps, situation qui non seulement retarde, mais parfois, empêche la réalisation
dudit projet84.
Outre cette lenteur administrative, la volonté qu’a l’État de sécuriser et avoir un droit de
regard sur les activités humanitaires de ce mouvement se présente parfois comme une contrainte.
En faisant usage des agents de Force et de Maintien de l’Ordre pour sécuriser les actions de la
Croix-Rouge dans les zones dangereuses du Nord-ouest et du Sud-ouest, certains estiment que
l’État empiète sur deux de leurs principes fondamentaux qui évoquent la neutralité et
l’indépendance, lesquels principes sont non seulement très chers au mouvement, mais aussi,
guident l’essentiel de ses actions. En plus de ces entraves sues mentionnées, l’environnement où
opère cette agence humanitaire se pose parfois en élément défavorable.
82
Entrevu avec NSOP (G.), op.cit.
83
KONE (S.), op.cit.
84
Entrevus avec NSOP (G.), ZE (A.), NTYE (M.), op.cit.
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difficultés socio-économiques, elles se ressentent précisément lors de la constitution des AGR par
le mouvement et ses partenaires. Ici, la difficulté réside dans l’appropriation ou la location de la
surface de terre exploitable notamment lorsque l’AGR à effectuer concerne l’agriculture. Dans
majorité de cas, la contrainte vient des populations autochtones ou hôtes,85 qui refusent très
Page | 275
souvent l’utilisation de leurs terres, tant aux partenaires qu’aux bénéficiaires86. Par ailleurs, même
quand certains autochtones acceptent l’exploitation et la mise en valeur de leurs terres, ceux-ci leur
louent à des prix exorbitants. Cette situation est particulièrement vraie dans les localités comme
Dschang et ses environs, en l’occurrence Bafou, Penka-Michel et Fongo-Tongo où les prix de
location des terres oscillent de 20 000 à 50 000 FCFA le ¼ de l’hectare, et ce, pour une année
d’exploitation87. Cette situation constitue en effet un gros morceau financier pour la Croix-Rouge
ainsi que ses partenaires.
En plus de cette rareté des sols cultivables, dans certains cas, le problème de leurs fertilités
se pose avec acuité. Pour Rabiatou, cette difficulté est généralement fonction de la mauvaise foi
des populations autochtones88, puisqu’ils font exprès de mettre à la disposition du Mouvement,
des terres non fertiles, lesquelles amènent les bénéficiaires à faire des récoltes minimes et souvent
très insignifiantes.
Les contraintes environnementales quant à elles sont celles qui ont un lien étroit avec
l’environnement opérationnel, notamment les zones d’interventions dans les régions en crise. Dues
à l’inaccessibilité et le caractère accidentel des régions anglophones et de leurs environs, la
couverture complète de sites de recasement et la mise en œuvre effective des programmes
d’assistance en faveur de tout nécessiteux sont souvent entravées. Tout compte fait, cette
inaccessibilité de certaines zones rend souvent impossible l’assistance du mouvement en faveur
des personnes disparues.
Par personnes disparues, l’on entend les prisonniers de guerre et les internés civils séparés
de leurs proches, des familles dispersées, etc. Généralement, telles peuvent être les conséquences
d’un conflit armé. C’est pourquoi les Conventions de Genève et son Protocole additionnel I
85
Terme utilisé pour faire allusion aux populations vivantes dans les localités où les déplacés internes ont trouvé
refuge.
86
Entretien avec RABIATOU (T.), op.cit.
87
Entretien avec RABIATOU (T.), op.cit.
88
Ibid.
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contiennent un certain nombre de dispositions juridiques protégeant ces victimes 89. Ces
dispositions qui s’appliquent en cas de conflits armés donnent quitus au CICR de remplir une
multitude de tâches. De façon générale, le CICR joue le rôle d’intermédiaire entre les parties en
conflit ou plus précisément entre leurs bureaux nationaux de renseignements pour transmissions
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des informations sur les personnes protégées par le Droit humanitaire. Aussi, le CICR peut
procéder aux démarches à propos des personnes disparues, mais également, s’efforce de regrouper
les familles dispersées. Précisons que pour y arriver à entretenir ces activités de recherche, le CICR
compte sur l’expertise de deux de ses organes : le Bureau National de Recherche (BNR) et
l’Agence centrale de recherche. Cependant, de nombreuses pesanteurs rendent difficile l’accès à
ces personnes disparues.
