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Ouvrage publié avec le concours du laboratoire celis de l’université

Blaise Pascal de Clermont-Ferrand et de l’université de Picardie Jules


Verne (Amiens).
Couverture : © Franco Pagetti/VII/Corbis
© Armand Colin, Paris, 2012 sauf pour les pages 182 à 203 (Gilles
Bataillon, « Enfants guérilleros du Nicaragua », Vingtième Siècle,
revue d’Histoire, n° 89, 2006-1 © Presses de sciences-Po.
978-2-200-27461-0
www.armand-colin.fr
Collection « Le fait guerrier »

dirigée par Stéphane Audoin-Rouzeau


Stéphane Audoin-Rouzeau, Les Armes et la chair, Trois objets de mort en
14-18, 2009.
Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro, Algérie 1956, 2010.
Juliette Courmont, L’Odeur de l’ennemi, L’imaginaire olfactif en 1914-
1918, 2010.
Rafaëlle Maison, Coupable de résistance ? Naser Oric, défenseur
de Srebrenica devant la justice internationale, 2010.
Odile Roynette, Les Mots des tranchées, L’invention d’une langue
de guerre, 1914-1919, 2010.
Pham Thanh Tâm, Carnet de guerre d’un jeune Viêt-Minh à Diên Biên
Phu, 2011.
Yashka. Journal d’une femme combattante. Russie. 1914-1917, préfacé
par Stéphane Audoin-Rouzeau et Nicolas Werth, 2012.
Juliette Hanrot, La Madone de Bentalha. Histoire d’une photographie,
2012.
Table
Introduction « Enfants-soldats » ou « ado-combattants » ? Pour une
histoire longue de l’enrôlement précoce 5

I. Guerres du XIXe siècle : l’enfant, combattant légitime ?

Chapitre 1. Les « fils de la guerre » du Rio de la Plata révolutionnaire


(1806-1830) 17

Un nouveau modèle d’homme 18

Former l’enfant-combattant 20

L’incorporation des enfants à l’armée 24

Chapitre 2. Les enfants-combattants de la guerre de Sécession (1861-


1865) 31

« Jouer au soldat » : un rêve inextinguible 32

Entrer dans l’armée 37

Grandeur et misère de la vie militaire 43

Chapitre 3. Les gamins de Paris, combattants de la Commune (1871)


50

Les enfants à Paris en 1870 51

Devenir enfant-soldat en avril 1871 53

Quand les enfants combattent les armes à la main (mai 1871) 58


Un fait « tellement anormal » : regard scientifique et protection
psychique 61

II. Enfants-soldats et guerres mondiales : une légitimité en débat

Chapitre 4. Entrer en guerre, sortir de l’enfance ? Les « ado-


combattants » de la Grande Guerre 69

Pourquoi s’engager : enthousiasme patriotique ou goût de l’aventure ?


71

Comment s’engager : modalités de contournement, échecs et réussites


74

Entrer en guerre, sortir de l’enfance : refuser l’autorité parentale ? 79

L’épreuve du feu 83

Après la guerre : la mort ou l’oubli ? 86

Chapitre 5. La dernière armée d’Hitler : adolescents allemands pendant


la Seconde Guerre mondiale 90

Porter témoignage 92

La croyance au sacrifice 102

Servir l’Allemagne 106

III. Conflits contemporains : enfant-soldat, enfant-victime ?

Chapitre 6. L’enfant-soldat dans la production culturelle


contemporaine 119

Enfants-soldats, enfants-symptôme 120

Fables édifiantes autour de la figure de l’enfant-soldat 127


Chapitre 7. De la terreur à l’illumination : l’expérience des enfants-
soldats népalais 138

Enfants-soldats et subjectivité 139

La guerre du peuple et le contexte d’après-guerre 140

Expériences du groupe armé : illumination et effroi, désillusion


et détachement 143

Reconstruction de l’enrôlement au groupe armé : s’engager ou être


enlevé 147

Juger sa propre expérience : entre rêve et cauchemar, certitude et


ambivalence 151

Que retenir du vécu culturel de ce groupe armé ? 154

Chapitre 8. L’enfant-combattant dans les films iraniens pendant la


guerre Iran-Irak (1980-1988) 160

Les mises en scène de l’engagement de l’enfant 162

De stratégies militaires « pédophages » en besoin de fiction


cinématographique 167

Les mises en scènes de l’enfant-combattant et de l’enfant martyr par


Rasul Mollâqolipur 172

Chapitre 9. Les enfants guérilleros du Nicaragua (1981-1987) 182

Les enfants-soldats : images et fantasmes 186

Pichirules, enfants et adolescents 190

Le choix des armes 197

Conclusion 204
Notes 207

Bibliographie 231

Les auteurs 237


Introduction

« Enfants-soldats » ou « ado-combattants » ?
Pour une histoire longue de l’enrôlement
précoce

D ans un entretien au Monde paru le 29 septembre 2010, le cinéaste


tchadien Mahamat Saleh Haroun, parlant de son dernier film Un
homme qui crie, évoque ainsi le continent africain : « C’est l’Afrique qui
a inventé les enfants de la rue, et les enfants-soldats. Comment en est-on
arrivé à envoyer des enfants à la guerre ? » En fait, la vraie question ne
serait-elle pas plutôt : « Comment en est-on arrivé à croire que c’est
l’Afrique qui a inventé les enfants-soldats ? »I. Selon l’UNICEF, entre
deux cent cinquante mille et trois cent mille enfants sont aujourd’hui
impliqués dans des conflits inter ou intra-étatiques. Leur recrutement est
condamné par de nombreuses instances internationales, et constitue un
crime de guerre aux yeux du Tribunal pénal international. C’est en 1977
que les protocoles additionnels de la convention de Genève (1949) font
pour la première fois référence aux enfants de moins de quinze ans,
recrutés et participant aux opérations armées. En 1989, la Convention
internationale des droits de l’enfant enjoint aux États membres de
prendre « toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce
que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans ne participent
pas directement aux hostilités » (article 38). En 2000, le protocole
facultatif à cette convention concernant l’implication des enfants dans les
conflits armés relève à dix-huit ans l’âge légal de la participation aux
hostilités.
En 1997, les principes du Cap, sous l’égide de l’UNICEF et du groupe
de travail des ONG sur la convention relative aux droits de l’enfant, ont
trait à « la prévention du recrutement d’enfants dans les forces armées et
la démobilisation et la réinsertion sociale des enfants-soldats en
Afrique ». Dix ans plus tard, les « Principes de Paris » dépassent le cadre
africain. Ils marquent aussi l’abandon du terme « enfants-soldats ». Ces
principes directeurs sont en effet « relatifs aux enfants associés aux
forces armées ou aux groupes armés », compris comme « toute personne
âgée de moins de dix-huit ans, conformément à la Convention relative
aux droits de l’enfant, […] notamment mais pas exclusivement, les
enfants, filles ou garçons, utilisés comme combattants, cuisiniers,
porteurs, messagers, espions ou à des fins sexuelles »II. Le terme ne
désigne pas seulement un enfant qui participe ou a participé directement
à des hostilités. Ces engagements et principes, ratifiés par quatre-vingt-
quinze États, visent à la prévention du recrutement des enfants dans les
conflits armés. Ils promeuvent des actions particulières de
démobilisation, de réinsertion et de réhabilitation à destination des
enfants associés aux forces et groupes armés, considérés comme des
éléments particulièrement vulnérables. La prise en compte de la présence
d’enfants dans les groupes armés et sa dénonciation par les instances
internationales va donc croissant depuis la fin du XXe siècle. L’enfant-
soldat est devenu une figure incontournable du phénomène guerrier
actuel. À ce premier archétype est fréquemment associé un espace, celui
du continent africainIII. Et la participation d’enfants aux conflits armés se
voit ainsi présentée comme un « phénomène »IV.
Si phénomène il y a, il est, à n’en pas douter, littéraire avant tout :
depuis une dizaine d’années en effet, les publications de témoignages se
multiplient, rencontrant parfois un grand succèsV. Pourtant, ces
témoignages présentent plusieurs problèmes, de fond et de forme.
Souvent, ils sont publiés dans une optique sensationnaliste ; ainsi, le récit
de Senait Mehari – Cœur de feu, j’étais une enfant soldat – est-il publié
par les éditions l’Archipel dans une collection aux titres évocateurs : Ma
vie d’esclave, Je suis née au harem ou encore Ma mère mon bourreauVI.
Plus gênant pour le chercheur : ces témoignages se présentent comme des
documents « bruts » alors même qu’ils sont généralement coécrits avec
des journalistes, dans une langue qui n’est pas toujours une langue
maternelle ou apprise dans l’enfance. Enfin, ces récits linéaires – là où
les parcours véritables le sont rarement – relèvent d’un genre littéraire,
l’écriture de soi, qui n’appartient pas forcément aux pratiques discursives
et culturelles de leurs auteurs. Aussi devons-nous impérativement
interroger la part « d’occidentalisation » de tels témoignages. La question
des sources nous renvoie aussi à celle de la parole – prégnante pour les
soignants – et du statut accordé à celle-ci. À côté de ces
« autobiographies » existent aussi une forme plus littéraire de
témoignage : ce sont les romans. Le caractère nécessairement reconstruit
de tout récit personnel est ici tout entier assumé dans le processus
littéraire. La reconstruction mémorielle – psychologique, historique –
n’est niée en rien ; elle est au contraire assumée dans le procédé narratif.
Et là sans doute réside la force d’évocation de ces récits, écrits dans la
langue maternelle des témoins. On pense, parmi bien des exemples, au
texte de Yussef Bazzi, Yasser Arafat m’a regardé et m’a souri, qui dit son
engagement à quatorze ans dans les forces centrales d’intervention du
parti social nationaliste syrien de BeyrouthVII. Par le truchement de la
littérature – en langue originale cette fois – ces témoignages apparaissent
finalement moins reconstruits.
Ces nombreux textes ont joué un rôle important dans la construction
d’une « identité africaine » du phénomène des enfants-soldats. Mais
depuis peu les sciences sociales se sont à leur tour emparé de cet objet
pour y porter un regard critique et remettre en cause un certain nombre de
lieux communs fréquemment associés à cette figure des guerres
contemporainesVIII. Si l’anthropologie anglo-saxonne apparaît comme le
fer de lance de ce nouveau champ d’étude, force est de constater la
relative « désertion » de l’historiographie, à l’exception notable de la
Seconde Guerre mondialeIX. Plus précisément encore, c’est sans doute
l’historiographie française qui, en ce domaine, est la plus à la traîne, à
quelques rares exceptions prèsX. Pourtant, la présence d’enfants sur les
champs de bataille est loin d’être une spécificité de l’ère contemporaine,
et à plus forte raison des conflits intra-étatiques des dernières décennies.
Notre propos n’est pas ici de nous interroger sur ce silence historien, qui
s’explique sans doute par une certaine frilosité vis-à-vis de ce qui touche
au spectacle de la violence – et celle perpétrée sur et par des enfants en
est bien une, assurément. L’ambition de ce livre est plutôt de tenter de
définir « l’objet non identifié » que constitue la figure de l’enfant-soldat,
afin de mettre au jour les mécanismes qui l’ont transformé, aujourd’hui,
en « phénomène » pour le monde occidental.
Cette redéfinition passe nécessairement par un triple décloisonnement.
Décloisonnement géographique tout d’abord, pour penser l’enfant-soldat
en dehors d’un prétendu « modèle » africain qui n’a d’ailleurs aucune
légitimité – chaque conflit ayant sa propre spécificité ; les cas du Népal
ou du Nicaragua étudiés ici en sont de bons exemples. Décloisonnement
chronologique ensuite, afin de penser l’enfant-soldat en deçà du XXe
siècle, en remontant aux origines de la guerre moderne, c’est-à-dire au
siècle précédent, à travers des expériences aussi variées que la guerre du
Rio de la Plata, la guerre de Sécession nord-américaine ou encore la
Commune de Paris. Décloisonnement disciplinaire enfin, afin
d’appréhender notre objet au plus près des pratiques et des
représentations grâce à la conjugaison des outils de l’histoire, de la
littérature, de la sociologie, de l’anthropologie, de la psychologie.
Les différentes études de ce volume ont tout d’abord en commun de
souligner un élément fondamental pour l’intelligibilité de cette pratique
combattante particulière : le caractère inadapté, voire impropre, de la
catégorie « enfant-soldat » pour désigner un groupe d’acteurs plus
complexe. À lire les sources comme les chercheurs, on est finalement
bien peu confrontés à des enfants : ces très jeunes combattants sont certes
des mineurs au regard de la législation internationale, mais ce sont avant
tout des adolescents, et non des enfants. C’est le regard occidental qui
exacerbe, volontairement, leur caractère enfantin au détriment d’une
vision plus nuancée, celle de combattants juvéniles. La barrière
symbolique des dix-huit ans adoptée dans le protocole additionnel à la
convention relative aux droits de l’enfant participe d’ailleurs de cette
grille de lecture qui identifie condition légale de minorité et « enfance »,
alors même que cette notion ne prend son sens que dans une aire
culturelle donnée. Le détour par d’autres conflits, plus anciens, où la
catégorie « enfant-soldat » n’a aucun sens, éclaire différemment notre
analyse des conflits actuels et nous permet ainsi d’identifier des pratiques
combattantes qui relèvent davantage de la transgression adolescente.
L’expression « enfant-soldat » fait ici écran : elle fige la réalité dans une
représentation émotionnelle et introduit un biais dans l’analyse. À
l’opposé de cette catégorie surimposée, il nous faudrait forger un autre
terme pour désigner une autre catégorie, issue de l’observation et des
acquis de l’expérience. La langue anglaise possède ainsi l’adjectif under-
age ; difficilement traduisible autrement que par « mineur », l’adjectif en
français renvoie à une définition essentiellement juridique et perd en
route le caractère intermédiaire d’une telle catégorie. Pour conserver
l’idée de minorité sans perdre la notion fondamentale de jeunesse, mais
pour souligner aussi le caractère initial de ce primo-engagement, mieux
vaudrait sans doute parler d’« ado-combattants ».
Le détour par d’autres conflits, plus anciens ou moins médiatiques,
permet également de remettre en question l’idée de contrainte,
systématiquement associée aux enfants-soldats. Il ne s’agit pas de nier les
phénomènes de coercition, notamment physique, pour forcer
l’engagement des adolescents : le rapt est bien l’une des modalités
majeures de l’enrôlement. Plus critiquable, au regard notamment des
conflits plus anciens, est le refus généralisé d’envisager d’autres formes
de contraintes – économiques ou idéologiques, par exemple. La
perspective de l’Organisation internationale du travail (Convention
internationale du travail n° 182 de 1999) qui définit le recrutement des
enfants-soldats comme une des pires formes de travail des enfants donne
déjà un autre éclairage sur les différents types de contraintes à l’œuvre. Il
devrait être possible d’envisager aussi la possibilité d’un engagement
choisi, délibéré.
Objet d’attention croissante des instances internationales et
humanitaires, l’enfant-soldat constitue un archétype ambigu de la victime
de guerre, puisqu’il est à la fois un civil et un enfant, enrôlé de force,
forcé à combattre, c’est-à-dire à tuer, objet de surcroît de la violence des
adultes à travers des humiliations, des rites initiatiques, des violences
sexuelles. Il constitue une figure traumatique par excellence, condensant
trois potentialités traumatiques. En premier lieu, le traumatisme lié à la
violence agie. Rappelons ici que l’histoire de la catégorie nosographique
de « traumatisme psychique » est liée à la psychiatrie militaire et aux
pertes de guerre d’origine psychique chez les combattantsXI. En second
lieu, le traumatisme lié à l’immaturité des défenses psychiques face à
l’expérience de guerre, qui est une affaire d’adultesXII. Le paradigme
théorico-clinique sous-jacent est celui des abus sexuels commis par des
adultes sur les enfants, compris comme une « confusion de langue » entre
les premiers et les secondsXIII. Le modèle de la confusion de langue
permet par analogie de comprendre l’expérience de guerre des enfants et
adolescents comme un glissement entre « jouer à la guerre » et « faire la
guerre ». Faire la guerre, pour un enfant qui devrait y jouer, aboutirait
ainsi au clivage de sa personnalité entre innocence et culpabilité, et ferait
de lui un être hypermature. Enfin, le traumatisme psychique lié à la
violence subie peut être convoqué comme retentissement de l’expérience
d’association aux groupes armés. Il ne s’agit pas de dénier ici l’impact
subjectif de la participation à la guerre et de la confrontation à la
violence, ni d’en minimiser les possibles conséquences
psychopathologiques. Les catégories et théories du traumatisme
psychique sont en effet des hypothèses tout autant que des éléments de
compréhension essentiels des transformations et troubles psychiques liés
aux expériences de guerre, sous réserve que l’on en reconnaisse les
limites.
La première de ces limites tient à l’utilisation de ces concepts à
l’intérieur même du domaine clinique ou psycho-social. En effet, les
pratiques auprès d’enfants ayant été associés à des groupes armés doivent
tenir compte non seulement de l’expérience traumatique mais aussi des
facteurs et expériences multiples de l’enrôlement guerrier de mineurs tels
qu’ils sont décrits, ressentis et analysés par les intéressés. Quitte à ce que
ce qu’ils en disent ne corresponde ni à un vécu traumatique, ni à une
situation victimaire, ni à l’affirmation de toute-puissance de
« bourreaux », mais bien à des expressions contradictoires et
conflictuelles entre contrainte et autonomie de choix. C’est à la condition
d’admettre de tels conflits que l’on peut espérer un bénéfice des actions
auprès de ceux auxquels elles sont destinées, que l’on pense ce
« bénéfice » en termes d’élaboration psychique de l’expérience, de
soulagement de la souffrance psychique, de réinsertion sociale ou de «
résilience ». Il paraît de plus essentiel de maintenir une tension entre la
pratique clinique et un usage social, mais aussi politique et théorique, de
la notion de traumatismeXIV. De même convient-il d’être prudent face à
une équivalence simple entre le statut juridique potentiel des « enfants-
soldats » et leur identité individuelle de « sujet traumatisé ». Dans le
même ordre d’idée, il n’est peut-être pas totalement inutile de rappeler
que la teneur de scandale et d’inadmissible de l’existence de très jeunes
combattants, et la réprobation morale touchant à leur utilisation et à leurs
actions, ne doit pas nous rendre sourds à la complexité des expériences
en question. Enfin, les théories historiques, sociologiques,
psychologiques, et les pratiques qui y sont associées ne peuvent faire
l’économie d’une analyse différenciée des situations que les catégories
« enfant-soldats » ou « enfants associés aux forces et groupes armés »
tendent à masquer. L’expérience d’une très jeune fille utilisée comme
esclave sexuelle dans un groupe armé et celle d’un garçon de dix-sept ans
portant les armes relèvent d’expériences évidemment distinctes, que
l’usage systématique d’une catégorie unique ne permet pas de penser.
Cette analyse différenciée des situations d’association de mineurs à
l’activité guerrière nous pousse à être attentif au lien entre expérience de
guerre et adolescence. Elle nous a donc amenés à proposer le terme
« d’ado-combattants ». Si l’on peut discuter du caractère universel de
l’adolescence et de sa durée, la question du passage entre enfance et âge
adulte demeure ici essentielle. Le nœud liant bouleversement intime et
politique, transformation pubertaire et violence collective, perspective
socio-économique pour la jeunesse, enfin engagement/enrôlement
politique ou guerrier, appelle à une rencontre des méthodes, des
disciplines et des pratiques. Certes, les perspectives ainsi enchâssées ne
permettront peut-être pas de réduire le trouble dans lequel nous laisse
l’étude ou la rencontre de ces « ado-combattants ». À moins que ce
trouble lui-même ne nous rapproche de l’expérience, elle-même troublée,
de l’adolescence dans la guerre ?
Manon Pignot et Laure Wolmark
I.

Guerres du XIXe siècle : l’enfant,


combattant légitime ?
L es synthèses récentes consacrées aux enfants-soldats, souvent
rédigées par des journalistes ou des grands reporters de guerre,
associent sous une même appellation des situations fort différentes,
depuis les Marie-Louise des armées napoléoniennes jusqu’aux shebab de
Palestine qui jettent des pierres contre l’armée israélienne, alors même
que ces acteurs sont loin d’être tous des enfants et que leur « geste » ne
relève pas du tout des mêmes pratiques combattantes. La reconnaissance
« d’enfants-soldats », identifiés et désignés comme tels par les adultes,
est largement liée à l’existence d’un appareil social et policier qui, en
amont et en temps de paix, définit le statut « innocent » de l’enfant, et qui
en temps de guerre l’intercepte et/ou le protège. Le détour par le XIXe
siècle est ici fort éclairant : il montre bien que ce ne sont ni « l’Afrique »
ni le XXe siècle qui ont « inventé » les enfants-soldats. Mais il montre
aussi combien ces très jeunes combattants sont tout autant des acteurs
que des victimes du phénomène guerrier, soulevant déjà la question du
choix de l’engagement et de la confrontation à l’autorité – adulte,
paternelle, militaire. L’existence de ces groupes de très jeunes
combattants a toujours une explication historique, c’est-à-dire aussi
sociale et politique.
Chapitre 1

Les « fils de la guerre » du Rio de la Plata


révolutionnaire (1806-1830)

L e cas de la guerre révolutionnaire du Rio de la Plata offre un


avantage pour l’historien : pendant les trois décennies qui précèdent
le cycle guerrier dont traitent les pages suivantes, la population locale du
Rio de la Plata n’eut qu’une très faible expérience militaireI. La
participation à l’effort de guerre fut donc envisagée par les autorités en
termes de transformation générale des hommes et des enfants, qui
devaient être formés à l’image de la guerre d’après un programme
éducatif et disciplinaire très ambitieux mais en même temps très précis et
transparent. Cette circonstance permet d’identifier facilement un certain
nombre de discours, de dispositifs et de pratiques conçus spécialement
pour favoriser l’insertion des enfants au phénomène guerrier. Le Rio de
la Plata était vers la fin du XVIIIe siècle une colonie de deuxième ordre
parmi les possessions de la Couronne espagnole. Très large mais
faiblement peuplée, cette vice-royauté s’étendait sur les actuelles
Républiques sud-américaines d’Argentine, d’Uruguay, de Paraguay et de
Bolivie. Ses frontières avec les Portugais du Brésil et avec les Indiens
non soumis ayant été relativement pacifiées dès les années 1770, les
effectifs militaires y étaient peu nombreux, mal équipés et mal considérés
par la société locale, qui refusait systématiquement toute collaboration
significative avec le système défensif colonialII.
Cette situation bascula dramatiquement en 1806 et 1807, lorsqu’à deux
reprises – dans le cadre plus large des guerres européennes – des corps
expéditionnaires britanniques s’attaquèrent à Buenos Aires, capitale de la
vice-royauté, et à d’autres villes de la région. Face à l’attaque extérieure,
les forces régulières de la couronne s’effondrèrent et la tâche de la
résistance tomba largement sur les épaules de la population locale. Celle-
ci se militarisa de manière rapide sous la forme de milices volontaires et
finit par chasser l’occupant britanniqueIII. Cette nouvelle configuration
armée de la société dérangea gravement les rapports de force locaux et
servit de base aux mouvements révolutionnaires de 1810, qui donnèrent
l’indépendance aux Républiques sud-américaines. Or, la guerre contre
l’Espagne et les royalistes fut extrêmement longue et sanglante, se
prolongeant dans toute une série de luttes civiles internes difficiles à
arrêterIV. Pour faire face à ce défi, le gouvernement révolutionnaire de
Buenos Aires se lança décidemment dans la voie de la guerre, avec une
volonté explicite d’imposer la militarisation complète de la sociétéV. Les
conséquences de cet essai furent très durables, l’état de guerre s’étendit
de manière presque ininterrompue sur un demi-siècle, et les nouvelles
générations forgées dans le feu de la guerre connurent une existence toute
martiale leur vie durant.

Un nouveau modèle d’homme

Pour mieux comprendre les enjeux, les outils et les méthodes de cette
militarisation impulsée par l’État révolutionnaire, il est besoin de
s’attarder un instant sur le système de représentations qui s’attachait alors
au problème de l’éducation de l’homme et de l’enfantVI. D’après les
idées de l’époque, l’homme était avant tout un être mû par des passions.
Celles-ci pouvaient être bénéfiques ou nuisibles, utiles ou dangereuses,
nobles ou basses, moins par leur nature que par leur organisation. La
tâche sociale primordiale était de bien doser l’application de ces passions
sur les corps, de combiner avec art leurs effets, de savoir les stimuler ou
les restreindre avec précision en vue du résultat vouluVII.
Ce travail de formation humaine était de l’ordre de la mécanique ; il
était donc accompli au moyen de différents ressorts. Quiconque voulait
agir sur les passions humaines devait d’abord trouver – inventer,
découvrir, créer – le ressort adéquat, puis l’installer dans le corps du sujet
et l’utiliser avec adresse. Quels étaient ces ressorts ? Il s’agissait
notamment de récompenses et de punitions, de privilèges et de
préjudices, d’éloges et de blâmes qui opéraient sur le sens de l’honneur,
de la honte et notamment sur l’ambitionVIII. Les intérêts matériels,
l’exercice physique, les punitions corporelles savaient aussi jouer un rôle
dans l’économie des passions et faisaient partie de « l’outillage » qui
permettait d’opérer la machine humaine. Une étude parue en 1815 et
largement répandue analysait le problème des récompenses publiques
d’après la logique de l’émulation. Il concluait :
« Le désir de s’élever sur autrui – connu couramment sous le nom
d’ambition – est une passion naturelle dans l’homme. Tout gouvernement
prudent doit l’exciter et la mettre à l’œuvre s’il veut toutefois compter sur
le soutien d’un grand nombre de collaborateursIX. »
Pour produire des effets véritablement transcendants, ce type de ressort
devait être assemblé avec d’autres, montés dans des machines complexes
telles que des institutions sociales, des clubs, des ordres, des écoles, des
organisations militaires, des formes étatiques. L’État devait donc
transformer les nouveaux citoyens, les façonner de manière à former un
corps collectif capable d’assurer le triomphe de la Révolution. Les
nouveaux hommes devaient, littéralement, être fabriqués d’après un
nouveau modèleX. Cet idéal, cette image, ce moule dans lequel on allait
verser les générations futures était la version la plus achevée du soldat
vertueux : le citoyen-guerrier. Il était orné de toutes les vertus militaires
et républicaines : courage, honneur, subordination, sacrifice de soi.
Les fils de la patrie devraient être éduqués en conséquence, puisqu’ils
seraient désormais jugés d’après leur conformité avec le nouveau
modèleXI. Mais le citoyen-guerrier était également habité par des
passions spécifiques : le désir de gloire, l’esprit d’émulation, le goût du
combat. Celles-ci devaient être l’objet non pas d’une éducation, mais
d’une véritable formation où l’on façonnait et le corps et l’esprit. L’élite
révolutionnaire entreprenait ainsi une tâche plus proche de l’ancienne
paideia des Grecs que des systèmes éducatifs modernesXII. Elle ne se
contentait pas de transmettre des savoirs, des contenus et des techniques
spécifiques. Elle prenait en charge la création d’une nouvelle génération
caractérisée par une nouvelle manière d’être : par un nouvel ethos.
Former l’enfant-combattant

C’est lorsque nous examinons les efforts faits pour encadrer


militairement la jeunesse que la transmission pratique des nouvelles
valeurs apparaît avec le plus de clarté. Cet encadrement n’était plus une
nouveauté pour le Rio de la Plata révolutionnaire. L’extraordinaire vague
d’enthousiasme générée par les invasions britanniques avait déjà montré
la potentialité de la mobilisation des enfants. En 1807, en effet, les
autorités avaient bien remarqué que, tandis qu’à la caserne leurs pères
s’entraînaient au maniement du fusil, les enfants formaient des guérillas
dans les rues et s’exerçaient au lancer de pierreXIII. Dans la même ligne
de mobilisation ascendante qui incorporait la totalité des adultes aux
milices volontaires, les garçons présentèrent leur requête au
gouvernement, demandant à être utilisés dans ce qui serait à la portée de
leurs forces. Le gouvernement acquiesça et l’on forma un premier
régiment d’enfantsXIV. Lorsque le jour de la défense de la ville face aux
Britanniques arriva, cette formation se montra payante. Des enfants de
huit, neuf ou dix ans participèrent à la bataille urbaine comme s’il ne
s’agissait toujours que d’un jeu ; ils assistèrent les artilleurs, ils aidèrent à
transporter les canonsXV. Un soldat britannique confirme, effaré, cette
participation des enfants :
« Des enfants avaient été organisés en compagnies commandées par des
garçons du même âge, et avaient appris à se servir du fusil. J’ai vu l’un
d’entre eux abattre plusieurs de nos fantassins ; il ne mesurait pas un
mètre. Je ne sais plus ce qui m’étonna davantage : qu’il pût se servir du
mousquet ou qu’il tuât des hommesXVI. »
Il est donc naturel que la mobilisation des enfants ait été reprise avec
élan par la révolution. L’idée que le salut militaire de la patrie se jouait
dans les écoles était au centre de l’ordre général qui établit les bases de la
nouvelle militarisation de la société, celle du 6 septembre 1811. En effet,
après avoir exprimé que tous les hommes naîtraient dorénavant soldats,
l’ordre du gouvernement mandait :
« Puisque pour triompher dans cette lutte formidable il est désormais
besoin que tout soit militaire et dédié à la guerre, il faut faire que les
enfants acquièrent le goût des armes, l’amour de la patrie et la haine de ses
ennemis. Le gouvernement ordonne : que les ordonnances militaires
soient imprimées et distribuées dans les écoles afin de familiariser les
enfants avec leur lecture ; que des sergents invalides soient destinés aux
écoles pour apprendre l’exercice aux enfants. Nous espérons qu’il se
gravera ainsi dans leurs tendres cœurs qu’ils sont l’espoir de la patrie, et
que pour la sauver, leur devise constante doit être : Honneur et
disciplineXVII. »
Dès 1812, les premiers effets de cette militarisation de la jeunesse se
firent sentir, lorsque les enfants-soldats jouèrent un rôle important dans
les fêtes et cérémonies publiques de MaiXVIII. Ils furent rassemblés à la
caserne, puis marchèrent en formation par bataillon, commandés par des
officiers de l’armée régulière, vers la place centrale de Buenos Aires, où
ils chantèrent des pièces patriotiques et firent feu. Dans le cas de la petite
ville de Mendoza aussi, la militarisation totale de la population adulte
allait de pair avec la formation militaire des générations suivantesXIX.
Cette capitale de province de dix mille habitants, située au bord de la
cordillère des Andes, comptait trois écoles primaires. Damián Hudson (à
l’époque il était un enfant de la ville) nous offre dans ses mémoires un
aperçu privilégié de la vie écolière alors que le gouvernement décide de
former sur place l’Armée des Andes, l’une des plus importantes du Rio
de la Plata :
« L’esprit martial dominait complètement cette époque, alimenté par le
plus ardent enthousiasme patriotique. Les écoles mêmes avaient été
complètement militarisées. Celle de l’État […], celle de Morales et celle
de San Francisco, qui comptaient de 200 à 300 enfants chacune, formaient
des petits bataillons avec des commandants, des officiers et des soldats. Ils
faisaient l’exercice tous les jeudis après-midi, sous la direction d’un vieux
caporal ou d’un sergent de l’armée. Les enfants apprenaient le maniement
du fusil en se servant de cannes. Les jours de fête, les bataillons d’enfants
occupaient une place dans la formation, à côté des unités de l’armée, et les
compagnies des élèves les plus âgés faisaient même feu avec des
carabinesXX. »
Hudson lui-même fréquentait alors l’école du professeur Morales, une
école primaire privée pour enfants aisés. Afin de leur instiller l’esprit
combatif et d’émulation, l’école avait été divisée en deux parties :
Athènes et Sparte. Tous les mercredis avait lieu une compétition où les
enfants répondaient à des questions. La bande qui gagnait le plus de
points avait le droit de garder le drapeau, et l’enfant qui remportait le
plus de succès recevait le titre de « premier citoyen », occupait une place
privilégiée dans la classe et pouvait octroyer des pardons à ses
compagnons en faute. Le système préparait parfaitement les enfants aux
codes de la vie militaire qu’ils allaient connaître par la suite :
« Les bandes d’Athènes et de Sparte étaient organisées d’après la
hiérarchie de la milice jusqu’au grade de colonel. Ceci permettait
d’éveiller l’émulation et d’inciter les élèves à se distinguer de leurs
compagnons. En effet, les places d’officier pouvaient être remportées si
l’on provoquait leurs possesseurs en duel – de lecture, dessin, etc. Ainsi, si
l’offenseur n’était qu’un simple soldat et l’offensé était un colonel, ils
devaient changer de place au cas où le dernier serait battu. »
Hudson, par exemple, arriva ainsi au grade de capitaine, ce qui lui
valait d’utiliser un bel uniforme les jours de parade. Il eut même
l’honneur d’aller présenter une requête de la part de l’école au général en
chef José de San Martin, l’une des principales figures des révolutions
sud-américaines. Ces expériences, évidemment, marquaient au fer rouge
les jeunes personnalités et occupent ainsi des places tout à fait
privilégiées dans les mémoires de l’époque.
Un autre enfant de Mendoza, Tomás José Diaz, allait à l’école de San
Francisco. Dans un long récit écrit à un âge avancé, il confirme
pleinement les propos de Hudson et raconte que lui-même faisait partie
des enfants de dix à treize ans qui avaient le privilège de s’exercer avec
des véritables armes à feu. Ils apprirent la marche, le changement de
vitesse, l’exercice du fusil et toutes les évolutions de bataillon.
L’entraînement était sérieux et les mettait réellement en contact avec la
réalité de la vie militaire. Ils pratiquaient avec les tambours de l’armée
régulière ; ils allaient à la caserne emprunter des armes et des munitions.
Le jour de la fête de Mai, ils firent effectivement partie de la formation
de l’armée et ouvrirent le feu à l’unisson avec trois mille ou quatre mille
soldats. Diaz raconte, bouleversé, les larmes aux yeux, les émotions de
cette journée. À dix ans à peine, ils marchaient sous l’ovation populaire,
chantaient l’hymne national parmi des milliers de concitoyens, puis
recevaient l’honneur d’être commandés par le général en chef lui-même.
Le résultat était évident : « nous brûlions tous d’envie d’être des soldats
de San Martin »XXI, et en effet, de ses enfants d’école sortirent les cadres
des nouvelles armées révolutionnaires.

L’incorporation des enfants à l’armée

En ce qui concernait l’incorporation des jeunes hommes aux rangs,


l’ordonnance du Rio de la Plata suivait celle de l’Espagne, qui copiait à
son tour l’ordonnance française. La voie privilégiée d’accès aux places
d’officier était donc le système des cadets réservé aux fils des familles
aiséesXXII. Normalement, les cadets s’incorporaient aux régiments à
partir de l’âge de seize ans, mais ils étaient acceptés à partir de douze ans
s’ils étaient fils ou petit-fils d’officiers. Dans la pratique, même des
enfants beaucoup plus jeunes obtenaient des places de cadets : on
retrouve aux archives des cas d’enfants de six et neuf ansXXIII. Ces
enfants quittaient donc un foyer familial qu’ils connaissaient à peine pour
une vie de régiment qui constituerait vite tout leur monde. D’après
l’ordonnance, la famille devait procurer au cadet une assistance
journalière de quatre sous afin de subvenir à ses besoins. Il n’était pas
permis d’avoir plus de deux cadets par compagnie d’infanterie ni plus
d’un dans la cavalerie : ces enfants grandissaient alors dans un monde
d’adultes, apprenaient très vite les ressorts de l’obéissance et de la
subordination.
Ces places de cadets étaient d’autant plus importantes qu’au Rio de la
Plata, sauf durant de courtes périodes, il n’y a pas eu de véritables
académies militaires où les candidats puissent acquérir les connaissances
scientifiques propres au métier qu’ils étaient appelés à remplir. Elles
étaient donc les seules voies d’accès menant directement au corps
d’officiers et procurant, chemin faisant, une formation dans des écoles
d’officiers spéciales au sein du régimentXXIV. Parmi les cadets, on
retrouve généralement les enfants des familles d’élite, primordialement
urbaines, blanches, d’un poids social et économique considérable et dont
l’alliance était activement recherchée par les gouvernements et les élites
révolutionnaires. Certaines familles formaient de véritables clans
militaires où tous les mâles étaient destinés aux armes, génération après
génération. D’autres familles, patriotes ou pas, comprenaient assez tôt
que la guerre était le nouveau cœur du pouvoir et y destinaient au moins
un fils afin d’être protégées.
Grâce à quelques dizaines de mémoires autobiographiques qui en
parlent, nous pouvons suivre en détail les expériences de ces jeunes
hommes. Considérons par exemple le cas de Lorenzo Lugones. Fils
d’une importante famille de Santiago del Estero vite décidée pour la
révolution, il fut offert par son père aux armées qui marchaient au nord.
À quinze ans à peine il se vit soudain cadet, incorporé à la suite du
général en chef, placé sous la protection directe du secrétaire de la
Guerre, avec un uniforme flambant neuf et une bourse bien fournie :
c’était une incorporation d’élite parfaite. Sa participation aux longues
décennies de guerres sanglantes à venir s’ouvrit comme dans un songe
vers la beauté et l’aventure dès qu’il franchit le seuil de la porte familiale
pour rejoindre la troupe qui marchait dans les rues :
« Je sors alors de chez moi, très satisfait d’être devenu un gentilhomme
cadet, mais sans encore comprendre au juste ce que je suis. L’appareil
militaire flamboyant, l’éclat des armes, le bruit des tambours et de la
musique m’électrifient, me ravissent. Captivé par les émotions qui
enivrent mes sens, je me vois voler vers des scènes où je suis représenté
d’une manière indéfinissable. Croyant à peine ce que je suis en train de
voir, je ressens des émotions que je ne peux pas m’expliquer : tout attire
puissamment mon attention, tout me charme et m’étonne au milieu de ce
flux et reflux de mouvements incompréhensiblesXXV. »
Les exemples de parents offrant leurs fils à l’armée ne sont pas rares.
À Mendoza, le père de l’enfant Tomás José Díaz, que nous avons déjà
rencontré, décida d’apprendre l’exercice d’infanterie à ses cinq fils, âgés
de huit à treize ans. Il les fit manœuvrer de longues heures durant jusqu’à
ce qu’ils maîtrisent les évolutions de base, puis leur fit confectionner des
uniformes et des armes en boisXXVI. Il les présenta alors au général en
chef : le plus jeune portait une lettre où ils s’offraient tous en sacrifice
pour la nouvelle Patrie. San Martin s’en montra ravi, les fit marcher et
évoluer devant les officiers de l’état-major qui les encourageaient et leur
jetaient des pièces. Finalement, San Martin leur offrit cinq petits fusils et
l’aîné des Díaz fut aussitôt incorporé. En 1818, on le retrouve déjà parmi
les officiers ayant combattu à ChacabucoXXVII, puis il fait toute la
campagne du Pérou et celle du Brésil pour finir sa carrière avec le grade
de colonelXXVIII. Moins prodigue de ses enfants était Cázeres, l’un des
notables de la Bande orientale (l’actuelle République de l’Uruguay). La
veille de la bataille du Cerrito, en 1812, les chefs de l’armée patriote
faisaient étape dans sa ferme. Dans la soirée, le chef de l’état-major en
personne lui demanda de consacrer l’un de ses enfants à la carrière
militaire. Il prétexta le jeune âge de ses fils et s’offrit lui-même et vingt
esclaves en échange. L’officier persévéra et tenta alors le jeune Ramón,
âgé de quatorze ans, qui raconte :
« Il m’offrit un poste de cadet dans l’artillerie et promit de me faire
sous-lieutenant [alférez] avant les quatre mois si j’acceptais. Il m’offrait
en outre un uniforme avec galon au bras et au collet, et une jolie épée. Moi
qui ne désirais pas autre chose que d’en porter une ; moi qui brûlais dans
l’enthousiasme phosphorique qui nous électrisait tous au début de la
révolution, j’acceptais sa proposition parmi les applaudissements de
l’assistance : mon père resta taciturne et soucieux. On fit apporter du
papier et de l’encre et on me dicta la requête où je demandais une place
dans l’artillerie. Monsieur Viana acquiesça sur le champ et me fit
cadetXXIX. »
Évidemment, les jeunes hommes incorporés sous de tels auspices, avec
la protection personnelle des chefs de l’armée, étaient presque assurés de
faire une belle et rapide carrière et servaient souvent comme adjudants et
aides de camp des commandants. La même logique de cooptation
fonctionnait parfois dans des cas moins brillants et moins célèbres, sans
que rien ne change sur le fond. Domingo ArrietaXXX, par exemple, était
l’enfant cadet d’une famille pauvre de Cadix, en Espagne. Son oncle était
passé en Amérique pour chercher fortune et, après s’être installé à Lima,
il s’était momentanément enrichi dans le commerce. Domingo fut donc
envoyé le rejoindre en 1815, mais lorsqu’il arriva au Pérou, son oncle,
accusé de collaborer avec les patriotes, avait été ruiné et banni : il ne le
retrouva plus. Domingo avait alors huit ans et fut forcé de travailler en
tant que commis de commerce pour gagner sa vie. Lorsque l’Armée
libératrice du Pérou – composée des troupes révolutionnaires du Río de la
Plata et de celles du Chili – pénétra en triomphe à Lima, en 1821, Arrieta
était âgé de quatorze ans et décida d’échanger sa vie civile contre celle,
beaucoup plus attirante, du militaire.
Il commença par se lier d’amitié avec les jeunes officiers de l’Armée
libératrice. Un jour, lui et ses amis se trouvaient près du siège de la
forteresse du Callao, où les royalistes résistaient toujours aux attaques
des patriotes. Les jeunes officiers n’étaient pas alors de service : ils
mangèrent, ils burent, jusqu’à ce que soudain le grondement des canons
se fasse entendre. Enivrés, ils se promirent de prendre la forteresse le
lendemain, lorsque ce serait à leur tour de mener l’assaut. Alors, les
officiers remarquèrent Arrieta et lui firent un discours : ils le défiaient de
les accompagner. Emporté par l’enthousiasme, il se leva et jura sur un fer
de lance de consacrer sa vie au service des armes. Il fut incorporé dès le
lendemain aux Grenadiers à cheval en tant que sergent-chef. Il ne reçut
pas une place de cadet : il n’en avait pas les moyens. Mais c’était tout
comme : il était déjà lancé dans la voie de l’avancement, d’autant plus
que l’uniforme si beau le rendait « plus patriote que tous les diables », et
servirait dans l’armée pendant de très longues années.
Avec la prolongation indéfinie de la guerre, des centaines d’enfants
cadets suivirent cette carrière et consacrèrent leur vie au métier des
armes. On les retrouve dans toutes les campagnes de la période,
beaucoup ne quittèrent l’armée que lorsqu’ils ne purent plus monter à
cheval. Aux archives, on rencontre des feuilles de service comme celle-
ci :
« Juan Isidro Quesada, né en 1802, cadet en 1808, fit toute la guerre de
l’indépendance et toutes les guerres civiles pour participer à sa dernière
bataille en 1859, avant de passer au corps d’invalides. Il était alors âgé de
57 ans, dont il avait passé 51 en service, en campagne, au bivouac, à la
caserne, il avait fait la guerre sur tout le territoire du Rio de la Plata et
aussi dans la plupart des pays voisinsXXXI. »
Or, tout comme la militarisation des adultes déborda très vite le cadre
de l’armée régulière qui voulait lui être imposé, pour éclore dans une
multiplicité de forces miliciennes, ethniques, irrégulières, la consécration
des enfants à la guerre dépassa les murs de l’école et le système des
cadets. Ainsi vit-on surgir, à côté des bataillons d’enfants écoliers, des
guérillas enfantines qui apprenaient leur propre type de guerre dans les
alentours des villes. Ceci avait posé des problèmes depuis 1807 :
« Il a fallu publier un décret punissant les parents qui autorisaient leurs
enfants et leurs valets à participer aux armées de garçons qui se formaient
et, représentant soit les Anglais soit les Espagnols, avaient déjà causé
plusieurs malheurs. Ils avaient pris l’habitude de sortir tous les jours de
fête à la campagne en s’attaquant ardemment avec des cannes en forme de
sabre, de pistolets et de fusils, avec de l’artillerie en bois et des grenades
en pierre. Il y avait toujours du monde pour observer la bataille où
s’entremêlaient les grands et les petits. Finalement, fut rendu nécessaire le
décret interdisant ce divertissement martialXXXII. »
De la même manière, dans le Mendoza ou le Buenos Aires
révolutionnaire, les jeux de guerre étaient devenus le principal sport des
enfants. Les dimanches et les jours de fête, tandis que les adultes
accomplissaient leur service milicien, la jeunesse se divisait en armées
opposées. Elle se livrait des batailles rangées à coups de pierre ; elle
signait des traités, faisait des prisonniers, persécutait les vaincusXXXIII.
De nombreux blessés en résultaient. Le gouvernement feignait à chaque
fois d’interdire le jeu, mais il était trop profondément ancré dans l’être de
la nouvelle société. À quoi d’autre allaient jouer ces enfants nés soldats,
dont les parents étaient partis se battre dans des contrées lointaines ?
Question plus troublante encore : à quoi bon les arrêter, si, dans leurs
jeux, ils manifestaient cette propension à la guerre que la société et l’État
révolutionnaire s’étaient donné tant de mal à installer en eux ?
Ce survol rapide de la situation du Rio de la Plata au début du XIXe
siècle nous permet d’avancer une série de remarques préliminaires qui
peuvent s’avérer utiles dans l’étude de l’enfance combattante dans un
contexte révolutionnaire, en Amérique du Sud et peut-être ailleurs. La
formation militaire des nouvelles générations semble faire partie de la
construction de « l’homme nouveau » que la révolution se donne comme
tâche primordiale. La militarisation de l’enfance constitue donc un volet
de la militarisation générale de la société. L’état d’exception, la guerre
permanente et les explosions d’enthousiasme qui caractérisent la
conjoncture révolutionnaire donnent une dynamique particulière à
l’incorporation des jeunes hommes aux forces armées. Dans ce contexte
de militarisation extrême, l’utilisation militaire des enfants ne semble pas
poser aux acteurs un problème moral. Nulle part, parmi les sources de
l’époque, nous n’avons trouvé des voix qui se dressent contre l’activité
guerrière de la jeunesse. Au contraire, l’enfant-soldat est présenté comme
un modèle de vertu républicaine et de patriotisme. Les limites d’âge
stipulées par les lois en temps de paix semblent être dangereusement
refoulées en temps de guerre. Loin d’être vécue comme une corvée,
l’incorporation précoce des enfants à l’armée semble être un privilège
chaleureusement brigué par les familles d’élite, qui y voient une manière
d’accélérer l’avancement des futurs officiers. D’un point de vue
méthodologique enfin, il se peut que la notion même d’enfance
combattante doive être adaptée au cas par cas. Dans une société
militarisée du XIXe siècle comme celle du Rio de la Plata, le passage de
l’enfance à l’âge adulte est précisément marqué par l’incorporation de
l’enfant aux forces militaires et par sa participation au combat. Dans
l’horizon de représentations correspondantes, du moment qu’il revêt
l’uniforme et qu’il se sert de son arme, le combattant est par définition un
homme, peu importe son âge. De ce fait, la question de l’enfant-
combattant se pose rarement dans les documents de l’époque, alors qu’un
nombre considérable de très jeunes hommes servent dans les rangs.
Alejandro Martin Rabinovich
Chapitre 2

Les enfants-combattants de la guerre de


Sécession (1861-1865)

P ar sa durée et sa violence, la guerre de Sécession a profondément


marqué la société américaine. Elle intervient au moment où la
république outre-Atlantique, dont Tocqueville venait de prédire l’essor,
connaît une grave crise de croissance. Pendant quatre ans, de 1861 à
1865, se sont nouées les destinées d’une nation appelée à jouer un rôle
capital dans le cours de l’humanité. Produit d’un demi-siècle de rivalités
et de tensions entre le Nord et le Sud, cette lutte, à la vérité, est plus
qu’un incident de parcours dans l’histoire américaine. Elle revêt la forme
particulière d’une tragédie, d’une épopée nationale qui a mobilisé près de
trois millions de combattants et fait plus de six cent vingt mille morts,
soit 2 % de la population. En conséquence, la place centrale qu’elle
occupe dans la mémoire collective ne saurait surprendre. Le triomphe de
Lincoln n’a pas seulement servi à abolir l’esclavage. C’est l’expérience
macabre de la guerre civile, et non les combats livrés lors de
l’indépendance, qui a constitué les Américains de toutes origines en un
peuple uni, conscient de vivre une aventure commune. Des cendres de la
Confédération sudiste est née une puissance en devenir. En consacrant à
jamais l’unité de la nation américaine, cet affrontement fratricide a
marqué une étape décisive, une sorte de deuxième naissanceI.
La jeunesse des combattants n’a pas échappé aux contemporains. On
en a pour preuve le surnom de Boys’ War qui a souvent été attribué au
conflit. Sous l’uniforme bleu de l’Union ou gris de la Confédération, des
études récentes ont démontré que la moyenne d’âge atteignait vingt-
quatre ans, estimation plausible dans la mesure où les chiffres du
recensement fédéral de 1860 nous indiquent que 40 % des Américains
ont alors moins de dix-huit ans et, qu’en l’absence d’armée nationale
exercée sur le pied de guerre, ce sont surtout de jeunes gens qui ont été
les plus prompts à s’engager. Jadis dénigrée, la contribution des Fighting
Children fait désormais l’objet d’un consensus parmi les spécialistes. Du
Nord au Sud, les mineurs auraient été près de cent mille à avoir porté les
armes, soit 3,5 % des contingents. Une proportion exceptionnelle qui
s’explique par le caractère total d’une lutte qui a engagé toutes les
ressources humaines et matérielles des belligérants. Au-delà de leur
nombre, ces enfants, par leur enrégimentement, leur imprégnation de
valeurs guerrières et la redéfinition de leur univers mental, témoignent
d’une époque troublée, en l’occurrence d’une militarisation sans
précédent de la société outre-AtlantiqueII.

« Jouer au soldat » : un rêve inextinguible

Au milieu du XIXe siècle, l’attrait qu’exerce le métier des armes


auprès de la jeunesse américaine trouve d’abord ses racines dans les
représentations collectives. En avril 1861, au moment du premier appel
sous les drapeaux, les partis en présence ont une vision romantique de la
guerre. La tradition encense l’épreuve du feu. Dans les cœurs et dans les
esprits, elle se rattache à de glorieuses réminiscences patriotiques, c’est-
à-dire aux exploits des Insurgents de George Washington contre les
troupes britanniques. Tous les écoliers d’Amérique apprennent à honorer
la mémoire des « combattants de la Liberté » et à saluer une performance
que ni la guerre contre le Mexique (1846-1848), ni les luttes sporadiques
contre les Indiens n’ont pu égalerIII. La guerre d’Indépendance est une
référence incontournable. Au début de la sécession, d’ailleurs, les deux
camps ne s’y trompent pas en cherchant, avec des arguments évidemment
différents, à assimiler leur combat à celui des Pères fondateurs. Cette
assimilation historique, véhiculée par des manuels scolaires comme The
Union ABC, n’a pas été sans influencer des enfants en quête d’honneurs
ou d’aventures, en leur donnant à penser que la guerre faisait appel à tous
les dévouements.
Le désordre de la mobilisation a constitué un autre terreau propice à
l’enrôlement des mineurs. Pour soutenir l’effort de guerre, les
belligérants ont recours au volontariat, ce qui revient à dire que les
régiments sont levés, équipés et organisés par les États à l’initiative du
gouverneur et de citoyens influents puis mis à la disposition du pouvoir
central pour un temps déterminé. D’où une certaine confusion
qu’entretiennent l’amateurisme des recrues et l’effervescence populaire.
De New York à la Nouvelle-Orléans, les volontaires s’inscrivent en
masse sur les registres régimentaires sans se faire la moindre idée des
dangers, des rigueurs et des fatigues de la vie militaire. Au milieu de
l’exaltation générale, les enfants se laissent d’autant plus prendre au jeu
que la complexité des événements leur échappe le plus souvent et qu’ils
n’en voient que la surface, à savoir des scènes de liesse, des discours en
plein air, des parades, des uniformes chatoyants, des baïonnettes et des
sabres qui brillent au soleil, un spectacle qu’un officier français décrira
comme un « pur carnaval guerrier »IV. Les sources en attestent. Dans son
journal, un instituteur du Maryland a notamment consigné le souvenir de
la war fever qui s’est emparée des garçons de sa classe suite au défilé
d’un détachement de la cavalerie sudiste : « Ils se sont précipités à
l’extérieur pour acclamer les cavaliers. Je n’ai rien pu faire pour les en
empêcher… J’ai été fort ennuyé quand cela a cessé. Seuls quelques-uns
sont revenus en classe, les autres sont partis, me dit-on, offrir leurs
services à nos nobles défenseursV ! »
Pour tous ces enfants, la guerre est d’abord un jeu, une façon de
rompre la monotonie et de se divertir le corps et l’esprit. Elle est perçue,
à bien des égards, comme le prolongement des exercices des miliciens,
rangs dans lesquels les adolescents trouvaient naturellement leur place
sous l’égide de leurs aînés. À Galena, dans l’Ohio, l’épouse du général
Grant se déclare stupéfaite par le nombre d’enfants en tenue militaire qui
arpentent les rues, s’amusant à marcher au pas et à agiter des bâtons en
guise de fusilVI. À Richmond, en Virginie, on voit apparaître des bandes
organisées de façon paramilitaire. Le soir, elles s’affrontent dans des
simulacres de charges qui ne sont pas du goût des autorités. Coupables de
troubler l’ordre public, elles sont dispersées à plusieurs reprises par les
forces de policeVII. Dans les coins reculés, les fils de planteurs mettent
aussi un point d’honneur à lever des troupes auprès des esclaves de leur
âge et à organiser des patrouilles au nom de l’effort de guerreVIII.
L’exemple le plus célèbre reste celui des deux fils cadets du président
Lincoln. Déguisés en zouave, ils prennent l’habitude de se battre avec des
épées en bois et de faire des rondes dans les couloirs de la Maison-
Blanche avec un bataillon de camarades dont ils ont pris la tête. Un
après-midi, les petits soldats en herbe interrompent à grands cris une
importante réunion du cabinet pour supplier leur père de gracier leur
poupée « Charlie », accusée de s’être endormie alors qu’elle était de
faction et que certains enfants voulaient mener droit au peloton
d’exécution. Au grand étonnement de ses ministres, le chef de l’État s’est
prêté au jeuIX.
Dès l’ouverture des hostilités, les enfants s’ingénient à prendre un air
martial, les plus aventureux n’hésitant pas à se présenter, isolément ou
par petits groupes, devant des officiers recruteurs. À cela, rien de
surprenant. Pour eux, l’enrégimentement est un moyen de quitter la robe
prétexte pour la toge virile. Pleins d’un héroïsme romantique sorti des
romans de Walter Scott, ils ne demandent qu’à devenir des héros, c’est-à-
dire à braver la mort, à sortir de leur corps d’enfant pour donner la
mesure de leur valeur. Car dans l’imaginaire collectif, la guerre constitue
l’occasion rêvée de s’illustrer, de se couvrir de gloire par quelque action
d’éclat et de se faire un nom. Elle constitue une sorte de rite initiatique
qui révélerait la grandeur d’âme et la noblesse d’esprit de chaque
individu. Pour les enfants, c’est une expérience stimulante et valorisante,
une manière de « voir l’éléphant », c’est-à-dire recevoir le baptême du
feu, et de démontrer qu’ils ont vécu des émotions fortes et acquis un
capital supposé leur ménager des entrées dans le monde des adultesX.
Les motivations des engagés varient selon les cas. Pour justifier son
enrôlement, un adolescent du Tennessee déclarera qu’il voulait « en être à
tout prix » et qu’il n’aurait raté pour rien au monde « une si belle
bagarre ». En Caroline du Nord, William Cain, malgré ses quatorze ans,
expliquera qu’il était impatient de « monter au feu », un désir partagé par
Ernest Wardell, un adolescent turbulent du Maryland dont l’ambition
première avait été de « posséder une arme à feu » et de « se comporter
comme un homme ». Un autre avouera qu’il n’avait plus le cœur à aller à
l’école, qu’il s’ennuyait dans sa campagne et qu’il voulait saisir la chance
« de plus nobles épreuves » XI. Il faut toute la vigilance de sa famille
pour que John Wesley Hardin, le futur hors-la-loi, ne tente de rejoindre
un régiment texan pour échapper à la monotone vie de garçon de ferme à
laquelle il se sent condamné du haut de ses neuf ansXII. Dans d’autres
cas, la volonté de s’engager répond au besoin d’imiter un parent, un ami
ou un voisin. C’est parce qu’il jalouse à l’excès ses frères aînés, partis la
fleur au fusil, et qu’il ressent son statut de non-combattant comme une
humiliation, qu’un jeune garçon de l’Ohio met fin à ses jours à l’automne
1862. Un autre cas de suicide comparable est enregistré dans le
Mississippi un an plus tardXIII. Somme toute, quelles qu’aient été leurs
motivations profondes, il existe un trait commun chez tous ces enfants, à
savoir l’idéalisation de la guerre, le vœu inextinguible de participer à une
aventure qu’ils s’imaginent trépidante. À la différence des adultes, en
effet, rares sont les mineurs à s’être enrôlés pour répondre à des besoins
matériels, encore que des orphelins aient pu trouver refuge auprès de
certains régiments. Dans un désir d’affirmation de soi, ces recrues en
quête de virilité ont voulu prouvé, au péril de leur vie, qu’ils avaient droit
à la considération de leurs aînés.
D’autant que la propagande de guerre fait son œuvre. Pour soutenir la
lutte, la société est mise à contribution dans son intégralité. À l’école, les
manuels enseignent aux enfants que chacun a un rôle à tenir, au feu
comme à l’arrière. Par des messages patriotiques, des lectures de
correspondances, des illustrations, ils contribuent à intégrer les plus
jeunes à la lutte et à leur livrer une interprétation partisane des
événementsXIV. Dans les collèges militaires du Sud, dont le plus célèbre
est celui de Lexington, en Virginie, on s’applique à former de futurs
officiers de la Confédération. L’enseignement qui y est dispensé dépeint
les Nordistes sous des traits diaboliques. C’est que, par son caractère
total, la guerre englobe toutes les forces vives de la nation et s’invite au
sein de chaque foyer. Elle fait découvrir aux enfants l’absence prolongée
des pères, les deuils familiaux et, dans certains États du Sud, la menace
des bandes de soldats, l’occupation et les pénuries matérielles. Nulle part
ne les trouve-t-on plus enclins à porter l’uniforme que lorsque leurs
foyers se trouvent à proximité de la zone des combats. En 1862, le jeune
Walter Stone rejoint les rangs sudistes dès qu’il apprend que les forces du
Nord marchent sur Vicksburg, dans le MississippiXV. À seize ans, Jesse
James ne se pose pas plus de questions lorsqu’il intègre, par esprit de
vengeance, un groupe de maquisards du Missouri. Symbole d’une
jeunesse sudiste livrée à elle-même, il en acquiert une culture de la
violence qui ne le quittera jamais.

