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La réforme du contrôle juridictionnel des finances publiques dans les États membres de

l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) : l’exemple de la Côte


d’Ivoire.

The reform of the judicial control of public finances in the UEMOA states : the case of
Côte d'Ivoire.

Par
André ADAHI
Doctorant en droit public
Expert junior à K.A.S.
(LABER-DPAF/Université Félix Houphouët Boigny/ Côte d’Ivoire)
adahistandre3@gmail.com

Résumé : Cet article propose une réflexion sur la réforme du contrôle juridictionnel des
finances publiques dans les pays membres de l’UEMOA en s’appuyant sur l’exemple
de la Côte d’Ivoire. Il vise à mettre en lumière le caractère incomplet de celle-ci. Au
terme de cette étude, il en ressort que, même si la réforme entreprise sous les tropiques
éburnéennes est incontestable à certains endroits, elle demeure encore dans sa grande
proportion insuffisante. Cela est perceptible à un double niveau tant matériel que
formel. Le caractère incomplet de la rénovation formelle peut s’axer sur l’insuffisance
du remodelage organique et sur le réaménagement terne du statut des juges de la cité
de Cascade. Quant à l’aspect matériel de la rénovation, il reste pour le moins lacunaire
en raison d’une mutation restreinte des missions administratives et d’un renforcement
quasi inexistant de la mission de « juge ».
Contrôle juridictionnel - jugement des comptes - autorité de la chose jugée - autonomie
financière – certification.
Summary: This paper suggests a reflection about the reform of the judicial control of public
finances in the UEMOA states, by standing on the case of Côte d’Ivoire. It is aimed to
bring out the incomplete character on this one. At the end of this, we figured out that,
even if the made reform under eburnean tropics is undisputable according to some
points, it is still insufficient, in its majority proportion. That is seeable twice as much
substance level as formal level. The incomplete character of the formal renovation may
be focused on the insufficiency of the organic reforming and on the drab readjustment
of the judges’ status of the Cascade city. About the substance aspect of the renovation,
it has gaps because of a restrained mutation of executive missions and of a
reinforcement almost non-existent of the mission of “judge”.
Judicial control - Accounting Judgment - Res judicata - Financial autonomy- Certification
INTRODUCTION
L’évolution perpétuelle de la société tend à engendrer de nouveaux besoins, voire
domaines d’études auxquels la science ne peut s’abstenir d’embrasser. Cette réalité est plus
patente lorsqu’on se réfère à la science juridique, au Droit, une discipline constamment et
incessamment en mouvement, en développement et en extension. Ainsi, comme un conquérant
à la quête de nouvelles terres, le Droit ne cesse de s’enrichir de champs nouveaux. Pris dans
son sens homogène, les finances publiques s’insèrent dans l’orbite de celui-ci.
Discipline conquérante1, elle fait de l’étude du contrôle des deniers publics un élément
central au sein des personnes morales de Droit public pour diverses raisons. D’abord, en raison
de l’importance des sommes en cause. Le rapprochement des deniers publics et des deniers des
entités privées montre en grande partie que les premiers sont sans équivalent plus conséquents2.
Ensuite, en raison des exigences de transparence, de bonne gestion, de reddition des comptes
qui découlent plus que tout de la démocratie, régime devenu le repère dans la construction des
États.
Ainsi, en France, pour préserver le droit de regard du citoyen dans l’utilisation des fonds
publics, il est consacré dans les articles 14 et 15 de la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789 que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par
leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en
suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » et que
« la société a le droit de demander compte à tout agent public de son Administration ». Cette
place ne semble pas changer avec la dynamique de renouvellement des finances publiques dans
le monde et dans les États membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine en
particulier.
En réalité, le renouvellement des finances publiques dans les États démocratiques
modernes et singulièrement dans les huit pays membres de l’Union économique et monétaire
ouest-africaine font du contrôle, comme d’antan, un élément central de la nouvelle gouvernance
financière publique. La Côte d’Ivoire, adhérant à la logique de modernité véhiculée dans les
finances publiques de la quasi-totalité des États du monde3 et aux nouveaux standards de gestion
internationaux, tente de redonner un nouveau visage au contrôle.

1
S. YONABA, Les finances publiques de l’État burkinabè, Ouagadougou, coll. « Précis droit burkinabè », 2006, p.
11.
2
A. BARILARI, « Quelques réflexions sur le contrôle des fonds publics », La Revue du Trésor, n°2, 2003, p. 83.
3
M-C. ESCLASSAN, « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles financiers publics à la nouvelle
gestion publique », RFFP, n°101, 2008, p. 34.

1
La transposition des directives de 20094 de l’Union économique et monétaire ouest-
africaine, porteuse d’une nouvelle logique de gestion publique à partir de 2014 marque le point
de départ. Cette transposition s’est traduite par le renouvellement du fondement des finances
publiques ivoiriennes en raison de l’adoption d’une nouvelle « constitution financière »5 et
d’une série de lois constituant son droit dérivé.
Celles-ci visent à moderniser non seulement l’État, en le transformant en un État
gestionnaire et à orienter ou à centrer l’utilisation des deniers publics sur la quête de
performance. Dans cette optique, elles visent à mettre fin aux difficultés des institutions de
contrôle notamment les institutions en charge du contrôle non juridictionnel et juridictionnel.
En outre, elle vise aussi à donner un nouveau souffle au contrôle dans tous ses compartiments
et singulièrement au contrôle juridictionnel. Par ailleurs, cette refondation des finances
publiques emporte une extension remarquable des fonctions des instances en charge de son
contrôle tout en réaménageant quelques fois leurs fonctions anciennes. En témoigne les
attributions du juge financier qui désormais est chargé de procéder à l’audit de performance, à
la certification des comptes, à l’extension de sa juridiction à l’égard des ordonnateurs
principaux6. Pareil constat justifie cette étude intitulée : « la réforme du contrôle juridictionnel
des finances publiques dans les États membres de l’Union économique et monétaire ouest
africaine (UEMOA) : l’exemple de la Côte d’Ivoire ».
Le choix de cette formulation est motivé par un constat. En effet, Il serait pertinent
d’envisager cette recherche en prenant en compte tous les huit (8) États membres de l’UEMOA.
La fédéralisation progressive de la science des finances publiques dans zone UEMOA et de
l’homogénéité linguistique des États membres le justifie. Elle permettrait sans doute d’aboutir
à des résultats facilement applicables à eux tous. Une telle approche permettrait une meilleure
connaissance de diverses expériences normatives, administratives et institutionnelles en matière
de contrôle juridictionnel des finances publiques. Et, d’aboutir à des conclusions plus
globalisantes.
Toutefois, la perspective retenue ne permet pas moins d’aboutir à des conclusions plus
pertinentes, plus approfondies et plus affinées susceptibles de généralisation dans les États
membres de l’UEMOA. Ainsi précisé, la clarification sémantique s’impose.

4
Il s’agit des Directives n°01/2009/CM/UEMOA portant Code de transparence, n°06/CM/UEMOA du 26 juin
2009 portant LF, n°07/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant RGCP, n°08/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant
NBE, n°09/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant PCE, n°10/2009/CM/UEMOA portant TOFE.
5
M. BOUVIER, « La LOLF du 1er août 2001 relative aux lois de finances », AJDA, 2001, p. 876.
6
Voir les articles 9 à 22 Loi organique n°2018-979 du 27 décembre 2018 déterminant les attributions, la
composition, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes ivoirienne, J.O. n°2 spécial du 6 mars
2019.

2
Le contrôle de son origine renvoie à l’idée de « vérification et de validation des comptes »7. En
ce sens, il fut longtemps défini sous le seul aspect de vérification8. Ainsi, c’est une procédure
mise en œuvre en vue de s’assurer de l’exactitude d’un enregistrement, du bon fonctionnement
d’une structure, d’un service ou d’un système9. En clair,« le contrôle évoque l’idée de
vérification, c’est-à-dire le fait de s’assurer qu’une chose est bien telle qu’on l’a déclaré ou
telle quelle doit être par rapport à une norme donnée »10. La consécration du budget
programme implique nécessairement un « contrôle de résultat et de la performance »11, c’est-
à-dire un « contrôle de la gestion, de l’efficacité et de l’efficience des politiques publiques »12.
Avec cette nouveauté, la notion de contrôle évoque désormais à la fois l’idée de
vérification déjà susmentionnée et celle de maîtrise13. Pris dans ce double sens, convenons avec
Laurent FABIUS et Didier MIGAUD que le contrôle renvoie, dans un premier temps, à un
exercice de suivi des crédits budgétaires afin de contrôler la régularité et l’effectivité des
opérations budgétaires et financières. Dans sa seconde dimension, le contrôle correspond à un
exercice d’évaluation de l’utilisation faite des fonds publics afin de déterminer si celle-ci a
atteint les objectifs qui lui étaient assignés au départ14.
Cette nouvelle approche du contrôle concilie rationalité juridique et rationalité
performancielle. L’essor de la démarche de performance dans la gestion publique des États du
monde et singulièrement de l’État de Côte d’Ivoire, la conception et la mise en œuvre du
contrôle s’étend désormais « à la recherche de la manière dont les actions publiques peuvent
être exécutées non seulement de la manière régulière, mais aussi au meilleur coût, et à
l’identification de leurs résultats »15. Cette double dimension à la fois juridique et gestionnaire
du contrôle favorise la critique et la sanction des irrégularités dans la gestion des fonds publics
d’une part. D’autre part, elle permet une meilleure connaissance de l’action publique, des
mécanismes opérationnels et propose des voies et moyens d’amélioration pour une action
publique optimale, efficace, économique et efficiente.

7
Idem.
8
G. CORNU, H. CAPITANT, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 11ème éd., 2017, p. 267.
9
M-S. TREMBLAY, « Contrôle », in L. COTÉ ET J-F. SAVARD (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de
l’administration publique, 2012, p. 1. En ligne : www.dictionnaire.enap.ca, consulté le 7/1/2022.
10
F-J. FABRE, Le contrôle des finances publiques, Paris, PUF, 1968, p. 8.
11
M. BOUVIER, M-C. ESCLANSSAN, J-P. LASSALE, Finances publiques, Paris, LGDJ, 16ème éd, 2017-2018, p. 499.
12
F. MORDACQ, Les finances publiques, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 5ème éd., 2018, p. 103.
13
A. BARILARI, Les contrôles financiers comptables, administratifs et juridictionnels des finances publiques, Paris :
LGDJ, coll. « Systèmes », 2003, pp. 17-18.
14
Cité par M. LASCOMBE, X. VANDENDRISSCHE, « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et le
contrôle des finances publiques », RFAP, n°117, 2006, p. 134.
15
D. LAMARQUE, Contrôle et évaluation de la gestion publique. Enjeux contemporains et comparaisons
internationales, Bruxelles, Bruylant, coll. « Finances Publiques/Public Finance », 2016, p. 5.

