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Droit administratif 2ème année – 2ème partie : Les activités administratives – 2016/2017

Professeurs P. Soler-Couteaux et W. Zimmer


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TITRE 3 : LE SERVICE PUBLIC

Le service public occupe une place éminente en droit administratif. Il en est l’emblème,
symbolisant ce que celui-ci a de plus spécifique.

 Cette importance du service public tient tout d’abord à la signification politique


et sociale de la notion.

Sur ces plans,

- le service public désigne, en effet, les prestations que les citoyens sont en droit
d’attendre de l’Etat

- mais il caractérise aussi les valeurs de notre société : justice et solidarité ou


interdépendance sociale (enseignement, culture, santé) ; efficacité économique
(service public d’intervention économique) ; exigence de qualité.

C’est en ce sens, politique, que l’on parle de la « défense du service public ».

 L’importance de la notion de service public découle également du rô le qu’elle


joue sur le plan juridique.

 L’acte de naissance du service public peut être symboliquement daté du célèbre


arrêt Blanco du tribunal des conflits (8 février 1873).

Mais symboliquement seulement car l’arrêt est cependant resté ignoré et sans postérité
véritable pendant plusieurs décennies pour les raisons suivantes :

- Jusqu’au début du 20ème siècle, la notion dominante, celle qui déterminait le champ d’application
du droit administratif, était le mode d’intervention de la personne publique, d’où l’importance de la
notion de puissance publique et non et non la nature de l’activité en cause.

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- Certes le service public a connu son heure de gloire au début du 20 ème siècle avec l’école
du service public et son chef de file Léon Duguit, mais sur le plan exclusivement
doctrinal : elle visait à pousser une nouvelle conception de l’Etat.

Pour cette école, animée des idées de bien commun et de solidarité collective, l’Etat n’est rien d’autre
qu’une vaste coopération de services publics et la notion clé du droit administratif – celle qui à la fois
détermine son champ d’application et délimite la compétence de la juridiction administrative – est la
notion de service public.

- C’est dans les années 1950 que l’on a voulu faire du service public la
notion clé du droit administratif et qu’elle s’est donc trouvée revalorisée.

Cela s’est traduit par son utilisation dans la définition des principales notions de base
du droit administratif dont elle est une composante : domaine public ; travail public ;
contrat administratif.

Ce courant a conduit à donner au service public une place éminente en droit


administratif.

 Pour autant, la seule présence du service public ne suffit pas à entraîner


l’application du droit administratif et la compétence de la juridiction
administrative.

D’autres paramètres entrent en ligne de compte, ainsi que nous le verrons :

o le caractère administratif ou industriel et commercial du service public,


ceci à la suite d’une distinction introduite par le Tribunal des conflits au début des
années 1920, d’abord ;

o la circonstance, ensuite, que les services publics peuvent être gérés par
des personnes publiques comme par des personnes privées, ce qui a également
une incidence sur leur régime juridique.

- Enfin, le service public se trouve à l’heure actuelle concurrencé par des


notions voisines issues du droit communautaire, au point qu’un débat s’est
instauré sur le maintien de l’expression de service public ( voir D. Truchet,
Renoncer à l’expression « service public », AJDA 2008, p. 553 ; G. Guglielmi et G. Koubi : Le
droit, comme la langue, vit dans la conscience populaire, ibid, p. 1160 ; M. Lombard, Mots
et valeurs du service public, ibid, p 1225).

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 En dépit des attaques qu’il a subies et de la relativisation qui s’impose, le service


public n’en demeure pas moins une notion majeure du droit administratif :

- d’abord, parce qu’il recouvre la très grande majorité des


activités administratives ;
- ensuite, parce qu’il continue d’exercer une influence réelle sur
leur régime juridique.

 Plan :
- La notion de service public (chapitre 1)
- La création des services publics (chapitre 2)
- La gestion des services publics (chapitre 3)
- Le régime juridique des services publics (chapitre 4).

CHAPITRE 1 : LA NOTION DE SERVICE PUBLIC

On a très souvent stigmatisé la difficulté qu’il y a à définir la notion de service public,


les auteurs évoquant à de nombreuses reprises la « crise » du service public.

Ce sentiment résulte des mutations qu’il a connues.

 Le service public ne couvre pas en effet toutes les activités de l’administration, mais uniquement
une partie d’entre elles.

 Il n’est plus l’apanage des personnes publiques, mais peut également être assuré par des
personnes privées, et l’est dans des proportions importantes.

 Il n’est plus soumis à un régime uniforme, mais à des régimes variables suivant – notamment – sa
nature administrative ou industrielle et commerciale.

 De plus, interfèrent désormais avec lui des notions voisines issues du droit communautaire, ce qui
en complique l’approche dans une certaine mesure.

C’est ce que fera apparaître la définition du service public (section 1), puis l’étude des
différentes catégories qui le composent, à savoir les SPA et les SPIC (section 2).

SECTION 1 : LA DÉFINITION DU SERVICE PUBLIC

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Quand, en droit français, une activité revêt-elle le caractère d’un service public ?

La réponse générale à cette question est simple : une activité administrative est de
service public lorsque les autorités publiques en ont décidé ainsi.

Mais comme cette intention est rarement explicite, il reste à savoir à quels éléments
(indices) se reconnaît cette intention.

Plusieurs situations sont à distinguer à cet égard.

 Lorsque l’activité est créée par la loi,

 La situation la plus simple est celle dans laquelle le législateur a lui-


même qualifié l’activité de service public.

 A défaut de qualification expresse, il y a lieu de rechercher, dans les


travaux préparatoires de la loi ou dans l’économie de celle-ci, si la volonté
du législateur a été de consacrer l’existence d’un service public ou au
contraire de l’exclure.

Cette recherche de ses intentions n’est pas toujours simple et se trouve parfois
empreinte d’une certaine subjectivité de la part du juge (CE, 22 février 2007, n° 264541,
« APREI » Lebon).

 Lorsque l’activité n’a pas été créée par la loi mais par un décret ou une décision
de l’autorité locale

C’est au juge qu’il appartient de déterminer si l’administration dont l’activité relève a


entendu ou non lui conférer le caractère d’un service public.

Pour retenir la qualification de service public, il exige que deux conditions soient
cumulativement remplies :

- l’une – matérielle – tenant au but poursuivi : l’activité doit être d’intérêt


général (A) ;

- l’autre – de nature organique – tenant à la présence d’une personne


publique : elle doit être prise en charge par une personne publique (B).

§ 1. Une activité d’intérêt général

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 L’intérêt général de l’activité est une condition sine qua non de la qualification de
service public.

Une activité qui ne présente pas un caractère d’intérêt général n’est pas un service
public, quand bien même elle serait contrô lée par l’administration ou constituerait pour
elle une source de profit appréciable.

 Reste à savoir ce qu’il faut entendre par intérêt général.

Il n’existe naturellement pas de définition précise de cette notion, ni textuelle, ni


jurisprudentielle.

Mais l’on peut néanmoins dégager de la jurisprudence plusieurs enseignements.

A.) Eléments de définition

 En premier lieu, une activité ne peut être d’intérêt général que si elle vise à la
satisfaction des besoins collectifs et non pas à celle de besoins particuliers.

L’intérêt général présente un caractère transcendant par rapport aux intérêts


particuliers des personnes privées.

 En second lieu, l’intérêt général se distingue également de l’intérêt privé ou patrimonial de


l’administration.

B.) Applications de la définition

Les applications de la définition montrent plusieurs choses.

1) Tout d’abord, la notion d’intérêt général est évolutive.

Elle varie selon les époques en fonction des conceptions politiques et sociales
dominantes.

Cela explique que le caractère de service public ait été refusé par le passé à certaines
activités pour le leur être reconnu ensuite.

Ainsi en est-il, par exemple :

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 des activités de spectacle :

- dans l’arrêt « Astruc », le Conseil d’Etat avait estimé qu’un palais philarmonique
n’était pas destiné à assurer un service public, ni à poursuivre un objet d’utilité
publique, solution que le Doyen Hauriou commentait par ces mots « les tribunaux
ne veulent pas que le pain et les spectacles deviennent, chez nous, comme à l’âge de
la décadence romaine, matière à service public ».

- Une trentaine d’années plus tard, le Conseil d’Etat reconnaissait cependant le


caractère d’intérêt général aux théâ tres municipaux faisant prévaloir les intérêts
artistiques sur les intérêts commerciaux de l’exploitation (CE, 21 janvier 1944, Leoni,
Recueil Lebon, p. 26) ; puis à des cinémas en plein air, par climat chaud et durant la
période estivale (CE, 12 juin 1959, Syndicat des exploitants de cinématographes de
l’Oranie, Recueil CE, p. 363 ; AJDA 1960.II.177, concl. Mayras ) ; à l’exploitation d’un
palais des festivals et des congrès (Tribunal des conflits, 19 décembre 1988, Ville de
Cannes c/ Ponce, Receuil CE, tables p. 546 ) ; voire même à un lâ cher de taureaux
(Tribunal des conflits, 22 avril 1985, Laurent, Recueil CE, tables p. 541).

 des activités culturelles et touristiques :

- le caractère de service public leur a été reconnu par un arrêt « Dauphin » de


1959, confirmé dans la jurisprudence récente : voir, CE 25 mars 1988, Ville d’Hyères,
Recueil CE, p. 668 : à propos d’un festival de bandes dessinées ; CE, 2 juin 1995, Ville de
Nice, Recueil CE, tables p. 1050 : à propos d’un festival de jazz.

- Une solution analogue, d’abord écartée (CE, 12 mai 1922, Ville de Saint Malo, Recueil CE,
p. 413), est également retenue à propos de l’exploitation des casinos
municipaux en raison des obligations mises à la charge de l’exploitant en
matière de développement culturel et touristique des communes ( CE, 25 mars 1966,
Ville de Royan et Couzinet, Recueil CE, p. 237 ; CE, avis du 4 février 1995, EDCE 1995, p. 414).

 des activités de loisirs et de divertissement : voir CE 22 janvier 1959, Commune


d’Huez : à propos d’un remonte-pente ; ainsi que les arrêts cités ci-dessus ;

 des activités sportives : CE, 13 juillet 1961, Ville de Toulouse, AJDA 1961, p. 466,
chronique ; CE, 26 février 1965, Société du vélodrome du Parc des Princes, RDP
1965.506, concl. Bertrand. – Pour une contestation de cette qualification, eu égard aux
dérives actuelles du sport, professionnel notamment, voir R. Keller, Argent, violence,
dopage : le sport est-il vraiment un service public ? AJDA 2008, p. 897.

 ou encore d’activités dont l’importance n’a été reconnue que récemment, telle
que la protection de l’environnement (Tribunal des conflits, 22 octobre 2007, Mlle

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Doucedame c/ Département des Bouches du Rhô ne, RFDA 2008, p. 401 : à propos de l’ouverture
au public et de l’aménagement d’espaces naturels sensibles).

2) La notion d’intérêt général – et partant de service public – est une notion extensive.

Elle recouvre les activités les plus diverses.

- Au-delà des activités régaliennes (police, défense, justice, travaux publics …),

- des activités sociales et de santé ou d’enseignement dont le caractère de


service public n’est plus discuté,

- elle s’étend à un nombre considérable d’activités, y compris à des activités de


caractère économique comparables à celles exercées par des personnes
privées : exploitation de restaurants ; cinémas ; de campings municipaux ; de
transport ; d’exploitation de plages ; de tir de feux d’artifice.

En d’autres termes, une activité peut être de service public alors même qu’elle ne
correspond pas à ce que l’on peut considérer comme étant une activité naturelle
de l’Etat ou d’autres personnes publiques et qu’elle revêt un caractère industriel ou
commercial.

3) Cette extension du service public comporte cependant des limites.

A titre général, ne sont pas considérées comme des activités de service public, les activités exercées par les
personnes publiques

- à des fins patrimoniales, comme c’est le cas de la gestion de leur domaine privé

- ou à des fins purement industrielles ou commerciales (activités de banque, d’assurance ;


entreprises intervenant dans le secteur industriel).

Quelle que soit leur importance dans l’économie nationale, ces activités visent en effet à réaliser des
profits et à se développer de la même manière que des entreprises du secteur privé.

§ 2. Une activité prise en charge par une personne publique

 L’intérêt général ne suffit pas pour qu’une activité soit de service public (ex :
pharmacie ; boulangerie …).

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Il faut, en outre, qu’elle soit prise en charge par une personne publique, c’est-à-dire
qu’une personne publique intervienne dans son organisation et/ou son exercice.

C’est ainsi la présence d’une personne publique, son implication plus ou moins forte
dans l’organisation et/ou l’exercice de l’activité d’intérêt général qui va révéler la
volonté d’en faire ou non un service public.

 Cela étant, la prise en charge par une personne publique est interprétée de
manière relativement souple : elle peut être aussi bien directe qu’indirecte, selon
des modalités qui ont été récemment précisées par deux arrêts importants :

- CE, Section, 22 février 2007, n° 264541, Association du personnel relevant des


établissements pour inadaptés (APREI), Rec. Lebon, p. 92, concl. C. Verot ; JCP A
2007, n° 2066, concl. ; AJDA 2007, p. 793, chronique F. Lenica et J. Boucher ; RFDA
2007, p. 803, note C. Boiteau ; J. David, L’arrêt APREI, huit ans après, Droit adm.
2015, étude 12 : Dans cette affaire, le juge était appelé à qualifier l’activité des
centres d’aide par le travail au regard de la notion de service public car la loi du
17 juillet 1978 impose aux organismes chargés d’une mission de service public
de communiquer leurs documents administratifs.
-

- CE Section, 6 avril 2007, n° 284736, Commune d’Aix-en-Provence, Rec. CE, p. 155 ;


RFDA 2007, p. 812, concl. F. Seners, note J.C. Douence, AJDA 2007, p. 1020,
chronique.

A.) La prise en charge directe par une personne publique

 C’est le cas le plus simple, dans lequel le service est géré

- par la collectivité publique elle-même selon le procédé de la régie.

- Ou un établissement public qui lui est rattaché.

C’est là une hypothèse sur laquelle on ne s’attarde guère car elle ne pose pas de
problème particulier d’identification. Elle correspond néanmoins au mode de gestion
des services publics le plus répandu.

 A cette hypothèse, il faut assimiler celle de quasi-régie, directement inspirée du


in house communautaire, dans laquelle, pour assurer la gestion du service public,

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la personne publique crée un organisme dont l’objet est de gérer le service


public et sur lequel elle exerce un contrôle comparable à celui qu’elle
exerce sur ses propres services, contrô le lui donnant notamment les moyens
de s’assurer du strict respect de son objet statutaire.

Autrement dit, il y a également prise en charge directe par la personne publique lorsque
le service est géré par un organisme qui ne dispose, vis-à -vis de cette personne publique,
d’aucune autonomie véritable (arrêt « Commune d’Aix-en-Provence »).

B.) La prise en charge indirecte par une personne publique

Qu’en est-il lorsque l’initiative d’une activité d’intérêt général a été prise par une
personne publique et qu’elle en assume la responsabilité, mais qu’elle la fait gérer par
une personne privée ?

La jurisprudence admet de longue date que cette activité peut se voir reconnaître le
caractère de service public.

Mais elle exige que l’activité soit rattachée à une personne publique par des liens
suffisamment forts. Là , l’activité n’est plus assurée par la personne publique, mais elle
est assumée par elle.

Cela peut arriver dans deux contextes différents :


- cas dans lequel la personne publique, qui est à l’origine de l’activité, en confie l’exercice à une
personne privée ;
- cas dans lequel une activité entreprise par une personne privée, de sa propre initiative, est
prise en charge par une personne publique.

A quels indices, reconnaît-on l’existence d’une telle prise en charge ou d’un tel rattachement ?

1) La dévolution du service public par la personne publique à une personne privée :


cas dans lequel la personne publique a pris l’initiative de l’activité mais décide d’en
confier la gestion ou l’exercice à une personne privée.

Elle peut le faire par voie de contrat ou par voie de délégation unilatérale.

Mais, dans les deux cas, le juge vérifie, au travers d’un faisceau d’indices, que
l’implication de la personne publique dans l’organisation de l’activité est suffisamment
forte pour que l’on puisse en déduire sa volonté d’en faire un service public.

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a) L’identification du service public en présence d’un contrat

La jurisprudence considère, tout d’abord, qu’il peut y avoir prise en charge de l’activité
par la personne publique, lorsque celle-ci en a remis la gestion à un opérateur privé par
le moyen d’un contrat. C’est l’hypothèse classique de la dévolution contractuelle du
service public.

Mais, pour qu’il y ait service public, encore faut-il que le contrat confère à
l’administration un droit de regard ou de contrôle suffisamment fort sur l’activité
déléguée : se pose donc une question de qualification du contrat et donc
d’identification d’un service public.

Dans l’affaire du stade Jean Bouin, le Conseil d’Etat a considéré que par le contrat
conclu avec l’Association du même nom en vue de l’occupation du stade, la Ville
de Paris n’avait pas entendu ériger l’activité de divertissement et de spectacle
sportif lié notamment à la présence d’un club d’un rugby professionnel en service
public, ceci malgré les contraintes d’utilisation imposées à l’Association et liées à
la présence du club de rugby ; l’importance des investissements imposés à
l’Association (10 millions d’euros de travaux) ; l’existence de clauses de rencontre
en cas de difficulté financière de cette dernière ; ou encore les conventions
annuelles d’objectif conclues entre la Ville et l’Association en vue de
l’organisation et de la promotion des activités physiques et sportives (CE, Section,
3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, BJCP 2011, p. 36, concl.
N. Escaut ; AJDA 2011, p. 21, note E. Glaser ; Droit adm. 2011, n° 36, note F. Brenet et F.
Melleray ; Contrats marchés publ. 2011, n° 25, note G. Eckert).

Pour une autre illustration de cette solution, voir CE section, 11 juillet 2011, Mme Gilles, BJCP 2011, p.
341, concl. N. Boulouis ; RJEP 2012, n° 5, concl. : ne caractérise pas l’existence d’un service public le fait
pour une Ville d’imposer au gestionnaire d’un équipement sportif (en l’occurrence le Parc des Princes)
qu’il mette principalement ledit équipement à la disposition de clubs professionnels de football et de
rugby et de leurs fédérations respectives, sans autres contraintes.

Tel n’est pas le cas, par exemple, d’une commune qui, après avoir créé un festival de musique (Les voix du
Gaou) et l’avoir organisé pendant plusieurs années en remet la gestion à une société privée qu’elle
subventionne et à laquelle elle confère la disposition des lieux, mais sans exercer aucun contrô le sur les
tarifs de ses spectacles, ni sa programmation artistique. Le Conseil d’Etat estime que la commune ne peut
être ainsi regardée comme faisant preuve d’une implication telle que les conditions d’organisation du
festival permettent de caractériser une mission de service public (CE, 23 mai 2011, Commune de Six-
Fours-les-Plages, Recueil Lebon, p. 255 ; BJCP 2011, p. 258, concl. N. Boulouis ; RJEP 2011, n° 49, concl. ;
Contrats marchés publ. 2011, n° 195, note G. Eckert ; Droit adm. 2011, n° 79, note S. Pugeault ; annulant
CAA Marseille, 17 juin 2010, qui statuait en sens contraire ; v. aussi, CE, 15 février 2016, n° 384228, Soc.
Cathédrale Images, Rec. T. ; JCP A 2016, act. n° 176).

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Ainsi, lorsque l’activité est confiée à une personne privée dans le cadre d’un
contrat, il suffit de se référer aux clauses du contrat.

Mais quid en l’absence de contrat ?

b) L’identification du service public en l’absence de contrat

La jurisprudence admet qu’il peut y avoir prise en charge de l’activité par la personne
publique et donc service public, en l’absence même de tout contrat conclu avec la
personne privée qui gère l’activité.

Il en va ainsi dans deux hypothèses.

 La première, classique, est celle dans laquelle une personne privée exerce
une mission d’intérêt général sous le contrô le de l’administration et se trouve
dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique.

Cette solution avait été dégagée par le Conseil d’Etat dès son arrêt « Narcy » (section, 28
juin 1963, G.D., p. 291 ; Recueil CE, p. 401 ; AJDA 1964, p. 91, note A. de Laubadère ; RDP 1963, p. 1186,
note M. Waline : à propos du centre technique des industries de la fonderie, organisme privé chargé de
promouvoir le progrès des techniques dans son secteur d’activité ; qui disposait d’un monopole ; avait le
pouvoir de percevoir des cotisations obligatoires sur ses membres ; se trouvait dirigé par un conseil
d’administration nommé par le ministre de tutelle et faisait l’objet d’un contrô le par l’intermédiaire d’un
Commissaire du gouvernement doté d’un droit de veto suspensif).

 L’arrêt « APREI » confirme cette solution, mais ajoute qu’un organisme


privé exerce également une mission de service public, même en
l’absence de prérogatives de puissance publique, s’il apparaît, eu égard
à l’intérêt général de son activité ; aux conditions de sa création, de
son organisation ou de son fonctionnement ; aux obligations qui lui
sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les
objectifs qui lui sont assignés sont atteints, que l’administration a
entendu lui confier une telle mission.

- En application de cette jurisprudence, le Tribunal des conflits a jugé que le


groupement pour la sécurité de l’aviation civile, GIE à caractère privé
constitué entre l’Etat, le bureau Véritas et une SEM, gérait un service public en
raison du caractère d’intérêt général de son activité (délivrance et maintien des
certificats de navigabilité des aéronefs civils sur la base d’un cahier des charges
établi par le Ministre de l’air) et du fait qu’il était l’unique opérateur agréé à cette
fin ; qu’il se trouvait soumis à un contrô le administratif, technique et financier

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étroit de l’Etat qu’il exerçait sa mission au nom et pour le compte du Ministre


chargé de l’aviation civile avec des droits exclus ( Tribunal des conflits, 8 juin 2009,
Robin, JCP 2009, n° 2241, note J.M. Pontier et Tribunal des conflits, 8 juin 2009, Fédération
française aéronautique, JCP A 2009, n° 2233, note O. Gabarda).

 A l’inverse, n’a pas été regardée comme gérant un service public, la SEM,
chargée de par ses statuts de l’exploitation de salles de cinéma, eu égard à
l’absence de toute obligation imposée à elle par la Ville et de contrô le d’objectifs
qui lui auraient été fixés (CE, 5 octobre 2007, Société UGC Ciné-Cité, Rec. CE, p. 418 ;
BJCP 2007, p. 483, concl. D. Casas ; AJDA 2007, p. 2260, note J.D. Dreyfus ; Droit adm. 2007, n°
165, note A. Ménéménis : en conséquence, absence d’obligation de recourir à une procédure de
DSP pour permettre à la SEM en question de créer un nouveau complexe cinématographique).

Une même solution a été adoptée dans l’hypothèse particulière où la collectivité avait décidé de ne plus
prendre en charge le service non obligatoire (d’analyses sanitaires de laboratoire en l’occurrence) qu’elle
assumait jusqu’alors, et de créer avec une société privée un GIP chargé d’exercer cette activité à l’avenir
(CE, 10 novembre 2010, Société Carso-Laboratoire santé hygiène environnement, AJDA 2010, p. 2380,
concl. F. Lenica).

Même solution encore, CE, 8 mars 2012, n° 352959, Association Nice Volley-Ball, AJDA 2012, p. 1653 : à
propos des centres de formation des associations ou sociétés sportives, le Conseil d’Etat juge que le fait
que leur activité présente un caractère d’intérêt général et qu’en vertu de l’article L. 211-4 du Code du
sport, ils doivent faire l’objet d’un agrément du ministre des sports n’a pas pour effet de les investir d’une
mission de service public, dès lors qu’ils ne se voient attribuer aucune prérogative de puissance publique
et que leurs conditions de création, d’organisation, de fonctionnement et de financement ne permettent
pas de les regarder comme chargés d’une telle mission.

2) La reconnaissance du caractère de service public aux activités des personnes privées

On est ici en présence d’une activité exercée par une personne privée, dont elle a
pris elle-même l’initiative et sans qu’une personne publique en ait déterminé le
contenu.

Dans ce cas, il n’y a certes pas, de la part de la personne publique, de dévolution d’une
mission de service public dont bénéficierait l’organisme privé.

Mais un pas a été franchi par l’arrêt « Commune d’Aix-en-Provence ».

Dans cette affaire, des particuliers avaient demandé l’annulation d’une délibération de la
ville d’Aix qui avait alloué des subventions à l’association pour le festival international
d’art lyrique et l’académie européenne de musique d’Aix-en-Provence. La Cour avait
considéré que les associations concernées s’étaient vus confier une mission de service
public et qu’elles ne pouvaient donc bénéficier de subventions que dans le cadre d’un
contrat de délégation de service public.

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Mais le Conseil d’Etat juge : « considérant en outre que, lorsqu'une personne privée exerce, sous sa
responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative,
elle ne peut, en tout état de cause, être regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la
dévolution d'une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître un caractère de
service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa
dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à
ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni
aucun principe n'y font obstacle, des financements »

Cette méthode d’identification du service public a été récemment mise en œuvre par le Tribunal des
conflits à propos du bail par lequel la Ville de Joinville-le-Pont avait mis à la disposition de l’Association
d’aviron locale un ensemble immobilier.

Pour écarter la qualification de service public, le Tribunal constate d’abord que si l’Association exerce bien
une activité d’intérêt général, elle ne peut être regardée comme chargée d’un service public eu égard à ses
modalités d’organisation et de fonctionnement et notamment à l’absence de tout contrô le de la commune
et de toute définition par celle-ci d’obligations particulières auxquelles elle serait soumise.

Le Tribunal vérifie ensuite si les conditions de la jurisprudence « Commune d’Aix-en-Provence » sont


remplies, ce qui selon lui n’est pas le cas : le fait que l’Association bénéficie d’aides importantes de la part
de la commune ne permet pas de conclure que celle-ci a entendu lui reconnaître le caractère d’un service
public dès lors qu’elle n’exerce aucun droit de regard sur son organisation (Tribunal des conflits, 13
octobre 2014, n° 3963, Société AXA France IARD c/ MAIF, à publier au Recueil Lebon ; AJDA 2014, p. 2180,
chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe).

SECTION 2 : LA DISTINCTION ENTRE SPA ET SPIC

Les services publics ne forment pas un ensemble homogène, entraînant l’application


d’un régime uniforme.

Il existe, en effet, deux catégories de services publics : les services publics administratifs
et les services industriels et commerciaux et c’est en grande partie de cette distinction
que dépend le droit applicable aux services publics.

