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La communautarisation de la politique budgétaire en

zone CEMAC
Sagesse Aimé Ondongo

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Sagesse Aimé Ondongo. La communautarisation de la politique budgétaire en zone CEMAC. CADI :
Cahiers africains de droit international, 2021, 016, pp.41-58. �hal-03543264�

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LA COMMUNAUTARISATION DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE EN
ZONE CEMAC
par

ONDONGO Sagesse Aimé

Résumé
Contrairement à la compétence monétaire qui a fait l’objet d’un transfert au profit des
institutions communautaires, les États membres de la CEMAC ont conservé leur compétence
en matière budgétaire. Dans le même temps, la Communauté a été dotée d’une compétence de
coordination en vue de parvenir à la convergence des politiques nationales. Répondant à la
question de savoir si la compétence budgétaire demeure encore aujourd’hui du ressort exclusif
des États, la présente réflexion démontre dans quelle mesure l’exercice de la compétence de
coordination a conduit à un amenuisement du pouvoir normatif national et une
communautarisation du processus budgétaire de sorte que la politique budgétaire apparaît de
plus en plus comme un domaine de compétence partagée.
Mots-clés : Compétence — Coordination — Politique budgétaire — Harmonisation —
Discipline budgétaire.
Abstract
Unlike monetary area, whose competence has been transferred to the benefit of
community institutions, CEMAC member states have retained their sovereignty in budgetary
matters. However, the Community has been endowed with a competence of coordination with
a view to achieving convergence of national policies. Responding to the question of whether
budgetary competence still remains the exclusive responsibility of States, this study
demonstrates to what extent the exercise of coordination competence leads to a reduction in
national normative power and a communitisation of the budgetary process so that fiscal policy
seems increasingly to be an area of shared competence.
Keywords : Competence — Coordination — Fiscal policy — Harmonization — Fiscal
orderliness.
LA COMMUNAUTARISATION DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE EN ZONE
CEMAC

INTRODUCTION

L’ordre juridique communautaire se singularise par la primauté et l’effet direct des


principales normes édictées de sorte que le cadre normatif qui en découle influence de manière
décisive les politiques nationales grâce aux organes et procédures établis à cet effet. Cela est
notamment vrai pour l’ordre juridique de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale (CEMAC) dont les normes ont un impact indéniable sur plusieurs secteurs nationaux
dont celui de la politique budgétaire qui est une composante importante de la politique
économique des Etats membres.
Définie comme « l’ensemble des actes de l’État ayant pour but ou effet d’agir sur
l’économie1 », la politique économique revêt une nature transversale dans la mesure où elle
intègre plusieurs secteurs dont celui des finances publiques2. Parmi les différentes composantes
de la politique économique, la trilogie fonctionnelle de Musgrave permet en effet de distinguer
l’allocation des ressources (financer les services publics), la redistribution des revenus (réduire
les inégalités de richesses) et la stabilisation de la conjoncture (régulariser la croissance
économique)3. C’est principalement à cette dernière fonction que correspond la politique
budgétaire qui est devenue un instrument de régulation de l’activité économique en ce sens que
l’assainissement des finances publiques a pour effet de stimuler la relance économique grâce,
notamment, à l’effet multiplicateur des dépenses publiques4.

Il importe de préciser que contrairement à la politique monétaire qui a fait l’objet d’un
transfert de compétence des Etats vers la Communauté, la politique budgétaire relève selon les
textes communautaires, de la souveraineté nationale5. Cela étant, le simple fait qu’une mesure
nationale relève de la compétence de politique budgétaire ne la fait pas échapper au champ
d’application du droit de la CEMAC qui, pour réaliser ses objectifs6, coordonne les politiques
étatiques. Partant, la fiscalité, l’endettement ou encore la dépense publique sont autant
d’instruments de politique budgétaire pour lesquels la compétence reconnue à chaque Etat doit
s’exercer de manière coordonnée, dans le respect du droit communautaire. Il s’observe de ce

1
Francesco MARTUCCI, L’ordre économique et monétaire de l’Union européenne, Bruxelles, Belgique,
Bruylant, 2016, p. 287. Lire également, Bernard CHENOT, Organisation économique de l’État, 2e éd., Dalloz,
1965, p. 454; Claude JESSUA et al., Dictionnaire des sciences économiques, [Grands dictionnaires], Paris, Presses
universitaires de France, 2001, p. 697.
2
Pierre LALUMIERE, Les finances publiques, 5e édition, Collection U Droit public interne, Paris, Armand Colin,
1978, p. 7.
3
Richard Abel MUSGRAVE, The Theory of Public Finance : A Study in Public Economy, New York Toronto
London, McGraw-Hill, 1959, 628 p.
4
Christophe BEAUX et al., Economie politique contemporaine, 3e éd. entièrement refondue, U Économie, Paris,
Armand Colin, 2007, p. 438.
5
Cette compétence étatique en matière économique et budgétaire est consacrée par l’article 11 de la convention
régissant l’Union économique de l’Afrique centrale (25 juin 2008) qui, en évoquant une pluralité de politiques
économiques au sein de la Communauté, admet l’inexistence d’une politique économique générale de la CEMAC.
6
L’un des objectifs recensés par la Convention UEAC, est la convergence des politiques économiques. (art. 2(b)).
point de vue, une « communautarisation » rampante que le Dictionnaire de la langue française
« Le Robert » définit comme « le transfert à la Communauté d’une compétence qui revenait à
l’Etat7 ». Il s’agit en d’autres termes, d’un processus permettant le passage de la coopération à
une intégration accrue. La communautarisation se distingue ainsi de l’« internationalisation »
qui est une notion polysémique. Elle s’analyse en premier lieu comme une « intervention
sollicitée ou non, d’Etats tiers ou d’organismes internationaux dans des domaines ou affaires
qui jusque-là ne relevaient pas de la communauté internationale ». Elle correspond également
à la soumission d’une affaire, d’une politique ou d’un contrat au droit international impliquant
ainsi une soustraction à l’ordre juridique des Etats8. Ces différentes définitions permettent de
relever que s’il est parfois considéré que « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique
de droit international9 », la référence au droit international ne devrait pas faire perdre de vue
que le cadre normatif communautaire ne se borne pas à créer des obligations entre les différents
sujets auxquels il s’applique. Bien plus, il établit à son tour un nouvel ordre juridique intégré
au système juridique des Etats membres10.
Si la communautarisation de la politique budgétaire semble prendre forme, il sied de
relever que l’idée d’un rapprochement des systèmes politico-économiques entre les Etats qui
forment aujourd’hui la CEMAC11 remonte aux indépendances avec la création de l’Union
douanière équatoriale (UDE). A cette époque, les pays enclavés de la zone exprimèrent le
besoin de bénéficier d’un accès maritime pour leur commerce international et de régimes
douaniers suspensifs pour le transit des importations. Pour sa part, le Gabon était également
favorable à une nouvelle forme de coopération permettant la baisse des charges qui lui étaient
imposées. Seul le Congo qui dominait alors les échanges intra-régionaux, était défavorable à un
rapprochement avec le Cameroun qui avait un tissu industriel plus développé12. C’est dans ce
contexte que fut créée en 1959 l’Union douanière équatoriale composée du Gabon, du Tchad,
de la république centrafricaine, et du Congo. Deux ans plus tard, une convention d’échanges
partiellement libres fut signée entre la nouvelle Union et le Cameroun qui décida finalement de
l’intégrer en 1969. Cette volonté de coopération se manifesta avec acuité à travers la création
de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC) qui avait pour but de
« renforcer l’union des économies en créant un véritable marché13 ».
Rappelons toutefois que les problèmes de fonctionnement de cette union ont, pendant
un temps, suscité la volonté du Tchad et de la Centrafrique14 de dénoncer cet accord. Ces deux
pays considéraient que le Traité était mal appliqué et remettaient en cause certaines dispositions

