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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.

1/ 2023-2024

EL MEKKAKI AHMED
Professeur de droit public

THEORIE GENERALE DU DROIT CONSTITUTIONNEL


(Module disciplinaire)

Première Année du Cycle Licence : Semestre 1


Tronc Commun des nouvelles filières du Droit (public et privé) en langue
française

ANNEE UNIVERSITAIRE 2023-2024

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

Plan du cours

INTRODUCTION

Chapitre I : L’ETAT

Section 1 : Les éléments constitutifs de l'État


§ 1.- La population
A. Population et nation
B. État et nation
§ 2.- Le territoire
A. Le territoire terrestre
B. L’espace maritime
C. L’espace aérien
§ 3.- Le gouvernement

Section 2 : Les caractères juridiques de l’État


§ 1.- L’État, personne morale de droit public
§ 2.- L’État, personne juridique souveraine
A. La notion de souveraineté
B. Les formes de manifestation de la souveraineté de l’État

Section 3 : Les différentes formes d'État


§ 1.- L'État unitaire
A. Définition de l’État unitaire
B. Les techniques d’administration de l’État unitaire
§ 2.- Les États composés : L’État fédéral
A. Définition de l’État fédéral
B. Le processus de formation des États fédéraux
C. L’organisation interne de l’État fédéral

Chapitre II : LA CONSITUTION

Section 1 : La notion de constitution


§ 1. - Définition de la constitution
A. Définition matérielle de la constitution
B. Définition formelle de la constitution
§ 2. - Les différentes formes de constitutions
A. Constitutions écrites et constitutions coutumières
B. Constitutions rigides et constitutions souples

Section 2 : L'élaboration et la révision de la constitution.


§ 1. - Le pouvoir constituant
A. Le pouvoir constituant originaire
B. Le pouvoir constituant dérivé

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§ 2. - L’élaboration de la constitution
A. Le procédé autoritaire d’élaboration de la constitution : l’octroi
B. Les modes de compromis
C. Les procédés démocratiques d’élaboration des constitutions
§ 3. - La révision de la constitution
A. L’initiative de la révision de la constitution
B. La procédure de révision des constitutions

Section 3 - Le contrôle de la constitutionnalité des lois


§ 1.- L’existence du contrôle de la constitutionnalité des lois
A. Le principe du contrôle de constitutionnalité
B. L’objet du contrôle de constitutionnalité
§ 2.- Les organes de contrôle de la constitutionnalité des lois
A. L’organe politique
B. L’organe juridictionnel
C. L’organe de contrôle mixte
§ 3.- Le processus du contrôle de la constitutionnalité des lois
A. La saisine de l’organe de contrôle de la constitutionnalité des lois
B. Le moment du contrôle de la constitutionnalité des lois
C. Les principaux modes de contrôle de constitutionnalité
D. L’autorité des décisions constitutionnelles

Chapitre III – LA DEMOCRATIE

Section 1- La participation des citoyens à la vie politique


§ 1.- Le fondement de la participation des citoyens à la vie politique
A. La théorie de la souveraineté nationale
B. La théorie de la souveraineté populaire
C. L’évolution pratique de la théorie de la souveraineté
§ 2. – Les modes d’exercice de la souveraineté
A. La démocratie directe
B. La démocratie représentative
C. La démocratie semi-directe

Section 2- La participation des citoyens au choix des gouvernants


§1.- Le droit du suffrage
A. Les titulaires du droit de vote
B. Les caractères du droit de vote
C. Les modalités du droit de vote
§2.- L’encadrement de la participation des citoyens au choix des gouvernants
A. Les partis politiques
B. La société civile

Section 3- L’organisation de la compétition électorale


§ 1.- Découpage des circonscriptions électorales, éligibilité et candidatures
§ 2.- La campagne électorale et les modes de scrutin
§ 3.- Le déroulement du scrutin et le contentieux électoral

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Chapitre IV – L’AMENAGEMENT DU POUVOIR AU SEIN DE L’ETAT

Section 1 – Le principe de séparation des pouvoirs


§1.- Les origines historiques de la séparation des pouvoirs
§2.- La construction théorique du principe de séparation des pouvoirs
§3.- L’apport des révolutions américaine et française du XVIIIème siècle
Section 2 - Les modèles théoriques d’aménagement des pouvoirs
§1.- La séparation stricte des pouvoirs et régime présidentiel
§2.- La séparation souple des pouvoirs et régime parlementaire
§ 3.- La remise en cause de la classification théorique

Section 3- Les pouvoirs publics constitutionnels.


§1.- Le pouvoir législatif.
A. La structure du Parlement
B. L’Organisation du pouvoir législatif
C. Le rôle des parlements
§ 2. - Le pouvoir exécutif.
A. La structure de l’exécutif
B. Les fonctions de l’exécutif

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Indications bibliographiques

Manuels et ouvrages
- ARDANT (Philippe), MATHIEU (Bertrand), Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paris, LGDJ : Lextenso éditions, 34e éd, 2022-2023.
- BERANGER (Denis), Le droit constitutionnel, Paris, PUF, « Que sais-je », 7e éd,
2017.
- BLACHER (Philippe), Le droit constitutionnel, Paris, Hachette, coll. « Les
fondamentaux», 5e éd, 2018.
- BODINEAU (Pierre), Verpeaux (Michel), Histoire constitutionnelle de la France,
Paris, PUF, « Que sais-je ? », 4e éd, 2014,
- BOUDON (Julien), Manuel de droit constitutionnel, t. 1 : théorie générale, histoire,
régimes étrangers, Paris, PUF ? 2015
- BORELLA (François), Éléments de droit constitutionnel. Paris, Presses de Sciences
Po, 2008.
- CARCASSONNE (Guy), GUILLAUME (Marc), La Constitution, Paris, Points : 2017,
14e éd.
- CHAGNOLLAUD (Dominique), de MONTALIVET (Pierre), Droit constitutionnel
contemporain 1 ; Paris, Dalloz ; coll. « Cours », 2019, 10e éd.
- CHAGNOLLAUD t (Dominique), BUDAU (Aurélien), Droit constitutionnel
contemporain 2 ; Paris, Dalloz ; coll. « Cours », 2019, 9e éd.
- CHAGNOLLAUD (Dominique), TROPER (Michel), Traité international de droit
constitutionnel, t. 1 : théorie de la Constitution, Paris, Dalloz, 2012.
- CHAGNOLLAUD (Dominique), TROPER (Michel), Traité international de droit
constitutionnel, t. 2 : distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012.
- CHAGNOLLAUD (Dominique), TROPER (Michel), Traité international de droit
constitutionnel, t. 3 : suprématie de la Constitution, Paris, Dalloz, 2012.
- CHANTEBOUT (Bernard) , Droit constitutionnel, Paris, Sirey : 2015, 32e éd.
- CHEVALLIER (Jacques), L'État, Paris, Dalloz : 2011, 2e éd.
- CHEVALLIER (Jacques), L'État post-moderne, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-
Lextenso : 2014, 4e éd.
- CHEVALLIER (Jacques), L'État de droit, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso :
2017, 6e éd.
- COHENDET (Marie-Anne), Droit constitutionnel - cours, travaux dirigés, conseils
de méthode, exercices, sujets d'examen, corrigés, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-
Lextenso : 2015.
- CONSTANTINESCO (Vlad), PIERRÉ-CAPS (Stéphane), Droit constitutionnel, Paris,
PUF : 2016, 7e éd.
- DEBBASCH (Roland), Droit constitutionnel, Paris, LexisNexis, 9e éd, 2014.

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- DUHAMEL (Olivier), TUSSEAU (Guillaume), Droit constitutionnel et institutions


politiques, Paris, Seuil, 4e éd., 2014.
- DUVERGER (Maurice), Institutions politiques et droit constitutionnel, Les grands
systèmes politiques, Paris, PUF, coll. Thémis, 20e éd., 1990,
- DUVERGER (Maurice), Le système politique français, Paris, PUF, coll. Thémis, 21e
éd. 1996.
- FAVOREU (Louis), GAÏA (Patrick) et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 25e
éd.,2023.
- FROMONT (Michel), Justice constitutionnelle comparée, Paris, Dalloz : 2013.
- GICQUEL (Jean), GICQUEL (Jean-Éric), Droit constitutionnel et institutions
politiques, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, Coll. « Précis Domat », 36e éd, 2022-2023.
- HAMON (Francis), TROPER (Michel), Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 39e éd.,
2018.
- JACQUE (J.-P.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Dalloz, coll.
« Mémentos », 14e éd., 2022.
- LAUVAUX (Philippe) Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 4e
éd., 2015.
- LECLERCQ (Claude), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Litec,
10e éd., 1999.
- LE POURHIET (Anne-Marie), Droit constitutionnel, Paris, Economica, 8e éd., 2017.
- MATHIEU (Bertrand), VERPEAUX (Michel), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2004.
- PACTET (Pierre), MÉLIN-SOUCRAMANIEN (Ferdinand), Droit constitutionnel,
Paris, Sirey-Dalloz, 37e éd., 2019.
- PORTELLI (Hugues), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. Hypercours, 13e
éd., 2019.
- ROUVILLOIS (Frédéric), Droit constitutionnel, t. 1 : fondements et pratiques,
Paris, Flammarion, 5e éd., 2017.
- TURPIN (Dominique), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2e éd, 2007.
- ZOLLER (Élisabeth), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2e éd., 1999.

Dictionnaires et lexiques :
- Avril Pierre, Jean Gicquel, Lexique- Droit constitutionnel, Paris, PUF, « Que sais-je
», 2016.
- Duhamel Olivier et Mény Yves (sd), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992.
- Hermet Guy, Birnbaum Pierre, Bruaud Philippe, Badie Bertrand, Dictionnaire de
la science politique et des institutions politiques, Armand-Colin, coll. Cursus,
2e éd., 1996.
- Michel de Villiers, Armel Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel,
Dictionnaires Sirey, 11e éd. 2017.

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Recueils de travaux dirigés


- Philippe Blachère, Travaux dirigés - Droit constitutionnel, LexisNexis, 2016
- Clessis Catherine, Robert Jacques, Rousseau Dominique, Wajsman
Patrick, Exercices pratiques, Droit constitutionnel, Montchrestien, 2e éd., 1995.
- Leclercq Claude et Chalvidan Pierre-Henri, Travaux dirigés de droit
constitutionnel, Litec, 8e éd., 1996.
- Masclet Jean-Claude et Valette Jean-Paul, Travaux dirigés de droit constitutionnel,
Dalloz, 1994.
- Pactet Pierre, Exercices de droit constitutionnel, Masson, 3e éd., 1995.
- Dominique Breillat, Gilles Champagne, Daniel Thome, Théorie générale du droit
constitutionnel, Col. Exercices corrigés, LGDJ, 2eme éd. 2006
- Faupin (Hervé), Réussir ses TD – Droit constitutionnel, Paris, Bruylant, 3ème éd.
2019
- VERPEAUX (Michel) ( dir.), Droit constitutionnel, méthodologie & sujets corrigés,
Coll. Les annales du droit, Dalloz, 2019

Revues
Pouvoirs (Revue fondée en 1977, publiée par les éditions du Seuil) ;
Revue du droit public et de la science politique (fondée en 1894, publiée par la
LGDJ)
Revue française de droit constitutionnel (fondée en 1990, publiée par les PUF)
Revue française de science politique (fondée en 1951, publiée par les Presses de la
Fondation nationale des sciences)

SITES INTERNET
Légifrance (http://www.legifrance.gouv.fr),
"Jurifrance" (http://www.jurifrance.com).
Conseil constitutionnel français (http://www.lamyline.com)
http://www.droit.org,
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2005-3-page-
451.htm
https://dice.univ-amu.fr/sites/dice.univ-amu.../plaquette_td_constit._-_2017-
2018.pdf
https://books.openedition.org/iheid/85
COURS-DE-DROIT.NET › DROIT-CONSTITUTIONNEL-COURS-GRATUIT-A-TELECHARGER-D…

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INTRODUCTION

Le droit constitutionnel est né avec l’État moderne. Il est l’une


des matières les plus importantes des sciences juridiques. Branche du droit
public1, il se propose d’étudier, de décrire et d’expliquer tant les aspects
juridiques qui permettent à la vie politique d’une société de s’organiser que les
principes fondant les droits fondamentaux des citoyens. Il est, de ce fait, l’une des
matières privilégiées qui permettent aux étudiants de droit de mieux comprendre
leur environnement juridique et institutionnel ainsi que les différents systèmes
politiques2 et, en même temps, de favoriser leur réflexion personnelle, afin d’être
à même de juger le développement politique d’un pays et l’évolution du monde
contemporain, au-delà de l’information émiettée que nous présente
quotidiennement les mass-médias.

Le droit constitutionnel constitue donc une discipline très vivante. Il est


d’ailleurs toujours au centre de l’actualité, car, presque quotidiennement, on
entend parler à travers les médias (télévision, radio, presse, internet) de notions
de droit constitutionnel, telles que l’État, le gouvernement, le parlement, la
démocratie, la constitution, les droits de l’homme, les élections, les partis
politiques, etc. Notre époque semble donc être placée sous le signe de la
reconnaissance du droit constitutionnel, qui revient au-devant de la scène,

1 La distinction entre le droit public et le droit privé vient en partie du droit romain. En effet, déjà en 420 avant

Jésus Christ, le juriste romain Ulpien (Domitius Ulpianus en latin) explique dans le Ier livre de ses Institutes (Digeste de
Justinien) que « l’étude du droit présente deux aspects, le public et le privé : le droit public concerne l’État de la République
; le droit privé, l’utilité des particuliers. ». Cependant, cette distinction droit public et le droit privé n’a jamais fait l'objet de
développements théoriques, et ce jusqu’au XVIe siècle, notamment avec l’apparition de l’État moderne. Jérémie Van
Meerbeeck, « Droit public et droit privé : ni summa ni divisio? », https://dial.uclouvain.be › PDF_01 › view . Ainsi,
actuellement, il est bien admis que le droit public englobe l’« ensemble des règles juridiques qui organisent l’État, les
pouvoirs publics et qui régissent leurs rapports avec les particuliers, les autres États voire les entités internationales » tandis
que le droit privé désigne l’« ensemble des règles juridiques applicables au statut des personnes privées et aux relations
qu’elles entretiennent entre elles ». V. Cabrillac R., Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, 2002, p. 150
2
Le système politique est un mode d'organisation d'un État. Il comprend notamment le régime politique, la
structure économique, l'organisation sociale, etc. Il est formé d'un ensemble d'institutions politiques (appareils étatiques,
agences gouvernementales, ministères), d’acteurs politiques (partis politiques, syndicats, organisations non-
gouvernementales) …) et des normes et de croyances politiques (idéologies, doctrines, lois, règles). Les systèmes
politiques sont nombreux, les principaux étant la démocratie, l'autoritarisme et le totalitarisme.

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notamment depuis l’écroulement du système soviétique. D’ailleurs, la science du


droit constitutionnel et le droit constitutionnel lui-même connaissent, depuis
quelques décennies, une évolution très profonde, notamment avec le
développement des juridictions constitutionnelles et la quête de l’État de droit.

Mais pour bien cerner l’objet du droit constitutionnel contemporain, il


convient de parler brièvement ci-après, d’abord de l’apparition du droit
constitutionnel en tant que discipline juridique autonome et, ensuite, des
principales approches doctrinales qui l’ont marqué depuis sa naissance au XIXe
siècle et son introduction en tant que nouvelle matière, à côté des matières
traditionnelles enseignées dans les facultés de droit en France (décret du 24
juillet 1889 relatif au programme de licence en droit).

I. Apparition du droit constitutionnel en tant que discipline juridique


autonome3

Historiquement, les premiers usages de l’expression « droit constitutionnel


» en France remontent aux alentours de 1775-1777, c’est-à-dire quelques années
avant la Révolution française. On lui attribuait alors trois sens différents4:
- le premier est celui de « faculté », de « droit », que chaque personne
physique ou morale tient de la Constitution (ce sont les droits constitutionnels
subjectifs tel le droit à consentir à l’impôt).
- le second est celui qui désigne l’ensemble des règles, des normes
juridiques, se rattachant à la Constitution d’un pays. C’est le corps des règles
auxquelles la collectivité se soumet.
- Enfin, la troisième signification (qui se fait jour sous la Révolution
française de 1789) est celle qui désigne une branche du droit ayant pour objet
l’organisation politique de l’État, une discipline intellectuelle qu’on enseigne
dans les facultés de droit et qui vient concurrencer les expressions usuelles de
« droit public » et de « droit politique ».

3
http://www.cours-univ.fr/cours/licence/droit/licence-droit-droit-constitutionnel.html
4 Jean-Louis Mestre, « Les emplois initiaux de l'expression « droit constitutionnel », Revue française de droit
constitutionnel, 2003/3 (n° 55). PUF, pp.451-472.
www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RFDC_055_0451

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Ainsi, par rapport aux autres branches du droit, le droit constitutionnel est
une discipline relativement récente, puisque la première chaire de ce droit ne fut
créée qu’en 1834, à la Faculté de droit de Paris, et qui fut confié à l’italien M.
Pellegrino Rossi5. Son apparition en tant que discipline juridique autonome,
intervient donc à la suite des révolutions américaine (1775-1783) et française
(1789) au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, conséquemment à
l’apparition, un peu partout en Europe, de documents constitutionnels portant des
noms variés : constitution, charte ou statut, proclamant la souveraineté du peuple,
les libertés individuelles et la limitation du pouvoir6.

Ce phénomène d’écriture constitutionnelle (ou constitutionnalisme) était


également lié au libéralisme et à l’avènement de la bourgeoisie au pouvoir en
Europe et aux États-Unis d’Amérique. Le droit constitutionnel participe ainsi de la
culture occidentale. Mais, par vagues successives, il s’est développé, au point de
faire figure de donnée universelle. Ainsi, actuellement, il fait l’objet d’une étude
spécifique, distincte de celle des autres branches du droit public et il est
enseigné dans toutes les universités du monde. Il a donc ses propres principes,
ses propres sources, lesquels ne doivent rien aux autres disciplines juridiques 7.

II- L’évolution des approches doctrinales du droit constitutionnel8

En fait, malgré le développement remarquable de la recherche


constitutionnelle et le progrès notable réalisé dans l’étude des institutions
politiques, les constitutionnalistes n’envisagent pas leur discipline de la même
manière. En effet, le plus souvent, leur conception en la matière varie selon les
pays, les époques et les doctrines juridiques dont ils font partie. En conséquence,

5 En effet, c’est sur l’initiative de F. Guizot qu’a été créée en 1834 cette chaire du droit constitutionnel à la faculté

de Paris. Cependant, à l’époque, on se limitait à l’étude de la Constitution : l’organisation et la formation des pouvoirs
publics et leurs relations. C’est à cette époque que sont nées les grandes notions du droit constitutionnel : la séparation des
pouvoirs, le régime représentatif, etc… Il n’y avait pas de droit constitutionnel en dehors de la Constitution.
6 En fait, jusqu’à la fin du XIXe siècle, son enseignement était confiné à un public de doctorat. Cependant, avec le

triomphe de la République en France, celle-ci décida de le généraliser aux étudiants de première année de Licence en
l’inscrivant au programme de la Licence (cours semestriel) par la réforme du 24 juillet 1889.
7 En tant que corps de règles obligatoires, le droit constitutionnel présente, avec le droit international public, cette

particularité de réglementer le pouvoir suprême, à savoir l’organisation et le fonctionnement de l’Etat souverain. Tous les
autres droits régissent des pouvoirs inférieurs et, de ce fait, en cas de violation du droit, des sanctions sont possibles. Mais,
lorsqu’il s’agit du pouvoir suprême, cela n’est pas toujours évident.
8 François BORELLA, « La situation actuelle du droit constitutionnel », Revue française de droit

constitutionnel, 2012/1 (n° 89), pages 3 à 10.

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la définition du droit constitutionnel, qui a toujours fait l’objet de querelles


doctrinales, ne peut être dégagée que par approches successives. Ainsi, pour
certains auteurs, le droit constitutionnel serait une discipline qui étudie les règles
posées par la constitution. C’est la conception dite classique (dominante jusqu’à la
Seconde Guerre mondiale)9. En revanche, pour d’autres auteurs, le droit
constitutionnel comprendrait non seulement l’étude des règles posées par la
constitution, mais aussi celle de l’ensemble des règles relatives aux institutions
politiques, qu’elles soient contenues dans la constitution ou non. C’est la
conception dite moderne (dominante depuis les années cinquante jusqu’à la fin
du XXe siècle)10.

Évidemment, par la suite, ces divergences se sont beaucoup estompées


(atténuées). Ainsi, actuellement, tout le monde s’accorde pour considérer le droit
constitutionnel comme étant l’ensemble de règles juridiques fondamentales qui
régissent l’organisation et le fonctionnement du pouvoir politique, ses relations
avec les citoyens et avec l’étranger. Il a donc pour objet principal l’encadrement
juridique des relations politiques dont l’enjeu essentiel est la conquête du pouvoir
dans le cadre de l’État. Et sur ce point, il se rapproche de la science politique.

Cependant, depuis quelques décennies, on assiste à une nouvelle mutation


de ce droit, qui résulte cette fois-ci, des transformations qui affectent le fond
même du droit constitutionnel. Il s’agit principalement du phénomène de sa
« juridicisation » qui est inséparable de celui de l’expansion de la justice
constitutionnelle11; laquelle fait aujourd’hui partie intégrante de l’État de droit. Il en est

9
Selon cette conception, le droit constitutionnel se définit soit par des traits formels, soit par des traits matériels.
Suivant la définition « formelle », le droit constitutionnel se confond avec le droit des constitutions, en ce sens que cette
discipline étudie principalement les dispositions juridiques contenues dans la constitution, texte juridique communément
considéré comme la loi fondamentale de l’État, s’imposant à tous et supérieure à toutes les autres règles de droit (lois,
règlements, etc.). Dès lors, les études constitutionnelles porte essentiellement sur les règles de droit relatives à l’organisation
et au fonctionnement des pouvoirs publics supérieurs de l’État (énumération et description des différents pouvoirs : exécutif,
législatif, judiciaire) et à leurs rapports réciproques. En revanche, suivant la définition « matérielle », le droit constitutionnel
comprend l’ensemble des normes juridiques qui régissent le statut, l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics
supérieurs de l’État. Ici, c’est donc le contenu des règles juridiques plus que leur forme qui prime.
10 Selon cette conception, le droit constitutionnel ne se présente plus uniquement comme une discipline qui se

limité à la seule analyse des textes, mais qui s’intéresse aussi au contexte politique et social qui permet de comprendre
l’origine et le fonctionnement d’un système politique. Autrement dit, en l’étudiant, on débouche inéluctablement sur l’étude
de la science politique, car on doit désormais tenir compte des phénomènes qui excèdent le droit positif (tels, par exemple, le
système des partis et leur rôle dans les élections ; la structure de la majorité, le rôle des idéologies et des groupes de pression
dans la vie politique, etc.).
11 L. Favoreu, « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit », Revue française de Droit

constitutionnel, n° 1, 1990, pp. 71-89.

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résulté alors un certain renouveau du droit constitutionnel (confirmé par la


plupart des constitutionnalistes contemporains)12.

En conséquence, le droit constitutionnel moderne a cessé d’être envisagé


uniquement comme l’étude de la constitution et des institutions politiques, mais
aussi en tant qu’étude du système des normes juridiques et de la garantie des
libertés et droits fondamentaux. Autrement dit, il se définit actuellement par un triple
objet13 :

- Le droit constitutionnel est d’abord un droit institutionnel, car il régit l’organisation


et le fonctionnement des pouvoirs publics, ainsi que les relations entre eux, notamment les
rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il s’intéresse, aussi, à la dévolution
du pouvoir politique, à son exercice ainsi qu’à sa transmission.

- Le droit constitutionnel est aussi un droit des libertés fondamentales, car il régit les
relations entre les individus et la puissance publique, en conférant à ceux-là un certain
nombre de droits et libertés fondamentaux, reconnus et consacrés par la plupart des
constitutions modernes (v. art. 19 et s. de la Constitution marocaine). Il s’agit, selon L. Favoreu
du « droit constitutionnel substantiel » assurant la protection des droits et libertés.

- Le droit constitutionnel est enfin un droit normatif, car il détermine le processus de


création des normes juridiques (ce qui doit être fait : « normes prescriptives », ce qui ne doit
pas être fait : « normes prohibitives » et ce qui peut être fait : « normes permissives ») et leur
régime. D’ailleurs, la Constitution se présente comme une « norme de production des
normes », ce qui signifie que les compétences normatives puisent leurs sources dans la
Constitution, qui va consacrer leur existence et leurs principales règles d’édiction. On
l’appelle aussi droit fondamental qui couvre ce que l’on appelle quelquefois le
système des sources du droit ou système normatif dans la mesure où dans

12 Cf. Renouveau du droit constitutionnel : Mélanges en l'honneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007 ; Stéphane
PINON, Le « nouveau droit constitutionnel » à travers les âges. V. dans :
www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC2/PinonTXT.pdf
13 L. Favoreu, « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit », op. cit. V. Dominique

TURPIN, Droit constitutionnel. Paris, PUF, 2007 ; L. FAVOREU et autres, Droit constitutionnel, (manuel précité) ; Jacques
Chevallier. « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d’un couple fusionnel ». La République.
Mélanges en l’honneur de Pierre Avril, Montchrestien, pp.183-199, 2001, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-
01728067/document; Stéphane Mouton et Xavier Bioy Les (r)évolutions du droit constitutionnel : propos introductifs,
https://books.openedition.org › putc ;

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presque tous les pays, la Constitution apparaît comme la norme juridique


suprême, dont le respect est assuré par l’existence d’un juge constitutionnel.

Bref, le droit constitutionnel organise le système juridique tout entier. Il


institue l’Etat de droit et intègre rationnellement toutes les branches de droit
(droit administratif, droit pénal, droit civil et leurs multiples subdivisions). Quant
à son application, elle peut être réalisée par le juge judiciaire ou le juge
administratif sous le contrôle et les directives (jurisprudence) d’un juge spécialisé
qu’est le juge constitutionnel (Cour suprême, Cour constitutionnelle, Tribunal
constitutionnel, Conseil constitutionnel, etc.).

Cela dit, l’étude de la théorie générale du droit constitutionnel revêt une


grande importance. Elle permet, d’une part, d’approfondir la compréhension des
éléments essentiels de ce droit et, d’autre part, d’avoir une idée plus claire sur
l’organisation et le fonctionnement des institutions politiques au sein des États.
Pour ce faire, nous traiterons successivement les questions suivantes : l’État, la
constitution, la démocratie (à travers la participation des citoyens au pouvoir et au
choix des gouvernants) ainsi que l’aménagement du pouvoir politique au sein de
l’État. Mais seules les deux premières questions seront traitées pendant ce
semestre.

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CHAPITRE I
L’ETAT

L’État est un phénomène historique, sociologique et politique pris en


compte par le droit. Il est le résultat d’un long et tumultueux processus
historique14. Il a été, pour les collectivités humaines qui s’en sont dotées, à partir
du XVIe siècle, l’instrument d’affirmation de leur souveraineté aussi bien sur le
plan national que sur le plan international. Il est la première des institutions
politiques et le seul sujet de droit qui bénéficie d’un attribut fondamental, à savoir
la souveraineté ou l’indépendance. Il se concrétise toujours à travers « la fixation
sur un territoire déterminé d’une collectivité humaine relativement homogène régie
par un pouvoir institutionnalisé comportant le monopole de la contrainte
organisée»15

Si l’idée d’État est très ancienne, puisqu’elle remonte loin dans l’histoire
(l’Antiquité, par exemple, a connu la « polis » ou la Cité-État, telles Thèbes,
Sparte, Athènes, Rome, etc.), ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que la notion
moderne de l’État (avec E majuscule) s’est introduite dans le vocabulaire
politique européen (Stato : en italien, Staat : en allemand et State : en anglais)16.
Elle désigne désormais la structure institutionnelle qui régit la vie d’une
population vivant sur un territoire géographique donné, qui la contraint et qui
l’administre, se caractérisant par une souveraineté interne et externe.

14V. Friedrich Engels (1820-1895), L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État :


http://classiques.uqac.ca › classiques › Origine famille ; Norbert Elias, La civilisation et l'état : enjeux épistémologiques et politiques
d'une sociologie historique, Université de Bruxelles, 2007. L’État, https://www.editions-ellipses.fr › PDF › 978272... ; OCDE
(2011), « Histoire et renforcement de l'État », dans Supporting Statebuilding in Situations of Conflict and Fragility : Policy
Guidance, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd-ilibrary.org › content › component ; J. Ph. Genêt, La genèse de l'État
moderne, Édit. PUF, 2003 ;
15 .V° « État », in S. Guinchard, G. Montagnier, dir., Lexique des termes juridiques, 16e éd., Dalloz, 2007, p. 286.
16 Cette réapparition est due essentiellement à l’essor intellectuel de la Renaissance, notamment en Italie où

Machiavel, l’un des premiers qui en fait l’analyse , notamment dans le Prince (1513). Elle coïncide en fait avec la crise du
système féodal en Europe (système politique fondé sur les liens personnels entre protecteurs (suzerains) et protégés
(vassaux)) et la consolidation du pouvoir royal dans le cadre d’entités politiques souveraines, lesquelles refusaient de se
soumettre à l’autorité d’autres entités politiques : « Le Roi de France est Empereur en son Royaume ». Cette phrase célèbre
prononcée par Philippe Auguste à la fin du XIIIème siècle, illustre parfaitement cette volonté de renforcer l'institution royale
et d'assurer sa suprématie sur toute autre puissance V. https://www.larousse.fr › encyclopedie › divers › féod...Arnauld
Leclerc, Comment l'État s'est-il formé et développé ?, Introduction à la Science politique, https://cours.unjf.fr › Cours ›
06_item › indexI

14
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

De nos jours, l’État est une réalité politique et juridique, car il est présent
dans la vie politique et juridique quotidienne des citoyens (droits et devoirs de la
citoyenneté) et encadre de nombreux domaines d’activité de la société17.
Cependant, si l’État moderne a été conçu en Europe, ce n’est pas un phénomène
uniquement européen. Ainsi, depuis la Seconde Guerre mondiale, de nombreux
peuples et nations se sont constitués en États, sur les territoires qu’avaient
colonisés les puissances européennes. Cette multiplication et cette
mondialisation du phénomène étatique18 sont d’ailleurs aisément vérifiables : lors
de sa création en juin 1945, l’O.N.U. ne comprenait que 51 États membres, alors
qu’actuellement, elle en compte 19319.

Toutefois, malgré leur nombre et leur extrême diversité, les États


constituent une catégorie juridique unique. En effet, quelle que soit sa taille, sa
forme ou sa puissance économique ou militaire, du point de vue juridique, l’État
apparaît toujours comme une entité abstraite, une personne morale de droit
public. Il se présente comme une institution juridique, détentrice du pouvoir
politique et au nom de qui ce pouvoir est exercé. Il se matérialise par la réunion
de trois éléments constitutifs, à savoir : une population, un territoire et un
gouvernement, et se distingue des autres collectivités territoriales par le critère
de la souveraineté. C’est d’ailleurs en sa qualité d’entité souveraine que l’État
exerce ses compétences, tant internes qu’internationales et qu’il est reconnu par
les autres États en tant que membre de la communauté internationale et sujet du
droit international.

17 V. par exemple Décret n° 2012-127 du 30 Janvier 2012 approuvant la charte des droits et devoirs du citoyen

français prévue à l’article 21-24 du code civil - Journal officiel du 31 janvier 2012 ; http://sitesecoles.ac-poitiers.fr › sites ›
IMG › pdf
18 H. LEFEVBRE, De l’État, t. I, Union générale d’éditions, coll. 10/18, 1976, p. 24 ; BAGUENARD, L’État – Une

aventure incertaine, Ellipses, 1998, p. 41 ; J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, 3e éd., LGDJ, coll. Droit et société,
2008, p. 24.
19
Actuellement, le nombre des États dans le Monde se situe aux alentours de 200. Mais, même s’ils jouissent tous
de l’égalité souveraine en droit international en vertu de l’article 2, § 1 de la Charte des Nations, ils sont en fait sont très
différents les uns des autres quant à leur population, leur territoire, leurs institutions politiques, leur degré de développement,
etc. V. les exemples suivants : USA: 9,15 Mkms2, 267 millions, Vanuatu : 12 000 kms2, 200 000 hbts, Monaco : 195
hectares, 5070 monégasques, 29 000 hts).

15
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

Certes, il existe une pluralité de définitions et de conceptions de l’État20,


mais dans ce chapitre nous nous concentrerons sur l’aspect juridique de cette
institution qui occupe une place centrale dans la théorie générale du droit
constitutionnel. Pour ce faire et afin de mieux cerner cette notion, il conviendrait
d’étudier successivement les trois points suivants : les éléments constitutifs de
l’État (Section 1), ses caractères juridiques (Section 2) et ses principales formes
(Section 3).

Section 1 : Les éléments constitutifs de l’État

Considéré comme une personne juridique, tant en droit constitutionnel


qu’en droit international public, « l’État est communément défini comme une
collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir
politique organisé et se caractérise par la souveraineté »21 . Il est toujours délimité
par des frontières internationales, définies et reconnues par le droit international.

Il ressort de cette définition, que l’on est en présence d’un État, au sens
juridique du terme, lorsque les trois éléments constitutifs suivants sont
réunis d’une manière cumulative (conditions cumulatives) :
- une population permanente (qui habite le territoire de l’État et se trouve de
ce fait soumise à l’autorité de ce dernier) (§ 1) ;
- un territoire défini (qui fixe le cadre à l’intérieur duquel l’État exerce son
pouvoir de commandement à titre exclusif) (§ 2) ;
- un gouvernement (capable d’assurer les fonctions internes et externes de
l’État) (§ 3).

20
V. Arnaud Leclerc, INTRODUCTION À LA SCIENCE POLITIQUE - L'ETAT : COMMENT LE DÉFINIR ?
https://cours.unjf.fr › Cours › 04_item › indexI0 ; v. aussi Indications bibliographiques du Cours

21 Définition formulée par la commission d’arbitrage pour la Yougoslavie le 29 novembre 1991, Avis n° 1, RGDIP,

1992, p. 264. La Convention de Montevideo sur les droits et devoirs des États adoptée, en 1933, à l'occasion de la 7 e
Conférence panaméricaine regroupant les États-Unis et de nombreux pays d’Amérique latine, dispose également dans son
article 1 que :
« l’État, en tant que personne du droit international, doit posséder les qualités suivantes :
(a) une population permanente ;
(b) un territoire défini ;
(c) un gouvernement ; et
(d) la capacité à entrer en relation avec d’autres États ».

16
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

§ 1-. La population

Un État est tout d’abord un groupement humain, une population. On ne peut


en effet parler d’État sans qu’il y ait une population permanente. D’ailleurs,
l’autorité de l’État, c’est-à-dire son pouvoir de donner des ordres et de les faire
respecter, (souveraineté ratione personae) s’exerce en premier lieu sur un
groupe humain. Mais, qu’est-ce qu’au juste la population d’un État ?

Pendant longtemps, on a considéré que la population d’un État était une


nation22. Il y aurait alors coïncidence entre l’État et la nation23. Cependant, de nos
jours, cette thèse n’est plus défendable, car, elle confond deux notions
entièrement différentes : l’État, qui est une notion juridique (désignant aussi bien
un fait géographique localisable sur la surface terrestre qu’une structure
politique, qui peut d’ailleurs englober des populations différentes ne constituant
pas toujours une véritable nation), et la nation, qui est un concept sociologique et
politique relativement récent24. En outre, elle ignore l’originalité de la nation,
laquelle peut préexister à l’État et indépendamment de sa personnalisation
éventuelle sous cette forme juridique. En conséquence, afin de ne pas faire
d’amalgame, il est utile de préciser le concept de la nation à la fois par rapport à
la notion de population et par rapport à celle d’État.

22
La nation est un terme emprunté du latin natio, -onis, « naissance ». Son étymologie est donc liée à la notion de
naissance (nascere). Elle renvoyait, à l’époque médiévale, à un groupe humain à qui l’on attribuait une origine commune.
Elle va même servir d’argument idéologique pour justifier l’apparition des États modernes en Europe sous forme d’État-
nation. Simultanément, ce lien entre l’État et la nation va donner naissance au principe des nationalités selon lequel chaque
nation a le droit de se constituer en État. D’où l’apparition de nombreux États en Europe, durant le XIXe siècle et à l’issue de
la Première Guerre mondiale.
23 C’est d’ailleurs cette conception de l’État qui triompha en Europe, notamment au lendemain de la conclusion

en 1648 des Traités de Westphalie qui ont fait de l'État souverain le fondement naturel de l'ordre politique et dont les limites
internationales correspondent, au moins théoriquement, à celles des nations. C’est d’ailleurs en ce sens que le Dictionnaire de
l'Académie française de 1694 (1ère édition) a formulé la définition du mot « nation ». Ainsi, pour lui, une « nation » serait:
« Tous les habitants d'un même État, d'un même pays, qui vivent sous les mêmes lois et parlent le même langage ». V.
https://www.dictionnaire-academie.fr › article ; https://books.openedition.org › pum . D’où l’usage du concept de l’ « État-
nation », hypothèse d’un État qui coïncide avec une nation établie sur un territoire délimité par des frontières internationales
et définie en fonction d'une identité commune de la population qui lui confère sa légitimité.
24 V. Marcel Mauss, La nation : Éléments de politique moderne. Édition et présentation de Marcel Fournier et Jean

Terrier, pages 63 à 72, PUF, 2013 ; E. Hobsbawm, Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité. Paris,
Gallimard, 1992, pp. 14-15.

