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Académie Marocaine des Etudes Diplomatiques

Rabat

Module «  Système constitutionnel Marocain »

Premier Semestre

Responsable pédagogique
Najib Ba Mohammed
Professeur à l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah – Fès
Ancien membre de la Commission consultative
de révision de la constitution ( CCRC)

Syllabus du Cours

1
I – Les objectifs du Cours.
- Initier les Conseillers ou les Secrétaires aux Affaires étrangères, au
Droit constitutionnel par un éclairage sur les systèmes constitutionnels
comparés saisis à travers leur genèse et évolution.
- Intégrer les Conseillers ou les Secrétaires aux Affaires étrangères dans
l’univers politique et institutionnel marocain à travers l’évolution du
processus de construction du système constitutionnel national et les
perspectives de son évolution.
II – L’approche pédagogique
Le cours est dispensé par conférences – débats séquentielles nécessaires
à l’observation analytique du système constitutionnel marocain, ses logiques,
et ses référentiels. La démarche s’appuie sur une documentation théorique et
textuelle en l’occurrence (Constitution, Lois, Jurisprudence, Discours
royaux)
III – Contenu du cours
Introduction Générale.
a) Apriori terminologique.
o Le régime politique
o Le système constitutionnel
o Approches de la constitution
o Le rapport du «  droit » et du «  politique »
o Eléments principiels des systèmes constitutionnels occidentaux
b) Les sources originelles du Système constitutionnel marocain
o Les fondements traditionnels du Pouvoir : Sultanat, Imamat ;
Bey’a, Shura , Makhzen.
o Le projet de constitution de 1908.
o Les plans de réformes du Comité d’Action Marocaine (CAM)
1933-1937
o Le Manifeste de l’Indépendance de 1944.
o Les Accords d’Aix – les Bains 1955.
c) La transition «  pré-constitutionnelle » 1955- 1962.
o Gouvernement et Assemblée Nationale Consultative

2
o La charte royale du 8 Mai 1958.
o Le Dahir du 15 Novembre 1958 relatif aux libertés publiques
o Le conseil Constitutionnel de 1960.
o La loi fondamentale de 1961.
d) La «  greffe  constitutionnelle ».
o Les idées constitutionnelles du Siècle des Lumières.
o Les systèmes constitutionnels comparés.
o L’influence de la Ve République gaullienne de 1958.
e) Les problématiques constitutionnelles marocaines.
o Pouvoir constituant : pérennité du régime et perfectibilité des
institutions.
o L’identité constitutionnelle : Tradition et Modernité
o Continuum constitutionnel et exigences démocratiques « standardisées ».
Chapitre I : La Constitution originaire : les antagonismes dans ordre
politique perturbé.
Section I : La consécration constitutionnelle de la «  Monarchie
gouvernante » et l’échec d’une constitution de compromis
§1 – Conception du pouvoir et mécanismes institutionnels dans
la constitution de 1962
§2 – Portée de la crise institutionnelle et politique : l’Etat
d’exception.
Section II : La «  traditionalisation » constitutionnelle : la «  Monarchie
exclusive » (1970 – 1972).
§1 – Le renforcement du Pouvoir Royal
§2 – L’affaiblissement du Parlement
Chapitre II : Constitutions transitionnelles et ordre politique apaisé.
Section I : le «  consensualisme » constitutionnel : la révision
constitutionnelle du 1er mars 1972.
§1 – Le rééquilibrage des pouvoirs.
§2 – Stabilisation du régime et «  Monarchie Consensuelle ».
Section II : Les réaménagements constitutionnels de 1992 et 1996.

3
§2 – Les apports de la constitution révisée de 1992.
§2 – La transition constitutionnelle 1996 – 1999.
Chapitre III : Charte fondamentale et ordre Constitutionnel choisi .
Section I : Le continuum constitutionnel et la stabilité des
fondamentaux intrinsèques.
I – L’Islam
II – La Monarchie
III – Symboliques «  Unitariste et pluraliste » de l’Etat Nation
IV – Démocratie et droits fondamentaux.
Section II : L’universalisme constitutionnel et la conformité aux
standards démocratiques.
§ 1- Droits de l’homme et protection des valeurs citoyennes
1. La dignité
2. L’égalité
3. La liberté
§2 – La démocratie des droits
1. L’indépendance de la justice
2. La suprématie de la constitution
§3 – La refondation de l’ordre démocratique
1. La nation souveraine.
2. Le pluralisme politique
3. L’élection et la représentation
§4 – La rationalisation des pouvoirs
1. Le parlementarisme rénové
2. La régionalisation avancée
§5 – La démocratie citoyenne et participative
§6 – La bonne gouvernance.

4
LE SYSTEME CONSTITUTIONNEL MAROCAIN

Introduction générale :

En tant que mode d'organisation étatique, le système politique qu'il soit,


démocratique ou autocratique, laïque ou religieux, libéral ou autoritaire,
implique le « régime politique », la structure économique et l'organisation
sociale. Quid du « système constitutionnel »?
Le qualificatif « constitutionnel » adossé au système représente un régime
politique soumis à la constitution dont il relève, ou pour le moins, s'y réfère.
Définie comme l'ossature de l'ordre normatif de l'Etat, la constitution, charte
ou loi fondamentale, symbolise tant pour l'Etat que le citoyen la pyramide de
la hiérarchie des normes du système.
Au-delà de ce caractère normatif, la notion de constitution renvoie
également à la réalité politique faisant d'elle un fait social.
La constitution s'observe en fait, comme totalité indissociable
exprimant une « complétude». Cette représentation symbolique, participe de
son existentialité dynamique, autrement dit « la constitution continue ». Alors
que « la constitution-norme » s'affirme comme ensemble ordonné en droit et
de droits (Hans Kelsen), la «constitution – système » prend la forme d'un
régime en ce qu'elle est présentée comme le principe d'ordre institutionnel et
politique donnant unité et sens à l'ensemble des entités politiques d'un pouvoir
incarné en l'occurrence, l'Etat, la Nation, le Peuple les Forces politiques.
(Dominique Rousseau).
Au-delà du caractère normatif, le terme «constitution » renvoie
également à la réalité politique faisant d'elle une condition de la vie sociale.
D'où la question du rapport entre le «droit » et le « politique »: autonomie ou
interdépendance?

5
Selon Louis Favoreu, « la constitution tient le politique en état ».
Autrement dit, le pouvoir politique se subordonne à la constitution qui
lelimite et le régule par divers mécanismes, dont ceux de la Justice
constitutionnelle.
A l'inverse, Jacques Meunier, fait observer que « le Politique tient la
constitution en état ». En d'autres termes, tributaire du pouvoir politique, la
constitution procédant de lui, son effectivité est redevable du politique. (1).
Par delà ces combinaisons et interactions, le concept « système
constitutionnel » s'applique historiquement aux régimes politiques propres à
l'espace occidental par référence au socle idéologique et principiel qui les
fonde : le libéralisme et la séparation des pouvoirs. On évoquera dans cette
optique l'article 16 de la déclaration française des Droits de l'Homme et du
citoyen de 1789 qui dispose: « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’à point de
constitution ».
L'émancipation des peuples colonisés au lendemain du sommet de
Bandoeng en 1955 et la fin de la bipolarité Est-Ouest en 1990 augurent de
l'internationalisation du Droit Constitutionnel(2).Depuis, le système
constitutionnel devint une formule « sui generis», applicable « erga omnes »
aux divers régimes politiques, quand bien même distingue-t-on, à l'orée du
XXI° siècle, les démocraties libérales et les démocraties illibérales (3)
A titres divers, le Royaume du Maroc, s'inscrit, politiquement et
constitutionnellement dans l'évolution systémique mondialisée.
De par sa situation géographique (méditerranéenne et atlantique) et son
évolution historique (vieille Nation dans un Empire Chérifien fondé depuis le
1
- Cf Obou Ouraga: constitution et autonomie du politique, in la constitution aujourd'hui, Al DC
Tunis 2006, p 170 et suiv).
2
-Cf. Najib Ba Mohammed, Internationalisation du Droit Constitutionnel et standards
démocratiques un in Recueil des Cours L'AIDC Tunis 2007
3
- Cf. La démocratie illibérale en droit constitutionnel aí concept et état des lieux, Journées d'étude
virtuelles 7 -8 avril 2021 https:// univ- droit.fr/actulités.de.la.recherch/appels/35903).

6
XIVes)(4), le Maroc se trouve au carrefour de plusieurs civilisations: africaine
par localisation continentale, arabo- musulmane par conquête lointaine, venue
de l'Est, amazeghie - maghrébine et occidentale par l'effet d'une colonisation
européenne.
Cette croisée d'influences dont le pays, Etat et Société, a été au rythme
du temps le théâtre, lui a permis de forger sa personnalité pour en tirer son
propre génie, mais d'exprimer aussi sa vocation à la tradition et au progrès à la
fois. Le régime politique marocain reflète dans sa globalité cette dualité.
La transition entre une tradition à conserver et une modernité à
entreprendre est assurée par une période coloniale qui entrainera une
transformation des idées et mœurs socio-politiques.
Prenant en charge son destin par l'indépendance, le régime devait cette
fois réaliser un compromis entre un pouvoir fort, capable de promouvoir le
développement impératif et une participation nécessaire des masses à la
gestion des affaires publiques.
Dualité de cultures (tradition et modernité) et d'objectifs
(développement et démocratie), telle est la caractéristique sommaire du
régime marocain. S'il faut admettre que le Maroc s'est doté de sa première
constitution écrite sept ans après son indépendance, force est de préciser que
le problème constitutionnel n'y est pas une idée neuve (5).
En effet ce que principalement « Le Maroc avait en propre, c'était une
identité nationale enracinée dans les siècles d'une histoire tissée par
l'institution monarchique et par la foi religieuse. C'est dire que l'Etat marocain
avec ses implications juridiques (légitimité, souveraineté et unité) préexistait à

4
- Cf Mohammed Kably (sous la direction) Histoire du Maroc. Réactualisation et synthèse,
Publications de l'IRRHM 2012.
5
- Cf. Jacques Robert. La Monarchie Marocaine LGDJ. Paris 1963. Pour en savoir plus, voir
Mohamed Madani, La question constitutionnelle au Maroc, historicité et usages. Publications de la
Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales, Septembre 2021.

7
la constitution qui puisait ses sources dans une tradition que l'entreprise de
modernisation devait mobiliser, enrichir et adapter » (6).
La tradition constitutionnelle fit longuement usage de concepts corrélés
qui évoluèrent en fonction des rapports de forces sur le territoire chérifien.
Ainsi Sultanat, Imamat, Bey'a, Shura éléments scripturaires et le
Makhzen comme mode de domination politique et administrative, constituent
des fondamentaux à résilience avérée, pétris du principe monarchique et de
l'Islam.
La période coloniale n'a pas tari le besoin de constitution.
S'accommodant de « la coutume constitutionnelle » le colonisateur, intelligent
à la vague constitutionnelle ottomane (Turquie, Egypte Tunisie) dont le projet
de constitution de 1908 se fit l'écho entreprit, parallèlement à l'usurpation
progressive de la souveraineté marocaine, les réformes structurelles projetées.
C'est dans ce contexte trouble qu'affleurent différents projets de
constitution amorce d'un Mouvement constitutionnel qui fit de la constitution
un leit motiv existentiel d'un combat pour le passé du Maroc et de « l'aptitude
du Maroc à l'évolution naturelle vers une civilisation plus étendue et une
meilleure ». (7)
Considéré comme le plus représentatif du Mouvement constitutionnel
naissant au début du XXes, le projet de 1908, élaboré à Tanger par Lisan Al
Maghreb est fort significatif d'une tendance émergente.
« Sa Majesté ne peut pas refuser plus longtemps à son peuple les
bienfaits d'une constitution et d'un Parlement. Elle doit lui garantir la liberté
de penser et d'agir qui le rende apte à réformer sa patrie à l'instar de tous les
pays civilisés qu'ils soient islamiques ou chrétiens (...). Nous venons tout juste
de voir quels changements heureux ont fait éclore dans l'empire ottoman

6
- Cf. Georges Vedel, « L'œuvre institutionnelle de Sa Majesté le Roi Hassan II, in la Pensée de
Hassan II. Authenticité et Renouveau, Publications de l'Académie du Royaume du Maroc 2000. P.
60. Dans cette réflexion , voir Najib Ba Mohammed, « Le réformisme constitutionnel marocain ,
maturation d’un processus moderniste », in 44è session de l’Académie du Royaume . Modernité et
Modernités , Rabat 2016.
7
- Cf. M. Madani, p. 38-42.

8
l'octroi par l'Emir des croyants d'une constitution et sa décision de réunir une
chambre des députés».
Ce projet de constitution imparfait dans sa forme, préfigurait la volonté
de ses rédacteurs de reconstruire le système marocain sur la base d'un
compromis entre les principes fondamentaux de la Monarchie (Sultan
chérifien, commandeur des croyants légitimé par Bay'a et doté du pouvoir
makhzanien) la représentation parlementaire et la reconnaissance des droits et
libertés.
L'élan réformateur institutionnel interrompu par l'avènement du double
protectorat espagnol et français, s'affirma méthodologiquement à travers les
plans de réformes du protectorat entreprises par le CAM en 1934 -1937, avant
que le 11 Janvier 1944, le Manifeste de l'Indépendance n'ouvre la voie à la
recherche d'un mode de gouvernement adapté aux nouvelles situations
internationales et conforme au besoin du développement global.
Ainsi se réclamant des bienfaits des «libertés démocratiques dont
l'esprit concorde avec les principes de notre religion et qui ont été les
fondements des régimes de gouvernement dans les pays musulmans frères
(...)», le Manifeste décide notamment de « solliciter de Sa Majesté d'établir un
régime démocratique comparable au régime de gouvernement adopté dans les
pays musulmans d'orient, garantissant les droits de tous les éléments et de
toutes les classes de la société marocaine et définissant les devoirs de
chacun »(8).
La perspective de l'indépendance suscitant l'alliance stratégique entre le
Sultan Mohammed Ben Youssef et le Mouvement National a mis en lumière
l'assimilation du constitutionnalisme par la culture marocaine sous la forme
d'une articulation du thème de la «Monarchie constitutionnelle » avec celui du
«Prestige traditionnel», expression modernisée de la double légitimité

8
- Cf. Mohamed Drissi Alami Machichi «le Manifeste de l'Indépendance: sublime continuité
juridique ». Le Mémorial du Maroc. vol.6.