3
L’expression contrôle juridictionnel s’appréhende comme le contrôle exercé par un
organisme investi du pouvoir de « dire le droit et trancher des litiges »16 autrement de « dire le
droit en tranchant des litiges »17. En d’autres termes, c’est le contrôle effectué par un « organe
à qui il appartient de trancher sur la base de norme de droit et à l’issue d’une procédure
organisée, toute question relevant de sa compétence »18. Plus précisément, c’est celui assuré
par un « organisme qui prend, en toute indépendance, [dans le respect du principe
d’impartialité], les décisions ayant la nature de jugement s’imposant avec autorité de chose
jugée »19. Ainsi, c’est celui exercé en dehors de l’administration par une juridiction financière,
c’est-à-dire une institution ou un organe dont la Constitution a attribué la compétence pour
trancher les questions financières relevant de sa compétence à l’exclusion des juges
administratif20 et constitutionnel21.
Sous nos cieux, cette institution était initialement incarnée par une Chambre des
comptes logée au sein de l’ex Cour suprême22. Le constat de multiples carences de celle-ci,
malgré les nombreux efforts de ses membres dans la réalisation de leurs diverses fonctions et,
le souci de se conformer aux exigences communautaires de création d’une Cour des comptes23
a permis l’édification lente et progressive d’une telle Cour. Celle-ci a débuté avec sa première
constitutionnalisation par la Constitution de la deuxième République en son article 10224. En
2015, une loi organique entamait sa création effective25. Réaffirmée par la Constitution de la

16
D. D’AMBRA, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, Paris, LGDJ, coll.
« Bibliothèque de droit privé », Tome 236, 1994, 362 p.
17
R. KOVAR, « La notion de juridiction en droit européen », in Liber amicorum Jean Waline : gouverner,
administrer, juger, Paris, Dalloz, 2002, p. 622.
18
L. MILANO, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La question a-t-elle encore une utilité ? », RFDA, 2014, p. 1119.
19
A. LAN VAN, G. GONDOUIN, V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Paris, Sirey, 7ème éd.,
2015, p. 259.
20
Pour une étude approfondir sur la question lire la savante thèse de S. DAMAREY, Le juge administratif, juge
financier, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2001, 538p. M. LASCOMBE, « Le juge des
comptes, juge administratif ? », in Liber amicorum Jean Waline : gouverner, administrer, juger, Paris, Dalloz,
2002, pp. 639-645.
21
V. N. MÉDÉ, F. AVAHOUNDJE, « Le juge constitutionnel, Juge financier », in O. NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 245-262. M. ZAKI, « Le contrôle de constitutionnalité des lois de
finances : serpent de mer ou miroir des ombres ? », in O. NAREY (dir.), op. cit., pp. 263-290.
22
Art. 61 nouveau, Loi nº 60-356 du 3 novembre 1960 portant constitution de la République de Côte d'Ivoire, J.O.,
n° 58 du 4 novembre 1960 modifiée par la loi nº 94-438 du 16 août 1994 modifiant la loi nº 60-356 du 3 novembre
1960 portant constitution de la République de Côte d'Ivoire.
23
V. à ce propos l’art. 68, Traité constitutif du 10 mai 1996 modifié par celui du 29 janvier 2003. En ligne :
http://www.izf.net/upload/Documentation/JournalOfficiel/AfriqueOuest/2003/Traite_UEMOA2.htm, consulté le
28/10/2019. Le point E de la Directive n°02/2000/CM/UEMOA du 29 juin 2000 portant adoption du Code de
transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA et le point 5.6 de la Directive
n°01/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques au
sein de l’UEMOA.
24
Loi n°2000-513 du 1er août 2000 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire, J.O., n°30 du 03 août
2000.
25
Loi organique n°2015-494 du 7 juillet 2015 déterminant les attributions, la composition, l’organisation et le
fonctionnement de la Cour des comptes ivoirienne, J.O. n°82 du lundi 12 octobre 2015.

4
troisième République26, sa mise en place pratique fut effective en 2018 et suivie de l’adoption
d’une nouvelle loi organique27. Reformer c’est « changer en mieux »28, elle renvoie
juridiquement à « la modification du droit existant soit par une loi nouvelle (…), soit par un
décret (…) »29. C’est donc changer une chose pour un état meilleur. Ainsi, la réforme peut être
complète ou parcellaire, achevée ou inachevée.
Dans cette mouvance, ce sujet revêt un intérêt attrayant. Le contrôle juridictionnel, avec
les réformes en cours sous nos tropiques, connait, en référence aux différents textes en la
matière, une réformation à certains endroits. Sans toutefois toucher tous les points ou parties
essentielles dudit contrôle. En pareil cas, cette étude permettra non seulement de procéder à
l’actualisation des connaissances en la matière puisqu’elle permet de revisiter tous les apports
de la réforme audit domaine. Mais, surtout, de mettre en lumière le sentiment d’incomplétude
que l’on a de celle-ci.
En effet, à l’observation, le contrôle juridictionnel des finances publiques ivoiriennes
connait une refonte formelle et une novation matérielle avec ce vent de bonne gouvernance
financière et de performance qui souffle et restructure tout le système financier public ivoirien.
Or, l’on observe un maintien regrettable de nombreuses défaillances préexistantes à certains
endroits. Elles ont vocation à édulcorer et écorner profondément les ambitions de renforcement
du contrôle et celles de vouloir hisser la justice financière, le juge financier comme le dernier
rempart contre la corruption financière, les malversations financières, la mauvaise gestion, in
fine la « plaie béante sur le visage »30 des finances publiques ivoiriennes.
Les ambitions louables et sous-jacentes de la réforme qui visent à faire du juge financier
acteur et facteur non seulement dans l’instauration d’une « démocratie financière »31 réelle et
dans « la protection des principes et valeurs de bonne gouvernance, de transparence et de
reddition des comptes de l’État et des organismes publics »32 s’en trouvent ainsi ébrécher.

26
Loi n°2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire, J.O. n°16 du
mercredi 9 novembre 2016 modifiée par la Loi constitutionnelle n°2020-348 du 19 mars 2020, J.O., n°23 du 19
mars 2020.
27
Loi organique n°2018-979 du 27 décembre 2018 déterminant les attributions, la composition, l’organisation et
le fonctionnement de la Cour des comptes ivoirienne, J.O. n°2 spécial du 6 mars 2019.
28
P. WACHSMANN, « Propos atrabilaires sur la réforme-t-elle qu’elle se pratique dans la France contemporaine »,
in Mélanges en l’honneur de Robert HERTZOG : Réformes des finances publiques et modernisation de
l’administration, Paris, Economica, 2011, p. 591.
29
G. CORNU, H. CAPITANT, op. cit., p. 770.
30
E. DIARRA, « Forces et faiblesses des finances publiques ou « heurs et malheurs des finances publiques en Afrique
noire francophone », in N. MÉDÉ (dir.), Mélanges en l’honneur de SALIF YONABA et ELOI. DIARRA : Les finances
publiques entre globalisation et dynamiques locales, Dakar, L’Harmattan, 2021, p. 176.
31
M. B. AKAKPO, Démocratie financière en Afrique occidentale, Bénin : Friedrich Ebert Stiftung, 2015, 165 p.
32
L. KERS, « Le contrôle supérieur des finances publiques au Maroc : Quel nouveau rôle de la Cour des comptes »,
Colloque FONDAFIP, sous le thème « La réforme des finances publiques au Maroc » à l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 19 février 2014.

5
Ces constats, amènent à s’interroger de la façon suivante : la réforme du contrôle
juridictionnel des finances publiques ivoiriennes contribue-t-elle à engager celui-ci dans
une nouvelle dynamique ?
Cette préoccupation nous permettra de juger quantitativement et qualitativement de la
consistance de la réforme qui constitue le soubassement des évolutions. Elle nous aidera surtout
à apporter ainsi un regard critique sur le contenu de celle-ci en insistant sur les défaillances et
le caractère incomplet de ces mutations. En privilégiant la méthode normative d’interprétation
des textes juridiques et celle comparative, on peut tenter de répondre à cette question. On
s’attachera à justifier l’hypothèse selon laquelle les mutations qu’ont connues le contrôle dans
l’UEMOA, notamment en Côte d’Ivoire, demeurent jusqu’à ce jour insuffisantes.
S’il est incontestable que la réforme des finances publiques ivoiriennes impulse une
nouvelle dynamique de renouvellement aux différentes strates du contrôle juridictionnel dans
l’optique de mieux contrôler, il faut admettre que celle-ci se perçoit à des degrés divers. Qu’il
s’agisse de ses aspects juridictionnels ou non-juridictionnels. En scrutant les textes fondateurs
de la réforme, il est à constater que le contrôle de la Cour des comptes, concernant les services
de l’État et des organismes publics soumis à sa compétence, demeure limité tandis que sa
fonction de conseil est recouverte d’incertitudes. Par ailleurs, malgré l’étendue de la réforme,
les tares procédurale et décisionnelle sont reconduites. Pourtant, la réforme constitue une réelle
aubaine pour l’État de Côte d’Ivoire de se transformer et moderniser les institutions de contrôle
chargées de participer à l’éclosion d’une gestion financière publique de qualité et répondant, en
la matière, aux standards internationaux de bonne gouvernance financière publique. Il s’ensuit
que la dynamique de renouvellement impulsée à la dimension matérielle du contrôle
juridictionnel des finances publiques ivoiriennes reste lacunaire (II).
En outre, on sait que la réforme a aussi impacté la dimension formelle du contrôle
juridictionnel des finances publiques. À la vérité, elle favorise un remodelage organique du
contrôle par l’affirmation d’une autonomie financière à l’égard de l’institution supérieure de
contrôle des finances publiques ivoiriennes. Elle consacre la naissance de Chambres régionales
des comptes. Au surplus, elle occasionne un réaménagement statutaire des professionnels
chargés d’animer les différentes juridictions financières. Toutefois, à l’observation, tous ces
apports remarquables demeurent tronqués. La lecture critique des dispositions juridiques et
leurs rapprochements des faits nous permet d’aboutir au constat que la création des juridictions
financières régionales n’est nullement constatable, la protection des parquetiers comporte
d’énormes limites. À celles-ci, il faut adjoindre le manque de volonté de créer un Conseil
supérieur de la magistrature financière. Ce qui nous conduit à montrer que la dynamique de

6
renouvellement donnée à l’aspect formel du contrôle juridictionnel des finances publiques
ivoiriennes est empreinte d’un goût d’inachevé (I).
I. UNE DYNAMIQUE DE RENOUVELLEMENT MATÉRIELLE LACUNAIRE
L’institution supérieure de contrôle des finances publiques33 éburnéennes, vecteur de la
bonne et transparente gestion budgétaire34 est dotée « d’une dualité de compétence »35. Celle-
ci connait une expansion remarquable. Toutefois, cette métamorphose reste lacunaire. On
observe un développement restreint de ses missions administratives (A) d’une part et, une
novation quasi inexistante de sa mission de « juge » d’autre part (B).
A- Un développement restreint des missions administratives
La mission administrative de la juridiction financière est une mission consultative et de
contrôle. Avec la réforme, celle-ci connait une évolution par l’orientation du contrôle de la
gestion sur l’audit de performance et sa mission d’assistance vers une mission de conseil.
Néanmoins, le nouveau contrôle de la gestion reste limité (1) et sa mission de conseil demeure
pour l’instant incertaine (2).
1. Un nouveau contrôle de la gestion limité
Le contrôle de la gestion est classiquement un contrôle de la régularité. Désormais, sans
se départir de sa veste ancienne, il acquiert une nouvelle qui privilégie la dimension économique
du contrôle.
Le nouveau cadre juridique du contrôle se fait l’écho de cette dimension juridico-
économique et centre ainsi, la mission de contrôle du juge financier sur un sens plus élargi de
contrôle du bon emploi des fonds publics36. Dans ce sens, la LOLF dispose clairement en son
article 84 in fine que, la Cour des comptes « procède à l’audit de performance des services de
l’État et des organismes publics soumis à son contrôle ». À la loi n°2018-979 de préciser en
son article 120 que, par le contrôle de la gestion, le juge financier « apprécie la réalisation des
objectifs assignés, les moyens utilisés, les coûts de biens et services produits et les prix
pratiqués » et porte également « sur la régularité et la sincérité des comptabilités, ainsi que la
matérialité des opérations qui y sont décrites ». En ce sens, elle s’assure de l’effectivité du

33
Art. 152, Constitution ivoirienne.
34
G. M. PEKASSA NDAM, A. O. AKONO, S. B. EKASSI, « L'enjeu de l'élargissement de la compétence matérielle du juge
des comptes par la faute de gestion en Afrique centrale : le cas du Cameroun », RFFP, n°157, 2022, p. 75. S.
YONABA, « L’expérience africaine du modèle français du contrôle juridictionnel des finances publiques : traits
communs et diversités », RFFP, n° 101, 2008, pp. 61-77.
35
M. LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « Conseil constitutionnel et Cour des comptes : Plaidoyer pour une
coopération renforcée », in L. FAVOREU, R. HERTZOG, A. ROUX (dir.), Mélanges en l’honneur de Loïc Philip :
Constitution et finances publiques, Paris, Economica, 2005, p. 439.
36
V. W. DUMAZY, A. TROSCH, « La nouvelle compétence de la Cour des comptes en matière de bon usage des deniers
publics », Revue Pyramides, n°1, 2000, p. 39-48.

