Vous êtes sur la page 1sur 57

Université Mohammed VI Polytechnique

Faculté de gouvernance, sciences


économiques et sociales

DROIT CONSTITUTIONNEL
ET INSTITUTIONS POLITIQUES
(Introduction, Parties I, II et III)

Mohammed Amine BENABDALLAH

Année universitaire 2022-2023

1
SOMMAIRE
Introduction
Qu’est-ce que le droit constitutionnel ?

Origine et caractéristiques de la discipline

Partie I - Le pouvoir politique et l’Etat


Ch. I – L’institutionnalisation du pouvoir dans l’Etat

Sect. I – Les formes pré étatiques du pouvoir

§ 1 – Le pouvoir anonyme

§ 2 – Le pouvoir individualisé

§ 3 – Le pouvoir féodal

Sect. II – L’Etat

§ 2 – Les caractères de l’Etat

A – Le fondement juridique

B – La souveraineté

§ 3 – Les formes d’Etat

A – L’Etat unitaire

1 – L’Etat unitaire centralisé

2 – L’Etat unitaire décentralisé

B – L’Etat fédéral

- Le principe d’autonomie

- Le principe de participation

2
Chap. II – La personnalisation du pouvoir dans l’Etat

Sect. I- La notion de personnalisation du pouvoir

§ 1 – L’incarnation du pouvoir

A – La nature du système considéré

B – La démocratisation des sociétés politiques

C – Les techniques modernes de communication et de diffusion du


pouvoir

D – L’équation personnelle et les circonstances de crise

§ 2 – La concentration du pouvoir

A – La concentration du pouvoir au niveau du chef de l’Etat dans les


systèmes d’exécutif monocéphale

B – La concentration du pouvoir au niveau du chef du gouvernement

C – La concentration du pouvoir au niveau du chef du parti

Sect. II – La distinction entre personnalisation du pouvoir et pouvoir


personnel au plan constitutionnel

Partie II – La constitution

Ch. I – L’organisation constitutionnelle du pouvoir dans l’Etat

Sect. 1 – Statut des constitutions

§ 1 – Notion de constitution

A – Définition

- La constitution au sens matériel

- La constitution au sens formel

- La constitution au sens organique

3
B – Les caractères de la constitution

1 – Distinction entre constitutions rigides et souples

2 – Distinction entre constitutions écrites et coutumières

3 – Les rapports entre ces différents caractères

4 – La suprématie de la constitution

§ 2 – L’origine des constitutions et le problème du pouvoir constituant

A – Le mode autoritaire d’établissement de la constitution

B – Le mode démocratique d’établissement de la constitution

C – Le système mixte

§ 3 – La révision des constitutions

A – Qui a l’initiative ?

B – Comment va-t-on procéder ?

- La formule classique

- La formule simplifiée

C – Sur quoi va porter la révision ?

Sect. II – Le contenu des constitutions

§ 1 – Les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement du


pouvoir

§ 2 – Les constitutions à objectifs ou constitutions programmes

§ 3 – Les déclarations de droits

A – Le contenu des déclarations

1 – La conception classique des droits

2 – La conception moderne des déclarations

3 – Le développement des partis politiques et des syndicats

4
B – La valeur juridique des déclarations

§ 4 - Les dispositions formellement constitutionnelles

Ch. II – Le contrôle de constitutionnalité

Sect. I – Les données du contrôle de constitutionnalité

§ 1 – Sur quoi porte le contrôle ?

A – La conception étroite du contrôle

B – La conception large du contrôle

§ 2 – Qui peut saisir ?

A – Le contrôle par voie d’action

B – Le contrôle par voie d’exception

§ 3 – Qui contrôle ?

Sect. II – Cas de quelques pays

§ 1 – Le modèle américain

§ 2 – Le modèle européen

Partie III – Institutions et régimes politiques comparés


Sect. I – La théorie de la séparation des pouvoirs

§ 1. Les origines historiques de la théorie de la séparation des pouvoirs

§ 2. Les origines intellectuelles de la séparation des pouvoirs

A – John Locke ou l'inventeur de la séparation des pouvoirs

B – Montesquieu et la systématisation de la théorie de la séparation

Sect. II – La classification des régimes politiques

§ 1 – Les régimes de confusion des pouvoirs

A – La confusion au profit de l’exécutif

5
B – La confusion au profit du législatif

§ 2 – Les régimes de séparation des pouvoirs à travers le système


américain

A – La séparation stricte des pouvoirs

1 – La séparation organique

Le Président :

Le congrès :

Le pouvoir judiciaire :

2 – L’aspect fonctionnel de la séparation

B – De quelques remarques

§ 3 – Les régimes de collaboration des pouvoirs : Le régime


parlementaire

A – Définition du régime parlementaire

1 – L’égalité des pouvoirs législatif et exécutif

a – Le législatif

b – L’exécutif

2 – La collaboration des deux pouvoirs par l’intermédiaire du cabinet

3 – Les moyens d’action réciproques

B – L’évolution du régime parlementaire

6
Introduction
Qu’est-ce que le droit constitutionnel ?

C’est une discipline juridique qui se définit comme l’ensemble des règles
juridiques qui s’appliquent au pouvoir politique dans un Etat déterminé. Il
n’est pas inexact de dire qu’à l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la
prose sans le savoir, on le pratique presque quotidiennement, ou tout au
moins on en est constamment concerné, sans que l’on s’en rende compte.
Sans doute, dans cette situation, est-on plus directement confronté au droit
administratif dans la mesure où notre contact avec l’Etat s’établit par le
truchement de l’Administration, mais il n’en demeure pas moins vrai que la
base de ce contact s’enracine dans le droit constitutionnel. Cette
observation ne concerne pas que l’Administration et son droit ; elle s’étend
à toutes les matières juridiques.

A ce sujet, on a pu écrire qu’aucune matière de droit ne peut s’exclure du


droit constitutionnel et que « l’existence d’un droit matériellement
constitutionnel est la condition nécessaire à l’existence du droit ». En fait,
toutes les règles qui régissent notre quotidien avec l’Etat ne peuvent être
légales que si elles sont conformes à la hiérarchie des normes, c’est-à-dire,
la pyramide des règles, au classement décroissant, à la tête de laquelle trône
la norme constitutionnelle.

Telle est la situation des disciplines où les principes, les droits et libertés
garantis par une constitution sont concernés. Leurs règles, pour être
constitutionnellement valables, ne sauraient aller à l’encontre des règles
contenues dans la constitution.

C’est un droit qui est à la source de toutes les normes juridiques au sein de
l’Etat. Au fond, c’est à partir du droit constitutionnel que les autres
branches du droit sont juridiquement évaluées. Qu’il s’agisse des règles du
droit administratif, du droit civil, du droit pénal, du droit parlementaire,
bref de toutes les disciplines juridiques sans aucune exception.

Au demeurant, c’est un droit qui se distingue par son contenu et la place


qu’il occupe par rapport aux autres branches du droit.

Comment cela ?

7
L’objet du droit civil est de régler les rapports entre les particuliers, les
privés ; celui du droit pénal est de sanctionner les infractions ; le droit
commercial est de régler les relations de commerce dans la société, quant
au droit constitutionnel, il lui revient de déterminer l’organisation et le
fonctionnement des pouvoirs publics et de fixer les principes qui
garantissent les droits et les libertés des citoyens, ainsi que leurs obligations
envers la société. C’est l’encadrement juridique des acteurs, des pouvoirs et
des normes appliquées en droit.

Présenté ainsi, le droit constitutionnel incline à dire qu’il a toujours


accompagné les sociétés depuis la nuit des temps et que, puisqu’il vit au
milieu de nous et en nous (Jean Gicquel), il a toujours vécu au milieu de
ceux qui nous ont précédés et en eux !

C’est donc un droit très ancien.

En effet, en tant qu’ensemble de normes organisant l’exercice du pouvoir,


il est ancien tant il est vrai que dès que le pouvoir politique s’instaure, dès
qu’il dépasse un certain niveau d’organisation, il se soumet et doit se
soumettre à des règles coutumières de fonctionnement que l’on peut
qualifier de constitutionnelles sans qu’elles ne le soient pour autant. Toute
société, même peu développée, lorsqu’elle atteint un degré minimal de
complexité et de stabilité est susceptible de faire l’objet d’une étude
constitutionnelle.

A cet égard, on peut donner des exemples qui confortent amplement cette
assertion.

- Au IVe siècle avant Jésus-Christ, Aristote (384-322 avant notre ère) avait
fait rassembler par ses élèves 158 constitutions de l’époque, dont celle
d’Athènes (Aristote, Constitutions d’Athènes, Les belles lettres, 1996,
Traduction, Georges Mathieu). Ce fut, sans doute, le premier ouvrage de
« Droit constitutionnel », contemporain de l’envergure de la cité grecque,
ancêtre de l’Etat moderne et des règles structurant le pouvoir.

- Au moyen âge, la renaissance de l’Etat au cours du XIIIe siècle coïncide


avec un certain essor de la théorie politique et constitutionnelle qui va
accompagner en même temps que justifier et favoriser la conception
pratiquement nouvelle de l’Etat.

8
- Au XIe siècle, Mawardi (972-1058) écrit « Les statuts gouvernementaux
ou règles de droit public et administratif » ouvrage dans lequel il décrit les
rouages de l’Etat, son organisation, ses institutions politiques et
administratives. C’est un ouvrage de vingt chapitres qui traitent de
plusieurs points en rapport avec le droit constitutionnel. Du contrat
d’imamat (fî ‘aqd al-imâma), de l’investiture du vizirat (fîtaqlîd al-wizâra),
de l’investiture du gouvernement des provinces (fîtaqlîd al-imâra ‘alâ al-
bilâd), ainsi que d’une foule de questions qui permettent de dire que
l’ouvrage traitait du droit public de l’époque.

L’importance de l’ouvrage et son rayonnement ont fait qu’Ibn Khaldoun


(1332-1406) dans « Les prolégomènes », ouvrage écrit en 1377 dans lequel
le savant auteur traite non seulement de l’histoire et des péripéties de son
évolution, y a renvoyé pour l’étude de l’organisation gouvernementale en
pays d’Islam.

- Plus proche de nous, l’ouvrage du professeur Mohamed Lahbabi « Le


gouvernement marocain à l’aube du XXe siècle », dans lequel il traite du
sultanat, de la Beïa, de la délégation des pouvoirs par le sultan. C’est dire
que le droit constitutionnel sans exister en tant que discipline juridique,
existait en tant que fait historique, organisant les relations au sein de la
société. Il est très ancien.

Très ancien, certes…mais à certains égards très récent !

On ne peut faire fi du caractère récent de la discipline dans la mesure où


l’étude du droit constitutionnel en tant que matière ne s’est véritablement
imposée que dans un passé pas très lointain. On peut alors avancer que si
en tant que règlement coutumier de l’exercice du pouvoir, le droit
constitutionnel est lié à celui-ci, il n’est pas moins exact de préciser qu’en
tant que discipline scientifique, son importance n’est apparue qu’après les
différents changements qui ont affecté l’exercice du pouvoir à travers le
monde ancien et contemporain.

Outre cela, c’est un droit qui révèle la tendance idéologique de l’Etat. Car
c’est à travers l’étude de la constitution ou tout au moins du
fonctionnement des institutions et de l’exercice du pouvoir d’un Etat que

9
l’on peut qualifier sa tendance, religieuse, socialiste, communiste, libérale,
totalitaire… etc.

Par ailleurs, il ne serait pas déplacé de dire quelque mot sur la matière de
« droit constitutionnel et institutions politiques ».

Pourquoi pas seulement droit constitutionnel ?

A ce sujet, il conviendrait de retenir que pour bien prendre connaissance


d’un régime politique, il ne suffit pas de se contenter de l’étude des textes
qui le régissent, mais de s’efforcer de voir son fonctionnement réel, de ses
institutions et des soubassements qui sont à la base de l’application des
textes à une société déterminée. Il est nécessaire de s’appesantir sur ce qui
est déjà établi dans la vie politique. De fait, les règles qui commandent les
relations politiques sont ni plus ni moins que des institutions dont l’Etat se
présente comme l’illustration la plus expressive. D’où, l’appellation « droit
constitutionnel et institutions politiques »

Donc, après cette brève introduction à la discipline, il nous est permis de


nous arrêter sur les points essentiels de son étude.

A cette fin, nous verrons :

Une première partie où nous essaierons de mettre en relief la relation entre


le pouvoir politique et l’Etat.

Une deuxième partie que nous consacrerons à la notion de constitution.

Une troisième partie où nous traiterons des institutions et régimes


politiques comparés.

Une quatrième partie qui nous permettra un regard sur le régime politique
marocain.

10
Partie I - Le pouvoir politique et l’Etat
Parler du pouvoir politique, c’est essentiellement parler de l’Etat et
de la relation qui existe entre eux. Une relation incontournable du fait
que le pouvoir politique implique automatiquement une organisation
communautaire et que l’on ne peut pas imaginer un Etat sans qu’il
n’y ait à sa tête un pouvoir qui est l’un de ses éléments constitutifs.