On l’a vu lors de certaines situations dans le conflit anglophone où le CICR était présent,
mais ne pouvait avoir accès aux détenus et otages tenus en captivité par les groupes armés
« ambazoniens ». De même, dans d’autres contextes toujours dans ce conflit où le CICR
souhaiterait être actif reste clos, car les groupes armés « ambazoniens » pour la plupart se sont
montrés totalement hermétiques au dialogue avec le CICR sur toutes questions liées à la détention
des prisonniers de guerre92. Ce fut le cas lors des négociations du CICR en vue de la libération de
plusieurs civils, élèves, administrateurs, fonctionnaires, FMO et militaires camerounais détenus
comme prisonniers ou otages par certaines factions armées du NOSO. En effet, malgré le réseau
89
CICR, Droit international humanitaire, cité par BOUNDA (S.), op.cit., p.95.
90
BOUNDA (S.), op.cit., p. 83.
91
NGOM (I.), Le CICR et les conflits étatiques internes, Mémoire de Maitrise, Relations Internationales, Université
de Gaston Berger, 2009, p. 14
92
Entretien avec RABIATOU (T.), op.cit.
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de message Croix-Rouge qui constitue un excellent moyen pour les personnes déplacées internes
de renouer le contact, il arrive souvent que les lettres ne trouvent pas leurs destinataires. Dans la
plupart des situations, on s’est rendu à l’évidence que l’action du CICR soit parfois entravée par
le manque de volonté des autorités ou des parties concernées.
Page | 277
Conclusion
Par ailleurs, dans sa quête permanente ou alors sa volonté d’atteindre ses objectifs
philanthropiques, la Croix-Rouge fait face à des éléments défavorables à sa progression.
Considérées comme contraintes, elles compromettent ipso facto l’efficacité des opérations
d’assistance déployées par elle dans ces régions anglophones en crise et leurs environs. Ces
entraves sont variées et émanent du mouvement, y compris de ses partenaires locaux et
internationaux.
En effet, les divers obstacles auxquels fait face cet organisme de solidarité nous amènent à
susciter des pistes qui semblent de nature à améliorer sa participation et son engagement à l’égard
des nécessiteux issus du conflit anglophone. En fait, comme l’a démontré François-Xavier
Merrein, la théorie de la gouvernance, mobilisée par nous, se situe à trois niveaux que sont : le
niveau descriptif, analytique et enfin prescriptif93. Il renchérit en soulignant que « la gouvernance
s’inscrit sous le double registre de l’observation (sein) et de la prescription »94. C’est dire que, les
contraintes évoquées plus haut ne sont pas incontournables. Par ailleurs, elles peuvent être
surmontées si les différents acteurs qui interviennent dans la chaine humanitaire au Cameroun en
général et dans le NOSO et ses environs en particulier, mettent sur pied des stratégies et prennent
en considération un certain nombre de perspectives :
93
MERRIEN (F-X.), op.cit., p. 64
94
Ibid.
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en provenance des partenaires internationaux. Ces ressources nationales pourront provenir des
partenaires privés locaux. À cela pourra venir se greffer la mobilisation des ressources issues des
partenaires internationaux, lesquelles pourront constituer pour le mouvement, une source de
financement indéfectible. Toutefois, ces ressources devront constituer une part exponentielle du
Page | 278
financement des projets-programmes de la Croix-Rouge dans le NOSO et sur l’étendue du
territoire national.
Outre les ressources financières, la Croix-Rouge devrait renforcer ses ressources humaines
et matérielles. Le renforcement des ressources humaines serait en effet un pivot essentiel pour la
mise en œuvre effective de ses opérations d’aide sur toute l’étendue du territoire camerounais et
plus particulièrement dans les régions en crise. Pour se faire, cette entreprise de solidarité peut
multiplier les séances de formation en premiers secours, en Droit International Humanitaire, en
droit de l’homme, etc. Aussi, doit-elle continuellement renforcer l’expertise de ses cadres à travers
la multiplication des séminaires de formation et des colloques placés sous la bannière des experts
de l’humanitaire. De son côté, le renforcement des ressources matérielles devrait passer par
l’acquisition des nouveaux véhicules adaptés à l’environnement opérationnel, lesquelles seront
utiles pour le déplacement du personnel et le transport des dons.