7
recouvrement des ressources publiques, du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par
les agents de l’État37. Il s’ensuit que, le juge financier est dorénavant tenu d’apprécier non
seulement la régularité mais aussi la qualité de la gestion des ordonnateurs et gestionnaires à
travers le contrôle du bon emploi des fonds publics.
Parti d’une appréciation de la régularité des opérations, le contrôle de la gestion cherche
à mesurer désormais l’efficacité, l’efficience et l’économie. Cette obligation permet à la Cour
d’émettre son avis sur les systèmes de contrôle interne et de contrôle de gestion mis en place
par les services de l’État ainsi que sur les rapports annuels de performances (RAP) dressés par
les responsables de programmes38. Ce nouveau sens du contrôle de la gestion, mettant en avant
l’audit de performance reste à consolider. Le budget de programme généralisé avec le budget
de l’année 2020, la Cour a procédé en septembre 2021 à l’élaboration de son premier rapport
d’audit de performance39. Sur la base des RAP, la Cour a pu apprécier de façon générale la
performance des programmes, analyser de façon spécifique la performance des cinq (5)
programmes du ministère de l’éducation nationale de l'enseignement technique et de la
Formation Professionnelle selon le critère d’efficacité40. À travers ce rapport, la Cour n’a donc
pas apprécié tous les facteurs de performance. Ce qui rend cet audit d’attestation trop
circonspect. Toutefois, il est à poursuivre et à élargir.
Par ailleurs, le contrôle de la gestion reste un contrôle administratif qui se conclut par la
formulation d’observations, d’avis et de recommandations à l’égard des ordonnateurs
puisqu’« il ne s’agit plus de juger et de sanctionner éventuellement, mais seulement de vérifier
et d’informer les autorités administrative et politique compétentes sur les conditions
d’exécution du budget »41. Celles-ci sont consignées dans un rapport d’audit de performance
que la Chambre du conseil statuant collégialement adopte. Ainsi, l’audit de performance n’est
pas une procédure donnant lieu à sanction dans son principe même.
En réalité, à la suite du contrôle, si la Cour constate des irrégularités, des lacunes ou des
insuffisances dans la gestion, elle est chargée d’en informer d’abord les autorités compétentes
par référé42 après quoi interviendra le rapport. Ceux-ci sont transmis par le procureur général
au Ministre en charge des finances. Une fois soumis, les autorités informées disposent d’un

37
Art. 12, Loi sur la Cour des comptes.
38
Art. 86, LOLF.
39
Cour des comptes, Rapport définitif sur l’audit de performance des programmes pour l’année 2020, Septembre
2021, 70p.
40
Cour des comptes, op. cit.
41
C. DJÈ BI DJÈ, « Les attributions juridictionnelles de la Chambre des comptes de la Cour suprême de Côte
d’Ivoire », in G. CONAC (dir.), Les Cours suprêmes en Afrique. La jurisprudence, Paris, Economica, Tome II, 1989,
p. 211.
42
Art. 123, Loi sur la Cour des comptes.

8
délai de réponse de trois mois43. Dans le même sens, le Président de la Cour devra ensuite porter
à la connaissance du Président de la République les infractions commises et les référés n’ayant
pas reçus de réponses satisfaisantes. Dans certains cas, la Cour peut demander qu’une action
disciplinaire soit engagée contre les gestionnaires mis en cause. En pareille situation, elle doit
être informée dans un délai de six mois de la sentence prise par l’autorité compétente 44. Aux
termes de cette procédure, il ressort que la Cour ne dispose nullement de sanctions et que ses
observations, avis et recommandations ne sont point revêtus de l’autorité de la chose jugée. Les
autorités à l’égard desquelles sont adressés les référés demeurent libres des suites à leur donner.
Toutefois, elles ont le devoir de poursuivre disciplinairement les agents mis en cause dès lors
que les fautes ou négligences détectées ont compromis les intérêts financiers de l’État.
Concernant le rapport, les observations, avis et recommandations consignés en son sein
visent essentiellement à informer les autorités compétentes. Ainsi, ceux-ci sont dépourvus de
réel impact juridique en plus de recevoir un accueil peu reluisant. Néanmoins, si le juge
financier veut voir son pouvoir de contrôle produit de réels effets au moins politiques, voire
sociaux, il se doit de procéder régulièrement à une évaluation ou un contrôle du suivi de ses
observations et recommandations afin de déceler celles acceptées par les services de l’État ou
non45. Ensuite, il devra procéder à l’intensification de sa mission de contrôle de sorte à fournir
aux autorités administratives et politiques l’information nécessaire à leur choix de politique. La
multiplication des audits de performance devrait à la longue pousser les autorités compétentes
à faire de lui une mission obligatoire de sorte qu’il ne soit pas uniquement un droit, un privilège
ou un simple pouvoir d’appréciation laissé à la volonté souveraine du juge financier. Une telle
attitude entrainera visiblement la préséance du contrôle de la gestion sur le contrôle
juridictionnel. Le versant de cette fonction demeure pour l’instant incertain.
2. Vers une mission de conseil incertaine
La fonction d’assistance aux pouvoirs publics de la Cour est devenue une fonction
classique qui se traduit par l’élaboration de divers rapports constitutifs de « matériau de travail
précieux pour les parlementaires »46 et, une source essentielle d’information pour les pouvoirs
publics, ainsi que, pour les citoyens47 soit sous sollicitations, soit par sa propre initiative.

43
Art. 124, idem.
44
Art. 126, idem.
45
Ce fut le cas en 2016.Cette pratique doit continuer. V. Cour des comptes, Rapport annuel. Exercice 2016,
Décembre 2017, pp. 37-50.
46
M-P. PRAT, C. JANVIER, « La Cour des comptes, auxiliaire de la démocratie », Pouvoirs, n°134, 2010, p. 99.
47
M-C. ESCLASSAN, « La Cour des comptes informateur des citoyens : une fonction en pleine évolution », RFFP,
135, 2016, p. 49. J. PICQ, « La Cour des comptes et l’information du citoyen », in Stéphanie FLIZOT (dir.), op. cit,
p. 19-24.

9
Toutefois, la LOLF de 2014 a réorienté celle-ci vers une fonction de conseil et non plus
de simple assistance. En effet, initialement, le rapport d’exécution du budget visait, dans une
perspective permanente de régularité budgétaire, essentiellement à constater en premier lieu les
écarts entre prévisions budgétaire et résultat de son exécution48. Cela permettait de dresser la
situation des finances de l’État et de percevoir la manière avec laquelle l’exécutif s’était aligné
sur l’autorisation budgétaire accordée par les parlementaires. Désormais, celui-ci permet de
réaliser une analyse de l’exécution des crédits sur la base de la nouvelle architecture budgétaire
c’est-à-dire, par mission et par programme. Ainsi, elle doit « évaluer non seulement la mise en
œuvre des crédits qui sont maintenant globalisés et largement fongibles (…) mais également,
se prononcer sur les objectifs, indicateurs et sur l’adéquation entre les moyens mis en œuvre
avec ces objectifs et indicateurs pour déterminer si les objectifs fixés sont en phase d’être
atteints »49.
Par cet examen, le juge financier pourra ensuite procéder à la dénonciation des
errements constatés, chercher les voies et moyens pour s’informer des raisons ayant favorisé
les écarts de sorte à faire des recommandations en second lieu car, comme le note fort aisément
Philippe SEGUIN à propos de la juridiction française « le rôle de la Cour des comptes n’est
pas seulement de stigmatiser les dérives, il consiste aussi et surtout à proposer des mesures
correctrices »50. En ce sens, c’est à la Cour qu’il échoit de « contrôler et de formuler des
recommandations, pour que les contrôles qu’elle mène puissent nourrir la réflexion de
l’exécutif et du législatif »51. Ces recommandations constituent donc un moyen indirect de
participation de la Cour aux choix des politiques publiques. Ainsi, « les recommandations ont
une nature particulière non de simple consultation, mais d’orientation »52. À la vérité, le juge
se mue, à travers ses recommandations, en véritable pédagogue auprès des pouvoirs publics.
En dépit de cette nouvelle fonction de rapporteur permettant à la Cour de jouer son rôle
de conseiller, la LOLF lui reconnait deux nouvelles attributions, qui de toute évidence
confortent celle-ci. En effet, dans la nouvelle logique de gestion publique, les missions
d’évaluation53 et de certification54 sont des instruments indispensables et incontournables.

48
Lire C. DJÈ BI DJÈ, « Les attributions juridictionnelles de la Chambre des comptes de la Cour suprême de Côte
d’Ivoire », op. cit.
49
M. LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et le contrôle des
finances publiques », op. cit, p. 144-145.
50
P. SÉGUIN, « La Cour, vigie des Finances publiques », RFFP, n°100, 2007, p. 225.
51
M-P. PRAT, C. JANVIER, op. cit., p. 98.
52
G. D’OLIVEIRA MARTINS, « La place de la Cour des comptes dans le système politique au Portugal », in M.
BOUVIER (dir.), op. cit, p. 205.
53
Art. 150, Loi sur la Cour des comptes.
54
Art. 145, Loi sur la Cour des comptes. Art. 84 al 5, LOLF.

10
Mais, malgré leur utilité dans la consolidation du nouveau visage de la gestion publique
ivoirienne, elle reste jusque-là des instruments essentiels illusoires. Alors qu’à travers les avis
ou recommandations qui ressortiront des rapports de certification et d’évaluation, la Cour
orientera le débat politique et accompagnera les services de l’État dans l’exécution du budget.
Cette effectivité juridique dépourvue de son volet pratique met la réalisation du rôle de
conseiller de la Cour dans l’incertitude dans la mesure où le délai pour une substitution de la
certification à la déclaration générale de conformité reste encore inconnu. Pourtant ce dernier
manque de pertinence désormais parce qu’axé uniquement sur la régularité. Aussi, les modalités
de mise en œuvre de la certification sont couvertes d’ombres. Ce caractère formel de cette
double mission prive ainsi les citoyens et les pouvoirs publics d’un « un champ sans précédent
d’action et d’information »55. Ces insuffisances découlant de la fonction administrative de la
Cour s’accompagnent d’une novation quasi inexistante de la fonction de « juge ».
B- Un renforcement quasi inexistant de la mission de « juge »
Avec la LOLF, « vecteur fondamental de la réforme de l’État »56, la fonction de « juge »
de la Cour n’a bénéficié que d’une nouveauté très infirme que l’on pourrait réduire à
l’inexistence. Ainsi, on en déduit une persistance des défaillances procédurales (1) et une
survivance anormale des malaises décisionnels (2).
1. La persistance de défaillances procédurales
Au regard du droit positif financier, tout justiciable de la juridiction financière a droit à
une justice de qualité57 respectueuse du contradictoire58, de l’impartialité59 et s’inscrivant dans
un délai raisonnable60. Cette exigence de procès équitable pèse sur toute juridiction et en
particulier sur la juridiction financière. Pour ce faire, la procédure de jugement se prescrit dans
un délai de cinq (5) ans sauf en cas de force majeure61 et se déroule en audience publique62.
Toutefois, même si les reformes récentes en la matière sont à féliciter, elles ne sont point à l’abri

55
P. SÉGUIN, « Les juridictions financières dans la modernisation de la gestion publique », RFDA, 2007, p. 437.
56
A. FROMENT-MEURICE, N. GROPER, « La responsabilité des acteurs de la gestion publique en matière budgétaire,
financière et comptable : l'heure du bilan », AJDA, 2005, p. 714.
57
J-F. KRIEGK, « Le délai raisonnable : office du juge et office de l'autorité publique », LPA, n°127, 2003, p. 4.
58
V. art. 74, Loi sur la Cour des comptes. Lire avec intérêt les études suivantes : A. DIOUKHANÉ, « Le principe du
contradictoire dans la procédure de jugement des comptes des comptables publics », La Revue du Trésor, 3-4,
2008, pp. 207-212. G. FIALON, « La procédure contradictoire et le juge financier », RFDA, 2001, p. 332.
59
Art. 10, Déclaration universelle des droits de l’homme. Art. 7, Charte africaine des droits de l’homme et du
peuple.
60
V. art. 60, Constitution ivoirienne. Le non-respect de cette exigence par la justice dans sa globalité peut engager
la responsabilité de l’État. Sur celle-ci V. S. GUINCHARD, « Les responsabilités encourues pour dysfonctionnement
du service public de la justice », LPA, n°139, 2007, p. 12. R. GOMA, « De la responsabilité pour l’inobservation du
délai raisonnable par la justice », AJDA, 2013, p. 564.
61
V. art. 69, Loi sur la Cour des comptes.
62
V. art. 53 in fine, idem.