Entrer dans l’armée

Chez un peuple autant épris de liberté et de démocratie, l’incorporation


d’enfants dans les forces armées ne manque pas de surprendre. En
théorie, le règlement militaire interdit le recrutement des moins de dix-
huit ans. Pourtant, dans la pratique, des milliers d’adolescents sont admis
d’emblée dans les rangs au titre de tambours ou de brancardiers, c’est-à-
dire pour occuper des fonctions non combattantes. Encore ces derniers ne
devaient-ils être tolérés qu’avec l’assentiment de leurs parents ou s’ils
prouvaient, d’une manière ou d’une autre, qu’ils étaient orphelins ou sans
ressourcesXVI.
Il reste que les officiers recruteurs avaient une grande liberté
d’appréciation. Faute de pièces d’identité, il ne leur était pas toujours aisé
de juger les cas litigieux. Les sources nous démontrent ainsi que
beaucoup d’adolescents ont prétendu avoir l’âge légal et donné de faux
noms pour que leurs familles ne retrouvent pas leurs traces. Pour se
donner bonne conscience, et ne pas être accusés de s’être parjurés,
certains d’entre eux inscrivaient le chiffre « 18 » sur un bout de papier
qu’ils mettaient dans leurs chaussures avant de déclarer sur l’honneur
qu’ils étaient « over eighteen »XVII. À la vérité, les officiers en charge du
recrutement ne brillaient pas tous par leur professionnalisme. À partir de
1863, les besoins pressants de « chair à canon » les ont amenés à être
moins regardants, à plus forte raison si les adolescents en question leur
paraissaient de robuste constitution. On en a pour preuve les quantités de
plaintes adressées aux autorités militaires par des parents indignés. À
elles seules, les archives de la légation de France en renferment vingt-
sept pour la durée de la guerre. Une immigrante demande qu’on lui rende
son fils, soutien de famille, et qu’on l’arrache à « une carrière qui ne lui
offre que la mort ou un avenir douteux ». À New York, un père réclame
le retour de son garçon, engagé à son insu et dont l’âge de quatorze ans,
précise-t-il, « le rend à peine propre au service militaire et ne lui a pas
permis de comprendre la portée de l’engagement qu’il a contracté »XVIII.
On aurait cependant tort de croire que seuls des engagements volontaires
ont eu cours dans les deux camps. Par la loi du 17 février 1864, la
conscription en vigueur dans les États du Sud astreint les garçons de dix-
sept ans au service militaire actif, tandis que l’âge minimal est toujours
resté à dix-huit ans dans ceux de l’UnionXIX. Dans les grandes villes du
Nord, le système des remplacements et des primes d’engagement a donné
lieu à des abus dont les mineurs ont été les premières victimes.
Amadoués par de fausses promesses ou succombant à des libations,
certains ont été « vendus à l’armée » par la pègre locale, laquelle
travaillait parfois en collaboration avec des officiers recruteurs à des fins
pécuniaires.
Du reste, la présence d’enfants dans les armées ne passe pas inaperçue.
Les statistiques disponibles nous en donnent la mesure. Dans les troupes
nordistes, la commission sanitaire a examiné les actes d’enrôlements de 1
012 273 recrues. Sur ce contingent, elle a découvert que 16 233 n’avaient
pas l’âge légal pour servir sous les drapeaux, soit 1,6 % des cas recensés.
À son tour, l’historien Bell Irvin Wiley a obtenu une proportion
comparable après avoir dépouillé les rôles de 123 compagnies
d’infanterie de l’Union. Sur un total de 14 330 soldats, il a relevé 246
mineurs, soit 1,71 % des cas analysés. La surreprésentation de la classe
des dix-huit ans, quant à elle, demeure suspecteXX. Le phénomène est
beaucoup plus marqué dans les rangs de la rébellion, où le réservoir
humain a été savamment mis à contribution pour pallier une infériorité
numérique de un contre quatre. En mai 1862, le comte de Paris est surpris
par la jeunesse des blessés que les Confédérés ont laissés à Williamsburg,
en Virginie. « La plupart, observe-t-il dans son journal, sont de véritables
enfants. Quelques-uns n’ont pas plus de quatorze ans. […] Derrière leurs
mines défaites, leurs joues laissaient transparaître les couleurs de la
jeunesseXXI. » À mesure que les forces sudistes s’amenuisent, la
proportion d’enfants à endosser l’uniforme gris, de la Virginie au Texas,
n’a fait que croître. En avril 1865, ils sont plusieurs milliers à défendre
Richmond et à déposer les armes aux côtés du général Lee. Dans The
Furling of the Flags (1871), le peintre Richard Norris Brooke rendra
hommage à cette génération sacrifiée, symbole d’une cause perdue qui
n’a compté que sur ses propres ressources pour soutenir la lutte. À
l’appui, les statistiques prouvent l’ampleur de cette contribution.
L’examen de 94 rôles régimentaires a ainsi révélé qu’environ un soldat
sur sept avait entre treize et dix-huit ans, indice fort s’il en est d’une
incorporation largement pratiquée et tolérée par les belligérantsXXII.
Les libertés prises avec le règlement militaire ne sauraient trop
surprendre. Au sein des armées, l’enrôlement de mineurs a servi
d’expédient. Dans le contexte d’une guerre totale, il a été compris et
interprété comme le prolongement naturel de l’élan de la mobilisation.
On en a pour preuve le peu d’émotion qu’ont suscité ces engagements
auprès de l’opinion publique et la publicité qu’en ont fait les autorités.
Car, loin de faire profil bas, les belligérants se sont enorgueillis de la
vaillance de leur « jeune garde » qui, en se montrant aussi volontaire,
portait en elle les plus beaux espoirs. Somme toute, les enfants venus
spontanément au camp ou au bureau de recrutement pour proposer leurs
services savaient qu’ils avaient de bonnes chances d’être admis dans les
rangs, encore qu’il leur fallait justifier ce choix en donnant la preuve de
leur utilité.
C’est peu dire que les forces en présence ont recherché et apprécié les
services que les enfants pouvaient rendre sous l’uniforme. Pour la
majorité, ils ont été engagés pour servir de combattants au même titre que
leurs aînés. Il s’agit en l’occurrence d’une solution de fortune pour
combler des vides creusés par les désertions, les maladies et les
hécatombes du champ de bataille. Auprès de leurs sous-officiers, ce sont
des garçons connus pour leur enthousiasme et leur endurance, capables
d’animer la vie dans les camps et de faire bonne figure s’ils sont bien
commandés. En raison de leur âge, une certaine bienveillance les entoure.
Ils ont souvent droit au titre de mascotte régimentaire et aux attentions
des pères de famille, auxquels ils rappellent la douceur du foyer
domestique. À l’occasion, on leur taille des uniformes spéciaux et on leur
fabrique des armes adaptées à leur gabaritXXIII.
Sur les champs de bataille, cependant, les Fighting children partagent
les mêmes périls que leurs aînés. Les archives militaires démontrent
qu’ils ont, à plusieurs reprises, fait assaut de vaillance avec leurs
compagnons et attiré l’attention de la hiérarchie. Ainsi, dans son rapport
sur la bataille de Farmington, en mai 1862, le général Beauregard cite
pour bravoure un fantassin de treize ans, John Mather Sloan, du 9e du
Texas, qui a été grièvement blessé à la jambe alors qu’il se trouvait en
première ligneXXIV. Dans le camp opposé, le général Sherman rend
hommage au courage déployé par Orion Howe, du 55e de l’Illinois, lors
du siège de Vicksburg, en mai 1863. Quoique blessé et sous le feu de
l’ennemi, cet adolescent de quatorze ans parvient, à un moment clé de
l’affrontement, à transmettre un message de la plus haute importance à
l’état-major nordiste, ce qui lui vaudra la prestigieuse médaille d’honneur
du CongrèsXXV.
Les enfants ont également été assignés à des tâches spécifiques.
Pendant le conflit, les belligérants ont requis leurs services pour assurer
des missions de reconnaissance, de sabotage et d’espionnage. Pendant la
campagne de Géorgie en 1864, de jeunes Sudistes ont été envoyés sur les
arrières de l’armée fédérale pour détruire du matériel de guerre, dérober
des armes et des médicaments. En habit civil, ils s’infiltraient par petits
groupes dans les lignes ennemies. Fait peu connu, ces hardis cavaliers
couraient de grands risques. S’ils étaient pris pour fait d’espionnage, ils
étaient passibles de la peine de mort. En août 1864, un Français de dix-
sept ans, Paul Fusz, est interpellé dans les environs de Saint Louis alors
qu’il cherche à gagner les positions confédérées. Accusé d’avoir dérobé
un fourgon de quinine, il est reconnu coupable de haute trahison et
n’échappe à la potence qu’en vertu d’une grâce du président Lincoln, qui
aurait été ému, dit-on, par la jeunesse du condamnéXXVI. Dans d’autres
cas, les adolescents se sont distingués de façon collective. Malgré des
effectifs réduits du fait des enrôlements dans l’armée régulière, les cadets
du Georgia Military Institute ont ainsi été mis à la disposition du
gouverneur pour former des gardes civiques (Home Guards) et répondre
à la demande d’une population civile effrayée par la proximité des
combats, la prolifération des brigands et la menace de soulèvements
d’esclaves. Autant d’adolescents capables de suppléer les soldats d’active
et les miliciens. En l’absence de leurs aînés, c’est à eux qu’a incombé, en
partie, la mission de veiller au maintien de l’ordreXXVII.
Dans la marine, les services des enfants étaient particulièrement
recherchés. Bien que leur nombre soit impossible à évaluer, les jeunes
mousses ont formé un maillon essentiel des équipages de mer. Ils étaient
appréciés en raison de leur petite taille qui leur permettait, durant les
canonnades, de se faufiler dans des espaces exigus, de transmettre les
ordres de proche en proche et d’aider à recharger les pièces d’artillerie,
ce qui leur valait le surnom affectueux de « petits singes à poudre »
(powder monkeys). Du côté nordiste, l’amiral Farragut était d’autant plus
enclin à recommander leur enrôlement qu’il avait lui-même commencé sa
carrière en tant que mousse durant la guerre de 1812 et qu’il avait pu
mesurer, pendant plusieurs décennies, la nécessité de perpétuer cette
tradition maritime. Notons qu’à la différence des armées de terre, le
recrutement et la rémunération des cabin boys étaient laissés entièrement
à la discrétion des capitaines de vaisseau, d’où la présence de nombreux
jeunes Anglais au sein des équipages du Sud. Au mépris des règles de la
neutralité, les commandants des corsaires confédérés avaient pris
l’habitude, durant leurs escales aux quatre coins du monde, de débaucher
les matelots de la marine marchande britannique. C’est de cette façon que
le mousse Thomas Parker rejoint le bord du CSS Alabama, le plus célèbre
navire de la Confédération. Le 19 juin 1864, il échappe au naufrage de
celui-ci à l’issue du duel mémorable qui l’oppose à l’USS Kearsarge au
large de CherbourgXXVIII.
D’autres enfants sont enrôlés pour servir de musiciens. Ce sont de loin
les mineurs les plus fréquemment cités dans les sources. Si la légende
s’est emparée d’eux, on ignore souvent que le rôle des clairons (buglers)
et des petits tambours (drummer boys) a été capital, dans les camps
comme sur les champs de bataille. Aisément reconnaissables, ne serait-ce
que par leur silhouette et leur uniforme caractéristique, ils relayent les
ordres des officiers, indiquent leur présence en jouant de leur instrument
au plus fort des combats et insufflent du courage à la troupe combattante.
Sous le feu le plus violent, leur vision réconforte les soldats et les incite à
redoubler de zèle pour accomplir leur devoir. Bien qu’il s’agisse en
majorité d’adolescents, certains ne sont que des garçonnets, comme en
témoignent les archives militaires. Charles Hay n’a que onze ans quand il
s’inscrit sur les rôles du 16e de l’Alabama. Dans le camp nordiste,
Edward Black n’en a que neuf au moment où il prend rang dans le 21e de
l’Indiana en tant que tambourXXIX. C’est cependant à Avery Brown, du
31e de l’Ohio, que revient le titre de plus jeune soldat de la guerre de
Sécession. Les registres démontrent qu’il s’est engagé à l’âge de huit ans
et onze mois et qu’il a servi pendant les deux premières années du conflit
avant de rentrer dans ses foyers. Il est aujourd’hui passé à la postérité
comme le « petit tambour de l’armée du Cumberland »XXX.
En règle générale, les trompettes et les tambours ne faisaient pas le
coup de feu. Sur le front, toutefois, on prenait la précaution de les armer
d’un revolver, dont on leur apprenait à se servir pour se défendre car,
dans le feu de l’action, les soldats n’étaient pas toujours disposés à faire
de quartier. Au reste, quand ils n’entraînaient pas les troupes vers le son
du canon, les clairons et tambours savaient se rendre utiles en s’occupant
des blessés, en ravitaillant leurs camarades et en servant de messagers. À
l’instar des porte-étendards, ils servaient de point de ralliement à la veille
d’un assaut ou après une défaite. Autant dire que leurs fonctions faisaient
d’eux des acteurs à part entière du champ de bataille.

Grandeur et misère de la vie militaire

Lors de la guerre de Sécession, l’expérience combattante des enfants a


emprunté des voies particulières. Le principal trait commun a été le souci
constant de se faire remarquer, d’attirer par tous les moyens l’attention et
de faire une entrée fracassante dans le monde des adultes. Autant la cour
de récréation pouvait être une aire de combat pour les garçons les plus
turbulents, autant le champ de bataille devient le lieu où l’on peut donner
libre cours à sa plus complète insouciance, où l’on se croit tout permis.
Ces enfants, on l’a vu, ne rêvent que plaies et bosses. Aussi jouent-ils aux
héros au péril de leur vie. Indifférents aux conseils de prudence qui leur
sont prodigués, les plus hardis ont cherché à faire oublier leur jeunesse
par des actions d’éclat. Dans leur univers mental, rappelons-le, la guerre
est idéalisée ; dans l’absolu, on en revient victorieux, décoré, couvert de
gloire, avec une cicatrice en guise de souvenir, d’où leur désir de se
trouver aux avant-postes. Sous l’uniforme, le fantasme devient réalité.
Les enfants y voient une chance inespérée d’achever un rite initiatique
qui les transformera, à jamais, en des hommes valeureux.
Les cas de bravoure individuelle sont nombreux. Pour les besoins de la
propagande, certains ont reçu une abondante couverture médiatique. Du
côté sudiste, Eddie Evans, âgé de treize ans, soulève l’admiration de tous
lors d’un affrontement près d’Atlanta en juillet 1864. De son propre chef,
il s’avance seul, à mi-chemin entre les lignes, pour narguer l’ennemi en
agitant les couleurs du 23e du Mississippi. Bien qu’il soit pris pour cible,
ce n’est qu’à petits pas qu’il sort de la zone de tir, ce qui lui vaut d’être
ovationnéXXXI. Durant la bataille de Shiloh, en avril 1862, John Roberts,
un fantassin de quinze ans, s’illustre à tel point en première ligne qu’un
officier confédéré le mentionne dans son rapport : « Il a été touché à deux
reprises. Son fusil a été mis en pièces par la mitraille. Et néanmoins, du
début à la fin de l’engagement, il a déployé le courage et le sang-froid
d’un vétéranXXXII. » Les jeunes combattants de l’Union ne sont pas en
reste. En décembre 1862, à Fredericksburg, Robert Hendershot, le petit
tambour du 8e du Michigan, se joint à un groupe de tireurs d’élite
envoyés en embuscade sur la rive opposée du RappahannockXXXIII. À
seulement quinze ans, Johnny Cook, clairon du 4e d’artillerie, est décoré
de la médaille d’honneur du Congrès pour avoir sauvé un canon des
mains de l’ennemi lors de la bataille d’Antietam, en septembre
1862XXXIV. Âgé de onze ans, le tambour William Johnston, du 3e du
Vermont, reçoit la même distinction, à la demande du président Lincoln,
pour avoir montré le plus grand courage pendant la campagne de la
PéninsuleXXXV. S’il est à ce jour le plus jeune soldat de l’armée
américaine à avoir reçu cette décoration, l’enfant-combattant le plus
célèbre du conflit est sans doute Johnny Clem. À dix ans, il s’engage
dans le 22e du Michigan à la suite d’une fugue. Son parcours dans
l’armée fédérale est exemplaire. Blessé deux fois au combat, il se conduit
héroïquement à Shiloh et à Chickamauga. En 1864, il est fait prisonnier
en Géorgie, mais obtient sa libération en raison de son âge. Sa célébrité
est telle que le général Thomas en fait son ordonnance jusqu’à la fin de la
guerre. Comblé d’honneurs, il fera après le conflit une brillante carrière
dans l’armée et ne prendra sa retraite qu’en 1916 avec le grade de général
de divisionXXXVI.
Dans le Sud, les enfants se sont également illustrés à titre collectif aux
côtés de l’armée régulière. Le 14 mai 1864, les cadets du Georgia
Military Institute sont alignés lors de la bataille de ResacaXXXVII. Le
lendemain, les deux cent cinquante-huit cadets du Virginia Military
Institute subissent à leur tour l’épreuve du feu lors du combat de New
Market, épisode immortalisé à l’écran par John Ford dans Les Cavaliers
(1959). Dans un élan irrésistible, rapportent des témoins, ceux-ci
parviennent à faire reculer leurs adversaires à un moment clé de
l’affrontement, exploit qui leur coûte environ le quart de leurs effectifs.
Après la victoire, dit-on, les parents des cadets auraient harcelé de
questions les officiers pour savoir comment s’était comporté leur enfant
pour son baptême du feu. S’il convient de la ramener à de justes
proportions, la charge est passée à la postérité. Tous les 15 mai, le
Virginia Military Institute commémore un événement qui fait la fierté de
la jeunesse virginienneXXXVIII.
La participation aux combats a-t-elle toutefois tenu toutes ses
promesses ? Certainement pas. Comme leurs aînés, les enfants ont vécu
une expérience traumatisante. Les avis sont unanimes parmi tous ceux
qui ont survécu au carnage des champs de bataille, à l’horreur des
hôpitaux militaires et à l’enfer des camps de prisonniers. La guerre n’a
pas répondu aux attentes qu’ils avaient au moment de s’engager. La mort
a guidé leurs pas ; elle a été omniprésente. La lutte a présenté un visage
inattendu, dépourvu d’idéal romantique et chevaleresque. La faim, la
boue, le sang et les larmes ont soumis à rude épreuve l’équilibre
psychologique des plus jeunes et inspiré du dégoût. Du côté confédéré, ce
sentiment est rendu encore plus insupportable par l’amertume de la
défaite.
À l’instar des autres combattants, les correspondances des enfants
laissent transparaître leur frustration à l’égard de l’état militaire. Avant
même d’entrer en campagne, l’excitation retombe ; l’hésitation s’empare
des esprits. La déception succède à l’enthousiasme qui avait présidé à la
plupart des enrôlements. Les soldats ont d’abord l’occasion d’élever des
plaintes contre l’incurie des services de l’intendance et la monotone vie
de garnison. Avide de gloire, Thomas Galway, du 8e de l’Ohio, se dit
scandalisé par la piètre qualité de son équipementXXXIX. Le sudiste John
Delhaney, quant à lui, se déclare lassé par les marches et contremarches
qu’il est obligé de faire, sans but apparent, de jour comme de nuitXL. La
participation aux combats détruit davantage leurs illusions. Dans son
journal, le jeune Elisha Stockwell consigne ses premières impressions au
lendemain de la bataille de Shiloh :
« Tandis que nous étions à terre et que les obus sifflaient au-dessus de
nous, mes pensées se portaient à mon foyer, à ma maison, à tous ceux que
j’avais quittés si précipitamment. Je m’en voulais. Que j’avais été stupide
de quitter ma famille pour me mettre dans un tel pétrin… Mon Dieu, que
j’aurais aimé que mon père vienne me chercherXLI ! »
C’est que la première bataille reste souvent un mauvais souvenir. Les
enfants partagent les doutes, les appréhensions et la montée d’adrénaline
des autres combattants. Dans la zone des combats, effrayés et hésitants,
ils se laissent entraîner par le courant, s’arrêtent, cherchent à comprendre
ce qu’ils ont à faire, puis se retirent. Le récit de Charles Bardeen, le
tambour du 1er du Massachusetts, laisse transparaître cette excitation
fébrile :
« J’étais tétanisé par la peur. Le son du canon était assourdissant. Près
de moi, je voyais des hommes tomber à chaque pas. Les blessés se
comptaient par centaines et les cadavres recouvraient la plaine. J’aurais
donné n’importe quoi pour rentrer chez moi. Je crois que j’en ai vu assez
et me voilà écœuré pour de bonXLII. »
Edward Spangler, soldat du 130e de Pennsylvanie, nous a laissé le
souvenir de sa visite dans un hôpital de campagne :
« La vision de centaines d’hommes se vidant de leur sang était horrible.
Au pied des tables d’opération, il y avait un amas de bras et de jambes
amputés. Les blessés priaient pour qu’on leur vienne en aide. Pour
beaucoup, la mort seule semblait pouvoir les délivrer de leur
agonieXLIII. »
Frederick Grant, le fils aîné du commandant en chef de l’Union, est
aussi explicite lorsqu’il évoque ses souvenirs de la campagne de
Vicksburg en 1863. Alors âgé de douze ans, il en a gardé un souvenir
morbide :
« Je dois dire que toutes les horreurs de la guerre étaient rassemblées là,
sous mes yeux. J’ai accompagné un groupe de soldats chargé d’enterrer
les morts. […] Comme c’était insoutenable, j’ai préféré aller m’occuper
des blessés dans une cabane, mais sur place, j’ai assisté à des scènes
hideuses, si bien que j’ai commencé à me sentir mal. Écœuré, j’ai couru
vers un arbre, je me suis assis et j’ai vomi tout ce que j’ai puXLIV. »
À l’instar des autres combattants, les enfants paient un lourd tribut sur
les champs de bataille : âgé de douze ans, Charles King, le tambour du
49e de Pennsylvanie, est tué à Antietam ; Albert Munson, celui du 23e du
Massachusetts, est abattu par un tireur d’élite sudiste à Roanoke
IslandXLV. Dans d’autres cas, la participation aux combats laisse des
séquelles physiques et psychologiques. Nombre de blessés continueront à
souffrir dans leur chair et dépendront, jusqu’à leur disparition, de doses
massives d’opiacés. L’avenir s’assombrit tout autant pour les invalides, à
l’image de ce jeune nordiste anonyme, dont les pieds gelés sont amputés
durant la campagne de Fort Donelson en février 1862XLVI. Il ne se
présente pas sous un jour meilleur pour ce soldat unioniste, frappé
d’aliénation mentale en plein combat, ou pour Michael Dougherty, du 13e
de cavalerie de Pennsylvanie, traumatisé à vie par l’horreur qu’il a vécue
lors de son internement dans la tristement célèbre prison
d’Andersonville, en GéorgieXLVII. C’est à leurs dépens, et non à leur
profit, que les enfants-combattants ont fait l’expérience d’une lutte
appelée à devenir l’archétype des guerres modernes.
Le conflit a laissé une empreinte indélébile sur la jeunesse américaine.
Au retour de la paix, les enfants qui y ont pris une part active ont éprouvé
des sentiments ambivalents. D’un côté, cette expérience traumatisante a
servi à démythifier l’image de la guerre et à favoriser, pour les
générations futures, l’éclosion de la pensée pacifiste. Dans une lettre
adressée à ses proches, George Gibbs, du 18e du Mississippi, tire de
solides conclusions de son passage sous les drapeaux : « Vous autres, les
copains, sachez que faire la guerre n’a rien d’attrayant. Ce n’est rien
d’autre que du meurtre. C’est indigne d’un peuple soi-disant civilisé. Il
n’y a aucune gloire à en tirerXLVIII. » D’autres soldats, en revanche, en
ont hérité des habitudes de violence, une aigreur et une rancœur qui les
poursuivront jusqu’à la fin de leurs jours. Pour s’en convaincre, il suffit
d’observer que les bandes de hors-la-loi qui ont sévi dans le Sud de la
Reconstruction étaient le plus souvent composées de jeunes vétérans de
l’armée confédérée, désabusés par la tournure des événements et en perte
de repères dans la société civile. Les méfaits du gang des frères James et
des Younger sont l’illustration d’une jeunesse dépravée et habituée à
manier la gâchette pour se faire respecterXLIX.
L’incorporation d’environ cent mille enfants dans les forces
combattantes n’est en rien anecdotique. Elle est le reflet d’une époque
troublée, des mœurs violentes et passionnées d’une population
américaine en proie à la plus terrible expérience de son histoire. Elle
témoigne aussi de la militarisation rapide d’une société privée de
traditions militaires, contrainte de faire appel à toutes les ressources
humaines et matérielles disponibles pour soutenir l’effort de guerre. Par
sa durée et sa brutalité, la lutte n’a pas été propice aux ménagements. Le
tribut a été lourd pour ces jeunes soldats. Quand ils sont parvenus à
réchapper à l’enfer des combats, c’est leur enfance, au fond, qui a été
sacrifiée.
Farid Ameur .
3

Les gamins de Paris, combattants de la


Commune (1871)

L a question des enfants-soldats de la Commune occupe une place


paradoxale dans l’historiographie : d’un côté, le thème est important
dans les sources et présent dans les débats qui suivent l’événement ; de
l’autre, force est de constater un certain vide dans les travaux historiques
récents. Un tel décalage, en soi, devrait susciter l’attention. Car les traces
de la présence au feu des enfants sont en effet nombreuses. D’après
Lissagaray, les enfants, de treize à quatorze ans, « se montraient aussi
grands que les hommes et les femmes » pendant la semaine sanglanteI.
De son côté, le capitaine Guichard, le militaire chargé d’établir le rapport
sur les « enfants de la Commune », estime que le « gamin de Paris […]
dépasse souvent en ardeur dans la lutte ou en férocité les plus grands
criminels »II… Certes, il convient de se méfier de tels documents, dont
on sait qu’ils disent plus des attentes ou des représentations de leurs
auteurs que des situations de terrain. L’existence de ces représentations
est toutefois un signe et un élément de l’analyse.
S’il veut se convaincre de la présence active des gamins au cours de
l’événement, l’historien dispose, à l’autre bout du spectre archivistique,
des chiffres bruts, tels que les livrent le général Appert dans son compte-
rendu de l’activité judiciaire versaillaise : ont été arrêtés 651 enfants de
sept à seize ans ; 237 ont seize ans, 226 quinze ans (soit, pour les quinze-
seize ans, 71 % du total) 11 ont onze ans…III Leur examen impose
toutefois, là aussi, la prudence : on ne sait pas comment ces enfants ont
été jugés ni pour quels faits. Pour étudier le rôle des enfants dans les
luttes et les combats du Paris insurgé, il convient donc de franchir une
étape supplémentaire, avec d’autres sources et d’autres approches, au
plus près du pavé parisien. Le sujet peut paraître mineur (les enfants ne
représentent après tout que 0,02 % des jugements militaires), mais la
gêne qu’il suscita et suscite peut-être encore suggère qu’il est un bon
angle d’approche de ce que fut la Commune, des formes de violence
mobilisées de part et d’autre comme de la place laissée par les sociétés du
XIXe siècle aux capacités combattantes des enfants. Avant d’aborder ces
points, il faut d’abord voir qui furent ces enfants, dans quelles
organisations ils furent enrôlés, comment ils ont combattu, avec quelle
efficacité et suivant quelles significations.

Les enfants à Paris en 1870

Paris, à la fin du Second Empire, est parcouru d’enfants : le chiffrage


précis, compte tenu du nombre de naissances illégitimes, est vain. En
dépit de la baisse continue des naissances depuis le XVIIIe siècle, leur
importance est néanmoins attestée, notamment si l’on considère que dans
cette population d’environ deux millions de personnes, le taux de
mortalité est l’un des plus fort du pays et que l’espérance de vie à vingt
ans est de moins de quarante ans.
Le terme d’« enfant » recoupe bien entendu des situations très
diverses. Il existe une grande différence entre les fils et les filles des
élites de la capitale, telle la jeune Caroline Brame, fille d’un riche
entrepreneur, qui raconte dans son journal son ennui, sa joie à la messe et
son attente du mariageIV et les « enfants des rues » qui courent sur les
trottoirs parisiens. Les pôles ne sont d’ailleurs pas homogènes : si l’on
s’intéresse aux catégories inférieures de la population – ceux que l’on
trouve en majorité dans les archives versaillaises et qui composent le
« peuple » – les stratifications sont légion. En simplifiant un monde
social riche et mouvant, se distingueraient d’abord les fils de ce que
certains auteurs appellent la « bourgeoisie populaire » et des ouvriers
qualifiés (serruriers, typographes, ébénistes…)V. Ces enfants participent
généralement de l’économie familiale, en travaillant comme apprenti, dès
douze ans, parfois avant, pour une somme inférieure au salaire d’un
adulte. Selon la situation du père et de la mère, cette somme est tantôt un
surplus qui participe à un peu de confort, tantôt une nécessité pour la
survie économique du groupe. En dessous se placent les enfants des
journaliers et de ceux qui exercent les milles petits métiers de Paris
encore en activité. Pourraient s’y ajouter ceux des ouvriers d’usine, qui
travaillent avec leurs parents dans ces nouveaux lieux de production dont
l’essor va croissant depuis le début du siècleVI. Reste les « enfants des
rues » au sens fort, les vagabonds. Les catégories policières doivent là
aussi être considérées avec prudence : si certains sont complètement
abandonnés à leur sort, d’autres, garçons ou filles, sont dans une situation
de semi-vagabondage, allant d’un patron à un autre, revenant
périodiquement chez leurs parents. Les univers ouvriers se croisent en
fait en permanence et ces enfants-là constituent un univers de gagne-
petit, peu formés, bricolant leur existence avec les ressources disponibles.
Ils ne sont pas complètement livrés à eux-mêmes : comme l’a montré
Alain Faure, dans les quartiers « populaires », ils sont soumis à une sorte
de surveillance collective qui vaut régulation informelleVII.
L’intervention publique ne doit pas non plus être négligée. Depuis le
début du siècle, touchées par les descriptions horrifiées de la « question
sociale », les assemblées ont mis en place une législation à destination
des enfants. La loi de 1841 interdit l’embauche des enfants de moins de
huit ans et limite la journée de travail de ceux de moins de douze ans à 12
h ; les lois scolaires de Guizot (1833), de Falloux (1850), puis de Duruy
(1867) incitent parallèlement à la création d’écoles et encouragent la
gratuité de l’enseignement pour les enfants les plus pauvres. Les
suggestions se développent sur fond d’un discours philanthropique
pointant la dure condition de l’enfance et d’un savoir pédagogique qui,
plus précis, commence à distinguer une « 1re enfance », une « 2e
enfance » et l’« adolescence » (à partir de quatorze ans)VIII. Ceci dit, la
perception majeure de l’« enfance » au XIXe siècle, comme l’avait noté
Philippe Ariès, reste marquée par une confusion entre enfance et
adolescenceIX. Les discours sur l’enfance, chez les élites mais aussi dans
des portions plus larges de la société, ne sont par ailleurs pas exempts de
contradictions : l’ancienne méfiance à l’égard des classes laborieuses
demeure vive, tout comme l’idée que l’enfant peut être vicié ; les adultes
se méfient d’une sauvagerie qui n’aurait pas été encore domptée par la
société, cette crainte apparaissant aussi dans les mesures adoptées.
Ces politiques sont cependant d’une efficacité limitée : la loi de 1841,
faute d’inspecteurs du travail, est peu appliquée ; l’école est mieux
implantée, mais beaucoup d’enfants y échappent ou ne s’y rendent que de
manière intermittente. De manière caractéristique pour les années 1860,
on constate ainsi une intervention croissante et ambivalente de l’État, qui
est limitée et débordée par les manières d’habiter la ville du premier
XIXe siècle.

Devenir enfant-soldat en avril 1871

L’organisation sociale et politique parisienne est bouleversée par le


conflit franco-prussien de 1870-1871. Le 19 juillet, le Second Empire
déclare la guerre au roi de Prusse. Le 4 septembre, Napoléon III est battu
à Sedan puis fait prisonnier, provoquant la chute du régime. La guerre se
poursuit néanmoins et Paris est encerclée le 19 septembre. Face au besoin
en hommes, le recrutement de la garde nationale parisienne est élargi à
tous les hommes valides de vingt à quarante ans, une tolérance étant
accordée à dix-sept ans. Seront donc « enfants » pour la justice, et de
manière cohérente avec les appréciations du temps, tous les individus de
moins de seize ans.
Après un long siège, Paris capitule en janvier. Pour ratifier le traité de
paix, une assemblée est élue le 8 février, à majorité conservatrice. Les
tensions entre la capitale et Versailles s’accroissent, puis aboutissent à
l’insurrection parisienne le 18 mars, et à la proclamation de la Commune
le 28 marsX. Un nouveau pouvoir, aux contours un temps incertains,
s’organise. Concernant les enfants, on ne trouve pas, chez les dirigeants
de la Commune (les quatre-vingts élus), d’appel invitant à les armer et à
les faire combattre. Les enfants sont plutôt considérés, comme souvent
dans ces moments révolutionnaires, comme un enjeu décisif pour
l’avenir, qu’il s’agit de former et de préserver au sein d’une école rendue
gratuite, laïque et obligatoire (quoique sa réalisation fut, faute de temps,
elle aussi limitée). De même, il semble que les commandants et chefs de
bataillons de la garde nationale aient été réticents à l’incorporation des
enfants. D’après les rôles des compagnies, étudiés par Thomas André,
auteur d’un des rares articles sur la question, les officiers feraient la
chasse aux gardes nationaux qui n’ont pas l’âgeXI.
De telles enquêtes suggèrent néanmoins qu’il y a bien eu des enfants-
soldats, entendus comme des enfants intégrés dans une unité combattante
ou ayant ensuite concrètement combattu les armes à la main. Pour les
identifier, il est possible de regarder les listes des gardes nationaux
établies pour chaque bataillon, mais les âges ne sont pas toujours
indiqués et certains peuvent être arrangés. À les lire, beaucoup de
bataillons semblent respecter les âges légaux. Pas d’enfants de moins de
seize ans dans les francs-tireurs du 12e arrondissement, dans les légions
du 18e et du 17e arrondissement ou dans la 3e compagnie du 13e
bataillonXII. Ils apparaissent dans d’autres unités : huit enfants de douze à
seize ans dans la première compagnie de la garde nationale ; quelques-
uns, semble-t-il, dans les bataillons des Turcos et des vengeurs de
FlourensXIII. Les listes établies après mai par les policiers mentionnent
aussi des jeunes gens de quinze à seize ans ayant appartenu à des
bataillonsXIV, sans compter ceux qui semblent perdus sur différents
points, allant d’un bataillon à un autre et qui, d’après le rapport général
du capitaine GuichardXV, ne laissent pas de traces alors qu’ils furent sur
les barricades. Reste, enfin, le cas étonnant du bataillon des pupilles de la
Commune, exclusivement composé d’enfants de onze à seize ans et situé
place du Château d’eau, sur lequel nous reviendrons. Les enfants sont
bien là, mais le chiffrage global, on le voit, est impossible.
Leur entrée au sein des bataillons semble cependant un peu forcée,
s’ils n’y sont pas « invités » par les autorités. Beaucoup, plus exactement,
s’imposent d’eux-mêmes. Les cas les plus fréquents, pour les bataillons
ouvriers, sont les arrivées en famille : Joseph Amat, terrassier, entre à la
1re compagnie de la 17e légion avec ses fils Joseph, quinze ans, fumiste,
et Antoine, douze ans, sans profession. D’autres formes de solidarités,
vicinales ou professionnelles, apparaissent dans les archives (plusieurs
charpentiers s’inscrivent ensemble dans ce bataillon, dont des enfants de
quinze ans)XVI. Se retrouvent ici les caractéristiques des citoyens-
combattants de 1848 étudiés par Louis Hincker : les familles populaires
vont défendre ensemble une certaine idée de la république démocratique
et sociale, ce qu’ils estiment être la dignité du « peuple », ou leur bout de
quartierXVII. Ces présences collectives, où les enfants sont simples
membres d’un groupe homogène, sont comme « naturelles ». Existe aussi
le cas des enfants en situation de semi-vagabondage, qu’elle soit
ancienne ou provoquée par la guerre (beaucoup de parents sont partis,
des patrons ont fermé boutique). Ils prennent parfois part à la
construction des barricades (sanctionnant peut-être une affiliation plus
informelle au quartier en temps de paix), puis se trouvent incorporés.
Les motifs des intégrations, de fait, sont variés : la question de
l’appartenance est sans doute essentielle, qu’il s’agisse de liens politiques
ou locaux. Pour ces jeunes gens qui sont déjà habitués au monde des
adultes, elle prend sans doute valeur de rite de passage : le port de
l’uniforme et de l’arme cristallise la participation à une certaine
communauté adulte et parisienne. Cela peut expliquer aussi les
« fanfaronnades » des plus jeunes gardes nationaux décrits par les
témoignages ultérieurs. Ces raisons se doublent par ailleurs de motifs
économiques : la guerre a déstructuré la vie urbaine, plus
particulièrement les économies fragiles dans lesquelles s’inséraient
nombre d’enfants. Le jeune Eugène Achart, quinze ans, explique ainsi à
ses juges qu’en temps normal, il travaillait avec son frère chez un
passementier, M. Louvet, mais qu’avec la guerre, celui-ci ne l’occupait
plus que par intermittenceXVIII. C’est pourquoi il a dû rentrer dans la
garde nationale pour nourrir son père, indigent (sa mère est morte). Sans
doute, par ce récit, l’enfant cherche-t-il à échapper à la sévérité du
tribunal, mais sa situation est attestée par l’enquête. Le complément
économique des enfants, parfois essentiel, n’étant plus assuré, il ne reste
bien souvent que les trente sous par jour de la solde. En ce sens, la
fermeture de la garde nationale aux moins de dix-sept ans est en
contradiction avec les logiques économiques du temps. Reste les
parcours paradoxaux : les gardes nationaux arrêtent aussi beaucoup de
jeunes vagabonds (en la matière, le gouvernement de la Commune
prolonge la méfiance antérieure), qu’ils gardent dans les casernes. Or,
dans certains cas, ils semblent leur avoir ensuite fourni des armes, avec
une certaine bonhomie, et invité à la défense de la ville.
Le bataillon des pupilles de la Commune, étudié à partir des dossiers
judiciaires, révèle d’autres éléments, comme les solidarités enfantines :
la plupart des « pupilles » viennent en effet de Belleville et disent s’être
inscrits sur les conseils de leurs camaradesXIX. Des réseaux
d’information et de rumeurs propres aux enfants parcourent donc la
capitale, et les gamins peuvent aussi être acteurs de leurs décisions. Il n’a
malheureusement pas été possible de savoir comment s’est prise la
décision de mettre en place un tel bataillon. Sans doute s’agit-il d’une
décision locale d’un chef de légion. Il sert manifestement à donner du
travail à ces enfants déconnectés de leurs ressources ordinaires. Mais il
est également utilisé pour la construction des barricades et permet de
renforcer les effectifs : les enfants sont en effet habillés d’un costume
reconnaissable – un élément d’identification essentiel dans le Paris
insurgé (« nous étions habillés en enfants de la Commune » rappellent-
ils) ; ils sont équipés, armés et surtout, tous le disent, entraînés au tir.
C’est la seule trace d’une formation militaire des enfants que nous ayons
trouvée. Peut-être est-elle peu sérieuse (le plus jeune s’entraîne à remplir
des sacs de patates…XX), mais il apparaît bien ici une préparation
spécifique à l’usage des armes.
Ce « devenir soldat » des enfants témoigne ainsi de plusieurs
phénomènes : le poids de la guerre et du fait révolutionnaire qui a brisé
des économies populaires fragiles, mais stimulé des sentiments
d’appartenance locaux, ou réveillé des pratiques collectives de défense ;
les pratiques urbaines antérieures, familiales ou de rue, qui s’imposent en
quelque sorte malgré les décisions venues d’en haut – et ce, d’autant plus
facilement que le contrôle de l’organisation est lâche ; les tentatives
d’adaptation in situ de certains bataillons enfin, soucieux d’aide aux plus
fragiles mais aussi en mal de soldats. En ce sens, les enfants-soldats
reflètent très bien un certain mode d’organisation chaotique,
caractéristique de la Commune.

Quand les enfants combattent les armes à la main (mai 1871)


Reste à voir comment ces enfants ont combattu. Le temps et l’espace
de l’action militaire doivent être précisément restitués. Dès avril, le front
se situe en dehors de Paris, à Viroflay (3 avril), au fort d’Issy (9 mai), etc.
Là, les combats sont durs, les blessés et les morts nombreux. Les enfants,
eux, semblent peu présents. D’après le rapport Guichard, certains ont
suivi les bataillons au-delà de Paris, mais n’y ont joué qu’un rôle
subalterne. Ce front, militaire et guerrier, paraît rester du domaine des
hommes accomplis.
Le domaine d’action des enfants est parisien. L’essentiel de l’activité
combattante des enfants, comme celle des femmesXXI, paraît bien liée à
la défense des barricades au moment de l’entrée des troupes le 22 mai. Le
fait confirme l’analyse sur l’importance des logiques urbaines à l’œuvre :
c’est bien « Paris », avec ses réseaux de sociabilité, ses cercles familiaux
et ses appropriations spatiales, qui s’est alors défendu. Dans ce cadre, les
enfants ont pu avoir une utilité du fait de leur petite taille : servir
d’éclaireur, voire effectuer des embuscades. Célèbre à cet égard est
« l’incident de la rue Mouffetard », au cours duquel le colonel Boulanger
aurait été grièvement blessé par une balle de pistolet, tiré par un enfant
(de dix à douze ans) perché sur une enseigne. Il est cependant impossible
de faire la part de la rumeur à ce sujetXXII. Il est sûr néanmoins que
certains ont utilisé leurs armes sur les barricades. Les « pupilles de la
Commune » apportent encore d’intéressants éléments. Ils étaient
concentrés sur les barricades entourant le Château d’eau, particulièrement
sur celle qui reliait la rue de l’entrepôt à la rue Magnan, lieu de durs
combats, et à une autre adjacente. Sur la première, tous les enfants
présents reconnaissent avoir tiré.
Leur armement était sommaire : non pas l’efficace chassepot mais des
fusils à tabatière et des fusils à piston. L’interprétation d’une telle
distribution est délicate, car il semble que les chassepots aient été surtout
utilisés sur le front et que l’armement ait été globalement de moins bonne
qualité sur les barricades – il serait en tous cas intéressant de dégager
d’éventuelles hiérarchies au sein de la culture des armes communardes.
Quoi qu’il en soit, au cœur de la lutte, les enfants ont utilisé leurs
cartouches et ont été ravitaillés autant qu’il le fallait par les gardes
nationaux. Le jeune Druet décrit son combat, allongé pendant quarante-
huit heures sur la barricade, au milieu des tirs. Ils semblent bien, dans le
feu de l’action, avoir été considérés comme des soldats à part entière. Le
même Druet raconte ainsi que, refusant de tirer, un « sous-lieutenant du
203e bataillon [lui] a envoyé un coup de pied dans les reins […] et [lui] a
fait faire faction ».
Les pupilles ne sont pas un cas isolé : d’autres témoignages, tirés des
archives judiciaires, montrent des enfants ayant combattu, ailleurs, en
uniforme et en armes. En revanche, nous ne disposons que de peu
d’informations sur les façons de faire, sur les éventuels effets de
l’entraînement militaire des pupilles ou sur ce qui serait une spécificité
du combat des enfants. Des indications pourraient être trouvées dans les
autres dossiers, mais elles n’apparaissent que de manière très aléatoire.
L’analyse, ici, ne peut aller plus avant.
La répression communarde est mieux documentée grâce au travail
important de Robert TombsXXIII. Celui-ci a montré combien l’armée
versaillaise n’était pas une armée de brutes avinées, mais une armée
disciplinée, qui a globalement bien suivi les ordres des supérieurs.
Pourtant, tout au long de son avancée, les soldats de la ligne ont procédé
à des exécutions sommaires sur les lieux des combats, tuant des hommes,
des femmes et des enfants. S’ils procèdent d’une mise en récit
postérieure, les témoignages relatent la violence à l’œuvre, même chez
les partisans de l’ordre. Malvina Blanchecotte, qui finit par haïr les
communards qu’elle a longtemps observés d’une manière plutôt
bienveillante, parle de la nuit du 25 mai comme d’une « nuit de sang » et
décrit les flots rouges qui ont couvert les pavés de la capitale. Près de la
mairie, dit Victorine Brocher, « il y a des monceaux de corps humains,
des femmes, des enfants empilés, des fédérés »XXIV. L’ambassadeur
américain, Washburne, note également dans une dépêche du 24 mai 1871
qu’on a compté sur la chaussée « huit cadavres d’enfants, dont le plus
âgé n’avait pas quatorze ans ». Si on connaît bien le processus de
reconquête parisien et ses significations, le massacre en lui-même, faute
peut-être d’outils adéquats, a moins arrêté l’attention des historiensXXV.
Le sort fait aux enfants, soldats ou non, communards de fait, aide ici à
l’interpellation des attentions. Victorine Brocher relate ainsi dans son
journal : « Sur une pile de morts, il y avait une pauvre fillette, qui pouvait
avoir dans les huit ans […] ; un mauvais plaisant, sans doute de cette
troupes de lignards avinés, avait eu la monstrueuse idée de relever les
jupes de la pauvre petite, jusqu’à la poitrineXXVI. » Bel exemple
d’atteinte à la filiationXXVII. Mais le fait est-il vrai, et de tels actes
étaient-ils nombreux ? La prudence s’impose. Peu de viols, note R.
Tombs, sont par exemple attestés pendant la semaine sanglante. De plus,
beaucoup d’enfants ont également été arrêtés et mis à l’écart. En fait, les
chefs semblent bien avoir contrôlé militairement l’action des soldats, tout
en laissant s’exprimer leur violence. Brutalité lâchée et violence encadrée
des troupes se sont vraisemblablement mêlées sans ordre au cours de la
réappropriation parisienne, dans une volonté sous-jacente de nettoyer la
rue des atteintes politiques dont elle avait été l’objet. Le cas des enfants
permettrait peut-être de préciser les contours de l’exercice de la violence.
On sait par exemple que des seuils sont franchis, de part et d’autre, au fur
et à mesure des combats. Dans quelle mesure la découverte des enfants et
des femmes sur les barricades – soit la rencontre de deux cultures de
guerre différentes – n’a-t-elle pas nourri d’un côté la dépréciation des
ennemis communards, de l’autre le besoin de vengeance ? On peut aussi
se demander si la tuerie ne se nourrit pas, certes de loin, des tentatives de
« nettoyage » de la rue que les régimes précédents ont tenté sans succès
de mettre en œuvre à Paris. L’analyse des pratiques guerrières demeure
en tous cas délicateXXVIII.

Un fait « tellement anormal » : regard scientifique et protection


psychique

L’étude ne peut cependant s’arrêter ici. Le nombre d’enfants


compromis dans les combats apparaît a posteriori comme un fait
« tellement anormal » pour reprendre l’expression du capitaine Guichard,
qu’il suscite des tentatives d’explication. Inscrites dans les analyses sur le
psychisme des années 1850-1860, elles reflètent les manières de
comprendre et traiter cette activité guerrière. Les médecins aliénistes,
dont l’influence est croissanteXXIX, ont notamment leur mot dire. C’est le
cas du docteur Bénédict-Augustin Morel, théoricien alors célèbre de
l’hérédité et de la dégénérescenceXXX. Médecin dans la prison de Rouen
depuis 1856, il a exceptionnellement pu étudier une centaine d’enfants
pris « les armes à la main » et incarcérés dans cette prison. Leur examen
apporte pour lui une illustration de sa théorie, confirmant « [s]es
prévisions antérieures sur l’influence funeste de l’alcool, non seulement
sur les individus qui en font excès, mais encore sur les descendants ». Les
enfants-soldats seraient une trace, nouvelle, de la dégénérescence
avancée de la « classe laborieuse » parisienne.
Paradoxalement, les rapports de synthèse des militaires sont plus
intéressants : les tribunaux cherchent en effet à établir la « capacité de
discernement » des enfants pour pouvoir appliquer les sanctions. Plus que
pour les autres prévenus, de manière quasi foucaldienne, l’enquête
judiciaire se double alors d’une enquête morale et sociale. Le rapport
final n’en propose pas moins les mêmes constats, nourris de statistiques
(condamnation antérieure, situation morale des familles, degrés
d’instruction), sur la « précoce dépravation des enfants » et sur leur «
instinct d’imitation ». La thématique du caractère « parisien » de ces
actions est également présente. Le capitaine souligne « la déplorable
curiosité, si contagieuse à Paris », particulièrement présente chez le «
gamin de Paris » qui, « chacun le sait, a pris un rôle dans toutes nos
crises révolutionnaires ». Or, « chez lui [le gamin de Paris], le
discernement est plus précoce que chez l’enfant de province ou celui de
la campagne. » Cependant, la lecture adopte au final une dimension un
peu plus compréhensive et sociologique : viciés, les enfants manifestent
aussi de « bons instincts » selon le militaire. Le problème, pour lui, n’est
alors pas héréditaire, mais social : il est lié « au milieu exceptionnel où de
tels coupables ont été placés », notamment la situation militaire, le milieu
local et le milieu familial. Significativement, le rapport se conclut par une
maxime de 1868 évoquant la responsabilité parentaleXXXI.
Au-delà des stéréotypes attendus, les juges semblent donc avoir fait un
certain effort de compréhension lors de la répression légale. Le constat
n’atténue pas la sévérité des peines. Elle obéit à un mécanisme qui n’en
paraît en fait que plus terrible : aux deux extrêmes de l’éventail des
condamnations, se trouvent ceux qui avaient un travail, des parents à la
réputation honorable et aucun antécédent judiciaire, qui ont été libérés, et
ceux dont les antécédents judiciaires étaient graves, qui ont été
condamnés durement. Le reste des enfants, la plupart, a été acquitté pour
« manque de discernement »XXXII. Mais ils ont été envoyés ensuite en
maison de correction, jusqu’à leur vingtième année, même lorsque la
famille acceptait de les reprendre. Selon une perspective classique du
traitement de l’enfance du moment, l’État devait « corriger » la mauvaise
pente qu’ils avaient suivie malgré eux. Les fait furent jugés si graves que
les remises de peine, le fait est exceptionnel, ont été très peu nombreuses.
Apparaît ici, sous-jacente, la perception d’une enfance à « civiliser » qui
court tout le XIXe siècle.
Le circuit judiciaire, ce faisant, opère un processus contradictoire :
d’un côté, il reconnaît, en les faisant comparaître, le rôle des enfants,
particulièrement de ceux qui ont pris les armes. De l’autre, en les
acquittant pour « manque de discernement » – en contradiction avec
certains des constats du rapport final – il leur ôte toute capacité d’action
et les ramène à l’état de « mineur » dépourvu de jugement autonome. Ce
n’est pas une surprise : la justice versaillaise, on le sait, est aussi une
entreprise de « remise en place » de ceux qui ont transgressé les partages
établis de l’ordre social, que ces partages soient sociaux, de sexe ou
d’âgeXXXIII.
Les enfants sont restés pour l’instant muets, depuis l’investissement
sanglant de la capitale, et on peut se demander comment ils ont réagi. À
vrai dire, ceux que nous avons étudiés de près au cours des
interrogatoires font comme leurs aînés : ils mentent, arrangent les récits,
se coulent dans les catégories attendues des juges pour échapper aux
condamnations les plus lourdes. Un autre phénomène, toutefois, se
démarque chez certains. D’après le récit journalistique du procès des
pupilles de la Commune, le jeune Rolland, un vagabond de seize ans,
garde le silence. Face à sa belle-mère qui évoque ses « mauvais
instincts », il conserve un étrange mutisme, puis, soudain, se met à
pleurer et retourne à sa placeXXXIV. Le capitaine Guichard note
également dans son rapport que souvent « les enfants se renfermaient
dans un système absolu de dénégation ou bien brodaient un thème
invariable dont aucun raisonnement ne pouvait les faire sortir ». Si elles
peuvent relever des stratégies de défense, certaines attitudes semblent
traduire une réelle souffrance psychique : se pose ici la question du
mutisme et du trauma, auxquels l’historien peut réfléchir, comme y invite
le présent ouvrage, à partir des travaux des psychanalystes. Ces gestes,
ces silences qui laissent leur empreinte dans les sources disent peut-être
en effet des choses qu’il faut savoir écouter.
On sait les difficultés qu’il y a à importer de tels questionnements en
histoire, avec les risques d’une lecture anachronique. Dans un manuscrit
récemment publié, Norbert Elias proposait des pistes intéressantes pour
leur historicisation, adaptant l’examen des mécanismes psychiques aux
sociétés dans lesquels ils se déploientXXXV. Il pourrait être intéressant de
poursuivre la proposition, en tâchant de l’articuler à ces parcours, à ces
expériences sociales et à ces situations particulières, par une mise en
contexte dense et réglée. Une telle entreprise serait à coup sûre délicate,
mais permettrait de gagner en qualité d’analyse : le simple fait de poser la
question suggère déjà le choc de la participation au combat, du contact de
la mort, peut-être aussi du fait de tuer, d’y éprouver du plaisir ou de la
gène. Il invite également à porter attention au poids des mots et des
interprétations communes en termes de « mauvais instincts », repris par
la justice, par les médecins, et même par les parents, produisant un
environnement discursif qui enferme a priori des actes aux motifs plus
complexes – et non pas « iréniques ». Reste à évoquer le devenir de ces
enfants-soldats. L’intérêt de cette piste est suggéré par le sort du jeune
Duburot, douze ans au moment des faits, sorti à vingt ans de maison de
correction, qui part alors dans les bataillons d’AfriqueXXXVI. D’enfant-
soldat, ne devient-on pas plus facilement soldat ? Ce serait l’objet d’une
autre recherche, mais dégager l’impact de cette expérience sur les
parcours serait à l’évidence instructif.
Les conclusions de ce bref parcours sont au fond assez simples : il a
bien existé des enfants-soldats sous la Commune de Paris, qui ont
participé les armes à la main à la défense des barricades. Ces enfants
étaient cependant déjà âgés (14-16 ans) ; ils ne furent pas majoritaires
(l’âge médian des communards arrêtés est de 32,5 ansXXXVII) et n’ont
pas été entraînés par les autorités communardes. Ce sont plutôt les modes
de sociabilités familiale, locale, professionnelle du premier XIXe siècle
qui se sont imposés à l’appareil militaire, même si l’on observe
d’intéressantes institutionnalisations après-coup, comme dans le cas des
pupilles de la Commune. Le phénomène, donc, fut mineur. Mais parce
qu’il semble « anormal », il est révélateur de certains aspects du moment
communard. Il montre la complexité du fonctionnement ordinaire dans le
Paris insurgé, la diversité des sources de légitimité, l’enchevêtrement des
échelles d’autorité, du local au municipal, ou encore la perturbation des
sociabilités et des économies informelles qui organisaient l’espace
urbain… Dans un autre registre, il invite à rouvrir le dossier du fait
guerrier sous la Commune, ou plus exactement du recours à la violence
de part et d’autre des frontières communardes.
Deux problèmes plus généraux restent posés : le premier est la place
des enfants dans le cycle des révolutions du XIXe siècle. Des travaux
récents suggèrent d’un côté l’âge plus mûr qu’on a longtemps cru des
participants aux combats de 1830 et 1848XXXVIII. De l’autre,
l’imaginaire du XIXe siècle associe clairement les enfants et le fait
révolutionnaire, à travers notamment la figure de Gavroche. Son histoire
est connue : de positive, la figure de l’enfant révolutionnaire cède peu à
peu le pas, précisément après 1870, à l’angoisse plus nette de la
délinquance juvénileXXXIX. Quelle est la place exacte de la Commune
dans ce mouvement ? Et quels sont, au-delà, les liens de plus longue
durée entre enfance, violence et révolution au XIXe siècle ? L’autre
problème, signalé d’ailleurs par les historiens de la délinquance
juvénileXL, est cette approche située au croisement du mutisme et des
traumatismes psychiques. Une telle histoire est-elle possible ? Ce « point
aveugle » invite au moins à une intelligence accrue des situations, portant
sur le contexte des expériences comme sur celui de ses énonciations, et
pose une interrogation forte sur les traces physiques et psychiques
d’expériences qui sont bien considérées, au XIXe siècle, comme
particulières pour des enfants. Il pose ce faisant un problème délicat à
l’historien : il est amené à considérer un phénomène, la violence
enfantine, qui résiste, chez lui sans doute autant que chez les médecins
aliénistes du XIXe siècle, à ses catégories de jugement les plus
profondesXLI, mais dont l’examen semble pourtant très riche pour une
compréhension plus forte des sociétés du temps.
Quentin Deluermoz
II.