9
intrinsèque et contractuelle du Sultan Roi, Mohammed V, fort de sa stature de
leadership nationaliste après l'exil 1953-1955.
La période fondatrice (1955-1962), phase cruciale d'un
interrègneperturbé s'assimile, en terme de culture politique à la recherche d'un
«continuum traditionnel » ciment d’un système politique tout en spiritualité,
temporalité et sacralité intégrative prudemment d'une modernité
constitutionnelle domestiquée.
Dans le prolongement de la libération nationale acquise le 18
Novembre 1955, l'entreprise constitutionnelle s'est placée en enjeu disputé des
forces politiques majeures, le Roi et le Mouvement National. La controverse
porta sur le sens et la procédure de la constitutionnalisation du pouvoir.
Depuis 1962 et sous réserve des modifications introduites jusqu'en2011,
la constitution Marocaine énonce les principes fondamentaux d'un régime
défini comme une Monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale ».
Ainsi, en est-il.
• De la souveraineté appartenant à la Nation qui l'exerce directement
par voie de référendum et indirectement par l'intermédiaire des institutions
constitutionnelles.
•De la reconnaissance d'un pluralisme où partis, syndicats, collectivités
locales et régionales, chambres professionnelles, concourent à l'organisation
et à la représentation des citoyens.
•La référence à l'islam religion d'Etat garantissant à tous le libre
exercice des cultes.
• L'attachement aux Droits de l'Homme tels qu'ils sont
universellementreconnus, formule préambulaire (introduite en 1992 et 1996)
corroborée par lareconnaissance et la garantie des libertés individuelles et
collectives.
En somme, la constitution règle une problématique
multidimensionnelle :

10
•L'identitaire: Le Maroc est un pays arabo-musulman, africain et
maghrébin.
•Le statutaire : Le Maroc fait partie du concert des Nations, souscrit aux
principes, droits et obligations découlant des chartes des organismes
internationaux.
•L'option idéologico-politique: La démocratie représentative.
• L'équation socioculturelle: L’harmonisation d'une tradition
unanimiste, solidariste, consultative, pacifiste et d'une modernité expression
du progrès et du développement.
Cet ensemble de données façonnées par la dynamique de l'histoire, la
géographie, les relations internationales a engendré un construit institutionnel
et politique, riche et complexe, un modèle original ou coexistent l'authentique
et l'importé.
« Qu'y-a-t- dans la constitution ? » Pour reprendre une apostrophe faite
naguère par le Professeur Jacques Robert qui répondit : « il y a le Roi ».
Cette formulation en fait synthétise une double réalité, la légitimité
constitutionnelle incarnée par l'Islam et le Pouvoir Royal, la légitimité
démocratique que prolonge une répartition rationnelle des pouvoirs
Au vu de ce qui précède faut-il considérer que le constituant marocain
comme tous les pays nouvellement indépendants, imite servilement le schéma
constitutionnel de l'ancien colonisateur ?
Rien n'est plus douteux, même si « le mythe gaulliste » a dominé
l'esprit du constituant marocain.
L'interprétation de la terminologie peut à cet égard favoriser un
éclairage préalable: deux expressions cardinales sont à élucider.
– La monarchie constitutionnelle : dans le langage constitutionnel
occidental classique, cette notion désigne un régime dans lequel le monarque
règne mais ne gouverne pas, une structure dans laquelle le Roi n'est que

11
spectateur du jeu politique (ex: monarchies anglaise, hollandaise, danoise,
belge et dans une moindre mesure espagnole).
Ce n'est pas le cas au Maroc, où le Roi est le souverain qui conditionne
le jeu institutionnel et politique, c'est le centre et le régulateur de l'édifice
constitutionnel, l'arbitre au-dessus des hommes et des institutions et qui à ce
titre est titulaire d'importantes prérogatives.
- La séparation des pouvoirs: inspiré du constitutionnalisme libéral, le
constituant marocain se réfère à la séparation des pouvoirs Mais au-delà de
tout aménagement juridique l'existence d'un pouvoir royal de nature supra
constitutionnelle s'accommode-t-elle de la théorie libérale de la séparation des
pouvoirs?
Outre la pratique, la réponse est livrée par la conception royale en la
matière : «  la séparation des pouvoirs ne saurait concerner le pouvoir
suprême. Elle ne se trouve qu'au niveau des représentants des pouvoirs
exécutif et législatif en l'occurrence le parlement et le gouvernement (9).
Le préalable terminologique ainsi fait, quelle est la portée de la
Constitutionnalisation du système au Maroc ?
Sous cet angle, deux types de constat sont à faire
1/ L'inadéquation du constitutionnalisme des « premiers âges » à la
réalité politique.
2/ La laborieuse adaptation de la réforme constitutionnelle à
l'équilibredes forces nécessaire au bon fonctionnement des institutions et à la
stabilité du régime

9
- Discours Royal. Mai 1977, in Trente ans de vie constitutionnelle au Maroc, LG.DJ, Paris 1993.

12
Chapitre I
La constitution originaire:
Les antagonismes dans un ordre politique précaire

L'indépendance exacerba le besoin de constitution instrument majeur de


définition et d'organisation de la société politique. Pour le Maroc, son
souverain et ses forces politiques, le recours à la constitution invitait à des
choix et nécessairement à des précautions et prudence, quant à la manière de
s'en servir devant les incertitudes et les périls de la première décennie post-
indépendance, toute voie qui affaiblirait le principe monarchique pouvait
conduire au pire. Il ne s'agissait pas davantage de se résigner à l'immobilisme,
à l'archaïsme et de négliger les aspirations démocratiques des élites et du
peuple unis, autour du Roi Mohamed V dans le combat pour l'indépendance.
S'abandonner au « mimétisme» juridique et institutionnel et vider la
constitution de ses sens, valeur et teneur normative, était une entreprise
stérile; risquée.
En tout cas la période qui a couvert l'établissement de la constitution,
l'interrègne Mohamed V - Hassan II a éclairé sur les objectifs stratégiques des
forces concurrentes. Ce contexte se caractérisait par l'instauration d'un
équilibre au profit du Trône qui a pu éliminer la réalité du parti unique ou
dominant, le Mouvement National incarné par le parti de l'Isqlal, le syndicat
UMT et l'Armée de Libération Nationale et imposer sa conception de la
Monarchie constitutionnelle.
Les développements ultérieurs révéleront un système constitutionnel en
crise (1962 - 1965) générateur d'un constitutionnalisme de la crise
(1970-1972).

13
Section I: La consécration constitutionnelle de la Monarchie
gouvernante et l'échec de la constitution du compromis.
Etablir une constitution revient d'abord à régler une question
instrumentale qui n'est cependant pas une simple approche technique,
formelle. Au recours à une assemblée constituante, il en fut question, lors du
discours du Trône du 18 novembre 1956 avant que par le dahir du 1er
novembre 1960, le Roi Mohamed V institue, le Conseil Constitutionnel qu'il
chargea d'élaborer un projet de constitution que le monarque soumettrait a
referendum avant le 31 décembre 1962. Plus tard, avec insistance. Le thème
de la constituante deviendra un let motiv d'une certaine élite et le débat
dégénéra en un véritable conflit de légitimité souveraineté entre les différents
protagonistes.
Largement inspirée du modèle français de la Vème république, la
constitution de 1962 préfigure un mode de gouvernement parlementaire
démocratique et libéral. L'emprunt à la constitution gaullienne est si prononcé
que fort à propos M. Duverger parla de « gaullisme héréditaire »(10).
Ce type de gouvernement à « l'occidentale» n'a pas résisté à l'épreuve
des faits, échec qui entre autres arguments, s’explique par le fait que la
constitution de 1962 transposait «  un modèle constitutionnel lié à un mode
de production (capitalisme) une classe politique (bourgeoisie) et un état
d'esprit (libéralisme) qui ne correspondaient que très partiellement à la société
marocaine actuelle »(11).
§1- Conception du pouvoir et mécanismes institutionnels dans la
constitution de 1962.
La 1ère constitution marocaine est d'une écriture très moderne dans la
forme et dans le fond. Elle met en place les organes essentiels du pouvoir,
10
- Cf. Frédéric Rouvillois, « La monarchie démocratique marocaine face à la république
monarchique française » in Evolution constitutionnelle au Maroc, origines historiques,
manifestations actuelles et défis futurs Publications de l'Académie du Royaume du Maroc 2018.
11
- Cf Philippe Colson, « Aspects constitutionnels et politiques du Maroc indépendant », RDP 1975
p1280.

14
définit leurs compétences et leurs rapports, proclame des principes
fondamentaux et consacre des droits politiques, économiques et sociaux, situe
le Royaume du Maroc dans la communauté internationale et régionale (12).
Au-delà des mécanismes juridiques la constitution devait codifier une
conception du pouvoir « Mais afin que les institutions définies puissent
fonctionner dans les meilleures conditions pour le bien du peuple et la
grandeur de la patrie, afin que soient maintenues dans la tempête l'autorité et
la continuité de l'Etat. il est nécessaire que votre Roi, garant de la constitution
et défenseur des libertés de chacun, puisse à tout moment contrôler et suivre
les affaires de l'Etat et s'il en était besoin, avec l'assentiment du peuple et son
concours triompher comme par le passé des obstacles qui se dressent devant
nous » (13).
Cette conception du pouvoir qui s'exprime dans la constitution et devait
éclairer la pratique institutionnelle, témoigne à travers deux propositions
majeures de l'influence gaullienne sur le système.
• Le monarque exerce un pouvoir arbitral fort étendu.
•Le système politique marocain, dans l'objectif de développement et de
modernisation repose sur un Exécutif fort, mais issu de processus
démocratique et de contrôle.
a- Pour nous en tenir au fond, le Roi, «clé de voûte » du système
exerce un pouvoir comparable mais plus étendu que celui du Chef d'Etat
français.
A l'exception de deux références à connotation politique et religieuse.
« Symbole de l'unité nationale» et « Amir Al Mouminin» l'article 19 de la
constitution marocaine utilise pour définir la mission du Roi des termes
analogues à ceux de l'art. 5 de la constitution française. Plusieurs dispositions

12
- Cf. M. Duverger « La constitution marocaine », le Monde 30 novembre 1962, voir aussi Claude
Palazzoli, le Maroc politique de l'indépendance à 1974. Ed. Sindibad, 1974.
13
- Cf. Discours royal à la veille du référendum du 7 décembre 1962.

15
constitutionnelles de portée inégale, paraissent se déduire de ce statut
prééminent.
D'une part, assurant le respect dû au Roi dont « la personne est
inviolable et sacrée », la constitution prohibe toute révision dont l'objet
porterait sur la forme monarchique de l'Etat et sur l'Islam.
D'autre part, le Gouvernement procède du Roi et est responsable
essentiellement devant lui. Ainsi que l'observe G. Vedel « On s'est déjà aperçu
que cette formulation apparemment péremptoire trouve ses limites dans la
règle selon laquelle, après sa nomination, le Gouvernement doit se présenter
devant les chambres et ne pas encourir la censure. »(14)
b- Les autres points qui marquent le plus fortement le pouvoir
monarchique assimilé quoique relativement à celui du Président de la
République en France concernent le pouvoir législatif, la conduite de la
politique étrangère et la révision de la constitution.
En effet, outre son droit de demander une nouvelle lecture de la loi
votée, le Roi peut soumettre au référendum « tout projet ou proposition de loi,
hormis le cas où le projet ou la proposition de loi soumis à la nouvelle lecture
aurait été adopté ou rejeté par chacune des deux chambres à la majorité des
2/3 des chambres la composant ».
C'est une prérogative fort importante même si elle est limitée par la
disposition selon laquelle «  les résultats du référendum s'imposent à tous ».
La conduite de la politique étrangère dans le système français revient au
chef de l'Etat. Certains traités cependant ne peuvent être ratifiés selon la
constitution française qu'en vertu d'une loi. Au Maroc cette exigence n'existe
que pour les traités engageant les finances de l'Etat.
Enfin, si l'initiative de révision de la constitution est reconnue au Roi et
à chacune des deux chambres, son exercice et la procédure qui s'ensuit sont

14
- Cf. Georges Vedel . « Evolution des institutions » Géopolitique. Spécial Maroc n° 57, 1977,
P : 50.

16
selon les cas différents. Le texte de révision issu d'une initiative parlementaire
ne peut être voté que à la majorité des 2/3 dans chacune des chambres. Il est
alors soumis à référendum.
L'initiative royale peut au contraire conduire à un référendum direct
sans préalable parlementaire, prérogative à ne pas négliger. Elle fait pendant à
l'interprétation de l'article 11 de la constitution française telle le Général De
Gaulle l'avait pratiquée.
c- D'autres prérogatives relevant du rôle plutôt « actif » que
arbitral, cette fois, rattachent la monarchie marocaine à cette loi tendancielle
du constitutionnalisme moderne et sans que cela soit exorbitant. Ainsi en
est-il de la présidence du conseil des ministres, le pouvoir de nomination des
fonctionnaires civils et militaires, et des magistrats, la qualité de chef suprême
des armées, la présidence de conseils, l'exercice du droit de grâce. A bien des
titres cependant, l'article 35 afférent à l'état d'exception, tranche avec l'article
16 de la constitution française pour relever quant au fond d'un autre langage
d'emprunt: la «clause de sauvegarde de l'absolutisme»(15). En période
exceptionnelle, le fonctionnement des institutions constitutionnelles est
suspendu et le Roi reprend dans sa personne la presque totalité des pouvoirs
de l'Etat. L'article 35 qui prévoit cette situation a été très critiqué par
l'opposition pendant la campagne référendaire en raison de la largeur de ses
prévisions.
Cette disposition qui transforme le jeu normal des institutions
constitutionnelles confère au monarque une liberté d'appréciation et de
l’opportunité de l'état d'exception. Si la constitution précise qu'il peut, cela
signifie qu'il jouit d'un pouvoir discrétionnaire en la matière. Tout événement
quel qu'il soit, bien que n'entraînant point dans l'immédiat de blocage des
institutions peut s'il est considéré par le Roi comme un facteur capable
d’engendrer pour l'avenir des troubles, peut conduire le souverain à appliquer

15
- Claude Palazzoli, le Maroc politique de l'indépendance à 1974. Ed. Sindibad, 1974.