7
Alain REY et Fabienne VERDIER, Dictionnaire Le Petit Robert de la langue française - Édition des 50 ans, Le
Petit Robert, édition des 50 ans, Paris, Le Robert, 2017, p. 210.
8
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 12e édition mise à jour, Quadrige, Paris, PUF, 2018, p. 207 et 568.
9
CJCE, 05 février 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62, p. 1.
10
En ce sens, lire Marc BLANQUET, Introduction in « Cours de Droit général de l’Union européenne : l’ordre
juridique de l’Union européenne », Université numérique juridique francophone, disponible sur
www.cours.unjf.fr, [consulté le 26 octobre 2021], p. 2.
11
Précisons qu’avant les indépendances, les territoires de ces Etats étaient constitués en une seule entité fiscale à
travers l’Afrique équatoriale française (AEF).
12
Sur ce point, lire Roger MEYONG ABATH, L’harmonisation fiscale et douanière en zone CEMAC,
Saarbrücken, Germany, Univ Européenne, 2011, p. 70.
13
Préambule du traité constitutif de l’UDEAC, 8 décembre 1964.
14
Pierre TCHANQUE, « L’Union Douanière et Économique de l’Afrique Centrale », Journal of African Law, 16,
no3, 1972, pp. 339‑42.
communautaires dont l’article 33 du Traité UDEAC relatif à la libre circulation des produits
d’importation et la multiplication des taxes complémentaires. En dépit de la révision du Traité
au cours des années 70, les maigres résultats enregistrés par l’UDEAC conduisirent les
dirigeants des Etats membres à initier une réforme fiscalo-douanière visant à renforcer
l’harmonisation des règlementations fiscales nationales. Ces différentes réformes aboutirent en
1994, à la substitution de l’UDEAC par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale (CEMAC) constituée de deux unions que sont l’Union monétaire de l’Afrique centrale
et l’Union économique de l’Afrique centrale.
Devenue effective en 1998, l’Union économique de l’Afrique centrale dont le Traité
institutif fut adopté le 16 mars 1994 à Ndjamena, a notamment pour objectifs, le développement
économique des Etats membres grâce à l’unification des marchés intérieurs et à la mise en
œuvre des politiques communes dans les secteurs essentiels à leur économie15. Pour ce faire,
l’article 4(c) de la Convention régissant l’Union économique de l’Afrique centrale consacre
l’harmonisation des législations nationales comme un moyen efficace pour l’établissement d’un
marché commun en consacrant la « mise en place des instruments de libre circulation des biens,
des services, des capitaux, notamment par une harmonisation de la fiscalité […] ». C’est sur
cette base juridique que, prenant conscience de l’intérêt d’une convergence budgétaire pour la
consolidation de l’intégration monétaire, les Etats membres ont adopté, en 2008, cinq directives
visant à harmoniser le cadre juridique de la gestion des finances publiques. Ce dispositif fut
réformé en 2011 pour faire face aux défis de la globalisation et répondre à la nécessité de mieux
coordonner les politiques budgétaires des Etats. Il fut ainsi adopté de nouvelles directives
accompagnées d’un plan de mise en œuvre pour une période de sept ans16. Précisons enfin que
le triple choc pétrolier sécuritaire et humanitaire subi par la sous-région de la CEMAC en 2014
a marqué un tournant décisif en ce qu’il a entraîné une détérioration des comptes des finances
publiques. Cela conduisit les chefs d’Etats de la zone à mettre en place un Programme des
réformes économiques et financières (PREF-CEMAC) « visant la mise en œuvre des actes
rapides vigoureuses et coordonnées17 » à partir de juillet 2016. Ce Programme préconise des
mesures de réforme réparties en cinq piliers dont le premier est consacré aux politiques
budgétaires18.
Sous cet angle, la présente étude revêt un intérêt à la fois pratique et scientifique. Sur le
plan pratique, elle opère une analyse sur la manière dont sont conciliés les enjeux de la
souveraineté définie comme « l’ensemble des pouvoirs qui sont compris dans la puissance de
l’État19 », avec les intérêts communs cristallisés par la compétence de coordination reconnue à

15
Convention régissant l’UEAC, 30 janvier 2009, Préambule.
16
Voir Guide didactique de la directive n°01/11--UEAC-CM du 29 décembre 2011 relative aux lois de finances
au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, p. 11.
17
CEMAC, « Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC », Yaoundé-Cameroun:
CEMAC, août 2017, p. 3, disponible sur www.ferdi.fr, [consulté le 15 septembre 2021].
18
Idem, p. 18.
19
Jean-Marc SOREL et al., Quelle souveraineté budgétaire pour les États ? : actes du colloque du 5 décembre
2012 au Palais Brongniart, Cahiers internationaux N° 30, Paris, A. Pedone, 2013, p.94. Voir en ce sens, Olivier
BEAUD, Théorie de la fédération, Léviathan, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p.61; Centre Marc
BLOC. Berlin et Walter HALLSTEIN Institut für Europāisches Verfassungsrect. Berlin, L’Europe en voie de
constitution : pour un bilan critique des travaux de la Convention [colloque interdisciplinaire franco-allemand],
Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 122.
la Communauté20. Sur ce point précis, il convient de souligner que l’analyse de la praxis
européenne21 a conduit une partie de la doctrine à considérer la compétence de coordination
comme étant une compétence minimale qui dote l’Union du droit d’adopter des règles
procédurales sans toutefois avoir le droit d’établir des règles de fond pourvues d’obligatoriété22.
Sans prétendre opérer une étude de la praxis européenne, les présentes réflexions entendent
apporter leur contribution à la définition de la notion de « coordination des politiques
économiques » en démontrant qu’en zone CEMAC, cette compétence intègre également le
pouvoir d’édicter des règles matérielles obligatoires.
Guidée par la problématique de l’influence du droit communautaire sur le droit national,
notre étude poursuit l’objectif de répondre à la question de savoir s’il est juridiquement
concevable de considérer la matière budgétaire comme relevant de la compétence exclusive des
Etats membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
La démonstration de l’engagement d’un processus de communautarisation qui tend à
transférer certains attributs de la souveraineté budgétaire au niveau régional nous amènera à
apporter une réponse négative à cette question de droit. En effet, la réalisation d’un marché
commun implique que soient jugulées les disparités fiscales23 pour réduire les distorsions
économiques entre les Etats. Cette ambition rend particulièrement intéressant d’observer un
amenuisement du pouvoir normatif des Etats au profit de la Communauté à l’effet de permettre
un rapprochement fiscal en Afrique centrale (I.). Cet impact du droit de la CEMAC sur le droit
national est renforcé par une communautarisation du processus budgétaire qui se caractérise
désormais par une harmonisation de son cadre institutionnel et sa soumission à une discipline
régionale (II.).