Dans la même veine, les populations hôtes ou la communauté d’accueil pourront être
sensibilisée sur les l’importance de la solidarité et l’assistance, ce qui, au sens de plusieurs
95
MATTEI (J-F.), L’urgence humanitaire, et après ? Pour une action humanitaire durable, France, Hachette
Littérature, 2005, p. 45
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L’État camerounais devrait dans le cadre de la réalisation des projets collectifs avec la
Croix-Rouge jouer un rôle de premier plan dans la coordination des opérations d’aide humanitaire. Page | 279
Cette coordination doit signifier et tenir compte d’une appréhension globale des besoins, mais
aussi, doit juguler les différends liés à la cohabitation entre les multiples organisations
humanitaires présentes sur son territoire. Car, comme opine à cet effet Daniel Barenstein : « l’aide
est beaucoup plus efficace quand tout le monde tire à la même corde »97. Aussi, pour ce qui est de
l’environnement, l’État pourrait désenclaver les zones inaccessibles dans ces régions en crise afin
de permettre et rendre fluide la mobilité des secours et du personnel humanitaire y compris.
96
Entretien avec ALASSAN Abo, Imam de la mosquée centrale de Dschang, tenue le lundi 24 octobre 2022.
97
BARENSTEIN (D.) et ROSELLI (M.), « Quand la reconstruction est un acte de violence », UN seul monde, n° 2,
Juin 2007, pp. 10-14.
98
MICHELETTI (P.), « Pratique de l’humanitaire : pour rompre avec l’hégémonie occidentale », Diploweb.com : la
revue géopolitique, n° 122, 2012, pp. 3-9.
99
Ibid.
100
BARENSTEIN (D.) et ROSELLI (M.), op.cit.
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se poser les humanitaires de la Croix-Rouge sont : « comment intervenir pour ne plus devoir
intervenir ? Comment faire en sorte que les acteurs locaux puissent s’en sortir seuls, ou en tous
cas, sans grosses interventions humanitaires ? »101. Tout compte fait, cette prévention peut se
décliner à travers la protection des personnes, la sensibilisation et l’éducation, le renforcement des
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capacités locales, la mise en place des systèmes d’alerte et des dispositifs d’intervention
immédiate.
101
MATTEI (J-F.), op.cit.
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Résumé :
Ce travail s’intéresse à l’impact des modèles d’administration coloniale sur les conflits
ethniques dans la région de l’extrême-nord durant la période coloniale. Après avoir présenté les
deux modèles d’administration coloniale implémentés dans cette région du Cameroun, nous
montrons dans un premier temps que l’administration indirecte a conduit à l’exacerbation des
conflits ethniques. L’administration directe qui viendra en remplacement de l’administration
indirecte va quant à elle permettre la régulation des conflits ethniques en permettant
l’autonomisation des groupes jadis mis sous tutelle. Cette étude s’inscrit donc pleinement dans
l’approche institutionnaliste des conflits ethniques qui considère que le design institutionnel est
déterminant pour les relations entre groupes ethniques. Elle peut permettre soit la coopération
soit le conflit ethnique.
Abstract:
This work focuses on the impact of colonial administration models on ethnic conflict in the
Far North region of Cameroon during the colonial period. After the two models of colonial
administration implemented in this region were presented, we demonstrate that indirect rule has Page | 282
led to exacerbation of ethnic conflict. The direct rule which replaces the indirect rule will allow
the regulation of ethnic conflicts by allowing the empowerment of groups once place under guard
ship. This study is there fore fully invest in accordance with institutionalist approach to ethnic
conflict, which considers that institutional design is decisive for relationships between ethnic
groups. It can allow either cooperation or ethnic conflicts.
Key words: indirect rule, direct rule, colonization, ethnic conflict, Cameroon.
