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Droit des entreprises publiques

Dr Elvis Adjaffi

1
Introduction

Peut-on encore parler des entreprises publiques comme l’un des instruments de l’action
économique de l’État ? Elles l’ont été certainement après la Seconde guerre mondiale, à la fois
comme structures des principaux secteurs économiques (énergie, banque, industrie) et comme
acteurs de l’activité économique. Elles ont contribué à la fois à la réorganisation et à l’expansion
de l’économie dans le monde.

Dans l’ambiguïté que comportait d’une part leur appartenance au secteur public, d’autre part
leur autonomie par rapport aux pouvoirs publics, elles ont joué un rôle majeur d’intervention
publique dans la vie économique. Cependant, depuis les années 1990 surtout avec les
programmes d’ajustement structurel, le nombre des entreprises publiques s’est ainsi
considérablement réduit ; celles qui subsistent sont insérées dans un système de concurrence
qui réduit la spécificité, sinon de leur statut, du moins de leur action.

Il ne faut pourtant pas en déduire qu’elles n’ont plus d’importance. Celles qui subsistent, même
transformées ou découpées, tiennent encore une place majeure dans l’économie et y jouent un
rôle qui ne l’est pas moins, en particulier dans certains secteurs (transports ferroviaires,
électricité). De nouvelles ont pu être créées, spécialement pour soutenir la création et le
développement d’entreprises. Les plus importantes ont été aménagées en groupes publics. Sont
accrues les participations publiques dans les entreprises. Pour faire face à la crise provoquée
par le coronavirus, les pouvoirs publics y trouvent un instrument pour soutenir les entreprises
privées. Il a même été question, en 2011 pendant la crise post-électorale, de procéder à des
nationalisations (c’est-à-dire à la transformation d’entreprises privées en entreprises publiques),
au moins à titre temporaire.

Ainsi, si les entreprises ont été limitées dans leur nombre et transformées dans leurs statuts,
elles n’ont pas disparu du système de l’économie ivoirienne et même française. Il y a encore
matière à les étudier au titre du droit public des affaires. Il y a lieu, en tout premier lieu,
d’identifier les entreprises publiques.

L’expression et la notion d’entreprise publique 1 sont plus récentes que celles de service public
industriel et commercial. Aujourd’hui courante, l’expression « entreprise publique » n’était pas
employée avant la seconde guerre mondiale et semble avoir pris naissance en 1946, en France,

1
1. A. Delion, « La notion d’entreprise publique », AJDA avr. 1979. 3 ; J. Dufau, « Remarques sur la notion
d’entreprise publique », AJDA 1956. I. 89 ; M. Durupty, « Existe- t- il un critère de l’entreprise publique ? », Rev.
adm. 1984. 7 ; H. Jacquot, « La réforme de la SNCF et l’apparition d’une notion nouvelle de l’entreprise publique
», Dr. soc. 1970. 337 ; L. Rapp., « Qu’est- ce qu’une “ entreprise publique” ? », AJDA, 2017. 1993.

2
dans le recensement du secteur public industriel qui fut établi sur les instructions du ministre
des Finances Robert Schuman et est connu sous le nom d’« inventaire Schuman ». L’idée
d’inventer, en quelque sorte, une catégorie nouvelle dotée d’une appellation nouvelle est due
aux nationalisations et a d’abord concerné les entreprises du secteur public issues de celles-ci.
Aussi a-t-on parlé d’abord des « entreprises nationalisées ». Puis on s’est avisé que cette
expression était trop précise et trop étroite parce que d’autres éléments du secteur public
industriel, antérieurs ou postérieurs aux nationalisations et non issus de telles opérations,
pouvaient ne pas en être distinguées. C’est ainsi, par exemple, qu’après les nationalisations de
1946, des entreprises d’État déjà existantes, comme l’Office de l’Azote et les Potasses d’Alsace
reçurent un nouveau statut analogue à celui des entreprises nationalisées (avec des conseils
d’administration composés sur la base de la représentation des intérêts). C’est pourquoi l’on se
mit de plus en plus à parler des « entreprises publiques », dont les entreprises nationalisées ne
furent plus désormais qu’un élément. La question se posa alors de savoir s’il ne convenait pas
de consacrer cet avènement d’une catégorie nouvelle, l’entreprise publique, en la définissant
légalement et en fixant ses règles générales. C’est le problème du statut de l’entreprise publique.

En France, la tendance fut d’abord favorable à l’élaboration d’un tel statut et effectivement un
projet de loi portant statut des entreprises publiques fut déposé en 1948. Mais ce projet ne fut
pas discuté et, depuis lors, la tendance s’est au contraire dessinée vers la renonciation à un statut
général. À la suite des nationalisations de 1982, cette tendance a commencé à se renverser avec
la loi relative à la démocratisation du secteur public. Les lois de privatisation de 1986 et de
1993 ont paradoxalement contribué elles-mêmes à l’identification des entreprises du secteur
public pour déterminer les conditions de leur transfert au secteur privé. Mais ces textes ne
définissent pas l’entreprise publique et n’épuisent pas le nombre de celles qu’on peut faire entrer
sous cette appellation. Ils font apparaître d’ailleurs un nouveau glissement de terminologie. On
remarque qu’ils parlent de secteur public, d’entreprises du secteur public, ce qui pourrait
impliquer que le secteur public est plus vaste que les entreprises publiques.

Aucun texte ne donne finalement de définition générale de l’entreprise publique, comme l’ont
constaté le Conseil d’État2 et le Conseil constitutionnel3. Si on peut la chercher dans ceux qui
en parlent (I), il faut déterminer au-delà les critères qui permettent de reconnaître une entreprise

2
CE 10 juill. 1972, Cie Air Inter, Lebon 537.
3
Cons. const. 19-20 juill. 1983, n° 83-162 DC, Rec. 49.

3
publique (II). Dans les deux cas, ni la diversité n’empêche la recherche de l’unité ni l’unité la
constatation d’une diversité.

I. L’entreprise publique à travers les textes : de la diversité à l’unité

Les textes officiels, s’ils donnent des indications utiles, ne sont pas absolument déterminants :
car les uns, pour être de portée générale, n’ont pas de valeur juridique ; les autres, pour avoir
une valeur juridique, n’ont qu’une portée spéciale.

A. Des textes généraux sans valeur juridique

Même s’ils sont dépourvus de valeur juridique, certains textes officiels sont intéressants pour
cerner la notion d’entreprise publique, car ils envisagent les entreprises publiques en général,
dans leur ensemble. On va même voir que certains d’entre eux sont trop larges. On peut les
classer en fonction du caractère de plus en plus juridique de leur approche. Selon la comptabilité
nationale française4, l’entreprise publique est un organisme de production de biens ou de
services dont le patrimoine appartient en totalité ou en partie à des autorités publiques (État,
collectivités locales). Cette définition large amène à classer dans les entreprises publiques des
régies et des services qui n’ont pas d’activité industrielle et commerciale (théâtres nationaux ou
municipaux, offices d’HLM, offices d’intervention agricole, hôpitaux), alors qu’une activité
industrielle et commerciale est juridiquement nécessaire à la reconnaissance de l’entreprise
publique.

L’inventaire de la situation financière de la France établi sur les instructions du Président Robert
Schuman en 1946-1949 (dit Inventaire Schuman), donne non pas une définition mais une liste
d’entreprises publiques, classées en trois catégories : les offices industriels et commerciaux, les
entreprises nationalisées, les sociétés d’économie mixte. L’intérêt de ce classement est
aujourd’hui réduit en raison de son ancienneté.

À la demande du Gouvernement, un groupe de travail placé sous la présidence de M. Simon


Nora a établi en 1967 un rapport sur les entreprises publiques (Rapport Nora)5 destiné à en
préparer la réforme. Sans prendre une position juridique, il a fait valoir une conception de
l’entreprise publique susceptible d’entraîner certaines conséquences. Il considère en effet que
« le secteur des entreprises publiques ne peut [...] être traité comme un service public [...] c’est

4
B. Brunhes, Présentation de la comptabilité nationale, Dunod, 1991.
5
Doc. fr., 1968.

4
un secteur d’entreprises voué au rendement, à l’efficacité, à la responsabilité »6. C’est plus une
prise de position sur le régime applicable que sur le champ auquel il doit être appliqué.

Les rapports du Conseil d’État français sur les établissements publics ont plusieurs fois abordé
la question des entreprises publiques pour les situer par rapport à eux. Celui de 1971 sur « la
réforme des établissements publics » mentionne (p. 71) les entreprises publiques constituées à
l’époque sous forme d’établissements publics (Charbonnages, Houillères, EDF, GDF, RATP,
SEITA, SNEP, ERAP, EMC), ce qui implique que d’autres établissements publics parfois
considérés comme entreprises publiques ne sont pas ici considérés comme tels (par ex. Aéroport
de Paris, Commissariat à l’énergie atomique). En outre le texte range (p. 75- 76) dans la rubrique
d’ « institutions d’intérêt général… qui ont reçu… un statut spécial sans être qualifiées…
d’établissements publics » , des organismes aussi divers que la Banque de France, les grandes
banques de dépôts, les sociétés nationales d’assurances et de capitalisation, la Régie Renault —
qui peuvent être considérés comme des entreprises publiques alors que le rapport ne le dit pas
— et la Comédie française, le Crédit foncier, le Crédit national, les ordres professionnels,
certains autres organismes professionnels — qui n’étaient certainement pas assimilables aux
précédents. Le classement manque de rigueur.

Un nouveau rapport établi en 1985 sur « Les établissements publics nationaux » 7 souligne que
la catégorie des entreprises publiques en forme d’établissements publics « n’est pas d’essence
juridique » (p. 35). Les qualifications juridiques des entreprises publiques demeurent diverses
: « On y trouve aussi bien des sociétés nationales et des sociétés d’économie mixte, qui sont des
personnes morales de droit privé, que des établissements publics industriels et commerciaux
qui, par définition, sont des personnes morales de droit public et cela sans qu’on puisse toujours
rendre compte des raisons qui ont fait que telle ou telle entreprise, lors de son entrée dans le
secteur public, a été rangée d’un côté ou de l’autre » .

Le projet de loi portant statut des entreprises publiques de 1948 comportait la formulation la
plus systématique de la notion d’entreprise publique. Selon l’article 1er, « l’entreprise publique
est un organisme doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, auquel l’État
transfère, au nom de la Nation, la propriété ou la gérance d’une exploitation commerciale et
industrielle… L’entreprise publique constitue une unité économique séparée, possédant un
patrimoine distinct, dont l’administration et la disposition sont soustraites à l’application des

6
Ibid., p. 29.
7
Doc. fr., NED no 4784.

5
règles domaniales… L’entreprise publique a la qualité de commerçant… ». Sous cette
définition générale, le projet distinguait deux catégories d’entreprises publiques qu’il n’est pas
arrivé à désigner autrement que par les lettres A et B. La catégorie A devait regrouper les «
entreprises exploitant un service public d’intérêt général et disposant d’un monopole ou quasi-
monopole de droit ou de fait », la catégorie B, les « entreprises soumises à la concurrence » . Il
revenait à la loi de procéder à la répartition des entreprises publiques entre ces deux catégories,
ce qui souligne le caractère relatif de la distinction. Soit que le projet ait été jugé trop
systématique soit que d’autres problèmes aient été jugés plus urgents, le projet n’a jamais été
soumis à discussion.

Ce sont des textes particuliers régissant certains aspects du statut des entreprises publiques qui
ont révélé, selon les cas, la conception que s’en font les pouvoirs publics.

B. Des textes juridiques sans portée générale

Des textes à portée normative ont déterminé, dans le champ qu’ils couvrent, les entreprises
considérées comme publiques auxquelles ils s’appliquent. Mais leur champ ne permet de parler
d’entreprises publiques qu’« au sens » où ils l’entendent.

Le plus important est l’article 101 de la Constitution ivoirienne de 2016, qui parle des «
entreprises du secteur public » mais il ne les vise qu’à propos de la compétence du législateur
pour les transférer au secteur privé. Même si ce texte a une large portée, il n’en est pas moins
limité au problème particulier de la répartition des matières entre la loi et le règlement. On
retrouve la même idée en France avec l’article 34 de la Constitution de 1958.

Sous cet angle, il ne donne pas moins une indication dont le Conseil d’État a précisé la portée
dans ses arrêts du 24 novembre 1978, Syndicat national du personnel de l’énergie atomique
CFDT et Schwartz et du 22 décembre 1982, Comité central d’entreprise de la SFENA, d’où il
résulte qu’une entreprise « appartient au secteur public dès lors que la majorité au moins de
son capital social appartient à l’État, aux collectivités publiques, aux établissements publics
ou à des entreprises du secteur public » (chron. O. Dutheillet de Lamothe et Y. Robineau,
AJDA, mars 1979. 34)8 ; de plus, selon un arrêt du 11 octobre 1985, Syndicat général de la
recherche agronomique CFDT9, sans être doté de la personnalité juridique, « un ensemble
d’actifs susceptibles d’une exploitation autonome », « un ensemble d’éléments formant soit une

8
Dans le même sens, CE 6 mars 1991, Syndicat national CGT du Crédit d'équipement des petites et moyennes
entreprises, RFDA 1991. 839, note M. Durupty; CE, avis, 10 nov. 1993 relatif aux sociétés d'économie mixte
locales, EOCE 1993, n" 45, p. 349.
9
Rec. 278; RFDA 1986. 409, concl, B. Lasserre; AJDA 1985. 718. Chron. S. Hubac et M. Azibert,

6
soit plusieurs branches complètes et autonomes d’activité », constitue une entreprise qui
appartient au secteur public si une ou plusieurs personnes publiques en sont propriétaires. Le
Conseil constitutionnel a la même conception (81- 132 DC 16 janvier 1982 ; 86- 207 DC 25-
26 juin 1986), à propos respectivement des nationalisations et des privatisations). Ces précisions
sont importantes, notamment en matière de nationalisation et de privatisation. Elles ont pour
premier objet de préciser les domaines respectifs de la loi et du règlement en ces matières. Elles
n’ont pas nécessairement de portée au- delà.