§ 1. L’origine de la distinction

La distinction entre SPA et SPIC trouve son origine dans la célèbre décision du Tribunal
des conflits du 22 janvier 1921 « Société commerciale de l’ouest africain » dit arrêt du
« bac d’Eloka » (GAJA n° 36 ; G.D., p. 359).

A). L’apport de l’arrêt du « bac d’Eloka »

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 Un bac exploité par la colonie de Cô te d’Ivoire ayant fait naufrage, le problème se


posait de savoir par quel ordre de juridiction et selon quelles règles devaient être
jugées les actions en réparation intentées par les victimes de l’accident.

Conformément aux conclusions de son Commissaire du gouvernement, André Matter, le


Tribunal des conflits trancha en faveur de la compétence judiciaire et de l’application du
droit privé, au motif que la colonie exploitait son service de transport par bac « dans les
mêmes conditions qu’un industriel ordinaire ».

Cette solution constitue l’acte de naissance des services publics industriels et


commerciaux.

Elle introduit dans le droit administratif une innovation fondamentale.

 Jusqu'alors, en effet, les services publics formaient un ensemble indifférencié,


soumis à un régime juridique uniforme.

Sans doute, la possibilité leur était-elle reconnue de se comporter comme de simples


particuliers et de ne pas utiliser de prérogatives de puissance publique. Mais ce recours
à la « gestion privée », qui entraînait la compétence des tribunaux judiciaires et
l’application des règles du droit privé, restait limité à certains actes de gestion,
relativement peu nombreux (actes de gestion du domaine privé ou contrats ne
comportant pas de clauses exorbitantes du droit commun).

Pour l’essentiel, les services publics étaient censés agir sous un régime de « gestion
publique » et se trouvaient soumis à un régime de droit public.

L’innovation essentielle de l’arrêt du bac d’Eloka est d’étendre la notion de gestion


privée, et donc l’application du droit privé et la compétence des tribunaux
judiciaires, à des services publics tout entier que l’on va qualifier de services publics
industriels et commerciaux.

B). Les raisons de la jurisprudence du « bac d’Eloka »

Pourquoi cette solution ? Plusieurs raisons l’expliquent.

 La première est d’ordre idéologique.

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L’application des règles du droit public aux interventions économiques des personnes
publiques est apparue de nature à fausser la concurrence entre elles et les
entreprises privées exerçant des activités analogues. La restauration des conditions
d’une égale concurrence impliquait donc que ce type d’intervention soit soumis aux
règles de droit privé.

 La seconde raison est d’autre technique.

Elle réside dans le développement des interventions publiques en matière


économique. Le droit public est, en effet, mal adapté aux activités industrielles et
commerciales, même lorsqu’elles sont assumées par des personnes publiques. Il ne leur
donne pas une souplesse de gestion suffisante. Il fallait donc substituer un régime de
droit privé à l’application des règles de droit public pour tout ce qui concerne les
activités industrielles et commerciales des personnes publiques.

L’arrêt du « bac d’Eloka » réalisa d’autant plus facilement cette substitution que, dans
l’esprit de l’époque, seuls les services publics administratifs apparaissaient comme
étant « de la nature, de l’essence même de l’Etat ou de l’administration publique »
(A. Matter) et comme justifiant l’application d’un droit spécial.

Les services publics industriels et commerciaux ne se distinguaient, au contraire, que


fort peu des activités privées similaires. Ils n’étaient assumés qu’occasionnellement et
accidentellement par la puissance publique. En conséquence de quoi, rien ne paraissait
s’opposer à ce qu’ils soient régis par le droit privé et que leur contentieux soit confié aux
tribunaux judiciaires. Telle était la logique de la distinction, du moins à l’origine.

§ 2. La portée de la distinction

 La distinction entre SPA et SPIC a connu une fortune considérable.

Elle est née de l’interventionnisme et elle s’est développée dans les mêmes proportions
que lui.

Les SPIC ont ainsi connu une extension que l’on ne pouvait présager à l’origine.

 A l’heure actuelle, la distinction revêt une importance indéniable tant sur le plan
juridique que sur le plan contentieux.

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En effet, tandis que les services publics administratifs sont soumis en principe au
droit administratif, les services publics industriels et commerciaux obéissent par
principe aussi au droit privé et leur contentieux appartient en majorité aux tribunaux
judiciaires.

 Cela étant, on verra que a nature industrielle et commerciale ou administrative


du service n’est pas le seul critère de détermination du droit applicable et de la
juridiction compétente.
D’autres éléments entrent en ligne de compte.
La diversité du droit applicable aux services publics n’est pas uniquement tributaire de la nature du
service. Elle dépend également d’autres facteurs, notamment du point de savoir si la personne qui gère le
service est une personne publique ou une personne privée, mais également de la nature des actes en cause
(contrats ou actes unilatéraux) ; de la personne concernée par ces actes (usagers, tiers, cocontractants) ;
de l’interférence avec les notions de travail ou d’ouvrage publics.

Tout en influant sur la détermination du régime applicable aux services publics, la distinction entre les
SPA et les SPIC est donc loin d’en constituer le fondement exclusif.

Ces réserves ne doivent toutefois pas faire oublier que la distinction entre SPA et SPIC continue de
produire des conséquences importantes. Mais elles permettent de comprendre pourquoi cette distinction
doit être relativisée et pourquoi elle enregistre, à l’heure actuelle, un certain déclin.

§ 3 Les modalités de la distinction

La distinction entre SPA et SPIC présente néanmoins un intérêt indéniable.

Il importe alors de s’interroger sur ses modalités.

Mais, c’est pour constater que ces modalités sont, elles aussi, plus compliquées que l’on pouvait le prévoir
à l’origine et qu’elles traduisent à leur manière, la difficulté qu’il y a à concilier la nature de service public
de l’activité avec son caractère industriel et commercial.

Le partage entre les deux catégories de services publics s’opère de deux manières :

- tantô t, il résulte de qualifications textuelles (A) ;


- tantô t, et le plus souvent, il dépend de critères jurisprudentiels (B).

A). Les qualifications textuelles

Il arrive que, lors de la création ou de l’aménagement d’un service, les textes se


prononcent sur son caractère administratif ou industriel et commercial. Ces

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qualifications constituent naturellement des indices précieux. Mais elles ne jouent qu’un
rô le limité, cela pour deux raisons.

 Tout d’abord, elles sont relativement rares.

En fait, elles concernent principalement les établissements publics et n’existent que


pour certains d’entre eux (voir cependant, Tribunal des conflits, 6 avril 2009, Ferry c/ Syndicat mixte
des stations de l’Audibergue et de Greolières, RJEP novembre 2009, n° 50, concl. I. de Silva : caractère
industriel et commercial du service public des remontées mécaniques et des pistes de ski quel que soit le
mode de gestion de ce service, en application de l’article L. 342-13 du Code du tourisme ; et dans le même
sens précédemment : CE, 19 février 2009, Mlle M. et Mme Beaufils, AJDA 2010, p. 430, note O. Fevrot – De
même, la nature industrielle et commerciale du service public de l’assainissement est désormais affirmée
par l’article L. 2224-11 du CGCT).

 Ensuite, ces qualifications ne s’imposent pas toujours au juge.

- Lorsque la qualification de l’établissement public correspond à la nature réelle


de son activité, il n’existe pas de problème : le juge s’y conforme.
Mais il arrive que les textes donnent à l’établissement public une qualification qui n’est
pas ou pas totalement en accord avec la nature de son activité.

Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un établissement public qualifié d’industriel et commercial exerce, en
réalité, à la fois une activité industrielle et commerciale et une activité administrative : on parle alors
d’établissement public à double visage.

Tel est également le cas – plus curieux encore - lorsqu’un établissement public qualifié d’industriel et
commercial gère exclusivement une activité de nature administrative ou l’inverse. On se trouve alors en
présence d’établissements publics à visage inversé.

- Ces situations s’expliquent par le fait que les auteurs des textes ont parfois (sinon
souvent) tendance à qualifier les établissements publics non pas en fonction de la
nature réelle de leur activité, mais en fonction du régime juridique qu’ils
souhaitent leur voir appliquer.

- Le juge ne s’autorise cependant à opérer une telle requalification que lorsque la


qualification résulte d’un texte réglementaire.

Lorsque la qualification résulte de la loi, elle s’impose en revanche au juge, du moins


pour l’essentiel.

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Mais tout cela montre la faible portée des dispositions de texte en la matière et
l’importance primordiale des critères jurisprudentiels de la distinction.

 La difficulté vient de ce que le juge n’accepte pas toujours de se conformer à la volonté des
auteurs des textes. Sa position est à cet égard la suivante.

Il fut un temps où il ne tenait aucun compte des qualifications retenues par les textes que celles-ci soient
d’origine législative ou réglementaire et où il déterminait le droit applicable (et la juridiction compétente)
en considération de la nature réelle de l’activité en cause et d’elle seule.

Désormais, il n’adopte cette solution que lorsque la qualification de l’établissement public découle d’un
texte réglementaire (les règlements ne pouvant prévaloir, comme on l’a vu, sur la jurisprudence). Dans ce
cas, le droit applicable et la juridiction compétente dépendent, non pas de la qualification de
l’établissement public, mais de la nature de l’activité qui se trouve à l’origine du litige, elle-même
appréciée en fonction des critères jurisprudentiels de la distinction que nous examinerons ci-après.

Lorsque la qualification résulte de la loi, elle s’impose en revanche au juge, du moins pour l’essentiel.

C’est ce que juge le Tribunal des conflits à propos des établissements publics qualifiés d’industriels et
commerciaux par la loi. Il considère que les litiges nés de leurs activités relèvent de la compétence des
tribunaux judiciaires (et donc du droit privé), à l’exception de ceux relatifs à des activités qui ressortissent
par leur nature de prérogatives de puissance publique, telles que la réglementation, la police ou le
contrô le (CE, 29 décembre 2004, époux Blanckeman c/ VNF, Recueil CE, p. 525 ; AJDA 2005, p. 695 ; Droit
administratif 2005, n° 73, note F. Naud ; Tribunal des conflits, 16 octobre 2006, Caisse centrale de
réassurance c/ Mutuelle des architectes de France, Rec. CE, p. 640, concl. J.H. Stahl ; AJDA 2007, p. 284,
concl. J.H. Stahl ; AJDA 2006, p. 2382, chronique C. Landais et F. Lenica : à propos d’un contrat passé entre
la caisse et la MAAF ; CAA Versailles, 3 novembre 2011, Société Eurobarges c/ VNF, AJDA 2012, p. 803,
chron. M. Kermorgant ; Conseil d’Etat, 17 mai 2013, VNF, n°356 762, AJDA 2003, p. 1719).

Autre exemple : l’ONF est un établissement public industriel et commercial en vertu de la loi.

Les litiges le concernant relèvent de la compétence du juge judiciaire dès lors qu’ils ne s’inscrivent pas
dans l’exercice d’une activité mettant en œuvre les prérogatives dont il est investi en matière de
règlementation, de police ou de contrô le.

Tel est le cas de l’action introduite par l’ONF, en sa qualité de gestionnaire du domaine privé de l’Etat, en
vue de faire cesser des travaux de construction qui endommageaient une dune et la forêt domaniale
attenante (Cassation civile 1ère, 10 avril 2013, ONF, n°12-13.902, AJDA 2013, p. 1552).

Même solution également à propos de l’action intentée par des randonneurs, victimes de l’éboulement des
rives d’un cours d’eau, qui recherchaient la responsabilité de l’ONF pour faute dans sa mission d’affichage
des interdictions de circuler prises par le Préfet, cette mission – tout comme celle de contrô le de l’état des
chemins de randonnée – n’impliquant l’exercice d’aucune prérogative de puissance publique (Conseil
d’Etat, 31 mai 2013, n°346 876, JCPA 2013, act. n°497)

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Tout cela montre la faible portée des dispositions de texte en la matière et l’importance primordiale des
critères jurisprudentiels de la distinction.

B). Les critères jurisprudentiels

Assez curieusement, le juge ne s’est pas préoccupé de dégager immédiatement les


critères de distinction entre SPA et SPIC.

En dépit de l’importance de la question, il a fallu attendre l’arrêt d’Assemblée du


Conseil d’Etat du 16 novembre 1956 « Union syndicale des industries
aéronautiques » (Recueil CE, p. 434 ; D. 1956, p. 759, concl. Laurent ; AJDA 1956.II.489, chronique : à
propos de la caisse de compensation pour la décentralisation de l’industrie aéronautique ) pour que ces
critères soient enfin systématisés.

Encore cette systématisation est-elle toute relative.

En l’état actuel des choses, la distinction obéit en effet à une pluralité de critères ou, pour
reprendre l’expression consacrée, à un faisceau d’indices dont aucun n’est absolument
déterminant et dont la mise en œuvre comporte de ce fait même une large part
d’impressionnisme de la part du juge.

Ces critères ou indices, rappelés de manière synthétique par le Conseil d’Etat dans son
arrêt du 26 janvier 1968 « Dame Maron » (AJDA 1968, p. 293, concl. Bertrand ), sont au
nombre de trois.

1). L’objet du service

Pour des raisons déjà évoquées, la jurisprudence ne retient plus la distinction entre
« activités naturelles » et « activités accidentelles » de l’Etat. En revanche, elle se fonde
sur l’objet du service.

Si celui-ci consiste dans la production ou l’échange de biens ou de services, le juge


inclinera à lui reconnaître un caractère industriel et commercial.

Si au contraire, le service exerce une fonction de police ou d’aménagement


d’ouvrages publics, il sera normalement qualifié d’administratif (Tribunal des conflits, 13
décembre 1976, époux Zaoui, Recueil CE, p. 706 ; AJDA 1977, p. 438, note J. Dufau, D. 1977, p. 43,
F. Moderne : à propos de la gestion des ouvrages publics de l’aéroport de Paris ; Tribunal des
conflits, 23 février 1981, Crouzel, Recueil CE, p. 631 ; AJDA 1981, p. 603, concl. J.M. Galabert : à
propos du service d’un aérodrome contribuant à la sécurité du trafic aérien ; Tribunal des

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conflits, 20 novembre 2006, société EGTL c/ Escota, AJDA 2007, p. 849, note N. Chaïd Nouraï et
J.L. Champy : reconnaissance du caractère administratif au service concédé d’exploitation des
autoroutes, nonobstant la perception de péages sur les usagers).

Mais cette considération n’est nullement absolue. La jurisprudence offre de multiples


exemples d’activités de production ou d’échange qui sont considérées comme
administratives, tout simplement parce qu’elles ne répondent pas aux autres
critères des SPIC.

2). Le mode de financement du service

Il s’agit là d’un autre élément important de la distinction.


Si le service est financé par des redevances perçues sur les usagers, il sera volontiers
qualifié d’industriel et commercial (; Tribunal des conflits, 9 décembre 2013, n°39 32, Volraich
contre Communauté de Communes du Val de Loire, JCPA 2014, act. n°92 : extension de la solution à la
gestion d’une déchetterie – compétence judiciaire pour connaître de l’action en responsabilité de la
requérante qui avait fait une chute dans une benne ; TC, 12 octobre 2015, n° 4024, Communauté de
communes de la Vallée du Lot et du Vignoble, à mentionner aux tables, AJDA 2015, p. 1952 ; JCP A 2015,
act. 912, obs. L.E. : à propos d’une redevance spéciale d’élimination des déchets autres que ménagers
proportionnelle au service rendu et à propos du service de l’assainissement : CE, 20 janvier 1988, SCI La
Colline, RFDA 1988, p. 880, avec les conclusions : redevance calculée sur la consommation d’eau).

Si les ressources du service proviennent de taxes ou de subventions, le juge sera tenté,


au contraire, de le considérer comme un service public administratif ( Tribunal des conflits,
28 mai 1979, Préfet du Val d’Oise, D. 1979, IR, p. 386, obs. P. Delvolvé ; CE, 7 mai 1982, Verdier, Recueil CE,
tables p. 565 : même solution à propos d’une régie des eaux dont l’usager effectue un versement unique au
moment de son branchement).

Ainsi, à propos du service d’enlèvement des ordures ménagères : il peut être


qualifié d’industriel et commercial ( service d’enlèvement des ordures ménagères financé
par une redevance proportionnelle à l’importance du service rendu : CE Section, avis du 10 avril
1992, Sarl Hoffmuller, AJDA 1992, p. 688 et la note) ou d’administratif selon son mode de
financement (CE, 13 février 1984, Commune de Pointe à Pitre c/ Martin, Recueil CE, tables p.
536 : caractère administratif du service d’enlèvement des ordures ménagères financé par une taxe
communale).

Ainsi, la Cour de Cassation a annulé récemment un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui
appliquait le droit du travail aux relations entre une CCI et l’un de ses agents au motif que, de par sa
mission, le service qui l’employait avait un caractère commercial, sans rechercher si la plus grande part
des ressources du service n’était pas constituée par des concours publics (Cassation sociale, 24 juin 2014,
CCI du Var, n° 13-11.142, AJDA 2014, p. 282, note J.F. Lachaume : à propos d’un agent recruté dans le

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cadre d’une convention industrielle de formation [CIFRE] en vue du développement de l’opération Var cap
international destinée à aider les entreprises varoises à promouvoir leurs actions commerciales à l’échelle
internationale).

Mais ce critère n’est pas plus déterminant que le précédent, ainsi que le montre, par
exemple, la solution adoptée à propos du service d’exploitation des autoroutes.

Il doit se combiner avec les autres critères de la distinction, ce qui explique que des
services bénéficiant de taxes parafiscales soient qualifiés d’industriels et commerciaux
et qu’à l’inverse, des services financés par le moyen de redevances se voient reconnaître
un caractère administratif (voir, outre l’exemple des autoroutes, celui des ports et des
aéroports).

3). Les modalités de fonctionnement du service

 Bien que peu précis (à moins que ce ne soit précisément pour cette
raison), ce critère est sans doute aujourd’hui le plus important. Il réside dans
la plus ou moins grande ressemblance des méthodes d’organisation et de
fonctionnement interne du service avec celles utilisées par les entreprises du
secteur privé.

Si le service se comporte comme une « véritable entreprise avec les éléments matériels
et même psychologiques qui caractérisent cette réalité économique » (conclusions Laurent
précitées), il se verra le plus souvent reconnaître un caractère industriel et commercial.

A l’inverse, s’il ne réalise pas de bénéfices (CE Section, 30 juin 1950, Société Mérienne, Recueil
CE, p. 408 : à propos d’un service de transport maritime ) et a fortiori, s’il est gratuit ( CE, 26 juillet
1930, Benoît, Recueil CE, p. 840 : à propos d’un transport par bac) ou s’il est obligatoire (CE, 23 mai
1924, Société Les affréteurs réunis : à propos d’un service d’assurance maritime ) ; s’il ne peut
disposer de comptes bancaires, et se trouve soumis aux règles de la comptabilité
publique (CE Assemblée, 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, précité ), il
sera plus volontiers qualifié d’administratif.

Il en ira de même s’il est géré en régie (CE Section, 14 juin 1963, époux Hébert, Recueil CE, p.
364, concl. J. Méric ; AJDA 1964, p. 63, note J. Moreau ; D. 1964, p. 326, note C. Lalumière : à
propos de l’exploitation d’une piscine municipale) ou encore s’il bénéficie d’un monopole légal
(Tribunal des conflits, 20 janvier 1986, Maire de Paris c/ SA Roblot et M. Bouissoux, AJDA 1986,
p. 267, obs. L. Richer : à propos du service extérieur des pompes funèbres).

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 Mais pour importantes qu’elles soient, ces considérations ne sont pas


plus déterminantes que les précédentes.

Pour ne donner que quelques exemples, il existe des services qui sont considérés comme industriels et
commerciaux alors pourtant qu’ils sont obligatoires (Tribunal des conflits, 22 février 1960, Société
Pétronaphte, Recueil CE, p. 837) ; qu’ils disposent d’un monopole (CE, 9 janvier 1981, Ministre de
l’économie c/ Bouvet, Recueil CE, p. 4 : monopole des monnaies et médailles ou encore, naguère EDF GDF)
ou encore qu’ils sont fournis à titre gratuit (Civ. 1ère, 4 mai 2011, Société Néologis, AJDA 2011, p. 2355,
note – critique – J.F. Lachaume : à propos d’un site internet créé par la Chambre de commerce et
d’industrie de Nouvelle-Calédonie afin de rompre la fracture numérique et présentant un annuaire des
entreprises implantées sur son territoire, l’activité de ce site s’exerçant, de par son financement et les
moyens mis en œuvre, dans les mêmes conditions que celles de nombreux sites privés offrant un service
gratuit financé par la publicité ou le partenariat d’entreprises).

Dans le même ordre d’idées, et par exemple le Tribunal des conflits considère que le
service public de distribution de l’eau revêt, de par son objet, un caractère industriel et
commercial, même s’il est géré en régie et que les redevances perçues sur les usagers ne
couvrent qu’une partie du coû t du service ( Tribunal des conflits, 21 mars 2005, Madame Alberti-
Scott, AJDA 2005, p. 964 ; Droit administratif 2005, n° 94 : le service n’est administratif que s’il ne donne
lieu à aucune facturation auprès de l’usager).

 Il est par ailleurs à noter que la circonstance que le service soit soumis
(même très largement) au droit privé n’est pas un élément déterminant pour sa
qualification (ce qui confirme bien le relâ chement du lien entre la qualification du
service et la nature du droit applicable).

Ainsi, avant que cette qualification ne soit confirmée par décret (n° 2014-524 du 22 mai
2014), le Conseil d’Etat a-t-il considéré que Pôle Emploi était un établissement public
administratif eu égard aux spécificités importantes de son organisation et de son
fonctionnement liées notamment au rô le des partenaires sociaux ; à la nature
administrative de ses missions et à ses ressources qui ont le caractère de prélèvements
obligatoires « alors même qu’il est largement soumis à des règles de droit privé » (CE, 23
juillet 2014, n° 363522, Sud travail affaires sociales , AJDA 2014, p. 1587).

Conclusions

 Les incertitudes de la distinction et la relativité et de sa portée expliquent sans doute, pour une
part, que le juge ait renoncé à l’appliquer à certains services particuliers et notamment aux
services publics sociaux.

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Dans une décision « Naliato » relative à l’accident survenu à un enfant dans une colonie de
vacances (Recueil CE, p. 614 ; Droit administratif 1955, n° 53, concl. J. Chardeau ; RDP 1955, p. 77,
note M. Waline), le Tribunal des conflits avait consacré l’existence de services publics sociaux à
gestion privée qui constituaient l’équivalent des SPIC dans le domaine social et il avait considéré
qu’en l’espèce, le litige relevait des tribunaux judiciaires alors que jusqu’à cette date, les services
sociaux étaient invariablement traités comme des services publics administratifs. Il justifiait sa
décision par le fait que le service en cause ne présentait « en ce qui concerne les rapports entre ses
bénéficiaires et l’administration aucune particularité de nature à le distinguer juridiquement des
organisations similaires relevant des personnes ou institutions privées ».

Cette solution peut s’expliquer par le fait qu’à cette époque, la réflexion sur l’effrayante
complexité de la répartition des compétences avait suscité des projets de simplification fondés
sur la constitution de « blocs de compétences ». Au demeurant, le Commissaire du gouvernement
Chardeau s’était expressément référé à une solution qu’un autre Commissaire du gouvernement,
Mosset, avait fait adopter l’année précédente par le Conseil d’Etat, lequel avait retenu la
compétence judiciaire pour connaître du contentieux des services publics sociaux concernant des
rapports de droit privé (CE, 5 février 1954, El. Hamidia, Recueil CE, p. 77 ; JCP 1954.II.8136, concl.
Mosset – L’arrêt était considéré comme un « grand arrêt de la jurisprudence administrative »).

La jurisprudence « Naliato » n’a cependant guère eu de postérité, le Conseil d’Etat comme la Cour
de Cassation se montrant réticents à reconnaître aux services publics sociaux un caractère de
droit privé et n’appliquant, en tout et pour tout, la jurisprudence « Naliato » que dans trois
affaires. Ils étaient encouragés en cela par la doctrine et les Commissaires du gouvernement qui,
d’une part, mettaient en cause l’existence même d’une catégorie spécifique de services publics
sociaux et, d’autre part, contestaient l’idée que la soumission des services sociaux au droit privé
constituerait une condition de leur bon fonctionnement.

Aussi bien, après avoir mené une existence végétative, la jurisprudence « Naliato » s’est-elle
éteinte de sa belle mort, le Tribunal des conflits consacrant son abandon définitif dans un arrêt du
4 juillet 1983 « Gambini c/ Ville de Puteaux » (Recueil CE, p. 540 ; JCP 1984.II.20275, concl. D.
Labetoulle ; RDP 1983, p. 1381, note J.M. Auby : à propos d’un village de vacances organisé par
une commune et considéré ayant le caractère d’un SPA).

 A l’heure actuelle, la question n’est donc plus tant de savoir si la distinction entre SPA et SPIC
pourrait être introduite dans certaines activités spécifiques considérées jusqu’alors de manière
invariable comme administrative, mais bien de savoir si, à terme, elle ne se trouvera pas dépassée
par d’autres distinctions issues du droit communautaire et reposant sur une logique en partie
différente, qui viennent déjà la concurrencer.

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CHAPITRE 2 : LA CRÉATION DES SERVICES PUBLICS

La création des services publics pose plusieurs questions d’importance et de difficulté


inégales.
 La première est de savoir si l’administration a l’obligation de créer certains
services publics ou de maintenir ceux qu’elle a créés (section 1) ;

 La seconde – qui est la plus importante - conduit à se demander si, en l’absence


de toute obligation, elle a le droit de créer des services publics et, dans
l’affirmative, dans quelles conditions (section 2).

SECTION 1 : L’OBLIGATION DE CRÉER OU DE MAINTENIR DES SERVICES PUBLICS

L’obligation pour l’administration de créer ou de maintenir des services publics n’existe,


sauf exception limitée concernant le maintien de ces derniers, que lorsqu’elle est prévue
par la Constitution ou pour la loi.

§ 1 Les services publics constitutionnels

La « nécessité de certains services publics nationaux découle (tout d’abord) de principes ou


de règles de valeur constitutionnelle » (Conseil constitutionnel 25-26 juin 1986, n° 86-207, p. 61).

