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L'ORGANISATION DE L'ADMINISTRATION

"Lorsqu’on adopte une vision organique de l’Administration, il


convient d’emblée de constater qu’elle ne forme pas un ensemble
unitaire et monolithique.
L’Administration est en réalité constituée d’une myriade de
personnes publiques aux compétences diverses et variées.

Section 1 : Les personnes publiques

A titre préliminaire, il convient de s’intéresser à la notion


fondamentale de personne publique avant l’étude des principales
institutions administratives.

§ 1 : La personnalité morale en droit administratif

Reconnaître la personnalité morale à une institution ou à un


groupement revient à en faire un sujet de droit titulaire d’un
patrimoine, de droits et d’obligations. Toutefois, bien que les
personnes morales soient des sujets de droit, on ne peut les
assimiler totalement aux personnes physiques : il subsiste
d’importantes différences. Tout d’abord, les personnes morales
obéissent à un principe de spécialité, c'est-à-dire que
contrairement aux personnes physiques, elles ne peuvent agir
que dans le but pour lequel elles ont été crées. Ensuite, les
personnes morales bénéficient d’une certaine pérennité car leur
durée n’est pas subordonnée par la mort naturelle. Enfin, les
personnes morales se sont pendant longtemps différencier des
personnes physiques par leur immunité pénale ; cependant le
nouveau code pénal a mis fin à cette situation et pose le principe
d’une responsabilité pénale des personnes morales à l’exception
de l’Etat.

Qualifier les autorités administratives de personnes morales n’est


pas suffisant ; encore faut-il préciser qu’il s’agit de personnes
publiques, c'est-à-dire de personnes morales soumises au droit
public. Cependant, il n’est pas toujours facile de différencier une
personne publique d’une personne morale de droit privé. En effet,
il n’existe pas de critère unique permettant de reconnaître une
personne morale de droit public. Pour résumer, on peut dire
qu’en théorie les personnes morales de droit public sont créées

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par l’autorité publique et agissent toujours en vue d’un intérêt
public. Inversement les personnes morales de droit privé sont
issues d’une initiative privée et peuvent poursuivre des buts
variables.

La qualification de personne publique emporte plusieurs


conséquences importantes quant à leur régime : tout d’abord les
personnes publiques ne peuvent pas faire l’objet de voies
d’exécution d’où notamment l’insaisissabilité de leurs biens.
Ensuite, les personnes publiques ne peuvent être déclarées en
faillite ou en déconfiture ; elles ne peuvent donc faire l’objet d’une
procédure de redressement ou liquidation judiciaire. Enfin, la
qualité de personne publique leur offre la possibilité de bénéficier
de régimes particuliers en ce qui concerne le droit applicable à
leurs contrats, à leurs agents, à leurs travaux immobiliers et à
leurs propriétés immobilières.

§ 2 : La diversité des personnes morales de droit public

Les personnes morales de droit public se répartissent en trois


catégories : l’Etat, les collectivités locales et les établissements
publics.

A. L’Etat

L’Etat, qui constitue à lui seul une catégorie de personne


publique, est le seul à avoir en charge la satisfaction des besoins
de toute la population française. Il a une vocation administrative
générale qui s’étend à l’ensemble du territoire national.

B. Les collectivités territoriales

Au contraire les collectivités territoriales n’ont qu’une compétence


limitée à une fraction du territoire national : ce sont des
collectivités infra-étatiques. Elles servent à garantir la
décentralisation territoriale de la France. Dans cette catégorie
figurent les communes, les départements, les régions, les
territoires d’outre mer et les collectivités territoriales à statut
particulier de Mayotte et de Saint-Pierre et Miquelon.

L’existence même de certaines collectivités territoriales est prévue


par l’article 72 al. 1 de la Constitution, mais c’est surtout l’alinéa

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2 de cet article qui retient l’attention car il dispose que les "
collectivités s’administrent librement par des conseils élus et
dans les conditions prévues par la loi ". Ainsi, si c’est au
législateur de déterminer le statut des collectivités territoriales, il
doit le faire en respectant ce principe de libre administration.

C. Les établissements publics

Les établissements publics constituent une catégorie beaucoup


plus hétérogène que les deux précédentes. Il n’y a pas de critère
clairement défini. Aussi la doctrine a-t-elle souvent recours à une
définition négative : les établissements publics sont des
personnes morales de droit public autres que l’Etat et les
collectivités locales. Mais cette définition n’est pas toujours très
opératoire. La difficulté provient du fait qu’il faut différencier les
établissements publics des établissements d’utilité publique qui
sont eux des personnes de droit privé. Certes il n’y a pas de
problème lorsqu’on est en présence d’une qualification législative
d’établissement public. Mais dans le silence de la loi, le juge
administratif a été contraint de recourir à d’autres critères
d’identification qui jouent de façon cumulative le rôle de faisceau
d’indices. Tout d’abord, le juge peut prendre appui sur l’origine de
l’établissement ; lorsque l’établissement a été créé par l’Etat ou
une collectivité locale, il est probable que ce soit un établissement
public : inversement si l’initiative est privée, on est
vraisemblablement en face d’un établissement d’utilité publique.
Ensuite, le juge peut se référer à la nature de l’activité : si la
personne gère une véritable activité de service public et pas
seulement une activité d’intérêt général, le juge sera enclin à
reconnaître un établissement public. Enfin, si les critères
précédents ne suffisent pas, le juge peut toujours rechercher la
qualité d’établissement public dans l’utilisation de prérogatives de
puissance publique.

La nécessité de recourir à ces critères multiples provient en


grande partie de la diversité des établissements publics. Celle-ci
est en grande partie due au fait que l’établissement public est un
instrument de décentralisation fonctionnelle ; l’Etat et les
collectivités locales confient des missions de service public bien
précises à ces personnes publiques. Cette variété des missions
confiées a engendré une diversité des statuts et compétences.
Ainsi se sont constituées deux grandes familles d’établissements

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publics ; les établissements publics administratifs et les
établissements publics industriels et commerciaux. Très
sommairement, on peut dire que les premiers assurent les
missions traditionnelles de l’Administration, tandis que les
seconds sont le fruit de l’interventionnisme croissant de
l’Administration dans l’économie. Cette distinction issue de la
jurisprudence a de profondes implications sur le régime des
établissements publics. Ainsi les établissements publics
administratifs sont profondément imprégnés par le droit public.
En revanche, les établissements publics industriels et
commerciaux sont en raison de leur activité marqués par un
régime mixte qui allie règles de droit public et règles de droit
privé.