11
de critiques en raison du maintien incorrect, voire paradoxal du vieux principe de double arrêt
mais aussi de la conservation des critiques à l’égard de l’impartialité de la Cour tout entière.
D’abord, selon le principe du double arrêt, le juge des comptes avant de parvenir à
rendre un arrêt définitif, doit préalablement rendre un arrêt provisoire dans lequel, le juge
financier émet des injonctions à l’égard du comptable patent ou de fait. Celui-ci, une fois la
notification lui est faite, est tenu de répondre dans un délai de deux mois pour le comptable
patent et de trois mois pour le comptable de fait aux injonctions qui y sont contenues faute
d’être sanctionné par une amende63. En cas de réponse non satisfaisante, la Cour confirme par
un jugement définitif les charges et le constitue en débet. Lors de cette procédure d’apurement
de compte, comme le soulignait un conseiller il est fréquent que plusieurs arrêts provisoires
interviennent avant l’arrêt définitif. Cette possibilité est consacrée par la loi organique relative
à la Cour des comptes64. Ainsi, cette règle respectueuse des principes de procès est un facteur
de lourdeur et d’allongement de la procédure du jugement des comptes et laisse émerger un
doute, une suspicion sur l’impartialité du juge des comptes étant donné que le juge avant de
rendre son arrêt provisoire effectue toute la diligence nécessaire. En tout état de cause, il est
souhaitable et plus correct de procéder à la suppression du principe du double arrêt. Cette
suppression est légitimée par le contexte actuel d’évolution du caractère secret des audiences
de jugements.
En effet, le justiciable disposant de moyens de recours contre l’arrêt définitif pourra
faire valoir ses droits. Au surplus, une suppression de celui-ci devra favoriser une
communication régulière des données de jugement (rapports et conclusions) par le greffe afin
de permettre le respect du principe du contradictoire par le dialogue entre juges et justiciables.
Cette position est confortée par le caractère désormais public de l’audience de jugement au
cours de laquelle le juge se prononce sur un débet, une amende, une faute de gestion ou une
gestion de fait65 et la possibilité si besoin de procéder à des auditions. Ainsi, dès lors que « la
procédure de jugement des comptes se déroule en audience publique, la règle du double arrêt
n'est plus nécessaire pour assurer le respect du contradictoire »66 puisque le comptable peut
désormais exposer à l'audience de jugement les réponses qu'il souhaite présenter aux griefs qui
sont articulés contre le ou les comptes qu’il aura soumis. Le caractère public de l’audience doit
désormais permettre une numérisation suivie d’une publication obligatoire et régulière des

63
V. art.101, idem.
64
Art. 79 al 2, Loi sur la Cour des comptes.
65
Aux termes de l’article 91 de la loi de la Cour suprême l’audience était non publique.
66
M. LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « Adapter la procédure devant les juridictions financières au XXIe siècle »,
AJDA, 2007.p. 668.

12
arrêts définitifs au journal officiel ainsi que sur son site pour un souci de transparence et de
dissuasion. En outre, le procès financier doit être en adéquation avec la célérité couplée
d’efficacité dans la prise de décision. Car, en raison de l’exigence de délai raisonnable, son
action est soumise à une prescription quinquennale. Alors, rendre une multitude d’arrêts
provisoires67 avant celui définitif empêchera le juge financier de rendre ses décisions dans cette
limite temporelle, ce qui aura pour conséquence de vider son prétoire sans pouvoir en juger ses
justiciables.
Quant à l’impartialité, elle est définie comme « l’absence de parti pris, de préjugé, de
préférence, d’idée préconçue »68. Elle est une exigence consubstantielle de la fonction
juridictionnelle. Consacrée au niveau international et national, elle invite toute juridiction et
plus singulièrement la juridiction financière à l’objectivité. Ce principe fondamental de la
justice, systématisé en Europe par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)69 reste
sujet à caution dans la cité Cascade. En effet, l’analyse de la loi sur la Cour des comptes révèle
que, ce principe protecteur du droit des justiciables, demeure vacillante tant au niveau
fonctionnel que structurel.
D’abord, le risque de partialité est observable dans la possibilité reconnue au juge
financier ivoirien de « s’autosaisir » en cas de découverte d’irrégularité constitutif de gestion
de fait ou de faute de gestion lors des vérifications des comptes, de sa mission de contrôle de la
gestion des organismes soumis à son contrôle. Ainsi, le juge de la cité Cascade peut, par ce
mécanisme, enclencher l’ouverture d’une procédure d’apurement de la comptabilité de fait mais
aussi de la répression financière70.
En sus, le principe de double arrêt, garant de la contradiction dans la procédure de
jugement, est source de remise en cause du principe d’impartialité comme susdit. En effet, selon
la procédure de jugement classique, voire actuelle des comptes applicables devant la juridiction
financière, le juge financier est astreint au respect du contradictoire en invitant le comptable
public à répondre aux injonctions et demandes d’informations supplémentaires contenues dans
le jugement provisoire avant le prononcé de son jugement définitif. Cette règle donne ainsi
l’opportunité aux membres d’un même collège de magistrats de statuer doublement sur la

67
En matière d’apurement de la comptabilité de fait en France, certains commentateurs évoquent que ce jugement
peut donner jusqu’à sept arrêts provisoires. V. M. LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « Prolégomènes : la nouvelle
procédure applicable devant les juridictions financières », RFDA, 2009, p. 813.
68
G. GORNU, H. CAPITANT, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 523.
69
Voir ces quelques décisions : CEDH 1er oct. 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79 ; CEDH 26 oct. 1984, De
Cubber c/ Belgique, n° 9186/80 ; CEDH 31 août 2021, Karrar c/ Belgique, n° 61344/16
70
L’article 83 al 3 dispose que « La Cour se saisit d’office des gestions de fait relevées lors de la vérification ou
du contrôle des comptes qui lui sont soumis ». L’article 93 al 1 « la Cour statue soit d’office (…) sur les faits
relevés à la charge des personnes mises en cause ».

13
régularité d’un même compte. Cette possibilité laissée au juge financier fait peser le risque de
« préjugement » dans la mesure où le même collège accuse71 et juge72.
En outre, l’impartialité de la juridiction financière est entamée par la composition des
différentes chambres. Aux termes des dispositions relatives aux formations de la Cour, à la
différence du système français dans lequel la juridiction financière est un appendice sinon
inféodée au Conseil d’État, juge de cassation de ses arrêts, le juge financier ivoirien a
compétence pour connaitre des recours en cassation dirigés contre ses propres arrêts devant la
Chambre réunie73. Cette compétence, même si elle est contestée74, reste pertinente en raison du
souci d’érection d’un ordre juridictionnel financier autonome.
Toutefois, une telle consécration compromet visiblement le principe d’impartialité en
raison de la composition de ladite chambre. Selon la loi n°2018-478, la Chambre réunie chargée
de statuer sur les pouvoirs en cassation comprend le Président de la Cour, les Présidents de
Chambre et deux Conseillers-Maîtres provenant de chacune des chambres plus le représentant
du parquet qui, lui, n’a pas voix délibérative. De prime abord, rien ne laisse transparaitre une
remise en cause du principe lorsque cette composition est observée mais, en se rapprochant de
plus près, en comparaison avec les autres Chambres75 on se rend compte que les membres ayant
voix délibératives ont pu intervenir dans la décision faisant l’objet de cassation. Autrement dit,
les membres des autres Chambres ont pu soit participer à l’ouverture de la procédure, soit
prendre part au jugement attaqué. Ce qui de toute évidence est en contradiction avec le principe
d’impartialité. Cette crainte avait été soulevée par le juge constitutionnel ivoirien lors de son
contrôle de constitutionnalité de la première loi organique de la Cour sans en tirer aucune
conséquence puisqu’il se résout dans ses deux décisions précitées à déclarer que « cette

71
Selon le Commissaire de gouvernement dans l’affaire Karsenty « le jugement provisoire a toutes les apparences
d'un acte d'accusation ». Cité par M. LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « Adapter la procédure devant les
juridictions financières », loc. cit.
72
Soulignons que le juge ne méconnait pas le principe directeur de l'impartialité du seul fait qu'il intervient deux
fois dans la même affaire, mais comme l’indique le conseiller SARGOS « Il faut encore que sa première intervention
lui ait fait prendre une position ou émettre une appréciation qui apparaît objectivement comme pouvant avoir une
influence sur sa seconde intervention » Cité par J-F. KRIEGK, « L’impartialité, contrepartie exigeante de
l’indépendance », LPA, n°137, 1999, p. 5.
73
Arts. 42 et 112, Loi sur la Cour des comptes.
74
N. GROPER, Responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, Paris, Dalloz, coll. « DALLOZ
RÉFÉRENCES », 2009, p. 418.
75
La Chambre de conseil se compose du Président, des Présidents de Chambres, de Conseillers-Maîtres et du
représentant du ministère public. Cette Chambre est chargée de l’adoption des rapports (public, particulier,
d’exécution, annuel) … Or, l’exercice de cette fonction peut déboucher sur une procédure d’apurement de
comptabilité de fait ou de répression financière, donc peut activer la mise en œuvre de la fonction juridictionnelle
de la Cour. Ce n’est pas tant ce fait qui est critiqué, mais plutôt le risque de retrouver les mêmes membres dans
une formation de jugement devant une autre Chambre pour jugement des faits évoqués dans les rapports. En
France, cela a fait l’objet d’illustration dans diverses affaires notamment : CE, Ass., 04 Juillet 2003, Dubreuil, req.
n° 234353 (concl. de F. DONNAT, D. CASAS, AJDA, 2003, p. 1596.). CE, Ass., 23 février 2000, Société LABOR
METAL (concl. A. Seban, RAJF, 2000.).

14
disposition n’est pas contraire à la Constitution, dès lors qu’il résulte des articles 54 et 112 de
ladite loi organique que la cassation s’exerce devant les Chambres réunies (donc différentes
de celle qui a jugé), prévenant ainsi tout risque de partialité (la même Cour jugeant et se
contrôlant), qui aurait été contraire à l’article 10 de la déclaration universelle des Droits de
l’Homme de 1948 intégrée à la Constitution par son préambule »76.
Dans cette mouvance, pour une meilleure protection du justiciable, la Cour dans son
fonctionnement, en attendant une réforme en bonne et due forme qui séparerait les fonctions de
poursuite, d’instruction et de jugement, doit veiller à ne pas permettre à un membre y compris
le Président ayant déjà soit instruit une affaire, favorisé l’ouverture de la procédure du jugement,
pris part à un jugement donnant lieu à un recours en cassation de ne bénéficier du statut de
membre de la Chambre réunie de sorte à éviter un Labor Métal77 bis car, « qui saisit ne peut
juger, qui instruit ne peut juger, qui a jugé ne peut rejuger, qui a donné un avis ne peut juger »78.
2. La survivance anormale des malaises décisionnels
Les malaises décisionnels concernent la réparation financière d’une part et la répression
financière d’autre part.
Concernant les faiblesses du système de la réparation financière, une lecture minutieuse
de la règle ancestrale découlant de l’arrêt Nicolle79 montre que le juge financier est juge des
éléments matériels, de la sincérité des comptes. Il ne tient pas compte des circonstances et des
motivations qui ont justifié le cas d’ouverture du débet80. Il ne juge pas le comptable. Autrement
dit, le juge financier ivoirien est confiné dans sa compétence matérielle. Cette règle défendue
mais constamment contestée et victime de tempéraments divers au regard de l’évolution
jurisprudentielle en France81 est réaffirmée en Côte d’Ivoire. C’est ce qui ressort de l’article 11
de la loi n°2018-978 en ces termes « la Cour des comptes juge les comptes des comptables
publics ». Cette réaffirmation emporte la conservation d’une responsabilité objective, à l’égard
du comptable par principe. Pourtant, une telle attitude est très réductrice de la plénitude de son
office juridictionnel et partant de la dilution de son prestige, de son autorité qui, ab ovo a

76
Voir Conseil constitutionnel, Recueil des décisions et avis du Conseil constitutionnel 2013-2016, 2018, pp. 14-
18.
77
Dans cet arrêt, l’impartialité structurelle a été remise en cause en raison de cinq des six membres de la formation
de jugement qui avaient pris part préalablement à l’adoption du rapport public.
78
A. DIOUKHANÉ, « La réforme de la Cour des comptes », 2013, en ligne : http://mobile.sudonline.sn/la-reforme-
de-la-cour-des-comptes_m_12127.htm, consulté le 05/05/2020. V. aussi J-F. KRIEGK, op. cit. p. 5. CEDH, 28
septembre 1995, Procola c/ Luxembourg. V. les décisions de la note 128.
79
V. Conclusion sous CE, 12 juillet 1907, NICOLLE. Rec.656.
80
Pour la liste V. Art. 97, LOLF.
81
V. A. FROMENT-MEURICE, J-Y. BERTUCCI, C. MICHAUT et al, « Responsabilité pécuniaire des comptables patents :
à raison de dépenses sur pièces fausses. Observation sous Conseil d’État, Assemblé, 12 juillet 1907, Nicolle,
Trésorier général payeur de la Corse », in GAJF, pp. 336-347.

