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Collection « Trames »

dirigée par Bernadette Allain-Launay


et Serge Vallon

L’objectif de la collection est de constituer une « biblio-


thèque de travail » des professionnels du champ social
et médico-social. Elle propose des synthèses de connais-
sances, des outils de réflexion et d’analyse, toujours réfé-
rés à la pratique professionnelle, selon notamment trois
axes : les publics de l’intervention sanitaire et sociale, les
structures et les modes de prise en charge, les pratiques
éducatives.

Dernier paru

Thierry Rofidal et Concetta Pagano


Projet individuel et Stimulation basale®

Voir la collection complète en fin d’ouvrage.


Découvrir
les déficiences intellectuelles
Du même auteur

Une sexualité pour les personnes handicapées. Réalité,


utopie ou projet ?, Chronique sociale, 2014

Le lecteur accompagné. Répondre aux difficultés de


lecture (avec Bruno Avitabile), Chronique sociale, 2014

Comment élever un enfant sans se (le) jeter par la


fenêtre, Chronique sociale, 2006

Comprendre la sexualité de la personne handicapée


mentale. État des lieux et perspectives, Chronique
sociale, 2003

Vivre la sexualité. Encyclopédie illustrée (avec Daniel


Balvet), Chronique sociale, 2002

Accompagner l’enfant trisomique, Chronique sociale,


1997
Denis Vaginay

Découvrir
les déficiences intellectuelles

Trames
Conception de la couverture :
Anne Hébert

ISBN : 978-2-7492-6146-1
CF – 1500
© Éditions érès, 2018
(Nouvelle édition revue et augmentée, 1re édition 2005)
33, avenue Marcel Dassault, 31500 Toulouse
www.editions-eres.com

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Avant-propos à la nouvelle édition

Découvrir les déficiences intellectuelles suppose


un cheminement. Les étapes du parcours que nous
proposons sont variées. Les unes apparaissent
familières, les autres sont plus surprenantes.
La déficience est un manque. Elle pourrait évoquer
la fragilité et entraîner systématiquement une atti-
tude de protection et de sollicitude à l’égard de
ceux qui en souffrent. Or, il n’en est rien. La défi-
cience est avant tout une différence, même si elle
peut être ténue.
Différente, la personne déficiente est d’abord un
étranger, d’autant plus difficile à intégrer qu’elle
émane de la communauté.
Les parents sont les premiers à être plongés dans
cette réalité, souvent très précocement, dans leur
rencontre avec un enfant inattendu. Comme ils
en témoignent eux-mêmes, ils sont profondément
8 Découvrir les déficiences intellectuelles

déstabilisés, au point que le monde entier leur


semble soudain bouleversé et chaotique. Ils devront
se reconstruire psychiquement, au cours d’un
processus plus ou moins long et ardu, sans jamais
retrouver leur état initial. Mais tout le monde est
concerné par un choc identitaire provoqué par la
rencontre, et chacun n’en sort qu’en ayant recours
au soutien du groupe qui lui propose de nombreux
aménagements collectifs. Ces stratégies, comme
les représentations collectives, varient d’un pays à
l’autre et évoluent au fil du temps.
La première partie de cet ouvrage (chapitres 1 et 2)
nous présente ces variations un peu complexes
qui nous permettront de mieux cerner les enjeux
éthiques entraînés par la déficience. La seconde
partie (chapitres 3 à 5), plus aisée, aborde les multi-
ples rencontres possibles avec les personnes défi-
cientes et analyse les particularités de celles-ci.
1

Repères historiques et sociaux

Parler des déficiences intellectuelles plutôt que de


handicap, c’est choisir de restreindre le champ de
celui-ci. Utiliser le pluriel plutôt que le singulier,
c’est indiquer d’emblée que l’on a affaire à un
sujet composite, qui se déclinera dans la diversité.
Malgré ces précautions, nous n’échapperons ni à la
nécessité ni à la difficulté de mieux définir l’objet
de notre étude. En effet, bien qu’elle semble fami-
lière au commun, la notion de handicap est relati-
vement complexe, au point qu’elle ne donne lieu à
aucune définition stable et que quiconque l’aborde
essaie d’en proposer une de son cru.
La notion de handicap n’est pas volatile. Elle évolue
au fil du temps et des lieux, et renvoie, d’emblée, à
la rencontre entre le handicapé et celui qui le définit
10 Découvrir les déficiences intellectuelles

comme tel. Elle suppose donc une norme, une réfé-


rence à celle-ci et un positionnement normatif. Plus
ce dernier est subjectif, et plus il sera difficile d’ar-
rêter collectivement une définition catégorique.
Nous sommes, vraisemblablement, dans un temps
de faillite de la norme, où chacun doit d’abord
compter sur lui-même pour établir une réalité.
Le handicap n’échappe pas à ce contexte ; peut-
être lui sert-il même, comme nous le verrons, de
contrepoint.
Malgré tout, notre époque individualiste, ou plutôt
de solitude, n’a pas réussi à abolir l’assujettisse-
ment de l’individu au système de pensée domi-
nant : celui du groupe social auquel il appartient.
Le système de pensée est un concept que l’on doit
à Michel Foucault 1. Il désigne l’ensemble des
schémas et des représentations qui n’appartiennent
pas à la psyché des individus, mais à l’ensemble
social. Les systèmes de pensée s’inscrivent dans un
déroulement historique qu’ils définissent en retour.
Chacun d’entre eux construit des objets différents
à partir de données déjà là. Ainsi, à travers les
âges, la notion de handicap reste un concept fluc-
tuant, sans jamais exprimer une quelconque réalité
première et définitive. Le handicap devient un objet
de savoir inscrit dans le monde des représentations

1. M. Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences


humaines, Gallimard, 1966.
Repères historiques et sociaux 11

de chaque société. Représentation parmi d’autres,


il prend des formes infiniment variées, selon la
variété des sociétés qui le pensent.
Quand le système de pensée est stable, il définit
les normes de manière apparemment définitive,
et la psyché individuelle semble se confondre
avec lui : c’est ce qui se passe dans les sociétés
traditionnelles.
Lorsque ce système de pensée est précaire, il se
contente de proposer les normes tout en soutenant
une démarche critique de l’individu à leur égard.
Ces normes ne sont plus proposées comme imma-
nentes mais, au contraire, comme la somme idéale
des désirs et des choix de tous les individus. La
pensée individuelle doit alors se dégager, s’auto-
nomiser et se déployer pour créer une norme que
le système de pensée veut collective. L’ensemble
est instable, la psyché individuelle ne pouvant
jamais tendre à se confondre avec une idée de
psyché collective. Ce fonctionnement caractérise
les sociétés modernes.

LA MORT RÉFÉRENTIELLE
Avant de repérer comment, avec ce fonctionnement
mouvant, se compose la notion de déficience, il est
utile de rappeler quelques jalons historiques en les
comparant, au besoin, à ceux que nous emprunte-
rons à d’autres cultures.
12 Découvrir les déficiences intellectuelles

Il faut situer le tout dans un contexte qui nous


échappe trop souvent aujourd’hui et que l’on oublie
quand on juge des pratiques qui nous paraissent
barbares. Il y a très peu de temps, dans l’histoire de
l’homme, que certaines sociétés ont pu se libérer
du spectre de la faim auquel était irrémédiable-
ment lié celui de la mort, notamment celle des
personnes fragiles : enfants, vieillards, indigents
de tous ordres. Tant qu’elles ne sont pas affranchies
de telles contraintes, les sociétés vivent coincées
entre deux nécessités contradictoires qui condi-
tionnent leur survie : se développer pour préserver
leur identité de groupe et la transmettre en même
temps que leur patrimoine génétique, donc faire
des enfants ; pouvoir se nourrir pour ne pas dispa-
raître, donc limiter le nombre d’enfants en fonction
des conditions réelles d’approvisionnement. Bien
sûr, ces contraintes ne sont pas perçues de manière
strictement objective. Elles dépendent, elles aussi,
du système de pensée évoqué ci-dessus ; mais elles
existent de toute façon, ce qui explique que, de tout
temps, tous les groupes sociaux ont, d’une manière
ou d’une autre, pratiqué une espèce de planning
familial en recourant à toutes sortes de techniques
abortives ou d’infanticides plus ou moins actifs.
Pour avoir une référence de l’incidence de la mort,
prenons l’exemple d’une population d’un pays
d’Afrique de l’Ouest, parmi les plus pauvres de
notre monde actuel. La mortalité infantile y est
Repères historiques et sociaux 13

énorme : un enfant sur quatre meurt avant l’âge de


5 ans. De ces enfants appelés à mourir, la moitié
ne dépassera pas l’âge de 1 an. Signalons aussi que
les plus de 65 ans ne représentent que 3 % de la
population, ce qui permet de relativiser la place du
« sage » vieillard, par rapport à une société dans
laquelle les personnes âgées sont très nombreuses.
La mort est omniprésente. Tout s’y réfère.
Dans de pareilles circonstances, la mort d’un jeune
enfant n’est guère pleurée. Elle s’accompagne d’un
travail de deuil fugitif et donne lieu à des funé-
railles modestes, voire escamotées : ensevelisse-
ment discret (ce qui ne veut pas dire secret, car il
s’effectue en dehors de toute culpabilité), souvent
dans l’espace de vie familial, comme le jardin.
Il n’y a pas si longtemps qu’en France l’Église
catholique se battait pour interdire le lit familial
et collectif, dans lequel tant d’enfants mouraient
étouffés sous couvert d’une sollicitude masquant
mal la volonté homicide. Naguère encore, le
recours assez systématique aux nourrices merce-
naires envoyait à la mort en même temps qu’à
la campagne de nombreux nourrissons citadins.
C’était bien après que Montaigne, si souvent cité à
ce propos, eut témoigné de son peu d’émoi à voir
mourir quelques-uns de ses enfants en bas âge (il
n’en tint pas le compte exact).
14 Découvrir les déficiences intellectuelles

Disons-le quand même : toutes ces sociétés sont


capables d’amour et d’attachement ; aucune ne
voue de haine particulière à ses enfants.
Dans tous les cas, la plupart des enfants faibles
disparaissent certainement dans le flot de ces
multiples petits morts, avant même d’avoir pu être
repérés comme singuliers.
Sous la pression de cette mortalité considérable,
seul va prendre sens ce qui se voit. Pour qu’elle
soit significative et dérangeante, la différence doit
se voir. Ainsi rencontre-t-on, encore de nos jours et
dans nos pays, des parents anxieux faire le tour du
corps de l’enfant nouveau-né, compter ses doigts
et ses orteils et se satisfaire de leur examen dès lors
que l’intégrité physique est respectée. Ces mêmes
parents, généralement d’une autre culture que la
nôtre, peuvent ne pas comprendre un diagnostic de
trisomie 21, par exemple, parce que cette patho-
logie n’entre pas dans le champ de leurs représen-
tations de l’anormalité. À un corps intègre doit
correspondre un être normal, proposition qui peut
s’inverser facilement : un corps mal taillé révèle
un être déviant.
La différence perçue suscite le rejet ou la fascina-
tion, mais ne laisse pas indifférent. Celui auquel
elle apparaît n’a de cesse que de lui donner du sens.
Quête qui sera d’autant plus aisée qu’elle corres-
pondra à une réponse collective anticipée.
Repères historiques et sociaux 15

Ce type de réponse sera globalement de deux


ordres contraires :
– l’effacement (disparition de la scène des
représentations) ;
– le renforcement (singularisation sur la même
scène).

LES DIFFÉRENTES FIGURES DE L’INFIRME


Au fil du temps, les représentations de l’infirmité
vont évoluer, se cristallisant momentanément en
tableaux caractéristiques que nous appellerons des
figures. Chacune d’elles permettra au groupe qui
la construit de penser la différence et de la situer,
notamment dans sa dimension identitaire : émana-
tion divine, surnaturelle ou maléfique, ou géné-
ration humaine chaotique et blessée ; en tout cas,
altérité altérée et bruyante.
C’est au cours du xixe siècle, au moment où la
science occidentale finit de rompre ses liens avec
Dieu, que l’homme en découd avec ses portraits,
qu’il trie, classe et hiérarchise, inventant l’exclu-
sion ou l’intégration raisonnée.
Nous examinerons, à propos de la figure contempo-
raine de cette époque charnière, quelques concepts
(dégénérescence, darwinisme social, enfant dans
son acception moderne) qui sont autant de points
16 Découvrir les déficiences intellectuelles

de repère nécessaires à la compréhension de nos


représentations actuelles.

Figure de l’infirme égaré, maléfique et persécuteur


Le corps difforme de l’enfant le désigne très tôt
comme infirme. Ce signe est interprété par le
groupe comme celui du malheur, en réponse à une
faute qu’il aurait commise, à l’égard des dieux ou
de la nature. Ceux-ci punissent donc les hommes et
les mettent en garde : certains d’entre eux ont péché
et compromis l’ordre divin qui régit le monde et la
société des hommes.
Dans ce cas-là, la loi de la Grèce antique ordon-
nait aux parents d’exposer l’enfant, c’est-à-dire
de confier son destin aux dieux en l’abandonnant
dans un lieu prescrit, inhabité et inhospitalier. Le
devenir de cet enfant, dès lors, n’appartenait plus
aux hommes. Une telle décision était publique :
elle ne relevait jamais du seul fait des parents.
C’est l’ordre social qui était compromis dans son
entier, pas celui de la famille (cette sous-unité
n’avait d’ailleurs absolument pas le sens qu’elle
prend aujourd’hui dans nos sociétés). En aucun
cas une initiative privée n’aurait su le rétablir ou
pu suffire à son rétablissement. L’exposition, pour
fonctionner, devait être cérémonielle.
Œdipe, héros de la tragédie grecque, est un enfant
exposé. Son nom, étymologiquement « pieds
enflés », fait référence à une malformation des
Repères historiques et sociaux 17

extrémités inférieures. Les causes évoquées pour


son abandon font intervenir l’oracle : celui-ci avait
prédit que l’enfant tuerait son père et coucherait
avec sa mère. Œdipe était bien un enfant maléfique
qui, de plus, introduisait clairement, au-delà de l’at-
teinte à l’ordre divin, la souillure dans le monde
des hommes, en ne respectant pas les interdits
fondamentaux.
Cette histoire nous permet de remarquer que, déjà
à cette époque, l’infirmité rendait plus claires, plus
transparentes, les relations implicites qui existent
entre les personnes, notamment entre les parents et
les enfants ou vice versa.
En effet, depuis Freud, plus personne ne peut
ignorer les sentiments inconscients qui animent
chaque enfant et dont l’organisation, qui passe par
la résolution de conflits, permet de grandir et d’ac-
céder au statut d’adulte. Simone Korff-Sausse 2,
quant à elle, a bien montré, grâce à la pratique
de l’exposition notamment, que les parents eux
aussi présentaient un désir de mort, généralement
inconscient, envers leur progéniture, sans doute par
reviviscence du complexe d’Œdipe. Laïos ne s’est
pas fait prier pour confier son fils Œdipe à la grâce
des dieux et à la griffe des lions. Qu’Œdipe ait
survécu confirme que les décisions humaines sont

2. S. Korff-Sausse, D’Œdipe à Frankenstein : figures du handicap, Desclée


de Brouwer, 2000.
18 Découvrir les déficiences intellectuelles

peu de chose face au vouloir des dieux. Dans cette


dynamique-là, quelque chose précède l’homme et
le dépasse, quoi qu’il fasse.
Platon n’hésita pas à ajouter à l’argument reli-
gieux un souci eugénique. Dans l’idée de la démo-
cratie grecque naissante où seuls les hommes
libres avaient la parole, il convenait de « garder
pure la race des Gardiens » (République). Aristote
confirma la nécessité de préserver l’équilibre du
groupe et sa survie en ajoutant un argument démo-
graphique (Politique).
La Rome antique usa du recours à l’exposition de
la même manière que les Grecs, en insistant plus
nettement qu’eux sur la notion de souillure.
Si une telle pratique semble disparaître dans les
sociétés qui sont aux racines de notre culture, elle
persiste ailleurs, bien vivace.
Revenons à l’Afrique et à certaines de ses coutumes.
Chez les Nuers, lorsque naît un enfant manifes-
tement difforme, le groupe le consacre enfant
hippopotame. Il confie alors à certains de ses repré-
sentants formellement désignés le soin de le rendre
à ses vrais parents. Solennellement, l’enfant est
conduit sur les berges du fleuve. Son avenir inté-
resse alors plus les crocodiles que les hommes, ces
derniers étant assurés d’avoir rétabli l’ordre naturel
des choses.
Repères historiques et sociaux 19

Chez plusieurs autres ethnies, notamment les


Mossi, un nouveau-né mou inquiète singulière-
ment, quelle que soit la cause de son hypotonie.
L’enfant est supposé être un enfant serpent. Il sera
conduit, là aussi en cérémonie, dans une case où
il subira pendant plusieurs jours de fortes fumiga-
tions, tout en étant laissé sans soins, sans nourriture
ni contacts humains. Si l’enfant est mort à l’issue
de cette épreuve, la confirmation du diagnostic
est donnée, et cette mort rétablit l’ordre cosmo-
gonique, permettant au groupe humain de retrouver
son harmonie. Dans le cas contraire, l’enfant est
réintégré dans le groupe, mais son symptôme le
maintiendra toujours en marge de celui-ci. Il sera
élevé par une espèce de nourrice, vieille femme
sans charge d’enfants, à laquelle il sera confié
autoritairement. Plus tard, il n’aura pas le droit
de cultiver un champ, ni d’entretenir de relations
sexuelles. Dans ces ethnies, ce cas est intéressant
pour une autre raison encore : l’exclusion restreinte
demeure du fait de la persistance d’un symptôme
inquiétant et incompréhensible. Dans les situations
où le symptôme n’est pas de cet ordre, une réinté-
gration dans le groupe humain équivaut à recon-
naître pleinement et définitivement l’enfant comme
un petit d’homme et, donc, à lui donner exactement
les mêmes droits qu’aux autres.
Que ce soit pour l’enfant hippopotame ou pour
l’enfant serpent, il est remarquable de constater
20 Découvrir les déficiences intellectuelles

que la décision d’exposition appartient toujours


au groupe et que les parents n’apparaissent jamais
comme pouvant prendre une décision qui dépen-
drait d’eux et d’eux seuls. L’acte lui-même est
perpétré par un représentant du groupe spéciale-
ment mandaté pour cela. La décision s’inscrit dans
une forme de réponse anticipée par les règles du
groupe et elle vise explicitement à rétablir la cohé-
sion de celui-ci. Pourtant, dans la plupart des cas,
l’apparition d’un tel enfant est expliquée par une
faute de la mère (généralement, une faute bénigne,
commise plus par négligence que par malignité, ou
le non-respect des interdits prescrits, par exemple)
ou par un sort qui lui aurait été jeté. Après que la
question de l’avenir de l’enfant aura été réglée, il
suffira à la mère de procéder à une cérémonie de
purification pour réintégrer le groupe.
Un autre point est remarquable : habituelle-
ment, les membres de ces sociétés n’ont aucune
conscience de pratiquer un quelconque ostracisme
envers certains de leurs enfants. Bien au contraire,
ils se considèrent comme bienveillants et accueil-
lants à l’égard de tous. Ils entretiennent l’idée que
les enfants sont leur bien le plus cher et, de plus,
l’avenir des parents vieillissants.
Cette particularité peut s’expliquer par le fait que
l’enfant humain ne peut être perçu que sain et que
toute déviance, toute manifestation maléfique, est
immédiatement effacée de la mémoire. De même,
Repères historiques et sociaux 21

toute anticipation pourrait être au service du malé-


fice et participer à la venue de tels enfants. Ne pas
en parler permet de ne pas les faire exister.

Figure de l’infirme inféodé et imprévisible :


le fou du roi
Le roi qu’accompagne son fou ; le fou qui dit au
roi ses vérités les plus cinglantes, à qui tout semble
permis : l’image est classique, presque d’Épinal.
Les cours semblent bien nombreuses à avoir fait
une place aux personnes contrefaites, de celles des
empereurs romains aux plus exubérantes du Moyen
Âge ou de la Renaissance.
Peut-on en déduire que l’infirme faisait partie inté-
grante des sociétés contemporaines du fou du roi ?
Peut-être pas.
D’abord, la cour n’est pas l’ensemble d’une
société, et ce qui s’y passe n’est pas forcément le
reflet de celle-ci, peut-être même plutôt l’inverse.
Ensuite, l’infirme (nain, bossu, mais aussi débile
ou caractériel, semble-t-il) est peut-être le repré-
sentant d’une classe, mais il intervient seul, dans
sa subjectivité. On le subodore sélectionné. Il est
unique, double inversé du roi, ou, s’il est multiple
comme en Espagne, c’est sous forme dupliquée et
familiale. Plus il est multiple, plus il semble domes-
tiqué. Dans les deux cas, sa fonction est la même :
il sert d’interface entre le monde des hommes,
relativement ordonné, policé et hiérarchisé, et un
22 Découvrir les déficiences intellectuelles

monde de puissances ténébreuses, dont l’existence


est pressentie, que l’on craint et que l’on souhaite
amadouer. Le fol infirme peut rappeler au roi et aux
puissants, sans grands risques pour eux, la fragilité
de l’organisation de leur monde et, parfois, la déri-
sion cachée derrière le grand sérieux avec lequel ils
prennent leur tâche.
Le monde d’alors est encore affilié à une ombre
satanique qu’il vaut mieux se concilier en flattant
certains de ses représentants.
Le fou du roi sert aussi de « soupape de sécurité ».
Ses éclats peuvent se faire passer pour la parole
du peuple, et celui-ci, témoin ravi, laisse tomber sa
colère et ses récriminations, sûr qu’il a pu se faire
entendre et, surtout, que le roi n’est pas l’inacces-
sible destructeur de leur mieux-être. Cette fonction
est la même que celle mise en œuvre à l’occasion
du carnaval, manifestation festive, désordonnée
et transgressive pendant laquelle les hiérarchies
s’inversent et les fous s’approprient le pouvoir. Le
carnaval existe pour que les tensions explosent et
que, à son terme prédit, tout rentre dans l’ordre.
À cette frontière dangereuse entre deux mondes
incompatibles, le fou du roi joue plus que gros : il
risque sa vie. Tout lui est permis, sauf la chute. Et
l’excès peut l’y conduire. Tant que le fou grimace
en mimant le monde des hommes, il peut agacer,
mais il est remis à sa place par le retour de l’ironie
qu’il utilise. Mais qu’il se montre trop humain,
Repères historiques et sociaux 23

trop pertinent, trop impliqué dans le monde des


hommes, et il peut être mis à mort. Il n’est protégé
que par son irréductible différence. Double inversé,
oui, mais reflet tranchant, impossible. Si le fou du
roi donne une parole de roi, il est mort. D’ailleurs,
ses semblables sont traités comme les sorcières lors
des événements qui entraînent de grandes frayeurs
sociales.
Le fou du roi n’est donc pas un modèle d’intégra-
tion, comme on le dit parfois complaisamment,
mais une manière d’amadouer la population des
déviants en intronisant une petite part d’elle-même.
Cette figure disparaîtra avec la monarchie absolue
qui commence à réfuter le monde des ténèbres.

Figure de l’infirme apprivoisé,


passage possible à l’infirme oublié
Finalement, jusqu’au xviie siècle, l’infirme, qu’il
soit insensé ou idiot, et dans la mesure où il n’a pas
subi précocement un « effacement » rendu néces-
saire par son insupportable différence, est resté à
la marge d’une société alternant tolérance et into-
lérance à son égard, en fonction de son système de
pensée bien sûr, mais aussi des événements. Utilisé
pour représenter l’aspect tragique de la condi-
tion humaine, survalorisé comme fétiche quand
tout se passe bien, il peut être sacrifié dans le cas
contraire. Au quotidien, la plupart de ces infirmes
doivent vivre dans l’ombre d’une famille à laquelle
24 Découvrir les déficiences intellectuelles

ils offrent un prolongement singulier de la misère.


Ils ne posent réellement question qu’en débordant
dans l’espace social.
À l’âge classique, tout change. Le pouvoir se
centralise et se personnalise, réfutant assez clai-
rement tout partage avec une instance divine ou
surnaturelle (la dynamique est en place pour que
la société évolue vers la démocratie). Les sciences
optent résolument pour la raison et traquent
l’irrationnel.
Dans une société parfaitement immanente, les
déviants ne sont plus les messagers d’un quel-
conque ailleurs : ils doivent trouver sens et justi-
fication en eux-mêmes, dans et pour la société.
Fauteurs de troubles réels ou potentiels, dénon-
ciateurs d’un ordre social idéal, improductifs, ces
déviants seront traités comme un groupe homo-
gène, conduits ensemble dans des lieux adaptés
pour qu’ils retrouvent par la contrainte la raison et
le chemin du travail. C’est le sens du grand renfer-
mement rendu fameux par M. Foucault 3 dans son
Histoire de la folie. L’homme doit être raisonnable,
actif et utile. Tous ceux qui s’écartent de cette
option doivent être réparés. C’est la base de tout ce
qui se développera sous forme de rééducation et de
réadaptation, les prémisses d’une forme humaine

3. M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique. Folie et déraison,


Plon, 1961.
Repères historiques et sociaux 25

unique et idéalisée. Le corollaire de cet idéal, c’est


la nécessité de préserver l’homme sain du fou, donc
de séparer nettement les deux.
À partir de ce moment-là, s’installe un mouvement
de balancier entre deux pôles opposés : l’attrait ou
la bienveillance pour le déviant, qui se traduisent
par des adaptations sociales, ou une agressivité,
repérable par l’oubli ou l’attaque. Ce mouvement
peut être massif et concerner l’organisation et la
pensée sociales, ou plus discret et être le fait de
minorités ou d’initiatives individuelles.
Nous l’avons dit, le grand renfermement rassemble
des populations très différentes qui représentent
tous les malvenus et réprouvés de l’époque. Cette
situation inédite va permettre aux scientifiques,
notamment aux médecins aliénistes, de mettre en
œuvre leur passion classificatrice. Inventant une
méthodologie, ces derniers vont repérer et réper-
torier des classes différentes dans leur popula-
tion, jetant les bases d’une nosographie moderne.
Ce mouvement connaîtra son apogée au début
du xixe siècle, avec Philippe Pinel : les fous, les
arriérés, les idiots seront dorénavant considérés
comme des malades qui peuvent bénéficier de
soins plutôt que d’une contention brutale appliquée
dans les lieux de strict enfermement. À vrai dire,
ce nouvel humanisme se pratique en marge d’une
société soulagée d’être épargnée de la présence des
déviants ; il intéresse surtout les intellectuels, dont
26 Découvrir les déficiences intellectuelles

les aliénistes au premier chef, les malades et leurs


familles, du moins celles qui ne peuvent plus se
satisfaire d’« oublier » leur membre déviant et qui
veulent comprendre ce qui leur arrive.
Les hommes de terrain, comme Pinel ou comme
Itard et leurs élèves, proposent des traitements
d’ordre moral aux insensés, mais aussi de véri-
tables projets éducatifs pour les arriérés, projets qui
montreront toute leur pertinence quand ils seront
redécouverts, un siècle après avoir été élaborés. On
peut dire que ces médecins inscrivent leurs patients
dans une vision optimiste qui accepte l’idée d’une
amélioration de leur état, voire d’une guérison.
Ils considèrent que leurs troubles ont deux sortes
d’origines, en dehors de l’hérédité : une lésion
du système nerveux central, ou les effets néfastes
d’une expérience de vie malheureuse. Ce second
axe représentant une ouverture considérable sur les
notions de psychologie.
Alors que le patient est au centre des préoccupa-
tions et que tout semble s’organiser à son profit par
l’intermédiaire des soins, une contre-offensive se
prépare, qui s’appuie sur les mêmes hypothèses que
celles que nous venons d’évoquer, mais les déve-
loppe à son profit. De nouveaux médecins s’inté-
ressent plus résolument aux causes organiques des
pathologies, reléguant aux oubliettes toute dimen-
sion psychique. Le malade est délaissé au profit de
Repères historiques et sociaux 27

sa maladie : la maladie mentale devient celle du


cerveau.

– Quelques concepts-clés du xixe siècle


La dégénérescence
La notion de dégénérescence se généralise.
Provoqué par un agent pathogène comme celui de
la tuberculose ou de la syphilis, un toxique comme
l’alcool, par l’hérédité ou même la mauvaise
conduite, le phénomène entraîne une dégradation
de l’organisme d’une personne ou d’un fœtus, ce
qui se traduit par un développement fruste, inégal
ou anarchique de ceux-ci. Dans tous les cas, cette
notion se révèle péjorative à l’égard de la personne
concernée ou de ses ascendants qui sont aussi stig-
matisés. Les gens bien nés ne peuvent pas, par défi-
nition (idéologique), présenter de phénomène de
dégénérescence. Alors, lorsque celui-ci apparaît, il
convient de le cacher.
Cette notion s’accompagne de celle de révélation :
à tout moment un phénomène peut surgir, qui
mettra au grand jour la vérité d’une tache passée
jusque-là inaperçue. C’est de là que viennent les
termes violemment dénonciateurs de « dégénéré »
ou de « tare familiale » qui n’ont pas tout à fait
terminé leur carrière et qui servent encore, à l’oc-
casion, d’injures.
28 Découvrir les déficiences intellectuelles

Le darwinisme social
Le darwinisme social, souvent associé à l’idée de
dégénérescence, s’impose progressivement. Partant
de la notion darwinienne d’évolution qui permet
aux caractères nécessaires à la survie de l’espèce de
s’imposer au détriment des autres, cette approche
valorise les forts au détriment des plus faibles qui
représentent une menace pour l’espèce. Dans cette
logique, il est facile de préconiser l’élimination des
faibles et, avec eux, de tous ceux qui sont consi-
dérés comme anormaux. C’est ce que fera Galton,
le cousin de Darwin, préparant ainsi les arguments
fondamentaux de l’eugénisme, thèses qui seront
reprises plus tard par les nazis.
Le darwinisme social a aussi abouti à la hiérarchi-
sation des ethnies en fonction de critères tels que
la couleur de leur peau ou le degré de développe-
ment supposé de leur civilisation. Ce classement
en différentes « races » justifiait la domination de
la race blanche, prétendument la plus évoluée, et
l’exploitation des autres à son profit. Toute la poli-
tique coloniale s’inspira de ces approches « scien-
tifiques ». Les races inférieures devaient être
éduquées pour se rapprocher autant que possible
d’une civilisation digne de ce nom. Celle-ci, en
retour, se trouvait perpétuellement menacée et
devait se montrer vigilante.
Repères historiques et sociaux 29

Exemples d’utilisations sociales


des notions de dégénérescence et d’évolution
Dans le domaine du handicap mental, le rapproche-
ment de ces deux notions, la dégénérescence et la
hiérarchisation des races, a connu aux moins deux
prolongements particuliers qu’il est intéressant de
signaler parce qu’ils nous concernent toujours.
Débilité et stérilisation. Réveillant le spectre
jamais trop enfoui de la monstruosité (notion vague
et fluctuante) et de la terreur qu’elle inspire, une
partie de la société savante, largement relayée par
les médias du xixe siècle, annonça l’effrayante
perspective d’une invasion intérieure mettant en
péril l’avenir de la race blanche tout entière. La
population déficiente était visée. De basses mœurs
et dangereusement prolifique, celle-ci transmettrait
tares et intelligence menue qui, immanquablement,
se concentreraient. Démonstration « scientifique »
à l’appui, les tenants de ces thèses calculaient
la vitesse à laquelle l’intelligence globale de la
société diminuait et dans quelles proportions. Pour
eux, cela ne faisait aucun doute : il y avait urgence,
il fallait agir.
Ces thèses peuvent prêter à sourire et paraître
désuètes. Pourtant, elles ont permis la stérilisa-
tion de milliers de handicapés dans certains pays,
comme des études récentes l’ont révélé. Quand
des politiques de ce genre ont été conduites, on
découvre immanquablement que la population
30 Découvrir les déficiences intellectuelles

concernée par une telle démarche est élargie et


qu’elle compte beaucoup de marginaux ou d’indé-
sirables : à partir du moment où le principe d’exclu-
sion est accepté, il peut être facilement généralisé.
Et l’on peut toujours se demander contre qui ou
contre quoi se protègent les défenseurs de telles
options. On peut aussi rapprocher de ces thèses
les travaux critiquables et erronés des Américains
Richard J. Herrnstein et Charles Murray 4, qui
prétendaient démontrer une différence de qi entre
Noirs et Blancs, à l’avantage de ces derniers bien
sûr, dont font partie les auteurs. Et remarquer que la
sexualité des personnes handicapées mentales fait
régulièrement resurgir la tentation de résoudre le
problème qu’elle pose par leur stérilisation.
Le mongolisme. Pour le deuxième élément, nous
disposons d’une date de naissance. En 1866, un
médecin, John L. Down, soucieux d’établir un
classement pertinent des différentes catégories des
lésions mentales congénitales, isole un syndrome
rendu accessible par le rassemblement déjà évoqué.
Il dresse un tableau des signes distinctifs d’un
certain nombre de sujets, n’ayant besoin d’en
décrire qu’un seul tant ils se ressemblent tous.
Au point qu’il a du mal à croire qu’ils ne sont pas
issus des mêmes parents et que ces parents soient

4. R.J. Herrnstein et C. Murray, The Bell Curve: Intelligence and Classe


Structure in American Life, The Free Press, 1994.
Repères historiques et sociaux 31

européens. Les sujets qu’il décrit sont des Mongols


types. Arriérés, ils ne peuvent qu’être le résultat
d’une dégénérescence embryonnaire, vraisem-
blablement due à une infection tuberculeuse des
parents, qui n’autorise le développement du fœtus
qu’au stade archaïque de la race humaine, stade
représenté par les Mongols : les plus primitifs des
hommes.
De ces observations et des déductions de Down
naquirent les mongols (mongoliens en français),
sujets présentant le syndrome de Down. Une
telle nomination fit florès et, alors qu’il n’existait
jusqu’alors aucun terme vernaculaire pour désigner
cette pathologie, elle fut adoptée partout où elle se
révéla nécessaire.
Un tel succès est d’autant plus remarquable qu’un
pédagogue français, Seguin, avait déjà décrit avec
autant de minutie le même syndrome vingt ans
auparavant et que, en Amérique, il lui proposa
un nom la même année que Down. Ce nom, le
crétinisme furfuracé, était strictement descriptif
et objectif sur un mode médical. « Crétinisme »
évoquait l’arriération mentale, « furfuracé »,
l’état de la peau desquamant sous forme de pelli-
cules évoquant le son de blé. Pas de quoi rêver,
en somme. Contrairement à « mongolisme » qui
indiquait immédiatement une origine plausible à la
pathologie, fausse, mais en lien direct avec toutes
32 Découvrir les déficiences intellectuelles

les représentations les plus tenaces fournies par la


dérangeante différence.
On le sait, le terme « mongolien » fut des plus
vivaces : utilisé systématiquement pendant plus
d’un siècle, il résista longtemps à l’alternative
proposée par « trisomique 21 » et, pour que le
changement se fît, il fallut qu’il s’accompagnât
d’une profonde évolution sociale.
L’enfant inventé
Directement en lien avec le statut de la personne
arriérée mentale, nous devons évoquer celui de
l’enfant en général. Les deux sont souvent asso-
ciés ou comparés, sans doute parce que, jadis,
on pouvait leur confier les mêmes tâches faciles,
et qu’actuellement on refuse d’admettre qu’ils
puissent prendre ou assumer des responsabilités
d’adultes, comme en témoignent d’une part la
notion d’éternel enfant qui les protège de tout (la
mort et la sexualité notamment) et, d’autre part, le
statut d’incapable majeur qui leur est assigné lors-
qu’ils sont sous tutelle. Il faut bien reconnaître que
l’intérêt pour les handicapés mentaux a commencé
par les enfants pour s’élargir aux adultes, contrai-
rement à ce qui s’est passé pour les fous, qui ont
bénéficié du mouvement inverse. Pendant long-
temps d’ailleurs, la folie fut associée aux adultes et
la débilité aux jeunes, adolescents ou enfants.
Repères historiques et sociaux 33

L’intérêt pour les enfants profita aux arriérés, peut-


être aussi parce qu’on avait repéré l’effet néfaste
d’un environnement indigent, et défendu la perti-
nence d’une intervention rapide chez les petits dès
le début du xixe siècle.
À la suite de certains philosophes du xviie siècle,
J.-J. Rousseau contribua à démontrer, au siècle
suivant, l’existence d’un phénomène de matura-
tion psychologique de l’enfant, parallèlement à sa
croissance physique, maturation lui permettant de
passer progressivement du monde des sensations
à celui de la conscience morale et de la raison
intellectuelle. Il insista sur le rôle de l’éducation et
sur la nécessité de respecter un environnement de
confiance et de joie.
Les aliénistes, les médecins et les pédagogues
du xixe siècle le suivirent et inventèrent, avec de
nouveaux objets d’étude, de nouvelles sciences
et leurs singularités : la pédiatrie et la pédagogie
adaptée. Elles évoluèrent chacune avec des fortunes
diverses. La pédiatrie se développa, à l’inverse des
idées de Rousseau, dans l’idée qu’il fallait corriger
l’enfant afin de l’amener à un développement le
plus droit possible. Les préceptes étaient aussi
rigides que les multiples appareils destinés à (re)
dresser l’enfant. Le temps était loin encore où l’en-
fant serait libéré de ce carcan. La pédagogie imposa
l’école obligatoire, ouvrant à tous les enfants le
droit au savoir. Par contre, nous l’avons déjà dit,
34 Découvrir les déficiences intellectuelles

l’intérêt pour les déviants s’était largement tari, et


les fous comme les déficients se retrouvaient dans
de bien piètres conditions, voués à l’enfermement,
à l’oubli ou à la stérilisation.