I. L’amenuisement de la compétence normative fiscale des Etats membres

Ainsi que cela vient d’être mentionné, la Communauté dispose d’une compétence de
coordination. L’on peut définir la notion de « compétence » comme :
« l’aptitude reconnue à un sujet, par la règle juridique institutive de l’ordre
juridique, ou par une règle dérivée qui y trouve son fondement, d’accomplir des actes
juridiques licites. La norme de compétence détermine donc un espace matériel

20
Convention régissant l’Union économique de l’Afrique centrale, art. 11.
21
CJCE, 9 juill. 1987, Allemagne e. a. contre Commission, aff. jtes 281/85 et s. Cette solution rendue dans le cadre
d’une affaire concernant la coordination au titre de l’art. 118 TCEE relatif à la politique sociale peut également
s’appliquer à la politique économique. Voir, en ce sens, Valérie MICHEL, Recherches sur les compétences de la
communauté, Paris, éditions L’Harmattan, 2003, p. 162.
22
Voir notamment, Léontin-Jean CONSTANTINESCO, « La Constitution économique de la C.E.E », RTDE, no2,
juin 1977, pp. 244-267; Vlad CONSTANTINESCO, Compétences et pouvoirs dans les communautés
européennes: contribution à l’étude de la nature juridique des communautés, Bibliothèque de droit international
Tome 74, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1973; Ulrich EVERLING, « L’aspect juridique de
la coordination de la politique économique au sein de la communauté économique européenne », Annuaire
Français de Droit International, 1964, pp.576-604. Cette position a plus récemment été défendue par Francesco
MARTUCCI, L’ordre économique et monétaire de l’Union européenne, op.cit., p. 270.
23
Alexandre MAITROT DE LA MOTTE, Souveraineté fiscale et construction communautaire : recherche sur les
impôts directs, Bibliothèque de science financière Tome 44, Paris, LGDJ, 2005, p. 20.
d’intervention normative licite et, a contrario, délimite la frontière entre les actes licites et
illicites susceptibles d’être adoptés dans le cadre de cet espace24 ».

A l’approche essentiellement matérielle retenue par cette définition, il convient


d’ajouter une approche fonctionnelle car la compétence est également « le titre juridique qui
habilite à exercer des pouvoirs25 ».
Les lignes qui suivent nous permettront de démontrer que les instances de la CEMAC
se servent de cette compétence de coordination pour exercer un pouvoir normatif visant
l’édification d’un droit matériel communautaire régissant aussi bien les impôts indirects (A.)
que les impôts directs (B.).

A. Le développement d’une législation rapprochant le régime des impôts indirects

Il convient avant tout de relever que tout en étant des leviers importants de recettes, les
impôts indirects « apparaissent comme un instrument de protection pour les productions
domestiques26 ». En toute logique, la législation communautaire s’est orientée vers la mise en
place d’une fiscalité identique applicable au franchissement du cordon douanier (1.) et
l’harmonisation des impôts indirects applicables au niveau interne (2.) à l’effet d’assurer les
conditions d’une concurrence parfaite entre les entreprises des Etas membres.

1. La mise en place d’une législation douanière commune

Afin de permettre la réalisation d’un marché commun, les dirigeants des Etats ont mis
en place une union douanière dont la constitution nécessita l’établissement d’un territoire
douanier commun. L’un des objectifs poursuivis par cette initiative est l’élimination des
entraves au commerce intrarégional27 dans la mesure où l’Union devrait constituer « un seul
territoire douanier à l’intérieur duquel la libre circulation des personnes, marchandises, biens,
services et capitaux est libre28 ».
Si les règles douanières communes n’ont pas été élaborées sans difficultés, il est notable
d’observer que l’Union douanière apparait aujourd’hui comme l’un des édifices les plus
avancés dans le cadre de la CEMAC du fait de l’existence d’un véritable droit douanier
communautaire constitué par une série de directives et actes adoptés par le Conseil des
ministres. Cette législation douanière commune repose sur un tarif préférentiel généralisé

24
Valérie MICHEL, Recherches sur les compétences de la Communauté européenne, Logiques juridiques, Paris
Budapest Torino, éditions L’Harmattan, 2003, p. 26.
25
Francesco MARTUCCI, L’ordre économique et monétaire de l’Union européenne, op. cit., p. 266. L’auteur se
réfère ici notamment à Vlad CONSTANTINESCO, Compétences et pouvoirs dans les communautés européennes,
loc. cit., p. 61.
26
Xavier DARCOS et Gérard CHAMBAS, Afrique au Sud du Sahara : mobiliser des ressources fiscales pour le
développement, Paris, Economica, 2005, p. 63.
27
Préambule du Traité UDEAC.
28
Traité UDEAC, art.27.
(T.P.G), un tarif extérieur commun (TEC) et une taxe communautaire d’intégration ayant pour
objet d’abonder le budget de la Communauté.
En effet, l’objectif de la réalisation d’un marché commun a amené les Etats membres de
la CEMAC à instaurer un tarif préférentiel généralisé (T.P.G) à tous les produits originaires de
la zone. Etabli par l’Acte n°7/9-UDEAC-556-CD-SEI adopté le 23 juin 1993 pour remplacer la
« Taxe unique » mise en place pour favoriser le développement industriel de la sous-région, le
T.P.G traduit la volonté des Etats membres de « promouvoir les échanges intrarégionaux, face
à la préférence sur les prix des industriels de la sous-région à ceux des pays tiers29 ».
Contrairement à la Taxe unique qui n’était octroyée qu’au terme d’une procédure d’agrément,
ce tarif préférentiel généralisé s’applique directement.
Le Tarif extérieur commun (TEC) quant à lui, est une égalisation des charges douanières
imposées aux produits importés des pays tiers à l’intérieur du territoire de l’Union. Impliquant
une application uniforme dans l’ensemble de la Communauté, celui-ci est venu se substituer
aux tarifs douaniers nationaux préexistants des Etats membres à travers l’adoption de mesures
de réception à valeur législative dans leurs ordres internes respectifs30. Précisons que le TEC
initialement établi par l’Acte n°5/94-UDEAC-556-CD-56 du 19 décembre 1993, a fait l’objet
de plusieurs révisions. Le tarif extérieur commun actuellement vigueur est celui adopté sur la
base de la septième édition (2022) de la « Nomenclature du Système harmonisé » de
l’Organisation mondiale des douanes31.
Soulignons enfin que pour doter la Communauté de ressources suffisantes pour le
fonctionnement de ses institutions et l’approvisionnement de son Fonds de développement
(FODEC) dont l’objet est de financer les projets intégrateurs, il a été mis en place une taxe
communautaire d’intégration (TCI) par Acte additionnel n°3/00/CEMAC-046-CM 05 modifié
par l’Acte additionnel n°3/00/CEMAC-0466CE du 8 décembre 2001. Actuellement régie par
l’Acte additionnel n°01/CEMAC-046-CCE du 26 février 2016 portant réaménagement du
mécanisme autonome de financement de la communauté, cette taxe est fixée au taux de 1% de
la valeur des marchandises en provenance des pays tiers.

2. L’harmonisation consacrée en matière de fiscalité indirecte interne

La fiscalité indirecte interne, étant « un instrument de recettes en raison de sa neutralité


économique32 », son harmonisation à travers l’ensemble de la zone permet d’éviter les
détournements de trafic entre les Etats membres après la suppression des contrôles aux