Introduction
Historiquement, la région de l’Extrême-nord est influencée par une triple dynamique qui
s’est succédée dans le temps sans pour autant être indépendante. Il s’agit d’abord de celle du bassin
du lac Tchad avec la construction des divers Etats précoloniaux qui y ont vu le jour. Ensuite celle
de l’Adamawa1 avec la conquête peule et la constitution des lamidats. Enfin celle de l’Etat du
Cameroun qui a pris place avec la colonisation et qui structure la région depuis lors sans pour
autant annuler celle des autres dont principalement celle du bassin du lac Tchad à laquelle la région
appartient encore aujourd’hui sur le plan géographique.
Durant la période coloniale, les institutions coloniales mises en place par le colonisateur
n’étaient parfois pas adaptées au contexte local qui était celui de la société plurale. Ce qui fait
qu’elles ont parfois eu des effets divergents sur les relations entre les groupes ethniques. Il en est
ainsi pour le modèle d’administration coloniale. L’objectif de cette étude est donc de montrer
1
L’ « Adamawa » des historiens se réfère à l’immense province de l’empire peul du Sokoto, au 19e siècle, centrée sur
sa capitale Yola, au bord de la Bénoué. Au contraire, l’Adamaoua actuel, dans son sens géographique, englobe les
plateaux qui s’étendent au centre du Cameroun, de la frontière nigériane à celle de Centrafrique.
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l’impact que les deux modèles d’administration coloniale ont eu sur les conflits ethniques dans la
région de l’Extrême-nord Cameroun au-delà du fait que le colonisateur a très souvent
instrumentalisé les divisions ou encore les rivalités ethniques pour mieux asseoir sa domination
dans le territoire à travers ce que l’on désigne encore par le « diviser pour régner ». Cette étude
Page | 284
s’inscrit ainsi dans l’approche institutionnaliste des conflits ethniques qui considère que ces
derniers sont le résultat du design des institutions politiques (Basedau ; Crawford, Beverly, 1998)
dans la mesure où elles peuvent soit promouvoir la coopération entre groupes ethniques soit
exacerber les conflits ethniques dans les sociétés divisées. Elle se subdivise en deux articulations.
La première présente les différents modèles d’administration coloniale et leur mise en place dans
la région de l’Extrême-nord(I). La deuxième quant à elle met en exergue l’effet ces deux modèles
d’administration sur les conflits ethniques durant la période coloniale(II).
Après la conquête des territoires par les diverses puissances colonisatrices, il fallait
dorénavant les administrer. C’est ainsi que va voir le jour les différents modèles d’administration
coloniale. Malgré la pluralité des puissances colonisatrices, l’on regroupe généralement ces
modèles d’administration en deux grandes catégories. Il s’agit de l’administration indirecte (A) et
de l’administration directe (B). Bien que les objectifs étaient les mêmes dans les deux cas à savoir
le contrôle politique de la colonie (Athow and Blanton, 2002 : 201), chacun avait toutefois ses
caractéristiques propres et sa philosophie en fonction de la place accordée aux autorités coloniales.
Les différentes puissances coloniales qu’a connu le Cameroun en général - la France et la Grande
Bretagne vont se succéder à l’Allemagne après la première guerre mondiale- et dans la région de
l’Extrême-nord en particulier ont implémenté ces diverses formes d’administration coloniale en
fonction des situations qui se présentaient à elles et parfois les ont même expérimenté dans un
même contexte.
2
Son étiquetage d’administration britannique ne doit toutefois pas amener à penser l’exclusivité de son usage par la
grande Bretagne, tout comme celle de l’administration directe par la France. Les différents colonisateurs faisaient un
usage indifférencié de ces modes d’administration et parfois les alternaient comme on le verra ici pour des raisons
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intermédiaires indigènes qui contrôlent les institutions périphériques “ (Langue, 2009 :28).