17
l’article 35. La constitution ne détermine ni la nature de ces événements ni
leur degré d’intensité. S’il existe des conditions de forme (consultation des
présidents des deux chambres, message à la Nation) aucune condition de fond
n'est énoncée dans la constitution de 1962. Le Roi n'est pas tenu de soumettre
l’opportunité de cette décision et ses modalités d'approbation à un organe
quelconque alors qu'en France le Conseil d'Etat veille à la régularité
d'application de l'article 16 de la constitution de 1958.
D'autre part si le Roi n'est pas tenu de justifier la proclamation de l'état
d'exception, l’article 35 ne lui impose aucun délai, la durée de la période
exceptionnelle est laissée à la discrétion royale. Enfin, la suspension de la
constitution n'est pas attachée de plein droit à l'état d'exception. Tout dépend
de la volonté royale à pouvoir indéterminé, illimité et discrétionnaire. Le
monarque a la possibilité de maintenir la constitution, il peut aussi l'abroger
en partie ou en totalité. C'est donc dans les décisions royales elles-mêmes qu'il
faut s'efforcer de découvrir les effets de la mise en vigueur de l'état
d’exception
d- Au reste un retour à la « période normale » favorise une autre
« lecture gaullienne » des rapports institutionnels: un parlementarisme avec
prédominance de l'Exécutif.
En effet, la constitution réalise « la superposition ou, si l'on préfère, la
symbiose d'un régime parlementaire rationalisé qui n'est pas marqué par une
spécificité accentuée et d'une monarchie populaire dont au contraire,
l'originalité profonde s'enracine dans ce que l'on pourrait appeler la
marocanité »(16).
La rationalisation du régime se manifeste notamment dans une
définition précise des matières réservées à la loi tandis que bien d'autres
relèvent du pouvoir réglementaire confié au Premier ministre. Elle prévaut au

16
- Cf. Georges Vedel . « l’évolution constitutionnelle » Politique internationale , op.cit , p : 28.

18
gouvernement dans sa collaboration avec le Parlement en matière d'initiative
législative et financière.
A l'instar du système français: la rationalisation du régime
parlementaire réalise son expression la plus marquée à travers les rapports du
parlement et du Gouvernement. En l'occurrence les moyens mutuels
d'empêchement ou de contrôle.
Le point essentiel de la responsabilité politique du gouvernement
devant le Parlement a été traité, à quelques retouches près, d'une manière
comparable à celle qui trouve place dans l'article 49 de la constitution
française.
Au Maroc comme en France, la mise en cause de la responsabilité
gouvernementale exige une procédure définie comme telle et qui n'entraîne la
démission du gouvernement que si la défiance est exprimée par la majorité
absolue des membres composant la seule chambre des représentants (art. 81).
La position gouvernementale est d'autant plus forte qu'une motion de censure
ne peut émaner que du 1/10 au moins de la chambre et qu'elle ne peut être
renouvelée qu'après un délai d'un an.
e- D'une certaine manière, certaines prérogatives royales en
direction du Parlement - l'ouverture des sessions, le droit de message, voire
même la promulgation de la loi - en orientant l'action-parlementaire,
accentuent la prééminence de l'Exécutif (17).
L'ouverture des sessions est une fonction classique de tout chef d'Etat
dans un régime parlementaire. Ainsi, l'une des prérogatives de la Reine
d'Angleterre est de présider la cérémonie d'ouverture de la session d'automne
du Parlement britannique. Elle se rattache à une tradition en vertu de laquelle
les représentants de la Nation renouvellent annuellement leur allégeance à la

17
- Cf. Najib Ba Mohammed , le Parlement dans le système politique marocain . Thèse de Doctorat
d’Etat , Droit Public , Université de Lille II. Droit et Santé 1982.

19
Couronne. Mais c'est aussi un vestige d'une période révolue de monarchie
gouvernante en Grande Bretagne.
Au Maroc elle s’inscrit dans la réalité de dépendance du Parlement au
Roi. C'est dans ce sens que l'article 39 de la Première constitution marocaine
précise au titre du fonctionnement du Parlement : « Le Roi préside l'ouverture
des deux sessions. La première session commence le 18 novembre, la seconde
session s'ouvre le dernier vendredi d'avril ».
Les révisions constitutionnelles ultérieures devaient limiter l'ouverture
royale à la seule première session d'automne. Ce qui peut néanmoins signifier
que le Parlement ne peut entamer son année législative sans l'ouverture
officielle par le souverain.
De fait, c'est moins le côté cérémonial de l'ouverture, que les conseils,
directives et orientations contenus dans le discours royal de l'occasion qui
importent.
Avec le droit de message apparaît une autre prérogative
constitutionnelle de dialogue du Roi avec le Parlement, une autre occasion
pour le premier de tenir le second au courant des options qu'il aura arrêtées.
C'est encore là un héritage français de la constitution marocaine, et comme
tel, il apparaît comme une institution significative. La constitution marocaine
a fait l'économie de toute l'évolution du droit de message en France, pour
codifier, avec une portée juridique plus considérable, le système de la Ve
République. On retiendra que dans les deux cas, aucune limitation du nombre
de messages n'est faite, alors qu'aux Etats-Unis par exemple, la constitution
américaine fait obligation au Président d'adresser un message sur l'Etat de
l'union au moins une fois par an.
On peut aussi, dans un cas comme dans l'autre, estimer bien que cela
paraisse plus clair au Maroc, que le message n'est pas une obligation, mais
une simple faculté. Enfin, si le message, en France comme au Maroc, n'est
soumis à aucun contreseing ministériel, en revanche l'interdiction faite au

20
Parlement d'en débattre est plus absolue au Maroc. Du reste, la grande
différence entre les droits de message français et marocain, réside sur un autre
plan; celui de la nature juridique de l'acte et ses conséquences
juridictionnelles. A l'inverse du cas français, le message royal au Parlement
est une source de droit, donc doté d'une force exécutoire. Et comme tel, il
échappe à tout contentieux en vertu du critère organique retenu par la
jurisprudence marocaine pour tous les actes émanant du Roi.
En revanche, le droit de message au Parlement a la même portée
politique en France et au Maroc. II matérialise une orientation, un programme
affairant à la conduite de l'Etat. Il confirme le Chef de l'Etat dans son rôle de
guide, d'arbitre au-dessus des factions. Il est selon la formule de J.-L. Debré,
«  l'expression constitutionnelle que le souverain n'est pas le Parlement, ce
n'est pas lui qui accorde sa confiance, c'est le Chef de l'Etat qui exprime sa
confiance aux députés et aux sénateurs et qui leur assigne une fonction
précise ».
Le droit de message est d'une signification évidente. Son impact sur
l'action du Parlement est d'autant plus effective que la conjoncture qui aura
présidé à son exercice est importante.
Enfin, élément non négligeable, rationaliser l'action parlementaire
consistait aussi à mettre en place une majorité parlementaire capable en
permanence de soutenir le gouvernement.
§2 -Portée de la crise institutionnelle et politique 
La conception du pouvoir portée par la constitution était certes bien
confortée. L'expérience constitutionnelle ne dépendait pas moins des
conditions nécessaires à sa mise en œuvre. A cet égard, le très large score
enregistré par le référendum constitutionnel du 7 décembre 1962-80% des
suffrages exprimés - ne pouvait paradoxalement préjuger des résultats des
élections législatives. La nature même de la consultation référendaire pour

21
(18)
l'adoption de la constitution en l'occurrence l'engagement personnalisé du
Roi ne pouvait que déclasser les partis politiques obligés pratiquement
d'arrêter un agenda et qu'ils ne maitrisent guère. Les exigences du
parlementarisme majoritaire indiquaient donc de réunir toutes les
circonstances favorables à la création d'une force d'appoint si non homogène,
solidaire. Le paysage d'alors n'était pas clair même si arithmétiquement
l'opération tenait au transfert de la majorité référendaire au niveau des
législatives, l'opposition revenant naturellement au cartel minoritaire du
«Non » exprimé par la gauche, UNFP, les communistes et le syndicat UMT.
La stratégie de la création du Front pour la Défense des Institutions
Constitutionnelles (FDIC) n'était pas dans cette perspective suffisante.
L'échec consommé de la première tentative de constitutionnalisation du
système a montré les limites du jeu institutionnel et politique et la définition
de nouvelles règles à codifier.
Le recours à l'article 35 qui réglemente l'état d'exception, le 7 juin 1965
et l'institutionnalisation par la constitution de 1970 de la pratique autoritaire
est plus qu'édifiant. Quel bilan peut-on établir sur cette période ?
La minceur au plan du droit parlementaire, de la production législative
et de la justice constitutionnelle, caractérisa trois législatures dans deux
expériences constitutionnelles différentes.
La richesse en revanche par la culture constitutionnelle qui a pu se
dégager:
D'abord par référence à une institution nouvelle, le Parlement, cette
période a clairement montré, qu'une assemblée avec une opposition forte était
gênante et non viable, autant qu'une assemblée sans opposition était
inconcevable.

18
- Cf. P. Valentino , le Référendum constitutionnel du 7 décembre 1962 . Presse de la Fondation
Nationale de Sc. Po. Paris 1964.

22
Ensuite, tant au niveau quantitatif que technique la constitution de 1962
a vu fonctionner les dispositions relatives au rapport Parlement-
gouvernement, à la session extraordinaire, à l'arbitrage royal, la motion de
censure et la révision.
Enfin, élément essentiel, la relativisation du pluralisme
constitutionnalisé. Le pluralisme politique prédestinait le système à la
compétition politique pacifique qui s'exprime par la pratique électorale, la
reconnaissance de l'opposition. C'est au niveau des représentations et
fonctions qu'il introduit, le rapport de force qu'il sanctionne, que le pluralisme
porté par l'article 3 de la constitution se voit transformé. La constitution qui le
sanctionne, la place des institutions qui le sous-tendent et des acteurs qui
l'animent contribuent à sa relativisation.
Si l'on s'en tient d'une part à la constitution qui prohibant le parti unique
reconnaît la nécessité du pluripartisme. Si l'on, se réfère d'autre part à
l'opinion royale « j'ai personnellement pour les partis politiques la plus grande
estime et le plus grand respect.
(...) Je les considère comme la meilleure école politique »; la place des
partis dans la vie politique est appréciable et laisse entrevoir, à leur profit, une
certaine liberté d'action.
En fait comme le note Khalid Naciri « l'évolution qui caractérise les
partis est celle de la négation à la rationalisation de leurs rôles » d'où «  une
histoire de relations passionnées, faite d'attitudes et de comportements
dépourvus de logique sereine, une histoire où priment les contradictions et
l'incohérence » (19).
Reconnus, tolérés, suscités, les partis le sont tant qu'ils expriment les
tendances diverses du peuple dans le respect de son unité incarnée par le Roi
qui exprime l'unanimité. Ils se trouvent ainsi déterminés par un pouvoir qui

19
- Cf K. Naciri ; Le droit politique dans l’ordonnancement juridique marocain, Thèse de Doctorat
d’état Droit public , Paris 1 , 1984.

23
leur échappe et qu'ils ne peuvent que servir. Certains partis obéissant à cette
logique, se situeront comme soutien et relais du pouvoir. D'autres au contraire,
contestant ce schéma susciteront de la part du Pouvoir, réaction de
marginalisation-neutralisation (20). L'encouragement de nouvelles formations
ou en période électorale, celui des candidatures neutres, indépendantes ou
sans appartenance politique, va dans ce sens. En définitive, le pluralisme
politique ramené essentiellement au pluripartisme « pour autant qu'il existe
n'est pas accusé » selon la formule de C. Palazzoli.
Dans le tumulte de la crise subséquente à l'échec de la première
expérience parlementaire le dialogue entre le pouvoir et les partis incline
d'abord à la reconversion de ceux-ci : « Nous espérions que la période de l'état
d'exception allait incliner l'élite (...) à procéder à une révision de ses
conceptions. Il semble que le besoin se fait toujours sentir d'une nécessaire
reconversion » (21).
L'entreprise constitutionnelle avait initialement légitimé aussi bien la
continuité monarchique que la réalité partisane. Mais cet apparent compromis
constitutionnel comportait une part d'aléas, puisque le système introduit en
1962 par la monarchie pour la renforcer, pouvait servir de moyen pour la
contester. L'alternative alors possible consistait en une docilité des partis au
pouvoir royal. Dans le cas contraire celui-ci serait en droit de décréter l'Etat
d'exception. C'est à travers l'institution parlementaire que ces contradictions
devaient apparaître. Alors que l'expérience 1963-65 a été sanctionnée par le
refus royal d'une opposition forte, celle de 1970-1971 en revanche a exprimé
une réticence de l'opposition en vers un pouvoir royal jugé trop puissant.
En effet, les élections législatives de 1963, celles de la chambre des
représentants n'ont pas abouties à une majorité nette.

20
- Cf Michel Camau : Les institutions du Maghreb Tunis Cérès 1970.
21
- Cf. Discours royal du 10 juillet 1970.

24
Ainsi, le Front pour la défense des institutions constitutionnelles
(FDIC) (né à l'issue du referendum constitutionnel du 7-12-1962 et réunissant,
le Mouvement Populaire, le Parti démocratique et constitutionnel et les
indépendants - libéraux) a obtenu difficilement 69 sièges Le Parti de l'Istiqlal
reçu 41 sièges, l'Union nationale des forces populaires (UNFP) a totalise 28
sièges.
La majorité absolue étant de 73 sièges, le FDIC réunit 69 sièges à
égalité avec l'Istiqlal et l'UNFP associés dans l'opposition. C'est dire que ces
deux blocs étaient en clin de rechercher le soutien des 6 élus sans étiquette.
Le gouvernement dirigé alors par M. BAHNINI fragilisé par une
majorité FDIC hétérogène, ne put tenir front à l'opposition du cartel
« nationaliste progressiste» Istiqlal-UNFP. Devant le blocage des institutions
constitutionnelles, le Roi décida après maintes négociations, de décréter l'état
d'exception (art 35), de dissoudre le Parlement, le 7 Juin 1965 Cinq ans plus
tard, la levée de l'état d'exception s'accompagna d'une révision de la
constitution Contestant cette mesure l'opposition Istiqlal - UNFP réunie dans
la Koutla Watania, appela au «non » lors du référendum constitutionnel du
10Août 1970 et boycotta les élections législatives La deuxième expérience
parlementaire à l'exclusion de l'opposition, révéla un constitutionalisme de la
crise.
Section II : La « traditionalisation » constitutionnelle : la
Monarchie «  exclusive » ( 1970 – 1972)
A l'instar de sa devancière, la constitution du 31 Juillet 1970 est
fortement imprégnée des principes du parlementarisme dans un cadre de
monarchie constitutionnelle. Seulement, aboutissement d'une expérience
parlementaire manquée qui devait conduire le Roi à proclamer l'état
d'exception en 1965 et à cumuler la quasi-totalité des pouvoirs, la constitution
de 1970 traduit l'intention du souverain de modifier le rapport de force entre
le pouvoir monarchique et le Parlement. Le nouveau texte consacre donc un