17
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A. Population et nation

Comme on vient de le voir, la nation est une notion relativement récente,


car autrefois, les gens se définissaient plutôt par leur religion que par leur nation.
Elle la nation désigne généralement « un groupement humain dans lequel les
individus se sentent unis les uns aux autres par une communauté de traditions, de
culture et d’aspirations et se conçoivent comme différents des individus appartenant
aux autres groupements nationaux »25.

Cependant, en raison de la diversité des facteurs sous l’influence desquels


se forment une nation, il n’y a pas d’acception universelle de ce concept, et toute
une littérature s’est efforcée de préciser ses contours26. Deux conceptions
théoriques se sont longtemps opposées à cet égard (depuis le XVIIIème s.) : l’une
dite objective et l’autre dite subjective.

1. La conception objective de la nation


Cette conception coïncide avec la thèse allemande qui fut forgée par
certains philosophes germaniques (Herder, Hegel, Fichte et Treitschke)27 au
XVIIIe et XIX siècle. Elle s’organise autour des notions de peuple (Herder et
Hegel), de territoire ancestral (Barrès et Maurras), de langue et de culture
« héréditaire » (Fichte). Elle considère donc la communauté nationale comme
déterminée par des éléments de fait (objectifs) tels que la langue, la religion, la
géographie, l’histoire et surtout la race. En conséquence, le droit à la nationalité
est accordé en fonction du principe du droit du sang (jus sanguinis en latin),
règle de droit attribuant aux enfants la nationalité de leurs parents (critère de la
filiation), quel que soit leur lieu de naissance ou de résidence.

25V. André Hauriou, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 3eme éd., 1968, p. 96.
26 Hervé BEAUDIN, L’idée de nation, Thèse de doctorat en philosophie, Sorbonne, 2012 ; Michel Winock,
« Qu’est-ce qu’une nation ? » Dans Le XXe siècle idéologique et politique (2013), pages 177 à 194 ; Thomas Fleiner-Gerster,
Théorie générale de l’État, https://books.openedition.org/iheid/1781?lang=en
27 Cependant, si Johann Gottfried von Herder (1744-1803) propose une définition de la nation fondée sur le sol et

une langue commune, Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), dans ses Discours à la nation allemande (1807), insiste sur l’idée
de peuple et l’importance de la langue.

18
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Cette conception a été surtout exaltée en Allemagne. Elle a d’ailleurs été


mise en œuvre sous le IIIe Reich, par Adolf Hitler, au profit de la race aryenne et
de la nation allemande. On peut également y rattacher, la politique d’apartheid
en Afrique du Sud (1948-1994), le conflit armé qui s’est déclenché en Bosnie-
Herzégovine en 1991, au nom de la purification ethnique, le génocide des Tutsis
au Rwanda en 199428, etc. Évidemment, ce phantasme d’une race pure, qui
conduit souvent au génocide et aux massacres ethniques, ne repose sur aucune
base scientifique.

2. La conception subjective de la nation


Cette conception est celle qui correspond à la thèse française. Elle
participe de la théorie du contrat social (Rousseau, Fustel de Coulanges, Michelet
et Ernest Renan29, etc.). Elle considère que le processus de formation d’une nation
est beaucoup plus complexe et, qu’à côté des éléments objectifs (la langue, le
religion, la culture, etc.), il faut également prendre en considération les éléments
subjectifs, tels que les événements historiques (les guerres, les invasions, les
calamités naturelles, les réussites communes…), les intérêts communs
(principalement d’ordre économique, qui résultent, en grande partie, de la
cohabitation sur un même territoire) et surtout les liens spirituels (le fait que sans
avoir les mêmes croyances ou le même niveau intellectuel, on réagit d’une façon
semblable en présence des mêmes événements), etc.30

La conception subjective de la nation se présente donc comme une


conception volontariste de la nation, celle d’une communauté très largement
ouverte, fondée sur l’existence d’un désir profond et d’une volonté durable de
vouloir vivre ensemble. Dans cet esprit, la nation dépasse l’appartenance et le
destin personnel de ses membres, elle unit les générations passées et celles à
venir.31 Il en découle que le droit à la nationalité est accordé en fonction du

28 L'ONU estime qu'environ 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi, ont perdu la vie d’avril à juillet 1994 dont la

moitié d’entre eux étaient des enfants (génocide commis par des extrémistes Hutus).
29 Ernest Renan, dans sa célèbre conférence de 1882 intitulée "Qu’est-ce qu’une Nation ?", pose comme critères de

l’appartenance nationale, "le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis."
Selon lui, "l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours.".
30 Jean et Jean-Éric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien-Lextenso éditeurs, 21e

éd., 2007, p. 55.


31 V. http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/approfondissements/idee-nation.html

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principe du droit du sol (jus soli en latin), règle de droit attribuant une nationalité
à une personne physique en raison de sa naissance (avec ou sans conditions) ou
par la voie de la naturalisation (procédure de l'acquisition d'une nationalité par un
individu qui ne la possède pas par sa naissance)32.

B. État et Nation

Les rapports entre l’État et la nation peuvent s’apprécier de deux façons :


soit dans le temps : il s’agit de savoir si l’État préexiste à la nation ou
inversement ; soit dans l’espace : l’État coïncide-t-il avec la nation ou est-il distinct
de la nation ?

1.- Les rapports entre l’État et la nation dans le temps.


Il n’y a pas très longtemps, la nation était considérée comme le résultat
d’un processus historique se développant et même s’achevant avant la naissance
de l’État : celui-ci n’apparaissait alors que pour encadrer politiquement et
juridiquement la nation. Il en est ainsi de la majorité des pays d’Europe
occidentale, pour n’envisager qu’eux. La Nation allemande, la Nation italienne
ont, par exemple, existé en tant que réalités sociologiques évidentes avant de
prendre chacune la forme d’un État33.

Quant à la Grande-Bretagne et la France, il semble que la création de l’État et


celle de la Nation y étaient plus ou moins concomitantes : les guerres, les
alliances, les conquêtes ont formé le concept de Nation, en même temps que
croissait l’autorité de l’État monarchique (pouvoir individualisé où l'État se
confondait avec la personne physique du souverain-monarque) avant de prendre
sa forme étatique de pouvoir politique institutionnalisé, en tant qu’entité juridique
souveraine distincte de la personnes des gouvernants34. Autrement dit, il y a eu

32 V. Eleanor Cashin Ritaine, Nationalité étatique : un état des lieux juridique. https://www.lalive.law › data ›

publications › C... Sur le droit de la nationalité marocaine, DAHIR n. 1-58-250 portant Code de la nationalité marocaine
(B.O. 12 sept. 1958, p. 1492) tel qu’il a été modifié et complété ultérieurement : https://www.refworld.org › pdfid ;
https://www.tgr.gov.ma › wps › wcm › connect
33 En effet, en Allemagne, l’existence d’une langue et d’une culture communes a permis de concevoir la nation en

l’absence de toute unité politique avant 1871. De même, en Italie, le sentiment national a servi de ciment idéologique
préalable à l’unification de l’État.
34 G. Burdeau, Traité de science politique. 3e édition. T. 1. Le pouvoir politique. T. 2. L'État, Paris, LGDJ, 1980.

20
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assimilation progressive de populations socialement et historiquement


hétérogènes dans le cadre d’un même l’État35.

Par contre, dans d’autres pays, tout s’est passé comme si l’édification de
l’État précédait et modelait la constitution de la nation, à partir d’ethnies, de
peuples, de groupes humains hétérogènes, méritant difficilement le titre de
nation au sens européen36. On cite plus fréquemment, à cet égard, l’exemple des
Etats-Unis, dont la conscience nationale ne s’est forgée qu’après l’adoption de la
Constitution fédérale de 1787.

On peut également noter le cas de nombreux pays issus de la


décolonisation où l’État a été constitué sans l’existence d’une nation
correspondante. Leurs frontières, tracées arbitrairement (« à la règle ») par les
anciennes puissances coloniales, reposaient souvent sur une réalité sociologique
composée de populations socialement et historiquement hétérogènes,
juxtaposées les unes à côté des autres. Or, force est de constater que
l’hétérogénéité de la société, du point de vue linguistique, religieux, culturel ou
économique se concilie mal avec l’unité nationale de l’État. L’absence notamment
d’un loyalisme national représente un germe de décomposition pour ce dernier.
A cet égard, les événements du Biafra (1967-1970) et du Rwanda (1994-95) et
l’éclatement du Soudan (depuis le 9 juillet 2011) sont exemplaires .

2.- Les rapports de la concordance entre l’État et la nation dans l’espace


L’État coïncide-t-il avec la nation ? Autrement dit, y-a-t-il identité entre
communauté nationale et communauté étatique ?

35 En effet, dans ces deux pays, c’est l’action centralisatrice et unificatrice du pouvoir royal qui a contribué de
manière décisive à l’émergence de la nation. Mais le sentiment national, présent chez une élite restreinte, s’est diffusé assez
lentement. Il faut en effet attendre la fin du XVe siècle pour que l’idée de nation devienne incontournable en France et en
Angleterre. La guerre de Cent ans a soudé les populations dans l’adversité et contribué de manière décisive à l’émergence de
l’identité nationale et au passage d’une société féodale et religieuse à un État moderne. V. http://www.vie-
publique.fr/decouverte-institutions/institutions/approfondissements/idee-nation.html
36 Cf., H. LEFEVRE, De l’Etat, Paris : Union Générale d'Editions; DL 1978.

21
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La réponse à cette question doit être nuancée. En effet, si parfois la


population de l’État coïncide avec la nation, il n’en est pas toujours de même, ce
qui entraîne certaines difficultés juridiques et politiques37.

Ainsi, par suite de vicissitudes historiques, une nation peut se trouver


répartie entre plusieurs États. On peut citer à cet égard les cas des Basques et des
Catalans répartis entre la France et l’Espagne, du peuple Kurde écartelé entre les
territoires de la Turquie, l’Iran ,l’Irak et la Syrie, ainsi que le cas des ethnies
africaines non prises en compte lors du tracé des frontières coloniales, conservé
en l’état lors des indépendances, en application du principe de l’intangibilité des
frontières consacré par la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine (O.U.A.)
adoptée le 25 mai 1963 à Addis-Abeba38.

Inversement, il peut exister des États multinationaux (ou plurinationaux)


dont la population étatique regroupe plusieurs nations ou nationalités : ce fut le
cas de l’ex-URSS, de l’ex-Yougoslavie, et c’est le cas encore de la Suisse, de la
Russie, du Royaume-Uni, de la Chine, de la Belgique, etc.

Si la population de l’État apparaît comme un ensemble d’individus habitant


le territoire national, elle englobe, en réalité, plusieurs catégories sociales. Mais
la distinction essentielle, au sein de cette population, se manifeste entre les
nationaux et les étrangers. A la différence de ces derniers (qui sont également
soumis à l’autorité de l’État et lié par l’ordre juridique local, comme tout habitant
du territoire national), les nationaux sont ceux qui sont liés à l’État par un lien
juridique et politique : c’est ce que l’on appelle le lien de nationalité39.

37 Par exemple, le principe des nationalités qui est apparu au XIXe s. (principe consacrant le droit de toute nation de

se constituer en Etat indépendant) a engendré de nombreux conflits internationaux en Europe. Appliqué partiellement dans ce
continent, ce principe n’a cependant jamais été admis en tant que règle générale par le droit international.
38 Par ailleurs, conséquemment à la Seconde guerre mondiale et à la guerre froide, certaines nations ont été

fractionnées en deux Etats ayant des régimes politiques opposés. Il en était ainsi de la nation allemande, qui a été partagée
pendant 40 ans entre la République fédérale allemande (R.F.A) et la République démocratique allemande (R.D.A.), de la
nation vietnamienne qui fut divisée en 1954 entre la République démocratique du Vietnam (Nord-Vietnam) et la République
du Vietnam ( Sud- Vietnam ) et ce jusqu’en 1975 , sans oublier le cas de la nation coréenne qui est toujours scindée en
deux : entre la Corée du nord et la Corée du sud.
39
Jadis lien personnel unissant des sujets à leur roi, ce lien abstrait rattache désormais les individus à l’Etat, qui
l’octroie unilatéralement selon ses règles juridiques internes. Il rattache également chaque individu aux autres membres de la
société nationale39. Il peut être acquis dès la naissance ou au cours de la vie. A cet égard, on distingue les pays qui
privilégient le droit du sang (jus sanguinis), c’est-à-dire la filiation, et ceux qui préfèrent se fonder sur le droit du sol (jus

22
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

§ 2.- Le territoire40

Au même titre que la population, le territoire constitue un élément


fondamental de l’État. Il est le cadre spatial dans lequel est établie la collectivité
nationale et la base matérielle sur laquelle s’exerce l’autorité souveraine et
exclusive de l’État. D’ailleurs, ce dernier apparaît, en premier lieu, comme une
formation territoriale et il ne peut se concevoir sans une emprise géographique 41.
C’est d’ailleurs à cet espace que la communauté nationale s’identifie et du nom
duquel l’État en question tire généralement son nom42.

Du point de vue historique, la notion de territoire étatique, qui nous est


aujourd’hui si familière, n’a pas toujours existé. Ainsi, la fixation au sol que
constitue le territoire était ignorée des peuples primitifs, car ceux-ci menaient à
l’époque une vie nomade dominée par une économie de type pastoral. Le
concept politique de territoire, en tant que cadre spatial à l’intérieur duquel l’État
exerce son pouvoir de commandement à titre exclusif, n’est apparu en Europe
qu’à la suite de l’écroulement du système féodal. Aujourd’hui, et sauf peut-être
l’exception de quelques peuples nomades, les collectivités humaines sont fixées
sur le sol.

Cependant, le territoire de l’État n’est pas seulement constitué par le


territoire terrestre, mais aussi d’espaces maritime (mer territoriale, zone
économique, plateau continental) et aérien. Évidemment, ce territoire, sur lequel

soli). Il peut aussi y avoir ultérieurement changement de nationalité : c’est l’hypothèse exceptionnelle de la naturalisation,
procédure par laquelle un étranger peut sur sa demande, d’acquérir une nationalité à la suite de la discrétionnaire de l’Etat qui
l’octroie. Mais quelle que soit la manière dont on acquiert la nationalité elle implique toujours certains droits et obligations,
tels les droits politiques (l’aptitude d’être élu, droit de vote, etc.)39, le libre accès aux fonctions et aux emplois publics, la
protection diplomatique par l’intermédiaire des ambassades et des consulats entretenus par les Etats à l’étranger, les
obligations militaires ou civiles, etc. (v. par exemple, art. 18 et s. de la Constitution marocaine).
40 P. DAILLIER, A. PELLET, M. FORTEAU, Droit international public, Paris, LGDJ, Lextenso, 2009, n° 229, p.

440, Julio Barberis, « Les liens juridiques entre l'Etat et son territoire : perspectives théoriques et évolution du droit
international », AFDI, Année 1999, pp. 132-147; Thibaut Fleury Graff, « Territoire et droit international », Dans Civitas
Europa 2015/2 (N° 35), pages 41 à 53 .
41 Sur cette conception du territoire, V. notamment : D. ALLAND, « Territoire », in D. ALLAND et S. RIALS

(dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Puf, 2003, pp. 1474 et s. ; D. NORDMAN, « Territoire », in L. BELY
(dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Puf, 1996, p. 1204 et s. ; D. GUIGNARD, « La réforme territoriale, une réforme qui
dit réellement son nom ? », BJCL, n° 1, 2015, p. 7, spéc., p. 9.
42
Georgita Cislaru, « Nom de pays, nom de peuple : quels usages, quelles identités ? », dans Cahiers de
sociolinguistique 2006/1 (n° 11), pages 41 à 62, https://www.cairn.info › revue-cahiers-de-sociolinguist.

23
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

l’État exerce son autorité suprême, est nécessairement délimité par des frontières
internationales, définies et reconnues par le droit international public.

A. Le territoire terrestre

Le territoire terrestre est l’assise spatiale des compétences de l’État et le


lieu où il exerce pleinement sa souveraineté interne. C’est en effet sur cet espace
que l’État, en tant que souverain, est censé exercer « l'ensemble des pouvoirs
d'autorité et de contrainte collective que la nation possède sur les citoyens et les
individus en vue de faire prévaloir ce qu'on appelle l'intérêt général, et avec une
nuance éthique le bien public ou le bien commun »43, au travers de ses différentes
composantes administrative, judiciaire, législative et exécutive. De ce point de
vue, il constitue l’espace politique au sein duquel l’État élabore et met en œuvre
ses politiques publiques et contrôle ou régule tout ce qui s’y passe.

Le territoire terrestre de l’État comprend non seulement les terres


délimitées par les frontières (qui peuvent être naturelles ou artificielles), mais
également le sous-sol, les mers et eaux intérieures telles les lacs, ports, rades,
havres, golfes. Évidemment, c’est ce territoire qui matérialise l’État et exprime la
fixation au sol, quelque part sur la surface du globe, de la collectivité nationale.

Du point de vue juridique, l’étendue du territoire est sans importance.


Celui-ci peut être très étendu, comme la Russie, les États-Unis, la Chine, l’Inde, le
Brésil, etc., ou de dimension restreinte comme Monaco, Grenade, Saint Marin,
etc. Il peut être d’un seul tenant ou discontinu, comme c’est le cas des archipels,
de la France avec les collectivités d’Outre-mer, des États-Unis avec l’Alaska et
Hawaï. Il peut également être enclavé : ainsi le Lesotho est enclavé dans la
République d’Afrique du Sud, la Gambie est enclavée dans le Sénégal, Saint
Marin est enclavé dans l’Italie, etc.

43 G. Burdeau, Traité de science politique, LGDJ, Tome 2 - L'État, 1966-1976

24
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B. L’espace maritime

Si pendant longtemps la doctrine défendait le principe selon lequel la mer


comme l’air ne sauraient constituer des territoires, à l’époque contemporaine, les
États riverains étendent tous leur souveraineté sur leur espace
maritime conformément aux règles du droit maritime international44. Cet espace
comporte trois zones maritimes, partant du littoral vers la haute mer, mesurées à
partir de la ligne de base 45. Il s’agit successivement de :

- La mer territoriale, qui se présente sous forme d’une bande maritime


autour du territoire terrestre d’une largeur maximale de 12 milles marins (plus de
22 km). L’État riverain y exerce sa pleine souveraineté, c’est-à-dire des
compétences identiques à celles qu’il déploie sur son territoire terrestre. Il en
réglemente également toutes les utilisations et en exploite toutes les ressources.
Il doit néanmoins y garantir le passage inoffensif aux navires étrangers, sous
certaines conditions qui sont déterminées dans l’article 18, section 3, Partie II de
la CNUDM.

- La zone contiguë : il s’agit d’une bande maritime d'une largeur maximale


de 12 milles au-delà de la limite extérieure de la mer territoriale, qui peut donc
s'étendre jusqu'à 24 milles des côtes depuis la ligne de base droite. Elle sert de
zone tampon à l'intérieur de laquelle l'État côtier peut exercer un contrôle dans le
but de prévenir les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux,
sanitaires ou d'immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale.

44 Ce droit est d'origine coutumière, car pendant longtemps, les espaces maritimes étaient régis uniquement par le
principe de la liberté de mers et par un ensemble de règles coutumières. Cependant, actuellement, il est codifié
principalement par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), adoptée en novembre 1982 à Montego
Baye, en Jamaïque. Celle-ci comporte 320 articles et prévoit la création de trois instances internationales : le Tribunal
international du droit de la mer, la Commission des limites du plateau continental (CLCS) et l’Autorité maritime
internationale.
45 En droit maritime international, la ligne de base est la ligne séparant les eaux intérieures d'un État, sur lesquelles

celui-ci possède tous les droits, et sa mer territoriale. Elle correspond habituellement à la laisse de basse mer, telle qu'elle est
indiquée sur les cartes marines officielles de l'État côtier. C'est à partir de cette ligne que sont établies les autres zones
maritimes. Rappelons à cet égard que le Parlement marocain a adopté, le mercredi 22 janvier 2020, à l'unanimité, deux
projets de loi permettant la mise à jour de l’arsenal juridique marocain relatif à l’espace maritime du Royaume. Il s’agit du
projet de loi n° 37.17 modifiant et complétant le Dahir portant loi n° 1.73.211 du 26 Moharrem 1393 (2 mars 1973) fixant la
limite des eaux territoriales, ainsi que du projet de loi n° 38.17 modifiant et complétant la loi n° 1.81 instituant une zone
économique exclusive de 200 miles marins au large des côtes marocaines. Ainsi, désormais, cet espace s'étend de Tanger à
Lagouira et se compose de quatre zones délimitées comme suit : la mer territoriale (12 MM), la zone contiguë (24 MM), la
zone économique exclusive (200 MM) incluant le plateau continental (de 350 MM au minimum)

25
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- La zone économique exclusive (ZEE) : il s’agit d’une zone maritime d’une


largeur de 200 milles marins (plus de 370 km), située entre les eaux territoriales
et les eaux internationales et dans laquelle les États riverains disposent de
l'exclusivité d'exploitation des ressources halieutiques, énergétiques et
minérales46. Celle-ci englobe aussi le plateau continental qui comprend les fonds
marins et leur sous-sol au-delà de la mer territoriale, sur toute l'étendue du
prolongement naturel du territoire terrestre de l’État riverain jusqu'au rebord
externe de la marge continentale, ou jusqu'à 200 milles marins au large des lignes
de base.

C. L’espace aérien

L’espace aérien est généralement défini comme étant la zone qui


surplombe le territoire de l’État (terrestre et maritime47), en deçà de l’espace
extra-atmosphérique48. Il est devenu un élément vital pour les États, notamment à
la suite des progrès de l’industrie aéronautique au cours de la Première Guerre
mondiale. Ainsi, dès 1919, ils ont solennellement reconnu l’extension de leur
souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de leur territoire
en vertu de l’article 1er de la Convention de Paris49. Cette conception a été de
nouveau confirmée en 1944 dans l’article 1er de la Convention de Chicago relative
à l'aviation civile internationale (abrogeant la première). Cependant,
simultanément, cette réglementation internationale y autorise le survol, par les
aéronefs civils étrangers, en temps de paix50.

46
Cette zone est définie par l'article 76 de la CNUDM. Mais, chaque État côtier peut décider de créer ou non une
ZEE ; il peut alors en fixer arbitrairement la largeur, qui ne peut toutefois être supérieure à 200 milles comptés à partir de la
ligne de base. La plupart des États ont opté pour une ZEE de 200 milles.
47
La convention de Montego Bay précise à cet égard que « la souveraineté de l’État côtier s’étend à l’espace
aérien au-dessus de la mer territoriale » (art. 2, § 2).
48 Le droit de l'espace extra-atmosphérique est régi par le Traité de l’espace ou plus précisément Traité sur les

principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extraatmosphérique, y compris
la Lune et les autres corps célestes, ratifié en 1967. Néanmoins, la limite verticale entre l'espace aérien et l'espace extra-
atmosphérique n'a jamais été défini par une convention internationale. Ce serait probablement 100 km, qui définit la limite de
l'espace selon la Fédération aéronautique internationale.
49 Il s’agit de la Convention internationale portant règlementation de la navigation aérienne : conclue le 13 octobre

1919 et entrée en vigueur en 1922. Entre autres, il en est découlé la création de la Commission internationale de navigation
aérienne, la CINA.
50
http://www.cesa.air.defense.gouv.fr/IMG/pdf/PLAF_No6_Col_Dupont.pdf
En revanche, l’État peut interdire tout survol de son espace aérien par des aéronefs militaires (la France par
exemple a refusé le survol de son territoire par les avions américaines pour bombarder Tripoli en Libye en 1986 ; quant à la
Turquie, il a même abattu un avion de chasse russe qui avait survolé son espace aérien en 2015).

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§ 3.- Le gouvernement

Pour qu’il y ait État, il ne suffit pas d’avoir une population établie sur un
territoire déterminé. Encore faut-il que cette population et ce territoire soient
soumis à une forme particulière de pouvoir politique, c’est-à-dire un
gouvernement (pris ici dans son sens large). Il s’agit là du troisième critère
auquel une entité doit satisfaire pour être considérée comme un État.

En effet, on ne peut pas parler d’État s’il n’y a pas de gouvernement


capable d’assumer les fonctions internes et externes de celui-ci. C’est d’ailleurs
ce pouvoir politique qui incarne l’État et qui lui permet d’affirmer son autorité,
d’exprimer sa volonté et de la mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire
national. Il lui incombe également d’assurer la sécurité de l’État et celle de ses
ressortissants contre tout danger intérieur ou extérieur. Il dispose à cet effet de
l’Administration ainsi que de la force armée (gendarmerie, police, armée).

A vrai dire, depuis l’abandon de la « doctrine Tobar » (ministre des Affaires


étrangères de l’Équateur qui avait proposé, en 1907, le principe suivant lequel
aucun gouvernement ne devait être reconnu avant qu’il n’ait obtenu une légitimité
constitutionnelle par approbation populaire), il n’existe pas en droit de conditions
précises relatives à la forme du gouvernement. Ainsi, aux termes de la résolution
2625 (XXV) 1970 de l’Assemblée générale des Nations Unies (Déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre États) : « tout État a le droit inaliénable de choisir son système
politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part
d’un autre État ». Par conséquent, le gouvernement peut prendre diverses formes
politiques ou constitutionnelles : monarchiques, républicaines, démocratiques,
autoritaires, etc.51.

51 Cependant, l’évolution contemporaine invite à nuancer ce constat d’indifférence du droit quant à la forme

gouvernementale. En effet, depuis quelques années, on assiste à l’émergence d’une forte tendance visant à introduire, en droit
international, le principe de légitimité démocratique des gouvernements, sous l’effet des implications logiques de la
consécration internationale des principales libertés publiques, envisagées comme droits de l’homme. Même si cette tendance
se heurte encore aux réticences de certains pays du Tiers monde, elle s’est vue renforcée avec la fin de la guerre froide et la
disparition du conflit idéologique longtemps persistant entre les pays socialistes et les pays occidentaux Ainsi, en 1994, les

27
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Certes, c’est l’État qui détient le pouvoir normatif, c’est-à-dire le pouvoir


d’édicter des règles de conduite, s’imposant aux membres de la société,
obligatoires pour eux. Cependant, dans l’ordre juridique interne, il n’est pas le
seul à créer des règles de droit. Le pouvoir normatif appartient aussi aux
particuliers qui s’engagent par des contrats et aux groupements (sociétés,
syndicats, partis politiques, associations,…) qui imposent des obligations à leurs
membres, à leurs adhérents, (statuts, règlements intérieurs, …). Or, ces entités
n’ont pas une compétence générale, mais une compétence limitée à leur objet
social (l’ensemble des activités qui sont déterminées par leurs statuts).

Cependant, si l’État n’a pas le monopole du pouvoir normatif, il dispose, à


titre exclusif, du monopole de la force, ou tout au moins de l’usage légitime de la
force. Cela signifie que seul l’État peut détenir et user de la force publique, à
l’intérieur de ses frontières, pour exiger le respect des règles qu’il a posées et les
décisions qu’il a prises. Aucun particulier ne peut se faire justice à soi-même, car
chacun doit, pour obtenir la mise en œuvre des droits qu’il a envers les autres,
passer par l’intermédiaire de l’État qui est le seul détenteur du pouvoir judiciaire.
Ce monopole de la contrainte, de la force, de la justice apparaît comme l’élément
capital de la définition de l’État52. Celui-ci doit donc l’exercer effectivement, car
tout État qui laisse se développer des pouvoirs de contrainte, qui lui échappent,
abdique.

Par ailleurs, il faut que l’appareil gouvernemental fonctionne en


permanence. Il doit être investi de compétences réelles et non pas fictives et qui
l’autorisent à commander aux gouvernés. Pour être réellement efficace et
souveraine, cette autorité étatique doit être reconnue par tous et apparaître
comme légitime et consentie. L’État est ainsi une société dont les ressortissants
acceptent généralement, pour régler leurs conflits, le pouvoir organisé. C’est

NU en ont pris fait et cause pour la 1ère fois dans une crise purement interne, en exigeant la restauration de la démocratie à
Haïti, après le coup d’Etat militaire qui avait déposé le « président légitimement élu » (Rés. 940 du CS du 13 aout 1994).
52
Ainsi, d'après Max Weber (1864-1920) dans Le Savant et le politique, « l'État est une entreprise politique à
caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l'application de ses règlements, le
monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné », c'est-à-dire qu'il est le seul a pouvoir faire respecter les
lois à travers l'armée, la justice et la police.

28
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d’ailleurs cette idée de pouvoir et d’organisation du pouvoir qui a permis de


définir l’État comme étant la personnification juridique de la nation.

Section 2.- Les caractères juridiques de l’État

D’un point de vue proprement juridique, l’État peut se définir comme une
personne morale, titulaire de la souveraineté53. Il revêt donc une double qualité :
d’une part, il est une personne morale de droit public (par opposition aux
personnes physiques), d’autre part, il est une personne juridique souveraine.

§ 1.- L’État, personne morale de droit public

En droit public interne, il est bien établi que l’État est une personne
morale, c’est-à-dire un groupement d’individus ayant la personnalité juridique et
étant, par conséquent, titulaire de droits et soumis à des obligations. De ce fait,
l’État apparaît comme une institution, une construction juridique destinée à
prendre en charge, de façon permanente les intérêts d’une population ou d’une
nation, indépendamment des personnes physiques qui agissent en son nom.

Le recours à cette théorie de la personnalité morale permet d’expliquer de


nombreux aspects du statut de l’État. Tout d’abord, la personnalité de l’État ne se
confond pas avec celle de ses dirigeants. Ce qui implique que ces derniers ne
sont pas propriétaires de leurs fonctions, ils en sont de simples titulaires, investis
de ces fonctions, elles peuvent leur être retirées. Leurs actes sont imputés à l’État
au nom duquel ils agissent. Ainsi, quand le chef du Gouvernement marocain se
rend en visite officielle dans un pays étranger, c’est le Maroc en tant que
personne morale qui est reçu par ce pays et non M. Aziz AKHENOUCH en tant que
personne physique. Le pouvoir est donc attaché à la fonction et non à la personne
de son titulaire.

53 Boris Barraud, L’Etat - Entre fait et droit, L’Harmattan, 2015.

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C’est également cette théorie qui implique que l’État dispose d’un
patrimoine propre54, peut passer des conventions, conclure des contrats,
contracter des dettes, ester en justice, engager sa responsabilité, etc. De ce point
de vue, l’État a une existence juridique comparable à celle des personnes
physiques et qui offre les mêmes possibilités d’action. Il est aussi distinct de la
communauté nationale, appelée société civile (désignant ici le corps social, par
opposition à la classe politique)55. Il exerce son pouvoir sur elle et remplit à son
égard un certain nombre de fonctions, perçues habituellement comme des
fonctions sociales : l’État rend justice, assure la direction de l’économie nationale,
l’éducation de la population, la défense du territoire, etc.

Par ailleurs, c’est la personnalité morale qui permet à l'État d’assurer sa


permanence et sa pérennité, tant à l’intérieur qu’à l'extérieur. On parle alors de la
continuité de l’État, pour dire que celui-ci demeure le même, au-delà de la
succession des gouvernants au pouvoir (changement de régimes ou alternances
politiques) et de celle des individus qui composent la communauté nationale.
Ainsi, un traité international continue de lier l’État bien que les personnalités
politiques qui l’ont signé aient disparu depuis longtemps. Les gouvernants
changent, des citoyens meurent, d’autres naissent, l’État demeure égale à lui-
même.

Enfin, c’est cette théorie qui constitue le fondement, en droit international


public, du principe de l’égalité des États (cf. art. 2, §1 de la Charte des Nations
Unies). En effet, comme on le sait, ces derniers sont tous différents par le chiffre
de leur population, l’étendue de leur territoire, leur puissance militaire,
économique, politique, etc. Dès lors, le seul moyen qui est en mesure de réaliser

54 Ce patrimoine est distinct de celui des gouvernants, dont le budget constitue l’élément essentiel, affecté à la

gestion des services publics (administration, enseignement, armée, justice, etc.)


55 Actuellement, le terme de société civile est employé pour parler globalement de personnes et groupes de

personnes organisés collectivement, indépendamment de l'Etat. Sous cette appellation, on regroupe des mouvements,
organisations, associations qui agissent en dehors de l'Etat et des pouvoirs constitués, pour faire prendre en compte leurs
valeurs ou leurs intérêts par les décideurs politiques et économiques. Les ONG, les syndicats, les associations d'usagers, les
groupements paysans, les entreprises par exemple, font en théorie partie de la société civile.

30
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la coopération entre eux, est de les considérer tous comme des personnes
juridiques égales.

Cependant, la reconnaissance de la personnalité juridique n’est pas


exclusivement étatique. D’autres institutions comme les sociétés commerciales,
les associations, les universités, les collectivités locales, les organisations
internationales, etc., ont également la personnalité juridique. Il en va autrement
de la souveraineté qui est un attribut exclusivement réservé à l’État.

§ 2.- L’État, entité juridique souveraine

Le terme État évoque immédiatement l’idée d’un pouvoir souverain. C’est


d’ailleurs dans la souveraineté que réside la caractéristique juridique essentielle
de l’État. Cependant, étant donné que cette notion de souveraineté présente une
certaine complexité, il convient d’en déterminer d’abord la signification, avant de
parler de ses principales manifestations.

A. La notion de souveraineté

La notion de souveraineté est étroitement liée à celle de l’État moderne.


Elle est d’ailleurs apparue au XVI siècle dans le cadre du processus historique de
l’édification de l’État français. Elle a été conçue par Jean Bodin en 1576, dans son
ouvrage « Les Six livres de la République », afin de justifier, d’une part, la
prédominance de la monarchie française sur la noblesse (les féodaux), d’autre
56
part, son indépendance de toute sujétion extérieure (l’Empire et la Papauté) .
Son affirmation s’opposait alors au vieux rêve de souveraineté universelle
proposée, soit par le pape à Rome, soit par l’empereur romano-germanique en
Allemagne. Cette suprématie royale, qui ne se distinguait pas de la suprématie de
l’État (« l’État, c’est moi »), pénétrera profondément toutes les institutions

56
En fait, déjà au Moyen Age. les légistes français, sous Philippe le Bel (1285-1314) et ses successeurs, dans leur
démarche pour fonder l’autorité du roi, mettent en avant la notion de souveraineté. Ils utilisent en particulier ce vieil adage :
«Le roi de France est empereur en son royaume ». Ainsi le roi est-il assuré d’être reconnu à l’intérieur comme à l’extérieur
du royaume. V https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00689320/document; TRUYOL SERRA (A), « Souveraineté », in Archives
de philosophie de droit, Vocabulaire fondamental du droit, Sirey, 1990, tome 35, page 313.

31
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publiques françaises, et influencera, par la suite, toutes les théories


contemporaines de l’État.

Cependant, si initialement la notion de souveraineté s’est présentée avec


un caractère purement politique, elle s’est transformée progressivement en une
notion juridique. Ainsi, selon la définition de Julien Laferrière (1881-1958), la
souveraineté est un « pouvoir de droit, originaire et suprême »57.

- C’est un pouvoir de droit en ce que l’État n’est pas qu’un simple


phénomène de force. L’idée d’État est liée à celle de droit, c’est-à-dire par l’idée
d’un certain type d’aménagement de la vie sociale selon des règles et des
institutions préétablies auxquelles adhèrent consciemment ou inconsciemment
les membres de la société. D’ailleurs, dans bien des cas, la structure,
l’organisation et le fonctionnement de l’État sont régis par un texte juridique écrit
appelé « la constitution ».

- C’est un pouvoir originaire (initial) en ce qu’il ne dépend d’aucun autre


pouvoir qui l’aurait institué et qui lui serait antérieur. En ce sens, l’État ne tient son
pouvoir d’aucune autre autorité que lui. Dès lors, il peut édicter des normes
juridiques sans se soucier d’autres règles extérieures à lui. A ce titre, il élabore sa
Constitution et adopte ses propres lois et règlements.

- C’est un pouvoir suprême en ce qu’il ne supporte, sur son territoire,


aucun autre pouvoir, ni supérieur ni même égal ou concurrent, sauf évidemment
les pouvoirs que l’État lui-même a reconnus, acceptés et surtout encadrés
(collectivités territoriales, établissements publics, personnes privées auxquelles
il reconnaît une mission publique). C’est en vertu de ce pouvoir que l’État peut
s’auto-organiser, c’est-à-dire qu’il a qualité de choisir lui-même, sans aucune
intervention extérieure, son régime politique, la procédure de désignation de ses
gouvernants, la répartition des pouvoirs entre eux, etc.