Le pouvoir politique ne peut avoir de signification que s’il s’exerce


au sein d’un groupe, d’une collectivité, d’une institution. En droit
constitutionnel, l’institution, c’est l’Etat. Comment s’opère
l’institutionnalisation du pouvoir dans l’Etat et comment aussi il s’y
exerce par sa personnalisation.

Ch. I – L’institutionnalisation du pouvoir dans l’Etat

Dans une première étape, le pouvoir ne s’incarne pas dans l’Etat. Il


se présente comme une espèce de préfiguration d’un système qui va
s’organiser. Mais au sein de l’Etat, il prend une forme juridique dans
la mesure où il s’y présente comme l’un des éléments constitutifs.

Sect. 1 – Les formes pré étatiques du pouvoir

Aucun groupe social ne peut s’exempter d’une direction ; dès lors


que se constitue une société à quelque niveau que ce soit, se fait jour,
pour sa cohésion et le vivre-ensemble de ses composantes, la
nécessité d’un pouvoir.

Trois formes sont à distinguer : Le pouvoir anonyme, le pouvoir


individualisé et le pouvoir féodal.

§ 1 – Le pouvoir anonyme

C’est celui qu’ont connu les sociétés primitives avant même


l’apparition de la notion de chef. Il est basé et soutenu par des
croyances individuelles qui finissent par être collectives, des
superstitions, des idolâtries…etc. A ce propos, Burdeau parlait de
pouvoir diffus. Aujourd’hui, toute forme de pouvoir diffus n’a pas
totalement disparu ; il a pris une autre forme qui par la grande
pression qui s’exerce sur l’opinion publique lui faisant croire, par

11
exemple, à l’existence d’un danger externe contre lequel on doit se
mobiliser.

Selon la classification retenue par M. Duverger, le pouvoir politique


apparaît comme un phénomène naturel, un phénomène de force, un
phénomène de croyance.

Dès que l’on sort de ce stade d’évolution, il devient identifiable,


exercé par un ou plusieurs hommes à titre personnel ou au nom d’une
institution.

§ 2 – Le pouvoir individualisé

On parle de pouvoir individualisé lorsqu’il y a confusion entre le


pouvoir et celui qui l’incarne. Historiquement, l’individualisation du
pouvoir correspond à l’ère des conquêtes et le chef est souvent un
chef guerrier. A l’issue de la conquête, le chef s’investit en tant que
tel et s’entoure d’un clan ; mais on doit retenir que ce genre de
pouvoir se caractérise généralement par une certaine faiblesse du fait
qu’il est lié à la vie du chef.

§ 3 – Le pouvoir féodal

Il se présente comme la forme la plus achevée du pouvoir individuel.


Il s’agit d’un mode ou d’un système patrimonial fondé sur la
possession des terres qui instaure une allégeance personnelle où les
rapports entre le titulaire du pouvoir et ses sujets ne sont pas
institutionnels mais personnels. On obéit et on se soumet non pas à la
loi mais à la volonté du chef.

C’est un système politique qui a existé notamment en Europe entre le


Xe et le XIIe siècle. Il se résume par le principe ou la règle où
l’autorité centrale s’associe avec les seigneurs locaux qui à leur tour
le sont avec leur population sur la base d’un système d’obligations et
de services.

12
Sect. II – L’Etat

C’est le stade suprême de l’institutionnalisation du pouvoir. Son


existence se traduit par celle de la personnalité morale dont les
éléments constitutifs, que nous verrons sous peu, sont le territoire, la
communauté et l’organisation politique ou le pouvoir de
commandement.

- Le territoire constitue le cadre sur lequel s’exerce la souveraineté,


le pouvoir de commandement.

- La population est la communauté qui réside sur le territoire et, de ce


fait, se trouve soumise aux règles du pouvoir de commandement.

- L’organisation politique ou le pouvoir de commandement qui


s’exerce de manière souveraine.

Comment se présente alors la notion d’Etat et sous quelles formes


existe un Etat ?

§ 1 – La notion d’Etat

Parler de l’Etat, c’est nécessairement parler des gouvernants qui


constituent l’ensemble des autorités instituées pour l’exercice du
pouvoir. Les gouvernants sont les éléments d’une structure
hiérarchisée. On les appelle aussi les pouvoirs publics.

Qui sont-ils ?

Au sens large, c’est l’exécutif qui comprend le chef de l’exécutif et


les chefs des départements ministériels dont le prolongement est
l’Administration exerçant sa fonction sur un territoire déterminé.

Théoriquement, l’administration exécute les décisions politiques


prises par l’exécutif. Tout comme l’exécutif, elle doit s’en acquitter
conformément aux lois. C’est le principe de légalité qui signifie que
toutes les décisions qui sont appliquées à la communauté, la
population, doivent être conformes à la loi ou tout au moins ne pas
lui être contraires. De même que cette loi doit, à son tour, être
conforme aux règles qui lui sont supérieures ou ne pas leur être
contraires.

13
De crainte que se développe et se renforce un pouvoir administratif
au point de s’autonomiser, il y a le contrôle juridictionnel de
l’administration qui s’exerce par les juridictions administratives.

Le pouvoir législatif est du ressort du parlement ; c’est l’organe qui


fait les lois dont les matières sont limitées par la constitution. Pour
entrer en vigueur, elles sont soumises à la promulgation par le chef
de l’Etat.

Les lois également sont soumises à une hiérarchie des normes. Elles
peuvent faire l’objet d’une saisine par le contrôle constitutionnel.

§ 2 – Les caractères de l’Etat

Parmi les éléments constitutifs de l’Etat, il y a comme nous l’avons


vu, l’organisation politique qui implique une double qualité : L’Etat
doit avoir un fondement juridique et jouir de la souveraineté.

A – Le fondement juridique

Du fondement juridique, émane la personnalité morale de


l’institution. Un groupement d’individus auxquels est reconnue la
possibilité d’être titulaires de droits et d’obligations distincts de
chaque individu qui le compose. De ce fait, l’Etat peut agir, passer
des accords, prendre participation dans une société, posséder un
domaine public. Il a également des obligations à l’égard des
individus ou groupements.

B – La souveraineté

La souveraineté doit être précisée selon qu’elle est dans l’Etat ou de


l’Etat.

- Dans l’Etat, elle consiste à déterminer l’autorité qui exerce le


pouvoir de commandement. Cela dépend évidemment de la nature du
régime et de sa structure.

- De l’Etat, la souveraineté se traduit par l’indépendance de l’Etat


vis-à-vis de l’extérieur. Il ne peut être théoriquement tenu par des
obligations que de sa propre volonté souveraine.

14
§ 3 – Les formes d’Etat

L’Organisation des Nations unies recense actuellement 193


membres. Leurs rapports sont régis par les règles du droit
international public.

Une vingtaine d’entre eux se présentent eux-mêmes comme des


communautés d’Etats c’est-à-dire, des Etats fédéraux, composés
d’Etas fédérés. Les rapports de ceux-ci avec l’Etat fédéral sont
soumis à des règles fixées par la Constitution.

Les autres Etats sont unitaires c’est-à-dire des Etats où il n’existe


qu’un seul centre de décision.

A – L’Etat unitaire

C’est l’Etat dans lequel ne s’exerce qu’une seule volonté politique à


l’ensemble des citoyens. Leur sont applicables les mêmes lois dans
tous les domaines. Cependant, il est à préciser que l’administration
de l’Etat unitaire est susceptible d’être soit centralisée, soit
décentralisée.

1 – L’Etat unitaire centralisé

C’est l’Etat où toutes les décisions aussi bien politiques


qu’administratives relèvent du pouvoir central. Ce système peut être
tempéré par la déconcentration qui consiste à accorder un pouvoir de
décision à des agents locaux nommés par le pouvoir central et
soumis à son autorité hiérarchique. En France, ce sont les préfets, au
Maroc, ce sont les gouverneurs ou à l’échelon régional, les walis.

Mais il faut dire que dans le système unitaire centralisé qui n’existe
pratiquement plus, la déconcentration ne diminue en rien le caractère
centralisé de l’Etat. C’est la raison pour laquelle, toute forme de
centralisation, pour perdurer, nécessite d’être décentralisée.

2 – L’Etat unitaire décentralisé

A l’inverse du système précédent, l’Etat unitaire décentralisé est


celui au sein duquel, sous le contrôle du pouvoir central, les
décisions sont prises par des autorités élues. C’est un système qui ne

15
porte aucunement atteinte à l’unité de l’Etat. A cet égard, le Maroc
s’y est bien engagé et très progressivement quelques années après le
recouvrement de l’indépendance.

La décentralisation peut être beaucoup plus accentuée par la


reconnaissance d’une large autonomie aux régions. C’est le cas du
système italien et espagnol.

B – L’Etat fédéral

L’Etat est fédéral lorsque de par la constitution, les unités qui le


composent sont pourvues de compétences en matières législative et
juridictionnelle. Elles sont dotées d’une autonomie propre à Etat
souverain, sauf dans le domaine international et celui de la défense
nationale.

C’est un système relativement répandu. Les Etats unis d’Amérique,


la Russie, l’Inde, le Mexique, la Malaisie, l’Argentine …

Comment se forme l’Etat fédéral ?

Il peut résulter du regroupement de plusieurs Etats indépendants qui


se fédèrent, c’est le fédéralisme par association. On peut citer
l’exemple des Etats unis d’Amérique dont les 13 colonies
américaines ayant accédé à l’indépendance en 1776 ont d’abord
constitué une confédération avant de devenir après la ratification de
la Constitution de Philadelphie, la fédération des Etats unis
d’Amérique. L’exemple aussi de la Suisse, devenue une fédération
bien qu’elle ait conservé le nom de Confédération helvétique qui l’a
précédée de 1235 à 1848.

Tout comme il peut être le résultat de la transformation d’un Etat


unitaire en un Etat composé, c’est le fédéralisme par dissociation qui
résulte de revendications de minorités territoriales. Exemple de
l’Union soviétique qui était un immense empire unitaire avant de se
transformer en fédération en 1924. L’exemple aussi de la Belgique
avec la Constitution de 1990 ou la Tchécoslovaquie en 1992.

D’une manière générale, dans l’Etat fédéral, on distingue deux


niveaux, supérieur et inférieur :

16
Le niveau supérieur se caractérise par la constitution fédérale qui
précise ce qui relève de l’Etat fédéral et des unités qui le constituent.
Quant au niveau inférieur, il repose sur l’exercice de compétences
qui ne relèvent pas de l’Etat fédéral. La répartition varie selon les
Etats. L’objet peut porter sur l’enseignement, la santé, la sécurité
sociale, la fiscalité… etc.

Deux principes fondamentaux caractérisent l’Etat fédéral :

L’autonomie et la participation.

- Le principe d’autonomie

Ce principe signifie que chaque Etat fédéré jouit de compétences qui


lui sont propres et dont il peut user sans aucune ingérence de l’Etat
fédéral. C’est le critère essentiel qui permet de distinguer l’Etat
fédéré de la collectivité décentralisée où le rôle du pouvoir central
demeure effectif. Il ne s’agit pas alors d’une délégation de pouvoir
mais bel et bien d’un pouvoir qui découle de la Constitution

Pour garantir le respect de ces compétences, la Constitution institue


une instance chargée de l’arbitrage des conflits d’attributions. Aux
USA, c’est la Cour suprême, en Allemagne, c’est le Tribunal
constitutionnel de Karlsruhe.

- Le principe de participation

Les Etats fédérés participent à la direction de la politique fédérale par


leur représentation au sein des instances constitutionnelles. La
représentation a lieu au niveau du parlement à travers la chambre
haute ou deuxième chambre. Ainsi, par exemple, le sénat des Etats
unis se compose de deux sénateurs par Etat, de même que le
Mexique ou la Suisse.

La participation se traduit également au niveau de l’exécutif. Dans


les Etats fédéraux, le Président de la République est élue d’une
manière indirecte. Ainsi, l’élection du président des Etats unis se fait
dans le cadre des Etats par les grands électeurs.

17
Chap. II – La personnalisation du pouvoir dans l’Etat

A partir de l’étude de la notion, on peut en préciser le sens par


rapport à une notion voisine.

Sect. I- La notion de personnalisation du pouvoir

Il y a incarnation du pouvoir chaque fois que le pouvoir apparaît


incarné et concentré en une personne. C’est le phénomène du
leadership. Dans de nombreux cas, on parlait du pouvoir en lui
attribuant le nom d’un dirigeant. Dans l’histoire de plusieurs pays,
dès que l’on parlait de pouvoir, on lui accolait un nom : Pouvoir de
Nacer, de Mao, de Kaddafi, Saddam Hussein etc.

La personnalisation du pouvoir passe par son incarnation et sa


concentration.