Cependant, en dépit de cette hétérogénéité, les établissements


publics ont tous des caractères communs quant à leur régime.
Etant dotés de la personnalité morale, les établissements publics
bénéficient d’organes propres (généralement une assemblée
délibérante et un exécutif) ayant un pouvoir de décision. Cette
autonomie décisionnelle est renforcée par le fait que les
établissements publics ont également un patrimoine propre et un
budget distinct de la collectivité publique qui les a créés.
Autonomie ne signifie cependant pas indépendance totale : en
effet, les textes créant des établissements publics prévoient
presque toujours l’existence d’un un contrôle de tutelle par une
collectivité de rattachement (généralement l’Etat ou une
collectivité locale) sur l’établissement public. Enfin une dernière
caractéristique commune à tous les établissements publics est
leur soumission au principe de spécialité : les établissements
publics n’ont que des compétences d’attribution limitativement
énumérées et ne peuvent agir hors du cadre de la mission qui
leur a été confiée. Tout dépassement de ce cadre sera sanctionné
par le juge comme étant une violation du principe de spécialité.

Section 2 : Les structures administratives

Les structures administratives françaises sont dominées par la


distinction entre déconcentration et décentralisation.

Pour illustrer la déconcentration Odilon Barrot affirmait au siècle


dernier : " c’est toujours le même marteau qui frappe, mais on en
a raccourci le manche ". Dans les Etats déconcentrés,

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l’administration étatique est organisée en plusieurs niveaux
locaux qui sont autant de relais du pouvoir central.
L’administration est alors fortement hiérarchisée, car il s’agit de
transférer certaines attributions de la capitale vers des
administrations déconcentrées formées d’agents de l’Etat et
obéissant à l’autorité centrale. Comme le résume M. JACQUE, " la
déconcentration consiste à insérer entre le centre et l’administré
une cascade d’autorités étroitement hiérarchisées auxquelles on
confiera l’exercice de certaines attributions de l’Etat sur les
instructions et sous le contrôle des autorités centrales ". En
France l’exemple le plus explicite de la déconcentration est le
préfet : nommé par le 1er ministre, le préfet est dans le cadre du
département le dépositaire de l’autorité gouvernementale. Il doit
obéir aux ordres du gouvernement sans pouvoir les modifier sous
peine d’être révoqué car c’est un emploi à la discrétion du
gouvernement (autre ex. Recteur d’académie). La déconcentration
est donc un système dans lequel l’Etat unitaire gouverne et
administre au moyen d’agents qui lui sont entièrement
subordonnés tout en étant disséminés dans les circonscriptions
administratives du territoire. En résumé, ce qui caractérise donc
le plus la déconcentration, c’est l’existence d’un pouvoir
hiérarchique c'est-à-dire une relation d’autorité entre l’échelon
central et les échelons locaux.

La décentralisation ne repose pas sur la même logique


hiérarchique que la déconcentration. Il y a décentralisation
lorsque les décisions administratives ne sont plus prises par le
pouvoir central ou ses agents déconcentrés, mais par des
autorités locales élues au suffrage universel et dotées d’une
autonomie à l’égard du gouvernement. La décentralisation
consiste donc à reconnaître à d’autres personnes publiques que
l’Etat des pouvoirs administratifs qu’elles exercent de manière
autonome dans le cadre des lois. La décentralisation peut être
fonctionnelle ou territoriale : la décentralisation fonctionnelle est
la plus rare : elle consiste à reconnaître un pouvoir de décision à
des services publics autonomes dotés de la personnalité morale :
en France il s’agit des établissements publics. Comme on l’a vu,
ces personnes publiques, bien qu’autonome, ont une sphère de
compétence précise, c'est-à-dire une spécialité bien identifiable.
En pratique, la décentralisation revêt surtout un aspect territorial
: elle consiste alors à reconnaître un pouvoir de décision à des
collectivités territoriales bénéficiant d’une certaine marge de

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liberté en ce qui concerne certaines prérogatives qui leur sont
confiées par l’Etat. Pour être effective et se différencier de la
déconcentration, la décentralisation doit présenter plusieurs
caractéristiques :

Contrairement au phénomène de déconcentration qui est


purement interne à l’Etat, la décentralisation suppose la
reconnaissance de la personnalité morale des collectivités
territoriale à qui l’Etat transfert des compétences.

Cette personnalité juridique doit garantir l’autonomie des


collectivités décentralisées par rapport au pouvoir central : cette
autonomie serait purement artificielle si les dirigeants de la
collectivité étaient nommés par le gouvernement et placés sous
ses ordres. C’est pourquoi, l’autonomie ne peut être acquise que
par un moyen ; il faut que les dirigeants des collectivités
décentralisées ne soient pas nommés mais élus par les citoyens
de la circonscription. Aussi les collectivités locales sont-elles
généralement gérées par une assemblée élue au suffrage
universel qui élit en son sein l’exécutif local.

Pour être réelle, la décentralisation nécessite l’existence d’un


véritable transfert de pouvoir de l’Etat vers les structures
décentralisées et l’octroi d’un pouvoir de décision tangible de
leurs dirigeants : ils ne doivent pas avoir que des pouvoirs
symboliques. La décentralisation peut être plus ou moins
poussée. En France la décentralisation a été sensiblement
renforcée par les lois du 2 mars 1982, du 7 janvier 1983 et du 5
janvier 1988 qui ont transféré de nombreuses compétences de
l’Etat vers les régions, départements et communes.

Enfin la décentralisation requiert existence d’un budget et surtout


de ressources propres ne relevant pas du bon vouloir de l’Etat. Le
fait pour une collectivité territoriale de posséder des ressources
propres est en effet nécessaire si l’on veut parler d’autonomie.

Toutefois les collectivités décentralisées — même gouvernées et


administrées par des élus — ne peuvent agir de manière
discrétionnaire. Elles sont non seulement tenues par les lois de
l’Etat, mais en outre n’ont que des pouvoirs limités par rapport à
l’Etat. Cette limitation des prérogatives des collectivités
décentralisées est garantie par l’existence d’un contrôle de l’Etat.

