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La Performance financière des collectivités territoriales au Maroc ‫ــــــــ‬ Mohamed MOUCH

« La Performance financière des collectivités territoriales au Maroc :


quels nouveaux outils de gestion ? »

Mohamed MOUCH
Professeur de Droit Public à la Faculté Polydisciplinaire de Safi

Plusieurs expériences étrangères (Suède, Canada, USA, Australie, France)


et études émanant des organisations internationales (OCDE, FMI, Banque
Mondiale) ont abouti au postulat de l’urgence d’une réforme profonde de la
gouvernance des finances publiques (l’Etat et les collectivités territoriales) dans
le but d’assurer plus d’efficience1, d’efficacité2, de transparence dans la gestion
optimale des deniers publics.

D’ailleurs, il y avait un consensus total que la modernisation de la gestion


publique passe en premier lieu par l’adoption d’un système de gestion
budgétaire et financière par la performance.

Pour y parvenir, l’Etat marocain a choisi la voie de la réforme de la LOF


de 1998 qui a donné naissance à la LOF n°130-13 de 20153 et dont s’est inspiré
les différentes lois organiques gérant les collectivités territoriales (L.O n° 113-

1
L’efficience qualifie la relation entre les moyens et les résultats. La question n’est plus de savoir si
l’on a réussi à faire ce que l’on désirait, mais si l’atteinte des résultats s’est faite de manière optimale,
c’est-à-dire sans gaspillages.
2
L’efficacité compare la relation entre les résultats et les objectifs. Elle rapproche les résultats
obtenus au regard des objectifs que l’organisation s’était fixée.
3
Dahir n°1-15-62 du 14 chaabane 1436 (2 juin 2015) portant promulgation de la loi organique n° 130-
13 relative à la loi de finances, B.O n° 6370 du 18 juin 2015.

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14 relative aux communes1 ; L.O n° 112-14 relative aux préfectures et aux


provinces2 ; L.O n° 111-14 relative aux régions3).

Mais avant de s’attaquer à la problématique, il est nécessaire de préciser


qu’est ce qu’on entend tout d’abord par la « performance » ? Ce concept a fait
l’objet de plusieurs définitions, il est accusé d’être une notion fourre-tout, un
mot-valise, qui a soulevé plusieurs critiques. A ce sujet, Annick Bourguignon
s’est interrogé en 1995 « Peut-on définir la performance ? »4.

Dans le secteur public, la performance est plus encore compliquée à cerner


et surtout à

« légitimer »5. Elle est considérée comme une conséquence de « l’analyse


économique du droit » ou « Laws and Economics » d’origine américaine et
canadienne. Cette acception a changé de priorité, dans l'administration publique
traditionnelle « la performance était déterminée par l'assurance de la conformité
aux lois et règlements en vigueur, le contrôle des moyens et la déontologie du
service public »6, mais désormais, elle s’inspire de la culture dite du
management. Au sens de da la direction de réforme budgétaire française, la
performance est définie comme la « capacité à atteindre des objectifs

1
Dahir n°1-15-85 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) portant promulgation de la loi organique
n°113-14 relative aux communes, B.O n° 6440 du 18 Février 2016.
2
Dahir n°1-15-84 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) portant promulgation de la loi organique
n°112-14 relative aux préfectures et provinces, B.O n° 6440 du 18 Février 2016.
3
Dahir n°1-15-83 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) portant promulgation de la loi organique n°
111-14 relative aux régions, B.O n° 6440 du 18 Février 2016.
4
BOURGUIGNON (Annick), « Peut-on définir la performance ? », Revue Française de Comptabilité,
n° 269, juillet-août 1995, pp. 61-65. Cité par HACHIMI (Sanni Yaya), « La problématique de la
performance organisationnelle, ses déterminants et les moyens de sa mesure : une perspective
holistique et multicritérielle », Document de travail, Faculté des sciences de l’administration,
Université Laval, Canada, 2003, p.4.
5
BARTOLI (Annie), KERAMIDAS (Olivier), LARAT (Fabrice) et MAZOUZ (Bachir), « vers un
management public éthique et performant », Revue française d’administration publique n° 140, 2011,
p.632.
6
OCDE, « Moderniser l'État : la route à suivre », Paris, éditions OCDE, 2005, p. 65.

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préalablement fixés, exprimés en terme d’efficacité socio-économique, de


qualité de service ou d’efficience de la gestion »1.