§ 1 – L’incarnation du pouvoir

C’est sa personnalisation aux yeux de l’opinion publique. C’est un


phénomène que l’on retrouve dans l’histoire des pays surtout au
lendemain de leur indépendance.

Plusieurs raisons sont à sa base. On peut en dénombrer quatre :

A – La nature du système considéré

La personnalisation du pouvoir est plus évidente dans un système de


type monarchique. Elle est dans la logique des choses surtout lorsque
le monarque règne et gouverne.

Dans les régimes présidentiels, cette logique est tout aussi évidente.
Le suffrage universel désigne la personne qui aux yeux de la
population va incarner le pouvoir. Ainsi, par exemple, la constitution
française amendée sur proposition du général De Gaulle pour que le
président soit élu au suffrage universel et non plus à la majorité
absolue des suffrages par les deux chambres du parlement réunies en
congrès.

Dans les régimes parlementaires, la personnalisation du pouvoir se


manifeste lorsqu’il y a un chef d’un parti majoritaire. Les élections

18
lui permettront de s’imposer comme chef de l’exécutif qui incarnera
le pouvoir durant tout le mandat. Les exemples ne manquent pas :
Boris Johnson en GB, Angela Merkel en Allemagne… etc…

B – La démocratisation des sociétés politiques

Il peut sembler paradoxal de dire que la démocratisation est une


incarnation du pouvoir. Mais on doit se rappeler que l’extension du
suffrage universel demeure le critère le plus développé de la
démocratisation.

Néanmoins, on doit souligner que pendant longtemps, seule une


partie de la population participait au jeu politique et ce n’est qu’à la
deuxième moitié du XIXe siècle que s’est élargie la participation du
peuple à la vie politique et c’est à la faveur de ce phénomène de
masse qu’est née la notion de leadership.

On rappellera qu’en France, les élus du tiers état étaient élus par des
chefs de foyer âgés de plus de 25 ans et payant l'impôt ; la
Constitution de 1791 maintient ce suffrage censitaire (à deux degrés,
suffrage indirect donc). En 1848, avec la deuxième République, le
suffrage censitaire est remplacé par le suffrage universel masculin.
De même qu’en Angleterre, pays à tradition libérale, ce n’est qu’à
partir du moment où les masses participent à la vie politique que les
chefs de partis sont devenus des leaders. Ces chefs deviennent
populaires par la participation de la grande partie de la population à
la vie politique.

Dans le même sens, on peut citer l’exemple des pays autrefois de


l’Est où les partis communistes, grâce à la forte participation de la
masse ont engendré un phénomène spectaculaire de la
personnalisation du pouvoir. Wladyslaw Gomułka en Pologne,
Staline en Union soviétique, Mao Tsé Toung en Chine.

Toutefois, il convient d’observer que la personnalisation du pouvoir


n’est pas sans porter atteinte à la démocratie en ce sens qu’elle créé
une espèce de consensus autour du chef et d’un accord populaire sur
sa personne qui devient comme sacrée.

19
C – Les techniques modernes de communication et de diffusion
du pouvoir

Il s’agit ici des mass-médias et des techniques qui peuvent être


utilisées dans un but de propagande politique. Elles permettent la
diffusion du pouvoir et l’on connaît mieux la personne qui en est
titulaire. Les chefs à élire jouent beaucoup sur cet aspect qui se
rapproche de la vedettisation du pouvoir.

D – L’équation personnelle et les circonstances de crise

Les crises favorisent l’apparition des leaders ; de même que


l’acquisition de l’indépendance. Kwame Nkrumah au Ghana,
considéré père de l’indépendance, tout comme Sékou Touré en
Guinée ;

Dans de nombreux pays, les crises ont favorisé l’apparition et le


renforcement de l’envergure d’une seule personne, d’un leader. Aux
USA, la crise de 1929 avait nettement favorisé le renforcement du
pouvoir de Roosevelt ou celui Premier ministre britannique Churchill
lors de la seconde guerre mondiale (1939-1945).

§ 2 – La concentration du pouvoir

A elle seule, l’incarnation du pouvoir ne suffit pas ; il faut que le


titulaire du pouvoir le détienne réellement. Mais cette concentration
diffère selon que l’on est dans tel ou tel régime politique.

A – La concentration du pouvoir au niveau du chef de l’Etat


dans les systèmes d’exécutif monocéphale

Ainsi, à titre d’exemple, dans les Etats de type présidentiel, le chef


demeure au centre du pouvoir. C’est à travers lui qu’il s’exerce. Aux
USA, le président est le véritable chef, ses collaborateurs ne sont
guère connus.

B – La concentration du pouvoir au niveau du chef du


gouvernement

En Grande Bretagne, c’est le Premier ministre qui exerce réellement


le pouvoir et la fonction essentielle qui en découle et non la reine. En

20
Allemagne, c’est le chancelier, en Italie c’est le président du conseil
des ministres. D’ailleurs, dans ces pays ainsi que ceux qui ont un
système voisin, le nom du président, chef de l’Etat, est rarement cité.

C – La concentration du pouvoir au niveau du chef du parti

Cette concentration a lieu dans les pays à parti unique. L’URSS


(Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov), Staline (Iossif
Vissarionovitch Djougachvili), Khrouchef, Breijnev. La Roumanie.
Bref, les anciens pays de l’Est.

Sect. II – La distinction entre personnalisation du pouvoir et


pouvoir personnel au plan constitutionnel

La personnalisation du pouvoir doit être distinguée du pouvoir


personnel.

Elle n’est pas incompatible avec la démocratie, elle résulte de


l’existence de leaders favorisés par le développement du suffrage
universel. L’autorité du chef reste liée à la fonction qu’il occupe ; il
est populaire, mais il demeure que son pouvoir découle tout
simplement de sa fonction.

Il en va différemment du cas du pouvoir personnel où l’autorité du


chef provient non pas de sa fonction mais de sa personne. Son
pouvoir ne repose pas sur un système de légitimité qui serait
indépendant de sa personne. Il se substitue à l’institution pour
devenir lui-même l’institution. Hitler, Mussolini, Staline, Franco,
Saddam Hussein, Kadhafi. Même, lorsque les élections sont
organisées pour légitimer le pouvoir, elles ne constituent qu’une
parodie pour le faire durer jusqu’à la chute. Les exemples sont très
nombreux.

Dans l’histoire de l’exercice du pouvoir, on peut relever que certains


pays ont favorisé le pouvoir personnel plus que d’autres. Les
institutions du régime reposent sur la personne du chef. Par contre,
dans d’autres pays, c’est l’inverse. C’est l’institution qui est
favorisée et c’est celui qui l’occupe qui exerce son pouvoir. Il est au
service de l’institution et non le contraire.

21
Partie II – La constitution

La constitution est par excellence un acte juridique, c’est la charte


fondamentale d’un Etat, un contrat de société. Elle se présente comme un
ensemble de normes qui régissent le pouvoir politique et les organes de
l’Etat. Elle garantit les droits et les libertés tout comme elle impose aussi
des obligations. C’est le cadre juridique dans lequel se meut le pouvoir
politique et qui institue les règles auxquelles doivent se soumettre aussi
bien les gouvernants que les gouvernés.

La Constitution doit s’analyser comme une norme suprême au sommet de


la hiérarchie des normes. A juste titre, on peut la désigner par l’expression
« la loi des lois ».

Son étude nécessite que l’on se penche, d’une part, sur l’aspect
organisationnel du pouvoir dans l’Etat et, d’autre part, sur les mécanismes
employés pour contrôler l’application de ses normes par les textes de lois.

Ch. I – L’organisation constitutionnelle du pouvoir dans l’Etat

C’est sur la base et à travers la constitution que s’organise le pouvoir de


l’Etat, notamment ses attributions et les modalités de son exercice. Quel est
le statut des constitutions ? Comment se présente leur contenu ?

Sect. 1 – Statut des constitutions

Parler du statut d’une institution invite à s’interroger sur l’ensemble des


points qui la concerne. Comment se présente-t-elle en tant que notion,
comment peut-elle s’élaborer et comment peut-elle être révisée ?

§ 1 – Notion de constitution

En tant que notion, c’est le point nodal de l’exercice du pouvoir et des


conditions de vie de la communauté à laquelle elle s’applique. A travers les
angles adoptés dans sa définition et, en approchant ses caractères, on
percevra davantage son statut.

22
A – Définition

On a déjà vu que la constitution se présente comme un ensemble de normes


qui régissent le pouvoir politique et les organes de l’Etat. Néanmoins, au-
delà de cette définition, très approximative, on peut aller plus loin pour la
présenter à travers différents critères.

- La constitution au sens matériel

Au sens matériel, la constitution se présente comme l’ensemble des règles


d’organisation du pouvoir, de ses titulaires et de son fonctionnement. Elle
porte même les règles et les procédures de sa révision.

C’est dire que dès lors qu’il y a un Etat, il y a nécessairement une


constitution au sens matériel par le fait même d’existence de règles
implicitement acceptées par la population qui les intériorise par la
répétition.

- La constitution au sens formel

Au sens formel, le terme désigne toute règle quel que soit son objet contenu
dans un document déterminé auquel est reconnue une valeur supérieure aux
lois et règlement en vigueur. En d’autres termes, tout ce qui est mentionné
dans ce texte a une supériorité sur toute autre norme.

- La constitution au sens organique

Au sens organique, c’est l’ensemble des règles toujours d’organisation et


de fonctionnement du pouvoir, mais qui sont établies par un pouvoir
constituant, son auteur. Leur valeur juridique vient du fait qu’elles émanent
d’une volonté souveraine, d’un organe qui est la communauté qui l’a
instituée, ce qui lui octroie une valeur suprême.

B – Les caractères de la constitution

La constitution n’est qu’un générique pluriel qui regroupe diverses sortes


ou catégories de constitutions.

Napoléon Bonaparte (1769-1821) a déclaré qu’une « constitution doit être


courte et obscure. Elle doit être faite de manière à ne pas gêner l’action du
gouvernement ». Au demeurant, il est des constitutions qui seulement

23
établissent le mode de fonctionnement des institutions mais d’autres qui
prévoient les moindres détails.

La constitution rigide est celle qui est établie selon une procédure spéciale
et dont la révision ne peut avoir lieu que par le pouvoir constituant lui-
même. La distinction doit être faite entre les constitutions rigides et
souples, et entre les constitutions écrites et coutumières.

1 – Distinction entre constitutions rigides et souples

Comme on le verra plus loin, c’est lors de la révision de la constitution que


celle-ci s’avère rigide ou souple.

La constitution rigide est celle qui est établie selon une procédure spéciale
et dont la révision ne peut avoir lieu que par le pouvoir constituant lui-
même.

La notion de rigidité vient de l’exigence d’une procédure particulière pour


la procédure de révision de la constitution du point de vue de l’initiative de
révision, de son adoption, des délais à observer, des réunions des deux
chambres, du nombre de voix exprimées et tout ce qui rend en quelque
sorte complique la révision.

La constitution est dite, en revanche, souple, lorsque sa révision n’est


soumise à aucune procédure particulière pour se faire comme s’il s’agissait
d’une loi tout à fait ordinaire.

Cette distinction faite, il convient de préciser la rareté des constitutions


souples. Et d’ajouter que même lorsqu’elles existent, on y recourt que très
peu. C’est une possibilité, sans plus. On peut donner l’exemple de la
Grande-Bretagne qui n’est pas dotée d’une constitution écrite et où règne le
principe de souveraineté du parlement (on dit qu’il peut tout faire, sauf
changer une femme en homme). Mais malgré cette prérogative, le
parlement n’agit pratiquement jamais avec précipitation, préférant laisser le
temps aux nouvelles coutumes de se substituer aux anciennes.

Autres exemples, ceux de la Nouvelle-Zélande qui en 1947 a ramené sa


constitution au rang de loi ordinaire, la Chine qui depuis 1975, reconnait à
l’assemblée le droit de modifier la constitution, Israël, depuis sa création en
1948.

24
2 – Distinction entre constitutions écrites et coutumières

Une constitution est dite coutumière lorsqu’elle est composée d’un


ensemble de règles relatives à l'organisation du pouvoir, mais qui n'existent
pas sous forme écrite, même si certains documents peuvent en servir de
base.

Il s’agit de règles juridiques non écrites qui, au fil du temps, deviennent


supérieures. Elles sont aussi appelées « Conventions de Constitution ».

Pendant longtemps, le droit constitutionnel a été de type coutumier (1). Le


premier élément de la coutume, c’est la répétition d’un certain
comportement, de certaines règles.

Ainsi dans les pays d’Islam, le droit constitutionnel a pendant longtemps


revêtu une forme coutumière qui reposaient sur certaines interprétations du
prophète. Les premières codifications doctrinales vont intervenir après
plusieurs années de pratiques. Parmi les grands penseurs en la matière de
l’Islam : Al-Mawardi, ou Abu al-Hasan Ali Ibn Muhammad Ibn Habib al-
Mawardi (974- 1058), Ibn Khaldoun (1332-1406).