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Ce contrôle que l’on qualifie très souvent de tutelle est vital pour
garantir la forme unitaire de l’Etat. La tutelle ne doit pas être
confondue avec un quelconque pouvoir hiérarchique : il ne s’agit
pas pour l’Etat d’user d’un quelconque pouvoir hiérarchique mais
de s’assurer que les lois sont respectées par les collectivités
décentralisées et que celles-ci ne vont pas au des pouvoirs que
l’Etat leur a transférés. En France depuis 1982 cette surveillance
s’exerce a posteriori, c'est-à-dire après l’édiction de l’acte par la
collectivité locale. Ce n’est plus un contrôle sur l’opportunité de la
décision mais seulement sur sa légalité. En effet les collectivités
décentralisées ont l’obligation de transmettre au préfet leurs
décisions. Le préfet, autorité de tutelle doit, s’il estime l’acte de la
collectivité illégal, saisir le juge administratif afin que celui-ci
annule l’acte : il s’agit du déféré préfectoral. L’autonomie de la
collectivité locale est donc bien garantie puisque seule une
illégalité suscite l’intervention de l’autorité de tutelle, et encore
celle-ci ne dépend pas du représentant du gouvernement mais
d’un juge.

Chapitre 3 : L’activité de l’administration

Il s’agit ici d’étudier d’une part les principales missions confiées


aux administrations, et d’analyser les actes que ces dernières
peuvent adopter pour parvenir à leurs fins.

Section 1 : L’objet de l’action administrative

Il n’est plus possible de prétendre de nos jours que l’action de


l’administration correspond exclusivement à des missions
régaliennes. En effet, les activités des personnes publiques se
sont nettement diversifiées depuis le siècle dernier et ne peuvent
plus se résumer à l’édiction d’actes administratifs et à la
préservation de l’ordre public. Les personnes publiques sont
désormais également prestataires de services. C’est pourquoi, afin
de classer les différentes actions de l’administration, il convient
de prendre en compte leurs objectifs. Ceux-ci sont au nombre de
deux, le service public et la police administrative.

§ 1 : L’activité de service public

La notion de service public joue un rôle majeur en droit


administratif. En effet, le service public est présenté par

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beaucoup d’auteurs (notamment par les tenants de l’Ecole de
Bordeaux du Doyen DUGUIT) comme étant le fondement du droit
administratif, ou du moins comme étant le principal facteur
explicatif des multiples dérogations du droit public au droit
commun. Cependant, si nul ne nie le rôle essentiel de la notion de
service public, sa définition est des plus délicates.

A : Notion de service public

Souvent présenté comme la pierre angulaire du droit


administratif, la notion de service public n’est pas des plus
précises et a fait l’objet de longues discussions doctrinales. Elle a
d’une part une signification matérielle qui désigne une activité
d’intérêt général, et d’autre part une signification organique qui
suppose une organisation administrative. Il arrive que les notions
organiques et matérielles de service public se recoupent, mais ce
n’est pas une règle absolue car il arrive qu’une activité de service
public soit assumée par une personne privée. Reste donc à
identifier le service public dans son sens matériel : parfois un
texte précise que telle ou telle activité répond à une mission de
service public. Cependant dans le silence des textes, le juge est
obligé de définir ce qu’est un service public. Or, pas plus que la
doctrine, que le Conseil d’Etat n’ont pu trouver un critère unique
pour identifier le service public : plusieurs critères doivent être
employés pour définir le service public.

A lire la jurisprudence, le service public peut se définir comme


une activité d’intérêt général assurée par une personne publique
ou du moins sous le contrôle d’une personne publique. Il arrive
que le Conseil d’Etat ne se contente pas de la réunion de ces deux
éléments et en exige un troisième critère. C’est le cas dans un
arrêt Narcy du 28 juin 1963 ; outre le critère de l’intérêt général
et le critère organique d’un rattachement direct ou indirect de
l’activité à une personne publique, le Conseil d’Etat a exigé que le
gestionnaire du service dispose de prérogatives de puissance
publique. Lorsque ces trois critères sont réunis (intérêt général,
présence de prérogatives de puissance publique, mise en œuvre
par une personne publique d’un pouvoir de contrôle et direction
sur les modalités d’exécution de cette activité), le juge estime qu’il
est en face d’une mission de service public. Cependant, le critère
tiré de l’existence de prérogatives de puissance publique reste

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secondaire car le Conseil d’Etat et le Tribunal des Conflits ne le
mentionnent pas systématiquement.

B : Les principes régissant les services publics

Tout service public, qu’il soit administratif ou industriel et


commercial, est soumis à certains principes régissant son
fonctionnement. Ces derniers (qu’on appelle aussi les "lois de
Rolland") sont au nombre de trois. Il s’agit des principes de
continuité du service public, de l’adaptation constante du service
public et d’égalité qu’il convient de préciser.

Principe de continuité du service public : c’est probablement la


plus importante des lois de Rolland. Le Conseil Constitutionnel,
dans sa décision DC n°79-105 du 25 juillet 1979, a reconnu une
valeur constitutionnelle au principe de continuité du service
public. Ce dernier suppose que le service fonctionne normalement
de manière continue. Selon l’importance du service, la continuité
peut signifier la permanence de l’activité, ou dans une moindre
mesure l’établissement d’un service minimum. En effet, si le
principe de continuité du service public a valeur
constitutionnelle, il ne doit pas pour autant aboutir à priver de
tout effet le droit de grève qui a aussi valeur constitutionnelle. Il
convient donc aux pouvoirs publics d’adopter des textes
conciliant — sous le contrôle du juge constitutionnel et du juge
administratif — ces deux principes contradictoires et d’égale
valeur.

Principe d’égalité : depuis longtemps reconnu par le juge


administratif, c’est également un principe à valeur
constitutionnelle (C.C. Décision DC 79-107 DC du 12 juillet
1979). Ce principe comporte plusieurs aspects ; il joue aussi bien
à l’égard des sujétions que le service impose, qu’à l’égard des
avantages qu’il procure. Il s’applique donc aussi bien aux
usagers, candidats-usagers, agents ou fournisseurs. Cependant il
convient que ce principe d’égalité ne s’applique que de façon
relative : ainsi, des différences de traitement entre des usagers ou
candidats-usagers du service public sont légales du moment
qu’elles sont justifiées soit par des considérations d’intérêt
général, soit par une différence de situation de fait ou de droit.

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Principe de l’adaptation constante du service public (dit aussi
principe de mutabilité) : ce principe signifie que le service doit
constamment s’adapter aux évolutions susceptibles d’affecter
l’intérêt général. En effet, l’intérêt général n’est pas figé : dès lors
le service public doit s’adapter à ses nouvelles exigences.

C : Les modes de gestion des services publics

Les activités de service public peuvent être exercées soit


directement par une personne publique, soit être confiés par la
personne publique à une personne privée.