D’après le Général anglais Frederick Lugard qui a theorisé et introduit ce mode administration
dans les colonies anglaises: “The essential feature of the system . . . is that the native chiefs are
constituted as an integral part of the machinery of the administration. There are not two sets of
Page | 285
rulers—the British and the native—working either separately or in co-operation, but a single
Government in which the native chiefs have well defined duties and an acknowledged status
equally with British officers. Their duties should never conflict, and should overlap as little as
possible. They should be complementary to each other, and the chief himself must understand that
he has no right to place and power unless he renders his proper services to the State” (Lugard,
1922:203). Il se caractérise par le fait que la métropole occupe peu de place. Les autorités
traditionnelles continuent de garder leur relation au niveau de leur peuple sur la supervision de
l’administration coloniale. Il y a donc combinaison de deux modes de domination : légale
rationnelle au niveau de l’administration coloniale et traditionnelle avec les chefferies
traditionnelles. L’administration indirecte comprend donc un tryptique à savoir l’administration
coloniale, les chefs traditionnels et la population. Dans une relation patron-client, les chefs
traditionnels servent d’intermédiaires entre les populations et l’administration coloniale. Il y a donc
une forme de complémentarité entre l’administration coloniale et les chefs indigènes et non un
conflit de compétences.
Au Nord Cameroun, après que le major Hans Dominik ait vaincu les troupes peules et
madhistes dans la bataille d’Ibba Sange à Maroua et que pendant la même période le lieutenant
diverses. Leur identification à ces deux puissances coloniales vient du fait qu’elles sont les deux grandes puissances
coloniales au vue des territoires colonisés.
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Radke venait à bout de Sule, lamido de Rey Bouba, la domination allemande sur la région était
effective en 1902.Pour administrer cette vaste étendue du territoire, il a été créé trois unités
administratives dont les « résidences » de Garoua, de Ngaoundéré et de Mora. Dans le programme
élaboré en 1902-1903, les autorités coloniales allemandes conseillèrent aux administrateurs des
Page | 286
trois résidences de confier la plus grande partie du travail d’administration aux autorités
traditionnelles et de jouer le rôle de protecteur et de conseiller (Ngoh, 1990 : 32). C’est ainsi que
les bases de l’administration indirecte seront posées dans cette région. Les allemands vont donc
s’appuyer sur l’ensemble des chefferies musulmanes qui avaient émergé avec le djihad pour la
plupart et qui était disséminées partout sur l’ensemble du territoire régional.
Chez les deux puissances coloniales, le choix de ce mode d’administration coloniale était
dicté par deux logiques complémentaires. D’une part l’existence de royaumes structurés. À la
veille de la colonisation, la région de l’extrême-nord comptait de nombreuses chefferies
traditionnelles issues pour la plupart de de la conquête peule et de l’islamisation de la région. Ces
structures permettaient déjà une forme d’administration dans la société nouvellement conquise car
elles offraient des systèmes de relais pour l’administration coloniale. Ainsi, au lieu de bouleverser
la région, il était préférable de maintenir le statu quo, surtout qu’en l’état la structuration qu’elle
avait permettait au moins d’avoir un semblant d’administration avec les différents chefs comme
intermédiaires. Le système d’administration mis en place par les Fulbé ne fut pas remis en cause ;
les païens continuaient à dépendre des lamibé qui pouvaient désormais compter sur la force armée
allemande pour sauvegarder leur autorité et la raffermir dans les nombreux cas où elle était
défaillante (Pontié, 1973: 38). Dans la région de l’Extrême-nord, ils confirmèrent dans leur
pouvoir une dizaine de sultans et de lamidos (Goulfey, Kousseri et Logone-Birni pour les Kotoko
; le sultan du Wandala ; les lamidos de Maroua, Mindif, Bogo, Binder, Kalfou et Madagali dont
dépendait Mokolo) ( Seignobos, 2000 : 57). C’est cette logique qui guidait également la pratique
Page | 287
de l’administration coloniale par le colonisateur anglais. En effet, Lange, Mahoney et vom Hau
constatait d’ailleurs que “ when complex precolonial societies were organized around protostates,
the British usually pursued indirect colonialism, allowing pre-colonial leaders to maintain political
and legal power over their subjects, while requiring them to report and pay taxes to the colonial
administration” ( Lange, Mahoney et Vom Hau, 2006 :1427). Aujourd’hui encore, les chefs
traditionnels sont intégrés à l’administration comme auxiliaires au terme du décret de 1977
régissant les chefferies traditionnelles au Cameroun.