29
Acte n°7/9-UDEAC-556-CD-SEI du 23 juin 1993, p.1.
30
Cameroun, ordonnance du 24 janvier 1994 ; Congo, loi de finances du 1er avril 1994 ; Gabon, loi de finances du
1er févier 1994 ; Guinée équatoriale, loi du 06 juin 1994 ; RCA, loi de finances, 23 mars 1994 ; Tchad, loi du 1er
mai 1994.
31
Le Système harmonisé sert de base aux tarifs douaniers appliqués par 158 Etats parties à la convention sur le
Système harmonisé. Adoptée le 17 janvier 2020, la septième édition de la Nomenclature dudit Système entrera en
vigueur le 1er janvier 2022.
32
Xavier DARCOS et Gérard CHAMBAS, Afrique au Sud du Sahara, op. cit., p. 64.
frontières. Les principaux mécanismes d’imposition indirecte ayant fait l’objet d’un
rapprochement sont les taxes sur le chiffre d’affaires et les droits d’enregistrement.
L’objectif du Traité CEMAC étant d’établir un marché commun comportant une saine
concurrence, il s’impose l’établissement de taxes sur le chiffre d’affaires ne faussant pas les
conditions de concurrence et n’entravant pas la liberté de circulation. C’est dans cette logique
qu’ont été harmonisés la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les droits d’accise. S’inscrivant
dans la volonté de mettre en place un système qui garantisse « la totale neutralité des fiscalités
indirectes en ce qui concerne les échanges commerciaux entre les pays de la communauté33 »,
le système commun de TVA s’applique à l’ensemble des activités économiques exercées sur le
territoire de la CEMAC composé par les différents Etats membres dont elle constitue par
ailleurs la principale ressource budgétaire. Les accises quant à elles, désignent « des droits
indirects de circulation, de consommation et dans certains cas, de fabrication34 ». Ayant une
fonction sociale et environnementale en plus de leur rôle financier, ces dernières couvrent les
taxes indirectes sur la consommation ou l’utilisation de certains produits généralement
exprimés en montant par quantité de produits35. Tout en étant un impôt indirect sur le chiffre
d’affaires, le droit d’accise se différencie de la TVA par le fait qu’il ne s’applique qu’une seule
fois dans le circuit de fabrication et de distribution des produits concernés. Il a été établi dans
la zone CEMAC par l’Acte n°1/92 UDEAC 556-CD-SE1 du 30 avril 1992 portant adoption
d’une taxe sur le chiffre d’affaires remplacée par la directive n°1/99 CEMAC-028-CM-603 du
17 décembre 1999 portant harmonisation des législations des Etats membres en matière de TVA
et des droits d’accise dont l’Annexe dresse la liste des produits susceptibles d’y être soumis. Il
s’agit essentiellement des produits de luxe et des produits dommageables pour la santé comme
le tabac et l’alcool pour lesquels toute exonération est expressément prohibée.
Au même titre que les taxes sur le chiffre d’affaires, les droits d’enregistrement ont
également fait l’objet d’une harmonisation. Précisons que l’enregistrement consiste dans « la
production textuelle en analyse d’un acte sur un registre public par un officier public
moyennant perception d’un droit36 ». Afin d’éviter une concurrence trop acharnée entre les
Etats en matière d’enregistrement, la législation harmonisée fixe le cadre général de la fiscalité
de l’enregistrement dans les Etats en en prescrivant le champ d’application, les modalités de
perception et les sanctions encourues.
Il en ressort que les actes ou opérations juridiques les plus importants doivent
obligatoirement être soumis à l’enregistrement du seul fait de leur établissement ou
accomplissement. L’on distingue les actes à enregistrer en raison de leur forme et les actes à

33
Roger MEYONG ABATH, L’harmonisation fiscale et douanière en zone CEMAC, op. cit., p. 148. On entend
par neutralité fiscale, un régime dans lequel « deux produits identiques et vendus incorporent la même charge
d’impôts, quel que soient les circuits de production ou de distribution utilisés. Cf. Patricia MORE, Olivier
STRAUB, et Stéphanie THOMAS, Guide de la TVA intracommunautaire : formalités pratiques DEB -
INTRASTAT, Encyclopédie Delmas pour la vie des affaires - Ce qu’il vous faut savoir, Paris, Delmas, 2004, p. 11.
La TVA est le seul impôt qui permet qu’un produit vendu sur n’importe quel marché, supporte la même charge
d’impôt quel que soit le lieu où il est fabriqué. Cf. Henri STERDYNIAK, Marie-Hélène BLONDE, et Gérard
CORNILLEAU, Vers une fiscalité européenne, Paris, Economica, 1991, p. 225.
34
Jean-Michel COMMUNIER, Droit fiscal communautaire, Pratique du droit communautaire = European law in
practice, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 335.
35
Bernard CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, Paris, France, PUF, 2015, p. 28.
36
Roger MEYONG ABATH, L’harmonisation fiscale et douanière en zone CEMAC, op. cit., p. 156.
enregistrer en raison de leur contenu. Relèvent de la première catégorie, les actes de greffiers
les actes d’huissiers ainsi que les actes de notaires et ceux des commissaires-priseurs. Les actes
à enregistrer en raison de leur contenu recouvrent les conventions synallagmatiques, les
testaments et les actes authentiques ou sous seing privé. Il est à noter que la législation
harmonisée prévoit également la possibilité de soumettre volontairement des actes ne relevant
d’aucune de ces deux différentes catégories, à la formalité d’enregistrement. Il s’agit par
notamment des actes de cession de parts de société, l’acquisition et la cession de titres.
Les droits d’enregistrement sont classifiés suivant leur quotité (montant d’une quote-
part). Le droit communautaire prévoit en effet des droits d’enregistrement fixes, proportionnels,
progressifs ou dégressifs suivant la nature des actes. Le droit fixe est celui dont la quotité est
invariable quel que soit l’enjeu financier de l’opération. Le droit proportionnel est établi pour
les obligations, les libérations, les condamnations, les attributions locations ou liquidations. Le
droit est dit progressif lorsque les pourcentages sont croissants de la base divisée en tranches37
contrairement au droit dégressif dont les pourcentages sont décroissants. Il s’applique aux
mutations à titre gratuit, par décès ou entre vifs.
Il ressort de cette présentation que la fiscalité indirecte est régie par des règles
communes à l’ensemble des Etats de la sous-région. Celles-ci concernent à la fois la matière
douanière, les taxes sur le chiffre d’affaires et les droits d’enregistrement. Si les deux derniers
dispositifs font l’objet d’une harmonisation, force est de relever que le droit douanier se
rapproche fortement d’un droit uniforme. En cela, il favorise durablement l’élimination des
barrières fiscales à l’édification d’un marché commun.

B. Le développement d’une législation harmonisant le régime des prélèvements directs

La fiscalité directe s’entend comme l’ensemble des impôts frappant directement les
revenus et la richesse des personnes physiques et morales. Elle est essentielle à l’édification
d’un marché commun dans la mesure où, selon qu’elle est ou non discriminatoire, elle
détermine l’effectivité des grandes libertés consacrées par les textes de la CEMAC38 à travers
l’impact qu’elle a sur les conditions de concurrence sur les différents segments de marché de la
zone.
Ainsi, tout comme la fiscalité directe sur les personnes physiques (1.), celle des
personnes morales (sociétés) (2.) est régie au niveau communautaire par un dispositif
d’harmonisation.