1. La gestion directe du service public par une personne


publique

Lorsqu’il y a régie, l’administration assure elle-même le service,


c'est-à-dire qu’elle emploie son personnel et utilise ses propres
biens. Dès lors, il faut en déduire que les services en régie ne
constituent pas des personnes juridiques distinctes ; le service
n’a aucune individualité, même sur plan financier. Généralement
ce procédé de la régie est appliqué aux services publics
administratifs. Ce n’est qu’exceptionnellement que les services
publics industriels et commerciaux sont exécutés en régie ; dans
ces hypothèses le service dispose d’une certaine individualité
comptable qui permet d’évaluer s’il est excédentaire ou déficitaire.

2. La gestion déléguée de service public

Il arrive souvent qu’un service public ne soit pas assuré


directement par l’Etat ou une collectivité territoriale mais soit
délégué à une personne publique ou à une personne privée. Dans
certains cas, la gestion déléguée est réservée exclusivement à des
personnes publiques : il s’agit alors pour la personne publique
responsable du service public de transférer à une autre personne
publique qu’elle crée la mission d’assurer les prestations du
service public. A cette fin l’Etat et les collectivités territoriales
peuvent notamment créer des établissements publics ou des
groupements d’intérêt public.

Les délégations de service public ne profitent pas uniquement à


des personnes publiques. Il est admis depuis longtemps que l’Etat

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ou une collectivité territoriale peut transférer une mission de
service public à une personne privée. Cette délégation peut
résulter d’un acte unilatéral, mais le plus souvent elle découle
d’une convention : on parle alors de convention ou de contrat de
délégation de service public. On peut en identifier de plusieurs
types :

Concession de service public : c’est de loin le type de contrat le


plus employé pour déléguer un service public industriel et
commercial. La concession de service public est un contrat passé
entre une personne publique (concédant) et un concessionnaire
en vertu duquel ce dernier s’engage à exploiter le service à ses
risques et périls en se rémunérant sur les usagers. Non
seulement, le concessionnaire exploite le service à ses risques et
périls, mais en outre il doit effectuer lui-même les ouvrages
indispensables à l’activité du service. En effet, dans le cadre des
concessions de service public, c’est toujours au concessionnaire
de réaliser les investissements nécessaires à l’exploitation et au
fonctionnement du service. C’est pourquoi les concessions de
service public sont souvent également des concessions de travaux
publics. Aussi, afin de permettre au concessionnaire d’amortir les
investissements qu’il a effectués pour le service, les contrats sont
conclus pour une longue durée.

Affermage : l’affermage est un contrat qui ressemble beaucoup à


la concession de service public, puisque le fermier assure
l’exploitation du service. Les principales différences concernent le
financement des équipements nécessaires au service et le mode
de rémunération du fermier. Tout d’abord, le fermier ne supporte
pas les frais de construction des ouvrages et équipements qu’il
emploie ; en effet, c’est la personne publique qui a réalisé elle-
même ces investissements. Ensuite, si le fermier perçoit, comme
le concessionnaire, les redevances payées par les usagers, il doit
en verser une partie à l’administration : ces sommes que verse le
fermier à l’administration représentent, en réalité,
l’amortissement des installations et ouvrages mis à sa
disposition.

Régie intéressée : dans la régie intéressée, la personne gérant le


service public (le régisseur) agit pour le compte de la personne
puisque lui ayant délégué la mission. Ce régisseur n’est pas
rémunéré par les redevances des usagers mais perçoit une

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rétribution de la personne publique. Cette rétribution qui est
fonction d’éléments variables (comme par exemple le chiffre
d’affaires, la bonne marcher du service…) explique que le
régisseur ne subit pas les risques et charges de l’exploitation du
service.

Gérance : dans ces contrats, le gérant exploite le service public


moyennant une rémunération forfaitaire versée par la personne
publique. C’est donc la collectivité publique qui continue les
risques et charges de l’exploitation.

D : La distinction Services Publics (SPA) - Services Publics


Industriels et Commerciaux (SPIC)

Jusqu’à la 1ère guerre mondiale, tant la doctrine que la


jurisprudence admettaient que les services publics ne pouvaient
être qu’administratifs ; ces services publics administratifs
correspondent aux missions traditionnelles de l’Etat : justice,
défense nationale, enseignement, éducation, santé publique,
sécurité… Cependant, suite à la 1ere guerre mondiale et au
développement constant de l’interventionnisme économique des
personnes publiques, les juges et la doctrine ont admis l’existence
de services publics industriels et commerciaux essentiellement
soumis à un régime de droit privé (T.C. 22 janvier 1921, Société
commerciale de l’ouest africain).

La difficulté est alors de distinguer les services publics


administratifs et les services publics industriels et commerciaux :
en effet, la distinction est fondamentale car leurs régimes
respectifs sont nettement différents.

1. Les critères de la distinction

Ces critères ont été définis par le Conseil d’Etat dans un arrêt du
16 novembre 1956, Union syndicale des industries
aéronautiques : la haute-juridiction ne propose pas un critère
unique mais un faisceau d’indices. Ces indices sont
respectivement l’objet du service, le financement du service et
enfin les conditions relatives à l’organisation et fonctionnement
du service : autant de critères qu’il convient de développer.

Objet du service : quand l’activité en cause se situe dans un

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domaine où il existe une concurrence privée, il est probable que le
service public soit industriel et commercial. Inversement quand
l’activité s’exerce à titre gratuit et que le gestionnaire du service
ne cherche pas à réaliser des profits, il s’agit probablement d’un
service public administratif. Tel est le cas des activités
correspondant aux missions traditionnelles de l’Etat.

Financement du service : le service dont les ressources


proviennent essentiellement de redevances payées par les usagers
(et non de subventions budgétaires ou de recettes fiscales) sont
généralement des SPIC.

Modalités d’organisation et de fonctionnement du service : le


service public est administratif si les modalités de son
organisation et de son fonctionnement présentent des caractères
exorbitants du droit commun. C’est notamment le cas quand le
service est assuré directement par une personne publique.

A l’aide de ces trois séries d’indices, le juge administratif a


construit une jurisprudence permettant de distinguer
efficacement les services publics administratifs et les services
publics industriels et commerciaux.

2. Le droit applicable aux SPA et aux SPIC

Au siècle dernier la question du droit applicable aux services


publics ne se posait pas véritablement ; il n’y avait que des
services publics administratifs directement assurés par une
personne publique. Aussi étaient-ils fort logiquement soumis à un
régime relevant exclusivement du droit public. L’état du droit
s’est compliqué avec l’apparition des services publics industriels
ou commerciaux. En effet dans l’arrêt Société commerciale de
l’ouest africain de 1921, le Tribunal des conflits avait reconnu
l’existence de ces services en les soumettant largement au droit
privé. En effet, ces services " fonctionnent dans les mêmes
conditions que les entreprises industrielles ou commerciales
similaires " : aussi pour ne pas fausser la concurrence, la
personne publique doit être dépourvue de ses avantages et
prérogatives de puissance publique. C’est pourquoi, plus le
caractère industriel et commercial est marqué, plus le droit privé
doit être prédominant dans le régime applicable.