Figure de l’infirme réhabilité : le handicapé


C’est par un biais tout à fait inattendu que l’intérêt
pour le handicapé va resurgir, mais, cela ne nous
étonnera pas, toujours en fonction d’un système de
pensée dominant. Henri-Jacques Stiker 5, spécia-
liste de l’histoire et des civilisations des sociétés
occidentales, nous a donné une présentation magis-
trale de ce phénomène.
Dans la société industrielle de la fin du xixe siècle,
les ouvriers sont une figure centrale. Ils réclament
de plus en plus d’attention et de reconnaissance
de la part des capitalistes et de l’État, et cela en
s’organisant stratégiquement. Ils refusent de plus
en plus que certains d’entre eux soient laissés pour
compte et développent l’idée de solidarité. Avant
d’entraîner les grandes révolutions sociales que
l’on connaît, ils réorganisent les relations sous
l’égide de la démocratie et de l’égalité. Dans ce
contexte, les accidents du travail, entraînant muti-
lation et perte de revenus, serviront de modèle et de

5. H.-J. Stiker, Corps infirmes et sociétés, Dunod, 1982. « Jalons histo-


riques », dans Naître et grandir différent ?, coordination J. Marie-Lanoë,
J.-M. Botta, actes des journées d’études des 16 et 17 novembre 1990,
conseil général du Rhône, CREAI Rhône-Alpes.
Repères historiques et sociaux 35

catalyseur. Les victimes seront considérées comme


des personnes normales devant, autant que possible,
récupérer les conditions antérieures à leur accident.
Elles recevront donc aide et compensations, mais
provoqueront aussi une réflexion sur les moyens
techniques à mettre en œuvre pour réduire les
effets de leurs défaillances, notamment en cas d’at-
teinte du corps, par l’amélioration des prothèses.
Ce processus va s’accélérer jusqu’à prendre une
ampleur exceptionnelle au cours et à l’issue de la
guerre de 1914-1918 qui abîma tellement de corps
et détruisit tellement de rêves. Après elle, il fallut
reconstruire, mais aussi réparer. Il fallait rendre aux
survivants leur dignité d’hommes et le maximum
de leur autonomie corporelle. Rupture manifeste,
par rapport à l’usage qui laissait facilement dériver
ses anciens soldats blessés. Depuis la reconnais-
sance des invalidités accidentelles, la revendica-
tion du droit à la compensation était ouverte, avec
l’objectif de rétablir ou d’établir une égalité de
fait entre toutes les personnes, quelles que fussent
leurs difficultés, acquises d’abord, ou héritées par
la suite.
L’importance de l’origine militaire pour l’intérêt
à réhabiliter les corps s’affirma longtemps : il y
a peu encore, les parents, étonnés, découvraient
qu’ils devaient s’adresser au ministère des Anciens
Combattants pour obtenir la paire de chaussures
36 Découvrir les déficiences intellectuelles

orthopédiques prescrite à leur enfant handicapé


mental ou physique.
C’est alors qu’apparut la notion de handicap,
vocable qui rassemble des réalités disparates au
possible : atteintes du corps comme de l’esprit,
légères ou profondes, accidentelles ou héréditaires.
Le handicap est une nouvelle figure qui suppose un
nouveau système de pensée.
Dans ce système de pensée, toute infirmité, quelle
que soit son origine, aurait pu ne pas arriver.
Elle est accidentelle, même si cet accident relève
de la nature et n’a rien à voir avec le destin, un
dessein divin ou surnaturel. La personne handi-
capée s’écarte de la norme tout en y restant référée.
Même si l’on reste impuissant devant les effets
de cet écart, on peut chercher à le comprendre, à
en réduire les effets ou à le compenser. Malheur à
éviter, il doit être combattu. Comme il n’a aucun
sens en lui-même, il faut essayer de le maîtriser.
La personne handicapée est définie essentiellement
comme toute autre personne, et si la réalité semble
l’écarter de la norme, tout doit être fait pour l’y
ramener. L’écart est l’objet de lutte, d’ambiguïté et
de paradoxe (qui sont la matière même du système
de pensée actuel), qui vise à assimiler les diffé-
rences au même, à l’identique, alors que, dans son
souci de normaliser, il accentue les occurrences de
déviations.
Repères historiques et sociaux 37

Une telle tension apparaît nettement dans les propos


de Maurice Ringler 6, psychologue, qui présente la
déficience dans des écrits militants et généreux :
« Contrairement à ce que pensent la majorité des
personnes, l’enfant déficient est tout à fait l’égal
des enfants valides pour ce qui est de son fonction-
nement physique, psychologique et émotionnel : il
est normal. » Ou encore : « […] tout enfant, qu’il
soit handicapé ou non, est toujours normal quant à
son fonctionnement biologique et psychologique. »
Dans cette difficulté à reconnaître une altérité qui
ferait l’autre différent de soi (mais alors, qu’est-ce
que l’altérité ?), s’établit la course à la réhabi-
litation, à la réadaptation et à la réintégration, le
tout patronné par le souci d’une solidarité sociale
exprimée par une assistance adaptée.

6. M. Ringler, L’enfant différent : accepter un enfant handicapé, Dunod,


1998 ; L’enfant déficient en 40 questions, Dunod, 2000.
2

Définir le handicap :
décrire ou condamner ?

Il semble devenu impossible de parler objective-


ment du handicap, ou même de la différence. Toute
parole à ce sujet porte en elle le témoignage d’une
relation et évoque, d’emblée, un positionnement
éthique. De cela découle le risque que la parole
s’efface derrière un discours justificateur.
Le mot « handicap » vient de l’anglais. Il est une
contraction de l’expression « hand in cap », la
main dans le chapeau, qui désignait à l’origine
un jeu de hasard. Passé dans le vocabulaire de
l’hippisme, il correspond alors à la pratique qui
consiste à désavantager les meilleurs concurrents
(par exemple, en accentuant leur charge) pour
équilibrer les chances de chacun. On ne sait pas
40 Découvrir les déficiences intellectuelles

très bien comment le mot passe du monde du turf


au domaine social ou médical, mais il garde cette
notion de rééquilibrage des chances entre tous les
hommes, en utilisant curieusement une antiphrase
puisque ici le handicapé, contrairement au cheval,
est celui qui est naturellement pénalisé. Ce choix
exprime l’idée que dans la vie, chacun peut faire
son chemin, malgré ses difficultés (qui peuvent être
compensées) ; l’ambiguïté réapparaît en évoquant
la réalité d’une course qui est celle d’une compé-
tition. Ce qui est sûr, par contre, c’est que le terme
est officialisé par la loi du 23 novembre 1957 :
il doit permettre le reclassement des travailleurs
handicapés. Parti du monde du travail, son usage
va s’étendre dans le domaine réglementaire pour
regrouper des réalités toujours plus larges qui
reconnaissent un écart défavorable par rapport à
la norme, pour les adultes comme pour les enfants,
pour le corps comme pour l’esprit.
La loi d’orientation en faveur des personnes
handicapées, du 30 juin 1975, organise le secteur
handicapé. La confusion y est maintenue entre les
différentes formes de handicaps, leur origine ou
leur intensité. Les moyens à mettre en œuvre pour
aider et les objectifs à atteindre restent présentés
de manière générale, permettant tous les amal-
games, mais aussi toutes les libertés pour rejoindre
le système et pour l’utiliser au mieux.
Définir le handicap : décrire ou condamner ? 41

Si la loi reconnaît le handicapé, l’assure de la


solidarité sociale et organise celle-ci (allocations,
orientations, aides diverses), elle ne définit pas le
handicap. Cette lacune ne relève pas de l’oubli,
mais de la stratégie, consciente ou non : d’abord,
l’objectif de la loi est celui de la réinsertion sociale,
c’est-à-dire celui de l’atténuation du handicap,
voire de sa disparition, par réabsorption dans le
tissu social ; ensuite, ne pas définir le handicap
permet de ne pas lui reconnaître de statut défi-
nitif, peut-être même de le renvoyer à un facteur
contingent, c’est-à-dire souligner le fait qu’il aurait
pu (ou dû) ne pas être là.
Le fait de traiter un état qui n’est pas défini mais qui,
pourtant, concerne de plus en plus de personnes,
laisse imaginer que, à terme (indéfini), cela pourrait
ne plus en concerner du tout.
La loi du 2 janvier 2002 vient confirmer quelque
chose de cet ordre-là. Elle multiplie les occurrences
du handicap en ramenant celui-ci à toutes les situa-
tions qui nécessitent une aide (par exemple, les
personnes âgées qui ne sont pas totalement auto-
nomes relèvent de cette loi), mais elle place tous
les handicapés au centre de leur projet de prise en
charge qui, à partir de la loi de 2005 pour l’éga-
lité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, se définira
plutôt comme un accompagnement, comme s’ils
avaient, dans tous les cas, les moyens de participer
42 Découvrir les déficiences intellectuelles

à son élaboration et de développer un point de vue


critique à son égard. À la limite, les handicapés
sont de plus en plus nombreux, et ils ne sont pas
handicapés…
Au phénomène de surprise qui prévaut dans
la rencontre avec l’anormal, le monstrueux, il
convient de substituer une chaîne d’éléments et de
causalités qui dilue la différence jusqu’à la rendre
imperceptible ou insaisissable. Pour mieux appuyer
cette option, on l’inscrit dans une démarche inter-
nationale qui donne l’idée d’un consensus ou d’une
vérité. Depuis lors, on présente le handicap selon la
séquence : étiologie, déficience, incapacité et désa-
vantage (ou handicap) proprement dit.
L’étiologie nous donne une idée d’une origine ou
d’une cause qui, toujours, doit pouvoir être déter-
minée. Elle est d’ordre pathogène, génétique ou
accidentel.
La déficience correspond à une insuffisance, à une
perte ou une altération d’une structure ou d’une
fonction psychique, corporelle ou physiologique.
La déficience s’établit donc en rapport à une norme
sans impliquer nécessairement de maladie.
L’incapacité résulte de la déficience et correspond
à la diminution des capacités à accomplir une tâche
habituelle à l’activité humaine, ou à se comporter
de la manière attendue dans des circonstances
données.
Définir le handicap : décrire ou condamner ? 43

Le handicap est le résultat de la déficience et de


l’incapacité, l’une et l’autre limitant ou interdisant
l’accès au rôle social que l’on attend de chacun en
fonction de son âge, de son sexe et de son milieu.
Par exemple, une déficience intellectuelle entraîne
des troubles de l’apprentissage et des comporte-
ments inadaptés (incapacités) qui réduisent l’inté-
gration sociale (handicap).
On voit bien que des définitions de cet ordre
intègrent l’environnement et que le handicap est
essentiellement lié à la situation dans laquelle se
trouve la personne qui en souffre. Ce handicap de
situation peut donc se réduire si l’environnement
s’adapte. Ce qui se conçoit facilement pour des défi-
cits de motricité (bus à accès surbaissé, bateau sur
les trottoirs à hauteur des passages protégés, etc.)
ou sensoriels (traduction simultanée en langage des
signes, balisage en relief, etc.), mais qui ouvre à de
curieuses perspectives dans le domaine de la défi-
cience intellectuelle.
On voit aussi pointer l’idée que chacun peut se
retrouver handicapé dans une situation donnée et
qu’il n’y a donc pas de véritable solution de continuité
entre les handicapés et ceux qui ne le seraient pas.
Depuis, la loi du 11 février 2005 – l’une des princi-
pales lois sur les droits des personnes handicapées –
est venue rappeler les droits fondamentaux des
personnes handicapées et, pour la première fois dans
44 Découvrir les déficiences intellectuelles

un texte officiel, donner une définition du handicap :


« Constitue un handicap, au sens de la présente loi,
toute limitation d’activité ou restriction de participa-
tion à la vie en société subie dans son environnement
par une personne en raison d’une altération substan-
tielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonc-
tions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou
psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de
santé invalidant. »
Ce qui est une manière très claire d’affirmer qu’au-
jourd’hui, tout handicap est d’abord situationnel.

LE HANDICAP MENTAL
Le champ du handicap étant ici restreint à sa seule
dimension mentale, on pourrait croire que l’on
approche d’une réalité plus facile à cerner. Or, il
n’en est rien. Même dans ce seul domaine, la diver-
sité est immense. Examinons-en un échantillon avec
Liberman 1. Le handicapé mental est-il un déficient
intellectuel, limité dans ses apprentissages et son
autonomie ? Un psychotique, isolé dans son monde
psychique ? Un lésé cérébral, au comportement
imprévisible ? Un dément vasculaire ou alcoolique,
inapte au travail ? Un névrosé grave, effrayé par
toute vie en commun ? Un psychopathe, incapable

1. R. Liberman, « Approche historique et sociologique de la construc-


tion du concept de handicap », dans C. Gardou (sous la direction de),
Handicaps handicapés. Le regard interrogé, érès, 1991.
Définir le handicap : décrire ou condamner ? 45

d’accepter les règles collectives et occupé à les


faire exploser ? Un inadapté chronique, installé
dans le refus agressif de la réalité sociale ?
La liste ne peut pas être exhaustive.

LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE
Resserrons les critères et examinons la seule défi-
cience intellectuelle ou retard mental. La définition
actuelle la plus utilisée est donnée par l’Associa-
tion américaine sur le retard mental (elle sert de
base à de nombreuses autres qui en proposent d’in-
finies variations) : « Le retard mental est un état de
réduction notable du fonctionnement actuel d’un
individu. Le retard mental se caractérise par un
fonctionnement intellectuel inférieur à la moyenne,
associé à au moins deux domaines de fonctionne-
ment adaptatif : communication, soins personnels,
compétences domestiques, habiletés sociales, utili-
sation des ressources communautaires, autonomie,
santé et sécurité, aptitudes scolaires fonctionnelles,
loisirs et travail. Le retard mental se manifeste
avant l’âge de 18 ans 2. »
On se demande si les rédacteurs sont à la recherche
de précisions ou si leur sujet est à ce point délicat
qu’ils ont besoin de recourir aux périphrases.

2. Association américaine sur le retard mental, Retard mental : définition,


classification et système de soutien, Edisem, 1994.
46 Découvrir les déficiences intellectuelles

Pourtant, cette définition, si prudente soit-elle, ne


suffit pas et entraîne à sa suite des conditions néces-
saires à son application, au nombre de quatre :
– « l’évaluation doit tenir compte de la diversité
culturelle et linguistique des sujets ainsi que des
différences dans leurs modes de communication et
leur comportement ;
– le déficit de fonctionnement adaptatif d’un indi-
vidu se manifeste dans le cadre de l’environnement
communautaire typique des sujets de son groupe
d’âge, et dépend de l’importance de ses besoins
personnels de soutien ;
– certaines faiblesses spécifiques d’adaptation
coexistent souvent avec des forces dans d’autres
domaines d’adaptation ou avec d’autres capacités
personnelles ;
– le fonctionnement général d’une personne
présentant un retard mental s’améliore générale-
ment si elle reçoit un soutien adéquat et prolongé »
(aqis 3).
Ces conditions tempèrent les options les plus
nettes de la définition, les relativisent et servent de
bases pour un éventuel programme d’aide. Elles
nous mettent en garde : il faut se méfier des appa-
rences, c’est-à-dire des jugements qui peuvent

3. Association du Québec pour l’intégration sociale. Site Internet :


www.total.net/aqisiqdi.
Définir le handicap : décrire ou condamner ? 47

être des projections, et même des mesures, qui ne


sont qu’apparemment objectives puisqu’elles ne
donnent qu’une petite partie du problème. Ainsi,
même si c’est à la marge supérieure de la popula-
tion des déficients intellectuels, la seule constata-
tion d’un qi inférieur à 70 ne suffirait pas à poser
un diagnostic puisqu’elle serait une évaluation trop
étroite des capacités d’une personne.
Il est vrai que, pendant très longtemps, la mesure
du quotient intellectuel a été un critère détermi-
nant (facile d’utilisation et apparemment d’inter-
prétation, « objectif », etc.) et qu’elle a sans doute
abusivement impliqué des choix inappropriés pour
de nombreuses personnes pas tout à fait adaptées.
En fonction de cela, la tendance s’est inversée et
la sèche association d’un qi et d’un état de débi-
lité a fait place à une définition impossible qui se
présente toujours sous forme de dissertation.
Ce qui n’est pas forcément regrettable, dans la
mesure où cela permet de rappeler systématique-
ment le rôle du contexte, mais aussi celui de l’ob-
servateur et de son attente dans ce qui définit et
occasionne la déficience.
Prenons un exemple : l’incapacité à apprendre à
lire n’est handicapante que lorsque l’apprentissage
correspondant est obligatoire et que l’écriture est
l’outil de communication prédominant dans la
majorité des actes de la vie. Nous aurons à revenir
sur cet exemple.
48 Découvrir les déficiences intellectuelles

LE REJET DÉVOILÉ
Une telle insistance à ne pas pouvoir donner une
définition stable, c’est-à-dire qui aurait une certaine
durée de vie dans un contexte social donné, indique
un processus inconscient actif qui refuse une telle
option qui le révélerait.
Ce processus est lié au mouvement initial de rejet
que provoque la personne différente. Soyons plus
clairs avec Simone Korff-Sausse : « Les différentes
expressions de la sentimentalité – compassion,
victimisation, moralisation – sont l’envers des atti-
tudes latentes qu’elles ont pour but de camoufler,
et qui sont plutôt de l’ordre du rejet et du vœu de
mort 4. » J’ajouterai à sa liste des expressions de la
sentimentalité celle qui se cache encore plus que
les autres et qui consiste à vouloir être strictement
objectif, neutre et transparent. C’est ce qui caracté-
rise le vocabulaire (ou les définitions) « politique-
ment correct » : il essaie de se débarrasser de toute
teneur inconsciente, subjective ou sentimentale. Il
veut définir l’un sans l’autre (le locuteur) et, à la
fin du compte, se propose comme un déni de l’al-
térité. Le politiquement correct se méfie des mots
affectivement chargés, parce qu’ils deviennent
immédiatement péjoratifs et que les personnes
dont ils parlent pourraient en être froissées. C’est
méconnaître cette réalité : tous les mots spécialisés

4. S. Korff-Sausse, D’Œdipe à Frankenstein : figures du handicap, op. cit.


Définir le handicap : décrire ou condamner ? 49

(médicaux) qui ont désigné une différence négative


de l’intelligence et du comportement ont été très
rapidement utilisés comme injures (idiot, débile,
crétin, fou, taré, mongol, triso, etc.). Pour éviter
cette récupération d’ailleurs (en faisant fi de sa
fonction), les nouveaux termes sont tous des péri-
phrases (personne porteuse de trisomie 21, etc.),
l’injure ne pouvant qu’être brève, n’acceptant pas
plus de trois syllabes. C’est aussi trancher dans le
débat sans fin entre l’être et l’avoir. Entre le fait
d’être handicapé ou d’avoir un handicap.
Par sa remarque, S. Korff-Sausse nous ramène
aussi à une chose essentielle : au rejet du handicapé
est lié un vœu de mort. Dans la relation archaïque
réveillée par l’apparition d’un autre, s’exprime
la violence fondamentale 5, qui n’admet pas la
confrontation et impose la disparition de cet autre.
Ainsi, la personne handicapée nous met-elle en lien
avec un interdit majeur de nos sociétés actuelles : la
mort. Ce qui est ici insupportable, c’est le manque.
Nous dirions la castration, en utilisant un vocabu-
laire psychanalytique ; celle qui fait que, fonda-
mentalement, on ne peut pas tout et que l’on reste
dépendant du désir de l’autre. C’est sans doute cela
qui est inacceptable face au handicapé, de dire :
« Pour moi, il est le manque. »

5. J. Bergeret, La violence fondamentale, Dunod, 1984.


50 Découvrir les déficiences intellectuelles

UNE DÉFINITION
Une définition, déduite de toutes celles qui nous
sont proposées, reste possible. Ce pourrait être :
« Un déficient intellectuel présente des difficultés
d’apprentissage, en lien avec des capacités intel-
lectuelles réduites (le qi donne une idée de cette
réduction), ce qui lui pose problème pour accéder
à une autonomie satisfaisante (pour lui ? pour les
autres ?) dans une société donnée. »
Par ailleurs, en dehors de toute définition, une
personne normale sait rapidement qu’elle a affaire
à une personne déficiente, d’autant plus vite, d’au-
tant mieux que cette dernière est plus profondé-
ment déficiente. Mais cela ne semble plus suffisant.

UNE RÉALITÉ INADMISSIBLE


La caractéristique des définitions qui n’en finissent
pas, c’est de fouir, de creuser dans une matière à la
recherche d’une certitude. Cet approfondissement
se fait sur le principe analysé par O. Mannoni 6, qui
s’articule autour du mais : « Je sais bien, mais quand
même. » Cette expression signale l’incrédulité systé-
matique du pervers qui veut bien croire que la réalité
est bien comme ça, comme il la voit, comme on lui
dit qu’elle est, mais il ne peut s’en satisfaire et, du

6. O. Mannoni, Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre scène, Le Seuil, 1969.


Définir le handicap : décrire ou condamner ? 51

coup, triture l’objet pour le modifier à son profit,


sans jamais trouver de forme satisfaisante.
On a beau faire, utiliser tous les euphémismes que
l’on veut, affirmer la normalité des déficients intel-
lectuels, quelque chose résiste qui fait que cela
ne fonctionne pas, qu’il y a toujours un reste, qui
échappe à la volonté comme au désir. Ce reste, cet
élément incompressible qui est là tant qu’il n’y a
pas mort, revient, comme le dit Lacan à propos
du Réel, toujours à la même place. Ce reste, c’est
ce qui fait qu’il existe des structures spécialisées
qui sont pleines de personnes dont on doit s’oc-
cuper. Finalement, dans notre société, on pourrait
définir les déficients intellectuels comme ceux qui
se retrouvent dans les structures que cette société a
imaginées pour eux.
S’occuper des personnes déficientes, c’est faire
avec ce reste, c’est-à-dire accepter de travailler sur
la part inconsciente de nous-mêmes qui est systé-
matiquement engagée par notre confrontation à une
différence dérangeante. C’est la seule manière de
ne pas être condescendant ou de mettre entre les
personnes déficientes et nous une bienveillance
dont elles ne veulent pas, puisque leur seule attente,
c’est d’être reconnues.
Un effet contradictoire de cette position consistant
à assimiler la déficience à la normalité, c’est de
traiter l’ensemble de la population des handicapés
mentaux comme un tout homogène, alors que
52 Découvrir les déficiences intellectuelles

cette population est justement caractérisée par son


hétérogénéité. Celle-ci vient d’étiologies diverses,
de conditions de vie variées, mais aussi, plus
simplement, de différences individuelles consé-
quentes. Tous les déficients intellectuels, quelle
que soit la raison de leur déficience, présentent
une variabilité similaire à celle de la population
générale. Non seulement on a tendance à consi-
dérer cette population comme homogène, mais on
prend habituellement comme modèle dominant les
déficients profonds alors qu’ils sont extrêmement
marginaux. Ce phénomène provient sans doute
du fait que leurs caractéristiques sont beaucoup
plus frappantes que celles des handicapés légers
qui, eux, n’en ont guère. Pour donner une idée
des répartitions, on considère que les handicapés
profonds ou sévères ne représentent que 5 %, les
déficients moyens, 7 %, et les déficients légers,
88 % : une écrasante majorité !
Rappelons que le degré de déficience est déterminé
par le quotient intellectuel qui est donné par le
résultat d’un test, comme le wisc qui, après avoir été
présenté sous une forme figée pendant longtemps,
est aujourd’hui très régulièrement actualisé ; ce qui
témoigne du souci de tenir compte de l’évolution
des personnes testées mais aussi de l’environne-
ment, de ses sources d’information et d’apprentis-
sage. Ce test propose des questions censées faire
le tour de l’ensemble des critères d’intelligence,
Définir le handicap : décrire ou condamner ? 53

la moyenne étant établie par le nombre moyen des


personnes d’un âge donné capables d’y répondre.
Sont considérés déficients ceux dont le quotient est
inférieur à 75. La déficience légère s’établit entre
50 et 75, la déficience moyenne entre 35 et 50, la
déficience grave ou sévère entre 20 et 35, et la défi-
cience profonde en dessous de 20.
Notre époque a beaucoup de mal à accepter la
« différence », qu’elle assimile au manque, à la
perte et à la mort. Elle tente de la nier par tous les
moyens, mais essentiellement par le discours. Cela
se traduit de manière assez flagrante dans deux
tendances :
– le désir et la tentative de vouloir assécher toute
dimension fantasmatique au profit de ce qui serait
définitivement objectif. Les choses sont alors
décrites selon une vérité qui serait entièrement la
leur. Il n’y a plus de place pour les affects. Pour
bien percevoir quelque chose, il suffirait donc
d’être bien informé à son propos. Ce qui permet de
se débarrasser de toute culpabilité : si je sais, je fais
et si je sais bien, je fais bien. Dans le cas contraire,
il convient de m’aider. De là l’idée simpliste que,
devant la persistance de réactions jugées archaïques
ou d’un autre âge, il suffit de « changer les menta-
lités ». Là encore, pour arriver à un tel objectif,
il suffirait de produire la bonne information pour
convaincre.
54 Découvrir les déficiences intellectuelles

Une telle démarche suppose l’idée d’une trans-


parence totale et abandonne celle d’inconscient.
Individus et groupes sauraient ou pourraient savoir
ce qu’ils font. Autrement dit, nous serions à même
de connaître notre système de pensée et de le modi-
fier à notre guise. C’est un non-sens : un système
de pensée nous fait agir et n’est repérable que dans
l’après-coup. Si nous en dépendons et que nous
participons en permanence à sa création, il nous
échappe totalement. Réfléchir sur ce système de
pensée auquel on appartient se fait avec les outils
rendus disponibles par ce même système.
Ce fantasme nouveau est un héritage direct de l’idée
que notre société s’est définitivement dégagée de
toute notion de transcendance. Si tout est imma-
nent, tout peut être décrété. Le monde se construit
alors dans le discours qui parle de lui ;
– le déclassement de la psychiatrie qui, de science
de l’esprit, (re)devient une discipline médicale et
qui abandonne de plus en plus les psychothérapies
au profit des thérapies médicamenteuses. « [Elle
perd] sa dimension sociale autrefois prédominante
au profit de la gestion sociale du handicap, relevant
non pas de la direction de la santé mais directement
des Affaires sociales et de l’action sociale 7 ». Les
psychiatres ont lutté contre cette évolution avec

7. R. Liberman, « Approche historique et sociologique de la construc-


tion du concept de handicap », op. cit.
Définir le handicap : décrire ou condamner ? 55

ténacité mais sans grand succès. Cette évolution


dénote justement un changement de système de
pensée et dépend donc du groupe social dans son
entier, groupe de plus en plus large puisque, sur
la question, il englobe de nombreux pays, voire
plusieurs continents (en tout cas la vieille Europe
et une grande partie de l’Amérique). Dans cette
évolution, le handicap mental apparaît « comme
concept de substitution à celui de maladie mentale
chronique » (Liberman). Or, si la maladie mentale
avait gagné depuis quelques siècles une dimension
dynamique autorisant son évolution, le handicap
mental fige, par définition, le « malade » dans un
statut neutralisé.
Très concrètement, on a vu dernièrement l’au-
tisme infantile quitter le rang des psychoses pour
être reconnu comme un handicap. Ce choix peut
se comprendre pour des parents lassés d’être dési-
gnés comme l’origine des maux de leur enfant,
mais il n’est pas sans conséquences sur l’idée que
l’on se fait du dynamisme psychique. On peut s’en
apercevoir pour les maladies mentales auxquelles
on trouve de plus en plus une origine génétique,
ou pour lesquelles on isole un dysfonctionne-
ment cérébral précis : l’écart du sujet par rapport
à la norme s’explique physiologiquement et peut
être réduit par l’utilisation des molécules adaptées
ingérées sous forme de médicaments. La dépres-
sion elle-même n’échappe pas à cela, à laquelle on
56 Découvrir les déficiences intellectuelles

répond un peu facilement en prescrivant ce que de


nombreux médecins n’hésitent pas à appeler « la
pilule du bonheur ».
Réduire la norme au seul objectif enviable,
atteint par équilibrages médicamenteux, suppose
l’abandon de toute dimension tragique dans la
destinée humaine.
Il est indéniable que la recherche d’un terme satis-
faisant pour désigner le handicap et le désir de
rapprocher le handicapé d’une norme témoignent
de l’aptitude et du choix de nos sociétés à accueillir
la différence. Malgré cela, la tentative, si généreuse
qu’elle paraisse, échoue toujours en cours de route
parce que le handicap ne se laisse jamais absorber
tout entier. Le recours restant pour le psychisme est
alors celui du déni, c’est-à-dire du refus de recon-
naître une réalité traumatisante qui est décrétée
non présente. Socialement, c’est dans le va-et-
vient permanent entre deux disparitions, celle de
l’assimilation et celle du rejet, que se rencontre le
handicapé.
3

Rencontres avec le handicap

L’ANNONCE DU HANDICAP
Il faut bien un temps de rencontre avec le handicap.
Si, dans la vie quotidienne de la plupart des gens,
cette rencontre est le plus souvent fortuite, il n’en
est pas de même pour les parents qui se trouvent,
eux, confrontés à une réalité qui les concerne au
premier chef puisqu’il s’agit de celle de leur enfant.
Depuis une vingtaine d’années, on insiste beaucoup
sur l’annonce du handicap, d’une part parce qu’on
s’est aperçu à partir du témoignage des parents
qu’elle pouvait être traumatisante et que, d’autre
part, la diffusion des connaissances fait qu’actuel-
lement il est impossible pour un médecin de ne pas
donner d’information de ce type.
58 Découvrir les déficiences intellectuelles

Naguère encore, aucun praticien ne se pressait


pour annoncer un diagnostic, et celui-ci apparais-
sait après une quête assez longue et angoissée de
parents qui se rendaient bien compte que quelque
chose n’allait pas chez leur enfant. Une telle
attente pouvait même concerner des pathologies
aussi faciles à diagnostiquer que la trisomie 21.
Cette situation paraît inconcevable de nos jours
et serait même perçue comme une faute médicale.
Notre temps étant à l’accélération, l’annonce du
diagnostic intervient très rapidement, aussitôt que
possible, en fonction de la pathologie.
Les annonces anciennes, quand elles interve-
naient, énonçaient quelque chose de définitif. Elles
renvoyaient à un domaine mal connu et réveillaient
peu de fantasmes, car les références sociales à la
déficience étaient rares. Elles avaient tendance à
plaindre les parents, à déclasser l’enfant, voire à
l’annuler. « Mes pauvres gens, vous savez, votre
enfant, il ne parlera jamais ; au mieux, il pourra
garder les vaches ; au pis… » La tendance à l’an-
nulation a persisté longtemps et se poursuit parfois
de nos jours : « Vous êtes jeunes, oubliez celui-là,
faites-en un autre ! » Préconisation plus fréquente
lorsque l’enfant handicapé est un premier-né. Dans
la bouche de l’annonceur, l’abandon apparaît alors
comme une alternative possible, laissant supposer
que l’enfant différent peut être oublié sans laisser
de cicatrices. Dans tous ces cas-là, les parents
étaient renvoyés à leur solitude.
Rencontres avec le handicap 59

Depuis, les effets de l’annonce ont été bien


étudiés. Tous les parents parlent de quelque chose
qui évoque un tremblement de terre. Le monde
s’écroule autour d’eux, les repères s’effritent avec
les certitudes, l’avenir n’existe plus.
Pour expliquer ce phénomène, nous avons déjà
évoqué la peur de l’étrangeté et le rejet de l’étranger
qui la représente, ainsi que les vœux de mort qui
l’accompagnent et la culpabilité qui en découle.
À cela, on peut ajouter deux observations assez
constantes :
– il est classique de parler de blessure narcissique
liée à la brutale apparition d’un enfant réel qui ne
correspond pas à l’enfant imaginaire. Dans toute
grossesse désirée ou acceptée, l’attente s’effectue
dans l’inflation narcissique et le plaisir de se voir
prolongé. L’enfant vient s’inscrire dans une chaîne
des générations, accepter tacitement son héritage
– qui à ce moment-là ne peut qu’être favorable –,
reprendre le flambeau et développer les qualités
parentales. Il vient dire les effets constructifs de
l’amour et s’annonce comme celui qui prolonge
à l’infini la lignée. Il reprend aussi toute la dyna-
mique relationnelle infantile de ses parents (ce qui
reste mal résolu du complexe œdipien) en propo-
sant implicitement un pacte qui suppose que les
éléments négatifs trouveront cette fois-ci une issue
positive. L’enfant handicapé vient évidemment
briser tout cela, rompre la chaîne des générations et
60 Découvrir les déficiences intellectuelles

renforcer les éléments négatifs encore flottants du


complexe d’Œdipe (c’est ce qui explique en partie
les conflits ou les incompréhensions qui surgissent
entre parents ou grands-parents, mais aussi l’enga-
gement parfois excessif de ces derniers qui inter-
disent à leurs enfants de devenir totalement parents
à leur tour) ;
– bien que moins souvent évoqué, un deuxième
sentiment catastrophique est important. Les parents
perçoivent d’un seul coup que cet enfant-là ne les
quittera jamais, qu’il restera accroché à eux comme
une malédiction. Or, contrairement à ce que l’on
pense spontanément, la jouissance liée à la nais-
sance d’un enfant, l’idée même que l’on en profi-
tera longuement et que l’on voudrait ne jamais s’en
séparer, tout cela n’est possible que parce que la
séparation est toujours là, en filigrane, comme un
point d’avenir incontournable. Se sentir envahi,
définitivement, par cette espèce de vampire qu’est
l’enfant déficient participe à la déconstruction
psychique des parents et persiste dans la recons-
truction secondaire.
La teneur de la réaction fluctue en fonction de
l’époque : actuellement, les références sont plus
nombreuses et peuvent effrayer plus profondé-
ment les parents mais, a contrario, les connais-
sances sont plus profondes et les parents sont aussi
mieux préparés, au point que, parfois, ils sont
les premiers à poser des éléments diagnostiques.
Rencontres avec le handicap 61