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la plupart des Etats étaient régis par des
Constitutions non écrites.

Dans la France de l'Ancien Régime, les lois fondamentales du royaume


formaient les composantes de la Constitution coutumière. Des règles
relatives à la succession au trône et l'inaliénabilité du domaine royal. Ce
n’est qu’au cours des XVIIIe et XIXe siècles que les constitutions
coutumières ont progressivement disparu au profit des constitutions écrites.

1
Les constitutions coutumières ne sont pas aussi nombreuses que dans le passé. Jusqu’au XVIIIème siècle,
la plupart des Etats connaissait une organisation coutumière, au plan du domaine du pouvoir politique.
Sous l'Ancien Régime, en France, les lois fondamentales étaient instituées par des règles coutumières,
comme par exemple la loi interdisant la succession des femmes sur le trône royal.
Actuellement, il n'y a guère que le Royaume-Uni qui ait une Constitution coutumière. Néanmoins cette
affirmation est à nuancer. Car, le régime constitutionnel britannique contient un certain nombre de textes
ou d'écrits comme la Grande Charte de 1215, la Pétition des droits de 1628, l’Act d'Habeas Corpus de
1679, qui protège les citoyens contre l'arbitraire monarchique, le Bill of rights de 1689, l’Act
d'établissement de 1701 qui règle les problèmes de succession au trône et les Parliament Acts de 1911 et
1949. Cependant, il faut dire que des règles essentielles du fonctionnement du régime comme le droit de
dissolution de la Chambre des communes, l'obligation de nommer Premier ministre le chef du parti
majoritaire, l'interdiction pour le roi de présider le Cabinet sont purement coutumières, mais cela ne leur
ôte pas leur force obligatoire.

25
Les constitutions écrites ont des raisons d’être adoptées :

Historiquement, c’est de faire de la constitution un instrument de droits et


de libertés. Cela va apparaître à la fin du XVIIIe siècle, période pendant
laquelle prévaut la philosophie de l’époque qui était la philosophie libérale.
La constitution se pose comme un contrat entre le pouvoir et les gouvernés.

Les premières constituions écrites apparaissent aux USA où il s’agira, en


1776, de la confédération des 13 colonies anglaises, et par la suite de la
fédération avec la constitution américaine de 1787.

En Europe aussi avec la Révolution française de 1789 au lendemain de


laquelle apparurent les constitutions de 1791 et 1793.

Techniquement également, la constitution écrite institue un équilibre entre


les pouvoirs au sein d’Etat à reconstruire. Ainsi, après la première guerre
mondiale, plusieurs constitutions écrites ont vu le jour. La constitution
allemande de Weimar, 1919. L’Allemagne vaincue, il fallait reconstruire.

De même, peut-on donner l’exemple des pays africains accédant à


l’indépendance dont le souci premier était de se doter d’une constitution
pour organiser l’exercice du pouvoir.

3 – Les rapports entre ces différents caractères

Sans généraliser, on peut dire que les constitutions écrites sont par nature
rigides, tandis que les constitutions coutumières sont plutôt souples.
Néanmoins, il existe des exceptions.

En effet, la constitution écrite peut être souple, lorsqu’elle ne prévoit pas


des règles spéciales et rigides pour son amendement.

Dans le même esprit, on peut relever une constitution coutumière mais


rigide, chaque fois que la coutume elle-même impose par la répétition une
procédure particulière et quelquefois compliquée de modification.

4 – La suprématie de la constitution

Si la constitution existe, c’est pour qu’elle soit respectée, sinon, son


existence serait purement décorative. La constitution est la norme suprême

26
dans l’organisation d’un pays. Cette suprématie peut être protégée, comme
on le verra, par un contrôle de constitutionnalité.

De cette suprématie, découlent deux conséquences en relation avec son


origine et sa révision.

§ 2 – L’origine des constitutions et le problème du pouvoir constituant

Le pouvoir constituant c’est celui de l’autorité qui détient le droit d’établir


la constitution. C’est un pouvoir souverain. Sa détermination diffère.
Tantôt cela peut être une personne, le roi, tantôt une assemblée restreinte
représentant le peuple, qualifiée d’assemblée constituante. Mais dans les
deux cas de figure, c’est le peuple pris dans son entier qui va participer par
l’intermédiaire d’un référendum. Son intervention est l’acte d’approbation
du document constitutionnel initié par l’une des parties

Il y a lieu cependant de distinguer entre trois grands modes d’établissement


de constitution : Autoritaire, démocratique et mixte.

A – Le mode autoritaire d’établissement de la constitution

C’est un mode complètement dépassé qui remonte à très loin du temps des
monarchies absolues. Il se caractérise par le fait que la constitution est
imposée par l’autorité en dehors du peuple. Elle peut être le fruit d’un
octroi, on parle de constitution octroyée. C’est le souverain qui l’établit et
la présente à l’approbation des gouvernés qui l’accepte en bloc. Ce n’est
pas un mode absolument unilatéral dans la mesure où en théorie il suppose
une approbation en aval.

B – Le mode démocratique d’établissement de la constitution

Ce mode est qualifié de démocratique en ce sens que lors de


l’établissement de la constitution, de sa rédaction, il fait intervenir la
volonté populaire par l’élection d’une assemblée constituante au suffrage
universel. Cette assemblée se voit reconnaître la légitimité de rédiger le
texte et de revenir vers le peuple pour son approbation. Il y a alors
l’expression d’une confiance en faveur des rédacteurs du texte mais qui
doit être complétée par un vote d’acceptation.

27
C – Le système mixte

C’est le mode qui emprunte aux deux précédents. Il se caractérise par un


accord explicite ou tacite d’élaboration de la constitution, suivi d’une
discussion qui peut s’étendre sur une période de réflexion et d’échange de
points de vue pour finalement donner lieu à la mise en place d’une
commission chargée de la rédaction à partir d’une consultation organisée
au niveau des différents acteurs de la société civile, notamment les partis
politiques.

C’est le mode qui a été récemment adopté au Maroc. Par le discours du 9


mars 2011, annonce par le roi d’une nouvelle constitution avec mise en
relief des thèmes de réforme. Puis l’institution d’une commission
consultative chargée d’élaborer un projet de texte à la faveur des avis
exprimés par les acteurs de la société civile. La commission a travaillé en
parallèle avec une instance qui est le « Mécanisme politique du suivi de la
réforme constitutionnelle » présidée par un conseiller du Roi et réunissant
aux côtés du président de la commission les chefs des organisations
politiques et syndicales. Sa fonction consistait dans l’examen du projet de
constitution au cours de son élaboration avant sa présentation au roi pour le
soumettre au référendum.

§ 3 – La révision des constitutions

Napoléon disait : « Aucune constitution n’est restée telle qu’elle a été faite.
Sa marche est toujours subordonnée aux hommes et aux circonstances ».

Une affirmation qui ne manque pas de justesse dans la mesure où une


constitution peut et doit être constamment ajustée à son époque et aux
besoins qu’elle nécessite. D’où la notion de sa révision.

C’est l’application du pouvoir constituant dérivé. C’est un pouvoir


constituant prévu par la Constitution, elle-même, qui institue une
compétence de révision constitutionnelle. Sa légitimité et son fondement
découlent donc du pouvoir constituant originaire, par le biais de la
Constitution.

En ce qui concerne la révision, trois questions affleurent. Qui a l’initiative


de la révision ? Comment va-t-on procéder ? Sur quoi elle va porter ?

28
A – Qui a l’initiative ?

L’initiative de la révision découle de la constitution elle-même. Cela peut


être le chef de l’Etat, l’exécutif ou le gouvernement ou le parlement. Mais
dans tous les cas, la constitution n’est adoptée que par référendum. C’est ce
qui ressort de la lecture des différentes constitutions à travers le monde.

Néanmoins, il faut dire qu’anciennement, certaines constitutions donnaient


une prépondérance à une autorité plutôt qu’à une autre.

Un regard sur l’histoire ancienne révèle que l’initiative de la révision


pouvait être exclusive entre les mains du chef de l’Etat. Le cas des
constitutions impériales en France où seul l’empereur détenait ce pouvoir.
Tout comme l’initiative pouvait revenir au seul parlement. C’est le cas des
constitutions qui insistent sur l’importance des assemblées. En France, la
constitution de 1791, 1795, 1848, la deuxième république au terme de
laquelle Napoléon procéda à la révision en s’instituant empereur, Napoléon
III. L’initiative peut aussi procéder du peuple. En Suisse, la pétition d’un
certain nombre de citoyens (50.000) oblige les assemblées à examiner le
projet de révision ou à le soumettre au référendum.

B – Comment va-t-on procéder ?

Toute procédure est prévue par la constitution elle-même. Soit c’est la


formule normale de soumettre le projet ou la proposition au référendum,
soit, on recourt à la formule simplifiée, mais que prévoit la constitution, de
soumettre le texte à l’approbation du parlement.

- La formule classique

A cet égard, on peut relever qu’à l’instar de ce qui a cours dans différentes
démocraties, la révision, actuellement prévue au Maroc par l’article 172 de
la constitution, peut avoir lieu de trois manières :

- Directement par la soumission du projet au référendum, lorsque le roi


prend lui-même l’initiative de la révision.

- Par la soumission au référendum, lorsque la proposition de révision


émane d’un ou plusieurs membres de l’une des deux chambres du

29
parlement adoptée par un vote à la majorité des deux tiers des membres de
chacune d’elles.

- Par la soumission au référendum, lorsque le projet de révision émane du


chef du gouvernement présenté au conseil des ministres après délibération
en conseil du gouvernement.

Force est de relever que dans les trois cas, c’est le référendum qui
intervient en dernier ressort pour la validation. Ce qui n’est pas le cas de la
formule simplifiée.

- La formule simplifiée

C’est la possibilité ouverte au roi, par l’article 174, de soumettre, après


consultation du président de la Cour constitutionnelle, par dahir au
parlement, convoqué en chambres réunis, un projet de révision de certaines
dispositions de la constitution. Son approbation doit avoir lieu par les deux
tiers des membres du parlement ; soit 395+120, ce qui fait 515, divisé par
3, soit 171,66 fois 2 c’est-à-dire : 344.

Il est à observer et à retenir que la révision en forme simplifiée ne peut


porter que sur certaines dispositions de la constitution et non sa totalité.

En France, la révision en forme simplifiée, en congrès, a eu lieu 20 fois sur


24 révisions. L’approbation nécessite les 3/5 des suffrages exprimés (2).

2
Article 89 de la Constitution française de la Ve République : « L'initiative de la révision de la
Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier
ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième
alinéa de l'article42etvoté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après
avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lors que le Président de la République
décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est
approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès
est celui de l’Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité
du territoire.
La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d’une révision ».

30
C – Sur quoi va porter la révision ?

En fait, la question doit être formulée négativement ; on devrait dire sur


quoi ne peut-elle pas porter ?

Dans tous les pays dotés d’une constitution, il y a souvent une volonté de
ses premiers auteurs, les constituants originaires, de protéger des principes
élevés au rang de dogmes contre toute modification ultérieure.

Ainsi, dans l’histoire constitutionnelle de plusieurs pays peut-on relever des


interdictions de révision de principes fondateurs de l’Etat. Dans la
constitution américaine de 1787, il y a l’interdiction de porter atteinte au
principe de l’égale représentation des Etats fédérés au Sénat. En France,
depuis la révision de 1884, sans doute pour parer à toute velléité de
restaurer l’empire, comme l’avait fait Napoléon III, il est interdit de
modifier la forme républicaine du gouvernement. Au, Maroc, c’est la forme
monarchique de l’Etat et les dispositions relatives à la religion musulmane ;
la constitution de 2011 y a ajouté « le choix démocratique de la nation » et
« les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans
la présente constitution ».

Tout ceci conforte l’idée de charte fondamentale du texte constitutionnel et


de son rôle de contrat entre les composantes de la communauté, de la
nation qui s’engage à ne jamais changer certains principes considérés
comme le ciment de leur union.

La question qui peut, cependant, rester en suspens est de savoir s’ils


peuvent engager les peuples qui vont leur succéder ? Peut-on, par exemple,
aujourd’hui modifier des principes retenus par les auteurs d’une
constitution établie voici bien des années, alors que ces mêmes principes
paraissent devoir être modifiés ?

Bel exercice d’étude de cas !

Sect. II – Le contenu des constitutions

Le contenu d’une constitution varie d’un pays à l’autre. On ne peut pas dire
qu’il existe une seule forme de constitution, bien que l’on puisse avancer
sans risque d’erreur que certains éléments ont généralement une présence

31
dans toutes les constitutions, dans quelque pays que ce soit, avec
naturellement quelques variantes.

Généralement, on peut rencontrer trois ou même quatre catégories de


dispositions relatives à l’organisation et au fonctionnement du pouvoir,
parfois aussi relatives à la réalisation d’un objectif, et, très souvent, des
déclarations de droits, et quelquefois dans certains pays, des dispositions
qui ne sont que formellement constitutionnelles.