1. L’harmonisation de la fiscalité des ménages

37
Idem., p. 158.
38
Traité CEMAC, art. 27 et 28. Sur la question, lire également, Roger MEYONG ABATH, op. cit., p. 161.
L’impôt sur le revenu comporte une dimension éminemment politique car il pèse
principalement sur les classes moyennes et supérieures tout en ne rapportant relativement que
peu de ressources. De plus, il frappe directement le revenu des ménages en affectant leur
pouvoir d’achat et leur niveau de vie. Ainsi, bien que représentant une faible fraction des
recettes publiques dans la zone CEMAC, l’impôt sur le revenu est l’impôt est le plus
psychologiquement important dans la mesure où « le contribuable ressent directement le
prélèvement fiscal sur ses revenus, sans que celui-ci soit marqué dans les prix des produits ou
paraisse fictivement supporté par les entreprises39 ». Afin de permettre une harmonisation des
législations en la matière, il a été adopté l'acte n°3/77-UDEAC-177 du 21 décembre 1977
portant institution de l'impôt sur le revenu des personnes physiques qui fût remplacé par la
directive n°01/04-UEAC-177 du 30 juillet 2004 (dite directive I.R) aux termes de laquelle,
l’impôt sur le revenu s’applique au revenu net global des personnes physiques qui correspond
à l’addition de l’ensemble des revenus de toute catégorie. Il comporte en outre la caractéristique
d’être annuel et déclaratif.
Précisons qu’afin d’orienter l’épargne, la fiscalité des revenus de capitaux mobiliers a
également fait l’objet d’une harmonisation à travers cette même directive qui les regroupe en
deux catégories : les produits de placement à revenus fixes et les produits de placement à revenu
variables. Sont définis comme « produits de placement à revenus fixes », les prêts assortis d’une
rémunération revêtant en principe la forme d’un intérêt40. La directive I.R distingue les revenus
des obligations, les revenus des créances, dépôts, cautionnements et comptes courants ; ainsi
que les intérêts des bons de caisse. Lorsqu’ils sont perçus par des particuliers, ces revenus
entrent dans la base imposable41. Notons que les revenus sur les revenus de capitaux mobiliers
bénéficient dans chaque Etat, d’un prélèvement forfaitaire libératoire de l’impôt opéré à la
source à un taux généralement fixé à 15% après un abattement réduisant fortement la base de
l’imposition. L’article 50 de ladite directive prévoit des exonérations au profit des intérêts des
comptes d’épargne et intérêts de bons de caisse dans la limite des seuils fixés par chaque Etat.
Enfin, tout comme pour les produits de placement à revenus fixes, cette directive définit
le régime applicable aux « produits de placement à revenu variable » en les définissant comme
étant les distributions des sociétés à leurs actionnaires ou associés. Entrent dans cette catégorie,
les dividendes d’actions, les jetons de présence versés aux administrateurs des sociétés
anonymes, et les distributions consécutives à la dissolution des sociétés42. La directive I.R
réserve à ces revenus, un régime fiscal identique à celui applicable aux produits de placement
à revenu fixe.

2. L’harmonisation de la fiscalité des sociétés

39
Henri STERDYNIAK, Marie-Hélène BLONDE, et Gérard CORNILLEAU, Vers une fiscalité européenne, op.
cit., p. 99.
40
Roger MEYONG ABATH, L’harmonisation fiscale et douanière en zone CEMAC, op.cit., p. 203.
41
Directive n°01/04-UEAC-177, art. 61.
42
Directive n°01/04-UEAC-177, art. 41.
Apparue postérieurement à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’impôt sur
les sociétés est une catégorie d’impôt qui fut pour la première fois instauré en France en 1948
avant de s’étendre à l’ensemble des pays européens. En Afrique centrale, l’impôt sur les sociétés
fut instauré par l’acte n°3/72-153-UDEAC du 22 décembre 1972 révisé ultérieurement par la
directive n°02/01/UDEAC/O50-CM-06 du 03 août 2001 (dite « directive IS ») qui en définit le
champ d’application, le bénéfice imposable, et les modalités d’imposition.
Pour l’application de l’impôt sur les sociétés, ladite directive fixe des critères relatifs à
la forme, l’activité, ou encore l’option43 souscrite par l’entreprise. Il ressort ainsi de l’article 1er
que les sociétés de capitaux, les sociétés anonymes et sociétés à responsabilité limitée, les
sociétés coopératives, les sociétés en commandite simple et les sociétés en participation sont
soumises à l’IS à raison de leur forme. L’alinéa 1 de cette même disposition précise que sont
imposables en raison de leur activité, les personnes morales se livrant à une exploitation ou à
des opérations de caractère lucratif ou qui ont opté pour ce régime et les sociétés de fait. Aussi,
l’article 1er al.3 prévoit l’imposition sur option aux sociétés de personnes (sociétés en nom
collectif et sociétés en commandite simple), les sociétés en participation, les syndicats
financiers et les sociétés civiles de personnes. Notons par ailleurs qu’il est prévu une
exonération pour les bénéfices des sociétés mobilières d’investissement, de groupements
d’intérêts économiques et des sociétés civiles professionnelles44 et une soumission des sociétés
civiles professionnelles au régime fiscal des sociétés de personnes.
Il importe de préciser que la directive IS définit le bénéfice imposable comme le
bénéfice net déterminé après les résultats de l’ensemble des opérations de nature effectuées sur
la période servant de base au calcul de l’impôt45. En d’autres termes, le bénéfice net imposable
est constitué par la différence entre les produits perçus et les charges supportées par l’entreprise.
Relèvent des charges déductibles, les frais généraux46, les charges financières47, les pertes
proprement dites, les amortissements48 et les provisions49 dont les définitions et régimes sont
précisés par ladite directive.
S’agissant des modalités d’imposition, l’on peut retenir que l’impôt sur les sociétés est
assis sur les bénéfices obtenus durant l’exercice budgétaire défini par la loi de finances de
chaque Etat membre50. Il est toutefois permis aux entreprises de présenter des bilans consolidés
de dix-huit (18) mois lorsqu’elles ont commencé leurs activités six (06) mois après la date de
clôture obligatoire des bilans.
En somme, l’on peut retenir que le régime de l’impôt sur les sociétés tel que défini par
la directive varie selon les trois critères de la forme, des activités exercées et de l’option par la
société pour cette forme d’imposition. Il est ainsi prévu des régimes spéciaux applicables à trois

43
L’article 1er al.3 prévoit l’imposition sur option aux sociétés de personnes (sociétés en nom collectif et sociétés
en commandite simple), les sociétés en participation, les syndicats financiers et les sociétés civiles de personnes.
44
Art.2.
45
Art. 4 et 5.
46
Art.7 à 27.
47
Il s’agit des différents frais bancaires (agios, intérêts, commissions, etc.). Art.28.
48
Art.30 à 34.
49
Art.30 à 40.
50
Dans l’ensemble de ces Etats, la loi de finances prévoit un exercice budgétaire de 12 mois.
types de sociétés que sont les sociétés mères-filiales, les quartiers généraux et les sociétés
nouvelles sur lesquels il conviendra de s’appesantir dans les lignes qui suivront.
A ce stade, l’on peut simplement prendre acte de la volonté des Etats membres
d’instaurer une politique fiscale coordonnée et cohérente à travers l’adoption d’une législation
commune. Doté d’une valeur supranationale51, ce droit fiscal communautaire traduit en réalité
le transfert d’une parcelle de souveraineté fiscale à la CEMAC en ce qu’il est constitué de
véritables règles matérielles c’est-à-dire des règles de fond que les Etats membres ont
l’obligation de transposer dans l’ordre juridique interne. En la matière, le Congo qui se
caractérise par une pression fiscale assez élevée (31,1%), fait office de bon élève. Il se conforme
en effet au Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC52 dont les
prescriptions ont également été reprises par les recommandations du Fonds Monétaire
International (FMI) visant l’adoption de nouvelles mesures permettant l’élargissement de
l’assiette fiscale (et l’augmentation des recettes budgétaires)53.

II. La communautarisation du processus budgétaire

Bien que la compétence budgétaire soit expressément dévolue aux États membres, il ne
demeure pas moins que celle-ci s’exerce dans un contexte communautaire impliquant un
exercice coordonné des compétences étatiques. Au titre de cette coordination, il est
particulièrement intéressant d’observer une communautarisation du processus budgétaire qui
commence par l’entreprise d’harmonisation du processus budgétaire des Etats membres en
façonnant les pouvoirs d’intervention des instances de contrôle politique et juridictionnel (A.).
De même, la CEMAC dispose du pouvoir d’imposer aux États membres, le respect d’une
discipline budgétaire dont la substance permet d’orienter les choix nationaux de politique
budgétaire (B.).