C. Les principales dispositions législatives et réglementaires relatives aux entreprises


publiques

Plusieurs textes législatifs et réglementaires régissent certains aspects des entreprises publiques.
Certains procèdent à une énumération sans donner de définition. Ils désignent certains types
d’entreprises, sans les identifier individuellement.

Lorsqu’on se réfère au site de l’Inspection générale d’Etat, on peut trouver au titre des entreprise
publiques : Agence de Gestion des Routes (AGEROUTE), Agence Ivoirienne de Gestion des
Fréquences radio électriques (AIGF), Agence Nationale du Service Universel des
Télécommunications/TIC (ANSUT), Energies de Côte d’Ivoire (CI-ENERGIES)10, etc. Il s’agit
là sans doute de l’énumération la plus exhaustive.

D’autres textes également parlent du régime des entreprises publiques. C’est le cas de la
Constitution qui prévoie que : « La Cour des comptes contrôle la gestion des comptes de tout
autre organisme bénéficiant de l'aide financière des entreprises publiques et de leurs filiales
et/ou sociétés affiliées ». La section 3 de la loi organique n° 2018-979 du 27 décembre 2018
déterminant les attributions, la composition, l 'organisation et le fonctionnement de la Cour des
comptes est consacrée au « Contrôle des entreprises publiques et des organismes à participation
financière publique ». La dualité des dispositions, en englobant plusieurs types d’institutions,
montre la variété de celles qui sont considérées comme entreprises publiques.

Mais, les textes font la distinction entre des entreprises à statut d’établissement public et des
entreprises à statut de société. Au moins apparaît clairement la dissociation, qui n’empêche pas
d’autres textes d’aménager des solutions communes, qui vont conduire à une certaine unité
d’identification des entreprises publiques.

10
https://www.igeci.org/les-societes-d-etat.

7
D. La définition de l’UEMOA des entreprises publiques

Finalement les seules dispositions qui permettent de donner une définition d’ensemble des
entreprises publiques se trouvent dans les textes ayant fondé l'Union Économique et Monétaire
Ouest Africaine.

La Directive n° 01/2002/CM/UEMOA relative à la transparence des relations financières d'une


part entre les États membres et les entreprises publiques et d'autre part entre les États membres
et les organisations internationales ou étrangères entend par entreprise publique « toute
entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une
influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la
régissent ». Au regard de cette définition, la recherche de la notion d’entreprise se pose avec
acuité.

La Cour de justice de l'Union européenne, anciennement Cour de justice des Communautés


européennes considère comme entreprise « toute entité exerçant une activité économique
indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement »11, sans
qu’il soit nécessaire qu’elle soit dotée d’une personnalité juridique : de simples services d’État
peuvent ainsi être qualifiés d’entreprise12. L’essentiel est que cette entité exerce des activités de
nature économique en intervenant sur un marché 13 par la fabrication, la vente ou la distribution
de biens, produits et services14 ou que son activité soit susceptible d’être exercée par une
entreprise privée dans un but lucratif15.

II. L’entreprise publique au-delà des textes : de l’unité à la diversité (la systématisation
ou catégorisation)

Si l’on essaie de faire la synthèse des éléments qui contribuent à l’identification des entreprises
publiques, on constate l’existence d’éléments communs à toutes et d’autres qui les différencient.

A. Les éléments communs à toutes les entreprises publiques

Trois éléments se retrouvent dans toutes les entreprises publiques et sont nécessaires pour
qu’on puisse faire entrer un organisme dans cette catégorie – le caractère industriel et

11
CJCE 23 avr. 1991, Hoffeer et Elser, aff. C 41/90, Rec. I. 1979.
12
CJCE 16 juin 1987, Commission cl Italie, aff. C-118/85, Rec. 2619; CJCT 27 oct. 1993, Decoster, aff. C. 69191,
Rec. I. 5 33 5.
13
CJCE 30 avr. 1974, Sacchi, aft 155/73, Rec. 409, GAC]CE, t 2, n° 33.
14
CJCE 27 sept 1988, Ahltrom Osakeyhtio, aff. 89/85, Rec. 5193.
15
CJCE 17 fevr. 1993, lbucet, Pistre, aff. C- 159 et 160/91, Rec. I. 637 concl. Tesauro; RDSS 1993. 554, note
Chenillat.

8
commercial ; la personnalité juridique ; l’appartenance au secteur public – permettant de définir
de manière générale l’entreprise publique comme un organisme industriel et commercial, doté
de la personnalité juridique et appartenant au secteur public.

1. Le caractère industriel et commercial

La question du caractère industriel et commercial, nécessaire à l’identification de l’entreprise


publique renvoie à la question déjà étudiée de l’identification des services publics industriels et
commerciaux : on n’a donc qu’à renvoyer aux développements consacrés à ce sujet. On voudrait
seulement souligner que si la notion d’« entreprise » est caractéristique du service public
industriel et commercial, elle l’est a fortiori de l’entreprise publique. On retrouve le problème
de la dissociation de l’activité et de l’organe.

L’activité industrielle et commerciale, consistant en la production de biens et de services et à


leur commercialisation sur un marché, est évidemment essentielle à la reconnaissance d’une
entreprise. Il n’y a pas de difficulté si un organisme est tout entier consacré à une telle activité.
En revanche, si un organisme exerce des activités pour partie administratives pour partie
industrielles et commerciales, à cette partie peuvent s’appliquer un régime qui peut être celui
de l’entreprise publique, c’est seulement à elle, si elle est dissociable de l’autre dans son
organisation, que la notion d’entreprise pourrait s’appliquer. Mais la dissociation n’est pas
toujours possible. Il est souvent recommandé qu’elle soit réalisée pour que les règles de
l’entreprise publique puissent pleinement s’y appliquer.

Cela pose le problème de l’organisme exerçant une activité. Pour être une entreprise, il doit lui-
même être industriel et commercial. C’est le cas lorsqu’il a le statut d’établissement public
industriel et commercial ou de société commerciale. Or il existe des organismes qui ont un tel
caractère industriel et commercial mais dont l’activité est entièrement administrative, faute
d’activité commerciale, ils ne peuvent être considérés comme des entreprises publiques.
D’autres ont une activité partie administrative partie industrielle et commerciale. Comme on
vient le dire, ils ne peuvent être considérés comme entreprise que pour cette partie-là. D’autres
encore ont une activité qui est essentiellement administrative, mais dont les modalités
d’exécution peuvent utiliser des formes industrielles et commerciales. On peut prendre
l’exemple de la Banque de France, qualifiée d’« institution » par le législateur et reconnue
comme « personne publique » par le Tribunal des conflits. Son rôle dans la politique monétaire,
en lien aujourd’hui avec le Système européen des banques centrales, a gardé l’aspect
gouvernemental qu’avait reconnu le Conseil constitutionnel, qualifiée d’« institution » par le

9
législateur et reconnue comme « personne publique » par le Tribunal des conflits. Son rôle dans
la politique monétaire, loin d’être industriel et commercial, est de nature gouvernementale,
comme l’a jugé le Conseil constitutionnel. Il empêche qu’on assimile la Banque à une entreprise
publique.

Les conditions d’organisation et de fonctionnement pouvaient révéler selon les cas un caractère
industriel et commercial ou un caractère administratif. L’article 51 de l’ordonnance n° 2012-
293 du 21 mars 2012 relative aux Télécommunications et aux Technologies de l’Information et
de la Communication énonce que : « Les fonctions de planification, d’attribution et de contrôle
des fréquences sont exercées par l’Agence Ivoirienne de Gestion des Fréquences
radioélectriques, en abrégé AIGF, créée sous la forme d’une société d’État ».

Or, les sociétés d'État sont créées par le Gouvernement « dans le but de promouvoir certaines
activités d'intérêt général, à vocation industrielle et commerciale, insuffisamment ou non
couvertes par le secteur privé »16. Le Gouvernement peut, également, créer des sociétés d'État,
pour la mise en œuvre ou la réalisation de services non marchands et d’intérêt général. Plus
précisément, la « société d'État est une société anonyme unipersonnelle de l'État, dont le capital
est entièrement détenu par l'État »17.

2. La personnalité juridique

La personnalité juridique est l’attribution à un centre d’intérêts d’une aptitude à être titulaire de
droits et obligations, indépendamment des autres institutions auxquelles il peut être lié. Comme
toute entreprise, l’entreprise publique prend une forme juridique qui, par la personnalité, lui
permet d’accéder en tant que telle à la vie du droit, en même temps qu’à celle de la vie du
commerce et de l’industrie. Toutefois, l’importance de la personnalité juridique doit être
relativisée pour deux raisons.

En premier lieu, la personnalité juridique n’est pas la condition absolue de l’autonomie de


gestion qui caractérise une entreprise : l’importance des contrôles dont fait l’objet l’entreprise
publique peut affecter la portée réelle de sa personnalité juridique.

En second lieu, si la personnalité juridique paraît une condition de la reconnaissance de


l’entreprise publique, outre qu’elle n’est jamais suffisante, elle n’est pas toujours nécessaire :
on a vu qu’en droit européen au moins, des services non personnalisés de personnes publiques

16
Article 1 de la loi n° 2020-626 Du 14 Août 2020 portant définition et organisation des sociétés d’État.
17
Article 2 de la loi n° 2020-626 Du 14 Août 2020 portant définition et organisation des sociétés d’État.

10
peuvent être considérés comme des entreprises publiques dès lors qu’ils constituent des centres
de production ou de distribution de biens ou de services et qu’ils interviennent sur le marché.
Cette conception n’est pas habituellement retenue en France : les régies industrielles de l’État
n’y sont pas considérées comme des entreprises publiques 18 ; mais, en raison de leur réalité
économique, elles ont précisément été transformées en personnes juridiques ( service
d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes ; radio et télévision ; service des poudres ;
groupement industriel des armements terrestres ; poste et télécommunications ; imprimerie
nationale) – évolution qui s’est traduite pour certaines par une privatisation ultérieure.

On peut donc reconnaître que, pour l’essentiel, les entreprises publiques sont dotées de la
personnalité juridique. Mais cette personnalité peut prendre deux formes : elle peut être de droit
public (essentiellement établissement public) ou de droit privé (essentiellement société
commerciale). Cette dualité n’empêche ces entreprises d’être toutes des entreprises publiques
en ce qu’elles appartiennent au secteur public.

3. L’appartenance au secteur public

L’expression « secteur public » a été développée à partir de la formule de l’article 101 de la


Constitution selon laquelle « la loi fixe les règles concernant [...] les transferts de propriétés
d’entreprises du secteur public au secteur privé ». Elle est accolée à celle d’entreprises.
L’emploi de l’expression « entreprises du secteur public » au lieu de celle d’« entreprises
publiques » n’est pas fortuit. L’histoire est à rechercher en France. lors de l’élaboration de la
Constitution de 1958, le constituant a eu conscience que le secteur public est plus vaste que les
entreprises publiques, sans avoir pour autant fait clairement la distinction. Trois cercles
concentriques, mais de plus en plus étroits, peuvent être tracés19.

Le premier est celui du secteur public tout entier, qui englobe toutes les institutions rattachées,
d’une manière ou d’une autre, aux collectivités publiques, sans distinction de leur statut et de
leurs fonctions. L’essentiel est leur lien avec les collectivités publiques. Des organismes
exerçant une activité purement administrative, sans disposer d’une personnalité juridique
distincte de celle des collectivités publiques, font ainsi partie du secteur public, autant que
d’autres, personnalisés et industriels et commerciaux.

Le deuxième cercle regroupe, au sein du secteur public, toutes les entités exerçant une activité
industrielle et commerciale et disposant à cette fin d’une certaine autonomie de gestion : ces

18
A. Delion, « Les services industriels en régie », Dr. soc. 1963. 7.
19
Cf. les travaux préparatoires publics par la Documentation française en trois volumes de 1987 à 1991.

11
caractéristiques en font des entreprises ; elles font partie du secteur public en raison de leur lien
avec des collectivités publiques. Elles peuvent ne pas être dotées d’une personnalité juridique
distincte de celles-ci, comme le Conseil d’État en a admis l’éventualité dans l’arrêt du 11
octobre 1985, Syndicat général de la recherche agronomique CFDT, précité, ou être érigées en
personnes juridiques. Dans tous les cas, il s’agit d’entreprises du secteur public.

Le troisième cercle rassemble les entreprises qui, au sein du secteur public précédemment
défini, sont dotées d’une personnalité juridique (sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’elle
est publique ou privée) : ce sont les entreprises publiques. Ainsi le secteur public ne se limite
pas aux entreprises publiques : il comporte des institutions qui ne sont pas des entreprises et des
entreprises qui peuvent ne pas être personnalisées. Mais les entreprises publiques font partie du
secteur public, ou encore une entreprise ne peut être publique que si elle appartient au secteur
public. La classification qui précède, tout en considérant la variété des situations et se fondant
sur certaines dispositions, est pour partie arbitraire et relative : tout est question de définition.
Une entreprise publique peut appartenir au secteur public de plusieurs manières. L’essentiel est
que l’entreprise soit liée à une ou plusieurs personnes publiques20.