§ 1 – Les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement du


pouvoir

C’est le contenu classique des constitutions. On y trouve les règles relatives


à l’origine des gouvernants, au mode de leur désignation, à leur statut et à
leurs attributions.

Ces règles concernent également les relations entre les pouvoirs à partir
desquelles on peut qualifier le pouvoir de confusion, de séparation ou de
collaboration.

Tout comme on peut relever le statut des partis politiques et leur place dans
le système et de leur participation au fonctionnement des institutions.
Inutile de dire que lorsqu’un pays dispose de véritables partis politiques,
ceux-ci constituent le moteur essentiel de ses rouages.

En tout cas, toutes ces règles se présentent comme des éléments


incontournables d’un texte constitutionnel, ce sont, pourrait-on dire, les
règles du jeu politique, le terme « jeu » entendu dans son sens le plus élevé
et le plus noble.

§ 2 – Les constitutions à objectifs ou constitutions programmes

Ce sont des constitutions qui étaient à la mode à une certaine époque, plus
précisément chez les pays à orientation communiste ou socialiste au
lendemain de la seconde guerre mondiale. Les termes de la constitution les
engageaient sur une orientation bien déterminée sur les traces de l’union
des républiques socialistes soviétiques, qui a existé
du 30 décembre 1922 jusqu’à sa dissolution le 26 décembre 1991.

32
L’exemple le plus expressif est celui de la constitution russe de 1918 qui a
été la base juridique de l’établissement de l’union soviétique. Dans le
deuxième chapitre, est définie la tâche principale de l’État soviétique
consistant à "détruire toute exploitation de l'homme par l'homme" et que
son objectif est de « démolir de manière décisive l'humanité des griffes du
capital financier et de l'impérialisme ».

La Constitution de 1918 garantissait une éducation gratuite pour les


travailleurs, exploitait des slogans révolutionnaires et appelait à protéger le
système établi par les armes. Dans l’article 12 de la constitution de 1936,
on peut lire « Le travail, en URSS, est pour chaque citoyen apte au travail
un devoir et une question d'honneur selon le principe : « Qui ne travaille
pas ne mange pas ». En URSS se réalise le principe du socialisme : « De
chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ».

A la fin de la seconde guerre mondiale, plusieurs pays de l’Est et même


d’Afrique, après leur indépendance, se sont alignés sur cette voie en
adoptant des constitutions à objectifs ou programmes.

§ 3 – Les déclarations de droits

On a vu plus haut que la constitution se présente comme un ensemble de


normes qui régissent le pouvoir politique et les organes de l’Etat et qu’elle
garantit les droits et les libertés tout comme elle impose aussi des
obligations. Cette deuxième partie de la phrase rend parfaitement compte
de l’importance de ce qui peut unir une nation. Le but de se construire pour
un paisible vivre-ensemble implique nécessairement que soit reconnu à
tous les membres de la population vivant sur un territoire les droits
fondamentaux inhérents à leur qualité de citoyens, les droits de l’homme.

En fait, c’est la nature et l’étendue des droits et libertés garantis par la


constitution qui permettent de déduire la philosophie politique d’un régime
et de la conception qui régit les relations entre l’Etat et les citoyens.

Toutes les constitutions du monde contiennent des déclarations de droits


que l’on retrouve soit insérées dans leurs préambules, soit formulées dans
des titres intitulés « dispositions générales », « principes généraux »,
« principes fondamentaux » ou des titres du même esprit. L’important est

33
de savoir quelle a été l’évolution du contenu des droits fondamentaux
depuis les premières constitutions et quelle est leur valeur juridique.

A – Le contenu des déclarations

Trois étapes sont à remarquer depuis l’éclosion de la conception classique


des droits qui date du XVIIIe siècle jusqu’à celle qui prévaut actuellement.

1 – La conception classique des droits

Au point de vue de la chronologie historique, il y a la déclaration


américaine du 4 juillet 1776 et la constitution française de 1791 (3 ). La
conception retenue embrassait une philosophie individualiste, égalitaire et
libérale. L’individualisme vient du fait que c’est l’homme qui est l’enjeu
des déclarations ; sa sûreté individuelle ; la liberté de pouvoir faire tout ce
qui ne nuit pas à autrui ; la liberté de pensée et d’expression ; le droit de
propriété.

3
Pour évidente et d'actualité qu'elle soit, cette interaction n'est pourtant pas si récente. Bien qu'elle n'ait
été mise en relief que dans le courant de ce dernier quart de siècle, à la faveur d'un vent nouveau au
souffle fort qui a remis la notion de droits de l'Homme à l'ordre du jour, la relation entre les droits et les
libertés ne plonge pas moins ses racines dans les fins fonds de l'Histoire des peuples.
Ainsi, si l'on prend l'exemple de la vieille Angleterre, berceau de la séparation des pouvoirs et du régime
parlementaire, ou celui des Etats-Unis d'Amérique où la déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776 a été
suivie plus tard par les "Bills of Rights", qui constituent les premières déclarations des droits individuels,
ou plus proche de nous, celui de la France, on se rend compte que la notion de droits de l'Homme a été le
préalable de toute idée concrète de liberté publique.
Les Pactes anglais qui probablement ont été une précieuse source d'inspiration pour les rédacteurs de la
Déclaration d'Indépendance de l'Amérique du Nord, laquelle, selon certains auteurs, aurait servi comme
base de réflexion aux révolutionnaires français proclamant la déclaration des droits de l'Homme et du
citoyen, constituent les textes qui depuis la Grande Charte de Jean sans Terre du 21 juin 1215 jusqu'à
l’Acte d'établissement de 1701, en passant par l'Acte d'Habeas corpus de 1679, ont proclamé des
principes et des libertés et la mise en place des garanties contre l'arbitraire. Il ne s'agit pas alors de
l'exercice de droits nouveaux, mais de la sauvegarde de droits inhérents à l’Homme. A cet égard, il n'est
point étonnant de remarquer que toutes les déclarations qui vinrent par la suite aussi bien en Amérique
qu'en France, ont pratiquement reproduit les mêmes principes relatifs à la liberté, la propriété, la légalité,
l'égalité et la sûreté. Sans prétendre prendre parti sur l'antique querelle qui avait opposé l'Allemand
Jelinek au Français Boutmy à propos de la paternité historique et philosophique de l’ensemble de ces
droits et libertés, on se contentera de dire qu'en ce domaine-là, la nationalité importe peu. Partout et quel
que soit le moment où il se trouve, l'Homme de par sa qualité d'être humain, aspire au même bien-être, a
besoin des mêmes droits et libertés, d'où, du reste, le caractère universel de la notion de droits de
l'Homme.

34
2 – La conception moderne des déclarations

Cette conception est le produit d’un certain nombre de faits surtout


économiques découlant de la révolution industrielle et du prolétariat qui va
être amené à participer à la vie politique.

Dans l’ordre idéologique, l’avènement de la pensée socialiste n’a pas été


sans influence.

Le « socialisme utopique », doctrine des premiers socialistes européens du


début du XIXe siècle qui désigne l’ensemble des doctrines des
premiers socialistes européens du début du XIXe siècle, tels Robert Owen en
Grande-Bretagne, Saint Simon, Etienne Cabet et Philippe Buchez en
France.

Le « socialisme scientifique » prôné par Marx et Engels, fondé sur


l’analyse des réalités sociales, historiques et économiques. Son objectif
final est d’apporter une réponse à la question sociale agitant
le XIXe siècle européen.

Ceci étant, au-delà des conceptions purement intellectuelles et doctrinales,


il y a la participation des citoyens à la vie politique.

3 – Le développement des partis politiques et des syndicats

C’est, en d’autres termes, la participation à la vie politique par le


développement des partis politiques à partir des années quatre-vingts du
XIXe siècle. C’est à partir de cette période qu’apparaissent les premiers
leaders politiques et qu’apparait également la participation des masses à la
« chose publique ».

Après la seconde guerre mondiale, la conception classique des déclarations


prend une forme tout à fait nouvelle par sa reprise et sa rénovation par la
déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU du 10 décembre
1948.

Pour faire bref, on retiendra que la plupart des droits qui se sont développés
au cours de cette période marquée par une grande évolution se retrouvent à
quelques différences près dans le corps de nombre de constitutions afin de

35
leur donner une solennité et une autorité dont le respect s’impose aux
autorités de l’Etat.

B – La valeur juridique des déclarations

C’est l’aspect le plus important et le plus évident des déclarations. A quoi


serviraient des déclarations de droits sans valeur juridique, autrement dit,
sans possibilité pour les citoyens de s’en prévaloir ?

Leur insertion dans la constitution est d’une portée indéniable, tout aussi
que la forme de leur énoncé et de leur protection juridique. La valeur des
déclarations est tributaire de trois facteurs essentiels :

1 – Certains d’entre eux se retrouvent dans les préambules. Tel est le cas
de la constitution française de 1958 dont justement le préambule déclare
« Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits
de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été
définis par la Déclaration de 1789 ( 4 ), confirmée et complétée parle
préambule de la Constitutionde1946 ( 5 ), ainsi qu'aux droits et devoirs
définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ».

Mais dans certaines constitutions, les droits sont dans le corps du texte.
C’est le cas des constitutions marocaines depuis 1962 jusqu’à celle de
2011.

2 – La garantie constitutionnelle d’un droit ne peut avoir de portée


juridique que si le droit ou la liberté en question ne peut s’exprimer de
manière claire et précise. Néanmoins, certains droits même énoncés n’ont
pas une application automatique dans la mesure où leur énonciation ne
constitue qu’une espèce d’indication, d’exhortation à en faciliter

4
C’est un texte de la Révolution française adopté le 26 août 1789. Il énonce un ensemble de droits
naturels individuels et communs, ainsi que les conditions de leur mise en œuvre. Il constitue l’un des trois
textes visés par le préambule de la Constitution française du 4 octobre 1958. Sa valeur constitutionnelle
est reconnue par le Conseil constitutionnel depuis sa décision du 16 juillet 1971. Ses dispositions font
partie du droit positif français, et se placent au plus haut niveau de la hiérarchie des normes en France.
5
Le préambule de la Constitution de 1946 (IVe République) énonce des droits et libertés fondamentaux,
qui ont été ajoutés à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à la fin de la seconde guerre
mondiale. Il contient principalement des droits économiques et sociaux. Il a valeur constitutionnelle
depuis la décision du Conseil constitutionnelle du 16 juillet 1971 depuis laquelle le Conseil vérifie la
conformité des lois votées par le parlement avec les dispositions de ce texte qui est devenu un des quatre
éléments du bloc de constitutionnalité.

36
l’effectivité. Par exemple, le droit au travail est bien énoncé dans plusieurs,
sinon toutes les constitutions, mais il ne saurait ouvrir aux citoyens la
possibilité de s’adresser à la justice pour en obtenir le respect.

3 – Dernier facteur, celui précisément de l’existence d’institutions


juridictionnelles habilitées à imposer le respect des droits par les
gouvernants. En plus du contrôle de la constitutionnalité des lois que nous
verrons, il y a le contrôle juridictionnel des actes administratifs par le juge
de l’excès de pouvoir qui est un outil de protection des citoyens contre les
actes administratifs et dont une grande partie concerne les droits et libertés
reconnus par la constitution.

§ 4 – Les dispositions formellement constitutionnelles

Ce sont des dispositions qui n’ont le caractère de constitutionnelle que par


leur insertion dans le texte constitutionnel alors qu’elles n’ont aucun
rapport ni avec l’organisation des pouvoirs, ni avec les déclarations des
droits et libertés. On ne les rencontre guère aujourd’hui. Néanmoins, elles
méritent qu’on les connaisse. Elles sont formellement constitutionnelles,
mais du point de vue matériel, elles relèvent du domaine de la loi. Et,
justement, on leur donne la forme constitutionnelle pour les protéger contre
le législateur.

Ainsi, par exemple, dans la confédération helvétique où le peuple suisse


dispose du droit d’initiative en matière constitutionnelle, mais pas
législative, lorsqu’un groupe de citoyens désire l’instauration une loi qu’il
ne parvient pas à faire voter, il fait circuler une pétition en vue d’insérer ses
dispositions dans la constitution. Le chapitre premier de la constitution
suisse « Dispositions générales » qui comprend quelque 70 articles,en
contient quelques-uns dans ce sens tel celui introduit en 1893 interdisant
l’abattage des animaux de boucherie sans qu’ils aient été au préalable
étourdis.

37
Ch. II – Le contrôle de constitutionnalité

Une constitution n’existe que pour être respectée et appliquée. C’est le


principe de la supériorité de la constitution sur la loi (6). C’est un principe
qui fut longtemps ignoré par la tendance d’une certaine époque où l’on
considérait que la loi votée par les représentants du peuple jouissait d’une
souveraineté qui l’immunisait contre toute contestation juridictionnelle. La
loi ne pouvait en aucune façon être remise en cause. Le législateur agissant
au nom de la volonté générale était pleinement souverain et lui seul pouvait
redresser le tort d’une loi votée au non du peuple. C’était la foi utopiste de
Rousseau, sacralisant la loi au point de ne permettre à aucune autorité, fût-
elle juridictionnelle, de la mettre en échec.