25
renforcement considérable des prérogatives royales et un affaiblissement
marqué du parlement.
§1 -Le renforcement du Pouvoir Royal
Le renforcement du pouvoir royal concerne essentiellement le statut du
Roi et les pouvoirs qui lui sont dévolus tant dans ses rapports au
gouvernement et au parlement qu'en matière de révision de la constitution.
Avec la nouvelle rédaction de l'article 19, le Roi Amir Al Mouminine
est passé de symbole de l'unité de la nation, à «Représentant suprême de la
Nation » Ce qui le place désormais au-dessus des députés En matière de
dévolution de la couronne (succession au Trône) les articles 20 et 21
permettent au Roi de designer « intuitu personae» (personnellement) les
membres du conseil de régence et de désigner parmi ses fils un successeur
autre que son fils aîné.
1/ Le renforcement du pouvoir royal à l'égard du gouvernement.
Il se manifeste pour l'essentiel dans les conditions d'exercice du pouvoir
réglementaire, qui en 1962 revenait au Premier Ministre Désormais avec
l'article 29 de la constitution de 1970, le Roi est le titulaire du pouvoir
réglementaire qu'il peut déléguer au Premier Ministre qui ne peut plus
déléguer de son côte certains pouvoirs aux ministres.
2/ Le renforcement du pouvoir royal vis à vis du Parlement
Dans diverses matières la compétence du Parlement est amoindrie parle
Pouvoir Royal.
Ainsi selon l'article 28, les messages royaux adressés au Parlement ne
peuvent plus comme c'était le cas en 1962- faire l'objet d'un débat
parlementaire.
Avec l'article 66, le Roi peut soumettre par dahir tout projet de loi
(d'origine gouvernementale) et toute proposition de loi (d'origine
parlementaire) à référendum Cependant à la différence du texte de 1962 le
projet de lois peut directement être soumis à référendum sans avoir été au

26
préalable délibéré au Parlement Autrement dit le referendum législatif
échappe à tout contrôle parlementaire, l'article 72 réserve au Roi le pouvoir de
déclarer la guerre après simple communication faite au Parlement qui sous la
constitution de 1962 devait donner son autorisation
Enfin, l'article 70 permet au Roi, après dissolution du Parlement et
jusqu'à sa réélection dans les trois mois qui suivent, de réunir les pouvoirs
dévolus au parlement.
3/ Le renforcement du pouvoir royal en matière de procédure de
révision de la constitution
Dans le cadre de la constitution de 1962, l'initiative de la révision
constitutionnelle appartenait concurremment au Premier Ministre et au
Parlement.
Le projet de révision devait être arrêté en conseil des ministres (présidé
par le Roi) puis faire l'objet d'une délibération des deux chambres et d'un vote
favorable de chacune d'elles avant d'être soumis à référendum. Ainsi
l'initiative révisionnelle revenait pratiquement au Parlement, le Roi ne faisait
que soumettre le texte voté par le Parlement au référendum.
L'article 97 de la constitution de 1970 réserve au Roi l'initiative de la
révision même si l'article 98 habilite le parlement à faire une proposition de
révision à la majorité des 2/3 de ses membres. Non seulement, le Roi peut
refuser son accord à la proposition, mais encore faut-il qu'elle réunisse une
majorité aussi forte.
Enfin, le nouvel article 35 relatif à l'état d'exception permet en plus au
roi «  d'assurer la conduite des affaires de l'Etat » alors que précédemment, il
se bornait à maintenir l'intégrité territoriale et rétablir le fonctionnement
normal des institutions.
§2-L'affaiblissement du Parlement:
« Qu'y a-t-il dans la constitution marocaine ? le Roi » affirmait Jacques
Robert (22).

22
- Jacques Robert « la constitution marocaine du 31 Juillet 1970 », Maghreb Machrek, Sept-Oct 1970.

27
En effet, symétriquement à l'accroissement des prérogatives royales
l'affaiblissement numérique de la représentation nationale issue directement
du suffrage populaire et la diminution des pouvoirs de la nouvelle chambre
constituent les autres traits caractéristiques de la constitution de 1970.
1/ La composition et le statut du Parlement :
La constitution de 1970 a réinstauré le monocaméralisme soit un
parlement à chambre unique: la chambre des représentants assurant une triple
représentation nationale, locale et professionnelle. Elue pour 6 ans, (art 43), la
chambre des représentants se compose de 240 membres dont 90 seulement
sont élus au suffrage universel direct.
La réforme du parlement affecta aussi le statut des parlementaires. En
effet, outre l'article 19 modifié et faisant du Roi « Représentant suprême de la
Nation», les parlementaires réduits à un rôle de « représentants secondaires »
connaissent une limite importante à leurs immunités. Désormais, avec l'article
37 « si aucun membre du Parlement ne peut encore être poursuivi, arrêté,
détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice
de ses fonctions », il n'en est plus de même au cas où il a exprimé des
«opinions mettant en cause le régime monarchique, la religion musulmane ou
qui constituent une atteinte au respect du au Roi ».
2/ Les pouvoirs du Parlement :
Si le domaine de la loi demeure restrictivement défini, le gouvernement
est plus fortement préservé que par le passé contre les empiétements du
législatif. Parmi les innovations importantes il convient de citer
- La demande par le Parlement de la session extraordinaire nécessite le
vote à la majorité absolue de ses membres (art 39) et non plus le tiers. -La
motion de censure doit être signée par le quart des députés (art 74) et non plus
par le 1/10 de ceux-ci.
- Après la dissolution du Parlement les élections législatives
interviendront au plus tard dans un délai de trois mois (art 70 al 1) au lieu de
vingt jours.

28
En définitive. Les conditions de révision de la constitution de 1962, le
boycott par les partis de l'opposition des élections législatives de l'été 1970,
donnèrent naissance à un Parlement avec une forte majorité d'inconditionnels,
mais sans opposition.
La deuxième expérience parlementaire tombait ainsi dans la
banalisation de la pratique institutionnelle. Des événements d'une autre nature
(coup d'état militaire le 10 Juillet 1971 à Skhirate) révéleront une crise:
autoritarisme politique, conflits sociaux, corruption, procès politiques, et
pousseront le monarque à changer de méthode de gouvernement adaptée aux
exigences de la démocratisation et aux impératifs de l'Etat moderne. Autant de
facteurs qui ont dominé la révision constitutionnelle du 1 Mars 1972, qui
malgré une phase transitoire de cinq ans devait permettre une stabilisation
institutionnelle et politique dont peuvent témoigner les vingt ans qu'elle aura
durée.

29
Chapitre II
Constitutions transitionnelles
et ordre politique apaisé

La succession de constitutions révisées ou nouvelles, dans une


temporalité inégalement fragmentée atteste pour le moins d'une instabilité du
système politique et éclaire les hypothèques à lever pour accéder à un
fonctionnement « constitutionnel» normal. Ce constat empirique, suscite
diverses interpellations qui impliquent, autant la constitution (norme -
système) que le temps politique (contexte, rapport de force, enjeux....)
1972-1999 plus d'un quart de siècle s'observe en une « transition » faite
d'accumulation de tendances politiques, de dynamiques événementielles
(affaire du Sahara, PAS, nouvel ordre mondial, réveil du religieux
fondamentaliste) d'avancées et de réadaptation (23).
La logique monarchique est dans le renouvellement du « Pacte qui unit
le Roi au peuple » dans une temporalité politique continue. De nouveau le
recours à la constitution matérialise cette recherche permanente, à l'affut d'un
contexte favorable, d'un modus opérandi qui au plan institutionnel et
politique, réalisera un véritable « partage du pouvoir », une « alternance
politique » intégrative des forces oppositionnelles.
Les grandes mutations internationales de 1990 (24) engagent le régime
au relais du texte de 1972, dans une série de « constitutions transitionnelles »
qui à la différence des «  transitions constitutionnelles » (25) ne sont pas une
rupture entre le passé et l'avenir.

23
- Cf. Abdallah Saaf: Changement et continuité dans le système politique marocain, in le Maroc au
présent Centre Jacques Berque Rabat 2013.
24
- Cf. Constitution et Mutations de la Société internationale, AIDC Tunis 1992.
25
- Cf. Xavier Philipe et Natasa Danclaive. Colodravschi (sous la direction) Transitions
constitutionnelles et constitutions transitionnelles, Institut Universitaire Varenne, 2014.

30
Section I: le consensualisme constitutionnel: la révision
constitutionnelle du 1er mars 1972.

Le «  consensualisme » n’est pas une catégorie constitutionnelle.


Expression mythique « à mi-chemin arithmétiquement d’un mécanisme
majoritaire contesté et d’une unanimité qui serait inaccessible si elle était
ouvertement requise » ; le consensus comme idée «  marque non la
renonciation aux prérogatives d’une majorité formelle, mais la volonté de
leur dépassement. Le consensus est refus de l’affrontement, il n’est pas pour
autant l’expression d’un irénisme , loin de nier les oppositions , les clivages,
les risques de rupture, il les assume et représente une volonté, non de les
résoudre artificiellement ou de les anéantir, mais de les transcender » (26) .
Si elle évoque les conditions d’applicabilité de la constitution la
problématique du consensualisme traduit une réalité générale que ce n’est
plus tellement la constitution que «  l’équilibre politique du moment qui
gouverne réellement la vie politique d’un pays . Autrement dit, la conformité
du fonctionnement du régime politique à la constitution ne provient pas du
fonctionnement de l’autorité de celle-ci mais plutôt du consensus politique
à l’établir et à la faire respecter » (27).
Le système introduit par la constitution de 1972 dote celle-ci d'une
remarquable longévité (20 ans). Cette période marquée par un contexte
d'union nationale autour du Sahara, s'est accompagnée d'une intégration
partisane dans le système assurant ainsi le régime d'une stabilité
institutionnelle et politique. Les nombreux défis liés aux exigences du
développement économique et social, la dette extérieure, les contraintes du
Programme d'Ajustement Structurel (PAS), les profondes mutations sociales
du Maroc face aux grands bouleversements mondiaux à la fin des années
26
- Cf. Jacque Rigaud, “ Réflexions sur la notion du consensus » in Le Consenssus, Pouvoirs n° 5
1978 p 9 et suiv.
27
- Cf. Sadouk Belaïd , «  Constitution et partis politiques » , in La Constitution aujourd’hui ,
Recueil des Cours AI DC Tunis 2006.

31
1980, témoignent de la capacité de résilience d'une constitution qui a pourtant
fonctionné cinq ans durant sous le régime transitoire de l'article 102.
§1 – Le rééquilibrage des pouvoirs .
Placée « à mi-chemin de celui de 1962 et 1970, la nouvelle constitution,
présente un meilleur équilibre un compromis plus judicieux»(28). La
constitution de 1972, «  trahit un triple souci, renforcer les pouvoirs de la
chambre des représentations, conforter la stature du premier Ministre, ne pas
augmenter bien au contraire les pouvoirs et prérogatives du Monarque » (29).
Il s'agit en toute apparence d'un texte qui réunit certains signes de
progrès constitués par une certaine retrouvaille de principes que l'opposition
réunis dans « Al Koutla Watania » avait toujours revendiqué; en l'occurrence,
la reconnaissance à côté du Roi, des autres organes critères de la séparation
des pouvoirs et de la libéralisation du régime propice à sa parlementarisation.
1) Le Parlement :
Il est composé d’une chambre unique mais ses pouvoirs sont élargis
puisque le domaine de la loi que définit l’article 45 comprend «  outre les
matières qui lui sont expressément dévolues par d’autre articles de la
constitution ».
● Les droits individuels et collectifs énumérés au titre I.
● La détermination des infractions et des peines qui leur sont
applicables, la procédure pénale et civile, la création de nouvelles
catégories de juridiction.
● Le statut de la fonction publique.
● Le régime électoral des assemblées et conseils des collectivités
locales.
● Le régime des obligations civiles et commerciales.

28
- Cf. Claud Palazzoli «  Quelques réflexions sur la révision constitutionnelle du 1er Mars 1972 »,
R.J.P.E.M , Rabat n°1, Décembre 1976 , p.3.
29
- Cf. Jacques Robert , «  Ouverture et continuité au Maroc » le Monde, 3 Mars 1972.

32
● Les nationalisations d’entreprises et les transferts d’entreprises du
secteur privé au secteur public.
L’article 68 relatif à la procédure du référendum restaure la pratique de
la délibération parlementaire préalable à l’intervention de la nation prévue en
1962 et abolie en1970.
Enfin, le mécanisme de dissolution automatique, au cas où le peuple
adopterait par référendum un projet de loi d’abord rejeté par le Parlement,
n’existe plus.
En somme, le Parlement en 1972 a donc plus de relief quant à ses
possibilités d’action que précédemment. On signalera que sa composition a
aussi changé dès lors que 2/3 de ses membres sont élus au suffrage universel
direct, le tiers restant est élu à l’indirect. Ce qui inverse la composition du
Parlement de 1970.
2) Le gouvernement :
Il marque un renforcement du Premier Ministre qui récupère par
l’article 62 le pouvoir réglementaire qu’il avait perdu en 1970 au profit du
Roi.
Par ailleurs, l’article 59 met l’accent sur la nécessité pour le
gouvernement d’éclairer le Parlement dans les différents secteurs qu’il
indique. Il en est de même de l’article 65 qui donne une liste exhaustive des
questions dont le conseil des Ministres lui-même doit délibérer.
§2 – Stabilisation du régime et «  Monarchie consensuelle »
La conséquence majeure du consensus politique réalisé grâce
essentiellement à l’affaire du Sahara, a été l’ouverture du système à la
démocratie représentative par la mise en place dès 1977 des institutions
constitutionnelles mises en sommeil depuis 1972. Le contexte unanimiste
résultant de la récupération du Sahara a engendré, l’intégration institutionnelle
de l’opposition et la succession d’expériences parlementaires sur la base
d’une «  cohabitation » de toutes les forces politiques jusqu’à ce que les
circonstances politiques tenant tant à l’ordre international qu’à la demande

33
de changement interne, aient nécessité une réforme constitutionnelle,
entreprise en deux temps, 1992 et 1996.
Section II: les réaménagements constitutionnels de 1992 et 1996.
Avec la dernière décennie du XXes, et les mutations stratégiques et
politiques, les réformes constitutionnelles à l'Est et au Sud expriment diverses
exigences démocratiques. Le Maroc, ne pouvait que s'y résoudre, « l'esprit du
temps mondial » imposait de reconstruire le système constitutionnel autour
des standards de la démocratie, l'Etat de droit et les Droits Humains. Le
discours royal du 20 aout 1992 annonçant la révision constitutionnelle livre à
ce propos un argumentaire édifiant.
On notera à cet égard que « le Maroc ne pouvait demeurer indifférent
aux profondes mutations qui surviennent partout dans le monde et que le
peuple marocain est aujourd'hui un peuple majeur qui peut s'assumer» et qu'il
«est normal et même indispensable de le doter de moyens appropriés
susceptibles de lui permettre de façonner son propre destin »; enfin, « notre
souci fut et demeure d'allier l'efficacité aux exigences de l'Etat de droit qui est
aujourd'hui le Maroc »(30). La réforme constitutionnelle se veut ainsi l'amorce
d'un processus démocratique où le changement n'exclut pas l'alternance.
§1 - Les apports de la constitution «  révisée » de 1992.
Trente ans de constitution (31) matérialisent un itinéraire
d'accumulation, d'insuffisances et de tentatives, un itinéraire de réajustement
n'est pourtant pas à blâmer compte tenu d'innombrables acquis et fatalités à
vaincre dans un pays très attentif aux profondes mutations tant nationales
qu'internationales. Divers considérants alimentent une perspective meilleure.
Avec la commune référence à l'Islam, l'idéal nationaliste et à la
Monarchie, les clivages d'hier satellisés par la bipolarité désuète. libéralisme -
communisme - se sont estompés. Même lorsqu'un modèle de société est

30
- Cf. Discours royal du 20 Août 1992.
31
- Cf. Trente ans de vie constitutionnelle au Maroc, collectif dirigé par D. Basri, M. Rousset et
G. Vedel LGDJ , Paris 1993.