Malgré tout, l’« annonceur » joue un rôle essentiel


et peut avoir une influence durable sur la vie fami-
liale et même sur le développement de l’enfant.
Les « annonceurs » plutôt, tant il est vrai que si
l’annonce initiale est importante, elle trouvera des
répliques (pour garder l’image du tremblement de
terre) chaque fois que le handicap posera problème
à nouveau, c’est-à-dire essentiellement pour tout
problème de santé et, surtout, d’orientation.
Il n’est plus possible de s’accrocher à l’idée que
l’annonce du handicap est forcément mauvaise
parce que son contenu est douloureux. Si ce qui est
annoncé est mauvais en soi (on ne peut pas, généra-
lement, souhaiter avoir un enfant handicapé), l’an-
nonce peut être humaine et surtout humanisante.
C’est d’ailleurs à cela qu’elle devrait tendre.
L’annonce faite à la naissance sert souvent de
modèle car, lorsqu’elle se fait ultérieurement, c’est
en reproduisant d’une certaine manière les condi-
tions de la naissance. En effet, dans ce cas-là, l’en-
fant « annoncé » est un enfant nouveau qui, d’une
certaine manière, doit être remis au monde.
Or, si la naissance donne une certaine tonalité
aux émotions qui accompagneront les relations
parents-enfant, elle est la première séparation,
celle qui servira de matrice à toutes les séparations
ultérieures, jusqu’à celle qui devrait permettre aux
enfants de se détacher psychiquement de leur mère
pour mener une vie d’adulte.
62 Découvrir les déficiences intellectuelles

La question de la séparation reste centrale chez


la personne handicapée. Sans doute parce que les
appareils psychiques des parents et de l’enfant se
sont imbriqués lors du « tremblement de terre »,
ces parents auront-ils du mal à imaginer leur enfant
devenir autonome. Celui-ci aura aussi du mal à
prendre son autonomie dans la crainte de blesser
ou de détruire ses parents en s’éloignant d’eux.
La parole de l’« annonceur » et de tous ceux qui
occuperont cette place par la suite est primordiale.
Elle peut prendre une dimension oraculaire et se
révéler destructrice ou, au contraire, reconnaître et
accueillir. Reconnaître, c’est accepter le temps et
l’espace nécessaires pour que l’enfant, y compris
quand il est nouveau-né, nous parle de lui.
Il aura fallu parler avant cela, pas forcément beau-
coup : dire aux parents ce que l’on sait, nommer
aussi. Parler à l’enfant, le nommer, lui dire le
handicap qui l’accompagne. Ouvrir ainsi le chemin
de son avenir, qui s’établit dans la parole. Ne pas
l’écraser dans son handicap, mais lui permettre de
s’en saisir à son tour pour qu’il puisse, quand cela
lui sera nécessaire, en parler lui aussi.
Quel que soit son âge, un enfant nous donne
toujours l’occasion de nous adresser à lui et de lui
parler de ce handicap qui est le sien. Alors sa toni-
cité change, son attention est toute grande : il est
dans la relation, interlocuteur.
Rencontres avec le handicap 63

Il convient de ne pas oublier que les parents sont


deux, père et mère. Qu’ils peuvent réagir diffé-
remment mais surtout qu’ils sont deux paroles et
que, déjà et toujours, dans leur complémentarité,
ils proposent à leur enfant de ne pas être prisonnier
d’une relation duelle.
Les réactions des parents sont variées. Certains
exprimeront une impossibilité insurmontable
à accepter l’enfant. D’autres témoigneront de
ressources qu’ils ne soupçonnaient pas eux-mêmes
pour aimer et accueillir cet enfant étrange.
Les réactions négatives doivent être acceptées. La
pire des choses que les parents vivent, c’est de se
sentir déshumanisés d’avoir donné naissance à un
enfant qui ne leur ressemble pas, qui semble ne
pas émaner d’eux. Il est bon de ne pas en rajouter
dans ce sens en laissant percer l’idée d’un jugement
négatif ou en partageant ce désir de rejet.
En n’oubliant jamais que personne n’a un pouvoir
prédictif sur le développement et l’avenir d’un
enfant, il est nécessaire de laisser se déployer les
incertitudes et les défaillances : elles existent chez
les parents comme chez les professionnels et elles
sont le signe de notre humanité. Cette humanité se
partage, contrairement à la douleur qui ne peut que
se comprendre et s’accompagner.
64 Découvrir les déficiences intellectuelles

Illustration clinique : Pierre


Laissons à Bruno Avitabile 1, père d’un garçon triso-
mique aujourd’hui âgé de 14 ans, le soin de nous
parler de son expérience concernant l’annonce du
handicap de son enfant :
Je suis seul avec Pierre. C’est son troisième jour à
l’air libre. Cela ne fait qu’une heure peut-être que
nous savons qu’il est atteint de trisomie. On nous
a laissés seuls tous les deux quelques instants,
après avoir entraîné sa mère pour une raison quel-
conque, dans un recoin de couloir de la maternité.
Il est là, couché dans son berceau à roulettes aux
parois transparentes et je le regarde. Pendant ce
face-à-face, une pensée insistante m’est venue
– d’où ? je ne sais : on nous a laissés seuls pour
que je mette un terme à l’histoire.
Ce moment arrangé m’en donne la possibilité.
Pincer doucement ses petites narines suffirait. Il
cesserait de respirer. Tout rentrerait dans l’ordre. Il
ne lutterait pas, je le sais. Il n’attend peut-être que
ce geste de moi. Je crois qu’il ne tient pas à cette vie
extérieure qui l’a déjà si violemment heurté.
Cette pensée ne me paraît à ce moment ni crime ni
déraison. Au contraire, laisser Pierre sans défense
dans ce monde, voilà ce qui me semblerait alors
cruel et coupable. Je suis responsable, vis-à-vis de
la société, d’avoir fait naître cet enfant. Je serais
coupable, peut-être, de le laisser vivre. Je sens

1. Extrait de « La posture du père », Le journal des psychologues, n° 226,


2005, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Rencontres avec le handicap 65

peser sur moi une charge très lourde. Une investi-


ture. La communauté des hommes réprouve cette
naissance – je l’ai entendue s’exprimer par la voix
autorisée du pédiatre – il m’incombe d’agir. Je ne
ressens aucune animosité envers ce bébé, mais au
contraire une grande compassion. Une étrange
détermination m’envahit. En tant que père, j’ai un
devoir sacré à accomplir.
J’ai refoulé longtemps le souvenir de cette minute.
Quand je le laisse revenir à ma conscience, je ne
trouve que cela : cette certitude d’avoir été l’instru-
ment d’un destin, l’exécuteur d’un fatum. Depuis,
j’ai découvert que cette expérience s’inscrivait
dans une très ancienne tradition, celle du conseil
des hommes décidant de la vie et de la mort de
l’enfant anormal, suivi, selon le verdict, de l’expo-
sition. Laïos conduisant son fils, Œdipe le boiteux,
à la mort. J’étais entraîné dans le cours irrésistible
d’un fleuve antique, vers un devoir qui me dépas-
sait. J’étais le rouage d’une très archaïque méca-
nique. La mère étant trop proche pour en décider,
trop solidaire, ce devoir incombait au père.
Cette tentation d’infanticide par étouffement
repose partiellement sur l’annonce qui a été faite,
quelques instants plus tôt. […] Dans le bureau, le
pédiatre manipule notre enfant en grimaçant, sans
s’adresser à lui, sans l’appeler par son nom. « Il est
mou. C’est une trisomie 21. » […] Cérémonie de
dégradation. Pierre n’est plus un bébé. Il n’est plus
digne de soins. Des soins de ce pédiatre. C’est un
corps manipulable, une matière molle. Le terme
66 Découvrir les déficiences intellectuelles

exact était : forte hypotonie. Il n’est plus un inter-


locuteur mais un objet de discours, un délocuté.
En quelques minutes, le docteur Carnaval nous
avait rendu notre enfant affublé d’un parfait
masque de mongolien, auquel rien ne manquait.
Combien de temps et d’efforts allait-il nous falloir
pour arracher ce masque et pouvoir enfin regarder
notre enfant ?
Le second message qu’il nous transmit lors de ce
rituel d’exclusion concernait sa santé et sa proba-
bilité de survie, selon lui compromise. Cette
affirmation ne reposait pas, comme nous l’avons
appris plus tard, sur des éléments fiables. Elle était
plutôt l’affirmation inconsciente d’un souhait.
Pour ce médecin des beaux bébés, cela ne devait
plus, n’aurait pas dû exister. Il passait ainsi, par
ce pronostic médical pessimiste, du désir à la
réalité. […]
Dans ce couloir de la maternité, je décidai de ne
pas pousser Pierre dans ce sommeil. De le garder
avec moi. Mais cette décision s’appuyait sur la
même assise : la croyance en l’étrangeté radicale
de Pierre. En refusant la charge d’exécuteur, j’en
assumais les conséquences : l’enfant que je lais-
sais vivre relèverait désormais entièrement de ma
responsabilité. Il devenait mon enfant. Je prenais
sa vie sur moi, devant les hommes et pour cette
instance invisible devant laquelle j’avais comparu
avec lui.
Rencontres avec le handicap 67

L’ANNONCE ANTÉNATALE
La possibilité de plus en plus grande de proposer
un diagnostic concernant le fœtus commence à
bouleverser notre rapport à l’enfant à venir. Elle
accélère l’urgence à poser ce diagnostic et accentue
l’idée d’une décision à prendre à l’égard du handi-
capé : même si les parents ont le choix, tout est mis
en œuvre pour appliquer une politique de « préven-
tion », c’est-à-dire un choix groupal, implicite, qui
accepte mal les émois des individus. La disponi-
bilité des images de plus en plus précises du bébé
in utero, mais aussi la possibilité de connaître
son caryotype, modifient profondément la dyna-
mique relationnelle dans laquelle il est pris sans
que nous ayons une idée des conséquences de cette
évolution. Le fœtus devient un être public bien
avant d’être prêt à naître et se trouve pris dans un
discours social qui n’a rien à voir avec les projec-
tions de deux lignées généalogiques, mais plutôt
avec un projet gestionnaire et relationnel. C’est ce
qui entraîne la nécessité de lui donner un statut juri-
dique sur lequel la société a du mal à se prononcer.
Devant un enfant né et vivant, les parents peuvent
faire un choix (qui n’est pas forcément commun)
d’abandon ou de vie commune. Dans le premier
cas, ils se séparent d’un être avec lequel ils conti-
nueront plus ou moins de mener une vie psychique
(pensées, satisfaction, regrets, remords, etc.) ; dans
le second, ils ont les ressources pour accepter la
68 Découvrir les déficiences intellectuelles

différence et aimer leur enfant handicapé, ou ils se


découvrent ces ressources.
Devant un fœtus, les arguments ne sont pas les
mêmes. L’idée centrale reste que l’enfant peut ou
aurait pu ne pas être là, à la suite d’une simple déci-
sion. Certains sont prêts à la prendre, d’autres pas.
Parmi ces derniers, certains sont aux prises avec de
nombreux sentiments contradictoires dans lesquels
ils ne se reconnaissent pas. Le seul fait d’avoir
été placé en situation de choix peut provoquer un
traumatisme psychique, parce que cela révèle les
sentiments agressifs et violents (habituels et banals)
à l’égard de tout enfant attendu, désiré ou non.
Alors que la possibilité d’éliminer les fœtus
porteurs d’un handicap est présentée de manière
univalente comme une bonne chose, de nombreux
futurs parents la vivent mal et dans une grande soli-
tude. Nous voyons régulièrement les effets de cette
souffrance solitaire en clinique. Il serait bon de
se le rappeler et de mieux entourer ces parents-là.
Même lorsqu’ils décident de garder leur enfant, ils
peuvent être laminés par une culpabilité considé-
rable du fait d’avoir explicitement désiré sa mort.

LE PROCESSUS D’ADAPTATION DES PARENTS


La réaction des parents enclenche un processus qui
va aboutir à l’acceptation de l’enfant handicapé (ou
à son rejet quand ce processus est incomplet). Il est
Rencontres avec le handicap 69

devenu classique de décrire ce processus en cinq


étapes, dont la connaissance permet une aide plus
adaptée (Evans ; Lamarche 2).

L’état de choc
Nous en avons parlé en utilisant l’image du trem-
blement de terre. Dans tous les cas, les parents
vivent une « crise » psychique et identitaire plus ou
moins importante. L’émotion est à son comble, ou
laisse place à une grande indifférence. Les parents
se sentent confus, effrayés, anxieux et coupables.
S’ils ont mille questions, ils sont peu réceptifs aux
réponses (ils resteront néanmoins marqués profon-
dément par certaines d’entre elles). Ils s’interrogent
sur les causes et l’origine de cette déficience et sont
abasourdis par le côté irréversible de la situation.

La contestation ou la négation
Le diagnostic est mis en doute ou refusé comme tel.
Certains parents consulteront d’autres spécialistes
ou liront toute la documentation disponible, d’autres
développeront un optimisme total sur le potentiel de
leur enfant appelé à stupéfier tout le monde ; d’autres

2. Auteurs cités dans J.-C. Juhel, La déficience intellectuelle, Chro-


nique sociale, 2012 (première édition aux Presses de l’université de
Laval, 1997). Juhel présente une synthèse que nous reprenons ici ;
E.C. Evans, « The grief reactions of parents of the retarded and the
counsellor’s role », Australian Journal of Mental Retardation, vol. 4,
1976 ; C. Lamarche, L’enfant inattendu, Montréal, Boréal Express, 1987.
70 Découvrir les déficiences intellectuelles

encore sembleront détachés et se libéreront dans


une hyperactivité au travail. La colère est souvent
déjà présente à ce stade : elle est préférentiellement
dirigée contre les équipes médicales.
La négation est habituelle et nécessaire. Elle donne
le temps d’assimiler la révélation initialement trop
brutale. Une certaine réalité trop crue du handicap
risquerait de plonger les parents dans un désespoir
profond.

Le désespoir, la colère, l’anxiété, la tristesse


La déficience de l’enfant s’impose, provoquant
colère et désespoir des parents. D’où vient ce
mal ? Pourquoi chez eux ? Qu’ont-ils fait ? Arri-
veront-ils à s’occuper de leur enfant ? Autant de
questions sans réponse, noyées dans des sentiments
contradictoires à l’égard de l’enfant, parmi lesquels
prédomine un vœu de mort rarement conscient et
qui redouble la culpabilité.
L’équilibre psychique peut être mis en jeu, surtout
s’il était déjà précaire. C’est le moment le plus
propice à l’éclatement des conflits anciens et
latents, entre les conjoints, mais aussi avec la géné-
ration précédente.
La coexistence des sentiments contraires est remise
à l’épreuve avec la reconquête à faire de l’ambi-
valence (acceptation possible des contraires,
comme nécessaire souplesse psychique).
Rencontres avec le handicap 71

La déficience est plus visible : les progrès de l’en-


fant sont trop lents. Tout se polarise sur l’enfant,
qui est cause de déception et cible d’agressivité.
Celle-ci se transforme souvent en surprotection
et, détournée de son but, s’adresse aux soignants,
forcément incapables, ou à la société perçue indif-
férente ou bêtement apitoyée.

Le détachement et l’adaptation
Cette phase intermédiaire est celle d’une accepta-
tion apparente de la réalité du déficit de l’enfant.
La vie semble avoir repris son rythme, mais une
attention plus profonde montre une résignation
qui s’établit dans le silence. Chacun des parents
est isolé : aucun échange n’est possible et tout est
mécanique. Un peu comme si le handicap prenait la
place essentielle de la vie et que tout le reste avait
définitivement perdu toute saveur.

L’acceptation
Les limites de l’enfant semblent admises de
manière réaliste, c’est-à-dire que les parents
peuvent accepter les aides nécessaires sans pour
autant en rechercher systématiquement d’autres
qui seraient plus aptes à nourrir leurs rêves. L’en-
fant prend une place plus appropriée dans la rela-
tion et la fratrie, sans doute parce que les parents
peuvent enfin reconnaître leurs sentiments à son
égard, les bons comme les mauvais. Ils peuvent
72 Découvrir les déficiences intellectuelles

souhaiter pour lui un bon développement et une


bonne intégration.
La pertinence de ce parcours pratiquement idéal est
loin de faire l’unanimité. Pourtant, il décrit assez
bien différents moments de vie. Simplement, il
n’aboutit pas pour tout le monde, et de nombreux
parents restent plus ou moins fixés à l’une des
étapes. De plus, aucune d’elles n’est acquise et
n’importe quel événement de la vie peut amener
les parents à revivre le processus dans son entier.
Le fait de l’avoir déjà parcouru n’est en aucun cas
une garantie que la reprise en sera facilitée.
Après le choc initial, il convient de survivre. L’idéal
est sans doute trouvé lorsque les parents arrivent à
communiquer entre eux, à poursuivre leur vie dans
un équilibre entre intérieur et extérieur (famille-
maison/social-travail) et à se comporter avec leur
enfant handicapé avec le maximum de spontanéité,
à peu près comme ils auraient pu le faire en l’ab-
sence de handicap.

LA FRATRIE
Deux choses essentielles ont changé pour les frères
et sœurs.
Les connaissances disponibles dans le tissu social
à propos des déficiences ont permis de diminuer la
honte qu’ils peuvent ressentir. Ils hésitent moins à
présenter leur frère ou leur sœur handicapé(e) et,
Rencontres avec le handicap 73

du coup, s’isolent moins. La notion de tare fami-


liale étant dévaluée, ils craignent moins les risques
de transmission et ne voient plus la nécessité de
choisir le célibat à cause de cela.
Les parents ont compris qu’ils ne devaient pas leur
confier la garde du handicapé, d’autant plus qu’ils
sont globalement moins inquiets pour son avenir.
Ils ont surtout mesuré à quel point cette démarche
pouvait être préjudiciable pour leur santé, y compris
mentale, et leur vie.
Nombreuses sont les personnes qui ont abandonné
bien des ambitions sociales et professionnelles
pour se consacrer à leur frère ou leur sœur handi-
capé(e), et on ne compte plus celles qui ont renoncé
à fonder une famille.
Naguère encore, on pouvait rencontrer ces couples
fraternels, repliés et aigris, dans lesquels les senti-
ments de haine et l’agressivité n’arrivaient même
plus à être cachés par le dévouement. On peut
le dire, dans de telles conditions, les vies étaient
gâchées.
Nous n’en sommes heureusement plus là, mais, de
ce fait, on a souvent tendance à négliger le vécu
douloureux de la fratrie. Les parents, qui ont des
raisons d’être anxieux et de se méfier des senti-
ments négatifs pour bien les connaître eux-mêmes,
ont tendance à survaloriser l’amour qui existe
souvent entre frères et sœurs. Il est vrai que les
74 Découvrir les déficiences intellectuelles

frères et sœurs n’ont pas à vivre le traumatisme que


constitue le fait d’avoir donné vie à une personne
handicapée, mais ils vivent avec celle-ci au quoti-
dien, partagent la même origine, ont à affronter le
regard des autres et à se construire dans une dyna-
mique familiale faussée. Notamment, tout ce qui
relève de la jalousie, sentiment normal et indispen-
sable dans une fratrie, est déformé par la présence
du handicap. D’abord parce que leurs parents
n’ont pas le même rapport avec l’enfant handicapé
(qui bénéficie objectivement de beaucoup plus de
temps et d’attention qu’eux), ensuite parce qu’ils
doivent faire face à leur propre culpabilité quand ils
détestent ce frère ou cette sœur qui, déjà, souffre de
son handicap et qui est perçu(e), de ce fait, malheu-
reux ou malheureuse.
Les frères et sœurs de handicapé sont généralement
beaucoup plus mûrs et plus rapidement que les
autres. Plus raisonnables aussi. Mais, à y regarder
de plus près, pas de manière homogène : dans le
domaine affectif, ils présentent plutôt un décalage
inverse.
De manière non négligeable, ils choisissent aussi
préférentiellement des métiers d’aide et de service,
notamment dans la santé et le social. Cela est une
bonne motivation (même inconsciente) pour choisir
un tel métier et le résultat d’une saine sublimation,
pourvu que cela ne s’accompagne pas d’un désir
hyperactif de réparation.
Rencontres avec le handicap 75

La fratrie se sent souvent isolée et n’a guère l’occa-


sion de parler de ce qu’elle vit. Parallèlement, elle
a l’impression que le phénomène inverse se produit
pour le handicapé qui est toujours au-devant de la
scène. Il est donc important de proposer des temps
et des lieux de parole pour les frères et sœurs.

LA NORME ET SES FRONTIÈRES INDÉSIRABLES


ET TENACES

Parmi les réactions parentales, l’une consiste


à modifier l’environnement pour le mettre au
service des handicapés. Quelquefois, cela se fait de
manière désordonnée et pathétique et ne sert qu’à
attiser les conflits entre parents et environnement,
surtout professionnel. Mais, la plupart du temps,
cette volonté se double d’un fort activisme et se
révèle à la base de nombreuses initiatives et créa-
tions. Ce cas de figure se rencontre assez fréquem-
ment chez les présidents d’une association. C’est
plutôt le fait de pères qui s’occupent ainsi de leur
enfant, laissant le plus souvent à leur femme tout ce
qui relève du quotidien et du contact avec celui-ci.
Cette volonté de modifier l’environnement n’est
pas forcément réaliste, puisqu’elle relève du déni,
mais elle sert de moteur à la dynamique des prises
en charge qui doivent évoluer avec le temps. Elle
rencontre la résistance des professionnels pragma-
tiques et rationnels.
76 Découvrir les déficiences intellectuelles

La friction entre le volontarisme parental et la


prudence conservatrice des professionnels est
souvent à l’origine des meilleures innovations.
Bien sûr, ces positions, qui peuvent être inversées
à l’occasion, sont présentées ici de manière un
peu caricaturale : il arrive notamment que profes-
sionnels et parents fassent alliance et décident de
travailler en bonne intelligence. Cette option fonc-
tionne toujours au bord du déséquilibre, tant il est
vrai que les engagements psychiques des uns et des
autres sont différents.
Les prises en charge s’effectuent en fonction d’une
notion de frontière : l’enfant, pour une raison ou
pour une autre, ne trouve pas de réponse satisfai-
sante dans le milieu traditionnel. À partir de ce
moment-là, il va falloir lui trouver une réponse plus
adaptée, ce qui nécessitera une évaluation de son
état et de ses besoins qui permettra de déterminer
une orientation. L’ensemble de cette démarche qui
paraît efficace et légitime s’inscrit toujours dans un
projet social et informe sur l’attente du groupe à
l’égard de ses déviants.
Une fois évalué, l’enfant est inscrit dans un groupe
déterminé : par exemple, il quitte le groupe des
enfants normaux (« ordinaires » comme l’on dit
maintenant du plus profond d’un malaise à l’égard
de ce problème), pour rejoindre celui des déficients.
Une fois là, il aura encore à trouver à quelle sous-
classe il appartient.
Rencontres avec le handicap 77

Le test d’intelligence : un outil au service de la norme


Cette notion de frontière est très bien illustrée par
un exemple fondateur dans ce domaine.
En pleine ère industrielle, le psychologue Binet 3
se voit confier la mise au point d’un outil qui
devrait permettre de repérer à l’école les jeunes en
difficulté, mais « récupérables », c’est-à-dire ceux
qui, avec une aide particulière, pourront finale-
ment apprendre à lire et devenir de bons ouvriers.
La commande est explicite. Elle lie l’école et le
monde de la production, la première devant être au
service du second.
En 1905, Binet propose son échelle qui servira de
prototype à tous les tests d’intelligence ultérieurs
et qui sera améliorée pour déterminer le fameux qi
(quotient intellectuel).
L’école est alors obligatoire depuis une vingtaine
d’années et, déjà, elle crée les premières classes
de perfectionnement qui récupèrent les élèves en
perdition mais suffisamment « intelligents » pour
apprendre le minimum des bases nécessaires à
la formation d’un ouvrier. On ne sait pas ce que
deviennent, à cette époque, les élèves qui ne réus-
sissent pas le test.
À partir de ce moment-là, le principe est acquis.
Seules les propositions vont évoluer et se diversifier,

3. A. Binet, Les enfants anormaux, Privat, 1978.


78 Découvrir les déficiences intellectuelles

mais la base même des éléments qui permettront à


une commission de se prononcer sur l’avenir d’un
enfant comprendra des résultats à un test psycho-
technique et des commentaires autour de ceux-ci.
Surtout, l’idéologie sera en place, qui rêvera d’un
moyen objectif de déterminer le profil intellectuel
et psychique de tout un chacun.
L’école, moyen de démocratisation et d’intégration,
se révèle donc rapidement un milieu qui produit de
la marginalité et de l’exclusion. Elle détermine les
attentes fondamentales d’une société (savoir lire
et écrire, par exemple) et sélectionne ceux qui ne
répondent pas à ces critères. Cette contradiction va
aller en s’amplifiant – le modèle proposé par l’école
étant de plus en plus uniforme et tenant de moins
en moins compte des particularités d’apprentissage
de chaque élève – en laissant peu d’alternatives,
tout simplement parce que les modes d’insertions
sociales par le travail se sont appauvris considéra-
blement pour les illettrés. L’école et ses apprentis-
sages continuent à préparer les enfants au monde
du travail. Ce qui veut dire que ceux qui seront
exclus de ce monde-là le sont déjà à l’école.
La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école
de la République, dite loi Peillon, affirme et précise
les souhaits du gouvernement qui pose les fonde-
ments d’une école juste, exigeante et inclusive. Le
texte crée les conditions de l’élévation du niveau de
tous les élèves et de la réduction des inégalités.
Rencontres avec le handicap 79

Les étapes frontières : repères humanisants


Dans le développement de l’enfant, l’acquisition de
la marche, celles de la parole et de la lecture appa-
raissent cruciales et symboliques ; elles servent
souvent à attirer l’attention et peuvent s’imposer
comme critères dans l’établissement des frontières.

– La marche
Cette étape peut sembler anecdotique car, finale-
ment, très peu d’enfants se révéleront incapables de
marcher. Parmi ceux-là d’ailleurs, certains ne sont
pas concernés : ce sont ceux qui ne marchent pas
pour des raisons fonctionnelles. Ils apparaissent
alors comme des marcheurs non marchants.
Un retard de l’âge d’acquisition de la marche
entraîne très vite un malaise par comparaison
avec les autres enfants. Même en dehors de tout
problème avéré, cette situation peut entraîner
chez les parents une certaine angoisse (pourquoi
ne marche-t-il pas ?) et même une certaine honte
(qu’est-ce que j’ai fait pour qu’il ne marche pas ?).
Mais le plus difficile est l’absence de marche chez
l’enfant déficient, car la station debout est vécue
comme un premier signe d’humanisation. Il y a
alors quelque chose d’humiliant à voir son enfant
demeurer à quatre pattes, et de terrifiant à imaginer
qu’il le restera toujours. Cette peur réveille l’idée
que le déficient se situe à mi-chemin entre le
80 Découvrir les déficiences intellectuelles

monde animal et celui des hommes. L’attente du


moment se fait dans l’angoisse. Il arrive même que
des parents ne voient pas les premiers pas de leur
enfant parce qu’ils attendent une marche parfaite
qui infirmerait la déficience.
Illustration clinique : Mariette
C’était il y a bien longtemps. Cela pourrait presque
commencer par « Il était une fois »…
Nous sommes dans un bureau, un couple, un
enfant et moi, les adultes assis autour d’une table.
Madame M. m’explique son désespoir. Sa fille
Mariette, 3 ans, souffre d’un handicap mental
sévère et accuse un retard de développement
massif qu’elle craint insurmontable. Notamment,
elle pense que sa fille ne marchera jamais, ou en
tout cas bien trop tard pour lui permettre une
intégration, même partielle, à l’école maternelle.
Le père ne dit rien, un peu absent.
Comme ce couple ne présente pas de troubles
psychiques patents, je me crois naïvement auto-
risé à leur signaler ce qui se passe près de nous :
pendant que sa maman parle, Mariette court
autour de la table, manifestement avec beaucoup
de plaisir si l’on en juge par ses rires. Je le dis donc,
aussi simplement que cela.
Je ne provoque que stupeur et incrédulité chez
madame M., qui ne comprend visiblement pas de
quoi je parle. Elle n’établit pas de liens entre ses
paroles désespérées et la réalité que sa fille expose
brillamment et bruyamment en galopant.
Rencontres avec le handicap 81

Par la suite, nous travaillerons quelques années


ensemble, jusqu’aux 12 ans de Mariette, entre-
tenant avec ses parents de bons rapports. Mariette
suivra son petit bonhomme de chemin, utilisant
un langage pauvre mais compréhensible, maîtri-
sant une bonne autonomie globale, au point de
se déplacer seule et d’assurer quelques courses, et
s’insérant dans le milieu du travail protégé, pour sa
propre satisfaction et celle de ses « employeurs ».
Malgré cela, une des premières choses que me
dit madame M. lorsque je la revis (Mariette avait
près de 20 ans) se rapportait à notre première
rencontre. Elle m’en voulait toujours de la violence
des propos que j’avais tenus à cette occasion,
qu’elle considérait encore comme une espèce de
condamnation arbitraire et sans appel. Elle m’ex-
hortait à plus de prudence et de mesure, mais
surtout à plus d’humanité.
Je n’ai jamais bien compris ce que madame M.
avait pu entendre ce jour-là, considérant qu’il
valait mieux accepter de tenir le rôle du mauvais
objet sans entrer dans une argumentation qui n’au-
rait pu que se révéler polémique. Mariette ne s’en
trouva pas mal, et sa mère put sans doute trouver
une cause à une blessure insupportable.

– La parole
Plus encore que la marche, la parole signe le statut
d’homme. Les parents d’un enfant déficient vivent
dans la crainte que celle-ci n’arrive pas, confirmant
par l’absurde une espèce de statut étrange – dans ce
82 Découvrir les déficiences intellectuelles

domaine, tous les fantasmes sont permis. Combien


de fois a-t-on pu entendre l’idée que les triso-
miques, rassemblés, parlaient entre eux une langue
spécifique, innée, compréhensible spontanément
et par eux seuls, une espèce de langue des anges ?
Très fréquemment, dans cette crainte, les parents
vont confondre aptitude à parler et capacité
à communiquer, ce qui va se traduire par une
mauvaise compréhension de l’enfant. Sponta-
nément, tout parent interprète le comportement
de son bébé et le traduit en paroles. Les parents
se font confiance et font confiance à leur petit :
l’échange entre eux a du sens et prend sens. C’est
pourquoi on dit que c’est l’enfant qui fait le parent.
Dans ce jeu d’échanges à base d’interprétations,
les mots avancés finissent par s’associer à ce
qu’ils désignent, sans que cela ne pose jamais de
problème particulier. Cette confiance n’existe
généralement pas avec l’enfant handicapé qui ne
peut, de fait, confirmer les parents dans leur action :
ceux-ci doutent en permanence, d’eux-mêmes et de
leur enfant. Les erreurs, très nombreuses et habi-
tuelles dans les relations précoces entre parents et
enfant, deviennent ici catastrophiques. Les malen-
tendus s’installent.
Les premières paroles sont attendues avec une
impatience démesurée et, généralement, elles sont
très mal reconnues. Elles sont rares, mal pronon-
cées et, paradoxalement, permettent de mesurer
Rencontres avec le handicap 83

l’écart qui sépare le développement de l’enfant


handicapé de celui de l’enfant normal. Les paroles
tant espérées provoquent alors une véritable dépres-
sion, parce qu’elles assènent le handicap là où l’on
espérait qu’elles l’atténueraient.
La parole est aussi ce qui favorise l’intégration, par
le biais des échanges qu’elle permet, mais aussi par
la reconnaissance des codes sociaux facilement
repérables.
Malgré cela, et bien qu’il soit toujours douloureux
de ne pas pouvoir échanger avec la finesse que
permettent les mots, il ne faut pas confondre parole
et communication. Il y a des enfants handicapés
qui parlent peu ou pas et qui communiquent très
bien, et d’autres qui présentent les caractéristiques
inverses. Ce sont les premiers, toujours, qui s’in-
tègrent le mieux et qui nourrissent le plus de rela-
tions aux autres.