Mais tel n’est plus le cas. Aujourd’hui tous les pays dotés d’une
constitution ont pour la plupart une instance chargée de contrôler si les lois
dont elle est saisie ne sont pas entachées d’inconstitutionnalité.

Comment se présentent les données du contrôle de constitutionnalité, en


d’autres termes, quels sont les éléments en jeu et quels sont les modèles
adoptés par les uns et les autres pays ?

Sect. I – Les données du contrôle de constitutionnalité

Ces données peuvent être abordées sous forme de trois questions.

6
Quiconque s’intéresse à l’étude de ce principe fait son éloge en tant qu’il permet la protection des droits
et libertés contre la loi lorsqu’elle est contraire à la constitution. Pourtant l’origine du contrôle de
constitutionnalité a été curieusement liée à une affaire où il ne s’agissait nullement de protection des
droits. C’est par l’arrêt du 24 février 1803, Marbury c/ Madison que la Cour suprême des Etats unis a
donné naissance au contrôle de constitutionnalité.
Le Président sortant Adams avait nommé comme juge de paix Marbury qui n’avait pas reçu sa
nomination après l’accession de Jefferson à la présidence. Sur la base d’une loi de 1781, il s’adresse à la
Cour suprême lui demandant d’adresser une injonction à l’Administration en la personne de Madison
pour l’installer à son poste. Le juge Marshall, ne voulant pas se mettre à dos le nouveau président,
cherche une parade juridique pour rejeter la demande de Marbury ; il décline la compétence de la Cour
suprême en déclarant que la loi de 1781sur la base de laquelle le requérant l’avait directement saisi était
inconstitutionnelle, vu que la Constitution ne donnait compétence à la Cour suprême de ne se prononcer
qu’en appel ! Le contrôle de constitutionnalité des lois était né !

38
§ 1 – Sur quoi porte le contrôle ?

Selon les termes de la constitution, le contrôle peut porter sur un ensemble


d’objets, soit très restreint et avoir une conception étroite, soit très étendu
pour être qualifiée de conception large.

A – La conception étroite du contrôle

Dans la conception étroite, il s’git de régler les rapports entre les pouvoirs,
sans plus.

Elle se traduit par la saisine de l’organe pour se prononcer sur la nature


législative ou réglementaire d’un texte, par l’empêchement de modifier la
constitution par des lois organiques censées intervenir pour en permettre
l’application et également l’empêchement du parlement d’établir des
règlements intérieurs qui seraient non conformes à la constitution ou en
contradiction avec ses dispositions.

Dans le même esprit, s’attache à cette conception le contentieux des


élections législatives.

B – La conception large du contrôle

Cette conception est celle qui a cours de nos jours dans la plupart des pays.
Elle se traduit par le contrôle de constitutionnalité de tous les textes (lois
organiques ou « ordinaires ») par référence aux normes non seulement
expressément citées dans la constitution mais aussi « déductibles » de son
esprit. Ce qui donne à l’organe de contrôle une fonction d’arbitre et de
régulateur des pouvoirs publics. Sauf que ces textes ne peuvent être
contrôlés que tant qu’ils ne sont pas promulgués.

Cette conception devient encore plus large par l’institution de l’exception


d’inconstitutionnalité ou comme on l’appelle en France la question
prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.).

§ 2 – Qui peut saisir ?

Il existe deux sortes de saisine :

Par voie d’action ou par voie d’exception.

39
A – Le contrôle par voie d’action

C’est un contrôle direct qui s’exerce devant l’organe compétent mais


seulement par des autorités désignées dans la constitution et à propos de
lois avant leur promulgation. Ces autorités peuvent être le chef de l’Etat, le
chef du gouvernement, les présidents des assemblées, ou même un nombre
défini de membres de l’une des assemblées.

C’est ce que l’on appelle un contrôle a priori.

B – Le contrôle par voie d’exception

C’est le contrôle qui est exercé à l’occasion d’un procès en cours.

Comme on le verra plus loin, son origine découle du système américain de


l’affaire Marbury c/ Madison.

Lors d’un procès, l’une des deux parties qui estime que la loi qui va lui être
appliquée, même déjà en vigueur, souffre d’inconstitutionnalité peut
demander au juge de sursoir à statuer en attendant que l’autorité
compétente dise son mot.

C’est un contrôle qui peut être diffus, relevant de toutes les juridictions
avec à leur tête une juridiction suprême, ou concentré au niveau d’une
juridiction à laquelle revient de se prononcer lorsqu’elle est saisie.

§ 3 – Qui contrôle ?

Ici se pose la question de l’organe chargé du contrôle et de son statut.


L’appellation change d’un pays à l’autre, mais la fonction demeure la
même.

Il peut s’agir d’un conseil (France, Maroc 1994-2017) d’un tribunal


(Espagne, Portugal) d’une cour (Autriche, Allemagne, Italie, Maroc depuis
2017) d’une cour d’arbitrage (Belgique avant l’installation de la Cour
constitutionnelle en 2007).

Ce qui importe, en revanche, c’est la constitution de l’organe et son


indépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

40
Dans la plupart des pays, pour permettre leur indépendance, les membres
sont nommés pour une période définie qui varie entre 6 et 9 ans, non
renouvelable. En Belgique, il en est de même mais jusqu’à l’âge de la
retraite seulement.

Aux Etats unis, les membres de la Cour suprême sont nommés à vie par le
président avec l’accord du sénat.

Les nominations se font généralement par les trois pouvoirs. Ainsi, par
exemple, en France où le conseil comprend 9 membres, 3 sont nommés par
le Président de la République, 3 par le Président du Sénat et 3 par le
Président de l’Assemblée nationale. Au Maroc, 6 le sont par le Roi, et les 6
autres sont élus à la majorité des 2/3 par chacune des deux chambres.

Sect. II – Cas de quelques pays

Deux grands modèles peuvent être abordés.

§ 1 – Le modèle américain

C’est un système américain où le contrôle de la conformité de la loi à la


Constitution peut intervenir à l’occasion d’un procès, entre deux personnes,
généralement privées, dont les intérêts s’opposent à propos d’un objet autre
que le contrôle de constitutionnalité. Le contrôle est exercé par l’ensemble
des juridictions, à la tête desquelles se trouve la Cour suprême. On le
qualifie de diffus et décentralisé en ce sens qu’il n’appartient pas à un seul
organe ou une juridiction de l’exercer, mais à l’ensemble des tribunaux.
C’est un contrôle par voie d’exception, du fait que le litige ne porte pas
principalement sur le problème de la constitutionnalité. Il est donc exercé a
posteriori, c’est-à-dire sur des lois déjà promulguées et entrées en vigueur.

C’est un contrôle qui n’est pas prévu dans la Constitution américaine, mais
il est purement jurisprudentiel.

En fait, c’est à partir de 1803 que la Cour suprême s’est d’elle même
attribuée la compétence pour exercer ce contrôle de constitutionnalité.
Dans cet arrêt, la Cour s’est reconnu le droit de contrôler les actes de
l’Exécutif et les lois par rapport à la Constitution.

41
A partir de ce moment, et à l’occasion de tout litige, la Cour suprême peut,
par voie d’exception, quand se pose un problème d’interprétation de la
Constitution, faire prévaloir la Constitution fédérale sur toute autre norme
inférieure, émanant d’une autorité fédérale.

En deux siècles, la Cour suprême s’est peu livrée à des déclarations


d’inconstitutionnalité, une centaine de fois. Il faut attendre 1857 pour que
la Cour Suprême déclare une loi contraire à la Constitution de 1787.

Une remarque s’impose.

La loi n’est pas annulée, mais uniquement déclarée inapplicable au cas


d’espèce du fait de l’autorité relative de la chose jugée. Ceci n’empêche pas
la prédominance de la règle du précédent ("staredecisis") et la position
hiérarchique de la Cour suprême, dont les décisions s’imposent à toutes les
juridictions subordonnées, ce qui a pour conséquence pratique de priver de
fondement constitutionnelle toute une loi déclarée contraire à la
constitution. C’est un système « d’exception d’inconstitutionnalité »,
contrôle soulevé à l’occasion d’un litige concret devant une juridiction
ordinaire qui est susceptible d’être utilisé devant le juge fédéral dans le cas
où une loi fédérale est supposée contraire à la Constitution, ou fédéré dans
le cas où loi d’un Etat ne respecte pas, soit sa propre Constitution, soit la
Constitution fédérale). En dernier ressort, la Cour suprême peut être
amenée à trancher, par la voie de l’appel ou de cassation.

En parallèle avec ce système, existent deux autres mécanismes d’exercice


de contrôle de constitutionnalité aux Etats-Unis : l’injonction qui permet à
un citoyen de demander au juge d’interdire à un fonctionnaire d’exécuter
une loi qui lui porte préjudice, parce que contraire à la Constitution, et le
jugement déclaratoire, qui permet à quiconque de s’adresser au juge pour
lui demander de se prononcer sur une éventuelle inconstitutionnalité de la
loi, avant qu’elle ne lui soit appliquée. Si la loi est déclarée
inconstitutionnelle, l’administration n’en fera pas application au cas
d’espèce. C’est une sorte de consultation juridique sur une difficulté
sérieuse qui permet de faire l’économie d’un procès futur.

Cependant, il faut préciser que pour éviter l’encombrement, il existe un très


sévère système de filtrage qui permet d’éliminer 95 % des requêtes jugées

42
irrecevables. De la sorte, la Cour ne juge ainsi que quelques centaines de
décisions par an.

Par ailleurs, il faut dire que le cas américain qui bénéficie de la permanence
depuis 1787 se caractérise par le culte de la constitution, la toute puissance
du pouvoir judiciaire et, surtout, la grande valorisation de la Cour suprême
dont les décisions peuvent parfois se substituer au pouvoir politique. On
parle beaucoup de « juges qui gouvernent » ou de « gouvernement des
juges ».

§ 2 – Le modèle européen

Ce modèle diffère du précédent par le fait que le contrôle est centralisé au


niveau d’une juridiction constitutionnelle unique et spécialisée.

La juridiction spécialisée est totalement indépendante du système


juridictionnel ordinaire. Elle a le monopole du contentieux constitutionnel
qui concerne essentiellement le contrôle des lois nationales et des traités.

Les membres de la juridiction sont désignés par des autorités politiques.


Dans la plupart des pays, ils sont choisis majoritairement parmi les
professeurs de droit, les magistrats, les avocats ou même les hommes
politiques. Ces cours constitutionnelles sont des juridictions, en ce qu’elles
disent le droit à l’occasion de litiges abstraits ou concrets et que leurs
décisions sont revêtues d’une autorité de chose jugée ou d’une autorité
équivalente et s’imposant erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de tous.

A l’inverse du modèle américain théorisé à partir d’une pratique, le modèle


européen est le produit d’une construction théorique, celle de Hans Kelsen
(né le 11 octobre 1881 à Prague sous l'Empire austro-hongrois et mort le 19
avril 1973 à Orinda en Californie, est un juriste austro-américain) pour qui
le contrôle de constitutionnalité est nécessaire au maintien de la pyramide
des normes.

En1920, ce juriste est à l’origine de la création, dans la Constitution


autrichienne, de la Haute Cour constitutionnelle. A la fin de la seconde
guerre mondiale et des régimes totalitaires en Europe sont établies des
juridictions constitutionnelles de type kelsénien avec un contrôle de

43
constitutionnalité, dont l’objet est essentiellement de protéger les droits
fondamentaux contre des régimes autoritaires et d’instaurer la démocratie.

Trois étapes sont identifiables quant à la création des juridictions


constitutionnelles en Europe :

1 – La première est marquée par celle de l’Autriche et l’Allemagne avec le


Tribunal constitutionnel fédéral allemand. (Loi fondamentale du 23 mai
1949, titre IX) venue après la fin du nazisme et le rejet du communisme. La
Cour en Allemagne n’intervient pas seulement pour garantir la protection
des droits fondamentaux, l’ordre démocratique et libéral constitutionnel
mais également pour garantir empêcher les empiétements réciproques des
pouvoirs publics fédéraux entre eux. Elle peut être saisie par les citoyens
contre des lois ou des actes des autorités de l’exécutif.

De la même catégorie, relève la Cour constitutionnelle italienne


(Constitution du 27 décembre 1947) qui, outre le contrôle des lois, se
prononce sur les actes des régions.

Son contrôle s’exerce aussi par renvoi préjudiciel des tribunaux ordinaires
à l’occasion d’un litige.

2 – La deuxième est marquée par des juridictions instituées après des


périodes de dictature. On peut citer l’exemple du Tribunal constitutionnel
espagnol (Constitution du 27 décembre 1978) ou portugais créé en 1982.