34
proposé, tous les courants d'opinion se rapprochent et se rassemblent autour
de l'idée de réformes sociales, de pluralisme de défense de la démocratie, des
droits de l'homme. Seule subsiste encore, une différence au niveau du mode
de gestion du politique pour une meilleure audience gouvernementale,
corriger les dysfonctionnements et stérilité d'un parlement couteux et mal élu,
une élite partisane marginalisée, et des élections sans enjeu. Mais dira-t-on,
rien n'était plus propice à l'alternance que les aménagements constitutionnels
de 1992 d'abord, encourageaient en droit.
Toute constitution se lit à partir de l'écriture de son préambule celui qui
en 1992, ouvrait le Maroc à des perspectives « universalistes » contenues dans
une formulation « révolutionnaire » que par delà les interprétations qu'elle
suscite éclaire de nouveaux engagements.
La révision de 1992, tout en maintenant le schéma du parlementarisme
orléaniste , le corrige quelque peu en accroissant les attributions du
gouvernement dans le sens d'une plus grande autonomie en même temps
qu'elle augmente les prérogatives de contrôle du Parlement et par l'institution
du Conseil constitutionnel, jette les fondements d'une authentique justice
constitutionnelle.
Comme nous l'avons précédemment évoqué(32), le gouvernement est
l'émanation du Roi et de la Chambre des représentants. A la confiance royale
au moment de la nomination, le gouvernement a besoin de la confiance
parlementaire, sanctionnée par un vote positif qui l'investit, ou d'un vote
négatif entraînant sa démission collective. Ce processus s'accompagne d'un
rehaussement qualitatif du statut du Premier ministre. Proposant à la
nomination des ministres au Roi, le Premier ministre se présente maintenant
comme un véritable chef du gouvernement bénéficiant d'une autorité réelle
sur ces derniers, ce qui ne peut que renforcer la cohésion et la solidarité
32
- Cf. Michel Rousset, La révision constitutionnelle, in Trente années de vie constitutionnelle au
Maroc, op. cit., p. 301, voir également Omar Bendourou et Meryem Aouam. La réforme
constitutionnelle marocaine de 1992, in RDP, n° 2, 1993, p. 431.

35
gouvernementales. Conséquence logique du nouveau statut du Premier
ministre le nouvel article 60 place l'exécution des lois par le gouvernement
ainsi que la disposition de l'administration sous la responsabilité du Premier
ministre. Non moins évident sur le plan du progrès est l'accroissement des
prérogatives de contrôle du parlement.
Notons d'abord que le Parlement investit le gouvernement nommé par
le Roi puisque le programme gouvernemental fait l'objet d'un débat suivi d'un
vote. Du coup la Chambre des représentants devient un élément fondamental
du jeu politique. Ce qui veut dire que le Roi en nommant le Premier ministre
le fera en proposant une personnalité capable d'obtenir un vote de confiance
lors de la présentation du programme du gouvernement à la chambre.
Ensuite, le parlement se voit reconnaître le droit de constituer des
commissions d'enquête pour recueillir des éléments d'information sur des faits
déterminés. Cette initiative étant partagée par le Roi et la majorité des
représentants.
Par ailleurs, pour un meilleur échange entre l'assemblée et le
gouvernement, un délai maximum de 20 jours est imparti à celui-ci pour
répondre aux questions posées par les députés.
Enfin, en cas de proclamation de l'état d'exception, le nouvel article
35(33) en précisant que le Parlement n'est pas dissout semble apporter une
autolimitation au pouvoir royal, tout comme le fait l'article 26 qui assortit d'un
délai de 30 jours la promulgation par le Roi de la loi après transmission du
gouvernement du texte définitivement adopté.
Le nouveau paysage institutionnel du régime marocain resterait
incomplet si on omettait de signaler la double création du Conseil
économique et social et surtout le Conseil constitutionnel.

33
- Cf. Jacques Robert, « L'Etat d'exception dans la constitution », in Trente années de vie
constitutionnelle au Maroc, op.cit,. p. 239.

36
Le premier consulté par le gouvernement et le parlement, a pour
mission de représenter les intérêts économiques et sociaux et de leur
permettre d'exprimer leurs sentiments sur la politique législative. Institution
« équivoque » si l'on considère que dans la composition de la Chambre des
représentants les intérêts économiques et sociaux sont bien représentés au titre
du tiers où figurent les élus des chambres professionnelles et des salariés.
Il est à croire que la prochaine réforme constitutionnelle réintroduisant
le bicaméralisme permettra de lever cette équivoque. Plus claire et porteuse de
perspective édifiante est la création du Conseil constitutionnel.
La transformation de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême
en un Conseil constitutionnel (art. 76), en introduisant une justice
constitutionnelle sans aucun lien avec l'autorité judiciaire, présente divers
intérêts en raison de la composition que de l'extension de ses pouvoirs (34).
Le parlement y est représenté par quatre de ses membres désignés par
son président, quatre autres membres et le président du conseil sont désignés
par dahir, les membres du conseil sont nommés pour 6 ans et sont renouvelés
par moitié tous les trois ans.
Sur le plan des compétences le Conseil constitutionnel voit ses
attributions élargies. Il peut statuer sur la conformité des lois à la constitution
dans sa totalité jusqu'à son préambule, enrichi par l'adjonction selon laquelle
le Maroc « réaffirme son attachement aux droits de l'homme tels qu'ils sont
universellement reconnus ».
Enfin, le conseil peut être saisi avant la promulgation par le Roi, le
premier ministre, ou à la demande des députés. Le conseil dont les décisions
sont entourées de l’autorité de la chose jugée, doit statuer dans le délai d'un
mois et en cas d'urgence dans la huitaine.

34
- Cf. Nadia Bernoussi, Le contrôle de constitutionnalité des lois dans les Etats du Maghreb .
Thèse de Doctorat d’Etat , Rabat 1998.

37
S'il l'on doit conclure ce survol cavalier de la constitution marocaine
révisée, on doit dire que tant par la conjoncture de son avènement, l'esprit qui
l'anime, les innovations qu'il apporte, le texte consensuel dans son édiction
augure de perspectives positives.
Qu'il se soit heurté, quatre ans après à des difficultés d'application, cela
n'enlève rien à ses qualités intrinsèques.
De surcroît la multiplication des formules gouvernementales,
l'affrontement parlementaire, le débat sur les grandes priorités du moment et
enfin la réflexion ouverte sur l'alternance attestent d'une transition nécessaire
et souligne objectivement la maturation des forces politiques, signe de
ruptures avec les archaïsmes sociaux d'un côté, les archaïsmes idéologiques et
de la culture d'opposition de l’autre.
Au relais des divers aménagements institutionnels et d'une élite de plus
en plus formée et informée, l'alternance prorogée, ne sera plus une gageure si
les forces politiques et la société civile sont suffisamment intelligentes aux
apports de cette alternance au système constitutionnel.
§2- La transition constitutionnelle 1996-1999
La révision vingt ans après, de la constitution de 1972, en dépit des
progrès dans l'équilibre des pouvoirs, l'élargissement des libertés,
l'incorporation des droits de l'homme, s'est avérée insuffisante pour impulser
les négociations entre la Monarchie et la koutla démocratique créée en 1991
par l'Istiqlal, l'USFP, le PPS et l'OADP. Le large consensus qui a présidé à la
révision constitutionnelle de 1996, formalise un exercice du changement
négocié, un pacte de non- belligérance, un leadership royal dont le principe
est « le roi règne et gouverne, en considérant toutefois, que s'il règne seul, il
ne gouverne pas seul pour autant » (35). Ce qui repose « l'équation
parlementaire » de la monarchie dans l'incertitude des évolutions à venir.

35
- cf. Jean Noël Ferré, «  Maroc, la première décennie de Mohammed VI. Afrique du Nord –
Moyen Orient . La documentation française 2010 – 2012, p. 141.

38
«Au Maroc, gouverner, c'est pleuvoir » Cette opinion du Maréchal
Hubert Lyautey était partagée par le Roi Hassan II qui par ailleurs, promoteur
de la politique des barrages avait jugé nécessaire et réaliste de faire des
données agricoles, une des bases de la loi des finances (36). La révision
constitutionnelle du 16 Septembre 1995, consista techniquement à déplacer
l'année budgétaire de Janvier à Juin.
En fait, le référendum constitutionnel de 1995 consacra la reprise du
dialogue entre le Roi et la Koutla, après les ruptures des négociations sur
l'alternance. L'adhésion de la dernière à l'initiative royale ouvrait la voie à une
transition constitutionnelle portée par un « interrègne » marqué par la double
circonstance de l'alternance et de la succession au Trône.
La révision constitutionnelle du 13 Septembre 1996, se voulait une
dynamique qui n'excluant pas l'affrontement préparait les fondements d'une
conciliation d'impératifs multiples.
Il semble selon une approche factuelle que la révision de 1996 soit le
résultat d'un difficile ajustement dans un contexte complexe:
dysfonctionnement des institutions nées du schéma constitutionnel de 1992,
avortement de la double tentative d'alternance consensuelle, crise de
confiance, ponctuée par un marasme économique et social. Le déblocage de la
situation nécessitait le recours à une méthodologie autre que celle de la
politique ordinaire. La stratégie constitutionnelle s'imposait dès lors comme
objectif nécessitant néanmoins des mesures d'accompagnement. Transparence
et assainissement trouvèrent matière dans la publication sur instructions
formelles de S.M. le Roi du rapport de la banque mondiale sur l'état de
l'économie, la justice, l'administration et l'enseignement. Mais si sur ces
diverses questions le dialogue s'anima, le consensus sur la réforme
constitutionnelle se heurta à des écueils d'interprétation. A une offre royale

36
- Cf. Abdelaziz Riziki Mohamed , Ce que le Maroc doit au Roi Hassan II . L’Harmattan , Paris
2014.

39
pédagogiquement formulée depuis le discours du 30 Août 1995 dans le sens
d'un système parlementaire bicaméral répondit une réforme de fond
maximaliste, objet d'un mémorandum présenté par la Koutla
En effet, reprenant sous une forme révisée le mémorandum de 1991, le
modèle de 1996 réactualise le même objectif stratégique. Il s'agit d'évoluer
vers une monarchie gouvernante relativisée dont la traduction institutionnelle
serait un régime parlementaire dans lequel la représentation nationale aurait
une stature et des fonctions clairement rehaussées. La Koulta a eu par suite
beau jeu de clarifier ses options pour transcender toute polémique dans
l'attente de le consultation officielle avec S.M. le Roi. Qu'il s'agisse d'une
manœuvre politique ou d'une démarche saine, le débat n'en fut qu'enrichi
même si une impression de vide politique s'installa, marginalisant davantage
les instances gouvernementale et parlementaire. L'appréciation de cette phase
particulière révèle une règle coutumière du jeu politique marocain fait de
tragédie ou de drame qui ne préjugent pas du dénouement. Elle enseigne aussi
que si la logique démocratique indique d'ouvrir la réflexion sur l'esprit et les
mécanismes du fonctionnement du système politique, elle se doit également
de tenir compte des intérêts suprêmes de la Nation, des valeurs qui animent la
société, de l'état des forces politiques, de la culture politique dans son
mouvement La révision constitutionnelle de 1996 n'est pas une fin en soi (37) .
Elle se veut une dynamique qui n'excluant pas l'affrontement prépare les
fondements d'une conciliation d'impératifs multiples. Les innovations qu'elle
apporte et dont il faut maintenant en saisir la mesure ont sans nul doute
contribué à impulser une dynamique consensuelle qu'il s'agira de gérer.

37
- Cf. Najib Ba Mohammed «  Sur quelques enseignements de la constitution révisée le 13
Septembre 1996 » in Lecture dans la constitution révisée le 13 septembre 1996 . Actes de la
Journée d’études de l’AMDC , le 10 septembre 1996 , Revue de Droit et d’Economie de Fès n°
13.