Elle peut tout d’abord être dotée d’une personnalité publique, sous forme d’établissement public
industriel et commercial21.

Mais tout établissement public, même à caractère industriel et commercial, n’est pas une
entreprise publique : un tel établissement, en dépit des particularités de son organisation et de
son fonctionnement, peut avoir une activité qui est autre que la production et la distribution de
biens et services. Tel est le cas par exemple, en France, du Bureau de recherches géologiques
et minières (BRGM), qui « a pour mission de conduire des recherches fondamentales et
appliquées concernant le sol et le sous-sol et de mener des actions d’expertise et des actions de
développement technologique et industriel dans ce domaine »22.

20
C. Boiteau, « Les entreprises liées aux personnes publiques », RFDA 2017. 57.
21
P. Levallois, L'établissement marchand. Recherche sur l'avenir de l'entreprise en forme d'établissement public,
Thèse Lyon III, 2019 ; M. Karpenschif, (dir.), « Les EPIC dans tous leurs états », JCP A 2009, n" 31-35 ; D.
Bailleul, « Vers la fin de l'établissement public industriel et commercial ? À propos de la transformation des EPIC
en sociétés » RJEP 2006, p. 105 ; M. Lombard, « L'établissement public est-il condamné ? », AJDA 2006. 79 ; B.
Plessix, « L’établissement public et commercial au cœur des mutations du droit administratif », JCP A 2007 n° 13.
22
Décret n° 59-1205 du 23 octobre 1959 modifie par celui (n° 2016-933) du 7 juillet 2016.

12
B. Les éléments de différenciation des entreprises publiques

Les éléments de différenciation des entreprises publiques sont, d’une part, organiques, et,
d’autre part, fonctionnels.

1. La différenciation organique

La différenciation organique est double. Elle tient d’abord au statut de l’entreprise, comme on
vient de le voir dans les développements qui précèdent. Certaines entreprises publiques sont
des personnes de droit public, sous forme d’établissement public. C’est le cas par exemple de
la Société de gestion du patrimoine immobilier de l'État (SOGEPIE). Cependant, d’autres
entreprises publiques sont des personnes de droit privé sous forme de sociétés. C’est le cas de
l’Agence de Gestion des Routes (AGEROUTE), de l’Agence Ivoirienne de Gestion des
Fréquences radioélectriques (AIGF), de l’Agence Nationale du Service Universel des
Télécommunications/TIC (ANSUT), du Bureau National d'Études Techniques et de
Développement (BNETD) de la Banque Nationale d’Investissement (BNI) ou encore de
Énergies de Côte d’Ivoire (CI-ENERGIES).

Au sein de ces deux types de personnes, il peut y avoir encore des éléments de distinction. Les
établissements publics industriels et commerciaux se différencient éventuellement selon la
catégorie à laquelle ils appartiennent. Les sociétés connaissent avec les sociétés d’économie
mixte locales des particularités. Cette dernière observation fait apparaître un second élément de
différenciation organique : il tient au rattachement de l’entreprise publique à une collectivité
publique. Certaines sont rattachées à l’État, d’autres à des collectivités territoriales. C’est à ce
titre que se distinguent essentiellement celles qui sont nationales et celles qui sont locales. Cette
distinction a pu se croiser avec la précédente : il y a eu des entreprises nationales sous forme
d’établissements publics, d’autres sous forme de sociétés (sociétés nationales). On peut de
même trouver des entreprises publiques locales sous forme d’établissement public ou sous celle
de société.

De plus, lorsque, comme on l’a vu, des entreprises sous forme de sociétés peuvent comporter
des participations de plusieurs collectivités, État et collectivités locales : il est difficile alors de
les considérer comme nationales ou locales puisqu’elles tiennent des deux.

13
2. La différenciation fonctionnelle

La différenciation fonctionnelle tient à la mission confiée aux entreprises publiques : certaines


sont chargées d’un service public23, d’autres non. L’attribution d’une mission de service public
à une entreprise publique peut résulter de deux procédés24. Elle peut être liée à la constitution
même de l’entreprise publique : celle-ci est créée pour assurer une mission de service public.

C’est le cas par exemple de la Société de gestion du patrimoine immobilier de l'État


(SOGEPIE). La SOGEPIE est une entreprise publique ivoirienne créée le date 31 octobre 2001
destinée à administrer et assurer l'entretien des biens immobiliers de l'État ivoirien. Il en est
aussi du Centre hospitalier et universitaire d’Angré, en abrégé CHU d’Angré25, de l’Agence
Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED)26, des Fonds de Développement du Transport
Routier en abrégé FDTR27. Il en va de même de Côte d’Ivoire Tourisme (CIT)28.

En la matière, l’ANAGED est chargée « de procéder à la délégation du service public de


propreté incluant la collecte, le transport, la valorisation, l’élimination des déchets ainsi que le
nettoiement dans les régions et communes de Cote d'Ivoire » ou encore « contrôler le service
public de propreté éventuellement délégué aux collectivités territoriales ou personnes morales
de droit privé ». Ce fut le cas, en France, lorsque EDF, GDF ont été créés à cette fin à la
Libération sous forme d’établissement public. France Télévisions, entreprise publique (dont le
capital est détenu entièrement par l’État) et les sociétés qu’elle couvre, « poursuivent, dans
l’intérêt général, des missions de service public »29.

23
1. M.- L. Pelletier, L’entreprise publique de service public, L’Harmattan 2009.
24
P. Delvolvé, « De la nature juridique des sociétés d’économie mixte et de leurs marchés de travaux », RD publ.
1973. 351.
25
Décret n° 2017-714 du 3 novembre 2017 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de
rétablissement public à caractère industriel et commercial dénommé Centre hospitalier et universitaire d’Angré,
en abrégé CHU d’Angré, JORCI n° 37 du 07 mai 2018, pp. 453 et s.
26
Décret n° 2017-692 du 25 octobre 2017 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de
l’établissement public à caractère industriel et commercial dénommé Agence nationale de Gestion des Déchets
(ANAGED), JORCI n° 100 du 14 décembre 2017, pp. 1405 et s.
27
Décret n° 2014-86 du 12 mars 2014 portant création d’un établissement public à caractère industriel et
commercial dénommé Fonds de développement du transport routier, en abrégé FDTR, JORCI n° 16 du 17 avril
2014, pp. 321 et s.
28
Décret n° 2014-08 du 08 janvier 2014 déterminant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de
l’établissement public à caractère industriel et commercial dénommé, JORCI n° 7 du 13 février 2014, pp. 151 et
s.
29
3. Art. 43- 11 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée.

14
Un service public peut aussi être attribué à une entreprise publique indépendamment de sa
constitution. Il peut l’être en vertu de dispositions applicables à toute entreprise exerçant une
activité dans un secteur donné, qu’elle soit publique ou non. Tel est le cas dans le domaine de
l’électricité. Selon le Code de l’électricité : « Les activités de production, de transport, de
dispatching, d'importation, d'exportation, de distribution et de commercialisation sur l'ensemble
du territoire de la République de Côte d'Ivoire et relevant de l'autorité de l'État sont exercées
comme un service public »30.

La mission de service public peut être également attribuée à l’entreprise publique par une
convention. Si des entreprises publiques ne sont pas chargées d’un service public, elles ne sont
pas pour autant étrangères à l’intérêt général. La seule justification de l’existence d’entreprises
publiques est précisément que, par elles, les pouvoirs publics veulent y contribuer, même si cela
ne va pas jusqu’à leur reconnaître le statut et le régime propres des services publics.

Certaines ont une mission d’intervention. Elles sont même un instrument de l’État pour agir sur
l’économie. Le meilleur exemple est celui de la Banque Nationale d’Investissement (BNI),
créée en 1959 (par décret n° 59-209 du 21 octobre 1959) sous l’appellation de Caisse Autonome
d’Amortissement (CAA). La définition de son rôle est significative. Il s’agit de « la recherche
et la mobilisation des ressources internes et externes pour financer le développement du pays,
le service de la dette publique et la gestion des dépôts des EPN (Établissement Public
National) ».

On ne peut pas mieux exprimer la contribution à l’intérêt économique général qu’apporte la


BNI. Elle est illustrée particulièrement à l’occasion de la crise du coronavirus. Afin de faire
face aux difficultés liées à la crise sanitaire actuelle, la Banque Nationale d’Investissement
(BNI), votre Banque, vous accompagne par la mise en place d’un plan de soutien et de suivi
personnalisé. Ainsi, afin de recenser les clients en difficulté liées au Covid-19 et souhaitant un
accompagnement spécifique de la Banque, la BNI a élaboré des mécanismes aboutissant au
report des échéances de remboursement de prêts (personnes physiques), clients professionnels)
et clients-entreprises, PME/PMI et entreprises individuelles.

Au regard de cette introduction, on peut étudier le droit des entreprises publiques à travers la
configuration (première partie) et les mutations des entreprises publiques (deuxième partie).

30
Article 6 de la loi n° 2014-132 du 24 mars 2014 portant code de l’électricité. Voir aussi les articles L. 121- 1 s.
du Code de l’énergie.

15
16
Première partie : La configuration des entreprises publiques (aménagement des
entreprises publiques)

Par configuration, on entend la forme donnée aux entreprises publiques dans leur ensemble. Ce
terme, général et non juridique, veut couvrir toutes les possibilités d’aménagement des
entreprises publiques. Leur évolution impose une analyse plus dynamique que statique car elle
a conduit à d’importants changements : le passage de statuts de droit public à des statuts de
droit privé ; de nouvelles modalités d’organisation, isolément ou en groupes ; à certains égards,
de nouveaux modes de contrôle.

Ce qui passe par l’organisation (chapitre 1) et la gestion (chapitre 2) des entreprises publiques.

Chapitre 1 : L’organisation des entreprises publiques

La variété des formes juridiques revêtues par les entreprises publiques (section 1), les
conséquences de l’appartenance des entreprises publiques au secteur public sur leur
organisation.

Section 1 : Une variété de formes

Le caractère public de l’entreprise publique a longtemps été lié au statut public qui lui était
donné. L’évolution a conduit progressivement, le cas échéant par des formules intermédiaires,
à lui substituer un statut de droit privé, et par celui-ci, à passer de participations publiques.
Aujourd’hui, nous avons l’établissement public à caractère industriel et commercial, la société
d’État et la société à participation financière publique.

Paragraphe 1 : L’établissement public à caractère industriel et commercial

L’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) représente tout


établissement public national qui remplit des missions de service public spécialisées à caractère
industriel ou commercial dont les ressources résultent principalement des redevances perçues
sur les usagers31.

A. L’EPIC est doté d’organes propres nommés par le pouvoir central

Les organes propres de l’EPIC sont : un conseil de gestion, un directeur, un agent comptable et
un contrôleur budgétaire.

31
Article 2 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 fixant les règles générales relatives aux établissements publics
nationaux et portant création de catégories d'établissements publics.

17
1. Le conseil de gestion

Le conseil de gestion est présidé par le ministre chargé de la tutelle administrative et technique
de l’établissement public national, qui peut déléguer ses fonctions à son représentant. Le conseil
de gestion32 se réunit sur convocation de son président aussi souvent que l'exige l'intérêt de
l'établissement public national et, au moins, quatre fois par an. La convocation du conseil de
gestion par le président se fait quinze jours au moins avant la réunion.

Le conseil de gestion peut se réunir sur convocation du ministre de tutelle technique ou du


ministre de tutelle financière, soit à la demande du directeur général de l'établissement public
national si aucune réunion n'a pu être convoquée par le président du conseil de gestion pendant
plus d'un trimestre, soit à la demande du président du conseil de gestion ou du tiers des membres
du conseil de gestion si, suivant une convocation dudit conseil par son président, un retard de
plus de trente jours à compter de ladite convocation, est accusé dans la transmission des dossiers
au conseil par le directeur général. Dans ce cas, le conseil de gestion est présidé soit par son
président, soit par le représentant du ministre de tutelle technique33.

Par ailleurs, le conseil de gestion peut inviter à ses réunions, avec voix consultative, toute
personne dont il estime utile d'entendre les avis 34. Le conseil de gestion ne peut délibérer que
si la majorité de ses membres est présente. Si le quorum n'est pas atteint, le conseil de gestion
est à nouveau convoqué avec le même ordre du jour dans un délai de quinze jours. Il délibère
alors, quel que soit le nombre des membres présents35.

2. Le directeur

L’EPIC est dirigé par un directeur nommé par décret, sur proposition du ministre de tutelle
technique. Le directeur peut être désigné sous toute autre dénomination pour tenir compte de la
spécificité de la structure. Si la taille et l'importance des missions confiées à un EPIC le
justifient, le décret de création de l’EPIC peut conférer au directeur le rang de directeur
général36.

32
Chaque établissement public national est placé sous l’autorité d’un conseil de gestion, composé de huit membres
au plus et exceptionnellement de douze.
33
Article 2 du décret n° 2018-152 du 14 février 2018 déterminant les modalités de fonctionnement du conseil de
gestion d'un établissement public national, ci-après décret du 14 février 2018.
34
Article 3 du décret du 14 février 2018.
35
Article 4 du décret du 14 février 2018.
36
Article 13 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 préc.