Enfants-soldats et guerres
mondiales : une légitimité en débat
L ’expérience des deux guerres mondiales a sans doute joué plus
qu’on ne pourrait le penser de prime abord dans la construction
occidentale de la figure de l’enfant-soldat. Le terme commence d’ailleurs
à être utilisé, avec parcimonie, après la Grande Guerre, même si on lui
préfère encore celui « d’enfant-héros », aux confins de la réalité et de la
fiction littéraire. Les guerres mondiales entérinent officiellement la sortie
du champ de bataille de l’extrême jeunesse : les écoles d’enfants de
troupes disparaissent juste avant la Grande Guerre et, contrairement aux
conflits du XIXe siècle, la guerre devient exclusivement une affaire
d’adultes. En théorie, du moins. En pratique, au contraire, on constate
pendant la Première Guerre mondiale le maintien d’une certaine porosité
entre le front et l’arrière et, par là, la diffusion après-guerre d’une image
ambiguë de l’enfant-soldat, moitié héros, moitié martyr innocent. Mais
c’est sans aucun doute la mémoire de la Seconde Guerre mondiale qui
contribue à cristalliser une image désormais négative, et exclusivement
négative : qui sont les derniers enfants-soldats du front occidental ? Les
jeunes enrôlés de la dernière armée d’Hitler. Pour nous, public
occidental, la principale référence récente d’enfants-soldats engagés sur
le sol européen est celle des jeunesses hitlériennes, incarnées par la
dernière photographie d’Hitler vivant, décorant quelques Hitlerjugend
blessés au cours de la défense de Berlin. Le poids historique de cette
image n’est certainement pas nul dans la représentation actuelle de
l’enfant-soldat, presque toujours présenté comme enrôlé de force et
victime de régimes « totalitaires », alors même que les adolescents
allemands étudiés ici sont le plus souvent des volontaires, contraints bien
sûr, mais idéologiquement.
Chapitre 4

Entrer en guerre, sortir de l’enfance ? Les « ado-


combattants » de la Grande Guerre

L e 8 mai 1915, le périodique pour enfants Mon journal publie la


réponse du président de la République Raymond Poincaré au jeune
Henri Lacorre, neuf ans, qui réclamait le droit de s’engager : « Le
patriotique désir qu’a exprimé Henri Lacorre ne peut malheureusement se
réaliser, la loi ne permet pas les engagements avant l’âge de dix-sept ans.
Mais c’est déjà servir la France que d’être un enfant sage et travailleurI. »
Loin d’être inédit, ce genre de correspondances revient régulièrement
dans la presse ou dans les ouvrages consacrés à l’enfance pendant la
Grande GuerreII : lettres au président de la République, lettres au
Maréchal Foch, lettres aux officiers de recrutement… si certaines sont
sans doute créées de toutes pièces par la presse pour satisfaire à
l’exaltation patriotique de la jeunesse, toutes ne sont pas imaginaires :
« Cher Monsieur, quand vous lirez ces lignes, vous penserez que je suis
stupide ou quelque chose d’approchant, mais je suis très sérieux. Mon
meilleur ami a été tué près des tranchées au front, mon frère a été déclaré
médicalement inapte par le West Kentis et mon père fabrique des obus à
l’Arsenal. D’abord je veux et je sais que je dois venger mon ami,
deuxièmement, je dois laver l’honneur de mon frère en prenant sa place, et
troisièmement je dois continuer l’œuvre commencée par mon père. J’ai 12
ans et 3 mois, je mesure exactement 1,60 m [5 pieds et 3 pouces] et 84 cm
[33 pouces] de tour de poitrine. Pourriez-vous s’il vous plaît faire votre
possible pour m’obtenir une place de tambour ou de clairon dans
n’importe quel régiment où il en faut, car je peux vous assurer que je ferai
tout mon possible pour mon Dieu, mon Roi et ma Patrie. Je suis votre
fidèle serviteur, H. J. PalmerIII. »
Retrouvée dans les archives de l’Imperial War Museum, la lettre de ce
jeune garçon, dont on suppose qu’elle s’est vu opposer elle aussi une fin
de non-recevoir, constitue une porte d’entrée vers un univers encore mal
connu : celui des adolescents volontaires de la Grande GuerreIV.
La mémoire collective n’a pas tellement gardé leur souvenir – et pour
cause : ils étaient bien peu nombreux au regard des millions d’hommes,
jeunes ou mûrs, qui combattirent pendant ce conflit. Bien plus, on
considère généralement que la Première Guerre mondiale sanctionne
définitivement la disparition des enfants du champ de bataille européen, à
l’exception notable de la dernière armée d’HitlerV ; désormais, c’est sur
un champ de bataille idéologique et symbolique que l’on trouve les
enfants, figures de proue des discours de guerreVI. Et pourtant, les
sources existent, qui font mentir l’idée générale : ce sont d’abord des
photographies, étonnamment plus nombreuses qu’on aurait pu le croire ;
mascotte, simple soldat, jeune caporal : des dizaines de très jeunes
visages français, britanniques, russes ou américains sont ainsi
immortalisés sur le front, au milieu de leurs camarades plus âgés, ou par
des photographes professionnelsVII. Ce sont aussi des documents de
l’administration militaire, tels que des certificats de démobilisation pour
enrôlement avant l’âge légal ou des lettres témoignant des démarches
engagées par les parents pour récupérer un rejeton fugueur, enrôlé sous
une fausse identité. Enfin, il faut compter avec les nombreuses sources
secondaires, souvenirs publiés ou mémoires inédites, qui achèvent de
composer un tableau bien plus complexe de la situation. Chaque pays
belligérant a conservé le souvenir d’un ou deux « enfants » combattants –
Jean-Corentin Carré en France, Jack Cornwell au Royaume-Uni – dont
l’histoire est devenue presque légendaireVIII ; mais les cas sont plus
nombreux que ces quelques individus, et les récits souvent moins
héroïques, plus prosaïques. Il en ressort que le phénomène est
suffisamment vaste pour constituer un objet d’étude à part entière.
Le malentendu vient sans aucun doute d’une question de vocabulaire :
bien que mineurs sur le plan légal, ces très jeunes combattants ne sont
plus des enfants. Âgés de quatorze à seize ans, parfois moins, ils ont
réussi à franchir plusieurs obstacles, et notamment celui de l’âge légal de
l’engagement volontaire (rappelons que l’âge de la conscription est fixé à
vingt ans, mais que l’engagement volontaire par devancement d’appel est
possible, pourvu du consentement parental, dès l’âge de dix-sept ans).
S’ils parviennent à tromper la vigilance des bureaux de recrutement, c’est
qu’ils n’ont plus l’air d’être des enfants. La réalité sociale de 1914 nous
le dit : en France par exemple, treize ans marque tout à la fois l’âge du
« discernement » pénal, la fin de la scolarité obligatoire et l’âge légal du
travail salarié. Le terme « d’enfants-soldats » est donc à l’évidence
impropre pour désigner des jeunes entre deux âges, des adolescents qui
jouent d’une ambiguïté physique et morale qui permet leur enrôlement.
Au terme trop communément acquis d’« enfant-soldat », on préférera
donc l’expression « ado-combattants » ; moins frappante peut-être, elle
restitue sans doute mieux la réalité de cette expérience particulière de la
Grande Guerre.

Pourquoi s’engager : enthousiasme patriotique ou goût de


l’aventure ?

À l’exception des États-Unis dont l’entrée en guerre en 1917 entraîne


un décalage chronologique, la plupart des engagements recensés le sont
au début de la guerre, en 1914 et 1915. Rien d’étonnant à cela :
l’enthousiasme de la jeunesse pour la guerre décline à mesure que la
guerre dure, que ses ravages sont mieux connus et que le sentiment de
lassitude va en augmentant :
« Pendant l’été 1915, on vit venir les permissionnaires […]. Je n’avais
pas de vocation de héros. Mon zèle se refroidissait et je n’avais plus
tellement envie de m’engager. L’aventure devenait cette chose triste dans
la boue des tranchées, en lutte avec les ratsIX. »
On peut penser aussi que le contrôle militaire et policier se renforce
avec les années, rendant plus difficile tant l’enrôlement précoce que
l’accès à la zone des armées pour de jeunes civils. Au début de la guerre
en revanche, on constate une certaine porosité dans le dispositif qui
permet à des adolescents de s’engager. Les causes de l’engagement sont
multiples ; elles peuvent être purement privées : pour certains, des
raisons familiales ou économiques entrent ainsi en ligne de compte. Mais
bien des récits soulignent le caractère explicitement patriotique de
l’engagement : « La déclaration de guerre me plongea dans une
effervescence absolue : j’étais déchiré entre l’amour de mon foyer et de
ma famille, et le profond désir de participer à la vaste entreprise militaire
de l’Oncle Sam […]. Le pays était rapidement devenu un vaste camp
militaire : partout on voyait des hommes en uniforme », raconte ainsi
Ernest Wrentmore, qui s’engage en Pennsylvanie en 1917 à l’âge de
douze ans et dix moisX.
Il faut certainement interpréter la ferveur patriotique adolescente
comme le fruit d’une double influence : celle des cultures de guerre
nationales d’une part, au sein desquelles la presse et la littérature
soutiennent fortement l’enthousiasme juvénileXI ; d’autre part, celle, plus
ancienne, d’un patriotisme d’avant-guerre, inculqué notamment à l’école.
À cet égard, la lettre que Jean-Corentin Carré adresse à son instituteur est
exemplaire ; engagé à quinze ans sous une fausse identité, il souligne –
tout en prenant soin de se mettre en scène – le rôle joué par l’école
républicaine dans sa décision :
« Sur ces bancs, où j’ai usé pas mal de fonds de culottes, j’ai appris la
chose principale à observer dans cette vie : le devoir. C’est là que j’ai
appris que la Patrie représentait non seulement la terre où je suis né, mais
qu’elle représentait encore les traditions et l’honneur d’une race à faire
respecter. Je ne me suis pas engagé pour faire parler de moi ; pour qu’on
dise : “Celui-là est un brave !” Je préfère rester inconnu, et je ne cherche
que ma satisfaction personnelle du devoir accompli. Dans cette guerre, il
ne faut pas dire, ce n’est pas un serviteur de plus qui sauvera la France,
certainement non ; mais il contribuera à la sauver. La France a besoin de
tous ses enfants ; tous doivent être prêts à se sacrifier pour elle. […]
Mais faut-il penser à cela, lorsqu’une formidable armée menace de
ravager et d’anéantir notre pays ? Je ne pourrais pas vivre sous le joug
d’ennemis qui, à chaque instant, me feraient sentir leur supériorité ; c’est
pourquoi je suis soldat.
Eh bien, ce sentiment de l’honneur, c’est à l’école que je l’ai appris, et
c’est vous, Monsieur Mahébèze, un de ceux qui me l’ont enseigné. Je
souhaite que tous les petits écoliers du Faouët comprennent les leçons que
vous leur donnez de la même manière que je les ai comprises. La vie, en
elle-même, n’est rien, si elle n’est bien remplieXII. »
Mais il y a encore une autre raison qui pousse les adolescents vers
l’engagement précoce : ce que l’on pourrait appeler le goût de
l’aventure : « Je me sentais tout vibrant de patriotisme, prêt à reprendre
l’Alsace et la Lorraine, prêt à m’engager dans l’infanterie. […] Le
compte rendu journalistique des crimes commis par les Allemands dans
le nord de la France nous agita un peu. Il s’y mêlait quelques relents
grivois du fait des viols qui excitaient notre curiosité et peut-être un peu
notre envie », se souvient Armand Vincent, né en 1899XIII. Du point de
vue des adolescents, on pourrait parler d’un véritable climat d’excitation
:
« Les premiers mois de la guerre furent plein d’exaltation [excitement].
Les alarmes occasionnelles lors des raids de Zeppelins voyaient la plupart
des occupants des appartements, grimpés sur le toit pendant la nuit,
confondant avec impatience les étoiles brillantes avec les lumières des
ZeppelinsXIV. »
« Excitation » est en effet l’un des termes qui revient le plus
fréquemment pour décrire les sentiments ressentis par cette classe
d’âge – trop jeune pour combattre officiellement mais déjà trop âgée pour
en faire son deuil :
« Nous étions désormais en guerre, guerre qui fut déclarée le 4 août
1914 – un jour qui brille dans ma mémoire, malgré les soixante-quatorze
années qui ont passé. Ce fut tout juste onze jours avant mon 15e
anniversaire. Je n’avais jamais ressenti une telle excitation. L’idée même
de guerre me ravissait. Le glamour et le romantisme de tout cela ! »XV
Il y a, on le sait, une relation particulière entre l’adolescence et la
violence, surtout quand celle-ci est exaltée comme positive et justeXVI.

Comment s’engager : modalités de contournement, échecs et


réussites
La volonté de s’engager ne fait pas tout. Encore faut-il franchir les
différentes étapes qui séparent le foyer familial des tranchées. Pour
beaucoup, le périple commence par une fugue :
« À l’insu de ma mère, je suis parti comme volontaire (j’avais quatorze
ans), avec mon meilleur copain d’école. Nous sommes arrivés jusqu’à
l’arrière du front, où l’on ne voulait pas nous garder vu notre âge. Mais le
capitaine s’est laissé attendrir par nos supplications et nos larmes, et nous
a envoyés aux cuisines. Corvée de peluche ! [sic] Seulement, en allant
accompagner la cantine au front, j’ai été blessé par un éclat d’obus, qui a
tué le cheval. Et vu mes contusions, j’ai été dirigé sur l’hôpital de
Leningrad, où nos parents, affolés, qui nous cherchaient partout, sont
venus nous récupérer et nous ramener à la maisonXVII. »
À lire la littérature pédagogique de la Grande Guerre, la tentative
semi-ratée de Serge Papko n’a rien de bien exceptionnel, au moins pour
la première année de conflit. Dans son étude sur l’école et la guerre,
Mme Hollebecque note ainsi :
« Pour quelques-uns qui, favorisés par les circonstances, ont pu
atteindre le front, […] combien d’autres sont revenus de leur propre chef
ou ont été ramenés par les gendarmes. Fait important : les départs
d’enfants, très nombreux parmi les élèves des écoles communales et des
écoles primaires supérieures, se réduisent à quatre pour les lycéens : deux
enfants de 11 et 14 ans au lycée Montaigne, un élève du lycée Janson de
Sailly âgé de 15 ans et demi, un élève du lycée de Nice de 15 ans et demi.
Tout autres sont les chiffres pour les écoles primaires supérieures : 6 à
l’école Lavoisier, 2 à l’école Arago, 1 à Chaptal, 2 à Turgot, 6 à Jean-
Baptiste Say. Tandis que nous n’avons vu signaler aucun cas de fugues
enfantines dans les 1er, 8e et 16e arrondissements – où les élèves sont
recrutés dans des milieux quasi bourgeois – nous relevons 15 départs pour
les seules écoles de garçons de l’avenue Félix-Faure, 7 dans le 15e
arrondissement, 14 dans le 13e, 13 dans le 12e ; 11 dans la 7e
circonscription ; 26 dans la 10e ; 20 dans la 6e, dont deux fillettes de 12 et
13 ans qui partirent, le 18 mai, pour aller soigner des blessés serbesXVIII. »
L’interception des jeunes fugueurs par la police ou les gendarmes
s’inscrit en effet dans un contexte plus large de contrôle social accru vis-
à-vis de la jeunesse ; depuis les débuts de la IIIe République, la
législation de protection de l’enfance s’est affinée : l’enfant (jusqu’à
treize ans) n’est plus un travailleur mais un écolier ; sa place n’est ni à
l’établi ni dans la rue mais à l’école. Pour autant, certains fugueurs
réussissent, et atteignent le front. C’est ce que souligne l’hommage
posthume rendu en 1958 à Albert-Gabriel Pico, ancien secrétaire général
de la Légion des Mille, en rappelant sa première citation : « À 15 ans et
demi, a sauté le mur du Prytanée militaire de la Flèche pour rejoindre, en
première ligne, ce régiment d’infanterie où son père, mort pour la France,
avait servi [en 1915]. Croix de guerre à l’ordre du corps d’Armée
décernée à l’âge de 15 ans et neuf moisXIX. »
Parmi les adolescents qui combattent, faisons d’emblée un cas à part
de la marine. Dans la plupart des pays existe en 1914 l’équivalent de
l’École des mousses française. Acceptés dès l’âge de douze ans, les
jeunes matelots ont ensuite la possibilité de prolonger leur engagement, à
partir de seize ans, comme apprentis marins. La lecture des registres
matricules le prouve, nombreux sont ceux qui ne font que « régulariser »
leur situation lors de leur seizième anniversaire : « Roger, Jean, Villette.
Né le 17 juillet 1902 à Pantin. Résidant à Brest ; profession : mousse.
Engagé volontaire pour dix ans le 17 juillet 1918 à la mairie de Brest, au
titre du 2e Dépôt des Équipages de la Flotte, incorporé le 17 juillet 1918.
Arrivé au corps le 23 avril 1917 comme mousse provenant de chez ses
parents », c’est-à-dire à quatorze ansXX. Si l’on excepte les mousses, qui
semblent représenter une large part des très jeunes combattants de la
Grande Guerre, tous les autres cas ont en commun une première étape : le
mensonge sur leur âge.
« Ma grande inquiétude était que la guerre ne finisse avant que je sois
suffisamment vieux pour y participer. À seize ans, je me rendis en secret à
la caserne de la cavalerie située en périphérie, et passais par
l’embrouillamini de l’enrôlement. Mais le colonel eut des doutes sur mon
âge et écrivit à mon père. Ce colonel s’appelait Griffiths et je me rappelle
avoir lu sa lettre. Mon père prit des mesures immédiates et un
inconsolable soldat en devenir fut renvoyé au bercail. »XXI
Au mensonge sur leur âge s’ajoute, pour certains, le mensonge sur leur
identité : Ernest Wrentmore, douze ans, s’engage ainsi sous le nom de
Henry Earl Monroe, et se présente à l’agent recruteur comme un orphelin
de dix-huit ans. Toutefois, cette falsification volontaire, nécessaire au
succès de l’entreprise, est aussi génératrice d’angoisse. Plusieurs ado-
combattants redoutent ainsi de mourir sous un faux nom, rendant
impossible leur identification et, par là, toute information envoyée à leur
famille. Le jeune Wrentmore, tiraillé entre son désir de combattre et la
peur de disparaître corps et bien, choisit par exemple d’expédier une
carte de la Croix-Rouge avec son vrai nom à ses parents, juste avant de
s’embarquer pour la France ; il s’achète également un petit carnet
étanche : « J’y notais mon nom et mon adresse, le nom de mon père et
son adresse, et plaçait le bloc-notes dans ma ceinture porte-
monnaieXXII. »
Cette angoisse d’une disparition totale, sans laisser de traces, occupe
visiblement les très jeunes combattants engagés sous une fausse identité.
Elle est souvent à l’origine du dévoilement de la vérité, soit par les
parents, prévenus à distance, soit par les garçons eux-mêmes. C’est le cas
de Jean-Corentin Carré, le plus célèbre des adolescents combattants
français. Né en 1900 dans le Morbihan, reçu au certificat d’études à
douze ans, Carré suit son employeur dans les Basses-Pyrénées en 1913.
C’est là que la guerre le « prend », puisqu’il s’engage à Pau le 27 avril
1915 sous le nom d’Auguste Duthoy, en se faisant passer pour un réfugié
des Ardennes (la présentation de papiers d’identité n’était pas obligatoire
pour les réfugiés). Il part pour le front en octobre 1915, d’abord dans le
secteur de Sainte-Menehould. En mai 1916, il écrit à sa sœur depuis
Verdun : « Nous allons dans un coin mouvementé, et comme on ne sait
jamais ce qui peut arriver, je vais te dire ce qu’il faut que tu fasses au cas
où je serais tué. […] Si je suis tué, certainement que l’acte de décès ne
viendra pas au Faouët, vous le demanderez ici et vous le porterez à la
Mairie. Parce qu’on pourrait m’appeler en même temps que ma classe et
me porter déserteurXXIII. » Puis, le 29 décembre 1916, quelques jours
avant son dix-septième anniversaire, il écrit au colonel de son régiment
pour retrouver sa véritable identité :
« Mon colonel,
Je vous prie de m’excuser de ne pas employer la voie hiérarchique pour
vous écrire ; c’est à titre personnel que je m’adresse à vous. Mon identité à
votre régiment est : Sergent Duthoy (Auguste) né à Rumigny (Ardennes),
le 10 avril 1897, engagé pour la durée de la guerre à Pau (Basses-
Pyrénées) le 27 avril 1915 et cité à l’ordre du corps d’armée le 24
novembre dernier.
Cette identité est fausse : mon nom est Carré (Jean-Corentin). Je suis né
à Le Faouët (Morbihan) le 9 janvier 1900. Je suis donc de la classe 20 et
non de la classe 17.
Le 27 avril 1915, jour où je me suis engagé, j’avais 15 ans. Il fallait
avoir 17 ans au moins pour être accepté par le recrutement. Je savais que
les réfugiés des pays envahis pouvaient s’engager sans papiers, beaucoup
d’entre eux n’en ayant pas ; j’ai alors inventé de toutes pièces l’identité
que je porte depuis deux ans et ainsi réussi, après quelques mois
d’instruction, à venir au front faire mon devoir avec tous les soldats
français.
Mon père et ma mère, paysans bretons, ayant maintenant trois fils sous
les drapeaux, se sont rendus à mes raisons et m’ont laissé libre. J’aurai
dix-sept ans le mois prochain.
C’est pourquoi je vous écris pour vous demander s’il me serait possible,
ayant l’âge réglementaire, de reprendre mon véritable nom. J’ose
m’adresser à vous parce que, s’il n’était pas possible de changer de nom
sans quitter le front, je préférerais rester ardennais jusqu’à la fin de la
guerre et sans que mes chefs directs sachent la vérité.
Je ne suis pas plus patriote qu’un autre, mais je considère qu’un
Français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste
à l’arrière.
Encore une fois, je vous prie de m’excuser de ne pas employer la voie
hiérarchique, et vous demande d’être assez aimable pour me répondre
personnellement.
Mon colonel, je suis, sous vos ordres le serviteur de la France.
Duthoy, sergent, 410e régiment d’infanterie, 9e compagnieXXIV. »
Entrer en guerre, sortir de l’enfance : refuser l’autorité parentale
?

L’engagement précoce apparaît souvent comme un acte délibéré,


mûrement réfléchi, et non comme un geste impulsif. La difficulté pour
rejoindre le front, en elle-même, met la détermination des adolescents à
l’épreuve. Même très jeunes, ces ado-combattants revendiquent donc leur
choix, jusque dans ses dernières conséquences : « D’abord, si je suis tué,
je ne veux pas que vous demandiez quoi que ce soit au gouvernement ;
je suis engagé et je n’ai droit à rienXXV. » Cette dimension volontariste
éclaire alors d’un jour nouveau la question des réactions parentales et de
l’attitude supposée des parents. L’argument le plus fréquemment utilisé
pendant la guerre dans la littérature pédagogique est celui du laxisme des
mères :
« Le départ du père, durant l’année de guerre 1914-1915, a bien souvent
contribué à rendre plus lâche la surveillance et à permettre ainsi des
fugues qui n’auraient point eu lieu en sa présence. Les mères ont parfois
manqué de volonté et d’intelligence. L’école alors s’est substituée à la
direction morale qui faisait défaut ; chaque fois qu’ils l’ont pu, les maîtres
ont jugé sévèrement les départs d’écoliers et ont empêché les
récidivesXXVI. »
Les mères sont ainsi communément désignées sinon comme les
responsables, du moins comme les complices involontaires des fugues,
faute d’une autorité suffisante. Pourtant, à lire les sources, on constate
que les mères s’opposent souvent farouchement au départ : « “Je suis si
heureuse, mon fils, que tu ne sois pas assez âgé pour partir à la guerre”.
“Moi aussi, Maman”, répondis-je rapidement. Au même moment,
j’essayais d’imaginer à quoi je ressemblerais en uniformeXXVII. » La
théorie d’un laxisme des mères est d’autant plus douteuse que la plupart
de ces adolescents passent également outre le refus des pères. Ces
derniers s’avèrent aussi impuissants que leurs épouses à les retenir, et
peut-être même davantage dans la mesure où ils ont souvent joué un rôle
pionnier dans l’exaltation patriotique de leurs enfants. L’historien
britannique Richard Van Emden rapporte ainsi le cas du jeune Cecil
C. Withers, engagé en 1915 contre l’avis de son père ; ce dernier fait
paraître dans le Times du 10 mars 1916 l’annonce suivante : « Cecil C.
W. – Tout va bien, ne réclamerai pas ta démobilisation si tu envoies une
adresse complète ; passé pardonné. PèreXXVIII. » Geste d’acceptation et
d’apaisement d’un père, l’annonce est aussi acte de résignation et
d’abdication de l’autorité paternelle. L’engagement précoce marquerait
ainsi de manière beaucoup plus brutale qu’en temps de paix la volonté
des adolescents de sortir de l’enfance, c’est-à-dire aussi de s’affranchir de
l’autorité parentale et de la « soumettre » à leur propre autorité.
À l’opposé de la « résistance parentale », et notamment paternelle, on
constate une certaine tolérance des officiers et des soldats du rang vis-à-
vis de ces très jeunes recrues. À lire les récits postérieurs, il semble que
personne ne soit vraiment dupe des usurpations d’identité et d’âge.
Pendant ses classes, Ernest Wrentmore, alias Henry Monroe, est la cible
de petites plaisanteries qui attestent la clairvoyance de ses compagnons
d’armes : « “Je dois me présenter au rapport à une heure. – Peut-être que
ton père t’a rattrapé”, dit Harry, en souriant. Je me hérissai
immédiatement. “Oh, Hank, je ne fais que plaisanter”XXIX. » Durant cette
période d’entraînement, d’autres indices signalent à l’ado-combattant que
les soldats ne sont pas dupes : il ne reçoit pas de courrier, tout le monde
l’appelle « kid », il devient le bouc émissaire des tâches dégradantes,
« le capitaine des latrines » – peut-être pour le dégoûter ? Une fois
parvenu à Bar-sur-Aube, les doutes semblent s’accentuer, notamment au
sein de l’encadrement : « Viens ici gamin, pourquoi ne dis-tu pas la
vérité ? Quel âge as-tu n’importe comment ? Je pourrais te sortir de
l’enfer vers lequel nous allons si tu disais seulement un motXXX. »
Wrentmore cite encore plusieurs exemples de ces adultes qui essaient de
le raisonner, sans pour autant le dénoncer et le renvoyer chez lui : « Je te
parie un mois de solde que tu aimerais rentrer aux bons vieux États-Unis.
Qu’en dis-tu, gamin ? T’aimerais pas avoir tes pieds sous un pupitre
d’école, là tout de suite ? », lui demande ainsi Harry, son plus proche
camaradeXXXI. Cette tolérance mâtinée d’inquiétude est loin d’être une
exception. L’armée britannique organise ainsi à Etaples un camp
spécialement destiné aux recrues trop jeunes :
« Retour à Etaples, je rejoignis un tas d’autres garçons mineurs. Il y
avait beaucoup d’Ecossais parmi eux. On ne nous renvoya pas en
Angleterre. Ils voulaient former une compagnie de jeunes soldats quand
nous serions assez nombreux. Donc en attendant, retour à la vieille corvée
de cimetière. C’était un triste métier – les cercueils étaient faits
grossièrement et parfois du sang sortait à travers le fond parce que ces
hommes étaient tous morts de leurs blessures à l’hôpital. On se disait
qu’on deviendrait fossoyeurs quand on rentrerait à la maisonXXXII. »
Sans être renvoyés chez eux, ces ado-combattants sont tout de même
temporairement exclus de la zone de combat, en attendant qu’ils aient
atteint l’âge légal de l’engagement volontaire.
Bien sûr, il est fréquent que des parents lancent une procédure pour
récupérer leur fils et parviennent à le faire démobiliser. L’armée ne
s’oppose pas officiellement à la démobilisation de recrues illégales. Mais
il arrive que certains officiers opposent une certaine réserve quant aux
réclamations parentales ; ainsi, cette lettre du colonel J. H. Lloyd
répondant à la mère d’un ado-combattant engagé dans le 15e Fusiliers de
Lancashire :
« Mme Evans, je réponds à votre lettre du 11 juillet. Je connais assez
bien votre fils car il remplit souvent la fonction de messager, etc, et c’est
tout à fait un homme exceptionnellement intelligent. Je suis étonné
d’apprendre qu’il est si jeune. Il a l’air d’un garçon ordinaire de 19 ou 20
ans. Je peux difficilement imaginer qu’il doive être démobilisé comme
mineur, en étant physiquement si grand et fort. La règle est que si
l’homme ou le garçon est à la hauteur de la tâche, il reste, qu’il soit
mineur ou non. Je serais vraiment désolé si quelque chose lui arrivait. De
toute façon, il a réussi à traverser notre part de la grande bataille – bien
qu’environ trois quarts du Bataillon ont été épuisés, ce dont nous devons
être soulagés. Cordialement, J. H. LloydXXXIII. »
Plusieurs explications s’offrent à nous pour interroger cette tolérance
avec laquelle les combattants « couvrent » leurs très jeunes camarades.
La première relève du contexte socio-économique des années 1910 : le «
jeune travailleur » fait partie intégrante du paysage social, qu’il soit
urbain ou rural. À la veille de la guerre, l’âge légal du travail est à peu
près fixé en Europe vers douze/treize ans. Les hommes ont donc coutume
d’avoir auprès d’eux des adolescents, qu’ils ne considèrent plus comme
des enfants ; la présence de ces mêmes adolescents à leurs côtés sur le
front, ou à l’arrière-front mais toujours dans la zone des armées, n’est
donc pas en soi choquante. La seconde explication est plus spécifique au
contexte de guerre et nous renvoie à la rhétorique combattante sur
l’ingratitude de l’arrière : la presse de tranchée comme les
correspondances disent l’amertume des soldats, leur angoisse d’être
oubliés ou d’être trahis par ceux restés à l’arrièreXXXIV. Dès lors,
l’engagement précoce, dans son illégalité comme dans son volontarisme,
est peut-être « rassurant » pour les combattants adultes en ce qu’il traduit
d’abord l’admiration que les jeunes fugueurs leur vouent. Enfin, une
troisième hypothèse réside dans la nature des rapports d’autorité entre le
commandement et les soldats. Si les ado-combattants rejettent, par leur
geste d’engagement, l’autorité paternelle, ils revendiquent en revanche
l’autorité militaire de leurs chefs, remplaçant ainsi une paternité civile
héritée par une paternité de guerre choisie. Cette relation particulière, qui
expliquerait la tolérance des officiers vis-à-vis des ado-combattants, est à
rapprocher des études récentes sur l’autorité militaire pendant la Grande
Guerre ; comme l’écrit Emmanuel Saint-Fuscien, « un registre lexical lié
à “l’affectif” apparaît dans les descriptions de l’autorité au front.
Relativement dépréciées avant guerre, notamment par les défenseurs de
la relation d’autorité traditionnelle, l’affection, l’amour, la douceur
semblent s’imposer dans une pratique d’autorité liée à la durée de la
violence de combattant. […] On ne peut s’empêcher de percevoir dans
ces évocations l’expression d’une autorité “dévirilisée”, maternelle, qui
s’exerce souvent sur de très jeunes soldatsXXXV ».

L’épreuve du feu

Sans surprise, un premier dépouillement révèle que la peur est le


sentiment qui domine les récits d’attaque. Impression partagée par la
majorité des soldats, mais qui semble redoubler du fait même de la
transgression qui a rendu la situation possible. Ernest Wrentmore décrit
ainsi précisément sa réaction quand il est enfin déclaré bon pour le
service : « une sensation de malaise dans le creux de l’estomac. […]
C’est là que j’allais échouer ! J’en étais presque arrivé au point de
raconter toute l’histoire au capitaine. Mais peu à peu je repris le contrôle
de la situationXXXVI ». Le sentiment de peur, voire de terreur, culmine au
moment de la montée en première ligne. Le même Wrentmore se
souvient de sa première attaque, lors d’une offensive allemande avec
utilisation de gaz : « J’étais muet de peur, mais je parvins à me
camoufler. […] Cette expérience, et toutes les horribles autres qui
suivirent, me maintinrent dans un état constant de peur et de terreur –
jour et nuitXXXVII. » La confrontation à l’imminence du combat peut
ainsi provoquer l’effondrement de l’adolescent, et donc de son système
de mensonge, comme le rapporte un sous-lieutenant, lui-même engagé
précocement :
« L’homme n’était qu’un garçon, que je connaissais depuis
l’Angleterre… Je le trouvais tapi contre un tas de craie, presque en pleurs.
Il avait l’air plus jeune que jamais. “Je ne veux pas y aller”, dit-il en se
jetant sur moi avec la plus impudique des terreurs, “je n’ai que dix-sept
ans, je veux rentrer à la maison”. Les hommes autour évitaient mon regard
et paraissaient plus compatissants que dégoûtés. “Je ne peux rien y faire
pour le moment”, répondis-je d’une voix sévère. J’avais moi-même dix-
neuf ans et trois mois. “Il fallait y penser avant de t’enrôler. N’as-tu pas dit
que tu avais dix-neuf ans ? – Si, monsieur. Mais ce n’est pas vrai, je n’ai
que, et bien, je n’ai pas tout à fait dix-sept ans, monsieur. – Et bien, c’est
trop tard maintenant, dis-je, tu vas devoir passer au travers et je ferai ce
que je pourrai quand on en sera sortis”. Je lui tapais sur l’épaule […] et il
sembla reprendre courageXXXVIII. »
Mais pour ceux qui surmontent leur terreur, il semble que, non
contents de se battre, ils le fassent de surcroît avec audace, voire avec
inconscience. Dans les photos du fonds Rumpf, on trouve ainsi plusieurs
clichés de très jeunes combattants, français ou russes, arborant fièrement
blessures, médailles, ou tout simplement les signes d’une expérience déjà
longue ; ainsi la photo de « Petit Pierre de Loos », en uniforme, campé
sur sa bicyclette, et sous-titrée par le photographe : « 14 ans, 3 brisques »,
autrement dit, quatorze ans et deux ans d’ancienneté au frontXXXIX. De
même, Jean-Corentin Carré multiplie les initiatives qui lui valent, à tout
juste seize ans, plusieurs citations et promotions : blessé légèrement aux
jambes le 11 juin 1916 à Verdun, il refuse d’être évacué et obtient le
19 juin le grade de sergent. En novembre de la même année, il est
volontaire pour une mission qui lui vaut sa première citation à l’ordre du
corps d’armée et la croix de guerre : « patrouilleur émérite ; volontaire
pour toutes les missions dangereuses. S’est offert pour aller avec son
officier poursuivre l’ennemi après une attaque sur nos tranchées. S’est
élancé avec un de ses grenadiers sur un Allemand et l’a amené dans nos
lignes. Avait déjà ouvert à la cisaille une brèche dans les fils de fer
ennemis les jours précédentsXL ». L’attitude au front de certains ado-
combattants prolonge-t-elle les motivations de leur engagement initial, et
notamment le goût de l’aventure recherchée alors ? On est forcé de se le
demander, sans pouvoir évidemment trancher cette question. C’est en
tout cas une hypothèse plausible pour Jean-Corentin Carré qui demande
en avril 1917, devenu adjudant et cité une nouvelle fois à l’ordre de la
division, à rejoindre l’aviation sous sa véritable identité. Dans le cahier
qu’il rédige vraisemblablement au cours de sa formation de pilote, Carré
justifie ce choix de l’aviation :
« Ainsi se termine la vie des tranchées. Je quitte l’infanterie, non pas
pour les peines et les misères qu’on endure dans cette arme, mais parce
que je trouvais la responsabilité de cinquante vies humaines que je
commandais un peu lourde pour mes jeunes épaules. Au revoir mes braves
poilus ! Dans l’aviation, je tâcherai de montrer ce que vaut un Breton du
410e. »
Pour l’ado-combattant, l’engagement n’est-il pas d’abord personnel ?
N’est-il pas une prise de risque volontaire et avant tout individuelle ?
Telle pourrait être une des explications du choix d’une arme
particulièrement exposée. Jean-Corentin Carré trouve la mort à bord de
son avion au cours d’une mission de surveillance, le 18 mars 1918, ce qui
lui vaut sa troisième citation, à titre posthume : « Attaqué par trois
avions ennemis, s’est défendu énergiquement jusqu’à ce que son appareil
soit abattu, l’entraînant dans une mort glorieuse. »

Après la guerre : la mort ou l’oubli ?


Les seuls ado-combattants de la Grande Guerre à ne pas avoir été
complètement oubliés sont morts au champ d’honneur. Dans le cas
français, ils sont à peine deux ou trois, à propos desquels le souvenir
élaboré dans les années 1930 prend une tournure largement apocryphe.
C’est le cas par exemple de Désiré Bianco, né en 1902 en Italie,
embarqué clandestinement à bord du France à Toulon pour rejoindre
comme pupille le 58e régiment d’infanterie coloniale. Comme en atteste
sa fiche établie par l’administration militaire en 1920, Désiré Bianco est
bien « mort pour la France » à treize ans, le 8 mai 1915, « tué à l’ennemi,
dans la région du Fortin de l’Haricot, Dardannelles »XLI. Mais, à la
manière de Joseph Bara ou d’Agricol Viala, morts en 1793 et dont la
légende révolutionnaire veut qu’ils soient tombés en criant « Vive la
République ! », le récit de la mort de Désiré Bianco s’étoffe après-
guerre : « L’enfant-soldat (sic) se porta sur le front de sa compagnie en
criant : “En avant à la baïonnette !” attaque dans laquelle il trouva la
mortXLII. » D’autres récits, sans citer de sources, le représentent encore
chargeant « un sabre dans sa main droiteXLIII ». C’est à la fin des années
1930 que les deux « enfants-héros » sont officiellement célébrés comme
des martyrs de la Grande Guerre : inauguration d’un buste de Désiré
Bianco dans le square du 4eRIMA à Toulon le 17 mai 1936, inauguration
d’un monument à la mémoire de Jean-Corentin Carré dans sa commune
du Faouët le 7 mai 1939.
Ce « retour mémoriel » un peu tardif a une explication : ces
célébrations sont largement le fruit de l’activisme d’une association, la
Légion des Mille, « Groupement des mille plus jeunes volontaires ayant
combattu en France pendant la Guerre 1914-1918 », fondée le 16
novembre 1935 à Paris. Autrement dit, par les ado-combattants
survivants et tombés dans l’oubli :
« Qui donc aujourd’hui se souvient que des Bianco, des Huet, des Gsell,
des Rato, des Chassignol, des Saley, et tant d’autres, eurent de belles
âmes, si ce n’est nous qui les connaissons et aussi ceux qui les ont
enfantés, leurs vieux parents auxquels, honteusement, on laisse tristement
méditer que, pour les peuples, la reconnaissance est un fardeau bien lourd
à porterXLIV. »
La Légion des Mille édite et vend des timbres-souvenirs, constitue un
annuaire, anime des conférences sur les plus célèbres des jeunes
volontaires. Elle tient également, dans son bulletin, la nécrologie de ces
membres. La teneur des quelques numéros conservés à la Bibliothèque
nationale de France est cependant tenace et traduit une impression
d’amertume, voire de rancœur :
« Depuis la mort de notre camarade Jean-Corentin Carré, vingt ans se
seront bientôt écoulés, et il peut sembler que les heures que nous vivons
ne portent pas à l’exaltation de sentiments aussi hauts que ceux dont fut
animé le petit poilu du Faouët ; c’est une erreur que de penser ainsi. […]
Toute idée, tout pays qui veut vivre a besoin de ses martyrs. Jean-Corentin
Carré en fut un au sens littéral du mot. Voilà pourquoi, rendant
aujourd’hui hommage à sa mémoire, nous pensons qu’il était bon de
donner son exemple, comme nous avons donné celui de tous nos disparus,
pour que leurs idées, leurs pensées survivent à leur mort, pour qu’elles
fleurissent même dans leurs tombeaux, car pendant la guerre ils n’ont
prétendu qu’à une chose : servir ardemment la cause de leur patrie et celle
de la paixXLV. »
Cette exaltation pacifiste, bien représentative de son époque, ne vient-
elle pas contredire les motivations de l’engagement précoce, telles que
les ado-combattants eux-mêmes les ont décrites ? Ce besoin de faire de
Carré et des autres des martyrs de la paix nous renseigne donc moins sur
leur geste d’engagement que sur la place difficile occupée par les anciens
« volontaires précoces » dans la France de l’entre-deux-guerres et dans la
mémoire collective. Éminemment transgressif, l’engagement précoce est
difficilement exaltable dans une société de paix, qui plus est dans le
contexte munichois de la fin des années 1930. C’est notamment le
caractère volontaire de ces engagements qui heurte et doit dès lors être
habilement contourné ; décrivant l’insigne dessiné pour l’association, le
Bulletin de la Légion des Mille note : « Pour concrétiser la Légion des
Mille, Robert Louis, expert au Service historique de l’armée, a voulu
qu’elle soit figurée par un jeune chêne, arbre vigoureux arraché à la
vieXLVI. »
À l’évidence, les ado-combattants de la Grande Guerre furent peu
nombreux. La Légion des Mille, pourtant encline à souligner leur
importance, arrive en 1959 à un bilan ténu : pour mille membres environ,
l’annuaire ne recense que quarante-deux individus engagés à moins de
dix-sept ans, dont quatorze dans la Marine. L’importance numérique de
cette forme de mobilisation est faible, pour ne pas dire nulle. Son impact
symbolique, en revanche, est sans doute plus important. Ingénument, la
Légion des Mille se donne pour devise « Le devoir et plus que le
devoir ». Tout réside, semble-t-il, dans ce « plus », c’est-à-dire dans la
dimension transgressive de ces engagements précoces que rien ne justifie
sinon une volonté personnelle, un désir – influencé sans nul doute,
parfois fortement, construit par un environnement familial, social et
politique, par des discours, par une culture antérieure – mais qui n’est pas
contraint. L’idée d’un « désir de guerre » nous met profondément mal à
l’aise, surtout si l’on s’obstine à regarder ces très jeunes combattants
comme des enfants. Mais si on l’accepte de les voir comme des
adolescents, ouvrant ainsi la porte à un champ socio-affectif beaucoup
plus large, on obtient au moins une des clés : l’engagement précoce
incarnerait un moyen d’expression privilégiée (parmi d’autres, la
délinquance par exemple) de pratiques constitutives de l’adolescence,
entre filiation et transgression.
Manon Pignot
Chapitre 5

La dernière armée d’Hitler : adolescents


allemands pendant la Seconde Guerre mondiale

L e 20 avril 1945, Hitler fêta son anniversaire en venant


personnellement féliciter et décorer vingt garçons membres de la
Jeunesse hitlérienne qui s’étaient distingués dans des combats pour
empêcher l’Armée rouge de traverser l’Oder et d’atteindre Berlin. On
peut voir, dans la dernière séquence filmée où il apparaît, le Führer
tapoter la joue de l’un d’entre eux dans le jardin de la Chancellerie du
Reich, avant qu’il ne retourne dans son bunker et que les enfants soient
renvoyés devant l’ennemi. Le 1er octobre 1944, on avait ordonné aux
garçons allemands âgés de quinze ans de se rendre à un entraînement de
préparation militaire, dans le cadre de la troisième levée d’hommes
organisée par Heinrich Himmler en vue de renforcer la milice populaire
ou Volkssturm. Dès le 5 mars 1945, le Haut Commandement de la
Werhmacht étendait le service militaire dans les forces armées régulières
afin de permettre la conscription des garçons de seize ans. Beaucoup
d’adolescents allemands allaient perdre la vie au combat dans les derniers
mois du conflit, au moment où le régime nazi, le Reich étant devenu lui-
même un des principaux champs de bataille, tentait d’orchestrer une
forme de résistance populaire de la dernière chanceI.
Comparé à d’autres utilisations d’enfants-soldats aux XIXe et XXe
siècles, le cas allemand est exceptionnel à divers titres. Premièrement, le
recrutement fut organisé de manière centralisée par l’État et les
formations du parti nazi ; deuxièmement, il resta dans l’ensemble encadré
par des restrictions d’âge clairementdéfinies, malgré quelques cas
d’enfants plus jeunes qui furent enrôlés dans des unités de combat ;
troisièmement, les adolescents membres de la Jeunesse hitlérienne ne
furent pas dispersés au milieu de groupes d’adultes, mais restèrent le plus
souvent groupés au sein de leurs unités, tandis que des adultes
expérimentés les rejoignaient pour jouer le rôle de formateurs et
d’officiers. À cet égard, le recrutement de la Jeunesse hitlérienne se
différencie à la fois de celui des enfants-soldats dans les guerres civiles
contemporaines en Afrique ou au Népal, et de pratiques plus anciennes
dans l’armée et la marine anglaises aux XVIIIe et XIXe siècles.
Après 1945, il est devenu banal de considérer le sacrifice insensé de la
jeunesse allemande comme l’illustration de la tentative de destruction
d’une société par un régime. D’autres voient dans la « tromperie », la
« séduction » exercée par le régime sur la jeunesse, une image de la
manipulation et de la trahison par les nazis de la société allemande dans
son ensemble. Il est sans doute vrai que la dernière levée en masse
mettait au grand jour les contradictions au cœur du nazisme. S’érigeant
en protecteur de la jeunesse, le régime nazi avait justifié sa volonté de
purifier la nation, de lutter pour son « espace vital » et de combattre les
forces « judéo-bolcheviques », afin de protéger la génération suivante, de
préserver l’avenir racial du pays. C’est cette raison qui avait été invoquée
pour justifier la mise en place de camps d’été de la Jeunesse hitlérienne
ainsi que les évacuations en masse d’enfants dans les villes menacées par
les raids aériens ; de même que cela avait justifié qu’on prive de
ressources les délinquants « inéducables », qu’on stérilise les jeunes
filles « faibles d’esprit » et que l’on déporte les Juifs. Mais, à partir de
1944-1945, cette jeunesse au nom de laquelle les nazis avaient poursuivi
leur vision utopique se voyait sacrifiée pour assurer leur défenseII.
Mais, comme nombre d’autres tentatives hâtives pour marquer la
distance entre la République fédérale allemande et le Troisième Reich, la
thèse selon laquelle les Jeunesses hitlériennes auraient été les victimes
d’un régime génocidaire se retournant contre la société allemande elle-
même, obscurcit les choses plus qu’elle ne les éclaire. Certes, à
l’automne 1944, le recrutement dans le Volkssturm n’était pas non plus
volontaire, et dès la fin 1944, les parents étaient menacés de sanctions
légales si leurs fils ne s’enrôlaient pas. Mais c’est oublier ce qui avait
déjà eu lieu : en août 1944, le chef de la Jeunesse hitlérienne du Reich,
Arthur Axmann, avait lancé un appel aux garçons nés en 1928 pour qu’ils
s’engagent dans la Wehrmacht, et, comme des cohortes entières de la
Jeunesse hitlérienne répondirent, en six mois 70 % de cette classe d’âge
avait signé volontairement. Nombre de familles reçurent sans doute cet
appel lancé à leurs adolescents avec effroi, mais rares sont celles qui les
empêchèrent de partir. D’ailleurs, dans les premières années de la guerre,
en particulier après la victoire sur la France en 1940, les bureaux de
recrutement étaient régulièrement pris d’assaut par des adolescents
allemands sous la limite d’âge rêvant de s’engager pour rendre service à
la PatrieIII. C’est cette absence relative de pression exercée sur les
adolescents pour qu’ils rejoignent les forces armées et continuent le
combat jusqu’au bout – dans des conditions de plus en plus
épouvantables – qui est frappante dans le cas allemand.