Ainsi, on peut dire que les différentes lois organiques relatives aux
collectivités territoriales ont essayé de jeter les fondements, réglementaires et
financiers, nécessaires pour l’introduction de la performance dans la gestion des
collectivités territoriales.

C’est pourquoi, et pour organiser le développement de cette réflexion, nous


allons commencer par mettre la lumière sur les différents outils de l’introduction
de la performance dans la gestion financière et budgétaire des collectivités
territoriales au Maroc (I) avant de parler, ensuite, des conditions de réussite de
cette démarche à la lumière de la réforme budgétaire de l’Etat et des expériences
étrangères (II).

I- Les outils novateurs de l’introduction de la performance dans la


gestion financière et budgétaire des collectivités territoriales au Maroc

Plusieurs outils ont été utilisés pour réussir cette nouvelle tentative d’une
gestion financière et budgétaire rénovée pour les collectivités territoriales au
Maroc.

1
Glossaire in Minefi et a, « La démarche de performance : stratégie, objectifs, indicateurs », Guide
méthodologique pour l’application de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001,
juin 2004, p.49.

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1. L’introduction d’une nouvelle nomenclature budgétaire des


collectivités territoriales

Les lois organiques relatives aux collectivités territoriales ont initié


l’introduction d’une nouvelle architecture budgétaire basée sur les programmes
et les actions.

Le programme est considéré comme l’élément central de la nouvelle


architecture budgétaire. C’est un ensemble cohérent de projets ou d’actions,
auquel sont associés d’objectifs préalablement définis et des indicateurs chiffrés
permettant de mesurer les résultats atteints. Alors que le projet ou l’action est
un ensemble d’activités et de chantiers réalisés dans le but de répondre à un
ensemble de besoins définis.

Le schéma de la cascade de la nomenclature budgétaire pour les dépenses


du budget principal de la C.T se présente comme suit :

Pour les budgets annexes, les dépenses sont ventilées à l’intérieur de


chaque article par programme subdivisé, le cas échéant, en projets ou actions.

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Les dépenses des comptes spéciaux, quant à elles, sont présentées par des
programmes qui peuvent être subdivisés en projets ou actions.

L’adoption des programmes et des projets accompagnés des objectifs et des


indicateurs de performance pour mesurer les résultats dénote de la tentative de la
mise en évidence d’une nouvelle approche budgétaire basée sur la gestion par
les performances.

2. L’obligation de la prévoyance des objectifs et des indicateurs de


performance

Les lois organiques accordent une place centrale aux objectifs et aux
indicateurs de performance dans le but de la mise en place d’un véritable
système de gestion axé sur les résultats en prévoyant de manière explicite que
les programmes seront associés des objectifs définis en fonction des finalités
d'intérêt général ainsi que des indicateurs chiffrés permettant de mesurer les
résultats escomptés.

D’ailleurs, l’ordonnateur doit préparer un «projet de performance» fixant


les objectifs d’un programme déterminé et les indicateurs qui y sont rattachés.

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Ce rapport doit être présenté lors de l’examen du projet de budget1 à la


commission permanente chargée du budget, des affaires financières et de la
programmation.

A titre d’illustration de la place de plus en plus grande prise par les


indicateurs dans les différentes actions publiques, cette recommandation du
Sénateur français Jean ARTHUIS de radier carrément les objectifs lorsqu’ils ne
sont pas accompagnés d’indicateurs, « l'absence d'indicateur associé à un
objectif (étant) en contradiction avec l'adoption d'une démarche de performance,
car il n'est alors pas possible de suivre et de mesurer l'atteinte de l'objectif »2.

On note aussi que l’engouement pour la culture des indicateurs de


performance était déjà très répandu dans les projets financés par les organismes
internationaux depuis plusieurs années. Si l’on se contente de l’expérience de la
BAD3 par exemple, on constate que les prêts octroyés par ce bailleur de fonds au
Maroc pour le financement du Projet d’alimentation en eau potable, par
exemple, étaient assortis d’indicateurs de performance. Le tableau suivant nous
donne un aperçu de ces indicateurs4 :

1
Par exemple, pour les régions, c’est l’article 1 du décret du 29 juin 2016 qui précise la liste des
rapports qui doivent accompagner le projet du budget lors de son dépôt à la commission permanente
chargée du budget, des affaires financières et de la programmation tels qu’un projet de performance
pour l’année en question, un état relatif à la programmation triennale, un état portant les engagements
financiers résultant des contrats et conventions signés par la collectivité, un état sur les décisions et
arrêts de justice prononcés contre la collectivité, etc. Décret n° 2.16.314 du 29 juin 2016, B.O n° 6482
du 14 juillet 2016, p.5462 (en arabe).
2
ARTHUIS (Jean), Rapport d’information du Sénat Français sur « Les objectifs et les indicateurs de
performance de la LOLF », N° 220, Session ordinaire de 2004-2005.
3
BAD : Banque Africaine de Développement.
4
Rapport d’achèvement du sixième projet d’alimentation en eau potable, Annexe 7, Royaume du
Maroc, BAD, septembre 2003, p.36.