– La lecture et l’écriture
L’acquisition de la lecture représente une espèce
d’étape ultime : elle viendrait confirmer l’appar-
tenance à l’humanité (civilisée qui plus est) par
la maîtrise d’un langage symbolique, par défini-
tion spécifique à l’homme, et aussi donner les clés
d’accès à une société qui, de plus en plus, semble
s’organiser autour de cet outil.
84 Découvrir les déficiences intellectuelles

Ne pas savoir lire et écrire est toujours représenté


comme un drame personnel et comme un fléau
collectif. Bien évidemment, l’écriture facilite la
transmission, la communication et la rétention d’in-
formations. Elle permet d’accéder à des connais-
sances et de les développer. Elle a bouleversé le
monde et restructuré les réseaux du pouvoir. Elle
est, jusqu’à maintenant et après avoir pris le relais
de la parole, le principal et souvent le seul moyen
utilisé et mis en œuvre par les pédagogues.
Son apprentissage semble aller de soi : le seul fait
qu’il ne soit pas possible suffit à stigmatiser les
élèves, à les exclure du milieu scolaire traditionnel
et à les éloigner du monde du travail normal. Or, on
le sait mieux, les difficultés d’apprentissage dans ce
domaine se retrouvent dans des populations extrê-
mement variées et ont des causes multiples. Pendant
très longtemps liées à un manque d’intelligence
(déficience) ou à un choc culturel (enfants d’im-
migrants ou du quart-monde), elles se retrouvent
chez des enfants que rien ne distingue apparem-
ment des autres, mais qui auraient des stratégies
d’apprentissage très différentes ou une organisation
neurologique particulière (dysphasie). Très concrè-
tement, cela veut dire qu’on ne peut pas déduire de
ces difficultés qu’elles se retrouveront ailleurs, et
que des illettrés peuvent être tout à fait capables
dans d’autres domaines, même complexes.
Rencontres avec le handicap 85

Cette constatation paraissait évidente dans une


société comme la nôtre, il y a encore quelques
décennies, qui proposait de nombreux emplois
ne nécessitant pas cette maîtrise. La qualification
des formations et des emplois passant de plus en
plus par l’écriture, cette alternative a pratiquement
disparu.
Rien ne dit que cette situation soit irrévocable.
D’une part, en dehors des formations initiales, il
y a de nombreuses personnes qui n’utilisent prati-
quement jamais l’écrit dans leur vie, sinon pour
les quelques papiers officiels incontournables et
pour signer un contrat de travail et des chèques.
D’autre part, l’écrit s’efface progressivement dans
notre environnement au profit d’une certaine icono-
graphie comme en témoigne la signalétique, mais
aussi l’informatique (de nombreux jeunes défi-
cients utilisent des jeux informatiques complexes
sans savoir lire un seul mot). Il est bien possible que
l’image supplante bientôt l’écrit pour le commun et
au quotidien, l’écrit restant alors l’outil du pouvoir.
Quoi qu’il en soit, actuellement, ceux qui le
maîtrisent déclassent ceux qui n’y accèdent pas.
L’écrit représente donc en même temps un outil
dont on ne saurait nier l’efficacité et la pertinence,
et un symbole. C’est sans doute cette dernière
dimension à laquelle les parents d’un enfant défi-
cient voudraient désespérément voir accéder leur
progéniture.
86 Découvrir les déficiences intellectuelles

L’écrit comme outil


En effet, en ce qui concerne l’outil, les parents
souhaitent que leur enfant sache lire un minimum
pour pouvoir se débrouiller dans la rue et retrouver
son chemin s’il se perd. À côté de ce premier
argument hégémonique, vient celui du plaisir, de
l’accès à la culture.
Que l’enfant (ou l’adolescent ou l’adulte) puisse se
perdre et ne pas retrouver son chemin met en scène
toutes les difficultés de séparation et les fantasmes
d’abandon qui illustrent le vœu de mort déjà
évoqué. On retrouve ces fantasmes mis en scène
dans les contes tels que Le petit poucet 4 ou Hansel
et Gretel 5. Or, dans la réalité, les non-lecteurs,
comme beaucoup de lecteurs d’ailleurs, utilisent
d’autres indices visuels que la lecture pour se
repérer et, parmi ceux qui se perdent, ce sont ceux
qui communiquent le mieux (avec ou sans paroles,
comme nous l’avons vu plus haut) qui s’en tirent le
plus facilement.
Quant à l’accès à la lecture plaisir (qui reste ignorée
de bon nombre de lecteurs non déficients), il y a
sans doute là aussi une nostalgie d’un enfant non
déficient que la lecture révélerait.
Le jeune déficient se représente très mal ou pas du
tout la finalité de la lecture et se contente souvent

4. C. Perrault, Contes de ma mère l’Oye, 1697.


5. J. Grimm et W. Grimm, Contes d’enfants et du foyer, 1812.
Rencontres avec le handicap 87

d’imiter le comportement du lecteur en feuilletant


des livres illustrés qu’il ne regarde pas toujours.
Or, la représentation du but est indispensable pour
l’apprentissage.
L’écrit comme symbole
La maîtrise de la lecture et de l’écriture démen-
tirait la déficience intellectuelle ou relativise-
rait grandement son importance. On peut tout
à fait comprendre que cette maîtrise représente
une espèce de seuil, une frontière, comme nous
l’avons dit : c’est un signe objectif, repérable et
transmissible d’une compétence dans un domaine
complexe, partageable, qui détermine une commu-
nauté de vie et d’intérêt avec le plus grand nombre.
L’acharnement pédagogique
Actuellement, on peut dire qu’un jeune déficient
intellectuel qui en a les moyens apprendra à lire,
quelle que soit la filière par laquelle il passe. Tel
n’a pas toujours été le cas, et il a fallu là aussi bien
des batailles et bien des engagements pour que les
choses changent.
Il a fallu sortir de l’orthodoxie et amender l’ap-
proche piagétienne, parangon unique et inattaquable
de l’Éducation nationale pendant des décennies, qui
« confond intelligence et connaissances, activité de
88 Découvrir les déficiences intellectuelles

connaissance et activité en général 6 » et qui cadre


l’apprentissage de la lecture dans un développe-
ment cognitif immuable et nécessaire, le fixant à
un âge déterminé.
Il a fallu bien des innovations pédagogiques, des
convictions et de la patience, mais aussi des réorga-
nisations d’établissements et de projets éducatifs.
Grâce à tout cela, on a vu augmenter peu à peu
le nombre des lecteurs déficients ; certains d’entre
eux ont appris à lire à 7 ans, d’autres à 18. Tous
avaient compris dans quoi ils s’engageaient et à
quoi ils voulaient aboutir. Lecture fluide ou fonc-
tionnelle, toujours tributaire du vocabulaire et de
la syntaxe maîtrisés, acquise en deux ou trois ans
d’apprentissage réel.
Malgré ces progrès, le plus grand nombre des défi-
cients reste non lecteur et, dans l’état actuel des
connaissances, devrait le rester. Ce qui n’a rien
d’étonnant : si la capacité de lire ne nous informe,
comme le font les tests, que sur une forme de la
cognition, elle nécessite néanmoins des moyens
intellectuels certains.
Or, de très nombreux parents (suivis de certains
professionnels) ont beaucoup de mal à admettre
cette réalité et continuent à penser : « Si au moins

6. C. Roncin, « De la différence à la déviance », dans C. Gardou (sous


la direction de), Handicaps, handicapés ; le regard interrogé, érès, 1991.
Rencontres avec le handicap 89

il savait lire ! » Ils vont donc réclamer, au fur et à


mesure du vieillissement de leur enfant :
– qu’on lui donne plus de temps de pédagogie
(comme à l’entraînement, le plus devant améliorer
la performance) ;
– qu’on poursuive les apprentissages (en acceptant,
au besoin, le même type d’exercices des années
durant) ;
– qu’on maintienne les acquis.
Pourtant, nous avons actuellement des éléments
précis qui nous apportent quelques arguments sur le
sujet : la majorité des jeunes déficients intellectuels
entrant en institut médico-éducatif (ime) entre 12 et
14 ans viennent d’unités localisées pour l’inclusion
scolaire (ulis) – les autres venant d’établissements
spécialisés de type institut médico-pédagogique
(imp). Ces jeunes ont donc passé six ou sept ans en
milieu scolaire, où ils ont reçu un enseignement à
temps plein prodigué par une personne générale-
ment formée de manière spécifique (professeur des
écoles spécialisé).
Nous pouvons aussi observer dans certains établis-
sements spécialisés des entrées de plus en plus
tardives de jeunes provenant d’ ulis - collèges
ou d’ulis-lycées et ayant bénéficié ou non d’un
accompagnement par un service d’éducation
spéciale et de soins à domicile (sessaD). Ce qui
n’est pas sans poser des problèmes, notamment
90 Découvrir les déficiences intellectuelles

d’adaptation, pour des jeunes qui ont eu très peu,


voire jamais, de contacts avec d’autres jeunes en
situation de handicap. Certains d’entre eux ont
également une expérience d’autonomie limitée. Par
ailleurs, de nombreux établissements spécialisés
refusent ces arrivées qu’ils jugent tardives et qui
désorganisent leur fonctionnement. De ce fait, les
jeunes concernés se retrouvent parfois sans solu-
tion d’accompagnement.
Rien ne permet de mettre en doute l’excellence
des méthodes pédagogiques ni la compétence des
enseignants. Or, si quelques jeunes savent lire, de
très nombreux autres ne possèdent que quelques
rudiments concernant l’écrit : sens conventionnel
de l’écriture, une partie de l’alphabet et, plus rare-
ment, une amorce de la combinatoire.
Bien qu’il soit facile de déterminer le niveau de
compétence exact des jeunes à tout moment, la
démarche est très rarement faite. Y aurait-il avan-
tage à maintenir un flou autour de cette question ?
L’argument de l’augmentation du temps d’appren-
tissage ne tient guère, puisque dans les circons-
tances évoquées ci-dessus, il a été maximal.
La poursuite de cet apprentissage dans les mêmes
conditions n’est guère convaincante non plus : on
ne voit pas en quoi il deviendrait pertinent après
tant d’années de pratique.
Rencontres avec le handicap 91

C’est une lapalissade, mais le maintien des acquis


n’a de sens que lorsque ceux-ci existent. Dans le
cas contraire, on voit proposer à des personnes défi-
cientes une approche du même type que celui de
fin de classe maternelle ou début de classe prépa-
ratoire, parfois jusqu’à 25 ou 30 ans. C’est dans
ces conditions que l’on peut parler d’acharnement
pédagogique.
Comme celui-ci est extrêmement fréquent, il doit
bien avoir un sens.
Sens de l’acharnement pédagogique. Le déni du
handicap pourrait-il être la première raison ? Le
« je sais bien (qu’il est déficient), mais quand
même (il pourrait apprendre à lire) ». Cette dyna-
mique s’appuie sur le recours au tiers extérieur et
persécuteur : « S’il n’arrive pas à lire, c’est que
les éducateurs (enseignants, rééducateurs, etc.) s’y
prennent mal ou qu’ils n’y mettent pas les moyens ;
lui n’y est pour rien. » Le déficient est préservé,
surtout des agressions potentielles de ses propres
parents (« Tu n’es vraiment bon à rien ! »). Entre
ses parents et lui s’établit une espèce de zone de
rêverie dans laquelle tout est possible : le temps n’y
advient plus, l’expérience ne prend pas sens, on est
dans un éternel recommencement.
Il y a aussi le désir inconscient de maintenir son
enfant petit, statut déterminé par le contenu et la
forme de l’apprentissage. Cette option valide l’idée
92 Découvrir les déficiences intellectuelles

que la personne handicapée mentale est destinée à


rester un éternel enfant.
Il y a encore le moyen de fixer l’enfant, l’adoles-
cent ou l’adulte autour d’un axe central, sous un
plein éclairage. Toutes les autres activités sont
rejetées dans l’ombre. Cette approche pédago-
gique – lorsqu’elle est différente de celle apportée
en réponse à la demande explicite d’un illettré, ce
qui est presque toujours le cas – s’érige en modèle
de la relation et du lien aux autres. Celle du maître
à l’élève (petit). Alors que l’objectif avoué serait
celui de l’autonomie, l’effet d’une telle activité est,
au contraire, de soustraire le jeune ou l’adulte à la
tentation de la séparation, de le fixer dans la dépen-
dance, essentiellement affective.
Alternatives possibles à l’acharnement pédago-
gique. Les excès d’une pédagogie forcenée sont
préjudiciables aux personnes déficientes : ils les
détournent d’une autonomie possible quand elles
sont grandes et contribuent à les asservir quand
elles sont petites.
Il est louable d’apprendre à lire au plus grand
nombre possible ; il est même intéressant de
proposer des jeux autour de la lecture à ceux qui
ne peuvent pas apprendre mais qui, ainsi, peuvent
être attirés et intéressés, mais aussi participer à une
activité partagée. Par contre, il serait sûrement plus
intéressant de faire des évaluations correctes et de
proposer des apprentissages correspondant à leurs
Rencontres avec le handicap 93

résultats. Rien de nouveau dans ce domaine, si ce


n’est que cette pratique est rarement observée :
depuis les travaux de Vygotski 7, on sait que les
apprentissages s’effectuent dans une zone de diffi-
cultés restreintes, avec l’aide d’un médiateur, et
qu’il n’est guère possible de progresser par bonds
spectaculaires. Or, dans la réalité, on propose
souvent aux apprentis des savoirs inaccessibles
parce que trop éloignés de leurs connaissances,
sans tenir compte des étapes nécessaires à l’acqui-
sition. Vygotski définit ainsi ce qu’il appelle la zone
proximale de développement (zpD) : « La distance
entre le niveau de développement actuel, tel qu’on
peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant
résout des problèmes seul, et le niveau de déve-
loppement potentiel, tel qu’on peut le déterminer à
travers la façon dont l’enfant résout des problèmes
lorsqu’il est assisté par l’adulte. »
Il conviendrait aussi de promouvoir des études
sérieuses et approfondies concernant de tels appren-
tissages chez les personnes déficientes. Finalement,
on se contente souvent de généraliser ce qui est vrai
pour tous les élèves en adaptant la pédagogie en
fonction de nombreuses méthodes, mais surtout de
la bonne volonté et de l’intuition des enseignants
sur le terrain.

7. L.S. Vygotski, Pensée et langage, Éditions sociales Messidor, 1985,


édition russe originale 1934.
4

Intégration et prise en charge


deviennent inclusion et accompagnement

Depuis la loi de 2005, nous ne devrions plus parler


d’intégration mais d’inclusion. De même la notion
de prise en charge est devenue obsolète ou, plus
exactement, elle se trouve réservée à l’approche
clinique, médicale, paramédicale et psychologique.
Elle est remplacée par la notion d’accompagne-
ment. Les habitudes linguistiques ont longtemps
persisté mais elles commencent à se perdre au
profit de ce nouveau vocabulaire qui recouvre de
nouvelles orientations sociales liées à de nouvelles
conceptions du handicap, beaucoup moins péjo-
ratives et définitivement invalidantes que les
précédentes.
96 Découvrir les déficiences intellectuelles

L’inclusion part d’un constat simple : les personnes


déficientes se trouvent à l’écart du groupe social,
ce dont elles souffrent et qui peut être vécu comme
anormal par leur entourage et par elles-mêmes. Il
est donc légitime de leur faire une place à l’intérieur
de ce groupe, en pensant qu’elles s’y épanouiront
mieux. Une telle pratique, largement préconisée
aujourd’hui, n’a pas toujours été revendiquée.
Notamment dans les années 1940, quand les grandes
associations de parents d’enfants handicapés ont
milité pour trouver des solutions pour leurs enfants.
À ce moment-là, ceux-ci étaient essentiellement à
la charge de leur famille, immergés dans le milieu
social, si l’on veut, par ce biais, en fait maintenus
écartés par l’ostracisme dans lequel ils se trou-
vaient, sans ressources externes. Parents et associa-
tions ont voulu des prises en charge adaptées pour
les handicapés et ont créé les centres spécialisés
(imp, impro), qui étaient censés apporter un cadre
de vie satisfaisant ainsi qu’une aide éducative, voire
thérapeutique. Ce nouveau « grand rassemble-
ment » n’était pas vécu comme un retour en arrière
ou un abandon, mais comme un grand progrès. Des
professionnels s’occupaient des handicapés qui
pouvaient mieux se développer, acquérir certaines
compétences et accéder à une autonomie partielle ;
les familles se trouvaient en partie libérées d’une
charge quelquefois beaucoup trop lourde à assumer
de manière satisfaisante à l’échelle domestique.
Cette avancée considérable a connu son revers et
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 97

a été très largement dénoncée à partir de la fin des


années 1960, parallèlement d’ailleurs au traitement
réservé aux malades mentaux, eux aussi enfermés
dans leur asile.
On dénonçait les lieux impénétrables abrités
derrière des murs infranchissables ; des projets
indigents méconnaissant les capacités des handi-
capés ; des équipes sclérosées jalouses de leur
pratique ; des parents isolés, interdits de visite dans
les établissements et maintenus à l’écart.
De nouveaux parents, soutenus par des profes-
sionnels révoltés, voulaient se réapproprier leurs
enfants et les projets les concernant. Ils souhaitaient
améliorer ces derniers et les appuyer sur l’idée de
liberté qui soufflait fort à l’époque. Les handicapés
devaient sortir de leur ghetto sans pour autant se
replier sur leur famille. L’espace qui leur conve-
nait était l’espace social de tous, à commencer
par l’espace scolaire. Plus encore, maintenant que
l’on connaissait mieux le développement du tout
jeune enfant, on devait, le plus tôt possible, mettre
en œuvre une éducation précoce, dont on attendait
des miracles.
On devait intégrer. Depuis, cette notion d’intégra-
tion a fait beaucoup réfléchir. On s’est vite aperçu
de son côté ambigu. En effet, intégrer suppose une
hétérogénéité des éléments au départ, une mino-
rité d’entre eux devant finalement être incorporée
aux autres et se dissimuler ainsi dans le mélange
98 Découvrir les déficiences intellectuelles

obtenu. Est-ce possible sans qu’il y ait perte pour


les uns comme pour les autres ? N’y avait-il pas
aussi une certaine naïveté à croire qu’un enfant en
difficulté pouvait se passer d’une aide spécifique
qui ne pouvait être apportée qu’en des lieux conçus
pour cela ?
Dans l’idéal, il conviendrait sans doute qu’un
enfant puisse grandir dans son environnement fami-
lier et profiter de sa famille, du cercle de relations
de celle-ci et des infrastructures de proximité (d’où
la notion d’inclusion). En sortir, c’est s’exposer
très rapidement à des ruptures des liens quotidiens
et des ressources du milieu, d’autant mieux connu
et amical que des activités y sont pratiquées avec
des proches. C’est ce qui se passe dans une société
traditionnelle, qui ne penserait même pas à éjecter
l’un de ses membres. Mais c’est aussi ce qui avait
conduit les familles des années 1940 à constater
une stagnation sévère chez leur enfant, quand ce
n’était pas un repli sur soi pathologique ou des
troubles sérieux du comportement.
Depuis quelques années, on essaie de trouver un
équilibre entre la réponse adaptée qui nécessite
un regroupement des handicapés entre eux et le
maximum d’insertion dès que c’est possible.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 99

LE PRINCIPE DE LA MISE EN ŒUVRE


DE L’ACCOMPAGNEMENT

Un des éléments frontières pour les parents consis-


tera en une démarche pour que leur enfant soit
reconnu handicapé. Cela peut paraître étrange,
mais dans le respect du droit et de la liberté indi-
viduelle, la reconnaissance du handicap n’est pas
automatique ; une fois établie, elle entraîne immé-
diatement solidarité, aide et compensation.
Une personne handicapée mentale peut très bien
traverser l’existence sans jamais être reconnue
comme telle. Par contre, elle va régulièrement
rencontrer des obstacles qui vont rendre ce
parcours difficile, notamment lors de sa scolarité
ou lorsqu’elle voudra travailler. Chaque fois que
l’environnement social lui renverra sa différence, la
question se posera. Logiquement, plus le handicap
est lourd, plus le besoin de reconnaissance se fait
sentir, et plus tôt elle intervient.

Les structures officielles


Ces structures ont une mission première très
claire : elles doivent rompre la solitude des parents
au quotidien et réduire au minimum le chemin de
croix qu’est trop souvent leur vie.
Cette mission n’est pas simple, parce qu’elle se
joue sur deux plans.
100 Découvrir les déficiences intellectuelles

Objectivement, les parents sont toujours seuls dans


tout ce qu’ils peuvent ressentir à l’égard de leur
enfant différent et du mystère que représente cette
différence irréductible.
Subjectivement, ils peuvent considérer que la
société (et tous ses représentants) n’en fait jamais
assez, justement parce qu’il reste une part irré-
ductible inhérente au handicap. Beaucoup d’entre
eux estiment comme un droit naturel le partage
des charges ; ils peuvent se montrer extrêmement
agressifs lorsqu’ils se sentent abandonnés.
La perception de la solitude se réduit pour les
parents quand ils ont la sensation que leur douleur,
leur souffrance et leurs difficultés sont reconnues.
Ces structures, profondément remaniées pour une
meilleure efficacité depuis 2005, visent à accom-
pagner les personnes qui ont un besoin de solida-
rité sociale tout au long d’un projet de vie qui ne
devrait jamais présenter de solution de continuité.
Comme elles prennent en compte la définition
situationnelle du handicap, l’un de leurs principes
est celui de la compensation qui, proportionnée aux
incapacités reconnues, rétablit autant que possible
une égalité des chances. Elles se regroupent en un
interlocuteur unique, la Maison départementale
des personnes handicapées (mDph) qui s’appuie
sur d’autres services et commissions pour mener à
bien ses missions.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 101

La mDph est un lieu unique de service public visant


à accueillir, informer, orienter et accompagner les
personnes handicapées, dès l’annonce du handicap
et tout au long de leur parcours de vie. Elle s’appuie
sur les compétences d’une équipe de professionnels
médico-sociaux (médecins, infirmiers, assistantes
sociales, ergothérapeutes, psychologues, etc.)
pour évaluer les besoins de la personne, compa-
tibles avec son projet de vie. Elle associe toutes
les compétences impliquées aujourd’hui dans l’ac-
compagnement des personnes handicapées et de
leurs familles et dans l’attribution des droits, des
prestations et des aides.
Au sein de la mDph, la Commission des droits et de
l’autonomie des personnes handicapées (cDaph)
prend toutes les décisions concernant les aides et
les prestations à la lumière de l’évaluation menée
par l’équipe pluridisciplinaire mise en place par
la première (besoins de compensation et élabo-
ration du plan personnalisé de compensation du
handicap). La cDaph est compétente pour :
– prononcer l’orientation de la personne handi-
capée et les mesures propres à assurer son insertion
scolaire ou professionnelle et sociale ;
– désigner les établissements ou les services répon-
dant aux besoins de l’enfant ou de l’adolescent
ou concourant à la rééducation, à l’éducation, au
reclassement et à l’accueil de l’adulte handicapé ;
102 Découvrir les déficiences intellectuelles

– décider de l’attribution, pour l’enfant ou l’ado-


lescent, de l’allocation d’éducation de l’enfant
handicapé ( aeeh ) et, éventuellement, de son
complément ;
– décider de l’attribution de la carte d’invalidité
(cin) ;
– décider de l’attribution de l’allocation aux
adultes handicapés (aah) ainsi que de la prestation
de compensation du handicap (pch) ;
– reconnaître la qualité de travailleur handicapé
(rqth).
Depuis 2014 et la remise au gouvernement du
rapport Piveteau, la notion qui prédomine dans
l’accompagnement est celle du « Zéro sans solu-
tion ». Le parcours de vie de toute personne doit
rester au plus près du droit commun en utilisant
les ressources accessibles et disponibles de l’en-
vironnement social. Ce qui implique et entraîne la
transversalité des différents services qui doivent
s’associer et unir leurs compétences. Les réponses
à apporter sont donc modulaires et ne s’ins-
crivent plus dans la logique de place qui prévalait
jusqu’alors.
En conformité avec cette nouvelle orientation,
l’ensemble des territoires s’est engagé depuis 2015
dans la démarche une « Réponse adaptée pour
tous » (rapt).
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 103

Au cœur de cette démarche, un droit nouveau,


introduit par la loi de modernisation du système de
santé, est entré en vigueur en janvier 2018 : celui
de demander l’élaboration d’un plan d’accompa-
gnement global (pag) dès lors que la décision prise
en cDaph ne peut se concrétiser de manière satis-
faisante. L’élaboration de plan d’accompagnement
global peut également être proposée par l’équipe
pluridisciplinaire de la mDph en charge de l’éva-
luation de la situation et des besoins de la personne.
Il s’agit pour la personne non pas de prétendre à
une prestation nouvelle parmi d’autres prestations
mais de susciter un accompagnement permettant
la coconstruction d’une réponse réaliste et adaptée
à sa situation. L’enjeu est bien d’apporter une
réponse accompagnée véritablement élaborée avec
la personne et son entourage.
Pour répondre à cet objectif, la mDph doit notam-
ment faire évoluer sa pratique d’évaluation en
équipe pluridisciplinaire de manière à ce qu’elle
permette :
– la prise en compte du projet de vie (souhaits et
possibilités de chacun) ;
– la centralisation des informations nécessaires à
la description des situations et à l’évaluation des
besoins ;
– une orientation adaptée vers une solution mobili-
sable rapidement ;
104 Découvrir les déficiences intellectuelles

– l’implication des personnes tout au long du


processus.
Le pag est élaboré par l’epe (équipe pluridiscipli-
naire d’évaluation) de la mDph en accord avec la
personne concernée. Il est actualisé chaque fois que
nécessaire et au moins une fois par an. Si besoin,
il peut être accompagné d’un gos (groupe opéra-
tionnel de synthèse) composé de professionnels des
services ou des établissements pouvant accueillir la
personne ; si besoin les financeurs peuvent y être
associés.
L’objectif de ce dispositif est de proposer une solu-
tion adaptée pour prévenir tout risque de rupture de
l’accompagnement.

ESSENCE D’UN ACCOMPAGNEMENT


Aucun accompagnement, aucune technique n’a de
validité en soi. La meilleure d’entre elles, appliquée
avec le plus grand soin, n’aura qu’un effet super-
ficiel ou même désastreux si elle ne tient compte ni
de la particularité du sujet auquel elle s’adresse, ni
de celle de son environnement familial.
Pour être structurants et apporter une aide véritable,
parents et professionnels doivent voir la situation
physique et psychologique de l’enfant telle qu’elle
est et non telle qu’ils voudraient qu’elle soit. Ils
doivent repérer et, au besoin, réveiller le désir qu’a
l’enfant de grandir, et non mettre le leur à cette place.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 105

Pour trouver ou retrouver cet élan spontané, les


parents et les professionnels devront être à peu près
clairs sur ce qu’ils engagent d’eux-mêmes dans la
relation, notamment en ce qui concerne les vécus de
la petite enfance, les questions de l’ambivalence et
celles du conflit œdipien. Il peut être regrettable que
des conflits non résolus et qui concernent la géné-
ration qui a précédé l’enfant se règlent sur son dos.
Normalement, les professionnels devraient être
plus dégagés de ces problèmes que les parents.
D’abord, parce qu’il ne s’agit pas de leur enfant et
que leur propre psychisme se trouve moins envahi
par la dimension affective ; ensuite, parce que leur
formation est là pour leur permettre une distancia-
tion. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.
La situation la moins favorable pour l’enfant est
d’avoir affaire à des parents et à des professionnels
qui règlent ensemble leur conflit œdipien, que ce
soit sous forme agressive ou compassionnelle.
Finalement, c’est bien la manière dont les parents
acceptent le handicap de leur enfant qui instaure
chez lui une base de confiance nécessaire et qui
lui procure l’énergie de se surpasser, c’est-à-dire
de ne pas rester dans les limites supposées que le
handicap entraîne.
C’est pourquoi tous les accompagnements s’éta-
blissent dans le va-et-vient entre les apports tech-
niques et les rééquilibrages psychiques nécessités
par les effets du handicap et de son évolution.
106 Découvrir les déficiences intellectuelles

Paradoxalement, en effet, les évolutions positives


sont quelquefois moins bien supportées que la
stagnation, simplement parce qu’elles entraînent
une réorganisation de la vie quotidienne et néces-
sitent aussi de nouvelles anticipations psychiques
qui demandent beaucoup d’énergie. Dans le
malheur, on peut aussi trouver un certain nombre
de bénéfices secondaires, des raisons de vivre ou
de se trouver meilleur, par exemple.
Avant d’envisager la séparation qui permet l’auto-
nomie, il va falloir parfois procéder à un véritable
travail de désintrication des psychismes des parents
et de l’enfant. C’est pourquoi on peut dire aussi
que toute intervention éducative, pédagogique, et
bien sûr thérapeutique, est un acte clinique, dans
la mesure où chacune d’entre elles modifie une
économie psychique en reposant continuellement
la question de la place de la personne handicapée.

LES DEUX AXES DE L’ACCOMPAGNEMENT


L’objectif de l’accompagnement est l’expression
maximale du sujet concerné, comprenant le déve-
loppement optimum de ses compétences et son
épanouissement sur le plan psychique et affectif.
Habituellement, l’accompagnement se structure
autour de deux axes : pédago-éducatif et thérapeu-
tique. Tous les deux sont à prendre au sens large.
Le pédago-éducatif comprend tout ce qui relève des
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 107

apprentissages et de la socialisation, le thérapeu-


tique, tout ce qui est de la rééducation ou du soin.

L’axe pédago-éducatif
On dit souvent qu’un des objectifs prioritaires de
l’école maternelle est celui de la socialisation.
Socialiser, c’est « susciter les rapports sociaux
entre individus », leur permettre de vivre en groupe
en bonne intelligence tout en assimilant les codes
sociaux, c’est-à-dire les comportements acquis
relevant du domaine culturel et définissant a priori
les rapports entre les gens. La mise en place des
codes sociaux est un moyen très économique de
vivre ensemble, dans la mesure où ils organisent
les flux émotionnels et affectifs. L’amour comme
l’agressivité, voire la haine, se trouvent ainsi cana-
lisés et orientés.
La socialisation se fait par immersion dans un
groupe structuré et hiérarchisé, et par présentation
ou rappel des règles dès que c’est nécessaire par un
médiateur autorisé : aîné ou adulte. L’imitation est
le processus d’apprentissage le plus sollicité par la
socialisation, du moins tant qu’il n’y a pas conflit
entre le psychisme groupal et le psychisme indivi-
duel. Cette situation de conflit possible se produit
lorsque l’individu en voie de socialisation se voit
ou se sent menacé par le groupe ou, au contraire,
lorsque celui-ci le prend comme mascotte et, ce
108 Découvrir les déficiences intellectuelles

faisant, le met à part. Ces deux situations ne sont


pas rares pour l’enfant déficient.
Le groupe n’est jamais homogène. Quel que soit le
désir que l’on ait de le voir démocratique et harmo-
nieux, il génère de la différence et réclame de la
hiérarchie, même si tous ses membres ont le même
âge. La personnalité de chacun s’y dégage et s’y
affirme, les leaders s’imposent, les timides s’ef-
facent, et tous les rapports humains se dessinent.
L’homme est un animal grégaire. Il serait vain de
l’éloigner du groupe dont il a besoin. Ce qui est
vrai aussi pour les handicapés, y compris les plus
petits. Donc, dès que sera dépassée la fréquente
idée de leur trop grande fragilité, essentiellement
liée aux sentiments agressifs inconscients qu’elles
suscitent, les personnes handicapées seront inté-
grées dans des groupes les plus proches possible de
leur âge réel. Dans la réalité, tous les enfants handi-
capés ne trouvent pas d’accueil en milieu ordinaire
traditionnel : cela dépend de la lourdeur de leur
handicap, de l’ouverture d’esprit des professionnels
sollicités et des moyens dont ceux-ci disposent.
De plus, si l’accueil est relativement aisé pour les
petits, il devient de plus en plus difficile au fur et à
mesure que les handicapés grandissent.
Les inclusions gagnent à être soutenues par les
interventions des équipes de soins. Celles-ci
peuvent présenter l’enfant et ses besoins et, souvent,
dédramatiser le handicap et ses conséquences. En
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 109

effet, les professionnels non spécialistes vivent des


craintes envers le handicapé, notamment celle de
mal faire. Or, plus l’enfant est jeune et moins il y
a de réponses spécifiques à lui apporter, en dehors
de l’approche thérapeutique, indépendamment de
problèmes physiques ou physiologiques qui, eux,
nécessitent parfois une adaptation.
Depuis 2005, la législation n’a cessé d’évoluer en
faveur d’un rapprochement du droit commun pour
les personnes en situation de handicap qui a fait de
l’inclusion scolaire la base légitime et normale de
leur accompagnement.
Ainsi, la circulaire du 8 août 2016 permet d’iden-
tifier le dispositif actuel. Elle rappelle que le droit
à l’éducation pour tous les enfants, qu’ils soient ou
non en situation de handicap, est un droit fonda-
mental, imposant au système éducatif de s’adapter
aux besoins éducatifs particuliers des élèves,
notamment en instaurant une école inclusive.
Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap
ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans
l’école, l’établissement ou le service médico-social
le plus proche de son domicile, qui constitue son
établissement de référence. Il peut être inscrit dans
un établissement différent et trouver une réponse
adaptée en bénéficiant de phases d’inclusion
dans différents établissements choisis pour leur
complémentarité.
110 Découvrir les déficiences intellectuelles

Avec les aménagements et les adaptations néces-


saires, l’élève en situation de handicap doit avoir
accès aux mêmes savoirs et être soumis aux mêmes
exigences que les autres. Le rôle et l’avis de la
famille sont fondamentaux à chaque étape de la
scolarisation de l’élève en situation de handicap.
Afin de répondre à ses besoins, la collaboration et
la formation de tous les acteurs sont la clé d’une
scolarisation de qualité et d’un parcours de forma-
tion réussi.
Pour répondre à ses missions, l’école inclusive
peut s’appuyer ou non sur la mDph, en fonction des
difficultés rencontrées. Des dispositifs permettent
également de répondre aux besoins éducatifs parti-
culiers des élèves sans recourir à la mDph.
La réponse de première intention est celle de l’en-
seignant au sein de la classe qui peut faire appel au
réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté
(raseD) en cas de nécessité.
Le programme personnalisé de réussite éducative
(ppre) concerne les élèves qui risquent de ne pas
maîtriser certaines connaissances et compétences
attendues à la fin d’un cycle d’enseignement. Il
s’agit d’un plan coordonné d’actions conçu pour
répondre aux besoins de l’élève, allant de l’accom-
pagnement pédagogique différencié conduit en
classe aux aides spécialisées ou complémentaires.
Il est élaboré par l’équipe pédagogique, discuté
avec les parents et présenté à l’élève.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 111

Le projet d’accueil individualisé (pai) permet de


préciser les adaptations nécessaires (aménagements
d’horaires, organisation des actions de soins, etc.)
pour les enfants et les adolescents dont l’état de
santé rend nécessaire l’administration de traite-
ments ou de protocoles médicaux afin qu’ils pour-
suivent une scolarité dans des conditions aussi
ordinaires que possible. Il est rédigé en concerta-
tion avec le médecin de l’Éducation nationale qui
veille au respect du secret médical.
Le plan d’accompagnement personnalisé (pap)
permet à tout élève présentant des difficultés
scolaires durables en raison d’un trouble des
apprentissages de bénéficier d’aménagements et
d’adaptations de nature pédagogique. Il est rédigé
sur la base d’un modèle national et est révisé tous
les ans afin de faire le bilan des aménagements et
des adaptations pédagogiques déjà mis en place et
de les faire évoluer.
Le pap peut être proposé par l’équipe pédagogique
ou la famille et nécessite l’avis du médecin de
l’Éducation nationale. Il relève du droit commun
et n’ouvre pas droit à des mesures de compensation
(matériel pédagogique adapté, maintien en mater-
nelle, etc.) ou de dispense d’enseignement. Il peut
laisser place à un projet personnalisé de scolarisa-
tion (pps) si celui-ci s’avère nécessaire.
Dès lors qu’un élève bénéficie de mesures de
compensation au titre du handicap, il relève d’un
112 Découvrir les déficiences intellectuelles

pps pour toute demande relative à un aménagement


pédagogique s’il en fait la demande auprès de la
mDph.
Le pps concerne tous les élèves dont la situation
répond à la définition du handicap (2005) et pour
lesquels la cDaph s’est prononcée sur la situation
de handicap, quelles que soient les modalités de
scolarisation.
Le pps définit et coordonne les modalités de dérou-
lement de la scolarité et les actions pédagogiques,
psychologiques, éducatives, sociales, médicales et
paramédicales répondant aux besoins particuliers
des élèves présentant un handicap.
C’est la famille (ou le représentant légal de l’élève)
qui saisit la mDph afin que soit déterminé un
parcours de formation adapté aux besoins de son
enfant (accompagnement, aménagement, etc.) dans
le cadre d’un plan personnalisé de compensation
(ppc) qui prend en considération les besoins et les
aspirations de l’élève en situation de handicap tels
qu’ils sont exprimés dans son projet de vie. Le pps
est intégré au ppc dont il constitue l’un des volets.
C’est à la cDaph que revient le soin de prononcer
l’orientation qui peut se faire vers :
– l’école ordinaire, que ce soit en classe ordinaire,
en dispositif collectif (unité locale d’inclusion
scolaire [ulis]) ou dans l’enseignement général
et professionnel adapté (section d’enseignement
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 113

général et professionnel adapté [segpa], établisse-


ments régionaux d’enseignement adapté [erea]) ;
– l’école ordinaire avec un accompagnement par
un établissement ou service médico-social (ici, les
services d’éducation spéciale et de soins à domi-
cile (sessaD) et les centres d’action médico-sociale
précoce (camsp) jouent un rôle déterminant ;
– l’unité d’enseignement d’un établissement ou
service médico-social ;
– une scolarité à temps partagés entre un établis-
sement scolaire et l’unité d’enseignement d’un
établissement ou service médico-social.
Les segpa et les erea sont destinés aux élèves
en difficulté et non pas aux élèves handicapés. Ils
peuvent malgré tout recevoir des élèves handi-
capés en inclusion individuelle, comme dans les
classes ordinaires. Ils sont même assez nombreux
dans ce cas.
Les ulis sont destinées aux élèves présentant des
troubles des fonctions cognitives ou mentales, des
troubles spécifiques du langage et des apprentis-
sages, des troubles envahissants du développe-
ment (dont l’autisme), des troubles des fonctions
motrices, des troubles de la fonction auditive, des
troubles de la fonction visuelle ou des troubles
multiples associés (pluri-handicap ou maladies
invalidantes). Elles permettent la mise en œuvre
des pps.
114 Découvrir les déficiences intellectuelles

Les élèves orientés en ulis sont ceux qui, en plus


des aménagements, des adaptations pédagogiques
et des mesures de compensation mis en œuvre
par les équipes éducatives, nécessitent un ensei-
gnement adapté dans le cadre de regroupements
et dont le handicap ne permet pas d’envisager une
scolarisation individuelle continue dans une classe
ordinaire. Les élèves qui en relèvent sont en prin-
cipe scolarisés dans la classe correspondant à leur
âge autant qu’il est possible, tout en bénéficiant de
temps d’inclusion dans d’autres classes suscep-
tibles de les accueillir de manière plus pertinente
et de temps de regroupement avec les autres élèves
identifiés comme relevant de ce système. En plus,
ils peuvent aussi bénéficier d’une prise en charge
proprement dite, c’est-à-dire d’un suivi par une
équipe thérapeutique, soit dans le milieu scolaire
(sessaD) ou dans une institution médico-éducative.
Quelle que soit la solution retenue, nous voyons
que l’idée de l’inclusion repose sur une logique de
parcours à instaurer et à maintenir et relève plus
d’un dispositif global, qui peut réunir des moyens
complémentaires et rassembler des intervenants
venus d’horizons divers, que de l’attribution d’une
place stable dans une seule classe.
Pour encadrer et soutenir ce processus d’inclusion,
un document unique a été créé en 2015, le geva-sco
(guide d’évaluation des besoins de compensation
en matière de scolarisation). Document unique, il
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 115

regroupe toutes les demandes : accompagnement,


matériel pédagogique adapté, orientation...
Lors de la première demande de pps auprès de
la mDph, le « geva-sco première demande » est
renseigné par l’équipe éducative après concertation
avec l’élève handicapé et ses parents.
Après la mise en place d’un pps, l’équipe de suivi
de la scolarisation procède au moins une fois par an
à l’évaluation du projet et de sa mise en œuvre.
Lors de cette réunion annuelle, les informations
sont inscrites par l’enseignant référent dans un
document intitulé « le geva-sco-réexamen » qui en
constitue le compte rendu. L’enseignant référent,
interlocuteur privilégié des parents, fait le lien entre
les familles et l’ensemble des professionnels qui
accompagnent l’élève, tout au long de son parcours
scolaire.
Tous les systèmes éprouvés évoluent vers une
forme d’unité d’enseignement proche du lot
commun. Ainsi, celles qui se trouvaient à l’inté-
rieur d’une institution médico-sociale cherchent-
elles des partenariats avec les établissements
scolaires voisins, en vue de temps d’inclusion dans
leurs murs, ou commencent même à s’implanter
totalement dans ces établissements, sous forme
d’externalisation.
Ces évolutions importantes suivent toutes la
logique de la désinstitutionnalisation qui devrait
116 Découvrir les déficiences intellectuelles

modifier encore profondément les formes d’accueil


et d’accompagnement des personnes en situation
de handicap.