Porter témoignage

En 1987, Wilhelm Körner tomba dans le Zeit sur une annonce passée
par le romancier Walter Kempowski qui était à la recherche de journaux
intimes et de lettres rédigés pendant la guerre. Körner, après avoir assisté
à une lecture publique du célèbre auteur, décida d’exhumer son propre
journal de guerre et de le lui envoyer. Après une carrière de trente-deux
ans passée dans les écoles secondaires de Bremerhaven, Wilhelm eut un
choc en relisant la sage écriture gothique de son journal d’adolescent et
en redécouvrant un garçon dont les convictions passionnées étaient si
éloignées de celles qu’il partageait à présent. « J’aurais vraiment
souhaité », écrit-il dans sa lettre explicative, « avoir eu des opinions
différentes à l’époque, ne pas être dupe de ce régime désastreux, le
combattre sur un plan spirituel. » Mais au lieu de cela, membre
enthousiaste de la Jeunesse hitlérienne, il s’était engagé dans le
Volkssturm et avait continué à mettre ses espoirs dans des armes
miraculeuses jusqu’à la défaite finale du Troisième Reich. Il y a un trou
dans son journal à la fin de la guerre : il lui fallut une semaine avant de
parvenir à reprendre la plume et laisser libre cours à sa tristesse le 16 mai
1945 :
« Le 9 mai comptera assurément parmi les jours les plus sombres de
l’histoire allemande. Capitulation ! Nous, jeunes d’aujourd’hui, avions
rayé ce mot de notre vocabulaire, et à présent nous sommes contraints de
voir le peuple allemand rendre les armes après presque six années
d’encerclement. Et avec quel courage notre peuple a-t-il supporté toutes
les difficultés et tous les sacrificesIV ! »
Et cela continue sur des pages et des pages. Elles ne sont peut-être que
l’écho des banalités proférées à l’époque, des mots entendus à la radio, à
l’école, au sein de la Jeunesse hitlérienne, dans sa famille. Lui et ses amis
n’avaient cessé de les répéter et ils avaient continué à façonner ses idées
et ses sentiments après que la voix de Goebbels sur les ondes s’était tue.
Il appartenait à une génération de jeunes Allemands nés à la fin des
années vingt et au début des années trente, formés dans la Jeunesse
hitlérienne, les batteries antiaériennes de la Flak et le Volkssturm.
Wilhelm Körner y avait cru et aurait été prêt à leur sacrifier sa vie.
En janvier 1945 Werner Kolb fêta ses seize ans, et apprenant la
nouvelle de la percée soviétique en Pologne, il se mit à rêver de partir
pour le front, alors qu’il tuait le temps sur une base aérienne de seconde
zone à Immenbeck, où l’activité principale consistait à espérer que les
immenses flottes de bombardiers alliés passeraient dans le ciel sans les
remarquer. Lui aussi confiait ses sentiments à un journal intime,
remarquant avec regret :
« Chacun a un désir secret, qu’une fille l’aime, ou tout autre genre de
secret. Voici le mien : rejoindre le combat quelque part, sur n’importe quel
front de cette grande guerre, pour toi, Führer, et pour ma patrie… »
Dix jours plus tard, il eut sa récompense : sa compagnie d’auxiliaires
des forces aériennes fut remplacée par des filles remplissant leur
obligation de Service du travail du Reich. Alors que ces filles revêtaient
les uniformes délaissés par les garçons et les remplaçaient à leur poste
d’auxiliaire pour qu’ils puissent rejoindre le Volkssturm, elles devaient à
leur tour prêter serment de loyauté au Führer, dans une forme
d’exhortation nationaliste évoquant les appels catholiques au Christ : « Je
jure loyauté et obéissance à Adolf Hitler, le Führer et le Commandant-
en-chef de la WehrmachtV… »
Les adolescents garçons n’étaient pas les seuls à servir dans l’armée.
Les historiens du genre commencent pour la première fois à s’intéresser
au rôle joué par les jeunes femmes dans les forces armées allemandes,
principalement dans la Croix-Rouge où elles étaient quatre cent mille,
mais aussi dans les communications. Au milieu de la guerre, quelques
vingt-deux millions d’Allemands appartenaient à leur Association locale
de Défense aérienne (Reichsluftschutzbund) : en grande majorité des
femmes, dont six cent vingt mille chargées de l’organisation. Lorsque le
Haut Commandement de la Wehrmacht annonce le 5 septembre 1944 que
les jeunes femmes servant dans les communications ou la flak devaient
être considérées comme des « combattantes », cela finit de détruire un
pilier du credo patriotique allemand de l’époque : le principe selon lequel
les hommes combattaient à « l’extérieur », sur le « front », pour protéger
les femmes et les enfants « à l’intérieur ». Parmi les cinq cent mille
femmes servant d’auxiliaires à la Wehrmacht, trois cent mille furent
affectées aux forces de l’air ; nombre d’entre elles étaient des
adolescentes membres du Bund Deutscher Mädel [BDM] ayant repris les
postes précédemment occupés par les garçonsVI. Quand l’Allemagne
envahit l’Union soviétique en juin 1941, l’un des premiers films
d’actualité sur le sujet montrait une série de visages d’hommes de type
« asiatique » en gros plan, avant de s’attarder sur une femme russe blottie
au sol : « une terroriste bolchevique en uniforme » proclamait le
commentateur. Comme la propagande visait à opposer l’image idéalisée
de l’épouse et de la mère allemande à celle de la femme russe des
steppes, cruelle et sauvage, c’est cette dernière, plutôt que les autres
prisonniers, qui fit l’objet de discussions passionnées à la sortie du
cinéma. Si l’on en croit les rapporteurs de la police de sécurité, le souhait
était maintes fois exprimé de « ne pas autoriser ce type de créatures à
vivre ». Cette image forte de la corruption communiste de l’attachement
naturel de la femme à son foyer avait en réalité déjà commencé de
s’éroder en Allemagne, où il y avait désormais plus de femmes étudiantes
ou ayant un emploi qu’au moment de la prise du pouvoir par Hitler. À
l’été 1942, des femmes engagées dans la défense antiaérienne civile
furent pour la première fois recommandées pour la remise de médailles
militaires, et un an plus tard, même le terme « Opfer » – avec son double
sens de victime et de sacrifice – jusqu’ici jalousement réservé à l’honneur
rendu aux militaires hommes, commença à s’appliquer aux civilsVII.
Et cette volonté farouche de porter témoignage, au plan personnel
autant que national, séduisait aussi puissamment les filles que les
garçons. Au début de l’année 1945, Ruth Reimann se trouva à court de
papier pour rédiger son journal et trouvait l’album art nouveau que lui
avait offert sa tante beaucoup trop raffiné pour qu’elle le gâche avec ses
préoccupations « profanes » d’adolescente. Au lieu de cela, elle colla sur
la couverture une photo du Führer dans une pose inspirée au milieu des
montagnes et inscrivit en face les plus beaux mots qu’elle connût : il
s’agissait de « Prière », un texte écrit par l’ancien poète ouvrier et
nationaliste Hermann Claudius :
Herrgott, steh dem Führer bei
daß sein Werk das deine sei.
Seigneur, soutenez le Führer
Que son travail soit le vôtre
Que votre travail soit le sien
Seigneur, soutenez le Führer
Seigneur, soutenez-nous tous
Que son travail soit nôtre
Que notre travail soit le sien –
Seigneur, soutenez-nous tous.
Comme il seyait à un membre de la Ligue des Filles allemandes de la
ville de Burg, elle ajouta les paroles légendaires de la reine Louise de
Prusse prononcées à l’encontre de Napoléon :
« Pour moi, l’Allemagne est la chose la plus sacrée que je connaisse.
L’Allemagne est mon âme. Elle est ce que je suis et ce que je dois avoir
pour être heureuse… Si l’Allemagne meurt, alors je meurs aussiVIII. »
Pour les adolescents garçons, le passage vers le service militaire suivit
une chronologie parallèle à celle des femmes adultes. Il a deux points de
départ situés au début de l’année 1943, au moment de la défaite
allemande à Stalingrad. La première décision en vue de lever une
division de Waffen-SS entièrement composée de membres de la Jeunesse
hitlérienne fut prise par le général SS Gottlob Berger et par Heinrich
Himmler en janvier. Avec le consentement de Hitler, la SS commença à
recruter une division de la Jeunesse hitlérienne parmi les garçons de
seize/dix-sept ans. Dès septembre 1943, plus de seize mille recrues
avaient reçu un entraînement de base et l’unité fut baptisée « SS
Panzergrenadier Division Hitlerjugend », les jeunes gens recevant des
bonbons à la place des rations habituelles de tabac et d’alcool. Elle allait
continuer à grossir pour atteindre vingt mille hommes et devenir la
12e Panzerdivision d’élite de la SS Hitlerjugend, qui allait prendre part
avec acharnement aux combats en Normandie, subir 42 % de pertes et
protéger le retrait de la 7e armée de la poche de Falaise ; elle participerait
à nouveau aux combats dans les Ardennes et en HongrieIX. Bien que
cette division ne représente qu’une proportion relativement modeste des
adolescents allemands, elle symbolisait la bravoure et le sacrifice de la
jeunesse, bien avant le massif appel aux armes de l’automne 1944 ; et il
se peut qu’elle ait renforcé l’attrait de la Waffen-SS, incitant des jeunes
comme le futur romancier de gauche, Günter Grass, à s’enrôler
volontairement en 1944-1945X.
L’itinéraire qui mena Günter Grass vers la Waffen-SS trouve son
origine dans une seconde décision également prise dans l’après-coup de
la défaite de Stalingrad. Le 15 février 1943, trois jours avant le fameux
discours de Goebbels sur la « guerre totale », les premiers groupes de
garçons nés en 1926 et 1927, sortis des sections 6 et 7 des grandes
classes, furent recrutés comme auxiliaires des forces navales et aériennes
pour servir sur les batteries antiaériennes protégeant les villes, les
défenses côtières et les terrains d’aviation. Cela avait socialement un
impact bien plus important que la Division de la Jeunesse hitlérienne. Ils
furent si nombreux à rejoindre les batteries antiaériennes que la levée
dans sa totalité fut souvent surnommée la « génération Flakhelfer »,
même si en réalité ce sont les enfants des classes moyennes issus des
lycées qui étaient principalement concernés. Ces deux premières cohortes
comptaient parmi elles les futurs acteurs Walter Sedlmayer et Peter
Alexander, tous deux nés en 1926 ; ainsi que Niklas Luhman de
Lüneburg, Hand-Dietrich Genscher de Riedeburg en Saxe, et le
séminariste quelque peu réticent Joseph Ratzinger de Traustein en
Bavière, tous trois nés en 1927. À la fin de la guerre, ce sont les jeunes
gens nés en 1929 et 1930, tels Jürgen Habermas et Helmut KohlXI, qui
seront mobilisés.
Bien qu’ils n’aient pas pu le savoir à l’époque, le début de leur service
coïncidait avec le lancement par la Royal Air Force de sa campagne de
bombardement stratégique sur les villes de la Ruhr et de la Rhénanie en
mars 1943, si bien que pour ceux qui étaient basés dans le nord ou l’ouest
de l’Allemagne il y aurait un laps de temps très court entre
l’entraînement et la réalité des combats. Le 24 juillet 1943, Klaus Seidel,
âgé de seize ans, était de service sur une batterie antiaérienne au
Stadtpark de Hambourg. Juste avant une heure du matin, la batterie entra
en action au moment où six vagues de bombardiers passaient dans le ciel.
L’attaque dura 58 minutes. Survolant la ville du nord au sud, les 740
avions déversèrent 1 346 tonnes d’explosifs puissants et 938 tonnes de
bombes incendiaires, tandis que les batteries de la Flak projetaient 50
000 munitions dans la nuit. À trois heures du matin, Klaus Seidel fut à
nouveau appelé, cette fois-ci pour combattre les incendies à la Stadthalle.
Renfilant à la hâte pyjamas, survêtements, casques d’acier et bottes, lui et
ses camarades essayèrent de sauver des marchandises des flammes à
l’aide de lances à incendie. Heureusement, un autre garçon l’avait
aspergé pour rire et cela le protégea des flammèches qui se détachaient de
la charpente en feu. Comme devait l’écrire Klaus à sa mère plus tard le
même jour, il était si inexpérimenté qu’il avait d’abord voulu se rendre
sur l’incendie en sandales. Une heure et demie plus tard ils s’en
retournaient à la batterie antiaérienne, et Klaus, encore mouillé,
accomplit diverses missions jusqu’à six heures du matin. Selon une
estimation de la police, 10 289 personnes furent tuées cette nuit-là. Après
trois heures de sommeil, Klaus Seidel était à nouveau à son poste, à
préparer les canons antiaériens avant la prochaine attaque.
Après deux jours de raids aériens de moindre importance, le 27 juillet,
722 bombardiers, venus de l’est cette fois-ci, ciblèrent des quartiers qui
étaient jusqu’ici restés pratiquement intacts : Hammerbrook,
Rothenburgsort, Borgfelde, Hamm, Hohenfelde, Billwärder et St Georg.
Des dizaines de milliers de petits foyers se rejoignirent pour former un
incendie général facilement visible pour les vagues suivantes d’attaques
aériennes. Des conditions météorologiques capricieuses et la chaleur
intense engendrée par les bombes au phosphore transformèrent
l’immense incendie en une tempête de feu gigantesque. Ceux qui étaient
restés dans leur cave ou leur abri antiaérien risquaient soit d’être
asphyxiés par le monoxyde de carbone, soit de mourir calcinés ; ceux qui
s’étaient enfuis risquaient de se faire piéger par le revêtement en fusion
des routes et de mourir brûlés, ou d’être ensevelis sous les façades des
immeubles qui s’effondraient. Cette nuit-là fit 18 474 nouvelles
victimesXII.
Pendant la journée, Klaus partit à la recherche de ses grands-parents.
Ne les trouvant pas, il commença à fouiller les décombres de leur maison
pour s’assurer qu’ils n’y avaient pas trouvé la mort. Il insista auprès de sa
mère pour qu’elle ne quitte pas sa maison de vacances à Darmstadt.
Pendant ce temps-là, les victimes des bombardements affluaient au
Stadtpark pour se servir sur les piles de pain déversées par de grands
camions. Klaus Seidel était catastrophé par la façon dont les réfugiés
gâchaient la nourriture qui leur était fournie ; il découvrit des boîtes de
conserve de viande à moitié pleines jetées dans des buissons et des tas de
prunes qui pourrissaient à même le sol. Suite au traumatisme des
bombardements, les réfugiés avaient oublié toutes les règles de
rationnement et de frugalité en temps de guerre. Tandis qu’il les aidait à
transporter ce qu’ils avaient pu sauver de leurs biens, il fut surpris et gêné
de constater qu’ils s’attendaient à devoir le payerXIII.
Durant la nuit du 29 au 30 juillet, la RAF revint survoler une nouvelle
fois la ville de Hambourg, tuant 9 666 habitants supplémentaires. Cette
nuit-là, Klaus put écrire à sa mère sans l’aide de bougies, sa feuille de
papier suffisamment éclairée par la lueur rouge du « nuage de feu ». Le
31 juillet, Klaus eut enfin le temps, en dehors de son service, d’aller
vérifier que l’appartement de sa mère était intact et de transporter à la
cave les objets de valeur de la famille, et ceux de leurs voisins. C’était
comme si tous les entraînements effectués dans sa famille nazie, à
l’école, au sein de la Jeunesse hitlérienne et à la Flak l’avaient
précisément préparé à ce moment. Il prétendait ne pas comprendre
pourquoi ses voisins voulaient partir, affirmant suivant une froide logique
que puisque tout autour d’eux avait été détruit, leur immeuble était
désormais entouré d’un coupe-feu qui le rendait plus sûr
qu’auparavantXIV.
Dans ses lettres, Klaus s’efforçait de maintenir le ton égal qui
convenait à un jeune homme de seize ans revêtant l’uniforme pour la
première fois. Jamais il ne faisait mention d’un cadavre ou n’avouait sa
propre peur ou celle de ses camarades – hormis de manière indirecte
quand il déclare avoir eu besoin de fumer pour supporter un nouveau
bombardement – mais c’était là une pratique militaire acceptable. Son
récit est plus sec et moins chargé d’émotions que le rapport confidentiel
du préfet de la police municipale. Quand Klaus Seidel voulait faire savoir
à sa mère ce qu’ils avaient enduré, il citait l’Oberleutnant de sa batterie
antiaérienne qui assurait que le bombardement de Hambourg était pire
que tout ce qu’il avait vécu pendant les campagnes de Pologne et de
FranceXV.
Ce qu’il en coûtait à ces adolescents d’adopter une telle attitude de
froide retenue est impossible à évaluer, mais ils y parvenaient grâce au
sentiment d’avoir enfin atteint l’âge adulte, d’être entrés dans le monde
des hommes, de réaliser un rêve longuement nourri au cours de leurs
années dans le Jungvolk et la Jeunesse hitlérienne. L’épreuve du feu avait
rendu leur uniforme sacré, les avait fait sortir du monde des adolescents.
Ils regardaient avec dédain désormais ceux qu’ils venaient de quitter si
récemment. Lorsque Klaus apprit que des jeunes des Hitlerjugend
avaient reçu la Croix de fer (2e classe) parce qu’ils avaient éteint des
bombes incendiaires, on le surprend à perdre son sang-froid pour la
première fois dans sa correspondance avec sa mère : « N’importe qui
peut éteindre une bombe incendiaire, pestait-il, mais lorsque l’opérateur
radio crie “largage de bombes”, il faut faire preuve d’un autre genre de
force pour continuer son travail dans le calme. » Klaus ne cessait de se
dire que bon nombre de ses capacités de survie avaient été affûtées au
sein du mouvement de jeunesse. Sans hésitation aucune, alors que le gaz,
l’eau, l’électricité et le téléphone étaient coupés, il s’était baigné dans le
lac qui se trouvait au milieu du Stadtpark comme s’il se trouvait dans un
camp d’été. Mais Klaus Seidel était encore pour moitié un enfant, qui
devait continuer une scolarité normale. Avant le début des raids aériens,
il s’était inquiété de ne pas pouvoir trouver un adulte pour signer son
bulletin scolaire de fin d’année. Et même au cours de la première nuit et
du premier jour de bombardement il ne put s’empêcher de penser à
l’avion en modèle réduit qu’il était en train de construire à l’écoleXVI.

La croyance au sacrifice

La croyance au sacrifice, même si elle varie fortement en fonction du


sexe, touchait les filles aussi bien que les garçons. Liselotte Günzel, alors
qu’elle était tapie dans la cave de l’immeuble de ses parents dans une
banlieue éloignée de Berlin durant les bombardements massifs de la RAF
en novembre et décembre 1943, avait besoin d’une autre forme de sang
froid. Dès le 29 décembre elle trouvait le réconfort dans la prière, se
répétant les paroles qu’elle avait apprises pour sa confirmation, tandis
que l’immeuble au-dessus d’elle tremblait. Avec la nouvelle année, les
efforts et la résistance morale qu’elle s’imposait prirent une tournure plus
précise : elle ne devait pas craquer, se répétait-elle comme un refrain.
« Avec les bombes qui explosent autour de vous en faisant un bruit
inimaginable, c’est comme si la mort approchait sa main glaciale de votre
cœur », écrit-elle le 3 janvier 1944. « Vous n’avez qu’une pensée en tête :
“Que cela cesse !” Mais cela ne cesse pas. Vous croyez que vos nerfs
vont céder d’un moment à l’autre, que vous ne pourrez vous empêcher de
hurler, mais vous n’en avez pas le droit, vous devez garder votre calme,
vous n’avez pas le droit d’être faible, parce que c’est ce que m’avait dit
Frau L.XVII… »
Frau L. avait été le professeur d’allemand de Liselotte et l’objet d’un
béguin d’adolescente pendant presque une année. Épouse nationaliste
d’un officier prussien, Frau L. en vint à incarner pour Liselotte l’idéal de
la « femme allemande » et l’adolescente trouvait par comparaison que
son comportement n’était jamais à la hauteur. Comme Klaus Seidel à
Hambourg, Liselotte était très préoccupée par le désir d’afficher une
attitude pleine de sang-froid. Mais, alors que la batterie antiaérienne de
Klaus pouvait répliquer aux attaques, elle était condamnée à subir les
raids aériens, réduite à la passivité au fond de sa cave humide, en sachant
à chaque fois que si elle survivait il lui faudrait y retourner et supporter
l’épreuve encore et encore. Au début de l’année 1944, elle sentit qu’elle
était sur le point de craquer, et elle fut également très impressionnée par
une longue et très franche conversation avec son père qui lui dit qu’il
espérait que l’Allemagne serait battue et occupée par les Alliés. Pourtant,
elle continua à penser qu’elle pouvait trouver un certain réconfort dans
l’idée romantique de sacrifice :
« “Si la victoire n’est plus possible, alors il nous reste l’honneur”, cria
Teja aux Ostrogoths, qui continuaient à lutter tout en tombant. N’y a-t-il
personne pour crier aux ennemis de l’Allemagne : “Vous pouvez
m’assassiner, mais vous ne pouvez me tuer, car je suis éternel !”XVIII »
Ce qui rend l’exemple de Liselotte intéressant du point de vue de
l’ultime conscription de membres de la Jeunesse hitlérienne, c’est que
son propre frère allait en faire partie. Alors que les Russes resserraient
leur étau autour de Berlin en avril 1945, elle se confiait à son journal :
« J’ai une peur terrible pour Bertel, parce que cela serait si affreux pour
maman. Quant à moi, ajoute froidement la jeune fille de dix-sept ans, je
serais prête à le sacrifier ; Frau L. a sacrifié le bonheur de sa Vie après
tout. » La mort de Bertel ferait-elle de Liselotte l’égale de son professeur
d’allemand, qui avait déjà perdu un mari sur le front de l’est, et qu’elle
continuait à idéaliser en faisant d’elle le parangon de la femme
allemandeXIX ?
Ce qui fait l’extraordinaire de ses réflexions, c’est qu’à ce moment-là,
elle ne voulait plus que Berlin soit défendue et ne doutait pas que les
Russes allaient facilement balayer l’anneau défensif construit à la hâte.
S’il y avait un modèle positif qui continuait de la ramener vers le culte du
sacrifice, c’était un modèle patriotique plutôt que nazi : en fait, l’annonce
de la condamnation à mort (par contumace) du commandant de
Königsberg parce qu’il avait remis la capitale de Prusse orientale aux
Soviétiques déclencha chez Liselotte une formidable diatribe contre les
nazis, au cours de laquelle elle se rappela que ses parents lui avaient parlé
des années auparavant du génocide des Juifs. Mais c’est le traitement
réservé à l’officier prussien qui l’avait outragée ; et, à travers
l’idéalisation de Frau L., c’était à cette tradition patriotique qu’elle
s’identifiait. Et il n’en fallait pas plus pour qu’elle envisage le
« sacrifice » de son propre frère dans une bataille qu’elle savait aussi
vaine que suicidaire.
Mais ces valeurs, aussi puissantes et destructrices fussent-elles, étaient
fondamentalement instables, et dès la mi-avril 1945 elles commencèrent
à vaciller. Après le 8 mai 1945, on ne se souvenait plus très bien de ce
pour quoi on se battait. Neuf jours après la capitulation sans conditions
de l’Allemagne, Liselotte Günzel parla avec l’un des garçons qui étaient
partis défendre Berlin avec son frère un mois plus tôt. Il lui raconta
comment la Jeunesse hitlérienne de leur quartier avait été décimée dans
la Heerstrasse. C’est seulement à ce moment-là qu’elle commença à se
demander pourquoi Bertel était mort. Pour Hitler ? Pour l’Allemagne ?
« Pauvre jeunesse égarée ! Votre sang devait-il couler lui aussi ? »
Liselotte se rendit compte qu’elle ne le connaissait pas. Et même à
présent qu’elle rejetait l’appel au sacrifice lancé un mois auparavant, elle
ne pouvait pas totalement résister à son attrait. « Devrais-je blâmer ton
fanatisme aveugle ou bien m’incliner devant ta loyauté ? Préférais-tu
mourir plutôt que de supporter le joug de l’esclave ? [...] Ne pouvais-tu
pas davantage rendre service à l’Allemagne, demandait-elle dans son
journal, à notre Patrie, en restant en vie plutôt que par cette mort
insensée ? » Liselotte avait été mal renseignée. Bertel rentra de son camp
des prisonniers de guerre soviétique à l’automne 1945, sa santé détruite.
La seule question qu’elle n’osa pas se poser c’est si ses propres opinions
n’avaient pas joué un rôle dans sa décision à lui de partir au combatXX.
Un des éléments intéressants concernant la ferveur patriotique des
adolescents, c’est son caractère général. Les parents de Liselotte étaient
des sociaux-démocrates antinazis, son professeur bien-aimé une
nationaliste prussienne, pourtant elle associait à sa vision de la guerre,
d’abord façonnée par la « terreur » des bombardements alliés et la
menace de l’Armée rouge, un culte du sacrifice propre à satisfaire
n’importe quel nazi. Il en allait de même pour Heinz Müller, un garçon
de Duisburg dont le père communiste avait été emprisonné dans un camp
de concentration. Cela ne l’avait pas empêché de parfaitement réussir
dans la Jeunesse hitlérienne et d’être envoyé dans un
Wehrertüchtigungslager pour sa préparation militaire. Qui plus est, il
était impatient d’avoir enfin l’occasion de se battre contre les
Britanniques et les Américains pour se venger de tous les raids aériens
qu’il avait dû subir. Si ces exemples nous rappellent que c’était la
« race » des parents, et non leurs choix politiques, qui risquaient de
« souiller la prochaine génération du Troisième Reich », nous devons
nous arrêter sur un autre aspect de l’incorporation militaire de ces
adolescents allemands : le consentement social. Au milieu des derniers
combats chaotiques pour la défense de Berlin, Lothar Loewe portait des
messages sous les tirs, filant dans les rues d’un quartier qu’il connaissait
comme sa poche. Il aurait pu facilement se cacher. Son commandant était
un lieutenant doté d’une médaille et d’une jambe de bois qui disparaissait
chaque nuit pour aller rendre visite à sa petite amie. Lothar et les autres
membres de son unité de la Jeunesse hitlérienne rentraient chaque soir
chez leurs parents, avant de se retrouver le lendemain matin pour
continuer le combat. Il pourrait paraître étrange de parler de
« consentement parental » dans le contexte d’une guerre, mais celui-ci
jouait également un rôle, et Loewe allait parvenir à s’extraire de Berlin
par le combat, ne se rendant que quatre jours après la chute de la
capitaleXXI.

Servir l’Allemagne

Quel qu’ait été le fossé ouvert dans les derniers mois et jours de la
guerre entre les parents et leurs enfants, les jeunes n’étaient pas les seuls
à être la proie des illusions et de la tromperie. La puissance étatique se
désintégrant, cette destruction n’aurait pas pu se produire sans le
consentement tacite et la coopération de longue date de beaucoup de
gens, y compris, très souvent, la propre famille des adolescents en
question, leurs amis et voisins, les responsables de la jeunesse, les
enseignants et la communauté locale. Cet extraordinaire volontarisme
trouve une partie de son explication dans la manière même dont sa
montée en puissance fut mise en œuvre. En septembre 1939, les membres
de la BDM et de la Jeunesse hitlérienne se rassemblaient pour aller à la
rencontre des trains ramenant les évacués de la frontière avec la France
vers la Sarre. En 1940, ils ramassaient d’énormes quantités d’orties et
d’herbes médicinales, recyclaient le métal, le papier et même les os
d’animaux. En 1941-1942, ils collectaient des vêtements pour les soldats
sur le front de l’Est. En 1943 et en 1944, ils n’aidaient pas seulement à la
défense antiaérienne, mais participaient aussi à d’autres formes de
défense civile : luttaient contre les incendies, servaient à la soupe
populaire, aidaient les victimes des bombardements à rassembler leurs
effets personnels ; à nouveau, des groupes de jeunes se rendirent dans des
gares provinciales pour accueillir les évacués des grandes villes. Ces
activités ciblées étaient évidemment utiles, bien préférables à ces bandes
de jeunes qui traînaient dans les rues après le couvre-feu, suscitant les
inquiétudes des adultes qui soupçonnaient ces adolescents de relations
sexuelles ou d’abus d’alcool. Déjà en février 1943, des parents avaient
accepté que leurs fils de quinze ans puissent servir sur les batteries
antiaériennes le long des côtes de la mer du Nord ou dans des villes
comme Essen, Berlin ou Hambourg. De nouveau en 1944, la majorité des
parents ne s’opposa pas à ce que leurs enfants se portent volontaires pour
la conscription de la Jeunesse hitlérienne. Les levées militaires ne
constituaient pas un brusque revirement, elles avaient été préparées de
longue date par une série de mobilisations de moindre envergure, de
campagnes de défense civile qui servirent à légitimer le déploiement des
jeunes aux yeux de l’ensemble de la sociétéXXII.
Un certain nombre de mesures permirent de cacher à ces jeunes la
tournure désastreuse que prenait la guerre. À partir de l’automne 1943,
des écoles entières furent évacuées des villes bombardées pour être
installées dans des châteaux ou des monastères à la campagne,
préservant, voire renforçant, ce sentiment d’appartenance que la Jeunesse
hitlérienne avait toujours encouragé. Protégés de la guerre par la
solidarité que procuraient ces camps d’évacuation KLV
[Kinderlandverschickung], de nombreux adolescents continuèrent de
croire en la promesse de victoire finale jusqu’à une date très avancée. Le
24 avril 1945, alors que la bataille faisait rage dans les rues juste au-
dessus, l’écrivaine Ursula von Gebhardt découvrit que dans la cave où
elle se trouvait, un garçon de douze ans avait du mal à croire que
l’Allemagne était en train de perdre la guerre et que les Russes étaient
déjà entrés dans Berlin : il venait de rentrer d’un camp d’évacuation
KLVXXIII.
De même, le déploiement militaire des divisions de la Jeunesse
hitlérienne fut retardé parce que leurs effectifs étaient considérés comme
potentiellement plus utiles que les hommes d’âge moyen ou
militairement inaptes qui avaient été enrôlés dans le Volkssturm à la
même période. Ce sont eux dont les vies furent dilapidées pour la défense
des provinces allemandes de l’Est, en janvier, février et mars 1945 : au
moins deux cent mille périrent, avec un taux de pertes atteignant à
certains endroits 80 %. Il s’agissait de tenir les adolescents en réserve
jusqu’à ce qu’ils aient reçu un entraînement approprié, et rejoignent les
rangs de la SS et de la Wehrmacht. Mais ces facteurs, à eux seuls ne
suffisent pas à expliquer l’empressement des adolescents allemands à
s’engagerXXIV.
À la lecture des journaux et mémoires rédigés par les adolescents eux-
mêmes, on est étonné de constater qu’ils ont continué à considérer,
jusqu’à une date très avancée dans la guerre, le service militaire comme
une sorte d’accession à une majorité longuement désirée, un classique
rite de passage. Heinz Müller n’avait pas été mis à l’abri des
bombardements des villes de la Ruhr, mais il avait échappé aux batailles
pour la rive occidentale du Rhin. On est surtout frappé par le fait que le
service militaire ait pu exercer son charme romantique aussi longtemps,
jusqu’en mars-avril 1945, alors que le moral général en Allemagne était
au plus bas et que cette même année mouraient dix mille soldats
allemands par jour en moyenne. L’entraînement au maniement de la
mitrailleuse, de la grenade à main et du Panzerfaust en 1944-1945
correspond à une période où les changements subjectifs internes étaient
aussi importants pour le vécu des adolescents que les événements
extérieurs. Heinz Müller trouva le temps de tomber amoureux. Pourvus
de bicyclettes et chargés de collaborer chaque soir avec une unité de la
Wehrmacht dans la ville voisine de Haltern, Heinz et son ami Gerd
étaient dispensés de service normal ; et Heinz ne tarda pas à mettre au
point un stratagème où Gerd lui servait de couverture pendant qu’il
voyait la fille d’un paysan du coin rencontrée pendant une alerte
antiaérienne. Le printemps venu, il faisait à bicyclette les douze
kilomètres jusqu’à Haltern, transporté de joie à l’idée de la voir, de lui
tenir la main et, après l’avoir régalée des mets préparés par sa mère, de
lui faire un baiser d’adieu sous les arbres fruitiersXXV.
Au cours du mois de mars, les forces britanniques et américaines ayant
traversé les parties moyennes et inférieures du Rhin commencèrent à
encercler les villes de la Ruhr. De nombreuses unités du Volkssturm
abandonnèrent purement et simplement leur brassard et leur équipement
dérisoire pour s’en retourner chez eux. Cependant, sous le
commandement de sous-officiers, certains bataillons de la Jeunesse
hitlérienne n’étaient pas encore prêts à se rendre. Ils s’enfoncèrent dans
les bois et les collines en direction de l’est pour tenter d’échapper aux
Américains. À Lavesum, l’histoire d’amour naissante de Heinz fut
brutalement interrompue le 28 mars, quand il apprit que les Américains
avaient atteint Haltern, où vivait sa petite amie. Alors que les trois cent
soixante garçons de la Ruhr quittaient leur camp persuadés qu’ils allaient
enfin avoir l’occasion de venger les bombardements de leurs villes, des
soldats en fuite rencontrés en chemin leur conseillèrent de se débarrasser
de leur lourds lance-grenades antichars, ou Panzerfaüste. Ces derniers ne
leur seraient d’aucune utilité contre les filets qui avaient été installés sur
les tanks. Mais ces adolescents de quinze ou seize ans ignorèrent ce sage
conseil, et parcoururent encore quarante-cinq kilomètres dans la nuit en
traînant leurs fusils et leurs grenadesXXVI.
Les commandants américains ont souvent cité le « fanatisme » de la
Jeunesse hitlérienne comme constituant l’une des pierres d’achoppement
de leurs opérations de nettoyage ; ainsi, à Hamm, site d’un important
nœud ferroviaire, la 9e armée américaine tomba sur un « essaim »
d’unités du Volkssturm. À la sortie du village d’Oberdorf dans le district
de Aalen, un jeune lieutenant SS ordonna à sa troupe composée de
garçons âgés de quatorze à seize ans d’empêcher des chars Sherman
d’approcher de leurs tranchées. C’est au cours d’actions ponctuelles
comme celle-là que les adolescents surprirent leurs adversaires par leur
capacité à endurer les tirs mortels. Dans le combat, ils semblaient faire
montre de la même agitation éphémère que les adultes, mais sous une
forme exacerbée ; et lors de leur capture, les Américains furent surpris
une fois de plus, de les voir se transformer en gamins à bout de nerfs,
tremblant, sanglotant, cédant à des « crises de larmes »XXVII.
L’unité de Heinz Müller s’engagea dans une autre forme d’action,
puisqu’elle tenta d’échapper aux armées alliées en traversant la forêt de
Teutoburger. Les sous-officiers réussirent à faire franchir la Weser à leur
unité, motivant les adolescents par l’évocation des terribles traitements
qui les attendaient en cas de capture et en leur promettant une
merveilleuse soupe aux pois s’ils parvenaient de l’autre côté du pont.
Trop fatigués pour s’intéresser à la soupe de pois ou à leur fringale, ils
s’endormirent dans les champs, entourés de réfugiés et d’une troupe
hétéroclite de traînards appartenant à diverses unités armées rassemblées
à la pointe du fusil pour tenir le fleuve. Seuls quatre-vingts garçons (un
quart de ceux qui étaient partis six jours plus tôt) arrivèrent jusque-là :
tandis qu’ils passaient près de leurs lieux d’habitation, les jeunes paysans
du Münsterland avaient peu à peu quitté les rangs de leur unité, laissant
leurs camarades citadins continuer sans eux. Le lundi 2 avril, les chars
américains fermèrent le cercle autour de la Ruhr. Deux jours plus tard,
Heinz et ses compagnons se jetaient dans un fossé sur la route de
Stadthagen, pour échapper au mitraillage en rase-mottes de leur colonne ;
puis, une fois ressortis de leur abri, Heinz rencontra une jeune fille de
Duisburg qui passait à bicyclette. Elle lui dit que sa mère avait été
évacuée dans le village voisin de Nienstedt. Heinz obtint de son
commandant une permission de trois heures et emprunta un vélo pour s’y
rendre. Dès son arrivée au village, tout le monde accourut pour observer
ses chaussures en lambeaux, ses vêtements déchirés et crasseux, ses traits
tirés. Chacun voulut le nourrir et l’habiller, puis à quatre heures quinze de
l’après-midi sa mère insista pour qu’il profite de la dernière heure de sa
permission pour aller se reposer. Tandis qu’il dormait, sa mère brûla son
uniforme du RAD, emprunta des vêtements civils à des voisins, et
persuada le vieux capitaine responsable de la défense locale de signer les
papiers de libération de son fils. La guerre de Heinz avait duré huit jours,
partagés entre la marche forcée et les bivouacs. Il était si fatigué qu’il ne
se réveilla que deux jours plus tard.
Dans les provinces de l’Est, à la fin de 1944, la transition des jeux de
guerre dans les bois à la vraie guerre se déroula initialement de la même
manière. À Palmnicken sur la péninsule de Samland au nord-ouest de
Königsberg en Prusse orientale, Martin Bergau et ses amis rassemblèrent
une collection de fusils, carabines et grenades et s’en allèrent patrouiller
en sachant qu’ils pourraient tomber sur des unités de l’Armée rouge
venues du territoire de Memel. C’était excitant de mettre en pratique
leurs aptitudes sur le terrain, de se faufiler entre les arbres et de ramper
dans la bruyère, même si Martin et son ami Gerhard – après avoir
absorbé une trop grande quantité d’alcool trouvée dans une maison
abandonnée – se laissèrent tromper par le jeu des ombres sur la neige et
finirent par se tirer dessus sans le faire exprès, avant de rentrer chez eux
et de s’effondrer de sommeilXXVIII.
Dans la nuit du 26 au 27 janvier, Martin Bergau entendit des coups de
feu. Il fit machinalement ce qu’il avait appris à faire dans son unité
antiaérienne et dans le Volkssturm : il sauta dans ses vêtements, attrapa
son fusil et sortit de chez lui. Il vit une femme qui avait cherché à se
cacher dans leur jardin ressortir en courant avant d’être abattue. Hébété
de sommeil à trois heures du matin, Bergau aperçut sur la route une
longue colonne de silhouettes dépenaillées, accélérant le pas sous l’effet
des tirs. Martin fut rattrapé par son père qui lui conseilla de ne pas se
mêler des transports de prisonniers. Le lendemain matin, il trouva des
lambeaux d’étoffe gelés et tachés de sang sur la grille du jardin. Tout le
long du chemin qui menait à la ville, les Allemands qui vivaient à
proximité avaient vu des prisonniers se faire matraquer à mort à coups de
crosse de carabine ou être abattus d’une balle dans la nuque, à genoux
dans la neige sur le bord de la route. Ces prisonniers avaient été sortis des
camps de travail de Heiligenbeil, Gerdauen, Seerappen, Schippenbeil et
Jesau, autant de Aussenlager rattachés au camp de concentration de
StuttofXXIX.
Environ 90 % de ces prisonniers étaient des femmes juives, bon
nombre d’entre elles ayant survécu à l’extermination des Juifs de
Hongrie ou au ghetto de Łódź. Seulement la moitié des cinq mille
prisonniers partis de Königsberg atteignirent Palmnicken. Là, on les
parqua dans une usine désaffectée où ils furent nourris à la demande du
commandant du Volkssturm local. Quatre jours plus tard, ils étaient
conduits de nuit sur la côte, puis poussés sur la glace et abattus à l’arme
automatique. Les auteurs de ces assassinats étaient non seulement des
hommes de la SS et de la Gestapo, pressés de se débarrasser de leurs
prisonniers et de sauver leur peau, mais aussi des membres du Volkssturm
et de la Jeunesse hitlérienne locale. Par la suite les SS et la milice locale
pourchassèrent les femmes juives qui s’étaient échappées. Des membres
de la Jeunesse hitlérienne, dont Martin Bergau, furent alors réquisitionnés
par deux SS pour garder les deux cents femmes ayant été reprises. Il
monta la garde devant une file de femmes près d’une mine abandonnée,
tandis qu’elles étaient conduites deux par deux derrière un bâtiment.
Bergau pouvait entendre les coups de feu tirés par les deux SS qui les
abattaient. Puis, la file formée par les femmes devint si courte que le
garçon de quinze ans dut les suivre derrière le bâtiment. Alors qu’il
regardait le déroulement des exécutions, il vit l’un de ses camarades de la
Jeunesse hitlérienne marcher au milieu des corps affalés et tirer au
revolver si l’un d’eux bougeait encore.
Un demi-siècle plus tard, en mars 1988, le souvenir de ce massacre fut
rappelé à Martin Bergau par une rencontre de hasard faite au cours d’une
paisible réunion à Cologne. Il s’agissait de la réunion annuelle des
familles de Palmnicken. Parmi les personnes présentes, Bergau rencontra
une femme dont la mère avait caché pendant plus de trois mois l’une des
femmes juives qui s’étaient échappées – et qui avait donc survécu pour
assister à la libération le 15 avril 1945. À la suite de cette rencontre, il
décida de rédiger son propre compte-rendu des années de guerre et de ses
trois ans comme prisonnier en Union soviétique. Contrairement à la
réaction réflexe, encore courante en Allemagne, consistant à nier avoir
entendu ou vu quoi que ce soit des atrocités, Bergau s’efforça de faire un
récit méticuleux de ce massacre. Il écrivit aux archives Yad Vashem à
Jérusalem pour demander les témoignages de survivants, qu’il ajouta
dans un appendice à son ouvrage. En même temps, le sentiment de
culpabilité et de responsabilité était indéniable. Les deux seuls camarades
de la Jeunesse hitlérienne qu’il parvint à nommer parmi les assassins
étaient morts pendant la guerre. Néanmoins, Martin Bergau avait bien
observé comment les femmes à genoux étaient exécutées, avec quel
professionnalisme les deux SS changeaient le magasin de leur pistolets
7.65 mm. Sans surprise, son livre ne fut pas un best-seller, mais ses
efforts d’introspection incitèrent d’autres témoins oculaires à se
manifester et à lui envoyer leurs témoignages, et en 2006, il les publia
égalementXXX.
Martin Bergau ne fut bien sûr pas le seul membre de la Jeunesse
hitlérienne à être impliqué dans des massacres de prisonniers. Mais il se
distingue parce qu’il a accepté publiquement sa part de responsabilité
morale. Trop jeune pour être tenu pénalement responsable de ses actions
dans l’Allemagne d’après-guerre, il lui fut sans doute plus facile d’écrire
au sujet de ce qu’il avait fait que s’il avait été adulte (à ma connaissance,
aucun adulte à l’époque des faits n’a produit de mémoire comparable au
sien), néanmoins la culture de la culpabilité et du déni caractéristique de
l’après-guerre toucha aussi les adolescents-soldats du Troisième Reich.
D’autres admettent avoir vu le résultat des assassinats perpétrés par les
SS sur le bord des routes, alors qu’ils dirigeaient à marche forcée des
prisonniers de plus en plus épuisés vers ce qui restait du territoire du
Reich, mais jamais ils ne reconnaissent avoir été autre chose que des
témoinsXXXI. On ne peut sans doute pas s’attendre à rencontrer un grand
nombre de mémorialistes capables d’un examen critique à l’égal de
Martin Bergau. Mais les témoignages des adolescents dans la guerre se
démarquent encore sur un point de ceux des adultes à la même époque :
le souvenir qu’ils ont gardé de leur enthousiasme, de leur idéalisme, de
leur volonté de s’engager. À cet égard, Günter Grass, quand enfin il
écrivit à la première personne, se révéla ne pas être un cas si
inhabituelXXXII. Les valeurs nazies, qui mettaient en avant l’opposition
tranchée entre le bien et le mal, exhortaient à l’engagement, à la foi et au
sacrifice de soi, avaient toujours interpelé les adolescents plus que toute
autre tranche d’âge ; et leur statut de mineurs à la sortie de la guerre
signifiait qu’ils ne pouvaient être considérés comme coupables.
Par ailleurs, on dit souvent que les nazis ont empêché les adolescents
de développer leur sens des responsabilités en leur présentant un corpus
déjà constitué de préceptes autoritaires qui répondait à leur besoin affectif
de voir les choses en noir et blancXXXIII. On pourrait aussi dire que les
nazis leur ont inculqué un sens excessif de l’engagement moral, de la
responsabilité personnelle dans la participation à l’effort de guerre, qui a
finalement culminé dans cette volonté de sacrifier leur vie aussi bien que
celle des autres dans les derniers mois du conflit.
Nicholas Stargardt
(Traduit de l’anglais par Bruno Poncharal)
III.

Conflits contemporains : enfant-


soldat, enfant-victime ?
F igure photographique, littéraire, cinématographique, télévisuelle,
publicitaire même parfois, l’enfant-soldat constitue, à partir des
années 1990, une image communément admise dans les médias
occidentaux. L’attention portée aux violents conflits africains, au Sierra
Leone ou en République démocratique du Congo notamment, ainsi que
les modalités de traitement de l’information en Occident ont fortement
contribué à minimiser d’autres guerres où de très jeunes combattants
étaient également engagés, mais où l’expérience pouvait être différente.
En réduisant l’importante typologie des causes de l’enrôlement à un seul
cas de figure – celui d’un enfant martyrisé – cet « écran africain » a
également permis d’occulter les dimensions économiques, sociales et/ou
politiques de l’engagement. À cet égard, les représentations littéraires et
filmiques occidentales sont parfois en totale contradiction avec les
représentations locales des jeunes combattants. Plus généralement, le
terme « enfant-soldat », en dissimulant le caractère adolescent de
beaucoup de ces jeunes combattants, masque aussi l’ambivalence de
certaines expériences, en les rejetant trop systématiquement du côté du
trauma, en refusant leur dimension parfois contradictoire et conflictuelle.
Chapitre 6

L’enfant-soldat dans la production culturelle


contemporaine

L ’enfant-soldat a fait ces dernières années une apparition


remarquée sur la scène littéraire, artistique et médiatique, et d’autant
plus remarquable qu’elle charrie dans son sillage un paradoxe : modèle
d’une humanité lacérée, déniée, réduite à néant, l’enfant-soldat, moignon
d’homme, « petit minimum » d’humainI, est devenu « un grand
quelqu’un »II. Ahmadou Kourouma le faisait dire, ironiquement, au petit
Birahima d’Allah n’est pas obligé : « L’enfant-soldat est le personnage le
plus célèbre de cette fin du vingtième siècleIII. » Personnage de films,
héros de romans – y compris pour la jeunesse –, de pièces de théâtre,
figure poétique également, le voilà devenu, en ce début de XXIe siècle,
une « personnalité », faisant l’objet d’un traitement médiatique
comparable, dans sa forme et dans son contenu, à celui réservé aux
people. Ainsi la presse sensationnaliste lui accorde-t-elle régulièrement
sa une et des reportages qui exploitent le potentiel horrifique de cette
figure apparemment vendeuse et les mises en scène macabres qui
optimisent sa photogénie, le poids des mots le cédant alors nettement au
choc des photos.
Sa notoriété tendrait presque à faire oublier l’anonymat de cette figure,
aussi familière qu’inconnue et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la
même, ni tout à fait une autre, toujours vaguement désincarnée : cette
icône à la kalachnikov qui fait la couverture de nos magazinesIV, c’est un
peu l’enfant-soldat inconnu, en sursis au moment où la photo a été prise
et très certainement mort au moment où on la contemple – tel enfant-
soldat valant métonymiquement pour tous les autres, et valant toujours
symboliquement pour autre chose que lui-même. Pour quoi exactement ?
C’est ce que nous essaierons de comprendre ici, en nous demandant ce
qu’incarne cette figure.
Il semble en effet que si ce petit personnage inspire tant les romanciers
et les artistes, c’est parce qu’il est un motif autour duquel se cristallisent
certaines obsessions, tant et si bien que cet enfant, déjà surchargé par son
barda, se trouve encore lesté par l’essaim de significations dont on sature
chacune de ses apparitions. Ce sur quoi nous voudrions attirer l’attention
en particulier, c’est sur un certain discours (occidental), non exempt de
stéréotypes coloniaux ancienne manière, qui transite aujourd’hui dans
certains romans et dans certains films, relayés par une certaine presse, et
qui consiste à projeter sur cette figure de l’enfant-soldat, de préférence
africain, certaines lubies qui sont dans l’air du temps, et à en faire le
symbole, sinon de ce que nous sommes, du moins de ce que nous
voudrions être (ou ne pas être). Telle est donc la question à laquelle nous
tenterons d’apporter des éléments de réponse : de quoi l’enfant-soldat,
véritable icône culturelle, est-il aujourd’hui l’emblème ?

Enfants-soldats, enfants-symptôme

Avant de nous pencher sur des ouvrages spécifiquement consacrés au


thème de l’enfant-soldat, il convient de formuler quelques hypothèses
concernant les figures d’enfants, et en particulier d’enfants narrateurs, qui
abondent dans la littérature issue de la violence de masse du XXe siècle.
Ces hypothèses une fois émises, nous tâcherons de les éprouver sur
corpus en entrant davantage dans le détail des œuvres.
La parole et le point de vue de l’enfant se sont peu à peu imposés dans
les écritures liées à la violence extrême. De L’Oiseau bariolé de Jerzy
Kosinski (1966) au Passé devant soi de Gilbert Gatore (2008), en passant
par Le Grand Cahier d’Agota Kristof (1986), Sozaboy de Ken Saro-
Wiwa (1998), L’Aîné des orphelins de Tierno Monenembo (2000) ou Le
Soldat et le gramophone de Sašha Stanišić (2006), la description des
guerres, des persécutions raciales et des génocides passe désormais
prioritairement dans la fiction par le regard d’un enfant déchiffrant
naïvement le réel à la première personne et l’éclairant, dans un langage
plus ou moins heurté, par sa naïveté même.
Véritable tropisme dont on n’a pas fini de sonder les raisons, ce
dispositif narratif – focalisation interne avec réduction du champ
perceptif au point de vue de l’enfant – connaît un tel succès que c’est
dans cette langue faussement enfantine que se contrefont le plus aisément
les témoignages : ce n’est pas un hasard si les deux faux témoignages sur
la Shoah ayant connu le succès le plus retentissant ces quinze dernières
années, Fragments du pseudo-Wilkomirski et Survivre avec les loups de
Misha Defonseca, mettaient en scène le point de vue d’un enfant. Cela
explique aussi que l’on s’y soit laissé prendre : outre que la vérité est
censée sortir de la bouche des enfants, la représentation de l’enfance
persécutée ou exterminée possède un pouvoir de commotion
incomparable qui court-circuite la réflexion et annule la possibilité même
d’une distance critique. Enfin ce dispositif, qui permet à chacun de se
reconnaître dans cette parole d’enfant aussi familière qu’infalsifiable,
induit une identification du lecteur, qui n’en rendra que plus audible le
message que l’on entend lui faire passer.
Un premier constat peut être établi à la lecture de ces œuvres : les
fictions de l’enfance en guerre ont tendance à faire du marmot qui leur
sert de focale (et en même temps de cobaye) un symptôme des
comportements humains en général. C’est-à-dire qu’au gré d’une
substitution de la phylogénèse à l’ontogénèse, l’enfant, censé porter en
lui les germes de l’adulte, se met à fonctionner comme un prototype
d’humanité. Si bien que dans les fictions qui mettent en scène son regard,
l’enfant revêt toujours un peu la même fonction que la guerre elle-
même : il révèle aux adultes leur vraie nature. C’est pourquoi, plus
encore que ses descriptions souvent décalées qui, par un effet d’illusion
géométrique, nous font voir les choses en grand, ce sont les réactions du
petit héros narrateur que le lecteur est prié d’observer dans ces œuvres.
Car ces créatures de papier (ou de pellicule) sont censées nous apprendre
quelque chose sur nous-mêmes, voire nous donner une leçon. Quelle
leçon ?
Précisément : une leçon de morale, souvent assez simpliste, pour ne
pas dire rétrograde, concernant la part de bien et de mal en l’homme, et la
mécanique régissant ces deux forces contradictoires censées nous animer
tout un chacun. Et ce qui se trouve mis en scène en particulier dans ces
œuvres, c’est la manière dont la plus innocente des victimes est
susceptible de se métamorphoser en un bourreau impitoyable, et vice-
versa, l’enseignement portant sur la réversibilité d’un état à l’autre, de la
violence subie à la violence infligée – réversibilité naturelle, nous dit-on,
puisque, précisément, il s’agit d’enfants, chez qui les affects ne sont pas
« traficables ». Le renversement est d’autant plus spectaculaire que le
monstre jaillit d’un petit être faible ; l’effet de contraste rend ces
épiphanies carnassières particulièrement spectaculaires. Bref, avec
l’irruption de l’enfance dans la fiction guerrière, la « question du Mal »
en littérature connaît une nouvelle jeunesse.
Le petit héros de L’Oiseau bariolé de Jerzy Kosisnki était déjà un
« enfant de grands chemins » si l’on peut dire, déraciné, souffrant, et
condamné à une mort certaine, que les brimades avaient rendu sauvage.
Les jumeaux abandonnés du Grand Cahier, un autre roman à hauteur
d’enfant, connaîtront la même évolution : à partir d’une régression à
l’état de natureV, ces deux enfants sauvages, et néanmoins surdoués,
véritables « graines d’assassins »VI, vont se transformer en monstres au
gré d’« exercices d’endurcissement » du corps et de l’esprit (mendicité,
jeûne, cécité, surdité, cruauté). Ils apprendront ainsi à dissocier les faits
des valeursVII, à fendre des tempes à coups de pierre et à égorger des
animaux au rasoir en attendant de le faire sur des humains. « Les gens
sont cruels. Ils aiment tuer. C’est la guerre qui leur a appris ça »,
expliquent les jumeauxVIII. « Vous avez ça dans le sang », leur rétorque
la grand-mère qui elle-même a jadis empoisonné son mariIX : la
compulsion meurtrière se transmet génétiquement si bien que chaque
génération naît le péché chevillé au corps. Prototypes d’humanité, ces
jumeaux, qui finiront par tuer tous ceux qui se mettront en travers de leur
route, illustrent adéquatement la métamorphose de l’homme en bête,
accréditant l’idée, très en vogue dans la production culturelle
contemporaine, que tout homme ordinaire est un monstre en puissanceX.
C’était par exemple la thèse des Bienveillantes, prix Goncourt 2006,
un roman qui, de fait, contenait quelques figures d’enfants-soldats,
preuves vivantes qu’il n’y a pas que les adultes qui ont « ça » en eux. Or,
le « ça » des Bienveillantes, c’est, selon l’auteur Jonathan Littell, ce qui
« sort tout à coup » quand la société lève ses limites, c’est la méchanceté
naturelle de l’homme, qui ne s’abstient de mettre en pièces son prochain
que tant qu’on l’en empêche, mais qui s’adonne au « meurtre frénétique »
qu’il concoctait dès qu’on lui en donne la possibilité. D’où le projet
romanesque de Jonathan Littell, qui consiste à exhiber la « potentialité de
bourreau » qui est en chacun de nousXI.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette conception postulant une sorte
d’inclination naturelle de l’humain au Mal, superlativement illustrée par
le comportement des enfants. Il s’agit en fait de variations autour de la
« banalité du Mal » mal comprise, fruit d’une lecture approximative
d’Hannah Arendt et de Christopher Browning. S’il a été salutaire
d’insister, à un moment donné, sur le fait que les nazis étaient des
hommes ordinaires, cette thématique recèle un tel potentiel romanesque,
que la fiction a fini par désamorcer complètement ce que cette façon de
voir pouvait avoir d’heuristique. Pire : en postulant que le péché est à
demeure en l’homme, et que le meurtre sera commis pourvu que
l’occasion soit donnée, on finit par s’empêcher de comprendre les
processus qui président à la transformation d’un homme ordinaire, en
l’occurrence d’un enfant ordinaire, apparemment inoffensif, en meurtrier.
En effet, dans ce genre de configurations fictionnelles, l’explication
psychologique est à peine ébauchée, et l’explication politique s’abolit ;
on leur substitue l’explication « métaphysique », au sens trivial du
terme : c’est la mauvaiseté naturelle de l’humain qui explique le passage
à l’acte – ce qui, au passage, dédouane les vrais coupables –, la violence
de masse dans son ensemble s’expliquant, dans cette perspective, par un
retour au dogme du péché originel.
Dans une telle perspective, l’enfant-soldat tombe à pic, qui conjoint
des caractéristiques a priori inconciliables. Il est la vulnérabilité,
l’ingénuité, l’innocence même, et en même temps c’est une redoutable
machine à tuer, d’une régularité dans l’horreur impressionnante ; il n’est
que de revoir, pour s’en convaincre, le plan séquence du film S21-La
machine de mort khmère rouge de Rithy Panh, dans lequel on voit un
ancien tortionnaire de Tuol Sleng, enfant à l’époque des faits, mimer ses
gestes d’antan sans pouvoir s’arrêter. À la fois victime et bourreau,
l’enfant-soldat constitue la preuve ultime que l’homme a « ça » en lui.
Si, dans la perspective que l’on est en train de décrire ici, l’enfant
représente une humanité à l’état natif, c’est vrai a fortiori de l’enfant
africain, l’Afrique constituant, comme chacun sait, une terre de choix
pour la mise à nue de nos pulsions primaires. C’était le sens du discours
de Dakar en 2007XII : si l’Afrique n’a pas d’histoire, c’est que tout y
apparaît dans son état d’origine. D’où l’exploitation romanesque et
cinématographique de figures d’enfants-soldats africains : en eux
transparaîtrait, comme chez les indigènes du temps jadis, quelque chose
de nos humeurs originelles. Et précisément, dans les œuvres qui les
mettent en scène, la métamorphose de l’homme en bête n’est jamais loin.
Ce que l’on pourrait appeler le « syndrome du loup-garou » se trouve par
exemple illustré dans la bande dessinée de Jean-Philippe Stassen,
Déogratias, où se fait jour l’effroyable figure de l’enfant génocidaire. Le
héros éponyme est un jeune garçon hagard qui, depuis qu’il a participé à
l’extermination des Tutsi, se prend pour un chien et, chaque nuit, hurle à
la mort. L’histoire se déroule dans le Rwanda de l’après-génocide, mais
les meurtres qu’il a commis lui ont donné le goût du sang, et l’enfant,
devenu un toxicomane du crime, continue son œuvre de mort sans
pouvoir s’arrêter.
Ce cliché de l’enfant comme bombe à retardement, symbole d’une
humanité carnassière, sévit aussi dans la presse. Jean d’Ormesson,
envoyé spécial du Figaro au Rwanda en juillet 1994, observe ce qui lui
apparaît comme « des massacres grandioses dans des paysages
sublimes » (sic), et développe une réflexion sur ce qu’il croit être les
causes du génocideXIII : si la situation a pris « les proportions
monstrueuses que l’on connaît », spécule-t-il, c’est qu’elle a « échappé »
au gouvernement, qui s’est laissé « déborder par les massacreurs ».
Autrement dit, dans cet univers où la nature commande tout, la bête en
eux s’est réveillée, et les autorités n’ont rien pu faire. Ce génocide
africain nous éclairerait donc de manière particulièrement probante sur
notre mécanique intérieure, et sur les potentialités génocidaires du
monstre que nous nourrissons en nous-mêmes. Fi de la planification
méthodique des massacres par les autorités ; le génocide est décrit
comme un phénomène naturel. Les responsabilités (y compris de l’armée
française) se dissolvent : « S’il faut tirer une leçon du drame du Rwanda,
c’est que les hommes sont tous coupables et qu’ils sont tous innocents
[…]. Il n’y a pas des bons et des mauvais, il n’y a que l’engrenage de la
haine et de la violence », nous explique encore Jean d’Ormesson,
préparant par là le terrain à la thèse négationniste du double génocide. Et
de fait, l’une des modalités de cet « engrenage » tragique est donnée à
voir sur la photo illustrant le deuxième article : ces petits enfants qui font
la queue pour obtenir à manger, ont l’air inoffensif. Mais la légende nous
renseigne sur leur vraie nature : « Ci-dessus, dans l’école française de
Kigali, des orphelins font la queue pour obtenir un repas : la haine et
l’appétit de vengeance entre les peuples se transmet de génération en
génération. » Ces enfants affamés sont en fait assoiffés… de sang.
L’enfant africain a bon dos : il n’est pas que la victime des explosions de
violence ex nihilo qui ravagent le continent, il en est aussi la source.
Autour de lui se développe toute une fantasmagorie qui permet que se
dissolvent les questions politiques.
En nous fondant sur l’examen de quelques ouvrages récents – romans,
films, essais ou articles –, nous allons à présent observer la manière dont
l’enfant-soldat africain se trouve érigé en symbole d’une humanité
pervertie dont il est à la fois la pire victime et le représentant le plus
authentique.