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Source : Banque Africaine de Développement

3. L’intégration d’un nouveau principe budgétaire : la sincérité1

Les différentes lois organiques relatives aux collectivités territoriales ont


maintenu les principes traditionnels des finances territoriales à savoir les
principes de : l’unité, l’équilibre, la spécialité, l’annualité et de l’universalité.
Elles ont en plus introduit un nouveau principe qui est celui de l’image sincère.
La loi organique n° 111-14 relative aux régions dans son article 165 dispose
que : « Le budget de la région présente une image sincère de l’ensemble de ses
recettes et charges ».

En effet, le principe de la sincérité implique que l’ensemble des recettes et


des charges de la collectivité soit présenté au niveau de son budget et que

1
Selon Luc SAIDJ : « Le développement du principe de sincérité au cours des trois dernières
décennies a entraîné des controverses dont, cependant, une partie tient peut-être à une insuffisante
clarification du concept et de sa force. En effet, la sincérité est d’abord un problème de vocabulaire,
dont la signification varie selon le type de sincérité (comptable ou budgétaire) et dont la spécificité
dépend du contenu attribué à cette notion. La sincérité est aussi un problème de statut, tenant non
seulement à la force juridique, mais également à la portée pratique d’un principe dont l’efficacité
dépend d’une praxis de tous les acteurs et dont l’étude doctrinale doit procéder d’une approche
systémique des principes financiers publics ». Cité in Luc SAIDJ, « Enjeux autour d’un principe
controversé », RFFP, n°111 Septembre 2010, p.3.

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l’évaluation de la sincérité doit se faire selon les données disponibles au moment


de la préparation du budget et les prévisions qui en résulteraient.

Tout d’abord, il faut le rappeler que ce principe a été consacré


progressivement par la jurisprudence constitutionnelle française avant d’être
codifié solennellement par la LOLF1 de 2001.

Ainsi, Dans ce cadre, et en 1996, le Conseil constitutionnel français a


rappelé que « l’insincérité des évaluations de recettes ou de dépenses est
susceptible de porter atteinte à l’équilibre économique et financier tel qu’il est
présenté dans les documents budgétaires qui sont soumis aux parlementaires
pour leur information avant le vote des lois de finances »2. De même, dans une
décision de 1997, il a précisé « qu’une atteinte à la sincérité pouvait conduire
à déclarer la loi de finances contraire à la Constitution »3.

En revanche, et malgré ces précisions, le Conseil constitutionnel a choisi la


voie souple dans l’interprétation du principe de sincérité en prenant en
considération le caractère nécessairement prévisionnel et aléatoire des données
budgétaires figurant dans la loi de finances initiale. De ce fait, en examinant la
conformité à la Constitution de la loi de finances pour 2003, le Conseil a précisé
que « la sincérité se caractérisait par l’absence d’intention de fausser les
grandes lignes de l’équilibre »4. Or, en l’espèce les évaluations de recettes
n’étaient pas entachées d’une erreur manifeste d’appréciation « compte tenu des

1
La Loi organique française n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances.
2
Conseil constitutionnel français, nº 96-385 DC du 30 décembre 1996, 145, RJC I-691. Cité par Gil
DESMOULIN, « La loi organique relative aux lois de finances ou le renouveau de la règle des quatre
temps alternés », Revue du Trésor, n° 8-9 août - septembre 2004, p.506.
3
Conseil constitutionnel, nº 97-395 DC du 31 décembre 1997, Rec. 333, RJC I-732.
4
Conseil constitutionnel, nº 97-395 DC du 31 décembre 1997, Rec. 333, RJC I-732. Cité par Gil
DESMOULIN, « La loi organique relative aux lois de finances ou le renouveau de la règle des quatre
temps alternés », op. cit, p.506.

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aléas inhérents à leur évaluation et les incertitudes relatives à l’évolution de


l’économie »1.