A. L’harmonisation institutionnelle du processus budgétaire des Etats membres

Le cadre harmonisé de la gestion des finances publiques en vigueur renforce la


transparence en permettant un contrôle a priori et a posteriori de l’efficacité de la dépense
publique. Ainsi, passe-t-il d’un budget de moyens caractérisé par la réclamation des crédits à
un budget de programmes qui se caractérise par une allocation des crédits correspondant à des
objectifs54. Ce nouveau paradigme d’évaluation de la performance préconisant une gestion
financière axée sur les résultats permet de mesurer l’impact du droit communautaire sur le

51
Additif au Traité de la CEMAC, art.21.
52
CEMAC, « Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC », op. cit., p. 19.
53
Direction Générale du Trésor, « La lettre d’Afrique centrale », Ambassade de France au Cameroun, Service
économique régional, mars 2020, p. 11 et 13, disponible www.tresor.economie.gouv.fr, [consulté le 18 septembre
2021].
54
Guide didactique de la directive n°01/11--UEAC-CM du 29 décembre 2011 relative aux lois de finances au sein
de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, p. 10.
processus budgétaire à travers le renforcement du contrôle politique (1.) et juridictionnel (2.)
de la gestion des finances publiques.

1. La dévolution au Parlement d’un véritable pouvoir budgétaire

Il convient avant tout de préciser que la procédure d’adoption du budget de l’Etat n’a
pas été modifiée par le cadre harmonisé de gestion des finances publiques. Elle demeure régie
et encadrée par les différentes constitutions nationales qui en fixent les contraintes temporelles
et en définissent les organes compétents55. Selon la constitution congolaise par exemple, la loi
de finances est adoptée par le Parlement et si les délais d’adoption ne sont pas respectés, une
ordonnance est prise en Conseil des ministres56. Cela étant, l’adoption des directives
communautaires a eu pour effet de reconnaître aux Parlements nationaux, un véritable
budgétaire. Alors que l’adoption de la loi de finances « relevait davantage de la ratification que
de l’autorisation budgétaire57 », la directive relative aux lois de finances est en effet venue
renforcer l’importance du vote parlementaire en consacrant le principe de sincérité budgétaire
et en établissant le droit d’amendement par les parlementaires.
Au Congo, ce renforcement du rôle parlementaire a été retenu par la loi organique
relative au régime financier de l’Etat de 2012 et ensuite par la loi organique relative aux lois de
finances de 2017. Adoptée en application de la directive CEMAC, cette loi organique fait
notamment référence à la sincérité comptable qui implique que la description du patrimoine de
l’Etat soit sincère et reflète une image fidèle de la situation financière de l’Etat58 contrairement
à l’ancienne loi organique de 2000 qui ne faisait aucune référence à ce principe. L’application
du principe de sincérité permet au Parlement d’apprécier les données fournies par la loi de
finances.
Le droit d’amendement des parlementaires a quant à lui été consacré par l’article 101 de
la loi organique de 2012 et plus récemment par l’article 67 de la loi organique relative aux lois
de finances. S’analysant comme un contrôle a priori, cette prérogative a pour objet de permettre
aux parlementaires de modifier le projet de loi de finances au moment de son adoption. La
discussion budgétaire annuelle étant l’occasion pour le Parlement de se prononcer sur
l’opportunité des choix gouvernementaux à travers les demandes de financement des politiques
publiques. Le droit d’amendement constitue un pouvoir de censure et de modification accordé
au peuple à travers ses représentants59.

55
Sur ce point, lire notamment, Godefroy MOYEN, « La procédure budgétaire dans les Etats d’Afrique
francophone : cas du Congo, du Bénin et du Burkina-Faso », Annales des Sciences Juridiques et Politiques 14,
no3, 2013, pp. 48‑70.
56
Constitution, 15 octobre 2015, art.153.
57
Henry Marcellin DZOUMA-NGUELET, « La réception de la directive CEMAC dans le droit financier
congolais », Annales des Sciences Juridiques et Politiques 14, no 3, 13 juillet 2016, p. 27.
58
Sur la sincérité comptable, voir notamment Conseil constitutionnel, 25 juillet 2001, n°2001-448 DC. Par cette
décision adoptée à l’occasion de son examen de la loi organique relative aux lois de finances de 2001, le Conseil
constitutionnel français apporte des précisions sur le principe de sincérité.
59
Voir directive CEMAC, art.54 al.2.
S’il est toutefois important de relever que les amendements parlementaires ne sont
recevables que lorsqu’ils visent à réduire ou supprimer les dépenses60 ou encore à accroître les
recettes61, force est d’affirmer en définitive que l’application la directive CEMAC a permis le
renforcement de la fonction de contrôle du Parlement dans le processus budgétaire62.

2. L’importance accrue de la Cour des comptes

Le processus budgétaire se caractérise entre autres par l’existence d’un contrôle


juridictionnel généralement assumé par une Cour des comptes qui est à la fois dotée d’une
fonction contentieuse et non contentieuse. Dans le cadre de sa compétence contentieuse, elle
est chargée de contrôler et de juger les comptes ou documents des collectivités territoriales, des
entreprises du secteur public et parapublic. Prévu à l’article 92 de la directive relative au
règlement général de la comptabilité publique, sa fonction non contentieuse consiste dans un
rôle de conseil et d’assistance aux pouvoirs publics. Cette fonction lui permet de donner son
avis sur toute question relative au contrôle et au jugement des comptes. Bien que ses missions
traditionnelles n’aient pas été remises en cause, il ne demeure pas moins que les normes
communautaires ont fortement influencé la caractérisation de cette instance dans les différents
ordres juridiques nationaux en reconfigurant son statut et en élargissant ses missions.
En ce qui concerne son statut, il convient en premier lieu d’indiquer que le cadre
communautaire affirme le principe de l’indépendance d’une institution unique chargée du
contrôle juridictionnel des finances publiques. La section IV de la directive n°06/11-UEAC-
190-CM-22 relative au Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des
finances publiques dispose en effet que « les finances publiques […] sont soumises au contrôle
externe de la Cour des comptes, dont la création est obligatoire dans chaque Etat membre ». Il
en ressort la nécessité d’établir dans chaque Etat membre une institution supérieure de contrôle
des finances publiques (ISC) jouissant d’une indépendance expressément garantie par la
constitution afin de permettre une gestion saine des finances publiques. Conformément aux
directives CEMAC63, la qualité d’ISC devrait être assurée de façon indépendante par la Cour
des comptes. Fondée sur le sacrosaint principe de la séparation des pouvoirs, l’indépendance
de la Cour des comptes vis-à-vis des pouvoirs exécutifs et législatifs correspond au système
institutionnel traditionnel de la culture romano-germanique qui se démarque ainsi de la tradition
anglo-saxonne qui rattache généralement l’organe chargé du contrôle des comptes au Parlement
à l’instar du National Audit Office (Office national des comptes) au Royaume-Uni et du
Government Accounting Office (Office gouvernemental des comptes) aux Etats-Unis. Sur cette
base, le Cameroun devrait donc procéder à la création d’une Cour des comptes et de discipline

60
Directive CEMAC, art.54 al.3.
61
Directive CEMAC, art.54 al.4.
62
Loi organique relative au régime financier de l’Etat, 3 sept. 2012, art.75 ; Loi organique relative aux lois de
finances, art.10.
63
Directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances, art.73 al.3.
budgétaire en lieu et place des services du Contrôle supérieur de l’Etat (CONSUPE)64 et de la
Chambre des comptes de la Cour suprême65.
S’agissant de la portée et du champ de l’intervention de la Cour des comptes dans le
processus budgétaire, il est à rappeler que le contrôle de l’exécution de la loi de finances ne
consiste uniquement en un contrôle de la régularité mais désormais aussi, en un contrôle de
l’efficacité. Par conséquent, la Cour des comptes est appelée à évaluer l’efficacité des dépenses
publiques (emploi des fonds propres) au regard des objectifs fixés. Par ailleurs, sa compétence
couvre non seulement les ordonnateurs et comptables qui participent directement à l’exécution
budgétaire mais aussi tous les gestionnaires du secteur public dont les responsables
d’organismes quel que soit leur statut66. Pour tenir compte des exigences de résultats et de
performance, la directive relative aux lois de finances consacre le contrôleur financier comme
acteur financier aux pouvoirs élargis. L’article 61 dispose en effet que le ministre en charge des
finances nomme auprès de chaque ministre sectoriel un contrôleur financier chargé de veiller à
la conformité budgétaire et à la régularité des projets d’engagement. Il en ressort que les
contrôleurs financiers sont justiciables devant la Cour des comptes lorsque les infractions
commises par l’ordonnateur ont été rendues possibles par la défaillance de leurs contrôles (par
exemple les visas à une proposition de dépense irrégulière).