40
Sur un plan quantitatif pas moins de quinze articles ont fait l'objet
d'amendements tandis que le nombre total de dispositions constitutionnelles a
été porte à 108.
En fait les principales modifications apportées au texte de 1992 ne
concernent que la création d'un système bicaméral fondé sur la chambre des
représentants, une nouvelle chambre des conseillers issue des régions, des
collectivités locales, des représentants des salariés et des chambres
professionnelles, alors qu'un titre nouveau est consacré à la cour des comptes,
tandis que les gouverneurs voient leur rôle redéfini et la composition du
conseil constitutionnel élargie en nombre et son mandat étendu dans le temps.
Le schéma directeur dans la constitution de 1992 est dans ses grandes
lignes conservé mais incidemment transformé par certaines dispositions
nouvelles. Est-ce- à dire qu'il s’agit d'un simple remodelage de l'ancien texte ?
En effet une vue cavalière des modifications permet de relever sur un
plan fonctionnel une certaine complémentarité osmotique Ainsi notamment
du « magma » regroupant les dispositions relatives à la région, au gouverneur
etau parlement, tandis que la consécration constitutionnelle de la cour des
comptes décentralisée et des modifications touchant le conseil constitutionnel
quoique formelles, satisfont une volonté d'assainir respectivement ce que l'on
pourra appeler les « droits économiques et politiques ».
Innovation à ne pas réduire le Cour des comptes est érigée en organe
constitutionnel à part entière (art 96) en vue d'assurer le contrôle supérieur de
l'exécution des lois de finances. Cette fonction revenait au Parlement qui par
le biais de la loi-cadre contrôlait la politique gouvernementale en matière
budgétaire Désormais la cour des comptes s'assurera de la régularité des
recettes et des dépenses des organismes soumis à son contrôle. En vertu de la
loi elle en appréciera la gestion et sanctionnera le cas échéant, les
manquements aux règles qui régissent les dites opérations. Organe
d'assistance du Parlement et du gouvernement dans les domaines de sa

41
compétence, c'est au Roi exclusivement qu'elle rend compte de l'ensemble de
ses activités Dans un esprit de décentralisation régionale, des cours de
comptes sont prévues pour contrôler compte et gestion des collectivités
locales et de leurs groupements.
Dans le même sillage et avec une fortune tout à fait particulière la
région se repositionne constitutionnellement. Ce vaste projet qu'un quart de
siècle de réflexion et de normalisation a élaboré, émerge
constitutionnellement comme cadre de vie, comme stratégie de
développement tous azimuts et comme structure institutionnelle dynamique
greffée à l'arsenal législatif national. Sur cette question et sur bien d'autres les
lois organiques éclaireront davantage sur le nombre, le découpage et le mode
d'élection de ces entités territoriales, mais déjà la fonction d'impulsion et de
relais entre les dimensions nationale et locale de la démocratie précise les
contours d'un « self gouvernement » dynamique.
Cette logique régionale trouve un certain écho dans la redéfinition du
rôle des gouverneurs. S'il est clair que tout comme la région en l'occurrence,
le gouverneur soit doté d'un statut constitutionnel, s'il est aussi précisé que la
région comme supra entité territoriale, fournisse le cadre spatial à l'autorité
du gouverneur, la portée du rôle du gouverneur semble problématique.
D'exécutant des délibérations des assemblées provinciales, préfectorales et
régionales (art 101) les gouverneurs accèdent dans les provinces les
préfectures, et les régions au rang de « représentant de l'Etat qui veillent à
l’exécution des lois, qui sont responsables de l'application des décisions du
gouvernement et à cette fin, de la gestion des services locaux des
administrations centrales» (art. 102)
Pareille redéfinition du statut du gouverneur révèle en première analyse
que nonobstant le prestige de la représentation de Sa Majesté, l'autorité du
gouverneur réalisait paradoxalement ses limites dans l'accomplissement des
fonctions de coordination des services administratifs liés à sa province ou

42
préfecture. Il semble que l'obstacle tenait à la tendance spontanée de certains
cadres locaux des services extérieurs de l'Etat à ne rien décider sans l'avis de
leur supérieur hiérarchique (38). L'art 102 de la constitution de 1996 procède
ainsi à un réajustement du jeu de la déconcentration des pouvoirs dont
l'efficacité reste dépendante de la pratique ultérieure; mais déjà les
observateurs s'inquiètent de savoir, quel est le poids du ministre face à un
gouverneur qui représentant l'Etat est responsable de l'application des
décisions du gouvernement; et quel est le rôle du délégué ministériel lorsque
le gouverneur est chargé de la gestion des services locaux des administrations
centrales?
Il s'agit en dernière analyse d'une nouvelle situation qui pourrait avoir
des conséquences sur le fonctionnement futur du pouvoir exécutif à la lumière
surtout du jeu d'alternance promis. Le paysage institutionnel réalise en
profondeur les attributs de sa richesse réformatrice avec l'option bicamérale.
L'historien constitutionnel en fait n'est pas trop surpris puisque en la matière
la mémoire lui rappelle l'ébauche lointaine et inaccomplie du projet de 1908
(conseil de la nation et le conseil des notables) et surtout l'expérience
éphémère de la constitution de 1962 avec la chambre des représentants, et la
chambre des conseillers; double structure jugée naguère par le Roi Hassan II
comme « un luxe, une prolixité », pour laisser place à un monocamérisme
panaché inéquitable d'élus au suffrage direct (1/3 en 1970, puis 2/3 en 1972 et
1992) et d'élus à l'indirect (1/3 depuis 1972).
Le droit comparé enseigne que tout comme le Parlement, le
bicamérisme a connu un âge d'or qui lui a valu une généralisation à toutes les
démocraties libérales de formes unitaires, étant entendu que le bicamérisme
rentre naturellement dans la logique des Etats fédéraux. Les vertus
démocratique et libérale de cette structuration parlementaire ont longtemps
été vantées. Les années 30, 60 et 70 ont vite remis en cause ce bien fondé. On

38
- Cf. Hammouda Caïd le gouverneur et la gestion des affaires communales.

43
parle alors de crise du bicaméralisme (39). Les pères fondateurs anglais et
français ont vainement tenté en 1969 de réformer la chambre des lords et le
Sénat, les Pays bas, la Belgique, l'Italie où le régionalisme est accusé se
préoccupèrent aussi de la problématique. Plus catégoriques ont été les pays
scandinaves qui dès 1913 pour le Danemark, et 1970 pour le reste ont
définitivement opté pour le monocamérisme.
Sans trop tarder, l'étude de l'évolution, du bicaméralisme révèle la
permanence de celui-ci par-delà ses avatars, le recul historique et la vision
détachée de l'accidentel que permet son approche dans plusieurs Etats
obéissant aux mêmes structures, démontrent qu'il s'agit là d'un élément
inhérent à la démocratie libérale même modernisée. La division de la volonté
générale est compensée par la modération du pouvoir. C'est dire que si le
souci de liberté et les mécanismes qui l'assurent préoccupent les libéraux, la
volonté générale exprimée par la volonté majoritaire importe aux démocrates.
Il semble que l'opposition se résout progressivement dans le sens
démocratique
L'amendement 1996 au Maroc tend vraisemblablement vers une vision
synthétique de ces enseignements. Il offre un bicamérisme renforcé empreint
d'équilibre.
En fait, le bicamérisme constitué tente d'éviter tout discriminant et donc
privilège entre les deux chambres. Cela se révèle au triple plan de
l'investiture, des pouvoirs de législation et de révocation du gouvernement. II
est bien clair que nonobstant leur double qualité les membres du parlement
« tiennent leur mandat de la nation ». Il s'agit d'une légitimité populaire
amalgamée, vestige de l'ancienne assemblée monocamérale.
A légitimité similaire correspondent des pouvoirs identiques. Quoique
certaines nuances sont à ménager. D'une part une fois nommé par le Roi, le
Premier Ministre doit présenter devant chacune des deux chambres le

39
- Cf. Yves Weber, «  la crise du bicaméralisme » in RDP 1972 n°3 pp. 574-605.

44
programme gouvernemental à cette différence près que la question de
confiance n'est sanctionnée par un vote d'investiture à la majorité absolue de
la seule chambre des représentants. Voilà qui modère un peu la parité de
légitimité entre les élus au direct et à l'indirect.
D'autre part, le même souci d'équilibre apparait au plan de l'initiative
des lois qui outre le gouvernement associe les deux chambres. La production
législative n'est accomplie que si les deux instances s'accordent dans le vote
(art. 58). Une navette limitée à deux lectures par chaque chambre est prévue.
Sur le plan procédural, la chambre des représentants bénéficie là encore d'un
léger avantage, sans doute lié à son statut de chambre politique, d'instance
d'impulsion. Le bicamérisme peut exposer le Parlement à des désaccords
législatifs et à des blocages qui peuvent interpeller le gouvernement et le
pousser à intervenir. A son initiative une commission paritaire peut alors se
réunir en vue d'un compromis portant sur le seul aspect litigieux à l'issue
duquel la seule chambre des représentants délibère et décidé à la majorité
absolue pour peu que le gouvernement ne s'y oppose pas.
En tout cas si les velléités de blocage constituent un risque possible le
parlement dans sa double composante s'expose à la menace de dissolution
royale en totalité ou en partie (art. 71-73).
Enfin, dernière innovation originale, le pouvoir d'éviction du
gouvernement accordé paritairement aux deux chambres. Là le
constitutionnaliste est obligé de revoir ses notes et se recycler, tant il est
habitué à lire et à enseigner que l'octroi de la confiance ou la censure du
gouvernement étant une compétence exclusive de la chambre basse élue au
suffrage direct. Tel n'est plus le cas puisque cette prérogative échoit aussi à la
chambre des conseillers à l'instar des modèles ancien (Italie) ou récent
(Afrique du Sud). L'article 77 prévoit en la matière deux mécanismes : l'un
préventif, la motion d'avertissement suivi d'un débat, sans vote, l'autre
répressif, la motion de censure votée à la majorité des 3/5.

45
Telles sont les apports majeurs de la constitution révisée, en somme une
technologie nouvelle qui trahit un souci de réforme empreinte de
rationalisation, collaboration, équilibre des pouvoirs, de participation
institutionnelle du plus grand nombre et de la diversité. Noble projection qui
après avoir dérogé aux modèles d'emprunts se doit de bouleverser les
habitudes, les archaïsmes, les hésitations.
C'est en termes de perspective que nous proposons d'aborder la
problématique de la révision dans un dernier temps.
Les lendemains du référendum du 13 Septembre remettent à l'ordre du
jour autant de questions de droit que de fait, soulèvent nombre d'hypothèques
à lever pour la réussite de l'expérience consensuellement recherchée.
En droit, la problématique est globalement celle de l'applicabilité de la
constitution. L'ancienne classification de Karl Loweinstein ne semble plus
aujourd'hui de mise-constitution normative, constitution nominale et
constitution sémantique. Il semble qu'aujourd'hui le plus important étant dans
le consensus politique autour de son établissement ou révision et dans son
respect. Or le problème constant au Maroc est celui de la fonctionnalité de la
tendance consensuelle. L'expérience unique du «oui» laborieusement
généralisé à la révision du 13 Septembre augure de perspectives positives.
Cette situation est le fruit d'un processus fait de négociations et de
concessions. Mais le propre d'une analyse saine est bien de cerner les
éléments, objectifs de la conditionnalité.
Trois éléments de notre « écologie politique » semblent déterminants. Il
va sans dire qu'une prise de conscience généralisée existe chez tous les
partenaires politiques autour des tâches et responsabilités du gouvernement
face à une nouvelle donne mondiale qui conjugue grande rigueur économique,
ouverture politique et interaction culturelle.
Le 1er terme de la conditionnalité touche à la clarification des règles du
jeu pour impulser la confiance nécessaire aux différents partenaires politiques

46
économiques et sociaux. Le dernier round législatif du parlement issu des
élections législatives du 9 septembre 1992 et qui se veut consensuel
constitue une judicieuse stratégie pour déclencher dans le dialogue et la
concertation le processus de mise en place des institutions électorales. Il
s'agira d'une épreuve dense où maturité politique et objectifs stratégiques
seront interpellés.
Les élections fourniront la preuve finale de la culture de participation et
d'opposition et de la représentativité réelle des groupements politiques.
Complémentaire au premier le second facteur concerne l'élite politique, et la
culture politique existante. Trente ans de parlementarisme expérimenté ont
largement épuise les clivages idéologiques pour ne laisser dans la
confrontation ceux qui ont toujours gérés les affaires publiques, animent le
caste de l'adhésion inconditionnelle et ceux exclus de la gestion publique
individualisent le clan du refus. Le temps est plus que jamais déterminant. Le
corps électoral miné par une désaffection politique est à mobiliser pour des
consultations multiples aux enjeux différents. Cette mission échoit aux partis
appelés à une restructuration, à clarifier leurs options, à trancher les
divergences internes personnelles et politiques, à redéfinir les alliances, et
stratégies électorales.
Le dernier facteur enfin est de nature institutionnelle. A terme le
problème est celui du gouvernement de transition: reconduire le même
s'apparenterait au maintien du statu quo pour éveiller les soupçons
d'irrégularité des consultations et de clientélisme partisan. Une formule de
gouvernement incolore chargé, de gérer, outre les affaires courantes, de veiller
au bon déroulement des élections. Cette formule neutraliste est possible mais
elle ne concorde pas avec la stratégie consensuelle décidée. Reste le
gouvernement d'union nationale à définir dans sa géométrie et dans le temps.
Enfin, au-delà des contingences, électorales l'équation comporte divers
inconnus liés aux mécanismes de fonctionnement du bicamérisme restauré, la
cohabitation de l'élite politique dans une structure parlementaire dualiste a des

47
exigences; cette méthode de délibération collective et duelliste confine à l'art
politique de jouer des contradictions. Il s'agit du jeu de la modération et de
l'équilibre par la mécanique du poids et contrepoids, elle entérine une
amélioration qualitative de la production législative une pondération plutôt
qu'une précipitation dans la confection des lois. En somme une collaboration
pour le meilleur. Cela suppose.
Une bonne conscience politique.
Une élite politiquement formée et informée, rompue aux complexes
techniques parlementaires.
Une seconde chambre à même d'user des prérogatives dont elle dotée
pour réguler et non freiner et gouvernement et 1er chambre. Autrement dit,
une chambre des conseillers réduite à une instance d'enregistrement est
néfaste, une 2 chambre de défi et de blocage est dangereuse. En conclusion
toute constitution ne peut donner que ce qu'elle a; reste la politique avec sa
magie et mystère. Le bicaméralisme est démocratique parce qu'il multiplie les
centres de contrôle du pouvoir, il faut l'accueillir positivement.