Dans les colonies françaises où elle a été principalement utilisée, la France va utiliser les
citoyens pour administrer ses colonies. Elle est basée sur un idéal d’intégration des colonisés à la
grande France à travers l’assimilation et la centralisation administrative. L’objectif avec ce
système pour ce qui est de la France qui l’avait comme principal modèle était de créer une grande
France à travers l’assimilation des populations colonisées qui adopterait la culture française à
travers l’apprentissage de la langue française. C’est la raison pour laquelle les sujets coloniaux
sont devenus à partir de 1946 les citoyens de la France. Elle a apporté beaucoup plus de
changement dans les sociétés où elle est appliquée par rapport à l’administration indirecte. La
différence entre ces deux modes d’administration a eu un impact différent sur les conflits ethniques
durant la période coloniale.
A partir de leurs différentes caractéristiques, les deux modèles d’administration coloniale Page | 289
ont eu un effet divergent sur les conflits ethniques dans la région de l’extrême-nord du Cameroun.
L’administration indirecte a eu comme conséquence d’exacerber les tensions entre les groupes
ethniques(A). Le constat de cet impact négatif de l’administration indirecte a fait que, la puissance
coloniale passa à l’administration directe qui a permis de pacifier la région(B).
Dans le Logone et Chari, la situation était pareille entre Arabes Choa et kotoko qui sont
deux groupes mulsumans. A la suite de la création du grand sultanat de Goulfei, va naitre dans
cette localité une période de trouble et de règlements de compte entre ces deux groupes. Par cette
réforme qui replaçait les Arabes Choa sous la domination kotoko après leur brève période de
domination sous Rabah, les Kotoko dont principalement Jigara qui était intronisé à la tête du
sultanat, va profiter de cette position pour malmener les Arabes choa. Cette attitude poussa
régulièrement ces derniers à la révolte au point où il fallait également l’intervention de l’autorité
coloniale pour ramener l’ordre. Cet extrait du rapport de tournée du chef de circonscription, Genin,
en 1930 (ANY/APA 11 832/C) résume le sentiment de l’administration sur le problème Arabes-
Kotoko : « Les causes de trouble abondent dans ces régions, et d’abord, parce qu’elles sont
habitées par deux races dont l’antagonisme latent cherche toutes les occasions de se manifester.
Les Kotoko sont les moins nombreux, mais les mieux organisés. Leurs chefs ont de l’autorité. C’est
une population travailleuse, industrieuse... facile à administrer. Malgré leur infériorité
numérique, ils avaient avant l’arrivée des Européens (...) asservi les Arabes qu’ils dominent du
droit que confère l’organisation envers l’anarchie. Des troubles graves éclatèrent en 1919 et on
Page | 290
dut même braquer des mitrailleuses sur les tribus arabes, rassemblées et prêtes à ouvrir les
hostilités avec les Kotoko ».
Cette exacerbation des conflits ethniques est due au fait que ce modèle d’administration
coloniale créait une forme de stratification entre les groupes ethniques. En effet, la région de
l’Extrême-nord comprend deux types de sociétés plurales à savoir les sociétés centralisées et les
sociétés acéphales. Durant la période précoloniale, les sociétés acéphales ont lutté pour éviter leur
soumission aux sociétés centralisées. C’est ainsi que dans les rapports entre Kirdi et musulmans,
l’administration indirecte constitue une mise sous tutelle des musulmans des groupes Kirdi qui
résistaient jusque-là à la conquête et la domination de ces derniers. En plus, avec ce mode
d’administration, même certains groupes Kirdi qui avaient réussi à maintenir leur indépendance
par la lutte furent mis sous l’autorité des musulmans lesquels n’avaient jamais réussi à les
soumettre. Ce qui fait que pour les Habe, ce fut souvent un recul par rapport aux situations acquises
et ils réagirent ici et là avec brutalité (Pontié, 1973 : 38), aussi bien dans les montagnes que dans
les plaines. C’est la persistance de cette situation malgré les campagnes de pacification qui va
conduire d’abord l’Allemagne par endroits, et ensuite la France partout sur l’ensemble de la région,
à passer à l’administration directe considérée comme un moyen de mettre un terme à cette
insécurité vu que la violence n’avait pas toujours résolu le problème.