Bien que leur détermination reste à préciser, ces services nationaux obligatoires
englobent très certainement les services publics liés aux fonctions régaliennes ou de
souveraineté (défense nationale, relations extérieures, justice, police, impô ts, monnaie),
mais sans doute aussi des services non régaliens nécessaires à la réalisation de certains
droits fondamentaux : enseignement public ; formation professionnelle ; sécurité sociale
….

En revanche, ne sont pas considérés comme des services publics constitutionnels, le


service public du crédit ; le service des télécommunications ; la télévision par voie
hertzienne …

Bénéficiant d’une protection constitutionnelle, les services publics constitutionnels


doivent être créés et ne peuvent être supprimés sans modification de la Constitution, ni
être transférés au secteur privé. Cela n’interdit cependant pas d’en confier la gestion à
une personne morale à statut privé (voir, à propos de la loi relative à l’entreprise publique La Poste
qui transforme son statut d’établissement public en statut de société anonyme, Conseil constitutionnel,
déc. n° 2010-601 DC, 4 février 2010).

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§ 2 Les services publics imposés par la loi

L’obligation de créer des services publics peut découler, en second lieu, de la loi.

 Les lois relatives aux collectivités territoriales dressent ainsi une liste détaillée
des services publics qu’elles doivent prendre en charge (état civil, eau,
assainissement, pompes funèbres, lutte contre l’incendie, entretien de la voirie
…).

Il arrive également que le législateur crée des services étatiques qui ne sont pas
exigés par la Constitution.

 De tels services, qu’ils soient nationaux ou locaux, demeurent obligatoires tant


que les lois les prévoyant sont en vigueur. Ils ne peuvent être supprimés par
convention (CE, 26 mai 2009, Département des Deux Sèvres, Contrats marchés publ. 2009, n°
239, note G. Eckert : à propos de la convention conclue entre deux départements transférant le
laboratoire du service vétérinaire de l’un à l’autre département, en méconnaissance d’une loi de
2004). Mais rien n’empêche le législateur de les supprimer.

Sa liberté se trouve cependant plus limitée en ce qui concerne les services publics
nationaux au sens de la Constitution (comme par exemple le service des
télécommunications). Il s’agit, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
de services publics auxquels le législateur a conféré un monopole. Leur création
(ou leur maintien) n’est pas imposée par la Constitution. Mais le préambule de
celle de 1946 dispose que « tout bien ou toute entreprise dont l’exploitation a ou
acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit
devenir propriété de l’Etat ».

Le Conseil constitutionnel en déduit que de tels services ne peuvent être


supprimés (par voie de privatisation notamment) que dans la mesure où ils se
voient privés de leur caractère de services publics nationaux, ce qui résulte
notamment de la perte de leur nature monopolistique. C’est ce qu’il a jugé à
propos du service public de distribution du gaz en considérant que GDF pouvait
être privatisé dès lors que le marché du gaz était ouvert à la concurrence ( Conseil
constitutionnel, n° 2006-543DC, 30 novembre 2006, Droit administratif 2007, n° 25, note M.
Bazex ; Focus par R. Noguellou : L’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, Droit
administratif février 2007 : décision n’admettant la privatisation de GDF qu’à compter du 1 er
juillet 2007, c’est-à -dire de la date de la disparition de l’exclusivité de la fourniture de gaz aux
clients domestiques).

§ 3 Les services publics créés par l’administration en dehors de toute obligation


constitutionnelle ou légale

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L’administration peut créer des services publics, dans des conditions que nous serons
amené à préciser, en dehors de toute obligation découlant d’une norme supérieure. La
création de ces services publics n’étant pas obligatoire par définition, la seule question
qui se pose est de savoir si, une fois qu’elle les a créés, l’administration peut
discrétionnairement les supprimer.

La réponse est principe affirmative. Le Conseil d’Etat a considéré, en effet, que « les
usagers d’un service public qui n’est pas obligatoire n’ont aucun droit au maintien de ce
service au fonctionnement duquel l’administration peut mettre fin lorsqu’elle l’estime
nécessaire » (CE Section, 27 janvier 1961, Vannier, Recueil CE, p. 60, concl. J. Kahn ; CE, 18 mars 1977,
CCI de la Rochelle, Recueil CE, p. 153 : à propos de la fermeture d’une ligne aérienne).

Bien qu’il n’existe pas de jurisprudence de principe remettant en cause cette solution, il
semble cependant qu’à l’heure actuelle, le juge se reconnaisse le pouvoir d’exercer un
contrô le minimum sur les décisions de suppression des services publics et qu’il vérifie si
les motifs invoqués par l’administration pour justifier de telles décisions (impossibilité
de maintenir le service public ou disparition du besoin auquel celui-ci répondait) ne sont
pas entachés d’une erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens, CE, 16 janvier 1991,
Fédération nationale des associations des usagers des transports [FNAUT], Recueil CE, p. 1 : à propos de la
suppression d’une ligne ferroviaire ; CE, 6 novembre 2000, Comité Somport d’opposition totale à
l’autoroute Caen – Rennes, Recueil CE, p. 489 ; CE, 26 février 2003, FNAUT, Droit administratif 2003, n°
160, obs. C. M. ; CE, 2 mars 2010, RFF, JCP A 2010, n° 2149, note G. Terrien ; CE, 19 juin 2015, n° 380379,
Association des élus pour la défense du Cevenol et de la ligne Paris-Clermont-Ferrand-Nîmes, Rec. tables :
AJDA 2015, p. 1642, concl. X. Domino : contrô le de l’erreur manifeste d’appréciation sur le refus du
Ministre de rétablir une ligne de chemin de fer).

SECTION 2 : LE DROIT DE CRÉER DES SERVICES PUBLICS

En l’absence d’obligation, l’administration a-t-elle le droit de créer des services publics


(que l’on peut qualifier de facultatifs) ?
La réponse est affirmative dans son principe. Mais sa liberté se trouve soumise à
certaines conditions lorsque la création du service public est susceptible de limiter ou de
concurrencer l’initiative privée. Dans ce cas, elle se heurte en effet au principe de la
liberté du commerce et de l’industrie qui trouve son fondement dans la loi d’Allarde des
2 -17 mars 1791 et à laquelle le Conseil d’Etat a reconnu le caractère d’une liberté
publique (à valeur infra-législative cependant : CE, 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye, Recueil CE, p.
570 ; AJDA 1961.II.20, concl. C. Heumann), ainsi que, s’agissant des mesures prises par le
législateur, à la liberté d’entreprendre qui possède valeur constitutionnelle ( CE, 16 janvier

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1982, Loi de nationalisations, AJA 1982.209, note J. Rivero ; RDP 1982.377, note L. Favoreu ; JCP
1982.II.19788, note Nguyen Quoc Vinh et C. Franck).

Cette limite concerne majoritairement les SPIC, mais ne s’y cantonne pas. A titre
d’exemple, parmi bien d’autres, il existe à l’heure actuelle un vif débat sur la légalité des
interventions des collectivités locales en matière d’exploitation de cinémas.
Force est cependant de constater que si les conditions de création de tels services ont
été strictes à l’origine, elles ont constamment évolué vers plus de souplesse, la
jurisprudence faisant progressivement prévaloir l’intérêt public sur la protection des
intérêts économiques privés. La position actuelle du droit positif ne fait pour une part
que prolonger les évolutions précédentes en consacrant, non pas la disparition pure et
simple de la liberté du commerce et de l’industrie, mais son réel déclin (§ 1).

Pour une autre part, elle infléchit cependant de manière sensible des solutions
antérieures en exigeant, en manière de contrepartie à la perte d’influence de la liberté
du commerce et de l’industrie, que les interventions économiques des collectivités
publiques s’effectuent dans le respect des règles de concurrence et ne portent pas
atteinte à l’égalité entre opérateurs publics et opérateurs privés (§ 2).

§ 1 L’évolution des conditions de création des services publics

Cette évolution se caractérise, comme on l’a dit, par un élargissement constant des
conditions de création des services publics. Elle peut être résumée en quatre étapes.

A). Première étape : la réaction au socialisme municipal

A la fin du 19ème siècle, on a assisté, de la part des collectivités locales (et notamment des
communes), à la création de multiples services destinés à fournir à « la classe moyenne
émergente » (S. Nicinski) un certain nombre de prestations : eau, électricité, transport,
services d’hygiène et de santé …

L’ampleur de ce mouvement qualifié de « socialisme municipal » (une expression qui ne


pouvait que faire froid dans le dos) est discutée (voir J.J. Bienvenu et L. Richer, Le socialisme
municipal a-t-il existé ? RHD 1984, p. 204).

Toujours est-il que le Conseil d’Etat y a mis un coup d’arrêt en considérant que les
personnes publiques ne pouvaient prendre en charge des activités économiques que
« dans des circonstances exceptionnelles » (CE, 29 mars 1901, Casanova, Recueil CE, p. 333 ; S.
1901.III.73, note M. Hauriou).

B). Deuxième étape : les décrets lois de 1926

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Dans le contexte d’après guerre, et pour faire face aux difficultés importantes que
connaissait le pays (hausse des prix ; pénurie en biens de tous ordres ; défaillance de
l’initiative privée), le Gouvernement avait tenté d’élargir les possibilités d’intervention
des collectivités locales dans le domaine économique en autorisant les communes
notamment à exploiter directement « des services d’intérêt général à caractère industriel
et commercial ».

Cela ne fut cependant pas du goû t du Conseil d’Etat qui estima que les décrets lois des 5
novembre et 28 décembre 1926 d’où découlait cette mesure ne conféraient pas une
totale liberté aux collectivités locales en la matière, mais devaient être interprétés à la
lumière de sa propre jurisprudence. C’est l’objet de la troisième étape.

C). Troisième étape : l’arrêt Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers (CE,
30 mai 1930, GAJA, n° 43 ; G.D., p. 380)

Interprétant les décrets précités de 1926, le Conseil d’Etat juge dans cet arrêt « que les
entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à
l’initiative privée et que les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette
nature en services publics communaux que si, en raison de circonstances particulières
de temps et de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en cette matière ». En
l’espèce, il estime qu’aucune circonstance de temps et de lieu propre à la Ville de Nevers
ne justifiait la création d’un service de ravitaillement.
La solution, d’inspiration résolument libérale, peut se résumer ainsi : en matière
économique, l’initiative privée est et doit rester la règle, ceci en vertu du principe de la
liberté du commerce et de l’industrie.

L’intervention économique des personnes publiques n’est admise, quant à elle, que si
deux conditions sont réunies : un intérêt public, d’une part ; des circonstances
particulières de temps et de lieu, d’autre part, caractérisées, selon la jurisprudence qui
suivra, par une carence de l’initiative privée à satisfaire les besoins collectifs. Tout au
plus, relèvera-t-on un certain assouplissement par rapport aux solutions antérieures,
puisque dans son arrêt « Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers », le Conseil
d’Etat n’exige plus des circonstances exceptionnelles ou extraordinaires, mais
simplement des circonstances particulières.
L’arrêt « Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers » est important car il fixe la
ligne de la jurisprudence pour de nombreuses années. Par la suite cependant, il sera
interprété dans un sens de plus en plus favorable à l’interventionnisme public. C’est la
quatrième étape de l’évolution.

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Droit administratif 2ème année – 2ème partie : Les activités administratives – 2016/2017
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D). Quatrième étape : l’interprétation de la jurisprudence « Chambre syndicale du


commerce en détail de Nevers »

Appliquée de manière stricte dans un premier temps, la jurisprudence en question sera


interprétée avec une souplesse croissante à partir de la deuxième guerre mondiale. Cet
assouplissement concerne les deux conditions mises par la jurisprudence à la création
de services publics économiques ou d’entreprises commerciales.
La notion d’intérêt public local justifiant la création d’un service public a en effet été
conçue de manière de plus en plus large, couvrant des domaines qui ne paraissaient pas
pouvoir relever de l’initiative publique.

Quant à la carence de l’initiative privée, la jurisprudence a considéré qu’elle pouvait être


aussi bien de nature quantitative (insuffisance de certaines denrées ou de certains
services) que de nature qualitative (prix trop élevés ; inadéquation des services
proposés aux besoins de la population …).
Témoigne de cette évolution le fait qu’ait été admise la création de services publics aussi
divers que :

 la vente de fournitures funéraires non comprises dans le monopole communal


(CE, 4 juin 1954, Dame Berthod, Recueil CE p. 535) ;

 la fabrication de glaces alimentaires (CE, 4 octobre 1957, Ville de Charleville, Recueil CE, p.
504 ; D. 1957.619, concl. B. Jouvin) ;

 l’exploitation de théâ tres municipaux destinés à assurer des spectacles de


meilleure qualité (CE, 21 janvier 1944, Léoni, Recueil CE, p. 26 ) ou à accroître les
possibilités de distraction durant la période estivale ( CE, 12 juin 1959, Syndicat des
exploitants de cinématographes de l’Oranie, Recueil CE, p. 363 ; AJDA 1960.II.85, concl. H.
Mayras) ;

 l’exploitation d’un terrain de camping (CE, 17 avril 1964, Commune de Merville-


Franceville, Recueil CE, p. 251 ; AJDA 1964.288, chronique J. Fourré et M. Puybasset) ;

 ou encore celle d’un cabinet dentaire ( CE, 20 novembre 1964, Ville de Nanterre, Recueil
CE, p. 562 ; AJDA 1964, p. 686, chronique M. Puybasset et J.P. Puissochet).

Il a même été admis récemment que pouvait être pris en considération un intérêt
public futur (CE, 18 mai 2005, Territoire de la Polynésie Française, Recueil CE, tables p. 748 ;
AJDA 2005.2131, note S. Nicinski).

Comme on le voit, l’initiative privée demeurait peut-être le principe, mais les possibilités
ouvertes à l’initiative privée n’en étaient pas moins déjà considérables, cela sans
préjudice des solutions dérogatoires que nous évoquerons plus loin.

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§ 2 Les conditions actuelles de création des services publics

Bibliographie récente : J.Ph. Kovar, Où en est la liberté du commerce et de l’industrie ?, Droit


administratif décembre 2007, étude n° 18 ; A. Monpion, Le contrô le de l’interventionnisme économique
public : l’affaiblissement du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, AJDA 2008, p. 232. M.
Lombard, 80 ans après l’arrêt « Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers » : pavane pour une
infante défunte, RJEP 2011, Repère 2 ; M. Karpenschif, L’égale concurrence et les entreprises publiques
locales, JCP A 2013, n° 2002.

Les conditions de création des services publics ont été récemment modifiées dans un
sens une fois encore favorable à l’initiative publique en matière économique. C’est ce
que révèle le contenu de ces conditions (A) ; ainsi que leur champ d’application et les
dérogations qu’elles connaissent (B).

A). Contenu

Annoncées par des arrêts précurseurs, les modifications évoquées ont été systématisées
par l’arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 31 mai 2006 « Ordre des avocats au barreau
de Paris » (G.D., p. 380 ; Recueil CE, p. 272 ; RFDA 2006, p. 1048, concl. D. Casas ; AJDA 2006, p. 1584,
chronique C. Landais et F. Lenica : arrêt rendu à propos des missions confiées à la MAPPP).

Les auteurs du GAJA les résument en écrivant qu’on est passé de l’interdiction à la
liberté et de la liberté à l’égalité. Quoique schématique comme ils l’indiquent, leur
présentation n’en reflète pas moins exactement la réalité.

Plus prosaïquement et de manière plus précise, les modifications introduites par cette
jurisprudence nouvelle sont de deux ordres.

1).

En premier lieu, le Conseil d’Etat distingue entre deux sortes d’activités des personnes
publiques :

 celles qui sont « nécessaires à la réalisation des missions de service public » ; qui
échappent par nature à la confrontation aux règles de concurrence parce qu’elles
ne sont pas ou ne sont pas considérées comme des activités marchandes et
auxquelles le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne s’applique
pas ;

 et « les activités économiques que les personnes publiques souhaitent prendre en


charge indépendamment de ces missions », qui peuvent être des activités de
service public, mais qui se trouvent soumises au principe de la liberté du
commerce et de l’industrie.

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2).

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat ne subordonne plus la création de ces services


publics économiques à la carence de l’initiative privée, mais uniquement à l’existence
d’un intérêt public, lequel peut résulter – entre autres, mais sans que cela soit nécessaire
– de ladite carence.
Cette évolution était déjà annoncée par un arrêt antérieur (CE, 18 mai 2005, Territoire de la
Polynésie Française, précité ) qui censurait une décision de la Cour administrative d’appel de
Paris pour avoir jugé que « seule l’insuffisance de l’initiative privée était susceptible » de
justifier la prise en charge par une collectivité locale d’une activité de desserte aérienne
de son territoire. En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que le seul intérêt s’attachant à cette
activité suffisait à justifier sa création.
Voir dans le même sens, CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze, Rec. CE, p. 652,
AJDA 2010, p. 957, concl. N. Boulouis et p. 1251, note E. Glaser ; JCP A 2010, n° 2203,
note P. Idoux ; Droit administratif 2010, n° 73 ; Contrats marchés publ. 2010, n° 146,
note G. Eckert : légalité du service de téléassistance aux personnes â gées mis en place
par le Département de la Corrèze qui répond aux besoins de la population et à un intérêt
public local, dès lors qu’il est ouvert à toutes les personnes â gées ou dépendantes du
Département indépendamment de leurs ressources, le Département intervenant en
réduction du coû t réel de la prestation. Le principe de la liberté du commerce et de
l’industrie n’est pas méconnu alors même que des sociétés privées offrent des
prestations de téléassistance.

Autre exemple : TA Toulouse, 8 avril 2014, n° 10-03612, Fédération départementale des


associations ADMR (Aide à Domicile en Milieu Rural), JCP A 2014, n° 2285, concl. J.C.
Jobart : légalité de la création par le Département du Lot d’une SEML ayant pour objet de
gérer l’aide à domicile en milieu rural qui était jusqu’alors assurée par des associations,
ceci malgré l’absence de carence de l’initiative privée.

Naturellement, le service peut être valablement créé si, en plus de répondre à un intérêt
public, il ne fait pas concurrence à l’opérateur économique qui le conteste ( CAA de
Bordeaux, 24 juin 2008, Département des Landes et Communauté de communes du Cap Gascogne, AJDA
2009.762 : à propos de l’offre de formation gratuite à des logiciels bureautiques de base et à internet qui
ne correspondait pas à l’offre de services proposée par le requérant à titre privé ).

3).

En troisième lieu, et en manière de contrepartie, le Conseil d’Etat juge qu’une fois


admise dans son principe au regard de la condition qui précède, l’intervention
économique publique « ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu’en raison de
la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport

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aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la
concurrence sur celui-ci ».

Là encore, cette exigence du respect du droit de la concurrence était annoncée par la


jurisprudence antérieure (CE, 23 mai 2003, Communauté de communes Artois-Lys, RFDA 2004, p.
299, note B. Faure ; BJCL, 2003, p. 753, concl. P. Collin ; Droit administratif 2003, n° 208, note M. Lombard :
admettant une extension du service d’assainissement d’une communauté de communes au motif que par
ses modalités financières, elle ne méconnaissait pas les conditions d’une concurrence loyale entre
prestataire de tels services).

4).

De cette évolution, l’on peut tirer deux enseignements.


 Le premier est que si la création des services publics est toujours soumise au
respect de la liberté du commerce et de l’industrie (l’arrêt du Conseil d’Etat
« Ordre des avocats au barreau de Paris » le rappelle), force est de constater que
celle-ci n’oppose plus qu’un barrage bien faible à l’intervention économique des
personnes publiques.

 Le second enseignement est que le débat s’est largement déplacé du terrain de la


liberté du commerce et de l’industrie sur celui du droit de la concurrence.

Le problème n’est plus tant de savoir si les personnes publiques peuvent ou non
créer des services à caractère économique (elles le peuvent dans la majorité des
cas), mais bien de veiller à ce que, lorsqu’elles interviennent dans le domaine
économique, elles ne faussent pas le jeu de la concurrence grâ ce aux avantages
que leur confèrent les moyens ou les ressources financières dont elles
bénéficient.
On rejoint ainsi l’analyse des auteurs des Grands arrêts de la jurisprudence
administrative : la liberté d’intervention des personnes publiques dans le
domaine économique est désormais quasi-totale ; mais elle a pour contrepartie
l’obligation de respecter l’égalité avec les opérateurs privés.

On retrouve au demeurant cette même logique à l’œuvre dans un domaine très


voisin : il est admis, par la jurisprudence communautaire comme par la
jurisprudence nationale, que les personnes publiques peuvent faire acte de
candidature à des marchés publics ou des DSP mis en concurrence par d’autres
personnes publiques, sous réserve cependant que le prix qu’elles proposent soit
déterminé en tenant compte de l’ensemble des coû ts directs et indirects qu’elles
supportent et qu’elle ne bénéficient pas, toujours pour déterminer ce prix, des
ressources ou moyens, qui leur sont attribués au titre de leur mission de service
public (CE, avis du 8 novembre 2000, Société Jean Louis Bernard Consultants, Recueil CE, p.
492 ; RDFA 2001, p. 112, concl. C. Bergeal ; AJDA 200.987, chronique M. Guyomar et P. Collin ;

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pour une reconnaissance récente du droit d’un département à candidater à un marché de dragage
d’un port lancé par une commune : CAA de Bordeaux, 15 juillet 2008, Société Merceron TP, AJDA
2008.2296).

Dans le dernier état de sa jurisprudence, le Conseil d’Etat a cependant précisé le


sens de la condition relative à l’intérêt public en indiquant qu’elle implique que la
candidature de la personne publique constitue le prolongement d’une mission de
service public dont elle a la charge, dans le but notamment d’amortir des
équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son
équilibre financier, ceci sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de
cette mission (CE assemblée, 30 décembre 2014, n° 355563, Société Armor SNC, Contrats
marchés publ. 2015, n° 37, note L. de Fournoux).

Dans ce cas de figure, non seulement la carence de l’initiative privée n’est pas
exigée et le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne s’applique pas,
mais la candidature de la personne publique n’est même pas subordonnée à
l’existence d’un intérêt public, dès lors qu’il ne s’agit pas pour elle de prendre en
charge une activité économique, c’est-à -dire de créer un service public, mais
uniquement de postuler à sa gestion, l’activité en cause étant déjà existante (CE, 10
juillet 2009, Département de l’Aisne, Rec. CE tables p. 84, RFDA 2010, p. 146, note G. Clamour, p.
29).

Ces solutions, qui sont incontestablement influencées par le droit


communautaire, témoignent à leur manière de la banalisation de l’intervention
des personnes publiques en matière économique. Elles peuvent désormais plus
largement investir les domaines naguère ou jadis réservés aux opérateurs privés,
mais, quand elles interviennent dans ces domaines, elles doivent le faire dans des
conditions identiques à celles des opérateurs privés.

B). Champ d’application et solutions dérogatoires

Les conditions que l’on vient d’exposer sont d’application large. Elles concernent aussi
bien les services créés directement par les personnes publiques que ceux pris en charge
par les personnes privées qu’elles contrô lent, telles que les SEM. Sous réserve de ce qui
sera dit ci-après, elles ne se limitent par ailleurs pas aux seuls SPIC, mais sont
susceptibles de s’étendre à certains SPA. Il n’en demeure pas moins que, d’une part, elles
ne possèdent qu’un champ d’application circonscrit : elles ne s’étendent pas à l’ensemble
des services publics ; d’autre part, elles connaissent un certain nombre d’exceptions.

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1). Les activités non économiques

En premier lieu, ces conditions mises à la création des services publics ne sont
applicables qu’aux activités économiques ou marchandes des personnes publiques,
c’est-à -dire celles qui supposent leur intervention sur le marché. N’en font pas partie
celles qui sont inhérentes à leur rô le, leurs « activités naturelles » en quelque sorte, pour
l’exercice desquelles elles sont investies de prérogatives de puissance publique.
Le Conseil d’Etat en avait déjà jugé ainsi à propos du service public de l’hygiène
(Assemblée, 9 mai 1933, Blanc, Recueil CE, p. 540) ou à propos du service public de l’assistance
aux indigents. Il est même allé plus loin dans cette voie. Dans certaines décisions
justement remarquées, il a en effet admis la création, qui d’un service de consultation
juridique gratuite (CE section, 23 décembre 1970, Commune de Montmagny, Recueil CE, p. 788 ; AJDA
1971.153, chronique D. Labetoulle et P. Cabanes ; RDP 1971, p. 248, concl. J. Kahn ) ; qui encore d’une
piscine (CE section, 23 juin 1972, Société La plage de la forêt, Recueil CE, p. 477 ; AJDA 1972, p. 452,
chronique D. Labetoulle et P. Cabanes ; RDP 1972.1259, concl. A. Bernard ) sans paraître vouloir
subordonner leur légalité à une quelconque carence de l’initiative privée.

Ces solutions ont été expliquées, à l’époque, par le caractère administratif des services
publics en cause.
Toujours est-il qu’à une époque plus récente, le Conseil d’Etat les a confirmées à propos
de la création d’un service public de base de données juridiques (Légifrance en
l’occurrence) en relevant qu’eu égard à ses conditions d’organisation et de
fonctionnement (égalité d’accès ; neutralité et objectivité) ce service constituait, par
nature, une mission de service public au bon fonctionnement duquel il appartient à l’Etat
de veiller (CE, 17 décembre 1997, Ordre des avocats à la Cour de la Paris, Recueil CE, p. 491 ; AJDA 1998,
p. 362, concl. Combrexelle).

Le Conseil d’Etat a enfin systématisé cette solution dans son arrêt de 2006 « Ordre des
avocats au barreau de Paris » en établissant un lien entre activité économique et
intervention sur le marché. Il a considéré, en l’occurrence, qu’à partir du moment où elle
était chargée d’une mission d’intérêt général relevant de l’Etat et consistant à veiller au
respect du principe de légalité, la MAPPP n’intervenait pas sur le marché de sorte que sa
création n’avait ni pour objet, ni pour effet de méconnaître la liberté du commerce et de
l’industrie et le droit de la concurrence.