48
Chapitre III
Charte fondamentale et ordre politique refondé

La constitution représente « l’ordre social désirable » (G. Burdeau)


Projet inachevé elle matérialise un moment de réflexion d’une société sur
elle – même. Aussi exprime-t-elle une réponse de circonstance à des questions
du moment (D. Rousseau) Révolte, révolution insurrection ou mouvement de
contestation et de revendications médiatisé «  Le Printemps arabe » est
l’échos tardif des grandes mutations mondiales des vingt dernières années
qui donnèrent le « la » aux «  constitutionalismes post – coloniaux » qui
privilégiaient au moyen de constitutions nominales ou au mieux sémantiques,
les fonctions de légitimation des leaderships, la stratégie de reconduction des
statu quo , le mimétisme institutionnel, le mépris des droits humains. Le
printemps arabe a servi de catalyseur aux réformes dans la plupart des
régimes qu’il a touché ouvrant ainsi un véritable marché de «  demandes » et
«  d’offres » d’ingénierie constitutionnelle.
Le Maroc n'est pas en reste, alors même que « le temps régional» ne fit
qu'accélérer une réforme constitutionnelle qui traduit en fait un processus
transitionnel de stabilisation politique par les réformes graduelles dans le
consensus, auquel la succession au Trone du 23 juillet 1999 donna l'impulsion
nécessaire.
Du point de vue de son caractère démocratique, le mode d'élaboration
d'une réforme est un indice significatif et le recours à l'assemblée
constituante, du moins chez les « Nouveaux Etats», apparaît comme la
solution idoine. Ce n'est pas celle qui a été prévue au Maroc depuis l'épreuve
d'initiatique de 1962. Au demeurant, dès lors qu'il s'agissait juridiquement
d'une révision dans le cadre de la constitution de 1996, que le nouveau texte

49
devait abroger, la question fondamentale est bien de savoir comment
opérer «un changement sans dénaturation », qui est d'ailleurs, le principe de
tout système à ancrage historique, mais engagé résolument sur la voie
inexorable du progrès dans la stabilité par les réformes. Ce qui induit une
corrélation problématique: comment intégrer dans l'écriture constitutionnelle,
les revendications portées par la mobilisation contestataire, pour réussir dans
une conjoncture arabe critique, une séquence de votation référendaire
expression d'un choix structural, dans l'ordre, la liberté et la transparence?
L'enjeu, à la fois attente et pari, consiste à écrire dans un délai court, une
constitution du changement qui nécessite autant de ruptures et d'ouvertures à
maîtriser.
En dressant le cadre référentiel à l'entreprise constituante à laquelle
devaient s'atteler la Commission consultative pour la révision de la
constitution (CCRC) en coordination avec le Mécanisme politique de suivi et
de concertation (MPSC), en fixant un délai pour l'écriture du projet de
constitution avant sa ratification référendaire, le discours royal du9 mars 2011
pose les jalons d'un modèle « maroco-marocain » que le discours du 17 juin
2011, à l'allure de reddition de compte par le Roi à la Nation, présente à la
vox populi.
Le modèle « maroco-marocain» préfigure la nécessité de le promouvoir
dans son originalité - ce qui n'implique pas une fermeture au droit comparé.
mais la volonté de ne pas s'y soumettre aveuglément, le souci de récuser le
mimétisme et de trouver des réponses adaptées aux particularismes du pays,
Etat, société et territoires.
Dans une phase d'élaboration de la loi fondamentale, la dialectique du
« spécifique » et de «l'universel» comme réappropriation mutuelle du
ressourcement national et du patrimoine constitutionnel commun est un retour
aux origines institutionnelles et doctrinales de la constitution dans une
temporalité, lointaine, proche et immédiate.

50
A compétence liée, à statut consultatif la CCRC, appelée à faire preuve
« d'audace, imagination et créativité », devait élaborer une constitution qui
représente un système comme principe d'ordre donnant unité et sens à
l'ensemble des règles, institutions et mécanismes d'organisation de la vie
politique soit une « constitution-système » dont l'ancrage normatif renforce
l'imperium. Mais également une «constitution-programme » dont le volume
trahit la créativité et le souci du détail et de la précision. Enfin, une
constitution qui revalorise le «spécifique» comme socle de principes, valeurs
et institutions relevant de « l'existentiel » soit la pérennité et la continuité du
régime, tout en intégrant pour «l'essentiel» les normes et standards
universellement reconnus.
Section I : Le continuum constitutionnel et la stabilité des
fondamentaux intrinsèques.
« Notre engagement est ferme de donner une forte impulsion à la
dynamique réformatrice profonde qui est en cours, et dont le dispositif
constitutionnel démocratique constitue le socle et la quintessence. La sacralité
de nos constantes qui font l'objet d'une unanimité nationale, à savoir l'Islam en
tant que religion de l'Etat garant de la liberté du culte, ainsi que la
commanderie des croyants, le régime monarchique, l'unité nationale,
l'intégrité territoriale et le choix démocratique, nous apporte un gage et un
socle solides pour bâtir un compromis historique ayant la force d'un nouveau
« Pacte entre le Trône et le peuple. »
Le discours royal du 9 mars 2011 met ainsi en exergue les fondements
du régime politique marocain qui forment le socle constitutionnel, immuables
dans leur principe, mais changeants dans leur matérialité.
1. L'Islam
L'islam est indissociable de l'identité marocaine; « il est le socle des
valeurs partagées par tous et le géniteur d'une brillante civilisation. Il existe
donc dans la vie publique marocaine une certaine « centralité de la religion »,

51
laquelle s'explique par le fait que la nation marocaine moderne est le produit
d'une longue histoire qui commence avec l'islamisation » (40).
L'Islam irrigue la constitution qui rassure toutefois car ouvert, tolérant
et modère», une religion d'Etat qui garantit la liberté des cultes.
2. La Monarchie
Le continuum stabilisateur est perceptible d'emblée, le Maroc
s'affirmant, dans le sillage des précédentes constitutions, « une monarchie
constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale» (art. 1er).
Ainsi qu'il a été observé « cet ajout du terme » parlementaire «ne peut
être uniquement symbolique et laisse déjà la porte ouverte à bien des
interprétations. De plus, le nouveau texte, établit, ainsi que le souverain l'avait
souhaité en lançant le projet de révision, une véritable séparation des
pouvoirs.
Le constituant de 2011, s'attela, par l'éclatement du mythique article 19
à différencier la monarchie au «spirituel», soit «une commanderie des
croyants» qui veille à la préservation de l'Islam et « au temporel (art. 41) soit
un chef d'état garant de la continuité de l'Etat, arbitre entre les institutions d'un
système parlementaire qui repose sur la séparation, l'équilibre et la
collaboration des pouvoirs (art. 42).
En tout cas, tel qu'il résulte d'une certaine opinion, «< la continuité
constitutionnelle au Maroc implique que le Roi est dans et en dehors de la
constitution, non pas uniquement dans la constitution et surnageant au-dessus
des pouvoirs en vertu d'une métonymie, comme il en est en Espagne
(monarchie nominale), ou maintenu entièrement à part et de façon
métaphorique, comme le sont le tennô nippon ou la Suède (le Japon et la
Suède n'étant plus des monarchies » (41) .

40
Cf. Tozy Mohamed , Monarchie , l’Islam politique au Maroc , Paris , Presses de sciences .
po.1999 , voir aussi Charles St-Prot , «  l’Islam au Maroc » in l’Exception marocaine , Ellipses,
Paris , 2013.
41
- Cf . Philippe Lauvaux, «  stabilité et continuité constitutionnelles au Maroc » in l’Exception
marocaine . op.cit.

52
3. Symboliques «unitariste et pluraliste» de l'Etat Nation
Etat souverain uni, intégrité territoriale, unité et indivisibilité nationale,
diversité de l'identité nationale, abondent dans la constitution de 2011.
Notamment en son préambule qu'elle intègre et qui dispose:
«  Etat musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son
intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver dans sa plénitude
et sa diversité son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la
convergence de ses composantes arabo-islamique amazighe et
saharo-hassanie, s'est nourrie et enrichie de ses affluent safricain, andalou,
hébraïque et méditerranéen (...).»
L'unité de l'Etat, dans une diversité assumée postule la défense de
l'intégrité territoriale et préfigure en les fédérant, pluralisme ethnique et
linguistique de la société marocaine aux diffèrent affluents et à la
régionalisation avancée.
4. Démocratie et droits fondamentaux participent aussi du socle de
stabilité et bénéficient d'un élargissement significatif du dispositif
constitutionnel. Qui plus est «le choix démocratique de la Nation (...) les
acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux » constituent des
interdits à la révision constitutionnelle au même titre que « la religion
musulmane et la forme monarchique de l'Etat» (art. 175). Le constituant de
2011 soucieux de sécurité juridique a voulu préserver les acquis de
démocratie et liberté contre toute régression.
Section II. L'universalisme constitutionnel et la conformité aux
standards démocratiques
Soucieux de préserver les valeurs spécifiques du continuum, le
constituant marocain de 2011, s'efforça néanmoins d'élaborer une constitution
substantiellement et morphologiquement moderne. L'objectif est bien, la
conformité aux standards universellement reconnus et qui sont dans la
conscience collective nationale comme accumulation de revendications et de

53
productions politiques négociées dans la maturation du processus
constitutionnel, l'émergence de la société civile, la justice transitionnelle et la
transparence électorale. En cela la Constitution de 2011, au croisement du
réformisme constitutionnel, national et du nouveau constitutionnalisme
mondial ouvre des perspectives réelles aux droits, de l'homme et à la
protection des valeurs citoyennes (A) à la refondation de l'ordre démocratique
(B) à la rationalisation des pouvoirs (C). Elle ouvre enfin la voie à la
démocratie des droits (D) la démocratie participative et citoyenne et la bonne
gouvernance (F).
A. Droits de l'homme et protection des valeurs citoyennes
Les droits de l'homme occupent une place considérable dans le corpus
constitutionnel témoignant ainsi de la maturation du processus de
consécration de «l'humain» dans lequel, l'Etat, pouvoir et société se sont
engagés depuis la dernière décennie du XXe siècle.
D'entrée de jeu, le préambule à valeur juridique confirmée, réaffirme, le
Maroc dans son « attachement aux droits de l'homme tels qu'ils sont
universellement reconnus» ainsi que sa volonté de continuer à œuvrer pour «
préserver la paix et la sécurité dans le monde». Cette affirmation de principe,
naguère formulée par les constitutions de 1992 et 1996 aurait été insuffisante
en l'état et serait de la sorte en marge des avancées opérées en la matière tout
comme elle resterait en deçà des exigences de l'Etat de droit démocratique.
Aussi, fallait-il aller au-delà, et passer à «l'engagement » de l'Etat à:
- « protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l'homme et du
droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans
leur indivisibilité et leur universalité;
- « bannir et combattre toute discrimination à l'encontre de quiconque, en
raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture de l'origine
sociale ou régionale, de la langue, du handicap ou de quelque
circonstance personnelle que, ce soit;

54
- « accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui,
dans le cadre des dispositions de la constitution et des lois du Royaume,
dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication
de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et
harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation
nationale».
Outre le préambule ainsi formulé, les libertés et droits fondamentaux se
déploient à travers les deux premiers titres de la constitution, s'élargissant de
plus aux domaines de la justice et de la bonne gouvernance. La démarche
satisfait méthodologiquement aux exigences de l'Etat de droit dont la
protection des valeurs citoyennes en est le critérium.
En effet, la nouvelle constitution marocaine revalorise «  la
citoyenneté » en tant qu'institution constitutionnelle plénière et dotée d'un
contenu concret relativement précis et sanctionné Concept, juridique et
politique ancien, la citoyenneté, dans un sens moderne est la manifestation de
l'autonomisation de la personne humaine de l'individu comme unité
indépendante de la collectivité».
Cette autonomie individuelle servira de base à des droits naturels tels la
dignité, l'égalité et la liberté qui fondent le statut de citoyen et l'habilitent à
"être et agir" démocratiquement.
1. La dignité
Le principe de la dignité est expressément affirmé par la constitution de
2011 au niveau de son préambule que de la constitution elle-même, son
affirmation implicite apparaît à travers l'attachement aux « droits de l'homme
tels qu'ils sont universellement reconnus». Le principe est sinon enchâssé
dans des dispositions récriminant la torture, les traitements inhumains,
dégradant (article 22) la détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée
ou en organisant pour toute personne détenue des conditions de détention
humaines (article 23).

55
2. L'égalité
L'émergence de l'égalité, dans le cadre international et interne, restein
dissociable de la consécration de la liberté, constitutions et textes
fondamentaux internationaux font écho aussi à une tradition juridique tout
aussi féconde qui s'attache moins aux grands principes qu'aux garanties
effectives. C'est la tradition anglaise de l'« habeas corpus » ou de la « rule of
law». Plutôt que d'invoquer une égalité, on veillera à lutter contre les
discriminations à travers de longues énumérations pour ne pas oublier « une
catégorie vulnérable». Le principe d'égalité doublé du principe de
non-discrimination s'explique aussi parce qu'ils sont à la base de tous les
systèmes politiques modernes fondés sur le suffrage universel et l'égalité des
citoyens.
La constitution de 2011 transcrit ces principes fondateurs de l'ordre
démocratique et libéral selon des formules autant solennelles qu'effectives.
L'article 19 affirme «l'égalité de l'homme et de la femme en droits et
libertés, civil, économique, social, culturel et environnemental », énoncés
dans le titre II et dans les autres dispositions de la constitution, ainsi que dans
les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc, l'Etat
œuvrant à la « réalisation de la parité entre les hommes et les femmes». A
cette fin est créée «une autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes
de discrimination ».
Par ailleurs, l'article 6 rappelé que «tous, personnes physique ou
morale, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant la loi et tenus de s'y
soumettre », tandis que avec l'article 35 «l'Etat veille à garantir l'égalité des
chances pour tous et une protection spécifique pour les catégories sociales
défavorisées ».
3. La liberté
Le principe de la liberté est très présent dans la constitution de 2011 qui
lui a consacré, sans préjudice d'autres dispositions, le titre II qui regroupe 29

56
articles. Les libertés et droits fondamentaux se répartissent selon le découpage
par génération de droits reconnus.
«La liberté de pensée, d'opinion, et d'expression sous toutes ses formes»
sont couplées aux garanties relatives « aux libertés de création, de publication
et d'exposition, en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et
technique (article 25) au développement desquelles les pouvoirs publics
apportent appui et moyens appropriés (article 26). La liberté politique qui
postule, le droit à l'information (article 27), la liberté de la presse (article 28),
les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique,
d'association et d'appartenance syndicale et politique (article 29), est
solennellement affirmée et garantie.
Parmi les libertés traditionnelles les plus largement développées, la
sûreté (article 21) préfigure avec un luxe de détails. Ainsi sont précisés) outre
les principes de la présomption d'innocence (article 23) et de la non-
rétroactivité de la loi (article 6), les conditions d'arrestation, la garde à vue, le
droit à l'assistance d'un avocat, le droit de communiquer avec ses proches
(article 23). Innovation majeure les droits des justiciables dans le
fonctionnement de la justice (articles 117 à 128)
Le droit de propriété fait également l'objet d'une ferme protection que la
possibilité d'expropriation ne doit pas menacer, cette dernière étant
accompagnée d'un droit à une juste et préalable indemnisation. La liberté
d'entreprendre et la libre concurrence sont garanties par l'Etat qui uvre à
réaliser un développement durable en vue de la consolidation de la justice
sociale et la préservation des ressources naturelles nationales et des droits des
générations futures (article 35). En parallèle sont érigés en infractions
sanctionnées, par la loi, les conflits d'intérêts, les délits d'initié, les délits liés à
l'activité économique des administrations publiques, le trafic d'influence et
privilège, l'abus de position dominante et monopole, la corruption (article 36).