18
Le directeur est l'ordonnateur de l'Établissement public national. Il est également le responsable
du budget opérationnel de programme se rapportant à sa structure. À ce titre, il s’engage sur
des objectifs opérationnels à atteindre. Il est investi des pouvoirs nécessaires pour assurer
l'administration et la direction générale de l'établissement. Il accomplit, à cet effet, tout acte
nécessaire à la réalisation des missions de l'établissement. Les décrets d'application de la
présente loi et le décret de création ou d'organisation de l'établissement peuvent soumettre
l'accomplissement de certains actes du directeur à l'autorisation préalable du conseil de gestion.

Le directeur engage sa responsabilité disciplinaire, pénale, civile et financière à l’occasion des


manquements constatés dans sa gestion37.

3. L’agent comptable

Un agent comptable, ayant la qualité de comptable public, est nommé auprès de chaque EPIC
conformément aux textes régissant la fonction38. Les opérations financières de l’EPIC sont
effectuées sous la responsabilité personnelle et pécuniaire de l’agent comptable 39.

4. Le contrôleur budgétaire

Un contrôleur budgétaire est nommé auprès de chaque EPIC conformément aux textes régissant
la fonction40. Le contrôleur budgétaire contrôle l'exécution du budget en recette et en dépense
à l’engagement et à l’ordonnancement et les actes à incidence financière. Le contrôleur
budgétaire est également chargé d’une mission d’assistance et de conseil auprès de
l’ordonnateur et doit être obligatoirement consulté dans la préparation du budget. Il participe à
l’organisation des contrôles internes et à la mise en place des systèmes de contrôle de gestion
au sein de l’établissement41.

B. L’EPIC bénéficie d’un régime patrimonial et financier

Le régime fiscal est réglementé par le décret n° 2021-677 du 03 novembre 2021 portant régime
financier et comptable des établissements publics nationaux. Le patrimoine de l'établissement
est placé sous l'autorité du directeur qui en assure, sous sa responsabilité, la gestion. Le
patrimoine comprend les biens corporels et incorporels autres que les deniers et valeurs 42. Les
modalités de la gestion du patrimoine et les règles régissant la comptabilité analytique des

37
Article 14 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 préc.
38
Article 15 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 préc.
39
Article 16 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 préc.
40
Article 17 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 préc.
41
Article 18 de la loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 préc.
42
Article 56 du décret n° 2021-677 du 03 novembre 2021 préc.

19
matières feront l'objet d'arrêtés et d'instructions du ministre chargé de la tutelle économique et
financière43.

Il dispose d’un patrimoine propre (constituant des deniers publics) et d’un budget propre.
Toutefois, ce budget n’est pas adopté par ses organes, mais plutôt par l’Assemblée nationale en
annexe à la loi de finances.

Paragraphe 2 : La société d’État

Les principaux aspects juridiques de la société d’État permettent de voir qu’il s’agit d’un moyen
d’adaptation du secteur public.

A. Les principaux aspects juridiques

La société d’État est insérée dans le droit commercial avec des dérogations apportées à la
législation commerciale.

1. La part du droit commercial

Cette société d’État est une société anonyme dont l'État est seul actionnaire et détient la totalité
du capital. Cela ressort clairement aux termes de la loi n° 2020-626 du 14 août 2020 portant
définition et organisation des sociétés d’État.

En effet, la société d'État est une société anonyme unipersonnelle de l'État, dont le capital est
entièrement détenu par l'État44. Elle est une personne morale de droit privé, commerciale par sa
forme. De plus, la société d'État est régie, à titre principal, par les dispositions de droit commun
relatives aux sociétés anonymes et, à titre spécifique, par les dispositions du régime particulier
des sociétés soumises à la loi.

La société d'État jouit de la personnalité juridique, à compter de son immatriculation au registre


du commerce et du crédit mobilier. Entre la date du décret de création et la date
d'immatriculation de la société d'État, aucun acte ne peut être effectué par la société d'État, à
l'exception de ceux tendant à la réalisation des formalités d'immatriculation. C’est pourquoi, les
formalités de constitution et d'immatriculation de la société d'État sont effectuées par un
mandataire ad hoc désigné par le ministre chargé du Portefeuille de l'Etat, en sa qualité de
représentant de l'actionnaire unique 45.

43
Article 61 du décret n° 2021-677 du 03 novembre 2021 préc.
44
Article 2 de la loi n° 2020-626 du 14 août 2020 portant définition et organisation des sociétés d’État.
45
Article 8 de la loi n° 2020-626 du 14 août 2020 portant définition et organisation des sociétés d’État.

20
2 - Les dérogations apportées à la législation commerciale

Les dérogations apportées à la législation commerciale concernent l’administration et la gestion


des sociétés d’État. On trouve à ce niveau les règles exorbitantes au droit commun des sociétés
commerciales. Cela se vérifie avec le conseil d'administration et la direction générale.

a. Le conseil d'administration

La société d'État est administrée par un conseil d'administration compris entre trois et douze.
Les administrateurs sont proposés par les structures représentées au conseil d'administration.
Ces structures peuvent être des ministères, institutions et personnes morales 46.

Les administrateurs sont nommés et révoqués par décret, sur rapport conjoint des ministres de
tutelle, pour une durée de trois ans, renouvelable une seule fois. Ils peuvent sont révocables ad
nutum. Toutefois, nul ne peut appartenir simultanément au conseil d'administration de plus de
deux sociétés d'État47.

b. la direction générale

Le conseil d'administration nomme, en dehors de ses membres, un directeur général. La


révocation du directeur général peut être prononcée, à tout moment, par le conseil
d'administration, pour justes motifs.

Lorsque le directeur général, nommé par le conseil d'administration, est fonctionnaire, il doit
obligatoirement et préalablement à sa prise de fonction, être placé en situation de détachement,
conformément aux dispositions législatives et réglementaires relatives au statut des
fonctionnaires de l'État. Il en est de même, le cas échéant, du directeur général adjoint 48.

B. La sociétisation, moyen d’adaptation du secteur public

L'État assure véritablement sa mainmise sur l'entreprise publique par l'absence d'assemblée
générale dans ce type de société anonyme. C'est en fait le conseil d'administration qui se voit
attribuer le rôle et les pouvoirs de l'assemblée générale. Les membres du conseil
d'administration ou du Directoire sont nommés en général par voie de décret par l'actionnaire
unique. Il s'agit véritablement d'un indice de soumission à la puissance publique même si
l'entreprise publique est une personne morale de droit privé.

46
Article 15.
47
Article 16.
48
Article 26.

21
Le professeur COHEN considère que cette entreprise totalement publique doit disparaître du
fait que l'Etat ne pourrait être qu' « un mauvais actionnaire prédateur »49 alors que le professeur
HENRY la juge, au contraire, indispensable lorsque subsiste un monopole naturel, même
partiel. L'arrêt ALMELO de la Cour européenne de justice estime qu'en compensation des
charges d'intérêt général qu'elle assume, l'entreprise publique peut maintenir une position de
monopole dans la distribution d'électricité. C’est le cas, par exemple, de EDF en France. Elle
est, de par sa nature, particulièrement apte à gérer le long terme et à pratiquer la transparence,
en particulier en ce qui concerne la séparation financière entre activités d'intérêt général et
activités concurrentielles50. À ce titre, ce type d'entreprise publique tient une comptabilité selon
les règles du plan comptable général. Sur les bases de cette comptabilité privée et en partie
double, elle est redevable des mêmes impôts et taxes qu'une société anonyme ordinaire 51.

Néanmoins, ce statut confère véritablement à l'autorité publique une mainmise sur l'entreprise
publique. Cette dernière, avec un statut de la société d'économie mixte, doit servir l'intérêt
collectif mais avant tout être rentable.

Paragraphe 3 : La société à participation financière publique

La société à participation financière publique est organisée par la loi n° 2020-886 du 21 octobre
2020 relative aux sociétés à participation financière publique. L’analyse peut être approfondie
à travers la définition, l’organisation et le rôle de la SPFP.

A. La définition de la SPFP

Une société à participation financière publique est une société commerciale dont le capital est
partiellement et directement constitué par une participation financière publique. La société à
participation financière publique est régie, à titre principal, par les dispositions de droit commun
relatives aux sociétés anonymes et, à titre spécifique, par la loi du 21 octobre 2020 relative aux
sociétés à participation financière publique 52. La définition de la SPFP est complétée par le
degré de participation publique et les formes de la participation publique.

49
Y. DURRIEU, « Logique d'entreprise et intérêt général », Colloque de la section française du C.E.E.P, Paris,
26 mai 1998, p. 7.
50
À titre d'exemple, la Caisse des dépôts et consignations s'est fixée un objectif de 10% de rentabilité pour les
activités concurrentielles pour la période 1998-1999.
51
Michaël POYET, Le contrôle de l’entreprise publique : essai sur le cas français, Thèse, Université Jean Monnet
Saint-Etienne, 2001, p. 59.
52
Art. 2 de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique. Voir
aussi l’article 4.

22
1. Le degré de participation publique

La participation financière de l'État, d'une personne morale de droit public, d'une société d'État
ou d'une société à participation financière publique majoritaire au capital d'une société
commerciale de droit ivoirien ou de droit étranger ou d'une structure internationale à vocation
commerciale, constitue une participation financière publique. Constitue également une
participation financière publique, la participation financière d'une entité de droit privé créée par
l'État, au capital d'une société commerciale de droit ivoirien ou de droit étranger ou d'une
structure internationale à vocation commerciale.

Une société à participation financière publique est réputée contrôlée par l'État, lorsque l'État ou
l'une des personnes précédemment mentionnées y exercent directement ou indirectement une
influence dominante. L'influence dominante est présumée lorsque l'État ou l'une des personnes
mentionnées à l'alinéa 1 du présent article détient la majorité du capital ou dispose de la majorité
des voix attachées aux actions ou aux titres représentatifs du capital, ou peut désigner plus de
la moitié des membres de l'organe d'administration ou de surveillance de ladite société 53.

2. Les formes de la participation publique

Pour la formation du capital, la SPFP peut être constituée avec appel public à l’épargne. Dans
la pratique, la majorité des SPFP emprunte la forme « fermée», c’est-à-dire sans appel public à
l’épargne. Cela est perceptible à travers les dispositions de l’article 1 de la loi n° 2020-886 du
21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique, qui dispose que :
« Toute participation financière publique de l'État au capital d'une société commerciale
existante ou à créer, de droit ivoirien ou de droit étranger ou d'une structure internationale à
vocation commerciale, doit être autorisée par décret ».

Cette règle s’applique également à toute augmentation ou réduction ultérieure de cette


participation financière publique. Elle s'applique aussi en l'absence d'une modification
capitalistique de la participation financière publique, à la prise de contrôle ou à la perte du
contrôle d'une société commerciale 54. Ledit décret précise les modalités de la représentation
financière publique au capital de la société de droit étranger ou de la structure internationale à
vocation commerciale, dans le respect des dispositions statutaires la régissant 55. Toutefois des
dérogations sont admises. En effet, l'augmentation de la participation financière publique des

53
Art. 1 de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique.
54
Art. 6 de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique.
55
Art. 7 de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique.

23
suites de l'exercice du droit préférentiel de souscription, qui n'a pas pour conséquence le
franchissement par la participation financière publique du seuil du tiers de la détention du
capital social ou des droits de vote dans l'un des organes délibérants, est autorisée par arrêté du
ministre chargé du Portefeuille de l'État56.

Par ailleurs, une opération de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actifs d'une société à
participation financière publique est autorisée par décret si elle a pour conséquence le
franchissement, au-dessus ou en dessous, du seuil du tiers de la détention, par la participation
financière publique, du capital social ou des droits de vote dans l'un des organes délibérants.
L'opération de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actifs d'une société à participation
financière publique, qui n'implique pas de franchissement du seuil précédemment fixé, est
autorisée par arrêté du ministre chargé du Portefeuille de l'État57.

B. L’organisation des SPFP

Le droit commun des sociétés commerciales est applicable à l’organisation des SPFP. Les
organes principaux de cette organisation sont l’assemblée, le conseil d’administration et la
direction.

1. L’assemblée générale

Les assemblées générales réunissent l’ensemble des actionnaires de la société et constituent


l’organe souverain. Il y a deux types d’assemblées ; l’assemblée générale ordinaire et
l’assemblée générale extraordinaire, chacune étant dotée de pouvoirs spécifiques.

a. L’assemblée générale ordinaire

L’assemblée générale ordinaire prend toutes les décisions autres que celles prises par
l’assemblée générale extraordinaire. Pour l’essentiel, elle nomme, révoque ou remplace les
membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance et désigne les commissaires
aux comptes. Elle statue sur les comptes annuels, entend les rapports des commissaires aux
comptes et du conseil d’administration qui portent sur le fonctionnement de la société et sur les
résultats financiers de l’exercice 58.

Elle ne délibère valablement, sur première convocation, que si les actionnaires présents Ou
représentés possèdent au moins le quart des actions ayant droit de vote. Sur deuxième

56
Art. 8 de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique.
57
Art. 9 de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique.
58
Art. 36.