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En pratique quatre grandes hypothèses peuvent être distinguées :
SPA géré par une personne publique ; dans cette hypothèse, le
régime applicable relève exclusivement du droit administratif.

SPA géré par une personne privée ; bien qu’on soit en présence
d’un service public administratif, le régime laisse une place
importante au droit privé. En effet, les relations individuelles
entre le service et ses agents sont régies par le droit privé. De
même, les rapports entre la personne privée exerçant le service et
les usagers sont des relations de droit privé. En revanche, les
actes administratifs unilatéraux adoptés par les personnes
privées gérant un service public administratif sont de la
compétence du juge administratif et obéissent donc au droit
administratif.

SPIC géré par une personne publique ; dans cette hypothèse, les
relations entre le SPIC et les usagers relèvent du droit privé. Il y a
toutefois deux exceptions : le directeur du service et le comptable
public sont toujours des agents de droit public. S’agissant des
usagers du SPIC, ils sont dans une situation contractuelle de
droit privé.

SPIC géré par une personne privée ; en pareil cas, presque tout le
régime applicable au service relève du droit privé. C’est
notamment le cas des relations entre le service et les usagers.
C’est également vrai des relations entre le service et ses agents :
par exception cependant, le droit public reparaît lorsque la
personne privée adopte un règlement touchant à l’organisation du
service public.

§ 2 : L’activité de police administrative

A coté des activités de service public, la police administrative est


la seconde mission essentielle de l’administration. C’est aussi une
mission très sensible car pour préserver l’ordre public,
l’administration doit parfois imposer des limitations et libertés
des citoyens. C’est pourquoi il convient d’analyser successivement
la notion de police administration, puis les différents types de
police administrative et enfin les limites des pouvoirs de police.

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A : La notion de police administrative

Comme l’observent MM. RIVERO et WALINE " on entend par


police administrative l’ensemble des interventions de
l’administration qui tendent à imposer à la libre action des
particuliers la discipline exigée par la vie en société ". Dès lors,
son objectif primordial est la prévention des atteintes à l’ordre
public. Il est possible de tirer deux enseignements de ce postulat.

1. Police administrative et police judiciaire

Le fait que la police administrative soit destinée à prévenir les


atteintes à l’ordre public permet de la distinguer de la police
judiciaire. Il s’agit ici d’une distinction fondamentale : en effet, les
contentieux des deux polices ne relèvent pas du même juge. Le
critère de distinction semble a priori simple : lorsque l’opération
de police poursuit un but répressif après la réalisation d’une
infraction on est en présence d’une opération de police judiciaire.
Au contraire, lorsque les mesures de police ont pour but de
prévenir la commission d’infraction (et donc le maintien de l’ordre
public), elles s’inscrivent dans le cadre de la police administrative.
Toutefois, à l’usage, il est parfois plus délicat de distinguer ces
deux types de police ; en effet, ce sont souvent les autorités et des
personnels communs qui sont titulaires de la police judiciaire et
de la police administrative. En outre, il peut arriver en pratique
qu’une opération qui était initialement une mission de police
administrative devienne ultérieurement une opération de police
judiciaire suite à la commission d’une infraction.

2. La police administrative ; une protection de l’ordre public

Une fois qu’on a précisé que la police administrative est destinée


à protéger l’ordre public, il faut encore définir cette dernière
notion. Classiquement, l’ordre public repose sur un triptyque
incontournable consacré par une loi de 1884 : la sécurité
publique, la salubrité publique (entendue au sens de la
sauvegarde de l’hygiène publique) et la tranquillité publique. Ces
trois éléments sont d’ordre essentiellement matériel puisqu’il
s’agit d’éviter les désordres tangibles et visibles. Mais à ces trois
éléments traditionnels de l’ordre public, se sont rajoutés d’autres

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éléments comme l’immoralité et la dignité humaine. En effet, le
juge a interprété largement le terme d’ordre public puisqu’il
dépasse considérablement le triptyque originel. Cependant, le
juge fait toujours attention à distinguer la police générale de
l’ordre public des polices spéciales.

B : Les différents types de police administrative : police


générale et polices spéciales

Au sein de la police administrative, il convient de distinguer entre


police générale et police spéciale. Dans le cadre d’une police
administrative générale, l’autorité compétente peut prendre des
mesures s’appliquant à l’ensemble de l’activité des citoyens : c’est
la police qui " est exercée d’une manière indifférenciée à l’égard de
n’importe genre d’activité ". En d’autres termes, lorsque l’autorité
intervient pour prévenir des atteintes à l’ordre public, il s’agit
d’une police administrative générale. Au contraire, certains textes
prévoient l’existence de polices spéciales, qui sont spécifiques soit
à une catégorie d’individus (exemple de police des étrangers) soit
à une catégorie d’activités (exemples de la police des édifices
menaçant ruine, de la police de la chasse). Ces polices spéciales
poursuivent un but qui peut dépasser l’ordre public traditionnel :
ainsi il existe des textes instaurant des polices spéciales ou des
polices culturelles, objectifs qui sont sans rapport avec la
sécurité, la tranquillité ou la salubrité publique.

Concrètement, les mesures de police susceptibles d’être adoptées


par l’autorité compétente peuvent consister dans l’adoption de
réglementations, d’interdictions (par exemple de manifestations),
de suspensions (d’autorisations administratives ou de permis) ou
encore de saisie (d’un journal ou d’un libre). Pour en finir avec la
police administrative, il convient de préciser que les mesures
prises dans ce cadre sont placées sous le contrôle du juge
administratif. Celui-ci vérifie l’adéquation de la décision de police
par rapport aux circonstances ; il contrôle notamment que les
atteintes aux libertés soient nécessaires et justifiées par le risque
d’atteinte à l’ordre public. Dans cet esprit, sont prohibées par le
juge administratif, toutes les mesures de police d’interdictions
générales et absolues.

16
Section 2 : Les actes de l’administration

L’administration dispose de deux moyens d’action : soit elle


adopte des actes administratifs unilatéraux, soit elle procède de
manière conventionnelle en concluant des contrats.

§ 1 : Les actes administratifs unilatéraux

L'acte administratif unilatéral est le mode normal d'action de


l'administration : c’est une décision émanant de la seule volonté
de l'administration.