Le Tribunal espagnol joue aussi un rôle important dans la répartition des


compétences entre l’Etat et les communautés autonomes en cas de conflit
relatif à leurs compétences respectives. Mais son rôle est aussi la protection
des droits fondamentaux. Il peut être saisi a priori ou a posteriori, sur toute
question d’inconstitutionnalité soulevée à l’occasion d'un litige.

3 –La troisième est celle des juridictions constitutionnelles dans les pays
anciennement soumis à l’Union soviétique, après 1989.

Après la chute du mur de Berlin, ces pays ont connu une transformation
très importante au regard des droits et libertés, ce qui a induit la mise en
place d’institutions juridictionnelles pour contrôler la constitutionnalité des
lois.

44
Partie III – Institutions et régimes politiques comparés

L’étude du droit constitutionnel à travers celle du pouvoir, son évolution et


son exercice au nom de l’Etat peut demeurer incomplète sans la
compréhension de la structure des régimes politiques où s’exerce ce
pouvoir. Chaque Etat se caractérise par un régime qui lui est propre qui
n’est en fait que le résultat d’un processus historique lié à des événements
ou des faits qui ont de manière directe ou indirecte contribué à sa naissance
voire son renforcement. Cependant, ce regard sur les régimes politiques
nécessite un détour au profit d’une théorie qui constitue un point des plus
importants en droit constitutionnel et l’exercice du pouvoir.

De ce fait, nous nous pencherons sur deux sections distinctes. D’abord, la


théorie de la séparation des pouvoirs, puis, une fois celle-ci bien assimilée,
la classification des régimes politiques.

Sect. I – La théorie de la séparation des pouvoirs

En tant que théorie, la séparation des pouvoirs est relativement récente dans
l’histoire ; elle constitue une réplique dirigée contre les monarchies
absolues. Elle est inséparable de la lutte contre les monarchies absolues, en
Europe, aux XVIIe et XVIIIe siècle.

C’est une théorie née de l’observation de la réalité historique, qui a été


ensuite systématisée. De cette théorie sont nées des applications différentes
au niveau des pays qui s’en sont inspirés, tout comme sont apparues des
variations dans différentes situations politiques et historiques ; ce qui
prouve sa complexité et l’absence de son homogénéité.

La doctrine de la séparation des pouvoirs est le fruit de l’évolution de la


société anglaise. C’est dans le système politique de la Grande-Bretagne
qu’elle est apparue, puis c’est par la suite qu’elle a été systématisée. Elle a
des origines historiques et doctrinales ou intellectuelles précises qu’il
convient de rappeler.

§ 1. Les origines historiques de la théorie de la séparation des pouvoirs


La "séparation des pouvoirs" est une technique constitutionnelle destinée à
éviter le despotisme et à garantir la liberté des individus mais pas

45
forcément celle du peuple dans son ensemble. En cela elle est une théorie
libérale mais pas nécessairement démocratique. Les pouvoirs peuvent être
séparés au profit de quelques privilégiés ou de la noblesse.

Cette théorie intéresse la séparation des pouvoirs constitués, au sein de


l’État, et non pas entre le pouvoir constituant, qui est celui d’élaborer la
constitution et les pouvoirs constitués ou prévus et organisés par la
constitution.

La théorie de la séparation des pouvoirs est indissociable de l’histoire de la


Grande-Bretagne, même si on peut faire remonter l’idée de la séparation à
l’Antiquité et à Aristote (dans "la Politique" d'Aristote).

Aristote voulait distinguer les fonctions ou les tâches au sein de l'Etat :


étaient alors opposés le pouvoir qui délibère, celui dont l'Etat a besoin pour
agir et le troisième qui embrasse les offices de juridictions. Cette
distinction n'a pas connu une grande évolution depuis cette époque.

La théorie naît aussi d’une certaine observation de la pratique et, plus


précisément de ce qui a été appliqué en Grande Bretagne.

§ 2. Les origines intellectuelles de la séparation des pouvoirs

Deux auteurs ont théorisé cette observation de la réalité britannique, avec


des arrière-pensées politiques. Le premier, Locke, pour justifier la
révolution qui venait de se produire dans son pays, le second, Montesquieu,
pour établir des armes contre l’absolutisme royal en France.

A – John Locke ou l'inventeur de la séparation des pouvoirs

Locke a cherché à théoriser la pratique du régime britannique dans un


ouvrage paru en 1690, "Essai sur le gouvernement civil". Son but était de
prévenir le retour à l'absolutisme et d'instaurer une monarchie contractuelle
ou constitutionnelle. Il s'agissait aussi de légitimer la Révolution qui venait
de se produire.

C’est une théorie contractuelle du pouvoir ou théorie du contrat social, déjà


développée chez Hobbes dans "Le Léviathan" mais elle est "optimisée" par
Locke : dans cette conception et explication du pouvoir, les hommes

46
abandonnent une partie de leur(s) liberté(s) dans le contrat qui fonde la
société, mais le roi doit respecter certaines libertés "naturelles" et le droit
de propriété.

La violation de ces droits par le roi autorise ses sujets à ne pas lui obéir est
assez logique que cette théorisation du pouvoir se retrouve dans les deux
grands textes révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle.

On trouve en effet cette idée dans l'article 2 de la Déclaration des droits de


l'homme de 1789 en France. Selon cet article, le but de toute société est "la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme". On trouve
aussi cette idée dans la Déclaration d'indépendance américaine de
1776 : « C'est pour garantir ces droits (inaliénables) que les
gouvernements sont établis parmi les hommes » (début du second
paragraphe).

Mais Locke va aussi être le premier théoricien moderne de la séparation


des pouvoirs. Il existe selon lui trois pouvoirs dans l'Etat que sont le
pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif qui est celui de
conduire les relations internationales.

Locke estimait d’ailleurs qu'il ne devait pas y avoir une séparation absolue
des pouvoirs exécutif et législatif, afin d’éviter le désordre si les deux
pouvoirs allaient dans des sens opposés. Il faut donc établir une hiérarchie
entre eux, dominée par le pouvoir législatif qui est le "pouvoir suprême".

Locke va donc plus loin qu’Aristote en considérant que s’il y a des


fonctions distinctes dans l'Etat, elles doivent être si possible exercées par
des organes distincts, sinon totalement, du moins suffisamment, pour éviter
le despotisme. En outre, une forme de hiérarchisation des pouvoirs est
consacrée, au détriment de la fonction exécutive. Pour Locke, il s'agit
d'instaurer une monarchie modérée qui est celle qu'il a sous les yeux au
Royaume-Uni. Son œuvre est bien une justification de la réalité britannique
de la fin du XVIIe siècle. Tel n’est pas le cas de l'œuvre de Montesquieu.

B – Montesquieu et la systématisation de la théorie de la séparation

Il existe une controverse infinie sur ce qu'a écrit Montesquieu et sur la


signification réelle de sa pensée. Celle-ci a été déformée, interprétée de

47
diverses façons. L'expression de "théorie de la séparation des pouvoirs" ne
figure d'ailleurs pas dans ses œuvres. Pour lui, il s'agit de se servir de
«l’exemple britannique » pour lutter contre le pouvoir absolu français,
quitte à interpréter le régime anglais qui n'était plus, au moment où il
écrivait, celui qu'il décrit.

Montesquieu (1689-1755) était un parlementaire bordelais, c'est-à-dire


magistrat judiciaire, et il appartenait donc à la noblesse de robe. Il a
cherché à limiter les pouvoirs du roi. Ses textes et sa pensée ne sont pas
dénués d'arrière-pensées très politiques. Montesquieu est à la recherche de
la liberté politique, ou de la sûreté contre l'arbitraire. C'est un libéral et non
un démocrate.

Dans « l’Esprit des lois » paru en 1748 (Chapitre VI du Livre XI « De la


Constitution d'Angleterre »), Montesquieu se livre à une observation de la
réalité anglaise mais aussi à une idéalisation de la réalité, ne serait-ce que
pour échapper à la censure française

Ce n’est pas un hasard si la théorie de la séparation des pouvoirs apparaît


en même temps que les premières constitutions écrites, d'abord
américaines, puis française. La séparation des pouvoirs apparaît comme
une condition absolue d'une véritable constitution, à côté de la « garantie
des droits » comme dans l'article 16 de la Déclaration des droits de 1789.

Montesquieu distingue les trois fonctions, qu’il appelle à la fois pouvoirs et


puissances, et qui sont décrites par leur objet, le pouvoir de faire les lois, le
pouvoir de les exécuter et le pouvoir de juger les différends ou pouvoir
juridictionnel, ce qui le différencie de Locke. Des difficultés
d'interprétation subsistent autour du mot "pouvoir" chez Montesquieu car
on ne sait pas s'il désigne des organes ou des fonctions, c'est-à-dire le
détenteur d'une compétence ou le contenu de celle-ci.

En outre, il faut se demander si ces trois fonctions sont conçues comme


étant égales.

Ces fonctions doivent être séparées, afin d'assurer la liberté : selon


Montesquieu, « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va
jusqu'à ce qu'il trouve des limites ». Cette phrase devenue célèbre et
susceptible de s'appliquer à toutes les époques et sous toutes les latitudes,

48
est complétée par celle-ci, qui est une sorte de résumé de la théorie de la
séparation des pouvoirs : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut
que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Il ne s'agit cependant pas d'une séparation totale, car celle-ci est surtout
destinée à éviter que deux fonctions, par exemple faire les lois et juger les
différends pour faire appliquer ces lois, soient intégralement attribuées à
une même puissance. En revanche, une même fonction peut être distribuée
entre plusieurs mains et un même organe peut exercer plusieurs fonctions,
ce qui permet de comprendre que, chez Montesquieu, il n’y a pas
véritablement de séparation étanche entre les organes et les fonctions qui
conduiraient à ce que chaque fonction soit attribuée à un seul organe.

La fonction législative peut être ainsi exercée par « le pouvoir législatif »


ou l’organe législatif et le pouvoir exécutif, l'initiative de la loi étant par
exemple partagée et la sanction ou veto sur les lois votées permettant une
forme de contrôle par le pouvoir législatif. Pour certains litiges, c'est la
chambre haute, ou chambre noble, du Parlement qui peut être le juge
naturel pour les nobles, car Montesquieu est partisan d'un bicaméralisme
inégalitaire entre la chambre du peuple et celle des nobles. Montesquieu,
qui appartient à la noblesse, considère en effet que si un noble est jugé par
la chambre basse, au nom d’une certaine conception de la séparation des
pouvoirs, il n’y aura pas de liberté,

Montesquieu pense seulement qu’un même organe ne doit pas détenir


totalement deux fonctions. Ces organes doivent avoir, en outre et toujours
au nom de la liberté, la faculté de statuer (de décider positivement) et celle
d'empêcher (de freiner ou d'agir négativement). C’est un système de poids
et de contrepoids ou d'enchaînement mutuel des forces afin d'empêcher
l'omnipotence.

Montesquieu a été beaucoup lu, parfois mal compris. Beaucoup y ont vu


l'idée qu'il fallait une séparation tranchée entre les organes qui devaient être
séparés, et que chaque organe devait être cantonné dans une fonction
particulière, par un système qui empêcherait toute relation entre des
pouvoirs séparés. Cette conception est celle qui se trouve dans la
Constitution américaine de 1787 et dans les constitutions françaises de
1791 et de 1795 qui instaurent une séparation rigide des pouvoirs. Mais

49
Montesquieu, en observant la Grande Bretagne, a pu voir que ces pouvoirs
collaboraient entre eux, sans séparation stricte. Comme il l'écrit, « ces
puissances doivent aller de concert». La Constitution doit alors organiser
les pouvoirs de telle façon qu'elle garantisse la liberté politique.

De la pensée de Montesquieu, même déformée, est cependant né un mythe


ou dogme de la séparation des pouvoirs qui se retrouve dans beaucoup de
textes constitutionnels.

Cette théorie a été critiquée au nom de l'unité de l'Etat qui ne pourrait être
partagé, car le pouvoir étatique est unique et non divisible par deux ou par
trois. Ces critiques se trouvent notamment chez Rousseau et dans la théorie
marxiste.

Mais la séparation des pouvoirs est un formidable levier ou un étendard


contre tous les despotismes et toutes les tyrannies, de l'Exécutif, du
Parlement ou du parti unique.

Sect. II – La classification des régimes politiques

Classer les régimes politiques n’est pas chose aisée. Leur pluralité résiste à
toute tentative de théorisation précise. Les auteurs qui se sont intéressés à la
question ont procédé à leur classification par catégorie plutôt qu’à partir de
chaque espèce.

Il existe grosso modo trois grandes catégories de régimes politiques mais


sans que l’on puisse dire qu’ils sont totalement étanches.

§ 1 – Les régimes de confusion des pouvoirs

C’est le régime dans lequel un seul organe détient tous les pouvoirs ou en
est l’émanation. Tout se fait en son nom, voire sous son contrôle, même s’il
existe une pluralité autres organes. Leurs décisions ne sont que la
projection des directives et instructions supérieures.