Au Maroc, ce principe de sincérité a été consacré pour la première fois par


la LOF de 2015. A ce titre, cette dernière consacre doublement la notion de
sincérité :

-- Primo, son article 10 traduit la sincérité budgétaire : « Les lois de


finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de
l’Etat. La sincérité des ressources et des charges s’apprécie compte tenu des
informations disponibles au moment de leur établissement et des prévisions qui
peuvent en découler » ;

-- Secundo, l’article 31 alinéa 4 traite la sincérité comptable en disposant


que : « Les comptes de l’Etat doivent être réguliers, sincères et donner une
image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». Dans ce sens,
Alain LAMBERT a précisé que : « La sincérité [comptable] implique que les
comptes ne cherchent pas à dissimuler des éléments, masquer des faits ou encore
évaluer de manière biaisée des prévisions de recettes ou de dépenses »2.
D’ailleurs, et pour fortifier encore plus le principe de sincérité comptable, la
nouvelle LOF a introduit, pour la première fois, l’obligation de certifier les
comptes de l’Etat par la Cour des comptes afin de garantir la fiabilité et la
sincérité des comptes publics. Cette certification doit permettre de s’assurer si
les comptes présentés reflètent bien la réalité.

1
Idem.
2
LAMBERT (Alain), Rapport d’information sur « L’étude menée sur la réforme de l’ordonnance
organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances », n°37,
SENAT, Session ordinaire de 2000-2001, p.123.

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A cet effet, on peut dire que la budgétisation axée sur la performance


recherchée par les lois organiques des collectivités territoriales assure une
grande place au principe de la sincérité dans sa large conception : sincérité des
comptes et sincérité budgétaire.

4. L’adoption d’une programmation budgétaire triennale

L’enthousiasme grandissant, au niveau national et international, pour la


"budgétisation pluriannuelle" trouve ses justifications dans le caractère
complexe des phénomènes financiers et à la nécessité de s’adapter aux
incidences à moyen terme, voire à long terme des décisions prises dans le
secteur public car ni les charges d’intérêt de la dette, ni les salaires, ni les
investissements qui s’étalent généralement sur plusieurs années ne se limitent au
cadre annuel.

En effet, dans la pratique, l’annualité budgétaire s’est avérée inadaptée aux


perspectives de la nouvelle gouvernance des finances publiques. D’ailleurs, pour
les mêmes raisons, Luc SAIDJ a estimé qu’« il est devenu banal d’écrire que, à
notre époque (mais l’expression est utilisée depuis plusieurs décennies), une
conception (trop) annuelle du budget est dépassée. Mais la banalité n’exclut pas
l’évidence et l’évidence est de plus en plus … évidente : l’annualité devient peut
être l’obstacle le plus important à une saine gestion publique »1.

Pareillement, ce penchant pour la puriannualité n’est pas propre seulement


au Maroc, son essor au niveau international s’est manifestée sous les formes les
plus diverses, « aux Pays-Bas ou en Suède, des perspectives budgétaires sur la
durée de la législature sont devenues l’instrument principal de détermination des
1
SAIDJ (Luc), « Brèves réflexions sur quelques mots-clefs de finances publiques », RFFP, n°100
novembre 2007, p.215.

210 2020 ‫ اﻟﻌﺪد اﻷول‬- ‫اﻟﻤﺠﻠﺔ اﻟﻤﻐﺎرﺑﯿﺔ ﻟﻠﺮﺻﺪ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ واﻟﻘﻀﺎﺋﻲ‬


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choix et priorités budgétaires ; le budget de l’Union Européenne est arrêté, au


niveau politique et dans ses grandes lignes, sur une période de sept ans »1.

Au Maroc, et tout en s’inspirant de la loi 54-08 relative à l’organisation des


finances des C.L (art 14), la Constitution de 20112 (art 75 alinéa 2), la LOF de
2015 (art 5 alinéa 1).

Les lois organiques relatives aux collectivités territoriales ont précisé que le
président du conseil prépare le projet du budget de la collectivité sur la base
d’une programmation triennale de l’ensemble des ressources et des charges de la
collectivité conformément à son plan d’action.