– Milieu ordinaire
Crèche et halte-garderie
Ce sont les lieux les plus accessibles. Ils admettent
les enfants de 3 mois à 3 ans. Seuls y sont refusés
les handicaps très lourds (ou à la présentation
spectaculaire) ou les comportements trop agres-
sifs. Déjà dans ce domaine apparaît la règle qui ne
se dément pratiquement jamais : l’environnement
professionnel est moins tolérant avec les handi-
capés, qui sont exclus beaucoup plus rapidement
que les autres à comportement problématique égal
(sans doute parce que le handicap donne un argu-
ment objectif pour motiver la décision). Bien sûr,
on trouve des situations exactement inverses, dans
lesquelles des professionnels acceptent jusqu’à
l’absurde des comportements intolérables de la
part de l’enfant handicapé. Il y a là une espèce de
sidération affective de leur part, doublée d’un fort
sentiment de culpabilité. Ils ne peuvent concevoir
de rejeter l’enfant de quelque façon que ce soit
(même en lui opposant de simples interdits) ni
décevoir ses parents en les renvoyant à leur soli-
tude perçue alors comme meurtrière (perception
qui n’est pas toujours sans fondement).
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 117

Dans ce contexte de petite enfance, s’expérimente


une caractéristique qui émeut les adultes sensibles
et qui, pourtant, est assez normale : dès qu’ils sont
assez mobiles pour décider de leurs déplacements et
de leurs actions, les enfants normaux se comportent
différemment à l’égard de l’enfant handicapé. Cela
est vraisemblablement dû aux capacités d’adapta-
tion qui optimisent la relation à l’autre. Ainsi, un
locuteur adapte-t-il ses paroles (hauteur de la voix,
complexité et longueur de l’énoncé, vocabulaire,
etc.) à l’âge de celui auquel il s’adresse, mais aussi
à ses capacités de compréhension, telles qu’elles
sont perçues. Cette adaptation est très précoce et
spontanée.
De la même façon, on voit les petits turbulents
éviter sciemment l’enfant handicapé dans leur
course ou avoir des gestes plus doux avec lui.
Si cet évitement l’épargne, il le prive cependant
de maintes occasions de rencontre, qui sont les
ébauches des échanges ultérieurs. D’ailleurs, le
même procédé va se retrouver dans ces échanges :
après quelques sollicitations, quelques offrandes
de jouets, quelques regards incitatifs à son égard,
l’enfant handicapé sera isolé parce qu’il n’aura pas
répondu, ou trop fugitivement. Dans l’échange,
celui qui prend l’initiative s’attend à recevoir une
réponse. Sinon, il laissera volontiers de côté cet
interlocuteur trop discret. Pour que l’échange soit
118 Découvrir les déficiences intellectuelles

validé, il doit être nourri. Dans le cas contraire, il


n’est pas reconnu pertinent, donc il est abandonné.
L’enfant handicapé bénéficiera d’autant moins de la
dynamique de groupe qu’il communiquera peu. Il
aura alors besoin d’un médiateur adulte qui servira
surtout à mobiliser et à ouvrir son attention sur son
environnement.
Toutes les activités proposées pour les plus grands
sont favorables d’autant plus qu’elles existent rare-
ment au domicile familial dans lequel les parents
sont submergés par les nécessités du quotidien.
Il existe quelques structures dont le projet prévoit
d’accueillir un pourcentage élevé d’enfants handi-
capés (un tiers généralement). Leurs moyens
en personnel sont plus élevés et les locaux ont
souvent été adaptés. Elles permettent de recevoir
des enfants au handicap très lourd, qui demandent
une forte mobilisation des adultes.
Les jeunes handicapés y trouvent une atmosphère
plus détendue qu’au domicile, et leurs parents
peuvent récupérer un peu de temps pour eux, par
une coupure salvatrice qui vient interrompre une
relation exigeante et dévorante.
L’école maternelle
Elle s’occupe des enfants de 2 à 6 ans. C’est un
lieu extrêmement important, dans la mesure où les
préapprentissages sont abordés sur le plan cognitif,
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 119

parallèlement à la socialisation. La pression y est


donc moins forte, par rapport à un programme
donné qu’il faudrait remplir. À ce stade, les
problèmes de comportement de l’enfant, handicapé
ou non, gênent et troublent plus que la déficience.
Seules quelques règles doivent être respectées pour
que cette inclusion porte réellement ses fruits :
– se méfier de l’adaptation apparente de l’enfant
et, notamment, de ses capacités de compréhen-
sion supposées. Les enfants déficients qui ne se
sentent pas trop agressés par le groupe s’immer-
gent dans celui-ci et se fient à ses mouvements.
La parole étant pour eux un média trop complexe,
ils vont sélectionner des indices d’un autre ordre,
visuel le plus souvent. Ils calqueront leur atti-
tude sur celle des autres, donnant l’impression de
« tout comprendre ». Le seul remède à cela est
de s’adresser régulièrement à l’enfant après avoir
capté son attention et de s’assurer qu’il a bien
compris la consigne ;
– ne pas surprotéger, ni être permissif. L’enfant
déficient n’est pas un être particulièrement fragile.
Son handicap n’a pas besoin d’être compensé
par de la pitié ou un désir de réparation, bien au
contraire. L’enfant déficient manque souvent de
réponses rigoureuses chez lui, il est impératif que
cela ne se reproduise pas à l’école : il a droit aux
interdits, comme tous les autres. C’est ce qui lui
permettra d’expérimenter la réalité et la fonction de
120 Découvrir les déficiences intellectuelles

ces interdits pour tous ; ils existent pour que chacun


vive, apaisé pour soi et dans un groupe organisé, et
non pas comme punition possible du handicap, ce
que peut croire l’enfant déficient ;
– ne pas donner un statut à part, notamment celui
de mascotte. L’enfant handicapé ne gagne rien à
être singularisé en occupant une place artificielle,
fût-elle censément enviable. D’abord, cette place
de rigolo adulé de tous masque la teneur agressive
du lien et elle évite la brutalité de la rencontre. Or,
c’est dans la confrontation à l’autre, là où il est
dérangé, que se réveillent ses sentiments les moins
élaborés, que se découvre son handicap pour le
handicapé. Être mascotte, cela revient à être recou-
vert d’un masque mortuaire figé dans un sourire
avenant ;
– ne pas accepter de trop grandes différences d’âge
entre le handicapé et le groupe. L’enfant déficient
est en retard sur le plan cognitif, ce qui n’est pas
forcément le cas pour son expérience de vie. Il peut
présenter les mêmes besoins que les autres enfants
ou seulement un léger décalage. L’écart trop grand
maintient l’idée d’un enfant (beaucoup) plus jeune
et incite celui-ci à s’installer dans ce statut. Par
ailleurs, l’enfant déficient peut se montrer agressif
envers de plus petits, justement parce qu’il ne se
reconnaît pas en eux.
Le désir de rééquilibrage des niveaux en fonc-
tion de l’âge peut aller loin. Par exemple, certains
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 121

praticiens ont préconisé de « rajeunir » officielle-


ment les trisomiques 21 de deux ou trois ans pour
« gommer » la différence existant entre eux et les
personnes normales. En dehors du fait qu’on les
prive, en quelque sorte, d’une partie de leur vie,
on les engage curieusement à s’installer dans une
dimension résolument imaginaire de la vie, qui
ressemble assez précisément à celle qu’oppose le
pervers à la réalité de celle-ci.
Il faut aussi ne pas trop compter sur la bonté « natu-
relle » des enfants. L’adaptation spontanée que l’on
a vue en crèche existe tout au long de la vie, mais
évolue au cours des premières années. Les plus
jeunes enfants acceptent ceux qui se présentent sans
trop faire de différence (sinon celle du comporte-
ment, qui angoisse quand elle sort des normes et
que les enfants ne comprennent pas, puisqu’elle
entraîne des réactions qui leur sont interdites par
les adultes), se contentant d’éviter l’autre quand
celui-ci ne leur apporte pas grand-chose. Les plus
de 7 ans vont avoir à l’égard de la différence une
attitude réfléchie, proche de celle des adultes, qui
peut se révéler généreuse. Ils sont capables d’at-
tention et d’égards. Par contre, entre 5 et 7 ans,
les enfants seront plus nombreux à se montrer
odieux et méchants envers les enfants handi-
capés. En pleine structuration psychique, ils sont
menacés par la différence : il est important pour
eux de la mettre à distance pour ne pas craindre de
122 Découvrir les déficiences intellectuelles

se construire eux-mêmes sur ce modèle fascinant.


Cette tendance n’exclut évidemment pas d’autres
types de réponses, plus rares à cet âge, comme la
compassion ou la protection.
En théorie, de très nombreux handicapés pour-
raient trouver place à l’école maternelle sans autres
aménagements particuliers que les attentions que
l’on a évoquées plus haut. Ils bénéficieraient de
la même approche que tous les autres enfants, au
moins jusqu’à la fin de la moyenne section. Les
choses se passent autrement. Les enseignants
se sentent souvent isolés, mal soutenus par des
équipes de soins trop absentes. Déjà débordés
par des enfants actuellement peu structurés, ils
cherchent légitimement à réduire leur charge de
travail et refusent donc le surplus que représente
l’enfant handicapé, le seul qui puisse être désigné
objectivement. Ce dernier est toujours l’enfant de
trop dans un effectif lourd.
Après un premier bilan qui sonnait comme la fin de
l’idéologie sociale, intuitive et affective, en faveur
de l’intégration à grande échelle, une remobilisa-
tion de tous les acteurs concernés, identifiable dans
la loi de 2005, a permis sa reviviscence raisonnée
sous forme d’inclusion. Cette première phase
d’intégration, pratiquée assez largement pendant
quinze ou vingt ans, n’a pas porté ses fruits : le
handicap n’a pas disparu ; il ne s’est même pas
réduit, bien au contraire. Les enseignants n’ont pas
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 123

vu de résultat probant à leurs efforts et sont déçus.


Déjà, lorsque l’intégration fonctionne, les ensei-
gnants craignent son inutilité (à moins que ce ne
soit la leur), parce qu’ils ont tendance à mesurer les
progrès de l’enfant déficient en fonction du déve-
loppement des autres. Ainsi comparés, ces progrès
peuvent paraître insignifiants, ce qui n’est évidem-
ment pas le cas.
Bien que les arguments objectifs confirment la
validité de l’inclusion en maternelle, les arguments
« affectifs » la relativisent et entraînent, concrè-
tement, une diminution de celle-ci, ne serait-ce
qu’en durée et en fréquence. Or, pour être efficace,
cette inclusion doit être suffisante, c’est-à-dire d’au
moins un mi-temps, comme pour n’importe quel
enfant. Sur le terrain, on rencontre souvent un posi-
tionnement paradoxal de la part des équipes péda-
gogiques. Elles demandent que les enfants normaux
fréquentent suffisamment l’école pour s’y adapter
et n’hésitent pas à exhorter les mères réticentes
pour qu’elles aient plus de courage et acceptent
d’y laisser leur enfant. Dans le même temps, elles
demandent aux parents d’un enfant déficient de le
laisser progressivement, en commençant par des
temps très ponctuels (par exemple, une heure et
demie par semaine), toujours pour lui permettre de
s’adapter. Il faudrait donc que l’enfant déficient ait
plus de ressources que les enfants normaux. En tout
124 Découvrir les déficiences intellectuelles

cas, face à la réalité quotidienne, l’idée que l’enfant


déficient est un enfant normal vole en éclats.
Illustration clinique : Sylvie
Sylvie a une figure d’ange. L’origine de son
handicap n’est pas connue et elle a été inscrite à
l’école par des parents fatigués. Ils ont dit qu’elle
était facilement agitée et qu’elle n’obéissait pas
toujours. L’objectif principal de l’inclusion scolaire
est la socialisation : si Sylvie pouvait s’apaiser et
établir avec les autres enfants des liens un peu plus
constructifs que ceux qui existent, explosifs, avec
son frère d’un an son aîné, ce serait déjà bien.
À 3 ans et demi, elle bouscule et désorganise sa
famille.
La directrice de l’école veut bien la recevoir,
prudemment, à temps partiel.
L’institutrice est plus volontaire. Cela rentre tout à
fait dans ses idées d’aider les enfants handicapés,
de les intégrer. Elle exprime une certaine joie à
l’évocation de ce prochain accueil.
Sylvie effectuera sa rentrée quinze jours après les
autres élèves. L’équipe pédagogique a considéré
que les conditions seraient meilleures avec un
groupe déjà structuré ; les enfants les plus émotifs
auront alors accepté de laisser partir leur mère
sans chagrin ou, au moins, sans démonstration
excessive de celui-ci.
La première réunion d’inclusion a lieu un mois plus
tard ; ce temps a été déterminé par madame R.,
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 125

l’institutrice, pour lui permettre de faire connais-


sance avec Sylvie.
Madame R. se montre satisfaite tout en restant dans
un registre affectivement très neutre. Nous nous
laissons bercer par son optimisme avant de repérer
que ses paroles sont essentiellement un discours
militant en faveur de l’inclusion des enfants handi-
capés. Pendant un long moment, il est impossible
de savoir quoi que ce soit sur le comportement
de Sylvie. Toutes nos questions directes et précises
sont reprises dans un registre général. C’est beau,
c’est bien, mais où est Sylvie dans ce manifeste ?
Petit à petit, madame R. va accepter de laisser se
fissurer son apparente assurance pour réinter-
roger ses certitudes et, surtout, pour admettre ses
sentiments.
Elle n’arrive pas à comprendre pourquoi Sylvie ne
réagit pas bien à la classe. Elle pensait que cette
petite fille, accueillie dans de bonnes conditions
et avec beaucoup d’affection, se révélerait ravie
et se rangerait. Que l’exemple des autres l’aide-
rait à adopter un comportement plus habituel, en
tout cas plus adapté. Or, il n’en est rien. Bien au
contraire.
Sylvie erre au milieu des autres enfants, inca-
pable d’établir un lien quelconque. La plupart du
temps hors de la vie du groupe, il lui arrive parfois
d’agresser un camarade ; généralement un qui est
bien tranquille, absorbé par son jeu ou son activité.
Elle en a déjà mordu ou griffé plusieurs. Madame R.
a beau lui expliquer que ce qu’elle fait n’est pas
126 Découvrir les déficiences intellectuelles

bien, que les enfants ont mal et qu’ils vont avoir


peur d’elle, rien n’y fait. À croire qu’elle n’entend
pas, ou qu’elle ne comprend pas.
Dans ces conditions, elle ne participe évidemment
pas aux activités scolaires.
Les récréations aussi posent problème. Dans
la cour, Sylvie passe le plus clair de son temps
allongée par terre. En cette saison, elle se roule
dans les tas de feuilles, disparaissant sous ce
manteau de mort. Elle y a été oubliée à plusieurs
reprises, tant il est difficile de la repérer alors. Il lui
arrive même de manger la terre sur laquelle elle
s’est vautrée.
Madame R. a beaucoup de mal à évoquer tout cela.
Les choses viennent doucement, chacune deman-
dant un effort considérable. Chaque parole semble
un aveu navrant et épouvantable.
À l’intérieur des locaux scolaires, Sylvie dispa-
raît. On la retrouve répandue, suçant les serpil-
lières. Elle semble affectionner les toilettes. Elle
ne s’abreuve pratiquement que dans la cuvette des
cabinets. Cela ne la dérange pas qu’un enfant y ait
laissé ses « besoins », oubliant de tirer la chasse.
Madame R. semble aux abois. Elle n’arrive pas à
faire coïncider ses croyances et sa générosité avec
ce qu’elle constate, bien malgré elle. Elle parle
beaucoup avec Sylvie. On l’imagine volontiers,
avec beaucoup de gentillesse et une patience
infinie. Elle lui explique tous les avantages qu’elle
aurait à être gentille. Elle lui rappelle tous les
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 127

inconvénients qu’elle rencontre à cause de son


comportement. Elle est tellement désolée de rendre
chaque soir à ses parents une petite fille échevelée,
sale et de mauvaise humeur. Il n’est pas question
pour elle de baisser les bras. Elle s’est engagée et
doit poursuivre son travail. Les parents de Sylvie
ne méritent-ils pas d’être soulagés ?
Nous travaillerons longuement avec madame R.,
selon un rythme de rencontres assez rapprochées.
Elle exprimera progressivement son désarroi. Bien
que cela lui arrache le cœur, elle se rend compte
que Sylvie présente un comportement d’animal
(c’est du moins comme cela qu’elle finira par le
qualifier), qu’elle se complaît dans les excréments
et mange n’importe quelle cochonnerie (plusieurs
ethnies d’Afrique considèrent que les enfants
géophages sont des êtres d’un autre monde, malé-
fiques, égarés parmi les humains).
Elle découvrira aussi qu’elle n’a jamais pu énoncer
le moindre interdit à Sylvie. Qu’à chaque fois, elle
en appelait à sa raison. Interdire lui aurait semblé
une agression. Pauvre Sylvie qui déjà souffrait
d’un tel handicap, quel besoin d’en rajouter dans
la frustration ? La nature l’avait privée des jouis-
sances de son intelligence, cela devait suffire. Elle
était assez punie ainsi. Punie de naissance, pas
pour ses actes ou son comportement, simplement
d’être née comme ça ; peut-être d’avoir fait souf-
frir ses parents ? Ainsi madame R. s’excusait-elle
à chaque intervention. Pas dans l’intention, pas
vraiment dans le choix des mots non plus, mais
128 Découvrir les déficiences intellectuelles

dans la tonalité et, surtout, par sa culpabilité, telle-


ment perceptible. Elle avait toujours espéré que
son amour réglerait tout. Qu’il serait supérieur à
celui des parents dépassés et trop impliqués. Et
plus efficace.
Ses douces remontrances cachaient un sentiment
de plus en plus massivement négatif qui s’ap-
parentait à de la haine. Haine de cette animalité
insupportable chez un enfant d’homme. Haine de
cette résistance, voire de ce refus à se laisser aimer,
à se normaliser.
À qui étaient donc destinés ses discours senten-
cieux ? Certainement pas à Sylvie qu’ils n’at-
teignaient même pas. À sa propre conscience,
peut-être, ou à son inconscience. Elle parlait,
parlait… Il devenait évident pour elle qu’elle ne
s’était jamais vraiment adressée à Sylvie. Elle n’avait
pas pu se dire : si Sylvie boit la pisse fangeuse de
ses camarades, c’est sans doute parce qu’elle pense
que c’est le seul breuvage dont elle soit digne.
Peut-être tout simplement parce qu’on n’a pas
pu l’accueillir comme l’enfant qu’elle est, dans sa
souffrance indicible. Dans sa différence indicible.
Aurait-on fait croire à Sylvie que les mots ne la
concernaient pas ? Que ces mots, dont tous les
hommes se vêtent, ne pouvaient pas parler d’elle ?
Madame R. commençait à comprendre le sens de
l’interdit : les mots des hommes y reconnaissent
les hommes, leurs semblables. Dans l’interdit se
dit l’altérité.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 129

À partir de ce moment-là, elle put remplacer ses


longs discours par de vraies paroles, interdictrices
dès qu’il le fallait, brefs appels à la vie plutôt qu’à la
raison. Ce fut le début d’une lente remontée, dont
les parents profitèrent enfin. La famille commença
à s’organiser et chacun de ses membres à respirer.

Illustration clinique : Valéria


Valéria a 4 ans. Elle fréquente à plein temps l’école
maternelle de son village. Elle a effectué sa rentrée
en même temps que les autres enfants, trois mois
auparavant. Ses parents l’ont inscrite en précisant
qu’elle était trisomique. Ils souhaitaient que cela
ne gêne pas l’équipe pédagogique, attendant de
cette dernière un assentiment éclairé. Ils l’eurent
sans problème, cette équipe se montrant même
enthousiaste, se référant à une expérience précé-
dente très positive.
À dire vrai, l’enseignante de petite section n’avait
pas vécu cette expérience, n’étant pas encore dans
l’école à ce moment-là. Pourtant, elle partageait
l’optimisme de ses collègues par lesquelles elle se
sentait soutenue. Son accueil ne présentait aucune
réserve, ce qui se confirma dans la vie scolaire
quotidienne.
Valéria est tonique et assez vive. Elle s’exprime
volontiers à l’aide de quelques mots, surtout en
relation duelle avec un adulte. Elle est intéressée
par les autres enfants, au milieu desquels elle
joue volontiers et avec qui elle partage la plupart
130 Découvrir les déficiences intellectuelles

des activités. On peut donc dire qu’elle est bien


intégrée.
C’est d’ailleurs le point de vue que madame V., la
maîtresse, nous expose lors d’une réunion prévue
par la convention d’inclusion.
Elle a juste noté un détail qui l’intrigue : dès qu’il
y a un mouvement de groupe, Valéria reste en
arrière. Elle ne se déplace jamais avec les autres,
notamment lorsqu’il faut rentrer en classe après
les récréations. Elle reste plantée dans un coin,
semblant attendre. L’enfant que madame V. lui
dépêche la ramène à chaque fois sans aucune
difficulté, mais il est nécessaire d’aller la chercher.
Maintenant qu’elle y pense, elle a remarqué un
autre détail : les enfants lui signalent volontiers
l’absence de Valéria, mais ils persistent à l’appeler
« la fille ». « Elle n’est pas là, la fille ! » disent-ils.
D’ailleurs, ils ne prononcent jamais son prénom,
alors qu’ils le connaissent tous puisqu’ils l’uti-
lisent indirectement quand ils distribuent le travail
ou quand ils rangent les productions de chacun.
C’est vrai, ils disent « la fille ». Pourtant, elle les
a exhortés plusieurs fois à user de ce prénom,
comme ils le font spontanément pour tous les
autres enfants. Elle ne comprend pas.
Madame V. a-t-elle parlé de la trisomie de Valéria
aux autres enfants ? Non ! Elle n’en voit pas la
nécessité. De plus, qu’est-ce que des enfants de
3 ans pourraient bien comprendre à une chose
pareille ? Et puis, ça lui fait mal au cœur rien que
d’y penser. Elle aurait l’impression de condamner
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 131

Valéria en faisant cela. Elle l’accueille comme elle


est, petite fille parmi les autres. C’est tout.
Valéria a beau être jolie (ce qui n’a rien à voir avec
la question), sa différence ou, plus exactement,
ses différences, physiques et comportementales,
sont perceptibles. Il n’y a aucune raison que les
enfants ne les aient pas remarquées. Bien sûr, ils
ne comprendraient pas grand-chose à une expli-
cation « scientifique », mais qui comprend quoi
que ce soit à cette histoire de chromosomes – on
se contente en général d’y croire et de la répéter ?
Ce n’est pas un argument valable pour ne pas en
parler, et encore moins pour refuser de désigner
cette singularité par le nom que les hommes lui
ont attaché.
Par son silence, l’enseignante confine Valéria dans
un insondable mystère qu’elle renforce encore
par une sorte d’interdit, un véritable tabou. Si
elle ne parle pas des évidences aux enfants, c’est
sans doute qu’il y a une bonne raison. Les élèves
respectent cette consigne implicite et épargnent
leur maîtresse. Mais, dans leur spontanéité, ils
signalent que quelque chose sort du naturel.
Reprenant un certain silence à leur compte, ils
établissent intuitivement un écart respectueux,
quasi religieux entre Valéria et eux.
Madame V. est un peu sceptique devant ces expli-
cations, mais elle veut bien essayer de parler
aux enfants. Elle accepte même de le faire en
présence de Valéria, comprenant que les mots
132 Découvrir les déficiences intellectuelles

qu’elle emploiera ne la blesseront pas, qu’ils ne la


rendront pas trisomique.
Plus tard, apaisée et confiante, elle le fit. Le résultat
l’étonna quand même : après que les enfants
eurent reçu et partagé cette parole tranquille, ils
purent interpeller Valéria par son prénom et ne
s’en privèrent pas. Valéria, quant à elle, put dès
lors se joindre aux mouvements du groupe auquel
elle se sentait appartenir.
Cette histoire n’est pas seulement mignonne. Elle
illustre parfaitement la confusion qu’il peut y
avoir entre la reconnaissance d’une pathologie et
l’identité de la personne qui en souffre. Madame
V. craignait, en nommant la trisomie de Valéria,
de condenser l’enfant dans un statut mortifère et
monstrueux, comme si le nom de la pathologie
devait rendre équivalents la trisomie et l’enfant.
Dans ce cas de figure, l’identité de Valéria aurait
donc été portée par le nom de sa pathologie et non
pas par son prénom devenu superflu. En nommant
la trisomie, madame V. a remis ce nom à sa place,
c’est-à-dire du côté des représentations flottantes
et infinies qui y sont associées, le détachant de
Valéria tout heureuse de retrouver l’usage du sien.
Les auxiliaires de vie scolaire
L’idée même d’inclusion scolaire s’est donc trouvée
mise en péril. Pour lui redonner de la vigueur, on a
inventé un nouveau métier : celui d’auxiliaire de vie
scolaire (avs). L’auxiliaire de vie scolaire permet
l’accueil et le maintien de l’enfant handicapé en
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 133

milieu scolaire en lui apportant un soutien pratique


et pédagogique. Il est en même temps un auxiliaire
de vie et une espèce de répétiteur, quand ce n’est
pas un précepteur. Son statut est ambigu et, pour
cela, pas toujours bien supporté par l’enseignant
qui se sent concurrencé par quelqu’un qui, initiale-
ment, n’est pas formé.
La création de postes d’avs vient confirmer le
choix social d’une aide à l’inclusion comme projet
central, tout en affirmant que cette inclusion n’est
pas possible sans un processus logistique parti-
culier qui vient souligner le handicap des enfants
concernés.
Cette nouvelle option, qui s’appuie sur des bases
pragmatiques, retarde l’arrivée d’un bilan mitigé,
sinon négatif, de l’inclusion scolaire, tout en chan-
geant profondément la philosophie de celle-ci.
À la limite, ce n’est plus l’enfant qui est intégré,
mais l’entité qu’il forme avec son auxiliaire, même
si celui-ci s’occupe de plusieurs enfants. Cela est
tellement vrai que les enfants handicapés sont de
plus en plus nombreux à être inscrits à l’école
seulement s’ils peuvent bénéficier de la présence
effective d’un auxiliaire.
L’intérêt du recours aux avs n’a fait que se
confirmer. Si l’intervention d’un avs individuel
(avs-i) attaché à un jeune en difficulté a pu montrer
ses limites, notamment en stigmatisant ce dernier,
le déploiement des avs collectifs (avs-co) et la
134 Découvrir les déficiences intellectuelles

précision de leur rôle ont indéniablement favorisé


l’inclusion et augmenté positivement ses effets.
C’est pourquoi ce qui n’a été pendant longtemps
qu’un métier déshérité, ne correspondant à aucune
qualification, a récemment évolué : la création du
Deaes (diplôme d’État d’accompagnant éducatif et
social) donne à l’avs un vrai diplôme spécialisé et
une véritable reconnaissance avec sécurité et stabi-
lité de l’emploi.
L’école primaire
Les inclusions en milieu ordinaire à ce stade sont
rares en état spontané. Les apprentissages sont très
précis, et le critère même de la pertinence du lieu.
Si la déficience est présente, elle obère les chances
de réussite à ces apprentissages. L’enfant décroche
très rapidement et se trouve marginalisé. S’il n’a
pas de très bonnes capacités à communiquer, il sera
maintenu dans cette situation, jusqu’à l’isolement,
dont il souffrira.
Par contre, dans certaines régions (circonscription,
département ou académie), le choix a été fait de
favoriser les inclusions individuelles. Pour réussir,
celles-ci sont très encadrées par une équipe de
soins qui assure un suivi régulier de la situation et
un soutien à l’enseignant. Dans ces conditions, les
résultats sont positifs, même pour des déficiences
importantes. Dans ces situations, l’intervention
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 135

régulière des sessaD ou des camsp peut se révéler


déterminante.
À ce stade aussi, les projets s’appuient de plus en
plus sur le soutien des avs.
Malgré ces expériences, les inclusions scolaires
en primaire s’effectuent plutôt dans un circuit
spécialisé.
Les unités locales d’inclusion scolaire
Ces classes sont nées d’une réorganisation des
anciennes classes de perfectionnement dont le
statut était devenu trop flou et qui, de ce fait, béné-
ficiaient davantage aux jeunes handicapés sociaux
qu’aux déficients, puis des classes d’intégration
scolaire (clis) qui ne correspondaient qu’insuffi-
samment au nouveau dispositif inclusif souhaité.
Les ulis-écoles s’adressent explicitement aux
handicapés âgés de 6 à 14 ans, répartis en fonction
de leur handicap (sensoriel, psychologique, intel-
lectuel). Certaines d’entre elles sont encore plus
sélectives, n’accueillant, par exemple, que des
trisomiques 21. Cette sélectivité tend logiquement
à disparaître, au profit de la diversité d’un public
relevant du droit commun.
Les effectifs sont toujours réduits, à douze au
maximum, et les enseignants sont normalement
spécialisés, c’est-à-dire qu’ils sont détenteurs du
certificat d’aptitude aux activités pédagogiques
136 Découvrir les déficiences intellectuelles

spécialisées d’adaptation et d’intégration scolaire


(caapsais) qui, après avoir subi plusieurs évolu-
tions, est devenu le certificat d’aptitude profes-
sionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive
(cappei).
La scolarisation s’effectue ordinairement à temps
plein.
Théoriquement, tous les enfants intégrés en ulis-
école doivent bénéficier d’un suivi par une équipe
de soins (constituée au sein d’un service ou par un
rassemblement de libéraux) collaborant avec l’en-
seignant. Tel n’est pas toujours le cas.
Le programme reste celui du primaire, l’accent
étant mis sur les bases du langage écrit et sur celles
du calcul. Les échanges avec les autres classes sont
favorisés, notamment pour les activités sportives ou
les arts plastiques. Souvent, les élèves participent
à certains temps d’inclusion autour de la lecture,
surtout avec le cp ou le ce1, ou d’autres matières
accessibles, comme l’eps, les arts plastiques, la
musique en privilégiant alors la classe d’âge.
Les temps de récréation et de cantine sont normale-
ment les moments privilégiés pour les rencontres et
les échanges avec les autres élèves. Concrètement,
les rencontres se raréfient au fur et à mesure que les
enfants grandissent, et les handicapés ont tendance
à se retrouver entre eux. Là encore, les meilleurs
communicants, y compris lorsqu’ils ne parlent
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 137

pas, sont les mieux intégrés, le jeu restant le plus


grand point commun entre tous : foot, poursuites,
cache-cache, etc. Les enfants handicapés sont
assez souvent la cible de moqueries et quolibets
qui donnent à certains enfants normaux l’occasion
de prendre leur défense : chacun trouve sa stratégie
pour apprivoiser la différence (les plus turbulents
ou les plus durs des enfants normaux présentent
assez régulièrement des difficultés personnelles).
À cette dynamique relationnelle, les déficients
répondent assez fréquemment de manière agres-
sive, sans doute parce qu’ils se sentent attaqués
d’une part et que, d’autre part, c’est un moyen effi-
cace et assez explicite de se faire entendre et recon-
naître. D’autres s’isolent totalement.
Si cette filière fonctionne assez bien pour les enfants
qui en acceptent le rythme et les contraintes, elle
semble pourtant moins pertinente pour les plus
grands d’entre eux. L’écart se creuse entre eux et le
groupe de référence, c’est un fait. D’autre part, le
plaisir d’apprendre, qui est un moteur très impor-
tant à cet âge, est mis en péril par le peu de résul-
tats et n’entre plus en concurrence avec les tensions
psychiques provoquées par la préadolescence.
Celles-ci occupent alors le devant de la scène et
ont tendance à envahir l’ensemble de l’espace rela-
tionnel. Les enseignants ne peuvent plus mettre
leurs élèves au travail et ont de plus en plus de
mal à canaliser leur anxiété, leurs angoisses, leur
138 Découvrir les déficiences intellectuelles

agitation ou leurs revendications. Le temps plein


scolaire semble alors avoir atteint ses limites.
Les unités locales d’inclusion scolaire collège
et lycée
Ces classes proposent de poursuivre au collège le
projet des ulis-écoles. Elles accueillent les élèves
qui en sortent et peuvent les garder jusqu’à 16 ans
puis au-delà pour ceux qui peuvent s’inscrire dans
un lycée. Aucun niveau n’est requis pour y accéder
et nombreux sont ceux qui y entrent sans savoir
lire, par exemple. Le critère majeur d’admission
reste la capacité à vivre dans un milieu ordinaire.
L’effectif y est réduit et l’enseignant est le même
qu’en ulis-école : un professeur des écoles, spécia-
lisé (ce système est le même que celui qui est
appliqué en segpa).
La fréquentation de l’ulis-collège ou lycée s’établit
souvent sur la base d’un temps partiel, l’autre partie
du temps étant nécessairement dévolue au soin et à
l’éducatif, ce qui implique l’existence d’une équipe
pluridisciplinaire travaillant de concert avec l’en-
seignant. Les ulis-collèges et même ulis-lycées se
multiplient actuellement, devenant une réelle alter-
native aux ime, au même titre que les ulis-écoles.
Des inclusions partielles et individuelles sont
normalement obligatoires mais restent souvent
laissées à la bonne volonté des enseignants, dans
certaines matières : sport, biologie, musique,
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 139

langue étrangère, etc. La dynamique relation-


nelle qui s’instaure entre les différents élèves est
du même type que celle que l’on a décrite pour
l’ulis-école.
Bilan des inclusions en milieu ordinaire
Si l’on compare l’ensemble des acquisitions repé-
rables à l’issue d’un cursus en milieu ordinaire à
celui qui existe au même âge chez les enfants ou les
adolescents orientés en milieu spécialisé, il n’est
pas sûr que les premiers y gagnent beaucoup. Sur
le plan de la pédagogie, il n’y a pas de différences
notables, et sur le plan de l’autonomie fonction-
nelle, c’est plutôt légèrement moins bon. Il faut dire
que les inclusions en milieu ordinaire nécessitent
quand même des regroupements pour des raisons
pratiques, et que les jeunes qui en bénéficient sont
coupés de leur milieu de vie, comme ils le seraient
s’ils étaient en milieu spécialisé. Les déplacements
sont du même ordre. Dans le second cas, les jeunes
bénéficient en plus d’un travail éducatif global qui
est une aide précieuse pour tout savoir-faire.
Cette inclusion peut même devenir pesante pour
certains quand elle dure trop longtemps et, dans ce
cas, les jeunes sont soulagés de se retrouver dans
un milieu plus adapté pour eux, avec un rythme
plus proche du leur, quand ils rejoignent une struc-
ture spécialisée.
140 Découvrir les déficiences intellectuelles

Ce bilan mitigé n’est pas suffisant pour rejeter l’in-


clusion en milieu ordinaire, ne serait-ce que parce
qu’elle entraîne d’autres bénéfices.
Le premier est considérable : les enfants et les
adolescents normaux qui ont eu l’occasion de
côtoyer des handicapés se montrent durablement
plus tolérants envers la différence. Ils ont moins
peur de ce qu’ils connaissent et sont plus à même
d’assumer à leur tour un enfant handicapé s’il
leur arrive d’en avoir un. Très concrètement, cette
cohabitation participe activement et favorablement
aux changements de mentalités souhaités par les
parents et les professionnels ; en fait, plus profon-
dément, elle participe à faire évoluer le système de
pensée de nos sociétés.
Le second est que la période d’inclusion donne le
temps aux parents qui sont trop dans la souffrance
de se rapprocher d’une acceptation relative ou
complète du handicap de leur enfant. Ils envisagent
alors plus facilement une orientation adaptée qui
sera d’autant plus favorable, et qui aurait pu
échouer dans le cas inverse.