Cette solution a été récemment appliquée à la création du site gratuit www.prix-


carburants.gouv.fr par un arrêté ministériel dont l’exploitant d’un site internet dédié à la
comparaison des prix des carburants et alimenté par des internautes volontaires
demandait l’annulation (CE, 16 juillet 2014, n° 368960, Société Sigmalis, AJDA 2014, p. 1877, chron. S.
Nicinski). Le Conseil d’Etat considère qu’en se bornant à fournir des informations
facilitant l’application de la loi (en l’occurrence de l’article L. 113-32 du Code de la
consommation relatif à l’information que doivent donner les vendeurs et prestataires
sur les prix qu’ils pratiquent), l’Etat n’intervient pas sur le marché ; n’exerce pas une

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activité économique ; et ne peut donc se voir opposer le principe de la liberté du


commerce et de l’industrie.
Concrètement, cette solution a pour conséquence de permettre la libre création de la
majorité des SPA. Il faut toutefois prendre garde au fait que l’assimilation entre SPA et
activités économiques ou marchandes n’est pas absolue et qu’un certain nombre de SPA
peuvent être considérés comme des activités économiques. On retrouve ici la distorsion
déjà relevée entre, d’une part, la distinction des SPA et SPIC et, d’autre part, la
distinction des activités économiques ou marchandes et des activités non économiques.

2). Les activités d’auto-prestation

En deuxième lieu, les personnes publiques ont toujours la liberté de produire elles-
mêmes « en interne » les prestations dont elles ont besoin, même de nature économique,
sans que puissent leur être opposées les exigences découlant du principe de la liberté du
commerce et de l’industrie ou du droit de la concurrence ( CE, 29 décembre 1970, Société
Unipain, Recueil CE, p. 280 ; AJDA 1970.340, concl. G. Braibant ; RDP 1970, p. 423, note M. Waline :
fourniture de pain par une boulangerie militaire aux services pénitentiaires ; CE, 26 janvier 2007, Syndicat
professionnel de la géomatique, Rec. CE, p. 20 ; RJEP 2007.265, concl. N. Boulouis ; AJDA 2007, p. 744, note
S. Nicinski : création par l’Etat, pour ses propres besoins, d’une base de données géographiques ; CE
assemblée, 26 octobre 2011, n° 317827, Association pour la promotion de l’image, Rec. CE, p. 506, AJDA
2012, p. 35, chron. M. Guyomar et X. Domino ; Droit adm. 2012, n° 1, note V. Tchen : à propos de la prise
directe par les agents chargés de l’instruction du passeport biométrique d’une image numérisée du visage
du demandeur qui ne fournirait pas des photographies d’identité ).

Cette solution est à rapprocher de celle adoptée par la CJCE, et reprise par les textes et la
jurisprudence nationale, selon laquelle les prestations confiées par une personne
publique à un organisme « in house » ou « intégré » n’ont pas à être mises en
concurrence (CJCE, 18 novembre 1999, Teckal, aff. C-107/98, recueil p. I.8121 ; CE section, 6 avril 2007,
Commune d’Aix-en-Provence, précité ).

Par organisme « in house » ou « intégré », il faut entendre un organisme sur lequel la


personne publique exerce des pouvoirs analogues à ceux qu’elle exerce sur ses propres
services et qui réalisent pour son compte l’essentiel de son activité. Tel est notamment le
cas en droit national des sociétés publiques locales créées par la loi n° 2010-559 du 28
mai 2010 dont le capital est intégralement détenu par des collectivités territoriales et
leurs groupements et qui ne peuvent intervenir que pour satisfaire les besoins de ses
actionnaires et sur leur territoire exclusivement.

3). Les activités complémentaires au service public

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En troisième lieu, les personnes publiques peuvent encore librement prendre en charge
des activités de nature économique lorsque ces activités constituent le prolongement ou
le complément utile, temporel ou matériel, de services existants ( par exemple : une station
service, en complément d’un parc de stationnement : CE section, 18 décembre 1959, Delansorme, Recueil
CE, p. 692 ; AJDA 1960.II.213, concl. H. Mayras ; une activité de tanatopraxie en complément d’un service
de pompes funèbres : CE section, 10 février 1988, Mezy, Recueil CE, p. 53 ; D. 1988, SC, p. 263, note F.
Llorens ; CE, 23 mai 2003, Communauté de communes Artois-Lys, précité ; ou encore la fourniture de
prestations touristiques annexes par une SEM gérant un Palais des congrès – hébergement, réservation
d’hô tels, visites, organisation des déplacements : CAA de Nancy, 14 juin 2007, SAEM Reims-Champagne
Congrès Expo, AJDA 2007, p. 1933, note J.D Dreyfus confirmé par CE, 5 juillet 2010, Syndicat national des
agences de voyages, Rec. CE, p. 240, JCP A 2010, n° 2304, note Ph. Chrestia ; RJEP 2010, n° 51 concl. E.
Cortot-Boucher ; AJDA 2011, p. 18, note S. Nicinski).

Dans le même ordre d’idée, il a été admis par le passé qu’un service économique dont
l’existence n’était plus justifiée par l’intérêt public pouvait être maintenu pour
permettre l’amortissement des investissements qui ont été nécessaires à sa création (CE
Assemblée, 23 juin 1933, Lavabre, Recueil CE, p. 677 ). En revanche, un objectif visant
uniquement à rentabiliser des investissements publics ne saurait être regardé comme
un intérêt public local suffisant de nature à justifier l’intervention d’une personne
publique sur un marché concurrentiel, et ceci quand bien même la création de l’activité
litigieuse (en l’occurrence une solution spécifique d’archivage à destination des
personnes publiques) répondrait à un intérêt général (TA Châ lons-sur-Marne, 2 mai 2013, n°
11-01808, Sté Ever Team, AJCT 2013, p. 465 : à propos d’une application d’archivage électronique
développée par deux départements qui, dans le cadre d’un MAPA, en avaient confié la distribution sous
licence à un prestataire et qui justifiaient cette intervention sur le marché par la nécessité d’amortir le
coû t supplémentaire supportée par eux pour la réalisation du logiciel en cause. Sur recours d’une société
concurrente, le Tribunal administratif a annulé la décision de signer le marché ).

Dans l’hypothèse de services complémentaires, le juge exige par ailleurs que les
conditions de fonctionnement desdits services respectent le libre jeu de la concurrence
(voir les arrêts « Communauté de communes d’Artois-Lys » et « SAEM Reims-
Champagne »).
On peut par ailleurs se demander si l’arrêt « Syndicat national des agences de voyages » n’opère pas un
rapprochement entre les conditions de création d’activités complémentaires au service public et les
conditions de création du service public lui-même, puisqu’à propos des activités complémentaires en
cause, il reprend la formule de principe de l’arrêt « Ordre des avocats au barreau de Paris » et admet leur
légalité au motif qu’elles présentent un caractère d’intérêt général et que la carence de l’initiative privée
n’est pas une condition nécessaire de leur légalité.

4). Les services publics créés par la loi

En quatrième lieu, l’on peut se demander si, sous réserve de respecter les exigences du
droit communautaire, la création de services publics à caractère économique n’est pas
plus libre que ce que juge le Conseil d’Etat lorsqu’elle résulte d’une loi.

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Il semble que dans cette hypothèse, l’intervention d’un opérateur public, même doté de
droits exclusifs, soit admise dès lors qu’elle est liée à des exigences constitutionnelles ou
justifiée par des motifs d’intérêt général et qu’elle ne porte pas une atteinte
disproportionnée à la liberté constitutionnelle d’entreprendre (voir à propos de la création
d’un EPA chargé d’intervenir en matière d’archéologie préventive : Conseil constitutionnel, 16 janvier
2001, n° 2000-439 DC, loi relative à l’archéologie préventive).

* *

CHAPITRE 3 : LA GESTION DES SERVICES PUBLICS

Une fois le service public créé, l’administration doit décider de la manière de le gérer.
Elle dispose à cet égard d’une assez grande liberté de choix (section 1) entre, d’une part,
la gestion directe ou en régie du service (section 2) et, d’autre part, sa gestion indirecte,
c’est-à -dire sa gestion par un tiers (personne publique ou privée) qui peut elle-même
résulter soit d’une habilitation unilatérale à gérer le service, soit d’une dévolution
contractuelle de ce dernier (section 3).

Cette gestion indirecte du service public existe depuis longtemps, notamment sous sa
forme contractuelle. Elle s’est cependant considérablement développée au cours du
siècle écoulé à partir du moment où , son champ d’intervention s’étendant de manière
considérable, l’administration n’a plus été en mesure (et parfois n’a plus souhaité)
assumer elle-même ses missions.

SECTION 1 LE CHOIX DU MODE DE GESTION DU SERVICE PUBLIC

Bibliographie : J. Dreyfus, Externalisation et liberté d’organisation du service, AJDA


2009, p. 1529 ; H. Pauliat, L’évolution des modes de gestion des services publics locaux :
un retour à la gestion publique ?, JCP A 2012, n° 2355.

Les personnes publiques sont-elles libres de choisir le mode de gestion de leurs services
publics ? La réponse à cette question est en principe affirmative (§ 1), sous réserve de
certaines limites (§ 2). Elle est rappelée par l’arrêt du Conseil d’Etat « Commune d’Aix en

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Provence » précité selon lequel « lorsque les collectivités publiques sont responsables d’un
service public, elles peuvent, dès lors que la nature de ce service ne s’y oppose pas, décider
de confier sa gestion à un tiers ».

§ 1 Le principe de la liberté de choix

Le principe est que les personnes publiques sont libres d’opter pour le mode de gestion
de leur choix.

Ce principe se trouve désormais consacré par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier


2016 relative aux contrats de concession en vertu de laquelle les « autorités
concédantes… sont libres de décider du mode de gestion qu’elles estiment le plus approprié
pour exécuter des travaux ou gérer des services. Elles peuvent choisir d’exploiter leurs
services publics en utilisant leurs propres ressources ou en coopération avec d’autres
autorités concédantes, ou de les concéder à des opérateurs économiques » (article 4).

 Sur un plan pratique, ce choix constitue à la fois une question technique dont la
réponse dépend des moyens et compétences de la collectivité et une question
politique, la gestion du service par tiers et, plus spécialement, par une personne
privée, étant assimilée (de manière erronée) à une privatisation du service
public.

 Sur le plan juridique, le choix du mode de gestion du service public est considéré
comme une question d’opportunité, c’est-à -dire comme une décision purement
discrétionnaire qui échappe au contrô le du juge (on dit qu’elle ne peut être
discutée au contentieux).

C’est là une solution ancienne qui se trouve régulièrement confirmée par la


jurisprudence en dépit de l’extension du contrô le du juge (CE, 4 mai 1906, Babin, Rec.
CE, p. 363 ; et, par exemple, CE, 28 juin 1989, Syndicat du personnel des industries électriques et
gazières du centre de Grenoble, RFDA 1989, p. 929, concl. G. Guillaume, note J.F. Lachume ).

L’article 4 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 précitée prévoit certes que « Le


mode de gestion choisi permet d’assurer notamment un niveau élevé de qualité, de
sécurité et d’accessibilité, l’égalité de traitement ainsi que la promotion de l’accès
universel et des droits des usagers en matière de services publics ». Il n’est
cependant pas sû r que ces buts ou exigences conduisent le juge à modifier sa
jurisprudence sur ce point.

§ 2 Les limites à la liberté de choix

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La liberté de choix du mode de gestion du service connaît cependant deux limites.

 En premier lieu, il arrive que le législateur impose aux collectivités publiques un


certain mode de gestion de leurs services publics. Il peut en aller ainsi même
pour les services publics locaux car, si en vertu de l’article 72 de la Constitution,
les collectivités territoriales bénéficient d’un principe de libre administration, il
appartient au législateur de fixer les conditions dans lesquelles cette libre
administration doit s’exercer.

C’est ainsi, par exemple, que les services de la voirie ou de l’action sociale doivent
en principe être gérés en régie.

Il arrive aussi que la loi laisse à la collectivité publique le choix entre plusieurs
modes de gestion du service public, tout en définissant limitativement ceux qui
peuvent être utilisés.

 En second lieu, il est des services publics qui, en raison de leur nature et selon la
jurisprudence, ne peuvent donner lieu qu’à une gestion directe par la personne
publique qui en est responsable (voir sur la question, C. Deffigier, Jusqu’où déléguer
des activités en lien avec la puissance publique ? JCP A 2015, act. 2).

Tel est le cas des missions régaliennes de l’Etat (justice, défense, relations
diplomatiques, services fiscaux …) parmi lesquels figurent également les missions
de police administrative (CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, Rec. CE, p. 595).

Il a ainsi été jugé, par exemple, qu’une commune pouvait certes confier
l’exploitation d’une plage à une personne privée, mais non pas lui transférer le
pouvoir d’y maintenir l’ordre public ( CE Section, 23 mai 1958, Consorts Amoudruz, AJDA
1958, p. 369, chron.) ou encore qu’un maire ne pouvait conclure légalement avec une
société privée un contrat habilitant cette dernière à assurer certaines missions de
surveillance de l’ordre public dans la commune ( CE, 1er avril 1994, Commune de
Menton, Rec. CE, p. 175).

Il en va de même des missions de direction, de greffe ou de surveillance dans les


établissements pénitentiaires qui relèvent, selon la formule du Conseil
constitutionnel, des « tâches inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de
souveraineté » (décision 2002-461 du 29 aoû t 2002) ; de la surveillance des
élèves dans les cantines scolaires ( CE, avis du 7 octobre 1986, Grands avis du Conseil
d’Etat, n° 24), ou encore de la gestion des chambres mortuaires dans les
établissements publics hospitaliers (CE, 24 mars 1995, avis n° 357297, EDCE 1995, n° 47,
p. 470 ; CAA Marseille, 5 juillet 2011, Centre hospitalier de Bastia, Contrats marchés publ. 2011, n°
297).

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 Enfin, la liberté de choix dont disposent les collectivités publiques peut se trouver
indirectement limitée par le jeu de subventions modulées en fonction du mode de
gestion retenu.

Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont en effet estimé, pour le premier,


que cette pratique n’était pas illégale et n’aboutissait notamment pas à instituer
la tutelle d’une collectivité sur une autre ; et, pour le second, que la disposition de
loi interdisant cette même pratique dans le domaine de l’eau et de
l’assainissement méconnaissait le principe de libre administration des
collectivités territoriales consacré par l’article 72 de la Constitution ( CE assemblée,
12 décembre 2003, Département des Landes, RFDA 2004, p. 518, concl. F. Seners, note J.C.
Douence ; AJDA 2004, p. 195, chron. F. Donnat et D. Casas ; Conseil constitutionnel, 8 juillet 2011,
QPC Département des Landes, Droit adm. 2011, n° 91, note J.B. Auby ; JCP A 2011, n° 2279, note H.
Pauliat ; RJEP 2011, n° 48, note Ph. Terneyre).

Pour une application de cette solution, voir CAA Bordeaux, 3 mars 2014, n°
12BX02263, Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), AJDA
2014, p. 1357 et p. 1830, note P. Combeau :

 La Cour rappelle que la modulation des aides aux communes pour la


gestion de leurs services de distribution d’eau et d’assainissement tend à
faire bénéficier les usagers de tarifs moins élevés que ceux pratiqués par
les services affermés et, pour atteindre ce but, à fournir une aide aux
communes qui gèrent leurs services en régie. Elle considère ce but comme
légitime en se fondant sur une étude qui montre que le coû t du service est
beaucoup plus élevé dans les communes où il est affermé que dans celles
où il est exploité en régie.

 La Cour considère que cette aide aux collectivités qui pratiquent la gestion
directe du service n’est pas discriminatoire dans la mesure où les
collectivités dont les services sont gérés en régie doivent financer la
totalité des investissements relatifs à leurs réseaux alors que rien
n’interdit que pour les réseaux affermés, le fermier participe à leur
financement, de sorte que les collectivités ne sont pas placées dans la
même situation selon qu’elles exploitent leurs services en régie ou le
donnent en affermage.

 La Cour vérifie enfin que la modulation des aides départementales n’est


pas disproportionnée par rapport à la différence qui existe entre service
affermé et service en régie.

SECTION 2 LA GESTION DIRECTE DU SERVICE PUBLIC : LE PROCÉDÉ DE LA RÉGIE

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La régie est un mode de gestion qui consiste pour la personne publique à assurer elle-
même la gestion du service avec son propre personnel et ses propres moyens matériels
et financiers.

La caractéristique de la régie réside en ceci que le service ne jouit pas de la personnalité


juridique. Il n’est pas une personne morale distincte de la personne publique elle-même.

La conséquence de cette forme de gestion est que l’ensemble des droits et obligations,
actes et faits juridiques découlant de la gestion du service est imputable à la collectivité
publique. De même, les biens affectés au service font partie de son patrimoine. Enfin, les
recettes et dépenses du service relèvent de ses finances.

Il existe cependant plusieurs formes de régie qui se distinguent par le plus ou moins
grand degré d’autonomie dont elle dispose.

§ 1 La régie simple

Le premier type de régie est celui de la régie simple ou régie directe. Le service est alors
géré par les organes de la collectivité publique. Ses recettes et dépenses sont imputées
sur le budget général de cette dernière.

Cette forme de régie se caractérise par l’absence de toute autonomie juridique et


financière du service ainsi que par le fait que celui-ci ne dispose ni de personnel, ni de
biens propres. Autrement dit, la gestion du service se confond alors avec celle de la
collectivité.

Pour cette raison, la régie simple ne présente qu’un intérêt juridique relatif. Elle n’en
revêt pas moins une réelle importance pratique dans la mesure où la grande majorité
des services nationaux et locaux est gérée selon cette modalité.
En ce qui concerne les services publics locaux à caractère industriel et commercial, le CGCT n’admet
cependant le recours à la régie simple que dans un nombre très limité de cas concernant les services gérés
sous cette forme avant l’intervention d’un décret loi du 26 décembre 1926 ainsi que les services de l’eau et
de l’assainissement dans les communes de moins de 500 habitants.

§ 2 La régie autonome

C’est là le second type de régie. La régie autonome ne possède pas la personnalité


juridique. Mais, comme son nom l’indique, elle jouit d’une certaine autonomie et d’une
certaine individualité sur les plans financier et administratif. Elle est, en effet, dotée d’un
budget annexe qui lui est propre, ainsi que d’un comité ou d’un conseil d’administration
qui dirige la gestion du service. En bref, elle constitue une forme d’individualisation du
service au sein de la collectivité publique.

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Le décret loi précité de 1926 a autorisé les communes – et par extension les autres
collectivités locales – à gérer selon cette modalité leurs services économiques. A
l’époque, l’on pensait que cette souplesse accrue de gestion serait adaptée aux
interventions économiques des collectivités locales. Depuis lors, elle est apparue
insuffisante, ce qui explique la transformation de nombre de régies autonomes en
d’autres formes et notamment en celle de SEM, mieux adaptée aux exigences de la
gestion commerciale.

La régie autonome n’est pas limitée aux services publics locaux. Elle a été ou est
également utilisée par l’Etat pour certains de ses services telles l’Imprimerie nationale,
les monnaies et médailles, la manufacture de Sèvres ou encore certaines activités
relevant de l’industrie de l’armement. Mais, sous l’influence conjuguée du droit
communautaire et des nécessités de la gestion commerciale, les régies autonomes de
l’Etat ont, elles aussi, été progressivement transformées en sociétés.
Se sont en revanche développés au sein de l’administration d’Etat, les services à compétence nationale
prévus par le décret du 9 mai 1997 et qui assurent des fonctions de gestion, d’études techniques, de
formation ou encore de activités techniques, logistiques ou de production de biens et services (formation,
enseignement, statistiques, informatique) à l’exclusion des fonctions de conception, d’orientation,
d’animation, d’évaluation ou de contrô le.
Ce sont, pour reprendre l’expression de R. Chapus, des « excroissances de l’administration centrale »
destinées à donner plus d’autonomie d’organisation à des services à vocation technique, sans leur
conférer la personnalité morale, ni donc les ériger en établissements publics.
On dénombre à l’heure actuelle plus d’une centaine de ces services, placés tantô t sous l’autorité directe du
Ministre, tantô t sous celle d’un directeur d’administration centrale, aux activités les plus diverses : Musée
Picasso ; opérateur national de paye ; centre informatique douanier ; service commun des laboratoires du
Ministère de l’économie … (voir à ce sujet, B. Delaunay, Les services à compétence nationale, Droit
administratif 2009, étude n° 7).

§ 3 Vraies et fausses régies

Pour en terminer avec ce point, il convient de ne pas confondre les régies dont il vient
d’être question avec d’autres formes de gestion du service également désignées –
quoique de manière abusive - par le terme de régie, mais qui ne correspondent pas à la
régie proprement dite.

 Ainsi, certains services sont-ils qualifiés de régie alors qu’ils sont dotés de la
personnalité juridique. On se trouve alors en présence, non pas de régies au sens
strict, mais d’établissements publics (comme la RATP) ou encore de sociétés
(comme la régie Renault).

Il en va de même des régies locales personnalisées qui constituent elles aussi des
établissements publics, même si elles demeurent dans la dépendance étroite des
collectivités auxquelles elles se rattachent.

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 D’autre part, il faut distinguer la régie telle qu’elle a été décrite, de la « régie
intéressée » qui constitue un contrat permettant de confier à un tiers la gestion du
service, c’est-à -dire un mode de gestion indirect et contractuel du service public.

SECTION 3 LA GESTION « EXTERNALISÉE » DU SERVICE PUBLIC

La personne publique qui a la responsabilité du service peut décider d’en confier la


gestion à un tiers.

Le procédé est à la fois ancien et fréquent. Son utilisation et son développement


s’expliquent par de multiples raisons qui souvent se cumulent :

 prise en charge par les collectivités publiques d’activités de plus en plus


nombreuses et diverses pour l’exercice desquelles elles ne disposent ni des
moyens, ni des compétences nécessaires ;

 souci d’alléger leurs tâ ches jugées trop lourdes ;

 volonté d’améliorer la gestion du service en lui conférant plus d’autonomie, plus


de souplesse et, partant, plus d’efficacité (le recours à des opérateurs privés étant
censé constituer, dans ce cas, un avantage supplémentaire)…

Sur le plan juridique, « l’externalisation » » du service public emprunte deux formes. Elle
peut procéder soit d’une habilitation unilatérale (§ 1), soit d’une dévolution
contractuelle (§ 2).

§ 1 L’habilitation unilatérale à gérer un service public

Bibliographie : F. Brenet, La délégation unilatérale de service public, AJDA 2013, p.


1435

Jusqu’à l’arrêt « Cne d’Aix-en-Provence » (CE section, 6 avril 2007), les collectivités publiques
pouvaient librement choisir de confier à un tiers la gestion de leur service public soit par
voie de contrat, soit par voie d’habilitation unilatérale. L’arrêt « Cne d’Aix-en-Provence »
leur impose désormais de recourir au contrat « sauf si un texte en dispose autrement ».

En limitant ainsi le recours au procédé de l’habilitation unilatérale, le Conseil d’Etat a


voulu éviter que les collectivités publiques n’échappent aux obligations de publicité et

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de mise en concurrence auxquelles se trouvent soumises les délégations contractuelles


de service public en vertu de la loi « Sapin » du 29 janvier 1993 en déléguant leurs
services publics par voie de décisions unilatérales.

On en déduit que les textes autorisant le procédé de l’habilitation unilatérale ne peuvent


être que de même nature que la loi Sapin, c’est-à -dire de nature législative.

Ces textes n’en sont pas moins nombreux et recouvrent des réalités très diverses. Les
personnes qu’ils habilitent à gérer un service public peuvent être aussi bien des
personnes publiques (A) que des personnes privées (B).

Il n’en pose pas moins à l’heure actuelle la question des conditions dans lesquelles une
telle habilitation peut être délivrée (C).

A). L’habilitation unilatérale des personnes publiques à gérer un service public

Le procédé consiste pour le législateur à créer ou autoriser la création d’institutions


publiques spécialisées en vue de leur confier la gestion d’un ou plusieurs services
publics. Longtemps il n’a concerné que les établissements publics (1). Désormais, il
bénéficie également à d’autres personnes publiques spécialisées et notamment aux
groupements d’intérêt public (GIP).

1). Les établissements publics

Bibliographie : Rapport du Conseil d’Etat sur les établissements publics, 15 octobre


2009, à propos duquel voir : X. Domino et autres, Questions sur l’avenir de
l’établissement public, AJDA 2010, p. 1238 ; Les EPIC dans tous leurs états, JCP A 2009,
n° 2196.

Les établissements publics sont des personnes publiques à compétence spécialisée créés
pour gérer un service public.

 Création

Le législateur est seul compétent pour créer des catégories d’établissements publics. Le
pouvoir réglementaire ne peut, quant à lui, créer d’établissements publics que s’ils
relèvent de catégories préexistantes.

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 Statut

Les établissements publics sont dotés de la personnalité morale et de l’autonomie


juridique et financière.

Ils se trouvent rattachés en règle générale à une collectivité publique (Etat ou


collectivités territoriales) qui exerce sur eux un contrô le de tutelle. Mais cette tutelle
n’autorise pas la collectivité de rattachement à prendre des décisions en leurs lieu et
place, ni à leur imposer leur volonté.

 Compétences

Les établissements publics sont soumis aux principes de spécialité, c’est-à -dire qu’ils ne
peuvent exercer que l’activité de service public qui leur a été confiée ainsi que, dans des
conditions relativement strictes, des activités connexes complémentaires de leur activité
principale de service public et revêtant un intérêt général.

En règle générale, ils sont chargés de gérer un service public unique, mais certains
établissements publics comme les établissements publics de coopération
intercommunale (EPCI) en gèrent de multiples.

 Raison d’être

A l’origine, leur institution se justifiait par le souci d’attirer des libéralités en


garantissant à leurs auteurs qu’elles seraient utilisées par le service public auquel ils les
destinaient (caisse des écoles : loi du 28 mars 1882 ; bureau d’aide sociale : loi du 6
janvier 1886 ; et plus près de nous services à caractère médical, social ou culturel tels
que les centres de lutte contre le cancer, le CNRS, le Collège de France…).

A partir du siècle dernier, ils sont apparus comme un moyen commun pour
l’administration de se décharger de certaines tâ ches et d’échapper à certaines
contraintes. Ils ont ainsi proliféré, provoquant ce qu’on a appelé un « démembrement
administratif » et s’attirant du même coup les critiques de la Cour des comptes et du
Conseil d’Etat, lequel indiquait dans un rapport de 1971 consacré au sujet que la
création de la plupart des établissements nouveaux ne s’expliquait plus que par la
volonté « d’échapper ou de déroger à certaines règles des services en régie jugées trop
rigides, trop contraignantes ou simplement gênantes, que ce soit en fait de fonction
publique, de budget, de comptabilité publique, de passation des marchés, de gestion du
domaine … ».

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Droit administratif 2ème année – 2ème partie : Les activités administratives – 2016/2017
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 Situation actuelle

De fait, les établissements publics sont, à l’heure actuelle, aussi nombreux que divers et
concernent pratiquement tous les domaines d’intervention des collectivités publiques.