A : Définition

Les actes unilatéraux sont avant tout des actes juridiques, c'est-
à-dire des manifestations de la volonté de la puissance publique
destinées a faire grief aux administrés en créant des droits ou des
obligations. En d’autres termes l’acte unilatéral modifie
l’ordonnancement juridique ce qui permet de le distinguer de
nombreuses autres mesures de l’administration qui n’ont pas
cette propriété (actes préparatoires, mesures d’ordre intérieur,
circulaires…). Parce qu’ils sont administratifs, ces actes se
distinguent d’autres mesures unilatérales telles les lois ou encore
les décisions de justice. L’adjectif administratif joue ici le rôle de
critère organique qui permet d’exclure les actes du parlement ou
des juridictions.

B : Les actes exclus de la catégorie des actes administratifs


unilatéraux

Tous les mesures prises unilatéralement par l'administration ne


constituent pas forcément des actes administratifs unilatéraux ; il
existe des actes purement déclaratifs, des actes de préparation ou
mesures préparatoires. Ces différents actes se différencient des
actes administratifs unilatéraux dans la mesure où ils ne
modifient pas par eux mêmes l'ordonnancement juridique ; il
s’agit de mesures d’importance minime qu’on ne peut considérer
comme des décisions exécutoires faisant grief. Ils sont donc

16
insusceptibles d'un recours en excès de pouvoir et ne sauraient
être soumis au même régime que les actes administratifs
unilatéraux.

Si les mesures préparatoires et les actes purement déclaratifs ne


posent pas problème, certaines normes adoptées par
l’administration posent plus de difficultés. C’est tout d’abord le
cas des circulaires ; ce terme de circulaire désigne généralement
une communication d’un supérieur hiérarchique à destination de
ses subordonnés par laquelle il donne son interprétation d'une loi
ou d'un règlement. La circulaire était donc traditionnellement un
pur acte intérieur à l'administration. Toutefois il arrive parfois
que la circulaire ne se contente pas d’être purement interprétative
mais qu’elle modifie l’ordonnancement juridique c'est-à-dire
qu’elle crée du droit. On se trouve donc dans l'hypothèse d’une
mesure d'ordre intérieur modifiant la situation des administrés et
se situant donc en dehors du service ; il serait donc anormal de
considérer ces mesures comme étant insusceptibles de faire
l’objet d’un recours en excès de pouvoir. Aussi le Conseil d’Etat a
réglé cette question dans un arrêt de 1954 "Institution Notre
Dame du Kreisker" : certaines circulaires sont qualifiées de
réglementaires soit parce qu'elles ajoutent des prescriptions aux
lois et aux règlements, soit parce qu'elles créent des droits et
obligations nouvelles pour les administrés. Dans ces hypothèses,
les circulaires qualifiées de réglementaire sont considérées
comme de véritables actes administratifs unilatéraux. Dans les
autres cas, c'est-à-dire lorsque les circulaires sont purement
interprétatives, elles demeurent des actes internes au service ne
pouvant faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir.

Parallèlement aux circulaires, il existe une seconde catégorie


d’actes qui pose des problèmes de qualification dans la catégorie
des actes administratifs unilatéraux : ce sont les directives.
Celles-ci sont destinées à encadrer, à orienter le pouvoir
discrétionnaire de l’administration lors de l’examen de situations
individuelles. En effet, il s’agit de dispositions par lesquelles une
autorité administrative investie d'un pouvoir discrétionnaire
subordonne l'examen de telles situations à des critères généraux ;
certains auteurs ont ainsi parlé de "codification des motifs".
Toutefois, contrairement aux actes réglementaires que
l’administration doit toujours appliquer, l’autorité administrative
peut toujours écarter une directive d’une part, si des données

16
particulières d'un cas déterminé sont invoquées et d’autre part
lorsque l’intérêt général l’exige. En d’autres termes, l’autorité
administrative pourvue d’un pouvoir discrétionnaire peut poser
des règles générales relatives à l'exercice de ce pouvoir, " à
condition qu’il ne leur confère pas un caractère impératif et se
réserve la possibilité d'y déroger ". Cette possibilité de dérogation
explique que le juge refuse de faire des directives un acte
administratif unilatéral. Toutefois le juge administratif attache
tout de même certains effets juridiques à ces codifications de
motifs : les administrés ont le droit d'exiger de l'administration
qu'elle se conforme aux orientations générales figurant sans ses
directives. En effet, le refus d'appliquer une directive à un
particulier, alors que celui-ci satisfait aux critères posés par cette
directive, est illégal sauf si l’intérêt général ou une situation
particulière justifiaient une pareille dérogation.

C : Les différentes catégories d’actes administratifs


unilatéraux

Les actes administratifs unilatéraux font l’objet de plusieurs


classifications. Il est tout d’abord possible de distinguer ces actes
en prenant en considération la forme de l’acte : décret, arrêté,
délibération… Il est également possible de classer les actes
administratifs en fonction de leur auteur ; administration
centrale, administration déconcentrée, collectivités locales,
établissements publics, autorités administratives indépendantes,
organismes privés investis d’une mission de service public. Mais
la classification qui retient le plus l’attention reste la distinction
entre actes réglementaires et actes individuels qui repose sur la
portée respective des deux catégories d’actes. A titre de rappel, les
premiers sont ceux qui posent une règle impersonnelle et de
portée générale, alors que les seconds sont d’ordinaire nominatifs.
La distinction entre acte réglementaire et décision individuelle est
la plus importante car elle emporte plusieurs conséquences en ce
qui concerne la publicité de l’acte, les règles de retrait et
d’abrogation…

§ 2 : Le régime des actes administratifs unilatéraux

Le régime des actes administratifs unilatéraux suppose que l’on


s’intéresse successivement à leur élaboration, à leur entrée en
vigueur, à leur disparition et à leurs effets juridiques.