57
La protection de la vie privée, conjointe à celle du domicile et de secret
des communications sont formulés en termes d'autant plus précis que par le
passé, ces droits étaient peu respectés. La liberté de circulation et
d'établissement sur le territoire national est garantie, d'autant plus qu'elle
implique la libre sortie et libre retour (article 24)
Au Maroc, où la religion se confond à l'Etat, la liberté de conscience est
préservée par une formule qui en consacre l'inviolabilité et reconnait la liberté
du culte. Ainsi de l'article 3 qui dispose «l'Islam est la religion de l'Etat, qui
garantit à tous le libre exercice des cultes ». Les droits de la deuxième
génération ou droits-créances sont évoqués, avec néanmoins le double souci
de la constitution d'une part de ne rien oublier, et d'autre part de ne pas
prendre d’engagements trop irréalistes. Il est vrai que ce dernier scrupule n'est
habituellement respecté que de façon assez partielle par rapport aux
prestations qui peuvent être raisonnablement attendues des pays en
développement.
Ainsi en-est-il du droit au travail et à la sécurité sociale, du droit de
grève (article 29), à l'éducation, aux soins de santé à la couverture médicale, à
un logement décent, à l'accès aux fonctions publiques selon le mérite (article
31).
En dernier lieu, parmi les libertés les plus récemment affirmées, le droit
à l'eau et à un environnement sain, et au développement durable (article 31).
Ce nouvel intérêt témoigne certes d'une volonté de mettre des textes en phase
avec cette nouvelle exigence de la démocratie moderne ouvert sur les valeurs,
tel le droit à la vie (article 20) à défaut de l'abolition de la peine de mort, le
droit de fonder une famille (article 32) l'intégration de la jeunesse dans le
développement économique, social, culturel et politique du pays (article 33),
la protection des personnes et des catégories à besoins spécifiques, soit les
individus vulnérables (femmes, enfants, vieux) et les handicapés (article 34).

58
L'enthousiasme sociétal pour la consécration de nouveaux «droits »
catégoriels sans cesse plus nombreux ainsi que la concurrence des « victimes
ou vulnérables encouragée par la militance associative et la compassion
médiatique conduisent également à un succès grandissant des procédures
juridictionnelles. Le prétoire tend à prendre le pas sur l'isoloir et l'aristocratie
judiciaire à se substituer aussi à la démocratie politique. C'est l'avènement de
la « démocratie des droits» ou « démocratie juridique » ou même «démocratie
contentieuse».
B. La démocratie des droits
C'est tout autant à l'aune de l'extension de la citoyenneté démocratique
et participative, de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
que se distinguent, s'évaluent et se hiérarchisent les systèmes politiques. Le
Maroc, à s'en tenir à sa récente constitution, n'est pas en marge des évolutions
néo-constitutionnalistes qui consacrent à travers l'indépendance du pouvoir
judiciaire et l'efficacité du contrôle de constitutionnalité, le magistère du droit
et du juge.
1. L'indépendance de la justice
La constitution de 2011 réserve une place de choix à la justice (22
articles) qu'elle élève au rang d'un véritable pouvoir indépendant des autres
pouvoirs, indépendance dont le Roi est garant (article 107).
La constitution énonce des mesures importantes visant à protéger
l'indépendance du juge et à moraliser sa fonction.
La loi sanctionne ainsi, toute immixtion dans les affaires de la justice
mise à l'abri de toute pression ou injonction, le juge qui en est menacé doit
saisir le conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Inversement tout
manquement par le juge à ses devoirs d'indépendance et d'impartialité est une
faute professionnelle grave sanctionnée civilement et pénalement (article
109).

59
Le roi en tant que garant de l'indépendance de la justice assure la
présidence du conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui nomme les juges
avant confirmation par dahir. L'inamovibilité des magistrats du siège participe
de l'indépendance de la justice dont l'une des garanties majeures tient dans
l'institution, en remplacement de l'ancien Conseil supérieur de la magistrature,
d'un Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) dont la composition est
moins corporatiste et donc plus ouverte et dont les attributions sont plus
renforcées et élargies.
2-La suprématie de la constitution
Elle ne peut être assurée que par la présence d'une véritable justice
constitutionnelle qui postule le magistère du droit et du juge aux fins de
contrôler le pouvoir et de construire l'Etat au bénéfice du citoyen par le
moyen d'un droit processuel à même de garantir la démocratie et les droits
fondamentaux.
Au Maroc, le contrôle de constitutionnalité était confié à la chambre
constitutionnelle près la Cour suprême. Depuis les révisions de la constitution
de 1992 et 1996 a été adopté le système standard de la juridiction
constitutionnelle indépendante; le Conseil constitutionnel devenu avec le texte
de 2011; «Cour constitutionnelle» et dont le rôle dans un contexte de
transition démocratique est «non seulement de contrôler la conformité des
actes juridiques à la constitution, mais aussi de formuler la nouvelle
conception du droit fondé sur la constitution » (42).
La restauration d'une justice constitutionnelle est en soi une révolution
juridique ou l'être humain « sacralisé » est élevé au rang de « citoyen » doté
de droits et liberté indispensables à son libre développement et au plein
épanouissement de sa personnalité.

42
- Cf . Najib Ba Mohammed , «  Constitutions et Juridictions Constitutionnelles au Maroc » in du
même auteur .Contribution politiques et constitutionnelles marocaine et comparées . REMALD
Collection Manuels et travaux Universitaires n° 107 , 2015 , p : 433.

60
Qui s'agisse du contentieux normatif ou de la démocratie et de secret
des droits fondamentaux, la tache de la cour constitution nette est ardue,
complexe et nécessite compétence, conscience élevée des responsabilités,
audace. La composition, le mode de saisine sont aussi déterminants. Sur ces
questions, la constitution marocaine a, à quelques nuances près, transposé le
modèle français de 2008: contrôle par voie d'action, saisine ouverte selon
diverses proportions à l'opposition, et exception d'inconstitutionnalité à la
faveur d'une saisine individuelle de la cour constitutionnelle par l'introduction
d'une question préjudicielle de constitutionnalité (Q.P.C)
C. La refondation de l'ordre démocratique
La constitution de 2011 n'a pas construit sur une « terra nullus »
Juridique, puisque le contenu antérieur du texte de 1996 n'a pas disparu.
Cependant, les profondes transformations apportées par la révision
constitutionnelle de 2011 ouvrent la voie à la « légitimité démocratique née de
l'intégration ou l'incorporation de divers standards démocratiques reconduits
on refondés qu'il s'agisse de la nation souveraine de la liberté, du pluralisme,
de l'élection et la représentation:
a. La nation souveraine
Ce principe est placé au premier plan par la constitution qui renvoie
différemment à la « Nation» comme valeur « identitaire », et à la souveraineté
nationale.
Alors que le préambule évoque l'attachement à «l'unité nationale» et
son corollaire «l'intégrité territoriale», l'article 1er se réfère à la
«Nation »Fédérative de la religion musulmane, l'unité nationale et du régime
monarchique constitutionnel et démocratique. L'affirmation de la Nation
s'accommode harmonieusement de « la régionalisation avancée» reconnue et
organisée, ce qui satisfait aux exigences de l'approfondissement de la
démocratie en rapprochant les citoyens des centres de décision. Le principe de
la souveraineté nationale est affirmé par l'article 2 qui reprend l'article 3

61
français, (encore que celui-ci se réfère au peuple, qui en est le propriétaire et
qui l'exerce directement ou indirectement). Avec la version marocaine «  la
souveraineté appartient à la Nation qui l'exerce directement par voie de
référendum, et indirectement, par l'intermédiaire de ses représentants ».
b. Le pluralisme politique
Le pluralisme politique postule la reconnaissance de tendances diverses
de l'opinion organisée et leur libre concurrence. Rompant avec la confusion
longtemps entretenue avec le pluripartisme, de l'ancien article 3, la
constitution de 2011, tant au niveau de son préambule quelle intègre, que ses
articles 7 (relatif aux partis politiques) 8 (portant sur les syndicats) 10
(afférent au statut de l'opposition) sans préjudice des dispositions qui
concernent la démocratie citoyenne et participative, article 12 (sur les
associations de la société civile) 14 (les motions citoyennes en matière
législative) 15 (le droit de pétitions). Le pluralisme politique diffus dans la
constitution, réalise son expression la plus dynamique à travers le nouveau
statut des partis politiques en l'occurrence (article 7).
c. L'élection et la représentation
Il est établi que le processus électoral est particulièrement révélateur
des rapports de pouvoir à des différentes échelles, des coalitions d'intérêts, des
ressorts de la représentation, des mécanismes de mobilisation matériels ou
symboliques qui animent l'arène politique.
Les conditions dans lesquelles se passent les élections, la façon dont
elles sont perçues et organisées, refusées ou acceptées, sont révélatrices du
degré d'ancrage des valeurs et de l'idée démocratique dans une société et chez
ses élites politiques.
La préoccupation démocratique par le renforcement des processus
électoraux illustre tout l'intérêt qu'accorde l'ordre international aux diverses
transition politiques, post-communistes, africaines et arabes.

62
Pour être en phase avec les exigences de l'ordre démocratique
international et pour évacuer de la conscience collective les pratiques
dissidentes en la matière, le constituant marocain de 2011 engage les pouvoirs
publics, et tous les autres, conformément aux normes internationalement
reconnues, à organiser « des élections libres, sincères et transparentes » qui
constituent «le fondement de la légitimité, de la représentation
démocratique». Neutralité, non-discrimination, liberté, équité, probité et
punité sont mis en exergue par l'article 11.
D- La rationalisation des pouvoirs.
L'enjeu majeur de l'ordre constitutionnel est la rationalisation du
pouvoir qui consiste à le soumettre à des règles précises et plus
particulièrement mettre au point des mécanismes de représentation politique,
établir auprès des gouvernés des censeurs qualifiés pour dialoguer avec
ceux-là. Ce schéma est déduit du principe de la séparation des pouvoirs, pierre
angulaire de tout Etat démocratique et libéral avec ses exigences de liberté et
de rationalisation du pouvoir.
En affirmant « le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur la
séparation, l'équilibre et la collaboration des pouvoirs (...)» et que
l'organisation territoriale décentralisée est «fondée sur la régionalisation
avancée» la constitution de 2011 intègre le principe de la séparation des
pouvoirs qu'elle organise verticalement selon le mode parlementaire rénové et
horizontalement à travers une décentralisation élargie.
1. Le parlementarisme rénové
La constitution aménage subtilement la centralité monarchique (chef
d'Etat commandeur des croyants, arbitre, garant) tout en affirmant le rôle, la
fonction et la responsabilité des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Le constituant marocain ouvre la voie à une « réinvention du
parlement »: extension du domaine de la loi (art. 71), prééminence de la

63
chambre des représentants (article 61), la limitation du cumul des mandats
(article 62).
Un rééquilibrage judicieux est opéré à la faveur du parlement
pleinement législateur, contrôleur des politiques publiques (article 70), face à
un gouvernement qui en émane (article 47 et 88), à pouvoir exécutif effectif
(article 89-93) tous deux protagonistes d'un jeu parlementaire d'affrontement
d'une majorité « coalisée» et d'une opposition statutairement renforcée, érigée
en «contre-pouvoir» au gouvernement et à sa majorité (article 10 et 60).
L'enjeu majeur est bien d'évoluer dans la stabilité institutionnelle et l'efficacité
politique vers un mode de gouvernement ouvert sur la négociation, le
compromis, tout en assumant les risques liés au recours par les pouvoirs aux
moyens mutuels d'empêchement vote de défiance (article 103), motion de
censure (article 105) dissolutions (royale article 96 et par le chef du
gouvernement article 104).
2. La régionalisation avancée
Dès son article 1er, la constitution affirme que «l'organisation du
royaume est décentralisée » dans un Etat unitaire. Elle est fondée sur une
«régionalisation avancée » Tandis que le titre IX consacre 11 articles aux
régions et autres collectivités territoriales. C'est dire la place et l'importance
de l'organisation territoriale dans le nouvel Etat marocain.
La constitution s'attache à instaurer une institution rénovée pour mettre
en exergue les rôles politique et économique que devrait jouer à l'avenir la
région. Cependant, processus dynamique et évolutif, la construction régionale
se caractérise par autant de dilemmes à surmonter que de compromis à
réaliser. Au demeurant, la problématique régionale participe de
l'approfondissement de la démocratie en rapprochant les citoyens
« territoriaux» des centres de décisions. En y adhérant le Maroc satisfait
constitutionnellement à une exigence essentielle de l'ordre démocratique
moderne, indissociable par ailleurs de l'état de droit qui le détermine.

64
E. La démocratie citoyenne et participative
Elle est également affirmée et aménagée par la constitution pour
remédier aux insuffisances et dysfonctionnement divers d'une démocratie et
d'une citoyenneté, expression d'une crise du politique à réinventer. Les défis à
relever tiennent dans la désaffection du citoyen de la chose publique, le déficit
de civisme, la désidéologisation accrue de l'espace public où l'enjeu électoral
se dissout par absorption, dans un marché électoral imposant ses normes et
agents.
La constitution de 2011 fait partie ainsi d'une nouvelle génération de
constitutions qui introduit un nouvel équilibre entre une démocratie
représentative et une démocratie participative (22). En plaçant le citoyen au
centre de ses préoccupations et en insistant sur la reddition des comptes, le
respect de la bonne gouvernance, le service public de proximité, la production
des instances de concertation et de régulation, la nouvelle constitution s'inscrit
dans une perspective ouverte sur la « démocratie directe». Acteur autonome
de la scène politique le citoyen devient ainsi un contre-pouvoir
institutionnalisé puisque, composante des partis politiques (art. 7) de la
société civile (art. 12) le citoyen peut introduire des motions législatives (art.
15) et dispose d'un doit de pétitions (art. 15).
F. La bonne gouvernance
En adhérant au principe de « bonne gouvernance» et en, en prévoyant
les mécanismes, la constitution de 2011 (Titre XII) sacrifie aux exigences de
la pensée et de la pratique universelles en matière de gouvernabilité qui ne
saurait se suffire des modes de gestion traditionnels du pouvoir face aux crises
et à la complexité des situations.
Les attentes des gouvernés vis-à-vis des gouvernements sont si
pressantes qu'une nouvelle conception de la démocratie plus exigeante est
nécessaire.

65
Une gouvernance durablement défaillante peut mettre en péril tout
acquis et tout progrès démocratique.
Or, par essence, elle implique un ensemble complexe de valeur qui en
conditionne la réalisation. La bonne gouvernance n'est que discours ou fiction
sans démocratie avancée. Ce qui suppose aussi, une citoyenneté accomplie,
une civilité, une crédibilité, une responsabilité, une transparence et
l'effectivité des normes et décisions.

66

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