57 Julien Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, Domat-Montchrestien, 1947, p. 359.

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B. Les formes de manifestation de la souveraineté de l’État

La souveraineté de l’État se manifeste tant dans l’ordre interne que dans les
relations internationales. A l’intérieur, il n’y a aucun pouvoir supérieur à celui de
l’État. Autrement dit, l’État ne doit appartenir ni être subordonné à aucune classe
sociale, à aucun parti politique, ni intérêt privé. Il n’est soumis qu’à sa propre
volonté et jouit du droit exclusif d’exercer ses prérogatives étatique sans
ingérence extérieure. A l’extérieur, la souveraineté a pour effet l’indépendance de
l’État, notamment à l’égard des gouvernements étrangers. Au premier cas, il
s’agit de la souveraineté dans l’État, ou interne ; au second, de la souveraineté
internationale de l’État, dite externe.

1. La souveraineté dans l’État


Il s’agit là de l’aspect interne de la souveraineté de l’État, tourné vers la
société nationale. Sous cet angle, la souveraineté est considérée comme étant la
manifestation de la volonté de l’État. Elle signifie que celui-ci est, sur son
territoire, l’autorité suprême. Il ne reçoit d’ordre de personne et ne dépend de
personne. Il assume seul un certain nombre d’attributs (les marques de
souveraineté pour Bodin) : droits de législation et de réglementation, de justice,
de police, droit de lever les impôts ou de fixer la valeur de la monnaie, droit de
légation, droit de déclarer la guerre ou de conclure la paix ainsi que celui de
conférer la nationalité, etc.…

En conséquence, en tant que souverain, l’État exerce une compétence tout


à la fois vis-à-vis du territoire auquel il s’identifie et des personnes qui s’y
trouvent rattachées. A cet égard, la doctrine internationaliste (à laquelle on
emprunte cette analyse) distingue traditionnellement les compétences
territoriales et personnelles de l’État. Ce qui caractérise l’État, c’est donc
l’exercice solitaire de ces droits dits de puissance publique. Et selon le juriste
allemand Georg Jelinek (1851-1911), l’État a la « compétence de la compétence »

33
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58 ; formule appropriée qui souligne bien la faculté de l’État d’intervenir quand il


veut, où il veut, comme il veut.

2. La souveraineté externe de l’État


La souveraineté de l’État a aussi un aspect externe, tourné vers les autres
États, vers la société internationale. En effet, si l’on se tourne du côté du droit
international public, on dira aussi que l’État est souverain. Cela signifie que seul
l’État apparaît sur la scène internationale comme acteur principal des relations
internationales , que seul l’État est habilité à représenter, par l’intermédiaire de
ses organes propres, la collectivité nationale dont il n’est que l’agrégation ou, en
tout cas, l’expression juridique et politique59.

En droit international public, il est bien admis que la souveraineté


externe repose sur le principe de l’égalité souveraine des États, quelles que
soient leur puissance effective, leurs ressources ou leur démographie,
indépendamment des inégalités de fait qui existent entre eux. C’est un principe
un principe fondamental du droit international public qui est consacrée
explicitement dans la Charte des Nations Unies (article 1, § 2 de la Charte)60 et qui
continue de réguler la vie des États et leurs relations (bilatérales ou
multilatérales) en dépit de l’avènement de la mondialisation.61

Par ailleurs, même si les États font partie des organisations internationales
telles que l’O.N.U., les institutions spécialisées, l’Union africaine ou l’Union
européenne, c’est parce qu’ils ont exprimé leur volonté d'y participer62.
L'existence même de ces organisations dépend de leur volonté. Quant aux règles
de droit international, elles s’appliquent, encore de nos jours, à chaque État dans

58 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, I, 2005.


59 Tout Etat souverain possède ainsi la pleine capacité internationale, ce qui implique qu'il a la jouissance directe
des quatre attributs suivants : a) le jus tractatuum, ou droit de conclure des traités; b) le jus legationis, ou droit d'envoyer et
de recevoir des agents diplomatiques; c) le jus belli, ou droit de déclarer la guerre; d) le droit d'ester en justice, ou droit
d'avoir directement accès aux instances internationales, principalement la Cour internationale de justice.
60 Aux termes de ce §1 de l’article 2 de la Charte des Nations-Unies, : « L'Organisation est fondée sur le principe

de l'égalité souveraine de tous ses Membres ». V. le texte intégral : https://www.icj-cij.org › charte-des-nations-unies.


61 SERGE SUR, « À QUOI SERT LE DROIT INTERNATIONAL ? », Questions internationales, N° 49 Mai - juin 2011, La

Documentation française. V. HTTPS://WWW.VIE-PUBLIQUE.FR › PAROLE-DEXPERT › 38777-Q... Monique Chemillier-Gendreau,


« Droit international ou droit mondial ?, Dans Construire un monde ? p. 159-173, https://books.openedition.org › irmc
62 Michel Virally, « Définition et classification : approche juridique » Revue internationale des sciences sociales,

XXIX, 1, p. 61-75, https://unesdoc.unesco.org › ark: › pf0000023271_fre

34
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

la mesure où celui-ci accepte de s’y soumettre, car, en tant que souverain, l'État
n'est tenu d'obéir qu'aux seules décisions et règles internationales auxquelles il a
consenties.

Cela dit, la notion de souveraineté est irremplaçable, car elle fait saisir en
quoi l’État se différencie des autres groupements, qui eux ne peuvent faire ce
qu’ils veulent, qui sont soumis aux règles étatiques et interétatiques. Cependant,
lorsque cette souveraineté est exercée par une seule entité étatique, un
seul ensemble institutionnel, l’État est unitaire. En revanche, lorsqu’elle
est partagée entre plusieurs entités étatiques, elles-mêmes regroupées
au sein d’un même ensemble étatique, on parle d’État fédéral. Ce sont
les principales formes de l’État.

Section 3.- Les formes de l’État

Si les États ont tous les mêmes éléments constitutifs et les mêmes
caractères juridiques, leurs formes sont en fait très variées. A cet égard, on
oppose traditionnellement l’État de structure simple : l’État unitaire, à l’État de
structure complexe : l’État composé. Cependant, cette opposition a un caractère
quelque peu artificiel, car, à vrai dire, il n’existe entre eux qu’une différence de
degré et non de nature. Par ailleurs, il existe, ou il peut exister, toute une gamme
de systèmes intermédiaires. On parlera alors successivement de l’État unitaire et
de l’État fédéral.

§ 1.- L’État unitaire

L’État unitaire constitue la forme étatique la plus répandue dans le monde :


le Maroc, l’Égypte, la France, la Chine, la Pologne, la Thaïlande…sont des États
unitaires. Il correspond généralement aux situations où la nation elle-même,
comme entité sociologique, est une, car, en l’espèce, les traits communs (d’ordre
ethnique, religieux, historique, etc.…) l’emportent sur les particularités locales :
cette unité sociologique trouve son expression juridique dans l’unité du pouvoir.
Mais pour souligner l’originalité de l’État unitaire par rapport au fédéralisme, il

35
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convient de préciser d’abord qu’est-ce qu’un État unitaire avant de présenter ses
différentes modalités d’administration.

A. Définition de l’État unitaire

Un État est dit unitaire lorsqu’il n’existe qu’un seul centre d’impulsion
politique et gouvernementale et que toutes les institutions qui le constituent
forment un ensemble unique. On se trouve alors en présence d’un seul
gouvernement, d’un Parlement unique qui légifère pour l’ensemble de la
population vivant sur le territoire national. De ce fait, il n’existe qu’une seule
volonté politique qui s’impose à l’ensemble des citoyens, lesquels sont par
conséquent soumis aux mêmes lois et au même régime constitutionnel.

L’organisation administrative de l’État unitaire se présente sous une forme


pyramidale. En conséquence, tous les pouvoirs et tous les services compétents
pour prendre des décisions au niveau national, veiller à leur exécution et
contrôler leur application sont regroupés en un point central et national : la
capitale du pays. C’est donc à ce niveau central que les décisions les plus
importantes sont prises, lesquelles atteignent, par degrés successifs, l’ensemble
du territoire national et ceux qui y vivent.

Cependant, même si l’État unitaire se caractérise par une triple unité : un


seul pouvoir exécutif, un seul pouvoir législatif et une seule organisation
juridictionnelle, il y existe des pouvoirs de relais qui jouissent d’une autonomie
plus ou moins importante, tels que les communes, les provinces, les préfectures
ou les régions. Mais ces collectivités territoriales ne sont, en fait et en droit,
qu’une modalité de l’organisation administrative de l’État dont elles reçoivent
d’ailleurs leurs compétences. Elles ne remettent pas en cause le principe de
l’unité du pouvoir politique ou la souveraineté de l’État.

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B. Les différentes modalités d’organisation de l’État unitaire63

Bien que l’État unitaire ne tolère aucun partage dans l’exercice de ses
compétences, son administration est susceptible d’être aménagée suivant
différentes modalités. En effet, celle-ci peut être plus ou moins centralisée ou
décentralisée selon le droit administratif de chaque pays. Évidemment, le choix
entre ces deux solutions n’est pas une question purement technique, mais un
choix éminemment politique. C’est pourquoi il est prévu par la constitution elle-
même64, tandis que l’aménagement, qui a un caractère purement administratif,
sera fait par la loi. Ainsi, aux termes de l’article 135, al. 1 de la CM : « Les
collectivités territoriales du Royaume sont les régions, les préfectures, les provinces et
les communes » ; et suivant l’al. 4 du même article : « Toute autre collectivité territoriale
est créée par la loi, le cas échéant, en substitution d'une ou plusieurs collectivités
mentionnées à l'alinéa premier ci-dessus »

Mais, en fonction des compétences attribuées aux collectivités locales et de


la nature des contrôles effectués par le pouvoir central, l'État unitaire peut revêtir
plusieurs formes. En droit public, on recense habituellement deux modes
d'aménagement de l'État unitaire : l'État unitaire centralisé (concentré ou
déconcentré et l’État unitaire décentralisé, étant entendu que la déconcentration
peut être combinée avec la décentralisation. Le Maroc, par exemple, a opté pour
une organisation territoriale combinant ces deux modes d’organisation
administrative.

1. L’État unitaire centralisé


L’État unitaire est centralisé lorsque toutes les affaires (aussi bien
administratives que politiques) sont réglées par un pouvoir central siégeant dans
la capitale du pays. En conséquence, du point de vue juridique, il n'existe qu'une
seule personne morale de droit public : l'État lui-même. Celui-ci décide tout, au
nom de l'intérêt général et exerce seul l'ensemble des attributions publiques : il

63 L’examen détaillé de ces techniques relève du droit administratif. V. les particularités de l'organisation

administrative marocaine dans le Cours de l’Organisation administrative.


64 V. par ex. Titre IX de la Constitution marocaine : Des régions et des autres collectivités territoriales: art. 133 à 146

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n'y a pas d'autres collectivités publiques. Le principal agent de cette


centralisation est l’Administration, c’est-à-dire l’ensemble des fonctionnaires et
des bureaux de l’État, qui impose à chacun les mêmes règles et les mêmes
contraintes.

S’agissant des services extérieurs de l’Administration centrale, qui sont


répartis sur l’ensemble du territoire national, ils dépendent davantage de leurs
ministères respectifs que du gouverneur lui-même représentant de l’État dans la
province, la préfecture ou la région65. En conséquence, toutes les décisions, tant
au niveau national ou au niveau local (région, province, préfecture, commune,
etc…), sont prises par le pouvoir central (au niveau ministériel)66 et exécutées par
ses agents locaux qui ne sont que des représentants des autorités centrales .

Les chefs de services extérieurs , ainsi que les fonctionnaires (ou


« agents ») de l’État, nommés dans les circonscriptions administratives ne font
alors qu’exécuter, sous la supervision du wali de région ou du gouverneur de
la préfecture ou de la province, selon le cas, les ordres du pouvoir central et ne
prennent de décisions que sous son contrôle : ils sont insérés dans une hiérarchie
administrative unique dominée par les organes centraux de l'État. Tout le pouvoir
politique est concentré au sommet de l'État

Il est certain que cette concentration des organes de décisions et des


pouvoirs publics dans la capitale contribue à la consolidation de l’unité nationale.
Elle permet également que soient assurées la cohérence des décisions,
l’application uniforme des lois et règlements et une certaine égalité entre les
administrés. Cependant, elle a peu de chances de fonctionner sur un territoire
étendu. En outre, de nos jours, vu le nombre et la complexité des problèmes qui
se posent à l’État, il est impossible qu’un ministère ou qu’un service central puisse
prendre toutes les mesures qui s’imposent, alors que fréquemment il n’est pas au

65 Représentants de l’État, rattachés très étroitement au ministère de l’intérieur, le wali de région et


le gouverneur de la préfecture ou de la province traduisent l’emprise du pouvoir central sur tout le territoire national. Mais il
s’agit d’agent subordonnés et dépourvus de tout pouvoir de décision : il transmet les décisions.
66
Le pouvoir centrale est dirigée par le pouvoir exécutif, c'est-à-dire par le Gouvernement et à sa tête, le Premier
ministre. Selon l'article 20 de la Constitution de 1958, "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il
dispose de l'administration". Le Premier ministre, en tant que chef du Gouvernement, en est donc le responsable. On dit
que l'administration est subordonnée au Gouvernement. Elle est tenue d'appliquer les décisions prises par le pouvoir exécutif.

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fait des donnés locales qui requièrent une certaine adaptation de la règle
générale. En conséquence, la centralisation risque d’aboutir à une paralysie et à
l’inefficacité d’une machine administrative devenue incapable de résoudre tous
les problèmes dont elle doit s’occuper. Pour faire face à cette concentration du
pouvoir au niveau central, les États ont alors été conduits à instituer une nouvelle
forme d’organisation administrative : la déconcentration.

La déconcentration est une technique qui consiste à attribuer à des agents


locaux nommés par le pouvoir central, soumis à son autorité hiérarchique et
responsable devant lui (tels que par exemple, au Maroc, les walis de régions et
les gouverneurs de préfectures et de provinces, les chefs de services
extérieurs...), la compétence de prendre sur place un certain nombre de
décisions. Elle peut porter sur des objets divers et concerner les compétences
des différentes autorités centralisées. Elle vise à améliorer l’efficacité de l’action
de l’État par une division du travail entre l’administration centrale et les
fonctionnaires locaux (sous forme d’une délégation du pouvoir administratif) et
non pas à une division du pouvoir politique, comme c’est le cas dans la
décentralisation.

Bien entendu, la déconcentration ne diminue en rien le caractère centralisé


de l’État, car il ne s’agit en l’occurrence que d’une modalité de la centralisation,
c’est-à-dire d’une technique de rapprochement du pouvoir central et des
administrés. Elle ne doit pas donc être confondue avec la décentralisation. Ainsi,
au Maroc, les walis de régions et les gouverneurs de préfectures et de provinces,
aux plans régional et provincial agissent, au même titre que le directeur d’une
académie régionale de l'éducation et de la formation, au lieu et place du
ministre67.

67 En effet, aux termes de l’article 145 de la Constitution marocaine de 2011:


« Dans les collectivités territoriales, les walis de régions et les gouverneurs de préfectures et de provinces représentent
le pouvoir central.
Au nom du gouvernement, ils assurent l'application des lois, mettent en œuvre les règlements et les décisions
gouvernementaux et exercent le contrôle administratif.
Les walis et gouverneurs assistent les présidents des collectivités territoriales et notamment les présidents des Conseils
des régions dans la mise en œuvre des plans et des programmes de développement.
Sous l'autorité des ministres concernés, ils coordonnent les activités des services déconcentrés de l'administration
centrale et veillent à leur bon fonctionnement.»

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En définitive, la déconcentration apparaît comme un simple aménagement


de la centralisation. C’est donc une solution beaucoup plus technique. Son but
principal est d’améliorer l’efficacité de l’appareil gouvernemental et
administratif, et non de reconnaître des particularismes locaux. Cependant, à la
différence de la centralisation pure et simple, elle décongestionne le pouvoir
central. En outre, elle accroît utilement l’autorité des agents locaux et leur permet
de régler les questions qui se posent en tenant compte de l’optique locale.
Évidemment, la déconcentration n’exclut nullement l’institution de la
décentralisation

2. L’État unitaire décentralisé


La notion de décentralisation signifie littéralement auto-administration68.
Elle s’analyse, comme la déconcentration, en un transfert de compétences du
pouvoir central au profit des collectivités territoriales (ou des institutions
publiques). Mais, à la différence de la déconcentration, ces compétences ne sont
pas déléguées à des agents de l’État, mais à des autorités locales, élues par les
administrés, distinctes de l’État et autonomes : les collectivités locales. Ainsi, au
Maroc, les Conseils municipaux et ruraux sont des organes décentralisés parce
qu’ils sont élus par les citoyens dans chaque commune urbaine ou rurale du
Royaume.

Comme on peut le constater, l’élection constitue le critère fondamental de


la décentralisation. C’est en cela d’ailleurs que cette forme d’organisation
administrative constitue un élément important du système démocratique.
Cependant, ce critère à lui seul ne suffit pas, encore faut-il que les autorités
locales soient investies d’un véritable pouvoir de décision concernant les affaires

68 Sous sa forme la plus simple, la décentralisation consiste à transférer à la fois les compétences et la responsabilité

des fonctions publiques de l’État central à des collectivités territoriales (régions, provinces ou communes) . V. à ce sujet :
Christine Rimbault, Michel Verpeaux, Les collectivités territoriales et la décentralisation, La documentation française,
12e édition, 2021 ; Jean-Claude ZARKA, Décentralisation et collectivités territoriales, Editeur : GUALINO, 2023 ; Aubry
(F.-X.) La décentralisation contre l’État (l’État semi-centralisé) lgdj, 1992 ; Bodineau (P.) et Verpeaux (M.) Histoire de la
décentralisation puf, coll. « Que sais-je ? », n° 2741 1993. ; Diederichs (O.) et et Luben (I.) La déconcentration puf, coll.
« Que sais-je ? », n° 2954 1995 ; Luchaire (F.) et Luchaire (Y.) Le droit de la décentralisation puf, coll. « Thémis »,
1983.Turpin (D.) Droit de la décentralisation Gualino Éd., 1998.

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locales. Si l’organe élu n’a que des pouvoirs consultatifs, il n’y a pas
décentralisation.

En fait, la distinction entre décentralisation et déconcentration n’est pas


toujours évidente pour le public. Ainsi, il arrive souvent que l’on donne le nom de
décentralisation à des réformes qui sont de simples mesures de déconcentration.
Pour éviter cette confusion, on peut mentionner quatre éléments juridiques
servant à définir la décentralisation.

- L’attribution de la personnalité morale aux collectivités locales


reconnues (art 135, al 2 de la NCM); ces dernières sont donc sujets de droits et
d’obligations. Elles ont chacune un patrimoine propre, des fonctionnaires, des
biens, un budget, distincts de ceux de l’État, peuvent ester en justice, y compris
contre l’État, etc.69… D’ailleurs, il n’y a pas de décentralisation si ces collectivités
territoriales ne disposent pas de la personnalité juridique.

- L’origine démocratique des autorités locales : Les autorités administrant la


collectivité doivent être des représentants élus par cette dernière, liées à elle, et
non des agents du pouvoir central dans la circonscription territoriale, désignés
par le haut (v. art. 135 de la NCM de 2011)70. Ainsi, tous les 6 ans les citoyens
marocains sont appelés à élire directement les membres de leurs conseils
municipaux et ruraux.

- La distinction (pas toujours évidente) entre affaires nationales et locales.


Mais d’une manière générale, on considère que les affaires locales sont celles
que la loi a confiées à une collectivité territoriale : par exemple, l’urbanisme,

69 Article 141 de la NCM de 2011: « Les régions et les autres collectivités territoriales disposent de ressources

financières propres et de ressources financières affectées par l'Etat.


Tout transfert de compétences de l'Etat vers les régions et les autres collectivités territoriales doit s'accompagner d'un
transfert des ressources correspondantes ».
70 Article 135 de la NCM de 2011: « Les collectivités territoriales du Royaume sont les régions, les préfectures, les provinces

et les communes.
Elles constituent des personnes morales de droit public, qui gèrent démocratiquement leurs affaires.
Les Conseils des régions et des communes sont élus au suffrage universel direct.
Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant, en substitution d'une ou plusieurs collectivités
mentionnées à l'alinéa premier ci-dessus ».

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l’hygiène, l’alimentation en eau et en électricité, les transports, équipements et


action socioculturels, etc.

- Une certaine autonomie par rapport au pouvoir central, ce qui implique


l’existence de compétences propres au profit des autorités locales71. Cependant,
cette autonomie reste toujours limitée, car, les compétences dont ces dernières
jouissent n’existent que tant que le pouvoir central veut bien leur en reconnaître :
il peut donc les réduire, les augmenter, les modifier ou les supprimer. Par
ailleurs, ces locales autorités sont soumises à un certain contrôle étatique72 (qu’on
appelle habituellement la « tutelle »). Ce contrôle s’exerce à la fois sur les
personnes (qui peuvent être suspendues ou révoquées par le pouvoir central) et
sur leurs actes (qui peuvent être soit soumis à l’approbation préalable, soit
annulables a posteriori pour illégalité ou même parfois pour simple
inopportunité).

La décentralisation peut être technique (fonctionnelle) ou territoriale. La


décentralisation technique est le procédé qui consiste à reconnaître à un service
public déterminé une autonomie d’action et de gestion souvent nécessaire. C’est
le procédé de l’établissement public (ex. les universités et les hôpitaux). La
décentralisation territoriale est celle qui est envisagée ici. Mais si l’objet des deux
systèmes est différent, les principes de leur fonctionnement sont généralement
identiques : existence d’un patrimoine propre et de la personnalité morale,
spécialité, attache des dirigeants avec le service, contrôle de tutelle73.

Si la décentralisation trouve son fondement juridique dans la constitution, le


domaine de compétence des autorités locales et leurs structures sont définis par

71 Article 140 de la NCM de 2011: « Sur la base du principe de subsidiarité, les collectivités territoriales ont des

compétences propres, des compétences partagées avec l'Etat et celles qui leur sont transférables par ce dernier.
Les régions et les autres collectivités territoriales disposent, dans leurs domaines de compétence respectifs et dans
leur ressort territorial, d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs attributions ».
72 Article 145 de la NCM de 2011: « Dans les collectivités territoriales, les walis de régions et les gouverneurs de

préfectures et de provinces représentent le pouvoir central.


Au nom du gouvernement, ils assurent l'application des lois, mettent en œuvre les règlements et les décisions
gouvernementaux et exercent le contrôle administratif.
Les walis et gouverneurs assistent les présidents des collectivités territoriales et notamment les présidents des Conseils
des régions dans la mise en œuvre des plans et des programmes de développement.
Sous l'autorité des ministres concernés, ils coordonnent les activités des services déconcentrés de l'administration
centrale et veillent à leur bon fonctionnement ».
73 V. Cours de droit administratif

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la loi. Ainsi, au Maroc, si les différentes collectivités locales du royaume (les


régions, les préfectures, les provinces et les communes) sont prévues par l’art.
135 de la nouvelle Constitution, c’est une loi organique qui fixe l’organisation et
les attributions des communes74. Par ailleurs, cette décentralisation comporte des
degrés ainsi en France comme chez nous, elle est plus poussée pour la commune
que pour la province et la régionalisation en Espagne et en Italie est plus
développée encore.

Cela dit, la décentralisation présente de nombreux avantages. Au point de


vue politique, elle est une institution libérale qui vise à promouvoir les libertés
locales et encourager la participation des citoyens à la gestion de leurs affaires.
En outre, elle limite l’emprise du pouvoir central sur les citoyens en lui retirant
certains pouvoirs: elle est pour eux un écran contre le pouvoir. C’est pour cela
que l’idée de décentralisation est assez populaire.

La décentralisation se combine aussi avec la démocratie, elle est le


prolongement au plan local de la démocratie nationale et participe de ce qu’on
appelle « la démocratie quotidienne ». Sous cet angle, elle constitue une « école »
de démocratie, formant les citoyens à la gestion des affaires publiques, leur
donnant le sens de l’intérêt général : elle contribue à leur donner la vertu civique
nécessaire au fonctionnement des démocraties.
74 V. Art. 146 de la NCM de 2011 qui stipule :
« Une loi organique fixe notamment :
- les conditions de gestion démocratique de leurs affaires par les régions et les autres collectivités territoriales, le
nombre des membres de leurs conseils, les règles relatives à l'éligibilité, aux incompatibilités et aux cas d'interdiction du
cumul de mandats, ainsi que le régime électoral et les dispositions visant à assurer une meilleure représentation des femmes
au sein de ces conseils :
- les conditions d'exécution, par les présidents des conseils des régions et les présidents des conseils des autres
collectivités territoriales, des délibérations et des décisions desdits conseils, conformément aux dispositions de l'article 138 ;
- les conditions d'exercice par les citoyennes et les citoyens et les associations du droit de pétition prévu à l'article
139 ;
- les compétences propres, les compétences partagées avec l'Etat et celles qui sont transférées aux régions et aux
autres collectivités territoriales, prévues à l'article 140 ;
- le régime financier des régions et des autres collectivités territoriales ;
- l'origine des ressources financières des régions et des autres collectivités territoriales prévues à l'article 141 ;
- les ressources et les modalités de fonctionnement du Fonds de mise à niveau sociale et du Fonds de
solidarité interrégionale prévus à l'article 142 ;
- les conditions et les modalités de constitution des groupements visés à l'article 144 ;
- les dispositions favorisant le développement de l'intercommunalité, ainsi que les mécanismes destinés à assurer
l'adaptation de l'organisation territoriale dans ce sens ;
- les règles de gouvernance relative au bon fonctionnement de la libre administration, au contrôle de la gestion
des fonds et programmes, à l'évaluation des actions et à la reddition des comptes ».
Mais, jusqu’à maintenant, c’est la loi n°78-00 du 3 Oct. 2002 portant charte communale (B.O.21-11-02) qui précise
l’organisation et les attributions des communes

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Au point de vue administratif, la décentralisation permet de gérer les


affaires locales plus rapidement, plus efficacement. Les agents chargés de cette
gestion, c’est-à-dire les autorités locales, connaissent bien les problèmes et les
besoins de la localité. Ils sont donc mieux placés pour les prendre en main et
chercher à les résoudre.

Mais la décentralisation présente également des dangers. Il y a en effet en


risque de diminution de l’autorité du pouvoir central et la possibilité d’une
prédominance des intérêts locaux ou particuliers sur les intérêts généraux. En
outre, si la décentralisation est très poussée, l’État risque de perdre son caractère
unitaire et à devenir régional ou fédéral75.

§ 2.- Les États composés : l’État fédéral

Les États composés s’insèrent dans un mouvement d’association entre


collectivités politiques distinctes, ayant généralement des territoires contigus et
liées par une étroite communauté de culture et d’intérêts. C’est un phénomène
fort important qui vise à renforcer la solidarité de ces collectivités tout en
respectant leur particularisme. Il s’est manifesté, à diverses périodes de l’histoire,
sous des modalités diverses. Ainsi, si l’on laisse de côté les unions d’États qui ne
présentent guère qu’un intérêt historique76 et les confédérations d’États qui ont
certes joué un rôle primordial dans le processus de formation de certains États
fédéraux, mais qui ressemblent plutôt à des organisations internationales, il n’y a
guère actuellement que la forme fédérale qui relève du droit constitutionnel,
puisqu’elle comporte une répartition du pouvoir politique souverain, qui est
l’objet du droit constitutionnel. C’est donc cette forme qui sera traité ci-après.

75 Un État régional est un État unitaire décentralisé qui se rapproche de l’État fédéral, sans pour autant adopter
toutes ses caractéristiques. Il se caractérise par l’existence d’autorités régionales bénéficiant d'une certaine autonomie
politique et institutionnelle, notamment un pouvoir normatif autonome, sous le contrôle de l’État (par exemple, l'Espagne ou
l'Italie).
76
Union personnelle : situation dans laquelle 2 Etats qui, tout en restant distincts et indépendants l'un de l'autre, se
trouvent avoir le même souverain Cas: PB et Luxembourg de 1815 à 1890; Fce et ppté d'Andorre, Commonwealth: Chef
d'état Canada, Australie, New Zélande est Elizabeth II.
Union réelle : Union de deux États consistant non seulement dans l'unité de Chef d'État, mais aussi dans l'existence
d'organes communs`` (Jur. 1971). . Ex : union Austro Hongroise, Norvège et Suède.

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A. Définition de l’État fédéral

L’État fédéral est la grande forme contemporaine d’États composés77.


Historiquement, il est apparu avec la transformation de certaines confédérations
d’États en de véritables États fédéraux composé de plusieurs entités étatiques,
appelées génériquement « États fédérés » . Ce fut le cas des États-Unis
d'Amérique du Nord de 1781 à 1789, de la Confédération germanique de
1815 à 1866, de la Confédération helvétique à partir de 1815 à 1848, ...

Juridiquement, l'État fédéral est donc un groupement d’États ayant


volontairement décidé d’établir des rapports très étroits entre eux et accepté de
se soumettre à une autorité centrale ou fédérale. Il résulte le plus souvent d’une
constitution adoptée par une Assemblée constituante et ratifiée par la majorité
des États fédérés. Il a pour finalité d’unir sans les absorber, des entités étatiques
désirant préserver leur particularisme. Il réalise, pour ainsi dire, la synthèse
entre l’État unitaire et la Confédération, entre l’autonomie et la solidarité.

Cependant, à la différence de la Confédération (qui est une association


d’États indépendants qui ont, par un traité international, délégué l’exercice de
certaines de leurs compétences (défense, diplomatie, etc.) à des organismes
communs, sans pour autant donner naissance à un nouvel État superposé aux
collectivités composantes), l’État fédéral constitue un véritable État, et ce, d’un
double point de vue :
- d’abord au sens du droit international public, il est le seul État souverain
qui subsiste. Autrement dit, lui seul, à l’exclusion des États fédérées, est doté de
la personnalité juridique internationale ;
- ensuite, au sens du droit interne, l’État fédéral se dote d’une constitution
et exerce les fonctions habituelles de tout État, c’est-à-dire les fonctions
législative, exécutive et juridictionnelle. Par ailleurs, c’est cette constitution

77
V. Olivier Beaud, Théorie de la fédération, 2e éd., PUF, Paris, 2009 ; Maurice Croizat, Le fédéralisme dans les
démocraties contemporaines, 3e éd., Montchrestien, Paris 1999 ; Elizabeth Zoller, « Aspects internationaux du droit
constitutionnel : Contribution à la théorie de la fédération d'États » dans Recueil des cours de l'Académie de droit
international, Tome 294, 2002, p. 39-166 ; Thomas Fleiner-Gerster, THÉORIE GÉNÉRALE DE L’ÉTAT, Deuxième Partie.
L'État comme entité juridique, https://books.openedition.org › iheid.

45
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fédérale qui organise la répartition des compétences entre les échelons fédéral et
fédéré.

Quant aux États fédérés, unis par la constitution fédérale, ils disposent
également chacun d’une constitution qui lui est propre et exercent eux aussi les
trois fonctions. Mais, pour mieux comprendre l’organisation et le fonctionnement
des États fédéraux, il y a lieu de de répondre successivement aux trois questions
suivantes : comment apparaissent généralement les États fédéraux ? Comment
s’organisent-ils ? Et comment se répartissent-ils les compétences avec les États
membres ?

B. Le processus de formation des États fédéraux

L’État fédéral est une construction constitutionnelle qui vise à concilier les
principes d’unité et de diversité au sein d’un même espace territorial. Il résulte
généralement de processus de formation opposés (association ou dissociation).
Mais, quel que soit l’itinéraire menant au fédéralisme, celui-ci repose toujours sur
la combinaison de quelques principes d’organisation garantis par une constitution
fédérale.

1. Les modes de formation de l’État fédéral


Au vue de l’expérience du fédéralisme dans le monde contemporain, on
constate que les États fédéraux résultent soit d’un processus d’association, soit
d’un processus de dissociation.

a- Le fédéralisme par association (ou par intégration) :


Ce processus de formation des États fédéraux est une formule classique
(« l’union fait la force »). Il se réalise en deux temps :
- tout d’abord, des États indépendants, mais unis par une certaine
communauté d’intérêts, décident de créer, par un traité, une « confédération ».
Dans cette phase, la coopération entre les États concernés se développe et leurs
solidarités se resserrent.

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- ensuite, les États confédérés, convaincus des insuffisances de leur


association initiale (la Confédération), se forment en État fédéral, sur la base
d’une constitution. Chaque État membre abandonne alors une part de sa
souveraineté tout en conservant son autonomie. Ce choix est souvent dicté par
des nécessités pratiques, telles que l’existence d’une menace militaire, la volonté
de constituer un espace économique plus vaste et viable, le souci de sauvegarder
l’unité du pays dans la diversité, etc.

b- Le fédéralisme par dissociation (désagrégation) :


Ce processus de formation des États fédéraux intervient lorsqu’un État
unitaire choisit de se transformer en État fédéral, en donnant à certaines de ses
collectivités territoriales (provinces, régions, etc.), c’est-à-dire à des entités
n’ayant aucun caractère étatique, la qualité d’États fédérés. C’est le cas , par
exemple , du Canada, de l’Australie, du Nigeria, de l’Inde, du Mexique et du
Brésil. Cet éclatement est souvent provoqué sous la pression de certaines
minorités ethniques ou religieuses qui, s’estimant lésées par la politique
poursuivie par le pouvoir central, revendiquent leur autonomie, à défaut de
pouvoir recouvrer leur indépendance. On peut citer à cet égard, les exemples de
l’ex-Yougoslavie, de l’ex-URSS ou celui de la Belgique depuis juillet 1993. Cette
solution risque encore de s’étendre à des pays travaillés par des mouvements
autonomistes. Dès lors, la création d’un État fédéral devient l’alternative – moins
radicale – à la scission pure et simple de l’État en plusieurs nouvelles entités
souveraines78.

2. Le fondement juridique de l’État fédéral


Quel que soit le mode de formation de l’État fédéral, celui-ci naît
formellement d’une constitution, c’est-à-dire d’un acte juridique de droit public
interne. Élaborée par une Assemblée constituante composée de représentants
des collectivités composantes, cette constitution est généralement soumise à
l’acceptation des populations concernées. Une fois entrée en vigueur, elle

78
Christian Behrendt, Sofia Vandenbosch, « Le réaménagement de la répartition des compétences dans le
fédéralisme asymétrique belge », dans Civitas Europa 2017/1 (N° 38), pages 241 à 254 : https://www.cairn.info/revue-
civitas-europa-2017-1-page-241.htm; v. Alexis Le Quinio, « Le fédéralisme mexicain », dans Pouvoirs 2019/4 (N° 171),
pages 39 à 49, https://www.cairn.info › revue-pouvoirs-2019-4-page-39

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devient le statut de la nouvelle Fédération, s’imposant aussi bien à cette dernière


qu’aux États membres de la Fédération, appelés selon les pays cantons, États,
Länder, provinces, régions, etc. Parallèlement, ces derniers cessent d’exister au
regard du droit international et perdent une partie de leurs compétences en
matière de droit interne.

Entre autres, la constitution fédérale organise les institutions de le


Fédération, répartit les compétences entre celle-ci et les États fédérés, prévoit les
garanties juridiques concernant leur autonomie (principe d’autonomie) et les
règles leur assurant le droit de participer à l’élaboration de la politique de l’État
fédéral (principe de participation). D’autre part, le plus souvent, elle consacre
l’égalité des États fédérés entre eux, quelle que soit leur superficie, leur
population ou leur richesse, car, c’est l’affirmation de ce principe qui incite
généralement les petits États à s’associer avec les plus grands et à renoncer à
leur souveraineté internationale. C'est d’ailleurs pour toutes ces raisons que la
constitution fédérale, élaborée et promulguée collectivement par les États
fédérés, ne peut être révisée qu’avec la participation et l'assentiment de la
majorité requise de ces entités étatiques 79.

3. Les principes du fédéralisme


En dépit de leur diversité, les constructions fédérales sont toujours régies
par trois principes fondamentaux : le principe de superposition, le principe
d’autonomie et le principe de participation.

a- Le principe de superposition :
L'organisation des États fédéraux suppose toujours une superposition de
deux ordres juridiques distincts et hiérarchisés : celui de l'État fédéral qui
s’applique à l’ensemble de la population vivant sur le territoire national et celui
de chacun des États fédérés qui ne s’applique qu’à la population vivant sur le
territoire de l’État fédéré concerné. Il réalise ainsi une coexistence de deux sortes
de collectivités étatiques distinctes disposant chacune de la personnalité

79 Aux États-Unis par exemple, l’adoption d’un amendement peut être proposé soit par le congrès, chaque chambre

votant à la majorité des deux tiers, soit par une convention qui sera convoquée si les deux tiers des États le demandent. Il doit
ensuite être ratifié par les trois quarts des États, soit 38.