On y trouve pêle-mêle des musées (Versailles ; Le Louvre) ; les hô pitaux ; les caisses
nationales de sécurité sociale ; les lycées, collèges, universités et grandes écoles ; les
OPH (ex OPHLM) ; les chambres consulaires ; les offices du tourisme ; les services
départementaux d’incendie et de secours …. On y trouvait et on y trouve encore de
grandes entreprises publiques à caractère industriel et commercial (La Poste, la SNCF, la
RATP, France Télécom).

Certains établissements publics ont un caractère national en tant qu’ils sont rattachés à
l’Etat ; d’autres un caractère local. Parmi ces derniers, il faut faire une place à part aux
EPCI qui sont des établissements publics territoriaux destinés à regrouper des
collectivités territoriales : communautés urbaines ; communautés d’agglomération ;
syndicats intercommunaux à vocation unique ou mixte.

 Avenir des établissements publics

Périodiquement, il est question de la crise des établissements publics. Ils continuent, en


effet, d’essuyer les critiques du Conseil d’Etat (voir son rapport de 2009 cité en
bibliographie) au motif que nombre d’entres eux sont créés par simple commodité sans
que l’on se demande s’ils ne font pas doublon avec des services existants ou que l’on
s’interroge sur l’existence de solutions alternatives moins onéreuses.

Il est également reproché aux textes qui les instituent de leur reconnaître un caractère
industriel et commercial alors même qu’il ne gère que des services publics
administratifs, ceci uniquement afin de les faire bénéficier de règles plus souples en
matière de comptabilité publique et de personnel notamment.

S’agissant enfin des EPIC qui interviennent dans le secteur concurrentiel, ils se trouvent
menacés par le droit de l’Union européenne qui considère les privilèges dont ils
bénéficient (insaisissabilité de leurs biens et soustraction aux procédures collectives)
comme une aide publique incompatible avec le Traité (CJUE, 3 avril 2014, aff. C-559/12 P,
République française / Commission, AJDA 2014, p. 1242, chron. M. Lombard ; Droit adm. 2014,
n° 42, note M. Bazex et l’étude de G. Eckert, De la garantie implicite à la mise en cause explicite
des EPIC, JCP A 2014, n° 2160).

C’est en partie pour cette raison, mais aussi pour les faire bénéficier d’une plus grande
souplesse de gestion et les rendre, par voie de conséquence, plus compétitifs sur le
marché concurrentiel, que l’Etat a procédé à la transformation de plusieurs d’entre eux
(SNCF, EDF, GDF, France Télécom, La Poste) en sociétés.

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2). Les autres institutions publiques spécialisées

Bibliographie : B. Delaunay, « Pôle Emploi » recherche statut juridique, JCP A 2010, act.
n° 259.

Les établissements publics ne sont pas les seules personnes publiques spécialisées à être
investies de missions de service public. A leur cô té, il faut désormais faire mention
d’autres personnes publiques et notamment des GIP qui tendent à proliférer.

Les GIP ont pour objet d’assurer la coopération entre personnes publiques, personnes
appartenant au secteur public, voire personnes privées en vue de la réalisation en
commun de missions d’intérêt général pour une période déterminée.

Jusqu’à une époque récente, la création des GIP n’était possible que dans les secteurs
d’activité où la loi le prévoyait (recherche et développement ; coopération
internationale ; tourisme ; santé et protection sociale ; sport …).

Ces secteurs n’ayant cessé de se multiplier au gré des textes successifs, la loi du 17 mai
2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit a défini un statut général
des GIP se substituant aux dispositions particulières antérieures.

Les GIP peuvent désormais être créés en tout domaine. Conformément à la


jurisprudence antérieure du Tribunal des conflits ( 14 février 2000, GIP Habitat et interventions
sociales, GAJA n° 106 ; G.D., p. 261), ils ne sont pas qualifiés d’établissements publics, mais
constituent des personnes morales de droit public (sui generis) dotées de l’autonomie
administrative et financière.

Ils sont constitués par convention approuvée par l’Etat et passée soit entre plusieurs
personnes morales de droit public, soit entre une ou plusieurs personnes morales de
droit public et une ou plusieurs personnes morales de droit privé. Ces personnes y
exercent ensemble des activités d’intérêt général à but non lucratif, mettant en commun
les moyens nécessaires à leur exercice.

Les personnes morales de droit public ou les personnes morales de droit privé chargées
d’une mission de service doivent détenir ensemble plus de la moitié du capital (si capital
il y a) ou des voix dans les organes délibérants.

Les GIP ne donnent pas lieu au partage de bénéfices. Les excédents annuels de la gestion
ne peuvent qu’être utilisés à des fins correspondant à l’objet du groupement ou mis en
réserve.

L’intérêt (et le succès antérieur) des GIP s’explique par leur plus grande souplesse de
gestion par rapport aux établissements publics (durée limitée ; possibilité d’associer des
personnes morales de droit privé ; limitation à des tâ ches plus précises ; soumission aux

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règles de la comptabilité privée en principe). Ils n’en sont pas moins soumis au contrô le
de la Cour des comptes et des Chambres régionales des comptes.

B). La dévolution unilatérale du service public à une personne privée

La dévolution unilatérale du service public peut s’effectuer également au profit de


personnes à statut privé.

 Pendant longtemps, on a considéré que la dévolution du service public à des


personnes privées ne pouvait s’opérer que par la voie d’un contrat. La possibilité
d’une dévolution unilatérale du service a cependant été admise au milieu des
années 1930 par deux arrêts importants : l’arrêt « Etablissements Vezia » du 20
décembre 1935 et l’arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat « Caisse primaire Aide et
Protection » du 13 mai 1938 (GAJA n° 53).

Dans le premier de ces arrêts, le Conseil d’Etat avait considéré comme revêtant
un caractère d’intérêt public en vertu de la loi, les missions confiées par celle-ci à
des sociétés de secours, de prévoyance et de prêts mutuels agricoles regroupant
obligatoirement les cultivateurs et éleveurs de statut indigène en AOF, et il en
avait déduit que la nature de leur activité justifiait le recours à la procédure
d’expropriation à leur profit.

Le second arrêt est plus explicite encore. Il considère qu’en vertu des textes
législatifs et réglementaires aménageant leur statut et leurs fonctions, les caisses
primaires d’assurances sociales géraient une activité de service public.

 L’hypothèse d’habilitation unilatérale a été maintenue par l’arrêt « Commune


d’Aix-en-Provence » sous la condition qu’elle soit prévue par un texte. Malgré cette
restriction, elle connaît des applications à la fois nombreuses et diverses au sein
desquelles on peut distinguer entre la dévolution du service à des sociétés
publiques ou para-publiques (1) et sa dévolution à d’autres organismes privés
investis d’une mission de service public (2).

1. Les sociétés publiques ou para-publiques

Bibliographie : J.M. Pontier, Le nouveau statut de La Poste, JCP A 2010, act, n° 195

Le recours à des sociétés pour gérer un service public est une formule très utilisée. Les
sociétés dont il s’agit sont généralement des sociétés anonymes soumises au Code de
commerce, sous réserve des dispositions dérogatoires de leur statut (destinées
notamment à les soumettre au contrô le de la personne publique qui les a créées et de

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veiller à ce qu’elles exécutent correctement leurs missions). On les rencontre tant au


niveau national (a) qu’au niveau local (b).

a). Au niveau national

Au niveau national, il peut s’agir de sociétés à capital entièrement public, comme c’est le
cas des sociétés en charge du service public audiovisuel (Radio France ; France 2 et
France 3).

Il peut également s’agir de sociétés à capitaux publics majoritaires (et souvent très
majoritaires) qui relèvent, pour cette raison, du secteur public et ne peuvent être
privatisées par cession de la majorité du capital à des opérateurs privés qu’en vertu
d’une loi. Relèvent notamment de ce cas de figure, les grandes entreprises – naguère
établissements publics – qui ont été transformées en sociétés pour les raisons qui ont
déjà été dites : Aéroports de Paris ; EDF ; GDF ; La Poste ; France Télécom …

b). Au niveau local

 L’hypothèse est en revanche nettement moins développée au niveau local.

Le législateur a certes autorisé, par la loi du 7 juillet 1983, codifiée aux articles L.
1521-1 et s. du CGCT, la création de SEM associant des collectivités territoriales
(qui doivent détenir plus de la moitié de leur capital) et des personnes privées
dont la participation ne peut être inférieure à 15 %.

Ces sociétés, qui sont soumises au droit des sociétés commerciales sous réserve
de certaines dispositions dérogatoires, peuvent avoir un champ d’intervention
extrêmement large : réalisation d’opérations d’aménagement et de construction ;
exploitation de services publics à caractère industriel et commercial ; exercice de
toute autre activité d’intérêt général.

Malgré les difficultés qu’elles ont connues, les SEML sont extrêmement
nombreuses (plusieurs centaines) et leur activité concerne des secteurs très
divers (aménagement, construction, transport, action culturelle …).

Mais elles ne peuvent intervenir pour le compte des collectivités territoriales


qu’en vertu de contrats (marchés publics ou DSP) dont la passation est soumise à
concurrence.

 Tout récemment, et après une première expérimentation limitée au seul domaine


de l’aménagement, une loi du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés
publiques locales a autorisé les collectivités territoriales à créer de telles

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Droit administratif 2ème année – 2ème partie : Les activités administratives – 2016/2017
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sociétés, soumises au Code de commerce, dont elles détiennent la totalité du


capital.

Ces sociétés peuvent se voir confier des opérations d’aménagement ou de


construction ; l’exploitation de SPIC ou toutes autres activités d’intérêt général.

Elles exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs membres et


sur le territoire de ces derniers uniquement.

Leur création a pour but de permettre aux collectivités locales actionnaires de ces
sociétés de confier sans publicité, ni mise en concurrence, les missions de leur
choix et notamment la gestion de service public en vertu de l’exception de in
house admise par le droit communautaire. Elle vise en cela à pallier les difficultés
auxquelles se heurtent les SEM qui, en vertu du même droit communautaire, ne
peuvent bénéficier de l’exception de in house au motif qu’une partie de leur
capital est détenue par des opérateurs privés et qui doivent, en conséquence, être
mises en concurrence pour se voir attribuer des services publics.

2. Les organismes privés divers investis d’une mission de service public

 A cô té des organismes à forme sociétaire, on trouve de très nombreux


organismes investis de missions de service public, qui revêtent les formes les
plus diverses : associations d’abord, extrêmement nombreuses ; fondations ;
organismes privés sui generis comme les ordres professionnels ou d’un type
indéterminé (comme certains centres de lutte contre le cancer : Tribunal des conflits, 20
novembre 1961, Centre Eugène Marquis, Rec. CE, p. 879 ) ; syndicats professionnels ( comme
par exemple, les groupements de défense contre les ennemis des cultures qui étaient en cause
dans l’arrêt du Conseil d’Etat « Magnier » du 31 janvier 1961, RDP 1961, p. 155, concl. Fournier ) ;
voire même des types très particuliers de sociétés, telles les sociétés mutualistes
qui gèrent les caisses locales de sécurité sociale ou encore les SAFER.

 Les raisons du recours à ces organismes sont diverses.

 Dans certains cas où , pour reprendre l’expression de P.L. Frier et J. Petit


est à l’œuvre une logique corporative, il s’agit de permettre à une
communauté de professionnels ou de personnes pratiquant une même
activité de s’auto-administrer, tout en réservant à la personne publique un
pouvoir de contrô le.

En constituent une illustration, les ordres professionnels (des architectes,


des médecins, des avocats …) qui sont chargés d’élaborer les règles de
déontologie applicables à leurs membres ; de contrô ler l’accès à la

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Droit administratif 2ème année – 2ème partie : Les activités administratives – 2016/2017
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profession et d’exercer un pouvoir disciplinaire, ces missions étant


considérées comme un service public administratif.

En sont une autre illustration importante, les fédérations sportives,


organisées sous la forme d’associations de la loi de 1901, qui organisent
les compétitions sportives ; en fixent les règles et exercent également un
pouvoir disciplinaire.

 Dans d’autres cas – très fréquents – le recours aux organismes privés


procède de raisons techniques ou de commodité qui peuvent se résumer
dans la volonté d’échapper aux contraintes du droit public.

C). Les conditions de la délégation unilatérale du service public

La question qui se pose, depuis plusieurs années déjà , est de savoir si les habilitations
unilatérales à gérer le service public (qu’elles soient concomitantes de la création de
l’organisme bénéficiaire ou postérieures à celles-ci) peuvent être délivrées sans que soit
organisée une mise en concurrence préalable de l’ensemble des opérateurs intéressés.

Elle se pose avec d’autant plus d’acuité que – comme nous le verrons – la dévolution du
service public par voie de contrat est soumise, quant à elle, à une mise en concurrence
préalable tant en vertu du droit communautaire qu’en application du droit national.

Cette question ne concerne pas la création des établissements publics qui constitue une
simple mesure d’organisation interne de l’administration ou celle des GIP dès lors qu’ils
se voient transférer totalement la responsabilité du service public (CE, 10 novembre 2010,
Sté Carso-Laboratoire Santé Hygiène Environnement, Rec. CE, tables p. 845 ; AJDA 2010, p. 2380, concl. F.
Lenica : L’arrêt précise que la création du GIP n’est pas non plus soumise au respect de la liberté du
commerce et de l’industrie, la collectivité ne pouvant être regardée comme prenant en charge une activité
économique. En revanche, les marchés passés ultérieurement par la collectivité départementale avec le
GIP dont elle est membre doivent faire l’objet d’une mise en concurrence préalable).

La question ne concerne pas davantage les institutions spécialisées privées qui


n’exercent pas une activité économique (sécurité sociale par exemple ; ordre
professionnel …).

Elle se pose en revanche à propos des habilitations unilatérales conférées à des


organismes privés (association, société d’économie mixte, société privée) qui exercent
une activité économique.

En effet, la CJUE considère que les concessions de service, qu’elles soient contractuelles
ou unilatérales, ne peuvent être attribuées que dans le respect des principes découlant
du Traité et notamment du principe de transparence qui implique l’organisation d’une

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publicité et d’une mise en concurrence préalables (CJUE, 3 juin 2010, aff. C-203/08, The
Sporting Exchange Ltd, Contrats marchés publ. 2010, n° 422 et Repère n° 11 par F. Llorens et P. Soler-
Couteaux : arrêt rendu à propos de la délivrance à un opérateur d’un droit exclusif en vue d’exercer une
activité économique, relative, en l’occurrence, aux jeux d’argent )
et que n’échappent à ces
obligations que les habilitations trouvant directement leur source dans un texte et ne
faisant pas l’objet d’un accord contractuel avec l’administration ( CJUE, 8 mai 2013, aff. C-
197/11, Eric Liebert, point 11).

Le Conseil d’Etat a en déjà tiré des conséquences en jugeant que sauf texte en disposant
autrement, le service public ne pouvait être délégué que par voie contractuelle, ce qui
était déjà sa position antérieurement. Ainsi n’est-il pas possible à une collectivité
territoriale (ou à l’Etat) de déléguer unilatéralement une activité de service public
présentant un caractère économique dès lors qu’un texte ne le prévoit pas, ce texte
devant par ailleurs revêtir un caractère législatif.

Mais, sous cette réserve, le Conseil d’Etat maintient que les habilitations unilatérales
prévues par un texte ne sont pas soumises aux obligations de publicité et de mise en
concurrence applicables aux délégations contractuelles (CE, 3 mai 2004, n° 249832, Fondation
d’assistance aux animaux, BJCP 2004, p. 464, concl. E. Glaser ; CE, 13 juillet 2007, n° 299207, Commune de
Rosny-sous-Bois, Rec. CE tables p. 937 ; CE, 22 juillet 2015, n° 362203, Association Coop France, Rec. CE,
tables … ; AJDA 2015, p. 1840, chron. S. Nicinski : à propos de l’agrément d’organismes chargés de la
surveillance des dangers sanitaires liés aux animaux et aux végétaux).

§ 2 La dévolution contractuelle du service public

La dévolution contractuelle du service public consiste, comme son nom l’indique, en ce


que la personne publique confie par contrat à un tiers la gestion du service public. Elle
constitue le mode le plus classique de gestion indirecte ou externalisée du service.
L’arrêt du Conseil d’Etat « Commune d’Aix-en-Provence » en fait d’ailleurs le procédé de
principe, dès lors que la personne publique qui a la charge du service ne souhaite pas
l’exploiter elle-même, l’habilitation unilatérale ne pouvant être utilisée, dans cette
hypothèse, que si un texte le prévoit.

Il existe deux types de contrats, permettant de confier la gestion du service public à un


tiers : la délégation ou concession de service public et le marché public. La première
étant le mode le plus classique de gestion du service public, c’est à elle que nous
consacrerons l’essentiel des développements à suivre, en étudiant sa notion (A), puis
son régime (B).

Nous n’évoquerons que brièvement les marchés publics qui peuvent avoir et ont, dans la
majorité des cas, un autre objet que la gestion d’un service public et qui donneront lieu à
un examen plus approfondi dans le cadre de l’étude des contrats administratifs (C).

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A). La notion de délégation de service public

La concession de service public est, avec le marché public de travaux, le contrat


administratif le plus ancien. Il est même considéré comme l’archétype du contrat
administratif.

Avec la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption (dite loi Sapin),
elle a été intégrée dans la catégorie plus large des DSP dont elle constituait la
composante principale.

Depuis l’ordonnance du 29 janvier 2016 précitée, elle se trouve incluse dans l’ensemble
le plus vaste des concessions de services, qu’ils soient de service public ou non. Elle n’a
conservé son appellation de DSP que pour les contrats passés par les collectivités
territoriales.

Pour l’Etat, elle n’est qu’une concession portant sur la gestion d’un service public, c’est-
à -dire une concession de service public tout en répondant à la même définition.

C’est par l’exemple de cette définition que nous commencerons en examinant ses
différentes composantes.

1.

En premier lieu, les délégations ou concessions de service public sont des


contrats,

ce qui exclut les habilitations unilatérales à gérer un service public (voir supra).

 Ces contrats sont administratifs par qualification de la loi lorsqu’ils sont passés
par des personnes publiques (article 3 de l’ordonnance de 2016).

Auparavant, ils l’étaient déjà en vertu de la jurisprudence, l’exécution du service


public étant l’un des critères de droit commun du contrat administratif.

 Il s’agit cependant de contrats d’un type particulier qui présentent un caractère


mixte :

 d’une part, ils comportent des clauses dites contractuelles qui régissent
exclusivement les rapports entre l’autorité délégante et son délégataire

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(durée du contrat ; avantages divers octroyés au cocontractant ;


responsabilité de celui-ci …).

 Mais, d’autre part, ils contiennent également des clauses réglementaires


qui concernent l’organisation du service public et ont des incidences sur
les relations entre le délégataire et les usagers du service (tarifs
applicables ; horaires et conditions d’exécution du service ; contrô le de
celui-ci …).

L’existence de ces clauses s’explique par le fait que la DSP est à la fois un
contrat et un mode de gestion du service public, et qu’il y a lieu d’assurer
aux usagers du service une protection équivalente à celle dont ils
bénéficieraient si le service était géré directement par la collectivité
publique.

Cela se traduit sur le plan contentieux par le fait que l’autorité délégante
doit faire respecter les clauses réglementaires du contrat et que les
usagers peuvent attaquer son refus éventuel, ceci au terme d’une
jurisprudence ancienne (CE, 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et
contribuables du quartier Croix de Seguey Tivoli, GAJA n° 17).

Ces mêmes usagers peuvent en outre attaquer par la voie du recours pour
excès de pouvoir les clauses réglementaires du contrat de délégation qu’ils
estimeraient illégales (CE Assemblée, 10 juillet 1996, Cazeele, Rec. CE, p. 274 ; AJDA
1996, p. 732, chron. D. Chauvaux et T.X. Girardot ; RFDA 1997, p. 89, note P. Delvolvé ). La
solution est remarquable en ceci qu’en règle générale, les usagers ou les
tiers ne sont pas recevables à attaquer les contrats de l’administration ou
certaines de leurs clauses par la voie du recours pour excès de pouvoir.
Précision : le Conseil d’Etat a jugé que les clauses réglementaires étaient par nature
divisibles du reste du contrat et pouvaient donner lieu à un REP, alors même qu’elles
joueraient un rô le important dans l’économie du contrat (voir, à propos d’une clause
relative à la tarification du service de l’eau et de l’assainissement : CE, 31 juillet 2009,
Société des Sables d’or, AJDA 2010, p. 895, note P. Subra de Bieusses).

Auparavant le Conseil d’Etat avait jugé que le REP contre une clause réglementaire d’un
contrat de DSP était possible même lorsque la clause concernée était indivisible du reste
du contrat. Cette indivisibilité impliquait simplement que si le juge du contrat considère
la clause comme illégale, il se prononce, au besoin d’office, sur les conséquences à en tirer
sur le contrat dans son ensemble (CE, 1 er juillet 2009, Compagnie des transports de La
Roche-sur-Yon, AJDA 2009, p. 1951, note J.D. Dreyfus : à propos d’une convention de pré-
retraite progressive.

2.

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En deuxième lieu, les délégations ou concessions de service public sont, comme


leur nom l’indique, des concessions.

Selon l’ordonnance du 29 janvier 2016, qui reprend sur ce point la jurisprudence


antérieure, le contrat de concession se caractérise par le fait que le cocontractant
(délégataire ou concessionnaire) se voie transférer « un risque lié à l’exploitation… du
service en contrepartie du droit d’exploiter le service, soit de ce droit assorti d’un prix ».

Autrement dit, une partie de la rémunération du cocontractant doit consister en des


produits d’exploitation du service (sous la forme essentiellement de redevances perçues
sur les usagers) et faire peser sur le cocontractant un risque qui, selon l’ordonnance,
« implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle
supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable ».

L’ordonnance précise que « le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque,


dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortit les
investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation … du service ».

C’est par cette caractéristique que le contrat de concession se distingue du marché


public.

3.

En troisième lieu, les délégations ou concessions de service public ont pour objet
la gestion d’un service public.

Cela suppose non seulement que l’activité objet du contrat présente un caractère
d’intérêt général, mais encore – conformément à la définition du service public – qu’elle
soit prise en charge par la personne publique.

 Ainsi, n’ont pas été considérés comme des délégations de service public :

 les contrats de mobilier urbain : CE Assemblée, 4 novembre 2005, Société Jean-Claude


Decaux, RFDA 2005, p. 1083 ; AJDA 2006, p. 120, note A. Ménéménis ;

 la convention de la Ville de Paris autorisant la Société JC Decaux à utiliser les colonnes


Morris pour l’annonce de spectacles et de manifestations culturelles, CE, 15 mai 2013,
Ville de Paris, n° 364593, JCP A 2013, n° 2180, note J.F. Giacuzzo : solution justifiée par le
fait que si elle présente un intérêt général, la promotion des activités culturelles, objet de
la convention, ne concerne pas les services municipaux ; n’est pas davantage exercée
pour eux et le fait que la Ville n’a pas davantage entendu créer un service public de
l’information culturelle ;

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 pour une autre illustration, voir CE, 23 mai 2011, Commune de Six-Fours-les-Plages,
Contrats marchés publ. 2011, n° 195, note G. Eckert ; Droit administratif 2011, n° 79, note
S. Pugeault : à propos de la gestion d’un festival de musique qui avait perdu son caractère
de service public faute de contrô le de la collectivité sur les tarifs des spectacles et leur
programmation artistique).

 A en revanche été considéré comme une DSP, le contrat par lequel un


établissement hospitalier confie à un prestataire le soin de mettre à la disposition
des patients des abonnements de télévision, téléphone, accès internet et services
associés, et de permettre ainsi non seulement la mise à niveau et la
modernisation des installations de l’hô pital, mais également la communication
des patients avec l’extérieur selon des modes adaptés aux besoins actuels.

Cette activité d’intérêt général a été qualifiée de service public eu égard aux
obligations et au contrô le que le contrat imposait au prestataire : obligation
d’assurer à titre gracieux la diffusion de programmes de télévision sur les
téléviseurs situés dans les zones collectives des hô pitaux ainsi que dans certaines
chambres (pédiatrie notamment et hô pital de jour) ; contrô le du CHU sur le
fonctionnement du service, notamment par la communication d’un relevé
trimestriel du chiffre d’affaires ainsi que par la remise d’un rapport annuel
comportant les comptes retraçant la totalité des opérations d’exécution du
contrat ainsi qu’une analyse de la qualité du service ; statut de biens de retour
des installations et mobiliers faisant partie de la convention dont la propriété est
attribuée au centre hospitalier et qui doivent être maintenus en place au terme
de la convention ; possibilité pour la personne publique de résilier le contrat pour
des motifs d’intérêt général (CE, 7 mars 2014, n° 372897, Centre hospitalier universitaire de
Rouen, Droit adm. 2014, n° 32, note A. Sée).

Sous bénéfice de ces précisions, le service public, objet du contrat, peut être
indifféremment administratif ou industriel et commercial. Cette solution s’explique par
le fait que certains services publics administratifs relèvent du secteur marchand et qu’il
n’y avait pas de raison de les exclure du régime institué par la loi Sapin.

Enfin, le contrat peut confier au titulaire le soin de construire les ouvrages ou d’acquérir
les biens et équipements nécessaires au service. Si ces ouvrages ou biens existent déjà , il
est qualifié d’affermage.

B). Le régime des délégations ou concessions de service public

Ce régime procède de plusieurs sources.

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Il est constitué, tout d’abord, par les règles jurisprudentielles applicables à l’ensemble
des contrats administratifs, règles que nous examinerons à l’occasion de l’étude de ces
contrats.

Il l’est ensuite par des dispositions de texte. Celles-ci ont résulté pour l’essentiel jusqu’à
il y a peu de la loi du 29 janvier 1993 précitée qui a eu pour objet d’encadrer les DSP en
soumettant leur passation à des obligations de publicité et de mise en concurrence (dont
elles étaient exemptes antérieurement) et en réglementant certains aspects de leur
contenu.

Le régime des délégations et concessions de service public se trouve désormais définit


par l’ordonnance du 29 janvier 2016 et son décret d’application n° 2016-86 du 1er
février 2016. Il a perdu l’essentiel de sa spécificité dans la mesure où il se trouve étendu
à l’ensemble des concessions de service qu’elles portent sur un service public ou non.

Nous commencerons par dire un mot du champ d’application de ce régime (1) ; après
quoi nous examinerons ses éléments relatifs respectivement à la passation (2) et au
contenu du contrat (3).