La confusion ou concentration des pouvoirs peut avoir lieu au profit, soi de


l’exécutif, soit du législatif.

50
A – La confusion au profit de l’exécutif

Dans ces régimes, on aura la concentration organique des trois fonctions.

C’est le cas anciennement des monarchies absolues. Le roi concentrait tous


les trois pouvoirs. Il faisait les lois, faisait procéder à leur exécution et
exerçait la justice dans la mesure où celle-ci était retenue. C’est-à-dire,
rendue par des juges, mais soumise à l’approbation du roi.

Cas de l’Angleterre, de la France où les monarchies ont fonctionné ainsi


avant les révolutions qu’elles ont connues au XVIIIe siècle.

C’est le cas aussi des dictatures civiles ou militaires. Dans ces régimes, les
parlements n’avaient en pratique pour rôle que de ratifier les décisions qui
leur étaient soumises pour examen ou même à voter les pleins pouvoirs au
profit du chef.

B – La confusion au profit du législatif

Ici, la concentration a lieu au profit de l’assemblée où l’exécutif lui est


soumis.

La confusion ou concentration peut être absolue ou relative.

Elle est absolue lorsque la nomination de l’exécutif collégial de même que


la révocation de ses membres dépend de l’assemblée.

Ainsi avait fonctionné le régime conventionnel en France de 1792 à


1795. Le pouvoir exécutif était exercé par l’entremise des comités de la
Convention, notamment le Comité de salut public présidé par Robespierre.
Ces comités faisaient partie intégrante de l’assemblée qui exerçait tous les
pouvoirs même celui de modifier la constitution.

Cependant, il faut dire que la concentration peut être relative lorsque le


régime est constitué de deux organes politiques distincts mais où le
gouvernement est subordonné au parlement dont il n’est que le commis.

C’est l’occasion pour dire que c’est un système qui découle de l’application
intégrale de souveraineté populaire prôné par Jean-Jacques Rousseau pour
une démocratie absolue fondée sur une hiérarchie des institutions selon un
ordre de légitimité populaire décroissante. Au sommet, le peuple, puis

51
l’assemblée des députés et enfin le gouvernement commis par l’assemblée.
Quant à la fonction judiciaire, elle n’est que subordonnée au législateur,
son rôle c’est d’être la « bouche de la loi ».

§ 2 – Les régimes de séparation des pouvoirs à travers le système


américain

Il n’existe pas de régime conforme à la théorie de la séparation des


pouvoirs, mais tous s’en inspire pour adopter certains de ses aspects qui
permettent l’adoption de l’esprit. Ainsi, peut-on remarquer, à travers le
régime présidentiel américain, l’existence d’un régime strict de séparation
mais où, au demeurant, on relève certains éléments qui méritent qu’on s’y
arrête.

A – La séparation stricte des pouvoirs

Elle se révèle du point de vue organique et fonctionnel.

1 – La séparation organique

Les pouvoirs sont indépendants les uns des autres.

Le Président : Dès son origine, il est indépendant. Elu pour quatre ans au
suffrage indirect, mais politiquement, son élection est directe.
Renouvelable une fois. C’est le 22e amendement de la Constitution adopté
en 1951.

Il est élu par un collège de grands électeurs où chaque Etat compte autant
de délégués qu’il y a de sièges dans les deux chambres réunies.

Dans ses fonctions aussi, il est indépendant. Il n’est pas responsable devant
le congrès avec une seule exception par une procédure spéciale :
l’impeachment.

C’est lui le chef de l’exécutif. Pas de Premier ministre.

D’ailleurs, à lui seul, il est tout le gouvernement. Il est entouré d’un


« Cabinet » de ministres appelés « secrétaires », l’appellation de
« secrétaire d’Etat » est réservée au ministre des Affaires Etrangères. Les
réunions se font sans périodicité. Le président écoute et décide. Le Cabinet
exécute.

52
Lincoln avait conclu une discussion par la phrase : « Sept nons, un oui, les
oui l’emportent ».

Le congrès :

Composé de deux organes : Le Sénat et la Chambre des Représentants.

Le Sénat : Deux sénateurs par Etat, soit 100, élus pour six ans, avec
renouvellement par tiers tous les deux ans. Tout Etat est divisé en deux
circonscriptions qui élisent chacune un sénateur.

La Chambre des Représentants : Ses membres sont élus pour deux ans
directement au scrutin majoritaire uninominal à un tour. La Chambre
compte 435 membres. La brièveté du mandat permet un meilleur contrôle
de l’activité des députés.

Le pouvoir judiciaire :

A sa tête, la Cour suprême. Composée de neuf membres (depuis 1869)


nommés par le Président avec l’accord du Sénat. Nommés à vie et
« meurent rarement ».

Elle a une compétence propre et exclusive de trancher les différents entre


les Etats de l’Union.

Elle a aussi la compétence d’agir comme juge d’appel concernant les


procès portés devant les tribunaux fédéraux et ceux portés devant les
juridictions des Etats.

Chaque Etat a son propre système judiciaire à la tête duquel se trouve sa


Cour suprême. Lorsque le procès met en jeu une question de droit fédéral
ou constitutionnelle, elle peut être portée devant la Cour suprême fédérale.

2 – L’aspect fonctionnel de la séparation

Il faut dire que malgré la séparation organique, du point de vue


fonctionnelle, elle est moins prononcée, en ce sens que, dans la pratique,
chaque organe est amené à participer à la fonction de l’autre.

Le président a la possibilité d’opposer son véto contre toute loi. Ce véto


peut être brisé par une majorité des 2/3 dans les deux chambres.

53
Les nominations sont faites par le Président mais avec l’accord du Sénat.

Le Sénat peut établir des commissions d’enquête et peut faire révoquer les
responsables qui s’avèrent impliqués dans des malversations.

B – De quelques remarques

A partir de ce qui précède, on peut faire quelques remarques :

- Même si d’après la Constitution, l’initiative des lois appartient aux


membres du Congrès, c’est le Président qui oriente le travail législatif du
Congrès, soit directement par les « messages » qu’il fait parvenir
directement et périodiquement, soit indirectement, en faisant déposer un
bill élaboré dans ses bureaux par un parlementaire de son clan.

- Il y a alors une collaboration fonctionnelle qui permet de dire que si au


niveau juridique, il y a une séparation des pouvoirs, au niveau politique, le
régime se caractérise par la collaboration.

§ 3 – Les régimes de collaboration des pouvoirs : Le régime


parlementaire

Tout comme le régime présidentiel, le régime parlementaire a évolué dans


le temps pour être théorisé par les auteurs. Son origine est liée à l’histoire
constitutionnelle de la Grande-Bretagne au début du XVIIIe siècle dont
Montesquieu avait décrit les institutions de la période 1689-1714.

Comment se définit le régime parlementaire et comment a-t-il évolué ?

A – Définition du régime parlementaire

C’est un régime de collaboration juridique des pouvoirs ; une collaboration


par l’intermédiaire d’un cabinet responsable.

Il s’agit d’un régime d’égalité des pouvoirs, de collaboration par des


moyens d’action réciproques.

1 – L’égalité des pouvoirs législatif et exécutif

L’égalité s’illustre par le fait qu’aucun pouvoir ne peut être supérieur à


l’autre.

54
a – Le législatif

Son indépendance découle de son origine élective. Il peut être


monocaméral ou bicaméral. Généralement, c’est la chambre élue au
suffrage universel direct qui a la prépondérance sur l’autre chambre dont
les membres peuvent être élus ou nommés, Chambre des Lords en Grande
Bretagne (7). Elle peut être dissoute.

Ce sont les sièges détenus par la Première Chambre qui déterminent la


composition de l’exécutif.

b – L’exécutif

L’exécutif peut être présidé par le Chef de l’Etat ou par le Premier ministre.
En Grande Bretagne, c’est le Premier ministre (8).

Etant l’émanation de la majorité de la Première chambre, l’exécutif dispose


d’un confort politique pour gouverner qu’il ne peut perdre que s’il est
renversé par la perte de la confiance qui lui a été accordée lors de son
investiture.

7
La Chambre des lords (en anglais : House of Lords) est la chambre haute du parlement du Royaume-
Uni. Le Parlement comprend également la reine et la chambre basse, la Chambre des communes du
Royaume-Uni.
La Chambre des lords se compose de membres nommés à vie par la reine sur proposition du Premier
ministre, de 92 lords héréditaires élus parmi les membres des différentes pairies du Royaume-Uni et de 26
lords clercs de l'Église d'Angleterre, membres de droit. Le nombre de membres n'est pas fixe et dépend
des nominations : il y en a aujourd’hui près de 800.
Depuis le XIXe siècle, les pouvoirs de la Chambre des lords ont considérablement diminué et son pouvoir
est aujourd'hui nettement inférieur à celui de la Chambre des communes. Elle examine les projets de loi
approuvés par la Chambre des communes et peut les modifier mais ne dispose pas, sauf dans des cas
limités, du pouvoir d'empêcher leur adoption. Toutefois la Chambre des lords peut retarder l'adoption d'un
projet de loi et inviter le gouvernement à le revoir. (Source : Wikipedia)
8
L’appellation de Premier ministre a une origine lointaine liée à l’histoire de la Grande-Bretagne et de
son régime. Elle remonte à l’avènement de la dynastie allemande des Hanovre suite à la mort sans
descendance de la Reine Anne en 1714. Ne comprenant guère la langue anglaise, son arrière-petit-neveu,
Georges I, prince allemand de 54 ans lors de son accession au Trône, et son successeur, la comprenant
mais ne la parlant pas, prirent l’habitude de ne pas prendre part aux travaux du Cabinet réunissant les
ministres. Le contact était avec l’un d’entre eux qui leur rendaient compte des délibérations et prenaient
leurs instructions. C’était l’intermédiaire entre le Roi et le Cabinet ; son influence devint telle qu’elle lui
valut le titre officieux de « Prime minister » ; il n’était que le primus inter parès. Il remplaçait le Roi à la
tête du gouvernement.
Le chef du gouvernement est une autorité qui est à la tête d’un gouvernement ; il peut être Chancelier
(Allemagne), Premier ministre (France, Grande Bretagne et un peu partout dans le monde), Président du
conseil (France de la IVe République), Président du Conseil des ministres (Italie), Président du
gouvernement (Espagne).

55
2 – La collaboration des deux pouvoirs par l’intermédiaire du cabinet

Le cabinet regroupe des ministres sous la houlette du Premier ministre. Il


est détaché du Chef de l’Etat pour acquérir une certaine autonomie. Le
développement du cabinet autonome en Grande-Bretagne apparait avec
Robert Walpole (9).

Le trait essentiel du Cabinet, c’est sa responsabilité, élément charnière


entre l’exécutif et le législatif qui le contrôle et peut le renverser.

3 – Les moyens d’action réciproques

Il y a la possibilité de mettre en jeu la responsabilité politique du


gouvernement qui peut résulter soit de l’initiative parlementaire (motion de
censure), soit du gouvernement lui-même (question de confiance).

En contrepartie, il peut y avoir dissolution de la première chambre après


renversement du cabinet pour le retour aux urnes.

B – L’évolution du régime parlementaire

L’évolution est marquée principalement par le passage d’un régime


parlementaire dualiste vers un régime moniste où le chef de l’État ne joue
un rôle politique que très minime ; il est honorifique et il est
principalement le symbole et le garant de l’unité nationale.

C’est un régime où le gouvernement n’est responsable que devant


le Parlement, d’où le nom de parlementarisme moniste, et le chef du
gouvernement ne peut être révoqué par le chef de l’État même si c’est lui
qui procède à sa nomination.

Il est marqué également par l’apparition d’un ensemble de prérogatives de


l’exécutif vis-à-vis des chambres dont il peut prononcer la clôture des
sessions, ainsi que par la possibilité de poser la question de confiance et de
disposer de l’arme de la dissolution.

9
C’est en effet avec Robert Walpole que la fonction de Premier ministre est apparue. Il l’occupa pendant
vingt et un ans, de 1721 à 1742. En fait, le titre de Premier ministre ne sera officiellement consacré dans
son sens parlementaire qu’à la fin du XIXe siècle pour n’acquérir un rang officiel qu’en 1905. Cf. B.
Chantebout, Droit constitutionnel, Armand Colin, 18e édition, p. 142 ; A-M. Le Pourhiet, Droit
constitutionnel, Economica, 2012, p. 204.

56
Il est marqué aussi par des prérogatives entre les mains du parlement dans
l’exercice du contrôle sur l’exécutif. Les questions orales ou écrites, la
création de commissions d’enquête.

Bref, on peut dire qu’il n’existe pas un type standard de régime


parlementaire adopté uniformément par tous les pays. Il y a une toile de
fond commune à tous les systèmes qui l’adoptent, mais son adaptation se
fait selon les spécificités et les besoins de chaque pays.

57

Vous aimerez peut-être aussi