48
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

juridique, car les États fédérés conservent eux aussi leur propre vie politique
(avec une constitution et des institutions propres : exécutif, législatif, système
judiciaire) à côté de celle de la fédération. Toutefois, c'est la Constitution de l'État
fédéral qui assure la répartition des compétences entre les niveaux fédéral et
fédéré selon des modalités déterminées par cette même constitution avec, tout
de même, la primauté du droit fédéral dans le domaine des compétences de la
Fédération. Cette primauté est généralement assurée par l’existence d’un
contrôle de constitutionnalité des lois exercé par un organe juridictionnel doté de
la compétence nécessaire pour faire respecter la constitution et les lois fédérales
sur l’ensemble du territoire fédéral. Aux Etats-Unis par exemple, cette mission est
confiée à la Cour suprême qui a compétence d’appel tant pour les affaires
tranchées par les juridictions fédérales inférieures que pour celles décidées par
les diverses juridictions des États fédérés américaines. Et en tant que tribunal de
dernier ressort, ses jugements ne peuvent faire l'objet d'appels.

b- Le principe d’autonomie :
Suivant ce principe, chacune des composantes de l'État fédéral dispose
d'une large autonomie politique et de compétences propres qui lui sont attribuées
par la Constitution fédérale (compétences dans lesquelles l'État fédéral ou les
autres États fédérés ne peuvent intervenir). Elles sont donc autonomes dans leurs
domaines de compétence sans être pour autant des États indépendants. Il en
découle que chacun de ces États fédérés est doté d’une constitution qui fixe
l'organisation et le fonctionnement de ses institutions politiques et judiciaires.
Celles-ci sont souvent similaires à celles de l'État fédéral. Ainsi, aux États-Unis,
par exemple, chaque État fédéré est organisé selon le régime présidentiel, avec
un gouverneur élu qui détient le pouvoir exécutif, deux chambres élues qui
exercent le pouvoir législatif (la législature d'État) et un système judiciaire
comprenant la même structure pyramidale que celui de l’Union (cours de
première instance, cours d'appel et une cours suprême). Cependant, les
juridictions d’un État fédéré ne sont compétentes que pour trancher les litiges

49
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

portés devant elles conformément au droit positif propre à cet État fédéré et dans
les matières qui relèvent de sa seule compétence80.

c- Le principe de participation :
Dans un État fédéral, ce principe se traduit essentiellement par la
participation des États fédérés à la prise de décision au niveau du pouvoir central.
Cette participation s’opère par le biais de leur représentation d’abord au niveau
du pouvoir constituant (originaire ou dérivé) et, ensuite, au sein des différentes
instances fédérales chargées d’élaborer la politique de la Fédération. Il y a
notamment dans tous les États fédéraux une seconde Chambre où siègent des
représentants des États membres (le Sénat aux États-Unis, le Bundesrat en
Allemagne) .

Toutefois, dans la pratique des États fédéraux, ces principes ne sont pas
mis en vigueur de la même façon. Ils engendrent souvent une grande diversité de
solutions, témoignant par là même de l’extrême souplesse d’adaptation du
système fédéral.

C. L’organisation interne de l’État fédéral

Comme on vient de le voir, l’organisation interne de l’État fédéral est très


complexe. Elle implique toujours une superposition d’institutions politiques et de
deux ordres juridiques distincts : les institutions politiques de l’État fédéral se
superposant à celles des États fédérés et l’ordre juridique de l’État fédéral se
superposant à ceux des États fédérés, mais englobant l’ensemble du territoire
fédéral, y compris les États fédérés. Ce dualisme dans les structures fédérales
s’explique essentiellement par le fait qu’en devenant membres de la fédération,
les États fédérés maintiennent généralement leurs institutions étatiques et leurs
organisations politiques antérieures. C’est d’ailleurs ce dualisme qui différencie
les États fédéraux des États unitaires décentralisés. Ainsi, comme on le verra, à la
différence de ces derniers, le problème de répartition des compétences entre les

80 Rappelons à cet égard que dans les États fédéraux, il existe un droit positif commun (fédéral) qui s'applique à
l'ensemble des États fédérés et un droit positif propre à chaque entité de la Fédération.

50
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niveaux fédéral et fédéré se pose de manière spécifique dans les États fédéraux,
car il se pose aussi entre les niveaux fédéral et fédéré.

1. Les institutions de l’État fédéral


Comme on vient de le dire, l’État fédéral se caractérise par la
superposition d’un État central (fédéral) à l’ensemble des États fédérés, dont il est
l’agrégation. Ainsi, on y trouve des institutions centrales distinctes de celles des
unités fédérées, qui se partagent et exercent les trois pouvoirs, à savoir le pouvoir
exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

a - Le pouvoir législatif
Le pouvoir législatif fédéral est habituellement exercé sous une forme
bicamérale. L’une des chambres législatives représente la population de la
fédération dans son ensemble et dont les sièges sont répartis entre les États
membres suivant leur importance démographique respective (cas de la Chambre
des représentants aux Etats-Unis et du Bundestag en Allemagne) ; la seconde
chambre représente les États fédérés et dont les membres sont désignés au sein
de chacun de ces États (cas du Sénat américain et du Bundesrat Allemand)81. Mais
toutes les deux édictent une législation fédérale que doivent observer tous les
ressortissants des États « locaux ».

En règle générale, la chambre fédérale dispose des mêmes attributions


que l’autre chambre. Il en est ainsi dans des pays tels que la Suisse. Cependant,
en Allemagne par exemple, si la chambre fédérale (le Bundesrat) est à égalité

81
L’organisation fédérale repose sur le principe de séparation, suivant lequel les compétences législatives et
exécutives sont réparties entre deux niveaux de gouvernement, l'un central (ou fédéral), l'autre local (ou fédéré). Cette
répartition n'est pas figée une fois pour toutes, mais est susceptible de changements.
Parmi les compétences exclusives attribuées au pouvoir fédéral figurent en premier lieu les affaires étrangères, la
sécurité et la défense, les traités internationaux et la politique commerciale, la monnaie et la politique macro-économique (en
commun avec les Etats fédérés). Ces compétences ainsi que le partage des compétences sont définies par la Constitution. En
général, l'Etat fédéral n'exerce que des pouvoirs qui lui sont explicitement attribués. Les autres compétences sont soit
réservées aux Etats fédérés, soit concurrentes et exercées en commun par l'Etat fédéral et les Etats fédérés. Dans le
fédéralisme européen et en Suisse en particulier, la catégorie des compétences concurrentes est la plus vaste. Elle comprend
notamment la politique économique, la politique fiscale et les impôts, la politique du développement régional, la politique
scientifique même que le droit civil, le droit des obligations, le droit pénal et le droit commercial, la propriété intellectuelle et
le droit public du travail. A ce volet juridique s'ajoute une série de compétences dans les domaines de la protection de
l'environnement, de la santé ainsi que les polices des denrées alimentaires, du commerce et des étrangers.
La conséquence de cet état de fait est que ce que les Etats peuvent faire, la Fédération ne doit pas le faire. La même
règle s'applique aux Régions et aux pouvoirs locaux. En conséquence, lorsque les niveaux existants n'offrent pas de moyens
adéquats, il y a lieu de recourir à un centre de décision et à une mise en commun des ressources et des capacités. Le principe
de subsidiarité peut alors être mis en œuvre.

51
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avec la « Diète fédérale » (le Bundestag) pour toutes les lois ayant une incidence
sur la compétence des États membres, pour les autres lois, son opposition, qui
constitue un « veto suspensif », peut être surmontée par un nouveau vote de la
Diète dans des conditions de majorité renforcée (art. 77). De même, aux Etats-
Unis, c’est le Sénat et non la Chambre des représentants qui est compétent en
manière de ratification des traités. De ce fait, il se trouve largement associé à la
conduite de la politique étrangère menée par le président.

b- Le pouvoir exécutif
Dans un État fédéral, le chef de l’État peut-être héréditaire (Roi) ou élu,
individuel ou collégial (Présidium)82. Aux Etats-Unis, le Président est le titulaire
unique du pouvoir exécutif. Il est élu tous les quatre ans, au suffrage universel,
dans le cadre des États fédérés. Évidemment, il peut en aller autrement ailleurs.
Ainsi, en Allemagne et en Inde, ce sont les Assemblées législatives locales qui
désignent les délégués qui forment au moins la moitié du collège électoral
présidentiel.

Quant au gouvernement fédéral, embryonnaire au départ, comme dans le


Reich allemand de 1871, où il n’y avait que le chancelier, il s’est structuré et s’est
développé progressivement avec la croissance des compétences fédérales.
Ainsi, actuellement, toutes les constitutions fédérales prévoient un gouvernement
fédéral complet et partout cette pratique s’est généralisée. En outre, un corps de
fonctionnaires fédéraux a été institué et s’est multiplié pour exercer
l’administration fédérale directe, notamment dans le domaine diplomatique,
militaire, économique, douanier, fiscal.

c- Le pouvoir judiciaire :
En vertu de la théorie de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire
est, avec le pouvoir exécutif et législatif, l'un des trois pouvoirs qui sont institué et

82 Ce fut le cas en ex-URSS entre 1936 et 1990 où il y avait une présidence collégiale de l’État. Ce Présidium était

normalement composé des présidents des soviets suprêmes des quinze républiques fédérées sous l'autorité d'un président. Le
présidium disposait alors des prérogatives qui, dans les pays occidentaux, sont celles du chef de l'État : droit de grâce,
attribution de décorations. Cependant, à partir des années soixante, Léonid Brejnev, le président du présidium, eut le statut
de chef d'État.

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définis dans les constitutions nationales. Indépendant des deux autres pouvoirs, il
a pour mission principale d’administrer la justice au nom de l'État et de veiller,
grâce aux juges, à la protection des droits et libertés et de la sécurité judiciaire
des personnes et des groupes, ainsi que de l’application de la loi.

Cependant, dans l’État fédéral, le pouvoir judiciaire est partagé entre le


niveau fédéral et les entités fédérées. L’État fédéral possède ainsi ses propres
tribunaux, en particulier, une cour fédérale suprême chargée de trancher les
conflits de compétences entre niveaux fédérés et fédéral et de faire respecter,
par la Fédération et ses États membres, les dispositions de la Constitution et
celles de la loi fédérale. L’ordre juridique fédéral est donc unique et uniforme : il
s’applique à tout le territoire national et à toute la population du pays. On peut
citer, à titre d’exemples, la Cour suprême des Etats-Unis, la Cour constitutionnelle
allemande, le Tribunal fédéral suisse et la Cour d’arbitrage en Belgique.

Cependant, avec la coexistence de l’ordre juridique fédéral et des ordres


juridiques des entité fédérées, cela peut inéluctablement entraîner des
divergences d’interprétation des lois et de la Constitution fédérale entre
juridictions. C’est pour cela d’ailleurs que les constitutions fédérales prévoient
généralement l’institution d’un tribunal fédéral - autorité judiciaire suprême de la
Fédération - qui joue un rôle déterminant dans le système fédéral , car il
fonctionne comme un gardien de la légalité constitutionnelle fédérale. Dotée de
la compétence nécessaire pour faire respecter la Constitution et les lois
fédérales, il impose le respect du droit à la fois à la Fédération et à ses unités
composantes. Il participe ainsi à l’unification et à l'uniformité de la jurisprudence
dans l’ordre juridique fédéral et tend, par conséquent, à assurer une certaine
sécurité juridique avec un minimum d’égalité de statut et de traitement entre les
citoyens sur l’ensemble du territoire fédéral.

2- Les institutions des États fédérés


Bien que seul l’État fédéral soit considéré comme un État au sens du droit
international, ses unités composantes disposent également d’une structure
étatique complète, comportant tous les organes par lesquels le pouvoir étatique

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se manifeste habituellement. Elles ont ainsi leur propre constitution, leur propre
gouvernement, leur propre parlement et leur propre organisation judiciaire.

Cependant, l’administration d’un État fédéré n’a pas nécessairement la


même structure que celle d’un autre État fédéré. L’exemple le plus frappant est
celui des Etats-Unis d’Amérique composés de 50 États, disposant chacun d’un
gouvernement propre et d’affaires particulières. Par ailleurs, il n’y a pas, en
principe, de contrôle fédéral sur l’exercice de leurs compétences (exception :
l’ex-URSS), les juges fédéraux peuvent cependant leur imposer le respect des
règles fédérales.

Les États fédérés ont également leur propre constitution, librement établie
par le pouvoir constituant fédéré, librement modifiable, sous réserve du respect
de la constitution fédérale. Cependant, si chacun d’eux dispose d’une autonomie
constitutionnelle, la constitution fédérale ne leur en impose pas moins certains
principes, plus ou moins contraignants selon les États fédéraux. Aux Etats-Unis,
par exemple, la constitution fédérale (art. IV, section IV) impose aux États
membres une forme républicaine de gouvernement . Il en est de même en Suisse.
En Allemagne aussi, l’art. 28 de la « Loi fondamentale » précise dans son alinéa 1
que « l'ordre constitutionnel des Länder doit être conforme aux principes d'un État
de droit républicain, démocratique et social, au sens de la présente Loi
fondamentale ». Il y a même des constitutions fédérales qui exigent des États
membres le respect de certaines règles fondamentales concernant les droits des
citoyens. Il en est ainsi de certains amendements à la constitution américaine, en
particulier le 15e amendement de 1870.

3.- La répartition des compétences entre l’État fédéral et les États fédérés
Outre la définition des trois pouvoirs et les rapports qu'ils entretiennent
entre eux, la Constitution d’un État fédéral détermine aussi les compétences
respectives de l’État fédéral et des États fédérés selon des
principes organisationnels propres à chaque État fédéral. Cette répartition des
compétences (« qui fait quoi ») concerne aussi bien les affaires intérieures
(souveraineté interne) que les affaires extérieures de la Fédération (souveraineté

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

externe ou internationale). Mais, en dépit de la diversité des systèmes fédéraux,


la répartition constitutionnelle des compétences législatives et exécutives entre
niveaux fédéral et fédéré se réalise généralement suivant trois systèmes qui
peuvent coexister dans le même État fédéral. Il s’agit du système de la
compétence exclusive, du système de la compétence complémentaire et du
système de la compétence concurrente.

a- Le système de la compétence exclusive :


Dans ce système, la constitution fédérale énumère les matières qui sont de
la compétence du législateur fédéral; toutes celles qui ne figurent pas dans la liste
de ces matières relèvent de la compétence du législateur des États membres.
Ainsi, la Fédération a une « compétence d’attribution », les États membres une
« compétence de droit commun ». C’est la solution retenue par les Etats-Unis, la
Suisse, l’Argentine, le Venezuela...

Aux Etats-Unis par exemple, l'article 1, section 8 de la Constitution, qui


détermine les pouvoirs du Congrès, précise formellement les domaines dans
lesquels celui-ci peut légiférer au niveau fédéral. Parmi ces domaines, on peut
citer les relations internationales, la défense nationale, le commerce international
et interétatique (commerce clause) , la perception d’impôts et de taxes utiles à
l’ensemble des citoyens, la monnaie et de création de tribunaux fédéraux
subordonnés à la Cour suprême.

Quant aux prérogatives des États fédérés, elles ont été déterminées par le
Xe amendement de la Constitution Américaine, introduit en 1791 par la
Déclaration des Droits (Bill of Rights). Celui-ci dispose que « les pouvoirs qui ne
sont pas délégués aux Etats-Unis par la Constitution ni refusés par elle aux États, sont
réservés aux États respectifs ou au Peuple ». Il en découle que la compétence
législative des États fédérés est de droit commun (une compétence générale) et
celle de l’État fédéral est l’exception (une compétence d'attribution). Partant, les
États fédérés sont notamment compétents dans le domaine des droits individuels :
droit civil (droit de la famille, successions, contrats…), droit pénal (qualification
des crimes et délits, leurs sanctions), réglementation dans un but de police –
policy power – (ex. contrôle des armes, des jeux, des drogues…), etc.. Par

55
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

ailleurs, ils ont la charge de l’éducation, du maintien de l’ordre public, de


l’aménagement du territoire, de la réglementation économique et sociale, et du
contrôle des administrations locales. En conséquence, le droit fédéral en ces
matières ne dispose que d’une compétence exceptionnelle. Il s’agit là d’un
système qui joue plutôt en faveur des États membres, car l’État fédéral ne dispose
que des compétences qui lui sont attribuées formellement par la constitution.

b- Le système de la compétence complémentaire :


Dans ce système, la constitution fédérale énumère des matières dans
lesquelles le législateur fédéral fixe les principes généraux d’une législation, les
États membres légifèrent sur le détail. C’est le cas de l’Allemagne (art. 74 de la
Loi fondamentale), mais en prévoyant que le législateur fédéral garantit l’unité de
la réglementation législative, et peut statuer sur toute question d’importance
fédérale, ce qui permet d’élargir sa compétence. La présomption de compétence
joue donc ici en faveur de l’État fédéral.

c - Le système de la compétence concurrente :


Dans ce dernier système, la constitution fédérale énumère certaines
matières dans lesquelles les États membres sont compétents, tant que législateur
fédéral n’intervient pas (cas de l’Allemagne : art. 72 à74 de la Loi fondamentale).

Ainsi, comme on peut le constater, les États fédérés se voient attribuer des
compétences considérées comme moins importantes, parce que ne relevant pas
au sens strict de la souveraineté, telles que l’éducation, la santé, le travail, les
matières de droit commun. En revanche, la Fédération se réserve toujours les
domaines les plus importants tels la défense nationale, la monnaie, la nationalité,
l’économie et le commerce international, le droits de douane, la législation
relative à l’exécution de la constitution fédérale, l’organisation et le recrutement
de la fonction publique fédérale, etc.

Par ailleurs, en tant qu’entité souveraine, seul l’État fédéral dispose de la


personnalité juridique internationale en droit international public. A ce titre, il
exerce l’ensemble des compétences internationales qui se rattachent à cette

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personnalité: droit de légation (faculté de se faire représenter auprès des autres


États et des OI par des agents diplomatiques et consulaires), droit de participer
aux organisations et conférences internationales, droit de conclure des traités, de
guerre, etc.83 De même, en droit de la responsabilité internationale, les actes
illicites commis par les États fédérés en violation d’une obligation internationale
de l’État fédéral sont imputables non pas aux États fédérés, mais à l’État fédéral
lui-même, car les premiers n'étant pas souverains, ne peuvent être régis
directement par le droit international public.
.

83
Toutefois, certaines constitutions fédérales reconnaissent aux États fédérés une compétence internationale plus ou
moins étendue. En Allemagne par exemple, les États membres peuvent, dans les limites de leur compétence législative,
conclure des accords internationaux, avec l’assentiment du gouvernement fédéral (art. 32 de la Loi fondamentale). Il en va de
même en Suisse. Cependant, juridiquement, de telles exceptions procèdent du droit fédéral, c’est-à-dire du droit public
interne et non du droit international public.

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CHAPITRE II
La constitution

La notion de Constitution (avec C majuscule) est intimement lié à l’État


moderne84. Elle désigne, en droit constitutionnel, un acte juridique unilatéral
émanant du pouvoir constituant de l’État. Elle regroupe l’ensemble des règles
relatives à l’organisation et au fonctionnement de celui-ci. C’est pour cela qu’elle
est généralement considérée comme la loi fondamentale de l’État, supérieure à
toutes les autres normes juridiques formant l’ordre juridique interne.

En effet, si l’idée de constitution s’est manifestée dès l’Antiquité85, la notion


de constitution au sens formel n’a fait son apparition qu’avec la consolidation des
institutions de l’État moderne86. En effet, il fallait attendre le XVIIIe siècle pour
assister au développement d’un mouvement idéologique puissant, le
constitutionnalisme qui, pour garantir la liberté des gouvernés, revendiquait à
l’époque la limitation du pouvoir des gouvernants (monarchie absolue) au moyen
de quelques règles d’organisation judicieusement combinées87. On a appelé ces
règles « constitution », terme synonyme à cette époque d’« organisation » ou de
« structure ». D’ailleurs, c’est sous l’impulsion de ce mouvement que les
premières constitutions écrites modernes ont vu le jour, d’abord aux Etats-Unis
d’Amérique (Virginie : 1776, Constitution fédérale des États-Unis : 17 septembre

84
V. Olivier Beaud, L’histoire du concept de constitution en France. De la constitution politique à la constitution
comme statut juridique de l’État, Jus Politicum, n° 3 [https://juspoliticum.com/article/L-histoire-du-concept-de-constitution-
en-France-De-la-constitution-politique-a-la-constitution-comme-statut-juridique-de-l-Etat-140.html] ; Jean-Claude Zarka,
Droit constitutionnel et institutions politiques, Éd.Ellipses, 2018; pp. 49 à 72
85 Chez les auteurs grecs tels que : Hérodote, Platon, Aristote, chez les jurisconsultes romains tels que Caton

l’Ancien : 234-149 av . J-C., Cicéron : 106-43 av. J-C. ainsi que chez les penseurs européens du Moyen Age, tels que
Thomas d’Aquin, J. Bodin, Grotius et T. Hobbes.
86 V. Jean-François Aubert, La Constitution, son contenu, son usage, https://www.unine.ch › files ›
Bibliotheque_Aubert ; Philippe Ardant, Bertrand Mathieu, Droit constitutionnel et institutions politiques , Lgdj.fr ; M.
Duverger, Les constitutions de la France (2004) ; Pierré Caps, Stéphane. Les mutations de la notion de Constitution et le
droit constitutionnel, E-Journal www.ejournal.unam.mx/cuc/cconst10/CUC1005.pdf; http://www.juspoliticum.com/L-
histoire-du-concept-de.html;http://www.cours univ.fr/cours/licence/droit/licence-droit-droit-constitutionnel-2.html,
87
Le constitutionnalisme s’identifiait ainsi au courant de pensée politique qui a permis l’élaboration des
Constitutions comme moyen de préserver la liberté politique et d'organiser l'exercice du pouvoir politique au sein de l'État
par des règles de droit insérées dans un document juridique qualifiée de Constitution. En revanche, actuellement, il se
présente plutôt comme une doctrine qui insiste sur le rôle et la fonction de la constitution dans la hiérarchie des normes par
rapport à la loi, ainsi que sur le contrôle de constitutionnalité des lois.

58
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1787), puis en Pologne le 3 mai 1791 et en France le 3 septembre de la même


année.

Par la suite, au cours du XIXe siècle, le mouvement de rédaction des


constitutions s’est développé dans toute l’Europe (Suède : 1809, Espagne : 1812,
Belgique : 1831, Roumaine, Bulgarie, Grèce, Serbie, etc.) et au-delà, en Amérique
latine (Venezuela : 1811, Brésil : 1824)88. Au XXe siècle, ce mouvement a encore
pris de l’ampleur en s’étendant, par vagues successives, à l’ensemble de la
planète89. Ainsi, actuellement, presque tous les États ont une constitution écrite,
c’est-à-dire un acte solennel régissant l’organisation et le fonctionnement d’un
État ainsi que les modalités d’acquisition et d’exercice du pouvoir politique en
son sein.

Si, initialement, la constitution est apparue sous forme de « contrat » entre


gouvernants et gouvernés, elle est considérée actuellement comme un acte
juridique unilatéral exprimant la volonté générale de la nation. Elle fonde l’ordre
juridique de l’État, organise les pouvoirs publics, fixe les règles de leur
fonctionnement, attribue des compétences aux différents organes étatiques et
garantit les droits fondamentaux des individus. Issue de la collectivité nationale,
elle s’impose objectivement à tous : gouvernants et gouvernés. En outre, en tant
que norme suprême, toutes les autres règles de droit interne doivent s’y
conformer : lois, règlements, etc.

La constitution n’est donc pas un acte juridique ordinaire. Elle se présente


partout comme la loi fondamentale de l’État qui se situe au sommet de la
hiérarchie des normes dans l’ordre juridique interne. C’est pour cela d’ailleurs
que son adoption constitue un événement historique dans la vie des nations 90.
C’est pour cela aussi que son élaboration et sa modification obéissent souvent à

88 V. Les Amériques, des constitutions aux démocraties. Philosophie du droit des Amériques. Sous la direction de
Jean-René Garcia, Denis Rolland, Patrice Vermeren ...
89 La dernière de ces vagues est celle qui a déferlé sur le monde après 1989, c’est-à-dire avec la fin de la guerre

froide, et qui a touché, entre autres, les pays d’Europe de l’Est, d’Asie centrale et d’Afrique.
90
La Constitution des États-Unis (17 septembre 1787) est, selon ses propres termes, la « loi suprême du pays ». Elle
scelle le destin du peuple américain en proclamant das son préambule ; « Nous, Peuple des États-Unis, en vue de former une
union plus parfaite, d'établir la justice, d'assurer la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer la
prospérité générale et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous ordonnons et établissons la
présente Constitution pour les États-Unis d'Amérique ».

59
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

des procédures particulières, distinctes de celles en usage pour l’adoption des


lois ordinaires. Ainsi pour bien comprendre la nature de la constitution et sa place
dans la hiérarchie des normes, il importe alors d’examiner dans ce chapitre les
questions suivantes: la notion de constitution qui est à la base du fonctionnement
de tous les régimes politiques contemporains et qui est considérée comme la
norme suprême incontestée de l'ordre juridique interne , dont découlent toutes
les autres règles (Sect. 1), l'élaboration et la révision de la constitution (Sect. 2) et
le contrôle de la constitutionnalité des lois (Sect. 3).

Section 1.- La notion de constitution

Dans les sociétés modernes, la constitution est considérée comme étant le


statut de l’État. Elle pose les règles principales d’organisation et de
fonctionnement des pouvoirs publics et détermine les droits fondamentaux des
gouvernés. Par-là, elle limite le pouvoir de l’État, en fixant à chaque autorité
publique une sphère de compétences limitée qu’elle ne saurait outrepasser. Elle
est ainsi devenue le symbole de l’État de droit. Au niveau international, elle a
acquis une consécration universelle et, au sein des États, personne ne conteste
son importance et son utilité91.

De nos jours, le terme « constitution » se réfère principalement à un


document spécifique et précis, solennellement adopté et supérieur à tout autre.
Outre, les principes généraux relatifs à l’acquisition, à l’exercice et à la
transmission du pouvoir politique, un tel document contient habituellement deux
types de règles : celles qui régissent la structure et le fonctionnement des
pouvoirs publics et celles relatives à la création des règles de droit et aux droits
et libertés fondamentaux92. Ce sont les règles fondamentales de l’État93.

91 Ainsi, selon le Conseil constitutionnel français : « La Constitution n'a pas pour unique objet de déterminer la

forme de l'État, d'organiser les institutions et de déterminer les règles de production des normes. La Constitution est un acte
fondateur par lequel une société se constitue une identité et décide de l'ordre sociétal voulu ». v. https://www.conseil-
constitutionnel.fr › la-constitution
92 Ainsi, la Constitution marocaine de 2011, par exemple, énonce un ensemble de droits et de libertés,

couvrant 22 articles (articles 19-40), regroupés sous le titre II de la Constitution, en plus de quelques articles figurant dans le
titre Ier.
93
Essentiellement politique, le concept de constitution est devenu presque exclusivement juridique. Il désigne
aujourd’hui une norme juridique (ou un ensemble de normes), volontiers qualifiée de fondamentale, qui, dans un pays, règle
l'organisation et les rapports des pouvoirs publics et, éventuellement, détermine les principes qui régissent les relations des
gouvernants et des gouvernés . V. Carcassonne Guy, La Constitution, Paris, Points-Seuil[1996] ; Olivier Beaud, L’histoire du

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Cependant, toutes les règles constitutionnelles ne sont pas nécessairement


écrites. Ainsi, comme on le verra, la constitution britannique est essentiellement
coutumière. Par ailleurs, si certaines constitutions sont facilement modifiables,
d’autres ne peuvent l’être que conformément à une procédure spéciale. En
conséquence, la notion de constitution n’est pas aussi claire et évidente qu’il le
semble. Elle couvre en effet plusieurs sens et plusieurs formes qu’il importe de
présenter. Ainsi, pour mieux cerner cette notion, il convient de traiter
successivement la définition de la constitution (§ 1) et les différentes formes que
celle-ci peut revêtir (§ 2).

§ 1.- Définition de la constitution

En fait, le contenu et la nature des constitutions nationales, ainsi que leurs


liens avec les autres composantes de l’ordre juridique et politique interne,
diffèrent considérablement d’un pays à l’autre94. En conséquence, il n’existe pas
de définition juridique universelle et indiscutable du terme « constitution ».
Cependant, la plupart des constitutionnalistes envisagent cette définition sous
deux aspects : soit d’un point de vue formel, soit d’un point de vue matériel.
Cependant, bien que distincts, ces deux aspects sont complémentaires.

A. La définition matérielle de la Constitution

Au sens large du terme, on entend par « constitution » l’ensemble des


règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’État ainsi que les
droits et les libertés, les devoirs et les obligations des citoyens, sans
considération de leur forme écrite ou orale. En ce sens, tout État, du fait qu’il
existe, possède une constitution et un droit constitutionnel qui lui est propre. Il

concept de constitution en France, op. cit., http://juspoliticum.com › article › L-histoire-du-concept.., J.F. Aubert, La
Constitution, son contenu, son usage, op. cit., https://www.unine.ch › files ›; Pierre Brunet, Constitution, Encyclopédie
Universalis, 2007, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs.../Brunet_Constitution_Universalis_DEF.pdf; G. CORNU
(dir.), Vocabulaire juridique, , 10e Ed., PUF, 2014, p. 251; Elliot Bulmer, « Qu’est-ce qu’une constitution ? Principes et
concepts », Guide introductif à l’élaboration d’une constitution nº 1, https://www.idea.int › default › files › publications ;
Frédéric Rouvillois, Droit constitutionnel, Tome 1 - Fondements et pratiques, Édit. Flammarion, 2021, pages 119 à 201.
94 V. Constitutions du Monde en langue française, Digithèque MJP, https://mjp.univ-perp.fr › constit › constitintro

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

s’agit là du sens matériel du terme « constitution », sens qui envisage l’objet, le


contenu ou la matière des règles constitutionnelles et non pas leur forme.

En prenant en considération cet aspect, la constitution se ramène à


l’ensemble des règles les plus importantes de l’État et de la vie en société,
qu’elles soient écrites ou d’origine coutumière. Parmi ces règles, on peut
notamment citer les règles concernant la forme de l’État (unitaire ou fédéral), les
organes du pouvoir (structures, titulaires, attributions), leurs rapports mutuels ou
avec les citoyens et, au-delà, à la constitution elle-même. On peut également leur
ajouter le droit parlementaire, le droit électoral, etc. Le reste est élastique,
variable, et comprend tout ce qui peut apparaître comme essentiel au pouvoir
constituant, au cours de la vie constitutionnelle d’un pays (statut des partis
politiques, régionalisation, etc.)

B. La définition formelle de la constitution

Envisagée plus restrictivement, la constitution peut être définie comme


l’ensemble des règles relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’État qui
sont contenues dans un texte particulier, élaboré et révisé selon une procédure
spéciale, distincte de celle en usage pour l’adoption des lois ordinaires. On
s’attache donc ici au mode d’expression des règles constitutionnelles, à leur
forme, au contenant cette fois, et non plus au contenu, comme dans le cas
précédent. C’est la constitution formelle, le texte constitutionnel solennel qui,
dans l’État, porte généralement le nom de constitution. Elle est complétée, dans
certains pays comme le Maroc et la France, par des lois organiques qui traitent
indiscutablement de questions matériellement constitutionnelles95. Elle n’existe
pas dans tous les pays. La Grande-Bretagne par exemple, qui est une authentique

95 En effet, les lois organiques ont généralement pour objet de préciser l’organisation et le fonctionnement des

pouvoirs publics en application de certaines articles de la Constitution. Elles n’interviennent donc que dans les domaines et
pour les objets limitativement énumérés par la Constitution. Ainsi, au Maroc, les lois organiques (au nombre de 19) qui sont
citées dans différents articles de la Constitution de 2011, sont votées et modifiées par le Parlement dans les mêmes conditions
que les lois ordinaires. Cependant les projets et les propositions de lois organiques ne sont soumis à la délibération et au vote
de la Chambre des Représentants saisie qu'à l'issue d'un délai de dix jours après leur dépôt sur le bureau de la Chambre.
Approuvés par le Parlement, ils ne peuvent être promulguées qu'après que la Cour Constitutionnelle se soit
prononcée sur leur conformité à la Constitution (Art. 85 de la NCM de 2011).

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

démocratie, n’a pas de Constitution écrite (formelle) et dont les règles


constitutionnelles peuvent être modifiées par une simple décision du Parlement.

En sa qualité de norme suprême, la norme constitutionnelle est ici, tout à la


fois, privilégiée et protégée : privilégiée, en ce sens qu’elle est unique en son
genre ; protégée, dès lors qu’elle est hors d’atteinte des pouvoirs constitués
(gouvernement et parlement). Il en découle que le pouvoir constituant, domine et
prime le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Par ailleurs, en principe,
l’institution du contrôle de constitutionnalité des lois conforte et préserve la
suprématie de la constitution formelle.

Fréquemment, les deux aspects, matériel et formel, de la définition


coïncident. Les matières constitutionnelles étant traitées dans les formes
constitutionnelles, elles sont par conséquent énoncées dans le texte de la
constitution. Mais, tel n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu dans le cas de la
Grande Bretagne qui ne possède pas de constitution formelle, et qui continue
d’être régie presque entièrement par une constitution matérielle. De même,
certaines matières, constitutionnelles par nature, telles que le mode de scrutin, le
régime des partis politiques, figurent rarement dans le texte constitutionnel. En
revanche, on peut y trouver des dispositions qui ne relèvent pas de la matière, et
ne sont donc que formellement constitutionnelles, telles que par exemple l’article
25 bis de la constitution helvétique relatif à l’abattage du bétail ou le 21 e
amendement à la constitution des Etats-Unis qui a abrogé (le 5 décembre 1933)
le dix-huitième amendement de cette même Constitution relatif à la prohibition
des boissons alcoolisées. C'est la seule fois qu'un amendement constitutionnel est
ainsi annulé par un autre amendement de la Constitution américaine.

§ 2.- Les différentes formes de constitutions

En fait, les constitutions peuvent prendre différentes formes. Ainsi, suivant


leur mode d’élaboration, on peut distinguer les constitutions écrites et les
constitutions coutumières, et en tenant compte de la facilité avec laquelle les
règles constitutionnelles peuvent être révisées, on peut distinguer les

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constitutions rigides et les constitutions souples. Cependant, il ne faut pas


exagérer l’importance de ces distinctions, car elles sont plus complémentaires
qu’opposées.

A. La constitution écrite et la constitution coutumière

Comme on vient de le dire, en prenant en considération leur mode


d’élaboration, les constitutions peuvent être classées en deux catégories : les
constitutions coutumières et les constitutions écrites. Cette distinction doit
cependant être nuancée car, ainsi que nous le verrons, les constitutions
coutumières contiennent souvent une part d’écrits et les constitutions écrites sont
toujours complétées, modifiées ou réinterprétées par la pratique coutumière.

1- La constitution coutumière
On parle de constitution coutumière lorsque les règles régissant
l’organisation et le fonctionnement de l’État résultent d’une succession de
pratiques identiques, qui, par leur répétition sur une certaine durée, créent dans
la conscience publique le sentiment d’une obligation. Autrement dit, dans un pays
donné, les « précédents » s’accumulent et au bout d’un certain temps, on admet
qu’un tel comportement est obligatoire.

Contrairement à l’établissement d’une constitution écrite, la constitution


coutumière s’élabore donc lentement, morceau par morceau, sur un long espace
de temps. On commence par prendre une habitude, après quoi on suit une
tradition et on finit par se voir imposer le respect d’une coutume. En Grande
Bretagne par exemple, l’essentiel de la constitution s’est dégagé
progressivement de la pratique des pouvoirs publics pendant plusieurs siècles
(essentiellement entre le XIV et le XIXe siècle).

Chronologiquement, les constitutions coutumières sont apparues les


premières. En effet, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’organisation politique des
États était régie presque entièrement par la coutume. Ainsi, pendant longtemps,
le droit constitutionnel islamique a revêtu une forme essentiellement coutumière

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

reposant sur les interprétations faites par les premiers Califes du Coran et des
enseignements du prophète et la conception du pouvoir politique de chaque
dynastie régnante96. De même, sous l’Ancien Régime, notamment en France, des
lois fondamentales du Royaume qui, malgré leur appellation, n’étaient pas pour
l’essentiel des « lois » écrites, mais un ensemble de règles constitutionnelles
coutumières, provenant de traditions, d’usages et de principes respectés pendant
des générations.

En revanche, actuellement, les constitutions coutumières sont devenues


une espèce rare. Ainsi, parmi les grands États démocratiques, on ne relève guère
que le Royaume-Uni qui reste fidèle à la forme coutumière97. Certes, elle
comprend, depuis le Moyen Age, un certain nombre de textes écrits (comme la
Grande Charte de 1215 (Magna carta) imposée à Jean sans terre98, le Bill de droits
de 1689, parliament Acts de 1911 et 1949 consacrant l’effacement de la Chambre
des Lords99, l’Acte du 13 février 1985 permettant aux femmes de siéger parmi
ceux-ci, etc.)100 ; mais elle comporte essentiellement des règles nées de la
coutume et qui ne proviennent d’aucune décision législative. Par exemple,
l’obligation pour le roi de nommer Premier ministre le chef du parti majoritaire au
Parlement, l’interdiction pour le monarque de présider le Cabinet, etc.…, sont
des usages et non des lois écrites.