De même, le projet de budget de la collectivité territoriale doit être


accompagné, lors de sa soumission à l’examen de la commission du budget, des
affaires financières et de la programmation, par un état relatif à la
programmation triennale3. Dans le tableau ci-joint, on peut donner l’exemple
d’un état relatif à la programmation triennale pour la période 2019-2021 :

1
CHEVAUCHEZ (Benoît), « La crise et les règles françaises de gouvernance des finances publiques
», revue de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), n°116/janvier 2011. Edité
par la revue REPERES, n°38-39 avril - septembre 2013, p.97.
2
Dahir n° 1-11-91 du 27 chaabane 1432 (29 juillet 2011) portant promulgation du texte de la
Constitution, B.O n° 5964 bis du 30 juillet 2011.
‫ ﺑﺘﺤﺪﯾﺪ ﻣﻀﻤﻮن اﻟﺒﺮﻣﺠﺔ اﻟﻤﺘﻌﺪدة ﻋﻠﻰ ﺛﻼث ﺳﻨﻮات اﻟﺨﺎﺻﺔ ﺑﻤﯿﺰاﻧﯿﺔ اﻟﺠﻤﺎﻋﺔ‬2016 ‫ ﯾﻮﻧﯿﻮ‬29 ‫ ﺻﺎدر ﻓﻲ‬2.16.307. ‫ ﻣﺮﺳﻮم رﻗﻢ‬3
.5457 .‫ ص‬،2016 ‫ ﯾﻮﻟﯿﻮز‬14 ‫ ﻓﻲ‬6482 ‫ اﻟﺠﺮﯾﺪة اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ ﻋﺪد رﻗﻢ‬،‫وﻛﯿﻔﯿﺎت إﻋﺪادھﺎ‬

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II- Les conditions de réussite à la lumière de la réforme budgétaire de


l’Etat et des expériences étrangères

Quand bien même, il est encore prématuré de dresser un bilan de ce


chantier très important de la budgétisation par la performance des C.T ; il n’en
demeure pas moins judicieux de relever quelques recommandations pouvant
hypothéquer l’aboutissement et la réussite de cette expérience à la lumière des
expériences étrangères et surtout à la lumière de la maturité de la mise en œuvre

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de la LOF de 2015, surtout vu les contraintes énormes que les C.T rencontrent
dans leur gestion (endettement, les inégalités énormes entre les C.T,
compétences personnelles inadéquates, une structure de la fiscalité locale
inefficace économiquement (rendement médiocre)).

1. Eviter le piège de l’inflation et de l’imprécision des objectifs et des


indicateurs de performance

Parmi les lacunes classiques qui apparaissent dans la plupart des


expériences déjà entamées :

- Ce n’est pas la non détermination des objectifs, mais l’absence des


objectifs précis, et même lorsqu’ils étaient identifiés, ils restaient que
partiellement réalisables.

- Insuffisance de la concertation lors de la définition et de la sélection des


indicateurs et des cibles à atteindre ; les acteurs concernés directement par
l’exécution des programmes et l’atteinte des objectifs ont été peu associés à
l’établissement des indicateurs retenus ;

- Faible pertinence de la majorité des indicateurs retenus dans la mesure où


ils ne sont que rarement rattachés à des objectifs clairs et formalisés ;

- Des indicateurs trop nombreux et redondants au niveau de certains


programmes. Certains sont de portées générales et difficilement mesurables.

- Faible documentation des indicateurs à défaut de fiches techniques


d’identité. Leur établissement, leur suivi et leur interprétation ne sont pas
confiés à une structure dédiée.

Surtout, et il faut le rappeler, que ces difficultés sont plus accentuées dans
le secteur public, car il faut le reconnaître, que l’action publique se prête en effet
plus difficilement à l’évaluation par des indicateurs de performance chiffrés que

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le secteur privé. Elle génère une valeur ajoutée pour le corps social difficile à
quantifier puisqu’elle est liée directement à l’intérêt général.

A titre comparatif, et pour remédier à cette situation urgente, la LOF de


2015 a fait l’effort de déterminer de façon optimale la mise œuvre des objectifs
et des indicateurs de performance. Le tableau ci-après illustre certaines de ces
prescriptions1 :

De ce qui précède, on estime qu’il est nécessaire de :

- La définition claire des objectifs et de limiter au maximum le nombre des


indicateurs de performance ;

- La consultation en amont de la commission du budget, des affaires


financières et de la programmation lors de la préparation du budget de la C.T et
pourquoi pas mettre à leur disposition des experts pour optimiser au maximum
l’utilisation des objectifs et des indicateurs de performance.

1
Projet de Loi Organique n° 130-13 relative à la Loi de Finances, présentation du ministre de
l’Economie et des Finances devant la commission des Finances et du Développement Economique de
la Chambre des représentants, ministère de l’Economie et des Finances, Royaume du Maroc, 12
février 2014, p.12.