24
convocation, aucun quorum n’est requis. Elle statue à la majorité des voix dont disposent les
actionnaires présents ou représentés. La réunion annuelle obligatoire de cette assemblée permet
à l’ensemble des actionnaires de faire entendre leur voix auprès des actionnaires majoritaires.
L’assemblée générale ordinaire, bien qu’étant un organe intermittent, constitue le moyen
d’expression privilégié des actionnaires minoritaires non représentés dans les organes de
gestion.

b. L’assemblée générale extraordinaire

L’assemblée générale extraordinaire se réunit lorsque les associés souhaitent modifier les
statuts de la société. Elle est seule compétente pour, par exemple, décider d’une augmentation
ou d’une réduction du capital social, d’une modification de l’objet social ou de la dénomination
sociale de la société, du transfert de son siège social et de la dissolution de la société. Elle ne
délibère valablement que si les actionnaires présents ou représentés possèdent au moins, sur
première convocation, le tiers des actions ayant le droit de vote et, sur deuxième convocation,
le quart des actions ayant droit de vote.

Elle statue à la majorité des deux tiers des voix dont disposent les actionnaires présents ou
représentés. Toutefois, les règles particulières applicables aux SPFP viennent diminuer la marge
de manœuvre de cette assemblée. En effet, l’assemblée générale extraordinaire devra
nécessairement respecter les principes généraux de l’économie mixte et, par conséquent, ne
pourra pas décider d’une augmentation ou d’une réduction de capital lorsque cette opération
aurait pour conséquence de dépasser les seuils de répartition de capital. La modification de
l’objet social doit également s’effectuer conformément au principe de complémentarité évoqué
précédemment, et dans le respect des compétences des collectivités actionnaires.

2. Le conseil d’administration

Le conseil d’administration, organe de gestion de la société, détermine les orientations de


l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément
attribués aux assemblées d’actionnaires et dans la limite de l’objet social, il se saisit de toute
question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui
la concernent.

Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du conseil
d’administration qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers
savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances,

25
étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. Les dispositions
des statuts limitant les pouvoirs du conseil sont inopposables aux tiers. En outre, le conseil
d’administration procède aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns. Chaque
administrateur reçoit toutes les informations nécessaires s à l’accomplissement de sa mission et
peut se faire communiquer tous les documents qu’il estime utiles.

3. La direction

La nomination et la révocation du président du conseil d'administration, du directeur général et,


le cas échéant, du directeur général adjoint d'une société à participation financière publique, la
détermination de leur fonction et l'étendue de leur pouvoir sont régies par le droit commun des
sociétés anonymes et les statuts de la société59.

C. Le rôle des SPFP : de l’extension à la respiration du secteur public et au partenariat


public-privé (Les premières SEM)

Section 2 - Les conséquences de l’appartenance des entreprises publiques au secteur


public sur leur organisation

La commune appartenance de ces entreprises au secteur public explique que les conditions de
leur création et leur transformation.

Paragraphe 1 : La création de l’entreprise publique

Il y a nécessairement à l’origine de toute entreprise publique une initiative ou au moins une


décision de caractère public, qui de ce fait intéresse le droit public, même si dans certains cas
cette initiative se coule ensuite dans le moule juridique de la société commerciale. La question
est traditionnellement de savoir si cette initiative publique doit revêtir la forme d’une loi ou
peut être seulement de caractère réglementaire. Le recours à la loi apparaît nécessaire, soit en
fonction des dispositions juridiques ou financières de l’article 101 de la Constitution, soit en
raison de l’atteinte au principe de libre concurrence que cette création pourrait entraîner (A).

A. Les créations législatives

Les incidences juridiques de l’article 101 recouvrent trois séries de situations. Tout d’abord,
lorsque la création procède d’une nationalisation, les règles de cette opération doivent être

59
Article 22.

26
fixées par le législateur. Ce fut, par exemple en France, le cas pour les sociétés industrielles ou
les banques nationalisées par la loi du 11 février 1982. Ensuite, une loi est également nécessaire
si la création de l’entreprise publique porte atteinte aux principes fondamentaux des obligations
civiles et commerciales. C’est le cas pour les sociétés nationales, puisque l’État en est l’unique
actionnaire, ce qui implique une dérogation au droit commun des sociétés anonymes résultant
du droit OHADA. D’autre part, sauf dérogation législative, lorsque l’État décide de créer une
société publique, il doit respecter le droit des sociétés.

En troisième lieu, lorsqu’une création d’entreprise publique institue une nouvelle catégorie
d’établissement public ou modifie les « règles constitutives » d’une catégorie existante, une
loi est également nécessaire. C’est ce qui s’est produit lors de la mise en place de la RATP 60.
Le Conseil d’État souhaite toutefois une simplification des règles de compétence en matière
de création des établissements publics61.

B. Les créations administratives

En dehors de ces cas, la compétence redevient réglementaire aussi bien pour les entreprises
publiques constituées sous forme d’établissement public que de société nationale ou
d’économie mixte. Il en va notamment ainsi lorsque cette création résulte d’une prise de
participation majoritaire de la puissance publique dans le capital d’une société.

En effet, l’article 101 de la Constitution ne soumet pas les prises de participations de l’État dans
les entreprises privées à une autorisation législative62. Il n’y a pas sur ce point de parallélisme
des formes avec les procédures de transfert d’une entreprise publique au secteur privé. Ces
prises de contrôle majoritaire relèvent d’une autorisation par décret lorsqu’elles sont le fait de
l’État.

Paragraphe 2 : La transformation de l’entreprise publique

Deux séries de transformations majeures peuvent affecter la vie d’une entreprise publique.
Certaines transformations sont purement juridiques et ne concernent que la forme de
l’entreprise. D’autres proviennent de mouvements divers pouvant modifier la structure ou les
actifs de l’entreprise. Ces mouvements peuvent, le cas échéant, s’accompagner aussi d’un
changement de forme juridique.

60
Cons. const., 27 nov. 1959, D. 1960 p. 518, note Hamon, RDP 1960, p. 1015, note Waline.
61
Conseil d’État, L’établissement public, EDCE 2009, op. cit., p. 31 s.
62
Mais une intervention indirecte du Parlement peut cependant exister par le biais de lois de finances permettant
de dégager les crédits éventuellement nécessaires pour ces prises de participation.

27
A. Les transformations liées à l’évolution générale du statut des entreprises du secteur
public

On a vu que le mouvement général de l’évolution du secteur public se caractérisait par la


soumission des entreprises publiques à des formes juridiques qui les éloignent progressivement
des formes les plus administratives d’action économique de la puissance publique. Aux
anciennes régies industrielles de l’État ont ainsi été substitués, d’abord des établissements
publics, ensuite des sociétés anonymes qui se présentent souvent dans un premier temps sous
la forme de sociétés nationales dotées d’un seul actionnaire public, enfin des sociétés
d’économie mixte (SEM).

Cette évolution est importante, car elle met en place les conditions juridiques qui permettront à
l’entreprise de sortir ultérieurement du secteur public. Il est donc important de savoir dans
quelles conditions elle peut s’accomplir. Ces changements de forme nécessitent généralement
l’intervention d’une loi, en vertu du parallélisme des compétences. Il en a bien été ainsi, en
France, de la SNCF en 1982, 2014 et 2018, de la SEITA en 1980, du GIAT en 1989, de Renault
et de la Poste en 1990, de l’Imprimerie nationale en 1993, de France Télécom en 1990 et 1996,
ainsi que, plus récemment, d’EDF et GDF, Aéroport de Paris, ou encore La Poste en 2010.

B. Les transformations liées à la respiration du secteur public

Des changements de structure et des variations d’actifs affectent aussi fréquemment la vie des
entreprises publiques et constituent la respiration du secteur public. Sauf dans l’hypothèse où
leur importance pourrait conduire à une sortie de secteur public par perte du contrôle majoritaire
de leur capital par la puissance publique, ces opérations ne nécessitent pas l’intervention d’une
loi et relèvent de la compétence de l’autorité administrative, avec exigence d’un décret lorsque
la respiration conduit une participation de l’État à chuter en-dessous du seuil d’un tiers ou des
deux tiers.

28
Chapitre 2 : La gestion des entreprises publiques

La gestion des entreprises publiques renvoie à l’administration de celles-ci. Les règles


particulières à chaque entreprise ayant été précédemment étudiées (voir une variété de formes),
il ne reste plus qu’à voir les règles juridiques communes à l’ensemble des entreprises publiques.
En la matière, il y a une dualité de règles applicables, qui contraste avec une unité de sens de
contrôle.

Section 1 : Une dualité de règles applicables

Ces règles procèdent tout à la fois du droit privé et du droit public. En effet, parce qu’elles sont
considérées comme des commerçants, les entreprises publiques se voient appliquer un certain
nombre de règles du droit privé. Mais le fait que ces commerçants relèvent du secteur public
est également à l’origine de règles communes issues du droit public.

Paragraphe 1 : Les règles communes tirées du droit commercial

A. Variété de ces règles

Hormis les entreprises publiques constituées sous forme de régie qui ne sauraient, selon la
jurisprudence, effectuer des actes de commerce et donc avoir la qualité de commerçant 63, les
entreprises du secteur public se sont vues reconnaître cette qualité, à certaines conditions. Ceci
concerne aussi bien les EPIC64 que les sociétés nationales ou d’économie mixte 65. Cela se
traduit par leur inscription au registre du commerce et des sociétés.

De plus, les litiges opposant l’entreprise à ses usagers ou clients relèvent des tribunaux de
commerce66, ceux qui concernent le personnel, des conseils de prud’hommes, sous réserve d’un
certain nombre d’exceptions.

63
La solution est ancienne, Cass. civ., 18 mai 1908, S. 1909 I 193, note Naquet, et régulièrement confirmée,
Cass. com., 20 oct. 1981, D. 1982 S. C. 121, obs. M. Vasseur.
64
Cass. soc., 12 juill. 1950, D. 1950.665, note Ch. Blaevoet ; J. Waline, « L’application du droit commercial aux
personnes publiques », in Mél. Guyon, Dalloz, 2003, p. 1103 s.
65
Cass. soc., 12 juill. 1950, JCP 1950 II 5727.
66
CA Aix-en-Provence, 16 juin 1989, « EDF c/Sté Phocéenne de métallurgie », CJEG 1990.314.

29
B - Fiscalité et comptabilité

On observe également une même soumission aux règles de la fiscalité de droit commun et de
la comptabilité commerciale.

1 - La fiscalité des entreprises publiques

Quelle que soit leur forme juridique, les entreprises publiques sont, en principe, assujetties à la
fiscalité des entreprises privées. Cette règle, habituelle pour les sociétés, vaut aussi pour les
EPIC, à la différence des établissements publics administratifs, du moins lorsqu’ils ne se livrent
pas à des opérations purement commerciales. En conséquence, les entreprises publiques paient
l’impôt sur les sociétés, la taxe à la valeur ajoutée, les impôts locaux, et doivent également
acquitter les diverses impositions susceptibles de peser sur toute entreprise (droits
d’enregistrement, taxe d’apprentissage, financement de la formation professionnelle)67.

Des exonérations limitées existent pour certains impôts en raison de la présence d’un service
public ou de contraintes financières héritées du passé.

2 - La comptabilité des entreprises publiques

L’adoption d’une comptabilité commerciale se vérifie dans toutes les entreprises


publiques constituées sous forme de société. Elles échappent ainsi aux rigidités habituelles de
la comptabilité publique, notamment la séparation des ordonnateurs et des comptables. Cette
comptabilité doit cependant permettre une appréciation détaillée des résultats financiers de
l’entreprise. D’autre part, comme dans toute société, des commissaires aux comptes vérifient la
régularité des écritures comptables.

Ces règles comptables se retrouvent également dans la plupart des grandes entreprises
publiques constituées sous la forme d’EPIC. Il est vrai, cependant, que la loi de 2020 sur les
EPN a introduit une disparité entre les établissements publics industriels et commerciaux selon
qu’ils sont ou non soumis à cette comptabilité par leur texte institutif et dotés d’un comptable
public. Certes, les EPIC sont dans leur majorité dotés d’un comptable public. Mais, ce sont
souvent des agences techniques, des laboratoires et centres de recherche ou des établissements
d’aménagement, plutôt que de véritables entreprises. La plupart vivent d’ailleurs exclusivement
sur des dotations publiques et n’ont pas de réelle activité commerciale. Ils sont cependant
soumis à un régime plus souple que celui dont relèvent les établissements publics administratifs.

67
P. Moulié, L’imposition des personnes publiques, LGDJ, 1972.

30
À la différence de ces derniers, les EPIC n’ont pas de budget comportant des crédits limitatifs
mais un « état des prévisions de recettes et de dépenses » (EPRD) de caractère évaluatif. Leurs
procédures comptables respectent la séparation des ordonnateurs et des comptables mais
peuvent comporter des assouplissements liés au caractère éventuellement commercial de leurs
activités.

C - Étendue de la compétence judiciaire

Le corollaire de cette soumission au droit commercial est la compétence judiciaire en cas de


contentieux lié à l’activité industrielle et commerciale de l’entreprise publique. C’est ainsi que
les relations de l’entreprise publique avec ses clients (ou usagers en cas de gestion d’une activité
de service public) relèvent du droit privé et des tribunaux judiciaires. Cela se vérifie pour les
relations contractuelles, y compris lorsqu’elles comportent des stipulations exorbitantes du droit
commun68.