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A : L’élaboration des actes administratifs unilatéraux

Contrairement au droit de nombreux Etats, il n’existe pas en


France de Code de procédure administrative, ou tout du moins
une loi générale précisant la procédure précédant l’adoption d’un
acte administratif unilatéral. Cela ne signifie pas que le processus
décisionnel est entièrement libre : outre les règles de compétence,
on assiste depuis une vingtaine d’années à la multiplication de
textes encadrant l’élaboration des actes administratifs. C’est ce
que l’on appelle communément la procédure administrative non
contentieuse ; celle-ci résulte d’une volonté d’amélioration des
relations entre la puissance publique et les administrés. Aussi ces
textes se sont-ils efforcé d’assurer une certaine transparence de
l’action administrative et de renforcer la concertation dans le
processus d’élaboration des actes administratifs unilatéraux. Ont
ainsi été mises en place de nombreuses procédures imposant la
consultation — obligatoire ou facultative — d’organismes divers et
variés, des procédures d’enquête publique auprès des intéressés
ou encore des concertations entre administrations. Parallèlement
à ces procédures consultatives, le décret du 28 novembre 1983 a
étendu le champ d’application du principe du contradictoire. En
effet, selon l’article 8 du décret, les décisions défavorables
émanant d’autorités de l’Etat " ne peuvent légalement intervenir
qu’après que l’intéressé ait été mis à même de présenter des
observations écrites ". Ce dialogue obligatoire permet une
meilleure compréhension de la mesure et d’éviter un éventuel
contentieux.

Dans le même esprit de transparence de l’action administrative, le


législateur a complété la procédure administrative non
contentieuse en rendant obligatoire la motivation de certains
actes administratifs unilatéraux. Au préalable, il faut préciser
qu’en général le droit administratif n’exige pas un important
formalisme : pour preuve, il est admis que certaines décisions
soient implicites et résultent uniquement du silence de
l’administration pendant un certain délai. Cependant il existe
certaines formalités substantielles, comme par exemple la
signature de l’auteur de la décision pour les actes écrits, ou la

16
motivation de l’acte. Traditionnellement l’administration française
n’était pas tenue de motiver ses décisions. Cependant, la loi du
11 juillet 1979 l’oblige dorénavant à motiver les décisions
individuelles défavorables aux intéressés et les décisions
dérogeant aux règles générales fixées par la loi ou le règlement. Le
texte précise notamment que doivent être motivées les décisions
qui " restreignent l’exercice d’une liberté publique, ou de manière
générale constitue une mesure de police ", les décisions qui "
infligent une sanction ", les décisions qui " retirent ou abrogent
une décision créatrice de droits ", les décisions qui " opposent une
prescription, une forclusion ou une déchéance ", les décisions qui
" refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour
les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir
" et enfin les décisions " qui refusent une autorisation ". Dans ces
hypothèses, la motivation constitue une formalité substantielle
dont le défaut entraîne l’illégalité de l’acte pour vice de forme.

B : L’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux

Pour entrer en vigueur, c'est-à-dire produire des effets juridiques,


l’acte administratif unilatéral doit impérativement avoir fait l’objet
de formalités de publicité. Cette publicité prend la forme d’une
notification aux intéressés pour les décisions individuelles ou
d’une publication pour les actes réglementaires (insertion au
Journal Officiel, affichage…). Cette publicité a pour effet de
rendre l’acte opposable aux intéressés : à défaut l’acte reste
inopposable.

Un autre principe concernant l’entrée en vigueur des actes


administratifs unilatéraux est leur non rétroactivité. En vertu
d’un principe général du droit reconnu dans l’arrêt Société du
journal l’Aurore, les actes administratifs ne peuvent en effet avoir
d’effet rétroactif sauf si une loi l’autorise expressément.

C : La sortie de vigueur des actes administratifs unilatéraux

En théorie et sauf disposition contraire, un acte administratif a


vocation à s’appliquer sans limitation de durée. Certes il arrive
que certains actes fixent eux-mêmes la durée de leur application
de manière explicite ou implicite ; ils deviennent alors caducs une
fois ce temps expiré. Mais en en dehors de ces hypothèses, la
disparition de l'acte administratif ne peut résulter que d'une

16
manifestation de volonté de son auteur d’y mettre fin : la sortie de
vigueur de l’acte requiert lors soit une décision d’abrogation, soit
une décision de retrait.

1. L’abrogation

L'abrogation est une décision qui met fin aux effets de l’acte
administratif initial pour l'avenir : il s’agit soit de le remplacer par
un acte différent, soit de le supprimer purement et simplement.
Les règles concernant l’abrogation sont relativement simples mais
varient selon qu’il s’agit de faire disparaître un acte réglementaire
ou une décision individuelle.

S’agissant des actes réglementaires, le principe est que nul n’a de


droit acquis à leur maintien. Le règlement, parce qu’il est
impersonnel et général, peut toujours être modifié ou supprimé
pour l’avenir. Cette faculté pour l’administration d’abroger un
acte réglementaire à tout moment devient même une obligation
d’abroger lorsque l’acte est illégal. En effet, le Conseil d’Etat a
confirmé dans un arrêt Alitalia de 1989 que " l'autorité
compétente saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un
règlement illégal est tenue d'y déférer soit que ce règlement soit
illégal ab initio, soit que l'illégalité résulte de circonstances de fait
ou de droit postérieures à cet acte ". En vertu de cette
jurisprudence qui consacre un principe général du droit,
l’administration ne peut donc laisser en vigueur un règlement
illégal : elle doit impérativement l’abroger.

S’agissant des décisions individuelles, leur abrogation est


possible à tout moment si elles n’ont pas fait acquérir de droits
sous la condition de respecter le parallélisme des formes (c'est-à-
dire que l’abrogation doit émaner de l’autorité qui a pris cette
décision statuant selon la même procédure). Par opposition
lorsque la décision individuelle constitue un acte créateur de
droits, son abrogation n’est possible que si elle est expressément
prévue et organisée par un acte législatif ou réglementaire : en
dehors de ces hypothèses et sauf exceptions, l’abrogation d’un
acte créateur de droit n’est pas possible. En outre, il convient de
préciser à propos des actes individuels que jusqu’à présent, la
jurisprudence n’a pas reconnu d’obligation d’abroger les décisions
illégales. Cette solution est logique car s’agissant de décision
pouvant créer des droits juridiquement protégés il convient de

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concilier respect du principe de légalité et sécurité juridique.

2. Le retrait.

Les règles concernant le retrait sont beaucoup plus complexe car


sa portée est rétroactive. Quand l'administration retire un acte on
considère qu'il n'a jamais existé et qu'il n'a produit aucun effet.
Se pose donc ici un sérieux problème de sécurité juridique : en
effet, il ne faut pas que l’administration puisse trop aisément
retirer des actes ayant créé des droits. C’est pourquoi on retrouve
le régime de retrait ne repose pas sur la distinction entre acte
individuel et acte réglementaire mais sur la distinction entre acte
créateur de droits et acte non créateur de droits.

S’agissant des actes non créateurs de droits, leur retrait est


possible à tout moment et pour n’importe quel motif. Il faut
cependant nuancer cette affirmation en précisant que la
jurisprudence et la doctrine sont incertaines quant aux
possibilités de retrait des actes réglementaires, notamment pour
des considérations d’opportunité.