Fables édifiantes autour de la figure de l’enfant-soldat

Ce qui nous intéressera ici en particulier, c’est la manière dont, pour


une partie de la production culturelle contemporaine, l’enfant-soldat fictif
fait office de cire molle sur laquelle s’impriment les lubies occidentales.
Partons de la littérature. Bêtes sans patrie d’Uzodinma Iweala met en
scène le monologue intérieur cocasse et émouvant du jeune Agu qui
décrit, comme on l’attendrait d’un témoin fiable, ce qu’il voit, entend,
ressent et pense au contact d’une guerre africaine indéterminée. Son
regard aiguisé et ses sensations affûtées confinant à l’hyperesthésie
permettent que toute son histoire se déroule sous nos yeux, de son
enrôlement dans un groupe armé à son rétablissement final. L’un des
partis pris surprenants de ce roman, sur lequel nous souhaiterions attirer
ici l’attention, concerne l’absence de repères géographiques et
historiques. Ni dates, ni nom de pays : l’action n’est pas située. Il y a à
cela plusieurs explications possibles.
Il y a d’abord le préjugé qui voudrait que l’art ne colle pas le réel de
trop près. C’est l’idée que la littérature gagne en littérarité ce qu’elle perd
en précision, et que l’œuvre d’art digne de ce nom doit se mouvoir dans
une certaine abstraction. Les auteurs de fables édifiantes croient conférer
à leur œuvre une dimension d’universalité en despécifiant leur propos,
manière de suggérer que ce qui est décrit pourrait se passer en tout temps
et en tout lieu. Or, bien des chefs-d’œuvre prouvent au contraire que
l’œuvre d’art s’accommode très bien du réel, à commencer par le conte
philosophique. La critique voltairienne contre l’arbitraire et la violence
n’aurait pas été aussi efficace si Candide n’avait pas évolué dans un
univers référentiel précis.
Deuxième raison possible de cette décontextualisation : elle lui permet
de retrouver in fine les signes d’une Afrique canonique, exotique et
primitive, délivrée de l’histoire et de la géographie, sorte de laboratoire
de l’humain à l’état pur – celle qui plaît aux Occidentaux. En tout point
conforme à l’« horizon d’attente » du public, l’enfant-soldat donne au
lecteur tout ce qu’il attend – ce qui signifie du même coup qu’il ne lui
apprend pas grand-chose – et devient dès lors le support à partir duquel
l’Occidental plaque et déploie un discours qui le concerne lui, et
accessoirement lui évite de se pencher sur les raisons objectives du
phénomène.
Et ça marche : ce désancrage spatio-temporel et la déréalisation qui en
procède facilitent effectivement la rêverie des Occidentaux, qui lisent les
histoires d’enfants-soldats comme « des paraboles de perte, de fuite et de
renouveau »XIV. Dans un article consacré à la production littéraire sur les
enfants-soldats, Jason Cowley, critique à The Observer, dit goûter « la
lisse simplicité » de ces récits, et la « voix de conte de fée » qui les
anime, « tout à la fois monotone, innocente et enjôleuse »XV. A fortiori
dans une pièce « jeune public » comme Le bruit des os qui craquentXVI,
l’enfant-soldat est-il là pour signifier autre chose que ce qui arrive aux
vrais enfants-soldatsXVII. Le lecteur occidental s’y retrouve. Tant pis,
donc, si ce dispositif évacue la dimension politique d’un problème qui est
avant tout politique. Tant pis si cette chute dans une temporalité mythique
où s’abolit le temps nécessaire au déroulement des processus, fait échec à
toute forme de compréhension historique. Tant pis, puisque l’œuvre d’art
est au-dessus de ça. L’Agu de Bêtes sans patrie, devient ainsi le petit
d’homme qui se débat dans la grande jungle de la vie, tente d’y faire son
chemin malgré les obstacles et finit par trouver ce qu’il était venu
chercher sur terre : la paix, l’abondance et l’amour. Car la parabole se
termine bien, Agu finissant par entrer dans l’Histoire à force de réciter la
sienne. Bêtes sans patrie se présente en effet comme un parcours de
rédemption, comme si le jeune enfant expiait une faute en combattant –
comme si, surtout, il avait à tout moment le choix de renoncer à sa vie
d’enfant-soldat et de se libérer. Ainsi, le troisième chapitre prend-il la
forme d’un dilemme moral : suis-je ou non un méchant ? – oui, me dit le
présent – non, me dit le passé. Agu participe finalement au meurtre de
son chef, s’étonne de n’y avoir pas pensé plus tôt, s’abîme dans la
contrition, et prend la décision de s’en aller :
« Et je commence à repenser dans moi-même aux choses que j’ai faites.
Quand on me commandait TUE, je tuais, TIRE, je tirais, ENTRE DANS
LA FEMME, j’entrais dans la femme même si je ne disais rien et que
j’aimais pas ça. Je tuais tout le monde, la mère, le père, la grand-mère, le
grand-père, le soldat. C’était la même chose. Et ça ne comptait pas qui
était qui ; ils allaient tous mourir. Je pense et je repense. Je pense dans
moi-même que je ne dois plus faire ça.
Je me lève maintenant de là où je suis, je nettoie la boue de mes mains
avec mon coupé. Je regarde mon arme à feu, je lui dis, je n’ai plus besoin
de toi. Reste là où tu esXVIII. »
Ayant jeté son arme comme un alcoolique prend congé de sa dernière
bouteille, il décide d’arrêter la guerre. Apparemment, il a fait le bon
choix puisqu’il atterrit dans un havre de paix où une infirmière
américaine, Amy, l’entoure de compréhension et d’affection. Il s’avère
d’ailleurs que c’est à elle qu’il relate son parcours, ce qui a pour effet de
la faire doucement pleurer, preuve ultime que le récit s’adresse aux
Occidentaux. Ce happy end placé sous les bons auspices de l’Amérique
est d’autant plus surprenant que le moralisme, dans la fable édifianteXIX,
transcende la question politique – et de fait, il ne sera jamais question de
la mainmise des puissances occidentales sur les ressources de l’Afrique.
Pour avoir choisi le Bien, Agu se retrouve au paradis : baignant dans une
sorte d’éternité des sens, il n’a plus ni chaud, ni faim, ni mal ; « Tout est
vraiment magnifique. Tout est vraiment parfait », dit-ilXX. Tout va pour
le mieux dans le meilleur des mondes (sauf qu’ici c’est le romancier qui
est dans le rôle de Pangloss) : Amy, « une femme blanche de l’Amérique
[…] est ici pour aider les gens qui sont comme moiXXI ». Semeurs
d’abondance, ces Blancs d’Amérique lui offrent tout ce qu’il désire à
profusion : « On nous donne donc autant à manger comme on veut. On
n’a même plus à demander si on veut plus. On nous laisse nous servir.
Les plantains, le riz, la viande, le poulet, le poisson – tout ce qu’on veut
on a ça iciXXII. » Ces richesses sont celles de la terre africaine, que les
Africains piétinent en se battant. Heureusement que l’on vient de loin
leur montrer la voie. L’Amérique a sauvé Agu, corps et âme. Dès lors,
qu’importe si les Américains cultivent pour lui son jardin, qu’ils en tirent
profit. Ce propos édifiant jure un peu avec le titre du roman, Beasts of No
Nation, qui renvoie à un album de Fela Kuti (1989), activiste nigérian
dont les chansons sont de violentes diatribes contre la dictature militaire
et la corruption des élites. Ce chanteur engagé en appelait, lui, à une prise
de conscience et à un soulèvement politiques.
Il convient toutefois d’insister sur le fait que tous les romanciers qui
choisissent de traiter de la question des enfants-soldats ne procèdent pas
ainsi. Dans Allah n’est pas obligé, plus proche de Candide que de Bêtes
sans patrie, Ahmadou Kourouma adopte le parti pris inverse d’Iweala.
Le dispositif narratif est sensiblement le même, mais le fait de faire parler
un enfant-soldat à la première personne ne constitue pas là un prétexte
pour escamoter le contexte historique et politique. Ainsi le petit Birahima
raconte-t-il par le menu l’histoire des pays qu’il a été amené à traverser à
partir de juin 1993, en l’occurrence le Libéria et la Sierra Leone, attestant
ce qui lui a été donné de voir et de comprendre – les nombreux jurons qui
jalonnent le texte, comme « Faforo (sexe de mon papa) ! »XXIII, faisant
office de garantiesXXIV. L’optimisme candide de l’enfant-soldat tient le
pathos à distance, et son regard puissamment démystificateur lui permet
de n’être pas dupe – « ça jouait à être triste »XXV – et de constater
notamment que l’on est toujours le « nègre indigène » de quelqu’un : «
sous leurs grands boubous accueillants », les Malinkés – dont il est – sont
aussi « des salopards de racistes », qui considèrent les hommes de la
brousse comme des barbares cannibalesXXVI. La fausse langue enfantine
n’est pas là pour émouvoir le public occidental ; elle recèle avant tout une
fonction critique. Ainsi, si le héros-narrateur parle « p’tit nègre », ce n’est
pas parce qu’il est « black et gosse » – les apparences sont trompeuses.
Birahima n’est pas « p’tit nègre » pour les raisons que l’on croit :
« [...] suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça.
Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe,
même américain ; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on
est p’tit nègre quand même. Ça, c’est la loi du français de tous les jours
qui veut çaXXVII. »
La loi a été établie une fois pour toute par le colonisateur, et elle
consiste à négrifier tous ceux que celui-ci juge linguistiquement
inférieurs.
Enfin, la fausse naïveté de Birahima lui permet de débusquer les faux-
semblants (voir par exemple la carnavalisation des discours sur les
fétiches), notamment politiques. Au Libéria, les factions se mènent une
guerre impitoyable ; les assauts sont menés dans tous les sens, par
n’importe qui (à Monrovia, la mère supérieure Marie-Béatrice est à la
manœuvre, et mitraille les troupes de Johnson dans le plus pur style
rabelaisien), et échouent les uns après les autres pour cause
d’impréparation et de défaut de réflexion, occasionnant à chaque fois de
nouvelles morts d’enfants-soldats. « C’est la guerre tribale qui veut ça »,
ne cesse de répéter Birahima devant les abominations qu’il découvre, tout
en révélant au lecteur, progressivement et sans en avoir l’air, qui veut la
guerre tribale. Les Américains, responsables de la plantation autour de
laquelle se resserre finalement la diégèse qui dès lors se met à tourner
vicieusement en rond, se révèlent être les bandits en chef ; les factions
s’organisent, dans le plus grand désordre autour des miettes qu’ils leur
distribuent, avant que le pays ne soit mis à feu et à sang par l’ECOMOG,
redéfinies comme « les forces d’interposition qui ne s’interposent
pas »XXVIII. Birahima échappe aux bombes mais va de Charybde en
Scylla : en Sierra Leone, le malheur arrive par la colonisation (acte
I)XXIX, par le FMI (acte II), et par l’embargo de la communauté nationale
(acte III). Le chef-d’œuvre de Kourouma a donc aussi pour vertu de
redémontrer que l’on n’est pas obligé de tenir l’histoire à distance, ni
même la politique, pour faire de la bonne littérature.
Le film de Jean-Stéphane Sauvaire, Johnny Mad Dog, est lui aussi
placé sous le signe de la naturalisation des comportements humains.
Là encore, les repères historiques ont été gommés, choix d’autant plus
surprenant, en l’occurrence, que le roman dont est tiré le film, Johnny
Chien Méchant d’Emmanuel Dongala, situe l’action au Congo, à la toute
fin des années 1990, au moment où la guerre a obligé l’auteur à quitter
son pays. Dans le film, dont on nous laisse supposer qu’il se passe au
Libéria, on est prié de se repaître simplement du spectacle de ces enfants
en guerre qui se battent littéralement pour rien, à tous les sens du terme ;
c’est une fois de plus le problème de la sauvagerie naturelle qui s’exhibe
ici – et en gage d’authenticité, Sauvaire a embauché comme acteurs
d’anciens enfants-soldats.
Ce film de guerre anhistorique présente en outre la caractéristique
d’être plutôt esthétisant. En plus de ménager des ralentis et des effets de
flou cinégéniques dans les combats, l’auteur mise sur l’élégance du
battle-dress : leurs parures de guerre confèrent à ces adolescents le look
tendance de rappeurs – avec de savants contrepoints : aux angles aigus
que dessinent des kalachnikovs succèdent les ailes de papillon que
déploie l’un des plus jeunes –, si bien que le déplacement du groupe
d’enfants-soldats a quelque chose du défilé de mode ; il ne manque pas
même la robe de mariée, enfilée suavement dès les premières minutes du
film par un adolescent musculeux épousant la mort, entre fragilité et
puissance. Ces images léchées, parfois mièvres, associées à l’extrême
violence, flirtent parfois avec le kitsch.
C’est toujours le même alibi : filmer à hauteur d’enfant (avec une
caméra qui s’agite comme une kalachnikov) autorise à ne donner aucune
intelligence de la situation. Et toujours aucune responsabilité humaine en
perspective. Faut-il y voir une critique de la guerre en général ? de
l’humain en particulier ? Dans la scène finale, la victime agresse le
bourreau, signe que tout cela va continuer, car l’homme a « ça » dans le
sang. L’enfance meurtrie, l’adolescence échevelée, l’Afrique enjôleuse et
féroce : autant de bons prétextes pour filmer la guerre à l’état pur, dans ce
qu’elle a de plus barbare, de plus primitif, là où elle dérange moins
l’ordre du monde qu’elle ne nous le révèle.
De même que l’on a opposé Allah n’est pas obligé à Bêtes sans patrie,
de même on pourrait opposer à Johnny Mad Dog le film Ezra de Newton
Aduaka, sorti presque en même temps, mais qui propose au spectateur,
plutôt que d’assister au spectacle de la mue d’enfant en bête sauvage, de
s’intéresser aux causes et aux conséquences de la guerre qui a anéanti la
Sierra Leone de 1991 à 2002. Rompant avec l’esthétique du sublime des
films anhistoriques, Aduaka se propose de faire connaître les enjeux de
cette guerre de factions (dont il prend soin de préciser qu’elles n’étaient
ni des ethnies ni des religions), instrumentalisées par les puissances
occidentales voulant faire profiter leurs économies des sous-sols
diamantifères du pays. Jugé pour un crime qu’il ne sait pas avoir commis,
celui de ses parents, par une commission « Vérité et réconciliation »,
Ezra se défend en attaquant son juge, un vieil Américain blanc qui, pour
se donner bonne conscience, offre à cet ancien enfant-soldat de se
repentir de ses crimes.
Le plus grave peut-être, c’est que le recours à l’explication des guerres
et des génocides africains par la méchanceté naturelle de l’homme sévit
aussi dans la presse. Je terminerai donc sur des fictions journalistique,
dans lesquelles se trouvent ressassés les clichés que l’on vient de
dégager. Dans son livre Les Enfants soldats, le journaliste Alain Louyot
s’interroge abstraitement sur les causes du phénomèneXXX. Les enfants
se battent, dit-il, parce que, « là-bas, la vie n’a pas le même prix »XXXI,
mais surtout parce que cet âge est « sans pitié »XXXII – ce qui occasionne
un développement sur « [c]ette cruauté inhérente à bien des enfants, qui
jouent à arracher les pattes des mouches », et sur la « [t]roublante
fascination » qu’exercent les armes et « les jeux assassins » sur les
enfants, et en particulier des garçons – preuve là encore que l’espèce
humaine est taraudée par la violenceXXXIII. Suit un examen de
conscience de l’auteur, qui confesse avoir lui-même aimé la guerre dans
sa prime jeunesse nancéienne : « Certains, à l’insu de leurs parents,
allaient même jusqu’à Verdun à bicyclette pour jouer sur de vrais champs
de bataille. […] Je ne connaissais pas les jeux vidéo, où l’on doit
décrocher des ‘‘target bonus’’ et améliorer son ‘‘fire score’’, mais
j’excellais aux batailles de boules de neigeXXXIV. » De là, s’insinue
facilement l’idée que recruter des enfants pour faire la guerre est un jeu
d’enfant.
Or, outre qu’il y a une différence de nature entre faire la guerre et jouer
à la faire (qui est une forme de conjuration plutôt qu’un passage à l’acte),
et qu’il y a des chances pour que la passion des petits garçons pour les
jeux de guerre soit elle-même le produit d’une éducation plutôt qu’un
don naturel, ce diagnostic présente l’inconvénient de laisser les filles en
dehors de la définition de l’espèce. Et de fait, à part chez Kourouma qui
leur fait une grande placeXXXV, les filles sont sous-représentées dans les
fictions sur les enfants-soldats, où la femme engendre le monstre, le
soigne quand il prend un coup de griffe, satisfait ses besoins sexuels
quand déborde en lui le trop-plein de sève de sa jeunesse, l’enterre et le
pleure, mais elle n’est pas travaillée comme lui par une force qui la
dépasse. On sait la fille capable de cruauté, mais on préfère la laisser en
dehors de cette mythographie à forte teneur en testostérone.
« La haine engendre la haine, explique Alain Louyot, et l’enfant
supplicié ou témoin de tortures pourra devenir bourreau à son
tourXXXVI. » Ce mélange de fatalisme et d’élucidations ad hoc est
monnaie courante dans la presse. Fin juillet 2007, Courrier international
consacre un dossier aux enfants-soldats. Le premier article sélectionné,
tiré du New York Times, est signé Jeffrey GettlemanXXXVII. Sa thèse, qui
se voudrait novatrice, fait retour à des poncifs éculés sur l’Afrique : sur
ce continent de tous les excès, ceux qu’il appelle indistinctement « les
rebelles » se battent pour se battre. Plus précisément : les Africains se
sont toujours battus, on ne le sait que trop bien, mais naguère encore, ils
paraient leurs explosions de violence d’un prétexte : « Pour des raisons
de marketing, confirme Chester CrockerXXXVIII dont Gettleman se
recommande, les dirigeants se drapaient dans des idéologies. » Or, à
présent, ils ne se donnent même plus cette peine : la « tromperie » en
quoi consistait, pour des Africains, le fait de se revendiquer d’idées qui
leur étaient étrangères, a pris fin. « En majorité, ils ne se définissent que
par l’appât du gain, le pouvoir et la brutalité. » Le crime est le but avoué
de ces « voyous », et leur seule raison d’être. Ainsi, ils « n’ont plus aucun
tabou » et « ne désirent rien d’autre que mener leurs entreprises
criminelles au fin fond de la brousse ». Leurs agissements, éternellement
placés sous le signe de la transgression, nous renseignent sur ce qui se
passe aux frontières de l’humain, cannibalisme compris, et les conduisent
naturellement à faire faire la guerre aux enfants. L’article se termine, on
pouvait s’y attendre, en forme de conte de la folie ordinaire africaine,
incluant « magie », « superstition », « amulettes » et « boule d’étoiles ».
Dans cette perspective, où l’Afrique n’apparaît jamais que comme une
vaste brousse sans frontières où des hordes sauvages se battent et
s’ébattent à l’infini (c’est l’Afrique-fantasme d’avant la conférence de
Berlin, autant dire préhistorique), et où les Occidentaux se complaisent à
ne rien comprendreXXXIX pour pouvoir profiter du spectacle tout en niant
leurs propres implications, les guerres africaines revêtent un nouveau
visage – celui d’un enfant, qui n’est plus seulement la victime de ces
guerres mais qui se les approprie et les mène avec entrain, nous révélant
par là même une nouvelle facette de l’humain : sa propension au meurtre
gratuit. La violence (guerrière ou génocidaire) ne procède plus de l’action
concertée de groupes humains : elle est le produit naturel de notre part
d’inhumanité, mal dissimulée sous un vernis de culture, qui ne résiste pas
à l’appel au crime.
De quoi l’enfant-soldat est-il aujourd’hui l’emblème ? Il semblerait
qu’une partie de la production littéraire et artistique contemporaine, celle
qui nous propose d’explorer les origines du Mal en nous identifiant à un
enfant victime, tende à faire de l’enfant-soldat l’emblème d’une nature
humaine prétendument duplice, et une figure exemplaire de nos
potentialités meurtrières. C’est d’ailleurs ce qui plaît : on contemple les
exploits dévastateurs de ces petits êtres censés illustrer les excès dont les
hommes ordinaires que nous sommes ne se seraient pas crus capables.
Boostée par cette figure qui catalyse tous les fantasmes, l’identification
fonctionne, chacun se sentant potentiellement coupable du pire et, en
même temps, absolument innocent des faits qu’on lui reprocherait,
mais – vanité de la catharsis – la compassion qu’inspire l’enfant-soldat se
résorbe dans l’impuissance et l’« inéluctabilisme », et cette icône
banalisée devient une confirmation de ce que l’humanité pensait d’elle-
même, plutôt que quelque chose d’insupportable.
Bref, au gré d’une substitution du moralisme au politique, l’enfant-
soldat en vient à fonctionner à la fois comme une preuve ontologique de
l’existence du Mal, comme un talisman qui dédouane les vrais
responsables, et comme une victime expiatoire puisqu’il faut bien, si les
hommes nourrissent en eux de tels instincts, que ceux-ci trouvent à
s’expurger. Alors, autant que la vidange s’opère là-bas, sous les flashes
de la presse occidentale.
Charlotte Lacoste
Chapitre 7

De la terreur à l’illumination : l’expérience des


enfants-soldats népalais

D epuis la fin des années 1990, les enfants dits soldats ont
soudainement attiré l’attention de l’Occident. L’imagerie associée
touche à une corde morbide du public. Elle incarne l’inconcevable :
l’existence de figures à la fois angéliques et barbares. Perçue à tort
comme typiquement africaine, cette représentation s’inscrit dans une
vision postcoloniale. Ainsi, l’Afrique serait un continent barbare et
démoniaqueI dont ces enfants seraient le produit. Donc, ce continent
obscur s’autodétruirait sans l’appui d’un Occident soi-disant « civilisé ».
Cette construction enfants-soldats a contribué à formater le discours
humanitaire, juridique et académique sur la population des jeunes
associés aux groupes armés. À ce titre, cette expérience de guerre est
interprétée en termes tantôt victimisants, tantôt diabolisants. Pourtant,
cette grille de lecture semble plutôt refléter des anxiétés propres à
l’Occident. Elles captent l’impossibilité de concilier la figure de l’enfant,
héritée du culte de l’enfance, avec la violenceII. C’est sur cette base que
l’appellation populaire « enfants-soldats » sera substituée à celle des
jeunes associés dans les groupes armés.
Ainsi, suivant des processus similaires à ceux pointés par Mary
Douglas, les individus non conformes aux catégories sociales
prédéterminées se voient alors déshumanisésIII. C’est le cas pour cette
population dont la participation aux groupes armés est considérée comme
effarante. Avec l’émergence du concept d’« enfants-soldats »IV,
l’expérience des jeunes engagés s’est vue universalisée et uniformisée.
Privé de son ancrage culturel, le sens de l’expérience est devenu
incompréhensible aux yeux de l’Occident. En replaçant cette expérience
dans sa toile de sens, c’est-à-dire dans ses articulations politiques et
culturelles. En prenant l’exemple du Népal, ce chapitre se propose
d’offrir un regard alternatif à la vision culturellement stéréotypée
d’« enfants-soldats ».

Enfants-soldats et subjectivité

Les recherches scientifiques sur la subjectivité de cette population se


sont trouvées souvent biaisées, tant en psychologie qu’en anthropologie.
Les études de type « santé mentale » ont utilisé une grille de lecture
biomédicale pour procéder à l’identification de symptômes et à certains
des processus psychopathologiques en jeuV. De la même manière, les
études de type « psychosocial » ont exploré la façon dont le milieu social,
lors du retour à la vie civile, peut mitiger l’impact de cette expérienceVI.
Malgré tout, des défis fondamentaux se posent encore pour l’étude de cet
objet. Le premier est de pousser la conceptualisation du développement
de la subjectivité induit par cet enrôlement précoce. Le second concerne
le postulat d’une expérience systématiquement problématique et ayant un
impact profond sur le psychisme de ces jeunes. Le troisième, et non le
moindre, concerne le manque de validité culturelle de la théorisation
produite par ces étudesVII. En effet, la méthodologie de ces recherches
est souvent dérivée d’un point de vue euro-américain, qui ignore la
phénoménologie des théories et fonctionnements culturels du «
psychisme » dans lequel l’expérience se dérouleVIII. Elles impliquent
donc l’universalité d’un noyau psychique aculturel. En méprenant
l’expérience culturelle de l’enrôlement aux groupes armés, ces études
risquent d’occidentaliser et de « pathologiser » toute conceptualisation
de la subjectivitéIX. Quelques recherches anthropologiques répondent à
ce dernier point en explorant l’articulation du culturel aux positions
subjectives observées, généralement dans un contexte post-affiliationX.
Néanmoins, une théorisation intégrant ces différentes approches reste à
faire, notamment sur l’influence de cette expérience sur le
développement et le fonctionnement de la subjectivité de cette
population. Ce chapitre a donc pour ambition de pallier, en partie, ce
manque. Après un bref rappel contextuel et méthodologique, nous
analyserons, à travers l’exemple du Népal, la manière dont une
expérience précoce du groupe armé influence la construction de la
subjectivité juvénile. On s’intéressera en particulier à la constellation
sociale et politique vis-à-vis du groupe post-affiliation, avant de formuler
des hypothèses sur le lien plus large entre le politique et la subjectivité
des enfants-combattants.

La guerre du peuple et le contexte d’après-guerre

La guerre du peuple (Jana Yuddha) a opposé le groupe armé


révolutionnaire maoïste (CPN-M) aux forces du gouvernement népalais
de 1996 à 2006. Le conflit fut caractérisé notamment par l’enrôlement
d’au moins six mille à dix mille mineurs dits enfant-soldatsXI.
L’insurrection s’est fondée sur une idéologie de type marxiste-léniniste-
maoïste s’opposant à la monarchie hindoue alors en place. Leurs
revendications s’étendaient de l’abolition du système de caste et de la
discrimination ethnique, à l’égalité des genres et la redistribution des
richesses. Le mouvement prit naissance dans la zone très reculée de
Rolpa (Rukum) avant de s’étendre au reste du pays, à l’exception de sa
capitale Katmandou.
Dans les zones affectées, la population civile s’est retrouvée dans une
situation de choix impossible. Les jeunes étaient tiraillés entre les
injonctions des forces de sécurité du gouvernement d’une part, et celles
des maoïstes d’autre part. En effet, les forces de sécurité harcelaient au
quotidien les jeunes. Toute association au groupe armé entraînait torture,
mort ou plutôt « disparition ». Les menaces sous forme d’interrogatoires
avaient lieu sur le chemin de l’école ou durant des incursions nocturnes à
leur domicile. La terreur induite avait pour but de prévenir les civils de
vouloir s’affilier aux maoïstes, mais aussi d’identifier ceux qui offraient
au groupe politique souterrain un soutien logistique dans les villages.
Pourtant, indépendamment de leur soutien aux maoïstes, les civils étaient
forcés à s’associer au groupe armé de plusieurs manières. Ils étaient, par
exemple, régulièrement contraints de fournir de la nourriture, un logis ou
des services de sentinelle aux activistes maoïstes. Ces derniers en
profitaient aussi pour recruter de nouveaux membres parmi les jeunes en
suivant la politique de contribution au groupe : « une famille, un enfant ».
En outre, tous les jeunes civils devaient participer régulièrement aux
campagnes de sensibilisation du groupe armé maoïstes (avyan). Ils
contribuaient à « la cause » par le biais de travaux physiques, de travaux
de sentinelle ou encore d’entraînement à la manipulation d’armes et
d’explosifs. Enfin, la participation à des programmes culturels maoïstes
était obligatoire dès l’âge de sept/huit ans et ce, pour quelques jours ou
pour quelques semaines. Ces programmes avaient une double fonction de
sensibilisation idéologique et de recrutement de nouveaux membres. Pris
entre la violence des deux camps, les jeunes civils ne pouvaient que
prendre parti pour l’une ou l’autre force en présence. La neutralité étant
impossible à tenir, la prise de position armée devint, dans certaines
régions, un passage quasi obligé.
Un cessez-le-feu et des accords de paix signés en novembre 2006
permirent une transition politique du pays. Un gouvernement
multipartite, incluant les maoïstes, fut mis en place, entraînant des
élections démocratiques en avril 2008. À la surprise générale, le parti
maoïste fut élu à la tête du gouvernement népalais. Une vague collective
d’espoir pour un « nouveau Népal » (slogan du parti) et un changement
social se firent sentir dans tout le pays, indépendamment des affiliations
politiques de chacun. Les participants à l’insurrection maoïste acquirent
ainsi une reconnaissance officielle et un certain capital social. Pourtant,
lorsqu’en mai 2009 le gouvernement maoïste démissionne, la forte
valorisation nationale de l’ancien groupe armé disparaît et devient peu à
peu un synonyme d’échec. Avec la disparition du gouvernement périt
l’espoir d’un renouveau social : les idéaux pour lesquels les jeunes
s’étaient battus sont devenus stériles, l’accès à une reconnaissance
sociale est bafoué et la promesse d’un capital social pouvant les aider à
s’affranchir des conditions défavorisées dans lesquelles ils vivent
désormais, s’évanouissent pour toujours.
Les sources utilisées ici proviennent d’une ethnographie clinique de
dix-huit mois réalisée au Népal de 2008 à 2010 dans le cadre d’un
doctorat en anthropologie clinique. Dix-sept sujets clés ont été suivis
selon les règles de l’observation participante, ce qui a permis un suivi
longitudinal du discours et de la pratique de cette population.
L’échantillon choisi était affilié au groupe armé CPN-maoïste à un âge
variant de dix à seize ans pour une durée de huit mois à sept ans.
L’enquête s’est déroulée sur deux sites : la capitale non affectée par la
guerre, Katmandou, et le berceau symbolique de l’insurrection, la région
montagneuse de Rolpa. Ce chapitre abordera trois axes majeurs de
l’expérience : la manière dont les jeunes participants conçoivent leur
expérience du groupe ; la manière dont ils reconstruisent les conditions
de leur enrôlement au groupe armé, en termes de volontariat/enlèvement ;
la manière dont ces jeunes évaluent les conséquences de cette jeune
expérience en termes de valeurs. Afin de considérer l’effet du
positionnement collectif vis-à-vis du groupe CPN-maoïste, ces trois axes
sont successivement analysés dans leur évolution lors des deux temps
ethnographiques identifiés : le temps A où leur affiliation est
officiellement reconnue par la population (du début de la recherche, août
2008, à avril 2009) ; le temps B où celle-ci est publiquement dépréciée
(du 4 mai 2009 à la fin de la recherche, janvier 2010)XII.

Expériences du groupe armé : illumination et effroi, désillusion et


détachementXIII

En 2008, pour les trois quarts de l’échantillon, la trajectoire au sein du


groupe armé est source d’enrichissement personnel, analogue à une quête
initiatique mystique de la découverte du monde et de soi :
« [Subjugué], j’ai pris tellement de plaisir à pouvoir voyager à
l’intérieur du pays et à découvrir de nouveaux endroits. Alors, tu
rencontres plein de gens différents et tu as la chance de connaître de
nouveaux mondes. Certains gens sont riches, tandis que d’autres vivent
dans des conditions misérables dans des endroits très reculés. Ils n’ont
même pas d’accès à l’eau potable. Après avoir été témoin de cette vie, j’ai
réalisé à quel point nous vivons vraiment dans des conditions privilégiées.
[…] Pour moi, ce fut une réelle illumination. J’ai pu réaliser et
comprendre la souffrance du peuple et les conditions dramatiques dans
lesquelles d’autres Népalais se retrouvent. » (Himal, 20 ans)
Les termes utilisés varient de « révélation », « réalisation », «
conscience » à « illumination » permettant l’accès à un état de conscience
(chetana). Ainsi, les jeunes emploient la notion de conscience dans son
double sens. Le premier est celui de la conscience politique, une notion
clé de la rhétorique et du système idéologique maoïste : chetana devient
la réalisation du besoin d’éradiquer les pratiques discriminatoires – de
caste, d’ethnie et de genre –, le fondement des croyances traditionnelles
et religieuses, ainsi que l’inégalité économique. La seconde signification
de conscience est religieuse, telle que promue par le bouddhisme et
l’hindouisme. Il s’agit ici d’éveil personnel dans la réalisation de sa
propre nature et des nobles vérités incluant la vérité de la souffrance.
Ainsi, Himal utilise des grilles mythologiques en établissant un parallèle
avec l’initiation de la figure bouddhiste fondatrice, Bouddha (Gautam).
Pour lui, l’affiliation au groupe armé devient un engagement lui
permettant un accomplissement personnel et collectif. Cet idéal de
cessation de la souffrance s’inscrit dans un modèle dominant, promu par
la société népalaise. Enfin, on note l’absence de référence à la mort : bien
qu’indissociable de l’expérience de guerre, ce thème disparaît pour être
redéfini en termes d’idéaux et de gains individuels et collectifs.
Le reste de l’échantillon vit l’affiliation au groupe comme l’effroi de sa
propre mort :
« Pour moi ce n’était pas un mariage d’amour, je me suis mariée à cause
de mon karma/ma destinée. […] Ils m’ont donné un uniforme et ils m’ont
dit : “Ça y est, tu es devenue PLA (l’Armée de Libération du Peuple) !” Ils
m’ont fait marcher nuit et jour, sans nourriture. […] C’était dur durant les
batailles, alors tu sens l’effroi /Tras et tu ne sais pas si tu ne vas pas peut-
être mourir. […] Après neuf mois, je me suis échappée et je me suis
cachée à Nepalganj pendant quatre mois. J’étais en danger parce que je
savais qu’ils allaient m’y emmener de nouveau. Alors, j’ai rencontré mon
mari par le biais d’une entremetteuse et je me suis mariée le jour même ! »
(Gitta, 18 ans)
L’expérience confronte ici Gitta à la possibilité de sa propre fin par
l’exposition aux dangers extrêmes des combats. L’affiliation aux
maoïstes n’est plus associée à un épanouissement, mais à un risque
individuel. Fuir le groupe et se marier lui permet de redéfinir son
expérience à travers la trajectoire existentielle des femmes dans la
mythologie traditionnelle hindoue. En recadrant sa trajectoire de sortie,
elle s’abstrait des dangers associés aux femmes hors d’un mariage et
poursuit l’idéal d’amour marital dévoué associé aux figures
traditionnelles de Sita ou de Draupadi (épopée sanscrite du Mahabaratha
et Ramayana). Loin de ce lien marital, elles sont exposées à de grandes
menaces contre leur pureté et à la mort. En restant unies à leurs maris,
elles obtiennent protection et restaurent un honneur mis à mal par ces
expériences. Bien qu’opposé à l’expérience d’illumination, l’effroi
associé au groupe armé est également lié à un modèle culturel dominant.
Le changement politique survenu en 2009 fait émerger une nouvelle
dialectique de positionnements subjectifs, dont la première manifestation
est la désillusion :
« [les gens se sentent « déprimés »] lorsqu’ils perdent l’espoir et leur
motivation, que de grands projets puissent se réaliser dans leur société.
Pendant la guerre, il y avait le sens que tous ces sacrifices étaient faits
pour la nation et qu’un Népal plus grand et plus fort en naîtrait. Certains
se sont donc sentis assez “déprimés” et ont perdu espoir parce que les
choses ne se sont pas déroulées comme ils l’imaginaient. Certains ont
parfois voulu se suicider en dernière étape de leur désespoir. […] Avant,
les gens avaient foi en de grands accomplissements pour la société, ainsi
leurs motivations collectives et leurs espoirs les avaient vraiment protégés
de ce sentiment. Mais après la guerre, ce problème a émergé. Les maoïstes
étaient au gouvernement, mais ils n’ont pas pu accomplir ce qu’ils
espéraient. » (Prithvi, 20 ans)
Cette position est soutenue par environ trois quarts des sujets, qu’il
s’agisse de partisans récents ou de longue date. L’expérience du groupe
armé est passée de l’illumination au doute et au manque d’espoir quant à
la réalisation d’un idéal personnel et collectif. Le mot clé de leurs récits
est alors celui de dikka (ennui), souvent utilisé pour décrire leur vécu
émotionnel, contrastant ainsi avec l’effervescence collective des premiers
temps. Cette expression est en principe employée lorsqu’un individu se
retrouve dans un contexte sans intérêt où il n’y a pas d’activité, d’énergie
ou de changement. En 2008, la nouvelle constellation sociopolitique fut
le signe que les sacrifices individuels, encourus pour l’accomplissement
de l’idéal collectif, n’avaient pas été vains. La reconnaissance collective
de leur engagement eut pour effet de contenir émotionnellement ces
jeunes activistes en les positionnant de manière centrale sur la scène
sociale. Sans remettre en cause la valeur de leur participation, les jeunes
combattants se sentent désormais désorientés, car la construction de leur
affiliation au groupe armé ne se trouve plus collectivement validée. Cette
désillusion affecte ainsi significativement leur bien-être. Le sentiment
collectif d’échec est aussi vécu comme un échec personnel affectant leur
humeur au point de mener certains à des dynamiques autodestructives de
type idéations suicidaires.
L’autre attitude, observée pour plus d’un tiers des jeunes, suggère un
détachement émotionnel vis-à-vis de leur enrôlement :
« – [Chercheur] : Lorsque nous nous sommes rencontrées, tu disais que
ta tête (dimaag) n’était pas en paix ? – Sushma : Oui, c’est vrai. Tellement
de choses se sont passées durant la guerre que je n’arrête pas de penser à
tous ces événements. J’en faisais de mauvais rêves. Mais maintenant cela
m’arrive moins, même si cela me fait toujours peur. – [Chercheur] : C’est
vrai que tu avais l’air assez en colère avant… – Sushma : Oh non ! C’est
comme ça que j’avais l’air ? ! (Rires). Oui, c’est vrai que je ne me sentais
pas bien ; je ne m’ouvrais même pas à mes amies. » (Sushma, 17 ans)
En effet, à mesure que le groupe armé cesse d’être officiellement
valorisé, les sujets désinvestissent l’importance de la place de cette
expérience dans leur vie courante. Ainsi, l’intensité émotionnelle de leur
expérience de guerre en est réduite, qu’elle soit problématique ou
positive. Néanmoins, ce détachement est vécu de manière différente en
fonction du profil des jeunes. Pour certains, la colère, l’effroi et la
souffrance associés à l’enrôlement se trouvent diminués et deviennent
moins acerbes, comme pour Sushma. La transformation de la scène
politique est donc associée au soulagement et à un sentiment de sécurité
plus important. Pour d’autres, au contraire, la distance émotionnelle se
joue dans le désinvestissement de la contribution personnelle à
l’expérience maoïste. Les sentiments de tristesse font place à l’abandon
de leurs attentes vis-à-vis du groupe armé pour se focaliser sur leur
propre survie, indépendamment des maoïstes. Ces deux catégories de
jeunes ne changent donc pas nécessairement leur jugement vis-à-vis du
groupe armé (qu’il soit positif ou négatif).

Reconstruction de l’enrôlement au groupe armé : s’engager ou


être enlevé

Le deuxième axe d’analyse concerne la reconstruction subjective du


contexte d’affiliation au groupe armé. Lorsque les maoïstes sont encore
au pouvoir, les deux tiers des jeunes décrivent un enrôlement actif et
désiré :
« Je n’ai vraiment aucun regret d’avoir rejoint le parti. J’ai fait tout ce
que je pouvais pour changer la société. Pour ce faire, j’ai même dû
sacrifier mes études pour un certain temps. Aujourd’hui, je suis vraiment
heureux que le changement soit enfin arrivé au Népal ! » (Shiva, 18 ans)
Les sujets affirment leur capacité à faire des choix légitimes dans le
processus d’affiliation, mais aussi d’adhérer à l’idéal collectif promu par
le groupe qui implique le sacrifice personnel. Plus précisément, la
position activement défendue « d’avoir rejoint » le groupe est structurée
par trois profils : la première attitude défend un choix actif dans le
processus d’affiliation malgré leur jeune âge et ce, pour des motifs
variés ; le deuxième profil affirme avoir été initialement forcé dans
l’enrôlement, mais a eu, en fait, un désir fort (raha) de faire partie du
groupe, ce qui les redéfinirait comme agents consentant à l’affiliation ;
enfin, la dernière position soutenue (souvent par les filles) définit aussi
les sujets comme acteurs dans l’enrôlement au groupe, mais en termes
d’obligation externe telle « une compulsion » à les « (re)joindre ». Leur
capacité de choix se trouve donc externalisée bien que l’enrôlement
résulte de leur propre action individuelle. Par conséquent, ces trois profils
de jeunes construisent leur adhésion au groupe armé comme une position
active et désirée. Cette construction subjective trouve un écho dans la
valorisation collective du groupe, leur permettant de se placer au cœur de
la scène politique et sociale.
Une minorité des sujets décrit, dès 2008, un enrôlement forcé :
« Lorsque je travaillais avec les maoïstes, j’étais une terroriste ! (pause)
Je n’y suis pas allée de mon propre gré, ils m’ont prise de force. Je ne
veux pas y penser, ça me met trop en colère ! » (Parbati, 18 ans)
Ainsi, contrairement aux précédents, ces jeunes reconstruisent leur
affiliation comme un enlèvement, sans choix ni adhésion idéologique. Ils
rejettent donc fortement la validité de cette expérience, tout autant que
les méthodes d’enrôlement employées, libérant leur agressivité à
l’encontre des maoïstes. La dialectique de la reconstruction de
l’expérience d’enrôlement est ici unilatérale et ne laisse aucun espace
pour des positions mixtes, et pour des sentiments plus nuancés.
La dépréciation collective des maoïstes suivant leur départ en 2009
transforme drastiquement pour certains la dialectique de reconstruction
du récit d’enrôlement :
« J’ai aussi été enlevé à l’époque, mais c’était positif parce que c’était
pour une bonne cause. C’était pour moi et pour le peuple. L’enlèvement ce
n’est pas une bonne chose, mais parfois pour le bien de la nation alors
c’est bien. Pour moi, j’y ai vraiment pris du plaisir donc on ne peut pas
vraiment dire que c’était un enlèvement. C’était une bonne chose… […].
Mais si les gens sont pris avec force, alors là, ce n’est vraiment pas une
bonne chose » (Shiva, 18 ans)
Certains y ajoutent un élément de force et de contrainte, inexistant
dans leur récit précédent, symbolisé par les champs sémantiques
employés : « kidnappé », « enlevé », ou « pris par force ». De manière
surprenante, la plupart des sujets affirmaient alors leur entière
responsabilité dans le choix actif d’adhérer au groupe armé. Les jeunes
rejettent donc tout élément de violence dans le processus d’enrôlement.
Pourtant, lorsque cette information a pu être recoupée par d’autres
villageois ou par leur famille, leur version des faits a souvent été
contredite. En parlant d’un « enlèvement positif », Shiva justifie la
contrainte de l’enrôlement par un projet permettant le bien-être de tous.
Ainsi, la violence est transcendée par une ambition collective qui, en
retour, redéfinit l’expérience. Par ailleurs, la légitimité du processus
requérant la force est consolidée par l’adhésion à l’idéal promu et le
plaisir ressenti par le sujet au sein du groupe. En d’autres termes,
l’élément de force, pourtant condamné par Shiva, se trouve redéfini pour
disparaître de sa construction subjective. La certitude de la contribution
positive de l’expérience est ainsi maintenue. Le changement de valeurs
collectives vis-à-vis des maoïstes permet donc à certains jeunes de
construire une trame narrative plus nuancée de l’expérience au sein du
groupe armé.
Pour d’autres, le récit devient celui, dramatique et victimisant, d’une
affiliation forcée au groupe armé :
« Ils m’ont pris, même si je leur disais que je ne voulais pas y aller. Ils
me faisaient soulever des choses lourdes que je ne pouvais même pas
soulever et nous forçaient à marcher. Si nous ne marchions pas assez vite,
ils nous battaient à coups de bâtons. » (Hare, 15 ans)
Les sujets défendent vigoureusement leur statut de victime et leur
incapacité d’action. Pourtant, le récit des événements est parfois contredit
par d’autres témoignages : « Je ne sais pas pourquoi à cette époque son
seul rêve était de les rejoindre et de devenir un PLA (armée maoïste). Il
aimait les armes et l’uniforme, j’imagine. Son père ne voulait pas qu’il
s’y affilie. Il n’avait que dix ans, mais il a quand même fugué de chez lui
et les a rejoints à plusieurs reprises », rapporte ainsi l’aîné du village. De
même, le leader maoïste alors en charge du district raconte à propos
d’Hare :
« Cet enfant me rend tellement triste. Pendant la guerre, il n’arrêtait pas
de venir nous voir et de nous supplier de le laisser nous rejoindre.
Comment aurait-il pu faire partie des PLA, sérieusement ! Il aurait été un
danger pour lui-même et les autres ! Ça le rendait très en colère et il est
venu à plusieurs reprises pour qu’on l’accepte. […] Il était si petit, il ne
s’en souvient probablement pas. Il n’a pas d’amour dans sa famille et ils le
maltraitent. Pauvre enfant, c’est vraiment une victime ! »
Hare place son enrôlement au groupe sous le signe de la contrainte,
alors qu’il se serait activement investi dans cette affiliation. Il existerait
donc un fossé entre le vécu reconstruit et le déroulement objectif des
événements. Le changement de contexte sociopolitique peut ainsi, selon
les sujets, renforcer ou déprécier la cohérence d’une trame narrative
passive et dramatisée. Les différentes attitudes soulignent surtout la
manière dont les événements du récit sont par nature des reconstructions
subjectives, indépendamment des modalités d’entrée dans le groupe.
Ainsi, la subjectivité de ces jeunes serait en partie déterminée par la
manière dont le groupe social se positionne vis-à-vis du groupe armé.

Juger sa propre expérience : entre rêve et cauchemar, certitude et


ambivalence

Le dernier axe s’attache au jugement que ces jeunes portent sur leur
expérience. Pour plus de la moitié de l’échantillon, le groupe armé est
appréhendé à travers la métaphore positive du bon rêve :
« Mais l’étranger au groupe ne peut pas comprendre ! C’était comme un
rêve (lumière dans les yeux), un projet commun d’une société meilleure
pour un nouveau Népal… C’est comme si ce n’était pas vraiment vrai
(état d’extase) […] Quand on était ensemble le rêve, ce n’était pas pour
moi, mais pour nous ; pour lutter contre les inégalités et changer les
choses. Quel est le sens de ma vie maintenant ? Qu’est-ce que ça vaut
d’être ici et de ne pas être avec eux ? Que valent ce luxe et ces ambitions
personnelles ? » (Krishna, 18 ans)
Assimilée à un rêve, l’expérience a une valeur constructive. Ce thème
se retrouve autant dans les émotions exprimées que dans le
comportement non verbal, qui suggère un état semi-extatique. Il se
retrouve par ailleurs dans le vocabulaire employé – « c’était comme un
rêve », « c’est comme si ce n’était pas vraiment vrai » – et dans l’idée de
beauté associée à l’idéal collectif vécu au sein du groupe. Pour ces
jeunes, l’expérience du groupe présente des similitudes avec l’expérience
mystique et religieuse en ce qu’elle est idéalisée et reconstruite au sein
d’une puissante trame narrative de sacrifice collectif. Cette position est
consolidée dans un premier temps par le succès politique des maoïstes,
rendant l’accès du rêve à la réalité. Les jeunes perçoivent ainsi leur
expérience comme ayant eu une contribution personnelle positive,
provoquant même un réel mal-être lors de l’éloignement du groupe.
L’autre moitié des jeunes juge également son expérience du groupe
armé de manière irréelle, mais en penchant cette fois vers le cauchemar :
« C’était vraiment bien, mais ça a été parfois difficile. […] (À propos
des batailles) C’est comme un rêve (pause) comme si ce n’était pas réel
pour moi. Ce n’est pas une bonne institution la guerre, et ça ne vaut pas le
coup de risquer la vie ou la mort. […] Depuis, j’ai perdu la tête et ils
m’ont envoyé en Inde pour me faire traiter (dans un hôpital
psychiatrique). » (Ganesh, 22 ans)
Bien que la situation de Ganesh soit le seul cas de décompensation
psychotique de l’échantillon, la métaphore employée de « mauvais rêve »
demeure un thème important pour quelques-uns de ces jeunes. De
nouveau, le groupe est vécu sur un fond de réalité alternative, tel un
monde surréaliste, mais cette fois sur un mode effrayant. Cette
appréhension est aussi liée à la confrontation avec leur propre mort, en
particulier pendant les temps de combats. Dans ce cas, cette subjectivité a
un impact clair sur leur état émotionnel. Ancré dans une confrontation de
leur propre mort, cette hyper chetana (conscience) du monde, induite par
l’idéologie du groupe, les mène à un rapport au monde déréalisé. Mais
dans la situation extrême de Ganesh, cette disjonction se joue de manière
littérale le poussant à la perte totale de son ancrage à la réalité.
Le changement sociopolitique en 2009 a transformé les modes
d’appréhension de l’expérience. Pour plus d’un quart des sujets, ce
contexte a contribué à maintenir voire à renforcer la vision positive du
groupe armé :
« Pour moi aussi ce fut la meilleure expérience de ma vie ! […] Je les ai
rejoints et je suis toujours avec le parti parce que j’aime ça ! […] Oui, je
voulais vraiment vous dire que j’ai vraiment pris du plaisir (ramayilo) [à
faire partie du groupe] et c’est aussi le cas pour beaucoup d’autres ;
personne ne nous a forcés ! C’est vrai que les gens sont différents et que
les contextes aussi varient, ce qui fait que les gens ont aussi des
expériences différentes. » (Neesha, 18 ans)
Ils maintiennent leur loyauté au groupe et à la contribution positive
que ce dernier a eue sur leur vie. Malgré les défis et échecs officiels
rencontrés au niveau collectif par le groupe, ils affirment leur plaisir, leur
joie et leur désir de maintenir leur adhésion au groupe maoïste. Ainsi, la
dialectique manichéenne s’est transformée en une position plus mitigée,
parfois pragmatique tout en conservant l’enthousiasme et les émotions
positives fortes associées au groupe. En outre, la subjectivé postulée par
Neesha est aussi celle de la capacité d’action et de choix dans son
implication personnelle au groupe. Ceci devient alors un argument
supplémentaire de la valorisation de leur enrôlement.
Mais, pour les deux tiers des sujets, il s’agit plutôt d’une expérience
ambivalente. À l’époque de la victoire maoïste, la subjectivité était assez
unilatérale et souvent clivée en termes bons ou mauvais. À l’inverse,
l’échec politique de 2009 leur permet de douter et d’interroger leur
expérience, ce qui perturbe certains sujets :
« Une mauvaise expérience pour moi c’était lorsque l’on m’a pris pour
aller au parti. À partir de là, j’ai dû arrêter l’école et c’était source de
beaucoup de souffrance (dukha) parce qu’ils m’ont emmené très loin dans
des chemins très ardus. Nous, on a l’habitude de marcher, mais à l’époque
c’était vraiment dur parce qu’il fallait que l’on marche toute la nuit dans
des endroits que l’on ne connaissait pas ; alors on ne dormait que deux
heures. […] Là-bas, c’est une expérience mixte, mais bonne en fait.
Quand on est arrivés là-bas, c’était vraiment super. Les premiers quatre ou
cinq jours, mon oncle nous a pris à part et nous a expliqué beaucoup de
choses tellement importantes. Il nous a expliqué le problème de la
monarchie et de Gyanendra [alors roi], de l’existence d’une société
féodale, ainsi que de celui des castes et de la religion. […] J’ai pu partager
ce nouveau savoir avec d’autres après et je pense vraiment que c’était bon
pour moi parce que c’est tellement important. Une autre expérience bonne,
mais mixte dans le parti c’est que nous n’étions pas seulement assignés
aux batailles, mais aussi à l’espionnage des postes de police, des
baraquements et des banques. […] J’ai vraiment adoré ça et j’ai beaucoup
appris sur l’espionnage ; c’était tellement excitant ! (pause), mais j’avais
aussi vraiment peur de mourir et d’être tué par les forces armées, ça,
c’était vraiment terrible. » (Geheraj, 16 ans)
La nouvelle dévalorisation collective officielle des maoïstes semble
avoir contribué à des jugements plus nuancés de cette expérience. Ce
positionnement collectif permet la coexistence d’appréciations
contradictoires, allant de la joie, la fascination, ou encore l’excitation à la
souffrance, la désorientation, la peur et l’effroi. Les jeunes sujets
associent de nouvelles émotions à leur expérience, mais pas de manière
simultanée ; ainsi le changement dans leur appréhension de cette
expérience a aussi pour effet de modifier son influence sur leur statut
émotionnel.

Que retenir du vécu culturel de ce groupe armé ?