La compétence ne redevient le cas échéant administrative, que pour les relations nouées avec
les tiers qui échappent à ce bloc de compétence judiciaire, dont les contours pour ce qui
concerne les relations de travail ont toutefois été redéfinis par l’arrêt Berkani69, dont
l’applicabilité au secteur public a pu être envisagée70. Sous cette réserve, les règles habituelles
de répartition des contentieux s’appliquent. Ainsi, en matière contractuelle, les dérogations
habituelles au droit commun réapparaissent : présence d’une personne publique et exécution
d’une activité de service public ou clauses exorbitantes 71, réalisation d’ouvrages ou de travaux
publics72. Le contentieux de la responsabilité relève également, en principe, du droit privé et de
la compétence des tribunaux judiciaires 73. Cette soumission est totale dans les relations de
l’entreprise publique avec ses usagers 74. Elle redevient cependant administrative en cas de
préjudice causé à un tiers, résultant d’un ouvrage ou d’un travail public, ainsi que dans le cas

68
T. confl., 17 déc. 1962, « Dame Bertrand », Rec. 831, concl. Chardeau. CE, sect., 13 oct. 1961, « Ets.
Campanon-Rey », Rec. 567, AJDA 1962.98, concl. C. Heumann, note A. de Laubadère.
69
T. confl., 26 mars 1996, déc. dite « Berkani », Rec. p. 535.
70
La question s’est posée concernant le personnel de la Banque de France, qui gère un SPA mais dont les agents
ont néanmoins été qualifiés d’agents de droit privé par le Conseil d’État dans l’arrêt CE, 22 mars 2000,
« Syndicat autonome du personnel de la Banque de France », AJDA 2000, p. 411, chron. Guyomar et Collin.
71
CE, 19 janv. 1973, « Sté d’exploitation électrique de la rivière du Sant », Rec. 48, AJDA 1973, p. 358 et 382.
72
CE, 7 oct. 1966, « Ville de Bordeaux », JCP 1967 II 15053, note J. Dufau.
73
T. confl., 4 nov. 1991, « Coopérative des consommateurs de la MAIF c/UGAP », DA 1992 no 137.
74
T. confl., 24 juin 1954, « Dame Galland », Rec., p. 717.

31
d’un litige concernant l’emploi de directeur de l’EPIC75 ou de comptable public de
l’établissement76.

Paragraphe 2 : Les règles communes issues du droit public général

Les entreprises publiques demeurent aussi soumises au droit public pour certains aspects de
leur fonctionnement. Ceux-ci, à vrai dire, ne sont plus très nombreux. Ils tendent à protéger les
capitaux publics, les droits des salariés et les contrôles publics.

A. La protection des capitaux publics

Elle est à l’origine de limitations concernant le jeu des participations et des cessions d’actions
détenues par les sociétés publiques. Plusieurs textes précisent aujourd’hui les conditions dans
lesquelles ces entreprises publiques peuvent, d’une part, ouvrir leur capital à des participations
privées, d’autre part, prendre des participations dans le capital d’entreprises privées.

L’ouverture du capital des entreprises publiques aux capitaux privés fait comme on l’a vu
l’objet d’une autorisation administrative lorsqu’elle concerne les participations détenues par
l’État. Dans tous les cas, elle a lieu conformément à la libre circulation des capitaux dans le
marché unique, sous réserve des limitations prévues, en accord avec les règles de l’UEMOA77.
En outre, les prises de participation dans le capital des entreprises privées doivent faire l’objet
d’une approbation de l’autorité de tutelle.

B. La protection des salariés

La protection des droits des salariés est directement issue de la loi de 2020 pour les
établissements publics et de la loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à
participation financière publique pour les sociétés à participation publique. Elle se marque
principalement par leur représentation au sein des conseils d’administration ou de surveillance
et par l’exercice divers droits.

En France, une difficulté a surgi, s’agissant de la participation à l’élection des membres du CA,
des salariés d’une filiale d’Aéroport de Paris dotée du statut de Société par action simplifiée,
non pris en considération par la loi du 26 juillet 1983 dans la mesure où il a été créé plus

75
CE, 26 janv. 1923, « De Robert Lafrégeyre ».
76
CE, 8 mars 1957, « Jalenques de Labeau », D. 1957, p. 378, concl. Massot, note A. de Laubadère ; CE, 15 déc.
1967, « Level », AJDA 1968, II, 230, concl. Braibant.
77
V. également en France les dispositions de l’article L. 153-3 du Code monétaire et financier et des articles R.
153-1 et suivants du même code dressant la liste des douze secteurs dans lesquels les investissements étrangers
nécessitent une autorisation préalable pour des motifs de sécurité publique et nationale.

32
récemment. Se référant à l’esprit de la loi, le juge a tranché en faveur de la participation de ces
salariés à l’élection du CA de leur entreprise-mère, ce qui n’allait pas sans susciter d’autres
interrogations juridiques sur la compatibilité du statut de société par action simplifiée avec la
loi de démocratisation du secteur public 78. L’ordonnance du 20 août 2014 conforte cette
solution jurisprudentielle et s’efforce de minimiser les incertitudes qui existaient à cet égard
sous l’empire de l’ancienne législation.

C. La protection du service public

Lorsque l’entreprise publique assure une mission de service public, la protection du service
public est susceptible de justifier diverses dérogations au droit commun. D’abord, elle peut
prendre la forme d’un statut, qui n’empêche pas la soumission du personnel au droit privé mais
dont la légalité relève, en revanche, de la juridiction administrative en tant qu’actes
réglementaires d’organisation du service public 79. Ensuite, lorsque l’applicabilité du Code du
travail n’est pas explicitement prévue par un texte, des motifs tirés de la protection du service
public peuvent justifier qu’il y soit dérogé, comme l’a illustré le contentieux des règles du
travail à la SEITA80 2412 ou à la SNCF81 2413.

Section 2 : Une unité de sens de contrôle

Les contrôles qui s’exercent sur les entreprises publiques sont tous marqués par le droit public,
même si leur forme ou leur contenu peut varier d’une entreprise à l’autre. Les entreprises
constituées sous la forme d’établissements publics sont assujetties à des contrôles internes et
externes beaucoup plus poussés que celles qui ont le statut de sociétés. Mais même dans ce
dernier cas, plusieurs contrôles publics sont communs à toutes les entreprises publiques.

Paragraphe 1 : Les contrôles classiques

A. Les contrôles a priori

Le droit commun de la tutelle. La tutelle s’exerce habituellement sur les actes et sur les
personnes. Ce dernier aspect ayant déjà été exposé lors de l’examen de l’organisation des

78
TI Paris, 7 mai 2009, « Aéroports de Paris », RJEP 2010, comm. 15, par L. Ayache et J.-P. Markus.
79
T. confl., 15 janv. 1968, « Compagnie Air-France c/Époux Barbier », GAJA ; T. confl., 17 avr. 2000, « Préfet
du Val de Marne c/Collet », AJDA 2000, p. 411, chron. Guyomar et Collin.
80
CE, sect., 28 juill. 1993, « Fédération nationale des tabacs et Allumettes Force Ouvrière », CJEG 1993, p. 509
s.
81
CE, ass., 7 juill. 1995, « Damiens et autres », CJEG 1995, chron. Stahl et Chauvaux.

33
entreprises publiques, on s’attachera ici principalement au contrôle des actes. La tutelle a priori
est à la fois économique, financière et technique.

La tutelle économique et financière relève du ministre en charge du Budget et la tutelle


administrative et technique du ministre chargé du département dont relève l'activité principale
de l'établissement.

B. Les contrôles a posteriori

Ils ont été progressivement mis en place et connaissent un renforcement contemporain,


corrélatif à l’allégement des tutelles a priori. Il s’agit de contrôles administratifs, financiers et
politiques.

Les contrôles administratifs et financiers s’exercent dans le cadre de la vérification des comptes
des entreprises publiques par les commissaires aux comptes.

Mais, les contrôles politiques dépendent essentiellement du Parlement 82 et, dans une moindre
mesure, du gouvernement qui peut, lui aussi, décider la constitution de commissions d’enquêtes
dont les rapports complètent les informations recueillies par la tutelle.

Paragraphe 2 : La contractualisation de la tutelle

Les contrats conclus entre l’État et les entreprises 83 apparaissent aujourd’hui comme un
instrument privilégié d’exercice de la tutelle et, malgré certaines insuffisances, ils sont
maintenant très répandus et se sont diversifiés.

A. Le contenu des contrats État-entreprise

Dans les contrats État-entreprise, on trouve généralement trois séries d’objectifs : des objectifs
de développement de l’entreprise et notamment de réduction des déficits ; la définition de la
participation de l’entreprise à la réalisation de la politique économique générale et, le cas
échéant, des services publics ; enfin les engagements financiers des parties rappelant le rôle
d’actionnaire de l’État, la possibilité d’aides publiques et d’autres sources de financement.

82
P. Bruneau, « Le contrôle du Parlement sur la gestion des entreprises publiques », RDP 1975.1199 ;
G. Lescuyer, « Les entreprises nationales et le parlement », RDP 1960.1137.
83
Planification et décentralisation, les contrats de plan, Journée d’étude du CERAM, publications du CERAM,
Montpellier, avr. 1984 (épuisé) ; M. Bazex, « Les contrats de plan entre l’État et les entreprises
publiques », AJDA 1984.68 ; M. Voisset, « Un essai de renouvellement des relations entre l’État et les
entreprises publiques : les contrats de plan », in Mél. Pequignot, CERAM, Montpellier, 1984, t. II, p. 717.

34
Les contrats continuent ainsi d’apparaître comme des instruments privilégiés de conciliation de
l’autonomie de gestion de l’entreprise avec les objectifs de la politique économique de l’État.

B. Les insuffisances des contrats État-entreprises

Les insuffisances des contrats État-entreprises concernent tout autant leur procédure de
conclusion que leur contenu. On note une élaboration insuffisamment rationalisée et un contenu
non exhaustif. Au fait, les contrats, du moins avant certaines tentatives récentes, n’englobent
pas non plus tous les aspects des relations entre l’État et les entreprises publiques. Échappent à
ces contrats, pour continuer à relever du droit commun de la tutelle, les opérations ponctuelles
qui engagent la vie quotidienne de l’entreprise, telles que les prises ou cessions de participation,
les créations de filiales, les accords industriels. Dans ces cas-là, la tutelle classique retrouve ses
droits et l’autonomie de gestion de l’entreprise... ses limites !

35
Deuxième partie : Les mutations (transformations) des entreprises publiques

Deux séries de transformations majeures peuvent affecter la vie d’une entreprise publique.
Certaines transformations sont purement juridiques et ne concernent que la forme de
l’entreprise. D’autres proviennent de mouvements divers pouvant modifier la structure ou les
actifs de l’entreprise. On note d’une part les privatisation et d’autre part les nationalisations.

Chapitre 1 : Les nationalisations

La nationalisation est l'opération par laquelle l'État retire autoritairement à des personnes
privées la propriété de leur entreprise pour la faire entrer dans le secteur public. Selon le Conseil
constitutionnel84, « la nationalisation (…) implique que le transfert de propriété d'une entreprise
résulte d'une décision de la puissance publique à laquelle le ou les propriétaires sont obligés de
se plier ».

C’est à la faveur de la crise post-électorale de 2011 que la Côte d’Ivoire a procédé à des
nationalisations. Le président Laurent Gbagbo a annoncé, le 26 janvier, la nationalisation de
plusieurs entreprises (banques et télécommunications) fleurons de l’économie ivoirienne.

Section 1 : Le fondement de la nationalisation

On ne peut qu’évoquer ici les fondements économiques et politiques de la nationalisation. On


rappellera seulement les thèses marxistes de l’appropriation collective des moyens de
production, les considérations de meilleure gestion de secteurs économiques en difficulté ou ne
pouvant se développer dans le cadre du secteur privé, la volonté de retirer aux propriétaires
d’entreprises la puissance économique et politique que celles- ci leur donnaient, parfois celle
de sanctionner certains comportements politiques (Renault, par exemple en France).

Juridiquement, un fondement des nationalisations figure à l’alinéa 9 préambule de la


Constitution française de 1946, auquel renvoie la Constitution de 1958 : « tout bien, toute
entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un
monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité » 85.

84
Cons. const 19 janv. 1984, n° 84167 DC, Rec. 23.
85
P. Lavigne,« Les biens qui doivent devenir la propriété de la collectivité », Mel G. Pequignot, Univ.
Montpellier, 1984, p. 407.

36
Section 2 : Le régime de la nationalisation

Paragraphe 1 : Compétence pour nationaliser

Compte tenu de l’atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, seul le législateur


peut être compétent pour nationaliser. Il n’est pas exclu que le législateur renvoie au
Gouvernement l’adoption de mesures d’application, les modalités du transfert de propriété et
de l’envoi en possession. Aujourd’hui le législateur pourrait encore habiliter le Gouvernement
à agir par voie d’ordonnances en vertu de

Paragraphe 2 : Modalités du transfert

Les modalités du transfert de propriété sont elles-mêmes fonction de l’aménagement de


l’organisme appelé à prendre la suite de l’entreprise atteinte par la nationalisation. Tantôt en
effet la puissance publique prévoit la constitution d’un organisme nouveau auquel sont apportés
l’ensemble des éléments de l’entreprise visée par la nationalisation (tel fut le cas pour Renault
: un nouvel établissement, la Régie nationale des usines Renault reçut de l’État les biens et
actions dégagés à la suite de la dissolution de la société du même nom).

La constitution d’un organisme nouveau a pu être également réalisée pour d’autres


nationalisations, dans lesquelles d’ailleurs les mesures autoritaires ont été combinées avec la
conclusion d’accords.