S’agissant des actes créateurs de droits, la conciliation entre


sécurité juridique et respect du principe de légalité conduit à
interdire tout retrait à partir du moment ou leur légalité ne peut
plus être remise en cause directement devant le juge
administratif. Dès lors le retrait des tels actes est toujours
impossible lorsqu’ils sont légaux. En revanche, lorsque l’acte
créateur de droits est illégal, l’administration dispose du délai du
recours contentieux (deux mois) pour retirer l’acte et corriger
ainsi l’illégalité. Il faut souligner que ce délai de recours
contentieux ne court qu’à compter de l’achèvement des formalités
de publicité dont l'acte doit faire l'objet : tant que cette publicité
(publication ou notification) n’est pas achevée le délai de recours
ne court pas.

D : L’exécution des actes unilatéraux

Pour garantir la prompte et bonne exécution de ses actes


administratifs unilatéraux, l’administration dispose d’une part du
privilège du préalable et d’autre part, du privilège de l’exécution

16
d’office.

1. Le privilège du préalable

L’exécution des actes administratifs unilatéraux est dominée par


l’existence du privilège du préalable. Celui-ci comporte deux
aspects essentiels. Le privilège du préalable permet tout d’abord à
l’administration d’imposer aux particuliers des droits et obligation
sans leur consentement. L’acte administratif est ainsi exécutoire
par lui-même et s’applique immédiatement du seul fait de son
édiction. En effet, l’autorité publique n’a pas besoin de faire appel
au juge pour rendre obligatoire sa décision et modifier la situation
de l’administré.

Le privilège du préalable suppose également que toute décision


administrative bénéficie d’une présomption de régularité. Cela
explique que le recours en excès de pouvoir n’a pas d’effet
suspensif : l’acte continu à produire ses effets tant que le juge n’a
pas constaté l’illégalité de l’acte. Les administrés doivent donc se
conformer à l’acte même s’ils ont intenté un recours contre celui
jusqu’à temps que le juge le déclare illégal.

Comme le résume André De Laubadere, par ce privilège du


préalable, " on veut dire que l’administration se trouve dispensée,
pour réaliser ses droits, de s’adresser préalablement à un juge ; si
l’administré conteste les prétentions de l’administration, c’est lui
qui devra saisir le juge… "

2. Le privilège de l’exécution d’office

En théorie les administrés sont tenus de se conformer aux


prescriptions des actes administratifs unilatéraux dès leur
édiction. Cependant, il arrive parfois que des particuliers refusent
de se soumettre : aussi l’administration doit-elle pouvoir
intervenir afin de contraindre ces administrés récalcitrants et
assurer la correcte exécution de ses actes. Pour cela elle dispose
du privilège d’exécution (ou action) d’office (ou forcée). Ce privilège
signifie que l’administration peut employer la contrainte contre le
particulier réfractaire en recourant à la force publique et sans

16
saisir le juge : par sa nature même, cette prérogative de
l’administration est exorbitante du droit commun. Toutefois, ce
recours à la force ne constitue pas le droit commun ; il reste
subsidiaire puisqu’aux termes d’un arrêt du Tribunal de Conflits
du 2 décembre 1902, l’exécution d’office n’est possible que dans
trois hypothèses.

Le recours à la force publique pour faire exécuter un acte


administratif unilatéral est tout d’abord possible quand la loi le
prévoit expressément. Ainsi on donne traditionnellement
l’exemple de la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions
militaires qui autorise le recours à la force contre le " mauvais
vouloir des habitants ".

Ensuite, l’exécution forcée est possible en cas d’urgence. Comme


l’observait ROMIEU dans ses conclusions sous l’affaire Société
immobilière Saint-Just " il est de l’essence même du rôle de
l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force
publique lorsque l’intérêt immédiat de la conservation publique
l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge
l’autorisation d’y envoyer les pompiers ". Bien évidemment,
l’administration ne peut pas librement se prévaloir d’une
situation d’urgence : elle opère toujours sous le contrôle du juge
qui vérifie si cette condition d’urgence est respectée.

Enfin, l’action d’office demeure possible en l’absence pour


l’administration d’autres voies de droit pour exécuter la mesure.
Cette absence d’autres voies de droit désigne non seulement
l’inexistence de sanctions pénales pour sanctionner l’administré
récalcitrant, mais aussi le défaut de tout procédé légal
(notamment des actions judiciaires) permettant de contrer cette
résistance.

Lorsque l’administration procède à une exécution forcée en


dehors de ces trois hypothèses ou encore lorsqu’il n’y pas
résistance de l’administré, elle commet une faute de nature à
engager sa responsabilité. Si, en outre, cette exécution forcée
porte atteinte à la propriété privée ou à une liberté, elle sera
également consécutive d’une voie de fait conduisant à la
compétence exclusive du juge judiciaire.

§ 2 : Les contrats administratifs

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Parallèlement aux actes administratifs unilatéraux,
l’administration peut recourir à un procédé moins exorbitant du
droit commun : le contrat. Cependant le particularisme de
l’activité administrative, tant le but de service public que ses
prérogatives de puissance publique, ont forcément engendré des
altérations du droit privé.

A : Distinction entre contrat administratif et contrat de droit


privé

D’emblée il faut préciser que l'administration peut passer soit des


contrats de droit privé classiques, soit des contrats plus
spécifiques, à savoir les contrats administratifs.

1. Critères du contrat administratif

Pour être qualifié de contrats administratifs, les conventions


signées doivent répondre à une première condition systématique :
il faut qu’au moins une des deux parties cocontractantes soit une
personne publique. En effet, sauf de rares exceptions, un contrat
conclu entre deux personnes privées est toujours considéré
comme un contrat de droit privé. Inversement les contrats
conclus entre deux personnes publiques sont présumés revêtir
un caractère administratif : il s’agit cependant d’une présomption
simple qui peut être renversée. Mais excepté cette présomption, il
ne suffit pas qu'une personne publique ait signé le contrat pour
que celui-ci devienne ipso-facto un contrat administratif : le
contrat doit répondre à au moins l’un des critères suivant :

 tout d’abord, le contrat est administratif s'il a pour objet de


faire participer le cocontractant de l'administration à un
service public ;

 ensuite, un contrat sera également qualifié de contrat


administratif s'il renferme des clauses exorbitantes du droit
commun, c'est-à-dire des stipulations ayant pour objet de
conférer aux parties des droits ou des obligations étrangers
par leur nature ".

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