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2. Assurer la fiabilité des projections budgétaires au cours de la


programmation budgétaire triennale

D’après les expériences étrangères, on peut dire que la réussite de la


programmation budgétaire pluriannuelle dépend directement de trois conditions
:

- La pratique de la programmation budgétaire pluriannuelle fasse l’objet


d’un consensus politique afin que les choix programmés puissent dépasser les
problèmes des changements de majorité politique ;

- Optimiser la fiabilité et l’effectivité des projections budgétaires des


dépenses initiales ; car l’une des limites majeures relevées, c’est le poids
juridique de cette programmation puisque les plafonds déterminés par la
programmation budgétaire pluriannuelle pour les deux années suivantes ne
sont juridiquement qu'à titre indicatif. D’ailleurs, la majorité des pays
développés ont mis en place un système de contrôle des programmes1 afin de
vérifier leurs fiabilités et de mesurer les résultats affichés ;

- Enfin, préciser clairement les modalités prises pour le traitement et la


correction des différents aléas, internes et externes, susceptibles de peser sur
l’évolution des dépenses publiques à court et à long terme.

3. Encourager l’adoption de la rémunération au mérite pour la gestion


des ressources humaines des collectivités territoriales

Pour réussir la mise en œuvre de la gestion par la performance, il faut


introduire une nouvelle conception de la gestion des ressources humaines. A cet
effet, la plupart des expériences étrangères en matière de réforme budgétaire

1
C’est le cas en France où un comité interministériel d’audit des programmes a été créé par le Comité
Interministérielle à la réforme de l’État du 15 novembre 2001 pour vérifier le contrôle initial de la
qualité des programmes et des indicateurs.

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(Canada, Danemark, Finlande, Royaume-Uni, Pays-Bas) ont passé par l’étape de


la réforme de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique1.

Ainsi, il ne faut pas oublier que le gestionnaire ne pourra atteindre les


objectifs qui lui ont été assignés que s’il a un certain contrôle sur la gestion de
son équipe et que chaque agent se sent lui-même être responsable car, en réalité,
le résultat collectif n’est que la somme des résultats individuels.

De ce fait, et à l’instar des expériences étrangères, il est nécessaire


d’instituer la gestion personnalisée des R.H et d’adopter définitivement la voie
de la rémunération au mérite.

Comment évaluer un fonctionnaire ? Comment le rémunérer ? Et le cas


échéant, comment le sanctionner ? Ce sont des questions qui exigent dans notre
cas d’y réfléchir très profondément.

De même, et dans l’attente d’ouvrir ce chantier, il est essentiel de soutenir


le personnel des C.T par des formations continues afin de les préparer à la
gestion du changement et de recourir à l’incitation afin de les encourager de
prendre les bonnes décisions. Autrement dit, plus que le changement des
procédures ou des structures, c'est la compétence et l'état d'esprit du
fonctionnaire qui va faire la différence, car « la difficulté réside, non pas dans la
naissance de nouvelles idées, mais dans l’abandon des anciennes qui se
ramifient…dans tous les recoins de notre esprit »2.

Enfin, développer un système d’information accessible à tous les


citoyens, par exemple le site internet du Portail National des Collectivités

1
GUILLAUME (H.), DUREAU (G.) et SILVENT (F.), « Gestion publique. L’État et la performance
», Paris, Presses de Sciences po et Dalloz, 2002, p. 28-30.
2
John Maynard KEYNES.

216 2020 ‫ اﻟﻌﺪد اﻷول‬- ‫اﻟﻤﺠﻠﺔ اﻟﻤﻐﺎرﺑﯿﺔ ﻟﻠﺮﺻﺪ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ واﻟﻘﻀﺎﺋﻲ‬


La Performance financière des collectivités territoriales au Maroc ‫ــــــــ‬ Mohamed MOUCH

Territoriales1, sur les dépenses des collectivités, sur la façon dont elles sont
financées et sur la qualité des services fournis pour stimuler la concurrence entre
les collectivités territoriales et faciliter l’évaluation de l’efficacité de la dépense
publique locale.

1
www.pncl.gov.ma.

217 2020 ‫ اﻟﻌﺪد اﻷول‬- ‫اﻟﻤﺠﻠﺔ اﻟﻤﻐﺎرﺑﯿﺔ ﻟﻠﺮﺻﺪ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ واﻟﻘﻀﺎﺋﻲ‬

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