– Milieu spécialisé
Structures pour enfants et adolescents
Institut médico-éducatif (ime), institut médico-
pédagogique (imp), institut médico-professionnel
(impro), ces institutions ne sont plus les tristes
isoloirs collectifs qu’on a pu leur reprocher d’être.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 141

Bien sûr, comme tout lieu de regroupement de ce


genre, ils nourrissent les fantasmes et il est facile de
leur reprocher de produire ce qu’ils accueillent : du
handicap, de la déficience, de la différence.
Certains parents ont peur que quelque chose chez
leur enfant s’y fige. Ils ont raison. Ce n’est sûre-
ment pas l’évolution ni les acquisitions, l’une et les
autres étant plutôt favorisées généralement, mais le
statut. La reconnaissance que leur enfant est bien
une personne handicapée, avec le sentiment que,
cette fois-ci, c’est définitif.
D’autres, ou les mêmes, craignent que leur enfant
régresse, ou imite d’autres handicapés, qui font plus
peur. Cela peut être vrai. La confrontation à d’autres
handicaps en soulage beaucoup et en trouble
d’autres. Parmi ces derniers, certains ont besoin
de faire l’expérience de ce à quoi peut conduire
le handicap. Ils vont se déconstruire en devenant
l’autre pour mieux se trouver ensuite. Démarche
qui n’est pas sans risque : quelques-uns peuvent s’y
perdre. Une fragilité psychique déjà présente est un
facteur aggravant d’un risque de décompensation.
Parmi tous les handicaps, l’un sert plus volontiers
de modèle que les autres : l’autisme. Les stéréo-
typies, ces mouvements automatiques et répéti-
tifs, frappent et sont faciles à imiter ; cette espèce
d’absence au monde, si caractéristique, que les
autistes affichent, attire et fascine : permettrait-elle
d’échapper aux douleurs que les frictions du
142 Découvrir les déficiences intellectuelles

handicap avec l’environnement entraînent ? Cette


possibilité peut effleurer l’esprit, surtout de celui
qui souffre.
En réalité, beaucoup de parents ont une peur des
autres handicaps, ayant surmonté grâce à la pratique
quotidienne celle qu’entraîne le handicap de leur
enfant. Deux handicaps servent majoritairement de
repoussoir, sans doute parce qu’ils permettent un
diagnostic rapide pour la plupart des gens et qu’ils
renvoient à des représentations assez univalentes :
la trisomie 21 dans le domaine de la déficience, et
l’autisme dans celui de la « folie ».
Malgré cette peur, la plupart des jeunes, enfants
ou adolescents, qui entrent dans ces institutions se
trouvent rassurés et progressent. Quelquefois de
manière spectaculaire, justement parce que alors ils
échappent à la présence soucieuse de leurs parents
et peuvent, enfin, s’en remettre à la réalité de leur
handicap.
Ces institutions accueillent les handicapés mentaux
jusqu’à leur majorité ou plutôt, actuellement,
jusqu’à l’âge de 20 ans, qui semble avoir été retenu
historiquement par l’ancienne et défunte cotorep
pour un changement de statut. Les handicapés
mentaux peuvent toujours se trouver dans une
situation étrange, de flottement, entre leurs 18 ans
et leurs 20 ans – entre le moment de leur majorité
légale et celui où la cDaph leur attribue l’aah.
Jusque-là, ils restent en ime en gardant un statut
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 143

d’enfant souvent sans responsabilités, mais ils


peuvent voter. Ensuite, la question de leur condition
juridique se pose, et ils peuvent se retrouver sous
tutelle, c’est-à-dire déclarés incapables majeurs ;
ils n’ont plus, alors, le droit de vote. C’était du
moins leur condition jusqu’à la loi de 2007, appli-
cable en 2009, portant sur la réforme du régime de
la protection des majeurs. Ce texte a banni le terme
d’incapable, considéré non sans raison comme
péjoratif, au profit de celui de majeur protégé. Ce
statut n’entraîne plus la perte systématique du droit
de vote en cas de tutelle, perte sur laquelle le juge
aura à se prononcer. Depuis, dans de nombreux
ime, un travail important est fait pour que la majo-
rité ait un sens pour ceux qui l’atteignent comme
pour leur entourage propre, à la grande satisfaction
des intéressés.
Les plus jeunes y sont très rarement reçus avant
l’âge de 5 ans. Il y a un véritable manque en
dessous de cet âge pour les enfants les plus handi-
capés, dont les besoins et/ou le caractère rendent
la vie des parents pratiquement insupportable. S’il
paraît inhumain de séparer l’enfant de ses parents
à cet âge tendre, il l’est quelquefois plus d’imposer
la continuité et la permanence de ce lien. Depuis
2009 toutefois, la création des structures pour les
plus jeunes (sessaD ou camsp) a considérablement
augmenté, instaurant un meilleur accompagnement
et une aide certaine à la scolarisation.
144 Découvrir les déficiences intellectuelles

Le projet de ces institutions est pragmatique, se


basant sur les réalités diverses des jeunes, et dyna-
mique, ne refusant aucune piste pour les situations
exceptionnelles ou atypiques. Il arrive, par exemple,
que des jeunes refusés partout se découvrent à
l’ime, se reconstruisent, reprennent confiance en
eux, jusqu’à pouvoir retourner dans un circuit plus
traditionnel. Peut-être parce que, dans ce milieu,
ils ne sont pas soumis à une exigence de réussite
calibrée.
Ce projet qui vise l’autonomie et les appren-
tissages est mis en œuvre par une équipe pluri-
disciplinaire qui couvre assez largement le champ
de ces derniers, y compris dans le domaine de la
pédagogie. Les enseignants qui font partie de ces
équipes et qui interviennent dans les murs sont les
mêmes que ceux des ulis.
Les ime sont de plus en plus ouverts sur l’exté-
rieur. Dans la logique de la mise en œuvre d’unités
d’enseignement (ue), ils n’hésitent pas à colla-
borer avec des partenaires, comme les écoles, avec
lesquelles ils peuvent mettre en place des inclusions
scolaires à temps partiel, en complément du travail
en interne. De même, ils commencent à envisager
la création de classes externalisées. La volonté des
équipes est de plus en plus affirmée pour s’appro-
cher du cursus des élèves du secteur traditionnel.
Ainsi n’hésitent-elles pas à préparer ceux qui le
peuvent aux examens les plus accessibles :
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 145

– le certificat de formation générale (cfg), mis en


place par l’Éducation nationale, qui comporte une
épreuve de français, une de mathématiques et un
entretien. Ce diplôme n’aboutit pas à une qualifi-
cation, mais il peut être apprécié dans un processus
d’insertion professionnelle. En tout cas, il met
ceux qui le passent et l’obtiennent au même niveau
symbolique que les élèves du collège en leur impo-
sant des modalités de passation proches de celles
du brevet ;
– l’attestation scolaire de sécurité routière (assr),
voire le brevet de sécurité routière (bsr).
Paradoxalement peut-être, c’est souvent à partir de
ces établissements que les jeunes peuvent le plus
travailler leur autonomie, notamment à la rencontre
du monde extérieur.
Les jeunes pratiquent des activités qui les mettent
moins en échec que la scolarité pure et dans
lesquelles ils trouvent davantage matière à s’épa-
nouir. Cette approche matérielle rassure beaucoup
et arrive parfois à calmer les grandes angoisses.
L’ensemble du projet permet aux jeunes de décou-
vrir des voies d’expression ou d’épanouissement
autant que celles-ci leur sont accessibles.
Une des ambitions de ce projet est aussi de préparer
progressivement au monde du travail.
Vu de l’extérieur, l’emploi du temps pratiqué dans
les établissements spécialisés est souvent perçu
146 Découvrir les déficiences intellectuelles

comme celui d’un camp de vacances. Il arrive que


des parents expliquent le bien-être nouveau de
leur enfant essentiellement par le fait qu’on ne lui
demande rien, ou pas grand-chose. Cette impres-
sion vient non pas de l’allégement des exigences,
mais plutôt de l’adaptation de celles-ci aux capa-
cités des jeunes.
Ces institutions fonctionnent le plus généralement
en semi-internat, rarement en externat et, parfois,
en internat. Cette dernière solution, la moins
fréquente, est utilisée lorsqu’une séparation d’avec
le milieu familial est l’alternative la plus intéres-
sante, quelle qu’en soit la raison, mais aussi pour
des raisons pratiques, tel l’éloignement du domi-
cile familial. Ainsi, dans certains départements
peu peuplés, il n’existe qu’un seul établissement
au sein duquel pratiquement toutes les personnes
accueillies sont internes.
Structures pour adultes
Nous signalerons simplement ici les lieux dans
lesquels les adultes peuvent poursuivre une vie
correspondant à leur autonomie et leur permettant,
pour une majorité en tout cas, de s’épanouir.
Lieux de travail. L’ambition de notre société est
de permettre au maximum de handicapés mentaux
d’accéder à un emploi. Cet objectif n’est jamais
simple à atteindre et rentre régulièrement en contra-
diction avec la réalité économique. L’ensemble de
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 147

la démarche est structuré par le droit du travail,


rendant impossibles les petits boulots de proximité
que de nombreux déficients pas trop handicapés
pouvaient assurer naguère, notamment au sein des
collectivités.
Les handicapés mentaux qui le peuvent travaillent
donc, pour la plupart d’entre eux, dans le circuit
du travail adapté : établissements ou services
d’aide par le travail (esat) ou entreprise adaptée
(ea). Certains de ces établissements proposent des
collaborations avec des employeurs privés ou des
collectivités territoriales, et le travail s’effectue
alors dans le circuit normal tout en étant encadré
par des éducateurs techniques.
En esat , les personnes handicapées sont des
ouvriers, mais n’en ont pas le statut : elles ne
cotisent pas à l’assurance chômage ni à la retraite.
Toute cessation d’activité rémunérée entraîne
un rétablissement du droit complet à l’aah. En
revanche, le travailleur handicapé en entreprise
adaptée est un salarié qui relève du statut de droit
commun avec un contrat de travail à durée déter-
minée ou indéterminée. Il jouit de tous les droits
des salariés et bénéficie de la Sécurité sociale.
Exceptionnellement, certains déficients arrivent
à trouver un emploi non protégé en milieu ordi-
naire. Ils peuvent se montrer capables dans
leur travail, mais souffrent en général de soli-
tude. S’ils provoquent, au début de leur activité,
148 Découvrir les déficiences intellectuelles

un mouvement de sympathie à leur égard, leur


présence et leur aptitude finissent par dévaloriser
l’emploi, ce qui est mal supporté par les personnes
normales qui l’occupent et qui, à cause de cela,
peuvent finir pas se montrer agressives. Même en
dehors de cette situation particulière, les échanges
sont rares, parce qu’ils ne sont pas nourris par la
personne déficiente qui a peu à partager avec les
autres (loisirs, centres d’intérêt, soins aux enfants,
etc.).
Les personnes déficientes incapables de travailler
peuvent vivre dans des foyers de vie où elles se
voient proposer des activités à leur niveau, qui leur
évitent de sombrer dans l’ennui et dans l’oisiveté
totale. Certains de ces foyers, de plus en plus même,
proposent des activités de type travail adapté sous
forme d’ateliers, voire la possibilité de rejoindre
pour quelques demi-journées un esat proche.
Lieux de vie. De plus en plus de personnes défi-
cientes souhaitent une alternative à la vie en
famille, c’est-à-dire, pour elles, chez leurs parents,
où elles mènent facilement une vie d’enfant attardé.
Les parents, eux aussi, désirent de plus en plus cette
solution, estimant que leur enfant a droit à une vie
indépendante à laquelle ils aspirent aussi. Rappe-
lons que, naguère encore, la vie chez les parents
était pratiquement la seule possibilité.
Le foyer reste le lieu principal d’hébergement. Il
permet la conquête d’un maximum d’autonomie,
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 149

tout en faisant face aux lacunes dans ce domaine.


Ainsi, tout déficient peut-il y trouver sa place,
quelles que soient ses capacités, grâce à la présence
permanente d’une équipe.
Les foyers collectifs tendent à se diversifier,
au profit d’une vie qui respecte l’intimité, mais
aussi qui sollicite les compétences, toujours pour
permettre le développement ou le maintien de
l’autonomie. L’architecture autorise des lieux plus
personnels, ouverts sur des espaces collectifs.
Il existe aussi des foyers qui sont éclatés en
plusieurs appartements, dans lesquels vivent un
certain nombre de personnes. L’aide des profes-
sionnels est proportionnée aux besoins de chacun.
En fonction de l’autonomie de la personne et de
son évolution, le choix s’effectue entre le foyer
d’hébergement (fh), voire le foyer d’héberge-
ment-appartement (fh-app), le foyer de vie (fv) ou
le foyer d’accueil médicalisé (fam). Que ce soit en
structure collective ou en structure plus individua-
lisée, les espaces pour les couples commencent à
apparaître, de manière plus nette.
Il est donc possible actuellement pour les personnes
déficientes de trouver des lieux de vie compatibles
avec leurs capacités, répondant à leurs aspirations
et permettant de travailler (proximité ou non du lieu
de vie et du lieu de travail). Avec le développement
de l’axe social, longtemps resté le parent pauvre
150 Découvrir les déficiences intellectuelles

de l’axe travail, les structures favorisant l’accès à


un mode d’hébergement ou son maintien, se sont
multipliées. Elles permettent même des mouve-
ments dans le sens d’une amélioration de l’auto-
nomie, y compris chez des personnes d’un certain
âge qui semblaient vouées à ne pas progresser ou
à régresser. Ces services sont les samsah (services
d’accompagnement médico-social pour adultes
handicapés) et les savs (services d’accompagne-
ment à la vie sociale) ; ceux-ci, au besoin, peuvent
être renforcés quant aux moyens mis en œuvre.
Très régulièrement, la pauvreté apparente ou
supposée de ce mode de vie est dénoncée par
les personnes ayant toutes leurs facultés, parents
comme professionnels. Pourtant, de nombreuses
personnes handicapées s’épanouissent dans ce
mode de vie, qui n’est peut-être pas très éloigné de
celui de la plupart des gens normaux.
Par ailleurs, certains handicapés ne veulent pas s’in-
sérer dans cette filière et font tout pour y échapper.
Leur combat témoigne de leur dynamisme et doit
être soutenu. Ils démontrent ainsi une autonomie de
pensée très satisfaisante.

L’axe thérapeutique
L’axe pédago-éducatif proposait, même au prix
d’adaptations, d’apporter aux personnes défi-
cientes les éléments communs à la vie habituelle
de chacun.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 151

L’axe thérapeutique suppose une sortie effective


de la norme ou, plus exactement ici, une difficulté
à y entrer. S’il est nécessaire de mettre cet axe en
pratique, c’est parce que les effets des déficiences
sont reconnus et qu’il est possible de les corriger, au
moins partiellement. Dans la logique du parcours
de vie, il se décline plus comme une adaptation
évolutive des offres de soin que comme une filière
prédéfinie ou définie une fois pour toutes.
Les objectifs visés ici seront toujours en tension
entre un désir de réparer (que la personne déficiente
soit comme les autres) et un désir de faciliter l’avè-
nement d’un sujet (que cette personne parle en son
propre nom, parmi les autres).
Rien d’étonnant à ce que ces objectifs recoupent
les critères plus ou moins subjectifs de l’humanisa-
tion : la marche et la parole, avec tous leurs avatars
comme autant de leurres possibles qui privilégient
la forme plutôt que l’essence.
L’humanité de l’être existe en deçà d’un mouve-
ment verticalisé ou d’un langage articulé ; elle se
loge dans le désir de vivre dont témoigne la parole
adressée, celle qui parle de l’altérité. Ainsi, lors-
qu’un professionnel dresse un petit enfant sur
ses jambes, voire le harnache dans une machine
bricolée, pour qu’il tienne debout, piqué sur ses
jambes raidies par la peur ou l’appréhension, avant
que celui-ci ne soit capable de se lever et d’avoir
envie d’aller vers quelqu’un d’autre, il ne cherche
152 Découvrir les déficiences intellectuelles

qu’une compétence qui s’exprime au détriment


d’un être. Peut-être soulage-t-il des parents dévorés
d’angoisse, ou lui-même, mais ce n’est sûrement
pas sans conséquences fâcheuses pour l’enfant.

– L’intervention précoce
Après l’avènement de l’enfant, de nombreux
travaux ont permis de mieux connaître le tout-petit,
auquel on a reconnu des compétences étonnantes.
Bien qu’il faille prendre celles-ci avec précau-
tion, parce qu’elles indiquent surtout une capacité
d’adaptation considérable à l’environnement, elles
ont quand même attiré l’attention sur ce moment
si sensible de la vie. Même s’il est abusif de dire
que « tout se joue avant 6 ans 1 », il est important
de favoriser dès que possible tout ce qui appartient
au monde de la communication et de l’échange.
Un bébé qui s’isole est un bébé qui s’appauvrit et
qui réduit ses chances de se développer correcte-
ment. De plus, le corps habité est une machine à
communiquer d’autant plus performante qu’elle
fonctionne. Il y a donc intérêt à la faire fonctionner.
L’énergie de cette machine est essentiellement faite
de désir et de désir pour l’autre ; elle se trouve dans
l’interaction affective. Il y a donc, là aussi, tout
intérêt à favoriser cette interaction.

1. F. Dodson, Tout se joue avant six ans, Robert Laffont, 1972.


Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 153

C’est dans cette optique qu’ont été créés des


services d’intervention précoce, les centres d’ac-
tion médico-sociale précoce ou les services d’édu-
cation et de soins spécialisés à domicile (camsp,
sessaD), et que d’autres ont été diversifiés dans
ce sens, les centres médico-psychologiques ou les
centres médico-psycho-pédagogiques (cmp, cmpp).
Tous mettent en œuvre des équipes pluridiscipli-
naires qui associent, selon un mélange dicté par le
ou les handicaps reçus, des paramédicaux (ortho-
phonistes, psychomotriciens, kinésithérapeutes,
infirmiers), des éducateurs, des psychologues et des
médecins (pédiatres et/ou psychiatres).
Ces équipes vont travailler à favoriser le dévelop-
pement et la capacité de communication de l’enfant
tout en respectant son équilibre. Parallèlement aux
stimulations nécessaires, elles auront toujours le
souci de donner un sens à l’accompagnement, pour
permettre à l’enfant de se l’approprier.
Très fréquemment, une guidance parentale sera
mise en place. Cette locution étrange désigne
une double démarche : permettre aux parents de
connaître le handicap de leur enfant pour avoir un
comportement « technique » approprié ; mais aussi
travailler sur leur réaction pour mieux accepter ce
handicap, condition indispensable pour conduire à
un développement sain de leur enfant.
Il ne faut pas oublier que l’enfant déficient valide
ou confirme très mal les initiatives de ses parents
154 Découvrir les déficiences intellectuelles

et que ceux-ci ont une certaine peur de lui, mêlée


des craintes qu’entraînent la différence et les émois
provoqués par les vœux de mort à son égard.
Ces équipes vont aussi favoriser l’ouverture sociale
en facilitant et en accompagnant les différentes
démarches d’inclusion dans les milieux de la petite
enfance et de la scolarité notamment.
Ces services spécialisés n’existent pas partout et
sont loin de couvrir l’ensemble du territoire. Même
lorsqu’ils existent, les parents ne les découvrent
parfois que fortuitement.
Pour pallier ces carences, les libéraux offrent les
mêmes pratiques à partir des mêmes formations.
Seule manque une certaine coordination entre
les professionnels. Et encore, certains libéraux,
conscients de la richesse qu’un travail concerté
apporte, le mettent en place spontanément.
Certains parents, effrayés par la lourdeur adminis-
trative réelle ou supposée des centres (ou encore
par la « publicité » qu’ils représentent), préfèrent
d’emblée avoir recours aux libéraux. Ils se sentent
moins dépossédés de leur enfant et pensent mieux
maîtriser son accompagnement.
Toutes ces approches thérapeutiques se font en
ambulatoire et supposent une réelle disponibilité
des parents.
Intégration et prise en charge deviennent inclusion… 155

– Les interventions plus tardives


Les professionnels que nous venons d’évoquer
pratiquent aussi au sein des institutions spéciali-
sées, avec le même objectif, adapté à l’âge de la
personne déficiente : enfant, adolescent ou même
adulte.
Les personnes déficientes évoluent lentement et
gardent, pour beaucoup d’entre elles, des séquelles
importantes liées à leur déficience. Elles pourraient
donc bénéficier d’une aide paramédicale toute leur
vie, la difficulté étant de déterminer le moment où
elles peuvent réellement en tirer profit. D’autant
plus que le démarrage d’une nouvelle prise en
charge, au moins parce qu’elle s’effectue avec une
nouvelle personne et, peut-être parce qu’elle s’ap-
puie sur de nouveaux supports techniques, produit
toujours un petit élan qui paraît prometteur.
L’expression verbale et la bonne maîtrise d’un
schéma corporel cohérent et suffisamment construit
sont les deux domaines qui restent majoritairement
déficitaires.
Là aussi, les professionnels libéraux offrent un
service tout à fait adapté.

– Acceptation du handicap et psychothérapie


Les déficients intellectuels ont tous conscience de
leur handicap. Ils sont les mieux placés pour savoir
ce que celui-ci entraîne dans la relation aux autres
156 Découvrir les déficiences intellectuelles

et ont suffisamment été entravés par lui pour le


connaître. Bien sûr, cette connaissance n’est pas
externe, comme celle qu’on peut leur prêter en
la calquant sur la nôtre, parce qu’ils n’ont jamais
eu d’autre expérience de vie que celle que leur
handicap leur permet, et qu’ils n’ont donc, pas plus
que nous d’ailleurs dans l’autre sens, de point de
comparaison.
Malgré cette conscience continue, il y a des
moments plus difficiles que d’autres, particulière-
ment au cours de certaines étapes de la construction
de la personnalité, qui s’accompagnent de doulou-
reuses révoltes, notamment la période œdipienne
et l’adolescence.
L’autre source majeure de difficultés est la
démarche de séparation d’avec les parents, qui
effraie tous les protagonistes et qui, souvent, n’est
absolument pas désirée.
Il existe aussi des souffrances psychiques qui sont
liées à une maladie mentale, les déficients n’étant
pas épargnés par celle-ci.
Dans toutes ces situations, les personnes défi-
cientes, quel que soit leur âge, bénéficieront d’une
psychothérapie.
5

Le déficient intellectuel,
caractéristiques psychiques
et comportementales

Le déficient intellectuel est un être d’écart, puisqu’il


n’est pas, ne peut pas être, un être d’équerre, un
être normé. À son sujet, les questions resteront
ouvertes et rémanentes, qui exploreront ses carac-
téristiques, l’éloignant et le rapprochant tour à tour
de l’homme mythique, l’idéal humain.

LA SPÉCIFICITÉ EN QUESTION
La tentation est grande de croire que les déficients
intellectuels ont une structure psychique parti-
culière. C’est le point de vue qui a pu être déve-
loppé pour certains d’entre eux, les trisomiques 21
158 Découvrir les déficiences intellectuelles

par exemple, au moment où ils ont suscité un fort


intérêt social, de la fin des années 1970 au début
des années 1990.
À cette époque, la question donna lieu à de multi-
ples et vifs débats dont les arguments opposés
furent développés dans deux livres principaux : Les
trisomiques parmi nous, ou les mongoliens ne sont
plus et Le mongolisme au-delà de la légende.
Dans le premier, Monique Cuilleret 1 défend la
spécificité des trisomiques. Bien qu’elle réfute les
portraits caricaturaux qui font des mongoliens une
armée de clones, elle décrit chez eux des caractéris-
tiques précises et régulières qui lui imposent cette
conclusion.
Parmi ces signes distinctifs, nous trouvons l’entê-
tement qui induit des épreuves de force pour que
l’éducateur ait le dernier mot, celui de la culture
et de la raison du commun sur la nature sauvage
du trisomique. Nous découvrons aussi l’esprit en
kaléidoscope, trouvaille plus personnelle de l’au-
teure, qui émane d’observations classiques mais
moins exploitées. D’après Monique Cuilleret, le
trisomique présente un excès d’esprit d’analyse
au détriment d’une capacité de synthèse, ce qui
l’amènera à privilégier les détails au préjudice
du tout, entraînant des déductions erronées et

1. M. Cuilleret, Les trisomiques parmi nous, ou les mongoliens ne sont


plus, Simep, 1981.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 159

préjudiciables. Ainsi, face à une cuisinière, le triso-


mique aura tendance à voir et à décrire un bouton
de réglage plutôt que l’appareil ménager dans son
ensemble.
Monique Cuilleret tient à sa démonstration. Elle
lui permet de proposer une prise en charge précoce
et adaptée, spécifique elle aussi, qui favorisera le
meilleur développement possible des trisomiques,
jusqu’à permettre leur intégration complète dans
notre société.
Dans le second, Pierre Échavidre 2 pourfend la thèse
de la spécificité, soucieux d’en démontrer l’inanité,
voire l’insanité. Il s’applique à démontrer que l’en-
semble des caractéristiques habituellement décrites
se retrouve plus ou moins partagé par la population
humaine et que les traits prétendument communs
aux trisomiques sont moins importants et significa-
tifs que leurs différences individuelles. Clairement,
pour lui, l’aberration chromosomique d’un même
type chez tous ne suffit pas à couvrir ni à démentir
les différences génétiques de chacun, héritées des
parents et du principe même de la sexualité qui
entraîne une pro-création plutôt qu’une re-produc-
tion. Chez les trisomiques comme chez tout être
vivant et sexué, la règle est celle de l’unicité.

2. P. Échavidre, Le mongolisme au-delà de la légende, Publications


du CTNERHI, 1986. Cet ouvrage est cosigné par M.-J. Bomey et
L. Patte-Malson
160 Découvrir les déficiences intellectuelles

La querelle qui oppose les tenants de la spécificité à


ses détracteurs peut paraître bien puérile et d’autant
moins compréhensible que les deux parties visent
le même objectif en partant des prémisses antago-
nistes que nous avons examinées : l’assimilation
de la différence dans un tout identitaire respectant
la singularité individuelle. Pourtant, cette dissen-
sion est loin d’être anodine, ce que laisse d’ailleurs
supposer la violence fréquente des propos qui la
soutiennent. L’enjeu est plus important qu’il n’y
paraît. Celui-ci se dévoile dès lors que l’on se
penche sur la signification du terme « spécificité ».
Spécificité renvoie à espèce. Est spécifique ce qui
est « propre à une espèce et à elle seule » (Le Petit
Robert). Or, en biologie, l’espèce se définit comme
un « groupe naturel d’individus descendant les uns
des autres dont les caractères génétiques, morpho-
logiques et physiologiques, voisins ou semblables,
leur permettent de se croiser » (ibid.). Si d’aventure
des espèces voisines (comme le cheval et l’âne)
s’accouplent, pratique déjà rare, leur rapproche-
ment ne sera qu’exceptionnellement fécond.
Ainsi, derrière cette question de la spécificité se
cacherait l’idée que certains déficients pourraient
appartenir à une espèce à part. Idée proprement
choquante, on le conçoit bien, qui devrait être faci-
lement réfutée jusqu’à disparaître. Tout ne semble
pourtant pas si simple.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 161

Espèce imaginaire
Un auteur, Eugène Réthault 3, dans un livre intitulé
Le mongolisme, a développé très sérieusement une
certaine fantaisie poétique à propos de cette notion
d’espèce.
Père d’une jeune fille trisomique, hanté par la
nécessité de trouver une origine à la pathologie de
sa fille, il a fait appel à ses connaissances en pré-
histoire pour répondre à ses angoissantes questions.
Comparant entre elles des statuettes préhistoriques,
il a été étonné de leurs différences anatomiques :
l’une, longiligne, présentait des formes similaires à
celles des femmes actuelles, l’autre, dite Vénus de
Lespugue, frappait par ses disproportions, notam-
ment par des seins, des fesses et un ventre énormes.
Réfutant l’idée que cette Vénus fût la représentation
d’une déesse de la fécondité, il compara ses mensu-
rations avec celles de sa fille, rapportées à la même
échelle, pour découvrir qu’elles étaient identiques.
Il en déduisit l’existence contemporaine de deux
types humains, interféconds : homo sapiens d’une
part et moustérien d’autre part. Les deux groupes
avaient dû s’accoupler avec constance, et les triso-
miques actuels témoignaient de ces très anciennes
orgies : ils étaient la résurgence à l’identique d’un
homme préhistorique, le moustérien, depuis long-
temps disparu.

3. E. Réthault, Le mongolisme, ESF, 1973.


162 Découvrir les déficiences intellectuelles

Réthault a poussé loin la logique de l’espèce.


Curieusement, il se trouve très proche d’un Down
et de ses mongols, associant archaïsme du type et
unicité raciale, utilisant la notion de résurgence et
proposant une espèce de synthèse rendant compa-
tibles différences et ressemblances.
Délire que tout cela ? Suffirait-il d’en appeler à
la raison pour renvoyer ces développements aux
rayons des idées farfelues, inacceptables pour tout
esprit cartésien ?

Espèce supérieure
Pourtant, nous retrouvons ce mélange de fantaisie
et de rationalité très souvent, et plus encore la
tentation de singulariser une population dès qu’il
est possible d’associer entre eux les individus qui
la constituent par des caractères repérables, aussi
ténus qu’ils soient.
Cette démarche est particulièrement présente dès
lors que nous avons affaire à une pathologie dont
l’origine génétique est avérée ; la génétique pour-
rait représenter ici une sexualité diffluente resurgie
d’une moderne et hypocrite censure.
Illustrons notre propos à l’aide du syndrome de
Williams et Beuren 4.

4. Nous en trouvons une présentation sur le site Internet : www.


essentielsante.net, qui apporte aussi les références de l’association
française dédiée à cette pathologie.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 163

« Le Syndrome de Williams et Beuren, ou swb,


est une étrange maladie orpheline qui associe des
anomalies cardiaques et du faciès ainsi qu’un retard
mental. » Ainsi, le premier mot qui vient sous la
plume du médecin qui rédige cet article de présen-
tation est un adjectif qualificatif essentiellement
subjectif. Étrange, mot qui, comme par hasard,
provient du mot estrange, qui signifie étranger.
Pour confirmer cette impression bizarre ou incom-
préhensible, la nosographie puise ses références
en marge de l’humanité ou, plus exactement, dans
les productions imaginaires de celle-ci : « Ce
syndrome comporte des anomalies caractéristiques
du visage qui font parler de “faciès d’elfe”. Le
front est trop grand et les yeux sont bordés d’un
œdème. La bouche est trop large et la lèvre infé-
rieure inversée surplombe un menton peu déve-
loppé. » Joli tableau pour dresser le portrait d’un
génie de l’air ! Et pourquoi s’agrémente-t-il de
l’adverbe réitéré « trop », qui se passe ici d’élé-
ment de comparaison ? Trop grand, trop large, par
rapport à quoi ?
La réponse est peut-être dans l’identité du génie
ci-dessus évoqué, qui, par un habile glissement
sémantique, change d’acception : « Les enfants
atteints présentent des capacités hors du commun.
Ils ont une mémoire visuelle ou auditive plus déve-
loppée que la normale et une sensibilité au bruit et
à la musique qui étonnent jusqu’aux scientifiques
164 Découvrir les déficiences intellectuelles

eux-mêmes. Certains ont l’oreille absolue ! Les


enfants atteints du swb sont en général très volu-
biles et se montrent très sociables. » (Aux triso-
miques 21, on attribua aussi de nombreuses et
extraordinaires qualités, notamment dans les
domaines artistiques, émotionnels ou dans celui
des rapports humains.) À dire vrai, cette litanie
élogieuse s’inscrit à la suite de l’annonce d’un
« retard mental d’intensité variable selon les cas ».
Malgré les précautions prises pour insister sur la
disparité individuelle, « l’hérédité par rapport
aux parents qui fait que chaque enfant est un cas
unique », malgré l’accent mis sur la réalité de la
déficience intellectuelle, quelque chose pousse les
descripteurs à trouver des qualités exceptionnelles
à leurs sujets, peut-être comme compensation à leur
déficience, mais aussi à assimiler ces derniers à une
espèce à part : elfe, enfant-soleil, ange, lutin…, qui
les regroupe, les caractérise et les unifie.