Paragraphe 3 : Indemnisation

L’indemnisation des propriétaires de l’entreprise nationalisée constitue une exigence aussi bien
du droit international, que du droit interne, en vertu de l’article 17 de la déclaration de 1789, en
vertu duquel « la privation du droit de propriété pour cause de nécessité publique requiert une
juste et préalable indemnité », comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du
16 janvier 1982. Il est arrivé que, prononcée à titre de sanction pour des comportements
reprochés aux propriétaires de l’entreprise (collaboration), la nationalisation fût prononcée sans
indemnité (Renault 1, Gnôme et Rhône). Il n’est pas sûr que cette solution serait admise
aujourd’hui.

« La double exigence du caractère juste et du caractère préalable de l’indemnisation » est en


effet rigoureuse : d’une part, « les actionnaires des sociétés visées par la loi de nationalisation

37
ont droit à la compensation du préjudice subi par eux, évalué au jour du transfert de propriété,
abstraction faite de l’influence que la perspective de la nationalisation a pu exercer sur la valeur
de leurs titres » ; d’autre part, les modalités de règlement doivent assurer suffisamment le
caractère préalable (Cons. const. 16 janv. 1982). En outre le principe d’égalité impose de traiter
de la même manière les personnes atteintes par la nationalisation (également Cons. const. 11
févr. 1982).

L’exigence d’une indemnité juste n’est pas satisfaite lorsque le calcul de la valeur des actions
faisant l’objet du transfert de propriété est effectué d’après une moyenne des cours de bourse
sur une période assez longue antérieure à la nationalisation : il aboutit à des distorsions
considérables par rapport à la valeur réelle, faute de comporter les aménagements propres à
redresser les inégalités et les insuffisances substantielles du système de la moyenne. Il en va de
même pour un calcul de la valeur d’actions non cotées en bourse fondé sur la situation nette
comptable et le bénéfice net moyen des derniers exercices, ne comportant pas les corrections
nécessaires pour tenir compte de la réalité. De même est « injuste » le refus de tenir compte du
bénéfice du dernier exercice (Cons. const. 16 janv. 1982).

En revanche est admissible un système de moyenne de cours des actions cotées en bourse sur
une période antérieure assez brève, avec des ajustements tenant compte des opérations ayant
affecté le capital et de la hausse des prix, et pour les actions non cotées en bourse, un système
d’évaluation basé sur l’actif net et le bénéfice net, avec les actualisations nécessaires (Cons.
const. 11 févr. 1982). L’exigence du caractère préalable de l’indemnité n’impose pas que celle-
ci soit versée en numéraire ; il suffit que les intéressés reçoivent un titre négociable, préservé
des risques de dépréciation monétaire, « équivalant à un paiement en numéraire » (Cons. const.
16 janv. 1982). L’indemnité a pu être versée en numéraire, comme pour une expropriation (loi
du 11 août 1936 sur la nationalisation des matériels de guerre).

Paragraphe 4 : Effets

Si, de manière générale, la nationalisation a pour objet et pour effet de transférer les entreprises
qu’elle atteint du secteur privé au secteur public, les conséquences de ce transfert ne sont pas
identiques selon qu’il porte sur le patrimoine ou sur le capital de l’entreprise.

A. Lorsque le transfert porte sur le patrimoine de l’entreprise privée

Lorsque le transfert porte sur le patrimoine de l’entreprise privée, c’est- à- dire ses biens, droits
et obligations, qui sont attribués à une entreprise publique nouvellement créée (par ex. EDF,

38
GDF), il faut en mesurer les conséquences sur l’existence, les participations et les obligations
de l’entreprise. Si c’est la totalité du patrimoine de l’entreprise privée qui est atteint, c’est non
seulement sa substance qui est vidée, mais aussi son existence qui est remise en cause :
l’entreprise, n’ayant plus d’activité à exercer ni de moyen pour le faire, doit être dissoute.

En revanche, si son patrimoine n’est transféré que pour la partie correspondant à l’activité
nationalisée, l’entreprise peut continuer à poursuivre l’autre partie de l’activité qu’elle exerçait
précédemment, avec les moyens qui y restent consacrés. La question des participations dans
d’autres sociétés de l’entreprise atteinte par la nationalisation se pose dans des conditions
particulières.

Si la nationalisation atteint le patrimoine de l’entreprise dans son ensemble, elle englobe ses
participations : ainsi dans la mesure où elles donnaient à l’entreprise privée la majorité dans le
capital d’autres sociétés, leur attribution à l’entreprise publique nouvelle fait de ces sociétés
elles- mêmes des entreprises du secteur public en tant que filiales majoritaires. Si la
nationalisation, comme on l’a vu, n’atteint une entreprise que pour la partie de l’activité qui est
visée, ses participations dans des sociétés qui ont une activité autre ne sont pas atteintes ; elles
restent la propriété de la société mère, et les filiales restent dans le secteur privé. Si les sociétés
en cause ont une activité entrant dans le champ de la nationalisation, la nationalisation les atteint
directement en elles- mêmes, et non pas par celle de la société mère.

Des solutions analogues se retrouvent quant au sort des obligations pesant sur l’entreprise avant
la nationalisation. Lorsque l’ensemble du patrimoine a été atteint et que, conséquemment,
l’entreprise privée est dissoute, celle- ci ne peut évidemment plus être liée par ses obligations
antérieures. C’est l’entreprise publique nouvellement créée qui doit en assumer la charge. Si le
patrimoine de l’ancienne entreprise privée a été réparti entre deux ou plusieurs entreprises
publiques, chacune d’entre elles est tenue des obligations correspondant à l’activité en raison
de laquelle elle a bénéficié d’un transfert de propriété. Lorsque n’est atteinte qu’une partie du
patrimoine de l’entreprise, correspondant à une partie de son activité, sont transférées à
l’entreprise ou aux entreprises publiques bénéficiaires toutes les obligations correspondantes.

L’entreprise privée, qui subsiste pour le surplus, ne garde à sa charge que les obligations se
rapportant à l’activité qui lui a été laissée. Elle ne peut être tenue des dettes se rapportant à
l’activité qui lui a été retirée. Ces solutions ont prévalu, en France, à la Libération avec la
nationalisation de l’électricité, du gaz, des combustibles minéraux, dont on a vu d’une part
qu’elle n’atteignait les entreprises privées qu’en ce qu’elles exerçaient leur activité dans ces

39
domaines, d’autre part qu’elle avait comporté la création d’établissements publics industriels et
commerciaux entièrement nouveaux (EDF, GDF, Charbonnages, Houillères).

B. Lorsque le transfert porte sur le capital d’une entreprise privée

Lorsque le transfert porte sur le capital d’une entreprise privée (plus précisément sur les actions
représentatives du capital d’une société privée, comme ce fut notamment le cas avec les
nationalisations de 1982 en France), la question de la survie de l’entreprise ne se pose pas.
Comme le précisait la loi du 11 février 1982, « la société continue… ». L’entreprise reste
identique à elle-même juridiquement.

Si le changement d’actionnaire entraîne une transformation radicale de l’animus societatis et


altère la nature profonde de l’entreprise, celle- ci continue à exister avec la même personnalité
morale, sans rupture juridique, sans création d’une personne nouvelle et sans disparition d’une
personne ancienne. Dès lors, la question du sort des obligations de l’entreprise ne se pose même
pas. Elles continuent à peser sur elle comme précédemment. Il faut souligner l’effet de la
nationalisation de l’entreprise sur ses filiales. Celles-ci sont atteintes nécessairement par la
nationalisation de la société mère. Toutes ses participations dans d’autres entreprises subsistent.
Lorsqu’elles sont majoritaires, les sociétés sur lesquelles elles portent sont automatiquement
transférées dans le secteur public comme conséquence du transfert de la société mère. Il n’est
pas nécessaire de prendre une mesure particulière à cette fin. C’est ainsi que la nationalisation
en 1982 de deux compagnies financières (Paribas et Suez) a suffi à rendre « publiques » toutes
les sociétés du groupe à la tête duquel elles se trouvaient.

La même conséquence valait pour les sociétés détenues par d’autres entreprises expressément
atteintes par la nationalisation. C’est en ce sens qu’on a parlé de nationalisation « indirecte ».
Dans certains cas cependant, et notamment pour des banques, le législateur a voulu atteindre
directement et expressément des entreprises filiales majoritaires d’entreprises elles- mêmes
nationalisées. C’est une sorte de redondance.

Lorsque les participations d’une entreprise nationalisée dans d’autres sociétés ne sont que
minoritaires, ces sociétés n’entrent pas dans le secteur public par suite de la nationalisation de
l’entreprise mère, puisque précisément la participation « publique » n’est pas majoritaire. Mais
il peut arriver que plusieurs entreprises nationalisées qui, chacune, ne détiennent que la minorité
du capital d’une société, aient ensemble la majorité. Alors la nationalisation de ces entreprises
fait encore entrer dans le secteur public la société dans laquelle elles sont ensemble majoritaires.

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41
Chapitre 2 : Les privatisations

Si l’article 101 de la Constitution parle des « transferts de propriété d’entreprises du secteur


public au secteur privé », il n’établit pas les principes et les règles les régissant. Mais, s’il «
laisse au législateur l’appréciation de l’opportunité des transferts du secteur public au secteur
privé et la détermination des biens ou des entreprises sur lesquels ces transferts doivent porter,
il ne saurait le dispenser, dans l’exercice de sa compétence du respect des principes et des règles
de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’État ». La jurisprudence du
Conseil constitutionnel et du Conseil d’État français a eu l’occasion de les préciser, en ce qui
concerne les règles de fond et celles de compétence. Les règles de fond peuvent interdire les
privatisations pour les entreprises ayant le caractère d’un service public national ou d’un
monopole de fait selon l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, et conduisent à
préserver en toute hypothèse les intérêts publics.

Section 1 : Les données de la privatisation

Paragraphe 1 : La notion de privatisation (394)

Le terme « privatisation » — néologisme peu élégant qu’on utilise ici parce que l’usage s’en
est généralisé — comporte une ambiguïté qui doit être levée pour déterminer exactement ce que
l’on veut dire et éviter les confusions. Dans trois acceptions, la privatisation n’est pas un
transfert d’entreprise du secteur public au secteur privé (1°) ; c’est seulement dans la quatrième
qu’elle correspond à cette hypothèse (2°). 1° Les trois premiers sens correspondent à de fausses
privatisations ; en tout cas, ils ne désignent pas la sortie d’une entreprise du secteur public.

A. Les trois acceptions qui ne correspondent pas à la privatisation

À un premier niveau, la privatisation consiste en une modification d’un service, jusqu’alors régi
par le droit public, pour qu’il le soit désormais par le droit privé. Il en est ainsi lorsqu’un service
public, d’administratif, devient industriel et commercial : les modifications des règles
d’organisation, de fonctionnement entraînent un changement de qualification et corrélativement
du régime juridique applicable. Ce peut être le cas pour un service exploité en régie, ce peut
l’être encore pour un établissement public : cela ne suffit ni à changer la catégorie
d’établissement public à laquelle celui-ci appartient, ni à faire sortir le service ou

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l’établissement du secteur public. Ils sont désormais seulement en principe régis par le droit
privé et relèvent, en cas de contentieux, de la compétence du juge judiciaire.

Un pas de plus est franchi avec un nouveau sens, se rapportant à la concession à des entreprises
privées de services publics qui étaient jusqu’alors exploités soit en régie directe soit par un
établissement public. On retrouve à ce sujet le système des concessions et en particulier des
conventions de délégation de service public, qui constitue un mode de gestion des services
publics.

Dans cette hypothèse, les entreprises privées s’insèrent dans le service public, puisque la gestion
de celui-ci leur est confiée ; elles utilisent les méthodes du droit privé, leur personnel est en
principe de droit privé ; leurs contrats relèvent du droit privé, etc. C’est en ce sens que l’on peut
parler de privatisation. Mais, d’une part, le service public n’est pas supprimé, c’est seulement
son mode de gestion qui est modifié ; la dévolution du service public à l’entreprise reste un acte
de droit public ; les principes du service public (continuité, égalité, mutabilité) restent
applicables ; la collectivité publique de laquelle relève le service en assure toujours le contrôle
et peut éventuellement en modifier de nouveau le mode de gestion ; d’autre part, le système ne
comporte pas transfert de propriété d’une entreprise du secteur public au profit du secteur privé.
En ce sens, il n’y a pas de privatisation d’une entreprise publique.

Tel n’est pas non plus le cas lorsqu’est réalisée la filialisation d’une entreprise publique, selon
une modalité déjà rencontrée à propos des groupes publics : une entreprise publique dissocie de
sa structure des éléments d’actifs susceptibles de faire l’objet d’une exploitation autonome pour
leur donner une personnalité propre sous forme de société dans laquelle elle conserve une
participation soit totale soit majoritaire, ou en fait apport à une société préexistante dans laquelle
la participation publique est également majoritaire. La filialisation est de nature à renforcer le
caractère privé de la gestion lorsque l’entreprise-mère est un établissement public. Mais déjà
celle-ci était soumise au droit privé en tant qu’entreprise. La filialisation, ne faisant pas sortir
du secteur public les éléments qui en font l’objet, n’est pas une privatisation d’entreprise
publique. C’est exactement ce qu’a jugé le Conseil d’État dans les arrêts déjà cités du 24
novembre 1978, Schwartz et du 6 mars 1991, Syndicat national CGT du Crédit d’équipement
des moyennes entreprise, à propos du réaménagement du secteur pétrolier public dans un cas,
d’organismes publics de crédit dans l’autre : la nouvelle société appartient au secteur public ;
les aménagements réalisés « n’ont eu ni pour objet ni pour effet de transférer au secteur privé
la propriété d’une entreprise du secteur public » . Il se peut que les « privatisations » ci- dessus
relevées soient de nature à faciliter ultérieurement un transfert au secteur privé : un service
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industriel et commercial, une société peuvent plus aisément être l’objet d’un tel transfert qu’un
service ou un établissement public administratif. Mais ces transformations ne sont pas la
condition nécessaire d’une véritable privatisation ; et une véritable privatisation n’est pas la
conséquence nécessaire de ces transformations.