15
favorisé son institutionnalisation. Seul le Ministre en charge des finances est juge des
circonstances ou de la moralité de la personne du comptable.
Toutefois, en scrutant l’article 97 de la LOLF, la responsabilité du comptable public est
engagée lorsque « par sa faute » un organisme public a dû procéder à l’indemnisation d’un autre
organisme public ou d’un tiers. La substitution de « par sa faute » à « par son fait »82 démontre
la volonté du législateur ivoirien à procéder à la subjectivation progressive du prétoire du juge
financier. Silencieux sur les modalités de faute, le système de la responsabilité du comptable
public est désormais engagé dans une dualité de responsabilité : responsabilité sans faute et
responsabilité pour faute. Permettant ainsi au juge financier d’apprécier in concreto les
circonstances expliquant les éléments ayant favorisé une erreur comptable. C’est donc un pas
vers la responsabilité de droit commun. Celle-ci reste à éclaircir et élargir car « il est en effet
temps de mettre fin à la fiction multiséculaire et quelque peu hypocrite du jugement des seuls
comptes et non du comportement du comptable lui-même »83.
Par ailleurs, le manque de modernité se ressent dans la subsistance d’une autorité de la
chose jugée hypothétique. En effet, dans le sillage juridictionnel, toute décision ou arrêt n’a de
sens que parce qu’il est destiné à produire des effets. En droit public financier et spécifiquement
en droit de la comptabilité publique, ce principe s’en trouve fortement limité au point de frôler
l’inexistence, l’illusion, l’hypothétique en raison de son caractère introuvable. En effet, comme
ses homologues judiciaires et administratifs, les arrêts rendus par le juge suprême des finances
publiques sont susceptibles de recours juridictionnels traditionnels. Dans notre domaine
d’étude, il existe à côté de ceux-ci le recours administratif auprès du Ministre en charge des
finances en ce qui concerne spécifiquement les arrêts de débet. À ce propos, la loi n°2018-979
sur la Cour des comptes dispose que « le comptable public ou tout agent mis en débet par arrêt
définitif de la Cour des comptes peut former un recours administratif auprès du Ministre en
charge des finances »84. Au RGCP d’ajouter que « les comptables publics peuvent obtenir une
décharge de responsabilité ou la remise gracieuse des sommes laissées à leur charge dans les
conditions prévues par les textes règlementaires en vigueur »85.
Aux termes de ces dispositions, le Ministre en charge des finances a le pouvoir d’effacer
l’autorité de la chose jugée que revêt les arrêts définitifs au moyen de la décharge de la

82
Le législateur assimile la « faute » au « fait » (art. 29, Décret portant RGCP et art. 97, LOLF)
83
A. LEYAT, « La Cour des comptes : une juridiction retrouvée ? », loc. cit. A. GOUNOU SALIFOU, « Les garanties
des droits de l’homme dans le contentieux des comptes : essai d’analyse comparée en droit français et africain »,
RBSJA, n°32, 2014, p. 78 et s.
84
Art. 101 al 1.
85
Art. 32.

16
responsabilité. Selon la réglementation ancienne, elle n’intervient que sur simple avis du juge
financier et/ou du Directeur général du Trésor et de la comptabilité publique86. À cela s’ajoute
la remise gracieuse qui a subi une modification non négligeable87. Ces limites originelles ont
pendant des années faire l’objet de contestation en raison de ses effets pervers d’abord par la
doctrine française et plus récemment par la doctrine africaine88. Pourtant, en Côte d’Ivoire, elle
persiste et perdure dans le système de responsabilité des comptables patents et de fait. En clair,
malgré la réforme d’envergure en cours, le Ministre en charge des finances demeure, comme
sous l’ordonnance de 1959, le « juge des causes d’exonération de la responsabilité des
comptables »89.
Le maintien de ce vieux principe résulte du caractère objectif de la responsabilité
personnelle et pécuniaire du comptable public comme déjà sus évoqué. Or, conformément aux
exigences de l’État de droit, la subsistance d’un tel principe constitue une atteinte au principe
de reddition des comptes, à l’effectivité des décisions du juge financier voire à son
indépendance. L’évolution récente « ne constitue qu'un pis-aller et ne règle pas, sur le fond, la
question de principe que pose cette atteinte à l'autorité de la chose jugée »90. Encore que la
réforme n’ait pas modifié les règles qui régissent la décharge de responsabilité. Ce qui de toute
évidence donne l’occasion au ministre de pouvoir abuser de l’utilisation de ces instruments que
le législateur lui reconnait pour empêcher l’exécution totale des décisions rendues par le juge
financier. À l’analyse, la réforme en la matière est insignifiante et insatisfaisante puisqu’elle
favorise la survivance anormale de la justice retenue qui conduit, par exemple en France, à
l’inexécution de 95% des décisions91 et fait paradoxalement du Ministre le véritable juge des
circonstances tant atténuantes qu’absolutoires et du juge financier, un simple auditeur, un
commissaire aux comptes sinon un « administrateur-technicien »92.

86
La décharge partielle ou totale de responsabilité reste soumise aux règles anciennes. V. art 7, Arrêté n°32
MEF.DGTCP.ACCC.CE du 3 octobre 2011 fixant les modalités de mise en œuvre des recours en matière de
responsabilité et de débets comptables, J.O. n°51 du 22 décembre 2011.
87
Dans l’état actuel du droit, la remise gracieuse est soumise à l’avis conforme du juge financier.
88
G. MONTAGNIER, « Le juge financier, juge des comptes et des comptables », RFFP, n°41, 1993, pp. 46-63. M.
LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « Plaidoyer pour assurer le succès d'une réforme », RFDA, 2004, p. 398. N.
MÉDÉ, « Réflexion sur l’autorité de la chose jugée au financier en droit positif africain francophone », op.cit., pp.
273-302.
89
A. DIOUKANÉ, « La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics », La Revue du Trésor, n°8-
9, 2007, p. 802.
90
A. LEYAT, « La Cour des comptes : une juridiction retrouvée ? », op. cit.
91
S. DAMAREY, « La suppression du pouvoir ministériel de remise gracieuse à l’égard des comptables publics : une
occasion momentanément manquée », La SJACT, n°23, 2009, p. 2133.
92
D. OUEDRAOGO, « La réforme inachevée de la juridiction ivoirienne. À propos de la loi organique n°2015-494 du
7 juillet 2015 sur la Cour des comptes », in N. MÉDÉ (dir.), Mélanges en l’honneur de M. BOUVIER : les nouveaux
chantiers des finances publiques en Afrique, Sénégal, L’Harmattan, 2019, p. 240.

17
Eu égard à ses imperfections, une réforme de la réforme déjà entreprise s’impose.
D’abord, la mise à mort de la règle de « ministre juge » ou de la « justice retenue » doit être
envisagée comme en droit administratif93. Cela devra se traduire par « la réforme des conditions
de mise en jeu de la responsabilité des comptables »94. Autrement dit, le législateur ivoirien
doit procéder à la subjectivation parfaite du prétoire du juge financier afin qu’il soit un juge
plein comme ses homologues de droits communs. En outre, suivant les nombreuses critiques95
adressées, eu égard au maintien ou non de la remise gracieuse en France, il est préférable que
le législateur ivoirien veille à la suppression de la remise gracieuse en ce sens que, « dans un
environnement où la corruption prend le pas sur la gouvernance propre, une Cour des comptes
forte suppose l’universalité de sa compétence et l’irrévocabilité de ses sentences »96. L’idéal
serait donc, comme le soutient la doctrine97, de supprimer l'intégralité des remises gracieuses
ainsi que la décharge, voire le débet administratif et d'attribuer aux seules juges des comptes la
possibilité de mettre les comptables en débet et de lui confier non seulement le pouvoir
d'apprécier le comportement du comptable mis en débet mais également de procéder à la
détermination ou à l’appréciation de la force majeure. Notons qu’une telle réforme connaitra
certainement des résistances et sera certainement combattue parce que, qu’il s’agisse de la
décharge de la responsabilité ou de la remise gracieuse ou encore du débet administratif, ils
constituent un puissant instrument aux mains du supérieur hiérarchique qu’est le Ministre
chargé des finances à l’égard des comptables publics. Pour autant, elle doit être entreprise. À
côté de tout ce qui a préludé se logent les défaillances du système de répression financière.
Pour ce qui est des défaillances du système de la répression financière, initialement, il
se trouvait fortement édulcoré, écorné et limité en raison de l’immunité financière dont
bénéficiait directement ou indirectement bon nombre de justiciables de la Cour en lieu et place
d’une responsabilité politique hypothétique que la Constitution substitue à celle-ci et d’une
responsabilité pénale à application difficile sinon inappliquée proclamée par l’article 158 de la

93
V. M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT et al., « Observations sous Conseil d’État, 13 décembre 1889, Cadot », in
GAJA, Paris : Dalloz, 22ème éd., 2009, pp. 38-40. V. Y. G. D. KANDOM, « La théorie du « ministre juge » dans le
champ du contentieux financier public : états des lieux et perspectives d’évolution », GFP, n°5, 2019, pp. 70-75.
94
C. MICHAUT, P. SITBON, « La réforme des conditions de mis en jeu de la responsabilité des comptables publics »,
AJDA, 2013, p. 681.
95
Une certaine frange de la doctrine financière française estime que la réforme entreprise est « encore imparfaite »,
a « un goût d’inachevé ». V. M. LASCOMBE, « La responsabilité comptable en devenir ? », in Stéphanie Flizot (dir.),
op. cit., p. 69. S. DAMAREY, « La réforme de la juridiction financière, un goût d’inachevé », La semaine juridique
administration et collectivités territoriales, n°4, 2012, p. 2032.
96
N. MÉDÉ, « Réflexion sur l’autorité de la chose jugée au financier », op. cit., p. 143.
97
V. F. T. RAKOTONDRAHSO, « Les remises gracieuses accordées aux comptables publics », RFDA, 2015, p. 417.
M. KERNÉIS-CARDINET, « Le nouveau régime de responsabilité du comptable public, un régime qui ne veut pas
révéler son nom », RFDA, 2014, p. 393. M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT et al., « Observations sous C. comptes,
2016, Commune de Rauville-la-Bigot (Manche) », in GAJA, p. 195-204.