1). Champ d’application du régime particulier des délégations ou concessions de service


public

a).

Le régime défini par l’ordonnance s’applique aux délégations et concessions de service


public qu’elles soient passées avec des opérateurs privés ou des personnes publiques.

Celles-ci peuvent s’y porter candidates à condition :

 d’une part, que leur candidature présente un intérêt public, ce qui est le cas si elle
constitue le prolongement d’une mission de service public dont la personne
publique a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de
valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier,
ceci sous réserve qu’elles ne compromettent pas l’exercice de cette mission ( CE
assemblée, 30 décembre 2014, n° 355563, Société Armor SNC, Contrats marchés publ. 2015, n°
37, note L. de Fournoux) ;

 d’autre part, que l’offre de la personne publique ne fausse pas le jeu de la


concurrence, ce qui suppose que le prix proposé par elle prenne en compte
l’ensemble des coû ts directs et indirects concourant à la formation du prix de la
prestation (CE, 16 octobre 2000, Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau,

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Rec. CE, p. 422 ; RFDA 2001, p. 106, concl. C. Bergeal relatif précisément à une DSP ; CE avis, 8
novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, Rec. CE, p. 492 ; RFDA 2001, p. 112,
concl. C. Bergeal ; AJDA 2000, p. 987, chron. M. Guyomar et P. Collin).

En revanche, les personnes publiques ne bénéficient en principe d’aucun régime de


faveur et doivent par conséquent être mises en concurrence avec les autres opérateurs
intéressés.

b).

Par exception ne sont toutefois pas soumis à l’ordonnance, les contrats dits de quasi-
régie, c’est-à -dire notamment ceux qui sont passés avec un opérateur sur lequel la
personne publique délégante ou concédante exerce un contrô le analogue à celui qu’elle
exerce sur ses propres services ; qui réalise plus de 80 % de son activité pour la
personne publique et qui ne comporte pas de capitaux privés conférant à leur(s)
détenteur(s) une capacité de contrô le ou de blocage.

Se trouvent également exclus du champ d’application de l’ordonnance de 2016 les


contrats de concession par lesquels des personnes publiques mettent en œuvre une
coopération afin de permettre aux services publics dont elles ont la charge d’atteindre
des objectifs communs.

2). Passation du contrat

a).

Les délégations ou concessions de service public doivent être passées après publicité,
sous la forme de l’envoi d’un avis de concession publié au JOUE, au BOAMP ou dans un
JAL et dans une revue spécialisée pour les contrats de seuil européen (5 225 000 € HT) ;
ou BOAMP ou dans un JAL dans les autres cas.

Cette publicité est suivie d’une mise en concurrence respectueuse des principes de
liberté d’accès des candidats ; d’égalité de traitement de ces derniers et de transparence
des procédures, dont les modalités sont précisées par le décret du 1er février 2016.

Les offres des candidats sont jugées sur la base d’une pluralité de critères préalablement
portés à la connaissance de ces derniers, non discriminatoires et hiérarchisés (pour les
concessions de seuil européen).

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Parmi eux peuvent figurer des critères environnementaux, sociaux ou relatifs à


l’innovation et doit figurer la qualité du service rendu aux usagers.

b).

La passation des contrats de concession des collectivités territoriales présente en outre


certaines spécificités.

L’assemblée délibérante doit ainsi se prononcer sur le principe même du recours à la


DSP avant l’engagement de la procédure d’attribution.

Elle élie par ailleurs à la représentation proportionnelle une commission spéciale


présidée par l’exécutif local. Cette commission dresse la liste des candidats admis à
présenter une offre et donne son avis sur leurs propositions avant que soit engagée une
négociation.

Enfin, il revient à l’assemblée délibérante de se prononcer sur le choix du délégataire et


le contrat de délégation.

3). Le contenu du contrat

Dans le but de rompre avec les pratiques parfois douteuses auxquelles donnait lieu la
passation des DSP, l’ordonnance de 2016 reprend certaines règles édictées par la loi
Sapin.

a).

En premier lieu, elle interdit que soient mis à la charge du délégataire des paiements ou
des services étrangers à l’objet du contrat.

Elle n’autorise par ailleurs les droits d’entrée – antérieurement de pratique courante –
que sous certaines conditions. Leur montant et leur mode de calcul doivent être justifiés
dans la convention. Pratiquement ils ne devraient concerner désormais que le coû t des
biens du service appartenant à la collectivité et mis à la disposition du délégataire ou
l’indemnité que la collectivité publique aura dû verser au délégataire sortant en
contrepartie de la valeur non amortie de ses biens.

Les droits d’entrée sont enfin interdits dans les domaines où ils étaient les plus
fréquents et les plus sujets à caution : eau, assainissement et déchets ménagers.

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b).

En deuxième lieu, l’ordonnance impose que le contrat prévoit les tarifs applicables aux
usagers ainsi que les modalités de leur évolution.

c).

Enfin, la durée des contrats de concession doit être limitée en fonction de la nature et du
montant des prestations ou des investissements demandés aux concessionnaires.

Au-delà de cinq ans, cette durée ne doit pas excéder le temps nécessaire pour que le
concessionnaire amortie ses investissements avec un retour sur les capitaux investis
(article 6 du décret de 2016).

Dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement des ordures ménagères et autres


déchets, elle ne peut en principe excéder vingt ans.

C). Les marchés publics

Les marchés publics nous retiendront moins dans la mesure où ils sont toujours utilisés
par les personnes publiques pour se procurer les moyens (en travaux, fourniture ou
prestations de service) nécessaires au fonctionnement de leurs services publics. Ils
peuvent néanmoins l’être pour confier à un cocontractant la gestion même du service
public.

Les marchés publics se distinguent alors des DSP à la fois par leur définition et par leur
régime.

 Du point de vue de leur définition, ils se séparent des DSP en ce que le


cocontractant n’est pas rémunéré substantiellement par les résultats de
l’exploitation du service, mais par un prix contractuellement fixé que lui verse la
personne publique et par le fait, également, qu’il ne supporte pas le risque
économique du service.

 Du point de vue de leur régime, les marchés publics se trouvent soumis au CMP
qui prévoit des règles de passation et d’exécution en grande partie plus strictes
que celles applicables aux DSP.

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Dans ce cadre, le cocontractant peut se trouver chargé uniquement de la gestion du


service ou également de la réalisation des ouvrages nécessaires au fonctionnement de
celui-ci. Dans ce dernier cas, le CMP exige que le marché soit divisé en deux lots distincts
ou fasse apparaître séparément le prix de la construction, d’une part, et celui de
l’exploitation, d’autre part.

CHAPITRE 4 LE RÉGIME JURIDIQUE DES SERVICES PUBLICS

Les services publics n’obéissent pas à un régime juridique uniforme. Ils sont en effet
soumis aux règles de droit public et aux règles de droit privé dans des proportions
variables suivant la nature du service et le statut de la personne qui le gère (section 2).
Cet éclatement de leur régime est du reste l’une des raisons qui ont conduit la doctrine à
parler de la crise du service public.

Il subsiste cependant, dans le droit applicable aux services publics, des éléments d’unité
qui sont indépendants de la distinction entre droit public et droit privé. Certains sont
traditionnels et concernent l’ensemble des services publics : il s’agit de ce que l’on
nomme les lois du service public (section 1).

SECTION 1 LES LOIS DU SERVICE PUBLIC

Les lois du service public appelées « loi de Rolland » du nom de l’auteur qui les a
systématisées sont au nombre de trois. Il s’agit des principes de mutabilité (§ 1), de
continuité (§ 2) et d’égalité (§ 3). Il convient d’y ajouter le principe de neutralité qui a
acquis une importance croissante au cours de la période récente (§ 4).

§ 1 Le principe de mutabilité

Le principe de mutabilité veut que l’administration puisse modifier l’organisation ou le


fonctionnement du service public chaque fois que l’intérêt général l’exige, sans qu’aucun
obstacle juridique ne vienne l’en empêcher. Il constitue donc la réponse au besoin de
souplesse et d’adaptation inhérent à l’action administrative. Comme on s’en doute, il se
traduit surtout par la reconnaissance à l’administration de pouvoirs importants, et par
une limitation corrélative des droits des administrés. Il possède 3 applications
principales.

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A). Vis à vis des usagers du service

Il permet, tout d’abord, à l’administration de modifier unilatéralement la situation des


usagers du service public.

Ce pouvoir existe aussi bien à l’égard des usagers des services publics administratifs qui
se trouvent dans une situation légale et règlementaire qu’à l’égard des usagers des
services publics industriels et commerciaux qui sont pourtant liés au service par contrat.
Ni les uns, ni les autres n’ont de droits acquis au maintien de l’organisation et du
fonctionnement du service public tels qu’ils existaient à un moment donné. Pas plus
qu’ils ne peuvent s’opposer à la suppression du service, ils ne peuvent contester ses
modifications. Pour prendre un exemple tiré de la réalité quotidienne, un abonné au gaz
ou à l’électricité ne saurait s’opposer valablement à un relèvement des tarifs.

Cela ne signifie pas que les usagers soient dépourvus de tout droit. Ils peuvent exiger
l’application scrupuleuse des dispositions régissant le service tant qu’elles n’ont pas été
modifiées. Ils ont également droit à ce que les mutations décidées par l’administration
interviennent dans des conditions régulières et, notamment, qu’elles ne soient pas
entachées de rétroactivité (CE assemblée, 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore, GAJA, n° 61 :
illégalité d’une majoration rétroactive du tarif applicable à la consommation d’électricité ). Mais si la
protection dont ils bénéficient leur permet de contester les conditions de la modification
du service, elles ne les autorisent pas à contester le principe même d’une telle
modification.

B). Vis à vis des agents du service

Ce qui est possible à l’égard des usagers l’est également à l’égard des agents du service
public.

L’administration peut modifier les conditions d’exercice de leurs fonctions ; apporter


des changements à leur statut ; alourdir leur charge de travail, sans qu’ils soient fondés à
s’y opposer. Qu’ils se trouvent dans une situation légale et règlementaire comme c’est le
cas des fonctionnaires ou dans une situation contractuelle, la règle applicable est la
même. Les agents du service public n’ont aucun droit acquis au maintien de leur
situation initiale. Ils peuvent seulement exiger que les modifications les affectant
interviennent dans des conditions régulières. S’ils sont liés à l’administration par
contrat, ils peuvent, le cas échéant, exiger réparation du préjudice qu’ils subissent. Mais,
pas plus que les usagers, ils ne sauraient contester dans leur principe les modifications
décidées par l’administration.

C). Vis à vis des cocontractants du service

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Une autre application du principe de mutabilité est constituée par le pouvoir de


modification unilatérale que la jurisprudence reconnaît à l’administration dans le cadre
de ses contrats. Cette prérogative n’est pas strictement limitée aux contrats ayant pour
objet l’exécution d’un service public. Mais elle trouve son fondement dans l’idée d’une
mutabilité nécessaire de l’action administrative.

§ 2 Le principe de continuité

Le principe de continuité est sans doute celui que l’on associe le plus naturellement à
l’idée de service public. Son importance est du reste reconnue aussi bien par le Conseil
d’Etat qui le qualifie de « principe fondamental » (CE, 13 juin 1980, Dame Bonjean, Rec. CE, p.
274) que par le Conseil constitutionnel qui l’a élevé au rang de principe constitutionnel
(25 juillet 1979, « Continuité du service public de la radiotélévision », AJDA 1979, n° 9, p. 101, note M.
Paillet ; 28 juillet 1980, « Contrôle des matières nucléaires », AJDA 1980, p. 479 ; 27 janvier 1994, « Statut
de la magistrature », Rec. CC p. 47).
Il possède, à peu de chose près, le même domaine
d’application que le principe de mutabilité. Il s’en distingue cependant en ceci qu’il
impose autant de contraintes à l’administration qu’il lui reconnaît de droits.

A). Vis à vis des usagers

Vis à vis des usagers, le principe de continuité implique que le service fonctionne parfois
de manière permanente (exemple : gaz, électricité, téléphone, police), toujours de
manière régulière.

Il interdit toute interruption anormale du service qui ne serait pas justifiée par un cas de
force majeure.

Il impose, enfin, que de par ses conditions d’organisation et de fonctionnement, le


service soit normalement accessible à ses usagers (CE section, 25 juin 1969, Vincent, Rec. CE, p.
334 ; AJDA 1969, p. 555, chron. J.L. Dewost et R. Denoix de Saint Marc : horaires d’un bureau de poste
restreignant de manière abusive l’accès au service ; CE, 13 février 1987, Toucheboeuf c/ Ministre de
l’éducation nationale, Rec. CE, p. 45 : illégalité de la fermeture anticipée d’un collège pendant une durée
excédant largement celle qui était nécessaire à l’organisation et au déroulement des épreuves du
baccalauréat, en l’occurrence trois semaines avant la date prévue de la fin de l’année scolaire ; CE, 23
décembre 2011, M. Halfon, AJDA 2012, p. 833, note C. Marliac ; Droit adm. 2012, n° 29, note T. Fleury ; JCP
A 2012, n° 2281, note F. Dieu : légalité du refus du maire de Paris d’autoriser, par dérogation, des
commerçants titulaires d’emplacements sur l’un des marchés de la Ville à fermer leurs boutiques le
samedi pour des motifs religieux, eu égard à l’objectif de continuité du fonctionnement du marché compte
tenu des besoins des habitants du quartier desservi : en l’espèce, l’octroi de l’autorisation demandée
aurait entraîné la fermeture de plus d’un tiers des emplacements tous les samedis de l’année et pendant
toute la journée portant ainsi une atteinte excessive au fonctionnement du marché concerné ).

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A défaut d’assurer le respect du principe de continuité, l’administration est susceptible


d’engager sa responsabilité (CE, 6 novembre 1985, Ministre d’Etat, Ministre des transports c/ TAT et
autres, AJDA 1986, p. 84, chron. S. Hubac et M. Azibert : responsabilité de l’Etat à raison des dommages
causés par une grève illicite des agents de contrô le de la navigation aérienne ayant entraîné une
interruption du trafic).

B). Vis à vis des agents

Vis à vis des agents, le principe de continuité se traduit surtout par une limitation de leur
droit de grève.

Avant 1946, il justifiait même l’interdiction pure et simple de toute grève dans la
fonction publique et l’application aux grévistes des sanctions les plus sévères. Depuis la
reconnaissance du droit de grève par le préambule de la Constitution de 1946 (selon
lequel ce droit « s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent »), ces solutions
rigoureuses sont devenues caduques ( CE assemblée, 7 juillet 1950, Dehaene, GAJA n° 63 ; G.D., p.
408).

Par cette disposition, le Constituant a toutefois entendu marquer que, certes, le droit de
grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites, limites que
selon une formule commune au Conseil constitutionnel et au Conseil d’Etat, il appartient
au législateur de tracer en opérant « le conciliation entre la définition des intérêts
professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la
grève peut être de nature à porter atteinte ».

Ainsi s’explique que le droit de grève puisse faire l’objet de limitations de la part du
législateur, mais aussi de la part des autorités administratives.

1).

Selon la Constitution, la compétence pour réglementer – et donc limiter – le droit de


grève appartient au législateur.

Celui-ci est intervenu par l’adoption de mesures générales applicables à l’ensemble des
services publics ainsi que par des mesures particulières propres à certains d’entres eux.

a).

Les mesures générales qui ont été prises jusqu’à présent découlent de la loi du 31 juillet
1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics (codifiée aux

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articles L. 2512-1 et s. du Code du travail) et n’ont qu’un objet limité : pour l’essentiel,
elles consistent à interdire les grèves surprises et les grèves tournantes.

Ces mesures sont applicables au personnel de tous les services publics, quel que soit le
mode de dévolution du service ou de rémunération du gestionnaire, y compris au
personnel des délégataires de service public ou des entreprises titulaires de marchés
publics portant sur la gestion d’un service public ( CE, 4 décembre 2013, n° 361667, AJDA 2013,
p. 2469 : à propos du licenciement d’un salarié employé par la société chargée, dans le cadre d’un marché
public, de la gestion du service public de collecte et de transport des déchets et ordures ménagères de Lille
– Licenciement jugé justifié, faute pour le salarié d’avoir respecté le préavis imposé par la législation en
vigueur).

b).

Les mesures particulières adoptées par le législateur présentent une rigueur variable
selon l’importance qui s’attache à la continuité du service concerné.

 Celle-ci a ainsi conduit le législateur à interdire l’exercice du droit de grève à


certains personnels jugés essentiels à l’action gouvernementale et/ou la sécurité
des personnes : personnels de police ; agents de l’administration pénitentiaire ;
magistrats de l’ordre judiciaire ou encore militaires.

 Pour d’autres services, le législateur s’est borné à apporter au droit de grève des
aménagements ou des limitations, sous la forme notamment de l’institution d’un
service minimum. Un tel service a par exemple été prévu par la loi en matière de
sécurité de la navigation aérienne (loi du 31 décembre 1984) ; de service public
de la communication audiovisuelle (loi du 30 septembre 1986) ou encore, plus
récemment, en matière scolaire (loi du 20 aoû t 2008 instituant un droit d’accueil
pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire).
Cette dernière loi impose aux communes de mettre en place un service d’accueil dès lors que le
nombre des personnels qui ont déclaré leur intention de participer à la grève est égal ou
supérieur à 25 % de ceux qui exercent des fonctions d’enseignement dans l’école concernée. Sa
mise en œuvre a suscité de nombreuses difficultés et une vive résistance de la part des communes
sur lesquelles elle fait peser une obligation très lourde.
Le Conseil d’Etat a néanmoins considéré qu’elle s’imposait quand bien même la commune
concernée prétendrait ne pas disposer des moyens d’organiser le service d’accueil, notamment
par manque d’effectif d’animateurs, ou estimerait peu probable que le taux de personnel gréviste
atteigne le seuil prévu par la loi (CE, 7 octobre 2009, Commune de Plessis-Pâ té, Rec. CE, tables p.
… ; JCP A 2009, n° 2273, note Ph. Rimbault – Voir également sur le sujet, P. De Monte,
L’application de la loi sur le service minimum d’accueil : bilan illustré, AJDA 2010, p. 1188).

Parmi les exemples de mesures prises aux fins d’assurer la continuité du service public, on peut
encore citer la loi du 21 aoû t 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les
transports terrestres réguliers de voyageurs qui impose aux autorités organisatrices de
déterminer par avance, en fonction des priorités de desserte et des moyens disponibles, les

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conditions d’organisation du service en cas de grève et qui, pour permettre cette planification,
exige des agents qu’ils fassent connaître leur intention de cesser le travail au moins 48 heures
avant de participer à la grève (voir à ce sujet, H. Pauliat, Droit de grève et continuité du service
public : une conciliation sous le regard des collectivités territoriales ? JCP A 2012, n° 2268.

Une mesure analogue a été instituée dans le domaine des transports aériens par la loi relative à
l’organisation du service et à l’information des passagers. Elle a été jugée conforme à la
Constitution. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que les restrictions apportées au droit de
grève avaient pour but de préserver l’ordre public qui est un objectif constitutionnel et que celles
en cause n’étaient pas disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi (Conseil
constitutionnel, 15 mars 2012, n° 2012-650 DC, AJDA 2012, p. 574 ; Droit adm. 2012, n° 56, note
L. Grard : à propos de l’obligation imposée aux salariés dont l’absence est de nature à affecter
directement la réalisation des vols d’informer leurs employeurs de leur intention de participer à
la grève 48h au moins à l’avance et de leur décision de reprendre le service, alors que le
mouvement de grève se poursuit, au moins 24h à l’avance).

Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel exige que les atteintes portées par le
législateur au droit de grève soient proportionnées aux objectifs qu’il poursuit.

2).

La compétence conférée au législateur par la Constitution pour réglementer le droit de


grève n’exclut cependant pas celle des autorités administratives.

Le juge administratif considère, en effet, qu’ « en l’absence de la complète législation


annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour
conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout
autre, en vue d’en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l’ordre public
ou aux besoins essentiels du pays ».

a).

Les autorités compétentes en la matière sont le Gouvernement, les ministres en leur


qualité de chefs de service, mais également – sauf dispositions contraires – les organes
dirigeants des établissements publics et non pas leurs autorités de tutelle (CE, 11 juin
2010, Syndicat SUD RATP, AJDA 2010, p. 1178 : arrêt rendu sur un recours formé contre l’instruction
générale fixant les modalités de participation à la grève à la RATP et reconnaissant compétence aux
organes dirigeants de l’établissement public pour réglementer le droit de grève, nonobstant la loi précitée
du 21 aoû t 2007, celle-ci ne traitant que de points particuliers et ne constituant donc pas la
réglementation d’ensemble du droit de grève annoncé par la Constitution).

Une solution analogue a été adoptée à propos des organes dirigeants des personnes
morales de droit privé ayant la charge d’un service public, à condition que ces personnes
soient véritablement « responsables » du service public, c’est-à -dire qu’elles se soient vu
confier son organisation même, ce qui ne devrait pas être le cas des sociétés privées

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simplement délégataires d’un service public (CE assemblée, 12 avril 2013, Fédération FO énergie
et mines, RJEP 2013, n° 34, concl. F. Aladjidi et note X. Dupré de Boulois ; AJDA 2013, p. 1052, chron. ;
Droit adm. 2013, n° 59, note G. Eveillard ; JCP A 2013, n° 2308, note H. Pauliat : compétence des organes
dirigeants d’EDF, société privée dont le capital est détenu à 70 % par l’Etat, pour décider de la réquisition
d’agents grévistes chargés des opérations de maintenance et de renouvellement du combustible de huit
réacteurs du parc nucléaire).

Cette compétence constitue une application du pouvoir d’organisation du service que


l’arrêt « Jamart » reconnaît aux chefs de service.

b).

Les décisions susceptibles d’être prises par les autorités ou organes compétents peuvent
aller de la simple limitation à l’interdiction pure et simple (pour ce dernier type de mesure,
voir CE, 26 octobre 1960, Syndicat général de la navigation aérienne, Rec. CE, p. 567 : à propos des agents
occupant des emplois indispensables au fonctionnement normal des services de sécurité aérienne).

Elles peuvent également consister en la réquisition du personnel gréviste à la condition


que l’atteinte portée à la continuité du service public ou aux besoins de la population
soit suffisamment grave et que la mesure de réquisition soit proportionnée aux
nécessités du service (conditions non remplies dans une affaire relative à la réquisition du personnel
de la régie des transports de la Ville de Marseille : CE, 24 février 1961, Isnardon, Rec. CE, p. 150 ; AJDA
1961, p. 204, chron. J.M. Galabert et M. Gentot ; mais satisfaites dans une autre affaire concernant les
agents assurant la sécurité aérienne : CE, 9 février 1966, Fédération nationale de l’aviation civile, Rec. CE,
p. 101, D. 1966, p. 720, note J.P. Gilli ; ainsi que dans l’affaire « Fédération FO énergie et mines » précitée).

En vertu de l’article L. 2215-1 du CGCT, le Préfet peut également requérir les salariés en grève d’une
entreprise privée dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité
économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services
publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public, ceci à la
condition de ne prendre que les mesures nécessaires, imposées par l’urgence et proportionnées aux
nécessités de l’ordre public (CE ord., 27 octobre 2010, M. Lefèbvre et autres, AJDA 2011, p. 388, note Ph.
Hansen et N. Ferré : réquisition – jugée légale – d’une partie du personnel d’un établissement pétrolier
alors que les stocks de carburant de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle ne couvraient plus que trois jours
de consommation).

Enfin, dans des cas extrêmes, le principe de continuité peut justifier le recrutement
d’agents à titre temporaire. Le recours à des agences privées de travail temporaire n’est
en revanche autorisé que si l’embauche directe d’un personnel d’appoint s’avère
impossible (CE assemblée, 18 janvier 1980, Syndicat CFDT des Postes et des communications du Haut-
Rhin, Rec. CE, p. 31 ; AJDA 1980, p. 88, chron. Y. Robineau et M-A. Feffer ; D. 1980, IR, p. 302, obs. P.
Delvolvé ; JCP 1980.II.19450, note E. Zoller ; Rev. adm. 1980, p. 606, obs. J-J. Bienvenue et S. Rials).

c).

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Dans tous les cas, la jurisprudence subordonne la légalité des restrictions au droit de
grève à la condition qu’elles soient justifiées par les exigences précédemment
mentionnées ; qu’elles soient nécessaires, le juge vérifiant, pour apprécier cette
nécessité, que des solutions alternatives font défaut ; et qu’elles soient proportionnées
au but poursuivi.

C). Vis à vis des cocontractants du service

Dans le domaine contractuel, le principe de continuité possède deux illustrations


principales.

La première est constituée par la théorie de l’imprévision en vertu de laquelle le


cocontractant dont le contrat a été bouleversé par des circonstances imprévisibles a
droit au versement d’une indemnité compensatrice. Cette théorie trouve son fondement,
au moins de manière partielle, dans l’idée que l’administration doit garantir l’exécution
continue de ses contrats, au besoin en aidant financièrement son cocontractant.

En contrepartie – et c’est là la deuxième illustration du principe – le cocontractant ne


doit sous aucun prétexte interrompre l’exécution du contrat. S’il ne respectait pas cette
règle, il commettrait une faute grave l’exposant aux sanctions les plus sévères
(résiliation du contrat) et le privant, en toute hypothèse du droit de réclamer le bénéfice
de l’imprévision.

§ 3 Le principe d’égalité

Le principe d’égalité devant le service public constitue l’une des applications du principe
d’égalité devant la loi inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
(DDHC) de 1789. Le Conseil constitutionnel lui reconnaît valeur constitutionnelle, tandis
que le Conseil d’Etat le considère comme un principe général du droit (CE section, 9 mars
1951, Société des concerts du conservatoire, GAJA n° 65).

Tout en revêtant une importance fondamentale, ce principe fait l’objet d’une application
nuancée qui en limite la portée.

A). Le contenu du principe

Le principe d’égalité implique que toutes les personnes qui se trouvent placées dans une
situation identique à l’égard du service soient régies par les mêmes règles.