Page | 291
Cet impact négatif de l’administration indirecte sur les conflits ethniques ne serait
d’ailleurs pas propre uniquement à la période coloniale. En effet, Dans de nombreuses études
consacrées aujourd’hui aux violences ethniques dans les Etats postcoloniaux, les auteurs indiquent
que l’administration coloniale indirecte est à l’origine de ces conflits. C’est ainsi que
Mandani(2001) montre comment le système d’administration indirecte a institutionnalisé les
oppositions ethniques et les inégalités au Rwanda conduit de ce fait au génocide du début des
années 1990. Banton, Masson et Athow vont d’ailleurs dans le même sens. En comparant les effets
de l’administration coloniale sur les conflits ethniques dans les Etats postcoloniaux, ils démontrent
dans leur étude que l’administration indirecte qu’il considère comme le modèle anglais est plus
conflictogène que l’administration directe française. Il en est ainsi parce que l’administration
coloniale indirecte a maintenu en place les institutions locales et traditionnelles qui plus tard vont
servir de base à la mobilisation ethniques contrairement au modèle français dans lequel il y avait
une forme de centralisation et une tentative d’assimilation des peuples colonisées (Blanton, Mason
et Athow, 2001).
Face à l’exacerbation des conflits ethniques par le modèle d’administration indirecte, les
colonisateurs qui se sont succédés au Cameroun vont décider de passer au modèle d’administration
directe. La mise en place de ce mode d’administration coloniale au nord Cameroun se justifie par
la volonté de pacifier une région en proie à des tensions ethniques régulières en particulier et à
l’insécurité en général que le colonisateur considère avoir été créée par l’administration indirecte
tel que le montrent ces différents rapports de tournée. Sous la domination allemande, le capitaine
Zimmerman qui avait dû entreprendre dès 1906 une tournée dans le Nord à la suite de nombreuses
plaintes émises par des islamisés à la résidence de Garoua, notait dans son rapport : « Pendant
qu’ils (les Fulbé) cachent d’un côté leurs propres rapines à l’administration, ils demandent
d’autre part son aide contre ceux qu’ils ont pillé, lorsqu’ils ont conscience de leur impuissance à
l’égard de ces derniers... C’est avec une honteuse apparence de sincérité qu’ils avouent : c’est
seulement la présence des blancs qui les protègent du sort qu’eux-mêmes ont réservé il y a de
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nombreuses décades aux païens dont la force s’est maintenant accrue …il faut entrer en contact
directement avec les tribus païennes». . . (Capitaine Zimmerman «rapport sur la traversée de la
montagne Mandara» du 6/11/1905 au 20 /1/1906 (archives Yaoundé).
Sous la domination française, c’est d’abord le lieutenant Lissande en 1916 ayant à faire Page | 292
face à des situations de troubles qui écrivait : « . . . je crois pouvoir affirmer que le calme renaîtrait
en accordant aux Kirdi une indépendance complète vis-à-vis des Fulbé » (cité par Lestringant, p.
183). Deux ans plus tard dans une lettre du 26 novembre 1918, le Gouverneur Fourneau indiquait
: « Je voudrai que la question des commandements Kirdi et Foulbé soit réglée une fois pour toutes.
L’antagonisme des deux races n’est pas à démontrer. Il n’apparaît pas plus difficile de mettre les
Kirdis sous notre autorité directe que de les placer sous celle des sultans, et cette dernière solution
ne pourrait donner que des résultats éphémères ... Ne compliquons pas inutilement notre tâche en
voulant plier sous le joug des Foulbé des populations qui ont préféré vivre au milieu de terres
ingrates plutôt que de se soumettre à eux. » (Martin, 1970 : 42).
Dans le cas du Logone et Chari, cette logique qui structure l’administration directe chez
les Kirdi est également appliquée entre Arabes Choa et Kotoko. Ici aussi, les tensions et des
frictions qu’il y avait avec les chefs Kotoko va conduire à penser à un assouplissement de la
politique pratiquée jusque-là à l’égard de ces derniers(les arabes). Pour les Arabes Choa,
l’administration directe a consisté en une restructuration des commandements ethniques avec la
mise en place d’un lawan à la tête de chaque fraction. C’est cela qui conduira en 1953 au
démantèlement du vaste sultanat de Goulfei en plusieurs commandements territoriaux à
savoir Goulfei, Bode, Wulki, Makari et Afade. Il sera procédé par la même occasion à une
restructuration des commandements ethniques arabes : chaque fraction sera placée sous le
commandement d’un lawan qui dépend du sultan kotoko sur la terre duquel ses administrés sont
installés et non plus du grand chef de Goulfei (Saibou, 2005 : 204).