96 V. Hervé Bleuchot, Droit musulman. Tome 1 : Histoire, Tome 2 : Fondements, culte, droit public et mixte,
Presses universitaires d’Aix-Marseile, 2015, https://books.openedition.org › puam ; Yadh Ben Achour, « La Théorie
Constitutionnelle dans La Tradition Sunnite », 07 Feb 2005 / https://nawaat.org › 2005/02/07 › la-theorie-constituti... ;
Thierry Rambaud, « Aux confins de l’islamologie et du droit constitutionnel : quelle place pour les principes du « droit public
musulman » dans l’enseignement du droit constitutionnel ? », in Droit et religion en Europe, p. 159-170, Etudes en l’honneur
de Francis Messner, https://books.openedition.org › pus
97 V. Lord Philips of Worth Matravers, La constitution du Royaume-Uni, Cahiers du Conseil constitutionnel, Hors-

série - Colloque du Cinquantenaire, 3 novembre 2009


98 La Grande Charte ou Grande charte des libertés anglaises (Magna Carta libertatum) est un pacte imposé au

roi Jean sans Terre, le 15 juin 1215, sous la pression du haut clergé et des barons anglais qui se sont soulevés contre lui. Il
constitue le premier exemple d'un roi d'Angleterre consentant par écrit à limiter ses pouvoirs dans un document rédigé par ses
sujets. Ce pacte est d’ailleurs à la base de la Common Law anglaise, qui s'est répandue dans le monde anglophone Elle est
toujours considérée comme une source fondamentale du droit constitutionnel britannique.
99 Le Parliament Act 1911 (1 & 2 Geo. 5. c. 13) a affirmé la primauté de la Chambre des communes en limitant le

pouvoir de blocage de la Chambre des lords (le « veto suspensif »). Cette loi a été modifiée par Quant au Parliament Act
1949 (12, 13 & 14 Geo. 6. c. 103), ils ont modifié la loi précédente, en limitant le pouvoir des Lords en réduisant la durée
pendant laquelle ils peuvent retarder l'examen des Bills (projets de loi) de deux à un an.
100
Tous ces textes ne sont pas constitutionnels par leur forme, car ils ne sont inscrits dans aucun texte écrit
dénommé « Constitution », Charte, Loi fondamentale, etc. En revanche, ils sont constitutionnels par leur objet, puisqu’ils
concernent l'organisation et le fonctionnement des institutions politiques, ainsi que les droits et les libertés fondamentaux. En
outre, ils peuvent être modifiés comme n'importe quelle autre loi.

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Non codifiée dans un texte officiel, la constitution coutumière présente


l’avantage de la souplesse : la coutume se crée au fur et à mesure des besoins,
elle se modèle sur les réalités politiques. Mais, avec ce genre de constitution,
l’incertitude demeure et porte sur l’existence même de la règle. Ainsi, on peut se
demander à partir de quel moment une règle coutumière devient obligatoire. De
même, on ne sait pas avec précision si une pratique contraire constitue une
violation de la règle établie ou seulement la preuve qu’elle n’est plus obligatoire.

2. La constitution écrite
On parle de constitution écrite lorsque les règles régissant l’organisation et
le fonctionnement de l’État sont rédigées, en bonne et due forme, en un document
officiel, unique ou fragmenté (comme les lois constitutionnelles françaises de 1875
qui ont fondé la IIIe République). Précédée généralement d’une déclaration de
droits ou d’un préambule, ses dispositions sont ordonnées et divisées en parties
et sous-parties qui peuvent être nommées titres, chapitres, sections, eux-mêmes
divisés en articles et alinéas101. C’est la constitution proprement dite.

Comme nous l’avons déjà vu, les premières constitutions écrites ont vu le
jour sous l’influence du constitutionnalisme, d’abord en Amérique du Nord
(Virginie : juin 1776, Constitution fédérale : 17 septembre 1787), puis en Europe,
en tant que moyen juridique destiné à limiter le pouvoir des gouvernants et à
mettre en œuvre le principe de la séparation des pouvoirs au sein de l’État. Par la
suite, ce procédé devait se généraliser et s’étendre pratiquement au monde
entier. Ainsi, actuellement, presque tous les pays possèdent des constituions
écrites.

Par leur contenu, les constitutions écrites peuvent être brèves, ou assez
longues et diffuses. Dans les premières, les matières sont distribuées dans un
ordre logique et concernent spécialement l’organisation et le fonctionnement
politique de l’État, ainsi que les droits fondamentaux des citoyens, tous les

101
La Constitution marocaine actuelle comporte 180 articles (au lieu des 108 de l’ancien texte), agencés en 14
Titres, avec un Préambule, considérée comme étant une partie intégrante du texte constitutionnel. V. le texte intégral dans le
site officiel du Secrétariat Général du Gouvernement : http://www.sgg.gov.ma › constitution_2011_Fr

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problèmes qui ne paraissent pas statutaires ou fondamentaux sont renvoyés à des


lois organiques, à des lois ordinaires ou à des règlements. Cette formule existe
surtout en Europe. En revanche, dans les secondes, les constituants s’efforcent de
régler les questions que l’on désire soustraire à l’action du législateur ordinaire,
en raison de la défiance que celui-ci inspire. C’est pour cela qu’elles sont plus
détaillées et plus longues, comme c’est le cas pour les constituions des États
fédérés américains (non celle de l’État fédéral) et du Mexique.

La constitution écrite présente de nombreux avantages. Ainsi, par ses


qualités de rigueur et de précision, elle offre des garanties contre l’arbitraire et
l’abus de pouvoir des gouvernants : on peut dire qu’une constitution écrite est
déjà un instrument de liberté, à condition que son respect soit organisé. Rédigée
a priori, elle fournit aussi des solutions (procédures, principes à respecter) à tous
les problèmes que peuvent poser dans l’avenir l’organisation et le
fonctionnement du pouvoir étatique.

Toutefois, la distinction entre la constitution écrite et la constitution


coutumière n’est pas aussi nette et aussi catégorique que cela paraisse. En effet,
si claire et si précise qu’elle soit, une constitution écrite comporte toujours
certains points obscurs et ambigus, et c’est la coutume qui vient pour les éclaircir
en les interprétant dans tel ou tel sens. Souvent même, le rôle de celle-ci va bien
au-delà, en comblant d’éventuelles lacunes du texte constitutionnel. Cela
reviendrait finalement à réviser la constitution sans passer par la procédure
prévue à cet effet.

A. La constitution souple et la constitution rigide

La distinction entre la constitution « souple » et la constitution « rigide » est


importante et utile notamment au niveau de la modification de la constitution. Elle
est d’ailleurs fondée sur la plus ou moins grande difficulté à réaliser la révision
constitutionnelle.

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1- La constituions souple
Par constitution souple, on désigne généralement celle dont la révision
s’effectue dans les mêmes conditions et selon la même procédure que les lois
ordinaires. Autrement dit, dans ce système, il n’y a pas de suprématie de la
constitution sur les lois, même si, politiquement, la première semble être
entourée d’un plus grand respect que les dernières. Il n’existe pas non plus de
distinction entre pouvoir législatif et pouvoir constituant. Ainsi, en cas de
contradiction entre la loi et la constitution, c’est la loi la plus récente qui l’emporte
et modifie par la même occasion la constitution. Bref, ici, la Constitution apparaît
comme une loi prise dans un domaine constitutionnel, et modifiable comme telle
par le Parlement.

Parmi les exemples historiques de constitutions souples on peut citer les


chartes françaises de 1814 et de 1830 qui ne prévoyaient aucune procédure de
révision, mais qui étaient susceptibles d’être modifiées par la même voie que les
lois ordinaires, c’est-à-dire par l’accord des deux chambres et du Roi sur un
nouveau texte.

Actuellement, il est rare de rencontrer des constitutions souples. Parmi les


États qui en sont encore dotés, on peut citer la Grande-Bretagne et la Nouvelle-
Zélande où le législateur peut à tout moment modifier la constitution par le vote
d’une simple loi. Il en est de même en Chine où le droit de modifier la
Constitution revient à l’Assemblée populaire nationale qui peut le faire à la
majorité des deux tiers au moins des députés (art. 62. Al. 1 et art. 64 de la
Constitution de 1982).

2- La constitution rigide
Par constitution « rigide », on entend habituellement celle dont la
modification nécessite le recours à une procédure spéciale, plus difficile à mettre
en œuvre que celle utilisée pour l’élaboration des lois ordinaires.

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A l’heure actuelle, les constitutions rigides sont les plus répandues. Elles
sont adoptées par la plupart des États démocratiques. Il en est de même au Maroc
où la révision de la constitution émanant du Parlement suppose à la fois son
adoption par un vote à la majorité des deux-tiers des membres de chacune des
deux Chambre et son approbation par voie de référendum. Quant à la révision
émanant du Chef du Gouvernement, elle suppose à la fois sa soumission au
Conseil des ministres après délibération en Conseil de Gouvernement et son
approbation par voie de référendum (V. Titre XIII de la Constitution marocaine,
intitulé « De la révision de la Constitution », notamment les art.173 et174).

La constitution rigide s’identifie généralement à une constitution


formelle102. Mais le degré de rigidité des constitutions varie d’une constitution à
une autre selon le degré de difficulté à effectuer une révision. Ainsi, parmi les
conditions auxquelles est subordonnée cette opération constitutionnelle on peut
citer : la nécessité de faire élire une assemblée spéciale pour réviser la
constitution, la nécessité d’un référendum populaire pour approuver la révision
constitutionnelle opérée par le Parlement, la nécessité des majorités spéciales au
parlement pour voter une révision, les modalités particulières d’initiative et de
rédaction des propositions portant révision, etc. Mais, quel que soit le degré de
leur rigidité, toutes les constitutions faisant partie de cette catégorie bénéficient
d’une force juridique qui les situe à la première place dans la hiérarchie des
règles de droit, c’est-à-dire avant les lois ordinaires, ce qui justifie le contrôle de
la constitutionnalité des lois.

Section 2.- L’élaboration et la révision de la constitution

Comme on l’a déjà vu, la Constitution est formellement une norme


juridique supérieure à l'ensemble des autres normes juridiques produites et

102
En effet, d’ordinaire, les constitutions souples sont coutumières et les constitutions rigides sont écrites. Mais
cette coïncidence n’est pas toujours observée, car une constitution écrite peut être souple comme on l’a vu précédemment
dans les cas des constitutions de la Nouvelle-Zélande et la Chine populaire. Inversement, une constitution coutumière peut
être rigide : ainsi, en France, sous l’Ancien régime (avant 1789), le roi, législateur ordinaire, n’aurait pu modifier les « lois
fondamentales du Royaume » sans réunir des Etats généreux.

69
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applicables dans l'ordre juridique national103. De ce fait, elle se distingue des


autres actes juridiques en ce qu'elle est élaborée et modifiée selon une procédure
spéciale par un pouvoir doté de l’autorité suprême : il s’agit du pouvoir
constituant. Il convient alors, avant d’étudier les procédures d’élaboration et de
révision de la constitution, de savoir d’abord qu’est-ce qu’on entend par
« pouvoir constituant » en droit constitutionnel.

§ 1.- Le pouvoir constituant

La constitution étant la règle suprême, au sommet de la hiérarchie des


règles de droit interne, elle est l’œuvre d’un pouvoir souverain : il s’agit du
pouvoir constituant. Doté de la compétence constitutionnelle et placé au-dessus
des autres pouvoirs, celui-ci est qualifié à la fois pour établir une constitution et
pour la modifier en cas de besoin. A la première opération correspond le pouvoir
constituant « originaire » et à la seconde, le pouvoir constituant « dérivé ».

A. Le pouvoir constituant originaire

Le pouvoir constituant originaire est celui qui détient le droit d’élaborer la


constitution. Il dote d’une constitution un État qui n’en a pas (nouvel État : unitaire
ou fédéral) ou qui n’en a plus (en cas de changement de régime, avec ou sans
violence). Il institutionnalise alors le pouvoir politique jusque-là personnel, fonde
le nouvel ordre juridique national et pose les jalons de l’État de droit. Ses
décisions, formulées sous formes de normes constitutionnelle, sont évidemment
qualitativement supérieures aux lois et règlements pris ultérieurement par les
pouvoirs constitués, car la Constitution est considérée partout comme la règle la
plus élevée de l'ordre juridique d'un État, dont découlent toutes les autres règles.

Le pouvoir constituant originaire (ou pouvoir d’élaboration de la


constitution) n’est pas un pouvoir supplémentaire qui coexiste avec les trois
autres « pouvoirs » (législatif, exécutif et judiciaire). Il en est plutôt le promoteur,

103 Cette suprématie est en général assurée par des mécanismes de contrôle de constitutionnalité assurés soit par les
juges ordinaires, soit par un juge spécialisé, au Maroc la Cour constitutionnelle et en France le Conseil constitutionnel.

70
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

parce que c’est lui qui les institue, définit leur statut, légitime l’exercice de leurs
compétences tout en échappant totalement à leur action. Autrement dit, c’est de
sa volonté, formulée sous forme de constitution, que procèdent le statut des
pouvoirs constitués, leurs attributions, ainsi que la validité de l’ensemble des
règles de droit ultérieures qui forment, avec les dispositions de cette constitution,
le système juridique de l’État.

En conséquence, le pouvoir constituant originaire apparaît, selon G.


Burdeau, comme un « pouvoir initial, autonome et inconditionné »104. Aucun
pouvoir institutionnalisé ne lui préexiste, car il est généralement exercé en
période de vide constitutionnel. Première manifestation de la souveraineté
nationale², il se trouve donc lui-même à l’origine du nouvel ordre juridique et
politique de l’État concerné. Ainsi, lorsqu’il intervient, il n’est lié par aucune
forme juridique et par aucune procédure préétablie ; il est alors inconditionné.

Quant au bénéficiaire du pouvoir constituant originaire, il n’est jamais


défini à l’avance. Mais si l’on se réfère à l’histoire politique des différents pays, on
constate que ce pouvoir revient toujours à la force politique dominante, celle qui
est en mesure d’imposer à la société son type d’organisation politico-sociale.
Ainsi, dans les monarchies et dans les régimes dictatoriaux, ce sont généralement
les détenteurs du pouvoir politique eux-mêmes (le roi, le dictateur ou la junte :
militaire ou civile) qui exercent ce pouvoir en leur nom. En revanche, dans les
pays qui adhèrent à l’idéal démocratique, le pouvoir constituant appartient au
peuple105 qui l’exerce par la voie du suffrage universel direct (démocratie semi-
directe) ou par le biais de ses représentants (démocratie représentative). En
conséquence, le titulaire du pouvoir constituant diffère selon le degré de
démocratisation de chaque société, c’est-à-dire selon le degré de participation
du peuple et de ses représentants à l’élaboration et à l'adoption de la
Constitution.

104 Georges Burdeau, Traité de science politique, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1983, tome IV, p.175.
105
Ainsi, comme l’écrivait J.J Rousseau dans le Contrat social : « Il n’appartient qu’à ceux qui
s’associent de fixer les règles de l’association. Le peuple, soumis aux lois, doit en être l’auteur ». De même, selon Carl
Schmitt : « Le peuple, la nation reste l’origine de tout événement politique, la source de toutes les énergies qui
s’extériorisent dans des formes toujours nouvelles, qui produit de son sein des formes et des organisations toujours
nouvelles, mais qui ne soumet elle-même jamais son existence politique à une mise en forme définitive », 12).

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Cela étant dit, sur le plan juridico-politique, l’adoption de la constitution


marquera la fin du gouvernement de fait et l’avènement du gouvernement de
droit. Elle consacrera ainsi la disparition du pouvoir constituant originaire 106 et
laissera la place au pouvoir constituant dérivé.

B. Le pouvoir constituant dérivé

Le pouvoir constituant dérivé est celui qui modifie une constitution déjà en
vigueur, selon les règles posées par celle-ci. Il dérive donc de la constitution qui
le prévoit, l’organise et détermine les modalités de son fonctionnement. On
l’appelle aussi pouvoir de révision ou, encore, pouvoir constituant institué par
opposition au pouvoir constituant originaire.

Certes, le pouvoir constituant dérivé est une manifestation de la


souveraineté, au même titre que le pouvoir constituant originaire. Cependant, à la
différence de ce dernier, il est tout à la fois institué et limité. En effet, d’une part, il
est institué par la constitution qui désigne le ou les organes compétents en la
matière. D’autre part, il n’est pas entièrement libre, car il s’exerce selon les
procédures prévues par la constitution et dans les limites qu’elle a posées. En
outre, lorsqu’il agit, il doit prendre en considération deux exigences : la nécessité
d’adapter la constitution à de nouvelles réalités et le souci, malgré tout, de
préserver son identité en la protégeant contre les retouches abusives.

A la différence du détenteur du pouvoir constituant originaire, le


bénéficiaire du pouvoir constituant dérivé est déterminé à l’avance par le texte
constitutionnel en vigueur (V. art.173 et174 de la Constitution marocaine). Sa
détermination relève donc de la compétence du pouvoir constituant originaire.
Cependant, bien qu’il soit subordonné à ce dernier, on lui reconnaît une certaine
autonomie car il est également souverain. Ainsi, dans sa décision du 2 septembre
1992, relative au Traité sur l’Union européenne (Maastricht), le Conseil

106 En effet, généralement, le mandat de l’assemblée constituante cesse dès qu’elle a définitivement adopté le texte
de la Constitution.

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constitutionnel français affirme : « le pouvoir constituant est souverain ; il lui est


loisible d’abroger, de modifier ou de compléter les dispositions de valeur
constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée » 107.

§ 2.- L’élaboration de la Constitution

L’élaboration d’une constitution est une opération d’une importance


capitale pour les nations, car elle concerne l’établissement du cadre juridique de
l’État. Dès lors, on comprend pourquoi elle intervient selon une procédure
contraignante qui se caractérise par sa densité, par sa lourdeur, par des formes
solennelles plus difficiles à réunir. De ce point de vue, elle diffère complètement
du processus d’élaboration des lois ordinaires.

Si la constitution coutumière résulte de précédents concordants auxquels


les pouvoirs publics acquiescent ou se soumettent, la constitution écrite peut être
élaborée suivant différents procédés. En fonction du détenteur du pouvoir
constituant originaire ou leur degré de démocratisation, on en distingue
habituellement trois types : le mode autoritaire : l’octroi, les modes de compromis
et les modes démocratiques.

A. Le procédé autoritaire d’élaboration des constitutions : l’octroi

Dans ce cas de figure, la constitution est plus ou moins l’œuvre d’un seul
homme (le souverain, détenteur exclusif du pouvoir constituant), imposée à la
nation, avec ou sans ratification populaire. Ainsi, dans le cadre de la légitimité
monarchique, c’est le souverain qui possède la plénitude du pouvoir. Mais, à un
certain moment de son règne, il consent, spontanément ou sous la pression des
circonstances, à réglementer l’exercice de son pouvoir par une constitution qu’il
concède, octroie à ses sujets. Il en rédige lui-même le texte ou confie cette tâche
à son entourage. Promulguée, cette constitution acquiert alors une force de loi et
institue une monarchie limitée. A titre d’exemple, on citera le cas de la Charte
française du 14 juin 1814, octroyée par Louis XVIII lors de la restauration de la

107 V. Chr. n°64, p.191 : www.conseil-constitutionnel.fr › ... › Accès par date › 1992 › 92-312 DC

73
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monarchie en France108 et celui de la Constitution russe qui a été promulguée par


le Tsar Nicolas II en 1905.

Cependant, bien que la Charte octroyée soit élaborée de façon non


démocratique, son adoption représente déjà une différence par rapport au
pouvoir absolu. Elle peut même instaurer un régime démocratique109.

B. Les modes de compromis

En l’espèce, la constitution résulte généralement d’un compromis entre les


forces en présence. Elle est, comme dans le cas précédent, l’œuvre d’un seul
homme, mais ici le peuple est invité à l’approuver. Deux techniques se
présentent : le système du « pacte » et le « plébiscite ».

1- Le système du « Pacte »
Dans une époque d’équilibre des principes monarchique et démocratique,
le texte constitutionnel résulte d’un accord formel entre une assemblée proposant
et un monarque consentant, on parle alors de « pacte ». En conséquence, selon ce
système, la Constitution n’est pas, à proprement parler, l’expression de la volonté
nationale, mais résulte d’une transaction ou d’un compromis entre les forces en
présence, en l’occurrence, le monarque et les représentants de la nation. Le type
historique de ce procédé est fourni par la Charte française du 14 août 1830, votée
par les Chambres et acceptée, sans restriction ni réserve, par le roi Louis-
Philippe d’Orléans, après la révolution de 1830. Il en fut de même en Belgique,
pour la constitution de 1831.

Par certains aspects, la technique d’élaboration des constitutions


marocaines peut également rentrer dans cette catégorie. En effet, au Maroc, les
trois constitution 1962, 1970 et 1972 ont été élaborées par le Roi, mais soumises à

108 En effet, le Préambule de cette charte se termine par cet acte de volonté royale : « Nous avons volontairement et
par le libre exercice de notre autorité royale accordé et faire octroyer à nos sujets de la Charte constitutionnelle qui
suit :… », https://www.conseil-constitutionnel.fr › charte-constituti..
109
Certes, cette formule de l’octroi a été pratiquée essentiellement en Europe, au cours du XIXe siècle, dans les
régimes monarchiques. Mais elle n’a pas entièrement disparu dans le monde contemporain. En effet, dans les régimes
dictatoriaux, les constituions établies de manière autoritaire sont assez fréquentes. Certes, on n’utilise guère le terme octroi à
leur propos, mais la technique demeure la même.

74
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la ratification populaire, par voie de référendum 110. Cette procédure mixte à été
de nouveau retenue par SM le Roi Mohamed VI pour l’élaboration de la
constitution du 1er juillet 2011111. Au Maroc, le pouvoir constituant originaire se
trouve ainsi partagé entre le Roi et le peuple.

2- Le système du plébiscite (plébiscite constituant)


Dans certains circonstances (création d’un nouvel État, coup d’État,
révolution, etc.), le pouvoir exécutif rédige lui-même le texte constitutionnel, sans
aucune participation populaire. Mais pour lui donner plus d’autorité, il le soumet
à l’adhésion d’un corps électoral suggestionné, dans une ambiance assez
particulière. Autrement dit, gouverné d’une manière autoritaire, le peuple sera
simplement appelé à se prononcer par oui ou par non sur le texte constitutionnel
en l’absence de toute discussion véritable sur le fond et sans aucune possibilité
d’amendement.

Certes, cette méthode répond parfaitement au principe démocratique


puisqu’il y a bien une intervention du peuple dans l’opération constituante. Mais,
en raison des pressions électorales exercées sur le corps électoral par le pouvoir
en place, la constitution est plus imposée que consentie. Le référendum se
transforme alors en plébiscite112, et derrière la question posée, le chef de
l’exécutif cherche en fait à obtenir la confiance pour sa personne et tous les
moyens de l’État sont mobilisés en sa faveur. C’est de cette façon qu’ont été
établis les premier et second Empires en France (par les Napoléon Ier et III en

110
Feu le Roi Hassan II a d’ailleurs clairement évoqué ce procédé dans son discours du trône du 3 mars 1995 en
disant : « Le grand pas que nous avons accompli en ta faveur, a été, cher peuple, d’engager, aussitôt que Nous avons pris en
charge Notre mission, le Maroc sur la voie de la démocratie, symbolisée par la monarchie constitutionnelle, par
l’élaboration d’une constitution que Nous n’avons pas voulu octroyée et que Nous avons plutôt soumise à référendum pour
que le peuple l’approuve librement ».
111
Ainsi, suite aux manifestations du mouvement du 20 février 2011, SM le Roi Mohammed VI a rappelé dans son
discours du 9 mars 2011 (dans lequel il a annoncé une réforme de la constitution) que: « La sacralité de nos constantes qui
font l'objet d'une unanimité nationale, à savoir l'Islam en tant que religion de l'Etat garant de la liberté du culte, ainsi que la
commanderie des croyants, le régime monarchique, l'unité nationale, l'intégrité territoriale et le choix démocratique, nous
apporte un gage et un socle solides pour bâtir un compromis historique ayant la force d'un nouveau pacte entre le Trône et le
peuple ». Il en fût de même, dans son discours du vendredi 17 juin 2011 sur la réforme constitutionnelle, en déclarant :
« Cher peuple. Je M'adresse à toi pour renouveler notre pacte par une nouvelle Constitution qui représente un tournant
historique et déterminant dans le processus de parachèvement de la construction de l'Etat de droit et des institutions
démocratiques ». Rédigé par la commission de la révision constitutionnelle dont les membres étaient nommés par SM le Roi
lui-même, le projet de la nouvelle constitution a été soumis à référendum le 1er juillet 2011. Approuvée par 97,58 % de votes
positifs de près de 75 % des inscrits sur les listes électorales, la nouvelle constitution est promulguée par Dahir le 29 juillet de
la même année.
112
Le plébiscite est une consultation populaire par laquelle le chef de l’Etat demande aux électeurs de répondre par oui ou par non
à un texte proposé dans le but de lui manifester leur confiance.

75
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1799 et en 1852) ainsi que la plupart des constitutions établissant des régimes
autoritaires à habillage démocratique. C’est d’ailleurs pour cela que le plébiscite
est devenu très suspect aux yeux des démocrates.

C. Les procédés démocratiques d’élaboration des constitutions

Dans une société démocratique, le principe est que la souveraineté réside


dans le peuple. Dès lors, c’est à ce dernier qu’il appartient d’exercer le pouvoir
constituant originaire, soit de façon indirecte par l’intermédiaire d’une assemblée
représentative (Assemblée constituante, Assemblée populaire ou Parlement), soit
directement par référendum. Selon le cas, ces deux procédés peuvent être
utilisés alternativement ou cumulativement. Mais, pour la commodité de l’exposé,
nous parlerons ici des deux formules : l’intervention de l’Assemblée constituante
souveraine et l’intervention combinée de l’Assemblée constituante et du peuple
par voie de référendum.

1- L’intervention de l’Assemblée constituante souveraine


Partant de l’idée que la souveraineté appartient à la nation, le peuple est
invité par le pouvoir en place à élire une Assemblée constituante (appelée
également Convention) ayant pour tâche de rédiger le texte de la Constitution et
de l’adopter d’une manière définitive113. En d’autres termes, on est en présence
d’une assemblée qui maîtrise l’ensemble de l’opération constituante. Ainsi, elle
ne se contente pas uniquement de discuter les différentes propositions,
d’élaborer le texte constitutionnel et de l’adopter à la majorité requise, mais elle
confère également à ce texte sa valeur obligatoire. Dans cette hypothèse, la
Constitution entre donc en vigueur sans avoir besoin d’une ratification populaire
(référendum), car cette ratification étant déjà impliquée (contenue) dans
l’élection des représentants à ladite Assemblée constituante. C’est en ce sens
qu’elle est souveraine.

113
Le mode de fonctionnement d’une telle assemblée ressemble le plus souvent à celui des assemblées
parlementaires classiques : des commissions spécialisées étudient des propositions qui sont ensuite discutées et adoptées en
séance plénière. Une fois le texte de la constitution définitivement adopté, l’Assemblée constituante cesse normalement
d’exister.

76
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Cette technique, inspirée des États-Unis, où les 13 colonies établirent selon


cette forme leur Constitution de 1787 (élaborée par la Convention de
Philadelphie), a été fréquemment utilisée dans le passé. Ainsi, en France, elle a
été retenu à plusieurs reprises114. La constitution allemande de Weimar de
1919115, les constitutions tunisiennes de 1959 et de 2014116 ainsi que celle de la
Grèce de 1975 furent également établies selon cette procédure117.

Certes, cette formule d’élaboration des constitutions est fondamentalement


démocratique puisqu’elle réalise la participation du peuple à la définition de son
régime politique par l’intermédiaire de ses représentants. Elle permet
également, en principe, une large discussion des dispositions constitutionnelles.
Elle présente cependant le risque que les représentants à l’Assemblée
constituante, espérant être réélus dans les futures assemblées instituées par la
Constitution, prévoient au profit de celles-ci des prérogatives trop importantes.
Mais, de nos jours, il est rare qu’une constitution soit mise en vigueur sans avoir
été soumise au suffrage populaire.

2- L’intervention combinée de l’Assemblée constituante et du peuple


A la différence de la solution précédente, celle-ci comporte deux phases :
tout d’abord, l’Assemblée constituante prépare un projet de constitution, ensuite,
ce projet est soumis à l’approbation du peuple, au moyen du référendum. Dans
cette hypothèse, le rôle de l’Assemblée constituante est donc plus technique que
politique, car le texte constitutionnel ainsi rédigé ne peut acquérir sa force
juridique qu’après avoir été ratifié explicitement par le peuple. Cette technique a

114
Il s’agit de l’élaboration et de l’adoption des constitutions du 3 septembre 1791 et du 4 novembre 1848. Il en fut
de même pour l’adoption des lois constitutionnelles des 24 et 25 février et 16 juillet 1875
115 La république de Weimar (en allemand : Weimarer Republik) est le nom donné par les historiens au régime

politique mis en place en Allemagne de 1918 à 1933, du fait que la constitution de cette république fut élaborée et adoptée
par l’Assemblée nationale constituante allemande le 11août 1919, dans le théâtre de Weimar (ville de Goethe et Schiller) qui
se situe dans le land de Thuringe (en allemand Thüringen).
116 En effet, il est précisé dans le Préambule de cette Constitution : « Nous, représentants du peuple tunisien,

membres de l’Assemblée nationale constituante ; » …« Au nom du Peuple, nous édictons, par la grâce de Dieu, la présente
Constitution ».
117
Les assemblées constituantes sont généralement maîtresse de leur procédure puisque, par hypothèse, elles ne
sont liées par aucune norme antérieure. Certes, elles ont pour mission principale de rédiger un texte constitutionnel, mais
elles peuvent aussi assurer simultanément le travail législatif habituel des assemblées parlementaires et contrôler le
gouvernement. D’ailleurs, leur travail est le plus souvent organisé sur le même mode que celui de ces dernières : des
commissions spécialisées étudient des propositions qui sont ensuite discutées et adoptées en séance plénière.

77
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été introduite en France en 1793, sous l’influence de J. J. Rousseau, puis réitérée


en l’an III (1875) et en 1946. La Constitution algérienne de 1964 a été également
adoptée selon cette procédure.

Évidemment, ce mode d’élaboration des constitutions semble être le plus


démocratique. En l’espèce, le peuple exerce en effet son pouvoir constituant
doublement, d’abord au niveau de l’élaboration du texte constitutionnel par
l’intermédiaire de ses représentants, ensuite, au niveau de l’adoption définitive
de ce texte, par référendum. Il participe ainsi à tous les stades du processus
décisionnel, le texte constitutionnel ne devenant valable qu’avec son approbation
explicite. Toutefois, ce système présente cet inconvénient de multiplier les
consultations populaires en un laps de temps relativement court, ce qui peut
lasser le corps électoral.

A noter également que, parfois, c’est le parlement qui adopte la nouvelle


constitution. C’est ainsi que la Constitution chinoise du 4 décembre 1982 a été
adoptée à l’unanimité par l’Assemblée populaire nationale. Parfois encore, il
délègue son pouvoir de rédiger la constitution à un autre organe étatique. Ainsi,
en juin 1958, le Parlement français a du transférer par la loi constitutionnelle du 3
juin 1958 au Gouvernement du général de Gaulle le pouvoir de rédiger une
nouvelle Constitution tout en précisant les conditions de fond et de procédure à
respecter, y compris l’adoption du texte par référendum.

Cela dit, quel que soit son mode d’élaboration, une constitution doit
pouvoir être modifiée si les circonstances et l’évolution politique, économique,
sociale et culturelle de la société l’exigent, de même que si la volonté des
gouvernants ou les sentiments des gouvernés y poussent. En effet, de nos jours, la
constitution n’est plus considérée comme un texte sacré et intangible. Bien au
contraire, « Les constitutions sont matière vivante : elles naissent, vivent,
subissent les déformations de la vie politique, sont l'objet de révisions plus ou
moins importantes, et peuvent disparaître ».118

118 Pierre Pactet, Institutions politiques - Droit constitutionnel, Paris, Masson, 1991, p.69.
78
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§ 3. La révision de la constitution

Aussi détaillée et parfaite soit-elle, une constitution ne peut pas tout


prévoir. En outre, en tant qu’œuvre humaine établie en fonction d’une certaine
situation politique et sociale, elle ne peut résister indéfiniment à l’évolution de la
société et à l’usure du temps. En conséquence, il arrive un moment où il faudra lui
apporter les compléments, les adaptations et les modifications qui s’imposent. Par
ailleurs, en tant que souverain, le peuple ne peut renoncer à son droit de modifier
ou de changer la constitution. A cet égard, la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1793 affirme dans son article 28 : « Un peuple a toujours le droit de
revoir, réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à
ses lois les générations futures ».

Au sens juridique du terme, la révision de la constitution est une opération


qui consiste à corriger le texte constitutionnel en vigueur, par suppression,
adjonction ou modification, sans bouleverser son schéma général. Elle intervient
afin d’adapter la constitution aux réalités que le constituant a pu ignorer ou au
changement de circonstances politiques. Mais, quel que soit le mobile de son
déclenchement, elle suppose que les nouvelles lois constitutionnelles soient
élaborées suivant les règles et procédures prévues à cet effet dans la constitution.
Il s’agit d’une manifestation du pouvoir Constituant dérivé et non de celle du
pouvoir constituant originaire119.

En fait, le problème de révision ne se pose pas de la même façon pour


toutes les constitutions. Ainsi, concernant la constitution coutumière, il n’y a pas
de différence de procédure entre adoption et révision. De même, comme on l’a
déjà vu, les constitutions souples se modifient aisément, selon la procédure
législative normale. En revanche, s’agissant des constitutions rigides, la révision
doit s’effectuer suivant une procédure bien particulière et dans les limites fixées

119 La constitution marocaine du 1er mars 1972 a, par exemple , subi plusieurs révisions, toutes émanant du Roi et

approuvées par des référendums constitutionnels : le 23 mai 1980, le 30 mai 1980, le 31 août 1984, le 1er décembre 1989, le
4 septembre 1992, le 13 septembre 1996.

79
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par chaque constitution. C’est de cette révision qu’il sera question ci-après et que
nous essayerons d’élucider en envisageant trois questions :
- Qui a l’initiative de la révision ?
- Comment la révision peut-elle intervenir ? (Procédure)
- Sur quoi la révision peut-elle porter ? (Objet, limites du pouvoir de
révision).

A. L’initiative de la révision

Il s’agit de savoir qui a compétence pour proposer une révision de la


constitution. En examinant les diverses constitutions nationales, on constate qu’il
existe en la matière une grande diversité de solutions. Mais, d’une manière
générale, ces constitutions attribuent le pouvoir de révision, exclusivement ou
concurremment, à trois instances : l’exécutif, le Parlement et le peuple. Toutefois,
pour ne pas abuser de l’exercice de ce pouvoir ou le bloquer au sujet d’une
adaptation ou d’une modification pourtant nécessaire, il est préférable qu’une
seule autorité n’en ait pas le monopole120.

1- L’initiative exclusive
Selon le cas, l’initiative exclusive peut être le fait soit du pouvoir exécutif,
soit du pouvoir législatif, soit du peuple. Évidemment, l’attribution de ce droit
d’initiative n’est pas neutre. En effet, en confiant cette faculté à un seul organe, le
constituant vise par-là à assurer la prééminence du bénéficiaire vis-à-vis des
autres acteurs politiques, position lui permettant d’exercer une grande influence
dans la vie politique du pays.

- L’initiative exclusive du pouvoir exécutif : celle-ci existe dans les régimes


qui consacrent la prépondérance au pouvoir exécutif, Ainsi en était-il des
Constitutions impériales en France : celle de 1802 (l’an X) réservait l’initiative de
la révision au seul Gouvernement (avec un rôle direct de l’Empereur), celle de

120
Il convient de noter à cet égard que lorsque l’initiative de la révision provient du pouvoir exécutif, on parle de
projets de révision (projet de loi constitutionnelle en France), et lorsqu’elle provient du pouvoir législatif, on parle de
propositions de révision (proposition de loi constitutionnelle en France).

80
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1852 la réservait au Sénat (dont les membres étaient nommés) agissant avec le
consentement de l’Empereur. De même, la Constitution marocaine de 1970, dans
son article 97 accordait au Roi l’initiative exclusive de la révision121.

- L’initiative exclusive du pouvoir législatif : dans certains pays, le


parlement peut également se voir reconnaître l’exclusivité de l’initiative de la
révision. Cette solution se rencontre soit dans les régimes qui se méfient du
pouvoir exécutif, soit dans les systèmes de séparation rigide des pouvoirs. C’est
le cas, par exemple, des constitutions françaises de 1791 (Titre VII, art. 2), 1795
(art. 336), 1848 (art. 111) et de la constitution des Etats-Unis de 1787, qui prévoit
dans son Article V que : « Les amendements peuvent être proposés soit par le
Congrès, chaque chambre votant à la majorité des deux tiers, soit par une
convention qui sera convoquée si les deux tiers des États le demandent. Ils doivent
ensuite être ratifiés par les trois quarts des États »122.

Cependant, l’expérience montre qu’il est très difficile qu’une proposition


de révision constitutionnelle émanant des membres du Parlement aboutisse si
elle n’a pas l’acquiescement du gouvernement.