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Il s’applique aussi bien aux usagers du service qu’à ses agents et garantit aux uns et aux
autres aussi bien une égalité d’accès au service qu’une égalité de traitement dans le
service.
Exemple concernant les usagers : dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité « Société des concerts
du conservatoire », cette société s’était vu interdire par la Radio diffusion française toute retransmission
de ses concerts. La décision de la Radio diffusion était justifiée par le fait que deux membres de la Société
des concerts du conservatoire avaient prêté leur concours à un concert organisé par l’orchestre de la
Radio diffusion malgré la défense qui leur en avait été faite, au lieu d’assurer leur service, et avaient été
sanctionnés en conséquence. Le Conseil d’Etat considère, non seulement que la Radio diffusion a utilisé
ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui avaient été conférés, mais qu’elle a en outre
« méconnu le principe d’égalité qui régit le fonctionnement des services publics et qui donnait à la société
requérante, traitée jusqu’alors comme les autres grandes sociétés philarmoniques, vocation à être appelée, le
cas échéant, à prêter son concours aux émissions de la Radio diffusion ».

Exemple concernant les fonctionnaires ou candidats à la fonction publique. CE assemblée, 28 mai


1954, Barel, GAJA n° 70 : annulation du refus d’admission au concours de l’ENA de candidats pour des
raisons tenant exclusivement à leurs opinions politiques, une telle décision méconnaissant le principe
d’égalité d’accès de tous les français aux emplois et fonctions publics. En l’occurrence, le Ministre s’était
fondé sur le fait que les candidats concernés étaient communistes.

Exemple concernant les étudiants – TA Paris, 11 juin 2010, Mlle Thine, AJDA 2010, p. 2227, concl. N. Le
Broussois : illégalité du dispositif mis en place par plusieurs universités franciliennes consistant, pour
l’inscription en première année de médecine, à traiter de façon subsidiaire les candidats ayant obtenu leur
baccalauréat au cours d’une année antérieure à l’année d’inscription.

B). La portée du principe d’égalité

Le principe d’égalité ne revêt cependant qu’une portée relative. Il n’est nullement


synonyme d’uniformité. Selon la formule de principe utilisée par le Conseil d’Etat :

« (il) ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de


façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des
raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme dans l’autre cas, la différence de
traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et
ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la
justifier ».

(CE assemblée, 11 avril 2012, GISTI, Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par
le logement, RFDA 2012, p. 547, concl. G. Dumortier et note M. Gautier ; AJDA 2012, p. 936, chron. X.
Domino et A. Bretonneau : à propos de l’application aux étrangers du droit au logement opposable).

Il en résulte qu’en dehors du cas où elle y est autorisée par la loi, l’autorité
administrative peut introduire des discriminations dans deux séries d’hypothèses.

1).

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En premier lieu, elle peut légalement appliquer des traitements différents à des
personnes qui se trouvent dans des situations différentes.

Cette conception du principe d’égalité ouvre en pratique à l’administration de très larges


possibilités de modulation des règles applicables. Celle-ci n’est certes pas tenue de
soumettre à des régimes distincts les personnes se trouvant dans des situations
différentes (CE assemblée, 28 mars 1997, Société Baxter, Rec. CE, p. 114 ; RFDA 1997, p. 450, concl. J.C.
Bonichot). Mais elle peut le faire, à condition que les différences de situation en cause
soient établies et que les différences de traitement soient en rapport avec l’objet de la
règle ou du service en cause et ne revêtent pas un caractère disproportionné.

L’une des illustrations les plus importantes en pratique de ces possibilités concerne les
tarifs des services publics.
Pour donner quelques exemples tirés du service de distribution de l’eau, il a ainsi été admis que
l’administration pouvait majorer les tarifs applicables aux habitants d’une commune propriétaire d’une
piscine (CE, 14 janvier 1991, Bachelet, Rec. CE, p. 13 ; RFDA 1993, p. 673, note M. Borgetto) ou les tarifs
applicables aux usagers résidant dans une partie excentrée de la commune (eu égard au coû t de
l’extension du réseau : CE, 26 juillet 1996, Association Narbonne Liberté 89, Rec. CE, p. 696).

Récemment, le Conseil d’Etat a encore jugé que les collectivités publiques n’étaient pas tenues d’instituer
un tarif uniforme par m3 prélevé, mais pouvaient prévoir un tarif dégressif ou progressif en fonction de
tranches de consommation (CE, 14 octobre 2009, Commune de Saint Jean d’Aulps, JCP A 2009, n° 2293,
note G. Terrien ; Droit adm. 2009, n° 159).

La question s’est également posée en jurisprudence de savoir si les conditions et accès


ainsi que les tarifs des services publics pouvaient être modulés en fonction de la
domiciliation des usagers ou encore de leur nationalité ou de leur titre à séjourner sur le
territoire français. Le Conseil d’Etat a jugé à cet égard :
 qu’un conseil municipal pouvait limiter l’accès à une école de musique aux personnes qui ont un
lien particulier avec la commune (résidence, mais également lieu de travail ou scolarisation) (CE
section, 13 mai 1994, Commune de Dreux, Rec. CE, p. 233 ; RFDA 1994, p. 711, concl. S. Daël ; AJDA
1994, p. 652, obs. M. Théron) ;

 qu’une cantine scolaire et une école de musique pouvaient pratiquer des tarifs différents selon
que les élèves étaient ou non domiciliés dans la commune concernée (CE section, 5 octobre 1984,
COREP de l’Arriège, Rec. CE, p. 315, concl. F. Delon ; AJDA 1984, p. 692, chron. J.E. Schoettl et S.
Hubac ; CE, 2 décembre 1987, Commune de Romainville, Rec. CE, p. 556 ; RFDA 1988, p. 414,
concl. J. Massot) ;

 ou encore que la gratuité de l’accès au musée du Louvre ainsi qu’aux monuments nationaux
pouvait être réservée aux personnes de 18 à 25 ans, nationaux français ; ressortissants d’un autre
Etat membre de l’Union européenne ; titulaires en France d’un visa de longue durée ou d’un titre
de séjour ; résidents de longue durée dans un Etat membre de l’Union européenne ou de l’espace
européen, à l’exclusion des simples visiteurs ou des personnes en situation irrégulière (CE
section, 18 janvier 2013, Association SOS Racisme, AJDA 2013, p. 143 et p. 2010, concl. D. Hedary ;
p. 677, chron. E. Glaser ; JCP A 2013, n° 2091, note H. Pauliat : le Conseil d’Etat justifie la

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discrimination ainsi opérée par le fait qu’elle répond à l’objectif de rendre durable la
fréquentation habituelle des institutions concernées par un public dont les ressources financières
peuvent constituer un obstacle à une telle fréquentation).

Enfin, la question s’est posée de savoir s’il était possible de faire varier les tarifs des
services publics en fonction du niveau de ressource des usagers.

Le Conseil d’Etat l’a admis.

D’abord appliquée aux services publics sociaux ( crèches : CE, 29 janvier 1989, CCAS de La
Rochelle, Rec. CE, p. 8 ; AJDA 1989, p. 398, obs. X. Prétot, ou centres de loisirs ), cette solution a par la
suite été étendue aux services à objet culturel ou récréatif ( voir, à propos d’une école de
musique : CE section, 29 décembre 1997, Commune de Gennevilliers et Commune de Nanterre, Rec. CE, p.
499 ; AJDA 1998, p. 102, chron. T.X. Girardot et F. Raynaud ; RFDA 1998, p. 539, concl. J.H. Stahl – Arrêt
revenant sur la jurisprudence antérieure qui se prononçait en sens contraire).

Ces solutions se trouvent relayées et complétées par des dispositifs législatifs qui
autorisent la fixation des tarifs des SPA à caractère facultatif en fonction du niveau de
revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer (loi du 29 juillet 1998 sur
les exclusions) ou encore qui autorisent, en matière d’eau et à titre expérimental,
l’institution d’un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de
consommation gratuite au profit des personnes en situation de particulière vulnérabilité
(loi du 15 avril 2013 – V. à ce sujet H. Pauliat, Accès à l’eau et tarification sociale : l’expérimentation est
lancée ! JCP A 2015, act. 436).

Les réductions tarifaires au profit des personnes à faible revenu sont même obligatoires
en matière de transports (article L. 1113-1 du Code des transports) ( sur cette question, voir
J.B. Auby, Tarification sociale des services publics, Droit adm. juin 2014, repère 6).

Dans tous les cas, les tarifs les plus élevés ne doivent cependant pas excéder le coû t des
prestations.

Comme il a été dit précédemment, ces différences de traitement ne sont cependant


légales qu’à la triple condition qu’elles soient opérées entre des personnes se trouvant
dans des situations différentes ; qu’elles soient en relation directe avec l’objet de la
norme ou du service concerné et qu’elles ne revêtent pas un caractère manifestement
disproportionné.

 Ainsi, constitue une discrimination illégale, parce que sans rapport avec l’objet du
service, le fait d’appliquer des tarifs différents aux anciens et nouveaux élèves
d’une école de musique (voir en ce sens, l’arrêt « Commune de Romainville »,
préc.).

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Si elles sont bien établies dans leur principe, ces différentes solutions ne sont pas toujours aisées à mettre
en œuvre. Il arrive, en particulier, qu’il soit malaisé de déterminer si les personnes concernées par une
règlementation se trouvent ou non dans des situations différentes. Une affaire fournit une illustration
significative de cette difficulté.

Pour la traversée par bac entre la Palice et l’île de Ré, le Conseil général de la Charente Maritime avait
institué trois sortes de tarifs. Le plus avantageux était réservé aux habitants de l’île, un autre (également
réduit) concernait les habitants de la Charente Maritime, le troisième était applicable à tous les autres
usagers. Saisi d’un recours, le Conseil d’Etat a considéré que le traitement de faveur fait aux habitants de
l’île de Ré était justifié, mais que la discrimination entre les deux autres catégories d’usagers était illégale
(CE section, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec. CE, p. 274 ; AJDA 1974, p. 298, chron. M. Franc et M.
Boyon ; RDP 1975, p. 467, note M. Waline).

Quelques années plus tard, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur un problème analogue
concernant cette fois le pont qui relie l’île d’Oléron au continent. La loi qui lui était soumise autorisait des
discriminations identiques à celles que le Conseil d’Etat avait précédemment censurées. Le Conseil
constitutionnel les a cependant admises, adoptant par là même une conception moins rigoureuse de la
notion de différences appréciables de situation (Conseil constitutionnel, 12 juillet 1979, AJDA 1979, n° 9,
p. 46 et la chronique d’A. de Laubadère, p. 38).

2).

En dehors de l’hypothèse de différences de situation, l’administration peut également


introduire des discriminations lorsque celles-ci se fondent sur « une nécessité d’intérêt
général en rapport avec les conditions d’exploitation du service », à condition que ces
discriminations ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des objectifs
susceptibles de les justifier.
Ainsi, le Conseil d’Etat a-t-il jugé légales les dispositions prévoyant des taux de rémunération différents
pour les praticiens hospitaliers exerçant à temps partiel et ceux exerçant à plein temps, eu égard aux
différences d’accès des uns et des autres au secteur de la médecine libérale ; à la part prise par les seconds
dans l’organisation et le fonctionnement du service et à l’intérêt qui s’attache à la valorisation d’une
activité à temps plein au sein des établissements publics hospitaliers (CE, 26 juin 2009, M. Raffi et M.
Quarello, AJDA 2009, p. 2009, note G. Peiser : discrimination jugée légale alors même que les praticiens en
cause appartiennent à un même corps).

De même, est illégale parce que disproportionnée, la mesure consistant à accorder à la Société délégataire
des golfs de Biarritz un rabais de 32 % sur le prix de l’eau, cette tarification préférentielle ne répondant
pas à une nécessité d’intérêt général en relation avec les conditions d’exploitation du service et
constituant, par suite, une discrimination disproportionnée par rapport aux différences objectives de
situation entre les golfs et les autres usagers (CAA Bordeaux, 11 décembre 2012, M. Gourret-Houssein, n°
11BX03130, AJDA 2013, p. 326).

3).

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Enfin, l’administration peut déroger au principe d’égalité lorsque les discriminations


qu’elle opère trouvent leur fondement dans une loi (sous réserve, désormais, de la
constitutionnalité de celle-ci qui peut être contestée au moyen d’une QPC).

§ 4 Le principe de neutralité

Bibliographie : Collectivités et laïcité, Colloque Sénat 15 décembre 2015, JCP A


2016, supp. au n° 17-18

Le principe de neutralité constitue, selon le Conseil constitutionnel lui-même, un


corollaire du principe d’égalité. Il possède néanmoins un contenu spécifique en ce qu’il
interdit que le service soit assuré de manière différenciée selon les convictions
politiques ou religieuses de ses usagers ou de son personnel.

Ce principe n’est pas absolu. Il doit se concilier avec le respect des libertés
fondamentales telles que notamment les libertés de conscience, d’expression et de
réunion. Il n’en emporte pas moins des conséquences importantes.
A ce titre, il s’oppose par exemple :

 à ce que des formulaires de candidatures à des emplois publics ou à des concours comportent des
demandes de renseignement portant sur les opinions confessionnelles, syndicales ou politiques
des intéressés (CE, 4 novembre 1996, Confédération nationale des groupes autonomes de
l’enseignement public, Rec. CE, p. 430) ;

 à l’organisation dans un lycée de réunions par des groupements politiques d’élèves (CE, 8
novembre 1985, Rudent, Rec. CE, p. 316 ; RFDA 1986, p. 630, concl. M. Laroque ; AJDA 1985, p.
712, chron. S. Hubac et M. Azibert ; RDP 1986, p. 244, note F. Llorens) ;

 à l’accrochage du portrait du Maréchal Pétain dans la salle d’un conseil municipal (TA Caen, 26
octobre 2010, Préfet du Calvados, AJDA 2010, p. 2024 ; Droit adm. 2011, n° 16, note A.
Duranthon ; JCP A 2010, n° 2347, note J.P. Markus) ;

 à la mise à disposition du « Collectif Palestine ENS » d’une salle de l’école normale supérieure (CE
ord., 7 mars 2011, ENS, Droit adm. 2011, n° 61, note G. Grand ; AJDA 2011, p. 585, Tribune O.
Beaud : ordonnance ne se référant pas expressément au principe de neutralité, mais évoquant la
nécessité d’« assurer l’indépendance de l’école de toute emprise politique ou idéologique et de
maintenir l’ordre dans ses locaux ») ;

 au port par un élève d’un tee-shirt portant l’inscription « Palestine libre » pour exprimer son
désaccord avec les propos d’un enseignant sur la guerre du Kipour de 1973 et à son refus de
demeurer en classe, attitude excédant la liberté d’expression reconnue aux élèves par le Code de
l’éducation (CAA Lyon, 2 mai 2013, n° 12LY01830, Demirci, AJDA 2013, p. 1838 ; JCP A 2013, Act.
657) ;

 à l’agrément de l’Association « SOS Homophobie » pour apporter aux élèves de l’enseignement


secondaire une information sur la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation

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sexuelle et l’homophobie, ceci sur la base d’un document mettant en cause les représentants des
religions censés s’opposer aux avancées en matière de droit des homosexuels et présentant des
témoignages intitulés « Proviseur homo » ou « Maire homo » insuffisamment nuancés pour ne pas
porter atteinte au principe de neutralité du service public (TA Paris, 23 novembre 2012,
Confédération nationale des associations familiales catholiques et autres, AJDA 2013, p. 427,
concl. L. Guilloteau) ;

 Le Conseil d’Etat a encore jugé attentatoire au principe de neutralité la décision du Ministre


d’inviter les recteurs à relayer une campagne d’information « ligne Azur » relative à la lutte contre
les discriminations en milieu scolaire et notamment contre l’homophobie en tant qu’elle indiquait
que l’usage des drogues était de nature à faire tomber les inhibitions et qu’elle définissait la
pédophilie comme « une attirance sexuelle pour les enfants » sans mentionner le caractère
répréhensible de ces pratiques (CE, 15 octobre 2014, n° 369965, Confédération nationale des
associations familiales catholiques, Rec. CE, tables …. ; Droit adm. 2015,n° 14, note G. Eveillard ;
AJDA 2015, p. 100, note J.B. Chevalier).

 L’installation de crèches de Noël dans les mairies, siège de conseils généraux ou autres bâ timents
publics fait l’objet de décisions partiellement divergentes. Elle est considérée tantô t comme
contraire au principe de neutralité en tant que la crèche constitue un emblème religieux et
compte tenu de sa situation (CAA Paris, 8 octobre 2015, n° 15PA00814, Fédération
départementale des libres penseurs de Seine et Marne, AJDA 2015, p. 2390, note A. Dieuleveult) ;
tantô t comme ne portant atteinte ni à la liberté de conscience, ni au principe de neutralité eu
égard à sa faible taille, à son caractère non ostentatoire et au fait qu’elle ne revêt pas le caractère
d’un signe ou emblème religieux, mais qu’elle s’inscrit dans une tradition relative à la préparation
de la fête familiale de Noël et qu’elle ne s’accompagne d’aucun autre élément religieux (CAA
Nantes, 13 octobre 2015, n° 14NT03400, Fédération de la libre pensée de Vendée, ibid) – Voir sur
la question : H. Pauliat, Crèches et bâ timents publics : la discorde, JCP A 2015, act. 1002 ; M.
Touzeil-Divina, Trois sermons (contentieux) pour le jour de Noël, JCP A 2015, n° 2174, note sur
trois jugements de TA ; AMF, Vade-mecum 2015, JCP A 2015, act. 1000 : estimant que la présence
des crèches de Noël dans l’enceinte des mairies n’est pas compatible avec le principe de laïcité) ;

 Il a également été jugé par le Conseil constitutionnel qu’en ne permettant pas aux officiers d’état
civil d’invoquer une clause de conscience pour s’abstenir de célébrer des mariages entre
personnes du même sexe, le législateur avait entendu assurer l’application de la loi et garantir la
neutralité du service public (C. const., 18 octobre 2013, n° 2013-353 QPC, AJDA 2013, p. 2052 ;
Droit adm. décembre 2013, Alertes n° 96) ;

Le principe de neutralité inclut celui de laïcité qui en constitue l’un des éléments. A titre
d’exemple, il a été jugé récemment que l’organisation d’une célébration religieuse –
messe de Sainte Barbe – dans la salle de délibération d’un conseil municipal portait
atteinte aux principes de laïcité et de neutralité qui s’imposent aux autorités
municipales : TA Bordeaux, 15 décembre 2009, M. Solana, AJDA 2010, p. 461.

C’est ce lien avec le principe de laïcité qui confère à la neutralité du service public son
intérêt actuel. Comme l’écrivent A. Lallet et E. Geffray ( Le Conseil d’Etat, gardien du temple :
bref retour sur 25 ans de laïcité, AJDA 2014, p. 104), « La laïcité est un principe … fondateur de
notre contrat social ».

L’article 10 de la DDHC de 1789 pose ainsi en principe que « Nul ne doit être inquiété
pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre

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public établi par la loi », tandis que l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958
proclame : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle
assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de
religion. Elle respecte toutes les croyances ». C’est de ces dispositions qu’il tient sa valeur
de principe constitutionnel (Conseil const., 21 février 2013, décision n° 2012-297, QPC
Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, RFDA 2013, p. 663, chron. A.
Roblot-Troizier et G. Tusseau : à propos de la compatibilité du particularisme cultuel de
l’Alsace-Moselle avec le principe de laïcité).

Mais comme le relèvent également les auteurs précités, la notion de laïcité n’a guère
donné lieu à approfondissement par les juridictions ou le jurislateur jusqu’à ces 25
dernières années. Il a fallu, à la fin des années 1980, l’affaire du « foulard islamique » et,
par la suite, les manifestations nouvelles de convictions religieuses pour que la laïcité
devienne un sujet de débat important (pour ne pas dire fondamental pour la vie en
société), très sensible et particulièrement riche.

Sur le plan juridique, l’irruption ou l’essor du fait religieux a suscité un contentieux


abondant, principalement administratif, mais également judiciaire. Il a aussi provoqué
l’intervention du législateur et du Gouvernement ou des ministres compétents pour
préciser ou tenter de préciser les contours et implications du principe de laïcité.

D’un point de vue général, la laïcité se veut un principe de liberté ou plus précisément un
principe protecteur de deux libertés :

 la liberté religieuse, d’une part, la laïcité étant garante du pluralisme religieux en


ce qu’elle interdit aux pouvoirs publics de privilégier quelque confessions ou
conviction que ce soit ;

 la liberté de conscience, d’autre part, en ménageant aux agents et à certains


usagers du service public un espace de neutralité dans lequel ils peuvent
« s’abstraire du fait religieux d’autrui sans pour autant renoncer à (leurs) propre(s)
conviction(s) » (A. Lallet et E. Geffray, précité).

De manière plus précise, la loi et la jurisprudence distinguent selon que le principe de


neutralité s’applique aux usagers du service public (A) ou à ses agents (B), la question
des personnes qui lui apportent un simple concours restant, pour l’heure, en suspens.

A). L’application du principe de neutralité aux usagers du service public

L’application du principe de neutralité aux usagers du service public de l’enseignement a


principalement concerné deux questions.

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1).

La première est celle du port d’insignes religieux (foulard islamique, kippa, turban sikh,
croix …) par les élèves des établissements publics d’enseignement.

Après de multiples péripéties, la question s’est trouvée réglée par la loi du 15 mars 2004
(codifiée au Code de l’éducation, article L. 141-5-1) qui interdit le port par les élèves des
écoles, des collèges et des lycées, de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une
appartenance religieuse. A contrario, sont autorisés les signes plus discrets.

Ces dispositions législatives sont conformes à la position de la CEDH telle qu’exprimée


notamment dans son arrêt du 30 juin 2009 Mlle Tuba Atkas c/ France ( AJDA 2009, p. 277,
note G. Gonzalez ; JCP A 2009, n° 2263, note F. Dieu).

Elles s’inspirent largement d’un avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989 ( RFDA 1990,
p. 1, note J. Rivero ; GACE, p. 315, comm. O. Schrameck).

Dans cet avis, après avoir rappelé que la laïcité de l’enseignement public est l’un des
éléments de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, le
Conseil d’Etat a indiqué que ce principe impose que l’enseignement soit dispensé dans le
respect de la neutralité des programmes et des enseignements, d’une part ; et de la
liberté de conscience des élèves, d’autre part.

Il en déduisait notamment le droit pour les élèves d’exprimer leurs croyances religieuses
au sein des établissements. Mais il devait préciser que cette liberté ne saurait porter
atteinte aux activités d’enseignement ni donc de « permettre aux élèves d’arborer des
signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils
seraient portés, individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou
revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de
propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres
de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient
le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin
troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service » (CE, 14
mars 1994, Yilmaz, D. 1995, SC, p. 135, obs. B. Legros ; Les Petites Affiches 1995 n° 26, p. 23, note J.F.
Flauss).

Sur la base de cet avis, le Conseil d’Etat a considéré comme illégale l’interdiction
générale par le règlement des établissements scolaires du port d’insignes religieux ( CE, 2
novembre 1992, Kherouaa, Rec. CE, p. 389 ; RDFA 1993, p. 112, concl. D. Kessler ; AJDA 1992, p. 790,
chron. C. Mauguë et R. Schwartz), mais a jugé également qu’était justifiée l’exclusion d’élèves
refusant de se dévoiler en cours d’éducation physique (CE, 20 octobre 1999, Ministre de
l’éducation nationale c/ époux Ait Ahmad, D. 2000, p. 251, concl. R. Schwartz).

Dans le cadre fixé par la loi de 2004, il a estimé qu’était interdit le port de signes
religieux tels qu’un voile ou un foulard islamique, une kippa, une grande croix ainsi
qu’un turban qui, même de dimension modeste, ne pouvait être qualifié de discret et

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manifestait ostensiblement l’appartenance de l’élève concerné à la religion sikhe ( CE, 5


décembre 2007, n° 285394, Singh, RFDA 2008, p. 529, concl. R. Keller).

Ces solutions – ainsi que celles applicables aux enseignants – sont rappelées par la
Charte de la laïcité à l’école, publiée en annexe d’une circulaire du Ministre de
l’éducation nationale en date du 13 septembre 2013 intitulée « Valeurs et symboles de la
République » (voir à son sujet, M. Debène, La Charte de la laïcité à l’école, outil de refondation de l’école
de la République, AJDA 2013, p. 2480 ; D. F., Charte de la laïcité à l’école : laïcité pour répandre les
lumières, JCP A 2013, act. 796).

Sur le port du voile à l’université, voir la motion du CNESER du 18 mai 2015, JPC A 2015,
act. 470, qui se prononce contre son interdiction – E. Aubin, Contre l’interdiction du port
du voile à l’université, AJDA 2015, tribune p. 953.

2).

La seconde question mettant en cause le principe de neutralité est celle posée par la
liberté de conscience et sa conciliation avec l’obligation d’assiduité des élèves.

A cet égard, le Conseil d’Etat a reconnu le droit pour les élèves qui en font la demande de
bénéficier individuellement des autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un
culte ou à la célébration d’une fête religieuse, dans le cas où ces absences sont
compatibles avec l’accomplissement des tâ ches inhérentes à leurs études et avec le
respect de l’ordre public dans l’établissement. Il a ainsi considéré que dans cette mesure,
le décret du 18 février 1991 relatif aux droits et obligations des élèves dans les
établissements publics locaux d’enseignement du second degré et, particulièrement son
article 8 qui impose aux élèves une obligation d’assiduité (en application de l’article 10
de la loi du 10 juillet 1989) était légal (CE assemblée, 14 avril 1995, Consistoire central des
israélites de France, Rec. CE, p. 171, concl. Y. Aguila ; AJDA 1995, p. 501, chron. J.H. Stahl et D. Chauvaux,
RDP 1996, p. 867, note C. Haguenau ; RFDA 1995, p. 585, concl.).

Toutefois, le Conseil d’Etat a également jugé que : « Les contraintes inhérentes au travail
des élèves en classe de mathématiques supérieure font obstacle à ce qu’une scolarité
normale s’accompagne d’une dérogation systématique à l’obligation de présence le samedi,
dès lors que l’emploi du temps comporte un nombre important de cours et de contrôles de
connaissances organisés le samedi matin ». En conséquence de quoi, il a jugé légal le refus
d’admission en classe préparatoire d’un élève de confession juive, motivé par le fait que
ce dernier n’avait pas accepté le règlement intérieur de l’établissement et qu’il n’était
pas possible de le dispenser de l’assistance aux cours le samedi matin comme cela avait
pu être fait pendant sa scolarité de second cycle ( CE assemblée, 14 avril 1995, Koen, Rec. CE, p.
168 et mêmes références que pour l’autre arrêt du 14 avril 1995 précité ).

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3).