L’enquête ethnographique menée au Népal montre que la validation ou


la dépréciation de l’expérience passée par l’opinion publique a pour effet
de modeler en partie le regard de ces jeunes sur leur propre vécu.
D’autres facteurs entrent évidemment en jeu pour une analyse plus
complète de leur fonctionnement subjectif : depuis les constellations
microsociales dans leurs lieux d’affiliation d’origine jusqu’aux
différences intra-individuelles liées aux trajectoires de vie personnelle et
sociofamiliale. L’enquête confirme tout d’abord la manière dont la toile
de fond culturelle est essentiellement imbriquée au fonctionnement
subjectif. En rendant disponible un ensemble de grilles mythologiques, la
subjectivité de ces jeunes se trouve structurée à partir des scénarios
culturels latents qui leur sont disponiblesXIV. Les grilles culturelles
choisies, qu’elles confirment ou détournent les sujets de leur affiliation
au groupe maoïste, leur offrent une possibilité d’intelligibilité de
l’expérience de la guerreXV. Ce qui, en retour, détermine l’intensité
émotionnelle du vécu de l’affiliation. Pour une majorité des sujets,
l’affiliation aux maoïstes est conçue comme enrichissante et ayant
contribué à leur épanouissement personnel et collectifXVI. Ce
positionnement subjectif remet donc en cause le postulat existant sur les
« enfants-soldats », qui affirme un impact psychologique systématique.
Si c’est bien le cas pour un petit groupe de l’échantillon, la majorité
invalide clairement cette hypothèse. Par ailleurs, la manière dont ces
jeunes vivent le groupe armé est en partie dépendante du politique. De
l’effervescence à la « déprime » ou au détachement, la subjectivité de la
majorité des jeunes combattants se trouve ainsi redéfinie par la manière
dont le politique juge leur expérienceXVII. D’une part, le système de
croyances du groupe armé redéfinit la légitimité de leur participation en
termes de violence perpétrée et de risques personnels encourus. D’autre
part, cette légitimité se trouve renforcée ou infirmée par le regard
sociopolitique porté sur le groupe armé. Si les positions subjectives de
ces jeunes vis-à-vis de leur affiliation ne subissent pas de changement
fondamental, elles se trouvent bien amenuisées ou exacerbées par
l’attitude de l’opinion publique.
Le récit de l’enrôlement au groupe armé montre que la séquence des
événements est toujours une reconstruction, indépendamment du type de
jugement de cette expérience. Pourtant, il est vrai que le capital social
important associé au groupe maoïste semble avoir renforcé une vision de
soi comme acteur désirant adhérer au groupe et soutenu, dans un premier
temps, par le collectif. Le changement sociopolitique ouvre ensuite
l’espace pour une critique et pour l’expression de sentiments plus
ambivalents vis-à-vis de l’expérience combattante. Ce constat d’une
adaptation du récit au discours collectif prédominant rejoint les
conclusions des enquêtes ethnographiques sur les populations ex-
combattantes en Afrique de l’OuestXVIII. Pour la majorité, la
reconstruction du récit oblitère le caractère forcé de l’enrôlement. La
référence à des processus cognitifs ou psychopathologiques tels que le
syndrome de Stockholm sont des hypothèses à interroger : s’il se peut
que ces processus soient en place, il semble plutôt qu’ils soient, dans ce
contexte, une réponse toute faite nous écartant de la phénoménologie de
la subjectivité de cette population, et empêchant une explication
culturellement valide enfin déliée du discours moralisateur sur les
« enfants-soldats » qui conçoit une relation forcément victimisée au
groupe armé. Trop souvent, les populations émergeant des guerres se
trouvent estampillées à coup de traumatismes et de psychopathologies
collectives à partir de positions occidentales. Il s’agit d’un discours
misérabiliste qui non seulement n’explique rien, mais qui contribue à
infantiliser ces populations. En outre, l’idée d’un récit ordonné, telle une
histoire cohérente, est un pur artefact puisqu’il s’agit toujours d’une
reconstruction du sujetXIX.
L’expérience combattante est intimement liée à un vécu de destruction
et de violence subie et, pour notre population, agie. L’hypothèse clinique
serait que cette violence induirait une forte vulnérabilité dans le
développement subjectif de ses jeunes participants. Le postulat sur les
enfants-soldats va même jusqu’à suggérer un impact systématique. Mais
le cas du Népal vient nuancer cette affirmation : il met en évidence que
lorsque cette expérience n’est plus envisagée comme uniforme et
aculturelle, le (socio)politique prend une place centrale. La question qui
se pose alors est de saisir les conditions qui impliqueraient, ou non, une
subjectivité problématique pendant et après l’affiliation au groupe armé.
Les conditions d’appartenance au groupe, vécue sur un mode de réalité
alternative, sont-elles nécessairement problématiques pour ces jeunes ?
Que le vécu soit positivé ou non, les récits collectés au Népal sont tels un
hors-monde et, du coup, un hors-soi. Cette description présente des
similarités dans la relation au groupe armé des jeunes du Libéria et de
Sierra LeoneXX, mais aussi avec les cosmologies proposées par les
groupes sectaires. Le brouillage des repères psychiques du sujet (de vie et
de mort, transgressions de tabous, etc.) a, dans le dernier cas, un impact
significatif sur le fonctionnement subjectif des membres. De même, la
légitimité du groupe armé est-elle une condition à considérer dans
l’impact potentiel de l’expérience ? David Rosen défend l’idée que la
légitimité et l’éthique des groupes associés aux « enfants-soldats » est
relative au paysage géopolitique dans lesquels ces groupes se situentXXI.
Ainsi, la question de la légitimité du groupe armé en soi ne serait pas une
condition pertinente. S. de Mijolla-Mellor propose ainsi de se concentrer
plutôt sur les critères d’appartenance au groupe arméXXII. Les
distinctions se fondent alors plus précisément sur le rapport au
changement d’ordre social, le repérage d’un ennemi ciblé dans la
destruction, le sens des actes (terreur ou communication de sens), ainsi
que l’identité et la légitimation des actes par la population
d’appartenance. Se pose ainsi la question de l’influence psychologique
des conditions d’appartenance au groupe armé. Certains groupes et leurs
systèmes de croyances seraient-ils plus traumatiques que d’autres ?
Enfin, l’enquête ethnographique a montré que le contexte
sociopolitique post-expérience est une des conditions significatives dans
la variation de son impact. En effet, la validation collective du groupe
armé lors des élections nationales a eu clairement un effet de contention
pour beaucoup de jeunes. Le rejet des maoïstes qui a suivi déprécie pour
ses jeunes combattants la valeur de leur expérience et les laisse beaucoup
plus fragilisés. Au contraire, les jeunes qui ont vécu l’affiliation sur le
mode de l’effroi voient leur récit, et donc leur souffrance, légitimés par la
dévalorisation du groupe armé. Ainsi, la constellation sociopolitique
façonne l’articulation subjective entre le vécu, la reconstruction du récit
et le jugement de valeur de l’engagement : l’influence de cette expérience
est variable dans le temps. West confirme que l’évolution du contexte
sociopolitique a privé les jeunes Mozambicaines de la possibilité
d’exercer un pouvoir et de donner un sens historique aux événements
auxquels elles ont activement participéXXIII. Summerfield va dans le
même sens, en affirmant que l’expérience de la guerre a souvent moins
d’impact que le vécu du contexte postguerreXXIV.
L’interaction entre le vécu collectif et subjectif, pendant et après la
guerre, est donc fondamentale pour saisir le fonctionnement subjectif des
jeunes combattants. Il s’agit avant tout de la conceptualiser au sein d’un
espace-temps qui lui est propre, impliquant des conditions spécifiques
d’appartenance et de fonctionnement du groupe. Qu’ils soient venus
d’Afrique ou d’Asie, cette étude propose une conception des jeunes
associés aux groupes armés qui résisterait à une hyperpsychologisation.
L’analyse du cas népalais s’inscrit en faux contre une position
occidentale qui les « psychiatriserait » et les réduirait à un diagnostic, les
victimisant un peu plus. Une théorisation de la subjectivité des jeunes
combattants ne peut donc être valide qu’en appréhendant leur expérience
de guerre au sein de repères culturels et sociopolitiques, fondateurs de
tout fonctionnement subjectif. Ceci permettrait de réévaluer certains
champs d’investigation scientifique en démystifiant la construction
« enfants-soldats » au plus près du vécu de ces jeunes.
Émilie Medeiros
Chapitre 8

L’enfant-combattant dans les films iraniens


pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988)

S i, durant la guerre Iran-Irak, le régime de Saddam Hussein a été


condamné par la communauté internationale pour l’utilisation de
l’arme chimique, la République islamique a été dénoncée dès les
premières années du conflit pour l’envoi massif d’enfants au combat. Les
médias occidentaux ont largement fait état de la présence de soldats de
douze à quatorze ans dans des vagues d’assaut et surtout pour déminer le
territoire, alimentant ainsi les représentations d’un islam combattant,
barbare et mortifèreI. Aujourd’hui, cette question reste controversée en
Iran et sa réalité encore en partie dissimulée. Il demeure difficile de
l’étudier tant les données contradictoires et les postures idéologiques font
obstacle à l’analyse. Le nombre exact d’enfants iraniens qui participèrent
aux opérations reste difficile d’accès et aucune source de référence
concernant l’âge des combattants n’a été publiée. Des estimations
officielles sur les décès sont en revanche disponibles et s’avèrent
précieuses, ne serait-ce déjà que pour attester la participation effective
des enfants aux opérations militairesII. Condamnée par le protocole
additionnel aux conventions de GenèveIII, la contribution des enfants de
moins de quinze ans au combat a été légalisée par l’ayatollah Khomeyni
au nom de la guerre sainte, défensive, que le pays devait entreprendre
suite à l’agression irakienne. Les politiques d’endoctrinement ont très
vite su attirer de jeunes recruesIV. Mais la légitimation de l’enrôlement
des enfants n’a pas été si évidente. Exalter leur participation au combat
allait à l’encontre d’une « morale universelle »V, ce qui pouvait avoir des
effets négatifs sur la propagande entreprise par l’État dont l’objectif,
comme bien souvent en temps de guerre, était de gagner le consentement
des populations, leur acceptation du conflit et leur contribution par la
mobilisation. Comment la représentation d’un enfant-combattant pouvait-
elle s’imposer comme acceptable voire désirable pour les Iraniens ? Dans
quelle mesure voir un enfant dans la violence des opérations militaires
pouvait-il s’inscrire dans une logique de propagande ?
Que constate-t-on ? Que si l’enfant-combattant a été exalté dans les
discours et les sermons, sa présence effective sur le front – et plus
particulièrement au combat – dans des articles de presse et à la télévision,
est restée rareVI. Même les films documentaires tournés par Mortezâ
Avini dans sa très idéologique série Le Récit de la victoire (Revayat-e
fath) en font peu étatVII. Ainsi, si des jeunes volontaires ont
effectivement pris part à la guerre, leur représentation – en tant que
combattants (pouvant tuer et être tués) dans la réalité de la guerre – a été
bien moins systématique que leur exaltation dans les métaphores des
discours politiques. Il existe ainsi un déséquilibre significatif entre les
récits faits sur ces enfants volontaires se battant pour l’Islam et la patrie,
et l’exposition visuelle de leur réalité combattante. À l’inverse des
enregistrements tournés sur le front, les films de fiction se sont
confrontés de façon plus explicite à la question de la représentation des
enfants- combattants. Parmi la quarantaine de longs-métrages et la
cinquantaine de courts-métrages iraniens consacrés à la guerre et réalisés
entre 1981 et 1989VIII, une demi-douzaine a mis en scène des adolescents
prépubères qui s’engagent dans le conflit et y prennent activement part,
jusqu’à l’ultime sacrifice parfois. Notons qu’au regard d’une histoire des
films de combat tournés en temps de guerreIX, l’existence de tels films
est singulière. Très généralement, pendant un conflit, les images diffusées
sont hautement contrôlées pour répondre à des logiques d’encadrement
qui évitent tout risque de démoralisation des populationsX. Réaliser des
films de fiction pendant la guerre, sur un conflit qui déchire le territoire
national, est déjà peu classique, mais faire des films montrant des
enfants-combattants, voire les faisant mourir, a été jusque-là contraire à
toute la logique de propagande cinématographique.
Les mises en scène de l’enfant-combattant, si spectaculaires et
singulières qu’elles soient pour cette période de guerre, ne sont cependant
pas monolithiques et ne semblent pas répondre à une demande uniforme
et arrêtée de la propagande. Ce qui apparaît d’emblée au visionnage de ce
corpus, c’est que peu de films mettent effectivement en scène un enfant
les armes à la main. Est-ce par peur d’aller l’encontre de cette « morale
universelle » ? Quand ils le font, ces films sont soit interdits, soit
autorisés car s’inscrivant dans un fort régime de fiction et dans une
lecture relevant d’une mythologie chiite du conflit fortement
instrumentalisée par les dirigeants politiques et religieuxXI. Nous
étudierons dans ce chapitre, à partir d’exemples précis de films, combien
le cinéma de fiction est un révélateur de la tension qui travaille la
propagande pendant la guerre, entre stratégie d’évitement et tentative
d’élaborer des représentations qui seraient en adéquation avec la
rhétorique politique tout en étant acceptables pour le spectateur.

Les mises en scène de l’engagement de l’enfant

Plusieurs films tournés pendant la guerre racontent le moment où un


enfant prend la décision de s’engager, que ce soit dans une structure
d’encadrement idéologique permettant de partir pour le front ou bien hors
de toute forme institutionnalisée. La Recherche II et Le Col rouge
montrent ainsi chacun un enfant qui choisit de devenir combattant, suite à
un choix individuel. L’engagement volontaire, dans ces deux films, est
mis en scène de façon radicalement différente, traduisant même un
rapport opposé au rôle du cinéma dans la guerre. Dans le premier cas, La
Recherche II [Josteju-ye dovvom, Amir Nâderi, 1981], le réel dérange. La
Recherche II est l’un des premiers films de fiction tournés durant la
guerreXII. Amir Nâderi est déjà un réalisateur connu quand il part, avec
une équipe très légère, dans la province du Khuzistan en partie occupée
par l’armée irakienne depuis l’automne 1980.
Le synopsis : Après un bombardement, un enfant recherche sous les
décombres le corps de ses parents. Il traverse la ville encore fumante de
la poussière des maisons écroulées et parcourt les ruines. Il croise des
jeunes hommes, en jeans et tee-shirt, kalachnikov à la main, et les
accompagne successivement au gré des combats contre une armée
irakienne qui a gangrené la ville. Après avoir vu les cadavres des
membres de sa famille, il suit un combattant. Lorsque celui-ci est abattu
sous ses yeux, criblé de balles par les tirs ennemis, l’enfant resté seul
survivant, se saisit de l’arme et s’engage dans la lutte en hurlant.
Amir Nâderi ne masque ni la violence de la guerre ni les traumatismes
qu’elle engendre. Par le regard du jeune héros, que le spectateur
accompagne dans sa quête, les destructions, les mutilations des
combattants, les agonies et la mort sont vues sans dissimulation. Le son
du film, souvent remplacé par le souffle du vent, contribue à faire
partager au spectateur l’impression de cauchemar vécue par l’enfant.
Dans une démarche très comparable à celle de Rossellini dont il
reconnaît s’inspirer, Nâderi ancre cette fiction au scénario très
minimaliste dans un étroit rapport au réelXIII. Il filme sur les lieux des
combats, avec ceux-là même qui se sont battusXIV. Durant le tournage,
l’enfant de douze ans qui joue le rôle principal est tué au cours d’une
attaque aérienne. Nâderi le remplace, et continue le tournage. Le
personnage principal est donc joué par deux jeunes interprètes différents.
Bien visible à l’écranXV, ce changement prend acte de la réalité brutale
de la guerre. Dans la dernière séquence, quand le jeune héros se saisit de
l’arme et hurle sa rage avant de courir face aux tirs ennemis, Nâderi le
filme comme une figure de la résistance civile combattante qui pourrait
devenir une icône, au-delà de la situation nationale et historique dans
laquelle s’inscrit le film. Sans métaphore ni discours et avec un tournage
qui intègre la réalité la plus violente de la guerre sur la pellicule, Nâderi
trace l’itinéraire d’un engagement. Il met en scène la construction du
regard d’un enfant sur la guerre qui le conduit à passer à l’acte, hors de
toute structure d’encadrement idéologique et militaire. Sans moralisation,
Nâderi filme la résistance civile plus que la « défense sacrée » (defâ’-e
moqqadas), terme employé par les dirigeants iraniens pour définir la
guerre.
La puissance visuelle de La Recherche II s’inscrit dans une histoire du
cinéma iranien déjà riche en œuvres et en explorations
cinématographiques. La liberté de réalisation du film correspond aussi
aux années qui ont suivi la révolution avec la libération de la parole et
des caméras, et où les structures d’encadrement et de contrôle
cinématographiques étaient encore en cours d’élaboration. Par ailleurs,
pendant la première année de la guerre, les décisions militaires
concernant la production cinématographique restaient incertainesXVI.
Cette variable contextuelle est déterminante pour saisir comment un tel
film a pu être tourné en temps de guerre, mais aussi pourquoi et comment
il a été interdit par la suite. En décembre 1981, quand Nâderi tourne son
film, les forces iraniennes commencent à remporter des victoires après un
an d’absence d’offensive de grande envergure. Le déblocage du siège
d’Abadan, le 27 septembre 1981 avait marqué une première avancée.
Quand le film est fini et est présenté à la très officielle télévision
nationale (IRIB) qui l’a produit (de façon minimale), les dirigeants
fustigent l’image inquiétante que le film donne de la guerre, image faite
de confusion, de destruction et de morts, peu propice à un élan
glorificateur pour la préparation des grandes offensives à venirXVII.
L’engagement de l’enfant est perçu par eux comme un suicide (interdit en
Islam) et non comme un exemple à suivre. Surtout, le rapport que le film
entretient avec le réel va à l’encontre de la construction d’une imagerie
rassurante voulue alors par le pouvoir.
Tout au contraire, dans Le Col rouge [Torgh-e sorkh, Ebrâhim
Hâtamikiâ, 1985], l’engagement se fait sur le mode de l’allégresse.
Ebrâhim Hâtamikiâ, jeune opérateur au sein de l’armée des gardiens de la
révolution, est attiré par le cinéma de fiction. À côté des documentaires
qu’il réalise sur le front, il parvient à tourner des courts-métrages de
fiction avec un accord, plus ou moins tacite, de ses chefs militairesXVIII.
C’est dans ce cadre qu’il réalise Le Col rouge, qui n’est pas
officiellement un film de commande, mais qui témoigne du cadre
idéologique qui l’a vu naître.
Le synopsis : Un enfant d’une dizaine d’années reste éveillé dans la
nuit. En silence, il sort une boîte à chaussures et contemple les rangers
qui y sont rangés. Au matin, alors que sa mère dort encore, il lui fait
signer sans qu’elle s’en rende compte l’autorisation de son engagement
volontaire en lui barbouillant le doigt d’encre et en appliquant ce dernier
sur le formulaire. Mais au centre de recrutement de la mosquée, la voix
d’un responsable lui dit d’attendre le retour de son père et son
engagement est gentiment refusé. En rentrant penaud à la maison, il
croise une colombe qui semble le fixer. Elle le rejoint dans la cour de sa
maison et lui raconte comment, oiseau choyé d’une volière, sa vie a été
bouleversée par un événement incompréhensible pour elle et qui a détruit
la ville. Blessée au cou (d’où le titre), elle est parvenue à s’échapper en
se posant sur un camion, et est arrivée dans ce lieu préservé des
combats. Elle demande au garçon de l’aider à rentrer chez elle, dans le
Khuzistan. La mère gronde son fils pour lui avoir dissimulé son départ et
parce qu’il ne respecte pas son injonction d’attendre le retour de son
père pour éventuellement repartir au front avec lui. À l’aube, et sans
feuille d’engagement, l’enfant chuchote à sa mère qui fait mine de dormir
que comme son père ne vient pas à lui, c’est lui qui part le rejoindre.
Guidé par la colombe, il s’en va avec allégresse vers le Khuzistan en
guerre.
Si Hâtamikiâ intègre des images d’archives et si son film se déroule
dans le quotidien des civils à l’arrière, Le Col rouge s’inscrit
explicitement dans le registre de la fiction. Très écrit et scénarisé, joué
avec une certaine lourdeur, le film introduit une rupture supplémentaire
dans son rapport au réel avec l’apparition d’un oiseau parlant. Le
réalisateur fait ainsi surgir une logique de conte et renvoie de ce fait le
conflit dans une dimension imaginaire. La colombe raconte la guerre à
l’enfant (avec une voix enfantine) et des inserts montrent les
bombardements des villes du sud de l’Iran, du point de vue de l’oiseau.
La superposition de la voix de la colombe et de ces images d’archives
fragilise leur statut documentaire, pour en faire un maillon du dispositif
de fiction. Ces images, que les spectateurs iraniens connaissent bien
(notamment celles de l’incendie de la raffinerie d’Abadan), situent
l’action du film à l’automne 1980.
Avant la rencontre avec la colombe, l’enfant avait déjà décidé de
s’engager, mais c’est elle qui permet son départ en le guidant, hors de
toute structure officielle, en zone de guerre. L’enfant a choisi seul, contre
les adultes qui lui interdisent de partir avant le retour de son père. Guidé
par une forme de transcendance incarnée par la colombe, il marche vers
le front en toute confiance et légèreté. Hâtamikiâ filme ainsi
l’engagement volontaire des enfants comme une ouverture vers la liberté
et en donne une représentation rassurante et guillerette, loin du
cauchemar de la réalité combattante que Nâderi avait filmée quelques
années plus tôt au prix de l’interdiction de son film. Une corrélation peut
être faite entre Le Col rouge et le fait qu’à cette époque, l’armée des
gardiens de la révolution (dans laquelle le réalisateur est engagé) requiert
de plus en plus de recrues pour sa stratégie militaire. Par la période dans
laquelle il est réalisé et projeté, par son sujet, et par ses choix de mises en
scène, ce film s’inscrit en effet bien dans une logique de propagande de
guerre qui cherche à rendre désirable le volontariat des enfants.

De stratégies militaires « pédophages » en besoin de fiction


cinématographique

En dessous de l’âge légal pour intégrer l’armée (dix-huit ans), les


jeunes volontaires s’engagent dans le basij (niru-ye moqavemat-e basij,
litt. : Force de mobilisation de la résistance, dont les membres sont les
basji). Créé en mai 1979, durant la révolution, pour soutenir
l’encadrement idéologique islamique, ce corps de volontaires avait déjà
installé ses bureaux de recrutement dans les mosquées et les écoles.
Quand la guerre éclate, une partie de ses forces rejoint le front quand
d’autres sont envoyées dans des actions de mobilisation à l’arrièreXIX.
L’entraînement des volontaires comprend une phase d’endoctrinement et
d’apprentissage militaire de quelques semaines, avant l’envoi en zone de
combat. Ce corps est placé sous l’autorité militaire de l’armée des
gardiens de la révolution (sepâh-e pâsdârân-e enqelâb-e eslâmi)
communément nommée sepâh, force militaire créée elle aussi en mai
1979 comme garde prétorienne du régime islamique en charge de la
répression dans les affaires internes XX. Sepâh est cependant très vite
devenue un acteur majeur dans la guerre contre l’Irak, beaucoup plus
valorisée que l’armée traditionnelle (artesh). Formée à l’époque
impériale, très performante et bien équipée, artesh souffre de la méfiance
que les nouveaux dirigeants lui portent durant toute la guerre.
L’armée des gardiens de la révolution et l’armée traditionnelle,
dépendant de commandements et de ministères différents, se distinguent
dans leurs recrutements (l’un plus idéologique, l’autre plus
professionnel), mais aussi dans leurs conceptions de la stratégie militaire.
Alors qu’artesh base ses offensives sur l’efficacité tactique et le faible
coût humain des opérations, sepâh fonde principalement ses offensives
sur des vagues humaines. Moins rôdée à l’expertise et à l’art militaire,
sepâh gagne ses lettres de noblesse dans des actions zélées et
courageuses, qu’elles soient entreprises par des masses de combattants ou
des unités d’élite. Très coûteuse en vies humaines, sa stratégie est
pourtant privilégiée par le régime. En exaltant le sacrifice et le
dévouement absolu, la dimension idéologique de telles opérations
impressionne l’adversaire mais aussi les opposants au régime en Iran.
Ces opérations nécessitent de plus en plus d’hommes et conduisent
jusqu’à l’enrôlement de très jeunes recrues. Pour donner un ordre de
grandeur de leur participation aux opérations militaires, on peut citer une
déclaration du ministre en charge de sepâh, Mohsen Rafighdust, qui
affirme qu’à la veille de l’opération Kheybar (1984), 57 % des forces
combattantes étaient constituées d’enfants d’âge scolaire. Ajoutons que
selon des sources progouvernementales, cette opération aurait fait dix
mille morts parmi les enfants-combattantsXXI. Ceux-ci sont toujours
considérés comme des volontaires, même si des enrôlements forcés ont
bien eu lieu.
Comme dans d’autres expériences combattantesXXII, des enfants se
sont engagés en tant que volontaires pour défendre la patrie et l’islam,
devenir un homme ou plus trivialement fuir le quotidien et partir à
l’aventureXXIII. L’endoctrinement dans les mosquées et à l’école, la
pression sociale, les rétributions financières lors des décès ou des
mutilations et les gratifications de tous ordres attribuées aux familles, ont
contribué à conduire les enfants sur le front, particulièrement au sein des
classes défavoriséesXXIV. Les actions d’enrôlement forcé, bien plus
discrètes, ont complété les effectifs. Passées les premières années de la
résistance à l’occupation irakienne où l’engagement parmi la population
civile a été massif (1980-1982), les recrues se sont faites plus rares et
l’endoctrinement pour favoriser leur mobilisation plus intense. C’est à ce
moment-là que l’enrôlement des enfants est devenu plus actif. Des mises
en récit ont alors accompagné ces recrutements pour contribuer à leur
légitimation. La plus systématique a été celle que nous pourrions nommer
« la comédie du refus de l’engagement par les adultes face au choix
obstiné des enfants »XXV.
Jusqu’en 1982, la permission parentale pour l’engagement d’un enfant
dans le corps des volontaires était nécessaire. Le scénario du Col rouge
se situe donc explicitement avant cette date. Mais, même avec cette
permission, les responsables militaires se devaient de refuser le départ
d’enfant à la guerre. C’est tout au moins ce qui transparaît dans les
sermons et les histoires officielles racontées sur la guerre pendant les
combats. Ainsi, dans des discours prononcés lors du conflit, Hâshemi
Rafsandjâni (alors président du Parlement) racontait que les
commandants militaires avaient interdit aux familles d’envoyer leurs
enfants sur le front s’ils étaient âgés de moins de seize ou dix-sept ans ;
mais il ajoutait que ces objections ne freinaient en rien l’engagement des
enfants. Il concluait alors que considérant l’attitude d’adulte qu’avaient
ces enfants, ils pouvaient très bien ne plus être considérés comme
mineursXXVI. Ces scènes du refus de l’engagement existent dans presque
tous les films de guerre qui comportent des personnages d’enfants
(hormis la Recherche II). Ce dispositif narratif permettait de montrer que
cet acte n’était pas un enrôlement forcé, et que les responsables militaires
incarnaient une autorité morale garante de la protection des mineurs. Ce
dispositif était d’autant plus nécessaire que, du point de vue du droit
international, il fallait insister sur le fait que les enfants-combattants
étaient bien des volontaires (et non enrôlés de force) pour tenter d’éviter
les condamnations de la communauté internationaleXXVII.
Dans les faits, l’encouragement à l’engagement des enfants commence
dès le début de la guerre, notamment quand l’ayatollah Khomeyni
magnifie l’acte d’un enfant de treize ans, Hoseyn Fahmideh, qui avait
jeté une grenade, le 30 octobre 1980, contre un char irakien et était mort
dans l’explosion. Suprême gratification, l’ayatollah était allé jusqu’à le
nommer « rahbar » (« guide », titre qui le qualifiait lui-même)XXVIII.
Khomeyni a exhorté par la suite les enfants à suivre cet exemple et à
participer aux actions de sacrifice pour l’islam et la patrie. En 1982, il
abolit la permission parentale jusque-là nécessaire pour l’engagement des
jeunes volontaires. Le chef religieux justifie cette décision en rappelant
que, dans la doctrine de la guerre sainte – le jihadXXIX –, quand un État
islamique est attaqué et l’ordre politique et social menacé, il devient un
devoir pour tout individu de défendre et de protéger l’État. Dans ce cas,
les enfants n’ont pas besoin de l’accord de leurs parents, autorisation en
revanche nécessaire pour toute entreprise de guerre sainte offensive,
position dans laquelle ne se trouve pas l’Iran, qui a été agressé par l’Irak.
Khomeyni légalise ainsi la participation des enfants à la guerre. Mais
comment rendre cette réalité combattante acceptable et attractive dans les
représentations filmées ?
Une première réponse a déjà été apportée à cette question : en exaltant
le sacrifice des enfants dans les discours, tout en occultant leur
monstration dans les combats. Des reportages télévisés ont ainsi filmé
des parents encourageant l’engagement de leur cadet, après la mort des
aînés, mais les enfants eux-mêmes ne sont jamais filmés en train de se
battre, laissant l’enfant-combattant dans le registre de l’abstraction et
hors champ. De même dans la presse où des photographies de classes
vides ont signifié la participation des enfants à la guerre, sans qu’aucun
cliché ne les montre dans la violence des combats.
Un film documentaire de propagande, La Leçon sur le martyre [Dars-e
emruz Shahadat, Manuchehr Aqâniparast, 1986], illustre particulièrement
ce traitement de l’enfant-combattant par la figure de l’absence. Le film
montre des ruines, vides de toute présence humaine, avant que la caméra
n’entre dans une salle de classe où la parole d’un maître d’école, absent,
procède à l’appel des élèves invisibles. « shahid Dâvud Seti » (martyr
Dâvud Seti), et au plan suivant un poing fermé se lève. L’appel se
poursuit ainsi et à chacun de répondre « je suis prêt » (pour le martyr)
plutôt que le traditionnel « présent ». Puis, tous les poings se lèvent dans
un même plan. Un titre au générique d’ouverture précise que ce film est
une histoire de Kerbalâ 5 (opération la plus coûteuse en vies humaines) et
que ces images se situent à une centaine de kilomètres de Shalamcheh
(où a eu lieu l’opération). On ne sait donc pas si ces petits martyrs ont été
victimes de frappes aériennes irakiennes ou si elles sont mortes au
combat. Leur martyre est mis en scène par cette figure de l’absence, dans
cet appel macabre, hors de toute incarnation. Mais il est glorifié et
hautement valorisé.
Un autre élément de réponse réside dans la stratégie d’évitement.
Comme dans les images d’information ou les films documentaires, la
majorité des films de fiction ne montrent pas d’enfant au cœur des
opérations militaires. Ils privilégient la phase de l’engagement,
contribuant à la construction d’une imagerie rassurante (Le Col rouge) et
socialement valoriséeXXX. Il faut également que cette figure de
l’engagement reste dans un fort régime de fiction. Ainsi, même dans le
cadre d’une politique qui a exalté la mobilisation militaire des enfants et
la mort en martyre, le risque de démoralisation par les images en
provenance du front a été pris en compte et très vite redoutée (d’où
l’interdiction de La Recherche II). Donc, même dans un régime politique
qui incite au martyre, la mort de guerre a été en grande partie occultée
comme en témoignent les politiques d’euphémisation dans l’annonce des
victimes et l’occultation des cadavres dans les médiasXXXI. C’est dans ce
contexte qu’il faut aussi voir ces films qui montrent davantage
l’engagement que le combat. Ces dispositions visent à prendre de la
distance avec la réalité combattante, particulièrement quand elle concerne
les enfants-soldats. Seul un réalisateur de film de fiction, Rasul
Mollâqolipur, va tenter d’élaborer un système très particulier de mise en
fiction pour filmer un enfant-combattant qui devient martyr sans que ce
film ne contrevienne à la propagande de guerre. Mollâqolipur cherche en
fait à réaliser à l’écran ce que les discours et les sermons font depuis le
début du conflit quand ils inscrivent la guerre Iran-Irak dans une lecture
mythologique propre au chiisme. Cette tentative est sans doute unique
dans l’histoire des représentations.

Les mises en scènes de l’enfant-combattant et de l’enfant martyr


par Rasul Mollâqolipur

Dans son premier film, Le Porteur d’eau assoiffé [Saqâ-ye teshneyi


1982], Rasul Mollâqolopur, alors photographe de guerre, met en scène un
enfant qui devient combattant. Si les autres réalisateurs fondent leurs
intrigues sur l’engagement, lui est le seul à « aller au front » avec son
héros. Ce court-métrage raconte comment, au cours d’une opération
militaire à laquelle il participait en tant que porteur d’eau, un enfant
prend les armes. Touché par les balles ennemies, il meurt finalement dans
la souffrance à l’hôpital.
Pour réaliser ce qui paraît être une des représentations les plus
iconoclastes d’un cinéma de guerre tourné durant un conflit, le réalisateur
élabore un mode de récit, une esthétique et des personnages qui puisent
aux sources d’une mythologie centrale dans le chiisme, la bataille de
Kerbalâ : « Empêché de rejoindre Kufa par les troupes Omeyyades
venues à sa rencontre, Hoseyn [petit-fils du ProphèteXXXII] se retrouve le
2 octobre 680 dans l’obligation de bivouaquer à Kerbalâ, petite localité
du désert. L’accès à l’eau de l’Euphrate lui est coupé par l’ennemi.
Abbas [al Abolfazl] XXXIII, demi-frère de Hoseyn, réussit à aller remplir
quelques outres dérisoires pour abreuver les soixante-douze compagnons
qui campent depuis plusieurs jours dans la chaleur torride. Parmi eux,
Zeynab, sœur de l’imam Hoseyn et ‘Ali, son fils, encore enfant et futur 4e
imam, qui survivront tous deux. Ayant refusé les offres de reddition,
l’imam se prépare au combat final et prévient les siens du danger qu’ils
courent en restant avec lui. [...] Après une dernière veillée de prière, c’est
le combat final et le massacre. […] Parmi les premières victimes que
l’imam recueille dans ses bras, son fils ‘Ali Akbar, Qâsem, le fils
d’Hassan, Abolfazl al Abbas [son demi-frère]. Des épisodes pathétiques
sont rapportés par la tradition et amplifiés par la piété doloriste des
chiites. […] Shemr b. Sa’d s’avance à la tête d’un groupe et attaque
Hoseyn qui est décapité. Sa tête sera portée à Kufa, puis à Damas. Son
corps, piétiné par les chevaux, est enterré sur place. »XXXIV Séquelle de
la guerre de succession qui sévit depuis la mort de Mahomet, cet
événement va devenir une référence majeure pour les chiites et une grille
interprétative du monde.
La mise en correspondance de la guerre Iran-Irak avec la bataille de
Kerbalâ a eu lieu dès la première année du conflit dans les sermons et
dans les discours (le mythe ayant déjà été réactivé lors de la révolution de
1979 pour lutter contre le régime impérial)XXXV. Dresser un parallèle
entre ces deux combats avait entre autres pour effets de légitimer la
guerre en en donnant une perception religieuse et identitaire, et en
provoquant un profond élan émotionnel dans les assemblées. Ces mises
en scène avaient à leur tour des effets dans la mobilisation et le
consentement au conflitXXXVI. Sur le front, nombreux étaient les
combattants, notamment au sein du basij à s’identifier à des soldats de
l’imam HoseynXXXVII. C’est dans ce contexte que les enfants envoyés
sur le front ont été perçus en jeunes compagnons du Troisième Imam
chiite. Dans certains cas, ils ont même directement intégré une figure
connue et aimée, celle de l’enfant martyr, prenant le visage de Abolfazl al
Abbas ou de ‘Ali, fils de Hoseyn, rescapé du carnage. L’enfant-
combattant rencontrait ainsi ces figures mythologiques, voire se fondait
en lui.
Mais comment passer de la métaphore utilisée dans les discours à une
représentation filmée ? Comment mettre en scène un enfant-combattant
pour que le spectateur voit Abolfazl ? Mollâqolipur, qui écarte la
reconstitution historique, puise les codes de sa mise en scène dans un
réservoir de symboles qui appartient à une forme ancienne de
représentation, le théâtre du ta’zieh, évocation traditionnelle et codifiée
de la bataille de KerbalâXXXVIII, extrêmement populaire en Iran. Par ce
biais, le spectateur est invité à avoir une double lecture de ce qui se joue
à l’écran : il voit la guerre Iran-Irak tout en percevant aussi une évocation
de la tragédie fondatrice du chi’ismeXXXIX. L’enjeu cinématographique et
politique est qu’il substitue à la vision immédiate de la guerre réelle la
vision de la bataille mythique, le ta’zieh.
Seule forme dramatique religieuse du monde islamique, le ta’zieh peut
être comparé aux Mystères joués en Occident au Moyen Âge. Bien
qu’écrits en poésie classique, ces textes restent très accessibles à la
population. Les personnages sont joués par des habitants des villages qui
ne sont pas des acteurs professionnels. Ceux-ci disent leur texte, qu’ils
gardent à la main. La scène du ta’zieh est habituellement circulaire, les
décors absents ou très stylisés tout comme l’ensemble de la mise en
scène : un saut d’eau suffit à représenter l’Euphrate, une pousse de
palmier à signifier une oasis et un tour de piste parcouru à pied par un
personnage évoque une longue marche. Les personnages sont en
costumes de tonalités rouges (soyeux et richement ornés) pour les
partisans des Omeyyades, et vertes ou noires (en matières rustiques) pour
ceux de l’imam HoseynXL. Quand l’un des personnages du camp de
Hoseyn est vêtu de blanc, ce costume annonce son martyre.
L’objectif est que les spectateurs vivent le drame dans le pathos et
l’effusion collective. La question du rituel de commémoration reste
centrale : le spectacle vaut autant pour ce qui est représenté (le drame
historico-légendaire de Kerbalâ) que par ce qui est vécu par les
spectateurs, en compassion avec Hoseyn et ses compagnons, souffrant
avec eux et comme eux, croyant dans le triomphe de la justice par ce
martyre. « Le spectateur habituel de ces tragédies en connaît déjà les rites
et le déroulement dans tous les détails. Il n’assiste pas dès lors à une
représentation théâtrale mais plutôt à une scène rituelle qui ne revêt pour
lui aucun caractère artistique. Il est là pour participer à une manifestation
religieuseXLI. » Dès l’apparition d’un symbole ou d’une phrase
annonciatrice d’une souffrance ou d’une mort, des sanglots éclatent
comme par automatisme dans toute l’assemblée pour s’arrêter aussi
abruptement dès que commence une autre scène. Le déclenchement de
l’émotion est central, et est particulièrement efficace quand il s’agit d’un
enfant. C’est sur ces ressorts que va jouer Mollâqolipur, moins pour faire
pleurer ses spectateurs (il ne situe pas son film dans un rituel
purificateur) que pour les processus d’identification qu’il suscite. Son
objectif est que le public voit ce à quoi il croit, qu’il ne voit plus ainsi un
enfant-combattant mais un compagnon de l’imam Hoseyn, qu’il ne voit
pas un enfant mort mais un martyrXLII.
Le film commence dans un hôpital. Un enfant d’une dizaine d’années
vient d’être opéré. Il est transporté dans une chambre où séjournent
d’autres combattants blessés (ils sont barbus, ce qui signifie qu’ils
appartiennent probablement à l’armée des gardiens de la révolution).
L’enfant est dans un hôpital d’adultes, donc pas traité en enfant, malgré
son jeune âge. L’infirmière borde le garçonnet, dont le visage porte des
cicatrices. Elle raconte à l’un des deux blessés : « Cela faisait déjà 12
heures qu’il perdait son sang quand on l’a trouvé [...]. Tout le monde le
prenait pour un martyr. Ils l’ont donc transporté en chambre froide à la
morgue [...] Il a reçu trois balles dans le ventre. C’est un miracle qu’il
soit encore vivant. » Les compagnons de chambrée racontent que
Gholâm Ali, avec sa mère, est le seul survivant de sa famille, tous étant
morts lors du bombardement de leur maison par l’armée irakienne.
L’horreur de ce qui est arrivé à Gholâm Ali, entre sa blessure sur le
champ de bataille et son séjour à la morgue en chambre froide, est un
récit qui paraît difficilement acceptable dans une logique de mobilisation
par le cinéma.
Au début du film, peu d’éléments relèvent du système de signes utilisé
dans le ta’zieh et qui permettrait au spectateur une évocation de Kerbalâ,
si ce n’est l’âge du jeune combattant, et peut-être l’idée que tous les
membres de la famille sont morts, sauf sa mère et lui (tel le fils et la sœur
de l’imam Hoseyn). Mais à la séquence suivante, le flash-back
commence par un gros plan sur un robinet. Le plan s’élargit et l’on voit
l’enfant en train de remplir des grosses gourdes thermos à un réservoir
dans un camp militaire. Le spectateur est alors peu à peu amené à faire la
corrélation entre cet enfant et Abolfazl qui lui aussi était allé chercher de
l’eau pour le camp de Hoseyn assoiffé. Gholâm Ali regarde des basiji
préparer une offensive. L’enfant supplie le chef de partir au front avec
eux. Celui-ci refuse fermement, tel l’imam Hoseyn qui, dans la tradition
chiite, aurait opposé le même refus à son fils, ‘Ali Akbar, et à son neveu,
GhâsemXLIII. Dans le film, le chef lui dit : « Tu dois travailler ici, tout le
monde ne doit pas aller sur le front » (ce qui reprend également la
comédie du refus de l’engagement par les adultes face au choix obstiné
des enfants). Toutes ces séquences sont accompagnées de musique et
chansons de Kerbalâ, dont le refrain est « Je suis prêt pour Kerbalâ ».
L’action se déroule sur le front sud en zone désertique, et un plan aérien
donne une représentation circulaire du camp des basiji, ce qui renforce
les correspondances avec l’imaginaire de cette bataille mythique.
Puis, l’enfant regarde les basiji mettre leur bandeau, soit rouge, soit
vert. Cette opposition de couleur est d’ailleurs également présente dans la
chambre d’hôpital : les couvertures sont vertes, et tous les accessoires
rouges. Le générique d’ouverture du film, avec le dessin d’un enfant
portant une arme sur fond de soleil rouge, s’inscrit aussi dans cette
esthétique de Kerbalâ, codes qui font sens pour les spectateurs iraniens.
L’enfant parvient à convaincre le chef et arrive finalement sur le front, en
pleine offensive. Il amène de l’eau aux combattants assoiffés, beaucoup
meurent, et Gholâm Ali ne peut que recueillir leur dernier soupir. Face à
la recrudescence des tirs, il s’empare d’une kalachnikov. Mais à la sortie
d’une tranchée, l’enfant, touché par les tirs ennemis, s’effondre. Le flash-
back s’arrête. Retour dans la chambre d’hôpital, où il n’a pas le droit de
boire. Sa mère a fait « un vœu à Abolfazl » pour qu’il se rétablisse, mais
elle doit refuser de répondre à ces supplications de prendre de l’eau, alors
que « cela fait huit jours qu’il n’a pas bu ». Des plans montrent le timide
goutte-à-goutte de sa perfusion. Devant ses supplications, sa mère lui met
un chiffon humecté sur les lèvres. La tradition chiite rapporte que ‘Ali
Akbar, le fils de Hoseyn, rentré du combat épuisé et assoiffé, demanda de
l’eau à son père qui lui aurait répondu : « “Approche ta langue mon fils”
[...] et selon la tradition de certains hadith, il avait mis sa langue dans la
bouche de son fils pour qu’il puisse la sucer un instant et faire disparaître
sa soif extrêmeXLIV. » Ghâsem serait également mort de soif dans les
bras de l’imam HoseynXLV. Dans le film, les lèvres de l’enfant pâlissent,
se craquèlent et il finit par mourir assoiffé. Le film s’achève par un gros
plan sur son visage de martyr, souriant face à la mort.
Les évocations de Kerbalâ ne sont pas explicites ni littérales, et seul un
spectateur « initié », connaissant la mythologie chiite, peut faire les
rapprochements. Par ailleurs, elles ne sont pas univoques et ne consistent
pas à identifier Gholâm Ali à un personnage du drame connu par le
ta’zieh ou la tradition chiite. Ainsi, l’enfant se nomme Gholâm Ali, mais
il évoque Abolfazl par sa fonction de porteur d’eau et par les dévotions
faites par sa mère, et il se comporte aussi comme ‘Ali Akbar et Ghâsem
quand il cherche à partir se battre. Enfin, il appartient à une famille qui a
été décimée dans un carnage telle celle de l’imam Hoseyn. Il est ainsi un
« personnage synthèse ». Plutôt que par un processus homothétique,
Mollâqolipur tisse un univers de résonances à partir des codes de
représentation utilisés dans le ta’zieh. Il peut ainsi faire accepter au
spectateur le sort de cet enfant, qui glisse de la guerre Iran-Irak vers
l’univers mythologique de Kerbalâ. La question de la réception est au
centre de la mise en scène, Mollâqolipur jouant sur les attentes du
spectateur, par un jeu de relance, de doute et de croyance.
L’année suivante, en 1983, Rasul Mollâqolipur signe son premier long-
métrage, NinâvâXLVI, produit, tout comme son court-métrage, par le
Bureau artistique de l’Organisation de la propagande islamique. Ce film
relate l’histoire de deux basiji, un adolescent d’une quinzaine d’années,
Abolfazl, et un vieil homme qui défendent des positions stratégiques
pendant que l’armée des gardiens de la révolution tente de les rejoindre et
d’organiser la victoire. Le jeune héros, qui a le bras arraché dans une
explosion, meurt en se battant seul contre l’armée irakienne. Bien que
l’âge du combattant le place plus dans la catégorie des adolescents que
dans celle des enfants, il aurait été possible d’intégrer l’étude de ce film à
ce chapitre, tant le dispositif de mise en scène, très semblable au Porteur
d’eau assoiffé, conduit à une identification directe de l’adolescent en
Abolfazl et donc à un enfant. Dans ce film, les correspondances entre le
héros cinématographique et le héros mythologique sont d’ailleurs plus
directes que dans le film précédent (il porte le même prénom, devient
manchot, donne de l’eau au vieil homme, meurt assoiffé…). L’enjeu est
le même que dans le Porteur d’eau assoiffé : donner à voir la mort en
martyr d’un enfant-combattant et pour cela conduire le spectateur à
reconnaître dans l’adolescent Abolfazl le demi-frère de l’imam
HoseynXLVII.
Ainsi, même quand le cinéma de fiction traite explicitement de la
question de l’enfant-combattant – tentative très singulière dans l’histoire
du cinéma – une médiation est instaurée par le filtre mythologique : les
dispositifs de double lecture contribuent à éloigner la guerre représentée
d’une réalité combattante. Le spectateur est conduit à voir une autre
guerre que celle directement représentée à l’écran. C’est par ce procédé
que Mollâqolipur parvient à filmer des enfants en armes, mourrant au
combat, sans que ces représentations ne paraissent scandaleuses pour les
spectateurs (et les censeurs), puisqu’elles s’inscrivent dans cette tradition
« martyrophile » et dans les récits mythologiques.
Mais dans quelle mesure est-il possible de contrôler à ce point la
réception d’une œuvre ? Ces deux films, datant de 1982 et 1983, ne font
pas école et restent très singuliers jusqu’à la fin de la guerre. Ils
pourraient bien avoir provoqué des doutes au sein des responsables
politiques. Peut-être ces derniers ont-ils redouté « l’effet de réel » propre
au cinéma qui pouvait se dégager de ces films. Même si ces
représentations raisonnent avec l’univers légitimant de Kerbalâ, un
spectateur ne voit-il pas quand même un enfant qui meurt dans Le
Porteur d’eau assoiffé et ou un enfant pulvérisé dans Ninâvâ ? Même
inscrit dans un fort régime de fiction, le cinéma a de toute façon partie
liée avec le réel. Un tel risque pouvait-il être pris quand le besoin de
recrues a été de plus en plus nécessaire ? Une représentation
simplificatrice de la participation des enfants à la guerre, moins inventive
visuellement et d’un point de vue du scénario, s’est imposée comme le
montre exemplairement quelques années plus tard Le Col rouge.
Aucun des films évoqués ne relève directement de la commande
publique, même s’ils sont tous produits dans un cadre officiel et même si
tous appartiennent à un contexte de propagande. Ils sont le résultat de
désirs de jeunes réalisateurs, plus ou moins idéologisés, qui trouvent dans
des institutions publiques des possibilités de production (en général très
minimales pour les films étudiés). Certains de ces films sont allés à
l’encontre des attentes officielles (La Recherche II, produit par la
télévision nationale) et ont été interdits. D’autres, sans doute
indépendamment de la volonté du réalisateur, ont peut-être mis en cause
la politique de mobilisation par leur « effet de réel » (Le Porteur d’eau
assoiffé, produit par l’Organisation de la propagande islamique). Quand
d’autres encore ont correspondu aux attentes des politiques
d’endoctrinement (Le Col rouge, produit par l’armée des gardiens de la
révolution) en prenant garde de ne pas aller contre une « morale
universelle » tout en exaltant l’engagement des enfants dans la guerre.
Toutes ces représentations de l’enfant-combattant au cinéma –
exclusivement inscrites dans le registre de la fiction – témoignent d’une
forte hétérogénéité et montrent combien les dispositifs de propagande
n’ont pas découlé de formules toutes prêtes, mais de tâtonnements, de
questionnements, d’évolutions voir de retours en arrière suivant le
déroulement de la guerre.
Agnès Devictor
Chapitre 9

Les enfants guérilleros du Nicaragua (1981-


1987) I

L es images de l’enfance et de l’adolescence ont influencé de


manière décisive la perception des révolutions et des acteurs des
guerres internes latino-américaines, et ce des années 1960 aux années
1980. Les places tenues par la jeunesse dans les révolutions cubaine et
nicaraguayenne, comme dans les maquis du Front Farabundo Marti
salvadorien furent autant d’arguments en leur faveur. Ainsi les images de
la révolution nicaraguayenne furent celles des muchachos (jeunes gens)
en armes. Ce terme devint même emblématique de cette révolution et de
la sympathie qu’elle suscita, comme en témoigne le livre Muchachos
écrit par Francis Pisani, à l’époque correspondant du journal Le Monde
dans la régionII. Les jeunes guérilleros furent autant de Gavroche dont on
entendit peindre la geste à la manière de Victor Hugo. On insista
parallèlement sur le jeune âge des victimes des exactions commises par
les forces armées. Que l’on pense ainsi aux témoignages sur les
adolescents que la garde nationale tortura et assassina au Nicaragua ; et,
peut-être plus encore, à ceux concernant les massacres de familles
entières par l’armée guatémaltèque dans les zones rurales soupçonnées
d’être acquises aux guérillas. Ces arguments pesèrent lourd pour
condamner les militaires nicaraguayens ou guatémaltèques, dont les
régimes furent taxés de « génocidaires » dans les années 1980.
Parallèlement, les images d’adolescents prêts à commettre les pires
actions, parce que transformés en militants aveugles par le Sentier
lumineux péruvien, nourrirent la méfiance que ce mouvement suscita
auprès de l’opinion publique internationale. Ils apparurent comme autant
d’imitateurs potentiels des Khmers rouges.
Ce statut décisif conféré à la jeunesse dans les jugements portés sur ces
événements oscilla donc entre des valences antagoniques. L’accent fut
mis sur le rôle social de la jeunesse en révolte, redonnant ainsi corps au
« mythe vitaliste d’une jeunesse sacréeIII ». De l’importance fut
également accordée au mythe sacrificiel, plaçant les jeunes au premier
rang des victimes des guerres civiles. Ces jeunes figurèrent autant
d’innocents, un peu à la manière des enfants persécutés par Hérode, et
leurs bourreaux personnifièrent la barbarie. La représentation put par
ailleurs être absolument négative, renvoyant à l’image du fanatisme
aveugle et de l’embrigadement dans des régimes totalitaires, régimes où
les enfants, fondements d’un monde nouveau et adorateurs du parti État,
deviennent les ennemis de leurs propres parents. Et c’est peu dire, que
ces mystifications tinrent plus d’une fois lieu d’analyses de cette réalité
que fut la place des enfants dans ces guerres internes ; et qu’elles
façonnèrent aussi l’opinion publique internationale dans les pays
centraux.
Au Nicaragua, des enfants de l’ethnie des Miskitus participèrent à la
guerre qui opposa les sandinistes aux contras, mélange hétéroclite
d’opposants au régime issu de la révolution du 19 juillet 1979. Je me
propose de traiter des images et du mythe de ces enfants-combattants,
avant de m’interroger sur la place de ces jeunes dans la guerre en cernant
le contexte dans lequel ceux-ci furent mobilisés. Je montrerai enfin que la
participation des enfants à la guerre peut s’expliquer par les habitus
propres à cette société amérindienne intégrée au Nicaragua depuis la fin
du XIXe siècle.
Rappelons tout d’abord quelle fut l’histoire de cette ethnie et les débuts
de cette guerre. À la différence de la plupart des Indiens d’Amérique
centrale, les Miskitus ne furent ni conquis ni soumis à l’emprise
espagnole avant la toute fin du XIXe siècle. Ils furent tout d’abord les
alliés des pirates, et participèrent à bon nombre de leurs pillages dans la
Caraïbe, dévastant les possessions espagnoles. Comme le rappelle fort
crûment le terme d’alba wina (chair d’esclave), par lequel ils désignaient
les membres de l’ethnie voisine, les Mayangnas, ils furent aussi
trafiquants d’esclaves à l’époque de la flibuste. Tout au long du XVIIe
siècle, ils furent parallèlement au contact des Britanniques avec lesquels
ils commercèrent par l’intermédiaire de la Providence Company.
Au XVIIIe siècle apparurent des rois miskitus, couronnés par les
Anglais, dont le pouvoir ne prit fin qu’à la fin du XIXe siècle. Ces
relations permirent aux Britanniques d’exercer defacto puis
officiellement (de 1844 à 1860), un protectorat sur la Moskitia. Fidèles
alliés de Sa Gracieuse Majesté, les Miskitus fournirent même, en 1720,
un contingent de guerriers pour mater une révolte d’esclaves à la
Jamaïque. En 1847, les missionnaires de l’Église morave commencèrent
leur œuvre évangélisatrice sur la côte atlantique. Ils convertirent non
seulement peu à peu l’ensemble des créoles puis des Miskitus, mais
formèrent un clergé indigène qui transforma profondément les modes de
vie miskitus. En 1860, les Britanniques reconnurent la souveraineté du
Nicaragua sur le littoral atlantique et, ce faisant, la création d’une
« Reserva Mosquita » dotée d’un statut de territoire autonome que
gouvernaient des chefs miskitus élus. La Moskitia, dirigée
successivement par des chefs créoles influencés par les missionnaires
moraves, fut intégrée de force au Nicaragua et perdit ainsi son statut de
territoire autonome en 1884 sous le gouvernement du général ZelayaIV.
Résidant très majoritairement dans des villages de deux cents à deux
mille habitants, les Miskitus devinrent, au cours du XXe siècle, non
seulement agriculteurs, mais travailleurs à façon pour des entreprises
forestières exploitant les bois précieux ou le latex, marins sur des bateaux
pêchant la langouste dans les eaux territoriales nicaraguayennes, voire
travailleurs saisonniers à Belize ou dans la Caraïbe. Après la Deuxième
Guerre mondiale, l’Église morave accéda à l’autonomie et nombre de ses
membres initièrent des mouvements de revendications territoriales,
socio-économiques et culturelles qui, en 1974, culminèrent avec la
création d’une Alliance pour le progrès miskitu et sumu (Alpromisu). Au
lendemain de la révolution qui renversa la dictature de Samoza, de jeunes
Miskitus, souvent issus des « bonnes familles » de la côte atlantique,
s’appuyèrent sur les sandinistes pour évincer les dirigeants d’Alpromisu
et lancer, en novembre 1979, un nouveau mouvement indianiste : Miskitu
Sumu Rama sandinistes unis dans l’Atlantique (Misurasata) dont ils
deviendront les dirigeants. L’alliance entre les sandinistes et Misurasata
dura peu, car les chefs de cette nouvelle organisation n’entendaient pas
occuper la position subordonnée dans laquelle les sandinistes voulaient
les cantonner. Ils tentèrent de transformer Misurasata non pas en une
structure satellite, mais en un alter ego du Front sandiniste de libération
nationale (FSLN) pour la côte atlantique. Dès lors, les tensions se
précipitèrent et se cristallisèrent autour de la question linguistique et du
problème foncier. Misurasata voulait à la fois procéder à une campagne
d’alphabétisation dans les différentes langues vernaculaires et faire
reconnaître le titre de terre collective aux terroirs que revendiquaient les
communautés Miskitus et Mayangnas. Cette organisation envisagea
même de recenser l’ensemble de ces terres, ce qui valut à ses dirigeants
d’être emprisonnés, fin février 1981, sous le chef de « menées
séparatistes ». On assista parallèlement à des échauffourées, tournant
rapidement à l’affrontement armé, entre les alphabétiseurs de Misurasata
et les militaires venus les arrêter. Ces différents incidents débouchèrent
sur une vague de protestations véhémentes des jeunes membres de
Misurasata. Ils mobilisèrent, des jours durant, les communautés du Rio
Coco et les habitants de la petite ville de Puerto Cabezas. Dispersés de
force ou menacés d’arrestation, toute une partie de ces jeunes choisirent
de fuir au Honduras dès le début du mois de mars 1981.

Les enfants-soldats : images et fantasmes

Partons d’une série de polaroids que je pris en 1982 dans les camps
d’entraînement de la Moskitia hondurienne : les guérilleros furent
soucieux d’immortaliser les moments où, pour la première fois, ils
reçurent des armes et des uniformes. De telles images n’eurent à l’époque
rien d’exceptionnel. Le magazine Times daté du 20 août 1984 publia ainsi
la photographie d’une pirogue transportant un groupe de guérilleros qui
s’apprêtaient à s’infiltrer au Nicaragua. Derrière le mitrailleur situé au
premier plan figurait en bonne place un enfant du même âge. De même,
le Nouveau Journal fit paraître en décembre 1984, dans son premier
numéro, plusieurs photographies d’enfants-soldats, conjointement avec
un entretien de Werner Herzog, à propos de son film La Ballade du petit
soldat, qui évoquait les enfants miskitus enrôlés dans la guérilla indienne
antisandinisteV.
Les photographies publiées par L’Autre Journal, comme l’entretien
avec Herzog, marquèrent un tournant dans le regard porté sur la guérilla.
Les enfants ne faisaient plus seulement partie du décor guerrier, mais
Herzog leur prêtait un rôle central. Selon lui, ces enfants-soldats de
moins de treize ans auraient constitué 20 % des effectifs de MisuraVI,
tandis que la majorité des guérilleros, au moment de son séjour chez les
Miskitus, auraient eu moins de vingt ans. Cette présence, à l’en croire
massive, des enfants dans la guérilla s’expliquait par tout un ensemble de
causes :
« C’est un phénomène que l’on rencontre de plus en plus souvent dans
les armées clandestines du tiers-monde. En Iran et en Irak, ce sont en
général des adolescents entre treize et quinze ans, mais ici [en Moskitia], il
s’agit vraiment de gosses. Ces dernières années, la technologie en
armement a rendu ce phénomène possible : une mitraillette ou un lance-
grenades de facture moderne peut sans problème être manipulé par un
gamin. Mais surtout ces gosses sont volontaires. Un destin individuel et
traumatisant a forcé chacun d’entre eux. J’ai interrogé un soldat-enfant
sous le choc, qui articulait avec peine : son frère de deux ans, celui de six
ans, son père avaient été abattus sous ses yeux, il avait réussi à s’enfuir et
à rejoindre les Misura. Il n’avait pas fini son entraînement, mais il voulait
aller tuer le lendemain. Je lui ai demandé : Est-ce que tu te rends compte
que tu vas tirer sur des enfants de ton âge ? Il le savait et s’en foutait. Il ne
pouvait plus reculer. »
Herzog ajouta : « J’ai vu des choses qui m’ont horrifié et je me suis
posé des questions : pourquoi ne pas laisser ces petits enfants à l’étape,
pourquoi ne pas les occuper à la cuisine, pourquoi les envoyer en
première ligne ? Eh bien, parce que ce sont vraiment les plus courageux ;
les enfants de cet âge n’ont pas peur. » Il fait ensuite remarquer que
« beaucoup de gosses que l’on voit dans [son] film sont déjà morts ».
Le cinéaste bâtit son portrait des enfants guérilleros en plaquant des
clichés sur des réalités qu’il ne prit nullement le temps d’explorer,
comme il le reconnut avec candeur. Interrogé sur les difficultés qu’il avait
rencontrées pour questionner ces enfants-soldats et s’informer de leur
histoire, il répondit clairement qu’il avait formulé, et les questions, et les
réponses :
« Très difficile. Parfois j’ai dû leur parler pendant des heures. Certains
restaient complètements muets, d’autres ne répondaient qu’en des phrases
très courtes. Jamais de description. Les petits soldats se taisent d’abord,
ensuite vient un oui ou un non. Je demande : “Est-ce que tu as vu mourir
ton frère ?” Il répond : “Oui.” Je continue : “Cela s’est passé comment ?”
Il répond : “Avec un M. 16.” Puis rien. Son regard me traverse et j’ai
honte d’être là en train de filmer. À un moment, Reichle n’en pouvait
plusVII. Il s’est posé devant la caméra et il a parlé de sa jeunesse, de ses
quatorze ans, quand il était gosse armé. Ce document m’émeut
beaucoup. »
Ce récit, en grande partie imaginaire, mêlait allégrement le vrai et le
faux, les fantasmes des cinéastes, comme les déclarations de propagande
du commandant en chef de Misura, Steadman Fagoth, et les chromos de
propagande soufflés aux enfants par ce dernier.
Ce projet de création de troupe d’enfants connut incontestablement un
début d’application qu’il convient de cerner. Au moment où se formèrent
les maquis miskitus, à la fin de l’année 1981, les dirigeants furent
confrontés à plusieurs révoltes des recrues visant les instructeurs venus
des rangs de l’ancienne garde nationaleVIII. Steadman Fagoth et certains
de ses proches envisagèrent alors de constituer une troupe d’enfants
formés très jeunes, vers l’âge de dix ans, afin que ceux-ci voient en lui un
chef omniscient et tout-puissant. Ces enfants-soldats lui obéiraient
aveuglément et le protégeraient quelles que soient les circonstances.
Steadman Fagoth et les instructeurs ne faisaient là que réactualiser les
pratiques en usage au sein de la garde nationale. L’École de l’infanterie
de la Garde (EEBI) avait recruté de très jeunes adolescents qu’elle avait
transformés en combattants fanatisés et entièrement dévoués à la famille
SomozaIX. L’idée de constituer une troupe d’enfants-soldats se réalisa en
partie à la fin de l’année 1983 ou au début de l’année suivante. Un certain
nombre de familles en exil, proches du commandant en chef de Misura,
furent persuadées de confier leurs garçons à cette forme d’école militaire.
Les deux cinéastes filmèrent les débuts de ce projet et recueillirent les
bribes de réponse évoquées plus haut, que les instructeurs soufflèrent aux
enfants.
Pour comprendre la portée de ce film, rappelons le contexte dans
lequel il fut conçu et réalisé. Au départ très largement favorable à la
révolution sandiniste, l’opinion publique internationale devint plus
critique à son égard, après l’exil au Honduras de dizaines de milliers de
Miskitus au début de l’année 1981. Reste qu’au regard de la monstruosité
des opérations militaires menées par l’armée guatémaltèque contre ses
populations indiennes, les violations des droits de l’homme dont les
Indiens de la côte atlantique nicaraguayenne étaient victimes semblaient
à bien des observateurs des vétilles. Pour faire bonne mesure face aux
massacres guatémaltèques et assimiler la situation des Miskitus au sort
atroce des Indiens du Guatemala, Steadman Fagoth et une partie de
l’état-major de Misura décidèrent d’encourager les réfugiés à colporter
des rumeurs sur des tueries monstrueuses mais imaginaires, et à exagérer
l’ampleur des quelques massacres, par ailleurs avérés, celui de Leimus
notammentX.
La venue d’une équipe de cinéastes, avant tout avides de sensationnel,
offrit une opportunité exceptionnelle à Fagoth et aux instructeurs qui
soufflèrent ces récits de tueries aux enfants. Trop contents de tels
morceaux de bravoure, les deux cinéastes en rajoutèrent. Là où les dires
manquaient, ils surinterprétèrent ou mirent dans la bouche des enfants «
traumatisés », plus simplement dûment sermonnés avant les prises de
vue, les affabulations de Steadman Fagoth et de ses proches. En associant
les images passablement sulfureuses de la jeunesse allemande mobilisée
pour la défense de Berlin en 1945 et celle des enfants miskitus devenus
tueurs, en réaction aux monstruosités que leur auraient fait subir les
sandinistes. Herzog et Reichle pensèrent réaliser un scoop
cinématographique. De son côté, Fagoth crût lancer un leurre propre à
détourner l’attention de ceux qui l’accusaient de couvrir, voire
d’organiser, des exécutions de prisonniers ou d’opposants politiques. Ces
images furent loin d’avoir l’effet escompté car elles déclenchèrent en
Europe nombre de polémiques, en accréditant que la guérilla miskitue
formait des sortes de Fagoth-Jugend. Au Honduras, le projet de troupes
d’enfants tourna court au lendemain même du tournage, ou au plus tard
au milieu de l’année 1984XI. Bon nombre des guérilleros et des
commandants de troupes virent en effet d’un œil plus que défavorable ce
projet de transformer un groupe de préadolescents en un ensemble se
situant à mi-chemin entre un corps de prétoriens et un mouvement de
jeunesse totalitaire. Et en opposition à Fagoth, ces commandants eurent
tôt fait de trouver appui auprès des pasteurs moraves en exil, des
réfugiés, voire des membres de l’ambassade américaine, qui n’avaient
nul besoin de ce genre de photographies pour faire capoter une pareille
tentative.
Les images des cinéastes allemands tout comme les déclarations
fracassantes de l’un d’entre eux méritent d’être analysées pour ce
qu’elles furent : la conjonction d’un goût pour une notoriété fondée sur le
scandale et d’une opération de « bourrage de crâne » montée par les
responsables de Misura. Reste pourtant une indéniable réalité – la
participation des enfants à la guerre – qu’il convient d’analyser.