- Enfin, l’initiative de la révision est parfois conférée au peuple lui-même. Il


en est ainsi, par exemple, en Suisse et dans certains États fédérés d’Amérique du
Nord. La procédure s’ouvre alors par une pétition, portant un nombre minimum
de signatures prévu par la constitution, qui oblige le pouvoir législatif à examiner
le projet de révision ou à le soumettre au référendum. En Suisse par exemple, la
pétition doit recueillir 100 000 signatures pour que les Assemblées de la
Confédération soient tenues d’en délibérer et de consulter le peuple à son sujet.

121 En effet, selon l’art. 97 : « L'initiative de la révision de la Constitution appartient au Roi ».


122 En tant que constitution rigide, la constitution américaine ne peut donc être modifiée que de deux façons : on
parle dans cette hypothèse d'amendement et non de révision constitutionnelle. La première consiste en une initiative du
Congrès, qui est la réunion des deux chambres, à la majorité des deux tiers. La seconde concerne une initiative des
législatures des deux tiers des Etats par une convention spécialement élue à cet effet. Dans les deux cas, les amendements
adoptés doivent être ratifié par les trois quarts des Etats. Il faut aussi préciser que, jusqu’à maintenant, seule la première voie
a été utilisée et que 27 amendements ont été adoptés.

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2. L’initiative partagée

De nos jours, la plupart des constitutions reconnaissent le droit d’initiative à


la fois au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif123. Cette compétence
concurrente est une caractéristique des régimes qui assurent un certain équilibre
entre le pouvoir exécutif et la représentation populaire. Elle est inscrite dans de
nombreuses constitutions européennes et africaines. Ainsi en est-il en France124,
en Allemagne, en Italie, en Belgique, etc… De même, au Maroc : « L'initiative de la
révision de la Constitution appartient au Roi, au Chef du Gouvernement, à la
Chambre des Représentants et à la Chambre des Conseillers » (article 172 de la
Constitution marocaine)125.

B. La procédure de révision des constitutions

Comment se déroule la révision de la constitution ? Là aussi, en l’absence


de règles générales uniformes, il existe une multitude de solutions. Mais quelles
que soient les particularités de la procédure retenue (élection d’une assemblée
spéciale de révision, réunion des deux chambres, nécessité d’un référendum
populaire, nécessite de majorités spéciales au Parlement, etc…), elle comporte
généralement deux grandes phases : l’élaboration du texte de la révision et son
adoption définitive par l’autorité ou les autorités compétentes.

1. L’élaboration du texte de la révision


Suivant le cas, l’élaboration du texte de la révision peut être confiée soit à
une assemblée réunie spécialement à cette fin (assemblée constituante ad hoc ou
convention) soit au pouvoir exécutif, soit encore au pouvoir législatif.

123
Il faut rappeler à cet égard que la constitution de 1962 consacrait le partage de l’initiative entre le Premier
ministre et le Parlement (art. 104)
art. 105 : « Les projets de révision sont arrêtés au Conseil des ministres et font l’objet de délibération des deux
chambres ».
art. 106 : Les propositions sont adoptées dans chaque chambre à la majorité absolue des membres les composant.
art. 107 : Soumission des projets et propositions au référendum »
124 Selon l’article 89 de la Constitution française du 4 octobre 1958, la révision de la Constitution peut avoir lieu soit à

l’initiative du Président de la République (sur proposition du Premier ministre), soit à l’initiative du Parlement. Elle présente
la caractéristique de requérir l’existence d’un consensus au sein de l’exécutif et l’accord des deux assemblées. L’opposition
du Président de la République, du Premier ministre ou de l’une des deux assemblées suffirait, en effet, à empêcher la révision
d’aboutir. Depuis son entrée en vigueur, cette procédure a abouti à vingt-deux reprises, toujours sous forme de projet de loi
constitutionnelle.
125 En revanche, dans la Constitution révisée de 1996, l’initiative de la révision de la Constitution n’appartenait qu’au

Roi et à la Chambre des Représentants et à la chambre des conseillers (art. 103)

82
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a- L’élaboration du texte par une convention


Il s’agit, en l’espèce, de convoquer une assemblée constituante spéciale
qui a pour seule mission de mener à bien la révision de la constitution. De nos
jours, cette modalité, lourde à manier, existe notamment aux Etats-Unis. En effet,
selon l’article V de la Constitution fédérale, la révision peut être effectuée soit par
une Convention spécialement élue à cet effet, soit par le Congrès (Chambre de
représentants et Sénat) à la majorité des deux tiers126. En fait, c’est cette seconde
formule qui a toujours été employée.

b- L’élaboration du texte par le pouvoir exécutif


Dans certains pays, l’élaboration du projet de révision relève de la
compétence du pouvoir exécutif. Ainsi, au Maroc par exemple, dans la
constitution actuelle (comme dans la constitution révisée de 1996/art. 103), le Roi
peut (sans passer par le Parlement) soumettre directement au référendum le
projet de révision dont il prend l’initiative (art. 172, al 2 ). En conséquence, il lui
revient de rédiger lui-même le texte de l’amendement, sans être tenu de
consulter une autre autorité politique. Œuvre personnelle du Roi, il est soumis
directement au verdict populaire. Le Roi peut aussi, et c’est une innovation de la
Constitution de 2011, « soumettre par dahir au Parlement un projet de révision de
certaines dispositions de la Constitution », « après avoir consulté le Président de la
Cour constitutionnelle » ; sachant que c’est le Règlement de la Chambre des
Représentants qui fixe les modalités d'application de cette disposition (Art. 174
de la NCM de 2011).

Quant à la proposition de révision émanant du Chef du Gouvernement, elle


doit être soumise au Conseil des ministres, après délibération en Conseil du
gouvernement (art.173 de la Constitution marocaine de 2011). Ce qui signifie que,
suivant cette procédure, le Roi conserve en la matière un droit de veto sur les

126 L'Article V de la Constitution des États-Unis décrit ainsi comment la constitution peut être modifiée : « Le
Congrès, quand les deux tiers des deux Chambres l'estimeront nécessaire, proposera des amendements à la présente
Constitution ou, sur la demande des législatures des deux tiers des États, convoquera une convention pour en proposer ;
dans l'un et l'autre cas, ces amendements seront valides à tous égards comme faisant partie intégrante de la présente
Constitution, lorsqu'ils auront été ratifiés par les législatures des trois quarts des États, ou par des conventions dans les trois
quarts d'entre eux, selon que l'un ou l'autre mode de ratification aura été proposé par le Congrès. Sous réserve que nul
amendement qui serait adopté avant l'année mil huit cent huit ne puisse en aucune façon affecter la première et la quatrième
clause de la neuvième section de l'Article premier, et qu'aucun État ne soit, sans son consentement, privé de l'égalité de
suffrage au Sénat. »

83
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propositions de révision émanant du chef du gouvernement, puisqu’elles sont


soumises, selon l’article 173, alinéa 3, au Conseil des ministres présidé par le Roi.

c- L’élaboration du texte constitutionnel par le pouvoir législatif


Actuellement, l’élaboration des amendements constitutionnels relève
fréquemment de la compétence des assemblées législatives ordinaires. Mais, en
raison de la rigidité de la constitution, cette opération constituante implique une
procédure particulière ou certaines formes particulières. Ainsi, en France, depuis
la IIIe République, les assemblées parlementaires ordinaires discutent, élaborent
et votent la proposition ou le projet de révision constitutionnelle selon une
procédure législative aménagée. Celle-ci consiste à réunir momentanément les
assemblées qui, habituellement, siègent séparément : Assemblée nationale sous
la IIIe République, Congrès du Parlement sous la Ve République127.

De même, au Maroc, la proposition de révision émanant d’un ou de


plusieurs membres de l’une des deux Chambres (chambre des Représentants ou
celle des conseillers) ne peut être adoptée que si elle est approuvée (en termes
identiques) respectivement par un vote à la majorité des 2/3 des membres de
chacune des deux chambres (celle dont émane la proposition et l’autre chambre)
(art.173, al. 1 et 2 de la Constitution marocaine)128.

2. L’adoption définitive de la loi constitutionnelle


Une fois rédigés, les projets comme les propositions de révision sont
généralement adoptés selon des procédures empreintes d’une certaine solennité.
Parmi ces procédures, il y en a deux qui retiennent l’attention :

127 Il en est de même en Belgique, car ce sont les deux chambres législatives qui sont qualifiées pour la révision, mais

elles doivent être, au préalable, renouvelées et la révision acquise à la majorité des deux tiers. La Constitution grecque de
1975 organise également à la majorité absolue ou des trois cinquièmes de ses membres, selon que la proposition de révision a
été ou non adoptée à la majorité des trois cinquièmes de ses membres.
128 En effet, aux termes de cet article : « La proposition de révision émanant d'un ou de plusieurs membres d'une des

deux Chambres du Parlement ne peut être adoptée que par un vote à la majorité des deux tiers des membres la composant.
Cette proposition est soumise à l'autre Chambre qui l'adopte à la même majorité des deux tiers des membres la
composant.»
Ici aussi, le monarque peut exercer son droit de veto dans la mesure où les propositions adoptées par le parlement (les
propositions de révision, parlementaires ou gouvernementales, devant en toute hypothèse être soumises au référendum) et ne
pouvant l’être que par dahir. Ce dernier, comme le précise expressément l’article 42, alinéa 2, demeure un pouvoir propre,
non soumis au contreseing, et donc, une compétence discrétionnaire du roi, qui, par suite, n’est pas obligé de soumettre
lesdites propositions au peuple.

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

a- La première technique :
Elle consiste à soumettre la proposition ou le projet de révision à
l’approbation du peuple par référendum129. Celui-ci peut être obligatoire ou
facultatif. En Suisse par exemple, toute révision de la Constitution fédérale (du 29
mai 1874) est nécessairement soumise à votation populaire. Il en fut de même au
Maroc dans les constitutions précédentes où le recours au référendum était
obligatoire dans tous les cas. Il en découle que, suivant cette technique, la
révision constitutionnelle n’est considérée comme définitive qu’après avoir été
adoptée par voie de référendum (art.174 de la Constitution marocaine).

b- La deuxième technique :
C’est celle qui distingue entre le projet et la proposition de révision. C’est
la solution retenue en France par l’article 89 de la Constitution de 1958. Ainsi, en
vertu de cet article, lorsqu’il s’agit d’une proposition, le référendum n’intervient
qu’après le vote, dans les mêmes termes, par les deux assemblées, du texte de
révision proposé et la révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par
référendum. En revanche, lorsqu’on est en présence d’un projet de révision, le
recours au peuple peut être évité si le Chef de l’État décide de soumettre ce
projet au Parlement convoqué en Congrès, et dans ce cas, le projet de révision
doit être approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés 130.
La constitution marocaine de 2011 a retenu le même procédé, néanmoins dans la
procédure parlementaire réservée au Roi, le Parlement, convoqué par ce dernier
en Chambres réunies, doit approuver le projet de révision royal à la majorité des
deux tiers des membres (v. art. 174, al. 3 et 4 de la Constitution marocaine). Il en
découle que les révisions initiées par le Roi peuvent être approuvées, comme en
France (3/5), par référendum ou par la majorité des deux tiers des membres

129 Le référendum est une procédure exceptionnelle par laquelle les citoyens sont appelés à se prononcer directement

par un vote sur un projet de loi organique ou ordinaire ou sur un projet de révision de la Constitution en répondant à une
question posée par "oui" ou par "non". C'est un instrument de “démocratie directe”.
130 Le Congrès, dont le Bureau est celui de l’Assemblée nationale, se réunit à Versailles sur convocation par décret du

Président de la République soumis à contreseing. Ayant pour seule mission d’approuver le texte adopté par les deux
assemblées, en lieu et place du peuple souverain, il ne peut évidemment le modifier. Ses débats sont donc limités à une
explication de vote présentée par chaque groupe politique de l’Assemblée et du Sénat. Puis intervient le vote qui a lieu soit
par appel nominal à la tribune soit, depuis la modification du Règlement du 28 juin 1999, selon d’autres modalités fixées par
le Bureau du Congrès. Mais pour que le projet de loi constitutionnelle soit approuvé, le vote doit être acquis à une majorité
des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

85
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

composant les deux Chambres du Parlement réunies en Congrès, réunion


convoquée par le Roi lui-même.

C. Les limites du pouvoir de révision constitutionnelle

Dans de nombreuses constitutions, le pouvoir de révision se trouve


enfermé dans des limites posées par le pouvoir constituant originaire. Ces
limitations peuvent être de deux sortes : les unes sont relatives au moment de la
révision, les autres concernent l’objet de la révision.

1. Les limitations relatives au moment de la révision


Dans certaines hypothèses, il est interdit de procéder à toute révision de la
constitution pendant un certain délai suivant son entrée en vigueur, et ce, afin de
permettre aux institutions nouvellement créées de s’installer et de se consolider
sans être sous la menace d’une révision (« délai de sûreté »). Ainsi, la constitution
portugaise du 2 avril 1976 avait exclu toute possibilité de révision
constitutionnelle pendant les cinq premières années de son application.

Dans d’autres hypothèses, la constitution peut interdire toute révision dans


certaines circonstances. Par exemple, l’article 89 de la Constitution française de
1958 précise qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou
poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». De même, au
Maroc, l’article 44, al. 1 de la Constitution en vigueur exclut toute possibilité de
révision constitutionnelle durant la minorité du Roi131.

2. Les limitations relatives à l’objet de la révision


Le plus souvent, la révision peut être librement entreprise à tout moment,
mais son objet est limité par la constitution. En effet, dans de nombreuses
constitutions, certains principes ou institutions sont déclarés comme intangibles
et ne peuvent donc faire l’objet d’aucune révision. De la sorte, chaque régime est

131
En effet, la Constitution marocaine dispose dans son article 44, al. 1 que : « Le Roi est mineur jusqu’à dix-huit ans
accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de Régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la
Couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de Régence fonctionnera comme organe consultatif
auprès du Roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis ».

86
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

tenté de protéger ses fondements. Ainsi, aux termes de l’art. 175 de la


Constitution marocaine de 2011: « Aucune révision ne peut porter sur les
dispositions relatives à la religion musulmane, sur la forme monarchique de l'État,
sur le choix démocratique de la nation ou sur les acquis en matière de libertés et de
droits fondamentaux inscrits dans la présente Constitution »132.

De même, en France, la Constitution de 1875, décide, à la suite de la


révision de 1884, que : « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire
l’objet d’aucune proposition de révision ». Par la suite, cette formule a été reprise
dans les mêmes termes par l’article 95 de la constitution de 1946 et par l’article 89
de la Constitution du 4 octobre 1958. On retrouve une disposition similaire à
l’article 101-a1.1 de la Constitution grecque du 11 juin 1975 et à l’article 290 de la
Constitution portugaise du 2 avril 1976. En République fédérale d’Allemagne, la
forme fédérale de l’État est protégée de la même manière (Article 79, alinéa 3 de
la Loi fondamentale allemande)133.

Section 3 : Le contrôle de la constitutionnalité des lois

Comme on le sait, l’État de droit se caractérise essentiellement par


l’existence de nomes constitutionnelles qui s’imposent à tous et par la suprématie
de ces normes par rapport aux autres règles de droit interne134. Il en découle que
les normes constitutionnelles doivent l'emporter sur toutes ces règles juridiques
(actes législatifs, actes administratifs,...). En principe, le problème de leur
primauté ne se pose que si elles entrent en concurrence avec les règles

132
Art. 106 de la constitution révisée de 1996 : « La forme monarchique de l'Etat ainsi que les dispositions relatives à
la religion musulmane ne peuvent faire l'objet d'une révision constitutionnelle ».
- Omar Bendourou, « La nouvelle Constitution marocaine du 29 juillet 2011 », Revue française de droit
constitutionnel 2012/3 (n° 91), pages 511 à 535
133 En effet, dans le droit constitutionnel allemand, cet article est appelée « clause d'éternité », car il interdit toute

modification de la Loi fondamentale (Constitution de l'Allemagne) relative au principe de l'organisation fédérale et à


la participation des Länder à la législation, à la dignité de l'être humain, le caractère obligatoire des droits fondamentaux pour
la puissance publique (objet de l'article 1) et la structure du système politique, la nature sociale et démocratique de l'Etat, le
droit de résistance contre ceux qui tenteraient de renverser cet ordre(objet de l'article 20). Pour la version intégral de ce texte,
v. : https://www.bundesregierung.de › resource › blob
134
En effet, le concept d’État de droit, d’origine allemande (Rechtsstaat), a été redéfini au début du vingtième
siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme étant un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle
sorte que sa puissance s’en trouve limitée. V. Frank Baron « Qu’est-ce que l'État de droit ? » ,
https://www.vie-publique.fr › parole-dexpert › 270286-..

87
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

internationales135. Mais, étant donné que dans la plupart des États modernes les
conditions d’incorporation des conventions internationales dans l'ordre juridique
interne et leur place dans la hiérarchie des normes juridiques en droit interne
sont fixées par la Constitution136, le juge constitutionnel peut également être
appelé à donner son appréciation sur la constitutionnalité de telles conventions,
soit a priori ou encore a posteriori, afin de pouvoir écarter d’éventuels conflits
entre les dispositions de ces dernières et le droit interne

En conséquence, la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique


interne serait un vain mot si le respect de la constitution et sa suprématie sur les
autres normes juridiques ne sont pas assurés par l’existence d’une justice
constitutionnelle qui fonctionne selon une procédure de type juridictionnel. Au
Maroc, celle-ci est exercée par une juridiction spéciale : la Cour constitutionnelle.

Mais, qu'est-ce que, au juste, le contrôle de constitutionnalité ? :


Comme cette expression l'indique, contrôler la constitutionnalité d’une loi,
c'est vérifier sa conformité à la Constitution, rigide par nature. Pour les actes des
particuliers, ou du pouvoir exécutif exerçant sa fonction normale d'exécution, le
contrôle est facile à organiser et ne pose pas de problème de principe : il sera
assuré par les tribunaux judiciaires ou administratifs. Mais quand il s'agit de la loi,
émanant en règle générale du Parlement qui représente le Peuple souverain et,
en quelque sorte, incarne la volonté générale, se pose d'abord la question de
l'existence même d'un contrôle (§1), puis lorsqu'on l'admet, se pose
inéluctablement le problème de son aménagement qui suppose nécessairement
la mise en place des organes de contrôle (§ 2) et le respect scrupuleux des règles

135
En fait, de nos jours, personne ne conteste la primauté du droit international sur le droit interne. Cette primauté
est d’ailleurs consacrée par les article 26 (pacta sunt servanda) et 27 (droit interne et respect des traités) de la Convention de
Vienne de 1969 sur le droit des traités et la jurisprudence internationale, mais elle est également acceptée par tous les États,
soit en droit, soit en fait.
136 Actuellement, tout le monde admet que les traités internationaux constituent également une source du droit

interne et presque toutes les Constitutions contiennent des dispositions relatives aux conventions internationales, mais les
solutions constitutionnelles varient d’un pays à un autre. Ainsi, au Maroc par exemple, c’est le dernier alinéa du Préambule
de la Constitution marocaine de 2011 qui organise la primauté des traités internationaux sur la loi, mais sous conditions. V.
aussi l’art. 55 de la Cst. relatif à la signature et à la ratification de ces traités. En conséquence, la Cour constitutionnelle peut
également être amené à exercer un contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux, sur saisine des autorités
politiques compétentes, afin de vérifier que leurs dispositions ne comportent pas de clauses contraires à la Constitution (Art.
132 de la Constitution marocaine de 2011) . On parle alors de contrôle de compatibilité.
La Constitution française de 1958 (5ème République) pose également, dans son article 55, le principe de supériorité
des traités sur lois internes mais sous condition de réciprocité.

88
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

de procédure du contrôle de la constitutionnalité des lois par le corps judiciaire


et les juges constitutionnels afin d’assurer convenablement l’exercice de ce
contrôle et garantir son efficacité (§ 3).

§ 1- L'existence du contrôle de la constitutionnalité des lois

Dans un certain sens, tout système constitutionnel démocratique comporte


un contrôle de constitutionnalité : c’est le contrôle exercé par le peuple à
l’occasion des élections législatives. Les citoyens tireront alors les leçons du non-
respect de la constitution en refusant leurs suffrages aux candidats fautifs. Mais il
ne s’agit que d’une application de contrôle générale du peuple sur ses
représentants. Or, le contrôle de constitutionnalité dont on parle en droit
constitutionnel est autre chose, c’est celui qui désigne le mécanisme garantissant
la conformité des règles juridiques nationales et internationales (lois, règlements,
traités internationaux) aux principes fondamentaux définis par la Constitution. Il
s’agit donc d’un contrôle juridictionnel visant à assurer la conformité de ces
règles juridiques à la Constitution et à garantir la suprématie de celle-ci en tant
que norme juridique suprême de l’État. Il revêt en fait des formes et des
modalités différentes qui résultent de la diversité des systèmes juridiques
nationaux et il concerne aussi bien les normes internes (lois, règlements),
qu'externes (engagements internationaux). Ainsi, après avoir posé le principe du
contrôle de la constitutionnalité des lois (A), il convient d’en examiner l’objet (B).

A. Le principe du contrôle de la constitutionnalité des lois :

Le principe du contrôle de la constitutionnalité des lois est assez récent.


Certes l’idée de confier ce contrôle à un organe externe au Parlement a déjà été
discutée par les constituants sous la Révolution française137; cependant, elle n'a
été mise en application que tardivement, d’abord aux États-Unis sur l'initiative de

137 En effet, sous la Révolution, lorsqu’on a évoqué l'idée de l’institution d'un tribunal constitutionnel chargé de

contrôler les lois, elle a été rejetée par la plupart des orateurs. Par la suite, on s'opposait systématiquement au contrôle de la
loi en se référant à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui énonce, en son article 6, que
« La loi est l'expression de la volonté générale ». La loi, votée par un Parlement considéré comme étant souverain, est
devenue sacrée. Dès lors, il n'est pas question d'un contrôle des assemblées par un organe externe au Parlement. La
souveraineté parlementaire était au-dessus de tout. C’est ce qui explique le retard de la France concernant la mise en place
d’un tel mécanisme. V. P. Ardant. B. Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel, 20e éd. 2008, p. 93 et s et le site
officiel du Sénat français : https://www.senat.fr › role › fiche › controle_constit ; https://www.senat.fr › ... › t

89
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

la Cour Suprême (arrêt du 24 février1803, Marbury v/ Madison)138 et ensuite en


Europe sur l’initiative du Constituant autrichien qui créa une juridiction
constitutionnelle sous l’influence de Hans Kelsen139 (Constitution autrichienne de
1920). Mais, avec le renforcement du processus de démocratisation et des
institutions représentatives dans la plupart des pays en développement, le
contrôle de constitutionnalité des lois s’est introduit également dans les systèmes
constitutionnels de ces pays, y compris au Maroc140. C’est une conséquence
logique de la consolidation de l’État de droit et une exigence de la réalisation de
la démocratie141, notamment après le triomphe du libéralisme vers la fin du XXe
siècle.

Théoriquement, ce principe du contrôle de constitutionnalité des lois ne


soulève aucune difficulté: la constitution étant la norme suprême de l’État, placée
au sommet de la hiérarchie des normes juridiques nationales, toutes les autres
règles de droit interne doivent s’y conformer sous peine d’être déclarées
inconstitutionnelles par les tribunaux. En effet, à partir du moment où une nation
s’est dotée d’une constitution, acte juridique émanant de la volonté du peuple
souverain142, le parlement, comme les autres institutions publiques, doit s’y
soumettre et respecter ses règles et principes.

138 V. Julien Henninger, Marbury v. Madison, Presses Universitaires de Strasbourg, 2006; Jacques Lambert, « Les

Origines du contrôle de constitutionnalité des lois fédérales aux États-Unis. Marbury v. Madison », Revue du Droit Public et
de la Science Politique en France et à l’Étranger, tome 48, 38e année, 1931, p. 1-69 ; Elizabeth Zoller (sous la
direction), Marbury v. Madison: 1803, 2003, Un dialogue franco-américain, Dalloz, 2003, 228 p.
139 Hans Kelsen (1881-1973) est juriste austro-américain, théoricien du droit et fondateur du normativisme. Il a

profondément marqué le droit dans son ensemble par sa théorie de hiérarchie des normes plaçant la Constitution au sommet
de la pyramide des normes juridiques. Cette vision positiviste du droit est aujourd’hui appliquée dans la plupart des États
modernes. D’ailleurs, c’est sous son inspiration que la constitution autrichienne du 1er octobre 1920 a institué une Cour
constitutionnelle ayant pour seule mission d’assurer la conformité des normes de droit à la Constitution, norme juridique
suprême de l’État. C’est pour cela que ce modèle de justice constitutionnelle fut qualifié d’autrichien avant de se répandre
dans la plupart des pays européens et dans d’autres régions du monde.
140 En effet, au Maroc, la justice constitutionnelle fut instituée dès sa première Constitution écrite, promulguée

en décembre 1962, avec l’existence d’une Chambre constitutionnelle au sein de la Cour suprême (Titre X de la constitution
de 1962). Cependant, lors de la révision de la Constitution marocaine en 1992, cette chambre fut remplacée par un Conseil
constitutionnel en tant qu'institution indépendante avec des attributions plus élargies, puisqu’il était constitutionnellement
compétent pour statuer, par le biais d’un contrôle a priori, sur la constitutionnalité, non seulement des lois organiques et des
règlements parlementaires, mais aussi des lois ordinaires. Ce n’est alors qu’avec l’instauration d’une Cour constitutionnelle
en remplacement du Conseil constitutionnel, suite à l’adoption de la Constitution du 29 juillet 2011, que la justice
constitutionnelle connaitra un grand essor, puisque celle-ci fût dotée de plus larges compétences en matière de contrôle de
constitutionnalité, tant par "a priori", que par "a posteriori".
141 V. La démocratie : Principes et réalisation, Union Interparlementaire, Genève, 1998, Inter-Parliamentary Union,

http://archive.ipu.org › DEMOCRACY_PR_f . Pour un inventaire des pays qui ont mis en place un contrôle de
constitutionnalité des lois, v. la liste des cours constitutionnelles étrangères réalisée par le Conseil constitutionnel [archive
142
Évidemment, du moment où cette volonté émane directement du peuple souverain à travers la Constitution, elle
ne peut qu’être supérieure à celle de ses représentants exprimée généralement sous forme de lois. Dès lors, et comme l'a
indiqué le Conseil constitutionnel français dans sa décision n° 85-197 DC du 23 août 1985 : « la loi votée (...) n'exprime la
volonté générale que dans le respect de la Constitution », et donc que si elle est conforme à celle-ci.

90
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

Cependant, bien que le contrôle de constitutionnalité des lois paresse


logique et clair, il a suscité des objections en France, tant sous la Révolution, que
sous les troisième et quatrième Républiques143. Cependant, ces objections se sont
peu à peu estompées sous la Ve République, avec l’institution du Conseil
constitutionnel par la Constitution du 4 octobre 1958. Ainsi, « à l'État légal fondé
sur la souveraineté de la loi a succédé l'État de Droit fondé sur la souveraineté de la
Constitution »144. Depuis lors, le principe du contrôle de constitutionnalité a
triomphé un peu partout dans le monde et il est même devenu l’un des traits
caractéristiques de l’État de droit, puisqu’il rend possible la neutralisation ou
l’annulation des lois inconstitutionnelles145. Il revêt actuellement des formes et
des modalités différentes selon les modèles de justice constitutionnelle et il
concerne aussi bien pour les normes internes (lois, règlements), qu'externes
(traités internationaux. Et même en France, le contentieux normatif, qui porte sur
la vérification de constitutionnalité des normes juridiques majeures de l’ordre
juridique : les lois, les traités internationaux, les règlements des assemblées
parlementaires est devenu le premier type de contentieux constitutionnel, qui est
le plus significatif et le plus intéressant parmi les compétences du Conseil
constitutionnel146.

B. L'objet du contrôle de la constitutionnalité des lois

En fait, quand on parle du contrôle de la constitutionnalité des lois, on


pense nécessairement à la vérification de la conformité de la loi - ou des autres

143
En fait, ces objections s’expliquaient surtout par l’existence d’une méfiance traditionnelle des constituants
français vis-à-vis du contrôle par le juge de la constitutionnalité de la loi « expression de la volonté générale ». En effet, le
peuple étant souverain, rien ne peut aller à l’encontre de sa volonté : c’est l’idée de la souveraineté de la loi et de la
souveraineté parlementaire.
144 Dominique Rousseau. Droit du contentieux constitutionnel, L. G. D. J., 10ème éd. 2013. En effet, assez

embryonnaire au départ, le contrôle de constitutionnalité en France s’est progressivement élargi : en 1971 par l’intégration de
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, du Préambule de la Constitution de 1946 et des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République dans le "bloc de constitutionnalité (par la décision historique du Conseil
constitutionnel du 16 juillet 1971 relative à la loi sur la liberté d'association), en 1974 par l’élargissement de la saisine à 60
députés ou 60 sénateurs, enfin en 2008-2010 par l’introduction d’un contrôle a posteriori de la loi (QPC).
145 Au Maroc par exemple, le contrôle de constitutionnalité des lois (ainsi que des règlements des deux assemblées

parlementaire et des traités internationaux) est exercé par la seule Cour Constitutionnelle, organe juridictionnel institué
par la Constitution de 2011, en lieu et place de l’ancien Conseil constitutionnel ( v. art. 129 à 134 ainsi que l’article
55, al. 4 de la même constitution).
146Guillaume DRAGO, Les différents types de contentieux ou 5000 décisions en 60 ans, dans

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n°58 (Dossier : Le contentieux constitutionnel) – Janvier 2018,
https://www.conseil-constitutionnel.fr › les-differents-t..

91
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

normes inférieures – à la constitution afin de s’assurer de cette conformité. L’objet


de ce contrôle est donc juridique: comparer la règle de droit inférieur avec la
règle de droit supérieur (la constitution). Il en découle alors que, une loi n’est
considérée comme pleinement légitime que si elle respecte les principes
fondamentaux posés par la constitution et si elle a été adoptée selon une
procédure légale147. Dès lors, la conformité d’une loi à la constitution devrait être
appréciée de deux points de vue: interne et externe, en d’autres termes, c’est un
contrôle qui porte sur la forme comme sur le fond.

1 - La conformité de la loi avec la constitution du point de vue interne


Par conformité interne (ou matérielle), il faut entendre la conformité des
dispositions de la loi, de son contenu, avec les règles de fond de la constitution.
En effet, l’institution du contrôle de conformité des lois à la Constitution dans un
pays démocratique a essentiellement pour objectif d’assurer le respect de
l’État de droit et de faire respecter la hiérarchie des normes dans l’ordre
juridique interne. Or, selon la jurisprudence constitutionnelle française, une loi ne
peut être considérée comme pleinement légitime que si elle respecte les
principes supérieurs posés par la Constitution (considérés comme règles "de
fond") et si elle a été adoptée selon une procédure régulière (règles "de forme")
148. Mais, dans une constitution, les principales règles "de fond" sont celles
relatives aux libertés et droits fondamentaux des citoyens149. Dès lors, si une loi
ou un autre acte juridique adopté par les institutions politiques de l’État n’est pas
conforme aux dispositions constitutionnelles qui garantissent ces droits et
libertés, le juge constitutionnel doit la déclarer nulle et non avenue.

2 - La conformité de la loi avec la constitution du point de vue externe


Par conformité "externe" (ou formelle), il faut entendre la conformité des
compétences et des procédures mises en œuvre pour l'adoption de la loi, avec

147 V. Sénat, https://www.senat.fr › ... › Rôle et fonctionnement


148 V. Sénat, https://www.senat.fr › ... › Rôle et fonctionnement
149 En effet, les libertés et droits fondamentaux des citoyens constituent les piliers fondamentaux de l'État de droit.
Ils sont d’ailleurs consacrés par la plupart des constitutions nationales (v. notamment l’article 19 de la constitution
marocaine) . De ce fait, ils bénéficient d’une protection juridique particulière. Parmi ces droits et libertés, on peut citer la
liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté religieuse, la liberté de l'enseignement, la liberté de réunion, la liberté
d'association, le droit de vote et l'éligibilité, etc.,

92
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

les compétences et procédures prévues à cet effet par la constitution 150. Ainsi
dans la Constitution marocaine, le Parlement ne peut légiférer que dans certaines
matières qui relèvent du « domaine de la loi » (art. 71) et selon une procédure
organisée par la constitution (art. 78-86). Le contrôle consiste donc à vérifier que
le Parlement n'a pas excédé sa compétence et a suivi la procédure législative en
vigueur.

L'organe créé pour assurer le contrôle de constitutionnalité des lois a donc


deux principales attributions : d'une part, il est le gardien des compétences et
procédures établies par la constitution ; d'autre part, il est le gardien des droits et
libertés fondamentaux reconnus par la constitution. De ce point de vue, il exerce
sur la loi un contrôle maximal portant à la fois sur le fond et la forme. Il sera alors
amené soit à faire annuler une loi inconstitutionnelle (contrôle par voie d’action),
soit à faire écarter l’application d’une loi dans un cas précis (contrôle par voie
d’exception). Cela dépend du modèle de juridiction constitutionnelle retenu par
les constituants de chaque pays151.

§ 2-. Les organes de contrôle de la constitutionnalité des lois

Dans un certain sens, tout système constitutionnel démocratique comporte


un contrôle de constitutionnalité : c’est le contrôle exercé par le peuple à
l’occasion des élections législatives. Mais, en l’occurrence, il ne s’agit que d’une
application de contrôle générale du peuple sur ses représentants. Or, quand on
parle de contrôle de constitutionnalité, on pense toujours à la mise en place d’un
organe de contrôle distinct du Parlement dont le rôle principal est d'assurer le
respect de la Constitution, qui est la norme suprême dans l’ordre juridique
interne. Évidemment, dans la pratique constitutionnelle des États, la nature de cet
organe peut varier d’un pays à l’autre. Mais, d’une manière générale, le choix se

150 Dans une constitution, les règles de compétence sont notamment celles relatives à l’organisation du pouvoir

politique (structures, titulaires, organes), à son fonctionnement (dévolution, rapports entre les organes et avec les citoyens),
quant aux règles de procédure, elles sont notamment celles relatives à la procédure législative et à la modification formelle
de la Constitution. V. supra.
151
V. Louis Favoreu, « Modèle européen et modèle américain de justice constitutionnelle », Annuaire international
de justice constitutionnelle, Année 1990 4-1988 pp. 51-66, https://www.persee.fr › doc › aijc_0995-3817_1990_nu.. et Jean-
Claude ZARKA, Droit constitutionnel et institutions politiques , op. cit. et Introduction au Droit constitutionnel, Edit.
Ellipses, 5e édition, Les modèles de justice constitutionnelle, pp. 57-73, https://www.editions-ellipses.fr › PDF › 978234.

93
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

pose entre trois solutions : soit un organe politique, soit un organe


juridictionnel, soit une solution de compromis (un système de contrôle mixte). Et
bien entendu, comme tout choix, chaque solution simple présente des avantages
et des inconvénients.

A. Le contrôle de la constitutionnalité des lois par un organe politique

Par organe politique, on entend généralement une institution émanant


directement ou indirectement du peuple, selon un critère plutôt politique.
L’accent est mis ici, non sur l’indépendance des contrôleurs et sur leur
compétence, mais sur leur aptitude à trancher des litiges aux aspects juridiques
et politiques subtils152. D’ailleurs, dans les systèmes qui optent pour ce type
d’organe de contrôle, le pouvoir de désignation des juges constitutionnels
appartient généralement aux gouvernants, notamment le Parlement (et à travers
lui les partis politiques) et le chef de l’État (ex. le Conseil constitutionnel de la Ve
République)153. Inévitablement, le choix des juges constitutionnels obéira, dans
cette hypothèse, à un critère politique, celui de choisir des personnes de
confiance (de préférence du même courant idéologique), plutôt que des
personne disposant des compétences requises.

Cette solution présente des avantages et des inconvénients :


- Les avantages : émanant indirectement du peuple, l’organe présente en
quelque sorte un « label » démocratique. Formé d’hommes politiques ou désignés
par des autorités politiques, il sera à même d’apprécier les incidences politiques
de ses décisions.

- Les inconvénients : en raison de son recrutement, cet organe risque alors


de se prononcer davantage en raison de ses préférences idéologiques que pour
faire prévaloir la règle supérieure (la constitution) dans ses décisions : le contrôle

152PH. ARDANT et B. MATHIEU, op. cit., p. 97.