18
Constitution98. À cela s’ajoute la consécration récente d’une irresponsabilité paradoxale des
présidents des institutions constitutionnelles99. Or, « il ne peut pas y avoir, dans un système
démocratique, mise en œuvre d'un pouvoir sans responsabilité de son détenteur »100.
Suivant cette logique, l’exécutif ivoirien tente de mettre fin à ce syndrome
d’irresponsabilité regrettable et préjudiciable à la sécurité que le système de responsabilité
financière garantit aux deniers publics. Ainsi, dans le décret relatif à la déconcentration de la
fonction d’ordonnateur, il consacre que : « les présidents d’institutions constitutionnelles et les
Ministres, ordonnateurs principaux de leurs budgets respectifs (…) peuvent encourir une
responsabilité disciplinaire, pénale et/ou civile, sans préjudice des sanctions qui peuvent leur
être infligées par la Cour des comptes, en raison de leurs fautes de gestion (…) »101. Selon cette
disposition, ces derniers peuvent, désormais, être sanctionnés pour faute de gestion par le juge
financier. Ce revirement peut se justifier d’abord par le fait que la mauvaise gouvernance
financière prend souvent racine dans les vestiaires des élus et des détenteurs de pouvoirs
supérieurs de décision et de gestion102. Ensuite, une telle réforme est pertinente dans notre État
en raison du caractère introuvable de la responsabilité politique et même pénale des détenteurs
des pouvoirs politiques et de l’existence chimérique de la Haute Cour de justice.
Au-delà, reste à conformer les dispositions éparses tant constitutionnelles qu’organiques
à cette dernière de sorte à mettre fin une bonne fois pour toute à « la rétention [ostentatoire] de
la justiciabilité des ordonnateurs »103. Cette conformité permettra aux juges de la cité Cascade
d’accomplir pleinement leurs fonctions de gardienne de l’orthodoxie financière et de veille de
la bonne gestion à l’égard de tous leurs justiciables. Relever un tel défi serait une « révolution »,
mais une abstention constituerait, de toute évidence, un pas de moins vers ce big bang104.
Outre ces limites, il faut adjoindre la faiblesse des amendes que peut prononcer le juge
financier à titre de sanction, même si ce mécanisme a plus un caractère « sanctionnateur » que
condamnatoire, et que, la peine d’amende n’est pas la seule sanction que peut supporter le

98
Sur l’aspect pénal voir la récente étude de A. DIOMANDÉ, « La répression de la faute de gestion en Côte d’Ivoire :
une répression cloisonnée », RFFP, n°157, 2022, p. 61.
99
V. les articles 91 de la LOLF et 92 de la loi sur la Cour.
100
Cité par M. LASCOMBE, X. VANDENDRIESSCHE, « Plaidoyer pour assurer le succès de la réforme… », op. cit.
101
Art. 26, Décret n°2019-190. En France, une telle extension a été qualifiée de peu recevable. V. C. PIERUCCI,
« Pour une réforme efficace de la responsabilité des gestionnaires en droit public financier », RFDA, 2008, p. 165.
102
Par exemple au Sénégal et en Côte d’Ivoire il a été reproché plusieurs faits constitutifs de mauvaises gestions à
certains élus locaux. V. Cour de justice de la Communauté CEDEAO, Abuja-Nigeria, Arrêt
n°ECW/CCJ/JUD/17/18 du 29 juin 2018, p. 21. Communique du conseil des ministres de la République de Côte
d’Ivoire du mercredi 01 août 2018, en ligne : http://www.gouv.ci/doc/1533159817COMMUNIQUE-DU-
CONSEIL-DES-MINISTRES-DU-MERCREDI-01-AOUT-2018.pdf
103
P. A. ENGOLO, « Pour un ordre juridictionnel financier », in N. MÉDÉ (dir.), op. cit., p. 318.
104
P. CASTÉRA, « Un pas de moins vers la responsabilité financière des ministres et des élus locaux ordonnateurs »,
La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n°51-52, 2017, p. 2329.

19
justiciable105. Tout cela constitue des obstacles à l’éclosion réelle et efficace du système de
répression financière destiné à garantir le respect de la discipline budgétaire sinon de l’ordre
public financier. Il s’en suit de ce qui précède que la réforme des finances publiques ivoiriennes
participe à conduire l’aspect matériel du contrôle juridictionnel dans une nouvelle perspective.
Néanmoins, cette nouvelle dynamique reste pour le moins parsemer de nombreux manques pour
diverses raisons sus-évoquées. Ce constat vaut aussi pour la dimension formelle du contrôle
étant donné qu’elle laisse fleurir un sentiment d’incomplétude.
II. UNE DYNAMIQUE DE RENOUVELLEMENT FORMELLE INCOMPLÈTE
L’émergence d’un juge financier indépendant et autonome en Côte d’Ivoire se traduit
par la mise en place d’un ordre juridictionnel financier106. Toutefois, ce dynamisme formel
demeure incomplet. Cela est perceptible à un double niveau. En premier lieu, elle se matérialise
par une refonte organique relative (A) et en second lieu, par une modernisation statutaire non
audacieuse (B).
A- Un remodelage organique nuancé
Le passage d’une indépendance étriquée à une indépendance pleine et entière de la
juridiction financière est lié à la volonté de procéder à un remaniement de celle-ci en vue de
l’améliorer. L’analyse est à relativiser, car, à l’examen, le rétablissement de l’autonomie
financière de la Cour reste utilement encadré (1) et la création de Chambres régionales reste
encore virtuelle (2).
1. Une autonomie financière de la Cour rétablie
Toute institution, quels que soient sa nature, son objet, sa forme et ses compétences, a
besoin de moyens financiers pour fonctionner et exercer les fonctions qui lui sont attribuées.
Ce postulat vaut également pour toute institution supérieure de contrôle des finances publiques
dans la mesure où, « quelles que soient les bonnes intentions des dispositions juridiques
relatives aux compétences et à l’indépendance de l’institution supérieure de contrôle, leur
efficacité sera sapée si un manque chronique de moyens financiers empêche l’institution
supérieure de contrôle d’exercer correctement ses fonctions de contrôle »107.
Ainsi, l’institution supérieure de contrôle des deniers publics doit disposer de ressources
financières nécessaires et raisonnables pour parvenir à la mise en œuvre effective et efficace de

105
Aux sanctions du juge financier peuvent s’associer celles issues du droit commun notamment pénales, civiles
ou disciplinaires. Voir aussi l’article 103 de la loi sur la Cour des comptes qui prévoit 500.000 francs à titre
d’amende et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel du concerné.
106
Art. 143, Constitution ivoirienne.
107
F. FIEDLER, « L’indépendance des institutions supérieures de contrôle des finances publiques », RIVCP, numéro
spécial, INTOSAI : 50 ans (1953-2003), 2004, p. 124.

20
ses compétences et attributions. En réalité, il ne suffit pas de disposer de fonds, mais il faut
aussi les gérer en toute autonomie. Autrement dit, la Cour des comptes doit jouir d’une double
autonomie sur le plan financier. Elle doit, en effet, bénéficier non seulement d’une autonomie
de décision,108 mais également de gestion109. Autrement, elle doit disposer, gérer et exécuter
son propre budget de la manière dont elle juge approprier pour parvenir à remplir excellemment
toutes ses fonctions sans que le pouvoir exécutif ne puisse ni contrôler ni encadrer l’accès à
celle-ci110. Cette dernière est une condition sine qua non de l’indépendance réelle de la Cour
des comptes.
C’est sans nul doute raison pour laquelle, la déclaration de Mexico sur l’indépendance
des institutions supérieures de contrôle des finances publiques en son principe 8 et la grande
Charte de l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle en sa section 7.3
la consacre. Celle-ci est réaffirmée par la loi organique qui régit la Cour en ces termes : « la
Cour des comptes jouit de l’autonomie financière »111. Prosaïquement, nulle autre institution
ne doit se substituer à la Cour pour lui fixer son budget. Seule elle-même peut y procéder au
moyen de ses services financiers avant d’être inscrite au projet de loi de finances de l’État sous
un titre propre112. Cette affirmation marque le second point de rupture avec le système de
cohabitation de juridiction113.
En effet, sous l’existence de la Chambre des comptes, seule la Cour suprême bénéficiait
d’une autonomie financière étant donné que le budget de la Cour était destiné à l’ensemble des
chambres logées en son sein. Dans ce contexte, le Président de la Cour suprême était reconnu
comme ordonnateur dudit budget114. Aujourd’hui, avec la création de la Cour des comptes
suivie de la déconcentration de la fonction d’ordonnateur, cette fonction échet au premier
Président de la Cour des comptes et celle de comptable public au Trésorier de la Cour 115. Les
salaires, les indemnités, les primes, les frais d’entretien des différents membres doivent y
figurer. En d’autres mots, la dotation budgétaire de la Cour doit couvrir « les dépenses de
personnel, de biens et services, de transfert et d’investissement directement nécessaires à
l’exercice de ses fonctions constitutionnelles »116.

108
Michel BOUVIER, « Les transformations de l’autonomie financière locale », op. cit.
109
idem
110
V. Point 1, Résolution n°A/66/209 « rendre l’administration publique plus efficiente, plus respectueuse du
principe de responsabilité, plus efficace et plus transparente en renforçant les institutions supérieures de contrôles
des finances publiques », Assemblée générale de l’Organisation des nations unies (ONU), 22 décembre 2011.
111
Art. 153 al 1, Loi sur la Cour des comptes.
112
Art. 153 al 2, idem.
113
Le premier point est l’autonomie administrative dont jouit désormais celle-ci.
114
Art. 172 al 2, Loi n°97-243.
115
Art. 153 al 2, Loi sur la Cour des comptes.
116
Art. 17, Loi n°2014-336 du 05 juin 2014 relative aux lois de finances, J.O., n°23 du 6 juin 2014, pp. 153-165.

21
Nonobstant, cette autonomie budgétaire couplée d’une autonomie comptable semble
être annihilée par la fonction de régulateur dont jouit l’exécutif par le truchement du ministre
chargé des finances tant au niveau de l’élaboration du budget que de l’exécution de celui-ci. En
effet, aux termes de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et du décret portant
Règlement général portant sur la comptabilité publique (RGCP), le ministre chargé des finances
est responsable de l’exécution de la loi de finances et du respect de l’équilibre budgétaire et
financier défini par celle-ci117. À ce titre, il dispose d’un pouvoir de régulation des crédits
budgétaires et de gestion de la trésorerie de l’État118.
En vertu de ces dispositions, il en découle une double conséquence. D’abord, en ce qui
concerne le montant définitif de la dotation budgétaire de la Cour est fixée par l’ordonnateur
unique des recettes de l’État et plus globalement par le pouvoir exécutif après proposition faite
par les services financiers de ladite Cour. Ensuite, la possibilité est aussi offerte au ministre en
charge des finances d’« annuler un crédit devenu sans objet au cours de l’exercice, annuler un
crédit pour prévenir une détérioration des équilibres budgétaire et financier de la loi de
finances » et de « subordonner l’utilisation des crédits par les ordonnateurs aux disponibilités
de trésorerie de l’État »119.
De l’expression du pouvoir de régulation, on en déduit que l’autonomie de décision de
la Cour ne signifie nullement l’adoption d’un budget autonome au même titre que l’État. En
clair, le budget de la Cour n’est pas exécutoire de plein droit. Il nécessite l’intervention
préalable de l’exécutif. Dans sa gestion budgétaire, les évolutions conjoncturelles susceptibles
de fausser les prévisions initiales de recettes ou de dépenses obligent le ministre à mettre en
œuvre son pouvoir de régulation. Ces possibilités d’intervention constituent pour certains
auteurs une trop grande limite à l’indépendance de la Cour. En France, lors du colloque sur
l’indépendance financière de la haute juridiction judiciaire, l’on préconisait la suppression du
pouvoir de régulation du ministre120. Pourtant, ce pouvoir est utile pour l’État dans sa quête de
maintien de l’équilibre budgétaire et financier. Par ailleurs, la Cour, en dépit de son importance
dans le système budgétaire, reste et demeure un service public administratif ne collectant pas
de ressources propres. Or, « l’autonomie financière ne peut être revendiquée par celui qui ne
fait pas de recettes propres »121. Cette position est soutenue par le juge constitutionnel béninois

117
Art. 71, LOLF. art. 11, Décret n°2014-416 du 09 juillet 2014 portant règlement général sur la comptabilité
publique, J.O., n°48, du 22 septembre 2014, pp. 1042-1052.
118
Art. 9, Décret portant RGCP.
119
Art. 17, LOLF.
120
A. LEFÈVRE, « L’indépendance de l’autorité judiciaire : Quelques éléments d’analyse », RFFP, n°142, p. 59.
121
N. MÉDÉ, « Du bon usage de la Cour des comptes », en ligne : http://news.acotonou.com/h/126812.html, consulté
le 05/10/2021.