Le principe de laïcité est également au centre d’un débat relatif aux menus proposés aux
détenus dans les établissements pénitentiaires ainsi qu’aux élèves dans les cantines
scolaires.

 S’agissant des premiers, le Conseil d’Etat a jugé que « si l’observation des


prescriptions alimentaires peut être regardée comme une manifestation directe de
croyance et pratique religieuse au sens de l’article 9 de la CEDH », elle ne saurait
« toutefois imposer à l’administration de garantir, en toute circonstance, une
alimentation respectant ces convictions ».

Eu égard à l’objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre dans les


établissements pénitentiaires et aux contraintes matérielles propres à la gestion
de ces établissements, il considère que les dispositions du règlement type des
établissements pénitentiaires selon lesquelles « chaque personne détenue reçoit
une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui
concerne la qualité que la quantité aux règles de la diététique et de l’hygiène,
compte tenu de son âge, de son état de santé, de la nature de son travail et, dans
toute la mesure du possible, de ses convictions philosophiques ou religieuses » ne
sont pas illégales et ne doivent pas être abrogées comme le demandait le
requérant (CE, 25 février 2015, n° 375724, M. B., AJDA 2015, p. 421 ; et, sur le
sujet, A. Gonzalez, La liberté confessionnelle en prison, Droit adm. aoû t-
septembre 2015, étude 11).

 Une position du même ordre a été adoptée en ce qui concerne les menus dans les
cantines scolaires.

Celles-ci constituent un service public auquel s’applique le principe de laïcité,


lequel inclut le respect de l’éducation et des croyances religieuses que les parents
décident de transmettre à leurs enfants.

L’expression de la liberté de religion au travers des prescriptions alimentaires ne


saurait toutefois conduire, d’une part, à méconnaître les dispositions législatives
et réglementaires imposant de veiller à l’équilibre nutritionnel des repas servis
aux enfants et, d’autre part, à porter atteinte au fonctionnement normal du
service public, ceci d’autant plus que la restauration scolaire constitue un service
public facultatif auquel les usagers peuvent recourir dans la mesure compatible
avec leurs convictions religieuses (TA Cergy-Pontoise, 30 septembre 2015, n° 14-
11141, AJDA 2015, p. 2394, concl. E. Costa : légalité du refus d’un maire de ne
servir à un enfant de trois ans aucun plat à base de viande – Sur la position de
l’AMF qui se déclare opposée aux menus confessionnels, voir son vade-mecum de
novembre 2015, JCP A 2015, act. 1000).

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B). L’application du principe de neutralité aux agents du service public

Bibliographie : D. Jean-Pierre, Le principe de laïcité des agents publics, JCP A 2015, n°


2308 ; A. Gaillet, Port du voile par les enseignantes des écoles publiques : retour à
Karlsruhe, étude de la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 27 janvier
2015, AJDA 2015, p. 1401.

Le Conseil d’Etat a également été amené à préciser la portée du principe de neutralité à


l’égard des agents du service public, ceci dans un avis du 3 mai 2000 « Mlle Marteaux »
(AJDA 2000, p. 602, chron. M. Guyomar et P. Collin ; RFDA 2001, p. 146, concl. R. Schwartz ). Sa teneur,
qui témoigne d’une conception plus rigoureuse de la neutralité à l’égard des agents qu’à
l’égard des usagers du service public, peut être résumée comme suit.

1). Contenu du principe

Les agents du service public bénéficient de la liberté de conscience et ne sauraient faire


l’objet de discriminations fondées sur leurs croyances ou appartenances politiques,
philosophiques ou religieuses. Mais, les principes de neutralité et de laïcité s’opposent à
ce que, dans le cadre du service public, ils expriment leurs convictions en portant des
signes, religieux notamment, destinés à les manifester.

En cas de manquement au principe de neutralité, les suites à donner au comportement


de l’agent sont à apprécier par son autorité hiérarchique en fonction de la nature et du
caractère plus ou moins ostentatoire de l’insigne.
En application de ces principes, la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé qu’avait commis une
faute de nature à justifier son licenciement, l’agent ayant refusé de renoncer au port d’un voile, puis d’un
bandana destinés à marquer manifestement son appartenance à une religion alors qu’elle était amenée à
recevoir des parents en sa qualité d’assistante maternelle (6 octobre 2011, Mme Abderahim, AJDA 2011,
p. 2439).

2). Champ d’application du principe

 Les principes de neutralité et de laïcité s’appliquent à tous les services publics.

Ils s’étendent aussi bien aux services publics gérés par des personnes publiques qu’à
ceux gérés par des personnes privées (voir Cass. soc., 19 mars 2013, Mme X. c/ CPAM de Seine-
Saint-Denis, n° 12-11.690, AJDA 2013, p. 597 et p. 1069, note J.D. Dreyfus ; JCP A 2013, Act. 300 et n° 2132,
note J.B. Vila : licéité du licenciement d’une salariée portant le voile islamique contrairement à une

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disposition du règlement intérieur de la CPAM, peu important qu’elle soit ou non directement en contact
avec le public).

La CEDH a confirmé le bienfondé de cette position à propos du non-renouvellement du


contrat public d’une assistante sociale employée dans un centre d’accueil et de soins
hospitaliers qui refusait d’ô ter son voile durant l’exercice de ses fonctions ( CEDH, 26
novembre 2015, n° 64846/11, Ebrahinian c/ France, AJDA 2015, p. 2292 ; JCP A 2015, act. 1020 : « Les
autorités nationales n’ont pas outre passé leur marge d’appréciation en constatant l’absence de conciliation
possible entre les convictions religieuses de la requérante et l’obligation de ne pas les manifester, puis en
décidant de faire primer l’exigence de neutralité et d’impartialité de l’Etat »).

 Ils s’imposent à tous les agents qu’ils soient chargés de fonction d’enseignement
ou non (CE, avis du 3 mai 2000, n° 217017, Marteaux, Lebon).

 É tant strictement liés aux exigences du service public, les principes de neutralité
et de laïcité n’ont pas, en revanche, vocation à s’appliquer aux organismes privés
qui ne gèrent pas un service public mais exercent une simple activité d’intérêt
général, telle que celle des crèches et haltes-garderies.

C’est ce qu’a implicitement jugé la Cour de Cassation dans un arrêt d’assemblée


plénière qui met fin à la « saga » Baby-Loup, contentieux aux multiples
rebondissements qui avait pour origine le licenciement de la directrice adjointe
de la crèche au motif qu’elle refusait d’ô ter son voile (Cassation, assemblé
plénière, 25 juin 2014, n° 13-28.369, AJDA 2014, p. 1843, note S. Mouton et T.
Lamarche ; Droit adm. 2014, n° 47, note F. Crouzatier-Durand ; JCP A 2014, n°
2322, note F. Dieu). La Cour considère néanmoins que, conformément aux
articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du travail, l’employeur peut imposer aux
salariés des restrictions à sa liberté de manifester ses convictions religieuses à
condition que ces restrictions soient justifiées par la nature de la tâ che à
accomplir et qu’elles soient proportionnées au but recherché.

En l’espèce, le règlement intérieur de l’Association Baby-Loup disposait que : « le


principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du
personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité
qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans
les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants
confiés à la crèche ».

La Cour de Cassation estime que la Cour d’appel a pu en déduire, au terme d’une


appréciation concrète des conditions de fonctionnement d’une association de
dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou
pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la
restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur
ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée

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par la nature des tâ ches accomplies par les salariés de l’Association et


proportionnée au but recherché ».

Par ailleurs, tout en déniant à la crèche le caractère d’ « entreprise de conviction »,


c’est-à -dire selon ses termes d’entreprise ayant pour objet de « promouvoir et de
défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques », la Cour de
Cassation ne remet pas en cause la possibilité pour de telles entreprises
d’apporter des restrictions aux manifestations, par les salariés, de leurs
convictions religieuses.

Une proposition de loi qui fait suite à la décision de la Cour de Cassation prévoit
de soumettre à une obligation de neutralité religieuse les structures d’accueil de
mineurs à statut privé qui bénéficient de subventions publiques. Celles n’en
bénéficiant pas peuvent prévoir une telle obligation dans leur règlement
intérieur. Sont exemptées de ce dispositif, les structures à caractère propre c’est-
à -dire à caractère religieux ainsi que les assistantes maternelles exclues du
champ d’application du texte (AJDA 2015, p. 1021).

Tout en soulignant l’importance de la liberté religieuse, la CEDH considère, quant


à elle, que l’absence de dispositif protégeant expressément le port de vêtements
ou symboles religieux sur le lieu de travail n’emporte pas en soi violation du droit
de manifester sa religion.

Pour le reste, elle vérifie que les restrictions à la liberté religieuse sont bien
proportionnées et ménagent un juste équilibre entre les droits et intérêts en
présence : tel n’est pas le cas d’une restriction justifiée par le souci de
l’employeur (en l’occurrence, la Société privée British Airways) de véhiculer une
image de marque (à propos de l’interdiction du port d’une croix chrétienne
autour du cou) ; tel est en revanche le cas si est en cause la protection de la santé
et de la sécurité des personnes en milieu hospitalier (à propos du même cas de
figure) ; tel est également le cas si l’employeur, qui avait licencié des agents
refusant de célébrer des mariages homosexuels ou de conseiller des couples
homosexuels, poursuivait une politique de non-discrimination à l’égard des
usagers (CEDH, 15 novembre 2013, Eweida et autres c/ Royaume-Uni, AJDA
2013, p. 81 et p. 1801, chron. ; JCP A 2013, Act. 58).

 SUR LA CHRONOLOGIE DES ARRETS RENDUS AU SUJET DE


L’AFFAIRE DE LA CRECHE « BABY-LOUP »

1. La CA de Versailles a jugé dans un arrêt du 27 octobre 2011 que l’association Baby-


loup pouvait « légitimement s’opposer à ce que Mme X porte le voile dans l’exercice de ses
fonctions » et prononcer son licenciement, sans que cela « ne porte atteinte aux libertés
fondamentales » ni ne soit lié « aux convictions religieuses de la salarié », au motif que
conformément aux statuts de l’association « la crèche doit assurer une neutralité du

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personnel dès lors qu’elle a pour vocation d’accueillir tous les enfants du quartier qu’elle que
soit leur appartenance culturelle ou religieuse ; que ces enfants, compte tenu de leur jeune
âge, n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance
religieuse » et que le règlement intérieur définissait le principe selon lequel « dans l’exercice
de son travail, le personnel devait respecter et garder la neutralité d’opinion politique et
confessionnelle en regard du public accueilli ».

La CA en tire la conclusion que « les restrictions ainsi prévues apparaissent dès lors
justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché au sens
des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail ».

2. La Chbre Sociale de la Cour de Cassation a cassé cet arrêt au motif que :


« le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable
aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu’il ne
peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les
dispositions du code du travail ; qu’il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L.
1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse
doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence
professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ; […]
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le règlement intérieur de
l’association Baby Loup prévoit que « le principe de la liberté de conscience et de
religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des
principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des
activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes
qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », ce dont il se
déduisait que la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et
imprécise, ne répondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail et
que le licenciement, prononcé pour un motif discriminatoire, était nul, sans qu’il y ait
lieu d’examiner les autres griefs visés à la lettre de licenciement, la cour d’appel, qui
n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés »
(Cass. Soc, 19 mars 2013, n° 11-28.845)

3. La Cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi, n’a pas suivi la position de la chambre sociale
et juge que l’obligation de neutralité mentionnée dans les statuts de l’association :
« est suffisamment précise pour qu’elle soit entendue comme étant d’application
limitée aux activités d’éveil et d’accompagnement des enfants à l’intérieur et à
l’extérieur des locaux professionnels ; qu’elle n’a donc pas la portée d’une
interdiction générale puisqu’elle exclut les activités sans contact avec les enfants,
notamment celles destinées à l’insertion sociale et professionnelle des femmes du
quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche. […]
Que les restrictions ainsi prévues sont, pour les raisons ci-dessus exposées, justifiées
par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché au sens des
articles L.1121-1 et L.1321-3 du code du travail ; qu’au vu de l’ensemble des
considérations développées, elles ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales,
dont la liberté religieuse, et ne présentent pas un caractère discriminatoire au sens de
l’article L.1132-1 du code du travail ; qu’elles répondent aussi dans le cas particulier
à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de respecter et protéger la
conscience en éveil des enfants, même si cette exigence ne résulte pas de la loi ».

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4. C’est la solution que la Cour de cassation, statuant en Assemblée plénière, a confirmé dans
un arrêt du 26 juin 2014 :

« Mais attendu qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du


code du travail que les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses
convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et
proportionnées au but recherché ;

Attendu qu'ayant relevé que le règlement intérieur de l'association Baby-Loup, tel


qu'amendé en 2003, disposait que « le principe de la liberté de conscience et de
religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des
principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des
activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en
accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », la cour d'appel a pu en
déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d'une
association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient
ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la
restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne
présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la
nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but
recherché ;

Et attendu que sont erronés, mais surabondants, les motifs de l'arrêt qualifiant
l'association Baby-Loup d'entreprise de conviction, dès lors que cette association
avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses,
politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, « de développer une
action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'œuvrer pour l'insertion
sociale et professionnelle des femmes [...] sans distinction d'opinion politique et
confessionnelle » (Cass. Assemblée Plénière 26 juin 2014, req. n° 13-28.369 ».

 La question de savoir si le principe de neutralité s’étend aux personnes qui


apportent leur concours au service public et que l’on qualifie de « participants au
service public » n’est pas totalement tranchée.

 Dans une affaire qui a connu un certain retentissement, le Tribunal


administratif de Montreuil a estimé que le principe de neutralité de l’école
laïque s’étendait aux parents volontaires pour accompagner des sorties
scolaires (TA Montreuil, 22 novembre 2011, Mme Osman, JCP A 2011, n° 2384, concl. V.
Restino ; AJDA 2012, p. 163 et la note ; Droit adm. 2012, n° 16, note A. Taillefait, ainsi que
D. Vergely, Sorties scolaires : la question du voile, AJDA 2012, p. 1388).

 Dans son étude précitée, le Conseil d’Etat adopte une position contraire,
sauf à ce que les nécessités de l’ordre public ou du bon fonctionnement du
service public justifient qu’il soit recommandé aux parents d’élèves
participant à des déplacements de ne pas manifester leurs appartenance
ou croyances religieuses.

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Le TA de Nice s’est rangé à cette position (9 juin 2015, n° 13-05386, AJDA


2015, p. 1125 et 1933, note C. Brice-Delajoux ; JCP A 2015, n° 2236, concl.
J.M. Laso : seules des dispositions particulières de texte ou des
considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service
public peuvent justifier le refus d’autoriser des mères voilées à
accompagner des enfants.

 La Charte de la laïcité à l’école est, quant à elle, muette sur le sujet.

En conclusion sur ce point, on signalera que – sur un point au moins – la CEDH se


montre moins protectrice de la laïcité. Dans un arrêt du 18 mars 2011 « Lautsi c/ Italie »,
la Cour a en effet considéré que la présence de crucifix dans les salles de classe (en
Italie) ne méconnaissait pas les stipulations de la convention relative à la liberté
d’éducation et à la liberté de conscience et de religion, ceci au motif que le crucifix est un
symbole religieux essentiellement passif ; qu’il n’empêche pas les parents d’orienter
l’éducation de leurs enfants en fonction de leur conviction religieuse et que son
exposition relève de la marge d’appréciation laissée aux Etats (AJDA 2011, p. 594 ; Droit adm.
2011, n° 60, note C. Benelbaz).

SECTION 2 LES PARTS RESPECTIVES DU DROIT PUBLIC ET DU DROIT PRIVÉ DANS LE RÉGIME DES
SERVICES PUBLICS

Les lois du service public ne constituent que des principes généraux qui encadrent
l’organisation des services publics. Ils ne renseignent pas sur le fond des règles qui
régissent leur fonctionnement au quotidien. Celles-ci relèvent tantô t du droit public,
tantô t du droit privé.

La question essentielle est donc de savoir quels sont les facteurs qui déterminent
l’application de l’un et de l’autre. Il en est deux qui se combinent : la nature du service et
le statut de la personne qui le gère. C’est leur combinaison qui détermine les parts
respectives du droit public et du droit privé dans le régime des services publics. C’est
également ce qui explique la complexité de ce régime, obligeant à distinguer selon que le
service est assuré par une personne publique ou par une personne privée et, à l’intérieur
de chacune de ces hypothèses, selon qu’il revêt un caractère administratif ou un
caractère industriel et commercial. On obtient ainsi une échelle de publicisation
décroissante du service public qui constitue à l’heure actuelle la marque essentielle de
son régime.

§ 1 Les services publics administratifs gérés par des personnes publiques

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C’est dans leur régime que l’on trouve la proportion la plus importante de droit public.
L’essentiel de leur activité y est soumise.

 Leurs usagers se trouvent placés dans une situation légale et réglementaire de


droit public. Ils sont donc régis par des dispositions édictées unilatéralement
(dispositions de loi, de décret et de règlement intérieur) auxquelles ils doivent
obéir sans dérogation possible, ni possibilité de s’opposer aux modifications dont
ces dispositions font l’objet (CE, 2 octobre 1985, Jeissou et SEM du Pont de Saint Nazaire-
Saint Brémin – deux espèces – Rec. CE, p. 541 ; AJDA 1986, p. 38, concl. P.A. Jeanneney : à propos
du litige opposant un usager au concessionnaire d’un pont routier à propos du péage exigé ).

 Les agents du service sont, pour l’essentiel, des fonctionnaires et des contractuels
relevant du droit public.

Depuis un arrêt « Berkani » du 25 juin 1996 (Rec. CE, p. 536 ; RFDA 1996, p. 819, concl.
Martin ; AJDA 1996, p. 354, chron.), le Tribunal des conflits a simplifié l’état du droit en
posant en principe que les personnels non statutaires qui travaillent pour le
compte d’un service public administratif sont des agents de droit public quel que
soit leur emploi (revirement par rapport à la jurisprudence du Tribunal des conflits « Dame
Veuve Mazerand », 25 novembre 1963, Rec. CE, p. 792).

Cette solution a été reprise pour l’essentiel par la loi du 12 avril 2000 (articles 34
et 35). Elle comporte néanmoins une exception. Quand une personne publique
reprend en régie la gestion d’un service public précédemment géré par une
personne privée en lui conférant le caractère d’un SPA, le personnel du précédent
gestionnaire demeure soumis à un régime de droit privé tant que son employeur
public ne l’a pas placé sous un régime de droit public ( Tribunal des conflits, 19 janvier
2004, Mme Devun, AJDA 2004, p. 432, chron.).

Le législateur s’est toutefois employé à réduire la difficulté résultant de cette


exception en imposant le placement des intéressés sous un tel régime (article 20
de la loi 2005-843 du 26 juillet 2005).

 Les actes unilatéraux des SPA gérés par des personnes publiques sont également
régis par le droit administratif et ce, qu’ils concernent les relations du service
avec les tiers, avec les usagers ou avec le personnel.

 Enfin, dans une large mesure, les travaux de ces services sont des travaux publics,
leurs biens des dépendances du domaine public ; leurs contrats des contrats
administratifs et leur responsabilité une responsabilité administrative mise en
jeu devant la juridiction administrative.

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Mais, en dépit de cette domination très nette, les services publics administratifs gérés
par des personnes publiques ne sont pas soumis en totalité au droit public. Une partie de
leur activité (relativement restreinte il est vrai) se trouve régie par le droit privé. Ils
peuvent ainsi passer des contrats ne répondant pas aux critères du contrat administratif
et relevant, par là même, du droit civil. Ils peuvent voir leur responsabilité engagée
devant les tribunaux judiciaires dans les conditions du droit commun, en vertu de la loi.
Enfin, la part de leur activité ayant pour objet la gestion du domaine privé relève de la
compétence judiciaire et du droit privé.

§ 2 Les services publics industriels et commerciaux gérés par une personne


publique

La proportion du droit privé et du droit public se trouve ici inversée. C’est le droit privé
qui domine.

 Il s’applique d’abord aux relations du service avec ses usagers. Ceux-ci se


trouvent dans une situation contractuelle de droit privé. Ils peuvent donc se
prévaloir des droits acquis que leur confèrent leurs contrats. Ces contrats sont
par ailleurs toujours de droit privé, quelles que soient leurs clauses ou leur objet
(CE section, 13 octobre 1961, Etablissement Campanon-Rey, Rec. CE, p. 567 ; AJDA 1962, p. 98,
concl. C. Heumann, note A. de Laubadère ; Tribunal des conflits, 17 décembre 1962, Dame
Bertrand, Rec. CE, p. 832, concl. J. Chardeau ; AJDA 1963, p. 88, chron. M. Gentot et J. Fourré ).

Il en va de même des litiges en responsabilité qui opposent les usagers au service.


Ils sont de la compétence des tribunaux judiciaires et sont tranchés selon les
règles de droit privé dans tous les cas, y compris lorsqu’ils ont pour origine des
dommages de travaux publics. En effet, le caractère industriel et commercial du
service fait échec à l’effet attractif, pourtant puissant, de la notion de travail
public (CE section, 22 janvier 1960, Gladieu, Rec. CE, p. 52 ; RDP 1960, p. 686, concl. J. Fournier ;
CE section, 13 janvier 1961, Département du Bas-Rhin, Rec. CE, p. 38 ; AJDA 1961, p. 235, concl. J.
Fournier).

 On retrouve la même dose importante de droit privé dans les relations du service
avec son personnel. Les agents des services publics industriels et commerciaux
dotés de la personnalité morale sont en effet des agents de droit privé à la seule
exception du responsable de l’ensemble du service et du chef de la comptabilité
lorsqu’il a la qualité de comptable public ( CE, 26 janvier 1923, De Robert Lafreygère,
GAJA n° 38 ; CE section, 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec. CE, p. 157 ; D. 1957, p. 378, concl.
C. Mosset, note A. de Laubadère ; et pour des confirmations de ces solutions, CE, 15 décembre
1967, Level, Rec. CE, p. 501 ; AJDA 1968, chron. J. Massot et J.L. Dewost, concl. G. Braibant ; CE, 20
octobre 1982, Fache, Rec. CE, p. 562 …).

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Droit administratif 2ème année – 2ème partie : Les activités administratives – 2016/2017
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 Enfin, la responsabilité du service à l’égard des tiers obéit à un régime de droit


privé mis en œuvre par les tribunaux judiciaires ( Tribunal des conflits, 19 mai 1954,
Société Planche, Rec. CE, p. 705 ; JCP 1954.II.8267, concl. G. Vedel ). Il n’en va autrement que
lorsque le litige trouve sa source dans un dommage de travaux publics.

Tout cela fait apparaître la très large soumission des SPIC gérés par des personnes
publiques au droit privé. Mais, en même temps, l’on a pu constater à l’évocation de telle
ou telle règle que l’exclusion du droit public n’est pas absolue. D’autres éléments de
régime confirment ce constat.

Ainsi, les SPIC peuvent-ils posséder un domaine public, réaliser des travaux publics ou
conclure des contrats administratifs avec d’autres personnes que les usagers, dans les
mêmes conditions que les services publics administratifs.

A cela, il faut ajouter que les règlements qu’ils prennent pour définir leurs conditions
d’organisation et de fonctionnement sont des actes administratifs dont le contentieux
appartient aux juridictions administratives qu’ils concernent les agents du service ou ses
usagers.

Enfin, rien n’empêche ces services – et c’est du reste ainsi qu’ils procèdent souvent – de
soumettre leurs relations avec les usagers et le personnel à des règles contractuelles
dans le premier cas, statutaires dans le second, qui, par leur contenu, sont fort
semblables à celles appliquées dans le cadre des services publics administratifs. Le
contentieux auquel donne lieu la mise en œuvre de ces règles demeure de la compétence
des tribunaux judiciaires et doit être tranché selon les règles de droit privé. Mais le fond
même de ces règles, leur parenté avec les règles analogues du droit public confèrent à
cette privatisation une portée relative.

§ 3 Les services publics administratifs gérés par des personnes privées

Avec cette hypothèse, on franchit un nouveau seuil dans la privatisation du service. Son
caractère administratif entraîne l’application de certaines règles de droit public. Mais le
statut privé de la personne gestionnaire impose une très large domination du droit
privé.

En fait, le droit public, et la compétence de la juridiction administrative, ne concernent


que trois aspects de l’activité de ces services : leurs actes unilatéraux à la condition
toutefois qu’ils aient pour objet l’exécution du service public et comportent l’utilisation
de prérogatives de puissance publique ; leur responsabilité dans la mesure où le
dommage trouve sa cause dans l’exécution du service public par l’usage d’une
prérogative de puissance publique ou dans l’exécution d’un service public d’une nature
particulière assurée pour le compte de l’Etat et sous son contrô le (TC, 11 juin 2012, Société
GTM Génie civil et services c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres

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infractions, AJDA 2012, p. 1192 : compétence du juge administratif pour connaître de la responsabilité
d’une société privée, gestionnaire d’un établissement pénitentiaire, à raison d’un accident médical subi
par un détenu, le Tribunal considérant que le détenu en question « se trouvait, à l’égard de la personne,
même de droit privé, chargée de cette mission, dans une relation de droit public ») ;
leurs contrats dans
le cas où ils répondent aux critères du contrat administratif et où la jurisprudence
estime que la présence d’une personne publique, en tant que partie contractante, n’est
pas nécessaire (ce qui constitue une exception).

Tout le reste qui couvre l’essentiel des relations du service avec les usagers, son
personnel, et même les tiers, relève du droit privé.

§ 4 Les services publics industriels et commerciaux gérés par des personnes


privées

En ce qui les concerne, la part du droit public est réduite à sa plus simple expression.
Elle ne concerne en effet que les règlements édictés par les organes dirigeant en vue de
l’organisation du service (Tribunal des conflits, 15 janvier 1968, Compagnie Air France c/ époux
Barbier, GAJA n° 84 : compétence de la juridiction administrative pour juger de la légalité des règlements
émanant du Conseil d’administration de la Société Air France, personne morale de droit privé, qui
touchent à l’organisation du service public. En l’occurrence, le règlement attaqué fixait les conditions de
travail du personnel naviguant commercial et disposait que le mariage des hô tesses de l’air entraînait, de
la part des intéressées, la cessation de leurs fonctions).

Le droit privé couvre tous les autres aspects de l’activité des services concernés :
relations avec les usagers ; avec le personnel ; contrats passés avec les tiers ;
responsabilités contractuelle ou quasi-délictuelle.

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