Pichirules, enfants et adolescents

Les statistiques de la commission de l’Organisation des États


américains (CIAV-OEA) relatives à la démobilisation des guérilleros
miskitus apportent la preuve de la présence d’enfants au sein de la
guérilla. Les guérilleros miskitus démobilisés en 1989 et 1990 furent au
total 1 956 et, parmi eux, ne figure aucun enfant de moins de dix ans.
Sont dénombrés en revanche 55 guérilleros âgés entre dix et quinze ans ;
351 entre seize et vingt ans ; 389 entre vingt et un et vingt-cinq ans ; 417
entre vingt-six et trente ans ; et 275 entre trente et un et trente-cinq ans ;
176 entre trente-six et quarante ans ; et 293 de quarante et un ans ou
plusXII. Ces chiffres résultent sans nul doute d’un marchandage et ne
correspondent pas à l’état des forces en présence. La guérilla chercha à
gonfler ses rangs afin d’obtenir le plus d’aide possible pour ses
démobilisés, base de futurs réseaux d’influence politique. Elle réussit
aussi à écarter de cette manne quelques centaines de combattants entrés
en dissidence et qui ne furent pas recensés comme guérilleros mais
comme réfugiés. Du fait de ces luttes d’influence, furent écartés des
rangs de la guérilla d’authentiques combattants et intégrés des hommes
qui n’étaient que des guérilleros de « carnet ». Au total, ces
manipulations ne concernèrent que de 5 à 10 % des effectifs et
uniquement les plus de vingt ans. Par conséquent, les moins de vingt ans
ne représentent à l’époque que quelque 20 % des effectifs. Et si l’on
considère que beaucoup des vingt et un/vingt-cinq ans avaient été
mobilisés depuis plusieurs années – souvent depuis 1982-1984 – se
dessine la vision d’une guérilla certes composée d’hommes jeunes (une
vingtaine d’années), mais non majoritairement de jeunes âgés de moins
de vingt ans. Le chiffre de 20 % de préadolescents de moins de treize ans
ne correspond à aucune réalité. Au contraire, les enfants guérilleros,
photographiés souvent presque par hasard, représentèrent toujours moins
de 5 %, et probablement entre 2 et 3 % des effectifs. Bien que
numériquement peu nombreux, ces enfants-soldats n’en constituèrent pas
moins une institution parfaitement identifiable grâce au nom qui leur fut
donné, pichirules.
À en croire les souvenirs des anciens guérilleros miskitusXIII,
l’expression fut lancée par leurs premiers instructeurs militaires, tous
issus des rangs de la garde nationale, et ce au lendemain de leur arrivée
au Honduras en 1981. C’est dans ces circonstances qu’une centaine de
jeunes se retrouvèrent sur la rive hondurienne du Rio Coco en mars 1981
et appelèrent par la suite les autres à les rejoindre sur les ondes de Radio
15 de Septiembre. Les premiers arrivés furent des responsables villageois
de la campagne d’alphabétisation, des jeunes hommes célibataires âgés
entre vingt et vingt-cinq ans, voire moins. Dans leur sillage, suivirent
d’autres jeunes hommes poursuivis par les services de sécurité de l’État
sandiniste et des adolescents de quinze ou seize ans, ainsi que des enfants
d’une douzaine d’années attirés par le parfum d’aventure attaché à cette
fuite. Beaucoup fuguaient derrière des frères, des cousins ou des amis
plus âgés. Les conditions de survie, particulièrement difficiles, qui furent
le lot de ces jeunes exilés, en poussèrent plus d’un à rentrer au Nicaragua.
Seule resta une bonne centaine de jeunes gens qui commencèrent à
s’entraîner clandestinement et quasi sans aide jusqu’à l’arrivée de
Steadman Fagoth au mois de mai 1981. Sa fuite du Nicaragua, comme
son arrivée en Moskitia hondurienne, grossit le flot des exilés et se
traduisit par la mise sur pied des premiers camps d’entraînement à
Mistruk et à Warunta. D’anciens militaires somozistes commencèrent à
former les futurs guérilleros miskitus. Une centaine de jeunes (parmi
lesquels quelques femmes) s’entraînèrent dans des conditions très dures,
sans uniforme ni chaussures, avec fort peu de nourriture. Si les anciens
gardes nationaux soumirent les futurs guérilleros à de très rudes
épreuvesXIV, ils n’en prirent pas moins sous leur protection les plus
jeunes, qu’ils désignèrent sous le nom de pichirules. Ce mot d’origine
argotique, pichirulo (le petit gars de peu d’importance), fut rapidement
adopté par les guérilleros pour désigner les plus jeunes d’entre eux. Ils
devinrent des sortes de pages au service des instructeurs ou de certains
guérilleros plus âgés qui accédaient à des postes de commandement. Les
instructeurs ou les comandantes leur offraient un peu de leur nourriture et
souvent l’abri de leur hutte. Le nettoyage des armes, de la vaisselle, et
parfois des habits et de la hutte, leur incomba. Personnes de confiance, ils
portèrent des messages politico-militaires ou purement privés. Ils
jouèrent également le rôle de sentinelle ou de gardien, parfois même
celui d’espion ou de mouchard.
À partir de 1982, l’arrivée massive de réfugiés, consécutive aux
déplacements imposés de force par l’armée sandiniste à tous les habitants
des villages situés sur la rive nicaraguayenne du fleuve frontalier, le Rio
Coco/Wangki, multiplia la présence d’enfants et d’adolescents en marge
des réseaux habituels d’encadrement et de contrôle de la société
miskitueXV. Plus de dix-sept mille personnes se réfugièrent au
Honduras : quinze mille furent installées dans les camps du Haut
Commissariat aux réfugiés (HCR) et le restant s’installa sur la
frontièreXVI. Quelle que fut la présence de pasteurs moraves aux côtés
des réfugiés, ces derniers n’en furent pas moins plongés pratiquement du
jour au lendemain dans un monde où la plupart de leurs repères habituels
s’effondrèrent. Si les pasteurs et les révérends faisaient office d’autorités
de référence, ils furent cependant coupés de leur hiérarchie, la junte
provinciale et le superintendant restés au Nicaragua. Les nouvelles
figures de l’autorité furent pour une part politico-militaires (la guérilla,
les militaires honduriens) et, d’autre part, le Haut Commissariat aux
réfugiés. Promettant une victoire rapide sur les sandinistes et assurant que
les combattants triomphants seraient bien récompensés, Steadman Fagoth
et son état-major purent alors attirer à eux de nombreux jeunes gens
fascinés par ces engagements. Ils furent d’ailleurs d’autant plus
convaincants dans cet appel au volontariat qu’ils instaurèrent de fait,
jusqu’au milieu de l’année 1984, une sorte de conscription, chaque
famille de réfugiés devant envoyer l’un de ses fils combattre. La
maladresse de certains membres des agences travaillant pour le Haut
Commissariat aux réfugiés, qui n’hésitèrent pas à s’affirmer
prosandiniste et à vanter les programmes d’éducation du Front, fut là
aussi un argument en faveur de la guérilla. À ces éléments s’ajouta la
décomposition des familles lors du départ des villages frontaliers, soit
que le père ait pu s’enfuir avec une partie ou la totalité de ses enfants,
soit que la mère seule ait réussi à traverser le fleuve avec eux. Enfin, une
bonne partie des enfants et des adolescents furent livrés à eux-mêmes, du
fait de l’inexistence d’un système scolaire de substitution dans les camps
de réfugiés, puis en raison de la méfiance éprouvée à l’égard des
instituteurs honduriens, souvent prosandinistes. L’impossibilité de
pratiquer la chasse, la pêche ou l’agriculture joua également un rôle.
Aussi, dans quelques cas, les parents eux-mêmes placèrent les enfants
auprès de commandants de la guérilla qui jouissaient d’un certain
prestige. Aux dires de l’un d’entre eux qui reçut un pichirulo, celui-ci lui
fut remis par son père qui argua des pénuries dont souffraient les
personnes installées dans des villages de fortune sur la frontière et
indiqua qu’il n’avait nulle envie de migrer vers les camps du Haut
Commissariat aux réfugiés. Ce commandant se vit donc confier un enfant
de dix ou douze ans qu’il garda près d’un an auprès de lui, l’occupant à
de petits travaux. D’autres parents poussèrent plusieurs de leurs fils à
s’engager, parfois au-delà de ce qui était exigé, persuadés que ce faisant,
ils hâteraient leur retour au Nicaragua. Enfin, un certain nombre
d’enfants furent attirés par l’aura qui entourait la guérilla. Ce motif se
combina souvent avec d’autres, telle que la volonté d’échapper à des
conflits familiaux, que ceux-ci soient intervenus au sein des familles
d’origine ou de fait recomposées. Certains fugueurs cherchèrent aussi à
retrouver qui un frère, qui un cousin ou un ami plus âgé parti à la
guérilla. De même, certains jeunes garçons des villages nicaraguayens
suivirent des guérilleros venus opérer depuis des bases honduriennes.
La troupe que je vis ainsi en mai 1984 quand je visitai pour la première
fois les bases de Misura au Nicaragua donne une assez bonne idée de ce
méli-mélo de jeunes gens. J’assistai dans deux lieux différents à des
séances d’instruction militaire où étaient mêlés des gens de douze à vingt
ans. Si le gros des premières deux cents recrues qu’il me fut donné
d’observer était constitué d’hommes de quinze à dix-huit ans, quelques
jeunes filles de seize ans ou un peu plus étaient présentes, ainsi qu’une
dizaine d’enfants âgés de douze à quatorze ans. Quand j’arrivai, tous
étaient soumis aux mêmes tours de piste sous les cris d’un instructeur
créole, ancien musicien de Bluefields. Vivant à deux, sous des tentes
faites de deux ponchos, ces recrues portaient des rangers américaines et
des pantalons d’uniforme vert bouteille, généralement un peu grands,
voire beaucoup trop grands dans le cas des plus jeunes, ainsi que des tee-
shirts passablement élimés et troués, là encore rarement à leur taille.
J’appris au cours de la discussion avec les instructeurs, tous miskitus ou
créoles à l’exception d’un ancien garde national hispanophone,
Mercenario, que leur instruction militaire consistait en l’apprentissage du
maniement de différentes armes (carabine calibre 30, AK 47, FM, M.60,
mortier de 60 mm, lance-roquette LAW ou RPG 7, explosifs) et de leur
emploi dans les situations les plus diverses : patrouille, embuscade,
contre-embuscade, assaut. L’autre groupe de recrues auquel je rendis
visite était moins important et exclusivement composé d’adolescents et
de très jeunes hommes âgés de quatorze à dix-huit ans. Alors que les
premières recrues que je vis suivaient un premier cycle d’instruction
militaire, copié sur ceux de l’École de l’infanterie de la Garde (EEBI), les
secondes recevaient un cours de spécialisation en arts martiaux et en
franchissement de fortifications protégées par des fils de fer barbelés. Les
troupes aguerries rencontrées par la suite ne comportaient jamais
d’enfants et assez rarement des adolescents. En revanche, je vis plus
d’une fois des enfants entre dix et douze ans traîner, non loin des
infirmeries, près du poste de commandement, des cuisines et des
différents ateliers de mécanique ou des armureries. J’en observai enfin
dans les petites bases installées à la frontière sur la rive hondurienne du
fleuve.
Les différences entre les âges représentés dans l’une et l’autre des deux
troupes, puis dans les différents lieux visités lors de mon séjour de deux
mois en 1984 tenaient à la fois aux modalités de l’activité militaire et aux
fluctuations du contexte dans lequel elle s’inscrivait. La guérilla avait
institué une forme de conscription, dont je pus constater les effets en
1984. Les deux cents « conscrits » du Centre d’instruction militaire
effectuaient un service militaire élémentaire et, dans l’idéal, toutes les
familles y envoyaient au moins un de leurs fils. Passée cette préparation
élémentaire, les options possibles furent fonction des aptitudes des
combattants et plus encore des ressources de la guérilla. Quoi que l’on ait
pu prétendre, l’aide américaine fut toujours accordée avec parcimonie et,
au sein de la guérilla, les ressources furent d’autant plus comptées que les
détournements de fonds furent monnaie couranteXVII. Ainsi, la nourriture
fut longtemps prélevée sur celle des réfugiés, soit avec l’assentiment des
gardiens miskitus des magasins du Haut Commissariat aux réfugiés, soit
volontairement ou de force auprès de familles. Les jeunes recrues ne
pouvaient pas disparaître trop longtemps des camps de réfugiés, sous
peine de se faire radier des listes officielles des réfugiés et de se voir
supprimer l’aide qui leur était apportée. De savants va-et-vient entre les
camps de réfugiés et les bases militaires se succédèrent, les frères se
remplaçant les uns les autres. De même, lorsque certains jeunes gens
renâclaient, on n’insista généralement pas pour les maintenir au sein de la
guérilla, pensant qu’ils feraient de mauvais combattants, ce qui
n’empêcha pas qu’on les mobilise parfois pour des opérations logistiques
montées au profit de la guérilla. En revanche, quelques recrues, parfois
fort jeunes, se prirent au jeu et restèrent dans les bases, cette fois-ci
volontairement. Ce faisant, elles échappèrent aux programmes de
scolarisation mis en place par le Haut Commissariat aux réfugiés ou à
l’obligation de travailler soit comme agriculteurs, soit en participant à des
tâches d’intérêt général. Enfin, pour les familles de réfugiés installées
dans la plus grande précarité sur la frontière et qui ne bénéficièrent
d’aucune façon de l’aide humanitaire internationale, envoyer un enfant à
la guérilla fut souvent un moyen d’avoir moins de bouches à nourrir, et
ce dans une situation souvent proche de la disette.
Le choix des armes

Le mot pichiril est d’origine espagnole et fut introduit chez les


Miskitus par les instructeurs militaires venus de la garde nationale. En
endossant le statut de pichiril, les jeunes gens et leurs protecteurs
puisèrent néanmoins à plusieurs sources d’expériences propres à la
culture miskitue : la valorisation de l’expérience guerrière, la
participation des enfants aux activités productives, certaines formes de
fosterage, sans omettre les migrations temporaires de travail.
Longtemps alliés aux Britanniques dans leur lutte contre l’Empire
espagnol, les Miskitus ne furent intégrés au Nicaragua qu’en 1894. Ce
rattachement fut pour le moins imposé, comme en témoigne le mythe de
la frégate, que l’on peut encore entendre de nos jours dans la bouche de
nombreux Miskitus. La reine Victoria aurait, sur son lit de mort,
prononcé ces mots : « N’oubliez pas mes enfants miskitus. Si dans cent
ans les Espagnols les maltraitent, nous leur enverront une frégate chargée
d’armes pour qu’ils puissent se libérer. » Cette attente de la frégate
s’accompagnait d’une valorisation des exploits guerriers des Miskitus,
comme le releva justement, au début du XXe siècle, le premier
ethnographe de la Moskitia, le Luxembourgeois Eduard Conzemius :
« Les plus âgés, qui vécurent au bon vieux temps du “royaume
Mosquito”, [étaient] heureux d’évoquer les expéditions armées chez les
Espagnols et de raconter quelques exploits extraordinaires survenus
pendant ces guerresXVIII. »
Mis au contact de la Legion 15 de Septiembre, une organisation
regroupant d’anciens gardes nationaux, dont les responsables promirent
de les appuyer, mais surtout de leur obtenir une aide militaire des États-
Unis, les jeunes Miskitus arrivés au Honduras crurent voir dans la Légion
15 de Septiembre une forme de réalisation de la promesse de la reine
Victoria. Et ce fut toute cette tradition guerrière qui fut revalorisée au
sein de la guérilla, et qui reçut de surcroît une onction religieuse. En
effet, certains pasteurs qui accompagnaient les premiers exilés, tel Tillith
Mollins, mêlèrent les récits issus de cette tradition guerrière à ceux du
livre de l’Exode. Un véritable messianismeXIX remit donc à l’honneur le
combat contre les Nicaraguayens, qui eurent tous les traits des anciens
hispanioles, tandis que les « alliés » américains eurent ceux des
flibustiers ou des Britanniques. De fait, tout au long des années 1982-
1989, les guérilleros occupèrent dans la société miskitue une place
éminente, s’inscrivant clairement dans une histoire à la fois réelle et
largement embellie, voire réinventée, qui mettait en scène l’action des
guerriers miskitus du XVIe au XVIIIe siècle. Ce messianisme guerrier fut
comme avivé par l’épopée de la guérilla sandiniste dont les futurs
guérilleros miskitus prirent connaissance lors de la campagne
d’alphabétisation en espagnol, notamment au travers du manuel
d’alphabétisation où les clichés de propagande abondaient en ce sens. En
réactivant ce mythe du cargo, les jeunes Miskitus opposèrent leur sens de
l’histoire à celui des sandinistes. Les combats de leurs ancêtres à
l’époque coloniale et ces paroles de la reine Victoria furent autant de
motifs qu’ils purent opposer à la geste d’Augusto Cesar Sandino dont se
réclamaient les sandinistes.
L’importance accordée aux pichiriles remit également au goût du jour
des processus d’apprentissage et d’éducation propres à la société
miskitue. Au cours du XXe siècle, les Miskitus subirent l’emprise
croissante de l’institution scolaire. Les membres du clergé morave
voulurent alphabétiser enfants et adolescents et ils furent bientôt relayés
par le gouvernement central qui créa un réseau d’écoles primaires. Cette
scolarisation ne fit pour autant pas disparaître les mécanismes
d’apprentissage traditionnels. Parallèlement au cursus de l’école
primaire, les jeunes Miskitus continuèrent à s’initier à l’agriculture, à la
chasse, à la pêche et à la cuisine. Ils ne cessèrent de participer, parfois dès
sept à huit ans, aux travaux domestiques, qu’il s’agisse de veiller sur des
frères et sœurs plus jeunes, de préparer du bois pour la cuisine, de
s’occuper de la basse-cour et du cheptel, ou d’accompagner les parents
aux champs. Tous les Miskitus nés avant 1970 se rappellent parfaitement
le chevauchement de ces registres divers d’activités. En outre, certains
hommes racontent qu’ils accompagnaient parfois, dès qu’ils avaient une
douzaine d’années, un frère, un père ou un oncle, dans des activités qui
les tenaient éloignés des villages des semaines durant, telles que
l’exploitation du bois, la récolte du caoutchouc, le lavage de l’or ou la
chasse des jaguars et des alligators. Certains enfants devinrent aussi
cireurs de chaussures, garçons de course, ou apprentis chez des artisans,
que ceux-ci soient cordonniers, tailleurs ou mécaniciens, dans la petite
ville de Puerto Cabezas/Bilwi. Certains furent d’ailleurs placés auprès de
parents sans enfants, ce qui soulageait les familles nombreuses. Ces
enfants et ces adolescents pouvaient ainsi poursuivre leur scolarité dans
les collèges de Waspam ou de Puerto Cabezas. Si le travail précoce des
enfants tint, entre autres, à des nécessités fonctionnelles, il avait aussi
partie liée à l’éthique du travail prônée par les moraves. De plus, de
jeunes hommes, voire des adolescents, avaient coutume d’aller travailler
au loin, une année ou parfois plus. Beaucoup racontent ainsi dans quelles
circonstances ils rejoignirent pour les uns la zone des mines des
montagnes du centre du Nicaragua à la limite ouest de la Moskitia
(Siuna, Bonanza et Rosita), pour les autres les plantations de café du
versant ouest du pays, puis des zones littorales du Pacifique. Si la volonté
de constituer un capital, avant de se marier et de retourner définitivement
dans son village d’origine, fut certes l’un des motifs de ces départs, le
désir d’aventure et de « connaître le monde » joua un rôle tout aussi
essentiel, comme en témoignent les récits de ces aventures.
Si ces récits d’anciens pichiriles et de leurs protecteurs sont pris au
sérieux, force est d’admettre que pour beaucoup, l’engagement des
enfants dans la guerre comme leur participation préalable à certaines
activités politiques de l’organisation indianiste Misurasata se coula dans
ces mœurs. Au début de la révolution, ces pratiques habituelles furent
poursuivies, notamment lors de la campagne d’alphabétisation en
espagnol puis en langue vernaculaire. Fillettes et garçons étaient
mobilisés qui pour les danses ou le chœur de chants traditionnels, qui
pour faire la cuisine ou tenir la maison des alphabétiseurs venus d’autres
communautés. Certains jouèrent le rôle de garçon de course ou de jeune
fille de maison dans les locaux de l’organisation tant à Waspam qu’à
Puerto Cabezas. Parallèlement à leur passage au Centre d’instruction
militaire, bien des garçons apprirent le maniement des armes auprès des
plus vieux en traînant dans les bases ou aux alentours des communautés.
À cet égard, toute une partie de l’expérience politique des jeunes
militants de Misurasata s’inscrivit dans ce moule. La campagne
d’alphabétisation réactiva par ailleurs cette soif de voyage qui,
auparavant, avait été le lot de beaucoup d’entre eux. Et plus d’un jeune
alphabétiseur fut ravi d’être envoyé, certes en Moskitia, mais bien
souvent très loin de sa communauté d’origine. Dans ces moments, et pour
paraphraser Marcel Mauss, enseignement, instruction, éducation,
suggestion, fonctionnèrent simultanément et en synchronie avec
l’imitation spontanée des gestes à efficacité physique, ainsi qu’avec le jeu
qui consiste à jouer avec des occupations sérieuses ou artistiquesXX.
Garçons et filles se familiarisèrent avec les occupations de leurs aînés
chargés de l’alphabétisation en les accompagnant et peu à peu en les
aidant. Les enfants apprirent ainsi non plus seulement, pour les uns, les
arts de la pêche à l’arc, de la chasse ou de l’agriculture et, pour les autres,
le jardinage, la cuisine ou la puériculture, mais aussi de nouveaux rôles
politiques, puis militaires lors du départ de certains en exil. Comme ils
participaient à la chorale de la congrégation, ils participèrent à celle de
Misurasata ; comme ils aidaient à tenir l’église, ils tinrent le local de
l’organisation. Et parallèlement aux processus d’apprentissage formels du
Centre d’instruction militaire, beaucoup de pichiriles prirent part aux
opérations guerrières comme ils auraient auparavant pris part à la
cueillette du latex, à la recherche de l’or dans les ruisseaux ou aux
expéditions de chasse. Certains nettoyèrent les armes de leurs
commandants et demandèrent à les suivre pour garder les sacs à dos
tandis que le gros de la troupe se disperserait pour monter une
embuscade. D’anciens pichiriles ou leurs mentors racontent comment les
plus braves vinrent peu à peu voir de plus près ce qui se passait lors
d’une embuscade puis lors d’un combat.
Beaucoup de ces pichiriles nourrirent pour leurs commandants des
sentiments qui ne sont pas sans rappeler ceux que d’autres peuvent
évoquer quand ils se remémorent les rapports avec un patron auprès
duquel ils furent placés en apprentissage, ou avec un parent plus fortuné
qui les accueillit chez lui pour tout à la fois aider à la maison et
poursuivre des études. Certains héritèrent même des fiefs militaires de
leurs protecteurs. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste Xavier
Collins, dit « Comandante Negrito », qui prit la direction du territoire et
des hommes de son commandant Bruno Gabriel à la mort de celui-ci. Si
Negrito n’était plus un enfant quand il remplaça Bruno, sa trajectoire
n’en est pas moins exemplaire de celle des pichiriles. Xavier Collins
s’enfuit au Honduras avec des camarades plus âgés un peu dans l’état
d’esprit dans lequel, dès douze ans, il avait accompagné des oncles
chercher du latex dans la forêt primaire. Une fois dans les premiers
camps d’entraînement de la guérilla, Bruno Gabriel le prit sous sa
protection. Quand ce dernier fit partie du premier groupe d’opposants à
l’état-major de Steadman Fagoth, opposants qui décidèrent d’agir de
façon autonome sous les noms d’Astros et de Cruces, Xavier le suivit.
Comme il le raconte avec beaucoup de verve, Bruno lui enseigna
quelques règles indispensables à la survie, en particulier ne jamais
combattre en tirant couché, mais préférer la position accroupie de
manière à pouvoir se mouvoir avec une extrême rapidité tout en offrant
une cible difficile à l’ennemi. Pichiril de Bruno, il découvrit « un peu
comme un sport » l’art de la guerre. Il apprit aussi comment s’orienter
sur terre et sur mer, et à piloter un canot par tous les temps. Il observa et
imita son mentor dans ses rapports tant avec ses hommes qu’avec les
populations civiles. Il prit « naturellement » le commandement de leur
troupe au lendemain de la mort de son chef, tué dans une embuscade.
Âgé de moins de vingt ans, il sut cacher les civils qui accompagnaient
leur troupe, rompre l’encerclement, puis revenir enterrer Bruno et rallier
les troupes démoralisées. Chaque fois, me dit-il, il ne fit que reproduire
les gestes qu’il avait vu faire, qu’il s’agisse de piloter le bateau sous le
feu, de s’échapper et de se camoufler, d’en appeler à l’aide de Dieu, puis
de reprendre les troupes en main.
La spécificité de l’expérience des enfants-guerriers miskitus ne fait nul
doute. Rares sont les groupes amérindiens qui eurent tout à la fois ce
passé guerrier et l’opportunité de le remettre à l’honneur à la toute fin du
XXe siècle. L’étude du cas miskitu invite pourtant à suivre des pistes,
jusqu’ici peu explorées, qui pourraient se révéler fécondes pour analyser
l’histoire des enfants guérilleros en Amérique latine ou centrale, dans les
Andes notamment. Sans doute convient-il de mesurer la part d’emprunts
aux formes de mobilisation de la jeunesse et des enfants par les
mouvements révolutionnaires ou les expériences totalitaires. Reste à
considérer comment ces mobilisations de la jeunesse s’inscrivent dans un
monde où la ligne de partage entre enfance et adolescence est loin d’être
univoque, et où certaines formes d’apprentissage et d’éducation passent
par la participation des enfants à des activités qui, dans les pays centraux,
restent l’apanage des adultes. De telles analyses, sensibles au temps long
et aux habitus hérités ne sauraient justifier la participation des enfants à
la guerre, mais permettraient à tout le moins leur compréhension.
Gilles Bataillon
Conclusion

D ans un article fondateur paru en 2006, Jean-Hervé Jézéquel


appelait les historiens à se saisir de la question des enfants-soldats
pour « introduire des perspectives comparatistes heuristiques »I. La triple
déconstruction – chronologique, géographique et disciplinaire –
entreprise dans cet ouvrage s’inscrit dans cette ambition. L’expérience de
l’enrôlement et/ou de l’engagement par les enfants-soldats est bien une
expérience de guerre ; mais les différentes études réunies ici montrent
combien cette expérience n’est en aucun cas « typiquement africaine » :
les exemples récents du Népal, de l’Iran ou du Nicaragua, comme ceux
plus lointains du Rio de la Plata ou de la Commune de Paris, dénoncent
la fausse spécificité géographique d’une catégorie rendue « exotique »
par le regard occidental contemporain. De la même manière, le
décloisonnement chronologique et l’ouverture au temps long de la
période contemporaine ont mis en relief la fausse coupure que
représenterait le second XXe siècle. Loin d’être une invention des années
1970, les enfants-soldats constituaient déjà une catégorie, sinon officielle,
du moins effective et légitime au début du XIXe siècle. Ce n’est donc pas
l’existence même de la catégorie qui est à interroger mais bien son
déplacement progressif, à partir de la Grande Guerre, du champ du
légitime vers celui de l’intolérable. Enfin, le décloisonnement
disciplinaire, en faisant se côtoyer historiens, littéraires, sociologues et
psychologues, a mis au jour la distinction entre violence et contrainte.
Expérience de guerre, la situation des enfants-soldats est, par définition,
une expérience de la violence ; une violence qui, dans certains cas, est
agie autant qu’elle est subie.
Le grand intérêt du croisement des sources, des époques et des conflits
réside également dans la critique commune de la notion même d’enfant-
soldat. Tout d’abord en préférant au terme « soldat » celui de
« combattant », qui renvoie davantage à une pratique et moins à un état
militaire rarement officiel. Ensuite, et surtout, en revenant sur le terme
« enfant ». Même s’il est indéniable que de jeunes enfants sont,
aujourd’hui encore, enrôlés de force pour servir dans des groupes armés,
la multiplicité des cas étudiés a révélé que nous avions bien souvent
affaire à des adolescents, c’est-à-dire à une catégorie intermédiaire, mal
définie mais dont les caractéristiques, notamment affectives et physiques,
la distingue radicalement du monde de l’enfance. Revenant ainsi sur la
barrière de dix-huit ans, qui n’est immuable que sur le papier, les sources
nous montrent qu’il faut redéfinir cette catégorie en pensant la porosité
de ses limites. C’est donc par l’observation et par une approche plus « au
ras du sol » de ce type d’expérience que nous avons forgé le terme d’ado-
combattant, qui renvoie à la double spécificité de violence et de jeunesse
de ces très jeunes enrôlés.
Le constat du prisme adolescent permet de dégager plusieurs thèmes
qui traversent les différentes études réunies dans ce volume. Parmi eux,
retenons-en deux principaux. Le premier concerne le couple
autonomie/contrainte. Contrairement à l’idée reçue d’un enrôlement
systématiquement contraint, la plupart des exemples abordés ici montre
l’ambivalence des modalités de l’engagement, et parfois même le
volontarisme adolescent. Loin d’être seulement et avant tout une pure
victime, la figure de l’ado-combattant apparaît, au fil des conflits et des
décennies, comme un acteur social à part entière, voire comme un agent
de la violence de guerre. De même, la nature de cette contrainte est
également extrêmement variable, et ne saurait se limiter à la seule
coercition physique : les très jeunes combattants de la guerre de
Sécession américaine ou de la Commune de Paris sont ainsi pris dans des
jeux de contraintes mixtes, où l’enjeu économique n’est pas le moindre ;
tout comme les Jeunesses hitlériennes engagées dans la défense de Berlin
ou les jeunes Népalais marxistes le sont dans un rapport de coercition
avant tout idéologique.
Le second thème qui semble bien transcender l’ensemble des
expériences rapportées ici renvoie au rapport entretenu par ces ado-
combattants avec l’autorité, et plus particulièrement avec l’autorité
paternelle. Qu’il s’agisse du Rio de la Plata des années 1810, des deux
guerres mondiales ou du conflit Iran-Irak des années 1980, on retrouve
des formes similaires de confrontation à la volonté parentale, et
notamment paternelle ; l’acte d’engagement devient ainsi doublement
transgressif : à la transgression de l’âge s’ajoute également celle de
l’autorité. Se pose alors la question de possibles « transferts d’autorité »,
du père vers l’officier par exemple. Par la multiplicité des approches,
mais aussi par la comparaison bâtie entre les expériences, ce premier
travail a ainsi ouvert des pistes de réflexion nouvelles qui ne demandent
qu’à être prolongées. Premier jalon d’une recherche en cours, cet ouvrage
entendait bien illustrer, à travers la figure hyperbolique de l’enfant-soldat,
une histoire décloisonnée de la pratique combattante. Et surtout, en
tenant à distance les deux écueils de la victimisation et de la
criminalisation, montrer que l’ado-combattant est d’abord, pour le
chercheur en sciences humaines et sociales, un sujet à part entière.
Manon Pignot
Notes
Introduction
I. Cet ouvrage s’inscrit dans le programme ANR « Enfance, Violence, Exil » http://cms.enfance-
violence-exil.net/. Il prolonge notamment le travail collectif inauguré lors du colloque « L’enfant-
combattant, pratiques et représentations », organisé à l’Université de Picardie-JulesVerne les 25 et
26 novembre 2010.
II. Les Principes de Paris, « Définitions », p. 7, consultables sur le site de l’UNICEF,
http://www.unicef.org/french/protection/files/ParisPrincipesFrench310107.pdf
III. Voir à cet égard l’article de référence de Jean-Hervé Jézéquel, « Les enfants soldats
d’Afrique, un phénomène singulier ? Sur la nécessité du regard historique », Vingtième siècle,
Revue d’histoire, n° 89, janvier-mars 2006, p. 99-108.
IV. Sur le site électronique de Child Soldiers International, on trouve ainsi un rapport titré
« Comprendre le phénomène des enfants-soldats ».
V. Ishmael Beah, Le chemin parcouru. Mémoires d’un enfant soldat, Paris, Presses de la Cité,
2008 [traduit de l’anglais].
VI. Senait Mehari, Cœur de feu : j’étais une enfant soldat, Paris, L’Archipel, 2007.
VII. Yussef Bazzi, Yasser Arafat m’a regardé et m’a souri, Paris, Éditions Verticales, 2007.
VIII. David M. Rosen, Armies of the Young : Child Soldiers in War and Terrorism, New
Brunswick, New Jersey and London, Rutgers University Press, 2005 ; Alcinda Honwana, Child
soldiers in Africa, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2006.
IX. Nicholas Stargardt, Witnesses of War. Children’s lives under the Nazis, London, Jonathan
Cape, 2005 ; Olga Kucherenko, Little Soldiers. How Soviet Children went to War 1941-1945,
Oxford, Oxford University Press, 2011.
X. Édouard Sill, « La croisade des gosses. Fugues, disparitions et enrôlements volontaires de
mineurs français en Espagne durant la guerre civile », Vingtième siècle, n° 110, avril-juin 2011, p.
19-32.
XI. Claude Barrois, Les Névroses traumatiques, Paris, Dunod, 1998.
XII. Mouzayan Osseiran-Houballah, L’Enfant-soldat, victime transformée en bourreau, Paris,
Odile Jacob, 2003, « acteurs d’une guerre d’adulte », p. 39.
XIII. Sandor Ferenczi, Confusion de langues entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004.
Dans le cas des abus sexuels commis par des adultes sur des enfants, il s’agit de l’imposition par
l’adulte du « langage de la passion » à un enfant qui le sollicite dans le registre de « la tendresse ».
XIV. Didier Fassin et Richard Rechtman, L’Empire du traumatisme, Enquête sur la condition de
victime, Paris, Flammarion, 2007, p. 161.

Chapitre 1
I. Ce travail développe certains points présents dans notre thèse de doctorat, La Société
guerrière. Pratiques, discours et valeurs militaires au Rio de la Plata 1806-1852, École des hautes
études en sciences sociales, janvier 2010.
II. Pour une étude approfondie de la société locale, voir Juan Carlos Garavaglia, Les Hommes de
la Pampa. Une histoire agraire de la campagne de Buenos Aires (1700-1830), Paris, EHESS et
MSH, 2000.
III. Voir Alejandro Rabinovich, « The Making of Warriors : The Militarization of the Rio de la
Plata, 1806-1807 », in R. Bessel, N. Guyatt et J. Rendall (dir.), War, Empire and Slavery, 1770-
1830, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 81-98.
IV. Sur ce processus on peut voir, en France, Geneviève Verdo, L’indépendance argentine :
entre cités et nation (1808-1821), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006 ; Carlos Stoetzer, « La
Révolution française et les bouleversements politiques dans le Río de la Plata au début du XIXe
siècle, 1776-1813 ».
V. T. Halperín Donghi, “Revolutionary militarization in Buenos Aires 1806-1815”, Past and
Present, 1968, n° 40, p. 84-107.
VI. Gregorio Weinberg, Modelos educativos en la historia de América Latina, Buenos Aires,
Kapelusz, 1984 ; Abel Chaneton, La instrucción primaria en la época colonial, Buenos Aires,
Sociedad de Historia Argentina, 1942 ; Carlos Newland, Buenos Aires no es pampa : La educación
elemental porteña 1820-1860, Buenos Aires, Grupo Editor Latinoamericano, 1992.
VII. Ces notions sont déployées dans les débats autour de l’éducation et la formation de
l’homme nouveau à partir de la Révolution, et occupent une place importante dans la presse de
l’époque. Voir Junta de historia y numismática americana, Gaceta de Buenos Aires, reimpresión
facsimilar. 1810-1821, vol. 1, Buenos Aires, 1910, sur les récompenses : “Carta de Antonio
Aristhogiton”, le 7 août 1810 ; sur les stimuli, l’annonce de la création de l’École de
mathématiques, le 19 août 1810 ; sur les écoles, “Educación”, le 13 sept. 1810. Sur les ressorts en
général et leur importance dans la discipline militaire, voir Los amigos de la patria y de la
juventud, avril 1816, n° 5, p.33-35.
VIII. Nous analysons ce problème en profondeur dans “La gloria, esa plaga de nuestra pobre
América del Sud”, Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2009, en ligne, disponible sur :
http://nuevomundo.revues.org/index54182.html. Pour la période coloniale voir Juan Carlos
Garavaglia, “El teatro del poder : ceremonias, tensiones y conflictos en el Estado colonial”, Boletín
del Instituto de Historia Argentina y Americana Dr. Emilio Ravignani, Tercera Serie, n° 14, 1996,
p. 7-30.
IX. Gañez, La crisis ! o los desvíos del sistema hasta el 15 de abril, con el rumbo que se debe en
adelante seguir, Buenos Aires, Imprenta de Niños Expósitos, 1815.
X. “M. Belgrano a A. de Echevarría, 8 dic. 1813”, Epistolario, op. cit., p. 240-241. Sur la
fonction sociale de ce type de modélisation idéale du masculin, voir George Mosse, L’Image de
l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Éditions Abbeville, 1997.
XI. Le concept sociologique de modèle d’homme est ici compris dans un sens très proche de
celui proposé par Gabriel Tarde dans sa définition de groupe social : « Une collection d’êtres en
tant qu’ils sont en train de s’imiter entre eux ou en tant que, sans s’imiter actuellement, ils se
ressemblent et que leurs traits communs sont des copies anciennes d’un même modèle », Les lois
de l’imitation, Paris, Éditions Kimé, 1993, p. 71.
XII. Werner Jaeger, Paideia, Paris, Gallimard, 1988.
XIII. Voir “Carta de Ignacio Núñez”, in N. M. Saleño (dir.), Biblioteca de Mayo, Colección de
Obras y Documentos para la Historia Argentina, Buenos Aires, Senado de la Nación, 1960, vol.1,
p. 271-272. Sur les origines de la guerre de guérilla en Amérique du Sud, voir Marie-Danielle
Demélas, « De la « petite guerre » à la guerre populaire : genèse de la guérilla comme valeur en
Amérique du Sud », Cahier des Amériques latines, 2008, n° 36, p. 17-36.
XIV. “Carta de Francisco Saguí”, in N. M. Saleño (dir.), op. cit., vol. 1, p. 45-46.
XV. “Oficio del Cabildo, 30 de oct. 1806”, in Museo Mitre, Documentos del Archivo
Pueyrredón, vol.1, Buenos Aires, Imprenta de Coni Hermanos, 1912, p. 90.
XVI. A Narrative of the Expedition to, and the Storming of Buenos Ayres, by the British Army,
commanded by lieutenant-general Whitelocke. By an officer attached to the expedition, Londres,
William Meyler éd., 1807, p. 14.
XVII. “Orden del Día de la Junta, 6 de sept. 1811”, in A. E. Maillé (dir.), La revolución de Mayo
a través de los impresos de la época, vol.1, Buenos Aires, Comisión Nacional Ejecutiva del 150º
aniversario de la revolución de Mayo, 1965, p. 473-475.
XVIII. Fêtes dites Mayas, elles célèbrent la révolution de 1810 et constituent l’élément le plus
important de la nouvelle liturgie républicaine. Voir Juan Carlos Garavaglia, “A la nación por la
fiesta : Las fiestas Mayas en el origen de la nación en el Plata”, Boletín del Instituto de Historia
Argentina y Americana Dr.Emilio Ravignani, Tercera serie, n° 22, 2000.
XIX. Beatríz Bragoni, “Guerreros virtuosos, soldados a sueldo. Móviles de reclutamiento militar
durante el desarrollo de la guerra de independencia”, Dimensión Antropológica, 2005, n° 35, p.95-
138.
XX. Damián Hudson, Recuerdos Históricos sobre la Provincia de Cuyo, Buenos Aires,
Imprenta de Juan A. Alsina, 1898, p. 99-100, 198-200.
XXI. Tomas Díaz, “Historia de aquellos tiempos gloriosos, 25 de mayo 1883”, Museo Mitre,
Anexo San Martín.
XXII. Le système des « cadets » fut en principe emprunté par l’armée espagnole à celui des
« gentilshommes cadets » de l’armée française, au début du XVIIIe siècle. Voir F. Redondo Díaz,
“El ejército”, in La España de las reformas hasta el final del reinado de Carlos IV, vol. X-2 de
Historia General de España y América, 1990, p. 175-176.
XXIII. Manuel Alejandro Pueyrredón, par exemple, était cadet à l’âge de neuf ans. Manuel A.
Pueyrredón, Memorias inéditas del Coronel Manuel A. Pueyrredón : Historia de mi vida ;
Campañas del Ejército de los Andes, Buenos Aires, Editorial Kraft, 1947, p. 22-26.
XXIV. Le commandant du régiment devait désigner un officier pour assurer l’instruction
théorique des cadets du corps. Outre les ordonnances, ils étaient censés apprendre l’arithmétique,
la géométrie, etc. Traditionnellement cette charge tombait sur un capitaine appelé « maître des
cadets ».
XXV. Lugones, Lorenzo, Recuerdos Históricos sobre las campañas del Ejército Auxiliador del
Perú, Buenos Aires, Imprenta Europa, 1888, p. 17.
XXVI. Trois de ces enfants étaient parmi les « officiers » qui dirigeaient la manœuvre du
bataillon d’enfants dont nous nous sommes occupés, voir supra.
XXVII. Pedro José Díaz était lieutenant-second du bataillon n° 8. “Relación de los S.S. Gefes y
Oficiales que pasaron los Andes para la restauración de Chile”, in J. J. Biedma (dir.), Documentos
referentes a la Guerra de la Independencia y emancipación política de la Republica Argentina y
de otras secciones de América, vol. 2, Buenos Aires, 1914, p. 117-118.
XXVIII. L’histoire des frères Díaz, racontée par Tomás Díaz, op. cit., est corroborée par le
témoignage de José Antonio Estrella, interviewé en 1880 par B. Mitre y Vedia, voir “Recuerdos
del tiempo viejo 1816-1817”, Revista de la Junta de Estudios Históricos de Mendoza, Segunda
época, n° 13, 1939, p. 342.
XXIX. Ramón de Cázeres, “Escritos Históricos del Coronel Ramón de Cázeres”, Revista
Histórica, Montevideo, n° 29, 1959, p. 382-384.
XXX. Domingo Arrieta, Ratos de entretenimiento ó Memorias de un Soldado, Buenos Aires,
Revista Nacional, 1889-1895, chapitre 9.
XXXI. Juan Isidro Quesada, “Noticia sobre su vida y servicios”, in N. M. Saleño (dir.), op. cit.,
vol. 2, p. 2013-15.
XXXII. “Carta de J. Gascón, Buenos Aires, 18 de sept. 1806”, réproduit dans Diario de un
Soldado, Buenos Aires, Ministerio del Interior, Comisión Nacional ejecutiva 150° Aniversario de
la Revolución de Mayo, 1960.
XXXIII. Damián Hudson, “Costumbres”, Revista de la Junta de Estudios Históricos de
Mendoza, 2° époque, n° 7, 1972, p. 439.

Chapitre 2
I. Farid Ameur, La Guerre de Sécession, Paris, PUF, 2004, p. 121.
II. Maris Vinovskis, “Have Social Historians Lost the Civil War ? Some Preliminary
Demographic Speculations”, in M. Vinovskis (dir.), Toward a Social History of the American Civil
War, New York, Cambridge University Press, 1990, p. 40.
III. André Kaspi, L’indépendance américaine (1763-1789), Paris, Julliard, 1976, p. 197.
IV. Régis de Trobriand, Quatre ans de campagnes à l’armée du Potomac, Paris, A. Lacroix,
1874, I, p. 66.
V. Cité par James Marten, The Children’s Civil War, Chapel Hill, University of North Carolina
Press, 1998, p. 156. Bien qu’il soit esclavagiste, l’État du Maryland est resté fidèle à l’Union. Mais
en raison des tendances séparatistes d’une partie de sa population, il a fourni en réalité des soldats
aux deux camps.
VI. John Simon (dir.), The Personal Memoirs of Julia Dent Grant, New York, Putnam’s, 1975,
p. 89.
VII. B. H. Wilkins, “War Boy” : A True Story of the Civil War and Reconstruction Days,
Tullahoma, Wilson Brothers, 1990, p. 23, 41-42.
VIII. James Marten, op. cit., p. 161.
IX. Ruth Painter Randall, Lincoln’s Sons, Boston, Little & Brown, 1955, p. 108, 110-114.
X. Joseph Kett, “Adolescence and Youth in Nineteenth-Century America”, in T. Rabb et R.
Rotberg (dir.), The Family in History : Interdisciplinary Essays, New York, Harper and Row, 1971,
p. 110.
XI. Cité par Jim Murphy, The Boys’ War, New York, Houghton Mifflin, 1993, p. 13-14.
XII. John Wesley Hardin, The Life of John Wesley Hardin, as Written by Himself, Norman,
University of Oklahoma Press, 1961, p. 5-6.
XIII. James Marten, op. cit., p. 166.
XIV. Ibid., p. 32-33, 52-61, 150-154.
XV. John Anderson (dir.), Brokenburn : The Journal of Kate Stone, 1861-1868, Baton Rouge,
Louisiana State University Press, 1955, p. 108-109.
XVI. James McPherson, La Guerre de Sécession, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 529-530.
XVII. William C. Davis, The Fighting Men of the Civil War, Norman, University of Oklahoma
Press, 1998, p. 17.
XVIII. National Archives, State Department Archives, Notes from the French Legation, XI-
XVI, 1861-1865.
XIX. W. B. Yearns, The Confederate Congress, Athens, University of Georgia Press, 1960,
p. 87-89.
XX. Bell Irvin Wiley, The Life of Billy Yank : The Common Soldier of the Union, Baton Rouge,
Louisiana State University Press, 1971, p. 298-299.
XXI. Farid Ameur (dir.), Philippe d’Orléans, comte de Paris. Voyage en Amérique, 1861-1862.
Un prince français dans la guerre de Sécession, Paris, Perrin, 2011, p. 472.
XXII. Bell Irvin Wiley, op. cit., p. 330-331.
XXIII. Confederate Veteran, II, 1894, p. 12-13.
XXIV. National Archives, Confederate Archives, Records of the First Kentucky Brigade, vol.
305, p. 35.
XXV. William Sherman, Memoirs of General William T. Sherman, New York, Appleton & Co.,
1891, p. 326 ; Lloyd Lewis, Sherman : Fighting Prophet, Lincoln, University of Nebraska Press,
1993, p. 280-281.
XXVI. Confederate Veteran, XVIII, 1910, p. 240.
XXVII. Voir James Lee Conrad, Young Lions : Confederate Cadets at War, Columbia,
University of South Carolina Press, 2004.
XXVIII. Arthur Sinclair, Two Years on the Alabama, Londres, Gay & Bird, 1896, p. 352. Les
rôles d’équipage du CSS Alabama attestent la présence à bord de quatre mousses le jour de la
bataille.
XXIX. William C. Davis, op. cit., p. 17.
XXX. Margaret Banks, “Avery Brown (1852-1904) : America’s Youngest Soldier”, America’s
Shrine to Music Museum Newsletter, XXVIII, n° 1, 2001, p. 7-8.
XXXI. U.S. War Department, The War of the Rebellion : A Compilation of the Official Records
of the Union and Confederate Armies, Washington, Government Printing Office, 1890-1901, ser. I,
XXXVIII, part 3, p. 803.
XXXII. Ibid, X, part 1, p. 589.
XXXIII. Detroit Free Press, 20 décembre 1862.
XXXIV. Walter Beyer, Deeds of Valor : How America’s Heroes Won the Medal of Honor,
Detroit, Perrier-Keydel, 1901, p. 75-76.
XXXV. Rutland Herald, 3 novembre 1863.
XXXVI. New York Times, 8 août 1915.
XXXVII. Keith Bohannon, “Cadets, Drillmasters, Draft Dodgers, and Soldiers : The Georgia
Military Institute during the Civil War”, Georgia Historical Quarterly, LXXIX, 1995, p. 5-29.
XXXVIII. William C. Davis, op. cit., p. 137-144 et p. 159.
XXXIX. Cité par Emmy Werner, Reluctant Witnesses : Children’s Voices from the Civil War,
New York, Westview Press, 1998, p. 12.
XL. Cité par Jim Murphy, op. cit., p. 27.
XLI. Ibid., p. 33.
XLII. Charles Bardeen, A Little Fifer’s War Diary, New York, Privately Published, 1910, p. 107.
XLIII. Cité par Emmy Werner, op. cit., p. 32.
XLIV. Frederick Dent Grant, With Grant at Vicksburg, New York, Macmillan, 1898, p. 8.
XLV. Robert Westbrook, History of the 49th Pennsylvania Volunteers, Altoona, Altoona Times,
1898, p. 45 ; Richard Devens, The Pictorial Book of Anecdotes and Incidents of the War of the
Rebellion, Saint Louis, Mason, 1889, p. 267-268.
XLVI. A. Hoge, The Boys in Blue ; or Heroes of the Rank and File, New York, Trier, 1867,
p. 354-355.
XLVII. Frederick W. Wild, Memoirs and History of Captain F. W. Alexander’s Baltimore
Battery of Light Artillery, 1912, p. 92-93 ; Michael Dougherty, Diary of a Civil War Hero, New
York, Pyramid, 1960, p. 43.
XLVIII. George A.Gibbs, “With a Mississippi Private in a Little Known Part of the Battle of
First Bull Run”, Civil War Times Illustrated, IV, 1965, p. 42.
XLIX. T. J. Stiles, Jesse James : Last Rebel of the Civil War, New York, A. Knopf, 2002.