22
qui dans l’affaire Raphaël Akotègnon a jugé que l’autonomie financière contenue dans le
règlement financier du Parlement doit être comprise comme une autonomie de gestion
financière122. À côté de cette autonomie financière retrouvée et utilement encadrée se loge une
émergence inaboutie des Chambres régionales.
2. L’émergence inaboutie de juridictions financières régionales
La mutation récente de la juridiction financière ivoirienne ne s’est pas limitée à un
passage pur et simple de la Chambre des comptes à une Cour des comptes comme l’exigeait
incessamment le législateur communautaire123. Elle s’est accompagnée de l’annonce constante
d’une déconcentration de celle-ci depuis 2015 de sorte à favoriser l’érection d’un troisième
ordre juridictionnel124 à côté des deux autres : il s’agit de l’ordre juridictionnel financier. Cette
volonté récurremment affirmée par le législateur ivoirien demeure, après quatre années, encore
au stade de juridictions financières régionales fictives. Ce constat révèle que, la création de
juridiction financière demeure inaboutie et ineffective.
En effet, avec la loi organique n°2015-494, cette volonté est exprimée pour la première
fois à en ces termes : « la Cour des comptes connait en appel les jugements rendus par les
Chambres régionales »125. Elle fut constitutionnalisée un an après par le pouvoir constituant
originaire. Octroyant, ainsi, une base solide pour une mise en œuvre sécurisée et indépendante
de leurs fonctions qui restent à définir. À cet effet, la Constitution dispose que « la justice est
rendue sur toute l’étendue du territoire national, au nom du peuple ivoirien, par la Cour
suprême, la Cour des comptes, les cours d’appels, les tribunaux de premières instances, les
tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes »126. Celle-ci fait l’objet de
réaffirmation avec la loi organique de n°2018-979 qui dispose d’abord que : « la Cour des
comptes connait en premier et dernier ressort des litiges non dévolus aux Chambres régionales
des comptes installées dans les différents ressorts territoriaux »127 avant d’ajouter que : « la
Cour des comptes connait en appel des jugements rendus par les Chambres régionales des
comptes »128. Malgré cette constante affirmation, elles jouissent sur le plan normatif d’une
effectivité relative et sur le plan pratique d’une ineffectivité patente.

122
Cour Constitutionnel du Bénin, Décision DCC 10-144 du 14 décembre 2010, Raphaël Akotégnon.
123
V. l’art. 68, Traité constitutif du 10 mai 1996 modifié par celui du 29 janvier 2003. Le point E de la Directive
n°02/2000/CM/UEMOA du 29 juin 2000 portant adoption du Code de transparence dans la gestion des finances
publiques au sein de l’UEMOA et le point 5.6 de la Directive n°01/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant
Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA.
124
V. l’art. 143, Constitution ivoirienne, Art. 10, Loi sur la Cour des comptes.
125
Art. 2 al. 2.
126
Art. 143, Constitution ivoirienne.
127
Art.10 al.1.
128
Art. 10 in fine.

23
Il est indubitablement vrai qu’au plan juridique, l’existence des Chambres régionales ne
manque apparemment pas d’effectivité puisqu’elles font l’objet de consécration abondante.
Toutefois, cette effectivité reste contestable puisqu’aucune information supplémentaire n’est
livrée au public en ce qui concerne ces Chambres instituées. Aucun texte, ni la Constitution,
norme suprême de l’État, ni la loi organique régentant la Cour des comptes, n’aborde la question
liée aux compétences, à l’organisation, au fonctionnement, à la composition, aux moyens
humains, matériels et financiers de ces dits organismes. Au surplus, aucun décret d’application
relatif à ceux-ci n’a jusque-là été pris.
En ce qui concerne son effectivité pratique, il est à constater sans ambages qu’aucune
structure n’a été réellement mise en place dans les diverses régions ivoiriennes. Pourtant,
l’engouement initial lié à une telle annonce ou l’enthousiasme rattaché à une telle modernité
devrait pousser les autorités compétentes à diligenter la mise en place de ces institutions qui
auront pour avantages d’offrir l’occasion au juge financier de se rapprocher de ses justiciables
locaux et par ricochet engendrerait un décongestionnement, une plus grande aération du prétoire
du juge financier suprême ou central ce qui, inévitablement, favoriserait un accroissement de
l’efficacité de son contrôle. Dans cette mouvance, on en déduit que, malgré
l’institutionnalisation « sur papier » des chambres régionales des comptes, le contrôle
juridictionnel des comptes demeure encore l’apanage de la Cour des comptes, de sorte que, le
juge de la Cour des comptes reste « le juge financier tout court » de la matière financière en
Côte d’Ivoire. Ce mutisme dans l’action du politique pourrait occasionner une « gestation
anormalement longue »129 des Chambres régionales à l’exemple de la Cour. Alors, ranger la
création de celles-ci dans le tiroir des priorités politiques à venir du gouvernement serait la
bienvenue. Mais, est-il assez urgent de mettre en place de telles institutions lorsque, à
l’observation, l’institution faitière, la Cour des comptes ne dispose pas encore assez de
ressources pour pleinement remplir ses missions ? En clair, n’est-il pas trop tôt pour prétendre
à des Chambres des comptes régionaux ? Une mise en œuvre précipitée de celles-ci est-elle
opportune en l’état actuel de la société ?
À la vérité, la mise en place effective de trente-et-une chambres n’est pour l’instant
guère une nécessité, car, la mise en place de nouvelles institutions nécessite la convocation de
moyens à la fois humains, financiers et matériels conséquents. Avec la crise de la Covid-19, le
risque d’attribution de moyens dérisoires, faibles et insuffisants se pose avec acuité. Une mise
en place actuelle des Chambres des comptes régionaux risquerait d’entamer la portée de leur

129
D. OUEDRAOGO, « La réforme inachevée de la juridiction ivoirienne. À propos de la loi organique n°2015-494
du 7 juillet 2015 sur la Cour des comptes », op. cit., p. 216.

24
contrôle. La solution serait de chercher à asseoir une Cour des comptes performante et crédible
au préalable. Une autre solution résiderait dans le développement de l’apurement administratif
des comptes locaux par le comptable supérieur ou central. Toutefois, sans remettre entièrement
en cause ces alternatives, de telles solutions restent réductrices de la portée de la réforme
institutionnelle en cours. Actuellement comme l’option sénégalaise, une part des fonctions des
Chambres régionales des comptes sont attribuées clairement à la deuxième chambre de la
Cour130. Cette option temporelle favorise une expérimentation indispensable. Toutefois, leur
mise en place progressive d’abord à Abidjan, Bouaké et Daloa donnerait un minimum de portée
à la réforme. Au-delà des insuffisances sus-évoquées, la modernisation du statut des membres
de la Cour reste en l’état actuel du droit morose.
B- Un réaménagement statutaire timide
L’aggiornamento de la juridiction financière reste circonspect et circonscrit puisqu’il ne
garantit pas sans discrimination, en l’état actuel du droit, l’indépendance des magistrats de la
Cour. En ce sens, on observe une action pusillanime à l’égard des parquetiers (1). Cela se
perçoit aussi dans la rétention de l’érection d’un Conseil supérieur de la magistrature financière
(CSMF) propre (2).
1. La protection écourtée des parquetiers
Le Procureur financier général est chargé de veiller à la bonne application des lois et
règlements au sein de la Cour131 et à la défense de l’intérêt général, voire social, lors de la
répression de la mauvaise utilisation de l’impôt, de l’argent public en général. Il est nommé par
décret en conseil des ministres sur proposition du ministre chargé de la justice, suivant une
durée indéterminée, pour ses compétences et son expertise dans le domaine des finances
publiques132. Par ailleurs, le Procureur financier général est soumis au principe fondamental de
la subordination hiérarchique133 qui régit le corps des fonctionnaires de l’État. Sous cet angle,
le Procureur général est le subalterne du ministre de la Justice qui demeure son supérieur
hiérarchique à l’image de son homologue près des juridictions judiciaire et administrative134.

130
Elle est uniquement chargée du contrôle des collectivités territoriales sans prise en compte des comptes des
entreprises publiques locales et organismes locales assimilés comme en France puisque celle-ci revient à la
troisième chambre chargée du contrôle des entreprises publiques et des organismes assimilés. La première est
chargée du contrôle des comptes et des services de l’État, et la dernière chargée de tous les rapports de la Cour.
131
Art. 52 al 4, Loi sur la Cour des comptes.
132
V. art. 47, Loi sur la Cour des comptes.
133
V. art. 50 in fine, idem. Art. 7 du projet de loi portant statut de la magistrature du 21 décembre 2021.
134
Cette hiérarchisation n’est nullement contestée par le juge constitutionnel ivoirien puisqu’à l’occasion de ses
contrôles de constitutionnalité portant sur les diverses lois organiques relatives à la Cour qui se sont succédés dans
son prétoire, il a estimé qu’une telle soumission n’était pas inconstitutionnel et ne mettait ainsi pas en mal
l’indépendance judiciaire prévue par la norme suprême (V. Conseil constitutionnel, Décision N°CI-2015-156/13-
08/CC/SG du 13 août 2015 et Décision N°CI-2019-002/DCC/13-02/CC/SG du 13 février 2019).

25
C’est ce qui ressort, à la lecture du statut de la magistrature de droit commun, en son article 7
et, de la loi n°2018-979, qui prévoit clairement que : « le parquet général est placé sous
l'autorité du ministre de la Justice »135. Cette constante qui, en Italie136, n’existe pas, se justifie
traditionnellement par le fait que, le Procureur, étant donné ses fonctions, est chargé de la mise
en œuvre de la politique gouvernementale de la justice et de veiller à la bonne application des
lois. Ce qui fait de lui la courroie de transmission entre l’exécutif et la juridiction
d’appartenance.
Ce constat montre de prime abord que, le Procureur général ne jouit que d’une
indépendance tronquée. Pourtant, la question de l’indépendance de ce magistrat est un préalable
essentiel pour garantir l’efficacité de ses missions lui assigné par le législateur organique. En
réalité, il se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’exécutif. Alors que, cette
situation peu confortable est susceptible de jeter le discrédit sur l’impartialité que requiert la
mise en œuvre de ses fonctions qui sont essentiellement dirigées contre l’administration voire
le secteur public qui n’exclut nullement les ministères. Cette dépendance, « instrument de
partialité » se manifeste par la possibilité offerte au ministre de la Justice, d’interférer au moyen
d’instructions dans les fonctions de celui-ci en orientant ses décisions ou en veillant au nom de
son autorité ou de sa grande proximité à procéder à un classement ou non-lieu d’une affaire
pendante au prétoire du juge financier et/ou à un aménagement intéressé de ses « conclusions
écrites et réquisitions »137. C’est ce que confirme un auteur lorsqu’il souligne que :
« contrairement aux autres magistrats, les membres du ministère public peuvent recevoir des
ordres du gouvernement soit sur l’exercice général de leurs fonctions, soit sur l’attitude à
adopter dans telle ou telle affaire »138.
Par ailleurs, cette dépendance s’en trouve confortée avec l’attribution d’un mandat
temporairement imprécis au premier parquetier. En effet, les textes de loi reconnaissent
expressis verbis aux magistrats du siège le statut d’inamovibilité139 tandis que, le cas du
Procureur général n’est nullement abordé. Cet état de fait laisse constater une consécration
implicite de l’amovibilité140 des membres du parquet financier en général et particulièrement
du Procureur général. À cela s’ajoute l’indétermination de la durée de sa fonction après

135
Art. 46.
136
Dans le système italien de justice judiciaire, le Procureur n’est nullement dépendant du ministre de la justice.
V. N. ZANON, « Le parquet dans le système institutionnel italien », in B. MATHIEU, M. VERPEAUX (dir.), Le statut
constitutionnel du parquet, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », pp. 29-36.
137
V. art. 52 al 5, Loi sur la Cour des comptes.
138
M-L. RASAT, La justice en France, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2007, p. 91.
139
V. art. 6, Loi n°78-662 du 4 août 1978 portant statut de la magistrature. Art. 140, Constitution ivoirienne.
140
V. art. 140, Constitution ivoirienne. Art. 6, Loi n°78-662.