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l’implémentation de l’administration directe est donc marquée par un souci très net de
bienveillance et de compréhension vis-à-vis des populations qu’on connait un peu mieux, qu’on
découvre extrêmement frustes et primitives, mais pleines de courage, laborieuses, intéressantes, et
aux prises avec des conditions de vie très dures (Martin, 1970 : 42) . En effet, la méconnaissance
Page | 294
du territoire et des populations était l’un des principaux défauts de l’administration coloniale. La
rotation du personnel administratif qui intervenait à chaque fois ne permettait donc pas à ces
derniers de s’imprégner des réalités locales. C’est ainsi que l’on compte par exemple pour la
circonscription de Mokolo dix-huit chefs de subdivision pendant la période qui va de 1922 à 1939,
soit dix-sept ans (Martin, 1970 : 43). C’est dans cette dynamique de pacification progressive que
la Cameroun accède à l’indépendance.
Conclusion
Cette étude avait pour objectif d’analyser l’impact des modèles d’administration coloniale
sur les conflits ethniques dans la région de l’extrême-nord durant la période coloniale. À cet effet,
nous avons présenté les deux modèles d’administration coloniale qui ont été implémentés par les
puissances coloniales. Il s’agit de l’administration indirecte qui se caractérise par une délégation
des pouvoirs aux autorités traditionnelles par le colonisateur et l’administration directe qui se
caractérise quant à elle par la centralisation au niveau de la métropole. Par la suite, nous avons mis
en exergue l’impact divergent de ces deux modes d’administration sur les conflits ethniques dans
cette région. En effet, l’administration indirecte qui était la première à être implémentée a conduit
à l’exacerbation des conflits ethniques. Cela était dû au fait qu’elle créait une forme de
stratification entre les groupes ethniques avec la mise sous tutelle des groupes ethniques ayant une
organisation acéphale par ceux ayant une organisation centralisée. Or dans cette région, depuis la
période précoloniale, les sociétés acéphales ont toujours lutté pour garder leur autonomie vis-à-vis
de la volonté de domination des sociétés centralisées. C’est d’ailleurs cette exacerbation des
conflits ethniques qui va conduire les puissances coloniales à passer à l’administration directe.
Cette dernière a permis d’atténuer les conflits ethniques dans la région. Il en est ainsi parce qu’elle
permettait aux sociétés mises sous tutelle dans l’administration indirecte de retrouver leur
autonomie. L’administration directe va plutôt créer les chefs de race à la tête de ces sociétés afin
d’avoir un relai au niveau de la population locale.
administrateurs consacrèrent une grande partie de leur temps et de leur énergie (Pontié, 1973 : 45).
Cela peut se justifier par le fait que le mode d’administration directe qui était bien pensé va
rencontrer beaucoup de difficulté dans son implémentation. Il existait dans de nombreux cantons
une cohabitation de groupes ethniques soit à cause de la grande fragmentation de la population
Page | 295
comme c’était le cas dans les mont Mandara, soit à cause de leur dispersion sur l’ensemble du
territoire comme c’est le cas dans le Logone et Chari. Dans ce dernier cas par exemple, la
dislocation du grand sultanat de Goullfei en plusieurs principautés au lieu de rendre les Arabes
indépendants, va conduire plutôt à une répartition des arabes Choa dans les nouveaux sultanats qui
avaient vu le jour. En plus, dans certains cas où l’on avait réussi chez les kirdi à avoir un canton
homogène, celui-ci parfois restait inféodé au lamidat fulbé. La situation n’ayant pas vraiment
changé dans ce dernier cas de figure par rapport à l’administration indirecte.
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REVUE INTERNATIONALE DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE
Une revue mensuelle dédiée à la recherche approfondie
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Vol. 3, N°6 – Juin 2023
ISSN : 2790-4830
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