B. Le sens de la privatisation à retenir

De ce qui précède, il apparaît déjà que la privatisation d’une entreprise publique ne se réalise
que lorsqu’elle est transférée du secteur public au secteur privé. L’entreprise ne « bascule »
dans le secteur privé qu’à partir du moment où les personnes publiques (collectivités publiques,
établissements publics) ou les personnes morales de droit privé appartenant elles-mêmes au
secteur public (entreprises publiques de premier rang ou d’un rang inférieur ayant un statut de
société) ne détiennent plus, ensemble ou séparément, la majorité du capital social de l’entreprise
en cause.

Cela peut se produire dans plusieurs hypothèses : – une entreprise publique à statut
d’établissement public est transformée en société et le capital social de celle- ci est désormais
majoritairement détenu par des personnes du secteur privé ; – l’entreprise publique ayant déjà
le statut de société, son capital social devient majoritairement privé ; – des éléments d’actifs
susceptibles de faire l’objet d’une exploitation autonome sont cédés à des personnes privées, et
notamment à une société dans laquelle la majorité n’appartient pas à des personnes du secteur
public ; – la perte de la majorité « publique » résulte d’une opération d’augmentation du capital
à laquelle ne souscrivent que des personnes privées.

Plus généralement, comme l’indiquent les lois de 1986 et 1993, la privatisation est une
opération de transfert d’entreprise du secteur public au secteur privé ; elle peut se réaliser selon
des modalités diverses ; l’essentiel est moins la modalité utilisée que le résultat qu’elle produit.
Dans les développements qui suivent, l’expression « privatisation » sera toujours utilisée au
sens de transfert d’entreprise du secteur public au secteur privé. Il n’en reste pas moins que,
même si des cessions ne font pas perdre aux personnes publiques la majorité du capital d’une
entreprise, elles peuvent réduire leur influence. Bien plus, même si les personnes publiques
n’ont qu’une participation minoritaire, qui peut cependant être élevée (par ex. 30 %), sa
diminution est une réduction d’influence : c’est pourquoi certaines dispositions les soumettent
à des mesures proches de celles des privatisations.

Dans le même sens, si, pour réaliser une privatisation au sens étroit, d’une part, il n’est pas
nécessaire que la totalité du capital d’une société appartenant précédemment à des personnes

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du secteur public soit transférée à des personnes du secteur privé (le transfert de la majorité
suffit), et d’autre part, le transfert d’une minorité, même importante ( jusqu’à 49,99 %), n’est
pas suffisante (le transfert de la majorité est nécessaire), il n’en reste pas moins que
l’introduction d’une participation privée, même minoritaire, dans une entreprise publique est
un début de privatisation, d’autant plus important que cette participation s’accroît : même si
elle laisse l’entreprise dans le secteur public, elle n’en affecte pas moins sensiblement sa
situation. C’est pourquoi tant en législation 1 que selon la jurisprudence 2, elle donne lieu à des
solutions de même type que celles qui doivent être observées pour un transfert complet d’une
entreprise du secteur public vers le secteur privé.

Dans un sens général, privatiser c’est rétrocéder au secteur privé une activité gérée par le secteur
public.

Paragraphe 2 : La distinction d’avec les autres notions (395-396-397)

La privatisation peut prendre plusieurs formes, qui se distinguent notamment par l’ampleur de
la rétrocession.

A. La dissolution de l’entreprise

Dissoudre une entreprise publique, c’est à première vue désengager l’État d’une activité
productive et laisser l’initiative privée en assurer la gestion. En réalité ce transfert n’est qu’une
possibilité qui peut ne pas se concrétiser. En Côte d’Ivoire, entre 1977 et 1980, 15 Sociétés
d’État sur les 39 existantes ont été dissoutes. Interprétée par la quasi-totalité des observateurs
comme un vaste mouvement de privatisation, cette restructuration ne s’est en fait pas traduite
par un essor correspondant du secteur privé, loin s’en faut.

Certaines activités ont purement et simplement disparu (riz, production bovine, aménagement
régional), d’autres étant reprises par des services administratifs (gestion des participations
publiques, recherche agricole). Il était donc abusif de qualifier de privatisation l’ensemble des
dissolutions.

B. La vente d’actions détenues par l’État

C’est la forme la plus classique de privatisation : l’État cède à des personnes privées la fraction
du capital social qu’il détient dans une société. Ce transfert de propriété est supposé
correspondre ipso facto à un transfert de pouvoir au profit d’un opérateur privé. Or certaines
cessions d’actions peuvent n’avoir aucune portée sur la gestion de l’entreprise. C’est
notamment le cas lorsque la participation de l’État est minoritaire.
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La privatisation n’est alors qu’une opération financière, dont le but est de générer des recettes
publiques et éventuellement de susciter la mobilisation de l’épargne privée. La plupart des
privatisations récentes correspondent à ce cas de figure : COSMIVOIRE (huiles), FILTISAC
(sacs d’emballage), CAPRAL-NESTLE (Nescafé) sont des sociétés privées dans lesquelles
l’État avait une participation inférieure à 33 % du capital et qui fonctionnaient comme des
sociétés entièrement privées.

Même lorsqu’il est majoritaire, l’État peut n’être qu’un actionnaire « dormant », laissant le
partenaire privé minoritaire assurer la gestion de la société. C’est le cas de la SOGB
(caoutchouc) détenue à 95 % par l’État mais dirigée en réalité par l’actionnaire minoritaire (la
société Michelin). Cet abandon du pouvoir de gestion peut être le résultat d’un choix raisonné,
notamment dans le cas où les immobilisations sont trop importantes pour trouver acheteur. Il
est alors possible pour l’État de conserver la propriété du capital productif et d’en confier la
gestion dans le cadre de contrats formalisés.

C. La privatisation de la gestion

C’est une formule assez souple qui consiste à confier la direction de l’entreprise à un opérateur
privé dans le cadre d’objectifs et de moyens définis de façon contractuelle. Plusieurs formules
juridiques sont possibles. La plus classique est la convention de concession de service public,
solution adoptée dès le début de l’indépendance pour la distribution d’eau en zones urbaines,
assurée par une société d’économie mixte, la SODECI, où l’actionnaire majoritaire est le groupe
Bouygues. Dans le domaine de l’hôtellerie, le contrat de gérance est très courant, l’État restant
parfois l’actionnaire unique (cas de l’Hôtel Ivoire).

C’est également la formule du contrat de gestion qui a été adoptée dans la privatisation de
I’EECI, société publique d’électricité. L’État conserve la propriété des installations et des
moyens de production, dont le renouvellement et l’extension continuent à être assurés par
1’EECI. La gestion de ces capacités de production (production, transport et distribution
d’électricité) a été confiée à une société privée, la CIE, contrôlée par le groupe Bouygues ? 86.

Le problème majeur soulevé par ce partage est celui de la détermination de la rémunération de


la société gestionnaire dans l’hypothèse où les prix de vente sont fixés par la puissance publique
(cas de l’eau et de l’électricité). Le risque est alors de déconnecter la gestion de l’entreprise des

86
L’État s’est réservé le droit de souscrire à 20 % du capital. Cette disposition est l’un des Cléments d’un système
de contrôle qui s’articule autour d’un contrat de concession (en réalité d’affermage, puisque le gestionnaire délégué
n’a pas en charge les investissements). On est donc loin d’un désengagement total de I’État !

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contraintes du marché et d’assurer une rentabilité à court terme au détriment d’investissements
à long terme. L‘équilibre ne peut être trouvé que si l’État dispose d’une capacité d’analyse et
de négociation suffisante, ce qui nécessite un État fort. La gestion rentière n’est pas un
monopole du secteur public !

D. La libéralisation du marché

Le terme de privatisation est également utilisé dans un sens très extensif pour désigner la fin
d’un monopole public et l’ouverture d’un marché à la concurrence. C’est le cas de la SOTRA,
société publique qui jouit du monopole d’exploitation de certaines lignes de transport dans
l’agglomération d’Abidjan. Quand on parle de sa privatisation, thème récurrent de
l’organisation des transports urbains en Côte d’Ivoire, il s’agit généralement de la liberté qui
serait accordée aux transporteurs privés d’assurer un certain nombre de lignes dans le périmètre
actuellement réservé à la SOTRA. Privatisation signifie alors libéralisation par la
déréglementation.

Cette extension par l’opinion publique du champ des privatisations rejoint une considération
générale relative à l’importance de l’environnement des entreprises dans la portée des
privatisations : la rétrocession au secteur privé a des effets limités si le marché est trop
étroitement réglementé. La pratique de prix et marges fixes, de prélèvements publics élevés, de
systèmes de quotas et d’agrément faussent le jeu de la concurrence. Les économies de
l’ancienne Europe de l’Est ont fait la douloureuse expérience de l’impossibilité de privatiser les
entreprises en l’absence d’un minimum de liberté des marchés.

Dans une économie faiblement industrialisée et dont la taille du marché national est
extrêmement réduite, le seuil de rentabilité de certaines activités de production exige bien
souvent la concentration des unités productives. La privatisation peut alors conduire
paradoxalement à l’apparition de situation de monopole. C’est en particulier le cas du secteur
textile dans lequel le désengagement de l’État s’est traduit par le regroupement des entreprises
de tissage et d’impression au profit du groupe Schaeffer. Les effets néfastes de cette montée
des monopoles privés ne peuvent être contrecarrés que par l’ouverture à la concurrence
internationale tant à l’importation qu’à l’exportation. C’est alors l’ensemble du dispositif de
protection du marché intérieur qui est remis en cause et à travers lui la base des ressources de
l’État. Comment s’étonner, dans ces conditions, de la lenteur du processus de privatisation qui
a caractérisé l’économie ivoirienne depuis le début des années 80.

47
Section 2 : Les modalités de la privatisation

Paragraphe 1 : L’autorisation de la privatisation

La Constitution, en parlant des « transferts de propriété d’entreprises du secteur public au


secteur privé », vise toute forme de transfert. La plus courante est celle du transfert à des
personnes privées (particuliers ou autres) de la majorité, a fortiori de la totalité, de la propriété
des participations (actions dans une société anonyme) appartenant aux personnes publiques, et
spécialement à l’État, dans le capital d’une société.

Paragraphe 2 : L’évaluation des entreprises à privatiser

A. L’évaluation en elle-même

B. Le prix de cession

Conformément à une exigence constitutionnelle, le prix de la cession doit correspondre à la


valeur de l’objet cédé (participations au capital ou autres). Pour les opérations décidées ou
autorisées par l’État, c’est le ministre de l’Économie qui fixe par arrêté les prix d’offre, les prix
de cession ainsi que les parités d’échange, le cas échéant sous forme de fourchettes. Dans les
autres cas, le prix est fixé par l’organe compétent de l’organisme cédant.

C. La détermination des acquéreurs

Paragraphe 3 : La portée de la privatisation

A. Les impératifs : la sauvegarde des intérêts nationaux

B. L’ouverture du capital des entreprises

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Bibliographie indicative

Ouvrages

Conseil d'État, Les entreprises publiques, Droits et debars, n° 24, 2017.

B. Chenot, Les entreprises nationalisées, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7e éd., 1983.

A Delion, L'Etat et les entreprises publiques, Paris, Sirey 1959.

A Delion, Le statut des entreprises publiques, Berger-Levrault, 1963.

A. Delion, Le droit des entreprises et participations publiques, Paris, LGDJ, coll. « System es»,
2003.

Michaël POYET, Le contrôle de l’entreprise publique : essai sur le cas français, Thèse,
Université Jean Monnet Saint-Etienne, 2001, 402p.

J. Dufau, Les entreprises publiques, Le Moniteur, 1991.

M. Durupty, Les entreprises publiques, PUF, coll.« Themis », 2 vol., 1986.

B. Jeanneau, Droit des services publics et des entreprises nationales, Dalloz, 1984.

T. Condouasaintis, Le secteur public industriel et commercial, LGDJ, 1990.

-Cl. Adm., « Entreprises publiques », E. Breen et C. Bolla, fasc, 158-10 et 158-20.

Conseil d'État, Colloque sur Les entreprises publiques, Doc. fr., 2016.

Bernard Contamin, Harris Memel-Fote, Le modèle ivoirien en questions. Crises, ajustements,


recompositions, Paris, Karthala - ORSTOM (IRD), 1997, 800 p.

M'Lan Ouattara, « Le rôle des entreprises publiques dans le développement de la Cote


d'Ivoire », Revue juridique et politique: indépendance et coopération, 1978, p. 69-83.

Références textuelles

Loi n° 2020-627 du 14 aout 2020 fixant les règles générales relatives aux établissements publics
nationaux et portant création de catégories d'établissements publics.

Loi n° 2020-886 du 21 octobre 2020 relative aux sociétés à participation financière publique.

Ordonnance n° 2016-541 du 20 juillet 2016 fixant les règles générales relatives à la création
d’agences d’exécution.

49
Décret n° 2018-152 du 14 février 2018 déterminant les modalités de fonctionnement du conseil
de gestion d'un établissement public national.

Décret n° 2021-677 du 03 novembre 2021 portant régime financier et comptable des


établissements publics nationaux.

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