Espèce anormale
Cette tendance à s’appuyer sur des spécialités plus
ou moins communes pour proposer la spéciation
des déficients intellectuels est trop fréquente pour
être négligée.
Nous comprendrons mieux une telle réaction si
l’on accepte de revenir au qualificatif, nom ou
adjectif, aussi rejeté qu’explicite : anormal. Ce
terme est d’ailleurs revendiqué, momentanément,
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 165

par certains parents au cours de leur processus


d’adaptation, justement parce qu’il leur paraît le
mieux approprié pour rendre compte de la réalité
de ce qu’ils ont vécu. Car, si l’anormal est celui
« qui est atteint d’une anomalie dans son déve-
loppement physiologique ou mental » (Le Petit
Robert), ce qui est anormal, c’est aussi ce « qui,
étant imprévu et inexplicable, provoque la surprise
ou l’inquiétude » (ibid.).
Comment mieux dire le surgissement de l’inat-
tendu et l’angoisse qui en découle ?
L’inattendu, ici, est l’enfant qui ne nous ressemble
pas et auquel on ne peut pas ressembler. Il arrive
qu’une absence de ressemblance physionomique
du nourrisson provoque quelques doutes au sujet de
sa généalogie et puisse insécuriser un père ou une
ascendance, mais la dissemblance, même minime,
de l’enfant anormal déloge ses parents du phylum
humain. L’enfant est autre ; autre chose…
Cette réaction explique en partie la question à
jamais sans réponse qui taraude de nombreux
parents : « Pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? »
Autrement dit, que suis-je ou qui suis-je, qu’ai-je
pu faire et à qui, pour qu’à travers moi soit passé un
être de qui je ne suis pas le semblable ?
Devant l’anormal, il y a quelque chose qui chute
chez nous et qui nous fait sortir de notre assujettis-
sement social, c’est-à-dire des évidences qui nous
166 Découvrir les déficiences intellectuelles

structurent et qui nous font appartenir à une société


humaine donnée ; tout ce que nous sommes habi-
tuellement prêts à transmettre à nos enfants, dans
la jouissance que donne le sentiment de perdurer.
Déstabilisés par la perte de nos repères habituels,
nous sommes amenés à réinterroger notre propre
fonctionnement psychique, qui a tendance à
défaillir tant que l’enfant déficient apparaît comme
anormal. Du coup, nous ne sommes plus pour lui le
réceptacle d’émois anticipé, stable et fiable dont il
a besoin, le médiateur qui, progressivement, initie
à une structure et à une culture, mais quelqu’un qui
se reconstruit en même temps que et avec lui. C’est
cette simultanéité qui induit l’interdépendance des
psychismes, interdépendance proportionnée à la
déstructuration psychique des adultes.
Illustration clinique : Antoine
Nous nous retrouvons avec Antoine et ses parents,
monsieur et madame J., à l’occasion d’une
rencontre de principe, pour faire le point.
Antoine est un garçon jovial et agréable de 15 ans,
plutôt urbain. Il utilise avec aisance un langage
riche et varié qui lui permet des échanges assez
poussés à partir de ses nombreux pôles d’in-
térêt. Il a un petit faible pour les catastrophes et
se passionne pour les tremblements de terre et
les éruptions volcaniques. Il entretient de bonnes
relations avec les jeunes de son âge et, depuis
quelque temps, il a une copine, une petite copine,
comme il le dit lui-même.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 167

Antoine présente un syndrome de Williams et


Beuren qui a été diagnostiqué assez tardivement.
Ses parents s’étaient bien rendu compte qu’il ne
se développait pas normalement mais, faute d’in-
dications précises, ils continuaient d’espérer. Ils
reçurent le diagnostic avec une violence phéno-
ménale et ne sont pas encore remis de ce choc,
plusieurs années après.
Antoine, par sa prestance et sa faconde, fait illu-
sion. On lui prédirait volontiers un développement
pratiquement normal, tellement il semble proche
des autres adolescents. Pourtant, il se révèle très
médiocre dans les apprentissages. Il ne sait pas lire
et n’a guère de notions mathématiques. Maladroit
et timoré, incapable de mémoriser des stratégies
ou des consignes complexes, il ne brille pas non
plus dans les domaines plus concrets.
Lors de l’entretien, il est tel qu’à son habitude. Il
prend la parole et la distribue, pas forcément à
l’aise malgré tout.
Le voilà qui interpelle son père : « Tu te souviens,
papa, l’autre matin quand je suis venu te voir ?
Mon zizi me piquait et il y avait une espèce
de crème blanche au bout. Je t’ai demandé ce
que c’était et tu m’as répondu que tu ne voyais
pas ! »
Son père, gêné, bafouille un peu. Sa mère en
profite pour parler de sa solitude devant les ques-
tions de ce genre et de son espoir de voir son
mari s’en mêler enfin, persuadée que c’est plutôt
le rôle d’un père que d’accompagner son fils dans
168 Découvrir les déficiences intellectuelles

ce domaine. Elle s’adresse à son conjoint directe-


ment. Elle n’est pas spécialement vindicative, juste
fatiguée sans être blasée.
Nous parlons de tout cela ensemble. Le père sait
bien qu’il s’est mis dans une position délicate, mais
il s’est trouvé dans l’incapacité de répondre à son
fils. « C’est vraiment pas facile », dit-il. Ce que l’on
comprend bien.
Par contre, sa réponse rend les choses un peu plus
compliquées qu’elles ne sont déjà. Antoine, en
allant voir son père, a sûrement une idée derrière
la tête. Il se doute bien de la nature de cette
crème blanche et de son lien avec la sexualité et,
sans doute même, avec la procréation. Son père
doit bien être la personne de la maison la mieux
placée pour lui apporter confirmation, puisqu’il
est lui-même son géniteur.
Patatras ! En affirmant son ignorance, monsieur J.
ne se reconnaît pas dans la situation de son fils et
renvoie celui-ci à une expérience unique, singu-
lière, qu’il n’a pas lui-même vécue.
En mentant à son fils, monsieur J. nie toute ressem-
blance entre eux. Ils n’ont pas le même corps.
Celui d’Antoine produit d’étranges substances que
son père ne connaît même pas. Qu’il se débrouille
avec cela !
Désemparé, Antoine a néanmoins gardé suffisam-
ment de confiance pour revenir à la charge. Il s’est
douté que son père n’avait pas pu répondre, mais
il n’en a pas saisi la raison. Ses questions devaient
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 169

être dérangeantes, à moins que ce ne soit lui qui


importune, par sa seule présence peut-être.
Cet incident servit de départ à une grande phase
angoissée chez Antoine. Il se demanda si sa
famille était au courant pour sa « maladie ». Ses
parents, oui, bien sûr, mais ses grands-parents,
par exemple, peut-être pas. Il se demandait
comment ils réagiraient en l’apprenant. Il lui
semblait aussi important qu’ils soient informés, se
sentant en porte-à-faux dans le cas contraire. Il fut
convaincu que ses proches ignoraient tout de la
vérité et imagina plusieurs stratégies pour la leur
apprendre. Il se vit écrire des lettres (dictées), en se
demandant comment elles seraient reçues.
À partir de ce moment-là, il prit peur. Il fut certain
que ses grands-parents ne résisteraient pas en
apprenant le handicap de leur petit-fils. La révé-
lation les tuerait.
Finalement, cet épisode et ses prolongements
permirent de travailler la question de la différence
et des violences qui y sont attachées, qui peuvent
être mortelles, pour la vie ou pour l’équilibre
psychique.
Il montre aussi les incidences qui se révèlent en
chaîne et qui touchent de nombreux protagonistes
autour de la personne déficiente dès que se rompt
le statu quo établi dans le silence.
Antoine, par sa parole et son désir révélé, provoque
un déséquilibre. Dès lors, il changera d’autant plus
aisément que les personnes concernées accepteront
170 Découvrir les déficiences intellectuelles

elles aussi de changer et de l’accompagner dans


son cheminement. Au contraire, les réticences de
son entourage pourraient ralentir son évolution ou
la compromettre, suivant leur intensité.

LA DÉPENDANCE ET L’AUTONOMIE
Nous revenons sur ce point déjà abordé dans la
partie consacrée aux parents pour développer
la difficile question de la dépendance et de
l’autonomie.
Aucun homme ne saurait vivre initialement seul.
Sa dépendance aux autres est multiple, mais elle
seule permet sa survie.
Elle est d’abord pratique. Le bébé a besoin de
soins. Il doit être nourri, changé et éduqué. Très
vite, et tout au long de sa vie, il aura aussi besoin
de l’expérience des autres pour apprendre à vivre
le mieux possible dans un contexte et un environ-
nement donnés.
Elle est aussi affective et anthropologique. Là
encore, dès le départ et au cours de sa vie, l’homme
a besoin d’affection, puis de solidarité. Il doit être
aimé, intégré et trouver une place parmi les autres,
qui lui donneront un statut.
Elle est enfin éthique. L’homme se développe dans
la conscience de l’autre et dans une solidarité qui
devient immédiatement réciproque. L’autre, repré-
senté d’abord par la mère, appelle le nouveau-né à
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 171

la vie dans une dimension qui dépasse chaque indi-


vidu et que l’on pourrait nommer l’humanité. C’est
ce mouvement qui permet de parler de l’Autre
avec une majuscule, qui jamais ne se résume à une
personne, mais représente toute l’épaisseur de l’hu-
manité, son origine et son destin. C’est dans l’Autre
que réside le fantastique mystère du symbolique,
cette aptitude à représenter, irrémédiablement liée
au désir, donc à la nostalgie.
Cette dernière dimension de la dépendance, qui est
la seule à permettre d’évoquer une liberté possible,
a longuement été étudiée par Emmanuel Levinas 5,
notamment dans ses commentaires de l’œuvre de
Dostoïevski.
Ce n’est qu’en traversant et en acceptant ces diffé-
rents domaines de la dépendance qu’un homme
peut accéder à l’autonomie, c’est-à-dire « déter-
miner librement les règles auxquelles il se soumet »
(Le Petit Robert). L’autonomie est quelque chose
de formidable, comme cette définition le laisse
entrevoir : c’est la capacité de se soumettre par et
pour sa propre liberté. Cette dernière n’est donc
possible que par les règles qui préexistent à tous,
mais que chacun doit s’approprier.
C’est au bout de ce processus qu’un homme
saura se passer de la présence réelle des autres et

5. E. Levinas, Humanisme de l’autre homme, Fata Morgana, 1972 ;


Éthique et infini, Fayard, 1982.
172 Découvrir les déficiences intellectuelles

apprécier la solitude, c’est-à-dire la rencontre avec


lui-même. Même seul, s’il n’est pas dans la fuite, il
restera responsable à l’égard des autres. Par contre,
tant qu’un homme reste dépendant, toute solitude
lui paraît une situation d’abandon.
L’homme demeure donc lié aux autres, même s’il
choisit de vivre comme un ermite. Mais c’est une
espèce d’hypocrisie de décréter qu’à cause de cela,
on est tous dépendants, que l’on soit ou non défi-
cient intellectuel.
Il est bien évident que les déficients intellectuels
ont besoin de la présence réelle d’un autre tuté-
laire : ils ne peuvent prétendre que difficilement à
une autonomie qui permet la découverte de la soli-
tude (pas de l’abandon).
Nous avons vu, par exemple, comment la tristesse
occasionnée par la perte d’un être proche s’atté-
nuait très rapidement lorsque celui-ci était remplacé
par une personne aussi attentive et disponible que
le disparu l’était. Les déficients intellectuels les
plus frustes ne connaissent pas de travail de deuil
proprement dit.
Paradoxalement, de nombreux déficients paraissent
solitaires, passant une grande partie de leur
journée occupés à des activités très personnelles :
découper des revues, recopier des recettes, jouer
des scènes mimées et dialoguées, ou encore écouter
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 173

inlassablement les mêmes chanteurs ou visionner


les mêmes vidéos…
Il ne faut pas s’y tromper ; cette apparente indé-
pendance est plutôt une indifférence à l’égard de
l’environnement et de ses contraintes, un repli
non pathologique mais très appauvrissant sur un
monde personnel. Par ailleurs, ces déficients-là ne
s’isolent que parce qu’ils retrouvent l’autre néces-
saire (notamment pour des raisons matérielles ou
affectives) dès qu’ils en ont besoin. Plus ils sont
solitaires et plus ils se montrent tyranniques envers
leur entourage.
La notion du temps leur reste relativement étran-
gère : ils vivent plutôt dans l’idée du « tout, tout
de suite ». Ou bien les données imaginaires leur
suffisent et la réalité ne les concerne que peu.
Enfin, si les déficients intellectuels sont fréquem-
ment décrits comme des êtres attentionnés, parti-
culièrement gentils, cela ne veut pas dire qu’ils
occupent dans la relation une place de responsabi-
lité à l’égard de l’autre, ni qu’ils prennent la mesure
de la dépendance éthique. Ils collaborent (on ne
peut pas dire simplement, car cela est capital) à la
chaleur de la relation et peuvent alors rassurer ou
consoler l’autre mais, pour cela, il faut qu’ils soient
disponibles à cet instant. Même positivement, ils
restent dans une relation adhésive, qui ne prend
valeur que dans l’instant.
174 Découvrir les déficiences intellectuelles

C’est par l’intermédiaire de la question de la


dépendance et de l’autonomie que s’éclaire celle de
l’immaturité. Par ses caractéristiques défectueuses,
le déficient intellectuel demeurera une personne
fragile nécessairement protégée de fait par la soli-
darité et l’humanité du groupe, au-delà de ce qui
s’engage de la responsabilité de tous à l’égard de
chacun. Autrement dit, dans cette dimension-là,
la place de la personne déficiente ne peut pas être
strictement similaire à celle de tout autre, sans
doute parce qu’il ne peut pas y avoir de réciprocité
(dans la relation habituelle entre deux personnes,
la réciprocité demeure hypothétique, mais elle est
toujours possible).
Illustration clinique : Lazare
Une séance d’analyse de la pratique va nous
permettre de faire un petit retour sur l’évolution
de Lazare.
Une anecdote nous sert de point de départ,
rapportée par Magdeleine, monitrice de judo,
qui se trouve en difficulté avec lui. Elle se sent
momentanément dans une impasse et aimerait
savoir comment en sortir.
Lazare est un jeune trisomique de 19 ans. Depuis
quelques mois, il fait régulièrement parler de lui.
Jusqu’alors, il se contentait de balader benoîtement
son impressionnante silhouette – il est très grand
et costaud – dans l’institution, sans se faire remar-
quer autrement que par de rares excès d’excitation
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 175

pendant lesquels il bougonnait et se permettait de


petits gestes agressifs. Sa parole, essentiellement
fonctionnelle, restait rare, devenant confuse dès
qu’il tentait des explications.
À l’occasion d’une absence mal expliquée de sa
référente, il a commencé à présenter des compor-
tements dérangeants, considérés comme dange-
reux, pour lui et pour les autres. Il s’est mis à
grimper partout : arbres, faîtes des murs, rebords
de fenêtres, toits, etc. Il s’est énervé, n’hésitant pas
à injurier et même à frapper violemment certains
des autres jeunes. Nous y reviendrons.
Pour l’instant, laissons Magdeleine s’expliquer.
Indiquons au préalable que cette jeune femme a
une relation privilégiée avec Lazare, qui se montre
relativement calme avec elle. Sans doute a-t-il le
béguin pour elle, ce que d’aucuns, taquins, n’hé-
sitent pas à lui rappeler à l’occasion. La semaine
précédente, un incident a eu lieu au retour de
l’activité hebdomadaire de judo. Le dojo est assez
loin de l’IME, et c’est Magdeleine qui conduit le
véhicule de neuf places lors des transferts entre les
deux lieux. Au retour, elle n’arrive pas à retrouver
son sac à main. Après des recherches infruc-
tueuses, elle interroge Lazare qu’elle soupçonne
de l’avoir subtilisé. Celui-ci nie catégoriquement
toute implication dans la disparition. Résignée et
mal à l’aise, Magdeleine procède aux démarches
d’urgence : opposition pour sa carte bancaire et
son chéquier, pose d’un verrou à la porte de son
appartement. Elle passe une nuit exécrable et
176 Découvrir les déficiences intellectuelles

insomnieuse. Plus le temps avance, plus elle est


convaincue qu’elle n’a pas pu perdre son sac.
Lazare a dû le lui prendre. Elle en est pratique-
ment certaine.
Le lendemain, elle partage ses déductions avec
Julie, la référente de Lazare, qui va se charger de
le rencontrer pour l’interroger à nouveau. Dès les
premiers mots de Julie, Lazare, penaud et soulagé,
avoue le larcin. Il s’empresse de restituer à sa
référente le sac à main de Magdeleine qu’il avait
soigneusement enfermé à clef dans son casier.
Magdeleine va récupérer son bien sans revoir
Lazare. La semaine se termine, le week-end arrive.
De retour à l’IME le lundi, Magdeleine ne sait pas
comment reprendre les choses avec Lazare. Non
seulement ils se sont vus avant la réunion d’ana-
lyse de la pratique, mais ils ont partagé la même
table pour le déjeuner. Pas un mot n’a été échangé
concernant le « rapt » du sac ou sa réapparition.
Lazare a passé le repas légèrement affaissé, tour-
nant le dos à une Magdeleine soucieuse de ne pas
le froisser, désireuse de ne pas déclencher une de
ses fulgurantes colères.
Maintenant, elle aimerait bien savoir que faire…
Les commentaires vont bon train, visant plutôt à
banaliser l’événement. Tout le monde est d’accord
pour que Lazare soit repris, voire admonesté, mais
aussi pour juger qu’il ne s’est rendu coupable,
somme toute, que d’une mauvaise blague.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 177

Nous sommes entre professionnels, habitués à ne


pas nous contenter d’une explication superficielle
des choses. Que peut donc, dans cette assemblée,
recouvrir cette notion de blague ?
Blague : plaisanterie, gaminerie.
Mauvaise blague ? Fait de garnement !
Lazare est un petit garnement qui mériterait bien
qu’on lui tire les oreilles.
Derrière les commentaires, pointe une légère exas-
pération : depuis des mois que Lazare se comporte
de manière inappropriée, malgré les réprimandes,
rien ne change chez lui. C’est comme s’il ne voulait
rien entendre. De quoi désespérer ! Les éducateurs
en sont fatigués, mais leur esprit reste en alerte :
il n’est pas trop difficile de repérer avec eux que
ce dont ils désespèrent, c’est de voir s’éveiller l’in-
telligence de Lazare. Bien qu’ils aient du mal à la
concevoir, ils expriment l’idée que Lazare est un
gros débile, inapte à la moindre pratique intellec-
tuelle. Il ne change pas parce qu’il est bête.
Comme on peut s’y attendre, ils sont heurtés
par leurs propres représentations, mais le fait de
les admettre va leur permettre de les critiquer et
de les modifier, ainsi que d’autres, rendues plus
accessibles.
Il est alors possible de reprendre l’épisode du sac
sous un autre angle.
Magdeleine nous apprend que la séance de judo se
passait plutôt bien jusqu’au moment où les jeunes
durent effectuer des roulades. Lazare s’exécuta
178 Découvrir les déficiences intellectuelles

de bonne grâce, à son tour, mais il le fit sans les


mains, au mépris de toute prudence. Magdeleine
accompagna l’exploit d’un cri d’effroi suivi d’un
autre, de réprobation vive : expression de peur et
réprimande. Lazare jouait au casse-cou, ce qui ne
pouvait être accepté. Il lui fut rappelé le danger et
les interdits – comme s’il ignorait l’un et les autres.
Sur le chemin du retour, Lazare occupa la place
du passager avant, à droite de Magdeleine, comme
à son habitude. Il se montra très pénible, invecti-
vant les autres passagers en les rappelant à l’ordre,
parangon autoproclamé de toutes les vertus. De
plus, il enroula à plusieurs reprises sa ceinture de
sécurité autour de son cou, se mettant à chaque
fois en péril, entraînant là encore les références au
danger et aux interdits.
À l’arrivée, il déroba discrètement le sac, comme
nous l’avons vu précédemment.
Dans cette situation, la sidération des accompa-
gnateurs que sont les soignants ou les éducateurs
est remarquable. Il leur est impossible a priori de
reconnaître aux actes de Lazare une dimension
symbolique, le maintenant dans un véritable no
man’s land. La réflexion partagée fait réapparaître
cette dimension, qui ne serait sans doute pas
passée inaperçue en dehors de la déficience intel-
lectuelle, surtout accompagnée d’un problème
génétique.
Le Lazare casse-cou est un coq cherchant à éblouir
sa belle. Fier de son corps et de ses exploits, il
parade ; avec efficacité si ce n’est avec succès. Le
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 179

voilà à paonner, adolescent tumescent. Qu’ob-


tient-il ? Sous le rappel à l’ordre affectueusement
protecteur, un renvoi au pays de l’enfance fragile.
Les « trisomiques 21 » présentent une certaine
faiblesse de leur colonne cervicale. Ce qui favo-
rise une rupture de la nuque, le fameux « coup
du lapin ». On connaît dans la région un cas
ancien qui, par une mort accidentelle en cour
de récréation, illustra parfaitement cette carac-
téristique. Dans les milieux informés, pendant
de nombreuses années, on parla de cette nuque
vulnérable, on interdit les culbutes et la pratique
des sports enroulés. Magdeleine, comme Lazare,
savait cela. Le cri de la première cloua le second
au pays imaginaire des enfants éternels, qui ne
doivent pas jouer dans la cour des grands.
Lazare explorait le monde prometteur et déli-
cieusement secret du sexe et de la séduction pour
rencontrer, brutalement, celui de sa pathologie
collante et rémanente, le seul peut-être à lui être
promis.
Le cri de Magdeleine, femme à séduire, se révélait
une annonce réitérée du handicap.
Lazare, dépité, commença à s’agiter.
Têtu et maladroit, il poursuivit pourtant sa cour
dans le véhicule qui les ramenait à l’IME. Simulacre
véhément des conduites adultes et responsables,
il rappelait aux autres le modèle normé auquel
lui-même ne pouvait pourtant pas se résoudre à
ressembler, ce qui d’ailleurs le mettait en colère.
180 Découvrir les déficiences intellectuelles

Colère essentiellement tournée contre lui. Il jouait


aussi avec sa ceinture de sécurité, la transformant
potentiellement en corde de pendu, proposant
de son propre chef une punition extrême comme
conséquence de ses actes, mais aussi, plus subtile-
ment, en indiquant l’ambiguïté des liens qui vous
sauvent ou vous tuent, selon les circonstances. Qui
étouffent à trop vouloir épargner. Comment ne pas
penser, devant cette ceinture de sécurité insécu-
risante, au cordon ombilical qui, après avoir si
longuement nourri le bébé, l’étrangle au moment
de sa naissance ? Ambiguïté féconde, qui se pour-
suit dans la quête amoureuse de l’homme cher-
chant une femme mère-amante.
En utilisant ainsi sa ceinture, Lazare n’offrait-il
pas à Magdeleine sa soumission et sa vie tout en
lui indiquant le lien bifide réclamé, maternel et
meurtrier ?
Là encore, il n’obtint qu’une réponse exaspérée et
une incitation à rester sage, à se montrer un bon
petit garçon. Ce qu’il ne voulait justement pas être,
préférant de loin dévoiler son aspect de diablotin
tumultueux.
Dans la continuité de la frustration de mâle blessé,
il s’empara du sac de Magdeleine, faute d’avoir
reçu ses faveurs.
Ce sac d’intimité auquel la femme se lie, dans
lequel ses doigts s’attardent et où elle enfouit tant
de mystérieux trésors symbolise fréquemment le
ventre maternel, et plus souvent encore le sexe
féminin.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 181

Le soulagement manifeste de Lazare en rendant


l’objet soulignait la charge émotive qui y était atta-
chée. C’est peut-être aussi cette association, ici
insupportable, qui nécessitait la banalisation de
son acte. D’accord pour plaisanter Lazare et ses
amours attendrissantes, mais de là à accepter qu’il
mît en scène un coït, fût-ce sous forme symbolique,
il y avait des limites. Pourtant, Lazare obtint une
partie de ce qu’il cherchait puisqu’il tint Magde-
leine éveillée tout au long de cette première nuit,
ce dont ne peuvent se prévaloir tous les amants.
La conscience bien pensante des éducateurs refu-
sait qu’un trisomique pût seulement envisager une
union avec une jeune monitrice, modèle char-
mant de normalité. Mais l’inconscient, facétieux
jusqu’au bout, semait encore quelques indices :
la blague, dans une de ses acceptions, est un
mensonge, une manière de distordre les réalités et
les normes, mais aussi, dans une autre, « un petit
sac de poche » qui peut, dès que l’occasion lui en
est donnée, symboliser la même chose que le sac à
main féminin. Chassez le sexe, il revient au galop.
Nous voyons qu’il est difficile, même aux plus
vigilants, d’accepter toutes les conséquences de
la maturation des déficients intellectuels et qu’il
est bien tentant de les maintenir dans le monde
imaginé d’une enfance étale.
Revenons maintenant au changement de compor-
tement de Lazare, ce qui nous permettra de resi-
tuer l’anecdote du sac dans un contexte plus large.
Nous avons dit que ce changement apparut à
182 Découvrir les déficiences intellectuelles

l’occasion d’une absence inhabituelle de sa réfé-


rente. Nous comprîmes après coup et avec l’aide
de Lazare que cet événement lui avait permis de
prendre conscience d’une relation de dépendance
excessive, peu compatible avec une quelconque
autonomie, notamment sur le plan affectif. À partir
de là, Lazare fut pris du désir de se séparer. En
même temps, il rencontra à nouveau la question
de sa différence ainsi que celle de son identité.
Il grimpait partout, provoquant chez les éduca-
teurs une angoisse qui les entraînait à le pour-
suivre, le poussant indirectement à déplacer
plus loin encore ses limites. Reconnaître que ce
comportement était peut-être légitime et structu-
rant permit d’apaiser les angoisses des éducateurs
qui acceptèrent mieux les acrobaties de Lazare.
Non seulement celles-ci devinrent compréhen-
sibles, mais elles servirent à Lazare de véritables
expérimentations.
Grimper représentait pour lui de multiples choses.
Passant « des journées entières dans les arbres »,
il se comportait comme de nombreux adoles-
cents avides de sensations fortes et de liberté. Se
balancer sur l’équilibre précaire d’une branche
ténue, c’est s’affranchir de la pesanteur ; c’est, déjà,
presque voler…
Oiseau sur la branche, normal dans son refus des
carcans interdicteurs et sécuritaires, il savourait
l’espace créé qui, enfin, le séparait des discours
pontifiants dont seuls quelques éclats rendus déri-
soires par la distance l’atteignaient encore.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 183

Comme dans les roulades sans mains, il découvrait


son corps soudain efficace et obéissant, débarrassé
des lourdeurs et des fragilités.
Agile et téméraire, il défiait (modestement mais
sans artifices) la mort à la cime des toits et des
murs, aux margelles des fenêtres. Devenant maître
de son destin, orgueilleux et invincible, il échap-
pait à la fatalité de son handicap (ne nous y trom-
pons pas : il revendiquait explicitement une réelle
confrontation à la mort).
Aérien, il créait les mots de sa vie qui ouvraient
à d’autres certitudes que celles écrites par ses
chromosomes.
Il multipliait aussi les colères, supportant mal
la confrontation aux handicaps figés. Il pouvait
frapper violemment un trisomique inerte ou arra-
cher l’oreille d’un autre, coupable à ses yeux d’une
trop sage résignation. Par-dessus tout, les injures
le mettaient en furie. Il coursait le coupable, prêt à
lui ouvrir le ventre, à lui éclater la tête.
Dans le même temps, sa capacité d’expression
s’améliorait. Non seulement il était plus compré-
hensible, mais son vocabulaire s’enrichissait, sa
syntaxe se structurait. De plus en plus éloigné
de la confusion, il arrivait de mieux en mieux à
cerner des émotions fines, des désarrois terribles,
des aspirations humaines.
C’est par l’intermédiaire de l’injure que l’on put
mieux comprendre ce qui se jouait pour Lazare.
Cherchant à s’expliquer, il s’insurgeait contre
184 Découvrir les déficiences intellectuelles

ceux qui le traitaient de trisomique 21. Pourquoi


ce qualificatif qui le concernait tellement était-il
reçu comme une injure – à l’IME, les injures sont
monnaie courante, comme dans tous les lieux de
vie adolescente ? Elles y servent de code de recon-
naissance, renforçant à l’occasion les liens et la
cohésion des sous-groupes, mais aussi de repous-
soir, établissant des frontières hiérarchiques entre
handicapés.
On put établir que, pour Lazare et ses parents, le
premier à lui faire injure, c’est-à-dire à lui faire
tort, à encore le déchoir de ses droits d’humanité,
de ses droits de fils de la parole, ce fut l’annonceur
du handicap (vraisemblablement pas le médecin
qui se chargea de l’affaire, mais la statue du
commandeur qu’il représentait), qui figea Lazare
dans l’énoncé de sa pathologie.
Par l’intermédiaire de ses « troubles du compor-
tement », Lazare est en quête. Il tente de se réap-
proprier sa destinée et découvre que celle-ci est
tragique parce que humaine, et non pas parce qu’il
est trisomique. Il est en route. Aucune promesse ne
lui est faite qu’il trouvera une issue convenable. En
tout cas, il réfute son statut d’éternel enfant sage et
asexué et revendique la possibilité d’exprimer ses
sentiments (qu’il découvre) et sa souffrance enfin
reconnue.
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 185

LES TRAITS DE CARACTÈRE


ET LE SENS QU’ON PEUT LEUR DONNER

L’affirmation que les déficients sont entièrement


normaux, ou qu’ils ne se caractérisent en rien par
rapport à une population normale, nous l’avons
vu, est une profession de foi qui ne résout rien.
D’abord parce qu’elle est fausse, ensuite parce
qu’elle évacue une question sans l’examiner.
Que peut-on alors dire des caractéristiques repé-
rables que présentent les déficients intellectuels ?
D’abord qu’elles existent, ensuite qu’elles ne sont
que des traits de caractère et qu’elles ne changent
en rien la nature humaine des déficients qui vivent
et fonctionnent selon la même référence au symbo-
lique que tous. Les déficients intellectuels sont
anormaux, ils ne sont pas inhumains.
Les traits de caractère liés au handicap existent
chez certains déficients intellectuels, c’est indé-
niable. Il est même possible que certains d’entre
eux soient dus à une organisation cérébrale parti-
culière, héritée d’un défaut génétique. Mais ils
ne se retrouvent jamais systématiquement, dans
aucune population. Même s’ils représentent une
tendance lourde, ils manquent dans de nombreuses
exceptions. Ce qui veut dire qu’il est impossible
d’associer systématiquement une caractéristique
quelconque à un syndrome donné.
186 Découvrir les déficiences intellectuelles

Par contre, la déficience intellectuelle produit une


espèce de caricature du fonctionnement en grossis-
sant tout : les apprentissages sont plus lents, plus
longs, plus frustes, les expressions sont restreintes,
les émotions et les sentiments mal nuancés… Une
fois qu’une stratégie est mise en place et qu’elle a
montré une certaine efficacité, il devient difficile
de la réfuter.
Nous allons illustrer cette dernière caractéristique
par un exemple qui pourrait servir de modèle dans
bien des cas de supposée spécificité : celui de la
mémoire visuelle.
En effet, l’excellente mémoire visuelle est
fréquemment associée à la déficience intellectuelle
(trisomie 21, syndrome de Williams et Beuren,
etc.). Cette faculté existe bien souvent et se mani-
feste parfois de manière spectaculaire, par exemple
dans la capacité à reconnaître des images ou des
paysages, ou encore à retrouver son chemin le
long d’un itinéraire encore peu fréquenté. Or, cette
caractéristique est présente chez l’enfant normal
avant et autour de 3 ans, et fait d’ailleurs l’admi-
ration des parents. Elle est aussi utilisée sponta-
nément dans les apprentissages, comme celui de
la découverte des imagiers. Le tout jeune enfant
qui se déplace regarde sa route et, tout à l’instant
présent, emmagasine des informations visuelles,
les seules qui lui sont accessibles. Il n’aura aucun
mal à les restituer, à l’identique, au besoin. L’enfant
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 187

plus grand ou l’adulte ne sera attentif à la route


que s’il est intéressé par les informations qu’elle
lui donne. S’il veut retrouver son chemin, il notera
quelques points de repère essentiels et les restituera
en fonction de la situation de recherche ultérieure.
Autrement dit, dans cette seconde situation, nous
avons affaire à une stratégie qui propose une alter-
native économique à l’enregistrement de toutes les
données. Ce choix est très efficace, mais le rendu
moins exact et moins spectaculaire.
Souvent, la personne déficiente ne recherche pas
de stratégie alternative et s’engage totalement
dans la situation. Elle procède peu par essai et
erreur et assimile mal les expériences, qu’elle peut
donc renouveler longuement à l’identique sans en
tirer de conclusions constructives. Là aussi, elle
a totalement besoin de l’autre pour améliorer ses
performances.
Sans ces stratégies alternatives, son fonctionne-
ment apparaît, comme celui du jeune enfant, très
nettement. Ce qui est en même temps admirable et
gênant : nous sommes habitués à fonctionner dans
l’opacité, voire dans le secret.
Les qualités caractéristiques ne sont souvent que
des modes de fonctionnement bruts et efficaces qui
ne tolèrent pas d’alternatives ni de nuances, et qui
correspondent à un certain moment du développe-
ment de tout enfant normal.
188 Découvrir les déficiences intellectuelles

Un autre élément joue dans cet effet caricatural :


le surgissement de l’anormal entraîne l’idée que
le déficient, dans sa différence, est un incapable
complet. Il ne saurait rien faire, sinon ce qui relève
du domaine primaire correspondant à la satisfac-
tion de ses besoins. L’entourage se montre donc
toujours étonné de découvrir que ce déficient fait
quelque chose, que ce quelque chose peut être
compliqué et bien fait. Ce qui étonne, c’est que
le déficient fait la même chose que tout le monde,
comme tout le monde le fait, quelque chose qui est
ce que nous sommes, tous et chacun : des hommes.
Ainsi faisant, l’anormal manifeste qu’il est ce que
nous sommes : identique et singulier, le même dans
l’altérité.
Le déficient intellectuel peut donc présenter des
traits de caractère singuliers et un peu grossiers,
il peut rester dans la dépendance réelle à l’autre,
toujours menacé de s’y perdre, peu apte à trouver
une véritable autonomie, il ne possède pas pour
autant de singularité psychique.