153 V. Article 56 de la Constitution française du 4 octobre 1958. Pour consulter le texte intégral de cette
constitution, v. www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/...constitution/.. Pour plus de détails sur le Conseil
constitutionnel français V. https://www.conseil-constitutionnel.fr › presentation-g.. P. Avril et J. Gicquel, Le Conseil
constitutionnel, Montchrestien, 6e éd., 2011 ; H. Roussillon, Le Conseil constitutionnel, connaissance du droit, Dalloz, 8e éd.,
2015 ; B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel, Dalloz-Mémentos, 2e édit., 2020 ; Dominique Rousseau,
Pierre-Yves Gahdoun, L'essentiel du droit du contentieux constitutionnel , Edit. Gualino 2e édit., 2021

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

de l’opportunité d’un texte peut se substituer au contrôle de constitutionnalité. Il


sera alors contestable, voire inutile. En outre, du fait qu’aucune condition
particulière n'est requise pour la nomination de ses membres, notamment une
bonne formation en Droit, il n’offrira aucune garantie de compétence, alors que
l’objet du contrôle de constitutionnalité est juridique. C’est ce qui explique le
choix de juridictions spécialisées à compétence exclusive qui ont le monopole
du contentieux constitutionnel. Leur mission essentielle serait donc de vérifier la
conformité des lois et des traités internationaux avec la Constitution, en tant que
norme juridique suprême dans l’ordre juridique interne, mais aussi de trancher
des litiges en matière de contentieux électoral 154. Mais, dans notre cours, nous
nous limiterons à l’étude des compétences de la juridiction constitutionnelle en
matière du contrôle de la constitutionnalité des lois qui permet de vérifier la
conformité de ces dernières aux normes constitutionnelles.

B. Le contrôle de la constitutionnalité des lois par un organe juridictionnel

Par organe juridictionnel, on entend généralement un organe formé de


magistrats de carrière qui exercent leurs compétences juridictionnelles en toute
indépendance, à l'abri d'ingérences internes et externes. Il se contente
de vérifier la conformité des règles de droit (lois, règlements, traités) aux
règles constitutionnelles et se prononcer sur la base du droit en toute impartialité
et non pour des considérations d’opportunité155.

Cette solution présente également des avantages et des inconvénients :


- Les avantages : incontestablement, le recours aux juges de carrière
présente l’avantage de garantir la compétence pour trancher une question
juridique, ce qui est l’objet du contrôle, et a priori, l’objectivité, le détachement à

154 En effet, selon l’article 132 de la constitution marocaine, la Cour constitutionnelle « statue sur la régularité de

l'élection des membres du Parlement dans un délai d'un an, à compter de la date d'expiration du délai légal du recours.
Toutefois, la Cour peut statuer au-delà de ce délai, par décision motivée, dans le cas où le nombre de recours ou leur nature
l'exige ». V. aussi à cet égard les articles 58 et 59 de la Constitution française du 4 octobre 1958.
155 V. Danièle Lochak. Le contrôle de l’opportunité par le Conseil constitutionnel. Dominique Rousseau et Frédéric

Sudre. Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme - Droits et libertés en Europe, Editions STH, pp.
71-109, 1990. ffhal-03051940f, https://hal.parisnanterre.fr › preview › Lochak_... V. aussi le Bulletin n° 7 concernant
«L’indépendance des juges et des juridictions », thème de la 4e Conférence des chefs d’institution de l’ACCPUF, qui s’est
tenue à Bucarest les 31 mai et 1er juin 2005, Association des Cours Constitutionnelles Francophones, https://accf-
francophonie.org › Bulletin

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

l’égard des considérations politiques. De plus, la procédure juridictionnelle offre


plus de sérieux, de garanties, par définition, que toute autre procédure, à
condition que soit assurée l’indépendance des juges.

En contrepartie, cette solution tend à soumettre le Parlement au contrôle


d’un organe qui ne présente aucune garantie démocratique, mais au contraire
peut émaner d’une catégorie sociale limitée dont il peut faire prévaloir ses idées.
Elle aboutit aussi à entraîner le juge, en raison des implications politiques des
décisions, sur un terrain où il est peu compétent : il est mal placé pour apprécier
l’opportunité de la décision. En outre, confier le contrôle de constitutionnalité aux
juges, c’est ériger le pouvoir judiciaire en instance maîtresse de toute l’activité
politique de l’État. C’est pourtant ce dernier procédé qui est généralement
adopté.

Cependant, le contrôle de constitutionnalité effectué par le juge peut


intervenir selon différents systèmes. On a l’habitude de distinguer deux modèles
principaux de justice constitutionnelle : le modèle décentralisé de contrôle diffus
de constitutionnalité (1) et le modèle centralisé de contrôle de constitutionnalité
(2). Mais ces deux modèles peuvent se combiner, soit au niveau de la
composition de l’organe de contrôle, soit au niveau du système juridictionnel lui-
même. C’est le système mixte ou hybride du contrôle de la constitutionnalité des
lois (3).

1- Le contrôle diffus de constitutionnalité


On parle de contrôle de constitutionnalité diffus (ou déconcentré) lorsque
le contrôle de constitutionnalité est exercé par toutes les juridictions ordinaires à
l'occasion d'un litige porté devant elles (contrôle concret), sous réserve de la
possibilité de faire appel à une juridiction supérieure. Il s’agit donc d’un contrôle
qui survient lors d’un contentieux constitutionnel et porte, dans un cas d'espèce,
sur la conformité d’un point précis d'une règle de droit par rapport aux
normes constitutionnelles. Il s’exerce à tous les niveaux de l’organisation

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

judiciaire (fédérale ou fédérée, en première instance, en appel, devant la Cour


suprême)156: c’est le modèle américain de justice constitutionnelle157.

En effet, aux Etats-Unis, le contrôle de constitutionnalité des lois peut être


exercé par toutes les juridictions américaines à l’occasion d’affaires dont elles
sont saisies, et non pas par la seule Cour suprême comme on a parfois tendance à
le penser, que cette loi soit fédérale ou émanant d’un État fédéré158. Il peut donc
être déclenché par toute personne ayant qualité pour agir dans une procédure
judiciaire ordinaire.

Évidemment, du fait que tous les tribunaux ont compétence pour apprécier
la conformité à la constitution américaine des normes qu'ils appliquent, il y a
toujours un risque de déboucher, dans ce modèle, sur des décisions
contradictoires et générer une jurisprudence incohérente et incertaine, qui peut
interpréter différemment la constitutionnalité de la même norme
constitutionnelle.

Cependant, étant donné qu’aux Etats-Unis toutes les juridictions ordinaires,


qu’elles relèvent de l'ordre fédéral ou de ceux des États fédérés, se trouvent
insérées dans le système judiciaire fédéral, c’est la Cour suprême qui intervient
dans le contentieux constitutionnel en dernier ressort, notamment depuis qu’elle
s’est imposée en tant qu’interprète ultime et garante de la Constitution fédérale
par son arrêt Marbury v. Madison en 18032159. C’est ce qui lui permet de mettre
fin aux divergence de jurisprudence entre ordres juridictionnels aux Etats-Unis
sous l’angle de l’interprétation judiciaire et d’assurer une certaine cohérence et
une harmonisation de la jurisprudence constitutionnelle américaine, tant au
niveau fédéral qu’au niveau des États fédérés.

156 En l’occurrence, il ne s'agit pas de se prononcer sur la conformité de la loi en question à la constitution, mais de

résoudre un cas d'espèce dans le respect de la loi supposée être conforme à la constitution.
157
Sur le système judiciaire des Etats-Unis, v. https://fr.usembassy.gov › uploads › sites › 2017/06
158 V. E. Zoller (dir.), Marbury v. Madison: 1803-2003. Un dialogue franco-américain, Dalloz, 2003. Ce système

existe aussi au Canada et dans les pays scandinaves.


159 V. Council of Europe, USA-1803-S-001, http://www.codices.coe.int › NXT › precis › fra › ame

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

2- Le contrôle de constitutionnalité concentré


Contrairement au modèle américain de justice constitutionnelle (contrôle
diffus), le contrôle de constitutionnalité concentré a été conçu par le juriste
autrichien, Hans Kelsen160. Il est généralement exercé par « une juridiction créée
pour connaître spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel, située
hors de l'appareil juridictionnel ordinaire et indépendante de celui-ci, comme des
pouvoirs publics »161. Il peut être déclenché directement à l’initiative des autorités
habilitées à saisir le juge constitutionnel, généralement par voie d’action et donc
en dehors de tout litige, ou indirectement par les particuliers (personnes
physiques ou morales privées), notamment par le biais d'une question
préjudicielle, lorsqu'une partie dans un procès en cours devant une juridiction
ordinaire soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution
(contrôle par voie d’exception).

Ce type de contrôle de constitutionnalité prévaut actuellement dans la


plupart des pays européens162, tels que le Tribunal constitutionnel fédéral en
Allemagne, les cours constitutionnelles en Italie, en Espagne, en Belgique, le
Conseil constitutionnel français, etc. Il est également envisagé par de
nombreuses constitutions africaines163, y compris celle du Maroc164. Toutefois,
certains pays ont préféré confier le contrôle de constitutionnalité à une juridiction
constitutionnelle de composition mixte ou ont opté pour des systèmes de contrôle
hybrides, qui s’inspirent à la fois du modèle américain et du modèle européen
de contrôle de constitutionnalité.

160 En effet, pour H. Kelsen (théoricien de la pyramide des normes et du modèle de justice constitutionnelle

concentrée), ce n’est pas « sur le Parlement lui-même que l’on peut compter pour réaliser sa subordination à la Constitution.
C’est un organe différent de lui, indépendant de lui et par conséquent aussi de toute autre autorité étatique qu’il faut charger
de l’annulation des actes inconstitutionnels – c’est-à-dire une juridiction ou tribunal constitutionnel ». H. Kelsen, « La
garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle) », RDP, t. XLV, 1928, p. 226.
161
L. Favoreu, Les Cours, constitutionnelles, Paris, PUF, 3e éd. 1996, p. 3.
162
V, Dominique Rousseau, Philippe Blachèr, La justice constitutionnelle en Europe, LGDJ, 4e édit. 2020.
163 Albert Bourgi, « L'évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l'effectivité »; Dans Revue

française de droit constitutionnel 2002/4 (n° 52), pages 721 à 748


164 V. Titre VIII de la Nouvelle Constitution marocaine, intitulé « De la Cour constitutionnelle », art 129-134.

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

3 - Le contrôle de la constitutionnalité par une juridiction constitutionnelle


mixte
Afin de combiner les avantages des deux solutions précédentes, certains
constituants préfèrent parfois confier le contrôle de constitutionnalité à un organe
de composition mixte. Pour ce faire, ils agissent à la fois sur la question du
recrutement des membres de l’instance de contrôle et sur celle du statut
juridique qui leur est attribué en tant que juges constitutionnels.

a - Le recrutement des membres de l’organe de contrôle :


Le recrutement recouvre ici, le mode et les conditions de désignation des
juges constitutionnels.

- Concernant le mode de désignation : ou bien celle-ci est le fait du pouvoir


législatif (comme en Allemagne), ou des deux pouvoirs législatif et exécutif
comme c’est le cas en France (art. 56 Constitution de 1958) et au Maroc (art.
130 de la Constitution de 2011), ou bien le pouvoir judiciaire est également
associé à la désignation, comme c’est le cas en Italie (art. 135 de la constitution
Italienne).

- Concernant les conditions de désignation : on peut ou non exiger que les


personnes composant l’instance de contrôle aient des compétences juridiques.
Aux Etats-Unis et en France par exemple, aucune condition de formation juridique
ou autre n’est requise pour être nommé au à la Cour suprême et au Conseil
constitutionnel165. En revanche, Autriche, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en
Belgique et au Maroc, ces compétences sont exigées pour la nomination aux
fonctions de juge constitutionnel166.

b - Le statut des membres de l’organe de contrôle :


En règle générale, le statut des membres de ce type d’organe de contrôle
de constitutionnalité se rapproche de celui des juges ordinaires, dont la situation

165
Toutefois, en France, les autorités habilitées à désigner les membres du Conseil font généralement appel à des
personnalités dont la compétence est reconnue dans le domaine du droit ou des sciences politiques.
166 Article 130, al. 5 de la Nouvelle Constitution marocaine : « Les membres de la Cour Constitutionnelle sont choisis

parmi les personnalités disposant d'une haute formation dans le domaine juridique et d'une compétence judiciaire, doctrinale ou
administrative, ayant exercé leur profession depuis plus de quinze ans, et reconnues pour leur impartialité et leur probité ».

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

administrative est réglée par le Statut de la Magistrature167. Ainsi, pour assurer et


promouvoir leur indépendance et leur neutralité, la constitution prévoit
généralement une longue durée de leur mandat, l’impossibilité d’une nouvelle
désignation et des garanties de leur inamovibilité168. De la sorte, le statut
équilibre le recrutement.

Aux Etats-Unis par exemple, la Cour suprême, tout en étant la plus haute
juridiction ordinaire, est un organe mixte : politique par son recrutement,
désignation par le Président avec l’accord du Sénat, juridictionnel par son statut :
nomination à vie sans possibilité de révocation. Au Maroc et en France, les
juridictions constitutionnelles bénéficient aussi d’un statut constitutionnel qui tend à
équilibrer le caractère politique du recrutement des juges169.

Signalons enfin que certains pays ont plutôt choisi l’adoption d’un système
original de contrôle de constitutionnalité qui s’inspire à la fois du système diffus et
concret exercé par les tribunaux ordinaires (modèle américain) et du système
concentré et abstrait exercé par une juridiction constitutionnelle placée hors
hiérarchie de l'ordre judiciaire (modèle européen). Il est principalement adopté
par le Portugal, le Brésil et d’autres pays d’Amérique Latine170. C’est ce que l’on
appelle habituellement le système mixte (ou hybride) de justice constitutionnelle.
Son avantage principal par rapport aux autres, c’est qu’il permet l'accès direct et
immédiat des citoyens à la justice constitutionnelle afin de protéger leurs droits
fondamentaux, après épuisement des voies de recours ordinaires. Il s’agit, en
quelque sorte d’un contrôle de constitutionnalité des décisions de justice171 .

167 V. la Loi organique N° 106.13 portant Statut des Magistrats au Maroc http://www.sgg.gov.ma › Portals › lois ›

Loiorg... ; Loi organique n°100-13 relative au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), http://www.sgg.gov.ma ›
Portals › lois › Loiorg... ; Ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature en France
168 V. Art. 130, al. 1 de la Constitution marocaine de 2011.
169 V. la Loi organique N°066.13 relative à la Cour constitutionnelle marocaine: http://www.sgg.gov.ma › Portals ›

lois › Loiorg... et Textes relatifs au Conseil constitutionnel français, https://www.conseil-constitutionnel.fr › textes-relatifs-...


170 V. M.-C. Meininger, « Le Tribunal constitutionnel du Portugal », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, no 29, 2010 ; Vital MOREIRA, « Le Tribunal constitutionnel portugais : le « contrôle concret » dans le cadre
d'un système mixte de justice constitutionnelle », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 10 - (dossier : Portugal) –
mai 2021, https://www.conseil-constitutionnel.fr › le-tribunal-con.. ; POR : http://www.codices.coe.int › Descriptions › FRA ›
171 V. Vasco Pereira da Silva et Rui Tavares Lanceiro, Le contrôle des décisions de justice par les

Cours constitutionnelles , https://dice.univ-amu.fr › sites › files › article › le...

100
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

§ 3-. Le processus du contrôle de la constitutionnalité des lois

Le contrôle de constitutionnalité des lois représente l’essentiel des activités


des juridictions constitutionnelles en matière de contrôle des actes fondamentaux
de l’État172. Il est défini par le professeur Michel de Villiers, comme étant la «
procédure ou l'ensemble de procédures ayant pour objet de garantir la suprématie
de la Constitution en annulant, ou en paralysant l’application de tout acte
[généralement une loi], qui lui serait contraire »173. Il porte, comme on l’a déjà vu,
aussi bien sur la forme que sur le fond du texte juridique déféré au juge
constitutionnel. Il débute avec la saisine de celui-ci d’une question d’ordre
constitutionnel et se termine par l’adoption de la décision de constitutionnalité (ou
d’inconstitutionnalité) en séance plénière, c’est-à-dire en présence de tous les
juges174. Son but principal est de préserver la suprématie de la constitution dans
l’ordre juridique interne, en s'assurant que les dispositions d’une loi ou d’un
règlement ou encore d’un engagement international ne sont pas incompatibles
avec celles du texte constitutionnel175.

Pour mieux cerner cette question, nous traiterons successivement les


questions suivantes : la saisine de l’organe de contrôle (A), le moment du contrôle
de la constitutionnalité des lois (B), les principaux modes de contrôle de
constitutionnalité (C) et, enfin, l’autorité de la décision de l’organe de contrôle de
constitutionnalité (D).

172 V. L. Favoreu, « La décision de conditionnalité », Revue internationale de droit comparé, Année 1986, 38-2, pp.
611-633 .
173 Dictionnaire du Droit constitutionnel, de Villiers (M. de) et Armel Le Divellec, Sirey, 2007, cité dans www.

Toupie. org /Dictionnaire/Contrôle de constitutionnaliste. V. aussi, Jean-Claude ZARKA, Droit constitutionnel et institutions
politiques , édit.Ellipses, 2018, pages 73 à 84.
174 Au Maroc par exemple, la Cour constitutionnelle délibère valablement lorsque 9 de ses membres au moins sont

présents et rend ses décisions à la majorité des 2/3 des membres la composant (article 17 de la Loi organique N°066.13
relative à la Cour constitutionnelle).
175
V. Christine MAUGUE, Jacques-Henri STAHL, La question prioritaire de constitutionnalité, Paris,
Dalloz, 2017, 352 p. Étude de législation comparée n° 208 - septembre 2010 - Les recours devant le juge constitutionnel,
https://www.senat.fr › lc208_mon. ; H Roussillon, « La saisine du Conseil constitutionnel. Contribution à un débat », Revue
internationale de droit comparé Année 2002 54-2 pp. 487-511, https://www.persee.fr › doc › ridc_0035-3337_2002_nu...

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

A – La saisine de l’organe de contrôle

Comme on le sait, la saisine de la justice constitutionnelle est obligatoire


pour le contrôle de conformité à la Constitution des lois organiques et des
règlements intérieurs des Assemblées parlementaires. Ces textes législatifs font
donc l’objet d’une transmission d’office à la juridiction constitutionnelle afin
qu’elle puisse se prononcer sur leur conformité aux normes constitutionnelles
avant leur promulgation, dans les délais requis (Art. 132, al. 4 de la Constitution
marocaine).

Concernant les lois ordinaires, les règlements du pouvoir exécutif et les


engagements internationaux (dont le contrôle est facultatif), ils ne sont soumis au
contrôle de constitutionnalité qu'en cas de saisine par l’un des titulaires du droit
de saisine énumérés dans la Constitution et dans les conditions fixées par celle-ci
(v. Art. 132, al. 3 de la Constitution marocaine et Art 61, alinéa 2, de la
Constitution française)176.

Évidemment, en droit constitutionnel comparé, le pouvoir de saisine et la


qualité des auteurs pouvant saisir le juge constitutionnel varie en fonction du
modèle de justice constitutionnelle retenu par chaque pays (diffus, concentré ou
hybride) et la nature du contentieux constitutionnel dont il s’agit. Plusieurs cas de
figures peuvent se présenter : saisine du juge constitutionnel par les seules
autorités politiques, saisine par les autorités politiques et les particuliers, saisine
ouverte aux autorités politiques, aux juridiction et aux particuliers. Mais, ici, nous
parlerons principalement des deux formes principales de saisine du juge
constitutionnel, celle qui est actionnée par des autorités politiques qualifiées en
dehors de tout litige constitutionnel et celle qui est actionnée par les particuliers,
directement ou indirectement (par le truchement du juge ordinaire).

176
Par ailleurs, ce pouvoir de saisine doit être exercé en conformité avec les dispositions des lois organiques
régissant l’organisation et le fonctionnement de la justice constitutionnelle dans le pays concerné. V. par exemple la Loi
organique N°066.13 relative à la Cour constitutionnelle marocaine, notamment le chapitre II, art. 16 et s.,
http://www.ism.ma › Textes_francais › 2.pdf: http://www.sgg.gov.ma › Portals › lois › Loiorg... Concernant la France, v.
Textes relatifs au Conseil constitutionnel français, https://www.conseil- constitutionnel.fr › textes-relatifs-...

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

1- La saisine de l’organe de contrôle par les autorités politiques


En fait, la saisine de l’organe de contrôle par les autorités politiques
n’existe que dans le modèle européen de justice constitutionnelle qui est, le plus
souvent, un système à saisine restreinte. Ces autorités peuvent appartenir à la fois
au pouvoir exécutif (chef de l’État, chef du gouvernement) et au pouvoir législatif
(présidents des assemblées, groupes de parlementaires) ou encore d’un organe
d’une autre nature, comme c’est le cas en Espagne177.

Ainsi, au Maroc par exemple, les autorités politiques habilitées à saisir la


Cour constitutionnelle sont limitativement énumérées dans l’Article 132 de la
Constitution marocaine de 2011. Il s’agit de six autorités publiques bien
déterminés, à savoir : le Roi, le Chef du Gouvernement, le Président de la
Chambre des Représentants, le Président de la Chambre des Conseillers, le
cinquième des membres de la Chambre des Représentants ou quarante membres
de la Chambre des Conseillers178. De même, en France, seuls le Président de la
République, le Premier ministre et les Présidents des assemblées législative ou
soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel
d’un acte législatif qu’ils estiment contraire à la constitution (art. 61, al. 2 de la
Constitution française de 1958)179.

L’avantage de cette forme de saisine est qu’il permet aux gouvernants de


se contrôler mutuellement et d’éviter l’entrée en vigueur d’éventuelles règles
inconstitutionnelles dans l’ordre juridique . Elle permet ainsi de détecter et
d'éradiquer définitivement les inconstitutionnalités qui peuvent entacher un texte
de loi avant même que celui-ci voie le jour. Cependant, elle présente

177 En effet, en Espagne, la saisine du Tribunal constitutionnel peut également émaner d’autres autorités qualifiées,

en vertu de l’article 162 de la Constitution du 27 décembre 1978. V. Francisco PÉREZ DE LOS COBOS ORIHUEL, « Le
Tribunal constitutionnel espagnol » , Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 49 – Octobre 2015 - P. 59 À 68,
https://www.conseil-constitutionnel.fr › le-tribunal-con..
178 L’octroi du droit de saisine du juge constitutionnel permet à la minorité politique de contester, devant celui-ci, la

constitutionnalité des lois votées par la majorité. Il est considéré comme un premier des droits de l'opposition parlementaire
et vise surtout à l’associer à la décision parlementaire (v. art. 10 de la Constitution marocaine de 2011).
179 Le site officiel du Conseil constitutionnel : « Qui peut saisir le Conseil constitutionnel ? » Conseil

constitutionnel, 30 avril 2013 ; La saisine directe de la Cour constitutionnelle fédérale est également réservée aux organes
constitutionnels (art. 93, al. l, n° 2 de la Loi fondamentale). Les organes titulaires du droit de saisine sont : le gouvernement
fédéral, le gouvernement d'un Land, un tiers des députés au Bundestag : V. Michel FROMONT, « Présentation de la Cour
constitutionnelle fédérale d'Allemagne Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15 (Dossier : Allemagne) – Janvier
2004, https://www.conseil-constitutionnel.fr › presentation-de-l...

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

l’inconvénient majeur d’exclure les citoyens qui ne peuvent se défendre contre


les lois inconstitutionnelles devant les tribunaux. Pour combler ce vide juridique,
de nombreux pays ont dû procéder, dès le début des années 1990, à des
réformes constitutionnelles dans le but d’édifier un véritable de droit, en
constitutionnalisant les libertés et droits fondamentaux (qui sont les piliers de
l’État de droit et de la démocratie) et en prévoyant explicitement un droit
d’accès direct ou indirect des particuliers à la justice constitutionnelle180.

b. La saisine de l’organe de contrôle par les particuliers


Le droit d’accès des particuliers à la justice est considéré comme un droit
fondamental des citoyens. Son exercice joue d’ailleurs un rôle primordial en
matière de renforcement de l’État de droit et de la protection des droits et
libertés fondamentaux garantis par la constitution. Il est considéré comme une
prérogative individuelle accordée aux particuliers (personnes physiques et
morales) en tant que sujets de droit181. On peut dire la même chose du droit
d’accès des particuliers à la justice constitutionnelle, notamment pour dénoncer
les violations des libertés et droits fondamentaux qui sont universellement
reconnus et consacrés et garantis par les conventions internationales et les
Constitutions nationales.

Concernant la saisine des juridictions constitutionnelles par les particuliers,


on distingue actuellement deux formes d’accès individuel au juge constitutionnel :
l’accès direct et l’accès indirect.

- En ce qui concerne l’accès individuel direct à la justice constitutionnelle,


sans l’intervention d’une tierce partie, il n’existe actuellement que dans quelques
systèmes constitutionnels qui ont opté pour le modèle centralisé de contrôle de

180 En effet, l'élargissement de la saisine des juridictions constitutionnelles aux particuliers à la suite ces

réformes constitutionnelles s’explique notamment par l’universalité des droits de l’homme au lendemain de la fin de la
Guerre froide. D’ailleurs, le déclenchement du contrôle de constitutionnalité par les particuliers vise justement (presque
exclusivement) les libertés et droits fondamentaux qui sont consacrés et garantis par la Constitution.
181 Certes, il n’existe pas d’acception universelle du concept d’« accès à la justice », cependant, on a pu l’identifier

à travers les cinq éléments constitutifs suivants : 1. le droit à un accès effectif à un organisme de règlement des litiges ; 2. le
droit à une procédure équitable ; 3. le droit à un règlement des litiges dans des délais raisonnables ; 4. le droit à un
dédommagement adéquat ; et 5. les principes de l’efficience et de l’effectivité. V. art. 47 du Titre VI « Justice » de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne et le rapport qui aborde les questions relatives au droit à un recours effectif
et à accéder à un tribunal impartial « L’accès à la justice en Europe : présentation des défis à relever et des opportunités à
saisir » : https://fra.europa.eu › report-access-to-justice-legal_fr_0

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

constitutionnalité, comme ceux de l’Allemagne182, du Portugal, de l’Espagne et de


l’Italie. C’est un recours qui permet à tout citoyen de contester directement la
constitutionnalité d’une norme ou d’une loi spécifique lorsqu’il justifie d’un intérêt
et estime que celles-ci portent atteinte ou susceptibles de porter atteinte à l’un de
ses droits et libertés fondamentaux garantis par la constitution.

Évidemment, cette solution paraît plus démocratique, car elle permet aux
citoyens de veiller à ce que l’on respecte la Constitution et de se défendre contre
les décisions illégales des gouvernants. Toutefois, malgré tout l’intérêt qu’il
présente, elle présente un risque majeur : celui d’entraîner une multiplication des
recours individuels contre la loi et, par conséquent, un engorgement de la justice
constitutionnelle. C’est ce qui explique d’ailleurs la mise en place par le
constituant d’un système de filtre pour canaliser les recours individuels pour
inconstitutionnalité et examiner leur recevabilité avec rigueur. En Allemagne par
exemple, la saisine directe n’est possible qu’après l’épuisement préalable des
autres voies de recours devant les tribunaux.

- Quant à l’accès individuel indirect à la justice constitutionnelle, c’est


l’hypothèse dans laquelle les citoyens peuvent saisir les tribunaux ordinaires en
soulevant une « exception d’inconstitutionnalité » au moment où le tribunal devant
lequel leur affaire est portée, s’ils estiment que la loi qui leur est applicable en
l’espèce et dont dépend l'issue du litige, n’est pas conforme à la Constitution.
C’est le système en vigueur aux Etats-Unis, où la Cour suprême assure un
contrôle efficace de la constitutionnalité des lois, par la voie de l’appel des
décisions des tribunaux ordinaires, car elle est l’instance judiciaire qui décide
en dernier ressort et, par conséquent, ses jugements sont sans appel.

En revanche, dans le modèle de contrôle de constitutionnalité concentré, de


type européen, seules les juridictions constitutionnelles peuvent exercer ce
contrôle, aussi bien dans un cadre a priori qu'a posteriori183. Quant aux tribunaux

182
V. l'article 93, al. 1, n° 4 a de la Loi fondamentale.V. Michel FROMONT, op. cit.
183 Ce modèle est retenu par de nombreux pays, tant en Europe, qu’ailleurs. Mais, il n’existe en France que depuis la
révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (article 61-1 de la Constitution) et au Maroc, depuis l’adoption de la nouvelle
constitution en 2011 (art. 133 de la NCM). Cependant, concernant le Maroc, jusqu’à nos jours, les citoyens marocains ne

105
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

ordinaires, ils n’ont aucune compétence en la matière. Dès lors, afin de permettre
aux citoyens d’accéder à la justice constitutionnelle pour faire valoir leurs droits
fondamentaux, de nombreux pays ont dû introduire la procédure de renvoi
préjudiciel (ou question préjudicielle) dans leurs systèmes constitutionnels184.
C’est la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en France.

Ainsi, en l’occurrence, on peut dire c’est la « question prioritaire de


constitutionnalité » qui permet aux particuliers de contester la constitutionnalité
d'une disposition législative à l'occasion d'un procès devant une juridiction
ordinaire, mais uniquement lorsqu'il estime qu'un texte législatif porte atteinte à
leurs droits et libertés fondamentaux que la Constitution garantit 185. Or, ne
pouvant pas statuer elle-même sur la question de constitutionnalité en raison de
son incompétence186, la juridiction ordinaire devant laquelle cette question a été
soulevée ne peut que la renvoyer, par le biais d’une action préjudicielle, au juge
constitutionnel, si certaines conditions sont remplies187. Celui-ci vérifie alors si la
loi en question est conforme à la Constitution et rend ensuite sa décision188.

Certes, cette forme de saisine de la justice constitutionnelle ne permet


pas l'accès direct des particuliers au juge constitutionnel ; cependant, elle a

peuvent pas saisir indirectement la Cour constitutionnelle pour remettre en cause une loi inconstitutionnelle, car la loi
organique sous le n° 86.15 fixant les conditions et procédures de l'exception d'inconstitutionnalité d'une loi ordinaire en
application de l'article 133 de la Constitution, déféré à la Cour Constitutionnelle à deux reprises (le 6 Mars 2018 et le 21
Février 2023), a été à chaque fois censuré par celle-ci pour inconstitutionnalité.
184 Au sujet des « questions préjudicielles » en France, en Italie, en Belgique, en Espagne et en Allemagne, v. T.

Santolini, « La question prioritaire de constitutionnalité au regard du droit comparé », RFDC, 2013/1, n° 93, pp. 83-105,
185 Il s‘agit de droits subjectifs ayant rang constitutionnel en droit interne (« droits fondamentaux »). Il peut s'agir de

droits de liberté, mais aussi de droits politiques. V. Gabriele KUCSKO-STADLMAYER, « Les recours individuels devant la
Cour constitutionnelle en droit constitutionnel autrichien », Cahiers du Conseil constitutionnel N° 10 (Dossier relatif à
l’accès des personnes à la justice constitutionnelle - Mai 2001, https://www.conseil-constitutionnel.fr › les-recours-indivi..
186
En fait, toute juridiction saisie du litige doit traiter la question prioritaire de constitutionnalité « sans délai ». La
procédure est alors suspendue et le Conseil constitutionnel est saisi de cette question sur le renvoi du Conseil d'État ou de la
Cour de cassation. Il a alors trois mois à compter de sa saisine pour rendre sa décision. C’est pour cela d’ailleurs que cette
question est qualifiée de « question prioritaire de constitutionnalité » , car son examen est, à tous les stades de la procédure,
encadré dans des délais brefs afin qu’elle n’ait pas pour conséquence de rallonger excessivement les délais de jugement V.
Conseil d’Etat fr. « La question prioritaire de constitutionnalité devant la juridiction administrative », https://www.conseil-
etat.fr › dossiers-thematiques › la- , et Guide pratique de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC),
https://qpc360.conseil-constitutionnel.fr › la-qpc › gui..
187 En effet, pour que cette question soit acceptée, elle doit porter sur un acte normatif en vigueur et que la question

soit liée à la solution du litige. Elle est donc posée à titre incident et en contrôle a posteriori . En outre, elle ne parvient au
Conseil constitutionnel qu'après les filtres mis en œuvre par le Conseil d'État et la Cour de cassation (art. 61-1 de la
Constitution française). Par ailleurs, une des conditions de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité devant
les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation consiste à s’assurer que la disposition « n’a pas déjà été
déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf
changement des circonstances » (article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958).
188 V. le Site officiel du Conseil constitutionnel français : Guide pratique de la question prioritaire de

constitutionnalité (QPC), https://qpc360.conseil-constitutionnel.fr › la-qpc › gui..

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

l’avantage d’être déployée dans les différentes branches du droit (d’une manière
concrète)189. Évidemment, cette forme d’accès individuel à la justice
constitutionnelle constitue incontestablement un grand atout à la fois pour la
sécurité juridique et pour l’effectivité du principe de la suprématie de la
constitution dans l’ordre juridique interne. Elle constitue également une garantie
supplémentaire pour la protection des droits et libertés fondamentaux.

B - Le moment du contrôle de constitutionnalité

Suivant le moment de saisine de l’organe de contrôle de la


constitutionnalité des lois, deux solutions sont généralement envisagées : avant
ou après la promulgation d'une loi. Dans la première hypothèse, on parle de
contrôle de constitutionnalité a priori et, dans la seconde, de contrôle de
constitutionnalité a posteriori190. Or, actuellement, aucun pays démocratique ne
prévoit de contrôle a priori exclusif191. Ainsi, dans la Constitution marocaine de
2011, on retrouve les deux types de contrôle (Art. 132 et 133 de la Constitution).

1. Le contrôle a priori
Ce contrôle intervient avant l’entrée en vigueur de la loi, parfois même,
comme c’est le cas en France et au Maroc192, avant qu’elle ne soit promulguée,
c’est-à-dire entre le vote définitif du texte par le Parlement et la promulgation193.
Il apparaît alors comme une étape de la procédure législative. Il est obligatoire à
l'égard des lois organiques avant leur promulgation et des règlements des
assemblées parlementaires avant leur mise en application194, et demeure

189 V. Ph. Ardant et Bertrand Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit ; pp. 129-130.
190 V. Olivier LE BOT, « Contrôles de constitutionnalité a priori et a posteriori en Europe », Les Nouveaux Cahiers
du Conseil constitutionnel 2013/3 (N° 40), pages 117 à 135, https://www.cairn.info › revue-les-nouveaux-cahiers-du-
191 Ibid.
192 V. respectivement les articles 61 de la Constitution française de 1958 et 132 de la Constitution marocaine de

2011. Ce système de contrôle existe également dans d’autres pays européens. Cf Olivier Le Bot, op. cit.,
https://www.cairn.info › revue-les-nouveaux-cahiers-du-
193
En règle générale, c’est cette promulgation qui délimite la frontière entre l’a priori et l’a posteriori..
194 Si les lois organiques sont transmises au juge constitutionnel par le Chef du gouvernement Premier ministre, les

règlements des assemblées parlementaires, ainsi que leurs modifications lui sont transmis par le président de l'assemblée
concernée

107
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

facultatif en ce qui concerne les lois ordinaires (avant leur promulgation) et les
engagements internationaux (avant leur ratification)195.

Ainsi, comme on vient de le mentionner, le contrôle a priori est exercé,


selon la nature du texte contrôlé, soit d’office (automatiquement), soit directement
par voie d'action, sur saisine de l'une des autorités publiques habilitées à saisir le
juge constitutionnel et par lequel on cherche à obtenir l'annulation totale ou
partielle d’un texte de loi pour inconstitutionnalité. Il n'est donc jamais intenté à
l'occasion d'un procès (a posteriori), car il s’agit d’un procès objectif fait à la loi.
La question de constitutionnalité se détache donc ici du litige pour ne concerner
que la conformité d’une norme inférieure (la loi) à une norme supérieure (la
constitution)196.

Le contrôle a priori se présente ainsi comme un contrôle abstrait, dans la


mesure où son objet n’est pas de trancher un litige concret, mais de vérifier la
conformité d’un texte législatif à la Constitution en tant que tel, comme texte
normatif considéré en lui-même. Il existe uniquement dans le modèle de justice
constitutionnelle européen, car il est effectué par une juridiction constitutionnelle
créée spécialement et exclusivement à cet effet (une juridiction spécialisée à
compétence exclusive qui a le monopole du contentieux constitutionnel) . Il s’agit
donc d’un contrôle concentré qui intervient juste après l’adoption définitive du
texte de la loi, mais avant son entrée en vigueur. C’est pour cela qu’il est
également qualifié de contrôle préventif de constitutionnalité.

L’avantage de ce mode de contrôle est donc évident. Ainsi, en plus de sa


célérité197, il empêche la loi d’entrer en vigueur, de produire des effets juridiques
sur lesquels il faudrait revenir en cas de contrôle a posteriori. Par la même
occasion, il préserve la sécurité juridique dans l’ordre juridique interne puisque

195 Dès lors, si lors de de leur contrôle par le juge constitutionnel, celui-ci déclare "qu'un engagement international

comporte une clause contraire à la Constitution", le traité dont il s’agit ne peut être ratifié qu’après une révision de la
Constitution.
196
Damien Fallon. « Le contrôle concret de constitutionnalité des lois par le Conseil constitutionnel ». Revue belge
de droit constitutionnel, 2017. ffhal-03137329f https://hal.science › hal-03137329 › document,
197 En effet, en France comme au Maroc, le juge constitutionnel doit se prononcer dans le même délai que pour le

contrôle des lois organiques et des règlements des assemblées (un mois pouvant être ramené à huit jours en cas d’urgence à la
demande du Gouvernement). (Art 6. Al. 3 de la Const. française et Art. 132, al. 4 de la Const. marocaine).