26
nomination141. Pourtant, le principe d’inamovibilité est un principe protecteur garantissant
l’indépendance de décision et de jugement des magistrats ainsi que, à défaut, un mandat
clairement définit dans le temps. Le Procureur financier, privé de cette double sécurité
fonctionnelle comme ses homologues, se retrouve dans une situation très précaire. Ainsi, il peut
à tout moment être relevé de ses fonctions par le ministre chargé de la justice qui avait proposé
sa nomination. Pour reprendre un auteur, le Procureur financier « semble avoir été placé sur un
siège dont il pourrait être éjecté s’il ne diligente pas ses actions dans le sens voulu par son
mandant »142. Dans ce contexte de menace de révocation arbitraire, le Procureur tentera tôt ou
tard de plaire au gouvernement et s’abstiendra de toute critique ou action à son encontre143, ce
qui, de toute évidence, entamera l’exercice efficace, crédible, neutre et impartial de ses
fonctions. Il serait donc souhaitable que celui-ci ne soit pas dans un lien de dépendance vis-à-
vis de l’exécutif. En clair, il faudrait mettre fin à ce cordon paralysant qui lie le parquet financier
au ministre en charge de la justice et qui laisse subsister des doutes considérables sur son
impartialité de sorte à renforcer son indépendance.
Ainsi, le statut des parquetiers ivoiriens doit être réenvisagé pour une sécurisation
organique et fonctionnelle plus appropriée. Une telle action doit pouvoir permettre d’élever le
Procureur général au rang de chef de juridiction au même titre que le premier Président de la
Cour de sorte à redonner une indépendance réelle non seulement, à l’égard du pouvoir exécutif,
mais aussi, à l’égard des magistrats du siège. Car, comme le rappelle avec véhémence la
doctrine française « le ministère public ne devait être considéré ni comme une institution
représentant l’exécutif (…) ni comme une institution subordonnée à la Cour »144. Dans ce sens,
elle propose de « regarder le ministère public comme un « commissaire à la loi », gardien du
droit de la comptabilité et des finances publiques, et non comme le représentant d’un intérêt
spécifique »145. Ce regard porté sur le positionnement du parquet financier devrait conduire
l’État de Côte d’Ivoire à changer la dénomination « Procureur » qui est quelque peu sujette à
critique en raison de l’assimilation de son rôle à celui près des juridictions judiciaires. Car, le
propre du Procureur financier n’est pas d’être garant des libertés individuelles comme son
homologue, le procureur pénal, mais un agent au service de la bonne gestion du bien public, du
droit public financier.

141
Art. 47 al 2, Loi sur la Cour des comptes.
142
D. OUEDRAOGO, op. cit., p. 197.
143
F. FIEDLER, op. cit., p. 122.
144
H. GISSEROT, Cité par P. V. HERZELE, « Sur le principe d’égalité des armes et la position du ministère public »,
RFFP, n°106, 2009, p. 166.
145
P. V. HERZELE, op. cit.

27
En clair, elle devrait faire un retour en arrière pour reprendre l’appellation de
« Commissaire du Droit » comme au Sénégal146 ou comme proposé par le projet de loi
organique déterminant les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de
la Cour des comptes en son article 28. En sus, elle devra inexorablement conduire à la
transformation du mode de désignation des parquetiers. Sur cette question, il serait souhaitable
que la nomination des membres du ministère public sinon le commissaire du droit soit fait en
conseil des ministres sur proposition de la Commission consultative d’avancement et de
recrutement suivie d’un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature147.
2. La rétention de l’érection d’un Conseil supérieur de la magistrature financière
Le renforcement réel de l'indépendance des magistrats et de l'autonomie de
fonctionnement de la Cour vis-à-vis du pouvoir exécutif est désormais une nécessité. En effet,
dans le nouveau contexte institutionnel marqué par l’érection d’une juridiction financière
suprême, par la déconcentration de celle-ci, par la quête d’une indépendance réelle des
magistrats financiers, il est pertinent que ces derniers soient régis par un « statut protecteur »148
et que leur indépendance y compris celle de la juridiction financière tout entière soit garantie
par un Conseil supérieur de la magistrature financière (CSMF) propre. La création d’un Conseil
spécialement financier ne fera que conforter la place de la juridiction financière dans le paysage
institutionnel et juridictionnel ivoirien. Notons à juste titre que : « La création de ce Conseil
supérieur (…) est non seulement un élément de la consécration d’une magistrature financière
autonome, mais encore de l’existence d’un pouvoir juridictionnel financier »149. Ainsi, une telle
consécration confirmera les traits distinctifs de la représentation dyarchique de la magistrature
financière d’avec celle de ses homologues judiciaire et administratif.
Au surplus, une telle réforme donnera l’opportunité de corriger certaines insuffisances
liées à l’indépendance et aux compétences dont est victime le CSM de droit commun. Il s’agira,
notamment, d’étendre les compétences du Conseil, à la différence de l’existant au parquet de
sorte à ne garder aucun lien de subordination avec le ministre en charge de la justice qui
demeure compétent pour le prononcé de sanctions disciplinaires à l’égard des parquetiers150.
Au surplus, il faut faire de lui l’organe principal chargé de garantir l’indépendance du pouvoir
juridictionnel financier tout entier étant donné que, la reconnaissance de cette fonction au

146
V. Loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 abrogent et remplaçant la loi organique n°99-70 du 17 février
1999 sur la Cour des comptes. En ligne : www.courdescomptes.sn, consulté le 20/07/2020.
147
En France, le Conseil supérieur n’émet qu’un avis simple sur la nomination du Procureur.
148
P. TÜRK, « Le statut des membres de la Cour des comptes après la loi du 1er juillet 2006 », Droit administratif,
6, Étude 10, Juin 2007, p. 5.
149
D. OUEDRAOGO, op. cit., p. 179.
150
Art. 40, Loi n°78-662.

28
Président de la République dans un contexte de dérive présidentialiste n’entraine qu’une
politisation grandissante de l’appareil judiciaire. Autrement dit, il revient à confier au « loup la
garde de la bergerie »151. En outre, pour une meilleure garantie de l’indépendance du Conseil,
son institution devra aboutir à l’octroi de la désignation du Président par ses pairs et non pas
par simple nomination du Président de la République comme c’est le cas actuellement de sorte
à ne pas voir sa « liberté surveillée »152.
Pourtant, à l’observation, les magistrats financiers, à l’exclusion des parquetiers, restent
encore soumis au CSM de droit commun qui, à l’analyse voit son indépendance diluée en raison
du Président de la République qui a quasiment une mainmise153 sur cette institution et de sa
compétence circonscrite aux magistrats du siège.
Concrètement, aucune disposition n’annonce la création d’une telle institution. Alors
que, la récente révision constitutionnelle témoigne de la volonté du pouvoir constituant de
procéder à la mise en place effective d’une « trialité » juridictionnelle154 pour ne pas tomber
dans la querelle sur la nature de la Cour des comptes qui prévaut, depuis des décennies, en
France, en raison de la complexité architecturale choisie155. Ce silence montre bien que, même
s’il est mis en place, du moins, en partie formelle un troisième ordre juridictionnel dans le
paysage institutionnel de la Côte d’Ivoire, la rétention d’une institutionnalisation d’un CSMF
est patente. Cela pourrait se justifier par le fait qu’une telle réforme nécessite des moyens
conséquents. Ainsi, la question qui se pose est de savoir si la Côte d’Ivoire dispose d’assez de
moyens pour mener à terme une telle réforme et en tirer toutes les conséquences qui y
résulteraient sachant que, le contexte économique actuel de la Côte d’Ivoire est peu satisfaisant.
Le risque d’un manque de ressources financières, de moyens matériels adéquats demeure ainsi
prégnant.
Par ailleurs, le pullulement de nouvelles institutions sans constat de la portée réelle de
leurs actions laisse planer un doute sur la création d’un Conseil supérieur de la magistrature
financière. Pour autant, la réforme ne doit point stagner, elle doit être faite de façon progressive

151
G. CARCASSONNE, Cité par D. LUDET, « Conseil supérieur de la magistrature : une liberté… surveillée ? », LPA,
n°254, 2018, p. 111.
152
V. D. LUDET, loc. cit
153
Il est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
154
Loi constitutionnelle n°2020-348 du 19 mars 2020 modifiant la loi n°2016-886 du 8 novembre 2016 portant
constitution de la République de Côte d’Ivoire, J.O., n°23 du 19 mars 2020, pp. 328.
155
V. J. MAGNET, « La Cour des comptes est-elle une juridiction administrative ? », RDP, 1978, p. 1537. N.
BAVEREZ, « La Cour des comptes : une juridiction introuvable ? », Recueil Dalloz, 1992, p. 173. A. LEYAT, « La
Cour des comptes : une juridiction retrouvée ? », AJDA, 2009, p. 2313. N. OCHOA, « La Cour des comptes, autorité
administrative indépendante. Pour une lecture administrativiste du droit de la comptabilité publique », RFDA,
2015, p. 831. A. DUFFY-MEUNIER, « LA Cour des comptes : une institution sous double influence », RFFP, n°109,
2010, p. 125.

29
de sorte à lui garantir une portée effective que réelle. Dans cette mouvance, la modernisation
institutionnelle de la juridiction financière doit être menée sans précipitation et doit
s’accompagner d’une mise à disposition réelle des moyens matériels, financiers, humains sans
lesquels une institution, quelle qu’elle soit ne peut fonctionner et remplir pleinement ses
attributions et compétences de sorte à garantir l’indépendance et l’autonomie institutionnelle
souhaitées.
CONCLUSION
La réforme du droit public financier ivoirien a imprimé une nouvelle dynamique au
contrôle juridictionnel des finances publiques dans le but de satisfaire à l’exigence
démocratique et gestionnaire de bonne gestion des deniers publics et de reddition des comptes.
Celle-ci a engendré une novation disparate tant au niveau formel que matériel.
Toutefois, à l’analyse, il ressort de cela que la dynamique de renouvellement demeure
parcellaire, incomplète, inachevée. Cette étude nous a permis de démontrer cet état de fait. À la
vérité, en scrutant le niveau formel, on se rend compte que l’autonomie financière de la Cour a
été retrouvée, même si elle reste fortement encadrée par le ministre en charge des finances,
régulateur budgétaire. Les parquetiers demeurant dans leur statut antérieur sont victimes d’une
protection terne. Au surplus, la déconcentration tant attendue demeure au placard. Outre ces
insuffisances, la réforme n’a impacté que de façon très peu visible la fonction de « juge » des
magistrats de la cité Cascade. En dépit de la sollicitation de l’avis conforme du juge financier
en matière de remise gracieuse, de la mise à mort du caractère secret de la procédure de
jugement et de l’extension récente de la justiciabilité aux ordonnateurs principaux notamment
ministres et présidents des institutions constitutionnelles, la fonction de juge reste enfermée
dans une procédure classique qui se trouve en disharmonie avec les exigences d’une procédure
soucieuse de satisfaire à l’objectif d’une meilleure protection des droits de procès des
justiciables. Par ailleurs, la persistance des malaises décisionnels conforte le caractère
parcellaire de la rénovation supposée du contrôle. À l’évidence, la réforme est restée à mi-
parcours, au milieu du gué. Ainsi nécessite-t-elle une autre réforme. Dans cette perspective,
concluons modestement que rien n’est encore achevé, tout est à poursuivre et à consolider.
Puisque, l’opacité reste encore le péché principal, et trop grand, des Administrations publiques
ivoiriennes. La Cour dans sa participation à la satisfaction de son devoir démocratique doit,
s’affirmer pour ne pas sembler muselée ni ligotée aux yeux du citoyen.

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