LA SEXUALITÉ ET LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE


La sexualité des déficients intellectuels est de plus
en plus fréquemment présentée comme un droit
et comme un moyen légitime, voire nécessaire,
d’épanouissement. Cette option s’exprime avec
une telle évidence qu’elle semble ne reposer que
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 189

sur l’ouverture d’esprit de notre société qui l’aurait


repoussée jusque-là par obscurantisme et abus de
pouvoir. Tout n’est peut-être pas si simple. En effet,
ce projet qui se pense comme une évolution logique
de la libération des mœurs, et notamment de la
révolution sexuelle des années 1960, serait plutôt
une véritable rupture anthropologique : aucune
société ne s’est encore structurée sans définir des
exclusions à la pratique sexuelle.
Si la sexualité exprime bien un instinct, dépendant
donc d’une dimension individuelle, la manière de
la satisfaire, chez l’homme, relève de la culture,
donc d’une dimension groupale impliquant trans-
mission et enseignement (implicite et explicite).
L’expression de la sexualité s’établit dans une rela-
tion (au minimum, le partenaire doit être imaginé),
c’est-à-dire dans une implication relative à l’autre
et dans une durée qui qualifie la forme de cette
implication. À une extrémité, le couple s’engage
« à vie » et intègre la sexualité et la procréation à
son économie, à l’autre, le violeur affirme sa supré-
matie sur l’autre qu’il détruit dans l’instant de la
rencontre.
Naguère encore, notre société, héritière d’une
longue tradition, se méfiait des personnes handi-
capées et les maintenait à l’écart. Anges ou bêtes 6,

6. A. Giami, C. Humbert-Vivaret, D. Laval, L’ange et la bête. Représen-


tations de la sexualité par les parents et les éducateurs, CTNERHI, 1983.
190 Découvrir les déficiences intellectuelles

elles ne pouvaient avoir que deux comportements


opposés sur le plan sexuel : neutre, sans besoin
ni désir, ou, au contraire, excessif et inextin-
guible. Les uns étaient de paisibles compagnons
assoupis dans l’enfance innocente, les autres des
démons desquels il convenait de se protéger, par
la bastonnade ou l’enfermement si nécessaire.
Les personnes présentant un comportement inac-
ceptable écartées, les autres se coulaient dans le
moule des comportements attendus. Dans cette
société fortement structurée, le « discours » impli-
cite distribuait par avance la plupart des rôles. Les
futurs conjoints étaient appariés avec une probabi-
lité très forte, selon des critères assez stricts d’âge,
de fortune, de proximité (parentale, géographique),
etc. Les partenaires non désirables étaient, de fait,
exclus. Nul besoin de les interdire : ils ne pouvaient
pas être désirés et encore moins choisis. L’idiot du
village, figure mythique plus que réelle, ne pouvait
pas avoir de sexualité. Du moins, pas officielle-
ment car, dans le secret et la discrétion préservée, il
devait bien pouvoir assouvir les appétits de quelque
femme frustrée, y trouvant son compte au passage.
C’est ce qu’expose clairement Jean Giono 7, quand
il décrit les amours singulières de la « vieille fille »
Ulalie et de Gagou l’« attardé », dans son roman
Colline. Cette anecdote nous rappelle la carac-
téristique suivante : dans les sociétés rigidifiées

7. J. Giono, Colline, Grasset, 1929.


Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 191

par les interdits et la surveillance, le lieu de l’in-


timité persiste, dans lequel les conduites margi-
nales trouvent à s’exprimer avec la vigueur qui
convient à la transgression. Quant à l’« idiote du
village », personne n’en a jamais entendu parler,
cette figure ne valant que pour les hommes. Cette
absence révèle, pour le domaine qui nous occupe,
que sexualités féminine et masculine ne recouvrent
jamais exactement le même champ.
Notre société actuelle traque les discriminations et
se rêve égalitaire. Pour atteindre cet objectif, elle
s’avère volontiers égalitariste. Non seulement les
droits de tous doivent (théoriquement) s’équivaloir,
mais les modèles d’épanouissement proposés
s’appauvrissent dans l’uniformité normative et
tyrannique. En effet, le droit de chacun ne peut
s’exprimer que dans le respect de celui de l’autre.
Cela implique que toute relation sexuelle se vive
entre deux personnes consentantes, ce qui est la
moindre des choses, mais aussi éclairées, c’est-
à-dire capables de déterminer ce qui est bon pour
elles et de refuser ce qui ne l’est pas. Cette relation
devrait donc être symétrique. Habituellement, les
couples sans difficultés notables se construisent en
fonction d’inclinations (ou de projets, de raisons) et
s’épanouissent au mieux dans une relation d’égalité
d’autant mieux respectée qu’elle est asymétrique.
En effet, la relation de couple n’est pas en miroir,
mais en complémentarité.
192 Découvrir les déficiences intellectuelles

Nonobstant cette évidence, on demande aux


personnes déficientes de démontrer qu’elles sont
capables de vivre une relation équilibrée, symé-
trique, stable, si possible hétérosexuelle et, de
préférence, dans le renoncement de toute procréa-
tion, avant même de la commencer. Tout cela en
leur interdisant, la plupart du temps, toute expé-
rimentation préalable ou, du moins, en limitant
considérablement celle-ci (par exemple, en inter-
disant tout flirt et toute manifestation de tendresse
dans les établissements spécialisés qui accueillent
des adolescents ou de jeunes adultes). Une telle
exigence nous paraîtrait extravagante en dehors du
handicap.
Bien sûr, le handicap change tout puisqu’il entraîne
avec lui une fragilité de la personne, ce qui néces-
site une certaine protection. Mais si cette protection
est indispensable, elle nous conduit à la limite du
paradoxe avec l’affirmation du droit à la sexualité
comme tout le monde, puisque celle-ci ressortit à
l’intime et exclut toute notion de surveillance ou
d’accompagnement au profit du seul interdit qui,
lui, détermine le cadre d’expression sociale de cette
sexualité.
Si un troisième protagoniste se révèle nécessaire
pour permettre l’engagement et le déroulement de
la sexualité partagée par deux personnes handica-
pées mentales, on se retrouve, à peu de chose près,
dans le cas de figure de la sexualité accompagnée
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 193

de certains handicapés physiques qui ont besoin


d’une aide extérieure pour réaliser l’acte sexuel.
Or, cette situation particulière, légalisée dans
certains pays européens, demeure interdite en
France où elle s’apparenterait à de la prostitution
ou à du proxénétisme. Ce troisième personnage n’a
rien à voir avec le tiers de la psychanalyse. Si ce
dernier représente la fonction symbolique et permet
au sujet d’exister en sortant de la relation fusion-
nelle initiale, le second est instrumentalisé. Il peut
être un simple accessoire, au risque d’être fétichisé
ou, à l’inverse, être lui-même à la recherche de sa
propre jouissance. De toutes les manières, il y a peu
de chances qu’il soit totalement neutre. D’ailleurs,
s’il l’était réellement, la relation sexuelle ainsi
vécue ne serait plus qu’un exercice hygiénique.
On voit que l’importance de l’invalidité joue un
rôle considérable : l’analyse précédente n’est vraie
que pour les handicaps les plus lourds. Or, dans le
domaine du handicap mental, on maintient volon-
tiers (dans le discours social disponible) l’idée
fausse d’une population homogène. Idée qu’il est
indispensable de dépasser.
Les déficients les plus légers sont en général
bien informés et capables de relations sociales,
y compris sexuelles. Par contre, ils demeurent
souvent en marge des groupes constitués (travail,
lieux de vie, loisirs, etc.) et peuvent être tentés
d’utiliser leur corps ou leur sexualité comme
194 Découvrir les déficiences intellectuelles

moyen de reconnaissance ou d’intégration. Dans


ce cas, ils ont souvent des partenaires multiples et
occasionnels et peuvent constituer une population
à risque en matière de maladies sexuellement trans-
missibles. Certains, mieux adaptés, peuvent faire
des enfants, quelquefois à la chaîne, parce qu’ils
considèrent que la maternité ou la paternité est le
seul moyen accessible de reconnaissance sociale
qui leur donne un sentiment d’exister.
Les déficients les plus lourds sont, par défini-
tion, dépendants d’une ou de plusieurs personnes
valides. On imagine mal pour eux une relation
sexuelle dans laquelle ils ne seraient pas manipulés,
même avec l’idée que c’est pour leur bien ou pour
leur satisfaction.
Entre ces deux extrêmes, tous les cas de figure se
rencontrent, mais on a tendance à s’appuyer sur les
besoins des seconds, qui nécessitent une protection,
pour imposer celle-ci aux premiers.
Dans notre cheminement, on perçoit bien, et cela
peut paraître une évidence, que la sexualité trouve
sa validité dans une relation plus large qui l’autorise
et l’englobe. Si elle implique le corps, elle intègre
aussi le sentiment d’exister, la reconnaissance de
l’autre et de son désir, l’acceptation d’une organisa-
tion sociale (même si c’est pour la transgresser), la
capacité d’exprimer des émotions, d’entrer en rela-
tion et d’entretenir des liens sentimentaux (amitié,
inimitié, amour, etc.). Autrement dit, cela n’a guère
Le déficient intellectuel, caractéristiques psychiques… 195

de sens d’inciter quelqu’un, a fortiori une personne


déficiente intellectuelle, à une relation sexuelle, si
elle n’a pas suivi au préalable un processus qui peut
y conduire.
Pour que ce processus soit possible, une des
premières choses à faire est de permettre à l’enfant
déficient de s’approprier un espace intime, dans
lequel il soit durablement hors de toute surveil-
lance et où il puisse vivre à sa guise. Cet espace
est d’abord sa chambre, puis l’appartement de ses
parents laissé ponctuellement à sa disposition,
avant d’être un espace extérieur. L’espace physique
est nécessaire, mais il doit aussi symboliser l’es-
pace psychique qui détermine l’existence d’un
sujet, d’un être séparé et autonome.
L’enfant ou l’adolescent doit aussi pouvoir déve-
lopper des projections imaginaires qui lui servent
de support pour grandir parmi les autres. Concrè-
tement, cela veut dire que l’on ne doit pas prendre
l’expression de ses désirs infantiles au pied de la
lettre et que l’on doit lui permettre de rêver. Nos
rêves ne s’accomplissent pas tous, mais ils nous
aident à affronter le réel, sans être forcément une
fuite devant celui-ci.
Il convient aussi de permettre, et même de favo-
riser l’expérimentation, c’est-à-dire les tentatives
relationnelles, y compris sur le plan corporel, en les
cadrant de la même manière qu’on le fait pour tout
enfant ou adolescent.
196 Découvrir les déficiences intellectuelles

Enfin, l’interdit reste indispensable, comme cadre


d’évolution. Il doit rendre compte essentiellement
de la Loi fondamentale (pas d’inceste, pas de
meurtre), et de l’organisation sociale qui détermine
les modes d’expression dans tous les domaines,
y compris celui de la sexualité. Ce dernier point
est plus important qu’il n’y paraît : les déficients
intellectuels se voient opposer des interdits du fait
de leur handicap qui, par ailleurs, les dédouane de
certains autres, notamment dans le maintien de
relations fusionnelles ou tyranniques.
Dans la mesure où une personne déficiente déve-
loppe, en fonction des points examinés ci-dessus,
une autonomie psychique et fonctionnelle suffi-
sante, elle doit pouvoir s’engager dans une relation
affective suffisamment riche pour déboucher sur
sa dimension sexuelle. À partir de ce moment-là,
ce qu’elle fait dans cette relation ne devrait plus
regarder personne d’autre qu’elle-même et son
partenaire. Dans ce cas-là seulement, on pourra
dire qu’elle vit une sexualité comme tout le monde.
Postface

Une place précaire

Il n’est pas possible de concevoir l’idée de la


déficience intellectuelle comme un tout, tant la
population des déficients est hétérogène : origines
multiples, intensité variable, déficits associés, etc.
Tout se rencontre, de l’écart imperceptible à l’ir-
ruption de l’étrangeté. C’est cette dernière situation
qui pose le plus de problèmes et qui entraîne, de la
part de l’environnement, des adaptations plus ou
moins caractéristiques incluant une réorganisation
psychique.
Le développement de chaque déficient dépendra
de l’importance de son handicap, mais aussi des
réponses apportées par son entourage. Il sera
probablement meilleur si celui-ci a pu surmonter
198 Découvrir les déficiences intellectuelles

sa souffrance et retrouver des capacités relation-


nelles spontanées.
Pour ce développement, il est exact de dire, à
l’encontre des marchands d’illusions, qu’il n’y
a pas d’autres miracles que l’éducation, lente,
minutieuse, cohérente et persévérante. Toutefois,
il faut bien se rappeler que celle-ci ne suffit pas.
À conditions égales (efficience du sujet, réponses
suffisamment bonnes de l’entourage, dans le sens
où Winnicott 1 décrit la mère qui doit se satisfaire
d’être suffisamment bonne, c’est-à-dire ni omni-
sciente ni infaillible), tous les déficients ne se déve-
lopperont pas de la même façon. Comme pour tous
les êtres humains, la singularité prime : elle s’ex-
prime dans l’expression de certaines qualités, mais
aussi dans la persistance d’incapacités. Des parents
bienveillants et attentifs peuvent avoir un enfant
très déficitaire, ou même qui présente une patho-
logie psychique associée, sans pour autant avoir
failli.
Par contre, le désir de réparation, souvent lié à la
nécessité de retrouver son équilibre psychique,
peut conduire à bien des manipulations, relative-
ment anodines ou aux conséquences irréversibles :
de l’emploi du temps surchargé à la stérilisation
imposée et cachée.

1. D.W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969 ;


Jeu et réalité, Gallimard, 1971.
Postface 199

Les réponses individuelles face à la différence,


à l’étrangeté et à l’étranger, sont dépendantes de
celles que donne la société.
Comme nous l’avons vu, dans les sociétés tradi-
tionnelles, l’organisation groupale conditionne
presque totalement les réponses apportées dans
ce domaine, allant même jusqu’à les prendre en
charge collectivement. Si les individus ont peu de
choix ou de possibilités d’initiative, ils restent affi-
liés au groupe et à sa cohérence. Dans les sociétés
postindustrielles, au contraire, une certaine auto-
nomie individuelle est maximale. Chacun reçoit un
cadre éthique et des informations, le tout devant lui
permettre de prendre une décision. Ce fonctionne-
ment dans lequel prévaut la liberté du sujet entraîne
souvent une grande solitude de celui-ci face aux
situations difficiles et exceptionnelles.
Comme l’étranger dérange, l’homme a spontané-
ment tendance à l’expulser, d’une manière ou d’une
autre, mais souvent radicale. Accueillir le handicap
est donc une option culturelle, qui demande à être
entretenue. Chaque personne est incitée à aller
dans ce sens, tout en devant vivre seule la douleur
de la confrontation. D’autant plus que le choix
est affirmé par le discours dominant et officiel,
mais remis en cause implicitement parce que le
psychisme l’admet mal. Cette contradiction perce
dans la demande rémanente des organismes de
contrôle à l’adresse des établissements spécialisés :
200 Découvrir les déficiences intellectuelles

l’évaluation précise et objective qui permettrait


de démontrer l’efficacité de la prise en charge (et
ainsi d’en justifier le coût). Or, si ces organismes
de contrôle existent, ainsi que les établissements
spécialisés, c’est justement parce que notre société
a reconnu l’existence incompressible de la défi-
cience intellectuelle et des handicaps, et qu’elle a
choisi de s’en occuper en proposant sa solidarité.
Évaluer régulièrement la population des déficients
et son évolution positive vers la norme, c’est réfuter
l’anormalité.
Cette tension entre l’affirmation du choix culturel
et sa remise en cause nous rappelle que la place des
déficients intellectuels est précaire et que la persé-
vérance des parents et le travail des professionnels
contribuent à l’améliorer. L’implication vigilante
des uns et des autres restera nécessaire tant que les
déficients ne défendront pas leur place eux-mêmes.
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Cahiers du ctnerhi, n° 32.
ponsot, G. 1995. Le polyhandicap, colloque Polyhan-
dicap, juin 1992, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris,
Flash-Informations du ctnerhi, n° 213 (numéro hors
série), Paris.
218 Découvrir les déficiences intellectuelles

tomkiewicz, S. 1978. « Évolution du concept de la


déficience mentale. Problèmes nosologiques. Consé-
quences pour la prise en charge », La revue de pédia-
trie, tome 14, n° 7, p. 383-388.
tomkiewicz, S. 1989. « Le handicap mental et l’in-
tégration des handicapés », Les cahiers de Beaumont,
n° 45, avril.
wierzbicki, C. 2001. « Le langage des enfants
porteurs de trisomie 21 : spécificités développemen-
tales », Revue européenne de psychologie appliquée,
n° 51 (1-2), p. 59-68.
zazzo, R. 1960. « Une recherche d’équipe sur la débi-
lité mentale. Bilan », Enfance, n° 4-5, p. 335-364.
Principaux sigles et acronymes

aah : Allocation aux adultes handicapés. Elle s’adresse


aux personnes handicapées dès l’âge de 20 ans.
aeeh : Allocation d’éducation de l’enfant handicapé.
C’est une prestation familiale versée par les caisses
d’allocations familiales (caf) ou les caisses de msa
pour les personnes qui relèvent du régime agricole.
Cette allocation a pour but d’aider les familles à
faire face aux frais supplémentaires qu’entraîne le
handicap d’un enfant à charge de moins de 20 ans.
Elle est composée d’un montant de base auquel
s’ajoutent éventuellement un complément qui varie
en fonction de la nature et de la gravité du handicap
et une majoration pour parent isolé.
ars : Agences régionales de santé. Elles sont chargées
du pilotage régional du système national de santé.
avs : Auxiliaire de vie scolaire ou auxiliaire d’intégra-
tion individuelle. Il existe des avs-i (individuels) et
des avs-co (collectifs).
220 Découvrir les déficiences intellectuelles

camsp : Centre d’action médico-sociale précoce. C’est


un établissement qui a pour objets le dépistage et
le traitement des enfants de moins de 6 ans atteints
d’un handicap en vue d’une adaptation sociale et
éducative dans leur milieu de vie et avec la parti-
cipation de celui-ci. Il exerce des actions préven-
tives spécialisées, et mène une action de conseil et
de soutien des familles dans les soins et l’éducation
spécialisée requis par l’état de l’enfant.
cappei : Certificat d’aptitude professionnelle aux prati-
ques de l’éducation inclusive.
cDaph : Commission des droits et de l’autonomie des
personnes handicapées. Au sein de la mDph, elle est
chargée de répondre aux demandes formulées par
les personnes handicapées concernant leurs droits
en matière d’orientation ou d’attribution des aides
et prestations.
cmp : Centre médico-psychologique. Ces centres prati-
quent le diagnostic et le traitement des enfants handi-
capés ou présentant une pathologie mentale. Ils sont
rattachés au secteur psychiatrique.
ea : Entreprises adaptées. Ce sont des entreprises du
marché du travail dont la seule spécificité est d’em-
ployer majoritairement des travailleurs handicapés.
epe : Équipe pluridisciplinaire d’évaluation.
er : Enseignant référent. Il contribue à la recherche
des moyens nécessaires pour permettre à l’élève
handicapé d’étudier dans les mêmes conditions que
les élèves valides. Il a une mission de conseil et
d’aide auprès des parents. Il a également un rôle de
Principaux sigles et acronymes 221

médiateur entre tous les partenaires (école, famille,


centres de soins, mDph).
erea : Établissements régionaux d’enseignement
adapté. Ce sont des établissements publics d’ensei-
gnement. Leur mission est de prendre en charge des
adolescents en grande difficulté scolaire et sociale
ou présentant un handicap.
esat : Établissements et services d’aide par le travail.
Ce sont des établissements médico-sociaux qui ont
pour objectif l’insertion sociale et professionnelle
des adultes handicapés.
ess : Équipe de suivi de scolarisation.
fam : Foyers d’accueil médicalisés. Ils accueillent des
personnes handicapées physiques, mentales dont
l’état de dépendance totale ou partielle les rend
inaptes à toute activité professionnelle et nécessite
l’assistance d’une tierce personne pour effectuer la
plupart des actes essentiels de la vie courante ainsi
qu’une surveillance médicale et des soins constants.
fh : Foyers d’hébergement. Ils assurent l’hébergement
et l’entretien des personnes adultes handicapées qui
exercent une activité pendant la journée.
fv : Foyers de vie. Ils mettent en œuvre des soutiens
médico-sociaux destinés aux adultes handicapés qui
disposent d’une certaine autonomie.
geva-sco : Guide d’évaluation des besoins de compen-
sation en matière de scolarisation. Il est utilisé lors
de l’élaboration du pps. Il comprend notamment les
observations des enseignants sur l’élève handicapé :
activités d’apprentissage, autonomie (mobilité,
gestes quotidiens...), niveau scolaire, vie sociale.
222 Découvrir les déficiences intellectuelles

Ce document unique regroupe toutes les demandes :


accompagnement, matériel pédagogique adapté,
orientation...
gos : Groupe opérationnel de synthèse.
ime : Institut médico-éducatif. Terme englobant à la
fois les imp et les impro.
imp : Institut médico-pédagogique. Cet établissement
d’éducation spéciale accueille des enfants handi-
capés le plus souvent à partir de 3, 5 ou 6 ans. Les
imp ont pour mission d’assurer l’éducation générale
et pratique la plus adaptée à chacun.
impro : Institut médico-professionnel. L’impro fait
suite à l’imp, et accueille des adolescents handicapés
à partir de 12 ou 14 ans et jusqu’à 20 ans. L’impro a
pour fonction de donner aux adolescents handicapés
un complément de formation générale et une forma-
tion professionnelle adaptée à leur handicap. Il a
aussi pour mission de veiller à l’insertion profes-
sionnelle des adolescents qui lui sont confiés.
mas : Maison d’accueil spécialisée. Il s’agit d’un
établissement destiné à accueillir des personnes
handicapées adultes, qui n’ont pu acquérir un
minimum d’autonomie et dont l’état requiert une
surveillance médicale et des soins constants.
mDph : Maisons départementales des personnes handi-
capées. Elles exercent, dans chaque département,
une mission d’accueil, d’information, d’accompa-
gnement et de conseil des personnes handicapées et
de leurs proches, d’attribution des droits ainsi que
de sensibilisation de tous les citoyens au handicap.
pag : Plan d’accompagnement global.
Principaux sigles et acronymes 223

pai : Projet d’accueil individualisé. C’est un docu-


ment écrit qui permet de préciser les adaptations à
apporter à la vie de l’enfant ou de l’adolescent en
collectivité.
pap : Plan d’accompagnement personnalisé. Il appa-
raît comme une mesure de simplification, permet-
tant de décider et de mettre en œuvre des mesures
d’aménagement de la scolarité d’un élève sans avoir
besoin de faire appel aux dispositifs spécifiques du
handicap et donc sans faire le détour par la mDph ni
sans faire appel à l’enseignant référent.
pch : Prestation de compensation du handicap. C’est
une aide financière versée par le département. Elle
est destinée à rembourser les dépenses liées à la
perte d’autonomie.
ppc : Plan personnalisé de compensation. Il s’appuie sur
une approche globale des attentes et des besoins de
chaque personne au vu de son projet de vie, de son
handicap et de l’évaluation menée. C’est un outil au
service de la personne en situation de handicap. Il
permet de mettre en œuvre le droit à compensation.
ppi : Projet pédagogique individuel. Il s’agit d’un
processus qui permet, après un bilan d’analyses
pratiqué par des professionnels, de mettre en place
un programme global d’accompagnement et de
soutien adapté à chaque enfant. Le ppi, mis à jour
régulièrement, regroupe l’ensemble des actions
éducatives, pédagogiques et de réadaptions qui
seront mises en œuvre par l’équipe professionnelle
entourant l’enfant. Les parents sont associés à la
conception et à la réalisation du ppi de leur enfant.
224 Découvrir les déficiences intellectuelles

ppre : Programme personnalisé de réussite éducative.


C’est un plan d’actions individualisées mis en place
pour chaque élève qui rencontre des difficultés dans
sa scolarité.
pps : Projet personnalisé de scolarisation. C’est un acte
écrit qui sert à définir les besoins particuliers d’un
enfant en situation de handicap au cours de sa scola-
rité (accompagnement humain, attribution de maté-
riel pédagogique adapté, dispense d’un ou plusieurs
enseignements...).
qi : Quotient intellectuel.
rapt : Réponse adaptée pour tous.
raseD : Réseau d’aides spécialisées aux élèves en diffi-
culté comprenant psychologue scolaire, rééducateur
et maître d’adaptation.
rqth : Reconnaissance de la qualité de travailleur
handicapé. Elle permet de faire reconnaître officiel-
lement par la cDaph son aptitude au travail, suivant
ses capacités liées au handicap.
samsah : Service d’accompagnement médico-social
pour adultes handicapés.
savs : Service d’accompagnement à la vie sociale.
segpa : Section d’enseignement général et profes-
sionnel adapté.
sessaD : Service d’éducation spéciale et de soins à
domicile. Les sessaD, qui regroupent les compé-
tences d’équipes pluridisciplinaires, sont des services
destinés à apporter aux familles conseil et accompa-
gnement, à approfondir les diagnostics ou à favoriser
l’intégration scolaire et l’acquisition de l’autonomie.
Principaux sigles et acronymes 225

L’âge des handicapés pris en charge varie selon les


services, mais peut aller de 0 à 20 ans.
ue : Unité d’enseignement.
ulis : Unités localisées pour l’inclusion scolaire (ulis-
école, ulis-collège, ulis-lycée). Elles permettent la
scolarisation dans le premier et le second degré d’un
petit groupe d’élèves en situation de handicap.
Table des matières

avant-propos à la nouvelle éDition ...... 7

1. repères historiques et sociaux ............. 9


La mort référentielle ............................................. 11
Les différentes figures de l’infirme ............. 15
Figure de l’infirme égaré,
maléfique et persécuteur ............................ 16
Figure de l’infirme inféodé
et imprévisible : le fou du roi .................. 21
Figure de l’infirme apprivoisé,
passage possible à l’infirme oublié ..... 23
Figure de l’infirme réhabilité :
le handicapé ....................................................... 34

2. Définir le hanDicap :
Décrire ou conDamner ? ............................... 39
Le handicap mental ............................................... 44
La déficience intellectuelle .............................. 45
Le rejet dévoilé ........................................................ 48
228 Découvrir les déficiences intellectuelles

Une définition ........................................................... 50


Une réalité inadmissible..................................... 50

3. rencontres avec le hanDicap .................. 57


L’annonce du handicap ....................................... 57
L’annonce anténatale............................................ 67
Le processus d’adaptation des parents ..... 68
L’état de choc .................................................... 69
La contestation ou la négation............... 69
Le désespoir, la colère, l’anxiété,
la tristesse ............................................................ 70
Le détachement et l’adaptation ............. 71
L’acceptation ..................................................... 71
La fratrie....................................................................... 72
La norme et ses frontières indésirables
et tenaces...................................................................... 75
Le test d’intelligence : un outil
au service de la norme................................. 77
Les étapes frontières :
repères humanisants...................................... 79

4. intégration et prise en charge


Deviennent inclusion et
accompagnement ................................................. 95
Le principe de la mise en œuvre
de l’accompagnement .......................................... 99
Les structures officielles ............................. 99
Essence d’un accompagnement .................... 104
Table des matières 229

Les deux axes de l’accompagnement ........ 106


L’axe pédago-éducatif ................................. 107
L’axe thérapeutique....................................... 150

5. le Déficient intellectuel,
caractéristiques psychiques
et comportementales ...................................... 157
La spécificité en question .................................. 157
Espèce imaginaire .......................................... 161
Espèce supérieure........................................... 162
Espèce anormale ............................................. 164
La dépendance et l’autonomie ....................... 170
Les traits de caractère
et le sens qu’on peut leur donner ................ 185
La sexualité et la déficience
intellectuelle............................................................... 188

postface
une place précaire .................................................. 197

bibliographie thématique ................................. 201


Ouvrages généraux ................................................ 201
Trisomie 21 ................................................................ 206
Autres handicaps..................................................... 208
Pédagogie et intégration ................................... 208
Classification ............................................................. 211
Sexualité ....................................................................... 212
Vieillissement ........................................................... 212
230 Découvrir les déficiences intellectuelles

Droit ................................................................................ 213


Travail ............................................................................ 213
Témoignages, récits et romans ...................... 213
Revues par thèmes ................................................. 214
Revues par noms d’auteurs .............................. 215

principaux sigles et acronymes .................. 219


Collection « Trames »
dirigée par Bernadette Allain-Launay
et Serge Vallon

Alain Ibanez
L’accompagnement à la santé en mas
Soigner les personnes gravement handicapées mentales
Alex Lainé
Évaluer l’expérience en vae
Le dialogue des gens de métier
Sous la direction de Martial Chenut et Laurent Vialleix
Les mecs au cœur des évolutions
de la protection de l’enfance
Travailler avec l’impossible
Thierry Rofidal et Concetta Pagano
Projet individuel et Stimulation basale ®
Vers une pédagogie de l’accompagnement de la personne
en situation de polyhandicap
Charline Olivier
Derrière les murs : surveiller, punir, réinsérer ?
Quelle place pour le travail social en prison ?
Virginie Martin-Lavaud
Psychologue à l’école
Adeline Monjardet
Créer un atelier thérapeutique avec des marionnettes
Daniel Coum
Repères pour le placement familial
Philippe Chavaroche
Dictionnaire critique de l’accompagnement
médico-social
Des personnes handicapées mentales
Arlette Durual
Petites histoires de travail social
Philippe Gaberan
Cent mots pour être éducateur
Dictionnaire pratique du quotidien
François Vergne, Gérard Medici
La vie en mas : quel accompagnement ?
Expérience croisée d’une psychologue
et d’un psychomotricien
Isabelle Ali, Catherine Wolf
Entre langue et parole, le métier d’orthophoniste
Bernadette Bonamy
Technicien de l’intervention sociale et familiale
Nouvelle édition actualisée avec la participation
de Martine Poissy
Xavier Bouchereau
Les non-dits du travail social
Pratiques, polémiques, éthique
Arlette Durual et Patrick Perrard
Les tisseurs de quotidien
Pour une éthique de l’accompagnement
de personnes vulnérables
Sous la direction de Jocelyne Huguet-Manoukian
et Monique Perrier-Genas
Une pratique de soins précoces pour les enfants
en situation de handicap
Carol Duflot
L’art-thérapie en soins palliatifs
L’entre-temps
Annick Bataille
Pour les enfants polyhandicapés
Une pédagogie innovante
Alain Bruel
Pratiques et évolutions de la justice des mineurs
Aperçus de clinique judiciaire
Martine Colignon
De l’art-thérapie à la médiation artistique
Quels professionnels pour quelles pratiques ?
Sous la direction de Marie-Dominique Wilpert
Droit de refuge pour les femmes et les enfants
Face aux violences conjugales et sociales
Gérard Chimisanas
Un atelier théâtre en cmp
Un groupe thérapeutique et éducatif pour enfants
Claude Bynau
Accueillir les adolescents en grande difficulté
L’avenir d’une désillusion
Marguerite Perdriault
L’écriture créative
Démarche pour les empêchés d’écrire et les autres
Sous la direction de Florence Klein
Être ergothérapeute en psychiatrie
Narration clinique pour une poéthique du soin
Denis Vaginay
Découvrir les déficiences intellectuelles
Philippe Chavaroche
Le projet individuel
Repères pour une pratique avec les personnes gravement
handicapées mentales
Jean-Luc Minart
Lieux de vie et d’accueil
Réhabiliter l’utopie
Philippe Chavaroche
Travailler en mas
L’éducatif et le thérapeutique au quotidien
Josiane Heyraud
avec Christianne Almendros et Agnès Haquet
L’accompagnement au quotidien des personnes
déficientes visuelles
Alain Penven
L’ingénierie sociale
Expertise collective et transformation sociale
Eirick Prairat
Questions de discipline à l’école
Jacques Ladsous
L’alphabet du social
Philippe Chavaroche
L’accompagnement des adultes gravement handicapés
mentaux dans le secteur médico-social
Sous la direction de Nathalie Bonnes-Perrot
Art-thérapie et anorexie
Une pratique en équipe pluridisciplinaire
Christine Rivereau
Guide sanitaire pour les professionnels de l’enfance
Philippe Gaberan, Patrick Perrard
Moniteur éducateur
Un professionnel du quotidien
Clément Bonnet, Antoine Fontaine, Juliette Huret,
Françoise Loux, Laurent Muldworf, Agnès Pedron,
Livia Velpry
Vivre et dire sa psychose
François Tosquelles
Le travail thérapeutique en psychiatrie
Catherine Potel
Être psychomotricien
Un métier du présent, un métier d’avenir
Annick Bataille
Pour les enfants polyhandicapés
Une pédagogie innovante
Coordonné par Christian Ayerbe, Mireille Dupré La Tour,
Philippe Henry, Brigitte Vey
Prostitution : guide pour un accompagnement social
Paul Marciano
L’étude thérapeutique
Un médiateur de soin pour les enfants en échec scolaire
Philippe Berthaut
La chaufferie de langue
Dispositifs pour ateliers d’écriture
Jean-Paul Arveiller
Guide du bénévole social
Sous la direction de Pascal Roman
et Jean-Jacques Rossello
sessad, une institution nomade
Éduquer et soigner à domicile
Arlette Durual et Patrick Perrard
amp
Aide médico-psychologique : un métier à découvrir
des professionnels à reconnaître
Mado Chatelain, avec la participation de Julian Boal
Dans les coulisses du social
Théâtre de l’opprimé et travail social
Sylvie Archambeau
L’atelier d’expression en psychiatrie
L’expression de Libourne
Philippe Gaberan
Être adulte éducateur, c’est...
La place de l’adulte dans le monde postmoderne
Bernadette Bonamy
Technicien de l’intervention sociale et familiale
Un travailleur social de proximité
Alex Lainé
vae, quand l’expérience se fait savoir
L’accompagnement en validation des acquis
Pascal Le Rest
Les nouveaux enjeux de l’action sociale en milieu ouvert
Réalités, défis et perspectives d’avenir pour les acteurs
Christophe Pernet, Dominique Savard
Travailleurs handicapés en milieu ordinaire
Des outils pour mieux les accompagner
Geneviève Valla-Chevalley
Le conseil conjugal et familial
Repères historiques, institutionnels et cliniques
Paul Marciano
L’hôpital de jour pour enfants
Dans le parcours de soin
Roger Gentis
Les schizophrènes
André Meynard
Surdité, l’urgence d’un autre regard
Pour un véritable accueil des enfants Sourds
Sous la direction de Françoise Charrier,
Daniel Goupil et Jean-Jacques Geoffroy
Les personnes vulnérables
Protection et accompagnement des majeurs en difficulté
Marie-José Colet
« Madame, je veux apprendre à lire »
Mise en place et éthique d’un atelier de lecture
Patrick Menchi, Jean-François Mignard
Le développement social local contre le repli ethnique
Pour se réconcilier avec une identité collective
Jacques Ladsous
L’action sociale aujourd’hui
Laurent Ott
Le travail éducatif en milieu ouvert
Principes et pratiques
Jean-Claude Gillet
L’animation en questions
Georges Bonnefond
De l’institution à l’insertion professionnelle
Le difficile parcours des jeunes déficients intellectuels
Françoise Charrier, Joël Couteau,
Jean-Jacques Geoffroy, Mariannick Seys,
Joseph Roulleau, Richard Vercauteren
Tutelles et réseaux
Changer les pratiques médico-sociales
Sous la direction de Serge Escots
Travail de rue et personnes à la marge
Les rencontres des « acteurs » de la rue

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