A la lumière de cette présentation, l’on peut affirmer que la transposition et la mise en


œuvre des directives impliquent une harmonisation dans le processus budgétaire à travers le
renforcement des pouvoirs dévolus aux instances nationales de contrôle politique et
juridictionnel que sont le Parlement qui intervient désormais avec autorité au moment de
l’adoption du budget, et la Cour des comptes dont la consécration communautaire est sans
équivoque.

B. La soumission du processus à une discipline budgétaire

Ainsi que cela a été précisé, la CEMAC, bien qu’étant dépourvue d’une compétence
générale en matière de politique économique, est expressément dotée d’une compétence de
coordination. A ce titre, l’on observe l’émergence d’un corpus normatif dont l’objectif est d
permettre de parvenir à une convergence entre les différentes positions budgétaires des Etats
membres (1.). Pour ce faire, le respect de ce droit budgétaire communautaire fait l’objet d’une
surveillance qui tend à conférer aux instances régionales, un pouvoir de décision dans le
processus budgétaire de chacun de ces Etats (2.).

64
Conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle des
ordonnateurs telle que modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976 et de l’article 2 alinéa 1 du décret n° 2013/287
du 4 septembre 2013 portant organisation des Services du Contrôle supérieur de l’État.
65
Sur ce point, nous rejoignons pleinement la proposition de Yves Gabriel DJEYA KAMDOM, « L’influence du
droit communautaire sur le système de contrôle des finances publiques au Cameroun : à propos des directives
CEMAC du 19 décembre 2011 », Gestion & Finances Publiques, no 1, 2017, p. 119,
https://doi.org/10.3166/gfp.2017.00017. Cet auteur propose la fusion de la Chambre des comptes et du CONSUPE
pour la création d’une Cour des comptes et de discipline budgétaire semblable à celle existant à Brazzaville.
66
Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22, art.73.
1. Une discipline consacrée par l’émergence d’un droit budgétaire communautaire

La compétence de coordination reconnue à la Communauté a permis à cette dernière de


développer un ensemble de règles s’analysant dans l’édiction de critères dont l’application
devrait permettre aux Etats de parvenir à une convergence de leurs positions budgétaires. Ces
critères comprennent la convergence du solde budgétaire de référence, le taux d’inflation, le
taux d’endettement public et l’absence des arriérés67.
Pour cerner l’importance de ces différents critères, il convient de rappeler que
l’hétérogénéité des positions budgétaires est incompatible avec l’intégration monétaire et
financière. Il ressort de la directive fixant les critères et indicateurs de la surveillance
multilatérale, le solde budgétaire de référence doit être supérieur ou égal à -1,5% du produit
intérieur brut. Sur ce point, il importe de préciser que le solde de référence (SBR) est égal au
solde budgétaire global réduit du montant de l’épargne de l’année. En effet, bien que le solde
budgétaire comprenne toutes les recettes (y compris les dons) et les dépenses, l’impératif de la
viabilité budgétaire a amené les Etats membres à intégrer une règle d’épargne financière des
ressources pétrolières. Le second critère correspond à l’objectif poursuivi par la CEMAC de
maintenir le niveau de l’inflation à taux annuel inférieur ou égal à 3%. Le taux d’endettement
public quant à lui, doit être inférieur ou égal (plafond) à 70% du produit intérieur brut (PIB)
nominal. Selon ce dispositif, la dette publique comprend « toutes les dettes directes contractées
ou avalisées par l’ensemble des administrations publiques et concerne aussi bien la dette
intérieure qu’externe68 ». Enfin, le critère d’absence d’arriérés implique aussi bien la
non-accumulation que l’apurement desdits arriérés. Précisons que l’acception de l’arriéré
retenue par le droit CEMAC comprend « tout engagement de l’Etat vis-à-vis de l’intérieur
faisant l’objet d’un plan d’apurement et non payé à l’échéance, ainsi que tout engagement de
l’Etat vis-à-vis de l’extérieur non payé à échéance69 ».
La présentation de ces différents critères permet de conclure à l’émergence d’un
véritable corpus normatif dont la substance relève de la politique budgétaire à proprement
parler. L’on comprend alors l’esprit et la lettre de l’article 8 de la loi organique relative aux lois
de finances qui dispose : « le gouvernement définit une politique budgétaire à moyen terme
conforme aux critères fixés par les conventions régissant la Communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale ». Il s’agit en effet d’un véritable droit budgétaire
communautaire dans la mesure où le corpus établi fixe des règles précises concernant des
questions aussi importantes que la politique nationale de l’endettement. Une telle règle limite
la marge de manœuvre que pourrait avoir les Etats dans le montant des créances à contracter et
même dans leur gestion de sorte que le seuil de 70% du produit intérieur brut ne devrait pas être
dépassé.

67
Directive n°2016-UEAC-093-CM-30, art.1er.
68
CEMAC, « Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC », op. cit., p. 37.
69
Idem., p. 37.
2. Une discipline assurée par la surveillance

La surveillance est une technique de promotion de la mise en œuvre des normes qui
consiste « en une activité d’observation permanente70 ». Ayant pour objectif d’accroître la
probabilité d’une correcte application des engagements souscrits, celle-ci se présente comme
un moyen de gouvernance visant aussi bien la compatibilité à l’ordre juridique considéré que
l’efficience de la mesure étatique. Cette définition correspond à la praxis observée en droit
communautaire et international en général71, et celle préconisée par le droit budgétaire de la
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) en particulier.
Afin de garantir la convergence recherchée, la mise en œuvre des critères préconisés par
la discipline présentée dans les lignes précédentes fait en effet l’objet d’un suivi visant une
orientation des choix budgétaires par l’exercice d’un contrôle a priori d’une part, et a posteriori
d’autre part.
Ayant une dimension préventive, le contrôle a priori du respect des critères de
convergence tend à assurer aux instances communautaires, un pouvoir d’autorisation à travers
l’examen des choix budgétaires opérés par chaque Etat membre. En effet, les Etats membres
ont l’obligation de communiquer à la Commission de la CEMAC, un programme triennal de
convergence dont le dispositif doit comporter des informations sur les perspectives de
l’économie nationaux, les mesures de politique économique prises en vue d’atteindre les
objectifs du programme et le sentier d’évolution des critères de convergence72. La perspective
de cette évaluation permet à la Commission de définir des grandes orientations des politiques
économiques (GOPE) dont le suivi permettra une efficience dans le respect des critères de
convergence73. L’on peut y voir une instrumentalisation de la compétence de coordination pour
se doter d’un pouvoir de programmation budgétaire qui se déplace peu à peu du ressort national
vers la compétence communautaire. De ce point de vue, le droit de la CEMAC se rapproche du
droit européen74 qui prévoit en effet une procédure impliquant la Commission, le Parlement