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

les citoyens sont rassurés que les normes inconstitutionnelles, qu'elles trouvent
leur source dans un traité, une loi ou tout autre texte juridique n'entreront jamais
en vigueur, car les décisions du juge constitutionnel sont définitives et
ne sont susceptibles d'aucun recours.

Son inconvénient, c’est qu’il s’agit d’un contrôle brutal, car il intervient « à
chaud », c’est-à-dire immédiatement après les débats parlementaires, ce qui
renforce le caractère politique de la décision. De même, il se peut que des lois
porteuses d’inconstitutionnalités soient promulguées sans être soumises au
contrôle du juge constitutionnel dans les délais requis, si les autorités publiques
compétentes en décident ainsi, volontairement ou involontairement. D‘où l’intérêt
d’avoir un système de contrôle de constitutionnalité qui combine les deux types
de contrôle : a priori et a posteriori.

2. Le contrôle de constitutionnalité a posteriori


Ce type contrôle n’intervient qu’après l’entrée en vigueur de la loi, dans le
cadre d’un contentieux dont serait saisi une juridiction ordinaire. Il n’est donc
exercé que par voie d’exception à titre incident, dans le cadre du procès en cours
devant le juge ordinaire198. Il ne vise pas à empêcher la mise en vigueur d’une loi
inconstitutionnelle, mais tend à s’opposer à son application dans un cas juridique
précis (en l’espèce), ou plus largement à la détruire pour l’avenir. Il ne peut être
déclenché que lorsque l'une des parties estiment, à l’occasion d’une action en
justice la concernant, que la loi qui lui est applicable en l’espèce porte atteinte
aux droits et libertés que la Constitution garantit199. C’est la procédure de la
question préjudicielle (ou question prioritaire de constitutionnalité (QPC) prévue
par l'article 61-1 de la Constitution française) 200.

Ainsi, en France par exemple, en vertu de l’art. 61-1 de la Constitution,


toute juridiction peut être saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité

198 V. https://www.conseil-constitutionnel.fr › la-procedure-d...


199
V. Art. 133 de la Constitution marocaine de 2011. Cependant, comme on l’a déjà signalé, la loi
relative à l'application de cet article n’a pas encore été promulguée.
200 V. Vie publique : Dix ans de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), Fanny JACQUELOT, « La

procédure de la QPC », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 40 (Dossier: Le Conseil constitutionnel : trois ans de
QPC) – Juin 2013

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

par un justiciable lorsqu'il lui paraît, à l'occasion d'un procès devant une
juridiction ordinaire, « qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit ». La juridiction saisie de la question doit alors
l’examiner sans délai (d’où le caractère prioritaire de cette question, qui prime
sur toute autre) et la transmettre au Conseil d'État (Cour suprême de l'ordre
administratif) ou à la Cour de cassation (la plus haute juridiction de l’ordre
judiciaire français), qui jouent à cet égard le rôle de filtre, car ils doivent
s’assurer que la question posée remplit effectivement toutes les conditions
requises201. Mais, une question qui n’aurait pas été examinée par ces deux
juridictions les plus élevées de l’ordre judiciaire français dans le délai de trois
mois qui leur est imparti est automatiquement transmise au Conseil
constitutionnel.

Le contrôle de constitutionnalité a posteriori permet ainsi à tout justiciable,


à l'occasion d'un procès, de contester la constitutionnalité d'une disposition
législative déjà en vigueur. La question peut être soulevée à chaque stade de la
procédure, en première instance, en appel ou en cassation. Ce contrôle
compléterait ainsi celui exercé a priori, contrecarrant un éventuel accord ou
consensus entre les autorités de saisine pour ne pas déférer la loi votée au juge
constitutionnel. Il assure donc une subordination plus complète de l'ordre
juridique à la Constitution202.

2- Les modes de contrôle


Comme on vient de le voir, l’exercice du contrôle de la constitutionnalité
des lois ordinaires peut varier selon le moment du contrôle et les modèles de
justice constitutionnelle. Mais en prenant en considération les modes de saisine
du juge constitutionnel (voies de recours), on peut en distinguer deux : le
contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d’action et celui par voie
d’exception. Ces deux mécanismes de contrôle correspondent en fait au mode de

201 V. à cet égard la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de
la Constitution française qui détermine les conditions d'application de ce mécanisme dit de "la question prioritaire de
constitutionnalité", ainsi que Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC.
Quant aux conditions requises que cette loi exige pour soulever une QPC, ce sont les suivantes : la loi doit porter sur une
disposition applicable au litige ou à la procédure ; si elle n’a pas déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel
(sauf changement de circonstances) et qu’elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
202 Olivier LE BOT, op. cit.

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

fonctionnement de deux modèles différents de justice constitutionnelle, qui ont


chacun ses propres particularités: le modèle américain et le modèle européen de
justice constitutionnelle qui se sont construits d’ailleurs dans une forme
d’opposition203. Mais actuellement, les juridictions constitutionnelles dans le
modèle européen peuvent connaître du contentieux des actes aussi bien dans un
cadre a priori qu'a posteriori204.

a- Le contrôle par voie d’action


Ce mode de contrôle correspond généralement au modèle de justice
constitutionnelle en vigueur en Europe (contrôle de constitutionnalité centralisé),
caractérisé par l’existence d’une juridiction constitutionnelle, unique et
spécialisée. Il est très restreint, car il est exercé par les organes auxquels est
reconnu le droit d’attaquer directement la loi (d’exercer une action) devant une
juridiction constitutionnelle en vue d’en empêcher la promulgation ou de la faire
annuler à l’égard de tout le monde. Cette action n’intervient pas à l’occasion d’un
procès devant un juge ordinaire, mais porte directement sur la loi, à l'occasion
d'un recours devant un tribunal ou une juridiction constitutionnelle. Elle est
utilisée uniquement à des fins d'abrogation ou de réforme du texte de la loi.
D’ailleurs, c’est ce texte qui fait l'objet de la saisine d’une juridiction
constitutionnelle et le contrôle porte exclusivement et précisément sur sa
constitutionnalité ou son inconstitutionnalité (v. supra).

Ce procédé est généralement lié à la saisine par les gouvernants. Il peut


être exercé a priori, comme c’est le cas au Maroc et en France ou a posteriori,
comme c’est le cas en Allemagne et en Suisse. Quant au circuit d'une saisine a
priori devant la juridiction constitutionnelle, il est très semblable pour le contrôle
des lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires (dont le
contrôle par le juge constitutionnel est obligatoire) que pour les lois ordinaires
(qui ne sont examinées par le juge constitutionnel qu'en cas de saisine) 205. Mais,
dans les deux hypothèses, la saisine de la juridiction constitutionnelle suspend le

203 V. Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 22e éd., 2019, pp. 296-299.
204 Olivier LE BOT, op. cit.
205 V. le site officiel du Conseil constitutionnel français, https://www.conseil-constitutionnel.fr/saisir-le-conseil/le-
circuit-d-une-saisine

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

délai de promulgation206 et son jugement met un terme définitif au contentieux


constitutionnel, car il est revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée.

Quant aux justiciables, contrairement au contrôle diffus à l’américaine, ils


n’ont pas le droit de saisir le juge constitutionnel d'une loi avant sa promulgation.
Ils ne peuvent le faire qu’indirectement en exerçant leur droit de soulever devant
toute juridiction et à tout moment de la procédure judiciaire207 la question de la
constitutionnalité de la loi qui lui est appliquée, et donc dans le cadre d’un
contrôle a posteriori et par voie d’exception.

b- Le contrôle par voie d’exception


Le contrôle par voie d'exception repose forcément sur un litige concret. Il
consiste en un contrôle de conformité d'une norme législative considérée par
rapport à la constitution à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction ordinaire, de manière incidente. Il découle de l’idée selon laquelle le
contrôle de constitutionnalité est inhérent à la fonction de juger, à la mission
même de toute juridiction, quelle que soit sa place dans la hiérarchie judiciaire
et, plus globalement, dans l’ensemble juridictionnel.

Historiquement, ce mode de contrôle est né aux Etats-Unis conséquemment


à l’arrêt Marbury v. Madison du 24 février 1803, sans aucune habilitation
constitutionnelle expresse. Par cet arrêt, la Cour suprême s’est ainsi octroyée le
pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois votées par le Congrès, malgré
le principe de la séparation des pouvoirs208. C’est pour cela que la justice

206
V. article 61 de la constitution française et article 132 de la constitution marocaine.
207 Cette notion désigne en droit la « procédure devant une juridiction étatique, quelle qu'en soit la matière :
civile/commerciale, pénale, administrative… Elle offre la protection et la puissance publique pour la résolution des litiges. En
contrepartie, elle est souvent peu flexible en termes d'organisation procédure et peu rapide. V. https://www.mazars.fr ›
Services › Procedure-judiciaire », https://www.mazars.fr › Services › Procedure-judiciaire
208 C’est donc à partir d'une interprétation jurisprudentielle de la Constitution que la Cours suprême américaine a

instauré, pour la première fois dans l’histoire du contentieux constitutionnel, le contrôle de constitutionnalité des lois en
affirmant notamment que le juge ordinaire avait le pouvoir d’exercer un contrôle juridictionnel à l'égard des actes législatifs
et des autres actes de puissance publique. Elle a même estimé que ce contrôle juridictionnel était inhérent à la fonction de
juger. été à l’origine du modèle américain de justice constitutionnelle, et ce grâce à un tour de force du président de la Cour
suprême à l’époque, le juge John Marshall. En effet, c’est dans cet arrêt que la Cour suprême a, pour la première fois, instauré
le contrôle de constitutionnalité des lois en affirmant notamment que le juge ordinaire avait le pouvoir d’exercer un contrôle
juridictionnel à l'égard des actes législatifs et des autres actes de puissance publique. Elle a même estimé que ce contrôle
juridictionnel était inhérent à la fonction de juger (théorie du contrôle diffus de constitutionnalité). D’ailleurs, dans l’exercice
de sa fonction juridictionnelle, qu'elle soit judiciaire, administrative ou constitutionnelle, le juge doit toujours faire prévaloir
la norme supérieure (la constitution) sur la norme inférieure (la loi et règlements). Et en cas de contradiction, il va de soi que
c’est la première qui doit l’emporter et la norme inférieure doit être annulée. C’est l’objet même et le rôle du contrôle de

112
Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

constitutionnelle aux Etats-Unis est caractérisé, depuis lors, par un contrôle de


constitutionnalité diffus, concret et a posteriori, par voie d'exception et avec des
décisions bénéficiant de l'autorité relative de la chose jugée. Certes, cette cours
n'a pas le monopole du contrôle de constitutionnalité, mais ses décisions ont
quand même une forte autorité209.

Cela étant précisé, aux Etats-Unis, le contrôle de constitutionnalité par voie


d’exception peut être exercé par tout juge ordinaire à l'occasion de l'examen
d'une affaire juridique quelconque. En conséquence, en l’espèce, le juge
ordinaire (des tribunaux fédéraux inférieurs ou des tribunaux d'États fédérés)
statue en même temps sur l’exception d'inconstitutionnalité. S’il admet la
conformité de la loi à la Constitution, il continue le procès et statue sur le fond du
litige. En revanche, s’il la juge inconstitutionnelle, l’application de la loi contestée
est écartée, mais seulement pour le litige en question. Ceci implique qu’elle peut
continuer à s’appliquer, car le juge dans le système judicaire américain n'est pas
saisi directement d'une loi mais d'un litige entre personnes ou concernant une
personne.

Par contre, dans le modèle européen de justice constitutionnelle, le


contrôle de constitutionnalité par voie d’exception ne se pose que lors d'une
procédure judiciaire devant une juridiction ordinaire (qui peut être judiciaire ou
administrative), lorsque l'une des parties poursuivie en application d’une loi, au
motif que celle-ci porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution
(V. l’art. 133 de la NCM), souhaite écarter les conséquences juridiques qui
pourraient en découler à son égard. C’est ce qu’on appelle en droit
constitutionnel, la « question préjudicielle » de constitutionnalité ou question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) en France210. Mais, en l’occurrence, la

constitutionnalité dans un État de droit. Depuis lors, la mission première de la Cour suprême est de veiller à la
constitutionnalité des lois. V. Elisabeth ZOLLER, les Grands de la Cour suprême des Etats-Unis , coll. Les Grands Arrêts,
Dalloz, 1ère éd., 2010.
209 Le Conseil constitutionnel français la considère ( sur son site internet) comme étant la “juridiction la plus puissante sans doute

jamais constituée dans l’histoire humaine, une juridiction gardienne de la loi fondamentale américaine et véritable pouvoir judiciaire”.
210 En effet, en France, cette voie de saisine exceptionnelle prend la forme d'une question prioritaire de

constitutionnalité (QPC). Celle-ci est posée par le justiciable qui conteste la constitutionnalité de la loi qui lui est appliquée et
ce, à tout moment de la procédure, tant en première instance, qu'en appel ou en cassation : soit d’office sur décision du juge,
soit à l’initiative d’une des parties devant le juge a quo (cas les plus fréquents dans cette procédure). Elle ne parvient donc au
Conseil constitutionnel qu'après les filtres mis en œuvre par le Conseil d'État et la Cour de cassation (article 61-1 de la
Constitution). V. le site officiel de l’Assemblée nationale, Fiche de synthèse n° 39 : le contrôle de la constitutionnalité des

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personne poursuivie en justice se contente de demander au juge211 non pas


l’annulation de la loi qu’on veut lui appliquer, mais seulement sa non-application
au litige en cours.

Ainsi, lors du procès en cours, en raison de son incompétence en matière


constitutionnelle, la juridiction a quo chargé de régler le litige principal est donc
tenue de sursoir à statuer212, jusqu’à ce que la juridiction constitutionnelle, qui est
la seule juridiction compétente en la matière, ait tranché définitivement la
question préjudicielle. Bien entendu, ce contrôle ne peut s’exercer qu’a
posteriori213.

L’avantage de ce mécanisme de contrôle est qu’il permet à tout justiciable


de contester toute disposition législative qui est susceptible de porter atteinte à
ses droits et libertés garantis par la Constitution. Conséquemment, tout l’ordre
législatif pourrait être épuré assez rapidement de toutes les dispositions
inconstitutionnelles ayant échappées au contrôle a priori lors de leur mise en
œuvre et de remédier ainsi aux carences de celui-ci, sans pour autant être son
concurrent ou s’y substituer. Son principal inconvénient est qu’il est plus lent que
le contrôle a priori, incertain et assez compliqué. Il risque aussi d’engorger les
différentes juridictions si les recours sont trop nombreux ou infondés en dépit de
l’existence du système de filtrage214.

Mais, afin que le contrôle de constitutionnalité des lois soit vraiment effectif
et efficace, les décisions des juridictions constitutionnelles doivent s'imposer à
tous, tant aux pouvoirs publics qu’à toutes les autorités administratives et

lois, Assemblée nationale : https://www2.assemblee-nationale.fr › le-controle-de-l.. V. aussi Democracy Reporting


International (DRI), Mars 2018 : Le contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois en droit comparé, https://jamaity.org ›
uploads › 2018/04 › le-co...@;,
211 En français juridique, la juridiction qui a posé une question préjudicielle est généralement désignée par

l’expression « juge » ou « juridiction a quo » dans les décisions ou arrêts des juridictions constitutionnelles.
212 En droit processuel, le sursis à statuer est une mesure prononcée par le juge qui provoque une suspension de

l'instance jusqu'à ce que le juge compétent en la matière se soit lui-même définitivement prononcé sur la question juridique
pendante. Cette suspension court donc depuis la date de la décision qui pose la question, jusqu'au jour de la notification de la
décision du juge constitutionnel au juge qui a posé la question.
213 Actuellement, toutes les juridictions constitutionnelles dans le modèle européen de justice constitutionnelle

exercent donc le contrôle de constitutionnalité des lois aussi bien dans un cadre a priori qu'a posteriori.
214 V. supra.

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juridictionnelles. D’où l'assimilation de l'autorité des décisions du


juge constitutionnel à celle de la chose jugée215.

§ 4. L’autorité de la décision de l’organe de contrôle

Lorsque le juge constitutionnel termine l’examen de la conformité d’un


texte de loi par rapport aux normes constitutionnelles, il rend sa décision dans les
délais requis. Il censure, s’il y a lieu, les dispositions qui lui paraissent non
conformes à la constitution et peut préciser dans sa décision la façon dont la loi en
question doit être interprétée. Après quoi, la loi est promulguée et elle entre alors
en vigueur le jour qu’elle fixe ou, à défaut, le lendemain de sa publication au
Bulletin officiel (Maroc) (ou Journal officiel en France)216. Et, en principe, les
décisions constitutionnelle sont exécutoires de plein droit et ne sont susceptibles
d’aucun recours.

En effet, comme tout jugement217, le jugement d’une juridiction


constitutionnelle se présente comme une décision de justice qui met un terme
définitif à un contentieux constitutionnel. Il « s'autolimite dans un cadre
juridictionnel : le juge constitutionnel énonce son pouvoir et reste dans les bornes de
celui-ci. Il n'a pas, dit-il, le pouvoir d'édicter la loi, mais celui d'en contrôler la
conformité à la Constitution » 218.

En effet, à la différence du juge ordinaire qui statue dans des contentieux


subjectifs (où le requérant invoque à l'occasion d'un procès une atteinte à des
droits individuels), le juge constitutionnel est toujours saisi d'un contentieux

215 Marc GUILLAUME, « L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? »,
Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 30 (Dossier : Autorité des décisions) – Janvier 2011, https://www.conseil-
constitutionnel.fr › l-autorite-des-...
216 Toutefois, en principe, la date d’entrée en vigueur des dispositions d’une loi nécessitant des mesures

d’application coïncide avec celle de ces mesures. Enfin, en cas d’urgence, les lois peuvent entrer en application dès leur
publication.
217 Le jugement désigne généralement toute décision émanant d’une juridiction. Quant au Dictionnaire de français

Larousse, il définit la notion de jugement comme étant : « 1. Action de juger quelqu'un, une affaire, dans le respect des lois
et règlements en vigueur. 2. Décision rendue par une juridiction du premier degré (exemple un tribunal d'instance, de grande
instance, de commerce ou un conseil de prud'hommes) ». Larousse, https://www.larousse.fr › dictionnaires › francais ›
jugem...
218 Guy CANIVET, « La motivation des décisions du Conseil constitutionnel », Colloque « la motivation en droit

public », Université Jean Moulin Lyon 3, novembre 2011, Conseil constitutionnel, https://www.conseil-constitutionnel.fr ›
les-membres › la.. ; D. Rousseau, « Le procès constitutionnel », dans Pouvoirs 2011/2 (n° 137), pages 47 à 55

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Pr Ahmed EL MEKKAKI / FSJP-K Théorie générale du droit constitutionnel /S.1/ 2023-2024

juridique objectif, lequel exclut les intérêts subjectifs et porte uniquement sur la
constitutionnalité (ou le respect) des normes constitutionnelles. Autrement dit, le
juge constitutionnel doit trancher le litige qui lui est soumis en se contentant de
vérifier la conformité des textes juridiques qui lui sont déférés aux normes
constitutionnelles et décider en dernier ressort. Mais que se passe-t-il lorsque ce
juge statue définitivement sur le caractère constitutionnel ou inconstitutionnel
d’une loi ?

La réponse à cette question est intimement liée au rôle de la justice et du


juge dans la société étatique219. Ainsi, si l’on se réfère au droit positif220, il est
communément admis que tout jugement définitif, au principal, a autorité de
la chose jugée dès son prononcé et, partant, il est impossible de le remettre en
cause en dehors des voies de recours prévues par la loi221. Il en est de même des
décisions constitutionnelles dans le contentieux constitutionnel222.

Quant aux effets juridiques des décisions constitutionnelles, elles sont


extrêmement variés223. Mais, d’une manière générale, ils diffèrent selon qu’elles
soient prononcées dans le cadre d’un contrôle a priori (recours en annulation) ou
dans le cadre d’un contrôle a posteriori (contrôle par voie d’exception « à
l’américaine » ou par une question préjudicielle posée par une juridiction
ordinaire (QPC)). Dans la première hypothèse, ces décisions sont en principe
revêtues de l’autorité de chose jugée erga omnes, opposables à tous (autorité
absolue de la chose jugée) (A), alors que dans la seconde, elles sont plutôt
revêtues de simples effets inter partes, qui affectent uniquement les parties au

219 Selon le Conseil canadien de la magistrature : « Les juges doivent trancher de manière impartiale lors d’un

conflit entre deux parties. Leurs décisions sont prises en fonction des faits et des preuves qui leur sont présentés, des
jugements rendus par d’autres cours canadiennes par le passé et selon la loi applicable à la situation. La décision des juges est
finale, à moins qu’une des deux parties ne porte la cause devant une cour d’appel". https://cjc-ccm.ca › comprendre-son-
systeme-de-justice ; v. aussi https://www.cours-appel.justice.fr › default › files
220 On appelle « droit positif » l'ensemble des règles juridiques effectivement en vigueur dans un État ou un

ensemble d'États, quel que soit leur caractère particulier, constitutions, lois, décrets, ordonnances, coutumes, jurisprudence.
221 V. par exemple les articles 480 et 1355 du Code civil français , dont s’inspire le Code civil marocain.
222 Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 22e éd., 2019, pp. 285-288.
223 Michel Troper, Le droit et la nécessité, Chapitre IV : Les effets du contrôle de constitutionnalité des lois sur le

droit matériel », ; PUF, 2011, pages 169 à 184, Michel VERPEAUX, « Brèves considérations sur l'autorité des décisions du
Conseil constitutionnel » et Olivier DESAULNAY, « L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue par la Cour de
cassation », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 30, op. cit., https://www.conseil-constitutionnel.fr › breves-
conside... Louis Vansnik et Marthe Fatin-Rouge Stéfanini, « La question préjudicielle de constitutionnalité en Belgique »,
Annuaire internationale de justice constitutionnelle, Année 2008 23-2007, pp. 29-33

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procès (autorité relative de la chose jugée) (B)224. Elles peuvent également avoir
différents effets (ratione temporis) dans le temps225.

A- L’autorité absolue de la chose jugée :

Comme on l’a déjà souligné, lorsque le juge constitutionnel rend sa


décision dans les délais prévus, il met un terme définitif au litige constitutionnel
dont il était saisi et sa décision acquiert l’autorité de la chose jugée. Celle-ci peut
alors avoir soit une autorité absolue de la chose jugée, soit une simple autorité
relative.

Évidemment, dans le cadre du contrôle a priori, après avoir été saisi, par
les autorités compétentes, des lois organiques (avant leur promulgation) et des
Règlements des assemblées parlementaires (avant leur mise en application) (v.
supra), le juge constitutionnel procède à une vérification de leur conformité aux
normes constitutionnelles dès réception de la saisine les concernant226. Après
quoi, il peut soit donner son feu vert à leur promulgation en déclarant qu’ils sont
conformes à la Constitution (décision de conformité à la Constitution), soit les
censurer, et donc suspendre leur promulgation et leur application, en déclarant
qu’ils ne sont pas conformes à la Constitution (décision de non-conformité à la

224 L'autorité de la chose jugée est un principe fondamental en droit. Elle s'attache aux seuls jugements contentieux

ayant un caractère définitif. Elle peut être définie comme une force juridique conférée par la loi aux décisions
juridictionnelles, qui une fois prononcées bénéficient du principe de l'immutabilité interdisant de remettre en cause ce qui a
été définitivement jugé, en dehors des voies de recours prévues à cet effet. V. Dalloz : https://www.dalloz.fr › documentation
› Document. Pour plus de détails sur cette question, v. Anne Rasson, « La valeur de la distinction entre autorité absolue et
autorité relative de la chose jugée », Annuaire internationale de justice constitutionnelle, Année 2012 / 27-2011 , pp. 593-612
225 V. Étude sur l’accès individuel à la justice constitutionnelle, Adoptée par la Commission de Venise lors de sa

85e session plénière (Venise, 17-18 décembre 2010), Council of Europe, https://www.venice.coe.int › webforms › documents;
226
V. le site officiel du Conseil constitutionnel français, Le circuit d'une saisine : Les saisines du Conseil
constitutionnel en contrôle a priori, https://www.conseil-constitutionnel.fr › saisir-le-conseil. Mais, en raison des exigences
propres à la hiérarchie des normes, la conformité des règlements des assemblées aux normes constitutionnelles doit
s’apprécier au regard tant de la Constitution que des lois organiques prévues par celle-ci ainsi que des mesures législatives
prises pour son application.

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Constitution) 227. Il en est de même pour le contrôle de constitutionnalité des lois


ordinaires, avant leur promulgation228.

Autrement dit, la validation totale d’un texte de loi signifierait que celui-ci
serait promulgué dans les délais prévus et publié officiellement, avant son entrée
en vigueur. Mais, si le recours en annulation est fondé, le texte législatif attaqué
est totalement ou partiellement annulé (censure entière ou partielle du texte). La
portée juridique des décisions constitutionnelles peut alors varier en fonction de
ces deux hypothèses :

Évidemment, lorsque le texte législatif attaqué est totalement annulé, la


décision d’annulation sera définitive et ne sera susceptible d'aucun recours229.
Elle sera donc dotée de la "force exécutoire" à partir de sa publication et
s'imposera aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles (v. Art. 134 de la Constitution marocaine et Art. 62 de la
Constitution française)230. En conséquence, même la procédure législative qui a
conduit à l’adoption du jugement se trouve annulée et il n’y aura d’autre solution
pour les autorités publiques concernées que de la reprendre de nouveau, sauf si
le motif de non-conformité constitue un obstacle déterminant supposant, par
exemple, une modification préalable de la constitution231.

En revanche, lorsque le texte législatif attaqué n’est que partiellement


conforme à la Constitution et donc partiellement annulé (hypothèse la plus

227
C’est ce que prévoit formellement l’art. 134 de la Constitution marocaine de 2011 et l’art. 61de la Constitution
française de 1958. Il en est ainsi également dans d’autres pays. V. Mathieu DISANT, « Les effets dans le temps des décisions
QPC », op. cit ; Olivier Lecucq, « Les effets dans le temps des décisions du Tribunal constitutionnel espagnol », dans Les
Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2015/2 (N° 47), pages 79 à 90, https://www.cairn.info › revue-les-nouveaux-
cahiers-d... Anne Rasson, « La valeur de la distinction entre autorité absolue et autorité relative de la chose jugée », Annuaire
international de justice constitutionnelle, Année 2012 27-2011 pp. 593-612, https://www.persee.fr › doc › aijc_0995-
3817_2012_nu..
228 Rappelons à cet égard que, jusqu’à nos jours, le droit constitutionnel américain ne reconnaît pas la possibilité

d’un contrôle a priori qui serait déclenché sur saisine des autorités publiques.
229 Ses décisions et avis sont rendus par sept conseillers au moins (règle de quorum). En cas de partage, la voix du

président est prépondérante. Il n'y a pas d'opinion dissidente possible. Contrairement aux audiences, les délibérés et votes ne
sont pas publics.
230 En France et au Maroc, les décisions constitutionnelles ont donc un effet opposable à tous. Elles sont définitives

et ne sont susceptibles d'aucun recours y compris devant le juridictions constitutionnelles elles-mêmes, à l'exception, bien
entendu, des cas de rectification d'erreurs matérielles.
231
Concernant les engagements internationaux, dont la primauté dans l'ordre juridique interne est
constitutionnellement consacrée, si le juge constitutionnel, déclare qu'un engagement international comporte une disposition
contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution (Art. 55, al. 4 de la
Constitution marocaine et art. 54 de la Constitution française).

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fréquente), le texte législatif attaqué peut être promulgué à l’exception de ses


articles ou parties d’articles déclarés contraires à la Constitution, mais à condition
que ceux-ci soient des dispositions législatives « séparables » de l’ensemble du
dispositif232.

Le système est à première vue le meilleur, car la situation juridique y paraît


plus claire, car dès que le juge constitutionnel décide de
l'inconstitutionnalité d’une loi, celle-ci sera privée de tout effet juridique et
disparaît de l’ordre juridique. C'est d’ailleurs dans ce but qu'est reconnue
l'autorité de chose jugée des décisions constitutionnelles.

2. L’autorité relative de la chose jugée


A l’inverse de l’autorité absolue, l’autorité relative de la chose jugée a un
effet Inter partes, qui conduit, en cas d’inconstitutionnalité, à déclarer
la loi inapplicable au litige en cours. C’est une autorité qui ne s'impose
qu'aux parties au procès, les tiers ne sont pas concernés. Cette règle est
intimement liée au contrôle de constitutionnalité a posteriori « à l’américaine »,
qui est exercé par voie d’exception, par tous les juges, qu’ils appartiennent aux
juridictions fédérales dont la plus haute est la Cour suprême, ou aux tribunaux
d'État et non pas, comme on pourrait le penser, aux seuls magistrats de la Cour
suprême. Mais, actuellement, elle s’applique également aux décisions
constitutionnelles rendues sur renvoi préjudiciel (modèle européen de justice
constitutionnelle).

Comme on le sait , dans le système constitutionnel américain233, tout


justiciable peut invoquer, pour sa défense, l'inconstitutionnalité d’une loi ou d'un
règlement qu'on veut lui appliquer devant n'importe quel juridiction (fédérale ou
d’État fédéré). Dès lors, une fois saisi d’un litige à l’occasion duquel l’une des
deux parties au procès (c'est-à-dire les adversaires qui s'opposent) conteste la
constitutionnalité d’une loi ou d’un règlement que le juge veut lui appliquer,
celui-ci statue lui-même sur la question d’exception d’inconstitutionnalité, à titre

232 Loi organique N°066.13 relative à la Cour constitutionnelle marocaine, art. 27, al. 2.
233 V. Esquisse système judiciaire américain, https://fr.usembassy.gov › uploads › sites › 2017/06

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incident, avant de se prononcer sur le fond du litige. Il exerce, en l’espèce, un


contrôle juridictionnel visant à assurer la conformité des normes de droit à
la Constitution, avant de prononcer son verdict (jugement). Deux solutions sont
alors possibles :

- Si le juge considère que la disposition législative en cause est conforme à


la constitution, il n’a alors d’autres choix que de l’appliquer.

- Mais s’il retient l'inconstitutionnalité de la loi contestée, l'application de


celle-ci sera écartée, mais seulement pour ce litige. Ce qui implique que la loi
elle-même n’est pas annulée, mais simplement inapplicable en l’espèce. Elle peut
donc continuer à s'appliquer, car les arrêts des juridictions inférieures aux Etats-
Unis n’ont qu’une autorité relative de la chose jugée, c’est-à-dire uniquement
entre les parties au litige (effet inter partes). En conséquence, les personnes
touchées par l'application de la disposition inconstitutionnelle dans d’autres
litiges peuvent, à leur tour, soulever une exception d'inconstitutionnalité en
invoquant, s’ils l'estiment utile, « le précédent » de décision (mais le nouveau juge
n’est pas tenu de suivre la solution rendue précédemment).

Évidemment, dans tous les cas, la partie au litige qui a perdu le procès et
qui n’est pas satisfaite de la décision rendue peut toujours faire appel. Ainsi, au
terme de toutes les procédures d’appel, c’est la Cour suprême qui se prononce
en dernier ressort234. Le jugement rendu précédemment peut alors être confirmé
ou renversé, et cette fois-ci l’arrêt prononcé par la Cour suprême aura autorité à
l'égard de tous (Erga Omnes), ce qui signifie qu’il s'imposera aux parties ainsi
qu’à toutes les juridictions, fédérales et d'État. Il devient donc irrévocable235.

234 En effet, la Cour suprême est la plus haute juridiction des États-Unis; elle a compétence d’appel de dernier

ressort tant pour les affaires tranchées par les juridictions fédérales inférieures que pour celles décidées par les diverses
juridictions d’État de l’ensemble des États-Unis.
235 Il convient de rappeler à cet égard qu’aux Etats-Unis et dans d’autre pays dépourvus d’un contrôle concentré,

l’effet contraignant de la décision de la Cour suprême découle du système des précédents. En effet, dans ces pays, les
juridictions applique la doctrine du précédent ou stare decisis (expression latine qui signifie « s'en tenir à ce qui a été
décidé»), doctrine qui veut que les décisions des juridictions supérieures font jurisprudence et que les règles juridiques qui
s’en dégagent sont obligatoires et s’imposent donc à toutes les juridictions inférieures et doivent s'appliquer de la même
manière dans les litiges ultérieurs. Évidemment, c’est cette doctrine qui facilite la préservation de la cohérence de la
jurisprudence dans ces pays.

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Qu’en est-il maintenant des effets juridiques des décisions


constitutionnelles rendues sur renvoi préjudiciel (modèle européen de justice
constitutionnelle) ?

Suivant la jurisprudence constitutionnelle comparée, les effets juridiques


des décisions constitutionnelles rendues sur renvoi d’une question préjudicielle
peuvent varier en fonction des réponses du juge constitutionnel. C’est d’ailleurs à
la lumière de ces réponses que le juge de renvoi (devant lequel la question
préjudicielle a été soulevée) poursuivra ou non le procès236. A cet égard, on
relève généralement deux types de décisions constitutionnelles, ayant une portée
juridique différente : soit une déclaration de conformité à la constitution, soit une
décision d’inconstitutionnalité.

- Dans la première hypothèse, après avoir examiné la conformité de la


disposition législative en cause avec les normes constitutionnelles et vérifié si
l'intégralité de la norme et conforme à la constitution, le juge constitutionnel
déclare alors qu’une telle disposition est conforme à la constitution (le juge de
renvoi doit respecter la déclaration de conformité à la constitution). Évidemment,
dans ce cas, le juge de renvoi ne peut que se conformer à cette déclaration et
l'appliquer dans le litige qui lui est soumis. Toutefois, l’autorité de chose jugée qui
s’attache à la question préjudicielle ne s'impose à ce dernier qu'en ce qui
concerne la norme législative entachée d’inconstitutionnalité. Elle ne peut donc
être invoquée à l’encontre d’une autre loi même si certains des problèmes de
constitutionnalité posée par ces deux lois sont analogues, voire identiques.

- Dans la deuxième hypothèse, si en revanche, le juge constitutionnel


reconnaît dans son jugement définitif l’inconstitutionnalité de la disposition
législative en cause (déclaration d’inconstitutionnalité), le juge de renvoi doit en
écarter l’application pour le litige qui lui est soumis. Cette décision
d’inconstitutionnalité ne bénéficie donc que de l'autorité relative de la chose

236V. Séminaire sur « L’exception d’inconstitutionnalité », op. cit. ; « Les recours devant le juge constitutionnel »,
Étude de législation comparée n° 208 - septembre 2010, op. cit.

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jugée, c’est-à-dire seulement à l'égard de la disposition législative qui a fait


l'objet du jugement, ainsi qu’à l'égard du juge de renvoi et les autres juridictions
ordinaires appelées à statuer dans la même affaire. En conséquence, la norme
législative en cause subsiste et continue d’être applicable dans l’ordre juridique,
et ce pour tous les autres litiges qui pourraient surgir à l’avenir devant d’autres
juridictions. Néanmoins, la décision préjudicielle comportant un constat
d'inconstitutionnalité prive ultérieurement tout juge de la possibilité d'appliquer
encore la norme jugée inconstitutionnelle ; et si ce juge n'est pas convaincu, force
lui sera de poser à nouveau la question préjudicielle237.

La « question préjudicielle » de constitutionnalité a beaucoup d’avantages,


notamment en matière de protection juridique des droits et libertés que la
constitution garantit. Entre autres, permet à tout justiciable de contester, devant le
juge en charge de son litige, la constitutionnalité d'une disposition législative
applicable à son affaire parce qu'elle porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit238. Son principal inconvénient est qu’elle laisse subsister
l’incertitude sur l’application de la loi, et ce jusqu’à ce que le législateur
intervient afin d'éliminer définitivement l'inconstitutionnalité et d'éviter la
prolifération des recours aux tribunaux de droit commun et l’encombrement de la
juridiction constitutionnelle. Il peut alors soit modifier les dispositions de la loi qui
sont entachée d’inconstitutionnalité ou promulguer une nouvelle loi.

Bonne réception et bon courage

237 Jacques VAN COMPERNOLL, Marc VERDUSSEN « La réception des décisions d'une cour constitutionnelle

sur renvoi préjudiciel - L'exemple de la Cour d'arbitrage de Belgique, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 14
(Dossier : La justice dans la Constitution) – Mai 2003 ; Christophe De Bernardinis, Section 2. Le dialogue entre les juges
ordinaires et le Conseil constitutionnel: Revue générale du droit on line, 2021, numéro 55509
(www.revuegeneraledudroit.eu/?p=55509)
238 En effet, ce mécanisme permet à tout justiciable de contester, devant le juge en charge de son litige,

la constitutionnalité d'une disposition législative applicable à son affaire parce qu'elle porte atteinte aux droits et libertés que
la Constitution garantit. Certains constitutionnalistes lui reproche justement de la QPC ne concerne que ces droits et libertés.
Il ne recouvre pas donc l’intégralité des moyens du contrôle a priori, et ne peut être soulevée qu’à l’occasion d’un litige,
exigeant la mobilisation d’un droit subjectif du justiciable. V Jean-François Kerléo, « Les lois non déférées au contrôle de
constitutionnalité a priori »,:Revue générale du droit on line, 2014, numéro 18693 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=18693)

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