Chapitre 3
I. Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, Maspéro, 1972, p. 250.
II. Service historique de l’armée de terre (SHAT), 8J, 4e conseil, dos 37, Rapport du capitaine
Guichard, 15 sept. 1871.
III. Rapport d’ensemble de M. le général Appert sur les opérations de la Justice Militaire
relatives à l’insurrection de 1871 ; Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, Paris,
Librairie Législative, 1872.
IV. Le Journal intime de Caroline B., Paris, Montalba, 1985 (publié par G. Ribeill et M. Perrot).
V. Les filles semblent moins présentes – du moins à lire les archives –, la barrière de genre
jouant peut-être un rôle plus grand encore que pour les femmes adultes.
VI. Sur le monde du travail au XIXe siècle, voir Alain Dewerpe, Le Monde du travail en France,
Paris, Cursus, 1996. Pour une approche plus parisienne : Alain Cottereau, « Vie quotidienne et
résistance ouvrière à Paris en 1870 », in réédition de Dominique Poulot, Le Sublime, Paris,
Maspéro, 1980 p. 7-104 ; Jacques Rougerie, « Le peuple de 1870-1871 » in J.-L. Robert et D.
Tartakowski (dir.), Paris, le peuple, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999,
p. 147-149.
VII. Alain Faure, « Enfance ouvrière, enfance coupable », Révoltes logiques, n° 13, 1981, p. 13-
35.
VIII. Jean-Noël Luc, in E. Becchi et D. Julia (dir.), Histoire de l’enfance en Occident, t. 2, « Du
XVIIIe siècle à nos jours », Paris, Le Seuil, 1998.
IX. Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.
X. Sur ces événements, voir Jacques Rougerie, La Commune de 1871, Paris, PUF, 2009.
XI. Thomas André, « Les enfants perdus de la Commune », Cultures & Conflits, n° 18, été
1995, [En ligne http://conflits.revues.org/index449.html.]
XII. SHAT : Ly7, Ly94, Ly142 ; Archives de la Préfecture de police (APP) : BA 368.
XIII. Thomas André, art. cit.
XIV. APP, BA 368.
XV. APP, DB 420 : Opérations judiciaires concernant les enfants, rapport d’ensemble du
capitaine Guichard, 1871.
XVI. APP, BA 368, liste de prisonniers, août-décembre 1871.
XVII. Louis Hincker, Citoyens-combattants à Paris (1848-1851), Villeneuve d’Asq, Presses
universitaires du Septentrion, 2008,
XVIII. SHAT, 8J, 4e conseil, dossier 37, Eugène Achart.
XIX. SHAT, 8J 4e conseil, dossier Viradoux. Il est entré au milieu du mois d’avril sur les
conseils de deux camarades : « Ils m’ont dit si tu veux venir avec nous, nous allons te faire
engager » (interrogatoire du 26 août).
XX. SHAT, 8J 4e conseil, dossier 37, le dossier est sous-divisé en quinze dossiers qui
comprennent les noms des enfants. Nous nous sommes servis pour cela de la liste dressée par J.-C
Vimont des enfants détenus au quartier correctionnel de Rouen (Jean-Claude Vimont, « Les jeunes
communards incarcérés dans le quartier correctionnel de la prison de Rouen », in C. Latta (dir.), La
Commune de 1871, L’événement, les hommes et la mémoire, Actes du colloque de Montbrison les
15 et 16 mars 2003, Saint-Étienne, 2004, p. 249-263.
XXI. Voir notre article « Des femmes sur les barricades. Les femmes-soldats de la Commune de
Paris », in C. Cardi et G. Pruvost (dir.), Penser la violence des femmes, à paraître.
XXII. Voir Thomas André, art. cit.
XXIII. Robert Tombs, La Guerre contre Paris, 1871, Paris, Aubier, 1997.
XXIV. Malvina Blanchecotte, Tablettes d’une femme pendant la Commune (1872), Paris, Lérot,
1996 ; Victorine Brocher, Souvenirs d’une mort-vivante, Paris, Maspero, 1976.
XXV. Alain Corbin, « Le sang de Paris. Réflexions sur la généalogie de l’image de la
capitale », dans Le Temps, le Désir et l’Horreur, Paris, Aubier, 1991.
XXVI. Victorine Brocher, op. cit., p.213.
XXVII. Stéphane Audoin-Rouzeau, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre
moderne (XIXe-XXIe siècle), Paris, Le Seuil, 2008.
XXVIII. Voir à ce sujet le débat lancé par la réévaluation du nombre de morts de la semaine
sanglante proposé par Robert Tombs : « How bloody was la Semaine Sanglante ? A revision », H-
France Salon, vol 3, issue 1, fév. 2011 (débat en ligne : http://www.h-france.net/Salon/h-
francesalon.html).
XXIX. Laurent Muchielli, Histoire de lacriminologie française, Paris, L’Harmattan, 1995.
XXX. Il a rédigé en 1857 un Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de
l’espèce humaine, qui le rendit célèbre.
XXXI. APP, DB 420 : Opérations judiciaires concernant les enfants, op. cit.
XXXII. Les conclusions du capitaine Guichard sur ces issues sont corroborées en amont par les
divers dossiers judiciaires consultés, et en aval par les analyses de Jean-Claude Vimont sur
l’enfermement de certains jeunes communards (« Les jeunes communards », art. cit.)
XXXIII. Le constat renforce ainsi une piste suggérée lors de l’examen du traitement judiciaire
des femmes impliquées dans les événements : Quentin Deluermoz, « Ambiguë criminalité : le
traitement judiciaire des femmes de la Commune ou le retour à l’ordre sexuel et politique », in F.
Chauvaud et G. Malandain (dir.), Impossibles victimes, impossibles coupables, Rennes, PUR,
2009, p. 133-147.
XXXIV. Jacques Rougerie, Le Procès des communards, Paris, Julliard, 1964, p. 121.
XXXV. Norbert Elias, Au-delà de Freud : sociologie, psychologie, psychanalyse, présentation
de M. Joly, postface de B. Lahire, Paris, La Découverte, 2010.
XXXVI. Jean-Claude Vimont, art. cit.
XXXVII. Jacques Rougerie, La Commune de 1871, Paris, QSJ, PUF, 2009, p. 99.
XXXVIII. Sergio Luzzatto, « Jeunes révoltés et révolutionnaires (1789-1917) », in G. Levi et J.-
C. Schmitt (dir.), Histoire des jeunes en Occident, Tome 2, Paris, Le Seuil, 1996.
XXXIX. Jean-Jacques Yvorel, « De Delacroix à Poulbot, l’image du gamin de Paris », Revue
d’Histoire de l’Enfance irrégulière, n° 4, 2002, p. 39-72 ; et Frédéric Chauvaud, « Gavroche et ses
pairs : aspect de la violence politique du groupe enfantin en France au XIXe siècle », Cultures &
conflits, n° 18, été 1995, p. 21-33.
XL. Piste notamment évoquée par Jean-Jacques Yvorel et Jean-Claude Caron : « Introduction
générale » in J.-C. Caron, J.-J. Yvorel, A. Stora-Lamarre (dir.), Les âmes mal nées. Jeunesse et
délinquance urbaine en France et en Europe, XIXe-XXe siècle, Besançon, Presses Universitaires de
Franche-Comté, 2008, p. 9-25.
XLI. Voir à ce sujet les analyses d’Émilie Medeiros dans le présent ouvrage (chapitre 7).

Chapitre 4
I. Mon journal, 8 mai 1915, n° 19, p. 282.
II. Mme Hollebecque, La Guerre et l’école. La jeunesse scolaire de France et la guerre, Paris,
Henri Didier, 1916.
III. Lettre de H. J. Palmer à un officier de recrutement, 26 juin 1915 [IWM, cote 91/5/1] ; sauf
mention contraire, toutes les citations de sources anglaises sont des traductions personnelles.
IV. Rares sont encore les études consacrées à cet objet ; cf. par exemple : Tim Cook, « “He was
determined to go” : Underage Soldiers in the Canadian Expeditionnary Force », Social History,
volume 41, n° 81, mai 2008, p. 41-74.
V. Voir infra (chapitre 5). « La dernière armée d’Hitler ».
VI. Stéphane Audoin-Rouzeau, La Guerre des enfants. 1914-1918. Essai d’histoire culturelle,
Paris, Armand Colin, 1996, 2005 (rééd.).
VII. Une première recherche, toujours en cours, a permis d’identifier des clichés dans les fonds
photographiques du Service historique de la Défense (SHD), de la Bibliothèque nationale de
France (BNF) et de l’Imperial War Museum (IWM).
VIII. André Fontaine, Le plus jeune héros de la guerre, Imprimerie Cerf, 1919 ; Sir John Ernest
Hodder-Williams, Jack Cornwell. The story of John Travers Cornwell, VC “Boy-1st class”,
Toronto, Hodder & Stoughton, 1918.
IX. Armand Vincent, L’itinéraire difficile, 238 p., tapuscrit inédit, sd. [APA 2063].
X. Ernest Wrentmore, In Spite of Hell. A factual story of Incidents that occurred during the First
World War, as experienced by the youngest soldier to have seen combat duty with 60th Infantry, 5th
(Red Diamond) Division, New York, Greenwich Book Publishers, 1958, p. 14.
XI. Pour la Russie, voir par exemple : Dietrich Beyrau et Pavel P. Shcherbinin, « Alles für die
Front : Russland im Krieg 1914-1922 », in Elise Julien et Arnd Bauerkämper (dir.), Durchhalten !
Krieg und Gesellschaft im Vergleich 1914-1918, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2010,
p. 151-177.
XII. Lettre de Jean-Corentin Carré à M. Mahézèbe, 5 mars 1917 (collection personnelle). Je
remercie très vivement Pierre Palaric de m’avoir procuré les documents personnels de Jean-
Corentin Carré.
XIII. Armand Vincent, op. cit.
XIV. Souvenirs tapuscrits de E.G.Nurse [IWM, 81/23/1].
XV. Autobiographie dactylographiée de H. C. Edwards, 1988 [IWM, 02/29/1].
XVI. David Niget, « La violence, attribut et stigmate de la jeunesse », RHEI, n° 9, novembre
2007.
XVII. Serge Papko, Récit de la vie de Monsieur Papko, tapuscrit inédit, sd. [APA 204].
XVIII. Mme Hollebecque, op. cit., p. 29.
XIX. Bulletin de la Légion des Mille, premier trimestre 1958.
XX. Archives départementales de Paris, cote D4R1 2153/457.
XXI. H. C. Edwards, op. cit.
XXII. Ernest Wrentmore, op. cit., p. 40.
XXIII. Jean-Corentin Carré, lettre à sa sœur Marie, 25 mai 1916.
XXIV. Jean-Corentin Carré, lettre à son colonel, 29 décembre 1916.
XXV. Jean-Corentin Carré, lettre à sa sœur Marie, 25 mai 1916.
XXVI. Mme Hollebcque, op. cit., p. 31.
XXVII. Ernest Wrentmore, op. cit.
XXVIII. Richard Van Emden, Boy Soldiers of the Great War. Their Own Stories for the First
Time, Londres, Headline Book Publishing, 2005.
XXIX. Ernest Wrentmore, op. cit., p.38
XXX. Ibid., p. 44.
XXXI. Ibid., p. 50.
XXXII. Récit dactylographié de G. Fortune, s.d. [IWM, 04/5/1].
XXXIII. Lettre du colonel J. H. Lloyd, 22 juillet 1916 [IWM, Misc 208 (3013)].
XXXIV. Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18. Les combattants des tranchées, Paris, Armand
Colin, 1986.
XXXV. Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française
de la Grande Guerre, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011, p. 79-80.
XXXVI. Ernest Wrentmore, op. cit.
XXXVII. Ibid., 17 juin 1918.
XXXVIII. Récit de Charles Carrington, rapporté par Richard Van Emden, op. cit., p. 137.
XXXIX. SHD, fonds Rumpf, 2 K 247.
XL. Général de Mondésir, commandant le 38e corps d’armée, 21 décembre 1916.
XLI. Cf. la base de données « Mémoires des hommes » du ministère de la Défense.
XLII. Bulletin de la Légion des Mille, n° 1, avril 1936.
XLIII. Notice Wikipédia de Désiré Bianco.
XLIV. Bulletin de la Légion des Mille, n° 2, septembre 1936.
XLV. Bulletin de la Légion des Mille, septembre-octobre 1937.
XLVI. Ibid.

Chapitre 5
I. Ian Kershaw, Hitler, 2, 1936-1945 : Nemesis, London, 2000 [traduction française : Hitler,
tome 2 : 1936-1945, Flammarion, 2000] ; Karl Heinz Jahnke, Hitlers letztes Aufgebot : Deutsche
Jugend im sechsten Kriegsjahr 1944, Essen, 1993 ; Bundes-Archiv (BA), NS 6/353 : Verordnung
über die Erweiterung der Wehrpflicht vom 5.3.1945 ; Andreas Kunz, Wehrmacht und Niederlage :
die bewaffnete Macht in der Endphase der nationalsozialistischen Herrschaft 1944 bis1945,
Munich, 2007.
II. Nicholas Stargardt, Witnesses of War : Children’s Lives under the Nazis, London, 2005.
III. Kempowski-Archiv, Akademie der Künste, Berlin (KA) 3931/2, Dierk S., “Auszüge”, 5-6 et
12-15: 1 juil., 25-26 sept., 29 nov. et 21 déc. 1940.
IV. KA 2035, Wilhelm K., né en 1929, lettre à Walter Kempowski, 14 oct. 1987 ; Journal, 23
mars 1942-29 mai 1947 : 16 mai 1945.
V. KA 1997, Werner K., “20 Monate Luftwaffenhelfer : Tagebücher 5. Januar 1944-20. August
1945”, 144-5 et 150 : 21 et 30 janvier 1945 ; passage similaire dans KA 920, Walter S., “Mein
Tagebuch”, 15 sept. 3 nov. 1944.
VI. Nicole Kramer, Volksgenossinnen an der Heimatfront : Mobilisierung, Verhalten,
Erinnerung, Göttingen, 2011 ; Nicole Kramer, « Mobilisierung für die “Heimatfront” : Frauen im
zivilen Luftschutz » et Franka Maubach, « Expansion weiblicher Hilfe : zur Erfahrungsgeschicht
von Frauen im Kriegsdienst », in Sybille Steinbacher (dir.), Volksgenossinnen : Frauen in der NS-
Volksgemeinschaft, Göttingen, 2007, p. 69-92 ; p. 93-111.
VII. Deutsche Wochenschau No. 567 (16 juillet 16 1941) ; Heinz Boberach, (dir.), Meldungen
aus dem Reich : Die geheimen Lageberichte des Sicherheitsdienstes des SS 1938-1945, Berlin,
1984, p. 2564 et p. 6658-66 : 24 juillet 1941 et 24 juillet 1944 ; « Opfer » déconseillé pour les
pertes civiles en 1942 : Sabine Behrenbeck, Der Kult um die toten Helden. Nationalsozialistische
Mythen, Riten und Symbole 1923 bis 1945, Vierow bei Greifswald, 1996 ; utilisé à Cologne,
Martin Rüther, Köln im Zweiten Weltkrieg : Alltag und Erfahrungen zwischen 1939 und 1945,
Cologne, 2005.
VIII. KA 3186, Ruth Reimann.
IX. Hitler autorisa le recrutement pour la Flak le 22 janvier et la formation de la Division de la
Jeunesse hitlérienne le 13 février 1943.
X. Voir les récits autosatisfaits de deux des anciens commandants de la Division : Kurt Meyer,
Grenadiers : The story of Waffen SS General Kurt “Panzer” Meyer, Mechanicsburg, PA, 2005 ;
Hubert Meyer, The 12th SS : The History of the Hitler Youth Panzer Division, 1-2, Mechanicsburg,
PA, 2005 ; pour leur rôle dans l’exécution de prisonniers de guerre canadiens, Howard Margolian,
Conduct Unbecoming : The Story of the Murder of Canadian Prisoners of War in Normandy,
Toronto, 1998 ; Günter Grass, Pelures d’oignons, Paris, Le Seuil, 2007 [Beim Häuten der
Zwiebel].
XI. Les garcons âgés de seize ans furent appelés à la Flak par un décret du 26 janvier 1943 :
Karl Heinz Jahnke et Michael Buddrus, Deutsche Jugend 1933-1945 : Eine Dokumentation,
Hamburg, 1989, p. 359-61 ; voir aussi le projet d’histoire orale de Rolf Schörken, Luftwaffenhelfer
und Drittes Reich : Die Entstehung eines politischen Bewusstseins, Stuttgart, 1984, p. 101-61 ;
pour une étude par un ancien Flakhelfer, voir Hans-Dietrich Nicolaisen, Der Einsatz der
Luftwaffen- und Marinehelfer im 2. Weltkrieg : Darstellung und Dokumentation, Büsum, 1981,
p. 168-96.
XII. KA 4709/2, Klaus S., né en 1926, “Gomorrha. Bericht über die Luftangriffe auf Hamburg
Juli/August 1943”, MS. Hamburg, 1993, basé sur son journal et les lettres à sa mère : 25 juillet
1943 ; pour les statistiques et l’arrière-plan voir Olaf Groehler, Bombenkrieg gegen Deutschland,
Berlin, 1990, p. 106-21 ; voir aussi Martin Middlebrook, The Battle of Hamburg : Allied Bomber
Forces against a German City in 1943, London, 1980 ; Jörg Friedrich, Der Brand : Deutschland
im Bombenkrieg 1940-1945, Munich, 2002, p. 192-5.
XIII. KA 4709/2, Klaus S., lettre à sa mère, 1er août 1943.
XIV. KA 4709/2, Klaus S., lettres à sa mère, 28, 30 et 31 juillet, 1er et 10 août 1943.
XV. KA 4709/2, Klaus S., lettre à sa mère, 31 juillet 1943 ; Police President of Hamburg, in
Jeremy Noakes (dir.), Nazism, 1919-1945 : A Documentary Reader, 4, Exeter, 1998, p. 554-7.
XVI. KA 4709/2, Klaus S., lettre à sa mère, 11 août 1943.
XVII. Liselotte G., dans Ingrid Hammer et Susanne zur Nieden (dir.), Sehr selten habe ich
geweint : Briefe und Tagebücher aus dem Zweiten Weltkrieg von Menschen aus Berlin, Zurich,
1992, 287 et 290-1 : 29 déc. 1943 et 3 janv. 1944.
XVIII. Hammer et Nieden, Sehr selten habe ich geweint, 289-290 : 2 janvier 1944.
XIX. Hammer et Nieden, Sehr selten habe ich geweint, 310 : 17 avril 1945.
XX. Hammer et Nieden, Sehr selten habe ich geweint, 314-16 : 17 mai 1945.
XXI. KA 4025, Heinz M., né en 1928, “Die Pestbeule”, MS ; Lothar Loewe, né en 1929, in
Johannes Steinhoff, Peter Pechel et Dennis Showalter, Voices from the Third Reich : An Oral
History, London, 1991, p. 347-8.
XXII. Nicholas Stargardt, op. cit. ; Robert G. Waite, “Teenage Sexuality in Nazi Germany”,
Journal of the History of Sexuality, Vol. 8, No. 3 (Jan., 1998), p. 434-476.
XXIII. KA 3697, Ursula von Gebhardt, Journal, 24 avril 1945.
XXIV. Yelton, op. cit., p. 119-31. Sur la volonté de cette génération de continuer à croire en la
victoire, voir également, Rosenthal, Die Hitlerjugend-Generation, 88-93 et 320-6.
XXV. Pertes militaires allemandes en 1945 : Rüdiger Overmans, Deutsche militärische Verluste
im zweiten Weltkrieg, Munich, 1999 ; KA 4025, Heinz M., né en 1928, “Die Pestbeule”, MS, 195-
205.
XXVI. KA 4025, Heinz M., “Die Pestbeule”, 206-13 ; KA 3359, Hella K., “Zwischen
Mistbeetfenster und Bombentrichter”, 31-5 ; KA 89, Rudi Brill, “Fronthelfer der HJ”, 20 mars
1945.
XXVII. Yelton, op. cit., p. 137-48 ; Klaus-Dieter Henke, Die amerikanische Besetzung
Deutschlands, Munich, 1995, p. 954-8.
XXVIII. Martin Bergau, Der Junge von der Bernsteinküste : Erlebte Zeitgeschichte 1938-1948,
Heidelberg Verlagsanstalt, 1994, p. 97-107.
XXIX. On trouve les principaux documents dans Shmuel Krakowski, “Massacre of Jewish
prisoners on the Samland Peninsula – documents”, Yad Vashem Studies, 24, 1994, p. 349-387 ; voir
aussi Daniel Blatman, “Die Todesmärsche - Entscheidungsträger, Mörder und Opfer”, in Ulrich
Herbert, Karin Orth et Christoph Dieckmann (dir.), Die nationalsozialistischen
Konzentrationslager - Entwicklung und Struktur, 2, Göttingen, 1998, p. 1063-92 ; Bergau, op. cit.,
p. 108-9.
XXX. Bergau, op. cit., p. 111-15, p. 244-45 ; p. 249-275 ; Martin Bergau, Todesmarsch zur
Bernsteinküste : das Massaker an Juden im ostpreussischen Palmnicken im Januar 1945 :
Zeitzeugen erinnern sich, C. Winter Universitätsverlag, Heidelberg, 2006.
XXXI. KA 53, Jürgen H., né en juillet 1929, [mémoire] 29 Mar.-19 May 1945.
XXXII. Günter Grass, Pelures d’oignons, Paris, Le Seuil, 2007 (trad.).
XXXIII. Sur les retards de développement chez les adolescents, voir Rosenthal, op. cit., p. 88-
93.

Chapitre 6
I. Uzodinma Iweala, Bêtes sans patrie, traduit de l’américain par Alain Mabanckou, Paris,
L’Olivier, 2008, p. 43.
II. Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, roman, Paris, Le Seuil, 2000, p. 34.
III. Ibid., p. 90.
IV. Il n’y a pas que les tabloïds qui misent sur l’image de l’enfant-soldat. La revue La
GéoGraphie a illustré par l’image d’un enfant-soldat africain la une de son numéro consacré aux
« Guerres et conflits », alors qu’il n’y est question ni d’enfants-soldats, ni d’ailleurs d’aucun
conflit spécifiquement africain. Cf. La GéoGraphie, « Guerre et conflits. La planète en danger »,
n° 1531, automne 2008.
V. « Nous devenons de plus en plus sales, nos habits aussi. […]. La plante de nos pieds durcit,
nous ne sentons plus les épines ni les pierres. Notre peau brunit, nos jambes et nos bras sont
couverts d’écorchures, de coupures, de croûtes, de piqûres d’insecte. Nos ongles, jamais coupés, se
cassent, nos cheveux, presque blancs à cause du soleil, nous arrivent aux épaules. Les toilettes sont
au fond du jardin. Il n’y a jamais de papier. Nous nous torchons avec les feuilles les plus grandes
de certaines plantes. Nous avons une odeur mêlée de fumier, de poisson, d’herbe, de champignon,
de fumée, de lait, de fromage, de boue, de vase, de terre, de transpiration, d’urine, de moisissure »,
Agotha Kristof, Le Grand Cahier, Paris, Le Seuil, 1986, p. 19.
VI. Ibid. p. 65.
VII. Les jugements axiologiques sont bannis de leur univers mental au profit des jugements
épistémiques : « Pour décider si c’est “Bien” ou “Pas bien”, nous avons une règle très simple : la
composition doit être vraie. Nous devons écrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous
entendons, ce que nous faisons. Par exemple, il est interdit d’écrire : “Grand-Mère ressemble à une
sorcière” ; mais il est permis d’écrire : “Les gens appellent Grand-Mère la Sorcière” », Agotha
Kristof, op. cit., p. 33.
VIII. Ibid. p. 119-120.
IX. Ibid. p. 120.
X. Inversement, les monstres peuvent se montrer bienveillants. Ainsi, l’officier nazi qui se sert
des jumeaux pour son usage personnel les sauve-t-il d’une mort programmée ; voir Agotha Kristof,
op. cit., p. 123-124.
XI. Cf. « Conversation sur l’histoire et le roman », Jonathan Littell, Pierre Nora, Le Débat, n°
144, mars-avril 2007, p. 44.
XII. Discours du président Sarkozy à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), le 26
juillet 2007.
XIII. Série d’articles parus dans Le Figaro, les 19, 20 et 21 juillet 1994.
XIV. Jason Cowley, The Observer, cf. Courrier international n° 872, du 19 au 25 juillet 2007,
p. 36.
XV. Ibid.
XVI. Pièce de Suzanne Lebeau, créée le 13 janvier 2009 au Centre culturel Marcel Pagnol de
Fos-sur-Mer (France) par la compagnie de théâtre le Carrousel et le Théâtre d’Aujourd’hui
(Montréal).
XVII. « La belle écriture de Suzanne Lebeau, limpide et accessible, reste dans l’évocation et se
situe dans un moment plein d’espoir. Son texte est nourri de sa foi en la résilience : le pire peut
advenir, mais l’élan vital de l’homme aspire aux rêves et à l’espoir. » (Anne Pelletier dans La
Provence, cf. http://www.lecarrousel.net/le_bruit_des_os_qui_craquent.html, consulté le
18/11/2010).
XVIII. Uzodinma Iweala, op. cit., p. 169-170.
XIX. On pourrait opposer aux fables édifiantes les fables visionnaires d’un Sony Labou Tansi
notamment qui, dans La Vie et demie, « ose renvoyer le monde entier à l’espoir » en proposant
« une seconde version de l’humain » qui n’exploite pas la couleur locale « africaine » à des fins
d’exotisation.
XX. Uzodinma Iweala, op. cit., p. 172.
XXI. Ibid., p. 174.
XXII. Ibid., p. 172.
XXIII. Ahmadou Kourouma, op. cit., p. 13.
XXIV. Le titre même du roman consiste en un juron désamorcé, qui prend la forme d’une litote
énigmatique et néanmoins courtoise à l’égard de la divinité. La phrase, sorte de prière dérisoire à
valeur de conjuration, scande le récit de Birahima, apparaissant tour à tour entière et tronquée.
XXV. Ahmadou Kourouma, op. cit., p. 62.
XXVI. Ibid., p. 61.
XXVII. Ibid., p. 9.
XXVIII. Ibid., p. 182.
XXIX. La colonisation anglaise a fait de la Sierra Leone « un havre de paix, de stabilité, de
sécurité », grâce à une partition administrative claire et hiérarchisée entre sujets britanniques d’une
part et « noirs nègres indigènes sauvages de la brousse » d’autre part ; Ahmadou Kourouma, op.
cit., p. 163-164.
XXX. Grand reporter français, lauréat du prix Albert Londres en 1985, journaliste au Point puis
à L’Express, il est actuellement directeur de rédaction à L’Expansion.
XXXI. Alain Louyot, Les Enfants soldats, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2007 (1989), p. 15.
XXXII. Ibid., p. 77-82.
XXXIII. Ibid., p.79 et p. 15-17.
XXXIV. Ibid., p. 16.
XXXV. « Le plus marrant c’est que, parmi ces enfants-soldats, il y a des filles, oui des vraies
filles qui ont le kalach, qui font le faro avec le kalach » (Ahmadou Kourouma, op. cit., p. 54) ;
« les filles étaient des enfants-soldats comme nous » (ibid., p. 185-186).
XXXVI. Alain Louyot, op. cit., p. 78.
XXXVII. Jeffrey Gettleman, « Enquête sur une tragédie africaine », The New Yorker, cf.
Courrier international n° 872, du 19 au 25 juillet 2007, p. 32-33.
XXXVIII. Secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique dans l’administration Reagan de 1981 à
1989.
XXXIX. « Même le génocide rwandais – quelque terrifiant qu’il ait pu être – se conformait au
modèle familier d’une lutte de pouvoir entre deux groupes ethniques », explique Jeffrey
Gettleman. Modèle d’autant plus familier aux Occidentaux que ce sont eux qui l’ont imposé, pour
leur propre confort. Forcément : si les Africains ont vocation à se dévorer les uns les autres, les
Hutu massacrent les Tutsi à proportion de ce que les Tutsi massacrent les Hutu, et ainsi le « double
génocide » (fable négationniste) en vient à apparaître lui-même comme un processus naturel.

Chapitre 7
I. Paul Richards, Fighting for the Rain Forest : War, Youth & Resources in Sierra Leone,
Portsmouth, N. H., Heinemann, 1996.
II. Allison James, Chris Jenks et Alan Prout, Theorizing Childhood, New York, Teachers
College Press, 1998.
III. Mary Douglas, Purity and Danger : An Analysis of Pollution and Taboo, London, Routledge
& Kegan Paul, 1966.
IV. Enfants-soldats est écrit ici entre guillemets pour souligner qu’il s’agit d’une catégorie
culturelle et non d’un terme objectif qui pourrait être utilisé pour une définition scientifique de la
population des jeunes dans les groupes armés.
V. Betancourt, T-S, Brennan R., Rubin-Smith J., Fitzmaurice R., & Gilman S.E., « Sierra
Leone’s former child soldiers : a longitudinal study of risk, protective factors, and mental health »,
Journal Am.Acad.Child Adolesc.Psychiatry, 49, 2010, p. 606-615 ; Mouzayan Osseiran-
Houbballah, L’Enfant-soldat, Paris, Odile Jacob, 2003.
VI. Brandon Kohrt et al., « Comparison of mental health between former child soldiers and
children never conscripted by armed groups in Nepal », JAMA, 300, 2008, p. 691-702.
VII. Selon la définition de Arthur Kleinman, « Anthropology and psychiatry. The role of culture
in cross-cultural research on illness », The British Journal of Psychiatry, 151, 1987, p. 447-454.
VIII. Émilie Medeiros, « Child soldiers and their subjectivity. What they have to say ? » in
« Special issue on Child soldiers », Journal of child and adolescent trauma (sous presse).
IX. Clifford Geertz, « Toward an Interpretive Theory of Culture » in The Interpretation of
Cultures : Selected Essays, p. 3-30, New York, Basic Books ; Roland Littlewood, « The
antinomian hasid », B. J Med. Psychol., 56, 2002.
X. Mats Utas Sweet Battlefield, Upsala University, 2003 ; Alcinda Honwana, Child soldiers in
Africa, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2006.
XI. Source INSEC (2009).
XII. Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie de la subjectivité. Dans cette ligne
de pensée, la subjectivité constitue le fondement de l’expérience et est appréhendée autant dans le
prisme de réalités collectives que dans la traduction individuelle de ces réalités. La subjectivité naît
ainsi au sein des expériences culturelles, des symboles et des interactions sociales du monde local
de l’individu. Cf. Biehl, J., Good, B., & Kleinman, A., Subjectivity : ethnographic investigations,
Berkeley, University of California Press, 2007.
XIII. Les trois axes présentés sont extraits d’une modélisation plus large sur les positions
subjectives de l’échantillon étudié. Chaque axe représente une thématique transversale dans les
positionnements des jeunes. Ils sont structurés de manière dialectique, dont chaque extrémité du
spectre est présentée dans ce texte.
XIV. Roland Littlewood, op. cit.
XV. Punamaki, R-L, « Can ideological commitment protect children’s psychological well-being
in situations of political violence ? “, Child Dev., 67, 1996, p. 55-69.
XVI. Émilie Medeiros, « Child soldiers and their subjectivity. What they have to say ? » in
« Special issue on Child soldiers », Journal of child and adolescent trauma (sous presse).
XVII. West a pu trouver des processus similaires auprès des jeunes filles du RENAMO en
Mozambique : Harry West, « Girls with Guns : Narrating the Experience of War of FRELIMO’s
“Female Detachment” », Anthropological Quarterly, 73, 2000, p. 180-194.
XVIII. Mats Utas, op. cit. ; Susan Shepler, Conflicted Childhoods : Fighting over Child Soldiers
in Sierra Leone, University of California, Berkeley, 2005.
XIX. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », in Raisons pratiques, Sur la théorie de
l’action, Paris, Le Seuil, 1994, p. 67-72.
XX. Émilie Medeiros, « Integrating mental health into post-conflict rehabilitation : the case of
Sierra Leonean and Liberian “child soldiers” », Journal of Health and Psychology, 12, 2007,
p. 498-504.
XXI. David Rosen, Armies of the Young : Child Soldiers in War and Terrorism, New Brunswick,
Rutgers University Press, 2005.
XXII. Les figures proposées sont : le terroriste, l’insurgé, le partisan, et le corps professionnel
organisé ; Sophie de Mijolla-Mellor, La Mort donnée. Essai de psychanalyse sur le meurtre et la
guerre, Paris, PUF, 2011.
XXIII. Harry West, « Girls with Guns : Narrating the Experience of War of FRELIMO’s
“Female Detachment” », art. cit.
XXIV. Derek Summerfield, « The Social Experience of War and Some Issues for the
Humanitarian Field », in P. J. Bracken et C. Petty (dir.), Rethinking the Trauma of War, London,
Free Association Books, 1998, p. 9-37.

Chapitre 8
I. Isabelle Vichniac, « La “douce mort” des enfants soldats », Le Monde, 15 juillet 1983 et le
témoignage anonyme « Les enfants massacrés », Le Monde, 24 mars 1884. Voir aussi les journaux
télévisés du 6 mai 1982, A2, 20h, et notamment le reportage consacré aux enfants iraniens
combattants, entre dix et quinze ans, prisonniers en Irak, 7 mars 1984, Midi 2, Archives INA.
II. Farideh Farhi cite une dépêche de l’AFP du 13 mars 1998 dans laquelle Mohammad Hasan
Rahimian, alors directeur de la Fondation des Martyrs, avance que 72 % des combattants morts
avaient entre 14 et 24 ans, et que 7 000 avaient moins de 14 ans. Farideh Farhi, « The Antinomies
of Iran’s War Generation », in Lawrence G. Potter et Gary Sick, Iran, Iraq, and the Legacies of
War, Palgrave Macmillan, 2004, p. 116.
III. Le « droit de Genève » est composé d’une série de traités internationaux définissant les
règles de protection des droits de la personne en cas de conflit armé. L’article 77 du protocole
additionnel I aux Conventions de Genève (1977) aborde explicitement la protection des enfants
dans les conflits armés. Cet article prévoit que « les parties au conflit [doivent prendre] toutes les
mesures possibles dans la pratique pour que les enfants de moins de quinze ans ne participent pas
directement aux hostilités, notamment en s’abstenant de les recruter dans leurs forces armées ».
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des
victimes des conflits armés internationaux, protocole 1, 8 juin 1977, article 1977.
IV. Saskia Gieling, Religion and War in Revolutionnary Iran, IB Tauris, London NY, 1999.
V. Le CICR parle de « règle morale universelle d’une exceptionnelle importance », voir à ce
sujet Paul Tavernier, « La guerre du Golfe - quelques aspects de l’application du droit des conflits
armés et du droit humanitaire » in Annuaire français du droit international, vol. 30, 1984, p. 43-
64.
VI. Dans des reportages de la télévision iranienne, des enfants ont été interviewés sur le front.
Ils racontent qu’ils ont suivi une formation idéologique, mais le caméraman ne les filme pas en
train de se battre. http://www.youtube.com/watch?v=mkXdXqHqkds&NR=1
Dans un autre reportage, un enfant raconte comment il a rejoint son grand frère dans un
bataillon. On le voit devenu plus la mascotte du groupe militaire qu’un combattant.
http://www.youtube.com/watch?v=0JW-8beKR4s
VII. On peut voir dans un extrait de Revayat-e fath, un enfant qui s’obstine à monter dans un bus
d’engagés : http://www.youtube.com/watch?v=pimHRybIO_o. Néanmoins, l’un des principaux
chefs opérateurs de la série, Mostafâ Dâla’i affirme n’avoir jamais vu d’enfant-combattant durant
la guerre. Entretien du 2 mai 2006, Téhéran.
VIII. 1981 correspond au premier film de guerre tourné en Iran et 1989 correspond à la date de
réalisation de films écrits durant la guerre mais qui sortent à la fin du conflit. Sur les films de
guerre se référer à Ma’sud Farâsati, Bist-o panj sâl-e sinemâ ye irân. Sinemâ-ye jang va defâ’ e
moqqadas, Muze-ye sinemâ-ye irân va bonyâd sinema-ye fârâbi, Tehrân, 1382/2004.
IX. Jeanine Basinger, The World War II Combat Film : Anatomy of a Genre, Wesleyan
University press, 2003.
X. Alain Kleinberger, « Ruptures narratives, catharsis ou convention : représentation de la mort
dans les films de guerre américains (1942-1945), in David Lescot et Laurent Véray (dir.), Les
mises en scène de la guerre au XXe siècle, Théâtre et cinéma, Nouveau Monde, Paris, 2011, p. 185-
205.
XI. Saskia Gieling, op.cit.
XII. Il fait suite à un film que Nâderi vient tout juste de finir, La Recherche [Josteju, 1979] sur
les disparus de la révolution.
XIII. À la recherche d’une forme cinématographique qui pourrait rendre compte du traumatisme
qu’ont vécu les Iraniens, Amir Nâderi pense la caméra et la prise d’image comme des outils pour
comprendre la réalité de la guerre. Il se réfère à la démarche de Roberto Rossellini dans Rome ville
ouverte et Allemagne année zéro. Entretien avec Amir Nâderi, 30 août 2008, Venise.
XIV. Par exemple, dans une séquence du film, une vieille femme court devant un char irakien
qui menace de l’écraser. Cette femme a accepté de jouer cette scène car elle l’avait vécue quelques
jours auparavant. Elle rejoue devant la caméra de Nâderi ce qu’elle connaît intimement.
XV. Le second, plus âgé, a davantage l’âge d’un adolescent.
XVI. Sur les conditions de production et sur la censure cinématographique exercée à cette
époque : Agnès Devictor, Politique du cinéma iranien, de l’âyatollâh Khomeyni au président
Khâtami. Paris, Éd. du CNRS, 2004.
XVII. Entretien, op. cit.
XVIII. Entretien avec E. Hâtamikiâ, du 17 janvier 2007, Téhéran.
XIX. On estime à plus de trois millions, le nombre de volontaires qui ont bénéficié d’un
entraînement dans le basij au cours de la guerre. Seul un tiers des basiji aurait participé à des
actions militaires en premières lignes. Le recrutement de volontaires devait permettre d’avoir en
permanence au moins 50 000 basiji sur le front, et de doubler cet effectif pendant les offensives.
Voir S. Chubin et C. Tripp, Iran and Iraq at War, Westview Press, 1988, et Dilip Hero, The
Longuest War : the Iran-Iraq military Conflict, Rootledge, 1991, p. 75.
XX. Asghar Schirazi, The Constitution of Iran, Politics and State in the Islamic Republic, I. B.
Tauris, 1997, p. 10.
XXI. Sepehr Zabih, The Iranian Military Revolution and War, Rootledge, London, 1988, p. 220.
XXII. Rappelons que Clauswitz s’est engagé à douze ans dans la guerre et qu’il devient
lieutenant à quinze ans, in Préface de Gérard Chaliand à De la guerre de Carl von Clauswitz,
Perrin, réédition 2006, p. 8.
XXIII. Dans un entretien (Téhéran, 22 janvier 2008) le chef de la section du basij de l’aéroport,
M. Rouzgard, se souvient de son engagement : « J’ai voulu aller au front en prenant le train, pour
fuir la routine ».
XXIV. Une autobiographie raconte comment un enfant de douze ans s’est vu contraint par la
pression de sa propre mère à s’engager dans la guerre, inJe n’ai plus de larmes pour pleurer, Récit
recueilli par Freidoune Sahebjan, Grasset, 1985.
XXV. Ce systématisme a même entraîné Kamâl Tabrizi à intégrer une séquence singeant ce
dispositif dans la première comédie de guerre de l’histoire du cinéma iranien Leili est avec moi
[Leili bâ man ast, 1996]. Voir Agnès Devictor, « Percée comique sur le front de la guerre Iran-Irak,
Leili est avec moi (Kamâl Tabrizi, 1996), in D. Lescot et L. Véray (dir.), Les mises en scène de la
guerre au XXe siècle, Théâtre et cinéma, Nouveau Monde, Paris, 2011, p. 491-508.
XXVI. Saskia Gieling, op. cit., p. 119.
XXVII. Paul Tavernier, op. cit, p. 57.
XXVIII. Rohollâh Khomeyni, Dar josteju-ye râh az kalâm-e imâm : shâhid va shohâda. Az
bayânat va e’lâmiya-hâ-ye imâm khomeyni az sâl 1341 tâ 1361, vol. 4., Téhéran, Amir Kabir,
1370/1991, p. 27.
XXIX. Juridiquement, d’après la doctrine classique générale et dans la tradition historique, le
djihâd consiste dans l’action armée en vue de l’expansion de l’Islam et éventuellement de sa
défense. Il procède du principe fondamental d’universalisme de l’Islam ; voir E. Tyan, « Djihâd »,
Encyclopédie de l’Islam, Leyde, Brill, Maisonneuve et Larose, 1960-2003, t. 2, p. 551.
XXX. Dans Deux yeux sans vue (Dow cheshm-e bi su, 1983), Mohsen Makhmalbâf met en
scène le recrutement des enfants dans les écoles, de façon très valorisée. Un jeune aveugle est ainsi
traumatisé de ne pas pouvoir s’engager.
XXXI. Agnès Devictor, « Du cadavre au martyr ou la représentation de la mort dans la presse
iranienne lors de la guerre Iran-Irak », in A. Rabatel et M-L. Florea, (dir.), « Re-présentations non-
fictionnelles de la mort dans les médias », Questions de communication, n° 11, automne 2011 (à
paraître).
XXXII. Il est le fils de ‘Ali et de Fatima, fille du prophète. Le Troisième Imam pour les chiites.
XXXIII. Plus généralement nommé Abolfazl ou Abolfazl al Abbas.
XXXIV. Yann Richard, L’islam chiite, Croyances et idéologies, Paris, Fayard, 1991, p. 45-46.
XXXV. Jean-Pierre Digard, Bernard Hourcade et Yann Richard, L’Iran au XXe siècle, Paris,
Fayard, 1996, p. 161.
XXXVI. Sasakia Gieling, op. cit.
XXXVII. Sur la perception de la guerre en Bataille de Kerbalâ par les combattants volontaires,
se référer à Éric Butel, Le martyr dans les mémoires de guerre iraniens. Guerre Iran-Irak (1980-
1988), thèse en Langues et civilisation orientales, INALCO, 2000.
XXXVIII. Peter J. Chelkowski (dir.), Ta’zieh. Ritual and Drama in Iran, New York University
Press and Soroush Press, 1979.
XXXIX. Cette double lecture s’inscrit aussi dans une tradition forte de la philosophie et de la
mystique chiite. Voir Mohammad-Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet, Qu’est-ce que le
shî’isme ?, Paris, Fayard, 2004.
XL. Le rouge annonce aussi le carnage et le vert, couleur de l’islam et du Mahdi, 12e imam en
occultation (l’imam caché) qui reviendra quand la justice sera rendue. Quand les basiji utilisent
dans la guerre ces deux couleurs, le rouge ne symbolise pas l’ennemi, mais renvoie à l’idée du
passé (au drame de Kerbalâ) et le vert à l’avenir (à la parousie). « Pour les basiji, la révolution
islamique est un oiseau à deux ailes, l’une rouge, traditionnellement celle de l’imam Hoseyn et
l’autre verte de l’avenir, celle du Mahdi » ; entretien avec le réalisateur Mehran Tamadon, 30 août
2007, lors de la préparation de son film Basiji [2009].
XLI. Laleh Taghian, Ta’zieh, Markaz honarhâ-ye namâyesh-e jomhuri eslâmi-e irân, Tehrân,
tabestan 1370 (été 1991), p. 2.
XLII. Rappelons que le martyre n’est pas la mort. Dans le Coran, les martyrs sont les
combattants d’Allah tombés pour faire triompher la foi, la justice (le haqq). S’ils atteignent le
paradis par cet acte, ils ne sont pas pour autant considérés comme morts. « Ne crois surtout pas que
ceux qui sont tués sur le chemin de Dieu sont morts, ils sont vivants » (Coran, III-169, La Famille
d’Imran). « Ne dites pas de ceux qui sont morts dans le chemin de Dieu “Ils sont morts”. Non ! Ils
sont vivants, mais vous n’en n’avez pas conscience » (Coran II-154, La Vache).
XLIII. Cheikh Abbâs Ghomi, Nafass’ol mahmoun ou la tragédie de Kerbalâ, traduit par Farideh
Mahdavi-Damchani, Ed. Ansarian, Qom, Iran, 2007, p. 221.
XLIV. Ibid.
XLV. Sadeq Humayuni, « An Analysis of the Ta’ziyeh of Qasem », in P. Chelkowski, op. cit., p.
12-23.
XLVI. Le titre du film désigne le lieu mythologique, Ninâvâ, où a eu lieu le carnage de Kerbalâ.
XLVII. Soulignons que si Mollâqolipur signe ces deux films inspirés de la mythologie chiite,
cela ne l’empêche pas par la suite d’en réaliser d’autres sur la guerre, détachés de toute référence à
Kerbalâ, comme La Barque sur l’autre rive [Balam besuye sahel,1986]. Jusqu’à sa mort, en 2008,
la guerre Iran-Irak imprégnera toute son œuvre.

Chapitre 9
I. Ce chapitre est la version remaniée d’un article publié précédemment dans la revue Vingtième
siècle, n° 89, janvier-mars 2006.
II. Francis Pisani, Muchachos : Nicaragua, journal d’un témoin de la révolution sandiniste,
Paris, Ed. Encre, 1980.
III. J’emprunte cette expression à Luisa Passerini : « La jeunesse comme métaphore du
changement social. Deux débats sur les jeunes : l’Italie fasciste, l’Amérique des années 1950 », in
G. Levi et J.-C. Schmidt (dir.), Histoire des jeunes en Occident, Paris, Seuil, 1994, tome I, p. 339-
408.
IV. Il fallut attendre 1987 pour que soit redonné un statut de région autonome aux deux
départements de la côte atlantique. Un fort bon résumé de la Moskitia se trouve dans le manuel de
German Romero Vargas, Historia de la Costa Atlantica, Managua, CIDCA-UCA, 1996 ; ainsi que
dans son ouvrage, Las sociedades del Atlantico de Nicaragua en los siglos XVII y XVIII, Managua,
Banco Nicaraguense, 1995.
V. Le film fut produit en 1985 par Werner Herzog lui-même comme à son habitude. Cadrées
autrement, les photographies reproduites dans le Nouveau Journal avaient auparavant été publiées
dans Die Ziet daté du 2 novembre 1984, et ce avec un cliché d’Yves Billon paru dans Le Nouvel
Observateur du 4 mai 1984.
VI. Il s’agit de la guérilla avant tout miskitue, Miskitu Sumu Rama, qui tira son nom de celui
des trois ethnies amérindiennes de la Moskitia nicaraguayenne.
VII. Comme l’explique Werner Herzog au début de son entretien, Denis Reichle, coauteur du
film, fut « membre des bataillons d’enfants et de vieillards que Hitler employait pour la défense de
Berlin dans les derniers jours de la guerre ».
VIII. Il s’agit de l’armée de Somoza renversée par la révolution sandiniste du 19 juillet 1979.
IX. Voir Jean Michel Caroit et Véronique Soulé, Nicaragua, le modèle sandiniste, Paris, Le
Sycomore, 1981, p. 173-175.
X. Je renvoie ici aux études que j’ai faites de ce massacre : Gilles Bataillon, « Le Nicaragua et
les Indiens Miskito », Esprit, juillet-août 1982, p. 145-152 ; id., « Le Nicaragua et les Indiens de la
côte atlantique », Esprit, juillet 1983, p. 146-161.
XI. Werner Herzog grossit la durée de son séjour dans les maquis de Misura et transforme les
lieux où il a séjourné effectivement : les visas délivrés à l’époque par les autorités honduriennes
n’étaient valides qu’un mois et un séjour aussi long aurait posé de nombreux problèmes
logistiques. Il réalisa donc très probablement son tournage en quelques semaines, pour ne pas dire
en quelques jours. En outre, la base où sont tournées les images du film, le Centro de instruccion
militar, fut bien située au Honduras, non loin de la maison de bambou de Fagoth, pompeusement
nommée la casa blanca (maison blanche).
XII. Ces chiffres m’ont été fournis par le bureau de la CIAV-OEA à Managua en 1991. Samuel
Kittlé-Borge, l’un des principaux responsables de la guérilla miskitue, m’a confirmé leur validité.
Il travailla d’ailleurs par la suite avec la CIAV-OEA au programme de suivi de la démobilisation et
de la réinsertion des guérilleros.
XIII. J’ai puisé dans la centaine d’entretiens réalisés entre 1997 et 2004 avec différents anciens
guérilleros et d’autres habitants de la Moskitia nicaraguayenne.
XIV. J’ai décrit, à partir d’entretiens avec les anciens guérilleros miskitus, l’ambiance de ces
premiers entraînements dans Gilles Bataillon, « Comandantes, état-major et guérilleros : jeux de
pouvoir à l’intérieur de la guérilla miskitue (Nicaragua 1981-1984) », Cahiers des Amériques
latines, 36 (1), 2001, p. 127-159.
XV. Cela concerne une bonne trentaine de milliers de personnes.
XVI. Gilles Bataillon, « D’une catastrophe à l’autre dans la Moskitia : de l’après-guerre à
l’après-Mitch sur les rios Wangki et Coco », Journal de la société des américanistes, 88, 2002, p.
260-278.
XVII. On trouvera une description de ces aides, dont bénéficièrent avant tout les contras
hispanophones, dans le livre de Roy Gutman, Banana Diplomacy. The Making of American Policy
in Nicaragua (1981-1987), New York, Simon & Schuster, 1988.
XVIII. Voir Ethnographical Survey of Miskito and Sumu Indians of Honduras and Nicaragua,
Washington, Bureau of American Ethnology, 1932, p. 115.
XIX. Ce messianisme a tous les traits de ceux analysés par Wilhelm E. Mühlmann et ses
collaborateurs dans Wilhelm E. Mühlmann (dir.), Messianismes révolutionnaires du tiers-monde,
Paris, Gallimard, 1968 (traduit de l’allemand par Jean Baudrillard).
XX. Je reprends ce propos de Marcel Mauss, « Fragments d’un plan de sociologie générale
descriptive », Annales sociologiques, 1934, rééd. in Marcel Mauss, Œuvres, Victor Karady (éd.),
Paris, Éditions de Minuit, 1969, tome III, p. 303-358.

Conclusion
I. Jean-Hervé Jézéquel, « Les enfants soldats d’Afrique, un phénomène singulier ? Sur la
nécessité du regard historique », Vingtième siècle, Revue d’histoire, n° 89, janvier-mars 2006,
p. 101.
Bibliographie

Sources, témoignages et œuvres littéraires

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Éditions Verticales, 2007.
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traduit de l’anglais par J. Martinache, Paris, Presses de la Cité, 2008
[2007].
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Ouvrages spécialisés

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d’histoire culturelle, Paris, Armand Colin, 1996.
BARROIS, Claude, Les Névroses traumatiques, Paris, Dunod, 1998.
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FITZMAURICE, G. M., & GILMAN, S. E., « Sierra Leone’s former
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72.
Les auteurs
Farid AMEUR
Docteur en histoire de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, Farid
Ameur est spécialiste des États-Unis. Ses recherches portent sur l’histoire
de la construction nationale américaine, notamment sur la guerre civile,
l’immigration et la conquête de l’Ouest. Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages, dont La Guerre de Sécession (PUF, 2004), « La Victoire ou la
Mort ! » Les derniers jours de Fort Alamo (Larousse, 2007), Le Ku Klux
Klan (Larousse, 2009), Sitting Bull, héros de la résistance indienne
(Larousse, 2010), Philippe d’Orléans, comte de Paris. « Voyage en
Amérique, 1861-1862 » : un prince français dans la guerre de Sécession
(Perrin, 2011) et La Guerre de Sécession : images d’une Amérique
déchirée (François Bourin, 2011).
Gilles BATAILLON
Sociologue, directeur d’études à l’EHESS, membre du Centre d’études
sociologiques et politiques Raymond Aron, professeur associé à la
Division d’histoire du CIDE (Mexico), Gilles Bataillon est l’auteur de
différentes études sur les phénomènes politiques latino-américains
publiés dans les revues suivantes, les Annales, Esprit, Istor, le Journal de
la société des américanistes et Problèmes d’Amérique latine, ainsi que
des ouvrages suivants : Genèse des guerres internes en Amérique
centrale (1960-1983), Paris les Belles Lettres, 2003 ; Enquête sur une
guérilla (Nicaragua 1982-2007), Paris, Le Félin 2009 ; (avec Hamit
Bozarslan et Christophe Jaffrelot), Les Passions révolutionnaires, Paris,
Éditions de l’EHESS, 2011.
Quentin DELUERMOZ
Maître de conférences en histoire à l’Université Paris XIII (CRESC),
Quentin Deluermoz travaille sur l’histoire sociale et culturelle des ordres
et des désordres au XIXe siècle, à travers deux chantiers : les relations
police-société dans les grandes capitales occidentales et coloniales ; le
moment communard en 1871. Il a récemment publié « Norbert Elias et le
XXe siècle : le processus de civilisation à l’épreuve », numéro spécial,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 106, avril 2010. Sont à paraître :
avec J. Foa (dir.), Usurpations de fonctions et appropriation du pouvoir
en situation de crise, éditions du CRH du 19e siècle (en ligne) ; Policiers
dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914),
publications de la Sorbonne.
Agnès DEVICTOR
Agnès Devictor est maître de conférences à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d’études et de recherche en
histoire et esthétique du cinéma (CERHEC). Docteur en science
politique, elle est notamment l’auteure de Politique du cinéma iranien, de
l’âyatollâh Khomeyni au président Khâtami (Éditions du CNRS, 2004).
Elle a dirigé entre 2006 et 2009 le programme « Cinéma-Image » de
l’Institut français de recherche en Iran (IFRI) et a organisé différentes
manifestations scientifiques en Iran comme La croyance, le cinéma, le
sacré (2007), Guerre Iran-Irak, guerres en Afghanistan, quelles images ?
(2008). Ses recherches portent actuellement sur les films de guerre
tournés en période de conflit, notamment durant la guerre Iran-Irak
(1980-1988) et les guerres en Afghanistan depuis 1989.
Charlotte LACOSTE
Ancienne élève de l’École normale supérieure, agrégée de lettres
modernes, Charlotte Lacoste est docteur en sciences du langage et
littérature comparée (Universités Paris VII Saint-Denis et Paris Ouest
Nanterre). Elle est l’auteur de Séductions du bourreau (PUF, 2010), un
essai consacré à la figure du meurtrier de masse dans la littérature
française contemporaine. Sa thèse, Le témoignage comme genre littéraire
en France, de 1914 à nos jours, est en cours de publication.
Émilie MEDEIROS
Psycho-criminologue, formée à l’anthropologie médicale, Émilie
Medeiros poursuit actuellement un doctorat en co-tutelle à University
College London et à l’université de Rennes II. Sa thèse est une
ethnographie clinique sur la construction subjective des « enfants-
soldats » du Népal. Depuis 2003, elle intervient au sein de programmes
de santé mentale et de protection de l’enfance survenant à la suite de
conflits armés. Elle est également consultante sur la problématique de la
réhabilitation et la réintégration (D.D.R.) des enfants-soldats et autres
victimes de guerre pour des organisations internationales, telles que la
Cour pénale internationale et l’UNICEF. Son travail s’est principalement
effectué en Sierra Leone, au Libéria, en Guinée et au Népal.
Manon PIGNOT
Ancienne élève de l’École normale supérieure de Fontenay/Saint-
Cloud, Manon Pignot est maître de conférences en histoire
contemporaine à l’Université de Picardie Jules Verne (laboratoire
CHSSC) et membre du centre de recherches de l’Historial de la Grande
Guerre de Péronne. Ses travaux portent sur les expériences de guerre
enfantines au XXe siècle. Elle a récemment publié Allons enfants de la
Patrie. Génération Grande Guerre (Le Seuil, 2012).
Alejandro M. RABINOVICH
Docteur en histoire et civilisation de l’EHESS et ancien allocataire de
recherche du CEHD, Alejandro M. Rabinovich réside actuellement en
Argentine, où il est maître de conférences (UNLPam) et chercheur post-
doctoral (CONICET). Sa thèse, intitulée La société guerrière. Pratiques,
discours et valeurs militaires au Río de la Plata, 1806-1852, à paraître
aux Presses Universitaires de Rennes, a reçu en 2010 le prix d’Histoire
militaire. Spécialiste du fait guerrier dans des situations de crise
révolutionnaire, il participe au programme de recherches
interdisciplinaires « Le fait guerrier et les violences armées. Politique,
stratégie, sociétés » (EHESS, Paris) et au programme ERC « State
Building in Latin America, 1820-1870 » (Universitat Pompeu Fabra,
Barcelone). Ses travaux les plus récents peuvent être consultés sur
http://sociohistoricos.org/integrantes/rabinovich/.
Nicholas STARGARDT
Professeur d’histoire européenne contemporaine et Fellow de
Magdalen College à Oxford, Nicholas Stargardt est l’auteur de The
German Idea of Militarism : Radical and Socialist Critics (1994), une
histoire politique et intellectuelle des mouvements antimilitaristes en
Allemagne avant la Première Guerre mondiale, et de Witnesses of War :
Chilrden’s Lives under the Nazis (2005) qui présente la première histoire
sociale de l’Allemagne nazie à travers le regard des enfants. Il achève
actuellement une nouvelle histoire sociale de l’Allemagne dans la
Seconde Guerre mondiale.
Laure WOLMARK
Psychologue clinicienne et psychothérapeute, Laure Wolmark exerce
actuellement en France au Comede (Comité médical pour les exilés),
après avoir travaillé pour Médecins sans Frontières comme référente sur
les questions de violence, particulièrement dans les zones de conflit. Ses
activités cliniques et de recherche au sein de structures associatives
portent sur les répercussions psychiques de l’exil et des traumatismes.
Elle a notamment publié « Portraits sans visages, des usages
photographiques de la honte » dans la revue Science et media en
novembre 2010.
Le projet « Enfance Violence Exil »
« EVE » présente des collections et des travaux relatifs à l’expérience
enfantine de la guerre, de la Première Guerre mondiale à l’aube du
XXIe siècle.
Les différentes études proposées sont accessibles par conflit (accès
chronologique), mais aussi selon les regards portés sur l’enfance en
guerre : celui de l’enfant quand il dessine, raconte ; celui que porte
l’adulte (par exemple Françoise et Alfred Brauner, témoins du siècle) sur
l’enfant qui dessine ; celui de l’adulte que l’enfant est devenu dans des
témoignages rétrospectifs ; le regard dont les œuvres à destination de la
jeunesse sont porteuses, quand l’enfant est devenu lecteur. Ces différents
points de vue dont se jouent les représentations éclairent de manière
originale l’histoire des conflits.
En plus de ces parcours, sont proposés dans la Bibliothèque des
collections de dessins, des archives sonores (témoignages de témoins-
acteurs et écrivains), et des recueils d’articles de chercheurs consacrés
aux enfances en guerre et à leurs représentations. Pour ceux qui désirent
approfondir la recherche, une Bibliographie et les Colloques et
séminaires du projet EVE sont également disponibles sur le site sous
forme de vidéos et de textes.
Le projet Enfance Violence Exil est réalisé avec le soutien de l’Agence
nationale pour la recherche (ANR), programme « Enfants et enfance »,
édition 2009.

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