70
Sagesse Aimé ONDONGO, La surveillance internationale en matière monétaire et financière - 1re partie, Paris,
Editions du Panthéon, 2020, p. 22.
71
Sur cette question, lire notamment, Sagesse Aimé ONDONGO, La surveillance internationale en matière
monétaire et financière, Thèse, Poitiers, Université de Poitiers, 2018, pp. 21-26; Habib GHERARI, « La
surveillance », in Droit de l’économie internationale, par Centre de droit international. Nanterre, Paris, A. Pedone,
2004; Mihaela AILINCAI, Le suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe : contribution
à la théorie du contrôle international, Publications de l’Institut international des droits de l’homme N°16, Paris,
A. Pedone, 2012; Mostafa SALAMA HUSSEIN, « Le contrôle des organisations internationales en matière de
développement », Thèse, Paris, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 1982; Dominique CARREAU, « La
surveillance internationale des politiques budgétaires », in Quelle souveraineté budgétaire pour les États ? : actes
du colloque du 5 décembre 2012 au Palais Brongniart, par Jean-Marc SOREL et al., Cahiers internationaux N°
30, Paris: A. Pedone, 2013; Mario BETTATI, Le Contrôle international des stupéfiants, Paris, A. Pedone, 1974;
Andrès Rigo SUREDA et Charles VUYLSTEKE, « La surveillance exercée par la Banque Mondiale », in L’
inspection internationale : quinze études de la pratique des états et des organisations internationales, Bruxelles,
Bruylant, 1976, pp. 299-314; Lazare KOPELMANAS, « Le contrôle international », Recueil des cours - Académie
de la Haye, Recueil des Cours, 77, 1951, pp. 59‑148, https://doi.org/10.1163/ej.9789028611429.055-149; Marcel
MERLE, « Le contrôle exercé par les organisations internationales sur les activités des Etats membres », Annuaire
français de droit international 5, no 1, 1959, pp. 411-431, https://doi.org/10.3406/afdi.1959.1445.
72
Directive n°2016-UEAC-093-CM-30, art.8.
73
CEMAC, « Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC », op. cit., p. 40.
74
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, art.121.
européen et le Conseil européen qui adopte également les grandes orientations de politique
économiques (GOPE) des États membres et de l’Union.
La fonction de contrôle dote la Communauté d’un pouvoir de sanction qui prend
essentiellement en pratique, la forme d’une pression qui met à contribution toutes les
institutions pertinentes. Ainsi, conformément à l’article 4-f du Règlement relatif à la couverture
des risques, le Secrétaire Général de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC),
organe de surveillance des établissements de crédit COBAC, communique aux associations
professionnelles des établissements de crédit, l’état d’avancement du respect de critères de
convergence dans la zone Franc avant le 30 juin de chaque année. A chaque critère non respecté
par un Etat, il est affecté un taux de pondération des risques des établissements de crédit sur les
engagements de cet Etat d’une validité d’un an. Précisions que les missions de surveillance
multilatérale de la Commission de la CEMAC portent non seulement sur le respect des critères
de convergence mais également sur l’évaluation de la transposition et la mise en œuvre des
directives constituant le cadre harmonisé de gestion des finances publiques.
Partant, l’on peut relever que la communauté s’invite dans les processus budgétaires
nationaux par deux biais. Le premier est l’influence particulière du droit communautaire sur le
cadre institutionnel national. Le second réside dans l’introduction d’une nouvelle méthode
ouverte de coordination75 qui s’inscrit dans un processus comprenant la définition au niveau
communautaire d’objectifs communs ; la mise en œuvre de ces objectifs au niveau local ; et
l’évaluation de ces politiques au niveau communautaire afin de dégager les meilleurs partis et
enclencher les processus d’apprentissage mutuel76. Il s’agit de toute évidence là d’une
communautarisation du processus budgétaire qui n’est pas sans rappeler l’approche
européenne77.

CONCLUSION

A la lumière de ce qui précède, l’on peut retenir que les Etats conduisent et élaborent leurs
politiques budgétaires dans un cadre communautaire pourvu d’obligatoriété. Or, la politique
budgétaire à laquelle est adjointe la gestion des finances publiques revêt une nature
multidimensionnelle. Elle concerne des problématiques touchant non seulement aux

75
Anastasia ILIOPOULOU, « La méthode ouverte de coordination : un nouveau mode de gouvernance dans
l’Union européenne », Cahiers de droit européen 42, no 3, 2006, p. 323.
76
Loïc AZOULAY, « L’ordre concurrentiel et le droit communautaire », in L’ordre concurrentiel : mélanges en
l’honneur d’Antoine Pirovano, Paris, Editions Frison-Roche, 2003, p. 307.
77
Elle a notamment été établie par le Traité d’Amsterdam pour les politiques européennes de l’emploi. Selon le
Conseil européen, cette méthode consiste à : « définir des lignes directrices pour l'Union, assorties de calendriers
spécifiques pour réaliser les objectifs à court, moyen et long terme fixés par les États membres ; établir, le cas
échéant, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères d'évaluation par rapport aux meilleures
performances mondiales, qui soient adaptés aux besoins des différents États membres et des divers secteurs, de
manière à pouvoir comparer les meilleures pratiques ; traduire ces lignes directrices européennes en politiques
nationales et régionales en fixant des objectifs spécifiques et en adoptant des mesures qui tiennent compte des
diversités nationales et régionales ; procéder périodiquement à un suivi, une évaluation et un examen par les pairs,
ce qui permettra à chacun d'en tirer des enseignements ». Cf. Conseil Européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000,
conclusions de la Présidence, Bull. UE, 3-2000, pt. 37.
fondamentaux de la démocratie à travers le vote des lois de finances qui devait garantir la
légitimité de l’impôt et celle de la dépense ; mais aussi à l’efficacité de l’action de l’Etat en
matière économique à travers les impératifs d’équilibre budgétaire, d’efficacité de
l’investissement public et de financement des dépenses. De ce point de vue, l’on est fondé à y
déceler un partage rampant de la compétence budgétaire dans la mesure où le pouvoir normatif
et le pouvoir de l’orientation budgétaire relèvent de plus en plus de la compétence
communautaire.
Cette observation soulève une interrogation : les Etats membres disposent-ils encore de
leur souveraineté budgétaire ? Sur ce point, il importe de relever que le mode coordination
choisi consiste surtout à contenir les prérogatives des États à l’intérieur d’un corpus normatif
constitué par des directives. Si en matière douanière, l’uniformisation en vigueur tend à vider
la souveraineté étatique de sa substance, il convient de souligner que l’harmonisation est un
procédé qui accorde aux Etats la liberté de choisir les formes et les moyens les plus appropriés
pour l’intégration du corpus adopté. Il en découle une hétérogénéité dans les régimes fiscaux
en vigueur à travers les Etats membres78. Outre cette diversité, l’on peut également noter
l’incomplétude de la transposition du cadre harmonisé de gestion des finances publiques dans
certains Etats79. Par conséquent, il n’est pas illusoire d’affirmer qu’au sein de la CEMAC, les
Etats sont encore détenteurs de leur souveraineté budgétaire. Bien au contraire, le processus
d’harmonisation initié depuis plusieurs décennies est encore inachevé. Des réflexions devraient
être menées pour en identifier les véritables raisons. Doit-on y voir une carence dans le cadre
juridico-institutionnel communautaire ou un déficit de volonté politique des Etats concernés ?

78
Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à l’article 63 de la directive relative à l’impôt sur les sociétés qui
laisse à la compétence exclusive des Etats, les dispositions relatives aux obligations déclaratives, au contrôle des
déclarations, modalités de paiement, aux sanctions et au contentieux ».
79
Direction Générale du Trésor, « La lettre d’Afrique centrale », op. cit., p. 3.

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